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Full text of "Le Sahara, le Soudan et les chemins de fer transsahariens"

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LE    SAHARA 


LE  SOUDAN 


B¥    LEti 


CHEMINS  DE  FEU  THA^SSAllAUfEiNS 


PAUL^LEROY-BEAULIEU 


AVEC     UNE     CARTE 


PARIS 
GUiLLAUMIN  ET  C*' 

Hl'K    «JrîlELTKr,     H 

ivm4 


i 


LE    SAHARA 

LE  SOUDAN 

ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRàNSSAHARIENS 


AUTRES  OUVRAGES  DU  MÊME  AUTEUR 


De  l'état  moral  et  intellectuel  des  populations  ouTriôres,  et  de  son  influence 
sur  le  taux  des  salaires.  Ouvrage  couronné  par  l'Académie  des  scienct'> 
morales  et  politiques,  Paris,  1868,  librairie  Guillaumin.  (Épuisé.) 

Recherches  économiques,  historiques  et  statistiques  sur  les  guerres  contem- 
poraines. Paris,  1869,  librairie  Lac7*oix'Verbœckhoven. 

La  question  ouvrière  au  XIX«  siècle.  2*  édition.  Paris,  1882,  librairie  Charpentier. 

L'administration  locale  en  France  et  en  Angleterre.  Ouvrage  couronné  par 
l'Académie  des  sciences  morales  et  politiques.  Paris,  1872,  librairie  Guillaumin. 
(Épuisé.) 

Le  travail  des  femmes  au  XIX«  siècle.  Ouvrage  couronné  par  l'Académie  des 
sciences  morales  et  politiques.  Paris,  1873,  librairie  Charpentier. 

Traité  de  la  science  des  finances.  Deux  volumes  in-8,  7»  édition.  Guillaumin, 
1905. 

Essai  sur  la  répartition  des  richesses  et  sur  la  tendance  à  une  moindre  iné- 
galité des  conditions.  4«  édition,  1897,  librairie  Guillaumin. 

De  la  colonisation  chez  les  peuples  modernes,  histoire  et  doctrine.  5«  édition, 
1902,  Guillaumin,^  éditeur. 

Le  collectivisme,  examen  critique  du  nouveau  socialisme  et  l'évolution  du 
socialisme  depuis  1895.  k^  édition,  1903,  Guillaumin. 

L'Algérie  et  la  Tunisie.  Un  volume  in-8,  2«  édition,  Guillaumin,  1897. 

L'État  moderne  et  ses  fonctions.  Un  volume  in-8,  S^^  édition,  1900,  Guillaumin. 

Précis  d'économie  politique.  9«  édition,  1904,  Delagrave. 

Traité  théorique  et  pratique  d'économie  politique.  4  volumes  in-8, 3«  édition, 
Guillaumin,  1900. 

Un  chapitre  des  mœurs  électorales  en  France,  en  1889-90.  Brochure,  librairî»> 
Guillaumin  et  librairie  Chaix. 


39i-04.  —  CoRBEiL.  Imprimerie  Éo.  CRtrt. 


LE    SAHARA 

•  •«••••••         •   ••• 

LE   SOUDf-À-!*f------^^^--=-' 


ET    LES 


CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIENS 


PAUL  LEROY-BEAULIEU 

MBMBIIB    DE    L'INSTITUT,    PROFESSEUR  AU  COLLÈGE   DE    FRANCE 

DIRECTEUR  DE  L^ÉcoHomiste  Français 


AVEC     UNE     CARTE 


PARIS 
GUILLAUMIN  ET  C^« 

ÉDITEURS    DU     JOURNAL    DES    ÉCONOMISTES 
RUE   RICHELIEt,     14 

1904 


Me  en-y 


Çrit\  cÇ  "Br./i-H-   i  /  .'i^ 


s«^ 


PRÉFACE 


Le  livre  que  nous  publions  sous  le  titre  :  Le  Sahara, 
le  Soudan  et  les  Chemins  de  fer  iranssahariens,  est  le 
résultat  de  trente  années  d'observations  et  d'études. 

Dès  ma  première  jeunesse,  je  me  suis  ardemment  in- 
téressé au  Sahara  et  au  Soudan.  En  1879,  applaudissant 
au  projet  de  l'ingénieur  Duponchel,  j'écrivais  un  article 
dans  le  Journal  des  Débats  pour  la  jonction  par  voie 
ferrée  de  l'Algérie  et  du  Soudan. 

Depuis  lors,  j'ai  multiplié  dans  ce  sens  les  efforts  :  ar- 
ticles dans  Y  Économiste  français,  dans  le  Journal  des 
Débats  et  dans  la  Revue  des  Deux  Mondes  (1),  confé- 
rences nombreuses  à  Paris,  Lyon,  Nancy,  le  Havre, etc., 
démarches  de  toutes  sortes. 

Le  présent  ouvrage  est  autre  chose  que  la  reproduc- 
tion ou  la  réunion  de  mes  études  antérieures;  je  l'ai  fait 
l\  nouveau,  avec  tous  les  matériaux  récents,  en  lui  don- 
nant un  enchaînement  et  un  lien  que  ne  peuvent  avoir  des 
articles  divers. 

J'y  traite  d'abord  du  Sahara;  je  n'hésite  pas  à  dire 
que  ce  livre  est  la  complète  réhabilitation  du  Sahara. 
Une  légende  fâcheuse  pèse  sur  cette  immensité.  On  se 
la  représente  comme  une  continuité  de  sables  mouvants, 
dépourvue  d'eau  et  de  pluie,  privée  de  toute  vie  animale 
et  végétale. 

(1)  Voyez  notamment  dans  la  Revue  des  Deux  Mondes  mes  articles  du  1^^'  juil- 
let 1899,  du  !•'  octobre  et  du  !•'  novembre  1902. 


917102 


VlU  PRÉFACE. 

et  de  modestes  cultures,  avec,  de  place  en  place,  quelques 
riantes  oasis,  constituerait  encore  un  domaine  magni- 
fique, un  des  plus  beaux  domaines  que  nous  possédions. 

Ce  qui  condamne,  beaucoup  plus  que  la  nature,  le 
Sahara  à  n'être  guère  qu'une  solitude,  dans  les  condi- 
tions passées  et  dans  les  conditions  présentes,  c'est 
TefFroyable  insécurité  qui  le  désole. 

Sur  cette  insécurité  constante  qui,  si  elle  ne  l'y  supprime 
pas  complètement,  comprime  et  restreint  toute  vie  au 
Sahara,  nous  fournissons  aussi  les  témoignages  les  plus 
abondants. 

Établissez  la  sécurité  dans  cette  immensité,  accom- 
pagnez ce  bienfait  de  quelque  art  dans  la  recherche  et 
l'aménagement  des  eaux,  et  le  Sahara  nourrira,  au  bout 
de  quelques  décades  d'années,  une  dizaine  de  millions 
d'hommes,  sinon  même  deux  dizaines  de  millions 
d'hommes* 

Outre  ses  «  possibilités  »  pastorales,  culturales,  en 
quelques  endroits  peut-être  forestières,  le  Sahara  tient 
en  réserve  de  précieuses  ressources  minérales. 

C'est  beaucoup  plus  le  sous-sol  que  le  sol  qui  contri- 
bue, dans  le  temps  présent,  à  lancer  une  contrée  neuve. 
Certes,  on  ne  peut  compter  trouverau  Sahara  des  mines 
d'or  ou  de  diamant.  Mais  il  suffit  que  l'on  y  rencontre 
du  cuivre,  du  plomb,  du  zinc,  d'autres  substances  miné- 
rales, jadis  dédaignées  ou  inutilisées,  des  nitrates  et 
autres  de  ce  genre.  Or  ,  de  ce  côté,  on  peut  avoir  toute 
certitude;  le  cuivre  notamment  abonde  au  Sahara.  Sans 
parler  des  districts  avoisinant  le  Tidikelt,  le  Touat,  le 
Mouydir  et  le  Hoggar,  où  les  indices  sont  excellents,  on 
sait,  de  source  absolument  certaine,  que  la  contrée  entre 
TAïr  et  Zinder  est  très  minéralisée.  Barth  l'avait  signalé, 
il  y  a  quarante  ans;  l'abondance  du  cuivre  et  les  usages 


PRÉFACE.  IX 

variés  qu'en  font  les  habitants  en  fournissent  aussi  la 
preuve  :  enfin  M.  Dorian,  appartenant  à  une  grande 
famille  métallurgique  etmembre  delà  Mission  Foureau, 
Va  reconnu  (i). 

Le  gouverneur  de  la  Nigeria  britannique,  sir  Frédéric 
Lugard,  dans  un  rapport  de  cette  année  même,  constate 
l'importante  exportation  de  potasse  qui  se  fait  de  notre 
possession  sud-saharienne,  TAïr  ou  TAsben,  à  travers  la 
Nigeria  (2).  Combien  seraient  facilitées  ces  exportations 
avec  une  voie  ferrée  à  bas  tarifs  ! 

Nous  traitons  aussi  du  Soudan  au  cours  de  cet  ou- 
vrage, mais  plus  brièvement  que  du  Sahara,  parce  qu'il 
est  plus  connu  et  plus  apprécié.  Nos  deux  Soudan,  le 
Soudan  nigérien  et  le  Soudan  du  Tchad,  ont  d'immenses 
€  possibilités  »,  pour  nous  servir  d'un  terme  britannique. 

Il  n'y  a  aucun  doute  qu'un  jour,  si  nous  ne  laissons 
pas  échapper  l'occasion  et  si  nous  les  conservons,  ces 
deux  contrées  complémentaires,  le  Sahara  et  le  Soudan 
constitueront  la  plus  merveilleuse  colonie  française  d'ex- 
ploitation. Aucune  autre,  sans  en  excepter  l'Indo-Chine, 
ne  pourra  lui  être  comparée. 

Pour  conserverie  Soudan,  de  même  que  pour  l'exploi- 
ter, ainsi  que  le  Sahara,  il  est  de  toute  nécessité  que 
nous  construisions  sans  aucun  retard   des  chemins  de    \ 
fer  transsahariens. 

Notez  que  nous  parlons  au  pluriel  ;  nous  disons  des 
chemins  de  fer  transsahariens  et  non  pas  le  chemin  de 
fer  transsaharien. 

Il  faut,  en  effet,  pour  la  consolidation  et  l'exploitation 
de  l'Empire  français  africain,  actuellement  embryon- 
naire et  dispersé,  deux  chemins  de  fer  transsahariens 

(1)  Voy.  plus  loin,  pages  273,  335  et  413. 

(2)  Voy.  plus  loin,  page  417. 


X  PRÉFACE. 

courant  chacun  le  plus  directement  possible  du  nord  au 
sud,  desservant  d'ailleurs  des  sphères  différentes,  puis- 
qu'ils auront,  à  leurpoint  de  départ  en  Algérie,  un  écart 
de  5oo  à  Goo  kilomètres  et,  à  leur  arrivée  au  Soudan, 
un  écart  de  i  200  à  1  5oo  kilomètres. 

Il  convient  d'établir  rapidement  le  Transsaharien  du 
Niger,  déjà  amorcé  surplus  de  700  kilomètres  depuis 
Oran,  et  où  il  ne  reste  plus  que  1 600  à  1 700  kilomètres 
à  construire,  puis  le  Transsaharien  du  Tchad,  qui,  à 
notre  grande  honte  et  à  notre  grand  préjudice,  n'est 
encore  amorcé  que  sur  33o  kilomètres  depuis  Philippe- 
ville.  Dès  que  l'un  de  ces  Transsahariens  sera  livré  à  l'ex- 
ploitation, on  sera  tellement  édifié  par  la  facilité  et  le  bas 
prix  d'établissement,  le  bon  marché  de  l'exploitation  et 
l'abondance  du  trafic,  qu'on  se  mettra  avec  empresse- 
ment à  construire  le  second. 

Ces  chemins  de  fer  transsahariens  sont,  en  eux-mêmes, 
des  œuvres  infiniment  modestes,  qui  ne  doivent  coûter 
qu'une  cinquantaine  de  mille  francs  le  kilomètre;  par 
exception,  dans  quelques  rares  passages  moins  aisés,  une 
soixantaine  de  mille  francs.  Le  Transsaharien  du  Niger 
peut  être  achevé  avec  moins  de  cent  millions,  le  Trans- 
saharien du  Tchad  avec  cent  cinquante  ou  cent  soixante 
millions. 

Nous  analysons  avec  soin  le  trafic  en  vue  :  il  est  abon- 
dant et  varié;  les  voyageurs  ne  manqueront  pas,  notam- 
ment les  voyageurs  noirs;  nous  en  faisons  le  décompte. 
Quant  aux  marchandises  :  du  nord  au  sud,  le  sel,  le 
sucre  et  les  produits  manufacturés;  dans  le  sens  du 
sud  au  nord,  les  peaux  d'animaux  (le  bétail  étant  abon- 
dant et  très  beau  dans  ces  régions),  la  laine,  l'alpaga,  le 
coton  surtout,  le  tabac,  les  substances  tinctoriales,  les 
minerais  et  autres  substances  minérales  (nous  rappelons 


PRÉFACE.  -XI 

que,  dès  maintenant,  par  des  voies  longues  et  coûteuses, 
la  potasse  s'exporte  de  TAïr)  (i)  assurent  un  fret  ample 
et  varié.  On  arrivera  rapidement  à  i  looo  ou  12000  francs 
de  recette  brute  par  kilomètre  pour  chacun  des  Trans- 
sahariens. 

Presque  tout  le  trafic  se  faisant  d'outre  en  outre,  sans 
aucune  manipulation  intermédiaire,  les  noirs  très  raffi- 
nés du  Soudan  pouvant  être  employés  comme  hommes 
d'équipes,  gardiens  de  la  voie,  chauffeurs  même,  les 
gares  étant  relativement  peu  nombreuses,  les  frais  d'ex- 
ploitation pourront  être  faibles  et  les  tarifs  bas. 

Nous  publions  en  appendice  les  tarifs,  qui  nous  ont 
été  communiqués  courtoisement  par  l'administration 
russe,  des  chemins  de  fer  de  l'Asie  centrale  et  de  la 
Sibérie,  on  y  verra  que,  sur  ce  type,  le  prix  en  troi- 
sième classe  du  transport  des  voyageurs  du  Soudan 
à  la  Méditerranée  et  vice-versa  serait  seulement  d'une 
quarantaine  de  francs,  et  que  le  tarif  des  marchandises 
communes  pourrait  descendre  à  1  centime  1/4,  même 
à  1  centime  le  kilomètre,  soit  3o  à  40  francs  la  tonne 
du  Soudan  à  la  Méditerranée  ou  de  la  Méditerranée  au 
Soudan.  II  n'est  guère  de  marchandise,  parmi  les  plus 
communes,  qui  ne  pût,  à  ce  bas  coût  de  transport,  être 
amenée  de  l'Afrique  intérieure  en  face  de  Marseille, 
Barcelone,  Gênes,  Trieste  et,  moyennant  un  fret  supplé- 
mentaire dey  à  8  francs  la  tonne,  à  Liverpool,  Londres, 
Anvers,  Rotterdam  ou  Hambourg. 

Les  voies  de  l'ouest,  soit  fluviales,  soit  mi-fluviales, 
mi-ferrées,  soit  complètement  ferrées,  allanl  de  l'Atlan- 
tique ou  du  golfe  de  Bénin  à  l'Afrique  intérieure,  ne 
pourront  jamais  supporter  la  concurrence  des  chemins 

(1)  Voy.  plus  loin,  page  417. 


XII  PRÉFACE. 

de  fer  transsahariens.  Les  voies  de  Touest  ou  du  sud-ouest 
aboutissent  à  des  ports  ravagés  par  les  fièvres  paludéennes 
et  la  fièvre  jaune,  entravés  par  des  barres,  imposant  à  la 
navigation  et  aux  assurances  de  lourdes  surcharges. 

La  voie  du  nord,  celle  du  Sahara,  a  un  avantage  im- 
mense :  outre  la  rapidité,  c'est  l'absolue  salubrité-  Le 
Sahara  est  une  des  contrées  les  plus  salubres  du  globe  ; 
qu'on  lui  procure  la  sécurité,  qu'on  y  pose  des  voies 
ferrées  (car  il  ne  s'agit  que  de  poser  les  rails  presque 
sans  travaux  d'art  et,  à  coup  sûr,  sans  achat  de  terrains) 
et  ces  voies  ferrées  constitueront  immédiatement  la  voie 
de  transport  idéale. 

On  ne  saurait  trop  répéter  que  les  chemins  defer 
transsahariens  sont  des  œuvres  tout  à  fait  ^odesjes^ 
cela  apparaît  avec  netteté,  quand  on  en  analyse  les  élé- 
ments. Voici  le  Transsaharien  du  Niger  ;  il  est  actuelle- 
ment amorcé,  depuis  Oran,  sur  700  kilomètres  livrés  à 
l'exploitation  ou  en  construction;  personne  ne  conteste 
qu'il  faudra  le  pousser  5oo  ou  Goo  kilomètres  plus  loin 
à  nos  oasis  du  Touat  et  du  Tidikelt.  D'autre  part,  au 
moment  où  nous  revoyons  ces  lignes,  on  annonce  offi- 
ciellement que,  en  partant  de  Tombouctou,  nous  allons 
faire  occuper  par  deux  compagnies  le  poste  d'Araouan,  qui 
est  en  plein  désert  à  35o  kilomètres  environ  au  nord  du 
Niger  ;  Araouan  même  se  trouve  à  400  kilomètres  de  Taou- 
déni,  la  grande  saline^  qui  alimente  de  sel  tout  le  Soudan 
occidental  ;  il  n'y  a  aucun  doute  qu'il  faudra  faire  pro- 
chainement une  ligne  ferrée,  longue  de  ybo  kilomètres 
environ,  de  Taoudéni  à  Tombouctou  et  que,  par  le  seul 
transport  du  sel,  cette  ligne  sera  productive;  le  Trans- 
saharien occidental  représente  donc  uniquement  la  jonc- 
tion entre  les  deux  lignes  reconnues  nécessaires  de  Béni- 
Ounif  au  Touat  ou  au  Tidikelt  au  nord  et  de  Taoudéni  à 


PRÉFACE.  XIII 

Tombouctou  au  sud  ;  ce  n'est  qu'une  lacune  à  combler  de 
700  à  jDO  kilomètres  environ,  ne  représentant  pas  une 
dépense  de  plus  de  4o  millions  de  francs.  Voilà  à  quoi 
se  réduit,  en  réalité,  le  Transsaharien  occidental.  Nous 
nous  livrons,  au  cours  de  cet  ouvrage,  à  un  calcul  ana- 
logue, en  ce  qui  touche  le  Transsaharien  du  Tchad,  qui, 
lui  aussi,  quand  on  en  déduit  les  tronçons  reconnus 
nécessaires  au  nord  et  au  sud,  apparaît  comme  une  œuvre 
réellement  modeste.  Et,  cependant,  combien  immenses 
seraient  les  résultats  ! 

Les  tropiques  mis  à  six  jours  de  Paris,  six  jours  et 
demi  de  Londres  et  de  Bruxelles,  sept  jours  de  Berlin; 
une  pareille  conjonction  des  contrées  tropicales  riches 
et  des  capitales  des  grandes  nations  colonisatrices  ne 
peut  se  faire  que,  sur  ce  point  unique  du  globe,  à  travers 
le  Sahara. 

Il  est  impossible  à  un  esprit  réfléchi,  expérimenté,  au 
courant  des  grandes  entreprises  modernes  et  apte  à  les 
juger,  de  douter  de  Timmense  avenir  du  Sahara. 

Ceux  qui  parlent  mal  de  cette  immensité  n'ont  ni 
réflexion,  ni  expérience  ;  ils  renouvellent,  à  propos  de  ces 
prétendus  sables  mouvants,  le  jugement  léger  de  Vol- 
taire sur  les  €  arpents  de  neige  >  ou  les  «  arpents  de 
glace  >  du  Canada  (1).  ^    t'  -  . 

(1)  On  a  contesté  que  Voltaire  se  soit  servi  de  cette  expression  a  arpents  de 
neige  »  pour  désigner  le  Canada.  Nous  avons,  quant  à  nous,  au  cours  de  la  lec- 
ture de  sa  correspondance,  constaté  qu'il  applique  souvent  au  Canada  cette  dési- 
gnation :  «  arpents  de  glace  et  do  neige  »  ;  en  voici  des  preuves  :  «  Je  ne  sais 
s'il  y  a  dans  ce  tableau  beaucoup  de  traits  plus  honteux  pour  Thumanité  que 
de  voir  deux  nations  éclairées  se  couper  la  gorge  en  Europe  pour  quelques 
arpents  de  glace  et  de  neige  en  Amérique.  /(Lettre  du  29  février  1756  à.  Thi- 
riot.)  —  «  On  plaint  ce  pauvre  genre  humain  qui  s'égorge  dans  notre  continent 
à  propos  de  quelques  arpents  de  glace  au  Canada.  »  (Lettre  du  27  mars  1737  à 
M.  de  Moncrif.)  OEuvres  complètes  de  Voltaire^  Paris,  Lequien,  1823,  tome  LX, 
pages  119  et  263.  Et  encore  (lettre  du  13  octobre  1759  à  M"»»  Du  Deffant)  :  «  Nous 
avons  eu  l'esprit  de  nous  établir  en  Canada,  sur  des  neiges,  entre  des  ours  et 
dos  castors;  »  puis  (lettre  du  3  octobre  1760  au  marquis  de  Chauvclin)  :  «  Si 
j'osais,  je  vous  conjurerais  h.  genoux  de  débarrasser  pour  jamais  du  Canada  le 


XIV  PRÉFACE. 

Les  peuples  colonisateurs  ont  une  façon  plus  haute  de 
juger  les  pays  indéveloppés  :  «  Partout  où  il  y  a  de  l'es- 
pace, disait  avec  grand  sens  Cécil  Rhodes,  le  créateur  dt^ 
TEmpire  anglais  de  l'Afrique  australe,  il  y  a  de  Tespoir.  » 

Les  Anglais,  après  avoir  construit  un  chemin  de  fer 
dans  le  désert  nubique,  projettent  le  développement  de< 
oasis  du  désert  lybique  et  l'exploitation  des  ressources 
minérales  de  cette  solitude  (i). 

Bien  plus  ample  est  le  Sahara,  bien  plus  de  ressources 
il  offre  à  notre  activité. 

/Que  faisons-nous,  dans  cette  période  décisive  de  l'his- 
toire mondiale?  De  beaux  esprits  dissertent,  critiquent, 
épiloguent,  se  complaisent  en  objections. 

II  faut  agir;  si  nous  voulons  donner  une  réalité  à 
l'Empire  français  africain,  il  faut  construire  les  deux 
chemins  de  fer  transsahariens,  celui  du  Niger  et  celui 
du  Tchad,  œuvres  modestes,  nous  le  répétons,  mais 
d'une  incomparable  portée  politique  et  économique. 
L'attente  est  périlleuse  ;  il  se  peut  qu'en  attendant  trop 
nous  voyions  notre  Empire  français  africain  se  disper- 
ser et  échoir,  en  partie  du  moins,  à  déplus  clairvoyants 
sinon  de  plus  vaillants^  Une  seconde  fois,  nous  aurions 
manqué,  et  sans  aucune  possibilité  de  réparations 
futures,  notre  grande  mission  colonisatrice.  "; 

Monlplaisir,  le  10  septembre  1904. 

Paul  Leroy-Beaulieu. 

iiiinistôre  de  France.  Si  vous  le  perdez  vous  ne  perdez  presque  rien  ;  »  enfin 
(liîltre  du  19  octobre  1760,  à  ThlHot)  :  a  Adieu,  vous  intéressez-vous  beaucoup 
au  Canada,  quid  novi?  »  Œuvres  complètes  de  Voltaire  (édition  sus-indiquéo}, 
lorno  LXI,  pages  41,  288,  308. 

Ceux  qui,  à  l'heure  présente,  considèrent  le  Sahara  comme  une  étendue  de 
sable  sans  valeur  émettent  une  opinion  aussi  frivole  que  celle  de  Voltaire  sur 
les  «  arpents  de  glace  »  au  Canada  et  n'ont  pas  son  excuse,  les  développements 
de  la  colonisation  ayant  prouvé  que  nombre  de  régions  réputées  d'abord  de  nul 
prix  sont  fréquemment  devenues  productrices  de  grandes  richesses. 

(i)  Voir  le  leading  article  du  Temps  du  16  août  1904. 


LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  CÉNÎ^HAL 

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KT     LES 

CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIENS 


LIVRE  PREMIER 

CONSTITUTION    DU    FUTUR  EMPIRE    FRANÇAIS  AFRICAIN. 
LES   DÉBUTS    DE    L'IDÉE  TRANSSAHARIENNE. 


CHAPITRE  PREMIER 

De  la  pénétration  de  l'Afrique  par  les  puissances  euro- 
péennes. —  Méi'hode  que  nous  suivrons  dans  cet 
ouvrage. 

Les  nations  européennes  n'ont  eu  longtemps,  en  Afrique, 
des  établissements  que  sur  les  rives  de  la  mer.  Leur  action 
s'arrêtait,  en  général,  à  300  ou  400  kilomètres  de  la  côte  ; 
très  exceptionnellement,  elle  s'étendait  à  700  ou  800  kilo- 
mètres. Nous-mêmes  en  Algérie  ne  faisions  pas  exception  à 
cette  règle. 

Depuis  un  peu  plus  d'un  demi-siècle  et  surtout  depuis  un 
quart  de  siècle,  l'ambition  est  venue  à  l'Europe  de  pénétrer 
complètement  ce  continent  et  de  le  soumettre  entièrement  à 
son  influence.  Quelques  héroïques  aventuriers  avaient,  dès 
1824  et  1828,  devancé  Faction  officielle.  Celle-ci  se  borna 
(Vabord  à  commanditer  quelques  missions,    comme    celle 

1 


2     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIENS. 

de  Barth  en  1849-1855.  Puis,  il  se  produisit,  sur  certains 
points  du  continent  noir,  une  véritable  poussée  de  Télémenl 
euroiiâ&o.:  C'est  dans  l'Afrique  australe  et  l'Afrique  équato- 
rîale  quèyjéi).  .dehors  des  simples  voyages  d'explorateurs, 
•iCfito^-gçiuTre^de  pénétration  politique  et  économique  s'est 
d'abord  ébauchée  ou  accomplie.  Les  Boers,  fuyant  la  domi- 
nation des  Anglais,  ont  remonté  loin  dans  l'intérieur  ;  les 
Anglais,  attirés  par  les  mines  de  diamant  et  d'or,  les  y  ont 
rapidement  suivis  et  ont  poussé,  en  partant  du  Cap,  jus- 
qu'au Tanganyika,  installant,  tout  récemment,  aux  environs 
de  ce  grand  lac,  des  exploitations  de  mines  de  cuivre.  C'était 
de  plus  de  20  degrés  qu'ils  remontaient  ainsi  vers  le  nord 
par  une  marche  ininterrompue. 

Au  centre  du  continent,  les  Belges,  suivant  le  cours  du 
Congo  et  de  ses  principaux  affluents,  ont  soumis  toute  une 
immense  région  à  un  système  de  cueillette  méthodique  des 
richesses  végétales  et  animales  spontanées,  notamment  du 
caoutchouc  et  de  l'ivoire.  Les  Français  s'efi'orcent,  un  peu 
plus  au  nord,  d'imiter  les  Belges,  puis,  dans  l'ouest  africain 
tropical,  prolongeant  la  poussée  qu'avait  commencée 
Faidherbe,  il  y  a  juste  cinquante  ans(l),  ils  ont  avancé  et 
ont  établi  des  postes  jusqu*aux  deux  tiers  à  peu  près  du  con- 
tinent, ne  s'arrêtant  qu'au  point  de  contact  avec  lés  Anglais, 
qui,  par  la  vallée  du  Nil,  descendaient  du  nord-est. 

Ainsi,  de  tous  côtés,  le  continent  africain  était  Tobjet  d'un 
travail  de  pénétration  et  d'assujettissement  à  l'Europe,  sauf 
d'un  seul  côté,  celui  du  nord  central  et  du  nord  occidental. 
Aucun  effort  n'était  fait  du  milieu  du  bassin  de  la  Méditer- 
ranée pour  effectuer  une  jonction  avec  le  centre  de  l'Afrique, 
pour  y  constituer  à  la  fois  une  ligne  de  communication  per- 
manente et  une  continuité  de  domination  européenne.  Et, 

(1)  C'est  en  novembrô  1854  que  Faidherbe,  alors  chef  de  bataillon  du  génie, 
fut  nommé  gouverneur  du  Sénégal.  Mais  onze  ans  auparavant,  sous  Louis- 
Philippe,  un  de  ses  prédécesseurs  au  gouvernement  de  cette  contrée,  le  comte 
Bouct,  avait,  en  1843,  préparé  et  commencé  &  mettre  à  exécution  un  plan 
d'oxt^'nsion  de  la  colonie  à  l'intérieur.  (Voy.  Jules  Duval,  Les  Colonies  el  la 
Polilique  coloniale  de  la  France,  Paris,  1864,  notamment  pages  53  et  80.) 


FORME  ET  CONSTITUTION   DE  L'EMPIRE  FRANÇAIS  AFRICAIN.  3 

cependant,  c'est  seulement  par  le  nord  que  le  continent  noir 
peut  être  mis  en  relations  étroites  et  rapides  avec  l'Europe, 
et  que  les  possessions  européennes  d'Afrique  peuvent  être 
rattachées  directement  aux  capitales  des  puissances  qui  colo- 
nisent ce  continent,  Paris,  Londres,  Bruxelles,  Berlin. 

Pourquoi  négliger  ainsi  la  voie  directe  et  courte,  s'obliger 
à  d'énormes  détours,  causant  des  retards  prolongés  ?  Le 
Sahara,  ou  plutôt  la  superstition  du  Sahara  en  était  la 
seule  cause.  Cette  immense  étendue,  que  l'on  a  l'habitude 
de  regarder  comme  un  désert  de  sable  brûlant  et  mouvant, 
déconcertait  les  imaginations  européennes  ;  elle  les  jetait 
dans  un  effroi  semblable  à  celui  qu'éprouvèrent  les  anciens 
navigateurs  quand,  sorlis  des  Colonnes  d'Hercule,  portes  de 
la  Méditerranée,  ils  venaient  à  perdre  de  vue  la  terre  :  aux 
uns  et  aux  autres,  il  semblait  que  l'abtme  et  une  mort  cer- 
taine et  horrible  les  attendissent. 

Cependant,  depuis  les  temps  historiques,  les  relations  de 
l'Europe  avec  le  centre  de  l'Afrique  se  sont  toujours  effec- 
tuées par  la  voie  terrestre  naturelle  et  directe,  du  nord  au 
sud,  c'est-à-dire  à  travers  le  Sahara.  Aujourd'hui  même, 
quoique  la  prise  de  possession  par  une  nation  européenne 
de  la  plus  grande  partie  de  la  Berbérie  et  la  suppression 
d'une  des  branches  importantes  de  l'ancien  commerce,  le 
trafic  des  esclaves,  aient  désorganisé  et  détourné  de  leur  cours 
les  relations  traditionnelles  entre  la  Méditerranée  et  le  Sou- 
dan, le  Sahara  est  encore  parcouru  chaque  année  par  des 
dizaines  de  milliers  d'hommes  et  des  dizaines  de  milliers  de 
chameaux.  A  bien  des  reprises,  les  explorateurs  européens, 
et  parmi  eux  quelques-uns  du  plus  haut  mérite  scientifique, 
Tont  traversé  d'un  bout  à  l'autre  :  notre  Caillié,  de  Tombouc- 
ton  au  Maroc,  dès  1828,  par  un  tracé  que,  plus  de  cinquante 
ans  après,  un  Allemand,  le  docteur  Lenz,  suivait  presque  de 
nouveau  en  1880  ;  à  l'autre  extrémité,  un  peu  avant  Caillié, 
l'Anglais  Clapperton,  de  1820  à  1824,  avec  plusieurs  com- 
patriotes, gagnait  Kouka,  la  plus  grande  ville  sur  le  bord 
du  Tchad,   de  Tripoli,    par  la  route  la  plus  courte  et  la 


4     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAUARIENS. 

plus  directe,  trajet  que  Monteil  refaisait,  en  sens  opposé, 
soixante-huit  ans  plus  tard,  en  1891-92  ;  en  1850,  le  plus 
illustre  et  le  premier  par  rang  de  mérite  des  explorateurs 
sahariens  et  centre-africains,  Barth,  en  prenant  d'abord  le 
tracé  oriental  de  Tripoli  à  Mourzouk,  obliquait  ensuite  vers 
Touest  et,  à  parlir  du  23*"  degré  de  latitude,  traversait  pres- 
que directement  du  nord  au  sud  le  Sahara  central  en  lon- 
geant TAïr  et  arrivait  à  Kano,  principal  marché  du  Soudan 
central,  à  Touest  du  Tchad;  environ  un  quart  de  siècle 
après,  un  autre  voyageur  allemand,  de  Bary,  en  1877,  refai- 
sait en  sens  inverse  presque  le  même  trajet.  D'autres  voya- 
geurs parcouraient  soit  le  Sahara,  soit  le  Soudan  cen- 
tral dans  d'autres  directions  ;  Rohlfs,  en  1864,  de  Tripoli, 
rejoignait  la  côte  atlantique  méridionale  du  Maroc  en  pas- 
sant par  In-Salah  ;  Nachtigall,  en  1872,  explorait  la  zone  qui 
s'étend  de  Kouka  sur  la  rive  occidentale  du  Tchad  jusqu'au 
Nil,  en  passant  par  El-Abesh,  capitale  du  Ouadaï,  et  EUObéid, 
capitale  du  Kordofan.  En  plus  de  ces  traversées  d'outre  en 
outre,  soit  du  Sahara,  soit  du  Soudan  central,  on  peut  dire 
que  toute  une  nuée  d'explorateurs  a  poussé  des  pointes  har- 
dies dans  diverses  contrées  de  la  région  saharienne,  Duvey- 
rier  notamment,  qui  a  laissé  des  caries  et  des  indications 
précieuses,  et  nombre  d'autres  voyageurs  français.  Or, 
si  quelques-uns  de  ces  hommes  entreprenants  sont  morts 
assassinés,  comme  Flatlers  et  le  lieutenant  Palat,  on  n'a  pa> 
entendu  dire  qu'un  seul  ait  été  englouti  par  le  sable  ou  soit 
mort  de  la  soif  ou  de  la  faim  ou  de  maladies  dues  au  climat  (1). 
La  crainte  superstitieuse  du  Sahara  ne  paraît  donc  repo- 
ser sur  aucun  fait  positif;  dans  cette  immense  région,  la 
nature,  sinon  les  hommes,  se  montre  moins  redoutable  que 
la  légende.  Aussi  bien,  l'image  que  le  mot  de  Sahara  sus- 
cite dans  la  généralité  des  esprits  correspond-elle  très  peu 
à  la  réalité.   Nous  allons  étudier  cette  immense  contrée  eu 

'  (l)  Nous  no  parlons  pas  ici  naturellement,  en  ce  qui  concerne  la  soif  et  la  faim, 
des  voyageurs  qu\  se  sont  égarés,  loin  du  groupe  auquel  ils  appartenaient  il 
des  tracés  connus.  Les  hommes  isolés  et  fourvoyés  sont,  en  tout  pays  pt.u 
exploré  et  à  juipulation  très  dispersée,  exposés  à,  des  riscpies  de  cette  nature. 


FOUMB  ET  CONSTITUTION   DE  I/EMPIRE  FRANÇAIS  AFRICAIN.  3 

recourant  aux  principaux  documents  anciens  et  beaucoup 
plus  encore  aux  docunaents  nouveaux.  Ceux-ci  sont  assez 
nombreux  et  jettent  une  nouvelle  clarté  sur  ces  questions 
d'un  intérêt  capital  pour  la  civilisation  et,  surtout,  pour  la 
France.  Quel  est  l'avenir  du  Sahara '?  Quel  est  l'avenir  du 
Soudan  cenlral?  Quelles  facilités  offre  la  nature  des  lieux 
pour  relier  la  Méditerranée  au  centre  de  l'Afrique  par  une 
ou  plusieurs  voies  ferrées?  Quelles  espérances  donnent  cette 
même  nature  des  lieux  et  la  nature  des  hommes  pour  la 
rémunération  de  pareilles  entreprises? 

Négligeant  les  ouvrages  purement  théoriques  ou  didac- 
tiques sur  l'Afrique  du  Nord,  le  Sahara  et  le  Soudan  cen- 
tral, nous  allons  analyser,  commenter,  citer,  les  «  journaux 
de  roule  »  et  autres  documents  provenant  des  explorateurs 
récents,  particulièrement  de  ceux  qui  furent  investis  d'un 
mandat  gouvernemental  défmi. 

Il  sera  utile  de  rapprocher  les  observations  recueillies  par 
ces  explorateurs,  ayant  un  but  officiel  précis,  de  celles  des 
voyageurs  antérieurs,  notamment  des  informations  si  pré- 
cieuses de  Barth,  celui  de  tous  les  hommes  ayant  parcouru 
ces  régions  de  l'Afrique  qui  était  pourvu  de  la  plus  forte  pré- 
paration scientifique,  qui  y  a  fait  le  séjour  le  plus  prolongé  et 
leur  a  consacré  l'ouvrage  à  la  fois  le  plus  étendu  et  le  plus 
méthodique.  Nous  pouvons  dire  dès  maintenant  que,  à  cin- 
quante années  de  distance,  sauf  des  différences  tenant  aux 
diversités  des  saisons  et  surtout  aux  troubles  prolongés  et 
profonds  du  Soudan  central  depuis  les  ravages  du  conqué- 
rant noir  Rabah,  les  renseignements  et  les  descriptions  de 
nos  explorateurs  récents  ne  contredisent  aucunement  les 
données  du  célèbre  voyageur  allemand  de  1850  à  1855  ;  pour 
qui  sait  lire,  comparer  et  réfléchir,  ils  les  confirment  dans 
leurs  traits  généraux. 

Ce  que  nous  demanderons  à  tous  ces  documents,  aux 
récents  comme  aux  anciens,  ce  ne  sont  pas  des  appré- 
ciations générales  ou  des  conclusions  ;  ce  sont  seule- 
ment des  constatations  de  faits,  des  descriptions  précises 


6     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIENS 

de  la  nature  des  lieux  et  de  celle  des  hommes.  Un  explo- 
rateur est  un  informateur;  il  dit  ce  qu*it  a  vu,  et  la  con- 
fiance que  Ton  peut  avoir  en  lui  dépend  du  soin  méticu- 
leux  qu'il  prend  de  rassembler  des  données  positives.  La 
coordination  de  ces  données,  les  conclusions  qu'il  convient 
d'en  tirer  ne  rentrent  pas  dans  sa  tâche,  et,  parfois,  excédent 
sa  compétence.  Un  explorateur,  homme  d'action  et  d'endu- 
rance physique  et  morale,  ne  peut  être  ni  un  ingénieur,  ni  un 
économiste,  ni  un  homme  politique  ;  il  n'a  le  plus  souveni 
qu'une  préparation  insuffisante  à  ces  trois  points  de  vue, 
surtout  aux  deux  premiers.  Les  divers  incidents  du  voyage, 
son  état  de  santé  ou  de  maladie  peuvent,  en  outre,  infiuer 
sur  son  humeur  et  sur  ses  jugements  généraux  ;  ils  n'influent 
pas,  au  contraire,  ou  influent  moins  sur  ses  relevés  de  faits 
positifs  et  précis. 

Pour  fixer  les  idées,  nous  entendons  par  Soudan  centrât 
toute  la  vaste  zone  qui  s'étend  de  Ségou,  sur  le  Niger,  un 
peu  au  delà  du  S*"  degré  de  longitude  ouest,  jusqu'au  Darfour 
exclusivement,  au  25*"  degré  environ  de  longitude  est  ;  celle 
zone  comprend  tout  le  delta  supérieur  du  Niger  et  le  bief 
moyen  de  ce  fleuve,  toute  la  région  entre  le  Niger  et  le 
Tchad  et  toutes  les  contrées  à  l'est  du  Tchad  qui  sont 
reconnues  par  l'Angleterre  revenir  à  la  France,  à  savoir  : 
le  Khanem,  le  Baghirmi  et  le  Ouadaï. 


CHAPITRE  II 

CoLP  d'oeil  général  sur  l'empire  français  continental 
AFRICAIN.  —  Nécessité  d'un  lien  entre  les  trois  tronçons 

yUI   LE    COMPOSENT. 

Constitution  empirique,  en  dehors  de  tout  plan,  des  possessions  françaises 
africaines.  —  Matériaux  possibles  d'un  empire  plutAt  qu'un  euipiiv.  —  Les 
trois  tronçons  dispersés  et  sans  lien  actuel. 

L'Algérie  et  la  Tunisie  forment  la  solide  base  naturelle  du  futur  empire  franco- 
africain.  —  Preuves  à  ce  sujet.  —  Les  chemins  de  fer  transsahariens  sont  les 
liens  nécessaires  entre  ces  trois  tronçons.  —  Le  retard  apporté  à  leur  cons^ 
truction,  depuis  que  l'idée  fut  formulée  on  1878*  a  fait  perdre  à  la  France  la 
moitié  du  Soudan  central. 

Impossibilité  pour  la  France  do  dominer  et  d'exploiter  le  Ouadaï  sans  le  Trans- 
saharien centra],  de  l'Algérie  à  la  région  du  Tchad.  —  Sans  ce  ti-anssaharien,  le 
Ouada!  est  destiné  k  échapper  à  la  France,  do  même  probablement  le  Baghirmi 
et  toute  la  contrée  à  l'est  du  Tchad. 

Eventualité  d'un  chemin  de  fer  britannique  du  Nil  à  la  Nigeria.  —  L'absence  du 
transsaharien  amènerait  un  jour  la  dislocation  des  possessions  françaises  de 
r.Vfrique  centrale  et  la  perte  d'une  notable  partie  d'entre  elles. 

La  connaissance  du  Sahara,  des  ressources  qu'il  présente 
soit  pour  son  exploitation  propre,  soit  pour  le  transit,  im- 
porte beaucoup  plus  à  la  France  qu'à  toute  autre  nation 
civilisée.  Le  Sahara  fait  partie  de  ses  domaines  les  plus 
proches,  et  il  constitue  le  lien  naturel,  aujourd'hui  inutilisé, 
entre  les  fractions  dispersées  de  notre  immense  empire 
africain. 

La  France,  en  effet,  s'est  taillé  en  Afrique  un  colossal  em- 
pire; définitivement  délimité  par  les  conventions  internatio- 
nales de  1890,  1898  et  1899,  il  s'étend,  dans  sa  plus  grande 
longueur,  d'un  peu  plus  haut  que  le  37'  degré  nord  jusqu'au 
5"  degré  sud,  et,  dans  sa  plus  grande  largeur,  du  30"  degré 
de  longitude  est  de  Paris  au  20""  degré  ouest  ;  ainsi  quarante- 
deux  degrés  du  nord  au  sud,  cinquante  degrés  de  l'orient  à 
Toccident;  plus  de  4600  kilomètres  dans  un  sens,  et  près  de 
5000  dans  l'autre,  telles  sont  les  dimensions  de  nos  colos- 


8     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN   ET  LES  CHEMINS   DE  FER  TKANSSAHARIENS. 

sales  dépendances  africaines.  Sans  doute,  nous  prenons  îct 
les  mesures  extrêmes,  et  il  s'en  faut  que  dans  toutes  ses  par- 
ties notre  domaine  africain  y  atteigne;  mais,  tout  en  ne  for- 
mant pas  une  figure  géométrique  régulière,  il  est  tout  au 
moins  continu  ;  les  divers  morceaux  se  tiennent  sur  la  carte 
les  uns  aux  autres  ;  il  ne  dépend  que  de  nous  qu'ils  forment 
un  tout.  Sans  doute  encore,  les  diverses  régions  de  cette  im- 
mensité de  territoire  n'ont  qu'une  valeur  culturale  très  iné- 
gale ;  quant  à  leur  valeur  économique,  qui  comprend,  comme 
facteur  important,  la  valeur  minérale,  personne  n'est  actuel- 
lement capable  d'en  juger,  les  territoires  les  plus  arides  el 
les  plus  ingrats  à  la  surface,  comme  le  désert  d'Atacama  au 
Chili,  les  hauts  plateaux  désolés  de  l'Afrique  du  Sud,  les 
anciens  fonds  de  mer  de  l'Australie  et  de  l'Asie  centrale, 
ayant  tout  à  coup  révélé  à  l'homme  des  richesses  de  celte 
nature,  soit  tout  à  fait  de  premier  ordre,  soit  tout  au  moins 
très  appréciables,  et  notre  Sud  algérien  et  tunisien  venant ,  à 
l'improviste,  avec  ses  bancs  indéfinis  de  phosphates,  de  nous 
procurer,  il  y  a  une  dizaine  d'années,  une  aubaine  du  même 
genre.  Bien  superficiel  et  singulièrement  ignorant  des  fac- 
teurs économiques  modernes  serait  celui  qui,  parce  qu'une 
contrée  se  prêle  mal  à  la  culture,  déclarerait  que  l'homme 
n'en  pourra  jamais  rien  tirer. 

Que  nous  ayons  dans  notre  domaine  africain  une  très 
grande  quantité  de  «  terres  légères»,  suivant  le  mot  ironique 
que  lord  Salisbury  prononçait  à  la  Chambre  des  pairs  pour 
s'excuser  d'avoir  signé  la  convention  de  1890,  cela  est  incon- 
testable. Mais  il  en  est  ainsi  de  tous  lès  grands  empires  conti- 
nentaux. La  Sibérie,  que  nous  sachions,  ou  la  Transcaspie, 
ou  le  Canada,  ou  même  l'Afrique  du  Sud,  pour  ne  pas  parler 
de  l'Australie,  renferment  une  énorme  proportion  de  terres 
peu  propres  à  la  culture;  il  n'est  pas  jusqu'aux  États-Unis 
qui  ne  soient  dans  ce  cas.  Notre  lot  africain,  pour  n'être  pas 
tout  entier  de  choix,  n'a  donc  rien  de  tout  à  fait  excep- 
tionnel à  ce  point  de  vue.  Les  parties  manifestement  bonnes 
y  tiennent  assez  de  place  pour  qu'on  se  doive  accommoder 


FOKMK  ET  CONSTITUTION   DE  L'EMPIHE  FRANÇAIS  AFRICAIN.  9 

de  celles  qu*on  serait  tenté,  peut-être  sans  assez  de  connais- 
sance de  cause,  de  déclarer  irrémédiablement  mauvaises. 

Cet  empire  de  la  France,  dans  le  nord,  dans  le  centre  et 
dans  Touest  de  TAfrique,  a  été  le  produit  beaucoup  plus 
de  circonstances  contingentes  que  d*un  dessein  prémédité. 
Un  coup  d'éventail  donné  par  un  souverain  barbare  à  notre 
représentant  et  le  besoin  de  rendre  de  l'éclat  à  une  monar- 
chie défaillante  nous  ont  amenés  à  Alger  ;  quelques  pillages 
de  la  part  de  tribus  montagnardes  et  une  dispute  pour  un 
chemin  de  fer  de  banlieue  nous  ont  introduits  à  Tunis;  nos 
petits  et  séculaires  comptoirs  côtiers  de  l'Afrique  occidentale 
ont  dû  à  un  entreprenant  officier  du  génie,  Faidherbe,  et  à 
toute  l'école  qu'il  a  formée  à  sa  suite,  de  devenir  la  tête  de 
ligne  d'une  prodigieuse  pénétration  à  l'intérieur,  sans  que  le 
gouvernement  de  la  métropole  en  fût  quasi  avisé,  souvent 
même  malgré  ses  désirs  et  quelquefois  en  dépit  de  ses  ins- 
tructions formelles  ;  plus  au  sud,  l'ardeur  d'un  officier  de 
marine,  né  étranger,  le  lieutenant  de  vaisseau  de  Brazza, 
explorateur  excellent  et  humain,  nous  fit  cadeau  un  beau 
matin  d'une  vaste  partie  du  Congo.  Bref,  c'est,  pour  ainsi 
dire,  à  toute  une  légion  de  cadets  de  Gascogne,  agissant 
sans  ordres,  cherchant  à  se  surpasser  les  uns  les  autres  dans 
une  sorte  de  prodigieux  jeu  de  sport  patriotique  et  de 
prouesses  d'exploration,  que  nous  sommes  redevables  de  la 
possession  de  ces  immensités.  Jamais  l'ambition  d'un  homme 
d'État,  si  épris  fût-il  de  colonisation,  n'aurait,  il  y  a  trente 
ou  quarante  ans,  conçu  un  tel  rêve  ;  la  réalité  a  dépassé  ce 
que  l'imagination  aurait  pu  concevoir.  Mais  cela  môme  n'est 
pas  exceptionnel  ;  c'est  l'histoire  normale  de  la  colonisation. 

Tous  les  grands  empires  coloniaux,  celui  de  l'Espagne, 
celui  du  Portugal,  celui  de  l'Angleterre  même,  ont  été  fon- 
dés, non  par  l'action  réfléchie  et  systématique  des  gouverne- 
ments, mais  par  l'audace  d'une  ou  deux  générations  d'aven- 
turiers privés  ou  de  soldats  excédant  leurs  ordres.  Si  ce  sont, 
toutefois,  des  particuliers  hardis,  des  «  individualités  sans 
mandat»  ou  dépassant  leur  mandat,  qui  fondent  les  colonies. 


12     LE  SAUARA.  LE  SOUDAN   ET  LES  CflEMINS  PE  FER  TRANSSACIA RIENS. 

lées.  Le  Congo  etTOubanghi,  contrées  équatoriales,  ne  con- 
tiennent et  ne  contiendront  jamais  que  peu  de  blancs  ;  ils 
seront  toujours  pauvres  en  articles  de  ravitaillement  et  de 
munitions  pour  des  troupes  mi-partie  européennes,  à  moins 
qu'ils  ne  reçoivent  directement  et  sans  interruption  ces 
articles  de  la  métropole.  Quoique  un  peu  moins  dépourvu 
à  ce  point  de  vue,  notre  Sénégal-Soudan,  par  la  nature  de 
ses  productions,  par  l'obstacle  qu'offre  le  climat  à  la  rési- 
dence prolongée  et  au  travail  extérieur  des  blancs,  est  assez 
dans  le  même  cas.  Tout  ce  dont  aurait  besoin  une  troupe 
opérant  dans  le  Baghirmi,  dans  le  Ouadaï,  dans  le  Borkou 
devrait  donc  venir,  par  ces  voies,  de  France.  Or,  en  cas  de 
guerre  en  Europe,  du  moins  avec  l'Angleterre,  nos  com- 
munications entre  la  métropole  et  le  Sénégal  ou  le  Congo 
seraient  absolument  fermées;  il  se  pourrait  qu'elles  le 
fussent  aussi  en  cas  de  guerre  avec  l'Allemagne;  nos  colo- 
nies de  la  côte  occidentale  et  du  centre  de  l'Afrique  se 
trouveraient  alors  facilement  coupées;  n'ayant  que  peu 
de  ressources  par  elles-mêmes,  en  troupes  blanches  du 
moins,  et  médiocrement  douées  en  approvisionnements  et 
en  munitions,  ne  pouvant  d'elles-mêmes  les  renouveler,  blo- 
quées en  outre  du  côté  de  la  mer,  elles  auraient  la  plus 
grande  difficulté  à  se  défendre  ;  à  plus  forte  raison,  ne  pour- 
raient-elles aucunement  soutenir  celles  de  nos  colonnes  qui 
pourraient  se  trouver  dans  ces  possessions  lointaines,  des- 
tinées à  être  parmi  les  plus  importantes  et  les  plus  riches  de 
notre  domaine  d'Afrique,  le  Baghirmi,  le  Khanem,  le  Ouadaï. 
La  situation  de  Fachoda,  en  cas  de  lutte  avec  l'Angleterre 
notamment,  se  représenterait  indubitablement  :  massacre 
ou  capitulation,  c'est  à  peine  si  nous  aurions  le  choix. 

Notre  prétendu  empire  continental  africain,  qui  fait  un 
si  bel  effet  sur  les  cartes,  est  donc  la  plus  fragile  des  agglo- 
mérations de  territoires;  tel  quel,  il  est  et  restera  toujours 
amorphe,  sans  vie  commune,  sans  relations  entre  ses  trois 
membres,  sans  possibilité  d'action  concertée  et  de  soutien 
mutuel  entre  eux.  On  peut  considérer  que,  sauf  la  réalisation 


FOKME  KT  CONSTITUTION   DE  LEMPIHE  TRANÇAIS  AFUICAliN.        13 

de  la  grande  œuvre  dont  nous  allons  parler,  il  est  voué  à 
l*anémie  d*abord,  à  la  dispersion  ensuite. 

Par  une  rare  fortune,  qu'il  dépend  de  notre  sagacité  et  de 
notre  énergie  d'utiliser,  le  troisième  massif  de  nos  posses- 
sions continentales  africaines,  celui  du  nord,  l'Algérie  et  la 
Tunisie,  est  dans  des  conditions  autrement  fortes  que  ceux 
de  Touest,  le  Sénégal-Soudan,  et  du  centre,  le  Congo- 
Oubanghi.  Il  ne  s'agit  plus  là  de  contrées  équatoriales  ou 
tropicales,  rebelles  au  séjour  prolongé  et  à  la  multiplication 
des  blancs,  dépourvues,  en  outre,  des  approvisionnements 
et  articles  divers  nécessaires  au  soutien  de  colonnes  expédi- 
tionnaires. L'Algérie  et  la  Tunisie  sont  et  resteront,  sans 
doute,  la  première  colonie  européenne  de  l'Afrique.  Quel 
que  soit  l'éclat  que  jettent  sur  les  possessions  britanniques 
de  l'Afrique  australe  les  mines  de  diamant  et  les  mines  d'or, 
on  peut  être  assuré  que,  par  sa  situation  d'abord,  puis  par 
ses  ressources  agricoles,  notre  domaine  nord-africain  l'em- 
porte et  l'emportera  de  plus  en  plus  sur  le  domaine  sud- 
africain  de  la  Grande-Bretagne.  Nous  ne  sommes  pa«,  dans 
l'Afrique  méditerranéenne,  campés  comme  au  Sénégal  et  au 
Congo,  nous  y  sommes  solidement  et  puissamment  établis. 
Outre  6  millions  environ  de  population  indigène,  soumise 
et  paisible,  sinon  dévouée,  nous  y  comptons  près  de 
750000  Européens,  dont  plus  de  la  moitié  appartient  à  notre 
nationalité.  Nous  y  entretenons  plus  de  60000  hommes  de 
troupes  à  l'état  permanent,  dont  les  quatre  cinquièmes  sont 
européennes. 

L'Algérie  et  la  Tunisie  sont,  d'ailleurs,  des  contrées  plan- 
tureuses, produisant  à  foison  toutes  les  denrées  de  l'Europe 
méridionale  et  de  l'Europe  centrale.  Non  seulement  elles  se 
nourrissent  et  s'approvisionnent  elles-mêmes,  ainsi  que  les 
Iroupes  qui  les  gardent,  mais  elles  exportent  des  quantités 
énormes  de  produits  agricoles  et  de  matières  brutes  diverses, 
nécessaires  à  l'industrie;  dans  les  années  normales,  ces 
exportations  portent  sur  trois  ou  quatre  millions  de  quintaux 
de  blé,  quatre  ou  cinq   millions  d'hectolitres  de   vin,  plus 


14  LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAUARIENS. 

d'un   million  de  moulons,   soixante  ou   quatre-vingt   mille 
bœufs,  près  d'une  centaine  de  mille  quintaux  de  laine,  puis 
du  tabac  en  quantité,  du  minerai  de  fer,  du  minerai  de  zinc, 
de  plomb,  etc.  Voilà  donc  des  pays  qui  sont  très  avancés  en 
culture,  qui  fournissent  dans  des  proportions  exubérantes, 
croissant  chaque  jour,  toutes  les  denrées  d'approvisionne- 
ment; il  serait  facile  d'y  installer,  pour  compléter  leur  force 
au  point  de  vue  militaire,  quelques  fabriques  de  poudre  et 
d'armes.  L'Algérie  est,  en  outre,  absolument  inattaquable 
du  dehors;  on  peut  se  livrer  contre  quelques-unes  de  ses 
villes  à  ces  opérations  d'ostentation  que  Ton  appelle  des  bom- 
bardements;  mais  aucune  force  européenne  ne  saurait   se 
risquer  à  y  effectuer  une  descente  et  à  agir  dans  Tintérieur. 
La  Tunisie,  dont  les  côtes  sont  basses  et  où  la  population 
française  est  moindre,  ne  se  trouve  pas  autant  à  l'abri  de 
toute  incursion  de  l'étranger;   néanmoins,  appuyée   sur  la 
solide  charpente  de  l'Algérie,  pourvue  aussi  d'un  réseau  de 
chemins  de  fer  qui  s'étend  chaque  jour,  elle  offre  une  assez 
grande  force  défensive. 

Ces  deux  contrées  qui  se  joignent  et,  sauf  des  différences 
administratives,  n'en  font  qu'une,  l'Algérie  et  la  Tunisie, 
constituent  la  base  naturelle  et  nécessaire  de  notre  empire 
continental  africain;  c'est  chez  elles  que  se  trouvent  les  res- 
sources abondantes,  quasi  inépuisables,  en  hommes  et  en 
approvisionnements.  Fussent-elles  coupées  de  la  métropole 
pendant  un  an  ou  deux,  elles  continueraient  à  vivre  de  leur 
vie  propre;  elles  souffriraient  dans  leur  commerce  et  dans 
leurs  intérêts  économiques,  mais  elles  se  trouveraient  tou- 
jours largement  pourvues  de  tous  les  objets  dont  les  hommes 
en  général  et  les  blancs  en  particulier  ont  besoin.  Les  effectifs 
considérables  que  nous  entretenons  d'une  façon  permanente 
dans  ces  pays  se  prêtent  h  des  prélèvements  pour  une  action 
au  dehors.  Si  la  France  était  en  paix  avec  l'Europe,  rien  ne 
serait  plus  aisé  que  de  prélever  12000  ou  15000  hommes  de 
troupes  sur  les  60000  ou  65000  qui  sont  établis  dans  le  nord 
de  l'Afrique  pour  soutenir  celles  de  nos  colonnes  qui  seraient 


FORME  BT  CONSTITUTION    DE  L'EMPIKE  FRANÇAIS  AFRICAIN.        15 

en  péril  sur  un  autre  point  de  ce  continent.  Alors  même  que 
nous  nous  trouverions  en  guerre  avec  une  puissance  euro- 
péenne, surtout  avec  une  puissance  maritime  comme  l'An- 
gleterre, il  serait  encore  possible  de  prélever  12000  ou 
15000  hommes  sur  nos  effectifs  algériens;  en  effet,  Tappel 
de  la  réserve  de  l'armée  active  et  de  la  garde  territoriale 
parmi  nos  colons  fournirait  un  effectif  bien  supérieur, 
presque  double,  qui  pourrait  prendre  la  place  de  celui  que 
Ton  enverrait  sur  un  autre  théâtre  de  guerre. 

L'Algérie  et  la  Tunisie,  la  première  surtout,  voilà  donc 
notre  grande  réserve,  la  colonie  mère  qui  peut  effectivement 
assister  toutes  nos  autres  colonies  africaines;  il  suffit  de  lui 
frayer  une  issue  pour  transporter  là  où  il  en  est  besoin  et  le 
superflu  de  ses  soldats  et  le  superflu  de  ses  approvisionne- 
ments. Notre  situation  dans  TAfrique  méditerranéenne  est 
infiniment  plus  forte  que  celle  de  TAngleterre  en  Egypte; 
nous  nous  y  trouvons  aussi  bien  plus  voisins  de  l'Afrique 
du  centre,  car,  si  Alger,  Philippeville,  Bône,  Bizerte,  sont  de 
cinq  à  six  degrés  plus  au  nord  qu'Alexandrie,  d'autre  part, 
une  ligne  quasi  droite  nous  conduit  de  plusieurs  de  nos 
ports  africains  au  centre  du  Soudan,  tandis  que,  du  Nil,  il 
faut  traverser  vingt  degrés  de  latitude  pour  y  parvenir. 

Par  une  singulière  méprise,  nous  n'avons  pas  su,  depuis 
près  d'un  demi-siècle,  tirer  un  parti  quelconque  de  notre 
admirable  position  nord-africaine.  Maîtres  de  Laghouat 
dès  1852,  nous  sommes  restés  juslc  vingt  ans  pour  franchir 
une  nouvelle  étape  vers  le  sud  ;  un  raid  de  cavalerie, 
sous  le  commandement  du  général  de  Galliffet,  nous  a  con- 
duits, en  1872,  à  El-Goléa;  puis  une  inexprimable  timidité 
nous  a  empêchés  d'aller  plus  loin  ;  nous  ne  pouvons  consi- 
dérer, en  effet,  comme  témoignant  d'une  poussée  vers  le 
sud  l'établissement  des  petits  forts  de  Mac-Mahon  et  Miribel 
où,  inactifs  et  languissants^  nous  nous  sommes  simplement 
terrés.  C'est  de  nos  colonies  de  la  côte  occidentale  et  cen- 
trale, le  Sénégal  et  le  Congo,  plus  éloignées  du  contrôle  de 
la  métropole,  et  où  nos  soldats,  nos  explorateurs,  se  sentaient 


16r     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIBNS. 

plus  à  Taise  et  plus  libres,  que  s*est  efTectuée^  avec  une 
héroïque  audace  et  une  inattendue  persévérance,  notre  péné- 
tration du  continent  ;  mais  combien  plus  faibles  sont  ces  deux 
bases  de  notre  action  africaine! 

Si  nous  n  avons  rien  fait  du  côté  du  nord,  si,  manifeste- 
ment, nous  avons,  dans  cette  région,  manqué  à  notre  mis- 
sion, la  politique  électorale  est  la  cause  principale  de  cette 
condamnable  inertie.  Pendant  plus  d'un  quart  de  siècle,  on 
ne  s'est  appliqué,  en  Algérie,  qu'à  satisfaire  les  clans  poli- 
tiques qui  avaient  pris  possession  du  corps  électoral;  on  ne 
pensait  qu'à  leur  donner  des  places,  des  terres,  des  subven- 
tions pour  des  buts  mesquins,  et  Ton  n'avait  aucune  vue 
d'avenir.  On  a  administré  et  vécu,  en  Algérie,  dans  le  plus 
bas  prosaïsme  ;  or,  la  prose,  unie  et  grossière,  ne  convient 
pas  aux  colonies;  il  faut  à  celles-ci  un  peu  d'idéal,  un  plan 
d'expansion;  toute  la  colonisation  britannique,  dans  le  passé 
et  dans  le  présent,  sur  tous  les  théâtres,  en  Asie  comme  en 
Afrique,  témoigne  de  cette  vérité. 

L'inertie  de  notre  politique  algérienne  a  été  la  principale 
cause  de  notre  échec  de  Fachoda;  elle  est  responsable  aussi 
de  l'isolement  actuel  de  nos  trois  tronçons  africains  et  de  la 
grande  faiblesse  de  deux  d'entre  eux,  le  Sénégal-Soudan,  le 
Congo-Oubanghi-Tchad.  Comment,  en  partant  de  ces  deux 
insuffisantes  bases  d'action,  eussions-nous  pu  soutenir  à  des 
distances  énormes  la  dizaine  d'officiers  français  et  la  centaine 
de  soldats  sénégalais  campés  sur  les  bords  du  Nil?  Gom- 
ment aurions-nous  pu  nous  maintenir  longtemps  dans  le 
Bahr-el-Ghazal  et  comment  aussi  pourrions-nous  rêver,  en 
parlant  du  Sénégal  et  du  Congo,  de  jamais  soumettre  et  de 
maintenir  en  paix  le  Ouadaï  et  le  Borkou  ?  Autant  vaut 
renoncer  dès  maintenant  à  ces  contrées,  si  nous  n'avons 
d'autre  voie  d'accès  pour  nous  y  conduire,  pour  y  asseoir 
notre  autorité. 

Ces  réflexions  sur  notre  trop  certaine  impuissance  dans 
l'Afrique  centrale  me  vinrent  à  l'esprit,  dans  l'automne 
de  1898,  quand  l'Angleterre,  avec  tant  de  hauteur,  mobilisa 


LA  CONSTITUTION   DU   FUTUR   EMPIRE  FRANÇAIS  AFRICAIN.         17 

sa  flotte  et  nous  somma  d'évacuer  sans  discussion  Fachoda. 
Alors,  un  grand  et  vieux  projet,  très  étudié,  prêt,  dans  ses 
lignes  générales,  à  être  exécuté,  et  que,  sans  en  être 
Tauteur,  j  avais  soutenu  il  y  avait  alors  près  de  vingt  ans  (il 
y  en  a  aujourd'hui  vingt-six),  et  que,  depuis  lors,  à  diffé- 
rentes reprises,  j'avais  essayé  de  faire  triompher,  se  repré- 
senta à  ma  mémoire  :  c'est  le  célèbre  projet  de  chemin  de 
fer  transsabarien.  Sa  nécessité  politique  et  stratégique 
m'apparut  avec  un  caractère  d'évidence. 

Le  grand  instrument  de  conquête,  le  grand  instrument  de 
défense,  comme  le  grand  instrument  de  civilisation  et  de 
commerce,  c'est  la  ligne  ferrée.  Les  Romains  construisaient 
des  routes  d'un  bout  de  l'Empire  à  l'autre;  Napoléon  n'hé- 
sita pas  à  en  sillonner  les  Alpes;  aujourd'hui,  le  chemin  de 
fer  remplit  le  même  office.  Qui  a  de  grandes  vues  militaires 
ou  politiques  doit  commencer  par  poser  une  voie  de  fer;  la 
sauvagerie  de  la  contrée  à  traverser,  sa  pauvreté  en  res- 
sources propres,  ne  doit  pas  empêcher  un  peuple  prévoyant, 
animé  d'une  ambition  civilisatrice,  de  construire  une  voie 
ferrée  :  le  chemin  de  fer  transcaspien,  et,  sinon  le  Transsibé- 
rien, du  moins  le  chemin  de  fer  de  Mandchourie,  traversant 
des  régions  qui  sur  une  grande  étendue,  sinon  sur  tout  leur 
parcours,  sont  parmi  les  plus  ingrates  du  globe,  en  four- 
nissent la  preuve.  Si  donc  nous  voulons  que  notre  empire 
africain  devienne  une  vérité;  si  nous  tenons  à  ce  que,  de 
nos  trois  tronçons  isolés,  deux,  du  moins  en  grande  partie, 
le  Sénégal-Soudan  et  le  Congo-Oubanghi-Tchad,  dans  leurs 
prolongements,  ou  ne  se  dissolvent  pas  ou  ne  tombent  pas 
dans  des  mains  ennemies;  si  nous  voulons  aussi,  au  point 
de  vue  économique,  qu'ils  aient  quelque  chance  de  se  déve- 
lopper, il  faut  construire  des  chemins  de  fer  transsahariens. 

Supposez  qu'on  en  eût  exécuté  un  en  1879,  quand  l'opi- 
nion publique  fut,  pour  la  première  fois,  saisie  sérieuse- 
ment du  projet,  et  qu'on  l'eût  fait  plonger  du  centre  de 
noire  Algérie  au  centre  de  la  région  entre  le  Niger  et  le  lac 
Tchad,  tout  l'avenir  colonial  de  la  France,  et  l'on  peut  diie 

2 


18     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEIIINS  DE  FER  TRANSSABARIENS. 

aussi  tout  son  avenir  politique,  en  eussent  été  changés.  Ces 
riches  contrées  du  Soudan  central,  qui  sont  considérées 
comme  les  meilleures  du  continent  africain,  le  Sokoto,  le 
Bornou,  n'étaient  pas  encore  tombées  sous  la  domination 
de  l'Angleterre  :  la  voie  ferrée  nous  les  eût  données. 

Admettons  môme  que,  avec  la  lenteur  habituelle  de  nos 
décisions,  cette  lenteur  qui  nous  fait  ressembler  à  l'Au- 
triche, —  toujours  en  retard  d'une  année  et  d'une  armée,  — 
nous  eussions  exécuté  ce  grand  projet,  sinon  vers  1880,  du 
moins  vers  1890,  et  que  le  travail  eût  é\é  terminé  en  1899,  on 
peut  être  certain  que  l'incident  de  Fachoda  n'eût  pas  pu  se 
produire.  Notre  ligne  ferrée,  de  Philippeville  ou  d'Alger  aux 
environs  du  lac  Tchad,  eût  pu  porter  en  quelques  semaines 
12000  ou  15  000  hommes,  tirés  de  notre  armée  d'Afrique,  sur 
la  frontière  du  Sokoto  et  du  Bornou,  pays  auxquels  la 
Grande-Bretagne  attache  avec  raison  beaucoup  de  prix.  Ce 
n'est  plus  sur  mer,  c'est  sur  terre  que  nous  eussions  eu  à 
nous  mesurer  avec  la  Grande-Bretagne,  et  nous  eussions 
disposé  de  toutes  les  ressources  qu'aurait  eues  disponibles 
notre  armée  d'Afrique  qui  compte  plus  de  60000  hommes, 
de  tous  les  approvisionnements  en  blé,  en  vin,  en  bétail,  en 
fourrages,  en  fer  et  en  plomb,  que  possèdent  l'Algérie  et  In 
Tunisie  qui  sont  parmi  les  plus  grandes  exportatrices  qu'il 
y  ait  au  monde  de  tous  ces  produits. 

La  Grande-Bretagne  eût  alors  baissé  le  ton;  elle  eût  dis- 
cuté paisiblement  et  raisonnablement  avec  nous,  sur  un  pied 
d'égalité,  les  choses  d'Afrique,  comme  elle  discute  aujour- 
d'hui avec  la  Russie,  sans  airs  comminatoires,  les  choses 
d'Asie.  C'est  que,  pour  pouvoir  causer  librement  avec  l'An- 
gleterre, il  faut  pouvoir  l'aborder  non  pas  sur  mer,  mais  sur 
terre.  Le  chemin  de  fer  transsaharien,  dans  un  cas  quelcon- 
que de  conflit  avec  la  Grande-Bretagne,  nous  donnerait  des 
gages,  le  Sokoto,  le  Bornou,  môme  les  contrées  anglaises 
delà  Boucle  du  Niger  et  peut-être  aussi  le  Bahr-el-Ghazal. 
Avec  celte  voie  ferrée,  nous  aurions  une  prédominance  ma- 
nifeste sur  quelque  puissance  européenne  que  ce  soit,  dans 


LA  CONSTITUTION  DU  FUTUR  EMPIRE  FRANÇAIS  AFRICAIN.         19 

toute  l'Afrique  du  nord  et  du  centre.  Bien  plus,  le  grand  ins- 
trument de  protection  de  notre  empire  colonial,  non  seule- 
ment sur  le  continent  africain,  mais  dans  le  monde  entier, 
ce  ne  doit  être  et  ce  ne  peut  être  que  le  chemin  de  fer  trans- 
saharien. Si  nous  avons  à  défendre  contre  une  puissance 
européenne  Madagascar,  le  Tonkin  ou  nos  intérêts  au  Siam 
et  en  Chine,  c'est  avec  le  transsaharien  et  dans  l'Afrique  cen- 
trale que  nous  y  arriverons,  parce  que,  là,  nous  avons  des 
gages  qu'il  nous  serait  aisé  de  saisir  et  que  nous  ne  rendrions 
que  contre  des  compensations  ou  des  restitutions  équitables. 

