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LE SAHARA
LE SOUDAN
B¥ LEti
CHEMINS DE FEU THA^SSAllAUfEiNS
PAUL^LEROY-BEAULIEU
AVEC UNE CARTE
PARIS
GUiLLAUMIN ET C*'
Hl'K «JrîlELTKr, H
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i
LE SAHARA
LE SOUDAN
ET LES CHEMINS DE FER TRàNSSAHARIENS
AUTRES OUVRAGES DU MÊME AUTEUR
De l'état moral et intellectuel des populations ouTriôres, et de son influence
sur le taux des salaires. Ouvrage couronné par l'Académie des scienct'>
morales et politiques, Paris, 1868, librairie Guillaumin. (Épuisé.)
Recherches économiques, historiques et statistiques sur les guerres contem-
poraines. Paris, 1869, librairie Lac7*oix'Verbœckhoven.
La question ouvrière au XIX« siècle. 2* édition. Paris, 1882, librairie Charpentier.
L'administration locale en France et en Angleterre. Ouvrage couronné par
l'Académie des sciences morales et politiques. Paris, 1872, librairie Guillaumin.
(Épuisé.)
Le travail des femmes au XIX« siècle. Ouvrage couronné par l'Académie des
sciences morales et politiques. Paris, 1873, librairie Charpentier.
Traité de la science des finances. Deux volumes in-8, 7» édition. Guillaumin,
1905.
Essai sur la répartition des richesses et sur la tendance à une moindre iné-
galité des conditions. 4« édition, 1897, librairie Guillaumin.
De la colonisation chez les peuples modernes, histoire et doctrine. 5« édition,
1902, Guillaumin,^ éditeur.
Le collectivisme, examen critique du nouveau socialisme et l'évolution du
socialisme depuis 1895. k^ édition, 1903, Guillaumin.
L'Algérie et la Tunisie. Un volume in-8, 2« édition, Guillaumin, 1897.
L'État moderne et ses fonctions. Un volume in-8, S^^ édition, 1900, Guillaumin.
Précis d'économie politique. 9« édition, 1904, Delagrave.
Traité théorique et pratique d'économie politique. 4 volumes in-8, 3« édition,
Guillaumin, 1900.
Un chapitre des mœurs électorales en France, en 1889-90. Brochure, librairî»>
Guillaumin et librairie Chaix.
39i-04. — CoRBEiL. Imprimerie Éo. CRtrt.
LE SAHARA
• •«•••••• • •••
LE SOUDf-À-!*f------^^^--=-'
ET LES
CHEMINS DE FER TRANSSAHARIENS
PAUL LEROY-BEAULIEU
MBMBIIB DE L'INSTITUT, PROFESSEUR AU COLLÈGE DE FRANCE
DIRECTEUR DE L^ÉcoHomiste Français
AVEC UNE CARTE
PARIS
GUILLAUMIN ET C^«
ÉDITEURS DU JOURNAL DES ÉCONOMISTES
RUE RICHELIEt, 14
1904
Me en-y
Çrit\ cÇ "Br./i-H- i / .'i^
s«^
PRÉFACE
Le livre que nous publions sous le titre : Le Sahara,
le Soudan et les Chemins de fer iranssahariens, est le
résultat de trente années d'observations et d'études.
Dès ma première jeunesse, je me suis ardemment in-
téressé au Sahara et au Soudan. En 1879, applaudissant
au projet de l'ingénieur Duponchel, j'écrivais un article
dans le Journal des Débats pour la jonction par voie
ferrée de l'Algérie et du Soudan.
Depuis lors, j'ai multiplié dans ce sens les efforts : ar-
ticles dans Y Économiste français, dans le Journal des
Débats et dans la Revue des Deux Mondes (1), confé-
rences nombreuses à Paris, Lyon, Nancy, le Havre, etc.,
démarches de toutes sortes.
Le présent ouvrage est autre chose que la reproduc-
tion ou la réunion de mes études antérieures; je l'ai fait
l\ nouveau, avec tous les matériaux récents, en lui don-
nant un enchaînement et un lien que ne peuvent avoir des
articles divers.
J'y traite d'abord du Sahara; je n'hésite pas à dire
que ce livre est la complète réhabilitation du Sahara.
Une légende fâcheuse pèse sur cette immensité. On se
la représente comme une continuité de sables mouvants,
dépourvue d'eau et de pluie, privée de toute vie animale
et végétale.
(1) Voyez notamment dans la Revue des Deux Mondes mes articles du 1^^' juil-
let 1899, du !•' octobre et du !•' novembre 1902.
917102
VlU PRÉFACE.
et de modestes cultures, avec, de place en place, quelques
riantes oasis, constituerait encore un domaine magni-
fique, un des plus beaux domaines que nous possédions.
Ce qui condamne, beaucoup plus que la nature, le
Sahara à n'être guère qu'une solitude, dans les condi-
tions passées et dans les conditions présentes, c'est
TefFroyable insécurité qui le désole.
Sur cette insécurité constante qui, si elle ne l'y supprime
pas complètement, comprime et restreint toute vie au
Sahara, nous fournissons aussi les témoignages les plus
abondants.
Établissez la sécurité dans cette immensité, accom-
pagnez ce bienfait de quelque art dans la recherche et
l'aménagement des eaux, et le Sahara nourrira, au bout
de quelques décades d'années, une dizaine de millions
d'hommes, sinon même deux dizaines de millions
d'hommes*
Outre ses « possibilités » pastorales, culturales, en
quelques endroits peut-être forestières, le Sahara tient
en réserve de précieuses ressources minérales.
C'est beaucoup plus le sous-sol que le sol qui contri-
bue, dans le temps présent, à lancer une contrée neuve.
Certes, on ne peut compter trouverau Sahara des mines
d'or ou de diamant. Mais il suffit que l'on y rencontre
du cuivre, du plomb, du zinc, d'autres substances miné-
rales, jadis dédaignées ou inutilisées, des nitrates et
autres de ce genre. Or , de ce côté, on peut avoir toute
certitude; le cuivre notamment abonde au Sahara. Sans
parler des districts avoisinant le Tidikelt, le Touat, le
Mouydir et le Hoggar, où les indices sont excellents, on
sait, de source absolument certaine, que la contrée entre
TAïr et Zinder est très minéralisée. Barth l'avait signalé,
il y a quarante ans; l'abondance du cuivre et les usages
PRÉFACE. IX
variés qu'en font les habitants en fournissent aussi la
preuve : enfin M. Dorian, appartenant à une grande
famille métallurgique etmembre delà Mission Foureau,
Va reconnu (i).
Le gouverneur de la Nigeria britannique, sir Frédéric
Lugard, dans un rapport de cette année même, constate
l'importante exportation de potasse qui se fait de notre
possession sud-saharienne, TAïr ou TAsben, à travers la
Nigeria (2). Combien seraient facilitées ces exportations
avec une voie ferrée à bas tarifs !
Nous traitons aussi du Soudan au cours de cet ou-
vrage, mais plus brièvement que du Sahara, parce qu'il
est plus connu et plus apprécié. Nos deux Soudan, le
Soudan nigérien et le Soudan du Tchad, ont d'immenses
€ possibilités », pour nous servir d'un terme britannique.
Il n'y a aucun doute qu'un jour, si nous ne laissons
pas échapper l'occasion et si nous les conservons, ces
deux contrées complémentaires, le Sahara et le Soudan
constitueront la plus merveilleuse colonie française d'ex-
ploitation. Aucune autre, sans en excepter l'Indo-Chine,
ne pourra lui être comparée.
Pour conserverie Soudan, de même que pour l'exploi-
ter, ainsi que le Sahara, il est de toute nécessité que
nous construisions sans aucun retard des chemins de \
fer transsahariens.
Notez que nous parlons au pluriel ; nous disons des
chemins de fer transsahariens et non pas le chemin de
fer transsaharien.
Il faut, en effet, pour la consolidation et l'exploitation
de l'Empire français africain, actuellement embryon-
naire et dispersé, deux chemins de fer transsahariens
(1) Voy. plus loin, pages 273, 335 et 413.
(2) Voy. plus loin, page 417.
X PRÉFACE.
courant chacun le plus directement possible du nord au
sud, desservant d'ailleurs des sphères différentes, puis-
qu'ils auront, à leurpoint de départ en Algérie, un écart
de 5oo à Goo kilomètres et, à leur arrivée au Soudan,
un écart de i 200 à 1 5oo kilomètres.
Il convient d'établir rapidement le Transsaharien du
Niger, déjà amorcé surplus de 700 kilomètres depuis
Oran, et où il ne reste plus que 1 600 à 1 700 kilomètres
à construire, puis le Transsaharien du Tchad, qui, à
notre grande honte et à notre grand préjudice, n'est
encore amorcé que sur 33o kilomètres depuis Philippe-
ville. Dès que l'un de ces Transsahariens sera livré à l'ex-
ploitation, on sera tellement édifié par la facilité et le bas
prix d'établissement, le bon marché de l'exploitation et
l'abondance du trafic, qu'on se mettra avec empresse-
ment à construire le second.
Ces chemins de fer transsahariens sont, en eux-mêmes,
des œuvres infiniment modestes, qui ne doivent coûter
qu'une cinquantaine de mille francs le kilomètre; par
exception, dans quelques rares passages moins aisés, une
soixantaine de mille francs. Le Transsaharien du Niger
peut être achevé avec moins de cent millions, le Trans-
saharien du Tchad avec cent cinquante ou cent soixante
millions.
Nous analysons avec soin le trafic en vue : il est abon-
dant et varié; les voyageurs ne manqueront pas, notam-
ment les voyageurs noirs; nous en faisons le décompte.
Quant aux marchandises : du nord au sud, le sel, le
sucre et les produits manufacturés; dans le sens du
sud au nord, les peaux d'animaux (le bétail étant abon-
dant et très beau dans ces régions), la laine, l'alpaga, le
coton surtout, le tabac, les substances tinctoriales, les
minerais et autres substances minérales (nous rappelons
PRÉFACE. -XI
que, dès maintenant, par des voies longues et coûteuses,
la potasse s'exporte de TAïr) (i) assurent un fret ample
et varié. On arrivera rapidement à i looo ou 12000 francs
de recette brute par kilomètre pour chacun des Trans-
sahariens.
Presque tout le trafic se faisant d'outre en outre, sans
aucune manipulation intermédiaire, les noirs très raffi-
nés du Soudan pouvant être employés comme hommes
d'équipes, gardiens de la voie, chauffeurs même, les
gares étant relativement peu nombreuses, les frais d'ex-
ploitation pourront être faibles et les tarifs bas.
Nous publions en appendice les tarifs, qui nous ont
été communiqués courtoisement par l'administration
russe, des chemins de fer de l'Asie centrale et de la
Sibérie, on y verra que, sur ce type, le prix en troi-
sième classe du transport des voyageurs du Soudan
à la Méditerranée et vice-versa serait seulement d'une
quarantaine de francs, et que le tarif des marchandises
communes pourrait descendre à 1 centime 1/4, même
à 1 centime le kilomètre, soit 3o à 40 francs la tonne
du Soudan à la Méditerranée ou de la Méditerranée au
Soudan. II n'est guère de marchandise, parmi les plus
communes, qui ne pût, à ce bas coût de transport, être
amenée de l'Afrique intérieure en face de Marseille,
Barcelone, Gênes, Trieste et, moyennant un fret supplé-
mentaire dey à 8 francs la tonne, à Liverpool, Londres,
Anvers, Rotterdam ou Hambourg.
Les voies de l'ouest, soit fluviales, soit mi-fluviales,
mi-ferrées, soit complètement ferrées, allanl de l'Atlan-
tique ou du golfe de Bénin à l'Afrique intérieure, ne
pourront jamais supporter la concurrence des chemins
(1) Voy. plus loin, page 417.
XII PRÉFACE.
de fer transsahariens. Les voies de Touest ou du sud-ouest
aboutissent à des ports ravagés par les fièvres paludéennes
et la fièvre jaune, entravés par des barres, imposant à la
navigation et aux assurances de lourdes surcharges.
La voie du nord, celle du Sahara, a un avantage im-
mense : outre la rapidité, c'est l'absolue salubrité- Le
Sahara est une des contrées les plus salubres du globe ;
qu'on lui procure la sécurité, qu'on y pose des voies
ferrées (car il ne s'agit que de poser les rails presque
sans travaux d'art et, à coup sûr, sans achat de terrains)
et ces voies ferrées constitueront immédiatement la voie
de transport idéale.
On ne saurait trop répéter que les chemins defer
transsahariens sont des œuvres tout à fait ^odesjes^
cela apparaît avec netteté, quand on en analyse les élé-
ments. Voici le Transsaharien du Niger ; il est actuelle-
ment amorcé, depuis Oran, sur 700 kilomètres livrés à
l'exploitation ou en construction; personne ne conteste
qu'il faudra le pousser 5oo ou Goo kilomètres plus loin
à nos oasis du Touat et du Tidikelt. D'autre part, au
moment où nous revoyons ces lignes, on annonce offi-
ciellement que, en partant de Tombouctou, nous allons
faire occuper par deux compagnies le poste d'Araouan, qui
est en plein désert à 35o kilomètres environ au nord du
Niger ; Araouan même se trouve à 400 kilomètres de Taou-
déni, la grande saline^ qui alimente de sel tout le Soudan
occidental ; il n'y a aucun doute qu'il faudra faire pro-
chainement une ligne ferrée, longue de ybo kilomètres
environ, de Taoudéni à Tombouctou et que, par le seul
transport du sel, cette ligne sera productive; le Trans-
saharien occidental représente donc uniquement la jonc-
tion entre les deux lignes reconnues nécessaires de Béni-
Ounif au Touat ou au Tidikelt au nord et de Taoudéni à
PRÉFACE. XIII
Tombouctou au sud ; ce n'est qu'une lacune à combler de
700 à jDO kilomètres environ, ne représentant pas une
dépense de plus de 4o millions de francs. Voilà à quoi
se réduit, en réalité, le Transsaharien occidental. Nous
nous livrons, au cours de cet ouvrage, à un calcul ana-
logue, en ce qui touche le Transsaharien du Tchad, qui,
lui aussi, quand on en déduit les tronçons reconnus
nécessaires au nord et au sud, apparaît comme une œuvre
réellement modeste. Et, cependant, combien immenses
seraient les résultats !
Les tropiques mis à six jours de Paris, six jours et
demi de Londres et de Bruxelles, sept jours de Berlin;
une pareille conjonction des contrées tropicales riches
et des capitales des grandes nations colonisatrices ne
peut se faire que, sur ce point unique du globe, à travers
le Sahara.
Il est impossible à un esprit réfléchi, expérimenté, au
courant des grandes entreprises modernes et apte à les
juger, de douter de Timmense avenir du Sahara.
Ceux qui parlent mal de cette immensité n'ont ni
réflexion, ni expérience ; ils renouvellent, à propos de ces
prétendus sables mouvants, le jugement léger de Vol-
taire sur les € arpents de neige > ou les « arpents de
glace > du Canada (1). ^ t' - .
(1) On a contesté que Voltaire se soit servi de cette expression a arpents de
neige » pour désigner le Canada. Nous avons, quant à nous, au cours de la lec-
ture de sa correspondance, constaté qu'il applique souvent au Canada cette dési-
gnation : « arpents de glace et do neige » ; en voici des preuves : « Je ne sais
s'il y a dans ce tableau beaucoup de traits plus honteux pour Thumanité que
de voir deux nations éclairées se couper la gorge en Europe pour quelques
arpents de glace et de neige en Amérique. /(Lettre du 29 février 1756 à. Thi-
riot.) — « On plaint ce pauvre genre humain qui s'égorge dans notre continent
à propos de quelques arpents de glace au Canada. » (Lettre du 27 mars 1737 à
M. de Moncrif.) OEuvres complètes de Voltaire^ Paris, Lequien, 1823, tome LX,
pages 119 et 263. Et encore (lettre du 13 octobre 1759 à M"»» Du Deffant) : « Nous
avons eu l'esprit de nous établir en Canada, sur des neiges, entre des ours et
dos castors; » puis (lettre du 3 octobre 1760 au marquis de Chauvclin) : « Si
j'osais, je vous conjurerais h. genoux de débarrasser pour jamais du Canada le
XIV PRÉFACE.
Les peuples colonisateurs ont une façon plus haute de
juger les pays indéveloppés : « Partout où il y a de l'es-
pace, disait avec grand sens Cécil Rhodes, le créateur dt^
TEmpire anglais de l'Afrique australe, il y a de Tespoir. »
Les Anglais, après avoir construit un chemin de fer
dans le désert nubique, projettent le développement de<
oasis du désert lybique et l'exploitation des ressources
minérales de cette solitude (i).
Bien plus ample est le Sahara, bien plus de ressources
il offre à notre activité.
/Que faisons-nous, dans cette période décisive de l'his-
toire mondiale? De beaux esprits dissertent, critiquent,
épiloguent, se complaisent en objections.
II faut agir; si nous voulons donner une réalité à
l'Empire français africain, il faut construire les deux
chemins de fer transsahariens, celui du Niger et celui
du Tchad, œuvres modestes, nous le répétons, mais
d'une incomparable portée politique et économique.
L'attente est périlleuse ; il se peut qu'en attendant trop
nous voyions notre Empire français africain se disper-
ser et échoir, en partie du moins, à déplus clairvoyants
sinon de plus vaillants^ Une seconde fois, nous aurions
manqué, et sans aucune possibilité de réparations
futures, notre grande mission colonisatrice. ";
Monlplaisir, le 10 septembre 1904.
Paul Leroy-Beaulieu.
iiiinistôre de France. Si vous le perdez vous ne perdez presque rien ; » enfin
(liîltre du 19 octobre 1760, à ThlHot) : a Adieu, vous intéressez-vous beaucoup
au Canada, quid novi? » Œuvres complètes de Voltaire (édition sus-indiquéo},
lorno LXI, pages 41, 288, 308.
Ceux qui, à l'heure présente, considèrent le Sahara comme une étendue de
sable sans valeur émettent une opinion aussi frivole que celle de Voltaire sur
les « arpents de glace » au Canada et n'ont pas son excuse, les développements
de la colonisation ayant prouvé que nombre de régions réputées d'abord de nul
prix sont fréquemment devenues productrices de grandes richesses.
(i) Voir le leading article du Temps du 16 août 1904.
LE SAHARA, LE SOUDAN CÉNÎ^HAL
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KT LES
CHEMINS DE FER TRANSSAHARIENS
LIVRE PREMIER
CONSTITUTION DU FUTUR EMPIRE FRANÇAIS AFRICAIN.
LES DÉBUTS DE L'IDÉE TRANSSAHARIENNE.
CHAPITRE PREMIER
De la pénétration de l'Afrique par les puissances euro-
péennes. — Méi'hode que nous suivrons dans cet
ouvrage.
Les nations européennes n'ont eu longtemps, en Afrique,
des établissements que sur les rives de la mer. Leur action
s'arrêtait, en général, à 300 ou 400 kilomètres de la côte ;
très exceptionnellement, elle s'étendait à 700 ou 800 kilo-
mètres. Nous-mêmes en Algérie ne faisions pas exception à
cette règle.
Depuis un peu plus d'un demi-siècle et surtout depuis un
quart de siècle, l'ambition est venue à l'Europe de pénétrer
complètement ce continent et de le soumettre entièrement à
son influence. Quelques héroïques aventuriers avaient, dès
1824 et 1828, devancé Faction officielle. Celle-ci se borna
(Vabord à commanditer quelques missions, comme celle
1
2 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIENS.
de Barth en 1849-1855. Puis, il se produisit, sur certains
points du continent noir, une véritable poussée de Télémenl
euroiiâ&o.: C'est dans l'Afrique australe et l'Afrique équato-
rîale quèyjéi). .dehors des simples voyages d'explorateurs,
•iCfito^-gçiuTre^de pénétration politique et économique s'est
d'abord ébauchée ou accomplie. Les Boers, fuyant la domi-
nation des Anglais, ont remonté loin dans l'intérieur ; les
Anglais, attirés par les mines de diamant et d'or, les y ont
rapidement suivis et ont poussé, en partant du Cap, jus-
qu'au Tanganyika, installant, tout récemment, aux environs
de ce grand lac, des exploitations de mines de cuivre. C'était
de plus de 20 degrés qu'ils remontaient ainsi vers le nord
par une marche ininterrompue.
Au centre du continent, les Belges, suivant le cours du
Congo et de ses principaux affluents, ont soumis toute une
immense région à un système de cueillette méthodique des
richesses végétales et animales spontanées, notamment du
caoutchouc et de l'ivoire. Les Français s'efi'orcent, un peu
plus au nord, d'imiter les Belges, puis, dans l'ouest africain
tropical, prolongeant la poussée qu'avait commencée
Faidherbe, il y a juste cinquante ans(l), ils ont avancé et
ont établi des postes jusqu*aux deux tiers à peu près du con-
tinent, ne s'arrêtant qu'au point de contact avec lés Anglais,
qui, par la vallée du Nil, descendaient du nord-est.
Ainsi, de tous côtés, le continent africain était Tobjet d'un
travail de pénétration et d'assujettissement à l'Europe, sauf
d'un seul côté, celui du nord central et du nord occidental.
Aucun effort n'était fait du milieu du bassin de la Méditer-
ranée pour effectuer une jonction avec le centre de l'Afrique,
pour y constituer à la fois une ligne de communication per-
manente et une continuité de domination européenne. Et,
(1) C'est en novembrô 1854 que Faidherbe, alors chef de bataillon du génie,
fut nommé gouverneur du Sénégal. Mais onze ans auparavant, sous Louis-
Philippe, un de ses prédécesseurs au gouvernement de cette contrée, le comte
Bouct, avait, en 1843, préparé et commencé & mettre à exécution un plan
d'oxt^'nsion de la colonie à l'intérieur. (Voy. Jules Duval, Les Colonies el la
Polilique coloniale de la France, Paris, 1864, notamment pages 53 et 80.)
FORME ET CONSTITUTION DE L'EMPIRE FRANÇAIS AFRICAIN. 3
cependant, c'est seulement par le nord que le continent noir
peut être mis en relations étroites et rapides avec l'Europe,
et que les possessions européennes d'Afrique peuvent être
rattachées directement aux capitales des puissances qui colo-
nisent ce continent, Paris, Londres, Bruxelles, Berlin.
Pourquoi négliger ainsi la voie directe et courte, s'obliger
à d'énormes détours, causant des retards prolongés ? Le
Sahara, ou plutôt la superstition du Sahara en était la
seule cause. Cette immense étendue, que l'on a l'habitude
de regarder comme un désert de sable brûlant et mouvant,
déconcertait les imaginations européennes ; elle les jetait
dans un effroi semblable à celui qu'éprouvèrent les anciens
navigateurs quand, sorlis des Colonnes d'Hercule, portes de
la Méditerranée, ils venaient à perdre de vue la terre : aux
uns et aux autres, il semblait que l'abtme et une mort cer-
taine et horrible les attendissent.
Cependant, depuis les temps historiques, les relations de
l'Europe avec le centre de l'Afrique se sont toujours effec-
tuées par la voie terrestre naturelle et directe, du nord au
sud, c'est-à-dire à travers le Sahara. Aujourd'hui même,
quoique la prise de possession par une nation européenne
de la plus grande partie de la Berbérie et la suppression
d'une des branches importantes de l'ancien commerce, le
trafic des esclaves, aient désorganisé et détourné de leur cours
les relations traditionnelles entre la Méditerranée et le Sou-
dan, le Sahara est encore parcouru chaque année par des
dizaines de milliers d'hommes et des dizaines de milliers de
chameaux. A bien des reprises, les explorateurs européens,
et parmi eux quelques-uns du plus haut mérite scientifique,
Tont traversé d'un bout à l'autre : notre Caillié, de Tombouc-
ton au Maroc, dès 1828, par un tracé que, plus de cinquante
ans après, un Allemand, le docteur Lenz, suivait presque de
nouveau en 1880 ; à l'autre extrémité, un peu avant Caillié,
l'Anglais Clapperton, de 1820 à 1824, avec plusieurs com-
patriotes, gagnait Kouka, la plus grande ville sur le bord
du Tchad, de Tripoli, par la route la plus courte et la
4 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAUARIENS.
plus directe, trajet que Monteil refaisait, en sens opposé,
soixante-huit ans plus tard, en 1891-92 ; en 1850, le plus
illustre et le premier par rang de mérite des explorateurs
sahariens et centre-africains, Barth, en prenant d'abord le
tracé oriental de Tripoli à Mourzouk, obliquait ensuite vers
Touest et, à parlir du 23*" degré de latitude, traversait pres-
que directement du nord au sud le Sahara central en lon-
geant TAïr et arrivait à Kano, principal marché du Soudan
central, à Touest du Tchad; environ un quart de siècle
après, un autre voyageur allemand, de Bary, en 1877, refai-
sait en sens inverse presque le même trajet. D'autres voya-
geurs parcouraient soit le Sahara, soit le Soudan cen-
tral dans d'autres directions ; Rohlfs, en 1864, de Tripoli,
rejoignait la côte atlantique méridionale du Maroc en pas-
sant par In-Salah ; Nachtigall, en 1872, explorait la zone qui
s'étend de Kouka sur la rive occidentale du Tchad jusqu'au
Nil, en passant par El-Abesh, capitale du Ouadaï, et EUObéid,
capitale du Kordofan. En plus de ces traversées d'outre en
outre, soit du Sahara, soit du Soudan central, on peut dire
que toute une nuée d'explorateurs a poussé des pointes har-
dies dans diverses contrées de la région saharienne, Duvey-
rier notamment, qui a laissé des caries et des indications
précieuses, et nombre d'autres voyageurs français. Or,
si quelques-uns de ces hommes entreprenants sont morts
assassinés, comme Flatlers et le lieutenant Palat, on n'a pa>
entendu dire qu'un seul ait été englouti par le sable ou soit
mort de la soif ou de la faim ou de maladies dues au climat (1).
La crainte superstitieuse du Sahara ne paraît donc repo-
ser sur aucun fait positif; dans cette immense région, la
nature, sinon les hommes, se montre moins redoutable que
la légende. Aussi bien, l'image que le mot de Sahara sus-
cite dans la généralité des esprits correspond-elle très peu
à la réalité. Nous allons étudier cette immense contrée eu
' (l) Nous no parlons pas ici naturellement, en ce qui concerne la soif et la faim,
des voyageurs qu\ se sont égarés, loin du groupe auquel ils appartenaient il
des tracés connus. Les hommes isolés et fourvoyés sont, en tout pays pt.u
exploré et à juipulation très dispersée, exposés à, des riscpies de cette nature.
FOUMB ET CONSTITUTION DE I/EMPIRE FRANÇAIS AFRICAIN. 3
recourant aux principaux documents anciens et beaucoup
plus encore aux docunaents nouveaux. Ceux-ci sont assez
nombreux et jettent une nouvelle clarté sur ces questions
d'un intérêt capital pour la civilisation et, surtout, pour la
France. Quel est l'avenir du Sahara '? Quel est l'avenir du
Soudan cenlral? Quelles facilités offre la nature des lieux
pour relier la Méditerranée au centre de l'Afrique par une
ou plusieurs voies ferrées? Quelles espérances donnent cette
même nature des lieux et la nature des hommes pour la
rémunération de pareilles entreprises?
Négligeant les ouvrages purement théoriques ou didac-
tiques sur l'Afrique du Nord, le Sahara et le Soudan cen-
tral, nous allons analyser, commenter, citer, les « journaux
de roule » et autres documents provenant des explorateurs
récents, particulièrement de ceux qui furent investis d'un
mandat gouvernemental défmi.
Il sera utile de rapprocher les observations recueillies par
ces explorateurs, ayant un but officiel précis, de celles des
voyageurs antérieurs, notamment des informations si pré-
cieuses de Barth, celui de tous les hommes ayant parcouru
ces régions de l'Afrique qui était pourvu de la plus forte pré-
paration scientifique, qui y a fait le séjour le plus prolongé et
leur a consacré l'ouvrage à la fois le plus étendu et le plus
méthodique. Nous pouvons dire dès maintenant que, à cin-
quante années de distance, sauf des différences tenant aux
diversités des saisons et surtout aux troubles prolongés et
profonds du Soudan central depuis les ravages du conqué-
rant noir Rabah, les renseignements et les descriptions de
nos explorateurs récents ne contredisent aucunement les
données du célèbre voyageur allemand de 1850 à 1855 ; pour
qui sait lire, comparer et réfléchir, ils les confirment dans
leurs traits généraux.
Ce que nous demanderons à tous ces documents, aux
récents comme aux anciens, ce ne sont pas des appré-
ciations générales ou des conclusions ; ce sont seule-
ment des constatations de faits, des descriptions précises
6 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIENS
de la nature des lieux et de celle des hommes. Un explo-
rateur est un informateur; il dit ce qu*it a vu, et la con-
fiance que Ton peut avoir en lui dépend du soin méticu-
leux qu'il prend de rassembler des données positives. La
coordination de ces données, les conclusions qu'il convient
d'en tirer ne rentrent pas dans sa tâche, et, parfois, excédent
sa compétence. Un explorateur, homme d'action et d'endu-
rance physique et morale, ne peut être ni un ingénieur, ni un
économiste, ni un homme politique ; il n'a le plus souveni
qu'une préparation insuffisante à ces trois points de vue,
surtout aux deux premiers. Les divers incidents du voyage,
son état de santé ou de maladie peuvent, en outre, infiuer
sur son humeur et sur ses jugements généraux ; ils n'influent
pas, au contraire, ou influent moins sur ses relevés de faits
positifs et précis.
Pour fixer les idées, nous entendons par Soudan centrât
toute la vaste zone qui s'étend de Ségou, sur le Niger, un
peu au delà du S*" degré de longitude ouest, jusqu'au Darfour
exclusivement, au 25*" degré environ de longitude est ; celle
zone comprend tout le delta supérieur du Niger et le bief
moyen de ce fleuve, toute la région entre le Niger et le
Tchad et toutes les contrées à l'est du Tchad qui sont
reconnues par l'Angleterre revenir à la France, à savoir :
le Khanem, le Baghirmi et le Ouadaï.
CHAPITRE II
CoLP d'oeil général sur l'empire français continental
AFRICAIN. — Nécessité d'un lien entre les trois tronçons
yUI LE COMPOSENT.
Constitution empirique, en dehors de tout plan, des possessions françaises
africaines. — Matériaux possibles d'un empire plutAt qu'un euipiiv. — Les
trois tronçons dispersés et sans lien actuel.
L'Algérie et la Tunisie forment la solide base naturelle du futur empire franco-
africain. — Preuves à ce sujet. — Les chemins de fer transsahariens sont les
liens nécessaires entre ces trois tronçons. — Le retard apporté à leur cons^
truction, depuis que l'idée fut formulée on 1878* a fait perdre à la France la
moitié du Soudan central.
Impossibilité pour la France do dominer et d'exploiter le Ouadaï sans le Trans-
saharien centra], de l'Algérie à la région du Tchad. — Sans ce ti-anssaharien, le
Ouada! est destiné k échapper à la France, do même probablement le Baghirmi
et toute la contrée à l'est du Tchad.
Eventualité d'un chemin de fer britannique du Nil à la Nigeria. — L'absence du
transsaharien amènerait un jour la dislocation des possessions françaises de
r.Vfrique centrale et la perte d'une notable partie d'entre elles.
La connaissance du Sahara, des ressources qu'il présente
soit pour son exploitation propre, soit pour le transit, im-
porte beaucoup plus à la France qu'à toute autre nation
civilisée. Le Sahara fait partie de ses domaines les plus
proches, et il constitue le lien naturel, aujourd'hui inutilisé,
entre les fractions dispersées de notre immense empire
africain.
La France, en effet, s'est taillé en Afrique un colossal em-
pire; définitivement délimité par les conventions internatio-
nales de 1890, 1898 et 1899, il s'étend, dans sa plus grande
longueur, d'un peu plus haut que le 37' degré nord jusqu'au
5" degré sud, et, dans sa plus grande largeur, du 30" degré
de longitude est de Paris au 20"" degré ouest ; ainsi quarante-
deux degrés du nord au sud, cinquante degrés de l'orient à
Toccident; plus de 4600 kilomètres dans un sens, et près de
5000 dans l'autre, telles sont les dimensions de nos colos-
8 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TKANSSAHARIENS.
sales dépendances africaines. Sans doute, nous prenons îct
les mesures extrêmes, et il s'en faut que dans toutes ses par-
ties notre domaine africain y atteigne; mais, tout en ne for-
mant pas une figure géométrique régulière, il est tout au
moins continu ; les divers morceaux se tiennent sur la carte
les uns aux autres ; il ne dépend que de nous qu'ils forment
un tout. Sans doute encore, les diverses régions de cette im-
mensité de territoire n'ont qu'une valeur culturale très iné-
gale ; quant à leur valeur économique, qui comprend, comme
facteur important, la valeur minérale, personne n'est actuel-
lement capable d'en juger, les territoires les plus arides el
les plus ingrats à la surface, comme le désert d'Atacama au
Chili, les hauts plateaux désolés de l'Afrique du Sud, les
anciens fonds de mer de l'Australie et de l'Asie centrale,
ayant tout à coup révélé à l'homme des richesses de celte
nature, soit tout à fait de premier ordre, soit tout au moins
très appréciables, et notre Sud algérien et tunisien venant , à
l'improviste, avec ses bancs indéfinis de phosphates, de nous
procurer, il y a une dizaine d'années, une aubaine du même
genre. Bien superficiel et singulièrement ignorant des fac-
teurs économiques modernes serait celui qui, parce qu'une
contrée se prêle mal à la culture, déclarerait que l'homme
n'en pourra jamais rien tirer.
Que nous ayons dans notre domaine africain une très
grande quantité de « terres légères», suivant le mot ironique
que lord Salisbury prononçait à la Chambre des pairs pour
s'excuser d'avoir signé la convention de 1890, cela est incon-
testable. Mais il en est ainsi de tous lès grands empires conti-
nentaux. La Sibérie, que nous sachions, ou la Transcaspie,
ou le Canada, ou même l'Afrique du Sud, pour ne pas parler
de l'Australie, renferment une énorme proportion de terres
peu propres à la culture; il n'est pas jusqu'aux États-Unis
qui ne soient dans ce cas. Notre lot africain, pour n'être pas
tout entier de choix, n'a donc rien de tout à fait excep-
tionnel à ce point de vue. Les parties manifestement bonnes
y tiennent assez de place pour qu'on se doive accommoder
FOKMK ET CONSTITUTION DE L'EMPIHE FRANÇAIS AFRICAIN. 9
de celles qu*on serait tenté, peut-être sans assez de connais-
sance de cause, de déclarer irrémédiablement mauvaises.
Cet empire de la France, dans le nord, dans le centre et
dans Touest de TAfrique, a été le produit beaucoup plus
de circonstances contingentes que d*un dessein prémédité.
Un coup d'éventail donné par un souverain barbare à notre
représentant et le besoin de rendre de l'éclat à une monar-
chie défaillante nous ont amenés à Alger ; quelques pillages
de la part de tribus montagnardes et une dispute pour un
chemin de fer de banlieue nous ont introduits à Tunis; nos
petits et séculaires comptoirs côtiers de l'Afrique occidentale
ont dû à un entreprenant officier du génie, Faidherbe, et à
toute l'école qu'il a formée à sa suite, de devenir la tête de
ligne d'une prodigieuse pénétration à l'intérieur, sans que le
gouvernement de la métropole en fût quasi avisé, souvent
même malgré ses désirs et quelquefois en dépit de ses ins-
tructions formelles ; plus au sud, l'ardeur d'un officier de
marine, né étranger, le lieutenant de vaisseau de Brazza,
explorateur excellent et humain, nous fit cadeau un beau
matin d'une vaste partie du Congo. Bref, c'est, pour ainsi
dire, à toute une légion de cadets de Gascogne, agissant
sans ordres, cherchant à se surpasser les uns les autres dans
une sorte de prodigieux jeu de sport patriotique et de
prouesses d'exploration, que nous sommes redevables de la
possession de ces immensités. Jamais l'ambition d'un homme
d'État, si épris fût-il de colonisation, n'aurait, il y a trente
ou quarante ans, conçu un tel rêve ; la réalité a dépassé ce
que l'imagination aurait pu concevoir. Mais cela môme n'est
pas exceptionnel ; c'est l'histoire normale de la colonisation.
Tous les grands empires coloniaux, celui de l'Espagne,
celui du Portugal, celui de l'Angleterre même, ont été fon-
dés, non par l'action réfléchie et systématique des gouverne-
ments, mais par l'audace d'une ou deux générations d'aven-
turiers privés ou de soldats excédant leurs ordres. Si ce sont,
toutefois, des particuliers hardis, des « individualités sans
mandat» ou dépassant leur mandat, qui fondent les colonies.
12 LE SAUARA. LE SOUDAN ET LES CflEMINS PE FER TRANSSACIA RIENS.
lées. Le Congo etTOubanghi, contrées équatoriales, ne con-
tiennent et ne contiendront jamais que peu de blancs ; ils
seront toujours pauvres en articles de ravitaillement et de
munitions pour des troupes mi-partie européennes, à moins
qu'ils ne reçoivent directement et sans interruption ces
articles de la métropole. Quoique un peu moins dépourvu
à ce point de vue, notre Sénégal-Soudan, par la nature de
ses productions, par l'obstacle qu'offre le climat à la rési-
dence prolongée et au travail extérieur des blancs, est assez
dans le même cas. Tout ce dont aurait besoin une troupe
opérant dans le Baghirmi, dans le Ouadaï, dans le Borkou
devrait donc venir, par ces voies, de France. Or, en cas de
guerre en Europe, du moins avec l'Angleterre, nos com-
munications entre la métropole et le Sénégal ou le Congo
seraient absolument fermées; il se pourrait qu'elles le
fussent aussi en cas de guerre avec l'Allemagne; nos colo-
nies de la côte occidentale et du centre de l'Afrique se
trouveraient alors facilement coupées; n'ayant que peu
de ressources par elles-mêmes, en troupes blanches du
moins, et médiocrement douées en approvisionnements et
en munitions, ne pouvant d'elles-mêmes les renouveler, blo-
quées en outre du côté de la mer, elles auraient la plus
grande difficulté à se défendre ; à plus forte raison, ne pour-
raient-elles aucunement soutenir celles de nos colonnes qui
pourraient se trouver dans ces possessions lointaines, des-
tinées à être parmi les plus importantes et les plus riches de
notre domaine d'Afrique, le Baghirmi, le Khanem, le Ouadaï.
La situation de Fachoda, en cas de lutte avec l'Angleterre
notamment, se représenterait indubitablement : massacre
ou capitulation, c'est à peine si nous aurions le choix.
Notre prétendu empire continental africain, qui fait un
si bel effet sur les cartes, est donc la plus fragile des agglo-
mérations de territoires; tel quel, il est et restera toujours
amorphe, sans vie commune, sans relations entre ses trois
membres, sans possibilité d'action concertée et de soutien
mutuel entre eux. On peut considérer que, sauf la réalisation
FOKME KT CONSTITUTION DE LEMPIHE TRANÇAIS AFUICAliN. 13
de la grande œuvre dont nous allons parler, il est voué à
l*anémie d*abord, à la dispersion ensuite.
Par une rare fortune, qu'il dépend de notre sagacité et de
notre énergie d'utiliser, le troisième massif de nos posses-
sions continentales africaines, celui du nord, l'Algérie et la
Tunisie, est dans des conditions autrement fortes que ceux
de Touest, le Sénégal-Soudan, et du centre, le Congo-
Oubanghi. Il ne s'agit plus là de contrées équatoriales ou
tropicales, rebelles au séjour prolongé et à la multiplication
des blancs, dépourvues, en outre, des approvisionnements
et articles divers nécessaires au soutien de colonnes expédi-
tionnaires. L'Algérie et la Tunisie sont et resteront, sans
doute, la première colonie européenne de l'Afrique. Quel
que soit l'éclat que jettent sur les possessions britanniques
de l'Afrique australe les mines de diamant et les mines d'or,
on peut être assuré que, par sa situation d'abord, puis par
ses ressources agricoles, notre domaine nord-africain l'em-
porte et l'emportera de plus en plus sur le domaine sud-
africain de la Grande-Bretagne. Nous ne sommes pa«, dans
l'Afrique méditerranéenne, campés comme au Sénégal et au
Congo, nous y sommes solidement et puissamment établis.
Outre 6 millions environ de population indigène, soumise
et paisible, sinon dévouée, nous y comptons près de
750000 Européens, dont plus de la moitié appartient à notre
nationalité. Nous y entretenons plus de 60000 hommes de
troupes à l'état permanent, dont les quatre cinquièmes sont
européennes.
L'Algérie et la Tunisie sont, d'ailleurs, des contrées plan-
tureuses, produisant à foison toutes les denrées de l'Europe
méridionale et de l'Europe centrale. Non seulement elles se
nourrissent et s'approvisionnent elles-mêmes, ainsi que les
Iroupes qui les gardent, mais elles exportent des quantités
énormes de produits agricoles et de matières brutes diverses,
nécessaires à l'industrie; dans les années normales, ces
exportations portent sur trois ou quatre millions de quintaux
de blé, quatre ou cinq millions d'hectolitres de vin, plus
14 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAUARIENS.
d'un million de moulons, soixante ou quatre-vingt mille
bœufs, près d'une centaine de mille quintaux de laine, puis
du tabac en quantité, du minerai de fer, du minerai de zinc,
de plomb, etc. Voilà donc des pays qui sont très avancés en
culture, qui fournissent dans des proportions exubérantes,
croissant chaque jour, toutes les denrées d'approvisionne-
ment; il serait facile d'y installer, pour compléter leur force
au point de vue militaire, quelques fabriques de poudre et
d'armes. L'Algérie est, en outre, absolument inattaquable
du dehors; on peut se livrer contre quelques-unes de ses
villes à ces opérations d'ostentation que Ton appelle des bom-
bardements; mais aucune force européenne ne saurait se
risquer à y effectuer une descente et à agir dans Tintérieur.
La Tunisie, dont les côtes sont basses et où la population
française est moindre, ne se trouve pas autant à l'abri de
toute incursion de l'étranger; néanmoins, appuyée sur la
solide charpente de l'Algérie, pourvue aussi d'un réseau de
chemins de fer qui s'étend chaque jour, elle offre une assez
grande force défensive.
Ces deux contrées qui se joignent et, sauf des différences
administratives, n'en font qu'une, l'Algérie et la Tunisie,
constituent la base naturelle et nécessaire de notre empire
continental africain; c'est chez elles que se trouvent les res-
sources abondantes, quasi inépuisables, en hommes et en
approvisionnements. Fussent-elles coupées de la métropole
pendant un an ou deux, elles continueraient à vivre de leur
vie propre; elles souffriraient dans leur commerce et dans
leurs intérêts économiques, mais elles se trouveraient tou-
jours largement pourvues de tous les objets dont les hommes
en général et les blancs en particulier ont besoin. Les effectifs
considérables que nous entretenons d'une façon permanente
dans ces pays se prêtent h des prélèvements pour une action
au dehors. Si la France était en paix avec l'Europe, rien ne
serait plus aisé que de prélever 12000 ou 15000 hommes de
troupes sur les 60000 ou 65000 qui sont établis dans le nord
de l'Afrique pour soutenir celles de nos colonnes qui seraient
FORME BT CONSTITUTION DE L'EMPIKE FRANÇAIS AFRICAIN. 15
en péril sur un autre point de ce continent. Alors même que
nous nous trouverions en guerre avec une puissance euro-
péenne, surtout avec une puissance maritime comme l'An-
gleterre, il serait encore possible de prélever 12000 ou
15000 hommes sur nos effectifs algériens; en effet, Tappel
de la réserve de l'armée active et de la garde territoriale
parmi nos colons fournirait un effectif bien supérieur,
presque double, qui pourrait prendre la place de celui que
Ton enverrait sur un autre théâtre de guerre.
L'Algérie et la Tunisie, la première surtout, voilà donc
notre grande réserve, la colonie mère qui peut effectivement
assister toutes nos autres colonies africaines; il suffit de lui
frayer une issue pour transporter là où il en est besoin et le
superflu de ses soldats et le superflu de ses approvisionne-
ments. Notre situation dans TAfrique méditerranéenne est
infiniment plus forte que celle de TAngleterre en Egypte;
nous nous y trouvons aussi bien plus voisins de l'Afrique
du centre, car, si Alger, Philippeville, Bône, Bizerte, sont de
cinq à six degrés plus au nord qu'Alexandrie, d'autre part,
une ligne quasi droite nous conduit de plusieurs de nos
ports africains au centre du Soudan, tandis que, du Nil, il
faut traverser vingt degrés de latitude pour y parvenir.
Par une singulière méprise, nous n'avons pas su, depuis
près d'un demi-siècle, tirer un parti quelconque de notre
admirable position nord-africaine. Maîtres de Laghouat
dès 1852, nous sommes restés juslc vingt ans pour franchir
une nouvelle étape vers le sud ; un raid de cavalerie,
sous le commandement du général de Galliffet, nous a con-
duits, en 1872, à El-Goléa; puis une inexprimable timidité
nous a empêchés d'aller plus loin ; nous ne pouvons consi-
dérer, en effet, comme témoignant d'une poussée vers le
sud l'établissement des petits forts de Mac-Mahon et Miribel
où, inactifs et languissants^ nous nous sommes simplement
terrés. C'est de nos colonies de la côte occidentale et cen-
trale, le Sénégal et le Congo, plus éloignées du contrôle de
la métropole, et où nos soldats, nos explorateurs, se sentaient
16r LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIBNS.
plus à Taise et plus libres, que s*est efTectuée^ avec une
héroïque audace et une inattendue persévérance, notre péné-
tration du continent ; mais combien plus faibles sont ces deux
bases de notre action africaine!
Si nous n avons rien fait du côté du nord, si, manifeste-
ment, nous avons, dans cette région, manqué à notre mis-
sion, la politique électorale est la cause principale de cette
condamnable inertie. Pendant plus d'un quart de siècle, on
ne s'est appliqué, en Algérie, qu'à satisfaire les clans poli-
tiques qui avaient pris possession du corps électoral; on ne
pensait qu'à leur donner des places, des terres, des subven-
tions pour des buts mesquins, et Ton n'avait aucune vue
d'avenir. On a administré et vécu, en Algérie, dans le plus
bas prosaïsme ; or, la prose, unie et grossière, ne convient
pas aux colonies; il faut à celles-ci un peu d'idéal, un plan
d'expansion; toute la colonisation britannique, dans le passé
et dans le présent, sur tous les théâtres, en Asie comme en
Afrique, témoigne de cette vérité.
L'inertie de notre politique algérienne a été la principale
cause de notre échec de Fachoda; elle est responsable aussi
de l'isolement actuel de nos trois tronçons africains et de la
grande faiblesse de deux d'entre eux, le Sénégal-Soudan, le
Congo-Oubanghi-Tchad. Comment, en partant de ces deux
insuffisantes bases d'action, eussions-nous pu soutenir à des
distances énormes la dizaine d'officiers français et la centaine
de soldats sénégalais campés sur les bords du Nil? Gom-
ment aurions-nous pu nous maintenir longtemps dans le
Bahr-el-Ghazal et comment aussi pourrions-nous rêver, en
parlant du Sénégal et du Congo, de jamais soumettre et de
maintenir en paix le Ouadaï et le Borkou ? Autant vaut
renoncer dès maintenant à ces contrées, si nous n'avons
d'autre voie d'accès pour nous y conduire, pour y asseoir
notre autorité.
Ces réflexions sur notre trop certaine impuissance dans
l'Afrique centrale me vinrent à l'esprit, dans l'automne
de 1898, quand l'Angleterre, avec tant de hauteur, mobilisa
LA CONSTITUTION DU FUTUR EMPIRE FRANÇAIS AFRICAIN. 17
sa flotte et nous somma d'évacuer sans discussion Fachoda.
Alors, un grand et vieux projet, très étudié, prêt, dans ses
lignes générales, à être exécuté, et que, sans en être
Tauteur, j avais soutenu il y avait alors près de vingt ans (il
y en a aujourd'hui vingt-six), et que, depuis lors, à diffé-
rentes reprises, j'avais essayé de faire triompher, se repré-
senta à ma mémoire : c'est le célèbre projet de chemin de
fer transsabarien. Sa nécessité politique et stratégique
m'apparut avec un caractère d'évidence.
Le grand instrument de conquête, le grand instrument de
défense, comme le grand instrument de civilisation et de
commerce, c'est la ligne ferrée. Les Romains construisaient
des routes d'un bout de l'Empire à l'autre; Napoléon n'hé-
sita pas à en sillonner les Alpes; aujourd'hui, le chemin de
fer remplit le même office. Qui a de grandes vues militaires
ou politiques doit commencer par poser une voie de fer; la
sauvagerie de la contrée à traverser, sa pauvreté en res-
sources propres, ne doit pas empêcher un peuple prévoyant,
animé d'une ambition civilisatrice, de construire une voie
ferrée : le chemin de fer transcaspien, et, sinon le Transsibé-
rien, du moins le chemin de fer de Mandchourie, traversant
des régions qui sur une grande étendue, sinon sur tout leur
parcours, sont parmi les plus ingrates du globe, en four-
nissent la preuve. Si donc nous voulons que notre empire
africain devienne une vérité; si nous tenons à ce que, de
nos trois tronçons isolés, deux, du moins en grande partie,
le Sénégal-Soudan et le Congo-Oubanghi-Tchad, dans leurs
prolongements, ou ne se dissolvent pas ou ne tombent pas
dans des mains ennemies; si nous voulons aussi, au point
de vue économique, qu'ils aient quelque chance de se déve-
lopper, il faut construire des chemins de fer transsahariens.
Supposez qu'on en eût exécuté un en 1879, quand l'opi-
nion publique fut, pour la première fois, saisie sérieuse-
ment du projet, et qu'on l'eût fait plonger du centre de
noire Algérie au centre de la région entre le Niger et le lac
Tchad, tout l'avenir colonial de la France, et l'on peut diie
2
18 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEIIINS DE FER TRANSSABARIENS.
aussi tout son avenir politique, en eussent été changés. Ces
riches contrées du Soudan central, qui sont considérées
comme les meilleures du continent africain, le Sokoto, le
Bornou, n'étaient pas encore tombées sous la domination
de l'Angleterre : la voie ferrée nous les eût données.
Admettons môme que, avec la lenteur habituelle de nos
décisions, cette lenteur qui nous fait ressembler à l'Au-
triche, — toujours en retard d'une année et d'une armée, —
nous eussions exécuté ce grand projet, sinon vers 1880, du
moins vers 1890, et que le travail eût é\é terminé en 1899, on
peut être certain que l'incident de Fachoda n'eût pas pu se
produire. Notre ligne ferrée, de Philippeville ou d'Alger aux
environs du lac Tchad, eût pu porter en quelques semaines
12000 ou 15 000 hommes, tirés de notre armée d'Afrique, sur
la frontière du Sokoto et du Bornou, pays auxquels la
Grande-Bretagne attache avec raison beaucoup de prix. Ce
n'est plus sur mer, c'est sur terre que nous eussions eu à
nous mesurer avec la Grande-Bretagne, et nous eussions
disposé de toutes les ressources qu'aurait eues disponibles
notre armée d'Afrique qui compte plus de 60000 hommes,
de tous les approvisionnements en blé, en vin, en bétail, en
fourrages, en fer et en plomb, que possèdent l'Algérie et In
Tunisie qui sont parmi les plus grandes exportatrices qu'il
y ait au monde de tous ces produits.
La Grande-Bretagne eût alors baissé le ton; elle eût dis-
cuté paisiblement et raisonnablement avec nous, sur un pied
d'égalité, les choses d'Afrique, comme elle discute aujour-
d'hui avec la Russie, sans airs comminatoires, les choses
d'Asie. C'est que, pour pouvoir causer librement avec l'An-
gleterre, il faut pouvoir l'aborder non pas sur mer, mais sur
terre. Le chemin de fer transsaharien, dans un cas quelcon-
que de conflit avec la Grande-Bretagne, nous donnerait des
gages, le Sokoto, le Bornou, môme les contrées anglaises
delà Boucle du Niger et peut-être aussi le Bahr-el-Ghazal.
Avec celte voie ferrée, nous aurions une prédominance ma-
nifeste sur quelque puissance européenne que ce soit, dans
LA CONSTITUTION DU FUTUR EMPIRE FRANÇAIS AFRICAIN. 19
toute l'Afrique du nord et du centre. Bien plus, le grand ins-
trument de protection de notre empire colonial, non seule-
ment sur le continent africain, mais dans le monde entier,
ce ne doit être et ce ne peut être que le chemin de fer trans-
saharien. Si nous avons à défendre contre une puissance
européenne Madagascar, le Tonkin ou nos intérêts au Siam
et en Chine, c'est avec le transsaharien et dans l'Afrique cen-
trale que nous y arriverons, parce que, là, nous avons des
gages qu'il nous serait aisé de saisir et que nous ne rendrions
que contre des compensations ou des restitutions équitables.
Qu'on ne se méprenne pas, d'ailleurs, sur nos intentions ;
toute pensée de guerre agressive, toute idée même de jalou-
sie à l'endroit de la Grande-Bretagne est très éloignée de
notre esprit. A aucun degré nous ne sommes anglophobe;
nous serions plutôt anglophile; nous ne rêvons aucunement
(le dérober aux Anglais leurs possessions; nous voudrions
seulement ne pas perdre les nôtres; nous ne voulons pas,
crautre part, nous contenter d'un simple domaine nominal,
comme, à l'heure présente, celui du Khanem, du Ouadaï, du
Borkou et du Baghirmi. Le Transsaharien ne serait pas seu-
lement pour nous un instrument essentiel de lutte, il cons-
tituerait un porte-respect. Nous avons la certitude qu'une
fois pourvus de cet outil, nous trouverions l'Angleterre de
plus en plus courtoise et cordiale dans les démêlés qui pour-
raient surgir entre nous.
Le projet du Transsaharien doit donc rallier l'adhésion de
tous ceux que l'on appelle les coloniaux, de tous ceux aussi
qui ont la fibre patriotique un peu sensible, et enfin des
sages et des gens paisibles qui pensent que la France peut
accomplir, pour la mise en exploitation d'un bloc important
de continent, une grande œuvre, comme le fait, sur deux
théâtres différents, une nation infiniment moins riche que
n'est la nôtre, la Russie.
Il ne nous en coûterait que la quinzième partie de ce que la
Russie a dépensé dans ses deux lignes ferrées transcaspienre
et transsibérienne. Avec 160 à 180 millions, probablement
20 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIENS.
môme avec 150 millions, une pure bagatelle, on aurait exé-
cuté une entreprise, le Transsaharien de la région du Tchad,
dont les conséquences militaires et politiques sont immenses
et certaines, et dont les effets économiques seraient vraisem-
blablement considérables. Étrange puérilité de nos hommes
d'État et incroyable routine de notre opinion publique!
Nous voulons nous épuiser, par crainte d'un conflit avec
l'Angleterre, en constructions de cuirassés qui, le jour d'une
déclaration de guerre avec la Grande-Bretagne, seraient
complètement inefficaces et n'auraient guère d'autre ligne
de conduite à suivre que de se tapir prudemment et patiem-
ment dans nos ports. Nous gaspillons des centaines de
millions en armements maritimes où nous reproduisons
exactement la fable de la grenouille et du bœuf. Nous forti-
fions à grands frais et d'une manière d'ailleurs fort inefficace
nos colonies lointaines, le Tonkin, Madagascar; nous consa-
crons chaque année des dizaines de millions à l'établisse-
ment de fragiles points d'appui de notre flotte militaire, à
Dakar, Diégo-Suarez et autres postes lointains ; nous affec-
tons 70 à 72 millions par année en primes et subventions
à notre marine marchande (1), sans parvenir à arrêter son
déclin ; et tandis que nous nous livrons à ce jeu coûteux et
stérile, nous dédaignons et nous repoussons le seul instru-
ment, le chemin de fer tr.anssaharien, qui nous mettrait en
état de lutter efficacement avec nos rivaux coloniaux euro-
péens, qui, seul, nous permettrait de prendre possession
effective du Ouadaï et du Baghirmi, qui ne coûterait pas plus
que deux ou trois des annuités consacrées à notre marine
marchande, et qui enfi-n, à son utilité politique et stratégique
de premier ordre, joindrait des avantages économiques et
coloniaux des plus importants !
(1) Les « sacrifices de l'Etat, en 1902, pour le (léveloppement d<» la marine mar-
chande » sont d'après M. Colson, ingénieur on chef des Ponts et Chaussées
et conseiller d'Ktat, de 72 000 000 francs, dont âo 000 000 de subventions aux ser-
vices postaux, 15 300 000 de primes a la construction, 20 600 000 de primes à
la navijration, 11700 000 de subvention à la caisse des Invalides de la Marine
C Colson, Transports et t(uùfs, Statistiques 7nises ù jour. Lucien Laveur, éditeur,
janvier 1004, page 20.
LA CONSTITUTION DU FUTUR EMPIRE FRANÇAIS AFRICAIN. 2t
Les morceaux qui précèdent ont été écrits par nous an-
lendemain de Fachoda et ont paru dans la Revue des Deux
JHondes du 1" juillet 1899. On dira peut-être que la situation
politique et par conséquent les nécessités stratégiques ont
changé depuis lors.
Quelles que soient les nouvelles relations cordiales qui
viennent d'être rétablies (1903) entre la France et FAngle-
terre et dont je souhaite et j'espère Tindéfini maintien, Tim-
portance politique, stratégique et administrative de cette
grande voie de communication n'en est pas diminuée. Il
faudra toujours bien que nous établissions fermement notre
domination dans toute la région qui s*étend à Test du Tchad
et notamment sur le Ouadaï, qui paraît un des meilleurs
morceaux de TAfrique, une terre d'élection. Si nous necons-
truisons pas une voie ferrée pour rapprocher le Ouadaï, et
de même le Baghirmi, de notre véritable base africaine,
l'Algérie, il est indubitable que nous ne pourrons jamais
prendre possession de cette contrée. Elle altient au Darfour qui,,
lui-même, est une dépendance de l'Egypte; si nous ne ratta-
chons pas le Ouadaï à l'Algérie, il finira par se rattacher au Nil
et par tomber sous l'influence britannique; à défaut d'une
route d'accès et de sortie par le nord-ouest, cette belle contrée
— dont la population actuelle est évaluée, peut-être avec un peui
d'exagération, à 8 millions d'habitants, mais qui certainement
pourra les avoir un jour, quand la paix, la justice et les bonnes
méthodes productives y régneront — sera forcée de prendre la
voie de l'est; elle deviendra alors britannique; la conven-
tion de 1899 nous l'a attribuée, il est vrai, mais à une con-
dition implicite, c'est que nous en prenions possession; or
une possession effective, une administration efficace du»
Ouadaï par la France sont absolument impossibles sans ua
chemin de fer transsaharien dans la direction du Tchad,,
lequel jetterait un rameau desservant la région à l'est de
cette nappe d'eau jusqu'au voisinage du Darfour. La capitale
du Ouadaï, Abesch, est en définitive plus près d'Alger ou
de Philippeville qu'elle ne l'est d'Alexandrie d'Egypte par
22 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAUARIENS.
Kharloum; et Philippeville ou Alger sont des ports bien plus
voisins qu'Alexandrie des grands pays manufacturiers et
commerciaux d'Europe. Avec une voie ferrée transsaharienne,
nous pouvons dominer, administrer et mettre en valeur le
Ouadaï; sans celle voie ferrée, ces trois choses nous sont
impossibles, et le Ouadaï abandonné par nous écherra néces-
sairement à l'Angleterre, dont il empruntera les voies de
communication. Rien ne nous servira d'invoquer le traité
de 1899 : les traités que Ton n'exécute pas deviennent à la
longue caducs; maîtresse un jour du Ouadaï par notre
négligence, la Grande-Bretagne le deviendra bientôt du
Baghirmi et de tout l'est du Tchad, et noire prétendu empire
africain n'existera plus : les tronçons en seront irrémé-
diablement séparés. La Grande-Bretagne aura effectué la
jonction de l'Egypte et de ses possessions de la Nigeria,
coupant définitivement les possessions françaises.
Déjà il nous est presque impossible de ravitailler et d'entre-
tenir régulièrement la petite troupe qui séjourne au Khanem,
au Baghirmi et dans la région du sud du lac Tchad. C'est
une gageure que de la sustenter et de l'approvisionner de
munitions et autres nécessités par la voie du Congo et de
rOubanghi. 11 en résulte à la fois des dépenses relativement
énormes qu'un chemin de fer Iranssaharien réduirait des
quatre cinquièmes, et une situation des plus précaires, des
plus fragiles, qu'il transformerait en une situation tout à fait
solide, exempte de tout souci. Dans l'été de 1903, et, de
nouveau, à la fin de l'hiver de 1903-04, on a éprouvé à ce
sujettes plus grands embarras et les plus vives angoisses (1).
(1) Le Temps» du 7 août 1903 (2e page, 2« colonne), sous la rubrique Affaires
coloniales, contient les renseignements suivants qui témoignent assez clairemt?nl
de l'impossibilité de ravitailler régulièrement le petit corps du Tchad parla voie
du Congo et de l'Oubanglii ; ce n'est pas seulement l'approvisionnement (|ui
est mal assuré par ce trajet indéfini et que la nature rend intermittent; c'est
toute l'administration de la contrée du Tchad qui s'en trouve entravée, étant
beaucoup plus séparée de la métropole que s'il s'agissait d'un pays perdu au
fond des Océans et aux antipodes.
« Le courrier arrivé aujourd'hui du Congo, dit le Temps, signale une situa-
tion critique sur la route du Tchad.
« On sait que de Brazzaville à Banghi les transports sont faits par bateaux à.
LA CONSTITUTION DU FUTUR EMPIRE FRANÇAIS AFRICAIN. 23
Il est à craindre que, faute d'une voie d'accès par le nord,
on ne soit amené un jour à abandonner Test du Tchad.
D'autre part, le ravilaillement de ce pays ne saurait s'ef-
fectuer par la voie du Sénégal et du Niger: la distance du
Tchad à Saint-Louis est sensiblement plus grande que celle
du Tchad à Philippeville ou à Alger, et le pays à traverser
est aussi difficile, sinon plus même. Quant à remonter le
Niger depuis Tembouchure pour suivre la Bénoué et profiler
de la période d'inondation entre ce cours d'eau et le Logonc,
conformément à l'exploration, d'ailleurs très méritoire, du
capitaine Lenfant en 1903-04, ce serait se mettre sous la
dépendance de l'Angleterre et de l'Allemagne, pour ne dis-
poser que d'une route à la fois intermittente, accessible
seulement quelques mois par an et excessivement onéreuse.
Le dilemme est inévitable : ou la dislocation certaine,
peut-être prochaine, de notre prétendu empire africain et
la perte de son tronçon central, ou la construction rapide
et sans délai d'un chemin de fer tran:^saharien reliant la
région française du lac Tchad, au triple point de vue poli-
vapeur. A partir de Banglii ce sont des piroguiers qui assurent les transports
jusque sur la Tomi, affluent de la Kcmo qui se jette dans l'Oubanghi.
« De la Tomi jusqu'au poste de Fort-Crampel, sur le Gribinghi, affluent du
Chari, les transports étaient eff'ectués à dos d'homme sur une route de deux
cents kilomètres environ.
« Or, d'après les dernières nouvelles reçues, sur la route de terre entre la
Tomi et le Giibinghi, on ne trouve pas un seul village et la région est entière-
ment déserte. De ce fait, les transports se trouvent virtuellement suspendus.
«t Le ravitaillement, parti de Brazzaville en décembre i90i, n'a pu dépasser
Fort-Sibul, sur la Tomi.
« Le Gribinghi n'étant navigable pour le petit vapeur du Tchad, le Léon Blol»
que pendant les mois d'août, septembre et octobre, il est à craindre que ce
ravitaillement ne puisse arriver à. temps à Fort-Crampel et que, par suite, les
troupes d'occupation du Tchad ne soient privées de vivres pour 4903-1904.
« On a essayé de remédier à cela en recrutant des Songos et des Banziris,
mais les vivres indigènes manquent ; il faut les nourrir à gros frais avec du
riz d'Europe, et il se produit de nombreuses désertions.
« Ktant donné cet état de choses, le commissaire chargé des services admi-
nistratifs du Tchad à Brazzaville a cessé tout nouvel envoi sur Banghi; ses
magasins sont bondés et insufflsants pour recevoir et abriter le ravitaillement
considérable attendu de France, à Brazzaville, vers le 20 juillet.
•« Si ces nouvelles — que nous avons tout lieu de croire exactes — sont con-
firmées, il se pourrait peut-être qu'on prît des mesures pour remédier à cette
situation qui pourrait compromettre notre occupation du Chari, du Tchad et du
Klianem. »
Le même journal, le Temps, sept mois plus lard, dans son numéro du
24 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES GBEMINS DE FER TRANSSAHARIEfiS.
tique, stratégique et économique, à notre solide établisse-
ment algérien et lui servant d'appui. Il faut une forte char-
pente centrale à tous ces lambeaux d'empire : le Transsaha-
rien seul peut la constituer.
Pour que cette apathie ne fût pas coupable, il faudrait que
les Transsahariens apparussent comme une œuvre impos-
sible (1). Tout démontre, au contraire, — et les grandes
entreprises analogues, parfois beaucoup plus considérables,
faites avec succès dans d autres parties du monde aussi
ingrates par des peuples doués d'initiative, et Tétude même
des régions à traverser, — qu'il s'agit d'une œuvre simple,
ne sortant aucunement des données connues et n'offrant
aucuns risques spéciaux.
20 raai-s 1904, représentait de nouveau notre occupation de l'est du Tchad, fautf
de voie d'accès facile, comme trôs compromise et posait nettement la question
de Téventualité de l'évacuation. Notre situation k l'est du Tchad, faute de voi«'
d'accès facile et rapide par le nord, va devenir d'autant plus difficile que li>
Anglais et les Allemands, dont les possessions des rives du Tchad sont beau-
coup plus près de l'Atlantique, pourront s'y installer à leur aise et y déve-
lopper leurs domaines : la comparaison nous sera très désavantageuse ei
fera un effet déplorable sur les indigènes.
Voici comnient s'exprime le Temps du 20 mars 1904 :
« Notre correspondant de Brazzaville nous mande que, d'après les infor-
mations (fu'il a reçues, les communications entre le Tchad et l'Oubanghi
deviennent de plus en plus difficiles.
« On ne trouve plus de porteurs. Toutes les populatioas installées entre
Krébédgé et Fort-Crampel ont fui, et les charges s'accumulent au premier
poste de transit des territoires, Fort-de-Possel, sur l'Oubanghi, laissant le bas
Ghari sans ravitaillements.
« Trois colonnes de répression sont parties, mais on pense généralement qu<»
les opérations exécutées n'auront qu'un résultat: éloigner de plus en plus de la
zone fré(iuentée les populations lasses du portage. Le seul remède serait
d'établir un chemin de fer de Banglii à Fort-Crampel, sans quoi on sera obligé
d'évacuer les territoires du Tchad que l'on ne peut plus ravitailler actuellement.
« La situation actuelle du Chari-Tchad est plus que précaire. Le commandant
supérieur des troupes est attendu à Brazzaville le 1" mars, retour du Ghari. »
On sait, et l'on en trouvera la confirmation plus loin, dans le récit de la
Mission Foureau Lamy, que le régime du portage fait fuir les populations et
rend le pays désert.
(l) Si nous négligeons rie faire une ligne ferrée transsaharienne aboutissant
à l'est du Tchad et desservant Abesh, capital du Ouadal, il serait possible aussi
que les relations du Ouadaï avec le monde civilisé s'établissent par la voie du
nord direct, c'est-à-dire par Benghazi, située pres(iue sur le même méridien;
mais cette capitale de l'ancienne Cyrénaïque, dévolue aujourd'hui à l'Italie, est
séparée du Ouadaï par le désert lybique, offrant autant de diflicultés que le
Sahara ; puis de n'avoir accès au Ouadaï que par un territoire italien, ce serai
un énorme inconvénient politique et un grave échec pour notre colonisatio
CHAPITRE III
Considérations économiques générales au sujet des
chemins de fer transsahariens.
Outre, leur importance politique, administrative et stratégique, les chemins de
fer transsahariens auraient une utilité «économique de premier ordre, — Mon
expérience afiicaine. — Méprises vulgaires sur les difTicuItés et la productivité
«.l«*s travaux publi<'s sortant de l'ordinaire. — Vn exemple colonial français de
la facilité d'exécution et du bas prix des chemins de fer désertiques.
En traitant, dans le chapitre qui précède, du chemin de
fer transsaharien, ou plutôt des chemins de fer transsaha-
riens, car il est évident que, avec le temps, on devra en
construire plusieurs, deux au moins, Tun vers le Niger et
l'autre vers le Tchad, je ne me suis placé qu'au point de
vue politique, stratégique, et Ton pourrait dire aussi admi-
nistratif.
L'œuvre n'est pas moins importante, au point de vue éco-
nomique; elle Test peut-être davantage encore; car, que la
France perde, ce qui est inévitable si elle ne fait pas à temps,
c'est-à-dire immédiatement, cette grande entreprise (le
Transsaharien du Tchad), tout son lot de l'Afrique centrale,
ce sera un malheur pour la France, nation élourdie, sans
prévoyance et sans esprit de suite, mais non pour l'univers.
Nous avons perdu, par notre sottise d'autrefois, le Canada ;
mais cette contrée n'en ^st pas moins prospère et l'univers
dans son ensemble n'a pas souffert de notre perte. Si nous
perdons au xx* siècle, faute d'un instrument pour les re-
tenir et les mettre en valeur, les rives septentrionales, orien-
tales et méridionales du Tchad avec tout l'immense arrière-
pays qui se déroule derrière elles, la perte sera dure pour
nous : il n'est pas certain que c'en soit une pour le monde
civilisé.
26 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIE^^.
Au contraire, tant que des chemins de fer Iranssaharien-
ne seront pas construits, les contrées du Soudan central,
particulièrement celle d^entre le Tchad et le bassin du Nil.
ne pourront pas être mises en valeur; on cherchera bien, ceui
qui nous auront remplacés ou évincés, à la suite de noire
incurable apathie, à en faire écouler les produits soit à Test
vers la région du Nil, soit à Touest vers le golfe de Bénin,
par la colonie anglaise delà Nigeria ou la colonie allemande
de Cameroon. Mais, comme nous le montrerons plus loin,
la voie du nord, amenant en pleine Méditerranée occidentale
les produits du Soudan central, au lieu de les conduire aux
ports malsains, entravés de barres et très distants d'Europe,
qui se trouvent sur la côte de l'Afrique occidentale, est la
seule qui puisse permettre un développement rapide et com-
plet de ces pays.
Ainsi, tandis que, au point de vue politique, stratégique et
même administratif, Texécution des chemins de fer trans-
sahariens importe surtout à la France, on peut dire que.
au point de vue économique, elle importe à l'univers tout
entier.
Cette pensée, je l'avais dès 1879, quand j'appuyai,
apôtre de la première heure, le projet de l'ingénieur Du-
ponchel; elle s'enracina de plus en plus dans mon esprit,
avec l'expérience étendue que j'ai acquise des entre-
prises modernes au point de vue financier. Par profes-
sion et par goût, depuis trente-cinq ans, je suis les œu-
vres importantes de toutes sortes qui se font dans les
deux mondes et je porte sur elles des jugements, pour
signaler leurs titres à Tattention pu, au contraire, au dé-
dain des capitalistes; c'est un devoir que je remplis heb-
domadairement, depuis plus de trois décades d'années:
et le canal de Suez, et celui de Panama, et les grands che-
mins de fer, et les grandes entreprises minières ou agri-
coles, en Europe, dans les deux Amériques, en Asie et en
Afrique, j'ai été amené à porter sur presque toutes un juge-
ment public et répété dans mon journal l Économiste fran-
UN EXEMPLE DE CUEMLN DE FER DÉSERTIQUE. 27
çais{l); la confiance constante et croissante que Topinion des
capitalistes et des rentiers a accordée et accorde à cette
feuille témoigne que mes appréciations, présentées avec
décision et netteté, ont été vérifiées par les faits. Si je suis
obligé de rappeler ces antécédents, ce n'est pas par un fri-
vole sentiment de vanité, c'est qu'ils établissent ma compé-
tence.
L'Afrique surtout, le champ le plus vaste, le plus neuf et le
plus voisin de la France, parmi les continents presque inex-
ploités, a particulièrement attiré mon attention et mes études.
Du cap de Bonne-Espérance à la pointe la plus septen-
trionale de TAlgérie et de la Tunisie, et des côtes de la
mer Rouge à celles du golfe de Guinée, j'ai, depuis plus
de trente-cinq ans, suivi avec une atteniion intense et con-
tinue toutes les entreprises des genres les plus divers qui
se sont faites dans celle partie du monde. De leur éclosion
(l| Qu'on se rappelle toules les sottises débitées par de prétendus hommes
compétents au sujet de rensabîemcnt qui devait se produire au canal de Suez,
ou des eflTets de la prétendue différence de niveau des deux mers. Ces niaiseries
ont empêché les gens pusillanimes de s'associer, en temps opportun, à cette
grande œuvre. Je ne me suis jamais arrêté, quant à, moi, à ces prédictions
frivoles et sinistres, et de 1871 à 1873 j'acquis des actions de Suez au cours de
410 francs et des pirts de fondateur anciennes à des cours de 10 500 à 15000 francs,
lesquelles, à l'heure actuelle, divisées en centièmes, valent 180 000 francs. Le lecteur
m'excusera de citer ces faits; mais il faut bien établir mon expérience pratique
à i'encontre de certains professeurs de géographie qui se laissent effrayer par
tout ce qui dépasse le cadre habituel des entreprises. Vers cette époque, en 1873
ou 1874, je me trouvai, il un dîner chez un des grands banquiers de Paris,
régent de la Banque de France, assis àcfttéd'un administrateur de l'importante
compagnie de navigation les Messageries maritimes. Je fis porter la convei'sation
sur un procès que cette société avait alors avec la compagnie de Suez, pour une
méthode de jaugeage des navires ; mon interlocuteur me dit : « Ces pauvres action-
naires de Suez, ils sont fort à plaindre, mais que voulez-vous que j'y fasse ? », et
il m'exprima Je plus entier scepticisme au sujet de l'avenir financier du canal.
J'ai suivi la carrière de mon commensal de 1873 ou 187i, il devint pius tard
directeur général de sa compagnie et mourut entouré de considération, mais
laissant très peu de fortune. S'il avait été un peu plus perspicace, il avait eu
l'occasion de décupler, sans aucune peine, son avoir en achetant simplement des
actions de Suez, alors au-dessous du pair ; mais il jugeait légèrement comme les
neuf dixièmes ou plutôt les quatre-vingt-dix-neuf centièmes des hommes et ne se
doutait aucunement que les actions de Suez vaudraient vingt fois plus que les
aciions de la compagnie maritime qu'il administrait et qui était un des gros clients
du canal.
J'ai toujours eu pour règle dans liia vie de n'accepter qu'avec beaucoup de
ivserve les appréciations des hommes techniques réputés compétents et de les
soumettre à un contrôle personnel très attentif, et je me suis généralement trouvé
trt'3 bien de cette règle.
28 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSâHàRIE^:
à leur épanouissement ou à leur disparition, je ne les i
pas un instant perdues de vue; je me suis personnelleme:
et grandement intéressé dans les exploitations les pla
différentes, canaux, à commencer par celui de Suez, de
1871, à Theure où personne n'y croyait, chemins de fa
mines de diamant, d*or, de fer ou de phosphates, banques
compagnies flnancières, vignes et palmeraies ; j'ai plao
des fonds dans des centaines d'entreprises africaines, el
si quelques-unes m'ont apporté des déboires, des perle
partielles ou totales, le résultat général de ces placemeoli
africains a été pour moi très amplement bienfaisant. Il d
sans doute peu d'hommes qui aient une expérience ausa
étendue des placements sur la totalité du continent africain
A coup sûr, il se rencontre des « magnats », notammenl
dans l'Afrique australe et un peu peut-être au Congo belge,
qui ont fait une moisson de bénéfices bien autrement consi-
dérable ; mais c'étaient des hommes ne recherchant que te
lucre et se cantonnant dans un des vastes districts de
l'Afrique. J'ai embrassé, quant à moi, dans mon activité
pratique et financière, toutes proportions gardées naturel-
lement, et dans mes observations d'ordre théorique le con-
tinent africain tout entier. Je crois, sinon le bien connaître,
ce qui serait une prétention que nul ne pourrait avoir
encore, du moins être en état de me rendre compte des
conditions générales de probabilité de succès des œuvres
qu'il comporte à l'heure présente.
Parmi les entreprises à la naissance et au développement
desquelles j'ai participé, il en est une que je citerai icij
parce qu'elle a contribué à m'éclairer sur la construction des
chemins de fer désertiques; j'ai été un des fondateurs et je
suis un des administrateurs de la « Société des phosphates
et du chemin de fer de Gafsa » qui a construit, sans aucune
aide gouvernementale, une ligne ferrée de 245 kilomètres |
du port tunisien de Sfax aux carrières phosphatières de
Metlaoui, lesquelles se trouvent dans le nord du Sahara; il
est question depuis quelques années de prolonger celte ligne
UN EXEMPLE DE CHEMIN DE FER DÉSERTIQUE. 29
de 70 à 100 kilomètres environ, jusqu'aux oasis de Tozeur et
de Nefla. Que de fois, dans les voyages annuels que je fais
en Tunisie, depuis 1885, n'ai-je pas entendu traiter, aux
tables d*hôte des bateaux ou des hôtels, avec dérision cette
entreprise quand elle était en voie d'exécution ! Elle devait,
m'assuraient obligeamment mes commensaux, ruiner les
actionnaires ; faire 245 kilomètres de chemin de fer en plein
désert pour chercher des phosphates, cela avait-il le sens
commun? Et comment une entreprise phosphatière pourrait-
elle rémunérer un capital de 18 millions (1)? Jamais Ton ne
pourrait supporter la concurrence des phosphates de Tébessa
et de ceux de la Caroline aux États-Unis ! Cette ligne ferrée
industrielle est construite depuis cinq ans; en Tannée 1902
elle a transporté 270000 tonnes de phosphates, qui ont été
vendues dans les diverses contrées d'Europe ; en 1903, elle
en a transporté 350 000 ; on pense qu'on arrivera, dès 1905,
à un chiffre de 500000 tonnes. Les actions reçoivent un large
dividende, quoiqu'on ne distribue guère que la moitié des
bénéfices, le surplus étant mis en réserve ; elles font plus de
80 p. 100 de prime, quoiqu^il y ait des parts de fondateur qui
prennent une partie des gains; si l'on n'entrevoyait pas des
concurrences prochaines par l'ouverture de carrières simi-
laires avec des lignes ferrées parallèles de longueur approxi-
mativement semblable, les dividendes et les cours seraient
beaucoup plus élevés encore. Mais dès maintenant les
résultats ont vengé les hommes entreprenants qui ont fait
celte belle œuvre du dédain des gens superficiels ou pusilla-
( Il Mes voyages annuels en Tunisie, depuis 1885, me permettent de fournir
un autre exempledes inepties qui sont drbitt'cs souvent parles hommes techniques
51 l'endroit de travaux sortant du cadre commun. Alors que l'on projetait et cons-
truisait le port de Tunis, les capitaines des bateaux transatlantiques qui font h;
service de Marseille en Algme et en Tunisie n'avaient pas assez de sarcasmes
|K)ur cette entreprise. Aux tables d'hôte de ces bateaux, je les ai entendus unani-
mement affirmer, pendant près d'une dizaine d'années, que jamais le chenal de
la Goulette à Tunis ne serait praticable, qu'on en manquerait toujours l'entrre
par une mer un peu forte, bref que les navires postaux ne pourraient jamais
remonter k Tunis, et qu'ils devraient rester à, la Goulette comme auparavant.
Hr, dequis douze ans que le port de Tunis a ôlr ouvert, il n'a pas cessé d'être
n'f^'ulièrement accessible et aucun des accidents que l'on j)révoyait ne s'est réalisé.
Jamais aucun navire, par les plus gros temps, n'en a manqué l'entrée.
30 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSADARIE^i
nimes. Elle est beaucoup plus prospère que les entreprise
algériennes similaires de Tébessa, qui lui sont antérieurei
Et précisément ce qui fait la force de cette entreprise d
Gafsa, c*est la possession de son chemin de fer. Alors même
que la mine ne ferait aucun bénéfice, le chemin de fer ei
réaliserait d'importants, car le transport de 400000 î
500000 tonnes, si bas que soit le tarif, ne peut qu'Otr»
rémunérateur.
Cette entreprise de Gafsa, à laquelle je me suis trouvé s
intimement associé dès son origine, a contribué à me
difier sur le Sahara et sur les chemins de fer africains. Elit
m'a montré d*abord qu'on peut construire et exploiter à très
peu de frais des chemins de fer en plein désert. Le chemin
de fer de Sfax aux mines de phosphates du Metlaoui, parfai-
tement construit quoi qu'en disent quelques critiques sans
compétence, puisqu'il transporte aisément 400000 tonnes de
phosphates dans une année, sans atteindre au maximum de su
capacité de transport, n'a pas coûté plus de 55000 francs, cd
chiffre rond, le kilomètre. Il ne revient même, à l'entreprise,
matériel roulant non compris, qu'à une quarantaine de mille
francs. Il est très probable que la plus grande partie, les trois
quarts au moins des chemins de fer transsahariens, à la voie
de un mètre de large, ne reviendrait pas à plus cher, de sorte
qu'il serait sans doute possible que le chemin de fer de
Biskra au lac Tchad ne coûtât pas plus de 145 à 150 millions:
on fait, certes, une grande concession aux pessimistes en
élevant ce chiffre à 170 ou 180 millions, évaluation certai-
nement très exagérée (1). Le prix le plus vraisemblable, en
tenant compte de l'imprévu le plus défavorable, apparaît
devoir être de 150 à 160 millions environ. Quant au Trans-
saharien d'Aïn Sefra ou du terminus actuel de Béni-Ounif
à Tombouctou, la construction n'en dépasserait guère une
centaine de millions de francs.
Cette .entreprise de la ligne ferrée de Sfax à Gafsa et aux
(1) Nous examinerons plus loin avec quelques détails les conditions d'exécu-
tion cl le prix de revient.
UN EXEMPLE DE CHEMIN DE FER DÉSERTIQUE. 31
carrières phosphatières de Métlaoui démontre la facilité de
la construction et de Texploitation d'un chemin de fer, même
à trafic très intensif, dans une région désertique. L'eau n'est
pas de bonne qualité en général, elle encrasse les chaudières,
mais elle ne manque pas et l'on triomphe de ce défaut.
11 ressort de la môme entreprise que le désert contient
des richesses. Il faut une contrée agricole exceptionnelle-
ment riche et exceptionnellement peuplée pour fournir un
trafic de 400000 tonnes : une seule bonne mine, dans le pays
le plus aride, le fournit. Certes, une matière utile, mais
commune et de peu de valeur, comme le phosphate, ne peut
rémunérer qu'un chemin de fer de, quelques centaines de
kilomètres ; il est probable que des phosphates, même plus
riches que ceux de Gafsa, qui sont d'une teneur moyenne
(58 à 60 p. 100), ne pourraient guère rémunérer une voie
ferrée dont la longueur dépasserait 400 à 500 kilomètres ; il
faudrait des phosphates d'une teneur de 80 à 85 p. 100,
comme ceux de la Caroline ou du Tennessee, et en très
grande abondance, pour qu'une voie ferrée de 700 à
800 kilomètres y trouvât un trafic suffisant. Mais bien d'autres
matières sont dans un cas plus favorable. Les nitrates, par
exemple, pourraient facilement supporter un transport non
seulement de 1500 à 2000 kilomètres, mais même de 3000(1),
et le plus grand nombre des produits naturels que con-
somment les nations civilisées sont parfaitement en état
d'affronter 3000 kilomètres de transport en chemin de fer
pour déboucher en pleine Méditerranée occidentale. Les
riches minerais d'étain, de cuivre, de zinc et de plomb argen-
tifère seraient dans ce cas; et l'on verra plus loin que les
régions de TAïr et du Tchad contiennent, à n'en pas douter,
de riches minerais de cuivre, pour ne parler que du plus
précieux parmi les métaux communs.
\l) U faut considérer que sur des lignes ferrées de très grande étendue et
sans ramifications on doit pouvoir transporter par grandes masses et d'une
manière rémunératrice les matières pondéreusea au tarif de 1 centime et demi»
parfois même de 1 centime le kilomètre, soit 4o à 30 francs la tonne pour
3000 kilomètres.
32 LE SAHARA, LB SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIENS
Ce ne sont pas, d'ailleurs, les seuls produits minéraux
que Ton peut trouver dans le sous-sol du Sahara ou du
Soudan, ce sont tout aussi bien les denrées agricoles de
cette dernière contrée qui alimenteraient largement le trafic
d'un chemin de fer de 2500 à 3000 kilomètres depuis la
Méditerranée, les lignes existantes comprises. Il est établi
qu'un chemin de fer, comme celui de Gafsa, peut transporler
la tonne à 2 centimes le kilomètre, sinon même à 1 cen-
time et demi, d'unefaçon rémunératrice; d'autre part, Texemple
du nouveau réseau des chemins de fer tunisiens, exploités
par la Compagnie de Bône-Guelma, prouve que la dépense
fixe des lignes ferrées dç cette nature, en cas de faible trafic,
descend à 2500 francs le kilomètre, parfois môme à
2000 francs. Le chemin de fer transsaharien devant être
beaucoup plus étendu, il en résulterait un abaissement des
frais; car il est constant que plus longue est une ligne,
plus prolongé le parcours sans rompre charge, et plus la
dépense kilométrique, soit fixe, soit proportionnelle, doit
être faible. En tout cas, les denrées principales, quand elles
sont produites dans de bonnes conditions et à prix modique,
peuvent supporter un trajet énorme. C'est le cas notamment
du coton, qui vaut un millier de francs la tonne, et pour
lequel le transport à 2500 ou 3000 kilomètres, du Tchad à
Philippeville ou à Alger, ne représenterait, à 2 centimes
le kilomètre, que 50 à 60 francs, soit 5 à 6 p. 100 du
prix au lieu de consommation. Dût-on, par une hypo-
thèse difficilement admissible, doubler ce prix, le trans-
port ne représenterait encore, pour venir du centre de
l'Afrique à la Méditerranée, que 10 à 12 p. 100 de la va-
leur, et Ton sait de quelle disette cotonnière souffre
actuellement le monde civilisé. La région du Tchad pour-
rait livrer des dizaines, sinon des centaines de mille
tonnes au chemin de fer transsaharien oriental ou grand
central africain. La région du Niger moyen pourrait
offrir aussi un trafic important au Transsaharien occidental,
quoique cette dernière ligne apparaisse comme ayant une
UN EXEMPLE DE CHEMIN DE FER DÉSERTIQUE. 33
importance moindre que le Transsaharien du Tchad (1).
Cette question du trafic des lignes transsahariennes sera
examinée plus loin avec quelque détail. Actuellement, il suffit
de mentionner que l'établissement dans une région nettement
désertique, à très bas prix, et l'heureux fonctionnement, avec
peu de dépenses d'exploitation et d'entretien, du chemin de
fer de Sfax à Gafsa et aux carrières du Metlaoui, consti-
tuent un exemple français et récent, venant confirmer l'ex-
périence plus vaste et plus ancienne du chemin de fer
transcaspien, sur la facilité de construction et d'exploitation
des lignes ferrées en plein désert.
( 1 ) Néanmoins, il parait y avoir certaines chances, vu la poussée française
actuelle au sud de la province d'Oran, pour que cette dernière ligne, moins longue
oi moins coûteuse, soit, malgré sa moindre importance, exécutée la première.
Voir la suite de cet ouvrage.
CHAPITRE IV
Genèse de l'idée transsaharienne.
Formule du général Hanoteau en 1839. — Les tropiques à six jours de Paris. —
Il ne se trouve pas, surl'ensemble du globe, un point où les tropiques soient aussi
près des grandes capitales européennes. — Les lignes ferrées suivant le méridien
sont, toutes circonstances égales, plus productives que celles suivant le parallel.-.
L'ingénieur Duponchel en 1878. — Analyse de son livre et examen critique di;
son projet. — Sa description générale du Sahara ; justesse habituelle de se>
vues. — Son appréciation exacte de la culture des oasis.
Tracé du Transsaharien de Duponchel. — Étude de ce projet de voie ferrée. —
/C Grosses exagérations de ses évaluations. — Énormes réductions que compor-
teraient la technique actuelle et la connaissance beaucoup plus exacte du pays.
La recherche de la paternité des idées est toujours déli-
cate. Bien des hommes ont, à des périodes plus ou moins
distantes, tantôt avec netteté, tantôt simplement dans ses
lignes générales, la conception d*une grande œuvre. L'idée
du Transsaharien est assez ancienne ; elle date tout au
moins de plus de quarante ans. Le premier qui Tait for-
mulée sans ambiguïté est le général Hanoteau, en 1859,
alors chef de bataillon du génie et commandant supérieur à
Dra-el-Mizan. Dans la préface d*un livre très spécial, un
Essai de grammaire de la langue tamacheky il s'exprimait
ainsi :
« La première caravane de R'at (Ghat), sous Tescorte des
Imouchar (Touareg), arrivait à Alger précisément au mo-
ment où commençaient les premiers travaux du chemin de
fer d'Alger à Blidah. Cette coïncidence, toute fortuite sans
doute, n'est pas moins d'un heureux présage, et qui sait si,
un jour, reliant Alger à Timbouctou, la vapeur ne mettra pas
les tropiques à six journées de Paris ? »
Laissons de côté, pour le moment, la question de tracé,
que nous traiterons plus loin ; voilà donc quarante-cinq ans
qu'un officier du génie de notre armée d'Afrique, futur
GENÈSE DE L4DÉE TRANSSAHÂRIEiNNE. 3o
officier général, très au courant des populations indigènes
du Sahara, a non seulement prévu et annoncé les chemins de
fer transsahariens, mais a trouvé la formule décisive : « les
tropiques à six jours de Paris ». Encore ces six jours sont-
ils de trop : douze heures, qui seront bientôt réduites à dix,
sinon à huit, de Paris à Marseille, vingt-quatre à vingt-six
heures de Marseille à Philippeville ou à Alger, qui pour-
raient aisément être réduites à vingt, ensemble trente à
quarante heures au grand maximum, puis, avec les lignes
ferrées déjà existantes, environ 3000 kilomètres pour arri-
ver dans la région du lac Tchad, soit, à la vitesse modérée
de 32 kilomètres à l'heure, quatre-vingt-quatorze heures,
en tout cent trentre-quatre, sinon même cent vingt-quatre,
cela ne fait que cinq jours et quart à cinq jours et demi;
dans ces conditions, les tropiques seraient, non seulement à
moins de six jours de Paris, mais même à moins de six jours
de Londres et de Bruxelles et à six jours et quart de Berlin.
Supposez que, un peu plus tard, avec quelque développe-
ment de vitesse qui ne serait pas bien prodigieux, les
3000 kilomètres environ de Philippeville ou Alger à la ré-
gion du Tchad puissent être franchis au train de 40 kilo-
mètres à rheure en moyenne : il ne faudrait que soixante-
quinze heures pour cette partie du parcours, plus une tren-
taine d'heures de Paris à Philippeville ou à Alger, en tout
cent cinq heures ; les contrées tropicales fertiles seraient
ainsi à moins de quatre jours et demi de Paris, à cinq jours
de Bruxelles et de Londres, et à cinq jours trois ou quatre
heures de Berlin. A Theure présente (février 1904) le chemin
de fer transsibérien transporte en dix-sept jours les voya-
geurs de Moscou à Port-Arthur. La ligne transsaharienne ne
mettrait que le tiers de ce temps pour amener les voyageurs
de Paris au lac Tchad.
Nous attirons l'attention sur ce point : les prétendus sages,
personnes en général très superficielles et observateurs
légers, se demandent parfois ce que pourrait produire un
chemin de ferlranssaharien. Il est facile de répondre à ces
36 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAUARIE».
sceptiques impuissants qui incarnent Tesprit de nég'ation
il ne se trouve pas, sur l'ensemble du globe, une situation
semblable, où Ton puisse mettre une des parties les plus
riches des tropiques, le Soudan central, à cinq ou six joun
de distance des contrées les plus riches et les plus peuplée^
de la zone tempérée et des plus grandes capitales du inonde
Croire que, dans ces conditions, une voie ferrée ne serai:
pas productive, qu'elle n'aurait pas, sinon du jour au lende-
main, du moins au bout de peu d'années, un courant abon-
dant non seulement de marchandises, mais aussi de voya-
geurs, cela n'est possible qu'à des hommes dont le cerveau
est absolument fermé à la conception des conditions gêné
raies de productivité des travaux publics.
Un des plus pénétrants observateurs des phénomènes éco-
nomiques et sociaux qu'ait produits la science allemande.
Roscher, a fait remarquer que, toutes circonstances égales,
une ligne ferrée qui suit le méridien est dans de meilleures
conditions de rendement qu'une ligne ferrée qui suit le paral-
lèle, parce que la première réunit des climats difTérents et
des productions différentes ; elle dessert donc des besoins
intenses d'échanges et de relations.
Sans entrer dans des calculs détaillés (nous les réservons
pour un chapitre postérieur), il suffit de cette brève formule,
que le chemin de fer transsaharien mettrait une partie très
peuplée et très riche des tropiques à cinq ou six jours de
Paris, Bruxelles, Londres et Berlin, pour emporter la con-
viction d'une productivité certaine, et notamment d'un im-
portant trafic de voyageurs de toute catégorie, commerçants,
fonctionnaires et employés divers, curieux et oisifs, tou-
ristes et sporlsmen. Pour atteindre les tropiques par l'Egypte,
il faut deux fois et demie plus de temps et deux fois et demie
plus de dépenses.
Il est dans la nature du développement des idées, même
de celles qui visent une application pratique, d'exiger une
longue période d'incubation, puis, tout à coup, après qu*on|
les a crues perdues, et que personne ne paraît y songer, de
GENÈSE DE L*IDEE THANSSAHARIENNE. — DUPONCHEL. 37
surgir avec éclal el d'attirer ratlention générale. Un explora-
teur, Soleillet, chargé d'une mission au Touat par la Chambre
de commerce d'Alger, en 1874, parla bien de jeter un chemin
de fer à travers le Sahara, mais cet appel n'eut pas de reten-
tissement. Il s'écoula près de vingt ans après la déclaration
si remarquable du commandant Hanoteau, jusqu'au livre,
qui fît un moment tant de bruit, de l'ingénieur en chef des
ponts et chaussées Duponchel, sur le Chemin de fer Iranssa-
harien. Cet ouvrage parut en 1878. L'auteur, avec unegraodiç
science technique, un admirable élan patriotique, une foi
communicative, des vues très vastes sur l'avenir de la
France, signalait l'utilité, la praticabilité, l'exécution même
facile et relativement peu coûteuse de l'œuvre qui s'imposait,
suivant lui, et s'impose encore, suivant nous, à notre patrie.
Duponchel voyait dans le Soudan central, entre le Niger
et le Tchad, dans cette région de Sokoto, Kano, Gando,
Kouka, sur lesquelles la Grande-Bretagne n'avait pas encore
glissé sa main, les futures « Indes françaises ». C'est là que
nous devions porter notre activité, trouver, à nos portes,
à ces cinq ou six jours de distance de Paris, ce domaine
tropical que les autres nations ne peuvent obtenir qu'à des
semaines ou des mois d'éloignement de leurs côtes. Plut au
ciel que la voix de Duponchel eût été alors entendue ! Nous
fûmes de ceux qui, dès la première heure, de 1878 à 1880,
lui firent écho et recommandèrent son projet au public. S'il
eût été alors réalisé, toutes les destinées de la France s'en
fussent trouvées agrandies. Communiquant, dès 1889 ou
1890, par terre avec le Soudan central, nous eussions pos-
sédé tout le nord de l'Afrique, et il nous eût toujours été
facile de faire respecter nos droits en Egypte. Les Esches
d'omission, dit-on, sont le^ phi s, graves pour les hommes
politiques ; Toccasion négligée ne se représente jamais com-
plètemenr; rien ne se répare, mais au moins peut-on éviter
des négligences nouvelles. Actuellement, l'Angleterre s'est
faufilée sur le Sokoto et le Bornou, l'Allemagne sur une
partie du Bornou et sur l'Adamaoua ; il ne peut plus être
38 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIEN^
question de nous attribuer ces belles contrées ; mais ce
qu'on nous a laissé autour du Tchad et les domaines que
nous nous sommes nous-mêmes taillés dans toute la région
environnante valent encore un grand effort, et la construc-
tion d'un chemin de fer transsaharien ne nécessite qu'un
médiocre effort; ce serait à peine, dans l'état actuel du
monde, une très grande œuvre.
J'ai particulièrement connu Duponchel; il était ingénieur
en chef du département de l'Hérault, dont je fus pendant
dix-huit ans conseiller général ; outre cette cause de rappro-
chement, il avait été très lié avec mon beau-père, Michel
Chevalier, ingénieur lui-même et président du conseil général
de l'Hérault pendant toute la durée du second Empire. La
similitude de nos études sur les travaux publics, quoique les
miennes fussent d'ordre économique et non technique, la
communauté de nos goûts pour la colonisation, étaient entre
nous, par surcroît, un motif de relations et d'échanges d'idées.
Très grand, très vigoureux, haut en couleur, Duponchel
était un homme de beaucoup de génialité; sur nombre de
sujets, aussi bien moraux ou politiques que se rapportant
à l'art de l'ingénieur, il avait des vues très originales et très
personnelles. Il les répandait dans une conversation abon-
dante; de tous les hommes que j'ai rencontrés, c'est certai-
nement un de ceux qui m'ont laissé l'impression de la plus
grande fécondité et hardiesse d'esprit.Jl a vécu, cependant,
et il est mort (en avril 1903, à quatre-vingt-deux ou
quatre-vingt-trois ans) relativement obscur, sans avoir at-
teint le degré supérieur de sa carrière, à savoir le poste
d'inspecteur général des ponts et chaussées. Son humeur,
comme il arrive fréquemment aux hommes inventifs et in-
suffisamment appréciés, était un peu hautaine et maussade;
il n'avait ni souplesse politique, ni souplesse monda^e, ni
souplesse corporative ; il eût voulu imposer ses idées de vive
force, il paraissait paradoxal; il froissait ou mécontentait ses
camarades plus heureux, parvenus au faîte de la carrière.
Son livre, le Chemin de fer Iranssaharien, jonction
GENÈSE DE L'IDÉE TRANSSAHARIENNE. — DUPONCHEL. 39
coloniale entre V Algérie et le Soudan (1), mérite de rester
non seulement comme la première et forte esquisse d'une
grande œuvre de travaux publics, mais comme un très inté-
ressant et très ingénieux programme de colonisation. Il n'est
pas superflu d'analyser brièvement cet ouvrage ; c'est rendre
un légitime hommage à un précurseur presque oublié.
Duponchel, semble-t-il, d'après son exposé, avant d'avoir
visité l'Algérie, publia diverses éludes sur c les avantages
économiques et politiques que notre pays trouverait à
établir, entre le littoral algérien et la vallée du Niger, un
chemin de fer qui serait le trait d'union d'un vaste empire
colonial devant s'étendre peu à peu sur toute la région de
l'Afrique centrale comprise dans le bassin de ce fleuve ».
Duponchel pensait ainsi au Niger beaucoup plus qu'au
Tchad ; malgré les descriptions décisives du grand voyageur
allemand Barth, on s'occupait peu encore de cette région
plus intérieure. Elle semblait moins à portée de l'Europe et
de la France, et Ton ne pressentait pas qu'une notable partie
en dût échoir à notre pays. Une voie ferrée vers le Tchad
se présentait, en outre, comme de 500 à 600 kilomètres plus
longue qu'une voie directe sur le coude du Niger.
A la suite de ces premiers écrits, d'un caractère un peu
général, l'ingénieur en chef Duponchel fut chargé, nous
dit-il, d'une mission officielle pour étudier de plus près le
caractère de l'entreprise projetée(2). Il se rendit dans le Sud
(1) Ce qui prouve bien le peu d'esprit d'intrij^ueet de connaissance du monde
de Duponcliel, c'est que ce livre parut à Montpellier, typographie et lithographie
de Boehin et fils (1878); c'est un volume in-8o de 371 pages avec une carte, plus
géologique que politique ou ethnique, du nord et du centre de l'Afrique et un
tracé de la voie ferrée projetée; je tiens de Duponchel lui-même l'exemplaire
4iue je possède avec une dédicace de lui en ma qualité de conseiller général de
l'Hérault.
(2) Voici en quels termes il rend compte de la nature de cette mission, dans
la préface de son livre : « Les considérations que j'ai pu faire valoir à ce sujet
<sur l'union par une voie de fer de l'Algérie et du Soudan) ont paru assez sérieu-
ses à l'Administration supérieure pour qu'elle ait bien voulu prendre l'idée en
considf^ration et me donner les moyens de me rendre en Algérie, pour en étu-
dier sur place, autant que possible, le côté pratique. Ce rapport (son livre) a
pour but de rendre compte de ma mission. En entreprenant ce voyage, je ne"
m'élais pas fait d'illusions sur sa portée réelle. J'avais surtout en vue de recon-
naître les ressources particulières que l'Algérie pouvait offrir comme point de
40 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIENS.
algérien. Nous ignorons quelle fut la durée de son séjour dans
cette contrée et le terme méridional de ses pérégrinations.
Il ne paraît pas être descendu sensiblement au-dessous de
Laghouat. Il n'a donc eu qu'un avant-goût du Sahara. Mais
aujourd'hui que Ton possède des récits très nombreux d'ex-
plorations du Sahara dans toutes les directions, on se rend
compte que, dans l'ensemble, l'immense superficie de cette
contrée ne diffère pas essentiellement de sa lisière septen-
trionale. Outre les livres des grands voyageurs Barth,
Rohlfs et plus particulièrement Duveyrier, dont les études
et les recherches, si pleines de précision et de con-
science, restent encore, à l'heure actuelle, malgré quelques
inexactitudes reconnues, si utiles aux explorateurs saha-
riens, beaucoup de récits de voyageurs secondaires et en
quelque sorte régionaux, dans cette immensité, furent aussi
mis à profit par Duponchel.
Son livre secompose, pour un tiers, d'observations d'ordre
général sur la nature de la colonisation que la France peut
pratiquer avec le peu de fécondité de sa population et son
énorme puissance d'épargne. Le chapitre qu'il consacre à
cette question préliminaire, ceux aussi où il fait, à grands
traits, la description de l'Algérie et où il traite de la
colonisation algérienne et des indigènes, contiennent des
observations nombreuses, pour la plupart très justes
et dont l'administration française n'a jamais tenu assez
de compte.
Il passe ensuite à la description du Sahara : il étudie le
désert au point de vue géographique, orographique, hydro-
logique, géologique; il réfute cette opinion universellement
répandue que cette immense surface serait couverte de sables
mouvants ou de dunes; entre autres témoignages auxquels il
recourt pour détruire ce préjugé, il invoque celui d'un géo-
départ (le l'entreprise projetée, et d'apprécier par mes yeux les conditions
techniques d'établissement d'une voie de fer dans les vastes régions infternié-
diaires du Sahara, que je pourrais aborder facilement sur sa lisière du nord, on
même temps que je trouverais, parmi les indigènes et certains officiers de
notre armée d'Afrique, de nouveaux renseignements venant corroborer ou
infirmer ceux que j'avais pu me procurer ailleurs. »
GENÈSE DE L'IDÉE TRANSSAHARIENiNE. — DUPONCHEL. 4i
logue, M. Pomel, dont il vante les recherches personnelles et
les savantes investigations pour rattacher les unes aux autres
les descriptions physiques, données par divers explorateurs,
sur la géologie générale des régions septentrionales de
l'Afrique : « Quelle que soit rimportance des dunes de sable
inouvant, écrit-il, elles sont bien loin de constituer, comme
on Ta cru longtemps, la totalité de la surface du Sahara. En
tenant compte aussi exactement que possible des régions où
ces dunes ont été signalées, tant dans TErg septentrional
que sur d'autres points du Sahara, M. Pomel exprime l'avis
qu'elles recouvrent à peine le neuvième de son étendue
totale, dont le restant est, au contraire, caractérisé par un
sol dur et résistant, ce qui du reste est la véritable signifi-
cation du molSahara en langue arabe (1). » Ainsi une surface
de roc, couverte très exceptionnellement de sable, tel serait
ce vaste désert.
Duponchel combat aussi le préjugé qu*il n'y a ni eau ni
végétation dans cette immensité : « Le Sahara n'est pas en-
tièrement privé de pluie et d*eau, et l'absence de végétation,
sauf sur quelques plateaux rocheux dénudés par le vent où
toute terre végétale fait défaut, n'est pas non plus complète.
11 pleut, et plus souvent qu'on ne le pense, dans le Sahara;
seulement, la quantité d'eau tombée n'est jamais suffisante
pour compenser Tévaporation solaire qui la reprend immé-
diatement au sol. La siccité et la transparence habituelle de
l'atmosphère déterminent un grand rayonnement nocturne,
et par suite de très grandes différences de température du
jour à la nuit ; d'où résultent, pendant une très grande partie
de l'année, des rosées matinales très abondantes, la quan-
tité d'eau tenue en réserve dans l'atmosphère se trouvant
tour à tour insuffisante ou trop grande pour les besoins delà
saturation (2). » On sait que, dans nombre de pays du midi,
les rosées matinales ont sur la production du sol des effets
équivalant à la pluie. Aussi trouve-t-on une végétation dans
(1) Duponchel, Le Chemin de fer Iranssaharien^ page 122.
(2) Id.. ibid.y page 134.
42 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIENS
le Sahara ; elle est même parfois abondante et assez variée.
« Sans parler des espèces végétales essentiellement éphé-
mères, dit Duponchel, qui germent de toutes parts à la suilt
d'un orage accidentel et peuvent parfois se développer e:
fructifier en peu de jours, il est un certain nombre de
plantes et d'arbrisseaux vivaces qui croissent spontanénaeni
et, en général, par groupes distincts, suivant Taltitude, l'ex-
position ou la nature du sol dans les diverses régions du
Sahara. » Et Duponchel énumère celles qu'il a le plus remar-
quées pendant son séjour au Sahara algérien comme ser-
vant à la nourriture des bestiaux : « le jReleb, sorte df
genêt au feuillage long et flexible; le Drin, variété de chien-
dent qui a surtout la propriété de fixer les dunes de sable
et de poussière; le Balab, sorte de salsolée ; le Chiah, de
la famille des labiées, etc. i> Il mentionne encore les
étendues d'alfa et les jujubiers sauvages, arbuste tenace el
vivace, au feuillage épineux, qui fournit le combustible ha-
bituel aux indigènes et dont les fourrés épais constituent un
abri à l'ombre duquel croissent dans le désert des arbres de
haute futaie. Le jujubier sauvage est bien connu de tous
les cultivateurs d'Algérie et de Tunisie dont il fait le déses-
poir, mais il peut rendre des services au désert.
Duponchel n'a remarqué qu'un arbre de haute venue dans
la lisière désertique de l'Algérie, le Béloum, « sorte de pista-
chier sauvage, qui acquiert un développement considérable
et dont les racines puissantes ne tardent pas à détruire com-
plètement les broussailles qui en avaient protégé la crois-
sance. Les animaux peuvent alors en approcher, mais ils
n'en broutent plus les jeunes pousses qu'à une hauteur limi-
tée naturellement par celle du cou des chameaux. Taillés à
ce niveau suivant un plan horizontal, les bétoums, conti-
nuant à s'accroître par le haut, s'élèvent comme de magni-
fiques parasols de verdure impénétrables aux rayons du soleil
disséminés par groupes de douze à quinze dans chaque daya
(bas-fonds ou cuvettes où s'accumulent les terres végétales el
où se maintient l'humidité). Les béloums ne donnent pas seu-
GENÈSE DE L'IDÉE TRANSSAHARlEiNNE. ■— DUPONCHEL. 43
lement leur ombre aux voyageurs, ils produisent, en outre,
une résine qui reçoit diiTérents usages, et un petit fruit acidulé
qui entre pour une certaine part dans Talimentation des indi-
gènes (1). » Malgré ces précieux services aux caravanes et aux
bergers du désert, il arrive aux Arabes ou aux Touareg
d'abattre de ces arbres pour se procurer du feu, quand les ju-
jubiers etautres broussailles ne leur suffisent pas. Les Fran-
çais, dans un rayon de 30 kilomètres autour de Laghouat,
ont laissé disparaître ces arbres séculaires, aux groupements
desquels on donnait le nom de forél.
Il n'en demeure pas moins certain, comme le dit Fauteur,
que € les conditions climatériques de ces vastes solitudes
ne sont pas rigoureusement incompatibles avec le développe-
ment de certaines espèces forestières j». Duponchel suggère
que Ton pourrait emprunter à la flore australienne des arbres
aussi vigoureux que le bétoum, et d'une croissance rapide, qui
s'acclimateraient dans le Sahara, et y rendraient des services
analogues à ceux que Teucalyptus rend dans la région du
Tell.
Quoique le cercle des observations personnelles de Dupon-
chel dans le Sahara ait été assez restreint, ses réflexions
et ses conclusions ont reçu, comme on le verra plus
loin, une_éclatante confirmation par les constatations des
explorateurs récents, lïyanl franchi d'outre en outre le
désert ou Tayant pénétré à une grande profondeur. Aux
plantes fourragères ou comestibles que mentionne Dupon-
chel, il faut en joindre une quantité d'autres qui, de place
en place, forment parfois, jusqu'au centre du Sahara et, à
plus forte raison» dans la région tropicale de cette immen-
sité, de véritables prairies. C'est le mot dont se servent et
Flatters et Foureau et nombre d'autres. Quant aux arbres
de haute futaie, qui poussent dans ce désert africain et y
atteignent en maint endroit des proportions considérables,
parfois gigantesques, il n'en existe pas qu'une espèce
!l) Duponchel, Le Chemin de fer transsakarien, pages 135 à 138.
44 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIE^S
unique, et on en cite une demi-douzaine qui croissent ou
simultanées, ou se succédant suivant les zones. La végê
tation et le bois, s'ils ne couvrent pas tout le Sahara, sy
rencontrent, plus ou moins abondants, dans presque toulf
sa superficie et à toutes les latitudes.
On ne peut qu'adhérer à la conclusion de Duponchel : « Si
la sécheresse naturelle de l'atmosphère a surtout donné ao
Sahara son aspect actuel, les dévastations résultant de la
main de Thomme et de la dent des animaux qui le parcou-
rent en tout sens n'ont pas peu contribué à généraliser 1?
désert, en détruisant la végétation normale de sa surface..
L'immense étendue des surfaces compensant leur peu de
fertilité, on pourrait sans doute accroître dans d'énormes
proportions le nombre des troupeaux qui trouvent aujour-
d'hui leur subsistance dans le Sahara, en môme temps pro-
bablement en boiser une certaine partie. Il y aura, certes,
un jour, un sérieux sujet d'études à faire, et probablement
une grande source de richesses agricoles à réaliser (1). » En
atténuant un peu la forme de la pensée de l'auteur, mais en
en maintenant le fond, on sera, croyons-nous, dans la vérité.
Le Sahara paraît avoir, non certes sur toute sa surface, mais
sur beaucoup de points disséminés et pouvant former des
chapelets de petits centres, un certain avenir agricole.
Cet avenir ne dépend pas uniquement des oasis à fonder
ou à étendre, il est beaucoup plus vaste. Notons, en ce qui
concerne ces oasis, une observation intéressante de Dupon-
chel ; avec son expérience acquise en bas Languedoc et en
Provence, il s'élève contre l'habitude d'accumuler les cul-
tures diverses dans un même espace et à l'ombre les unes
des autres. On sait l'éloge devenu classique, que Pline a
fait de l'oasis de Tacape (aujourd'hui Gabès) (2); il décrit
le figuier ou le pistachier croissant à l'ombre du palmier,
puis d'autres arbustes fruitiers à l'ombre des premiers,
et enfin, au-dessous, des légumes ou céréales divers.
Il) DuponclK'l, Op. cit., pages 138 et 139.
(:i) Voir imiro ouvrage LWhjérie et la Tunisie, 2'' édition, page 381.
GENÈSE DE L'IDÉE TRANSSAHARIENNE. — DUPONCHEL. 45
Duponchel n'est pas émerveillé de celte accumulation
et de celte superposition de cultures : « Si Ton a peul-être
trop négligé jusqu'ici, dit-il, les ressources qu'il paraîtrait
possible de tirer de la végétation normale du Sahara, et
outré en quelque sorte l'infécondité proverbiale du désert,
on a parfois exagéré en sens contraire les richesses et les
splendeurs de la végétation artificielle que les eaux d'arro-
sage entretiennent dans les oasis. » Les petits jardinets où
chaque propriétaire ou locataire cultive une demi-douzaine
ou une douzaine de palmiers, solidement clos, et à l'ombre
quasi impénétrable desquels il prétend faire venir des cé-
réales ou des légumes^ lui paraissent des puits qui contra-
rient la végétation. Ces pratiques agricoles, si anciennes
soient-elles, lui semblent provenir moins du désir d'abriter
les végétaux les plus humbles des ardeurs du soleil que de
l'espoir chimérique d'obtenir plusieurs récoltes d'un même
sol et d'un même arrosage. C'est l'ancienne méthode que
Ton suivait dans l'Italie antique pour la vigne, et que l'on a
aujourd'hui abandonnée. Duponchel remarque que plus l'on
avance vers le Midi, en France du moins, plus l'air et la
lumière paraissent indispensables à la végétation. On peut
avoir des rideaux d'arbres, comme en V^aucluse, dans le bas
Languedoc et en Provence pour couper le vent (1); mais il
est chimérique de superposer les cultures les unes sur les
autres el d'enfouir sous une ombre constante les végétaux les
plus humbles. Celte remarque parait intéressante; c l'agricul-
ture saharienne aurait fort à gagner à renoncer à ses pratiques
actuelles» en laissant l'air et la lumière pénétrer plus libre-
ment dans les jardins des oasis (2) ». Quant à Texagération
des clôtures, qui est manifestement nuisible, elle tient, en
grande partie, à l'insécurité. On verra plus loin que c'est
(1) Nous avons éprouvé, en ce qui nous concerne, depuis vingt années, dans
notre vignoble tunisien, que le sirocco, par exemple, fait beaucoup plus de mal
dans les vignes de un ou quelques hectares ayant de hautes clùlures végétales
que dans des étendues de dizaines ou centaines d'hectares laissées sans abri
aucun.
(2) Duponchel, Op. cit., pages 144 à 146.
46 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAQARIRNs
cette insécurité, terrible, constante, qui est le plus grami
mal, la plus grande cause stérilisatrice à la fois du Sahara
et du Soudan.
Cette analyse de la description que fait Duponchel dt
Sahara nous a paru utile, d'une part comme montrant Tin
géniosité, l'originalité et la justesse d'esprit de l'auteur
d'autre part, comme un premier témoignage, qui sera confirme
plus loin par beaucoup d'autres, de certaines ressources cul-
turales et arbustives que possède le Sahara et d'un certain
avenir agricole, relatif naturellement, qui paraît réservé avec
le temps et les soins à cette immense surface. Mais le Sahara
fût-il irrémédiablement et complètement infécond, dépoumj
de toutes richesses non seulement du sol, mais du sous-
sol, que la construction des chemins de fer transsahariens
n'en serait nullement condamnée. Le Sahara est conçu, par
les promoteurs de cette œuvre, comme un simple passage;
il suffit que les conditions topographiques rendent ce pas-
sage possible sans trop de frais — et la nature des lieux prouve
que ce passage serait non seulement possible, mais dans
l'ensemble singulièrement facile, — pour qu'une voie ferrée se
construise et s'exploite tout le long de cette contrée dans
des conditions favorables.
11 suffit que le Soudan soit riche pour que l'œuvre soil
justifiée. Duponchel se livre à une description sommaire du
Soudan : ici, il est inutile de le suivre; il n'a pu fournir
aucune observation directe sur cette contrée et les rensei-
gnements postérieurs précis abondent.
Quelle est la nature et la direction de la voie ferrée que pro-
jetait Duponchel ? En premier lieu, nous l'avons vu, il avait
pour objectif, non pas la région du Tchad, dont on parlait
peu alors, quoique Barth et plusieurs autres voyageurs
célèbres l'eussent visitée et en eussent fait le plus grand
éloge, mais le coude du Niger entre Tombouctou, dont le
nom magique éblouissait alors, et Bourroum. Néanmoins il
ne rattachait pas sa ligne ferrée à Oran, qui eût été la tête
de ligne la plus proche, étant donné ce point d'arrivée ; il
EXAMEN DU PROJET DE DUPONCHEL. 47
a bien étudié une variante se rattachant à la ligne d'Oran è
Saïda, qui venait d'être construite; mais c'est à Aflfreville,
sur la ligne d'Alger à Oran, qu'il attachait son transsaha-
rien, le poussant par Boghar, Laghouat, El-Goléa, sur les
oasis du Touat, qu'il traversait en laissant Insalah à une
certaine distance à l'est, et en continuant directement sur le
coude du Niger pour aboutir sur ce fleuve à un point situé
à peu près à égale distance entre Tombouctou à l'ouest et
Bourroum à l'est.
II serait superflu et sans intérêt de s'arrêter à la descrip-
tion de ce tracé, qui, d'ailleurs, devait naturellement, pour
les points mitoyens du moins, comporter des variantes ou
des corrections. Étant donnés la compétence de Duponchel
et les nombreux renseignements qu'il avait recueillis et
profondément médités, l'étude technique qu'il a faite à ce
sujet et qui comprend une soixantaine de pages, pourra
servir d'élément d'information pour le Transsaharien occi-
dental, qu'on rattachera toutefois, suivant toutes les pro-
babilités, aux lignes prolongées de l'ancienne Compagnie
franco-algérienne d'Arzew à Saïda, Aïn Sefra et Béni-Ounif,
tronçons déjà exécutés, jusqu'à Igli, terminus actuelle-
ment décidé (1904).
Les évaluations de dépenses peuvent davantage retenir
notre attention. Duponchel ne concevait le Transsaharien que
comme un chemin de fer à voie large, c'est-à-dire à la voie
normale européenne de 1",44 d'écartement entre les rails.
Il attribuait à cette voie de transport un trafic considérable
et voulait qu'elle fût aussi parfaite que possible, au point de
vue notamment du rayon des courbes et des pentes. S'il y a
lieu toujours de tenir grand compte du dernier point, et de
s'efforcer d'avoir des pentes très douces, ne dépassant pas un
centimètre par mètre, Duponchel ignorait que les chemins de
fer à la voie de 1 mètre, comme l'a prouvé, depuis, l'exemple de
l'Afrique du Sud et de la Tunisie (1 ), peuvent se prêter à un très
(1) Le chemin de fer à voie étroite de Sfax à Gafsa et aux carrières phospha-
tières du Metlaoui, sur une longueur de 245 kilomètres, avec ses transports de
48 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMLNS DE FER TRANSSAHARIENS.
ample trafic et que, d'autre part, avec les wagons à bogies,
on peut pallier les inconvénients de courbes à faible rayon. Il
ne faut pas oublier que le chemin de fer du Congo belge,
qui rend des services si précieux, n'a que 75 centimètres
de largeur et que, d'autre part, dans l'Afrique australe, le
chemin de fer de Beïra n'a eu longtemps que 60 centimètres:
si ces deux types doivent être écartés, celui de 1 mètre doit,
au contraire, être retenu ; il suffirait à un trafic de 20000 ou
25000 francs par kilomètre, qui dépasse tout ce que les plu^
optimistes peuvent rêver, de longtemps du moins, et à une
vitesse de 35 à 40 kilomètres à l'heure pour les trains de
voyageurs, ce qui suffira aussi pendant bien des années.
Duponchel fixait à 2274 kilomètres la longueur de voie à
construire d'Afi'reville au Niger ; Affreville étant à 120 kilo-
mètres d'Alger, la distance totale par le Transsaharien,
entre la capitale de l'Algérie et le coude du Niger, eût été de
2 400 kilomètres en chiffres ronds. 11 ajoutait 300 kilomètre?
de ligne transversale à construire de Tombouctou à
Bourroum, le Niger lui paraissant difficilement navigable
sur ce parcours; cela portait l'étendue totale à construire,
suivant lui, à 2.574 kilomètres (1). Si^ au lieu d'Alger, Ton
prenait Oran pour point de départ sur la Méditerranée et
la station actuelle de Béni-Ounif, sur la ligne prolongée de
l'ancienne Compagnie franco-algérienne, et qu'on laissât de
côté la ligne transversale de Bourroum à Tombouctou, la
longueur à construire s'abaisserait sans doute à 1650 ou
1700 kilomètres, et la longueur d'ensemble depuis Oran,
à 2250 ou 2300 kilomètres (2).
Pour les 2574 kilomètres dont il envisageait la conslruc-
350 000 tonnes de phosphate en 1903 et de plus de 400 000, chiffre espéré, pour
1904, témoigne victorieusement de la puissance d'une voie ferrée de i luèlro.
bien établie et bien exploitée.
(1) On ne voit aucunement qu'une ligne transversale de 300 kilomètres île
Tombouctou k Bourroum soit nécessaire : le Niger, dans cette section, est parfai-
tement navigable aux chalands, comme le prouvent le livre et la carte du capi-
taine Lenfant {Le Niger, voie ouverte à notre empire africain, Paris i90H), quo
nous étudierons plus loin.
(2) La station de Béni-Ounif, sur nos lignes algériennes de l'ouest, se trouve a
600 kilomètres d'Arzew et à, 624 kilomètres d'Oran par Perrégaux.
EXAMEN DU PROJET DE DUPONGHBL. 49
lion, Duponchel commençait par admettre une dépense de
160590000 francs en ce qui concerne la plate-forme el
de 20214000 francs en ce qui touche Tapprovisionnement
de l'eau. Il répartissait ainsi cette dépense :
Dépenses pour l'appro-
Prix de la plate-furme. visionnement de reau.
Indication des sections de tracé. ...^ n ^ ,. ^i
Longueur : par kilom. par section, par kilom. par section.
kUom. (r. fr. fr. fr.
Ligne crÂiTreville àLaghouat
par Taguin 354 119 463 42 290 000 6 000 2 124 000
De Laghouat à la dayade Sa-
fel sur les deux versants du
Kaz-el-Chaab 50 00 000 3 000 000 12 000 600 000
De la daya de Safel à Goleah. 300 40 000 12 000 000 12 000 3 600 000
Do Goleah àBouguemma, pre-
mière oasis de TÂouguérout 310 40 000 12 400 000 5 000 1550 000
De Bougueraina à Taourirt,
dernière oasis 360 40 000 14 400 000 4 000 1440 000
Traversée du Tauzerouft 450 20 000 9 000000 15 000 6 750 000
Du Tauzerouft à Bamba sur
le Niger 450 50000 22500000 5000 2 250 000
Ligne transversale de Bour-
roum à Tonibouctou 300 150 000 45 000 000 3 000 1 900 000
Totaux 2574 l 160 590 000 ~ 20214000
Ces deux catégories de dépenses, la plate-forme et Tappro-
visionnement des eaux, montaient ainsi, pour les 2574 kilo-
mètres qu'entrevoyait Duponchel, à 180804000 francs ; mais
d'autres dépenses devaient venir grossir ce chiffre et voici
comment le premier auteur d'un plan de chemin de fer trans-
saharien, en portant les dépenses ci-dessus et y ajoutant les
autres, établissait son devis :
Plate-forme, pour terrassement et ouvrages d'art de
toute nature 160 590 000
Approvisionnement d'eau 20 214 000
2 574 kilomètres de voie simple, pose et ballast,
évalués & 30 000 francs par kilomètre 77 220 000
Un dixième eu sus pour double voie, raccorde-
ments, etc 7 722 000
Parasables voûtés sur 40 kilomètres à 400 000 fr.
le kilomètre (1) 16 000 000
A reporter 281 746 000
I i ) Le texte de Duponchel porte 40 kilomètres k 400 fr.= 16 000 000 ; il doit s'agir
do iOO francs le mètre, soit de 400 000 francs le kilomètre; si exorbitante que
(>ûraisse cette dépense de 400 000 francs par kilomètre pour les parasables, elle
répond bien aux vues do l'auteur, car un peu plus haut (page 279), à propos
des dunes de Messerane, il parle d'une dépense de 200 000 francs pour voûter
la route sur un mauvais passage dont les parties envahies par le sable ne dépas-
saient pas 150 mètres.
4
50 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIEN?
Report 281 746 000
Télégraphe et autres appareils : 2574 kilomètres
k 4 000 francs 40 296 000
Bâtiments des stations et des gares 5 000 000
Docks et hangars 5 000 000
Intérêts du capital de construction pendant une
moyenne de deux ans 20 000 OOO
Matériel roulant à 45 000 francs par kilomètre (1).. 30640 000
Somme à valoir pour dépenses diverses et impré-
vues 47 348 000
Montant total des dépenses 400 000 OOO
Ainsi, c'est à 400 millions que Tingénieur Duponchel
évaluait la dépense pour la construction des 2574 kilomètres
qu'il projetait de construire d'Affreville à Laghouat et dt
Laghouat à Bamba sur le Niger, avec une ligne transversale
de 300 kilomètres, parallèle à ce fleuve, de Bourroum â
Tombouctou.
La somme est grosse, mais quand on examine le projet de
près, il y a beaucoup de retranchements à y faire et de>
corrections modératrices à y apporter. En premier lieu, h
ligne d'Affreville à Laghouat ou de Berrouaghia, terme
actuel de la ligne d'Alger dans la direction de Laghouat, à
ce dernier point, ne peut nullement être considérée comme
subordonnée à la construction du Transsaharien; c'est une
ligne purement algérienne qu'il faudra toujours construire et
dont le retard de construction est môme inexplicable ; il y a
donc, de ce chef, 354 kilomètres à déduire des 2754 prévus,
ainsi que la dépense correspondante à ces 354 kilontiètres.
En second lieu, on ne comprend pas que Duponchel ail
incorporé dans son projet de chemin de fer transsaharien
une ligne longeant le Niger, de Tombouctou à Bourroum,
d'une longueur de 300 kilomètres, laquelle, suivant ses pré-
visions et comme l'indique le tableau de la page 49, doii
constituer, suivant lui, la section de beaucoup la plus coûteuse
du chemin. Que le Transsaharien aboutisse en un point bien
(l) Nous reproduisons textuellement le texte et les chiffres de Du pondit
(page 318 de son livre); remarquons, toutefois, que le matériel roulant calcul*
b. 15000 francs le kilomôtrc pour 2 574 kilomètres, coûterait 38 6 10 000 fr.; ce chitrr
de 15 000 fr. est, d'ailleurs, absolument extravagant. La somme de 30 610 000 is
ne représente que 11 500 fr. par kilomètre, chiffre encore double ou triple <\c n
qui est nécessaire pour une ligne de cette étendue, à moins d'un trafic énorn
EXAMEN DU PROJET DE DUPONCHEL. 51
oisi sur le coude du Niger, puisque Duponchel vise surtout
itieindre ce fleuve, et cela suffît. Le fleuve, comme Tout
Duvé nombre d'explorations antérieures et celle, décisive,
capitaine Lenfant, est parfaitement navigable aux cha-
ids dans ce parcours entre Bourroum et Tombouctou ;
le serait-il qu'imparfaitement, il ne faudrait pas une
ntaine de millions pour l'améliorer, tandis qu'on va voir
le Duponchel compte pour bien près de 100 millions la
nstruction de cette voie ferrée transversale, tout à fait
perflue ou, en tout cas, très prématurée, la navigabililc
i bief supérieur du Niger d'Ansongo, bien en aval de Tom-
»uclou et même de Bourroum, à Koulikoro, sur une Ion-
leur d'un millier de kilomètres environ, étant aujourd'hui
irfaitement reconnue.
Il faut donc éliminer du plan de Duponchel ces deux
;nes : celle de Bourroum à Tombouctou, comme superflue
1 tout à fait prématurée, et celle d'Afîreville à Laghouat,
>mme appartenant manifestement au réseau algérien pro-
^ement dit et s'imposant en toute circonstance. C'est
)0 kilomètres d^une part et 354 de l'autre, à retrancher du
•tal de 2574 kilomètres : il ne reste que 1920 kilomètres
)ur le Transsaharien véritable dans le projet de cet
igénieur.
Les dépenses diminuent dans une proportion bien plus
•rte que l'étendue, les deux lignes à retrancher étant parmi
s plus coûteuses. On a vu, dans les tableaux des pages 49
i 50, que Duponchel a donné, d'un côté par section, les
èpenses de la plate-forme et celles des approvisionnements
eau, et d'un autre côté en bloc, sans distinction de sections,
s autres catégories de dépenses. Si Ton examine les deux
actions à retrancher, on constate que la première, celle
Affrevilleà Laghouat, figurait, dans le calcul de Duponchel,
our 44414000 francs en ce qui concerne la plate-forme et
approvisionnement d'eau, et la dernière section, celle de
lourroum à Tombouctou, pour 46900000 francs pour les deux
\toes objets, soit ensemble 91314000 francs. Mais il faut
52 LE SAHARA, LB SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIENS
tenir compte de la part proportionnelle de ces 654 kilo
mètres dans les dépenses non réparties en sections; or
celles-ci, d'après les calculs de Duponchel, montaient \
219196000 francs qui, répartis entre les 2574 kilomètre
qu'il considérait, représentent un peu plus de 85000 franc
par kilomètre; ces dépenses non réparties par sections équi
valent donc à 55590000 francs pour les 654 kilomètres i
retrancher et, en les ajoutant aux 91 314000 francs de dépenstî
spéciales les concernant, le total monte à 147 millions ti
chiffres ronds qui représentent le coût de ces deux lignes
d'ensemble 654 kilomètres; en les déduisant des 400 milHons.
la dépense du Transsaharien proprement dit, d'après les
évaluations de Duponchel, s'abaisse à 253 millions de francs.
11 y aurait bien d'autres retranchements à faire, du chef
des progrès de Tart de la construction des chemins de fer
depuis 1878, époque où écrivait Duponchel, et de la diminu-
tion de prix des produits métallurgiques. La tonne de fonle,
qui se cotait au-dessus de 80 francs, de 1876 à 1878, quand
Duponchel écrivait et publiait son ouvrage, ne vaut plus, à
l'heure présente, qu'une quarantaine de francs; les rails
d'acier sont tombés également de moitié, et tout l'ouliliage
et le matériel des voies ferrées a baissé, sinon dans la même
proportion, du moins de 20 à 30 p. 100 au minimum. Là
réduction de dépenses de ce chef serait énorme. Elle s'appli-
querait non seulement à la voie et au matériel, mais à d'autres
installations. Elle abaisserait beaucoup aussi notamment le
coùl des 40 kilomètres de parasables que prévoyait l'auteui
du projet et qui, bien entendu, ne représentent pas une
longueur continue, mais toute une série d'abris métalliques
latéraux et parfois également, mais plus rarement, d'abm
voûtés en forme de tunnel, pour traverser des passages
difficiles de peu de longueur, d'une ou plusieurs centaines (i«
mètres et très exceptionnellement d'un ou plusieurs kilo-
mètres. En admettant que l'on ne pût parvenir, ce dool
l'espoir n'est pas interdit, à confier l'office de ces parasables
à la plantation d'arbustes appropriés, le coût d'abris métal-
EXAMEîS DU PROJET DE DUPONCHEL. 53
iques, aux prix métallurgiques actuels, baisserait sensible-
fient au-dessous de 400 francs le mètre courant; il y aurait
nen de ce chef une économie d'une demi-douzaine de millions ;
le même, on a peine à comprendre, sur une œuvre d*aussi
frande étendue, où les stations seront très éloignées les
mes des autres et où le service des points intermédiaires
lura peu d'importance, une dépense de 4000 francs le kilo-
nètre pour le télégraphe et autres appareils ; il semble que
;e chiflFre devrait être réduit de plus de moitié, ce qui pro-
îurerait pour les 1700 à 1800 kilomètres de voie vraiment
ranssaharienne, dans le projet exposé ci-dessus, une éco-
lomie de 4 millions environ.
Le matériel roulant est évalué à un prix tout à fait exagéré,
5oit 15000 francs le kilomètre; la réduction ici ne doit pas
provenir uniquement de la baisse du prix des produits métal-
lurgiques, mais aussi de la nature môme du chemin de fer
transsaharien. Ce chemin de fer, au moins pendant un cer-
tain nombre d'années, n'aura de trafic important que d'une
extrémité à l'autre ; il n'y aura que très peu de trafic local
ou intermédiaire; il en résulte que le matériel sera beaucoup
plus activement utilisé que celui d'une ligne où le trafic natt
et aboutit sur tous les points de son étendue. Il faudra donc
un beaucoup moindre matériel pour un trafic déterminé que
sur les lignes ordinaires et de moindre longueur. En outre,
quoique les hommes compétents fondent les plus grandes
espérances sur l'essor et le développement du trafic trans-
saharien, il est probable que, à l'origine, et pendant quelques
années, une demi-douzaine environ, ce trafic n'aura que des
proportions modestes. On peut juger que, dans les premières
années, trois trains mixtes pour voyageurs et marchandises
par semaine dans chaque sens suffiront ; en tenant compte
des indisponibilités, des réparations et de tous les cas de
force majeure, une quarantaine de locomotives et un millier
de wagons feraient amplement l'affaire ; ce ne serait qu'une
dépense initiale de 8 à 9 millions de francs au plus pour le
matériel, soit 3500 à 4000 francs par kilomètre; mettons
54 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIE5
5000 francs au grand maximum : on est infiniment loin d*
15000 francs dont parle Duponchel ou des 12500 auxque
aboutit son calcul et Téconomie ici sur les simples ligne
transsahariennes est d*une vingtaine de raillions.
Avec le matériel que nous venons de dire et tout au pk
en y ajoutant encore une dizaine de locomotives, on poli-
rait même porter le nombre des trains à un par jour da^
chaque senset Ton arriverait facilement à transporter une ces-
taine de mille tonnes de marchandises, sinon même 150 0».
dans chaque direction ; le nombre de tonnes serait, saiiî
doute, double du Soudan vers la Méditerranée, de celui
la Méditerranée vers le Soudan ; et dans ces conditions, ie
trafic des marchandises pourrait atteindre 150000 lonne^
volume déjà notable et qui non seulement, en y joignant It
service des voyageurs et de la poste, pourrait couvrir ki
frais d'exploitation mais donnerait déjà, sans doute, une
recette nette de quelque importance. Certes, nous ne bor
nons pas nos espérances à cette limite de 150000 tonnes,
les deux directions réunies, pour le trafic du Transsaharien:
nous espérons que Ton atteindra, au bout de quelques
années, une douzaine d'années par exemple, un Iralk
double et ultérieurement peut-être plus considérable encore:
mais il sera temps alors d'accroître le matériel, et il n*y aura
aucune nécessité de le doubler pour un trafic double, parce
que la réserve à avoir pour les cas d'indisponibilité ou de
force majeure ne s'accroît pas en raison directe du trafic.
Ainsi, les évaluations de Duponchel sont, en ce qui touche
la dépense en matériel, pour la période initiale du moins
exagérées d'au moins 10 000 francs par kilomètre et, pour la
période postérieure, qui ne s'ouvrira qu'après plusieurs
exercices, même en supposant le plus éblouissant succès
pour la ligne transsaharienne, cette évaluation de dépense
par kilomètre restera bien supérieure d'un tiers à la réalité.
Duponchel n'a pas tenu compte de L'économie kilométrique
qui résulte de l'énorme étendue de la ligne, de l'absence de
ramifications au moins au début et de la faible importance
EXAMEN DU PROJET DE DUPONCHEL. 55
du trafic purement local. En outre, le matériel de toute
sorte coûtait, en 1878, au moins le double de ce qu'il coûte
en 1904 et de ce qu'il coûtera, sans doute, en 1912 ou 1915
quand le chemin de fer pourrait s'ouvrir.
On doit se demander s'il y a lieu de tenir compte des
intérêts pendant la construction, dépense que Duponchel
tait figurer pour 20 millions; qu'il recoure à l'exécution
directe ou à la concession sous le régime de la garantie d'in-
térêts, l'Etat n*a qu'à assumer chaque année le paiement
de ces intérêts : il en sera indemnisé ou non plus tard, sui-
vant le succès de l'entreprise, notre opinion étant qu'il en
sera indemnisé largement.
Nous ne faisons que mentionner l'économie qui résultera
de la substitution du type de voie de 1 mètre au type de l'",44,
auquel l'auteur du projet s'était arrêté. Rappelons, ce qui a
élé démontré à la page 52, que le chiffre de 400 millions,
indiqué par Duponchel pour la dépense totale, n'est que de
253 millions pour le vrai chemin de fer transsaharien, c'est-à-
dire en laissant de côté la ligne d'Affreville (ou de Médéah
Berrouaghia) à Laghouat, laquelle devra être construite en
tout état de cause au seul point de vue des intérêts algé-
riens, et, d'autre part, la ligne de Tombouctou à Bour-
roum, dont l'utilité n'est nullement établie (1). Cette dépense
de 253 millions, qui résulte des calculs de Duponchel pour
sa ligne transsaharienne propre, doit, si l'on tient compte des
observations que nous avons présentées, tomber fort au-
dessous de 200 millions et se rapprocher probablement de
140 millions de francs pour les 1 900 kilomètres environ de
la ligne qu'il projetait de Laghouat sur Tombouctou. 11
semble même certain que, une fois notre ligne sud-oranaise
portée à Igli, terminus actuellement décidé, le chiffre de
100 millions, avec une entreprise vigilante, ne pourrait être
dépassé ni, sans doute môme, atteint pour arriver au Niger.
(I) Nous prenons le tracé tel que le présentait Duponchel et qui, d'ailleurs, ne
riîpond plus aux conditions présentes, puisque la ligne ferrée, dans la direction
^lo la Méditerranée au Niger, atteint maintenant Béni-Ounif, poste beaucoup
plus méridional non seulement qu'Affreville, mais que Laghouat.
56 LE SADARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSA11ARIEN5.
Duponchel attachait avec raison une très grande impor-
tance à ce que la voie fût parfaitement établie et n'offrît nulle
part des pentes de plus de 0°,004, soit moins de un demi-
centimètre par mètre, tandis qu'en France nous commettons
Tabsurdité de construire des lignes ferrées ayant des rampes
de 0",02 à 0™,035, qui ne permettent pas une traction à bas
prix. Duponchel calcule d'après les données d'alors (son
livre a paru en 1878) que, avec les rampes excessives de 0™/2
à 0",5, le tarif kilométrique serait de 10 centimes, avec des
rampes de 0"',01 de 5 centimes, avec des rampes de 0"',006à
0",007 le tarif kilométrique pourrait descendre à 3 centimes,
enfin, avec un maximum de rampe de O'^jOOS à 0",004 le
tarif kilométrique pourrait s'abaissera 2 centimes, soit une
cinquantaine de francs la tonne pour toute l'étendue qu'il
prévoyait jusqu'au Soudan. En ces conditions, même les
grains grossiers de cette région, valant 140 à 200 francs la
tonne, comme le maïs, l'orge, l'avoine, pourraient avoir
accès à Marseille et aux ports de la Méditerranée (1).
Depuis 1878 la traction sur les voies ferrées a fait de
grands progrès ; le type des locomotives et des chaudières
s'est perfectionné ; elles produisent plus de force avec une
moindre dépense de combustible. Les tarifs kilométriques
peuvent donc descendre beaucoup plus bas que ceux qu'indi-
quait Duponchel ; il est certain, par exemple, que même
sur les lignes à très forte pente, de 0'",03 à 0",035 par
mètre, le tarit kilométrique minimum rémunérateur peut
descendre bien au-dessous de 10 centimes la tonne et s'abais-
ser à 4 ou 5 centimes, sinon même à 3. Avec les rampes
modiques ne dépassant pas 7 ou 8 millimètres, on peut,
certainement, abaisser le tarif, pour les matières pondé-
reuses, transportées par grandes masses, tout au moins à
2 centimes le kilomètre, et avec les très faibles rampes,
n'excédant pas 5 millimètres par mètre, à 1 centime pour
les mêmes matières dans les mômes conditions, sinon
(1) Duponchel, Le Chemin de fer transsaharien, page 256.
EXAMEN DU PROJET DE DUPONCHEL. 57
même à moins. Duponchel remarquait déjà que, la plupart
des expéditions sur le Transsaharien devant se faire d'une
extrémité à l'autre, sans morcellement, remaniement ni
manipulation intermédiaire, le tarif kilométrique pourrait,
pour les matières de très peu de valeur, être réduit à Ofr. 015
ou même 0 fr. 012.
A l'heure actuelle, il est certain qu'on pourrait, pour ces
matières-là, comme des minerais par exemple ou autres
produits minéraux, abaisser le tarifa 1 centime tout au plus
la tonne kilométrique, sinon même à trois quarts de centime.
Duponchel calculait que, avec de faibles rampes, une
locomotive de 350 chevaux-vapeur, à une vitesse moyenne
de 25 kilomètres à l'heure, pourrait transporter un poids
utile de 600 tonnes. Ce poids utile, à l'heure présente, pour-
rait être accru de moitié environ. Aux wagons de 10 tonnes,
type classique en Europe, qui n'avait jamais été dépassé au
moment où écrivait l'auteur cité, on a déjà substitué, en
maint endroit, les wagons de 18 et 20 tonnes; on est en
train d'en construire de 50 tonnes, à l'imitation des Améri-
cains (1); même sur les lignes à voie étroite on peut, avec
U) Au moment où nous écrivons ces lignes nous venons de recevoir la leUre
suivante, que nous reproduisons textuellement :
Forges de Douai, société anonyme au capital de 3 000 000 francs.
Paris, le 17 août 1903.
« Monsieur Leroy-Beaulieu, membre du Comité de la Compagnie royale des
Chemins de fer portugais.
fl J'ai l'honneur de porter à votre connaissance que nous venons d'achever le
premier wagon construit en France, d'une capacité de chargement de 50 tonnes
de houille (contenance : 58 mètres cubes) .
« Ce wagon à bogies, entièrement construit en tôle d'acier emboutie du système
Fox-Arbel, breveté, est muni de quatre trémies permettant son déchargement
en quelques secondes sur estacades. Son poids mort en ordre de marche est
de 15 tonnes. Sa longueur hors tampon est de 12«,300.
«11 est le premier d'une série de cinquante wagons semblables commandés par
M. Pères, directeur des mines de Carmaux, et d'autres commandes pour plu-
sieurs compagnies françaises. M. l'ingénieur en chef de la Compagnie du Nord
a bien voulu nous autoriser à entreposer ce wagon dans ses ateliers de la Cha-
pelle pour nous permettre de le faire voir par les personnes qu'il peut inté-
resser.
« Je vous serais donc très reconnaissant si vous vouliez bien nous faire Thon-
neur de venir examiner ce wagon spécimen, vendredi 21 août, l'après-midi à
partir de deux heures et demie, et serai à. voti'e disposition pour toute explication
verbale. Vous pourrez ainsi vous rendre compte de Tutilisation que l'on peut
58 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIENS.
bogies, employer actuellement les wagons, non seulement
de 18 tonnes, mais de 25 ou 30; le poids utile d'un train
s^accroît ainsi notablement aux dépens du poids mort.
II y aurait donc tout avantage à maintenir le maximum
des rampes à 5 millimètres par mètre. Toutefois si, sur une
partip du parcours, dans la traversée de la ligne de faîte,
formée du plateau du Tassili et de ses prolongements, qui
atteint 1 300 mètres environ au-dessus du niveau de la mer
et 600 à 700 mètres au-dessus des plaines du nord et du sud,
on était obligé d'avoir des rampes de 1 centimètre ou même
de 1 centimètre et demi, il n'y aurait pas lieu de s'en alarmer:
on pourrait, en effet, sur cette partie du parcours, longue
de 400 à 500 kilomètres, dédoubler les trains. Il faut s'efforcer
d'éviter cet inconvénient; mais si l'on doit s'y résigner, le
mal sera restreint, les tarifs et les frais d'exploitation n'en
seront que modiquement aggravés.
Sans se faire illusion sur le caractère conjectural des éva-
luations de trafic de la voie ferrée qu'il recommandait,
Duponchel s'est efforcé d'en rassembler, à titre de pure
indication, les éléments. Nous reproduisons le tableau qu'il
en a dressé.
1° Importation en France ou sur le littoral algérien.
Indication des marchandises Tonnage. Parcours. Tarif kilom. Recettes,
transportées. _ — — —
Tonnes Kilomètres Francs Franc-
Alfa dcS platCaUX algériens 50.000 400 0,05 l.OOO.OtVi
Dattes des oasis 15.000 1.500 0,10 S.ioO.O^O
Produits divers, id 5.000 1 .500 0, 10 750. 0«K'
Graines ci fruits oléagineux du
Soudan 50.000 2.500 0,03 S.ToO.Ooo
Produite divers : coton, indigo,
peaux, gommes, etc 20.000 2.500 0,10 S.OOO.OCm
faire de la tôle d'acier emboutie dans l'étude et la construction du matériel de
chemins de fer, de tramways et d'automobiles.
«Le wagon sera placé près du bureau de M. l'ingénieur en chef du malériil
et de la traction do la Compagnie du Nord. »
Nous ajoutons (jue, aux Chemins de fer portugais, dont nous sommes admi-
nistrateur, on use de wagons d'une trentaine de tonnes pour les marchandi^r-
encombrantes, et au chemin de fer des Phosphates de Gafsa (ligne à voie éln^tti.
dont nous sommes administrateur également, le type le plus courant est <1l'
18 tonnes, mais on pense en adopter un supérieur.
EXAMEN DU PROJET DE DUPONCHEL. 59
2^ Exportation de France ou du littoral algérien .
Tonnes Kilomètres Francs Francs
Approvisionnement des établis-
sements militaires de rAlgérie. 10.000 400 0,10 400.000
Approvisionnement du Soudan
et du Sahara 20.000 2.000 0,10 4.000.000
Approvisionnement de céréales
des oasis 30.000 1.500 0,10 4.500.000
Approvisionnement de sel du
Soudan, bénéfice net 50.000 » à 200 fr. 10.000.000
Objets manufacturés et produits
divers 30.000 2.500 0,10 7.500.000
30 Voyageurs civils et militaires, 50.000 par an :
Tonnes Kilomètres Francs Francs
A plein parcours, à raison de
0 fr. 05 par kilomètre » »_ 0, 05 6.250.000
Totaux 280.000 » » 45.450.000
Nous ne nous arrêterons guère à ce tableau ; la connais-
sance plus exacte que Ton a acquis du Soudan depuis un
quart de siècle par les explorations et par la prise de posses-
sion et l'administration de cette contrée, ainsi que les grands
progrès industriels accomplis depuis 1878, permettent,
comme on le verra plus loin, de modifier notablement les
éléments de trafic d'une voie transsaharienne.
Dans l'évaluation qu'il a faite, Duponchcl a exactement
équilibré les deux grandes parties du trafic : 140000 tonnes
à destination de la Méditerranée, 140000 également à desti-
nation du Soudan. Il a tort de parler uniquement du com-
merce avec la France : c'est tout le monde civilisé qui est
intéressé au rapprochement du Soudan de la Méditerranée;
il exagère, pour le temps actuel du moins, les transports
d'alfa, l'utilisation de cette plante ne s'étant pas développée
autant qu'on l'espérait il y a vingt ans; il donne trop d'im-
portance au trafic des oasis, qui ne saurait de longtemps
atteindre les porportions qu'il lui assigne. D'autre part, il
réduit infiniment, très au-dessous de la vraisemblance, les
produits divers soudanais, notamment le coton qu'il ne fait
figurer que pour partie dans un transport total de 20 000 tonnes .
Enfin, en ce qui concerne le trafic provenant du Sahara ou
60 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CBEMINS DE FER TRANSSAHARIENS.
du Soudan, il ne fait aucune mention des produits minéraux
qui, certainement, fourniront au chemin de fer des transports
importants. D'un autre côté, en ce qui concerne les marchan-
dises dirigées de la Méditerranée ou de l'Algérie sur le
Soudan, s'il fait une part raisonnable au sel, il n'en fait
aucune au sucre, dont la consommation au Soudan peut
atteindre un chiffre de tonnes tout aussi considérable que
celle du sel. Enfin, en ce qui concerne les voyageurs, il ne
paraît s'occuper que des Européens, et ne pas tenir
compte des déplacements des noirs, venant offrir leur niain-
d'œuvre en Algérie. Ainsi, il y a, dans ses calculs, quelques
exagérations et de grandes lacunes.
Ses tarifs kilométriques sont beaucoup trop élevés, celui
de 10 centimes étant la règle et le minimum de 3 centimes
n'apparaissant qu'une fois et une fois aussi celui de 5.
En ce qui concerne le sel, au lieu du prix de transport,
Duponchel a mis le gain à réaliser par tonne, la compagnie
concessionnaire du chemin de fer devant, d'après lui, avoir
le monopole de la vente de cette denrée au Soudan.
Le total de 45450000 francs pour les recettes brutes est
ainsi très conjectural et repose sur des bases d'appréciation
très fragiles. Nous n'hésitons pas à dire que ce chiffre qui
représente, pour les 2574 kilomètres du projet de Dupon-
chel, une recette kilométrique de plus de 17600 francs,
apparaît comme fort exagéré, du moins pendant les douze
ou quinze premières années de l'exploitation, car, ulté-
rieurement, avec le développement des cultures et des
exploitations minérales au Soudan et au Sahara, il n'est pas
impossible que ce chiffre soit atteint.
Quant au système de construction et d'exploitation, Du-
ponchel préconisait une coopération de l'État et d'une
compagnie privée, constituée dans des conditions particu-
lières. L'État devait, sous son patronage et par l'intermé-
diaire d'un syndicat qui pourrait être choisi parmi les
administrateurs les plus en vue des grandes compagnies,
organiser une société, dont le capital pourrait être fixé à
EXAMEN DU PROJET DE DUPONCHEL. 61
100 millions ou à 150 et peut-être plus. « L'État, émettant.
s*il le fallait, un emprunt spécial et direct au cas où ses res-
sources ordinaires ne seraient pas suffisantes, couvrirait par
des avances annuelles, au taux de 4 p. 100, le surplus de tous
les frais de construction et, tant qu'il serait nécessaire, Tin-
suffisance des recettes d'exploitation augmentées de l'intérêt
à 5 p. 100 du capital des actions. » Il est clair que, à l'heure
actuelle, le premier de ces taux d'intérêt pourrait être
abaissé à 3 1/2 et le second à 4 p. 100 (amortissement non
compris). Le compte de premier établissement, dit encore
Duponchel, ne serait définitivement clos que le jour où les
receltes brutes suffiraient à couvrir les frais d^exploitation
et l'intérêt des actionnaires. L'excédent, quand il s'en pro-
duirait, serait afi'ecté à l'amortissement des avances annuelles
de l'État, sauf le prélèvement du tiers ou du quart de cet
excédent, qui pourrait être distribué à titre de prime ou de
dividende supplémentaire aux actionnaires. Quand l'État
aurait été remboursé de ses avances annuelles, les action-
naires « recevraient la majeure partie de l'excédent dispo-
nible, sauf telle quote-part inverse qu'on jugerait à propos
de réserver à l'État ». _
Duponchel jugeait que ces dispositions étaient analogues
à celles qu'avait adoptées le gouvernement des États-Unis
pour l'exécution du chemin de fer du Pacifique. H^étt-
qu'elles n'imposeraient à l'État qu'un sacrifice momentané,
dont il serait couvert plus tard. Il estimait qu'elles stimu-
leraient le zèle et l'activité de la compagnie, dont les action-
naires seraient garantis de tout risque en même temps qu'ils
auraient devant eux la perspective d'un revenu élevé dès
que le service du chemin de fer serait en plein rapport (1).
Il est intéressant de constater que Duponchel, qui a été
toute sa vie un ingénieur au service de l'État, donne, pour la
construction et l'exploitation de la grande voie ferrée qu'il
prône, la préférence à une compagnie privée et qu'il fait même,
(1) Duponchel, Le Chemin de fer transsaharien, page 327,
62 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIEN5.
à titre de stimulant nécessaire, la part fort large aux action-
naires.
L'auteur de ce projet ne s'est pas livré à une étude spéciale
des frais d'exploitation; il a fait un calcul, toutefois, sur les
dépenses de service d'un train de marchandises de quatre-
vingts pièces, d'un poids brut de 1 000 tonnes, tels que ceux qui
circulaient alors (1878) entre Lyon et Marseille. Il a établi ce
calcul pour une longueur de 3000 kilomètres, au lieu de
celle de 2574, parce qu'il a supposé que les trains seraient
dédoublés, à cause de la plus forte inclination des rampes,
dans la section montagneuse centrale, ce qui équivalait à
une augmentation de longueur. D'après lui, ce train de
1000 tonnes de poids brut, y compris l'usure de la voie et
du matériel, les faux frais divers, en un mot toutes les
dépenses de la voie ferrée, sauf les frais généraux et l'intérêt
du capital de construction, reviendrait à 6000 francs. Un
pareil convoi pourrait, dit-il, transporter un poids utile de
600 tonnes ; en « admettant une réduction d'un tiers, large-
ment suffisante pour tenir compte des wagons vides au
retour et autres non-valeurs, le prix de revient pour trans-
port d'une tonne ne dépassera pas 15 francs. La compagnie
concessionnaire, reportant la majeure partie de ses frais
généraux sur les marchandises d'un prix plus élevé, pourrait
trouver avantage à chargera 30 et même à 25 francs la tonne
des produits bruts du Soudan qui ne sauraient supporter un
fret plus élevé (1) ». L'auteur conclut que, à ce prix, le chemin
de fer transsaharien aurait une zone d'attraction pour les
marchandises dépassant de beaucoup le coude du Niger et
qu'il pourrait être prolongé utilement par des embranche-
ments dans les régions les plus écartées de l'Afrique
centrale.
11 est bon de reproduire les éléments du calcul de Du-
ponchel, pour ce train de 1 000 tonnes de poids brut :
(1) Duponchel, Le Chemin de fer li'anssahanen} page 238.
EXAMEN DU PROJET DE DUPONCHEL. 63
Francs.
Combustible à raison de 2 kilogrammes par cheval et
par heure pour une locomotive de 350 chevaux-vapeur
marchant pendant 120 heures avec une vitesse
moyenne de 2o kilomètres à. l'heure, 70 tonnes à 45 fr.(l). 3.150
Frais de personnel : 4 conducteurs, chaufTeurs ou méca-
niciens pendant une semaine, temps d'arrêt et de
repos compris, soit au total un mois de salaire au
prix moyen de 250
Fourniture de 500 mètres cubes d'eau k i fr. 501e mètre. 750
Usure de la voie et du matériel roulant et faux frais
divers, non compris les frais généraux et l'intérêt du
capital de construction réservés 1 850
Total des frais pour un train 6.000
Les progrès accomplis depuis 1878 modifient aujourd'hui
ces éléments. Etant donné que Ton emploie (voir plus haut,
p. 57) des wagons de beaucoup plus fort tonnage, ce
qui réduit le poids mort, on peut penser qu'un train de
1 000 tonnes de poids brut pourrait remorquer 700 tonnes
et non 600 de poids utile. D'autre part, les locomotives per-
fectionnées consomment sensiblement moins de charbon
qu'il y a un quart de siècle, pour une même force produite.
On est au-dessous de la vérité en estimant à 25 p. 100 le
gain de ce côté. Ainsi, la quantité de charbon pour le train
en question se trouverait réduite vraisemblablement à une
soixantaine de tonnes, au lieu des 70 tonnes prévues. Le
charbon, quai Alger, ne coûte guère normalement plus d'une
vingtaine de francs la tonne. En supposant que l'on n'en
trouve pas, ainsi qu'on en a l'espérance, dans le Sahara ou
dans le Soudan, la tonne de charbon à utiliser devrait être
transportée à une distance moyenne de 1500 kilomètres; en
comptant ce transport à un centime et demi le kilomètre,
représentant largement et même au delà les frais d'exploita-
tion minima de la ligne, le prix de 20 francs de la valeur
du charbon serait rehaussé de 22 fr. 50 et reviendrait ainsi
à 42 fr. 50, chiffre inférieur de 2 fr. 50 au prix de 45 francs
indiqué par Duponchel. On peut ne pas faire état de cette
\^ Nous reproduisons textuellement le texte de Duponchel : il y a, toutefois,
une erreur dans ce calcul : une dépense de 2 kilogrammes de charbon par
cheval et par heure pour une locomotive de 350 chevaux pendant 120 heures
donnerait un total de 84 tonnes de charbon et non de 70 tonnes.
64 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIEN:
différence, qui serait affectée aux oscillatioas possibles da
prix du charbon à Alger; on aurait, par contre, comme cod
séquence des progrès dans la construction des locomotive:
et des wagons, Téconomie d'une dizaine de tonnes sur la
quantité de charbon évaluée par Duponchel, soit une éco
nomie de 450 francs par train. Le second article de Tévalua
tion de Duponchel, celui des frais du personnel, apparaît
au contraire, comme très insuffisant. Un train traversant de<
immensités, avec des gares distantes de 60 à 80 kilomètres
et des stations importantes éloignées de 200 ou 300 kilo-
mètres, devrait comporter un personnel de conducteurs,
chauffeurs et mécaniciens, au moins double, sinon peut-être
triple de celui de France, surtout dans les premières années,
et les salaires aussi, du moins certains, peuvent être un peu
plus élevés; on peut donc presque tripler le chiffre de
Duponchel et mettre 700 francs pour cet article 2, au lieu
de 250; cet accroissement de dépense du personnel com-
penserait ainsi l'économie du chef du premier article (1). En
ce qui concerne Tarticle 3, la consommation de Teau, les
progrès de la construction des locomotives depuis 1878 per-
mettent de la réduire d'au moins un tiers ; on aurait donc
333 mètres cubes d'eau par train franchissant le Sahara,
d'outre en outre, au lieu de 500 mètres; en maintenant le
prix unitaire de Duponchel, l'économie serait de 250 francs
environ ; quant au chiffre de Duponchel pour le dernier
article (usure de la voie et du matériel roulant et faux frais
divers) qu'il porte pour 1850 francs, la baisse des produits
métallurgiques depuis 1878 permet de le réduire d'un tiers
environ, soit de 600 francs et ainsi l'évaluation de 6000 francs
de dépenses par train serait réduite d'un dixième environ
et ramenée à 5 400 francs. Maintenons-la, toutefois, à
6000 francs pour l'imprévu et pour les frais généraux,
d'ailleurs modiques, dont Duponchel n'a pas tenu compte; j
(1) Il faut noter qu'une partie du personnel, notamment en ce qui concerne les
chauffeurs, pourra, au bout de peu d'années, se recruter parmi les noirs, qui se
contenteront d'un salaire modique.
£XAMEN DU PROJET DE DUPONCHEL. 65
puis doublons-la, afin d'avoir le train d*aller et le train de
retour. La capacité de transport de chaque train serait,
d'après Duponchel, de 600 tonnes; mais les progrès dont
nous avons parlé dans la locomotive et les wagons la porte-
raient actuellement à 700 environ; supposons un chargement
de 600 tonnes du Soudan en Algérie et de 400 seulement
d'Algérie au Soudan : on a 1 000 tonnes qui auraient coûté
12000 francs seulement de prix de revient de transport,
soit 12 francs la tonne; ajoutons-y 3 francs approximati-
vement pour le transport sur les chemins de fer algériens,
on aurait ainsi un prix de revient total de 15 francs la tonne;
on pourrait, par conséquent, facilement abaisser le tarif à
30 francs, peut-être même à 25 francs, pour le transport
des produits pondéreux du Soudan à la Méditerranée et de
la Méditerranée au Soudan; les neuf dixièmes au moins des
produits, soit d'Europe, soit du Centre africain, pourraient
supporter ce fret très modique et auraient un grand avantage
à prendre la route du désert, au lieu d'aller gagner pénible-
ment les ports malsains et à barres difficilement franchis-
sables de la côte ouest-africaine.
II n'y a pas lieu de s'arrêter davantage au livre de Du-
ponchel. Cet ingénieur méconnu a eu le mérite de l'idée ou
du moins du premier exposé qui en a été fait d'une façon
précise; avec ses connaissances techniques, il a fourni des
données précieuses pour l'exécution de Tœuvre ; il est clair,
cependant, que le quart de siècle écoulé depuis lors a apporté
des éléments nouveaux, qui font que les travaux de cet initia-
teur n'ont plus guère aujourd'hui qu'une valeur indicative.
On verra plus loin la suite qui a été donnée à l'appel de
Duponchel. Après les premières missions qui furent orga-
nisées pour explorer le Sahara, en vue de la recherche du
meilleur tracé pour la voie ferrée, Duponchel publia un
opuscule (1) où, tout en laissant percer quelque ressentiment
il| lettre à M. le Président et à MM. les membres de la Commission supérieure
du Transsaharien t par Â. Duponchel, ingénieur en chef des ponts et chaussées.
Montpellier, typographie de Boehm et fils, 1880.
5
66 LE SABAR/l, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAUARlËV
de ce qu'on ne lui avait pas confié la direction effective deçà
missions (il avait cinquante-huit ans en 1878, quand il pubjj
son livre), il exprimait de nouveau ses idées, généralemeîj
inchangées. Il tournait en dérision la peur que l'on aval
des Touareg, « dont les plus puissantes tribus ne peuveti
pas mettre sur pied de guerre plus de cent hommes armd
de mauvaises lances ». On pouvait, selon lui, lancer la locc
motive dans le désert, en la faisant précéder seulemes
d'une avant-garde d'une cinquantaine de cavaliers armés de
bons chassepots. Il protestait contre toutes les ambassade
avec présents à Ghat et à Idélës; ainsi, l'exécution sans plus
d'atermoiements ni d'études, voilà ce qu'il demandait : Icî
études devaient aller de pair avec l'exécution ; on eût explorr
quelques centaines de kilomètres en avant du tronçon de
ligne en construction. Cette pensée n'était pas mauvaise
Il tenait surtout à ce qu'on ne se dirigeât pas sur le lac
Tchad et qu'on marchât sur le Touat et de là sur le Nigex"
€ Le Transsaharien, tel que je l'ai compris, disait-il, est des-
tiné à nous faire franchir par une voie rapide l'obstacle sté-
rile du désert, pour nous mettre en relations directes el
faciles avec les régions productives de l'Afrique équatoriale.
fertilisées par le retour périodique des pluies tropicales.
Le tracé m'en paraît dès lors devoir être déterminé par
cette triple considération d'ôtre le plus court, de présente:
les moindres déclivités de profil et d'éviter le plus possible
les difficultés de parcours inhérentes au pays, résultant sur-
tout de la rencontre des dunes de sable (1). »
Ce tracé ne serait pas celui qui importerait le plus pré-
sentement ou dans l'avenir à l'empire français africain.
Mais si on l'eût exécuté immédiatement, suivant la méthode
de Duponchel, il eût sans doute été terminé vers 1890:
tout le Soudan central, le Sokoto notamment et le Bornou
nous seraient alors échus, tandis qu'aujourd'hui ces contrées
d'avenir appartiennent à l'Angleterre et, une partie du Bornou»
(1) Page 15 de l'opuscule cité.
EXAM&N DU PROJET DE DUPOiNCBEL. 67
\llemagne. D*un autre côté, comme on n*eût sans cloute
éprouvé de grandes difficultés dans celte traversée du
tara et que la ligne ferrée, au bout de sept ou huit ans,
serait montrée rémunératrice ou tout au moins aurait
mé des indices sûrs de rémunération prochaine, nous
ions, sans doute, en train de construire une seconde
le transsaharienne, de Biskra au lac Tchad ou à Zinder;
il ne faut pas oublier qu'il faudra plusieurs chemins de
transsahariens et qu'ils ne se porteront aucunement
judice, puisque leurs points de départ en Algérie peuvent
B éloignés Tun de l'autre d'au moins 300 ou 400, sinon
600 à 700 kilomètres et que leurs points d'aboutissement
Soudan le seront certainement de 1200 à 1500 kilomètres
nron, espace qui excède de beaucoup la zone maxima
Itraction d'une voie ferrée.
Duponchel concevait d'ailleurs que son chemin de fer
nssaharieo devait avoir des prolongements ou des
luents considérables dans le Centre et même dans l'Ouest
icain. On a vu qu'il établissait dès l'abord, ce qui, certes^
lit prématuré et, pour la première période d'exploitation
it au moins, superflu, deux lignes transversales paral-
es au Niger et ayant chacune 150 kilomètres environ,
semble 300. Il proposait de prolonger celle de l'Est jus-
Tau Tchad. Celte proposition, il est vrai, était surtout faite
ur combattre le projet qui trouvait alors faveur de con-
ruire une voie ferrée à travers le désert et quasi au centre
J celui-ci, se bifurquant en plein Sahara en deux branches
)nt Tune aboutissant au Tchad et l'autre au coude du
iger (1). Duponchel luttait ardemment contre ce plan,
^ec des arguments, les uns bons et les autres mauvais.
ous sommes opposé, quant à nous, à un transsaharien
mslitué d'un tronc commun avec deux branches ayant les
1^ Noua devons dire, toutefois, que dans son premier ouvrage : Le Chemin de
• Irarmaharien (texte et cartes), il est porté deux grandes lignes ferrées trans-
rsales servant d'aflluents à la voie principale, Tune allant k Saint-Louis du
Qégal, l'autre à Kouka (lac Tchad).
68 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHï-:!
deux directions sus-indiquées : on allongerait ainsi le fi
cours pour les deux directions à la fois; or le Transe
rien, pour avoir un prix de fret minimum très faible,
40 francs au plus la tonne, doit éviter les détours, et a\et
très bas tarifs pour les marchandises communes el [»
déreuses, un centime et demi sinon un centime par k
mètre, doit suivre dans chaque direction la ligne la pi
droite compatible avec de faibles pentes : mieux vaut .
struire successivement deux transsahariens, à chacun et
quels le trafic ne manquera certainement pas. Dupocti
avait donc raison quand il pressait Tadoption de son pJ
pur et simple, d'autant qu'alors de moindres intérêts franj
étaient constitués dans la région du Tchad; par contre,
trompait grossièrement lorsqu'il portait à 2000 mètre:
moins le seuil à franchir en passant du côté d'Amguid, ait.
qu'il ne s'élève qu'à 1 300 mètres environ et que peut-»^
on en trouverait un encore plus bas.
Il désignait ce dernier tracé sous le nom de « tracé i
Hogghars », ce qui n'est pas exact, car il laisserait le plates
des Hogghars à l'ouest. Duponchel établissait ainsi li
comparaison entre les deux tracés. On remarquera qu'il a\ià
changé le point d'attache avec le réseau algérien et pri
Ouargla au lieu de Laghouat.
TRACÉ DU TOUAT (Iracô DupoDchel).
Kilomêlro.
Ouargla-Bamba (sur le Niger) 1 . 725
Bamba-Kouka (près du Tchad) . 1. 925
Bamba-Saint-Louis (Sénégal) 1 .830
Ensemble 5.500
TRACÉ DES HOGGHARS
Kilomètres.
Ouargla-Aglielachen (en plein Sahara) 650
Aghclachen-Kouka (Tchad) 1 . 975
Aghelachen-Bamba (Niger) 1 .175
Bamba-Sainl-Louis (Sénégal) 1 . 850
5.650
Duponchel avouait que Técart entre les distances n'élail
pas grande, puisqu'il n'atteignait que 150 kilomètres, moim
EXAMEN DU PROJET DE DUPONGBEL. 69
3 3 p. 100, mais le relief, disait-il, était tout autre dans le
îcond cas que dans le premier (et il exagérait Tinégalité à
î point de vue) ; il ajoutait que les parties improductives,
est-à-dire les sections de ligne sur lesquelles il ne naissait
Licun ou presque aucun trafic, tenaient beaucoup plus de
lace dans le second projet que dans le premier, et voici le
ibleau qu'il en dressait :
TRACÉ DU TOUAT
Lignes improductives.
Kilomètres.
Ouargla-Bamba 1.723
Lignes productives.
Bamba-Kouka 1 .925 ) „ --^
Bamba-Saint-Louis 1 .850 j *
Total 5.500
TRACÉ DES HOGGHARS
Lignes improductives.
Kilomètres.
Ouargla-Aglielachen 650 j
Les quatre cinquièmes d'Aghelachen-Kouka . . . 1.580 [ 3.405
Aghelachen-Bamba 1 . 175 )
Lignes productives.
Un cinquième d'Aghelachen-Kouka 395 ^ g 945
Bamba-Saint-Louis 1,850)
Total 5 . 650
C'est plutôt à titre de curiosité et pour exposer complè-
tement la thèse de Duponchel qu*à cause de la portée de la
remarque, que nous reproduisons ces observations (1). Il ne
peut s'agir, en effet, de concevoir dès maintenant et d'entre-
prendre un réseau de 5500 kilomètres ou davantage de
chemins de fer dans le Sahara etTAfrique centrale. Il ne peut
èlre question que de réunir par la voie à la fois la plus
courte et la plus plane l'Algérie soit au coude du Niger, soit
à la région du lac Tchad, en construisant une ligne ferrée
qui, dans la première direction, aurait, à partir du ter-
(I) Duponchel, Lettre à la Commission supérieure du Tvanssaharien, 1880,
pages 28 et 29.
70 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIEN
minus normal des réseaux algériens, soit actuellement Béni-
Ounif (province d'Oran), 1600 a 1650 kilomètres, et, dani
la seconde direction, depuis Ouargla, tel'minus naturel d
chemins de fer algériens de l'Est et du Centre, 2OO0
2300 kilomètres. Il faut choisir entre les deux tracés, quitl
à les exécuter tous les deux l'un après l'autre, quand It
premier exécuté aura donné quelques indices de produc-
tivité. Bien des raisons, que nous exposerons, militeraiect
pour que le premier chemin de fer transsaharien, que nous
appellerons le Grand Central africain, fût poussé directement
sur le lac Tchad. A lui seul et sans aucune ligne transversale
ce transsaharien serait déjà productif, parce qu'il pourrait
stimuler la production non seulement agricole ou forestière,
mais minérale, et drainer le trafic dans un rayon de 300 ou
400 kilomètres, ce qui représente déjà une centaine de mill
kilomètres carrés ou le cinquième de la superficie de la
France. Ultérieurement, il y aurait lieu de le compléter par
des lignes transversales, mais ce complément pourrait ne
s'effectuer qu'au bout de dix ou quinze ans; il n'y a donc
pas lieu de le comprendre dans le plan initial.
(^uant au Transsaharien de l'ouest, de l'Algérie au Niger,
il est politiquement et économiquement moins important
et ne pourra remplacer l'autre. Nous reconnaissons, toute-
fois, que l'activité française étant beaucoup plus grande
depuis une demi-douzaine d'années dans cette direclioD
et la longueur ainsi que le coût du tracé à exécuter étant
moindres, il y a actuellement des chances assez nom-
breuses pour que ce transsaharien occidental jouisse de|
l'antériorité.
Le point de Bamba, sur le coude du Niger, entre Tom-
bouctou et Bourroum, où Duponchel attachait son trans-
saharien, devait, selon lui, avoir un immense avenir :
« Placé sur les bords du Niger, disait-il, dans une situation
commandant les deux grandes régions du fleuve, ayant en
face de lui toute la grande presqu'île des monts Humborv.
Bamba peut être appelé à devenir, en moins de vingt ans,
EXAMEN DU PROJET DE DUPONGQEL. 71
e ville de plus de 200000 ûmes qui sera notre Calcutta
ricain (1). »
II y avait là, sans doute, beaucoup d*exaltation ; on en trou-
rait aussi dans la façon dont il concevait Texécution du
lemin de fer. Il avait, certes, raison de protester contre nos
cmentables traditions qui nous font exécuter 30 ou 40 kilo-
kètres de voie ferrée par an dans une direction, quand ce
|est pas môme, comme ce fut le cas pendant longtemps,
jour le prolongement de la ligne d'Aïn-Sefra ou pour celle
lu Sénégal-Niger, 20 ou 25 kilomètres seulement par année.
I Taisait bien de recommander la méthode américaine qui
tvait réussi à construire le chemin de fer Transcontinental
.Pacifique, d'une longueur supérieure au Transsaharien, en
noins de cinq ans; mais il exagérait, certes, quand il ima-
ginait que la voie ferrée transsaharienne pourrait être cons-
truite en deux ans à raison d*un millier de kilomètres chaque
année.
« Toute la question doit aujourd'hui se résumer pour nous
dans l'organisation de chantiers de travailleurs, car on ne
saurait procéder en pareille matière comme pour le réseau
de nos chemins de fer intérieurs. J'ai exposé dans une bro-
chure spéciale, comment me paraîtrait pouvoir être organisée
cette petite armée industrielle : 12000 à 15000 hommes
organisés militairement, habitués au maniement des armes
în même temps qu'à celui de l'outil du travailleur, bien
kjuipés, bien payés à raison du travail qu'ils auraient
effectué, pourraient avancer à raison de 1 000 kilomètres
)ar an (2). » Étant donnée la soumission relative que
lous avons imposée à presque tout le Sahara, sauf la
isière marocaine, il n'y aurait nul besoin que les 12000 ou
15000 travailleurs, ou un nombre probablement moitié
noindre, fussent habitués au maniement des armes, il suffi-
ait de trois ou quatre centaines de cavaliers indigènes à
il) Duponchel, Lettre à la Commission supérieure du Transsaliarien, 1880
)agcs 32 ct3i.
it, Id., t6ic/., page 31.
!
72 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSABARIE5
méhara, spahis sahariens, encadrés de sous-officiers franchi-,
pour les protéger très efficacement. On pourrait conslruir-
et poser un kilomètre de voie ferrée par jour, soit 350 .
400 kilomètres par an, et avoir achevé la ligne en six ot
huit années ; si l'on y mettait même de l'activité et de h
méthode et qu'on procédât à la manière russe, quatre c
cinq années suffiraient probablement.
Il est très regrettable que l'appel réitéré de Dupoachn
n'ait pas eu un succès définitif et immédiat, quoique su:
tracé ne soit pas celui que nous choisirions, si nous avion>
toute la liberté du choix (1). Construite de 1880 à 1890, s^
voie ferrée eût rendu, néanmoins, d'énormes services ei
préparé la seconde.
Duponchel passa les vingt-trois dernières années de sa vi-
(on a vu qu'il est mort en 1903) en restant fidèle à son graii»i
projet. Il s'attacha à étudier les conditions d'irrigation du
coude du Niger, fleuve qu'il comparait au Nil, comparaisoii
partiellement exacte, et, président de la Société languedo-
cienne de géographie, il publia, dans les revues géogra-
phiques ou coloniales, soit provinciales, soit parisiennes,
d'intéressants travaux à ce sujet.
(1) On a pu remarquer au cours de cet exposé qu'il se trouvait dans les caliii-
de Duponchel différentes erreurs de détail, qui pouvaient enlever quelque crédiî \
ses évaluations ; néanmoins, celles-ci, en ce qui touche la dépense, excédaient «k
beaucoup les probabilités. On s'en rend mieux compte aujourd'hui, avec lî
connaissance beaucoup plus exacte du pays, avec aussi les grands progn-
réalisés dans la construction et l'exploitation des chemins de fer économiques
et particulièrement des chemins de fer désertiques.
LIVRE II
LES EXPLORATIONS RÉCENTES DU SAHARA
LA NATURE DU PAYS
CHAPITRE PREMIER
La mission Choisy et les travaux de Georges Rolland.
La commission du chemin de fer transsaharien. — Les quatre missions d'explo-
ration instituées. — Œuvre sérieuse de deux d'entre elles. — La mission
Choisy et Georges Rolland dans le Bas-Sahara ou Sahara constantinois. — •
Les ouvrages techniques de M. Georges Rolland sur le Sahara. — Caractère
généralement rocheux du Sahara. — Les trois types principaux de régions
naturelles de cette immensité. — Le sable n'est qu'en sous-ordre au Sahara. —
Les districts de dunes et les gassis, — Le reg, — Caractère ferme et plan
de l'ensenable du Sahara. — Indices de terrains primitifs devant receler des
gisements métalliques.
L'appel si éclatant de Duponchel frappa Tun des hommes
qui ont le plus longtemps détenu le gouvernement après
1870, M. de Freycinet. Il était alors ministre des Travaux
publics ; ingénieur, lui aussi, de profession, et homme à
projets, il conçut qu'il y avait là pour la France et pour
lui-même une occasion qu'on ne devait pas laisser perdre.
II constitua une grande commission offlcielle pour étudier.
Tutilité, la possibilité et le tracé d'un chemin de fer trans-
saharien. Chose curieuse, cetlç commission officielle tra-
vailla, fit, sinon de la besogne rapide, du moins quelque
besogne et parut s'intéresser au projet dont l'étude lui était
confiée. Diverses missions furent envoyées dans le Sud
algérien du côté de Touest et du côté de l'est. L'ingénieur
des ponts et chaussées Choisy dirigea cette dernière ; il
parcourut 1 250 kilomètres en quatre-vingt-dix-sept jours, et
74 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CBEMINS DE FER TRANSSAHARIBSS.
ramena tous ses hommes sains et saufs ; cette exploration
parut décisive pour la première partie du trajet, et la ligne
de Biskra-Ouargla fut recommandée comme le point de
départ du chemin de fer transsaharien.
Quatre missions avaient été constituées, la mission Choisy.
que nous venons de mentionner, qu'accompagna l'ingénieur
au corps des mines Georges Rolland, qui parcourut toute la
lisière centrale et orientale du Sahara algérien, de Laghoual
à El-Goléa et d'El-Goléa à Biskra par Ouargla, étudiant
toute cette contrée au point de vue de la géologie, de l'hy-
drologie et des facilités qu'elle pourrait offrir à la construc-
tion d'une voie ferrée; la mission Poujanne qui, avec le
concours de délégués de la Société de géographie d'Oran,
devait faire de même pour le tracé longeant la frontière
marocaine, mais qui, à cause de Tinsécurité du pays, ne put
pas franchir la limite du Tell algérien et dut s'en rapporter,
pour l'au delà, à des renseignements indigènes, tels que
ceux qui avaient été précédemment recueillis par le général
de Colomb. Une autre mission, partie de Saint-Louis du
Sénégal, avait davantage le caractère d'une œuvre d'amateur:
elle était confiée à M. Soleillet, voyageur hardi et intéres-
sant, mais manquant des connaissances qu'un explorateur
moderne doit posséder et insouciant des méthodes quil
doit suivre; il se proposait, sans escorte, de gagner le
coude du Niger en faisant un détour par TAdrar, le long
du littoral maritime; de Tombouctou, sa première étape
importante, il aurait traversé le Sahara du sud au nord:
celte aventure, toute personnelle, non seulement ne put
aboutir, mais fut arrêtée quasi dès le début par l'hostilité
des Maures du littoral atlantique. La quatrième mission est
celle du colonel Flatters, dont il va être longuement question
plus bas.
Les deux missions intermédiaires doivent être laissées de
côté, comme n'ayant aucunement abouti ; il n'en est nulle-
ment de même de la mission Choisy et surtout de la mis-
sion Flatters.
ILBS BXPLORATIOiNS RÉCENTES DU SAUARA. — LA NATURE DU PAYS, 75
Limitée dans son programme, la mission Choisy a pu se
rendre compte, aux divers points de vue scientifiques, de la
nature du Sahara septentrional et particulièrement du Bas-
Sahara, pour nous servir de l'expression par laquelle
M. Georges Rolland caractérise le Sahara constantinois. Elle
-a rapporté tout un ensemble de renseignements et de docu-
ments scientifiquement coordonnés qui ont la plus grande
A-aleur. Les deux grands volumes que M. Georges Rolland,
-membre de cette mission, a consacrés, Tun à la géologie, le
second à l'hydrologie du Sahara algérien, avec un aperçu
géologique sur le Sahara de Tocéan Atlantique à la Méditer-
ranée, en y joignant un troisième volume consacré unique-
ment aux planches, dépassent de beaucoup les proportions
-et la nature d'une œuvre de circonstance ou de simples rap-
ports techniques. Ils ont été publiés par les soins du minis-
tère des Travaux publics et couronnés par l'Académie des
sciences (1). Ils doivent être l'objet des études et des médi-
tations de tous ceux qui s'intéressent à l'Afrique du Nord et
du Centre, et particulièrement à l'empire franco-africain,
-encore tout embryonnaire.
Nous ferons quelques emprunts ultérieurement à ces très
savants ouvrages, mais, par leur caractère technique, ils ne
-comportent guère une analyse. Nous citerons seulement
<]uelques passages des observations préliminaires qui, tout
en étant à l'ouverture du livre de M. Rolland, en sont, on peut
le dire, les conclusions. Il en résulte que le Sahara n'est nul-
lement un désert de sable mouvant, comme le croit l'imagi-
nation populaire. Déjà plus haut on a vu, d'après le livre de
(1) Ces trois volumes, grand in-quarto, font partie de la collection des docu-
ments officiels portant la rubrique générale : Chemin de fer Iranssaharien ; ils
ont été édités par rimprimerie Nationale. Le premier des trois volumes de
M. Georges Rolland a paru en 1890 sous le titre : Chemin de fer transsaharien,
<}ÉOLOGiE DU Sahara ALGÉRIEN et aperçu géologique sur le Sahara de l'océan Atlan-
lique ù la mer Rouge, par M. Georges Rolland, ingùnieur au corps des mines
^275 pages grand in-i*»); le second volume, paru en 1894, est intitulé :
HYbROLOGiB DU Sahara ALGÉRIEN (425 pagcs in-i») ; le troisième volume, consacré
aux planches, a paru en même temps que le premier (1890) et porte le titre de :
Géologie et hydrologie du Sahara algérien, planches accompagnant les deux
volumes de texte (31 planches grand in-4o).
76 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIENS.
Duponchel, que la surface des dunes du Sahara. n*est pas
estimée à plus du neuvième de la superficie de cette immense
contrée par un géologue qui s'est livré avec succès à la
systématisation des observations sur ce désert, M. Pomel.
Les études de M. Georges Rolland confirment cette appré-
ciation :
< Nulle part, écrit-il, les relations entre la géologie et la
géographie physique n'apparaissent aussi clairement qu'au
Sahara où, le sol étant généralement dépourvu de terre
végétale, les terrains constituants se montrent à nu. Le
Sahara est, contrairement aux idées reçues, le plus souvent
rochew* et parfois accidenté. Le Sahara présente trois types
principaux de régions naturelles : les plateaux calcaires en
relief, les dépressions sableuses ou argileuses, les dunes de
sable. Les plateaux ou hamada calcaires qui sont formés
par les terrains d'âge crétacé, plateaux rocheux, sans terre
végétale, sans eau, offrent entre tous un aspect stérile et
désolé. Ils s'étendent sur des espaces immenses dans le
Sahara septentrional. Ils semblent horizontaux à l'œil, et peu
s'en faut qu'ils ne soient parallèles à la stratification des
couches qui les constituent. De fait, ils ont des pentes, mais
très faibles : ils figurent, en grand, de larges ondulations
et, en détail, une série de bossellements, sans loi apparente.
Par places, les Aamada crétacées sont entaillées par des oueds
ou vallées larges et profondes ; celles-ci peuvent s'entre-
croiser et former des réseaux enchevêtrés : elles donnent lieu
alors à des régions désignées sous le nom caractéristique
de chebkay filet. Au milieu des vallées se dressent çà et là
des mehasser^ témoins, à tête plate, de la formation encais-
sante, et, sur le plateau, des gour, témoins, également à tête
plate, de l'étage superposé et enlevé par les érosions. Enfin,
les plateaux crétacés se terminent par de grandes lignes de
falaises, au profil accentué, couronnées par des kef ou
rochers abrupts, souvent assez importants pour recevoir le
nom de chaînes de montagnes, djebel. Les grands bassins
que figurent les ondulations des plateaux crétacés sont occu-
LES EXPLORATIONS RÉCENTES DU SAHARA. — LA NATURE ïiiS PAYS. 77
pés par des terrains de nature toute différente et d'âge beau-
coup plus récent, appartenant à ce que Ton appelle la forma-
tion des atterrissements sahariens. On peut dire que les
terrains crétacés forment l'ossature du Sahara algérien. Non
seulement ils constituent les parties en relief de son orogra-
phie générale, mais encore ils régnent avec continuité en
profondeur sous les atterrissements qui, dans certaines
régions, les recouvrent comme d'un manteau, sur des épais-
seurs très considérables et qui garnissent les pentes et les
parties basses des grandes dépressions. Les régions d'atter-
rissement présentent surtout des grès et des sables quartzeux.
Cependant, leur surface est souvent masquée par une croûte
calcaire ou gypso-calcaire, sorte de carapace, laquelle donne
lieu à une autre catégorie de hamada rocailleuses. Le manteau
des atterrissements sahariens est lui-môme entaillé par
des ouedsy et il présente des zones d'érosion qui sont
parsemées de gour en saillie ou sont accompagnées de
terrasses étagées de graviers et de sables. Sur les pentes
se trouvent parfois de vastes plaines tapissées de limon.
Dans les régions basses, on remarque généralement des
sebkha (bas- fonds humides), recouverts en été d*efflores-
cences salines, et des cholls (étangs d*eau salée ou saumâtre)
dont certains fort importants, au fond de grandes cuvettes
fermées (1). »
Le début du passage que nous venons de citer s'applique
à l'ensemble du Sahara ; les dernières observations concer-
nent particulièrement le Sahara algérien, dont la constitu-
tion importe beaucoup à l'œuvre du chemin de fer trans-
saharien, puisque non seulement il offre le terrain devant
servir de point d'attache à la voie ferrée la plus naturelle,
mais qu'il forme le cinquième, sinon le quart de l'étendue
qu'elle traversera. Ce qu'il importe de retenir, c'est que le
sol de la généralité du désert est un sol solide et dur, nul-
lement du sable comme on s'est habitué à le croire. Il s'en
jl) Georges Rolland, Géologie du Sahara, pages 8 et 9.
78 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIENS.
trouve, cependant, et voici comment M. Georges Rolland
s*exprime à ce sujet :
« Un autre type de région naturelle est représenté au
Sahara par Y Erg ou les Areg^ c'est-à-dire par les grandes
dunes de sable, dont la carte géologique d'ensemble (pi. IV i
indique les principaux groupes entre l'Atlas et le Ahaggar.
Les dunes de sable, loin de constituer le vrai désert, comme
on Ta cru longtemps, ne sont en réalité qu'en sous-ordre au
Sahara, — sauf dans la zone septentrionale où elles forment,
en effet, des accumulations considérables. Ce sont alors, dans
les régions de dunes, de véritables massifs de montagnes
tout en sables : massifs fort accidentés et pouvant atteindre,
paraît-il, des hauteurs de 500 mètres. L'étude des grandes
dunes de sable du Sahara est d'un vif intérêt. Aussi décri-
rai-je en détail, dans la troisième partie de ce rapport, leurs
caractères, leur mode de formation et de répartition, et les
lois générales qui les régissent isolément et en masse. Dans
le Sahara algérien, on rencontre un des principaux groupes
de grandes dunes : c'est celui que l'on appelle spécialement
VErg, et qui se divise en Erg oriental et Erg occidental.
L'Erg oriental et l'Erg occidental sont respectivement en
relation avec les bassins d'atterrissement du choit Melrir, à
l'est, et du Gourara, à l'ouest, et se trouvent situés dans
chacun de ces bassins, en amont des bas-fonds eux-mêmes.
Ainsi que notre mission (la mission Choisy) l'a reconnu, ces
deux massifs de dunes sont distincts ; la zone intermédiaire
offre seulement quelques chaînes isolées, et cette interposi-
tion coïncide avec l'interposition de la bande saillante et
nord-sud de plateaux crétacés qui sépare les deux bassins
au milieu du Sahara algérien (1). »
Les sables et les dunes sont donc en sous-ordre au Sahara,
et la nature les a surtout accumulés dans l'extrême Sud
algérien; le reste du Sahara, on le verra, en est ou complè-
tement ou presque indemne. Mais, môme dans cette région
(1) Georges Rolland, Géologie du Sahara, pages iO et 11.
LES EXPLORATIONS RÉGENTES DU SAHARA. — LA NATURE DU PAYS. 7C^
OÙ elles sont assez fréquentes, les dunes sont localisées;
tout un grand espace entre les deux massifs qu'elles compo-
sent est libre de sable; ajoutons que môme dans la région
des dunes il se trouve généralement entre elles de longs
couloirs ou vallées larges de plusieurs kilomètres, longs par-
fois de plus de cent, appelés gassis. Les dunes ne forment
donc nullement une barrière difflcile soit à franchir, soit à
tourner.
Du Sahara algérien, passons au Sahara central : « J'ajou-
terai maintenant quelques mots, écrit M. Rolland, sur les di-
verses sortes de régions naturelles que Ton rencontre au sud
du Sahara algérien et tripolitain, dans le Sahara central
(planche IV). Quand on quitte les plateaux de calcaires cré-
tacés du Sahara septentrional et que, se dirigeant au sud,
on remonte le versant qui s'élève doucement vers le massif
montagneux des Touareg, on trouve des reliefs orogra-
phiques de nature différente. On rencontre d'abord des
terrains de grès noirs, généralement très durs, appartenant
à une formation géologique d'âge dévonien. Ces grès, dis-
posés en couches très épaisses, offrent une pente générale»
d'ailleurs très faible, vers le nord, et donnent lieu à un nou-
veau système de plateaux, dont les altitudes croissent len-
tement vers le sud. Ils se trouvent fréquemment découpés
en massifs distincts, couronnés par des plates-formes et
limités par des flancs abrupts ; dans certaines régions, ce ne
sont que des tlots épars, émergeant au milieu des plaines, et
parfois ces tlots alignés flgurent des chaînes, semblables à
des squelettes décharnés. Â l'ouest, la même formation de
grès dévonien contourne le Sahara algérien, remonte
loued Messaoura, vers le nord-ouest, et règne au delà, dans
le Sahara marocain. Les plateaux de grès dévoniens sont
presque aussi durs que les plateaux de calcaires crétacés ; ils
reçoivent tantôt le nom arabe de hamada, tantôt le nom
berbère de tcissili. Poursuivant plus au sud, sur le même
versant du Sahara central, on trouve ensuite des roches de
granité, de gneiss, de micaschistes, etc., et ces terrains cris-
80 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSS\aARIE!>(S.
tallins anciens constituent les derniers contreforts avant le
Âhaggar et tout le pâté montagneux du Ahaggar lui-même.
Ce sont alors de véritables massifs demoniagneSy avec chaînes
et pics, crêtes aux profils dentelés, etc. Quant aux terrains
sableux d'atterrissement, ils sont également fort développés
dans le Sahara central, et Ton voit sur la carte géologique
(planche IV) qu'ils occupent des plaines basses, des zones
allongées, mais souvent très larges, séparant les reliefs oro-
graphiques, ceux-ci en terrains crétacés, dévoniens et cris-
tallins. On peut dire que les dépôts des atterrissements saha-
riens et des alluvions plus récentes sont distribués, en grand,
conformément aux divisions hydrographiques actuelles (1). •
Ainsi, d'après la description d'un ingénieur au corps des
mines qui a fait de ce pays l'étude de toute sa vie,
M. Georges Rolland, le Sahara central est constitué, dans la
plus grande partie de son étendue, d'un sol consistant et dur;
il forme des plateaux s'élevant en pente douce jusqu'à la
ligne de séparation des eaux. On verra plus loin que les
cols ou ports de celte ligne de partage dépassent à peine,
sur la route du Tchad, 1 350 mètres au-dessus de la mer,
qu'on peut même espérer trouver des passages plus bas ei
que, d'ailleurs, cette ligne de faîte est placée presque au
milieu du grand désert, de sorte que son ascension peut se
faire pardespentes très douces. Quant aux montagnes et aux
formations volcaniques, dont M. Rolland parle un peu plus
loin, ce ne sont pas des chaînes continues et il est facile de
les tourner.
Embrassant non seulement le Sahara central, mais toute ,
l'immensité du désert^ dans sa description, M. Rolland com- ^
plète ainsi le jugement qui précède : « Tels sont les divers
types de régions naturelles que présentent les diverses parties
du Sahara, traduites en carte géologique sur la planche IV.
Les mômes sortes de régions se reproduisent, avec des '
variantes, dans tout le Sahara, c'est-à-dire dans toute la
(1) Georges Rolland, Géolorjie du Sa/iara, pages H et 12.
LES EXPLORATIONS RÉCENTES UU SAHARA. — LA NATURE DU PAYS. 81
grande zone de déserl qui traverse TAfrique septentrionale
(le Touest à Test, depuis Tocéan Atlantique jusqu'à la mer
Rouge, entre TAtlas et la Méditerranée, au nord, et les
régions tropicales du Soudan, au sud. Dans le Sahara occi-
dental, les terrains paléozoïques prédominent à la surface et
constituent de vastes hamada rocheuses. Dans le Sahara
oriental, les déserts lybique et arabique ont des hamada
en calcaires nummulitiques, analogues à nos hamada cré-
tacées. Dans le Sahara central, le massif montagneux du
Ahaggar forme une énorme protubérance, dont les cimes
atteignent des altitudes de 1 500 à 2 000 mètres ; vis-à-vis, au
sud-est, se dressent les montagnes encore plus hautes du
Tibesli, avec des altitudes de 2 500 à 3 000 mètres; ce sont
les deux grands reliefs du Sahara. Il ne s*agit pas là, d'ail-
leurs, de systèmes de montagnes proprement dits, compa-
rables à TAtlas, par exemple, et dus à de grands phéno*
mènes de plissements et de soulèvements, avec plis syncli-
naux et anticlinaux, etc. Ce sont simplement des/)d/és mon-
la(jneuXj formés par le groupement de terrasses étagées, les
terrasses latérales étant découpées par des vallées abruptes et
les terrasses centrales étant surmontées elles-mêmes de mon-
tagnes coniques, lesquelles ne sont autres que des volcans
récents. Par contre, le Sahara central présente de grandes
dépressions, où nos chotts du Sahara algérien sont remplacés
par des lacs salés^ dont les explorateurs vantent la pureté.
< En résumé, les quatre types les plus caractéristiques des
régions naturelles du Sahara sont, par ordre d'importance en
superficie :
« Les hamada rocheuses, avec ou sans chebka (1) ;
« Les dépressions humides et salées, avec cholls ou lacs
salés ;
« Les grandes dunes de sable ;
« Les pâtés montagneux, avec volcans (2). »
(l) Au vocabulaire des principaux inuls arabes usilt'S dans ses ouvrages,
M. Georges Rolland définit ainsi la chehka : v filet, réseau enchevêtré de vallées
entaillant la hamada ».
(2l Id., ibid., page li.
6
82 LE SABARà, le SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIE>'S
N'oublions pas qu*enlre les grandes dunes de sable il y f
en général des couloirs appelés ghassis ou gassis : c ban<l(
entre deux chaînes de dunes, se poursuivant sur une grandt
longueur en terrain ferme de regr, sans pierre ni gravier », et
le reg, à son tour, est ainsi défini : c terrain de sable ferme
avec ou sans gravier, généralement très plat ».
Si techniques que soient les descriptions qui précèdent
nous avons cru devoir les reproduire ; elles confirment le^
appréciations antérieurement produites par le géologtr
Pomel et l'ingénieur Duponchel et elles sont, comme ui
le verra dans la suite, en complète harmonie avec les de>-
criptions de l'ensemble des explorateurs.
Le Sahara a, dans la plus grande partie de son étendue, un
sol consistant, relativement très plan et offrant, sur le ver
sant nord, jusqu'à la ligne de partage des eaux, des penles
très douces, qui deviennent plus accentuées à la desceole
sur le versant sud, lout en y étant encore, en général, mo-
dérées.
Le chef de la mission dont fit partie M. Georges Rolland,
l'ingénieur en chef des ponts et chaussées Choisy, dans un
épanchement familier, dissipait ainsi en termes pittoresques
les légendes sur le grand désert qu'il avait étudié labo-
rieusement en toute sa partie septentrionale jusqu'à El
Goleah : € Le Sahara, écrit-il dans les souvenirs de sa
mission, est le pays du monde dont l'imagination altère le
plus étrangement les contours et les couleurs... Chacun
a son Sahara. Le mien était une grande plaine brûlante,
couverte de sable mouvant que le simoun agite... Trois
mois entiers, je dus vivre de la vie de caravane, sans
cesse entouré d'Arabes du sud, sans autre perspective
que des horizons vides. Toute une révolution s'opéra dans
mes idées en ces trois mois. Le Sahara pays plat? quels
beaux ravins à pic j'y ai gravis! — Un ciel de feu? On gèle
rien qu'en songeant à certaines nuits du désert. — Du
sable ! J'ai marché de longues journées sans en trouver d«
quoi sécher une lettre. — Au reste, il y a dcscrl et dcscri
LES EXPLORATIONS DU SAHARA. —INDICES DE TERRAIN llOUILLER. 83
désert plat et désert raviné; il y a même désert de sable. »
Mais ce dernier est Texception, il ne semble guère se ren-
contrer que dans la partie nord du Sahara, et on trouve,
dans cette partie même, un couloir de terrain ferme entre les
dunes au sud de Tougourt en suivant le lit du fleuve souter-
rain righarghar jusqu'au point où Ton atteint un plateau
rocheux, de médiocre hauteur d'ailleurs, le Tassili, qui oc-
cupe le Sahara du centre.
Le Sahara, en définitive, est beaucoup plus une étendue de
roc qu'une étendue sablonneuse. On ne peut dire que ce soit
une plaine ; mais le relief n'est nulle part très élevé ; sur cette
longueur de 2600 à 2700 kilomètres, de Biskra à la région
du Tchad, les points culminants, soit dans le plateau du Tas-
sili, soit dans TÂïr, ne paraissent dépasser nulle part
1 800 mètres, hauteur d'un tiers moindre que les points
culminants de TAlgcrie, et il ne s'agit là que de pics isolés.
On verra plus loin que M. Foureau fixe à une hauteur de
1 3G2 mètres la ligne de partage des eaux entre la Méditer-
ranée et l'Atlantique, au Djebel Ahorrene, à plus de 1 300 ki-
lomètres au sud de Biskra ; rien ne dit qu*en étudiant mieux
le pays on ne trouvera pas des cols plus bas. Ce relief mo-
déré, sur un si grand trajet, doit faire considérer le Sahara
sinon comme une plaine au sens absolu du mot, tout au
moins comme une des contrées relativement à leur étendue
les plus planes, non seulement de l'Afrique, mais du globe.
Sans parler des Américains, dans les montagnes Rocheuses,
les Anglais, pour se rendre du Cap auTransvaal, ont gravi de
bien autres hauteurs.
Remarquons, à titre simplementd'indication,queringénieur
au corps des mines Georges Rolland signale que les
terrains devoniens, si abondants dans le Sahara septentrional
el central, paraissent comporter des terrains carbonifères :
« ils sont alors accompagnés, dit-il en parlant de ces terrains,
à la surface du Sahara occidental, d'un autre système de
couches calcaires qui, d'après leurs fossiles, appartiennent ou
lorrain carbonifère », et c|ucl(|ucs liî^ncs plus bas, on parlaiil
84 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FEH TRAiNSSAUAR]Ë.V
des mêmes terrains à Taulre extrémité du Sahara, du côU
du Fezzan, revient la même notation : « ils semblent accom-
pagnés de lambeaux de terrains carbonifères (1) >». Ce serait la
un point singulièrement important et, dans rinlervalk
entre ces deux régions sahariennes, il serait possible qut*
ces mêmes lambeaux existassent.
Sur un autre point, en plein Sahara central, on aurait
aussi quelques indices de terrain carbonifère, en ce qui
concerne la chaîne de TAmsak : « Des restes de [iflanlcs
fossiles ont été trouvés par Ovenv'eg, dit encore M. Rolland,
dans une argile schisteuse rouge de ces régions, et Beyrich
a cru pouvoir reconnaître parmi les échantillons rapportés
une empreinte de Sigillaria, ce qui indiquerait la présence do
terrain houiller ; mais l'observation reste isolée dans le
Sahara central (2). »
« Le terrain carbonifère, conclut M. Rolland, se trouve
largement représenté dans le Sahara occidental. On peut
même admettre qu'il existe accidentellement par lambeaux
dans le Sahara central, bien que le fait demande confir-
mation (3). »
M. Foureau a relevé aussi des indices de terrains carboni-
fères, dans ses explorations du Sahara; l'on trouvera plus
loin des mentions analogues de la part d'autres voyageurs.
Quant aux terrains cristallins anciens, ils sont très nombreux
dans le Sahara et il est vraisemblable que toute la variéli
des métaux utiles s'y rencontre. L'ouvrage de M. Rolland en
témoigne, comme les descriptions des explorateurs anciens
ou récents.
Il n^est nullement indispensable au bon fonctionnement
d'un ou de plusieurs chemins de fer transsahariens que l'on
trouve des gisements de charbon dans le Sahara ou le
Soudan; mais ce serait un avantage de plus. Non seulement
les frais d'exploitation pourraient, dans une certaine mesure,
il) Georges Rolland, Op. cit., pages :î4l <'t 24i.
(2) Ifl., ibid., pago 2'M\.
l3) Id.. iOid., page 242.
LKS EXPLORATIONS DU SAHARA. — INDICES DE TERRAIN ROUILLER. 85
en être allégés; mais encore le charbon, s'il eiî existait au
Sahara, fournirait un trafic abondant vers le Soudan où le
combustible est assez rare, peut-être aussi vers le Sud-
Algérien. Des études du naturaliste Flamand, très au cou-
rant des choses sahariennes et de M. Gautier, professeur à
rÉcole des Lettres d'Alger et explorateur, sans être très
concluantes, donnent des espérances au sujet de Texislence
(!e terrains houillers dans le Sahara occidental et central (1).
IIiLh BuUelin du Cotnité de /'Afriifue française, <lan.s son supplément du
mois de février 1904, contient un Appendice géologique y ])iir le lieutenant Bessot,
sur la région tVlnsalah^ Amguid^ le Motiidir {Est) et Jfalessen, avec des notes
du professeur Flamand, chargé du cours de géographie physique du Sahara,
à l'Ecole supérieure de Sciences d'Alger. Nous extrayons de ce double travail les
passages suivants, et d'abord, des « conclusions » du lieutenant Besset : « Un
autre anticlinal ayant sa télé vers Ain-Millok, se dirige vers le sud-sud-oucst en
redressant, dans sa partie nord, des couches de calcaire qui paraissent appar-
triiir au carbonifère. Plus au sud, seuls les grès devoniens apparaissent. Le
llanquement nord de cet anticlinal va mourir à Toucd Botha; le Hantiuement
est se perd sur la rive gauche des oueds Kedjem, Idergan, A ncerfa (partie aval),
[)uis la rive gauche de l'oued ïilirin où il va rejoindre le flanquement ouest
de l'anticlinal de righarghar...Tout le reg sur la rive droite de l'oued Botha paraît
appartenir aux différents étages du carboniférien. » L'oued Botha est le graml
oued qui, parallèle à l'équateur. longe au sud le Touat. le Tidikelt, et au
nord le Mouidir, vers le 2(»« degré de latitude au-dessus et au-dessous ducjuel il
-ie lient alternativement sans beaucoup s'en écarter. Si Ton découvrait des gise-
ments de charbon exploitables dans cette région, cela aurait une capitale impor-
tance, Texportation de ce charbon vers \v Soudan pouvant se faire moyennant
un fret d'une vingtaine de francs environ la tonne, au tarif de 1 centime l 2
la tonne kilométrique, tarif rémunérateur pour de si grandes distances.
Voici, d'un autre côté, comment s'exprime sur ces terrains réputés carboni-
fères, le naturaliste Flamand : «Le vrai plateau central saharien commence, dans
«cite région, au pied de la falaise sud de l'Ifelessen-Rharis, dans les dépres-
sions relatives des oueds Timédonine, Kseksen, Tarmart'n'akht. La liaison du
système de Tlfetessen-Rharis (anticlinal à, zone axiale schisteuse) avec les régions
orientales antérieurement parcourues et étudiées, se fait un peu au nord-est par
les Djebel-Mongatir et Amguid (N.-E.). Kllc montre comme absolument général
!•* plongement doux vers le nord de toutes les formations primaires, devo-
niennes et carbonifères. Les divers étages carbonifériens se trouvent donc de ce
fail affleurer au travers des formations tertiaires (peut-être ? oligocènes), etpléis-
toeènes dans la grande zone déprimée? des oueds Massin et Botha, ou, pour préciser
«lavantage, entre la base do la falaise de la chebkha crétacée du Tadmaït, au nord.
el les premiers reliefs importants du Mouidir, au sud. » Et le professeur Flamand
«'(inclut des observations et des échantillons recueillis par le lieutenant Besset :
<■ On peut encore déduire de ce travail une autre remarque importante ; c'est
que, en s'appuyant, d'une part, sur l'observation du plongement général nord
ou nord-occidental, sur la disposition sensiblement régulière de l'ensemble «les
foriiialions. et en considérant, d'autre part, Textension en synclinaux secon-
daires des terrains carbonifériens {Comptes rendus. Académie des Sciences,
-3 juin 1902), ce serait pour cette région nord du plateau central saharien, dans
la seule zone étroite voisine du flanc méridional du Tadmaït (iu<; pourraient
iK'iil-élre se rencontrer les formatiims du terrain houiller? — Mais, alors, sans
dnule, û une certaine profondc^ur sur les premières assises crélaeé«îs igrés néo-
86 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIENS
comiens et albiêns). H y a, en effet, Iran sgrossi vile tlu terrain (•rùlacé sur 1 -
formations primaires dans toute l'étendue connue du Sahara : le cénomautr
calcaréo-argileux repose directement sur le terrain devonien dans le noni ir-
gion atlantique); il parait avoir comme substratum le carbonîférion (Vi<*VTi
dans les environs de Djenan-ed-I)ar, Sud-Oranais. Dans le Tidikcll, lo nii-j
mien (grès puisf^ant et argiles siliceuses} parait reposer directement sur lesd-i
ches à PlemtambonUe analoga (Philipps), et vers le Tinghert le cc'noiuanii'n <
peut-t^ti'e Talbien semblent reposer directement sur le devonien moyen. •»
Ces passages sont extraits du Supplément du Bulletin du Comité de l'Afrif^'
fi^ançaise, février 11)04, pages 08, GO et 70.
Les observations du lieutenant Besset et du naturaliste Flamand confirm.i
celles de Tingénieur en chef au corps des mines, Rolland, citées dans le text*^. i
savoir que « le terrain carbonifère se trouve largement représenté dans le Saha
occidental, et qu'on peut môme admettre qu'il existe accidentellement par la;i.-
beaux dans le Sahara central. » On a chance de trouver des gisements expli ■
tables dans le Sud-Oranais et au Tidikelt, peul^éUn^ aussi au sud du Tadéiu.;'
et au nord du Mouidir.
Un autre explorateur saharien, quoique, en général, peu enthousiaste : .
Sahara, M. E.-F. Gautier, s'exprimait récemment en termes pleins d*espéran<"
sur la présence du charbon dans cette région : « Sur ce sujet, écrivait-il i'
Timmimoun, le 2 août 1903, au secrétaire général de la Société de ^éograi)lit'
commerciale de Paris (Voy. \e Bulletin de cette Société, n© 12 et dernier de î'A<>.
page 548), les dernières découvertes scientifiques tendent plutôt à aiguisti 1-
curiosité qu'à la décourager. Au delà des oavSis (du Sud-Oranais), vers le ^u«^.t
vers l'ouest, M. Flamand avait signalé, et j'ai pu étudier pendant deux •(>>
consécutifs le pendant africain de notre chaîne hercynienne Voici les conil»
sions de M. Emile Hang, professeur de géologie à la Sorbonne, sur des fo>--il'-^
du devonien supérieur rapportées de Béni-Abbès : « Leurs affinités pati*ontini-
giques avec les couches de même âge de l'Allemagne centrale acrentui-rit
encore le caractère hercynien des'chatnes paléozoïques du Sahara Septentrifr
nal. » Il serait fastidieux de défmir la chaîne hercynienne des géologues. Qui:
suffise de constater qu'eUe a le monopole d'à peu près tous les gisements i
houille dans l'Europe occidentale. Ne nous hâtons donc pas de conclure qu"
son prolongement africain en est complètement dépourvu. »
Béni-Abbés se trouve au 30« degré dans le Sud-Oranais et est actuelleni<'i.î
occupé par nos troupes.
M. de Launay, ingénieur en chef des mines. prof<'s.seur à l'École des n\m^.
s'exprime, d'autre part, comme il suit, à ce sujet dans son ouvrage : Les Riches^""
minérales de l'Afrique^ Paris, 1903, p. 1, 3 et 14. « Le devonien, qui partit
former un groupe assez homogène avec le carbonifère, a été déterminé par d»'^
fossiles en quelques points du Sahara, où il dut occuper de grandes étemlu»-^
sous forme de grés noirâtres à Spirifeer; des grès du même âge apparaiss» t.'
au pied de l'Atlas marocain; Barthe a recueilli des fossiles devoniens au noni ■
Mourzouk et Duveyrier à Serdelés... Pour le carbonifère les observations >oni
plus nombreuses. Les formes calcaires et marines de ce terrain ont été r<Mon-
nues au Maroc par Coquand. Je viens de rappeler que les obsci*\'alions ^U
Foureaux, Lentz, etc., montrent leur extension dans le Sahara, entre ^Atla^ «
les dunes d'Iguidi, puis au nord de l'Ahaggar et jusqu'à Mourzouk. » Plus hiin.
dans cet ouvrage, le même ingénieur, professeur à l'Ecole des Mines, s'exprini'
encore ainsi (p. 258) : « L'étage carboniférien, indépendamment même de !•:
houille qu'il peut contenir, est faiblement représenté en Afrique, comme je 1-
rappelé dans l'introduction. Dans le nord, on lui rattache les grès i-ouges '
Piétra en Palestine et ceux du Sinaï, où l'on trouve des sigillaires, puis \o cil
caire dinantien marin, qui paraît former une zone à l'est du Sahara, riii.^'
e Maroc et Tombouctou, entre l'Atlas et Igidi vers Ain-Salah. »
Il semble que, dans le passage ci-dessus, au Heu de : à l'est du Sahara, i'
faille lire : à l'ouest.
M. de Launay remarque que le terrain carboniférien qui est ainsi con^t.tt
LES EXPLORATIONS DU SAHARA. — INDICES DE TERRAIN IIOUILLBR. 87
dans le Sahara occidental et une partie du Sahara central « n'est pas connu
en Algérie » (page 14, note). Cela ne donnerait que plus d'importance aux gise-
ments qui pourraient s'en rencontrer au Sahara.
Dans une s»*ancc du mois de mai 1904 de la Société de Géographie de Paris,
« M. Fourcau résume, dit le Petit Temps (22 mai 1904), les importants travaux
géologiques et astnmomiques de M. Villate, mi:?sionnaire de la Société au Sahara.
Ce voyageur a découvert, en particulier, une zone carbonifère bien caractérisée. »
M. de Lapparent, le géologue bien connu, membre de l'Institut, m'a confirmé
oralement, dans un voyage que nous fîmes en commun en Angleterre au i)rin-
temps de 1904, que les chances de rencontrer des terrains houillers dans le
grand désert africain sont, d'après les indices géologiques, des plus appréciables.
Il y a ainsi des espérances sérieuses de trouver du charbon entre le 30® et le
fS*- degré dans le Sahara occidental et peut-être sur certains points du Sahara
central.
Or, cette découverte serait décisive et procurerait un élément de trafic consi-
dérable, en partie vers l'Algérie, mais beaucoup plus encore vers le Soudan,
qui pourrait consommer pour les usages domestiques, les chemins de fer et la
navigation sur le Niger et le Tchad, des centaines de mille tonnes de char-
bon. Nous répétons, toutefois, qu'il n*est nullement indispensable que celte décou-
verte se réalise et que, n'y eût-il aucun charbon au Sahara, les raisons de
construire des chemins transsahariens subsisteraient.
CHAPITRE II
La première mission Flatters.
Le lieiilonanl-colonol Flatters. — Instructions qui lui sont donntW's. — Onuy
silion de la prcniiôro mission Flatters. — Trajet effectué par la mission. -
Importance des documents recueillis et publiés. — Ces documents consliluwl
une véritable eniiuète sur le versant nord du Sahara central. — Los divt*:
natures de sol au Sahara : la hamada, les .'/OMr, la nebka, le ;•<?</, Venj. —
beaucoup la plus grande i)artie du Sahara est formée de sol ferme et plan.-
Facilités tout élémentaires de l'établissement d'une voie fcrn^e do 6«0 kilo-
mètres au sud d'Ouargla dapW's l'avant-projet de l'ingénieur Bérînger de !« j
première mission Flatters. — Les gassis ou couloirs fermes entre les dunr*. - |
Permanence de ces couloirs. — En dehors des gassis, étendues de sable li\' i
par la végétation. — La plus grande ))arlie du Sahara se compose de hnnin'ii
et surtout de reg, terrain consistant et en général plan. — Les conditions -^m'
éminemment propices à rétablissement économique d'une voie feri'ôe.
Notablement plus importantes que la mission Choisy furent
les deux missions Flatters. Il restait à étudier toute l'énorme
zone s'étendant entre nos avant-postes dans le Sud-Algé-
rien et le Soudan même. On jugea qu'il convenait de confier
cette tâche à un officier expérimenté ; on la donna au lieu-
tenant-colonel Flatters, parfaitement maître de la langue
arabe, ayant occupé longtemps le poste de commandant
supérieur du cercle de Laghouat. Ses instructions portaient
qu'il devait « diriger une exploration avec escorte indigène
pour rechercher un tracé de chemin de fer devant aboutir
dans le Soudan, entre le Niger et le lac Tchad y>. Il lui était
recommandé de se mettre en relations avec les chefs
touareg, de chercher à obtenir leur appui, et de conserver
à l'expédition un caractère essentiellement pacifique. La
mission, outre le colonel, se composait de neuf membres :
quatre officiers, deux ingénieurs, un conducteur des ponts
et chaussées, un chef de section du cadre auxiliaire des
travaux de l'État, et un médecin. A la fin de janvier 1880,
elle était à Biskra, en partait pour Ouargla, où elle recrutait
DOCUMENTS KT RÉSULTATS DK LA PHEMIÈKE MISSION FLATTERS. 89
des hommes de service, ordonnances, guides et chameliers.
Elle se composait alors, outre les dix membres delà mission
proprement dite, de quinze ordonnances ouhommes de service
français, trente indigènes d'escorte et cinquante chameliers,
en tout cent cinq hommes. Jusqu'au 21 avril, elle s'enfonça
dans la direction du sud-est, passant parEl-Biodh, Témas-
sinin, la vallée des Ighargharen, longeant le lac Menghough
par 26"30 de latitude nord, nappe d'eau de l kilomètre
de long, 100 à 200 mètres de large, 4 de profondeur,
abondant en poissons et en hérons; poussant un peu plus
au sud-est, elle arriva à 120 kilomètres de Ghat. A ce point,
elle trouva une hostilité déclarée de la part des Touareg; il
fallait livrer bataille» les provisions s'épuisaient; ces circon-
stances, ainsi que rc3 instructions toutes pacifiques, déci-
dèrent Flatters, le 21 avril, à se replier sur Ouargla, où il
rentrait sans perte le 17 mai. Quoique la mission eût
obliqué un peu trop à l'est et qu elle eût dû rebrousser
chemin un peu hâtivement, elle avait eu, en somme, du
succès; elle rapportait des observations intéressantes et des
renseignements précieux.
Ouargla étant presque exactement au 32** degré de
latitude et le lac Menghough au 26° degré 30, il en résultait
que la mission avait parcouru 5 degrés et demi ; d'autre
part, l'Aïr, cette contrée qui sert d'avant-porte au Soudan dans
le désert, commençant peu au-dessous du 20" degré, la mis-
sion avait ainsi étudié à peu près la moitié de la distance
entre Ouargla et l'Aïr, c'est-à-dire une bonne moitié du Sahara
central. Cen'estpasùnrairf qu'elle avait fait, mais une large en-
quête, géologique, hydrographique, climatologique, topogra-
phique surtout. Le journal de route très complet qu'elle a
tenu, les renseignements très amples qu'elle a recueillis,
les rapports techniques de divers de ses membres peuvent
être considérés comme la plus vaste et la plus sûre source
d'information que Ton possède sur le versant nord du Sahara
central. Nous allons y puiser pour une description pré-
cise du pays.
90 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSADARIEV
Les documents qu'a produits la première mission Fiat
ters sont les suivants :
h Le journal de route du chef de la mission, c'est-à-dire d
colonel même; ce journal part du jeudi 19 février IS^j.
jour où la mission quitte en deux colonnes Témacin podi
Ouargla, qu'elle atteint le 25, jusqu'au 17 mai où elle rentre
à Ouargla après avoir parcouru tout l'itinéraire, dont It
points principaux, au delà d'Ouargla, sont Aïn Taih.
El-Biodh, Timassinin, Aïn Tebalbalet, Aïn el-Hadjadj, le lae
Menghough ;
2° Un journal de route du capitaine d'artillerie Bcrnani.
qui, du 4 mai au 12 mai, se détacha, au retour, avec quelques
hommes du gros de la mission, à El-Biodh, et gagna Ouar-
gla par une autre route située un peu plus à l'est et ayaol
pour principale étape Mokhanza ;
3° Un rapport de mission de M.Béringer, ingénieur du cadre
auxiliaire des travaux de TÉtat. Ce rapport très technique
contient les coordonnées géographiques, le tableau des lati-
tudes, le relevé topographique de l'itinéraire, la topographie
générale de la région explorée, la topographie détaillée deh
même région, le nivellement barométrique. A ce rapport
technique sont jointes trois annexes : V sur les coordonnée»
géographiques des principales stations; 2° sur le nivellemenl
barométrique ; éléments de calcul ; 3" le registre de météo
rologie ;
4° Un rapport de mission de M. Roche, ingénieur au corpî»
des mines, avec deux annexes, la première comprenant la liste
des échantillons géologiques recueillis pendant la mission
et déposés dans la collection de l'École des mines ; la
deuxième donnant la liste des échantillons d'eaux et de roches
déposés au bureau d'essai delà même école ;
5° L'avant-projet d'un chemin de fer au sud d'Ouargla,
rapport de M. Béringer, l'ingénieur sus-nommé ;
6° Une note de M. le D' Bonnet, aide-naturaliste au Muséum
d'histoire naturelle, sur les collections de plantes du docteur
Guiard (ce dernier était membre de la mission) ;
DOCUMENTS ET RÉSULTATS DE LÀ PUEMIËRE MISSION FLATTERS. 91
7** Un mémoirede M. Lucien Rabourdin (chef de section du
cadre auxiliaire des travaux de l'État et membre de la
mission) sur les âges de pierre du Sahara centrai
On voit combien variés et techniques sont les rapports de
cette première mission Flatters, étendus aussi, car ils
occupent 268 pages de texte grand in-quarto, avec un cer-
tain nombre de planches, ce qui représenterait un volume
double en in-octavo ordinaire (1).
Môme après rheureuse expédition Foureau, qui, d'ailleurs,
on confirme, dans l'ensemble, tous les aperçus, il n'y a pas
de mine de renseignements plus importante sur le Sahara
septentrional et sur la partie du Sahara central dépendant du
bassin méditerranéen; les documents précis abondent sur
l'autre versant, ainsi que sur le Sahara méridional, notam*
ment le journal du grand et savant voyageur Barth.
Les observations précises et détaillées faites par ces
hommes de science dissipent toutes les légendes qui
s'étaient formées autour du grand désert; on a maintenant
de cette vaste superficie des notions toutes positives.
La lecture de ces documents écarte d'abord complètement
cette première légende que le Sahara est uneétendue uniforme
de sable mouvant. Gomme M. Pomel, M. Georges Rolland et
Duponchel et tous les explorateurs postérieurs, les membres
de la première mission Flatters établissent bien que le sol
coosistant et ferme, souvent môme le roc, forment la plus
grande partie du désert. M. Béringer, ingénieur du cadre
auxiliaire des travaux de l'État, commente ainsi son exposé
de la topographie générale de la région explorée :
« Notre voyage s'est arrêté, vers le sud, au Tassili ou
plateau des Azdjer, le mons Ater de Pline, d'après Gh. Du-
veyrier. G'est le dernier contrefort du grand massif monta-
il) Ces documents, avec ceux de la seconde expédition et divers extraits de la
«'orrespondancc officielle ou privée des membres de la seconde mission Flatters,
si (léplorablement détruite, forment un grand volume in4o de 443 pages publié
par le ministère des Travaux Publics à l'Imprimerie Nationale en 1894, sous le
titre : Documents relatifs à la mission dirigée au sud de V Algérie, par le lieute-
nant-colonel Flatters.
92 LE SAHARA, LK SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAIIARIENS.
gneux qui s'élève vers le 23° degré de latitude , sous le nom I
de Plateau central du Sahara,,. Le plateau proprement dil
est du genre kamada, nom qui est appliqué aux plaines de
rocher, sans au Ire végétation que quelques maigres pâtu-
rages dans les dépressions où un peu de sable s'est accu-
mulé. Son aspect est des plus désolés. Aussi loin que la vue
peut porter, on n'aperçoit qu'un sol noir, aride, sans traces
d'animaux, corrodé et usé par le soleil, la pluie et le vent;
tantôt fendillé par larges plaques, tantôt réduit à Tétat de
pierrailles. Bien au loin, à des distances que l'œil ne peu!
exactement apprécier, car tout point de comparaison lui
manque, émergent quelques pics, et, par-ci par-là, une dune.
C'est le désert de la hamada dans toute sa monotonie, bien
autrement triste que le désert de sable. Celui-ci, du moins,
est accidenté par ses dunes aux contours variés et bizarres,
et le voyageur peut y conserver l'espoir de trouver brusque-
ment d'autres horizons. Dans la hamada^ nulle illusion de
ce genre n'est permise: on y a la certitude démoralisante que,
jusqu'à la fin de l'étape, et encore le lendemain, on n'aura
sous les yeux que la plaine inhospitalière de rocher nu et
calciné. Tout le plateau est en grès devonien, noir exté-
rieurement, à cassure grise ou blanche, d'un grain fin, d'une
grande dureté (1). »
La description, certes, n'est pas riante. Ces vastes pla-
teaux du genre hamada n'occupent pas tout le Sahara;
mais ils y tiennent une grande place, sinon la principale. Le
même rapporteur décrit, quelques pages plus loin, le pla-
teau de Tinghert : «Le plateau de Tinghert, entre Témas-
sinin et la grande dune plus au nord, est du genre hamada.
Sa croûte calcaire de l'étage crétacé est décomposée et usée
par le temps. Le plus souvent, elle est couverte d'une quan-
tité innombrable de pierres de toutes dimensions, sur les-
quelles la marche est très difficile. Parfois, elle a disparu
complètement et laisse apparaître la roche marneuse ou
(1) Documenta relatifs it la mission d'inijée au sud de VAlyérie, pages 83 ot Si.
TREMIÈRE MISSION FLATTKKS. — NATURE DU SOL AU SAHARA. 93
argileuse qu'elle recouvrait primitivement. Dans ces dépres-
sions, se trouvent des pâturages convenables pour les
chameaux, et quelquefois des dépôts gypseux (1). »
Les plateaux du genre hamada, si impropres qu'ils soient
à la culture et, dans la généralité de leur étendue, aux pâtu-
rages des bêtes et à Thabitat humain, offrent, au contraire, le
terrain le plus propice à rétablissement d'une voie ferrée;
le sol est solide, le ballast abondant, les matériaux de
construction pour les ponceaux et ouvrages d'art s'y trouvent
surplace; on n'a le plus souvent^ d'ailleurs, qu'à déblayer
un peu et à poser la voie, le terrain étant plan et ne s'éle-
vant ou ne s'abaissant qu'en pentes très douces.
Il suffit de jeter les yeux sur des cartes du Sahara, faites
d'après les explorations, pour voir que la hamada en couvre
une énorme partie : sur la carte de l'expédition Flatters, du
30" au 31" degré s*étale, sur une grande largeur, un t plateau
nu ou hamada 9. Plus au sud, du 29' au SS*" degré, on ren-
contre le plateau de Tinghert que l'ingénieur Béringer vient
de nous dire être du genre hamada; il s'y trouve un district
nommé Tanesrouft et M. Béringer nous a appris (p. 89) que
ce mot désigne la hamada en langue iemahoq; quant au pla-
teau du Tasili, à partir du 27' degré environ, M. Béringer
nous a dit nettement aussi qu'il < est du genre hamada ».
Ainsi, cette mission Flatters, qui, dans sa première tournée,
la seule dont on ait une relation détaillée, a beaucoup
obliqué à Test et a traversé le grand Erg ou région des
dunes, y a rencontré, néanmoins, une très forte proportion
de hamada, terrain plat et rocheux. Le journal de Flatters,
à la date du 29 mars, rapporte : « La hamada s'étend à perte
de vue à notre droite ; elle va, dit-on, jusqu'à Amguid (2)»,
de sorte que tout le premier tiers du chemin de fer vers le
Tchad pourrait être fait quasi entièrement en terrain ha-
mada.
Si Ton prend les cartes si complètes du grand voyageur
il) Document relatifs à la mission dirir/ee au sud de VAlfférie, j)agi» 89.
(-) Ihid,, page 44.
94 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LtiS CHEMINS DE FER TRANSSAHARIE>S.
Barth, qui, de 1850 à 1855, a plusieurs fois, sur divers
itinéraires, traversé le Sahara d'outre en outre, on renconlre
aussi la désignation de hamada comme s'appliquaat à uût
très vaste surface du désert. Â la hauteur du 30** degré ei
demi, il place la limite septentrionale de la hamada, ([uii
écrit hammada {nordlicher Band der hammada) et il caracté-
rise ainsi celle-ci : Die Hammada, ein aasgedehnies, sleiniges.
unbewohnles iind ivasserloses Hochlandy un haut plateau,
étendu, pierreux, inhabité et sans eau. On verra que celle
dernière caractéristique du manque d'eau, comme du manque
de pâturages ou de bois, ne doit pas être prise au seQ^
absolu; même la hamada, en efTet, est traversée de place en
place de dépressions où se trouvent de Teau, des bois et des
pâturages (Voy. plus haut ce qu'en dit M. Béringer, p. 9*i ;
Barth lui-même ajoute, sur la carte, à sa désignation de la
hamada, ces mots : fast ohne P/lanzen und Thiere, presque
sans plantes ni bêtes, qui indiquent la rareté et non l'ab-
sence absolue. Il place au 28*" degré et demi la limite sud de
cette hamada tripolitaine (1). Plus au sud, sur les caries de
Barth, s'étendent d'autres vastes superOcies à sol pierreux
et résistant, qu'il ne désigne pas par le mot hamada ou
hammada y mais dont le caractère de consistance du sol
ressort bien de ses appellations : Kiesige, Kahle Ebene,
plaine caillouteuse et chauve; Gebirgs Landschaft (contrée
montagneuse); Traurige, ode, steinige Ebene, plaine pier-
reuse, triste et désolée; ausgedehnte, steinige Ebene, plaine
pierreuse étendue; steinige Ebene, plaine pierreuse, etc.,
désignations qui se succèdent fréquemment sur sa carte n" o,
du 24^^ au 20^ degré.
En dehors de la hamada proprement dite il y a, en efifet,
dans le Sahara, d'énormes superficies à sol consistant. Telle
est, par exemple, dans le Sahara septentrional vers Test, la
t région des gour» entre le 31" et le 30'' degré. L'ingénieur
Béringer, de la première mission Flalters, dans son rapport
(U Heisen und Entdeckunyen in Xord utul (\'nh*(tl A/ric<f in dm laiiivi:
ISî'J ln> IS.i.i vnii !)«■ Ilriiirii;li l>arUi. «Jollia, IS.iT, Imm- f-', ciuir ii" ;».
PREMIÈRE MISSION FLATTERS. — NATURE DU SOL AU SAHARA. 95
sur la c topographie générale de la région explorée», la
décrit ainsi : c Entre Hassi-Djéribia et Hassi-Terfaïa, on est
dans la région des goar. C'est un plateau de l'époque qua-
ternaire d'une quarantaine de kilomètres de large, déchi-
queté en tous sens, tantôt par longues bandes parallèles
séparées par des couloirs, tantôt par tlots plus ou moins
éloignés les uns des autres. Ces derniers se nomment plus
particulièrement gfottr, au singulier grara. On donne le nom
de kantra (pont) aux isthmes ou parties étroites du plateau
qui séparent deux dépressions. Celles-ci s'appellent oued,
quand elles ont une certaine étendue en longueur, et kaoud
quand ce sont des cuvettes plus ou moins circulaires. La
forme de cuvette est fréquente. Elle prouve que si l'action
des eaux a pu corroder les bords du plateau, l'intérieur s'est
dégradé sous la seule action des agents atmosphériques.
Les roches qui composent la partie supérieure du plateau
sont calcaires. Les grès apparaissent rarement. On rencontre
assez souvent des dépôts gypseux. La hauteur du plateau,
au-dessus des dépressions, est remarquablement uniforme
et s'écarte peu de 30 mètres. Le fond des dépressions est
du sable plus ou moins mamelonné, du genre nebka^ avec
de beaux pâturages et de nombreux puits. On appelle nebka
un terrain sableux, tantôt mamelonné, tantôt ondulé. Dans
le premier cas, on voit tous les 3 ou 4 mètres un monticule
de 50 à 80 centimètres de hauteur, surmonté d'une touffe de
végétation. Dans le second cas, les petits monticules sont
remplacés par des rides plus ou moins écartées et de
hauteur très variable. Ainsi, parfois, ces rides n'ont que
1 ou 2 mètres de haut et laissent entre elles des creux d'une
largeur à peine supérieure à leur hauteur; parfois aussi elles
sont écartées de 100 ou 200 mètres et s'élèvent de 4, 5 ou
10 mètres au-dessus des creux. Les fourrages poussent
généralement au milieu des oued et des haoud, car c'est là
que le sable s'est surtout accumulé. Quelquefois le dépôt
sableux s'est formé sur des berges de la dépression. Ainsi,
dans le llaoud Alcnda, c'est le coté est qui était ensablé au
96 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHëNIlNS DE FER TRANSSAHARIEV.
moment de noire passage. Tout ce pays est habité par (li<
nomades qui y trouvent de Teau, des pâturages, du gibier
On y rencontre fréquemment leurs campements (1). • C'e^l
en ces termes que l'ingénieur Béringer décrit la région des
(jour y plateaux calcaires à sol résistant, coupés de temps à
autre par des dépressions où se rencontre du sable à Tels!
de nebka. Si nous nous reportons au vocabulaire des mob
arabes qui précède la Géologie du Sahara de M. George-
Rolland, nous y trouvons les explications suivantes des
mots gara et nebka : gara^ pluriel gour^ témoin rocheux,
isolé, en saillie à la surface du sol, généralement à télé
plate; nebUa, terrain de sable mi-meuble et légèrement val-
lonné. Ainsi, les plateaux de gour, quoique distincts des
hamaday offrent eux aussi un sol en général compact, four-
nissant du ballast et propre à la pose et à Tentretien d udc
voie ferrée.
Le colonel Flatters, dans son journal de route, fournit éga
lement une déflnition des différentes appellations arabes qui
est utile à l'intelligence des divers terrains du Sahara : t Peu
dant le cours de notre itinéraire, dit-il, nous avons eu plu
sieurs fois l'occasion de nous servir des mots gour^ gara,
ghourd, areg, etc. 11 n'est pas sans intérêt de donner la
désignation exacte de ces dénominations, maintenant que
nous avons pu les vérifier sur place. Gara, au pluriel gour.
est un mamelon rocheux, ou du moins du terrain ferme,
comme une sorte de témoin du sol primitif; on en voit sou-
vent un grand nombre fort rapprochés les uns des autres.
La gara est plus ou moins conique, avec ou sans chapeau à
bords dépassant plus ou moins, mais il y en a de toutes les
formes ; le nom indique surtout la nature ferme du terrain,
par opposition aux sables de Targa ou dune. Celle-ci, Vanja
(au pluriel areg), c'est la grande colline de sable meuble
comme serait une grande gara émiettée, si Ton admet la
théorie de la transformation du sol sur place, la rocbe
(1) Documents relatifs à la mission dirigée au sud de VAlf/érie, j^Siges \)Sc\'^'-
PREMIÈUE MISSION FLATTERS. — NATURE DU SOL AU SAHARA. 97
j'effrilanl et se réduisant en sable pour former des dunes.
[Jarga présente toujours des aréles en long, le plus sou-
frent en forme de tranchant de sabre, c'est-à-dire des si/(au
pluriel szo///*). Le ghourd est une dune le plus souvent isolée
en forme de mamelons coniques, sans arêtes en longueur.
L'armath est Targa à un très faible relief au-dessus du
terrain environnant. Nous avons dit plus haut ce qu'on
entend par terrain nebka, sable meuble ou mi-meuble, pra-
ticable malgré quelques vallonnements peu sensibles. Beg^
sable ferme; avec ou sans gravier, généralement très plat;
haoud^ dépression en forme de cuvette, dans les gour, ter-
rain ferme; sahan, large dépression à fond plat, mot à
mot assiette, dans n'importe quel terrain, pourvu que la
végétation y soit assez abondante. Par extension, dans
Textrôme sud, le sahan de très grandes dimensions devient
Toued, et réciproquement, sans que Ton se préoccupe de
savoir s'il y a possibilité ou non d'y déterminer une ligne
de thalweg (1). »
Ainsi parle Flatters, et ses définitions dans l'ensemble con-
cordent avec celles de l'ingénieur des travaux publics
Béringer et de l'ingénieur des mines Rolland. Notons seu-
lement la légère divergence de forme plus que de fond, au
sujet du terrain nebka ; Flatters le définit : « sable meuble ou
rai-meuble, praticable malgré quelques vallonnements peu
sensibles ». L'ingénieur Béringer disait simplement : « ter-
rain sableux, tantôt vallonné^ tantôt ondulé j», terrain d'ail-
leurs susceptible de végétation, d'après lui ; quant à
M. Georges Rolland, il dit de la nebka que « c'est du sable
mi-meuble et légèrement vallonné». Ailleurs que dans le
morceau cité plus haut, Flatters parle de nouveau de la nebka
comme de sable mi-meuble; ainsi, page 6, dans le passage
auquel il semble se référer. Il ne s'agit donc aucunement
de sable mouvant.
Il importe de revenir sur le mol reg ; on vient de voir que
(1) Documents relatifs à la mission dirigée au sud de l* Algérie, pages 23 et 24.
7
98 LE SAHARA, LK SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TttANSSAUAaiE>*
Flalters le définit : « sable ferme, avec ou sans gravier,
généralement très plat ». M. Georges Rolland, dans levocd
bulaire des termes arabes qui précède sa Géologie du Saharc
donne mot pour mot la même définition du reg. Ainsi, Vm-
mense plus grande partie du Sahara est du terrain solide e:
plan: Whamada^ plateau rocheux, généralement de voniec
est solide ; la région des gour, plateaux calcaires, est solidt
aussi ; le reg est solide également; le nebkûy quoique sabl?
mi-meuble, est tout au moins praticable.
Reste le sable fin de Varga^ des areg, de Verg ou de^
dunes. Mais la région des dunes est très localisée ; on ne h
trouve guère que dans le Sahara septentrional ou dans le
Sahara maritime ; le Sahara central et le Sahara méridional
en sont complètement exempts. L'Erg forme deux massifs
principaux, Tun au sud-est de la province de Constantine el
de la Tunisie, l'autre au sud de la province d*Oran ; entre
ces deux grands massifs de TErg ou des régions de dunes,
il y a une grande hamada septentrionale. Puis TErg, là où
il existe, est traversé de très larges vallées qui sont exemples
de dunes : ainsi, entre plusieurs autres, la vallée de
righarghar, au sud de la province de Conslantine, et la vallée
de rOued Zousfana et de TOued Saoura au sud de la pro-
vince d'Oran.
Rien n*est donc plus facile à une voie ferrée que d'éviter
la région des grandes dunes ou delà traverser sans encombre
par une de ces grandes trouées naturelles. La régularité du
terrain qu'offre par exemple la vallée de l'Igharghar est telle
que- l'ingénieur Béringer, qui a fait sur les lieux un avaiil-
projet détaillé de chemin defer transsaharien jusqu'à 600 ki-
lomètres au sud d'Ouargla, estime seulement à 10000 francs
le kilomètre sur 280 kilomètres de la trouée de Tlgharghar
et à 12000 francs le kilomètre sur 198 autres kilomèti-es
du même tracé les dépenses d'infrastructure et de ballast,
et il s'agissait là d'une voie ferrée du type large; il ne porte
pas non plus, sur toute la longueur de 600 kilomètres du
chemin de fer projeté au sud d'Ouargla, plus de 100 mètres de
PHEIIIÈRK MISSION FLATTEHS. — NATUHE DU SOL AU SAHARA. 99
parasables (1). La construction du chemin de fer dans celte
région serait donc d'une facilité tout élémentaire.
Non seulement les dunes sont localisées, et il y a de lon-
gues trouées à travers leurs massifs ; mais en plus de ces
longues trouées, correspondant à des lits de fleuves souter-
rains, il se trouve fréquemment des couloirs étendus et fixes
que Ton appelle gassis. Jusqu'aux explorations récentes,
on ne se rendait pas compte de la signification exacte du
mot gassi, que nous retrouverons souvent au cours de cet
ouvrage; on croyait que c'était un district particulier,
offrant un passage facile qui était ainsi nommé ; la grande
et d'ailleurs bonne carte allemande, quoique ancienne et dé-
passée, de R. Lûddeke, contient au-dessous du 30'' degré
une bande longitudinale dénommée Gassi el Adham ; l'ex-
pression est exacte, mais il faut entendre que Gassi n'est
pas le nom d'un district. C'est ce que le premier des explora-
teurs sahariens (nous ne disons pas transsahariens), Duvey-
rier, avait cru. Duponchel relève cette erreur dans son opus-
cule de 1880, postérieur à la première mission Flatlers ;
parlant d'une façon défavorable du tracé de Biskra vers le
Tchad, par la vallée de l'Igharghar, qui n'était pas le sien,
Duponchel s'exprime ainsi : « Sur la direction des Hogghar,
on a à traverser la formation des dunes sur sa plus grande
épaisseur. La carte de M. Duveyrier indiquait, il est vrai,
un point de passage comme libre de sables, désigné par les
indigènes sous le nom d'EI Ghazy. La première exploration
(.le M. Flatters a eu pour résultat important de nous faire
savoir ce qu'on devait entendre sous ce nom. El Ghazy n'est
point une région distincte, mais un nom générique qui s'ap-
plique aux vallées longitudinales comprises entre deux dunes
consécutives (2). »
C'est, en effet, une des contributions importantes à la con-
naissance du Sahara qu'a apportées la première mission
(Il Uocumenis relatifs à la mission au sud de l'Algérie, page 233.
ii) Duponchel, Lettre ù M. le Président et MM. les membres de la Commission
supt^rieure du Transsnharien . MontpeUier, 1880, page 30.
100 LE SAHARA, LB SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANS:^AIIARIENS.
Flallers, confirmée, on le verra, par la mission Fôureau,
que la constatation de ces longs et généralement larges cou-
loirs de terrain solide entre les dunes de sable, auxquels
les indigènes donnent le nom de gassis, M. Georges Rolland,
dans son vocabulaire des principaux mots arabes, précédant
son rapport sur la Géologie du Sahara^ donne cette défini-
tion : « Gassi^ bande entre deux chaînes de dunes, se pour-
suivant sur une grande longueur en terrain ferme de reg:,
sans pierre ni gravier. » Et ce ne sont pas là des passages
temporaires, destinés à être comblés un jour.
L'ingénieur Béringer s'exprime à ce sujet en ces termes :
« Les preuves du peu de changements survenus dans la
zone des dunes que nous avons parcourue sont assez nom-
breuses. Ainsi, les entonnoirs, comme Aïn Taïba el Mo-
khanza, se maintiennent ouverts, bien qu'entourés de dunes :
de mémoire d'homme on s'y arrête pour renouveler ses
provisions d'eau. Les grandes caravanes ont cessé depuis
longtemps de circuler entre Ouargla et El Biodh, et cepen-
dant on retrouve dans les gassis les nombreux sentiers de
leurs chameaux. Tous ces sentiers longent les dunes où se
trouvait, comme aujourd'hui, le pâturage nécessaire au
bétail, et ils aboutissent aux cols qui, encore maintenant,
servent de passages (1). »
Eln dehors des gassis, il arrive fréquemment que le sable,
dans les régions où il se rencontre, est soit durci, soit fixé;
ce sont les termes mêmes dont se sert le colonel Flatters
dans sonjournal déroute; ainsi le 19 février 1880 : t Départ
de Tamelhat à sept heures, halte à dix heures à Aïn Djedida
(source nouvelle) d'El Goug ; chott à sec, sable durci, sable
mi-meuble (cette dernière nature de terrain est dite nebka en
arabe); végétation pour les chameaux.... Sur cette route,
les observations et les renseignements tendent à démontrer
une erreur de la carte d'état-major. Il n'y a pas de lit de
rivière à sec, mais une sorte de chapelet de daïas ou eu-
(1) Documents relalifs à la mission dirigée au sud de l'Algérie (Mission Flattersi.
page 95.
PiŒMIÈRE MISSION FLATTERS. — NATURE DU SOL AU SAHARA. iOl
veltes séparées par des seuils de sable, le sable fixé par une
végétation abondante (1). » Deux jours après, le 21 février,
FJallcrs note ainsi Taspect du pays : « Dunes avec végéta-
tion, nebka (2). » Il arrive donc que même dans les dunes le
sable peut être durci et également fixé par la végôlalion.
Ces constatations confirment ce qui a été dit plus haut
à propos des observations de Duponchel, de M. Georges
Rolland et de M. Choisy, également ce qu*avait relevé le
géologue Pomel (V'oy. plus haut pages 39, 41, 76 et 82) :
l'immense majorité, les neuf dixièmes environ, delà surface
du Sahara secompose non de sable meuble, mais de terrains
fixes et consistants; entre les massifs montagneux qui s'y
rencontrent, la hamada, plateau rocheux, y lient une place
très importante, et encore plus le reg, sable ou gravier durci ;
les dunes sont localisées dans des massifs qu'on peut
tourner, et si Ton veut s'y engager, on y trouve ces grands
couloirs longitudinaux, parallèles au méridien, à terrain
solide, que l'on appelle gassis ; enfin, même en plein réseau
de dunes, il arrive fréquemment que le sable, soit durci ou
fixé par la végétation. \J^ 1 / ; v . ;,' :
Si l'on jette les yeux sur une carte un peu détaillée et ré-.
cente, on voit que, à part les deux massifs localiséàde dunes,
à l'est et à l'ouest, et qui sont séparés par une grande
hamada^ à part aussi les quelques régions montagneuses
du centre, presque tout le Sahara est désigné comme
^«marfa ou comme reg^ c'est-à-dire comme terrain consistant
el en général plan. (Juant aux massifs montagneux dont la
traversée s'imposerait, ils ont peu d'élévation, puisque l'on
est assuré d'un col entre les deux versants méditerranéen et
atlantique à 1360 mètres au-dessus du niveau de la mer et
qu'il est possible qu'on en trouve de moins élevés ; ces mas-
sifs montagneux, formés de terrains primitifs en général,
offrent naturellement un sol solide.
Toutes ces conditions sont on ne peut plus propices à
*l) Documents relalifs à ta mission dirigée au sud de r Algérie, page 6.
\2) Ibid., page 7.
102 LE SAHARA, LK SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAIIABIEN:
rétablissement et à Tentrelien d'une voie ferrée. Aussi la
première mission Flatters, quoique ayant traversé en pardV^
le grand massif.de dunes appelé le grand Erg orientai, es
arrivée, par ses observations propres pour une longueur dt:
600 kilomètres au-dessous d'Ouargla et par des renseigne-
ments sérieux pour 300 kilomètres au delà, jusqu'à la sebkb
d'Amadghor, à trouver qu'aucun obstacle ne s'opposait à
rétablissement et à la construction d'un chemin de fer dan>
cette région avec une dépense modique (Voy. plus loin,
pages 139 et 195) (1).
(1) Voici comment parle Flallors dans son journal à la dalo du 7 mars IS^^t
« Après ce haoud monté une pente assez raido sur Kanlra-Dahrat-Smihh. in
a plus de 30 mètres au-dessus du i'ond. O Kanli'a est large d'environ un kn"^
mètre et très pierreux. (l'est le seul obstacle depuis Ouargla pour un cliorii/
de fer, et encore n'est-il pas considérable » ; et également le ii mai-s : « 1."
reliefs de 3o et 40 mètres se montrent déjà assez souvent; il y a des ghounl>l'
70 mètres. Tout cela constitue; des obstacles pour la i*ccherclic d'un tra<'«' "
chemin de fer; néanmoins ces obstacles peuvent être tournés, comme uou-
l'avons reconnu. »
CHAPITRE III
Suite de la première mission Flatters.
Pluies et points d'eau observés par elle.
ht^oription du Sahura d'aprùs lechel et h'S mciubivs df celle mission. — Examen
lie la sic-cité et de l'aridité du Sahara. — Ces caractères du désert sont loin
lie se retrouver uniformément et d'une façon accentuée sur toute sa surface.
— Le Sahara, sur de nombreux points de son étendue, diffère beaucoup de la
réputation que lui fait la légende.
hiiporlance des caravanes qui traversent ce déserL — IF fournit aux nécessités,
(l'alimentation des bétes et procure de l'eau et du bois aux hommes. —
Kffeetif de la première mission Flatters. — La surface du Sahara se prête, en
maints districts, k une exploitation culturale ou pastorale et à rhat>itat per-
manent de rhomme. — Démonstration qui en est faite par le « Journal de
route » et les documents annexes de la mission Flatters. — Ce que boit un
chameau; comparaison avec la quantité d'eau qu'exigerait un train. — Tous
les explorateurs qui ont parcouru le Sahara ont reçu de la pluie. — Pluies
nombreuses et parfois très abondantes (ju'essuie la première mission Flatters.
— Évaluation de ces pluies. — Les points d'eau rencontrés et observés par la
mission. — Les eaux superlicielles. — Fréciuencc et inq>ortance des eaux
>outerraines. — La mauvaise qualité des eaux tient souvent aux débris orga-
nitpies qu'on y laisse. — Les moindres soins procureraient souvent de l'eau
abondante cl de bonne qualité.
L'obstacle des sables mouvants, on vient de le voir dans
le précédent chapitre, n'existe pas en ce qui concerne le
chemin de fer transsaharien. Tout indique, au contraire, que
rétablissement, comme Tentrelien, de cette voie ferrée serait
des moins coûteux.
L'imagination populaire et celle des trembleurs s*est
elTrayée d'un autre obstacle : l'absolue siccité du pays, l'irré-
médiable aridité : une voie ferrée de 2000 ou 2 500 kilo-
mètres ne peut s'exploiter sans quelques points d'eau pour
fournir à la locomotive la vapeur, sans un certain nombre
<\t stations pour abriter le personnel des cantonniers, des
employés de la voie et même ceux des trains qui ne peuvent
fournir sans arrêt ni repos une traite de 2000 à 2 500 kilo-
mètres. U faut donc que le pays traversé offre de place en
H)i LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FBR TRÀNSSAHAfilBKS.
place, tous lc3 100 kilomètres par exemple, sinon même
parfois, lo us les 70 ou 80 kilomètres, quelques ressources en
eau cl aussi en vivres, en bois, si Ton ne veut pas que les
Trois d exploitation soient très renchéris.
L'opinion accréditée est qu'il ne pleut pas dans le Sahara
ou qu*il n'y pleut que tous les cinq ou six ans, qu'il ne s y
trouve aucune eau à ciel ouvert, qu'il ne s*y rencontre
qu'un très petit nombre de puits, espacés entre eux parfois
de plusieurs centaines de kilomètres, et d'un débit minuscule,
qu'en outre rien ne pousse sur cette énorme surface, ni
plantes^ ni bois, que rien n'y vit non plus.
Or, tous ces traits sous lesquels on se représente le Sahara
constituent une légende. Il pleut dans ce désert, en certains
endroits assez souvent et assez abondamment; on y voit de
l'eau à ciel ouvert; les puits y sont très nombreux et souvent
auraient un débit important, s'ils étaient convenablement
entretenus ; la végétation non seulement n'est pas absente,
mais parfois est très drue et variée ; les espèces arborescentes
s'y rencontrent et, sur de nombreux points du désert, on voit
des arbres développés, qui seraient considérés comme
énormes dans les contrées tempérées de l'Europe ; le bois est
presque partout présent dans cette solitude. La vie animale
y est, sur beaucoup de points, très intense ; les conditions
d'habitat sont souvent propices à l'homme et les chaleurs y
sont fréquemment tempérées par des fraîcheurs nocturnes el
même par des froids allant à une dizaine de degrés au-dessous
de zéro. En un mol, si le Sahara est une contrée peu favorisée
et peu propice à la culture, dans son ensemble, il offre toutes
les ressources nécessaires au parcours de l'homme et des ani-
maux et même à la résidence permanente de l'homme ; il peut
permettre, en nombre de points, une exploitation culturale
et pastorale et entretenir des centres fixes de population.
Que le Sahara ne soit pas la surface sans eau et sans
plantes que s'imagine le vulgaire, les caravanes qui le tra-
versent en témoignent. Ces caravanes comptent souvent des
centaines de chameaux. Il faut les nourrir et les abreuver,
PREMIÈRE MISSION PLATTERS : PLUIES ET POINTS D*EAU AU SAHARA. iOîi
abreuver aussi les conducteurs, dans un pays où personne
ne s'occupe d*aménager et d'entretenir les eaux et les puits.
La première mission Flatters elle-même, on Ta vu, comp-
laît 105 hommes. « Le convoi comprenait 14 chevaux de
monture et 250 chameaux transportant des vivres pourquatre
mois et de Teau pour dix jours (1). » Parti ë'Ouargla le
T) mars 1880, elle y rentrait le 17 mai, par conséquent après
soixante -treize jours de marche.
Ces 14 chevaux et ces 250 chameaux avaient dû se nour-
rir sur place, sauf les provisions du début épuisées au bout
de peu de jours; ils avaient dû aussi s'abreuver et de même
les 105 hommes. Comment Tcussent-ils fait si le Sahara
n'avait ni eau ni plantes?
Pour démontrer Télat réel du Sahara, nous suivrons suc-
cessivement les journaux de roule de chacun des explorateurs
récents. Ce genre de description aura l'inconvénient d'ame-
ner des répétitions, mais il sera plus naturel et plus vivant.
L'auteur, c'est-à-dire nous, s'effacera ainsi derrière les explo-
rateurs successifs.
Commençons par cette première mission Flatters. Voici
ces 14 chevaux et ces 250 chameaux à nourrir et à abreuver
pendant soixante-treize jours de marche et ces 105 hommes
à abreuver. Sait-on ce que boit un chameau? Le journal de
la mission nous le dit. Un chameau, quand il se meta boire,
et il faut bien que cela lui arrive tous les cinq à six jours au
moins, absorbe 60 litres d'eau : « les chameaux buvant en
moyenne 60 litres d'eau en une fois, une journée entière ne
nous suffit pas (2) ». Une lettre de l'ingénieur Béringer,
publiée dans le même recueil, en date du 16 décembre 1880,
datée d'Hassi Inifel, confirme cette ration d'eau pour les
chameaux : c Mon méhari a consommé en arrivant 65 litres
d'eau. C'est relativement peu. Il était resté plus de six jours
sans boire. Mais pendant cette saison, les chameaux peuvent
être privés d'eau pendant bien plus longtemps encore sans
IM Documenls relatifs à la mission dirigée au sud de V Algérie, |»ago If.
(i2) Ibid,, page 54.
i06 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARU>^
inconvénient aucun. Nos chameaux de bât sont, d*ailleur^.
restés près de neuf jours sans être abreuvés, à cause de Ii
lenteur avec laquelle se fait le remplissage des bassins
quand on n*a qu'un puits à sa disposition (2i. > M. Béringri
écrivait en décembre, saison où les chameaux peuvent sup-
porter un plus longtemps de privation d*eau ; en avril etea
mai, à plus forte raison en été, ils sont plus exigeants. Ed
moyenne, il leur faut bien boire tous les cinq à six jours ; leur '
ration étant de60 à 65 litres, cela représente pour les 250 cha^
meauxde la mission Flatters, 15000 à 16000 litres parabreu
vage, soit 15 à 16 mètres cubesd*eau ; les Hchevauxonlbeson.
déboire plus souvent, mettons 5à61itresparjour : cela repré-
sente, pour les cinq jours que nous supposons d'espace enln
les puits, une trentaine de litres par tête, soit encore environ
un demi-mètre cube ; enfin les 105 hommes consommen-
bien un millier de litres en cinq jours ou un mètre cube ; nou>
voilà à 17 mètres cubes et demi pour chaque abreuvage
L'ingénieur en chef des ponts et chaussées Duponchel,
homme technique, au courant de Texploilalion des voie^;
ferrées, évaluait à 500 mètres cubes d'eau la quantité néces-
saire pour un train de 900 tonnes traversant les 3000 kilo-
mètres du chemin de fer transsaharien et de son prolonge-
ment en Algérie, soit un mètre cube d'eau pour 6 kilomètres:
chaque étape d'abreuvage de la première mission Flatters.
exigeant 17 mètres cubes et demi, correspondrait ainsi aux
exigences d'un train pendant 105 kilomètres; or, comme la
traction exige moins de charbon et de vapeur depuis 1878,
date où a paru le livre de Duponchel, on peut conclure que
la quantité d'eau nécessaire pour chaque ration de la pre-
mière mission Flatters suffirait actuellement à la traction
d*un train durant 150 kilomètres au moins.
Quand on dit qu'il ne pleut jamais dans le Sahara ou qu'il
n'y pleut que tous les cinq ou six ans, on use de cette façon
(le parler superficielle et censée approximative qui produit
(h Ihfcumi' ni s relatifs à la inission iltriyèe au auil de CAUjénet page 4:io.
PREMIERE MISSION KLATTËRS : PLUIKS ET POINTS D EAU AU SAHARA. 107
tant d'erreurs. En fait, tous les explorateurs qui ont par-
couru le Sahara, en quelque saison de Tannée que ce soit,
y ont reçu de la pluie et, en outre, y ont trouvé des traces
manifestes de pluies récentes.
Voici, par exemple, le journal de route de la première
mission Flatters ; elle quitte Ouargla le 5 mars ; à la date du 7,
le Journal de roule note : « Précisément, le temps est à la
pluie Pluie abondante et continuant toute la nuit (1) ».
(Juatre semaines après, le 2 avril, en plein Sahara central :
« A 6 heures, tempête violente du nord-nord-ouest. Vent et
lourbillons de sable ; pluie d'orage abondante ; les tentes
s^abatlent. A 7 heures, la pluie a cessé ; le vent se calme peu
à peu ; on parvient à remonter les tentes (2) » ; le 15 avril,
plus bas encore dans le Sahara, au-dessous du 27*' degré :
« Eau dans plusieurs dépressions du lit ; fond indiquant que
Toued a coulé il y a peu de temps ; en effet, il y a eu une crue
considérable l'hiver dernier, et il y en avait eu une Thiver
précédent; il a plu dernièrement encore (3) ». Voilà qui est
catégorique. Ainsi, dans cette pointe, qui dure moins de
deux mois et demi, du 5 mars, à partir d'Ouargla, jusqu'au
17 mai, retour à Ouargla, la mission Flatters reçoit deux fois,
à près d*un mois de distance, des « pluies abondantes » et cons-
tate, une autre fois, à plusieurs degrés de latitude plus bas,
la trace très visible de pluies récentes, ayant été précédées
d autres pluies dans chacune des deux années précédentes.
Si, au lieu du journal de route, on consulte le registre de
météorologie, tenu par Tingénieur Béringer, membre de la
mission, on relève les observations suivantes beaucoup plus
précises : 26 février, midi et 7 heures du soir, quelques
gouttes de pluie ; 28 février, petite pluie ; 1*' mars, 4 heures à
4 h. 30 du matin, petite pluie; 5 h. 30 à G h. 30, pluie
d'orage avec éclairs et coups de tonnerre, hauteur recueillie
3 millimètres ; 3 heures du soir, petite pluie, au sud d*0uargla ;
\\\ Documenls relatifs à la mission diriffêe au sud de l'Alyérie, paj^rs 18
et 19.
\i) Ibid,, page 49.
(3|/6(V/., |)ageGO.
108 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAUARIE^S.
2 mars, 8 h. 45 à 10 heures malin, forte pluie, 6 millim. 3;
10 heures malin à 1 heure soir, pluie moins forte, hauteur
I millim. 9; 11 heures du soir à minuit et le 3 mars minuit
ù 3 heures du matin, pluie, ensemble 3 millim. 6; 7 heures à
9 h. 45 malin, pluie fine, 1 millim. 9 ; 4 h. 45 à 6 heures du
soir, pluie fine, 1 millim. 8; 11 heures du soir à minuit, petite
pluie; 6 mars, midi « quelques gouttes de pluie. Il pleut
davantage au nord » ; 7mars, midi 30, petite pluie; 5 heures
& 7 heures du soir, pluie fine ; 7 heures du soir à minuit, pluie
fine ; 8 mars, minuit à 8 heures matin, pluie fine, ces deux
dernières ensemble 4 millim. 2; 1" avril, 11 h. 30 du soir,
quelques goules de pluie; 6 h. 30 à 6 h 45, pluie battante,
larges gouttes; 8 h. 45, la pluie reprend; 15 avril, 7 h. 30 à
8 heures du matin, petite pluie; 3 h. 15 du soir à 8 h. 15,
quelques gouttes de pluie; 9 h. 15 du soir à 11 h. 15, quel-
ques gouttes de pluie ; 20 avril, 3 h. 15 du soir, quelques
gouttes de pluie ; 4 h. 15 à 5 heures, forte pluie, 4 milli-
mètres; 26 avril, 2 h. 45 du matin et 6 h. 30 à 7 heures,
quelques gouttes de pluie; 30 avril, matinée, gouttes de
pluie; 10 h. 15 à 11 h. 30, pluie assez forte; 12 h. 30 à
2 heures soir, pluie forte; 8 heures à 11 heures, pluie,
11 h. 30, la pluie reprend; 1" mai, jusqu'à 6 heures du ma-
tin, pluie battante; 7 heures à midi, petite pluie; 2 mai,
II heures du malin, quelques gouttes de pluie; 1 h. 30 du
soir, forte averse, 7 millimètres ; 5 heures du soir, quelques
gouttes de pluie; 17 mai, 7 h. 45 du soir, quelques gouttes
de pluie; 18 mai également (1).
Ainsi, d'après le rapport météorologique de l'ingénieur
Béringer, du 26 février, à Ouargla, jusqu'au 18 mai de
retour dans la même ville après l'expédition jusqu'au lac
Menkhough, c'est-à-dire en quatre-vingt-deux jours, on a eu
de la pluie, peu ou beaucoup, pendant dix-sept jours ; parfois
ce ne sont que des gouttes, mais souvent aussi de « fortes
pluies» ou des « pluies battantes », des pluies prolongées
(l) Documents relatifs à la mission dingée au sud de VAlgérie, pages lîW à
169.
PREMIÈRE MISSION FLATTERS : PLUIES ET POINTS D EAU AU SAHARA. i09
pendant plusieurs heures; on n'en a pas relevé toujours la
hnuleur, ce qui était impossible quand on était en marche,
cl diverses pluies désignées comme fortes pluies ou pluies
battantes n'ont donné lieu à aucune mensuration ; mais là où
les pluies ont été mesurées, on relève 3 millimètres le
^'mars, 6 millim. 3 le 2, derechef 1 millim. 9 le 2; 3 mil-
lim. 6 le 3 mars et derechef 1 millim. 9 et 1 millim. 8 le
même jour; 4 millim. 2 le 8 mars; 4 millimètres le 20 avril ;
7 millim. 7 le 2 mai ; ce sont là des pluies notables, et
elles se produisent aux diverses étapes du voyage. Le total
des seules pluies mesurées en cette courte excursion est de
33 millim. 7 en cinq jours; ce n'est nullement insigniflant,
d'autant que les pluies non mesurées et dont quelques-unes
ont été déclarées « fortes i» ou « battantes » doivent sensi-
blement relever le total et peut-être le doubler. Il s'agit là
d'une excursion de moins de trois mois, au printemps, il est
vrai ; mais il y a, comme on le verra plus loin, d'autres
saisons de pluie au Sahara. On peut considérer que dans
maintes parties de cette immensité la pluie atteint, si elle
ne la dépasse pas, une moyenne annuelle de 8 à 10 centi-
mètres; or, si ce n'est là que le cinquième des pluies du
bassin de Paris, cela ne s'éloigne guère des pluies habi-
tuelles des oasis sud-algériennes et sud-tunisiennes (1), et
si Ton tient compte de Ténormité des cuvettes de réception
où se trouvent les dépressions, on peut conclure qu'une
fraction très appréciable du Sahara pourra se prêter à la
culture quand les procédés modernes pour la recherche et
Tulilisation des eaux y auront été introduits et que la sécurité
y sera garantie. Ce rapport météorologique de l'ingénieur
Béringer est absolument décisif et prouve que la pluie est
(t) La moyenne annucHc îles pluies (jui tombent dans la belle oasis sud-
tunisienne de Tozeur, observée sur les quatre années consécutives 189T-1U00.
«'>l (le 5o millimètres, à savoir : 53 millimètres en 1807, 51 en 1898, 58 en 180î>
•l 58 en 1900. Voir le document intitulé : Régence de Tunis; Bulletin de la
fUrection de V Agriculture et du Commerce. Publication trimestrielle. Tunis,
janvier 1903, page 133. Plus loin, il est vrai, ce même document (pago 13i) parle
<!«' liT millimètres pour l'oasis de Tozeur et de 1 13 millimètres pour la très belle
oasis de Nefla ; mais ces chiffres n'infirment pas les relevés positifs des quatre
anni'es 1897-1900 qui ne fournissent que la faible moyenne de 55 millimètres.
ilO LIi: SADAUA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TKANSSAllAKIbV.
assez frcquenle au Sahara ; les coustalations des autres
voyageurs sahariens ou transsahariens confirment, comme
on le verra plus loin, cette opinion.
L'idée qu*on ne rencontre pas d*eau visible au Sahara, que
toute Teau se cache, est fort exagérée ; certainement, à cause
de la nature du sol et de l'activité de l'évaporation, la géné-
ralité des eaux sont souterraines ; mais il s'en rencontra
aussi à ciel ouvert; le 16 mars, un peu au-dessus ihi
30'' degré, le journal de route de la mission s'exprime ainsi :
« Aïn Taïba (la bonne source) est une mare circulaire de
100 mètres de diamètre au fond d'un cratère d'effondremeni
à pentes de 30 à 35 degrés dont la profondeur jusqu'au
niveau de l'eau est de 15 mèlres... Ces eaux sont très peu
chargées de sels alcalins et, sans les débris organiques qui
s'y trouvent accidentellement, elles seraient de tout poinl
excellentes et très pures. Au centre, la profondeur de la man»
estde 5 mèlres (1). » Une mare de 100 mètres de diamètre
et de 5 mètres de profondeur n'est, certes, pas un point d'eau
insignifiant. En voici un bien plus considérable, tout à fail
en plein Sahara central, au-dessous du 26" degré et demi, le
lacMenkhough; le journal de la première mission Flatters en
parle ainsi : « Arrivée à 11 h. 30 au lac Menkhough. Campr
au bord du lac. Ce lac, de forme allongée dans la direction
sud-est-nord-ouest, est une étendue d'eau qui équivaudrail
à un carré d'environ 500 mètres de côté. Il forme comme un
cratère d'effondrement dans les dunes avec communication
à l'intérieur, côté ouest, l'oued Tedjoujelt. Il est parfois très
bas ; il a été presque à sec pendant quelques années ; il s'est
rempli de nouveau l'an dernier. Il paraît alimenté par de s
sources qui sont à peu près au centre. Un sondage opér**
vers ce point lui donne 8 mètres de profondeur ; d'autres
sondages donnent 5 mètres, d'autres 3 mètres. Des arbres
élevés, tamarins et gommiers, plongeant à demi dans l'eau,
indiquent les bords des eaux basses à environ 50 à 60 mètres
(1| homrnenls relatifs à In mission dirigée nu sutf de V Algérie, pago» 32 et «^.
PREMIÈRE MISSION FLATTKHS : PLUIES ET POINTS D'EAU AU SAIIAKA. 1 1 1
des bords actuels. Eau douce excellente. Poissons énormes
à chair très bonne (Clarias lazera). Oiseaux aquatiques,
entre autres le djaïs(?), le héron, etc. (1). »
Une pièce d'eau douce excellente, correspondant à un
carré de 500 mètres de côté, soit de 250000 mètres de super-
ficie, ou 25 hectares, avec une profondeur variant entre
3 et 8 mètres, ce ne serait en aucun pays du monde un phé-
nomène négligeable ; à 5 mètres de profondeur moyenne, la
masse d'eau douce représenterait 1 250000 mètres cubes.
Étant donné que, d'après l'ingénieur Duponchel, il faut
500 mètres cubes d'eau pour alimenter un train de 900 tonnes
parcourant 3000 kilomètres, c'est-à-dire plus que toute la lar-
geur du Sahara, et que deux trains transsahariens par jour,
un dans chaque sens, consommeraient ainsi 1000 mètres
cubes d'eau, soit, pour les 365 jours de Tannée, 365000 mètres
cubes, il en résulte que l'eau qui existait dans le lac Men-
khough, au moment où la première mission Flatters le visita,
suffirait, à elle seule, pour alimenter d'eau pendant plus de
trois années consécutives tous les trains du transsaharien,
en admettant qu'il y en eût un quotidien dans chaque sens,
avec une capacité de tonnage utile de 900 tonnes, soit de
plus de 650000 tonnes par an. Ce simple calcul suffit h
démontrer le ridicule prodigieux des badauds ou des étourdis
qui craignent que les trains du chemin de fer transsaharien
ne trouvent pas à s'alimenter d'eau.
Et quand le lac Menkhough n'offrirait pas un niveau
constant, qu'il baisserait de moitié ou même de plus, quand
m(>me il tarirait momentanément comme il est arrive à
quelques explorateurs de le constater, en certaines années
ou en certaines saisons, il n'en est pas moins vrai que la
nappe d'eau y reste généralement importante, comme en
témoignent « les poissons énormes à chair très bonne »
que la mission Flatters y a trouvés. En tout cas, môme quand
l'eau a disparu temporairement à la surface, il doit y en
\\) Documents relatifs à la missio?i diriyéeau sud de V Algérie^ pages 60 et 61.
112 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FEE TRANSSAHARIE5S.
rester sous le sol des quantités abondantes dont il serai:
certainement facile, avec un peu d*art, de tirer parti.
En dehors de ces dépôts d eau considérables» on renconb
très souvent des mares ou rhédirs, certaines ayant des pois^
sons, ce qui témoigne de la permanence» du moins relalivc
de ces eaux. Le journal de la mission Flatters en constate <!'
place en place, ainsi avant d arriver au lac Menkhougb. ir
15 avril elle 16 avril : c Thalweg de Toued Tedjoujelt de mim
en mieux dessiné par des berges élevées : eau dans quelques
trous ; trace de la dernière crue ; arbres magnifiques : iie!.
terfa, gommiers. A 5 kilomètres, deux puits comblés, ina.>
facilement réparables ; on ne les répare que lorsque les rhédin
sont à sec (1) » ; et le 18 avril, après avoir quitté le lac Meri-
khough et déjà à une certaine distance de ce lac : « Noni
breux rhédirs avec eau et poissons; Thiver dernier la hau-
teur d*eau était de 2 à 3 mètres, et de 4 à 5 mètres pendac;
quatre jours et quatre nuits l'avant-dernier hiver... En plu-
sieurs endroits on ne peut suivre le thalweg sans risquer de
s enfoncer dans le sable humide (2). »
L'ingénieur Béringer, membre de la mission, mais qo:
s'en est détaché pour faire quelques pointes latérales, s'ex-
prime ainsi à son tour dans son propre rapport, à proposa
TouedTedjoudjell, dans la même région du Sahara cenlral:
€ Le fond du ravin est sableux. On y distingue générale-
ment deux thalwegs, entre lesquels s*est accumulé un bour-j
relet de sable (in de 2 à 3 mètres de hauteur couvert de beauï
bouquets de tamarins et de pâturages. Souvent des flaques
d'eau de quelques mètres d'étendue forment, près desgro>
rochers qui émergent par place de la couche d'alluvion, de*
rhédirs limpides, dans plusieurs desquels nous avons vi
des poissons d'une dizaine de centimètres de longueur. Des
coquillages d'eau douce se rencontrent dans le sable que sil-
lonnent de nombreuses traces de mouflons. Sur les bords d<
ravin et de la butte terreuse qui fait saillie au milieu du lil
(l| Documents relatifs à la mission dirigée au sud de l'Algérie, page 60.
(i)Ibid., page 61.
PREMIÈRE MISSION FLATTERS : PLUIES ET POINTS D'EAU \U SAllARV. 113
les traces d'eau courante sont accusées par une laisse 1res
nette à 2 ou 3 mètres au-dessus du fond. Ce sont les eaux de
l'hiver 1879-1880 qui les ont produites. D'après les guides, la
crue de Tannée précédente a atteint un niveau encore plus
élevé : pendant quatre jours et quatre nuits les eaux ont
coulé, dans la partie aval de Toued, sur une hauteur de
4 à 5 mètres (1). » Le rapport de l'ingénieur Béringer, mem-
bre de la mission Flatters, est daté du 5 octobre 1880; il cons-
tate des pluies très abondantes pendant tout au moins deux
années consécutives, et des flaques d'eau nombreuses, mares
{rhédirs)^ qui doivent être à peu près permanentes puisqu^il
s'y trouve des poissons d'une dizaine de centimètres de
longueur.
Il en est de môme de la vallée des Ighargharen, toujours
en plein Sahara central : « Les points d'eau sont assez nom-
breux », dit M. Béringer, et il décrit, 5 son tour, comme étant
le principal d'entre eux, mais non le seul, le lac Menkhough,
auquel il attribue « 303 mètres environ de large sur 1 kilo-
mètre de long et une profondeur atteignant 8 mètres ». Ces
dimensions, qui correspondraient à 300000 mètres carrés ou
30 hectares, dépassent un peu celles données plus haut d'après
Flatters (Voy. page 110) et qui ne vont qu'à 250000 mètres
carrés ou 25 hectares. M. Béringer ajoute : « D'autres petits
lacs, mais tout h fait temporaires, se rencontrent dans la
moitié amont de la vallée. Ce sont des rhédirs, flaques d'eau
de peu de profondeur, qui conservent l'eau de pluie pendant
plusieurs mois, quelquefois une année (2) ». Il est clair que,
dans ce dernier cas, ces rhèdirs ou mares ont des chances
d'être permanentes.
Si la mission dans son exploration de moins de trois mois
a constaté des eaux superficielles, parfois assez importantes.,
en plein Sahara, les renseignements précis qu'elle a recueillis
et qui paraissent dignes de foi témoignent que, tout en étant
exceptionnelles, ces eaux superficielles ne sont pas tout à fait
(1» Uocumenis relatifs à la niissiuii dirujée au sud de l'Alf/érie, pages 8i et 85.
(il lôid., page 86.
8
if4 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIEN^.
rares. Ainsi Flatlers, clans son Journal de roule, décrit ains.
d'après les renseignements indiqués, la ligne d'El-Biodha
Hoggar : « D*El-Biodh au Hoggar, en terrain hamad
(Voy. plus haut, page 92), plat et facile, par continuation d
la direction du gassi (Voy. plus haut, page 99) de Mokhanz^
dix jours de méhari, soit à 50 kilomètres par jour, savoir
premier jour, d'El-Biodh, couché dans la hamada, peu d'eaa.
deuxième jour, mechra (cuvette), Aguelman en targui,
cuvette qui tient Teau pendant deux ans quand il a plu abon-
damment; troisième jour, foum (bouche, entrée) Amguid.
pas d'eau ; à droite une dune, à gauche une montagne ; pente
peu sensible; quatrième jour, Amguid, source permanentr
dans un oued; cinquième jour, hamada en deçà de i'ouec
Gharis; pas d'eau; pentes peu sensibles; sixième jour,
l'oued Gharis, puits très large et très peu profond ; Teau
presque à fleur de terre, au pied d'une sorte de mur de
rochers élevés; eau très abondante; nombreux lolh (goni-
miers) aux alentours. La tète de l'oued Gharis n'est séparée
de celle de l'oued Tighidjest,qui va au sud-ouest, que par uq
coudiat ou colline ; l'oued Tighidjest a sept sources abon-
dantes et un peu d'eau courante, mais rapidement absorbée
à quelque dislance ; septième jour, tête nord du Tifidesl ou
mont Oudan de la carte Duveyrier; eau abondante dans un
ruisseau permanent; cultures des touareg Hoggar; huitiènie
jour, un peu en deçà de Tinnakourat, pas d'eau ; mais à peu
de distance on trouve l'eau partout dans des sources et desi
ruisseaux permanents; neuvième jour, Tikhsi, source et
ruisseau, eau très abondante. Idelès est à deux jours de
Tikhsi ; on y arrive en suivant un oued permanent et en ren-
contrant en outre de très nombreuses sources (1). » Ce sort
là des renseignements indigènes; mais ils ont été contrôlêi
en grande partie depuis, soit par Flatters jusqu'à AmguiJ
dans son second voyage, soit par le lieutenant Cottenest dans
un raid qu'il a fait au Hoggar en 1902 et par le lieutenaDti
(1) Documents relatifs à la mission dirigée au sud de VAlgérie^ pages 47 vi »',
:MIÈRE mission FLATTERS : pluies et points D'EAU AU SAHARA. 115
ssel dans un autre raid, au cours de Télé de 1903. Nous
rierons plus loin de ces deux raids intéressants et des
islatalions qui y ont été faites.
La présence d*eaux superflcielles au Sahara est constatée
r tous les explorateurs ; les rhédirs ou mares, dont cer-
ns sont temporaires, mais dont d'autres sont perma-
tits, ont été rencontrés tout aussi bien par la seconde
ssionFlatters, la mission Foureau, ainsi qu'il sera démon-
i plus loin, et par toutes les diverses et nombreuses
plorations des vingt-cinq dernières années, ainsi que par
lie fort antérieure, plus prolongée, plus détaillée et plus
ientifique de Barth. Toutes ces observations ont, en diffé-
nls parcours et différentes saisons, relevé la présence
oueds où Teau coulait à ciel ouvert.
Néanmoins, à cause de la nature perméable des terrains
une grande partie du Sahara et de la force d'évaporation,
plupart des eaux sont souterraines. Celles-ci sont très
)mbreuses. De temps en temps, il faut faire plusieurs
apes, trois ou quatre, parfois cinq à six, sans eau ; ainsi, le
mrnal de route de la première mission Flalters note à
in Taïba, le 18 mars, que Ton ne doit pas compter sur de
îau jusqu'à El-Biodh, où elle arrive le 24 mars. Mais rien
5 prouve que Ton ne pût s'en procurer avec quelques recher-
les ou quelques travaux. Les caravanes et les explorateurs
ont le temps de faire ni les uns ni les autres et doivent s'en
nir aux ressources connues. Celles-ci sont assez nom-
euses et ne laissent jamais longtemps une caravane, même
! centaines ou de milliers de chameaux, dans l'impossibilité
) s'abreuver. Suivons à ce point de vue la première rnis-
an Flatters. Outre les rhédirs ou lacs dont nous avons
ijà parlé, tels que ceux d'Aïn Taïba et du lac Menkhough,
le constate en nombre de places des eaux abondantes et
ines. On se rappelle que la mission a quitté Ouargla le
naars dans l'après-midi; le 7 mars « Hassi Smihri, où il y a
t l'eau; puils de 7 m. 50, eau médiocre » ; mais le 9 mars
le puits de Medjira a de l'eau assez bonne et en abondance;
416 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIENS
profondeur 7 m. 50 ». Le 11 mars à Medjira : « Le puits r
Smèlres de profondeur; eau abondante, bonne,à 18 degrés ( 1 1 •
On fait des étapes où Teau est soit plus rare, soit de qualil^
médiocre; mais le plus souvent cela paraît tenir au manqua
de soin ; il y a des puits morts faute d'entretien ou deseain
souillées et gâtées par des déjections et des débris organi-
ques : le 6 mars « Hassi Terfaïa est un puits comblé depuis
sept ans». La situation, cependant, de ce point d'eau parais-
sait bonne : « Hassi Terfaïa est dans une sorte de cirque ou
d*assiette.... eau dans Hassibou Rouba qui est à enviroD
10 kilomètres d'Hassi Terfaïa, en ligne droite » ; le 16 mars.
Aïn Taïba, la grande nappe d'eau de 100 mètres de dia-
mètre, dont il a été question plus haut (page 1 10); eau excel-
lente, sauf les débris organiques qu'y laisse l'incurie des
nomades (1) ; le 24 mars : « Nous arrivons aux bas-fonds des
puits d'El-Biodli ». Ici tout le passage est à reproduire:
« Ces puits sont dans le sable et par conséquent le plus sou-
vent comblés quand il y a quelque temps que les gens y soni
passés pour y chercher de l'eau. 11 suffit de creuser à 60 cen-
timètres pour atteindre la nappe, qui est fort abondante.
Beaucoup de gens creusent avec un bâton et avec lo>
mains, et cela suffit parfaitement. Nous faisons faire une
tranchée pour abreuver les chameaux et quelques pui j
sards pour les gens et pour la provision d'eau. L'eau
est claire, mais amère et saumâtre ; elle marque entre i
1,0025 et 1,0045 au densimètre et constitue un purgatif!
énergique. Il faut remarquer, toutefois, que, dans certains'
endroits du fond d'El-Biodh, où il n'y a pas de débris vég*'*-|
taux enterrés, l'eau est un peu moins mauvaise que tout à
côté, là où, en creusant, on trouve des mottes de sable noi
râtre ; mais les indigènes ne se préoccupent guère de cette
distinction. Pour retenir le sable pendant qu'ils font boire
leurs chameaux, ils mettent souvent une jonchée de dria
(plante saharienne) qui s'enterre après leur départ et pulréfifl
(1) Documents relatifs à la mission divigt'e au sud de l'Alc/érie^ pages 17. lî),
22, 24, 32.
PREMIÈRE MlSSIOiN FUTTERS : PLUIES ET POINTS D'EAU AU SAHARA. 117
l'eau. Cela ne les empêche pas de revenir plus lard au môme
point pour creuser à Tendroit môme où ils se rappellent
avoir mis le drin (1). » Ainsi tout annonce qu'il se trouve à
El-Biodh une quantité d'eau considérable ; si elle est de mé-
diocre qualité, la cause paraît en être surtout les débris
végétaux dont les indigènes l'encombrent. Le 27 mars, le
Journal de roule constate un rhédir ou mare où se trouve
(le Teau; le 28 également; le 29 mars, arrivée à lazaouïa de
Timassinin, qui a un jardin divisé en compartiments, une
Kouba (tombeau du marabout Sidi Moussa), une maison de
gardien, une plantation de palmiers, des figuiers et un puits
artésien : « A son angle nord-ouest (du jardin) est un puits
artésien de 12 mètres de profondeur, donnant de Teau excel-
lente, mais en quantité restreinte; il gagnerait sans doute à
tHre curé ; mais les Touareg n'y songent guère. A environ
') kilomètres à Test, dans la dune, sont deux puits de
1 m. 50 de profondeur, abondants, entourés d'une cinquan-
taine de palmiers. Il est vraisemblable du reste que, si l'on
creusait dans le fond du Djoua et dans la dune, on trouverait
presque partout, à peu de profondeur, beaucoup d'eau de
bonne qualité (2). » Voilà donc un autre point d'eau très im-
portant et d'eau excellente; nous parlerons plus loin davan-
tage de cette très belle position de Timassinin, à propos de
la mission Foureau qui s'y est arrêtée.
La première mission Flatters séjourne plusieurs journées
à cette zaouïa, puis elle en part le 1" avril. Elle passe le 4 à
travers un gassi : « Nous trouvons une petite source comblée,
près de laquelle sont quelques tombeaux touareg; en dé-
blayant à un mètre, on peut avoir de l'eau, mais la terre qui a
comblé la source est noire de débris végétaux. Cette source
est celle de Touskirin. » Le même jour la mission arrive à
Ain Tebalbalet : « Source abondante dans un puits de
1 m..30; eau excellente. Quelques constructions en enceintes
Je mur en ruine sont autour de la source ; il y a des traces de
il» Ifocumenls relatifs à la mission dirigée au sud de l'Algérie, page 40.
'-) laid., pages i5 cl 40.
418 LE SAHAR\, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIE^^
quelques carrés de cultures abandonnées depuis Ionglemp>
deux palmiers et un grand gommier signalent la source &.
loin. » Le 5 avril, on rencontre « des fonds de datas ou ca-
vités; par places, dans plusieurs de ces daïas, le sol »■?
encore humide de Teau qui y a séjourné depuis peu: lui
d'elles est encore remplie d'eau » ; le 6 avril : « Aïn el-Ha
jadj, source des gens du Touat qui vont en pèlerinage à b
Mecque et qui y font étape chaque année, allant vers Tripo:
et rÉgypte... Lepuits au fond duquel est la source a 4 mètre-
de profondeur jusqu'à la surface de l'eau et est revêtu n
pierres; mais en ce moment il est complètement comblé pr
le sable, et nous avons à le déblayer; il donne une eau mi^
diocrement abondante, à peine 500 litres à l'heure, maisi
très bonne qualité. C'est une longue opération que de fair^
boire une caravane un peu nombreuse (1). » Ce passage es!
doublement intéressant, d'un côté en signalant de nouveau
rincurie des indigènes à l'égard des puits, d'un autre c6i*^
parce qu'il témoigne qu'un puils au débit de 500 litres à
l'heure, soit 8 litres par minute, est regardé au Sahara comme
médiocre ou insuffisant. Que des puits si mal entretenus el
l'objet tout au plus, au passage d'une caravane, d'un curag?
provisoire donnent une modique quantité d'eau, cela ne té-
moigne aucunement que ce débit modeste représente la toU-
lilé des ressources de la contrée. Le 12 avril : « Arrivée à
l'oued Ihan... A 5 kilomètres à l'ouest, au pied de la mon-
tagne, est un rhédir (mare) où se trouve de l'eau ». l'
13 avril, « campé dans la daïa Tibabili, près d'un rhédir où il
y a assez d'eau ». Le 15 avril, on arrive à Toued ïedjoujelt
« eau dans plusieurs dépressions du lit »; enfin, le 16 avri.
arrivée au lac Menkhough, grand réservoir d'eau (Voy. plus
haut, pages 110 et 113) (2).