Qu'on  ne  se  méprenne  pas,  d'ailleurs,  sur  nos  intentions  ; 
toute  pensée  de  guerre  agressive,  toute  idée  même  de  jalou- 
sie à  l'endroit  de  la  Grande-Bretagne  est  très  éloignée  de 
notre  esprit.  A  aucun  degré  nous  ne  sommes  anglophobe; 
nous  serions  plutôt  anglophile;  nous  ne  rêvons  aucunement 
(le  dérober  aux  Anglais  leurs  possessions;  nous  voudrions 
seulement  ne  pas  perdre  les  nôtres;  nous  ne  voulons  pas, 
crautre  part,  nous  contenter  d'un  simple  domaine  nominal, 
comme,  à  l'heure  présente,  celui  du  Khanem,  du  Ouadaï,  du 
Borkou  et  du  Baghirmi.  Le  Transsaharien  ne  serait  pas  seu- 
lement pour  nous  un  instrument  essentiel  de  lutte,  il  cons- 
tituerait un  porte-respect.  Nous  avons  la  certitude  qu'une 
fois  pourvus  de  cet  outil,  nous  trouverions  l'Angleterre  de 
plus  en  plus  courtoise  et  cordiale  dans  les  démêlés  qui  pour- 
raient surgir  entre  nous. 

Le  projet  du  Transsaharien  doit  donc  rallier  l'adhésion  de 
tous  ceux  que  l'on  appelle  les  coloniaux,  de  tous  ceux  aussi 
qui  ont  la  fibre  patriotique  un  peu  sensible,  et  enfin  des 
sages  et  des  gens  paisibles  qui  pensent  que  la  France  peut 
accomplir,  pour  la  mise  en  exploitation  d'un  bloc  important 
de  continent,  une  grande  œuvre,  comme  le  fait,  sur  deux 
théâtres  différents,  une  nation  infiniment  moins  riche  que 
n'est  la  nôtre,  la  Russie. 

Il  ne  nous  en  coûterait  que  la  quinzième  partie  de  ce  que  la 
Russie  a  dépensé  dans  ses  deux  lignes  ferrées  transcaspienre 
et  transsibérienne.  Avec  160  à  180  millions,  probablement 


20  LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIENS. 

môme  avec  150  millions,  une  pure  bagatelle,  on  aurait  exé- 
cuté une  entreprise,  le  Transsaharien  de  la  région  du  Tchad, 
dont  les  conséquences  militaires  et  politiques  sont  immenses 
et  certaines,  et  dont  les  effets  économiques  seraient  vraisem- 
blablement considérables.  Étrange  puérilité  de  nos  hommes 
d'État  et  incroyable  routine   de  notre  opinion  publique! 
Nous  voulons  nous  épuiser,  par  crainte  d'un  conflit  avec 
l'Angleterre,  en  constructions  de  cuirassés  qui,  le  jour  d'une 
déclaration  de   guerre  avec   la  Grande-Bretagne,  seraient 
complètement  inefficaces  et  n'auraient  guère  d'autre  ligne 
de  conduite  à  suivre  que  de  se  tapir  prudemment  et  patiem- 
ment dans  nos  ports.   Nous  gaspillons    des  centaines   de 
millions  en  armements    maritimes   où   nous  reproduisons 
exactement  la  fable  de  la  grenouille  et  du  bœuf.  Nous  forti- 
fions à  grands  frais  et  d'une  manière  d'ailleurs  fort  inefficace 
nos  colonies  lointaines,  le  Tonkin,  Madagascar;  nous  consa- 
crons chaque  année  des  dizaines  de  millions  à  l'établisse- 
ment de  fragiles  points  d'appui  de  notre  flotte  militaire,  à 
Dakar,  Diégo-Suarez  et  autres  postes  lointains  ;  nous  affec- 
tons 70  à  72  millions  par  année  en  primes  et  subventions 
à  notre  marine  marchande  (1),  sans  parvenir  à  arrêter  son 
déclin  ;  et  tandis  que  nous  nous  livrons  à  ce  jeu  coûteux  et 
stérile,  nous  dédaignons  et  nous  repoussons  le  seul  instru- 
ment, le  chemin  de  fer  tr.anssaharien,  qui  nous  mettrait  en 
état  de  lutter  efficacement  avec  nos  rivaux  coloniaux  euro- 
péens,  qui,  seul,  nous  permettrait  de  prendre  possession 
effective  du  Ouadaï  et  du  Baghirmi,  qui  ne  coûterait  pas  plus 
que  deux  ou  trois  des  annuités  consacrées  à  notre  marine 
marchande,  et  qui  enfi-n,  à  son  utilité  politique  et  stratégique 
de  premier  ordre,  joindrait  des  avantages  économiques  et 
coloniaux  des  plus  importants  ! 

(1)  Les  «  sacrifices  de  l'Etat,  en  1902,  pour  le  (léveloppement  d<»  la  marine  mar- 
chande »  sont  d'après  M.  Colson,  ingénieur  on  chef  des  Ponts  et  Chaussées 
et  conseiller  d'Ktat,  de  72  000  000  francs,  dont  âo  000  000  de  subventions  aux  ser- 
vices postaux,  15  300  000  de  primes  a  la  construction,  20  600  000  de  primes  à 
la  navijration,  11700  000  de  subvention  à  la  caisse  des  Invalides  de  la  Marine 
C  Colson,  Transports  et  t(uùfs,  Statistiques  7nises  ù  jour.  Lucien  Laveur,  éditeur, 
janvier  1004,  page  20. 


LA  CONSTITUTION   DU   FUTUR  EMPIRE  FRANÇAIS  AFRICAIN.  2t 

Les  morceaux  qui  précèdent  ont  été  écrits  par  nous  an- 
lendemain  de  Fachoda  et  ont  paru  dans  la  Revue  des  Deux 
JHondes  du  1"  juillet  1899.  On  dira  peut-être  que  la  situation 
politique  et  par  conséquent  les  nécessités  stratégiques  ont 
changé  depuis  lors. 

Quelles  que  soient  les  nouvelles  relations  cordiales  qui 
viennent  d'être  rétablies  (1903)  entre  la  France  et  FAngle- 
terre  et  dont  je  souhaite  et  j'espère  Tindéfini  maintien,  Tim- 
portance  politique,  stratégique  et  administrative  de  cette 
grande  voie  de  communication  n'en  est  pas  diminuée.  Il 
faudra  toujours  bien  que  nous  établissions  fermement  notre 
domination  dans  toute  la  région  qui  s*étend  à  Test  du  Tchad 
et  notamment  sur  le  Ouadaï,  qui  paraît  un  des  meilleurs 
morceaux  de  TAfrique,  une  terre  d'élection.  Si  nous  necons- 
truisons  pas  une  voie  ferrée  pour  rapprocher  le  Ouadaï,  et 
de  même  le  Baghirmi,  de  notre  véritable  base  africaine, 
l'Algérie,  il  est  indubitable  que  nous  ne  pourrons  jamais 
prendre  possession  de  cette  contrée.  Elle  altient  au  Darfour  qui,, 
lui-même,  est  une  dépendance  de  l'Egypte;  si  nous  ne  ratta- 
chons pas  le  Ouadaï  à  l'Algérie,  il  finira  par  se  rattacher  au  Nil 
et  par  tomber  sous  l'influence  britannique;  à  défaut  d'une 
route  d'accès  et  de  sortie  par  le  nord-ouest,  cette  belle  contrée 
—  dont  la  population  actuelle  est  évaluée,  peut-être  avec  un  peui 
d'exagération,  à  8  millions  d'habitants,  mais  qui  certainement 
pourra  les  avoir  un  jour,  quand  la  paix,  la  justice  et  les  bonnes 
méthodes  productives  y  régneront — sera  forcée  de  prendre  la 
voie  de  l'est;  elle  deviendra  alors  britannique;  la  conven- 
tion de  1899  nous  l'a  attribuée,  il  est  vrai,  mais  à  une  con- 
dition implicite,  c'est  que  nous  en  prenions  possession;  or 
une  possession  effective,  une  administration  efficace  du» 
Ouadaï  par  la  France  sont  absolument  impossibles  sans  ua 
chemin  de  fer  transsaharien  dans  la  direction  du  Tchad,, 
lequel  jetterait  un  rameau  desservant  la  région  à  l'est  de 
cette  nappe  d'eau  jusqu'au  voisinage  du  Darfour.  La  capitale 
du  Ouadaï,  Abesch,  est  en  définitive  plus  près  d'Alger  ou 
de  Philippeville  qu'elle  ne  l'est  d'Alexandrie  d'Egypte  par 


22     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAUARIENS. 

Kharloum;  et  Philippeville  ou  Alger  sont  des  ports  bien  plus 
voisins  qu'Alexandrie  des  grands  pays  manufacturiers  et 
commerciaux  d'Europe.  Avec  une  voie  ferrée  transsaharienne, 
nous  pouvons  dominer,  administrer  et  mettre  en  valeur  le 
Ouadaï;  sans  celle  voie  ferrée,  ces  trois  choses  nous  sont 
impossibles,  et  le  Ouadaï  abandonné  par  nous  écherra  néces- 
sairement à  l'Angleterre,  dont  il  empruntera  les  voies  de 
communication.  Rien  ne  nous  servira  d'invoquer  le  traité 
de  1899  :  les  traités  que  Ton  n'exécute  pas  deviennent  à  la 
longue  caducs;  maîtresse  un  jour  du  Ouadaï  par  notre 
négligence,  la  Grande-Bretagne  le  deviendra  bientôt  du 
Baghirmi  et  de  tout  l'est  du  Tchad,  et  noire  prétendu  empire 
africain  n'existera  plus  :  les  tronçons  en  seront  irrémé- 
diablement séparés.  La  Grande-Bretagne  aura  effectué  la 
jonction  de  l'Egypte  et  de  ses  possessions  de  la  Nigeria, 
coupant  définitivement  les  possessions  françaises. 

Déjà  il  nous  est  presque  impossible  de  ravitailler  et  d'entre- 
tenir régulièrement  la  petite  troupe  qui  séjourne  au  Khanem, 
au  Baghirmi  et  dans  la  région  du  sud  du  lac  Tchad.  C'est 
une  gageure  que  de  la  sustenter  et  de  l'approvisionner  de 
munitions  et  autres  nécessités  par  la  voie  du  Congo  et  de 
rOubanghi.  11  en  résulte  à  la  fois  des  dépenses  relativement 
énormes  qu'un  chemin  de  fer  Iranssaharien  réduirait  des 
quatre  cinquièmes,  et  une  situation  des  plus  précaires,  des 
plus  fragiles,  qu'il  transformerait  en  une  situation  tout  à  fait 
solide,  exempte  de  tout  souci.  Dans  l'été  de  1903,  et,  de 
nouveau,  à  la  fin  de  l'hiver  de  1903-04,  on  a  éprouvé  à  ce 
sujettes  plus  grands  embarras  et  les  plus  vives  angoisses  (1). 

(1)  Le  Temps»  du  7  août  1903  (2e  page,  2«  colonne),  sous  la  rubrique  Affaires 
coloniales,  contient  les  renseignements  suivants  qui  témoignent  assez  clairemt?nl 
de  l'impossibilité  de  ravitailler  régulièrement  le  petit  corps  du  Tchad  parla  voie 
du  Congo  et  de  l'Oubanglii  ;  ce  n'est  pas  seulement  l'approvisionnement  (|ui 
est  mal  assuré  par  ce  trajet  indéfini  et  que  la  nature  rend  intermittent;  c'est 
toute  l'administration  de  la  contrée  du  Tchad  qui  s'en  trouve  entravée,  étant 
beaucoup  plus  séparée  de  la  métropole  que  s'il  s'agissait  d'un  pays  perdu  au 
fond  des  Océans  et  aux  antipodes. 

«  Le  courrier  arrivé  aujourd'hui  du  Congo,  dit  le  Temps,  signale  une  situa- 
tion critique  sur  la  route  du  Tchad. 

«  On  sait  que  de  Brazzaville  à  Banghi  les  transports  sont  faits  par  bateaux  à. 


LA  CONSTITUTION  DU  FUTUR   EMPIRE  FRANÇAIS  AFRICAIN.         23 

Il  est  à  craindre  que,  faute  d'une  voie  d'accès  par  le  nord, 
on  ne  soit  amené  un  jour  à  abandonner  Test  du  Tchad. 

D'autre  part,  le  ravilaillement  de  ce  pays  ne  saurait  s'ef- 
fectuer par  la  voie  du  Sénégal  et  du  Niger:  la  distance  du 
Tchad  à  Saint-Louis  est  sensiblement  plus  grande  que  celle 
du   Tchad  à  Philippeville  ou  à  Alger,  et  le  pays  à  traverser 
est  aussi  difficile,   sinon  plus  même.  Quant  à  remonter  le 
Niger  depuis  Tembouchure  pour  suivre  la  Bénoué  et  profiler 
de  la  période  d'inondation  entre  ce  cours  d'eau  et  le  Logonc, 
conformément  à  l'exploration,  d'ailleurs  très  méritoire,  du 
capitaine  Lenfant  en  1903-04,  ce  serait  se  mettre  sous  la 
dépendance  de  l'Angleterre  et  de  l'Allemagne,  pour  ne  dis- 
poser que  d'une  route  à  la  fois  intermittente,  accessible 
seulement  quelques  mois  par  an  et  excessivement  onéreuse. 
Le  dilemme  est  inévitable  :   ou  la  dislocation  certaine, 
peut-être  prochaine,  de  notre  prétendu  empire  africain  et 
la   perte  de  son  tronçon  central,  ou  la  construction  rapide 
et  sans  délai  d'un  chemin  de  fer  tran:^saharien  reliant  la 
région  française  du  lac  Tchad,  au  triple  point  de  vue  poli- 
vapeur.  A  partir  de  Banglii  ce  sont  des  piroguiers  qui  assurent  les  transports 
jusque  sur  la  Tomi,  affluent  de  la  Kcmo  qui  se  jette  dans  l'Oubanghi. 

«  De  la  Tomi  jusqu'au  poste  de  Fort-Crampel,  sur  le  Gribinghi,  affluent  du 
Chari,  les  transports  étaient  eff'ectués  à  dos  d'homme  sur  une  route  de  deux 
cents  kilomètres  environ. 

«  Or,  d'après  les  dernières  nouvelles  reçues,  sur  la  route  de  terre  entre  la 
Tomi  et  le  Giibinghi,  on  ne  trouve  pas  un  seul  village  et  la  région  est  entière- 
ment déserte.  De  ce  fait,  les  transports  se  trouvent  virtuellement  suspendus. 

«t  Le  ravitaillement,  parti  de  Brazzaville  en  décembre  i90i,  n'a  pu  dépasser 
Fort-Sibul,  sur  la  Tomi. 

«  Le  Gribinghi  n'étant  navigable  pour  le  petit  vapeur  du  Tchad,  le  Léon  Blol» 
que  pendant  les  mois  d'août,  septembre  et  octobre,  il  est  à  craindre  que  ce 
ravitaillement  ne  puisse  arriver  à.  temps  à  Fort-Crampel  et  que,  par  suite,  les 
troupes  d'occupation  du  Tchad  ne  soient  privées  de  vivres  pour  4903-1904. 

«  On  a  essayé  de  remédier  à  cela  en  recrutant  des  Songos  et  des  Banziris, 
mais  les  vivres  indigènes  manquent  ;  il  faut  les  nourrir  à  gros  frais  avec  du 
riz  d'Europe,  et  il  se  produit  de  nombreuses  désertions. 

«  Ktant  donné  cet  état  de  choses,  le  commissaire  chargé  des  services  admi- 
nistratifs du  Tchad  à  Brazzaville  a  cessé  tout  nouvel  envoi  sur  Banghi;  ses 
magasins  sont  bondés  et  insufflsants  pour  recevoir  et  abriter  le  ravitaillement 
considérable  attendu  de  France,  à  Brazzaville,  vers  le  20  juillet. 

•«  Si  ces  nouvelles  —  que  nous  avons  tout  lieu  de  croire  exactes  —  sont  con- 
firmées, il  se  pourrait  peut-être  qu'on  prît  des  mesures  pour  remédier  à  cette 
situation  qui  pourrait  compromettre  notre  occupation  du  Chari,  du  Tchad  et  du 
Klianem.  » 
Le  même  journal,  le  Temps,  sept  mois   plus   lard,  dans    son    numéro  du 


24     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  GBEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIEfiS. 

tique,  stratégique  et  économique,  à  notre  solide  établisse- 
ment algérien  et  lui  servant  d'appui.  Il  faut  une  forte  char- 
pente centrale  à  tous  ces  lambeaux  d'empire  :  le  Transsaha- 
rien  seul  peut  la  constituer. 

Pour  que  cette  apathie  ne  fût  pas  coupable,  il  faudrait  que 
les  Transsahariens  apparussent  comme  une  œuvre  impos- 
sible (1).  Tout  démontre,  au  contraire,  —  et  les  grandes 
entreprises  analogues,  parfois  beaucoup  plus  considérables, 
faites  avec  succès  dans  d  autres  parties  du  monde  aussi 
ingrates  par  des  peuples  doués  d'initiative,  et  Tétude  même 
des  régions  à  traverser,  —  qu'il  s'agit  d'une  œuvre  simple, 
ne  sortant  aucunement  des  données  connues  et  n'offrant 
aucuns  risques  spéciaux. 

20  raai-s  1904,  représentait  de  nouveau  notre  occupation  de  l'est  du  Tchad,  fautf 
de  voie  d'accès  facile,  comme  trôs  compromise  et  posait  nettement  la  question 
de  Téventualité  de  l'évacuation.  Notre  situation  k  l'est  du  Tchad,  faute  de  voi«' 
d'accès  facile  et  rapide  par  le  nord,  va  devenir  d'autant  plus  difficile  que  li> 
Anglais  et  les  Allemands,  dont  les  possessions  des  rives  du  Tchad  sont  beau- 
coup plus  près  de  l'Atlantique,  pourront  s'y  installer  à  leur  aise  et  y  déve- 
lopper leurs  domaines  :  la  comparaison  nous  sera  très  désavantageuse  ei 
fera  un  effet  déplorable  sur  les  indigènes. 

Voici  comnient  s'exprime  le  Temps  du  20  mars  1904  : 

«  Notre  correspondant  de  Brazzaville  nous  mande  que,  d'après  les  infor- 
mations (fu'il  a  reçues,  les  communications  entre  le  Tchad  et  l'Oubanghi 
deviennent  de  plus  en  plus  difficiles. 

«  On  ne  trouve  plus  de  porteurs.  Toutes  les  populatioas  installées  entre 
Krébédgé  et  Fort-Crampel  ont  fui,  et  les  charges  s'accumulent  au  premier 
poste  de  transit  des  territoires,  Fort-de-Possel,  sur  l'Oubanghi,  laissant  le  bas 
Ghari  sans  ravitaillements. 

«  Trois  colonnes  de  répression  sont  parties,  mais  on  pense  généralement  qu<» 
les  opérations  exécutées  n'auront  qu'un  résultat:  éloigner  de  plus  en  plus  de  la 
zone  fré(iuentée  les  populations  lasses  du  portage.  Le  seul  remède  serait 
d'établir  un  chemin  de  fer  de  Banglii  à  Fort-Crampel,  sans  quoi  on  sera  obligé 
d'évacuer  les  territoires  du  Tchad  que  l'on  ne  peut  plus  ravitailler  actuellement. 

«  La  situation  actuelle  du  Chari-Tchad  est  plus  que  précaire.  Le  commandant 
supérieur  des  troupes  est  attendu  à  Brazzaville  le  1"  mars,  retour  du  Ghari.  » 

On  sait,  et  l'on  en  trouvera  la  confirmation  plus  loin,  dans  le  récit  de  la 
Mission  Foureau  Lamy,  que  le  régime  du  portage  fait  fuir  les  populations  et 
rend  le  pays  désert. 

(l)  Si  nous  négligeons  rie  faire  une  ligne  ferrée  transsaharienne  aboutissant 
à  l'est  du  Tchad  et  desservant  Abesh,  capital  du  Ouadal,  il  serait  possible  aussi 
que  les  relations  du  Ouadaï  avec  le  monde  civilisé  s'établissent  par  la  voie  du 
nord  direct,  c'est-à-dire  par  Benghazi,  située  pres(iue  sur  le  même  méridien; 
mais  cette  capitale  de  l'ancienne  Cyrénaïque,  dévolue  aujourd'hui  à  l'Italie,  est 
séparée  du  Ouadaï  par  le  désert  lybique,  offrant  autant  de  diflicultés  que  le 
Sahara  ;  puis  de  n'avoir  accès  au  Ouadaï  que  par  un  territoire  italien,  ce  serai 
un  énorme  inconvénient  politique  et  un  grave  échec  pour  notre  colonisatio 


CHAPITRE  III 

Considérations  économiques  générales  au  sujet  des 
chemins  de  fer  transsahariens. 

Outre,  leur  importance  politique,  administrative  et  stratégique,  les  chemins  de 
fer  transsahariens  auraient  une  utilité  «économique  de  premier  ordre,  —  Mon 
expérience  afiicaine.  —  Méprises  vulgaires  sur  les  difTicuItés  et  la  productivité 
«.l«*s  travaux  publi<'s  sortant  de  l'ordinaire.  —  Vn  exemple  colonial  français  de 
la  facilité  d'exécution  et  du  bas  prix  des  chemins  de  fer  désertiques. 

En  traitant,  dans  le  chapitre  qui  précède,  du  chemin  de 
fer  transsaharien,  ou  plutôt  des  chemins  de  fer  transsaha- 
riens, car  il  est  évident  que,  avec  le  temps,  on  devra  en 
construire  plusieurs,  deux  au  moins,  Tun  vers  le  Niger  et 
l'autre  vers  le  Tchad,  je  ne  me  suis  placé  qu'au  point  de 
vue  politique,  stratégique,  et  Ton  pourrait  dire  aussi  admi- 
nistratif. 

L'œuvre  n'est  pas  moins  importante,  au  point  de  vue  éco- 
nomique; elle  Test  peut-être  davantage  encore;  car,  que  la 
France  perde,  ce  qui  est  inévitable  si  elle  ne  fait  pas  à  temps, 
c'est-à-dire  immédiatement,  cette  grande  entreprise  (le 
Transsaharien  du  Tchad),  tout  son  lot  de  l'Afrique  centrale, 
ce  sera  un  malheur  pour  la  France,  nation  élourdie,  sans 
prévoyance  et  sans  esprit  de  suite,  mais  non  pour  l'univers. 

Nous  avons  perdu,  par  notre  sottise  d'autrefois,  le  Canada  ; 
mais  cette  contrée  n'en  ^st  pas  moins  prospère  et  l'univers 
dans  son  ensemble  n'a  pas  souffert  de  notre  perte.  Si  nous 
perdons  au  xx*  siècle,  faute  d'un  instrument  pour  les  re- 
tenir et  les  mettre  en  valeur,  les  rives  septentrionales,  orien- 
tales et  méridionales  du  Tchad  avec  tout  l'immense  arrière- 
pays  qui  se  déroule  derrière  elles,  la  perte  sera  dure  pour 
nous  :  il  n'est  pas  certain  que  c'en  soit  une  pour  le  monde 
civilisé. 


26     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN   ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIE^^. 

Au  contraire,  tant  que  des  chemins  de  fer  Iranssaharien- 
ne  seront  pas  construits,  les  contrées  du  Soudan  central, 
particulièrement  celle  d^entre  le  Tchad  et  le  bassin  du  Nil. 
ne  pourront  pas  être  mises  en  valeur;  on  cherchera  bien,  ceui 
qui  nous  auront  remplacés  ou  évincés,  à  la  suite  de  noire 
incurable  apathie,  à  en  faire  écouler  les  produits  soit  à  Test 
vers  la  région  du  Nil,  soit  à  Touest  vers  le  golfe  de  Bénin, 
par  la  colonie  anglaise  delà  Nigeria  ou  la  colonie  allemande 
de  Cameroon.  Mais,  comme  nous  le  montrerons  plus  loin, 
la  voie  du  nord,  amenant  en  pleine  Méditerranée  occidentale 
les  produits  du  Soudan  central,  au  lieu  de  les  conduire  aux 
ports  malsains,  entravés  de  barres  et  très  distants  d'Europe, 
qui  se  trouvent  sur  la  côte  de  l'Afrique  occidentale,  est  la 
seule  qui  puisse  permettre  un  développement  rapide  et  com- 
plet de  ces  pays. 

Ainsi,  tandis  que,  au  point  de  vue  politique,  stratégique  et 
même  administratif,  Texécution  des  chemins  de  fer  trans- 
sahariens  importe  surtout  à  la  France,  on  peut  dire  que. 
au  point  de  vue  économique,  elle  importe  à  l'univers  tout 
entier. 

Cette  pensée,  je  l'avais  dès  1879,  quand  j'appuyai, 
apôtre  de  la  première  heure,  le  projet  de  l'ingénieur  Du- 
ponchel;  elle  s'enracina  de  plus  en  plus  dans  mon  esprit, 
avec  l'expérience  étendue  que  j'ai  acquise  des  entre- 
prises modernes  au  point  de  vue  financier.  Par  profes- 
sion et  par  goût,  depuis  trente-cinq  ans,  je  suis  les  œu- 
vres importantes  de  toutes  sortes  qui  se  font  dans  les 
deux  mondes  et  je  porte  sur  elles  des  jugements,  pour 
signaler  leurs  titres  à  Tattention  pu,  au  contraire,  au  dé- 
dain des  capitalistes;  c'est  un  devoir  que  je  remplis  heb- 
domadairement, depuis  plus  de  trois  décades  d'années: 
et  le  canal  de  Suez,  et  celui  de  Panama,  et  les  grands  che- 
mins de  fer,  et  les  grandes  entreprises  minières  ou  agri- 
coles, en  Europe,  dans  les  deux  Amériques,  en  Asie  et  en 
Afrique,  j'ai  été  amené  à  porter  sur  presque  toutes  un  juge- 
ment public  et  répété  dans  mon  journal  l Économiste  fran- 


UN   EXEMPLE  DE  CUEMLN   DE  FER  DÉSERTIQUE.  27 

çais{l);  la  confiance  constante  et  croissante  que  Topinion  des 
capitalistes  et  des  rentiers  a  accordée  et  accorde  à  cette 
feuille  témoigne  que  mes  appréciations,  présentées  avec 
décision  et  netteté,  ont  été  vérifiées  par  les  faits.  Si  je  suis 
obligé  de  rappeler  ces  antécédents,  ce  n'est  pas  par  un  fri- 
vole sentiment  de  vanité,  c'est  qu'ils  établissent  ma  compé- 
tence. 

L'Afrique  surtout,  le  champ  le  plus  vaste,  le  plus  neuf  et  le 
plus  voisin  de  la  France,  parmi  les  continents  presque  inex- 
ploités, a  particulièrement  attiré  mon  attention  et  mes  études. 

Du  cap  de  Bonne-Espérance  à  la  pointe  la  plus  septen- 
trionale de  TAlgérie  et  de  la  Tunisie,  et  des  côtes  de  la 
mer  Rouge  à  celles  du  golfe  de  Guinée,  j'ai,  depuis  plus 
de  trente-cinq  ans,  suivi  avec  une  atteniion  intense  et  con- 
tinue toutes  les  entreprises  des  genres  les  plus  divers  qui 
se  sont  faites  dans  celle  partie  du  monde.  De  leur  éclosion 

(l|  Qu'on  se  rappelle  toules  les  sottises  débitées  par  de  prétendus  hommes 
compétents  au  sujet  de  rensabîemcnt  qui  devait  se  produire  au  canal  de  Suez, 
ou  des  eflTets  de  la  prétendue  différence  de  niveau  des  deux  mers.  Ces  niaiseries 
ont  empêché  les  gens  pusillanimes  de  s'associer,  en  temps  opportun,  à  cette 
grande  œuvre.  Je  ne  me  suis  jamais  arrêté,  quant  à,  moi,  à  ces  prédictions 
frivoles  et  sinistres,  et  de  1871  à  1873  j'acquis  des  actions  de  Suez  au  cours  de 
410  francs  et  des  pirts  de  fondateur  anciennes  à  des  cours  de  10  500  à  15000  francs, 
lesquelles,  à  l'heure  actuelle,  divisées  en  centièmes,  valent  180  000  francs. Le  lecteur 
m'excusera  de  citer  ces  faits;  mais  il  faut  bien  établir  mon  expérience  pratique 
à  i'encontre  de  certains  professeurs  de  géographie  qui  se  laissent  effrayer  par 
tout  ce  qui  dépasse  le  cadre  habituel  des  entreprises.  Vers  cette  époque,  en  1873 
ou  1874,  je  me  trouvai,  il  un  dîner  chez  un  des  grands  banquiers  de  Paris, 
régent  de  la  Banque  de  France,  assis  àcfttéd'un  administrateur  de  l'importante 
compagnie  de  navigation  les  Messageries  maritimes.  Je  fis  porter  la  convei'sation 
sur  un  procès  que  cette  société  avait  alors  avec  la  compagnie  de  Suez,  pour  une 
méthode  de  jaugeage  des  navires  ;  mon  interlocuteur  me  dit  :  «  Ces  pauvres  action- 
naires de  Suez,  ils  sont  fort  à  plaindre,  mais  que  voulez-vous  que  j'y  fasse  ?  »,  et 
il  m'exprima  Je  plus  entier  scepticisme  au  sujet  de  l'avenir  financier  du  canal. 

J'ai  suivi  la  carrière  de  mon  commensal  de  1873  ou  187i,  il  devint  pius  tard 
directeur  général  de  sa  compagnie  et  mourut  entouré  de  considération,  mais 
laissant  très  peu  de  fortune.  S'il  avait  été  un  peu  plus  perspicace,  il  avait  eu 
l'occasion  de  décupler,  sans  aucune  peine,  son  avoir  en  achetant  simplement  des 
actions  de  Suez,  alors  au-dessous  du  pair  ;  mais  il  jugeait  légèrement  comme  les 
neuf  dixièmes  ou  plutôt  les  quatre-vingt-dix-neuf  centièmes  des  hommes  et  ne  se 
doutait  aucunement  que  les  actions  de  Suez  vaudraient  vingt  fois  plus  que  les 
aciions  de  la  compagnie  maritime  qu'il  administrait  et  qui  était  un  des  gros  clients 
du  canal. 

J'ai  toujours  eu  pour  règle  dans  liia  vie  de  n'accepter  qu'avec  beaucoup  de 
ivserve  les  appréciations  des  hommes  techniques  réputés  compétents  et  de  les 
soumettre  à  un  contrôle  personnel  très  attentif,  et  je  me  suis  généralement  trouvé 
trt'3  bien  de  cette  règle. 


28     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSâHàRIE^: 

à  leur  épanouissement  ou  à  leur  disparition,  je  ne  les  i 
pas  un  instant  perdues  de  vue;  je  me  suis  personnelleme: 
et  grandement  intéressé  dans  les  exploitations  les  pla 
différentes,  canaux,  à  commencer  par  celui  de  Suez,  de 
1871,  à  Theure  où  personne  n'y  croyait,  chemins  de  fa 
mines  de  diamant,  d*or,  de  fer  ou  de  phosphates,  banques 
compagnies  flnancières,  vignes  et  palmeraies  ;  j'ai  plao 
des  fonds  dans  des  centaines  d'entreprises  africaines,  el 
si  quelques-unes  m'ont  apporté  des  déboires,  des  perle 
partielles  ou  totales,  le  résultat  général  de  ces  placemeoli 
africains  a  été  pour  moi  très  amplement  bienfaisant.  Il  d 
sans  doute  peu  d'hommes  qui  aient  une  expérience  ausa 
étendue  des  placements  sur  la  totalité  du  continent  africain 
A  coup  sûr,  il  se  rencontre  des  «  magnats  »,  notammenl 
dans  l'Afrique  australe  et  un  peu  peut-être  au  Congo  belge, 
qui  ont  fait  une  moisson  de  bénéfices  bien  autrement  consi- 
dérable ;  mais  c'étaient  des  hommes  ne  recherchant  que  te 
lucre  et  se  cantonnant  dans  un  des  vastes  districts  de 
l'Afrique.  J'ai  embrassé,  quant  à  moi,  dans  mon  activité 
pratique  et  financière,  toutes  proportions  gardées  naturel- 
lement, et  dans  mes  observations  d'ordre  théorique  le  con- 
tinent africain  tout  entier.  Je  crois,  sinon  le  bien  connaître, 
ce  qui  serait  une  prétention  que  nul  ne  pourrait  avoir 
encore,  du  moins  être  en  état  de  me  rendre  compte  des 
conditions  générales  de  probabilité  de  succès  des  œuvres 
qu'il  comporte  à  l'heure  présente. 

Parmi  les  entreprises  à  la  naissance  et  au  développement 
desquelles  j'ai  participé,  il  en  est  une  que  je  citerai  icij 
parce  qu'elle  a  contribué  à  m'éclairer  sur  la  construction  des 
chemins  de  fer  désertiques;  j'ai  été  un  des  fondateurs  et  je 
suis  un  des  administrateurs  de  la  «  Société  des  phosphates 
et  du  chemin  de  fer  de  Gafsa  »  qui  a  construit,  sans  aucune 
aide  gouvernementale,  une  ligne  ferrée  de  245  kilomètres | 
du  port  tunisien  de  Sfax  aux  carrières  phosphatières  de 
Metlaoui,  lesquelles  se  trouvent  dans  le  nord  du  Sahara;  il 
est  question  depuis  quelques  années  de  prolonger  celte  ligne 


UN  EXEMPLE  DE  CHEMIN   DE  FER  DÉSERTIQUE.  29 

de  70  à  100  kilomètres  environ,  jusqu'aux  oasis  de  Tozeur  et 
de  Nefla.  Que  de  fois,  dans  les  voyages  annuels  que  je  fais 
en  Tunisie,  depuis  1885,  n'ai-je  pas  entendu  traiter,  aux 
tables  d*hôte  des  bateaux  ou  des  hôtels,  avec  dérision  cette 
entreprise  quand  elle  était  en  voie  d'exécution  !  Elle  devait, 
m'assuraient  obligeamment  mes  commensaux,  ruiner  les 
actionnaires  ;  faire  245  kilomètres  de  chemin  de  fer  en  plein 
désert  pour  chercher  des  phosphates,  cela  avait-il  le  sens 
commun?  Et  comment  une  entreprise  phosphatière  pourrait- 
elle  rémunérer  un  capital  de  18  millions  (1)?  Jamais  Ton  ne 
pourrait  supporter  la  concurrence  des  phosphates  de  Tébessa 
et  de  ceux  de  la  Caroline  aux  États-Unis  !  Cette  ligne  ferrée 
industrielle  est  construite  depuis  cinq  ans;  en  Tannée  1902 
elle  a  transporté  270000  tonnes  de  phosphates,  qui  ont  été 
vendues  dans  les  diverses  contrées  d'Europe  ;  en  1903,  elle 
en  a  transporté  350 000  ;  on  pense  qu'on  arrivera,  dès  1905, 
à  un  chiffre  de  500000  tonnes.  Les  actions  reçoivent  un  large 
dividende,  quoiqu'on  ne  distribue  guère  que  la  moitié  des 
bénéfices,  le  surplus  étant  mis  en  réserve  ;  elles  font  plus  de 
80  p.  100  de  prime,  quoiqu^il  y  ait  des  parts  de  fondateur  qui 
prennent  une  partie  des  gains;  si  l'on  n'entrevoyait  pas  des 
concurrences  prochaines  par  l'ouverture  de  carrières  simi- 
laires avec  des  lignes  ferrées  parallèles  de  longueur  approxi- 
mativement semblable,  les  dividendes  et  les  cours  seraient 
beaucoup  plus  élevés  encore.  Mais  dès  maintenant  les 
résultats  ont  vengé  les  hommes  entreprenants  qui  ont  fait 
celte  belle  œuvre  du  dédain  des  gens  superficiels  ou  pusilla- 

(  Il  Mes  voyages  annuels  en  Tunisie,  depuis  1885,  me  permettent  de  fournir 
un  autre  exempledes  inepties  qui  sont  drbitt'cs  souvent  parles  hommes  techniques 
51  l'endroit  de  travaux  sortant  du  cadre  commun.  Alors  que  l'on  projetait  et  cons- 
truisait le  port  de  Tunis,  les  capitaines  des  bateaux  transatlantiques  qui  font  h; 
service  de  Marseille  en  Algme  et  en  Tunisie  n'avaient  pas  assez  de  sarcasmes 
|K)ur  cette  entreprise.  Aux  tables  d'hôte  de  ces  bateaux,  je  les  ai  entendus  unani- 
mement affirmer,  pendant  près  d'une  dizaine  d'années,  que  jamais  le  chenal  de 
la  Goulette  à  Tunis  ne  serait  praticable,  qu'on  en  manquerait  toujours  l'entrre 
par  une  mer  un  peu  forte,  bref  que  les  navires  postaux  ne  pourraient  jamais 
remonter  k  Tunis,  et  qu'ils  devraient  rester  à,  la  Goulette  comme  auparavant. 
Hr,  dequis  douze  ans  que  le  port  de  Tunis  a  ôlr  ouvert,  il  n'a  pas  cessé  d'être 
n'f^'ulièrement  accessible  et  aucun  des  accidents  que  l'on  j)révoyait  ne  s'est  réalisé. 
Jamais  aucun  navire,  par  les  plus  gros  temps,  n'en  a  manqué  l'entrée. 


30  LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSADARIE^i 

nimes.  Elle  est  beaucoup  plus  prospère  que  les  entreprise 
algériennes  similaires  de  Tébessa,  qui  lui  sont  antérieurei 
Et  précisément  ce  qui  fait  la  force  de  cette  entreprise  d 
Gafsa,  c*est  la  possession  de  son  chemin  de  fer.  Alors  même 
que  la  mine  ne  ferait  aucun  bénéfice,  le  chemin  de  fer  ei 
réaliserait  d'importants,  car  le  transport  de  400000  î 
500000  tonnes,  si  bas  que  soit  le  tarif,  ne  peut  qu'Otr» 
rémunérateur. 

Cette  entreprise  de  Gafsa,  à  laquelle  je  me  suis  trouvé  s 
intimement  associé  dès  son  origine,  a  contribué  à  me 
difier  sur  le  Sahara  et  sur  les  chemins  de  fer  africains.  Elit 
m'a  montré  d*abord  qu'on  peut  construire  et  exploiter  à  très 
peu  de  frais  des  chemins  de  fer  en  plein  désert.  Le  chemin 
de  fer  de  Sfax  aux  mines  de  phosphates  du  Metlaoui,  parfai- 
tement construit  quoi  qu'en  disent  quelques  critiques  sans 
compétence,  puisqu'il  transporte  aisément  400000  tonnes  de 
phosphates  dans  une  année,  sans  atteindre  au  maximum  de  su 
capacité  de  transport,  n'a  pas  coûté  plus  de  55000  francs,  cd 
chiffre  rond,  le  kilomètre.  Il  ne  revient  même,  à  l'entreprise, 
matériel  roulant  non  compris,  qu'à  une  quarantaine  de  mille 
francs.  Il  est  très  probable  que  la  plus  grande  partie,  les  trois 
quarts  au  moins  des  chemins  de  fer  transsahariens,  à  la  voie 
de  un  mètre  de  large,  ne  reviendrait  pas  à  plus  cher,  de  sorte 
qu'il  serait  sans  doute  possible  que  le  chemin  de  fer  de 
Biskra  au  lac  Tchad  ne  coûtât  pas  plus  de  145  à  150  millions: 
on  fait,  certes,  une  grande  concession  aux  pessimistes  en 
élevant  ce  chiffre  à  170  ou  180  millions,  évaluation  certai- 
nement très  exagérée  (1).  Le  prix  le  plus  vraisemblable,  en 
tenant  compte  de  l'imprévu  le  plus  défavorable,  apparaît 
devoir  être  de  150  à  160  millions  environ.  Quant  au  Trans- 
saharien d'Aïn  Sefra  ou  du  terminus  actuel  de  Béni-Ounif 
à  Tombouctou,  la  construction  n'en  dépasserait  guère  une 
centaine  de  millions  de  francs. 

Cette  .entreprise  de  la  ligne  ferrée  de  Sfax  à  Gafsa  et  aux 

(1)  Nous  examinerons  plus  loin  avec  quelques  détails  les  conditions  d'exécu- 
tion cl  le  prix  de  revient. 


UN  EXEMPLE   DE  CHEMIN  DE  FER  DÉSERTIQUE.  31 

carrières  phosphatières  de  Métlaoui  démontre  la  facilité  de 
la  construction  et  de  Texploitation  d'un  chemin  de  fer,  même 
à  trafic  très  intensif,  dans  une  région  désertique.  L'eau  n'est 
pas  de  bonne  qualité  en  général,  elle  encrasse  les  chaudières, 
mais  elle  ne  manque  pas  et  l'on  triomphe  de  ce  défaut. 

11  ressort  de  la  môme  entreprise  que  le  désert  contient 
des  richesses.  Il  faut  une  contrée  agricole  exceptionnelle- 
ment riche  et  exceptionnellement  peuplée  pour  fournir  un 
trafic  de  400000  tonnes  :  une  seule  bonne  mine,  dans  le  pays 
le  plus  aride,  le  fournit.  Certes,  une  matière  utile,  mais 
commune  et  de  peu  de  valeur,  comme  le  phosphate,  ne  peut 
rémunérer  qu'un  chemin  de  fer  de,  quelques  centaines  de 
kilomètres  ;  il  est  probable  que  des  phosphates,  même  plus 
riches  que  ceux  de  Gafsa,  qui  sont  d'une  teneur  moyenne 
(58  à  60  p.  100),  ne  pourraient  guère  rémunérer  une  voie 
ferrée  dont  la  longueur  dépasserait  400  à  500  kilomètres  ;  il 
faudrait  des  phosphates  d'une  teneur  de  80  à  85  p.  100, 
comme  ceux  de  la  Caroline  ou  du  Tennessee,  et  en  très 
grande  abondance,  pour  qu'une  voie  ferrée  de  700  à 
800  kilomètres  y  trouvât  un  trafic  suffisant.  Mais  bien  d'autres 
matières  sont  dans  un  cas  plus  favorable.  Les  nitrates,  par 
exemple,  pourraient  facilement  supporter  un  transport  non 
seulement  de  1500  à  2000  kilomètres,  mais  même  de  3000(1), 
et  le  plus  grand  nombre  des  produits  naturels  que  con- 
somment les  nations  civilisées  sont  parfaitement  en  état 
d'affronter  3000  kilomètres  de  transport  en  chemin  de  fer 
pour  déboucher  en  pleine  Méditerranée  occidentale.  Les 
riches  minerais  d'étain,  de  cuivre,  de  zinc  et  de  plomb  argen- 
tifère seraient  dans  ce  cas;  et  l'on  verra  plus  loin  que  les 
régions  de  TAïr  et  du  Tchad  contiennent,  à  n'en  pas  douter, 
de  riches  minerais  de  cuivre,  pour  ne  parler  que  du  plus 
précieux  parmi  les  métaux  communs. 

\l)  U  faut  considérer  que  sur  des  lignes  ferrées  de  très  grande  étendue  et 
sans  ramifications  on  doit  pouvoir  transporter  par  grandes  masses  et  d'une 
manière  rémunératrice  les  matières  pondéreusea  au  tarif  de  1  centime  et  demi» 
parfois  même  de  1  centime  le  kilomètre,  soit  4o  à  30  francs  la  tonne  pour 
3000  kilomètres. 


32  LE  SAHARA,  LB  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIENS 

Ce  ne  sont  pas,  d'ailleurs,  les  seuls  produits  minéraux 
que  Ton  peut  trouver  dans  le  sous-sol  du  Sahara  ou  du 
Soudan,  ce  sont  tout  aussi  bien  les  denrées  agricoles  de 
cette  dernière  contrée  qui  alimenteraient  largement  le  trafic 
d'un  chemin  de  fer  de  2500  à  3000  kilomètres  depuis  la 
Méditerranée,  les  lignes  existantes  comprises.  Il  est  établi 
qu'un  chemin  de  fer,  comme  celui  de  Gafsa,  peut  transporler 
la  tonne  à  2  centimes  le  kilomètre,  sinon  même  à  1  cen- 
time et  demi,  d'unefaçon  rémunératrice;  d'autre  part,  Texemple 
du  nouveau  réseau  des  chemins  de  fer  tunisiens,  exploités 
par  la  Compagnie  de  Bône-Guelma,  prouve  que  la  dépense 
fixe  des  lignes  ferrées  dç  cette  nature,  en  cas  de  faible  trafic, 
descend  à  2500  francs  le  kilomètre,  parfois  môme  à 
2000  francs.  Le  chemin  de  fer  transsaharien  devant  être 
beaucoup  plus  étendu,  il  en  résulterait  un  abaissement  des 
frais;  car  il  est  constant  que  plus  longue  est  une  ligne, 
plus  prolongé  le  parcours  sans  rompre  charge,  et  plus  la 
dépense  kilométrique,  soit  fixe,  soit  proportionnelle,  doit 
être  faible.  En  tout  cas,  les  denrées  principales,  quand  elles 
sont  produites  dans  de  bonnes  conditions  et  à  prix  modique, 
peuvent  supporter  un  trajet  énorme.  C'est  le  cas  notamment 
du  coton,  qui  vaut  un  millier  de  francs  la  tonne,  et  pour 
lequel  le  transport  à  2500  ou  3000  kilomètres,  du  Tchad  à 
Philippeville  ou  à  Alger,  ne  représenterait,  à  2  centimes 
le  kilomètre,  que  50  à  60  francs,  soit  5  à  6  p.  100  du 
prix  au  lieu  de  consommation.  Dût-on,  par  une  hypo- 
thèse difficilement  admissible,  doubler  ce  prix,  le  trans- 
port ne  représenterait  encore,  pour  venir  du  centre  de 
l'Afrique  à  la  Méditerranée,  que  10  à  12  p.  100  de  la  va- 
leur, et  Ton  sait  de  quelle  disette  cotonnière  souffre 
actuellement  le  monde  civilisé.  La  région  du  Tchad  pour- 
rait livrer  des  dizaines,  sinon  des  centaines  de  mille 
tonnes  au  chemin  de  fer  transsaharien  oriental  ou  grand 
central  africain.  La  région  du  Niger  moyen  pourrait 
offrir  aussi  un  trafic  important  au  Transsaharien  occidental, 
quoique  cette  dernière  ligne  apparaisse  comme  ayant  une 


UN   EXEMPLE  DE  CHEMIN  DE  FER  DÉSERTIQUE.  33 

importance  moindre  que  le  Transsaharien  du  Tchad  (1). 
Cette  question  du  trafic  des  lignes  transsahariennes  sera 
examinée  plus  loin  avec  quelque  détail.  Actuellement,  il  suffit 
de  mentionner  que  l'établissement  dans  une  région  nettement 
désertique,  à  très  bas  prix,  et  l'heureux  fonctionnement,  avec 
peu  de  dépenses  d'exploitation  et  d'entretien,  du  chemin  de 
fer  de  Sfax  à  Gafsa  et  aux  carrières  du  Metlaoui,  consti- 
tuent un  exemple  français  et  récent,  venant  confirmer  l'ex- 
périence plus  vaste  et  plus  ancienne  du  chemin  de  fer 
transcaspien,  sur  la  facilité  de  construction  et  d'exploitation 
des  lignes  ferrées  en  plein  désert. 

(  1  )  Néanmoins,  il  parait  y  avoir  certaines  chances,  vu  la  poussée  française 
actuelle  au  sud  de  la  province  d'Oran,  pour  que  cette  dernière  ligne,  moins  longue 
oi  moins  coûteuse,  soit,  malgré  sa  moindre  importance,  exécutée  la  première. 
Voir  la  suite  de  cet  ouvrage. 


CHAPITRE   IV 

Genèse  de  l'idée  transsaharienne. 

Formule  du  général  Hanoteau  en  1839.  —  Les  tropiques  à  six  jours  de  Paris.  — 
Il  ne  se  trouve  pas,  surl'ensemble  du  globe,  un  point  où  les  tropiques  soient  aussi 
près  des  grandes  capitales  européennes.  —  Les  lignes  ferrées  suivant  le  méridien 
sont,  toutes  circonstances  égales,  plus  productives  que  celles  suivant  le  parallel.-. 

L'ingénieur  Duponchel  en  1878.  —  Analyse  de  son  livre  et  examen  critique  di; 
son  projet.  —  Sa  description  générale  du  Sahara  ;  justesse  habituelle  de  se> 
vues.  —  Son  appréciation  exacte  de  la  culture  des  oasis. 

Tracé  du  Transsaharien  de  Duponchel. —  Étude  de  ce  projet  de  voie  ferrée.  — 
/C  Grosses  exagérations  de  ses  évaluations.  —  Énormes  réductions  que  compor- 
teraient la  technique  actuelle  et  la  connaissance  beaucoup  plus  exacte  du  pays. 

La  recherche  de  la  paternité  des  idées  est  toujours  déli- 
cate. Bien  des  hommes  ont,  à  des  périodes  plus  ou  moins 
distantes,  tantôt  avec  netteté,  tantôt  simplement  dans  ses 
lignes  générales,  la  conception  d*une  grande  œuvre.  L'idée 
du  Transsaharien  est  assez  ancienne  ;  elle  date  tout  au 
moins  de  plus  de  quarante  ans.  Le  premier  qui  Tait  for- 
mulée sans  ambiguïté  est  le  général  Hanoteau,  en  1859, 
alors  chef  de  bataillon  du  génie  et  commandant  supérieur  à 
Dra-el-Mizan.  Dans  la  préface  d*un  livre  très  spécial,  un 
Essai  de  grammaire  de  la  langue  tamacheky  il  s'exprimait 
ainsi  : 

«  La  première  caravane  de  R'at  (Ghat),  sous  Tescorte  des 
Imouchar  (Touareg),  arrivait  à  Alger  précisément  au  mo- 
ment où  commençaient  les  premiers  travaux  du  chemin  de 
fer  d'Alger  à  Blidah.  Cette  coïncidence,  toute  fortuite  sans 
doute,  n'est  pas  moins  d'un  heureux  présage,  et  qui  sait  si, 
un  jour,  reliant  Alger  à  Timbouctou,  la  vapeur  ne  mettra  pas 
les  tropiques  à  six  journées  de  Paris  ?  » 

Laissons  de  côté,  pour  le  moment,  la  question  de  tracé, 
que  nous  traiterons  plus  loin  ;  voilà  donc  quarante-cinq  ans 
qu'un   officier  du  génie  de  notre  armée  d'Afrique,   futur 


GENÈSE  DE  L4DÉE  TRANSSAHÂRIEiNNE.  3o 

officier  général,  très  au  courant  des  populations  indigènes 
du  Sahara,  a  non  seulement  prévu  et  annoncé  les  chemins  de 
fer  transsahariens,  mais  a  trouvé  la  formule  décisive  :  «  les 
tropiques  à  six  jours  de  Paris  ».  Encore  ces  six  jours  sont- 
ils  de  trop  :  douze  heures,  qui  seront  bientôt  réduites  à  dix, 
sinon  à  huit,  de  Paris  à  Marseille,  vingt-quatre  à  vingt-six 
heures  de  Marseille  à  Philippeville  ou  à  Alger,  qui  pour- 
raient aisément  être  réduites  à  vingt,  ensemble  trente  à 
quarante  heures  au  grand  maximum,  puis,  avec  les  lignes 
ferrées  déjà  existantes,  environ  3000  kilomètres  pour  arri- 
ver dans  la  région  du  lac  Tchad,  soit,  à  la  vitesse  modérée 
de  32  kilomètres  à  l'heure,  quatre-vingt-quatorze  heures, 
en  tout  cent  trentre-quatre,  sinon  même  cent  vingt-quatre, 
cela  ne  fait  que  cinq  jours  et  quart  à  cinq  jours  et  demi; 
dans  ces  conditions,  les  tropiques  seraient,  non  seulement  à 
moins  de  six  jours  de  Paris,  mais  même  à  moins  de  six  jours 
de  Londres  et  de  Bruxelles  et  à  six  jours  et  quart  de  Berlin. 
Supposez  que,  un  peu  plus  tard,  avec  quelque  développe- 
ment de  vitesse  qui  ne  serait  pas  bien  prodigieux,  les 
3000  kilomètres  environ  de  Philippeville  ou  Alger  à  la  ré- 
gion du  Tchad  puissent  être  franchis  au  train  de  40  kilo- 
mètres à  rheure  en  moyenne  :  il  ne  faudrait  que  soixante- 
quinze  heures  pour  cette  partie  du  parcours,  plus  une  tren- 
taine d'heures  de  Paris  à  Philippeville  ou  à  Alger,  en  tout 
cent  cinq  heures  ;  les  contrées  tropicales  fertiles  seraient 
ainsi  à  moins  de  quatre  jours  et  demi  de  Paris,  à  cinq  jours 
de  Bruxelles  et  de  Londres,  et  à  cinq  jours  trois  ou  quatre 
heures  de  Berlin.  A  Theure  présente  (février  1904)  le  chemin 
de  fer  transsibérien  transporte  en  dix-sept  jours  les  voya- 
geurs de  Moscou  à  Port-Arthur.  La  ligne  transsaharienne  ne 
mettrait  que  le  tiers  de  ce  temps  pour  amener  les  voyageurs 
de  Paris  au  lac  Tchad. 

Nous  attirons  l'attention  sur  ce  point  :  les  prétendus  sages, 
personnes  en  général  très  superficielles  et  observateurs 
légers,  se  demandent  parfois  ce  que  pourrait  produire  un 
chemin  de  ferlranssaharien.  Il  est  facile  de  répondre  à  ces 


36     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAUARIE». 

sceptiques  impuissants  qui  incarnent  Tesprit  de  nég'ation 
il  ne  se  trouve  pas,  sur  l'ensemble  du  globe,  une  situation 
semblable,  où  Ton  puisse  mettre  une  des  parties  les  plus 
riches  des  tropiques,  le  Soudan  central,  à  cinq  ou  six  joun 
de  distance  des  contrées  les  plus  riches  et  les  plus  peuplée^ 
de  la  zone  tempérée  et  des  plus  grandes  capitales  du  inonde 
Croire  que,  dans  ces  conditions,  une  voie  ferrée  ne  serai: 
pas  productive,  qu'elle  n'aurait  pas,  sinon  du  jour  au  lende- 
main, du  moins  au  bout  de  peu  d'années,  un  courant  abon- 
dant non  seulement  de  marchandises,  mais  aussi  de  voya- 
geurs, cela  n'est  possible  qu'à  des  hommes  dont  le  cerveau 
est  absolument  fermé  à  la  conception  des  conditions  gêné 
raies  de  productivité  des  travaux  publics. 

Un  des  plus  pénétrants  observateurs  des  phénomènes  éco- 
nomiques et  sociaux  qu'ait  produits  la  science  allemande. 
Roscher,  a  fait  remarquer  que,  toutes  circonstances  égales, 
une  ligne  ferrée  qui  suit  le  méridien  est  dans  de  meilleures 
conditions  de  rendement  qu'une  ligne  ferrée  qui  suit  le  paral- 
lèle, parce  que  la  première  réunit  des  climats  difTérents  et 
des  productions  différentes  ;  elle  dessert  donc  des  besoins 
intenses  d'échanges  et  de  relations. 

Sans  entrer  dans  des  calculs  détaillés  (nous  les  réservons 
pour  un  chapitre  postérieur),  il  suffit  de  cette  brève  formule, 
que  le  chemin  de  fer  transsaharien  mettrait  une  partie  très 
peuplée  et  très  riche  des  tropiques  à  cinq  ou  six  jours  de 
Paris,  Bruxelles,  Londres  et  Berlin,  pour  emporter  la  con- 
viction d'une  productivité  certaine,  et  notamment  d'un  im- 
portant trafic  de  voyageurs  de  toute  catégorie,  commerçants, 
fonctionnaires  et  employés  divers,  curieux  et  oisifs,  tou- 
ristes et  sporlsmen.  Pour  atteindre  les  tropiques  par  l'Egypte, 
il  faut  deux  fois  et  demie  plus  de  temps  et  deux  fois  et  demie 
plus  de  dépenses. 

Il  est  dans  la  nature  du  développement  des  idées,  même 
de  celles  qui  visent  une  application  pratique,  d'exiger  une 
longue  période  d'incubation,  puis,  tout  à  coup,  après  qu*on| 
les  a  crues  perdues,  et  que  personne  ne  paraît  y  songer,  de 


GENÈSE  DE  L*IDEE  THANSSAHARIENNE.   —  DUPONCHEL.  37 

surgir  avec  éclal  el  d'attirer  ratlention  générale.  Un  explora- 
teur, Soleillet,  chargé  d'une  mission  au  Touat  par  la  Chambre 
de  commerce  d'Alger,  en  1874,  parla  bien  de  jeter  un  chemin 
de  fer  à  travers  le  Sahara,  mais  cet  appel  n'eut  pas  de  reten- 
tissement. Il  s'écoula  près  de  vingt  ans  après  la  déclaration 
si   remarquable  du   commandant  Hanoteau,  jusqu'au  livre, 
qui  fît  un  moment  tant  de  bruit,  de  l'ingénieur  en  chef  des 
ponts  et  chaussées  Duponchel,  sur  le  Chemin  de  fer  Iranssa- 
harien.  Cet  ouvrage  parut  en  1878.  L'auteur,  avec  unegraodiç 
science  technique,  un  admirable  élan    patriotique,  une  foi 
communicative,  des  vues   très   vastes  sur  l'avenir    de    la 
France,  signalait  l'utilité,  la  praticabilité,  l'exécution  même 
facile  et  relativement  peu  coûteuse  de  l'œuvre  qui  s'imposait, 
suivant  lui,  et  s'impose  encore,  suivant  nous,  à  notre  patrie. 
Duponchel  voyait  dans  le  Soudan  central,  entre  le  Niger 
et  le  Tchad,  dans  cette  région  de  Sokoto,  Kano,  Gando, 
Kouka,  sur  lesquelles  la  Grande-Bretagne  n'avait  pas  encore 
glissé  sa  main,  les  futures  «  Indes  françaises  ».  C'est  là  que 
nous  devions  porter  notre  activité,  trouver,  à  nos  portes, 
à  ces  cinq  ou  six  jours  de  distance  de  Paris,  ce  domaine 
tropical  que  les  autres  nations  ne  peuvent  obtenir  qu'à  des 
semaines  ou  des  mois  d'éloignement  de  leurs  côtes.  Plut  au 
ciel  que  la  voix  de  Duponchel  eût  été  alors  entendue  !  Nous 
fûmes  de  ceux  qui,  dès  la  première  heure,  de  1878  à  1880, 
lui  firent  écho  et  recommandèrent  son  projet  au  public.  S'il 
eût  été  alors  réalisé,  toutes  les  destinées  de  la  France  s'en 
fussent  trouvées  agrandies.  Communiquant,   dès  1889  ou 
1890,  par  terre  avec  le  Soudan  central,  nous  eussions  pos- 
sédé tout  le  nord  de  l'Afrique,  et  il  nous  eût  toujours  été 
facile  de  faire  respecter  nos  droits  en  Egypte.  Les  Esches 
d'omission,  dit-on,  sont  le^  phi  s, graves  pour  les  hommes 
politiques  ;  Toccasion  négligée  ne  se  représente  jamais  com- 
plètemenr;  rien  ne  se  répare,  mais  au  moins  peut-on  éviter 
des  négligences  nouvelles.  Actuellement,  l'Angleterre  s'est 
faufilée  sur  le  Sokoto  et  le   Bornou,  l'Allemagne  sur  une 
partie  du  Bornou  et  sur  l'Adamaoua  ;  il  ne  peut  plus  être 


38  LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIEN^ 

question  de  nous  attribuer  ces  belles  contrées  ;  mais  ce 
qu'on  nous  a  laissé  autour  du  Tchad  et  les  domaines  que 
nous  nous  sommes  nous-mêmes  taillés  dans  toute  la  région 
environnante  valent  encore  un  grand  effort,  et  la  construc- 
tion d'un  chemin  de  fer  transsaharien  ne  nécessite  qu'un 
médiocre  effort;  ce  serait  à  peine,  dans  l'état  actuel  du 
monde,  une  très  grande  œuvre. 

J'ai  particulièrement  connu  Duponchel;  il  était  ingénieur 
en  chef  du  département  de  l'Hérault,  dont  je  fus  pendant 
dix-huit  ans  conseiller  général  ;  outre  cette  cause  de  rappro- 
chement, il  avait  été  très  lié  avec  mon  beau-père,  Michel 
Chevalier,  ingénieur  lui-même  et  président  du  conseil  général 
de  l'Hérault  pendant  toute  la  durée  du  second  Empire.  La 
similitude  de  nos  études  sur  les  travaux  publics,  quoique  les 
miennes  fussent  d'ordre  économique  et  non  technique,  la 
communauté  de  nos  goûts  pour  la  colonisation,  étaient  entre 
nous,  par  surcroît,  un  motif  de  relations  et  d'échanges  d'idées. 
Très  grand,  très  vigoureux,  haut  en  couleur,  Duponchel 
était  un  homme  de  beaucoup  de  génialité;  sur  nombre  de 
sujets,  aussi  bien  moraux  ou  politiques  que  se  rapportant 
à  l'art  de  l'ingénieur,  il  avait  des  vues  très  originales  et  très 
personnelles.  Il  les  répandait  dans  une  conversation  abon- 
dante; de  tous  les  hommes  que  j'ai  rencontrés,  c'est  certai- 
nement un  de  ceux  qui  m'ont  laissé  l'impression  de  la  plus 
grande  fécondité  et  hardiesse  d'esprit.Jl  a  vécu,  cependant, 
et  il  est  mort  (en  avril  1903,  à  quatre-vingt-deux  ou 
quatre-vingt-trois  ans)  relativement  obscur,  sans  avoir  at- 
teint le  degré  supérieur  de  sa  carrière,  à  savoir  le  poste 
d'inspecteur  général  des  ponts  et  chaussées.  Son  humeur, 
comme  il  arrive  fréquemment  aux  hommes  inventifs  et  in- 
suffisamment appréciés,  était  un  peu  hautaine  et  maussade; 
il  n'avait  ni  souplesse  politique,  ni  souplesse  monda^e,  ni 
souplesse  corporative  ;  il  eût  voulu  imposer  ses  idées  de  vive 
force,  il  paraissait  paradoxal;  il  froissait  ou  mécontentait  ses 
camarades  plus  heureux,  parvenus  au  faîte  de  la  carrière. 

Son  livre,     le    Chemin    de   fer  Iranssaharien,  jonction 


GENÈSE   DE  L'IDÉE  TRANSSAHARIENNE.  —  DUPONCHEL.  39 

coloniale  entre  V Algérie  et  le  Soudan  (1),  mérite  de  rester 
non  seulement  comme  la  première  et  forte  esquisse  d'une 
grande  œuvre  de  travaux  publics,  mais  comme  un  très  inté- 
ressant et  très  ingénieux  programme  de  colonisation.  Il  n'est 
pas  superflu  d'analyser  brièvement  cet  ouvrage  ;  c'est  rendre 
un  légitime  hommage  à  un  précurseur  presque  oublié. 

Duponchel,  semble-t-il,  d'après  son  exposé,  avant  d'avoir 
visité  l'Algérie,  publia  diverses  éludes  sur  c  les  avantages 
économiques  et  politiques  que  notre  pays  trouverait  à 
établir,  entre  le  littoral  algérien  et  la  vallée  du  Niger,  un 
chemin  de  fer  qui  serait  le  trait  d'union  d'un  vaste  empire 
colonial  devant  s'étendre  peu  à  peu  sur  toute  la  région  de 
l'Afrique  centrale  comprise  dans  le  bassin  de  ce  fleuve  ». 
Duponchel  pensait  ainsi  au  Niger  beaucoup  plus  qu'au 
Tchad  ;  malgré  les  descriptions  décisives  du  grand  voyageur 
allemand  Barth,  on  s'occupait  peu  encore  de  cette  région 
plus  intérieure.  Elle  semblait  moins  à  portée  de  l'Europe  et 
de  la  France,  et  Ton  ne  pressentait  pas  qu'une  notable  partie 
en  dût  échoir  à  notre  pays.  Une  voie  ferrée  vers  le  Tchad 
se  présentait,  en  outre,  comme  de  500  à  600  kilomètres  plus 
longue  qu'une  voie  directe  sur  le  coude  du  Niger. 

A  la  suite  de  ces  premiers  écrits,  d'un  caractère  un  peu 
général,  l'ingénieur  en  chef  Duponchel  fut  chargé,  nous 
dit-il,  d'une  mission  officielle  pour  étudier  de  plus  près  le 
caractère  de  l'entreprise  projetée(2).  Il  se  rendit  dans  le  Sud 

(1)  Ce  qui  prouve  bien  le  peu  d'esprit  d'intrij^ueet  de  connaissance  du  monde 
de  Duponcliel,  c'est  que  ce  livre  parut  à  Montpellier,  typographie  et  lithographie 
de  Boehin  et  fils  (1878);  c'est  un  volume  in-8o  de  371  pages  avec  une  carte,  plus 
géologique  que  politique  ou  ethnique,  du  nord  et  du  centre  de  l'Afrique  et  un 
tracé  de  la  voie  ferrée  projetée;  je  tiens  de  Duponchel  lui-même  l'exemplaire 
4iue  je  possède  avec  une  dédicace  de  lui  en  ma  qualité  de  conseiller  général  de 
l'Hérault. 

(2)  Voici  en  quels  termes  il  rend  compte  de  la  nature  de  cette  mission,  dans 
la  préface  de  son  livre  :  «  Les  considérations  que  j'ai  pu  faire  valoir  à  ce  sujet 
<sur  l'union  par  une  voie  de  fer  de  l'Algérie  et  du  Soudan)  ont  paru  assez  sérieu- 
ses à  l'Administration  supérieure  pour  qu'elle  ait  bien  voulu  prendre  l'idée  en 
considf^ration  et  me  donner  les  moyens  de  me  rendre  en  Algérie,  pour  en  étu- 
dier sur  place,  autant  que  possible,  le  côté  pratique.  Ce  rapport  (son  livre)  a 
pour  but  de  rendre  compte  de  ma  mission.  En  entreprenant  ce  voyage,  je  ne" 
m'élais  pas  fait  d'illusions  sur  sa  portée  réelle.  J'avais  surtout  en  vue  de  recon- 
naître les  ressources  particulières  que  l'Algérie  pouvait  offrir  comme  point  de 


40  LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIENS. 

algérien.  Nous  ignorons  quelle  fut  la  durée  de  son  séjour  dans 
cette  contrée  et  le  terme  méridional  de  ses  pérégrinations. 
Il  ne  paraît  pas  être  descendu  sensiblement  au-dessous  de 
Laghouat.  Il  n'a  donc  eu  qu'un  avant-goût  du  Sahara.  Mais 
aujourd'hui  que  Ton  possède  des  récits  très  nombreux  d'ex- 
plorations du  Sahara  dans  toutes  les  directions,  on  se  rend 
compte  que,  dans  l'ensemble,  l'immense  superficie  de  cette 
contrée  ne  diffère  pas  essentiellement  de  sa  lisière  septen- 
trionale. Outre  les  livres  des  grands  voyageurs  Barth, 
Rohlfs  et  plus  particulièrement  Duveyrier,  dont  les  études 
et  les  recherches,  si  pleines  de  précision  et  de  con- 
science, restent  encore,  à  l'heure  actuelle,  malgré  quelques 
inexactitudes  reconnues,  si  utiles  aux  explorateurs  saha- 
riens, beaucoup  de  récits  de  voyageurs  secondaires  et  en 
quelque  sorte  régionaux,  dans  cette  immensité,  furent  aussi 
mis  à  profit  par  Duponchel. 

Son  livre  secompose,  pour  un  tiers,  d'observations  d'ordre 
général  sur  la  nature  de  la  colonisation  que  la  France  peut 
pratiquer  avec  le  peu  de  fécondité  de  sa  population  et  son 
énorme  puissance  d'épargne.  Le  chapitre  qu'il  consacre  à 
cette  question  préliminaire,  ceux  aussi  où  il  fait,  à  grands 
traits,  la  description  de  l'Algérie  et  où  il  traite  de  la 
colonisation  algérienne  et  des  indigènes,  contiennent  des 
observations  nombreuses,  pour  la  plupart  très  justes 
et  dont  l'administration  française  n'a  jamais  tenu  assez 
de  compte. 

Il  passe  ensuite  à  la  description  du  Sahara  :  il  étudie  le 
désert  au  point  de  vue  géographique,  orographique,  hydro- 
logique,  géologique;  il  réfute  cette  opinion  universellement 
répandue  que  cette  immense  surface  serait  couverte  de  sables 
mouvants  ou  de  dunes;  entre  autres  témoignages  auxquels  il 
recourt  pour  détruire  ce  préjugé,  il  invoque  celui  d'un  géo- 
départ  (le  l'entreprise  projetée,  et  d'apprécier  par  mes  yeux  les  conditions 
techniques  d'établissement  d'une  voie  de  fer  dans  les  vastes  régions  infternié- 
diaires  du  Sahara,  que  je  pourrais  aborder  facilement  sur  sa  lisière  du  nord,  on 
même  temps  que  je  trouverais,  parmi  les  indigènes  et  certains  officiers  de 
notre  armée  d'Afrique,  de  nouveaux  renseignements  venant  corroborer  ou 
infirmer  ceux  que   j'avais  pu   me  procurer  ailleurs.  » 


GENÈSE  DE  L'IDÉE  TRANSSAHARIENiNE.  —  DUPONCHEL.  4i 

logue,  M.  Pomel,  dont  il  vante  les  recherches  personnelles  et 
les  savantes  investigations  pour  rattacher  les  unes  aux  autres 
les  descriptions  physiques,  données  par  divers  explorateurs, 
sur  la  géologie  générale  des  régions  septentrionales  de 
l'Afrique  :  «  Quelle  que  soit  rimportance  des  dunes  de  sable 
inouvant,  écrit-il,  elles  sont  bien  loin  de  constituer,  comme 
on  Ta  cru  longtemps,  la  totalité  de  la  surface  du  Sahara.  En 
tenant  compte  aussi  exactement  que  possible  des  régions  où 
ces  dunes  ont  été  signalées,  tant  dans  TErg  septentrional 
que  sur  d'autres  points  du  Sahara,  M.  Pomel  exprime  l'avis 
qu'elles  recouvrent  à  peine  le  neuvième  de  son  étendue 
totale,  dont  le  restant  est,  au  contraire,  caractérisé  par  un 
sol  dur  et  résistant,  ce  qui  du  reste  est  la  véritable  signifi- 
cation du  molSahara  en  langue  arabe  (1).  »  Ainsi  une  surface 
de  roc,  couverte  très  exceptionnellement  de  sable,  tel  serait 
ce  vaste  désert. 

Duponchel  combat  aussi  le  préjugé  qu*il  n'y  a  ni  eau  ni 
végétation  dans  cette  immensité  :  «  Le  Sahara  n'est  pas  en- 
tièrement privé  de  pluie  et  d*eau,  et  l'absence  de  végétation, 
sauf  sur  quelques  plateaux  rocheux  dénudés  par  le  vent  où 
toute  terre  végétale  fait  défaut,  n'est  pas  non  plus  complète. 
11  pleut,  et  plus  souvent  qu'on  ne  le  pense,  dans  le  Sahara; 
seulement,  la  quantité  d'eau  tombée  n'est  jamais  suffisante 
pour  compenser  Tévaporation  solaire  qui  la  reprend  immé- 
diatement au  sol.  La  siccité  et  la  transparence  habituelle  de 
l'atmosphère  déterminent  un  grand  rayonnement  nocturne, 
et  par  suite  de  très  grandes  différences  de  température  du 
jour  à  la  nuit  ;  d'où  résultent,  pendant  une  très  grande  partie 
de  l'année,  des  rosées  matinales  très  abondantes,  la  quan- 
tité d'eau  tenue  en  réserve  dans  l'atmosphère  se  trouvant 
tour  à  tour  insuffisante  ou  trop  grande  pour  les  besoins  delà 
saturation  (2).  »  On  sait  que,  dans  nombre  de  pays  du  midi, 
les  rosées  matinales  ont  sur  la  production  du  sol  des  effets 
équivalant  à  la  pluie.  Aussi  trouve-t-on  une  végétation  dans 

(1)  Duponchel,  Le  Chemin  de  fer  Iranssaharien^  page  122. 