C'est là le terme de la première mission Flatters; ellf'
revient ensuite sur ses pas; on voit que sur tout ce pa'*
(\) Documents relalifs à la mission dirigée au sud de V Algérie, page> "^
51, 53.
(2) Ibid., pages 58, 59. 60.
PREMIÈRE MISSION FLATTERS : PLUIES ET POINTS D'EAU AU SADARA. H»
cours, depuis Ouargla, du 32*^ degré de latitude au 26* et
demi, elle a toujours rencontré de Teau, soit coulant ou
stagnant à fleur de terre, soit souterraine, à peu de
profondeur, souvent dans Tun et Tautre cas très abondante,
toujours buvable et parfois excellente ; là où elle est mauvaise,
rinvasion soit de débris de végétaux, soit de déjections d'ani-
maux en est le plus souvent la cause. En plus des exemples
cités plus haut et qui sont empruntés au Journal de route
du colonel Flatters, en voici un autre tiré du journal du ca-
pitaine Bernard, membre de la mission, qui fît, au retour,
une reconnaissance latérale d'une autre route d'El-Biodh à
Ouargla; il atteint le 4 mai un point appelé Mokhanza et
s'exprime ainsi: « Nous prenons, à gauche de la dune qui est
devant nous, une sorte de petit gFa5s/( Voy. plus haut, page 99)
qui nous conduit, vers une heure, dans une plaine de reg
(V'oy. plus haut, page 97) où se voit, sur la gauche, à 1 kilo-
mètre, une sorte d'entonnoir de 150 mètres de large et de
15 à 20 mètres de profondeur, tout à fait pareil à celui d'Aïn
Taïba (Voy. plus haut, page 110); il n'y a pas d'eau; on le
nomme Mokhanza-el-Kédima (ancien). Nous reprenons notre
marche nord sur la dune qui est devant nous et qui est le
Ghourd Mokhanza ; nous le contournons et, après trois quarts
d'heure de marche environ, nous sommes devant un deuxième
entonnoir de mêmes dimensions que le premier et au fond
duquel se trouve un puits : c'est Aïn Mokhanza-el-Djedida
(nouveau). Le puits a les dimensions et les formes données
par le croquis ci-après. L'eau est fétide [mokhanza veut dire
fétide, pourri); elle répand une odeur sulfureuse très pro-
noncée ; sa température est de24''. Elle est abondante et claire;
si on la laisse à Tair quelques heures, elle perd complète-
ment son mauvais goût et sa mauvaise odeur et est alors
très bonne à boire. Il y a environ 20 à 25 centimètres d'eau ;
elle est rendue fétide par toutes les immondices qui y tombent
quand des campements sont établis aux environs ; ils doivent
être très nombreux à certains moments. » Les puits d'ail-
leurs abondent dans celte région qu'a visitée le capitaine
120 Lfi SAIIAHA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSÀHAR1E^
lîcrnard; le 10 mai, son journal noie : « A 12 h. 50 no>
descendons dans un grand fedj appelé Fedj-el-Mzabi, q:-
ïious suivons un certain temps; vers 2 h. 10, nous laissons •
d roi le, à 2 ou 3 kilomètres, un puits mort, à côté d'un-î
touffe de larfa (tamarin), il se nomme le Hassi {1) Humeïai
A 2 h. 20, on nous signale au nord-ouest-nord le Ghoun
beh-Seroual h 9 kilomètres environ ; il y a un puits de bonr^r
eau au sud de ce ghourd; à Touest-sud le Ghourd-el-Bio<ii
avec un puils de mauvaise eau salée, et, un peu au sud dec
dernier, le Hassi-ben-Ghezel, puits de bonne eau. » Le len-
demain 11 mai : « Départ à 4 h. 50; nous marchons dans h
nebka ( Voy. plus haut, page 97) jusque vers 6 heures. Nous
avons à notre nord le Hassi-el-Achïya au pied d'une gara
(Voy. plus haut, page 96) assez élevée dite Garet-Djebbana.
qui est à 7 ou 8 kilomètres. A 7 h. 10 nous sommes dans m
fond sablonneux où apparaît parfois le gypse qui seprolong'-
h droite et à gauche. Devant nous, elle est fermée par une
ligne de gour de 15 à 20 mètres : le puits Hassi-Teboub est au
milieu, l'eau y est bonne et abondante. Nous restons à Ilassi-
Teboubde 7 h. 10 à 2 h. 15 pour y faire pûturer et boire les
chameaux.... A 3 h. 20 on nous signale au sud-ouest le
Hassi Mohammed-ben-Kzarbel, sans eau. A côté, le Hassi-
cl-Guettar, puits d'excellente eau, au dire des indigènes (?i "
Ce journal du capitaine Bernard, sur une petite exploration
latérale, se joignant à celui du colonel Flatters, le confirme,
de même qu*il sera confirmé, à son tour, on le verra plus
loin, par toutes les explorations ultérieures. Mokhanza, dont
il est question ici, est aux environs du 3P degré, un degiv
approximativement au sudd'Ouargla. Les puits vivants sont
nombreux, parfois abondants, dans la plupart des cas le
débit pourrait en être accru; les puits comblés pourraient, si
Ton s'y appliquait, être curés et entretenus; les puits morts,
dans beaucoup de cas, pourraient être revivifiés; le>
(1) Nous rappelons (|ue hassi veut dire « puils ».
(2) Documents relatifs à la mission dirigée an sud de /M/r/eWe, pages '
ot 77.
Pa E3IIÈRE MISSION FLATTERS: PLUIES ET POINTS D'EAU AU SAHARA. 121
pu ils félidés, assainis. Bref, le Sahara est une immense ré-
j^rion où les ressources en eaux superficielles ou souterraines
îsont assez étendues; mais il est probable que le dixième de
ces ressources n'est ni connu, ni entretenu, ni utilisé.
CHAPITRE IV
La première mission Flatters {Suile). — La végétation
HERBACÉE ET ARBUSTIVE Ç)U'eLLE A CONSTATÉE AU SaIIARA.
Grande variété des plantes au Sahara. La plupart sont fourragères. Ênum"
ration des plus répandues d'<»ntre elles. — « Véritable prairie ». — La faun'
du Sahara d'après la première mission Flatters.
Le bois et les arbres. — Les principales essences arbustives. Débris nombreux •!
possibilités de palmeraies. — Les gommiers. — Les itels. — Arbres « f'»noriiie* ■
L'insécurité est cause que les cultures ne sont pas plus nombreuses.
Autres renseignements sur la faune. — Troupeaux de chèvres. — Animaux vai k ^
Les ressources du Sahara en plantes frappent plus le regard
que les ressources en eau. La prétendue stérilité absolue du
Sahara est une légende qu'il est facile et nécessaire de détruire.
Même des hommes instruits ont partagé sur ce point Topinion
commune. Un naturaliste russe, qui avait beaucoup étudié le
Turkestan et qui visita ensuite l'Algérie, sur laquelle il écrivit
un livre fort intéressant, M. deTchîhatchef(l), pensait avoir
trouvé une plante qui pourrait prospérer au Sahara. L'expé-
rience a montré qu'il n'est nul besoin d'une semblable dé-
couverte; dès maintenant, sur la plus grande partie de sa
surface, cette immensité, proclamée désertique, jouit d'une
végétation aàsez variée et parfois fort abondante. Elle con-
tient de nombreux pacages et des bois. Sans doute, la ha-
mada, plateau pierreux (Voy. plus haut, page 92) est d'une
grande aridité; mais elle est le plus souvent entrecoupée par
des terrains d'autre nature, des oueds où la végétation abonde;
quant au reg, à la nebka (Voy. plus haut, page 97), à plus forte
raison aux dunes ou aux divers terrains mixtes, ils offrent
des plantes nombreuses et utiles, des arbustes et jusqu'à des
arbres, parfois de très grande dimension. Tous les explora-
teurs en témoignent.
(l) Tchihatchef, Espagne, Algth-ie el Tunisie. Lettres à Michel Chevalier.
PREMIÈRE MISSION FUTTERS. — LA VÉGÉTATION SAHARIENNE. 123
Les plantes fourragères notamment foisonnent au Sahara,
on y en trouve plusieurs dizaines d espèces. A la date du
6 mars 1880, le Journal de roule de Flatlers, pendant sa
première mission, s'exprime ainsi : « A Terfaïa, végétation
abondante, excellente pour refaire nos chameaux : damran^
drin, hade, alenda, relem^ aria, guedem (1) ». On n'est en-
core qu'à deux journées au sud d'Ouargla, voilà sept plantes
fourragères désignées. Le 19 mars : « Campé dans Fedj-
Beïda, contre la chaîne des dunes à notre droite, où les cha-
meaux trouvent des pâturages, hade^ alenda^ nessi, un peu
de ghessaL Ici le ghessal apparaît pour la première fois par
touffes isolées. Il devient plus abondant plus loin; les cha-
meaux élevés chez les Touareg le mangent volontiers; les
autres le dédaignent, et nous pouvons constater le fait, ayant
chez nous des animaux de diverses provenances (2). » Il faut
ici peser les termes; on a dit souvent que les pâturages
du Sahara n'élaientque des broussailles espacées; le passage
ci-dessus du Journal de roule de Flatlers contredit cette
assertion : il remarque, en effet, que cette plante nouvelle, le
ghessaly « apparaît pour la première fois par touffes isolées »;
il ne ferait pas cette remarque si toutes les plantes fourra-
gères du Sahara étaient dans ce cas; il ajoute, d'ailleurs,
que le ghessal devient plus abondant plus loin. Il y a là
deux plantes nouvelles, en plus des sept citées plus haut, ce
qui porte le nombre à neuf. Le 21 mars, il note les mêmes
plantes. Le 23, n'étant plus dans la dune, mais dans legassi
(Voy. plus haut, page 99), il dit: « Par places, sur notre
roule, sont des plaques de sable où s'est fixée une végéta-
tion assez abondante: hade, nessi et, pour la première fois,
une plante qui, paraît-il, pousse en grande abondance dans
le pays des Touareg. On la désigne sous le nom assez gé-
néral de chélial (touffe, petite touffe) à cause de sa forme en
boule (3). » Cette observation également contredit, ainsi que
Ih Documents relatifs à la inission dirigée au stul de l'Algérie^ page 17.
(2) Ibid., page 34.
(3) Ihid., pages 37 et 38.
124 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAflARlEN?.
celle plus haut et d'autres qu'on trouvera plus loin, que ce-
plantes fourragères ne se trouvent au Sahara qu'à l'état spo-
radique, des unités isolées, puisqu'on a dû donner un nom
spécial à Tune d'elles qui se présente par petites touffes. Le
nombre des plantes est porté à dix. Le lendemain 24 mars,
entrant dans la sebkha d'El-Biodh, le /our/ia/ de rotf/e de Flal-
tersconstate que« les pâturages pour leschameaux soni Iré?
abondants en cet endroit le long de la sebkha (1) ». Lt
27 mars : « La végétation est très abondante sur un fon*! de
sable: belbel, damran^ hadjerem, baguel, lerfa moins abon-
dant que dans la sebkha (2) ». Il y a là quatre plantes qui se
joignent aux dix précédemment nommées et en portent le
nombre à quatorze ; on remarquera que si, dans cet endroit,
le fond est de sable, il doit être fixé par cette végéta-
tion. Et tout du long du parcours, sauf des interruptions
passagères, des notes analogues reviennent, avec Tindicalion
de plantes fourragères nouvelles ; ainsi, le 1" avril : « végé-
tation abondante: aria, s far, halma, etc. (3) »; en laissant
de côté l'obscur quoique significatif et cœiera, voilà deux
plantes nouvelles à joindre aux quatorze dont il a été question
plus haut, ce qui en élève le nombre à seize. Le 4 avril, en
voici une nouvelle encore ; on est près de la source de Tous-
kirin: c( Autour de la source sont des bolhimay sorte de jus-
quiame,commeà El-Biodh, del'ar/a et des damran en abon-
dance (4). » Nous voilà donc à dix-sept plantes diverses.
En voici d'autres le 11 avril : « Départ d'Aïn el-Hadjadj.
Gassi plat, rcg avec quelques cailloux ; végétation : aria,
azal, tahelna, plante nouvelle (5). » Ces derniers mots
sont du journal de Flatters, et comme nous n'avions pas
déjà mentionné l'avant-dernière, nous voici à la dix-neu-
vième. Le 12 avril, le Journal de route en nomme trois nou-
velles en spécifiant pour Tune d'elles celte nouveauté:
(Il Documents relatifs à la mission dirifjée au sud de C Algérie, page 39.
\'l) I/tid., patçe 42.
(|{) Ibid., page 47.
(4) I/)id , page TiO.
[l)) /Air/., page o(i.
PREMIÈRE MISSION FLATTERS. — LA VÉGÉTATION SAHARIENNE. 125
« boukher (plante nouvelle), dit-il, naamia (crucifère), fossa
(petite luzerne), etc. (1) ». Voilà donc en tout vingt-deux va-
riétés de plantes sahariennes en dehors des essences arbo-
rescentes dont il sera question plus loin; ailleurs, il est
question d'une autre; la plupart des vingt-trois plantes citées,
sinon toutes, sont fourragères; les plus importantes et les
plus répandues paraissent être le hade, le drin, et le nessi
ou néci.
Ces plantes, loin de se présenter toujours, ainsi que le
croient certains, à Tétai sporadique, forment parfois de
véritables tapis et des prairies comme en France; le mot
n'est pas de nous, nous le trouverons chçz plusieurs explo-
rateurs et d'abord chez Flatlers. Le journal de Flatters, le
rapport de l'ingénieur Béringer constatent, à chaque instant,
des pâturages abondants (2); si Ton en manque de temps
à autre, c'est exceptionnel.
Au lieu de notes sèches relatant la végétation satisfaisante
ou abondante, le Journal de route de Flatters s'étend
parfois un peu plus : ainsi le 6 avril, aux environs d'Aïn el-
lladjadj : « Passé dans un véritable bois de tolh (gommiers)
et dans une sorte de vallée très riche en végétation : tama-
rins, chebreg (crucifère), rf/7/i, ar/a, bou rekouba (graminée).
Les Touareg appellent ce lieu un jardin, et le fait est que
tout paraît y pousser merveilleusement; il est rare de voir
au désert des plantes d'une aussi belle venue (3). » On peut
noter là deux plantes nouvelles, en dehors des lolh qui sont
des arbres et dont il sera question plus loin; il faudrait
joindre ces deux plantes aux vingt-deux énumérées plus
haut. Il n'est pas jusqu'à la réserve terminant ce passage
de Flatters qui ne soit instructive; l'explorateur dit qu' « il est
rare de voir au désert des plantes d'une aussi belle venue »,
ce qui indique que cela se rencontre non pas une fois, mais
quelques fois, et que, d'autre part, les plantes d'une moins
(Il Documents relatifs à la mission dirigée au sud de V Algérie, pag€ 57.
(2) Voy. notamment, dans le recueil de documents cité, les pages 19, ti, 23,
30. 34, 35, 38, 39, 40, 42, 45, 51, 52, 54, 57, 58, 60, 75. 84, 85, 86, 99.
(3) Ibid,^ page 54 (Voy. aussi constatation analogue, pages 55, 59).
126 LE SAUâRA, le SOUDAN ET LES CDEMINS DE FER TRANSSAHAR1£N>.
belle venue y sont fréquentes. Le 7 mai, au sud d'El-Biodh:
« Pendant toute la matinée, nous marchons dans une véri-
table prairie de néci vert en touffes peu serrées qui donnenl
au gassi une teinte verdâtre toute particulière. Il y a beau-
coup de gibier en ces endroits, surtout des antilopes
oryx(l). » On est là au-dessous du 28" degréetdcmi, 3 degrés
et demi au sud d*Ouargla. Voici une autre description se
rapportant à un degré plus bas, au 27* degré et demi, par
conséquent tout à fait au Sahara central, à moitié chemia
entre Biskra et TAïr et à moitié route également, ou il ne
s'en faut guère, entre Alger et le lac Tchad; cette descrip-
tion est due, non plus à Flatters, mais à son compagnon,
l'ingénieur des travaux publics Béringer. « Entre le lac
Menkhough et Toued Samou, qui débouche un peu au sud
d'Aïn el-IIadjadj, le paysage n'est pas disgracieux. Le thal-
weg est dessiné par un petit ravin de 3 à 4 mètres de pro-
fondeur dans les étranglements, de 50 centimètres à 2 mètres
ailleurs. Dans son lit et sur ses bords poussent des tamarins
et des gommiers de grandes dimensions avec des broussailles
d'azel. De beaux pâturages, des prés de luzerne et de cruci-
fères se rencontrent à chaque pas. Le mouflon et l'onagre
se présentent souvent à portée de fusil. Il en est de même
des grues, des corbeaux, des faucons. Les pigeons surtout
sont en grande abondance. Les Touareg Azdjer envoient
souvent leurs troupeaux de moutons et de chèvres en pâtu-
rage dans cette région. C'est leur refuge dans les périodes
de longue sécheresse. Des restes de gourbis se voient en
différents endroits, ainsi que de nombreux cimetières, témoi-
gnage des anciennes luttes entre Touareg et Chaamba (2;. »
Ainsi, sous la plume de l'ingénieur Béringer, le mot pré
apparaît, de môme que celui de prairie^ sous celle de Flat-
ters; et que ces prés ou prairies soient différents de ceux ou
de celles de Normandie ou môme du Languedoc, cela n'em-
pôche qu'il n'y ait là non pas quelques plantes éparses, mais
^ll Documents relatifs à la mission dirigée au sud de l'Aljêrie, page 75.
[i] Ibid.t pa«c 80.
PREMIÈRE MISSION FLATTERS. — LA VÉGÉTATION SAHARIENNE. 127
une certaine continuité de végétation. La dernière remarque
relative aux luîtes meurtrières entre Chaamba et Touareg
signale le principal fléau du Sahara, sur lequel nous aurons
à revenir et qui, plus que Taridité de la nature, fait de cette
immensité une solitude, l'insécurité. En remontant plus
haut vers Ouargla et avant d'y arriver, dans la région des
gour (Voy. plus haut, p. 96), le môme ingénieur Béringer
écrit : « Le fond des dépressions est du sable plus ou moins
mamelonné, du genre nebkay avec de beaux pâturages et
de nombreux puits... Tout le pays est habité par les nomades
qui y trouvent de Teau, des pâturages, du gibier. On y
rencontre fréquemment leurs campements (1). »
Nous ne prétendons certes pas que des étendues complè-
tement arides, notamment de hamada, ne s'entremêlent pas
aux surfaces où poussent les plantes fourragères ; il nous
suffit de dissiper celle légende qu'aucune vie végétale ne se
rencontre dans ce désert; on y trouve, au contraire, cette
vie à un degré plus ou moins intense, sur la généralité de sa
superficie.
Ce qui surprendra peut-être davantage, c'est que l'on
rencontre presque partout du bois dans le Sahara, parfois
même de très beaux bois que l'on admirerait encore en Eu-
rope. Fréquemment, ce ne sont que des buissons, des arbustes
ou des arbres mal venus; d'autres fois et assez souvent,
non pas en telle ou telle place déterminée et sur tel parcours
spécial, mais d'une façon qui n'est pas rare et sur des par-
cours très divers, de beaux arbres apparaissent soit isolés,
soit groupés et parfois à l'état de bois; il en est ainsi non
seulement dans le Sahara septentrional, mais encore plus
peut-être dans le Sahara central et dans le Sahara méri-
dional. Les récits concordants de tous les explorateurs, ayant
suivi des directions difl^érentes, en témoignent. Tenons-nous-
en, pour le moment, aux renseignements de la première mis-
sion Flatters.
(1) Documents relatifs à la mission dirigée au sud de V Algérie, page 99.
128 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FEU TRAiNSSAHARlCNr
Les arbustes et arbres sahariens sont d'essences Irr-
diverses : le palmier d'abord se rencontre dans toute la parli»
septentrionale, là surtout où il y a quelques eaux pern^a-
nentes et quelques habitants fixes; le palmier a, en effet, des
exigences; il lui faut, sinon des cultures régulières, du moit.-
quelques soins intermittents. Dans le Sahara méridional,
on le verra plus loin par les récits de Barth, le palmier
doum, espèce plus rustique, qui vient d'Egypte, est beau-
coup plus fréquent. Un arbre, plus méridional que le pal-
mier et beaucoup plus rustique, c'est le gommier, qui pros-
père sans culture, trouve dans le Sahara des conditions
favorables et y atteint un grand développement. D'autres
arbres, très vivaces, très résistants aussi, se rattachent au
genre tamarin, notamment Téthel qui fournit de superbes
spécimens quasi dans toute l'étendue du désert. D'autres
espèces apparaissent dans le Sahara méridional, mais il sera
temps d'en parler dans la suite.
Jamais aucun groupe d'hommes traversant le Sahara
n'a manqué de bois, et toute caravane ou toute mission en
a besoin, soit pour cuire ses aliments, soit même pour se
réchauffer, car le froid est souvent très vif la nuit dans le
désert; il s'y tient fréquemment au-dessous de zéro et
s'abaisse jusqu'à 10° au-dessous.
Voici quelques notes du Journal de roule de Flatters
(première mission) au sujet des bois. Le 24 mars, aux envi-
rons d'El-Biodh, c'est-à-dire vers le 28'' degré et demi de lati-
tude, 3 degrés et demi au-dessous d'Ouargla : « Au sud-sud-
ouest du camp, séparé de nous par un sif de dunes et à
environ 1500 mètres, est un autre fond où sont les palmiers
signalés par Bouderba. Ils sont au nombre d'environ cent
cinquante. On peut avoir de l'eau en creusant dans cet
endroit comme nous le faisons. » Le 27 mars, après deux
jours de halte dans cette localité : « Départ d'El-Biodh à
6 heures. Route au sud dans la dune. Laissé à gauche le
bouquet de palmiers dont il a été parlé le 24; un autre bou-
quet est plus loin hors de vue. Ces deux plantations sont
PREMIÈRE MISSION FLATTERS. — LA VÉGÉTATION SAHARIENNE. 129
•elativement récentes; elles sont dues au cheik Othman.
Plus loin, nous passons, laissant à droite un troisième
bouquet dans un fond de dunes bordé à Touest par un banc
de roches calcaires qui ressemble assez bien à un mur bâti
sn soutènement du sable... Â la même hauteur que les pal-
miers dont il vient d'être parlé, mais à notre gauche et hors
de vue, est un quatrième bouquet connu, comme le troisième,
sous le nom de Vieux Palmiers d*El Biodh (1). » Ainsi, de
vieux palmiers subsistent, et il se trouve encore quelque
homme entreprenant pour en planter de nouveaux.
Cent kilomètres plus au sud, à Temassinin, nouvelle
palmeraie : < La kouba (tombeau de Sidi Moussa) est crépie
en plâtre blanc et fait assez bon effet sur le fond vert des
palmiers... Le jardin formant un rectangle, entouré de murs
en ruine, renferme de cent cinquante à deux cents palmiers,
quelques figuiers et quelques carrés d'orge et d'oignons...
A environ 5 kilomètres à l'est dans la dune, sont deux puits
de 1°',50 de profondeur, abondants, entourés d'une cinquan-
taine de palmiers (2). » Ces petites palmeraies pourraient
être fort étendues et comprendre peut-être quelques milliers,
sinon même quelques dizaines de milliers, de sujets, car
Flalters remarque qu'en creusant le sol « on trouverait
presque partout, à peu de profondeur, beaucoup d'eau de
bonne qualité d. L'éloge presque enthousiaste que, vingt ans
plus tard, l'explorateur Foureau, ainsi qu'on le verra par
la suite, fait de la situation et des ressources inexploitées
de Temassinin confirme l'appréciation favorable de Flatters.
L'insécurité est le principal obstacle à la création et à la
durée de nombreuses oasis dans le désert; il est probable
qu'il s'en constituerait tout un chapelet, si le planteur était
sûr de pouvoir récolter. Les récils des explorateurs indi-
quent des plantations vivantes, mais beaucoup aussi de
plantations abandonnées, sans doule parce que les cultiva-
teurs n'en pouvaient pas jouir en paix ; le 19 février, un peu
ili Hocumenls relatifs à la mission dirigée au sud de l'Alfj(rip, pages 40 et 41.
<-t Und., page 4o.
9
130 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIENS.
au-dessus d'Ouargla, le Journal de roule de Flallcrs
s'exprime ainsi : « Dans Toued Sidi-bou-Hania, il y a de
l'eau à 50 ou 60 centimètres de profondeur sous le sable.
De la route suivie par la mission, on aperçoit, à Test, des
palmiers dans Toued Sidi-bou-Hania. Ils appartenaient
au village de Sidi-bou-IIania, mais ce village a été
détruit et abandonné il y a cinquante ans. Les dattes sont
récoltées aujourd'hui par les marabouts d'El Goug qui les
distribuent aux pauvres. On peut en ramasser en passant
et en manger sur place ; mais en faire provision serait une
profanation (1). » Flatters ayant parcouru ces lieux en 1880.
la destruction du village cinquante ans auparavant s'était
effectuée avant la domination française. Des palmiers,
isolés ou par petits groupes, sont de temps en temps signa-
lés, preuve que les conditions du pays sont en bien des
lieux propices à cet arbre utile.
Une place plus grande, dans cette immense aire saha-
rienne, semble toutefois réservée au gommier qui a beaucoup
plus de rusticité et qui pourrait être exploité d'une façon
productrice, comme il l'est au nord du Sénégal. Le gom-
mier monte beaucoup moins au nord que le palmier; c'est,
avec l'éthel, le plus beau végétal du Sahara central. La mis-
sion Flatters rencontre le premier gommier aux environs
d'El Biodhy soit vers le 28*^ degré et demi. « Sur la rive
gauche, à environ 3 000 mètres de notre ligne de passage,
on aperçoit un gommier (/o/Aa), le premier que Ton ren-
contre en venant du nord (2). » Un arbre qui s'aperçoit
de 3000 mètres, même avec la transparence du désert, ne
doit pas être insignifiant. Qu'on retienne ce mot de lolha
ou gommier; les récits et les caries du grand voyageur
allemand Barth nous feront connaître qu'il s'en rencontre
de gigantesques sur le versant méridional du Sahara ; mais
il s'en trouve aussi sur le versant méditerranéen. 0"^'"
ques jours après, le 3 avril : « dans les ravins se trouvent
(1) Documents relatifs à la mission dirigée au sud de VAlgériet page 6.
J2) Jbid,, page 43.
PREMIÈRE MISSION FLATTERS. — ARBRES ÉNORMES. 131
plusieurs tolh (pluriel de talha, gommier), » et le lendemain,
le 4 avril, le Journal de route de Flatlers note encore près de
Touskirin : < Quelques tolh (gommiers) commencent à paraî-
tre en broussailles d'abord et bientôt en arbres élevés ; les gom-
miers et la végétation de la vallée valent la peine que Ton
se donne pour suivre la ligne courbe (1). » Le 6 avril, avant
d'arriver à Aïn-el-Hadjadj : « Passé dans un véritable
bois de /o/A (gommiers)», et à ÂYn-el-Hadjadj même « : Près du
puits est un beau gommier. D'autres gommiers, en très grand
nombre, se trouvent plus loin dans les vallées couvertes d'une
végétation abondante (2). » Et fréquemment, sur le parcours, la
mission admire des arbres, gommiers ou éthels; le 11 avril :
« Campé dans un véritable bois d'azal et de tamarins, d'une
hauteur et d'une force de végétation remarquables » ; le len-
demain, 12 avril : « Passé dans une daïa couverte d'une
splendide végétation : chich, azal, arta, tarfa et itel énormes,
quelques-uns ont 2 mètres de circonférence à 1 mètre au-
dessus du sol (3). 9 Ici la précision est précieuse : des
arbres de 2 mètres de circonférence sont partout, même en
Europe, réputés de fort beaux arbres. Le 15 avril : « Végé-
tation très active. Le lit de l'oued Tedjoujelt est nettement
marqué par des berges couvertes d'arbres : itel et tarfa,
gommiers, etc. Les itel et les tarfa sont toujours énormes...
Au delà de ce cap, la vallée de l'oued Tedjoujelt forme une
immense daïa plate qui est une prairie naturelle remar-
quable; fossa, herbes fourragères, etc. Le thalweg même de
l'oued, toujours bien marqué, court dans les tamarins et les
gommiers. On se croirait dans une tout autre contrée que le
Sahara central. Cette prairie est dite Tehen-Tlemoun (4) » ; le
16 avril : « Arbres magnifiques, itel, terfa, gommiers ». On
arrive au lac Menkhough, le 16 avril : « Des arbres élevés,
marins et gommiers, plongeant à demi dans l'eau, indiquent
s bords des eaux basses à environ 50 à 60 mètres des bords
(1} Documents relatifs à la mission dirigée au sud de l'Algérie, pages 49, 50,
tl et 52.
\i) Ibîd., page 54.
13) Ibid,, page 57.
132 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSiflARIENS.
actuels (1). » Le journal relate aussi, le 15 avril : « des lits de
branchages élevés au-dessus du sol; c'est un usage du pays
pour se préserver des vipères qui pullulent dans la dune *.
Ce n'est pas en un point exceptionnellement favorisé, c'est
en divers, assez nombreux et s'échelonnantsur tout le par-
cours, que la mission Flatters a rencontré des arbres assez
pressés, pour que le Journal de roule les désignât plusieurs
fois sous le nom de bois et assez développés pour qu'il les
qualifiât d'énormes en assignant à certains, à un mètre
du sol, cette circonférence de 2 mètres qui paraît impo-
sante môme dans les pays tempérés.
La vie végétale n'est donc pas absente du Sahara, elle n*v
est même pas rare; elle s'y montre diversifiée en espèces
fourragères, comme en espèces arborescentes, etelle y atteint
parfois une véritable puissance.
Il en est de même de la vie animale : les animaux domes-
tiques, moutons, mouflons, chèvres, troupeaux de Touareg
ou d'autres indigènes, s'y rencontrent et, sans doute, sans
rinsécurité qui, plus que la rigueur de la nature, désole ce^
immensités, ils pourraient y être assez nombreux. Les razzias
réciproques des Chaamba et des Touareg, ou parmi ceux-ci
de diverses tribus ou de groupes dissidents, effraient et dis- |
persent les malheureux bergers, aussi bien que les cultiva- {
teurs (2). On en rencontre, cependant, même dans des contrées
qui paraissent médiocrement propices; outre les moufloDs
plusieurs fois cités, les chèvres constituent parfois de véri-
tables troupeaux; ainsi, le 12 avril, < la daïa est limitée au
sud et au sud-est par la Gara (Voy. plus haut, page %) de
Nanghar, à pentes peu raides ; hamada noire et stérile cou-
verte de grandes pierres. Les nanghar sont des trous
entourés et couverts de pierres plates pour abriter les
jeunes chevreaux pendant l'été ; on en voit des centaines
dans la gara que nous traversons, d'où le nom.... A
Tkarkar Néraba, rencontre d'un troupeau de chèvres conduii
\{\ Documents rehififs à la mission dn'ujèe au su il de l'Alfférif, pa^os t*0 <^t'"'i
sa' Vo\. DOtamiiiont le Juumai de roufe d«' laUers, |iagt'> 11, 4t» et pui^^r
PREMIÈRE MISSIOiN FLATTERS. — LA FAUNE SAHARIENNE. 133
par des imrhad (serfs) Ifoghar, deux hommes et une femme,
dont le premier mouvement est de fuir à notre approche (l)».
La faune sauvage ou non apprivoisée et le gibier ne sont
pas rares; fréquemment le /oarna/ de route mentionne des
gazelles, des antilopes, d'autres animaux; ainsi, le 8 avril,
en plein Sahara central : « Reconnaissance dans les environs
d'Aïn-el-Hadjadj, sur le plateau et dans les vallées. On
trouve de nombreuses traces d'onagres ou ânes sauvages ; un
troupeau d'une quinzaine de ces animaux a été aperçu au loin
dans le gassi; gazelles nombreuses, antilopes'nicha (2) ; » le
15 avril, encore plus au sud : « Arrivée à Tehen-Tlemoun.
Pâturage exceptionnel; beaucoup d'animaux, ânes sauvages,
mouflons, nicha (antilopes), pigeons, grues, etc. (3). »
Il faut donc abandonner cette absurde légende que le
Sahara soit, dans toute son étendue ou simplement sur la
plus grande partie de sa surface ou même encore sur une
continuité considérable d'espace, impropre à toute vie
animale ou végétale.
Le Journal de roule de la première mission Flatters, sur
tout le parcours et jusqu'au terme de cette exploration, à
savoir le 26" degré et demi, détruit absolument cette
fiction. En lui-môme, et indépendamment de richesses
minérales non seulement probables, mais certaines, le Sahara
a donc quelque valeur et, si faible que l'on veuille estimer
celle-ci d'après l'unité d'étendue, kilomètre carré ou myria-
mètre carré, le nombre énorme de ces unités donne à
l'ensemble une importance fort appréciable, qui se manifes-
tera quand la sécurité y sera définitivement établie.
ilî Documents relatif» à la mission dingée au sud de l'Algérie, pages o7 et
58; il est plusieurs fois question de campements de Touareg et notamment
(lo « dames touareg », pages 61 et 62.
i2) Ibid., page 56.
(H) Ibid., page 60.
CHAPITRE V
La première mission Flatïers (Suite). — L ayant-projc
DE CHEMIN DE FER SUR 600 KILOMÈTRES AU SUD d'OuARGLA.
Le Sahara offre des conditions très propices à l'élablissement des lignes fi^nrev-
Rapport à ce sujet de l'ingénieur Béringer, membre de la mission FlatltM-s. -
Quoique s'appliquant à 611 kilomètres seulenit^nt au sud d'Ouargla, ce rapi»:>i:
vaut, d'après les renseignements recueillis par la deuxième mission Flattff'
pour environ 400 kilomètres au delà, soit pour un millier de kilomètres ou prr-'
la moitié du parcours du Transsaharien. — L'avant-projet de l'ingéniour \W\\i-
ger. — 11 conclut, pour un chemin de fer à voie large, à une déi>onse niaiiiihi
de 100000 francs par kilomètre. — Examen de cet avant-projcL — L adopti-
de la voie de 1 mètre et la baisse considérable des produits nièt&llurgi<|ii ^
depuis 1880 permettent d'abaisser à 30 000 ou 53 000 francs par kilofmtrr ,.
dépense de construction de la voie transsaharienne (matériel roulant com|"n»
Ce n'est pas, toutefois, pour lui-même et en considération
de ses ressources propres, que nous éludions surtout le
Sahara, c'est comme route. Fournit-il une bonne roule pour
aller de la Méditerranée aux régions tropicales fertiles du
centre de l'Afrique, pour relier l'Algérie au Soudan? La dé-
monstration a été saisissante; le sol est au plus haut degré
propice à l'établissement d'une voie ferrée et toutes les condi-
tions d'une exploitation peu onéreuse et d'un entretien facile
s'y trouvent réunies. Et Flatters, dans son Journal de roule.
et son compagnon technique, l'ingénieur des travaux public^
Béringer, spécialiste désigné ad hoc par le gouvernement, en
témoignent sans cesse.
II est utile d'analyser le rapport de M. Béringer à ce sujet,
«t Par lettre du G juillet 1880, le ministre des travaux publics
a demandé au lieutenant-colonel Flatters un avant-projet
de construction de chemin de fer entre Ouargla etrcxlrémilé
méridionale de la région explorée, comprenant une carte.
un profil en long et une évaluation de la dépense. » C'est le
rapport fait, en réponse à cette demande, par l'ingénieur
PREMIÈRE MISSION FLATTERS : AVANT-PROJET DU TRANSSAIIARIEN. 135
Béringer, membre de la mission, elcontresigné par le colonel
Flalters, ainsi que les trois pièces annexes susdites que nous
allons résumer et brièvement commenter (l).
Pour Tintelligence de cet avant-projet, il ne faut pas
oublier qu'il est rédigé en 1880, époque où tous les produits
métallurgiques étaient beaucoup plus chers qu*à Theure
présente, et qu'il s'agit d'un chemin de fer à large voie, non
pas môme à 1",44, comme en France, mais à 1",50, au lieu
de la Yoie coloniale habituelle de 1 mètre, qui est tout
indiquée aujourd'hui ; cette différence seule représente une
dépense, sinon d'un tiers, du moins d'un quart supérieure
pour l'infrastructure, le ballast et tous les travaux d'art.
Le rapport ne concerne que les 61 1 kilomètres au-dessous
d'Ouargla, directement observés par la mission, mais on
pourrait y ajouter, ainsi qu'on le. verra plus loin, 300 ou
400 autres kilomètres qui, sans avoir été directement étudiés
par la première mission Flatters, ont été, de sa part, l'objet
d'un recueil de renseignements précis etméritant confiance ou
bien ont été parcourus par la seconde mission Flatters et, en
l'absence de rapport définitif de cette mission massacrée en
cours de route, ont été décrits soit dans un rapport provi-
soire partiel, soit dans des lettres qui ont été publiées de
plusieurs des membres de celte mission infortunée; on peut
donc considérer que l'on a toutes les informations néces-
saires pour l'établissement du ïranssaharien sur un millier
de kilomètres, soit sur toute la partie septentrionale, consti-
tuant 40 à 45 p. 100 du parcours total.
Il est utile de reproduire textuellement le passage relatif
à la dépense d'infrastructure et de ballast pour les 611 pre-
miers kilomètres observés au sud d'Ouargla : la compétence
technique de l'auteur, en même temps que ses éludes di-
rectes sur le terrain, donnent la plus grande autorité à cet
avant-projet.
OJCe rapport et les pièces mentionnées fifl^urenl dans les Documents relatifs
à la mission dirigée au suit de l'Algérie par le lieutenant-colonel Flatters^
Images 2i8 et suivantes.
136 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSABARIKN5
<K Dans la plaine d^Ouargla, dit le rapport de ringénieur
des travaux de TÉtat Béringer, entre le kilomètre 11, poinl
d'embranchement sur la ligne de Tougourt à Ouargla (pn>
jetée et qui ne fait pas partie du chemin de fer transsaharien,
tout en en étant la préface) et le kilomètre 38, il suffira
presque partout, pour asseoir la voie, de retrousser en forme
de bourrelet le gros sable et les pierres qui couvrent le soi
Sur quelques kilomètres où la nebka (Voy. plus haut.
pages 96 et 97) est un peu ondulée, la main-d'œuvre, tout er
étant fort simple, sera un peu plus onéreuse. J'ai donc admis
pour le règlement de la plate-forme :
J8 kilomètres à 10.000 francs 180.000 francs
9 — à 15.000 — 135.000 —
Total 315.000 francs.
Soit 12.000 francs par kilomètre.
a Dans la région des gour (Voy. plus haut, page 9ti'
entre les kilomètres 38 et 110, la traversée est plus labo-
rieuse. Il faut, sur près de 7 kilomètres, couper des plateaux
qui séparent les dépressions et qui nécessiteront, en quelques
points, des tranchées atteignant 20 mètres de hauteur. Une
étude de détail faite sur le terrain permettra, comme j'ai déjà
eu Toccasion de le dire, de réduire notablement la dépense
prévue. Le prix par kilomètre se décompose comme il suit :
Déblais dans la roche tendre portés en rem-
blai, G»''», 5 à 700.000 francs 4.550.000 francs.
Règlement de la plate-forme dans les dépres-
sions plates, 20 kilomètres à 10.000 francs. 200.000 —
Règlement dans la nebka, 4 kilomètres à
15.000 francs 60.000 —
Ballastage en sable et pierres, 48 kilomètres
à 12.000 francs 576.000 —
Total 5.386.000 francs.
Soit 75.000 francs par kilomètre.
« Dans la trouée de Tlgharghar, entre les kilomètres 110
et 390, le sol est uni et formé d'un mélange de sable et de
pierres constituant un excellent ballast. Une dépense kilo-
métrique de 10000 francs paraît suffisante.
« La hamada ou plateau à croûte calcaire, entre les kilo-
PREMIÈRE MISSION FLATTERS : AVANT-PROJET DU TRANSSAHARIEN. 137
mèires 390 et 440, exigera quelques remblais de pierrailles
pour franchir les petites dépressions qui, en certains points,
rendent la surface du plateau inégale. Il faudra, en outre,
deux courtes tranchées, la première au droit de la sebkha
d'EI Biodh,la seconde à Textrémité du plateau. L'évaluation
de la dépense se décompose ainsi :
Déblais dans la roche tendre portés en rem-
blai, 3 kilomètres à 600.000 francs 1 .800.000 francs.
Règlement de la plate-forme, 20 kilomètres
à 20.000 francs 400.000 —
Ballastage en pierres, oO kilom. à 15.000 fr.. 750.000 —
Total 2.950.000 francs.
Soit 59.000 francs par kilomètre.
c
EnQn, dans Foued Igharghar, entre les kilomètres 440
et 611, le terrain est uni et sableux, et il suffira presque
partout d*une dépense de 10000 francs par kilomètre pour
aménager la plate-forme. Néanmoins, pour tenir compte de
la nebka (Voy. plus haut, pages 96 et 97) qu'on rencontrera
peut-être sur les 71 derniers kilomètres, j'ai adopté un prix
un peu plus élevé : 12000 francs par kilomètre (1). »
L'ingénieur des travaux de l'État Béringer arrive ainsi à
une dépense totale de 13526000 francs pour l'infrastructure
et le ballast des 611 kilomètres, soit 22300 francs par kilo-
mètre en moyenne. On ne peut répondre plus catégorique-
ment et victorieusement aux niaiseries répandues par des
gens pusillanimes, qui ignorent tout en matière de travaux
publics et dont l'imagination est toute remplie de sables
mouvants qui n'existent pas ou qu'il est facile d'éviter, quitte à,
sur les quelques mètres, ne montant pas à une centaine sur
tout ce long parcours, se servir de parasables.
L'infrastructure est donc des plus aisées et des moins
coûteuses; la dépense la plus considérable est celle de « la
voie en rails d'acier et avec supports métalliques. Sur une
grande partie du tracé le sol se prêterait bien, dit l'ingénieur
Béringer, à l'emploi de cloches en fonte ». 11 estime la voie
(1) Documents relatifs à la mission dirifjée au sud de V Algérie y pages 231 et
232.
i38 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSABARIE5'
à 50 000 francs par kilomèlre, soit 30 millions (1). La longueur
de parasablesà construire serait insignifiante : 100 mèlresa
600 francs le mètre. « Le type admis est une voilte
construite par-dessus la voie avec les matériaux qu*on ren-
contre sur place. La construction devra être assez résislanU
pour pouvoir supporter une charge de sable très inégalemect
répartie. » Mais, comme il n'y aurait que 100 mètres dépara-
sables sur toute cette longueur de 011 kilomètres, la dépens
totale, de ce chef, ne serait que de 60000 francs.
Les stations et Tapprovisionnement d'eau, c'est-à-dire le>
bordjs et les puits ou réservoirs, constitueraient un autre
article de dépenses, beaucoup moins important, d'ailleurs,
qu'on ne le suppose. 11 est bon de reproduire ici, encore tex-
tuellement, le passage du rapport de l'ingénieur des travaux
de l'État Béringer, sur l'alimentation d'eau : « J'ai prévu un
puits tous les 20 kilomètres. Entre Ouargla et le grand Ër|:
(Voy. plus haut, page 98), l'alimentation d'eau pourra se
faire, soit au moyen de puits artésiens de 30 à 50 mètres de
profondeur, soit au moyen de puits ordinaires ne dépassant
guère une dizaine de mètres. Les nombreux puits ouverts
dans toutes les dépressions de cette zone, et le résultat des
sondages de l'oued Rir* ne laissent pas de doute sur la
possibilité de trouver à peu de frais, dans cette section, 1 eau
nécessaire. Dans la trouée de Tlgharghar, on aura de grandes
chances de rencontrer la nappe artésienne à une profondeur
de 30 à 50 mètres, correspondante à celle de la nappe d'eau
qui alimente les entonnoirs de Mokhanza et d'Aïn-Taïba.
Plus au sud, il suffira de creuser des puits ordinaires, cari
Mouilah-Matallah et à El Biodh, l'eau apparaît dans le sable
à quelques mètres de profondeur seulement. Dans la
vallée de Tlgharghar, immédiatement au sud du grand Erg.
le forage des puits artésiens paraît aussi devoir réussir, à en
juger par le puits artésien creusé par les indigènes à
^1) Il no roinpto que COO kiloiiuHres, au liou de Cil, parce que le Tran^salu-
rien eiiipruntcrait pour les onze premiers kilomètres une seetion de la li::n'
Tougourt-Ouargla.
"^RBMIÈRB MISSION FLATTËRS : AVANT-PROJET DU TRANSSAHARIEN. 139
r^massinin. En remontant le cours de Tlgharghar vers
T'ahohaït(27' degré de latitude), on rencontre, paraît-il, de
E:i ombreux puits et le pays est habité. Il sera donc facile de se
procurer l'eau nécessaire (1). »
Ainsi, Talimentation d*eau n'offre aucune difficulté. L'in-
génieur Béringer prévoit un bordj avec un puits et réservoir
tous les 20 kilomètres, en moyenne. Il y a là une grande
oxagération, une assimilation erronée des chemins de fer
désertiques aux chemins de fer métropolitains. Une station
tous les 50 ou 60 kilomètres, peut-être même tous les 80 ou
lOO kilomètres, avec bordj, puits, doit suffire. Cela est
d^autant plus vrai qu'on ne peut avoir de trafic à moindre
distance et que, d*autre part, au moins pendant longtemps,
on ne pourra entretenir sur la plus grande partie du parcours
des cantonniers isolés: l'entretien et les réparations devront
se faire par des équipes se transportant de chaque station à
40 ou 50 kilomètres dans chaque sens; une distance moyenne
d'une centaine de kilomètres entre les stations paraît donc
rationnelle; suivant les conditions topographiques, hydrau-
lof^iques et, à titre exceptionnel, économiques, l'écart entre
les stations pourra varier de 75 ou 80 kilomètres à 115
ou 120. La télégraphie sans fil, qui semble particulièrement
applicable à ces immenses solitudes, facilitera singulièrement
le service des trains en marche et l'entretien de la voie.
Voici la conclusion de l'ingénieur des travaux publics
Béringer, après les études attentives faites sur les lieux :
« En résumé, la construction d'une voie ferrée entre
Ouargla et un point situé à 600 kilomètres plus au sud, à
peu près sur le même méridien, ne présentera aucune difficulté
technique particulière, et pourra être faite dans des condi-
tions économiques, le prix du kilomètre ne dépassant pas
lOOOOO francs. Il paraît résulter des renseignements recueillis
auprès des indigènes que, jusqu'à la plaine d'Âmadghor, soit
à 800 kilomètres au sud d'Ouargla, le terrain continue à
(1 Documents relatifs à la mis.Hio7i dirigée au sud de VAU/érie, page 230.
140 LE SAHARA, LB SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIEV
présenter les mêmes facilités pour l'établissement d'o^
chemin de fer. »
ÉVALUATION DE LA DÉPENSE {i )
Prix de Déju'n»'
Nature des dépenses. Quaiifilés. l'iinilé. ProduiJ. iota?
Francs . Francs . Fr*.: •
l© Infrastructure et ballast :
Plaine d'Ouargla, du kilomètre il au
kilomètre 38 27 kil. li.OOO 324.000
Région des goui-, du kiloraèlre 38 au
kilomètre 110 72— 75.000 5.400.000
Trouée de l'Igharghar, du kil. 110 au ^ IS.âffi.»-
kil. 390 280 - 10.000 2.800.000 |
lîaniada, du kil. 390 au kil. 440 50 — 59.000 2.950.000
Oued Igharghar, du kilomètre 440 au
kilomètre 611 171— 12.000 2.052.000^
2» Parasables 100 m. 600 '. 6()>'
30 Voie OOOkil. 50.000 30.000.n»»
40 liordjs avec puits, réservoirs, etc. . 600 — 16.000 3.600.««'
'S'^ Télégraphes 600— 4.000 i-iOi).'*"-
Total 49. i»i«;.fM«
Dépenses accessoires et imprévues 5.4U.f"'*'
Frais d'études et de surveillance 5.00«.«<fc
Montant total de l'estimation pour les 600 kilomètres 60.000 i«i
Ainsi, d'après les études de Tingénieur des travaux publics |
Béringer, une dépense de 60 millions de francs eût sufR pour j
établir une voie ferrée de 1",50 de large sur une longueur
de 600 kilomètres au sud d'Ouargla, dépense correspondant |
à 100000 francs le kilomètre, matériel roulant non compris,
et il est très vraisemblable qu'il en serait de même pour les
200 kilomètres au delà jusqu'à l'entrée de la plaine d'Amad-
ghor. On verra plus loin que ce dernier renseignement a été
confirmé par la seconde exploration Flatters.
Cette évaluation de 60 millions pour ces 600 kilomètres
date du 12 octobre 1880, jour où fut envoyé au ministère
des travaux publics le rapport de l'ingénieur Béringer, visé
et présenté par le chef de la mission, lieutenant-colonel
Flatters. Il y a lieu d'examiner ces évaluations et de voir si
les vingt-trois années écoulées depuis ne doivent pas y ,
apporter de modifications. En premier lieu, le chemin de fer j
(1) Documents relatifs à la ynission dirigée au sud de VAlgéHe^ page 233.
PREMIÈRE MISSION FLATTEES : AVANT-PROJET DU TRANSSAHARIEN. 141
Iranssaharien que nous avons en vue devant être à la voie
coloniale, généralement admise par toutes les nations, de
1 mètre au lieu de 1 m. 50, comme l'avait supposé l'ingénieur
Béringer, la dépense d'infrastructure et de ballast devrait
être réduite d'environ un tiers, mettons seulement un quart,
pour nous tenir au-dessous de la vérité; ce serait
3381 500 francs à déduire sur ce chapitre qui s'abaisserait à
10145000. Ne modifions rien aux parasables; quant aux
bordjs avec puits, au lieu d'un tous les ?0 kilomètres, nous
admettons qu'il y en ait un tous les 80 ou 85 kilomètres, ce
qui pour les 2 500 kilomètres du chemin de fer transsaharien
proprement dit, représenterait trente stations, bordjs, réser-
voirs et puits; en évaluant à 80000 francs, ce qui est élevé,
la dépense pour chacune de ces stations, on obtient
2400000 francs; ce serait, pour les 600 kilomètres de la
première section, 1200000 francs d'économie relativement
au chiffre de Tavant-projet ci-dessus; le recours à la télé-
graphie sans fil ainsi que le moindre nombre de stations
réduiraient aisément de 4 000 francs le kilomètre à 2 000 francs,
sinon même à 1 000 francs, la dépense d'installations télé-
graphiques, et il y aurait de ce chef une économie d'au
moins 1200000 francs sur le devis de l'ingénieur Béringer,
ce qui, avec les réductions précédentes, porterait à environ
5800000 francs l'économie jusqu'ici obtenue pour ces
600 kilomètres, soit une dizaine de mille francs par kilomètre,
et comme une réduction correspondante devrait s'appliquer
aux 5 414 000 francs inscrits pour les dépenses accessoires et
imprévues, la réduction totale, du chef des observations ci-
dessus, ne pourrait être moindre de 12000 francs par kilo-
mètre.
Mais c'est le chapitre des dépenses de la voie, c'est-à-dire
presque uniquement des fournitures métallurgiques, qui
appelle les plus grandes réductions. Les traverses doivent
^Ire en acier comme les rails; l'ingénieur Béringer a prévu,
de ce chef, une dépense de 50000 francs par kilomètre; cela
est colossal cl ne supporte pas acluelleincnl rexamcn ; il n'a
142 LE SAHARA, LB SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIDi
pas fallu plus d\ine vingtaine de mille francs par kilomètre
pour celte partie de la dépense, au chemin de fer des phos-
phates de Gafsa et du Metlaoni. Si Ton réfléchit que h
ligne ferrée projetée ne devant avoir de stations que tous les
80 ou 100 kilomètres et ne prenant ou ne laissant que tri?
peu de trafic sur les points intermédiaires entre les dew
points terminus, n'ayant, au moins pendant long^lemps.
aucun embranchement, il n'y aura lieu qu'à très peu de voies
d'évitement ou de raccordement, on devra conclure qu'une
quinzaine de mille francs par kilomètre devra aaiplement
suffire pour la voie ferrée.
Il doit d'autant plus en être ainsi que les produil-s métai-
lurgiques ont énormément baissé depuis 1880, moment où
fut fait cet avant-projet.
On peut donc être assuré que, pour un chemin de fer à voie
étroite, la dépense de construction ne dépasserait pas, pour
ces 600 premiers kilomètres, reconnus très faciles, et proba-
blement pour les 400 kilomètres ultérieurs ou tout au moins
les 200 jusqu'à l'entrée de la plaine d'Amadghor, une cin-
quantaine de mille francs le kilomètre ; c'est le prix, d'ailleurs,
aujourd'hui de tous les chemins de fer analogues, exécutés
notamment en Tunisie ou dans le sud Oranais. Le matérie)
devrait être compris dans ces cinquante mille francs; mais
ne le serait-il pas, que le prix en serait relevé seulement, du
moins pour les premières années, de 3000 ou 4000 francs
par kilomètre. Le matériel serait naturellement ce qu'exi-
gerait le trafic; mais comme les trains circuleraient d'un
bout à l'autre, en général, sans rompre charge, ce matériel
serait aussi intensivement utilisé que possible. En sup-
posant que, pendant les premières années d'exploitation,
il y eût un train journalier mixte (voyageurs et marchan-
dises) dans chaque sens, que le trafic fût de 200 000 tonnes,
moitié environ dans chaque sens ou, si l'on veut, 60 p. 100
du Soudan à la Méditerranée, et 40 p. 100 de la Méditerranée
au Soudan, que l'on transportât une dizaine de mille voya-
geurs d'origine européenne, et une centaine de mille voya-
PREMIÈRE MISSION FLATTERS : AVANT-PROJET DU TRANSSAHARIEN. 143
geurs indigènes, Arabes, Kabyles ou noirs, un matériel d'une
valeur de 8 à 9 millions, comprenant une quarantaine de loco-
motives, y compris la réserve, un millier de wagons à mar-
chandises et deux cents ou deux cent cinquante voitures à
voyageurs, serait amplement suffisant; par conséquent, la
dépense du matériel par kilomètre n'excéderait pas 3000 à
3500 francs. Si, ultérieurement, le développement du trafic
exigeait qu'on le doublât ou môme qu'on le triplât, ce serait
lout avantage et il n'y aurait qu'à s'en féliciter; mais le
matériel que nous indiquons plus haut pourvoirait déjà à
un trafic assez important. Ainsi, la dépense en matériel, pour
une ligne ferrée de si grande longueur, sans ramifications et
sans trafic local, sans presque aucun trafic intermédiaire,
constituerait une dépense kilométrique presque insignifiante.
La dépense en matériel, au delà de cette quotité modique,
ne serait plus une dépense aventurée, puisqu'elle ne se ferait
qu'au fur et à mesure de l'extension du trafic.
Nous avons examiné les résultats de la première mission
Flatters, d'après les documents officiels; ils sont au plus haut
degré satisfaisants et quant à la nature du pays traversé et
quant aux facilités pour l'établissement et l'exploitation d'une
voie ferrée. Si l'on avait eu un gouvernement énergique et
prévoyant, on aurait dû dès lors construire les 370 kilo-
mètres du chemin de fer de Biskra à Ouargla, préface du
Transsaharien, puis les 800 à 900 kilomètres d'Ouargla à la
sebkha d'Amadghor; on pouvait d'autant mieux le faire, que
les descriptions très précises du grand voyageur allemand
Barth et de divers autres fournissaient les renseignements
les plus catégoriques et les plus encourageants sur le Sahara
méridional. Mais les gouvernements en France sont tatillons
et pusillanimes; on voulut organiser de nouvelles missions,
sans leur donner pour point d'appui l'établissement d'un
premier tronçon de voie ferrée, avançant à leur suite dans le
désert et les soutenant. C'était perdre un temps précieux
pour la prise de possession de l'Afrique centrale; cela nous
exposait à nous laisser devancer par des rivaux, et c'est ce
i44 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIE>S.
qui arriva. La mauvaise constitution, en outre, de cette
seconde mission causa une infortune, qui n'aurait nulle-
ment dû passer pour un désastre, mais qui, étant données la
timidité et Tindifférence de nos gouvernements, suspendit
pendant près de vingt ans toute œuvre de pénétration afri-
caine dans la direction du nord au sud, la plus naturelle
pour les peuples européens et notamment pour la France.
CHAPITRE VI
La deuxième mission Flatters.
r.oini)osili«n insuffisanfo d«» la second»^ mission Flatters. — Le colonel avait
<loman(lé d'abord un ofToetif deux ou trois fois plus considérable. — Nature
rt inlért'l des documents relatifs à celte seconde mission. — La température
au Sahara: comparaison à ce sujet des relevés delà première mission Flatters
au printemps et de la deuxième en hiver. — Fraîcheur et même froid des
nuits : les maxiina et les minima dans les deux saisons. — Constatations de la
mission relatives aux eaux et aux pluies. — Quoique plus rares que sur le
trajet de la première mission, les points d'eau no manquent pas, sont souvent
aliondants et le seraient, sans doute, toujours s'ils étaient entretenus. — >
l^luies essuyées par la seconde mission Flatters. — Ses constatations sur les
]iâturages et la végétation ; bois et arbres divers. — Faune de cette partie
(lu Sahara : animaux divers ; gibier abondant. — Les relevés de la seconde
mission Flatters, en une autre saison et pour un autre tracé, confirment ceux
•1«' la première mission.
Les résultats de la première mission Flatters parurent
as.sez encourageants pour que, sans désemparer, on préparât
une exploration nouvelle qui, poussée à bout, devait être
décisive, pensait-on. Sur le désir exprimé par la Commission
supérieure du Transsaharien, le lieutenant-colonel Flatters,
au mois d'octobre 1880, se remit en route avec un personnel
en partie renouvelé et accru. Jl emmenait 97 chameaux de
monture et 180 chameaux décharge, emportant quatre mois
de vivres et huit jours de provision d'eau, outre les instru-
ments les plus divers. C'est toujours Ouargla qui fut sa base
d'opération. Sauf les fatigues inséparables de la traversée
d'un pays sauvage, âpre et inconnu, les débuts furent heu-
reux; on arriva sans encombre à Amguid, point des plus
importants, en suivant une direction plus rectiligne que la
fois précédente. On tourna cependant un peu à Test, pour
longer le massif montagneux du Hoggar, gagner la sebkha
d'Amadghor, immense amas de sel, et de là, à peu de dis-
ance, l'ancien puits d'Asiou, à partir duquel on entre dans
10
146 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSADAR1£^:
le Sahara méridional, plus clémenlque celui du nord et de.
sensiblement influencé par les pluies des tropiques, b
marche de Texpédition s'accomplissait normalement et los
allait sortir de la région dangereuse, quand la trahison à
guide targui et un moment d'imprudence du colonel ameDè-
rent le massacre de Flatters et de ses principaux com(4-
gnons, le désarroi de la petite colonne qui dut battre o
retraite dans de fâcheuses conditions et qui n*ayant plus.i
partir d*Âmguid, pour la commander, qu'un maréchal (ks
logis dénué d'autorité et d'expérience, périt tout entière,
l'exception de quelques indigènes qui vinrent conter en
Algérie le désastre.
C'est à un puits dénommé alors Bir-el-Gharama, et
M. Foureau, dans le récit de son exploration, appelle Hdssi
Tadjenout, que fut massacré Flatters. On venait de franchr
le tropique du Cancer, on se trouvait à une ving^taine (k
journées de marche de l'Aïr, sorte de promontoire, en partii
montagneux, que le Soudan jette dans le Sahara méridional
sur une longueur de trois degrés environ de latitude el
une largeur qui paraît varier de plusieurs dizaines <i(
kilomètres à une centaine environ, importante contrée, rela-
tivement hospitalière et susceptible de développement. As
point de vue des difQcultés, la plus grande tâche était
achevée; en ce qui concerne les distances de la Méditerranée
au Soudan, on avait fait 1 600 kilomètres environ, 1300 à
partir delà cessation du chemin de fer à Biskra; il en restait
douze à treize cents encore à parcourir, dans des condilioDî
infiniment plus douces. Ainsi l'œuvre, quoique non terminée
était fort avancée. L'accident qui, d'une façon si cruelle, mil
fin à l'exploration de Flatters, n'était pas de ceux qui eussent
pu décourager un peuple doué de quelque persévérance.
L'expérience a montré, par le complet succès de la missios
Foureau-Lamy, que, avec des précautions et une force suffi-
sante, assez restreinte même d'une manière absolue, on peu^
déjouer la fourberie et l'inimitié des Touareg.
Si l'on peut reprocher à l'infortuné Flatters de Timpru-
DEUXIÈME MISSION FLATTERS. — COMPOSITION DE LA MISSION. 147
lence, on ne peut le taxer d'imprévoyance; car c'est malgré
ui qu*il avait accepté une escorte si faible, il en avait
demandé une sensiblement plus considérable.
Au cours et presque au début de sa première mission, il
s expriniait ainsi dans son Journal de rouler à la date du
2 avril, après avoir relaté une conversation avec deux
Touareg des Ifoghar : « S'il faut absolument attendre une
réponse d'Ahilaghen avant de nous rapprocher du Hoggar,
mieux vaut aller l'attendre à Ghat que dans un campement
sur righargharen ou ailleurs. Avec une autre organisation
de notre caravane, par exemple avec une troupe régulière
indigène de 150 à 200 hommes et des chameliers-soldats
comme ceux de la smala de Laghouat, nous serions exempts
de la plupart de ces préoccupations, et il paraît assez vrai-
semblable que nous n'en passerions pas moins. tout aussi
pacifiquement en allant où nous voudrions aller. Cela coû-
terait même relativement moins cher, la crainte que nous
inspirerions devant suppléer pour une bonne part aux dé-
penses en cadeaux. Mais la mission aurait alors le carac-
tère d'une véritable expédition et, avant d'en arriver là, on a
voulu, avec raison, voir ce qui peut être fait d'une autre
manière. Ce que je viens de dire n'a d'autre but que de
montrer dans quelles limites nous pouvons nous monti^er
renfermés par la force môme des choses, en agissant avec la
prudence nécessaire pour aboutir à un résultat sérieux, tout
en conservant à la mission, aux termes formels des instruc-
tions, un caractère essentiellement pacifique et diploma-
tique (1). *
Ce passage étant extrait d'un mémoire officiel, destiné à
être mis sous les yeUx du ministre et ultérieurement à être
publié, on peut considérer les lignes de la fin comme ins-
pirées par un simple sentiment de convenance; mais il est
clair que le colonel avait toujours regardé une escorte
de 200 hommes comme essentielle. A plus forte raison
(1| Documents relatifs à la mission dirigée au sud de l'Algérie y pages 53
et 54.
148 LK SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAI1ARIE.V
étaiUil de cet avis après sa première mission où les iniri
gués et les menaces des Touareg Tobligèrent à rebrousse
chemin prématurément. Aussi Flatlers réclama-l-il ceU<
escorte de 200 hommes, pris dans nos régiments indi
gènes; mais la Commission supérieure du Transsaharieo
influencée par quelques esprits timides, considéra que
avec une pareille force, l'exploration eût dégénéré en un«
« véritable expédition militaire, perdant le caractère paci-
fique qui convient à une mission scientifique». (Test urec
ces raisonnements que Ton fait avorter les projets les mieux
conçus et que Ton perd les empires. L'imbécillité de ce?
membres delà Commission supérieure a certainement prive
la France, pour toujours, d'un des plus beaux morceaux de
l'Afrique; car si Flattersfût arrivé au Tchad en 1881 ou 1882,
il est incontestable que nous aurions dans notre lot de ce
continent, sinon le royaume de Sokoto^ tout au moins celu!
du Bornou, sur lequel ni les Anglais ni les Allemands
n'avaient encore jeté les yeux et qu'ils ont, les uns et les
autres, occupé, en 1902 et 1903, pour la plus grande parlie
du moins, profitant de nos victoires sur le conquérant noir
Rabah.
Flatlers eût-il échappé au guet-apens du puits de Tadje-
nout qu'il est douteux qu'avec l'effectif insignifiant de sal
mission il eût pu triompher de la mauvaise volonté des
gens de l'Aïr et de ceux de Zinder que nous n'occupions
pas alors (1). Il aurait été obligé probablement, à rarrivêe
dans TAïr, de se replier sur Ghat, comme il en exprimai!
plusieurs fois l'appréhension (2). 11 est vrai que les instruc-
tions gouvernementales ne le poussaient pas à aller jusqu'au
Soudan, quoiqu'elles l'y autorisassent. Dans la dernière
lettre qu'on ait de lui, adressée à sa femme et datée d'« lozel-
man-Tikhsin, sud d'Eguéré-Amadghor, 29 janvier 188),
25'' degré 30 minutes nord », guère plus de quinze jours
(1) Voy. plus loin les chapitres consacrés à la mission Foureau.
[i) Documents 7'elat ifs à la mission dirif/ée au sud de V Algérie, pa«?e> il*
ol 418.
DIliUXIÉME MISSION FLATTfclHS. — COMPOSITION DE LA MISSION. 149
avant sa mort par Irahison, qui eut lieu le 16 février 1881,
Flatters écrivait : « Je crois que, pour le moment, je puis
me considérer comme tenant un succès. C*est un important
résultat que celui que nous avons obtenu : plus de 1 200 ki-
lomètres parcourus depuis Ouargla, dans un pays que
jamais pied européen n'a foulé. Passage chez les Touareg
et voyage sans encombre en plein pays des Touareg Hoggar,
que jamais on n'avait pu aborder jusqu'ici. Â Asiou, nous
sommes au 21" degré de latitude, les Touareg Hoggar
franchis complètement et les Kéloui de TÂsben ou Soudan
septentrional entamés. Si les choses continuent à aller bien,
nous irons à la mer par Sokoto et l'embouchure du Niger;
si les affaires se gâtent, nous reviendrons par Ghat et nos
amis les Azdjer; et même dans ce dernier cas, on pourra
encore dire que nous avons obtenu un très important résul-
tat. Les instructions primitives données à la mission par
M. de Freycinet n'allaient pas si loin et nous les aurions
remplies à la lettre sans aller même jusqu'à Asiou. Nous
sommes à 80 kilomètres du point extrême qu'elles mar-
quaient; nous y serons dans trois jours. Je pense être à
Asiou dans vingt-cinq jours, sauf incident (1). »
L'incident arriva, terrible, le 16 février 1881 ; ce fut le
massacre, par trahison, de tous les Européens, sauf le sous-
ofRcier Pobéguin, qui n'échappa à l'assassinat que pour
mourir en route avant d'avoir pu regagner l'Algérie : le
1 avril, les cavaliers du maghzen d'Ouargla, avertis du
désastre, rencontrèrent au puits d'El-Messeguem (vers le
28' degré) douze indigènes, mourant de faim et de fatigue,
débris de la mission; ultérieurement, neuf autres indigènes,
lui ayant aussi appartenu, rentrèrent en Algérie par des
(l) f)ocuments relatifs à la mission dirigée au sud de l'Algérie, pages 418
<'14I9.
Colle IcUrc, ainsi que six aulrcs antériouros ailrcssccs aussi à sa femme, cl
plusieurs que Flatters envoya au directeur général et au directeur de la cons-
truction des chemins de fer au ministère des travaux publics, ont été publiées
flans les Documents relatifs à la mission dirigée au sud de l'Algérie ; il en est
•'•' même de plusieurs lellres d»* l'ingénieur Béringer et de l'ingénieur Roche,
liiisanl l'un et l'autre partie de la mission et y ayant trouvé la mort.
150 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMIiNS DE FEK TRAiNSSAHARIBNS.
retours successifs, ce qui porta à vingt et un hommes le
nombre des survivants rentrés chez nous; mais il ne s'y trouva
pas un seul Européen.
On voit par l'extrait ci-dessus que Flatlcrs croyait déjà
être à Asiou; il trouva la morl au puits de Tadjenout; ce lieu
se trouve un peu au-dessous du tropique du Cancer, au
23* degré environ, après la ligne de partage des eaux et sur
le versant de FAUantique. Il est sensiblement plus près
d*Asiou que d'Inzelman-Tikhsin, d'où Flatlers écrivait à sa
femme la lettre dont nous avons reproduit un extrait.
Le puits de Tadjenout se trouve à 140 kilomètres h l'ouest
de Tadent et presque exactement sur le môme parallèle;
M. Foureau qui est passé par Tadent, dans sa traversée
saharienne, et qui, de là, a fait une pointe latérale sur Tad-
jenout, pour visiter le lieu du massacre de la mission qui
l'avait précédé, a mis septjours pour faire les 300 kilomètres
de Tadent à In Azaoua, localité voisine d*Asiou, mais un peu
plus au midi (1). La route directe de Tadjenout à Asiou n'eût
été que légèrement plus longue ; elle aurait tout au plus
atteint 350 kilomètres et eût pu être franchie également en
sept ou huit jours. Flatters est donc mort un peu au delà de
la limite que M. de Freycinet lui avait fixée comme un mi-
nimum. Mais combien il est regrettable qu'on ne lui eût pas
fourni les moyens de traverser le Sahara de part en part!
Ce n'est que la crainte que l'exploration ne fût ajournée, s*il
insistait pour avoir 200 hommes de troupes, qui induisit
l'infortuné colonel à proposer lui-môme de réduire son
escorte aux proportions dérisoires que l'on a vues.
Flatters demandait : « une troupe indigène de 150 à
200 hommes et des chameliers-soldats comme ceux de la
smala de Laghouat (2) j». L'effectif qu'il désirait eût pu
atteindre ainsi 250 à 300 hommes environ. On verra plus
loin que la mission Foureau-Lamy, qui accomplit son
(1) Mission saharienne Foureau-Lamy ; d'Alger au Congo par le Tchad, ^r
E. Foureau, Paris ll»Oâ, pages 113 à 136.
(2) Documenlff relatifs à la mission dirigée au sud de VAlge'rie, page 53.
DEUXIÈME MISSION FLATTERS. — CONSTATATIONS NOUVELLES. 151
œuvre, non pas sans difficultés, mais avec succès, comptait
289 hommes de troupes, dont 39 Européens et 250 indigènes,
plus 4 membres européens de la mission, ce qui portait le
nombre total à 293 ; mais cet effectif était celui seulement de
la mission et de Vescorle; il y fallait joindre le convoi elles
chameliers proprement dits, ainsi que divers convois libres,
ce qui élevait le chiffre total des personnes groupées autour
delà mission à 400 hommes environ.
Que pouvait faire Fiatters avec les 92 hommes, dont un
certain nombre non combattants, qu'il avait, lui compris (1)?
Il était voué aux aventures et prédestiné au désastre.
Il est intéressant, toutefois, d'étudier les documents relatifs
à cette seconde mission : ils se composent du Journal pro-
visoire de roule f rédigé et expédié par Fiatters en cinq
envois concernant les trajets de Laghouat à Ouargla,
d'Ouargla à Hassi-Inifel, d'Hassi-Inifel à Hassi-Messeguem,
d'Hassi-Messeguem à Amguid, d*Amguid à Inzelman-
Tikhsin, situé au 25'' degré 30 minutes de latitude ; des
lettres d'envoi du colonel qui y étaient jointes, de petits
rapports géologiques, hydrologiques, qui servaient d'an-
nexés au Journal de route, et autres pièces techniques
émanant des ingénieurs Béringer et Roche ; enfin des mor-
ceaux de correspondances officielles et privées des trois
principaux membres de la mission au cours de cette seconde
exploration.
Cet ensemble de renseignements apporte des confirmations
décisives aux constatations faites par la première mission ;
en même temps il fournit quelques indications nouvelles.
(l) Flallcrs dans une lettre à sa femme, datée d'Ouargla, 12 novembre 1880,
fixe à 9â l'efTectif total, dont 7 membres de la mission, lui compris, 2 sous-
officiers français, 1 ordonnance français, 47 tirailleurs indigènes algériens,
i& auxiliaires anciens tirailleurs pour la plupart, 1 nègre engagé comme ordon-
nance pour être rapatrié, 1 marabout de Tordre de Tedjini et 5 guides chaamba
d'Ouargla. Total de la caravane, tout compris, 92. {Documents relatifs à la
mission ditngée au sud de l'Algérie, page 411.} D'autre part, l'introduction à la
même série de documents (page m) porte 93 hommes, dont 11 Français; outre
les 7 membres de la mission et les 2 sous-officiers français, elle note 2 ordon-
names français, 76 chameliers et ordonnances indigènes et 5 guides chaamba
d'Ouargla ; cela ne fait toutefois que 92.
J
i52 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAflARlE^i)
La saison où se fil celte exploration n'est plus la même
lors de la première, Flallers avait quitté Ouargla \t
5 mars 1880, il y était rentré le 14 mai, c'était le printemps
la seconde mission quitte Ouargla le 4 décembre 1880, é
les derniers rapports ou les dernières lettres qu'.on ait de
Flatters et de ses compagnons sont du 29 janvier 1881 ; c'ei^l
le plein hiver.
Le tracé aussi est différent, quoique ayant le même poim
de départ; à la sortie d*Ouargla, il oblique immédiatemeoi
à rOuest; tandis que le premier s'était tenu longtemps entre
le troisième et le quatrième parallèle Est, tout près de ce
dernier, dans la région des dunes et la vallée de Tlgharghar,
pour gagner, à partir d'El-Biodh, en inclinant de plus en
plus à TEst, la vallée des Ighargharen et aboutir enfin au lac
Menkhough et à l'oued Tedjoujelt aux environs du 6*^ degré
Est, le second tracé gagne, à travers un plateau en
hamada, successivement les vallées de l'oued Mia et de
l'oued Insokki, se rapprochant du 1*"^ degré de longitude
Est, et de là infléchit vers TEst pour dépasser légèrement à
Inzelman-Tikhsin, dernière étape des correspondances, le
3*" degré et demi de longitude Est. D'une façon générale, il
y a un écart moyen de un degré et demi à deux degrés de
longitude entre le trajet de la première mission Flatters, plus
oriental, et le trajet de la seconde, plus occidental. Le point
d'aboutissement de la deuxième mission est sensiblement
plus méridional que celui de la première : le lac Menkhougb,
terminus de la première, est à peine au-dessous du 26*" degré
et demi de latitude, tandis que non seulement Bir-el-Gha-
rama et Bir-Tadjenout, où la mission fut massacrée, se
trouvent aux environs du 23*' degré, mais encore Inzelman-
Tikhsin, d'où sont parties les dernières correspondances cl
les derniers rapports, est au 25" degré 30.
Ainsi, la saison, la direction des tracés, la nature des ter-
rains, sont tout à fait autres dans la seconde mission que
dans la première. Voyons comment le Sahara s'est présenté
aux explorateurs dans ces conditions nouvelles.
LA DEUXIÈME MISSION FLATTERS. — LA TEMPÉRATURE AU SAHARA. 153
Tout d'abord, la température est sensiblement plus
fraîche : elle devient même froide, parfois très froide la nuit.
La première mission, d'après les relevés météorologiques de
l'ingénieur Béringer, du 26 février au 17 mai, n'avait pas
conslalé de température minima inférieure à 2'',5 au-dessus
de zéro (2 avril à 5 heures du malin), puis 4°,8 (14 avril) à
7 heures du matin; les minima habituels variaient de l^'yd à
11 ou 12", et rarement s'élevaient à 15 ou 16, fin février,
mars et avril; c'était déjà une certaine fraîcheur, plus que
les personnes peu informées n'en attendraient à cette lati-
tude ; au terme le plus méridional du trajet (le lac Menkhough,
peu au-dessus du 26' degré de latitude) on relevait, le
17 avril, 7 heures du matin, seulement 11*,3 de température,
ît le 18 avril 13%2à la même heure; trois jours avant et au-
Jessous du 27'^ degré, on avait, à 7 heures du matin, le
14 avril, la basse température de 4%8 au-dessus de zéro.
linsi, comme il sera encore amplement démontré plus tard,
e Sahara, même central et à une altitude peu notable,
omporte au printemps des températures fraîches. Quant aux
laxima, ils ne s'élevaient guère, dans la première partie de
lars, au delà d'une vingtaine de degrés et ils n'atteignirent
imais 30" dans le mois de mars; ce n'est qu'à partir
u 7 avril que la température de 30*" est franchie, pour
•river, mais très exceptionnellement, jusqu'à 37 à 39%
ne fois même (c'est le maximum) à 41",5 (journée de
rocco) le 24 avril à une heure et demie du soir; on redes-
!nd ensuite le plus habituellement entre 25 et 30 degrés.
Q définitive, sur les quatre-vingt-un jours écoulés du
i février au 17 mai» d'après les relevés détaillés, heure par
!ure, de l'ingénieur Béringer, il a fait trois fois, le 9, le
• et le 24 avril, pendant deux ou trois heures, 40'' aux
virons d'Aïn-el-Hadjadj, c'est-à-dire vers le 27'' degré
latitude, par un sirocco violent, et aussi non loin du lac
3nkhough,soit vers le 26'" degré et demi ; la température de
"" ne fut pas cotée en dehors de ces trois jours; celle de 39''
fut un seul jour, le 16 mai, pendant deux ou trois heures;
154 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSABABID:
celle de 38° le fut un seul jour également, le 25 avril.
celle de 37** fut relevée quatre jours, les 8, 11, 14 avril eî
15 mai ; enfin on constata trois fois 36*, le 27 avril t
les 14 et 17 mai, et une fois 35%8 le 11 mai. Des chaleui>
exceptionnelles, dépassant ainsi celles que l'on subît fréqueni-
ment à Montpellier ou à Perpignan, à savoir 35», ne «
rencontrèrent donc que 13 jours sur ces 81 jours du 26 fc-
vrier au 17 mai; les chaleurs de plus de 30 à 37» furcui
elles-mêmes médiocrement fréquentes on n'en vo.:
apparaître pour la première fois que le 27 mars (32^,2! ot
peu au delà d'El-Biodh ; on en relève en tout 21 jours qui,S€
joignant aux 13 jours précités, donnent un total de 34 joars
sur 81 où la chaleur dépassa à certaines heures de la joume
30 degrés. D'autre part, les maxima entre 18 et 20** furetl
assez fréquents, notamment àla fin de février et dans presque
tout le mois de mars.
Ainsi des minima de 2'',5 au-dessus de zéro à 10 ou 12.
ces derniers très fréquents, des maxima assez rares
au-dessus de 35*" et une température maxima habituelle
de 25 à 33% voilà ce qui résulte des registres du voyage de k
première mission Flatters, accompli au printemps de 1880.
Ce sont là des conditions qui, pour peu que l'on prenne cer-
taines précautions, sont compatibles avec la salubrité.
La seconde mission Flatters, dans son exploration faiU
au cœur de l'hiver, ne nous a pas livré d'observations ther-
mométriques précises et détaillées ; mais le Journal provi-
soire de roule de Flatters et les correspondances privées de?
membres de la mission contiennent, au sujet de la tempéra-
ture, des renseignements utiles. Celle-ci n'est plus seulemeol
fraîche, mais nettement froide la nuit : le 17 décembre 1880,
Flatters écrit d'Hassi-lnifel (29M5' de latitude) : € Il fait un
froid de loup la nuit, le thermomètre descendant jusqu'à 4 et
5° au-dessous de zéro. Le jour, la température monte à 24
ou 25° (1). » Le 2 janvier 1881, d'Hassi-Messeguem, vers k
(1) Documents relatifs à la tnission dirigée au sud de l'Algérie, page 4i4.
LA DEUXIÈME MISSION FLATTERS. — LA TEMPÉRATURE AU SAHARA. 155
28"" degré de latitude, il mande à sa femme : « Il fait chaud
dans la journée : 20 à 25'', froid la nuit. Nous avons
eu jusqu'à 6^ au-dessous de zéro il y a trois nuits : Teau
a gelé dans des gamelles sous la tente (1). » La fin de
janvier est plus clémente ; d'Amguid (26''3' de latitude), le
19 janvier Flatters note : « La température monte : nous
avons eu des journées de 25 à 26"" de chaleur; les nuits ne
descendent pas au-dessous de 10 à 12 degrés. Cela nous
change de ces jours derniers où nous avons eu de la gelée
blanche le matin (2). j»
L'ingénieur Béringer confirme les observations de Flatters :
le 18 décembre, il écrit d'Hassi-Inifel : « Le temps est superbe,
seulement il fait très froid le matin. Aujourd'hui encore nous
avons trouvé Teau gelée dans un vase qui avait passé la
nuit hors des tentes. Le thermomètre à minima marquait
— 2%8 » ; et le 29 janvier, € par 26'0'45" de latitude et envi-
ron 3 degrés de longitude, dans Timmense plaine des oueds
Igharghar et Tedjert », il s'exprime ainsi : « Nous avons eu
des froids assez vifs ( — 8** un matin). En ce moment les
nuits sont moins froides et le minimum est de + 5° à + 8*
en moyenne. Dans la journée, le thermomètre fronde atteint
parfois 30 degrés (3). »
L'ingénieur des mines, Roche, également membre de la
mission, confirme ce témoignage; il écrivait à M. Georges
Holland, le 4 janvier 1881, d'Hassi-Messeguem, par 28°15' de
latitude : c Depuis Hassi-Djemel nous avons eu tout le temps
des températures minima inférieures à zéro, sauf deux nuits
où le ciel était couvert. L'avant-dernière nuit, nous avons
eu — 6°; bien entendu, nous avons de la glace. Les jour-
nées, au contraire, sont chaudes; généralement la tempéra-
ture s'élève à plus de 20 degrés (4). »
Le climat du Sahara, même de celui du centre, comporte
'\\ Documents relatifs à la tnission dirigée au sud de V Algérie, page 417.
(â) Ibid., page 418.
(3) Ibid., page 427.
<4} Ibid., page 439.
I
11)6 LK SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSÀEARIi
donc des froids assez rigoureux la nuit, et les tempéralurb
diurnes hivernales y montent habituellement entre 20 û
25°, exceptionnellement 30°; ces conditions, on ne saum
trop le répéter, pourvu qu'on prenne les précautions néccr
saires, sont très salubres.
Le parcours de la deuxième mission Flatters aéléplusds
que celui de la première, non seulement à cause de la saiso:
mais par la nature du sol ; il résulte des constatations ••
Flatters et de Béringer que dans la première partie il >:
prêterait moins à l'établissement facile et peu coûteux du~
chemin de fer; il en est différemment de la seconde partie
La mission s'est trouvée longtemps au début en ierraii
hamada. En outre, la saison était plus sèche.
Flatters émet l'opinion que les pluies de printemps poui
raient être plus abondantes que celles d^automne : • H e?'
à remarquer que si Ton a chance de trouver de Teau en loole
saison, écrit-il de l'oued Insokki, aux environs du 28*dep
et demi, dans les mechra (1) de l'oued Insokki, comme dans
ceux de Toued Mia, ou des autres oueds de la région, k
printemps est, cependant, la saison la plus favorable, parce
que les pluies y sont généralement plus abondantes que cette
d'automne (2). » Plus loin, Flatters corrige en partie celle
opinion, ainsi qu'il résultera d'une citation que nous ferons
Il relate ce bruit qu'il n'aurait pas plu depuis plusieurs
années dans la région traversée. Le 12 décembre 1880,1c
Journal de roule, en pleine hamada désolée, s'exprime ainsi:
a Les pâturages sont abondants dans Toued Khechobd
quand il a plu ; mais la pluie est rare dans ces parages. ^^»
n'en a pas vu depuis plusieurs années et nos chameaux Iroo-
vent très peu de chose à manger. Du reste, de Bêchage'-
Ilel jusqu'à Sedjerat-Touila, où nous irons demain, se trouve.
disent les indigènes, la partie la plus déshéritée de toute '^
vallée de l'oued Mia (3). » Qu'il y ait dans le Sahara, coramt
(1) Sorles de cuvetlps tenant, dit-on, l'eau pendant deux ans.
{±) Documents reialifs à lu mission dirigée au sut! de VAlgériet page 301.
(3) Ibid,, page 283.
L.V DEUXIÈME MISSION FLATTERS. — PLUIES ET POINTS D'EAU, 157
dans toute vaste contrée, des localités inégalement traitées
par la nature pour le régime des eaux, cela est incontes-
table; mais il ne semble pas qu'il y en ait qui restent plu-
sieurs années, d'une façon absolue, sans pluies ; en tout cas,
elles sont rares ; le Journal de la deuxième mission Flatters
va en témoigner.
Cette deuxième mission s'est accomplie, cependant, en une
année de sécheresse, ainsi que l'indique la lettre d'envoi par
Flatters, au ministre, en date d'Hassi-Inifel et du 18 décem-
bre 1880, d'une partie de son Journal provisoire de roule et
d'autres documents. « Tout marche bien jusqu'à présent, y
dit-il, mais, faute de pluie suffisante cette année, les points
dVau sont très rares (1) » ; et de môme, dans une autre lettre
d'envoi au ministre d'une autre partie de son Journal prori-
soire de roule^ Flatters note encore d'Ilassi-Messeguem le
6 janvier 1881 : « L'obligation de faire des détours pour trou-
ver les points d'eau qui sont rares faute de pluie suffisante
cet automne, la pauvreté des pâturages à chameaux, le
(Irblaienment plus pénible qu'on ne le supposait du puits de
Messeguem ont retardé quelque peu notre marche au sud (2). »
Et dans son Journal^ à la date du 2 janvier 1881, il revient
sur la même idée : « Sur la route que nous venons de faire
depuis Ouargla (jusqu'à Hassi-Messeguem), les points d'eau
sont éloignés les uns des autres et les pâturages sont mai-
gres, faute de pluie d'automne suffisante (3). »
De tous ces passages il résulte non pas qu'il n'y eût point
eu de pluie l'automne, mais qu'on en avait eu moins que
d'habitude, et non pas que les points d'eau eussent disparu,
mais qu'ils étaient plus espacés.
Soit dans les puits, soit dans les mechras (cuvettes conte-
nant de l'eau), soit dans les rhédirs (mares), soit parfois,
quoique très rarement, dans des ruisseaux à fleur de sol, la
mission a rencontré l'eau nécessaire, souvent de très bonne
tl) Documents relatifs à la mission dirigée au sud de VAlgéne, page 57fi.
(2) Ibid,, page 293.
(3>/ôiW., page 311.
158 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHABID'
qualité; elle s*est trouvée seulement de temps à autre oblige
à quelque détour ou à une étape un peu plus longue qs^
d'usage. Le Journal provisoire de roule contient à ce sojc,
les mentions les plus précises : le 7 décembre : « Le puiu
Haïcba a 8 mètres de profondeur; eau abondante et asse.
bonne (1) » ; le 16 décembre, au hassi (puits) Sidi-Abdelba-
kem : « Le puits, creusé dans le sable, a 6 mètres de pro-
fondeur jusqu*au niveau de l'eau. Eau bonne, mais pc.
abondante (2) ». Le 17 décembre : « Séjour à Hassi-Inifei
Creusement d*un nouveau puits de 6 mètres de profondeur,
à côté de Tancien qui est insuffisant (3) > ; le 18 décembre
c Séjour à Hassi-Inifel ; achevé d'abreuver les chameaux et d:
faire provision d*eau pour la route (4) j» ; le 23 décembre:
« A rentrée de cette gorge est le puits comblé dit du Targui-
Kourzelli et, un peu plus haut, le Tilmas-Raoua, puits où s«
trouve encore un peu d eau ; c est vraisemblablement use
source qui donnerait beaucoup d'eau si elle était aménagée,
mais, à partir d4ci, Teau est assez fréquente en remont&tti
Toued Insokki. Dans une période de trois ans» Toued lui-
même coule en moyenne une fois à forte crue, une autre foi>
à crue moindre (5) » ; le 25 décembre, à Toued Insokki : c Ctî\
là que se trouve le puits à parois bien garnies de pierres ; pro-
fondeur, 2"',50jusqu*au niveau de Teau. Eau abondante ettrès
bonne. Traces d*eau récente dans de larges mechras. L*eauy
a séjourné tout Télé ; mais il n'y a eu qu'une pluie insigni-
fiante en automne et ils sont à sec (6). » Le 31 décembre, a
Hassi-Aoulouggui : < Plusieurs puits dans l'oued. DeuxoDl
un peu d'eau et on en pourra avoir davantage en déblapol
d'autres puits plus ou moins comblés. Profondeur, 4 m^
très (7). » De ce dernier trait, comme de nombre d'autres, il
résulte que la négligence est pour beaucoup dans la rarett^
(1) Documents relatifs à la mission diHge'e au sud de l'Algérie page 278.
(2) Jbid., page 287.
(3) Ibid., page 289.
(4) Ibid., page 289.
(5) Ibid., page 298.
(6) Ibid., page 301.
(7) Ibid., page 309.
U DEUXIÈME MISSION FLATTERS. — PLUIES ET POINTS D^EAU. 150
des points d'eau. Le lendemain, 1" janvier 1881, 20 kilomètres
plus loin, exemple plus frappant de Tincurie des indigènes
en celte matière : a Nous campons auprès du puits de Mes-
seguem Le puits est à demi comblé depuis près de deux
ans. Il doit avoir 11 mètres de profondeur jusqu'à Teau et il
s'y trouve 5 mètres de sable. C'est donc ce sable qu'il s'agit
de déblayer sans préjudice des bords avec coffrage fort
endommagé qu'il faut remettre tout d'abord en état pour
éviter tout danger aux travailleurs. Le travail, entrepris à
deux heures par des relais de dix hommes, est poursuivi jusqu'à
neuf heures du soir. A cette heure on est arrivé au sable
humide (1) » Le 2 janvier: c Séjour à Hassi-Messeguem.
Le travail de déblaiement du puits, repris à sept heures du
matin, est achevé à deux heures. L eau arrive en assez grande
abondance. Bien qu'un peu saumâtre au goût, elle paraît
néanmoins meilleure que ne le dit Gehrard Rohlf qui est passé
à Messeguem en 1864, allant d'Insalah à Ghadamès (2). »
Ainsi, voilà un point d'eau sur une route importante de cara-
vane; les bords du puits s'effondrent; il s'ensable et, au lieu
de le réparer, les indigènes aiment mieux abandonner celte
roule et faire un long détour. Quoi d'étonnant qu'avec ce
défaut d'entretien et d'aménagement les eaux soient rares
dans le Sahara? Il est plutôt surprenant qu'on en rencontre.
Après une station de six jours à Hassi-Messeguem, la
mission Flatlers en part le 7 janvier 1881 ; elle arrive le 9 à
rOued-el-Hadjadj : « Puits (hassi) Oued-el-Hadjadj dans
loued même. Profondeur, 2 mètres, mais très étroit. Eau
médiocrement abondante. Qualité un peu supérieure à celle
de Teau de Messeguem. » Il paraît que ce puits se combla
il y a quelques années, et les indigènes y virent l'effet d'un
châtiment du ciel au sujet d'un massacre de pèlerins effectué
par des coupeurs de route Chaamba : c Après ce meurtre,
dit-on, les puits moururent par châtiment de Dieu et ils res-
(1) Docutnents relatifs à la mission dirigée au sud de V Algérie, page 310
(â) Ibid., page 310 et 311.
100 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHAR1E>^
lèrent longtemps comblés ; mais la vengeance divine éiaat
satisfaite, paraît-il, le Chaambi Bou Khechba et notre guitW
actuel Mohamed ben Radja retrouvèrent l'eau il y a seprt
ans et ils rétablirent le puits qui existe aujourd'hui. Le tra-
vail, du reste, est des plus faciles, et d'autres essais avaient
donné de bons résultats ; mais le forage opéré par Bol
Khechba a seul survécu aux éboulements. »
Cette remarque est topique et confirme les réflexions que
nous faisions plus haut : le nombre des puits dans le Sahars
pourrait être, sans doute, triplé ou quadruplé, sinon décuplé,
et leur débit énormément accru, si la prévoyance, Tintelli-
gence et Tart européen se consacraient à celte œuvTe
C'est, en effet, une légende ridicule que celle de l'absence
de toutes pluies pendant des années consécutives dans cette
vaste contrée; immédiatement après les passages que nous
venons de citer, Flalters s'exprime ainsi : « Quant à l'Oued-
El-lladjadj, il coule en moyenne tous les trois ans pendant
quatre ou cinq jours sur une étendue de 7 à 8 kilomètres,
dans la partie relativement resserrée où nous sommes. C est
généralement en automne ou en hiver, saisons pendant les-
quelles les pluies sont les plus abondantes, à Tenconlre de
ce qui se passe pour l'oued Mia et l'oued Insokki, où nou>
avons vu que les pluies du printemps l'emportent sur les
autres. Toutefois, il y a des exemples de crue au printemps
et même en été, l'été dernier par exemple, à la suite de
violents orages qui ne sont pas très rares dans cette région.
Ici c'est généralement le vent du sud qui amène la pluie,
le vent de l'est apporte du sable, le vent du nord apporte le
froid, et lèvent du sud-ouest ou de l'ouest ou chiheli apporte
la chaleur ; c'est le sirocco. D'après les gens du pays, il est
bien rare que quelques années se passent sans pluie dans
une saison ou dans une autre ; il y a variation dans la quan-
tité d'eau qui tombe, mais nul ne se souvient d'une période
prolongée de sécheresse absolue (1). » Ces lignes sont
(1) Documents relatifs à la mission diriffée au sud de VAtqéne^ pages 3?*
et 321.
LA DEUXIÈME MISSION FLATTERS. — PLUIES ET POINTS D'EAU. 161
écrites le 9 janvier 1881, presque exactement au 28* degré
de latitude.
Dans la suite de son Journal provisoire de rou/e jusqu'au
20* degré, à partir duquel il ne donne plus de nouvelles,
Fiallers rencontre d'ailleurs, modérément espacés, des points
d'eau, soit dans des puits, soit dans des tilmas, des mechras
ou des rhédirs, diverses dénominations de mares variées.
Il constate aussi des pluies récentes ; le 14 janvier : « Végé-
lalion abondante; il a plu depuis peu de temps (1) »; le
16 janvier : « A 32 kilomètres de notre point de départ, sur
notre gauche, nous trouvons la sobba (cascade). C'est un
cirque de rochers auquel on arrive par un chemin très dif-
ficile d'environ un kilomètre de longueur à partir de l'oued.
Les cascades n'existent qu'après des pluies abondantes ;
mais nous trouvons beaucoup d'eau dans le fond du cirque
et dans un autre rhédir, à un étage de rochers au-dessus. C'est
(le l'eau de pluie excellente et extrêmement fraîche (2) » ; le
18 janvier : c Arrivée à une heure; distance : 26 kilomètres.
Eau vive dans un ravin à parois à pic, qui forme tranchée
clans le Tasili. La tête de ce ravin est à environ 6 kilomètres
à Test. Le ruisseau présente plusieurs élargissements natu-
rels successifs communiquant les uns avec les autres ; il y
a quelques poissons (barbeaux) (3) ». On est alors à Amguid,
un peu au-dessus du 26* degré de latitude. Le 20 janvier,
une reconnaissance explore les environs : « Départ de la
reconnaissance à 7 h. 15. Route au sud. Le Tasili à gauche,
la dune à droite. Sol pierreux de coudiat, puis reg et végé-
tation de l'oued. A 10 heures, passé à hauteur du Tinesel-
Muaken, fontaine au pied du Tasili ; quelques figuiers et
palmiers; ruines d'une maison, traces de cultures aban-
données depuis longtemps (4). »
Le 21 janvier encore, aux environs d'Amguid : « Au dé-
bouché de la branche principale de l'oued Tedjert sur
tl| Uocunxenls relatifs à la mission dirigée au sud de V Algérie ^ page 325.
\2i Ibid., page 328.
\'M Ibid., page 330.
(4i Ibid., page 335.
Il
162 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMliNS DE FER TRANSSAllARlE!!?.
llgharghar, rhédir considérable plein d'eau à la sortie delà
dune. C'est ici qu'il faut placer Ighellachen, c'est-à-dire ua
des aguellach ou élargissements d'oued avec végétalion qu\
se trouvent en nombre considérable de ce côté, sans que
rien de remarquable les distingue à première vue(l). * Le
26 janvier, au delà d'ighellachen : « Traces de crue récente-
Nombreux ravins ou oudians ; affluents des deux côtés.
A 20 kilomètres de notre point de départ, rhédir où se trouve
de Teau... Arrivée à deux heures au pied du Bourghedegt
au lieu dit Agzel. Eau dans un ravin, rive gauche de Toued.
Distance, 30 kilomètres. » Le 27 janvier : « Dépari â
6 h. 30. Route à Test et détour au nord-est, pour achever de
doubler le Bourghedegh... Eau à peu de profondeur au pied
du rocher de la rive droite (2). » Le 28 janvier : « Roule au
sud. . . Arrivée à 2 heures. Distance : 32 kilomètres ; végétation
abondante. On trouverait de Teau dans le tilmas, en creu-
sant un peu au pied de la berge rive droite de Toued; mais
nous en aurons demain de bonne heure, et nous n'en avons
pas besoin aujourd'hui, étant suffisamment approvision-
nés (3) »; le 29 janvier: « Départ à 6 h. 15... Arrivée à 8 heures.
Distance : 8 kilomètres, lieu dit Inzelman (eau sous le sablei
Tikhsin. Il suffit de déblayer le sable à 30 centimètres de
profondeur pour trouver de Teau en abondance. Cette eau
estbonne, malgré les efflorescences salines qu'elledépose(4;».
C'est ici la dernière communication de Flatlers, aux environs
du 25^ degré et demi, c'est-à-dire en plein Sahara central.
Il est de toute évidence, par ce Journal de roulcy que les
eaux qui, étant données les habitudes des nomades et des
rares résidents, ne peuvent être que des eaux superficielles
sont fréquentes dans cette partie du Sahara, de même que
dans celle qu'avait traversée la première mission Flatlers.
Si, quelquefois, il y a un écart assez grand entre ces points
d'eau, c'est, la plupart du temps, parce qu'on les laisse sans
(1) Documents relatifs' à la mission dirigée au sud de l'Algérie, page 336.
(2) îbid,, page 338.
(3}/6w/., page 339.
(4) Ibid., page 340.
LA DEUXIÈME MISSION FUTTERS. — PLUIES ET POINTS D'EAU. 163
soin et que le nombre de puils morts qu'on pourrait avec un
peu de travail vivifier de nouveau, ou des puits comblés qui
auraient besoin de quelques heures ou parfois de deux ou
trois jours de labeur pour être déblayés, est considérable.
Constamment le Journal de roule mentionne ces puits morts
ou ces puits comblés, parfois avec des réflexions qui sont
topiques : le 8 et le 9 décembre (1); le 12 décembre : « A
7 kilomètres au delà de Mgouirat-Nous, nous passons au
puits, mort depuis longtemps, de Ben-Abd-el-Kader;
c'était un puits bien maçonné; il y aurait 3 ou 4 mètres de
sable à enlever pour le remettre en état, ce qui lui donnerait
12 mètres de profondeur jusqu*au niveau de Teau (2). » Le
31 décembre, au sujet de l'important puits Messeguem, dont
il a été question plus haut (p. 159) et que la mission a dû
déblayer, le Journal de roule fait les décisives observations
suivantes : c C'est à Oudian-Chouikh que se réunissent de
nouveau les deux medjebed (tracés de caravanes) au nord-est
des gour de Tinkert que le medjebed par Messeguem laisse
au sud. Depuis que le hassi (puils) Messeguem est à demi
comblé, nul ne s'est donné la peine de le remettre en état,
et les caravanes passent plus volontiers par Aoulouggui (3). »
/linsi, plutôt que de s'efforcer de rétablir un point d'eau, ce
à quoi la mission réussit facilement (Voy. plus haut, p. 159),
les caravanes préfèrent dévier leur route. Le même jour, le
humai de roule mentionne qu'on pourrait avoir plus d'eau
I en déblayant d'autres puits plus ou moins comblés (4) ».
Le 9 janvier, le 11 janvier, il est aussi fait mention de ces
)uils morts ou comblés; à cette dernière date : <c Arrivée à
me heure à Oglat-elHamaïan, trois puits de 2 mètres,
lont un garni de pierre, mais à demi comblés (5). » La cor-
espondance privée des membres de la mission en parle
lussi plusieurs fois (6).
(1) Documents relatifs à la mission dirigée au sud de l'Algérie^ page 279.
(2] Ibid., page 282.
(.3) IbifL, page 307.
(4) Ibid., page 309.
\5) Ibid,. page 322.
(6) Ibid , pagis416,419, 421.
164 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FEli TRANSSAnARlEN'^
Outre le Journal de roule et la correspondance privée, b
rapports de l'ingénieur des mines Roche, membre de la
mission, annexés au Journal sous le titre de : Eludes gè(r
logiques el hrjdrologiques^ notent la fréquence et la qualité
des eaux. Nous passons ce que dit Tingénicur Roche (le.>
puits d'Ouargla et de ses environs, cette région étant encori
assez septentrionale. Un peu plus loin on remonte la vallée
de Toued Mia : « A Touest, au delà de la berge gauche d^
Toued Mia, est la hamada gréseuse quaternaire. Cette régioD
est parsemée de nombreux puits alimentés par la napp^
souterraine, qui affleure dans le choit d'Ouargla. Parmi ce?
puits, nous avons rencontré les hassis Bou-Khénissa, el Aïcli?
et Djemel ; leur eau est assez bonne, bien que des matière?
organiques en décomposition lui donnent toujours un go:il
sulfhydrique (1). » Ainsi, c'est Tincurie des indigènes qui
souille ou laisse souiller ces eaux. L'ingénieur Roche donne
ensuite quelques détails sur ces puils et l'analyse deseaiix:
la profondeur respective des trois puits qu'il a cités est de
7",40, 8 mètres et 11 mètres, la température des eauxoe
23 degrés. En poursuivant la route du côté d'Hassi-Inifel
on se trouve au-dessus d'une nappe aquifère : « Les hh
précédents semblent démontrer que, depuis Kechaba en-
viron, les hamadas sont turoniennes, et que dans l'oued Mia
sont des dépôts quaternaires ou modernes. Sous ce^
alluvions est la nappe aquifère qui alimente les puits el
peut-être plus bas, dans la partie la plus profonde et la plu>
ancienne du lit de l'oued Mia, la nappe artésienne comme
à Ouargla et dans l'oued Rir' (2). » Au terme de cette région
« le Hassi (puits) Abd-el-Hakem ou Inifel a 6 mètres de
profondeur. L'eau en est bonne (3) ».
La prolongation des eaux souterraines, plusieurs degré>
de latitude au-dessous de l'oued Rir', est ainsi établie; mai>
les indigènes ou les nomades n'utilisent ces eaux que quand
(1) Documents relatifs à la mission dirigée au sud de V Algérie, page 590.
(2) Ibid., page 291.
[Z)lbid., pa^c 21)2.
LA DEUXIÈME MISSION FLATTERS. — PLUIES ItT POIiNTS D'EAU. 16o
elles affleurent presque à la superficie, dans des puits de
2 ou 3 mètres jusqu'à une douzaine de mètres de profondeur.
A ce point de vue, les courts rapports hydrologiques de l'in-
génieur en chef Roche sur les diverses sections du parcours
de la seconde mission Flatters sont très intéressants à étu-
dier. Voici le résumé de ses observations sur la section
d Hassi-Inifel à Hassi-Messeguem, d'abord sur la vallée
de rinsokki : « Le fond de l'oued (Insokki), où sont plusieurs
rhédirs (mares) actuellement à sec el un puits, le hassi
Insokki, est occupé par des sables d'alluvions, surmontés
d'un banc de gros cailloux roulés formant le sol de la vallée.
C'est au milieu de ces sables que se trouve la couche d'eau
à laquelle on est parvenu au moyen d'un puits de5™,50. Lors
de notre arrivée, il y avait 2"*, 50 d'eau au fond de ce hassi.
Cette eau est de bonne qualité (1). » Ainsi, toujours des
puits superficiels. La température de celte eau était de
20 degrés. Plus loin « dans l'oued Djokran au milieu des
alluvions de la vallée, nous rencontrons un petit puits de
3 mètres, Tilmas-Sedra, dont l'eau est de peu d'abon-
dance (2) ». Il est naturel que, presque à la surface du sol,
ces petites réserves d'eau, nullement ou à peine abritées,
s'évaporent rapidement.
On arrive à l'oued Aoulouggui que Ton suit à peu près
jusqu'à Messeguem : € Au milieu des alluvions de Toued
sont creusés Irois ou quatre puits, hassis Aoulouggui,
ayant 3 mètres de profondeur, et donnant un peu d'eau de
bonne qualité (3). » Ce sont toujours, on le voit, des eaux
presque de surface; la température de celle-ci n'est, cepen-
dant, que de 15 degrés. Écoutons encore l'ingénieur Roche :
« Le plateau dé Tadémaït -c termine par des escarpements
fie 40 à 50 mètres devant la pbine de Messeguem, plaine de
ïeg (petit gravier siliceux) de 15 kilomètres environ de lar-
geur, comprise entre les escarpements de Tadémaït et de
^U Documents f'elalifs à la mission dirigée au sud de l'Algérie, page 314.
i-> Ihld., page 31o.
'^l/6t(/., page 315.
i66 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIENS
Tingherl. Le puits de Messeguem est au milieu de celU
plaine dans un bas-fond gypseux, espèce de sebkha ; il a
9°',50 de profondeur et est tout entier creusé dans du gypse
plus ou moins cristallisé et sableux. L'eau est de qualité
médiocre (1). » La température de cette eau est de 18X
Celte partie du trajet de la mission, qui est presque en pleioe
hamada (Voy. plus haut, p. 92 à 94 et L%), est la moins
favorisée au point de vue des eaux; néanmoins celles-ci ne
font nullement défaut, et si Ton ne se contentait pas de>
dépôts presque superficiels, qu'on creusât un peu davantage,
on en serait beaucoup plus amplement pourvu.
La section d'Hassi-Messeguem à Amguid est un peu plu>
favorisée, quoique Ton soit encore, en général, en terrain
hamada : « Le plateau de Tinghert, dit Tingénieur Roche
dans ses notes hydrologiques, renferme de Teau en certains
points, au milieu des alluvions de quelques oueds. Ainsi.
nous en avons trouvé 5 Hassi-el-Hadjadj et à Tilmas-el-
Mra » ; et Tingénieur décrit ces points d'eau, le premier
« puits de 2°',50; eau assez bonne, température 18^^).
densilé 1,0031 » ; le deuxième : « puits de 2'",50; eau bonne,
température 22 degrés; densité 1,020 (2) ». Ce sont donc
toujours des eaux quasi superficielles. A l'approche d'Am-
guid, c'est tout à fait de Teau courante que Ton rencontre:
« Du massif du Tasili descendent quelques ravins parmi
lesquels l'oued Amguid, ravin étroit, compris entre deux
escarpements très raides; son lit renferme un petit filet d'eau
de bonne qualité (3). » La température de cette eau, tout à
fait de surface, est de 19% sa densité de 1,0015.
Voici enfin pour la dernière section du parcours, d'Am-
guid à Inzelman-Tikhsin, soit au 25*" degré et demi; le rap-
port est très succinct, mais concliinnt: « Entre leplateaudii
Tasili et la plaine de Tlgharghar, écrit l'ingénieur Roche.
s'étend TEguéré... ; les oueds de l'Eguéré renferment quel-
(1) DociDnrnts relafifs à la t/ns^itni dirifféc an sud de VAlr/érie, pages 31*iot-)l''
(21 Ibid., page 332.
(3) Ibid., pago333.
LA DEUXIÈME MISSION FLATTERS. — PLUIES ET POINTS D'EAU. 167
quefois de Teau (1). On en voit des Iraces nombreuses. Dans
le lit de ces oueds on rencontre souvent des dépôts blancs
salés amenés par les eaux. Au milieu des dunes» au con-
fluent de Toued Tedjert et de Toued Igharghar, sont deux
grands rhédirs (eau assez bonne; densité 1,0015). La plupart
des vallées renferment une nappe aquifère souvent peu pro-
fonde. Ainsi, à Inzelman-Tikhsin, dans l'oued Alouhaï, il
suffit de creuser à 50 centimètres de profondeur pour avoir
de Teau. Cette eau est assez bonne, malgré les nombreux
dépôts salés voisins (2). » Voilà les derniers renseignements
de la seconde mission Flatters; ils concernent, on le voit, le
Sahara central, entre le 27*^ degré et demi et le 25'' et demi (3).
Ainsi, la plupart des vallées de cette région renferment
une nappe aquifère, en général peu profonde; mais encore
faudrait-il souvent foncer les puits au delà de cette profon-
deur habituelle de 2 à 4 ou 5 mètres et de cette profondeur,
actuellement exceptionnelle, de 10 à 12; il conviendrait
parfois de descendre à 20, 30 ou 40 mètres (4); ensuite il
faudrait établir solidement ces puits, les préserver des ébou-
lements, les mettre à l'abri des déjections du bétail et en
retirer les débris organiques des plantes, les abriter, les
défendre, et de temps à autre les curer. Ces soins sont au-
dessus de rintelligence, de la prévoyance et en dehors des
habitudes des indigènes et des nomades.
Avec un aménagement réguUer, les eaux seraient abon-
dantes au Sahara, non seulement pour le service des cara-
vanes et l'alimentation des trains sur les chemins de fer, mais
aussi pour l'entretien, en nombre d'endroits, de troupeaux
(i) Cela doit s'entendre de l'eau courante; car on va voir que presque tous
renferment à très peu de profondeur de l'eau souterraine.
{i)Ibid., page U±
(3) D'après l'ingénieur Béringer (Documents relatifs à la mission dirigée au
sud de V Algérie, page 438), Inzelman-Tikhsin, le dernier point d'où la seconde
mission Flatters ait envoyé des nouvelles, se trouve au So» degré 35' de latitude
et au 3« degré 30' de longitude est. Flatters, lui, donne la latitude de 25o30'
[Ihid., page 418).
<4i Les nappes artésiennes à Ouargla, d'après l'ingOnieur Céringer, sont à 3o
ou 40 mètres de profondeur. Documents relatifs à la mission dirigée au sud de
VAlfjérie, page 433.
168 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMIiNS DE FER TRANSSAUARIEV
permanents et de résidents fixes. Les dunes et leurs couloir^
ou gassis, les oueds nombreux, les plaines de reg ou gm-
vier qui forment de beaucoup la plus grande partie i.i
Sahara recèlent des réservoirs d'eau ; et il n'est pas jusquà
la hamada ( Voy . plus haut, p. 92 à 94), le terrain le plus ingrai
et le plus stérile, qui elle-même n'en puisse contenir; seule-
ment, il convient de Ty chercher à plus de profondeur
Flalters admet qu'on peut l'y rencontrer, mais avec une cii-
laine profondeur de forage et des frais assez grands à caute
de la dureté du terrain (1).
On continue à dire, cependant, que le Sahara est un pau^
sans eau et où il ne pleut jamais. De temps à autre, les voya-
geurs eux-mêmes, avec quelques atténuations, répèlent c-
refrain, que leur propre journal dément : ainsi riogénieur
des mines Béringer, membre de la seconde mission Flallers.
écrit le 19 décembre 1880, d'Hassi-Inifel, à M. Engel, de
Strasbourg : « Nous sommes tombés sur une année sans pluie
suffisante, car il ne pleut dans ce pays qu'une année sur '
trois et plutôt Télé que l'hiver, ce qui explique pourquoi le
passage d'une grosse caravane y est plus aisé en automne
qu'au printemps. Dans les années pluvieuses l'eau paraît
tomber en abondance, car les laisses que nous constatons ]
sur beaucoup de points de l'oued accusent un courant de
près de 1 mètre de haut sur 50 mètres de large (2). » Mais,
outre que lui-même reconnaît plus loin avoir trouvé fréquem-
ment de l'eau, parfois abondante, ceux des voyageurs qui
se laissent aller à répéter qu'il ne pleut qu'une année sur
deux ou sur trois fournissent immédiatement dans leurs
récils, par les pluies qu'eux-mêmes ont subies, un démenti à
cetteassertion vulgaire. Cette expression : « il ne pleut qu'une
année sur deux ou trois » n'est qu'approximativeeln'a qu'une
valeur relative, signifiant simplement qu'à une année de
fortes et violentes pluies, comme celle qui produit les
énormes torrents dont vient de parler l'ingénieur Béringer. j
(i) îiocumenls relatifs à la vnssion divKjve au sud de l'Alcjérle, pajje 28,'î.
:;2; Ib'uL, page 430.
LA DEUXIÈME MlSSIOiN FLATTERS.— PLUIES ET POINTS D'EAU- 169
succèdent une ou deux années de pluies plus rares. C'est
exactement comme les Normands quand ils disent qu'il n'y
a pas de pommes.
11 n'est pas un seul voyageur ayant parcouru pendant
quelques mois, en quelque saison que ce soit, une région
importante quelconque du Sahara, qui n'ait reçu des pluies
et parfois nombreuses et fortes. On l'a vu par l'exemple de
la première mission Flatters au printemps (Voy. plus haut,
page 107) ; il en a été de même de la seconde mission Flat-
ters, dans la très rapide exploration dont on a le récit
[d décembre 1880-29 janvier 1881). Le 2 janvier, Flatters
écrit d*Hassi-Messeguem : « Ce malin, pour la première fois
nous avons eu quelques gouttes de pluie ; mais le soleil est
revenu bientôt, quoiqu'il y ait encore quelques nuages (1). »
Puis, le 5 janvier 1881, d'Hassi-Messeguem également :
« Depuis deux jours nous avons un peu de pluie (2) », ce qui
indique que cette pluie n'a pas duré qu'une journée. L'ingé-
nieur Béringer, dans une lettre du 4 janvier, confirme d'Hassi-
Messeguem ce témoignage : « Depuis le 3 le temps paraît
changé. Le ciel, habituellement d'un beau bleu, s'est chargé
(le nuages, le vent du sud-ouest a soufflé avec force, par
rafales, et pendant une demi-heure la pluie a tombé. S'il
pouvait tomber de l'eau encore quelques jours, ce serait une
bonne fortune pour notre caravane. Nous trouverions de
l'eau dans les rhédirs et le pâturage de nos bêtes de somme
deviendrait excellent (3). » L'espoir de l'ingénieur Béringer
n'a pas été complètement déçu, puisqu'une lettre de Flatters
du lendemain, 5 janvier, indiquait que la pluie durait. Il
semble bien qu'elle ait continué et qu'elle se soit étendue
bien plus au sud.
Le 29 janvier, Flatters écrit d'Inzelman-Tikhsin, sud
dEguéré-Amadghor, par 25''30' de latitude : « Le pays
n'est pas aussi dépourvu de pâturage et d'eau qu'on le croyait
ill documents relatifs à la missiofi dîrifjèe au siul de l'Algérie, ])ii^^(.' 417.
\-^\ Ibid., page iiC.
(3| Ibid., page 438.
170 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARlDr
à cause des pluies récentes, et nous avons pu conlinuerdirec-
tement au sud sans nous détourner (1). >
Ainsi, à deux autres reprises, une fois dans son Jourm
provisoire de roule le 22 janvier, il est question de pluie>
récentes qui doivent s'être étendues jusqu'à la plaint
d'Amadghor; une autre fois, dans sa letlre d'envoi, en dalf
d'Inzelman-Tikhsin (Eguéré) du 29 janvier, au ministre de^
travaux publics, il est aussi parlé des « pluies récentes (2)>
Voilà donc une mission quia franchi toute cette partie du
désert, en dehors des périodes habituelles des pluies, les-
quelles ont lieu, comme elle le constate elle-même, en automct
ou au printemps, et qui, dans le court espace des sept semaine?
deplein hiver (3 décembre 1880 à 29 janvier 1881) auxquellei
s'appliquent ses relations, reçoit, d'une part, des pluies pen-
dant plusieurs jours vers le 28"^ degré de latitude et constate,
vers le 25*^ degré et demi, les effets de pluies récentes.
Tout démontre ainsi que l'absolue siccité du Sahara esl
une légende et il en est de même de l'absence de végétation.
Il y a des végétaux et des fourrages, même en plein hiver,
dans le Sahara ; une caravane comptant des centaines de
chameaux trouve à y nourrir ses bêtes ; les pâturages y sont
plus ou moins abondants, quelquefois il faut faire des pro*
visions pour quelques étapes, mais jamais le manque de
végétation ne constitue un obstacle insurmontable. La
seconde mission Flatlers en fournit la preuve, comme la
première, quoique celle-là ait effectué son trajet dans la
saison la plus défavorable (décembre et janvier) et souvent
dans le terrain le plus aride, en pleine hamada (Voy. plus
haut, pages 76 et 92).
Sur la variété des plantes fourragères du Sahara, nous
renvoyons plus haut, pages 122 et suivantes. Les documents
de la seconde mission Flatters, étant provisoires (c'est k
titre que porte le Journal de roule) et sommaires, entrent
dans de moindres détails.
(1) Uocuments relatifi} à la mission dinfjée au sud de l'Algérie, page 418.
(2) Ibid., pages 334 et 337.
LA DEUXIÈME MISSION FLATTERS. — LA VÉGÉTATION SAHARIENNE. 171
Suivons-les cependant. Les notes sur la végétation s'y suc-
cèdent, les unes favorables, parfois très favorables, les
autres moins. On quitte Ouargla, le 4 décembre 1880 :
< Pâturage assez abondant, surtout sur le plateau (l) » : le
5 décembre : c Plaine immense, plate, à fond de reg fin
(Voy. plus haut, page 97) ; pâturage abondant (2) ». Le
10 décembre : « Sebbakh Terfaïa est une dépression avec
affleurements de gypse. Pâturages. Quelques /er/a (tamarins)
rabougris, d*où le nom (»3). » Le 11 décembre : « Les deux
vallonnements dont il vient d'être parlé portent plus particu-
lièrement le nom de Siab; il s'y trouve quelque végétation,
des reterrij du hade (4). » Le 12 décembre ; « Route au sud-
ouest en remontant la bande de végétation, relem et guederuy
qui marque dans le reg la trace du Saïba [saïba, singulier
de siaby signifie gouttière, rigole), résultant de deux siab
au point de réunion desquels (melaga) nous venons de
camper (5). » Le 13 décembre : c Végétation très abondante :
drin, baguel, tamarix, etc. (6). » Le 14 décembre : « Départ
à 6 h. 45. Suivi Toued Mia, bien marqué par de hautes
berges. Nebka (Voy. plus haut, page 97) facile, bordée de
reg; chemin aisé, végétation abondante... Arrivée à 12 h. 30
au pied de cette dune. Distance : 22 kilomètres. Végétation
abondante : drin, hade, hanna, tamarix. Nos chameaux trou-
vent depuis hier au soir une ample compensation à leur
jeûne forcé entre Rechag-el-I tel et Sedjerat-Tonila (7), » Le
ir) décembre : « Reg ethamadasur la rive gauche; thalweg
parsemé de nebka> avec végétation abondante : itel (tama-
rix), drin, hade, hanna, ghessal, etc.. Arrivée à 1 h. 30...
Distance, 28 kilomètres. V^égétation abondante, excellente
pour les chameaux (8). » Le 19 décembre : « Saïba, thal-
\i\ Documents relatifs à la mission dirit/ée au sud de l'Algérie, j).!*,'»- 270.
\i) Ibid., page 277.
\'M Ibid,. page 280.
I4l Ibid., page 280.
|5) Ibid., page 281.
iH) Ibid., page 284.
(Ti Ibid., page 284.
m Ibid., page 286.
172 LK SAHAKA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TBANSSAHAR1E>ï
weg ou lit bien marqué par une végétation abondante, itele'
divers... Arrivée à 1 h. 30 à Metlay-Insokki, réunion d^
plusieurs branches plus ou moins barrées par la dune qui
envahit le lit en forte nebka. Pâturage exceptionnel, haJ
surtout. Distance, 30 kilomètres (1). » Lundi 20 décembre
« Départ à 6 h. 45. Remonté Toued Insokki en suivant son
lit... Nebka, hamada et reg, fond d argile formant rhédi:
quand il a plu ; Tan dernier, Toued a eu beaucoup d*eau
Végétation abondante, ilel (2) formant presque des boispa:
places, drin, hade, etc.. A 15 kilomètres de notre point df
départ, daïat, relem (Voy. plus haut, page 123) dans le lit tic
Toued, trace de rhédir de l'an dernier... Fond de nebka; iUl
très abondant ; bons pâturages, hade, halma, drin, etc. 3 . ^
Le 24 décembre : « Arrivée à 1 h. 30 dans un des détour?
de Toued Aghrid ; distance, 28 kilomètres. Diss (Voy
plus haut, page 123) abondant; quelques pâturages. On
ne trouve ici de pâturages que dans les oueds, la hamada
est absolument dénudée (4). » Le 30 décembre, arrivée
à Toued Aoulouggui : « L'oued est constitué par un
lit sablonneux avec végétation abondante (5). » Le 1" jan
vier 1881 on arrive à Messeguem : « Le puits de Messeguem
donnant de l'eau et les pâturages y étant très convenables
(damran, hade, ytaf, etc.), dit le Journal provisoire déroule.
nous y séjournerons deux ou trois jours (6). »
En fait, la mission n'en repart que le 7 janvier : « Nos
chameaux paraissent se trouver fort bien du séjour, dit le
journal, à la date du 4 janvier : nous resterons deux jours
encore pour abreuver une seconde fois et profiter complète-
ment de la bonté du pâturage (7). »
Le 7 janvier : « Départ de Hassi-Messeguem à 7 h. 30.
Arrivée à ce point, au pied des gour (Voy. plus haut, pagel^^i
(li Documents velalifs à la mission dirif/éeau sud de VAUjérie^ P^^ge
[t] Variété (!<' tainari.v.
(3i Documents relatifs ù la înission dirif/ée au
{\} Ibid., page 300.
Î94.
(5) Ibid., page 306
(6) Jbid., page 311.
[1) Ibid., page 313.
' au sud de VAbjêrie. page 29^-
A DEUXIÈME MISSION FLATTERS. — LA VÉGÉTATION SAHARIENNE 1*73
luTinghertà 3 h. 30. Dislance, 33 kilomètres. Végétation
ibondante pour les chameaux (1). » Le lendemain, 8 janvier:
i Départ à 7 heures. Route à Test en descendant TOued-el-
rladjadj, dont le lit principal résulte de la rencontre de plu-
sieurs oudians à environ 2 kilomètres de notre point de
lépart ; lit marqué par une végétation très abondante (hade,
damran, drin, retem, nouguir, quelques gommiers en brous-
sailles, etc. (2). » Le même jour : « Arrivée à midi et demi.
Dislance, 20 kilomètres. Ici afflue, à droite, Toued Oglat-
Hameïan qui vient du sud et que nous rencontrerons à notre
prochain départ. Végétation très abondante, excellente pour
les chameaux (3). » Le 11 janvier : « Départ de Ilassi-Oued-
el-Hadjadj à 7 h. 15. Route au sud par Toued Oglat-
Hameïan... La vallée s'élargit sensiblement, le lit de l'oued
n'est bientôt plus qu'une légère dépression avec végétation
assez abondante (particulièrement du chieh) dans un reg
pierreux, plat et nu... Nous marchons droit sur une chaîne
de gour et d'escarpements qui marquent la tête de Toued
Foula, notre direction étant sud-sud-est. Nous sommes
toujours dans la plaine de reg; nombreux oudians marqués
par de la végétation allante l'oued (4). »
On remarquera que dans les récents passages cités, il y a
l'indication de plusieurs plantes fourragères : le nouguir, le
chiehy qui ne figurent pas dans Ténumération que nous avons
faite plus haut (pages 123 à 125) : elles portent bien au delà
de la vingtaine le nombre des plantes fourragères du
Sahara, et il y en a certainement d'autres oubliées (5).
Le 12 janvier : « Route au sudtsud-est. Quitté le lit prin-
(li Documents relatifs à la inission dirigée au sud de l'Algérie^ page 318.
(il Ibid., page 320.
(3)/ôirf., page 320.
[^) I6id.,page 322.
(i)) Outre les plantes les plus fréqucnles et ayant vie particulièrement notées
parla première mission Flatters (Voy. plus haut, pages 123 à 125), notamment
\e hade, le drin^ le datnran, le néci, le retem, qui paraissent les plus répandues
elles plus utiles, le Journal provisoire de route de la seconde mission cite encore
assez fréquemment : Vadjerem, le diss» le chieh, le sedra, le kta/f, le haddadj
(sorte de coloquinte), pages 303 et 30î) des Documents relatifs à la mission ; avec le
noufjiiir cité plus haut, cela grossit sensiblement la nomenclature de ces plantes,
174 LE SAHARA, LB SOUDAN ET LES CHEMINS DE FEU TRANSSAHARIE>5.|
cipal de Toued Foula...; passé sur le reg pierreux, mai
facile, ou hamada passant au reg, delà rive droite... ; oudiac:
nombreux, confus, marqués par des traces de végétatioa
danslereg(surtoutdunéci, damran, hade, etc.)... Nous attei-
gnons son lit principal (de Toued Tilmas-el-Mra), marqué
par une végétation très abondante (drin, hade, dam-
ran, etc.) (1). » Le 13 janvier : « Départ de Tilmas-el-Mra
7 h. 15. Route au sud-sud-est... Plaine de reg presque
complètement plaie; oudians marqués par de la végétatioD
allante Toued Malah... En continuant toujours au sud-sud-
est nous remontons Chabel-Laroui... Végétation assezabon-
dante (néci, damran, hade, etc.). Arrivée à 2 heures. Distance
26 kilomètres (2). » Le lendemain 14 janvier : « Roule au sud-
sud-est. Le reg passe à la hamada, puis la hamada revient
au reg; c'est une plaine unie avec quelques oudians marqués
par du néci (3). » Le 15 janvier : « Route au sud, en remon-
tant Toued Iraouen... Terrain plat et facile... Retrouvé
Toued à 8 kilomètres de notre point de départ; nous le
suivons en remontant toujours dans la direction sud. Le
lit de Toued est marqué par une abondante végétation et
par de nombreux gommiers qui forment par places comme de
véritables bois (4). > Ici, on le voit, il ne s'agit aucunement
de rares plantes espacées.
Deux jours après, le 17 janvier, aux environs d'Amguid :
« L'oued Gharis, marqué par une végétation très abondante
et par des traces de rhédirs, franchit la chaîne de dunes par
une coupure. Nous passons la dune en tournant au sud-est
pour éviter la partie difficile; nous passons Toued Gharis,
et nous arrivons au lit de Tlgharghar (végétation, gom-
miers, etc.), au pied du Tasili (5). » Le lendemain 18 jan-
vier 1881, la mission arrive à Amguid, point de première im-
( 1} Documents relatifs à la inission dirigée au sud de l'Algérie, pages 322 et 323.
(2) Il)id., page 324.
^3) /6iV/.. page 324; le néci, on Ta vu, est une des principales plantes fourra-
gères du Sahara.
(4| /6ù/.. page 325.
(5) Il)id., page 329.
A DEUXIÈME MISSION FLATTEHS. — LA VÉGÉTATION SAHARIENNE. 175
sortance ; elle y trouve, comme on Ta vu plus haut (page 161),
le Teau courante avec de petits poissons. On est là au bas
lu plateau qui constitue la ligne de partage des eaux entre
a Méditerranée et TOcéan ou le lac Tchad, en plein Sahara
central, un peu au-dessous du 26^ degré et demi.
La mission reste plusieurs jours à Amguid : elle détache
e 20 janvier une reconnaissance vers le sud, conduite par
Rlatters même, accompagné des deux ingénieurs Béringer
;t Roche. Le Journal prouisoire de route rend compte de
îetle reconnaissance : le 20 janvier : c Nous suivons, dit le
|Ournal, la chaîne granitique qui prolonge le Tasili au sud...
arrivée à 3 heures à Azurahren, près du cap du Tasili pro-
prement dit ou Ahl-Lekor; végétation abondanle (1). t> Le
lendemain, 21 janvier : « Départ d'Azurahren à 6 h. 15. Route
au sud sur le Djebel Oudan... C'est ici qu'il faut placer
Ighellachen, c'est-à-dire un des aguellachs ou élargissements
d'oued avec végétation qui se trouvent en nombre considé-
rable de ce côté, sans que rien de remarquable les distingue
à première vue. Arrivée à 1 h. 30. Distance, 30 kilomètres ;
nous avons fait 60 kilomètres depuis Amguid (2). » Le
22 janvier : « Nous allons à 15 kilomètres en avant au sud-
ouest sur le Khanfousa. Terrain reg ; oued marqué par de la
végétation. Notre pointe extrême s'arrête à 10 kilomètres du
Khanfousa même. D'ici on voit parfaitement la vaste entrée
plate et unie du reg, rive droite de l'Igharghar, qui donne
accès dans la plaine d'Amadghor (3). » La reconnaissance
revient à Ighellachen et y fait une halte de quatre journées.
Le 26 janvier : « Départ d'Ighellachen à 6 h. 15. Route à
l'est par l'oued Tedjert à travers le coudiat ou montagne
de l'Eguéré... Traces de crues récentes ; végétation abon-
danle; grands tamarix (4). » Le 27 janvier : « Route à l'est
et détour au nord-est pour achever de doubler le Boughe-
degh... Franchi plusieurs oudians ou affluents du Tedjert
(1) Documents relatifs à la mission dirigée au sud de V Algérie , page 335.
(2) Ibid., page 336.
(3) Ibid., page 33C.
(*) Mirf., pages 337 et 338.
176 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIEV
avec végétation et gommiers. Terrain hamada presque reg
facile (1). » Le 28 janvier : « Départ à 6 h. 15. Route au suJ;
remonté FAhadjéri par une hamada et un reg faciles... ; le li:
de l'oued, marqué par de la végétation, tamarix, etc., e^î
près du bord du coudiat du Toufrigh... ; arrivée à 2 heures
Distance, 32 kilomètres ; végétation abondante (2). » L'
29 janvier: « Départ à 6 h. 15, roule au sud; continué ï
remonter Toued Alouhaïqui paraît moins important et moin>
riche en végétation que l'oued Meregalla, son affluent <le
gauche... Arrivée à 8 heures. Distance, 8 kilomètres, lieu
dit Enzelman (eau sous le sable) Tikhsin. Végétation assez
maigre : diss, tamarix. Nous sommes ici au sud de TEguéré.
près du débouché de Toued Tedjert dans la plaine d'Amad-
ghor... Les passages de Tlgharghar à la plaine d*Amadghur
sont en reg plat et la plaine est encore extrêmement étendue
en largeur (3). »
C'est ici que finit le Journal provisoire de la seconde
mission Flatters; on est au 25° degré 30 de latitude
Depuis ce moment, on n'a plus aucune nouvelle de la
mission jusqu'à son massacre. Si Ton réfléchit qu'Ouar-
gla est au 32^* degré et que les premiers villages de
i'Aïr, avancée du Soudan dans le Sahara, se trouvent à
peine au-dessous du 20" degré, on voit que Flatters,
depuis Ouargla, avait effectué, à Inzelman-Tikhsin, dans
cette partie de l'exploration sur laquelle on est minu-
tieusement renseigné par son Journal provisoire de roule,
sensiblement plus de la moitié de la traversée du désert
proprement dit; or, il a presque partout troilvé de la
végétation, une végétation variée, assez fréquemment une
végétation abondante, riche même (il se sert souvent du
premier mot et parfois du second) ; toute cette végétation, il
la rencontre en plein hiver, en décembre et janvier. 11 est
clair que tous ces oueds, où les plantes sont nombreuses et
(1) Documents relatifs à la missiofi dirigée au sud de l'Algérie, page 338.
(2) Ibid., page 339.
<3) Ibid., pagos 339 et 340.
A DEUXIÈME MISSION FLATTBRS. — LA VÉGÉTATION SAHARIENNE. 177
3rment tout au moins un ruban généralement continu,
nt des couches d'eau à une profondeur plus ou moins
;rande; mais aucune sonde, aucune recherche ne la
ollicite.
Et ce n'est pas seulement une végétation fourragère et
ampante que Ton rencontre au Sahara, c'est assez souvent
ne végétation arborescente : on a partout du bois, et assez
réqiiemmentde vrais arbres, parfois de beaux arbres. L'ingé-
ieur Roche écrit d'Hassi-Messeguem (28^15' de latitude) le
janvier 1881 à M. Georges Rolland : c II y a presque toujours
u bois, ce qui n'est pas à dédaigner parles nuits froides que
ous avons à supporter (1). » Quelquefois ce bois n'est que
es arbustes ou broussailles ; mais il arrive aussi que ce sont
e grands arbres : les essences que nous avons rencontrées
ans le voyage de la première mission (Voy. plus haut,
âge 127) : les palmiers, figuiers, gommiers surtout, tamarins
l autres variétés de ce genre, itels, et quelques autres es-
ences aussi, le peuplier, par exemple, et le tremble. Dans les
assages du Journal que nous avons reproduits ci-dessus, il
st souvent question des premiers de ces arbres, parfois
ualifiés de grands et de beaux : « grands tamarix (2) », « beaux
iraarix (3) », de « très nombreux gommiers qui forment par
laces comme de véritables bois (4) » en plein Sahara
entrai, « et également, dans une autre localité, des itels
rariété de tamarix) formant presque des bois par places (5) »
rès de l'oued Insokki.
De place en place, on rencontre des palmiers, arbre très
vide d'eau : « La présence des palmiers, dit le Journal de
oale du 21 décembre, sur le chemin de Hassi-Inifel à Hassi-
lesseguem, indique que la sécheresse n'est jamais de longue
urée dans cette partie de l'oued Insokki ; elle donne même
eu de supposer qu'il existe une nappe aquifère peu pro-
ili Documenls relatifs à la mission dirigée au sud de V Algérie, page 44 §•
(2' Ibid., page 338.
i3) Ibid., page 436.
<4i /6W., page 325; Voy. aussi pages 324, 338.
<5j /6iU, page 294.
12
178 LE SAIlÀRA, LB SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIU:
fonde (1). » Plus loin, au sud même d'Amguid, le 20 jan\ie:
« Sol pierreux de coudiat, puis reg, et végétation de l'ouei
A dix heures, passé à hauteur de Tineseal-Maken, fontaine :
pied du Tasili ; quelques flguiers et palmiers ; ruines im
maison, traces de cultures abandonnées depuis long
temps (2). » Ces abandons de cultures, qui sont assez frr
quents au Sahara, tiennent presque toujours à rinsécurite
dont il sera question plus loin et qui est le grand fléau de \i
contrée.
On y rencontre aussi des essences beaucoup plus sepleo
trionales, ainsi des peupliers ou des trembles. Le Hdécembiv
dix étapes au sud d'Ouargla,dansla direction d'Hassi-Iniftl
« A 15 kilomètres de notre point de départ se trouve m
bouquet d'une cinquantaine de sa/sa/* (tremble). Il yeua J<
deux espèces : Tathila à longues feuilles et le safsaf pr(^
prement dit à feuilles dentelées (3). » L'ingénieur Béringei
note aussi cette variété d*arbres qu'il appelle peupliers, au
lieu de trembles. Dans une lettre d'Hassi-Inifel, il écrit;
0 Le seul arbre véritable que nous ayons rencontré esll
tamarix, sauf sur une surface d'une dizaine d'hectares appelt<
data safsaf, où poussent des peupliers, safsaf en arabe
L'apparition de cet arbre, dont la feuillage jaune clai
tranche vivement sur le vert sombre des tamarix, nous i
agréablement surpris (4). » Il n'est pas exact que le laman
soit le seul arbre saharien, outre le tremble ou le peuplic
qui ne se trouverait que dans un endroit limité. >aoi
parler des figuiers et palmiers sporadiques, le gommier don
la sphère, il est vrai, est un peu plus méridionale qu Inifel
d'où Béringer datait cette lettre, est très abondant ai
Sahara ; puis sur l'autre versant de la ligne de partage i^
eaux, des espèces arborescentes importantes, offrant un trî!
grand développement, apparaissent, ainsi qu'on le verraplu'
loin par les relations de Foureau et de Barth.
(1) Documents relatifs à la mission dirif/éeau sud de V Algérie, pago -•"'•
(il Ibid,, page 333.
(3) Ihid., page 28i.
^4) lôid., page 435.
LA DEUXIÈME MISSION FLATTERS. — LA FAUNE DU SAHARA. 179
La vie végétale est donc diversifiée et assez abondante au
Sahara, parfois aussi très vigoureuse ; il en est de même de
a vie animale. Tous les explorateurs l'ont constaté et presque
;ur toute Tétendue de cette immense contrée. La seconde
nission Flatters ne fait pas exception, ainsi qu'en témoigne
e Journal provisoire de route : Le 15 décembre, aux trois
{uarts de la route entre Ouargla et Hassi-Inifel : « Gazelles
lombreuses ; lièvres. Vu des traces d'autruches. Il paraît
]ue, lorsqu'il a plu dans l'oued Mia, les autruches viennent
ici du sud, en assez grand nombre (1); » le 23 décembre,
sensiblement plus loin dans le désert, entre Hassi-Inifel et
Hassi-Messeguem : « Vers le point de courbure aboutit le
ravin [chaba) Chabet-el-Aroui (du mouflon) Ce ravin est
appelé El-Aroui à cause des nombreux mouflons que Ton y
trouve*. Du reste, les mouflons se rencontrent en assez grand
nombre dans les rochers qui bordent l'oued Insokki; nous
en voyons chaque jour les traces et nos chasseurs en ont
déjà tué quelques-uns (2). » Le 29 décembre, plus au sud
encore et tout près d'Hassi-Messeguem : « Nombreuses
gazelles ; vu aujourd'hui un troupeau de quinze têtes. Pour
prendre ce gibier, les Oulad-Bahamou établissent des collets
dans les oudians du Mader. Nous en avons vu plusieurs
consistant tout simplement en un nœud coulant de drin ( Voy.
plus haut, page 123) jeté sur des touffes de plantes que les
gazelles affectionnent particuliè-ement, des coloquintes
[haddadj)^ par exemple. La gazelle se prend dans le
nœud en broutant (3)... » Le 14 janvier, encore plus au sud,
entre Hassi-Messeguem et Amguid, aux environs de l'oued
Iraouen : « Gibier très abondant. Nos chasseurs ont tué
deux mouflons et en ont vu beaucoup d'autres. Vu des
antilopes, des gazelles, des traces d'autruches. Lièvres
nombreux, etc. (4). » Le lendemain, 15 janvier : « Départ
î> 6 h. 45. Roule au sud... Retrouvé l'oued (Iraouen) à
'M l^ocuments relatifs à la mission dirigée au sud de V Algérie, page 286.
<2) lb\d.^ page 299.
i^» ibid., page 303.
t*l lb\d., page 325.
180 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAflARIENS.
S kilomètres de notre point de départ... Gibier abondant.
Vu deux superbes autruches mâles qui, approchées à 800 mè-
tres environ, se sont mises bientôt hors de portée (1). »
D'autres passages contiennent des notes analogues et
relèvent la présence d'autres animaux, ânes sauvages,
pigeons, etc.
Nous ne parlons pas ici des animaux domestiques se
trouvant sous la conduite d'indigènes et dans leurs campe-
ments ou aux environs, moutons et chèvres notamment,
qui sont fréquents.
Cette immense contrée offre donc des ressources natu-
relles, culturales et pastorales, espacées, il est vrai, et non
de premier ordre, mais, telles quelles, susceptibles d'un cer-
tain développement, pouvant alimenter et soutenir une
population probablement décuple et peut-être centuple de
celle qu'on y rencontre, comportant môme parfois quelques
centres. Deux causes principales réduisent ce pays à une
infécondité qui, au point qu'elle atteint, est plus l'œuvre de
rhomme que celle de la nature : d'abord, le peu d'industrie de [
la race qui s'y trouve et qui ne sait ni rechercher les eaux,
ni les aménager, ni les entretenir; ensuite et surtout, la
redoutable insécurité qui règne dans cette immensité.
j
{\) Documents relatifs à la ynission dirigée au sud de l'Algérie, page Zi"r
CHAPITRE Vil
La deuxième mission Flatters (Suite). — Cause principale
DE la SOLITUDE presque ABSOLUE DU SaIIARA : l'iNSÉCURITÉ.
— Le tracé du chemin de fer.
Le Sahara es>t livré aux pillards. — Los razzias empêchent l'habilation perma-
nente et la culture en dehors des oasis importantes. — Témoignages abondants
relatifs à cette insécurité. — Cliaamba et Touareg et autres coupeurs de routes.
— Les caravanes même oppriment parfois et rançonnent les petits groupes de
résidents ou se pillent entre elles. — Persistance du trafic dos esclaves. — Le
Sahara a dû être de plus en plus aijandonné et coumio résidence et comme
lieu de passage.
La deuxième mission Flatters a constaté, comme la première, la facilité de l'éta-
bli-^soment d'un chemin do fer dans lo Sahara. — Grande prédominance du
terrain reg, plan ot ferme, constituant une plaine horizontale solide. — Faci-
lité cortaine du passage jusqu'à .Vmadgiior vers lo 2i<f degré de latitude. —
Kxcollonco do la position d'Amguid.
Très grande salubrité du Sahara. — Elle constitue un avantage inappréciable à.
la route du nord rolativomont aux autres voies d'accès à l'Afrique du contre..
Le Sahara est livré aux pillards; là où les eaux sourdent
flaturellement en volume assez important, comme dans les
oasis du Touat et du Tidikelt, il a pu se former quelques
agglomérations notables qui, tout en subissant le joug et les-
prélèvements des bandits organisés du désert, peuvent néan
moins maintenir une certaine exploitation du sol. Mais dans
les lieux où les eaux ne sourdent pas d'elles-mêmes en
masses notables et ne sont pas permanentes, les petits grou-
pements qui pouvaient se constituer n'étaient pas assez,
forls pour résister aux nomades ou leur faire leur part, en en
gardant quelqu'une pour eux ; ils ont été constamment raz-
ziés, privés de leurs moyens d'existence, se sont découragés
et dispersés. L'extrême rareté et l'exiguïté des campe-
ments humains au Sahara, surtout des groupements fixes
de résidents, tient principalement à cette cause : l'insécurité.
La désolation, non pas complète, mais presque absolue,
du pays est le fait de l'homme.
182 LE SAHARA, LE SOUDAiN ET LES CHEMINS DE FEU TRANSSAUAHIEV
Sur celte insécurité, les témoignages abondent : le 20 d^
cembre 1880, entre Hassi-Inifel et Hassi-Messeguem, Flattera
écrit dans son Journal provisoire de roule : « Hier et au-
jourd'hui, nous avons reconnu dans i*oued de nombreuses
traces de chameaux, vieilles de sept à huit jours. Il n\ •
pas de traces de geas à pied. C'est donc probablement un
ghezou (bande arabe en ghazia) (1) ou des gens revenant dv
ghazia et conduisant des chameaux volés. Ces traces venanl
de Test vont vers Goléa ou vers TAouguérout et le Gourar^
par l'oued Mia au-dessus de Inifel. Ce sont peut-être des
Chaamba Mouadhi de Goléa, fort coutumiers du fait, sans en
excepter leur caïd Brick ; peut-être des Médakénat du Gou-
rara, comme ceux qui sont passés non loin de nous, vers El-
Biodh, à notre premier voyage. Dans tous les cas, il est
vraisemblable que ce sont des coupeurs de roule, exerçant
leur industrie dans le Sahara, et ce qu'il faut surtout regretter,
c'est que les Chaamba Mouadhi de Goléa, soumis à la France.
puissent, par leurs antécédents déplorables, donner ample-
ment raison à ceux qui les accusent d'être confondus parmi
ces gens-là (2). j> Les luttes entre les Chaamba et les Touareg,
c'est-à-dire entre brigands, sont fréquentes : le 30 décembre,
aux environs d'Hassi-Messeguem, c'est-à-dire bien au sui
de la résidence des Chaamba, le Journal provisoire de ronk
s'exprime ainsi : « Le nom de Moqtela, si fréquent dans le
Sahara, indique ici comme ailleurs un lieu de combat. II y a
une trentaine d'années, des Chaamba revenant du pays des
Touareg, où ils avaient été ghazzer (razzier) des chameaux,
furent rejoints en ce point par les propriétaires des animau\
volés et il s'ensuivit un combat dont on ne sait pas trop
bien l'issue. Quelques tombes se voient à peu de distance.
Ce sont celles de Chaamba, disent les uns, de Touareg,
disent les autres (3). » On remarquera la phrase initiale.
« le nom de Moqtela, si fréquent dans le Sahara, signiGe
(1) Ou razzia, coinnio on dit plus communément.
|2) Documenl.s relatifs à la mission diriyée au sud de l'Algérie^ page 294.
(3) Ibid.y page 30G.
DEUXIÈME MISSION FUTTEHS. — 1/INîîÉC'JRlTÉ UU SAllARA, ETC. 183
lieu de combat ». Lestombes, d'ailleurs, sont nombreuses
dans le désert; il en est très souvent question; et elles ne
concernent guère des caravaniers, les décès parmi ceux-ci
étant rares à cause de la très grande salubrité du pays; elles
ne peuvent que contenir les restes de gens tués dans une
razzia ou bien, aux temps où le Sahara était un peu plus ha-
bité qu'aujourd'hui, ceux d'individus résidant.
Si ces groupes rivaux de brigands, les Chaamba et les
Touareg, se livrent des combats fréquents, à plus forte raison
tombent-ils à l'improviste sur les rares cultivateurs ou pas-
teurs de ces vastes régions. Le 9 janvier 1881, tout à fait en
plein Sahara central, à propos de l'oued Oglat-Hameïan,
district qui paraîtrait assez favorisé de la nature, le Journal
de roule rapporte : « Végétation très abondante, excellente
pour les chameaux; mais, malgré cela, les campements y
viennent peu, lesZoua, Oulad-Bahamou et autres, par crainte
des coupeurs de route touareg; les Touareg, par crainte des
coupeurs de route arabes. Il est certain que la réputation
du pays est assez mauvaise (1). » Les Zoua, dont il est ici
question et dont il va être parlé plus loin, sont, paraît-il,
« de race marabout », ce qui devrait leur valoir du respect.
Ils sont, avec les Oulad-Bahamou, les résidents de la partie
du désert qu'a parcourue la seconde mission Flatters entre
le 30'' et le 28'' degré environ. Le lieutenant-colonel écrit à
sa femme, le 25 décembre, du puits de Foued Insokki, par
28^30' de latitude: « Nous sommes chez les Oulad-Bahamou,
tribu arabe dont le centre est à Insalah. Ces gens sont bien
avec les Chaamba algériens et, à part l'entrée de leurs villes
de l'ouest : Insalah, les oasis du Touat, etc., il leur est indif-
férent que nous passions chez eux. Ils ont surtout parmi
eux beaucoup de gens des Zoua, de race marabout, qui ont
des représentants chez les Chaamba et chez d'autres tribus
de l'Algérie. Mon guide principal est un individu des Zoua...
Plusieurs Zoua et Oulad-Bahamou sont venus nous voir des
il) Documenti relatifs à la mission diHjée au sud de V Algérie, page 320.
184 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARID:
rares tentes qu'ils habitent çà et là à quelque distance ii
noire route ; et tout en cberchantà nous vendre, un peupla
cher qu'ils ne valent, quelques maigres moutons, ils nom
ont assuré que nous trouverions partout bon accueil (1
Il semble que ces gens soient sincères etpaciQques, mai^
malgré le caractère maraboutique qui devrait protéger !t^
Zoua, ils sont exposés, sinon à des massacres, du moins à da
vols et à des razzias. Ce ne sont pas, en effet, seulement Ica
Chaamba, d'une part, et les Touareg, de l'autre, qui volenl^
exterminent ou oppriment; ce sont souvent les caravanes
elles-mêmes : le 31 décembre, on trouve cette mention, daod
le Journal de roule^ au sujet de l'oued Aoulouggui : « Traces
de campements de Tété dernier. C'étaient des campements
de Zoua, dont la tente de notre guide, qui a en ce moment
même quelques troupeaux dans le sud de Mader, non loio
d'ici. Pendant qu'il était campé à Aoulouggui Tan dernier.
Si Mohamed ben Radja a vu passer une caravane considérable
de gens du Touat, du Tidikelt, etc. , qui se rendaient en pèleri-
nage à la Mecque par Ghadamès et la Tripolitaine. Ils étaieoi
plus de cinq cents portant fusils et, dit Si Mohamed, ils ne
se conduisaient guère de la façon qui convenait à la circons-
tance, car ils se montrèrent fort exigeants et se firent donner
une hospitalité dont les approvisionnements des Zoua se
ressentirent longtemps (2). » S'il advient de pareilles mésa-
ventures, de la part des pèlerins, à des tribus ayant un
caractère maraboutique, on comprend quels risques courent
les simples pasteurs isolés ou peu nombreux, de la part des
nomades ou passants divers.
La crainte du vol ou du meurtre hante tous les gens paci-
fiques dans le désert : l'ingénieur Béringer, membre de la
mission, dans une lettre adressée d'Hassi-Messeguem (28i')
de latitude) à M. Charles Engel à Strasbourg, écrit: € Dans
la nuit du 26 décembre est arrivé notre guide, parti la veille
pour visiter sa famille qui campe dans le voisinage. Il parlait
(1) Documents relatifs à la mission dirigée au sud de V Algérie, page 413.
(21 //»«/., page 309.
DEUXIEME MISSION FLATTERS. — L'INSÉCURITÉ DU SADARA, ETC. 185
haut avec son compagnon, et celui-ci jouait de la flûte. De
celte façon, il annonçait bien à Tavance son arrivée, et ne
risquait pas d'être accueilli à coups de fusil. C'est, d'ailleurs^
Tusage constant des gens qui, la nuit, accostent exception-
nellement un campement dans le désert. La méfiance est le
caractère distinctif des voyageurs du Sahara, et il n*estpas
rare que deux caravanes qui s'aperçoivent fassent demi-tour,
Tune à droite, l'autre à gauche, pour éviter de se rencon-
trer (1). j> On n'en vient aux pourparlers entre caravanes que
quand des indices certains révèlent un caractère pacifique mu-
tuel. € Une caravane allant de Ghadamës à Insalah, dit le
Journal de route le 2 janvier 1881, passe aujourd'hui près
de Messeguem, et, reconnaissant en nous des gens pacifiques
qui n'en veulent pas au bien d'aulrui, elle s'installe à quelque
distance du camp pour profiter du rétablissement des puits
et nous vendre en même temps quelques objets dont nous
pourrions avoir besoin. Ce sont des Oulad-Bahamou (2). »
Ainsi, la règle au Sahara, sauf indices rassurants, est de
s'éviter ou de se fuir. Comment s'étonner que les ressources
naturelles, d'ailleurs en général maigres et dispersées, souvent
cachées, comme Teau que recèle cette contrée, ne soient
l'objet d'aucune exploitation et d'aucun entretien? Il y a
cependant, on Ta vu, quelques campements, sinon tout à
fait permanents, du moins habituels ou périodiques : ces
Zoua et ces Oulad-Bahamou dont il a été question plus
haut, ailleurs diverses tribus de Touareg, des Ifoghas, des
Azdger, surtout des serfs de ces tribus, imrad.
Quant aux caravanes, elles ne peuvent, dans ces condi-
tions, transporter que des marchandises de peu de volume,
ou la marchandise du désert par excellence, qui se trans-
porte elle-même, à savoir l'esclave. Le trafic des esclaves,
quoique fort amoindri, persiste. A propos de la caravane des
Oulad-Bahamou, qui a rencontré la seconde mission Flat-
ters au puits de Messeguem, le Journal provisoire de roule
ri) hocuments relatifs à la mission dirif/ée au sud de l'Algérie, page 437.
|2) Ibid., page 311.
486 LE SAUAKA, LK SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER THANSSAHaBIEM.
dit : « Ils ont été, il y a deux mois, porter à Ghadamës des |
plumes d'autruche et un peu de poudre d'or, du henné, des
dattes, quelques tapis et cotonnades du Soudan et aussi
quelques esclaves nègres. Ils rapportent en échange des colon-
nades européennes venues par Tripoli, un peu de quincail-
lerie, du sucre, du thé, la majeure partie destinée à être
réexpédiée au Soudan (1). » Traitant ensuite ce sujet, d'après
les renseignements qui lui sont fournis par ces Oulad-Baha-
mou ou qui lui viennent d'autres sources, Flatiers écrit le
2 janvier 1881 : « C'est le trafic des esclaves qui donne les
bénéfices les plus assurés. Tous les deux ans deux caravanes
principales vont (d'Insalah) au Soudan par Akabli et le
Tanezrouft; elles se séparent chez les Aoulimmiden, l'une
allant par l'Âdrar au Haoussa, l'autre se réunissant à h
grande caravane du Maroc qui va à Tombouclou. Aux gens
d'Insalah sont joints ceux de Ghadamès qui vont au Soudan
occidental. Ces caravanes emportent des cotonnades, de la
soie, de la quincaillerie, de la bimbeloterie, du sucre, du
thé, de la bougie, etc. ; elles rapportent des plumes d'ao-
truche, de la poudre d'or, un peu d'ivoire, la plus grande
partie de ce dernier produit allant plutôt par les caravanes
directes du Bornou et du Haoussa sur la Tripolitaine à l'esl
Elles rapportent encore du Soudan des tapis, des peaux, etc..
mais on peut estimer que les marchandises de retour sonï
aux esclaves dans le rapport de un à quatre. Les esclaves
vendus et revendus de place en place sont envoyés soit au
Maroc, soit en Tripolitaine, où ils sont d'un écoulemenl
facile. 11 se produit même des contre-courants, car il n'est
pas rare de voir une caravane conduire des esclaves d'Insa-
lah à Ghadamès, ou réciproquement. J'ai vu par ici un nè^
qui a été vendu trois fois à Ghadamès et deux fois à Insalah:
ce n'est qu'à la cinquième vente qu'il a trouvé un maître qui
a bien voulu l'affranchir, et il est resté avec lui comme domes-
tique. Dans la Tripolitaine et le Maroc, les marchandises'
(1) Documents relatifs à la mission dirigée au sud de VAlgérie^ page 3i*«
DEUXIÈME MISSION FLATTEHS. — L'INSÉCURITÉ DU SAHARA, ETC. 187
soudaniennes accessoires de la traite s*écouIent tout aussi
bien et même mieux qu'en Algérie, les frais de douane,
d'entrepôt et de marché étant relativement peu élevés. Les
marchandises européennes y abondent, surtout par le com-
merce anglais. Quel avantage auraient les gens dlnsalah à
donner de Timportance au courant commercial allant à
l'Algérie où la traite des noirs est prohibée ? Cela n'em-
pêche pas les Chaamba de trafiquer clandestinement sur la
marchandise humaine et de conduire avec leurs caravanes,
particulièrement au Mzab, plus d'esclaves que Ton ne sup-
pose; mais les bénéfices ne compensent pas toujours les
risques à courir, et il ne faut pas chercher ailleurs la raison
de l'abandon relatif des routes commerciales du Sahara
algérien. La chambre de commerce d'Alger avait proposé,
en 1876, d*admettre les engagements de nègres dans des
conditions analogues à celles des coolies pour les mers de
rinde. C'était évidemment la traite déguisée; mais il paraît
incontestable que, dans l'état actuel des choses, et sauf
l'établissement d'un chemin de fer transsaharien qui modi-
fierait naturellement la situation du tout au tout, ce serait
un moyen certain, fort probablement le seul, de rétablir et
même d'étendre le courant commercial direct du Soudan à
l'Algérie (1). »
Il nous a semblé utile de reproduire textuellement ce long
passage écrit par Flallers, en plein désert, vers le 28" degré
de latitude, dans les premiers jours de 1881. Il revient à
plusieurs reprises sur cette traite transsaharienne ; le 9 janvier,
près du puits d'Oued-El-Hadjadj : « Nous rencontrons ici
une ancienne connaissance du premier voyage, Sliman le
Ilarlani, gardien de la zaouïa de Témassinin ( Voy. plus haut,
page 117), qui revient d'Insalah où il est allé avec trois cha-
meaux faire une provision de dattes et d'un peu de blé. Il
ramène également deux nègres achetés à Insalah par des
Ifoghas qui les feront reprendre à la zaouïa (2). » Ce pas-
ili Documents relatifs à la mission dirifjée au sud de VAlfjéne, pa/?e 312.
(2) Ibid., page 321.
188 LE SâBàRA, le SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIEN ^
sage est intéressant; Témassinin n*est, en effet, guère plu^
loin, du sud au nord, d'Ouargla que, de Test à l'ouest, d'In-
salah, et le chemin dans la première direction serait plus
plan et meilleur; le blé devrait aussi y être plus facile à se
procurer; mais à Insalah on pouvait acheter deux nègres, ce
qui a fait pencher la balance vers ce marché.
Dans une lettre à sa femme, en date dliassi-Messeguem.
le 6 janvier, Flatters renouvelle ses observations sur le com-
merce du Soudan, avec une conclusion plus formelle : € Là
traite des nègres est le principal; le commerce des marchan-
dises est absolument accessoire... Le chemin de fer trans-
saharien modifiera cette situation du tout au tout (1). »
Près d'un quart de siècle s'est écoulé depuis ces réflexions
du colonel Flatters; nous avons pris, depuis lors, possession
et de Tunis et d'Insalah; le Soudan central est échu, partie
à nous, partie à d'autres nations européennes. La traite
transsaharienne trouve ainsi plus d'obstacles sur son chemin,
et il est probable que, avec la tourmente qui pendant dix
ans, du chef de Rabah, a dévasté une grande partie du Sou-
dan, il en est résulté un amoindrissement notable de l'impor-
tance et du nombre même des caravanes. Il est probable
qu'autrefois, il y a un demi-siècle ou trois quarts de siècle
ou même un siècle,. elles étaient plus nombreuses, que le
Sahara a dû être de plus en plus abandonné et comme lieu
de résidence et comme lieu de passage, et que les puits et les
eaux y ont dû être encore plus mal entretenus qu'au temps
où le commerce à travers le désert était relativement actif.
Il ne peut être question d'adopter la méthode d'engagement
de coolies noirs, que sollicitait la chambre de commerce
d'Alger en 1876 ; mais comme l'écrivait Flatters : « le che-
min de fer Iranssaharien modifiera cette situation du tout
au tout ». 11 est certain que, quand il sera établi, il se for-
mera un courant notable et constant d'émigration temporaire
et volontaire de noirs du Soudan vers l'Algérie et la Tunisie.
(1) Documents relatifs à la mission dirigée au sud de l'Algérie y page 417.
'MISSION FLATTERS. FACILITÉS DE CONSTRUCTION DU TRANSSAHARIEN. 189
)es dizaines de mille nègres d'abord, et ensuite peut-être des
•entaines de mille viendront y fournir une main-d'œuvre pour
es travaux agricoles, pour ceux des mines et pour les tra-
•aux publics. Comme on le verra plus loin, cette émigration
emporaire, qui pourra aisément porter sur une cinquantaine
le mille têtes par an, dans chaque sens, sinon même sur
jine centaine de mille, s'accomplissanten toute liberté et par
3hoix, sera un des importants éléments de trafic du chemin
le fer transsaharien. Elle représentera près d'une demi-
douzaine de millions de francs de receltes totales, sinon
plus, et plusieurs milliers de francs de recette kilométrique.
Quoique accomplie dans un pays plus difficile que celui de
la première mission, la seconde exploration de Flalters a aussi
témoigné, non seulement de la possibilité, mais de la facilité
de rétablissement d'un chemin de fer : elle a constaté que,
même en mauvais terrain, les passages sont relativement
aisés. « Même dans les rétrécissements des extrémités sur
la contre-pente sud, en général raide et accidentée, dit le
Journal provisoire de roule y à la date du 18 janvier 1881, à
deux journées au sud d'Hassi-Messeguem, c'est-à-dire vers le
'28* degré, il se trouve des passages relativement aisés et il en
résulte que de l'oudje sud de l'Erg, de Daïa Ben-Abbou par
Toued du même nom, de Dra-Allal par l'oued El-Hadjadj, de
El-Biodh par Toued Malah, on peut aller directement au
sud-ouest en terrain facile de reg, rallier la plaine d'Adjemor,
le Botha ou Akharaba et Khanghat-el-Hdid et Tioun-
kinin (1). » Or, la première mission avait établi que jusqu'à
El-Biodh la pose de la voie ne rencontrait aucune difficulté.
Le 12 janvier : « A ce point nous sommes à la ligne de
séparation de la vallée de l'oued Foula et de ses oudians
avec la vallée à peu près parallèle de l'oued Tilmas el Mra,
autre affluent sud-nord de l'oued El-Hadjadj qu'il rejoint à
20 kilomètres en aval des puits. Cette ligne de séparation
est marquée par une succession d'escarpements de hamada
(M documents relatifs à la mission dirigée au sud de VAlgéHe, page 319.
190 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE PER TRANSSAHARILV,
relativement plus difficiles que ceux que nous avons passé
mais offrant néanmoins de nombreux passages très abor-
dables (1). » Le 15 janvier : « Par Fedj-en-Naam on enirr
dans le coudiat en terrain relativement facile et on trouv:
un peu au delà la tête de Toued Sidi-Moussa qui va à ^ou^
se perdre dans le reg du Massin vers Insalah. Cet ouei
Sidi-Moussa, tête de Toued Inela de la carte Duveyrier.
sépare le Djebel Iraouen proprement dit du Djebr;
Mouidir. L'extrême tête de Toued Sidi-Moussa louck
presque à Khanghat-el-Hdid et à la tête de Toued Toghesal
qui va par Iraouen à Tlgharghar. Sa gauche est marquée
par la chaîne du Mouidir, qui de Khanghat-el-Hdid se pix»-
longe avec passages relativement faciles jusqu'au Djebel
isolé d'Inzaz, qui en est comme un cap avancé (2). » h
17 janvier, la note du Journal embrasse un trajet étendo
et est tout à fait affirmative. « Route au sud-sud-ouesl.
puis au sud.... Le Djebel Iraouen est franchi et, pour
résumer ce qui a été dit de la facilité des passages, il nVs
rien d'exagéré à affirmer qu'une voie ferrée serait parfai-
tement exécutable sur tout le parcours que nous avons suivi
depuis notre entrée dans la montagne jusqu'à la sortie.
Mais ce n'est vraisemblablement pas par là que Ton
passera en chemin de fer, élant donné le reg (Voy. plus haui
page 97) de Tlgharghar qui s'étend toujours absolument
plat et ferme parle traversdcvant nous, du nord-est où noib
l'avons laissé au premier voyage, jusqu'à Amguid que nous
voyons se dessiner en cap des rochers du Tasili sur la
droite (3). » Ainsi, il y aurait plusieurs tracés praticables,
dont l'un en terrain tout à fait plan et ferme quasi depuis
Ouargla.
Le passage de la ligne de séparation des eaux entre la
Méditerranée et l'Océan ou le Tchad apparaît aussi, par
cette route d'Amguid, relativement aisée : le 20 janvier
(1) Documents relatifs à la mission dirigée au sud de V Algérie, p. 323.
(i) Ibid,, pajçes 32,) et 32j.
(3| Ibid., page 329.
r MISSION FLATTERS. FACILITÉS DE CONSTRUCTION DU TRANSSAHARIEN. 191
881, après avoir quitté Amguid, le colonel Flalters écrit
lans son Journal de roule : t A 20 kilomètres, le Tasili
init en trois caps élevés de 700 à 800 mètres, etune chaîne de
lautes roches granitiques très déchiquetées le prolonge en
tournant peu à peu au sud-sud-est. La grande dune
i'Amguid se termine à notre droite. L'oued Igharghar
continue droit au sud en terrain reg sur le Djebel Oudan
que Ton aperçoit à environ 120 kilomètres. La berge de la
rive gauche est peu apparente, quoique marquée par
une surélévation de reg où se distinguent quelques points
rocheux assez élevés et, parmi eux, la remarquable gara du
Khanrousa. Au delà de cette berge très facile à franchir
s étend, au sud-ouest, un reg immense qui va jusqu'à
Tinnakouraf, gour isolés non loin de Tin-Akeli, un peu au
sud de Cheik-Salah et visibles du point où nous sommes. De
Tinnakourat on va en reg, sans accident sensible de
terrain, au sud, à la tête de Toued Aberzoug, au sud-sud-
ouest, à celle de Toued Adélës, et, au sud-ouest, à celle de
l'oued Tirhedjert. Ces trois oueds forment les principaux
passages de TAnehet vers le pays de Timissao et du Tanez-
rouft au delà du massif du Hoggar. L'Atakor finissant en
cap élevé par le Taourirt, et le Taourirt se prolongeant à
Touest-nord-ouest par la chaîne plus basse de TAnebet,
ces passages sont faciles et forment comme des coupures de
reg dans TAnehet. Cependant, celui de l'Aberzoug, le plus au
sud, longeant presque le pied du Taourirt, est un couloir
assez pierreux d'environ 15 kilomètres de longueur. Celui
deToued Adélès est beaucoup plus large et à terrain moins
pierreux en reg; celui de Toued Tirhedjert est semblable à
Toued Adélès, mais sensiblement plus au nord et donnant
en plein reg du Tanezrouft (1). »
Ces descriptions topographiques de la contrée qui s'étend
au sud d*Amguid, lequel, nous le rappelons, est situé un
peu au-dessus du 26* degré, ne laissent aucun doute sur la
(l) Doçumenls relatifs à la mission dirigée au sud de V Algérie, page 335.
192 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAOARIENS.
facilité des passages, tant dans la direction du sud-ouest
vers le Niger, que du sud-est vers le lac Tchad. On remar-
quera cet énorme reg, c'est-à-dire terrain de gravier ferme
et plat, qui s'étend sur une étendue de plus de 120 kilo-
mètres au sud d'Amguid. Il n'est certainement pas de
condition plus propice à l'établissement d'une voie
ferrée.
La veille du jour où le Journal de roule relatait les ob-
servations qui précèdent, Flatters, à la date du 19 janvier,
écrivant d'Amguid au ministre des travaux publics pour
lui envoyer son Journal provisoire de route d'Hassi-Messe-
guem à Amguid et quelques documents annexes, s'exprimait
ainsi : « L'aridité absolue de la plaine immense qui s'étend
au sud d'Amguid rend bien difficile, sinon impossible,
l'accès direct du massif du Djebel Hoggar, situé au delà, et
je pense que nous devrons tourner par le Tasili (plateau) à
l'est, en suivant la route des caravanes... Dans tous les cas,
le tracé de la voie transsaharienne que nous recherchons n'en
sera pas moins déterminé, môme dans les parties que nous
n'aurons pas pu parcourir, puisque l'obstacle qui nous
force à nous détourner est la plaine de reg unie et aride où
un chemin de fer peut toujours être établi avec la plus
grande facilité. L'entrée du reg d'Amadghor étant déjà
reconnue et son extrémité sud devant l'être bientôt par la
reconnaissance du changement de pente des oueds allant
au Soudan, si la ligne de faîte est vraiment peu sensible
comme tout porte à le croire, la question sera résolue (1). »
Elle l'est, en effet, par les renseignements qui suivent
Sans examiner si ce reg immense, dont parle Flatters, est
d'une aridité absolue, ce qui peut tenir à la saison (janvier)
et aussi à ce que les indigènes et les nomades ne se préoc-
cupent pas de creuser le sol et de rechercher les sources, il
est clair que la facilité d'établissement d'un chemin de fer
est très grande dans cette contrée. Dans toute cette région,
(1) Documents relatifs (t la mission dirigée an sud de VAlgérie, page 316.
2'MISSION FLATTERS. FACILITÉ DE CONSTRUCTION DU TRANSSAHARIEN. 193
du 27* au 26'' et jusque vers le 25'' degré, la nature du terrain
qui prédomine est le reg, le reg pierreux ou la hamada tour-
nant au reg. Le Journal provisoire de roule le constate à
chaque instant: le 11 janvier: « Ici Toued est un peu plus
resserré dans un vallonnement de reg ; on voit le reg se re-
lever assez sensiblement au sud (l). » Le 12 janvier: « Passé
sur le reg pierreux, mais facile, ou hamada passant au
reg (2). » Le 13 janvier: « Plaine de reg presque complète-
ment plate (3). » Le 14 janvier: « Le reg passe à la hamada,
puis la hamada revient au reg; c*est une plaine unie mar-
quée par du néci (4). » Le 15 janvier : « Elargissement
considérable du reg...; il paraît démontré que pour aller au
sud-ouest de Toued Gharis ou deTIgharghardans la direc-
tion de Timissao, on ne rencontre que le reg plat avec
quelques gour isolés jusqu'au Coudiat Ahenet (5). » Nous
avons déjà reproduit plus haut cette note du Journal de
roule du 17 janvier: « Le reg de Tlgharghar qui s'étend tou-
jours absolument plat et ferme par le travers devant nous,
(lu nord-est où nous l'avons laissé au premier voyage, jus-
qu'à Amguid (6) » ; également on a vu que le reg se poursuit
bien au delà d'Amguid : « L'oued Igharghar continue droit
au sud en terrain reg, a dit le Journal de roule^ sur le Djebel
OudanqueFon aperçoit à environ 120 kilomètres (7). » L'in-
génieur des mines Roche, membre de la mission, dans les
9 Etudes géologiques et bydrologiques » qui sont jointes
au Journal de la mission et envoyées au ministère, constate
aussi cette prédominance de terrain reg: « La plaine de reg
de Messeguem..., la plaine de reg qui sépare le plateau de
Tinghert des monts Iraouen s'étend à peu près horizontale-
ment, à l'est vers l'oued Igharghar, à l'ouest vers Insalah.
Elle est recouverte de cailloux roulés de quartz et de frag-
^1) Documents relatifs à la mission dirigée au sud de l'Algérie, page 32i.
{±\ Ibid., page 322.
(3i ïbid,, page 324.
(4| Ibid., page 324. Le néci est une plante fourragère,
(5) MiV/., page 327.
(Gi Ibid., page 329.
|T| Ibid.f page 335.
13
194 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAUAR1£^^
ments de grès dévonien de plus en plus gros à mesure quoe
se rapproche de la montagne ou coudiat... ; la vallée qur
nous suivons, tout en restant comprise entre deux chaînes
de collines élevées, change insensiblement de sens et, aprt^:
avoir eu sa pente dirigée vers le nord, s'incline peu à fits
vers le sud ; elle nous amène ainsi dans une grande plaine de
reg, confluent de Toued Igharghar et deToued Gharis {l\. >
Nous avons donné plus haut la définition de ces termes*
reg, hamadoy gour, etc., par lesquels on distingue les diverses
variétés du sol saharien (Voy. plus haut, pages 92 à 97). Le
même ingénieur des mines Hoche, dans ses « Études géolo-
giques et hydrologiques j> faisant suite à celles dont viennei)!
d'être tirés les extraits ci-dessus, en donne une autre courte
définition : « Un peu au sud d'Amguid, écritril dans son
rapport daté d'Inzelman-Tikhsin (25** degré et demi environ
de latitude), la vallée de Tlgharghar se développe sur une
largeur d'au moins 50 kilomètres; c'est une vaste plaine dere:: '
(gravier quartzeux, sous lequel apparaît parfois un calcaiie
gréseux quaternaire ou peut-être môme post-qualernaire ....
La plaine de reg de Tlgharghar paraît se continuer vers le
sud et vers le sud-ouest ; elle renferme quelques petits monti-
cules en gneiss quartzeux et même quelques pics isolés, tek I
que le Khanfousa (2). » i
On a vu plus haut que ces plaines de reg, qui prédominen! I
dans le Sahara, sont très fréquemment entrecoupées d'oued-,
qui ont de Teau tout près de la surface. Là où il ne s'en ren-
contre pas, il est à présumer que ce gravier cache de l'eau
à une profondeur un peu plus grande, soit de 15 à 40 mètres,
et il n'advient guère que les nomades ou les rares résidenU
sahariens fassent des recherches à cette profondeur. Celle
plaine de reg au-dessous d'Amguid paraît s'étendre jusqu\»
la sebkha d'Amadghor, au-dessous du 25" degré, suivant le>
renseignements recueillis par la première mission Flatters (3 .
(1) Documents relatifs à la mission dingée au sud de l'Algérie, page 331.
(2) Ibid., page 341.
(3) Ibid., pages 63 ci 64.
[ISSION FLATTERS. FACILITÉ &fi CONSTRUCTION DU TRANSSAHARIEN. 195
ra unanimité parmi les guides divers interrogés séparément
ur affirmer c la facilité du passage par Amadghor (1) ».
i définitive, les larges gassis (Voy. plus haut, page 99)
Ire les dunes, d'une part, et les plaines de reg, d*autre
rt, sont les terrains les plus favorables à l'exécution d*un
emin de fer; les gour, toutefois (Voy. plus haut, page 96),
i n'occupent que des espaces restreints, demandent un
u plus de dépenses, ainsi que la hamada, quoique celle-ci
alement soit aisée à franchir.
La dernière note, en date du 29 janvier, du Journal pro-
mre de roule^ est très catégorique sur la facilité d'accès
cette région : t Nous sommes ici, dit à cette date le Jour-
i au sud de TEguéré, près du débouché de l'oued Tedjert
ns la plaine d'Amadghor. C'est le chemin des caravanes,
il est assez facile. CeuxdeTAhenet, pour aller au sud-ouest,
ir l'oued Adélès à Salât et Timissao, ou par l'oued Aber-
•ug au Tarhit, sont un peu plus difficiles d'après ce que
senties gens qui les ont vus. Comme il ressort de la recon-
lissance que nous avons faite au sud d'Ighellachen, il est
rlain qu'il n'y a aucune comparaison à établir avec l'entrée
lAmadghor par le reg plat et uni de l'Igharghar, et de sa
e au delà de la chaîne du Toufrigh que nous avons ici à
tre droite. Il y a bien quelques soulèvements en berge du
djert en travers de la plaine d'Amadghor, et, de l'est à
uest, la plaine elle-même est moins large qu'on ne le sup-
serait, à cause du coudiat assez compliqué, non figuré sur
carte de M. Duveyrier, qui forme la chaîne de l'Eguéré, et
i remplit l'espace à l'ouest du Tasili; mais les passages
righarghar à la plaine d'Amadghor sont en reg plat et la
line est encore extrêmement étendue en largeur. C'est, du
te, ce que nous vérifierons complètement d'ici à peu de
irs, en achevant la topographie de détail de cette ré-
»n (2). »
lalheureusement le Journal provisoire de roule de la se-
DocumenU relatifs à la mission dirigée au sud de l'Algérie, page 337.
J*»V/., page 340.
196 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIENS.
conde mission Flatters, les lettres du colonel et de ses com-
pagnons et lous autres documents de la mission ne vont pas
plus loin que ce point d'Inzelman-Tikhsin d'où le Journal est
expédié et ne dépassent pas cette date extrême du 29 jao^
vier 1881. On est là au 25* degré et demi de latitude, 6 degré^
et demi au sud d'Ouargla et 5 degrés et demi environ ad
nord de TAïr : plus de la moitié du Sahara proprement dil
est donc franchie.
Du même point, d* « Inzelman-Tikhsin, Eguéré, haul
Igharghar, 29 janvier 1881 , 25°30' latitude nord » , le lieulenanl
colonel Flatters écrit une lettre officielle à M. de Lépinay
« secrétaire de la Commission supérieure instituée pour Tétud^
des questions relatives à la mise en communication, par voii
ferrée, de T Algérie et du Sénégal avec le Soudan ». Cette leltr
concerne surtout le tracé sud-ouest, c'est-à-dire dans la dira
tion du Niger, lequel, comme on Ta vu plus haut, offre, s^
ce point, plus de difficultés, quoique nullement redoutables
M. de Lépinay était partisan de Taboutissement au Nigei
de là vient que Flatters s'y arrête surtout dans cette lellr
Quant au tracé central, le plus important et le plus intére
sant, qui va droit vers la région du Tchad, il avait été étnd
jusqu'à 600 kilomètres au sud d'Ouargla par la premiè
mission, et Flatters achève pourSOO ou 400 kilomètres au de
parles lignes suivantes qui sont catégoriques: « Pour le tra<
central, Ahitaghen m'a envoyé des guides qui sont charg
de me conduire au Soudan par Amadghor et Asiou. I
plaine de l'Igharghar se continuant indéfiniment, du moins
ce que nous avons vu jusqu'ici, à hauteur du Oudan par
25" degré de latitude, le massif central du Hogghar Tifîd<
et Atakhor courant sud à droite, le Tasili très loin allant
l'est à notre gauche. Ici les montagnes ne sont pas comi
celles d'Europe; elles tombent à pic sur la plaine. Le Djel
Oudan, qui a une altitude de2000mètres au-dessus du nive
de la mer, a 1500 mètres au-dessus de l'Igharghar (T.
(I| Documenls relatifs à la mission dirigée au sud de VAlgéiie^ page 431.
''MISSION FLATTERS. FACILITÉ DE CONSTRUCTION DU TRANSSADARIEN. 197
ajoutons en notre nom que des montagnes qui se dressent
lînsi isolées, à l'image du Zaghonan en Tunisie, ne cons-
ituent pas un obstacle grave, parce que rien n'est plus aisé
|ue de les tourner.
Quant au tracé par le sud-ouest, Flatters s'exprime ainsi
I son sujet: « Voici la ligne que jegarantis dans Téventualité
l'un tracé sud-ouest: Igharghar jusqu'à Amguidet Aghella-
:hen, reg uni et plat; tourner directement sud-ouest un peu
m nord Aghellachen,en laissant le Khanfou sa à 20 kilomètres
i gauche, le Mouidir à 50 kilomètres à droite, droite de
/oued Gharis qui ne va pas à Aghellachen mais à Test
au-dessus d'Amguid. Couper Tlgharghar qui n'a qu'une
berge à peine marquée et aller droit par les gour de Tin
rVkeli et Tinnakourat isolés dans le reg et visibles du Khan-
rousa (recueilli par renseignements que je puis considérer
comme certains). Continuer sud et même un peu sud-est
jusqu'à l'oued Aberzoug en terrain reg et prendre l'oued
Aberzoug qui va ouest-sud-ouest, formant couloir en mon-
tagnes de 25 kilomètres; la route en reg assez large dans
l'Ahenet, mais avec quelques détours et allante Toued Tarhit
st Timissao. — Variante : de Tinnakourat aller sud-sud-
Duesi en reg, prendre le passage reg et moins détourné de
['oued Adélès qui va aussi au Tarhit. Enfin, autre variante :
ic Tinnakourat continuer sud-ouest par Toued Tirhedjirt,
passage semblable à celui de l'oued Adélès, mais menant
lu Tanesrouft. — A^ Zf. Le massif de l'Atakhor finit en cap
i pic au Taourirt (Tarerenetz de la carte Duveyrier); il se
prolonge en chaîne plus basse à l'ouesl-sud-ouest, avec pas-
sages faciles en reg par l'Ahenet. Le Tanesrouft n'est pas
m plateau. C'est un reg en conlre-bas de l'Ahenet, reg gassi
aune et par places rouge, absolument plat. C'est le bahr^
la mer, disent les Arabes (1). »
Nous avons tenu à reproduire ce long passage : le tracé
sud-ouest conduisant au Niger nous intéresse médiocre-
^l) Documents relatifs à la rnission dirigée au sud de l'Algérie, page 431.
198 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAUABIE.XS.
ment, d'un côté parce qu'il est beaucoup plus essentiel au
point de vue politique, économique et administratif d'at-
teindre la région du Tchad et du Soudan central que la
région nigérienne; d'un autre côté, parce que la poussée
actuelle de la construction de la voie ferrée du côté d'Igli et
du Toual paraît devoir faire construire par cette direction
le Transsaharien d'Algérie au Niger. Nous n'eussions, certes.
pas choisi ce tracé sur la frontière du Maroc, exposé aux
déprédations de tribus belliqueuses et nombreuses, comme
les Bérabers; mais les choses ne sont plus entières, et la
construction d'une voie ferrée d'Oran au coude du Niger
semble, avec le temps, assurée dans cette région.
On sait, d'ailleurs, et on en verra plus loin les raisons,
que nous sommes partisan de la construction de plusieurs
Transsahariens, de deux tout au moins qui pourront, l'un et
l'autre, mais surtout le Transsaharien central, se montrer
rémunérateurs.
Ce qui est remarquable dans le morceau de Flatters que
nous venons de citer, c'est que jusqu'à Inzelman-Tikhsio.
2d°30' de latitude, et aussi loin que de ce point sa vue peut
porter (elle va jusqu'à 100 kilomètres dans ces vastes soli-
tudes) (1), et également autant qu'il a pu rassembler des ren-
seignements pour l'au delà, on ne rencontre aucune diffi-
culté sérieuse. Entre des montagnes à pic, les « couloirs »
et les « passages » sont faciles, et le terrain prédominant
est le reg (Voy. plus haut, pages 97 et 101) plat et uni.
Ainsi, d'Ouargla jusqu'à la plaine d'Amadghor et y com-
pris celle-ci, par les observations directes réunies de la pre-
mière et de la seconde mission Flatters, c'est-à-dire sur ua
millier de kilomètres, l'établissement d'une voie ferrée appa-
raît comme une œuvre très simple. L'ingénieur des travaux
publics Béringer a dressé l'avant-projet pour les 600 pre-
miers kilomètres au sud d'Ouargla, d'un chemin défera
(1) « Le temps est si clair que l'on a vue jusqu'après de 100 kilomètres », dit
le Journal de route de la première mission Flatters [Documents relatifs à h
mission dirigée au sud de l'Algérie, page 55).
2'MISSION FLATTEES. FACILITÉ DE CONSTRUCTION DU TRANSSAHARIEN. 199
large voie, et a évalué la dépense à 100000 francs au plus le
kilomètre (Voy. plus haut, page 140). Nous avons dû, en tenant
compte de la réduction de la voie à un mètre, au lieu de 1",44,
et de la grande baisse des produits métallurgiques depuis
vingt ans, abaisser cette dépense à 50000 ou 55000 francs,
au plus, le kilomètre. Il est permis de dire que les 400 kilo-
mètres plus au sud ne reviendraient pas à davantage.
11 resterait à connaître les 400 kilomètres environ entre
la fin de la plaine d'Amadghor et Âsiou ; malheureusement
le massacre de la mission Flatters, le 16 février 1881, dix-
huit jours après les communications dont nous avons
extrait les constatations et appréciations relatées plus haut,
nous laissent, du chef de cette mission, sans renseignements
à ce sujet. Nous y suppléerons plus loin avec le Journal de la
mission Foureau. Mais nous pouvons dire dès maintenant
<|uil n'y a, dans ce plein centre du Sahara, dans cette épine
dorsale d'un médiocre relief, aucun obstacle sérieux à la
construction économique d'une voie ferrée.
Quant à la partie méridionale du Sahara central, d'Asiou
au Soudan, elle est parfaitement connue par les récits et les
relevés, ayant une précision scientifique irrécusable, de
l'homme qui restera incontestablement le premier des voya-
geurs nord et centre-africains, à savoir le docteur Heinrich
Barth. Flatters, tant d'après Tétude de son célèbre prédé-
cesseur que d'après les renseignements propres qu'il a re-
cueillis de toutes parts et contrôlés, a écrit avec netteté et
vérité, dans une lettre à Duveyrier : « A Asiou, la question
du Transsaharien peut être considérée comme résolue. Les
instructions positives de M. de Freycinet ne nous prescrivaient
pas même d'aller si loin (1). »
La seconde mission Flatters, si fatalement abrégée
qu'elle ait été, a donné des résultats très importants. Au
point de vue général, elle a confirmé que le Sahara présente
des ressources, en ce qui concerne les eaux, la végétation,
(1) Documents relatifs à la mission dirigée au sud de l'Algérie^ page 428.
200 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHABIL^'
le bois, des possibilités pastorales et même cullurales
quoiqu'elle Tait traversé dans une plus mauvaise saison
rhiver, et à travers des districts moins propices. Quant :
l'œuvre spéciale de la construction d'un chemin de fer» elle a
confirmé que le tracé de la première mission était le md
leur(l),en le complétant par une poussée directe sur Amgiiii
et de là sur la plaine d'Amadghor. L'excellence de la position
d'Amguid ressortnotammeut de ces études. Amguid est daas
une vaste plaine : « Dans le Kheneg, en deçà et au delà, «iu
le Journal de la deuxième mission Flatters, l'Igharghar forn^
plaine de reg, comme celle que nous avons vue au premier
voyage. La plaine en deçà, par rapport à nous, estappeleej
indistinctement Amguid, Gharis ou Igharghar. L'ouei
Igharghar proprement dit, qui a ici un lit distinct marqué!
par de la végélation, court sud-nord, au pied des rocbfô
élevées du Tasili des Azdjer. Le point d'eau d'Amguid est au
sud, au pied de ces mômes roches formant cap au nord(2i. »
Cette vaste plaine est au confluent de routes diverses, celle
du nord vers Ouargla par Timassinine, celle du nord-esl
vers Tripoli par Timassinine également, celle de Touesl vers
le Maroc par Insalah, celle du sud-ouest vers le Niger par
Timassao, celle du sud direct par le Hoggar et Idèlès, celîe
du sud-est vers le Soudan par la sebkha d'Amadghorei
Asiou. Les eaux sont abondantes dans la région. En dehors
des constatations de la mission Fia tiers et d'autres subsé-
quentes, on a en faveur delà position d'Amguid, point néces-
saire du passage d'un chemin de fer transsaharien vers le
Soudan central, l'appréciation d'un homme très expéri-
menté dans les choses d'Afrique et ayant fait une étude pro-
longée du Sahara, le général Philebert. M. Georges RoilawJ
également, dans son rapport hydrologique sur le Sahara.
joint son témoignage à ceux qui précèdent (3).
(1) Documenls relatifs à la mission dirigée au sud de V Algérie, pages ^1*
4iy. 421. 4ii, 423, i26.
(2) Ibid., page 329.
(3) (ieorges Rollaïul, Hydrologie du Sahara algérien (Imprimerie Nalionîl'
d8'J4), pagos IG et suivantes. M. Rolland reproduit un croquis du général Pliii'.
2' MISSION FLATTERS. LA SALUBRITÉ DU SAHARA, ÉNORME AVANTAGE. 201
La seconde mission Flalters, si fatale qu'en ait été l*is-
sue, a donc singulièrement contribué à la connaissance du
Sahara central. Elle a jeté un jour quasi complet sur te tracé
de toute la première moitié du chemin de fer transsaharien
jusqu'au 25* degré.
Elle a démontré également, comme la première et comme
toutes les explorations antérieures et suivantes, que le
Sahara possède un immense avantage, à savoir une absolue
salubrité. 11 n'y a de fièvres d'aucune sorte au Sahara ; les
écarts de température (Voy. plus haut, pages 153 à 156), à
la condition que Ton se couvre en conséquence, sont favo-
rables à l'homme, à l'Européen notamment. La chaleur
sèche, la fraîcheur nocturne, parfois même en hiver le froid,
sont très propices à la santé, ils entretiennent et renouvellent
Ténergie. « L'état sanitaire est satisfaisant, et on peut dire
aujourd'hui, bêtes et gens », écrit Flatters d'Hassi-Messe-
guem, par 28°15' de latitude, le 5 janvier 1881. « Tout le
monde est en excellente santé », écrit l'ingénieur Béringer,
de la plaine d'Eguéré, au sud du 26* degré, le 26 jan-
vier 1881 . Trois jours après, il écrit encore le 29 janvier, d'In-
zelman-Tikhsin, près de la sebkha d'Amadghor : « Nous
campons en ce moment par 3"30' de longitude est et 25''35'
de latitude au milieu des granits et des basaltes. Tout va
bien. Tout le monde est bien portant (1). »
Cette salubrité du Sahara constitue un précieux avantage
pour l'accès dans l'Afrique centrale, tandis que l'abord de
celle contrée par toute autre direction, voie de l'ouest, voie
de Test ou voie du sud, ne peut s'effectuer qu'à travers des
pays désolés par les fièvres les plus meurtrières.
Quant aux granits et aux basaltes, et autres terrains pri-
mitifs du Sahara central, ils sont, au point de vue minéral,
pleins de promesses.
bert concernant l'importance de Ja position d'Amguid sur la route de l'Algérie
au Soudan.
(1) Documents relatifs à la mission dirigée au sud de l'Algérie, pages 426,
420, 438.
CHAPITRE VIII
Sommeil de l'idée tr^nssaharienne. — Les explorations
AU SUD DE l'Algérie de 1890 a 1897. — Le commaxdaxt
Lamy.
Abandon virtuel, après le massacre de la deuxième mission Flâtters, de t««-
projet de Transsaharien. — Excessive pusillanimité de l'administration p»?::
les explorations sahariennes. — Kxcursions séparées, néanmoins. d<» Fourea; .
de Lamy et de quelques autres, sur le pourtour de la province do Constanùn-.
Le commandant Lamy. — Son commandement à El-Goléa, de 181M à Î8î»3. —
Puits artésiens qu'il fait creuser avec succès. — Son opinion sur les puits «h
Sahara. — Ils sont souvent souillés par les animaux, ce qui rond l'eau nial^aiiit
Protestation de Lamy contre l'administration qui interdit toute « reconnai-^.«^-
à grande envergure ». 11 explore, néanmoins, tout le pays dans le rayon de -V
à 300 kilomètres d*El-Goléa. — Son opinion sur la contrée.
La main-d'œuvre à bas prix en ciuéte do travail. — Les fourrages et le boi> au
Sahara, d'après Lamy. — Ses réflexions sur la grande salubrité, rinséounN.
la facilité d'établir des points d'eau. — // croit au Tranfsa/tarien. — I»4«S'itL«>
lités, d'après lui, de cultures dans le Sahara.
Telle est la légèreté française, si peu habitués sommes-
nous à persister dans un grand dessein, que la mort de
Flâtters, simple accident qui n*avait que Timportance d'une
infortune individuelle et non d'un désastre national, fit.
sans renonciation formelle, délaisser brusquement le projet
si chaleureusement accueilli, de la construction du chemin
de fer transsaharien. Si, moins imprudent, Tinfortuné colonel
eût pu, comme M. Foureau l'a fait en 1898-99, achever pai-
siblement la traversée du désert et arriver dans les environs
du Tchad, il est probable, dans la disposition d'esprit où
Ton était alors, que la construction du Transsaharien eût èlé
entreprise, tout au moins amorcée. Les destinées de la France
en Afrique s'en fussent trouvées complètement modifiées,
incomparablement agrandies. Le Bornou, par exemple, irré-
parablement perdu pour nous, eût pu nous échoir. Depuis
lors, on a laissé sommeiller ce grand projet; le gouverne-
LE COMMANDANT LAMY; SES EXPLORATIONS AU SAHARA. 203
ment s'en est pleinement désintéressé. Vers 1890, un ingé-
nieur des mines, qui s'est distingué par la création d'oasis
dans la partie nord du Sahara, entre Biskra et Tougourt,
M. Georges Rolland, Ta vainement repris. Vers celle époque,
nous n'avons cessé de joindre nos efiforts aux siens et plus
d'une fois nous avons eu quelque espoir d'entraîner le public
vers cette grande œuvre. L'incident de Fachoda nous fournit
une occasion favorable de tirer ce grand projet du sommeil
et de le recommander à la France; l'opinion parut de nou-
veau lui faire bon accueil. Les raisons qui ont fait consti-
tuer la grande commission du chemin de fer transsaharien
en 1879 et qui firent entreprendre les explorations que nous
venons de mentionner sont plus fortes que jamais; et vrai-
ment, ce n'est pas le massacre de la petite mission Flatlers,
à la moitié du voyage, qui a pu diminuer l'utilité de l'œuvre
et faire douter sérieusement de la possibilité de son exécu-
tion. Les Russes ont éprouvé de bien plus grands mécomptes
dans leur carrière d'exploration : ils ne se sont pas laissé
arrêter par de très grands échecs, la disparition d'armées
entières, comme celle de la première expédition de Khiva.
Nous, parce que, non pas une armée, ni même une colonne,
mais une dizaine de Français accompagnés d'une soixantaine
d'indigènes et pourvus de moins de trois cents chameaux,
ont été tués par trahison et par imprudence, nous abandon-
nons une œuvre aux immenses perspectives!
Et cependant, celte œuvre était bien amorcée, on pouvait
se rendre compte de la plus grande partie du trajet et en
juger la facilité. La traversée du Sahara central» d'Ouargla
au lac Tchad, s'étend du 32*" degré de latitude nord au 14*.
La seconde moilié de cet itinéraire environ, du 23** degré à
Zinder, dans le Soudan, un peu au-dessous du H*" degré et de
celle ville au Tchad, avait été effectuée, en 1850, par Barth;
puis la même ligne à peu près avait été parcourue, en 1877,
par un autre voyageur allemand, de Bary; mais tous les
deux avaient fait l'autre moitié de la traversée par la Tripo-
litaine et le Fezzan. Le colonel Flatlers, en 1881, dans son
20i LE SAHARA, LE SOUOAiN ET LËà CHEMINS DE FER TRANSSAHARIENS.
second voyage, si cruellement interrompu, avait franchi le
tropique, était arrivé aux environs du 23" degré, quand il fut
assassiné, avec la plus grande partie de son escorte, à un
endroit que Ton a nommé longtemps Bir-el-Gharama et que
l'on a reconnu depuis être le puits de Tadjenout. On avail
eu de ses nouvelles détaillées jusqu'à Inzelman-Tickhsin.
25" degré et demi (Voy, plus haut, p. 194 et suîvantesl.
Les rares survivants de cette seconde expédition Flatters,
n*ayant pu sauver ses papiers et n'ayant pas une capacité ou
une compétence propre qui leur permît de rapporter des infor
mations personnelles dignes de foi, il en résultait que moins
du sixième de la ligne droite entre le sud de l'Algérie et le
Soudan, à savoir : toute la partie du trajet s'étendant entre
Inzelman-Tikhsin, 25'' degré et demi de latitude nord, el
Issala, vers le 22" et demi, visité par Barth, soit un intervalle
de 3 degrés seulement ou de 333 kilomètres, échappait à
toute connaissance des Européens. Il eût été aisé, à la fois,
de combler cette lacune et de montrer qu'un groupe de
Français, voyageant ostensiblement en mission officielle,
pouvait traverser d'outre en outre le Sahara central.
Le gouvernement, pusillanime et indifférent aux grandes
choses, se désintéressa néanmoins, à partir de 1881, du
projet de chemin de fer transsaharien et, en même temps, de
toute exploration du Sahara d'outre en outre. C'est seule-
ment sur le pourtour de l'Algérie que portèrent les recon-
naissances; elles se dissimulaient, en quelque sorte, à ladmi-
nistralion qui, sitôt avisée, les contenait. Plusieurs hommes
d'initiative s'y adonnèrent : le commandant Lamy, M. Fou-
reau, M. Méry et le lieutenaiit Palat, ce dernier qui périt par
assassinat. Les deux premiers, Lamy et Foureau, s'essayèrent
isolément dans des pointes en plein désert avant d'associer
leurs eflbrls dans la même œuvre.
Nous analyserons et commenterons plus loin avec détail
la célèbre traversée du Sahara par la mission Foureau-Lamy,
d'après le Journal de roule de Foureau. Auparavant, il est
utile de consacrer quelques pages aux excursions et aux
1-E COMMANDANT LAMY ; SES EXPLORATIONS AU SAHARA. 205
appréciations de Lamy, telles qu'elles ressortent de ses cor-
respondances (1). On créa, en 1891, dix ans après le désastre
de la seconde mission FJatters, une compagnie montée à
méhari (chameaux rapides) à El-Goléa. Lamy, alors capi-
taine, en obtint le commandement; né en 1858, sorti de
l'Ecole de Saint-Cyr dans le premier sixième de sa promo-
tion en 1879, il avait fait, sauf dix-huit mois passés au Ton-
kin en 1885-1888, toute sa carrière en Afrique : aux tirail-
leurs algériens d'abord, puis au service des renseignements
à Tunis, ensuite attaché à Tétat-major delà division d'Alger,
puis officier d'ordonnance du général commandant la d ivision ;
il fut, le P"* mars 1891, détaché dans Textrôme-sud et nommé
chef de poste à El-Goléa. Il y resta près de deux ans, jus-
qu'au 31 janvier 1893. Il eut ensuite des missions diverses
au Congo, à Madagascar, puis, promu commandant en
décembre 1896, il fut nommé en septembre 1897 commandant
de l'escorte militaire de la mission saharienne dite Foureau-
Lamy; après la traversée du Sahara, il fut tué le 22 avril
1900 sur le Chari, au combat de Koucheri (2) contre Rabah.
C'était un homme de beaucoup d'ouverture d'esprit et
d'une grande activité. Un grand nombre de ses lettres sont
adressées à un vieil Africain, fort au courant des choses sud-
algériennesetbonjugeencequilesconcerne,legénéralPoizat.
El-Goléa est situé, presque exactement sur le méridien
d'Alger, très peu distant du méridien de Paris, aux environs
du 30* degré et demi de latitude, un degré et demi approxi-
mativement plus au sud qu'Ouargla, qui se trouve dans son
nord-est. Visité par le général de Galiffet en 1873, puis
occupé seulement bien des années plus tard, El-Goléa for-
mait, à cette époque, notre poste le plus extrême dans le
désert. II le décrit en ces termes, en avril 1891, un mois après
son arrivée : t Le pays est très chaud, mais salubre. Nous
avons depuis quatre ou cinq jours une quarantaine de degrés
(1) Voy. rimportant et attachant ouvrage, quoique un peu dispersé sur des
sujets divers : Le Commandant Lamy d'après sa coi^i^esvondance et ses souvenirs
de campagne (1358-1900), par le commandant Reibell (Hachette, 1903).
(2) Op, cit„ pages 566-568.
206 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAH ARIENS.
à Tombre; si cela continue, on nous trouvera cuits à la fin
de Télé. Heureusement Teau est excellente et en grande
quantité. Je vais faire installer un appareil à douche qui
Jious rafraîchira un peu (1). » Si abondante que soit l'eau, il
s'occupe de creuser des puits artésiens, pour étendre les
cultures, et il réussit : c Vous avez sans doute appris
par la voie officielle, écrit-il le 16 avril, que la nappe arté-
sienne avait été trouvée entre 40 et 45 mèlrcs de profondeur
par notre atelier de sondage. Faute de tubes, on na
pas pu encore finir ce premier forage; il est probable que le
puits débitera environ 300 litres à la minute; le lendemain
du jour où leau a jailli, il donnait déjà 176 litres mesurés
devant moi (2) ». Lamy s'adonne avec soin à cette œuvre
hydraulique; le 21 juillet 1891, il mande au général Poîzat:
« Nous venons d'achever un second puits artésien. Il est
situé sur l'emplacement désigné par le colonel Didier à
3 kilomètres au nord d'Ël-Goléa. Le débit de ce puits est de
2000 litres à la minute; c'est un véritable torrent qui s'en
échappe. J'ai fait faire une séguia (rigole) de plus de 3 kilo-
mètres de long pour écouler l'eau dans le lit de l'oued Seg-
gueur (3). » Cinq mois après, le 26 décembre, dans une autre
lettre au général Poizat, Lamy revient sur cette question :
« En ce moment, je m'occupe de deux choses qui absorbent
à peu près tous mes instants : la construction de nouvelles
baraques pour loger une centaine d'hommes de supplément
de la garnison et le forage d'un puits artésien situé à
3500 mètres au sud du bordj, dans une petite oasis appelée
Hassi-El-Gara. Après vingt-huit jours de travail, nous avons
atteint une profondeur de 81", 10 et nous avons un débit
mesuré hier soir de 1 400 litres à la minute, et qui augmente
à mesure que le fond du trou de sonde se dégage. C'est le
troisième sondage entrepris avec succès depuis que nous
sommes à El-Goléa ; les deux premiers étaient ceux de Bel-
(1) Le Commandant Lamy iVaprès sa correspondance el ses souvenirs de cam-
pagne, page 102.
(2) Ibid., pui^o 105.
(3) Ibid., page 124.
LE COMMANDANT LAMY; SES OBSERVATIONS SUR LES PUITS. 207
\ïd et de Bel-Bachir. » Lamy explique que Ton avait pu
croire d'abord à un échec pour ce puits d*Hassi-EI-Gara ;
en effet, « à 35 ou 36 mètres, on avait atteint une petite
nappe jaillissante qui ne donnait que 110 à 120 litres à la
minute, ce qui était absolument insuffisant; puis on était
entré dans une sorte d'argile tantôt verte et tantôt grise,
mais surtout rouge, dure comme de la pierre... L*atelier lui-
même commençait à se décourager... Le débit du puits
augmente à chaque coup de trépan ; au bout de quelques
minutes, il est de 500 litres et il augmente toujours... En ce
moment c'est une vraie rivière qui jaillit à gros bouillons
hors du tube. Nous avons élevé l'orifice à 4 mètres au-des-
sus du niveau du sol, l'eau en débordait encore (1) ». On voit
quelle persévérance il faut pour ces puits artésiens ; on doit
descendre parfois à de grandes profondeurs, et celle de
80 mètres n*estpas une limite extrême ; parfois on doit l'aug-
menter de moitié ou la doubler.
Lamy avait ainsi acquis une grande expérience hydrau-
lique saharienne : le général Poizat lui demande des
renseignements généraux sur le débit des puits dans le
désert, et voici comment il répond : c Vous me demandez,
mon général, de compléter mes renseignements sur le pays
en déterminant le débit des puits du Sahara. J'ai essayé de le
faire pour quelques-uns, mais pour beaucoup d'autres c'est
impossible, voici pourquoi : dans bien des endroits, l'eau se
trouvant assez près de la surface du sol, les gens du pays et
les caravanes ne creusent que les puits qui leur sont stricte-
ment nécessaires, et ceux-ci se comblent dès que les néces-
sités pour lesquelles ils ont été faits disparaissent. On peut
donc seulement indiquer : eau abondante, ou pas abondante,
bonne ou mauvaise, à tant de mètres de profondeur. Quant
au débit exact, il est très difficile de le déterminer. Ainsi, je
passe avec un détachement de trente hommes, je trouve
les puits comblés; j'en déblaie un ou deux« juste ce qui
fl) Le Commandant Lamy d'après sa cotTespondance et ses souvenirs de cam-
pagne, pages 145 et 146.
208 LE SâBARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIE^s
m'est nécessaire. Je passerais avec soixante hommes que
j'en creuserais le double. A Nebka, par exemple, où j'abreu-
vais mon troupeau pendant une séance de pâturage, j'a;
trouvé, le jour de mon arrivée, le puits comblé; je Tai remis
en activité; au bout d*un jour, j*ai constaté que son débit
n*était pas suffisant pour abreuver nos quatre-vingt-cinq bêles.
J*ai alors creusé un second puits. Celui-ci se trouvant
encore insuffisant, j'en ai fait un troisième. Enfin, le jour de
mon départ, j'en ai creusé un quatrième, ce qui m'a permis
d'abreuver mon troupeau en moins d'une heure; et c'est un
peu partout de même. Je vous assure que nos tirailleurs
savent ce que c'est que de curer un puits ou d'en faire
de nouveaux. Dans la vallée de l'oued M'guidem, l'eau se
trouve en assez grande quantité partout, et à 10 ou 12 mètres
de profondeur ; sur la route directe d'Insalah, l'eau est plus
rare et de moins bonne qualité aux points que j'ai visités :
El-Okseiba, Meksa, Chebbaba, Mezzer. L'eau se trouve quel-
quefois à fleur de terre (telle à Meksa, 0",60 et au plus 2",ôO).
On n'a qu'à augmenter le nombre des puits, ce qui se fait
rapidement (1). »
On voit combien est embryonnaire ce régime des puits
sahariens et que de ressources d'eau doivent être inutilisées.
On trouve dans ces remarques une confirmation des observa-
tions que nous avons faites antérieurement ( Voy. plus haut,
pages 158 à 167). Quant à la qualité de l'eau, si très souvent
elle est défectueuse, c'est surtout qu'on la laisse souiller par
toutes sortes de débris organiques, animaux ou végétaux;
on l'a déjà vu par le récit des explorations antérieures (se
reporter plus haut, pages 116 et 117) ; le commandant Lamy
ajoute, sur ce point, un nouveau témoignage décisif. Dès
qu'ils flairent un puits, les chameaux s'y précipitent, se vau-
trent dans l'eau et, en s'y abreuvant, y font tous leurs besoins.
Lamy, dans cette situation de chef du poste de Goléa, en
ces années 1892 et 1893, fut amené à rayonner à des dis-
(1) Le Commandant Lamy cVaprès sa correspondance et ses souvenirs de catt!-
pagne, pages 126 et 127.
LE COMMANDANT LAMV, SES OBSERVATIONS SUR LES PUITS. 20Ô
tances de 200 ou 300 kilomètres autour de cette oasis; il
contribua à installer le fort d*Hassi-Inifel au sud-est, celui de
Mac-Mahon au sud-ouest et de Miribel au sud direct; il
poussa dans cette direction du sud jusqu*au 28° degré, au
plateau du Tadémaït, à Aïn-el-Guettara. Ses descriptions,
en somme, sont fort encourageantes. Il raconte ainsi, le
18 avril 1891, au général Poizat son excursion à Hassi-Inifel :
t Lorsque le bruit s*est répandu que je devais aller reconnaître
le point d eau d'Inifel, quelques indigènes sont accourus au
bureau et m*ont demandé si c'était vrai.... Ils m*ont dit alors :
il n'ya pas d'eau sur la route, elle est mauvaise, vous mourrez
tous de soif; lechemin est difficile; il commence à faire très
chaud pour vous ; le pays n'est pas sûr; vous pourrez faire de
fâcheuses rencontres, etc.. ; enfin toutes les mauvaises rai-
sons qu'on trouve lorsqu'on veut empêcher quelqu'un de faire
quelque chose qui vous déplaît. Malgré tout cela je suis parti ;
nous avons fait un voyage superbe, nous avons toujours eu de
leauen quantité suffisante et nous n'avons pas rencontré un
chat, excepté dans les environs immédiats de l'oasis (1). »
Hassi-Inifel, d'après Lamy, est à 140 kilomètres sud-est d'El-
Goléa. Lamy, il est vrai, n'aime pas ce poste d'Inifel et le dé-
clare mal choisi. Dans la direction du sud-ouest il n'entrevoit
guère plus de difficultés: « D'El-Goléa, écrit-il encore au gé-
néral Poizat, on va dans le Gourara, comme d'Alger on va à
Blida; seulement il n'y a pas de chemin de fer. On rencontre
de l'eau partout, un terrain très propice à la marche des co-
lonnes, aucun obstacle sérieux à surmonter ; on pourrait, du
premier coup, faire la route en voiture. Dans la reconnaissance
que j'ai faite de l'oued M'guidem, je me suis avancé jusqu*à
Hass-EI-Heuzma, à une journée et demie de marche de Ta-
belkoza; lorsque je suis rentré à El-Goléa, les gens du pays
m'ont demandé pourquoi je n'étais pas allé faire un tour
dans le Tinerkouk; rien n'aurait pu m'en empocher (2). »
\{) Le Commandant Lamy d'après sa correspondance et ses souvenirs de cam-
pagne, page 110.
(i) îbid., page 120.
14
210 LE SAUARÀ, le âOUDAN ET LES CHEMINS DE ^BR TRANSSÂfiARl£>S.
Il se plaint, à maintes reprises, de la timidité gouverne-
mentale qui leur interdit les excursions un peu lointaines,
quoiqu'elles ne lui paraissent présenter aucun danger ; c'est
un refrain habituel dans ses lettres : le 6 décembre 1892,
il parle de la suppression éventuelle de la compagnie de
méharistes d'El-Goléa : « Du moment où on ne les employait
pas, selon leurs aptitudes, dans ces reconnaissances à
grande envergure qui nous ont été interdites, autant vaut ies
supprimer(l). » Le 16 janvier 1893, il narre au général Poizat
une aventure assez curieuse : < Nous avons également re{u
un touriste de la province de Constantine. Il est venu en
vélocipède y îusquk moitié route deTougourt à Guerrara;là,
ne pouvant plus avancer à cause du terrain, il a couché son
instrument dans une dune, et a loué un chameau sur le dos
duquel il est arrivé à El-Goléa, suivi d'un petit coDvoi.
 El-Goléa, je lui ai fait acheter un beau méhari et sos
équipement ; il est allé seul avec un Madhoui (Chaambi.
d'El-Goléa à Inifel en trois jours, puis d'Inifel à Ouargla
par l'oued Mia. Personne n'avait plus osé suivre celle
dernière route depuis le colonel Flatters, et il faut que ce
soit un touriste venu directement de Blois, ne connaissaol
pas le premier mot de TÀlgérie, qui entreprenne des courses
auxquelles, il y a quelques mois, on me défendait de me
risquer avec moins de 60 hommes. Quelle pusillanimité! et
quelle leçon pour les timorés du sud que la désinvolture de
ce M. de Troberville allant tranquillement fumer sa
pipe en compagnie d'un seul guide sur les grands chemins
du Sahara (2) !» Et le 28 janvier, toujours d'El-Goléa
(( J'ai dû abandonner mon projet de rentrer par Aïn-Sefra
La permission de suivre ce trajet m'a été refusée, à moi qui.
depuis deux ans, navigue dans le Sahara, sous le prétexte
que le pays, que je connais mieux que personne, n'est pas
sûr et de peurque je meure de faim ou de soif (3). > Et sur sa
(i) Le Commandant Lamy d'après sa correspondance et ses souvenirs de cQf--
vagne, page 168.
(2) Ibid., page 174.
(3) Ibid., page 172.
LE CÔMIlANDÀNf LAMY : U MAIN-D^CËUVRB Alj SAHARA. tii
roule de retour, il écrit, le 28 mars 1893, à M. de Trober-
ville : « Vous savez de quelle façon j*étais emprisonné à
El-Goléa, sous le prétexte qu'il y avait de grands dangers h
s'écarter de ce poste (1) ! » Il précise ainsi les moyens pour
atteindre le but qu*on hésite tantà poursuivre : « Quel que soit
le côté par où Ton envisage la question de pénétration saha-
rienne, on revient toujours au point de départ : qu on donne
à Texplorateur une escorte, et le Sahara est traversé (2) » ;
en attendant cette escorte, on pourrait faire des < reconnais-
sances à grande envergure », suivant son expression; mais
il ajoute : « Ici, sans risques ni péril, on entrave de parli
pris toute action individuelle (3). »
11 fit néanmoins, on Ta vu, dans un rayon de 250 à 300 kilo-
mètres autour d*El-Goléa, et notamment au sud jusqu'au
pied du plateau du Tadémaït, des excursions fort intéres-
santes.
Une observation dans ses lettres qui mérite d'être
recueillie se rapporte à la main-d'œuvre disponible en ces
régions si peu habitées : « Le bruit s'étant répandu au
Touat et au Gourara qu'on allait faire de grands travaux à
El-Goléa, il m'arrive chaque jour des caravanes de gens de
ces pays qui viennent demander de Touvrage ; moyennant
1 fr. 50 par jour, nous pourrions avoir d'excellents ouvriers
et nous créer des intelligences chez nos voisins de TOuest;
mais nous n'avons pas de travaux à leur donner (4). » Cette re-
marque est très importante ; ce n'est pas seulement de l'ouesl,
mais aussi de l'est (le Fezzan) et même du sud (le Soudan)
qu'accouraient en foule des travailleurs à 1 fr. 50 par jour pour
des travaux continus à exécuter dans le Sahara, tels que le
Transsaharien ; on en aurait facilement non seulement des
milliers, mais même 12000 ou 15000 si c'était nécessaire.
Nous avons déjà cité les observations que, au cours de
H) Le Commandant Lamy d'après sa correspondance et ses souvenirs de cam^-
pagncy page 174.
(2) Mit/., page 178.
{3) Ibid., page 182.
(4) /Aid., page 109 (Voy. aussi page 140).
21â LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TKANSSABARIEKS.
ces reconnaissances, Lamy fit sur ces régions, notamment en
ce qui concerne les eaux et les puits. Il parle aussi des planta
et du bois : < Au milieu de ces dunes, il y a dans certains
bas-fonds une végétation délicieuse pour le palais et Tes*
tomac de nos animaux (les chameaux) ; aussi faut-il voir Tair
béat qu ils ont lorsqu'on les ramène le soir au camp. Ils
ont tellement mangé qu'ils se traînent péniblement en rumi-
nant de ces plantes exquises, assaisonnées d'un sable très
pur, qu'ils ont absorbées toute la journée (1). » Évidemment
ces pâturages sahariens ne ressemblent pas aux prés it
Normandie, quoique plusieurs explorateurs aient parlé, ca
certains endroits et jusqu'au plein centre du désert, de
véritables prairies de néci ou d'autres variétés de fourrage
(Voy. plus haut, page 125, et plus loin, page 247). Il y a aussi
des arbustes, comme le /!?r8/]^a (variété de tamarix), à Tombre
desquels on s'abrite (2), puis de vrais arbres, même de
grands arbres. < Nous nous trouvons en haut de la côte
qui domine la vallée (du côté de l'oued Mia). Des touffes
noires la parsèment ; ce sont des arbres et des buissons.
Nous allons donc avoir un peu de bois et d'ombre (3). »
Il fut dpnné à Lamy d'effectuer la première traversée,
d'outre en outre, du Sahara central, comme chef de rescorte
de la mission Poureau. On a un certain nombre de lettres de
lui écrites au cours de cette exploration. On ne pourrait les
analyser toutes sans faire double emploi avec le Journal de
route de M. Foureau, dont nous donnerons plus loin une
analyse, accompagnée de commentaires. Il est bon, toutefois,
à titre de diversité de témoignages, de reproduire quelques
extraits de cette correspondance de Lamy sur cette traversée
célèbre. Elle s'effectua, on le verra plus loin, dans de9
conditions climatériques moins favorables que celles dont
bénéficia la première mission Flatters; l'année était beaucoup
plus sèche ; néanmoins, pour l'observateur attentif» elle en
(i) Le Commandant ÎMmy cV après sa corf^espondafice et ses souvenirs ileca •
pagne, page H4.
(2) IbUL, page 119.
(3) Ibid., page 131.
LE COMMANDANT LAMY : FOURRAGES ET BOIS DANS LE SAHARA. 213
conflrme les conclusions. La végétation était séchée en
grande partie par cette insufflsance des pluies récentes, ce
qui ne veut pas dire qu'il n'y eût aucune pluie ; car, suivant
notre observation, malgré le dicton qu'il ne pleut que tous
les quatre ou cinq ans au Sahara, il n*est jamais arrivé à un
explorateur de s'y aventurer quelques mois, sans y recevoir
de la pluie. Le 3 décembre 1898, Lamy écrit : < Il y a
deux jours, nous avons eu ]a première pluie depuis
notre départ (le 23 septembre) : éclairs, tonnerre, se répé-
tant de montagne en montagne, coup de vent des plus vio-
lents, orage s'avançant avec le roulement lointain de dix
régiments d'artillerie au grand trot ; c'était vraiment un
spectacle majestueux et superbe. Le lendemain, nous en
avons été quittes pour nous sécher à un beau soleil, et rien ne
paraissait plus de cette bourrasque qui semblait vouloir
tout détruire (1) ».
Sur la végétation en plein Sahara central, il oppose la
désolation du plateau du Tasili à la fécondité relative et
spontanée des vallées; le 12 décembre 1898, par 26''15',
il mande au général Poizat : « Pas l'ombre de végétation
sur ces rochers et dans les coupures au milieu desquelles se
précipitent les eaux lorsque par hasard il pleut. Dans les
vallées, au contraire, telles que l'oued Samen, on trouve de
véritables forêts de gommiers et de tamarins et du drinn
plus ou moins sec, maigre nourriture pour les chameaux qui
circulent péniblement avec leurs charges (2). » 11 ne fautpas
oublier que l'on est en décembre et que, même dans des
contrées plus favorisées, les troupeaux ne trouveraient aux
champs, en celte saison, qu'une maigre nourriture. Un mois
après, le 15 janvier 1899, par 23*3218" de latitude, il écrit
au commandant Legrand : « Depuis hier nous sommes
campés dans la plaine d'Âdjou, où nous coupons du drinn,
espèce de fourrage sec, pour nourrir notre immense troupeau
[i] Le Comtnandant Lamy d'après sa correspondance et ses souvenirs de cam-
pagne, page 515.
{î) Ibid., paffe 518.
214 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS. DE FER TRANSSAHABIESS.
de chameaux qui va avoir à franchir près de 250 kilomètres
sans avoir rien, absolument rien, à se mettre sous la dent. Cesl
environ 90000 kilogrammes de fourrage que nous sommes
en train de faucher et que nous allons être obligés d'em-
porter en surcharge sur le dos de nos pauvres animaux déjà
bien fatigués, sans compter que nous serons obligés, dans
trois jours, d*y ajouter cinq jours de réserve de bois pour la
cuisson de nos aliments. Ce n'est pas la première fois que
nous sommes obligés de transporter tout ce qui est néces-
saire à notre subsistance et à celle de nos animaux; pour le
passage du Tasili, nous avions dû recourir aux mêmes expé-
dients; mais c'est la partie désertique la plus absolue et la
plus longue de notre voyage que nous allons aborder (1). ■
Ce passage est caractéristique. Qu'au point en quelque sorte
le plus central du Sahara, on trouve à faucher, au mois de
janvier, 90 000 kilogrammes de fourrage, cela ne doit, certes,
pas passer inaperçu ; ensuite, il ressort de cette constatation
du commandant Lamy que c'est exceptionnellementqu'oaesl
contraint à faire ces provisions et qu'en général un troupeau,
si gigantesque soit-il, trouve, dans cette longue traversée, à
vivre, même en hiver, sur les ressources locales.
Comme les explorateurs précédents et ceux qui le suivroot.
Lamy constate à la fois les fraîcheurs et même les fi-oids
nocturnes du Sahara et la très grande salubrité du pays:
il écrit le 29 décembre 1898, de Tihodaït, après la traversée
du Tasili : « Quant à nous tous, nous nous portons admira-
blement bien, malgré les alternatives de chaud et de froid
par lesquelles nous passons. Il nous arrive fréquemment
d'avoir 4 ou b"" au-dessous de zéro le matin, pour remonter à *25
ou 26° de chaleur dans l'après-midi du même jour. Ce malin
notamment, pendant que nous étions en route, j'avais de pe-
tits glaçons dans ma barbe à sept heures et demie, tandis qu'à
une heure du soir nous avions plus de 20*^ à Tombre (2). »
(1) ^e Commandant Lamy d'après .sa correspondance et ses souvenirs de caf*>-
pagne, page 3i6.
(i) Ibid., page o:22.
LE C"* LAMY : L'INSÉCURITÉ ; LES POINTS D'EAU ; LE TRANSSAHARIEN. 2<5
11 est tout aussi affirmatif qu*on puisse Tétre sur Tinsécu-
rilé, la plaie de ces immensités et Tune des principales
causes de leur actuelle désolation ; outre les passages relatés
plus haut, en voici un de sa lettre, de la plaine d*Âdjou
(23' degré 32' de latitude), au commandant Legrand : « On
ne rencontre pas un être vivant lorsqu'on est en forces,
mais on est invariablement assassiné lorsqu'on circule seul
ou lorsque, même nombreux^ on ne se tient pas sur ses
gardes. Le pays est sillonné par les caravanes d'une part et
par ceux qui cherchent à les piller de l'autre, et lorsqu'on
croise sur le sable et sur le gravier blanc les pistes d'un trou-
peau de chameaux, on ne sait jamais à laquelle de ces deux
catégories on peut avoir affaire (1). »
Les traits les plus importants de cette correspondance du
commandant Lamy sont ceux qui concernent la grande facilité
de l'établissement d'une voie ferrée et également les possibi-
lités de cultures, en de nombreux points du moins; le 12 dé-
cembre 1898, par 26''15' de latitude, il écrit au général
Poizat : < Je vous assure que les anciennes relations entre
Ouargla et le Soudan ne seraient pas longues à rétablir avec
quelques postes de l'espèce de celui de Timassanine, sous
les ordres d'officiers actifs, vigoureux et entreprenants, tels
que le capitaine Pein. Il suffirait de vouloir s'en donner la
peine. La seule difBculté sérieuse que l'on ait à vaincre pro-
vient de la nature elle-même. Ce n'est pas tant l'eau
qui manque que les pâturages pour les animaux. Sauf
dans l'Erg où il faut parcourir 220 kilomètres d'El-Biodh
à Timassanine sans rencontrer une goutte d'eau, l'eau
se trouve ou se trouverait partout en abondance à peu
de frais, et encore je suis convaincu qu'en faisant des re-
cherches sérieuses dans l'Erg on pourrait y créer des points
d'eau suffisamment rapprochés pour en permettre la traver-
sée sans craindre la soif, seul ennemi qui ne pardonne
pas... En somme, le jour où Ton établira des points d'eau
{\) Le Commandant Lamy d'après sa correspondance et ses souvenirs de cnm-
paffne, page 527.
216 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIL^i
suffisamment abondants pour que Ton puisse arrose:
quelques hectares de terrain, on pourra faire pousser ce
qu'on voudra en beaucoup d'endroits. D'obstacle matériel,
aucun, sauf les dunes, et encore sont-elles coupées de feidjs
et de gassis, où le terrain est absolument plan et où 3
n*y a qu'à poser le rail sur un reg caillouteux et ré-
sistant. Les massifs ou les chatnes de dunes se tra-
verseraient en tunnels, métalliques au besoin. Les dq-
vrages d'arl, qui augmentent toujours beaucoup le prix de
revient des voies ferrées, seraient nuls ou presque nuls si Too
faisait une reconnaissance détaillée du pays. Je crois ao
Transsaharien, telle est ma conclusion. Mais il faudra choisi'
le tracé le plus court et le plus propice; et rien ne prouve
que ce soit notre itinéraire (1). »
Tout est à retenir dans cette remarquable lettre que Lanijr
écrivait du camp « situé au pied même du Tasili des
Azdjer ». On a vu plus haut que le commandant Lamy avait
une grande expérience des puits artésiens, dont il avait fait
forer plusieurs avec un grand succès à El-Goléa (Voy. plus
haut, page 206). Quand donc il dit que l'on pourrait établir
aisément des points d'eau assez rapprochés dans la zooequi
en est dépourvue, il parle avec une spéciale compétence. So&
affirmation que, tout au moins jusqu'au Tasili, il n existe
aucun obstacle à l'établissement du Transsaharien, qu on est
en général en terrain reg caillouteux et résistant et qu'il ny
a qu'à poser les rails, esttoutà fait réconfortante. Enfin, cette
déclaration nette et sommaire : « Je crois au Transsaharien *
est triomphante dans sa brièveté; il n'est pas jusqu'à cette
hypothèse que le meilleur tracé pourrait bien être autre que
celui où la mission Foureau-Lamy est engagée qui ne soit
exacte, car celui qu'a décrit Flatters et qui, à partir d'EI-
Biodh, suit l'oued Igharghar, Âmguid et la plaine d'Amad-
ghor, tournant, au lieu de le gravir de front, le plateau dé-
nommé Tasili des Azdjer, paraît de beaucoup préférable.
(1) Le Commandant Lamy d'après sa correspondance et ses souvenirs dtc '•
patjne, pages o 18 et 519.
fcE COMMANDANT LAMY: POSSIBILITÉS DE CULTURES DANS LE SAHARA. 217
Dans la même lettre, écrite du 26'' degré 15', le 12 dé-
cembre 1898, Lamy s'explique sur les possibilités de culture
dans les vallées du Sahara central, comme l'oued Samen où
Ton trouve « de véritables forêts de gommiers et de tama-
rins 9 ; il écrit : c II est probable que, si Ton plantait des pal-
miers, ils viendraient admirablement, mais pour cela il fau-
drait travailler; or, je ne crois pas qu'il y ait sur terre des
gens plus paresseux que les Touareg. Depuis quelques jours
nous sommes entrés en relations avec eux. Ils ont été aussi
surpris de l'arrivée de notre armée que si elle était tombée de
la lune. Ce n'est qu'au delà d'Aïn el-Hadjadj que nous avons
eu le plaisir de rencontrer ces seigneurs qui, engourdis par
le froid, sont tapis au fond des ravins où ils gardent quelques
chèvres et quelques moutons étiques ainsi que de nombreux
petits bourriquots, en se racontant des histoires. Leurs cha-
meaux sont peu nombreux et paissent dans des régions plus
favorisées que celles que nous traversons. Nous en avons vu
très peu (1). »
La possibilité d'avoir des cultures régulières dans un
grand nombre, sinon même dans la plupart, des vallées sa-
hariennes ne fait aucun doute. Mais il est probable que ce
seront les noirs seuls qui réaliseront ce progrès, lequel ne
sera nullement un miracle. Il faudra seulement aménager les
eaux et surtout garantir aux populations laborieuses qui
essaimeront en ce pays la sécurité dont les pillards du
désert les privent complètement à l'heure présente.
A la fin de la même lettre, très étendue, Lamy émet quel-
ques craintes du chef de ces pillards pour le convoi même
de la mission et en même temps il caractérise de nouveau
les vallées sahariennes: < Nous serons, s'il plaît à Dieu, à
Tikhamar (voyez la carte, c'est marqué) dans cinq ou six
jours; puis, en route vers l'Aïr. Inutile de vous dire que je
n ai pas caché à nos nouveaux amis (les Touareg) que, s'ils
nous volaient, eux ou leurs congénères, un seul de nos cha-
\^) U Commandant Lamy d'aprèfs sa correspondance el ses souvenirs de cam^
pagne, pages 512 et 519.
218 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSABARIE5?.
meaux, ce qui serait assez facile lorsque ces animaux sontac
pâturage dans une de ces vallées encombrées d'arbustes el
de broussailles, au milieu desquelles les chameaux peuvect
être facilement égarés, nous en aviserions le chef de poste df
Timassanine, gardien vigilant de la sécurité du pays sur nos
derrières, qui ferait immédiatement razzier toute la région
depuis le Hoggar jusqu'à Rhàt par les trois cents goumiers
d'Ouargla, qui n'attendent qu'un signal, qu'une occasion
propice pour se précipiter sur eux. Cet avertissement et la vue
de nos trois cents fusils à nous, qui leur paraissent au moins
le double, leur ont inspiré une crainte des plus salutaires, ce
quiesttoujoursexcellent (1). » Voilà donc ces vallées du Sahara
central, que la légende représente comme un sol absolument
nu et rebelle à toute végétation et qui sont, au contraire, eo j
plein mois de décembre, < encombrées d'arbustes et de brous-
sailles ».
(^es extraits de la correspondance du commandant Lamy
contribuent à faire saisir la véritable physionomie du Sahara.
Les lettres de Lamy s'arrêtent à In-Azaoua, point voisin
d'Âsiou vers le 2V degré, et qu'il a supplanté comme station
de caravanes. Le commandant, chef seulement de l'escorte
de la mission, n'avait pas à faire un rapport général sur
toute rétendue du tracé; il cesse ses lettres, quand il ne
peut plus les faire parvenir au moyen des convois de ravitail-
lement par la voie du nord. C'est maintenant au Journal it
M. Foureau qu'il faut recourir afln d'avoir la description
complète du parcours de la mission. Si nous avons détaché
les remarques de Lamy, nous l'avons fait afin d'avoir un té-
moignage de plus, particulièrement primesautier et sincère.
Le Journal de M. Foureau va nous fournir, en quelque sorte,
la note officielle.
En même temps que le capitaine, puis commandant
Lamy, de 1890 à 1893, explorait d'El-Goléa le sud de la
province d*Âlger jusqu'au plateau du Tademait au 28' degré,
(1) Le Commandant Lamy (Vapres sa correspondance et ses souvenirs de ca^
patjnej page 520.
PREMIÉBES EXPLORATIONS FOUREAU. -< RENOUST DES 0R6ERIES. 210
une œuvre de pénétration plus prononcée encore et plus
méthodique s'effectuait dans la province voisine.
Il se trouvait, dans le sud de la province de Constantine,
un colon algérien, à Tesprit fort entreprenant et au caractère
vigoureusement trempé, M. Fernand Foureau, qui rêvait de
reprendre, dans des conditions meilleures, l'expédition
Flalters. L'administration française s'élant interdit les
grands desseins et les hautes visées, il dut se contenter
d'explorations souvent renouvelées dans un rayon de 600
ou 700 kilomètres au sud et au sud-est d'Ouargla. De 1884
à 1896, au cours de missions données par le ministère de
l'Instruction publique, il explora presque en tous sens la
contrée comprise dans ce rayon ; il parcourut ainsi, en neuf
voyages, 21 000 kilomètres dont 9000 en pays nouveaux. Ces
tournées le familiarisaient avec le désert et ses habitants ;
il connut à fond les Chaamba et, autant qu'on peut les
connaître, les Touareg.
II est probable que les précieuses facultés de M. Foureau
et la lente et méthodique préparation qu'il s'était donnée
pour une exploration importante et décisive eussent été
vaines, sans un incident de nature, en soi, secondaire. II
mourut, vers 1897, un homme méritant et modeste, ayant
fait une très honorable carrière professionnelle, sans que les
regards du grand public se soient jamais portés sur lui,
M. Renoust des Orgeries, ancien inspecteur général des
ponts et chaussées. Il faisait^ depuis quelques années, partie
du Comité de l'Afrique française, qui a pris une si grande
part à l'occupation par la France d'un vaste morceau du
continent africain. Je Tai connu au sein de cette société,
dont je fais partie moi-môme. C'était un homme modeste,
discret, silencieux, qui ne fit part à personne, autant que
je le sache du moins, de la libéralité patriotique et utile
qu il préparait. On apprit à sa mort qu'il avait fait à la
Société de géographie de Paris un legs de 250000 francs
pour t favoriser les missions qui, à l'intérieur de l'Afrique,
peuvent contribuer à faire un tout homogène de nos pos-
220 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHAEIElï^.
sessions actuelles de TÂlgérie, du Soudan et du Congo •.
On était, en 1897, revenu à une période de ferveur colo.
niale : la médiocre convention de 1890 entre la France et
TAngleterre, qui nous arrêtait quasi à la limite inférieure k
Sahara ou, tout au plus, nous cédait une étroite lisière du
Soudan central, était proclamée insuffisante par TopiDioi
française. L'accès de la région du lac Tchad était l'objel
d'efforts méthodiques de nos explorateurs et de nos colono^
venant de Touest et du sud. L*idée vint d*y diriger aussi mt
troisième mission par la voie du nord et de faire effectue:
entre elles sur les rives de ce lac, plus célèbre que connii
alors, une jonction consacrant Tunité de nos possessions
africaines, et soudant, par une démonstration matérielle écla-
tante, nos trois tronçons^ le septentrional, à savoir rAlgérie-
Tunisie, l'occidental, à savoir le Sénégal et nos province
du Niger, le méridional enfin, c'est-à-dire notre Congo et
les régions de l'Oubanghi et du Chari.
Le legs de M. Renoust des Orgeries tombait à point; certes.
250000 francs ne devaient pas suffire à la tâche, et il est
probable que l'on a dépensé une somme triple, sinon qua-
druple; mais diverses sociétés, en particulier le Comité de
l'Afrique française, des particuliers môme, enfin une subven-
tion du ministère de l'Instruction publique et Tentretico,
naturellement, par le ministère de la Guerre de la petite
troupe qu'il avait constituée en escorte à la mission s'ajou-
tèrent au legs de l'ancien inspecteur général des ponts el
chaussées et couvrirent les frais de la traversée du Sahara
central.
M. Foureau était tout indiqué pour être le chef delà mis-
sion; on lui adjoignit, comme chef de l'escorte, son émule
le commandant Lamy, dont nous venons de retracer les tra-
vaux personnels et les appréciations.
CHAPITRE IX
La MISSION Fourkau-Lamy. — Organisation et caractère de
LA MISSION.
Préparation très soignée de la mission Foureau-Lamy. L'effectif total de la mis-
sion, du convoi, de l'escorte et des « convois libres » dépassait 1200 chameaux
et approchait de 400 hommes. — Le désert dut, avec ces maigres ressources
hivernales, fournir des fourrages, du bois, de l'eau à* cette énorme colonne.
Le capitaine Pein, du poste permanent de Timassanine, est chargé du ravi-
taillement en vivres pour les hommes de la mission et de Tescorle. — Poste
temporaire à Amguid. — Le contact est maintenu par le capitaine Pein jusqu'à
In-Azaoua au 21 « degré de longitude et au delà de la première moitié du
Sahara.
L'élément scientifique et technique est beaucoup plus faiblement représenté
dans la mission Foureau-Lamy que dans les missions Flatters.
La préparation de Texploration Foureau-Lamy fut faite
avec beaucoup de soin ; le livre que le commandant Reibell
a consacré à son ancien chef, le commandant Lamy, con*
lient à ce sujet de très nombreux détails ; nous y renvoyons
le lecteur (1), car ils allongeraient inutilement le présent
ouvrage.
On devait avoir à lutter contre les obstacles provenant de
la nature et les obstacles provenant des hommes; les pre^
miers, pour une partie du parcours, la moindre il est vrai,
étaient inconnus et difficilement appréciables, puisque le
sixième du trajet, la partie la plus centrale, du 25"^ degré et
demi au 22'' degré et demi, n*avait été suivi par aucun Euro-*
péen oU| du moins, n'avait été Tobjet d^aucune relation
européenne ; l'expérience devait démontrer que ces obstacles
de la nature avaient été grossis par l'imagination. Les diffi-
(i) Voy* Le Commandant Lamy d'après sa correspondance et ses souvenirs de
campagne (1858-1900), par le commandant Reibell (librairie Hachette, 1903). Tout
un chapitre de ce livre, de la page 419 à la page 497, est consacré à la prépara'-
tioQ de la « Mission saharienne » ; ce sont des lettres du commandant Lamy et de
divers correspondants qualifiés, comme le général de la Roque» le général
Urchey, M. A. Le Chàtelier, etCé
â22 LE SÀHAtiÀ, LE SOUDAN Et LES CËEMINS bfi FER tRANSSAfiÂRIEKS.
cultes provenant des habitants étaient plus mesurables. Fiat-
ters avait échoué dans sa seconde exploration, en partie
par trop de confiance, puisque lui et presque toute sa petite
troupe furent massacrés par trahison, en partie aussi, cepen-
dant, par rinsuffisance de son escorte. Eût-il échappé aa
guet-apens du puits de Tadjenout qu'il est douteux qu'avec
TefTectif insignifiant de sa mission il eût pu triompher de la
mauvaise volonté des gens de TAïr et de ceux de Zinder,
que nous n'occupions pas alors.
Dans sa première mission, qui ne fit, il est vrai, qu'ex-
plorer les confins extérieurs de notre Algérie, la marche
voisine, en quelque sorte, de notre Algérie orientale, le
colonel Flatters n'était accompagné que de 30 cavaliers à
méhari (chameaux de course) et de 50 chameliers pris parmi
les Chaamba d'Ouargla. L'effectif de sa seconde expédition,
sans être plus nombreux, contenait une proportion plus
élevée d'hommes de guerre : à 32 Chaamba et Larba on
avait joint 46 volontaires, tirés des régiments indigènes.
Cette petite troupe était encore fort inférieure au nombre
qu'eût requis la prudence : au début, Flatters avait bien
demandé une escorte de 200 hommes pris dans nos régiments
indigènes; mais la Commission supérieure du Transsaharien,
influencée par quelques esprits timides, avait considéré que,
avec une pareille force, l'exploration eût dégénéré en une
< véritable expédition militaire, perdant le caractère pacifique
qui convient à une mission scientifique ». C'est avec ces
raisonnements qu'on fait avorter les projets les mieux conçus
et que l'on perd les empires. L'imbécillité de ces membres de
la Commission supérieure a certainement privé la France,
pour toujours, d'un des plus beaux morceaux de l'Afrique;
car, si Flatters fût arrivé au Tchad, en 1882 ou 1883, il est
fort probable que nous aurions, dans notre lot de ce conti-
nent, sinon le royaume de Sokoto, tout au moins celui du
Bornou, qu'un détachement anglais a occupé, à peu près
sans coup férir, en 1902 et 1903.
Craignant que l'exploration ne fût ajournée, s'il insistait
FRÉPARATiON Et ÔRGANtSAtlON t)B LA MISSION l^OUREAtl-LAMY. 2^3
pour avoir 200 hommes de troupe, le malheureux Flatters
(Voy. plus haut, pages 146 à 150) proposa lui-même de
réduire son escorte aux proportions dérisoires que nous
venons d*indiquer.
Il ne fallait pas recommencer cette faute. Cette fois, les
précautions furent bien prises et Texploration fut très judi-
cieusement préparée.
La mission comprenait, outre M. Foureau, son chef,
quatre membres civils ; quant à l'escorte de la mission, elle
comptait, outre le commandant Lamy, 10 officiers, dont
deux médecins, 213 tirailleurs algériens, 51 tirailleurs saha-
riens, 13 spahis algériens, un sous-officier d'artillerie; au
total, avec le commandant Lamy, 289 hommes de troupe,
dont 39 Européens et 250 indigènes. La petite cavalerie de
la mission se composait de 13 chevaux de spahis, et 12 d'offi-
ciers ou membres civils, au total 25. Les hommes de troupe
étaient montés à chameau ; mais, par l'épuisement et la dis-
parition successive d'un grand nombre de ces bétes de
charge, ils durent faire à pied la dernière partie du trajet.
L'approvisionnement de munitions consistait en 200000 car-
louches pour l'infanterie ; les spahis avaient, en outre, leur
réserve à part ; une section d'artillerie, dont le personnel est
compris dans les chiffres donnés plus haut, emmenait deux
pièces de canon Hotchkiss de 42 millimètres, avec une pro-
vision de € 200 coups par pièce, un certain nombre d'arti-
fices et une grande quantité de pétards de mélinite (1) ».
Ainsi, mission et escorte comptaient 294 hommes; il
fallait à tout ce monde un nombre considérable de bêtes de
somme et à celles-ci un chiffre respectable de gens de ser-
vice, chameliers et autres. Le convoi se composait d'un
millier de chameaux; on avait engagé, en plus de l'effectif
ci-dessus, une vingtaine de Chaamba montés à méhari,
guides, éclaireurs, chasseurs, une quarantaine d'autres
(1) Ces renseignements sont tirés du Rapport d'ensemble sur Vescorle de la
MUsion saharienne, par le commandant Rcibell • M. Foureau a joint en appen-
dice une partie de ce rapport & son ouvrage, pages 802 et 803.
^U LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES GDEMINS DE FER TRANSSAHAEIE5S
indigènes à titre de sokhrars, c'est-à-dire chameliers, non
pas qu*ils dussent suffire pour le nombre énorme de bêles,
mais ils devaient former les tirailleurs au métier, nouveas
pour eux, de conducteurs de chameaux. Trois mokkaden
de la zaouïa des Tidjani, personnages religieux d'une
influente confrérie musulmane algérienne, assez dévouée à
la France, s'étaient joints aussi à l'expédition, ce qui po:
tait au delà de 350 le personnel militaire ou civil ; voilà quel
était l'effectif propre de la mission, du convoi et de son
escorte. Elle était accompagnée, en outre, de ce que M. Fou-
reau appelle « les convois libres », qui ne laissaient pas que
d'être importants : un indigène des Beni-Thour, notamment,
s'était engagé à fournir toute la viande nécessaire à h
mission jusqu'à Timassanine ; <( il marche donc de conserve
avec nous, dit M. Foureau, poussant le troupeau de cha-
meaux qui constitue son approvisionnement, la seule viande
que nous absorberons pendant bien longtemps. Chaque soir,
quelques fractions des convois libres dont j'ai parlé plus
haut nous rejoignent et font route commune à l'avant ou à
l'arrière du convoi (1). »
A combien de gens et de bêles montaient ces convois
libres ? Nous ne trouvons à ce sujet nulle indication ; mais
il est probable qu'ils ajoutaient bien 200 ou 300 chameaui
et une cinquantaine d'hommes à l'effectif de la mission, ce
qui en portait le total à 1 200 ou 1300 chameaux et à environ
400 hommes, au moins pendant la première partie du trajet.
Si nous tenons à fixer ces chiffres, c'est qu'ils ont une
grande importance pour se rendre compte des ressources du
pays parcouru; on se trouve en présence, en effet, d'une
véritable expédition qui va traverser sur un parcours d'en-
viron 2&00 kilomètres, depuis Ouargla, une des contrées
réputées les plus arides du globe ; si cette contrée était vrai-
ment aussi désolée et dénuée de tout que la fait la légende.
(1) FoureaU) Mi88io7i saharienne, page 22. U est dit, page 84, que l'entreprr-
neur de boucherie se trouvait encore avec la mission dans le Tasili et continua'
à la pourvoir de viande de chameau.
PRÉPARATION ET ORGANISATION DE LA MISSION FOUREAU-LAMY. 225
il est certain que jamais une colonne aussi nombreuse, ne
pouvant aucunement se disséminer à cause du danger d'at-
laque, n'eût pu arriver au but.
On avait pris, il est vrai, de sages précautions pour aider
au ravitaillement de la mission et de son escorte. Le capi-
taine — depuis commandant — Pein avait été envoyé, avec
un goum de 120 indigènes et de 50 spahis sahariens, occuper
i'oasis extra-algérienne de Timassanine (1), située presque
au 28" degré, à quelque 450 kilomètres au sud d'Ouargla et
plus méridionale de deux degrés que Ghadamès, qui se trouve
dans son est, avec la charge de se tenir toujours en contact
avecla mission et de lui amener des convois d^approvisionne-
ment. Le capitaine Pein établit même un poste temporaire
de 50 ou 60 hommes, sensiblement plus au sud encore, à
Amguid (2), qui était indiqué jadis comme le terminus de
la première section du Transsaharien et qui se trouve à
600 mètres d'altitude aux abords du plateau central du
Sahara, vers le 26' degré et demi de latitude. Le contact fut
maintenu entre le capitaine Pein et la mission saharienne, et
des convois furent transmis par celui-ci à celle-là jusqu'à In-
Azaoua, point d'eau situé bien au delà du milieu du Sahara.
C'est là que le lieutenant de Thézillat, commandant le dernier
convoi envoyé d'Algérie, rejoignit la colonne Foureau-Lamy ;
au lieu de le renvoyer vers le nord, on jugea plus prudent de
1 adjoindre avec sa petite troupe à la colonne pour marcher
sur le Soudan. Le dernier convoi de ravitaillement est par-
venu à la mission, d'après le capitaine — aujourd'hui com-
mandant— Reibell, càplus de 1500 kilomètres d'Ouargla (3) ».
Ainsi, la traversée des deux tiers environ du désert fut
accomplie par divers petits convois, commandés par des
officiers français avec escorte, pour rejoindre le corps prin-
(M On peut lire plus haut, pages 117 et 129, des descriptions de Timassanine
ou Témassinin, empruntées aux documents de la première mission Flatters ;
on en trouvera plus loin (page 252) une description nouvelle de M. Foureau.
{î) Mission saharienne Foureau-Lamy^ d* Alger au Congo par le lac Tchad,
par F. Foureau. Paris» 1902, page 77 et passim,
(3) Le Commandant Lamy d'après sa correspondance et ses souvenirs de
campagne, par le commandant Reibell, page 540.
15
226 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TR ANSSAHiilltv 1
cipal, lui apporter des courriers et rapprovisionner. Comarj
ces petits convois de ravitaillement ne suivirent pas loujou^
exactement la même route que la mission Foureau, quiifî
précédait, il en résulte la connaissance d*autres trajets \^:-
tiels et des renseignements précieux qui s'ajoutent àceui jr
la mission elle-même ; il se dégage, par exemple, des rela-
tions du capitaine Pein, qu'il a traversé des districts mieci
pourvus en ressources naturelles que ceux qu'a parcouru:
M. Foureau (1).
A partir d'In-Âzaoua, qui est un peu au-dessous d'Ask
c'est-à-dire du 21* degré, d'après la carte détaillée de Barli
la mission saharienne resta sans relations aucunes avec \t
Nord.
D'après les renseignements fournis et que nous avons r«=-
sûmes, la colonne, forte ainsi, avec les convois libres, des
viron 400 hommes et de 1 200 à 1300 chameaux, abondam-
ment munie de cartouches, de provisions pour les deui
canons, de dynamite et de mélinite, était admirablement |m-
parée pour résister à toute attaque des nomades du déscri.
gens habituellement armés de lances. Mais il fallait qi:^
cette troupe nombreuse, avec tous ses bagages qui, outre b
munitions, comprenaient des quantités d'objets d'échange.
verroteries, cotonnades, etc., traversât tout le Sahara, c'est
à-dire une immensité, que l'on se figure toute de sable mou-
vant et sans eau, qui, à tout le moins, ne compte guère o
population fixe et n'offre aucunes réserves alimentaires.
Évidemment, si le Sahara était conforme à l'idée que sea
fait le vulgaire, cette traversée eût été absolument impos-
sible. Avant d'être arrivés au quart du trajet, les 400 hommes
et les 1 200 à 1300 chameaux seraient morts de faim et de
soif. Les convois de ravitaillement, en effet, si utiles qu ik
fussent, surtout peut-être pour apporter et remporter de>
nouvelles et maintenir le moral, ne pouvaient amener qoc
(1) ?sous reproduirons plus loin (l(;s passages des rapports du capitaine P'i
dont on trouve des extraits dans le Comité de V Afrique française^ bulletin ii!**
sui'I, juin 1899, page 177.
PRÉPARATION ET ORGANISATION DE LA MISSION FOUREAU^LAMY. %îl
quelques vivres, une partie seulement des vivres destinés
aux hommes; puis, à partir môme d*In-Azaoua, ils cessèrent
tout à fait ; ils n*apportaient rien pour les bêtes, d*autant
qu*ils avaient à se sufQre à eux-mêmes.
Si la traversée du fameux désert a donc pu s*effectuer et
quasi sans aucune perte d'hommes, c'est que le Sahara,
comme on va en apporter des preuves nouvelles, est tout
à fait différent de ce qu*on Timagine. Supposez, dans une
de ces provinces, comme il s*en trouve beaucoup dans tous
les pays d'Europe, même les plus florissants, sur le pla«
teau central de la France, par exemple, une troupe de 380 à
400 hommes, se présentant, en plein hiver, avec un convoi
de 1 200 à 1 300 bœufs ; il est clair qu*il serait très malaisé
à cette troupe marchant rapidement, conduite par des guides
peu fidèles, entourée d'une population clairsemée et hostile,
de trouver sa nourriture; sur le vaste plateau du Larzac
notamment, que je connais particulièrement, où l'on vient
d'établir un camp, situé aux confins des départements de
rAveyron et de l'Hérault, et il est en France bien d'autres
contrées qui ne sont pas plus favorisées, une pareille troupe,
si elle ne pouvait puiser qu'aux ressources naturelles directes
et immédiates du pays, pâtirait sérieusement de la faim et
de la soif, car il ne s'y trouve pas d'eau courante et les mares
y soat rares et pauvres.
Il n'y a donc nullement à s'étonner que dans le Sahara
cette colonne, relativement énorme, se soit trouvée en proie
à de grandes difficultés. Nous n'avons pas à les retracer ; ce
n est pas l'objet de cette étude ; mais si graves fussent-elles,
elles ont été surmontées, sans pertes d'hommes, à quelques
unités près, répétons-nous ; cela fait honneur, sans doute, au
talent des chefs, à l'endurance et à la discipline 'de la troupe;
mais cela prouve, d'autre part, que cet immense pays, dont
la réputation est si mauvaise, offre plus de ressources et
présente moins d'obstacles qu'on ne lui en attribue.
Telle qu'elle était constituée, la mission Foureau-Lamy,
beaucoup plus importante comme nombre et comme force
CHAPITRE X
•La marche et les observations de la mission
Foureau-Lamy.
Marche de la mission Pourcau-Lamy. — Analyse du journal de route. — La
traversée même du désert a pris moins de cinq mois, et Ti m mobilisation dao»
l'Aïr, par les difficultés que suscitèrent les Touareg, plus de huit mois. — Les
détours ou excursions faites au cours du trajet, les renseignements faux et
parfois la trahison certaine des guides ont sensiblement allongé la traversée.
— Les guides paraissent intentionnellement avoir fait prendre à la mission U
route la plus mauvaise, dans le pays le plus désolé.
Diflicultés pour la nourriture constante des 1 200 à i 300 chameaux.
Les diverses natures de terrains traversés ; confirmation des observations de
Flatters.
Les pluies et les points d'eau. — Abondance de ces derniers. — Le système
hydraulique du Sahara est beaucoup mieux constitué qu'on ne se l'imagine :
sur terre ou sous terre, Teau s'y rencontre fréquemment. — Au lieu d'aider
la nature dans le Sahara, Thomme lui nuit. — Le moindre aménagement et
un entretien soigneux des puits donneraient des résultats notables.
Constatations de Foureau sur les pâturages et le bois au Sahara. — Les arbres
au Sahara : le gommier, l'éthel; plateaux boisés. — Végétation herbacée très
variée. -^ Tous ces pacages pourraient, en nombre de cas, être améliorés par
l'homme. — La faune assez diversifiée du Sahara.
Groupes de population permanente au Sahara ; ils pourraient être considéra'
blement accrus si Ton procurait au pays la sécurité.
Nous allons suivre dans sa marche la mission Foureau*
Lamy, analyser et commenter le Journal de route de
son chef. On y trouvera, en gros, quoique faite en une autre
saison et le long d'un autre tracé, la confirmation des obser-
vations des missions Flatters et des excursions ultra-sud-
algériennes de Lamy et de Foureau lui-même. Pour la
deuxième partie du voyage, à partir d'Asiou, nous compa-
rerons les constatations et appréciations de Foureau à celles
de son illustre prédécesseur Barth.
La mission saharienne est partie le 23 octobre 1898
d*Ouargla ou plutôt de Sédrata, petite oasis toute voisine de
la première, mais plus salubre, aux environs du 32"" degré
nord. Le 24 février 1899, c*est»à-dire quatre mois après sa
PRÉPARATION ET ORGANISATION DE LA MISSION FOUREAU-LAMY. 229
aux constalatioas scientifiques et techniques et, pour cer-
taines, il pouvait manquer de préparation, outre que le soin
quotidien de la direction de la mission lui laissait peu de
loisirs et de liberté d'esprit. Son journal de voyage offre le
plus vif intérêt, sans doute, mais il ne présente pas cette
solidité et cette sûreté d'appréciation que peuvent seuls pos-
séder, en pareille matière, les hommes pourvus d'une ins-
truction scientifique étendue et de connaissances spéciales.
A ce point de vue, on est ici assez loin, tant des documents
nombreux relatifs aux missions Flatlers que du célèbre
ouvrage du grand voyageur allemand Barlh (1849-1855).
232 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES GflEMINS DE FER TRANSSAHÂRIE5f.
pour se rendre en quelque sorte en pèlerinage au poil'
de Tadjenout, lieu du massacre de la mission Fiatlen.
situé à Touest du tracé suivi, ce qui imposa, aller et retour
huit étapes très dures. On faisait aussi, de temps à autrt
surtout dans la première partie du trajet, des arrêts un ^i
prolongés, soit pour attendre les convois de ravitaillemen:
destinés aux hommes, soit pour profiter de ce que les pâb-
rages sahariens étaient en tel endroit plus abondants que
d'ordinaire; c'est ainsi que, à la date du 18 janvier 1899, ec
sortant de la région de TAnahef peu favorisée, M. Fourcai:
écrit : c Non seulement nous séjournons aujourd'hui, maL^
nous avons Tintention de prolonger assez longtemps ce\\e
halte, tant pour attendre les convois de ravitaillement ùe
l'arrière que pour laisser reposer les animaux et leur per-
mettre de manger à leur faim. Nous avons la chance de
trouver ici, et dans tous les environs, d'assez bons pâtu-
rages, presque verts, de Mrokba et d'Âna ; c'est une véri-
table aubaine; car, d'après ce que nous avaient affirmé nos
guides, nous ne devions rien y rencontrer ; tout devait élre
mangé. C'est là un exemple frappant de la confiance que
Ton peut accorder aux renseignements fournis par les guides
de ce pays(l). > Plusieurs fois des haltes semblables, plus
ou moins prolongées, eurent le même motif.
L'ignorance parfois et plus souvent la mauvaise foi des
guides touareg étaient une cause d'incertitude et de péril, et
aussi de retard. M. Foureau se loue beaucoup des guides
chaamba, la grande tribu arabe qui habite l'extrême sud de
la province de Constantine et le pays environnant. Mais il
tient un tout autre langage au sujet des guides touareg ; or.
c'est à eux qu'il fallait avoir recours à partir de 400 ou 500 ki-
lomètres au sud d'Ouargla. Abd-En-Nebi, un homme de
confiance qui a accompagné la mission jusqu'au Soudan e(
dont M. Foureau faill'éloge, « prétend, écrit ce dernier, que
la route que nos guides nous ont fait prendre à travers le
(1) Mission saharienne, pajLçe 100.
MARCHE DE LA MISSION FOUREAU-LAMY. TRAHISON DES GUIDES. 233
Tindessel est un chemin où ne passent que des méhari
(chameaux de course) ou des voyageurs isolés. La vraie
piste facile, coupée seulement de trois mauvais passages,
reste dans notre ouest. Les Touareg ne nous auraient dirigés
sur cette voie que parce qu'ils pensaient qu'un grand nombre
de nos chameaux s'arrêteraient en route et qu'ils pourraient
ainsi les recueillir et en bénéficier (1). > Et plus loin : < Je
constate de plus en plus combien peu on doit se fier aux
indications des guides : direction générale de la route, état
de la végétation, longueur de Tétape, sont des choses qu'il
est impossible d'obtenir exactement d'eux (2). » D'une façon
générale les indications des guides touareg sont toujours
décourageantes ; sur la route d'In-Âzaoua à Iférouane : c là,
un heureux hasard nous place au milieu d'une surface, très
inattendue et tout à fait bienvenue, recouverte de mrokba
vert; nos chameaux vont donc pouvoir dîner, ceux qui ne
sont pas restés en route du moins. Pourtant les guides nous
avaient annoncé dès hier que nous ne trouverions pas aujour-
d'hui une seule touffe d'herbe, même sèche (3). >
Et dans la dernière partie du trajet, au milieu du Damer-
gou, pays cependant cultivé et habité, à la date du 30 oc-
tobre 1899 : « La mission se met en route à trois heures et
demie du matin, précédée de trois ou quatre guides, qui
paraissent aussi peu sûrs de la route les uns que les
autres (4). » *
Que certains guides aient tendu des pièges à la mission,
soit pour la faire échouer, soit pour faire piller par des com-
pères les chameaux abandonnés dans un pays difficile, cela
ne fait aucun doute. Il semble vraisemblable que, par ce
mauvais vouloir des guides, on a plusieurs fois manqué la
bonne route (5). Une fois, vers la fin du voyage, en quittant
Agadez, la trahison du guide fut absolument certaine.
(1) Mission saharienne, p. 73.
{i) ma., p. 95.
(3) Ibid., p. 146.
(4) Ihid,, p. 493.
(5) Ibid., p. 359.
234 LE SAHARA, LB SOUDAN ET LES GBEMINS DE FER TRANSSAHARIENS.
€ Nous avions déjà constaté, écrit M. Foureau à la date du
13 août 1899, que nous étions suivis par de petits groupe
(de Touareg) désireux de recueillir nos épaves ou de nous
voler les animaux. > On s'aperçoit bientôt que le guide estde
connivence avec eux. « II avait dans le principe suivi à peu
près régulièrement Tazimut de route qu'il nous avait indiqué
lui-même pendant le jour; il se met à obliquer d'abord
légèrement, puis fortement dans l'est et enQn, peu à peu,
tournant toujours, il nous mène directement au nord. » Oa
l'interroge, il prétend qu'il suit la bonne route, ignorant que
la boussole renseigne la mission : c II est évident que, soit
de son propre mouvement, soit pour obéir à des prescrip-
tions données d'avance, Khelil (le guide) voulait nous trom-
per et qu'il comptait sur la soif pour semer peu à peu les
hommes de la mission et se débarrasser*de nous. Il ne nous
est pas possible de nous faire illusion sur la façon de penser
à notre égard des gens d'Âgadez, aussi bien le sultan que
tous les autres. Ils ne voulaient à aucun prix nous voir
suivre les chemins frayés... Ils avaient ainsi la certitude de
nous mener à la soif fatale, moment où nos hommes eussent
été déprimés outre mesure, ne cherchant plus qu'un peu
d'ombre et l'espoir d'un puits, que le guide aurait sans cesse
signalé très proche; grâce à cette situation, le guide lui-
même se serait facilement échappé au dernier moment, avec
une outre sur son âne, laissant la mission désorientée el
anéantie dans la solitude sans eau de cette région redou-
table. Les Touareg auraient attendu les convulsions du
dernier des survivants avant de paraître et de s'emparer de
nos dépouilles (1). > Le commandant Lamy donne l'ordre
de fusiller le guide. Mais ceux qui lui succèdent, et d'autres
auparavant, se sont rendus coupables d'erreurs ou d'incer-
titudes, sans qu'on pût les convaincre de mauvaise foi (2).
L'avidité, à savoir l'espoir du pillage des épaves, dans le
cas que nous venons de relater et dans beaucoup d^autres,
(1) Mission saharienne, pages 398 à 400.
(2) Ibid,, pages H9, 403, etc.
MARCHE DE LA MISSION FOURBAU-LAMY. TRAHISON DES GUIDES. 235
ie joignait à la haine du chrétien pour mettre la mission sur
ie mauvaises pistes et la dérouter. M. Foureau surprend
me lettre écrite par un chef de village, et la déchiffre :
I C'est un grand malheur, y est-il dit, que cette venue des
f oa/ar (mécréants, infidèles); c'est une grande tristesse, car
î'est la première fois qu'un pareil fait se produit... (1). » Le
même sentiment s'exprimait avec violence dans divers propos
surpris par la mission, c La colonne des koufar^ disaient
les Touareg, ah ! elle n'ira pas au Soudan ; elle ne passera
pas! (2) » II faut, par tous les moyens, les arrêter. Ne pou-
vant le faire par la force comme pour Flatters, on l'essayait
par la ruse.
Il serait, sans doute, exagéré de dire que tous les guides
du pays touareg furent de mauvaise foi ; on les payait, d'ail-
leurs, très largement pour la contrée, un millier de francs
chacun, moitié d'avance et moitié au terme de la section
pour laquelle ils étaient engagés. Mais il est très douteux
que la mission, à travers ces 2500 kilomètres, ait toujours
suivi la meilleure route. Il parait absolument certain que
celle par Amguid et la plaine d'Âmadghor, suivie par la
seconde mission Flatters (Voy. plus haut, pages 189 à 200)
et en partie depuis par le commandant Pein, était infiniment
préférable. La mission Foureau a donc été mise par ses
guides, non seulement sur de mauvais tracés locaux, mais
sur un mauvais tracé général qui lui a fait notamment
aborder de front le plateau du Tasili, au lieu de le tourner
en le laissant à l'est. Même en tenant compte de cette erreur
fondamentale, on verra que les obstacles parfois, quoique
rarement, sérieux qu'elle a rencontrés viennent des hommes
et beaucoup moins de la nature des lieux.
Celle-ci, cependant, devait répondre à d'assez grandes
exigences : la nourriture de 1 200 à 1 300 chameaux, y com-
pris ceux des convois libres, l'abreuvage aussi de 400 hom-
mes. C'était là un grand souci; on pouvait sans doute
(1) Mission saharienne^ page 215,
(2) Ihid., page 140.
236 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHAKlCVi
charger de l'eau pour quelques jours et également du fo;
rage destiné aux chameaux; mais cela n'ajournait que o.
peu la difficulté qui se représentait bientôt. Il fallait do&
trouver des pâturages très fréquemment, sinon chaque jas*.
sur toute cette étendue du Sahara, et quoique parfois !^
guides à dessein conduisissent la mission à travers les lies:
les plus désolés. Le commandant Reibell, dans le subside
tiel, très précis et très intéressant rapport qu*il a rédigés^
Tescorte de la mission saharienne, retrace ainsi les dispos
tions prises à ce sujet : « Toute lactivité du service i
surveillance se portait sur le troupeau (les chameaux), qu]
dès l'arrivée à Tétape, était envoyé au pâturage à des ài4
tances atteignant parfois plusieurs kilomètres. La garde ili
troupeau se composait de huit hommes et six sokhars (chi*
meliers) chaamba par section ; ces derniers restaient di>-
persés parmi les groupes de chameaux, ou parlaient à \i
recherche de pâturages nouveaux ; les tirailleurs formaient
sur les points dominants une ligne de poste autour du trou-
peau... Partant tous les jours à la chasse, à la recherche de
points d*eau ou de terrains de pacage, doués d'une vue per-
çante et lisant merveilleusement dans les traces, les guides
(chaamba) constituèrent un service quotidien de reconnais-
sance qui n'était pas sans danger dans un pays semé d'em-
buscades et où quelques-uns trouvèrent la mort (1). » H
s'agit dans cette citation des guides chaamba, qui servirent
surtout dans le Sahara septentrional, et non des guides
touareg, ceux-ci la plupart très suspects, qui dirigèrent la
mission dans le Sahara central et méridional.
Ainsi, à ces 1200 ou 1300 chameaux, auxquels se joi-
gnaient quelques chevaux, non seulement il fallait des pâtu-
rages en quelque sorte quotidiens, pendant toute la tra-
versée du désert, mais il fallait encore que ces pâturages,
destinés à ce troupeau colossal, se trouvassent à proximité
de l'étape, à quelques kilomètres; qu'ils fussent assez
(1) Mission saharienne^ pages 80i cl 805.
MARCHE DE LA MISSION FOUREAU-LAMY. ANNÉE SÈCHE. 237
amassés et faciles à surveiller pour que les chameaux ne
/égarassent pas ou ne fussent pas volés par de petits groupes
ouareg qui suivaient et épiaient constamment de loin la
aission. Et ces conditions de pacage se sont rencontrées
l'une manière continue, pendant ces 2500 kilomètres, avec
leulement quelques intermittences, qui ne mettaient pas la
nission en péril. Le journal de la mission reconnaît que la
nortalité des chameaux n'est imputable que pour la moindre
)artie au défaut de nourriture (1).
Cependant, il s'est trouvé que Tannée où M. Foureau a fait
la traversée du Sahara était, de son aveu et suivant la décla-
ration des gens du pays, particulièrement sèche : < L'année
est décidément mauvaise et il n'a pas plu précédemment,
écrit M. Foureau... Au reste, les récits des indigènes le
prouvent surabondamment; ainsi, ils me disaient : Cette
année est une année relativement sèche... Il est évident que
nous avons affaire à une année relativement sèche (2). » La
comparaison, d'ailleurs, des observations de M. Foureau et
des relevés très précis de la première mission Flatters pour
le Sahara septentrional et de ceux de Barth pour le Sahara
méridional, où les routes de ces explorations concordèrent
à peu près, témoigne que le Sahara avait reçu plus de pluies
lors du passage de Flatters et aussi lors du voyage du célèbre
voyageur allemand que lors de celui de la mission Foureau-
Lamy, ce qui ne veut nullement dire qu'il n'en tomba pas à
cette dernière époque.
Malgrétoutescescirconstances éminemment défavorables :
nécessité d'alimenter un convoi colossal, impossibilité de le
laisser se disperser, erreurs souvent volontaires des guides
conduisant à dessein dans des pays particulièrement désolés,
sécheresse spéciale à l'année, la mission passa ; la traversée
fut accomplie, quasi sans encombre en ce qui concerne
les hommes.
• ii) Voyez notamment à ce sujet Mission saharienne, pages 23, 24, 71, 160,
165, 209, 254 et 804.
(2) Ibid,, p. 27, 434, 481.
238 LE SABARA, LE SOUDAN ET LES CBEMINS DE FER TRANSSAHASÎDL
Nous avons déjà dissipé, avec les constatations et descrip-
tions des explorateurs, plusieurs des légendes au sujet t
Sahara ; il importe d*y revenir encore, au risque de nos
répéter, avec les constatations de la mission Foureau-Lamy
On se représente le Sahara comme une étendue contînih
de sables mouvants, ne recevant aucune pluie et dénuée c
toute végétation. Ce sont là des erreurs. La plus granè
partie du Sahara se compose soit de rocs, ou surface dur?
tantôt unie et quasi polie, tantôt semée de pierres, la h-
mada^ soit d'un gravier résistant, le reg\ la moindre partiees!
formée de sable; mais ce sable n'est pas du sable mouvant
c'est tantôt un sable mi-meuble, mi-solide, la/ie6/:a, etleplas
souvent ce sont des dunes, en général fixes ; dans ces se:
faces à dunes, que l'on appelle erg ou areg^ le grand erj
occidental par exemple, qui s'étend au sud d'Ouai^la ei
jusqu'au plateau du Tasili (1), il y a entre les rangées de
dunes des surfaces solides, que l'on nomme des ga$sis
c couloir à sol dur, entre les dunes (2) », parfois d'une grande
largeur et, en tout cas, d'une longueur énorme : c Le coni'
mandant Pujat s'avancera avec un goum, par le gassi Touil
en forant des puits en route... La route se poursuit sur
l'interminable gassi Er-Ghessal... Nous parcourons le gassi
EUAdham... Les spahis sahariens et un grand nombre de
goumiers, montés aussi à méhara, s'avancent en ligne de
bataille sur la surface plane du gassi (3). » La continuité
d'une plaine de sable mouvant est donc, en ce qui concerne
le Sahara, une légende. Gela ne veut, certes, pas dire qui!
n'y ait pas, de place en place et de temps à autre, des orages
de sable; mais ce sont des accidents, ce n'est nullement la
caractéristique du pays.
Il en est de même de l'absence de pluies et d'eau. Certes,
le Sahara est une région sèche, mais il y pleut, et il s'y
(1) Voy. plus haut, pages 92 à 101, la description de ces divers terraio.'.
d'après la mission Flattcrs.
(2) Mission saharienne, p. 28 ; c'est la définition qu'en donne M. Fouitau.
Voy. aussi plus haut, pages 99 et 100, la description du ga^si par Flafters.
(3) /6te/., pages 20.28 à 30.
LA MISSION FOUREAU-LAMY. — LA PLUIE ET LES POINTS D'EAU. 239
rencontre une quantité de puits ou points d'eau, sans parler
des nombreux ghedirs, c mare ou trou d'eau momentané,
point où se conservent un certain temps les eaux de
pluie (1) ». Quoique Tannée où il a fait sa traversée du désert
ail été particulièrement sèche, fréquemment, quelquefois
pendant toute une série de jours consécutifs, le journal de
M. Foureau mentionne des chutes de pluie : le 4 novembre
1898 : 5 Temps généralement couvert, assez chaud et, à trois
reprises, quelques larges gouttes de pluie > ; 7 novembre :
< Il s'est produit, en ces points, peu de temps avant notre
passage, une chute de pluie >; 26 novembre : c Averse assez
copieuse, mais courte » ; 27 novembre : c Comme la veille
nous avons dans la soirée quelques gouttes de pluie avec un
ciel menaçant » ; 28 novembre : c Nous recevons une série
de petites et courtes averses, depuis quatre heures du matin
jusque vers midi »; 1" décembre : c Nous recevons des
gouttes éparses de pluie jusqu'après neuf heures du matin...
Le soir et dans la nuit, orage avec quelques violentes aver*
ses. Cet état de l'atmosphère ne nous permet de partir le
2 décembre qu'assez tard >; 12 décembre : c Dans la pre-
mière partie de la nuit, chute d'un peu de pluie avec vent
du nord (2) ». A cette dernière date, la mission était déjà,
depuis six semaines, partie des environs d'Ouargla. Il y
avait vingt-cinq jours qu'elle avait quitté Timassanine; elle
se trouvait dans le Tindesset, aux abords du Tasili et, en
fait, bien près du centre du Sahara. Ajoutons que les mois
de novembre et de décembre où M. Foureau recevait ces
averses, certaines assez fortes puisqu'elles Tarrôtaient, ne
sont pas ceux des pluies habituelles dans cette région. Celles-
ci tombent généralement en septembre. « Nous rencontrons
(le 10 décembre) des emplacements et de petits lits de ruis-
II) Mission saharienne, page 32. Voy. aussi plus haut, pages 112 et 113; les
Qhédii's de Foureau, les rhédirs do Flallers désignent le nnîine objet, le gh et le
rh ou r se substituant souvent l'un & l'autre chez les divers explorateurs
pour désigner le même son guttural indigène; c'est ainsi qu'on dit indiffé-
remment Ghadamès et Rhadamès, Ghat ou Rhat.
[i) Ibid., pages 27, 29, 40, 41, 56.
240 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIEUi
selets où ont dû séjourner une petite crue ou des pluies è
septembre. » Une .autre fois, toujours dans la même région
le 8 décembre, il nous parle < d'éboulis de grès plas o€
moins fln, sans cesse travaillés par de petits ouad corres-
pondant aux nombreux ravins (1) ».
La mission Foureau-Lamy ne les ayant pas mesurées, nous
ne pouvons savoir le volume des pluies diverses qu'elles
reçues (2), mais elles sont assez fréquentes et quelques-uoe
asse^ importantes pour qu*on puisse dire que, toutes vaguer
qu'elles soient, les relations de la mission Foureau-Lamy
confirment les observations des explorations antérieures, à
savoir que le Sahara est dans presque toute son étendue,
sinon dans tous ses districts, une région où il pleut ass€3
fréquemment et dans une mesure nullement insignifiante (3i.
Si nous accompagnons la mission au fur et à mesure qu elie
avance vers le sud, nous relevons aussi dans le journal à
M. Foureau la trace de pluies tout à fait au centre cette foi^
du Sahara et en plein plateau du Tasili, c'est-à-dire dans
une des régions réputées les plus désolées : le 13 janvier :
(1) Mission saharienne^ pages 53, 49.
(2) Voy. plus haut, pages i07 à 109, le nombre de jours de pluies et le cub*;
partiel de l'eau tombée, d'après les relevés de la première mission Flattera.
(3) D'après le premier fascicule (paru b. la fin de 1903) des DocttmenU scien-
tifiques de la mission saharienne, consacré aux Observations aslronomiqua -'
aux Observations météorologiques, du 14 octobre 1898 au 20 juillet 1900, la ui.*-
sion a constaté de la pluie pendant 116 jours; si on laisse de côté le Soudan^'
que l'on s'en tienne au Sahara et à l'Aïr, du 14 octobre 1898 à la fin d'octobre \^i
le nombre des jours de pluie est encore de 67 pour un espace de temps ^pii
correspond presque exactement à une année. Dans le Sahara proprement •!«'
(Aïr non compris), le nombre des jours de pluie a été de 14 du 14 octobre 189? *
fin lévrier 1899, c'est-à-dire en quatre mois et demi, qui ne comprennent pa>
une des saisons les plus pluvieuses, le printemps. Sur 14 jours de pluie. 1
tableau météorologique indique 9 jours où ce ne furent que des gouttes,
3 jours où ces chutes d'eau furent qualifiées d'averses et 2 jours où ils son:
qualifiés de pluies, par opposition aux gouttes. Quant & l'Aïr, de mars 1898 à tir
octobre 1899, le tableau météorologique de M. Foureau y constata 53 jours «1?
pluie, dont 42 sont caractérisés seulement par des gouttes, 3 jours par «i--
« pluies plus ou moins fortes », 1 jour par une « forte pluie », 5 jours pard^
« fortes averses » et 2 jours par des « averses ». Voy. le 1«' fascicule des Docu-
ments scientifiques de la mission saharienne, page 89. On pourra ergoter <o:
ces diverses appellations, d'autant que la mission Foureau-Lamy n'a fn.^
mesuré ces pluies, comme l'avait fait la mission Flatters (Voy. plus hanl
pages 107 à 109). 11 n'en est pas moins vrai qu'il ressort de ces document^
que le Sahara est un pays où il pleut, non seulement d'une façon frétiuenî-:
par gouttes, mais par « averses » et même par « fortes averses ».
LA MISSION FOURBAU-LAMY. — LA PLUIB ET LES POINTS D'EAU. 241
f Cette rivière a coulé, il n'y a pas très longtemps ». Le
14 janvier : « Tout ce plateau montagneux- a reçu une cer-
taine quantité de pluies Télé dernier ». 23 janvier : « Notre
s^roupe s'ébranle au petit jour; le temps est menaçant et la
pluie tombe ensuite, du reste, par gouttes, jusqu*au milieu
de Taprès-midi (1) ». Ce n*est qu'une pluie par gouttes, il
ssl vrai, mais qui, du petit jour au milieu de l'après-midi,
dure 7 à 8 heures. La mission chemina longtemps dans
le lit parfois très large de nombreuses rivières, qui se trou-
venlh sec, à ce moment, ou ne présentent que de place en
place des ghedirs ou mares, mais qui n'en constituent pas
moins un système très complet d'écoulement des eaux. Le
16 décembre, dit le journal d^ la mission, < la colonne
arrive aux abords d'une rivière qui se nomme Ângarab, au
point même où une énorme brèche dans son lit a formé une
belle et sauvage cascade. Une coupure nette terminée par
une table de roche s'enfonce à pic, à 25 mètres au moins ; au
fond, une belle mare d'eau bleue, inaccessible du reste à
cause des berges à pic ; en haut, au contraire, un simple lit
de torrent. .; quelques cuves de roche sont pleines d'eau et
beaucoup de nos hommes et de nos animaux y absorbent
un liquide d'une admirable pureté ». A la date du 1" jan*
vier 1899 : < C'est par ce couloir que l'ouad Afara, après avoir
recueilli toutes les rivières ou tous les ravins d'amont, s'en-
gouffre en se rétrécissant pour traverser tout le massif du
Tasili, toucher la cuvette de Menkhour sous le nom d'ouad
Tidjoudjelt, et enfin pour aller se perdre dans les dunes de
la vallée des Ighargarhen ». Le 11 janvier : « L'ouad Tin-
hadjel est une grande rivière qui, à l'est, va bientôt se perdre
dans le Tafassasset, mais qui, à droite, vient des montagnes
lointaines du cœur même du Ahaggar ». Le 12 janvier : < La
dernière partie de la route nous fait remonter l'ouad Irsane,
dans lequel on campe assez tard à des tilmas (sorte de mares),
qui, pour le moment, sont à peu près comblés et ne nous
(1) Minion saharienne (Fourcau-Lamy), pages 94, 96, li4.
16
242 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHiRIS^S.
fournissent que quelques outres d'eau ». Le 14 : « Tout le
système des eaux se déverse vers 1 est, rejoignant le grani
collecteur, le Tafassasset ».
Le même jour, la mission « avance ensuite sur une très
vaste plaine plate bordée au sud par le grand ouad AdjoD
sur le bord duquel est établi le campement ». Le 15 janvier
« est consacré à un séjour sur Touad Adjou (1)--. Le haal
ouad Adjou doit être boisé si Ton s'en rapporte aux forts
troncs d'éthels secs que nous recueillons ici et que quelqw
crue a dû amener ». Le 17 janvier : < On remonte louid
Amanenghad, d'abord grande artère ». El dans la rëgioo
difficile de Tadent à Tarfjenout où fut assassiné Flatters, le
20 janvier : < La route nous fait descendre le collecteur (k
ces petites rivières, qui se nomme ouad Oboden »; le 21 jan-
vier : « Départ matinal sur un sol de schiste et de quarii
coupé dé nombreux lits de rivières se dirigeant tous vers notre
gauche au sud-ouest. La plus importante de ces rivières
Touad Takalous, se trouve bientôt être notre roule (2) ».
Le mot rivière revient ainsi et plus loin conslammeûi
sous la plume de M. Foureau; et que Ton ne dise pasqoil
est pris comme synonyme de vallée; ce sont bien des
rivières : dans les passages cités plus haut, il est queslioa
de système d^écoulement des eaux, de traces d*eau, «ie
mares et de crues emportant au loin de forts troncs d'arbres.
Ce sont des rivières sèches la plus grande partie de lanDée
qui se perdent dans les schistes ou sous le gravier; mais dans
le midi de la France, il y a des quantités de rivières inUf-
mittentes.
On rencontre, d'ailleurs, en plein centre du Sahara, des
points d'eau permanents, indépendamment des puits prop^^
(1) Voy. plus haut, page 213, le témoignage de Lamy sur la plaine d'Adjou. ?t*
23032' do latitude, presque exactement au centre du Sahara, c*estrà-dire d**^*
distance entre Ouargla (32<: degré) et Zinder, la cité soudaniennc, un peuis-
dessous du i4« degré. C'est dans la plaine d'Adjou que, au témoignage de Laiu}
la mission saharienne coupa, en plein mois de janvier, 90 000 kilos de h^'
rage, soit 900 quintaux métriques.
(2) Mission saharienne, pages 60, 82, 92, 94, 96, 97, 99, 107, 108 et beaucufti
d'autres à la suite.
LA MISSION FOUREAU-LAMY. — LA PLUIE ET LES POINTS D'EAU. 243
ment dits : le journal de M. Foureau, tout aussi bien que
les excursions du capitaine Pein, en témoignent. A la date
du 11 décembre, on lit dans le Journal de Foureau, surToued
Inara, dans le Tindesset : « En ce point, Touad Inara n'a pas
plus de 200 mètres de largeur; son lit est couvert de fourrés
d'éthels (bois), de drinn (fourrage) et de diss... Cette rivière a
coulé récemment et c*est elle qui a laissé, en aval, les traces
de crues que nous avons constatées. 11 paraît que dans son
Iilsupérieur,rinara contient des mecAeras(l) encore remplies
d'eau, > et le lendemain, à la date du 12 décembre : « En ce
point, l'eau est à peine à 50 centimètres de profondeur dans
le sol et répandue dans tout le lil. La présence de roseaux
verts porterait à croire que c*est là un point d*eau perma-
nent. Lamy et Dorian, ayant remonté plus loin le cours de
rinara, ont découvert, à 6 ou 7 kilomètres en amont du puits
d'inara, une grande mechera pleine d*eau, large de 25 mètres
et longue de plus de 200 mètres... De petits poissons sillon-
nent cet étang qui, par endroits, est bordé de roseaux et de
lauriers-roses. Ce petit lac se nomme Taksouri. Son volume
a été fortement augmenté par la crue dont il a été question. »
Et plus loin, à la date du 23 janvier : < Témassint est une
source où Teau arrive à fleur du sol; c'est un petit cercle
entouré d*un mince liséré d*herbe verte et fine. .. ; les animaux
boivent seuls, entourant la source (2). > Ces eaux, provenant
de rivières ou d'écoulements à la surface, sont indépendantes
des puits.
Les reconnaissances du capitaine Pein, qui, on Ta vu,
dirigea les convois de ravitaillement de la mission, témoi-
gnent aussi, comme on le verra plus loin, de l'existence de
cours d'eau ou de lacs en plein Sahara central, sur le plateau
même du Tasili et aux environs.
De cet ensemble de relations, il ressort que le système
(1) La mechera est une autre désignation pour une mare. II serait & désirer
que les écrivains sur l'Afrique eussent à la fin de leurs ouvrages un lexique des
termes spéciaux qu'ils emploient.
(2) Mission saharienne, pages 54» 55, 116.
244 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSA&ABILVS
hydraulique du Sahara est beaucoup plus fortement constitih
qu*on ne se l'imagine en général. Cette vaste surface est loh
d'être une des plus sèches du globe. Sur terre ou sous terre
sauf quelques zones d*une étendue restreinte, l'eau s'y ren-
contre fréquemment.
Si les caravanes sont obligées, en général, de s'abreure:
à des puits précaires et très inégaux, c'est que l'œuvre dt
l'homme est ici absolument nulle, il n'a en rien aidé li
nature; il lui nuit, au contraire, par ses déprédations ets&}
instincts destructeurs. Ces puits n'ont, depuis une série àt
siècles et peut-être depuis l'éternité, été l'objet de presque
aucun entretien, de presque aucun aménagement. Dès qu on y
arrive, surtout avec 400 hommes et 1 200 ou 1 300 chameaui.
il faut les curer. On a trouvé la constatation fréquente de cette
négligence dans les récits des voyageurs antérieurs (Voy. plus
naut, pages 116 à 120 et 158 à 167) ; on en trouve la confinnalioD
dans les notes de la mission saharienne. Voici une mention da
journal de M. Foureau sur l'un de ces puits, celui d'Aîoel-
Hadjadj à une trentaine de journées de marche au sudd'Ouar-
gla. < Ce puits, comme je l'avais constaté plusieurs fois (dans
de précédents voyages), est comblé par le sable jusqu'au ras
du sol. Les Touareg ont détruit le jeune dattier que j'avais
semé il y a trois ans et qui existait l'an dernier, et en cuire
ils ont enlevé trois ou quatre rangs des pierres plates qui for-
maient le coffrage de l'édifice du puits (1). » On peut juger,
par cet exemple, de l'incurie des nomades à l'endroit des
points d'eau ; toute idée de les améliorer leur est étrangère.
Les puits sont, sans cesse, bouchés ou éboulés. A la date
du 5 février, dans la section d'In-Azaoua à Iférouane, appar-
tenant au Sahara méridional : « Un seul puits nous fournit
l'eau actuellement ; il y en a bien eu deux autres ici, très
voisins du premier, mais ils sont remblayés par le sable
et leur orifice éboulé ne forme plus qu'un vaste enton-
noir (2). »
(1) Mission saharienne ^ page 43.
(2) Ibid., page 141.
LA MISSION FOUREAU-LAMY. — LA VÉGÉTATION AU SAHARA. 245
Parfois, le moindre aménagement donnerait un résultat
notable; le 8 décembre : < Derrière ce rideau on accède à
une sorte de cirque de peu d'étendue sur lequel un espace
d'environ un hectare est recouvert de joncs et de roseaux, et
dont le sol est légèrement exhaussé. A Textrémité sud de
cette surface sourd un petit filet d'eau claire et excellente,
qui serait même assez abondante si Ton dégorgeait suffisam-
ment la source. Le massif d*où sort cette eau est un amas
de détritus végétaux, ayant peu à peu surélevé le sol (1). »
Quand on pense que, dans un vieux pays, à climat tem-
péré, humide même dans sa moitié septentrionale, comme
la France, une grande partie des exploitations rurales n'ont
de Teau que par des travaux d'une certaine importance, le
forage méthodique de puits ou l'établissement de mares
cimentées pour les bestiaux, qu'en outre beaucoup de com-
munes sont obligées de chercher les eaux au loin, de les
capter, de les protéger, on comprend que, dans le Sahara,
des soins analogues donnés aux nombreuses eaux de la sur-
face ou souterraines en augmenteraient dans des proportions
énormes le débit. Le Sahara, toutes les constatations précé-
dentes l'établissent, possède des ressources en eaux relati-
vement importantes.