(2)  Id..  ibid.y  page  134. 


42  LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIENS 

le  Sahara  ;  elle  est  même  parfois  abondante  et  assez  variée. 
«  Sans  parler  des  espèces  végétales  essentiellement  éphé- 
mères, dit  Duponchel,  qui  germent  de  toutes  parts  à  la  suilt 
d'un  orage  accidentel  et  peuvent  parfois  se  développer  e: 
fructifier  en  peu  de  jours,  il  est  un  certain  nombre  de 
plantes  et  d'arbrisseaux  vivaces  qui  croissent  spontanénaeni 
et,  en  général,  par  groupes  distincts,  suivant  Taltitude,  l'ex- 
position ou  la  nature  du  sol  dans  les  diverses  régions  du 
Sahara.  »  Et  Duponchel  énumère  celles  qu'il  a  le  plus  remar- 
quées pendant  son  séjour  au  Sahara  algérien  comme  ser- 
vant à  la  nourriture  des  bestiaux  :  «  le  jReleb,  sorte  df 
genêt  au  feuillage  long  et  flexible;  le  Drin,  variété  de  chien- 
dent qui  a  surtout  la  propriété  de  fixer  les  dunes  de  sable 
et  de  poussière;  le  Balab,  sorte  de  salsolée  ;  le  Chiah,  de 
la  famille  des  labiées,  etc.  i>  Il  mentionne  encore  les 
étendues  d'alfa  et  les  jujubiers  sauvages,  arbuste  tenace  el 
vivace,  au  feuillage  épineux,  qui  fournit  le  combustible  ha- 
bituel aux  indigènes  et  dont  les  fourrés  épais  constituent  un 
abri  à  l'ombre  duquel  croissent  dans  le  désert  des  arbres  de 
haute  futaie.  Le  jujubier  sauvage  est  bien  connu  de  tous 
les  cultivateurs  d'Algérie  et  de  Tunisie  dont  il  fait  le  déses- 
poir, mais  il  peut  rendre  des  services  au  désert. 

Duponchel  n'a  remarqué  qu'un  arbre  de  haute  venue  dans 
la  lisière  désertique  de  l'Algérie,  le  Béloum,  «  sorte  de  pista- 
chier sauvage,  qui  acquiert  un  développement  considérable 
et  dont  les  racines  puissantes  ne  tardent  pas  à  détruire  com- 
plètement les  broussailles  qui  en  avaient  protégé  la  crois- 
sance. Les  animaux  peuvent  alors  en  approcher,  mais  ils 
n'en  broutent  plus  les  jeunes  pousses  qu'à  une  hauteur  limi- 
tée naturellement  par  celle  du  cou  des  chameaux.  Taillés  à 
ce  niveau  suivant  un  plan  horizontal,  les  bétoums,  conti- 
nuant à  s'accroître  par  le  haut,  s'élèvent  comme  de  magni- 
fiques parasols  de  verdure  impénétrables  aux  rayons  du  soleil 
disséminés  par  groupes  de  douze  à  quinze  dans  chaque  daya 
(bas-fonds  ou  cuvettes  où  s'accumulent  les  terres  végétales  el 
où  se  maintient  l'humidité).  Les  béloums  ne  donnent  pas  seu- 


GENÈSE   DE  L'IDÉE  TRANSSAHARlEiNNE.   ■—  DUPONCHEL.  43 

lement  leur  ombre  aux  voyageurs,  ils  produisent,  en  outre, 
une  résine  qui  reçoit  diiTérents  usages,  et  un  petit  fruit  acidulé 
qui  entre  pour  une  certaine  part  dans  Talimentation  des  indi- 
gènes (1).  »  Malgré  ces  précieux  services  aux  caravanes  et  aux 
bergers  du  désert,  il  arrive  aux  Arabes  ou  aux  Touareg 
d'abattre  de  ces  arbres  pour  se  procurer  du  feu,  quand  les  ju- 
jubiers etautres  broussailles  ne  leur  suffisent  pas.  Les  Fran- 
çais, dans  un  rayon  de  30  kilomètres  autour  de  Laghouat, 
ont  laissé  disparaître  ces  arbres  séculaires,  aux  groupements 
desquels  on  donnait  le  nom  de  forél. 

Il  n'en  demeure  pas  moins  certain,  comme  le  dit  Fauteur, 
que  €  les  conditions  climatériques  de  ces  vastes  solitudes 
ne  sont  pas  rigoureusement  incompatibles  avec  le  développe- 
ment de  certaines  espèces  forestières  j».  Duponchel  suggère 
que  Ton  pourrait  emprunter  à  la  flore  australienne  des  arbres 
aussi  vigoureux  que  le  bétoum,  et  d'une  croissance  rapide,  qui 
s'acclimateraient  dans  le  Sahara,  et  y  rendraient  des  services 
analogues  à  ceux  que  Teucalyptus  rend  dans  la  région  du 
Tell. 

Quoique  le  cercle  des  observations  personnelles  de  Dupon- 
chel dans  le  Sahara  ait  été  assez  restreint,  ses  réflexions 
et  ses  conclusions  ont  reçu,  comme  on  le  verra  plus 
loin,  une_éclatante  confirmation  par  les  constatations  des 
explorateurs  récents,  lïyanl  franchi  d'outre  en  outre  le 
désert  ou  Tayant  pénétré  à  une  grande  profondeur.  Aux 
plantes  fourragères  ou  comestibles  que  mentionne  Dupon- 
chel, il  faut  en  joindre  une  quantité  d'autres  qui,  de  place 
en  place,  forment  parfois,  jusqu'au  centre  du  Sahara  et,  à 
plus  forte  raison»  dans  la  région  tropicale  de  cette  immen- 
sité, de  véritables  prairies.  C'est  le  mot  dont  se  servent  et 
Flatters  et  Foureau  et  nombre  d'autres.  Quant  aux  arbres 
de  haute  futaie,  qui  poussent  dans  ce  désert  africain  et  y 
atteignent  en  maint  endroit  des  proportions  considérables, 
parfois  gigantesques,    il    n'en   existe    pas    qu'une    espèce 

!l)  Duponchel,  Le  Chemin  de  fer  transsakarien,  pages  135  à  138. 


44     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN   ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIE^S 

unique,  et  on  en  cite  une  demi-douzaine  qui  croissent  ou 
simultanées,  ou  se  succédant  suivant  les  zones.  La  végê 
tation  et  le  bois,  s'ils  ne  couvrent  pas  tout  le  Sahara,  sy 
rencontrent,  plus  ou  moins  abondants,  dans  presque  toulf 
sa  superficie  et  à  toutes  les  latitudes. 

On  ne  peut  qu'adhérer  à  la  conclusion  de  Duponchel  :  «  Si 
la  sécheresse  naturelle  de  l'atmosphère  a  surtout  donné  ao 
Sahara  son  aspect  actuel,  les  dévastations  résultant  de  la 
main  de  Thomme  et  de  la  dent  des  animaux  qui  le  parcou- 
rent en  tout  sens  n'ont  pas  peu  contribué  à  généraliser  1? 
désert,  en  détruisant  la  végétation  normale  de  sa  surface.. 
L'immense  étendue  des  surfaces  compensant  leur  peu  de 
fertilité,  on  pourrait  sans  doute  accroître  dans  d'énormes 
proportions  le  nombre  des  troupeaux  qui  trouvent  aujour- 
d'hui leur  subsistance  dans  le  Sahara,  en  môme  temps  pro- 
bablement en  boiser  une  certaine  partie.  Il  y  aura,  certes, 
un  jour,  un  sérieux  sujet  d'études  à  faire,  et  probablement 
une  grande  source  de  richesses  agricoles  à  réaliser  (1).  »  En 
atténuant  un  peu  la  forme  de  la  pensée  de  l'auteur,  mais  en 
en  maintenant  le  fond,  on  sera,  croyons-nous,  dans  la  vérité. 
Le  Sahara  paraît  avoir,  non  certes  sur  toute  sa  surface,  mais 
sur  beaucoup  de  points  disséminés  et  pouvant  former  des 
chapelets  de  petits  centres,  un  certain  avenir  agricole. 

Cet  avenir  ne  dépend  pas  uniquement  des  oasis  à  fonder 
ou  à  étendre,  il  est  beaucoup  plus  vaste.  Notons,  en  ce  qui 
concerne  ces  oasis,  une  observation  intéressante  de  Dupon- 
chel ;  avec  son  expérience  acquise  en  bas  Languedoc  et  en 
Provence,  il  s'élève  contre  l'habitude  d'accumuler  les  cul- 
tures diverses  dans  un  même  espace  et  à  l'ombre  les  unes 
des  autres.  On  sait  l'éloge  devenu  classique,  que  Pline  a 
fait  de  l'oasis  de  Tacape  (aujourd'hui  Gabès)  (2);  il  décrit 
le  figuier  ou  le  pistachier  croissant  à  l'ombre  du  palmier, 
puis  d'autres  arbustes  fruitiers  à  l'ombre  des  premiers, 
et    enfin,    au-dessous,    des    légumes    ou    céréales    divers. 

Il)  DuponclK'l,  Op.  cit.,  pages  138  et  139. 

(:i)  Voir  imiro  ouvrage  LWhjérie  et  la  Tunisie,  2''  édition,  page  381. 


GENÈSE  DE  L'IDÉE  TRANSSAHARIENNE.   —  DUPONCHEL.  45 

Duponchel    n'est    pas    émerveillé    de    celte    accumulation 
et  de  celte  superposition  de  cultures  :  «  Si  Ton  a  peul-être 
trop  négligé  jusqu'ici,  dit-il,  les  ressources  qu'il  paraîtrait 
possible  de  tirer  de  la  végétation  normale  du   Sahara,  et 
outré  en  quelque  sorte  l'infécondité  proverbiale  du  désert, 
on  a  parfois  exagéré  en  sens  contraire  les  richesses  et  les 
splendeurs  de  la  végétation  artificielle  que  les  eaux  d'arro- 
sage entretiennent  dans  les  oasis.  »  Les  petits  jardinets  où 
chaque  propriétaire  ou  locataire  cultive  une  demi-douzaine 
ou  une  douzaine  de  palmiers,  solidement  clos,  et  à  l'ombre 
quasi  impénétrable  desquels  il  prétend  faire  venir  des  cé- 
réales ou  des  légumes^  lui  paraissent  des  puits  qui  contra- 
rient la  végétation.    Ces  pratiques  agricoles,  si   anciennes 
soient-elles,  lui  semblent  provenir  moins  du  désir  d'abriter 
les  végétaux  les  plus  humbles  des  ardeurs  du  soleil  que  de 
l'espoir  chimérique  d'obtenir  plusieurs  récoltes  d'un  même 
sol  et  d'un  même  arrosage.  C'est   l'ancienne  méthode  que 
Ton  suivait  dans  l'Italie  antique  pour  la  vigne,  et  que  l'on  a 
aujourd'hui  abandonnée.  Duponchel  remarque  que  plus  l'on 
avance  vers  le  Midi,  en  France   du  moins,  plus  l'air  et  la 
lumière  paraissent  indispensables  à  la  végétation.  On  peut 
avoir  des  rideaux  d'arbres,  comme  en  V^aucluse,  dans  le  bas 
Languedoc  et  en  Provence  pour  couper  le  vent  (1);  mais  il 
est  chimérique  de  superposer  les  cultures  les  unes  sur  les 
autres  el  d'enfouir  sous  une  ombre  constante  les  végétaux  les 
plus  humbles.  Celte  remarque  parait  intéressante;  c  l'agricul- 
ture saharienne  aurait  fort  à  gagner  à  renoncer  à  ses  pratiques 
actuelles»  en  laissant  l'air  et  la  lumière  pénétrer  plus  libre- 
ment dans  les  jardins  des  oasis  (2)  ».  Quant  à  Texagération 
des  clôtures,  qui  est  manifestement  nuisible,  elle  tient,  en 
grande  partie,  à  l'insécurité.  On  verra  plus  loin  que  c'est 


(1)  Nous  avons  éprouvé,  en  ce  qui  nous  concerne,  depuis  vingt  années,  dans 
notre  vignoble  tunisien,  que  le  sirocco,  par  exemple,  fait  beaucoup  plus  de  mal 
dans  les  vignes  de  un  ou  quelques  hectares  ayant  de  hautes  clùlures  végétales 
que  dans  des  étendues  de  dizaines  ou  centaines  d'hectares  laissées  sans  abri 
aucun. 

(2)  Duponchel,  Op.  cit.,  pages  144  à  146. 


46   LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAQARIRNs 

cette  insécurité,  terrible,  constante,  qui  est  le  plus  grami 
mal,  la  plus  grande  cause  stérilisatrice  à  la  fois  du  Sahara 
et  du  Soudan. 

Cette  analyse  de  la  description  que  fait  Duponchel  dt 
Sahara  nous  a  paru  utile,  d'une  part  comme  montrant  Tin 
géniosité,  l'originalité  et  la  justesse  d'esprit  de  l'auteur 
d'autre  part,  comme  un  premier  témoignage,  qui  sera  confirme 
plus  loin  par  beaucoup  d'autres,  de  certaines  ressources  cul- 
turales  et  arbustives  que  possède  le  Sahara  et  d'un  certain 
avenir  agricole,  relatif  naturellement,  qui  paraît  réservé  avec 
le  temps  et  les  soins  à  cette  immense  surface.  Mais  le  Sahara 
fût-il  irrémédiablement  et  complètement  infécond,  dépoumj 
de  toutes  richesses  non  seulement  du  sol,  mais  du  sous- 
sol,  que  la  construction  des  chemins  de  fer  transsahariens 
n'en  serait  nullement  condamnée.  Le  Sahara  est  conçu,  par 
les  promoteurs  de  cette  œuvre,  comme  un  simple  passage; 
il  suffit  que  les  conditions  topographiques  rendent  ce  pas- 
sage possible  sans  trop  de  frais  —  et  la  nature  des  lieux  prouve 
que  ce  passage  serait  non  seulement  possible,  mais  dans 
l'ensemble  singulièrement  facile,  —  pour  qu'une  voie  ferrée  se 
construise  et  s'exploite  tout  le  long  de  cette  contrée  dans 
des  conditions  favorables. 

11  suffit  que  le  Soudan  soit  riche  pour  que  l'œuvre  soil 
justifiée.  Duponchel  se  livre  à  une  description  sommaire  du 
Soudan  :  ici,  il  est  inutile  de  le  suivre;  il  n'a  pu  fournir 
aucune  observation  directe  sur  cette  contrée  et  les  rensei- 
gnements postérieurs  précis  abondent. 

Quelle  est  la  nature  et  la  direction  de  la  voie  ferrée  que  pro- 
jetait Duponchel  ?  En  premier  lieu,  nous  l'avons  vu,  il  avait 
pour  objectif,  non  pas  la  région  du  Tchad,  dont  on  parlait 
peu  alors,  quoique  Barth  et  plusieurs  autres  voyageurs 
célèbres  l'eussent  visitée  et  en  eussent  fait  le  plus  grand 
éloge,  mais  le  coude  du  Niger  entre  Tombouctou,  dont  le 
nom  magique  éblouissait  alors,  et  Bourroum.  Néanmoins  il 
ne  rattachait  pas  sa  ligne  ferrée  à  Oran,  qui  eût  été  la  tête 
de  ligne  la  plus  proche,  étant  donné  ce  point  d'arrivée  ;  il 


EXAMEN   DU  PROJET  DE  DUPONCHEL.  47 

a  bien  étudié  une  variante  se  rattachant  à  la  ligne  d'Oran  è 
Saïda,  qui  venait  d'être  construite;  mais  c'est  à  Aflfreville, 
sur  la  ligne  d'Alger  à  Oran,  qu'il  attachait  son  transsaha- 
rien, le  poussant  par  Boghar,  Laghouat,  El-Goléa,  sur  les 
oasis  du  Touat,  qu'il  traversait  en  laissant  Insalah  à  une 
certaine  distance  à  l'est,  et  en  continuant  directement  sur  le 
coude  du  Niger  pour  aboutir  sur  ce  fleuve  à  un  point  situé 
à  peu  près  à  égale  distance  entre  Tombouctou  à  l'ouest  et 
Bourroum  à  l'est. 

II  serait  superflu  et  sans  intérêt  de  s'arrêter  à  la  descrip- 
tion de  ce  tracé,  qui,  d'ailleurs,  devait  naturellement,  pour 
les  points  mitoyens  du  moins,  comporter  des  variantes  ou 
des  corrections.  Étant  donnés  la  compétence  de  Duponchel 
et  les  nombreux  renseignements  qu'il  avait  recueillis  et 
profondément  médités,  l'étude  technique  qu'il  a  faite  à  ce 
sujet  et  qui  comprend  une  soixantaine  de  pages,  pourra 
servir  d'élément  d'information  pour  le  Transsaharien  occi- 
dental, qu'on  rattachera  toutefois,  suivant  toutes  les  pro- 
babilités, aux  lignes  prolongées  de  l'ancienne  Compagnie 
franco-algérienne  d'Arzew  à  Saïda,  Aïn  Sefra  et  Béni-Ounif, 
tronçons  déjà  exécutés,  jusqu'à  Igli,  terminus  actuelle- 
ment décidé  (1904). 

Les  évaluations  de  dépenses  peuvent  davantage  retenir 
notre  attention.  Duponchel  ne  concevait  le  Transsaharien  que 
comme  un  chemin  de  fer  à  voie  large,  c'est-à-dire  à  la  voie 
normale  européenne  de  1",44  d'écartement  entre  les  rails. 
Il  attribuait  à  cette  voie  de  transport  un  trafic  considérable 
et  voulait  qu'elle  fût  aussi  parfaite  que  possible,  au  point  de 
vue  notamment  du  rayon  des  courbes  et  des  pentes.  S'il  y  a 
lieu  toujours  de  tenir  grand  compte  du  dernier  point,  et  de 
s'efforcer  d'avoir  des  pentes  très  douces,  ne  dépassant  pas  un 
centimètre  par  mètre,  Duponchel  ignorait  que  les  chemins  de 
fer  à  la  voie  de  1  mètre,  comme  l'a  prouvé,  depuis,  l'exemple  de 
l'Afrique  du  Sud  et  de  la  Tunisie  (1  ),  peuvent  se  prêter  à  un  très 

(1)  Le  chemin  de  fer  à  voie  étroite  de  Sfax  à  Gafsa  et  aux  carrières  phospha- 
tières  du  Metlaoui,  sur  une  longueur  de  245  kilomètres,  avec  ses  transports  de 


48      LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMLNS  DE  FER  TRANSSAHARIENS. 

ample  trafic  et  que,  d'autre  part,  avec  les  wagons  à  bogies, 
on  peut  pallier  les  inconvénients  de  courbes  à  faible  rayon.  Il 
ne  faut  pas  oublier  que  le  chemin  de  fer  du  Congo  belge, 
qui  rend  des  services  si  précieux,  n'a  que  75  centimètres 
de  largeur  et  que,  d'autre  part,  dans  l'Afrique  australe,  le 
chemin  de  fer  de  Beïra  n'a  eu  longtemps  que  60  centimètres: 
si  ces  deux  types  doivent  être  écartés,  celui  de  1  mètre  doit, 
au  contraire,  être  retenu  ;  il  suffirait  à  un  trafic  de  20000  ou 
25000  francs  par  kilomètre,  qui  dépasse  tout  ce  que  les  plu^ 
optimistes  peuvent  rêver,  de  longtemps  du  moins,  et  à  une 
vitesse  de  35  à  40  kilomètres  à  l'heure  pour  les  trains  de 
voyageurs,  ce  qui  suffira  aussi  pendant  bien  des  années. 

Duponchel  fixait  à  2274  kilomètres  la  longueur  de  voie  à 
construire  d'Afi'reville  au  Niger  ;  Affreville  étant  à  120  kilo- 
mètres d'Alger,  la  distance  totale  par  le  Transsaharien, 
entre  la  capitale  de  l'Algérie  et  le  coude  du  Niger,  eût  été  de 
2  400  kilomètres  en  chiffres  ronds.  11  ajoutait  300  kilomètre? 
de  ligne  transversale  à  construire  de  Tombouctou  à 
Bourroum,  le  Niger  lui  paraissant  difficilement  navigable 
sur  ce  parcours;  cela  portait  l'étendue  totale  à  construire, 
suivant  lui,  à  2.574  kilomètres  (1).  Si^  au  lieu  d'Alger,  Ton 
prenait  Oran  pour  point  de  départ  sur  la  Méditerranée  et 
la  station  actuelle  de  Béni-Ounif,  sur  la  ligne  prolongée  de 
l'ancienne  Compagnie  franco-algérienne,  et  qu'on  laissât  de 
côté  la  ligne  transversale  de  Bourroum  à  Tombouctou,  la 
longueur  à  construire  s'abaisserait  sans  doute  à  1650  ou 
1700  kilomètres,  et  la  longueur  d'ensemble  depuis  Oran, 
à  2250  ou  2300  kilomètres  (2). 

Pour  les  2574  kilomètres  dont  il  envisageait  la  conslruc- 

350  000  tonnes  de  phosphate  en  1903  et  de  plus  de  400  000,  chiffre  espéré,  pour 
1904,  témoigne  victorieusement  de  la  puissance  d'une  voie  ferrée  de  i  luèlro. 
bien  établie  et  bien  exploitée. 

(1)  On  ne  voit  aucunement  qu'une  ligne  transversale  de  300  kilomètres  île 
Tombouctou  k  Bourroum  soit  nécessaire  :  le  Niger,  dans  cette  section,  est  parfai- 
tement navigable  aux  chalands,  comme  le  prouvent  le  livre  et  la  carte  du  capi- 
taine Lenfant  {Le  Niger,  voie  ouverte  à  notre  empire  africain,  Paris  i90H),  quo 
nous  étudierons  plus  loin. 

(2)  La  station  de  Béni-Ounif,  sur  nos  lignes  algériennes  de  l'ouest,  se  trouve  a 
600  kilomètres  d'Arzew  et  à,  624  kilomètres  d'Oran  par  Perrégaux. 


EXAMEN  DU  PROJET  DE  DUPONGHBL.  49 

lion,  Duponchel  commençait  par  admettre  une  dépense  de 
160590000  francs  en  ce  qui  concerne  la  plate-forme  el 
de  20214000  francs  en  ce  qui  touche  Tapprovisionnement 
de  l'eau.  Il  répartissait  ainsi  cette  dépense  : 

Dépenses  pour  l'appro- 
Prix  de  la  plate-furme.        visionnement  de  reau. 

Indication  des  sections  de  tracé.  ...^  n       ^   ,. ^i 

Longueur  :  par  kilom.    par  section,    par  kilom.  par  section. 
kUom.  (r.  fr.  fr.  fr. 

Ligne  crÂiTreville  àLaghouat 

par  Taguin 354      119  463      42  290  000        6  000      2 124  000 

De  Laghouat  à  la  dayade  Sa- 

fel  sur  les  deux  versants  du 

Kaz-el-Chaab 50        00  000        3  000  000      12  000         600  000 

De  la  daya  de  Safel  à  Goleah.  300  40  000  12  000  000  12  000  3  600  000 
Do  Goleah  àBouguemma,  pre- 
mière oasis  de  TÂouguérout  310  40  000  12  400  000  5  000  1550  000 
De   Bougueraina  à  Taourirt, 

dernière  oasis 360        40  000      14  400  000        4  000      1440  000 

Traversée  du  Tauzerouft 450        20  000        9  000000      15  000      6  750  000 

Du   Tauzerouft  à  Bamba  sur 

le  Niger 450        50000      22500000        5000      2  250  000 

Ligne  transversale    de  Bour- 

roum  à  Tonibouctou 300      150  000      45  000  000        3  000      1  900  000 

Totaux 2574  l  160  590  000  ~    20214000 

Ces  deux  catégories  de  dépenses,  la  plate-forme  et  Tappro- 
visionnement  des  eaux,  montaient  ainsi,  pour  les  2574  kilo- 
mètres qu'entrevoyait  Duponchel,  à  180804000  francs  ;  mais 
d'autres  dépenses  devaient  venir  grossir  ce  chiffre  et  voici 
comment  le  premier  auteur  d'un  plan  de  chemin  de  fer  trans- 
saharien, en  portant  les  dépenses  ci-dessus  et  y  ajoutant  les 
autres,  établissait  son  devis  : 

Plate-forme,  pour  terrassement  et  ouvrages  d'art  de 
toute  nature 160  590  000 

Approvisionnement  d'eau 20  214  000 

2  574  kilomètres  de  voie   simple,  pose  et  ballast, 

évalués  &  30  000  francs  par  kilomètre 77  220  000 

Un  dixième  eu  sus  pour  double  voie,  raccorde- 
ments, etc 7  722  000 

Parasables  voûtés  sur  40  kilomètres  à  400  000  fr. 
le  kilomètre  (1) 16  000  000 


A  reporter 281  746  000 

I  i  )  Le  texte  de  Duponchel  porte  40  kilomètres  k  400  fr.=  16  000  000  ;  il  doit  s'agir 
do  iOO  francs  le  mètre,  soit  de  400  000 francs  le  kilomètre;  si  exorbitante  que 
(>ûraisse  cette  dépense  de  400  000  francs  par  kilomètre  pour  les  parasables,  elle 
répond  bien  aux  vues  do  l'auteur,  car  un  peu  plus  haut  (page  279),  à  propos 
des  dunes  de  Messerane,  il  parle  d'une  dépense  de  200  000  francs  pour  voûter 
la  route  sur  un  mauvais  passage  dont  les  parties  envahies  par  le  sable  ne  dépas- 
saient pas  150  mètres. 

4 


50     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE   FER  TRANSSAHARIEN? 

Report 281 746  000 

Télégraphe  et  autres  appareils  :    2574  kilomètres 

k  4  000  francs 40  296  000 

Bâtiments  des  stations  et  des  gares 5  000  000 

Docks  et  hangars 5  000  000 

Intérêts  du  capital  de  construction  pendant  une 

moyenne  de  deux  ans 20  000  OOO 

Matériel  roulant  à  45  000  francs  par  kilomètre  (1)..  30640  000 

Somme  à  valoir  pour  dépenses  diverses  et  impré- 
vues    47  348  000 

Montant  total  des  dépenses 400  000  OOO 

Ainsi,  c'est  à  400  millions  que  Tingénieur  Duponchel 
évaluait  la  dépense  pour  la  construction  des  2574  kilomètres 
qu'il  projetait  de  construire  d'Affreville  à  Laghouat  et  dt 
Laghouat  à  Bamba  sur  le  Niger,  avec  une  ligne  transversale 
de  300  kilomètres,  parallèle  à  ce  fleuve,  de  Bourroum  â 
Tombouctou. 

La  somme  est  grosse,  mais  quand  on  examine  le  projet  de 
près,  il  y  a  beaucoup  de  retranchements  à  y  faire  et  de> 
corrections  modératrices  à  y  apporter.  En  premier  lieu,  h 
ligne  d'Affreville  à  Laghouat  ou  de  Berrouaghia,  terme 
actuel  de  la  ligne  d'Alger  dans  la  direction  de  Laghouat,  à 
ce  dernier  point,  ne  peut  nullement  être  considérée  comme 
subordonnée  à  la  construction  du  Transsaharien;  c'est  une 
ligne  purement  algérienne  qu'il  faudra  toujours  construire  et 
dont  le  retard  de  construction  est  môme  inexplicable  ;  il  y  a 
donc,  de  ce  chef,  354  kilomètres  à  déduire  des  2754  prévus, 
ainsi  que  la  dépense  correspondante  à  ces  354  kilontiètres. 
En  second  lieu,  on  ne  comprend  pas  que  Duponchel  ail 
incorporé  dans  son  projet  de  chemin  de  fer  transsaharien 
une  ligne  longeant  le  Niger,  de  Tombouctou  à  Bourroum, 
d'une  longueur  de  300  kilomètres,  laquelle,  suivant  ses  pré- 
visions et  comme  l'indique  le  tableau  de  la  page  49,  doii 
constituer,  suivant  lui,  la  section  de  beaucoup  la  plus  coûteuse 
du  chemin.  Que  le  Transsaharien  aboutisse  en  un  point  bien 

(l)  Nous  reproduisons  textuellement  le  texte  et  les  chiffres  de  Du  pondit 
(page  318  de  son  livre);  remarquons,  toutefois,  que  le  matériel  roulant  calcul* 
b.  15000 francs  le kilomôtrc  pour  2 574  kilomètres,  coûterait  38 6 10 000 fr.;  ce  chitrr 
de  15  000  fr.  est,  d'ailleurs,  absolument  extravagant.  La  somme  de  30  610  000  is 
ne  représente  que  11  500  fr.  par  kilomètre,  chiffre  encore  double  ou  triple  <\c  n 
qui  est  nécessaire  pour  une  ligne  de  cette  étendue,  à  moins  d'un  trafic  énorn 


EXAMEN   DU   PROJET  DE  DUPONCHEL.  51 

oisi  sur  le  coude  du  Niger,  puisque  Duponchel  vise  surtout 
itieindre  ce  fleuve,  et  cela  suffît.  Le  fleuve,  comme  Tout 
Duvé  nombre  d'explorations  antérieures  et  celle,  décisive, 

capitaine  Lenfant,  est  parfaitement  navigable  aux  cha- 
ids  dans  ce  parcours  entre  Bourroum  et  Tombouctou  ; 

le  serait-il  qu'imparfaitement,  il  ne  faudrait  pas  une 
ntaine  de  millions  pour  l'améliorer,  tandis  qu'on  va  voir 
le  Duponchel  compte  pour  bien  près  de  100  millions  la 
nstruction  de  cette  voie  ferrée  transversale,  tout  à  fait 
perflue  ou,  en  tout  cas,  très  prématurée,  la  navigabililc 
i  bief  supérieur  du  Niger  d'Ansongo,  bien  en  aval  de  Tom- 
»uclou  et  même  de  Bourroum,  à  Koulikoro,  sur  une  Ion- 
leur  d'un  millier  de  kilomètres  environ,  étant  aujourd'hui 
irfaitement  reconnue. 

Il  faut  donc  éliminer  du  plan  de  Duponchel  ces  deux 
;nes  :  celle  de  Bourroum  à  Tombouctou,  comme  superflue 
1  tout  à  fait  prématurée,  et  celle  d'Afîreville  à  Laghouat, 
>mme  appartenant  manifestement  au  réseau  algérien  pro- 
^ement  dit  et  s'imposant  en  toute  circonstance.  C'est 
)0  kilomètres  d^une  part  et  354  de  l'autre,  à  retrancher  du 
•tal  de  2574  kilomètres  :  il  ne  reste  que  1920  kilomètres 
)ur  le  Transsaharien  véritable  dans  le  projet  de  cet 
igénieur. 

Les  dépenses  diminuent  dans  une  proportion  bien  plus 
•rte  que  l'étendue,  les  deux  lignes  à  retrancher  étant  parmi 
s  plus  coûteuses.  On  a  vu,  dans  les  tableaux  des  pages  49 
i  50,  que  Duponchel  a  donné,  d'un  côté  par  section,  les 
èpenses  de  la  plate-forme  et  celles  des  approvisionnements 
eau,  et  d'un  autre  côté  en  bloc,  sans  distinction  de  sections, 
s  autres  catégories  de  dépenses.  Si  Ton  examine  les  deux 
actions  à  retrancher,  on  constate  que  la  première,  celle 
Affrevilleà  Laghouat,  figurait,  dans  le  calcul  de  Duponchel, 
our  44414000  francs  en  ce  qui  concerne  la  plate-forme  et 
approvisionnement  d'eau,  et  la  dernière  section,  celle  de 
lourroum  à  Tombouctou,  pour  46900000  francs  pour  les  deux 
\toes  objets,  soit  ensemble  91314000  francs.  Mais  il  faut 


52     LE  SAHARA,   LB  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIENS 

tenir  compte  de  la  part  proportionnelle  de  ces  654  kilo 
mètres  dans  les  dépenses  non  réparties  en  sections;   or 
celles-ci,   d'après  les  calculs   de  Duponchel,    montaient  \ 
219196000  francs  qui,  répartis  entre  les  2574   kilomètre 
qu'il  considérait,  représentent  un  peu  plus  de  85000  franc 
par  kilomètre;  ces  dépenses  non  réparties  par  sections  équi 
valent  donc  à  55590000  francs  pour  les  654  kilomètres  i 
retrancher  et,  en  les  ajoutant  aux  91 314000 francs  de  dépenstî 
spéciales  les  concernant,  le  total  monte  à  147  millions  ti 
chiffres  ronds  qui  représentent  le  coût  de  ces  deux  lignes 
d'ensemble  654  kilomètres;  en  les  déduisant  des 400  milHons. 
la   dépense  du  Transsaharien  proprement  dit,  d'après  les 
évaluations  de  Duponchel,  s'abaisse  à  253  millions  de  francs. 
11  y  aurait  bien  d'autres  retranchements  à  faire,  du  chef 
des  progrès  de  Tart  de  la  construction  des  chemins  de  fer 
depuis  1878,  époque  où  écrivait  Duponchel,  et  de  la  diminu- 
tion de  prix  des  produits  métallurgiques.  La  tonne  de  fonle, 
qui  se  cotait  au-dessus  de  80  francs,  de  1876  à  1878,  quand 
Duponchel  écrivait  et  publiait  son  ouvrage,  ne  vaut  plus,  à 
l'heure  présente,  qu'une  quarantaine  de    francs;  les  rails 
d'acier  sont  tombés  également  de  moitié,  et  tout  l'ouliliage 
et  le  matériel  des  voies  ferrées  a  baissé,  sinon  dans  la  même 
proportion,  du  moins  de  20  à  30  p.  100  au  minimum.  Là 
réduction  de  dépenses  de  ce  chef  serait  énorme.  Elle  s'appli- 
querait non  seulement  à  la  voie  et  au  matériel,  mais  à  d'autres 
installations.  Elle  abaisserait  beaucoup  aussi  notamment  le 
coùl  des  40  kilomètres  de  parasables  que  prévoyait  l'auteui 
du  projet  et  qui,   bien   entendu,  ne  représentent  pas   une 
longueur  continue,  mais  toute  une  série  d'abris  métalliques 
latéraux  et  parfois  également,  mais  plus  rarement,  d'abm 
voûtés  en  forme  de  tunnel,   pour   traverser  des   passages 
difficiles  de  peu  de  longueur,  d'une  ou  plusieurs  centaines  (i« 
mètres  et  très  exceptionnellement  d'un  ou  plusieurs   kilo- 
mètres. En  admettant  que  l'on  ne  pût   parvenir,  ce  dool 
l'espoir  n'est  pas  interdit,  à  confier  l'office  de  ces  parasables 
à  la  plantation  d'arbustes  appropriés,  le  coût  d'abris  métal- 


EXAMEîS  DU  PROJET  DE   DUPONCHEL.  53 

iques,  aux  prix  métallurgiques  actuels,  baisserait  sensible- 
fient  au-dessous  de 400  francs  le  mètre  courant;  il  y  aurait 
nen  de  ce  chef  une  économie  d'une  demi-douzaine  de  millions  ; 
le  même,  on  a  peine  à  comprendre,  sur  une  œuvre  d*aussi 
frande  étendue,  où  les  stations  seront  très  éloignées  les 
mes  des  autres  et  où  le  service  des  points  intermédiaires 
lura  peu  d'importance,  une  dépense  de  4000  francs  le  kilo- 
nètre  pour  le  télégraphe  et  autres  appareils  ;  il  semble  que 
;e  chiflFre  devrait  être  réduit  de  plus  de  moitié,  ce  qui  pro- 
îurerait  pour  les  1700  à  1800  kilomètres  de  voie  vraiment 
ranssaharienne,  dans  le  projet  exposé  ci-dessus,  une  éco- 
lomie  de  4  millions  environ. 

Le  matériel  roulant  est  évalué  à  un  prix  tout  à  fait  exagéré, 
5oit  15000  francs  le  kilomètre;  la  réduction  ici  ne  doit  pas 
provenir  uniquement  de  la  baisse  du  prix  des  produits  métal- 
lurgiques, mais  aussi  de  la  nature  môme  du  chemin  de  fer 
transsaharien.  Ce  chemin  de  fer,  au  moins  pendant  un  cer- 
tain nombre  d'années,  n'aura  de  trafic  important  que  d'une 
extrémité  à  l'autre  ;  il  n'y  aura  que  très  peu  de  trafic  local 
ou  intermédiaire;  il  en  résulte  que  le  matériel  sera  beaucoup 
plus  activement  utilisé  que  celui  d'une  ligne  où  le  trafic  natt 
et  aboutit  sur  tous  les  points  de  son  étendue.  Il  faudra  donc 
un  beaucoup  moindre  matériel  pour  un  trafic  déterminé  que 
sur  les  lignes  ordinaires  et  de  moindre  longueur.  En  outre, 
quoique  les  hommes  compétents  fondent  les  plus  grandes 
espérances  sur  l'essor  et  le  développement  du  trafic  trans- 
saharien, il  est  probable  que,  à  l'origine,  et  pendant  quelques 
années,  une  demi-douzaine  environ,  ce  trafic  n'aura  que  des 
proportions  modestes.  On  peut  juger  que,  dans  les  premières 
années,  trois  trains  mixtes  pour  voyageurs  et  marchandises 
par  semaine  dans  chaque  sens  suffiront  ;  en  tenant  compte 
des  indisponibilités,  des  réparations  et  de  tous  les  cas  de 
force  majeure,  une  quarantaine  de  locomotives  et  un  millier 
de  wagons  feraient  amplement  l'affaire  ;  ce  ne  serait  qu'une 
dépense  initiale  de  8  à  9  millions  de  francs  au  plus  pour  le 
matériel,  soit  3500  à  4000  francs  par  kilomètre;  mettons 


54     LE  SAHARA,    LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIE5 

5000  francs  au  grand  maximum  :  on  est  infiniment  loin  d* 
15000  francs  dont  parle  Duponchel  ou  des  12500  auxque 
aboutit  son  calcul  et  Téconomie  ici  sur  les  simples  ligne 
transsahariennes  est  d*une  vingtaine  de  raillions. 

Avec  le  matériel  que  nous  venons  de  dire  et  tout  au  pk 
en  y  ajoutant  encore  une  dizaine  de  locomotives,  on  poli- 
rait même  porter  le  nombre  des  trains  à  un  par  jour  da^ 
chaque  senset  Ton  arriverait  facilement  à  transporter  une  ces- 
taine  de  mille  tonnes  de  marchandises,  sinon  même  150  0». 
dans  chaque  direction  ;  le  nombre  de  tonnes  serait,  saiiî 
doute,  double  du  Soudan  vers  la  Méditerranée,  de  celui 
la  Méditerranée  vers  le  Soudan  ;  et  dans  ces  conditions,  ie 
trafic  des  marchandises  pourrait  atteindre  150000  lonne^ 
volume  déjà  notable  et  qui  non  seulement,  en  y  joignant  It 
service  des  voyageurs  et  de  la  poste,  pourrait  couvrir  ki 
frais  d'exploitation  mais  donnerait  déjà,  sans  doute,  une 
recette  nette  de  quelque  importance.  Certes,  nous  ne  bor 
nons  pas  nos  espérances  à  cette  limite  de  150000  tonnes, 
les  deux  directions  réunies,  pour  le  trafic  du  Transsaharien: 
nous  espérons  que  Ton  atteindra,  au  bout  de  quelques 
années,  une  douzaine  d'années  par  exemple,  un  Iralk 
double  et  ultérieurement  peut-être  plus  considérable  encore: 
mais  il  sera  temps  alors  d'accroître  le  matériel,  et  il  n*y  aura 
aucune  nécessité  de  le  doubler  pour  un  trafic  double,  parce 
que  la  réserve  à  avoir  pour  les  cas  d'indisponibilité  ou  de 
force  majeure  ne  s'accroît  pas  en  raison  directe  du  trafic. 
Ainsi,  les  évaluations  de  Duponchel  sont,  en  ce  qui  touche 
la  dépense  en  matériel,  pour  la  période  initiale  du  moins 
exagérées  d'au  moins  10  000  francs  par  kilomètre  et,  pour  la 
période  postérieure,  qui  ne  s'ouvrira  qu'après  plusieurs 
exercices,  même  en  supposant  le  plus  éblouissant  succès 
pour  la  ligne  transsaharienne,  cette  évaluation  de  dépense 
par  kilomètre  restera  bien  supérieure  d'un  tiers  à  la  réalité. 
Duponchel  n'a  pas  tenu  compte  de  L'économie  kilométrique 
qui  résulte  de  l'énorme  étendue  de  la  ligne,  de  l'absence  de 
ramifications   au  moins  au  début  et  de  la  faible  importance 


EXAMEN  DU   PROJET  DE  DUPONCHEL.  55 

du  trafic  purement  local.  En  outre,  le  matériel  de  toute 
sorte  coûtait,  en  1878,  au  moins  le  double  de  ce  qu'il  coûte 
en  1904  et  de  ce  qu'il  coûtera,  sans  doute,  en  1912  ou  1915 
quand  le  chemin  de  fer  pourrait  s'ouvrir. 

On  doit  se  demander  s'il  y  a  lieu  de  tenir  compte  des 
intérêts  pendant  la  construction,  dépense  que  Duponchel 
tait  figurer  pour  20  millions;  qu'il  recoure  à  l'exécution 
directe  ou  à  la  concession  sous  le  régime  de  la  garantie  d'in- 
térêts, l'Etat  n*a  qu'à  assumer  chaque  année  le  paiement 
de  ces  intérêts  :  il  en  sera  indemnisé  ou  non  plus  tard,  sui- 
vant le  succès  de  l'entreprise,  notre  opinion  étant  qu'il  en 
sera  indemnisé  largement. 

Nous  ne  faisons  que  mentionner  l'économie  qui  résultera 
de  la  substitution  du  type  de  voie  de  1  mètre  au  type  de  l'",44, 
auquel  l'auteur  du  projet  s'était  arrêté.  Rappelons,  ce  qui  a 
élé  démontré  à  la  page  52,  que  le  chiffre  de  400  millions, 
indiqué  par  Duponchel  pour  la  dépense  totale,  n'est  que  de 
253  millions  pour  le  vrai  chemin  de  fer  transsaharien,  c'est-à- 
dire  en  laissant  de  côté  la  ligne  d'Affreville  (ou  de  Médéah 
Berrouaghia)  à  Laghouat,  laquelle  devra  être  construite  en 
tout  état  de  cause  au  seul  point  de  vue  des  intérêts  algé- 
riens,  et,  d'autre  part,  la  ligne   de  Tombouctou  à    Bour- 
roum,  dont  l'utilité  n'est  nullement  établie  (1).  Cette  dépense 
de  253  millions,  qui  résulte  des  calculs  de  Duponchel  pour 
sa  ligne  transsaharienne  propre,  doit,  si  l'on  tient  compte  des 
observations   que  nous  avons  présentées,  tomber  fort  au- 
dessous  de  200  millions  et  se  rapprocher  probablement  de 
140  millions  de  francs  pour  les  1 900  kilomètres  environ  de 
la  ligne  qu'il  projetait  de  Laghouat  sur  Tombouctou.    11 
semble  même  certain  que,  une  fois  notre  ligne  sud-oranaise 
portée  à  Igli,  terminus  actuellement  décidé,  le  chiffre  de 
100  millions,  avec  une  entreprise  vigilante,  ne  pourrait  être 
dépassé  ni,  sans  doute  môme,  atteint  pour  arriver  au  Niger. 

(I)  Nous  prenons  le  tracé  tel  que  le  présentait  Duponchel  et  qui,  d'ailleurs,  ne 
riîpond  plus  aux  conditions  présentes,  puisque  la  ligne  ferrée,  dans  la  direction 
^lo  la  Méditerranée  au  Niger,  atteint  maintenant  Béni-Ounif,  poste  beaucoup 
plus  méridional  non  seulement  qu'Affreville,  mais  que  Laghouat. 


56     LE  SADARA,   LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSA11ARIEN5. 

Duponchel  attachait  avec  raison  une  très  grande  impor- 
tance à  ce  que  la  voie  fût  parfaitement  établie  et  n'offrît  nulle 
part  des  pentes  de  plus  de  0°,004,  soit  moins  de  un  demi- 
centimètre  par  mètre,  tandis  qu'en  France  nous  commettons 
Tabsurdité  de  construire  des  lignes  ferrées  ayant  des  rampes 
de  0",02  à  0™,035,  qui  ne  permettent  pas  une  traction  à  bas 
prix.  Duponchel  calcule  d'après  les  données  d'alors  (son 
livre  a  paru  en  1878)  que,  avec  les  rampes  excessives  de  0™/2 
à  0",5,  le  tarif  kilométrique  serait  de  10  centimes,  avec  des 
rampes  de  0"',01  de  5  centimes,  avec  des  rampes  de  0"',006à 
0",007  le  tarif  kilométrique  pourrait  descendre  à  3  centimes, 
enfin,  avec  un  maximum  de  rampe  de  O'^jOOS  à  0",004  le 
tarif  kilométrique  pourrait  s'abaissera  2  centimes,  soit  une 
cinquantaine  de  francs  la  tonne  pour  toute  l'étendue  qu'il 
prévoyait  jusqu'au  Soudan.  En  ces  conditions,  même  les 
grains  grossiers  de  cette  région,  valant  140  à  200  francs  la 
tonne,  comme  le  maïs,  l'orge,  l'avoine,  pourraient  avoir 
accès  à  Marseille  et  aux  ports  de  la  Méditerranée  (1). 

Depuis  1878  la  traction  sur  les  voies  ferrées  a  fait  de 
grands  progrès  ;  le  type  des  locomotives  et  des  chaudières 
s'est  perfectionné  ;  elles  produisent  plus  de  force  avec  une 
moindre  dépense  de  combustible.  Les  tarifs  kilométriques 
peuvent  donc  descendre  beaucoup  plus  bas  que  ceux  qu'indi- 
quait Duponchel  ;  il  est  certain,  par  exemple,  que  même 
sur  les  lignes  à  très  forte  pente,  de  0'",03  à  0",035  par 
mètre,  le  tarit  kilométrique  minimum  rémunérateur  peut 
descendre  bien  au-dessous  de  10 centimes  la  tonne  et  s'abais- 
ser à  4  ou  5  centimes,  sinon  même  à  3.  Avec  les  rampes 
modiques  ne  dépassant  pas  7  ou  8  millimètres,  on  peut, 
certainement,  abaisser  le  tarif,  pour  les  matières  pondé- 
reuses,  transportées  par  grandes  masses,  tout  au  moins  à 
2  centimes  le  kilomètre,  et  avec  les  très  faibles  rampes, 
n'excédant  pas  5  millimètres  par  mètre,  à  1  centime  pour 
les  mêmes   matières   dans   les    mômes    conditions,    sinon 

(1)  Duponchel,  Le  Chemin  de  fer  transsaharien,  page  256. 


EXAMEN   DU  PROJET  DE  DUPONCHEL.  57 

même  à  moins.  Duponchel  remarquait  déjà  que,  la  plupart 
des  expéditions  sur  le  Transsaharien  devant  se  faire  d'une 
extrémité  à  l'autre,  sans  morcellement,  remaniement  ni 
manipulation  intermédiaire,  le  tarif  kilométrique  pourrait, 
pour  les  matières  de  très  peu  de  valeur,  être  réduit  à  Ofr.  015 
ou  même  0  fr.  012. 

A  l'heure  actuelle,  il  est  certain  qu'on  pourrait,  pour  ces 
matières-là,  comme  des  minerais  par  exemple  ou  autres 
produits  minéraux,  abaisser  le  tarifa  1  centime  tout  au  plus 
la  tonne  kilométrique,  sinon  même  à  trois  quarts  de  centime. 

Duponchel  calculait  que,  avec  de  faibles  rampes,  une 
locomotive  de  350  chevaux-vapeur,  à  une  vitesse  moyenne 
de  25  kilomètres  à  l'heure,  pourrait  transporter  un  poids 
utile  de  600  tonnes.  Ce  poids  utile,  à  l'heure  présente,  pour- 
rait être  accru  de  moitié  environ.  Aux  wagons  de  10  tonnes, 
type  classique  en  Europe,  qui  n'avait  jamais  été  dépassé  au 
moment  où  écrivait  l'auteur  cité,  on  a  déjà  substitué,  en 
maint  endroit,  les  wagons  de  18  et  20  tonnes;  on  est  en 
train  d'en  construire  de  50  tonnes,  à  l'imitation  des  Améri- 
cains (1);  même  sur  les  lignes  à  voie  étroite  on  peut,  avec 

U)  Au  moment  où  nous  écrivons  ces  lignes  nous  venons  de  recevoir  la  leUre 
suivante,  que  nous  reproduisons  textuellement  : 

Forges  de  Douai,  société  anonyme  au  capital  de  3  000  000  francs. 

Paris,  le  17  août  1903. 

«  Monsieur  Leroy-Beaulieu,  membre  du  Comité  de  la  Compagnie  royale  des 
Chemins  de  fer  portugais. 

fl  J'ai  l'honneur  de  porter  à  votre  connaissance  que  nous  venons  d'achever  le 
premier  wagon  construit  en  France,  d'une  capacité  de  chargement  de  50  tonnes 
de  houille  (contenance  :  58  mètres  cubes) . 

«  Ce  wagon  à  bogies,  entièrement  construit  en  tôle  d'acier  emboutie  du  système 
Fox-Arbel,  breveté,  est  muni  de  quatre  trémies  permettant  son  déchargement 
en  quelques  secondes  sur  estacades.  Son  poids  mort  en  ordre  de  marche  est 
de  15  tonnes.  Sa  longueur  hors  tampon  est  de  12«,300. 

«11  est  le  premier  d'une  série  de  cinquante  wagons  semblables  commandés  par 
M.  Pères,  directeur  des  mines  de  Carmaux,  et  d'autres  commandes  pour  plu- 
sieurs compagnies  françaises.  M.  l'ingénieur  en  chef  de  la  Compagnie  du  Nord 
a  bien  voulu  nous  autoriser  à  entreposer  ce  wagon  dans  ses  ateliers  de  la  Cha- 
pelle pour  nous  permettre  de  le  faire  voir  par  les  personnes  qu'il  peut  inté- 
resser. 

«  Je  vous  serais  donc  très  reconnaissant  si  vous  vouliez  bien  nous  faire  Thon- 
neur  de  venir  examiner  ce  wagon  spécimen,  vendredi  21  août,  l'après-midi  à 
partir  de  deux  heures  et  demie,  et  serai  à.  voti'e  disposition  pour  toute  explication 
verbale.  Vous  pourrez  ainsi  vous  rendre  compte  de  Tutilisation  que  l'on  peut 


58     LE  SAHARA,   LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIENS. 

bogies,  employer  actuellement  les  wagons,  non  seulement 
de  18  tonnes,  mais  de  25  ou  30;  le  poids  utile  d'un  train 
s^accroît  ainsi  notablement  aux  dépens  du  poids  mort. 

II  y  aurait  donc  tout  avantage  à  maintenir  le  maximum 
des  rampes  à  5  millimètres  par  mètre.  Toutefois  si,  sur  une 
partip  du  parcours,  dans  la  traversée  de  la  ligne  de  faîte, 
formée  du  plateau  du  Tassili  et  de  ses  prolongements,  qui 
atteint  1 300  mètres  environ  au-dessus  du  niveau  de  la  mer 
et  600  à  700  mètres  au-dessus  des  plaines  du  nord  et  du  sud, 
on  était  obligé  d'avoir  des  rampes  de  1  centimètre  ou  même 
de  1  centimètre  et  demi,  il  n'y  aurait  pas  lieu  de  s'en  alarmer: 
on  pourrait,  en  effet,  sur  cette  partie  du  parcours,  longue 
de  400  à  500  kilomètres,  dédoubler  les  trains.  Il  faut  s'efforcer 
d'éviter  cet  inconvénient;  mais  si  l'on  doit  s'y  résigner,  le 
mal  sera  restreint,  les  tarifs  et  les  frais  d'exploitation  n'en 
seront  que  modiquement  aggravés. 

Sans  se  faire  illusion  sur  le  caractère  conjectural  des  éva- 
luations de  trafic  de  la  voie  ferrée  qu'il  recommandait, 
Duponchel  s'est  efforcé  d'en  rassembler,  à  titre  de  pure 
indication,  les  éléments.  Nous  reproduisons  le  tableau  qu'il 
en  a  dressé. 

1°  Importation  en  France  ou  sur  le  littoral  algérien. 

Indication  des  marchandises  Tonnage.  Parcours.  Tarif  kilom.  Recettes, 
transportées.  _  —  —  — 
Tonnes  Kilomètres  Francs  Franc- 
Alfa  dcS  platCaUX  algériens 50.000  400  0,05  l.OOO.OtVi 

Dattes  des  oasis 15.000  1.500  0,10  S.ioO.O^O 

Produits  divers,  id 5.000  1 .500  0, 10  750. 0«K' 

Graines  ci  fruits  oléagineux  du 

Soudan 50.000  2.500  0,03  S.ToO.Ooo 

Produite  divers  :  coton,  indigo, 

peaux,  gommes,  etc 20.000  2.500  0,10  S.OOO.OCm 


faire  de  la  tôle  d'acier  emboutie  dans  l'étude  et  la  construction  du  matériel  de 
chemins  de  fer,  de  tramways  et  d'automobiles. 

«Le  wagon  sera  placé  près  du  bureau  de  M.  l'ingénieur  en  chef  du  malériil 
et  de  la  traction  do  la  Compagnie  du  Nord.  » 

Nous  ajoutons  (jue,  aux  Chemins  de  fer  portugais,  dont  nous  sommes  admi- 
nistrateur, on  use  de  wagons  d'une  trentaine  de  tonnes  pour  les  marchandi^r- 
encombrantes,  et  au  chemin  de  fer  des  Phosphates  de  Gafsa  (ligne  à  voie  éln^tti. 
dont  nous  sommes  administrateur  également,  le  type  le  plus  courant  est  <1l' 
18  tonnes,  mais  on  pense  en  adopter  un  supérieur. 


EXAMEN  DU  PROJET  DE  DUPONCHEL.  59 

2^  Exportation  de  France  ou  du  littoral  algérien . 

Tonnes  Kilomètres  Francs  Francs 

Approvisionnement  des  établis- 
sements militaires  de  rAlgérie.      10.000  400  0,10  400.000 

Approvisionnement  du  Soudan 
et  du  Sahara 20.000  2.000  0,10  4.000.000 

Approvisionnement  de  céréales 
des  oasis 30.000  1.500  0,10  4.500.000 

Approvisionnement  de  sel  du 
Soudan,  bénéfice  net 50.000  »  à  200  fr.  10.000.000 

Objets  manufacturés  et  produits 

divers 30.000  2.500  0,10  7.500.000 

30  Voyageurs  civils  et  militaires,  50.000  par  an  : 

Tonnes  Kilomètres  Francs  Francs 

A  plein  parcours,  à  raison  de 
0  fr.  05  par  kilomètre »  »_  0, 05  6.250.000 

Totaux 280.000  »  »  45.450.000 

Nous  ne  nous  arrêterons  guère  à  ce  tableau  ;  la  connais- 
sance plus  exacte  que  Ton  a  acquis  du  Soudan  depuis  un 
quart  de  siècle  par  les  explorations  et  par  la  prise  de  posses- 
sion et  l'administration  de  cette  contrée,  ainsi  que  les  grands 
progrès  industriels  accomplis  depuis  1878,  permettent, 
comme  on  le  verra  plus  loin,  de  modifier  notablement  les 
éléments  de  trafic  d'une  voie  transsaharienne. 

Dans  l'évaluation  qu'il  a  faite,  Duponchcl  a  exactement 
équilibré  les  deux  grandes  parties  du  trafic  :  140000  tonnes 
à  destination  de  la  Méditerranée,  140000  également  à  desti- 
nation du  Soudan.  Il  a  tort  de  parler  uniquement  du  com- 
merce avec  la  France  :  c'est  tout  le  monde  civilisé  qui  est 
intéressé  au  rapprochement  du  Soudan  de  la  Méditerranée; 
il  exagère,  pour  le  temps  actuel  du  moins,  les  transports 
d'alfa,  l'utilisation  de  cette  plante  ne  s'étant  pas  développée 
autant  qu'on  l'espérait  il  y  a  vingt  ans;  il  donne  trop  d'im- 
portance au  trafic  des  oasis,  qui  ne  saurait  de  longtemps 
atteindre  les  porportions  qu'il  lui  assigne.  D'autre  part,  il 
réduit  infiniment,  très  au-dessous  de  la  vraisemblance,  les 
produits  divers  soudanais,  notamment  le  coton  qu'il  ne  fait 
figurer  que  pour  partie  dans  un  transport  total  de  20  000  tonnes . 
Enfin,  en  ce  qui  concerne  le  trafic  provenant  du  Sahara  ou 


60  LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CBEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIENS. 

du  Soudan,  il  ne  fait  aucune  mention  des  produits  minéraux 
qui,  certainement,  fourniront  au  chemin  de  fer  des  transports 
importants.  D'un  autre  côté,  en  ce  qui  concerne  les  marchan- 
dises dirigées  de  la  Méditerranée  ou  de  l'Algérie  sur  le 
Soudan,  s'il  fait  une  part  raisonnable  au  sel,  il  n'en  fait 
aucune  au  sucre,  dont  la  consommation  au  Soudan  peut 
atteindre  un  chiffre  de  tonnes  tout  aussi  considérable  que 
celle  du  sel.  Enfin,  en  ce  qui  concerne  les  voyageurs,  il  ne 
paraît  s'occuper  que  des  Européens,  et  ne  pas  tenir 
compte  des  déplacements  des  noirs,  venant  offrir  leur  niain- 
d'œuvre  en  Algérie.  Ainsi,  il  y  a,  dans  ses  calculs,  quelques 
exagérations  et  de  grandes  lacunes. 

Ses  tarifs  kilométriques  sont  beaucoup  trop  élevés,  celui 
de  10  centimes  étant  la  règle  et  le  minimum  de  3  centimes 
n'apparaissant  qu'une  fois  et  une  fois  aussi  celui  de  5. 
En  ce  qui  concerne  le  sel,  au  lieu  du  prix  de  transport, 
Duponchel  a  mis  le  gain  à  réaliser  par  tonne,  la  compagnie 
concessionnaire  du  chemin  de  fer  devant,  d'après  lui,  avoir 
le  monopole  de  la  vente  de  cette  denrée  au  Soudan. 

Le  total  de  45450000  francs  pour  les  recettes  brutes  est 
ainsi  très  conjectural  et  repose  sur  des  bases  d'appréciation 
très  fragiles.  Nous  n'hésitons  pas  à  dire  que  ce  chiffre  qui 
représente,  pour  les  2574  kilomètres  du  projet  de  Dupon- 
chel, une  recette  kilométrique  de  plus  de  17600  francs, 
apparaît  comme  fort  exagéré,  du  moins  pendant  les  douze 
ou  quinze  premières  années  de  l'exploitation,  car,  ulté- 
rieurement, avec  le  développement  des  cultures  et  des 
exploitations  minérales  au  Soudan  et  au  Sahara,  il  n'est  pas 
impossible  que  ce  chiffre  soit  atteint. 

Quant  au  système  de  construction  et  d'exploitation,  Du- 
ponchel préconisait  une  coopération  de  l'État  et  d'une 
compagnie  privée,  constituée  dans  des  conditions  particu- 
lières. L'État  devait,  sous  son  patronage  et  par  l'intermé- 
diaire d'un  syndicat  qui  pourrait  être  choisi  parmi  les 
administrateurs  les  plus  en  vue  des  grandes  compagnies, 
organiser  une  société,  dont  le  capital  pourrait  être  fixé  à 


EXAMEN  DU  PROJET  DE  DUPONCHEL.  61 

100  millions  ou  à  150  et  peut-être  plus.  «  L'État,  émettant. 
s*il  le  fallait,  un  emprunt  spécial  et  direct  au  cas  où  ses  res- 
sources ordinaires  ne  seraient  pas  suffisantes,  couvrirait  par 
des  avances  annuelles,  au  taux  de  4  p.  100,  le  surplus  de  tous 
les  frais  de  construction  et,  tant  qu'il  serait  nécessaire,  Tin- 
suffisance  des  recettes  d'exploitation  augmentées  de  l'intérêt 
à  5  p.  100  du  capital  des  actions.  »  Il  est  clair  que,  à  l'heure 
actuelle,  le  premier  de  ces  taux  d'intérêt  pourrait  être 
abaissé  à  3  1/2  et  le  second  à  4  p.  100  (amortissement  non 
compris).  Le  compte  de  premier  établissement,  dit  encore 
Duponchel,  ne  serait  définitivement  clos  que  le  jour  où  les 
receltes  brutes  suffiraient  à  couvrir  les  frais  d^exploitation 
et  l'intérêt  des  actionnaires.  L'excédent,  quand  il  s'en  pro- 
duirait, serait  afi'ecté  à  l'amortissement  des  avances  annuelles 
de  l'État,  sauf  le  prélèvement  du  tiers  ou  du  quart  de  cet 
excédent,  qui  pourrait  être  distribué  à  titre  de  prime  ou  de 
dividende  supplémentaire  aux  actionnaires.  Quand  l'État 
aurait  été  remboursé  de  ses  avances  annuelles,  les  action- 
naires «  recevraient  la  majeure  partie  de  l'excédent  dispo- 
nible, sauf  telle  quote-part  inverse  qu'on  jugerait  à  propos 
de  réserver  à  l'État  ».  _ 

Duponchel  jugeait  que  ces  dispositions  étaient  analogues 
à  celles  qu'avait  adoptées  le  gouvernement  des  États-Unis 
pour  l'exécution  du  chemin  de  fer  du  Pacifique.  H^étt- 
qu'elles  n'imposeraient  à  l'État  qu'un  sacrifice  momentané, 
dont  il  serait  couvert  plus  tard.  Il  estimait  qu'elles  stimu- 
leraient le  zèle  et  l'activité  de  la  compagnie,  dont  les  action- 
naires seraient  garantis  de  tout  risque  en  même  temps  qu'ils 
auraient  devant  eux  la  perspective  d'un  revenu  élevé  dès 
que  le  service  du  chemin  de  fer  serait  en  plein  rapport  (1). 

Il  est  intéressant  de  constater  que  Duponchel,  qui  a  été 
toute  sa  vie  un  ingénieur  au  service  de  l'État,  donne,  pour  la 
construction  et  l'exploitation  de  la  grande  voie  ferrée  qu'il 
prône,  la  préférence  à  une  compagnie  privée  et  qu'il  fait  même, 

(1)  Duponchel,  Le  Chemin  de  fer  transsaharien,  page  327, 


62     LE  SAHARA,   LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIEN5. 

à  titre  de  stimulant  nécessaire,  la  part  fort  large  aux  action- 
naires. 

L'auteur  de  ce  projet  ne  s'est  pas  livré  à  une  étude  spéciale 
des  frais  d'exploitation;  il  a  fait  un  calcul,  toutefois,  sur  les 
dépenses  de  service  d'un  train  de  marchandises  de  quatre- 
vingts  pièces,  d'un  poids  brut  de  1 000  tonnes,  tels  que  ceux  qui 
circulaient  alors  (1878)  entre  Lyon  et  Marseille.  Il  a  établi  ce 
calcul  pour  une  longueur  de  3000  kilomètres,  au  lieu  de 
celle  de  2574,  parce  qu'il  a  supposé  que  les  trains  seraient 
dédoublés,  à  cause  de  la  plus  forte  inclination  des  rampes, 
dans  la  section  montagneuse  centrale,  ce  qui  équivalait  à 
une  augmentation   de  longueur.  D'après  lui,   ce   train    de 
1000  tonnes  de  poids  brut,  y  compris  l'usure  de  la  voie  et 
du   matériel,  les   faux  frais  divers,  en   un  mot  toutes  les 
dépenses  de  la  voie  ferrée,  sauf  les  frais  généraux  et  l'intérêt 
du  capital  de  construction,  reviendrait  à  6000  francs.    Un 
pareil  convoi  pourrait,  dit-il,  transporter  un  poids  utile  de 
600  tonnes  ;  en  «  admettant  une  réduction  d'un  tiers,  large- 
ment suffisante  pour  tenir  compte  des  wagons  vides  au 
retour  et  autres  non-valeurs,  le  prix  de  revient  pour  trans- 
port d'une  tonne  ne  dépassera  pas  15  francs.  La  compagnie 
concessionnaire,  reportant  la  majeure  partie  de  ses  frais 
généraux  sur  les  marchandises  d'un  prix  plus  élevé,  pourrait 
trouver  avantage  à  chargera  30  et  même  à  25  francs  la  tonne 
des  produits  bruts  du  Soudan  qui  ne  sauraient  supporter  un 
fret  plus  élevé  (1)  ».  L'auteur  conclut  que,  à  ce  prix,  le  chemin 
de  fer  transsaharien  aurait  une  zone  d'attraction  pour  les 
marchandises  dépassant  de  beaucoup  le  coude  du  Niger  et 
qu'il  pourrait  être  prolongé  utilement  par  des  embranche- 
ments  dans    les    régions    les    plus   écartées    de   l'Afrique 
centrale. 

11  est  bon  de  reproduire  les  éléments  du  calcul  de  Du- 
ponchel,  pour  ce  train  de  1 000  tonnes  de  poids  brut  : 

(1)  Duponchel,  Le  Chemin  de  fer  li'anssahanen}  page  238. 


EXAMEN   DU   PROJET  DE  DUPONCHEL.  63 

Francs. 

Combustible  à  raison  de  2  kilogrammes  par  cheval  et 
par  heure  pour  une  locomotive  de  350  chevaux-vapeur 
marchant  pendant  120  heures  avec  une  vitesse 
moyenne  de  2o  kilomètres  à.  l'heure,  70  tonnes  à  45  fr.(l).    3.150 

Frais  de  personnel  :  4  conducteurs,  chaufTeurs  ou  méca- 
niciens pendant  une  semaine,  temps  d'arrêt  et  de 
repos  compris,  soit  au  total  un  mois  de  salaire  au 
prix  moyen  de 250 

Fourniture  de  500  mètres  cubes  d'eau  k  i  fr.  501e  mètre.        750 

Usure  de  la  voie  et  du  matériel  roulant  et  faux  frais 
divers,  non  compris  les  frais  généraux  et  l'intérêt  du 
capital  de  construction  réservés 1  850 

Total  des  frais  pour  un  train 6.000 

Les  progrès  accomplis  depuis  1878  modifient  aujourd'hui 
ces  éléments.  Etant  donné  que  Ton  emploie  (voir  plus  haut, 
p.    57)    des   wagons  de   beaucoup    plus   fort   tonnage,   ce 
qui  réduit  le  poids  mort,  on  peut  penser   qu'un  train   de 
1  000  tonnes  de  poids  brut  pourrait  remorquer  700  tonnes 
et  non  600  de  poids  utile.  D'autre  part,  les  locomotives  per- 
fectionnées consomment  sensiblement  moins    de  charbon 
qu'il  y  a  un  quart  de  siècle,  pour  une  même  force  produite. 
On  est  au-dessous  de  la  vérité   en  estimant  à  25  p.  100  le 
gain  de  ce  côté.  Ainsi,  la  quantité  de  charbon  pour  le  train 
en  question  se  trouverait  réduite  vraisemblablement  à  une 
soixantaine  de  tonnes,   au  lieu  des  70  tonnes  prévues.  Le 
charbon,  quai  Alger,  ne  coûte  guère  normalement  plus  d'une 
vingtaine  de  francs  la  tonne.  En  supposant  que  l'on  n'en 
trouve  pas,  ainsi  qu'on  en  a  l'espérance,  dans  le  Sahara  ou 
dans  le  Soudan,  la  tonne  de  charbon  à  utiliser  devrait  être 
transportée  à  une  distance  moyenne  de  1500  kilomètres;  en 
comptant  ce  transport  à  un  centime  et  demi  le  kilomètre, 
représentant  largement  et  même  au  delà  les  frais  d'exploita- 
tion minima  de  la  ligne,  le  prix  de  20  francs  de  la  valeur 
du  charbon  serait  rehaussé  de  22  fr.  50  et  reviendrait  ainsi 
à  42  fr.  50,  chiffre  inférieur  de  2  fr.  50  au  prix  de  45  francs 
indiqué  par  Duponchel.  On  peut  ne  pas  faire  état  de  cette 

\^  Nous  reproduisons  textuellement  le  texte  de  Duponchel  :  il  y  a,  toutefois, 
une  erreur  dans  ce  calcul  :  une  dépense  de  2  kilogrammes  de  charbon  par 
cheval  et  par  heure  pour  une  locomotive  de  350  chevaux  pendant  120  heures 
donnerait  un  total  de  84  tonnes  de  charbon  et  non  de  70  tonnes. 


64     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIEN: 

différence,  qui  serait  affectée  aux  oscillatioas  possibles  da 
prix  du  charbon  à  Alger;  on  aurait, par  contre,  comme  cod 
séquence  des  progrès  dans  la  construction  des  locomotive: 
et  des  wagons,  Téconomie  d'une  dizaine  de  tonnes  sur  la 
quantité  de  charbon  évaluée  par  Duponchel,  soit    une  éco 
nomie  de  450  francs  par  train.  Le  second  article  de  Tévalua 
tion  de  Duponchel,  celui  des  frais  du  personnel,  apparaît 
au  contraire,  comme  très  insuffisant.  Un  train  traversant  de< 
immensités,  avec  des  gares  distantes  de  60  à  80  kilomètres 
et  des  stations  importantes  éloignées  de  200  ou  300    kilo- 
mètres, devrait  comporter  un  personnel  de  conducteurs, 
chauffeurs  et  mécaniciens,  au  moins  double,  sinon  peut-être 
triple  de  celui  de  France,  surtout  dans  les  premières  années, 
et  les  salaires  aussi,  du  moins  certains,  peuvent  être  un  peu 
plus  élevés;   on    peut  donc  presque    tripler  le   chiffre  de 
Duponchel  et  mettre  700  francs  pour  cet  article  2,  au  lieu 
de  250;  cet  accroissement  de  dépense  du  personnel   com- 
penserait ainsi  l'économie  du  chef  du  premier  article  (1).  En 
ce  qui  concerne  Tarticle  3,  la   consommation  de  Teau,  les 
progrès  de  la  construction  des  locomotives  depuis  1878  per- 
mettent de  la  réduire  d'au  moins  un  tiers  ;  on  aurait  donc 
333  mètres  cubes  d'eau  par  train  franchissant  le  Sahara, 
d'outre  en  outre,  au  lieu  de  500  mètres;  en  maintenant  le 
prix  unitaire  de  Duponchel,  l'économie  serait  de  250  francs 
environ  ;  quant  au  chiffre  de    Duponchel  pour  le  dernier 
article  (usure  de  la  voie  et  du  matériel  roulant  et  faux  frais 
divers)  qu'il  porte  pour  1850  francs,  la  baisse  des  produits 
métallurgiques  depuis  1878  permet  de  le  réduire  d'un  tiers 
environ,  soit  de  600  francs  et  ainsi  l'évaluation  de  6000  francs 
de  dépenses  par  train  serait  réduite  d'un  dixième  environ 
et   ramenée    à   5  400  francs.    Maintenons-la,    toutefois,    à 
6000  francs  pour    l'imprévu   et  pour  les  frais   généraux, 
d'ailleurs  modiques,  dont  Duponchel  n'a  pas  tenu  compte;   j 

(1)  Il  faut  noter  qu'une  partie  du  personnel,  notamment  en  ce  qui  concerne  les 
chauffeurs,  pourra,  au  bout  de  peu  d'années,  se  recruter  parmi  les  noirs,  qui  se 
contenteront  d'un  salaire  modique. 


£XAMEN   DU  PROJET  DE  DUPONCHEL.  65 

puis  doublons-la,  afin  d'avoir  le  train  d*aller  et  le  train  de 
retour.  La  capacité  de  transport  de  chaque  train  serait, 
d'après  Duponchel,  de  600  tonnes;  mais  les  progrès  dont 
nous  avons  parlé  dans  la  locomotive  et  les  wagons  la  porte- 
raient actuellement  à 700  environ;  supposons  un  chargement 
de  600  tonnes  du  Soudan  en  Algérie  et  de  400  seulement 
d'Algérie  au  Soudan  :  on  a  1 000  tonnes  qui  auraient  coûté 
12000  francs  seulement  de  prix  de  revient  de  transport, 
soit  12  francs  la  tonne;  ajoutons-y  3  francs  approximati- 
vement pour  le  transport  sur  les  chemins  de  fer  algériens, 
on  aurait  ainsi  un  prix  de  revient  total  de  15  francs  la  tonne; 
on  pourrait,  par  conséquent,  facilement  abaisser  le  tarif  à 
30  francs,  peut-être  même  à  25  francs,  pour  le  transport 
des  produits  pondéreux  du  Soudan  à  la  Méditerranée  et  de 
la  Méditerranée  au  Soudan;  les  neuf  dixièmes  au  moins  des 
produits,  soit  d'Europe,  soit  du  Centre  africain,  pourraient 
supporter  ce  fret  très  modique  et  auraient  un  grand  avantage 
à  prendre  la  route  du  désert,  au  lieu  d'aller  gagner  pénible- 
ment les  ports  malsains  et  à  barres  difficilement  franchis- 
sables de  la  côte  ouest-africaine. 

II  n'y  a  pas  lieu  de  s'arrêter  davantage  au  livre  de  Du- 
ponchel.  Cet  ingénieur  méconnu  a  eu  le  mérite  de  l'idée  ou 
du  moins  du  premier  exposé  qui  en  a  été  fait  d'une  façon 
précise;  avec  ses  connaissances  techniques,  il  a  fourni  des 
données  précieuses  pour  l'exécution  de  Tœuvre  ;  il  est  clair, 
cependant,  que  le  quart  de  siècle  écoulé  depuis  lors  a  apporté 
des  éléments  nouveaux,  qui  font  que  les  travaux  de  cet  initia- 
teur n'ont  plus  guère  aujourd'hui  qu'une  valeur  indicative. 
On  verra  plus  loin  la  suite  qui  a  été  donnée  à  l'appel  de 
Duponchel.  Après  les  premières  missions  qui  furent  orga- 
nisées pour  explorer  le  Sahara,  en  vue  de  la  recherche  du 
meilleur  tracé  pour  la  voie  ferrée,  Duponchel  publia  un 
opuscule  (1)  où,  tout  en  laissant  percer  quelque  ressentiment 


il|  lettre  à  M.  le  Président  et  à  MM.  les  membres  de  la  Commission  supérieure 
du  Transsaharien t  par  Â.  Duponchel,  ingénieur  en  chef  des  ponts  et  chaussées. 
Montpellier,  typographie  de  Boehm  et  fils,  1880. 

5 


66     LE  SABAR/l,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAUARlËV 

de  ce  qu'on  ne  lui  avait  pas  confié  la  direction  effective  deçà 
missions  (il  avait  cinquante-huit  ans  en  1878,  quand  il  pubjj 
son  livre),  il  exprimait  de  nouveau  ses  idées,  généralemeîj 
inchangées.  Il  tournait  en  dérision  la  peur  que  l'on  aval 
des  Touareg,  «  dont  les  plus  puissantes  tribus  ne  peuveti 
pas  mettre  sur  pied  de  guerre  plus  de  cent  hommes  armd 
de  mauvaises  lances  ».  On  pouvait,  selon  lui,  lancer  la  locc 
motive  dans  le  désert,  en  la  faisant  précéder  seulemes 
d'une  avant-garde  d'une  cinquantaine  de  cavaliers  armés  de 
bons  chassepots.  Il  protestait  contre  toutes  les  ambassade 
avec  présents  à  Ghat  et  à  Idélës;  ainsi,  l'exécution  sans  plus 
d'atermoiements  ni  d'études,  voilà  ce  qu'il  demandait  :  Icî 
études  devaient  aller  de  pair  avec  l'exécution  ;  on  eût  explorr 
quelques  centaines  de  kilomètres  en  avant  du  tronçon  de 
ligne  en  construction.  Cette  pensée  n'était  pas  mauvaise 
Il  tenait  surtout  à  ce  qu'on  ne  se  dirigeât  pas  sur  le  lac 
Tchad  et  qu'on  marchât  sur  le  Touat  et  de  là  sur  le  Nigex" 
€  Le  Transsaharien,  tel  que  je  l'ai  compris,  disait-il,  est  des- 
tiné à  nous  faire  franchir  par  une  voie  rapide  l'obstacle  sté- 
rile du  désert,  pour  nous  mettre  en  relations  directes  el 
faciles  avec  les  régions  productives  de  l'Afrique  équatoriale. 
fertilisées  par  le  retour  périodique  des  pluies  tropicales. 
Le  tracé  m'en  paraît  dès  lors  devoir  être  déterminé  par 
cette  triple  considération  d'ôtre  le  plus  court,  de  présente: 
les  moindres  déclivités  de  profil  et  d'éviter  le  plus  possible 
les  difficultés  de  parcours  inhérentes  au  pays,  résultant  sur- 
tout de  la  rencontre  des  dunes  de  sable  (1).  » 

Ce  tracé  ne  serait  pas  celui  qui  importerait  le  plus  pré- 
sentement ou  dans  l'avenir  à  l'empire  français  africain. 
Mais  si  on  l'eût  exécuté  immédiatement,  suivant  la  méthode 
de  Duponchel,  il  eût  sans  doute  été  terminé  vers  1890: 
tout  le  Soudan  central,  le  Sokoto  notamment  et  le  Bornou 
nous  seraient  alors  échus,  tandis  qu'aujourd'hui  ces  contrées 
d'avenir  appartiennent  à  l'Angleterre  et,  une  partie  du  Bornou» 

(1)  Page  15  de  l'opuscule  cité. 


EXAM&N   DU   PROJET  DE  DUPOiNCBEL.  67 

\llemagne.  D*un  autre  côté,  comme  on  n*eût  sans  cloute 
éprouvé  de  grandes  difficultés  dans  celte  traversée  du 
tara  et  que  la  ligne  ferrée,  au  bout  de  sept  ou  huit  ans, 
serait  montrée  rémunératrice  ou  tout  au  moins  aurait 
mé  des  indices  sûrs  de  rémunération  prochaine,  nous 
ions,  sans  doute,  en  train  de  construire  une  seconde 
le  transsaharienne,  de  Biskra  au  lac  Tchad  ou  à  Zinder; 
il  ne  faut  pas  oublier  qu'il  faudra  plusieurs  chemins  de 
transsahariens  et  qu'ils  ne  se  porteront  aucunement 
judice,  puisque  leurs  points  de  départ  en  Algérie  peuvent 
B  éloignés  Tun  de  l'autre  d'au  moins  300  ou  400,  sinon 
600  à  700  kilomètres  et  que  leurs  points  d'aboutissement 
Soudan  le  seront  certainement  de  1200  à  1500  kilomètres 
nron,  espace  qui  excède  de  beaucoup  la  zone  maxima 
Itraction  d'une  voie  ferrée. 

Duponchel  concevait  d'ailleurs  que  son  chemin  de  fer 
nssaharieo  devait  avoir  des  prolongements  ou  des 
luents  considérables  dans  le  Centre  et  même  dans  l'Ouest 
icain.  On  a  vu  qu'il  établissait  dès  l'abord,  ce  qui,  certes^ 
lit  prématuré  et,  pour  la  première  période  d'exploitation 
it  au  moins,  superflu,  deux  lignes  transversales  paral- 
es  au  Niger  et  ayant  chacune  150  kilomètres  environ, 
semble  300.  Il  proposait  de  prolonger  celle  de  l'Est  jus- 
Tau  Tchad.  Celte  proposition,  il  est  vrai,  était  surtout  faite 
ur  combattre  le  projet  qui  trouvait  alors  faveur  de  con- 
ruire  une  voie  ferrée  à  travers  le  désert  et  quasi  au  centre 
J  celui-ci,  se  bifurquant  en  plein  Sahara  en  deux  branches 
)nt  Tune  aboutissant  au  Tchad  et  l'autre  au  coude  du 
iger  (1).  Duponchel  luttait  ardemment  contre  ce  plan, 
^ec  des  arguments,  les  uns  bons  et  les  autres  mauvais. 
ous  sommes  opposé,  quant  à  nous,  à  un  transsaharien 
mslitué  d'un  tronc  commun  avec  deux  branches  ayant  les 


1^  Noua  devons  dire,  toutefois,  que  dans  son  premier  ouvrage  :  Le  Chemin  de 
•  Irarmaharien  (texte  et  cartes),  il  est  porté  deux  grandes  lignes  ferrées  trans- 
rsales  servant  d'aflluents  à  la  voie  principale,  Tune  allant  k  Saint-Louis  du 
Qégal,  l'autre  à  Kouka  (lac  Tchad). 


68  LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHï-:! 

deux  directions  sus-indiquées  :  on  allongerait  ainsi  le  fi 
cours  pour  les  deux  directions  à  la  fois;  or  le  Transe 
rien,  pour  avoir  un  prix  de  fret  minimum  très  faible, 
40  francs  au  plus  la  tonne,  doit  éviter  les  détours,  et  a\et 
très  bas  tarifs  pour  les  marchandises  communes   el  [» 
déreuses,  un  centime  et  demi  sinon  un  centime  par  k 
mètre,  doit  suivre  dans  chaque  direction  la  ligne  la  pi 
droite  compatible  avec  de  faibles  pentes  :  mieux  vaut    . 
struire  successivement  deux  transsahariens,  à  chacun  et 
quels  le  trafic  ne  manquera  certainement  pas.   Dupocti 
avait  donc  raison  quand  il  pressait  Tadoption  de  son  pJ 
pur  et  simple,  d'autant  qu'alors  de  moindres  intérêts  franj 
étaient  constitués  dans  la  région  du  Tchad;  par  contre, 
trompait  grossièrement  lorsqu'il  portait  à  2000  mètre: 
moins  le  seuil  à  franchir  en  passant  du  côté  d'Amguid,  ait. 
qu'il  ne  s'élève  qu'à  1  300  mètres  environ  et  que  peut-»^ 
on  en  trouverait  un  encore  plus  bas. 

Il  désignait  ce  dernier  tracé  sous  le  nom  de  «  tracé  i 
Hogghars  »,  ce  qui  n'est  pas  exact,  car  il  laisserait  le  plates 
des  Hogghars  à  l'ouest.  Duponchel  établissait  ainsi  li 
comparaison  entre  les  deux  tracés.  On  remarquera  qu'il  a\ià 
changé  le  point  d'attache  avec  le  réseau  algérien  et  pri 
Ouargla  au  lieu  de  Laghouat. 

TRACÉ  DU  TOUAT  (Iracô  DupoDchel). 

Kilomêlro. 

Ouargla-Bamba  (sur  le  Niger) 1 .  725 

Bamba-Kouka  (près  du  Tchad) .     1. 925 

Bamba-Saint-Louis  (Sénégal) 1 .830 

Ensemble 5.500 

TRACÉ  DES  HOGGHARS 

Kilomètres. 

Ouargla-Aglielachen  (en  plein  Sahara) 650 

Aghclachen-Kouka  (Tchad) 1 . 975 

Aghelachen-Bamba  (Niger) 1 .175 

Bamba-Sainl-Louis  (Sénégal) 1 . 850 

5.650 

Duponchel  avouait  que  Técart  entre  les  distances  n'élail 
pas  grande,  puisqu'il  n'atteignait  que  150  kilomètres,  moim 


EXAMEN  DU  PROJET   DE  DUPONGBEL.  69 

3  3  p.  100,  mais  le  relief,  disait-il,  était  tout  autre  dans  le 
îcond  cas  que  dans  le  premier  (et  il  exagérait  Tinégalité  à 
î  point  de  vue)  ;  il  ajoutait  que  les  parties  improductives, 
est-à-dire  les  sections  de  ligne  sur  lesquelles  il  ne  naissait 
Licun  ou  presque  aucun  trafic,  tenaient  beaucoup  plus  de 
lace  dans  le  second  projet  que  dans  le  premier,  et  voici  le 
ibleau  qu'il  en  dressait  : 

TRACÉ  DU  TOUAT 

Lignes  improductives. 

Kilomètres. 
Ouargla-Bamba 1.723 

Lignes  productives. 

Bamba-Kouka 1 .925  )     „  --^ 

Bamba-Saint-Louis 1 .850  j       * 

Total 5.500 

TRACÉ  DES  HOGGHARS 

Lignes  improductives. 

Kilomètres. 

Ouargla-Aglielachen 650  j 

Les  quatre  cinquièmes  d'Aghelachen-Kouka . . .     1.580  [    3.405 
Aghelachen-Bamba 1 .  175  ) 

Lignes  productives. 

Un  cinquième  d'Aghelachen-Kouka 395  ^    g  945 

Bamba-Saint-Louis 1,850) 

Total 5 .  650 

C'est  plutôt  à  titre  de  curiosité  et  pour  exposer  complè- 
tement la  thèse  de  Duponchel  qu*à  cause  de  la  portée  de  la 
remarque,  que  nous  reproduisons  ces  observations  (1).  Il  ne 
peut  s'agir,  en  effet,  de  concevoir  dès  maintenant  et  d'entre- 
prendre un  réseau  de  5500  kilomètres  ou  davantage  de 
chemins  de  fer  dans  le  Sahara  etTAfrique  centrale.  Il  ne  peut 
èlre  question  que  de  réunir  par  la  voie  à  la  fois  la  plus 
courte  et  la  plus  plane  l'Algérie  soit  au  coude  du  Niger,  soit 
à  la  région  du  lac  Tchad,  en  construisant  une  ligne  ferrée 
qui,  dans   la  première  direction,   aurait,  à  partir  du  ter- 

(I)  Duponchel,  Lettre  à   la   Commission  supérieure  du  Tvanssaharien,  1880, 
pages  28  et  29. 


70     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIEN 

minus  normal  des  réseaux  algériens,  soit  actuellement  Béni- 
Ounif  (province  d'Oran),  1600  a  1650  kilomètres,  et,  dani 
la  seconde  direction,  depuis  Ouargla,  tel'minus  naturel  d 
chemins  de  fer  algériens  de  l'Est  et  du  Centre,  2OO0 
2300  kilomètres.  Il  faut  choisir  entre  les  deux  tracés,  quitl 
à  les  exécuter  tous  les  deux  l'un  après  l'autre,  quand  It 
premier  exécuté  aura  donné  quelques  indices  de  produc- 
tivité. Bien  des  raisons,  que  nous  exposerons,  militeraiect 
pour  que  le  premier  chemin  de  fer  transsaharien,  que  nous 
appellerons  le  Grand  Central  africain,  fût  poussé  directement 
sur  le  lac  Tchad.  A  lui  seul  et  sans  aucune  ligne  transversale 
ce  transsaharien  serait  déjà  productif,  parce  qu'il  pourrait 
stimuler  la  production  non  seulement  agricole  ou  forestière, 
mais  minérale,  et  drainer  le  trafic  dans  un  rayon  de  300  ou 
400  kilomètres,  ce  qui  représente  déjà  une  centaine  de  mill 
kilomètres  carrés  ou  le  cinquième  de  la  superficie  de  la 
France.  Ultérieurement,  il  y  aurait  lieu  de  le  compléter  par 
des  lignes  transversales,  mais  ce  complément  pourrait  ne 
s'effectuer  qu'au  bout  de  dix  ou  quinze  ans;  il  n'y  a  donc 
pas  lieu  de  le  comprendre  dans  le  plan  initial. 

(^uant  au  Transsaharien  de  l'ouest,  de  l'Algérie  au  Niger, 
il  est  politiquement  et  économiquement  moins  important 
et  ne  pourra  remplacer  l'autre.  Nous  reconnaissons,  toute- 
fois, que  l'activité  française  étant  beaucoup  plus  grande 
depuis  une  demi-douzaine  d'années  dans  cette  direclioD 
et  la  longueur  ainsi  que  le  coût  du  tracé  à  exécuter  étant 
moindres,  il  y  a  actuellement  des  chances  assez  nom- 
breuses pour  que  ce  transsaharien  occidental  jouisse  de| 
l'antériorité. 

Le  point  de  Bamba,  sur  le  coude  du  Niger,  entre  Tom- 
bouctou  et  Bourroum,  où  Duponchel  attachait  son  trans- 
saharien, devait,  selon  lui,  avoir  un  immense  avenir  : 
«  Placé  sur  les  bords  du  Niger,  disait-il,  dans  une  situation 
commandant  les  deux  grandes  régions  du  fleuve,  ayant  en 
face  de  lui  toute  la  grande  presqu'île  des  monts  Humborv. 
Bamba  peut  être  appelé  à  devenir,  en  moins  de  vingt  ans, 


EXAMEN  DU  PROJET  DE  DUPONGQEL.  71 

e  ville  de  plus  de  200000  ûmes  qui  sera  notre  Calcutta 
ricain  (1).  » 

II  y  avait  là,  sans  doute,  beaucoup  d*exaltation  ;  on  en  trou- 
rait  aussi  dans  la  façon  dont  il  concevait  Texécution  du 
lemin  de  fer.  Il  avait,  certes,  raison  de  protester  contre  nos 
cmentables  traditions  qui  nous  font  exécuter  30  ou  40  kilo- 
kètres  de  voie  ferrée  par  an  dans  une  direction,  quand  ce 
|est  pas  môme,  comme  ce  fut  le  cas  pendant  longtemps, 
jour  le  prolongement  de  la  ligne  d'Aïn-Sefra  ou  pour  celle 
lu  Sénégal-Niger,  20  ou  25  kilomètres  seulement  par  année. 
I  Taisait  bien  de  recommander  la  méthode  américaine  qui 
tvait  réussi  à  construire  le  chemin  de  fer  Transcontinental 
.Pacifique,  d'une  longueur  supérieure  au  Transsaharien,  en 
noins  de  cinq  ans;  mais  il  exagérait,  certes,  quand  il  ima- 
ginait que  la  voie  ferrée  transsaharienne  pourrait  être  cons- 
truite en  deux  ans  à  raison  d*un  millier  de  kilomètres  chaque 
année. 

«  Toute  la  question  doit  aujourd'hui  se  résumer  pour  nous 
dans  l'organisation  de  chantiers  de  travailleurs,  car  on  ne 
saurait  procéder  en  pareille  matière  comme  pour  le  réseau 
de  nos  chemins  de  fer  intérieurs.  J'ai  exposé  dans  une  bro- 
chure spéciale,  comment  me  paraîtrait  pouvoir  être  organisée 
cette  petite  armée  industrielle  :  12000  à  15000  hommes 
organisés  militairement,  habitués  au  maniement  des  armes 
în  même  temps  qu'à  celui  de  l'outil  du  travailleur,  bien 
kjuipés,  bien  payés  à  raison  du  travail  qu'ils  auraient 
effectué,  pourraient  avancer  à  raison  de  1  000  kilomètres 
)ar  an  (2).  »  Étant  donnée  la  soumission  relative  que 
lous  avons  imposée  à  presque  tout  le  Sahara,  sauf  la 
isière  marocaine,  il  n'y  aurait  nul  besoin  que  les  12000  ou 
15000  travailleurs,  ou  un  nombre  probablement  moitié 
noindre,  fussent  habitués  au  maniement  des  armes,  il  suffi- 
ait  de  trois  ou  quatre  centaines  de  cavaliers  indigènes  à 

il)  Duponchel,  Lettre  à  la  Commission  supérieure  du  Transsaliarien,  1880 
)agcs  32  ct3i. 
it,  Id.,  t6ic/.,  page  31. 


! 


72  LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSABARIE5 

méhara, spahis  sahariens,  encadrés  de  sous-officiers  franchi-, 
pour  les  protéger  très  efficacement.  On  pourrait  conslruir- 
et  poser  un  kilomètre  de  voie  ferrée  par  jour,  soit  350  . 
400  kilomètres  par  an,  et  avoir  achevé  la  ligne  en  six  ot 
huit  années  ;  si  l'on  y  mettait  même  de  l'activité  et  de  h 
méthode  et  qu'on  procédât  à  la  manière  russe,  quatre  c 
cinq  années  suffiraient  probablement. 

Il  est  très  regrettable  que  l'appel  réitéré  de  Dupoachn 
n'ait  pas  eu  un  succès  définitif  et  immédiat,  quoique  su: 
tracé  ne  soit  pas  celui  que  nous  choisirions,  si  nous  avion> 
toute  la  liberté  du  choix  (1).  Construite  de  1880  à  1890,  s^ 
voie  ferrée  eût  rendu,  néanmoins,  d'énormes  services  ei 
préparé  la  seconde. 

Duponchel  passa  les  vingt-trois  dernières  années  de  sa  vi- 
(on  a  vu  qu'il  est  mort  en  1903)  en  restant  fidèle  à  son  graii»i 
projet.  Il  s'attacha  à  étudier  les  conditions  d'irrigation  du 
coude  du  Niger,  fleuve  qu'il  comparait  au  Nil,  comparaisoii 
partiellement  exacte,  et,  président  de  la  Société  languedo- 
cienne de  géographie,  il  publia,  dans  les  revues  géogra- 
phiques ou  coloniales,  soit  provinciales,  soit  parisiennes, 
d'intéressants  travaux  à  ce  sujet. 

(1)  On  a  pu  remarquer  au  cours  de  cet  exposé  qu'il  se  trouvait  dans  les  caliii- 
de  Duponchel  différentes  erreurs  de  détail,  qui  pouvaient  enlever  quelque  crédiî  \ 
ses  évaluations  ;  néanmoins,  celles-ci,  en  ce  qui  touche  la  dépense,  excédaient  «k 
beaucoup  les  probabilités.  On  s'en  rend  mieux  compte  aujourd'hui,  avec  lî 
connaissance  beaucoup  plus  exacte  du  pays,  avec  aussi  les  grands  progn- 
réalisés  dans  la  construction  et  l'exploitation  des  chemins  de  fer  économiques 
et  particulièrement  des  chemins  de  fer  désertiques. 


LIVRE  II 


LES  EXPLORATIONS  RÉCENTES  DU  SAHARA 
LA  NATURE  DU  PAYS 


CHAPITRE   PREMIER 
La  mission  Choisy  et  les  travaux  de  Georges  Rolland. 

La  commission  du  chemin  de  fer  transsaharien.  —  Les  quatre  missions  d'explo- 
ration instituées.  —  Œuvre  sérieuse  de  deux  d'entre  elles.  —  La  mission 
Choisy  et  Georges  Rolland  dans  le  Bas-Sahara  ou  Sahara  constantinois.  — • 
Les  ouvrages  techniques  de  M.  Georges  Rolland  sur  le  Sahara.  —  Caractère 
généralement  rocheux  du  Sahara.  —  Les  trois  types  principaux  de  régions 
naturelles  de  cette  immensité.  —  Le  sable  n'est  qu'en  sous-ordre  au  Sahara. — 
Les  districts  de  dunes  et  les  gassis,  —  Le  reg,  —  Caractère  ferme  et  plan 
de  l'ensenable  du  Sahara.  —  Indices  de  terrains  primitifs  devant  receler  des 
gisements  métalliques. 

L'appel  si  éclatant  de  Duponchel  frappa  Tun  des  hommes 
qui  ont  le  plus  longtemps  détenu  le  gouvernement  après 
1870,  M.  de  Freycinet.  Il  était  alors  ministre  des  Travaux 
publics  ;  ingénieur,  lui  aussi,  de  profession,  et  homme  à 
projets,  il  conçut  qu'il  y  avait  là  pour  la  France  et  pour 
lui-même  une  occasion  qu'on  ne  devait  pas  laisser  perdre. 
II  constitua  une  grande  commission  offlcielle  pour  étudier. 
Tutilité,  la  possibilité  et  le  tracé  d'un  chemin  de  fer  trans- 
saharien. Chose  curieuse,  cetlç  commission  officielle  tra- 
vailla, fit,  sinon  de  la  besogne  rapide,  du  moins  quelque 
besogne  et  parut  s'intéresser  au  projet  dont  l'étude  lui  était 
confiée.  Diverses  missions  furent  envoyées  dans  le  Sud 
algérien  du  côté  de  Touest  et  du  côté  de  l'est.  L'ingénieur 
des  ponts  et  chaussées  Choisy  dirigea  cette  dernière  ;  il 
parcourut  1  250  kilomètres  en  quatre-vingt-dix-sept  jours,  et 


74     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN    ET  LES  CBEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIBSS. 

ramena  tous  ses  hommes  sains  et  saufs  ;  cette  exploration 
parut  décisive  pour  la  première  partie  du  trajet,  et  la  ligne 
de  Biskra-Ouargla  fut  recommandée  comme  le  point  de 
départ  du  chemin  de  fer  transsaharien. 

Quatre  missions  avaient  été  constituées,  la  mission  Choisy. 
que  nous  venons  de  mentionner,  qu'accompagna  l'ingénieur 
au  corps  des  mines  Georges  Rolland,  qui  parcourut  toute  la 
lisière  centrale  et  orientale  du  Sahara  algérien,  de  Laghoual 
à  El-Goléa  et  d'El-Goléa  à  Biskra  par  Ouargla,  étudiant 
toute  cette  contrée  au  point  de  vue  de  la  géologie,  de  l'hy- 
drologie et  des  facilités  qu'elle  pourrait  offrir  à  la  construc- 
tion d'une  voie  ferrée;  la  mission  Poujanne  qui,  avec  le 
concours  de  délégués  de  la  Société  de  géographie  d'Oran, 
devait  faire  de  même  pour  le  tracé  longeant  la  frontière 
marocaine,  mais  qui,  à  cause  de  Tinsécurité  du  pays,  ne  put 
pas  franchir  la  limite  du  Tell  algérien  et  dut  s'en  rapporter, 
pour  l'au  delà,  à  des  renseignements  indigènes,  tels  que 
ceux  qui  avaient  été  précédemment  recueillis  par  le  général 
de  Colomb.  Une  autre  mission,  partie  de  Saint-Louis  du 
Sénégal,  avait  davantage  le  caractère  d'une  œuvre  d'amateur: 
elle  était  confiée  à  M.  Soleillet,  voyageur  hardi  et  intéres- 
sant, mais  manquant  des  connaissances  qu'un  explorateur 
moderne  doit  posséder  et  insouciant  des  méthodes  quil 
doit  suivre;  il  se  proposait,  sans  escorte,  de  gagner  le 
coude  du  Niger  en  faisant  un  détour  par  TAdrar,  le  long 
du  littoral  maritime;  de  Tombouctou,  sa  première  étape 
importante,  il  aurait  traversé  le  Sahara  du  sud  au  nord: 
celte  aventure,  toute  personnelle,  non  seulement  ne  put 
aboutir,  mais  fut  arrêtée  quasi  dès  le  début  par  l'hostilité 
des  Maures  du  littoral  atlantique.  La  quatrième  mission  est 
celle  du  colonel  Flatters,  dont  il  va  être  longuement  question 
plus  bas. 

Les  deux  missions  intermédiaires  doivent  être  laissées  de 
côté,  comme  n'ayant  aucunement  abouti  ;  il  n'en  est  nulle- 
ment de  même  de  la  mission  Choisy  et  surtout  de  la  mis- 
sion Flatters. 


ILBS  BXPLORATIOiNS  RÉCENTES  DU  SAUARA.  —  LA  NATURE  DU  PAYS,     75 

Limitée  dans  son  programme,  la  mission  Choisy  a  pu  se 
rendre  compte,  aux  divers  points  de  vue  scientifiques,  de  la 
nature  du  Sahara  septentrional  et  particulièrement  du  Bas- 
Sahara,  pour   nous    servir    de    l'expression    par    laquelle 
M.  Georges  Rolland  caractérise  le  Sahara  constantinois.  Elle 
-a  rapporté  tout  un  ensemble  de  renseignements  et  de  docu- 
ments scientifiquement  coordonnés  qui  ont  la  plus  grande 
A-aleur.  Les  deux  grands  volumes  que  M.  Georges  Rolland, 
-membre  de  cette  mission,  a  consacrés,  Tun  à  la  géologie,  le 
second  à  l'hydrologie  du  Sahara  algérien,  avec  un  aperçu 
géologique  sur  le  Sahara  de  Tocéan  Atlantique  à  la  Méditer- 
ranée, en  y  joignant  un  troisième  volume  consacré  unique- 
ment aux  planches,  dépassent  de  beaucoup  les  proportions 
-et  la  nature  d'une  œuvre  de  circonstance  ou  de  simples  rap- 
ports techniques.  Ils  ont  été  publiés  par  les  soins  du  minis- 
tère des  Travaux  publics  et  couronnés  par  l'Académie  des 
sciences  (1).  Ils  doivent  être  l'objet  des  études  et  des  médi- 
tations de  tous  ceux  qui  s'intéressent  à  l'Afrique  du  Nord  et 
du  Centre,  et  particulièrement  à  l'empire   franco-africain, 
-encore  tout  embryonnaire. 

Nous  ferons  quelques  emprunts  ultérieurement  à  ces  très 
savants  ouvrages,  mais,  par  leur  caractère  technique,  ils  ne 
-comportent  guère  une  analyse.  Nous  citerons  seulement 
<]uelques  passages  des  observations  préliminaires  qui,  tout 
en  étant  à  l'ouverture  du  livre  de  M.  Rolland,  en  sont,  on  peut 
le  dire,  les  conclusions.  Il  en  résulte  que  le  Sahara  n'est  nul- 
lement un  désert  de  sable  mouvant,  comme  le  croit  l'imagi- 
nation populaire.  Déjà  plus  haut  on  a  vu,  d'après  le  livre  de 


(1)  Ces  trois  volumes,  grand  in-quarto,  font  partie  de  la  collection  des  docu- 
ments officiels  portant  la  rubrique  générale  :  Chemin  de  fer  Iranssaharien  ;  ils 
ont  été  édités  par  rimprimerie  Nationale.  Le  premier  des  trois  volumes  de 
M.  Georges  Rolland  a  paru  en  1890  sous  le  titre  :  Chemin  de  fer  transsaharien, 
<}ÉOLOGiE  DU  Sahara  ALGÉRIEN  et  aperçu  géologique  sur  le  Sahara  de  l'océan  Atlan- 
lique  ù  la  mer  Rouge,  par  M.  Georges  Rolland,  ingùnieur  au  corps  des  mines 
^275  pages  grand  in-i*»);  le  second  volume,  paru  en  1894,  est  intitulé  : 
HYbROLOGiB  DU  Sahara  ALGÉRIEN  (425  pagcs  in-i»)  ;  le  troisième  volume,  consacré 
aux  planches,  a  paru  en  même  temps  que  le  premier  (1890)  et  porte  le  titre  de  : 
Géologie  et  hydrologie  du  Sahara  algérien,  planches  accompagnant  les  deux 
volumes  de  texte  (31  planches  grand  in-4o). 


76  LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIENS. 

Duponchel,  que  la  surface  des  dunes  du  Sahara.  n*est  pas 
estimée  à  plus  du  neuvième  de  la  superficie  de  cette  immense 
contrée  par  un  géologue  qui  s'est  livré  avec  succès  à  la 
systématisation  des  observations  sur  ce  désert,  M.  Pomel. 
Les  études  de  M.  Georges  Rolland  confirment  cette  appré- 
ciation : 

<  Nulle  part,  écrit-il,  les  relations  entre  la  géologie  et  la 
géographie  physique  n'apparaissent  aussi  clairement  qu'au 
Sahara  où,  le  sol  étant  généralement  dépourvu  de  terre 
végétale,  les  terrains  constituants  se  montrent  à  nu.  Le 
Sahara  est,  contrairement  aux  idées  reçues,  le  plus  souvent 
rochew*  et  parfois  accidenté.  Le  Sahara  présente  trois  types 
principaux  de  régions  naturelles  :  les  plateaux  calcaires  en 
relief,  les  dépressions  sableuses  ou  argileuses,  les  dunes  de 
sable.  Les  plateaux  ou  hamada  calcaires  qui  sont  formés 
par  les  terrains  d'âge  crétacé,  plateaux  rocheux,  sans  terre 
végétale,  sans  eau,  offrent  entre  tous  un  aspect  stérile  et 
désolé.  Ils  s'étendent  sur  des  espaces  immenses  dans  le 
Sahara  septentrional.  Ils  semblent  horizontaux  à  l'œil,  et  peu 
s'en  faut  qu'ils  ne  soient  parallèles  à  la  stratification  des 
couches  qui  les  constituent.  De  fait,  ils  ont  des  pentes,  mais 
très  faibles  :  ils  figurent,  en  grand,  de  larges  ondulations 
et,  en  détail,  une  série  de  bossellements,  sans  loi  apparente. 
Par  places,  les  Aamada  crétacées  sont  entaillées  par  des  oueds 
ou  vallées  larges  et  profondes  ;  celles-ci  peuvent  s'entre- 
croiser et  former  des  réseaux  enchevêtrés  :  elles  donnent  lieu 
alors  à  des  régions  désignées  sous  le  nom  caractéristique 
de  chebkay  filet.  Au  milieu  des  vallées  se  dressent  çà  et  là 
des  mehasser^  témoins,  à  tête  plate,  de  la  formation  encais- 
sante, et,  sur  le  plateau,  des  gour,  témoins,  également  à  tête 
plate,  de  l'étage  superposé  et  enlevé  par  les  érosions.  Enfin, 
les  plateaux  crétacés  se  terminent  par  de  grandes  lignes  de 
falaises,  au  profil  accentué,  couronnées  par  des  kef  ou 
rochers  abrupts,  souvent  assez  importants  pour  recevoir  le 
nom  de  chaînes  de  montagnes,  djebel.  Les  grands  bassins 
que  figurent  les  ondulations  des  plateaux  crétacés  sont  occu- 


LES  EXPLORATIONS  RÉCENTES  DU  SAHARA.  —  LA  NATURE  ïiiS  PAYS.     77 

pés  par  des  terrains  de  nature  toute  différente  et  d'âge  beau- 
coup plus  récent,  appartenant  à  ce  que  Ton  appelle  la  forma- 
tion des  atterrissements  sahariens.  On  peut  dire  que  les 
terrains  crétacés  forment  l'ossature  du  Sahara  algérien.  Non 
seulement  ils  constituent  les  parties  en  relief  de  son  orogra- 
phie générale,  mais  encore  ils  régnent  avec  continuité  en 
profondeur  sous  les  atterrissements  qui,  dans  certaines 
régions,  les  recouvrent  comme  d'un  manteau,  sur  des  épais- 
seurs très  considérables  et  qui  garnissent  les  pentes  et  les 
parties  basses  des  grandes  dépressions.  Les  régions  d'atter- 
rissement  présentent  surtout  des  grès  et  des  sables  quartzeux. 
Cependant,  leur  surface  est  souvent  masquée  par  une  croûte 
calcaire  ou  gypso-calcaire,  sorte  de  carapace,  laquelle  donne 
lieu  à  une  autre  catégorie  de  hamada  rocailleuses.  Le  manteau 
des  atterrissements  sahariens  est  lui-môme  entaillé  par 
des  ouedsy  et  il  présente  des  zones  d'érosion  qui  sont 
parsemées  de  gour  en  saillie  ou  sont  accompagnées  de 
terrasses  étagées  de  graviers  et  de  sables.  Sur  les  pentes 
se  trouvent  parfois  de  vastes  plaines  tapissées  de  limon. 
Dans  les  régions  basses,  on  remarque  généralement  des 
sebkha  (bas- fonds  humides),  recouverts  en  été  d*efflores- 
cences  salines,  et  des  cholls  (étangs  d*eau  salée  ou  saumâtre) 
dont  certains  fort  importants,  au  fond  de  grandes  cuvettes 
fermées  (1).  » 

Le  début  du  passage  que  nous  venons  de  citer  s'applique 
à  l'ensemble  du  Sahara  ;  les  dernières  observations  concer- 
nent particulièrement  le  Sahara  algérien,  dont  la  constitu- 
tion importe  beaucoup  à  l'œuvre  du  chemin  de  fer  trans- 
saharien, puisque  non  seulement  il  offre  le  terrain  devant 
servir  de  point  d'attache  à  la  voie  ferrée  la  plus  naturelle, 
mais  qu'il  forme  le  cinquième,  sinon  le  quart  de  l'étendue 
qu'elle  traversera.  Ce  qu'il  importe  de  retenir,  c'est  que  le 
sol  de  la  généralité  du  désert  est  un  sol  solide  et  dur,  nul- 
lement du  sable  comme  on  s'est  habitué  à  le  croire.  Il  s'en 

jl)  Georges  Rolland,  Géologie  du  Sahara,  pages  8  et  9. 


78  LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIENS. 

trouve,  cependant,  et  voici  comment  M.  Georges  Rolland 
s*exprime  à  ce  sujet  : 

«  Un  autre  type  de  région  naturelle  est  représenté  au 
Sahara  par  Y  Erg  ou  les  Areg^  c'est-à-dire  par  les  grandes 
dunes  de  sable,  dont  la  carte  géologique  d'ensemble  (pi.  IV i 
indique  les  principaux  groupes  entre  l'Atlas  et  le  Ahaggar. 
Les  dunes  de  sable,  loin  de  constituer  le  vrai  désert,  comme 
on  Ta  cru  longtemps,  ne  sont  en  réalité  qu'en  sous-ordre  au 
Sahara,  —  sauf  dans  la  zone  septentrionale  où  elles  forment, 
en  effet,  des  accumulations  considérables.  Ce  sont  alors,  dans 
les  régions  de  dunes,  de  véritables  massifs  de  montagnes 
tout  en  sables  :  massifs  fort  accidentés  et  pouvant  atteindre, 
paraît-il,  des  hauteurs  de  500  mètres.  L'étude  des  grandes 
dunes  de  sable  du  Sahara  est  d'un  vif  intérêt.  Aussi  décri- 
rai-je  en  détail,  dans  la  troisième  partie  de  ce  rapport,  leurs 
caractères,  leur  mode  de  formation  et  de  répartition,  et  les 
lois  générales  qui  les  régissent  isolément  et  en  masse.  Dans 
le  Sahara  algérien,  on  rencontre  un  des  principaux  groupes 
de  grandes  dunes  :  c'est  celui  que  l'on  appelle  spécialement 
VErg,  et  qui  se  divise  en  Erg  oriental  et  Erg  occidental. 
L'Erg  oriental  et  l'Erg  occidental  sont  respectivement  en 
relation  avec  les  bassins  d'atterrissement  du  choit  Melrir,  à 
l'est,  et  du  Gourara,  à  l'ouest,  et  se  trouvent  situés  dans 
chacun  de  ces  bassins,  en  amont  des  bas-fonds  eux-mêmes. 
Ainsi  que  notre  mission  (la  mission  Choisy)  l'a  reconnu,  ces 
deux  massifs  de  dunes  sont  distincts  ;  la  zone  intermédiaire 
offre  seulement  quelques  chaînes  isolées,  et  cette  interposi- 
tion coïncide  avec  l'interposition  de  la  bande  saillante  et 
nord-sud  de  plateaux  crétacés  qui  sépare  les  deux  bassins 
au  milieu  du  Sahara  algérien  (1).  » 

Les  sables  et  les  dunes  sont  donc  en  sous-ordre  au  Sahara, 
et  la  nature  les  a  surtout  accumulés  dans  l'extrême  Sud 
algérien;  le  reste  du  Sahara,  on  le  verra,  en  est  ou  complè- 
tement ou  presque  indemne.  Mais,  môme  dans  cette  région 

(1)  Georges  Rolland,  Géologie  du  Sahara,  pages  iO  et  11. 


LES  EXPLORATIONS  RÉGENTES  DU  SAHARA.  —  LA  NATURE  DU   PAYS.     7C^ 

OÙ  elles  sont  assez  fréquentes,  les  dunes  sont  localisées; 
tout  un  grand  espace  entre  les  deux  massifs  qu'elles  compo- 
sent est  libre  de  sable;  ajoutons  que  môme  dans  la  région 
des  dunes  il  se  trouve  généralement  entre  elles  de  longs 
couloirs  ou  vallées  larges  de  plusieurs  kilomètres,  longs  par- 
fois de  plus  de  cent,  appelés  gassis.  Les  dunes  ne  forment 
donc  nullement  une  barrière  difflcile  soit  à  franchir,  soit  à 
tourner. 

Du  Sahara  algérien,  passons  au  Sahara  central  :  «  J'ajou- 
terai maintenant  quelques  mots,  écrit  M.  Rolland,  sur  les  di- 
verses sortes  de  régions  naturelles  que  Ton  rencontre  au  sud 
du  Sahara  algérien  et  tripolitain,  dans  le  Sahara  central 
(planche  IV).  Quand  on  quitte  les  plateaux  de  calcaires  cré- 
tacés du  Sahara  septentrional  et  que,  se  dirigeant  au  sud, 
on  remonte  le  versant  qui  s'élève  doucement  vers  le  massif 
montagneux  des  Touareg,  on  trouve  des  reliefs  orogra- 
phiques de  nature  différente.  On  rencontre  d'abord  des 
terrains  de  grès  noirs,  généralement  très  durs,  appartenant 
à  une  formation  géologique  d'âge  dévonien.  Ces  grès,  dis- 
posés en  couches  très  épaisses,  offrent  une  pente  générale» 
d'ailleurs  très  faible,  vers  le  nord,  et  donnent  lieu  à  un  nou- 
veau système  de  plateaux,  dont  les  altitudes  croissent  len- 
tement vers  le  sud.  Ils  se  trouvent  fréquemment  découpés 
en  massifs  distincts,  couronnés  par  des  plates-formes  et 
limités  par  des  flancs  abrupts  ;  dans  certaines  régions,  ce  ne 
sont  que  des  tlots  épars,  émergeant  au  milieu  des  plaines,  et 
parfois  ces  tlots  alignés  flgurent  des  chaînes,  semblables  à 
des  squelettes  décharnés.  Â  l'ouest,  la  même  formation  de 
grès  dévonien  contourne  le  Sahara  algérien,  remonte 
loued  Messaoura,  vers  le  nord-ouest,  et  règne  au  delà,  dans 
le  Sahara  marocain.  Les  plateaux  de  grès  dévoniens  sont 
presque  aussi  durs  que  les  plateaux  de  calcaires  crétacés  ;  ils 
reçoivent  tantôt  le  nom  arabe  de  hamada,  tantôt  le  nom 
berbère  de  tcissili.  Poursuivant  plus  au  sud,  sur  le  même 
versant  du  Sahara  central,  on  trouve  ensuite  des  roches  de 
granité,  de  gneiss,  de  micaschistes,  etc.,  et  ces  terrains  cris- 


80     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSS\aARIE!>(S. 

tallins  anciens  constituent  les  derniers  contreforts  avant  le 
Âhaggar  et  tout  le  pâté  montagneux  du  Ahaggar  lui-même. 
Ce  sont  alors  de  véritables  massifs  demoniagneSy  avec  chaînes 
et  pics,  crêtes  aux  profils  dentelés,  etc.  Quant  aux  terrains 
sableux  d'atterrissement,  ils  sont  également  fort  développés 
dans  le  Sahara  central,  et  Ton  voit  sur  la  carte  géologique 
(planche  IV)  qu'ils  occupent  des  plaines  basses,  des  zones 
allongées,  mais  souvent  très  larges,  séparant  les  reliefs  oro- 
graphiques, ceux-ci  en  terrains  crétacés,  dévoniens  et  cris- 
tallins. On  peut  dire  que  les  dépôts  des  atterrissements  saha- 
riens et  des  alluvions  plus  récentes  sont  distribués,  en  grand, 
conformément  aux  divisions  hydrographiques  actuelles  (1).  • 

Ainsi,  d'après  la  description  d'un  ingénieur  au  corps  des 
mines  qui  a  fait  de  ce  pays  l'étude  de  toute  sa  vie, 
M.  Georges  Rolland,  le  Sahara  central  est  constitué,  dans  la 
plus  grande  partie  de  son  étendue,  d'un  sol  consistant  et  dur; 
il  forme  des  plateaux  s'élevant  en  pente  douce  jusqu'à  la 
ligne  de  séparation  des  eaux.  On  verra  plus  loin  que  les 
cols  ou  ports  de  celte  ligne  de  partage  dépassent  à  peine, 
sur  la  route  du  Tchad,  1  350  mètres  au-dessus  de  la  mer, 
qu'on  peut  même  espérer  trouver  des  passages  plus  bas  ei 
que,  d'ailleurs,  cette  ligne  de  faîte  est  placée  presque  au 
milieu  du  grand  désert,  de  sorte  que  son  ascension  peut  se 
faire  pardespentes  très  douces.  Quant  aux  montagnes  et  aux 
formations  volcaniques,  dont  M.  Rolland  parle  un  peu  plus 
loin,  ce  ne  sont  pas  des  chaînes  continues  et  il  est  facile  de 
les  tourner. 

Embrassant  non  seulement  le  Sahara  central,  mais  toute  , 
l'immensité  du  désert^  dans  sa  description,  M.  Rolland  com-  ^ 
plète  ainsi  le  jugement  qui  précède  :  «  Tels  sont  les  divers 
types  de  régions  naturelles  que  présentent  les  diverses  parties 
du  Sahara,  traduites  en  carte  géologique  sur  la  planche  IV. 
Les  mômes  sortes  de  régions  se  reproduisent,   avec   des  ' 
variantes,  dans  tout  le  Sahara,  c'est-à-dire  dans  toute  la 

(1)  Georges  Rolland,  Géolorjie  du  Sa/iara,  pages  H  et  12. 


LES  EXPLORATIONS  RÉCENTES  UU  SAHARA.  —  LA  NATURE  DU  PAYS.     81 

grande  zone  de  déserl  qui  traverse  TAfrique  septentrionale 
(le  Touest  à  Test,  depuis  Tocéan  Atlantique  jusqu'à  la  mer 
Rouge,    entre   TAtlas  et  la   Méditerranée,  au  nord,  et  les 
régions  tropicales  du  Soudan,  au  sud.  Dans  le  Sahara  occi- 
dental, les  terrains  paléozoïques  prédominent  à  la  surface  et 
constituent  de  vastes   hamada   rocheuses.  Dans  le  Sahara 
oriental,  les  déserts  lybique  et  arabique  ont  des  hamada 
en  calcaires  nummulitiques,  analogues  à  nos  hamada  cré- 
tacées.   Dans  le   Sahara  central,  le  massif  montagneux  du 
Ahaggar  forme  une  énorme  protubérance,  dont   les  cimes 
atteignent  des  altitudes  de  1 500  à  2  000  mètres  ;  vis-à-vis,  au 
sud-est,  se  dressent  les  montagnes  encore  plus  hautes  du 
Tibesli,  avec  des  altitudes  de  2 500  à  3 000  mètres;  ce  sont 
les  deux  grands  reliefs  du  Sahara.  Il  ne  s*agit  pas  là,  d'ail- 
leurs, de  systèmes  de  montagnes  proprement  dits,  compa- 
rables  à  TAtlas,  par  exemple,  et  dus  à  de  grands  phéno* 
mènes  de  plissements  et  de  soulèvements,  avec  plis  syncli- 
naux et  anticlinaux,  etc.  Ce  sont  simplement  des/)d/és  mon- 
la(jneuXj  formés  par  le  groupement  de  terrasses  étagées,  les 
terrasses  latérales  étant  découpées  par  des  vallées  abruptes  et 
les  terrasses  centrales  étant  surmontées  elles-mêmes  de  mon- 
tagnes coniques,  lesquelles  ne  sont  autres  que  des  volcans 
récents.  Par  contre,  le  Sahara  central  présente  de  grandes 
dépressions,  où  nos  chotts  du  Sahara  algérien  sont  remplacés 
par  des  lacs  salés^  dont  les  explorateurs  vantent  la  pureté. 
<  En  résumé,  les  quatre  types  les  plus  caractéristiques  des 
régions  naturelles  du  Sahara  sont,  par  ordre  d'importance  en 
superficie  : 
«  Les  hamada  rocheuses,  avec  ou  sans  chebka  (1)  ; 
«  Les  dépressions  humides  et  salées,  avec  cholls  ou  lacs 
salés  ; 
«  Les  grandes  dunes  de  sable  ; 
«  Les  pâtés  montagneux,  avec  volcans  (2).  » 

(l)  Au  vocabulaire  des  principaux  inuls  arabes  usilt'S  dans  ses  ouvrages, 
M.  Georges  Rolland  définit  ainsi  la  chehka  :  v  filet,  réseau  enchevêtré  de  vallées 
entaillant  la  hamada  ». 

(2l  Id.,  ibid.,  page  li. 

6 


82     LE  SABARà,  le  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIE>'S 

N'oublions  pas  qu*enlre  les  grandes  dunes  de  sable  il  y  f 
en  général  des  couloirs  appelés  ghassis  ou  gassis  :  c  ban<l( 
entre  deux  chaînes  de  dunes,  se  poursuivant  sur  une  grandt 
longueur  en  terrain  ferme  de  regr,  sans  pierre  ni  gravier  »,  et 
le  reg,  à  son  tour,  est  ainsi  défini  :  c  terrain  de  sable  ferme 
avec  ou  sans  gravier,  généralement  très  plat  ». 

Si  techniques  que  soient  les  descriptions  qui  précèdent 
nous  avons  cru  devoir  les  reproduire  ;  elles  confirment  le^ 
appréciations  antérieurement  produites  par  le  géologtr 
Pomel  et  l'ingénieur  Duponchel  et  elles  sont,  comme  ui 
le  verra  dans  la  suite,  en  complète  harmonie  avec  les  de>- 
criptions  de  l'ensemble  des  explorateurs. 

Le  Sahara  a,  dans  la  plus  grande  partie  de  son  étendue,  un 
sol  consistant,  relativement  très  plan  et  offrant,  sur  le  ver 
sant  nord,  jusqu'à  la  ligne  de  partage  des  eaux,  des  penles 
très  douces,  qui  deviennent  plus  accentuées  à  la  desceole 
sur  le  versant  sud,  lout  en  y  étant  encore,  en  général,  mo- 
dérées. 

Le  chef  de  la  mission  dont  fit  partie  M.  Georges  Rolland, 
l'ingénieur  en  chef  des  ponts  et  chaussées  Choisy,  dans  un 
épanchement  familier,  dissipait  ainsi  en  termes  pittoresques 
les  légendes  sur  le  grand  désert  qu'il  avait  étudié  labo- 
rieusement en  toute  sa  partie  septentrionale  jusqu'à  El 
Goleah  :  €  Le  Sahara,  écrit-il  dans  les  souvenirs  de  sa 
mission,  est  le  pays  du  monde  dont  l'imagination  altère  le 
plus  étrangement  les  contours  et  les  couleurs...  Chacun 
a  son  Sahara.  Le  mien  était  une  grande  plaine  brûlante, 
couverte  de  sable  mouvant  que  le  simoun  agite...  Trois 
mois  entiers,  je  dus  vivre  de  la  vie  de  caravane,  sans 
cesse  entouré  d'Arabes  du  sud,  sans  autre  perspective 
que  des  horizons  vides.  Toute  une  révolution  s'opéra  dans 
mes  idées  en  ces  trois  mois.  Le  Sahara  pays  plat?  quels 
beaux  ravins  à  pic  j'y  ai  gravis!  —  Un  ciel  de  feu?  On  gèle 
rien  qu'en  songeant  à  certaines  nuits  du  désert.  —  Du 
sable  !  J'ai  marché  de  longues  journées  sans  en  trouver  d« 
quoi  sécher  une  lettre.  —  Au  reste,  il  y  a  dcscrl  et  dcscri 


LES  EXPLORATIONS  DU  SAHARA.  —INDICES  DE  TERRAIN  llOUILLER.     83 

désert  plat  et  désert  raviné;  il  y  a  même  désert  de  sable.  » 
Mais  ce  dernier  est  Texception,  il  ne  semble  guère  se  ren- 
contrer que  dans  la  partie  nord  du  Sahara,  et  on  trouve, 
dans  cette  partie  même,  un  couloir  de  terrain  ferme  entre  les 
dunes  au  sud  de  Tougourt  en  suivant  le  lit  du  fleuve  souter- 
rain righarghar  jusqu'au  point  où  Ton  atteint  un  plateau 
rocheux,  de  médiocre  hauteur  d'ailleurs,  le  Tassili,  qui  oc- 
cupe le  Sahara  du  centre. 

Le  Sahara,  en  définitive,  est  beaucoup  plus  une  étendue  de 
roc  qu'une  étendue  sablonneuse.  On  ne  peut  dire  que  ce  soit 
une  plaine  ;  mais  le  relief  n'est  nulle  part  très  élevé  ;  sur  cette 
longueur  de  2600  à  2700  kilomètres,  de  Biskra  à  la  région 
du  Tchad,  les  points  culminants,  soit  dans  le  plateau  du  Tas- 
sili, soit  dans  TÂïr,  ne  paraissent  dépasser  nulle  part 
1  800  mètres,  hauteur  d'un  tiers  moindre  que  les  points 
culminants  de  TAlgcrie,  et  il  ne  s'agit  là  que  de  pics  isolés. 
On  verra  plus  loin  que  M.  Foureau  fixe  à  une  hauteur  de 
1 3G2  mètres  la  ligne  de  partage  des  eaux  entre  la  Méditer- 
ranée et  l'Atlantique,  au  Djebel  Ahorrene,  à  plus  de  1  300  ki- 
lomètres au  sud  de  Biskra  ;  rien  ne  dit  qu*en  étudiant  mieux 
le  pays  on  ne  trouvera  pas  des  cols  plus  bas.  Ce  relief  mo- 
déré, sur  un  si  grand  trajet,  doit  faire  considérer  le  Sahara 
sinon  comme  une  plaine  au  sens  absolu  du  mot,  tout  au 
moins  comme  une  des  contrées  relativement  à  leur  étendue 
les  plus  planes,  non  seulement  de  l'Afrique,  mais  du  globe. 
Sans  parler  des  Américains,  dans  les  montagnes  Rocheuses, 
les  Anglais,  pour  se  rendre  du  Cap  auTransvaal,  ont  gravi  de 
bien  autres  hauteurs. 

Remarquons,  à  titre simplementd'indication,queringénieur 
au  corps  des  mines  Georges  Rolland  signale  que  les 
terrains  devoniens,  si  abondants  dans  le  Sahara  septentrional 
el  central,  paraissent  comporter  des  terrains  carbonifères  : 
«  ils  sont  alors  accompagnés,  dit-il  en  parlant  de  ces  terrains, 
à  la  surface  du  Sahara  occidental,  d'un  autre  système  de 
couches  calcaires  qui,  d'après  leurs  fossiles,  appartiennent  ou 
lorrain  carbonifère  »,  et  c|ucl(|ucs  liî^ncs  plus  bas,  on  parlaiil 


84     LE  SAHARA,  LE   SOUDAN   ET  LES  CHEMINS  DE  FEH  TRAiNSSAUAR]Ë.V 

des  mêmes  terrains  à  Taulre  extrémité  du  Sahara,  du  côU 
du  Fezzan,  revient  la  même  notation  :  «  ils  semblent  accom- 
pagnés de  lambeaux  de  terrains  carbonifères  (1)  >».  Ce  serait  la 
un  point  singulièrement  important  et,  dans  rinlervalk 
entre  ces  deux  régions  sahariennes,  il  serait  possible  qut* 
ces  mêmes  lambeaux  existassent. 

Sur  un  autre  point,  en  plein  Sahara  central,  on  aurait 
aussi  quelques  indices  de  terrain  carbonifère,  en  ce  qui 
concerne  la  chaîne  de  TAmsak  :  «  Des  restes  de  [iflanlcs 
fossiles  ont  été  trouvés  par  Ovenv'eg,  dit  encore  M.  Rolland, 
dans  une  argile  schisteuse  rouge  de  ces  régions,  et  Beyrich 
a  cru  pouvoir  reconnaître  parmi  les  échantillons  rapportés 
une  empreinte  de  Sigillaria,  ce  qui  indiquerait  la  présence  do 
terrain  houiller  ;  mais  l'observation  reste  isolée  dans  le 
Sahara  central  (2).  » 

«  Le  terrain  carbonifère,  conclut  M.  Rolland,  se  trouve 
largement  représenté  dans  le  Sahara  occidental.  On  peut 
même  admettre  qu'il  existe  accidentellement  par  lambeaux 
dans  le  Sahara  central,  bien  que  le  fait  demande  confir- 
mation (3).  » 

M.  Foureau  a  relevé  aussi  des  indices  de  terrains  carboni- 
fères, dans  ses  explorations  du  Sahara;  l'on  trouvera  plus 
loin  des  mentions  analogues  de  la  part  d'autres  voyageurs. 

Quant  aux  terrains  cristallins  anciens,  ils  sont  très  nombreux 
dans  le  Sahara  et  il  est  vraisemblable  que  toute  la  variéli 
des  métaux  utiles  s'y  rencontre.  L'ouvrage  de  M.  Rolland  en 
témoigne,  comme  les  descriptions  des  explorateurs  anciens 
ou  récents. 

Il  n^est  nullement  indispensable  au  bon  fonctionnement 
d'un  ou  de  plusieurs  chemins  de  fer  transsahariens  que  l'on 
trouve  des  gisements  de  charbon  dans  le  Sahara  ou  le 
Soudan;  mais  ce  serait  un  avantage  de  plus.  Non  seulement 
les  frais  d'exploitation  pourraient,  dans  une  certaine  mesure, 


il)  Georges  Rolland,  Op.  cit.,  pages  :î4l  <'t  24i. 
(2)  Ifl.,  ibid.,  pago  2'M\. 
l3)  Id..  iOid.,  page  242. 


LKS  EXPLORATIONS  DU    SAHARA.  —  INDICES  DE  TERRAIN   ROUILLER.      85 

en  être  allégés;  mais  encore  le  charbon,  s'il  eiî  existait  au 
Sahara,  fournirait  un  trafic  abondant  vers  le  Soudan  où  le 
combustible  est  assez  rare,  peut-être  aussi  vers  le  Sud- 
Algérien.  Des  études  du  naturaliste  Flamand,  très  au  cou- 
rant des  choses  sahariennes  et  de  M.  Gautier,  professeur  à 
rÉcole  des  Lettres  d'Alger  et  explorateur,  sans  être  très 
concluantes,  donnent  des  espérances  au  sujet  de  Texislence 
(!e  terrains  houillers  dans  le  Sahara  occidental  et  central  (1). 

IIiLh  BuUelin  du  Cotnité  de  /'Afriifue  française,  <lan.s  son  supplément  du 
mois  de  février  1904,  contient  un  Appendice  géologique  y  ])iir  le  lieutenant  Bessot, 
sur  la  région  tVlnsalah^  Amguid^  le  Motiidir  {Est)  et  Jfalessen,  avec  des  notes 
du  professeur  Flamand,  chargé  du  cours  de  géographie  physique  du  Sahara, 
à  l'Ecole  supérieure  de  Sciences  d'Alger.  Nous  extrayons  de  ce  double  travail  les 
passages  suivants,  et  d'abord,  des  «  conclusions  »  du  lieutenant  Besset  :  «  Un 
autre  anticlinal  ayant  sa  télé  vers  Ain-Millok,  se  dirige  vers  le  sud-sud-oucst  en 
redressant,  dans  sa  partie  nord,  des  couches  de  calcaire  qui  paraissent  appar- 
triiir  au  carbonifère.  Plus  au  sud,  seuls  les  grès  devoniens  apparaissent.  Le 
llanquement  nord  de  cet  anticlinal  va  mourir  à  Toucd  Botha;  le  Hantiuement 
est  se  perd  sur  la  rive  gauche  des  oueds  Kedjem,  Idergan,  A ncerfa  (partie  aval), 
[)uis  la  rive  gauche  de  l'oued  ïilirin  où  il  va  rejoindre  le  flanquement  ouest 
de  l'anticlinal  de  righarghar...Tout  le  reg  sur  la  rive  droite  de  l'oued  Botha  paraît 
appartenir  aux  différents  étages  du  carboniférien.  »  L'oued  Botha  est  le  graml 
oued  qui,  parallèle  à  l'équateur.  longe  au  sud  le  Touat.  le  Tidikelt,  et  au 
nord  le  Mouidir,  vers  le  2(»«  degré  de  latitude  au-dessus  et  au-dessous  ducjuel  il 
-ie  lient  alternativement  sans  beaucoup  s'en  écarter.  Si  Ton  découvrait  des  gise- 
ments de  charbon  exploitables  dans  cette  région,  cela  aurait  une  capitale  impor- 
tance, Texportation  de  ce  charbon  vers  \v  Soudan  pouvant  se  faire  moyennant 
un  fret  d'une  vingtaine  de  francs  environ  la  tonne,  au  tarif  de  1  centime  l  2 
la  tonne  kilométrique,  tarif  rémunérateur  pour  de  si  grandes  distances. 

Voici,  d'un  autre  côté,  comment  s'exprime  sur  ces  terrains  réputés  carboni- 
fères, le  naturaliste  Flamand  :  «Le  vrai  plateau  central  saharien  commence,  dans 
«cite  région,  au  pied  de  la  falaise  sud  de  l'Ifelessen-Rharis,  dans  les  dépres- 
sions relatives  des  oueds  Timédonine,  Kseksen,  Tarmart'n'akht.  La  liaison  du 
système  de  Tlfetessen-Rharis  (anticlinal  à,  zone  axiale  schisteuse)  avec  les  régions 
orientales  antérieurement  parcourues  et  étudiées,  se  fait  un  peu  au  nord-est  par 
les  Djebel-Mongatir  et  Amguid  (N.-E.).  Kllc  montre  comme  absolument  général 
!•*  plongement  doux  vers  le  nord  de  toutes  les  formations  primaires,  devo- 
niennes  et  carbonifères.  Les  divers  étages  carbonifériens  se  trouvent  donc  de  ce 
fail  affleurer  au  travers  des  formations  tertiaires  (peut-être  ?  oligocènes),  etpléis- 
toeènes  dans  la  grande  zone  déprimée?  des  oueds  Massin  et  Botha,  ou,  pour  préciser 
«lavantage,  entre  la  base  do  la  falaise  de  la  chebkha  crétacée  du  Tadmaït,  au  nord. 
el  les  premiers  reliefs  importants  du  Mouidir,  au  sud.  »  Et  le  professeur  Flamand 
«'(inclut  des  observations  et  des  échantillons  recueillis  par  le  lieutenant  Besset  : 
<■  On  peut  encore  déduire  de  ce  travail  une  autre  remarque  importante  ;  c'est 
que,  en  s'appuyant,  d'une  part,  sur  l'observation  du  plongement  général  nord 
ou  nord-occidental,  sur  la  disposition  sensiblement  régulière  de  l'ensemble  «les 
foriiialions.  et  en  considérant,  d'autre  part,  Textension  en  synclinaux  secon- 
daires des  terrains  carbonifériens  {Comptes  rendus.  Académie  des  Sciences, 
-3  juin  1902),  ce  serait  pour  cette  région  nord  du  plateau  central  saharien,  dans 
la  seule  zone  étroite  voisine  du  flanc  méridional  du  Tadmaït  (iu<;  pourraient 
iK'iil-élre  se  rencontrer  les  formatiims  du  terrain  houiller?  —  Mais,  alors,  sans 
dnule,  û  une  certaine  profondc^ur  sur  les  premières  assises  crélaeé«îs  igrés  néo- 


86     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE   FER  TRANSSAHARIENS 

comiens  et  albiêns).  H  y  a,  en  effet,  Iran sgrossi vile  tlu  terrain  (•rùlacé  sur  1 - 
formations  primaires  dans  toute  l'étendue  connue  du  Sahara  :  le  cénomautr 
calcaréo-argileux  repose  directement  sur  le  terrain  devonien  dans  le  noni  ir- 
gion  atlantique);  il  parait  avoir  comme  substratum  le  carbonîférion  (Vi<*VTi 
dans  les  environs  de  Djenan-ed-I)ar,  Sud-Oranais.  Dans  le  Tidikcll,  lo  nii-j 
mien  (grès  puisf^ant  et  argiles  siliceuses}  parait  reposer  directement  sur  lesd-i 
ches  à  PlemtambonUe  analoga  (Philipps),  et  vers  le  Tinghert  le  cc'noiuanii'n  < 
peut-t^ti'e  Talbien  semblent  reposer  directement  sur  le  devonien  moyen.   •» 

Ces  passages  sont  extraits  du  Supplément  du  Bulletin  du  Comité  de  l'Afrif^' 
fi^ançaise,  février  11)04,  pages  08,  GO  et  70. 

Les  observations  du  lieutenant  Besset  et  du  naturaliste  Flamand  confirm.i 
celles  de  Tingénieur  en  chef  au  corps  des  mines,  Rolland,  citées  dans  le  text*^.  i 
savoir  que  «  le  terrain  carbonifère  se  trouve  largement  représenté  dans  le  Saha 
occidental,  et  qu'on  peut  môme  admettre  qu'il  existe  accidentellement  par  la;i.- 
beaux  dans  le  Sahara  central.  »  On  a  chance  de  trouver  des  gisements  expli  ■ 
tables  dans  le  Sud-Oranais  et  au  Tidikelt,  peul^éUn^  aussi  au  sud  du  Tadéiu.;' 
et  au  nord  du  Mouidir. 

Un  autre  explorateur  saharien,  quoique,  en  général,  peu  enthousiaste  : . 
Sahara,  M.  E.-F.  Gautier,  s'exprimait  récemment  en  termes  pleins  d*espéran<" 
sur  la  présence  du  charbon  dans  cette  région  :  «  Sur  ce  sujet,  écrivait-il  i' 
Timmimoun,  le  2  août  1903,  au  secrétaire  général  de  la  Société  de  ^éograi)lit' 
commerciale  de  Paris  (Voy.  \e  Bulletin  de  cette  Société,  n©  12  et  dernier  de  î'A<>. 
page  548),  les  dernières  découvertes  scientifiques  tendent  plutôt  à  aiguisti  1- 
curiosité  qu'à  la  décourager.  Au  delà  des  oavSis  (du  Sud-Oranais),  vers  le  ^u«^.t 
vers  l'ouest,  M.  Flamand  avait  signalé,  et  j'ai  pu  étudier  pendant  deux  •(>> 
consécutifs  le  pendant  africain  de  notre  chaîne  hercynienne  Voici  les  conil» 
sions  de  M.  Emile  Hang,  professeur  de  géologie  à  la  Sorbonne,  sur  des  fo>--il'-^ 
du  devonien  supérieur  rapportées  de  Béni-Abbès  :  «  Leurs  affinités  pati*ontini- 
giques  avec  les  couches  de  même  âge  de  l'Allemagne  centrale  acrentui-rit 
encore  le  caractère  hercynien  des'chatnes  paléozoïques  du  Sahara  Septentrifr 
nal.  »  Il  serait  fastidieux  de  défmir  la  chaîne  hercynienne  des  géologues.  Qui: 
suffise  de  constater  qu'eUe  a  le  monopole  d'à  peu  près  tous  les  gisements  i 
houille  dans  l'Europe  occidentale.  Ne  nous  hâtons  donc  pas  de  conclure  qu" 
son  prolongement  africain  en  est  complètement  dépourvu.  » 

Béni-Abbés  se  trouve  au  30«  degré  dans  le  Sud-Oranais  et  est  actuelleni<'i.î 
occupé  par  nos  troupes. 

M.  de  Launay,  ingénieur  en  chef  des  mines.  prof<'s.seur  à  l'École  des  n\m^. 
s'exprime,  d'autre  part,  comme  il  suit,  à  ce  sujet  dans  son  ouvrage  :  Les  Riches^"" 
minérales  de  l'Afrique^  Paris,  1903,  p.  1,  3  et  14.  «  Le  devonien,  qui  partit 
former  un  groupe  assez  homogène  avec  le  carbonifère,  a  été  déterminé  par  d»'^ 
fossiles  en  quelques  points  du  Sahara,  où  il  dut  occuper  de  grandes  étemlu»-^ 
sous  forme  de  grés  noirâtres  à  Spirifeer;  des  grès  du  même  âge  apparaiss»  t.' 
au  pied  de  l'Atlas  marocain;  Barthe  a  recueilli  des  fossiles devoniens  au  noni  ■ 
Mourzouk  et  Duveyrier  à  Serdelés...  Pour  le  carbonifère  les  observations  >oni 
plus  nombreuses.  Les  formes  calcaires  et  marines  de  ce  terrain  ont  été  r<Mon- 
nues  au  Maroc  par  Coquand.  Je  viens  de  rappeler  que  les  obsci*\'alions  ^U 
Foureaux,  Lentz,  etc.,  montrent  leur  extension  dans  le  Sahara,  entre  ^Atla^  « 
les  dunes  d'Iguidi,  puis  au  nord  de  l'Ahaggar  et  jusqu'à  Mourzouk.  »  Plus  hiin. 
dans  cet  ouvrage,  le  même  ingénieur,  professeur  à  l'Ecole  des  Mines,  s'exprini' 
encore  ainsi  (p.  258)  :  «  L'étage  carboniférien,  indépendamment  même  de  !•: 
houille  qu'il  peut  contenir,  est  faiblement  représenté  en  Afrique,  comme  je  1- 
rappelé  dans  l'introduction.  Dans  le  nord,  on  lui  rattache  les  grès  i-ouges  ' 
Piétra  en  Palestine  et  ceux  du  Sinaï,  où  l'on  trouve  des  sigillaires,  puis  \o  cil 
caire  dinantien  marin,  qui  paraît  former  une  zone  à  l'est  du  Sahara,  riii.^' 
e  Maroc  et  Tombouctou,  entre  l'Atlas  et  Igidi  vers  Ain-Salah.  » 

Il  semble  que,  dans  le  passage  ci-dessus,  au  Heu  de  :  à  l'est  du  Sahara,  i' 
faille  lire  :  à  l'ouest. 

M.  de  Launay  remarque  que  le  terrain  carboniférien  qui  est  ainsi    con^t.tt 


LES  EXPLORATIONS  DU  SAHARA.    —  INDICES  DE  TERRAIN  IIOUILLBR.     87 

dans  le  Sahara  occidental  et  une  partie  du  Sahara  central  «  n'est  pas  connu 
en  Algérie  »  (page  14,  note).  Cela  ne  donnerait  que  plus  d'importance  aux  gise- 
ments qui  pourraient  s'en  rencontrer  au  Sahara. 

Dans  une  s»*ancc  du  mois  de  mai  1904  de  la  Société  de  Géographie  de  Paris, 
«  M.  Fourcau  résume,  dit  le  Petit  Temps  (22  mai  1904),  les  importants  travaux 
géologiques  et  astnmomiques  de  M.  Villate,  mi:?sionnaire  de  la  Société  au  Sahara. 
Ce  voyageur  a  découvert,  en  particulier,  une  zone  carbonifère  bien  caractérisée.  » 
M.  de  Lapparent,  le  géologue  bien  connu,  membre  de  l'Institut,  m'a  confirmé 
oralement,  dans  un  voyage  que  nous  fîmes  en  commun  en  Angleterre  au  i)rin- 
temps  de  1904,  que  les  chances  de  rencontrer  des  terrains  houillers  dans  le 
grand  désert  africain  sont,  d'après  les  indices  géologiques,  des  plus  appréciables. 
Il  y  a  ainsi  des  espérances  sérieuses  de  trouver  du  charbon  entre  le  30®  et  le 
fS*-  degré  dans  le  Sahara  occidental  et  peut-être  sur  certains  points  du  Sahara 
central. 