Nous n'avons parlé que du Sahara septentrional et central ;
quant au Sahara méridional, il est, surtout à partir du
21^ degré et jusqu'au Ib"" degré, que l'on peut considérer
comme le terme de la région réputée désertique, dans des
conditions très supérieures.
Un autre trait de la légende qui défigure le Sahara, c'est que
cette immensité serait dépourvue de végétation. Les observa-
tionsdesexplorationsprécédemmentanalyséesontdéjàdétruit
celte erreur (Voy. plus haut, pages 122 à 130 et 170 à 178). Le
journal de la mission Foureau-Lamy vient encore, sur ce
point, dissiper la légende. Le désert contient de nombreux
pacages et du bois. Ce n'est pas seulement dans les oasis qu'on
(1) Mission saharienne, page 49.
246 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHASIEM
les y rencontre; c est sur la généralité de la superficie saha-
rienne. Le bois est plus rare et plus cantonné que les plantes
fourragères, mais il n*est pas absent. En dehors du palmier,
qui exige une nappe d*eau assez forte, on trouve dans le
Sahara, outre de nombreux arbustes et des tamarins, diverses
sortes d*arbres : le gommier notamment et Téthel. Le gommier
paraît avoir le Sahara pour habitat, comme le savent, depuis
plusieurs siècles, nos traitants du Sénégal. Parlant des pro-
cédés de protection de la mission, M. Foureau écrit à la izk
du 25 octobre 1898 : « Dès que nous avons atteint la zooeâ
gommiers, le carré (renceinte du camp) était toujours
entouré d'une ceinture extérieure formée d'abatis d'arbres
épineux, ce qui, dans le pays et en arabe, se nomme zerik
et constitue une défense de premier ordre. > Et constamment,
tout le long du voyage, la présence de gommiers est consta-
tée, tantôt maigres, clairsemés, tantôt, notamment dans k
Sahara méridional, superbes; le 17 décembre, en plein Tin-
•desset et à Tallitude la plus élevée du voyage, on trouve ces
somme la flore de TAurès, augmentée des gommiers ■. Oo
en rencontre sur le plateau et sur les pentes du Tasili;iiy
en a de différentes espèces et jusque dans la région la plus
inhospitalière du Sahara, celle qui s'étend du 23" degré t\
demi de latitude au 21'' et demi (1). Après le gommier, Farbri
principal du Sahara central est Télhel, variété de tamarix
on voit, à diverses reprises, dans le récit de M. Foureau.
qu*il atteint une taille importante; le 15 janvier 1899, so3
journal note, dans le Tasili, de forts troncs d*élhels secs
que quelque crue a dû amener; près du fameux puits de
Tadjenout où Flatters trouva la mort, c une énorme touffe
d*éthel, entièrement brûlée, dresse, grimaçant vers le cie!.
ses troncs noircis par le feu, sur un lit de cendres ». ^^
Tadent à In-Azaoua, il est fréquent dans le thalweg. Gom-
miers, élhels ou arbres d'autres natures servent de gourbis an^
indigènes et ils y accrochent leurs boucliers et leurs lances
(1) Mission saharienne, pages 21, 49, 63, 79, 98, 114, 124, 133, 144, U5. I*'
255, etc.
LA MISSION FOURBAU-LAMY. — LA VÉGÉTATION AU SAHARA. 247
c à peu de distance en amont du puits d'ifounane (dans le
Tindesset) se trauve une nezla de Touareg composée de
six à sept gourbis sous les éthels (1) >. Dans le Sahara
méridional, un autre arbre se présente en groupes nom-
breux et fréquents, c*est le palmier doum ou palmier
dEgypte, qui ne porte pas de fruits, mais dont le tronc ou
les rameaux servent à des usages variés. Quand on arrive
dans TAïr^ d'autres espèces arborescentes, notamment
des mimosas de toutes sortes, se joignent aux précédentes.
Ainsi le Sahara n*est pas dépourvu d*arbres, et Ton a vu
plus haut que, dans les régions les plus ingrates, comme le
Tasili, M. Foureau considère qu*il y a des plateaux boisés (2).
Aux approches de TAïr, c'est-à-dire aux deux tiers de Ja
traversée du Sahara, vers le 20' degré, les espèces arbo-
rescentes prennent un grand développement; le 22 fé-
vrier 1899 : < La rivière ne tarde pas à fuir vers Touest, et
la route nous fait remonter un do ses affluents de gauche où
la végétation est fort belle et composée de gommiers, de
graminées vertes et d autres essences; on dirait presque
d'une prairie émaillée d'arbres ». Le 23 février : « Le lit du
Tidek contient de beaux arbres, gommiers et adjar... Sur ces
arbres se trouvent en grand nombre des nids d'oiseaux,
etc. (3). > En fait, la mission a pu s'approvisionner de bois,
sinon chaque jour^ du moins chaque semaine, et, quand le
bois manque, le journal le remarque, ce qui prouve bien que
l'absence continue sur un long espace de plantes arbores-
centes est exceptionnelle. A trois reprises, il s'exprime ainsi :
le8 janvier 1899 : « Il n'apparatt pas même l'ombre d'un fétu de
bois >; le 11 janvier : « Ici ni bois ni végétation > ; on est
dans le Tasili; enfin le 30 janvier, dans la marche de Tadent
h In-Azaoua, la région saharienne la plus désolée : « Bois
et végétation sont choses inconnues ici (4). » Ces trois men-
tions témoignent bien que les espèces arborescentes, ainsi
\i) Mission saharienne, pages 53, 54, 55, 97, 111, 124, 133, 134.
(2) Ibid., page 96.
\Z) Ihid., pages 154, 155.
|4) Ibid,, pages 89, 93.
248 LE SAHARA, LE SOUDAN BT LES CHEMINS DE FER TRAN^AHARILM
que le journal le relate fréquemment, se rencontrent sur k
plus grande partie du parcours.
A plus forte raison en est-il ainsi de la végétation her-
bacée. Le Sahara nourrit une quantité de plantes, la plupar
fourragères; c'est ainsi qu'on s'explique que les caravanes}
trouvent leur pâture et que môme les 1 200 ou 1 300 chameam
de la mission Foureau-Lamy et de ses convois auxiliaire>
aient pu, non sans doute sans quelques jeûnes inlermitt^Dls.
fort explicables pour une aussi grande quantité de béta.
arriver à se sustenter. Le drinn, le sbot, le neci, le mrokba.
le had, le harta, le ghessal, le tarfa, Tana, ce dernier sur-
tout dans la partie méridionale, sont les plantes fourragères
les plus usuelles; les meilleures et heureusement les plus
répandues paraissent être le drinn et surtout le mrokbs.
M. Foureau nomme nombre d'autres plantes qui trouvenlà
vivre dans le Sahara : le djédari, le falezlez, le gouzzai, k
lemnad, le laurier-rose, le kormuka, l'adjac, etc. (1). Pour
n'être pas un tapis ininterrompu de plantes fourragères, le
Sahara en est rarement dépourvu sur un long espace conliou.
Il nous serait facile de reproduire ici, s^appliquant même à
certains des districts les plus désolés du Sahara, des des-
criptions de M. Foureau qui témoignent que la végétation
y est parfois fort belle.
Il ne faut pas oublier qu'il s'agit d'une végétation spon-
tanée, sans aucun travail, aucune aide de l'homme. Le voya-
geur, dans les pays incultes ou désolés, établit toujours ses
comparaisons avec la nature, toute façonnée depuis vingiou
trente siècles, des pays civilisés. Il n'a plus le sens de ce
qu'est la nature brûle. Ces pacages, sinon ininterrompas,
du moins très étendus et très nombreux, du Sahara, iln'esl
aucun doute qu'ils pourraient être, dans une certaine me-
sure, améliorés. En choisissant les graminées, les plantes
fourragères et les espèces arborescentes les meilleures, ea
s'efTorçant de les substituer à celles inférieures, en les se-
(1) Voy. plus haut, pages 122 à 126, Ifis diverses plantes sahariennes d'apK*
la première mission Flatters, et rapprocher los deux énumérations.
MISSION FOUREAU. FAUNB DU SAHARA. HABITANTS PERMANENTS. 249
mant dans les terrains les plus propices, on arriverait, avec
des soins peu coûteux» mais méthodiques, à rendre cette
végétation spontanée plus abondante et d'essences plus
utiles, ainsi en propageant le drinn, le mrokba, le had, plus
au sud Tana, aux dépens des sortes moins propices à la nour-
riture du bétail.
De même que les plantes fourragères abondent dans le Sa-
hara, de même il s*y trouve une faune assez nombreuse et
diverse : les gazelles dans le nord, les antilopes partout, les
moutons, les chèvres, les ânes, dans la partie méridionale
des oiseaux divers, une grande abondance de pintades, des
bœufs zébus. « La végétation du had est très belle dès que
Ton pénètre dans Terg et le gibier pullule (1). » Dans le sud, il
s y joint des girafes, des autruches, des singes, des hyènes,
des chacals, des lions même (2).
Celte flore et cette faune variées font que même le Sahara
central a des populations permanentes, fort espacées et dis-
séminées il est vrai, mais susceptibles de devenir plus den-
ses, avec plus de sécurité et de travail. On verra plus loin,
à ce sujet, le témoignage très probant du commandant Pein.
Le journal même de M. Foureau en fournit aussi la démons-
tration. On croyait, en général, que les populations du
Sahara résidaient dans quelques districts particulièrement
favorisés: leHoggar ou Ahaggar, la lisière du Fezzan, TAïr.
Mais on rencontre partout, quoique de loin en loin, dans
celte immense étendue, des groupes d'habitants permanents,
avec des troupeaux. Près d'Aïn el-Hadjadj, aux abords du
plateau du Tasili, on trouve des « amghad (serfs) des
azdjer (tribu targui) ; ils ont leurs tentes près de la source
précitée; ils possèdent quelques chameaux et quelques chè-
vres >. Un peu plus loin, en plein Tindesset, voici d'autres
Touareg, habitant des gourbis avec des chèvres et des mou-
lons. Un peu plus loin encore « des Touareg, hommes et
femmes, font boire leurs troupeaux au moment de notre
|1) Misêiôn saharienne^ pages 28, 29, 38.
IS) Ibid,, pages 135, 286.
250 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHABI^W
arrivée. Ces gens sont des Azdjer qui campent autour de
Tighammar sans jamais quitter ce point, sauf quelques
hommes qui sont convoyeurs de caravanes et qui, par consé-
quent, s'absentent de façon intermittente ». Au puits DQèine
de Tighammar, « des multitudes d*ânes appartenant aux indi-
gènes trottinent tout autour ». Et ainsi, tout le long de ce
parcours de 2 500 kilomètres, on rencontre de ces groupe^
sédentaires. L*Adrar, par exemple, a une population fixe,
<( isolée en quelque sorte, qui ne sort guère de ses monta-
gnes, et qui vit et meurt dans les ravins de TAdrar, guidant
ses maigres troupeaux dans des contrées absolument sem-
blables au Ahaggar ». Un peu plus au sud, tout à fait au
cœur du Sahara : « Il y a évidemment autour de nous,
depuis le ouad Irsane, beaucoup de troupeaux ; leurs traces
le prouvent surabondamment. » Au point culminant du tra-
jet delà mission, entre 1300 et 1400 mètres d'altitude, on
rencontre plusieurs troupeaux de chèvres conduits par des
femmes. Dans la très dure excursion de Tadent au puits de
Tadjenout, on trouve, à deux reprises, des traces nombreuses
de Touareg, non pas pillards, mais conducteurs de trou-
peaux, chèvres, moutons, ânes (1). Tout ce monde se sauve
naturellement au passage de la mission. Quant au Sahara
sud, il contient de nombreuses populations fixes, habitant
des maisons tantôt en paillotte, tantôt en bois, tantôt en
pisé ou en toubes (briques séchées au soleil), parfois môme
en pierre.
(1) Mission saharienne, pages 46, 55, 57, 61. 67, 70, 71. 81, 97, 99, 102, HA
118, etc.
CHAPITRE XI
La mission FouREAu-LAMY(AS£i/te). — Les diverses étapes de
LA mission et les CARACTÈRES SPÉCIAUX DES DIVERSES ZONES
PARCOURUES. — Comparaison avec les odservations de
Barth. — L'AïR.
Les différentes parties du Irajet. — Première section : d'Ouargla (32« degré do
latitude) à Ain el-Hadjadj (au-dessous du 27» degré) ; plaine facile. —Excellence
de la situation de Temassinin; possibilité d'importante oasis.
Grands froids au Saiiara la nuit en décembre et janvier : le thermomètre descend
à 10» au-dessous de zéro.
Faible hauteur de la chaîne de partage des eaux entre la Méditerranée et le
bassin du Tchad.
À partir dissala, non loin de Tadent, proximité du trajet de Barth et de celui
de la mission Foureau-Lamy. — Comparaison des observations de l'un et de
l'autre. *- Puits qui ont disparu depuis Barth. — Prédominance de la plaine.
— Description favorable par Barlh de la végétation de la contrée qui précède
l'Aîr sur une étendue de deux degrés de longitude. — Le journal de Foureau
confirme ces observations. — Faune abondante.
Obstacles apportés, dans l'Aïr, par les Touareg Kéloni & la marche et au ravi-
taillement de la mission Foureau-Lamy. — La mission est immobilisée, de ce
chef, pendant huit mois dans les villages de l'Aïr. — L'Air est non pas un
chapelet d'oasis, mais une continuité de terres cultivées ou cultivables sans
irrigation.
Les observations de la mission Foureau-Lamy, rapprochées de celles de Barth
pour la seconde partie du trajet, suggèrent des réflexions très réconfortantes.
— Conclusion du rapport du commandant Reibell, de l'escorte de la mission
saharienne. — Les difYicultés que la mission eut à surmonter vinrent beau-
coup moins de la nature des lieux que de celle des hommes.
Suivons maintenant la mission saharienne dans ses princi-
pales étapes cl résumons rapidement le caractère des diverses
grandes sections de cet énorme pays. Des environs d'Ouargla
à Ain el-Hadjadj, au-dessous du 27' degré de latitude, trajet
déjà fait par la première mission Flatters, on ne sort guère
d'une plaine s'élevant lentement de 160 mètres d'altitude,
hauteur d'Ouargla, à 470 mètres ; on suit d'abord des gassis,
couloirs généralement larges entre les dunes, puis une hamada
ou sol de roc et une surface de reg ou de gravier et de pier-
res; le pays est connu, les puits sont assez nombreux, les
pacages convenablement fournis. Le lieu qui mérite le plus
252 LK SAHARA, LK SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIENS.
d'être noté dans cette partie du trajet est Timassanine
{alias Temassinin), où le commandant Pein établit un poste;
M. Foureau y arriva vingt-cinq jours après son départ des
environs d'Ouargla; la distance paraît être à peu près de
600 kilomètres : « Par sa situation, dit l'explorateur, parla
nature de son sol et la proximité d'une nappe artésienne,
ce point est appelé à se transformer dans Tavenir en une
oasis importante (1). » Il serait très désirable que Ton s'oc-
cupât de cette transformation et qu^on entretint un poste
en ce lieu ; il est à 1 200 kilomètres environ de la mer, et il
y a sensiblement moins que cette même distance de Timas-
sanine aux premiers villages de TAïr, contrée à nombreuse
population fixe.
D'Aïn el-Hadjadj on s'engage dans la partie montagneuse
qui constitue le Sahara central et forme la ligne de partage
des eaux entre la Méditerranée et l'Atlantique ou le bassin
du Tchad. On met juste un mois (du 8 décembre 1898 au
9 janvier 1899) à atteindre la ligne de partage des eaux, située
à 1360 mètres environ d'altitude. On suit, en général, des
lits de rivière ; en premier lieu, on remonte l'ouad Samene :
« sorte de long couloir à sol plan et sableux ou argileux
d'une grande largeur, bordé de chaque côté par une haute
chaîne de montagnes de grès de couleur très sombre (2) ».
Pour passer d'un lit de rivière dans une autre, on traverse
parfois des terrains tourmentés. On foule un sol de granit
et des hamada. Les pâturages sont moins continus ; mais
il s'en trouve encore, de même que des puits. Le pays,
quoique d'aspect sauvage, n'est pas dépourvu de res-
sources ni de possibilités d'amélioration, puisque c'est
surtout dans cette région que se rencontrent les rivières
ayant de l'eau soit apparente, soit souterraine. La mission
y a souffert du froid. Déjà, le 2 décembre, à Aïn el-
Hadjadj, à une hauteur de 470 mètres seulement, sur le ver-
(1) Mission sahanenne, page 36. Voy. plus haut, page 147, TapprécidUon de
Flatters sur la môme localité.
(2) /6irf.,page 48.
MISSION FOUREAU. GARAGTÈRBS DES RÉGIONS PARGOURUES. LE FROID. 253
sant nord du plateau du Tassili, le thermomètre était des-
cendu la nuit à -|- ^fi l celte température basse n'était pas
exceptionnelle ; les 15, 16 et 17 décembre, les minima furent
4-0%8, -|-3%5 et + 0°,9, et les maxima de ces trois jours
n'ont pas atteint 15 degrés. Le 19 décembre, le minimum
nocturne fut de 4"" au-dessous de zéro etle 21 décembrede 3%5
également au-dessous de zéro. Le 4 janvier on notait la tem-
pérature la plus basse que la mission ait eu à subir, à savoir
10" au-dessous de zéro (1). On était alors à peu près au
point culminant. Il y a donc un hiver assez marqué dans cette
partie du Sahara, et c'est une condition climatérique des
plus favorables (2). Si une colonne, n'ayant aucun abri et
n'étant pourvue que d'installations restreintes, peut en pâtir,
il est certain, d'autre part, que des colons fixes s'en trouve-
raient bien ; c'est un sanatorium tout indiqué.
Quoique tourmenté, ce plateau du Tassili et ses abords,
loued Samene, le Tindesset, apparaissent comme suscep-
tibles d'une certaine mise en valeur, tant par ces conditions
de climat relativement satisfaisantes que par l'aménagement
possible des eaux, qui y apparaissent comme abondantes.
C'est dans cette région que se trouvent et l'oued Inara et
divers autres oueds larges et étendus, dont il a été parlé plus
haut et dont les eaux, de qualité excellente, se montrent de
place en place. La sonde artésienne a toutes chances d'y
réussir ; ce n'est pas seulement dans le Sud algérien ou à
Timassanine que l'on peut créer des oasis. C'est, d'ailleurs,
dans les ravins du plateau du Tassili que sont installés avec
leurs troupeaux beaucoup des groupes d'habitants perma-
nents dont il a été question plus haut. C'est, enfin, dans
ce pays de granit et de quartz qu'il y a des chances sérieuses
de rencontrer des richesses minérales.
Le point culminant de la ligne de partage des eaux, sur le
tracé qu'a suivi la mission, est fort peu élevé. Un seuil de
(1) Mission saharienne, pages 42, 61, 66, 67 et 86.
12) Voy., sur le froid au Sahara, les observations des explorateurs précédents,
pagns 153 à 155.
254 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHAHICi
l 360 mètres, en effet, est des plus modiques. En France, non
chemins de fer s'élèvent à d'aussi hautes altitudes sur oolrt
plateau central, en laissant décote les Pyrénées et les Alpes
En Algérie même, notre ligne de pénétration ouest-africaior
atteint des hauteurs analogues : la station de Kralfalla est^
1 109 mètres, celle de Méchéria à 1 158, celle de MékalL'
à 1313 ; cette dernière élévation est quasi strictement égale
au point culminant du parcours de M. Foureau. Les ebemia^
de fer de l'Afrique australe montent aux environs de
2000 mètres ; ceux des Etats-Unis, dans les montagnes Ro-
cheuses, dépassent 3000. Par comparaison avec nooibre
d'autres grandes voies ferrées, les difficultés de profil, ei
admettant, ce qui est d'ailleurs douteux, qu'on dût suim
ce tracé, car il s'en présente de plus favorables (1), doivent
donc être regardées ici comme modiques.
Du 9 au 18 janvier 1899, la mission se tient encore sur If
plateau du Tassili, tout en descendant graduellement jus-
qu'au puits de Tadent, à une hauteur de 1173 mètres : el/e
chemine sur une vaste plaine de reg, gravier résistant, et de
roche presque absolument plate. Le terrain devient parfois
plus difQcile ; mais on « avance ensuite sur une très vaste
plaine plate (2) >. On rencontre des rivières intermilteales.
des pacages assez fréquents, sinon continus, des groupes
fixes d'habitants et des troupeaux. Tadent, lui-même, est
situé le long d'une rivière, à eaux intermittentes comme
presque toutes celles dont il est ici question, < artère asseï
importante, dit le journal, et de moyenne largeur, qui forme
une belle vallée peu tortueuse (3) ».
De Tadent à In-Azaoua, un peu au delà du puits d*Asiou,
s'effectue la descente du Tassili, de 1 173 mètres à 508 mè-
tres d'altitude; elle prend sept jours, du 27 janvier au 2 fé-
vrier, et comporte 300 kilomètres ; c'est < une interminable
plaine avec un semis irrégulier de blocs sporadiques (4) ». On
(1) Voy. plus haut, pages 194 à 199.
(2) Mission saharienne, pages 90 et 9C.
(3) Ibid,, page 124.
(4) Ibid.y page 128.
MISSION FOUREAU. COMPARAISON AVEC LES ORSERVATIONS DE BARTD. 255
se trouve dans le Sahara méridional et le climat a changé ;
cette section, assez courte» est la plus pauvre en eau et en
pâturages. Il y a toujours quelques oueds, cependant, et il
n est guère douteux que des recherches et des soins n'y
découvrissent et n*y maintinssent des points d'eau. A partir
d'Issala, qui se trouve aux environs du premier tiers du
chemin, entre Tadent et In-Azaoua, nous avons deux témoi-
gnages, au lieu d'un. Barlh, en effet, a suivi d'Issala à Tes-
saoua, l'une des portes du Soudan, à peu près la même route
que la mission Foureau, et il décrit ce trajet avec sa minutie
et son esprit scientifique habituels. Il Gt ce trajet au mois
d août, tandis que M. F'oureau le fit en janvier, ce qui com-
plète et varie encore les renseignements. Barth relate dans
cette partie si ingrate du trajet plusieurs orages et de très
fortes pluies pendant plusieurs jours consécutifs. Des puits
auxquels s'était abreuvée la caravane à laquelle il s'était joint
ont, depuis lors, disparu : à Issala, qui se trouve à peu près
au 22« degré 40' de latitude, outre un puits (Brunnen), Barth
note de grands taillis d'éthel et des pacages ; on y fait pro-
vision de fourrage et de bois (1). A Asiou même, « vaste
dépression, cuvette immense, qui est plutôt un lit de
rivière », dit M. Foureau, on comptait, d'après la légende,
101 puits donnant de l'eau ; Barth lui-même y signale deux
groupes de puits vivants, et aujourd'hui l'on n'y trouve
qu'à grand'peine de quoi remplir quelques outres (2). Cela
doit tenir à l'incurie et à la négligence des nomades, et
cet accident apparaît comme aisément réparable.
Même privée de ces puits, dont l'existence a été constatée
jadis, cette région d'un peu au delà de Tadent à In-Azaoua,
qui s'étend sur deux degrés et demi environ de latitude, la
plus désolée du Sahara, est constamment parcourue par des
caravanes, et elle n'opposerait aucun obstacle sérieux à l'éta-
blissement d'une voie ferrée, la plus grande partie de la
(1) BarUi, ReUen und Entdeckungen in Central Africa, Justus Perlhes, 1857,
t I«r, page 303 et la carte 4 du môme volume.
\i) Mission saharienne, page 133.
256 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DB FER TRÂNSSAHiBl?>?.
route, au double témoignage de M. Foureau et de Baril
s*effectuant sur une immense plaine.
D'In-Azaouaà Iférouane, premier village de TAïr, preml--
lieu depuis Ouargla où une population d*une certaine impc:
iance réside dans des demeures fixes et se livre à des culture
régulières et variées, il y a 280 kilomètres. Le pays,d'apr-
Barth, tout au moins à peu de distance d'Assiou (il ne pari
pas d'In-Azaoua), est, avec quelques intermitleoces, Irt^
riche en pâturages {sehr reich an Krautivuchs)^ en beam
arbres, mimosas ou autres ; il offre de belles vallées varie»
(schône grûne Thâler)^ une végétation exubérante (ùppiji
Végétation) ; il a des arbres (thalas ou gommiers) d*une ULlt<
exirdLordinaive (von ungeheurer Grosse^ riesige Tkalas);\i-^
serait le caractère de cette partie du Sahara depuis un pe<
au-dessus du 21* degré jusqu'à l'entrée de FAïr, aux emi-
rons du 19* degré (1). Le journal de M. Foureau n'y conlf^
dit guère ; il est moins enthousiaste; l'explorateur français
passe, d'ailleurs, en février, et Barth passait en août. Mai?
il relève fréquemment une belle végétation, une abondaDce
de gazelles et d'antilopes de toutes sortes. « Partout dans
les vallées se développe une belle végétation ; partout pul-
lulent les traces de gibier, gazelles, antilopes, etc. ; la végé-
tation dépasse ici tout ce que nous avions vu jusqu'alors ;
grands gommiers, Abisga, Teboraq, elc. Une longue et
souple liane, Tarenkad, rôcouvre de temps en temps de hauts
gommiers. » Il note des animaux nouveaux, parmi les oi-
seaux par exemple : corbeaux de grande taille, vautours
chauves, bande de pigeons; puis des bœufs à bosse oo
zébus (2). Ces descriptions s'appliquent au pays qui est
encore à une demi-douzaine d'étapes au nord de l'Aïr,
Enfin, on est dans l'Aïr, la région montagneuse du Sahara
tropical ; c'aurait dû être le port pour la mission saharienne.
Mais c'est alors qu'elle eut à lutter contre l'hostilité sourde
(1) Barth, op, cît,; voir les annotations sur la carte 4 du premier volume J?
l'édition allemande originale.
(2) Mission saharienne^ pages 148, 149, 153, 155, etc.
IISSION FOURBAU-LAMY. — CARACTÈRE DES RÉGIONS PARCOURUES. 257
les Touareg Kéloui, qui Thabitent. « Nous ne pouvions pas
loupçonner quelle allait être la tactique invariable des Toua-
eg à notre égard ; nous ne pouvions point supposer à quel
)oint Ils allaient faire le vide autour de nous (1). » Avant
iherché deux fois à détruire la mission par la force et y
lyant échoué, ils s'efforcèrent de Taffamer, de semer le dé-
louragement parmi ses membres et de la disloquer, et ils
'ëussirent à l'immobiliser pendant huit mois, dans différents
le leurs villages ou de leurs villes, à Iférouane, à Âguellal, à
Voudéras, enfin àAgadez. C*estlàquela mission saharienne,
lu chef de la perûdie des hommes, non de Tinhospitalité de
a nature, courut le plus grand péril.
L'Aïr, & travers les récits de M. Foureau, comme de ceux
le Barth, apparatt comme une contrée habitée, ayant une
f'égélation variée et abondante, des cultures régulières, assez
iiversiflées; sans doute, ici, comme partout, le récit de
M. Foureau est moins brillant que celui du grand voyageur
illemand ; il ressort, néanmoins, de ses descriptions que ce
pays, qui s*étend sur environ deux degrés et quart à deux
legrésetdemi de latitude, constitue non pas un chapelet
loasis, mais une continuité de terres déjà mises en exploi-
atioQ ou susceptibles de Tètre. Ce qui distingue les loca-
ilés dénommées oasis et ce qui les limite, c'est Tirrigation :
a culture ne s'y étend pas au delà des terrains irrigués.
Fout autre est le caractère de l'Aïr. Cette contrée ne repro-
duit aucunement, au sud du Sahara, le groupe des oasis du
louât, par exemple, comme paraît Tavoir cru Duponchel ; c'est
une région d'une beaucoup plus grande importance. Les
cultures peuvent s'y faire sans irrigation, grâce aux seules
pluies tropicales; cela ne veut pas dire que l'irrigation n'y
soit ni utile ni possible, mais elle n'y borne pas les étendues
et les possibilités culturales. Quoique appartenant au Sahara
par sa position géographique, l'Aïr, avec son pédoncule mé-
ridional, le Damergou, fait économiquement et socialement
(1) Mission saharienne, page i58,
17
258 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHABlDi
partie du Soudan central, dont elle constitue en quelq^n
sorte le seuil; aussi nous réservons-nous d*en parler en ini-
tant de cette dernière contrée.
Entre TÂir et le Damergou, région de cultures tropicala
régulières» il y a un court passage stérile, s'ét^ndant sur n
degré géographique environ, puis on est dans une région ^
village^ nombreux, à arbres splendides, à cultures demilld
de coton et de tabac; avec parfois quelques interruptions paM
tielles, celte région. Tune des plus favorisées de l'Afrique d
que l*insécurité et l'anarchie ont seules empêchée de prendu
un immense développement, s*étend au sud jusqu'à la graD>i«
forêt équatoriale.
Si Ton résume les données positives recueillies par la n^
sion Foureau, si on les compare, pour la partie communedi
trajet, à celles de Barlh, et si l'on se reporte enfin aux des*
criplions faites jadis de beaucoup de contrées ayant piis
actuellement un vif essor, comme les hauts plateaux de
TAfrique australe, les vastes territoires de TAmérique ua
Nord entre la province d'Ontario et la Colombie Britannique,
les districts australiens à une certaine distance des côle&
on devra juger que ces données sont très réconfortantes.
Non seulement la mission Foureau-Lamy a pu Iravcrseï
ces 2500 kilomètres sans quasi perdre d'hommes, sans qui
son nombreux effectif fût atteint de maladies» mais elle i
presque tout le long de la route rencontré des points d'eao
malgré l'incurie des indigènes, parfois même des eaux asse
abondantes, des pâturages naturels, sinon tout à fait continus
du moins s'étendant le long de la majeure partie du trajet é
ne laissant que des lacunes possibles à franchir; des essence
arbustives robustes ayant des représentants sur toute celM
surface immense; des troupeaux maigres et d'un nombrj
restreint de tôles, mais se trouvant quasi dans tous les di>
tricls, un ou deux exceptés, de cette vaste solitude.
Bref, à la lecture attentive et réfléchie de ces pages, l'idée
traditionnelle que Ton se faisait du désert, et du Sahara en
particulier, disparait; ce n'est pas une immensité de sables
M FOUREAU-LAMY. — CARACTÈRE DBS RÉGIONS PARCOURUES. 259
ants, sans aucune pluie, sans aucune eau, sans aucune
itioiiy sans possibilité aucune de vie humaine ou ani-
C^est une région variée, où les ressources élémentaires
it pas, en général, défaut, et qui a le mérite, non négli-
e, d'être Tune des plus salubres du globe.
coimnaiidant Reibell, dans son rapport d*ensemble sur
rte de la mission saharienne, résume bien les difficultés
ipales qu'a rencontrées l'expédition. « De fait, le désert
ccumuler les obstacles, sans que jamais le mouvement
'ant de la mission en fût enrayé; mais, à partir du jour
le se heurta à la sourde obstruction et au fanatisme des
reg de TAïr, elle ne put se frayer un chemin, dans un
relativement facile, qu'au prix de luttes incessantes et
itigues inouïes (1). » Ainsi, ce n'est pas la nature des
:, c'est la nature des hommes qui retarda le passage de
issîon et lui causa des angoisses.
Mission saharienne. Appendice, page 806.
CHAPITRE XII
L'AïR ET LE DaMERGOU D APRÈS BarTH ET D*APRÈS J
JOURNAL DE FOUREAU.
Le Sahara» quoiqu'il offre des possibilités pastorales et culturales, san> ^
aussi minières, vaut surtout comme route vers les contrées tropica • i|
l'Afrique. J
Description de l'Aïr, avancée du Soudan dans le Sahara. — B&rth y con^U' j|
riches vallées, de bonnes eaux, une végétation abondante.
Les observations de la mission Foureau-Lamy ne contredisent pas c^ - 1
Barth. — Les Touareg y retiennent et cherchent h y afFamer la eu»-.-!
angoisses de celle-ci. — Descriptions très favorables du journal de V"^-^
sur les abords de l'Air : « On dirait presque une prairie éniaillée d'ari)>M
— Belle végétation arbustive dans tous les ravins. — Nombreux arba>r <. i
viron 2 mètres de circonférence. — Végétation jusqu'au sommet des a'Iii-i
— Essences d'arbres nouvelles. — Faune abondante. — Année relatiTi»- 1
sèche au temps de Foureau. — Pluies constatées par lui et par Barth.
Le Damergou. *- « La campagne, d'après Foureau, est riante et s«>niblf a
plaine cultivée de France. » — Affleurements ferrugineux. — Riches mit t
de cuivre d'après Barth.
Quoique le Sahara, comme en témoignent toutes les a
plorations anciennes et récentes, ne ressemble en rien
rimage conventionnelle que Ton s'en fait, quoiqu'il ait de
possibilités de développement, pastoral et même agricok
dans certaines parties du moins, il vaut surtout comme rooi
vers les contrées tropicales de TAfrique intérieure, comi
voie de communication rapide, sûre et salubre, quand ^
Taura pourvu d*un chemin de fer, entre les grandes capitald
des nations européennes colonisatrices, Paris, Londres
Bruxelles, Berlin, et les vastes possessions de ces natii
au cœur du continent africain.
Avant de décrire rapidement les nouvelles provinces ac
quises par la France, l'Angleterre et FAUemagne au centr
de rAfrique, il nous reste à achever, par quelques traits, i
physionomie, que nous avons à peine esquissée, de TA*
cette partie du Sahara méridional où se trouvent des cent/fl
L*AÏR ET LE 0AMER60U D'APRÈS BARTH ET FOUREAU. 261
permanents de population, habitant des villages ou des villes
et se livrant, non seulement à Télevage du bétail, mais à des
cultures assez diversifiées.
L*Aïr, qui s'étend entre le 19" degré et demi de latitude
nord et le 16'' et quart environ, embrassant ainsi en longueur
Irois degrés au moins, se compose d'une série de vallées
s embranchant sur une haute épine montagneuse, dont les
sommets, d'après Barth, atteignent à 6000 pieds ou près de
2000 mètres. L'Âïr appartient-il au Soudan, qui lancerait
ainsi une pointe avancée dans le désert? Fait-il, au contraire,
nettement partie du Sahara? M. Foureau ne se lasse pas de
soutenir que c'est une contrée saharienne, et il serait oiseux
d'y contredire. La possibilité, cependant, d'y faire souvent
des cultures sans irrigation distingue essentiellement cette
contrée du Sahara proprement dit. Ce qu'il suffit de retenir,
c est qu'elle diffère sensiblement des contrées situées entre
Ouargla et le 19"* degré et demi de latitude, et que, ni sous
le rapport de la faune ou de la flore, ni sous celui des grou-
pements humains et des cultures, elle ne peut être, de fort
loin, assimilée à un désert.
Barth, qui le parcourut en 1850 et 1851, a fait de TÂïr et
desonprolongementquile rattache au Soudan, le Damergou,
une description, sinon enchanteresse, du moins très favo-
rable et séduisante (1). En me reportant au grand ouvrage
de Barth et à la carte de TAïr et du Damergou qu'il con-
tient, je relève, à partir du 20* degré, et même un peu au-
dessus, une suite d'annotations mentionnant de riches vallées,
de bonnes eaux, une végétation abondante, et constatant soit
la richesse, soit les éléments de richesse du pays. Ainsi :
Djinninariy schônes Thaï mit einem Wald schôner Baume and
Weidegrund von tropischen Ansehen (belle vallée, avec un
bois de beaux arbres etdes pâturages d'aspect tropical), et cela
à guère plus de 100 kilomètres au sud du puits d'Âssiou ; Thaï
il) Voy. ReUen und Entdeckungen in Nord und Central Africa in den Jahren
^S49 bis 1855, von D' Heinrich Barth; (iotha, Justus Perthes, 1859, tome I«,
notamment les cartes no» 5 et 6, pleines d'annotations sur le caractère du pays,
et tome II, carie n« 7.
262 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRÀNSSAHABIlVi
(vallée) von Selufîety mil vielen Baûmen, Gebusch and gain
Wasser (avec beaucoup d'arbres, de bosquets et de bo&n*
eau); Brunnen von EghellaU Baumreiches Thaï (fontaiee
d'Egellal, vallée riche en arbres); Ausgedehnie Ebene «r^
gulen Weidegrûnden (plaine étendue avec de bons pâturage:
Thaï Borhel, gui bevôlkerl und reich an Dumbàumen^ Kamtt
len und Ziegen (vallée de Borhel, bien peuplée et riche e
palmiers-doum, en chameaux et chèvres); tout cela estai
nord d'Agadès, la capitale de TAïr; quant aux environs it
celle-ci, Barth les décrit d'un trait: Die Namen um Agada
bezeichnen hiibsche bewachsene Thàler (les noms aulor
d'Agadès indiquent de jolies vallées couvertes de végélalioc
et, après avoir traversé pendant un degré géographique n^
étendue moins favorisée, on retrouve une contrée riche: dtr
Tagamay eine an Bindern, Schafen und Pferden reiche G^
gend (abondante en bœufs, moutons et chevaux); granis
troupeaux de bœufs {Grosse Viehheerden)^ lit-on un peu plc^
bas sur la carte de Barth; puis See Gamrek (lac Gamrek
umgeben von ûppiger Vegelation (entouré d'une végélatici
luxuriante) ; Zahlreiche Wassermelonen (abondants meloc:
d'eau) ; anmulhiges Hûgelland mil vielen Baûmen (gracieuse
terre de collines avec beaucoup d'arbres) ; un peu au-dessou*
du 15* degré, on entre dans le Damergou; erste Kornfeld'
von Damerghu, Ziegenheerde (premiers champs de blé, tro^>
peaux de chèvres) ; offenes fruchlbares Land mil Kornfeldvr.
(pays ouvert et fertile, avec champs de blé) ; un peu plus bai
sur la lisière du Soudan, près de Zinder, qui nous appar-
tient : Schône Baumwollen und Tabak-Fflanzangen^ belle?
plantations de coton et de tabac; cette annotation Baumwcir
len-Pflanzungen revient à chaque instant sur la carte de
toute la lisière du Soudan qui nous est reconnue par les
conventions récentes. Tout ce chapelet de notes favorable?
et beaucoup d'autres que nous passons pour ne pas allonge'
inutilement ce travail, s'étend du 20* au 13* degré et demi sur b
carte de Barth consacrée au Sahara méridional. Cependan'
d'après toutes les données courantes et d'ailleurs fausses su
L*AÎR ET LE DAMBRGOU D'APRËS BàRTQ ET FOUREAU. 263
le Sahara, on s'est habitué à considérer comme improduc-
tives ces étendues de 700 à 800 kilomètres de long, qui sont
en réalité parsemées de cultures. Les gravures jointes à
Tédilion allemande ne sont pas moins engageantes que le
lexle (1). Les villes sont nombreuses : Tintelloust et Tafldet,
entre le 19* et le 18* degré; Afassas, entre le 18" et le 17';
Àgadès enfin, la capitale, presque exactement au 17* degré,
place importante et commerçante, ayant des maisons à deux
élages et paraissant compter, au temps de Barth, 7 000 à
8000 habitants.
Les observations de M. Foureau contredisent-elles celles
deBarth? On Ta prétendu, mais il faut une lecture bien super-
ficielle de son journal pour le croire. La mission saharienne
a fait, malgré elle, dans TÂTr un séjour des plus prolongés.
Elle y est demeurée près de huit mois, du 24 février 1899 au
17 octobre, dans une sorte de captivité, retenue non par des
menaceS) mais par des procédés dilatoires qui ont suivi deux
attaques infructueuses à main armée. C*est là, et là seule-
ment, qu'elle a couru de grands périls, du chef de la perfidie
des hommes, non de Tinhospitalité de la nature. < Les Toua-
reg (maîtres du pays) ont établi une sorte de blocus autour
de nous, prenant leurs précautions pour qu'aucun ravitaille-
ment ne puisse nous arriver... La tactique employée par les
Touareg, depuis l'agression du 12 mars, à notre égard, est
évidemment très judicieuse: faire le vide absolu autour de
nous, éloigner les troupeaux, éloigner les denrées alimen-
taires, disparaître enfin eux-mêmes ; ils comptent bien ainsi
que nous finirons par périr tous de famine (2). » On promet
sans cesse à la mission des chameaux dont elle a besoin
pour continuer sa route, on lui promet des vivres; jamais on
ne lui fournit les premiers et on ne lui apporte des seconds
qu au jour le jour, en quantité insuffisante, en les lui faisant
payer un prix exorbitant. Les guides qu'on lui procurait cher-
(1) Reisen und Enldeckungen in Nord and Central Africa, von D' Heinrich
Barth, erster Band, 4« carie et gravures du volume; Gotha, Justus, Perlhes, 1857.
[1] Mission saharienne, pages 282 et 291.
264 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSiEilil'
chaient à l'égarer dans de mauvais pays. Ainsi retenue p^<
dant huit mois dans une contrée qu'elle eût pu, si elled^j
eu des transports et des approvisionnements» traverser
quinze jours, forcée parfois de revenir sur ses pas, la miss^a
a connu là des heures d'angoisse.
Près de la moitié du livre de M. Foureau (de la page i^
à la page 467) est consacrée à cette contrée de l'Aïr, qms
représente pas le dixième du parcours de la mission. Lais-
sons de côté le récit des incidents quotidiens et tenons-Dou:'
en à la description générale du pays et des habitants; tk
ne diffère aucunement de celle qu*en a faite Barth, et àt
fait ressortir un pays qui contient d'incontestables wr
sources.
La mission arrive le 24 février 1899 à Iférouane, premirt
village de l'Aïr qu'elle rencontre. Dès Tavant-veille, ïaspcdi
des lieux est réjouissant : le 22 février, la mission enlre
« dans une très large vallée, celle de la rivière AgaJindf
que nous descendons quelque temps. Le spectacle est fotl
beau et très caractéristique... La rivière ne tarde pas à fuir
vers Touest, et la route nous fait remonter un de ses afRueBlî
de gauche, où la végétation est fort belle et composée de
gommiers, de graminées vertes et d'autres essences. Os
dirait presque d'une prairie émaillée d'arbres. » Notez qu?
l'on est ici au-dessus du 19* degré de latitude et à plus de
5 degrés au nord de la lisière septentrionale du Soudai». U
23 février, « la mission arrive dans la grande et belle vallée
de l'ouad Tidek... Le lit du Tidek contient de beaux arbr»
gommiers et adjar... Sur ces arbres se trouvent en grand
nombre des nids d'oiseaux ». On note « des traces noïQ-
breuses et fraîches d'ânes, de chameaux, de troupeaux à
moutons et de chèvres ». Le 24 février, on est à Iférouane
« Au milieu de la vo'dure qui recouvre la rivière même, s
noire gauche et la dominant, s'élèvent les troncs grêles el
élancés de quelques dattiers; des cases se cachent dans
toute cette végétation, on entend le grincement des poafe
des puits ; en somme, on sent la vie alors que, depuis des
L'aTR et LB DAMBBGOU D'APRÈS BARTH BT FOUREAU. 265
mois, tout était morne et inhabité sur notre route (1). »
En ce qui concerne toute cette contrée de TÂïr, qui s*étend
sur une longueur d*environ trois degrés de latitude, la
description des lieux, dans le journal de M. Foureau, n'est
nullement inférieure à celle de Barth. Partout il note de
t très beaux gommiers,... d'énormes gommiers qui donnent
une ombre bienfaisante >, des c touffes énormes d'abisga »,
autre espèce arborescente; € tous les ravins contiennent une
belle végétation de gommiers, de tamat, de teboraq, de
ladent, de djédari, de korna >, mêlés à des abisga et des
korunka, toutes variétés diverses des essences d'arbres du
Sahara méridional ; « nous atteignons une sorte de con-
fluent de plusieurs rivières, qui ont coulé récemment et qui
sont très riches en arbres et très agréables à parcourir à
cause de la délicieuse odeur que dégagent les fleurs de
diverses variétés de gommiers. Ces gommiers portent des
colonies de nids d'oiseaux... La liane Ârenkad en recouvre
d'autres et pousse avec une grande puissance. Des traces
nombreuses de singes se voient nettement sur le sable des
rivières ». Et plus loin : « La végétation arborescente est
superbe et représentée par des grands gommiers, des abisga,
des téboraq et des tadent. » L'espace nous manque pour
reproduire tous les passages admiratifs sur cette haute
végétation du Sahara méridional ; il en est cependant de
1res caractéristiques : « La végétation est fort belle dans
celte rivière et composée des arbres déjà indiqués, au milieu
desquels les gommiers répandent la suave odeur de leurs
multiples fleurs. De nombreux petits affluents plats serpen-
tent sur le plateau large et se divisent en innombrables filets
qui s'égarent dans des bosquets riants où abondent les pin-
tades et les gazelles. » C'est un t océan de verdure formé
par les arbres de la vallée ».
Voulez-vous savoir ce que sont ces gommiers? « Les grands
gommiers sont ici très beaux ; beaucoup d'entre eux arrivent
|1) Mission saharienne^ pages 154, 155, 159.
266 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CBEMINS DE FER TRANSSiEABIBl
à 60 centimètres de diamètre et même dépassent cette taille 1 1
Un diamètre de 60 centimètres équivaut à biea près k\
2 mètres de circonférence; voilà les arbres que Ton m-
contre dans TAïr entre Iférouane et Âoudéras, entre le 1?
et le 18' degré, à 400 et 500 kilomètres au nord du Tchad
voilà un trait qui doit changer la conception que Ton se fai
du Sahara.
Et c'est en ces endroits que Ton trouve dans le journal ë
M. Foureau des notes du même genre : < La ramure des
grands gommiers de la rivière...; on reste saisi par la m
merveilleuse qui s'étend sur toute la haute vallée d'Aou^
rarène, représentant une belle masse de verdure dominée par
la silhouette sombre du mont Bila. » Et fréquemmeo:
reviennent ces notes : € La haute taille des gommiers dek
région...; le lit de l'ouad large et très boisé...; loii5 h
mamelons aux collines élevées, situées à notre droite, sont
couverts de végétation jusquà leur sommet » ; c'est dans le
texte de M. Foureau que ces mots sont soulignés. « Nous
continuons à remonter le lit de la même rivière, qui ncsl
bientôt plus^ entre les montagnes, qu*un ravin plat et élevé,
dont le sol est recouvert, sur plus de la moitié de sa surface,
d'une petite herbe naissante aussi agréable à Tceil que douce
aux pieds. Cette circonstance, jointe au boisement des col-
lines environnantes, produit le plus singulier effet en ce lieu
où Ton se croirait plutôt sur de hautes cimes d'Auvergne, s/
ce n'était l'aspect particulier des arbres qui ne rappellent en
rien la France. » C'est à la partie septentrionale de TAïrcpe
s'applique cette description. Le bois de gommier a, d'ail-
leurs, du mérite. Le journal parle plus loin de bracelcU
faits c en cœur de gommier qui prend une belle teinte de
vieux palissandre ».
Dans la partie méridionale de l'Aïr, d'autres espèces arbo-
rescentes apparaissent : « Les grands gommiers sont p)u5
fréquents maintenant dans la brousse et, un peu plus lard,
commencent à apparaître de loin en loin des dania, de Si
10 mètres de haut, à frondaison globuleuse ressemblant à
L*ÂÏR ET LE DAMBR60U D'APRÈS BARTR ET FOUREAU. 2(^7
des châtaigniers et dont les feuilles sont analogues à celles
du caroubier, disposées de même façon et présentant le
même aspect... De chacun des petits sommets, nous jouis-
sons d'un horizon relativement étendu sur les halliers qui
nous entourent de toutes parts, et au milieu desquels se
produisent des échappées de vue tout à fait charmantes ; les
arbres sont plus variés que par le passé et, dans la dépres-
sion, de beaux léboraq sont revêtus de feuilles. Tous les
petits thalwegs sont recouverts de mrokba et autres gra-
minées vertes. Le gibier est partout extrêmement abondant
et de nouveaux oiseaux à plumage vert brillant viennent
frapper nos regards; on voit aussi des perdrix, des cailles, etc.
La végétation arborescente et celle plus petite du sous-bois
sont partout très florissantes et de nombreuses espèces nou-
velles se présentent... Nous campons sous un gros dania,
dont la large envergure nous fournit une ombre bienfai-
sante (1). » Et une gravure du texte représente toute une
quantité de bêtes et de gens accroupis sous cet arbre aux
rameaux étendus. Ces derniers passages s'appliquent au
paysage situé un peu au sudd*Âgadez. On ne peut, certes,
refuser à M. Foureau, si vives qu'aient été les angoisses que
lui causait la perfidie des Touareg, Tart de peindre les con-
trées, pleines de vie végétale et animale, qu'il traverse dans
TAïr. Et tout ce pays est classé comme faisant partie du
Sahara, et M. Foureau lui-même lui attribue une nature
saharienne. Le Sahara comprend donc sur de vastes éten-
dues des régions où s*épanouit la vie sous toutes ses formes,
où les possibilités de vie surtout abondent. Il ne s'agit pas
ici d'une ligne d'oasis comme dans le nord ou le centre du
Sahara ; ce n'est pas sur des terrains irrigués que poussent
ces arbres et ces plantes; on a vu qu'ils grimpent jusqu'au
sommet des collines.
C'est, cependant, en « une année relativement sèche »
que la mission saharienne a traversé toute cette zone, et
({) Mission saharienne, pages 265, 297, 307, 312, 3i7, 324, 328, 332, 333, 334,
33o, 353, 480, 481, 482.
268 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRAKSSAHARiENS.
une végétation variée, parfois dense et drue, s'y rencontre.
Si sèche que soit Tannée, il pleut, peu ou prou, très fré-
quemment dans TÂïr. C'est à partir du milieu de juillet que
les chutes d*eau se produisent normalement (1). Barth note
de très forts orages tropicaux dans la seconde moitié d*août:
c'est le 31 août que, tout près de Séloufiet dans le Dord de
TÂïr, presque exactement au 19* degré de latitude, il subit
une pluie qui changea une vallée sèche en un cours d*eau
de plus d'un kilomètre de largeur (2). Pour n'avoir pas
assisté à cette sorte de déluge saharien, la mission Foureau-
Lamy n'en a pas moins reçu dans TÂïr des pluies fréquentes:
« 20 mai, aujourd'hui grand orage avec un peu de pluie >;
7 juin, pluie et averses; 14 juin, gouttes de pluie ; de même
le 15; le 20, également; le 27 aussi; 17 juillet: « forte
averse, mêlée de flocons de neige fondue;... la montagne a
reçu beaucoup plus d'eau que nous » ; le 25 juillet : « forte
averse qui dure une heure et trempe tout le monde jusqu'aux
os » ; le 2 août, gouttes de pluie; le 3 : « dans la soirée et
jusqu'à la nuit, orage épouvantable; nous sommes trempés
de tous les côtés; la plaine ressemble à un vaste lac couvert
d'tlots, qui sont représentés par les inégalités et les exhaus-
sements de terrain » ; le 4 août : « le soir, orage lointain, quel-
ques gouttes de pluie > ; le 5 : « le soir, orage, vent et pluie,
nous sommes à nouveau mouillés »; le 10, gouttes de pluie;
de même le 15 et aussi le 16, dans la journée, avec, en plus,
une forte averse le soir ; le 18 août : « A huit heures, nous
nous trouvons au milieu de vastes ghédirs (mares); une
pluie diluvienne a dû tomber sur le sol il y a quelques heures
à peine; tous les sentiers du medjebed (tracé de la piste)
sont remplis d'eau ; il semble que nous avancions dans un
lac parsemé d'Ilots >. Cela se passe aux portes d'Agadez. Le
19 août : c A 10 heures, ce matin, l'ouad Tiloua coulait
presque à pleins bords, ayant sans doute reçu plus haut la
(i) Mission saharienne, page 277.
(2) Barth, Reisen und Enldeckungen, tome I«^, page 356 et carte 5 anneit^'
au même volume.
BARTH ET FOUREAU. L*AÏR, BÉTAIL ABONDANT, CULTURES VARIÉES. 269
pluie diluvienne d^hier soir. A quatre heures, grand orage,
suivi d'une violente averse d'un quart d'heure ». Le 20 août :
€ goultes de pluie ; les indigènes disent que les orages et les
averses dureront encore une vingtaine de jours, et que les
chaleurs leur succéderont ». Le 23 août, gouttes de pluie;
le 24 août : « l'orage passant dans notre sud-est, point où
le ciel est livide, nous en sommes quittes pour une série
d'averses » ; le 25 août : « petites averses de courte durée » ;
le 16 septembre, faibles averses après midi ; 12 septembre,
gouttes de pluie ; 16 septembre, également (1).
L'Aïr, même dans une année particulièrement sèche,
comme le reconnaît M. Foureau, reçoit donc des pluies fré-
quentes, parfois très abondantes. De là cette végétation,
soit herbacée, soit arborescente, qui, au témoignage de cet
explorateur, devient en maint endroit tout à fait luxuriante
et qui fournit des possibilités culturales en dehors de toute
irrigation, ce qui distingue essentiellement des oasis cette
contrée du Sahara tropical. Aussi les chèvres, les moutons,
les bœufs, les ânes abondent dans le pays. Quoique les
Touareg, maîtres de la contrée, cherchassent à lui mesurer
les vivres, la mission trouvait à acheter journellement à
Agadez plusieurs dizaines de moutons et de chèvres et
jusqu'à une centaine en un seul jour. « Les nomades des
environs possèdent d'assez grands troupeaux. Actuellement,
notre troupeau de réserve se compose de plus de trois cent
(1) Mission saharienne, pages 277, 281, 302, 308, 312. 313, 318, 327, 361, 370, 385,
386, 387, 405, 408, 410, 413, 421, etc. Dans le rapport plus étendu et postérieur,
intitulé : Documents scientifiques de la mission saharienne. Mission Foureau-
Lamy, etc, (publié par la Société de géographie de Paris à. la fin de 1903), Pre-
mier fascicule : Observations astronomiques; Observations météorologiques,
le tableau de la page 89 relate 53 jours de chute de pluie dans TÂïr, du commen-
cement de mars 1899 à la fin d'octobre de la même année, c'est-à-dire en huit
mois ; parmi ces 53 jours de chute de pluie, 42 sont indiqués comme n'ayant
donné que des gouttes, 5 comme ayant produit des « pluies plus ou moins
fortes », 1 jour une « forte pluie », 2 jours des « averses » et 5 jours de « fortes
averses ». Mais il n'échappera pas que les passages cités du Journal^ docu-
ment écrit au jour le jour et sous l'impression directe, font parfaitement res-
sortir des pluies très violentes; il est regrettable que la mission Foureau, du
moins pendant son séjour dans l'Air, n'ait pas mesuré le cube des pluies, comme
Tavait fait la première mission Flatters. Se reporter plus haut, pages 107 et
108, aussi page 109, note.^
270 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHABIE!IS.
cinquante têtes. La viande des moutons de ce pays est excel-
lente (1). » On se plaint quand on ne trouve à acheter un
jour que huit moutons ou chèvres. Y a-t-il beaucoup de
bourgades françaises où des achats de ce genre eussent pu
se faire avec cette continuité pendant des mois ?
L'Âïr est surtout un pays de pâturages ininterrompus ; la
population, toutefois, s*y livre aussi à des cultures, très
diversifiées même, avec recours, souvent, mais non toujours,
à Tirrigation; puis cette irrigation, quand on la pratique, ne
vient pas le plus souvent de nappes d*eau captées et réparties
sur un territoire étendu, comme dans le Sahara du Nord,
mais de puits très nombreux. Dans les jardins, outre des
dattiers, on produit du millet, des légumes divers, tomates,
oignons, haricots, pastèques, courges, henné, du tabac et
du coton, quoique ce ne soit que plus au sud que cette der-
nière et intéressante culture prenne du développement (2).
Ces cultures sont assez soignées, et Ton prend un soin tout
particulier des bœufs, que Ton abrite du soleil alors qu'ils
font la manœuvre des puits.
Les villages ont une certaine importance et sont parfois
très voisins les uns des autres. M. Foureau évalue à 700âmes
la population d'Iférouane, à un millier celle d*Aguellal, à
autant celle d'Âoudéras ; mais bien d'autres villages sont
indiqués par l'auteur : Sélouûet, Tintaghodé, nombre d'au-
tres, outre qu'il ne les a pas tous visités. Il se trouve aussi
beaucoup de villages ruinés, particulièrement à cause de
rinséeurité. Quant à Agadez, quoique déchue d'une ancienne
grandeur réelle, c'est une véritable ville ; elle compterait
comme telle en Algérie ou en Tunisie ; elle occuperait, par
exemple, dans cette dernière contrée, le sixième rang.
Barth, qui en a fait une description détaillée, lui reconnaît
3 milles anglais et demi de tour, soit 5 kilomètres et demi,
et pense qu'elle a pu contenir, aux jours de sa splendeur,
50000 âmes, sinon davantage. Sa mosquée, avec sa tour
(1) Mission saharienne, page 437.
(2) Ibid,, pages 339, 346, 420.
BÂRTB ET FOURBAU : L'AÏR ; ANARCHIE, INSÉCURITÉ CONSTANTE. 271
pyramidale^ est un monument caractéristique. Diaprés le
célèbre voyageur allemand, Âgadez devait avoir encore
7000 âmes environ, quand il la visita en 1850(1). M. Fou-
reau, qui rapporte que la chronique attribue 70000 âmes à
Agadez lors de son apogée, ne lui reconnaît plus que
5000 âmes environ à Theure présente. Barth a recherché les
causes du déclin de cette grande ville de l'Âïr et il les a
trouvées dans Teffondrement du royaume Songhay, qui
s*élendait sur tout le sud du Sahara et sur la lisière du
Soudan, et dans la destruction de la ville par les Touareg à
la fin du xviii*' siècle. Depuis lors, la domination des Touareg
n a fait que s'accentuer, en môme temps que le dépeuple-
ment, la dévastation et le recul des cultures.
M. Foureau constate la lamentable situation gouverne-
mentale de TÂïr ; il ne s*y trouve aucune autorité ; Tanar-
cbie y est complète : « Hadj Mohamed nous a montré (à
Tintaghodé, dans le nord de TÂîr), perchées dans la mon-
tagne, des espèces de grottes où lui-même, son beau-père et
tous les habitants ont l'habitude de cacher leurs réserves de
provisions, précisément pour le cas d'arrivée d'une troupe
de pillards. C'est l'habitude dans le pays : dès la première
alerte, on se sauve et, comme les provisions sont enfermées
d'avance dans ces greniers de la montagne, on abandonne
purement et simplement les cases. C'est là l'existence de ces
malheureux ksouriens de l'Aïr, vie de transes perpétuelles
et de continuelles envolées. » Et plus loin, au sujet d*un
autre village, Saghen : « Tous les habitants ont pris la
fuite, les uns avec quelques chameaux qui viennent d'être
déchargés, les autres abandonnant leurs ânes encore tout
chargés. » Et il en est ainsi tout le long de l'Aïr : « Des
nègres d'Aguellal me disent qu'il y a à Talak un groupe
permanent de Taitok (Touareg), fixés en ce point depuis cinq
à six ans et ne vivant que de rapines. Ces Touareg
viennent de temps à autre pressurer les villages de la
(1| Barth, Reisen und Enideckungen, 1. 1«^ pages 518 a 520.
272 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FBH TRANSSARARISN5.
montagne. » Plus loin encore : « A une heure, on vient, en
criant, du village, avertir qu'un parti de pillards composé
d'Amghad (serfs) des Kel-Férouane (encore des Touareg) vient
d'enlever, en amont, dans la vallée, les troupeaux de
moutons et de chèvres du village... Il paraît, du reste, quà
Aoudéras c'est chose courante que de telles alertes et qu à
chaque instant les indigènes sont victimes de pillages de la
part des nomades. » Des remarques de même nature repa-
raissent à propos d'autres localités (1).
Il n'est pas besoin de chercher d'autre cause à Tétroitesse
des cultures et au déclin de la' population : suivant la
remarque de Montesquieu, les terres se cultivent et se peuplent
en raison encore plus de la sécurité dont on y jouit que de
la fertilité qu'elles possèdent. Quant à celle-ci, elle ressort
de la concordance des observations de M. Foureau avec
celles de Barth. La population de l'Aïr, d'humeur douce, est
assez raffinée. M. Foureau nous en présente plusieurs
échantillons intéressants et l'un tout à fait remarquable : El-
Hadj-Yata, qui habite un village du nord de TAïr, deux fois
Hadj, c'est-à-dire pèlerin à la Mecque, fils lui-môme d'un
pèlerin, « sorte de vieux philosophe aimable, afifable et
courtois », parlant et écrivant fort bien l'arabe, « esprit
ouvert et chercheur », se souvenant de Barth et d'Edwin
von Bary; «plein de savoir-vivre et d'aménité», qui prit
intérêt à la mission saharienne et chercha à lui faciliter sa
lâche (2). A côté de celui-ci, il s'en rencontra quelques autres,
assez dévoués, dont un certain Akhedou, quoique Targui (3).
Il se trouve dans l'Aïr des ouvriers assez habiles, notamment
des forgerons, qui, outre leur tâche habituelle, font avec
adresse des bijoux pour femmes (4). Une notable partie de
la population paraît être d'origine égyptienne et avoir été
poussée dans cette région écartée par les invasions qui se
sont produites dans la région du Nil. Les femmes ont sou-
(1) Mission saharienne, pages 258, 260, 277, 278, 314, 342, 351.
(2) Ibid.» pages 240,241, 310, 311.
(3) Ibid., pages 339. 340, 368.
(4) Ibid., page 426.
DARTH ET FOUREAU: L'AÏR; liNDUSTRlES, RICHESSES MINÉRALES. 273
vent € l'aspect d'Européennes, avec un visage simplement
bronzé». Divers détails du costume et de la coiffure com-
pliquée de certains habitants portent un « irrécusable
témoignage » de celte origine, « leur teint est moins foncé
que celui de nos Chaambba d'Algérie ». Parfois, on retrouve
chez divers, femmes ou hommes, « exaclemenl le type du
fellah égyptien (1). »
Ainsi, de toutes façons, par la nature du sol et par celle
(les hommes, TAïr apparaît comme une terre susceptible
(l'un développement important. Il suffirait presque, pour
qu'il se produisît, d'y établir la sécurité. Si, de plus, il s'y
rencontre des richesses minérales,comme Barth en a relevé
la trace, ce serait une contrée dont les « possibilités » se-
raient considérables. Le célèbre voyageur allemand relate que
Tegidda ou Tekadda, qui est situé à sept jours de marche au
sud-ouest d'Agadez, en passant par une autre agglomération
intéressante, Ingal, était autrefois célèbre par ses mines de
cuivre et que si, aujourd'hui, les habitants ont perdu le
souvenir de ces mines, il est remarquable que les élriers et
une grande partie des ornements des chevaux soient encore
faits en ce métal (2). On sait que l'Afrique étonne de plus en
plus le monde par ses richesses minérales. Le cuivre est un
des métaux les plus rechierchés parla civilisation : le prix en
a varié, depuis quelques années, de 1 300 ou 1 400 francs
(cours actuels ou récents) à 1 700 ou 1 800 francs la tonne.
Les Anglais ont découvert en 1901 et mettent en exploita-
tion, aux environs du lac Tanganyika, des gisements de
cuivre, dont le minerai contient, affirme-l-on, 30 à 40 p. 100
de métal ; môme si la teneur des gisements près de l'Aïr
était de moitié ou des deux tiers moindre, il serait possible
que ces minerais supportassent un transport de 2500 kilo-
mètres en chemin de fer, ce qui, à 1 1/2 centime ou 2 centimes
{[) Mission saharienne, pages 355,423, 484, 483.
(2) Barth, Reisen und Entdeckungen, t. I*^, p. 510 ci 511. M. Foureau (Mission
saharienne, p. 413). parie d'Imgal, comme d'un grand village, qu'il n'a pas du
reste visité, situé à. une centaine de kilomètres d'Agadez, contenant un millier
d'&mes et ayant de médiocres salines.
18
274 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAEARIE5S
au plus le kilomètre, ne les grèverait que de 37 fr. dû :
50 francs la tonne. Les minerais anglais des rives du Tang-d-
nyika n'auront guère, et cela dans un pays beaucoup plu<
difficile et plus malsain, un trajet moindre à effectuer.
Le Damergou.
En sortant de l'Aïr, Barth, qui a suivi un tracé un per.
oriental, note un court plateau désertique, de 2000 pieds ou
600 mètres d'altitude et d'environ un degré de latitude de
longueur, livré à la plus grande insécurité ; les arbres ysonl
rares, les pâturages n'y manquent pas, il s'y trouve des
puits peu nombreux ; puis bientôt le pays s'améliore, le-
girafes, les bœufs sauvages, les autruches y abondent (die
Heimalh der Giraffôy deswilden Ochsen, des StrausseSy elc.i.
et l'on arrive, vers le Ib'' degré et demi de latitude, à une
contrée, elle-même peu étendue, que l'on appelle le Tagama
et que Barlh définit ainsi : pays riche en bœufs, en moutons
et en chevaux {eine an Rindern, Schafen und Pferden reiche
Gegend) ; il relève la présence de grands troupeaux de race
bovine ; un lac, le lac Gamrek, entouré d'une végétation
exubérante, une abondance de melons d'eau. Puis on entre,
un peu au-dessous du 15'' degré de latitude, dans le Damer-
gou, pays ondulé et fertile {welliges fruchlbares Land); Tas-
pect en est riant avec beaucoup d'arbres, les champs de blé
ou de millet y sont nombreux; les villages aussi; certains
sont très importants, ils offrent cette particularité que les
huttes y sont souvent couvertes de cuir, ce qui prouve
l'abondance des dépouilles d'animaux. Le voyageur allemand
y note des bois épais {dichler Wald)^ des sous-bois touffus
[dichles Unlerholz); il constate que la contrée est ouverte el
habitée {offene^ bewohnle Gegend), puis il oblique vers l'ouest
et descend aux environs de Tessaoua, ville qui fait actuel-
lement partie de nos possessions, aprèsavoir constaté au nord,
un peu au-dessous du 14* degré, les premiers champs de
BAHTD ET FOURBAU : TAGAMA ET DAMERGOU, PAYS BOISÉ ET CULTIVÉ. 275
colon du Soudan {erste Baumœollen'Feldcr im Sudan) (1).
Les relevés de Bartb, sauf sur Tétroil plateau entre TAïr
et le Tagama, sont satisfaisants : les deux tiers du trajet
entre TAïr et le Soudan appartiennent, suivant lui, aux con-
trées productives. Voyons si les observations de M. Foureau
confirment celles du grand voyageur qui Ta précédé.
La mission saharienne, en partant d'Agadez, a suivi une
route plus directe, un peu moins orientale au début et moins
occidentale à la fin, et, au lieu d'arriver aux environs de
Tessaoua, elle est tombée sur Zinder, point situé à la môme
latitude, mais à une moindre distance du Tchad. On traverse
d'abord une plaine avec peu de végétation ; puis on arrive à
un plateau ondulé et très boisé, et, le quatrième jour, on se
trouve dans leTagama, que M. Foureau décrit ainsi : « pla-
teau ondulé où se rencontrent quelques emplacements de
gravier, mais dont le sol est en général du sable ferme sur
du terrain argileux. » Ce pays est couvert d'arbres de petites
dimensions, avec un sous-bois de graminées. « Nous che-
minons dans une sorte de bois clairsemé, mais sans dis-
continuité et sans emplacements nus appréciables... On a
rimpression d'un taillis immense... La végétation, en tant
que graminées, est très luxuriante et touffue. » La faune est
abondante et variée : girafes, antilopes, gazelles, autruches,
traces de lions, et, comme oiseaux, des pigeons, des merles, des
alouettes, perdrix, cailles, etc. Le sol parait fertile, tout au
aïoins dans les dépressions; on y trouve du mil qui pousse
sans culture : « Tout le long du sentier, du mil mûrit ses
panicules élevées, plantes provenant de grains tombés des
:harges de caravanes antérieures sans doute. » Dans la
leuxième partie du trajet, les arbres deviennent fort beaux,
les graminées hautes. « En résumé, toute cette région du
Fagama, que nous venons de traverser, est une immense forêt
)u mieux un hallier ininterrompu composé de petits arbres,
rlairseoiés en général, mais en somme on a Timpression d*un
11) Voy. la dernière carte du premier volume de Barth et la première carte du
second voluine, où se trouvent les annotations que nous rapportons.
«76 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMIiNS DE FER TRANSSAnARlD=
taillis sans limite, dont le sol est de terre argileuse recoti
verte, en nombre de points, qui font du reste la majeu:?
partie de sa surface, par une mince couche de gros sable:.
de reg fin de quartz. Le Tagama nourrit une immeiiK
quantité de gibier, poil et plume (1). >
Notez que le Tagama, où se trouvent cette abondances
cette diversité de vie, animale et végétale, où des grains:?
mil tombés des sacs d'une caravane lèvent sans aucui'
culture et « mûrissent des panicules élevées », est cUsï»
géographiquement comme une partie du Sahara et que, in-
conséquent, l'imagination se représente cette contrée comnf
une uniforme étendue de sable mouvant, vouée à leternel!'
stérilité.
Le Damergou, qui suit le Tagama, est une sorte de marcU
entre le Sahara et le Soudan ; mais nombre de géographes
le placeraient encore dans la première de ces régions. On a
vu le tableau favorable qu'en faisait Barth; voyons mainle
nant celui qu'en trace M. Foureau. Il n'en a traversé que b
partie occidentale, c'est-à-dire qu'il ne l'a qu'effleuré, lui-
même le déclare, la partie la plus importante de ce pays,
celle où se rencontrent surtout les populations exclusive-
ment sédentaires et agricoles, se trouvant à Test du traco
qu'il a suivi. Mais ce qu'il a vu est tout en faveur des lieui
et des habitants : « Dans le Damergou, l'horizon s'élargit
on aperçoit au loin des collines et môme de petites chaîna
basses, rocheuses. Nous entrons dans des cultures de mil
que nous n'allons plus quitter jusqu'au campement, tei
plantations, dont le grain est récolté, mais dont les tig*^
restent debout, sont faites en ligne droite et demandent n^
main-d'œuvre relativement considérable, ce qui permet i^
supposer que la population de celte région est assez dense
La campagne est riante et semble une plaine cultivée ce
France (2). » Elle garde cet aspect jusqu'à Zinder, ville qi-
appartient vraiment au Soudan : « Il est très important ii
(1) Mission saharienne, pages 473, 475, 476. 477, 478, 480, 482. 484, 485.
{2)Ibid., page 486.
DARTH ET FOUREAU : LE DAMERGOU, CONTRÉE CULTIVÉE. 277
d'avoir un guide, altendu que dans ces cultures les sentiers
sont fort nombreux ; ils se croisent, se côtoient et s'entre-
coupent de telle sorte qu'on s'égarerait facilement. » Aux
vastes cultures de mil, se joignent des cultures de colon,
d'une étendue restreinte, mais très fréquentes, ce qui a une
importance considérable comme preuve que cette plante
précieuse est bien acclimatée au pays. Les villages se suc-
cèdent à de courts intervalles, ou se groupent par deux
ou trois, gros et peuplés. Les huttes en paille tressée et
d'une forme pittoresque sont souvent « couvertes de diverses
cucurbilacées, courges ou pastèques, qui les tapissent entiè-
rement d'un manteau de verdure d'un pittoresque et char-
mant effet ». La végétation arborescente se joint parfois
avec splendeur et s'entremêle aux cultures diverses. « Nous
sommes dans une belle vallée, dont tout le terrain est cou-
vert de plantations de mil, où surgissent çà et là des juju-
biers énormes et sous l'ombre desquels /?/«5 de cent chevaux
(c'est M. Foureau qui souligne ces mots) pourraient tenir à
Taise. En dessous du village, s'étend un grand enclos com-
posé d'une multitude de petits jardins extrêmement bien
entretenus. Les planches de semis sont parfaitement droites;
les canaux d'arrosage reliés aux puits sont très soignés;
chaque jardinet est entouré d'une haie en branches sèches de
korna ou d'une haie vive de plantes du pays. Les indigènes
fument parfaitement ces jardins et j'y trouve des tas de fumier
parfaitement relevés en attendant le moment del'épandage. »
Et ce n'est pas un village exceptionnel qui offre ces cultures
soignées, c'est tous : « Les villages sont très peuplés et
les habitants paraissent industrieux et travailleurs ;... tous
les villages, en principe, s'élèvent auprès d'une mare et
possèdent de petits jardins plantés de cotonniers. » Ils ont
de grands troupeaux de bœufs et de moutons ; « tous leurs
animaux sont en très bon état ». Les habitants se montrent
très accueillants : « Tous les gens des villages environnants
sont affables et nous vendent des moutons et du mil dont
nous avons besoin; ils apportent des volailles, des fro-
278 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHàRIE:^5.
mages secs, un peu de lait, des pastèques, des potirons, o\
a offert aussi quelques œufs d'aufruche frais. » On se cnji-
rait vraiment dans TÂrcadie des poètes; la musique elle?
aubades, « tambours, clarinettes et trouvères » n'y mai-
quent pas. Ces gens du Damergou ne sont pas des Touareg;
ils appartiennent, d'après M. Foureau, € à une race auto-
chtone, mais qui s'est fortement hybridée depuis des siècle-
avec des races provenant d'ailleurs. Bien que noirs, il en t<\
peu qui aient les caractères du nègre; beaucoup, au cou-
traire, présentent de beaux profils. En général leur air e^:
aimable, leurs yeux très doux (1). »
Les observations de M. Foureau ne démentent ainsi aucu |
nement celles, si favorables, de Barlh; et, cependant, It i
Damergou, terre complètement française, d'après les traites. |
ne l'oublions pas, est le pays où vient expirer le Sahara elque |
nombre de gens, même instruits, confondent avec le désert. ^
Pour achever la physionomie de ces contrées au sud Je ,
l'Aïr, disons qu'on y traverse des affleurements de rocbe?
ferrugineuses (2), ce qui n'a d'importance que comme indice
qu'il peut se rencontrer dans ces immenses régions des '
gisements de métaux divers, car les minerais de fer on( j
trop peu de valeur pour qu'on puisse les transporter à des 1
milliers de kilomètres; mais de riches minerais de cuivre, I
aussi de zinc et de plomb argentifère, si la dose d'argent} !
était assez forte, pourraient supporter ce transport; or, lou^ j
témoigne, d'après les observations de Barlh citées plus hau( i
(page 273) et d'après le grand usage que l'on fait du cuivre |
à Zinder, qu'il doit se trouver dans cette région d'impoi- i
tants gisements de ce dernier métal. j
A Zinder, nous entrons dans le Soudan; avant d'y pém* i
trer, il faut encore recourir à d'autres témoignages, pour
rendre tout à fait certaine et accentuée la vraie physionc- j
mie du Sahara, si différente de celle que la légende prèle à
celte immensité.
(1) Mission *a/ta Tienne, pages 480 à 41)9.
(2) Ibid., page 48o.
BARTfl ET FOUREAU : LE DAMERGOU, CONTRÉE CULTIVÉE. 279
Un aulre témoignage important est fourni, d'abord, par le
commandant Reibell, qui fit partie de la mission Foureau-
Lamy comme sous-chef de l'escorte et qui, en étant devenu
le chef, à la mort de Lamy, en a rendu compte, tant dans
jn rapport officiel, que dans sa correspondance privée.
Nous avons déjà emprunté à son rapport d'ensemble une
phrase décisive où il dit que jamais le mouvement en avant
de la mission ne fut enrayé par les obstacles du désert et que
c est à « la sourde obstruction et au fanatisme des Touareg
de TAïr », que furent dus ses retards et ses angoisses, « dans
un pays relativement facile (1) ». Ces derniers mots se rap-
portent à TAïr.
Le commandant Reibell a inséré, dans le livre qu'il a pu-
blié sur le commandant Lamy, et dont nous avons donné
plus haut de nombreux extraits, une longue lettre que lui-
même adressa, de la « vallée d'Ifeinaran (la première vallée de
l'Aïr) », le 14 février 1899, au capitaine Thévenin, détaché à
l'École supérieure de guerre à Paris. Cette lettre très étendue
et où le commandant, alors capitaine, Reibell résume toute
la première, la plus longue et de beaucoup la plus impor-
tante partie du voyage de la mission, traduit en termes fa-
miliers et spontanés les impressions de cet officier distingué :
« Le point d'où je t'écris, dit le capitaine Reibell, est situé
à 40 kilomètres au sud de ce Bir Asiou, écrit en si grosses
lettres sur les meilleures cartes qu'on serait porté à lui ac-
corder une grande importance ; » et il déclare que « les puits
d' Asiou qui étaient autrefois fort nombreux et abondants —
on prétend qu'il en existait plus de cent — sont aujour-
d'hui taris, ensablés ou disparus.... Le point d'eau qui a
remplacé Asiou, écrit-il à son ami, celui auprès duquel nous
avons campé plusieurs jours, se nomme In-Azaoua. Il s'y
trouve un puits de 7 mètres en profondeur, donnant une
eau excellente, en abondance. Il est situé à plus de
1800 kilomètres du point de départ de nos étapes, Biskra.
(il Voy. plus haut, page 259, et Mission saharienne, page 806.
280 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAnARlE>;
Nous avons franchi celle énorme distance en cinq boûds
principaux, correspondant chacun à une région d'un aspecl
différent (1). »
On remarquera, dans ce passage, d'abord que le capitaine
Reibell fait commencer TAïr à 40 kilomètres au-dessous
d'Asiou, ce qui est prématuré et parafl indiquer que le pa\s
lui semble assez bien doué ; ensuite le témoignage très favo-
rable qu'il porte sur le point d'eau d*In-Azaoua. Voici les
cinq bonds dont il est question dans celte lettre du capilaioe:
le premier, de Biskra à Ouargla, de 400 kilomèlrcs environ,
concerne une conirée très connue : « des ressources abon-
dantes, dil-il, une région peuplée et productive, une coloni-
sation florissante, elc. » Le second bond est ainsi décrit :
« Un nouveau bond nous transporte à la zaouîa de
Timassanine. Ce sont encore 480 kilomètres franchis
à travers le Grand Erg qui oppose, à la lisière de notre
Sahara algérien, la barrière de ses sables mouvants. Les
points d'eau y sont nombreux, et la boisson qu'ils fournissent
en abondance, meilleure que dans TOued-Rhir; c'est la ré-
gion des bons pâturages qu'entretient, au fond des cuvettes
profondes qui se creusententre les dunes, l'humidité du sous-
sol; c'est TEden des gazelles et des antilopes. » L'obstacle
des sables mouvants, qui sont du reste plutôt exceptionnels,
est presque insignifiant pour un chemin de fer, on la vu
plus haut (pages 99 à 101, et 238), grâce aux gassis ou larges
couloirs de terrain ferme entre les dunes; et l'ingénieur Bé-
ringer a constaté qu'une voie terrée dans cette région pourrai!
s'établira très peu de frais (Voy. plus haut, pages 135 à 140).
« Un troisième bond et nous abordons, dit le capitaine Rei-
bell, les marches louareg. Encore une chaîne de dunes,
venant s'appuyer aux contreforts du Tassili des Azdger, de
Timassanine à Tébalbalet; puis le pied de la berge seplen-
tiionale de ce haut plateau que nous longeons jusqu'à Aïn-
El-Hadjadj. Là, l'inconnu commence. Nous prenons le lau-
(i) Le Commandant Lamy, d'après sa correspondance et ses souvenirs decam-
pigne» par le commandant Reibell. page 538.
LE SAHARA. — TÉMOIGNAGE DU CAPITAINE REIBELL. 281
rcau par les cornes; nous montons à Tassant du Tassili.
Des jours sans eau, sans bois, sans pâturages, pendant
lesquels nos chameaux gravissent un par un les sen-
tiers pierreux, portant, en plus de leur charge, leur ration
de fourrage et leur approvisionnement de bois... A Tikham-
mar, nous sommes à 320 kilomètres de Timassanine, au
cœur du pays des Azdger. On s'y repose quelques jours au-
près d'un puits d'eau peu abondant et à proximité d'un maigre
pûlurage. » Flatlers d'abord, dans la correspondance qui
nous est parvenue de sa deuxième mission (Voy. plus haut,
pages 195 à 201), le capitaine Pein ensuite, comme on le verra
plus loin, ont démontré qu'il n'y a aucune utilité à « mon-
ter à l'assaut du Tassili » et qu'il est beaucoup plus simple
(le le tourner par Amguid et la sebkha d'Amadghor. Mais
môme voulût-on suivre ce morceau de route de la mission
Foureau-Lamy, il ne représente qu'un court passage de l'en-
semble du tracé; car s'il y a, comme le dit le capitaine Rei-
bell, 320 kilomètres de Timassanine à Tikhammar, plus des
trois cinquièmes de cette dislance, jusqu'à Aïn-El-Hadjadj,
sont relativement aisés, de sorte que la partie difficile ne re-
présente guère que 130 kilomètres. En outre, la mission
Foureau-Lamy ne s'est jamais élevée à 1400 mètres d'al-
titude, et Aïn-El-lIadjadj est h la cote de 470 mètres, de sorte
que la hauteur gravie dans ce mauvais passage n'atteint pas
900 mètres, qui pourraient représenter une pente moyenne
de 7 à 8 millimètres par mètre, en supposant encore qu'il ne
se trouve pas sur cette route de seuil moins élevé.
Voici maintenant le quatrième bond, pour nous sei-vir de
l'expression du capitaine Reibell; en quittant Tikhammar :
« Nous repartons, dit-il, pour gagner dans la direction de
l'est-sud-est la route des caravanes de Rhat à l'Aïr. La
région par courue pendant celte période porte le nom d' Ahenef .
Elle caractérise le pays des Touareg de l'est. Une série de
larges vallées recouvertes d'une rare végétation, séparées par
des colonnes de granit de formes abruptes aux silhouettes
bizarrement déchiquetées. On franchit le seuil presque insen-
28â LE SAD\RA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAEARIESi
sible qui marque la limite du bassin méditerranéen et du
bassin central africain. Les montagnes s'élèvent, les val
lées se creusent et se resserrent. On passe de la léte de Tune
dans l'autre par des défilés difficiles et étroits; puis l'o:
tombe dans une dépression plus vaste formant le pendaDt
géologique de l'oued Igharghar, et qui, sous le nom de
Tafessasset, se dirige vers le sud. Nous venons camper
auprès des puits voisins de Tadcnt et de Tahabirt» non loin
de la route du Rhat au Soudan, où nous retrouverons de>
itinéraires déjà parcourus par Barth en 1850, par Erwin de
Bary en 1877. »
Ce quatrième bond ne présente ainsi que quelques difTi-
cullés pour passer d'une vallée dans une autre ; les vallées
sont dites larges, au moins pendant toute la première partie
du tracé, et l'on arrive ensuite à une très longue dépression,
puisque le capitaine Reibell la compare à l'oued Igharghar.
qui a plus de 500 kilomètres de longueur. Ce qui est surtout
à noter dans cette description rapide, c'est que, entre le
bassin méditerranéen et le bassin centre africain, on franchit
un « seuil presque insensible ». Quant à la végétation rare,
il ne faut pas oublier que c'est en décembre et janvier, par
un froid qui descend la nuit à 6 ou 8° au-dessous de zéro
(Voy. plus haut, pages 252 et 253), que la mission Fouerau-
Lamy a traversé cette partie du Sahara central ; la végétation
serait rare en tout pays à celte époque, ce qui n'a pas empêché,
d'après le récit du commandant Lamy (Voy. plus haul.
pages 213 et 214), la mission de récolter en quelques jours
90000 kilos de fourrage dans une localité de cette région.
Reste le cinquième bond à partir de Tadent ; c'est la tra-
versée duTanezrouft, qui ne paraît pas présenter de grandes
difficultés de marche, mais qui n'offre guère de ressources,
en hiver surtout (et il s'agissait du mois de janvier) pour la
nourriture des animaux et des hommes : « Nous en partî-
mes (de Tadcnt), dit le capitaine Reibell, le 27 janvier, pour
entreprendre la dernière partie de notre voyage jusqu'ici,
celle qui, à travers la région la plus désolée du désert, devait
LE SAHARA. — TÉMOIGNAGE DU CAPITAINE REIBBLL. 283
lous amener aux confins du pays d'Aïr, cette avancée du
Soudan, fertile et tropical, vers le Sahara touareg. Nous
3vons parcouru une distance de 274 kilomètres en sept
Hapes, dont trois de 46 et une de 47 kilomètres d'une seule
Iraite, à travers le Tanezrouft, cette bande de terrain d'une
aridité absolue, redoutée des indigènes eux-mêmes... Le
Tanezrouft n'offre aucun vestige de végétation; pas la
moindre touffe d'herbe, pas le plus petit arbrisseau ; c'est la
v(^ritable barrière qui s'oppose aux migrations du nord au
midi, dans cette partie de l'Afrique. Il s'étend sur une lar-
geur de 200 à 300 kilomètres et forme une bande ininter-
rompue, depuis l'océan Atlantique jusqu'au Nil. »
Après avoir traversé le Tanezrouft, on arrive à Asiou,
dont « les cent puits > sont aujourd'hui < taris, ensablés ou
disparus », sans doute suceptibles d'être revivifiés avec quel-
ques soins, puis à In-Azaoua, ofi l'eau est < excellente et
abondante » (Voy. plus haut, page 279); enfin, après 30 kilo-
mètres dans la direction du sud, on rencontre « la vallée
dlfeinaran, riche en herbages. C'est la première des vallées
du pays d'Aïr (1) », dit le capitaine Reibell, qui étend ainsi
TAïr plus au nord qu'on ne le fait généralement.
Nous avons tenu à reproduire les principaux extraits de
cette correspondance familière d'un jeune officier avec un
camarade ; il est naturel que les difficultés de la route n'y
soient point atténuées ; cependant, à tout prendre et pour qui
sait observer, le témoignage est favorable. Le capitaine Rei-
bell dit le plus grand bien de toute la première partie, jus-
qu'à Timassanine tout au moins ; plus loin, les difficultés
qu'il narre et qui, d'ailleurs, n'apparaissent nullement comme
bien redoutables, s'appliquent à deux passages, l'un de 120
ou 130 kilomètres environ, le Tassili, de Aïn-Hl-Hadjadj à
Tikhammar, tracé d'ailleurs parfaitement évitable, l'autre de
-74 kilomètres, le Tanezrouft, offrant peu de ressources en
végétation et en eau; il faut toujours se rappeler qu'on est en
{^] Le Commandant Lamy, d'apt^ès sa correspondance et ses souvenirs de cam-
Pf^gne, par le commandant Reibell, pages 538 à 545.
284 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TBANSSAHABIEV
janvier et que les nomades ne font pas de puits à quelqy
profondeur et qu^ils entretiennent même très mcdiocreraa;
les puits superficiels qui existent. Celte absence d'eau clà:
végétation n'est, en outre, pas absolue. 11 s agit là dcif
vaste Crau, semble-t-il. Mais, outre qu'on pourrait l'am-
liorer, comme on a amélioré la Crau elle-même, qu'es! ce
qu'une bande de terrain aride de 274 kilomètres à Iraversc.
en sol d'ailleurs ^peu mouvementé? L'ossature centrale ui
Sahara, l'épine dorsale de cetle immensité n'offre àoix
aucun obstacle considérable, rien qui se rapproche, pr
exemple, des montagnes Rocheuses. Le relief est des plus
modiques, puisque le seuil n'atteint pas 1 400 mètres.
Quant à la seconde partie de la route, depuis Asiou ou
In-Azaoua jusqu'à Zinder au Soudan, on a vu combien elle
offre peu de difficultés et quelles ressources elle présente
en pâturages, en cultures même et en eau. Il est utile ici,
comme surcroît d'information, d'analyser le journal méléon>
logique de Bartli, pendant toute sa traversée de cette partiedu
désert, qui est à peu près commune avec la seconde secliof.
du voyage de la mission Foureau-Lamy. On y verra le détail
des pluies qu'enregistra le célèbre voyageur allemand. Cesl
le 12 août 1850 que, au-dessous du 23* degré de latitude,
environ deux degrés et demi plus au nord qu'Asiou,
après traversé le Fezzan et l'Anahef, il atteint Issala, po'wl
de jonction et de rapprochement de son itinéraire avec le
tracé de la mission Foureau ; c'est, d'autre part, le 13 jan-
vier 1851 qu'il entre dans le Soudan aux environs de Tes-
saoua, un peu à l'ouest de Zinder. Dépouillons les Bruch-
stucke eines meleorologischen Tagebuches (Morceaux d'ufi
journal météorologique) de Barth. Le 15 août, violente pluie,
accompagnée de tonnerre lointain (ein hefliger, von enlfern-
Icm Donner begleileler Begenschauer); le 16 août, violent
ouragan et forte pluie {ein hefliger Orkan^ von starken Bc-
genguss gefolgt) ; le 31 août, à 3 heures de l'après-midi,
orage avec petite pluie, durant une heure environ, mais
plus au sud pluie très violente; pendant la nuit pluie abon-
LE SAHARA MÉRIDIONAL. OBSERVATIONS DE BARTH : LES PLUIES. 285
danle {Um 3 Uhr Nachmittag, Gewillerslarm mil wenig
fiegen, elwa 1 Stunde lang wahrend, mehr sùdlich aber sehr
hefliger Begen. Wàhrend der Nachl mehr Regen), l'*" sep-
tembre, pluie loule la matinée {Begen wàhrend des ganzen
Morgens). 4 septembre : le matin, pluie violente, qui dure
environ deux heures [A m Morgen ein hefliger Begen, der
elwa 2 Slunden dauerte). 5 septembre, l'après-midi une
forte tornade, suivie de 2 heures à 4 heures par une pluie
continue (A m Nachmillag ein slarker Tornado welchem
um 2 Uhr ein bis 4 Uhr anhaltender Begen folgle). Le
6 septembre, l'après-midi, tornade et pluie jusqu'au soir
{\achmiltags ein Tornado und Begen bis zum Abend). Le
7 .septembre, le journal remarque que toute la journée le ciel
a été pur et qu'il n'y pas eu de pluie [der Himmel den ganzen
Tag rein, kein Begen). Le 8 septembre, l'après-midi, très
vif ouragan du sud-sud-ouesl; forte pluie de 4 heures de
l'après-midi à 8 heures du soir {A m Nachmillag ein aùssersl
hefliger S.-S.-W. Orkan; slarker Begen von 4 Uhr Nachm.
bis 10 Uhr Ab.); le 9 septembre, l'après-midi, orage du nord-
ouest; il nous atteignit vers 3 heures du sud-sud-ouest avec
une forte pluie durant jusqu'à 7 heures {Nachmillags ein
Slurm von N.-W.; er erreichle uns um 3 Uhr von S.'S,-W.
mil slarkem, bis 7 Uhr anhallendem Begen). Le 10 :
orage tout autour de nous, chez nous pas de pluie {Slurm
rund um uns her; bei uns kein Begen). Le 11 septembre, le
journal note simplement : pas de pluie {Kein Begen); le 12,
l'après-midi, ouragan avec pluie {Nachmillags ein Orkan mit
Begen) ; le 13, l'après-midi, orage sans pluie {Nachmillags
ein Slurm ohne Begen); le 14, le 15 et le 16, le journal porte
cette note sommaire : pas de mauvais temps {Kein Gewiller),
et le 17 et le 18, cette autre note également succincte : beau
lemi^s {Schônes Weller); le 19, à 2 heures de l'après-midi,
orage du sud-sud-ouest et du nord-nord-ouest ; seulement
un peu de pluie à 3 heures de l'après-midi {Um S Uhr
Nachm. ein Slurm von S.-S.-W., und N.-N.-O.; nur
wenig Begen um 3 Uhr Nachm.). Le 20, à 1 heure, orage;
286 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES GBEMINS DE FER TRANSSAHARIE5S.
à 2 heures, pluie violente {Nackm, i Uhr Slurm, um S Uhr
hefliger Begen); le 21 et le 22, pas de mauvais temps bi
d^orage {Kein Gewilterslurm). Le 23, à 2 heures de Tapri^
midi, violent orage, mais sans pluie {Um S Uhr Nachm. hef-
liger Sturm, aber ohne Begen). Le 24 septembre, raprès-midi,
5 2 heures, un violent vent d'orage, accompagné d'une forte
pluie, abat nos tentes {Nachm. S Uhr riss ein hefliger, ron
slarkem Begen begleileler Slurmwind unsere Zelte nieder). Le
25, le 26, le 27, le journal météorologique note sim-
plement : pas d'orage (Kein Sturm). Le 28, raprès-midi, à
2 heures, violent orage, avec seulement quelques gouttes de
pluie (Nackm. 2 Uhr ein hefliger Tornado mit nur wenigen
Begenlropfen). Du 29 septembre au 6 octobre, le journal
n'enregistre plus de pluie, et le 7 octobre il contient ceKc
mention : Il tombe la dernière pluie pour cette saison ; elle
s'effectua peu avant midi et dura une demi-heure (Es fiel
der lezte Begen fiïr dièse Begenzeil; er kam kurz oor Mil-
lag and hiell i/S Slande an).
Ce relevé du journal de Barth du 12 août au 7 octobre 1850
est absolument décisif : sur les 57 jours de cette période, il
y a 17 jours de pluie, dont 13 jours du 15 août au 20 sep-
tembre; et ce ne sont pas de petites pluies, mais souvent
de très grosses et longues averses et qui durent des heures
entières : les mots « forte pluie, violente pluie, pluie continue»
(slarker Begeny hefliger Begen, anhaltender Begen) revien-
nent fréquemment(l ).Ce sontlà les pluies tropicales qui se pré-
sentent à peu près vers les mêmes heures chaque jour l'après-
midi : et, en effet, à Issala qu'il atteignait le 12 août, jusqu'à
Tintellust, dans le nord deTAïr, où il se trouvait en octobre,
Barth était sous les tropiques, le tropique du Cancer étaol
un degré environ au nord dissala, vers le 23** degré et demi.
La plus grande partie de ces pluies est tombée sur le Tanez-
rouft et dans la région qui s'étend au nord de l'Aîr. II est
donc non seulement probable, mais certain, qu'une région
(1| Reisen und Entdeckungen in Nord und Central Afrika von D' Heinmh
BarUi, 1. 1•^ pages 632 à 638.
LE SADARA MÉRIDIONAL. OBSERVATIONS DE BARTH .' LES PLUIES. 287
aussi arrosée doit contenir des rivières souterraines que des
recherches méthodiques mettraient à jour et dont l'emploi
atténuerait notablement la désolation du Tanezroufl (Voy.
plus haut, page 283).
La saison des pluies tropicales une fois passée, le journal
météorologique de Barth reste jusqu'au 6 janvier, sansindi-
(|uer de pluies nouvelles ; il en note de légères le 6 et le 7 jan-
vier ; puis ses observations météorologiques sont suspen-
dues; il est au Soudan et en mai, encore plus en juin et en
juillet, une autre saison de pluies se fait sentir (1).
Barth n'a pas mesuré, comme a pu le faire la première
mission Flattcrs (Voy. plus haut, pages 107 et 108), le cube
des pluies qu'il a reçues ; mais il paraît bien probable que
celles des mois d'août à octobre, s'étant étendues sur dix-
sept jours, et le plus grand nombre en ayant été caractérisées
comme fortes et prolongées parfois pendant plusieurs
heures, jusqu'à six heures consécutives, la totalité de cette
chute d'eau doit bien atteindre une vingtaine de centimètres
cl, avec les pluies du printemps, moindres sans doute, mais
oQcore importantes, une trentaine de centimètres. C'est à peu
près ce qui tombe d'eau annuellement en Tunisie aux envi-
rons de Sfax (274 millimètres), où il se fait beaucoup de cul-
tures en dehors de toute irrigation (2). On peut penser que
beaucoup de fonds de vallées du Sahara, surtout du Sahara
au voisinage et au-dessous du tropique, pourraient être cul-
tivés, même sans être irrigués, et en nombre de cas quelque
irrigation serait possible.
Barth a fait son voyage de retour, de la région du Tchad
en Tripolitaine, par une route plus orientale, quatre ans plus
tard, en 1855, et dans une autre saison, à savoir au prin-
temps, en mai et juin. Par des raisons de sécurité person-
nelle, obligé, voyageant comme Arabe, de ne pas se signaler
à l'attention de ses compagnons de route, il n'a pu tenir un
(1) Barth's Reisen und Entdeckungen, etc., t. II, pages 7o6 à 762.
12) Sur la chute d'eau annuelle dans le centre et le sud tunisiens, voy. notre
ouvrage : L'Algérie et la Tunisie {2* édition, Guillaumin), pages 346 à 348, et aussi
l'ouvrage officiel : La Tunisie française, tome l«r, pages 133 à lUl, notamment 137.
288 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRAN^ADAlil
journal mélcorologiquc aussi complet que dans son vovi
d'aller ; néanmoins, il donne des indications précieuses.
11 revient de Ngégimi ou Nguigmi, située presque à
pointe septentrionale du lac Tchad (Voy. plus loin, page ''^'^
presque directement sur Mourzouk et Tripoli par les oasiî
de Kaouar ou Bilma et de Sigedine, se tenant à envi: :
quatre degrés de longitude plus à Test que son tracé dalle:.
Il note plusieurs jours de pluie, notamment, sur la ca:r
môme, à Bilma. Relevons dans son récit de cette secor-
traversée saharienne quelques traits, qui achèverool j
physionomie du pays.
A une étape au nord du Tchad, le 24 mai 1855, à Kibo. î
note un beau fond de vallée couvert de feuillage (scAone !:•
laubte Thalsenkung) ; il dit que les formations de valléessoil
pleines d'animaux sauvages (dièse Thalbildungen sind l'j.
wilder Thiere), ce qui suppose aussi d'autres animaux pi. ^
paisibles servant à ceux-ci de proie. Quelques jours pb
loin il note une belle région de collines qui se prête aupiUi
rage des chameaux et des moutons, mais qui, à cause J^
la situation présente désolée du pays, est inhabitée. Cestd^
Tinsécurité, produite par les pillards du désert, que se plaiol
ici, comme en maint endroit de son ouvrage, Barlh. Ce?
contrées, autour du malheureux et déchiré Kaneni, so:..
parmi les moins sûres : iiberhaupt gehôrl dièse Slâlle me:
dent unglucklichen, zerrissencn Kanem zix den unsickv'
sien (1); après une nouvelle étape, on atteint une aulrt
dépression couverte de beaux arbres et de fourrages uli!>
en abondance {in einer von schônem Baamwuchse umgeh'
nen Einscnkung, die ausser Had, jenen wohlbekannlr
vorlrefflichen Kanieelf aller ^ auch eine grosse Menge Pfrir
menUraiil-relem hervorbringl). Le 28 mai, Barth fait cdi-
remarque de la plus haute importance: c Quand l'auk
parut, je fis cette très intéressante remarque que toutleloc:
de cette étendue désertique une quantité notable de pluJt
(1) Barth's Reisen und Entdeckuîigeii, etc., t. V, pages 412, 413, aussi ilO
passim.
LE SAHAR/V MÉRIDIONAL. BARTH ! l/iNSÉCURITÉ, BEAUX ARBRES. 289
élaiL tombée et que, grâce à elle, le sol était couvert de had
et de ssebot » (loie die Morgendiemmerung anbrachy machle
ich die sehr intéressante Bemerkung, dass làngs dièses ganzen
Wùslenslriches eine ansehnliche Menge Regen gefallen and
in Folge dessen der Boden mit Had and Ssebod bedeckt
war) (1). Ces deux plantes sont des fourrages, la première
surtout, déclarés par Barlh excellents {vorlrefjlich) pour les
chameaux.
Voilà une constalation capitale, d'autant qu'elle va être con-
Ormée plus loin. Il y a, en outre de la grande saison des
pluies d*automne, une saison des pluies de printemps dans
le Sahara tropical. 11 ne s'agit pas ici de quelques averses.
Barth, qui n'emploie pas les mots au hasard, écrit : une
quantité considérable de pluie {eine ansehnliche Menge Regen)
et il ajoute qu'elle à dû tomber sur toute cette étendue
désertique.
Il note plus loin un beau groupe d'arbres dont Tessencc
nous échappe : « Peu après nous passâmes encore un beau
groupe d'arbres Ssimssim » (passirten wir noch eine schône
Grappe von Ssirnssim-Baiimen). Le 5 juin, à deux reprises,
vers midi d'abord, puis à 3 heures, la caravane reçoit des
averses. On est alors dans une partie très désolée du dé-
sert; néanmoins Barth note que les dépressions sont ornées
de palmiers doum isolés, ou encore de gommiers {liefe
Einsenkungen, mil vereinzelten Dumpalmen geschmiickl,., ;
einezweîle âhnliche (Einsenkang), aber anstalt der Dumpal-
men sicht man darin nur Talhabaiïme). Le 8 juin, Barlh fait
une remarque générale qui dissipe une fois de plus toute
l'absurde légende qui a cours au sujet du Sahara ; on
est en plein été et Barth parle de la chaleur comme forte,
mais il ajoute : t Le sol était ici tout autour encore
remarquablement humide à la suite d'une pluie tombée
la veille, ce qui fournit de nouveau une forte preuve de
l'inexactitude de l'opinion généralement répandue jusqu'ici
il) Barth's ReUen und Enldeckuuf/en, etc., t. V, pago iU.
19
290 LE SABARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSADARIE»
que toute celle étendue désertique n*est jamais fécoodire
par la pluie » (Der Boden war hier umher auffallenderaw
am uorigen Tage durch einen Regenguss befeuchlel ivordtr
ivas wieder einen starken Beweis von der Unrichligkeil èr
bis dahin allgemein geheglen Ansichl lieferle^ dass d'mtr
ganze Wiistensirich niemals von Regen befriichlei ivurde il-.
Ce passage est décisif; on remarquera notamment le mot
wieder (de nouveau); c'est une preuve réilérée de la faussiv
de la légende, ainsi que le dit Barth en termes des plus esph-
ciles. Les traces d antilopes [antilope bubalis) sont doid-
breusesdans celte région. On est là au-dessus dulS'defrt.
près du puils de San-Kura ; c'est un fond de vallée, super-
bement paré de « ssiwak », avec une abondante fontaine,
seulement quelques pieds au-dessous du sol, entourée de buis-
sons do palmiers {es war nsemlich eine mil ssiwak [capporif
sodala] slalllich geschmiïckle Thalebene mil reichhalUgen.vA
Palmgeslrupp unignrlelen, Brunnen {nur wenige Fuss unftr
der Ober/Iâche), Barlli entrait quelques jours après, It,
13 juin, à Bîïma vers le 19* degré, où il recevait encore delà
pluie (2).
Nous ne l'accompagnerons pas davantage dans son voyage
de retour. 11 est amplement prouvé par les extraits qui pré- 1
cèdent que, de môme qu'il y a une saison très accentuée de-
pluies dans le Sahara tropical à la fin de l'été et en automne.
de la mi-août à la mi-octobre, de même il s'en trouve une,
un peu plus atténuée peul-élre, mais très caractérisée encore.
au printemps, en mai et en juin.
(1) Barlli's Heisen tincl Enldeckungen^ etc., t. V, page 421.
(2) Id., ibid., page 427.
CHAPITRE XllI
UtRES témoignages récents SLR LE SaHARA. EXPLORA-
TIONS Cottenest; Guillo-Lohan; Requin; Besset; Pein.
— Le Hoggar et le Mouydir.
/'Xploration du lieutenant Cotlcncst au Hoggar au printemps de lUÛi. —
Pluies. — Grande facilité du terrain sur plus de 600 kilonu'tres au sud d'In-
salah. — Nouveau témoignage que la plus grande partie du Sahara pivsoute
un»* surface de reg ou de sol uni et consistant. — Troupeaux des Touareg :
rln'vres, moutojis, ânes.
îï|4oralion du lieutenant Guillo-Lohan au Hoggar en octobre 11)02 : « Pluies
t'irn'ntielles ot crues violentes d'oueds ». — Montagne de 3000 nirtres dans
!'• Ho'jgar. — Nombreux troupeaux. — Impression favorable que fait le pays.
iiiltédition du lieutenant Requin au Mouydir. — Abondance des pâturages,
<l<s bois et des eaux. — Pluies fin mai. — (Cultures abandonnées. — Nom-
hn-useseaux à la surface du sol. — Conclusions très favorables à cette contrée.
'A|iWation du lieutenant Besset dans la région d'Insalali, Amguid, le Mouydir
"•4) et Ifatessen. — Indications également 1res favorables, notamment au
l»»int de vue géologique. — Notes du professeur Flamand à ce sujet.
.«> missions diverses du capitaine Pein. — Territoires propices qu'il traverse,
- Eaux et cultures.
Araclrre uniformément favorable de toutes ces observations faites en des sai-
■*on.s différentes et sur des tracés divers.
u-î-ibilités pastorales, culturales et minérales du Sahara. — L'insécurité pro-
funilo et croissante, l'ignorance des méthodes de recherche et d'aménagement
'ies eaux et Tincuric sont, beaucoup plus que la nature, les causes de la déso-
lation He cette immense contrée.
Avant de pénétrer au Soudan, à la suite de Barlh, d'une
art, et de M. Foureau, de l'autre, il est bon d'achever par
Qelques traits la description du Sahara. Certes, outre les
^its pour le Sahara méridional du grand voyageur alle-
land Barth, ceux pour le Sahara septentrional et central,
lalysés plus haut, des deux missions Flatters, du comman-
intLamy et de M. Foureau apparaissent comme décisifs,
est bon de leur en joindre encore quelques autres tout
jcenls, ceux de divers officiers qui ont fait des pointes
Nies et heureuses dans des régions plus occidentales du
l^hara central, notamment le Hoggar et le Mouydir, puis
292 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAOAHir-
les témoignages d'un homme dont nous avons souvenl .;;
le nom et qui est sans rival pour Texploration du SaLa\
le capitaine Pein. Ces nouvelles dépositions, quoique l'i.
sieurs s^appliquent à une zone saharienne un peu diffère:
achèveront Timage réelle de cette immensité.
Quel que soit le tracé que suivent les explorateurs s.i:
riens ou transsahariens, ils trouvent, dans le désert, cr
taines places qui offrent des possibilités de développeme
en outre, l'on ne saurait trop le répéter, ils ne restent ;
deux mois sans recevoir de la pluie et presque sans en ê'n
incommodés. Nous allons en fournir de nouveaux loiii
gnages, s'appliquant à d'autres parties de celle immeos:'
le Sahara.
Le lieutenant Gottenest, adjoint de deuxième classe i
Tannexe d'Insalah, a fait au printemps de 1902, avec n^
petite troupe légère, un raid dans le Hoggar pour exiger •
Touareg de cette région qui s'étaient rendus coupables de qii*J
ques rapines une indemnité ou, en cas de refus, les châtier, m
excursion dura du 25 mars au 23 mai, un peu moins de «î'i^
mois. 11 lit à peu près le tour du massif du Hoggar. l.o
dacteur de Tarticie du Bullelin du Comité de V Afrique />'.i
çaise qui résume cette rapide et sommaire exploration ii
que les localités visitées, certaines portant des noms g*
graphiques célèbres, donnèrent quelques mécomptes. L
lieutenant Gottenest entra le 25 avril dans Idelès ; c»' r^'
serait, écrit le rédacteur A\x Bullelin^ qu'un groupe de « >e:<
ou huit maisons en argile (il veut sans doute dire en ton!
ou briques séchées au soleil), une quinzaine de zériba, c\-
à-dire d'enclos d'épines, une trentaine de palmiers et q:.'
ques cultures travaillées par une quinzaine de Ilarralin?^
(noirs) du Tidikelt ». Le 28 avril, le lieutenant Cotten >
arrive à Arrem-Tazorouk et le rédacteur du Bullelin enb^
aussi un portrait peu flatté : « Gentre un peu plus imporlv.l
qu'ldclès, mais encore bien misérable, avec une cinquantai:''
de maisons et quatre hectares de cultures irriguées. * II e^
clair que le lieutenant n'a pas mesuré ces quati-e hectares
LA MISSION GOTTENEST DANS LE nOGGAR. 293
et qu'il pouvait ne pas avoir Tœil exercé d'un agronome.
Suit toute une longue description d'un combat. A travers ce
rnit on glane les traits caractéristiques que l'auteur laisse
lansTombre. D'abord, le lieutenant Gottencst s'empara de
MO chèvres et de 53 ânes qu'il expédia à Insalah ; ce n'est
pas là une quantité médiocre, d'autant qu'il est peu à pré-
sumer qu'il eût pris tout le bétail du district. Mais voici deux
Irails bien plus importants : t Après ce succès (celui du
wmbat), écrit le rédacteur du Bulletin^ la marche de retour
fut rendue plus difficile par la nécessité de porter les dix
blessés qui furent pansés le soir du combat, sous une pluie
ballante et pour lesquels on eut quelque peine à construire
Jos litières. II fallut leur faire faire 600 kilomètres pour les
ramener à Insalah, et ce retour fut naturellement pour eux
jn calvaire. Cependant, celte route est singulièrement facile
\ la marche, et dès le 9 mai, à In-Amedjel, la mission trouva un
)elit convoi de ravitaillement envoyé parle chef de l'annexe
]'lnsalah... Ce poste fut atteint le 23 mai, après soixante-deux
purs d'absence (1 ) et un parcours de 1 686 kilomètres dans
jn pays encore entièrement hostile. »
Ainsi, le lieutenant Cottenest fait une excursion qui dure
i peine deux mois et, h 600 kilomètres au sud direct d'In-
ialah, il reçoit, lui et sa troupe, de la pluie battante, au
)oint d'en ôtre incommodé. Le second trait à relever
ians ce récit, c'est la facilité du terrain ; l'auteur du Bulletin
\ revient d'ailleurs : « Celte région, dit-il, présente en tout
:as un certain intérêt, celui d'être traversée par la meilleure
oulc du Tidikelt au Soudan. La reconnaissance a prouvé,
'U effet, que le chemin entre Arrem-Tit et Insalah est
Irangement facile, puisque partout il suit un reg (Voy. plus
laut, page 97) solide n'ayant que des pentes à peine sensibles.
) après un ancien caravanier du Tidikelt, celle piste est
mcoreplus facile au sud d'Arrem-Tit et dans la direction du
Soudan. La seule raison pour laquelle ce chemin aisé a été
'I' Ce n'est pas soixanto-doux jours, c'est soixante, puisque, (rapn-s le Bulle-
''i. 1«.' lieutenant Cottenest avait quitté Insalal» le if.'i mars.
294 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIEV
abandonné par les caravanes, pour des routes plus occiden-
tales, doit être cherchée dans les pillages perpétuels dc:^
Iloggar qui le rendaient impraticable (1). »
Ces observations témoignent, d'une part, en faveur des
pluies dans le Sahara; de Tautre, en faveur de la facilité di
terrain, ce qui vient encore à Tappui de nos remarques si
souvent faites, que l'immense majorité de la surface du
Sahara est constituée en reg ou gravier plat et consistant.
Les impressions du rédacteur de ce Bulletin^ au sujet de I?
reconnaissance du lieutenant Cottenest, étaient, toutefois, en
ce qui concerne le pays même du Hoggar et ses ressources
beaucoup trop pessimistes; dans les livraisons suivantes, le
Bulletin du Comité de l Afrique française a très nettement
corrigé ces appréciations fâcheuses qui tenaient plus du
parti pris que de l'observation : dans la livraison de sep-
tembre 1902, ce J5tt//efm rapporte que, en se portant au-devant
du lieutenant Cottenest, le commandant militaire des oasis
sahariennes fut amené à traverser le Mouydir par Arak,
Tadjemout et Toued d'El-Abiod : « Le chemin, dit-il, fut
généralement difficile ; mais par contre on y rencontra beau-
coup d'eau et aussi des pâturages, ce qui est chose fort
appréciable au Sahara. Cette richesse doit être sans doule
attribuableen grande partie à l'abondance relative des pluies
tombées cette année dans cette région. » Ainsi, comme nous
n'avons cessé de le faire remarquer, tous les voyageurs
sahariens, sur tous les tracés et en toutes les saisons, s-i
brèves que soient leurs excursions, subissent des pluies oa
rencontrent les traces manifestes de pluies récentes. Le
Bulletin du Comité de l'Afrique française (septembre 1902'
continue : « En tout cas, la reconnaissance y constata i^
présence fréquente de gazelles et d'animaux que Ton pril
tout d'abord pour des onagres, se fiant à une affirmation d^
Duveyrier {Touareg du Nord, page 225) qui avait signalé ce
solipède comme vivant à l'état sauvage en pays targui. L^
(1) Bulletin du Comité de l'Afrique française, août 1902, pages 307 à 31-.
EXPLORATION GUILLO-LOHAN DANS LE HOGGAR. 295
de ces animaux ayant été tué, on le trouva gras et dodu,
mais... caslré. Malgré ses jambes rayées, cet onagre n'était
qu'un âne. On appril, en effel, que les Touareg ont coutume
(le laisser en liberté leurs Anes domestiques quand ils ont
besoin de se refaire. En cet état, ils vivent par troupeaux de
quinze ou vingt. Il s*y produit parfois des naissances qui
viennent encore augmenter le nombre des animaux ainsi
rendus à la liberté. Les Touareg les reprennent dès qu'ils en
ont besoin (1). »
Ainsi, ces troupeaux des Touareg ne sont pas aussi négli-
geables que les gens à parti pris le prétendent; et, d'autre
part, leHoggar n'estpas une contrée si désolée que le faisaient
entendre certains narrateurs superficiels ; c'est ce qui ressort,
d'une façon très nette, des constatations faites par une
seconde reconnaissance en ce pays. Six mois après Texpé-
dilion du lieutenant Cottenest, il en fut fait une seconde,
ayant le môme but : châtier les Touareg. A la suite d'un vol
de cinquante chameaux, commis dansrOued-Bolha,à l'ouest
d'Insalah, par un rezzou de Touareg Hoggar, le lieutenant
Guillo-Lohan partit de ce poste le 1" octobre 1902 pour
poursuivre ces pillards. Suivons son équipée dans le Biil-
lelin du Comité de l Afrique française : « Le 20 octobre, le
lieutenant Guillo-Lohan se trouvait à In-Amguel aux pieds
delà Koudia qui est, comme on le sait, le nom réservé au
massif central du Iloggar. Il se préparait à tomber sur les
pillards qu'il avait jusqu'alors poursuivis sans les atteindre.
Mais, à son approche, les Touareg s'enfuirent dans toutes
les directions. De plus, des pluies torrentielles et des crues
violentes d'oueds vinrent le bloquer et le contraindre d'a-
journer ses projets; ceux qu'il poursuivait purent prendre
ainsi une forte avance sur lui (2). » Ainsi, des pluies, des
pluies non pas légères, mais qui font obstacle à la marche.
En mai 1902, le lieutenant Cottenest était gôné par « une
pluie battante » pour le transport de ses blessés (Voy. plus
(1) BulUlin du Comiléde V Afrique française, septembre 1902, pages 317 et 318.
(2) Id., février 1903, page 48.
296 LE SAUARA, LE SOUDAN ET LES GUEMINS DE FER TRANSSAHARlEKî
haut, page 293) ; en octobre de la même année, le lieulenaov
Guillo-Lohan est arrêté, « bloqué » même, dît le texte, pa'
« des pluies torrentielles et des crues violentes d'oueds •.
L'exploration du Hoggar, faite par le lieutenant Guillo-
Lohan, paraît, d'ailleurs, avoir été poussée plus à fonJ.
quoique sommaire encore, que celle dulieulenant Cotteoesl.
« Les résultats géographiques, dit le Bulletin du Comité (h
VAfrique française, en ont été considérables. Arrivé à
In-Amguel, le 20 octobre, par la route directe (avec des
variantes du chemin suivi par le lieutenant Coltenesli.
M. Guillo-Lohan est passé par les points d'Irhafok, Idclès,
Tazerouk, Tin-Tarabin, Aïloklane, Tarhahaout, Taman-
rasset. De ces différents villages, il a poussé quelque>
excursions vers Test. A Tamanrasset, il a changé de direc-
tion et est monté sur la Koudia qu'il a traversée du sud au
nord, puis il est redescendu sur In-Amguel où il était ce
retour dans les derniers jours de novembre. Il a exploré sur
la Koudia l'Illamane, sur lequel il a atteint une altitude de
3600 mètres en face d'une aiguille inaccessible de 4fl(Ja
500 mètres, ce qui permet d'attribuer au tout une hauteur
de 3000 mètres. On possédera donc désormais des donnécN
topographiques et orographiques précises sur cette région
du Hoggar et sur les voies qui y aboutissent. L'itinéraire
suivi ne se confond que sur quelques points avec celui de
Cottenest qu'il double et complète (1). »
Ainsi parle le Bulletin du Comité de F Afrique française:
c'est lui, et non pas nous, qui donne le nom de villages aux
sept localités citées plus haut; ce sont certainement des
groupes d'habitations fixes. Et quelles sont les impressions de
l'auteur de cette reconnaissance? Les voici : « De celle
exploration, dit le Bulletin, le lieutenant Guillo-Lohan a
rapporté aussi une abondance de faits, de nombreuses pho-
tographies, des échantillons géologiques, des observations
climatériqucs et ethniques. Le pays ne semble être ni aussi
(1) Bulletin du Comité de VAfrique française, février 1903, page 48.
EXPLORATION GUILLO-LOHAN AU HOGGAR : IMPRESSION FAVORABLE. 297
aride, ni aussi désert qu'on le supposait, puisqu'il y a ren-
contré quelques milliers de moulons, des bœufs, des cha-
meaux, et qu'il a pu visiter de petites agglomérations, entre
autres le groupe de villages dont Tit fait partie. Tous ceux
qui s'intéressent aux oasis sahariennes attendront avec impa-
tience des nouvelles plus complètes sur une reconnaissance
qui promet d'être des plus fructueuses de celles qui ont été
faites jusqu'à ce jour dans cette partie du Sahara algé-
rien (1). » Il s'agit bien, d'après cette description, d'un pays
qui présente des ressources ; si, au lieu d'être livré à des
pillards ignorants, il jouissait de la sécurité et que, tout
au moins pour le régime des eaux et une certaine direction
(les cultures ou de l'élevage, il profitât quelque peu des
données techniques de la civilisation contemporaine, il est
certain qu'on pourrait y réaliser des progrès appréciables.
Notons que le mot d'oas/^ est ici impropre ; ce terme ne
convient, en effet, qu'aux étendues cultivables strictement
limitées par l'irrigation artificielle, tandis que Ton peut
penser qu'on pourrait au Iloggar avoir, comme aux envi-
rons de Sfax, par exemple, en Tunisie, des cultures qui ne
seraient fécondées que par les pluies Tout témoigne que la
chute d'eau dans ce massif montagneux doit être au moins
égale, sinon supérieure, à celle du Sahel tunisien.
Cette môme réflexion s'applique à une contrée intermé-
diaire entre le Iloggar et le Tidikelt, à savoir le Mouydir. Il
CQ a déjà été question plus haut (voy. page 294) d'une façon
1res favorable; une autre exploration et des récits plus
détaillés viennent achever, d'une façon fort heureuse, la
physionomie de cette région. Du 16 mai au 15 juin 1902,
c'est-à-dire à la fin du printemps, le chef d'escadron Laper-
rine, commandant militaire des oasis, fit une reconnaissance
d'Insalah au Mouydir; le lieutenant Requin, du 1"^ régiment
de tirailleurs, qui en faisait partie, rédigea Jus notes de voyage
que le Bulletin du Comité de l'Afrique française (livraison
11) BuUetin du Comité de V Afrique française, livraison do février 11)03,
pages 48 et 49.
298 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES GHEBftNS DE FER TRANSSAHâRIB'
de décembre 1902) a publiées ; nous allons les résumer el
en reproduire quelques passages. La plus grande partie da
parcours se fait en reg, terrain plat de gravier, dont Tex-
plorateur distingue des variétés diverses : c plein reg uni.
sans un détail, qui, de loin ou de près, puisse distraire la
vue... ; le terrain est encore du reg, mais du reg mou...; re2
fin... ; reg gris... ; bon reg où Ton respire, où la montagne n*
vous écrase plus, où Ton a des vues. Ce sont d'abord, à
Touest, d'immenses tables horizontales qui paraissent élre
les assises du massif traversé (1) ». Ainsi se confirme une
fois encore que la majeure partie du sol du Sahara est du
reg ou terrain de gravier uni el en général solide, entre-
mêlé de quelques hamadas ou plateaux pierreux.
Le Mouydir, lui-même, est un massif montagneux : i)
abonde en pâturages, en bois et en eaux. Comparant l'oued
El-Botha qui traverse le désert de Test à l'ouest, 70 ou
80 kilomètres au sud d'insalah, au Mouydir qui se trouve
plus au sud, le lieutenant Requin écrit : c Lorsqu'un mois
plus lard, nous sommes rentrés du Mouydir, ses pûturai^rs
(de Toued El-Botha) de drin, de larfa, de bou-rekouba eldo
had avaient beaucoup souffert du soleil de juin. Peut-tMre
souffraient-ils plus encore de la comparaison tout indiqué*^
entre la sécheresse de la vallée du Botha et la fraîcheur des
oueds du Mouydir. •
Ainsi, 120 à 150 kilomètres et jusqu'au delà de 200 kilo-
mètres au sud dlnsalah, s'étend une contrée saharienne
qui, au mois de juin, offre de la « fraîcheur ». Ces vallées
du Mouydir ont des points d'eau de surface persistants,
môme dans les mois ou les années de sécheresse, c Au boni
même de l'oued, baignant son pied dans un joli rhédir
(mare, voy. plus haut, pages 112 el 113), l'Adrar Adjelhouk
est une gara rocheuse el noire constituée par des amas
de fossiles... La vallée de l'oued Ay Maamar, au sud
d'Adjelhouk, a de la végétation, du drin, d'assez joli had d
(1) Renselfjnements coloniaux et documen/s publiés par le Comité de l'Afriqtif
française. Supplément au Bulletin du Comité de décembre 1902, pages 171 et ITi.
L'EXPÉDITION REQUIN : LE MOUVOIR, VÉGÉTATION ET EAUX. 299
u bou-rekouba. Le chemin Tabandonne pour courir sur du
eg gris pendant trois heures. Par une brèche dans un escar-
teaicnt de roches noires, entre un tas de pierres et de
ombes, on descend dans une longue et large dépression où
a végétation arborescente et fourragère est très développée.
Ze maader s'étend jusqu'au llaci Ay Maamar. » Dans cette
lernière localité et aux environs d'un puits, « on remarque
le nombreux talhas (gommiers) »• On arrive à Toued Tira-
linine; cet oued, où Ton campe, « n*est pas très riche en
pi\turage, dit le lieutenant Requin. 11 y croît surtout le bou-
rekouba et le talha (gommier). Mais Ton y trouvait, le 22 mai,
de l'eau excellente à 50 centimètres de profondeur dans du
gravier fin. 11 est vrai que Toued avait récemment coulé et
que celle période d'humidité était à peine close, puisque, le
soir même, un orage crevait sur la région (1) ». Ainsi une
fois de plus se confirme ce phénomène, qu'il est si important
de constater, que tout explorateur du Sahara essuie des
orages et de la pluie : le lieutenant Requin, dans sa tournée
de trentejours, On mai et commencement de juin, au Mouydir,
l'éprouve, comme le lieutenant Guillo-Lohan en octobre
dans le Hoggar et le lieutenant Coltenest au milieu de mai
dans la même contrée.
Poursuivant sa route, le lieutenant Requin note près de
l'oued In-Tillet « un pâturage très vert » ; puis il arrive à
Toued Tadjemout qui « franchit la bordure occidentale (du
Mouydir) par une profonde trouée. Un grand rhédir (mare,
voy. plus haut, pages 1 1 2 et 1 13) la remplissait le 23 mai. Le lit
de Toued est couvert d'une très belle végétation arborescente
et fourragère. On y trouve en abondance bou-rekouba, drin,
talha (gommier), tarfa, hadh, iraa, quelques palmiers et
d'assez grands éthels (variété de tamarix). Au pied de
VAbelIa, crête rocheuse, haute de 200 mètres, longue de
2000 mètres, se trouve Aïn Tadjemout, puits alimenté par
une source. Deux palmiers en indiquentla place. Cette vallée
(1) Ibid., page 172.
300 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSADABIE-NJ.
élait autrefois habitée. On y relève les traces de jardins
clôturés par des branches, deux ou trois gourbis, autant li-
puits contenant de Teau dans un coffrage en bois. Mais cc>
traces datent d'au moins deux années, et ce fait est d'accord
avec le dire des indigènes. L'abandon daterait de roccupaliun
d'Insalah. La nouvelle de la prise d'In-Rhar aurait encore
précipité la fuite. Ainsi, les indigènes faisaient depuis lonir-
temps le vide en prévision de notre arrivée prochaine, dan^
une région sur laquelle nous n'avions hier encore que des
données bien vagues. »
Il paraît certain qu'une fois rassurés sur nos intention?,
sachant enfin qu'ils auront en nous, non des oppresseurs,
mais des protecteurs contre les pillards, les pasteurs el Ifs
cultivateurs reviendront dans un pays qui paraît se prêter
non seulement à l'élevage, mais à la culture. A quelques
heures de marche, depuis Tadjemout, on aborde des dislricls
tout à fait avenants : « Du pied de l'Erg Takaraft à la
cuvette de Tedjouldjoult, écrit le lieutenant Requin, l'ouc^!
Arak forme un large et long maadcr (dépression?) où toutes
les variétés de plantes sont représentées. Le Tedjouldjoult
est de tout lemaader Arak l'endroit le plus boisé. Son puits
était comblé le 26 mai, au passage de la reconnaissance.
L'eau a été retrouvée par 8 mètres de profondeur, mais un
éboulement de toutes les parois n'a permis d'en apprécier ni
la qualité ni le débit. Il existe d'ailleurs, à une heure de
marche, au pied du rocher Tahout, un rhédir (mare) iné-
puisable, alimenté par l'oued Arak. L'eau court dans h s
roseaux, et la présence d'assez gros poissons confirme le
dire des indigènes. » Jusqu'ici l'on n'est que sur la bordure
du Mouydir. La reconnaissance pénétra dans l'intérieur, par
la trouée de Tadjemout le 29 mai. On rencontre d'abord
l'oued Inguergaramen. « Cet oued est assez vert, mais il n'n
pas d'eau, non plus que Toued Tikerbatine que l'on coupe.
On trouve plusieurs rhédirs (mares) dans le lit du Tihou-
riren. » L'explorateur note ensuite : « La traversée d'une
sorte de prairie dans un bas-fond conduisant à l'oued Tifen-
1^'EXPÉDiTioN Requin: le mouydir, végétation et eaux. 301
ijadj L'oued a de l'eau de rhédirs (mares) et de très jolis
pâturages. Le bou-rekouba alleignait 2 mètres. Du sommet
l>lat d'une très haute montagne où Ton parvient le 31 mai, on
découvre la vallée de Toued Tifirin pleine de végétation et
ses très grands rhédirs (mares). Vers le confluent de Toued
Tin-Sellan, les pâturages forment une sorte de maader
dessiné par la montagne Inendhier, haute de 200 mètres. Il
existerait en tout temps, dans la coupure de Toued Tin-Sellan,
un rhédir (mare) inépuisable, dernière réserve d'eau pour les
années de sécheresse L'oued Tifirin reçoit encore les
oueds In-Zebouze et Tariabout. Sa vallée est une des plus
vastes et des plus fraîches du Mouydir (1). »
Ce qui frappe, dans cette description des tout derniers
jours de mai et du commencement de juin, c'est, outre cette
végétation, cette verdeur et cette fraîcheur, l'abondance des
vhédirs, eaux de surface, considérés comme permanents. Le
récit du lieutenant Requin y revient à chaque instant : «joli
rhédir..., grand rhédir..., profond rhédir..., rhédir inépui-
sable ». Cette dernière épithèle est fréquente. Voici encore les
mômes notes pour la continuation de la reconnaissance :
<i Par un chapelet ininterrompu de rhédirs et de pâturages,
on atteint AïnTin-Djeloulet, profond rhédir, au pied d'unegara
(rochers) .. De nombreux signaux, des tas de pierres, des
tombes jalonnent le chemin suivi jusqu'au lit profondément
encaissé de l'oued Bou-Zerafa. On y trouve plusieurs rhédirs.
Les pâturages et le bois sont assez abondants au pied des
dunes. Après trois heures de marche dans le reg caillouteux et
dans le sable, on découvre le bahar Tinka, immense nappe
(l'eau passagère en pleine dune. Peu après, on pénètre dans
la région boisée du maader Tegant. Les pâturages y sont
inépuisables. Les arbres atteignent là de très hautes
dimensions, el l'ombre qu'ils donnent n'est pas illusoire. Ce
maader a un caractère propre qu'on ne retrouve nulle part
ailleurs (2). ».
(11 Bulletin du Comité de V Afrique frani'aise^ décembre 1902, page 173.
\^)ibid.t page 174.
302 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSS\HXRΣ!SS.
Ce maader Tegant est à SOkilomètresdela bordure oriealak
du Mouydir et, comme il est déjà à quelque distance de la
bordure occidentale, nous en concluons que, dans celle
partie, le Mouydir peut bien avoir 140 à 150 kilomètres de
largeur, sinon davantage.
Poursuivons Tétude de cette intéressante contrée : « Une
large croupe accidentée de hamada ( Voy. plus haut, pages ft?
à 94) sépare les oueds ïaferdel et In-Terakh que l'on coupe de
Toued Idjelessen qui est atteint par une descente rapide. La
vallée humide et verte conduit à celle de Toued Tali-Ihedan,
qui reçoit Toued Tabouremat et mène aux gorges de Tafrar-
krak. De très grands rhédirs (mares) d'eau profonde baignent
le pied de garas rocheuses et donnent aux pâturag-es une
vigueur exceptionnelle. Au confluent de l'oued Idjesselen
dans Toued Tahi-Ihedan, les deux vallées s'élargissent et
forment une jolie plaine de 6 à 8 kilomètres où courent des
troupeaux de gazelles (1). »
Partout il y a des rhédirs (marcs) : on va « camper près
du rhédir Talaoualt dans l'oued Tindjenan... ». Dans l'oued
Anecerfa « l'on trouve de l'eau de rhédir et des pâturages »;
€ dans la région d'Amsissenen, les pâturages sont abondants
et variés Quelques kilomètres plus loin apparaissent, au
milieu de la vallée, sur un monticule couvert de végétation,
les palmiers sauvages de Tidjit. L'eau est, sur ce point, très
près du sol et très magnésienne. Peu après, la vallée s'ouvre
et, sur un mouvement de terrain très large, du genre éperon,
on découvre Djoghraf, l'ancienne oasis. Les ruines d'un
ksar de pierre occupent le point culminant. Une source
chaude de 45 à 50° sort de terre dans un champ de roseaux.
De nombreuses sources fraîches coulent tout à côté. On
compte à Djoghraf près de deux cents palmiers formant
de très jolis groupes et donnant beaucoup d'ombre. Le
rhédir d'Aoussediden, emplacement de bivouac du 12 juin,
est au pied d'une gara (Voy. plus haut, page 96) rocheuse, à 5
(1) lienscuj nements coloniaux cl documenls publiés par le Comité de l'Afrique
française^ Supplément au Bulletin île décembre 1902, page 174.
L'EXPÉDITION REQUIN : LB MOUYDIR, VÉGÉTATION ET EAUX. 303
OU 6 kilomètres de Djoghraf (1). w Et Ton trouve encore
d'autres rhédirs.
Sous le titre de Conclusion, le lieutenant Requin résume
ainsi ses impressions sur « la partie du Mouydir reconnue »,
en disant qu'il s^est « abstenu de toute hypothèse sur les
régions voisines de l'itinéraire parcouru » : « Partout les
oueds ouvrent des vallées très vertes qui font de cette région
une région de parcours pour qui traîne à sa suite de gros
troupeaux. Le Mouydir était habité jadis. Mais les traces
(le campement relevées à Tadjemout, dans le maader
Arak et dans les vallées de Tintérieur remontent toutes
à plusieurs années. S'il était habile, il ne Test donc
plus. Cet abandon n'a pas d'autre cause que notre arrivée
subile à Insalah et la crainte de nous voir apparaître
aussitôt après dans un pays où il semblait aux indigènes
loul naturel de nous voir. Le Mouydir n'a-t-il pas, en effet,
ce qui manque au Tidikelt : de l'eau de pluie, du bois en
abondance et des pâturages toujours verts (2) ? »
Ainsi parle le lieutenant Requin ; ces appréciations sont
catégoriques ; elles prouvent qu'entre 120 et 250 kilo-
mètres au sud d'Insalah, c'est-à-dire entre le 26" et le
-./ degré de latitude, aux trois cinquièmes de la distance de la
Méditerranée au Niger, il s'étend, en plein Sahara central, de
vastes contrées hospitalières. L'oued Tifirin, l'oued Tadje-
mout,lemaaderArak,dont le lieutenant Requin fait le vibrant
éloge que l'on vient de lire, sont tout à l'extrémité méridionale
du Mouydir. Il y a là du bois, une quantité de rhédirs ou eaux
à la surface du sol. Il semble certain qu'avec des amena-"
gements on aurait des puits très nombreux.
Ce n'est pas là, à vraiment parler, une oasis, c'est-à-dire un
pays où l'on ne puisse rien produire que par l'irrigation; c'est
une terre de pâturages permanents et de ressources cul-
turalcs. Les pluies de la fin de mai et du début de juin, que
le lieutenant Requin y a constatées, témoignent que des
\i)Ibid.
(i) Ihid,, pageB 174 et 175.
304 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSABABIEM.
moissons pourraient arriver à maturité dans ces fonds d?
vallée. Le Mouydir paraît avoir, d'après la carte annexée aux
noies du lieutenant Requin, environ 150 5 160 kilomc-lresd*
largeur à son extrémité méridionale qui est la plus étendue;
sa longueur semble être de 120 kilomètres environ ; tout ea
tenant compte de la moindre largeur dans la moitié septen
trionale, il semble bien que cette contrée comprenne tout au
moins une dizaine de mille kilomètres carrés, soit environ
rétendue de deux départements français. En admettant que
le dixième seulement de cette surface se prêtât à des cultures
régulières et que le reste fût consacré aux pâturages, il
pourrait y avoir place dans ce pays non seulement pour un
bon nombre de dizaines de mille habitants permanents, mais
peut-être à la longue pour plusieurs centaines de mille. Cesl
rinsécurité surtout qui maintient la désolation dans ce^
régions douées d'appréciables ressources naturelles. Une
fois la sécurité établie et les noirs guidés par des blancs
d'Europe et pourvus des connaissances techniques et de^
capitaux pour l'aménagement des eaux et Tutilisation du siJ
et du sous-sol, de nombreuses régions sahariennes pour-
raient nourrir à l'aise une population d'une certaine impor-
tance.
Aux témoignages qui précèdent et qui, par eux-mêmes,
suffiraient pour faire la lumière sur la nature vraie du
Sahara, les ressources qu'il présente, et pour dissiper les
légendes qui l'entourent, nous pouvons joindre deux autres
témoignages d'un très vif intérêt : celui du lieutenant Basset
et celui du capitaine Peîn.
Le lieutenant Besset fut chargé, le 19 janvier 1903, de se
rendre d'Insalah, avec le premier peloton de la compagnie
des oasis sahariennes, sur l'oued Botha, puis d'aller au sud
explorer toute la région de l'Ifetessen et de pousser une
pointe en remontant vers le nord-est jusqu'à Amguid, pour
rattacher ses levés topographiques à ceux du colonel Flalters.
Il parcourut 1200 kilomètres, visitant sur la route '^
Mouydir. Outre un rapport topographique et géographique.
ieutenantbesset; l'oued botha; renseignements favorables. 305
I en fît un géologique, pour lequel il paraît avoir été très
>ien préparé.
Il faudrait reproduire la plus grande partie de ces docu-
nents ; nous ne pouvons que les résumer, en laissant autant
jue possible la parole à Tauteur, pour que ses appréciations
ressortent avec toute leur netteté. Le lieutenant Besset longe
l*abord le djebel d'Idjeran et le djebel Redjem, qui sont
situés approximativement entre 100 et 200 kilomètres au
sud-est dlnsalah : « Une série de points d'eau, dit-il, jalonne
le pied de ces montagnes (1) », et il donne les noms des
principaux. « A Aïn-El-Ksob se voient encore les ruines
d'anciennes séguias (rigoles d'irrigation) et des traces de
cultures- L'eau de cette source est légèrement sulfureuse et
ferrugineuse ; mais elle coule avec une abondance intaris-
sable. Le fond de l'oued Botha, qui a plus de 6 kilomètres
de large sur ce point, est recouvert d'alluvions d'une fertilité
remarquable. Dans tous les ravins étroits, que présente le
flanc ouest du djebel Redjem^ on trouve de petites sources. Une
de celles-ci quidonnait25 litres en vingt-quatre heures, après
un travail d'une journée, avec des instruments primitifs, nous
a donnée mètres cubes dans le même temps. Nous l'avons
baptisée l'Aïn Gauvet, pour que le nom du chef d'annexé,
qui avait tant fait pour ce pays, soit rappelé au souvenir de
ceux qui visiteront la région. Cette eau, qui cherche à sourdre
comme sous pression en remontant le long des roches du
djebel Redjem, est perdue sans profit, alors que dans le
lit si fertile et tout voisin de l'oued Redjem elle aurait
un emploi bienfaisant, d'autant plus qu'elle sourd à 4 ou
•> mètres au-dessus du lit de l'oued. Toute celte partie de
l'oued el Botha pourrait être livrée à l'agriculture, soit en
aménageant les différentes sources de la région, soit en
creusant des puils dans lesquels nous pensons que l'eau
serait ascendante. »
Voilà, certes, un témoignage très net sur les eaux que l'on
(1| RenseiffnementJi coloniaux et documents publiés par le comité de l'Afrique
huiçaise. Supplément au Bulletin du cornité do janvier 1904, page 2.
20
306 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE P£R TRANSSAHARIEM.
trouve dans certaines parties du Sahara. Presque aussitôt
après le lieutenant Besset ajoute : « La région d'Aïn Millok a
une importance capitale. Tout d'abord la source d'Aïn Millok
(cuvette) est intarissable, et donne de leau en immense
quantité. Des ruines de maisons indiquent que des gens sy
fixèrent autrefois. Toute trace de culture a disparu, mais la
nature alluvionnaire du lit de l'oued Botha ne laisse aucun
doute sur le succès des semailles qui y seraient faites; » et
le lieutenant Besset expose la situation très favorable d'Aîu
Millok, d'où Ton se rend vers tous les points de l'horizon en
trouvant chaque jour de l'eau et du pâturage, sauf dans le rcg
qui le sépare dTnsalah.
« Une troupe postée dans cette région peut se porter en un
jour dans Toued Sidi Moussa, en quatre jours dans la vallée
de righarghar, en un jour sur la route directe d*Insalah au
lloggar par In-Belrem ; enfin, par le Botha, Toued TifOrin et
l'oued Ilobor, on débouche à Méniet en sept ou huit jours, dans
la vallée de Toued Tiradjart, fossé nord du Hoggar. Les points
d'eau permanents sont Aïn Millok, AïnTidjoubar,AïnKsiksou,
Aïn Djoghaf, Aïn Tidjift, Aïn Tinesrouft, TAdjelman de l'oued
Ilabor qui conserve Teau pendant plusieurs années et TAîd
Baglin. Djoghaf, Tidjift, Tinesrouft possèdent des palmiers,
environ deux cents à chacun des premiers endroits et centau
troisième. L'eau de Djoghaf est très bonne, mais sourd à 48*.
On y trouve tout près les ruines d'une ancienne casbah en
pierres et celles d'un ancien village. Les séguias (rigoles
d'irrigation jet les anciens champs de culture se distinguent
encore. Cette région, comme celle d'Aïn el Ksob et celle de
l'Aïn Millok pourraient être exploitées avec profit (1). >
Djoghaf ou Djoghraf, dont parle si tivantageusement l'explo-
rateur, paraît, d après sa carte, être à 200 kilomètres au sud-
est d'Insalah. Le lieutenant Besset, à ce propos, d'après
l'ouvrage de M. Le Chatelier, les Medaganat (1888), rapporte,
en les résumant, des histoires de brigands et de luttes du
A\ >uj>plémenf au Bulletin du Comilé de l'Afrique française^ joxwïçT W^^^^-
LIEUTENANT BESSET ; L*OUED BOTHA ; RENSEIGNEMENTS FAVORABLES. 307
désert qui n'expliquent que trop la solitude de ces immenses
contrées, en dépit de certaines ressources qu'elles présentent.
C'est encore là un témoignage que l'insécurité est la cause
principale de la désolation de ce pays.