Or,  cette  découverte  serait  décisive  et  procurerait  un  élément  de  trafic  consi- 
dérable, en  partie  vers  l'Algérie,  mais  beaucoup  plus  encore  vers  le  Soudan, 
qui  pourrait  consommer  pour  les  usages  domestiques,  les  chemins  de  fer  et  la 
navigation  sur  le  Niger  et  le  Tchad,  des  centaines  de  mille  tonnes  de  char- 
bon. Nous  répétons,  toutefois,  qu'il  n*est  nullement  indispensable  que  celte  décou- 
verte se  réalise  et  que,  n'y  eût-il  aucun  charbon  au  Sahara,  les  raisons  de 
construire  des  chemins  transsahariens  subsisteraient. 


CHAPITRE  II 
La  première  mission  Flatters. 


Le  lieiilonanl-colonol  Flatters.  —  Instructions  qui  lui  sont  donntW's.  —   Onuy 
silion  de  la  prcniiôro  mission  Flatters.  —  Trajet  effectué  par  la  mission.  - 
Importance  des  documents  recueillis  et  publiés.  —  Ces  documents  consliluwl 
une  véritable  eniiuète  sur  le  versant  nord  du  Sahara  central.  —  Los  divt*: 
natures  de  sol  au  Sahara  :  la  hamada,  les  .'/OMr,  la  nebka,  le  ;•<?</,  Venj.  — 
beaucoup  la  plus  grande  i)artie  du  Sahara  est  formée  de  sol  ferme  et  plan.- 
Facilités  tout  élémentaires  de  l'établissement  d'une  voie  fcrn^e  do  6«0  kilo- 
mètres au  sud  d'Ouargla  dapW's  l'avant-projet  de  l'ingénieur  Bérînger  de  !«  j 
première  mission  Flatters.  —  Les  gassis  ou  couloirs  fermes  entre  les  dunr*.  -  | 
Permanence  de  ces  couloirs.  —  En  dehors  des  gassis,  étendues  de  sable  li\'  i 
par  la  végétation.  —  La  plus  grande  ))arlie  du  Sahara  se  compose  de  hnnin'ii 
et  surtout  de  reg,  terrain  consistant  et  en  général  plan.  —  Les  conditions  -^m' 
éminemment  propices  à  rétablissement  économique  d'une  voie  feri'ôe. 

Notablement  plus  importantes  que  la  mission  Choisy  furent 
les  deux  missions  Flatters.  Il  restait  à  étudier  toute  l'énorme 
zone  s'étendant  entre  nos  avant-postes  dans  le  Sud-Algé- 
rien et  le  Soudan  même.  On  jugea  qu'il  convenait  de  confier 
cette  tâche  à  un  officier  expérimenté  ;  on  la  donna  au  lieu- 
tenant-colonel Flatters,  parfaitement  maître  de  la  langue 
arabe,  ayant  occupé  longtemps  le  poste  de  commandant 
supérieur  du  cercle  de  Laghouat.  Ses  instructions  portaient 
qu'il  devait  «  diriger  une  exploration  avec  escorte  indigène 
pour  rechercher  un  tracé  de  chemin  de  fer  devant  aboutir 
dans  le  Soudan,  entre  le  Niger  et  le  lac  Tchad  y>.  Il  lui  était 
recommandé  de  se  mettre  en  relations  avec  les  chefs 
touareg,  de  chercher  à  obtenir  leur  appui,  et  de  conserver 
à  l'expédition  un  caractère  essentiellement  pacifique.  La 
mission,  outre  le  colonel,  se  composait  de  neuf  membres  : 
quatre  officiers,  deux  ingénieurs,  un  conducteur  des  ponts 
et  chaussées,  un  chef  de  section  du  cadre  auxiliaire  des 
travaux  de  l'État,  et  un  médecin.  A  la  fin  de  janvier  1880, 
elle  était  à  Biskra,  en  partait  pour  Ouargla,  où  elle  recrutait 


DOCUMENTS   KT    RÉSULTATS   DK  LA   PHEMIÈKE  MISSION    FLATTERS.      89 

des  hommes  de  service,  ordonnances,  guides  et  chameliers. 
Elle  se  composait  alors,  outre  les  dix  membres  delà  mission 
proprement  dite,  de  quinze  ordonnances  ouhommes  de  service 
français,  trente  indigènes  d'escorte  et  cinquante  chameliers, 
en  tout  cent  cinq  hommes.  Jusqu'au  21  avril,  elle  s'enfonça 
dans  la  direction  du  sud-est,  passant  parEl-Biodh,  Témas- 
sinin,  la  vallée  des  Ighargharen,  longeant  le  lac  Menghough 
par  26"30  de  latitude  nord,  nappe  d'eau  de  l  kilomètre 
de  long,  100  à  200  mètres  de  large,  4  de  profondeur, 
abondant  en  poissons  et  en  hérons;  poussant  un  peu  plus 
au  sud-est,  elle  arriva  à  120  kilomètres  de  Ghat.  A  ce  point, 
elle  trouva  une  hostilité  déclarée  de  la  part  des  Touareg;  il 
fallait  livrer  bataille»  les  provisions  s'épuisaient;  ces  circon- 
stances, ainsi  que  rc3  instructions  toutes  pacifiques,  déci- 
dèrent Flatters,  le  21  avril,  à  se  replier  sur  Ouargla,  où  il 
rentrait  sans  perte  le  17  mai.  Quoique  la  mission  eût 
obliqué  un  peu  trop  à  l'est  et  qu  elle  eût  dû  rebrousser 
chemin  un  peu  hâtivement,  elle  avait  eu,  en  somme,  du 
succès;  elle  rapportait  des  observations  intéressantes  et  des 
renseignements  précieux. 

Ouargla  étant  presque  exactement  au  32**  degré  de 
latitude  et  le  lac  Menghough  au  26°  degré  30,  il  en  résultait 
que  la  mission  avait  parcouru  5  degrés  et  demi  ;  d'autre 
part,  l'Aïr,  cette  contrée  qui  sert  d'avant-porte  au  Soudan  dans 
le  désert,  commençant  peu  au-dessous  du  20"  degré,  la  mis- 
sion avait  ainsi  étudié  à  peu  près  la  moitié  de  la  distance 
entre  Ouargla  et  l'Aïr,  c'est-à-dire  une  bonne  moitié  du  Sahara 
central.  Cen'estpasùnrairf  qu'elle  avait  fait,  mais  une  large  en- 
quête, géologique,  hydrographique,  climatologique,  topogra- 
phique surtout.  Le  journal  de  route  très  complet  qu'elle  a 
tenu,  les  renseignements  très  amples  qu'elle  a  recueillis, 
les  rapports  techniques  de  divers  de  ses  membres  peuvent 
être  considérés  comme  la  plus  vaste  et  la  plus  sûre  source 
d'information  que  Ton  possède  sur  le  versant  nord  du  Sahara 
central.  Nous  allons  y  puiser  pour  une  description  pré- 
cise du  pays. 


90  LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSADARIEV 

Les  documents  qu'a  produits  la  première  mission  Fiat 
ters  sont  les  suivants  : 

h  Le  journal  de  route  du  chef  de  la  mission,  c'est-à-dire  d 
colonel  même;  ce  journal  part  du  jeudi  19  février  IS^j. 
jour  où  la  mission  quitte  en  deux  colonnes  Témacin  podi 
Ouargla,  qu'elle  atteint  le  25,  jusqu'au  17  mai  où  elle  rentre 
à  Ouargla  après  avoir  parcouru  tout  l'itinéraire,  dont  It 
points  principaux,  au  delà  d'Ouargla,  sont  Aïn  Taih. 
El-Biodh,  Timassinin,  Aïn  Tebalbalet,  Aïn  el-Hadjadj,  le  lae 
Menghough ; 

2°  Un  journal  de  route  du  capitaine  d'artillerie  Bcrnani. 
qui,  du  4  mai  au  12  mai,  se  détacha,  au  retour,  avec  quelques 
hommes  du  gros  de  la  mission,  à  El-Biodh,  et  gagna  Ouar- 
gla par  une  autre  route  située  un  peu  plus  à  l'est  et  ayaol 
pour  principale  étape  Mokhanza  ; 

3°  Un  rapport  de  mission  de  M.Béringer,  ingénieur  du  cadre 
auxiliaire  des  travaux  de  TÉtat.  Ce  rapport  très  technique 
contient  les  coordonnées  géographiques,  le  tableau  des  lati- 
tudes, le  relevé  topographique  de  l'itinéraire,  la  topographie 
générale  de  la  région  explorée,  la  topographie  détaillée  deh 
même  région,  le  nivellement  barométrique.  A  ce  rapport 
technique  sont  jointes  trois  annexes  :  V  sur  les  coordonnée» 
géographiques  des  principales  stations;  2°  sur  le  nivellemenl 
barométrique  ;  éléments  de  calcul  ;  3"  le  registre  de  météo 
rologie  ; 

4°  Un  rapport  de  mission  de  M.  Roche,  ingénieur  au  corpî» 
des  mines,  avec  deux  annexes,  la  première  comprenant  la  liste 
des  échantillons  géologiques  recueillis  pendant  la  mission 
et  déposés  dans  la  collection  de  l'École  des  mines  ;  la 
deuxième  donnant  la  liste  des  échantillons  d'eaux  et  de  roches 
déposés  au  bureau  d'essai  delà  même  école  ; 

5°  L'avant-projet  d'un  chemin  de  fer  au  sud  d'Ouargla, 
rapport  de  M.  Béringer,  l'ingénieur  sus-nommé  ; 

6°  Une  note  de  M.  le  D'  Bonnet,  aide-naturaliste  au  Muséum 
d'histoire  naturelle,  sur  les  collections  de  plantes  du  docteur 
Guiard  (ce  dernier  était  membre  de  la  mission)  ; 


DOCUMENTS  ET  RÉSULTATS  DE  LÀ  PUEMIËRE  MISSION    FLATTERS.     91 

7**  Un  mémoirede  M.  Lucien  Rabourdin  (chef  de  section  du 
cadre  auxiliaire  des  travaux  de  l'État  et  membre  de  la 
mission)  sur  les  âges  de  pierre  du  Sahara  centrai 

On  voit  combien  variés  et  techniques  sont  les  rapports  de 
cette  première  mission  Flatters,  étendus  aussi,  car  ils 
occupent  268  pages  de  texte  grand  in-quarto,  avec  un  cer- 
tain nombre  de  planches,  ce  qui  représenterait  un  volume 
double  en  in-octavo  ordinaire  (1). 

Môme  après rheureuse expédition  Foureau,  qui,  d'ailleurs, 
on  confirme,  dans  l'ensemble,  tous  les  aperçus,  il  n'y  a  pas 
de  mine  de  renseignements  plus  importante  sur  le  Sahara 
septentrional  et  sur  la  partie  du  Sahara  central  dépendant  du 
bassin  méditerranéen;  les  documents  précis  abondent  sur 
l'autre  versant,  ainsi  que  sur  le  Sahara  méridional,  notam* 
ment  le  journal  du  grand  et  savant  voyageur  Barth. 

Les  observations  précises  et  détaillées  faites  par  ces 
hommes  de  science  dissipent  toutes  les  légendes  qui 
s'étaient  formées  autour  du  grand  désert;  on  a  maintenant 
de  cette  vaste  superficie  des  notions  toutes  positives. 

La  lecture  de  ces  documents  écarte  d'abord  complètement 
cette  première  légende  que  le  Sahara  est  uneétendue  uniforme 
de  sable  mouvant.  Gomme  M.  Pomel,  M.  Georges  Rolland  et 
Duponchel  et  tous  les  explorateurs  postérieurs,  les  membres 
de  la  première  mission  Flatters  établissent  bien  que  le  sol 
coosistant  et  ferme,  souvent  môme  le  roc,  forment  la  plus 
grande  partie  du  désert.  M.  Béringer,  ingénieur  du  cadre 
auxiliaire  des  travaux  de  l'État,  commente  ainsi  son  exposé 
de  la  topographie  générale  de  la  région  explorée  : 

«  Notre  voyage  s'est  arrêté,  vers  le  sud,  au  Tassili  ou 
plateau  des  Azdjer,  le  mons  Ater  de  Pline,  d'après  Gh.  Du- 
veyrier.  G'est  le  dernier  contrefort  du  grand  massif  monta- 
il)  Ces  documents,  avec  ceux  de  la  seconde  expédition  et  divers  extraits  de  la 
«'orrespondancc  officielle  ou  privée  des  membres  de  la  seconde  mission  Flatters, 
si  (léplorablement  détruite,  forment  un  grand  volume  in4o  de  443  pages  publié 
par  le  ministère  des  Travaux  Publics  à  l'Imprimerie  Nationale  en  1894,  sous  le 
titre  :  Documents  relatifs  à  la  mission  dirigée  au  sud  de  V Algérie,  par  le  lieute- 
nant-colonel Flatters. 


92      LE  SAHARA,  LK  SOUDAN   ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAIIARIENS. 

gneux  qui  s'élève  vers  le  23°  degré  de  latitude  ,  sous  le  nom  I 
de  Plateau  central  du  Sahara,,.  Le  plateau  proprement  dil 
est  du  genre  kamada,  nom  qui  est  appliqué  aux  plaines  de 
rocher,  sans  au  Ire  végétation  que  quelques  maigres    pâtu- 
rages dans  les  dépressions  où  un  peu  de  sable  s'est  accu- 
mulé. Son  aspect  est  des  plus  désolés.  Aussi  loin  que  la  vue 
peut  porter,  on  n'aperçoit  qu'un  sol  noir,  aride,  sans  traces 
d'animaux,  corrodé  et  usé  par  le  soleil,  la  pluie  et  le  vent; 
tantôt  fendillé  par  larges  plaques,  tantôt  réduit  à  Tétat  de 
pierrailles.  Bien  au  loin,  à  des  distances  que  l'œil  ne   peu! 
exactement  apprécier,   car   tout  point  de  comparaison   lui 
manque,  émergent  quelques  pics,  et,  par-ci  par-là,  une  dune. 
C'est  le  désert  de  la  hamada  dans  toute  sa  monotonie,  bien 
autrement  triste  que  le  désert  de  sable.  Celui-ci,  du  moins, 
est  accidenté  par  ses  dunes  aux  contours  variés  et  bizarres, 
et  le  voyageur  peut  y  conserver  l'espoir  de  trouver  brusque- 
ment d'autres  horizons.  Dans  la  hamada^  nulle  illusion  de 
ce  genre  n'est  permise:  on  y  a  la  certitude  démoralisante  que, 
jusqu'à  la  fin  de  l'étape,  et  encore  le  lendemain,  on   n'aura 
sous  les  yeux  que  la  plaine  inhospitalière  de  rocher  nu  et 
calciné.  Tout   le  plateau  est  en  grès  devonien,   noir  exté- 
rieurement, à  cassure  grise  ou  blanche,  d'un  grain  fin,  d'une 
grande  dureté  (1).  » 

La  description,  certes,  n'est  pas  riante.  Ces  vastes  pla- 
teaux du  genre  hamada  n'occupent  pas  tout  le  Sahara; 
mais  ils  y  tiennent  une  grande  place,  sinon  la  principale.  Le 
même  rapporteur  décrit,  quelques  pages  plus  loin,  le  pla- 
teau de  Tinghert  :  «Le  plateau  de  Tinghert,  entre  Témas- 
sinin  et  la  grande  dune  plus  au  nord,  est  du  genre  hamada. 
Sa  croûte  calcaire  de  l'étage  crétacé  est  décomposée  et  usée 
par  le  temps.  Le  plus  souvent,  elle  est  couverte  d'une  quan- 
tité innombrable  de  pierres  de  toutes  dimensions,  sur  les- 
quelles la  marche  est  très  difficile.  Parfois,  elle  a  disparu 
complètement  et  laisse   apparaître  la    roche  marneuse  ou 

(1)  Documenta  relatifs  it  la  mission  d'inijée  au  sud  de  VAlyérie,  pages  83  ot  Si. 


TREMIÈRE  MISSION  FLATTKKS.  —  NATURE  DU  SOL  AU  SAHARA.     93 

argileuse  qu'elle  recouvrait  primitivement.  Dans  ces  dépres- 
sions, se  trouvent  des  pâturages  convenables  pour  les 
chameaux,  et  quelquefois  des  dépôts  gypseux  (1).  » 

Les  plateaux  du  genre  hamada,  si  impropres  qu'ils  soient 
à  la  culture  et,  dans  la  généralité  de  leur  étendue,  aux  pâtu- 
rages des  bêtes  et  à  Thabitat  humain,  offrent,  au  contraire,  le 
terrain  le  plus  propice  à  rétablissement  d'une  voie  ferrée; 
le  sol  est  solide,  le  ballast  abondant,  les  matériaux  de 
construction  pour  les  ponceaux  et  ouvrages  d'art  s'y  trouvent 
surplace;  on  n'a  le  plus  souvent^  d'ailleurs,  qu'à  déblayer 
un  peu  et  à  poser  la  voie,  le  terrain  étant  plan  et  ne  s'éle- 
vant  ou  ne  s'abaissant  qu'en  pentes  très  douces. 

Il  suffit  de  jeter  les  yeux  sur  des  cartes  du  Sahara,  faites 
d'après  les  explorations,  pour  voir  que  la  hamada  en  couvre 
une  énorme  partie  :  sur  la  carte  de  l'expédition  Flatters,  du 
30"  au  31"  degré  s*étale,  sur  une  grande  largeur,  un  t  plateau 
nu  ou  hamada  9.  Plus  au  sud,  du  29'  au  SS*"  degré,  on  ren- 
contre le  plateau  de  Tinghert  que  l'ingénieur  Béringer  vient 
de  nous  dire  être  du  genre  hamada;  il  s'y  trouve  un  district 
nommé  Tanesrouft  et  M.  Béringer  nous  a  appris  (p.  89)  que 
ce  mot  désigne  la  hamada  en  langue  iemahoq;  quant  au  pla- 
teau du  Tasili,  à  partir  du  27'  degré  environ,  M.  Béringer 
nous  a  dit  nettement  aussi  qu'il  <  est  du  genre  hamada  ». 
Ainsi,  cette  mission  Flatters,  qui,  dans  sa  première  tournée, 
la  seule  dont  on  ait  une  relation  détaillée,  a  beaucoup 
obliqué  à  Test  et  a  traversé  le  grand  Erg  ou  région  des 
dunes,  y  a  rencontré,  néanmoins,  une  très  forte  proportion 
de  hamada,  terrain  plat  et  rocheux.  Le  journal  de  Flatters, 
à  la  date  du  29  mars,  rapporte  :  «  La  hamada  s'étend  à  perte 
de  vue  à  notre  droite  ;  elle  va,  dit-on,  jusqu'à  Amguid  (2)», 
de  sorte  que  tout  le  premier  tiers  du  chemin  de  fer  vers  le 
Tchad  pourrait  être  fait  quasi  entièrement  en  terrain  ha- 
mada. 

Si  Ton  prend  les  cartes  si  complètes  du  grand  voyageur 

il)  Document  relatifs  à  la  mission  dirir/ee  au  sud  de  VAlfférie,  j)agi»  89. 
(-)  Ihid,,  page  44. 


94     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET   LtiS  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIE>S. 

Barth,  qui,  de  1850  à  1855,  a  plusieurs  fois,  sur  divers 
itinéraires,  traversé  le  Sahara  d'outre  en  outre,  on  renconlre 
aussi  la  désignation  de  hamada  comme  s'appliquaat  à  uût 
très  vaste  surface  du  désert.  Â  la  hauteur  du  30**  degré  ei 
demi,  il  place  la  limite  septentrionale  de  la  hamada,  ([uii 
écrit  hammada  {nordlicher  Band  der  hammada)  et  il  caracté- 
rise ainsi  celle-ci  :  Die  Hammada,  ein  aasgedehnies,  sleiniges. 
unbewohnles  iind  ivasserloses  Hochlandy  un  haut  plateau, 
étendu,  pierreux,  inhabité  et  sans  eau.  On  verra  que  celle 
dernière  caractéristique  du  manque  d'eau,  comme  du  manque 
de  pâturages  ou  de  bois,  ne  doit  pas  être  prise  au  seQ^ 
absolu;  même  la  hamada,  en  efTet,  est  traversée  de  place  en 
place  de  dépressions  où  se  trouvent  de  Teau,  des  bois  et  des 
pâturages  (Voy.  plus  haut  ce  qu'en  dit  M.  Béringer,  p.  9*i  ; 
Barth  lui-même  ajoute,  sur  la  carte,  à  sa  désignation  de  la 
hamada,  ces  mots  :  fast  ohne  P/lanzen  und  Thiere,  presque 
sans  plantes  ni  bêtes,  qui  indiquent  la  rareté  et  non  l'ab- 
sence absolue.  Il  place  au  28*"  degré  et  demi  la  limite  sud  de 
cette  hamada  tripolitaine  (1).  Plus  au  sud,  sur  les  caries  de 
Barth,  s'étendent  d'autres  vastes  superOcies  à  sol  pierreux 
et  résistant,  qu'il  ne  désigne  pas  par  le  mot  hamada  ou 
hammada  y  mais  dont  le  caractère  de  consistance  du  sol 
ressort  bien  de  ses  appellations  :  Kiesige,  Kahle  Ebene, 
plaine  caillouteuse  et  chauve;  Gebirgs  Landschaft  (contrée 
montagneuse);  Traurige,  ode,  steinige  Ebene,  plaine  pier- 
reuse, triste  et  désolée;  ausgedehnte,  steinige  Ebene,  plaine 
pierreuse  étendue;  steinige  Ebene,  plaine  pierreuse,  etc., 
désignations  qui  se  succèdent  fréquemment  sur  sa  carte  n"  o, 
du  24^^  au  20^  degré. 

En  dehors  de  la  hamada  proprement  dite  il  y  a,  en  efifet, 
dans  le  Sahara,  d'énormes  superficies  à  sol  consistant.  Telle 
est,  par  exemple,  dans  le  Sahara  septentrional  vers  Test,  la 
t  région  des  gour»  entre  le  31"  et  le  30''  degré.  L'ingénieur 
Béringer,  de  la  première  mission  Flalters,  dans  son  rapport 

(U  Heisen   und  Entdeckunyen    in  Xord  utul    (\'nh*(tl  A/ric<f   in  dm  laiiivi: 
ISî'J  ln>  IS.i.i  vnii  !)«■  Ilriiirii;li  l>arUi.  «Jollia,  IS.iT,  Imm-  f-',  ciuir  ii"  ;». 


PREMIÈRE  MISSION   FLATTERS.  —  NATURE  DU  SOL  AU  SAHARA.     95 

sur  la  c topographie  générale   de  la  région  explorée»,  la 
décrit  ainsi  :  c  Entre  Hassi-Djéribia  et  Hassi-Terfaïa,  on  est 
dans  la  région  des  goar.  C'est  un  plateau  de  l'époque  qua- 
ternaire d'une  quarantaine  de  kilomètres  de  large,   déchi- 
queté en  tous  sens,  tantôt  par  longues  bandes  parallèles 
séparées  par  des  couloirs,  tantôt  par  tlots  plus  ou  moins 
éloignés  les  uns  des  autres.  Ces  derniers  se  nomment  plus 
particulièrement  gfottr,  au  singulier  grara.  On  donne  le  nom 
de  kantra  (pont)  aux  isthmes  ou  parties  étroites  du  plateau 
qui  séparent  deux  dépressions.  Celles-ci  s'appellent  oued, 
quand  elles  ont  une  certaine  étendue  en  longueur,  et  kaoud 
quand  ce  sont  des  cuvettes  plus   ou  moins  circulaires.  La 
forme  de  cuvette  est  fréquente.  Elle  prouve  que  si  l'action 
des  eaux  a  pu  corroder  les  bords  du  plateau,  l'intérieur  s'est 
dégradé  sous  la  seule  action  des  agents  atmosphériques. 
Les  roches  qui  composent  la  partie  supérieure  du  plateau 
sont  calcaires.  Les  grès  apparaissent  rarement.  On  rencontre 
assez  souvent  des  dépôts  gypseux.  La  hauteur  du  plateau, 
au-dessus  des  dépressions,  est  remarquablement  uniforme 
et  s'écarte   peu  de  30  mètres.  Le  fond  des  dépressions  est 
du  sable  plus  ou  moins  mamelonné,  du  genre  nebka^  avec 
de  beaux  pâturages  et  de  nombreux  puits.  On  appelle  nebka 
un  terrain  sableux,  tantôt  mamelonné,  tantôt  ondulé.  Dans 
le  premier  cas,  on  voit  tous  les  3  ou  4  mètres  un  monticule 
de  50  à  80  centimètres  de  hauteur,  surmonté  d'une  touffe  de 
végétation.  Dans  le  second  cas,  les  petits  monticules  sont 
remplacés    par    des  rides  plus    ou  moins  écartées  et   de 
hauteur  très  variable.  Ainsi,  parfois,  ces   rides  n'ont  que 
1  ou  2  mètres  de  haut  et  laissent  entre  elles  des  creux  d'une 
largeur  à  peine  supérieure  à  leur  hauteur;  parfois  aussi  elles 
sont  écartées  de  100  ou  200  mètres  et  s'élèvent  de  4,  5  ou 
10  mètres  au-dessus  des  creux.   Les   fourrages   poussent 
généralement  au  milieu  des  oued  et  des  haoud,  car  c'est  là 
que  le  sable  s'est  surtout  accumulé.   Quelquefois  le  dépôt 
sableux  s'est  formé  sur  des  berges  de  la  dépression.  Ainsi, 
dans  le  llaoud  Alcnda,  c'est  le  coté  est  qui  était  ensablé  au 


96     LE  SAHARA,   LE  SOUDAN  ET  LES  CHëNIlNS  DE  FER  TRANSSAHARIEV. 

moment  de  noire  passage.  Tout  ce  pays  est  habité  par  (li< 
nomades  qui  y  trouvent  de  Teau,  des  pâturages,  du  gibier 
On  y  rencontre  fréquemment  leurs  campements  (1).  •  C'e^l 
en  ces  termes  que  l'ingénieur  Béringer  décrit  la  région  des 
(jour y  plateaux  calcaires  à  sol  résistant,  coupés  de  temps  à 
autre  par  des  dépressions  où  se  rencontre  du  sable  à  Tels! 
de  nebka.  Si  nous  nous  reportons  au  vocabulaire  des  mob 
arabes  qui  précède  la  Géologie  du  Sahara  de  M.  George- 
Rolland,  nous  y  trouvons  les  explications  suivantes  des 
mots  gara  et  nebka  :  gara^  pluriel  gour^  témoin  rocheux, 
isolé,  en  saillie  à  la  surface  du  sol,  généralement  à  télé 
plate;  nebUa,  terrain  de  sable  mi-meuble  et  légèrement  val- 
lonné. Ainsi,  les  plateaux  de  gour,  quoique  distincts  des 
hamaday  offrent  eux  aussi  un  sol  en  général  compact,  four- 
nissant du  ballast  et  propre  à  la  pose  et  à  Tentretien  d  udc 
voie  ferrée. 

Le  colonel  Flatters,  dans  son  journal  de  route,  fournit  éga 
lement  une  déflnition  des  différentes  appellations  arabes  qui 
est  utile  à  l'intelligence  des  divers  terrains  du  Sahara  :  t  Peu 
dant  le  cours  de  notre  itinéraire,  dit-il,  nous  avons  eu  plu 
sieurs  fois  l'occasion  de  nous  servir  des  mots  gour^  gara, 
ghourd,  areg,  etc.  11  n'est  pas  sans  intérêt  de  donner  la 
désignation  exacte  de  ces  dénominations,  maintenant  que 
nous  avons  pu  les  vérifier  sur  place.  Gara,  au  pluriel  gour. 
est  un  mamelon  rocheux,  ou  du  moins  du  terrain  ferme, 
comme  une  sorte  de  témoin  du  sol  primitif;  on  en  voit  sou- 
vent un  grand  nombre  fort  rapprochés  les  uns  des  autres. 
La  gara  est  plus  ou  moins  conique,  avec  ou  sans  chapeau  à 
bords  dépassant  plus  ou  moins,  mais  il  y  en  a  de  toutes  les 
formes  ;  le  nom  indique  surtout  la  nature  ferme  du  terrain, 
par  opposition  aux  sables  de  Targa  ou  dune.  Celle-ci,  Vanja 
(au  pluriel  areg),  c'est  la  grande  colline  de  sable  meuble 
comme  serait  une  grande  gara  émiettée,  si  Ton  admet  la 
théorie  de  la    transformation  du   sol   sur  place,  la  rocbe 

(1)  Documents  relatifs  à  la  mission  dirigée  au  sud  de  VAlf/érie,  j^Siges  \)Sc\'^'- 


PREMIÈUE   MISSION   FLATTERS.   —  NATURE  DU  SOL  AU   SAHARA.      97 

j'effrilanl  et  se  réduisant  en  sable  pour  former  des  dunes. 
[Jarga  présente  toujours  des  aréles  en  long,  le  plus  sou- 
frent en  forme  de  tranchant  de  sabre,  c'est-à-dire  des  si/(au 
pluriel  szo///*).  Le  ghourd  est  une  dune  le  plus  souvent  isolée 
en  forme  de  mamelons  coniques,  sans  arêtes  en  longueur. 
L'armath  est  Targa    à   un  très  faible   relief  au-dessus  du 
terrain    environnant.   Nous   avons  dit  plus  haut  ce  qu'on 
entend  par  terrain  nebka,  sable  meuble  ou  mi-meuble,  pra- 
ticable malgré  quelques  vallonnements  peu  sensibles.  Beg^ 
sable  ferme;  avec  ou  sans  gravier,  généralement  très  plat; 
haoud^  dépression  en  forme  de  cuvette,  dans  les  gour,  ter- 
rain   ferme;  sahan,  large    dépression  à   fond  plat,  mot  à 
mot  assiette,   dans  n'importe  quel   terrain,  pourvu  que  la 
végétation  y  soit  assez    abondante.    Par  extension,   dans 
Textrôme  sud,  le  sahan  de  très  grandes  dimensions  devient 
Toued,  et  réciproquement,  sans  que  Ton  se  préoccupe  de 
savoir  s'il  y  a  possibilité  ou  non  d'y  déterminer  une  ligne 
de  thalweg  (1).  » 

Ainsi  parle  Flatters,  et  ses  définitions  dans  l'ensemble  con- 
cordent  avec  celles    de   l'ingénieur    des    travaux    publics 
Béringer  et  de  l'ingénieur  des  mines  Rolland.  Notons  seu- 
lement la  légère  divergence  de  forme  plus  que  de  fond,  au 
sujet  du  terrain  nebka  ;  Flatters  le  définit  :  «  sable  meuble  ou 
rai-meuble,  praticable  malgré  quelques  vallonnements  peu 
sensibles  ».  L'ingénieur  Béringer  disait  simplement  :  «  ter- 
rain sableux,  tantôt  vallonné^  tantôt  ondulé  j»,  terrain  d'ail- 
leurs   susceptible    de    végétation,    d'après    lui  ;    quant   à 
M.  Georges  Rolland,  il  dit  de  la  nebka  que  «  c'est  du  sable 
mi-meuble  et  légèrement  vallonné».  Ailleurs  que  dans   le 
morceau  cité  plus  haut,  Flatters  parle  de  nouveau  de  la  nebka 
comme  de  sable  mi-meuble;  ainsi,  page  6,  dans  le  passage 
auquel  il  semble  se  référer.  Il  ne  s'agit  donc  aucunement 
de  sable  mouvant. 
Il  importe  de  revenir  sur  le  mol  reg  ;  on  vient  de  voir  que 

(1)  Documents  relatifs  à  la  mission  dirigée  au  sud  de  l* Algérie,  pages  23  et  24. 

7 


98     LE  SAHARA,   LK  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS   DE  FER  TttANSSAUAaiE>* 

Flalters  le  définit  :  «  sable  ferme,  avec  ou  sans  gravier, 
généralement  très  plat  ».  M.  Georges  Rolland,  dans  levocd 
bulaire  des  termes  arabes  qui  précède  sa  Géologie  du  Saharc 
donne  mot  pour  mot  la  même  définition  du  reg.  Ainsi,  Vm- 
mense  plus  grande  partie  du  Sahara  est  du  terrain  solide  e: 
plan:  Whamada^  plateau  rocheux,  généralement  de  voniec 
est  solide  ;  la  région  des  gour,  plateaux  calcaires,  est  solidt 
aussi  ;  le  reg  est  solide  également;  le  nebkûy  quoique  sabl? 
mi-meuble,  est  tout  au  moins  praticable. 

Reste  le  sable  fin  de  Varga^  des  areg,  de  Verg  ou  de^ 
dunes.  Mais  la  région  des  dunes  est  très  localisée  ;  on  ne  h 
trouve  guère  que  dans  le  Sahara  septentrional  ou  dans  le 
Sahara  maritime  ;  le  Sahara  central  et  le  Sahara  méridional 
en  sont  complètement  exempts.  L'Erg  forme  deux  massifs 
principaux,  Tun  au  sud-est  de  la  province  de  Constantine  el 
de  la  Tunisie,  l'autre  au  sud  de  la  province  d*Oran  ;  entre 
ces  deux  grands  massifs  de  TErg  ou  des  régions  de  dunes, 
il  y  a  une  grande  hamada  septentrionale.  Puis  TErg,  là  où 
il  existe,  est  traversé  de  très  larges  vallées  qui  sont  exemples 
de  dunes  :  ainsi,  entre  plusieurs  autres,  la  vallée  de 
righarghar,  au  sud  de  la  province  de  Conslantine,  et  la  vallée 
de  rOued  Zousfana  et  de  TOued  Saoura  au  sud  de  la  pro- 
vince d'Oran. 

Rien  n*est  donc  plus  facile  à  une  voie  ferrée  que  d'éviter 
la  région  des  grandes  dunes  ou  delà  traverser  sans  encombre 
par  une  de  ces  grandes  trouées  naturelles.  La  régularité  du 
terrain  qu'offre  par  exemple  la  vallée  de  l'Igharghar  est  telle 
que-  l'ingénieur  Béringer,  qui  a  fait  sur  les  lieux  un  avaiil- 
projet  détaillé  de  chemin  defer  transsaharien  jusqu'à  600  ki- 
lomètres au  sud  d'Ouargla,  estime  seulement  à  10000  francs 
le  kilomètre  sur  280  kilomètres  de  la  trouée  de  Tlgharghar 
et  à  12000  francs  le  kilomètre  sur  198  autres  kilomèti-es 
du  même  tracé  les  dépenses  d'infrastructure  et  de  ballast, 
et  il  s'agissait  là  d'une  voie  ferrée  du  type  large;  il  ne  porte 
pas  non  plus,  sur  toute  la  longueur  de  600  kilomètres  du 
chemin  de  fer  projeté  au  sud  d'Ouargla,  plus  de  100  mètres  de 


PHEIIIÈRK  MISSION  FLATTEHS.   —  NATUHE  DU  SOL  AU  SAHARA.      99 

parasables  (1).  La  construction  du  chemin  de  fer  dans  celte 
région  serait  donc  d'une  facilité  tout  élémentaire. 

Non  seulement  les  dunes  sont  localisées,  et  il  y  a  de  lon- 
gues trouées  à  travers  leurs  massifs  ;  mais  en  plus  de  ces 
longues  trouées,  correspondant  à  des  lits  de  fleuves  souter- 
rains, il  se  trouve  fréquemment  des  couloirs  étendus  et  fixes 
que  Ton  appelle  gassis.  Jusqu'aux  explorations  récentes, 
on  ne  se  rendait  pas  compte  de  la  signification  exacte  du 
mot  gassi,  que  nous  retrouverons  souvent  au  cours  de  cet 
ouvrage;  on  croyait  que  c'était  un  district  particulier, 
offrant  un  passage  facile  qui  était  ainsi  nommé  ;  la  grande 
et  d'ailleurs  bonne  carte  allemande,  quoique  ancienne  et  dé- 
passée, de  R.  Lûddeke,  contient  au-dessous  du  30''  degré 
une  bande  longitudinale  dénommée  Gassi  el  Adham  ;  l'ex- 
pression est  exacte,  mais  il  faut  entendre  que  Gassi  n'est 
pas  le  nom  d'un  district.  C'est  ce  que  le  premier  des  explora- 
teurs sahariens  (nous  ne  disons  pas  transsahariens),  Duvey- 
rier,  avait  cru.  Duponchel  relève  cette  erreur  dans  son  opus- 
cule de  1880,  postérieur  à  la  première  mission  Flatlers  ; 
parlant  d'une  façon  défavorable  du  tracé  de  Biskra  vers  le 
Tchad,  par  la  vallée  de  l'Igharghar,  qui  n'était  pas  le  sien, 
Duponchel  s'exprime  ainsi  :  «  Sur  la  direction  des  Hogghar, 
on  a  à  traverser  la  formation  des  dunes  sur  sa  plus  grande 
épaisseur.  La  carte  de  M.  Duveyrier  indiquait,  il  est  vrai, 
un  point  de  passage  comme  libre  de  sables,  désigné  par  les 
indigènes  sous  le  nom  d'EI  Ghazy.  La  première  exploration 
(.le  M.  Flatters  a  eu  pour  résultat  important  de  nous  faire 
savoir  ce  qu'on  devait  entendre  sous  ce  nom.  El  Ghazy  n'est 
point  une  région  distincte,  mais  un  nom  générique  qui  s'ap- 
plique aux  vallées  longitudinales  comprises  entre  deux  dunes 
consécutives  (2).  » 

C'est,  en  effet,  une  des  contributions  importantes  à  la  con- 
naissance du  Sahara  qu'a  apportées   la   première    mission 

(Il  Uocumenis  relatifs  à  la  mission  au  sud  de  l'Algérie,  page  233. 
ii)  Duponchel,  Lettre  ù  M.  le  Président  et  MM.  les  membres  de  la  Commission 
supt^rieure  du  Transsnharien .  MontpeUier,  1880,  page  30. 


100     LE  SAHARA,  LB  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANS:^AIIARIENS. 

Flallers,  confirmée,  on  le  verra,  par  la  mission  Fôureau, 
que  la  constatation  de  ces  longs  et  généralement  larges  cou- 
loirs de  terrain  solide  entre  les  dunes  de  sable,  auxquels 
les  indigènes  donnent  le  nom  de  gassis,  M.  Georges  Rolland, 
dans  son  vocabulaire  des  principaux  mots  arabes,  précédant 
son  rapport  sur  la  Géologie  du  Sahara^  donne  cette  défini- 
tion :  «  Gassi^  bande  entre  deux  chaînes  de  dunes,  se  pour- 
suivant sur  une  grande  longueur  en  terrain  ferme  de  reg:, 
sans  pierre  ni  gravier.  »  Et  ce  ne  sont  pas  là  des  passages 
temporaires,  destinés  à  être  comblés  un  jour. 

L'ingénieur  Béringer  s'exprime  à  ce  sujet  en  ces  termes  : 
«  Les  preuves  du  peu  de  changements  survenus  dans  la 
zone  des  dunes  que  nous  avons  parcourue  sont  assez  nom- 
breuses. Ainsi,  les  entonnoirs,  comme  Aïn  Taïba  el  Mo- 
khanza,  se  maintiennent  ouverts,  bien  qu'entourés  de  dunes  : 
de  mémoire  d'homme  on  s'y  arrête  pour  renouveler  ses 
provisions  d'eau.  Les  grandes  caravanes  ont  cessé  depuis 
longtemps  de  circuler  entre  Ouargla  et  El  Biodh,  et  cepen- 
dant on  retrouve  dans  les  gassis  les  nombreux  sentiers  de 
leurs  chameaux.  Tous  ces  sentiers  longent  les  dunes  où  se 
trouvait,  comme  aujourd'hui,  le  pâturage  nécessaire  au 
bétail,  et  ils  aboutissent  aux  cols  qui,  encore  maintenant, 
servent  de  passages  (1).  » 

Eln  dehors  des  gassis,  il  arrive  fréquemment  que  le  sable, 
dans  les  régions  où  il  se  rencontre,  est  soit  durci,  soit  fixé; 
ce  sont  les  termes  mêmes  dont  se  sert  le  colonel  Flatters 
dans  sonjournal  déroute;  ainsi  le  19  février  1880  :  t  Départ 
de  Tamelhat  à  sept  heures,  halte  à  dix  heures  à  Aïn  Djedida 
(source  nouvelle)  d'El  Goug  ;  chott  à  sec,  sable  durci,  sable 
mi-meuble  (cette  dernière  nature  de  terrain  est  dite  nebka  en 
arabe);  végétation  pour  les  chameaux....  Sur  cette  route, 
les  observations  et  les  renseignements  tendent  à  démontrer 
une  erreur  de  la  carte  d'état-major.  Il  n'y  a  pas  de  lit  de 
rivière  à  sec,   mais  une  sorte  de  chapelet  de  daïas  ou  eu- 

(1)  Documents  relalifs  à  la  mission  dirigée  au  sud  de  l'Algérie  (Mission  Flattersi. 
page  95. 


PiŒMIÈRE  MISSION   FLATTERS.  —  NATURE  DU  SOL  AU  SAHARA.      iOl 

veltes  séparées  par  des  seuils  de  sable,  le  sable  fixé  par  une 
végétation  abondante  (1).  »  Deux  jours  après,  le  21  février, 
FJallcrs  note  ainsi  Taspect  du  pays  :  «  Dunes  avec  végéta- 
tion, nebka  (2).  »  Il  arrive  donc  que  même  dans  les  dunes  le 
sable  peut  être  durci  et  également  fixé  par  la  végôlalion. 

Ces  constatations  confirment  ce  qui  a  été  dit  plus  haut 
à  propos  des  observations  de  Duponchel,  de  M.  Georges 
Rolland  et  de  M.  Choisy,  également  ce  qu*avait  relevé  le 
géologue  Pomel  (V'oy.  plus  haut  pages  39,  41,  76  et  82)  : 
l'immense  majorité,  les  neuf  dixièmes  environ,  delà  surface 
du  Sahara  secompose  non  de  sable  meuble,  mais  de  terrains 
fixes  et  consistants;  entre  les  massifs  montagneux  qui  s'y 
rencontrent,  la  hamada,  plateau  rocheux,  y  lient  une  place 
très  importante,  et  encore  plus  le  reg,  sable  ou  gravier  durci  ; 
les  dunes  sont  localisées  dans  des  massifs  qu'on  peut 
tourner,  et  si  Ton  veut  s'y  engager,  on  y  trouve  ces  grands 
couloirs  longitudinaux,  parallèles  au  méridien,  à  terrain 
solide,  que  l'on  appelle  gassis  ;  enfin,  même  en  plein  réseau 
de  dunes,  il  arrive  fréquemment  que  le  sable,  soit  durci  ou 
fixé  par  la  végétation.  \J^  1  /  ;  v  .      ;,'  : 

Si  l'on  jette  les  yeux  sur  une  carte  un  peu  détaillée  et  ré-. 
cente,  on  voit  que,  à  part  les  deux  massifs  localiséàde  dunes, 
à  l'est  et  à  l'ouest,  et  qui  sont  séparés  par  une  grande 
hamada^  à  part  aussi  les  quelques  régions  montagneuses 
du  centre,  presque  tout  le  Sahara  est  désigné  comme 
^«marfa  ou  comme  reg^  c'est-à-dire  comme  terrain  consistant 
el  en  général  plan.  (Juant  aux  massifs  montagneux  dont  la 
traversée  s'imposerait,  ils  ont  peu  d'élévation,  puisque  l'on 
est  assuré  d'un  col  entre  les  deux  versants  méditerranéen  et 
atlantique  à  1360  mètres  au-dessus  du  niveau  de  la  mer  et 
qu'il  est  possible  qu'on  en  trouve  de  moins  élevés  ;  ces  mas- 
sifs montagneux,  formés  de  terrains  primitifs  en  général, 
offrent  naturellement  un  sol  solide. 

Toutes  ces  conditions  sont   on  ne  peut  plus  propices  à 

*l)  Documents  relalifs  à  ta  mission  dirigée  au  sud  de  r Algérie,  page  6. 
\2)  Ibid.,  page  7. 


102      LE  SAHARA,  LK  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAIIABIEN: 

rétablissement  et  à  Tentrelien  d'une  voie  ferrée.  Aussi  la 
première  mission  Flatters,  quoique  ayant  traversé  en  pardV^ 
le  grand  massif.de  dunes  appelé  le  grand  Erg  orientai,  es 
arrivée,  par  ses  observations  propres  pour  une  longueur  dt: 
600  kilomètres  au-dessous  d'Ouargla  et  par  des  renseigne- 
ments sérieux  pour  300  kilomètres  au  delà,  jusqu'à  la  sebkb 
d'Amadghor,  à  trouver  qu'aucun  obstacle  ne  s'opposait  à 
rétablissement  et  à  la  construction  d'un  chemin  de  fer  dan> 
cette  région  avec  une  dépense  modique  (Voy.  plus  loin, 
pages  139  et  195)  (1). 

(1)  Voici  comment  parle  Flallors  dans  son  journal  à  la  dalo  du  7  mars  IS^^t 
«  Après  ce  haoud  monté  une  pente  assez  raido  sur  Kanlra-Dahrat-Smihh.  in 
a  plus  de  30  mètres  au-dessus  du  i'ond.  O  Kanli'a  est  large  d'environ  un  kn"^ 
mètre  et  très  pierreux.  (l'est  le  seul  obstacle  depuis  Ouargla  pour  un  cliorii/ 
de  fer,  et  encore  n'est-il  pas  considérable  »  ;  et  également  le  ii  mai-s  :  «  1." 
reliefs  de  3o  et  40  mètres  se  montrent  déjà  assez  souvent;  il  y  a  des  ghounl>l' 
70  mètres.  Tout  cela  constitue;  des  obstacles  pour  la  i*ccherclic  d'un  tra<'«'  " 
chemin  de  fer;  néanmoins  ces  obstacles  peuvent  être  tournés,  comme  uou- 
l'avons  reconnu.  » 


CHAPITRE  III 

Suite   de  la  première  mission  Flatters. 
Pluies  et  points  d'eau  observés    par  elle. 


ht^oription  du  Sahura  d'aprùs  lechel  et  h'S  mciubivs  df  celle  mission.  —  Examen 
lie  la  sic-cité  et  de  l'aridité  du  Sahara.  —  Ces  caractères  du  désert  sont  loin 
lie  se  retrouver  uniformément  et  d'une  façon  accentuée  sur  toute  sa  surface. 

—  Le  Sahara,  sur  de  nombreux  points  de  son  étendue,  diffère  beaucoup  de  la 
réputation  que  lui  fait  la  légende. 

hiiporlance  des  caravanes  qui  traversent  ce  déserL —  IF  fournit  aux  nécessités, 
(l'alimentation  des  bétes  et  procure  de  l'eau  et  du  bois  aux  hommes.  — 
Kffeetif  de  la  première  mission  Flatters.  —  La  surface  du  Sahara  se  prête,  en 
maints  districts,  k  une  exploitation  culturale  ou  pastorale  et  à  rhat>itat  per- 
manent de  rhomme.  —  Démonstration  qui  en  est  faite  par  le  «  Journal  de 
route  »  et  les  documents  annexes  de  la  mission  Flatters.  —  Ce  que  boit  un 
chameau;  comparaison  avec  la  quantité  d'eau  qu'exigerait  un  train.  — Tous 
les  explorateurs  qui  ont  parcouru  le  Sahara  ont  reçu  de  la  pluie.  —  Pluies 
nombreuses  et  parfois  très  abondantes  (ju'essuie  la  première  mission  Flatters. 

—  Évaluation  de  ces  pluies.  —  Les  points  d'eau  rencontrés  et  observés  par  la 
mission.  —  Les  eaux  superlicielles.  —  Fréciuencc  et  inq>ortance  des  eaux 
>outerraines.  —  La  mauvaise  qualité  des  eaux  tient  souvent  aux  débris  orga- 
nitpies  qu'on  y  laisse.  —  Les  moindres  soins  procureraient  souvent  de  l'eau 
abondante  cl  de  bonne  qualité. 


L'obstacle  des  sables  mouvants,  on  vient  de  le  voir  dans 
le  précédent  chapitre,  n'existe  pas  en  ce  qui  concerne  le 
chemin  de  fer  transsaharien.  Tout  indique,  au  contraire,  que 
rétablissement,  comme  Tentrelien,  de  cette  voie  ferrée  serait 
des  moins  coûteux. 

L'imagination  populaire  et  celle  des  trembleurs  s*est 
elTrayée  d'un  autre  obstacle  :  l'absolue  siccité  du  pays,  l'irré- 
médiable aridité  :  une  voie  ferrée  de  2000  ou  2  500  kilo- 
mètres ne  peut  s'exploiter  sans  quelques  points  d'eau  pour 
fournir  à  la  locomotive  la  vapeur,  sans  un  certain  nombre 
<\t  stations  pour  abriter  le  personnel  des  cantonniers,  des 
employés  de  la  voie  et  même  ceux  des  trains  qui  ne  peuvent 
fournir  sans  arrêt  ni  repos  une  traite  de  2000  à  2  500  kilo- 
mètres. U  faut  donc  que  le  pays  traversé  offre  de  place  en 


H)i     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FBR  TRÀNSSAHAfilBKS. 

place,  tous  lc3  100  kilomètres  par  exemple,  sinon  même 
parfois,  lo us  les  70  ou  80  kilomètres,  quelques  ressources  en 
eau  cl  aussi  en  vivres,  en  bois,  si  Ton  ne  veut  pas  que  les 
Trois  d  exploitation  soient  très  renchéris. 

L'opinion  accréditée  est  qu'il  ne  pleut  pas  dans  le  Sahara 
ou  qu*il  n'y  pleut  que  tous  les  cinq  ou  six  ans,  qu'il  ne  s  y 
trouve  aucune  eau  à  ciel  ouvert,  qu'il  ne  s*y  rencontre 
qu'un  très  petit  nombre  de  puits,  espacés  entre  eux  parfois 
de  plusieurs  centaines  de  kilomètres,  et  d'un  débit  minuscule, 
qu'en  outre  rien  ne  pousse  sur  cette  énorme  surface,  ni 
plantes^  ni  bois,  que  rien  n'y  vit  non  plus. 

Or,  tous  ces  traits  sous  lesquels  on  se  représente  le  Sahara 
constituent  une  légende.  Il  pleut  dans  ce  désert,  en  certains 
endroits  assez  souvent  et  assez  abondamment;  on  y  voit  de 
l'eau  à  ciel  ouvert;  les  puits  y  sont  très  nombreux  et  souvent 
auraient  un  débit  important,  s'ils  étaient  convenablement 
entretenus  ;  la  végétation  non  seulement  n'est  pas  absente, 
mais  parfois  est  très  drue  et  variée  ;  les  espèces  arborescentes 
s'y  rencontrent  et,  sur  de  nombreux  points  du  désert,  on  voit 
des  arbres  développés,  qui  seraient  considérés  comme 
énormes  dans  les  contrées  tempérées  de  l'Europe  ;  le  bois  est 
presque  partout  présent  dans  cette  solitude.  La  vie  animale 
y  est,  sur  beaucoup  de  points,  très  intense  ;  les  conditions 
d'habitat  sont  souvent  propices  à  l'homme  et  les  chaleurs  y 
sont  fréquemment  tempérées  par  des  fraîcheurs  nocturnes  el 
même  par  des  froids  allant  à  une  dizaine  de  degrés  au-dessous 
de  zéro.  En  un  mol,  si  le  Sahara  est  une  contrée  peu  favorisée 
et  peu  propice  à  la  culture,  dans  son  ensemble,  il  offre  toutes 
les  ressources  nécessaires  au  parcours  de  l'homme  et  des  ani- 
maux et  même  à  la  résidence  permanente  de  l'homme  ;  il  peut 
permettre,  en  nombre  de  points,  une  exploitation  culturale 
et  pastorale  et  entretenir  des  centres  fixes  de  population. 

Que  le  Sahara  ne  soit  pas  la  surface  sans  eau  et  sans 
plantes  que  s'imagine  le  vulgaire,  les  caravanes  qui  le  tra- 
versent en  témoignent.  Ces  caravanes  comptent  souvent  des 
centaines  de  chameaux.  Il  faut  les  nourrir  et  les  abreuver, 


PREMIÈRE  MISSION  PLATTERS  :  PLUIES  ET  POINTS  D*EAU  AU  SAHARA.     iOîi 

abreuver  aussi  les  conducteurs,  dans  un  pays  où  personne 
ne  s'occupe  d*aménager  et  d'entretenir  les  eaux  et  les  puits. 
La  première  mission  Flatters  elle-même,  on  Ta  vu,  comp- 
laît 105  hommes.  «  Le  convoi  comprenait  14  chevaux  de 
monture  et  250  chameaux  transportant  des  vivres  pourquatre 
mois  et  de  Teau  pour  dix  jours  (1).  »  Parti  ë'Ouargla  le 
T)  mars  1880,  elle  y  rentrait  le  17  mai,  par  conséquent  après 
soixante -treize  jours  de  marche. 

Ces  14  chevaux  et  ces  250  chameaux  avaient  dû  se  nour- 
rir sur  place,  sauf  les  provisions  du  début  épuisées  au  bout 
de  peu  de  jours;  ils  avaient  dû  aussi  s'abreuver  et  de  même 
les  105  hommes.  Comment  Tcussent-ils  fait  si  le  Sahara 
n'avait  ni  eau  ni  plantes? 

Pour  démontrer  Télat  réel  du  Sahara,  nous  suivrons  suc- 
cessivement les  journaux  de  roule  de  chacun  des  explorateurs 
récents.  Ce  genre  de  description  aura  l'inconvénient  d'ame- 
ner des  répétitions,  mais  il  sera  plus  naturel  et  plus  vivant. 
L'auteur,  c'est-à-dire  nous,  s'effacera  ainsi  derrière  les  explo- 
rateurs successifs. 

Commençons  par  cette  première  mission  Flatters.  Voici 
ces  14  chevaux  et  ces  250  chameaux  à  nourrir  et  à  abreuver 
pendant  soixante-treize  jours  de  marche  et  ces  105  hommes 
à  abreuver.  Sait-on  ce  que  boit  un  chameau?  Le  journal  de 
la  mission  nous  le  dit.  Un  chameau,  quand  il  se  meta  boire, 
et  il  faut  bien  que  cela  lui  arrive  tous  les  cinq  à  six  jours  au 
moins,  absorbe  60  litres  d'eau  :  «  les  chameaux  buvant  en 
moyenne  60  litres  d'eau  en  une  fois,  une  journée  entière  ne 
nous  suffit  pas  (2)  ».  Une  lettre  de  l'ingénieur  Béringer, 
publiée  dans  le  même  recueil,  en  date  du  16  décembre  1880, 
datée  d'Hassi  Inifel,  confirme  cette  ration  d'eau  pour  les 
chameaux  :  c  Mon  méhari  a  consommé  en  arrivant  65  litres 
d'eau.  C'est  relativement  peu.  Il  était  resté  plus  de  six  jours 
sans  boire.  Mais  pendant  cette  saison,  les  chameaux  peuvent 
être  privés  d'eau  pendant  bien  plus  longtemps  encore   sans 

IM  Documenls relatifs  à  la  mission  dirigée  au  sud  de  V Algérie,  |»ago  If. 
(i2)  Ibid,,  page  54. 


i06  LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARU>^ 

inconvénient  aucun.  Nos  chameaux  de  bât  sont,  d*ailleur^. 
restés  près  de  neuf  jours  sans  être  abreuvés,  à  cause  de  Ii 
lenteur  avec  laquelle  se  fait  le  remplissage  des  bassins 
quand  on  n*a  qu'un  puits  à  sa  disposition  (2i.  >  M.  Béringri 
écrivait  en  décembre,  saison  où  les  chameaux  peuvent  sup- 
porter un  plus  longtemps  de  privation  d*eau  ;  en  avril  etea 
mai,  à  plus  forte  raison  en  été,  ils  sont  plus  exigeants.  Ed 
moyenne,  il  leur  faut  bien  boire  tous  les  cinq  à  six  jours  ;  leur  ' 
ration  étant  de60  à  65  litres,  cela  représente  pour  les  250  cha^ 
meauxde  la  mission  Flatters,  15000 à  16000  litres  parabreu 
vage,  soit  15 à  16  mètres  cubesd*eau  ;  les  Hchevauxonlbeson. 
déboire  plus  souvent,  mettons  5à61itresparjour  :  cela  repré- 
sente, pour  les  cinq  jours  que  nous  supposons  d'espace  enln 
les  puits,  une  trentaine  de  litres  par  tête,  soit  encore  environ 
un  demi-mètre  cube  ;  enfin  les  105  hommes  consommen- 
bien  un  millier  de  litres  en  cinq  jours  ou  un  mètre  cube  ;  nou> 
voilà  à  17  mètres  cubes  et  demi  pour  chaque  abreuvage 
L'ingénieur  en  chef  des  ponts  et  chaussées  Duponchel, 
homme  technique,  au  courant  de  Texploilalion  des  voie^; 
ferrées,  évaluait  à  500  mètres  cubes  d'eau  la  quantité  néces- 
saire pour  un  train  de  900  tonnes  traversant  les  3000  kilo- 
mètres du  chemin  de  fer  transsaharien  et  de  son  prolonge- 
ment en  Algérie,  soit  un  mètre  cube  d'eau  pour  6  kilomètres: 
chaque  étape  d'abreuvage  de  la  première  mission  Flatters. 
exigeant  17  mètres  cubes  et  demi,  correspondrait  ainsi  aux 
exigences  d'un  train  pendant  105  kilomètres;  or,  comme  la 
traction  exige  moins  de  charbon  et  de  vapeur  depuis  1878, 
date  où  a  paru  le  livre  de  Duponchel,  on  peut  conclure  que 
la  quantité  d'eau  nécessaire  pour  chaque  ration  de  la  pre- 
mière mission  Flatters  suffirait  actuellement  à  la  traction 
d*un  train  durant  150  kilomètres  au  moins. 

Quand  on  dit  qu'il  ne  pleut  jamais  dans  le  Sahara  ou  qu'il 
n'y  pleut  que  tous  les  cinq  ou  six  ans,  on  use  de  cette  façon 
(le  parler  superficielle  et  censée  approximative  qui  produit 

(h  Ihfcumi' ni  s  relatifs  à  la  inission  iltriyèe  au  auil  de  CAUjénet  page  4:io. 


PREMIERE  MISSION  KLATTËRS  :  PLUIKS  ET  POINTS  D  EAU  AU  SAHARA.     107 

tant  d'erreurs.  En  fait,  tous  les  explorateurs  qui  ont  par- 
couru le  Sahara,  en  quelque  saison  de  Tannée  que  ce  soit, 
y  ont  reçu  de  la  pluie  et,  en  outre,  y  ont  trouvé  des  traces 
manifestes  de  pluies  récentes. 

Voici,  par  exemple,  le  journal  de  route  de  la  première 
mission  Flatters  ;  elle  quitte  Ouargla  le  5  mars  ;  à  la  date  du  7, 
le  Journal  de  roule  note  :  «  Précisément,  le  temps  est  à  la 

pluie Pluie  abondante  et  continuant  toute  la  nuit  (1)  ». 

(Juatre  semaines  après,  le  2  avril,  en  plein  Sahara  central  : 
«  A  6  heures,  tempête  violente  du  nord-nord-ouest.  Vent  et 
lourbillons  de  sable  ;  pluie  d'orage  abondante  ;  les  tentes 
s^abatlent.  A  7  heures,  la  pluie  a  cessé  ;  le  vent  se  calme  peu 
à  peu  ;  on  parvient  à  remonter  les  tentes  (2)  »  ;  le  15  avril, 
plus  bas  encore  dans  le  Sahara,  au-dessous  du  27*'  degré  : 
«  Eau  dans  plusieurs  dépressions  du  lit  ;  fond  indiquant  que 
Toued  a  coulé  il  y  a  peu  de  temps  ;  en  effet,  il  y  a  eu  une  crue 
considérable  l'hiver  dernier,  et  il  y  en  avait  eu  une  Thiver 
précédent;  il  a  plu  dernièrement  encore  (3)  ».  Voilà  qui  est 
catégorique.  Ainsi,  dans  cette  pointe,  qui  dure  moins  de 
deux  mois  et  demi,  du  5  mars,  à  partir  d'Ouargla,  jusqu'au 
17  mai,  retour  à  Ouargla,  la  mission  Flatters  reçoit  deux  fois, 
à  près  d*un  mois  de  distance,  des  «  pluies  abondantes  »  et  cons- 
tate, une  autre  fois,  à  plusieurs  degrés  de  latitude  plus  bas, 
la  trace  très  visible  de  pluies  récentes,  ayant  été  précédées 
d  autres  pluies  dans  chacune  des  deux  années  précédentes. 

Si,  au  lieu  du  journal  de  route,  on  consulte  le  registre  de 
météorologie,  tenu  par  Tingénieur  Béringer,  membre  de  la 
mission,  on  relève  les  observations  suivantes  beaucoup  plus 
précises  :  26  février,  midi  et  7  heures  du  soir,  quelques 
gouttes  de  pluie  ;  28  février,  petite  pluie  ;  1*'  mars,  4  heures  à 
4  h.  30  du  matin,  petite  pluie;  5  h.  30  à  G  h.  30,  pluie 
d'orage  avec  éclairs  et  coups  de  tonnerre,  hauteur  recueillie 
3  millimètres  ;  3  heures  du  soir,  petite  pluie,  au  sud  d*0uargla  ; 

\\\  Documenls  relatifs   à   la   mission   diriffêe   au  sud  de  l'Alyérie,  paj^rs  18 
et  19. 
\i)  Ibid,,  page  49. 
(3|/6(V/.,  |)ageGO. 


108     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAUARIE^S. 

2  mars,  8  h.  45  à  10  heures  malin,  forte  pluie,  6  millim.  3; 

10  heures  malin  à  1  heure  soir,  pluie  moins  forte,  hauteur 

I  millim.  9;  11  heures  du  soir  à  minuit  et  le  3  mars  minuit 
ù  3  heures  du  matin,  pluie,  ensemble  3  millim.  6;  7  heures  à 
9  h.  45  malin,  pluie  fine,  1  millim.  9  ;  4  h.  45  à  6  heures  du 
soir,  pluie  fine,  1  millim.  8;  11  heures  du  soir  à  minuit,  petite 
pluie;  6  mars,  midi  «  quelques  gouttes  de  pluie.  Il  pleut 
davantage  au  nord  »  ;  7mars,  midi  30,  petite  pluie;  5  heures 
&  7  heures  du  soir,  pluie  fine  ;  7  heures  du  soir  à  minuit,  pluie 
fine  ;  8  mars,  minuit  à  8  heures  matin,  pluie  fine,  ces  deux 
dernières  ensemble  4  millim.  2;  1"  avril,  11  h.  30  du  soir, 
quelques  goules  de  pluie;  6  h.  30  à  6  h  45,  pluie  battante, 
larges  gouttes;  8  h.  45,  la  pluie  reprend;  15  avril,  7  h.  30  à 
8  heures  du  matin,  petite  pluie;  3  h.  15  du  soir  à  8  h.  15, 
quelques  gouttes  de  pluie;  9  h.  15  du  soir  à  11  h.  15,  quel- 
ques gouttes  de  pluie  ;  20  avril,  3  h.  15  du  soir,  quelques 
gouttes  de  pluie  ;  4  h.  15  à  5  heures,  forte  pluie,  4  milli- 
mètres; 26  avril,  2  h.  45  du  matin  et  6  h.  30  à  7  heures, 
quelques  gouttes  de  pluie;  30  avril,  matinée,  gouttes  de 
pluie;  10  h.  15  à  11  h.  30,  pluie  assez  forte;  12  h.  30  à 
2   heures  soir,    pluie   forte;  8  heures  à   11   heures,  pluie, 

11  h.  30,  la  pluie  reprend;  1"  mai,  jusqu'à  6  heures  du  ma- 
tin, pluie  battante;  7  heures  à  midi,  petite  pluie;  2  mai, 

II  heures  du  malin,  quelques  gouttes  de  pluie;  1  h.  30  du 
soir,  forte  averse,  7  millimètres  ;  5  heures  du  soir,  quelques 
gouttes  de  pluie;  17  mai,  7  h.  45  du  soir,  quelques  gouttes 
de  pluie;  18  mai  également  (1). 

Ainsi,  d'après  le  rapport  météorologique  de  l'ingénieur 
Béringer,  du  26  février,  à  Ouargla,  jusqu'au  18  mai  de 
retour  dans  la  même  ville  après  l'expédition  jusqu'au  lac 
Menkhough,  c'est-à-dire  en  quatre-vingt-deux  jours,  on  a  eu 
de  la  pluie,  peu  ou  beaucoup,  pendant  dix-sept  jours  ;  parfois 
ce  ne  sont  que  des  gouttes,  mais  souvent  aussi  de  «  fortes 
pluies»   ou  des  «  pluies  battantes  »,  des  pluies  prolongées 

(l)  Documents  relatifs  à    la   mission  dingée  au  sud  de  VAlgérie,  pages  lîW  à 
169. 


PREMIÈRE  MISSION  FLATTERS  :  PLUIES  ET  POINTS  D  EAU  AU  SAHARA.      i09 

pendant  plusieurs  heures;  on  n'en  a  pas  relevé  toujours  la 
hnuleur,  ce  qui  était  impossible  quand  on  était  en  marche, 
cl  diverses  pluies  désignées  comme  fortes  pluies  ou  pluies 
battantes  n'ont  donné  lieu  à  aucune  mensuration  ;  mais  là  où 
les  pluies  ont  été   mesurées,  on   relève   3    millimètres  le 
^'mars,  6  millim.  3  le  2,  derechef  1  millim.  9  le  2;  3  mil- 
lim.  6  le  3  mars  et  derechef  1  millim.  9  et  1  millim.  8  le 
même  jour;  4  millim.  2  le  8  mars;  4  millimètres  le  20  avril  ; 
7  millim.  7  le  2  mai  ;  ce  sont  là   des  pluies  notables,  et 
elles  se  produisent  aux  diverses  étapes  du  voyage.  Le  total 
des  seules  pluies  mesurées  en  cette  courte  excursion  est  de 
33  millim.  7  en  cinq  jours;  ce  n'est  nullement  insigniflant, 
d'autant  que  les  pluies  non  mesurées  et  dont  quelques-unes 
ont  été  déclarées  «  fortes  i»  ou  «  battantes  »  doivent  sensi- 
blement relever  le  total  et  peut-être  le  doubler.  Il  s'agit  là 
d'une  excursion  de  moins  de  trois  mois,  au  printemps,  il  est 
vrai  ;  mais  il  y  a,  comme  on  le  verra  plus  loin,  d'autres 
saisons  de  pluie  au  Sahara.  On  peut  considérer  que  dans 
maintes  parties  de  cette  immensité  la  pluie  atteint,  si  elle 
ne  la  dépasse  pas,  une  moyenne  annuelle  de  8  à  10  centi- 
mètres; or,  si  ce  n'est  là  que  le  cinquième  des  pluies  du 
bassin  de   Paris,  cela  ne  s'éloigne  guère  des  pluies   habi- 
tuelles des  oasis  sud-algériennes  et  sud-tunisiennes  (1),  et 
si  Ton  tient  compte  de  Ténormité  des  cuvettes  de  réception 
où  se  trouvent  les  dépressions,  on  peut  conclure  qu'une 
fraction  très  appréciable  du  Sahara  pourra  se  prêter  à  la 
culture  quand  les  procédés  modernes  pour  la  recherche  et 
Tulilisation  des  eaux  y  auront  été  introduits  et  que  la  sécurité 
y  sera  garantie.   Ce  rapport  météorologique  de  l'ingénieur 
Béringer  est  absolument  décisif  et  prouve  que  la  pluie  est 

(t)  La  moyenne  annucHc  îles  pluies  (jui  tombent  dans  la  belle  oasis  sud- 
tunisienne  de  Tozeur,  observée  sur  les  quatre  années  consécutives  189T-1U00. 
«'>l  (le  5o  millimètres,  à  savoir  :  53  millimètres  en  1807,  51  en  1898,  58  en  180î> 
•l  58  en  1900.  Voir  le  document  intitulé  :  Régence  de  Tunis;  Bulletin  de  la 
fUrection  de  V Agriculture  et  du  Commerce.  Publication  trimestrielle.  Tunis, 
janvier  1903,  page  133.  Plus  loin,  il  est  vrai,  ce  même  document  (pago  13i)  parle 
<!«'  liT  millimètres  pour  l'oasis  de  Tozeur  et  de  1 13  millimètres  pour  la  très  belle 
oasis  de  Nefla  ;  mais  ces  chiffres  n'infirment  pas  les  relevés  positifs  des  quatre 
anni'es  1897-1900  qui  ne  fournissent  que  la  faible  moyenne  de  55  millimètres. 


ilO     LIi:  SADAUA,  LE  SOUDAN   ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TKANSSAllAKIbV. 

assez  frcquenle  au  Sahara  ;  les  coustalations  des  autres 
voyageurs  sahariens  ou  transsahariens  confirment,  comme 
on  le  verra  plus  loin,  cette  opinion. 

L'idée  qu*on  ne  rencontre  pas  d*eau  visible  au  Sahara,  que 
toute  Teau  se  cache,  est  fort  exagérée  ;  certainement,  à  cause 
de  la  nature  du  sol  et  de  l'activité  de  l'évaporation,  la  géné- 
ralité des  eaux  sont  souterraines  ;   mais  il  s'en    rencontra 
aussi  à    ciel    ouvert;   le  16   mars,  un  peu    au-dessus    ihi 
30''  degré,  le  journal  de  route  de  la  mission  s'exprime  ainsi  : 
«  Aïn  Taïba  (la  bonne  source)  est   une  mare  circulaire  de 
100  mètres  de  diamètre  au  fond  d'un  cratère  d'effondremeni 
à  pentes   de  30  à  35  degrés   dont  la  profondeur  jusqu'au 
niveau  de  l'eau  est  de  15  mèlres...  Ces  eaux  sont  très  peu 
chargées  de  sels  alcalins  et,  sans  les  débris  organiques  qui 
s'y  trouvent  accidentellement,  elles  seraient  de  tout  poinl 
excellentes  et  très  pures.  Au  centre,  la  profondeur  de  la  man» 
estde  5  mèlres  (1).  »  Une  mare  de  100  mètres  de  diamètre 
et  de  5  mètres  de  profondeur  n'est,  certes,  pas  un  point  d'eau 
insignifiant.  En  voici  un  bien  plus  considérable,  tout  à  fail 
en  plein  Sahara  central,  au-dessous  du  26"  degré  et  demi,  le 
lacMenkhough;  le  journal  de  la  première  mission  Flatters  en 
parle  ainsi  :  «  Arrivée  à  11  h.  30  au  lac  Menkhough.  Campr 
au  bord  du  lac.  Ce  lac,  de  forme  allongée  dans  la  direction 
sud-est-nord-ouest,  est  une  étendue  d'eau  qui  équivaudrail 
à  un  carré  d'environ  500  mètres  de  côté.  Il  forme  comme  un 
cratère  d'effondrement  dans  les  dunes  avec  communication 
à  l'intérieur,  côté  ouest,  l'oued  Tedjoujelt.  Il  est  parfois  très 
bas  ;  il  a  été  presque  à  sec  pendant  quelques  années  ;  il  s'est 
rempli  de  nouveau  l'an  dernier.  Il  paraît  alimenté  par  de  s 
sources  qui  sont  à  peu  près   au  centre.  Un  sondage  opér** 
vers  ce  point  lui  donne  8  mètres  de  profondeur  ;  d'autres 
sondages  donnent  5  mètres,  d'autres  3  mètres.  Des  arbres 
élevés,  tamarins  et  gommiers,  plongeant  à  demi  dans  l'eau, 
indiquent  les  bords  des  eaux  basses  à  environ  50  à  60  mètres 

(1|  homrnenls  relatifs  à  In  mission  dirigée  nu  sutf  de  V Algérie,  pago»  32  et  «^. 