Résumant ses impressions sur la vallée de l'oued Botha
et de ses affluents, le lieutenant Besset écrit : « Le ruban
qui, sur la carte, représente l'oued el Bolha se tra-
ttuit dans la réalité par une longue suite de pâturages,
dont les sources voisines facilitent l'utilisation. Avec une
installation bien comprise, cet oued deviendrait une base
(l'opération commode pour nous et redoutable pour nos
adversaires. Que manquerait-il, en effet, à la compagnie
installée dans cette région? Les chameaux s'y nourriraient
copieusement; une exploitation agricole, organisée dans
le genre des anciennes smalas de spahis, produirait les
céréales nécessaires à la consommation de la troupe ;
quelques chèvres pâturant aux environs donneraient à leurs
propriétaires le beurre pour la préparation de leurs aliments,
et les oasis de Mellagoun, Djoghaf, Tidjift et Tinesrouft,
avec un peu de soins et de travail, rapporteraient des dattes
en quantité suffisante. » Ce n'est pas seulement des^postes
militaires qui se trouveraient à l'aise dans ces districts ; ce
sont des cultivateurs, mais il faudrait changer les usages du
pays: € Les Touareg, quiviennent chaque année cultiver ces
dattes, ont une façon particulière de soigner les palmiers et
spécialement de les débarrasser des branches (djerid) sèches.
Ils y mettent le feu ; le résultat n'est pas douteux et le plus
souvent ils n'ont pas besoin de recommencer ce beau travail,
car l'arbre meurt peu après. A Mellagoun nous avons vu un
assez grand nombre de ces victimes. » Même les meilleurs
pays ne pourraient retenir de la fertilité avec ce genre de
traitement.
« L'exploitation de cette région, continue le lieutenant
Besset, aurait pour conséquence la diminution du prix des
céréales sur les marchés du Tidikelt et les gens de ce pays
se verraient obligés, ou de renoncer à tout commerce de ce
àÔS LE SAdARA, LE SOUDAN Et LfiS CidEMlNS i)E Î^EK TAANSSADARIENS.
genre, ou de suivre noire exemple et de cultiver comme
nous, près de nous, pour livrer leur récolte à des prix abor-
dables. Notons encore, seulement en passant, que dans la
région paissent en liberté des ânes dont le travail pourrait
être utilisé. Sur place on aurait tous les moyens de les cap-
turer et de les exploiter sans débourser un sou pour leur
nourriture. On pourrait objecter que les crues de Touedel
Botha annihileraient les efforts tentés. Bien au contraire,
les crues sont bienfaisantes. Dans ces parages Toued a uae
pente insensible, son lit très sinueux a en moyenne 6 kilo-
mètres de largeur et les eaux ne s'y répandent qu'avec un
courant très affaibli, en déposant un limon régénérateur. Cet
oued serait digne d'être baptisé le Nil du Mouydir. En
remontant la vallée de l'oued el Botha on y rencontre cons-
tamment du pâturage, el lorsqu'il paraît diminuer, il se trouve
toujours à proximité un de ses affluents dont le lit en esl
garni. »
S'il y a dans le Sahara de vastes immensités rebelles à
toute culture, il s'en rencontre donc d'autres et d'assez éten-
dues qui se prêteraient, au contraire, avec un peu de travail el
d'ingéniosité, à une exploitation pastorale et cullurale pro-
fitable. Et c'est dans de nombreux districts qu'il en est
ainsi.
Sous le titre très caractéristique de Conclusions^ le lieute-
nant Besset émet une appréciation générale dont il esl
bon de rapporter les passages principaux :
« Au cours des 1200 kilomètres parcourus, nous n'avons
cessé un moment, dit-il, de trouver de bons pâturages et de
l'eau excellente en abondance. Nous avons vu partout des
ruines de maisons avec parfois des traces d'anciennes cul-
tures, des medjebeds larges et bien conservés, comme s'ils
avaient été utilisés la veille, un nombre considérable dt?
petits murs circulaires en pierres sèches, à Tintérieur des-
quels les Touareg mettent les agneaux pendant que la mère
va au pâturage, et des cachettes renfermant encore de nom-
breux ustensiles de ménage. Ce sont bien là des preuve»
ITENANT BESSET ; LE MOUYDIR ; RENSEIGNEMENTS FAVORABLES. 309
5 le Mouydir fui autrefois fort habité. Les anciennes cul-
es datent du temps où la paix existait entre le Tidikelt et
Hoggar.
Les Touareg utilisèrent longtemps après sa rupture
bons pâturages de la région jusqu'au jour de notre
ivée au Tidikelt. Le pays fut abandonné surtout après le
itre-rezzou Cottenest, et sa richesse montre quelles pri*
ions s'imposent les Touareg, pasteurs par excellence, en
conduisant pas leurs troupeaux
I Lorsque Ton quitte le Mouydir pour rejoindre le Tidi-
It, on est plus qu'étonné de voir des hommes installés
ns ce désert sablonneux, sans même tenter d'exploiter des
hesses à leur portée, à quelques lieues plus au sud-est.
n'est qu'après avoir bien réfléchi à la situation réci-
3que des Touareg et des gens du Tidikelt que l'on com-
end le rôle joué par le Mouydir. Entre ces peuplades enne-
îes, il fut de tout temps une marche, analogue aux
ciennes marches lorraines et d'autres provinces frontières,
comme elles, quelles que soient et quelles qu'aient été
s ressources naturelles, il ne pouvait prospérer qu'avec
le longue période de paix imposée à ses voisins. Tant que
ira l'état de guerre, les gens du Nord durent se mettre à
ibri derrière le reg désert qui s'étend sur la rive droite de
med el Botha et furent heureux de trouver la dépression
îs Sebkas du Tidikelt, où, au prix de travaux inouïs» ils
rvinrent à creuser les foggara et à féconder leurs oasis,
i ils étaient sûrs que leurs ennemis du sud ne pourraient
nir en maîtres commander dans leur pays. Ils y seraient
^rls de faim et de soif, eux et leurs montures, sous les
?ards des propriétaires abrités dans leurs casbahs. Le Tidi-
It fut créé dans la déroule et la misère. Aujourd'hui, la
ualion est bien changée. Le Tidikelt conquis est lié à notre
•litique. Les Hoggar, partie soumis, partie en fuite, Irem-
ent devant nous, el nul n'ose s'avancer au delà de l'oued
ï'^djert. La paix règne donc sur les pays naguère décimés,
est temps de leur rendre la vie. C'est dans le rayonne-
310 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIE^S.
ment de notre puissance pacifique, dans la paix et la pros-
périté, que sera revivifié le Mouydir.
« Dans ce pays, chacun des hommes de la compagoie du
Tidikell trouverait l'emploi de ses doubles facultés de soldai
et de cultivateur, suivi bientôt après, dans celle dernièi.:
voie, par la masse encore peureuse et hésitante, mais labo-
rieuse, des gens d'Insalah. Là on trouvera Teau, le bois,
le pâturage et la terre cultivable qui manquent au Tidikelt
Là encore, après quelques efforts, on fera naître les produiU
que du Tidikelt on est obligé de faire venir du Nord agrandi
frais. Enfin, c'est de là qu'il nous sera le plus facile de nous
mettre en route, soit pour le Hoggar, soit pour Torabouclou.
soit pour l'Aïr. Ajoutons encore que la distance de Ouarglâ
à Aïn Millok est la même que celle de Ouargla à Insalah.
Par suite, le transport des matières qu'il serait indispen-
sable de faire venir du Nord, en attendant que le sol au
Mouydir ait été mis en rapport, ne sera pas plus onéreux
qu'aujourd'hui, et même les caravanes préféreront aboutir
à Aïn Millok, où leurs chameaux trouveront à se refaire,
qu'à Insalah, où leurs bêtes meurent de faim tant qu*elle>
séjournent dans le Tidikelt.
« Ces considérations militent assez en faveur d'une inslal-
lation au Mouydir, sans qu'il soit besoin d'insister davantage.
Un pas a déjà été fait par l'envoi d'un peloton au pâturage
dans les belles vallées de cette région. Hommes (Françaib et
indigènes), gradés et officiers, attendent avec impatience
leur « tour de pâturage », considéré partout ailleurs comme
une corvée désagréable. C'est assez dire le charme qui le>
attire, charme fait de répulsion pour le Tidikelt, bled de la
soif et de la mort, et d'attirance vers la verdure et les sources
fraîches du Mouydir, pays de la vie (1). »
Nous avons tenu à reproduire le texte même, quasi
intégral, des « Conclusions » du lieutenant Bessel. Elles
sont, on le voit, très favorables ; elles concordent, en tout
(1) Supplément au Bulletin du Comité de V Afrique française, janvier 1'"*
pages 7 à 9.
LIEUTENANT BESSET; LB MOUYDIR; RENSEIGNEMENTS FAVORABLES. 311
point, avec celles de son prédécesseur dans une partie de
celte région, le lieutenant Requin (Voy. plus haut, page 303).
Il résulte aussi cette démonstration curieuse que ce ne
sont pas les districts les meilleurs du Sahara, qui sont
aujourd'hui habités et cultivés; Tinsécurilé, le vrai, le grand
fléau de celte immensité, les fait parfois abandonner pour
d'autres plus ingrats.
On doit au même lieutenant Besset un autre rapport,
exclusivement géologique, sur celte même vaste région d'In-
salah, Âmguid, le Mouydir (est) et Tlfelessen. Il offre, lui
aussi, un grand intérêt par les indications qu'il donne
sur les chances de trouver des gisements de charbon,
sur la rive droite notamment de Toued Botha, c'est-à-dire
vers le 27" degré de latitude, un peu au sud et à Test d'In-
salah. Le professeur Flamand, chargé du cours de géogra-
phie physique à TEcole supérieure des sciences d'Alger, a
fait suivre d'une importante note le rapport géologique du
lieutenant Besset. Il y confirme l'espérance relative au ter-
rain houiller. Nous avons analysé ces deux documents
encourageanls dans une précédente i>artie de cet ouvrage
(Voy. plus haut, pages 85 à 87). Il apparaît aussi de cet
examen que la région est très ferrugineuse; sans doute,
on ne peut espérer transporter des minerais de fer à 1 200
ou 1 500 kilomètres ; mais s'il se rencontrait dans celte
région d'autres métaux moins communs, ce qui est assez
probable, comme le plomb, le zinc et le cuivre, les minerais,
à la condition qu'ils fussent assez riches, pourraientfranchir
sur rail cette distance de 1200 à 1500 kilomètres, et même
une distance double, comme nous en ferons plus loin la
démonstration.
Le lieutenant Besset fit, au mois de juin 1903, une autre
tournée, ayant un caractère exclusivement militaire et qu'il
intitule : « Une tournée de police en pays Azdjer ». A la
tête d'un détachement de 148 hommes et d'un nombre de
chameaux correspondant, pour chûlier les Touareg, cou-
pables de razzias, il parcourut tout le pays d'In^alah à
312 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TR ANSSA H ARIL^S.
Tikhammar par Amguid. reliant ritinéraire de la mission
Flatlers à celui de la mission Foureau-Lamy, allant dt
zéro degré environ de longitude, situation d'Insalah, à
4 degrés un tiers environ de longitude est, et descendant
d*au-dessus du 27*' degré aux environs du 25". Son récites!
presque uniquement militaire. On peut, néanmoins, y trouver
encore quelques noies favorables : d'abord celle-ci, qui est
importante. Après avoir rappelé les campagnes successives
faites en novembre 1902 au Iloggar et en février 19(Ki sur
Ifelessen et Amguid, puis au mois d'avril et de mai à Jn
Zize, le lieutenant Besset écrit : « Et maintenant, en juin, ils
repartent pour une campagne d'été encore plus pénible.
Dire que les pertes en animaux éprouvées par ces méharislcs
ont été à peu près nulles et dues surtout à des causes étran-
gères à la fatigue (piqûre de vipère, empoisonnements par
le laurier-rose) et que presque tous les chameaux sont encore
présents au peloton, c'est faire le plus bel éloge des cava-
liers qui les ont montés (1) ». C'est, doit-on ajouter, faire
quelque éloge aussi tout au moins des ressources du pays.
Le lieutenant Besset parcourt, sans doute, alors des zones
ingrates, mais il en rencontre aussi de favorables. Il fait celle
remarque intéressante : « Eclairés par l'expérience des tour-
nées précédentes, nous avons pu faire une constatation qui
a sa grande importance au point de vue des recherches d'eiiu
que Ton pourrait tenter dans le Mouydir. Toutes les sources
que nous avons examinées depuis Aïn Ksiksou, Aïn Millok,
Aïn Baglin sur la limite nord du Mouydir, en passant par celles
qui bordent le djebel Idjeran sur toutes ses faces, jusqu'aux
puits de la région de Tegant (llassi Armri, Ilassi Bechaoui
se trouvent à la ligne de séparation des quarlziles devoniens
de calcaires bleus et rouges garnis de fossiles dont les
échantillons ont été envoyés à la suite de notre rapport sur
rifetessen et la région d*Amguid (2). » C'est avec des obser-
(l) Benseifjnemenls coloniaux. Supplément au Bulletin du Comilê de VAfriqut
''rançaise de mars 1904, pago TU.
{t) Ibid., page 80.
LE LIEUTENANT BESSET; RENSEIGNEMENTS FAVORABLES AU PAYS. 313
valions scientifiques ou tout au moins méthodiques de ce
genre, dont les nomades sont incapables, que Ton parvien-
dra graduellement à aménager les eaux du Sahara.
Actuellement, il faut se contenter de celles que la nature
offre d'elle-même, et il s*en trouve parfois dans des condi-
tions qui méritent d'être signalées, ainsi : » Dans la partie
supérieure de Toued AUaouadj, écrit le lieutenant Besset au
milieu de juillet, on marche sur des roches trachytiques.
La vallée est très belle et garnie d'une luxuriante végétation,
tantôt encaissée entre deux montagnes, tantôt se dévelop-
pant dans de vastes cirques bordés alors vers Test de
dunes qui s'étagent jusqu'à la crête formant Thorizon.
C'est dans ces dunes que se trouve le point d'eau de Time-
naih, lac allongé de 400 mètres de long sur 20 mètres de
large, bordé partout de joncs et de berdi, mais contenant
une eau tellement salée que les chameaux refusent de la
boire. A proximité de ce lac, en creusant le sable, on
trouve à un mètre de profondeur une eau abondante et
acceptable pour la consommation. Les Arabes appellent ce
point El Mélah ». Ces rencontres d'eau se font en plein
milieu de Tété. Le lieutenant Besset dit encore, à propos d'un
point noté plus haut, dans le récit de la deuxième mission
Flallers (Voy. plus haut pages 166, 198 et 201), et situé au
*25' degré 30, en plein Sahara central : « Inzelman Tikhsin
est une réunion de tilmas (mares) dont l'eau affleure le lit de
I oued. Le pâturage y est aussi très beau. » On est alors au
12 juillet. Il faut, d'ailleurs, qu'il y ait quelques ressources
dans le pays, car il s'y trouve des animaux groupés en nom-
bre ; le 16 juillet : « Le brigadier Admeh Ben Diab et le
caïd Douro rentrent le soir avec 75 chameaux, chamelles ou
chamelons, des fusils, des sabres, des boucliers, deux
négresses et des bagages... Ces prises ont été faites aux
lailok (Touareg) auxquels on a tué deux hommes. Quel-
ques femmes furent prises et relâchées. » Le 18 juillet : « Le
caïd Baba rentre le soir ramenant 300 chameaux, chamelles
et chamelons, 47 ânes, des tentes, des mézoued, des guerba,
314 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHAR1E>S.
des fusils et des bagages en quantité. » Cela est pris sur
des Touareg, mais encore fallait-il que ceux-ci pussent ali-
menter passablement toutes ces bêtes. Trois jours après, le
21 juillet : a Le soir, la patrouille Ben Bessis rentre de
Tifernin avec 400 chèvres ou moutons, 21 chameaux el
quelques bagages enlevés à Khebbi, des Kel Jntonin. » Ce
point de Tifernin, ou peut-être Tifersin parait être sur le
cours moyen de Toued Tighert un peu au nord d'Amadghor.
En revenant sur Amguid, à peu près à la même latitude,
mais à une centaine de kilomètres plus à Test, on rencontre
loued Tahohait. « Cette vallée, dit le lieutenant Besset, esl
la plus belle que nous ayons vu dans la région du sud dln
Salah ; garnie d'une végétation luxuriante, bordée par des
murs à pic de plus de 400 mètres de haut avec des déchire-
ments effrayants, cette vallée est suivie par un oued sous les
sables duquel on sent Texistence de Teau. De grands massifs
de berdi, des joncs en quantité marquent les emplacements
où leau se rapproche le plus de la surface du sol (1). »
Ainsi, même dans le récit d'un raid exclusivement mili-
taire, se glissent des notes favorables sur les ressources
futures du pays. On trouve dans ce même rapport du lieu-
tenant Besset sur cette t tournée de police en pays Azdjer »
des traits caractéristiques de Tinsécurité de la contrée,
toujours le principal fléau. Il n'y est guère question que de
rezzous et de rezzias réciproques. On a vu quelle quantité de
bétail, chameaux, moutons, chèvres, ânes, le peloton du
lieutenant a enlevé aux Touareg; (fêtait un châtiment
mais ceux-ci avaient commencé; et la vie quasi habituelle
du Sahara, c'est la razzia. Ces rezzous sont quelquefois très
productifs. « Nous recueillons rapidement, dit le lieutenant
Cottenest, les résultats de l'interrogatoire du nègre (faii
prisonnier). Il faisait partie d'un rezzou de 40 méhara, com-
posé de Taitok, Téguéhé-Melle, Kel Intounin, IssakamareQ»
Ihéianen, commandés par Mohamed ag Itouni, le chef des
(1) Supplément au Bulletin du Comité de l'Afrique française^ de mars Ij
pages 84, 85, 86.
LE CAPITAINE PEIN ; RENSEIGNEMENTS FAVORABLES AU PAYS. 315
rezzous de Toued Dhamrane et de Ilassy Mouley. Cette der-
nière affaire avait rapporté 200 douros à chacun des mem-
bres du rezzou (1). » Le douro étant la pièce de 5 francs,
200 douros par tête représentent un millier de francs ; certes,
quand on réussit un coup de ce genre, la profession de pirate
du désert est bien rémunérée ; celle de pasteur ou de culli-
valeur devient, par contre, singulièrement ingrate.
Il nous reste à faire comparaître un dernier témoin, consi-
dérable par les nombreuses exploratioi^s qu'il a faites dans
le Sahara central et l'expérience qu'il y a acquise, le capi-
taine Pein. Il eut d'abord pour tâche de seconder la mission
Fourreau-Lamy, sans toutefois s'y joindre ou l'accom-
pagner.
La mission importante dont fut chargé à ce sujet le
capitaine Pein, ainsi que les antécédents de cet officier,
sont ainsi décrits dans le Bullelin du Comité de l'Afrique
française (livraison de juin 1899) : « Au moment du départ
de la mission Lamy, il avait été décidé d'installer h Témas-
î?inine(2)unposte provisoire qui pût rester le plus longtemps
possible en relation avec elle et la couvrir au besoin. Le
capitaine Pein, chef du poste d'Ouargla, qui s'est distingué,
il y a un an à peine, dans la poursuite d'un rezzou jusque
dans la région de Ghadamës, fut chargé du commandement
de ce poste. Il avait avec lui 120 méhara, dont 50 spahis
sahariens aux ordres du lieutenant de Thézillat, et une
quinzaine de chevaux. »
Ainsi, le capitaine Pein avait charge d'assurer les com-
munications entre l'Algérie et la mission Foureau-Lamy.
11 fut amené à se rendre de sa personne jusqu'à Tadent, au
23' degré de latitude, Témassinine étant au 28'; le lieutenant
de Thézillat se porta lui- môme à Assiou et à In-Azaoua, vers
le 21'' degré, mais alors il se joignit à la mission Foureau-
Lamy, qu'il accompagna en revenant, avec elle, parle Gongo.
(1) Supplément au Bulletin du Comité de l'Afrique française, de mars 1904,
pa^e 83.
[t) Voy. plus haut, pages 117 et 252.
3i6 LE SAnARA, LE SOUDAN ET LES CHEM^f4S DE FER TRANSSAHAR1KNS.
« Le 15 avril 1898, dit le Bulletin du Comité de V Afrique
française^ le capitaine Pein était à Témassinine, trois jours
avant Tarrivée de la mission Foureau-Lamy. 11 installa son
poste à 6 kilomètres à Test de la petite oasis, sur un point
dominant qui allait lui permettre de surveiller tous les envi-
rons. Il s'y établit déflnitivement et y fit forer un puils. Dès
que la mission Foureau-Lamy eut quitté Témassinine, le
capitaine Pein, voulant s'assurer par lui-même des disposi-
tions des Touareg, partit le 28 novembre, en reconnaissance
vers le sud-ouest. Sa marche couvrait en même temps le
flanc droit de la mission qui s'avançait pendant ce temps
par l'oued Samen, vers leTassili. Le 7 décembre, le capitaine
Pein était de retour; il s'était arrêté au puils d'In-Kelmet, à
deux journées au nord-est d'Amguid, avait trouvé le pays
vide et les puits comblés depuis longtemps. »
Ce ne fut que la première excursion du capitaine; il en fît
une autre plus prolongée et plus intéressante, pour assurer
des convois à la mission Foureau-Lamy. Le Bulletin de
r Afrique française décrit ainsi cette seconde excursion:
€ Il se porte d'abord à Tikhammar (au-dessous du 26' de-
gré) par une autre route que celle de la mission, roule moins
difflcile, quoique souvent pénible pour les chameaux. De là
il gagne ÂfTara, qu'il compte ne pas dépasser ; mais la néces-
sité d'assurer le retour de l'escorte d'un dernier et important
convoi que le lieutenant de Thézillat a dû accompagner jus-
qu'à Assiou, au delà de Tanezroufl, le contraint à s'avancer
jusqu'à Tadent (23* degré). Ce n'est que lorsque tout le
monde est rentré qu'il se décide à revenir en suivant une
route nouvelle par la sebkha d'Amadghor et Amguid (1). >
II y a une erreur de détail dans ce récit : le lieutenant de
Thézillat, au lieu de revenir par l'Algérie, se joignit à la
mission Foureau-Lamy et raccompagna jusqu'au bout; mais
cela n'altère pas les remarques générales contenues dans ce
court exposé. Il en résulte cette constatation importante
(1) Comiiede C Afrique française, BuUetin mensuel, juin 1899, pages 176 et 177.
LE CAPITAINE PEIN; RENSEIGNEMENTS FAVORABLES AU PAYS. 317
que le capitaine Pein, après être descendu en plein Sahara
central, jusqu'à Tadeut (23*^ degré de latitude), revint à
Témassinine, par une autre voie que celle qu'avait suivie
la mission Foureau-Lamy, et que la route qu'il prit était
moins difficile. C'est par la sebkha d'Amadghor et Amguid
qu'il revint en Algérie. Or, déjà Flatters (Voy. plus haut,
pages 189 à 200) avait décrit ce tracé comme très facile
et s'étendait notamment sur Texcellence de la situation
d'Amguid (1). On a vu aussi plus haut (page 216) que le
commandant Lamy lui-même, au cours de la mission Fou-
reau-Lamy, émettait l'opinion qu'elle ne suivait pas la roule
la meilleure. Pour se servir d'une expression de sport, la
mission Foureau a, en quelque sorte, joué la difficulté en
laissant de côté la voie, déjà en grande partie explorée et
toujours recommandée, d'Amguid-Amadghor, qui tourne le
plateau du Tassili, pour aborder de front ce dernier plateau.
Il est regrettable que l'on n'ait pas publié le détail de l'iti-
néraire du capitaine Pein par Amadghor et Amguid ; d'après
le Bulletin du Comité de l'Afrique française, il en auraitfait le
levé; il aurait exécuté et fait exécuter par ses sous-ordres de
nombreuses reconnaissances, dont le résumé est que la route
qu'il a prise est meilleure que celle de la mission.
Le Bulletin du Comité de V Afrique française (juin 1899)
donne seulement, au sujet de cette longue exploration du ca-
pitaine Pein dans le Sahara central, le renseignement sui-
vanty qui est intéressant et topique: « Lors du passage du
capitaine Pein, les Touareg campés dans la région parcourue
par lui étaient tous des imrad (serfs). Les nobles ne parurent
point; ils semblaient vouloir so tenir systématiquement à
l'écart. Seule, une femme noble, qui commandait une frac-
tion d'imrad, ne craignit pas de se montrer. Tous ces im-
rad n'avaient pour subsister que le lait de leurs maigres trou-
peaux; ils y ajoutaient quelques racines plus ou moins
comestibles qu'ils parvenaient à récolter çà et là. « Il existe
(1) Se reporter également plus haut, page 200, sur les avantages de la situation
d'Àiuguid.
âl8 LE SAItARA, Le SOUDAN Et LES CHEMINS DE FER TtlANSSAHiRIE^S.
pourtant, dans cette région, des localités où Teau est abon-
dante, où les palmiers poussent vigoureusement. Le capitaine
Pein a visité Tune d'elles, qui avait plusieurs kilomètres
d'étendue. Il serait possible d'y faire des cultures à labri de*
dattiers. Mais Tinsécurité du pays est trop grande, et les
Touareg ne se soucient guère de cultiver pour les autres.
Aussi se contentent-ils, le moment venu, de récolter les dalles
de leurs palmiers sans prendre aucunement soin de ces
arbres. En dehors de leurs quelques chèvres et ademan
(moutons à poils) éliques, ces Touareg possèdent également
de nombreux et vigoureux ânes, au pelage gris, qui consti-
tuent à peu près leurs uniques bêtes de somme. Ils n'ont, en
effet, presque pas de chameaux (1). » Cette description, il est
important de se le rappeler, s'applique au plein centre du
Sahara, aux abords du Tassili et du Tanezroufl.
Le capitaine Pein, dans la pénétration qu'il a faite de 12(H>
à 1300 kilomètres au sud d'Ouargla, a donc constaté qu'c il
existe dans cette région des localités où l'eau est abondante,
où les palmiers poussent vigoureusement » ; que ces palme-
raies ont parfois plusieurs kilomètres d'étendue, mais qu'on
ne les entretient pas, qu'il serait facile d'y faire des cultures,
mais que la fainéantise des Touareg et la terrible insécurité
y empêchent tout travail.
Voilà un précieux témoignage qui, joint à tous ceux que
nous avons déjà produits, démontre que la presque absolue
solitude du Sahara vient moins de la nature que des
hommes.
Cinq ans plus tard, en juin et juillet 1^03, le capitaine
Pein fit une reconnaissance chez les Touareg Azdjer, au
Tarât, contrée située un peu au sud du 27* degré de latitude
vers le 7* degré de longitude est. Le rapport qu'il en fait
contient aussi de nombreuses notes favorables. Il trouva
abandonnées ou détruites par les Touareg les construc-
tions qu'il avait élevées sur la première partie de celte
(1) Comilc (le CAfnquv française. Uullelin mensuel ^ }\x\n 1899ipage ITT.
LE CAPITAINE PEIN; RENSEIGNEMENTS FAVORABLES AU PAYS. 319
mte dans l'hiver 1897-98 ; quant aux points d'eau les
eilleurs, il les voit non seulement sans entretien, mais
)uillés : il en est ainsi notamment à deux journées de marche
11 sud de Témassinine : « La source de Tabelbalet est une
es plus importantes du Sahara ; son niveau atteint le sol ;
ussi les gazelles et les animaux sauvages viennent-ils s^y
breuver. Je la trouvai complètement abandonnée ; des ca-
avres d'animaux tombés en venant y boire, en rendaient
eau absolument infecte. Toute la matinée fut employée au
urage. » Telle est toujours cette incurie des nomades, sans
quelle les puits d'eau apparaîtraient nombreux et bienfai-
ants dans ce désert. Plus à Test et sur un parcours nouveau,
e capitaine Pein rencontre des districts favorables; à Lési,
)ar exemple : « C'est un point d'eau des plus importants.
)n n'a qu'à creuser de 50 centimètres à 1 mètre dans le sable,
îomme à El-Biodh, pour obtenir autant de puits qu'on le
lésire;le pâturage, le bois y sont en abondance; enfin, une
les rives de l'oued, dominant le point d'eau, donne une posi-
tion de combat magnifique, où une troupe peu nombreuse
pourrait défier toute attaque. Nous fîmes boire nos bêtes
pendant la nuit et quittâmes Lési au lever du jour. Vers huit
heures du matin, nous trouvâmes des traces de chameaux
toutes fraîches. L'oued Mihéro, riche en eau, était devant
nous; il pouvait y avoir des Touareg qu'il nous fallait sur-
prendre; j'expédiai soixante-dix méharisles en avant; ils
découvrirent un rhédir (1); mais pas de campement. Une
véritable forêt de tamarix des plus touffus tapisse le fond àfi
cet oued, où l'on trouve de distance en distance des mares
pleines d'eau, rhédirs naturels où viennent boire les trou-
peaux (2).» C'est en juillet, en plein élé, et cependant l'eau
ne manque pas. Ailleurs le capitaine Pein nous dit que
« les Touareg disparurent dans les ravins et les touffes d'ar-
bres de l'oued, abandonnant tentes, femmes et enfants ». Il
(1) Nous rappelons que le rhédir est une marc.
(2) Supplément au Bulletin du Comité de V Afrique française, do marp 1004,
pages 76 et 77,
320 LB SAHARA « LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHABIIXS.
termine ainsi : « La reconnaissance vers Tarât, effectua
dans les mois les plus chauds de Tannée et dans une région
la plus privée d'eau du Sahara, s*est effectuée sans la moindre
souffrance pour le goumier et sans perte sérieuse d'ani-
maux. » Et voici sa conclusion plus générale : « II ne resli?
guère, à Theure actuelle, à ces farouches nomades (les
Touareg), que le Fezzan pour échapper à notre atleinle,
mais il est probable que, ne pouvant se décider à abandooner
leurs plateaux rocheux, leurs oueds magnifiques, ils en
arriveront à accepter notre domination, et de ce jour le
Sahara devenu un lieu d'élevage de moutons et chèvres de
qualité ordinaire, d'ânes superbes et de chameaux, les plus
beaux du monde, sera un lien entre l'Algérie et le Soudan,
après avoir été si longtemps un obstacle infranchissable (1 ). >
Ainsi toute cette légion d'explorateurs, officiers de mérile
qui, depuis une dizaine d'années, parcourent et fouillent
en tout sens le Sahara, est unanime à nous envoyer des
notes encourageantes sur Tavenir et le développement de
cette contrée : tous sont d'accord que l'incurie et l'insécu-
rité sont les deux fléaux qui le tiennent dans la désolation,
avec si peu d'habitants et si peu de produits. Mais il y
existe des ressources latentes ; dans les rapports de tous ces
chefs de raids les mots d'exploitation, d'élevage, de mise
en cultures, reviennent fréquemment, et il en ressort qu'en
maintes régions étendues, non seulement en quelques points
sporadiques, le Sahara a un avenir pastoral et même cul-
tural, indépendamment de l'avenir minéral, dont on ne
peut douter. C'est la conviction qui se forme à la lecture
attentive des impressions des lieutenants Cottenest, Guillo-
Lohan, Besset et du capitaine Pein. Ils ont suivi des itiné-
raires différents, en des saisons différentes, mais ils ont
tous reçu des pluies, tous vu nombre de points d'eau sus-
ceptibles d'être améliorés et multipliés, tous rencontré des
pâturages, du bois, des arbres, des restes de cultures, que
\i) Supplément au Bulletin du Comité de V Afrique française, de mars !>•.
page 78.
RÉSUMÉ : L'AVENIR PASTORAL ET AGRICOLE DU SAHARA. 321
riosécurité a fait abandonner et tous constaté des possi-
bilités d'exploitation.
Sur la partie méridionale du Sahara occidental les ren-
seignements précis et de dale récente font défaut. Un fait
important s*est produit, cependant, au printemps de 1904.
Parti d'Âkabli le 14 mars, le commandant Laperrine, chef
des compagnies sahariennes, s'est rencontré le 16 avril, au
sud de Timissao, au-dessous du 24* degré de latitude, avec
le capitaine Theveniaux, envoyé à sa rencontre, de Tom-
bouclou, à la tête d'un détachement. La jonction s'est donc
faite entre le Niger et l'Algérie, à un point situé approxima-
tivement à 1200 ou 1250 kilomètres, en ligne droite, d'Oran
et à 700 ou 750 du coude septentrional du Niger. Il n'y a
aucun doute que le trajet de Tombouctou à Timissao n'ait
été aisé comme marche; mais, à Theure où nous écrivons
ces lignes, nous n'avons encore aucune description des
lieux traversés.
Quand on réunit tous les récits des explorateurs, qu'on les
rapproche et qu'on les groupe, la légende qui faisait du
Sahara un pays uniformément sans eau et sans végétation se
dissipe. Cette immensité apparaît alors sous son vrai jour :
une étendue en général pauvrement douée de la nature, au
point de vue du sol du moins, car le sous-sol est inconnu,
mais recevant partout des pluies, ayant partout, ou peu s'en
ftiut, des eaux près de la surface, ayant une végétation
variée, portant presque partout des pâturages, souvent du
bois, contenant de nombreux districts assez favorisés,
certains d'une grande superficie, comme le Mouydir, l'IIoggar,
rAïr, et beaucoup d'autres assez étendus ; une contrée gigan-
tesque, d'un parcours facile, n'était l'insécurité, d'une salu-
brité exceptionnelle, offrant un passage aisé pour accéder
aux riches pays tropicaux et susceptible elle-même d'une
utilisation non négligeable.
Aussi bien M. Foureau, pour Timassanine, le capitaine
Pein, le lieutenant Guillo-Lohan et le lieutenant Besset,
notamment, pour des points situés tout à fait au centre
21
322 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TR AN SSAB ARIEN!.
du Sahara, reconnaissent que des oasis peuvent être soit
créées, soit considérablement agrandies et que, en outre, eo
dehors même de l'irrigation, des surfaces notables peuveol
être affectées à l'élevage et, dans certains cas, aux culture^
Il est probable qu'un jour, sur toute cette étendue de'2lM»
à 2500 kilomètres de longueur et de 5 millions de kilomèlrei
carrés de superficie, on déblaiera et l'on entretiendra loi^
ces puits, on aménagera toutes ces eaux, on tirera parti d»
toutes ces rivières intermittentes ou souterraines, que des
groupes de population se constitueront aux endroits les plus
favorables, et il s'en rencontre tout aussi bien, sinon davan-
tage, en plein Tassili que dans notre Sud-GonstanliDoi?
Il n'y aurait rien d'étonnant à ce qu'un jour le Sahara conlinl
une dizaine, sinon deux dizaines, de millions d'habitants
formant un certain nombre d'agglomérations de quelquel
importance.
L'obstacle principal, c'est, comme le disent le capitaine
Pein, le lieutenant Besset et tous ces vaillants conducteurs de
raids, l'insécurité. Ces contrées sont livrées à une insécuril^
tout à fait déprimante. Ceux des habitants qui auraient le
goût d'une vie paisible, exploitant les ressources du milieu
où la destinée les a placés, ne peuvent augmenter ni Ie|
nombre de leurs arbres, ni celui de leurs troupeaux; iU
n'ont pas la pensée d'aménager un peu les eaux, des nomades
brigands devant les spolier de leur aisance. Presque J
chaque page de son journal, M. Foureau constate rinsê-
curité qui, plus que l'aridité de la nature, est la plaie de
celte région (1).
Celte aridité naturelle, qui est rarement complète et déli-
nitive, frappe d'autant plus les voyageurs qu'ils apparlienneni
à une vieille contrée riche. L'homme civilisé a perdu aujour-
d'hui le sens de la nature primitive et brute; il est habitué l\
une terre dont toutes les parcelles ont été, depuis trois oa
(1) Missio7i saharienne, voir notaïunienl pages 31, 47, 103, 132, 158, clc: •"
pourrait citer une containc de pagos du journal de M. Foureau où il csl ip--^
tion do oc terrible lir-au, l'insécuritii du Sahara et du Soudaa central.
RÉSUMÉ : L'AVENIR PASTORAL ET AGRICOLE DU SAHARA. 323
quatre mille ans, manipulées par Thomme; il croit que cette
terre est celle que la nature a faite ; il pense que les eaux
coulaient naturellement là où elles coulent aujourd'hui dans
un vieux pays agricole; que les arbres y poussaient de
même; que les pâturages y étaient à peu près ce qu'ils sont,
et c'est là une complète erreur.
Même dans un vieux pays, comme la France, il se rencontre
des espaces plus ou moins étendus, dont Taridité étonne et
consterne ceux qui les voient pour la première fois: la vaste
plaine de la Grau, par exemple, ou certains plateaux comme
celui du Larzac ; on serait porté à croire que ces lieux rébar-
batifs, couverts de pierres et manquant d'eau, ne se prêtent à
aucune exploitation rémunératrice; et, cependant, il y a là
une vie pastorale et agricole, sinon intense, du moins fruc-
tueuse; il se trouve, dans ces prétendues solitudes, 10 à
12 habitants par kilomètre carré, et c'est déjà quelque chose.
Bien des points, sur la longue étendue du Sahara, nous ap-
paraissent, d'après l'idée que suggèrent à la réflexion les
récits des explorateurs, comme pouvant valoir à peu près
autant, sinon parfois beaucoup plus, que les contrées de
France que nous venons de nommer, et valussent-ils deux
ou trois fois moins qu'ils se prêteraient encore, surtout avec
une population sobre et peu exigeante, à une certaine exploi-
tation. On peut donc espérer quelque avenir pastoral et
agricole pour le Sahara. Il est permis de croire qu'une fois
que la sécurité y sera assurée, — et ce sera maintenant pour
nous une œuvre facile, quoique graduelle, — il se formera,
de l'Algérie au Soudan, toute une succession de groupes
d'oasis ou de terres exploitées (1), non pas toujours en
dattiers, mais parfois en céréales et surtout en pâturages
et en élevage de bétail. Le journal de M. Foureau, lui-
même, quoique le vaillant explorateur n'en ait peut-être pas
conscience, nous apparaît comme la réhabilitation du Sahara.
(1) On doit réserver le terme d*oasis pour les surfaces soumises à une irriga-
tioa permanente ou habitueUe ; les surfaces utilisables du Sahara excèdent de
beaucoup les oasis, non seulement existantes ou à. développer, mais celles à
créer.
324 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIEN'>.
Nous ne parlons ici qu'au point de vue de la surface;
car, en ce qui concerne le sous-sol, on ne sait rien el
Ton ne peut que conjecturer. On considère qu'il peut y
avoir des gisements carbonifères dans le nord et le centre
(Voy. plus haut, pages 83 à 87), des dépôts aussi de nitrates,
probablement de riches mines de cuivre aux environs de
TAïr et du Damergou ; on commence à exploiter déjà des
gisements paraissant riches de ce métal dans TExlrême Sud
Oranais; enfin Ton a constaté, dans toute Tétendue du Sahara,
beaucoup de terrains ferrugineux, indices probables de la
présence d'autres métaux. L'Aïr exporte déjà de la potasse
(Voy. plus loin, page 417). Il est hors de doute qu'une
immensité pareille, dont la plus grande partie est formée,
non pas de sable, comme on le croit, mais de quartz et de
granit, doit receler des richesses minérales.
Pour le moment, nous n'en tiendrons aucun compte. 11
nous suffit que le Sahara vaille quelque chose par sa surface
même. Il est important surtout parce qu'il constitue la route
la plus courte de la Méditerranée centrale et des grandes
capitales européennes, Paris, Londres, Bruxelles, Berlin,
à ce)4es des contrées de l'Afrique qui ont le plus d'avenir,
une route extrêmement salubre, une route, en outre, entiè-
rement française.
Le journal de M. Foureau, concordant avec tous les récils
des explorateurs antérieurs ou postérieurs, démontre que
l'établissement d'un chemin de fer transsaharien aboutissant
à la région du Tchad ne rencontrerait aucun obstacle, nous
ne disons pas insurmontable, mais vraiment sérieux. M. Fou-
reau le reconnaît implicitement dans sa conclusion : « Si l'on
ne veut le considérer que comme un inslrument de domi-
nation (d'autres disent un chemin de fer impérial, et c'est
évidemment la môme chose), le Transsaharien, sous ce point
de vue spécial, serait alors une œuvre splendide, aplanirai!
bien des difficultés, supprimerait bien des obstacles. Ses
apôtres le défendent avec vigueur et comptent bien que sa
construction sera la première affirmation de l'ardente activité
CONCLUSIONS FAVORABLES AUX TRANSSAflARIENS. 32H
du xx*" siècle (1). » C'est par ces lignes que finit la longue
relation de M. Foureau; cela suffit à notre cause : il n'y a
aucun obstacle naturel considérable à Texécution de cette voie.
A plus forte raison en est-il ainsi du Transsaharien vers le
Niger, ligne déjà amorcée sur une très appréciable longueur.
Au point de vue politique, stratégique, administratif, Texé-
cution immédiate des chemins de fer transsahariens s'impose
absolument à la France pour que son empire africain de-
vienne une réalité et que ses divers tronçons ne risquent pas
de se disperser et peut-être d'échoir en partie à des rivaux.
(Juelles sont, au point de vue économique, les perspectives
de ces grandes œuvres, c'est ce que nous allons rechercher,
en prenant nos données, non seulement dans le vieil ouvrage,
insurpassé, du grand voyageur Barlh, toujours actuel, mais
dans le journal de M. Foureau, dans le livre de M. Gentil,
dans les relations aussi du capitaine Joalland, dans celles
du capitaine Lenfant, les quatre derniers explorateurs du
Soudan français. Disons dès maintenant que la région du
Tchad, avec les inondations régulières du lac et de ses
principaux tributaires, s'étendant sur une surface d'environ
20000 kilomètres carrés, soit 2 millions d'hectares, apparaît
comme destinée à devenir l'une des grandes contrées du
globe productrices de coton, valant, par exemple, le Tur-
kestan, qu'il en est de même de tout le moyen Niger; or,
ce produit, le coton, avec d'autres que nous indiquerons
encore, comme les peaux et dépouilles d'animaux, le bétail
étant nombreux dans cette région, comme le sel et le sucre
aussi, deux produits venant du nord, suffirait, en l'absence
même de toute richesse minérale, à assurer au Transsaharien
du Tcliad et au Transsaharien du Niger un trafic se rappro-
chant de celui du chemin de fer transcaspien, qui, on le
sait, est considérable et très rémunérateur.
(i| Mission saharienne, page 7î)8. C'est à nous que M. Foureau paraît faire
allusion en ce qui touche celte appellation de chemin de fer impënal. Nous
avons, en effet, insisté sur celte idée que les Transsahariens doivent être consi-
'l<''rés, non comme des œuvres algériennes ou régionales, mais comme des œuvres
impériales dans toute l'étendue du mot, c'est-à-dire comme devant constituer la
charpente de tout l'empire français en Afrique.
LIVRE III
LE SOUDAN CENTRAL ET OCCIDENTAL
CHAPITRE PREMIER
La région de Zinder.
Immensité dos terres soudanaises constituant le lot africain de la France.— Le
Soudan central. — Zinder.
Les descriptions très favorables de Barth sur les pays à l'ouest et & l'est <le
Zinder. — Les villes de Mirria, de Vouchek et de Gouré. — Nombreuses cul-
turcs de coton et de tabac.
Description du capitaine Joalland en 1900. — Témoignage très net en faveur
des ressources du pays. — Son enthousiasme pour Zinder et la région envi-
ronnante.
Le témoignage de M. Foureau n'infirme aucunement les témoignages pn'cédenl?.
— Son récit de son entrée à Zinder. — Sa description de la ville, du comiiitT«
et de l'industrie des habitants. — Abondance des objets travaillés en cuir et
en cuivre.
Le pays apparaît comme très minéralisé. — Probabilité de gisements de cuivrv.
— Enormes gisements de fer constatés par M. Dorian.
Goûts de confortable et de raffinement relatif de la population.
Zinder, voisine et rivale possible de Kano, est la vraie porte du Soudan contrai-
Au sud du Sahara s'étend une vasle contrée tropicale
entre TÂtlantique et la mer Rouge, qui jouit de grandes
possibilités culturales et qui entretient ou a entretenu une
très abondante population.
Sur plus de la moitié de la plus grande largeur du con-
tinent africain, à savoir du 20*' degré de longitude ouest de
Paris, où s'avance la pointe de Dakar, jusqu'au delà du
26*" et même, à l'extrême limite, jusqu'un peu au delà du
30" degré de longitude est, ces contrées soudanaises limi-
trophes du Sahara appartiennent, sur une profondeur va-
LA RÉGION DE ZINDBft. Ztl
riable, à la France. Nous nous occuperons ici particulière-
naenl du Soudan central et du Soudan occidental, entre le
10' degré de longitude ouest et le 25'' degré de longitude est.
C'est celte vaste contrée surtout qu'il importe de rattachera
la France par des voies ferrées, instruments administratifs,
stratégiques et économiques.
Nous serons beaucoup plus bref sur le Soudan que nous
ne l'avons été sur le Sahara, le pays étant beaucoup plus
connu et son avenir prêtant moins à contestation.
Le Damergou, que nous avons décrit d'après les récits
des explorateurs (Voy. plus haut, pages 274 à 280), conduit
à la ville de Zinder; on entre là vraiment dans le Soudan; on
est encore en terre française. On vient de voir que la roule
de l'Algérie à Zinder n'a rien de bien efiTrayant, qu'elle n*est
désolée que sur la moindre partie de son étendue, qu'à des
intervalles qui n'ont rien d'excessif, elle présente partout des
points d'eau, des pâturages nombreux, du bois même,
qu'enfin, à partir de TAïr, au-dessous du 19" degré, jusqu'au
14* où s'ouvre le Soudan proprement dit, il y a une presque
continuité de terres offrant, avec une population déjà séden-
taire et une exploitation assez sérieuse du sol, de grandes
« possibilités culturales j>. L'insécurité seule, une insécurité
terrible et de tous les instants, s'est opposée jusqu'ici à un
plus ample développement de cette région.
Le Sahara, jusqu'ici du moins, n'est pas un but suffisant
en soi, c'est surtout, à l'heure présente, une route, mais une
route des plus frayables et offrant des ressources latérales.
L'Aïr et le Damergou, avec leur développement actuel et
surtout leurs amples « possibilités », sont des contrées ayant
une incontestable valeur par elles-mêmes, mais qui pour-
raient ne pas justifier l'établissement d'une voie ferrée de
plus de 2000 kilomètres. Le Soudan, au contraire, est
un but et justifie largement une grande voie de communi-
cation de cette nature.
Sur Zinder et la contrée qui l'avoisine, ainsi que sur la
région qui borde au nord-ouest, au nord et à l'est, le lac
328 LE SAHARA, LB SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAflARlISS.
Tchad, nous avons, outre les témoignages toujours précieux
de Barth et de M. Foureau, un témoignage nouveau, celai
du commandant Joalland, le chef de la mission de TAfriqu*
centrale, qui fut d'abord dirigée par Voulet et Chanoine.
Avec le concours de ces observations diverses, on va pouvoir,
malgré la guerre et la dévastation dont il a été Tobjet, assez
nettement juger le pays.
Barlh, dont les voyages dans le centre de l'Afrique onl
duré plus de cinq ans (1849 à 1855), a parcouru plusieurs fois
le Soudan central. Il a notamment traversé tout le rectangle
avancé de Zinder, qui constitue notre part, un peu trop
échancrée, quoique récemment rectifiée (1904), du Soudan
central à Touest du Tchad. Quoique nous ne soyons pas les
mieux lotis dans cette région à Touest du fameux lac et que
notre part soit loin d'y valoir celle de l'Angleterre et peut-édx*
même celle de l'Allemagne, la lisière soudanaise assez étroite
qui, de ce côté, nous est laissée (nous avons de vastes com-
pensations à Test et au sud du Tchad) ressort, d'après les
descriptions du voyageur allemand, comme ayant une valeur
sérieuse. L'ouvrage de Barth est rempli de cartes détaillées
où chacun de ses voyages est esquissé avec des annotations
nombreuses. Si Ton prend les cartes n^' 1 et 2 du tome II
contenant le tracé de son parcours de Katsena à Kouka par
Zinder, on voit que le district de la ville de Tessaoua, qui
avoisine l'extrémité à l'ouest de notre rectangle centre-
soudanais, est marqué comme une région fertile {fruchlban
Gegend), que Zinder {alias^ Sinder) est portée comme ayant
10000 habitants et se trouvant au milieu de cultures éten-
dues, qu'il en est de même, au delà de Zinder, à l'est, de la
ville de Mirria, ancienne capitale de la province et, à un degré
ou un degré et quart de longitude à l'est de Zinder, un peu
plus au nord quecelle-ci^desdeux villes de Vouchek, inscrile
comme ayant 8000 habitants, et Gouré, comme en comptant
de 9000 à 10000, avec divers villages voisins, à chacun des-
quels Barth attribue plusieurs milliers d'âmes. D'après la
situation qu'elles ont sur la carte de Barth, ces diverses loca-
LA RÉGION DE ZINDER ; BARTH ; RESSOURCES DU PAYS. 329
lilés importantes doivent faire partie du territoire français ;
nous ne trouvons à ce sujet aucun renseignement dans le
journal de M. Foureau, qui n*a pas suivi cette route; mais
la carte annexée aux récits du capitaine Joalland porte Gouré
dans notre territoire, à plus forte raison Vouchek doit-il en
faire partie (1). En tout cas, depuis la rectification de Tan 1904
qui abaisse notre frontière jusqu'à la rivière Komadougou,
il n'y a aucun doute que ces deux villes, Vouchek et Gouré,
ou, si elles ont disparu, par les dévastations de bandes
soldatesques, remplacement où elles se trouvaient, ne fassent
partie des possessions françaises. Ce seraient, avec Zinder,
trois villes d'une dizaine de mille âmes chacune.
Ce qui frappe surtout dans la carte de Barth et ce qui est
du plus haut intérêt, ce sont les annotations concernant la
culture du coton. De Tessaoua jusqu'à Gouré et au-dessous,
dans le rectangle français du sultanat de Zinder, les mots
< cultures de coton » reviennent à chaque instant: un peu au
nord de Tessaoua, «premiers champs de coton dans le Sou-
dan » (ersle Baurnivollen-Felder im Sadan); villages de
Tatéka, « coton, melons d'eau » {Baamwolle, Wasser-melo-
nen); Dambéda, coton (Baamwolle); Tyrméni, belles plan-
tations de coton et de iah^c {Schone Baumivollen und Tabak
Pflanzangen); plus loin un autre village tout voisin de Zinder,
cultures étendues de céréales et coton (Aasgedehnte Getrei-
defelderj Baamwolle) ; de l'autre côté de Zinder, coton
encore; un peu plus à l'est, à Potoro, plantations de coton
Baamwollen'Pflanzungen) ; à Handara, plantations de coton
encore; de même à Kéléno, de môme aussi à Vouchek, éga-
lement à Gouré, un peu plus au sud à Tunguré, belles plan-
tations de coton {Schône Baamwollen-Pflanzangen)^ etc. ;
tout cela dans notre territoire.
Si, de la carte, nous nous reportons au texte, il n'est pas
moins caractéristique : le village de Potoro est remarquable
par l'étendue de ses plantations de coton (durch die Aus-
il) Voyez la carte publii^e dans le Bulletin du Comité de l'Afrique française,
juin 1901.
330 LB SAHARA, LE SOUDAN BT LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIQ^L
dehnung seiner Baumwollen-Pflanzungen ausgezeichneîeî
Dorf) ;ldi ville de Mirria, qui est qualifiée de très bien doué
par la nature {von der Natur hôchsl begûnsiiglen Slâtle el
que de grands arbres de l'espèce des tamarins couvrent d^une
façon gracieuse, a, au nord, une notable étendue de terre
cultivée en colon et en céréales {ein ansehnliches Slûck LarA
mit Baumwolle und Waizen bebaut) ; aux environs de Zinder,
on cultive particulièrement une quantité de tabac {besonders
wird ein ansenhliche Menge Tabak gebaut) ; à Vouchek, les
plantations de coton sont qualifiées de luxuriantes (eine sehr
uppige Baumwollen'Pflanzungy sorgfàllig umzâumt) ; d'au-
tres, comme à Tunguré, sont simplement qualifiées de belle?
plantations (1). Ainsi le coton est, dans toute cette région,
une culture habituelle, on l'y retrouve partout.
Voilà ce qu'était le pays, il y a cinquante ans; passons à
une description plus moderne, d'ailleurs succincte, celle du
capitaine Joalland, qui, en 1900, comme chef, après Voulel,
de la mission de TAfrique centrale, a parcouru une grande
partie de nos possessions à l'ouest, au nord et à Test du
Tchad. De Zinder, il fit une pointe vers l'ouest jusqu'à Tes-
saoua et traversa les lieux décrits par Barth entre ces deuî
villes; il est le 28 août à Tyrméni, le 29 à Tounkour, « pays
de mil splendide », le 30 à Koutché, le 1" septembre à Ché-
baré et le 4 à Tessaoua : « Dans tout ce pays, la tranquillité
était absolue, l'accueil excellent, les récolles bonnes. Tes-
saoua est un très grand village entouré d'un beau tata cré-
nelé, moins haut que celui de Zinder, mais bien entretenu...
Les cases sont bien construites, très propres ; tout respire
le bien-être, car Tessaoua commerce beaucoup avec l'Aïr et
le Damergou... La récolte était, en ce moment, d'une extra-
ordinaire abondance qui, correspondant avec l'occupaliofl
du pays, attirait aux Français la sympathie de tous. » Le
capitaine Joalland ne dislingue pas entre les cultures; ce
n'est pas son affaire ; mais on voit que l'aspect du pays lui
(1) Barth, Rehen und Entdeckungen, t. IV, pages 52, 6i, 76, 77, 78, 79.
MISSION FOURBAU : LA RÉGION DE ZINDBR, RESSOURCES DU PAYS. 331
paraît satisfaisant. Il se contente de noter plus loin des
montagnes ferrugineuses (1). Sur Zinder, il est enthousiaste :
« Pour donner une idée exacte de ce qu'est ce pays de Zin-
der, il me faudrait évoquer des tableaux des Mille et une
Nuits. Il me faudrait décrire et Tintérieur du palais du sultan,
avec ses lits couverts d'étoffes de soie et de velours brodés
d or, le tout parfumé à l'essence de rose ; il me faudrait
évoquer le faste oriental transporté en pleine Afrique cen-
trale ; il faudrait décrire aussi ces cavalcades où les accoutre-
ments les plus grotesques se mêlent aux manteaux brodés
el aux velours damassés. Qu'il me suffise de dire que le
pays de Zinder est un pays riche où le blé, le citronnier, le
mil, le maïs, le riz, les dattiers, etc., en un mot tous les pro-
duits soudanais, poussent en abondance. Le climat y est
admirablement sain, aussi ne crains-je pas d'affirmer que ce
pays est appelé à un grand avenir, sinon pour la grande, du
moins pour la petite colonisation (2). »
Le témoignage de ce brillant officier confirme celui de
Barth; est-il infirmé parla déposition de M. Foureau, qui fit
à Zinder une station de cinquante-six jours? En aucune façon.
Sans être aussi dithyrambique, le chef de la mission saha-
rienne est tout aussi catégorique sur l'aspect favorable des
lieux et des hommes; aux approches de la ville, il est reçu
par le sergent français Bouthel, homme remarquable qui,
CQ l'absence du capitaine Joalland, parti pour contourner le
Tchad, commanda longtemps el avec un rare succès un petit
poste de Sénégalais occupant le pays pour la France. Lais-
sons narrer par M. Foureau la réception faite à la mission
saharienne aux abords de Zinder : « Â droite, Bouthel et
ses Sénégalais présentaient les armes ; à gauche, une masse
épaisse de cavaliers de Zinder avec, en tête, le sultan Ahmi-
dou et Mallem-Yaro, splendidement montés et équipés,
accompagnés de la foule de fonctionnaires qu'exige Téli-
quette des sultans noirs. Le sultan et Mallem-Yaro s'avan-
(i) Bulletin mensuel du Comité de V Afrique française, \\ï\n 1902, page i95.
(2) Ihid., juin 1901, page 196.
332 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CREMINS DE FER TRANSSAHARIEV
cent pour nous saluer et nous souhaiter la bienvenue, pui^
nous précèdent avec leurs innombrables cavaliers; nous k-
suivons aussitôt vers Zinder. Cette réunion bigarrée, sci:
tillante, dans laquelle se voient de très beaux chevaux ricb.
ment harnachés ; ces galopades et ces envolées de fanla^i
dans la poussière sont un magnifique spectacle au milieu des
blocs de granit des collines et des arbres des vallées (If... >
L'auteur, enthousiasmé, poursuit longtemps encore celte
description. Il réside, en dehors de la ville, dans ul
bloc de constructions qu'un riche commerçant, cité plu?
haut, Mallem-Yaro, a donné à la France et qui a pris :
nom de Fort Cazemajou, en mémoire de l'infortuné capiUm.
français qui fut assassiné à Zinder, un an auparavant. < Le
tata du commandement, la plus importante des construction-
de pisé, est un édifice massif rappelant comme extérieurle^
maisons de Djenné, si bien décrites par M. Dubois, el
quant à Tintérieur, les dispositions sont identiques à celb
des belles maisons arabes d'Algérie, mais le tout en Icrrr
seulement. Ce tata comporte un étage et des terrasses. Le>
salles du rez-de-chaussée sont soutenues par d'épaisse^
colonnes en toubes (briques séchées) d'un gros diamètre
dont quelques-unes sont ornées de dessins en relief, soit cl
nervures droites, soit en hélice. »
La ville de Zinder occupe une surface d'environ 125 hec-
tares, entourée de murailles en terre de 9 à 10 mètres à
hauteur et de 12 à 14 mètres d'épaisseur à la base aux envi-
rons des sept ouvertures, qui sont fermées chacune p3:
deux portes en bois, bardées du haut en bas de lamelles d
fer. D'un mamelon situé à l'intérieur de l'enceinte, « on
jouit d'une vue merveilleuse sur la plaine uniforménienl
recouverte de grands arbres : baobabs, korna, téboraq, gao.
grands gommiers, quelques agouas et quelques doums.,
L'aspect général de Zinder est riant et heureux. Cette impres
sion est due à la diversité des cases et des maisons, à 1<
(i) Mission saharienne, page 500.
MISSION FOURBAU '. LA HÉG10N DE ZINDER, RESSOURCES DU PAYS. 333
I
(lissymétrie avec laquelle elles sont placées, enfin et surtout
aux nombreux arbres qui s'élèvent un peu partout dans un
nrlislique désordre, semant des multiples taches sombres
de leurs frondaisons le fond plus clair des constructions...
Elles sont par moitié à peu près en maisons de briques de
lerre séchées au soleil (toubes) et le reste en paillottes de
formes assez diverses et au toit conique... Quant aux con-
structions en toubes à forme cubique, elles sont faites à la
manière arabe avec terrasses; leurs contours, en môme
temps que leurs masses un peu épaisses, ont été évidem-
ment inspirés par des souvenirs de Tart égyptien. L'ornemen-
tation intérieure elle-même se rapporte au môme style (1).»
Ce ne sont donc pas des tribus noires primitives et dépri-
mées que Ton rencontre dans ce Soudan central, ce sont
des peuplades policées, qui ont, venant sans doute d'Egypte,
comme le fait remarquer souvent M. Foureau, de vieilles
traditions de civilisation. Les hommes sont très bien faits
et surtout les femmes, c Leurs bustes de bronze luisant sont,
le plus souvent, d'un irréprochable dessin, et plus d'un
sculpteur serait heureux de posséder de semblables mo*
dèles. » La ville est pleine de vie, le marché très animé et
bien pourvu. Le quartier delà boucherie se trouve en dehors
du grand marché; c les indigènes qui vendent de la viande
n abattent, en général, que des animaux très gras, surtout
des moutons, la viande qui en provient est de très belle
qualité ». Tous les produits manufacturés de l'Afrique et de
l'Europe se rencontrent à Zinder; les magasins d'un riche
marchand, Mallem-Yaro, le personnage le plus important
du pays après le sultan, sont bondés des marchandises les
plus diverses, y compris des boîtes de parfumerie d'origine
française, des bouteilles d'absinthe et d'eau de Hunyadi-
Janos.
On remarque à Zinder nombre d'ouvriers habiles ; d'une
part, des teinturiers, le pays produisant de l'indigo et d'au-
(1) Mission saharienne, pages 504, 5i0, 512, 514.
334 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES GBEMINS DE FER TRANSSÀBàUE^i
très produits colorants, certains d origine minérale, elfaîsaLl
un très grand usage de couleurs et de vernis pour enduire t\
décorer Tintérieur des maisons; de Tautre, des selliers el |
des cordonniers, la région fournissant du cuir en aboadax}£^
et riiabitude des riches harnachements pour les cavaliers
des classes riches étant très répandue ; enQn, des forgerons,
orfèvres ; le travail du fer et du cuivre est très bien compris
à Zinder, et cette observation est très importante. Il est foil
dans cette ville comme dans toute la contrée, suivani h
remarque de Barth que nous avons reproduite plus haul, uu
très grand emploi du cuivre; M. Foureau le remarque aussi,
les forgerons indigènes fabriquent des bijoux de femmes el
se transforment, à Toccasion, en orfèvres; ils fondent l'or el
l'argent; « ils produisent aussi des mors de brides, des cli^/-
nettes de brides et des têtières de brides assez élégantes,
ornées de découpures de cuivre, de fer-blanc et de petits
grelots de cuivre assez artistiques. Indépendamment de ces
divers bijoux, les femmes haoussa portent d'énormes brace-
lets de cuivre rouge ou de cuivre jaune (laiton) qui pèsent
jusqu'à 2 ou 3 kilogrammes ». Certaines femmes en portent
jusqu'à deux à chaque bras; on fait aussi de plus petits
bracelets mi-partie en cuivre rouge, mi-partie en laiton. Si
Ton ajoute que M. Foureau a vu cinq canons de cuivre fon-
dus à Zinder même (1), on aura bien des indications dt
Fabondance de ce métal dans ce pays et Ton en conclura
que, suivant les probabilités, les anciennes mines de cuivre,
dont Barth a, par la renommée, constaté l'existence entre
l'Aïr et Zinder (Voy, plus haut, page 273), ne doivent pas
être épuisées ou qu'il s'en trouve d'analogues. Ce serait là
un fait capital. Un autre fait qui tendrait aussi à le démon-
trer, c'est que l'on vend couramment sur les marchés dans
le Bornou « du soufre cristallisé, dont, dit M. Foureau, je
n'ai pu savoir la provenance (2) ». Or, le cuivre el le
soufre sont des matières que l'on trouve dans les mêmes
(1} Mission saharienne, page 503.
(2) Ibid,, page 634.
[ISSION FOUREAU : U RÉGION DE ZINDER, RESSOURCES DU PAYS. 335
gisements. Que le pays des environs de Zinder et dans TAïr
;oit très minéralisé, on en a un autre témoignage de la part
l'un homme des plus compétents, M. Dorian, qui appartenait
I une grande famille métallurgiste et qui accompagna le
commandant Lamy dans une excursion vers Tessaoua :
K Dorian a recueilli, au cours de cette tournée, de très
nléressants échantillons de minerai de fer aux environs du
/illafçe de Kantchi. Il me dit que, dans toute cette région,
ie minerai abonde; qu^ily existe de nombreux emplacements
perforés de trous profonds, semblables à des puits, et d'où
Ton extrait le minerai. Les indigènes le fondent dans des
sortes de hauts fourneaux en forme de creusets. Il ajoule
que, dans cette contrée, on fabrique quantité de lances et
d* autres objets en fer (1). » On sait, en outre, que Tétain,
malgré Ténormité des prix de transport par caravane, a
toujours fait partie des exportations du Soudan par la voie
de Tripoli.
La ville de Zinder a une annexe, Zengou, qui est à une
distance de 1500 mètres et n'est pas entourée de murs.
M. Foureau évalue à 10000 âmes la population de Zinder et
à 4000 ou 5000 celle de Zengou. Dans les deux agglomérations,
la population a un certain soin de sa demeure et de sa per-
sonne. Quelques détails caractéristiques Pindiquent : « L'en-
tourage de toutes les cases est toujours très propre et bien
balayé... Chaque maison aussi bien à Zengou qu'à Zinder
possède ses latrines, dans une cour, lorsqu'il s'agit d'une
maison en toube, et dans l'enclos entouré de seccosy s'il
s'agit d'une paillotte », et M. Foureau en fait la description
en ajoutant : « C'est presque soigné, comme on le voit (2). »
Depuis notre prise de possession si récente, Zinder prend
de Tessor et, maintenant que la sécurité y paraît assurée, il
s'y fait un certain mouvement de constructions. Zinder
semble môme vouloir menacer un peu Kano, la métropole
commerciale du Soudan. Barth a dressé l'itinéraire de Kano
(1) Mission saharienne ^ page 566.
(i) Ibid,, pages 5âl et 522.
336 LE 'SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIENS.
à Zinder : il n'y a que cinq jours de marche. Kano, d'après
Glapperlon, comptait de 30000 à 40000 habitants; d'après
Barth, 30000 habitants pendant la plus grande partie
de l'année, et 60000, dans le temps de la plus grande ani-
mation, de janvier à avril (1). Zinder est ainsi la véritable
porte du Soudan ; elle se trouve à 7 degrés environ de lon-
gitude est de Paris et à peu près sur le méridien de Bône ou
la Galle ; on y arrive presque en ligne droite de Biskra, en
longeant l'Âïr; ce sont ces circonstances qui, avant même
les explorations récentes si favorables, nous la faisaient
désigner comme le point tout indiqué d'aboutissement du
Transsaharien de la région du Tchad.
(1) Barth, Reisen und Entdeckungen, t. III, pages 144 et 669.
CHAPITRE 11
\ RÉGION DU LAC TcHAD. — La ZONE d'iNONDATION DU LAC
ET DE SES TRIBUTAIRES.
i contrée enlro Zinder et lo lac Tchad. — Importante rectification do frontière
nous donnant pour limite la riviôro du Komadougou, par Taccord franco-
anglais de 1904.
''vaslaCion de tout le pays par Rabah. — Description que fait M. Fourcau de
i-os rava«:^f;s et de ces ruines, particulièrement en ce qui touche la ville do
Kuuka.
i partie du ]>ays ayant i-chappi'' à ces ravages donne des preuves de richesse
îu-lut'lle et de beaucoup plus grande richesse possible. — Bétail superbe d'après
M. Foureau. — Abondance de la vie animale. — Belle végétation : arbres
rxtraordinairos. — « Cultures de' mil à perte de vue ». — Tabac, indigo,
colon. — Rapprochement des témoignages de Foureau et de Barth sur les
euKurcs de coton. — « Champs de coton ».
l's inondations périodiques du Tchad, du Komadougou et des autres cours
dVau de la région. ■— Evaluation de l'aire de ces inondations.
es objections et les inductions de M. Chevalier. — Comment elles ne peuvent
l»révaloir contre la concordance des nombreuses explorations antérieures,
dont plusieurs sont récentes.
'insécurité constante et accrue sous Rabah est la seule cause de l'abandon des
cultures et de la réapparition de la brousse. — Témoignages à ce sujet.
.e Kanein ; témoignages de Foureau et de Joalland.
êinoignagc de Gentil : « Décidément la région du Tchad est riche ».
De môme que, de Zinder, on atteint, en quelques étapes,
(ano, la métropole commerciale du Soudan, de même on
jagne facilement, au sud-est, Kouka, Tancienne grande
capitale du Bornou, à laquelle l'ensemble des témoignages
es plus authentiques, y compris les plus récents, ceux de
M.Monteil et de M. Foureau, attribuent une population d'une
centaine de mille âmes, avant sa destruction par Rabah.
M. Foureau a fait ce trajet de Zinder à Kouka, puis il a
remonté vers le nord en suivant les rives du lac Tchad,
qu'il a complètement contournées à Test, pour rejoindre, au
sud-est de cette grande nappe d'eau, vers l'embouchure du
Chari, qui s'y jette, les deux missions de l'Afrique centrale
el de Gentil.
22
338 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSADAR1E>f
L*espace nous manque pour suivre la mission saharienne»
dans tout ce parcours ; nous nous contenterons de relever
les traits principaux qui doivent permettre déjuger du pays
et de son avenir quand la sécurité y sera assurée. M. Fourea-i
quitta assez tôt le territoire français qui, alors, était Irn
échancré à Test, du côté du Tchad, et eût dû être prolong»'
jusqu'à la grande rivière de Komadougou, un des cours d'eau
qui se jettent dans le Tchad, vers le tiers nord à peu prè^^
de la rive occidentale de ce lac. Nous indiquions, dans un
article h ce sujet, publié par la Revue des Deux Mondes [X^
qu'il devait être aisé d'obtenir de TAngleterre cette recli-
(ication ainsi que quelques autres. C'est ce qui est arrivé par
raccord franco-anglais de 1904 qui, d'une part abaisse un
peu notre frontière, entre le Niger et Tessaoua, du côlé de
Sokoto, et, d'autre part, donne pour limite à nos possessions
la rivière de Komadougou, du côté du lac Tchad.
Une grande partie de la contrée ainsi parcourue, de Zinder
à Kouka, par la mission saharienne, a été effroyablcmenl
ravagée par Rabah, le terrible conquérant noir, dont no?
Irois colonnes réunies, celle du Chari, celle de l'Afrique
centrale et la mission saharienne, toutes sous la conduite
de l'héroïque et infortuné commandant Lamy, ont triomphé
en avril 1900. On peut lire le récit émouvant de celte lulle
dans le beau livre de M. Gentil, l'administrateur colonial
auquel est due en grande partie la préparation de notre con-
quête des deux tiers des rives du Tchad (2). Nous emprun-
terons plus loin à cet ouvrage quelques extraits qui achève-
ront de peindre la région. Un conquérant noir renchérit
encore sur Tamerlan ou Gengiskhan; il fait autour de lui la
désolation et la ruine. Le journal de M. Foureau mentionne,
à chaque instant, dans cette partie du récit, d'effroyables
dévastations deRabah oudeseslieutenants. « De toutesparis
(1) Livraison du l^"" novembre 1902, paf,'e 133. « U semble qu'il serait ai-
(lisions-nous dans cet article, d'obtenir de l'Angleterre celte rectification. \n.<
que quelques autres, à l'occasion de la revision de nos droits sur Terre-Neuvo. <
L'événement a confirmé nos prévisions.
(:*) Emile Gentil, la Chute de VEmpire de Rabah, 1902; Hachette,
LA RÉGION DU LAC TCHAD. — RESSOURCBS DU PAYS. 339
dans la brousse, mais surtout aux environs des villages, ou
voit gisant à terre des ossements humains. Des crânes
jonchent le sol et les soldats de Rabah ont dû faire dans cette
région dinnombrables hécatombes. Cette rage de destruc-
tioû et de tuerie est vraiment effrayante; ces vestiges récents
sentie lamentable épisode d'une sauvage invasion. Ce n*est
pas sans raison que les noirs de ce pays ne parlent de
Rabah qu*en tremblant et en donnant tous les signes d'une
terreur sans nom. L'emplacement du camp, en particulier,
qui était autrefois un des villages de Gaschguer, est un véri-
table ossuaire. » Et il en est fréquemment ainsi tout le long
de la route; la mention « village détruit par Rabah » revient
avec une terrible monotonie (1), et le comble de l'horreur,
c'est la destruction absolue de cette ville de Kouka, aux
100 000 âmes, que Barth et Monteil ont connue florissante.
«Xous cheminons longtemps, dit M. Foureau, au milieu des
maisons ébranlées et des débris d'une splendeur passée que
rien ne vient plus rappeler... La mission quitte cette der-
uière partie de la ville en franchissant les vestiges de son
mur de rempart le plus occidental, dont l'aspect est encore
fort imposant ; là elle débouche sur un ancien vaste marché,
1res large avenue bordée de maisons en toubes (briques
séchées au soleil), évenlrées, mais encore debout; c'était là
une banlieue extra muros très importante. La traversée totale
de la ville, de l'est à l'ouest, compte environ 4 kilomètres,
kilomètres pénibles, puisqu'ils se développent continuelle-
ment entre des ruines (2). » C'était donc vraiment une grande
ville que Kouka, dont les débris impressionnent encore.
Une contrée qui nourrit et soutient une capitale de
lOOOOOâmes ne peut être dépourvue de ressources. Aussi ce
pays, dans sa plus vaste étendue, apparatt-il comme bien
doué de la nature. Il s'y rencontre, sans doute, des zones
ou bandes de terrains médiocres, comme celle qui s'étend
11) Mission saharienne.Yoy, nolamment pages 589. 591, 593, 602, 610, 614,615,
624. 625, 637, 640, etc.
(2) Ibid., pages 625 et 626.
340 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIE><
de rextrémité de rancien rectangle avancé de Zinder au
Tchad; là, sur une longueur de 120 kilomètres environ, lui
trouve un sol assez ingrat où les habitants vivent surtout
de la production d'un sel de mauvaise qualité, ou plutôt è.
natron, que le sous-sol fournit en quantités assez abondantes
Mais de beaucoup la majeure partie de la région offre tous le.^
signes d'une grande richesse actuelle et d'une beaucoup plus
grande richesse possible. Les villages, là où se sont arrêter
les ravages de Rabah, sont nombreux et florissants, les habi-
tants affables ; ils ont des aptitudes industrielles, pour h
poterie par exemple. Le gros bétail se rencontre partout ti
d'un très beau type : « leurs bœufs sont très beaux etpounus
de cornes énormes ». Effrayés par l'arrivée de la missiur .
les habitants de certains villages se sontenfuis, d'autres t se
sont bornés à faire évacuer vers le nord de grands trou-
peaux de bœufs. Leurs bœufs, comme ceux d'Arégué, sool
très beaux ; beaucoup d'entre eux, surtout ceux destinés au
portage, sont castrés et la plupart en très bel état de
graisse (l).*. » Les moutons aussi abondent. La vie animale
est, d'ailleurs, exubérante; le gibier de toute nature pullule,
et, par endroits, le pays est « une véritable volière (2) ».
La vie végétale ne le cède pas à la vie animale; à chaque
instant, le journal de M. Foureau s'émerveille de la beauU'
des arbres. En voici un, aux abords d'un village détruit par
Rabah : < Seul, archisécuiaire, majestueux et énorme, ua
magnifique figuier sycomore étend sa ramure colossale à
Tangle sud du village et offrirait sans exagération l'hospi-
talité de son ombre à un régiment tout entier (3). » D'autres,
aux termes du Journal de la mission, se contenteraient d'abri-
ter chacun une centaine de cavaliers. Le figuier sycomore
surtout paraît être gigantesque, M. Foureau lui applique
cette épithète dans d'autres passages. Les cultures couvrenl
des surfaces considérables ; c'est le mil qui domine. « Le
(1) Mission sahanenne, pages 583, 594, 595, 630, 632. 644.
(2) /6«t/., page 633.
(3) Ibid., page 640; voyez aussi pages 584, 590. 591, 592,601, 604. 608, 612. 65£
MISSION FOUREAU : CULTURES DE COTON DANS LA REGION DU TCHAD. 341
sentier ne quitte pas les cultures de mil... ; on chemine
dans des cultures de mil à perle de vue, sillonnées de sen-
tiers courant dans toutes les directions. Des troupeaux de
bœufs et de moutons paissent de-ci de-là accompagnés d'au-
truches privées... Le mil règne en maître partout (1). » On
trouve aussi, outre de nombreuses variétés de légumes, du
blé, du tabac, de Tindigo, et surtout une plante, bien plus
importante au point de vue mondial, le coton.
On a vu combien Barth avait été frappé des nombreuses
et parfois importantes cultures de coton dans le Soudan. Le
témoignage de M. Foureau n'inflige encore sur ce point
aucun démenti à Barth; car, à chaque instant depuis TAïr,
le mol de coton revient sous sa plume, comme celui de
Banmivolle sous celle de Barth. Dès TAïr, aux environs
d'Agadez, le coton lui apparaît (2). II ne le quitte pour ainsi
dire plus. On le retrouve à chaque pas dans le Damergou,
dans le pays de Zinder, dans le Bornou et sur les deux
rives du Tchad. Ce ne sont souvent que des jardinets et de
petits carrés; mais cela tient, sans doute, d*une part, à Tin-
sécurité et, d*autre part, à ce que la demande du coton est
purement locale, toute exportation en étant impossible par le
prix des transports. Cependant, les cultures deviennent de
place en place plus importantes, et on les arrose ou on les
irrigue. Alors, il ne s*agit plus de jardinets, mais de < champs
de coton » ; celte expression revient fréquemment, et ils sont
assez étendus pour que la mission y campe : « Cette brousse
3ède alors la place à des champs de coton... ; c'est dans ces
champs de coton que nous campons. » Aux environs de
Kouka détruite, la plaine « est jonchée de dépressions
lont le sol noir a été cultivé jadis en coton et en mil... »
^lus loin, t sur le bord des étangs et entre le camp et la
ivièrc (le Komadougou), s'étendent des cultures d'orge, de
>lé et de coton qui s'arrosent au moyen de perches à bascule
iuisant l'eau en contre-bas dans ces divers réservoirs... »
(l) }fis9ion aaharienne, pages 579, 595.
d\ Ibid., page 420.
342 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAQARIE!;:
Plusieurs fois, pour la région est et sud-est du Tchad, \t
journal parle de ces irrigations de colon. D'après nombre
de passages, il est clair qu'il ne s*agit plus de cultures spora-
diques et insigniGantes (1).
Le point important, d'ailleurs, ce n'est pas Téteodue
actuelle de ces cultures de coton pour un marché restreint,
c'est la fréquence de ces cultures indiquant une parfait?
adaptation de la plante au pays. De toutes les matières vég?
taies, en dehors de celles qui servent à ralimentalion «ir
rhomme, le coton est, sans aucune comparaison possible
la plus importante, celle dont la demande, sur le marclr
universel, se développe avec le plus de constance et de régu-
larité, au point qu elle tend toujoursà excéder l'offre. Unpajs
qui peut produire le coton en abondance et à bas prixesl assuri
d'une exportation énorme. On Ta bien vu par TÉgyplc, Aonl
la production de coton était modique, il y a un demi-siècle,il
est devenue très considérable depuis quelques années; de
1890-91 à 1899-1900, elle s'est accrue dans ce pays de plusde
60 p. 100, atteignant dans cette dernière année 6510000 kao-
tars de 50 kilogrammes, soit 325500 tonnes ; l'étendue con>>
crée à cette culture était de 906 000 acres anglais (2), soilJf
371 000 hectares. La production moyenne approche doncd'onc
tonne par hectare (exactement 877 kilos à l'heclare). H s'agi'-
ici, il est vrai, de coton brut, la flbre de coton n'est produite
qu'à raison de 250 à 300 kilos à l'hectare. 11 suffirait quedaû*
le Soudan central on put consacrer 200000 hectares à la
production méthodique du colon pour qu'on obtint, avec le
même rendement, entre 50 000 et 60000 tonnes de coIod.
presque toutes destinées à l'exportation en Europe. Or. i
n'est pas douteux que ce n'est pas seulement 200000 he:-
lares qu'on pourrait planter en colon dans la région du
Tchad, mais probablement le double de cette étendue ('Ji
(1) Mission saharienne, pagos 403, 499, 509, 570, 574, 595, 001, COC. OU. ''•
613, 615, 617, 627. 632. 637, 630, 641, 666, 668.
(2) The Stalesman's Yearbook, 1901. page 1164.
^3) Nous donnons plus loin (pages 365 et 366) quelques renseignemcob *«• "
culture (lu coton.
LA RÉGION DU TCHAD : LES INONDATIONS PÉRIODIQUES. 343
Rien ne ressemble plus à TÉgypte que la région du Tchad ;
c'est un climat analogue, avec plus de conditions de salu-
brité pour TËuropéen, grâce à la fraîcheur des nuits en
hiver, qui, d*aprës Barth, durant trois mois, s'abaisse à 4 ou
5 degrés au-dessus de zéro; c'est une population de môme
nature, industrieuse, laborieuse et douce, M. Foureau Ta
reconnu maintes fois; c*est la môme flore; ce sont les
mêmes cultures; enfin et surtout tout ce Soudan central et,
en particulier, les rives du Tchad sont des pays d'inonda-
lions régulières; des étendues considérables de terrains, des
centaines de mille hectares, sinon môme un ou deux mil-
lions d'hectares, sont régulièrement couvertes chaque
année par les crues du lac et des grands cours d'eau qui s'y
jettent, le Komadougou, le Chari, le Bahr-el-Ghazal, etc.
\ii ces inondations régulières ont les mêmes principes
fécondants dans ce centre de l'Afrique que dans le nord-est
du môme continent. Tous les cours d'eau, d'ailleurs, de cette
région sont au régime des inondations régulières : et le
Logone, et la Bénoué, et le Niger.
On a beaucoup disserté sur le lac Tchad; certains écri-
vains ont voulu le considérer comme un simple marais, un
bourbier môme, ont dit quelques-uns. C'est mal juger celte
puissante nappe d'eau. On a très diversement apprécié son
élendue. Les explorateurs et les géographes sont loin de
s'entendre à ce sujet. Rohlfs lui attribue seulement 11000 ki-
lomètres carrés pendant les basses eaux, deux fois environ
l'étendue d'un de nos départements français moyens; Nach-
tigal lui assigne 27000 kilomètres carrés; Reclus va jusqu'à
50 000 kilomètres lors des hautes eaux(l), l'ét^due de huit
à neuf de nos départements moyens. C'est que le lac Tchad
est le grand déversoir de tout un réseau d'importants fleuves
tropicaux dont plusieurs ont un cours très étendu et vien-
nent de montagnes ayant unealtitude déplus de2000 mètres,
et que son niveau varie énormément d'une saison à l'autre.
W) Reclus, Géographie universelle, t XII, page 667.
344 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHABIESS
Les observations des explorateurs sont sur ce point très
concluantes. Voici Harth, qui a visité plusieurs fois le lac
Tchad en des saisons différentes et en des années diverses:
lors de son séjour à Kouka, au mois d'avril , il fait uot
excursion dans la direction du lac, il quitte la ville de
Ngornou; il se hâte pour jouir de la vue de la nappe d'eau:
mais aucun lac ne s'offre à la vue, Rein See ivar za sehen ,
une plaine gazonnée interminable, sans aucun arbre, s'élend
jusqu'à Thorizon le plus éloigné; « enfin, après que Therbe
eut gagné sans cesse en fraîcheur et en luxuriance, nous
atteignîmes un marais peu profond, einen seichlen Samp/.
aux rives les plus irrégulières, tantôt s'étendant, (antôl î>e
retirant, de sorte qu'il nous devenait très difficile d'aller
plus loin... Combien différent était l'aspect de cette conlrte
de celui qu'elle offrait dans l'hiver de 1854 à 1855, alors que
la ville de Ngornou était à moitié embarrassée d'eau, el
qu'un lac profond et ouvert s^était constitué tout au sud,
couvrant tous les champs fertiles jusqu'au village di
Koukiya ». Et il conclut que « le caractère du Tchad esl
d'être une énorme masse d'eau, dont les rives changent
chaque mois, de sorte qu'on ne peut les porter avec exac-
titude sur une carte ; il faudrait, après des observations
prolongées, marquer la moyenne des basses eaux et la
moyenne des hautes eaux (1) ». Au terme de ses longs
voyages, qui ont duré plus de cinq ans, Barth eut une sur-
prise en sens inverse ; c'était un peu plus au nord, aux envi-
rons de Barroua : « La route entière que j'avais suivie la
première fois était alors toute couverte d'eau, le Tchad,
après la grande inondation de celte année, plus grande que
d'habitude, n'étant pas encore rentré dans ses limites
habituelles (2). »
Les inondations annuelles du grand lac centre-africain cl
des cours d'eau qui s'y déversent n'ont naturellement pas
échappé à l'observation de M. Foureau, quoiqu'il n'ait fait
(1) Barlh, Reisen und Enldeckungen, t. Il, pages 405 el 406.
(2) Ibid., t. V. page 408.
e
LA RÉGION DU TCHAD t LëS INONDATIONS PÉRIODIQUES. 345
aucun séjour prolongé sur les bords du lac et qu'il Tait seu-
lement contourné, dans une marche assez rapide, des envi-
rons de Kouka, en remontant au nord, jusqu'à Goulfei à
l'embouchure du Chari après avoir longé toute la rive orien-
tale. Il en parle très fréquemment. Ainsi pour celles du Ko-
madougou : c La mission traverse la dépression nommée
Kaouaoua, large surface elliptique entièrement dépourvue
d'arbres et entourée d'une enceinte de gommiers au tronc
noir, témoignage certain d'un séjour périodique sous Teau... ;
nous côtoyons quelques instants le lit de la rivière, mar-
chant sur un sol dur et argileux, que recouvrent périodique-
ment les eaux... » Plus loin le journal note « une large zone
d'inondations où dorment encore pleins d'eau des étangs
herbeux et poissonneux, des marigots allongés, qui consti-
tuent des bras de la rivière aux hautes eaux ». Et de même
tout le long du Tchad : « La plaine que nous parcourons
ensuite est maintenant presque nue, elle comporte de nom-
breux terrains inondés dans la saison des pluies... Cette
plaine est à sol noirûtre légèrement argileux, sujette à inon-
dation... j» Et voici qui concerne les parties des rives du
Tchad réputées les plus médiocres, celles du nord et du
nord-est, qui appartiennent h la France : t Nous atteignons
le village de Barroua, situé en bordure de la brousse; ce
village n'est point permanent et sert à la pêche, à la fabrica-
tion du sel et à la culture du coton qui l'entoure. Lorsque
les eaux sont hautes, les habitants occupent un autre village
du même nom situé à l'intérieur des terres et que je n'ai pas
vu. » Cette dualité de villages, appartenant à la même popu-
lation, Tun pour la saison sèche, dans les lieux sujets à sub-
mersion, l'autre pour la saison des hautes eaux, est fréquente
dans la région du Tchad et témoigne de l'étendue des inon-
dations du lac. « Après 12 kilomètres de marche, nous
passons au petit village de Bangoa Toutes ces aggloméra-
lions ne sont toujours que des annexes de villages perma-
nents situés à l'intérieur. » Tout à fait au nord du lac, en
plein Kanem, à Yara et avoisinant le Sahara : t Actuelle-
346 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARILNS.
ment (février), le Tchad se trouve au moins aux trois quarts
de sa descente ; de l'autre côté du sentier, les grandes sur-
faces couvertes de roseaux énormes et vigoureux sont indu-
bitablement submergées par les hautes eaux; actueUemeni
même, bon nombre de ces massifs ont encore les pieds dans
Teau que nous cachent seules leurs hautes tiges vertes el
leurs feuilles frémissantes. » Le lendemain : « La plaine est
couverte d*un lapis de graminées rudes et piquantes; c^e^t
une plaine d'inondalion, bien entendu, mais qui, peulélre,
ne se recouvre pas d'eau tous les ans... Ce qui m'indiqueque
le lac doit encore baisser notablement, c'est que les sentiers
du medjebed, traversant le petit golfe, sont très visibles
sous l'eau et ont dû être creusés par les pieds des animaui
alors que le sol était à découvert. » Le surlendemain (8 fé-
vrier) : € La marche entière d'aujourd'hui s'effectue sur une
plaine dont presque parlout, — sauf sur le sommet de rares
petites ondulations, formant îles ou presqu'îles allongées.
— la surface est immergée lorsque les eaux du Tchad sont
très hautes. » Toutes ces observations s'appliquent à la
région du Kanem. Plus au sud, à l'est et également en terri-
toire français, à la hauteur du Bahr-el-Ghazal, < au dire des
indigènes, lors des très hautes crues du Tchad, l'eau s'avance
jusqu'à une soixantaine de kilomètres dans l'intérieur des
terres... ; le sol est jonché de coquilles palustres, témoignage
du séjour des eaux à certains moments ». Quand on approche
du Chari : « Dans cette région, les gommiers sont très
beaux^ mais l'écorce de la partie inférieure de leurs troncs
est noire et rugueuse, ce qui provient, à mon sens, de leur
séjour périodique dans l'eau... Toute cette région que nous
venons de parcourir est recouverte, pendant la saison des
pluies, par la divagation des eaux du Chari ou des innom-
brables bras de son delta (1). »
Les inondations périodiques du Tchad sont ainsi recon-
nues par tous les explorateurs; elles s'étendent sur toutes
{{) Mission saharienne, pages 592, GOl. 613,617, 624,626, 627, 631. 639,6*1,
642, 647, 648, 649, 664, 669, 671, 672, 673.
LA RÉGION DU TCHAD : LES INONDATIONS PÉRIODIQUES. 347
les rives du lac; celles des cours d'eau divers de la région
sont aussi très importantes. On sait, d'ailleurs, que de ré-
centes explorations ont établi que, aux époques de hautes
eaux, le Logone, bras du Chari, peut rejoindre la Bénoué.
L'Afrique centrale soudanaise reproduit ainsi le phénomène
des inondations du Nil, peut-être même dans des proportions
plus vastes.
En s'en tenant à la région propre du Tchad, quelle peut
être l'étendue des surfaces submergées par le lac aux hautes
eaux? Il est impossible de le dire; d'après le seul voyageur
qui ait fait des séjours prolongés et en diverses saisons sur
les rives du lac, Barth, elle serait énorme. Si l'on s'en tenait
aux écarts d'évaluation de la surface du lac par les différents
explorateurs ou géographes cités plus haut, on pourrait admet-
tre que les inondations du Tchad couvrent une surface d'une
vingtaine de mille kilomètres carrés ou de 2 millions d'hec-
tares, égale à toute la surface cultivée de l'Egypte. D'après
les statistiques britanniques, en effet, l'étendue des terres
cultivées en Egypte, dans l'année 1891, était de 5 102 200 fed-
dans, et le feddan égale 1,03 acre anglais (1), lequel lui-
même correspond à 40 ares 1/2, ce qui donne 2066000 hec-
tares environ pour toute la superficie des terres égyptiennes
en culture. Il se peut, toutefois, que les superficies soumises
aux inondations périodiques du Tchad soient moindres.
M. Foureau, dans la région nord et nord-est, la moins favo-
risée, correspondant au Kanem, plaçait à quelques kilo-
mètres seulement la limite des terres submersibles; mais,
d'autre part, comme le prouvent les passages que nous avons
cités, le Tchad, quand il le contourna dans une marche
rapide, en janvier et février, était très loin d'être revenu à
son niveau minimum, et, dans la région sud-orientale, les
indigènes estimaient à 60 kilomètres la zone d'inondation
aux grandes crues. Il paraît donc assez modéré d'évaluer à
1 million d'hectares ou 10000 kilomètres carrés les super-
U) The Statesnian's Yearbook, 1901, page 1163.
J
348 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAH\BIE.NS.
(icies inondées lors des fortes crues; ce chiffre doit être
considérablement augmenté, si l'on tient compte des inonda-
tions des cours d'eau qui se jettent dans le Tchad : Koma-
dougou, Chari, Logone, etc.
Des inondations périodiques d'eau douce sous un climat
tropical, une terre noire, partie sablonneuse, partie argileuse,
des débris de coquilles lacustres, tout cela avec la fréquence
des cultures de coton et de mil, ce sont des promesses d'une
magnifique prospérité agricole.
Comment se fait-il que ces pays n'y soient pas encore
parvenus? C'est Tinsécurité surtout qui est responsable de
ce retard. Sans revenir sur les effroyables ravages de Rabab,
toute cette région, du fait des Touareg et des nomades de
toutes sortes, de potentats se livrant aux razzias et au recru-
tement de l'esclavage, est en proie à la terreur. Voici la
moins bonne partie des rives du Tchad, celles du nord et
du nord-est, le Kanem; une t baie (du lac) s'y nomme
Kazagoua, ce qui, en bornouan, signifie : l'endroit où Ton
se bat sans cesse.... Le chef de Djarachéro apporte des
moutons. Il nous raconte que ses sujets et lui n'ont quitte
Néguigmi (excellente position sur le lac) que depuis peu de
temps. Ils ont dû abandonner ce village à cause de son
insécurité : il était constamment soumis aux pillages des
Boudouma, des Tebbou, des Oulad-Sliman surtout (1) ».
Ces Boudouma sont des pirates qui habitent les nombreuses
îles du Tchad, y possèdent un nombreux bétail et se livrent,
avec des pirogues très ingénieusement construites, à des
descentes pour effectuer des razzias. Çarth notait déjà l'insé-
curité de toute celte région nord-orientale du Tchad. Quoi-
que, pour celte raison surtout, le Kanem ait actuellement
une population clairsemée, il ne manque pas d'éléments de
richesse. Les Oulad-Sliman, ces nomades pillaris, possè-
dent des moutons et des bœufs par milliers. Quant à Négui-
gmi, presque à la pointe la plus septentrionale du Tchad,
M. Foureau en fait une attrayante description : « La mission
{[) Mission saharienne^ pages 644, 645.
FOUREAU ET JOALLAND : LE KANEM, POSSIBILITÉS DE RICHESSE. 349
défile devant le village abandonné de Néguigmi, au milieu
duquel s'élèvent les types élancés de quelques palmiers-
dattiers. Une vaste prairie entoure ce village et confine aux
rives du lac, peu éloigné. La position est fort belle et, en
remontant légèrement sur les collines pour se garder des
crues, on pourrait créer là un centre important, à la condition
de le défendre contre les invasions des nomades. Toute la
plaine supérieure pourrait être cultivée en mil et toutes les
surfaces à inondation sont susceptibles de nourrir des dat-
tiers et du coton : c'est simplement une question de sécu-
rité. » Et il en est ainsi de tout le Kanem (1).
Plus catégorique encore est le capitaine Joalland, qui a
parcouru tout ce pays à la tête de la mission de l'Afrique
centrale. Il constate combien les Oulad-Sliman, . les
nonaades du nord du Tchad, sont pillards : c C'est à eux
surtout que l'on doit imputer la ruine du Kanem; paras^iles
des noirs, ils vivent du travail de ces derniers ; » et il ajoute:
c Les noirs sont les seules gens intéressants du Kanem
proprement dit. Du sud du Ghittati jusqu'au Bnhr-el-Ghazal,
et du Tchad jusqu'à cette grande zone déserte qui sépare le
Ouadaï du Kanem, existe un pays riche en grains, en dattes,
en bétail. Quand on songe aux richesses que ce pays peut
produire, malgré son état d'anarchie et les luttes qu'il a été
obligé de soutenir, on est en droit d'espérer en faire une
colonie splendide, maintenant que nous y avons apporté la
paix et établi l'unité du commandement (2). »
Il est un autre témoignage, dont le poids est des plus
grands : c'est celui de M. Gentil, administrateur colonial, le
premier, sinon le seul, Européen qui, à différentes reprises,
sur un petit vapeur portant les couleurs françaises, ait navigué
sur le Tchad; dans deux campagnes successives, de 1895 à
1898 et de 1899 à janvier 1901, il a conquis à la France les deux
tiers des rives du grand lac. Sur la richesse et les c possi-
bilités » du pays, ses dépositions sont formelles et décisives.
(i) Mission saharienne, pages 64G et 669.
(2) Bulletin du Coniilé de l'Afrique française, juin 1901, page 192.
350 LE SAHARA, LE SOUDAN ET UES CHEMINS DE FER TRANSSAHABIE!<S,
Nous ne lui ferons que quelques courts emprunts. Après la
balaille de Koussouri, où périt le sauvage conquérant noir
Rabab, M. Gentil fait une excursion jusqu'à Dikoa, qui était
devenue la capitale de ce tyran. La première impression
qu'il reçoit est médiocre : t Le terrain entre Koussouri el
Dikoa est généralement très plat. La pluie n*est tombée
qu'une fois ou deux ; aussi tout semble sec et aride. Des
étendues de plaines immenses, où poussent quelques arbres
chétifs et rabougris, c'est tout ce qu'on aperçoit. Nous avons
vraiment la sensation d'un paysage saharien. > Excellent
observateur, toutefois, M. Gentil corrige lui-même cette im-
pression défavorable : « Mais, en prêtant un peu d*allenlion
aux choses qui m'entourent, mes idées se modifient peu h
peu. D'abord, nous rencontrons à chaque instant de
nombreux villages. Le pays est très habité et sa populatiou
très dense. De plus, ce que j'ai pris pour des plaines incultes
et désertes, ce sont en réalité d'immenses champs qui
viennent d'être ensemencés. Partout il y a des rigoles qui
permettent à l'eau des pluies de séjourner dans les champs
et de les irriguer. » M. Gentil arrive à Dikoa, la capitale de
Rabah, en partie détruite par une explosion de poudrière; il
en est émerveillé, il en fait une description tout aussi enthou-
siaste que celle que fit de Zinder le capitaine Joalland. Mais
Dikoa était bien plus importante : < L'impression ressentie
est grandiose. Si loin que la vue s'étende, on aperçoit des
murailles et l'on est frappé de la régularité des constructions.
Tout est très propre. » Et il décrit la ville, les palais de
Rabah et de ses fils, et < des grands seigneurs », construc-
tions imposantes, bien tenues et luxueuses. « Ce qui frappa
surtout nos troupes lorsqu'elles pénétrèrent dans la ville,
c'était l'état de propreté véritablement extraordinaire qui
régnait dans cette ville et même en dehors... Je rapportai
de mon séjour à Dikoa l'impression de quelque chose de
grand, d'une vie intense et d'un mouvement de population
comme je n'en avais pas encore vu en Afrique. » Puis
M. Gentil quitte Dikoa, qui est en territoire allemand, il
LA RÉGION DU TCHAD : TÉMOIGNAGE TRÈS FAVORABLE DE GENTIL. 351
revient chez nous, à Forl-Lamy : « Quel changement s'est
opéré en quinze jours ! La pluie, tombée en abondance, a
fertilisé toutes ces plaines qui me semblaient auparavant si
désolées. Partout on rencontre des plantations pleines de
promesses. Décidément la région du Tchad est riche et
vaut la peine d'être conquise. Nous n'en avons malheu-
reusement qu'une partie, mais notre lot est encore assez
beau pour qu'on ne puisse pas regretter les sacrifices
consentis en hommes et en argent (1). » M. Gentil dépeint
ailleurs comme excellente par ses qualités laborieuses la
population noire de toute la région du Tchad.
Ainsi, voilà une foule de témoignages concordants, depuis
celui, tout à fait magistral, de Barth, dans les années 1849
à 1855, jusqu'aux plus récents. Nous avons tenu à reproduire
le texte môme de ces dépositions si concluantes.
Il est vrai qu'il s'est produit récemment une note discor-
dante. Une mission a été organisée au commencement de
1902 par les ministères de l'Instruction publique et des
Colonies pour étudier, au double point de vue scienti-
fique et économique, les produits du sol, les habitants, la
faune, la flore de nos nouvelles possessions de l'Afrique
centrale. Le chef de la mission, M. Chevalier, docteur es
sciences, chef du laboratoire colonial du Muséum, après avoir
parcouru le Congo français, le Haut-Oubanghi, la région
du Tchad et le Baghirmi,a émis un avis moins favorable aux
régions entourant le grand lac africain et au lac lui-même.
Cette masse d'eau, d'après lui, tendrait à se resteindre, l'ar-
chipel du Tchad gagnerait de plus en plus vers l'ouest, les
lies se souderaient chaque année à la côte du Kanem. « La
terre et le soleil boiraient le lac », suivant un mot indigène.
M. Chevalier a, d'autre part, une opinion médiocre du Ba-
ghirmi, dont la capitale Massénya a été complètement dé-
truite par Rabah et dont toute l'étendue a été dévastée par
des guerres sans merci.
(1) Emile Gentil, la Chute de l'Empire de Rabah, pages 239, 240, 243, 244,
2S3, 254.
352 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIENS.
Il ne nous paratt pas que cette impression puisse préva-
loir contre les témoignages si formels, si favorables cl si
unanimes cités plus haut. Le Tchad a des crues variables,
tout comme le Nil ; c'est sans doute à une époque de faibles
crues que la mission Chevalier s'est trouvée dans celle
région. Mais on a vu que les constatations de Foureau, de
Joalland et de Gentil concordent complètement, quant au
fond, avec celles de Barth, antérieures de 45 ans. Les descrip-
tions notamment faites par Foureau et Barth de Barroua et
de l'importante localité de Néguigmi ou Nguigmi, tout à
fait à l'extrémité nord occidentale du lac (voy. plus haut,
p. 3^14, 345 et 349), ne présentent aucune différence essentielle.
Le fait constaté par Foureau que dans cette région les villages
sont doubles, l'un établi dans les terres, l'autre sur les rives
du lac, celui-ci habité seulement quand la crue a cessé, ce
qui n'était pas le cas pour Néguigmi quand Foureau y passa,
est tout à fait démonstratif. De môme, les récits de Joalland
sur les ressources du Kanem sont topiques (voy. plus haut,
p. 349). Quant au fait que quelques-unes des nombreuses tles
de l'archipel du Tchad vers la partie est méridionale du lac,
située en face du Chari, se souderaient à la terre ferme,
peut-être par suite des alluvions du Ghari que des courants y
entraîneraient, il n'aurait rien d'extraordinaire oud'inquiélanl.
L'aspect désertique ou saharien d'une partie de ces contrées
où les dévastations de Rabah et d'autres destructeurs ont sévi
n'a pas lieu non plus de nous surprendre, et il n'offre rien de
définitif. L'administrateur Gentil, dans les très remarquables
passages que nous avons cités plus haut (p. 350 et 351), nou>
a mis en garde, avec beaucoup de perspicacité, sur les consé-
quences à tirer de l'aspect du sud du Bornou : il l'avait jug^ |
saharien à la première visite et ensuite, corrigeant sagement
cette impression superficielle, il vit que c'était une terre
pleine de richesses. Barth aussi (voy. plus haut, p. 344) eut
un revirement d'opinion du même genre. Enfin, ie capitaine
Lenfant (voy. plus loin, page 358) eut également un revire-
ment d'opinion de môme nature à propos du moyen Niger.
LA RÉGION DU TCHAD: SON GRAND AVENIR. 353
Il faut noter que Fourcau, Joalland el Gentil, dont les
descriptions de la région sont très favorables, ont traversé ce
pays deux ou trois ans seulement avant la mission Che-
valier. Or, la nature des lieux ne se modifie pas sensiblement
eo un si court espace de temps.
Quand un pays a été ravagé systématiquement par des con-
quérants noirs, pendant une série d'années, dépeuplé par eux,
que les eu Itures y ont cessé ou s y sont notablemen t a moindries ,
ce qui a été lecas de toute cette région, ainsi que du Baghirmi,
il apparaît comme naturellement stérile. Mais une dizaine et
surtout une vingtaine d'années de paix, à plus forte raison
deux ou trois générations d*hommes Jouissant de la sécu-
rité lui rendent son essor. C'est ce qui arrivera à la région
du Tchad. Barth avait signalé entre Zinder et le lac des
villes importantes de 8000 à 10000 âmes : Wiischek et
Gouré, par exemple (voy. plus haut, p. 3^28), qui paraissent
actuellement avoir disparu ; comme pour Kouka (voy. plus
haut, p. 339), cette disparition doit avoir pour cause la des-
truction systématique de quelque con<juéranl et Tinsécurilé
permanente.
Si € la terre et le soleil boivent Teau du lac », ils mettront
certainement non pas quelques années, ni quelques décades
d'années, mais une série de siècles à Tépuiser. Les change-
ments physiques considérables, surtout en Afrique, durent
des périodes séculaires. En attendant, on peut faire œuvre
vive, grande œuvre même, dans cette région où la vie a
été détruite ou comprimée par les ravages systématiques de
Thomme et non pas par les perturbations de la nature.
Malgré cette voix dissidente, on peut donc considérer que
la région du Tchad, pays de Zinder, Bornou, Kanem, Ba-
guirmi, plus loin le Ouadaï, c'est un des joyaux de l'Afrique.
Il y a là, semble-t-il, une nouvelle Egypte, sinon môme une
plus grande Egypte, car, en plus d'un territoire périodique-
ment submergé qui approche de celui de la vallée du Nil, la
région du Tchad possède des immensités de terres que les
simples pluies tropicales rendent fécondes ; elle a, en outre,
23
354 LE SABARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHJlRIEM
des dépôts métalliques ; c'est une Egypte séquestrée, qut
l'absence de débouchés et Finsécurité ont maintenue daD>
la médiocrité. Cette Egypte intérieure, il appartient à lii
France de la mettre en communication avec le reste du mon»!
par rétablissement d*une voie ferrée transsaharienne, b
facilité d*exécution et d'exploitation de cette voie ferrée e^rl
évidente ; les éléments de trafic abondent, avec des prix dt
transport pouvant facilement descendre à 2 centimes uu
1 centime et demi le kilomètre (45 à 60 francs la tonne du
Tchad à la Méditerranée), sinon même à 1 1/4 ou 1 ccnlim?
(30 à 37 fr. 50 pour tout le parcours) : peaux d'animaux, dan-
ce pays exubérant en bétail ; plantes et substances tincl"
riales ; et surtout le coton, dont le pays peut produire el
exporter facilement une cinquantaine de mille tonnes; sao-^
parler des produits minéraux, comme le cuivre dont l'exis-
tence est partout attestée, la potasse qui s'exporte déjà de
TAïr (voy. plus loin, page 417); en sens inverse, sel, sucre
et produits manufacturés divers.
La France a manqué au xviii*' siècle sa mission coloni-
satrice; les circonstances lui ont fourni l'occasion inespértr
d'essayer une nouvelle carrière coloniale ; mais si, pa^
rincompréhension ou l'indifférence du gouvernement et de
Topinion, elle ne sait pas rattacher rapidement à rAlsférif
par une voie ferrée ces territoires qu'on a nommés « k>
Indes Noires » et que nous appelons, quant à nous, 1^
Nouvelle-Egypte, l'Egypte Intérieure, elle aura de nouvc«aw,
et celte fois sans retour possible, failli définitivement à sa
mission colonisatrice : elle n'aura Jamais d'Empire afri-
cain.
CHAPITRE III
Le Soudan nigérien.
Caractère «lu Niger et importance passrc, actuelle et surtout future, des
rontn^es qu'il traverse et qu'il arrose. — Les trois sections principales du
llt^uve. — La France détient le Niger supérieur et le Niger moyen. — Les
inondations périodiques du moyen Niger.
Los descriptions du capitaine Lenfant. — Le Nil français. — La région de
Say. — La région de Djenné. — Preuves d'une grande population et d'une
<*ivilisation avancée dans ces contrées. — La ville même de Djenné. — Le
delta du Bani-Djoliba.
L'insécurité, l'invasion touareg et la traite sont les seules causes du recul de
ces régions très favorisées de la nature. ~ Qualités tréf» appréciables des
populations agricoles des bords du Niger moyen et du Niger supérieur. —
Jugement que porte sur elles le capitaine LcnfanL
Facilités qu'offre le moyen Niger pour la culture du coton. — Millions d'hec-
tares qui pourraient y être affe<*Uîs à cette culture. — Renseignements et
calculs sur l'avenir cotonnier de cette région.
Le Transsaharien est la seule voie propice pour les échanges entre le moyen Niger
et l'Europe : les chemins de fer sénégalais ne desserviront utilement que le
haut Niger. — Démonstration à ce sujet.
Ainsi que nous Tavons dit, au début de cet ouvrage, nous
considérons que la France devra construire deux chemins
de fer transsahariens : Tun reliant TAlgérie à la région du
Tchad et au Soudan central^ l'autre rattachant TAIgérie au
coude du Niger. D'autre part, l'œuvre de pénétration beau-
coup plus avancée dans cette dernière région à partir de
DOS possessions algériennes, la ligne ferrée très importante
dc'jà construite ou en construction dans le Sud-Oranais^
la<|uclle doit servir de premier tronçon au Transsaharien
occidental, la dépense très réduite pour la pousser en ligne
quasi droite vers le Soudan, toutes ces circonstances réu-
nies font penser actuellement que le Transsaharien occiden-
tal sera construit avant le Transsaharien central. Quoique^
aous eussions donné la préférence à celui-ci, au point de vue
stratégique, politique, administratif et même économique^
nous reconnaissons que les circonstances récentes assurent
|a priorité à celui-là. Aussi, ce livre serait-il incomplet si
356 LE SAHABA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIENS.
nous ne consacrions un chapitre sommaire aux ressources
que peut présenter la contrée du coude du Niger et le Sou-
dan nigérien.
Les descriptions abondent à ce sujet. Nous renverrons
notamment le lecteur aux études de Mgr Hacquard sur
Tombouctou et son commerce (1), au livre aussi du capitaine
Lenfant : Le Niger ^ voie ouverte à notre Empire africain^lY
Nous nous contenterons de tirer de ce dernier ouvrage, ainsi
que d'autres excursions à Tombouctou, quelques indications
rapides et topiques. Nous y joindrons quelques renseigne-
ments d'ordre technique sur les perspectives de la culture
du coton dans cette vaste contrée.
Le Niger est un fleuve immense d'environ 4000 kilo-
mètres de cours. Ses sources multiples paraissent èlre
vers le huitième degré de latitude et le treizième de lontçi-
tude ouest, dans notre Fouta Djallon, ainsi que sur les cou-
fins de l'État de Libéria, et sur ceux de la colonie britannique
de Sierra Leone ; il est donc, à son origine, peu éloigné de
l'Océan dont une chaîne de montagnes le sépare, mais il
' remonté vers le nord-est en décrivant un énorme coude,
atteignant et dépassant légèrement le dix-septième de^ré
de latitude, puis il s'infléchit vers le sud-est, venant se dé-
verser dans l'océan Atlantique par des bouches nombreuses, |
vers le quatrième degré de latitude et le quatrième degré
également de longitude.
Cet énorme cours d'eau est soumis, sur son parcours, ài
des régimes hydrographiques différents; il est, d'ailleurs, en
maint endroit, interrompu par des rapides, de sorte que lai
navigation ne saurait guère s'effectuer du Niger supérieur ou
même du Niger moyen jusqu'à l'Océan sans des frais colos-
saux, ainsi que la preuve en sera fournie plus loin. Quant
à des travaux qui aménageraient le Niger et le rendraient sur
toute son étendue facilement navigable sans interruption, ils
coûteraient probablement 1 milliard de francs, c'esUà-din^
(1) Bulletin de la Société des Étude coloniales et maritimes, n» du 30 Ju in 1 >
(2) Paris, 1903, librairie Hachette.
LE SOUDAN NIGÉRIEN : GRAND AVENIR DU PAYS. 337
le prix de sept ou huit chemins de fer transsahariens ; encore
est-il vraisemblable que, même avec cette prodigieuse
dépense, ce fleuve ne se prêterait pas partout à une naviga-
tion vraiment économique.
Il faut donc considérer le Niger comme constituant, en
quelque sorte, plusieurs voies distinctes, qui ne sont sou-
dées les unes aux autres qu'en apparence. On a divisé géné-
ralement en trois zones ce vaste cours d'eau, le Niger supé-
rieur, le Niger moyen et le Niger inférieur ou, pour substi-
tuer des appellations géographiques précises à ces dénomi-
nations approximatives : le Djoliba, Tissa et le Kouarra.
i( Nous avons partagé le fleuve, dit le capitaine Lenfant, en
trois tronçons, Djoliba, Issa, Kouarra. Nous les avons étu-
diés comme trois fleuves indépendants (1). » Le Djoliba va
des sources du Niger jusqu'au poste de Mopti, vers le
sixième degré et demi de longitude ouest. L*Issa ou Issa Ber
s'étend de ce point jusqu'un peu au-dessous de Say, c'est-
à-dire aux environs du premier degré de longitude est et
du treizième de latitude; le Kouarra comprend toute la par-
lie inférieure du fleuve jusqu'à la mer.
Le Djoliba et l'Issa Ber (Niger supérieur et Niger
moyen) coulent entièrement, à quelques fractions près, en
territoire français. Quelle est la valeur de la région qu'ils
parcourent ou qu'ils arrosent? Littéralement, en effet, ils en
arrosent une grande partie. Le Djoliba ou Niger supérieur
et rissa Ber ou Niger moyen, celui-ci seulement sur une
fraction de son parcours, constituent des cours d'eau à crues
périodiques et à inondations régulières ; ils ont ce caractère
notamment dans toute la région entre Tombouctou et le voi-
sinage des sources du fleuve, sur une étendue d'au moins
1200 kilomètres.
On sait quel étonnement produisit, il y a sept ou huit
ans, la révélation qu'il y avait des lacs importants auprès de
Tombouctou : ces lacs sont des déversoirs des crues du
(1) Lenfant, Le Niger, p. 233.
358 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSA H ARIENS.
Niger. Le capitaine Lenfant distingue la « région lacustre i
qui avoisine Tombouctou à Touest, la « cuvelte d'inonda-
tion condenseur de la crue occidentale » qui touche à celle-ci
un peu en amont et comprend le lac Débo, puis un peu plus
en amont encore, mais non loin, le delta du Niger Bani,
à la rencontre du fleuve et de son affluent le Bani, qui a une
grande étendue vers le sud.
Ces inondations périodiques qui rappellent celles du Nil et
qui s'étendent sur plusieurs milliers d'hectares, sont, avec
le soleil africain, un incontestable élément de productivité
agricole. Jusqu'ici, ce sont plutôt des promesses que dos
réalités de grande production culturale qu'on rencontre dans
cette contrée; au premier abord, celle-ci peut décevoir l'ob-
servateur inatlentif. « Apparences de pauvreté, produits et
richesses (1) >, dit finement le capitaine Lenfant en parlant de
la partie inférieure de l'Issa Ber (Niger moyen). C'est en
quittant Say pour remonter le fleuve : t Le pays, dil-il,
devient lui-même plus attrayant, bien qu'il semble ne rien
produire. Le voyageur, qui passe en brûlant les étapes» ne
peut se rendre un compte exact de la valeur économique du
pays. Le Nil français, sur lequel nous allons naviguer, ne
laisse paraître aucune richesse; mais en cherchant bien, il
est facile de voir que l'indigène, quelles que soient sa paresse
ou sa négligence, obtient de ces terrains d'alluvion tout ce
qu'il désire, lorsqu'un souffle de progrès et de nouveauté
pénètre dans son cerveau (2). » Ces lignes sont caractéris-
tiques; on se rappelle une réflexion analogue faite par
l'administrateur Gentil sur la région du Tchad (Voy. plus
haut, p. 350) : stérilité apparente, richesse réelle, sinon tou-
jours actuelle, tout au moins richesse possible, certaine
môme quand le pays jouira de la sécurité et qu'il sera repeu-
plé, tel est le contraste fréquent que présentent les contrées
africaines.
(1} Lenfant, Le Nif/er, p. 167 et 256; ces mots expressifs figurent dans U*
sommaire du chapitre vi de ce livre.
(2) Lenfant, Le Niger, p. 174.
LE SOUDAN NIGÉRIEN : GRAND AVENIR DU PAYS. 389
Il se trouve que c est précisément dans ses régions supé-
rieures et moyennes, le long du Djoliba et de Tissa Ber,
c'est-à-dire sur la partie française, que le Niger paraît offrir
le plus de ressources. La contrée de Zinder (ne pas con-
fondre avec la ville de la région du Tchad) à Say et un peu
au-dessous est ainsi caractérisée par le capitaine Lenfant sur
In carte qu'il a dressée du fleuve : c Région très peuplée ;
riz, mil, coton, indigo, gomme, jardins, arachide, manioc,
patates, bourgou, troupeaux. » Cette désignation s'applique
à la rive droite du fleuve entre le treizième degré de latitude
et le quatorzième et quart. De même le Niger supérieur,
entre Kouroussa et un peu en amont de Bamako, porte cette
annotation, sur la même carte : « Pays du Soudan, ayant
la population la plus dense ; riz, maïs, mil, arachides,
patates, manioc, ignames, ozonifis, légumes d'Europe,
indigo, miel, cire,karité, acajou, caoutchouc, minerai de fer. »
De Siguiri à Ségou, des environs du douzième aux environs
du huitième degré de longitude ouest, toujours sur la carte
du capitaine Lenfant, le pays est qualiQé : < Région coton-
nière ». Mais ce terme ne doit pas être considéré comme
appartenant exclusivement à cette zone; car plus à Test et
au nord tout le delta du Niger Bani, qui a pour principal
centre Djenné et, en outre, la cuvette d'inondation des envi-
rons de Tombouclou, est très apte à la même culture, ainsi
qu'à beaucoup d'autres. C'est là que sont les territoires sub-
mergés ou submersibles les plus étendus. Ecoutons le capi-
taine Lenfant parler de Djenné : c Tout le pays (le delta du
Niger Bani) est extrêmement fertile et capable de produire
des récoites superbes; malheureusement il manque de
travailleurs. L'auteur du Tarikh es Soudan nous apprend
qu'au XVII* siècle la province de Djenné comptait 7 077 vil-
lages (il n'y en a pas 400 de nos jours), soit environ
4000000 d'habitants et que le sultan communiquait avec
celui de Tombouctou en faisant crier ses messages d'un
village à l'autre. Il est probable que les richesses renaîtront
avec le calme et que ces populations prolifiques rendront
360 LE SAHABA, LB SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSÂHAaiB52.
un jour aux rizières, envahies par les herbes, Icssor des
temps passés (1). »
Ces espérances ne sont nullement excessives et tout in-
dique que le récit de l'auteur arabe du Tarikh es Soudan clail
exact dans sa description. Quel que soit le contraste enlrt
la situation actuelle de la région et celle d'autrefois, ]:i
ville de Djenné, dans toute sa contexture et dans son aspect
général, garde, malgré son déclin, les traces d*une ancienne
prospérité et d'une vieille civilisation. Le capitaine LenfaDt
en témoigne : « Djenné, dit-il, fut jadis une grande cité ; cette
ville présente encore beaucoup d'intérêt. Ses maisons soo(
fort bien construites ; des escaliers larges et divisés en frac-
tions d*élages conduisent aux diverses pièces dans lesquelles
se traitent les affaires commerciales importantes. Les plan-
chers sont faits de palmiers enchevêtrés, qui, recouverts d'un
excellent pisé, sont propres et d'un usage agréable. Tout
décèle à Djenné les efiTets d'une civilisation très avancée. Les
terrasses comportent de petites guérites destinées aux
latrines et des tuyaux de poterie débouchent au rez-de-
chaussée dans de grands vases que l'on jette au fleuve
chaque malin. Les eaux de pluie s'écoulent par des gouttières
creusées dans le tronc des rôniers fendus dans la longueur;
d*innombrables pigeons, que les indigènes respectent cl
vénèrent, se posent sur les chéneaux et sur les clochelofls'
pointus dont s'ornent les toitures. Je remarquai, au-dessus
de la porte de chaque maison, des cornes de chèvre piquées
dans la maçonnerie ; ces ornements servent à retenir les
stores lorsqu'ils sont roulés. Les portes des maisons sont
monumentales et dessinées à la façon des grandes cheminées
de nos vieux châteaux; les pieds-droits s'élancent jusqu à
la toiture, recouverts de dessins et de rosaces. Les rues
sont étroites, sinueuses, mais propres. Le coup d'œil qui se
déroula sous mes yeux, lorsque je montai sur la terrasse du
cercle, est fort intéressant : on ne voit que des clochetons,
des terrasses, des guérites, quelques touffes d'arbres qui
(1) Lcnfant, Le Niger, p. 215.
LE SOUDAN NIGERIEN : GRAND AVENIR DU PAYS. 361
dépassent, et devant moi s'étendait, immense, la plaine
ianle et verte de Djenné, sillonnée de canaux et teintée de
>Ieu par les méandres du Bani (1). »
Voilà certes une description séduisante ; nombre de petites
illes de province de France pourraient envier cette citéafri-
raine déchue; qu'on rapproche ce tableau de Lenfant de celui
lu capitaine Joalland sur Zinder (Voy. plus haut, p. 330),
le la relation de Foureau sur la même ville et sur les ruines
le Kouka (Voy. plus haut, p. 338), de celle de Gentil sur
Dikoa (Voy. plus haut, p. 350), on se convaincra que toutes ces
notes concordantes témoignent que toute la vaste contrée du
Soudan, du Niger au Tchad, a joui autrefois d'une civili.sa-
lion très perfectionnée et qu'elle en garde encore des restes
fort appréciables.
Ce n*est pas seulement par une certaine élégance et un
confortable très digne d'être signalé, que Djenné se recom-
mande, c*est aussi par Taclivité économique. Ecoutons
encore le capitaine Lenfant : « A tous égards, cette ancienne
capitale est admirablement située, écrit-il. Des conques et
des marigots, qui Tenserrent de toutes parts, conduisent
vers le Bani ou vers le Djoliba (Voy. plus haut, page 357),
vers les forêts de Koutiala, vers le Macina, le Mossi, les
territoires de la Boucle, vers Saraféré, Kabara, vers Ségou,
Sansanding, Nyamina, Bamako ; d'autre part, de belles
pirogues longues, solides et souvent chargées de 12 5
IT) tonnes, sont mouillées devant les remparts, au pied des
ruines de la vieille mosquée, détruite par le feu du ciel et
sous les murs de laquelle Allah ensevelit les Toucouleurs pour
les châtier de leur dépravation. Il règne au marché une acti-
vité considérable, mais elle devait être plus grande autre-
fois. Les produits les plus variés y sont échangés contre les
denrées provenant des pays voisins. De plus, la région,
quoique manquant de bras, produit du mil cl du riz en
U) Lenfant, Le Mf/er, p. 216. D'après le capitaine Lenfant, Djenné, Djeuné,
l>jinnée, Guinéa, Guinée, sont dfs iléfonnations du mémo mot. et c'est cette
ville qui a donné son nom à la contrée d'Alriiiue appelée Guinée.
362 LK SAHABA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS. DE FER TRANSSAHÂB1E5S.
abondance ; c'est le grenier du Soudan ; c'est là que nos fils e\
successeurs verront renaîtreà la culture ces immenses rizières,
que les herbes et les lotus recouvrent en partie à Vheurt-
actuelle. Et ce jour-là, Djenné redeviendra la reine de*
cités commerciales de notre Empire africain (1). >j
Toute la contrée environnante offre d'immenses ressources
< Après avoir reconnu les marigots du delta Bani*Djoliba,
je rentrai à Koulikoro, écrit le capitaine Lenfant, le 1" sep-
tembre par Sansanding, Ségou el Nyamina. Ce sont de
grands centres, de beaux villages, des régions cultivées où
les terres sont riches et productives. C'est le vrai pays du
Nil français. Le fleuve avait beaucoup monté. L'inondation
recouvrait les berges et déposait son apport annuel de limon
fertilisateur ; je naviguais dans les champs de mil, sur le>
rizières, parfois môme à travers la forêt (2). » Et lecapilaine
Lenfant, dans son livre, à cette place, publie une gravure qui
représente, suivant la légende qu'il y met, t le Nil français
inondant les rives de sa crue fertilisante ».
Comment, par quelles causes, s'est restreinte à des propor-
tions aujourd'hui modestes la prospérité d'une contrée que
la nature a si bien douée? La cause est unique, nous l'avons
mainte fois signalée : l'insécurité. La chute de l'ancien empire
Sonraï qui, d'après Barth, s'étendait sur la plus grande
partie du Soudan et s'effondra au xviii* siècle l^voy. plushaul.
page 271), le triomphe, la dévastation et l'oppression des
Touareg, puis les luttes acharnées et sauvages des tyrans
locaux, les rapts encore d'adultes et surtout d'enfants, ont
prodigieusement réduit la population et les cultures.
« Sur tout son parcours à partir d'Ansongo (3), Tissa Ber
(section moyenne du Niger) est extrêmement large ; il
s'étend souvent sur 8 et même 12 kilomètres d'une rive à
l'autre ; partout il inonde et dépose un limon fertilisateur.
(1| Lenfant, I^ ^ifjev, p. il 7.
(2) Id., ihid., p. sis.
(3) Point situô sur la brandie orientale du coude du Niger, vers le quinzicnn-
degré et demi de latitude et le premier et demi de longitude ouest. Il s'agit du
parcours en amont d'Ansongo.
LE SOUDAN NIGÉRIEN ! GRAND AVENIR DU PAYS. 363
Mais, s'il peut produire tout*, il ne produit presque rien; Tindi-
irène chancelle encore sous le coup de massue qui Ta frappé.
Depuis Tinvasion targuie, il ne sait s'il doit renaître ou s'enfon-
cer sous terre, s'il doit s'enfuir ou s'approcher du Niger. Il y
a une grande différence entre le bief Débo-Ansongo et la
région DounzoU'Say, au point de vue de la population et des
produits; il n'y en a pas au point de vue de la fertilité (1). »
(les deux régions sont situées en territoire français.
L'esclavage et la traite ont aussi contribué à la dévasta-
lion ; c'est le cas de Say notamment, ce n'est plus aujour-
d'hui qu'un village : « La ville devait être grande autrefois,
écrit le capitaine Lenfant; il est certain qu'elle comptait au
moins vingt-cinq mille habitants. Elle était sise au croise-
ment de diverses routes sur lesquelles se traînaient des con-
vois de captifs vendus sur le marché par les traitants de
nègres; les guerres ont décimé la population; notre présence
a chassé les Peuls rebelles à. notre influence. Aujourd'hui la
population s'élève à deux mille cinq cents âmes; toutefois
le pays se repeuple assez rapidement (2). »
C'est sur des centaines de lieues que la désolation s'est
produite : « A partir d'Ansongo jusqu'à Timbouctou, Ségou,
Koulikoro et Toulimandio, c'est-à-dire sur environ 1400 kilo-
mètres de son cours, le Niger est absolument calme. Les
rives de l'Issa Ber (section moyenne du fleuve, voy. plus haut,
page 357) sont à peu près désertes, parce que les Touareg
ont tout pillé. Cependant nous sommes au milieu d'une val-
lée qui, deux siècles auparavant, était habitée tout le long
dos rives et dans les îles. C'était l'époque de l'invasion des
Soaraïs et de leurs luttes avec les Berbères (3). » Les Sonraïs,
race laborieuse, avaient constitué un grand et puissant Élat
paisible; les Touareg réussirent à le détruire : de là surtout
Jale la décadence. La constatation du capitaine Lenfant
coïncide avec celle de Barlh et la confirme.
il) Lenfant, l.e Niger, p. 207.
(i) Id., i6iV/., p. 173.
(3)1(1., ïôiV/.. p, iOfc.
364 LB SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHâRICN^
La population indigène apparatt,une fois rassurée et pro-
tégée, comme susceptible de développement. Le capitaine
Lenfant fait Téloge de celle de Say: « Les habitants de Say.
dit-il, sont des Toucouleurs, croisés de Peuls et de SonraÏN
mais chez qui le sang foulani prédomine ; ces indigèQe>
parlent trois langues, car les nobles s*exp ri ment couramment
en aoussa, peul et sonraï. Ce sont des hommes intéressants,
avec lesquels on peut s'entendre ; la race est LxtnMncmer.l
fine et sympathique ; à part leur teint bronzé, ils ont Tâsperl
des Aryens et des Berbères que Ton rencontre sur le Nii:»r
depuis Say jusqu'aux confins de la plaine de Djenné (1). •
La description que fait le capitaine Lenfant des populatioD>
de la partie plus haute du ficuve, les Bambaras notammenl.
n'est pas moins réconfortante : « Les villages BambaraN
du Bélédougou (2) sont riches, bien construits et bien peu-
plés. L'indigène habite des cases en terre, recouvertes dt^
terrasses ; il réserve la case recouverte de paillotte pour ses
bestiaux, ses grains et ses provisions. Les cultures soni
belles et variées : riz, mil, mais, patates, manioc, arachides,
piments, tabac, coton, indigo, etc. ; le pays produit du ka-
rité en quantités considérables ; il y a de belles forêts avecles
essences de bois que nous avons précédemment indiquées,
les bestiaux sont bien soignés; le miel abonde. Plus au sud.
dans les pays Sénofos, le caoutchouc, Tivoire, se joignent
à ces produits, tout cela dépend des latitudes sur lesquelles
on opère. Le Bnmbara de la campagne extrait, des minerais
qu'il grille dans ses hauts fourneaux, le fer pour ses instru-
ments de culture, pour ses lances et pour ses armes. C'esl
un guerrier très brave et vigoureux; c'est un cultivateur
patient qui sait se défendre. Cette race nous a fourni tous les
travailleurs, depuis ceux qui manient la pelle etla pioche sur
nos chantiers, jusqu'à celui qui dirige nos machines. C'esl
avec elle que nous avons formé ces beaux régiments à
tirailleurs, dont la bravoure et Tentrain nous ont assuré la
(I) Lf'nf.'iîU, Le A'/V/rr, p. 173.
(i) C'est la région sur les rives du Niger entre Djenné et Bamako.
LE SOUDAN NIGÉRIEN : GRAND AVENIR DU PAYS. 365
enquête de notre territoire, et nous ont permis d'imposer
u Soudan nos idées pacifiques et notre civilisation (1) ».
Ainsi, non seulement la nature, mais la race humaine, sur
Bs bords des 2500 à 2800 kilomètres du Niger qui appar-
liennent h la France, sont pleines de promesses de dévcloppe-
IDent. Une génération jouissant de la sécurité suffira à
rétablir, en faccroissant encore, Tancienne population et
rancienne prospérité de ces contrées.
Parmi les produits qu*on peut en attendre, il en est un
parliculiërement important pour la civilisation générale, c'est
le coton. On sait que cette denrée a énormément renchéri
depuis plusieurs années et que Tessor de sa production en
Amérique, aux Indes, en Egypte, dans TAsie centrale, ne
peut suivre celui de la demande. En Angleterre, comme en
France, il s'est constitué des associations pour le dévelop-
pement et l'amélioration delà culture du coton aux colonies.
Les documents présentés au Congrès colonial de 1904,
tenu à Paris, sont nombreux et instructifs sur les possibi-
lités qu'offre cette culture dans nos possessions africaines
et particulièrement sur les bords du Niger. Il n'a pas été
présenté à ce Congrès moins de sept mémoires sur le coton
en Afrique (2). Les plus importants et les plus détaillés de
ces projets visent le moyen Niger et le haut Niger. Nous
allons puiser quelques renseignements à ces études
spéciales.
Le moyen et le haut Niger paraissent un lieu d'élection
pour la culture du cotonnier. Toute la zone de Tombouctou
à Bamako ou Bamakou, ainsi que tout le cours du Bani, y
sont particulièrement propices. Il est certain que la région
entre Tombouctou et Say s'y prêterait aussi, mais la première
(1) Lenfant, Le Mf/er, p. 220 et 22i.
(2) En voici les titres : L'avenir de la culture du coton au moyen Niger, par
M. (le Préaudet; Un projet d'entreprises cotonnières en Afrique occidentale,
par MM. Bouchor et Krol; Les cultures cotonnières du haut Sif/er, par M. Le
Uiirbier; Sécessitf' de cultures cotonnières européennes en Atyérie et en Afrique
occidentale, par M. Du Taillis; La vallée du Sénéfjal, région cotonnière, par
M. Maine fils; Le coton à Madagascar, par M. Froment. Voy. Bibliothèque
des Congrès coloniaux français ; Rapports présentés à la troisième section du
Congrès colonial de i904; Ghallamel, éditeur, 1904, Paris.
366 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARI£?^î
étant plus connue et notre autorité y étant mieux établie,
c'est d'elle seulement que Ton s'occupe aujourd'hui. Se réft- i
rant à un croquis du moyen et du haut Niger qu'ils onl \
joint à leur mémoire, MM. E. Boucher et Gérard Krol
écrivent : « La carte ci-annexée, qui indique les terraixis
arrosés par le Niger et susceptibles de pouvoir être cultivés
pour le coton, représente une superficie de 3500000 hectares.
Si ce champ immense était cultivé, il pourrait produire
875000 tonnes de coton annuellement, dont la valeur consi-
dérée au prix le plus bas, soit 1 fr. 25 le kilogramme, repré-
senterait plus d'un milliard de francs (1). i» Il ne faut pas
oublier que les Etats-Unis ont actuellement 10 millions
d'hectares de plantations de coton, exactement 9710000 hec-
tares en 1899 (2).
On calcule que le rendement brut d'un hectare est de
800 kilos de coton, et le rendement net en fibres de2J'^
à 280 (3). On évalue à 151 fr. 50 par hectare le total des frais
et à 204 francs au prix de 1 fr.lOle kilogramme, le prix de vente
en France; l'écart, soit 113 francs, représenterait le coût de
transport et le bénéfice. En admettant une vingtaine de francs
pour le prix de transport des 240 kilogrammes de fibres dont
il s'agit et une dizaine de francs pour les frais divers, cour-
tages et autres, il resterait plus de 80 francs de bénéfice par
hectare (4).
Nous n'avons pas à discuter ces données. L'association
cotonnière fondée en France sous la direction d'un grand
commerçant en coton, M. Esnault Pelleterie, s'occupe de
toutes les études spéciales concernant cette production dans
notre Afrique. Elle a fait choix, dit-on, de Ségou, pour siège
de ses premières exploitations.
(i) Rapports présentés à la troisième section du Congrès colonial de ^90-$, p. oii.
(2) Les États-Unis au vingtième siècle^ par Pierre Leroy-Beaulieu, p. 444.
(3} liapports présentés à la troisième section du Congrès colonial de 1904,
p. 27 et 44.
(4) Ibid., p. 27 et 28. L'auteur du mémoire no compte que 52 francs de bén»'
ficc par(!e qu'il suppose le transport par la voie conipli(iuée et coûteuse «lu
Niger à Kayes, la navigation du Sénégal et celle de la côte d'Afrique en Francf
mais le Transsaharien, voie facile, réduirait considérablemeut ces frais.
LE SOUDAN NIGÉRIEN : GRAND AVENIR DU PAYS. 367
Tous les hommes techniques sont d*accord que la vallée
du Niger et du nouveau Niger se prêtent merveilleusement
h la production du coton. Il n'y a pas lieu de s'occuper de
Tirrigation, ou du moins de faire de grands et coûteux tra-
vaux pour l'organiser, puisque l'inondation régulière du
fleuve y supplée.
L'exemple de l'Egypte, de l'Inde et du Turkestan est on
ne peut plus réconfortant en ce qui touche l'avenir coton-
nier de la vallée du Niger et de la contrée du Tchad. Il suffit,
(l'une part, que la population s'accroisse par la sécurité et
([u'un moyen de transport économique soit établi. Or, le
chemin de fer transsaharien au tarif kilométrique, très rému-
nérateur, de 3 centimes la tonne transporterait le coton du
Niger à Oran au prix de 75 francs la tonne et du Tchad à
Philippeville au prix de 90 francs, à peine 8 ou 9 p. 100 de
la valeur du produit. On pourrait même, si c'était néces-
saire, réduire le tarif kilométrique à 2 centimes, ce qui
représenterait seulement 50 et 60 francs respectivement la
tonne pour le transport du Niger ou du Tchad aux côtes
algériennes, et de celles-ci à un grand port quelconque
d'Europe, Marseille, Gênes, Trieste, Barcelone, le Havre,
Liverpool, Anvers et Hambourg, le fret ne serait que de 8 à
10 francs la tonne. Tout le transport du centre de l'Afrique
jusqu'au grand port du pays manufacturier européen ne
reviendrait ainsi qu'à 85 à 100 francs la tonne de coton, res-
pectivement pour le coton du Niger et le coton du Tchad et,
avec le tarif kilométrique de 2 centimes, à 60 et 70 francs,
soit 6 à 7 p. 100 à peine de la valeur de la denrée.
Il est permis d'espérer que la région du Niger arrivera, un
jour, à produire 600000 à 700000 tonnes de coton, tout au
moins 400000 ou 500000; mai» quand, dans le délai d'une
quinzaine ou d'une vingtaine d'années, elle n'en produirait
encore que 60000 à 80000, ce serait déjà une notable richesse
pour le pays et un trafic important pour le chemin de fer
^-ranssaharien.
Le simple développement de la population et des cultures
3*70 LE SAHARA; LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIENS.
Niger. Au contraire, la navigation est peu coûteuse sur
l'immense bief d'Ânsongo et le Transsaharien jusqu'à Oran
pourrait transporter les produits de valeur à 3 centimes le
kilomètre, soit 75 francs la tonne; ceux de moindre prix, à
2 centimes, soit 50 francs la tonne et presque certainement
à 1 centime et demi, soit 37 fr. 50 la tonne les produits de
faible valeur, sinon môme à 1 centime 1/4 (32 fr. 50). Ces
deux derniers tarifs sont très modiques, mais praticables,
et les deux premiers eux-mêmes sont, dans la plupart des
cas, très acceptables.
Nous examinerons plus loin les questions d'exploitation.
Le chemin de fer transsaharien occidental sera très facile
h construire; pour les 1700 à 1800 kilomètres, à partir du
terminus actuel des lignes sud-oranaises, il ne paraît pas
devoir coûter plus d'une centaine de millions, au grand
maximum, soit 55000 francs le kilomètre.
Autant qu'on peut s'en rendre compte, c'est à Tombouc-
tou môme ou non loin de cette ville qu*il faudrait qu'aboutit
le Transsaharien occidental. Tombouctou réunit, en effet,
des avantages importants : il est presque sur le méridien
d'Oran; il se trouve à peu près au milieu du grand bief
(^u Niger moyen; il est proche de la zone la plus riche
des inondations du fleuve; il n'est pas bien éloigné do
Taoudéni, la grande saline saharienne qui apportera un
trafic notable à la voie ferrée ; c'est l'excellence de cet empla-
cement qui a fait de Tombouctou, dans le passé, le grand
centre de l'afflucnce et de la distribution du commerce dans
toute celle partie de l'Afrique; il semble que l'avenir devra
consacrer cette situation.
LIVRE IV
DE L'EXECUTION ET DU TRAFIC
DES CHEMINS DE FER TRÀNSSÀHARIENS
CHAPITRE PREMIER
Facilité et coût modique de l*entreprise.
Los chemins de fer transsahariens sont des œuvres l'elativement modestes. —
Leur étendue est très inférieure à celle des grandes lignes de Tancien et du
nouveau monde.
La plus grande partie des tronçons qui les co m po.se nt s'imposera dans un temps
prochain, même indépendamment de toute idée transsaharienne. — Si l'on
déduit ces tronçons en toutes circonstances nécessaires dans le Sud-Âlgérion
et le Soudan, la longueur proprement dite du Transsaharien devient très
modique.
Le sol du Sahara se prête merveilleusement à l'établissement d'une voie ferrée.
— La salubrité du pays facilite les travaux.
Aucune objection sérieuse ne peut être faite du chef de l'insuffisance des eaux
pour l'exploitation.
La construction sera très peu onéreuse. — Elle devra se tenir entre 50000 et
60 000 francs le kilomètre.
Les frais d'exploitation aussi s'annoncent comme modiques.
Immenses seraient les résultats des chemins de fer trans-
sahariens, et Teffort serait modique. Il ne faut pas croire
qu*il s'agisse 1& d'une de ces œuvres colossales qui dévorent
d'énormes accumulations de capitaux. Dans les temps où
nous vivons et par rapport aux travaux publics qui se sont
faits récemment, se font ou se projettent sur la surface du
globe, un chemin de fer transsaharien serait une œuvre à
coup sûr originale, mais relativement modeste. Elle ne
demanderait qu'une dépense fort restreinte. Tout d'abord,
même au simple point de vue de la longueur kilométrique,
uQ chemin de fer transsaharien serait loin de figurer parmi
les ligoes ferrées les plus longues du globe. De Biskra au
372 LE SAHAHA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRâNSSÀH ARIENS.
Soudan, jusqu'à Zinder par exemple, qui nous appartient
et qui est à 3 degrés environ de longitude à Test de Biskra,
ou bien encore, si on le préfère, au Kanem, c'est-à-dire à la
rive septentrionale du lac Tchad,qui se trouve 4 degrés de
longitude encore plus à Test, mais un peu plus au nord, la
distance en ligne droite est d'environ 2400 à 2 500 kilomètres,
mettez de 2600 à 2700, en supposant des déviations exigées
par le relief du terrain sur une courte partie du tracé.
Or, pour tout homme qui se tient un peu au courant du
train du monde et dont Tesprit n'est pas enfermé dans nos
étroites vallées métropolitaines, un chemin de fer de 2 600
à 2 700 kilomètres ne compte plus aujourd'hui parmi les
lignes ferrées de première grandeur. Le chemin de fer trans-
sibérien a plus de 6000 kilomètres, le Transcontinental
Canadian Pacific en a plus de 5000, et le Transcontinental
Pacific américain presque autant ; voilà donc des chemins
de fer qui sont deux fois plus longs, sinon davantage, que
la ligne qu'il nous faut construire pour faire un tout de nos
tronçons disséminés de l'Afrique du nord et du centre. En
Afrique même, dans une contrée très désolée et peu fertile
de l'Afrique — pour ne pas parler de l'entreprise du Cap au
Caire qui n'est encore qu'à l'état de formule, quoiqu'elle
s'exécute rapidement par tronçons, — le chemin de fer du
Cap au Zambèze, actuellement terminé ou sur le point de
Têtre, dépasse en longueur de 15 à 20 p. 100 environ le futur
Transsaharien de la région du Tchad, et les difficultés d'exé-
cution étaient bien autrement grandes dans le premier cas
qu'elles ne seront dans le second, à cause de la nature du
pays et du relief tourmenté du sol.
Ce n'est donc pas l'étendue de la ligne qui doit nous
arrêter; d'autant moins que, si l'on décompose cette étendue,
on voit que, môme en renonçant à réunir l'Algérie au Sou-
dan, une notable partie des 2 600 ou 2700 kilomètres devra
être faite à assez bref délai, soit au titre de chemins de fer
algériens, soit au titre de chemins de fer soudanais. C'est le
cas d'abord pour les 370 kilomètres de Biskra à Ouargla,
DE L*BXÉGUTION DES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIENS. 373
lesquels sont étudiés depuis une vinglaine d'années et qui,
depuis dix ans environ, font Tobjet d'un projet ministériel et
d'une demande de concession. On peut considérer qu'en
tout état de cause ces 370 kilomètres seront construits assez
prochainement.