PREMIÈRE  MISSION  FLATTKHS  :  PLUIES  ET  POINTS  D'EAU  AU  SAIIAKA.      1 1 1 

des  bords  actuels.  Eau  douce  excellente.  Poissons  énormes 
à  chair  très  bonne  (Clarias  lazera).  Oiseaux  aquatiques, 
entre  autres  le  djaïs(?),  le  héron,  etc.  (1).  » 

Une  pièce  d'eau  douce  excellente,  correspondant  à  un 
carré  de  500  mètres  de  côté,  soit  de  250000  mètres  de  super- 
ficie, ou  25  hectares,  avec  une  profondeur  variant  entre 
3  et  8  mètres,  ce  ne  serait  en  aucun  pays  du  monde  un  phé- 
nomène négligeable  ;  à  5  mètres  de  profondeur  moyenne,  la 
masse  d'eau  douce  représenterait  1 250000  mètres  cubes. 
Étant  donné  que,  d'après  l'ingénieur  Duponchel,  il  faut 
500  mètres  cubes  d'eau  pour  alimenter  un  train  de  900  tonnes 
parcourant  3000  kilomètres,  c'est-à-dire  plus  que  toute  la  lar- 
geur du  Sahara,  et  que  deux  trains  transsahariens  par  jour, 
un  dans  chaque  sens,  consommeraient  ainsi  1000  mètres 
cubes  d'eau,  soit,  pour  les  365  jours  de  Tannée,  365000  mètres 
cubes,  il  en  résulte  que  l'eau  qui  existait  dans  le  lac  Men- 
khough,  au  moment  où  la  première  mission  Flatters  le  visita, 
suffirait,  à  elle  seule,  pour  alimenter  d'eau  pendant  plus  de 
trois  années  consécutives  tous  les  trains  du  transsaharien, 
en  admettant  qu'il  y  en  eût  un  quotidien  dans  chaque  sens, 
avec  une  capacité  de  tonnage  utile  de  900  tonnes,  soit  de 
plus  de  650000  tonnes  par  an.  Ce  simple  calcul  suffit  h 
démontrer  le  ridicule  prodigieux  des  badauds  ou  des  étourdis 
qui  craignent  que  les  trains  du  chemin  de  fer  transsaharien 
ne  trouvent  pas  à  s'alimenter  d'eau. 

Et  quand  le  lac  Menkhough  n'offrirait  pas  un  niveau 
constant,  qu'il  baisserait  de  moitié  ou  même  de  plus,  quand 
m(>me  il  tarirait  momentanément  comme  il  est  arrive  à 
quelques  explorateurs  de  le  constater,  en  certaines  années 
ou  en  certaines  saisons,  il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  la 
nappe  d'eau  y  reste  généralement  importante,  comme  en 
témoignent  «  les  poissons  énormes  à  chair  très  bonne  » 
que  la  mission  Flatters  y  a  trouvés.  En  tout  cas,  môme  quand 
l'eau  a  disparu  temporairement  à  la   surface,  il  doit  y  en 

\\)  Documents  relatifs  à  la  missio?i  diriyéeau  sud  de  V Algérie^  pages  60  et  61. 


112     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FEE  TRANSSAHARIE5S. 

rester  sous  le  sol  des  quantités  abondantes  dont  il  serai: 
certainement  facile,  avec  un  peu  d*art,  de  tirer  parti. 

En  dehors  de  ces  dépôts  d  eau  considérables»  on  renconb 
très  souvent  des  mares  ou  rhédirs,  certaines  ayant  des  pois^ 
sons,  ce  qui  témoigne  de  la  permanence»  du  moins  relalivc 
de  ces  eaux.  Le  journal  de  la  mission  Flatters  en  constate  <!' 
place  en  place,  ainsi  avant  d  arriver  au  lac  Menkhougb.  ir 
15  avril  elle  16  avril  :  c  Thalweg  de  Toued  Tedjoujelt  de  mim 
en  mieux  dessiné  par  des  berges  élevées  :  eau  dans  quelques 
trous  ;  trace  de  la  dernière  crue  ;  arbres  magnifiques  :  iie!. 
terfa,  gommiers.  A  5  kilomètres,  deux  puits  comblés,  ina.> 
facilement  réparables  ;  on  ne  les  répare  que  lorsque  les  rhédin 
sont  à  sec  (1)  »  ;  et  le  18  avril,  après  avoir  quitté  le  lac  Meri- 
khough  et  déjà  à  une  certaine  distance  de  ce  lac  :  «  Noni 
breux  rhédirs  avec  eau  et  poissons;  Thiver  dernier  la  hau- 
teur d*eau  était  de  2  à  3  mètres,  et  de  4  à  5  mètres  pendac; 
quatre  jours  et  quatre  nuits  l'avant-dernier  hiver...  En  plu- 
sieurs endroits  on  ne  peut  suivre  le  thalweg  sans  risquer  de 
s  enfoncer  dans  le  sable  humide  (2).  » 

L'ingénieur  Béringer,  membre  de  la  mission,  mais  qo: 
s'en  est  détaché  pour  faire  quelques  pointes  latérales,  s'ex- 
prime ainsi  à  son  tour  dans  son  propre  rapport,  à  proposa 
TouedTedjoudjell,  dans  la  même  région  du  Sahara  cenlral: 
€  Le  fond  du  ravin  est  sableux.  On  y  distingue  générale- 
ment deux  thalwegs,  entre  lesquels  s*est  accumulé  un  bour-j 
relet  de  sable  (in  de  2  à  3  mètres  de  hauteur  couvert  de  beauï 
bouquets  de  tamarins  et  de  pâturages.  Souvent  des  flaques 
d'eau  de  quelques  mètres  d'étendue  forment,  près  desgro> 
rochers  qui  émergent  par  place  de  la  couche  d'alluvion,  de* 
rhédirs  limpides,  dans  plusieurs  desquels  nous  avons  vi 
des  poissons  d'une  dizaine  de  centimètres  de  longueur.  Des 
coquillages  d'eau  douce  se  rencontrent  dans  le  sable  que  sil- 
lonnent de  nombreuses  traces  de  mouflons.  Sur  les  bords  d< 
ravin  et  de  la  butte  terreuse  qui  fait  saillie  au  milieu  du  lil 

(l|  Documents  relatifs  à  la  mission  dirigée  au  sud  de  l'Algérie,  page  60. 
(i)Ibid.,  page  61. 


PREMIÈRE  MISSION  FLATTERS  :  PLUIES  ET  POINTS  D'EAU  \U  SAllARV.     113 

les  traces  d'eau  courante  sont  accusées  par  une  laisse  1res 
nette  à  2  ou  3  mètres  au-dessus  du  fond.  Ce  sont  les  eaux  de 
l'hiver  1879-1880  qui  les  ont  produites.  D'après  les  guides,  la 
crue  de  Tannée  précédente  a  atteint  un  niveau  encore  plus 
élevé  :  pendant  quatre  jours  et  quatre  nuits  les  eaux  ont 
coulé,  dans  la  partie  aval  de  Toued,  sur  une  hauteur  de 
4  à  5  mètres  (1).  »  Le  rapport  de  l'ingénieur  Béringer,  mem- 
bre de  la  mission  Flatters,  est  daté  du  5  octobre  1880;  il  cons- 
tate des  pluies  très  abondantes  pendant  tout  au  moins  deux 
années  consécutives,  et  des  flaques  d'eau  nombreuses,  mares 
{rhédirs)^  qui  doivent  être  à  peu  près  permanentes  puisqu^il 
s'y  trouve  des  poissons  d'une  dizaine  de  centimètres  de 
longueur. 

Il  en  est  de  môme  de  la  vallée  des  Ighargharen,  toujours 
en  plein  Sahara  central  :  «  Les  points  d'eau  sont  assez  nom- 
breux »,  dit  M.  Béringer,  et  il  décrit,  5  son  tour,  comme  étant 
le  principal  d'entre  eux,  mais  non  le  seul,  le  lac  Menkhough, 
auquel  il  attribue  «  303  mètres  environ  de  large  sur  1  kilo- 
mètre de  long  et  une  profondeur  atteignant  8  mètres  ».  Ces 
dimensions,  qui  correspondraient  à  300000  mètres  carrés  ou 
30  hectares,  dépassent  un  peu  celles  données  plus  haut  d'après 
Flatters  (Voy.  page  110)  et  qui  ne  vont  qu'à  250000  mètres 
carrés  ou  25  hectares.  M.  Béringer  ajoute  :  «  D'autres  petits 
lacs,  mais  tout  h  fait  temporaires,  se  rencontrent  dans  la 
moitié  amont  de  la  vallée.  Ce  sont  des  rhédirs,  flaques  d'eau 
de  peu  de  profondeur,  qui  conservent  l'eau  de  pluie  pendant 
plusieurs  mois,  quelquefois  une  année  (2)  ».  Il  est  clair  que, 
dans  ce  dernier  cas,  ces  rhèdirs  ou  mares  ont  des  chances 
d'être  permanentes. 

Si  la  mission  dans  son  exploration  de  moins  de  trois  mois 
a  constaté  des  eaux  superficielles,  parfois  assez  importantes., 
en  plein  Sahara,  les  renseignements  précis  qu'elle  a  recueillis 
et  qui  paraissent  dignes  de  foi  témoignent  que,  tout  en  étant 
exceptionnelles,  ces  eaux  superficielles  ne  sont  pas  tout  à  fait 

(1»  Uocumenis  relatifs  à  la  niissiuii  dirujée  au  sud  de  l'Alf/érie,  pages  8i  et  85. 
(il  lôid.,  page  86. 

8 


if4      LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIEN^. 

rares.  Ainsi  Flatlers,  clans  son  Journal  de  roule,  décrit  ains. 
d'après  les  renseignements  indiqués,  la  ligne  d'El-Biodha 
Hoggar  :  «  D*El-Biodh  au  Hoggar,  en  terrain  hamad 
(Voy.  plus  haut,  page  92),  plat  et  facile,  par  continuation  d 
la  direction  du  gassi  (Voy.  plus  haut,  page  99)  de  Mokhanz^ 
dix  jours  de  méhari,  soit  à  50  kilomètres  par  jour,  savoir 
premier  jour,  d'El-Biodh,  couché  dans  la  hamada,  peu  d'eaa. 
deuxième  jour,  mechra  (cuvette),  Aguelman  en  targui, 
cuvette  qui  tient  Teau  pendant  deux  ans  quand  il  a  plu  abon- 
damment; troisième  jour,  foum  (bouche,  entrée)  Amguid. 
pas  d'eau  ;  à  droite  une  dune,  à  gauche  une  montagne  ;  pente 
peu  sensible;  quatrième  jour,  Amguid,  source  permanentr 
dans  un  oued;  cinquième  jour,  hamada  en  deçà  de  i'ouec 
Gharis;  pas  d'eau;  pentes  peu  sensibles;  sixième  jour, 
l'oued  Gharis,  puits  très  large  et  très  peu  profond  ;  Teau 
presque  à  fleur  de  terre,  au  pied  d'une  sorte  de  mur  de 
rochers  élevés;  eau  très  abondante;  nombreux  lolh  (goni- 
miers)  aux  alentours.  La  tète  de  l'oued  Gharis  n'est  séparée 
de  celle  de  l'oued  Tighidjest,qui  va  au  sud-ouest,  que  par  uq 
coudiat  ou  colline  ;  l'oued  Tighidjest  a  sept  sources  abon- 
dantes et  un  peu  d'eau  courante,  mais  rapidement  absorbée 
à  quelque  dislance  ;  septième  jour,  tête  nord  du  Tifidesl  ou 
mont  Oudan  de  la  carte  Duveyrier;  eau  abondante  dans  un 
ruisseau  permanent;  cultures  des  touareg  Hoggar;  huitiènie 
jour,  un  peu  en  deçà  de  Tinnakourat,  pas  d'eau  ;  mais  à  peu 
de  distance  on  trouve  l'eau  partout  dans  des  sources  et  desi 
ruisseaux  permanents;  neuvième  jour,  Tikhsi,  source  et 
ruisseau,  eau  très  abondante.  Idelès  est  à  deux  jours  de 
Tikhsi  ;  on  y  arrive  en  suivant  un  oued  permanent  et  en  ren- 
contrant en  outre  de  très  nombreuses  sources  (1).  »  Ce  sort 
là  des  renseignements  indigènes;  mais  ils  ont  été  contrôlêi 
en  grande  partie  depuis,  soit  par  Flatters  jusqu'à  AmguiJ 
dans  son  second  voyage,  soit  par  le  lieutenant  Cottenest  dans 
un  raid  qu'il  a  fait  au  Hoggar  en  1902  et  par  le  lieutenaDti 

(1)  Documents  relatifs  à  la  mission  dirigée  au  sud  de  VAlgérie^  pages  47  vi  »', 


:MIÈRE  mission  FLATTERS  :  pluies  et  points  D'EAU  AU  SAHARA.    115 

ssel  dans  un  autre  raid,  au  cours  de  Télé  de  1903.  Nous 
rierons  plus  loin  de  ces  deux  raids  intéressants  et  des 
islatalions  qui  y  ont  été  faites. 

La  présence  d*eaux  superflcielles  au  Sahara  est  constatée 
r  tous  les  explorateurs  ;  les  rhédirs  ou  mares,  dont  cer- 
ns  sont  temporaires,  mais  dont  d'autres  sont  perma- 
tits,  ont  été  rencontrés  tout  aussi  bien  par  la  seconde 
ssionFlatters,  la  mission  Foureau, ainsi  qu'il  sera  démon- 
i  plus  loin,  et  par  toutes  les  diverses  et  nombreuses 
plorations  des  vingt-cinq  dernières  années,  ainsi  que  par 
lie  fort  antérieure,  plus  prolongée,  plus  détaillée  et  plus 
ientifique  de  Barth.  Toutes  ces  observations  ont,  en  diffé- 
nls  parcours  et  différentes  saisons,  relevé  la  présence 
oueds  où  Teau  coulait  à  ciel  ouvert. 

Néanmoins,  à  cause   de  la  nature  perméable  des  terrains 

une  grande  partie  du  Sahara  et  de  la  force  d'évaporation, 

plupart  des  eaux  sont  souterraines.   Celles-ci   sont  très 

)mbreuses.    De  temps   en    temps,    il  faut  faire  plusieurs 

apes,  trois  ou  quatre,  parfois  cinq  à  six,  sans  eau  ;  ainsi,  le 

mrnal  de  route  de  la  première   mission  Flalters   note  à 

in  Taïba,  le  18  mars,  que  Ton  ne  doit  pas  compter  sur  de 

îau  jusqu'à  El-Biodh,  où  elle  arrive  le  24  mars.  Mais  rien 

5  prouve  que  Ton  ne  pût  s'en  procurer  avec  quelques  recher- 

les  ou  quelques  travaux.  Les  caravanes  et  les  explorateurs 

ont  le  temps  de  faire  ni  les  uns  ni  les  autres  et  doivent  s'en 

nir  aux  ressources   connues.  Celles-ci    sont  assez  nom- 

euses  et  ne  laissent  jamais  longtemps  une  caravane,  même 

!  centaines  ou  de  milliers  de  chameaux,  dans  l'impossibilité 

)  s'abreuver.  Suivons  à  ce  point  de  vue  la  première  rnis- 

an  Flatters.  Outre  les  rhédirs  ou  lacs  dont  nous  avons 

ijà  parlé,  tels  que  ceux  d'Aïn  Taïba  et  du  lac  Menkhough, 

le  constate  en  nombre  de  places  des  eaux  abondantes  et 

ines.  On  se  rappelle  que   la  mission  a  quitté  Ouargla  le 

naars  dans  l'après-midi;  le  7  mars  «  Hassi  Smihri,  où  il  y  a 

t l'eau;  puils  de  7  m.  50,  eau  médiocre  »  ;  mais  le  9  mars 

le  puits  de  Medjira  a  de  l'eau  assez  bonne  et  en  abondance; 


416  LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIENS 

profondeur  7  m.  50  ».  Le  11  mars  à  Medjira  :  «  Le  puits  r 
Smèlres  de  profondeur;  eau  abondante,  bonne,à  18  degrés  (  1 1 • 
On  fait  des  étapes  où  Teau  est  soit  plus  rare,  soit  de  qualil^ 
médiocre;  mais  le  plus  souvent  cela  paraît  tenir  au  manqua 
de  soin  ;  il  y  a  des  puits  morts  faute  d'entretien  ou  deseain 
souillées  et  gâtées  par  des  déjections  et  des  débris  organi- 
ques :  le  6  mars  «  Hassi  Terfaïa  est  un  puits  comblé  depuis 
sept  ans».  La  situation,  cependant,  de  ce  point  d'eau  parais- 
sait bonne  :  «  Hassi  Terfaïa  est  dans  une  sorte  de  cirque  ou 
d*assiette....   eau  dans  Hassibou  Rouba  qui  est  à  enviroD 
10  kilomètres d'Hassi  Terfaïa,  en  ligne  droite  »  ;  le  16  mars. 
Aïn  Taïba,  la   grande  nappe   d'eau  de  100  mètres  de  dia- 
mètre, dont  il  a  été  question  plus  haut  (page  1 10);  eau  excel- 
lente,  sauf  les  débris  organiques  qu'y  laisse  l'incurie  des 
nomades  (1)  ;  le  24  mars  :  «  Nous  arrivons  aux  bas-fonds  des 
puits  d'El-Biodli  ».  Ici  tout  le  passage  est  à  reproduire: 
«  Ces  puits  sont  dans  le  sable  et  par  conséquent  le  plus  sou- 
vent comblés  quand  il  y  a  quelque  temps  que  les  gens  y  soni 
passés  pour  y  chercher  de  l'eau.  11  suffit  de  creuser  à  60  cen- 
timètres pour    atteindre  la  nappe,  qui  est  fort  abondante. 
Beaucoup    de    gens    creusent  avec  un    bâton   et  avec  lo> 
mains,    et  cela  suffit  parfaitement.    Nous  faisons  faire    une 
tranchée   pour    abreuver  les  chameaux    et    quelques  pui  j 
sards    pour  les  gens   et   pour  la   provision   d'eau.    L'eau 
est    claire,   mais  amère  et  saumâtre  ;    elle  marque    entre  i 
1,0025    et  1,0045  au   densimètre    et  constitue  un  purgatif! 
énergique.  Il   faut  remarquer,  toutefois,  que,  dans  certains' 
endroits  du  fond  d'El-Biodh,  où  il  n'y  a  pas  de  débris  vég*'*-| 
taux  enterrés,  l'eau  est  un  peu  moins  mauvaise  que  tout  à 
côté,  là  où,  en  creusant,  on  trouve  des  mottes  de  sable  noi 
râtre  ;   mais  les  indigènes  ne  se  préoccupent  guère  de  cette 
distinction.   Pour  retenir  le  sable  pendant  qu'ils  font  boire 
leurs  chameaux,   ils   mettent  souvent  une  jonchée  de  dria 
(plante  saharienne)  qui  s'enterre  après  leur  départ  et  pulréfifl 

(1)  Documents  relatifs  à  la  mission  divigt'e  au  sud  de  l'Alc/érie^  pages  17.  lî), 
22,  24,  32. 


PREMIÈRE  MlSSIOiN  FUTTERS  :  PLUIES  ET  POINTS  D'EAU  AU  SAHARA.    117 

l'eau.  Cela  ne  les  empêche  pas  de  revenir  plus  lard  au  môme 
point  pour  creuser  à  Tendroit  môme  où  ils  se  rappellent 
avoir  mis  le  drin  (1).  »  Ainsi  tout  annonce  qu'il  se  trouve  à 
El-Biodh  une  quantité  d'eau  considérable  ;  si  elle  est  de  mé- 
diocre qualité,  la  cause  paraît  en  être  surtout  les  débris 
végétaux  dont  les  indigènes  l'encombrent.  Le  27  mars,  le 
Journal  de  roule  constate  un  rhédir  ou  mare  où  se  trouve 
(le  Teau;  le  28  également;  le  29  mars,  arrivée  à  lazaouïa  de 
Timassinin,  qui  a  un  jardin  divisé  en  compartiments,  une 
Kouba  (tombeau  du  marabout  Sidi  Moussa),  une  maison  de 
gardien,  une  plantation  de  palmiers,  des  figuiers  et  un  puits 
artésien  :  «  A  son  angle  nord-ouest  (du  jardin)  est  un  puits 
artésien  de  12  mètres  de  profondeur,  donnant  de  Teau  excel- 
lente, mais  en  quantité  restreinte;  il  gagnerait  sans  doute  à 
tHre  curé  ;  mais  les  Touareg  n'y  songent  guère.  A  environ 
')  kilomètres  à  Test,  dans  la  dune,  sont  deux  puits  de 
1  m.  50  de  profondeur,  abondants,  entourés  d'une  cinquan- 
taine de  palmiers.  Il  est  vraisemblable  du  reste  que,  si  l'on 
creusait  dans  le  fond  du  Djoua  et  dans  la  dune,  on  trouverait 
presque  partout,  à  peu  de  profondeur,  beaucoup  d'eau  de 
bonne  qualité  (2).  »  Voilà  donc  un  autre  point  d'eau  très  im- 
portant et  d'eau  excellente;  nous  parlerons  plus  loin  davan- 
tage de  cette  très  belle  position  de  Timassinin,  à  propos  de 
la  mission  Foureau  qui  s'y  est  arrêtée. 

La  première  mission  Flatters  séjourne  plusieurs  journées 
à  cette  zaouïa,  puis  elle  en  part  le  1"  avril.  Elle  passe  le  4  à 
travers  un  gassi  :  «  Nous  trouvons  une  petite  source  comblée, 
près  de  laquelle  sont  quelques  tombeaux  touareg;  en  dé- 
blayant à  un  mètre,  on  peut  avoir  de  l'eau,  mais  la  terre  qui  a 
comblé  la  source  est  noire  de  débris  végétaux.  Cette  source 
est  celle  de  Touskirin.  »  Le  même  jour  la  mission  arrive  à 
Ain  Tebalbalet  :  «  Source  abondante  dans  un  puits  de 
1  m..30;  eau  excellente.  Quelques  constructions  en  enceintes 
Je  mur  en  ruine  sont  autour  de  la  source  ;  il  y  a  des  traces  de 

il»  Ifocumenls  relatifs  à  la  mission  dirigée  au  sud  de  l'Algérie,  page  40. 
'-)  laid.,  pages  i5  cl  40. 


418      LE  SAHAR\,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIE^^ 

quelques  carrés  de  cultures  abandonnées  depuis  Ionglemp> 
deux  palmiers  et  un  grand  gommier  signalent  la  source  &. 
loin.  »  Le  5  avril,  on  rencontre  «  des  fonds  de  datas  ou  ca- 
vités; par  places,  dans  plusieurs  de  ces  daïas,  le  sol  »■? 
encore  humide  de  Teau  qui  y  a  séjourné  depuis  peu:  lui 
d'elles  est  encore  remplie  d'eau  »  ;  le  6  avril  :  «  Aïn  el-Ha 
jadj,  source  des  gens  du  Touat  qui  vont  en  pèlerinage  à  b 
Mecque  et  qui  y  font  étape  chaque  année,  allant  vers  Tripo: 
et  rÉgypte...  Lepuits  au  fond  duquel  est  la  source  a  4  mètre- 
de  profondeur  jusqu'à  la  surface  de  l'eau  et  est  revêtu  n 
pierres;  mais  en  ce  moment  il  est  complètement  comblé pr 
le  sable,  et  nous  avons  à  le  déblayer;  il  donne  une  eau  mi^ 
diocrement  abondante,  à  peine  500  litres  à  l'heure,  maisi 
très  bonne  qualité.  C'est  une  longue  opération  que  de  fair^ 
boire  une  caravane  un  peu  nombreuse  (1).  »  Ce  passage  es! 
doublement  intéressant,  d'un  côté  en  signalant  de  nouveau 
rincurie  des  indigènes  à  l'égard  des  puits,  d'un  autre  c6i*^ 
parce  qu'il  témoigne  qu'un  puils  au  débit  de  500  litres  à 
l'heure,  soit  8  litres  par  minute,  est  regardé  au  Sahara  comme 
médiocre  ou  insuffisant.  Que  des  puits  si  mal  entretenus  el 
l'objet  tout  au  plus,  au  passage  d'une  caravane,  d'un  curag? 
provisoire  donnent  une  modique  quantité  d'eau,  cela  ne  té- 
moigne aucunement  que  ce  débit  modeste  représente  la  toU- 
lilé  des  ressources  de  la  contrée.  Le  12  avril  :  «  Arrivée  à 
l'oued  Ihan...  A  5  kilomètres  à  l'ouest,  au  pied  de  la  mon- 
tagne, est  un  rhédir  (mare)  où  se  trouve  de  l'eau  ».  l' 
13  avril,  «  campé  dans  la  daïa  Tibabili,  près  d'un  rhédir  où  il 
y  a  assez  d'eau  ».  Le  15  avril,  on  arrive  à  Toued  ïedjoujelt 
«  eau  dans  plusieurs  dépressions  du  lit  »;  enfin,  le  16  avri. 
arrivée  au  lac  Menkhough,  grand  réservoir  d'eau  (Voy.  plus 
haut,  pages  110  et  113)  (2). 

C'est  là  le  terme  de  la  première  mission  Flatters;  ellf' 
revient  ensuite  sur  ses  pas;  on  voit  que  sur  tout  ce  pa'* 


(\)  Documents  relalifs  à  la  mission    dirigée  au  sud  de  V Algérie,  page>  "^ 
51,  53. 

(2)  Ibid.,  pages  58,  59.  60. 


PREMIÈRE  MISSION  FLATTERS  :  PLUIES  ET  POINTS  D'EAU  AU  SADARA.     H» 

cours,  depuis  Ouargla,  du  32*^  degré  de  latitude  au  26*  et 
demi,  elle  a  toujours  rencontré  de  Teau,  soit  coulant  ou 
stagnant  à  fleur  de  terre,  soit  souterraine,  à  peu  de 
profondeur,  souvent  dans  Tun  et  Tautre  cas  très  abondante, 
toujours  buvable  et  parfois  excellente  ;  là  où  elle  est  mauvaise, 
rinvasion  soit  de  débris  de  végétaux,  soit  de  déjections  d'ani- 
maux en  est  le  plus  souvent  la  cause.  En  plus  des  exemples 
cités  plus  haut  et  qui  sont  empruntés  au  Journal  de  route 
du  colonel  Flatters,  en  voici  un  autre  tiré  du  journal  du  ca- 
pitaine Bernard,  membre  de  la  mission,  qui  fît,  au  retour, 
une  reconnaissance  latérale  d'une  autre  route  d'El-Biodh  à 
Ouargla;  il  atteint  le  4  mai  un  point  appelé  Mokhanza  et 
s'exprime  ainsi:  «  Nous  prenons,  à  gauche  de  la  dune  qui  est 
devant  nous,  une  sorte  de  petit  gFa5s/(  Voy.  plus  haut,  page  99) 
qui  nous  conduit,  vers  une  heure,  dans  une  plaine  de  reg 
(V'oy.  plus  haut,  page  97)  où  se  voit,  sur  la  gauche,  à  1  kilo- 
mètre, une  sorte  d'entonnoir  de  150  mètres  de  large  et  de 
15  à  20  mètres  de  profondeur,  tout  à  fait  pareil  à  celui  d'Aïn 
Taïba  (Voy.  plus  haut,  page  110);  il  n'y  a  pas  d'eau;  on  le 
nomme  Mokhanza-el-Kédima  (ancien).  Nous  reprenons  notre 
marche  nord  sur  la  dune  qui  est  devant  nous  et  qui  est  le 
Ghourd  Mokhanza  ;  nous  le  contournons  et,  après  trois  quarts 
d'heure  de  marche  environ,  nous  sommes  devant  un  deuxième 
entonnoir  de  mêmes  dimensions  que  le  premier  et  au  fond 
duquel  se  trouve  un  puits  :  c'est  Aïn  Mokhanza-el-Djedida 
(nouveau).  Le  puits  a  les  dimensions  et  les  formes  données 
par  le  croquis  ci-après.  L'eau  est  fétide  [mokhanza  veut  dire 
fétide,  pourri);  elle  répand  une  odeur  sulfureuse  très  pro- 
noncée ;  sa  température  est  de24''.  Elle  est  abondante  et  claire; 
si  on  la  laisse  à  Tair  quelques  heures,  elle  perd  complète- 
ment son  mauvais  goût  et  sa  mauvaise  odeur  et  est  alors 
très  bonne  à  boire.  Il  y  a  environ  20  à  25  centimètres  d'eau  ; 
elle  est  rendue  fétide  par  toutes  les  immondices  qui  y  tombent 
quand  des  campements  sont  établis  aux  environs  ;  ils  doivent 
être  très  nombreux  à  certains  moments.  »  Les  puits  d'ail- 
leurs abondent  dans  celte  région  qu'a  visitée  le  capitaine 


120     Lfi  SAIIAHA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSÀHAR1E^ 

lîcrnard;  le  10  mai,  son  journal  noie  :  «  A  12  h.  50  no> 
descendons  dans  un  grand  fedj  appelé  Fedj-el-Mzabi,  q:- 
ïious  suivons  un  certain  temps;  vers  2  h.  10,  nous  laissons  • 
d  roi  le,  à  2  ou  3  kilomètres,  un  puits  mort,  à  côté  d'un-î 
touffe  de  larfa  (tamarin),  il  se  nomme  le  Hassi  {1)  Humeïai 
A  2  h.  20,  on  nous  signale  au  nord-ouest-nord  le  Ghoun 
beh-Seroual  h  9  kilomètres  environ  ;  il  y  a  un  puits  de  bonr^r 
eau  au  sud  de  ce  ghourd;  à  Touest-sud  le  Ghourd-el-Bio<ii 
avec  un  puils  de  mauvaise  eau  salée,  et,  un  peu  au  sud  dec 
dernier,  le  Hassi-ben-Ghezel,  puits  de  bonne  eau.  »  Le  len- 
demain 11  mai  :  «  Départ  à  4  h.  50;  nous  marchons  dans  h 
nebka  ( Voy.  plus  haut,  page  97)  jusque  vers  6  heures.  Nous 
avons  à  notre  nord  le  Hassi-el-Achïya  au  pied  d'une  gara 
(Voy.  plus  haut,  page  96)  assez  élevée  dite  Garet-Djebbana. 
qui  est  à  7  ou  8  kilomètres.  A  7  h.  10  nous  sommes  dans  m 
fond  sablonneux  où  apparaît  parfois  le  gypse  qui  seprolong'- 
h  droite  et  à  gauche.  Devant  nous,  elle  est  fermée  par  une 
ligne  de  gour  de  15  à  20  mètres  :  le  puits  Hassi-Teboub  est  au 
milieu,  l'eau  y  est  bonne  et  abondante.  Nous  restons  à  Ilassi- 
Teboubde  7  h.  10  à  2  h.  15  pour  y  faire  pûturer  et  boire  les 
chameaux....  A  3  h.  20  on  nous  signale  au  sud-ouest  le 
Hassi  Mohammed-ben-Kzarbel,  sans  eau.  A  côté,  le  Hassi- 
cl-Guettar,  puits  d'excellente  eau,  au  dire  des  indigènes  (?i  " 
Ce  journal  du  capitaine  Bernard,  sur  une  petite  exploration 
latérale,  se  joignant  à  celui  du  colonel  Flatters,  le  confirme, 
de  même  qu*il  sera  confirmé,  à  son  tour,  on  le  verra  plus 
loin,  par  toutes  les  explorations  ultérieures.  Mokhanza,  dont 
il  est  question  ici,  est  aux  environs  du  3P  degré,  un  degiv 
approximativement  au  sudd'Ouargla.  Les  puits  vivants  sont 
nombreux,  parfois  abondants,  dans  la  plupart  des  cas  le 
débit  pourrait  en  être  accru;  les  puits  comblés  pourraient,  si 
Ton  s'y  appliquait,  être  curés  et  entretenus;  les  puits  morts, 
dans    beaucoup    de    cas,     pourraient   être    revivifiés;    le> 


(1)  Nous  rappelons  (|ue  hassi  veut  dire  «  puils  ». 

(2)  Documents  relatifs  à  la   mission  dirigée  an  sud  de  /M/r/eWe,  pages  ' 
ot  77. 


Pa  E3IIÈRE  MISSION  FLATTERS:  PLUIES  ET  POINTS  D'EAU  AU  SAHARA.     121 

pu  ils  félidés,  assainis.  Bref,  le  Sahara  est  une  immense  ré- 
j^rion  où  les  ressources  en  eaux  superficielles  ou  souterraines 
îsont  assez  étendues;  mais  il  est  probable  que  le  dixième  de 
ces  ressources  n'est  ni  connu,  ni  entretenu,  ni  utilisé. 


CHAPITRE  IV 
La  première  mission  Flatters   {Suile).  —   La   végétation 

HERBACÉE  ET  ARBUSTIVE  Ç)U'eLLE  A  CONSTATÉE  AU  SaIIARA. 

Grande  variété  des  plantes  au  Sahara.  La  plupart  sont  fourragères.  Ênum" 
ration  des  plus  répandues  d'<»ntre  elles.  —  «  Véritable  prairie  ».  —  La  faun' 
du  Sahara  d'après  la  première  mission  Flatters. 

Le  bois  et  les  arbres.  — Les  principales  essences  arbustives.  Débris  nombreux  •! 
possibilités  de  palmeraies.  —  Les  gommiers.  —  Les  itels.  —  Arbres  «  f'»noriiie*  ■ 

L'insécurité  est  cause  que  les  cultures  ne  sont  pas  plus  nombreuses. 

Autres  renseignements  sur  la  faune.  —  Troupeaux  de  chèvres.  —  Animaux  vai k  ^ 

Les  ressources  du  Sahara  en  plantes  frappent  plus  le  regard 
que  les  ressources  en  eau.  La  prétendue  stérilité  absolue  du 
Sahara  est  une  légende  qu'il  est  facile  et  nécessaire  de  détruire. 
Même  des  hommes  instruits  ont  partagé  sur  ce  point  Topinion 
commune.  Un  naturaliste  russe,  qui  avait  beaucoup  étudié  le 
Turkestan  et  qui  visita  ensuite  l'Algérie,  sur  laquelle  il  écrivit 
un  livre  fort  intéressant,  M.  deTchîhatchef(l),  pensait  avoir 
trouvé  une  plante  qui  pourrait  prospérer  au  Sahara.  L'expé- 
rience a  montré  qu'il  n'est  nul  besoin  d'une  semblable  dé- 
couverte; dès  maintenant,  sur  la  plus  grande  partie  de  sa 
surface,  cette  immensité,  proclamée  désertique,  jouit  d'une 
végétation  aàsez  variée  et  parfois  fort  abondante.  Elle  con- 
tient de  nombreux  pacages  et  des  bois.  Sans  doute,  la  ha- 
mada,  plateau  pierreux  (Voy.  plus  haut,  page  92)  est  d'une 
grande  aridité;  mais  elle  est  le  plus  souvent  entrecoupée  par 
des  terrains  d'autre  nature,  des  oueds  où  la  végétation  abonde; 
quant  au  reg,  à  la  nebka  (Voy.  plus  haut,  page  97),  à  plus  forte 
raison  aux  dunes  ou  aux  divers  terrains  mixtes,  ils  offrent 
des  plantes  nombreuses  et  utiles,  des  arbustes  et  jusqu'à  des 
arbres,  parfois  de  très  grande  dimension.  Tous  les  explora- 
teurs en  témoignent. 

(l)  Tchihatchef,  Espagne,  Algth-ie  el  Tunisie.  Lettres  à  Michel  Chevalier. 


PREMIÈRE  MISSION   FUTTERS.  —  LA  VÉGÉTATION  SAHARIENNE.      123 

Les  plantes  fourragères  notamment  foisonnent  au  Sahara, 
on  y  en  trouve  plusieurs  dizaines  d  espèces.  A  la  date  du 
6  mars   1880,  le  Journal  de  roule  de   Flatlers,  pendant  sa 
première  mission,  s'exprime  ainsi  :  «  A  Terfaïa,  végétation 
abondante,  excellente  pour  refaire  nos  chameaux  :  damran^ 
drin,  hade,  alenda,  relem^  aria,  guedem  (1)  ».  On  n'est  en- 
core qu'à  deux  journées  au  sud  d'Ouargla,  voilà  sept  plantes 
fourragères  désignées.   Le  19  mars  :   «  Campé  dans  Fedj- 
Beïda,  contre  la  chaîne  des  dunes  à  notre  droite,  où  les  cha- 
meaux trouvent  des  pâturages,  hade^  alenda^  nessi,  un  peu 
de  ghessaL  Ici  le  ghessal  apparaît  pour  la  première  fois  par 
touffes  isolées.  Il  devient  plus  abondant  plus  loin;  les  cha- 
meaux élevés  chez  les  Touareg  le  mangent  volontiers;  les 
autres  le  dédaignent,  et  nous  pouvons  constater  le  fait,  ayant 
chez  nous  des  animaux  de  diverses  provenances  (2).  »  Il  faut 
ici  peser  les  termes;   on  a   dit  souvent  que  les  pâturages 
du  Sahara  n'élaientque  des  broussailles  espacées;  le  passage 
ci-dessus  du   Journal  de  roule  de  Flatlers  contredit  cette 
assertion  :  il  remarque,  en  effet,  que  cette  plante  nouvelle,  le 
ghessaly  «  apparaît  pour  la  première  fois  par  touffes  isolées  »; 
il  ne  ferait  pas  cette  remarque  si  toutes  les  plantes  fourra- 
gères du  Sahara  étaient  dans  ce  cas;  il  ajoute,  d'ailleurs, 
que  le  ghessal  devient  plus  abondant  plus  loin.  Il  y  a  là 
deux  plantes  nouvelles,  en  plus  des  sept  citées  plus  haut,  ce 
qui  porte  le  nombre  à  neuf.  Le  21  mars,  il  note  les  mêmes 
plantes.  Le  23,  n'étant  plus  dans  la  dune,  mais  dans  legassi 
(Voy.  plus  haut,  page  99),  il  dit:    «   Par  places,   sur  notre 
roule,  sont  des  plaques  de  sable  où  s'est  fixée  une  végéta- 
tion assez  abondante:  hade,  nessi  et,  pour  la  première  fois, 
une  plante  qui,  paraît-il,  pousse  en  grande  abondance  dans 
le  pays  des  Touareg.  On  la  désigne  sous  le  nom  assez  gé- 
néral de  chélial  (touffe,  petite  touffe)  à  cause  de  sa  forme  en 
boule  (3).  »  Cette  observation  également  contredit,  ainsi  que 

Ih  Documents  relatifs  à  la  inission  dirigée  au  stul  de  l'Algérie^  page  17. 

(2)  Ibid.,  page  34. 

(3)  Ihid.,  pages  37  et  38. 


124     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAflARlEN?. 

celle  plus  haut  et  d'autres  qu'on  trouvera  plus  loin,  que  ce- 
plantes  fourragères  ne  se  trouvent  au  Sahara  qu'à  l'état  spo- 
radique,  des  unités  isolées,  puisqu'on  a  dû  donner  un  nom 
spécial  à  Tune  d'elles  qui  se  présente  par  petites  touffes.  Le 
nombre  des  plantes  est  porté  à  dix.  Le  lendemain  24  mars, 
entrant  dans  la  sebkha  d'El-Biodh,  le /our/ia/ de  rotf/e  de  Flal- 
tersconstate  que«  les  pâturages  pour  leschameaux  soni  Iré? 
abondants  en  cet  endroit  le  long  de  la  sebkha  (1)  ».  Lt 
27  mars  :  «  La  végétation  est  très  abondante  sur  un  fon*!  de 
sable:  belbel,  damran^  hadjerem,  baguel,  lerfa  moins  abon- 
dant que  dans  la  sebkha  (2)  ».  Il  y  a  là  quatre  plantes  qui  se 
joignent  aux  dix  précédemment  nommées  et  en  portent  le 
nombre  à  quatorze  ;  on  remarquera  que  si,  dans  cet  endroit, 
le  fond  est  de  sable,  il  doit  être  fixé  par  cette  végéta- 
tion. Et  tout  du  long  du  parcours,  sauf  des  interruptions 
passagères,  des  notes  analogues  reviennent,  avec  Tindicalion 
de  plantes  fourragères  nouvelles  ;  ainsi,  le  1"  avril  :  «  végé- 
tation abondante:  aria,  s  far,  halma,  etc.  (3)  »;  en  laissant 
de  côté  l'obscur  quoique  significatif  et  cœiera,  voilà  deux 
plantes  nouvelles  à  joindre  aux  quatorze  dont  il  a  été  question 
plus  haut,  ce  qui  en  élève  le  nombre  à  seize.  Le  4  avril,  en 
voici  une  nouvelle  encore  ;  on  est  près  de  la  source  de  Tous- 
kirin:  c(  Autour  de  la  source  sont  des  bolhimay  sorte  de  jus- 
quiame,commeà  El-Biodh,  del'ar/a  et  des  damran  en  abon- 
dance (4).  »  Nous  voilà  donc  à  dix-sept  plantes  diverses. 
En  voici  d'autres  le  11  avril  :  «  Départ  d'Aïn  el-Hadjadj. 
Gassi  plat,  rcg  avec  quelques  cailloux  ;  végétation  :  aria, 
azal,  tahelna,  plante  nouvelle  (5).  »  Ces  derniers  mots 
sont  du  journal  de  Flatters,  et  comme  nous  n'avions  pas 
déjà  mentionné  l'avant-dernière,  nous  voici  à  la  dix-neu- 
vième. Le  12  avril,  le  Journal  de  route  en  nomme  trois  nou- 
velles  en   spécifiant    pour   Tune   d'elles    celte  nouveauté: 

(Il  Documents  relatifs  à  la  mission  dirifjée  au  sud  de  C Algérie,  page  39. 
\'l)  I/tid.,  patçe  42. 
(|{)  Ibid.,  page  47. 
(4)  I/)id  ,  page  TiO. 
[l))  /Air/.,  page  o(i. 


PREMIÈRE   MISSION  FLATTERS.   —  LA   VÉGÉTATION   SAHARIENNE.      125 

«  boukher  (plante  nouvelle),  dit-il,  naamia  (crucifère),  fossa 
(petite  luzerne),  etc.  (1)  ».  Voilà  donc  en  tout  vingt-deux  va- 
riétés de  plantes  sahariennes  en  dehors  des  essences  arbo- 
rescentes dont  il  sera  question  plus  loin;  ailleurs,  il  est 
question  d'une  autre;  la  plupart  des  vingt-trois  plantes  citées, 
sinon  toutes,  sont  fourragères;  les  plus  importantes  et  les 
plus  répandues  paraissent  être  le  hade,  le  drin,  et  le  nessi 
ou  néci. 

Ces  plantes,  loin  de  se  présenter  toujours,  ainsi  que  le 
croient  certains,  à  Tétai  sporadique,  forment  parfois  de 
véritables  tapis  et  des  prairies  comme  en  France;  le  mot 
n'est  pas  de  nous,  nous  le  trouverons  chçz  plusieurs  explo- 
rateurs et  d'abord  chez  Flatlers.  Le  journal  de  Flatters,  le 
rapport  de  l'ingénieur  Béringer  constatent,  à  chaque  instant, 
des  pâturages  abondants  (2);  si  Ton  en  manque  de  temps 
à  autre,  c'est  exceptionnel. 

Au  lieu  de  notes  sèches  relatant  la  végétation  satisfaisante 
ou    abondante,  le   Journal   de    route   de   Flatters    s'étend 
parfois  un  peu  plus  :  ainsi  le  6  avril,  aux  environs  d'Aïn  el- 
lladjadj  :  «  Passé  dans  un  véritable  bois  de  tolh  (gommiers) 
et  dans  une  sorte  de  vallée  très  riche  en  végétation  :  tama- 
rins, chebreg  (crucifère),  rf/7/i,  ar/a,  bou  rekouba  (graminée). 
Les  Touareg  appellent  ce  lieu  un  jardin,  et  le  fait  est  que 
tout  paraît  y  pousser  merveilleusement;  il  est  rare  de  voir 
au  désert  des  plantes  d'une  aussi  belle  venue  (3).  »  On  peut 
noter  là  deux  plantes  nouvelles,  en  dehors  des  lolh  qui  sont 
des  arbres  et  dont  il  sera  question  plus  loin;  il  faudrait 
joindre  ces  deux    plantes  aux  vingt-deux    énumérées  plus 
haut.  Il  n'est  pas  jusqu'à  la  réserve  terminant  ce  passage 
de  Flatters  qui  ne  soit  instructive;  l'explorateur  dit  qu'  «  il  est 
rare  de  voir  au  désert  des  plantes  d'une  aussi  belle  venue  », 
ce  qui  indique  que  cela  se  rencontre  non  pas  une  fois,   mais 
quelques  fois,  et  que,  d'autre  part,  les  plantes  d'une  moins 

(Il  Documents  relatifs  à  la  mission  dirigée  au  sud  de  V Algérie,  pag€  57. 

(2)  Voy.  notamment,  dans  le  recueil  de  documents  cité,  les  pages  19,  ti,  23, 
30.  34,  35,  38,  39,  40,  42,  45,  51,  52,  54,  57,  58,  60,  75.  84,  85,  86,  99. 

(3)  Ibid,^  page  54  (Voy.  aussi  constatation  analogue,  pages  55,  59). 


126     LE  SAUâRA,  le  SOUDAN  ET  LES  CDEMINS  DE  FER  TRANSSAHAR1£N>. 

belle  venue  y  sont  fréquentes.  Le  7  mai,  au  sud  d'El-Biodh: 
«  Pendant  toute  la  matinée,  nous  marchons  dans  une  véri- 
table prairie  de  néci  vert  en  touffes  peu  serrées  qui  donnenl 
au  gassi  une  teinte  verdâtre  toute  particulière.  Il  y  a  beau- 
coup de  gibier  en  ces  endroits,  surtout  des  antilopes 
oryx(l).  »  On  est  là  au-dessous  du  28"  degréetdcmi,  3  degrés 
et  demi  au  sud  d*Ouargla.  Voici  une  autre  description  se 
rapportant  à  un  degré  plus  bas,  au  27*  degré  et  demi,  par 
conséquent  tout  à  fait  au  Sahara  central,  à  moitié  chemia 
entre  Biskra  et  TAïr  et  à  moitié  route  également,  ou  il  ne 
s'en  faut  guère,  entre  Alger  et  le  lac  Tchad;  cette  descrip- 
tion est  due,  non  plus  à  Flatters,  mais  à  son  compagnon, 
l'ingénieur  des  travaux  publics  Béringer.  «  Entre  le  lac 
Menkhough  et  Toued  Samou,  qui  débouche  un  peu  au  sud 
d'Aïn  el-IIadjadj,  le  paysage  n'est  pas  disgracieux.  Le  thal- 
weg est  dessiné  par  un  petit  ravin  de  3  à  4  mètres  de  pro- 
fondeur dans  les  étranglements,  de  50  centimètres  à  2  mètres 
ailleurs.  Dans  son  lit  et  sur  ses  bords  poussent  des  tamarins 
et  des  gommiers  de  grandes  dimensions  avec  des  broussailles 
d'azel.  De  beaux  pâturages,  des  prés  de  luzerne  et  de  cruci- 
fères se  rencontrent  à  chaque  pas.  Le  mouflon  et  l'onagre 
se  présentent  souvent  à  portée  de  fusil.  Il  en  est  de  même 
des  grues,  des  corbeaux,  des  faucons.  Les  pigeons  surtout 
sont  en  grande  abondance.  Les  Touareg  Azdjer  envoient 
souvent  leurs  troupeaux  de  moutons  et  de  chèvres  en  pâtu- 
rage dans  cette  région.  C'est  leur  refuge  dans  les  périodes 
de  longue  sécheresse.  Des  restes  de  gourbis  se  voient  en 
différents  endroits,  ainsi  que  de  nombreux  cimetières,  témoi- 
gnage des  anciennes  luttes  entre  Touareg  et  Chaamba  (2;.  » 
Ainsi,  sous  la  plume  de  l'ingénieur  Béringer,  le  mot  pré 
apparaît,  de  môme  que  celui  de  prairie^  sous  celle  de  Flat- 
ters; et  que  ces  prés  ou  prairies  soient  différents  de  ceux  ou 
de  celles  de  Normandie  ou  môme  du  Languedoc,  cela  n'em- 
pôche  qu'il  n'y  ait  là  non  pas  quelques  plantes  éparses,  mais 

^ll  Documents  relatifs  à  la  mission  dirigée  au  sud  de  l'Aljêrie,  page  75. 
[i]  Ibid.t  pa«c  80. 


PREMIÈRE  MISSION   FLATTERS.   —  LA  VÉGÉTATION  SAHARIENNE.      127 

une  certaine  continuité  de  végétation.  La  dernière  remarque 
relative  aux  luîtes  meurtrières  entre  Chaamba  et  Touareg 
signale  le  principal  fléau  du  Sahara,  sur  lequel  nous  aurons 
à  revenir  et  qui,  plus  que  Taridité  de  la  nature,  fait  de  cette 
immensité  une  solitude,  l'insécurité.  En  remontant  plus 
haut  vers  Ouargla  et  avant  d'y  arriver,  dans  la  région  des 
gour  (Voy.  plus  haut,  p.  96),  le  môme  ingénieur  Béringer 
écrit  :  «  Le  fond  des  dépressions  est  du  sable  plus  ou  moins 
mamelonné,  du  genre  nebkay  avec  de  beaux  pâturages  et 
de  nombreux  puits...  Tout  le  pays  est  habité  par  les  nomades 
qui  y  trouvent  de  Teau,  des  pâturages,  du  gibier.  On  y 
rencontre  fréquemment  leurs  campements  (1).  » 

Nous  ne  prétendons  certes  pas  que  des  étendues  complè- 
tement arides,  notamment  de  hamada,  ne  s'entremêlent  pas 
aux  surfaces  où  poussent  les  plantes  fourragères  ;  il  nous 
suffit  de  dissiper  celle  légende  qu'aucune  vie  végétale  ne  se 
rencontre  dans  ce  désert;  on  y  trouve,  au  contraire,  cette 
vie  à  un  degré  plus  ou  moins  intense,  sur  la  généralité  de  sa 
superficie. 

Ce  qui    surprendra  peut-être  davantage,  c'est  que  l'on 
rencontre  presque  partout  du  bois  dans  le  Sahara,  parfois 
même  de  très  beaux  bois  que  l'on  admirerait  encore  en  Eu- 
rope. Fréquemment,  ce  ne  sont  que  des  buissons,  des  arbustes 
ou  des  arbres  mal   venus;  d'autres  fois  et  assez   souvent, 
non  pas  en  telle  ou  telle  place  déterminée  et  sur  tel  parcours 
spécial,  mais  d'une  façon  qui  n'est  pas  rare  et  sur  des  par- 
cours très  divers,  de  beaux  arbres  apparaissent  soit  isolés, 
soit  groupés  et  parfois  à  l'état  de  bois;  il  en  est  ainsi  non 
seulement  dans  le  Sahara  septentrional,  mais  encore  plus 
peut-être  dans  le  Sahara  central  et   dans  le  Sahara  méri- 
dional. Les  récits  concordants  de  tous  les  explorateurs,  ayant 
suivi  des  directions  difl^érentes,  en  témoignent.  Tenons-nous- 
en,  pour  le  moment,  aux  renseignements  de  la  première  mis- 
sion Flatters. 

(1)  Documents  relatifs  à  la  mission  dirigée  au  sud  de  V Algérie,  page  99. 


128      LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FEU  TRAiNSSAHARlCNr 

Les  arbustes  et  arbres  sahariens  sont  d'essences  Irr- 
diverses  :  le  palmier  d'abord  se  rencontre  dans  toute  la  parli» 
septentrionale,  là  surtout  où  il  y  a  quelques  eaux  pern^a- 
nentes  et  quelques  habitants  fixes;  le  palmier  a,  en  effet,  des 
exigences;  il  lui  faut,  sinon  des  cultures  régulières,  du  moit.- 
quelques  soins  intermittents.  Dans  le  Sahara  méridional, 
on  le  verra  plus  loin  par  les  récits  de  Barth,  le  palmier 
doum,  espèce  plus  rustique,  qui  vient  d'Egypte,  est  beau- 
coup plus  fréquent.  Un  arbre,  plus  méridional  que  le  pal- 
mier et  beaucoup  plus  rustique,  c'est  le  gommier,  qui  pros- 
père sans  culture,  trouve  dans  le  Sahara  des  conditions 
favorables  et  y  atteint  un  grand  développement.  D'autres 
arbres,  très  vivaces,  très  résistants  aussi,  se  rattachent  au 
genre  tamarin,  notamment  Téthel  qui  fournit  de  superbes 
spécimens  quasi  dans  toute  l'étendue  du  désert.  D'autres 
espèces  apparaissent  dans  le  Sahara  méridional,  mais  il  sera 
temps  d'en  parler  dans  la  suite. 

Jamais  aucun  groupe  d'hommes  traversant  le  Sahara 
n'a  manqué  de  bois,  et  toute  caravane  ou  toute  mission  en 
a  besoin,  soit  pour  cuire  ses  aliments,  soit  même  pour  se 
réchauffer,  car  le  froid  est  souvent  très  vif  la  nuit  dans  le 
désert;  il  s'y  tient  fréquemment  au-dessous  de  zéro  et 
s'abaisse  jusqu'à  10°  au-dessous. 

Voici  quelques  notes  du  Journal  de  roule  de  Flatters 
(première  mission)  au  sujet  des  bois.  Le  24  mars,  aux  envi- 
rons d'El-Biodh,  c'est-à-dire  vers  le  28'' degré  et  demi  de  lati- 
tude, 3  degrés  et  demi  au-dessous  d'Ouargla  :  «  Au  sud-sud- 
ouest  du  camp,  séparé  de  nous  par  un  sif  de  dunes  et  à 
environ  1500  mètres,  est  un  autre  fond  où  sont  les  palmiers 
signalés  par  Bouderba.  Ils  sont  au  nombre  d'environ  cent 
cinquante.  On  peut  avoir  de  l'eau  en  creusant  dans  cet 
endroit  comme  nous  le  faisons.  »  Le  27  mars,  après  deux 
jours  de  halte  dans  cette  localité  :  «  Départ  d'El-Biodh  à 
6  heures.  Route  au  sud  dans  la  dune.  Laissé  à  gauche  le 
bouquet  de  palmiers  dont  il  a  été  parlé  le  24;  un  autre  bou- 
quet est  plus  loin  hors  de  vue.  Ces  deux  plantations  sont 


PREMIÈRE  MISSION   FLATTERS.   —    LA  VÉGÉTATION  SAHARIENNE.      129 

•elativement  récentes;  elles  sont  dues  au  cheik  Othman. 
Plus  loin,  nous  passons,  laissant  à  droite  un  troisième 
bouquet  dans  un  fond  de  dunes  bordé  à  Touest  par  un  banc 
de  roches  calcaires  qui  ressemble  assez  bien  à  un  mur  bâti 
sn  soutènement  du  sable...  Â  la  même  hauteur  que  les  pal- 
miers dont  il  vient  d'être  parlé,  mais  à  notre  gauche  et  hors 
de  vue,  est  un  quatrième  bouquet  connu,  comme  le  troisième, 
sous  le  nom  de  Vieux  Palmiers  d*El  Biodh  (1).  »  Ainsi,  de 
vieux  palmiers  subsistent,  et  il  se  trouve  encore  quelque 
homme  entreprenant  pour  en  planter  de  nouveaux. 

Cent  kilomètres  plus  au  sud,  à  Temassinin,  nouvelle 
palmeraie  :  <  La  kouba  (tombeau  de  Sidi  Moussa)  est  crépie 
en  plâtre  blanc  et  fait  assez  bon  effet  sur  le  fond  vert  des 
palmiers...  Le  jardin  formant  un  rectangle,  entouré  de  murs 
en  ruine,  renferme  de  cent  cinquante  à  deux  cents  palmiers, 
quelques  figuiers  et  quelques  carrés  d'orge  et  d'oignons... 
A  environ  5  kilomètres  à  l'est  dans  la  dune,  sont  deux  puits 
de  1°',50  de  profondeur,  abondants,  entourés  d'une  cinquan- 
taine de  palmiers  (2).  »  Ces  petites  palmeraies  pourraient 
être  fort  étendues  et  comprendre  peut-être  quelques  milliers, 
sinon  même  quelques  dizaines  de  milliers,  de  sujets,  car 
Flalters  remarque  qu'en  creusant  le  sol  «  on  trouverait 
presque  partout,  à  peu  de  profondeur,  beaucoup  d'eau  de 
bonne  qualité  d.  L'éloge  presque  enthousiaste  que,  vingt  ans 
plus  tard,  l'explorateur  Foureau,  ainsi  qu'on  le  verra  par 
la  suite,  fait  de  la  situation  et  des  ressources  inexploitées 
de  Temassinin  confirme  l'appréciation  favorable  de  Flatters. 

L'insécurité  est  le  principal  obstacle  à  la  création  et  à  la 
durée  de  nombreuses  oasis  dans  le  désert;  il  est  probable 
qu'il  s'en  constituerait  tout  un  chapelet,  si  le  planteur  était 
sûr  de  pouvoir  récolter.  Les  récils  des  explorateurs  indi- 
quent des  plantations  vivantes,  mais  beaucoup  aussi  de 
plantations  abandonnées,  sans  doule  parce  que  les  cultiva- 
teurs n'en  pouvaient  pas  jouir  en  paix  ;  le  19  février,  un  peu 

ili  Hocumenls  relatifs  à  la  mission  dirigée  au  sud  de  l'Alfj(rip,  pages  40  et  41. 
<-t  Und.,  page  4o. 

9 


130  LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIENS. 

au-dessus  d'Ouargla,  le  Journal  de  roule  de  Flallcrs 
s'exprime  ainsi  :  «  Dans  Toued  Sidi-bou-Hania,  il  y  a  de 
l'eau  à  50  ou  60  centimètres  de  profondeur  sous  le  sable. 
De  la  route  suivie  par  la  mission,  on  aperçoit,  à  Test,  des 
palmiers  dans  Toued  Sidi-bou-Hania.  Ils  appartenaient 
au  village  de  Sidi-bou-IIania,  mais  ce  village  a  été 
détruit  et  abandonné  il  y  a  cinquante  ans.  Les  dattes  sont 
récoltées  aujourd'hui  par  les  marabouts  d'El  Goug  qui  les 
distribuent  aux  pauvres.  On  peut  en  ramasser  en  passant 
et  en  manger  sur  place  ;  mais  en  faire  provision  serait  une 
profanation  (1).  »  Flatters  ayant  parcouru  ces  lieux  en  1880. 
la  destruction  du  village  cinquante  ans  auparavant  s'était 
effectuée  avant  la  domination  française.  Des  palmiers, 
isolés  ou  par  petits  groupes,  sont  de  temps  en  temps  signa- 
lés, preuve  que  les  conditions  du  pays  sont  en  bien  des 
lieux  propices  à  cet  arbre  utile. 

Une  place  plus  grande,  dans  cette  immense  aire  saha- 
rienne, semble  toutefois  réservée  au  gommier  qui  a  beaucoup 
plus  de  rusticité  et  qui  pourrait  être  exploité  d'une  façon 
productrice,  comme  il  l'est  au  nord  du  Sénégal.  Le  gom- 
mier monte  beaucoup  moins  au  nord  que  le  palmier;  c'est, 
avec  l'éthel,  le  plus  beau  végétal  du  Sahara  central.  La  mis- 
sion Flatters  rencontre  le  premier  gommier  aux  environs 
d'El  Biodhy  soit  vers  le  28*^  degré  et  demi.  «  Sur  la  rive 
gauche,  à  environ  3  000  mètres  de  notre  ligne  de  passage, 
on  aperçoit  un  gommier  (/o/Aa),  le  premier  que  Ton  ren- 
contre en  venant  du  nord  (2).  »  Un  arbre  qui  s'aperçoit 
de  3000  mètres,  même  avec  la  transparence  du  désert,  ne 
doit  pas  être  insignifiant.  Qu'on  retienne  ce  mot  de  lolha 
ou  gommier;  les  récits  et  les  caries  du  grand  voyageur 
allemand  Barth  nous  feront  connaître  qu'il  s'en  rencontre 
de  gigantesques  sur  le  versant  méridional  du  Sahara  ;  mais 
il  s'en  trouve  aussi  sur  le  versant  méditerranéen.  0"^'" 
ques  jours  après,  le  3  avril  :  «  dans  les  ravins  se  trouvent 

(1)  Documents  relatifs  à  la  mission  dirigée  au  sud  de  VAlgériet  page  6. 
J2)  Jbid,,  page  43. 


PREMIÈRE  MISSION  FLATTERS.  —  ARBRES  ÉNORMES.  131 

plusieurs  tolh  (pluriel  de  talha,  gommier),  »  et  le  lendemain, 
le  4  avril,  le  Journal  de  route  de  Flatlers  note  encore  près  de 
Touskirin  :  <  Quelques  tolh  (gommiers)  commencent  à  paraî- 
tre en  broussailles  d'abord  et  bientôt  en  arbres  élevés  ;  les  gom- 
miers et  la  végétation  de  la  vallée  valent  la  peine  que  Ton 
se  donne  pour  suivre  la  ligne  courbe  (1).  »  Le  6  avril,  avant 
d'arriver    à   Aïn-el-Hadjadj    :   «  Passé   dans   un    véritable 
bois  de /o/A  (gommiers)»,  et  à  ÂYn-el-Hadjadj  même  «  :  Près  du 
puits  est  un  beau  gommier.  D'autres  gommiers,  en  très  grand 
nombre,  se  trouvent  plus  loin  dans  les  vallées  couvertes  d'une 
végétation  abondante  (2).  »  Et  fréquemment,  sur  le  parcours,  la 
mission  admire  des  arbres,  gommiers  ou  éthels;  le  11  avril  : 
«  Campé  dans  un  véritable  bois  d'azal  et  de  tamarins,  d'une 
hauteur  et  d'une  force  de  végétation  remarquables  »  ;  le  len- 
demain,  12  avril  :  «  Passé  dans  une  daïa  couverte  d'une 
splendide  végétation  :  chich,  azal,  arta,  tarfa  et  itel  énormes, 
quelques-uns  ont  2  mètres  de  circonférence  à  1  mètre  au- 
dessus    du  sol   (3).    9  Ici  la  précision  est  précieuse  :    des 
arbres  de  2  mètres  de  circonférence  sont  partout,  même  en 
Europe,  réputés  de  fort  beaux  arbres.  Le  15  avril  :  «  Végé- 
tation très  active.  Le  lit  de  l'oued  Tedjoujelt  est  nettement 
marqué  par  des  berges  couvertes  d'arbres  :  itel  et  tarfa, 
gommiers,  etc.  Les  itel  et  les  tarfa  sont  toujours  énormes... 
Au  delà  de  ce  cap,  la  vallée  de  l'oued  Tedjoujelt  forme  une 
immense  daïa  plate   qui  est  une  prairie  naturelle  remar- 
quable; fossa,  herbes  fourragères,  etc.  Le  thalweg  même  de 
l'oued,  toujours  bien  marqué,  court  dans  les  tamarins  et  les 
gommiers.  On  se  croirait  dans  une  tout  autre  contrée  que  le 
Sahara  central.  Cette  prairie  est  dite  Tehen-Tlemoun  (4)  »  ;  le 
16  avril  :  «  Arbres  magnifiques,  itel,  terfa,  gommiers  ».  On 
arrive  au  lac  Menkhough,  le  16  avril  :  «  Des  arbres  élevés, 
marins  et  gommiers,  plongeant  à  demi  dans  l'eau,  indiquent 
s  bords  des  eaux  basses  à  environ  50  à  60  mètres  des  bords 

(1}  Documents  relatifs  à  la  mission  dirigée  au  sud  de  l'Algérie,  pages  49,  50, 
tl  et  52. 
\i)  Ibîd.,  page  54. 
13)  Ibid,,  page  57. 


132     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSiflARIENS. 

actuels (1).  »  Le  journal  relate  aussi,  le  15  avril  :  «  des  lits  de 
branchages  élevés  au-dessus  du  sol;  c'est  un  usage  du  pays 
pour  se  préserver  des  vipères  qui  pullulent  dans  la  dune  *. 

Ce  n'est  pas  en  un  point  exceptionnellement  favorisé,  c'est 
en  divers,  assez  nombreux  et  s'échelonnantsur  tout  le  par- 
cours, que  la  mission  Flatters  a  rencontré  des  arbres  assez 
pressés,  pour  que  le  Journal  de  roule  les  désignât  plusieurs 
fois  sous  le  nom  de  bois  et  assez  développés  pour  qu'il  les 
qualifiât  d'énormes  en  assignant  à  certains,  à  un  mètre 
du  sol,  cette  circonférence  de  2  mètres  qui  paraît  impo- 
sante môme  dans  les  pays  tempérés. 

La  vie  végétale  n'est  donc  pas  absente  du  Sahara,  elle  n*v 
est  même  pas  rare;  elle  s'y  montre  diversifiée  en  espèces 
fourragères,  comme  en  espèces  arborescentes,  etelle  y  atteint 
parfois  une  véritable  puissance. 

Il  en  est  de  même  de  la  vie  animale  :  les  animaux  domes- 
tiques, moutons,  mouflons,  chèvres,  troupeaux  de  Touareg 
ou  d'autres  indigènes,  s'y  rencontrent  et,  sans  doute,   sans 
rinsécurité  qui,  plus  que  la  rigueur  de  la  nature,  désole  ce^ 
immensités,  ils  pourraient  y  être  assez  nombreux.  Les  razzias 
réciproques  des  Chaamba  et  des  Touareg,  ou  parmi  ceux-ci 
de  diverses  tribus  ou  de  groupes  dissidents,  effraient  et  dis-  | 
persent  les  malheureux  bergers,  aussi  bien  que  les  cultiva-  { 
teurs  (2).  On  en  rencontre,  cependant,  même  dans  des  contrées 
qui  paraissent  médiocrement  propices;  outre  les  moufloDs 
plusieurs  fois  cités,  les  chèvres  constituent  parfois  de  véri- 
tables troupeaux;  ainsi,  le  12  avril,  <  la  daïa  est  limitée  au 
sud  et  au  sud-est  par  la  Gara  (Voy.  plus  haut,  page  %)  de 
Nanghar,  à  pentes  peu  raides  ;  hamada  noire  et  stérile  cou- 
verte   de  grandes  pierres.   Les   nanghar    sont    des    trous 
entourés   et  couverts   de   pierres   plates    pour  abriter  les 
jeunes  chevreaux  pendant  l'été  ;  on  en  voit  des  centaines 
dans  la     gara    que   nous   traversons,    d'où   le  nom....  A 
Tkarkar  Néraba,  rencontre  d'un  troupeau  de  chèvres  conduii 

\{\  Documents  rehififs  à  la  mission  dn'ujèe  au  su  il  de  l'Alfférif,  pa^os  t*0  <^t'"'i 
sa'  Vo\.  DOtamiiiont   le  Juumai  de  roufe  d«'     laUers,  |iagt'>  11,  4t»  et  pui^^r 


PREMIÈRE  MISSIOiN  FLATTERS.  —  LA   FAUNE  SAHARIENNE.       133 

par  des  imrhad  (serfs)  Ifoghar,  deux  hommes  et  une  femme, 
dont  le  premier  mouvement  est  de  fuir  à  notre  approche  (l)». 
La  faune  sauvage  ou  non  apprivoisée  et  le  gibier  ne  sont 
pas  rares;  fréquemment  le /oarna/  de  route  mentionne  des 
gazelles,  des  antilopes,  d'autres  animaux;  ainsi,  le  8  avril, 
en  plein  Sahara  central  :  «  Reconnaissance  dans  les  environs 
d'Aïn-el-Hadjadj,  sur  le  plateau  et  dans  les  vallées.  On 
trouve  de  nombreuses  traces  d'onagres  ou  ânes  sauvages  ;  un 
troupeau  d'une  quinzaine  de  ces  animaux  a  été  aperçu  au  loin 
dans  le  gassi;  gazelles  nombreuses,  antilopes'nicha  (2)  ;  »  le 
15  avril,  encore  plus  au  sud  :  «  Arrivée  à  Tehen-Tlemoun. 
Pâturage  exceptionnel;  beaucoup  d'animaux,  ânes  sauvages, 
mouflons,  nicha  (antilopes),  pigeons,  grues,  etc.  (3).  » 

Il  faut  donc  abandonner  cette  absurde  légende  que  le 
Sahara  soit,  dans  toute  son  étendue  ou  simplement  sur  la 
plus  grande  partie  de  sa  surface  ou  même  encore  sur  une 
continuité  considérable  d'espace,  impropre  à  toute  vie 
animale  ou  végétale. 

Le  Journal  de  roule  de  la  première  mission  Flatters,  sur 
tout  le  parcours  et  jusqu'au  terme  de  cette  exploration,  à 
savoir  le  26"  degré  et  demi,  détruit  absolument  cette 
fiction.  En  lui-môme,  et  indépendamment  de  richesses 
minérales  non  seulement  probables,  mais  certaines,  le  Sahara 
a  donc  quelque  valeur  et,  si  faible  que  l'on  veuille  estimer 
celle-ci  d'après  l'unité  d'étendue,  kilomètre  carré  ou  myria- 
mètre  carré,  le  nombre  énorme  de  ces  unités  donne  à 
l'ensemble  une  importance  fort  appréciable,  qui  se  manifes- 
tera quand  la  sécurité  y  sera  définitivement  établie. 

ilî  Documents  relatif»  à  la  mission  dingée  au  sud  de  l'Algérie,  pages  o7  et 
58;  il  est  plusieurs  fois  question  de  campements  de  Touareg  et  notamment 
(lo  «  dames  touareg  »,  pages  61  et  62. 

i2)  Ibid.,  page  56. 

(H)  Ibid.,  page  60. 


CHAPITRE   V 
La  première  mission  Flatïers  (Suite).  —  L  ayant-projc 

DE  CHEMIN  DE  FER  SUR  600  KILOMÈTRES  AU  SUD  d'OuARGLA. 

Le  Sahara  offre  des  conditions  très  propices  à  l'élablissement  des  lignes  fi^nrev- 
Rapport  à  ce  sujet  de  l'ingénieur  Béringer,  membre  de  la  mission  FlatltM-s.  - 
Quoique  s'appliquant  à  611  kilomètres  seulenit^nt  au  sud  d'Ouargla,  ce  rapi»:>i: 
vaut,  d'après  les  renseignements  recueillis  par  la  deuxième  mission  Flattff' 
pour  environ  400  kilomètres  au  delà,  soit  pour  un  millier  de  kilomètres  ou  prr-' 
la  moitié  du  parcours  du  Transsaharien.  —  L'avant-projet  de  l'ingéniour  \W\\i- 
ger. — 11  conclut,  pour  un  chemin  de  fer  à  voie  large,  à  une  déi>onse  niaiiiihi 
de  100000  francs  par  kilomètre.  —  Examen  de  cet  avant-projcL  —  L  adopti- 
de  la  voie  de  1  mètre  et  la  baisse  considérable  des  produits  nièt&llurgi<|ii  ^ 
depuis  1880  permettent  d'abaisser  à  30  000  ou  53  000  francs  par  kilofmtrr  ,. 
dépense  de  construction  de  la  voie  transsaharienne  (matériel  roulant  com|"n» 

Ce  n'est  pas,  toutefois,  pour  lui-même  et  en  considération 
de  ses  ressources  propres,  que  nous  éludions  surtout  le 
Sahara,  c'est  comme  route.  Fournit-il  une  bonne  roule  pour 
aller  de  la  Méditerranée  aux  régions  tropicales  fertiles  du 
centre  de  l'Afrique,  pour  relier  l'Algérie  au  Soudan?  La  dé- 
monstration a  été  saisissante;  le  sol  est  au  plus  haut  degré 
propice  à  l'établissement  d'une  voie  ferrée  et  toutes  les  condi- 
tions d'une  exploitation  peu  onéreuse  et  d'un  entretien  facile 
s'y  trouvent  réunies.  Et  Flatters,  dans  son  Journal  de  roule. 
et  son  compagnon  technique,  l'ingénieur  des  travaux  public^ 
Béringer,  spécialiste  désigné  ad  hoc  par  le  gouvernement,  en 
témoignent  sans  cesse. 