11 en est de même, quoique l'exécution puisse en être un
peu plus différée, de la ligne ferrée devant relier la grande
contrée tropicale et cultivable du Sahara méridional, l'Âîr,
tout au moins la capitale de cette région, Agadès, à notre
Soudan, soit à Zinder, soit à un point voisin. Il est en effet
inadmissible que, contrairement à tous les peuples colonisa*
leurs. Russes, Anglais, Belges, Nord-Américains, nous
ayons la prétention de posséder éternellement des territoires
sans y faire de travaux publics. On a vu que le voyageur
allemand Barlh, le plus exact peut-être des explorateurs, a
fait de la région de l'Aîr, de ses vallées, de ses productions,
un tableau séduisant et que les récits de M. Foureau n'y con-
tredisent aucunement (se reporter plus haut, pages 261 à 278).
La jonction de cette contrée au Soudan par une ligne ferrée
s*imposera, quelle que doive être la décision relative au
Transsaharien.
On conçoit qu'il ne soit pas possible, une fois que nous
aurons établi notre domination dans cette contrée, de la
laisser sans communication par chemin de for avec le
Soudan. Ce serait d*autant plus inadmissible qu'outre les
produits agricoles et fabriqués, il y a dans cette région des
sources de trafic qui proviennent du transit du sel ; Barth
parle du départ d'une caravane de 10 000 chameaux se ren-
dant aux salines de Bilma, situées au nord-est d'Agadès,
dans le pays dit de Kaouar. II reconnaît que le chiffre des
chameaux peut être un peu exagéré, mais qu'il n'en résulte
pas moins un énorme mouvement. Il semble découler de son
texte que plusieurs fois par an des caravanes de ce genre,
sinon exactement de cette importance, traversent Agadèsou
VAïr(l).
(1) Reisen und Entdeckungen, etc.. von D"" Heinrich Barth. 1. 1»', pages 467, 468.
374 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAH ARIENS.
Indépendamment de tout projet de Transsaharîen, il
ressort donc comme évident que Ton devra construire une
ligne ferrée, reliant TAïr, tout au moins à partir d'Agadès,
17" degré, plus probablement à partir de Tintelloust, 18' de-
gré et demi, au Soudan, mettons à Zinder, point assez cen-
tral; ce serait une longueur de 600 à 700 kilomètres à
déduire de celle du Transsaharien proprement dit, puis-
qu'elle aurait sa nécessité propre en dehors de toute jonction
de TAlgérie avec la région du Tchad. Il est même très vrai-
semblable que cette ligne ferrée, simplement soudanaise,
devrait un jour être prolongée à Test jusqu'à l'oasis de
Bilma, qui approvisionne aujourd'hui entièrement le Sou-
dan central de sel (1). Il y a des chances sérieuses pour que
ces lignes soudanaises, desservant la partie tropicale du
Sahara, soient rémunératrices.
Si Ton retranche ces tronçons qu'il faudra toujours faire,
à savoir les 370 kilomètres de Biskra à Ouargla et les 600
ou 700 du Soudan central à TAïr, on voit que la longueur
prévue de 2 600 à 2 700 kilomètres pour le chemin de fer de
jonction de l'Algérie et de la région du Tchad, se réduit, en
réalité, à 1600 ou 1 700 kilomètres. Voilà la longueur de
transsaharien à proprement parler ; cette ligne, dont le seul
nom épouvante les gens superficiels, se réduit à des propor-
tions vraiment des plus modiques.
A plus forte raison en est-il ainsi du Transsaharien de
l'Ouest vers le Niger; les lignes oranaises et sud-oranaiscs,
poussées aujourd'hui jusqu'à Colomb ou Béchar, ont, depuis
Oran^ plus de 700 kilomètres en exploitation ou sur le point
de l'être ; il est décidé de les prolonger de 200 kilomètres
environ plus au sud jusqu'à Igli. Or, d'Igli à Tombouctou,
la distance n'est que de 1 600 à 1 700 kilomètres; c'est donc,
en soi, peu de chose, mais cette distance se réduit bien
davantage quand on la décompose. 11 est incontestable que
(1) Au cas où Ton ferait prochainement le Transsaharien, on pourrait ajour-
ner le tronçon ferré vers Bilina, parce que le sel à fournir au Soudan pourrait
venir directement de France.
DE l'exécution des CHEMINS DE FER TRANSSAHARIENS. 375
Ton sera amené prochainement à pousser nos lignes sud*
oranaises jusqu*à nos oasis du Touat ou du Tidikeit, à savoir
jusqu'à Taourirt environ ; ce sera un prolongement de 400 à
iV) kilomètres ; on ne sera plus alors qu'à 1 200 kilomètres
environ du Niger; d'autre part, on sera amené certainement,
indépendamment de toute idée transsaharienne, à relier par
une voie ferrée, tout au moins industrielle, la célèbre saline
de Taoudéni au Niger, car cette saline approvisionne tout le
Soudan et comporte un trafic important; le tronçon Taou-
déni-Tombouctou représente environ 600 kilomètres. Si Ton
lient compte de toutes les voies ferrées, dont la nécessite
propre s'impose, la lacune qui subsisterait entre les lignes
sud-oranaisespousséesjusqu'au Touat et la ligne industrielle
Taoudéni-Tombouctou, en tenant compte de quelques dévia-
tions du tracé nécessitées par la traversée des localités
sus-désignées, serait seulement de 700 kilomètres environ,
irestàces 700 kilomètres que se réduit en définitive le Trans-
saharien occidental proprement dit; ce n'est donc plus
qu'une petite voie ferrée, par l'étendue et par la dépense.
Si la longueur n'a rien d'effrayant, la nature du pays peut-elle
faire reculer devant l'œuvre? Il s'agit de traverser le Sahara,
c'est-à-dire un désert, ce que le public, d'après la convention,
se représente comme une immense étendue de sables mou-
vants, soulevés et remués en tous sens par les vents. Il a été
surabondamment démontré plus haut, par les rapports con-
cordants des différents explorateurs, que la légende a complè-
tement dénaturé le Sahara ; le sable, notamment le sable
mouvant, n'y occupe que des parties très restreintes, sur-
tout dans la région qui offre le tracé le plus naturel au
Transsaharien. Le gravier uni et solide, ce que l'on appelle
le reg, couvre de beaucoup la plus grande partie du Sahara
el aussi les plateaux pierreux dénommés hamada. Dans la
région où il y a du sable, en général fixé par une certaine
végétation^ on trouve, désignés par le nom de gassis^ de
larges couloirs de terrain ferme entre les dunes, notamment
au sud d'Ouargla, en suivant à peu près le lit du fleuve sou-
:^*
376 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIENS.
terrain Tlgharghar par Amguid et par la plaine d'Amadghor
et en gravissant les pentes les plus douces du plateau rocheux,
de médiocre hauteur d'ailleurs, le Tassili, qui occupe le Sa-
hara du centre.
Le Sahara, en définitive, est beaucoup plus une étendue
de roc qu'une étendue sablonneuse. On ne peut dire que ce
soit une plaine absolue, mais le relief n'est nulle part 1res
élevé; sur cette longueur de 2600 à 2700 kilomètres, de
Biskra à la région du Tchad, les points culminants, soit
dans le plateau du Tassili, soit dans TAïr, ne paraissent
dépasser nulle part 1800 mètres, hauteur d'un tiers moindre
que les points culminants de l'Algérie, et il ne s'agit là que
de pics isolés que Ton peut tourner aisément.
La carte jointe, dans les Comptes rendus de la Sociélè de
Géographie^ aux lettres écrites par M. Foureau, du puits
d'Asiou, c'esf-à-dire du Sahara méridional, fixe à une hauteur
de 1 362 mètres la ligne de partage des eaux entre la Médi-
terranée et l'Atlantique, au Djebel Ahorrene, à plus de
1 300 kilomètres au sud de Biskra ; rien ne dit qu'en étudiant
mieux le pays on ne trouvera pas des cols plus bas. Ce rehef
modéré, sur un si grand trajet, doit faire considérer le Sa-
hara sinon comme une plaine au sens absolu du mot, tout
au moins comme une des contrées, relativement à leur
étendue, les plus planes de l'Afrique. Pour se rendre du
Cap au Transvaal, on gravit de bien autres sommets.
Quant au Transsaharien occidental, celui du Niger, il ne
rencontre plus aucun obstacle de montagne, la ligne de par-
tage des eaux ayant été franchie d'Aïn-Sefra à Béni-Ounif
par les tronçons actuellement en exploitation.
Ainsi, terrain de gravier et de roc, plutôt que de sable,
relief modique du sol, voilà les caractéristiques du pays.
Pour rétablissement d'un chemin de fer, pour le coût de cons-
truction et d'exploitation, elles sont favorables. Le manque
d'eau» il est vrai, serait une condition contraire; mais il a été
amplement démontré plus haut que, sauf sur des étendues
restreintes, Teau ne manque aucunement dans le Sahara.
CONSTRUCTION DES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIENS. 377
Dans toute la partie septentrionale, de Biskra à Tougourt,
la sonde artésienne a fait jaillir des quantités de nappes et
surgir de nombreuses oasis. Au sud de Tougourl jusqu'au
delà d'El-Biod, sur 700 ou 800 kilomètres, s'étend la vallée
de righarghar, et, outre les puits qui s'y rencontrent actuel-
lement, la sonde artésienne en fera certainement trouver
d*autrcs. Le Sahara méridional, recevant d'ailleurs déjà
les pluies tropicales, dans la grande section qui va d'Asiou
au Tchad et qui représente un bon tiers du tracé du Trans-
saharien, les puits sont nombreux. 11 reste le haut plateau du
Tassili, d'une longueur de 400 à 500 kilomètres, formant la
chaîne de partage des eaux entre la Méditerranée et l'Atlan-
tique; là, les puits sont plus rares; mais il en existe pour
alimenter les caravanes assez fréquentes qui traversent cette
région, la plus désolée du Sahara. MM. Foureau et Lamy,
avec une expédition comprenant un millier de chameaux et
plusieurs centaines d'hommes, ont éprouvé de la difficulté à
se ravitailler en eau dans une partie du parcours du Tassili
et un peu au sud jusqu'à Asiou ; mais enfin ils y sont par-
venus. L'on conviendra qu'il faut moins d'eau pour alimenler
quelques trains de chemin de fer que pour des milliers de
chameaux et d'hommes.
Puis ces eaux ne sont pas aménagées, ces puits ne sont
pas entretenus ; Ton peut avoir la certitude que, la science
européenne et surtout le soin et la vigilance des Européens
aidant, les ressources en eau de cette région seront considé-
rablement accrues.
Les chaudières perfectionnées des locomotives actuelles
usent très peu d'eau. On peut s'en convaincre en examinant
le petit nombre des arrêts des trains rapides, entre Paris et
Marseille, par exemple : sur les 862 kilomètres de Paris à
Marseille, les arrêts ne sont qu'au nombre de six, soit en
comptant la station de départ, sept, étant ainsi à une dis-
tance moyenne de plus de 123 kilomètres ; encore ces arrêts
ont-ils parfois pour raison d'être beaucoup plus l'importance
des villes traversées que des nécessités techniques. De Paris à
378 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSABAR1E!<iS.
Laroche, premier arrêt, la distance est de 155 kilomëlres; de
Laroche à Dijon, deuxième arrêt, elle est de 160. On pourrait
faire sans arrêt 200 et 250 kilomètres, sans avoir à faire une
excessive provision d'eau. Or, si les Irains rapides de
Paris à Marseille sont peu chargés, d'autre part ils ont une
énorme vitesse, ce qui exige une grande consommation de
vapeur. Duponchel évaluait, vers 1877, à 500 mètres cubes
(Voy. plus haut, pages 63 et 64) la consommation d'ua
train traversant lé Sahara ; mais, dans le dernier quart de
siècle, les chaudières se sont beaucoup perfectionnées.
En supposant, dans les parties les plus sèches, un arrêt
tous les 200 kilomètres, cela représenterait tout au plus,
d'après les calculs de Duponchel, 30 mètres cubes d'eau à
fournir à chaque train par les stations les plus éloignées;
depuis lors cette quantité a diminué de plus de aïoitié el
s*est réduite à une quinzaine de mètres cubes au maximum ;
en supposant trois trains par semaine dans chaque sens,
cela ne correspond qu'à un débit journalier de moins de
13 mètres cubes, soit environ 500 litres par heure, 8 à
9 litres par minute; c'est le débit d'à peine une sourcelelte
insignifiante. Quand on aura un peu aménagé les ressources
d'eau du Sahara, on pourra ouvrir des stations moins dis-
tantes, dont l'écart ne dépasse guère une centaine de kilo-
mètres et l'on obtiendra, dans la plupart des stations, un
débit dix et vingt fois plus important.
C'est ce qui est arrivé partout pour les chemins de fer
désertiques qui, à l'heure actuelle, foisonnent dans le
monde. On en compte plus de 10000 kilomètres, soitdansle
désert d'Atacama, en pleine Amérique du Sud, où se trou-
vent les gisements de nitrate, soit dansTAustralie de l'Ouest,
de Perth à Coolgardie et à Kalgurli, pays des mines d'or,
soit dans le district dénommé Northern Territory, où la
colonie de l'Australie du Sud a fait pénétrer un chemin de
fer visant le centre de ce continent, soit dans la région de
l'Asie centrale, où les Russes, les pionniers de cette sorte de
travaux, ont construit le chemin de fer transcaspien, soit dans
CONSTRUCTION FEU GOÛTEUSE DES CHEMINS DE FER DESERTIQUES. 379
les déserts de Libye et de Nubie où les Anglais ont construit
diverses voies ferrées pour éviter les cataractes et les
méandres du Nil.
Partout le désert reçoit des chemins de fer et les alimente;
nulle part le manque d'eau n'a été un obstacle à la voie
ferrée. A Coolgardie, premier siège des mines d*or ouest-
australiennes, Teau, en 1895, se vendait couramment 0 fr. 25
à 0 fr. 30 le litre, et, avant sa distillation (1), elle était de
plus mauvaise qualité que Teau que trouvent nos avant-
postes dans le Sahara : cela n'a nullement empêché la
locomotive d'arriver à Coolgardie et de dépasser même
celle station. Dans le Turkestan, les trains font quelquefois
160 kilomètres sans rencontrer une goutte d'eau. II s'en
faut que la situation apparaisse comme aussi défavorable,
nous ne disons pas dans le Sahara en général, mais même
sur le plateau du Tassili, qui en forme la partie la plus sau-
vage. La carte de M. Foureau y révèle des quantités d'oueds,
et, si à sec qu'ils puissent se trouver dans certaines saisons,
il D*y en a pas moins là des ressources que l'on peut amé-
nager, soit par des citernes, soit par des puits artésiens. Dût-
on renoncer à cette ressource, les puits actuels, mieux entre-
tenus, sufOraient. Mais il est quasi certain que ces quantités
d'eau pourront être considérablement accrues, même sur le
plateau du Tassili. Les reconnaissances du capitaine Pein,
se rattachant à la mission Foureau, Tont démontré. Les
observations de Lamy et du lieutenant Besset sont égale-
ment très décisives à ce point de vue (Voy. plus haut,
pages 215 et 305 à 314).
Ni rétendue de la ligne à exécuter, ni le caractère des lieux
ne sont donc de nature à inquiéter ou à décourager. L'œuvre
apparaît comme de proportions modestes et d'une exécution
relativement aisée. La très grande salubrité du pays, pro-
clamée par tous les explorateurs, est un autre élément qui
(1) Voy. dans l'ouvrage de M. Pierre Leroy-Beauliou : les Soiivelles Sociétés
anfjlo-saxonnes (nouvelle édition, 1901), le chapitre relatif à rAustralie de l'Ouest,
pages 49 et 50.
380 LE SAHARA, LB SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHAtlE55
aide à la facilité de la construction et de rexploitatîon de
la ligne. Il ne s'agit pas ici de terrains marécageux, où les
fièvres paludéennes, la fièvre jaune, les maladies sur le bétail
sévissent, comme dans TOucst africain ou dans rAfrique
équatoriale, et immobilisent ou enlèvent une propoiiioa
notable de travailleurs. Le Sabara est une des contrées les
plus salubres du globe. Serait-ce la dépense qui pourrait
faire hésiter? Peut-être, il y a trente ou quarante ans, en
eût-il été ainsi, quoique Ton ait vu plus haut les calculs
de ringénieur Béringcr, faits sur place en 1880, pour la
construction à prix très modéré d*une voie ferrée sur
600 kilomètres au sud d*Ouargla (Voy. plus haut, page Wj
Aujourd'hui, on a faitde très grands progrès dans la construc-
tion des chemins de fer en pays neufs. J'ai suivi deprès,élant
administrateur, depuis la fondation, de la société qu'elle
concerne, la construction d'une ligne en région désertique,
débouchant dans le Sahara septentrional, la ligne de Sfaxà
Gafsa et aux gisements de phosphates sud-tunisiens ; j'ai
été la visiter par le premier train qui a accédé aux carrières,
aujourd'hui célèbres, du Metlaoui; le succès de cette ligne
a contribué à me faire reprendre Tidée du chemin de fer
transsaharien. On a construit en dix-huit mois et moyennaol
moins de 60000 francs par kilomètre, y compris un matériel
des plus importants, destiné à pourvoir à un transport
annuel de 400000 tonnes de phosphates, les 245 kilomètres
de Sfax aux mines de phosphates, h travers une contrée
désertique sur la moitié du parcours.
C'est la voie étroite, dite voie d'un mètre, qui devrait ôlre
adoptée ; elle réduit énormément la dépense de construcUon
et d'cxploilalion, d'autant qu'il faudrait se servir ici de
traverses métalliques. L'expérience coloniale a prouvé,
dans toutes les parties du globe, que la voie d'uii mètre pew/
se prêter à un trafic d'une grande intensité. Presque tous
les chemins de fer coloniaux, en Australie, dans l'Afrique
du Sud, en nos propres colonies, sont de celte largeur. L'on
sait même, mais ici il y a abus d'étroitesse, que le célèbre
CONSTRUCTION PEU COÛTEUSE DBS CHEMINS DE FEK DÉSERTIQUES. 38t
chemin de fer du Congo belge est à O'^jTS d'écartement.
Cerlaias chemins de fer, dans les colonies anglaises ou
portugaises, la ligne de Beïra à Fort Salisbury par exemple,
reliant le nord de la Rhodésia à Tocéan Indien, a élé cons-
truite d'abord à O^jôO d'écartement. Il serait imprudent de
restreindre autant la voie; mais celle d'un mètre peut
pourvoira un trafic énorme. Ainsi la ligne de Sfax à Gafsa
et aux phosphates du Metlaoui en Tunisie, à une seule voie
de 1 mètre, a pu transporter 180000 tonnes de phosphates
en 1901, 265 000 en 1902, 345000 en 1903 et en transportera,
pense-t*on, plus de 400000 en 1904, sans compter quelques
dizaines de milliers détonnes de transports accessoires. On
pense que celte ligne de Sfax-Gafsa pourrait, avec de simples
doublements de la voie à quelques endroits de croisement,
faire face à un transport de 600000 tonnes de phosphates.
Ainsi, une ligne ferrée de 1 mètre, non pas même à double
voie sur toute l'étendue, mais simplement avec des double-
ments pour les croisements, peut aisément pourvoir à un
trafic de 600000 tonnes dans chaque sens, trafic énorme.
Une voie ferrée de 1 mètre peut comporter des wagons
de très grande capacité. On sait que, jusque vers l'an 1900
ou 1901, les plus grands chemins de fer d'Europe n'em-
ployaient pour le transport des marchandises que des wagons
uniformes de 10 tonnes, tandis qu'aux États-Unis d'Amérique
les wagons de 30, 40 et 50 tonnes pour le transport des mar-
chandises encombrantes étaient, dès lors, usuels. Ces grands
wagons réduisent notablement le poids mort et les mani^
pulations, ce qui abaisse sensiblement le prix de transport.
Depuis 1900 les grandes Compagnies françaises se sont mises
à commander, bien timidement encore, des wagons de 20 à
50 tonnes (Voy. plus haut, page 57, texte et note).
Les Compagnies africaines à voie étroite les avaient
devancées. La Société des phosphates de Sfax à Gafsa a^
pour type le plus habiluel, des wagons de 18 tonnes, d'une
capacité presque double de ceux des wagons encore le plus
usités en France. Les chemins de fer de TAfrique du Sud à
382 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRAnSSAfiÀftlLT:.
voie étroite (Transvaal, Orange, Cap) ont adopté les
wagons de 30 à 35 tonnes de capacité : une correspondance
de Johannesburg, en date du 2 novembre 1903, publiée [«
le journal anglais spécial IcSlalist (1), décrit ainsi ce progrèi^
dans Tcxploitation des voies ferrées; il s*agit du transport
des charbons sud-africains : c La grandeur accrue des
wagons qu'emploie actuellement le chemin de fer facilii^
considérablement Texploitation. Quoique le cheoiin de (tr
soit seulement à la largeur de 3 pieds 6 pouces (?K 1^
wagons à charbon les plus usités à Theure actuelle sost
d'une capacité de 30 à 35 tonnes, c'est-à-dire de 6OO00i
70000 livres anglaises. J'ai fait un relevé relativement à un
de ces wagons. Le poids total chargé était de I007401ivi¥â.
le poids de tare de 30720 livres et le chargement réel de
70000 livres. On projette encore des wagons plus grande
jusqu'à 80000 livres de chargement, et la tare des wagons d*:
la forme la plus nouvelle a une moindre proportion au poids
total du wagon chargé que l'ancien matériel. Le rapport du
poids vif et du poids mort avec le nouveau matériel roulant
est légèrement au-dessous de 2 tonnes et demie — exactement
2,4 — de poids vif {live weighl) à 1 tonne de poids mort. » Ce
que l'auteur appelle ici le poids vif est le poids utile; ains:
le poids mort, la tare, n'atteint pas 30 p. 100 du poids du
wagon chargé, tandis qu'auparavant il atteignait en général
la moitié : l'utilisation d'un train d'un môme poids à remor-
quer se trouve ainsi accrue de 40 p. 100 environ. El le»
chemins de fer à voie étroite, on le voit, se prêtent parfai-
tement à ces perfectionnements. Ces vastes wagons corn
portent aussi un chargement et un déchargement automa-
tiques. L'exploitation s'en trouve ainsi très peu onéreuse
Tandis que les trains de nos grandes Compagnies mélrap^-
litaines ne comportent qu'un poids de 600 à 700 tonnes, dont
300 tonnes utiles, les trains américains vont jusqu'à
(1) The Statist, 28 novembre i903, page 970.
(2) Le pied anglais = 3 décimètres 04 et le pouce s 2 centimètres 54 : cela
correspond donc à i™,05 de largeur de voie.
CONSTRUCTION PEU COÛTEUSE DES CHEMINS DE FER DÉSERTIQUES. 383
2 500 tonnes dont 1 500 tonnes utiles au moins^ et Ton
est arrivé aux États-Unis à avoir, dans Tensemble, un
moindre nombre de trains pour une somme totale de trans-
ports beaucoup plus considérable. Si le Transsaharien doit
transporter des matières encombrantes à très bas prix,
comme non seulement le coton, qui a une valeur assez élevée,
mais les minerais communs, ces progrès dans la consti-
tution des trains seront d'une aide précieuse.
Quant à la vitesse sur les chemins de fer à voie de 1 mètre,
elle est très fréquemment de 35 à 40 kilomètres à l'heure, et
si Ton ne l'a pas développée davantage, c'est qu'on ne l'a
pas cherché, n'y voyant aucun intérêt.
La construction des chemins de fer à voie de 1 mètre, en
pays salubre, ce qui est un point capital, et où le prix du
terrain est peu élevé (or, dans le Sahara, il ne coûtera abso-
lument rien) est très peu dispendieuse. Les Anglais arrivent
à 30000 ou 37500 francs le kilomètre dans ces conditions,
soit 1 200 à 1500 livres sterling; ce prix est très souvent aussi
celui de beaucoup de lignes en pays Scandinaves, notam-
ment en Norvège.
Les Français en Algérie et en Tunisie, même dans les
pays de montagnes, sont parvenus, depuis 1890, à construire
ces lignes ferrées pour un prix de 50000 à 52000 francs,
matériel compris, et Ton pourrait même descendre d*une
dizaine de mille francs au-dessous. Tenons-nous-en, toute-
fois, à ce prix de 50000 à 52 000 francs. La voie ferrée de
Sfax à Gafsa n'a guère coûté davantage. D'après le dernier
document officiel sur les chemins de fer français, publié
en 1903, et relatif à la situation de ces chemins de fer au
31 décembre 1901,1a ligne de Tunis à Zaghouan et au Pont-
du-Fahs a coûté 51 827 francs par kilomètre ; celle de Sousse
à Kairouan 54882 francs; celle d'Hammâm Lif à Nabeul
42872 francs; de Kalaa-Srira à Enfidaville 52361; celle
de Bir Bou-Rckba à Enfidaville 53702; celle de Sousse à
Moknine 46789 ; pour ces 339 kilomètres du nouveau réseau
tunisien, la dépense moyenne est tout au plus de 50000 fr.
384 LE SAHARA, LB SOUDAN 8T LES CBEMINS DE FER TRANSSAHaRIEHS.
Les plus récentes lignes algériennes, dans le désert ou
aux abords du désert, n'ont pas coûté davantage : ainsi,
d'après les documents officiels, les 118 kilomètres de la
ligne d'Aïn-Sefra à Duveyrier, qui étaient livrés à la circu-
lation au 31 décembre 1901, n'avaient coûté que 52 175 francs
le kilomètre (1). Or cetle ligne d'Aïn-Sefra à Duveyrier
offrait des difficultés particulières, étant une ligne en noion-
tagnc. Bien plus, la continuation de ce chemin de fer, de
Béni-Ounif à Ben-Zireg, n'est évaluée, dans un document
parlementaire, pour une longueur de 60 kilomètres, qu'à une
dépense totale de 2288000 francs, matériel compris, soit
38133 francs seulement par kilomètre. Cette dépense se
répartit ainsi: infrastructure, 900000 francs ; superstructure.
361 960 francs ; bâtiments (gares de Ben-Zirek et de Ben-YaJi
ou Ben-Aîch, maisons de garde), 300000 francs; matériel
roulant, 480000 francs; imprévu, frais d'études, etc.,
238 040 francs (2). Si la construction du Transsaharien était
bien conduite, il est probable que les deux tiers de la ligne
reviendraient à moins de 40000 francs le kilomètre, caria
dépense ci-dessus pour le matériel pourrait être fort réduite,
en tenant compte de l'énorme étendue de la ligne, et, d'autre
part, il n'y aurait de gares que tous les 80 ou 100 kilomètres
et non pas tous les 30 kilomètres.
Le prix de 50000 à 55000 francs le kilomètre ressorl
donc comme un grand maximum, susceptible de gros rabais,
pour les voies ferrées de cette nature (3), dont le coût tend
(1) ^finiiftère des Travaux publics. Stalistif/ue des Chemins de fer françaiian
Si décembre i90i^ Molun, Inipriinoric administrative, 1903, pages 510 à 5i3. ft
é^alomont le rapport de M. Baudin, député, au nom do la CommissioQ du budp't.
«urles Participations de VEtat et de l'Algérie dans la charge annuelle des che-
mins de fer algériens, 15 décembre 1903, page 35.
(2) Comité de V Afrique française. Bulletin mensuel, décembre 1903, p. 381.
(3) M. Ktienne, député d'Oran, dans une interview avec un rédacteur du Temps.
après un voyage dans l'Extrême Sud-Oranais au printemps de 1904, fixe au<*i
à 50 000 francs le prix kilométrique cle la prohmgation du cheinîn de fer
dans le désert : « On sera à Hen-Zireg à la lin do l'année, disait-il; mais à mon
avis on ne devra pas s'anvler là. Il faudra pousser la voie jusqu'à BtVharrt
même jusijua Kt^nadsa, à 8o kilonirlres de Ben-Zircg... — Ne sont-ce pas là a
première vue, objecte son interlocuteur, des entreprises bien coûteuses, ôtant
donné le peu de développement économique à espérer de ces régions? — Point
COÛT D'ÉTABLISSEMENT ET D'EXPLOITATION DES TRANSSAHARIENS. 385
5 s'abaisser aux environs de 40000 francs, quand le terrain
offre des facilités particulières comme d'Haraman Lif à
Nabeul (42872 francs) en Tunisie, et ne se relève que rare-
ment quand apparaissent de sérieuses difficultés de terrain.
Mais l'étude faite du Sahara, la prépondérance du terrain
reg uni (Voy. plus haut, pages 97 et 98) témoigne que le
premier cas, celui de facilités particulières, sera beaucoup
plus fréquent dans celte immensité, que le second cas, celui
de difficultés spéciales.
On peut ainsi évaluer (et il est très probable que celte
évaluation serait susceptible d'une assez forle réduction, à
52000 francs le prix de construction et d'établissement
(matériel compris) des 370 kilomètres de Biskra à Ouargla
et des 800 à 900 kilomètres suivants qui, d'après le rapport
fait sur place par l'ingénieur Béringer (Voy. plus haut,
pages 135 à 144), n'offrent absolument aucune difficulté (1).
C'est donc, pour cette première grande section d'environ
1 200 kilomètres, une dépense de 62 millions et demi de francs.
La traversée du plateau central, quoiqu'on n'ait nullement
besoin d'aborder de front le Tassili, ainsi que Ta fait, en
jouant la difficulté, la mission Foureau-Lamy, peut, sur400 ou
r)00 kilomètres, coûter davantage ; mais, étant données toutes
les facultés d'adaptation au terrain d'un chemin de fer à voie
étroite et la médiocre altitude du seuil (1350 mètres au plus
d'altitude au-dessus de la mer), on ne peut évaluer à plus de
80000 francs le prix unitaire kilométrique; en portant à
500 kilomètres, ce qui est fort exagéré, l'étendue de celte
section centrale, on a pour elle une dépense de 40 millions
qui s'ajoutera aux 62 millions et demi des 1 200 premiers kilo-
mètres, ensemble 102 millions et demi pour ces 1 700 kilo-
mètres. Restent 900 à 1 000 kilomètres pour aboutir soit à
^i coûleuses, reprend M. Etienne. On fait là-bas un kilomètre pour 50 000 francs
ot les espérances de développement économique ne sont pas aussi faibles que
vous paraissez le croire. » Le Temps, du 18 mai 1904, première page.
Il) L'ingénieur Béringer ne parle que des 000 kilomètres au sud d'Ouargla,
parce qu'il n'avait alors étudié que cette étendue; mais les constatations de la
seconde mission Flatters (Voy. plus haut, pages 189 à 199) assurent qu'il en est
de même pour plusieurs centaines de kilomètres au delà.
25
386 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CUEMINS DE FER TRANSSAHARIENS.
Zinder, soit à un point sur la rive septentrionale du Tchad.
Les constatations tant de Barth que de Foureau témoignent
que le Sahara méridional, dès au-dessus d'Asiou, ne pré-
sente aucune difficulté de terrain. On pourrait donc, pour
ces 900 à 1 000 kilomètres, reprendre Tévalualion de
52000 francs le kilomètre; néanmoins, comme on se trouvera
plus loin de la base d'opération, qui naturellement sera au
nord, élevons l'évaluation à 60000 francs le kilomètre pour
ces 900 à 1000 kilomètres de la section du Soudan ou du
Tchad; c'est 60 millions, au plus, à ajouter aux 102 millions
précédents : les 2700 kilomètres du Transsaharien du Tchad
ressortiraient ainsi à 162 millions.
Il est inflniment probable que Ton pourrait, avec celle
somme modeste, mener à bien cette œuvre qui, d'ailleurs,
est modeste aussi en elle-même, mais dont les conséquences
politiques et économiques seraient colossales. Majorons,
néanmoins, encore de 18 millions cette dépense pour l'im-
prévu ; on arrive à 180 millions, et c'est là le chiffre tout à
fait maximum qui, avec une direction énergique et habile,
ne devrait certainement pas être atteint. L'une des dépenses
serait d'amener sur place le matériel et les rails, car les
matériaux de construction abondent sur tout le parcours,
notamment la pierre et le ballast; quant aux traverses, ou
sait qu'elles seraient métalliques. Une autre dépense consis-
terait dans l'apport des vivres aux travailleurs, mais ceux-ci
appartiendront à des races sobres. Le matériel, d'autre pari,
compris dans les prix qui précèdent, sera très peu coûteux,
comme, au début du moins, il n'y aura guère de trafic local,
pas d'embranchements ou peu d'embranchements, le matériel
sera beaucoup plus intensivement utilisé que ce n'est habituel
sur nos réseaux ramifiés, à nombreuses stations, à trafic local
important et à fréquents embranchements. Il n'y aura pas
besoinentoutde plus d'une cinquantaine oud'unesoixanlaino
de locomotives, ni de plus d'un millier de wagons ou de
douze cents wagons au grand maximum, même pour un trafic
considérable. La tolalitc de ce matériel n'exigera cerlainemenl
COLT D'ÉTABLISSEMENT ET D'EXPLOITATION DES TRANSSAHARIENS. 387
pas, pendant toute la période initiale du moins, une dépense
lolalede plus d'une dizainedemillions de francs sur les 160mii-
lions formant le prix presque certain de la construction.
11 ne faut pas oublier que la main-d'œuvre ne manquerait
pas pour ce travail : sans parler des Kabyles et des Italiens
qui ne feraient pas défaut pour la partie septentrionale, on
pourrait compter sur un grand afflux de nègres tant des
oasis sahariennes que du Fezzan et du Soudan. Ces deux
régions renferment des quantités illimitées de bons travail-
leurs, qui, pour gagner 1 fr. 75 à 2 francs par jour, franchis-
sent d'énormes distances. Ils viennent, depuis une dizaine
d'années, en bandes nombreu.ses en Tunisie ; je les y ai
vus souvent dans les voyages annuels que je fais depuis 1885
en ce pays; ils y rendent des services très appréciés (1). On
a vu plus haut que le commandant Lamy, étant chef de poste
à El-Goléa en 1891, sur l'annonce qu'il projetait de grands
travaux, recevait « chaque jour des caravanes de gens (du
Touat ctdu Gourara) qui viennent demander de l'ouvrage;
moyennant 1 fr. 50 par jour, disait-il, nous pourrions avoir
dexcellents ouvriers (*2) >. Il est probable aussi que dans le
Sahara méridional, à partir des premiers villages de l'Aïr et
sur un parcours de 650 à 700 kilomètres, on les aurait à bien
meilleur compte. Aux mines de phosphates du Metlaoui (au
delà de Sfax) que j'ai des raisons particulières pour bien
connaître, on a réuni, sans aucune peine et sans frais, deux
milliers de bons travailleurs, en partie européens, en beaucoup
plus grand nombre kabyles ou nègres. On trouverait très
aisément 10000 à 15000 Kabyles ou noirs pour les travaux
(lu Transsaharien et, étant données les facilités du terrain,
on pourrait faire 1 kilomètre et demi à 2 kilomètres par jour,
ii)Unc note lunisicnne officielle constatait, au printemps de 1899, à propog
«l'une rixe entre ouvriers italiens et nègres soudanais, qu*un grand nombre de
'•••ux-ci sont employés aux travaux du port de Bizerte. Il en est de même aux
carrières de phosphates de la Compagnie de Gafsa et aussi dans des domaines
particuliers. Au domaine de Schuiggui (Tunisie), dont je suis Tadministrateur
déh'gué, on a, au printemps de 1904. à la suite d'une grève d'ouvriers italiens,
engagé une cinquantaine de nègres du Soudan.
ii) /.e Commandant Lamy d'après sa correspondance et ses souvenirs de cam'
pftyne, par le commandant Reibell, Paris, 1903, page 109.
388 LE SAflARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRAKSSAHARIENS.
ce qui permettrait de construire complètement les 26^^^ à
27()0 kilomètres en cinq ans au plus.
Nous'n'avonsparléplusbaulqueduTranssaharienduTchad;
quant au Transsaharien du Niger, la longueur à construire e^i
beaucoup moindre et les facilités de terrain paraissent encore
plus grandes. La ligne ferrée va atteindre, à la fin derannéc
1904, comme on Ta vu plus haut (page 384, note), Ben Zirep à
700 kilomètres environ au sud d'Oran; pour gagner le Ni-
ger, il reste 1 700 à 1 800 kilomètres au plus à construire, co
terrain qui se présente résistant (reg) et uni. Il n'y a nulle raison
pour que le prix de 50000 francs le kilomètre soit dépassé, ce
qui ferait ressortira 90 millions la dépense totale de construc-
tion de ce Transsaharien à partir des tronçons déjà exécutés;
majorons-la, néanmoins, de 10 millions pour l'imprévu, on
n'arriverait encore qu'à 100 millions, voilà la faible somme
qu'il en coûterait pour rattacher par un lien stratégique et
économique puissant l'Algérie au Soudan français.
Si de la construction, on passe à l'exploita tioD, nousi
voyons que celle-ci, pour l'un et l'autre Transsabarien,
pourrait être très économique : certaines de nos compagniesi
africaines, celle de Bône-Guelma en Tunisie notamment,
ont beaucoup amélioré leurs méthodes à ce sujet. D'après
le document officiel précité, en 1901, les 369 kilomètres à
voie étroite exploités en Tunisie par cette compagnie, avec
deux trains par jour au minimum dans chaque sens, ont
coûté en moyenne 2753 francs de frais d'exploitation par
kilomètre et ont laissé une recette nette de 103 000 francs,
quoique ces lignes soient toutes nouvelles, qu'elles consti-
tuent des tronçons épars et parcourent en général des pays
assez incultes et peu peuplés. La Compagnie de 1 Est
algérien dépense 3874 francs pour la ligne de Batna à
Biskra (121 kil.), mais, outre que c'est une ligne à voie large,
elle comporte pendant la saison d'hiver un certain luxe (1'
(1) Les lignes du nouveau iV'seau tunisien à voie étroite de la Coinpasnh
Hône-Guolnia sont ainsi répaitii.'s : Tunis à Ilanuiian-el-Lif (17 kilomt'tn-'
Haniman-el-Lif à Nabcul (73 kil.), Soussc à Kairouan (48 kil.). Kalaa-Srira i
Enlidaville (43 kil.), Bir-bou-Rekba à Enlidaville (40 kil.), Tunis (Djcbcl-Dj. l'«u.I ,
COÛT D'ÉTABLISSEMENT ET D'EXPLOITATION DES TRANSSAHARIENS. 389
Les frais d'exploitation des chemins de fer transsahariens
permettraient certaines économies; Ténormité même de la
ligne qui fait que les trains franchiront sans rompre charge
uDc énorme dislance, le petit nombre des stations qui seront,
sans doute, éloignées Tune de Tautre d'une centaine de kilo-
uièlres, atténueront beaucoup les frais; ensuite, au cas où
l'on ne se servirait pas de houille, TÉtat pourrait dégrever le
pétrole avec lequel on pourrait chauffer les locomotives. Il y
a deux hypothèses pour un chemin de fer transsaharien : ou
il aurait un grand trafic et une exploitation intensive, ce qui
n'est nullement improbable, à la longue du moins; il fau-
drait alors plusieurs trains chaque jour dans chaque sens,
el peut-être des trains de voyageurs distincts des trains de
marchandises; ou bien le trafic sera restreint; nous regar-
dons la première hypothèse comme la plus probable avec le
temps; mais tenons-nous-en à la seconde, qui est la plus
d('savantageuse pour notre thèse. Dans le cas d'un trafic
réduit, il suffirait d'avoir en chaque sens deux ou trois
trains par semaine ; le Transcaspien a actuellement trois
trains hebdomadaires de voyageurs. Dans ces conditions,
les frais d'exploitation ne devraient pas dépasser 2000 francs
par kilomètre (1), car il y aurait quatre à cinq fois moins
de trains que sur les lignes tunisiennes nouvelles de la
Compagnie Bône-Guelma qui ne coûtent que 2753 francs
par kilomètre ; certaines dépenses seraient plus grandes dans
le désert, mais d'un autre côté, le bien moindre nombre de
trains fournirait une compensation en économies. La main
d'œuvre noire, h bon marché, procurerait les cantonniers,
les hommes d'équipe, les manœuvres, les chauffeurs même.
Comptons, toutefois, la dépense à 3 000 francs par kilomètre ;
lexamen des éléments de trafic démontre que ces frais d'ex-
ploitation seraient très facilement couverts, et bientôt large-
ment dépassés, au point de laisser un considérable revenu net.
i Zafîliouan) et Smindja k Pont-du-Falis (73 kil.), Mornag (13 kil.). L'indication
h' Kvs frais d'exploitation est lin'e du document oïliciel : Statistique des Che-
nins (le fer français au 3f décembre iUOi, pajçes 508-501) et 512-513.
( ! \ Kn l'année 1897, la Compagnie Bône-Guolma exploitait les 252 kilomtMros de
on K'seau à voie étroite alors existant à moins do 2 000 francs par kilomètre.
CHAPITRE II
Les éléments de trafic des chemins de fer transsahariens.
Les chemins de fer transsahariens mettant le Soudan à cinq ou six jours «i->
capitales des fçrands peuples colonisateurs, Paris, Londres, Bruxelles. Bi^rlm.
sont naturellement appelés à un important trafic. — Ils seront les prinriii*l« •
voies de pénétration et de service pour toute l'Afrique intérieure, ius*]»*' vr,-
l'équateur. Us représenteront, pour les voyageurs, une grande éconoruie r.V'
tiveraent aux transports maritimes et mettront les voyageurs à l'abn d---
fièvres de la côte.
Les différentes catégories de voyageurs qui se serviront des Transsahariens.—
(îrandc importance certaine du courant de migration temporaire des noi •
du Soudan vers l'Algérie et la Tunisie. — Les prix de transport des calégor;» •
diverses de voyageurs par ces voies. Les recettes de ce chef.
Le trafic de marchandises. — Le sel; à lui seul le transport de c elle dLVi:« "
procurerait plusieurs millions de francs au chemin de fer transsaharien. -
Il en est de môme du sucre ; la baisse des prix effectuée par la diminuti «n
des prix de transport développerait énormément la consommation soudanais*
de ces denrées. — Le transport du café et du thé. — Importance de r^f-
dernière consommation dans rAfri(]uc intérieure.
Le transport des objets manufacturés du nord au sud ; calcul de leur imY-r-
tance d'après certaines analogies.
Le trafic des marchandises du sud au nord. — Ce trafic n'existe actuelleni'i:'
(jue pour les articles qui peuvent supporter un prix de transport dr 6«"«i j
1000 francs la tonne. — Tout un trafic nouveau se créera quand le i"^
moyen de transport entre la Méditerranée et le Soudan descendra à Tu < .j
80 francs la tonne (2 4/2 à, 2 3/4 centimes le kilomètre) pour les marcbandi -^
ordinaires et à 37 ou 45 francs la tonne (4 centime 1/4 ou l centime !/21a t«.n:'
pour les marchandises ayant le moins de valeur.
Prouve, d'après les tarifs existant sur les chemins de fer exploités à l'ini:i'
distance, qu'un tarif moyen de 2 !/2 centimes et un tarif miniiiurrii <-''
4 centime 1/4 seraient possibles et rémunérateurs pour un transport d»'-^'*
à, 3 000 kilomètres, sans manipulations intermédiaires.
Dès maintenant, il existe une nature de marchandises d'exportation susrop'il f"
d'un énorme développement : les peaux du Soudan. — Autres produits «i iv
porlation déjà constatés. — Le principal article, toutefois, doit être le r-it"
— Immense avenir cotonnier de l'Africpic intérieure (région du Tcha^ '
région du Niger). — Il y a là. l'équivalent du Turkestan, sinon de l'Éj^yplt'.
Les produits minéraux. — Tous les bons minerais de cuivre, de zinc, nièm*' -
plomb, pourraient payer les tarifs des Transsahariens et trouver un déliouih-
en Europe. — Les nitrates entre le Touat et le Hoggar. — Ccrlilmle «l"»'
portants gisements de cuivre et probabilités de gisements d'autres min»'rîi'^
Résumé rlu trafic probable des chemins de fer trans^aharions. — Il nniur-
rerait largement le capital engagé.
Aucune entreprise ne s'offre aujourd'hui il la France dans des condition? au-
avantageuses.
yucl pourrait ùlve le trafic des chemins de fer Iranssi-
hariens? Il est clair qu'on ne peut Tévaluer avec exacliluJt*
ÉLÉMENTS DE TRAFIC DES TRANSSAHARIENS. 391
parce qu'il est presque tout entier à créer. Un esprit habitué
à Tobservalion économique et qui sait apprécier Teffet pro-
duit par les voies de communication à longue distance entre
contrées à climats différents peut, néanmoins, s'en faire une
idée. Il ne suffit pas de prendre les différentes denrées des
pays tempérés, situés au nord de la ligne, et des pays tropi-
caux situés au sud, de les supputer et de faire l'addition du
tonnage. Ce procédé est insuffisant et trompeur. Il faut voir
les choses de beaucoup plus haut et par grandes masses.
Le trafic d'un Transsaharien peut être d'abord un trafic
de voyageurs et de colis à grande vitesse, en second lieu un
trafic de marchandises communes à petite vitesse. La voie
nouvelle jouira de l'un et de l'autre.
Le trafic des voyageurs et des colis à grande vitesse sera,
sinon dès le lendemain de l'ouverture de la ligne, du moins
au bout de peu d'années, considérable, nous n'hésitons pas à
le dire. Pour en juger, il suffit de rappeler que le Transsa-
harien mettra la région la plus riche des tropiques, c'est-à-
dire tout le Soudan central, à cinq ou six jours de Paris,
Londres, Bruxelles et Berlin, à savoir des capitales des quatre
pays les plus intéressés dans le développement de l'Afrique
(Voy. plus haut, page 34). Le Transsaharien aura le mono-
pole de tous les transports postaux au centre de l'Afrique,
jusqu'à l'Etat du Congo inclusivement. Le Transsaharien
sera du reste nécessairement prolongé un jour par une ligne
ferrée allant, sinon jusqu'au Congo, du moins jusqu'à
rOubanghi. L'explorateur Gentil, qui, dans une conférence
faite à l'École coloniale à Paris, s'est déclaré le partisan
résolu du Transsaharien, préparait un chemin de fer reliant
rOubanghi à la partie navigable du Chari. Ainsi, tous les
transports par terre, non seulement pour les possessions
françaises, mais pour les possessions anglaises, les posses-
sions allemandes et les possessions belges, prendront la
voie transsaharienne. Comme, de plus, le chemin de fer
Iranssaharien sera, avec le temps, prolongé par deux lignes
transversales dans le sens des parallèles, vers Test et vers
302 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIëNS.
Touest, il est possible qu'il offre également la plus courte
durée pour les transports postaux à destination de rAmé-
rique du Sud ; Rio-Janeiro et Buenos-Ayres pourront, au
point de vue des correspondances, être ainsi de plusieurs
jours plus rapprochés de Paris, Londres, Bruxelles et
Berlin. Le Transsaharien, plongeant directement du nord au
sud dans le centre de TAfrique, en suivant presque le méri-
dien de Paris, est destiné à devenir la charpente de tout le
réseau ferré des deux tiers de T Afrique. Le trafic postal peui
élre déjà un élément appréciable de revenu pour une voie
ferrée de ce genre ; qu'on pense à Timporlance qu'attachent
la France et Tltalie au passage de la malle des Indes el
à l'ardeur qu'elles mettent à se la disputer!
Toutes les malles pour les trois quarts du continent africaio
et pour une partie de TAmériquc du Sud suivront le Trans-
saharien, soit le Transsaharien du Niger, soit celui du Tchad.
Cet exemple entraînera tous les colis à grande vitesse, pour
lesquels Téconomie de trois ou cinq jours à huit ou dix
jours de voyage a de l'importance, et ce n'est pas là non
plus, quand il s'agit de zones aussi énormes, un élcmenl
négligeable. D'autre part, tous les voyageurs à destination
de l'Afrique du Centre, Congo compris, emprunteront aussi
cette voie ; ces voyageurs sont de genre très divers : fonc-
tionnaires et leurs familles, chefs ou employés d'adminis-
trations privées, officiers, sous-offlciers, parfois soldats,
allant rejoindre ou rentrant en congé, commerçants, plan-
teurs, colons de toute nature, touristes môme, — car il
n'est pas douteux que le centre de l'Afrique, mis à cinq ou
six jours de Paris, Londres, Bruxelles el Berlin, ne devienne
un centre d'attraction, — prendront le Transsaharien. Ils le
feront d'autant plus que celte voie procurera une notable
économie d'argent relativement à la voie de mer. Il en coule
de 700 francs à 1000 francs pour se rendre de Bordeaux aux
ports de l'Afrique de l'Ouesl, Dakar, Konakri et Kotonou.
et l'on n'est que sur la côte, avec les risques en plus des
fièvres, de la fièvre jaune notamment; les 3000 kilomètres
ÉLÉMENTS DE TRAFIC DES TRàNSSAHARIENS. 393
le Philippcville ou Alger à la région du Tchad pourraient,
;n place de luxe, être franchis pour 400 à 450 francs. Est-il
îxagéré de penser qu'avec toutes les catégories de voyageurs
înumérées ci-dessus on arriverait, les deux sens compris,
I sept ou huit mille voyages, procurant au Transsaharien
mviron 3 millions et demi de francs, surcroît de bagages
:ompris, soit, pour chacun des 2700 kilomètres du Trans-
saharien proprement dit, 1300 francs environ ?
Il y aurait une source non moins abondante de trafic de
voyageurs dans le transport des indigènes mêmes, du Soudan
central aux régions méditerranéennes. Personne n'ignore
[{ue les populationsprimitivesaiment beaucoup à se déplacer.
Cela se manifeste en Egypte, dans notre Algérie-Tunisie, au
Transvaal, au Tonkin, en Chine môme. Or, la riche région
entre le Niger et le Tchad est considérée comme ayant
une population d'environ 30 millions de noirs (1). Ces gens
sont assez travailleurs et, du reste, migrateurs. On a vu
(page 387) qu'il en arrive, à l'heure actuelle, en Tunisie,
malgré la longueur du chemin, cherchant ce qui est pour eux
un haut salaire, à savoir 1 fr. 75 à 2 francs par jour. La main-
d'œuvre, pour les travaux publics, ceux des mines et carrières
qui deviennent de plus en plus nombreuses, ceux môme des
exploitations agricoles européennes, se fait rare dans nos pos-
sessions du nord de l'Afrique. Le Transsaharien pourrait, pour
60 francs, transporter en quatre jours un noir de la région du
Tchad en pleine Algérie ou Tunisie (2). Ce parcours pourrait
iU 11 est possible que ce chiiïre soit exagéré, à l'heure actuelle, depuis les dé-
vastations de Rabah et autres conquérants centre-afrieains. Mais aujourd'hui
qup, par l'éUblissement de la domination des trois principaux peuph's européens,
fiançais, Anglais et Allemands, la paix, la sécurité et la justice régnent dans
n'ite zone immense, on peut compter sur un pullulement rapide de la population.
Aussi le chiffre ci-dessus, s'il n'est pas encore atteint, le sera très rapidement.
(-) (le prix de 60 francs pour les 2 700 kilomètres du Transsaharien du Tchad,
^'l 200 ou 300 kilomètres en plus en Algérie, n'a rien d'impraticable. II représente,
fîn otTet, deux centimes par kilomètre. Le chemin de fer colonial anglais de
La^os k Ibadan (colonie de Lagos) a transporté 81 25(î voyageurs en 1902, dont
"'"/■. ^;n troisième classe; le tarif de celte classe est de un dcmi-denier par mille
ll^iOî) mètres); cela ne correspond guèn* <|u'âL trois conlimes le kilomètre: mais
'•'^ ligne de Lagos n'a que 200 kilomètres, et le Transsaharien en ayant 2 700, la
<'hurgo {kilométrique serait naturellement moindn* {Comité de l'Afrique française,
fiiiUelin mensuel, décembre 1003, page 389).
394 LE Sahara, le Soudan et les chemins de fer transsahabiens.
môme s'eilectuer pour une quarantaine de francs, car le tarif
(les chemins de fer sibériens et central-asiatiques est, en troi-
sième classe pour 3010 versles(un peu plusde3200 kilomètres»
de 16 roubles 80 copeks ou de 45 francs en nombre rond. Dans
ces conditions, il est certain que, à la longue, des dizaines de
milliers de noirs du Soudan viendraient faire des campagnes
de deux ou trois ans dans nos colonies méditerranéennes
pour y amasser un pécule et retourner ensuite chez eux.
Ils gagneraient facilement 500 à 600 francs par année daos
la région méditerranéenne, dont ils économiseraient au
moins la moitié, sinon les deux tiers ; cela leur permettrait
de revenir au bout de deux ans et demi ou trois ans avec ud
pécule de 600 à 700 ou 800 francs nets, frais d'aller et de retour
déduits; au Soudan, c'est là une véritable fortune, facilemeo}
acquise, étant donnés les goûts migrateurs des noirs. 11 se
pourrait même que, au lieu de séjourner deux ans et demi à
trois ans en Algérie et en Tunisie, les noirs du Soudan n y
fissent qu'un séjour moyen d'un an et demi, ce qui leur
permettrait encore de rentrer chez eux avec 300 ou 400 francs
nets, fortune encore assez sérieuse dans ce pays. Les noirs
qui travaillent aux mines du Transvaal n'y restent, en
moyenne, que six mois. D'après une appréciation très mo-
dérée, une trentaine de mille noirs pourrait chaque année
voyager ainsi dans chaque sens, entre le Soudan et la Médi-
terranée, soit 60000 en tout, et procurer une recette d'environ
3 millions par an, soit de plus 1000 francs par kilomètre.
Celle évaluation est excessivement faible, car, en suppo-
sant deux ans à deux ans et demi de séjour, cela ne supposerait
quela présence simultanée de 60 000 à 75 000 noirs du Soudaw
dans notre colonie algérienne et, avec un an et demi de séjour
moyen 45000 seulement; on peut dire que ces chiffres a uraienl
des chances d'être rapidement doublés ou triplés, sinon quin-
tuplés ou sextuplés ; mais, comme on construira sans doute tout
au moins deux chemins de fer transsahariens, tenons-nous-en,
pour le début, à la très modeste évaluation ci-dessus.
Il faudrait y ajouter le trafic local, qui, dans certaines
ÉLÉMENTS DE TRAFIC DES TRANSSAHARIENS. 395
réjçions sahariennes, sera important, entre TAïr, par exemple,
et le Soudan. Avec les transports postaux, qui sont appelés
à être très considérables, les petits colis à grande vitesse,
les voyageurs blancs de toute catégorie à destination de
tout le cenire de l'Afrique, les migrations de noirs entre
le Soudan, TAlgérie et la Tunisie, paraissent bien devoir
fournir ensemble un trafic minimun de 7 à 8 millions au
Transsaharien proprement dit, soit de 3000 francs environ
par kilomètre; ce serait plus qu'il ne faut pour les frais d'ex-
ploitation, élant donné que la Compagnie de Bône à Guelma
a pu exploiter les chemins de fer tunisiens à voie étroite,
ayant deux trains par jour dans chaque sens, h un peu moins
de 2000 francs par kilomètre en 1897 et que, encore en 1901,
avec un trafic accru de ces voies ferrées, ses frais d'exploi-
tation ne montent, on Ta vu, qu'à 2743 francs par kilomètre.
Les 1000 francs d^écart dans un cas et les 250 francs dans un
autre, étantdonnéle moindre nombre des trains, des stations
et des manipulations, compenseraient largement le surcroît de
charge qui pourrait résulter du climatetdes difficultés locales.
Nous n'avons parlé jusqu'ici que du trafic des voyageurs et
des messageries à grande vitesse : il n'est pas douteux qu'il
n'y ait, en outre, un important trafic de marchandises ; la
profonde diversité des climats, c'est-à-dire des productions,
que la ligne rapprochera d'une manière si sensible, doit
provoquer de nombreux échanges.
11 est tout d'abord un article qui, à lui seul, peut-être,
pourrait, même indépendamment des voyageurs, procurer
aux chemins de fer transsahariens un trafic rémunérateur :
c'est le sel. On sait que cette denrée indispensable manque
à tout le cenire africain. Dans certains endroits de cette
région, on extrait le sel de la bouse de vache ou de plantes
diverses; ailleurs, on l'apporte laborieusement de l'oasis de
Bilma, située au nord-est, où, d'après la voyageur allemand
Nachligal, se rendent chaque année à cet cfl"et 70 000 cha-
meaux (1). Le sel revient, dans la généralité du Soudan, à
(I) Elisée Reclus. Géographie universelle, t. XI, page 819.
396 LE SAHARA, LE SOUDAN Et LES Cl!EM1NS DE FER TRâNSSA11AH1E>'S.
0 fr. 50 ou 1 franc, sinon môme plus, le kilogramme (1). En
France, le sel paie un impôt de 0 fr. 10 el se vend au détail
une vingtaine de centimes le kilogramme ; il s*en consomme I
350 000 000 kilogrammes, soit 9 kilogrammes à peu près par *
habitant. Le Transsaharien, en puisant le sel soit à la sebka
d'Amadghor, soit dans les chotts algériens, soit môme el
surtout dans les salins méridionaux de la France, pourrait
moyennant un fret de 80 à 100 francs par tonne, corres-
pondant, outre le fret de Marseille à Philippevillc ou Alger,
à 2 centimes et demi ou 3 centimes par kilomètre sur toul le
parcours, — ce qui équivaudrait juste à notre impôt fran-
çais, — faire baisser le prix du sel au Soudan à une vingtaine
de centimes au lieu de 50 centimes au minimum ; la con-
sommation, en quelques années, en quadruplerait; en sup-
posant qu'elle ne fût que de la moitié environ de celle de la
population française, soit de 5 kilogrammes par habitant au
lieu de 9 chez nous, et en ne supputant, pour la zone d'at-
traclion de chaque chemin de fer transsaharien, qu'une
population de 15 millions d'âmes, ce serait un trafic de
75 000 tonnes qui, à 60 ou 70 francs en moyenne par tonne,
en supposant qu'une partie provînt du milieu du Sahara el
le reste seulement du sud de l'Algérie ou de la France,
représenterait 4 millions el demi à 5 millions et quart de
francs ou 1 500 à 1 700 francs par kilomètre, de quoi couvrir,
avec un seul article de marchandises, les deux tiers envi-
ron des frais d'exploitation de la ligne. Celte évaluation de
75000 tonnes de sel pour le trafic de chaque ligne transsaha-
rienne est d'ailleurs très modérée, et il est probable que, à la
longue, cette quantité serait doublée.
(I) Mfffllarquard, i^t'quo de Tombouctou et du Soudan français, dans une
monographie de celte ville, s'exprime ainsi : « Sous le rapport du grand com-
merce, Tombouctou ne doit (Mre considéré que comme un entrepôt. Là aiTÎve le
sel, l'article i>rincipal. apporté par les chameaux des salines de Taoudéni, situées
dans le nonl-nord-ouest à trois semaines de marche environ. Ce qu'on appHle
« barres de sel » sont des pla<|ues d'environ l™,30dc longueur sur 0"»,40 à 0",riO
de largeur otO«n,Oià 0™,o:i d'épaisscur.Elb's pèsent en moyenne 30 kilogrammes
«'t leur ]iv\\ varie de 15 à 3o fVancs, selon la (jualité, les dimensions, la rareté.»
{Bulle fin de ta Société des études coloniales et maritimes, n« du 30 juin 1891»,
page IHO.) Ainsi c'est ù 50 centimes au minimum ({ue ressortait à Tombouclou la
plus basse qualité de sel et la meilleure dépassait un franc.
ÉLÉMENTS DB TRAFIC DES TRANSSAHARIENS. 397
Un autre article fournirait aussi, au bout de peu de temps,
un fret 1res abondant aux chemins de fer transsahariens, c*est
le sucre :on sait que ce produit revient, à Theure actuelle, en
France, à 25 ou 27 francs les 100 kilogrammes, soit 0 fr. 25 à
0 fr. 27 le kilogramme, impôt non compris. If n'en coûterait
pas 100 francs la tonne pour transporter le sucre de Marseille
au Tchad ou au Niger, ce qui représenterait, en outre du fret
mariliine, un tarif de 3 centimes à 3 centimes 1/4 par kilo-
mètre. Le sucre reviendrait donc en gros à 0 fr. 35 ou 0 fr. 37
le kilogramme rendu en plein Soudan central, et mettons
que, au détail, on le portât à 0 fr. 50, ce ne serait jamais
que 0 fr. 25 la livre; en Tan 1900, il a été importé en Algérie
une quantité de 18519 074 kilogrammes de sucre, soit, en
chiffres ronds, 4 kilogrammes par tête d'habitant (1) AdmeU
tons une quantité moitié moindre pour chacun des 15 mil-
lions d^habitants coirespondant à la sphère soudanienne d'un
des Transsabariens, cela représenterait 30000 tonnes de sucre
qui, h 3 centimes la tonne, procureraient un trafic total d'en-
viron 3 millions et un trafic kilométrique de 900 à 1 000 francs.
Ces deux marchandises, le sel et le sucre, représenteraient
ainsi une recette kilométrique de 2400 à 2600 francs, suf-
fisant à couvrir les frais d'exploitation.
Nombreuses seraient les autres sources de trafic : dans le
sens du nord au sud, les céréales algériennes à destination
de toutes les oasis sahariennes, dont l'importance irait en
grandissant et dont le nombre aussi s'accroîtrait, comme on
Va vu plus haut par les réflexions du capitaine Pein sur le
pays des Touareg et des autres explorateurs, le lieutenant
Besset, notamment. Certaines autres denrées d'alimentation,
comme le café et le thé, toujours très appréciés dans les pays
chauds, le thé notamment dans tout le centre de l'Afrique,
auraient certainement un débouché dans l'Afrique tropicale
et, pendant très longtemps du moins, devraient venir
(1) Gouvernement général de l'Algérie. S lalis ligue générale de VAlgérie, année
1000, pages 228 à 231. Le sucre reviendrait au Soudan, après avoir parcouru
3000 kilomètres, à la moitié du prix auquel il rcvenuit, en 1900, en Algérie, à
cause de l'immunité d'impôt.
398 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAH ARIENS.
du dehors. Les slalisliques algériennes constalenl pour
l'année 1900 l'importation de 4793913 kilogrammes de café,
1 kilogramme par habitant en chiffres ronds. Mgr Ilacquard.
dans sa monographie sus-mentionnée de Tombouctou,
s'exprime ainsi : < Plusieurs fois dans la journée, les riches
boivent le thé ; le café est peu en usage à cause de sa
rareté (1)- > Mais une fois ces deux marchandises, dont le
prix originaire est très bas, introduites par une voie ferrée,
qui les taxerait à 4 ou 5 centimes par kilomètre, soit à 120
ou 150 francs la tonne, par conséquent de 0 fr. 12 à 0 fr. lô
le kilogramme, ces denrées tomberaient à un prix très
bas et ne tarderaient pas à devenir d'usage populaire. En
mettant pour cette consommation du café et du thé réunis
la moitié seulement de la quantité par tête delà seule con-
sommation du café en Algérie, soit un demi-kilogramme
pour chacun des 15 millions d'habitants de la sphère de
chacun des Transsahariens, on aurait 7 millions et demi de
kilogrammes, soit 7 milliers et demi de tonnes qui, au tarif
de 4 ou 5 centimes le kilomètre, représenteraient 300 à
375 francs par kilomètre. La même remarque que celle de
Mgr Hacquard, au sujet de la consommation du thé, a été
faite par divers voyageurs dans le Soudan plus central. Le
consul de France à Tripoli note aussi cette denrée comme
un des principaux objets d'importation dans l'Afrique inté-
rieure (2). Les dattes, que le Soudan ne produit pas et qui y
sont assez appréciées, constitueraient aussi un produit ali-
mentaire offrant un certain fret du nord au sud ; mais nous
ne citons ce dernier article que pour mémoire, quoiqu'il
puisse produire une recette assez importante.
Si, des objets d'alimentation, auxquels on pourrait join-
dre beaucoup d'autres que ceux sus-indiqués, nous passons
aux articles manufacturés devant composer le trafic du nord
au sud, les perspectives sont également fort étendues. Les
(1) Bulletin de la Société des études coloniales et maritimes, 30 juin 189*J.
pa^c 170.
(*2) Moniteur officiel du commerce, n* du 24 juiUet 1902, page 62U.
ÉLÉMENTS DE TRAFIC DES TJIANSSA H ARIENS. 399
objets manufaclurés comprennent d'abord les fils elles tissus
de toutes sortes pour le vêlement et rameublemenl, puis les
objets divers dits de pacolille, d'ornement ou de distraction,
enfin les instruments de travail qui, même pour une popula-
tion primitive, mais laborieuse, comme ces noirs agriculteurs
el un peu industriels, ne laissent pas que d'avoir quelque
importance. Ce qui renchérit actuellement ces objets dans le
centre de TAfrique et en rend le débouché minime, c'est
rénormité du prix de transport : celui-ci est grevé de 600 à
900 francs la tonne, parfois davantage, outre l'insécurité qui
oblige à une sorte de prime d'assurance, se traduisant par
une nécessité de bénéfices plus élevés; même avec un tarif
de 5 à 6 centimes la tonne, sur les 3000 kilomètres du Trans-
saharien du Tchad et son amorce en Algérie, le prix de trans-
port s'abaisserait à 150ou 180 francs la tonne, par conséquent
17) à 18 centimes le kilogramme, et si ce prix était trop élevé
pour telle ou telle catégorie d'objets, on pourrait le réduire
encore de moitié ou des trois quarts. Mais un tarif de 5 cen-
times la tonne en moyenne paraît, pour les objets manu-
faclurés, très acceptable. Outre le prix actuel du transport
par caravane ou par porteur, le prix de revient des objets
manufacturés est encore renchéri par Timpossibilitéde trans-
porter de grosses masses et la nécessité de morceler les
empaquetages, ce qui ajoute beaucoup au coùl. A quelle
quantité monterait, avec un prix de transport moyen de la
Méditerranée au Soudan central de 5 centimes le kilogramme
(150 francs la tonne), la consommation dans celle contrée des
objets fabriqués dans les pays civilisés? Notez que celte
population du Soudan, tout en étant primitive, n'esl nulle-
ment sauvage, que ce sont des noirs travailleurs et assez
éveillés. On a vu plus haut (page 333) qu'à Zinder, qui est
loin d'être un des principaux entrepôts du Soudan central,
on trouvait chez certains commerçants indigènes des mar-
chandises de toultîs sortes, jusqu'à des bouteilles d'eau d'IIu-
nyadi Janos, dans un pays où il n'existait pas un Européen. En
Van 1900, il a été importé en Algérie 15 302803 kilogrammes
400 LE SAnARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSABARIENS.
de tissus de toute nature, ce qui représente plus de 3 kilo-
grammes par habitant ; les vêtements confectionnés atteignent
plus d'un million de kilogrammes, les meubles et ouvrages
en bois «33 millions de kilogrammes; les importations algé-
riennes de poteries, verres et cristaux ont atteint 18 463000 ki-
logrammes, soit approximativement 4 kilos par léte ; les
outils et ouvrages en métaux 11477989 kilogrammes ou
2 kilos un quart environ par habitant; les machines cl
mécaniques 5443000 kilogrammes; les savons autres que
ceux de parfumerie 10541000 kilogrammes; les ouvrages cd
peaux et en cuirs et les peaux préparées 9 millions et demi
de kilogrammes ; en y ajoutant la bimbeloterie, la parfu-
merie, etc., on arrive à un total de plus de 100 millions de
kilogrammes ou 100 000 tonnes d'objets manufacturés divers
importés en Algérie (1). Sans doute une partie est destinée
aux 600000 Européens, quoique la plupart d'entre eux soient
dans une situation fort modeste; mettons, ce qui doit être
excessif, que la moitié de ces importations d'objets fabri<[ués
concerne les 600000 Européens. Il resterait encore 50 mil-
lions de kilogrammes d'im portation d'objets fabriqués pour les
indigènes, soit plus de 1 1 kilogrammes par tête. Ne comptons
que le cinquième à peine de celte moyenne, soit2 kilogrammes
d'objets fabriqués européens pour chacun des 15 millions
d'habitants de la sphère soudanienne de chacun des Trans-
sahariens, cela donnerait 30 millions de kilogrammes ou
30000 tonnes, qui, à 5 centimes en moyenne de prix de
transport par tonne kilométrique, représenteraient une recelle
de 1 500 francs par kilomètre.
y u'on ne dise pas que cette évaluation est trop élevée : les
nègres du Soudan agriculteurs et industriels ne sont nulle-
ment des barbares ou des sauvages comme les habitants dir
Congo. On en trouve la preuve d'un côté dans les descrip-
tions de Zinder et Dikoa, par Joalland, Foureau et Gentil
( Voy. plus haut, pages 330 à 334 et 350), de l'aulre, dans la
(1) Slalislique générale de l'Algéiie, année 1900, pages 228 à 231.
Ét^ÉMEMTS DE TRAFIC DES TBANSSAUARIBNS. 401
[escrîption d6 Djemié et des leriîitoires environnants, par
.enfant («Voy. plus haui, pages 360 b 362).
En dehoors de tous h^ articles précités, bien d'autres,
ansi doute, viendraient du nord par les voies transsaha-
iennes. Mgr Hacquard, par exemple, dans sa monographie
le Tomhouotou, parlant des meules dont se servent les ha-
ùtants pour moudre leur grain, s'exprime ainsi : « Le blé est
îcrasé enbre deux pierres, Tune grande et fixe (foufou-toudi)^
autre petite {foufou-toudi-idjé), qu'on fait glisser à la main
\\xv la priamière* Ces pierres coûtent 5 à 6 francs ; elles vien-
nent dQ3 montagnes du sud ou du Sahel (Maroc) (1). » Ainsi
m fait venir du nord jusqu^à. des pierres. Le Sjoudan, qui
dans la plus grande partie de son étendue n'a ni pierres, ni
boi^, du moins en abondance, en fera yetàr du. nord quand
il pourra lui en arriver à bom marché pair cette voie.
Ne tenons, .néanmoins^ aucun compte de ce. trafic d'ap-
point, difficilement évaluable, et bomonis-nous aux éléments
ci-dessu9 • Réôapi tulona-les : 75000 tonnes de seL représentant,
à 60 ou 70 francs en moyenne par tonne, 4 millions et demi
è 5 millions un quart de francs, ou 1500 à 1700 francs par
kilomètre; 30 000 tonnes de sucre ;qai, à 3. centimes la tonne
kilométrique, fourniraient près de 3 millions,, et 900 francs
par kilomètre; 30000 tonnes d'objets fabriqués h 5 centimes
par tonne et kilomèti«, soit environ 4 millions un quart et
1500 francs par kilomètre, voilà, pour le traficdes marchan-
dises du nord) au sud, 11 millions et demi à 12 millions et
demi de francs et 3900 à 4 100 francs au kilomètre; il y
faudra joindre le trafic voyageur, également du nord au sud,
qui, comme on Ta vu plus haut (pages 393 et 394),. sera Jrès
important^ surtout en ce qui concerne les mouvements pério-
diques de migration des noirs du Soudan vers l'Algérie jet la
Tunisie; noua rappellerons plus loin les chiffres à. ce sujet.
Quant au trafic des marchandises dans le sens du &ud aiu
ûord, la pensée se poi^lei naturellement d^abord sur: les fai-
U) UuUetrnde la Société des études coloniales, 30 juin 1899. page 175.
26
402 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIENS.
bles objets d'échange qui traversent actuellement tout !t
désert pour aboutir à Tripoli, notamment l'ivoire, les plum^^
d'autruche, un peu d'étain, quelques peaux d'animaux com-
muns, cependant, chèvres notamment, ce qui est un indic*
bien plus important. Les gens superficiels invoquent la mo-
dicité de ce commerce pour tourner en dérision le chemb
de fer Iranssaharien, pauvres cervelles qui témoignent, par
ces allégations, de leur peu d'élasticité et de leur faiblesse dt
compréhension. La vérité, pour tout esprit réfléchi, c'est qu'à
peine quelques embryons du trafic soudano-méditerraoéeD
existent à l'heure actuelle, parce qu'il en coûterait au moias
600 à 800 francs par tonne pour les effectuer à chameau
Il en résulte que sont seuls transportables du sud au nord
les objets qui valent notablement plus de 1 franc le kilo-
gramme ; or ces denrées de luxe sont en petite quanliU
Il en sera tout différemment quand les chemins de fertrao^
sahariens, tout en pratiquant un tarif élevé de 15 à *25 cen-
times par tonne kilométrique, soit de 400 à 750 francs du
Soudan à la Méditerranée pour les marchandises précieuses,
comme l'ivoire, les plumes d'autruche, peutrôtre même le
caoutchouc, réduiront le tarif moyen à 2 centimes et demi ou
2 centimes trois quarts et pourront même, pour les marchan-
dises tout à fait communes, l'abaisser à 1 centime et quart
sinon parfois à 1 centime, soit 37 francs ou 30 francs 1^
tonne du Soudan à un port algérien de la Méditerranée
A la condition que les tarifs soient très bas, les productions
soudanaises à transporter par cette voie pourront atteind^
un énorme volume.
Le tarif moyen à petite vitesse sur les chemins de ferfra^
çais est tombé, après des réductions^successives, aux environ^
de 5 centimes et demi le kilomètre. Si l'on considère quele^
marchandises transportées sur le Transsaharien effectueront
un parcours en général décuple, sinon vingtuple, du pa'
cours moyen sur les chemins de fer de la France métrop'^
litaine, qu'ils donneront ainsi lieu à infiniment moins de
manipulations, il n'y a rien d'excessif à penser que le Urit
ÉLÉMENTS DE TRAFIC DES TRANSSAHARIENS. 403
moyen pourra être moitié moindre que le tarif moyen métro-
politain ; c'est pour cette raison qu*il pourra être abaissé
à 2 centimes et demi ou 2 centimes trois quarts. Quoique
les tarifs des chemins de fer algériens soient réputés
comme excessivement élevés, ce qui, au moment où nous
écrivons (juin 1904), motive un projet de loi pour un chan-
gement de régime en ce qui les concerne, ils contiennent,
néanmoins, sur la ligne d*Alger à Oran, pour les marchan-
dises des cinquième et sixième séries, des tarifs de 3 centimes
par tonne et par kilomètre entre 201 et 300 kilomètres, et
de 2 centimes pour les mêmes marchandises au delà de
3i)0 kilomètres; ce tarif de 3 centimes s'applique même
pour certaines marchandises au delà de 100 kilomètres sur
la même ligne ; TEst Algérien et le Bône-Guelma ont aussi
quelques tarifs de 2 centimes par tonne et par kilomètre (1).
II est clair que ce n'est nullement là le minimum auquel on
pourrait descendre pour un parcours en wagon complet
de 18 à 30 tonnes (au lieu de 5 à 10 tonnes des compagnies
précitées) et pour une longueur consécutive de 2500 ou
3000 kilomètres, au lieu de 300 ou 400. Les plumes d'autruche,
l'ivoire, la poudre d'or s'il s'en trouve, subiront un tarif de
20 à 25 centimes par kilomètre et par tonne, ce qui repré-
sentera encore une économie sur le transport en caravane.
Les articles manufacturés pourront payer de 4 à 6 ou 7 cen-
times et en moyenne 5 centimes, comme nous l'avons dit
plus haut; le sel et le sucre, 3 centimes.
Parmi les produits allant du Soudan à la Méditerranée, on
pourrait taxer à 4 centimes les peaux et dépouilles d'animaux
communs, l'indigo, les minerais riches d'étain, les essences
tropicales précieuses; le coton, la laine, les poils devraient
payer tout au plus 3 centimes la tonne kilométrique, peut-
être même 2 centimes et demi; enfin, il faudrait abaisser le
tarif à 1 centime et quart, peut-être même à 1 centime pour
(1) Voy. le rapport de M. Baudin, au nom de la commission du budget, sur les
Participations de l'Etat et de l'Algérie dans la charge annuelle des Chemins
de fer algériens (13 décembre 1903), pages 5 à 10.
494 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHESIIXS DE FER TRANSSAHARIENS.
UDô quantité de marchandises. Ces tarifs de 1 centime et quart
«tde I centime ne sont pas inconnus sur mas réseaux français;
en voici un exemple : à Taixliomne de 1903 le gouvernement a
homjologué des propositions de tarifs des Compagnies du
Nord eè de FEstipour le transport auxu'sines métallurgiques
des craies phosphatées de la Somme» aux termies desquels,
pour les expéditions d au moins cinq wagons de 20 tonnes, le
tarifs abaisse àO fr. 015 par tonn« et par kilomètre aadelà de
125 kilomètres ; et pourles expéditions de 2401onnes, le tarif,
qui est inxtialemeat de 3 centimes jusqu'à 125 kilomètres,
«^abaisse à 1 centime au delà (>). Si ces tarifs de I centime et
(U Le renseignement ci-dessus ost extrait du journal technique le Phosphate,
Revue irUernalionale des inatières fertilisarU^es, n? du 2 ,déc«isi)r^ 1903. Voici
le texte même du passage de ce journal à ce sujet :
c( Dans notre Duiuôrodu 11 &ovipmbre, noua ipdiquiotis que le ministère div
Travaux publics venait d'homologuer un tarif de faveur, spécialement destiné
au transport des craios phosphatées pour les usines métallur^ques.
« Nous croyons utile de reproduire à cette place ledit tarif, dont Tapplicatiun
n« manquera pas d*nocélérer le mouvement comraefcial stir les «raies métallur-
:giques.
<( Le'Toici donc in extenso : ' ' '
« Craie phosphatée deslinée aux usines métallurgiques,
« a. Par expédition d'au moins 5 wagons de 20 "tonnés, ou payant pour r»
if)oids ; . •
« b. Par expédition d'au moins i2 wagons de 20 tonnes, ou paN'ant pour ti
poids l*|. ; '
« Points de provenance : toutes ïes gares du réseau de TEst; de destination :
toutes les gares du réseau du Nord, ou réciproquement^
« Prix des barèmes dont les bases sont mdiquées ci-aprés, à augmenter dt>
frais de gare. Le chargement elle déchargement doivent être effectués parler
K3xpéditeurs et par les destinataires.
« Prix par 1000 kiloigramme6< :
« a. 100 tonnes.
« Jusqu'à 23 kilomètres 0 fr. 04 par kilomètre.
« Pour chaque kilomètre en excédent de : 25 à 50 kil. 0,03 ; 50 h. 125 kil. O.Oi.
125 kil. 0,015.
« h. 240 tonnes.
« i5 à 125 kil. 0,02; 125 kil. 0.01.
<- Réseaux participants : Est, Nord, Ceintures.
« Ces barèmes sont jalonnés par les prix suivanli» :
a. • h,
25 kilomètro.^j , 1.» 1,»
50 — ... 1.75 1,50
.100 — . ,...».. . 2,75 2,50
125 3.25 3, »
2Û0 — . 4,875 3.73
300 - .^,875 4,75
40» — 7,375 5,75
500 - 8,875 6,75
600 - 10,375 7,75
700 — 11,875 8,75
tt C) A défaut de wagons de 20 lonnds. il sera fourni d€S wagons dont la limite de chargement
«era telle que, pour pouvoir pro iter des prix du présent paragraphe, le commerce ne soit pa9dbli|«
d'effectuer un chargement supérieur aux minima fixés. »
ÉLÉMENTS DB TRAFIC DES TRANSSAHABIENS. 405
demi et de i ceatime par kilomèlre pour les marchandises le&
plus communes sont praticables sur les chemins de fer fran-
çais pour les parcours de plus de 125 kilomètres, à plus forte
raison doivent-ils Têtre en Afrique pour des parcours er^
wagons complets de 2500 à 3000 kilomètres^ sans manu-
tention intermédiaire aucune. Il va de soi, d ailleurs, que
ces taux très rédui&s ne seraient concédés que pour les mar-
chandises incapables d*en supporter d*un peu plus élevéS'.
Aux États-Unis* il est très fréquent, notamment pour les
transports de charbonsi, que le tarif sur les chemins de fer
descende au-desBous de 1 centime par tonne kilométrique;
il se rapproche parfois de trois quarts ide centime. Il est
admis, m£n^ en Franoe, qa une marchandise à. long parcours
(infiniment moindre que le parcours transsaharien) et. à
simple chargement défraie facilement tous les frais de
traction proprement dits moyennant un demi-centime le
kilomètre.
 rheure présente, les principales exportations du Soudan
par la voie de Tripoli sont les plumes d*autruohe exportées
en France, l'ivoire en Angleterre, et les peaux tannées en
Amérique. Des plumes d'autruche et de rivoire,imarchandises
rares et précieuses, pouvant supporter un fret élevé, mais en
définitive peu important, nous ne dirons rien. Il n'en est
nullement de même des peaux à destination de l'Amérique ;
elles aiteignent, môme en l'année désastreuse 1901 ^ un chiffre
relativiement élevé, ii savoir 750000 francs (1); cependant
elles ont eu à supporter, si elles, venaient du Soudan mème^
700 à 800 franco de frais de transpoirt, . outre l'immensité
(1) Le consul de France à Tripoli, du rapport duquel nous extrayons ce ren-
seignement, B'ezpiime ainsi i « Les relations xximmerciates dt la Tri^oUtaine
avec les pays du centre de l'Afrique ont été peu favorisées au cours de l'année 1901 :
la valeur totale des expoilations et des importations réunies est descendue à.
S millions environ. Ladiminulion progressive du commerce caravanier au cour^
des dernières années a donc continué et s'est même accentuée. La nouvelle du
pillage d'une importante caravane de Kano, attacfuéé par les Touareg aui
moment de son entrée dans TAIr, a arrét^ l'envoi des marchandises par la voir
de Ghat-Ghadamés ; le trafic n'avait pas encore repris au mois de mai dernier. •»
Néanmoine, le iconiul note une e^Rpoo'tatiiQn de 7SO0O0 franos de peaux du
Soudan. (Moniteur officiel du Commerce, livraison du 24 juillet 1902, pages 6i<S-
et6É9.)
406 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIENS
des risques. Ce ne sonl donc que les qualités les plus rares
et celles provenant des districts les moins éloignés, comme
le nord de l'Aïr, qui ont pu affronter cette immensité de
charges. Étant donnée toute Tétendue du Soudan et que les
troupeaux de chèvres, de moutons et de bœufs y abondent,
et surtout sont susceptibles de s*y multiplier avec la paix, si
Ton considère qu'en beaucoup d*endroits la population y
a grand soin des animaux domestiques (Voy. plus haut,
pages 269, 277, 340), on peut être assuré que les peaux
soudanaises^ qui représentaient à Tripoli une exportation de
750000 francs dans Tannée calamiteuse 1901 et qui avaient
atteint un chiffre moitié plus élevé et parfois double dans les
années plus favorisées, pourraient fournir, avec la sécurité
du transport et un fret de 100 à 150 francs, au lieu de7U()
à 800 francs, une exportation décuple, un jour même
vingtuple. 11 y faudrait joindre la laine pour les moutons,
dont les troupeaux abondent, les poils pour les chèvres, les
os, sabots et débris d'animaux, tous objets très recherchés
par les nations civilisées, qui peuvent aisément supporter
un prix de transport de 100 à 150 francs par tonne, soit de
3 1/2 à 5 centimes par kilomètre. On ne peut estimer à
moins de dix à douze mille tonnes ce trafic, ce qui produirait
500 francs par kilomètre. Le tabac, à lui seul, pourrait
fournir un transport de plusieurs milliers de tonnes. Les
denrées plus précieuses, comme Tindigo, Tétain, la noû
de kola, les essences colorantes ou odorantes, le henné.
Tivoire, etc., capables de supporter un fret deux ou trois fois
plus élevé, pourraient donner également 500 francs par kilo-
mètre. Le trafic local, comme Tapport du millet dans TAïr,
qui en manque, fournirait aussi un certain appoint non
négligeable; de môme la gomme, les gommiers étant assez
nombreux dans la zone désertique du sud du Sahara et
susceptibles de se développer.
Le principal produit usuel d'exportation, toutefois, serait
le coton. On a vu plus haut combien le Soudan centrai, la
contrée du Tchad, est prédestiné à devenir une grande
ÉLÉMENTS DE TRAFIC DES TRANSSAHARIENS. 407
région colonnière (Voy. pages 329 el 341); le colon s'y
trouve déjà cultivé partout, malgré Tinsécurité du pays et
l'absence de grands débouchés : les inondations régulières
du Tchad et des cours d^au y aboutissant, comme le
Komadougou et le Chari (Voy. plus haut, page 343), font
de cette partie du Soudan une sorte d* Egypte, à laquelle
la sécurité seule et la direction industrielle ont manqué
jusqu'ici. Il est très modeste de penser que, avec le temps,
la région du Tchad rivalisera, pour la production cotonniëre,
avec le Turkestan et avec TÉgypte quand elle jouira de la
même sécurité et qu'une habile direction européenne s'y
sera introduite : il est modéré de penser que 250000 à
•!0000O hectares, la plupart inondés, pourront être plantés
en ce précieux textile dont le monde n'aura jamaisassez,
et que la quantité exportable atteindra 60 à 70000 tonnes ;
n en comptons que 50000; le coton valant plus de 1000 francs
la tonne, on peut, sans excès, lui appliquer un tarif de 3 ou
même 4 centimes par kilomètre, ce qui ne représenterait que
90 à 120 francs pour atteindre, du Tchad, un port médi-
terranéen : ce serait une recette de 1500 à 2000 francs le
kilomètre.
On peut se reporter aux renseignements techniques que
nous avons donnés sur les perspectives de la culture du
coton en Algérie, l'on y verra qu'immense est l'avenir coton-
nier de l'Afrique intérieure, aussi bien dans la région du
Tchad que dans celle du Niger moyen (Voy. pages 365 à 368).
Bien d'autres matières viendraient au Transsaharien et y
fourniraient un trafic d'appoint d'une certaine importance :
divers fruits tropicaux et divers bois également des tropi-
ques; le caoutchouc, venant du haut Oubanghi et du nord
de la forêt équatoriale; plusieurs produits agricoles, ne serait-
ce que les œufs, dont les peuples civilisés n'ont jamais assez,
qui affluent chez eux du fond de la Sibérie et de l'Australie
et que des procédés connus de conservation maintiennent
dans un état comestible malgré la distance et la chaleur.
En laissant de côté tous ces appoints, dont la somme
408 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHBXliNS DE FBR TRAiNSSAH ARIENS.
n'est Dollement négligea'ble, on a un trafic en marchandises^
du sud au nord, de 3000 à 3 500 fiiancs par kîtomètre.
Il ^iste une autre source de tr^fi^, et celle-ci de la plus
haute importance, ce sont leâ produits minéraux.
' 11 n'est guère de) marchandises communes, liieme le blé,
même les métaux, même les ndindraië un peuriches, qui ne
puissent supportei", quand les priii sont relativement bas au
lieu de producticm, un tairif de 1 centime et demi ou dé 1 cen-
time par kilomètre sur 8 000 kilomètres, soit de 30 à 45 francs.
Le blé vaut en France éU moyentie, dans ces^ernièrës années.
200 francs la itonne ; la laine, même dan^s les bas <iours, raot
1000 fiiancs la tonne; le coton, 1000 firanés ; le cuivre, 1 250
à 1500 francs; le> plomb^ 250 à 300 francs; le zinc, 450 à
550 francs ; l'élain vaut encore davantage ; inéme lés minerais
non travaillés, mais ayant une aseez bonne tendeur, pourraient
supporter un tarif aussi modique. Il est trè& peu de marchan-
dises communes qui ne Tuillent pas aujourd'hui 200, tout au
moins 150 francs la tontie, et qui, par Conséquent, étant pro-
diiites à bon icompte au Soudan> sOit du' fait de Texcellence
du sol et du bas prix de la main-d'œuvt*e, soit par Tabondanee
de gisements miniers, ne puissent franchir, dans les condi
lions que nous venons de dire, les 2500 kilomètres du
Transsaharien du Niger ou les 3000 kilomètres du Transsa-
harien du Tchad et de leurs prolongements eu Algérie^
Nous n'avons pas parte des riohess^s minérales que le
Sahara peut contenir, sauf le sel, qui assurera un énforme
trafic; On peut considérer comme certain que cette immen-
sité, qui» dans le plateau du Tassili, longeant' le Hoggar, et
dans TAïr, contient de vastes zonfes de terrains primitifs,
renferme des richesses minfièrôs. Sans être excessivement
bien douées sous ce rapport, TAlgérieet la Tunisie com-
prennent de trèsi appiréciables gisements de zinc et de
plomb, sains parler de leurs immenses dépôts de fer et de
phosphates, deux matières qui, toutefois, ne semblent pas
pouvoir supporter actuellement des traiiSports sur voies de
fer de plus de 500 à 600 kilomètres. > «.
£LâMBNTS DE TRAFIC DES TRANSSAHARIENS. 40»
Bienplus pourvu dé terrains primitifs, le Sahara s'annonce
comme devant être bien plus riobd en mides métalliques
et en gisements minéraux de toutes soi^tes. Dès maintenant,
il est certain qu'il s*y rencontre des dépôts de nitrates; la
seule question est de savoir s'ils sont assez i abondants pour
être exploités ; c*est une- question qui sera tranchée prochai-
nement;: si ces nitrates étadent exploitables^ ils pourraient
payer des* transports. de plusieurs milliers de kilomètres.
Nous nous contenterons de menlioniier les études purement
théoriques que M. 'A. âoideyre/ notamment, a faites à ce
sujet ()). Dîaprès des observations ingénieuses, il existerait
une loi de concentration des matières iminérales sur des
bandes pai*allëles à Téquatetirt' c'est ainsi ique les phosphates
d'Algérie et dé' Tunisie correspondent à êeux de la Floride
et d-es Cardlines, que les pétroles. de Bakou sont le pendant
de ceuk des' États-Unis et ^ue le Sahara doit comporter des
dépôU d6 nitrate 1 analogues à cefix du déserb d'Atacama
dan» TAmérique du Sud. Nous citons cette lobservation
théorique^ à titre de curiosité.;' mais o^est par l'Obser-
Talion • directe d^un grand nombre de voyageurs c|ue
lexistence d& gisements de nitrate^ en plein Sahara a été
constatée. L'ingénieur en chef des minesv professeur à
rÉcdle « des Mines» L. de Launay dans sdn buvrafge : Les
Richesses minérales de V Afrique du Sud, i^*exprime ainsi à
ce sGJeti: « Des matières ' salines plus rares et dé valeur
beaucoup plus grande dans un pays industriel, mais utili-
sables seulement après transport en des contrées civilisées,
existent certainement dans diverses régions d'Afrique ; par
exemple les natrons, déjà exploités en Egypte, en Abys-
sinie,etc.(2); les nitrates si recherchés pour l'agriculture, etc.
et que les indigènes exploitent en plusieurs points pour
fabriquer la poudre (Maroc, région du Touat, sud de la
province de Constantine, Haute-Egypte)... Dans toute cette
(1) Voir ses articles dans la Revue scientifique, intitulés : les Nitrates de
l'Aftique du Nord, 2^ semestre de 1895, et Origine et distribution des gîtes de
fnétallaides ; Ressources minières du Sahara, n» du 4 mars 1899.
(2) Le natron existe en grandes quantités entre Zinder et le Tchad.
410 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIENS.
région, sur le plateau de TÉguéré (350 kilomètres E.-S.-E.
d Insalab) à 800 et 1000 mètres d altitude et plus à louest
dit-on, dans V Archipel Touatien^ il existerait des gise-
ments de nitre, situés à une faible dislance de la surface...
C*est à M. Flamand que Ton doit les principaux rensei-
gnements, très vagues d*ailleurs, sur ces gisements nitreux.
exploités, paraît-il, par les Arabes, qui se serA'ent de ce
salpêtre pour fabriquer leur poudre. D*après des échan-
tillons rapportés par lui, il existe, dans la région de Timi-
moun, des nitrates à 65 p. 100 de nitrate de soude et
35 p. 100 de nitrate de potasse, tout à fait analogues à la
caliche du désert d*Atacama. Lb gisement le plus riche de
TArchipel Touatien serait, dit'on, k lei.sebkha des Oulad
Mahmoud y à 20 kilomètres nord de Kaberten (l). » Si ces
nitrates sont exploitables, les 1300 ou les 1 500 kilomètres
à franchir, à un tarif de 2 centimes, et ce n'est nullement
là, on Ta vu, le minimum possible des tarifs sur un chemin
de fer transsaharien, représenteraient seulement 26 à
30 francs la tonne pour une marchandise qui vaut environ
200 francs dans les ports algériens; à supposer que ron n'en
transportât que 200000 à 300000 tonnes par an, ce qui
représenterait beaucoup moins du quart des transports de
nitrate au Chili (2) et n'égalerait pas la moitié des exportations
qui se font actuellement de phosphates d'Algérie et de Tunisie,
ce serait une recette de 4 000 à 6 000 francs par kilomètre.
(4) De Launay, les Richesses minérales de V Afrique, Paris 1903, pages iT*
et 252.
(2) D'aprôs des tableaux publiés par un journal technique, l'exportation de*
nitrates du Chili a porté sur les quantités suivantes par période quinquennale
et comme moyenne annuelle depuis 1880 :
Total des Moyenne Augmentaucn
Périodes quinquennales. exportations. annuelle. pour 100.
Tonnes Tonnes
1880-188i 2.220.926 444.185 62
1885-1889 3.318.520 663.704 49
1890-1894 4.813.670 îm2.734 45
1895-1899 6.204.636 1 240.927 29
1900-1903 (quatre années)... 5.537.396 1.384.349 11 1/2
Voy. le journal l'Engrais, n© du 1" janvier 1904, page 16.
ÉLÉUBNTS DE TRAFIC DES TRANSSÂHARIENS. . 411
Il ne S agit là, sans doute, que d'hypothèses et de « possi-
bilités », comme disent les Anglais; mais, quand ces magni-
fiques < possibilités » se joignent à de satisfaisantes certi-
tudes, comme celles que nous avons décrites plus haut,
cesi assez pour déterminer un grand travail public qui ne
doit, d'ailleurs, coûter qu'une somme modique, 100 et
160 millions de francs respectivement pour le Transsaharien
du Niger et pour celui du Tchad.
Si Tespoir de rencontrer des nitrates exploitables dans le
Sahara, toutfondé qu'il soit sur des indices sérieux ou sur des
observations théoriques vraisemblables, peut paraître tenir
•un peu de la conjecture, il n'en est nullement ainsi, d'autres
très importants métaux communs. La présence de certains
de ceux-ci est parfaitement constatée d'une part, dans le
Sud-Oranais ou le Sud-Marocain, d'autre part dans l'Aïr et
au Soudan central. En ce qui concerne le Sud-Oranais et le
Sud-Marocain, M. Etienne, après la tournée qu'il fit au
printemps de 1904 au delà du terminus de notre voie ferrée
et dont nous, avons déjà parlé, s'exprime ainsi, dans une
interview avec un rédacteur du journal le Temps : « Toute la
partie montagneuse est fortement minéralisée : zinc, plomb
et cuivre. Déjà une exploitation de cuivre est commencée à
13 kilomètres d'Aïn Sefra. J'y ai vu six cents ouvriers au
travail. On peut donc se fier à l'avenir (1). » Nous ajouterons,
d'après nos renseignements particuliers, qu'une conces-
sion de cuivre du Sud-Oranais, peut-être celle dont parle
M. Etienne, a été obtenue par un haut employé d'un des plus
grands établissements de crédit de Paris et s'annonce comme
une très belle affaire.
D'autre part, on a vu plus haut que, à divers points des
itinéraires de Foureau-Lamy et de ses prédécesseurs, des
roches ferrugineuses ont été rencontrées, et que M. Dorian,
appartenant à une famille et à un milieu métallurgiques qui
lui ont donné de la compétence et de l'expérience, a été
(1) Le Temps, du 18 mai 1904, première page, 5* colonne.
412 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TaiJ>CSSAHARIE!iS.
frappé des ressources en fer du pays voisin de Zinder (Voy.
pLus haut, p. 335). On ne peut faire parcourir 3000 kiiomèbts
à des minerais defer. Mais le fer est très rarement un métal
isolé ; on le remarque davantage parce qu'il affleure et donne
une ooloration ispéciale aux districts où il se trouve. A côté
du fèr, il est certain que le cuivre est abondant aubL enviroas
de TAïr et dans le Soudan. Barth parle très explicitement de
mines de cuivre importantes un peu au sud-ouest de l'Air,
les mines de Tegidda ou deTekkada, près d'Imgal (Voy. plus
haut^ p. 273). De plus, tous les exploriateurs ont été frappés
de Textraordinaire abondance d'objets et d'ustensiles de cuivre
à Zinder. Il suffit dé se reporter- plus haut, aux récits qne
nous avons reproduits sur «cette ville, pour s'en convaincre
(Voy« plus haut9:p.<326 à 336). Et ce n'est pas seulement à
Zinder, c'est dans totti le. Soudan que le cuivre tient une
place énorme dans les. usages et l'ornementation ides habi-
llants. On l'y prodigue, comme toute marchandise qui est
commune dans un pays. Mgr Hacquard, dans sa mono-
graphie de Tombouctou, en parle également : à propos du
costume des femmes, il ^'exprime ainsi : « Dans la eoiflfure,
oe sont des plaques de métal, d'or, d'argent, de cuivre et
même de fer-blanc, triangulaires^, rectangulaires, carrées,
irondes, plus ou moins ouvragées. .«Des bagues, des bradeleis,
des anneaux de pieds en cuivre, eii argent, en perles, com-
plètent ceS' ornements... ^ D'autres accessoires du costimie
sont communs aux deux sexes:... la pipe 'en terre, au long
tube en bois, en os ou en tibia de mouton, ornée de fils de
cuivre ou d'argent. Ici tout le mondie fixme : hoDunes,
femmes et enfants... Les hommes ne sortent guère sans un
long bâton orné de rondelles de cuivre. » :
Le cuivre et le cuir sont prodigués partout, ce dernier
prouvant ' l'abondance du bétail qui pourrait fournir une
énormei exporkation de^peaux. Parmi les Touaregs* les mieux
équipés*, dit encore Mgr Hacquard, portent -un bouclier large
en cuir blanc, orné d'étoffes de couleur en croix, fixées au
cuir par des clous en cuivre ou en fer à large tète ». Bien
TRAFIC DES TBÂNSSAHARIENS; RICHESSES MINÉRALES. 413
d^autres observations eonstatent le voisinage de la produc-
tion du cuivre : « Les orfèvres (de Tombouctouj), ajoute
Mgr Hacqnard, font des bijoux de tout métal; ils ne< ira-
Taillent plus For parce que ce mêlai précieux ne vient plus
à Tombouctou, coniine autrefois, et ils n*ont pas encore
réussi à fondre Tor. monnayé. L argent provient des pièces
de monnaie; le cuivre arrive du Mossi et du Haoussia. » Le
Mossi est assez au sud du Niger ei échapperait san^ doute au
Traosâaharien; mais' le Haoussa, c'est, au contraire, la con-
trée à Touest de Tombouctou, le Sokôto, nos possessions de
Zinder, le Bornou, et cette observation de Mgr* Haequard
confiimie la production du càivre dans cette région, quie
desserviraient les Transsahariens. Mgr Hacquard note encore
que les foa*gerons et les serruriers font « de petiti^ ouvreiges
incrustés de cuivre,;... des crosses ihcrustées d'ivoire^ d'ai»-
geat ou de cuivre (1) «.
Aiiksi il • est partout question d'ornements de cuiVre
comme très répandus, et ce cuivre vient en grande partie dU
Uaoussa, c'est-à-dire de la région des envirotis du Tchad,
malgré la difficulté des trahsporis et le passade désertique
qui s'étend à Test' du Niger leentral. Si Ton rapproche ces
constaiations de Mgr Haicquard de celles de Bartb ëur les
minés de cuivre au sud-ouest de TAïr et de celles des explo-
rateurs plus réceùts'sur l'usage abondant et quasi l'abus
du cuivre à Zinder (Voy. plus haut, p. 334) j on ne peut avoir
de doute sur l'existenoe d'importants gisements 'de ce métal
en cette contrée. On sait, d'ailleurs, quelle est la richesse en
métauic de toutes sortes, cuivre notamment, de toute la partie
méridionale et centrale de l'Afrique, depuis le cap de Bonne-
Espérance jusqu'au lac de Tanganyika, qui sont les iseuls
morceaux de ce continent qui aient été suffisamment explo-
rés. Qu'il se trouve aussi des dépôts de cette matière dans
l'Afrique supraéquatoriale, au-dessus du 10' degré de longi-
tude, il n'y a là rien d'étonnant.
IM Bulletin de la Société des Études coloniales et maritimes, livraison du
30 juin 1899, pages 173 à 181.
414 LEL SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAQ ARIENS.
L*existence d'abondants gisements cuprifères dans la
région du Tchad étant ainsi établie, il est hors de doute
qu*ils fourniraient au chemin de fer transsaharien de cette
région un fret très appréciable. La valeur du cuivre, depuis
plusieurs années, varie entre 54 et 70 livres sterling la
tonne (1350 à 1750 francs); c'est un métal très recherché
pour une double et précieuse aptitude qu'il possède : ses
applications électriques d'une part et la vertu médicatrice
de ses sels contre les maladies des plantes (le sulfate de
cuivre contre le mildiew ou péronoospora et contre de»
parasites divers d'autres plantes utiles). Une baisse de prix
du cuivre au-dessous de 54 livres sterling, soit 1350 francs,
la tonne ne paraît aucunement à craindre.' A Theiire actuelle
(juillet 1904), il vaut entre 57 et 58 livres la tonne, soil
environ 1 450 francs. 11 est vrai que Ton ne trouve pas du
cuivre pur et que les minerais ne contiennent parfois que de
faibles proportions de ce métal. On soutient toutefois que
les gisements de cuivre, récemment découverts dans la
Rhodésia et la Zambésia, auraient une teneur de 40 et même
50 p. 100; laissons de côté cette teneur exceptionnelle et
admettons seulement les teneurs habituelles aux mines sud-
africaines en exploitation, soit de 18 à 25 p. 100 de cuivre (1 ) :
cela représente, au cours relativement assez bas de 54 livres
ou 1350 francs la tonne, une valeur de 243 à 337 francs la
tonne, moins les frais de transport et de fusion ; ûxons ceux-ci.
ce qui paraît fort exagéré, à une vingtaine de francs la tonne de
minerai : il reste une valeur pour celui-ci de 223 à 317 francs.
Il est clair qu'un minerai de cette valeur pourrait facilement
(1) M. de Launay, ingénieur en chef des mines, dans son ouvrage les Hi-
chesses minérales de l* Afrique, Paris, 1903, cite de nombreuses mines de cuIm''
ayant une teneur de 18 p. 100 et au-dessus : en 1899-1900, dit-il, la Société bii n
connue « la Cape Copper C» a tiré de sa mine d'Ookiep. 21032 tonnes de mini-
rai à 18 p. 100 et do sa mine Spectakel, plus à Touost, 019 tonnes à 30.13 p. \w.
La Namagua Copper Co a produit 9000 tonnes de minerai avec un bént^fi«T net
de 3 millions ». Or, cela représente plus de 300 francs de bénéGces par tonne, lais-
sant ainsi une énorme marge pour le transport. Une autre mine de la ai»>me
région (le Namaqualand), la mine de Tweefontein produit annuellement
4o00 tonnes de minerai trié, tenant 28 à 30 p. 100 de cuivre, et 4 500 tonnes dt
minerai plus fin à 27 p. 100 de cuivre. (De Launay, Op. cit., p. 133 et 136.':
TRAFIC DES TftANSSAHARlENS ; RICHESSES MINÉRALES. 415
payer un tarif de 1 centime et demi la tonne sur les 3000 kilo-
mètres de longueur ferrée maxima du Soudan à la Médi-
terranée, soit un prix de transport de 45 francs pour arriver
à Alger ou à Philippeville, d'où un fret de cabotage de 7 à
10 francs la tonne le porterait à Marseille ou en Angleterre.
Supposons que, au lieu d'une teneur de 18 p. 100, qui est
constatée et dépassée dans les mines exploitées du Nama-
qualand, on n'eût qu'une teneur de 10 p. 100, il serait encore,
sans doute, possible de transporter utilement ce minerai
par le Transsaharien. Sa valeur serait, en effet, au minimum
de 135 francs la tonne, moins une vingtaine de francs que
représentent au maximum les frais de fusion, soit 115 francs.
Ce minerai pourrait supporter tout au moins un tarif de
transport de 1 centime un quart par kilomètre, soit 37 fr. 50,
ou, au pis aller, de 1 centime, tarif qui, nous l'avons vu,
serait à la rigueur praticable, soit 30 francs du Soudan à la
Méditerranée. Il faut noter, en outre, que d'une part les
minerais de cuivre, et notamment ceux qui sont pauvres,
contiennent en général des parcelles d'or et d'argent, qui en
relèvent la valeur d'une cinquantaine de francs, sinon plus,
à la tonne, de sorte que celle-ci ressortirait toujours aux
environs de 200 francs la tonne, par conséquent très suscep-
tible de supporter une charge de transport, du Soudan à
la Méditerranée, non seulement de 30 francs, mais de
37 fr. 50 ou môme de 45 francs, correspondant à un tarif
de 1 centime un quart à 1 centime et demi par kilomètre,
largement rémunérateur pour un transport s'effectuant par
grandes masses et avec un parcours ininterrompu, sans mani-
pulations, d'environ 3000 kilomètres. Enfin, quand le minerai
est trop pauvre, il est aisé de « l'enrichir » au point de départ,
soit par un traitement à l'eau, soit par la cuisson. C'est ainsi
que M. de Launay, en parlant de la mine d'Ookiep, dans le
Damaraland, écrit : « On grille et fond sur place pour obtenir
une matte à 50 p. 100 de cuivre que Ton expédie à Swansea (1 ). »
11) De Launay : les Richesses minérales de V Afrique y page 43G.
416 LE SAHARA, LB SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIENS.
Or le Damaraland 6st un pays absolument analogue au
Sahara; il ne reçoit pas plu6 d'eau que le Sahara méridional
et ne continent pa9 plus de bois. U &ut noter, d*aulre pari,
qu*il.n est nullement iiécessaîre d* «ienrichîr » le minerai de
cuivre à 50 p. 100 de teneur et. que, à 10 ou 12 p. 100, il est
parfaitement .transportable au ,Tran8$abarien.
En dehors du cuivre, tous les autres minerais de métaux
communs, sauf le fer» pourraiexit rémunérer le transport par
le Transsaharien. Cela est vrai, au plus h^tut degré, du zinc,
miétal aujourd'hui fort recherché et qui est assez abondant
en Tunisie et auasâ en ÂlgérieMLetziac vaut 20 à ^ livces la
tonne, soit &00 à 550 fraosic^. h^s iteneuns de 40 à 50 p. 100 de
métal pouj: ces minerais ne sont pas rares, ce qui met 1^ prix
du minenai. entre 180 let 230 francs Ja tQnne(fraiç de fusion
déduits); 'mais cette teneur tombât-ellQ à 30 p. 100 que le
minerai pourrait encore payer entre 30 et 45 francs, pour
aller du Soudan à la Méditerranée. De m^me pour le piomb,
qui, il est vrai, ne vaut que 11 à 12 livres sterling (275 à
300. francs) la tonne ; imais ici les beneurs sont souvent plus
élevées, allant à 60 ou 70 p. 100^ et très fréquemjnenl le
plomb contient de largent, entre lun demi-kilogramme et
un kilogrammeiou un kilogramme et demi; maigre la .baisse
actuelle de rargent^ cela ajoute entre 40 et 100 francs à la
valeur idu plomb et fait que le minerai d'une bo^ne mine
vaut rarement moins de 180 à 300 francs la tonne. Danp ces
conditions, il'peut supporter un prix de tj^ansport du Soudan
à la Méditerranée, de 30 à 45 francs la tonne.
D'une façon générale, on peut affirmer que, de^ t^^rifs de
1 centime et demi, 1 centime et quart et .môme 1 centime
étant parfaitement praticables sur un .chemiin de fer de 250U
à 3000 kilomètres de longueur (lignes algériennes comprises),
toute marchandise dont la valeur dans un port d'Algérie
est do 140 à 150; francs la tonne, c'est-à-dire les 1000 kilos,
et qui peut être produite dans de bonnes conditions au
Soudan, peut supporter et payer le transport des 2500 à
3 000 kilomètres par le chemin de fer transsaharien, puis-
TRAFIC DES TRANSSAHARIENS ; RICHESSES MINÉRALES. 417
L*il n^en résulterait qu'une charge d*une trentaine de francs.
Tj presque toutes les marchandises, même les plus corn-
unes, sont dans ce cas, puisqu'il n*en est guère qui ne
lille 140 à 150 francs rendue à Philippeville ou à Alger, et
>0 à 160 francs rendue à Marseille, Gênes, Trieste, Liver-
>ol, Londres, Anvers ou Hambourg.
Élaat donné que tous les minerais d'une assez bonne
ineur, sans être exceptionnelle, sauf ceux de fer, pourront^
u fond du Sahara ou du Soudan central, suivre les rails du
ranssaharien, il est très modéré d'estimer à une centaine
e mille tonnes annuellement ceux qui entreront dans le tra-
kc de cette ligne : car une seule bonne mine de cuivre ou de
>lomb ou de zinc produit aisément 40 (KX) à r>0000 tonnes de
ninerai, parfois le double, et, en comptant 100 000 tonnes de
ninerai pour tous ces métaux réunis, on est certainement
modeste. Il n*y a pas que les métaux proprement dits, il y
a toutes les substances minérales utiles qui pourraient don-
ner lieu à un transport important sur les Transsahariens.
Ainsi, aujourd'hui même, TAïr ou Âsben exporte par la
Nigeria britannique une certaine quantité de potasse. On
lit dans un rapport de sir Frédéric Lugard, gouverneur de
la Nigeria, les lignes suivantes : « 3"* Asben, etc. Le troi-
sième groupe et de beaucoup le plus important est celui qui se
livre au commerce de la potasse et du bétail. Cette potasse
est de deux sortes : en pierre ou en poudre ; sa valeur est
par tonne à Kano en pierre, 18 liv. sterl. 13 shiil., à 1300
cauris pour 1 shilling; en poudre, 4 liv. st. 6 à 6 liv. st. 14...
La majeure partie de cette potasse vient d*Asben et de
Minaou, en territoire français. Mais on en trouve dans cer-
taines régions de la Nigeria elle-même, notamment dans le
nord du Bornou, et aussi, dit-on, dans quelques-unes des
lies du Tchad, par exemple à Kaoua. Chaque année, à la
saison sèche, les Asben pénètrent dans le protectorat avec
des convois de chameaux chargés de potasse et avec des
troupeaux de bétail sur pied (1). » Voilà un fret, existant dès
(1) Bulleiin du Comité de l'Afrique française, livraison de février 1904, p. 61.
27
418 LE SAHARA, LE SOUDAiN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHABIENS.
maintenant et peut-être très abondant pour le TranssaharieQ.
(rest une réponse décisive aux étourdis qui déclarent qu'ils
n'aperçoivent aucun trafic pour ces lignes. Le chiffre de
100000 tonnes pour Tensemble des minéraux transportés du
sud au nord par chacun des Transsahariens apparaît ain^i
comme très modique. En leur appliquant un tarif moyen de
1 centime un quart la tonne, ce qui laisse supposer que cer-
tains, ceux suffisamment riches, paieraient 1 centime et demi,
et les plus pauvres 1 centime par tonne et par kilomètre,
par wagon complet de 18 à 30 tonnes, on a une recette
de 1 250 francs par kilomètre dans le sens du sud au nord,
qu'il faut ajouter à celles que nous avons déjà énumérêe>
(V^oy. plus haut, pages 401 à 408); elles montaient à 3<M)
ou 3500 francs, suivant les cas et suivant les tarifs, pour
les marchandises seules; on se trouve donc maintenant à
4250 ou 4750 francs pour le trafic en marchandises du sud
au nord. Si Ton y joint le trafic en marchandises du nord
au sud, que nous avons évalué avec la plus grande modéra-
tion entre 3900 et 4 100 francs (Voy. plus haut, page -101 .
on a un ensemble de 8 150 à 8850 francs pour le trafic en
marchandises dans les deux sens. Il faut y joindre 23O0 francs
pour le trafic des voyageurs, dont moitié environ pour
les voyageurs blancs et moitié pour les voyageurs noirs,
ce qui, pour le transport des noirs, paraît infiniment au-
dessous des probabilités; on arrive ainsi à une recette totale
de 10450 à 11 150 francs par kilomètre. Il y aurait bien à
y joindre quelques recettes accessoires pour la poste, par
exemple, non seulement française, mais anglaise, allemande,
belge, qui se servirait des Transsahariens pour apporter
les courriers aux colonies des diverses nations de la région
du Tchad et du haut Congo ou du Niger, pour l'usage
aussi du télégraphe longeant la ligne, lequel serait infini-
ment moins cher que les télégraphes sous-marins. En ne
comptant que quelques centaines de francs de ce chef, on
arrive à une recette d'ensemble de 11000 à 12000 francs
par kilomètre. La longueur môme de la ligne, le peu d'em-
TRAFIC DES TRANSSAHARIENS; RICHESSES MINÉRALES. 419
ranchements, quoique à la longue on en créerait quelques-
ns, Tabsence de rupture de charge et de manipulations en
ours de route, la très grande salubrité du pays, réduisant
onsidérablement les frais, il est loisible d'estimer ceux-ci
la moitié de cette recette. H resterait ainsi entre 5 500
t 6 000 francs de recette nette kilométrique, et comme la
igne n'aurait pas coûté à construire plus d'une soixantaine
e mille francs, au grand maximum en moyenne 65000 le
lilomètre, la recette représenterait de 8 à 9 p. 100 du
apital. Cette grande œuvre serait ainsi une superbe affaire :
3 gain réalisé au delà de l'intérêt et de Tamortissement
courrait servir à construire des embranchements, un par
xemple se détachant vers l'Ouadaï, ou des prolongements
lans le Soudan.
On ne peut penser, il est vrai, que ce trafic brut de 11 000 à
12000 francs par kilomètre et cette recette nette de 5500 à
)000 francs écherraient aux chemins de fer transsahariens
lès le lendemain de leur ouverture; il y faudrait sans doute
quelques années, une demi-douzaine d'années par exemple ;
nfiais il est probable que, dès la troisième ou quatrième
iïnnée, le trafic serait déjà notable et Ton ne peut guère
Jouter qu'il n'atteignît, dès ce moment, 5000 à 6000 francs
par kilomètre; or, comme avec l'exploitation peu intensive
de ces premières années, les frais d'exploitation, vu les très
grandes facilités qu'offrirait un chemin de fer d'autant de
longueur, sans manipulations intermédiaires, ne dépasse-
raient pas 2500 francs à 3 000 francs par kilomètre, il reste-
rait toujours un excédent de recette nette de pareille somme
qui représenterait l'intérêt à 4 p. 100 approximativement du
capital engagé, lequel ne dépasserait pas, on l'a vu, en
moyenne 60000 à 65000 francs par kilomètre, y compris le
matériel roulant.
Dans les calculs établis plus haut, nous avons surtout
considéré le Transsaharien du Tchad, mais les mêmes calculs
approximativement peuvent s'appliquer au Transsaharien du
^iger. On sait que, d'après nous, les deux lignes méritent
420 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAQ ARIENS.
d*ôlre construites sans retard, quoique nous comprenions
que Ton commence par celle qui est la plus courte et qui se
trouve déjà très amorcée, à savoir le Transsaharien du
Niger.
Il y a toute probabilité que cette recelte presque initiale
de 11 000 à 12000 francs par kilomètre arriverait à doubler,
au bout de quinze ou vingt ans, ne serait-ce que par le
transport accru des voyageurs noirs, dont le nombre sé-
lëverait à plusieurs centaines de mille, et par le transport
accru également des substances minérales qui atteindrait
des centaines de mille tonnes, sinon même un million de
tonnes ou davantage. Les chemins de fer transsahariens
compteraient alors parmi les entreprises les plus rémuné-
ratrices du XX* siècle, pouvant produire un intérêt annuel
de 15 ou 20 p. 100 des capitaux engagés et permettant Téta
blissement graduel, sans aucun sacrifice, de tout un réseau
ferré de chemins de fer dans l'Afrique intérieure. Qui a suivi
Tessor des continents ne saurait trop s'étonner de Tincapa-
cité des géographes en chambre et autres cerveaux aussi
étroits qu'inexpérimentés qui ne saisissent pas ces perspec-
tives certaines.
CHAPITRE III
Combinaison pour pourvoir aux éventualités de déficit,
quoique improbables, des chemins de fer transsahariens.
La loi (le juillet 1904 stipulant la décroissance automatique des garanties d'in-
térêts de la France au réseau ferré algérien existant. — Décroissance auto-
matique de même nature, d'après une convention de 1002, de la garantie
d'intérêts aux chemins de fer tunisiens. — Possibilité d'altecter ces disponi-
bilités certaines à couvrir les insuffisances éventuelles, trrs peu probables, des
chemins de fer transsahariens : calculs à ce sujet.
Ap|)ort de trafic que les chemins de fer transsahariens feraient aux lignes algé-
riennes actuellement existantes : évaluation du bénéfice «le cet apport. —
Trafic actuel de la gare terminus <ie Béni-Ounif. — Le trafic actuel en mar-
chandises de la gare de Biskra.
De récononiie pour l'entretien des garnisons et pour l'administration dans l'ex-
trême Sud algérien, sur les rives du Niger et dans la région du Tchad; calculs
à. ce sujet.
On peut considérer qu'il n'existe, pour ainsi dire, pas de
risques d'improductivité pour aucun des deux chemins de fer
iranssahariens, mettant les tropiques en relations directes,
rapides et peu coûteuses, avec les vieilles nations civilisées :
Transsaharien du Tchad et Transsaharien du Niger. Mais
en ce qui touche les gens sceptiques, toujours inquiets
à l'idée de toute nouveauté un peu vaste, il est un autre
argument qui est décisif en faveur de l'œuvre. Si modique
que soit cette dépense de 1«50 à 160 millions, au très grand
maximum 180, pour une entreprise d'une telle importance
politique, stratégique et civilisatrice, non moins qu'écono-
mique, que le Transsaharien du Tchad, et de 100 millions
seulement pour le Transsaharien du Niger, la France, en
supposant qu'elle ne pût y retrouver une rémunération
directe ou immédiate de ce capital engagé, pourrait néan-
moins construire ces voies ferrées, sans qu'il en coûtât rien
i notre budget.
La France trouverait, dans le déclin graduel de sa ga-
rantie aux chemins de fer algériens et tunisiens, une disponi-
bilité annuelle correspondant à la plus grande partie de
422 LE SAHARA, LE SOUDAiN ET LES CHEMINS DE FER TRAIfSSAAARIETîS.
Tintérêt de cette somme de 150 à 160 millions et fort éven-
tuellement de 180 millions pour la première de ces lignes et
de 100 millions pour la seconde. Cette remarque ne se rat-
tache pas à de simples espérances, mais à des faits tout a
fait positifs et acquis. La Chambre des députés a, au com-
mencement de Tannée 1904, voté une loi déterminant les
participations de l'État et de l'Algérie dans la charge
annuelle des chemins de fer algériens et le Sénat, à son
tour, Ta adoptée au mois de juillet de la même année, de
sorte qu^elle est maintenant définitive.
Aux termes de cette loi, c les avances de TÉtat aux
compagnies de chemins de fer algériens sont remplacées par
une subvention annuelle au budget de TAlgérie, fixée à
forfait à dix-huit millions de francs (18000 000) pour
chacun des exercices 1905, 1906 et 1907. Cette subvention
décroîtra ensuite annuellement de trois cent mille francs
(300 000) pour les années 1908 à 1912 inclusivement; de
quatre cent mille francs (400000) pour les années 1913 à 1917,
et de cinq cent mille francs (500 000) à partir de 1918 jus-
qu'à Tannée 1946 où elle prendra fin (1). »
Le présent livre paraît au milieu de Tannée 1904. Il semble
bien peu probable, malgré tous nos efforts pour hâter la solu*
tion , que Tun des chemins de fer transsahariens soit commencr
énergiquement avant le milieu de 1907. Quelle que soit la dili-
gence que Ton y mette et quoique Tœuvre pût être exécutée
beaucoup plus rapidement, il n'est guère probable, étant don-
nées nos habitudes de tortue en matière de travaux publics,
que la ligne demande moins d*une dizaine d*années pour son
complet achèvement ; cela mènerait vers la fin de 1917. Or, on
vient de voir que, dans les cinq années de 1908 à 1912, Tan-
nuité à servir par TÉtat aux chemins de fer algériens diminut-
( 1 ) Rapport fait au nom de la Commission du budget chargée d'examiner i>
projet de loi ayant pour objet la modification de la loi du f9 décembre 1900, >n,
le budget spécial de V Algérie, et l'approbation d'une convention déterminant /•**
PARTICIPATIONS DE l'EtAT ET DE i/AlGÉRIE DANS LA CHARGE ANNUELLE DBS CHEMINS bC
FKR ALtiÉniENs, par M. Pienv Baudin, ilêputé: annexe au procès-verbal de h
s«>ance du lo décembre 11)03, p. 28 : projet de loi, article 2.
:OMBINAIS0N FINANCIÈRE POUR LA CONSTR. DES TRANSSAHARIENS. 423
*ait de 300 000 francs annuellement, soit 1 500 000 francs pour
:es cinq années et que, dans les cinq années suivantes, de
1913 à 1917, elle se réduirait annuellement de 400000 francs,
soit de 2 millions ; ce serait donc de 3 millions et demi que
se serait réduite automatiquement, à la fin de 1917, Tannuité
due par l'État à l'Algérie pour ses chemins de fer, juste au
moment où, par une hypothèse vraisemblable, l'un des che-
mins de fer transsahariens entrerait en exploitation. Il y faut
joindre 372000 francs pour une décroissance analogue de
l'annuité servie à la Tunisie, en vertu d'une convention de
même nature du 17 mars 1902, entre la Tunisie et l'État
français, pour la garantie d'intérêts de la ligne de la Med-
jerda (1); c'est ainsi une disponibilité annuelle, dès main-
tenant certaine, de 3872000 francs qui écherra au gou-
vernement français, du chef des chemins de fer algériens et
tunisiens, à la fin de 1917.
Cette disponibilité, dès maintenant certaine, de près de
4 millions par an, pourrait être affectée, en cas de besoin,
à l'intérêt des 100 millions de francs qu'aurait coûtés le
chemin de fer transsaharien du Niger, qui se présente,
dans les conditions actuelles, comme celui qui sera, sans
doute, construit le premier : à 31/2 d'intérêt, cette somme
de 100 millions représente 3 500 000 francs ; en suppo-
sant qu'il n'y ait aucune recette nette, supposition, certes,
bien peu vraisemblable, on pourrait affecter cette disponibi-
lité annuelle dès maintenant certaine de 3872000 francs à
l'intérêt et à l'amortissement du capital de construction
de cette ligne depuis le terminus actuel de Béni-Ounif. Ce
terminus n'est que provisoire, puisqu'il est décidé, en prin-
cipe, que la ligne sera poussée 200 kilomètres au moins plus
loin, jusqu'à Igli, et qu'une section d'une soixantaine de
kilomètres jusqu'à Colomb ou Béchar est actuellement en
construction. Le terminus présent et provisoire, Béni-Ounif,
est à 624 kilomètres d'Oran ; le terminus en vue, Colomb ou
11) Voirie Bulletin de Statistique et de Législation comparée (du ministère
des flnances), 1« volume de 1902, pages 418 et 419.
I
424 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHAHIESS.
Béchar, sera à environ 700 kilomètres de ce même port médi-
terranéen. Or, on peut dire que la presque totalité du trafic
du chemin de fer transsaharien, tout au moins les quatre
cinquièmes, sinon les neuf dixièmes, sera du trafic pour la
ligne de Colomb ou Béchar à Oran. En supposant, évaluation
singulièrement pessimiste, que le trafic du Transsaharien
occidental, nous infligeant une profonde déception, ne fût
que de 3000 francs le kilomètre, correspondant aux simples
frais d*exploitation, ces 3000 francs seraient un trafic soré-
rogatoire pour la ligne actuellement construite ou en cours de
construction de Colomb ou Béchar à Oran ; sur les 700 kilo-
mètres de cette ligne, cet apport supplémentaire de
3000 francs par kilomètre, laisserait bien la moitié comme
recette nette, soit 1050000 francs. Ainsi, par l'apport
des 3000 francs de trafic brut par kilomètre que lui ferait
le Transsaharien du Niger, dans les circonstances réputées
les plus défavorables, ce serait un surcroît de recette nette
de 1050000 francs qu'encaisseraient nos lignes actuellement
existantes ou en construction du Sud-Oranais.
(^e bénéfice de 1 050000 francs pour ces lignes se joindrait
h la disponibilité annuelle de 3872000 francs, constatée
plus haut du chef de la décroissance de l'annuité à servir
par la France aux chemins de fer algériens et tunisiens ; la
disponibilité annuelle serait ainsi portée à 4 922000 francs.
Comme l'intérêt et l'amortissement des 100 millions que
coûterait à établir le Transsaharien du Niger n*exigerait
qu'une annuité de 3500000 francs, on aurait ainsi, même
dans le cas le plus défavorable, une disponibilité de
1422000 francs à reporter sur le Transsaharien du Tchad,
pour faire face aux insuffisances de trafic, soit temporaires,
soit permanentes de celui-ci.
Cette situation serait déjà, en soi, satisfaisante; mais, eo
fait, elle le serait bien davantage. Il est puéril, en effet, de
penser que le Transsaharien du Niger ne produirait aucune
recette nette. Ce qui se présente, à l'heure actuelle, pour le
tronçon d'Aïn-Sefra-Béni-Ounif fournit une preuve mani-
COMBINAISON FINANCIÈRE POUR LÀ CONSTR. DES TRANSSAHARIEiNS. 425
feste qu'il en produirait une. Dans Vintervieœ à laquelle
Dous avons déjà fait quelques emprunts, M. Etienne, député
<l*Oran, après sa visite à nos postes du désert, au delà du
terminus de la voie ferrée, au printemps de 1904, s'exprime
ainsi : « Les espérances de développement économique ne
sont pas aussi faibles que vous paraissez le croire. D'abord,
le Sud marocain est sensiblement plus peuplé que le nôtre.
On en a la preuve parle traBc même qui se fait actuellement
sur la ligne. Actuellement, elle paie ses frais d'exploitation.
On a débuté avec trois trains par semaine; maintenant, il y
en a un à peu près tous les jours. L'accroissement est cons-
tant. A Béni-Ounif, où il n'y avait rien il y a deux ans, s'élève
aujourd'hui une ville — oui, une petite ville, le mot n'est pas
trop fort — marché central du Sud où il se fera, dès cette
année, pour 5 ou 6 millions d'affaires. Ensuite, Figuig est
un des plus beaux paysages du monde, vaste, original, éton-
nant. Quand on le saura bien, des touristes iront. Enfin, il
y aies mines (l)... »
Ainsi, dès maintenant, ce tronçon de chemin de fer déser-
tique fait ses frais d'exploitation; le point terminus est
devenu une petite ville ; il s'y fait 5 à 6 millions d'affaires.
Dans un an ou deux et au furet à mesure qu'il sera prolongé
davantage, ce tronçon, qui dès aujourd'hui a cessé de coûter,
rapportera.
L'appréciation de M. Etienne et l'espoir que nous venons
d'émettre sont corroborés par les documents spéciaux. Le
Bulletin da Comité de r Afrique française^ sous ce titre :
« Le marché de Béni-Ounif», contient deux colonnes de ren-
seignements très précis, des plus concluants : « L'activité
commerciale de Béni-Ounif, y est-il dit, a considérablement
augmenté pendant le premier trimestre de 1904. Douze com-
merçants nouveaux se sont installés dans le centre et, malgré
la concurrence qu'ils apportent, le chiffre d'affaires de toutes
les maisons déjà établies s'est notablement accru. Cette
(l)Le TempSf du 18 mai 1904, !'« page, o« colonne.
426 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHABIDï
augmentation des transactions commerciales lient évidem-
ment à une fréquentation plus régulière des gens du Figuig
et des Doui Ménia ; mais elle résulte surtout de la politique
d^apaisement qui a déterminé depuis deux mois le rappro-
chement des Béni-Guil et les démarches pacifiques des gens
d'Aïn-Chaïr près des autorités de Béni-Ounif et de Béchar
Pendant le mois de mars, en effet, chaque jour des caravane*
de Béni-Guil sont arrivées sur le marché, amenant, pour la
vente, des moutons et des chameaux et rentrant dans leurs
campements avec des chargements de blé, d'orge, de
semoule, de sucre, de café et de thé (!)• »
Les denrées qui viennent d'être citées ne sont que les
principales composant le trafic de Béni-Ounif. c Nous indi-
querons ci-dessous, dit le Bulletin du Comité de r Afrique
française, le chiffre d'affaires des principaux négociants du
centre pendant le trimestre écoulé », et le Bulletin donne
une nomenclature de ventes d'épicerie, d'étoffes, de tissus et
d'articles indigènes, de céréales, de quincaillerie, montant
à 692000 francs pour le seul premier trimestre de 1904; mais
ce chiffre de 692000 francs s'applique seulement aux arlic/es
spécialement dénommés et estimés en valeur; il y en a
d'autres dont la valeur n'a pas été indiquée et qui ne figurent
pas, par conséquent, dans cette somme de 692000 francs. H
est bon de citer quelques-unes des mentions concernant la
partie du trafic non estimée en argent : « En outre, dit le
Bulletin, ce négociant a acheté aux indigènes de TOuesl
550 quintaux de peaux de filali (marocain), 70 quintaux de
dattes, 25 quintaux de poils de chèvre pour la confection des
tentes, 2500 moutons » ; et, plus loin, pour d'autres négo-
ciants : « A acheté, en outre, aux gens de l'OueslSOO bur-
nous et 50 quintaux de poils de chèvres...; a acheté, en
outre, aux gens de TOuest, 35 quintaux de filali et 60 quin-
taux de poils de chèvre...; a acheté, en outre, aux gens de
l'Ouest 33 quintaux de filali, 48 quintaux de dattes et 72quin-
(1) Comité de l'Afrique française^ Bulletin mensuel, mai 1904, page 151.
COMBINAISON FINANCIÈRE POUR LA GONSTR. DES TRANSSAHARIENS. 427
taux de bekhour (espèce d^encens venant du Soudan)...; a
acheté, en outre, aux gens de TOuest 42 quintaux de fllali
et 25 quintaux de bekhour. » Ainsi, voilà cinq mentions
indiquant des quantités et non des valeurs : ces quantités ne
sont pas négligeables: 2500 moutons; 118 quintaux de
dattes ; 300 burnous de fabrication des oasis ; 660 quintaux
de filali (marocain); 135 quintaux de poils de chèvre;
97 quintaux de bekhour ou encens indigène. En réunissant
ces trois derniers articles, on obtient 892 quintaux en un
seul trimestre et pour une étendue de pays assez restreinte.
Il y a encore d'autre trafic de la gare de Béni-Ounif, en
plus de ceux sus-mentionnés : < En outre, dit le Bulletin du
Comité de l'Afrique française^ les gens du Figuig continuent
à recevoir du Tell une certaine quantité de marchandises
qu'ils peuvent se procurer directement grâce à leurs relations.
La gare de Béni-Ounif a aussi reçu pendant le premier tri-
mestre 1904 pour des commerçants des oasis :
Blé 421 .730 kilogrammes.
Tissus 9.780 —
Beurre et huile 6.420 —
Laine 590 -
.\rlicles divers 13.370 —
«t Le mouvement commercial de Béni-Ounif, continue le
Bulletin^ ne s^arrélera pas là ; nous constaterons certaine-
ment pendant le prochain trimestre une augmentation sen-
sible des transactions commerciales qui sera exclusivement
déterminée par une fréquentation plus grande de tribus
nomades de l'Ouest (1). »
Ainsi, M. Etienne n'exagérait pas, en parlant d'un chiffre
annuel d'affaires de 5 à 6 millions pour ce marché
improvisé de Béni-Ounif; car, si aux 692000 francs spécia-
lement désignés ci-dessus pour les marchandises ayant fait
Tobjet d'une évaluation, on ajoute les marchandises dénom-
brées seulement en quantités et non en argent, le million
doit ôtre dépassé pour un trimestre.
(ly BuUetin du Comité de r Afrique française, mai 1904, page 152.
428 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRâNSSàHARIEXS.
Dans un numéro précédent, le Bulletin du Comité de
r Afrique française^ relatant le trafic de la gare de Béni-Ounif
dans le dernier trimestre de 1903, écrivait : « Elle a expédié
sur le Tell plus de 60 tonnes de lainages tissés et de cuir
(filali) » et il ajoutait : « Les habitants des Ksour ne peuveot
se procurer de l'argent que par la vente de leurs burnous ou
kaïks, de peaux de filali qu'ils reçoivent du TaGlelt et des
dattes qu'ils récoltent ou qui leur sont envoyées du Sud-
Ouest (1). *
Si le chemin de fer pénétrait beaucoup plus au sud, arri-
vant d'abord à Igli, puisa Béni-Âbbès et à Taourirt, de façon
à desservir les oasis du Touat et du Tidikelt, en attendant
qu'on le pousse jusqu'au Niger, Taire du trafic s'élendanl
considérablement, ces quantités augmenteraient dans des
proportions notables, et en supposant que les tout derniers
tronçons, du moins avant la jonction accomplie avec le
Soudan, n'eussent qu'un trafic restreint, les premiers qui
bénéficieraient du trafic recueilli sur toute la ligne en auraient
un fort important qui procurerait une recette nette appré-
ciable. La pacification et le repeuplement du pays contri-
bueraient encore à le développer.
Ce développement ne peut faire aucun doute : on en a une
preuve dans le rendement du chemindeferdeBatnaàBiskra.
Cette ligne a une étendue de 120 kilomètres; elle fut long-
temps regardée comme une sorte de ligne somptuaire, dont
on pouvait à peine espérer qu'elle arrivât jamais à couvrir
ses frais d'exploitation. Le trafic en resta longtemps station-
naire à 4 500 francs le kilomètre, chiffre qui paraissait repré-
senter le summum de ce qu'on en pouvait attendre. Or, ce
trafic est en train d'augmenter notablement : le produit brut
a été 585072 francs en 1901, 636696 francs en 1902, et
687505 francs en 1903, correspondant à une recette brute
kilométrique de 4849 francs, 5277 francs et 5698 francs
respectivement pour chacune de ces trois années. Si cette
(1) Bulletin du Comilé de V Afrique f ramai se ^ février 1904, page 56.
OMBINAISON FINANCIÈRE POUR LA CONSTR. DES TRANSSAHARIENS. 429
igné avait été établie à voie étroite, au lieu de Tétre trèsinu-
ilenient à voie large et qu*elle fût exploitée comme Test le
iouveau réseau à voie étroite des chemins de fer tunisiens,
I savoir les lignes de Sousse, Kairouan et autres, elle ne
coûterait pas au maximum plus de 3000 francs de frais
d'exploitation et elle fournirait environ 2700 francs de béné-
fice net par kilomètre.
Il ne faudrait pas croire, d'après la renommée mondaine
de Biskra, que la plus grande partie du trafic de la ligne
Batna-Biskra fût due aux touristes: sur les 687 505 francs de
recettes de cette ligne en 1903, les voyageurs n'ont fourni
que 221 769 francs, les marchandises à grande vitesse
52 894 francs ; près des deux tiers du produit du trafic viennent
des marchandises à petite vitesse, à savoir, 412841 francs. Et
la gare même de Biskra fournit à peu près la moitié de ce
trafic des marchandises de petite vitesse, à savoir,
195285 francs. Ce sont là les produits des contrées déser-
tiques (1).
On voit combien est extravagante l'idée que le désert ou
le Soudan n'apporteraient d'autre trafic que des plumes
d'autruche ou de la poudre d'or.
Des deux Transsahariens, d'après les explications qui pré-
cèdent, celui du Niger pourrait être fait dès maintenant sans
aucuns sacrifices; il en faudrait peut-être quelques-uns, mais
limités et temporaires, pour le Transsaharien du Tchad, et la
combinaison exposée ci-dessus, en ce qui concerne les dispo-
nibilités par suite des annuités décroissantes aux chemins
de fer algériens, éliminerait tout risque sérieux.
11 est un autre élément, dont on doit tenir compte : on ne
peut contester que les frais d'entretien des troupes françaises,
à la charge de la métropole, tant dans l'extrême Sud algérien
que dans la région dénommée « le troisième territoire mili-
taire », à savoir la partie du Soudan située autour de Zinder,
et également dans la région de Test et du sud du Tchad, dé-
(1) Voir le Rapport du conseil (V administration à l'assemblée générale des
actionnaires de l'Est- Algérien, du iO avril 1904, pages 63 et 75.
430 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSÂHARIEN3.
nommée < territoire du Chari >, ne dussent être notablement
réduits par l'exécution des Transsahariens qui desserviraient
ces contrées et leur amèneraient à peu de frais les approvision-
nements divers. Or, à Theure actuelle, les frais, si sommaires
qu'ils soient, de Toccupation du Chari, et ceux du territoire
de Zinder, ainsi que des postes extrêmes sud-algériens dans
le prolongement de la province de Constantine non reliés par
voie ferrée à l'Algérie, ne peuvent être évalués à moins de
7 à 8 millions de francs. On n'en trouve pas le détail dans nos
budgets ; on a seulement certains éléments partiels : ainsi
l'on relève, au budget de 1904, chapitre 55 du ministère
des colonies (1), un crédit de prévision de 2600000 francs
pour les c dépenses militaires des territoires du Chari et du
Congo français », dont les deux tiers au moins concernent le
Chari, c'est-à-dire les rives du Tchad, qui est le point le plus
délicat de l'ensemble de cette colonie : c'est donc là environ
1800000 francs de dépenses militaires sur un des points que
desservirait le Transsaharien ; quant au territoire de Zin-
der, dénommé troisième territoire militaire, quoique situé
tout au centre de l'Afrique, il est défrayé par les crédits af-
fectés à l'Afrique occidentale ; ces crédits figurent aux cha-
pitres 35 et 44 d\î môme ministère, sous les rubriques :
€ Troupes aux colonies, Afrique occidentale » et « Vivres et
fourrages, Afrique occidentale », pour les sommes respec-
tives de 7 039 441 francs et 4 254 705, ensemble 1 1 300 000 francs
en chiffres ronds : le territoire de Zinder étant le plus éloigné
et ne se trouvant, à l'heure présente, accessible qu'après avoir
traversé des déserts, il est très modéré d'admettre qu'il doit
bien absorber 1 600000 francs sur ces 11300000. Voilà donc
3400000 francs avec les dépenses similaires au Chari. Mais
il ne s'agit ici que des dépenses spéciales d'entretien des
troupes dans ces régions écartées et actuellement quasi
inabordables. L'occupation du Chari et du territoire de
Zinder doit aussi donner lieu à certains prélèvements sur
(1) Rapport (le M. Merlou sur le Budget général de l'exercice 1904, pages 570
et o77.
COMBINAISON FliNANClÈRE POUR LA GONSTR. DES TRANSSAHARIENS. 431
(lautres chapitres du ministère des colonies, par exemple
sur les chapitres 41, 42, 47, 48, concernant les « frais de
roule et de passage du personnel militaire », la « remonte et
harnachement », le « personnel des hôpitaux », « Thabillement
et le couchage », et montant respectivement à 7 221 115 francs,
767 152 francs, 4 091 268 francs et 3401 805 francs, ensemble
environ 15 millions et demi. Il est certain que dans des ter-
ritoires, d*ailleurs très vastes, comme ceux de Zinder et du
Chari, où une tonne de transport ne peut venir d'Europe ou
de la côte avec des frais moindres de 700 à 1000 francs, tous
les objets destinés aux troupes doivent être prodigieusement
renchéris ; ils baisseront sensiblement quand le prix de
transport de la Méditerranée au Tchad ne sera plus que de
40 francs à 100 francs la tonne suivant la nature des den-
rées transportées.
Nous n'avons parlé que des dépenses militaires; il y a,
en outre, les dépenses d'administration ; il n'est pas facile
ni même possible de les dégager, parce qu'elles sont confon-
dues dans les budgets locaux, auxquels d'ailleurs la métropole
alloue souvent, par nécessité, des subventions, ce qui est le
cas du Congo avec son prolongement le Chari. Il tombe
sous le sens que ces dépenses aussi seraient allégées par
une voie à la fois rapide et peu coûteuse de communication
avec la Méditerranée.
En s'appuyant sur les éléments et les considérations qui
précèdent, il est ainsi très modéré d'évaluer à 7 millions
et demi de francs ceux des frais normaux d'occupation et
d'administration des oasis sud-constantinoises, du terri-
toire de Zinder et du territoire du Chari qui seraient atté-
nués par l'exécution du chemin de fer transsaharien ; il est,
d'autre part, très modéré d'évaluer au tiers du total de cette
dépense, soit à 2 millions et demi de francs sur 7 millions
et demi, l'économie qui de ce chef résulterait pour le budget
français de l'exécution de ces Transsahariens.