II  est  utile  d'analyser  le  rapport  de  M.  Béringer  à  ce  sujet, 
«t  Par  lettre  du  G  juillet  1880,  le  ministre  des  travaux  publics 
a  demandé  au  lieutenant-colonel  Flatters  un  avant-projet 
de  construction  de  chemin  de  fer  entre  Ouargla  etrcxlrémilé 
méridionale  de  la  région  explorée,  comprenant  une  carte. 
un  profil  en  long  et  une  évaluation  de  la  dépense.  »  C'est  le 
rapport  fait,  en  réponse  à  cette  demande,  par    l'ingénieur 


PREMIÈRE  MISSION  FLATTERS  :  AVANT-PROJET  DU  TRANSSAIIARIEN.      135 

Béringer,  membre  de  la  mission,  elcontresigné  par  le  colonel 
Flalters,  ainsi  que  les  trois  pièces  annexes  susdites  que  nous 
allons  résumer  et  brièvement  commenter  (l). 

Pour  Tintelligence  de  cet  avant-projet,  il  ne  faut  pas 
oublier  qu'il  est  rédigé  en  1880,  époque  où  tous  les  produits 
métallurgiques  étaient  beaucoup  plus  chers  qu*à  Theure 
présente,  et  qu'il  s'agit  d'un  chemin  de  fer  à  large  voie,  non 
pas  môme  à  1",44,  comme  en  France,  mais  à  1",50,  au  lieu 
de  la  Yoie  coloniale  habituelle  de  1  mètre,  qui  est  tout 
indiquée  aujourd'hui  ;  cette  différence  seule  représente  une 
dépense,  sinon  d'un  tiers,  du  moins  d'un  quart  supérieure 
pour  l'infrastructure,  le  ballast  et  tous  les  travaux  d'art. 

Le  rapport  ne  concerne  que  les  61 1  kilomètres  au-dessous 
d'Ouargla,  directement  observés  par  la  mission,  mais  on 
pourrait  y  ajouter,  ainsi  qu'on  le.  verra  plus  loin,  300  ou 
400  autres  kilomètres  qui,  sans  avoir  été  directement  étudiés 
par  la  première  mission  Flatters,  ont  été,  de  sa  part,  l'objet 
d'un  recueil  de  renseignements  précis  etméritant  confiance  ou 
bien  ont  été  parcourus  par  la  seconde  mission  Flatters  et,  en 
l'absence  de  rapport  définitif  de  cette  mission  massacrée  en 
cours  de  route,  ont  été  décrits  soit  dans  un  rapport  provi- 
soire partiel,  soit  dans  des  lettres  qui  ont  été  publiées  de 
plusieurs  des  membres  de  celte  mission  infortunée;  on  peut 
donc  considérer  que  l'on  a  toutes  les  informations  néces- 
saires pour  l'établissement  du  ïranssaharien  sur  un  millier 
de  kilomètres,  soit  sur  toute  la  partie  septentrionale,  consti- 
tuant 40  à  45  p.  100  du  parcours  total. 

Il  est  utile  de  reproduire  textuellement  le  passage  relatif 
à  la  dépense  d'infrastructure  et  de  ballast  pour  les  611  pre- 
miers kilomètres  observés  au  sud  d'Ouargla  :  la  compétence 
technique  de  l'auteur,  en  même  temps  que  ses  éludes  di- 
rectes sur  le  terrain,  donnent  la  plus  grande  autorité  à  cet 
avant-projet. 

OJCe  rapport  et  les  pièces  mentionnées  fifl^urenl  dans  les  Documents  relatifs 
à  la  mission  dirigée  au  suit  de  l'Algérie  par  le  lieutenant-colonel  Flatters^ 
Images  2i8  et  suivantes. 


136     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSABARIKN5 

<K  Dans  la  plaine  d^Ouargla,  dit  le  rapport  de  ringénieur 
des  travaux  de  TÉtat  Béringer,  entre  le  kilomètre  11,  poinl 
d'embranchement  sur  la  ligne  de  Tougourt  à  Ouargla  (pn> 
jetée  et  qui  ne  fait  pas  partie  du  chemin  de  fer  transsaharien, 
tout  en  en  étant  la  préface)  et  le  kilomètre  38,  il  suffira 
presque  partout,  pour  asseoir  la  voie,  de  retrousser  en  forme 
de  bourrelet  le  gros  sable  et  les  pierres  qui  couvrent  le  soi 
Sur  quelques  kilomètres  où  la  nebka  (Voy.  plus  haut. 
pages  96  et  97)  est  un  peu  ondulée,  la  main-d'œuvre,  tout  er 
étant  fort  simple,  sera  un  peu  plus  onéreuse.  J'ai  donc  admis 
pour  le  règlement  de  la  plate-forme  : 

J8  kilomètres  à  10.000  francs 180.000  francs 

9  —  à  15.000     —      135.000     — 

Total 315.000  francs. 

Soit  12.000  francs  par  kilomètre. 

a  Dans  la  région  des  gour  (Voy.  plus  haut,  page  9ti' 
entre  les  kilomètres  38  et  110,  la  traversée  est  plus  labo- 
rieuse. Il  faut,  sur  près  de  7  kilomètres,  couper  des  plateaux 
qui  séparent  les  dépressions  et  qui  nécessiteront,  en  quelques 
points,  des  tranchées  atteignant  20  mètres  de  hauteur.  Une 
étude  de  détail  faite  sur  le  terrain  permettra,  comme  j'ai  déjà 
eu  Toccasion  de  le  dire,  de  réduire  notablement  la  dépense 
prévue.  Le  prix  par  kilomètre  se  décompose  comme  il  suit  : 

Déblais  dans  la  roche  tendre  portés  en  rem- 
blai, G»''», 5  à  700.000  francs 4.550.000  francs. 

Règlement  de  la  plate-forme  dans  les  dépres- 
sions plates,  20  kilomètres  à  10.000  francs.        200.000      — 

Règlement  dans  la  nebka,  4  kilomètres  à 
15.000  francs 60.000      — 

Ballastage  en  sable  et  pierres,  48  kilomètres 
à  12.000  francs 576.000      — 

Total 5.386.000  francs. 

Soit  75.000  francs  par  kilomètre. 

«  Dans  la  trouée  de  Tlgharghar,  entre  les  kilomètres  110 
et  390,  le  sol  est  uni  et  formé  d'un  mélange  de  sable  et  de 
pierres  constituant  un  excellent  ballast.  Une  dépense  kilo- 
métrique de  10000  francs  paraît  suffisante. 

«  La  hamada  ou  plateau  à  croûte  calcaire,  entre  les  kilo- 


PREMIÈRE  MISSION  FLATTERS  :  AVANT-PROJET  DU  TRANSSAHARIEN.     137 

mèires  390  et  440,  exigera  quelques  remblais  de  pierrailles 
pour  franchir  les  petites  dépressions  qui,  en  certains  points, 
rendent  la  surface  du  plateau  inégale.  Il  faudra,  en  outre, 
deux  courtes  tranchées,  la  première  au  droit  de  la  sebkha 
d'EI  Biodh,la  seconde  à  Textrémité  du  plateau.  L'évaluation 
de  la  dépense  se  décompose  ainsi  : 

Déblais  dans  la  roche  tendre  portés  en  rem- 
blai, 3  kilomètres  à  600.000  francs 1 .800.000  francs. 

Règlement  de  la  plate-forme,  20  kilomètres 
à  20.000  francs 400.000      — 

Ballastage  en  pierres,  oO  kilom.  à  15.000  fr..        750.000      — 

Total 2.950.000  francs. 

Soit  59.000  francs  par  kilomètre. 


c 


EnQn,  dans  Foued  Igharghar,  entre  les  kilomètres  440 
et  611,  le  terrain  est  uni  et  sableux,  et  il  suffira  presque 
partout  d*une  dépense  de  10000  francs  par  kilomètre  pour 
aménager  la  plate-forme.  Néanmoins,  pour  tenir  compte  de 
la  nebka  (Voy.  plus  haut,  pages  96  et  97)  qu'on  rencontrera 
peut-être  sur  les  71  derniers  kilomètres,  j'ai  adopté  un  prix 
un  peu  plus  élevé  :  12000  francs  par  kilomètre  (1).  » 

L'ingénieur  des  travaux  de  l'État  Béringer  arrive  ainsi  à 
une  dépense  totale  de  13526000  francs  pour  l'infrastructure 
et  le  ballast  des  611  kilomètres,  soit  22300  francs  par  kilo- 
mètre en  moyenne.  On  ne  peut  répondre  plus  catégorique- 
ment et  victorieusement  aux  niaiseries  répandues  par  des 
gens  pusillanimes,  qui  ignorent  tout  en  matière  de  travaux 
publics  et  dont  l'imagination  est  toute  remplie  de  sables 
mouvants  qui  n'existent  pas  ou  qu'il  est  facile  d'éviter,  quitte  à, 
sur  les  quelques  mètres,  ne  montant  pas  à  une  centaine  sur 
tout  ce  long  parcours,  se  servir  de  parasables. 

L'infrastructure  est  donc  des  plus  aisées  et  des  moins 
coûteuses;  la  dépense  la  plus  considérable  est  celle  de  «  la 
voie  en  rails  d'acier  et  avec  supports  métalliques.  Sur  une 
grande  partie  du  tracé  le  sol  se  prêterait  bien,  dit  l'ingénieur 
Béringer,  à  l'emploi  de  cloches  en  fonte  ».  11  estime  la  voie 

(1)  Documents  relatifs  à  la  mission  dirifjée  au  sud  de  V  Algérie  y  pages  231  et 
232. 


i38      LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSABARIE5' 

à  50  000  francs  par  kilomèlre,  soit  30  millions  (1).  La  longueur 
de  parasablesà  construire  serait  insignifiante  :  100  mèlresa 
600  francs  le  mètre.  «  Le  type  admis  est  une  voilte 
construite  par-dessus  la  voie  avec  les  matériaux  qu*on  ren- 
contre sur  place.  La  construction  devra  être  assez  résislanU 
pour  pouvoir  supporter  une  charge  de  sable  très  inégalemect 
répartie.  »  Mais,  comme  il  n'y  aurait  que  100 mètres  dépara- 
sables  sur  toute  cette  longueur  de  011  kilomètres,  la  dépens 
totale,  de  ce  chef,  ne  serait  que  de  60000  francs. 

Les  stations  et  Tapprovisionnement  d'eau,  c'est-à-dire  le> 
bordjs  et  les  puits  ou  réservoirs,  constitueraient  un  autre 
article  de  dépenses,  beaucoup  moins  important,  d'ailleurs, 
qu'on  ne  le  suppose.  11  est  bon  de  reproduire  ici,  encore  tex- 
tuellement, le  passage  du  rapport  de  l'ingénieur  des  travaux 
de  l'État  Béringer,  sur  l'alimentation  d'eau  :  «  J'ai  prévu  un 
puits  tous  les  20  kilomètres.  Entre  Ouargla  et  le  grand  Ër|: 
(Voy.  plus  haut,  page  98),  l'alimentation  d'eau  pourra  se 
faire,  soit  au  moyen  de  puits  artésiens  de  30  à  50  mètres  de 
profondeur,  soit  au  moyen  de  puits  ordinaires  ne  dépassant 
guère  une  dizaine  de  mètres.  Les  nombreux  puits  ouverts 
dans  toutes  les  dépressions  de  cette  zone,  et  le  résultat  des 
sondages  de  l'oued  Rir*  ne  laissent  pas  de  doute  sur  la 
possibilité  de  trouver  à  peu  de  frais,  dans  cette  section,  1  eau 
nécessaire.  Dans  la  trouée  de  Tlgharghar,  on  aura  de  grandes 
chances  de  rencontrer  la  nappe  artésienne  à  une  profondeur 
de  30  à  50  mètres,  correspondante  à  celle  de  la  nappe  d'eau 
qui  alimente  les  entonnoirs  de  Mokhanza  et  d'Aïn-Taïba. 
Plus  au  sud,  il  suffira  de  creuser  des  puits  ordinaires,  cari 
Mouilah-Matallah  et  à  El  Biodh,  l'eau  apparaît  dans  le  sable 
à  quelques  mètres  de  profondeur  seulement.  Dans  la 
vallée  de  Tlgharghar,  immédiatement  au  sud  du  grand  Erg. 
le  forage  des  puits  artésiens  paraît  aussi  devoir  réussir,  à  en 
juger    par  le  puits   artésien   creusé   par    les   indigènes  à 

^1)  Il  no  roinpto  que  COO  kiloiiuHres,  au  liou  de  Cil,  parce  que  le  Tran^salu- 
rien  eiiipruntcrait  pour  les  onze  premiers  kilomètres  une  seetion  de  la  li::n' 
Tougourt-Ouargla. 


"^RBMIÈRB  MISSION  FLATTËRS  :  AVANT-PROJET  DU  TRANSSAHARIEN.      139 

r^massinin.  En  remontant  le  cours  de  Tlgharghar  vers 
T'ahohaït(27'  degré  de  latitude),  on  rencontre,  paraît-il,  de 
E:i  ombreux  puits  et  le  pays  est  habité.  Il  sera  donc  facile  de  se 
procurer  l'eau  nécessaire  (1).  » 

Ainsi,  Talimentation  d*eau  n'offre  aucune  difficulté.  L'in- 
génieur Béringer  prévoit  un  bordj  avec  un  puits  et  réservoir 
tous  les  20  kilomètres,  en  moyenne.  Il  y  a  là  une  grande 
oxagération,  une  assimilation  erronée  des  chemins  de  fer 
désertiques  aux  chemins  de  fer  métropolitains.  Une  station 
tous  les  50  ou  60  kilomètres,  peut-être  même  tous  les  80  ou 
lOO  kilomètres,  avec   bordj,   puits,   doit  suffire.    Cela  est 
d^autant  plus  vrai  qu'on  ne  peut  avoir  de  trafic  à  moindre 
distance  et  que,  d*autre  part,  au  moins  pendant  longtemps, 
on  ne  pourra  entretenir  sur  la  plus  grande  partie  du  parcours 
des  cantonniers  isolés:  l'entretien  et  les  réparations  devront 
se  faire  par  des  équipes  se  transportant  de  chaque  station  à 
40  ou  50  kilomètres  dans  chaque  sens;  une  distance  moyenne 
d'une  centaine  de  kilomètres  entre  les  stations  paraît  donc 
rationnelle;  suivant  les  conditions  topographiques,  hydrau- 
lof^iques  et,  à  titre  exceptionnel,  économiques,  l'écart  entre 
les    stations  pourra  varier  de  75   ou  80  kilomètres  à   115 
ou  120.  La  télégraphie  sans  fil,  qui  semble  particulièrement 
applicable  à  ces  immenses  solitudes,  facilitera  singulièrement 
le  service  des  trains  en  marche  et  l'entretien  de  la  voie. 

Voici  la  conclusion  de  l'ingénieur  des  travaux  publics 
Béringer,  après  les  études  attentives  faites  sur  les  lieux  : 

«  En  résumé,  la  construction  d'une  voie  ferrée  entre 
Ouargla  et  un  point  situé  à  600  kilomètres  plus  au  sud,  à 
peu  près  sur  le  même  méridien,  ne  présentera  aucune  difficulté 
technique  particulière,  et  pourra  être  faite  dans  des  condi- 
tions économiques,  le  prix  du  kilomètre  ne  dépassant  pas 
lOOOOO  francs.  Il  paraît  résulter  des  renseignements  recueillis 
auprès  des  indigènes  que,  jusqu'à  la  plaine  d'Âmadghor,  soit 
à  800  kilomètres  au  sud  d'Ouargla,  le  terrain  continue  à 

(1    Documents  relatifs  à  la  mis.Hio7i  dirigée  au  sud  de  VAU/érie,  page  230. 


140     LE  SAHARA,  LB  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIEV 

présenter  les    mêmes   facilités   pour  l'établissement    d'o^ 
chemin  de  fer.  » 

ÉVALUATION     DE  LA    DÉPENSE  {i  ) 

Prix  de  Déju'n»' 

Nature  des  dépenses.  Quaiifilés.      l'iinilé.        ProduiJ.  iota? 

Francs .  Francs .  Fr*.:  • 

l©  Infrastructure  et  ballast  : 
Plaine  d'Ouargla,  du  kilomètre  il  au 

kilomètre  38 27  kil.     li.OOO        324.000 

Région  des  goui-,  du  kiloraèlre  38  au 

kilomètre  110 72—      75.000    5.400.000 

Trouée  de  l'Igharghar,  du  kil.  110  au  ^  IS.âffi.»- 

kil.  390 280  -      10.000    2.800.000  | 

lîaniada,  du  kil.  390  au  kil.  440 50  —     59.000    2.950.000 

Oued  Igharghar,  du  kilomètre  440  au 

kilomètre  611 171—      12.000    2.052.000^ 

2»  Parasables 100 m.  600     '.  6()>' 

30  Voie OOOkil.     50.000     30.000.n»» 

40  liordjs  avec  puits,  réservoirs,  etc. .     600  —     16.000     3.600.««' 

'S'^  Télégraphes 600—       4.000     i-iOi).'*"- 

Total 49. i»i«;.fM« 

Dépenses  accessoires  et  imprévues 5.4U.f"'*' 

Frais  d'études  et  de  surveillance 5.00«.«<fc 

Montant  total  de  l'estimation  pour  les  600  kilomètres 60.000  i«i 

Ainsi,  d'après  les  études  de  Tingénieur  des  travaux  publics  | 
Béringer,  une  dépense  de  60  millions  de  francs  eût  sufR  pour  j 
établir  une  voie  ferrée  de  1",50  de  large  sur  une  longueur 
de  600  kilomètres  au  sud  d'Ouargla,  dépense  correspondant  | 
à  100000  francs  le  kilomètre,  matériel  roulant  non  compris, 
et  il  est  très  vraisemblable  qu'il  en  serait  de  même  pour  les 
200  kilomètres  au  delà  jusqu'à  l'entrée  de  la  plaine  d'Amad- 
ghor.  On  verra  plus  loin  que  ce  dernier  renseignement  a  été 
confirmé  par  la  seconde  exploration  Flatters. 

Cette  évaluation  de  60  millions  pour  ces  600  kilomètres 
date  du  12  octobre  1880,  jour  où  fut  envoyé  au  ministère 
des  travaux  publics  le  rapport  de  l'ingénieur  Béringer,  visé 
et  présenté  par  le  chef  de  la  mission,  lieutenant-colonel 
Flatters.  Il  y  a  lieu  d'examiner  ces  évaluations  et  de  voir  si 
les  vingt-trois  années  écoulées  depuis  ne  doivent  pas  y  , 
apporter  de  modifications.  En  premier  lieu,  le  chemin  de  fer  j 


(1)  Documents  relatifs  à  la  ynission  dirigée  au  sud  de  VAlgéHe^  page  233. 


PREMIÈRE  MISSION  FLATTEES  :  AVANT-PROJET  DU  TRANSSAHARIEN.     141 

Iranssaharien  que  nous  avons  en  vue  devant  être  à  la  voie 
coloniale,  généralement  admise  par  toutes  les  nations,  de 
1  mètre  au  lieu  de  1  m.  50,  comme  l'avait  supposé  l'ingénieur 
Béringer,  la  dépense  d'infrastructure  et  de  ballast  devrait 
être  réduite  d'environ  un  tiers,  mettons  seulement  un  quart, 
pour  nous  tenir  au-dessous  de  la  vérité;  ce  serait 
3381 500  francs  à  déduire  sur  ce  chapitre  qui  s'abaisserait  à 
10145000.  Ne  modifions  rien  aux  parasables;  quant  aux 
bordjs  avec  puits,  au  lieu  d'un  tous  les  ?0  kilomètres,  nous 
admettons  qu'il  y  en  ait  un  tous  les  80  ou  85  kilomètres,  ce 
qui  pour  les  2  500  kilomètres  du  chemin  de  fer  transsaharien 
proprement  dit,  représenterait  trente  stations,  bordjs,  réser- 
voirs et  puits;  en  évaluant  à  80000  francs,  ce  qui  est  élevé, 
la  dépense  pour  chacune  de  ces  stations,  on  obtient 
2400000  francs;  ce  serait,  pour  les  600  kilomètres  de  la 
première  section,  1200000  francs  d'économie  relativement 
au  chiffre  de  Tavant-projet  ci-dessus;  le  recours  à  la  télé- 
graphie sans  fil  ainsi  que  le  moindre  nombre  de  stations 
réduiraient  aisément  de  4  000  francs  le  kilomètre  à  2  000  francs, 
sinon  même  à  1 000  francs,  la  dépense  d'installations  télé- 
graphiques, et  il  y  aurait  de  ce  chef  une  économie  d'au 
moins  1200000  francs  sur  le  devis  de  l'ingénieur  Béringer, 
ce  qui,  avec  les  réductions  précédentes,  porterait  à  environ 
5800000  francs  l'économie  jusqu'ici  obtenue  pour  ces 
600  kilomètres,  soit  une  dizaine  de  mille  francs  par  kilomètre, 
et  comme  une  réduction  correspondante  devrait  s'appliquer 
aux  5  414 000  francs  inscrits  pour  les  dépenses  accessoires  et 
imprévues,  la  réduction  totale,  du  chef  des  observations  ci- 
dessus,  ne  pourrait  être  moindre  de  12000  francs  par  kilo- 
mètre. 

Mais  c'est  le  chapitre  des  dépenses  de  la  voie,  c'est-à-dire 
presque  uniquement  des  fournitures  métallurgiques,  qui 
appelle  les  plus  grandes  réductions.  Les  traverses  doivent 
^Ire  en  acier  comme  les  rails;  l'ingénieur  Béringer  a  prévu, 
de  ce  chef,  une  dépense  de  50000  francs  par  kilomètre;  cela 
est  colossal  cl  ne  supporte  pas  acluelleincnl  rexamcn  ;  il  n'a 


142     LE  SAHARA,  LB  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIDi 

pas  fallu  plus  d\ine  vingtaine  de  mille  francs  par  kilomètre 
pour  celte  partie  de  la  dépense,  au  chemin  de  fer  des  phos- 
phates de  Gafsa  et  du  Metlaoni.  Si  Ton  réfléchit  que  h 
ligne  ferrée  projetée  ne  devant  avoir  de  stations  que  tous  les 
80  ou  100  kilomètres  et  ne  prenant  ou  ne  laissant  que  tri? 
peu  de  trafic  sur  les  points  intermédiaires  entre  les  dew 
points  terminus,  n'ayant,  au  moins  pendant  long^lemps. 
aucun  embranchement,  il  n'y  aura  lieu  qu'à  très  peu  de  voies 
d'évitement  ou  de  raccordement,  on  devra  conclure  qu'une 
quinzaine  de  mille  francs  par  kilomètre  devra  aaiplement 
suffire  pour  la  voie  ferrée. 

Il  doit  d'autant  plus  en  être  ainsi  que  les  produil-s  métai- 
lurgiques  ont  énormément  baissé  depuis  1880,  moment  où 
fut  fait  cet  avant-projet. 

On  peut  donc  être  assuré  que,  pour  un  chemin  de  fer  à  voie 
étroite,  la  dépense  de  construction  ne  dépasserait  pas,  pour 
ces  600  premiers  kilomètres,  reconnus  très  faciles,  et  proba- 
blement pour  les  400  kilomètres  ultérieurs  ou  tout  au  moins 
les  200  jusqu'à  l'entrée  de  la  plaine  d'Amadghor,  une  cin- 
quantaine de  mille  francs  le  kilomètre  ;  c'est  le  prix,  d'ailleurs, 
aujourd'hui  de  tous  les  chemins  de  fer  analogues,  exécutés 
notamment  en  Tunisie  ou  dans  le  sud  Oranais.  Le  matérie) 
devrait  être  compris  dans  ces  cinquante  mille  francs;  mais 
ne  le  serait-il  pas,  que  le  prix  en  serait  relevé  seulement,  du 
moins  pour  les  premières  années,  de  3000  ou  4000  francs 
par  kilomètre.  Le  matériel  serait  naturellement  ce  qu'exi- 
gerait le  trafic;  mais  comme  les  trains  circuleraient  d'un 
bout  à  l'autre,  en  général,  sans  rompre  charge,  ce  matériel 
serait  aussi  intensivement  utilisé  que  possible.  En  sup- 
posant que,  pendant  les  premières  années  d'exploitation, 
il  y  eût  un  train  journalier  mixte  (voyageurs  et  marchan- 
dises) dans  chaque  sens,  que  le  trafic  fût  de  200  000  tonnes, 
moitié  environ  dans  chaque  sens  ou,  si  l'on  veut,  60  p.  100 
du  Soudan  à  la  Méditerranée,  et  40  p.  100  de  la  Méditerranée 
au  Soudan,  que  l'on  transportât  une  dizaine  de  mille  voya- 
geurs d'origine  européenne,  et  une  centaine  de  mille  voya- 


PREMIÈRE  MISSION  FLATTERS  :  AVANT-PROJET  DU  TRANSSAHARIEN.     143 

geurs  indigènes,  Arabes,  Kabyles  ou  noirs,  un  matériel  d'une 
valeur  de  8  à  9  millions,  comprenant  une  quarantaine  de  loco- 
motives, y  compris  la  réserve,  un  millier  de  wagons  à  mar- 
chandises et  deux  cents  ou  deux  cent  cinquante  voitures  à 
voyageurs,  serait  amplement  suffisant;  par  conséquent,  la 
dépense  du  matériel  par  kilomètre  n'excéderait  pas  3000  à 
3500  francs.  Si,  ultérieurement,  le  développement  du  trafic 
exigeait  qu'on  le  doublât  ou  môme  qu'on  le  triplât,  ce  serait 
lout  avantage  et  il  n'y  aurait  qu'à  s'en  féliciter;  mais  le 
matériel  que  nous  indiquons  plus  haut  pourvoirait  déjà  à 
un  trafic  assez  important.  Ainsi,  la  dépense  en  matériel,  pour 
une  ligne  ferrée  de  si  grande  longueur,  sans  ramifications  et 
sans  trafic  local,  sans  presque  aucun  trafic  intermédiaire, 
constituerait  une  dépense  kilométrique  presque  insignifiante. 
La  dépense  en  matériel,  au  delà  de  cette  quotité  modique, 
ne  serait  plus  une  dépense  aventurée,  puisqu'elle  ne  se  ferait 
qu'au  fur  et  à  mesure  de  l'extension  du  trafic. 

Nous  avons  examiné  les  résultats  de  la  première  mission 
Flatters,  d'après  les  documents  officiels;  ils  sont  au  plus  haut 
degré  satisfaisants  et  quant  à  la  nature  du  pays  traversé  et 
quant  aux  facilités  pour  l'établissement  et  l'exploitation  d'une 
voie  ferrée.  Si  l'on  avait  eu  un  gouvernement  énergique  et 
prévoyant,  on  aurait  dû  dès  lors  construire  les  370  kilo- 
mètres du  chemin  de  fer  de  Biskra  à  Ouargla,  préface  du 
Transsaharien,  puis  les  800  à  900  kilomètres  d'Ouargla  à  la 
sebkha  d'Amadghor;  on  pouvait  d'autant  mieux  le  faire,  que 
les  descriptions  très  précises  du  grand  voyageur  allemand 
Barth  et  de  divers  autres  fournissaient  les  renseignements 
les  plus  catégoriques  et  les  plus  encourageants  sur  le  Sahara 
méridional.  Mais  les  gouvernements  en  France  sont  tatillons 
et  pusillanimes;  on  voulut  organiser  de  nouvelles  missions, 
sans  leur  donner  pour  point  d'appui  l'établissement  d'un 
premier  tronçon  de  voie  ferrée,  avançant  à  leur  suite  dans  le 
désert  et  les  soutenant.  C'était  perdre  un  temps  précieux 
pour  la  prise  de  possession  de  l'Afrique  centrale;  cela  nous 
exposait  à  nous  laisser  devancer  par  des  rivaux,  et  c'est  ce 


i44  LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIE>S. 

qui  arriva.  La  mauvaise  constitution,  en  outre,  de  cette 
seconde  mission  causa  une  infortune,  qui  n'aurait  nulle- 
ment dû  passer  pour  un  désastre,  mais  qui,  étant  données  la 
timidité  et  Tindifférence  de  nos  gouvernements,  suspendit 
pendant  près  de  vingt  ans  toute  œuvre  de  pénétration  afri- 
caine dans  la  direction  du  nord  au  sud,  la  plus  naturelle 
pour  les  peuples  européens  et  notamment  pour  la  France. 


CHAPITRE  VI 
La  deuxième  mission  Flatters. 

r.oini)osili«n  insuffisanfo  d«»  la  second»^  mission  Flatters.  —  Le  colonel  avait 
<loman(lé  d'abord  un  ofToetif  deux  ou  trois  fois  plus  considérable.  —  Nature 
rt  inlért'l  des  documents  relatifs  à  celte  seconde  mission.  —  La  température 
au  Sahara:  comparaison  à  ce  sujet  des  relevés  delà  première  mission  Flatters 
au  printemps  et  de  la  deuxième  en  hiver.  —  Fraîcheur  et  même  froid  des 
nuits  :  les  maxiina  et  les  minima  dans  les  deux  saisons.  —  Constatations  de  la 
mission  relatives  aux  eaux  et  aux  pluies.  —  Quoique  plus  rares  que  sur  le 
trajet  de  la  première  mission,  les  points  d'eau  no  manquent  pas,  sont  souvent 
aliondants  et  le  seraient,  sans  doute,  toujours  s'ils  étaient  entretenus.  — > 
l^luies  essuyées  par  la  seconde  mission  Flatters.  —  Ses  constatations  sur  les 
]iâturages  et  la  végétation  ;  bois  et  arbres  divers.  —  Faune  de  cette  partie 
(lu  Sahara  :  animaux  divers  ;  gibier  abondant.  —  Les  relevés  de  la  seconde 
mission  Flatters,  en  une  autre  saison  et  pour  un  autre  tracé,  confirment  ceux 
•1«'  la  première  mission. 

Les  résultats  de  la  première  mission  Flatters  parurent 
as.sez  encourageants  pour  que,  sans  désemparer,  on  préparât 
une  exploration  nouvelle  qui,  poussée  à  bout,  devait  être 
décisive,  pensait-on.  Sur  le  désir  exprimé  par  la  Commission 
supérieure  du  Transsaharien,  le  lieutenant-colonel  Flatters, 
au  mois  d'octobre  1880,  se  remit  en  route  avec  un  personnel 
en  partie  renouvelé  et  accru.  Jl  emmenait  97  chameaux  de 
monture  et  180  chameaux  décharge,  emportant  quatre  mois 
de  vivres  et  huit  jours  de  provision  d'eau,  outre  les  instru- 
ments les  plus  divers.  C'est  toujours  Ouargla  qui  fut  sa  base 
d'opération.  Sauf  les  fatigues  inséparables  de  la  traversée 
d'un  pays  sauvage,  âpre  et  inconnu,  les  débuts  furent  heu- 
reux; on  arriva  sans  encombre  à  Amguid,  point  des  plus 
importants,  en  suivant  une  direction  plus  rectiligne  que  la 
fois  précédente.  On  tourna  cependant  un  peu  à  Test,  pour 
longer  le  massif  montagneux  du  Hoggar,  gagner  la  sebkha 
d'Amadghor,  immense  amas  de  sel,  et  de  là,  à  peu  de  dis- 

ance,  l'ancien  puits  d'Asiou,  à  partir  duquel  on  entre  dans 

10 


146     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSADAR1£^: 

le  Sahara  méridional,  plus  clémenlque  celui  du  nord  et  de. 
sensiblement  influencé  par  les  pluies  des  tropiques,  b 
marche  de  Texpédition  s'accomplissait  normalement  et  los 
allait  sortir  de  la  région  dangereuse,  quand  la  trahison  à 
guide  targui  et  un  moment  d'imprudence  du  colonel  ameDè- 
rent  le  massacre  de  Flatters  et  de  ses  principaux  com(4- 
gnons,  le  désarroi  de  la  petite  colonne  qui  dut  battre  o 
retraite  dans  de  fâcheuses  conditions  et  qui  n*ayant  plus.i 
partir  d*Âmguid,  pour  la  commander,  qu'un  maréchal  (ks 
logis  dénué  d'autorité  et  d'expérience,  périt  tout  entière, 
l'exception  de  quelques  indigènes  qui  vinrent  conter  en 
Algérie  le  désastre. 

C'est  à  un  puits  dénommé  alors  Bir-el-Gharama,  et 
M.  Foureau,  dans  le  récit  de  son  exploration,  appelle  Hdssi 
Tadjenout,  que  fut  massacré  Flatters.  On  venait  de  franchr 
le  tropique  du  Cancer,  on  se  trouvait  à  une  ving^taine  (k 
journées  de  marche  de  l'Aïr,  sorte  de  promontoire,  en  partii 
montagneux,  que  le  Soudan  jette  dans  le  Sahara  méridional 
sur  une  longueur  de  trois  degrés  environ  de  latitude  el 
une  largeur  qui  paraît  varier  de  plusieurs  dizaines  <i( 
kilomètres  à  une  centaine  environ,  importante  contrée,  rela- 
tivement hospitalière  et  susceptible  de  développement.  As 
point  de  vue  des  difQcultés,  la  plus  grande  tâche  était 
achevée;  en  ce  qui  concerne  les  distances  de  la  Méditerranée 
au  Soudan,  on  avait  fait  1 600  kilomètres  environ,  1300  à 
partir  delà  cessation  du  chemin  de  fer  à  Biskra;  il  en  restait 
douze  à  treize  cents  encore  à  parcourir,  dans  des  condilioDî 
infiniment  plus  douces.  Ainsi  l'œuvre,  quoique  non  terminée 
était  fort  avancée.  L'accident  qui,  d'une  façon  si  cruelle,  mil 
fin  à  l'exploration  de  Flatters,  n'était  pas  de  ceux  qui  eussent 
pu  décourager  un  peuple  doué  de  quelque  persévérance. 
L'expérience  a  montré,  par  le  complet  succès  de  la  missios 
Foureau-Lamy,  que,  avec  des  précautions  et  une  force  suffi- 
sante, assez  restreinte  même  d'une  manière  absolue,  on  peu^ 
déjouer  la  fourberie  et  l'inimitié  des  Touareg. 

Si  l'on  peut  reprocher  à  l'infortuné  Flatters  de  Timpru- 


DEUXIÈME  MISSION  FLATTERS.  —  COMPOSITION  DE  LA  MISSION.      147 

lence,  on  ne  peut  le  taxer  d'imprévoyance;  car  c'est  malgré 
ui  qu*il  avait  accepté  une  escorte  si  faible,  il  en  avait 
demandé  une  sensiblement  plus  considérable. 

Au  cours  et  presque  au  début  de  sa  première  mission,  il 
s  expriniait  ainsi  dans  son  Journal  de  rouler  à  la  date  du 
2  avril,  après    avoir  relaté   une   conversation    avec    deux 
Touareg  des  Ifoghar  :  «  S'il  faut  absolument  attendre  une 
réponse  d'Ahilaghen  avant  de  nous  rapprocher  du  Hoggar, 
mieux  vaut  aller  l'attendre  à  Ghat  que  dans  un  campement 
sur  righargharen  ou  ailleurs.  Avec  une  autre  organisation 
de  notre  caravane,  par  exemple  avec  une  troupe  régulière 
indigène  de  150  à  200  hommes  et  des  chameliers-soldats 
comme  ceux  de  la  smala  de  Laghouat,  nous  serions  exempts 
de  la  plupart  de  ces  préoccupations,  et  il  paraît  assez  vrai- 
semblable que  nous  n'en  passerions  pas  moins. tout  aussi 
pacifiquement  en  allant  où  nous  voudrions  aller.  Cela  coû- 
terait même  relativement  moins  cher,  la  crainte  que  nous 
inspirerions  devant  suppléer  pour  une  bonne  part  aux  dé- 
penses en  cadeaux.  Mais  la  mission  aurait  alors  le  carac- 
tère d'une  véritable  expédition  et,  avant  d'en  arriver  là,  on  a 
voulu,  avec  raison,  voir  ce  qui  peut  être  fait  d'une  autre 
manière.  Ce  que  je  viens  de  dire  n'a  d'autre  but  que  de 
montrer  dans  quelles  limites  nous  pouvons  nous  monti^er 
renfermés  par  la  force  môme  des  choses,  en  agissant  avec  la 
prudence  nécessaire  pour  aboutir  à  un  résultat  sérieux,  tout 
en  conservant  à  la  mission,  aux  termes  formels  des  instruc- 
tions, un  caractère  essentiellement  pacifique   et  diploma- 
tique (1).  * 

Ce  passage  étant  extrait  d'un  mémoire  officiel,  destiné  à 
être  mis  sous  les  yeUx  du  ministre  et  ultérieurement  à  être 
publié,  on  peut  considérer  les  lignes  de  la  fin  comme  ins- 
pirées par  un  simple  sentiment  de  convenance;  mais  il  est 
clair  que  le  colonel  avait  toujours  regardé  une  escorte 
de  200  hommes  comme    essentielle.  A   plus   forte  raison 

(1|  Documents  relatifs  à  la  mission  dirigée  au  sud  de  l'Algérie  y  pages  53 
et  54. 


148     LK  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAI1ARIE.V 

étaiUil  de  cet  avis  après  sa  première  mission  où  les  iniri 
gués  et  les  menaces  des  Touareg  Tobligèrent  à  rebrousse 
chemin  prématurément.   Aussi  Flatlers   réclama-l-il    ceU< 
escorte  de  200  hommes,   pris    dans  nos   régiments    indi 
gènes;  mais  la  Commission  supérieure  du  Transsaharieo 
influencée   par    quelques  esprits  timides,    considéra   que 
avec  une  pareille  force,  l'exploration  eût  dégénéré    en  un« 
«  véritable  expédition   militaire,  perdant  le  caractère  paci- 
fique qui  convient  à  une  mission  scientifique».  (Test  urec 
ces  raisonnements  que  Ton  fait  avorter  les  projets  les  mieux 
conçus  et  que  Ton  perd  les  empires.  L'imbécillité  de  ce? 
membres  delà  Commission  supérieure  a  certainement  prive 
la  France,  pour  toujours,  d'un  des  plus  beaux  morceaux  de 
l'Afrique;  car  si  Flattersfût  arrivé  au  Tchad  en  1881  ou  1882, 
il  est  incontestable  que  nous  aurions  dans  notre    lot  de  ce 
continent,  sinon  le  royaume  de  Sokoto^  tout  au  moins  celu! 
du   Bornou,    sur   lequel  ni  les  Anglais   ni  les  Allemands 
n'avaient  encore  jeté  les  yeux  et  qu'ils  ont,  les  uns  et  les 
autres,  occupé,  en  1902  et  1903,  pour  la  plus  grande  parlie 
du  moins,  profitant  de  nos  victoires  sur  le  conquérant  noir 
Rabah. 

Flatlers  eût-il  échappé  au  guet-apens  du  puits  de  Tadje- 
nout  qu'il  est  douteux  qu'avec  l'effectif  insignifiant  de  sal 
mission  il  eût  pu  triompher  de  la  mauvaise  volonté  des 
gens  de  l'Aïr  et  de  ceux  de  Zinder  que  nous  n'occupions 
pas  alors  (1).  Il  aurait  été  obligé  probablement,  à  rarrivêe 
dans  TAïr,  de  se  replier  sur  Ghat,  comme  il  en  exprimai! 
plusieurs  fois  l'appréhension  (2).  11  est  vrai  que  les  instruc- 
tions gouvernementales  ne  le  poussaient  pas  à  aller  jusqu'au 
Soudan,  quoiqu'elles  l'y  autorisassent.  Dans  la  dernière 
lettre  qu'on  ait  de  lui,  adressée  à  sa  femme  et  datée  d'«  lozel- 
man-Tikhsin,  sud  d'Eguéré-Amadghor,  29  janvier  188), 
25''  degré  30  minutes  nord  »,  guère  plus  de  quinze  jours 

(1)  Voy.  plus  loin  les  chapitres  consacrés  à  la  mission  Foureau. 
[i)  Documents  7'elat ifs  à   la    mission  dirif/ée  au  sud  de  V Algérie,   pa«?e>  il* 
ol  418. 


DIliUXIÉME  MISSION  FLATTfclHS.  —  COMPOSITION  DE   LA   MISSION.      149 

avant  sa  mort  par  Irahison,  qui  eut  lieu  le  16  février  1881, 
Flatters  écrivait  :  «  Je  crois  que,  pour  le  moment,  je  puis 
me  considérer  comme  tenant  un  succès.  C*est  un  important 
résultat  que  celui  que  nous  avons  obtenu  :  plus  de  1 200  ki- 
lomètres parcourus  depuis  Ouargla,  dans  un  pays  que 
jamais  pied  européen  n'a  foulé.  Passage  chez  les  Touareg 
et  voyage  sans  encombre  en  plein  pays  des  Touareg  Hoggar, 
que  jamais  on  n'avait  pu  aborder  jusqu'ici.  Â  Asiou,  nous 
sommes  au  21"  degré  de  latitude,  les  Touareg  Hoggar 
franchis  complètement  et  les  Kéloui  de  TÂsben  ou  Soudan 
septentrional  entamés.  Si  les  choses  continuent  à  aller  bien, 
nous  irons  à  la  mer  par  Sokoto  et  l'embouchure  du  Niger; 
si  les  affaires  se  gâtent,  nous  reviendrons  par  Ghat  et  nos 
amis  les  Azdjer;  et  même  dans  ce  dernier  cas,  on  pourra 
encore  dire  que  nous  avons  obtenu  un  très  important  résul- 
tat. Les  instructions  primitives  données  à  la  mission  par 
M.  de  Freycinet  n'allaient  pas  si  loin  et  nous  les  aurions 
remplies  à  la  lettre  sans  aller  même  jusqu'à  Asiou.  Nous 
sommes  à  80  kilomètres  du  point  extrême  qu'elles  mar- 
quaient; nous  y  serons  dans  trois  jours.  Je  pense  être  à 
Asiou  dans  vingt-cinq  jours,  sauf  incident  (1).  » 

L'incident  arriva,  terrible,  le  16  février  1881  ;  ce  fut  le 
massacre,  par  trahison,  de  tous  les  Européens,  sauf  le  sous- 
ofRcier  Pobéguin,  qui  n'échappa  à  l'assassinat  que  pour 
mourir  en  route  avant  d'avoir  pu  regagner  l'Algérie  :  le 
1  avril,  les  cavaliers  du  maghzen  d'Ouargla,  avertis  du 
désastre,  rencontrèrent  au  puits  d'El-Messeguem  (vers  le 
28'  degré)  douze  indigènes,  mourant  de  faim  et  de  fatigue, 
débris  de  la  mission;  ultérieurement,  neuf  autres  indigènes, 
lui  ayant  aussi  appartenu,   rentrèrent  en   Algérie  par  des 

(l)  f)ocuments  relatifs  à  la  mission  dirigée  au  sud  de  l'Algérie,  pages  418 
<'14I9. 

Colle  IcUrc,  ainsi  que  six  aulrcs  antériouros  ailrcssccs  aussi  à  sa  femme,  cl 
plusieurs  que  Flatters  envoya  au  directeur  général  et  au  directeur  de  la  cons- 
truction des  chemins  de  fer  au  ministère  des  travaux  publics,  ont  été  publiées 
flans  les  Documents  relatifs  à  la  mission  dirigée  au  sud  de  l'Algérie  ;  il  en  est 
•'•'  même  de  plusieurs  lellres  d»*  l'ingénieur  Béringer  et  de  l'ingénieur  Roche, 
liiisanl  l'un  et  l'autre  partie  de  la  mission  et  y  ayant  trouvé  la  mort. 


150     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMIiNS  DE  FEK  TRAiNSSAHARIBNS. 

retours  successifs,  ce  qui  porta  à  vingt  et  un  hommes  le 
nombre  des  survivants  rentrés  chez  nous;  mais  il  ne  s'y  trouva 
pas  un  seul  Européen. 

On  voit  par  l'extrait  ci-dessus  que  Flatlcrs  croyait  déjà 
être  à  Asiou;  il  trouva  la  morl  au  puits  de  Tadjenout;  ce  lieu 
se  trouve  un  peu  au-dessous  du  tropique  du  Cancer,  au 
23*  degré  environ,  après  la  ligne  de  partage  des  eaux  et  sur 
le  versant  de  FAUantique.  Il  est  sensiblement  plus  près 
d*Asiou  que  d'Inzelman-Tikhsin,  d'où  Flatlers  écrivait  à  sa 
femme  la  lettre  dont  nous  avons  reproduit  un  extrait. 

Le  puits  de  Tadjenout  se  trouve  à  140  kilomètres  h  l'ouest 
de  Tadent  et  presque  exactement  sur  le  môme  parallèle; 
M.  Foureau  qui  est  passé  par  Tadent,  dans  sa  traversée 
saharienne,  et  qui,  de  là,  a  fait  une  pointe  latérale  sur  Tad- 
jenout, pour  visiter  le  lieu  du  massacre  de  la  mission  qui 
l'avait  précédé,  a  mis  septjours  pour  faire  les  300  kilomètres 
de  Tadent  à  In  Azaoua,  localité  voisine  d*Asiou,  mais  un  peu 
plus  au  midi  (1).  La  route  directe  de  Tadjenout  à  Asiou  n'eût 
été  que  légèrement  plus  longue  ;  elle  aurait  tout  au  plus 
atteint  350  kilomètres  et  eût  pu  être  franchie  également  en 
sept  ou  huit  jours.  Flatters  est  donc  mort  un  peu  au  delà  de 
la  limite  que  M.  de  Freycinet  lui  avait  fixée  comme  un  mi- 
nimum. Mais  combien  il  est  regrettable  qu'on  ne  lui  eût  pas 
fourni  les  moyens  de  traverser  le  Sahara  de  part  en  part! 
Ce  n'est  que  la  crainte  que  l'exploration  ne  fût  ajournée,  s*il 
insistait  pour  avoir  200  hommes  de  troupes,  qui  induisit 
l'infortuné  colonel  à  proposer  lui-môme  de  réduire  son 
escorte  aux  proportions  dérisoires  que  l'on  a  vues. 

Flatters  demandait  :  «  une  troupe  indigène  de  150  à 
200  hommes  et  des  chameliers-soldats  comme  ceux  de  la 
smala  de  Laghouat  (2)  j».  L'effectif  qu'il  désirait  eût  pu 
atteindre  ainsi  250  à  300  hommes  environ.  On  verra  plus 
loin    que    la    mission  Foureau-Lamy,   qui   accomplit  son 

(1)  Mission  saharienne  Foureau-Lamy  ;  d'Alger  au  Congo  par  le  Tchad,  ^r 
E.  Foureau,  Paris  ll»Oâ,  pages  113  à  136. 

(2)  Documenlff  relatifs  à  la  mission  dirigée  au  sud  de  VAlge'rie,  page  53. 


DEUXIÈME  MISSION   FLATTERS.  —  CONSTATATIONS  NOUVELLES.     151 

œuvre,  non  pas  sans  difficultés,  mais  avec  succès,  comptait 
289  hommes  de  troupes,  dont  39  Européens  et  250  indigènes, 
plus  4  membres  européens  de  la  mission,  ce  qui  portait  le 
nombre  total  à  293  ;  mais  cet  effectif  était  celui  seulement  de 
la  mission  et  de  Vescorle;  il  y  fallait  joindre  le  convoi  elles 
chameliers  proprement  dits,  ainsi  que  divers  convois  libres, 
ce  qui  élevait  le  chiffre  total  des  personnes  groupées  autour 
delà  mission  à  400  hommes  environ. 

Que  pouvait  faire  Fiatters  avec  les  92  hommes,  dont  un 
certain  nombre  non  combattants,  qu'il  avait,  lui  compris  (1)? 
Il  était  voué  aux  aventures  et  prédestiné  au  désastre. 

Il  est  intéressant,  toutefois,  d'étudier  les  documents  relatifs 
à  cette  seconde  mission  :  ils  se  composent  du  Journal  pro- 
visoire de  roule  f  rédigé  et  expédié  par  Fiatters  en  cinq 
envois  concernant  les  trajets  de  Laghouat  à  Ouargla, 
d'Ouargla  à  Hassi-Inifel,  d'Hassi-Inifel  à  Hassi-Messeguem, 
d'Hassi-Messeguem  à  Amguid,  d*Amguid  à  Inzelman- 
Tikhsin,  situé  au  25''  degré  30  minutes  de  latitude  ;  des 
lettres  d'envoi  du  colonel  qui  y  étaient  jointes,  de  petits 
rapports  géologiques,  hydrologiques,  qui  servaient  d'an- 
nexés au  Journal  de  route,  et  autres  pièces  techniques 
émanant  des  ingénieurs  Béringer  et  Roche  ;  enfin  des  mor- 
ceaux de  correspondances  officielles  et  privées  des  trois 
principaux  membres  de  la  mission  au  cours  de  cette  seconde 
exploration. 

Cet  ensemble  de  renseignements  apporte  des  confirmations 
décisives  aux  constatations  faites  par  la  première  mission  ; 
en  même  temps  il  fournit  quelques  indications  nouvelles. 


(l)  Flallcrs  dans  une  lettre  à  sa  femme,  datée  d'Ouargla,  12  novembre  1880, 
fixe  à  9â  l'efTectif  total,  dont  7  membres  de  la  mission,  lui  compris,  2  sous- 
officiers  français,  1  ordonnance  français,  47  tirailleurs  indigènes  algériens, 
i&  auxiliaires  anciens  tirailleurs  pour  la  plupart,  1  nègre  engagé  comme  ordon- 
nance pour  être  rapatrié,  1  marabout  de  Tordre  de  Tedjini  et  5  guides  chaamba 
d'Ouargla.  Total  de  la  caravane,  tout  compris,  92.  {Documents  relatifs  à  la 
mission  ditngée  au  sud  de  l'Algérie,  page  411.}  D'autre  part,  l'introduction  à  la 
même  série  de  documents  (page  m)  porte  93  hommes,  dont  11  Français;  outre 
les  7  membres  de  la  mission  et  les  2  sous-officiers  français,  elle  note  2  ordon- 
names  français,  76  chameliers  et  ordonnances  indigènes  et  5  guides  chaamba 
d'Ouargla  ;  cela  ne  fait  toutefois  que  92. 


J 


i52     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAflARlE^i) 

La  saison  où  se  fil  celte  exploration  n'est  plus  la  même 
lors  de  la  première,  Flallers  avait  quitté  Ouargla  \t 
5  mars  1880,  il  y  était  rentré  le  14  mai,  c'était  le  printemps 
la  seconde  mission  quitte  Ouargla  le  4  décembre  1880,  é 
les  derniers  rapports  ou  les  dernières  lettres  qu'.on  ait  de 
Flatters  et  de  ses  compagnons  sont  du  29  janvier  1881  ;  c'ei^l 
le  plein  hiver. 

Le  tracé  aussi  est  différent,  quoique  ayant  le  même  poim 
de  départ;  à  la  sortie  d*Ouargla,  il  oblique  immédiatemeoi 
à  rOuest;  tandis  que  le  premier  s'était  tenu  longtemps  entre 
le  troisième  et  le  quatrième  parallèle  Est,  tout  près   de  ce 
dernier,  dans  la  région  des  dunes  et  la  vallée  de  Tlgharghar, 
pour  gagner,  à  partir  d'El-Biodh,  en  inclinant  de  plus  en 
plus  à  TEst,  la  vallée  des  Ighargharen  et  aboutir  enfin  au  lac 
Menkhough  et  à  l'oued  Tedjoujelt  aux  environs  du  6*^  degré 
Est,   le   second   tracé    gagne,   à    travers   un    plateau   en 
hamada,  successivement  les  vallées  de  l'oued    Mia    et  de 
l'oued  Insokki,   se  rapprochant  du  1*"^  degré  de  longitude 
Est,  et  de  là  infléchit  vers  TEst  pour  dépasser  légèrement  à 
Inzelman-Tikhsin,  dernière  étape  des  correspondances,  le 
3*"  degré  et  demi  de  longitude  Est.  D'une  façon  générale,  il 
y  a  un  écart  moyen  de  un  degré  et  demi  à  deux  degrés  de 
longitude  entre  le  trajet  de  la  première  mission  Flatters,  plus 
oriental,  et  le  trajet  de  la  seconde,  plus  occidental.  Le  point 
d'aboutissement  de  la  deuxième  mission  est  sensiblement 
plus  méridional  que  celui  de  la  première  :  le  lac  Menkhougb, 
terminus  de  la  première,  est  à  peine  au-dessous  du  26*"  degré 
et  demi  de  latitude,  tandis  que  non  seulement  Bir-el-Gha- 
rama  et  Bir-Tadjenout,  où  la    mission  fut   massacrée,  se 
trouvent  aux  environs  du  23*'  degré,  mais  encore  Inzelman- 
Tikhsin,  d'où  sont  parties  les  dernières  correspondances  cl 
les  derniers  rapports,  est  au  25"  degré  30. 

Ainsi,  la  saison,  la  direction  des  tracés,  la  nature  des  ter- 
rains, sont  tout  à  fait  autres  dans  la  seconde  mission  que 
dans  la  première.  Voyons  comment  le  Sahara  s'est  présenté 
aux  explorateurs  dans  ces  conditions  nouvelles. 


LA  DEUXIÈME  MISSION  FLATTERS.  —  LA  TEMPÉRATURE  AU  SAHARA.      153 

Tout  d'abord,  la  température  est  sensiblement  plus 
fraîche  :  elle  devient  même  froide,  parfois  très  froide  la  nuit. 
La  première  mission,  d'après  les  relevés  météorologiques  de 
l'ingénieur  Béringer,  du  26  février  au  17  mai,  n'avait  pas 
conslalé  de  température  minima  inférieure  à  2'',5  au-dessus 
de  zéro  (2  avril  à  5  heures  du  malin),  puis  4°,8  (14  avril)  à 
7  heures  du  matin;  les  minima  habituels  variaient  de  l^'yd  à 
11  ou  12",  et  rarement  s'élevaient  à  15  ou  16,  fin  février, 
mars  et  avril;  c'était  déjà  une  certaine  fraîcheur,  plus  que 
les  personnes  peu  informées  n'en  attendraient  à  cette  lati- 
tude ;  au  terme  le  plus  méridional  du  trajet  (le  lac  Menkhough, 
peu  au-dessus  du  26'  degré  de  latitude)  on  relevait,  le 
17  avril,  7  heures  du  matin,  seulement  11*,3  de  température, 
ît  le  18  avril  13%2à  la  même  heure;  trois  jours  avant  et  au- 
Jessous  du  27'^  degré,  on  avait,  à  7  heures  du  matin,  le 
14  avril,  la  basse  température  de  4%8  au-dessus  de  zéro. 
linsi,  comme  il  sera  encore  amplement  démontré  plus  tard, 
e  Sahara,  même  central  et  à  une  altitude  peu  notable, 
omporte  au  printemps  des  températures  fraîches.  Quant  aux 
laxima,  ils  ne  s'élevaient  guère,  dans  la  première  partie  de 
lars,  au  delà  d'une  vingtaine  de  degrés  et  ils  n'atteignirent 
imais  30"  dans  le  mois  de  mars;  ce  n'est  qu'à  partir 
u  7  avril  que  la  température  de  30*"  est  franchie,  pour 
•river,  mais  très  exceptionnellement,  jusqu'à  37  à  39% 
ne  fois  même  (c'est  le  maximum)  à  41",5  (journée  de 
rocco)  le  24  avril  à  une  heure  et  demie  du  soir;  on  redes- 
!nd  ensuite  le  plus  habituellement  entre  25  et  30  degrés. 
Q  définitive,  sur  les  quatre-vingt-un  jours  écoulés  du 
i  février  au  17  mai»  d'après  les  relevés  détaillés,  heure  par 
!ure,  de  l'ingénieur  Béringer,  il  a  fait  trois  fois,  le  9,  le 
•  et  le  24  avril,  pendant  deux  ou  trois  heures,  40''  aux 
virons  d'Aïn-el-Hadjadj,  c'est-à-dire  vers  le  27''  degré 
latitude,  par  un  sirocco  violent,  et  aussi  non  loin  du  lac 
3nkhough,soit  vers  le  26'"  degré  et  demi  ;  la  température  de 
""  ne  fut  pas  cotée  en  dehors  de  ces  trois  jours;  celle  de  39'' 
fut  un  seul  jour,  le  16  mai,  pendant  deux  ou  trois  heures; 


154     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSABABID: 

celle  de  38°  le  fut  un  seul  jour  également,  le  25  avril. 
celle  de  37**  fut  relevée  quatre  jours,  les  8,  11,  14  avril  eî 
15  mai  ;  enfin  on  constata  trois  fois  36*,  le  27  avril  t 
les  14  et  17  mai,  et  une  fois  35%8  le  11  mai.  Des  chaleui> 
exceptionnelles,  dépassant  ainsi  celles  que  l'on  subît  fréqueni- 
ment  à  Montpellier  ou  à  Perpignan,  à  savoir  35»,  ne  « 
rencontrèrent  donc  que  13  jours  sur  ces  81  jours  du  26  fc- 
vrier  au  17  mai;  les  chaleurs  de  plus  de  30  à  37»  furcui 
elles-mêmes  médiocrement  fréquentes  on  n'en  vo.: 
apparaître  pour  la  première  fois  que  le  27  mars  (32^,2!  ot 
peu  au  delà  d'El-Biodh  ;  on  en  relève  en  tout  21  jours  qui,S€ 
joignant  aux  13  jours  précités,  donnent  un  total  de  34  joars 
sur  81  où  la  chaleur  dépassa  à  certaines  heures  de  la  joume 
30  degrés.  D'autre  part,  les  maxima  entre  18  et  20**  furetl 
assez  fréquents,  notamment  àla  fin  de  février  et  dans  presque 
tout  le  mois  de  mars. 

Ainsi  des  minima  de  2'',5  au-dessus  de  zéro  à  10  ou  12. 
ces  derniers  très  fréquents,  des  maxima  assez  rares 
au-dessus  de  35*"  et  une  température  maxima  habituelle 
de  25  à  33%  voilà  ce  qui  résulte  des  registres  du  voyage  de  k 
première  mission  Flatters,  accompli  au  printemps  de  1880. 
Ce  sont  là  des  conditions  qui,  pour  peu  que  l'on  prenne  cer- 
taines précautions,  sont  compatibles  avec  la  salubrité. 

La  seconde  mission  Flatters,  dans  son  exploration  faiU 
au  cœur  de  l'hiver,  ne  nous  a  pas  livré  d'observations  ther- 
mométriques précises  et  détaillées  ;  mais  le  Journal  provi- 
soire de  roule  de  Flatters  et  les  correspondances  privées  de? 
membres  de  la  mission  contiennent,  au  sujet  de  la  tempéra- 
ture, des  renseignements  utiles.  Celle-ci  n'est  plus  seulemeol 
fraîche,  mais  nettement  froide  la  nuit  :  le  17  décembre  1880, 
Flatters  écrit  d'Hassi-lnifel  (29M5'  de  latitude)  :  €  Il  fait  un 
froid  de  loup  la  nuit,  le  thermomètre  descendant  jusqu'à  4  et 
5°  au-dessous  de  zéro.  Le  jour,  la  température  monte  à  24 
ou  25°  (1).  »  Le  2  janvier  1881,  d'Hassi-Messeguem,  vers  k 

(1)  Documents  relatifs  à  la  tnission  dirigée  au  sud  de  l'Algérie,  page  4i4. 


LA  DEUXIÈME  MISSION  FLATTERS.  —  LA  TEMPÉRATURE  AU  SAHARA.      155 

28""  degré  de  latitude,  il  mande  à  sa  femme  :  «  Il  fait  chaud 
dans  la  journée  :  20  à  25'',  froid  la  nuit.  Nous  avons 
eu  jusqu'à  6^  au-dessous  de  zéro  il  y  a  trois  nuits  :  Teau 
a  gelé  dans  des  gamelles  sous  la  tente  (1).  »  La  fin  de 
janvier  est  plus  clémente  ;  d'Amguid  (26''3'  de  latitude),  le 
19  janvier  Flatters  note  :  «  La  température  monte  :  nous 
avons  eu  des  journées  de  25  à  26""  de  chaleur;  les  nuits  ne 
descendent  pas  au-dessous  de  10  à  12  degrés.  Cela  nous 
change  de  ces  jours  derniers  où  nous  avons  eu  de  la  gelée 
blanche  le  matin  (2).  j» 

L'ingénieur  Béringer confirme  les  observations  de  Flatters  : 
le  18  décembre,  il  écrit  d'Hassi-Inifel  :  «  Le  temps  est  superbe, 
seulement  il  fait  très  froid  le  matin.  Aujourd'hui  encore  nous 
avons  trouvé  Teau  gelée  dans  un  vase  qui  avait  passé  la 
nuit  hors  des  tentes.  Le  thermomètre  à  minima  marquait 
—  2%8  »  ;  et  le  29  janvier,  €  par  26'0'45"  de  latitude  et  envi- 
ron 3  degrés  de  longitude,  dans  Timmense  plaine  des  oueds 
Igharghar  et  Tedjert  »,  il  s'exprime  ainsi  :  «  Nous  avons  eu 
des  froids  assez  vifs  ( — 8**  un  matin).  En  ce  moment  les 
nuits  sont  moins  froides  et  le  minimum  est  de  +  5°  à  +  8* 
en  moyenne.  Dans  la  journée,  le  thermomètre  fronde  atteint 
parfois  30  degrés  (3).  » 

L'ingénieur  des  mines,  Roche,  également  membre  de  la 
mission,  confirme  ce  témoignage;  il  écrivait  à  M.  Georges 
Holland,  le  4  janvier  1881,  d'Hassi-Messeguem,  par  28°15'  de 
latitude  :  c  Depuis  Hassi-Djemel  nous  avons  eu  tout  le  temps 
des  températures  minima  inférieures  à  zéro,  sauf  deux  nuits 
où  le  ciel  était  couvert.  L'avant-dernière  nuit,  nous  avons 
eu  —  6°;  bien  entendu,  nous  avons  de  la  glace.  Les  jour- 
nées, au  contraire,  sont  chaudes;  généralement  la  tempéra- 
ture s'élève  à  plus  de  20  degrés  (4).  » 

Le  climat  du  Sahara,  même  de  celui  du  centre,  comporte 

'\\  Documents  relatifs  à  la  tnission  dirigée  au  sud  de  V Algérie,  page  417. 
(â)  Ibid.,  page  418. 
(3)  Ibid.,  page  427. 
<4}  Ibid.,  page  439. 


I 


11)6     LK  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSÀEARIi 

donc  des  froids  assez  rigoureux  la  nuit,  et  les  tempéralurb 
diurnes  hivernales  y  montent  habituellement  entre  20  û 
25°,  exceptionnellement  30°;  ces  conditions,  on  ne  saum 
trop  le  répéter,  pourvu  qu'on  prenne  les  précautions  néccr 
saires,  sont  très  salubres. 

Le  parcours  de  la  deuxième  mission  Flatters  aéléplusds 
que  celui  de  la  première,  non  seulement  à  cause  de  la  saiso: 
mais  par  la  nature  du  sol  ;  il  résulte  des  constatations  •• 
Flatters  et  de  Béringer  que  dans  la  première  partie  il  >: 
prêterait  moins  à  l'établissement  facile  et  peu  coûteux  du~ 
chemin  de  fer;  il  en  est  différemment  de  la  seconde  partie 
La  mission  s'est  trouvée  longtemps  au  début  en  ierraii 
hamada.  En  outre,  la  saison  était  plus  sèche. 

Flatters  émet  l'opinion  que  les  pluies  de  printemps  poui 
raient  être  plus  abondantes  que  celles  d^automne  :  •  H  e?' 
à  remarquer  que  si  Ton  a  chance  de  trouver  de  Teau  en  loole 
saison,  écrit-il  de  l'oued  Insokki,  aux  environs  du  28*dep 
et  demi,  dans  les  mechra  (1)  de  l'oued  Insokki,  comme  dans 
ceux  de  Toued  Mia,  ou  des  autres  oueds  de  la  région,  k 
printemps  est,  cependant,  la  saison  la  plus  favorable,  parce 
que  les  pluies  y  sont  généralement  plus  abondantes  que  cette 
d'automne  (2).  »  Plus  loin,  Flatters  corrige  en  partie  celle 
opinion,  ainsi  qu'il  résultera  d'une  citation  que  nous  ferons 

Il  relate  ce  bruit  qu'il  n'aurait  pas  plu  depuis  plusieurs 
années  dans  la  région  traversée.  Le  12  décembre  1880,1c 
Journal  de  roule,  en  pleine  hamada  désolée,  s'exprime  ainsi: 
a  Les  pâturages  sont  abondants  dans  Toued  Khechobd 
quand  il  a  plu  ;  mais  la  pluie  est  rare  dans  ces  parages.  ^^» 
n'en  a  pas  vu  depuis  plusieurs  années  et  nos  chameaux  Iroo- 
vent  très  peu  de  chose  à  manger.  Du  reste,  de  Bêchage'- 
Ilel  jusqu'à  Sedjerat-Touila,  où  nous  irons  demain,  se  trouve. 
disent  les  indigènes,  la  partie  la  plus  déshéritée  de  toute '^ 
vallée  de  l'oued  Mia  (3).  »  Qu'il  y  ait  dans  le  Sahara,  coramt 


(1)  Sorles  de  cuvetlps  tenant,  dit-on,  l'eau  pendant  deux  ans. 

{±)  Documents  reialifs  à  lu  mission  dirigée  au  sut!  de  VAlgériet  page  301. 

(3)  Ibid,,  page  283. 


L.V  DEUXIÈME  MISSION  FLATTERS.  —   PLUIES  ET   POINTS  D'EAU,      157 

dans  toute  vaste  contrée,  des  localités  inégalement  traitées 
par  la  nature  pour  le  régime  des  eaux,  cela  est  incontes- 
table; mais  il  ne  semble  pas  qu'il  y  en  ait  qui  restent  plu- 
sieurs années,  d'une  façon  absolue,  sans  pluies  ;  en  tout  cas, 
elles  sont  rares  ;  le  Journal  de  la  deuxième  mission  Flatters 
va  en  témoigner. 

Cette  deuxième  mission  s'est  accomplie,  cependant,  en  une 
année  de  sécheresse,  ainsi  que  l'indique  la  lettre  d'envoi  par 
Flatters,  au  ministre,  en  date  d'Hassi-Inifel  et  du  18  décem- 
bre 1880,  d'une  partie  de  son  Journal  provisoire  de  roule  et 
d'autres  documents.  «  Tout  marche  bien  jusqu'à  présent,  y 
dit-il,  mais,  faute  de  pluie  suffisante  cette  année,  les  points 
dVau  sont  très  rares  (1)  »  ;  et  de  môme,  dans  une  autre  lettre 
d'envoi  au  ministre  d'une  autre  partie  de  son  Journal  prori- 
soire  de  roule^  Flatters  note  encore  d'Ilassi-Messeguem  le 
6  janvier  1881  :  «  L'obligation  de  faire  des  détours  pour  trou- 
ver les  points  d'eau  qui  sont  rares  faute  de  pluie  suffisante 
cet  automne,  la  pauvreté  des  pâturages  à  chameaux,  le 
(Irblaienment  plus  pénible  qu'on  ne  le  supposait  du  puits  de 
Messeguem  ont  retardé  quelque  peu  notre  marche  au  sud  (2).  » 
Et  dans  son  Journal^  à  la  date  du  2  janvier  1881,  il  revient 
sur  la  même  idée  :  «  Sur  la  route  que  nous  venons  de  faire 
depuis  Ouargla  (jusqu'à  Hassi-Messeguem),  les  points  d'eau 
sont  éloignés  les  uns  des  autres  et  les  pâturages  sont  mai- 
gres, faute  de  pluie  d'automne  suffisante  (3).  » 

De  tous  ces  passages  il  résulte  non  pas  qu'il  n'y  eût  point 
eu  de  pluie  l'automne,  mais  qu'on  en  avait  eu  moins  que 
d'habitude,  et  non  pas  que  les  points  d'eau  eussent  disparu, 
mais  qu'ils  étaient  plus  espacés. 

Soit  dans  les  puits,  soit  dans  les  mechras  (cuvettes  conte- 
nant de  l'eau),  soit  dans  les  rhédirs  (mares),  soit  parfois, 
quoique  très  rarement,  dans  des  ruisseaux  à  fleur  de  sol,  la 
mission  a  rencontré  l'eau  nécessaire,  souvent  de  très  bonne 

tl)  Documents  relatifs  à  la  mission  dirigée  au  sud  de  VAlgéne,  page  57fi. 
(2)  Ibid,,  page  293. 
(3>/ôiW.,  page  311. 


158     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHABID' 

qualité;  elle  s*est  trouvée  seulement  de  temps  à  autre  oblige 
à  quelque  détour  ou  à  une  étape  un  peu  plus  longue  qs^ 
d'usage.  Le  Journal  provisoire  de  roule  contient  à  ce  sojc, 
les  mentions  les  plus  précises  :  le  7  décembre  :  «  Le  puiu 
Haïcba  a  8  mètres  de  profondeur;  eau  abondante  et  asse. 
bonne  (1)  »  ;  le  16  décembre,  au  hassi  (puits)  Sidi-Abdelba- 
kem  :  «   Le  puits,  creusé  dans  le  sable,  a  6  mètres  de  pro- 
fondeur jusqu*au  niveau  de  l'eau.   Eau  bonne,  mais  pc. 
abondante  (2)  ».  Le  17  décembre  :  «  Séjour  à  Hassi-Inifei 
Creusement  d*un  nouveau  puits  de  6  mètres  de  profondeur, 
à  côté  de  Tancien  qui  est  insuffisant  (3)  >  ;  le  18  décembre 
c  Séjour  à  Hassi-Inifel  ;  achevé  d'abreuver  les  chameaux  et  d: 
faire  provision  d*eau  pour  la  route (4)  j»  ;  le  23  décembre: 
«  A  rentrée  de  cette  gorge  est  le  puits  comblé  dit  du  Targui- 
Kourzelli  et,  un  peu  plus  haut,  le  Tilmas-Raoua,  puits  où  s« 
trouve  encore  un  peu  d  eau  ;  c  est  vraisemblablement  use 
source  qui  donnerait  beaucoup  d'eau  si  elle  était  aménagée, 
mais,  à  partir  d4ci,  Teau  est  assez  fréquente  en  remont&tti 
Toued  Insokki.  Dans  une  période  de  trois  ans»  Toued  lui- 
même  coule  en  moyenne  une  fois  à  forte  crue,  une  autre  foi> 
à  crue  moindre  (5)  »  ;  le  25  décembre,  à  Toued  Insokki  :  c  Ctî\ 
là  que  se  trouve  le  puits  à  parois  bien  garnies  de  pierres  ;  pro- 
fondeur, 2"',50jusqu*au  niveau  de  Teau.  Eau  abondante  ettrès 
bonne.  Traces  d*eau  récente  dans  de  larges  mechras.  L*eauy 
a  séjourné  tout  Télé  ;  mais  il  n'y  a  eu  qu'une  pluie  insigni- 
fiante en  automne  et  ils  sont  à  sec  (6).  »  Le  31  décembre,  a 
Hassi-Aoulouggui  :  <  Plusieurs  puits  dans  l'oued.  DeuxoDl 
un  peu  d'eau  et  on  en  pourra  avoir  davantage  en  déblapol 
d'autres  puits  plus  ou  moins  comblés.  Profondeur,  4  m^ 
très  (7).  »  De  ce  dernier  trait,  comme  de  nombre  d'autres,  il 
résulte  que  la  négligence  est  pour  beaucoup  dans  la  rarett^ 

(1)  Documents  relatifs  à  la  mission  diHge'e  au  sud  de  l'Algérie  page  278. 