On a vu plus haut (pages 423 et 424) qu'en tenant compte
des réductions automatiques, absolument certaines, stipu-
434 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHAaiLvJ
de 260 millions, à 3 et demi d'intérêt et d'amorlissemeil.
représenterait une charge annuelle de 9100000 francs. i
On vient de voir (pages 429 à 431) que le Transsaharien da
Tchad économiserait au moins 2 millions et demi par an su:
les frais d*occupation et d'administration des oasis sud-cons-
lantinoises, du territoire de Zinderet des territoires du Charie!
du Tchad. Le Transsaharien du Niger épargnerait aisémenU.
son côté, 1 million sur les frais d'occupation et d'adminisln-
tion des oasis sud-oranaises, de celles du Touat, duTidikell
et de la contrée des bords du Niger; ce serait ensemble us-^
économie de 3 millions et demi. En second lieu, en snpfK/-
sant que le trafic de chacun des deux Transsahariens restât au
chifiTre infime et invraisemblable deSOOO francs par làlomètr^
cette recette affluerait quasi intégralement aux chemins tw
fer algériens et sud -algériens actuellement établis ou en
construction et leur procurerait une recette nette égale à iâ '
moitié de ce surcroît de recette brute, soit 1500 francs par |
kilomètre, ce qui, pour les 330 kilomètres de Biskra à Conî-
lantine représenterait, en chiffres ronds, 500000 francs el i
pour les 700 kilomètres de Colomb ou Béchar à Oran j
lOoOOOO fr., ensemble 1550 000 francs. Ce bénéfice net mifli |
mum procuré aux chemins de fer algériens, joint aux 3 mil- |
lions d'économie produits par les deux Transsahariens |
sur les dépenses d'occupation et d'administration des oasis
sahariennes, du Soudan nigérien et du Soudan du Tchad.
constituerait une disponibililé annuelle de 5 millions. Enùo.
la disponibilité, à partir de 1917, de 3872000 francs, par
suite des annuités décroissantes de la métropole aux oie-
mins de fer algériens, en vertu de la convention de 1902 el de
la loi de 1904, porterait la disponibilité totale à 8 900 000 francs
en chiffres ronds, chiffre quasi exactement égal à Ysinnéïê
de 9 100000 francs qu'exigeraient Tintérêt et ramortissemenl
à 3,50 p. 100 de la somme de 260 millions consacrée à Této-
blissement des deux chemins de fer transsahariens.
Ainsi, Ton pourrait construire d^ici à 1917, à savoir, ea
une douzaine d'années, les deux chemins de fer transsaha-
KMBINAISON FINANGIËRB POUR LA GO?rSTR. DES TRANSSAHARIENS. 435
ens, celui du Niger et celui du Tchad, sans que, en vertu
es calculs irréfutables qui précèdent et d'après la com-
inaison qui vient d'être exposée, il en coûtât un centime
u Trésor.
Il est, toutefois, peu probable que, d*ici à 1917, les deux
i'raassaharietts soient construits ; nous serions déjà heureux
[ue Tun d*eux, celui dont Tamorce est la plus avancée, le
Transsaharien du Niger, fût terminé dans cette période. En
idmettant qu*il fallût, pour Tœuvre totale, quatre années de
3lus et que Tun des deux'Transsahariens, le dernier construit,
ne pût être livré à la circulation que vers 1920 ou 1921, il y
aurait une nouvelle ressource, dans cette période prolongée,
qui mettrait encore plus l'État à Tabri de tout risque.
On a vu que la décroissance de l'annuité à servir par la
métropole aux chemins de fer algériens procure (page 422)
^ne disponibilité annuelle de 3872000 francs à partir de la
fin de 1917; or, à partir du 1" janvier 1918, aux termes de
l'arrangement conclu avec la Tunisie et de la loi de 1904 en
ce qui concerne l'Algérie, la décroissance des annuités de
l'Etat pour les garanties d'intérêts des chemins^de fer nord-
africains sera de 500000 francs par an pour l'Algérie et
de 31 000 pour les chemins de fer tunisiens, ensemble
i)31000, ce qui, pour les quatre années 1918, 1919, 1920 et
1921 représente une décroissance de 2 124 000 ; cette dispo-
nibilité s'ajoutant à celle effectuée, par le môme procédé
automatique, de l'an 1906 pour la Tunisie et de l'an 1908 pour
l'Algérie jusqu'à 1917, porterait à 5996000 francs la dispo-
nibilité de ce chef à partir du 1" janvier 1922 et à plus de
11 millions le total des disponibilités que, d*aprës les calculs
ci-dessus, la métropole pourrait appliquer à couvrir l'intérêt
^t l'amortissement des deux chemins de fer transsahariens,
si leurs recettes n'y pourvoyaient pas suffisamment. Or, une
disponibilité de 11 millions ferait face, au taux de 3 1/2 p. 100,
^ un capital de plus de 310 millions, somme beaucoup plus
considérable que celle qui serait exigée par la construction
des deux Transsahariens.
436 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHàRlENS.
Ainsi, de toutes façons et en adoptant les hypothèses les
plus défavorables, celle d'une absence absolue de recettes
nettes des voies nouvelles, TÉtat français se trouverait dès
le moment de Fouverture des deux chemins de fer transsa-
haricns, ou tout au plus tard deux ou trois ans après cette
ouverture, en état de faire face au service de l'intérêt et de
Tamortissement des sommes qu'ils auraient coûté. II joui-
rait, sans avoir fait aucun sacrifice et comme d'un doo
absolument gratuit, de tous les avantages considérables
que les Transsahariens lui procureraient pour Tentretien des
troupes et l'administration des oasis sahariennes et des pos-
sessions françaises au Soudan occidental sur le Niger, d une
part, dans le territoire de Zinder, de l'autre, et sur les deux
rives du Tchad ainsi que dans le territoire du Chari. 11
jouirait aussi de toute l'influence et de tout le prestige que
des œuvres semblables lui assureraient dans cette partie du
monde.
Encore avons-nous voulu, dans ces calculs, nous en tenir
aux faits absolument positifs et résultant des lois et conven-
tions en COUTS (convention du 17 mars 1902 pour les chemins
de fer tunisiens et loi de juillet 1904 pour les chemins de fer
algériens); nous n'avons aucunement tenu compte de la
très grande probabilité que le développement, qui ne cesse
de s'effectuer depuis 1898, du trafic propre aux chemins de
fer algériens et tunisiens et qui a sa cause non moins dans
le récent essor minier que dans l'essor agricole de rAIgérie
et de la Tunisie, accroîtra les disponibilités résultant de la
décroissance automatique de ces annuités à la charge de la
métropole. Nous avons voulu, en effet, écarter tout calcul
conjectural et nous en tenir aux données absolument posi-
tives résultant des lois et conventions en vigueur.
On voit, par la démonstration qui précède, que, si Ton
veut appliquer, comme cela est naturel et facile, les dispo-
nibilités résultant de la décroissance légale des garanties
d'intérêts algériennes et tunisiennes au paiement de l'intérêt
des dépenses de construclion des chemins de fer transsaha-
3MBINAIS0N FIiNANGlËRE POUR LA GONSTR. DES TRANSSAHARIENS. 437
iens, il est de toute impossibilité que ces grandes œuvres
oûteat un centime au budget français. L^Étataura constitué,
ans se charger aucunement, deux merveilleux instruments
>olitiques, stratégiques, administratifs et économiques. Aux
rois premiers points de vue, il en obtiendra des avantages
considérables; au quatrième point de vue, il est très vrai-
semblable qu'il en retirera aussi des bénéfices, même pécu-
liaires ; mais en aucun cas, et à Textrême pis-aller, ces
œuvres ne pourraient lui être à charge.
C*est faute de connaître le fonctionnement de ces garanties
d'intérêts algériennes ettunisiennes, en vertu des conventions
et lois de 1902 et de 1904, que tant de gens s'efiTraient à la
pensée d'une dépense qui a, dès à présent, son ample contre-
partie assurée.
11 est, d'ailleurs, infiniment probable que, même financiè-
rement, d'après les évaluations très modérées que nous avons
faites plus haut (Voy. pages 393 à 420), les chemins de fer
transsahariens seront une excellente affaire. Néanmoins,
comme le gros public n'est pas familier avec des œuvres de
ce genre, il serait toujours difficile d'accomplir, sans une
garantie d'intérêts de l'État, ces grandes entreprises qui se-
ront certainement, à la longue, très rémunératrices (1).
(1) Il se pourrait, toutefois, que si l'un des Transsahariens, celui du Niger par
exemple, était amorcé jusqu'à, la moitié environ de son étendue, de façon
quM ne restât que 1 000 à 1 200 kilomètres à construire pour atteindre le but
final, des sociétés privées se chargeassent d'effectuer ce complément sans ga-
rantie d'intérêts, au cas, par exemple, où on leur assurerait la concession de
toutes les mines ou carrières situées dans un certain périmètre, par exemple
<lan8 une zone de 300 à 400 kilomètres de chaque côté de la voie. Une telle com-
binaison pourrait se présenter si, notamment, le ïranssaharien du Niger était
amorcé par TÉtat jusqu'à, Taourii-t ou Âkabli, de façon à desservir, ce «lu'il fau-
dra bien faire un jour, les oasis du Touat et du Tidikelt. Cette combinaison
pourrait être encore facilitée, si l'État, ayant ainsi établi un réseau de pénétra-
tion de 1 100 à 1300 kilomètres, accordait à la Compagnie <iui effectuerait le com-
plément méridional, une participation de 33 à 40 p. 100 sur le trafic transsaharien
dont les lignes établies par l'État et constituant la moitié septentrionale du
réseau viendraient à profiter. L'œuvre du Transsaharien se présente ainsi conim»'
absolument simple et ne comportant aucun danger financier.
CHAPITRE IV
Concurrence entre les chemins de fer transsahariens
ET LES VOIES VERS l' ATLANTIQUE. GrANDE SUPÉRIORITÉ
DES PREMIERS POUR DESSERVIR l'AfRIQUE INTÉRIEURE.
Les voies soit fluviales, soit mi-partie fluviales mi-partie ferives, soit enfién»iit»p:
ferrées, allant de l'Afri(iuc intérieure vers la côte de l'Atlantique ne |>our;vn*
faire une concurrence sérieuse aux chemins de fer transsahariens.
Môme au cas où il y aurait, par les voies de l'ouest ou du sud>oue^t, une <cu-
sible diminution de distance, elle serait beaucoup plus que coni|)enst'e (^ir
Tinfériorité des ports, dont les barres rendent l'accès dan^reux, par TinsaJ-i-
brité et par l'éloignomenl de l'Europe. — Le coût du fret et celui de? a^<l-
ranccs maritimes dépasseraient de beaucoup l'économie sur le transport p»"
terre.
Innavigabilité du Niger sur la totalité de son parcours. — Ce fleuve est corun»»
({uatre ou cinq fleuves juxtaposés, mais sans communication entre eux. -
Les différents biefs du Niger et les rapides. — La navigabilité sur chacun A*-
ces biefs. — Coût énorme du transport d'une tonne des bouches du Ni^rt-ri
Say ou à Toiiibouctou ; ce coùl égale huit à dix fois le prix de transport «ur
le Transsahai*ien. — Dépenses prodigieuvses qu'exigerait la mise en étal appn»xi-
matif de navigabilité de ce fleuve.
La navigabilité défectueuse du Sénégal. — Détails (L ce sujet. — Le chemin 'i^*
fer de Kayes au Niger. — Nécessité de le prolonger jusqu'à la ligne Daliar-
Saint-Louis. — Il recevra surtout le trafic du Niger supérieur et de la moindr?
partie du Niger moyen. — Le chemin de fer transsaharien attirera à lui uii'
bonne partie du trafic de Ségou à Mopti et la totalité du trafic des Tvp*>f.-
de Mopti, Toinbouctou, Ansongo jusqu'à Saï.
La nouvelle roule, découverte par le capitaine Lenfant, d'accès au Tchad i»ur
la Bénoué. — Elle no peut avoir qu'une portée économique très restreinte, fi
ne peut, à aucun point de vue, lutter contre un Transsaharien. — Les deai
Transsahariens ne peuvent avoir aucune voie rivale effective.
Il se trouve des personnes pour soutenir que soit les
voies navigables, Sénégal, Niger, Bénoué, aboutissant à
TAtlantique, soit des voies mi-fluviales mi-ferrées, soit des
chemins de fer qui partiraient de Tocéan Atlantique ou
du golfe de Guinée pour se diriger vers le Soudan nigérien
ou vers le Soudan du Tchad, ayant une plus courte distance
que les Transsahariens, déroberaient à ceux-ci une grande
partie de leur trafic. C'est, selon nous, une grave erreur.
CONCURRENCE ENTRE LES VOIES DE L'OUEST ET LES VOIES DU NORD. 439
D'abord, celle concurrence serait quasi nulle en ce qui
concerne la poste, les voyageurs, les colis privés, parce
que la durée du transport, tant par terre que par mer, serait
deux fois plus longue par la voie de Touest que par la voie
du nord. En outre, ces chemins de fer seront beaucoup plus
difficiles à construire et à exploiter dans ces pays maréca-
geux, fiévreux, où l'Européen a grand*peine à vivre. Les
tarifs devront naturellement y être beaucoup plus coûteux,
par la raison ci-dessus et par celle aussi que, la dislance
étant moindre (1 500 kilomètres du Tchad à la côte du Bénin,
au lieu de 3000 jusqu'à la Méditerranée), les tarifs kilomé-
triques ne pourraient être aussi abaissés, cet abaissement
dépendant, en grande partie, de Tétendue du parcours sans
rupture de charge.
Il est probable que le transport par le sud-ouest, s*il n*était
pas tout à fait aussi coûteux que par la voie du nord, pour-
rait, tout au plus, offrir une réduction de 10 à 15 p. 100;
elle serait beaucoup plus que compensée par les difficultés
dembarquement dans les médiocres ports, encombrés de
barres et presque tous malsains, de la côte occidentale
d'Afrique, par la beaucoup plus grande élévation du fret
maritime vers les marchés d'Europe, par la charge beaucoup
plus lourde aussi des assurances maritimes. Enfin, le sur-
croît de transport terrestre sera largement compensé, pour la
généralité des marchandises même communes, non seulement
par la moindre durée et la plus grande régularité du trajet,
mais par l'arrivée des denrées en pleine Méditerranée occiden-
tale, à quelques heures de Marseille, de Gènes, de Trieste et
à portée de marchés de consommation considérables, la
France, Tltalie, la Suisse, TAutriche, TAllemagne du Sud,
outre que le fret d'Algérie aux grands ports anglais, belges
et allemands du nord est très bas, 7 à 8 francs la tonne.
De même, les chemins de fer transsahariens n'ont rien à
redouter de la navigation du Niger et des voies d'eau que Ton
a découvertes entre l'Atlantique et la région du Tchad. On doit
rendre le plus grand hommage aux explorations très méri-
440 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHABIE5S
loires du capitaine Lenfant. Son livre : Le Niger ^ voie ou-
verte à noire empire africain {l)y a résumé d'une manière Irt-s |
intéressante Tétude qu'il a faite de ce grand cours d'eau au
point de vue des possibilités du trafic. Mais, outre qu'il y a
700 à 800 kilomètres du Tchad au Niger, le cours de ce fleuve
est encombré de rapides, qui séparent les différents biefs et en
empêchent la communication. D*après les données mêmes
que Lenfant a recueillies, le cours inférieur du fleuve de
Lokodja-Forcados, un peu au-dessous du 8"" degré de lati-
tude, jusqu*à Tembouchure, n'est navigable toute Tafioéê
qu'aux chalands calant 50 centimètres au plus, c'est-à-dire à
de tout petits bateaux; il ne Test que dix mois de l'aonée
aux chalands de 70 centimètres, seulement sept mois de
Tannée à ceux de 1 mètre et de six à quatre mois de l'année
aux chalands calant davantage. La section du fleuve imioé-
diatement au-dessus, celle de Jebba, un peu au-dessous de
l'enclave d'Arenberg, vers le 9* degré un tiers, à Lokodja
n*est plus navigable toute Tannée, même aux plus petits
chalands ; elle Test, de mi-juillet à fin mai, aux pirogues
calant de 20 à 35 centimètres, c'est-à-dire tout à fait infimes,
de fin juillet au milieu d'avril aux chalands de 50 centimètres,
c'est-à-dire encore tout petits, et ce n'est plus que pendant
huit^ sept, six ou cinq mois qu elle Test aux chalands calanl
davantage. Là finit le bas Niger. On se heurte ensuite aux
chutes de Boussa, qui ne sont navigables que pendant sept
ou huit mois aux chalands calant jusqu'à 50 centimètres^
seulement six mois à ceux de 70 et jamais à ceux calant
davantage. Quant au Niger moyen, de Saï à Boussa, il est
navigable neuf mois aux pirogues calant 35 centimètres au
plus, six mois à six mois et demi à celles de 50 et 70 centi-
mètres et seulement cinq à six mois aux chalands exigeant
une plus forte profondeur. On rencontre ensuite, en remon-
tant, les rapides de Labezenga, qui sont navigables pendant
six à sept mois aux pirogues infimes ne calant pas plus de
(1) Librairie Hachette, Paris, 1903.
:ONCUBRE]NCB ENTRE LES VOIES DE L'OUEST ET LES VOIES DU NORD. 441
^5 centimètres et de six à quatre mois aux chalands calant
dO à 70 centimètres, un mois seulement à ceux de 1 mètre
et jamais à des embarcations plus fortes. Dans les trois biefs
supérieurs, ceux, en remontant le cours du fleuve, de
Ansongo-Kabara, puis Mopti-Koulikoro et enfin Bamako-
Siguiri, le cours du fleuve paraît mieux établi et la navigation
est assurée pendant quatre, cinq, huit ou dix mois respec-
tivement aux chalands calant 1",20, 1 mètre, 70 centimètres,
50 centimètres et aux pirogues de 20 à 35 centimètres ; mais,
môme pour ces dernières embarcations infimes, la navigation
ne peut pas s'effectuer absolument toute l'année (1). Il y a
toujours deux ou trois mois où elle doit être soit suspendue,
soit assujettie à des irrégularités.
Il résulte de ce résumé des observations du capitaine
Lenfant que, sauf le bas Niger, de Lokodja à Forcados et
peut-être de Jebba à Lokodja, ce grand fleuve ne peut se
prêter à une navigation économique; il ne pourra jamais,
dans sa partie supérieure du moins et sur toute l'étendue de
son cours, faire concurrence à un chemin de fer transsaharien ;
la navigation sera confinée, en quelque sorte, dans chacun
des biefs du Niger et y recueillera les marchandises pour les
mener à une voie ferrée aboutissant au même bief: autrement
les frais seront énormes. Le capitaine Lenfant l'a démontré
lui-même, puisque de l'embouchure du Niger les marchan-
dises qu'il a transportées à Saï n'ont pas coûté moins de
600 francs de frais de transport par tonne. Alors même qu'on
parviendrait, avec des travaux, à réduire graduellement ce
prix à 300 francs la tonne, la concurrence avec la voie ferrée
transsaharienne serait impossible, puisque nous avons vu
que, sur celle-ci, le tarif moyen du Soudan à la Méditerranée
serait de 60 à 75 francs la tonne et que, pour les marchan-
dises de peu de valeur, le tarif pourrait se réduire à 40 et
môme probablement à 30 francs la tonne.
Voulût-on faire au Niger des travaux analogues à ceux
|i) Capitaine Lenfant, Le Siger, appendice, tableau n» 2.
442 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES GBEUINS DE FER TRANSSâHARIE!^S.
que Ton a faits à la Seine et au Rhône, on ne parviendrait pas
à réduire au-dessous de 150 ou 100 francs la tonne le trans-
port à TAllantique des marchandises provenant d'au-dessas
de Saï et, pour obtenir ce chétif résultat, il faudrait une
dépense, peut-être d*un milliard, à coup sûr d'au moins cinq
cents millions, c*est-à-dire, au cas le plus favorable, à peu
près double de celle qu'exigerait la construction des deux
chemins de fer transsahariens du Niger et du Tchad. Étant
donné que le fleuve a quatre ou cinq fois Tétendue du Rhône
et de la Saône et sept à huit fois celle de la Seine^ sans
compter que son débit est beaucoup plus variable et incom*
parablement plus faible à Tétiage, une dépense de cinq cents
millions pour le rendre approximativement navigable toute
Tannée, serait certainement insuffisante.
Une réflexion du même genre s'applique aux voies mi-
partie ferrées, mi-partie fluviales, surtout quand il s'agit
de fleuves à débit aussi instable que ceux de TOuest africain :
ces voies mixtes ne peuvent servir que pour le transport de
marchandises relativement riches ; elles sont incapables de
desservir économiquement un trafic très volumineux et de
marchandises de peu de valeur. La voie mixte ferrée et flu-
viale du chemin de fer dit du Soudan, à savoir du Sénégal
au Niger, en fournit la preuve. On sait que le point d'attache
de cette ligne ferrée au Sénégal est Kayes, à 896 kilomètres
de Saint-Louis.
« Les chalands jaugeant quelques tonnes peuvent circuler
en toute saison jusqu'à Kayes » ; mais, ce ne sont pas ces
a chalands jaugeant quelques tonnes > qui peuvent faire un
transport économique. Les chalands ayant 50 centimètres de
tirant d'eau ne peuvent remonter jusqu'à Kayes que sept mois
de l'année, ceux de 1°,20 que quatre mois et demi; les em-
barcations calant 2 mètres n'y peuvent arriver que pendant
trois mois et demi et celles de 3 mètres que pendant trois mois;
c'est la condamnation de tout très grand trafic régulier. Si,
au lieu de Kayes, on prenait pour point d'attache de la ligoe
ferrée Bakel, situé à 123 kilomètres en aval, mais encore à
XCURRENCE ENTRE LES VOIES DE L'OUEST ET LES VOIES DU NORD. 445
3 kilomètres de Saint-Louis, on n*aurait que des condi-
>ns à peine meilleures. Il faudrait pousser la ligne ferrée
le actuellement du Soudan tout au moins jusqu'à Dioul-
^diabé, à 576 kilomètres en aval de Kayes, mais encore à
!0 kilomètres de Saint-Louis, pour avoir des conditions de
ivigabili lé franchement meilleures, quoique encore insufQ-
intes. L.es chalands de 50 centimètres peuvent, en effets
ioionler à Diouldédiabé toute Tannée, ceux de 1",20 pendant
euf mois et ceux de 2 mètres pendant huit mois; les navires
e3 et 5 mètres y peuvent accéder pendant cinq mois (1).
lela se prêterait, sans doute, à des transports, mais non à
►as prix; la voie mi-partie ferrée, mi-partie fluviale, rendrait
les services appréciables, mais insuffisants.
Le fâcheux état de la navigabilité, nous ne disons pas
ie la navigation, du Sénégal est constaté par tous les docu-
ments récents et toutes les études des hommes spéciaux; le
danger delà Qèvre jaune s'y joignant, ainsi que les fièvres
paludéennes endémiques, il en résulte que cette voie mi-flu-
^îale, mi-ferrée, pourra, sans doute, avoir une sérieuse utilité
locale, mais qu'elle ne pourra jamais servir de voie de péné-
tration efficace dans le Soudan de Ségou à Saï et à plus
forte raison à Test de Saï.
Le rapport fait à la fin de 1903, au nom de la commission
du budget de 1904, par M. Thierry, député (2), sur la voie
îerrée de Kayes au Niger, contient des constatations confir-
mant les observations qui précèdent :
« Cette voie ferrée, qui doit présenter un développement
total de 560 kilomètres entre Kayes et Koulikoro, point
situé sur le Niger, en aval des rapides de Bammako et en
lèle du bief de Bammako, a subi de nouveaux relards en
1900, y est-il dit, par suile de la fièvre Jaune au Sénégal et
(l) Voir une élude détaillée sur V Amélioration des voies navif/ables en
Afrique occidentale, Bulletin mensuel du Comité de l'Afrique française, livraison
de décembre 1903, page 378 et suivantes.
\î) Rapport fait au nom de la Commission du budget chargée d'examiner le
projet de loi portant fixation du budget général de Vexercice t904 (Ministère
uEs COLONIES. Chemin de fer de Kayes ai: Niger), par M. J. Thierry, député.
444 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHAEII£>%
au Soudan et par r absence de crue du fleuve Sénégal, Celh
dernière circonstance a empêché le transport à Kayes rfa
matériel expédié de France et qui est resté en dépôt à Sainl
Louis. On a dû, dès lors, renoncer à poursuivre la pose d
la voie concurremment avec Tavancement des travaux d'iol
frastructure, mais Ton a donné une impulsion plus vive ain
travaux de terrassements afin de compenser la perte dl
temps résultant du retard de la superstructure. Aa$\
espère-t-on^ si pendant la période de crue de 1903 les IranM
ports différés peuvent être effectués^ que le programme priJ
mitif pourra se réaliser avec un délai supplémentaire dJ
dépassant pas six mois. Dès lors, Tachèvemeat définitif dJ
chemin de fer jusqu'à Koulikoro et sa mise ea exploitation 1
auraient lieu dans le premier semestre de 1905. » |
On comprend combien précaire est une voie de cette na- |
ture. Le rapport fait au Sénat par M. Saint-Germain, sénateur |
d'Oran, sur la même œuvre, donne des détails encore plus
topiques sur les effets de la fièvre jaune et de rinsuffisancf
de crue du fleuve ; voici comment il s'exprime : « Les res-
sources mises à la disposition du chemin de fer par la loi du
4 mars 1902, et qui sont réalisées annuellement conformé-
ment aux prévisions budgétaires, seront très vraisemblable
ment suffisantes pour achever la construction jusqu'au ter-
minus de Koulikoro. Il ne pourrait y avoir insuffisance que
dans le cas où, contrairement aux prévisions de l'Adminis-
tration, le Conseil d'État trancherait en faveur des Sociétés
de transport un litige actuellement pendant. // s'agit, dans ce
litige, du matériel {environ 20000 tonnes), que ces Sociilés
auraient dû transporter^ en 190S^ Jusquà Kayes, mais
quelles ont laissé à Saint-Louis, en raison de linsuffisance
de crue du fleuve, » Et le rapporteur sénatorial revient à
plusieurs reprises sur ces deux obstacles : fièvre jaune e(
insuffisance de crue, à propos de l'avancement des travaux :
« D'après les derniers renseignements reçus, tout le maté-
riel nécessaire pour atteindre Bamako, sur le Niger, matériel
qui était resté en dépôt à Saint-Louis en 1902 par suite de
CONCURRENCE ENTRE LES VOIES DE L'OUEST ET LES VOIES DU NORD. 445
[insuffisance de crue du fleuve Sénégal^ est actuellement
à Kayes. La pose de la voie a recommencé le 1" octobre.
L impulsion communiquée aux chantiers permet de compter
sur une vitesse mensuelle d'avancement dans la pose de
12 kilomètres environ. La plate-forme a atteint Bamako. Il
ne reste plus que 40 kilomètres pour atteindre le ter-
minus de Koulikoro sur le bief navigable du Niger. On peut
compter que le rail sera à Bamako à la fin de 1904. Il attein-
dra Koulikoro dans le courant de 1905, sauf événemenl im-
prévu {fièvre jaune, insuffisance de crue). Grâce aux disposi-
tions prises par le directeur des chemins de fer et à
limpulsion imprimée aux chantiers, on aura regagné le
relard de la fièvre jaune et l'insuffisance de crue en 1902. »
Tous ceux qui s'intéressent à cette voie sont donc très
préoccupés de ces obstacles : le faible débit des eaux et les
graves maladies, notamment la fièvre jaune. Néanmoins,
cette voie ferrée, quoique exploitée seulement en 1902 sur
3.30 kilomètres environ, au lieu de 560 qui doivent la
constituer intégralement, donne déjà un trafic supérieur aux
prévisions ; pour le premier semestre de 1903, les recettes,
d après le rapport de M. Saint-Germain, se sont élevées à
295277 francs, soit 1440 francs environ par kilomètre, cor-
respondant à près de 3000 francs par an, et le rapporteur
sénatorial ajoute :
c Les prévisions budgétaires pour 1903 s'élevant à
801000 francs, on a donc réalisé pendant le premier semestre
1903 plus delà moitié de la fixation budgétaire, et, cepen-
dant, les conditions ont été défavorables, les négociants
n'ayant pu, par suite de Tinsuffisance de crue en 1902, re-
nouveler leurs approvisionnements, d*où est résultée une
pénurie de transports à la montée. Ces résultats provisoires
ne peuvent encore donner une idée du mouvement commer-
cial à prévoir, les courants de trafic ne pouvant s'établir que
lorsque la voie ferrée sera en exploitation jusqu'au Niger. »
Tout en tenant compte de ce que les transports destinés à la
construction de la voie ont contribué dans une certaine
446 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHASIDS.
mesure à ces recettes relativement satisfaisantes, on nepeoi
pas ne pas être frappé de ce que les recettes propres
au commerce, d*aprës les tableaux graphiques insérés dans
les rapports de MM. Saint-Germain et Thierry, sont dêj^
notables et en ascension continue. Le rapport de M. Thiern
est très net à ce sujet; voici comment il s^exprime: c Le5^^
cettes de l'exploitation de 1902 se sont élevées à 757433 fr .
supérieures de 106434 francs aux prévisions budgétaires qui
étaient de 651 000 francs. Cette augmentation a été due eu
grande partie à Taccroissement des. recettes commerciales
tant pour les voyageurs que pour les marchandises ; on peut
espérer qu*elle se reproduira dans les années suivantes et que
le chemin de fer de Kayes au Niger, une fois achevé, poorra
équilibrer ses recettes et dépenses. Cette perspective esl
une raison de plus pour presser Tachëvement de cette lign^
qui, après avoir passé par tant de tribulations, se préseoie
enfin comme voisine de son achèvement et, qui mieux est.
comme rémunératrice. »
Ainsi voilà une voie mi-partie fluviale, mi-partie ferrée.
certes dans des conditions peu favorables, qui va, néanmoins,
être rémunératrice^ c'est le mot dont se sert, et avec raison,
selon nous, le très compétent député de Marseille, rappor-
teur à la Chambre : c'est une preuve de l'importance des
ressources du Soudan, quoique cette voie ne ^atteignepa^
encore, quoiqu'elle n'en doive desservir qu'une région assci
limitée et quoique, enfin, les richesses du Soudan soient
actuellement, notamment en ce qui concerne les plantations
de coton, pour la plus grande partie indéveloppées (Voy.
plus haut, pages 365 à 368).
Celte voie mi-partie fluviale, mi-partie ferrée, alors même
qu'elle sera rémunératrice, comme tout le fait penser, ne
constituera jamais qu'un instrument grossier et insuffisant.
Une preuve nouvelle en est fournie par les péripéties du
voyage qu'effectue sur le Sénégal, au moment où nous
écrivons, le gouverneur général de l'Afrique occidentale,
M. Roume, avec un groupe d'ingénieurs, de fonctionnaires
CO.NCURRENCE ENTRE LES VOIES DE L'OUEST ET LES VOIES DU NORD. 447
et de publicistes; voici comment un de ces derniers, fort
connu par de nombreuses tournées, notamment au Tonkin
et sur tous les bords de TAfrique, Madagascar, Congo, ac-
tuellement Soudan, M. Pierre Mille, raconte dans le Temps
du 6 janvier 1904, un accident qui advint au navire le Bor-
gnis-Desbordes portant M. Roume et sa suite ; nous reprodui-
sons son récit en en élaguant les passages purement humo«
ristiques:
t II était six heures du matin. Le Borgnis-Desbordes
remontait assez vaillamment les eaux, fort calmes en appa-
rence, du fleuve Sénégal. Le Borgnis-Desbordes heurta
brusquement de sa quille contre le fond de la rivière, fit un
petit bond pour se dégager, n*y parvint point et enfin s'arrêta
sur un rocher, où il demeura parfaitement immobile, mais
penché mélancoliquement sur tribord, comme un bateau un
peu honteux. Il n*y avait pourtant pas de sa faute : les
navires calant plus de 1™,85 ne peuvent dépasser le seuil de
Mafou que durant trois mois de Tannée. Or, le bief de Mafou
n*est qu'à 316 kilomètres de Saint-Louis, et il s'en faut
encore de 250 kilomètres avant qu'on ait atteint Kayes (1),
point terminus du chemin de fer du Soudan. Et c'est à Kayes
qu'il faut arriver, car les rives du Sénégal ne fournissent
qu'un commerce insignifiant : il n'y a que le Soudan qui
rapporte. Conséquence : le chemin de fer de Kayes au Niger
ne servira que fort peu durant huit mois de l'année, car les
marchandises qu'il aura transportées jusqu'au Sénégal ne
pourront guère, pendant ces huit mois, naviguer sur le
fleuve qu'en chalands tirés à la cordelle. Il faut donc aviser.
Après examen, il a été décidé que couper le fleuve par des
barrages à écluses serait un travail gigantesque, infiniment
coûteux» et qui ne « paierait » pas. Le tonnage annuel de la
navigation ne justifie point de tels frais.
«... Reste donc à baliser le fleuve, tel qu'il est, à en établir,
|1) Il doit y avoir dans In récit du Temps une faute d'impression, car, d'après
l'élude précitée sur Yamélioration des voies navu/ables en Afrique occidentale
{Bulletin du Comité de l'Afrique française, décembre 1903, page 370), Mafou
est, non pas à 250 Itilomètres, mais à 571 kilomètres do Kayes.
448 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIENS.
sur la carte, le chenal navigable. C*esl une opération minu-
tieuse, que le lieutenant de vaisseau Mazeran espère avoir
terminée au mois de juillet prochain Mais il faut, de plus,
trouver un type d*embarcation à moteur mécanique sufli-
samment rapide, et d*un très faible tirant d*eau. Ce type
n*est pas encore fixé. Les « mono-roues » que radminislra-
tion a mis sur le fleuve, et qui, une fois chargés, enfoncent dans
Teau de plus d*un demi-mètre, ne peuvent remonter jusqu'à
Kayes dès que les eaux ont baissé. Tant bien que mal, sui-
vant la saison, ils arrivent jusqu'à Tamboukané, ou jusqu'à
Sébékou, ou jusqu'à Bakel, et finissent par s^arréler plus
bas encore. Quand ils s*ensablent, tout le monde, y compris
votre serviteur, se jette à l'eau et les pousse par derrière, par
devant, par tribord, par bâbord, jusqu'à ce que le bon petil
navire ait consenti enfin à céder à de si pressantes sollicita-
tions. Restons donc dans le domaine des possibilités écono-
miques : quel sera le prix de revient de la tonne, de Kayes à
Saint-Louis, sur des embarcations qui pourront, au maxi-
mum, transporter une trentaine de tonnes et devront payer
cependant leur amortissement, leur charbon ou leur pétrole,
leur assurance annuelle, leur patron et leur équipage? Ils
pourraient remorquer, il est vrai, deux petits chalands.
Pourtant, d'après un calcul, il en coûterait plus de 200 francs
pour traîner de la sorte 1 000 kilogrammes du point terminus
actuel du chemin de fer du Soudan jusqu'à Saint-Louis. Il
faut également considérer qu'au mois de mai, au barrage de
Tamboukané par exemple, il ne reste pas 10 centimètres
d'eau sur le seuil du fleuve. Mais entre ces barrages, il y a
des biefs profonds ; le travail d'aménagement d'un chenal
donnerait par conséquent des résultats utiles : on ne courrait
pas le risque de voir toute l'eau du bief supérieur dans celui
du dessous : ce qui contribuerait à transformer en opération
de dessèchement un travail ayant pour but le creusement
d'un canal navigable. L'hydraulique a de ces surprises. La
solution pratique consiste donc à découvrir un type de re-
morqueur à faible tirant d'eau, pouvant traîner après lui des
aPÉRIORITB DES TRANSSAHARIENS SUR LES VOIES CONCURRENTES. 449
halands portant au moins 150 tonnes. Si les conclusions
le Tétude à laquelle on se livre en ce moment sont néga-
ives, avant d'entreprendre la construction d'un nouveau
'.hemin de fer, se dirigeant à peu près directement de Kayes
I Dakar — 700 kilomètres, qui coûteraient 70 millions — on
Dourra peut-être, tout simplement, prolonger le chemin de
fer du Niger au Sénégal jusqu'à Bakel. »
Il est clair qu'un fret de 200 francs la tonne, ou même, en
admettant qu'on parvint à le réduire notablement, de
loO francs la tonne, auquel se joindraient les frais de la
navigation sur le Niger et du transit sur les 560 kilomètres
ferrés de Koulikoro à Kayes, tout en permettant d'exporter
une certaine quantité de marchandises soudanaises, resterait
encore bien excessif. Puis, même à ce prix, il ne pourrait pas
y avoir une navigation très active sur ce fleuve si peu fourni
d'eau ; il pourrait se prêter à un trafic de quelques dizaines
de mille tonnes, non de cent ou deux cent mille, à plus
forte raison d'un million de tonnes. Cette maigre voie serait
vite encombrée.
M. Pierre Mille signale aussi, en son style pittoresque,
Tautre grand obstacle des contrées ouest-africaines, et dont
le Sahara, ce qui constitue pour lui un avantage incom-
mensurable, est absolument exempt : la fièvre jaune et en
plus les fièvres pernicieuses : « Et puis, dit-il, la fièvre jaune
est venue, elle a passé sur le Sénégal sa faux et son balai.
Une partie des Européens est au cimetière, l'autre a fui.
Une nouvelle administration est arrivée, qui a trouvé table
rase, dans des bâtiments presque en ruines. Les tables rases
ont du bon. Les ruines aussi : on les abandonne! Mais il ne
faudrait cependant pas qu'après chaque épidémie l'Afrique
occidentale tout entière, dirigée du Sénégal, ressemblât à
un cataleptique qui, à chaque réveil, ne se rappellerait rien
de son existence antérieure. Avant toutes choses, peut-être,
il est nécessaire de résoudre ce problème : rendre l'Afrique
habitable aux blancs. Après quoi il faudra s'occuper de la
peupler de noirs. Ce n'est peut-être pas aussi commode qu'où
29
450 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIE^E.
le croit. Il meurt au moins autant de petits nègres que de
petits Chinois, bien qu'on ne les abandonne point au boni
des fleuves. C'est la faute de leur père, de leur mère et di
pays, qui ne sont pas sains, les uns ni Tautre. Et quant ac
pays, la fièvre paludéenne s'y promène sur les ailes des
moustiques. On se figure qu'elle ne frappe que les Euro-
péens : c'est une erreur. Elle fait mourir aussi un nombre
incalculable de petits nourrissons noirs ; et si ceux qui sur
vivent n'ont plus la fièvre, c'est qu'ils sont vaccinés, ou i
peu près. C'est même, la plupart du temps, chez les noirs
impaludés que les moustiques vont chercher Thémaiozoaire
de la fièvre, qu'ils vont ensuite inoculer aux blancs. Ainsi
du moins le proclame la science (1)- »
Au lieu de dépenser des sommes très considérables à
l'aménagement du Sénégal, il serait plus simple et plus pro-
fitable d'exécuter un chemin de fer reliant Kayes, point de
départ de la ligne dite du Soudan, à un point de la iigfle
actuelle de Dakar à Saint-Louis ; ce seraient 650 à 700 kilo-
mètres environ à construire qui ne devraient pas coûter plos
de 35 à 40 millions de francs (2) ; vraisemblablement, ao
bout de quelque temps d'exploitation, cette ligne deviendrait
rémunératrice, comme l'est actuellement la ligne de Saint-
Louis à Dakar (3). Le chemin de fer du Soudan de Kouli-
koro sur le Niger à Dakar aurait ainsi environ 1 300 kilo-
mètres, soit 560 kilomètres de Koulikoro sur le Niger à
Kayes, 650 à 700 kilomètres approximativement de Kayes à
un point de la ligne Dakar^Saint-Louis et 50 à 60 kilomètres
sur cette dernière ligne. Cette ligne ferrée rendrait de gi^d^
services ; elle pourrait recueillir le trafic des biefs supè-
(1) Le Temps du 6 janvier 1904, 2* page, 4® et o« colonnes.
(2) M. lierre Mille dit plus haut cent millions, mais Texpérience des derni'>
chemins de fer africains prouve que l'on ne devrait pas dépasser 53 Ou>i ^
60000 francs par kilomètre.
(3) La ligne de Dakar-Saint-Louis, après quelques années de médiocre pro-
ductivité, est devenue très rémunératrice depuis 1901. La Compagnie pt^ul ^^
seulement se passer de la garantie de TEtat, mais même offèctuer à celui<oi àr^
remboursements, tout en portant de 30 francs à. 38 francs le dividende par&ctioa
de 500 francs pour chacun des exercices 1901, 1902 et 1903.
UPâRIORITÉ DBS TRANSSAHARIENS SUR LBS VOIES CONCURRENTES. 451
leurs du Niger, à savoir de Siguiri-Bamakou et une partie
le celui de Koulikoro-Mopti, point situé à moitié chemin
tntre Bamakou et Kabara» port de Tombouctou. Il est,
outefois, certain que tout le trafic du Niger moyen de
ilopti, probablement même de Ségou à Say, sur une lon-
gueur de fleuve de 800 à 1 000 kilomètres, comprenant la
sphère la plus propre aux cultures, prendrait le Transsaharien
3ccideQtal, du coude du Niger à Oran, quand celui-ci serait
exécuté. Ce transsaharien occidental n'aurait, en effet, que
I 000 kilomètres environ de plus que la voie ferrée Koulikoro-
Kayes-Dakar; il aboutirait en pleine Méditerranée, et la
navigation fluviale serait beaucoup moins longue et moins
coûteuse pour aller chercher la gare terminus de ce trans-
saharien occidental que pour remonter à Koulikoro.
Il n'en résulte pas que le chemin de fer dit actuellement
du Soudan n*aura pas une sérieuse utilité. Il suppléera par-
tiellement, quoique très insuffisamment, au Transsaharien
occidental, tant que celui-ci ne sera pas construit. D'autre
part, il captera une partie du trafic des biefs supérieurs du
Niger, surtout de celui de Koulikoro à Ségou, sinon à Mopti,
et une partie du traflc du bief de Siguiri-Bamakou, quoiqu'il
soit possible qu'une fraction de ce dernier trafic aille à la
Ugne ferrée de Konakri (Guinée) à Kouroussa (sur le haut
Niger) par le Fouta Djallon, qui sera beaucoup plus courte,
ne devant avoir que 650 à 700 kilomètres, contre 1 300 environ
de la ligne du Sénégal-Soudan ; cette dernière ligne contri-
buera encore par surcroît, et ce ne sera pas le moindre de
ses services, à mettre en valeur le Sénégal. L'extension des
cultures, le long de la ligne Dakar-Saint-Louis, et la grande
productivité actuelle de cette voie ferrée sont pleines de
promesses pour ses prolongements.
Toutes ces lignes ferrées seront utiles et ne se feront au-
cunement une concurrence préjudiciable. La division du cours
du Niger parles rapides en un certain nombre de biefs fera en
quelque sorte une répartition naturelle du trafic entre elles.
Aucune d'elles, toutefois, ne pourra remplacer le Transsa-
452 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSARARIL^S.
harien, ni atteindre, même de loin, à son importance. Les
chemins de fer transsahariens seront, entre tous les autres
chemins de fer de l'Afrique d'au-dessus de Téquateur, les
grandes lignes dominatrices.
Nous devons mentionner, avec les plus vifs éloges, îâ
prouesse que vient d'accomplir (fin de 1903) le capilain'^
Lenfant en gagnant, au moment des inondations, le Charipar
la Bénoué et en démontrant que, quelques semaines ou quel-
ques mois par an, la zone entre les deux fleuves est en grandt
partie submergée. C'est là une précieuse contribution géo-
graphique qui pourra avoir des conséquences heureuses a^.
point de vue cultural. Mais il est évident que ce ne sont p»as
des pirogues de 20 ou 30 centimètres de tirant d*eau ol
même des chalands de 50 centimètres, ne pouvant servir.
d'ailleurs, que quelques semaines par an et interrompues par
un portage, qui pourront transporter à bas prix de grande^
quantités de marchandises.
Il est utile de reproduire le résumé même, sinon officiel,
du moins officieux, du rapport de la belle exploration faite
par le capitaine Lenfant pour démontrer que la voie nou-
velle, intéressante, sans doute, et qui pourra être éventuel-
lement utile pour d'autres objets, ne peut aucunement
constituer la route habituelle et normale pour les relaUoiis
économiques entre l'Europe et la contrée du Tchad.
Voici en quels termes le Bullelin du Comité de rAfriqat
française rend compte des résultats de l'exploration Lenfant;
il s'agit d'une correspondance provenant de la Mission :
« C'en est fait. Nous venons de constater que le Tchad
communique bien avec l'Océan, et le Benoît-Garnier^ notre
bateau, flotte actuellement sur le Ghari. Certes, un naviga-
teur du Logone peut passer bien souvent devant la plaine
marécageuse, suivie d'une mare par laquelle nous avons
débouché dans cette rivière, sans se douter que c'est là la
vraie, la meilleure porte d'entrée pour s'en aller du Logone
à la Bénoué et à l'Atlantique; et c'est ce qui explique sans
doute que les officiers et les explorateurs circulant dans ces
PÉRIORITÊ DBS TRANSSAHARIENS SUR LES VOIES CONCURRENTES. 453
ira^es ne liaient pas découverte plus tôt. Mais nous, qui
unions en sens inverse, nous ne pouvions la manquer.
« Vous connaissez les grands traits de notre route : Niger,
énoué, Mayo-Kabi, Toubouri, communication entre Tou-
ouri et le Logone, Logone, Chari. En voici les détails tels
ue nous les avons reconnus :
« Le Mayo-Kabi circule dans une plaine bordée de hauteurs
niformes d'une altitude moyenne de 110 à 115 mètres. Cet
spect, quand on remonte la rivière, dure jusqu'au village de
^ala, à 80 kilomètres de Léré (les indications des cartes
lans cette région sont sans valeur). De Lata, il faut faire
ine vin^aine de kilomètres pour gagner le Toubouri. Ces
^mgt kilomètres ont été la partie pénible de notre voyage.
Le Toubouri est à 110 mètres d'altitude au-dessus du Kabi.
La rivière sortant du Toubouri s'engage dans les gorges
semées de rapides, puis, près de Lata, elle tombe brusque-
ment par trois cascades successives formant un gigantesque
escalier dont le spectacle est terrifiant et inoubliable. La cas-
cade supérieure a une dizaine de mètres de hauteur, celle du
milieu une douzaine de mètres et la cascade inférieure 50 à
60 mètres. De Lata à Gourounsi, il ne peut donc pas être
question de navigation. Il y a une journée de portage. Nous
avons dû démonter le Benott-Garnier pour le transporter au-
dessus delà cataracte....
« A partir de Gourounsi commence le Toubouri, et a recom-
mencé notre navigation. Le Toubouri est un marais large et
profond dont les rives ont à peine 5 mètres de hauteur et
qui a 100 kilomètres de long. Il présente une série de mares
et de plaines herbeuses qui constitueraient des rizières splen-
dides entre les mains des Peuhls.
« La communication entre le Toubouri et le Logone est
une dépression de terrain de 2 à 3 kilomètres de large et
dune vingtaine de kilomètres de long ressemblante un parc
étroit avec des pelouses, des arbres et des villages. Du côté
gauche (en montant) existe une rivière mal tracée à travers
désherbes assez espacées, et reliant des étangs et des trous
454 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSARAaiE.NS.
d*eau. A notre passage, la crue était à sa fin- A en juger par
les pailles laissées dans les arbustes, elle a dû être celle
année de 1 m. 38. Elle est à son maximum du 15 août au
i "' octobre ordinairement, c'est-à-dire pendant six semaines.
Durant cette période des vapeurs calant trois pieds d'eau y
circuleraient à Taise. Et du 20 juillet au 25 octobre, la navi-
gation y est possible pour des chalands calant deux pieds.
« En résumé, la route que nous avons explorée se présente
dans les conditions de viabilité suivantes : de Bordeaux à
Garoua, quarante-cinq jours en bateau à vapeur. De Garoua
à Lata, six jours, avec des bateaux calant trois pieds et longs
de 30 mètres. De Lata à Gourounsi pour passer du Mayo-
Kabi au Toubouri, un jour de portage. De Gourounsi au
Tchad, neuf à dix jours de chaland. Ajoutez huit à dix jours
pour les arrêts en route, et vous verrez que par cette route
on peut aller de Bordeaux au Tchad en soixante-dix jours
au lieu de cinq mois qu'on met par le Congo. Le prix de
transport de la tonne ne paraît pas devoir revenir à plus de
500 francs avec 1 à 2 p. 100 de déchet, au lieu de 2000 francs
et de 50 à 60 p. 100 de déchet par la voie du Congo (1).
Ainsi, il y a d'abord une interruption de navigation et un
portage durant une trentaine de kilomètres ; en admettant
que ce portage soit remplacé ultérieurement par une voie
ferrée, il n'en résultera pas moins la nécessité de deux trans-
bordements, au commencement et à la fin de celte voie ferrée.
En second lieu, les vapeurs de trois pieds d'eau, ce qui est
assez modeste, ne peuvent naviguer qu'au maximum de crue,
c'est-à-dire pendant six semaines par an, du 15 août au
P' octobre. En troisième lieu, les chalands calant 2 pieds,
c'est-à-dire des embarcations très modiques, ne pourront
circuler que pendant trois mois et cinq jours. En dernier
lieu, sur celte route qui ne pourra servir qu'un tiers de
l'année, le prix de transport est évalué à 500 francs la tonne,
ce qui ne peut être supporté que par des marchandises d'une
haute valeur.
(1) Bulletin du Comité de VAfrique française, mars 1904, p. 21.
IPÉRIORITÉ DES TRÂNSSAHARIENS SUR LES VOIES CONCURRENTES. 455
Il ressort manifestement de ces conditions que la voie
écouverle par le capitaine Lenfant ne peut aucunement
ssurer le développement économique de la région du Tchad.
Il faut une voie ouverte toute Tannée» jamais interrompue,
l'exig^eant qu'une ou, au maximum, deux semaines et sur-
out abaissant le prix de transport non pas à 500 francs la
onne, non pas à 300 ou 200 même, mais, au très grand
naxînium, à 100 francs et pour les marchandises les plus
communes à 60 ou 70 francs, sinon à 50 ou à 40, parfois
même un peu au-dessous.
La voie du nord seule peut remplir ces conditions. Aussi
TÂfrique intérieure est indéveloppable, tant que Ton n*aura
pas rétabli les courants du trafic dans leur sens historique,
en profitant des découvertes de la science moderne, c'est-à-
dire en construisant les chemins de fer transsahariens.
CHAPITRE V
De la construction et de l'exploitation des chemins de fer
TRANSSAHARIENS. — ÉtAT OU COMPAGNIES PRIVÉES ?
Conclusion.
La construction et Texploitation des chemins de fer transsahariens doit être
confiée à des compagnies privées.
Deux déplorables exemples de la construction par TÉtat français : le chemin de
fer du Soudan (liaison du Sénégal et du Niger), long de 560 kilomètres, a été
construit par l'Etat en vingt-trois ans, avec un prix triple ou quadruple de ce
qui eût été nécessaire; la petite ligne de 118 kilomètres d'AIn-Sefra àDuvev-
rier, dans le Sud-Oranais, a pris neuf ans pour sa construction par TÉtat.
La continuation de cette ligne d'une extrême importance économique et straté-
gique subit les mêmes lenteurs. — Gaspillages parlemcntairement constaté!,
même l'intérêt militaire le plus évident ne fait pas départir TÉtat de ces len-
teurs. — Trois causes de ces irrémédiables lenteurs de l'État. — Questions de
trésorerie qui rendent très difficile la construction par l'État français de
lignes étendues.
La construction par l'État russe du Transcaspien et du Transsibérien ne saurait
servir d'argument en faveur de la construction par l'État. — Il est reconnu
aujourd'hui (^ue.^si méritoire qu'ait été la construction de ces deux grandes
œuvres de l'Etat moscovite, elles sont entachées de beaucoup de lacunes, dr
défauts et de prodigalités.
Les tracés des Transsahariens. — Prétention de dévier au sud du Maroc et ver>
l'Atlantique les lignes sud-oranaises. — Grands inconvénients de cette déviation.
Frais énormes et soucis que cause l'absence des Transsahariens. — Impossibilit'.
sans eux, de constituer l'empire français africain. — Conclusion.
La construction des chemins de fer transsahariens devra
être confiée à des compagnies privées. Ce serait la vouer à
une durée indéfinie et en ajourner, par conséquent, indéfi-
niment l'usage, que de la confier à TÉtat. L'incapacité de
rÉtat français pour la construction de grands chemins de
fer coloniaux est amplement prouvée, théoriquement et pra-
tiquement. Au point de vue pratique, on en a deux lamen-
tables exemples : d'un côté le chemin de fer dit du Soudan,
ligne de jonction du Sénégal au Niger; de l'autre côté, le
chemin de fer sud-oranais d'Aïn-Sefra à Béni-Ounif.
CONSTRUCTION PAR VÈTkT OU PAR DES COMPAGNIES. 457
Ces deux œuvres exécutées par TÉtat méritent d'être lé-
gendaires, tellement Teffroyable lenteur de leur construction
dépasse tout ce qu*on pouvait imaginer. C'est en 1882 qu'a
été commencé le chemin de fer dit du Soudan, de Kayes à
Bamakou sur le Niger, devant être prolongé d'une cinquan-
taine de kilomètres jusqu'à Koulikoro pour tourner des
rapides et aboutir à un autre bief du fleuve. Or, de Kayes à
Bamakou la distance est seulement de 516 kilomètres; on
n'a réussi à construire en moyenne que 17 à 18 kilomètres
par an : la ligne, longue jusqu'à son point terminus de
560 kilomètres environ, ne sera achevée qu'en 1905, vingt-
trois ans après qu'on l'a commencée : on n'a guère fait plus
d'une vingtaine de kilomètres par an en moyenne. Les tra-
vaux se sont ressentis de cette prodigieuse lenteur : le capital
engagé dans la période des débuts est resté vingt ans et
plus improductif, le chemin de fer ne devant avoir une utilité
considérable qu'après l'achèvement de la jonction des
deux fleuves, Sénégal et Niger. Outre la charge résultant de
la prolongation de la période d'improductivité, il faut tenir
compte de ce que l'interruption fréquente des travaux ou
leur ralentissement, dans cette contrée tropicale, a amené
une bien plus grande usure du matériel et également des
éboulements de remblais et des surcroîts de dépenses de
toute espèce. La ligne a ainsi coûté trois fois au moins plus
cher qu'elle n'eût dû; si les travaux en eussent été confiés
dès 1882 à une compagnie privée, on eût pu, avec la même
dépense, construire, en moitié moins de temps, c'est-à-dire
en une douzaine d'années, non seulement les 560 kilomètres
environ de Kayes à Koulikoro, mais en plus les 650 à 700 kilo-
mètres environ de la jonction de la ligne Dakar-Saint-Louis
avec celle de Kayes-Niger. L'Ouest africain français eût été
ainsi doté, dix à douze ans plus tôt et sans plus de dépenses,
d'une ligne plus que double en étendue et constituant un
excellent instrument politique, administratif et économique.
La même incapacité radicale et incurable de l'État
français comme constructeur de lignes ferrées s'est révélée,
458 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DB FER TRANSSAHARIENS.
d'une façon tout aussi accentuée et condamnable, dans le
Sud-Oranais. La compagnie Franco-Algérienne, aujourd'hui
en liquidation, quoique de médiocre importance et jouissant
de peu de prospérité, avait construit très rapidement et
économiquement pour le temps, le chemin de fer dit da
Kreider au sud de Kralfalla jusqu'à Méchéria ; celte ligne
avait 138 kilomètres; en 1887 elle construisit, aussi avec
une relative rapidité, les 102 kilomètres de Méchéria à Aîn-
Sefra, prolongement des lignes précédentes. D'autre part,
l'État s'étant chargé de la construction du prolongement de
ces lignes, commença en 1892 la petite ligne de 84 kilomètres
d'Aïn-Sefra à Djenien-bou-Resq et il ne parvint à la livrer à la
circulation qu'en 1901 avec le prolongement de 34 kilo-
mètres de Djenien-bou-Resq à Duveyrier, soit 1 18 kilomètres
construits par l'État en neuf ans, à raison de moins de
20 kilomètres par an. La suite de cette ligne de pénétration
désertique, d'une suprême importance stratégique et poli-
tique, en attendant que, par une plus grande longueur, elle
puisse avoir une importance économique, s'effectue, par les
soins de l'État, avec la même lenteur. Au moment où nous
revoyons ces hgnes (juillet 1904), l'État n'a livré à la circu-
lation, depuis 1901, qu'un nouveau tronçon insignifiant de
28 kilomètres de Djenien-bou-Resq à Beni-Ounif, en face de
Figuig. Il lui reste encore 200 à 250 kilomètres à construire
pour arriver à Igli, point capital pour la sécurité de nos pos-
sessions algériennes, encore à 500 kilomètres environ de nos
oasis du Touat. Cette première étape nécessaire de 200 à
250 kilomètres jusqu'à Igli, l'État, s'il ne modifie pas sa
méthode, mettra une dizaine d'années ou tout au moins une
demi-douzaine à l'accomplir. Un député rapporteur sur l'Al-
gérie à la Chambre, M. Darquet, dans son rapport au nom
de la Commission du budget en 1903, constatait, après Tavoir
vu de ses yeux, que le matériel de construction se détériorait
inutile, que les remblais inachevés se défaisaient et que des
sommes importantes étaient ainsi perdues. Le Bulletin da
Comité de l'Afrique française constate d'autre part, pour 1904,
CONSTRUCTION PAR L'ÉTAT OU PAR DES COMPAGNIES. 459
que les travaux sont quasi arrêtés, en ce quiconcerne un
nouveau tronçon long de 60 kilomètres entre Beni-Ounif et
Ben-Zireg, quoique la dépense soit très faible, en tout
•2280000 francs ou seulement 38000 francs par kilomètre, et
que d*autre part la majeure partie du matériel de la voie et du
matériel accessoire nécessaire à la superstructure (56 kilomè-
tres sur 60) soit déjà en dépôt à Duveyrier (1). Ainsi, dans les
mains de TËtat, les travaux ne se font pas ou traînent indéfi-
niment ; ces prodigieux retards se produisent même quand
Turgence de l'exécution est la plus manifeste. Personne
n'ignore les combats désastreux pour nous qui ont eu lieu dans
Tété et l'automne 1903, sur ou près le prolongement projeté
de cette ligne sud-oranaise, à El-Moungar et Taghit. La voie
ferrée nous les eût épargnés en nous dispensant de longs et
coûteux convois, prêtant à des surprises. Elle économiserait
beaucoup plus que l'intérêt de son coût et le montanl de ses
frais d'exploitation sur nos dépenses d'occupation de ces
il) Voici le passage du Bulletin du Comité de V Afrique française {livraison
<ie décembre 1!M)3, page 381) relatif à ce tronçon :
« La voib fkbkée. — Le gouverneur général a réussi à obtenir du Parlement
les crédits nécessaires pour le prolongement du chemin de fer. Dans les crédits
supplémentaires demandés pour 1903 (Chambre des députés, n» 1258), le cha-
pitre 69 (Etudes et travaux du chemin de fer d'Aïn-Sefra vers Igli) est inscrit
pour 2 400 000 francs.
« Sur cette somme 1400000 francs s'appliquent à la ligne jusqu'à Beni-Ounif
I parachèvement et matériel roulant), et un million au tronçon de Beni-Ounif à
Ben-Zireg. Ce dernier tronçon aura 60 kilomètres et la dépense totale est éva-
luée à 2 millions 280000 francs; il traversera un pays à peu près plat et n'exi-
gera pas d'ouvrages d'art importants. La majeure partie du matériel de la voie
tît du matériel accessoire nécessaire à la superstructure (30 kilomètres sur 60)
^st déjà en dépôt à Duveyrier. Les dépenses prévues se répartissent ainsi :
infrastructure. 900000 francs; superstructure, 361960 francs; bâtiments (gares
de Ben-Zireg etdeBen-Yala ou Bou-Aïch, maisons de garde), 300 000 francs ; maté-
riel roulant, 480 000 francs; imprévus, frais, études, etc., 238 040 francs. D'autre
part, le chapitre 71 du budget du ministère des travaux publics (Etudes et tra-
vaux du chemin de fer d'Aïn-Sefra vers Igli) a été voté pour le budget de 1904
a 200000 francs. Ce chiCfre est fatalement condamné à un crédit supplémen-
taire, car dans le rapport de M. Bourrât sur les garanties d'intérêt {Documents
parlementaires, n» 1214, p. 243), nous lisons avec quelque surprise que, dans
une note remise par le ministre des travaux publics, il est dit que « aucun
travail ne sera entrepris en 1904 sur cette ligne, dont le point terminus est
actuellement fixé à Beni-Ounif ». Il est vrai que cette note est du 25 juillet.
Mais le chiffre inscrit et voté au budget de 1904 n'en est pas moins de 200 000 fr.
seulement.
« Ajoutons que le général Lyautey vient de procéder, au début de décembre,
à une inspection des postes de laZousfana et du Béchar. »
4(^0 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRAlCSSAfiAB1E5i
contrées désertiques (1); elle aurait, par surcroît, use
(1) Nous extrayons d'un article, publié anonymement, dans la Revne dePs-t \
du l«f janvier 1904, sur le « Combat d'El-Moungar », et dû manifestement a e-*
homme pratiquement très au courant de ces régions, les détails qui suiwnl, U^
quels montrent l'énormité et suggèrent le coût excessif des convois de rantaile-
ment en l'absence de voies ferrées. Il s*agit du convoi dont la principak se -
tion fut surprise et en grande partie détruite à til-Moungar le 2 septembre 1*»^
par 200 Bérabers :
« Le convoi du commandant Bichemin comprenait 900 chameaux seulement
marchaient, en outre, avec lui, 130 chameaux environ appartenant k des parti-
culiers; au total, 1050 chameaux : chiffre relativement peu élevé, encoffi?*
raison des milliers d'animaux qu'on avait été habitué k voir dans le Sad-^^ri
nais, à la suite des colonnes expéditionnaires opérant dans ces régions dep«.-
plusieurs années. En récapitulant les effectifs indiqués ci-dessus, le convoi avii:
pour escorte, à partir d'El-Moungar, par ordre du général de division :
« t compagnies de tirailleurs algériens 330 fusils.
« 1 compagnie et demie de la légion montée à mu-
lets 350 —
« 4 pelotons de spahis algériens 90 carabineii.
« 50 isolés en détachement de relève destinés aux
postes du sud, au total près de 850 fusils.
« Non compris les mokazénis, c'est-à-dire bien près d'un fusil par chameau.
Tout ce monde boit, mange en route, et l'exagération même des eff^ectifs <ît-
vait conduire k l'éparpillement. Il y avait, en outre, plus de 100 chevaux et
180 mulets, cela boit ferme. Cette agglomération de forces autour d'un au>^î
faible convoi, le grand nombre d'hommes, de chevaux et de mulets qu'il faUai!
abreuver chaque jour, le faible débit des deux seuls puits existant entre El-
Morra et Taghit, sur un parcours de 62 kilomètres, tout cela allait impo^^r
le fractionnement du convoi. » Ainsi plus de 1 330 chameaux, chevaux et mukh
et 830 fusils ou carabines pour un a faible convoi » ; « chiffre relativement F«
élevé en comparaison des milliers d'animaux qu'on avait été habitué à voir
dans le Sud-Oranais à la suite des colonnes expéditionnaires opérant dans^ oe*
régions depuis plusieurs années » ; voilà la méthode absolument grotesque et
inqualifiable que suit la BYance au début du xx* siècle, ne sachant user ni de 1»
voie ferrée, ni du télégraphe avec ou sans fils, et accumulant ainsi les pertes et
les dépenses, celles-ci bien au delà de ce qu'eût coûté l'établissement de celle
installation moderne essentielle : le chemin de fer.
« Nous avions, cette fois, dit l'auteur auquel nous empruntons ces renseigne-
ments, 36 morts, dont 2 officiers, les seuls présents à l'affaire... et 48 blessée
31 hommes seulement étaient indemnes. Parmi les animaux, un cheval tué:
un cheval blessé ; les autres s'étaient échappés ; 23 mulets tués, un blessé et 3»
enlevés par l'ennemi ; 82 chameaux tués, le reste du convoi enlevé ou disparu ;
25 fusils 1886 pris par J'ennemi, qui feront d'autres victimes dans nos rangs
à une prochaine occasion, et 4 800 cartouches enlevées, tel était le bilan de
cette funeste journée. » « Et encore se trouvait-il que l'effectif des assaillant,
de 180 à 200 au plus, était à peine supérieur au peloton attaqué. » Voy. h
Revue de Pans du !«•• janvier 1904, pages 89, 90, 100 et 104.
Douze jours auparavant, le 20 août 1903, nous avions eu un combat sanglant
du môme genre, à Taghit, à une quarantaine de kilomètres au sud d'El-
Moungar. Et les combats sont continuels dans cette région. Dans un autre. \^
3 mars 1901, à El-Hamira, toujours contre un parti de Bérabers, nous eûmt^>
2;) tués, dont 2 officiers, et 49 blessés, dont 3 officiers {Revue de Pans, Ibil,
p. 104). Et tout cela coûte énormément cher : « en ce qui concerne les force»
indigènes auxiliaires (goums et maghzens), quand l'un d'eux est tué, il faut
payer 1 000 francs à la famille ; on paie 300 francs pour les blessés » {Ibid., p. 1(H»
CONSTRUCTION PAR L'ÉTAT OU PAR DES COMPAGNIES. 461
assez grande utilité économique. Et cependant, elle ne se
fait qu'à pas de tortue et, faute d'elle, on gaspille non seule-
ment des centaines de mille francs, mais des millions
chaque année.
Le secret de ces lenteurs de TÉtat est triple : d'un côté, le
désaccord entre différentes administrations ressortissant de
différents ministères, telles que les administrations rivales
des ponts et chaussées et du génie ; d'un autre côté, les très
minutieuses formalités de comptabilité et autres, l'impossibi-
lité de reporter purement et simplement un crédit d'un exer-
cice sur un autre ou de le virer d'un chapitre sur un chapitre
voisin; en troisième lieu, l'hésitation, très naturelle, qu'é-
prouve l'État à emprunter des sommes d'une moyenne
importance, de peur que ces emprunts ne soient mal inter-
prétés ou qu'ils ne pèsent sur les cours de ses rentes ou de
ses autres effets publics. La trésorerie de l'État français ne
se prête pas à l'emploi de capitaux modiques; elle ne sait
comment se les procurer et n'use que des ressources exiguë?,
toujours discutées et précaires, du budget, sans savoir les
escompter ; ce dernier défaut est un obstacle insurmontable
à toute grande œuvre.
En escomptant un crédit permanent de 1 million de francs,
au lieu des 2400000 francs dont parle le Bulletin du Comité
de rAfrique française dans le passage cité plus haut, une
compagnie privée se fût assuré 25 à 28 millions de francs, de
quoi construire 500 à 560 kilomètres de voie ferrée, au prix
aujourd'hui bien établi de 50000 francs par kilomètre ; elle
el 107»; et telle est la prodigieuse routine française, que toutes ces pertes et ces
échecs ne nous amènent pas à pousser un peu vigoureusement le chemin de
fer, comme le feraient les Anglais et les Russes.
A un autre point de vue, l'étude de la Revue de Paris confirme tout ce que
nous avons dit du désert; elle y constate de la végétation, même au mois
d'août. Les chameaux « marchent isolément sous la conduite de leurs guides
accoutumés, broutaillant dc-ci de-là les maigres touffes des arbustes desséchés
de la vallée. Quand on s'arrête, le même souci des animaux fait choisir un bon
fond à proximité de quehiuc pâturage saharien... Les hommes vont ramasser
des broussailles pour faire le café ; ils recherchent quelques touffes d'herbes à
donner aux mulets... L'ennemi se sert comme couvert des nombreuses touffes
qui parsèment le sol. «Tout celafm août et les 1" et 2 septembre [Ibid., pages 94.
9oell01).
462 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIENS.
eût ainsi mené, en deux ans probablement, le chemin de fer
sud-oranais bien au delà d*Igli et très près des premières
oasis du Touat. Il est incontestable que TÉtat y eût consi-
rablement gagné, d*abord par la sécurité de toute cette région,
ensuite par Téconomie des convois et des frais d'occupation
et d'administration. Mais les règles et la comptabilité de
l'État français ne se prêtent pas à l'escompte d'un crédit
permanent ; de là son infirmité irrémédiable pour un grand
travail public.
L'exemple souvent invoqué de TÉtat russe, pour les
chemins de fer transcaspien et transsibérien, qu'il a con-
struits lui-même, est loin d'être décisif. Tout en applaudis-
sant à l'énergie du gouvernement russe qui a poussé ces
travaux avec une très grande rapidité, on reproche à ces
voies d'avoir été trop coûteuses et de présenter certaines
lacunes et certains défauts qu'une administration privée eût
sans doute évités (1).
C'est donc à des compagnies privées qu'il faut confier
l'exécution des chemins de fer transsahariens, tout en les
contrôlant pour que l'entreprise ne soit pas coûteuse et se
trouve bien établie. Des compagnies de ce genre pourraient
faire en cinq ou six ans et en sept ou huit ans respectivement
les 1 700 et les 2700 kilomètres du tracé occidental (Algérie-
Niger) et du tracé oriental ou plutôt central (Algérie-
Tchad).
Nous sommes naturellement amené à examiner les
questions de tracés concernant les chemins de fer transsa-
hariens. Il s'est produit, à ce sujet, beaucoup de rivalités :
chaque province algérienne, puis aujourd'hui la Tunisie,
prétend avoir chez elle le point de départ de la ligne. Ces
compétitions n'ont pas été pour peu de chose dans le retard
apporté à l'exécution de l'œuvre. La solution, cependant»
est facile à trouver et elle s'impose très nettement. II y
aura certainement et il doit y avoir plusieurs chemins de fer
(1) Voy. l'ouvrage de M. Pierre Leroy-Beaulieu, la Rénovation de VAsk,
Sibérie, Chine, Japon, 4«édit., Paris 1904, pages 121 à 136.
CONCLUSION. 46$
transsahariens : deux notamment, tous deux utiles et pro-
ductifs, quoique de valeur inégale.
N'oublions pas d'abord qu'un chemin de fer transsaharien
ne doit pas être une œuvre algérienne, ni une œuvre tuni-
sienne ; c'est, dans toute la force de l'expression anglo-
saxonne, une œuvre impériale. Les voies ferrées à construire
à travers et au delà du désert doivent être, en {)remier lieu,
des instruments politiques et stratégiques, reliant les trois
tronçons de notre futur empire africain, qui n'existe encore
qu'en embryon informe et dispersé : ces voies doivent cons-
tituer définitivement cet Empire, nous permettre notamment
d'établir efflcacement notre souveraineté sur le Ouadaï, le
Barghirmi, c est-à-dire qu'il est indispensable que la voie
principale se rapproche le plus possible de ces contrées encore
insoumises et formant, avec nos postes de l'Oubanghi, l'ex-
trême Est de notre domaine de l'Afrique centrale. Ainsi, les
environs du Tchad, un point qui ne saurait être plus éloigné
à Vouest que Zinder et qui devra peulrêtre se trouver plus
rapproché du grand lac africain, voilà le point d'aboutisse-
ment nécessaire du premier Transsaharien, celui auquel nous
pouvons donner le nom de Grand Central Africain ; de même
que sa primauté politique et stratégique est incontestable, de
même aussi sa primauté économique.
Le second Transsaharien, celui de l'Ouest ou de TAlgérie-
Niger, a aussi une incontestable utilité : il mérite d'être
construit et il sera, sans doute, construit le premier parce
qu'il est beaucoup plus amorcé, que la longueur à construire
est relativement modique, environ 1 700 kilomètres, et que le
coût en est peu élevé, au grand maximum une centaine de
millions de francs. Nous concédons que lés circonstances
actuelles lui confèrent la priorité, et nous désirons qu'on se
mette immédiatement à l'œuvre, pour le terminer, ce qui
serait aisé, vers 1910 ou, au plus tard, avant 1912. Mais il ne
faudra pas s'arrêter là : ce premier Transsaharien serait
insuffisant pour la consolidation de nos possessions aux
environs et à l'est du Tchad et pour la mise en œuvre de
464 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIENS.
TAfrique intérieure. Au triple point de vue politique, straté-
gique et commercial, le Transsaharien principal doit avoir
une direction différente. Il doit s'enfoncer en quelque sorte
par uue ligne droite de la Méditerranée vers la région du
Tchad, soit à Zinder, soit entre Zinder et ce lac. Voilà le pomi
d'aboutissement très nettement tracé. Il constituera ainsi le
Grand Central Africain, destiné à être continué tout au
moins jusqu'à TOubanghi et offrant, par son plongement ec
plein continent et son aboutissement en pleine Méditerranée
occidentale, une utilité incomparablement plus grande que
celle du chemin de fer, dont on parle tant, du Cap au Caire,
lequel suit beaucoup trop la côte orientale, zone la moins riche,
et débouche au fond le plus éloigné de la Méditerranée.
Le point de départ du Transsaharien du Tchad sur cette
mer est facile à trouver. Au point de vue stratégique, le
Grand Central Africain doit partir d'un des points situés à
peu près au centre de notre Algérie-Tunisie, de manière à
n*ètre pas menacé par une puissance voisine. Au point de
vue commercial, il faut que ce transsaharien mette le Soudan
central à la moindre distance possible de Marseille et de
Paris ; il doit réaliser la formule : le Soudan central à cinq
jours ou cinq jours et demi de Paris, à six jours de Londres,
de Bruxelles et six jours et demi de Berlin. Il faut, par
conséquent, que le Transsaharien du Tchad, Grand Central
Africain, aboutisse à Philippeville et à Alger, les points les
plus rapprochés de Marseille. Cela est indispensable,
notamment si Ton veut que le Transsaharien ait un grand
trafic de voyageurs.
Ainsi, la région du Tchad pour point d'arrivée, Phi-
lippeville ou Alger, plus exactement l'un et l'autre, comme
points de départ, voilà déjà le tracé en grande partie déter-
miné de la voie transsaharienne allant au Tchad. Il convient,
en outre, que ce transsaharien suive la voie la plus courte
entre Philippeville ou Alger et le Tchad ; cette voie, c'est
celle par laquelle se sont faites toutes les grandes recon-
naissances et les explorations, à savoir la voie de Biskra,
GOiNGLUSION. 465
largla, Âmguid, longeant et laissant à l'ouest le massifvol-
Clique du Iloggar, puis desservant les vallées fertiles de
..ïr et les nombreuses mines ou carrières de ce pays (1).
est le tracé le plus court, celui qui a toujours paru le plus
iurel; on y rencontrera les nombreuses oasis de TOued
r, puis les oasis futures que, d'après le capitaine Pein,
I pourrait un jour créer ou améliorer, ainsi qu'il a été dit
us haut, en pays touareg (voy. p. 317 et 318); on longera
s contrées sahariennes centrales qui peuvent contenir
îs richesses minérales ou minières ainsi que la sebkha
*Amadghor; on aura, sur le parcours méridional, avec
u sans un embranchement vers l'est, une partie des trans-
cris des salines de Bilma ; on pourra également transporter
u Soudan le sel des chotts algériens et celui de France.
!^ette voie a toujours été recommandée aussi bien par les
ailitaires que par les civils.
Tout chemin de fer transsaharien doit être aussi court que
30ssible : il doit courir directement, du point de départ au
point d'arrivée, sans aucunes déviations que celles, si c'est in-
lispensable, qui peuvent être motivées par de grands obstacles
topographiques à éviter ; mais il est peu probable que des
déviations un peu importantes soient nécessaires. Le Trans-
saharien oriental notamment, ou Grand Central Africain,
doit se diriger, sans détour, au moins accentué, de Philippe-
ville à la région du Tchad, par Biskra, Ouargla, Amguid, la
sebkha d'Amadghor, J'Aïr; il aura 2600 à 2700 kilomètres et,
en y comprenant les lignes algériennes existantes, 3 000 kilo-
mètres; ce serait une folie que de rallonger en rejetant vers
l'ouest la partie supérieure. Il faut imiter les Russes, qui ont
cherché pour leur Transsibérien le plus court trajet possible
et qui n'ont pas hésité à laisser complètement de côté l'an-
cienne capitale Tobolsk et à ne desservir que par un embran-
(l)Nous rappelons que dès maintenant on est assuré qu'il existe près de
VAïr (le riches gisements de cuivre et aussi d'importantes carrières de potasse,
dont il se fait déjà, mais à très grands frais, et par conséquent en quantités
limitées, une certaine exportation par la Nigeria britannique. Voy. le Bulletin
du Comité de l'Afrique française, février liJOi, page 61, et plus haut page 417.
30
466 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIENS.
chement la ville la plus importante de la Sibérie, Tomsk,
afin de ne pas dévier le tronc principal.
Il vaut beaucoup mieux construire successivement deux
Transsahariens, tout à fait séparés, chacun courant aussi
directement que possible du nord au sud, que de conslituer
un tronc commun sur lequel, au milieu du désert, viendraient
s'embrancher deux lignes. Tune vers l'est, l'autre vers
Touest. On allongerait ainsi de 400 à 500 kilomètres au
moins chacun des parcours, ce qui serait une énorme faute
Depuis que nous avons occupé le Touat, en 1900 et 1901,
on aurait dû relier ses oasis à Oran, par un chemin de fer
spécial qui aurait quelques chances non seulement de faire
ses frais, mais de donner un petit revenu net ; on aurait
ainsi construit la moitié environ du Transsaharien occidental.
Au lieu de faire le détour par Béni-Ounif-Colomb-Béchar e(
Igli, en inclinant ainsi beaucoup trop vers l'ouest et en
allongeant la route, rien n'eût été plus aisé que de construire
la ligne directe du Gourara et du Touat, allant droit du nord
au sud, à partir d'Aïn-Sefra et de Mograr ou Moghar-Tahlani;
cette voie aurait suivi par Tabelkosa la ligne des caravanes.
Un homnie très au courant des choses du Sud-Oranais,
M. A. Le Chôtelier, a établi combien il était regrettable
d'avoir abandonné ce tracé direct (1) qui, d'ailleurs, était
beaucoup plus à l'abri des attaques des Bérabers et autres
tribus belliqueuses, situées beaucoup plus à l'ouest, donloQ
a été chercher le contact sans utilité. De Mograr à Timi-
moun, il n'y avait guère que 450 kilomètres, pas beaucoup
plus que de Mograr à Igli, et l'on se trouvait à 1 degré et
demi plus au sud; de Mograr à Taourirt, il n'y a guère que
650 à 700 kilomètres et l'on eût traversé le Gourara et
le Touat ; l'on se fût trouvé à 1 200 kilomètres de la Médi-
terranée, ayant achevé environ la moitié de la ligne de
jonction de la Méditerranée et du Niger. Le détour par
Béni-Ounif et Igli allongera de 250 à 300 kilomètres ce par-
Ci) Voy. la Revue de Paris du 1«" janvier 1904, page 110.
CONCLUSION. 467
ours. L*on est maintenant trop engagé dans cette voie pour
éprendre prochainement la première. Plus lard, si le trafic
s justifie, on pourra faire une ligne directe par Timimoun
t Tabelkosa, pour rectifier et réduire de 250 à 300 kilo-
nëtres le Transsaharien occidental.
Il importe, toutefois, de ne pas dévier plus à Touest la
igné d'Aïn-Sefra, Bénif-Ounif et Igli ; quelques coloniaux,
ivant la tète tournée d'impérialisme, voudraient maintenant
!a dirig^er de Colomb-Béchar sur Kénadsa et le Tafilelt, pour
rejoindre l'Atlantique, afin, disent-ils, de prendre le Maroc
k revers ; ce serait une faute considérable. On s'éloignerait
du but, qui doit être le Soudan par la traversée ou le voisi-
nage du Touat ou du Tidikelt; on courrait les aventures;
comme ligne stratégique contre le Maroc, la ligne proposée
de Colomb-Béchar vers l'Atlantique n'a aucune valeur, étant
séparée du Maroc-Atlantique par les hauts sommets de
TAtlas et ne pouvant aboutir qu'à la colonie espagnole de
Sanla-Cruz-del-mar. Si l'on veut prendre possession du
Maroc, ce que nous regarderions comme une faute, il convient
d*y entrer directement par l'Algérie et non pas de l'aborder
par l'extréme-sud en traversant une chaîne de montagnes
eiTroyable. Le projet est absolument utopique.
Le Transsaharien du Niger est maintenant longuement
amorcé sur environ 700 kilomètres; il faut désormais le
pousser rapidement et sans aucune déviation droit vers le
fleuve. On devra d'autant plus se réjouir de l'établissement
de cette ligne de la Méditerranée au Niger qu'une fois ter-
minée, et peut-être même avant son achèvement, les travaux
en paraîtront si faciles que l'on se mettra sans hésitation à
la construction de l'autre Transsaharien, plus important
encore, à savoir la ligne de la Méditerranée au Tchad. Il
iU3nviendrait dès maintenant d'en construire l'amorce, à
savoir les 370 kilomètres de la ligne de Biskra à Ouargla.
Partant de Biskra, le principal chemin de fer transsaharien
ou Grand Central Africain aurait son origine presque au
nœud de nos voies ferrées nord-africaines ; il sera à portée
468 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSA H ARIENS.
de Bône, Philippeville, Bougie, Alger môme, moyennant la
construction d'un court tronçon de Bordj-bou-Aréridj à la
ligne de Batna-Biskra ; il pourra même être rattaché à
Bizerte par la continuation de la ligne en projet de Gafsa
à Tozeur jusqu'aux environs de Tougourt par El-Oued. Le
tracé Biskra-Ouargla-Amguid s'impose d'une façon absolue.
Nous ne ferons que mentionner le projet, qu*ont conçu et
que soutiennent avec ardeur certains colons tunisiens, de
faire partir le Transsaharien de Gabès pour le diriger sur le
Tchad par Ghadamës et Ghat. Ce projet excentrique ne sup-
porte à aucun point de vue Texamen. Il est beaucoup trop
oriental. La bourgade de Gabès, excessivement éloignée de
Marseille et sans aucune protection contre l'étranger, serait
un détestable aboutissement stratégique et économique. 11
est à craindre, en outre, que les arrangements diplomatiques
avee l'Italie n'aient concédé à celte puissance Ghadamës et
Ghat; quand on se serait réservé ces points, ce qui est très
douteux, une ligne suivant ce tracé serait trop près de la
Tripolitaine et exposée aux incursions de la puissance qui
dominera ce pays. Aussi ce tracé est-il absolument fantai-
siste.
Quelques personnes ont imaginé qu'avant de construire
les Transsahariens, il faudrait faire une sorte d' « inventaire »
des ressources du Sahara. C'est là un excès de précaution
qui risquerait d'ajourner indéfiniment Tœuvre. Certes, il est
utile de faire autant d'explorations que possible dans le
désert; mais on ue dresse pas ainsi, en quelques années, ni
même en quelques décades d'années, ï inventaire d'un pays
de 5 millions de kilomètres carrés. En 1903 un comité avait
été formé par « l'Union coloniale française » pour faire Tin-
ventaire des ressources naturelles de l'Afrique occidentale; il
n'a pu aboutir et a dû se dissoudre. A plus forte raison en
serait-il ainsi pour « l'inventaire du Sahara >. Les ressources
naturelles se découvrent graduellement, en grande partie
souvent par hasard. Les voies de communication aident à
ces découvertes et ne doivent pas les attendre. C'est environ
CONCLUSIOxN. 460
soixante années après notre possession de TAlgérie et bien
après rétablissement du chemin de fer de Tebessa qu*on a
découvert les riches gisements de phosphate de cette
région. Rappelons, d*ailleurs, que les chemins de fer trans-
sahariens ne sont pas des œuvres sahariennes ; ils aideront
à la mise en valeur des ressources du Sahara, mais ils
ont un autre but, politique et économique : constituer soli-
dément l'empire français africain et mettre en valeur nos
possessions du Soudan.
La question des transsahariens est maintenant très ample-
ment éclairée. Comment hésitons-nous à entreprendre ces
grandes œuvres dont le principe était quasi décidé il y a
vingt-quatre ans? De toutes parts. Anglais, Américains,
Australiens et Russes multiplient les énormes travaux ; nous,
nous ne pensons qu*à de petits chemins de fer côtiers, qui
peuvent avoir une utilité régionale, mais qui ne donneront
jamais à notre empire africain la charpente dont il a besoin,
qui ne mettront jamais les tropiques à quatre jours et demi
ou cinq jours de Marseille, Gênes et Trieste, à cinq jours
et demi ou six jours de Paris, Londres, Bruxelles et Berlin.
Nous nous complaisons dans les choses mesquines ; ce qui
est grand épouvante nos faibles cervelles. Cependant, nos
explorateurs font de magnifiques prouesses : Gentil dans la
région du Tchad, Marchand sur le haut Nil, beaucoup d'au-
tres encore; nous les applaudissons, les couvrons de fleurs,
puis retournons à nos distractions, à Tinsignifiance de notre
vie privée et de notre vie publique ; nous ne faisons ni même
ne tentons rien pour consolider en nos mains et pour utiliser
Tœuvre de ces braves. Prenons-y garde, elle nous échappera ;
le haut Nil nous a déjà échappé ; il en sera bientôt de même
du Ouadal, car nous défions que jamais on le soumette et
on le gouverne autrement qu'avec le Transsaharien du Tchad.
Le Sénégal et le Congo sont des bases trop fragiles; TAl-
gérie-Tunisie seule fournit une base sérieuse à notre action
dans le centre de TAfrique. Écoutons ce que disait dans la
séance du 30 mai 1899 le ministre des affaires étrangères.
4^0 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DB FER TRANSSiLHARIE.XS.
M. Delcassé, au Sénat, en s*excusant d'avoir abandonné à
TAnglelerre le Bahr-el-Ghazal : « Quel homme politique
n'ayant pas perdu complètement le sens de la réalité, quel
ministre sachant que du Caire on peut en vingt jours amener
par le Nil des milliers d'hommes au Bahr-el-Ghazal, tandis
quil nous faut près d'un an pour y faire parvenir épuisés
WO soldats, qui donc aurait osé venir demander au pays le
sacrifice inutile du sang et de l'argent par où Ton aurait po
essayer seulement de disputer ce territoire (1)? *
Le ministre des affaires étrangères avait raison ; mais la
situation va être demain exactement la môme pour le
Ouadaï; nous aurons besoin, par la voie du Sénégal ou celle
du Congo, sinon d'un an, du moins de huit à dix mois, pour y
amener quelques centaines d'hommes. Avec le Transsaharien
du centre ou Grand Central Africain, nous pourrions, en trois
ou quatre semaines, si besoin était,y jeter 10 000 ou 15000 hom-
mes. Est-il permis d'hésiter? Le terrible aveu fait par
M. Delcassé au Sénat ne doit-il pas ouvrir les yeux? Ou nous
perdrons la plupart de nos possessions du centre de TAfri-
que, ou il faut que, sans aucun ajournement, nous construi-
sions le Transsaharien du Tchad; c*est Tinstrument straté-
gique indispensable ; c'est, de plus, un instrument économique
qui promet d'être très efficace^ et cela ne coûterait que 150 à
160 millions, dont le service annuel, comme intérêt et amor-
tissement, est dès maintenant assuré, en dehors même du
trafic, par la décroissance des garanties de l'État français
aux chemins de fer algériens. D'après les déclarations des
ministres de la guerre et de la marine, les simples mesures
de précaution prises au moment de Fachoda auront coûté
une centaine de millions de francs ; c'est les deux tiers de ce
qu'il faut pour construire le Transsaharien du Tchad. A
moins que la France ne se résigne à ne plus compter dans
le monde, il faut qu'elle sache et veuille entreprendre cette
œuvre, en réalité très modeste, malgré sa longueur, la seule
(1) Journal officiel du 31 mai 1899, page 689.
CONCLUSION. 4'^1
œuvre, vraiment considérable par ses effets, que nous puis-
sions faire encore; elle nous vaudra, aux portes de la France,
la possession paisible et l'exploitation fructueuse d*une
immensité de territoire. La postérité flétrirait avec raison la
génération qui, après avoir abandonné TÉgypte, n'aurait
même pas su faire à temps le transsaharien, Grand Central
Africain. Le Transsaharien du Niger, coûtant 85 à 90 millions
de francs, construit rapidement en quatre ou cinq ans,
pourra lui servir de préface. Mais, dans ce moment décisif
de rhistoire mondiale, il ne faut plus perdre une heure.
APPENDICE
LES TARIFS ET LES RECETTES SUR LES CHEMINS DE FER RUSSES
ASIATIQUES
Comme preuve de la praticabilité et de la productivité des
tarifs, tant de voyageurs que de marchandises, que nous
proposons pour les futurs chemins de fer transsahariens^
nous pouvons invoquer Texemple des chemins de fer russes
en Asie, à savoir du chemin de fer transcaspien dans TÂsie
centrale et des différentes lignes composant ce que Ton
est convenu d'appeler le chemin de fer transsibérien. L'ad-
ministration des chemins de fer russes nous a gracieuse-
ment communiqué les données relatives tant aux tarifs qu'au
trafic de ces lignes.
Nous examinerons particulièrement ce qui concerne le
chemin de fer transcaspien ou de TAsie centrale (Krass-
novodsk-Ândijan) ; étant plus ancien que le Transsibérien,
on peut considérer que son trafic est maintenant bien établi
et que, tout en étant susceptible de développement ultérieur^
il se trouve, à Theure présente, dans une situation à peu près
normale. Il dessert, d'ailleurs, des contrées qui ont une
grande analogie avec le Sahara et le Soudan. La longueur
en est aussi très analogue à celle de nos futurs Transsaha-
riens. Il avait, en eCTet, en 1901, année à laquelle s'applir
quent les renseignements officiels qui nous ont été transmis,
2357 verstes. Le verste égale 1067 mètres; 2357 verstes
représentent donc 2515 kilomètres en chiffres ronds, c'est-
à-dire presque exactement l'étendue du Transsaharien occi-
dental, y compris les lignes algériennes, d'Oran au Niger,
et à pçu de chose près le Transsaharien de la région du
Tchad de Biskra à Zinder.
L'analogie entre ces deux futures lignes transsahariennes
474 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CBEMINS DE FER TRANSSAHAaiERS.
et le Transcaspien est aussi grande que possible. De même
pour la nature des lieux, comme on le verra, si Ton veut se
reporter à notre ouvrage : la Colonisation chez les peuples
modernes (1).
Voici les données officielles principales relatives au che-
min de fer transcaspien pour les années 1900 et 1901 ; depuis
lors, le trafic n*a fait qu'augmenter.
1900 1901
Ventes (3).
Longueur de la ligne exploitée 2.061 2.357
Roubles (3).
A. Recettes,
a. Transport de voyageurs :
Chiffre global 1.298.20S 1.682.263
Par versle , 531 .49 7U ,06
à. Marchandises.
Grande vitesse :
Chiffre global 193.989 169.406
Par verste 94,12 71.87
c. Petite vitessp *
Chiffre global . . .' 8.982.575 10.694.UO
Par verste 4,338,35 4.337.31
d. Taxes supplémentaires et recettes diverses :
Chiffre global 647.792 668.552
Par verste 314.31 283.64
Recette totale (a + ô + c + rf) :
Chiffre global 11.122.564 13.214.761
Par verste 4.725,42 5.606,60
B. Dépenses (f exploitation :
Chiffre global 8.634.826 10.299.685
Par verste 3.668,15 4.369,80
Bénéfice net lA — B) :
Chiffre global 2.487.738 2.915.076
Par verste 1,057 1^7
Il ressort de ce tableau que, dans Tannée 1901, la recette
totale du chemin de fer transcaspien s'est élevée à
13214761 roubles ou, en chiffres ronds, 35 millions et demi
de francs. La recette brute par verste était de 5606 roubles
ou presque exactement 15000 francs, correspondant à un peu
plus de 14000 francs par kilomètre.
(1) La Colonisation chez les peuples modernes, par Pau Leroy-Beaulieu, 5« édiU
Guillaumin éditeur, t. II, p. 439 & 445.
(2) Nous rappelons que le verste = 1 067 mètres.
(3) Le rouble » 2 fr. 66.
APPENDICE : TARIFS ET TRAFIC DO TRANSCASPIEN. 475
. C'est là un chiffre élevé qui dépasse d^environ 15 à 20 p. 100
celui que nous avons indiqué pour lé trafic probable de cha-
cun des chemins de fer transsahariens.
Les frais d'exploitation, assez considérables, montaient
à 10299685 roubles ou, en chiffres ronds, 27800000 francs^
soit par verste 4369 roubles ou 11 650 francs, correspondant
à 10900 francs environ par kilomètre. Il restait, néanmoins,
un notable bénéfice net, à savoir 2915076 roubles ou
7870 000 francs, correspondant à 1237 roubles par verste,
soit 3340 francs, ou environ 3130 francs par kilomètre. En
attribuant cette recette nette aux chemins de fer transsaha-
riens, soit 3 130 francs par kilomètre, on voit que à 3 3/4 p. 100,
intérêt et amortissement compris, elle rémunérerait un capi-
tal de premier établissement de 83000 francs par kilomètre.
Or, on a vu que tous les antécédents témoignent que les che-
Qiins de fer transsahariens ne reviendraient pas à plus de
55 000 ou 60000 francs par kilomètre. Cette recette
nette pourrait donc fléchir de près d'un tiers qu^elle suffi-
rait encore à couvrir l'intérêt normal et l'amortissement du
capital consacré à chacun des chemins de fer transsahariens.
L'exemple du chemin de fer transcaspien est donc au
plus haut degré réconfortant.
L'étude des tarifs de cette voie ferrée n'est pas moins ins-
tinctive que celle du trafic.
Donnons d'abord le nombre des voyageurs et leur répar-
tition entre les classes pour le chemin de fer transcaspien
ou de l'Asie centrale :
Années.
' 1900 " 190l""
Nombre total de voyageurs 747.660 1 .063.519
Voyageurs de !'« classe 40 4 .667
— de 2« classe 56.650 73.950
— de 3« classe 615.019 923.066
Ouvriers 6.199 2.177
Colons 1.153 * 1.166
Voyageurs au tarif militaire 61.714 53.167
Déportés et leur escorte 5.311 3.234
Conducteurs de bétail 1 .324 2.090
Le nombre des voyageurs sur le chemin de fer de l'Asie
476 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIEXS.
centrale esl énorme, puisqu'il dépasse 1 million. Les voya*
geurs européens, parmi lesquels se recrutent surtout, sans
doute, les deux premières classes, sont relativement assez
nombreux : 4667 voyageurs de première classe et 73450 de
seconde ; la France, nation colonisatrice, étant sensiblement
plus riche que la Russie, et les chemins de fer transsaha-
riens devant servir une clientèle internationale qui manque
complètement au Transcaspien, lequel aboutit à un pays
fermé par d'énormes chaînes de montagnes, il est vraisem-
blable que les voyageurs de première classe seront relati-
vement plus nombreux que ceux du Transcaspien et qu'une
partie de la deuxième classe de ce dernier passera à la pre-
mière sur ceux-là.
. Le point le plus caractéristique, c'est, sur le Transcaspien,
l'énorme affluence des voyageurs de troisième classe, plus
de 900000, non compris les ouvriers de la ligne, colons, mi-
litaires, déportés, et autres voyageurs spéciaux.
Ce très grand afllux de voyageurs de troisième classe se
rattache d'abord à ces habitudes et ces goûts de pérégrina-
tion et de déplacement que Ton constate chez toutes les
populations primitives : Arabes, Chinois, Hindous, etc. II
est, du reste, favorisé par les très bas tarifs.
Nous ne pouvons mieux faire que de reproduire ici tex-
tuellement la note qui nous a été communiquée par Tadmi-
nistration des chemins de fer russes.
«c Les tarifs en vigueur pour les voyageurs sur les che-
mins de fer Transbaïkalien, Sibérien, de l'Asie centrale et de
rOussouri sont les mêmes que ceux en vigueur dans la
Russie d'Europe.
« Schéma du tarif en vigueur pour les première, deuxième
et troisième classes :
« Il est perçu sur les chemins de fer russes pour le trajet
en troisième classe sur les distances de 1-300 verstes un prix
calculé par verste, à savoir : de 1-160 verstes, à raison de
1,4375 copeck (1) par voyageur et par verste; 160-300 en
(1) Le copeck esl la centième partie du rouble et égale, par conséquent, 0 fr.0i6fi.
APPENDICE : TARIFS ET TRAFIC DU TRANSCASPIBN. 477
ajoutant au prix total d'un voyage de lôOverstes = 2 R.30c.
par voyageur, 0,9 copeck par voyageur et par verste. A partir
de 300 verstes, le prix n'est plus calculé par verste, mais
par zone. Toute portion d'une zone est considérée comme
zone entière. Le calcul étant fait sur les bases suivantes :
< A . Pour les distances jusqu'à 3010 verstes inclusivement :
pour la première zone de 301-325 verstes inclus, il est ajouté
au prix total d'un parcours de 300 verstes qui est de
3 R. 56 copecks par voyageur, 24 copecks par voyageur ;
pour chaque zone suivante il est ajouté 20 copecks par voya-
geur. Les zones pour les distances de 301-3010 sont fixées
comme suit :
De 301 à 500 verstes 8 zones de 25 verstes chacune.
501 710 — 7 — 30 —
711 990 — 8 - 35 —
991 1510 — 13 — 40 —
1511 3010 — 30 — 50
< B, Pour les distances supérieures à 3010 verstes, il est
ajouté au prix total d'un parcours de 3010 verstes, qui est
de 16 R. 80 copecks par voyageur, 40 copecks par voya-
geur et par zone. Les zones supérieures à la distance de
3 010 verstes sont fixées à 70 verstes chaque.
« Le tarif du parcours en deuxième classe est de 50 p. 100
supérieur à celui effectué en troisième classe ; celui du par-
cours en première çst de 150 p. 100 supérieur à ce dernier.
c Tarif des voyages en quatrième classe :
c Pour le voyage en quatrième classe il est perçu sur les
chemins de fer russes le prix suivant :
« Pour les distances de 1-920 verstes 3/4 de copeck par
voyageur et par yerste ; à partir de 921 verstes le prix n'est
plus calculé par verste, mais par zone. Toute fraction de zone
est considérée comme zone entière. Le calcul est fait d'après
Téchelle suivante :
c a. Sur les distances de 921 verstes à 3010 inclusivement,
il est ajouté au prix total d'un voyage de 920 verstes qui est
de 6 R, 90 copecks par voyageur, 15 copecks par voyageur
478 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TB AN SSAH ARIENS.
-et par zone, les zones pour les distances de 921-3010 verstes
étant fixées comme suit :
De 921 à 990verstes 2 zones de 33 versles chacune.
991 1510 — 13 — 40 —
1510 3010 — 30 — 50 —
« 6. Pour les distances supérieures à 3010 verstes, il est
ajouté au prix d'un parcours de 3010 verstes, qui est de
13 R. 65 copecks par voyageur, 20 copecks par voyageur et
par zone. Les zones pour les distances supérieures à
3010 verstes, sont fixées à 70 verstes chacune. »
Il résulte de ce qui précède que le prix d'un transport de
3010 verstes, soit 3211 kilomètres (le verste= 1067 mètres!
en troisième classe sur tous les chemins de fer russes est
de 16 R. 80 copecks, soit de 45 francs en chiffres ronds. Or.
cette distance de 3211 kilomètres excède notablement la lon-
gueur de chacun des chemins de fer transsahariens, y com-
pris les lignes algériennes jusqu'à la mer, l'un de ces che-
mins de fer, celui d'Oran au Niger, ne devant avoir en tout
que 2500 kilomètres au maximum, et l'autre, celui de Philip-
peville-Zinder, que 3000 kilomètres. Or, nous avons admis
plus haut dans nos calculs (voy. pages 393 et 394) que Ton
pourrait faire payer aux noirs pour le trajet du Soudan en
pleine Algérie ou vice-versa une soixantaine de francs ; si
l'on appliquait le tarif des chemins de fer russes dans tout
l'empire, c'est moins de 40 francs, et non pas 60, que l'on
devrait demander. Notre tarif proposé, qui nous paraît sus-
ceptible de procurer un transport annuel d'une centaine de
mille noirs au début, et de plusieurs centaines de mille
ensuite, pourrait donc, si c'était nécessaire ou utile, être
réduit d'un bon tiers.
Bien plus, on a vu qu'il existe sur un grand nombre de
chemins de fer russes un tarif de quatrième classé (1). Un
voyage de 920 verstes, équivalant, en chiffres ronds, à un
(1) 11 ne parait pas, toutefois, d'après les données figurant plus hai^t |p« 4T5i,
que la 4» classe se rencontre sur le chemin de fer transcaspien.
APPENDICE : TARIFS ET TRAFIC DU TRANSCASPIEN. 470
millier de kilomètres, en quatrième classe, coûte 6 roubles 90,
soit 18 fr. 60, et un voyage en quatrième classe de 3010 verstes
(3211 kilomètres), dépassant sensiblement Tétendue du plus
long des Transsahariens, coûte 13 R. 65 copecks, soit 35 fr. 85.
On voit que les tarifs des chemins de fer russes pour
voyageurs sont très sensiblement moins élevés que ceux que
nous proposons plus haut et qui nous semblent devoir déter-
miner un courant très intense de transport de personnes sur
les chemins de fer transsahariens.
L'exemple des chemins de fer russes confirme aussi, en ce
qui concerne la modicité des tarifs de marchandises, les
évaluations que nous avons faites au cours de cet ouvrage,
notamment la possibilité, tout en laissant à la ligne une
puissance rémunératrice, d'abaisser à environ 2 cen-
times et demi le tarif moyen par tonne et par kilomètre et
de descendre, pour les marchandises de peu de valeur, fai-
sant le trajet d'outre en outre, à un tarif de 1 centime un
quart, sinon même de 1 centime, par kilomètre et par tonne.
Ici encore nous allons commencer par reproduire textuel
lement la note qui nous a été obligeamment communiquée
par Tadminislration des chemins de fer russes :
<c Tarifs pour le transport des marchandises, en vigueur
sur les chemins de fer de la Russie d'Asie :
« Tous les chemins de fer de la Russie d'Asie, le Trans-
baïkalien, le Sibérien, ceux de l'Asie centrale et de l'Ous-
souri usent du tarif général pour le transport des mar-
chandises dans les trains de marchandises en grande et
petite vitesse tant dans la communication locale, que dans
les communications directes avec les chemins de fer russes
d'intérêt général.
M Le môme tarif est appliqué au transport des marchan-
dises en grande et petite vitesse dans les communications
directes entre les stations du chemin de fer transbaïkalien
et sibérien, de même que les communications directes de
chacune de ces lignes avec le réseau de la Russie d'Europe.
Le prix du transport est perçu pour la distance totale entre
480 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIENS.
la station de départ et la station de destination définitive.
Les parties du chemin de fer transbaïkalien, [rkoutsk-Baîkal
et lankkoï-Striétensk, qui sont séparées par le lac Baîkal,
sont considérées avec la ligne mandchourienne comme lignes
ininterrompues. Les taux des tarifs généraux pour le trans-
port des marchandises sont calculés d*apfës les tarifs dits
de classe ou d'après les tarifs dits« différentiels ». On appelle
« tarif de classe » un tarif d'après lequel le prix total du
transport est calculé sur une même base par poud et par
verste. Les prix de transport calculés d'après les neuf pre-
mières classes sont soumis aux réductions suivantes :
Au-dessus de 200 verstes — 10 p. 100
— 500 — —13 —
_ 1000 — —20 —
— 1500 — —25 —
— 2000 — —30 —
« Les prix de transport pour les distances supérieures doi-
vent toujours être supérieurs aussi aux prix des distances
moins longues. Voici la liste des classes :
l»"» classe. 1/10 de copeck par poud et par verste (1). \
Plus une classe
spéciale
à. 1/125 par poud
et par verste.
/
« On appelle « tarif différentiel » calculé d'après une for-
mule spéciale représentant la réunion de deux, trois, ou plu-
sieurs classes, dont chaque classe suivante est inférieure à
la classe précédente, un tarif dans lequel le taux se diffé-
rencie d'une classe à l'autre par une augmentation du prix
calculé par poud et par verste.
(l) Le poud =s 16 kilogrammes; le verste = 1 067 mitres.
2«
—
1/12
3«
—
1/15
4e
—
1/18
5«
—
1/24
6»
—
1/30
7«
—
1/36
8«
—
1/40
9=
—
1/45
10»
—
1/65
ne
—
1/75
i'2*
—
1/100
%
■ e
LÉGENDE <
itinéraire de René Caillié I8Z7-m.
«+ d? Barth ^50-55,
.* £/" Flattirs leM."
-- d? Flatters l^aa-Sl i *
-,* -(/"__ Montdr isso-tt.
^.^ _ — d'. Catemajou ïB93.
— _ — rf* .Marchand iâ96'99
^ d^ Fouroau-Lflm;y lasa i9oo'*
d? Joalland-Meynier WSS-iMi.
d? Flamand isoo.
d? Cottenest 1902
— d* Guillo-Lohan 1902.
d? BesMt i9oa.
df Lenfant I903.
d? Vinatte-Laperrine 190*
d^ Théveniaut I90*
Chemmdefbr ^^^enprqjetouenconstr^
Échelle :
— 1 I ■ ' ■ I
200 300 *00 500 600 700 600 Hilométrea
lame africaro frgn^ata C5V.tj6Ti\i anblaiLQ.
JSL
T^
.30
APPENDICE : TARIFS ET TRAFIC DU TRANSCASPIEN. 481
« Exemple :
Tarif différentiel n» 6.
De 1 — 450 verstes : 4^ classe.
451 — 800 — On ajoute au prix total du transport pour 450 verstes
sa 22 cop. 50, 1/10 de copeck par poud et par
verste
801 — 1400 — 5« classe.
UOl — 2800 — On ajoute au prix du transport pour 1400 verstes
=■ 46,67 copecks, 1/75 de copeck par poud et par
verste .
JK.u-dessus de 2800 — 6« classe.
« Les Chemins de fer russes appliquent 25 tarifs diflfé-
irentiels :
22 numérotés de I- XXII.
et
3 spéciaux : A. B. C.
« Le tableau ci-dessous indique le taux initial et le taux
maximum de ces tarifs différentiels. »
Tarifs différentiels
No 1
2
3
4
5
6
7
I::::::::::::;
10
11
12
13
14...
15
16
17
18
19
20
21
22
Tarif différentiel
spécial :
A
B
C
TAUX PAR POUD ET PAR VERSTE.
Taux initial.
1/12
1/12
1/15
1/15
1/12
1/18
1/18
1/18
1/18
1/18
1/18
1/18
1/18
1/24
1/24
1/24
1/36
1/36
1/36
1/45
1/65
1/65
1/10
1/24
1/45
Taux maximum (final).
A partir de 3. 04 5 venlei l/18dec©pcek,r«dBild«30 0/o
- 4.615 - 1/30 - - '
2.800
j>
2.142
—
1/36
2.142
»
3.016
—
»
3.600
—
1/40
—
2.860
»
2.700
1/45
2.304
—
u
2.142
—
1/40
1.857
—
1/65
—
1.050
—
1/75
—
1.912
—
»
»
»
567
—
1/75
400
—
1/100
2.650
—
1/125
—
»
»
3.579
1/23
2.142
1/30
250
—
1/100
—
31
482 LE SAHARA, LE SOUDAN ET LES CHEMINS DE FER TRANSSAHABIENI.
Sans entrer dans de trop grands détails, on remarquera
que le tarif initial de la classe 12 (page 480) est de 1 cen-
tième de copeck par poud et par verste ; le copeck est la
centième partie du rouble et vaut par conséquent 2,66 cen-
times ; ce tarif correspond à 1 centime 27 environ par tonne
et par verste, soit 1 centime 19 par tonne et par kilomèlre,
inférieur par conséquent à 1 centime un quart, et il ne s'agit
ici que du taux initial, lequel, on Ta vu, est abaissé de
10, 15, 20, 25 et 30 p. 100 suivant les distances. On en peut
conclure que, pour un parcours total de 2500 ou 3000 kilo-
mètres, équivalant à la longueur respective de nos deux
Transsahariens, les tarifs de 1 centime un quart sont (ré
quents sur les chemins de fer russes et que ceux de 1 cen-
time sont eux-mêmes parfois pratiqués.
On descendrait même au-dessous de 1 centime la tosne
kilométrique, si Ton considérait la classe spéciale (page 480)
pour laquelle le tarif initial est seulement de 1 cent vingt-
cinquième de copeck par poud, correspondant à 1 centime 08
la tonne kilométrique, mais doit subir les réductions de 10,
15, 20, 25 et 30 p. 100 suivant les distances.
De ces données positives et officielles sur les tarifs el le
trafic des chemins de fer russes, il résulte que les tarifs mi-
nima que nous avons indiqués pour les chemins de fer trans-
sahariens sont parfaitement praticables, étant sensiblement
supérieurs aux tarifs actuellement appliqués sur des lignes
ferrées analogues et qui sont rémunératrices.
TABLE DES MATIÈRES
?RÉPACB.
LIVRK PREMIER
CONSTITUTION DU FUTUR EMPIRE FRANÇAIS AFRICAIN. LES DÉBUTS DE L'IDÉE
TRANSSAHARIENNE.
CHAPITRE PREMIER
De la pénétration de L^AfRIQUE par les puissances européennes. — MÉTHODE
QUE NOUS SUIVRONS DANS CET OUVRAGE i
CHAPITRE II
Coup d'obil général sur l'empire français continental africain. — Nécessité
d'un lien entre les tronçons qui le composent.
Constitution empirique, en dehors de tout plan, des possessions françaises
africaines. — Matériaux possibles d'un empire plitôt qu'un empire. —
Les trois tronçons dispersés et sans lien actuel.
L'Algérie et la Tunisie forment la solide base naturelle du futur empire
franco-africain. — Preuves & ce sujet. — Les chemins de fer transsalia-
riens sont les liens nécessaires entre ces trois tronçons. — Le retard
apporté k leur construction, depuis que l'idée fut formulée en 1878, a fait
perdre à la France la moitié du Soudan central.
Impossibilité pour la France de dominer et d'exploiter le Ouadaï sans le
Transsaharien central, de l'Algérie à la région du Tchad. — Sans ce
transsaharien, le Ouadaï est destiné à échapper à la France, de même
probablement le Baghirmi et toute la contrée à l'est du Tchad.
Éventualité d'un chemin de fer britannique du Nil à la Nigeria. — L'absence
du Transsaharien amènerait un jour la dislocation des possessions fran-
çaises de l'Afrique centrale et la perte d'une notable partie d'entre elles. 7
CHAPITRE III
I Considérations économiques générales au sujet des chemins de fer transsahariens.
Outre leur importance politique, administrative et stratégique, les chemins
de fer transsahariens auraient une utilité économique de premier ordre.
— Mon expérience africaine. — Méprises vulgaires sur les difficultés et
la productivité des travaux publics sortant de l'ordinaire. — Un exemple
colonial français de la facilité d'exécution et du bas prix des chemins de
fer déserliques 2:i
484 TABLE DES MATIÈRES.
CHAPITRE IV
Genèse de l'idée transsaharienne.
Formule du général Hanoteau en 1859. — Les tropiques à six jours de
Paris. — Il ne se trouve pas, sur l'ensemble du globe, un point où le?
tropiques soient aussi près des grandes capitales européennes. — Les
lignes ferrées suivant. le méridien sont, toutes circonstances égales, plus
productives que celles suivant le parallèle.
L'ingénieur Duponchel en 1878. — Analyse de son livre et examen critique
de son projet. — Sa description générale du Sahara; justesse habituelle
de ses vues. — ■ Son appréciation exacte de la culture des oasis.
Tracé du Transsaharien de Duponchel. — Étude de ce projet de voie ferrée.
— Grosses exagérations de ses évaluations. — Énormes réductions qu<?
comporteraient la technique actuelle et la connaissance beaucoup plus
exacte du pays 34
LIVRE II
LES EXPLORATIONS RÉCENTES OU SAHARA. LA NATURE OU PAYS.
CHAPITRE PREMIER
La mission Cuoisy et les travaux de Georges Rolland.
La commission du chemin de fer transsaharien. — Les quatre missions
d'exploration instituées. — (JEuvre sérieuse de deux d'entre elles. — La
mission Ghoisy et Georges Rolland dans le Bas-Sahara ou Sahara con*-
tantinois. — Les ouvrages techniques de J^I. Georgeâ«BûllaJW^ sur le
Sahara. — CaTactùrc généralement rocheux du Sahara. — Li\s trois type-?
principaux de régions naturelles de cette immensité. — Le sable n'esl
qu*en sous-ordre au Sahara. — Les districts de dunes et les gassis. — Le
reg. — Caractère ferme et plan de l'ensemble du Sahara. — Indices de
terrains primitifs devant receler des gisements métalliques et de terrain>
houillers "3
CHAPITRE II
La première mission Flattbrs.
Le lieutenant-colonel Flatters. — Instructions qui lui sont données. —
Composition de la première mission Flatters. — Trajet effectué par la
mission. — Impoiiance des documents recueillis et publiés. — Ce^
documents constituent une véritable enquête sur le versant nord du
Sahara central. — Les diverses natures de sol au Sahara : la hamada,
les gow\ la nebka, le ver/, Vei^g. — De beaucoup la plus grande partie du
Sahara est formée de sol ferme et plan. — Facilités tout élémentaires de
l'établissement d'une voie ferrée de 600 kilomètres au sud d'Ouargia
d'après l'avant-projet de l'ingénieur Béringer de la première mission
Flatters. — Les gassis ou couloirs fermes entre les dunes. — Permanence
de ces couloirs. — En dehors des gassis, étendue de sable fixé par la
végétation. — La plus grande partie du Sahara se compose de hamada
et surtout de l'eg, terrain consistant et en général plan. — Ces condi-
tions sont éminemment propices à rétablissement économique d'une
voie ferrée ^
TABLE DES MATIÈRES. 485
CHAPITRE m
Suite de la première mission Flattbrs. Pluies et points d'eau observés par elle.
"Description du Sahara d'après le chef et les membres de cette mission. —
Kxamen de la siccité et de l'aridité du Sahara. — Ces caractères du
désert sont loin de se retrouver uniformément et d'une façon accentuée
sur toute sa surface. — Le Sahara, sur de nombreux points de son éten-
due, diffère beaucoup de la réputation que lui fait la légende.
Importance des caravanes qui traversent ce désert. — Il fournit aux néces-
sités d'alimentation des bétes et procure de l'eau et du bois aux hommes.
— Effectif de la première mission Flatters. — La surface du Sahara se
prête, en maints districts, à une exploitation culturale ou pastorale et à
l'habitat permanent de Thomme. — Démonstration qui en est faite par
le «( Journal de route » et les documents annexes de la mission Flatters.
— Ce que boit un chameau ; comparaison avec la quantité d'eau qu'exi-
gerait un train. — Tous les explorateurs qui ont parcouru le Sahara ont
reçu de la pluie. — Pluies nombreuses et parfois très abondantes
qu'essuie la première mission Flatters. — Évaluation de ces pluies. —
Les points d'eau rencontrés et observés par la mission. — Les eaux
superficielles. — Fréquence et importance des eaux souterraines. —- La
mauvaise qualité des eaux tient souvent aux débris organiques, qu'on y
laisse. -^ Les moindres soins procureraient souvent de l'eau abondante
et de bonne qualité 103
CHAPITRE IV
La première mission Flatters (Suite). — La végét.4.tion herbacée et arbustivb
qu'elle a constatée au Sahara.
Grande variété des plantes au Sahara. La plupart sont fourragères. — Énu-
mération des plus répandues d'entre elles. — « Véritable prairie ». — La
faune du Sahara d'après la première mission Flatters.
Le bois et les arbres. Les principales essences arbustives. Débris nombreux
et possibilités de palmeraies. — Les gommiers. — Les itels. — Arbres
« énormes ».
L'insécurité est cause que les cultures ne sont pas plus nombreuses.
Renseignements sur la faune. — Troupeaux de chèvres. — Animaux variés. 122
CHAPITRE V
La première mission Flatters (Suite). — L'avant-projet de chemin de fer
SUR 600 kilomètres au sud d'Ouargla.
Le Sahara offre des conditions très propices à l'établissement des lignes
ferrées. — Rapport à ce sujet de l'ingénieur Béringer, membre de la mis-
sion Flatters. — Quoique s'appliquant à 611 kilomètres seulement au sud
d'Ouargla, ce rapport vaut, d'après les renseignements recueillis par la
deuxième mission Flatters, pour environ 400 kilomètres au delà, soit
pour un millier de kilomètres ou près de la moitié du parcours du
Transsaharien. — L'avant-projet de l'ingénieur Béringer. — Il conclut,
pour un chemin de fer à voie large, à une dépense maxima de 100 000 francs
par kilomètre. — Examen de cet avant-projet. — L'adoption de la voie
de 1 mètre et la baisse considérable des produits métallurgiques depuis 1880
permettent d'abaisser à 50 000 ou 53 000 francs par kilomètre la dépense
de construction de la voie transsaharienne (matériel roulant compris}.. 134
486 TABLE DES MATIÈRES.
CHAPITRE VI
La dbuxi&mb mission Platters.
Composition insuffisante de la seconde mission Flatters. — Le colonel avait
demande d'abord un effectif deux ou trois fois plus considérable. —
Nature et intérêt des documents relatifs à cette seconde mission. — La
température au Sahara ; comparaison & ce sujet des relevés de la pre-
mière mission Flatters au printemps et de la deuxième en hiver. — Fraî-
cheur et même froid des nuits : les maxima et les minima dans les deux
saisons. — Constatations de la mission relatives aux eaux et aux pluies.
— Quoique plus rares que sur le trajet de la première mission, les points
d'eau ne manquent pas, sont souvent abondants et le seraient, sans doute,
toujours s'ils étaient entretenus. — Pluies essuyées par la seconde
mission Flatters. — Ses constatations sur les pâturages et la végétation;
bois et arbres divers. — Faune de cette partie du Sahara : animaux
divers ; gibier abondant. — Les relevés de la seconde mission Flatters,
en une autre saison et pour un autre tracé, confirment ceux de la pre-
mière mission 14S
CHAPITRE VII
L\ DEUXIÈME MISSION Flatters (SuUe). — Cause principale de la soLrrcDE
PRESQUE ABSOLUE DU SaHARA : l'iNSÉCURITK. — Le TRACé DU CHEMIN DE FER.
Le Sahara est livré aux pillards. — Les razzias empêchent l'habitation per-
manente et la culture en dehors des oasis importantes. — Témoignages
abondants relatifs à, cette insécurité. — Cliaamba et Touareg et autres
coupeurs de routes. — Les caravanes même oppriment parfois et ran-
çonnent les petits groupes de résidents ou se pillent entre elles. — Per-
sistance du trafic des esclaves. — Le Sahara a dû être de plus en plus
abandonné et comme résidence et comme lieu de passage.
La deuxième mission Flatters a constaté, comme la première, la facilité de
rétablissement d*un chemin de fer dans le Sahara. — Grande prédomi-
nance du terrain ret/, plan et ferme, constituant une plaine horizontale
solide. — Facilité certaine du passage jusqu'à Amadghor vers le 24« degré
de latitude. — Excellence de la position d'Amguid.
Très grande salubrité du Sahara. — Elle constitue un avantage inappré-
ciable à la route du nord relativement aux autres voies d'accès à l'Afrique
du centre 181
CHAPITRE VHi
Sommeil de l'idée transsaharienne. — Les explor.\tions au sud de L'ALcéftiB
DE 1890 A 1897. — Le commandant Lamy.
Abandon virtuel, après le massacre de la deuxième mission Flatters, de
tout projet de Transsaharien. — Excessive pusillanimité de l'administra-
tion pour les explorations sahariennes. — Excursions séparées, néan-
moins, de Foureau, de Lamy et de quelques autres, sur le pourtour de
la province de Constantine.
Le commandant Lamy. — Son commandement & El-Goléa, de 1891 à 1893.
— Puits artésiens qu'il fait creuser avec succès. — Son opinion sur les
puits du Sahara. — Ils sont souvent souillés par les animaux, ce qui
rend l'eau malsaine.
Protestation de Lamy contre l'administration qui interdit toute « reconnais-
sance à grande envergure ». Il explore, néanmoins, tout le pays dans le
rayon de 250 à 300 kilomètres d'El-Goléa. — Son opinion sur la contrée.
TABLE DES MATIÈRES. 487
La main-d'œuvre à bas prix en quéle de travail. — Les fourrages et le bois
au Sahara, d'après Lamy. — Ses réflexions sur la grande salubrité» Tin-
sécurité, la facilité d'établir des points d*eau. — il croit au Transsaha-
rien. — Possibilités, d'après lui, de culture dans le Sahara 202
CHAPITRE IX
LiA MISSION Foureau-Lamy. — Organisation et caractère de la mission.
Préparation très soignée de la mission Foureau-Lamy. L'effectif total de
la mission, du convoi, de l'escorte et des « convois libres » dépassait
1 200 chameaux et approchait de 400 hommes. — Le désert dut, avec ces
maigres ressources hivernales, fournir des fourrages, du bois, de l'eau à
cette énorme colonne.
Le capitaine Pein, du poste permanent de Timassanine, est chargé du ravi-
taillement en vivres pour les hommes de la mission et de l'escorte. —
Poste temporaire à Àmguid. — Le contact est maintenu par le capitaine
Pein jusqu'à In-Azaoua au 21» degré de longitude et au delà de la pre-
mière moitié du Sahara.
L^ élément scientifique et technique est beaucoup plus faiblement représenté
dans la mission Foureau-Lamy que dans les missions Fiatters 221
CHAPITRE X
La marche et les observations de la mission Foureau-Lamy.
Marche de la mission Foureau-Lamy. — Analyse du journal de route. —
La traversée môme du désert a pris moins de cinq mois, et l'immobilisa-
tion dans TAIr, par les difficultés que suscitèrent les Touareg, plus de
huit mois. — Les détours ou excursions faites au cours du trajet, les
renseignements faux et parfois la trahison certaine des guides ont sen-
siblement allongé la traversée. — Les guides paraissent intentionnelle-
ment avoir fait prendre à la mission la route la plus mauvaise, dans le
pays le plus désolé.
Difficultés pour la nourriture constante des 1 200 à, 1 300 chameaux.
Les diverses natures de terrains traversés ; confirmation des observations
de Fiatters.
Les pluies et les points d'eau. ~ Abondance de ces derniers. — Le système
hydraulique du Sahara est beaucoup mieux constitué qu'on ne se Tima-
gine : sur terre ou sous terre, Teau s'y rencontre fréquemment. — Au
lieu d'aider la nature dans le Sahara, l'homme lui nuit. — Le moindre
aménagement et un entretien soigneux des puits donneraient des résul-
tats notables.
Constatations de Foureau sur les pâturages et le bois au Sahara. — Les
arbres au Sahara : le gommier, l'éthel ; plateaux boisés. — Végétation
herbacée très variée. — Tous ces pacages pourraient, en nombre de cas,
être améliorés par l'homme. —- La faune assez diversifiée du Sahara.
Groupes de population permanente au Sahara ; ils pourraient être considé-
rablement accrus si l'on procurait au pays la sécurité 230
CHAPITRE XI
La mission Foureau-Lamy [Suite). — Les diverses étapes de la mission et les
CARACTÈRES SPÉCIAUX DES DIVERSES ZONES PARCOURUES.
Les différentes parties du trajet. — Première section : d'Ouargla (32« degré
de latitude) à Aln-el-Hadjadj (au-dessous du 27<^ degré) ; plaine facile. —
Excellence de la situation de Témassininc; possibilité d'importante oasis.
488 TABLE DES MATIÈRES.
Grands froid» au Sahara la nuit en décembre et janvier : le thermomètre
descend à lO© au-dessous de zéro.
Faible hauteur de la chaîne de partage des eaux entre la Méditerranée et le
bassin du Tchad.
A partir d'Issala non loin de Tadent, proximité du trajet de Barth et de
celui de la mission Foureau-Lamy. — Comparaison des observations de
l'un et de l'autre. — Puits qui ont disparu depuis Barth. — Prédomi-
nance de la plaine. » Description favorable par Barth de la végétation de
la contrée qui précède l'Aïr sur une largeur de deux degrés de longi-
tude. — Le journal de Foureau confirme ces observations. — Faune
abondante.
Obstacles apportés, dans l'Aïr, par les Touareg Kéloui k la marche et au
ravitaillement de la mission Foureau-Lamy. — La mission est immobi-
lisée, de ce chef, pendant huit mois dans les villages de TAïr. — L'Air
est non pas un chapelet d'oasis, mais une continuité de terres cultivées
ou cultivables sans irrigation.
Les observations de la mission Foureau-Lamy, rapprochées de celles de
Barth pour la seconde partie du trajet, suggèrent des réflexions très
ri^confortantes. — Conclusion du rapport du commandant Reibell, de
l'escorte de la Mission Saharienne. — Les difficultés que la mission eut à
surmonter vinrent beaucoup moins de la nature des lieux que de celle des
hommes -51
CHAPITRE XII
L'AÏR ET LE Damergou d'après Barth et d'après le journal de F0DRE\r.
Le Sahara, quoiqu'il offre des possibilités pastorales etculturales, sans doute
aussi minières, vaut surtout comme route vers les contrées tropicales de
l'Afrique.
Description de l'Aïr, avancée du Soudan dans le Sahara. — Barth y constate
de riches vallées, de bonnes eaux, une végétation abondante.
Les observations de la mission Foureau-Lamy ne contredisent pas celles
de Barth. — Les Touareg y retiennent et cherchent k y affamer la mis-
sion : angoisses de celle-ci. — Descriptions très favorables du journal de
Foureau sur les abords de l'Aïr : « On dirait presque une prairie émaillée
d'arbres. » — Belle végétation arbustive dans tous les ravins. — Nombreux
arbres d'environ 2 mètres de circonférence. — Végétation jusqu'au som-
met des collines. — Essences d'arbres nouvelles. — Faune abondante. —
Année relativement sèche au temps de Foureau. — Pluies constatées par
lui et par Barth.
Le Damergou. — « La campagne, d'après Foureau, est riante et semble une
plaine cultivée de France». — Affleurements ferrugineux. — Riches mine-
rais de cuivre d'après Barth 260
CHAPITRE XIII
Autres témoignages récents sur le Sahara. — Explorations Cottenest;
GuiLLo-LouAN ; Requin; Besset; Pein. — Le IIoggar et le Mouydu.
L'exploration du lieutenant Cottenest au Hoggar au printemps de 1902. -
Pluies. — Grande facilité du terrain sur plus de 600 kilomètres au sud
d'Insalah. — - Nouveau témoignage que la plus grande partie du Sahara
présente une surface de reg ou de sol uni et consistant. — Troupeaux
des Touareg : chèvres, moutons, ânes.
Exploration du lieutenant Guillo-Lohan au Hoggar en octobre 1902 : « Pluies
torrentielles et crues violentes d'oueds ». — Montagne de 3 000 mètres
dans le Hoggar. — Nombreux troupeaux. — Impression favorable que
fait le pays.
TABLE DES MATIÈRES. 489
Expédition du lieutenant Requin au Mouydir. — Abondance des p&tu-
rag^es, des bois et des eaux. — Pluies fin mai. — Cultures abandonnées.
— Nombreuses eaux k la surface du sol. — Conclusions très favorables
à cette contrée.
Exploration du lieutenant Besset dans la région d'Insalah, Ainguid, le
Mouydir (Est) et Ifatessen. — Indications également très favorables,
notamment au point de vue géologique. — Notes du professeur Flamand
à ce sujet.
Les missions diverses du capitaine Pein. — Territoires propices qu'il tra-
verse. — Eaux et cultures.
Caractère uniformément favorable de toutes ces observations faites en des
saisons différentes et sur des tracés divers.
Possibilités pastorales, culturales et minérales du Sahara. — L'insécurité
profonde et croissante, l'ignorance des méthodes de recherche et d'amé-
nagement des eaux et Tincurie sont, beaucoup plus que la nature, les
causes de la désolation de cette immense contrée 291
LIVRE III
LE SOUDAN CENTRAL ET OCCIDENTAL.
CHAPITRE PREMIER
La région de Zinder.
Immensité des terres soudanaises constituant le lot africain de la France.
— Le Soudan central. — Zinder.
Les descriptions très favorables de Barlh sur les pays à l'ouest et à l'est
de Zinder. — Les villes de Mirria, de Vouchek et de Gouré. — Nombreuses
cultures de coton et de tabac.
Description du capitaine Joalland en 1900. —Témoignage très net en faveur
des ressources du pays. — Son enthousiasme pour Zinder et la région
environnante.
Le témoignage de M. Foureau n'infirme aucunement les témoignages pré-
cédents. — Son récit de son entrée à Zinder. — Sa description de la ville,
du commerce et de l'industrie des habitants. — Abondance des objets
travaillés en cuir et en cuivre.
Le pays apparatt comme très minéralisé. — Probabilité de gisements de
cuivre. — Énormes gisements de fer constatés par M. Dorian.
Goûts de confortable et de raffinement relatif de la population.
Zinder, voisine et rivale possible de Kano, est la vraie porte du Soudan
central 326
CHAPITRE H
La région du lac Tchad. — La zone d'inondation du lac et de ses tributaires.
La contrée entre Zinder et le lac Tchad. — Importante rectification de fron-
tière nous donnant pour limite la rivière du Komadougou, par l'accord
franco-anglais de 1904.
Dévastation de tout le pays par Rabah. — Description que fait M. Foureau
de ces ravages et de ces ruines, particulièrement en ce qui touche la
vUle de Kouka.
La partie du pays ayant échappé à ces ravages donne des preuves de
richesse actuelle et de beaucoup plus grande richesse possible. — Bétail
superbe, d'après M. Foureau. — Abondance de la vie animale. — Belle
490 TABLE DBS MATIÈRES.
végétation : arbres extraordinaires. — « Cultures de mil & perte de vue >.
— Tabac, indigo, coton. — Rapprochement des témoignages de Fourean
et de Barth sur les cultures de coton. « Champs de coton ».
Les inondations périodiques du Tchad, du Komadougou et des autres cours
d'eau de la région. — Évaluation de Taire de ces inondations.
Les objections et les inductions de M. Chevalier. — Gomment elles ne
peuvent prévaloir contre la concordance des nombreuses explorations
antérieures. — L'insécurité constante et accrue sous Rabah est la seolo
cause de l'abandon des cultures et de la réapparition de la brousse. —
Témoignages à, ce sujet.
Le Kanem ; témoignages de Foureau et de Joalland.
Témoignages de Gentil : « Décidément la région du Tchad est riche ».... ^T
CHAPITRE III
Le Soudan NioéaiEN.
Caractère du Niger et importance passée, actuelle et surtout future, des
contrées qu'il traverse et qu'il arrose. — Les trois sections principales
du fleuve. — La France détient le Niger supérieur et le Niger moyen. —
Les inondations périodiques du Moyen-Niger. — Les descriptions du
capitaine Lenfant. — Le Nil français. — La région de Say. — La région
de Djennô. — Preuves d'une grande population et d une civilisation
avancée dans ces contrées. — La ville même de Djenné. — Le delta du
Bani-Djoliba. — L'insécurité, l'invasion Touareg et la traite sont Ie$
seules causes du recul de ces régions très favorisées de la nature. —
Qualités très appréciables des populations agricoles des bords du PTiger
moyen et du Niger supérieur. — Jugement que porte sur elles le capi-
taine Lenfant. — Facilités qu'offre le moyen Niger pour la culture du
coton. — Millions d'hectares qui pourraient y être affectés & cette culture.
— Renseignements et calcul sur l'avenir cotonnier de cette région. — Le
Transsaharien est la seule voie propice pour les échanges entre te
Moyen-Niger et l'Europe : les chemins de fer Sénégalais ne desserviront
utilement que le Haut-Niger. — Démonstration à ce sujet 355
LIVRE IV
DE L'EXéCUTION ET DU TRAFIC DES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIENS.
CHAPITRE PREMIER
Facilité et coût modique de l'entreprise.
Les chemins de fer transsahariens sont des œuvres relativement modestes.
— Leur étendue est très inférieure A celle des grandes lignes de l'ancien
et du nouveau monde.
La plus grande partie des tronçons qui les composent s'imposera dans un
temps prochain, môme indépendamment de toute idée transsaharienne.
— Si l'on déduit ces tronçons en toutes circonstances nécessaires dans
le Sud-Algérien et le Soudan, la longueur proprement dite des Transsaha-
riens devient très modique.
Le sol du Sahara se prête merveilleusement & l'établissement d'une voie
ferrée. — La salubrité du pays facilite les travaux.
Aucune objection sérieuse ne peut être faite du chef de l'insuffisance des
eaux pour l'exploitation.
TABLE DES MATIÈRES. 491
a construction sera très peu onéreuse. — Elle devra se tenir entre 500Û0
et 60 000 francs le kilomètre,
es frais d'exploitation aussi s'annoncent comme modiques 371
CHAPITRE II
Les éléments de trarc des chemins de fer transsahariens.
.es chemins de fer transsahariens mettant le Soudan & cinq ou six jours
des capitales des grands peuples colonisateurs, Paris, Londres, Bruxelles,
Berlin, sont naturellement appelés à, un important trafic. — Ils seront
les principales voies de pénétration et de service pour toute l'Afrique
intérieure, jusque vers Téquateur. — Ils représenteront, pour les voya-
geurs, une grande économie relativement aux ^transports maritimes et
mettront les voyageurs à, l'abri des fièvres de la côte,
«es différentes catégories de voyageurs qui se serviront des Transsahariens.
— Grande importance certaine du courant de migration temporaire des
noirs du Soudan vers l'Algérie et la Tunisie. — Les prix de transport des
catégories diverses des voyageurs par ces voies. Les recettes de ce chef,
je trafic des marchandises. — Le sel ; à, lui seul le transport de cette den-
rée procurerait plusieurs millions de francs au chemin de fer transsaha-
rien. — Il en est de même du sucre; la baisse des prix effectuée par la
d\roinution des prix de transport développerait énormément la consom-
mation soudanaise de ces contrées. — Le transport du café et du thé. —
Importance de cette dernière consommation dans l'Afrique intérieure.
Le transport des objets manufacturés du sud au nord ; calcul de leur impor-
tance d'après certaines analogies.
Le trafic des marchandises du sud au nord. — Ce trafic n'existe actuelle-
ment que pour les articles qui peuvent supporter un prix do transport
de 600 h 1000 francs la tonne. — Tout un trafic nouveau se créera
quand le prix moyen de transport entre la Méditerranée et le Soudan
descendra à, 70 ou 80 francs la tonne (2 1/2 à 2 3/4 centimes le kilomètre)
pour les marchandises ordinaires et à 30 ou 45 francs la tonne (1 centime 1/4
ou 1 centime 1/2 la tonne) pour les marchandises ayant le moins de
valeur.
Preuve, d'après les tarifs existant sar les chemins de fer exploités à longue
distance, qu'un tarif moyen de 2 1/2 centimes et un tarif minimum de
1 centime 1/4 seraient possibles et rémunérateurs pour un transport de
2500 à 3 000 kilomètres, sans manipulations intermédiaires.
Dès maintenant, il existe une nature de marchandises d'exportation sus-
ceptible d'un énorme développement : les peaux du Soudan. — .Autres
produits d'exportation déjà constatés. — Le principal article, toutefois,
doit être le coton. — Immense avenir cotonnier de l'Afrique intérieure
(région du Tchad et région du Niger). — 11 y a là l'équivalent du Tur-
kestan, sinon de l'Egypte.
Les produits minéraux. — Tous les bons minerais de cuivre, de zinc,
même de plomb, pourraient payer les tarifs des Transsahariens et trouver
un débouché en Europe. — Les nitrates entre le Touat et le Hoggar. —
Certitude d'importants gisements de cuivre et probabilités de gisements
d'autres minéraux. — Exportation actuelle de la potasse de l'Air.
Résumé du trafic probable des chemins de fer transsahariens. — Il rému-
nérerait largement le capital engagé.
Aucune entreprise ne s'offre aujourd'hui à la France dans des conditions
aussi avantageuses 390
492 TABLE DES MATIÈRES.
CHAPITRE IH
Combinaison pour pourvoir aux éventualités de déficit, quoique iiPioBAtiEs,
DES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIENS
»La loi de juillet 1904 stipulant la décroissance automatique des garanties
d'intértMs de la France au réseau ferré algérien existant. — Décroissance
automatique de même nature, d'après une convention de 190â. de la
garantie d'intérêts aux chemins de fer tunisiens. — Possibilité d'affecter
ces disponibilités certaines & couvrir les insuffisances éventuelles, très
peu probables, des chemins de fer transsahariens : calculs à ce sujet
Apport de trafic que les chemins de fer transsahariens feraient aux lignes
algériennes actuellement existantes : évaluation du bénéfice de cet
apport. — Trafic actuel de la gare terminus de Béni-Ounif. — Le trafic
actuel en marchandises de la gare de Biskra.
De l'économie pQur l'entretien des garnisons et pour l'administration dan<
l'extrême sud algérien, sur les rives du Niger et dans la région du
Tchad ; calculs à ce sujet ♦-*
CHAPITRE IV
'Concurrence entre les chemins de fer transsahariens et les voies roi
l'Atlantique. — Giiandb suPÉRioRrrÉ des premiers pour desservir L'AFUjrE
intérieure.
Les voies soit fluviales, soit mi-partie fluviales mi-partie ferrées, soit entière-
ment ferrées, allant de l'Afrique intérieure vers la côte de l'Atlantique
ne pourront faire une concurrence sérieuse aux chemins de fer transsa-
hariens.
Môme au cas où il y aurait» par les voies de l'ouest ou du sud-ouest, une
sensible diminution de distance, elle serait beaucoup plus que compensée
par l'infériorité des ports, dont les barres rendent l'accès dangereux,
par l'insalubrité et par l'éloignement de l'Europe. — La surcharge de fret
et des assurances maritimes dépasseraient de beaucoup l'économie sur
le transport par terre.
Innavigabilité du Niger sur rintégralitc de son parcours. — Ce fleuve est
comme quatre ou cinq fleuves juxtaposés, mais sans communication
entre eux. — Les différents biefs du Niger et les rapides. — La naviga-
bilité sur chacun de ces biefs. — Coût énorme du transport d'une tonne
des bouches du Niger & Say ou à Tombouctou ; ce coût égale huit à dii
fois le prix de transport sur le Transsaharien. — Dépenses prodigieuses
qu'exigerait la mise en état approximatif de navigabilité de ce fleuve.
La navigabilité défectueuse du Sénégal. — Détails à ce sujet. — Le che-
min de fer de Kayes au Niger. — Nécessité de le prolonger jusqu'à la
ligne Dakar-Saint-Louis. — Il recevra surtout le trafic du Niger supé-
rieur et de la moindre partie du Niger moyen. — Le chemin de fer
transsaharien attirera à. lui une bonne partie du trafic du moyen Niger,
de Ségou à Mopti et la totalité du trafic des régions de Mopti, de Tom-
bouctou, Ansongo jusqu'à Say.
La nouvelle route, découverte par le capitaine Lenfant, d'accès au TchaJ
par la Bénoué. — Klle ne peut avoir qu'une portée économique tr»s
restreinte, et ne peut, à aucun point de vue, lutter contre le Transsaha-
rien. — Les deux Transsahariens ne peuvent avoir aucune voie rivale
effective *^
Table des matières. 493^
CHAPITRE V
DZ LA CONSTRUCTION ET DE l'bXPLOITATION DES CHEMINS DE FER TRANSSAHARIENS.
État ou compagnies privées? Conclusion.
•a construction et l'exploitation des chemins de fer transsahariens doit
être confiée à des compagnies privées.
)oux déplorables exemples de la construction par l'État français : le che-
min de fer du Soudan (liaison du Sénégal et du Niger), long de 560 kiio-
nièlres, a été construit par l'État en vingt-trois ans, avec un prix triple
ou quadruple de ce qui eût été nécessaire; la petite ligne de 118 kilo-
mètres d'Aïn-Sefra à Duveyrier, dans le Sud-Oranais, a pris neuf ans
pour sa construction par l'Etat.
La continuation de cette ligne d'une extrême importance économique et
stratégique subit les mêmes lenteurs. — Gaspillages parlementairement
constatés. — Môme l'intérêt militaire le plus évident ne fait pas départir
rÉtat de ces lenteurs. — Trois causes de ces irrémédiables lenteurs de
VÉlat. — Questions de trésorerie qui rendent très diffieile la construction
par rÉtat français de lignes étendues.
La construction par l'État russe du Transcaspien et du Transsibérien ne
saurait servir d'argument en faveur de la construction par l'État. — Il
est reconnu aujourd'hui que, si méritoire qu'ait été la construction de ces
deux grandes œuvres de l'État moscovite, elles sont entachées de beau-
coup de lacunes, de défauts et de prodigalités.
Les tracés des Transsaharicns. — Prétention de dévier au sud du Maroc et
vers l'Atlantique les lignes sud-oranaises. Grands inconvénients de ce
projet.
Frais énormes et soucis que cause l'absence des Transsahariens. — Impos-
sibilité, sans eux, de constituer l'empire français africain. — Conclusion. 456
APPENDICE
Les tarifs et le trafic du chemin de fer transcaspien ou du Turkestan 473-
3:4-04.— GoBBKiL. Imprimerie Ed. CrAté.
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