(2)  Jbid.,  page  287. 

(3)  Ibid.,  page  289. 

(4)  Ibid.,  page  289. 

(5)  Ibid.,  page  298. 

(6)  Ibid.,  page  301. 

(7)  Ibid.,  page  309. 


U  DEUXIÈME  MISSION  FLATTERS.  —  PLUIES  ET  POINTS  D^EAU.      150 

des  points  d'eau.  Le  lendemain,  1"  janvier  1881,  20  kilomètres 
plus  loin,  exemple  plus  frappant  de  Tincurie  des  indigènes 
en  celte  matière  :  a  Nous  campons  auprès  du  puits  de  Mes- 

seguem Le  puits  est  à  demi  comblé  depuis  près  de  deux 

ans.  Il  doit  avoir  11  mètres  de  profondeur  jusqu'à  Teau  et  il 
s'y  trouve  5  mètres  de  sable.  C'est  donc  ce  sable  qu'il  s'agit 
de  déblayer  sans  préjudice  des  bords  avec  coffrage  fort 
endommagé  qu'il  faut  remettre  tout  d'abord  en  état  pour 
éviter  tout  danger  aux  travailleurs.  Le  travail,  entrepris  à 
deux  heures  par  des  relais  de  dix  hommes,  est  poursuivi  jusqu'à 
neuf  heures  du  soir.  A  cette  heure  on  est  arrivé  au  sable 

humide  (1) »  Le  2  janvier:  c  Séjour  à  Hassi-Messeguem. 

Le  travail  de  déblaiement  du  puits,  repris  à  sept  heures  du 
matin,  est  achevé  à  deux  heures.  L  eau  arrive  en  assez  grande 
abondance.  Bien  qu'un  peu  saumâtre  au  goût,  elle  paraît 
néanmoins  meilleure  que  ne  le  dit  Gehrard  Rohlf  qui  est  passé 
à  Messeguem  en  1864,  allant  d'Insalah  à  Ghadamès  (2).  » 
Ainsi,  voilà  un  point  d'eau  sur  une  route  importante  de  cara- 
vane; les  bords  du  puits  s'effondrent;  il  s'ensable  et,  au  lieu 
de  le  réparer,  les  indigènes  aiment  mieux  abandonner  celte 
roule  et  faire  un  long  détour.  Quoi  d'étonnant  qu'avec  ce 
défaut  d'entretien  et  d'aménagement  les  eaux  soient  rares 
dans  le  Sahara?  Il  est  plutôt  surprenant  qu'on  en  rencontre. 
Après  une  station  de  six  jours  à  Hassi-Messeguem,  la 
mission  Flatlers  en  part  le  7  janvier  1881  ;  elle  arrive  le  9  à 
rOued-el-Hadjadj  :  «  Puits  (hassi)  Oued-el-Hadjadj  dans 
loued  même.  Profondeur,  2  mètres,  mais  très  étroit.  Eau 
médiocrement  abondante.  Qualité  un  peu  supérieure  à  celle 
de  Teau  de  Messeguem.  »  Il  paraît  que  ce  puits  se  combla 
il  y  a  quelques  années,  et  les  indigènes  y  virent  l'effet  d'un 
châtiment  du  ciel  au  sujet  d'un  massacre  de  pèlerins  effectué 
par  des  coupeurs  de  route  Chaamba  :  c  Après  ce  meurtre, 
dit-on,  les  puits  moururent  par  châtiment  de  Dieu  et  ils  res- 


(1)  Docutnents  relatifs  à  la  mission  dirigée  au  sud  de  V Algérie,  page  310 
(â)  Ibid.,  page  310  et  311. 


100      LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHAR1E>^ 

lèrent  longtemps  comblés  ;  mais  la  vengeance  divine  éiaat 
satisfaite,  paraît-il,  le  Chaambi  Bou  Khechba  et  notre  guitW 
actuel  Mohamed  ben  Radja  retrouvèrent  l'eau  il  y  a  seprt 
ans  et  ils  rétablirent  le  puits  qui  existe  aujourd'hui.  Le  tra- 
vail, du  reste,  est  des  plus  faciles,  et  d'autres  essais  avaient 
donné  de  bons  résultats  ;  mais  le  forage  opéré  par  Bol 
Khechba  a  seul  survécu  aux  éboulements.  » 

Cette  remarque  est  topique  et  confirme  les  réflexions  que 
nous  faisions  plus  haut  :  le  nombre  des  puits  dans  le  Sahars 
pourrait  être,  sans  doute,  triplé  ou  quadruplé,  sinon  décuplé, 
et  leur  débit  énormément  accru,  si  la  prévoyance,  Tintelli- 
gence  et  Tart  européen  se  consacraient  à  celte  œuvTe 
C'est,  en  effet,  une  légende  ridicule  que  celle  de  l'absence 
de  toutes  pluies  pendant  des  années  consécutives  dans  cette 
vaste  contrée;  immédiatement  après  les  passages  que  nous 
venons  de  citer,  Flalters  s'exprime  ainsi  :  «  Quant  à  l'Oued- 
El-lladjadj,  il  coule  en  moyenne  tous  les  trois  ans  pendant 
quatre  ou  cinq  jours  sur  une  étendue  de  7  à  8  kilomètres, 
dans  la  partie  relativement  resserrée  où  nous  sommes.  C  est 
généralement  en  automne  ou  en  hiver,  saisons  pendant  les- 
quelles les  pluies  sont  les  plus  abondantes,  à  Tenconlre  de 
ce  qui  se  passe  pour  l'oued  Mia  et  l'oued  Insokki,  où  nou> 
avons  vu  que  les  pluies  du  printemps  l'emportent  sur  les 
autres.  Toutefois,  il  y  a  des  exemples  de  crue  au  printemps 
et  même  en  été,  l'été  dernier  par  exemple,  à  la  suite  de 
violents  orages  qui  ne  sont  pas  très  rares  dans  cette  région. 
Ici  c'est  généralement  le  vent  du  sud  qui  amène  la  pluie, 
le  vent  de  l'est  apporte  du  sable,  le  vent  du  nord  apporte  le 
froid,  et  lèvent  du  sud-ouest  ou  de  l'ouest  ou  chiheli  apporte 
la  chaleur  ;  c'est  le  sirocco.  D'après  les  gens  du  pays,  il  est 
bien  rare  que  quelques  années  se  passent  sans  pluie  dans 
une  saison  ou  dans  une  autre  ;  il  y  a  variation  dans  la  quan- 
tité d'eau  qui  tombe,  mais  nul  ne  se  souvient  d'une  période 
prolongée  de  sécheresse  absolue  (1).   »   Ces    lignes   sont 

(1)  Documents  relatifs  à  la  mission  diriffée  au  sud  de  VAtqéne^  pages  3?* 
et  321. 


LA   DEUXIÈME  MISSION   FLATTERS.  —  PLUIES  ET  POINTS  D'EAU.     161 

écrites  le  9  janvier  1881,  presque  exactement  au  28*  degré 
de  latitude. 

Dans  la  suite  de  son  Journal  provisoire  de  rou/e  jusqu'au 
20*  degré,  à  partir  duquel  il  ne  donne  plus  de  nouvelles, 
Fiallers  rencontre  d'ailleurs,  modérément  espacés,  des  points 
d'eau,  soit  dans  des  puits,  soit  dans  des  tilmas,  des  mechras 
ou  des  rhédirs,  diverses  dénominations  de  mares  variées. 
Il  constate  aussi  des  pluies  récentes  ;  le  14  janvier  :  «  Végé- 
lalion  abondante;  il  a  plu  depuis  peu  de  temps  (1)  »;  le 
16  janvier  :  «  A  32  kilomètres  de  notre  point  de  départ,  sur 
notre  gauche,  nous  trouvons  la  sobba  (cascade).  C'est  un 
cirque  de  rochers  auquel  on  arrive  par  un  chemin  très  dif- 
ficile d'environ  un  kilomètre  de  longueur  à  partir  de  l'oued. 
Les  cascades  n'existent  qu'après  des  pluies  abondantes  ; 
mais  nous  trouvons  beaucoup  d'eau  dans  le  fond  du  cirque 
et  dans  un  autre  rhédir,  à  un  étage  de  rochers  au-dessus.  C'est 
(le  l'eau  de  pluie  excellente  et  extrêmement  fraîche  (2)  »  ;  le 
18  janvier  :  c  Arrivée  à  une  heure;  distance  :  26 kilomètres. 
Eau  vive  dans  un  ravin  à  parois  à  pic,  qui  forme  tranchée 
clans  le  Tasili.  La  tête  de  ce  ravin  est  à  environ  6  kilomètres 
à  Test.  Le  ruisseau  présente  plusieurs  élargissements  natu- 
rels successifs  communiquant  les  uns  avec  les  autres  ;  il  y 
a  quelques  poissons  (barbeaux)  (3)  ».  On  est  alors  à  Amguid, 
un  peu  au-dessus  du  26*  degré  de  latitude.  Le  20  janvier, 
une  reconnaissance  explore  les  environs  :  «  Départ  de  la 
reconnaissance  à  7  h.  15.  Route  au  sud.  Le  Tasili  à  gauche, 
la  dune  à  droite.  Sol  pierreux  de  coudiat,  puis  reg  et  végé- 
tation de  l'oued.  A  10  heures,  passé  à  hauteur  du  Tinesel- 
Muaken,  fontaine  au  pied  du  Tasili  ;  quelques  figuiers  et 
palmiers;  ruines  d'une  maison,  traces  de  cultures  aban- 
données depuis  longtemps  (4).  » 

Le  21  janvier  encore,  aux  environs  d'Amguid  :  «  Au  dé- 
bouché   de   la    branche   principale   de   l'oued   Tedjert  sur 

tl|  Uocunxenls  relatifs  à  la  mission  dirigée  au  sud  de  V Algérie ^  page  325. 
\2i  Ibid.,  page  328. 
\'M  Ibid.,  page  330. 
(4i  Ibid.,  page  335. 

Il 


162      LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMliNS  DE  FER  TRANSSAllARlE!!?. 

llgharghar,  rhédir  considérable  plein  d'eau  à  la  sortie  delà 
dune.  C'est  ici  qu'il  faut  placer  Ighellachen,  c'est-à-dire  ua 
des  aguellach  ou  élargissements  d'oued  avec  végétalion  qu\ 
se  trouvent  en  nombre  considérable  de  ce  côté,  sans  que 
rien  de  remarquable  les  distingue  à  première  vue(l).  *  Le 
26  janvier,  au  delà  d'ighellachen  :  «  Traces  de  crue  récente- 
Nombreux  ravins  ou  oudians  ;  affluents  des  deux  côtés. 
A  20  kilomètres  de  notre  point  de  départ,  rhédir  où  se  trouve 
de  Teau...  Arrivée  à  deux  heures  au  pied  du  Bourghedegt 
au  lieu  dit  Agzel.  Eau  dans  un  ravin,  rive  gauche  de  Toued. 
Distance,  30  kilomètres.  »  Le  27  janvier  :  «  Dépari  â 
6  h.  30.  Route  à  Test  et  détour  au  nord-est,  pour  achever  de 
doubler  le  Bourghedegh...  Eau  à  peu  de  profondeur  au  pied 
du  rocher  de  la  rive  droite  (2).  »  Le  28  janvier  :  «  Roule  au 
sud. . .  Arrivée  à  2  heures.  Distance  :  32  kilomètres  ;  végétation 
abondante.  On  trouverait  de  Teau  dans  le  tilmas,  en  creu- 
sant un  peu  au  pied  de  la  berge  rive  droite  de  Toued;  mais 
nous  en  aurons  demain  de  bonne  heure,  et  nous  n'en  avons 
pas  besoin  aujourd'hui,  étant  suffisamment  approvision- 
nés (3)  »;  le  29  janvier:  «  Départ  à  6  h.  15...  Arrivée  à  8  heures. 
Distance  :  8  kilomètres,  lieu  dit  Inzelman  (eau  sous  le  sablei 
Tikhsin.  Il  suffit  de  déblayer  le  sable  à  30  centimètres  de 
profondeur  pour  trouver  de  Teau  en  abondance.  Cette  eau 
estbonne,  malgré  les  efflorescences  salines  qu'elledépose(4;». 
C'est  ici  la  dernière  communication  de  Flatlers,  aux  environs 
du  25^  degré  et  demi,  c'est-à-dire  en  plein  Sahara  central. 
Il  est  de  toute  évidence,  par  ce  Journal  de  roulcy  que  les 
eaux  qui,  étant  données  les  habitudes  des  nomades  et  des 
rares  résidents,  ne  peuvent  être  que  des  eaux  superficielles 
sont  fréquentes  dans  cette  partie  du  Sahara,  de  même  que 
dans  celle  qu'avait  traversée  la  première  mission  Flatlers. 
Si,  quelquefois,  il  y  a  un  écart  assez  grand  entre  ces  points 
d'eau,  c'est,  la  plupart  du  temps,  parce  qu'on  les  laisse  sans 

(1)  Documents  relatifs' à  la  mission  dirigée  au  sud  de  l'Algérie,  page  336. 

(2)  îbid,,  page  338. 
(3}/6w/.,  page  339. 
(4)  Ibid.,  page  340. 


LA  DEUXIÈME  MISSION   FUTTERS.  —  PLUIES  ET   POINTS  D'EAU.      163 

soin  et  que  le  nombre  de  puils  morts  qu'on  pourrait  avec  un 
peu  de  travail  vivifier  de  nouveau,  ou  des  puits  comblés  qui 
auraient  besoin  de  quelques  heures  ou  parfois  de  deux  ou 
trois  jours  de  labeur  pour  être  déblayés,  est  considérable. 
Constamment  le  Journal  de  roule  mentionne  ces  puits  morts 
ou  ces  puits  comblés,  parfois  avec  des  réflexions  qui  sont 
topiques  :  le  8  et  le  9  décembre  (1);  le  12  décembre  :  «  A 
7  kilomètres  au  delà  de  Mgouirat-Nous,  nous  passons  au 
puits,  mort  depuis  longtemps,  de  Ben-Abd-el-Kader; 
c'était  un  puits  bien  maçonné;  il  y  aurait  3  ou  4  mètres  de 
sable  à  enlever  pour  le  remettre  en  état,  ce  qui  lui  donnerait 
12  mètres  de  profondeur  jusqu*au  niveau  de  Teau  (2).  »  Le 
31  décembre,  au  sujet  de  l'important  puits  Messeguem,  dont 
il  a  été  question  plus  haut  (p.  159)  et  que  la  mission  a  dû 
déblayer,  le  Journal  de  roule  fait  les  décisives  observations 
suivantes  :  c  C'est  à  Oudian-Chouikh  que  se  réunissent  de 
nouveau  les  deux  medjebed  (tracés  de  caravanes)  au  nord-est 
des  gour  de  Tinkert  que  le  medjebed  par  Messeguem  laisse 
au  sud.  Depuis  que  le  hassi  (puils)  Messeguem  est  à  demi 
comblé,  nul  ne  s'est  donné  la  peine  de  le  remettre  en  état, 
et  les  caravanes  passent  plus  volontiers  par  Aoulouggui  (3).  » 
/linsi,  plutôt  que  de  s'efforcer  de  rétablir  un  point  d'eau,  ce 
à  quoi  la  mission  réussit  facilement  (Voy.  plus  haut,  p.  159), 
les  caravanes  préfèrent  dévier  leur  route.  Le  même  jour,  le 
humai  de  roule  mentionne  qu'on  pourrait  avoir  plus  d'eau 
I  en  déblayant  d'autres  puits  plus  ou  moins  comblés  (4)  ». 
Le  9  janvier,  le  11  janvier,  il  est  aussi  fait  mention  de  ces 
)uils  morts  ou  comblés;  à  cette  dernière  date  :  <c  Arrivée  à 
me  heure  à  Oglat-elHamaïan,  trois  puits  de  2  mètres, 
lont  un  garni  de  pierre,  mais  à  demi  comblés  (5).  »  La  cor- 
espondance  privée  des  membres  de  la  mission  en  parle 
lussi  plusieurs  fois  (6). 

(1)  Documents  relatifs  à  la  mission  dirigée  au  sud  de  l'Algérie^  page  279. 

(2]  Ibid.,  page  282. 

(.3)  IbifL,  page  307. 

(4)  Ibid.,  page  309. 

\5)  Ibid,.  page  322. 

(6)  Ibid  ,  pagis416,419,  421. 


164      LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FEli  TRANSSAnARlEN'^ 

Outre  le  Journal  de  roule  et  la  correspondance  privée,  b 
rapports  de  l'ingénieur  des    mines  Roche,  membre  de  la 
mission,  annexés  au  Journal  sous  le  titre  de  :  Eludes  gè(r 
logiques  el  hrjdrologiques^  notent  la  fréquence  et  la  qualité 
des  eaux.  Nous  passons  ce  que  dit  Tingénicur  Roche  (le.> 
puits  d'Ouargla  et  de  ses  environs,  cette  région  étant  encori 
assez  septentrionale.  Un  peu  plus  loin  on  remonte  la  vallée 
de  Toued  Mia  :  «  A  Touest,  au  delà  de  la  berge  gauche  d^ 
Toued  Mia,  est  la  hamada  gréseuse  quaternaire.  Cette  régioD 
est  parsemée  de  nombreux  puits  alimentés  par  la  napp^ 
souterraine,  qui  affleure  dans  le  choit  d'Ouargla.  Parmi  ce? 
puits,  nous  avons  rencontré  les  hassis  Bou-Khénissa,  el  Aïcli? 
et  Djemel  ;  leur  eau  est  assez  bonne,  bien  que  des  matière? 
organiques  en  décomposition  lui  donnent  toujours  un  go:il 
sulfhydrique  (1).  »  Ainsi,   c'est  Tincurie  des  indigènes  qui 
souille  ou  laisse  souiller  ces  eaux.  L'ingénieur  Roche  donne 
ensuite  quelques  détails  sur  ces  puils  et  l'analyse  deseaiix: 
la  profondeur  respective  des  trois  puits  qu'il  a  cités  est  de 
7",40,  8  mètres  et  11   mètres,  la  température  des  eauxoe 
23  degrés.  En  poursuivant  la  route  du  côté  d'Hassi-Inifel 
on  se  trouve  au-dessus  d'une  nappe  aquifère  :   «  Les  hh 
précédents    semblent  démontrer  que,  depuis  Kechaba  en- 
viron, les  hamadas  sont  turoniennes,  et  que  dans  l'oued  Mia 
sont    des    dépôts    quaternaires   ou    modernes.    Sous  ce^ 
alluvions  est  la  nappe  aquifère  qui  alimente  les  puits  el 
peut-être  plus  bas,  dans  la  partie  la  plus  profonde  et  la  plu> 
ancienne  du  lit  de  l'oued  Mia,  la  nappe  artésienne  comme 
à  Ouargla  et  dans  l'oued  Rir'  (2).  »  Au  terme  de  cette  région 
«  le    Hassi  (puits)   Abd-el-Hakem  ou  Inifel  a  6  mètres  de 
profondeur.  L'eau  en  est  bonne  (3)  ». 

La  prolongation  des  eaux  souterraines,  plusieurs  degré> 
de  latitude  au-dessous  de  l'oued  Rir',  est  ainsi  établie;  mai> 
les  indigènes  ou  les  nomades  n'utilisent  ces  eaux  que  quand 

(1)  Documents  relatifs  à  la  mission  dirigée  au  sud  de  V Algérie,  page  590. 

(2)  Ibid.,  page  291. 
[Z)lbid.,  pa^c  21)2. 


LA   DEUXIÈME   MISSION   FLATTERS.  —  PLUIES  ItT   POIiNTS  D'EAU.      16o 

elles  affleurent  presque  à  la  superficie,  dans  des  puits  de 
2  ou  3  mètres  jusqu'à  une  douzaine  de  mètres  de  profondeur. 
A  ce  point  de  vue,  les  courts  rapports  hydrologiques  de  l'in- 
génieur en  chef  Roche  sur  les  diverses  sections  du  parcours 
de  la  seconde  mission  Flatters  sont  très  intéressants  à  étu- 
dier. Voici  le  résumé  de  ses  observations  sur  la  section 
d  Hassi-Inifel   à  Hassi-Messeguem,   d'abord    sur  la  vallée 
de  rinsokki  :  «  Le  fond  de  l'oued  (Insokki),  où  sont  plusieurs 
rhédirs  (mares)  actuellement  à   sec  el  un  puits,  le  hassi 
Insokki,  est  occupé  par  des  sables  d'alluvions,  surmontés 
d'un  banc  de  gros  cailloux  roulés  formant  le  sol  de  la  vallée. 
C'est  au  milieu  de  ces  sables  que  se  trouve  la  couche  d'eau 
à  laquelle  on  est  parvenu  au  moyen  d'un  puits  de5™,50.  Lors 
de  notre  arrivée,  il  y  avait  2"*, 50  d'eau  au  fond  de  ce  hassi. 
Cette  eau  est  de  bonne  qualité  (1).   »   Ainsi,  toujours  des 
puits  superficiels.    La  température  de   celte    eau  était    de 
20  degrés.  Plus  loin  «  dans  l'oued  Djokran  au  milieu  des 
alluvions  de  la  vallée,  nous  rencontrons  un  petit  puits   de 
3  mètres,    Tilmas-Sedra,   dont  l'eau   est    de   peu   d'abon- 
dance (2)  ».  Il  est  naturel  que,  presque  à  la  surface  du  sol, 
ces  petites  réserves  d'eau,  nullement  ou  à  peine  abritées, 
s'évaporent  rapidement. 

On  arrive  à  l'oued  Aoulouggui  que  Ton  suit  à  peu  près 
jusqu'à  Messeguem  :  €  Au  milieu  des  alluvions  de  Toued 
sont  creusés  Irois  ou  quatre  puits,  hassis  Aoulouggui, 
ayant  3  mètres  de  profondeur,  et  donnant  un  peu  d'eau  de 
bonne  qualité  (3).  »  Ce  sont  toujours,  on  le  voit,  des  eaux 
presque  de  surface;  la  température  de  celle-ci  n'est,  cepen- 
dant, que  de  15  degrés.  Écoutons  encore  l'ingénieur  Roche  : 
«  Le  plateau  dé  Tadémaït  -c  termine  par  des  escarpements 
fie  40  à  50  mètres  devant  la  pbine  de  Messeguem,  plaine  de 
ïeg  (petit  gravier  siliceux)  de  15  kilomètres  environ  de  lar- 
geur, comprise  entre  les  escarpements  de  Tadémaït  et  de 

^U  Documents  f'elalifs  à  la  mission  dirigée  au  sud  de  l'Algérie,  page  314. 
i->  Ihld.,  page  31o. 
'^l/6t(/.,  page  315. 


i66     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIENS 

Tingherl.  Le  puits  de  Messeguem  est  au  milieu  de  celU 
plaine  dans  un  bas-fond  gypseux,  espèce  de  sebkha  ;  il  a 
9°',50  de  profondeur  et  est  tout  entier  creusé  dans  du  gypse 
plus  ou  moins  cristallisé  et  sableux.  L'eau  est  de  qualité 
médiocre  (1).  »  La  température  de  cette  eau  est  de  18X 
Celte  partie  du  trajet  de  la  mission,  qui  est  presque  en  pleioe 
hamada  (Voy.  plus  haut,  p.  92  à  94  et  L%),  est  la  moins 
favorisée  au  point  de  vue  des  eaux;  néanmoins  celles-ci  ne 
font  nullement  défaut,  et  si  Ton  ne  se  contentait  pas  de> 
dépôts  presque  superficiels,  qu'on  creusât  un  peu  davantage, 
on  en  serait  beaucoup  plus  amplement  pourvu. 

La  section  d'Hassi-Messeguem  à  Amguid  est  un  peu  plu> 
favorisée,  quoique  Ton  soit  encore,  en  général,  en  terrain 
hamada  :  «  Le  plateau  de  Tinghert,  dit  Tingénieur  Roche 
dans  ses  notes  hydrologiques,  renferme  de  Teau  en  certains 
points,  au  milieu  des  alluvions  de  quelques  oueds.  Ainsi. 
nous  en  avons  trouvé  5  Hassi-el-Hadjadj  et  à  Tilmas-el- 
Mra  »  ;  et  Tingénieur  décrit  ces  points  d'eau,  le  premier 
«  puits  de  2°',50;  eau  assez  bonne,  température  18^^). 
densilé  1,0031  »  ;  le  deuxième  :  «  puits  de  2'",50;  eau  bonne, 
température  22  degrés;  densité  1,020  (2)  ».  Ce  sont  donc 
toujours  des  eaux  quasi  superficielles.  A  l'approche  d'Am- 
guid,  c'est  tout  à  fait  de  Teau  courante  que  Ton  rencontre: 
«  Du  massif  du  Tasili  descendent  quelques  ravins  parmi 
lesquels  l'oued  Amguid,  ravin  étroit,  compris  entre  deux 
escarpements  très  raides;  son  lit  renferme  un  petit  filet  d'eau 
de  bonne  qualité  (3).  »  La  température  de  cette  eau,  tout  à 
fait  de  surface,  est  de  19%  sa  densité  de  1,0015. 

Voici  enfin  pour  la  dernière  section  du  parcours,  d'Am- 
guid  à  Inzelman-Tikhsin,  soit  au  25*"  degré  et  demi;  le  rap- 
port est  très  succinct,  mais  concliinnt:  «  Entre  leplateaudii 
Tasili  et  la  plaine  de  Tlgharghar,  écrit  l'ingénieur  Roche. 
s'étend  TEguéré...  ;  les  oueds  de  l'Eguéré  renferment  quel- 

(1)  DociDnrnts  relafifs  à  la  t/ns^itni  dirifféc  an  sud  de  VAlr/érie,  pages  31*iot-)l'' 
(21  Ibid.,  page  332. 
(3)  Ibid.,  pago333. 


LA  DEUXIÈME  MISSION  FLATTERS. —  PLUIES  ET  POINTS  D'EAU.      167 

quefois  de  Teau  (1).  On  en  voit  des  Iraces  nombreuses.  Dans 
le  lit  de  ces  oueds  on  rencontre  souvent  des  dépôts  blancs 
salés  amenés  par  les  eaux.  Au  milieu  des  dunes»  au  con- 
fluent de  Toued  Tedjert  et  de  Toued  Igharghar,  sont  deux 
grands  rhédirs  (eau  assez  bonne;  densité  1,0015).  La  plupart 
des  vallées  renferment  une  nappe  aquifère  souvent  peu  pro- 
fonde. Ainsi,  à  Inzelman-Tikhsin,  dans  l'oued  Alouhaï,  il 
suffit  de  creuser  à  50  centimètres  de  profondeur  pour  avoir 
de  Teau.  Cette  eau  est  assez  bonne,  malgré  les  nombreux 
dépôts  salés  voisins  (2).  »  Voilà  les  derniers  renseignements 
de  la  seconde  mission  Flatters;  ils  concernent,  on  le  voit,  le 
Sahara  central,  entre  le  27*^  degré  et  demi  et  le  25''  et  demi  (3). 

Ainsi,  la  plupart  des  vallées  de  cette  région  renferment 
une  nappe  aquifère,  en  général  peu  profonde;  mais  encore 
faudrait-il  souvent  foncer  les  puits  au  delà  de  cette  profon- 
deur habituelle  de  2  à  4  ou  5  mètres  et  de  cette  profondeur, 
actuellement  exceptionnelle,  de  10  à  12;  il  conviendrait 
parfois  de  descendre  à  20,  30  ou  40  mètres  (4);  ensuite  il 
faudrait  établir  solidement  ces  puits,  les  préserver  des  ébou- 
lements,  les  mettre  à  l'abri  des  déjections  du  bétail  et  en 
retirer  les  débris  organiques  des  plantes,  les  abriter,  les 
défendre,  et  de  temps  à  autre  les  curer.  Ces  soins  sont  au- 
dessus  de  rintelligence,  de  la  prévoyance  et  en  dehors  des 
habitudes  des  indigènes  et  des  nomades. 

Avec  un  aménagement  réguUer,  les  eaux  seraient  abon- 
dantes au  Sahara,  non  seulement  pour  le  service  des  cara- 
vanes et  l'alimentation  des  trains  sur  les  chemins  de  fer,  mais 
aussi  pour  l'entretien,  en  nombre  d'endroits,  de  troupeaux 

(i)  Cela  doit  s'entendre  de  l'eau  courante;  car  on  va  voir  que  presque  tous 
renferment  à  très  peu  de  profondeur  de  l'eau  souterraine. 

{i)Ibid.,  page  U± 

(3)  D'après  l'ingénieur  Béringer  (Documents  relatifs  à  la  mission  dirigée  au 
sud  de  V Algérie,  page  438),  Inzelman-Tikhsin,  le  dernier  point  d'où  la  seconde 
mission  Flatters  ait  envoyé  des  nouvelles,  se  trouve  au  So»  degré  35'  de  latitude 
et  au  3«  degré  30'  de  longitude  est.  Flatters,  lui,  donne  la  latitude  de  25o30' 
[Ihid.,  page  418). 

<4i  Les  nappes  artésiennes  à  Ouargla,  d'après  l'ingOnieur  Céringer,  sont  à  3o 
ou  40  mètres  de  profondeur.  Documents  relatifs  à  la  mission  dirigée  au  sud  de 
VAlfjérie,  page  433. 


168      LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMIiNS  DE  FER  TRANSSAUARIEV 

permanents  et  de  résidents  fixes.  Les  dunes  et  leurs  couloir^ 
ou  gassis,  les  oueds  nombreux,  les  plaines  de  reg  ou  gm- 
vier  qui  forment  de  beaucoup  la  plus  grande  partie  i.i 
Sahara  recèlent  des  réservoirs  d'eau  ;  et  il  n'est  pas  jusquà 
la  hamada  ( Voy .  plus  haut,  p.  92  à  94),  le  terrain  le  plus  ingrai 
et  le  plus  stérile,  qui  elle-même  n'en  puisse  contenir;  seule- 
ment, il  convient  de  Ty  chercher  à  plus  de  profondeur 
Flalters  admet  qu'on  peut  l'y  rencontrer,  mais  avec  une  cii- 
laine  profondeur  de  forage  et  des  frais  assez  grands  à  caute 
de  la  dureté  du  terrain  (1). 

On  continue  à  dire,  cependant,  que  le  Sahara  est  un  pau^ 
sans  eau  et  où  il  ne  pleut  jamais.  De  temps  à  autre,  les  voya- 
geurs eux-mêmes,  avec  quelques  atténuations,  répèlent  c- 
refrain,  que  leur  propre  journal  dément  :  ainsi  riogénieur 
des  mines  Béringer,  membre  de  la  seconde  mission  Flallers. 
écrit  le  19  décembre  1880,  d'Hassi-Inifel,  à  M.  Engel,  de 
Strasbourg  :  «  Nous  sommes  tombés  sur  une  année  sans  pluie 
suffisante,  car  il  ne  pleut  dans  ce  pays  qu'une  année  sur  ' 
trois  et  plutôt  Télé  que  l'hiver,  ce  qui  explique  pourquoi  le 
passage  d'une  grosse  caravane  y  est  plus  aisé  en  automne 
qu'au  printemps.  Dans  les  années  pluvieuses  l'eau  paraît 
tomber  en  abondance,  car  les  laisses  que  nous  constatons  ] 
sur  beaucoup  de  points  de  l'oued  accusent  un  courant  de 
près  de  1  mètre  de  haut  sur  50  mètres  de  large  (2).  »  Mais, 
outre  que  lui-même  reconnaît  plus  loin  avoir  trouvé  fréquem- 
ment de  l'eau,  parfois  abondante,  ceux  des  voyageurs  qui 
se  laissent  aller  à  répéter  qu'il  ne  pleut  qu'une  année  sur 
deux  ou  sur  trois  fournissent  immédiatement  dans  leurs 
récils,  par  les  pluies  qu'eux-mêmes  ont  subies,  un  démenti  à 
cetteassertion  vulgaire.  Cette  expression  :  «  il  ne  pleut  qu'une 
année  sur  deux  ou  trois  »  n'est  qu'approximativeeln'a  qu'une 
valeur  relative,  signifiant  simplement  qu'à  une  année  de 
fortes  et  violentes  pluies,  comme  celle  qui  produit  les 
énormes  torrents  dont  vient  de  parler  l'ingénieur  Béringer.  j 

(i)  îiocumenls  relatifs  à  la  vnssion  divKjve  au  sud  de  l'Alcjérle,  pajje  28,'î. 
:;2;  Ib'uL,  page  430. 


LA    DEUXIÈME   MlSSIOiN   FLATTERS.— PLUIES  ET  POINTS  D'EAU-      169 

succèdent  une  ou  deux  années  de  pluies  plus  rares.  C'est 
exactement  comme  les  Normands  quand  ils  disent  qu'il  n'y 
a  pas  de  pommes. 

11    n'est  pas  un  seul  voyageur  ayant  parcouru   pendant 
quelques   mois,  en  quelque  saison  que  ce  soit,  une  région 
importante  quelconque  du  Sahara,  qui  n'ait  reçu  des  pluies 
et  parfois  nombreuses  et  fortes.  On  l'a  vu  par  l'exemple  de 
la  première  mission  Flatters  au  printemps  (Voy.  plus  haut, 
page  107)  ;  il  en  a  été  de  même  de  la  seconde  mission  Flat- 
ters, dans    la  très    rapide    exploration  dont  on    a  le  récit 
[d  décembre  1880-29  janvier   1881).  Le  2  janvier,  Flatters 
écrit  d*Hassi-Messeguem  :  «  Ce  malin,  pour  la  première  fois 
nous  avons  eu  quelques  gouttes  de  pluie  ;  mais  le  soleil  est 
revenu  bientôt,  quoiqu'il  y  ait  encore  quelques  nuages  (1).  » 
Puis,  le  5  janvier  1881,  d'Hassi-Messeguem  également  : 
«  Depuis  deux  jours  nous  avons  un  peu  de  pluie  (2)  »,  ce  qui 
indique  que  cette  pluie  n'a  pas  duré  qu'une  journée.  L'ingé- 
nieur Béringer,  dans  une  lettre  du  4  janvier,  confirme  d'Hassi- 
Messeguem  ce  témoignage  :  «  Depuis  le  3  le  temps  paraît 
changé.  Le  ciel,  habituellement  d'un  beau  bleu,  s'est  chargé 
(le   nuages,  le  vent  du  sud-ouest  a  soufflé  avec  force,  par 
rafales,  et  pendant  une  demi-heure  la  pluie  a    tombé.  S'il 
pouvait  tomber  de  l'eau  encore  quelques  jours,  ce  serait  une 
bonne  fortune  pour  notre  caravane.  Nous  trouverions    de 
l'eau  dans  les  rhédirs  et  le  pâturage  de  nos  bêtes  de  somme 
deviendrait  excellent  (3).  »  L'espoir  de  l'ingénieur  Béringer 
n'a  pas  été  complètement  déçu,  puisqu'une  lettre  de  Flatters 
du  lendemain,  5  janvier,  indiquait  que  la  pluie  durait.  Il 
semble  bien  qu'elle  ait  continué  et  qu'elle  se  soit  étendue 
bien  plus  au  sud. 

Le  29  janvier,  Flatters  écrit  d'Inzelman-Tikhsin,  sud 
dEguéré-Amadghor,  par  25''30'  de  latitude  :  «  Le  pays 
n'est  pas  aussi  dépourvu  de  pâturage  et  d'eau  qu'on  le  croyait 

ill  documents  relatifs  à  la  missiofi  dîrifjèe  au  siul  de  l'Algérie,  ])ii^^(.'  417. 
\-^\  Ibid.,  page  iiC. 
(3|  Ibid.,  page  438. 


170     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN   ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARlDr 

à  cause  des  pluies  récentes,  et  nous  avons  pu  conlinuerdirec- 
tement  au  sud  sans  nous  détourner  (1).  > 

Ainsi,  à  deux  autres  reprises,  une  fois  dans  son  Jourm 
provisoire  de  roule  le  22  janvier,  il  est  question  de  pluie> 
récentes  qui  doivent  s'être  étendues  jusqu'à  la  plaint 
d'Amadghor;  une  autre  fois,  dans  sa  letlre  d'envoi,  en  dalf 
d'Inzelman-Tikhsin  (Eguéré)  du  29  janvier,  au  ministre  de^ 
travaux  publics,  il  est  aussi  parlé  des  «  pluies  récentes  (2)> 

Voilà  donc  une  mission  quia  franchi  toute  cette  partie  du 
désert,  en  dehors  des  périodes  habituelles  des  pluies,  les- 
quelles ont  lieu,  comme  elle  le  constate  elle-même,  en  automct 
ou  au  printemps,  et  qui,  dans  le  court  espace  des  sept  semaine? 
deplein  hiver  (3  décembre  1880  à  29  janvier  1881)  auxquellei 
s'appliquent  ses  relations,  reçoit,  d'une  part,  des  pluies  pen- 
dant plusieurs  jours  vers  le  28"^  degré  de  latitude  et  constate, 
vers  le  25*^  degré  et  demi,  les  effets  de  pluies  récentes. 

Tout  démontre  ainsi  que  l'absolue  siccité  du  Sahara  esl 
une  légende  et  il  en  est  de  même  de  l'absence  de  végétation. 
Il  y  a  des  végétaux  et  des  fourrages,  même  en  plein  hiver, 
dans  le  Sahara  ;  une  caravane  comptant  des  centaines  de 
chameaux  trouve  à  y  nourrir  ses  bêtes  ;  les  pâturages  y  sont 
plus  ou  moins  abondants,  quelquefois  il  faut  faire  des  pro* 
visions  pour  quelques  étapes,  mais  jamais  le  manque  de 
végétation  ne  constitue  un  obstacle  insurmontable.  La 
seconde  mission  Flatlers  en  fournit  la  preuve,  comme  la 
première,  quoique  celle-là  ait  effectué  son  trajet  dans  la 
saison  la  plus  défavorable  (décembre  et  janvier)  et  souvent 
dans  le  terrain  le  plus  aride,  en  pleine  hamada  (Voy.  plus 
haut,  pages  76  et  92). 

Sur  la  variété  des  plantes  fourragères  du  Sahara,  nous 
renvoyons  plus  haut,  pages  122  et  suivantes.  Les  documents 
de  la  seconde  mission  Flatters,  étant  provisoires  (c'est  k 
titre  que  porte  le  Journal  de  roule)  et  sommaires,  entrent 
dans  de  moindres  détails. 

(1)  Uocuments  relatifi}  à  la  mission  dinfjée  au  sud  de  l'Algérie,  page  418. 

(2)  Ibid.,  pages  334  et  337. 


LA  DEUXIÈME  MISSION  FLATTERS.  —  LA  VÉGÉTATION  SAHARIENNE.      171 

Suivons-les  cependant.  Les  notes  sur  la  végétation  s'y  suc- 
cèdent, les  unes  favorables,  parfois  très  favorables,  les 
autres  moins.  On  quitte  Ouargla,  le  4  décembre  1880  : 
<  Pâturage  assez  abondant,  surtout  sur  le  plateau  (l)  »  :  le 
5  décembre  :  c  Plaine  immense,  plate,  à  fond  de  reg  fin 
(Voy.  plus  haut,  page  97)  ;  pâturage  abondant  (2)  ».  Le 
10  décembre  :  «  Sebbakh  Terfaïa  est  une  dépression  avec 
affleurements  de  gypse.  Pâturages.  Quelques  /er/a  (tamarins) 
rabougris,  d*où  le  nom  (»3).  »  Le  11  décembre  :  «  Les  deux 
vallonnements  dont  il  vient  d'être  parlé  portent  plus  particu- 
lièrement le  nom  de  Siab;  il  s'y  trouve  quelque  végétation, 
des  reterrij  du  hade  (4).  »  Le  12  décembre  ;  «  Route  au  sud- 
ouest  en  remontant  la  bande  de  végétation,  relem  et  guederuy 
qui  marque  dans  le  reg  la  trace  du  Saïba  [saïba,  singulier 
de  siaby  signifie  gouttière,  rigole),  résultant  de  deux  siab 
au  point  de  réunion  desquels  (melaga)  nous  venons  de 
camper  (5).  »  Le  13  décembre  :  c  Végétation  très  abondante  : 
drin,  baguel,  tamarix,  etc.  (6).  »  Le  14  décembre  :  «  Départ 
à  6  h.  45.  Suivi  Toued  Mia,  bien  marqué  par  de  hautes 
berges.  Nebka  (Voy.  plus  haut,  page  97)  facile,  bordée  de 
reg;  chemin  aisé,  végétation  abondante...  Arrivée  à  12  h.  30 
au  pied  de  cette  dune.  Distance  :  22  kilomètres.  Végétation 
abondante  :  drin,  hade,  hanna,  tamarix.  Nos  chameaux  trou- 
vent depuis  hier  au  soir  une  ample  compensation  à  leur 
jeûne  forcé  entre  Rechag-el-I tel  et  Sedjerat-Tonila  (7),  »  Le 
ir)  décembre  :  «  Reg  ethamadasur  la  rive  gauche;  thalweg 
parsemé  de  nebka>  avec  végétation  abondante  :  itel  (tama- 
rix), drin,  hade,  hanna,  ghessal,  etc..  Arrivée  à  1  h.  30... 
Distance,  28  kilomètres.  V^égétation  abondante,  excellente 
pour  les  chameaux  (8).  »  Le  19  décembre  :  «  Saïba,  thal- 

\i\  Documents  relatifs  à  la  mission  dirit/ée  au  sud  de  l'Algérie,  j).!*,'»-  270. 

\i)  Ibid.,  page  277. 

\'M  Ibid,.  page  280. 

I4l  Ibid.,  page  280. 

|5)  Ibid.,  page  281. 

iH)  Ibid.,  page  284. 

(Ti  Ibid.,  page  284. 

m  Ibid.,  page  286. 


172      LK  SAHAKA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TBANSSAHAR1E>ï 

weg  ou  lit  bien  marqué  par  une  végétation  abondante,  itele' 
divers...  Arrivée  à  1  h.  30  à  Metlay-Insokki,  réunion  d^ 
plusieurs  branches  plus  ou  moins  barrées  par  la  dune  qui 
envahit  le  lit  en  forte  nebka.  Pâturage  exceptionnel,  haJ 
surtout.  Distance,  30  kilomètres  (1).  »  Lundi  20  décembre 
«  Départ  à  6  h.  45.  Remonté  Toued  Insokki  en  suivant  son 
lit...  Nebka,  hamada  et  reg,  fond  d argile  formant  rhédi: 
quand  il  a  plu  ;  Tan  dernier,  Toued  a  eu  beaucoup  d*eau 
Végétation  abondante,  ilel  (2)  formant  presque  des  boispa: 
places,  drin,  hade,  etc..  A  15  kilomètres  de  notre  point df 
départ,  daïat,  relem  (Voy.  plus  haut,  page  123)  dans  le  lit  tic 
Toued,  trace  de  rhédir  de  l'an  dernier...  Fond  de  nebka;  iUl 
très  abondant  ;  bons  pâturages,  hade,  halma,  drin,  etc.  3  .  ^ 
Le  24  décembre  :  «  Arrivée  à  1  h.  30  dans  un  des  détour? 
de  Toued  Aghrid  ;  distance,  28  kilomètres.  Diss  (Voy 
plus  haut,  page  123)  abondant;  quelques  pâturages.  On 
ne  trouve  ici  de  pâturages  que  dans  les  oueds,  la  hamada 
est  absolument  dénudée  (4).  »  Le  30  décembre,  arrivée 
à  Toued  Aoulouggui  :  «  L'oued  est  constitué  par  un 
lit  sablonneux  avec  végétation  abondante  (5).  »  Le  1"  jan 
vier  1881  on  arrive  à  Messeguem  :  «  Le  puits  de  Messeguem 
donnant  de  l'eau  et  les  pâturages  y  étant  très  convenables 
(damran,  hade,  ytaf,  etc.),  dit  le  Journal  provisoire  déroule. 
nous  y  séjournerons  deux  ou  trois  jours  (6).  » 

En  fait,  la  mission  n'en  repart  que  le  7  janvier  :  «  Nos 
chameaux  paraissent  se  trouver  fort  bien  du  séjour,  dit  le 
journal,  à  la  date  du  4  janvier  :  nous  resterons  deux  jours 
encore  pour  abreuver  une  seconde  fois  et  profiter  complète- 
ment de  la  bonté  du  pâturage  (7).  » 

Le  7  janvier  :  «   Départ  de  Hassi-Messeguem  à  7  h.  30. 
Arrivée  à  ce  point,  au  pied  des  gour  (Voy.  plus  haut,  pagel^^i 


(li  Documents  velalifs  à  la  mission  dirif/éeau  sud  de  VAUjérie^  P^^ge 

[t]  Variété  (!<'  tainari.v. 

(3i  Documents  relatifs  ù  la  înission  dirif/ée  au 

{\}  Ibid.,  page  300. 


Î94. 


(5) Ibid.,  page  306 
(6)  Jbid.,  page  311. 
[1)  Ibid.,  page  313. 


'  au  sud  de  VAbjêrie.  page  29^- 


A  DEUXIÈME  MISSION  FLATTERS.  —  LA  VÉGÉTATION  SAHARIENNE     1*73 

luTinghertà  3  h.  30.  Dislance,  33  kilomètres.  Végétation 
ibondante  pour  les  chameaux  (1).  »  Le  lendemain,  8  janvier: 
i  Départ  à  7  heures.  Route  à  Test  en  descendant  TOued-el- 
rladjadj,  dont  le  lit  principal  résulte  de  la  rencontre  de  plu- 
sieurs oudians  à  environ  2  kilomètres  de  notre  point  de 
lépart  ;  lit  marqué  par  une  végétation  très  abondante  (hade, 
damran,  drin,  retem,  nouguir,  quelques  gommiers  en  brous- 
sailles, etc.  (2).  »  Le  même  jour  :  «  Arrivée  à  midi  et  demi. 
Dislance,  20  kilomètres.  Ici  afflue,  à  droite,  Toued  Oglat- 
Hameïan  qui  vient  du  sud  et  que  nous  rencontrerons  à  notre 
prochain  départ.  Végétation  très  abondante,  excellente  pour 
les  chameaux  (3).  »  Le  11  janvier  :  «  Départ  de  Ilassi-Oued- 
el-Hadjadj  à  7  h.  15.  Route  au  sud  par  Toued  Oglat- 
Hameïan...  La  vallée  s'élargit  sensiblement,  le  lit  de  l'oued 
n'est  bientôt  plus  qu'une  légère  dépression  avec  végétation 
assez  abondante  (particulièrement  du  chieh)  dans  un  reg 
pierreux,  plat  et  nu...  Nous  marchons  droit  sur  une  chaîne 
de  gour  et  d'escarpements  qui  marquent  la  tête  de  Toued 
Foula,  notre  direction  étant  sud-sud-est.  Nous  sommes 
toujours  dans  la  plaine  de  reg;  nombreux  oudians  marqués 
par  de  la  végétation  allante  l'oued  (4).  » 

On  remarquera  que  dans  les  récents  passages  cités,  il  y  a 
l'indication  de  plusieurs  plantes  fourragères  :  le  nouguir,  le 
chiehy  qui  ne  figurent  pas  dans  Ténumération  que  nous  avons 
faite  plus  haut  (pages  123  à  125)  :  elles  portent  bien  au  delà 
de  la  vingtaine  le  nombre  des  plantes  fourragères  du 
Sahara,  et  il  y  en  a  certainement  d'autres  oubliées  (5). 
Le  12  janvier  :  «  Route  au  sudtsud-est.  Quitté  le  lit  prin- 

(li  Documents  relatifs  à  la  inission  dirigée  au  sud  de  l'Algérie^  page  318. 

(il  Ibid.,  page  320. 

(3)/ôirf.,  page  320. 

[^)  I6id.,page  322. 

(i))  Outre  les  plantes  les  plus  fréqucnles  et  ayant  vie  particulièrement  notées 
parla  première  mission  Flatters  (Voy.  plus  haut,  pages  123  à  125),  notamment 
\e  hade, le  drin^  le  datnran,  le  néci,  le  retem,  qui  paraissent  les  plus  répandues 
elles  plus  utiles,  le  Journal  provisoire  de  route  de  la  seconde  mission  cite  encore 
assez  fréquemment  :  Vadjerem,  le  diss»  le  chieh,  le  sedra,  le  kta/f,  le  haddadj 
(sorte  de  coloquinte),  pages  303  et  30î)  des  Documents  relatifs  à  la  mission  ;  avec  le 
noufjiiir  cité  plus  haut,  cela  grossit  sensiblement  la  nomenclature  de  ces  plantes, 


174     LE  SAHARA,  LB  SOUDAN   ET  LES  CHEMINS  DE  FEU  TRANSSAHARIE>5.| 

cipal  de  Toued  Foula...;  passé  sur  le  reg  pierreux,  mai 
facile,  ou  hamada  passant  au  reg,  delà  rive  droite...  ;  oudiac: 
nombreux,  confus,  marqués  par  des  traces  de  végétatioa 
danslereg(surtoutdunéci,  damran,  hade,  etc.)...  Nous  attei- 
gnons son  lit  principal  (de  Toued  Tilmas-el-Mra),  marqué 
par  une  végétation  très  abondante  (drin,  hade,  dam- 
ran, etc.)  (1).  »  Le  13  janvier  :  «  Départ  de  Tilmas-el-Mra 
7  h.  15.  Route  au  sud-sud-est...  Plaine  de  reg  presque 
complètement  plaie;  oudians  marqués  par  de  la  végétatioD 
allante  Toued  Malah...  En  continuant  toujours  au  sud-sud- 
est  nous  remontons  Chabel-Laroui...  Végétation  assezabon- 
dante  (néci,  damran,  hade,  etc.).  Arrivée  à  2  heures.  Distance 
26  kilomètres  (2).  »  Le  lendemain  14  janvier  :  «  Roule  au  sud- 
sud-est.  Le  reg  passe  à  la  hamada,  puis  la  hamada  revient 
au  reg;  c'est  une  plaine  unie  avec  quelques  oudians  marqués 
par  du  néci  (3).  »  Le  15  janvier  :  «  Route  au  sud,  en  remon- 
tant Toued  Iraouen...  Terrain  plat  et  facile...  Retrouvé 
Toued  à  8  kilomètres  de  notre  point  de  départ;  nous  le 
suivons  en  remontant  toujours  dans  la  direction  sud.  Le 
lit  de  Toued  est  marqué  par  une  abondante  végétation  et 
par  de  nombreux  gommiers  qui  forment  par  places  comme  de 
véritables  bois  (4).  >  Ici,  on  le  voit,  il  ne  s'agit  aucunement 
de  rares  plantes  espacées. 

Deux  jours  après,  le  17  janvier,  aux  environs  d'Amguid  : 
«  L'oued  Gharis,  marqué  par  une  végétation  très  abondante 
et  par  des  traces  de  rhédirs,  franchit  la  chaîne  de  dunes  par 
une  coupure.  Nous  passons  la  dune  en  tournant  au  sud-est 
pour  éviter  la  partie  difficile;  nous  passons  Toued  Gharis, 
et  nous  arrivons  au  lit  de  Tlgharghar  (végétation,  gom- 
miers, etc.),  au  pied  du  Tasili  (5).  »  Le  lendemain  18  jan- 
vier 1881,  la  mission  arrive  à  Amguid,  point  de  première  im- 


(  1}  Documents  relatifs  à  la  inission  dirigée  au  sud  de  l'Algérie,  pages  322  et  323. 
(2)  Il)id.,  page  324. 

^3)  /6iV/..  page  324;  le  néci,  on  Ta  vu,  est  une  des  principales  plantes  fourra- 
gères du  Sahara. 
(4|  /6ù/..    page  325. 
(5)  Il)id.,  page  329. 


A  DEUXIÈME  MISSION  FLATTEHS.  —  LA  VÉGÉTATION  SAHARIENNE.      175 

sortance  ;  elle  y  trouve,  comme  on  Ta  vu  plus  haut  (page  161), 
le  Teau  courante  avec  de  petits  poissons.  On  est  là  au  bas 
lu  plateau  qui  constitue  la  ligne  de  partage  des  eaux  entre 
a  Méditerranée  et  TOcéan  ou  le  lac  Tchad,  en  plein  Sahara 
central,  un  peu  au-dessous  du  26^  degré  et  demi. 

La  mission  reste  plusieurs  jours  à  Amguid  :  elle  détache 
e  20  janvier  une  reconnaissance  vers  le  sud,  conduite  par 
Rlatters   même,  accompagné  des   deux  ingénieurs  Béringer 
;t   Roche.  Le  Journal  prouisoire  de  route  rend   compte  de 
îetle  reconnaissance   :  le  20  janvier  :  c  Nous  suivons,  dit  le 
|Ournal,  la  chaîne  granitique  qui  prolonge  le  Tasili  au  sud... 
arrivée  à  3  heures  à  Azurahren,  près  du  cap  du  Tasili  pro- 
prement dit  ou  Ahl-Lekor;  végétation  abondanle  (1).  t>  Le 
lendemain,  21  janvier  :  «  Départ  d'Azurahren  à  6  h.  15.  Route 
au  sud  sur  le  Djebel  Oudan...  C'est  ici  qu'il  faut  placer 
Ighellachen,  c'est-à-dire  un  des  aguellachs  ou  élargissements 
d'oued  avec  végétation  qui  se  trouvent  en  nombre  considé- 
rable de  ce  côté,  sans  que  rien  de  remarquable  les  distingue 
à  première  vue.  Arrivée  à  1  h.  30.  Distance,  30  kilomètres  ; 
nous  avons  fait  60  kilomètres   depuis  Amguid  (2).    »  Le 
22  janvier  :  «  Nous  allons  à   15  kilomètres  en  avant  au  sud- 
ouest  sur  le  Khanfousa.  Terrain  reg  ;  oued  marqué  par  de  la 
végétation.  Notre  pointe  extrême  s'arrête  à  10  kilomètres  du 
Khanfousa  même.  D'ici  on  voit  parfaitement  la  vaste  entrée 
plate  et  unie  du  reg,   rive  droite  de  l'Igharghar,  qui  donne 
accès  dans  la  plaine  d'Amadghor  (3).  »  La    reconnaissance 
revient  à  Ighellachen  et  y  fait  une  halte  de  quatre  journées. 
Le  26  janvier  :  «  Départ  d'Ighellachen  à  6  h.  15.  Route  à 
l'est  par  l'oued  Tedjert  à  travers  le  coudiat  ou   montagne 
de  l'Eguéré...  Traces  de   crues  récentes  ;  végétation   abon- 
danle; grands  tamarix  (4).  »  Le  27  janvier  :  «  Route  à  l'est 
et  détour  au  nord-est  pour  achever  de  doubler  le  Boughe- 
degh...  Franchi  plusieurs  oudians  ou  affluents  du  Tedjert 

(1)  Documents  relatifs  à  la  mission  dirigée  au  sud  de  V Algérie ,  page  335. 

(2)  Ibid.,  page  336. 

(3)  Ibid.,  page  33C. 

(*)  Mirf.,   pages  337  et  338. 


176     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN   ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIEV 

avec  végétation  et  gommiers.  Terrain  hamada  presque  reg 
facile  (1).  »  Le  28  janvier  :  «  Départ  à  6  h.  15.  Route  au  suJ; 
remonté  FAhadjéri  par  une  hamada  et  un  reg faciles...  ;  le  li: 
de  l'oued,  marqué  par  de  la  végétation,  tamarix,  etc.,  e^î 
près  du  bord  du  coudiat  du  Toufrigh...  ;  arrivée  à  2  heures 
Distance,  32  kilomètres  ;  végétation  abondante  (2).  »  L' 
29  janvier:  «  Départ  à  6  h.  15,  roule  au  sud;  continué  ï 
remonter  Toued  Alouhaïqui  paraît  moins  important  et  moin> 
riche  en  végétation  que  l'oued  Meregalla,  son  affluent  <le 
gauche...  Arrivée  à  8  heures.  Distance,  8  kilomètres,  lieu 
dit  Enzelman  (eau  sous  le  sable)  Tikhsin.  Végétation  assez 
maigre  :  diss,  tamarix.  Nous  sommes  ici  au  sud  de  TEguéré. 
près  du  débouché  de  Toued  Tedjert  dans  la  plaine  d'Amad- 
ghor...  Les  passages  de  Tlgharghar  à  la  plaine  d*Amadghur 
sont  en  reg  plat  et  la  plaine  est  encore  extrêmement  étendue 
en  largeur  (3).  » 

C'est  ici  que  finit  le  Journal  provisoire  de  la  seconde 
mission  Flatters;  on  est  au  25°  degré  30  de  latitude 
Depuis  ce  moment,  on  n'a  plus  aucune  nouvelle  de  la 
mission  jusqu'à  son  massacre.  Si  Ton  réfléchit  qu'Ouar- 
gla  est  au  32^*  degré  et  que  les  premiers  villages  de 
i'Aïr,  avancée  du  Soudan  dans  le  Sahara,  se  trouvent  à 
peine  au-dessous  du  20"  degré,  on  voit  que  Flatters, 
depuis  Ouargla,  avait  effectué,  à  Inzelman-Tikhsin,  dans 
cette  partie  de  l'exploration  sur  laquelle  on  est  minu- 
tieusement renseigné  par  son  Journal  provisoire  de  roule, 
sensiblement  plus  de  la  moitié  de  la  traversée  du  désert 
proprement  dit;  or,  il  a  presque  partout  troilvé  de  la 
végétation,  une  végétation  variée,  assez  fréquemment  une 
végétation  abondante,  riche  même  (il  se  sert  souvent  du 
premier  mot  et  parfois  du  second)  ;  toute  cette  végétation,  il 
la  rencontre  en  plein  hiver,  en  décembre  et  janvier.  11  est 
clair  que  tous  ces  oueds,  où  les  plantes  sont  nombreuses  et 

(1)  Documents  relatifs  à  la  missiofi  dirigée  au  sud  de  l'Algérie,  page  338. 

(2)  Ibid.,  page  339. 

<3)  Ibid.,  pagos  339  et  340. 


A  DEUXIÈME  MISSION  FLATTBRS.  —  LA  VÉGÉTATION  SAHARIENNE.      177 

3rment  tout  au  moins  un  ruban  généralement  continu, 
nt  des  couches  d'eau  à  une  profondeur  plus  ou  moins 
;rande;  mais  aucune  sonde,  aucune  recherche  ne  la 
ollicite. 

Et  ce  n'est  pas  seulement  une  végétation  fourragère  et 
ampante  que  Ton  rencontre  au  Sahara,  c'est  assez  souvent 
ne  végétation  arborescente  :  on  a  partout  du  bois,  et  assez 
réqiiemmentde  vrais  arbres,  parfois  de  beaux  arbres.  L'ingé- 
ieur  Roche  écrit  d'Hassi-Messeguem  (28^15'  de  latitude)  le 
janvier  1881  à  M.  Georges  Rolland  :  c  II  y  a  presque  toujours 
u  bois,  ce  qui  n'est  pas  à  dédaigner  parles  nuits  froides  que 
ous  avons  à  supporter  (1).  »  Quelquefois  ce  bois  n'est  que 
es  arbustes  ou  broussailles  ;  mais  il  arrive  aussi  que  ce  sont 
e  grands  arbres  :  les  essences  que  nous  avons  rencontrées 
ans  le  voyage  de  la  première  mission  (Voy.  plus  haut, 
âge  127)  :  les  palmiers,  figuiers,  gommiers  surtout,  tamarins 
l  autres  variétés  de  ce  genre,  itels,  et  quelques  autres  es- 
ences  aussi,  le  peuplier,  par  exemple,  et  le  tremble.  Dans  les 
assages  du  Journal  que  nous  avons  reproduits  ci-dessus,  il 
st  souvent  question  des  premiers  de  ces  arbres,  parfois 
ualifiés de  grands  et  de  beaux  :  «  grands  tamarix  (2) »,  «  beaux 
iraarix  (3)  »,  de  «  très  nombreux  gommiers  qui  forment  par 
laces  comme  de  véritables  bois  (4)  »  en  plein  Sahara 
entrai,  «  et  également,  dans  une  autre  localité,  des  itels 
rariété  de  tamarix)  formant  presque  des  bois  par  places  (5)  » 
rès  de  l'oued  Insokki. 

De  place  en  place,  on  rencontre  des  palmiers,  arbre  très 
vide  d'eau  :  «  La  présence  des  palmiers,  dit  le  Journal  de 
oale  du  21  décembre,  sur  le  chemin  de  Hassi-Inifel  à  Hassi- 
lesseguem,  indique  que  la  sécheresse  n'est  jamais  de  longue 
urée  dans  cette  partie  de  l'oued  Insokki  ;  elle  donne  même 
eu  de  supposer  qu'il  existe  une  nappe  aquifère  peu  pro- 

ili  Documenls relatifs  à  la  mission  dirigée  au  sud  de  V Algérie,  page  44 §• 

(2'  Ibid.,  page  338. 

i3)  Ibid.,  page  436. 

<4i  /6W.,  page  325;  Voy.  aussi  pages  324,  338. 

<5j  /6iU,  page  294. 

12 


178     LE  SAIlÀRA,  LB  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIU: 

fonde  (1).  »  Plus  loin,  au  sud  même  d'Amguid,  le  20  jan\ie: 
«  Sol  pierreux  de  coudiat,  puis  reg,  et  végétation  de  l'ouei 
A  dix  heures,  passé  à  hauteur  de  Tineseal-Maken,  fontaine  : 
pied  du  Tasili  ;  quelques  flguiers  et  palmiers  ;  ruines  im 
maison,  traces  de  cultures  abandonnées  depuis  long 
temps  (2).  »  Ces  abandons  de  cultures,  qui  sont  assez  frr 
quents  au  Sahara,  tiennent  presque  toujours  à  rinsécurite 
dont  il  sera  question  plus  loin  et  qui  est  le  grand  fléau  de  \i 
contrée. 

On  y  rencontre  aussi  des  essences  beaucoup  plus  sepleo 
trionales,  ainsi  des  peupliers  ou  des  trembles.  Le  Hdécembiv 
dix  étapes  au  sud  d'Ouargla,dansla  direction  d'Hassi-Iniftl 
«  A  15  kilomètres  de  notre  point  de  départ  se  trouve  m 
bouquet  d'une  cinquantaine  de  sa/sa/* (tremble).  Il  yeua  J< 
deux  espèces  :  Tathila  à  longues  feuilles  et  le  safsaf  pr(^ 
prement  dit  à  feuilles  dentelées  (3).  »  L'ingénieur  Béringei 
note  aussi  cette  variété  d*arbres  qu'il  appelle  peupliers,  au 
lieu  de  trembles.  Dans  une  lettre  d'Hassi-Inifel,  il  écrit; 
0  Le  seul  arbre  véritable  que  nous  ayons  rencontré  esll 
tamarix,  sauf  sur  une  surface  d'une  dizaine  d'hectares  appelt< 
data  safsaf,  où  poussent  des  peupliers,  safsaf  en  arabe 
L'apparition  de  cet  arbre,  dont  la  feuillage  jaune  clai 
tranche  vivement  sur  le  vert  sombre  des  tamarix,  nous  i 
agréablement  surpris  (4).  »  Il  n'est  pas  exact  que  le  laman 
soit  le  seul  arbre  saharien,  outre  le  tremble  ou  le  peuplic 
qui  ne  se  trouverait  que  dans  un  endroit  limité.  >aoi 
parler  des  figuiers  et  palmiers  sporadiques,  le  gommier  don 
la  sphère,  il  est  vrai,  est  un  peu  plus  méridionale  qu  Inifel 
d'où  Béringer  datait  cette  lettre,  est  très  abondant  ai 
Sahara  ;  puis  sur  l'autre  versant  de  la  ligne  de  partage  i^ 
eaux,  des  espèces  arborescentes  importantes,  offrant  un  trî! 
grand  développement,  apparaissent,  ainsi  qu'on  le  verraplu' 
loin  par  les  relations  de  Foureau  et  de  Barth. 

(1)  Documents  relatifs  à  la  mission  dirif/éeau  sud  de  V Algérie,  pago -•"'• 
(il  Ibid,,  page  333. 
(3)  Ihid.,  page  28i. 
^4)  lôid.,  page  435. 


LA   DEUXIÈME  MISSION  FLATTERS.  —  LA  FAUNE  DU  SAHARA.      179 

La  vie  végétale  est  donc  diversifiée  et  assez  abondante  au 
Sahara,  parfois  aussi  très  vigoureuse  ;  il  en  est  de  même  de 
a  vie  animale.  Tous  les  explorateurs  l'ont  constaté  et  presque 
;ur  toute  Tétendue  de  cette  immense  contrée.  La  seconde 
nission  Flatters  ne  fait  pas  exception,  ainsi  qu'en  témoigne 
e  Journal  provisoire  de  route  :  Le  15  décembre,  aux  trois 
{uarts  de  la  route  entre  Ouargla  et  Hassi-Inifel  :  «  Gazelles 
lombreuses  ;  lièvres.  Vu  des  traces  d'autruches.  Il  paraît 
]ue,  lorsqu'il  a  plu  dans  l'oued  Mia,  les  autruches  viennent 
ici  du  sud,  en  assez  grand  nombre  (1);  »  le 23  décembre, 
sensiblement  plus  loin  dans  le  désert,  entre  Hassi-Inifel  et 
Hassi-Messeguem  :  «  Vers  le  point  de   courbure  aboutit  le 

ravin  [chaba)  Chabet-el-Aroui  (du  mouflon) Ce  ravin  est 

appelé  El-Aroui  à  cause  des  nombreux  mouflons  que  Ton  y 

trouve*.  Du  reste,  les  mouflons  se  rencontrent  en  assez  grand 

nombre  dans   les  rochers  qui  bordent  l'oued   Insokki;  nous 

en  voyons  chaque  jour  les  traces  et   nos  chasseurs  en  ont 

déjà  tué  quelques-uns  (2).  »  Le  29  décembre,  plus  au  sud 

encore  et   tout  près  d'Hassi-Messeguem   :    «  Nombreuses 

gazelles  ;  vu  aujourd'hui  un  troupeau  de  quinze  têtes.  Pour 

prendre  ce  gibier,  les  Oulad-Bahamou  établissent  des  collets 

dans  les  oudians  du  Mader.    Nous  en  avons  vu  plusieurs 

consistant  tout  simplement  en  un  nœud  coulant  de  drin  ( Voy. 

plus  haut,  page  123)  jeté  sur  des  touffes  de  plantes  que  les 

gazelles  affectionnent   particuliè-ement,     des     coloquintes 

[haddadj)^   par    exemple.    La    gazelle  se    prend    dans    le 

nœud  en  broutant  (3)...  »  Le  14  janvier,  encore  plus  au  sud, 

entre  Hassi-Messeguem  et  Amguid,  aux  environs  de  l'oued 

Iraouen  :  «  Gibier  très  abondant.    Nos  chasseurs   ont  tué 

deux  mouflons  et  en  ont   vu  beaucoup  d'autres.    Vu  des 

antilopes,  des    gazelles,     des   traces  d'autruches.    Lièvres 

nombreux,  etc.  (4).  »  Le   lendemain,  15  janvier  :    «  Départ 

î>  6  h.  45.   Roule   au    sud...    Retrouvé  l'oued  (Iraouen)  à 

'M  l^ocuments  relatifs  à  la  mission  dirigée  au  sud  de  V Algérie,  page  286. 
<2)  lb\d.^  page  299. 
i^»  ibid.,  page  303. 
t*l  lb\d.,  page  325. 


180     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAflARIENS. 

S  kilomètres  de  notre  point  de  départ...  Gibier  abondant. 
Vu  deux  superbes  autruches  mâles  qui,  approchées  à  800  mè- 
tres environ,  se  sont  mises  bientôt  hors  de  portée  (1).  » 
D'autres  passages  contiennent  des  notes  analogues  et 
relèvent  la  présence  d'autres  animaux,  ânes  sauvages, 
pigeons,  etc. 

Nous  ne  parlons  pas  ici  des  animaux  domestiques  se 
trouvant  sous  la  conduite  d'indigènes  et  dans  leurs  campe- 
ments ou  aux  environs,  moutons  et  chèvres  notamment, 
qui  sont  fréquents. 

Cette  immense  contrée  offre  donc  des  ressources  natu- 
relles, culturales  et  pastorales,  espacées,  il  est  vrai,  et  non 
de  premier  ordre,  mais,  telles  quelles,  susceptibles  d'un  cer- 
tain développement,  pouvant  alimenter  et  soutenir  une 
population  probablement  décuple  et  peut-être  centuple  de 
celle  qu'on  y  rencontre,  comportant  môme  parfois  quelques 
centres.  Deux  causes  principales  réduisent  ce  pays  à  une 
infécondité  qui,  au  point  qu'elle  atteint,  est  plus  l'œuvre  de 
rhomme  que  celle  de  la  nature  :  d'abord,  le  peu  d'industrie  de  [ 
la  race  qui  s'y  trouve  et  qui  ne  sait  ni  rechercher  les  eaux, 
ni  les  aménager,  ni  les  entretenir;  ensuite  et  surtout,  la 
redoutable  insécurité  qui  règne  dans  cette  immensité. 


j 


{\)  Documents  relatifs  à  la  ynission  dirigée  au  sud  de  l'Algérie,  page  Zi"r 


CHAPITRE  Vil 

La  deuxième  mission  Flatters  (Suite).  —  Cause  principale 

DE  la  SOLITUDE  presque  ABSOLUE  DU  SaIIARA  :    l'iNSÉCURITÉ. 

—  Le  tracé  du  chemin  de  fer. 

Le  Sahara  es>t  livré  aux  pillards.  —  Los  razzias  empêchent  l'habilation  perma- 
nente et  la  culture  en  dehors  des  oasis  importantes.  —  Témoignages  abondants 
relatifs  à  cette  insécurité.  —  Cliaamba  et  Touareg  et  autres  coupeurs  de  routes. 
—  Les  caravanes  même  oppriment  parfois  et  rançonnent  les  petits  groupes  de 
résidents  ou  se  pillent  entre  elles.  —  Persistance  du  trafic  dos  esclaves.  —  Le 
Sahara  a  dû  être  de  plus  en  plus  aijandonné  et  coumio  résidence  et  comme 
lieu  de  passage. 

La  deuxième  mission  Flatters  a  constaté,  comme  la  première,  la  facilité  de  l'éta- 
bli-^soment  d'un  chemin  do  fer  dans  lo  Sahara.  —  Grande  prédominance  du 
terrain  reg,  plan  ot  ferme,  constituant  une  plaine  horizontale  solide.  —  Faci- 
lité cortaine  du  passage  jusqu'à  .Vmadgiior  vers  lo  2i<f  degré  de  latitude.  — 
Kxcollonco  do  la  position  d'Amguid. 

Très  grande  salubrité  du  Sahara.  —  Elle  constitue  un  avantage  inappréciable  à. 
la  route  du  nord  rolativomont  aux  autres  voies  d'accès  à  l'Afrique  du  contre.. 

Le  Sahara  est  livré  aux  pillards;  là  où  les  eaux  sourdent 
flaturellement  en  volume  assez  important,  comme  dans  les 
oasis  du  Touat  et  du  Tidikelt,  il  a  pu  se  former  quelques 
agglomérations  notables  qui,  tout  en  subissant  le  joug  et  les- 
prélèvements  des  bandits  organisés  du  désert,  peuvent  néan 
moins  maintenir  une  certaine  exploitation  du  sol.  Mais  dans 
les  lieux  où  les  eaux  ne  sourdent  pas  d'elles-mêmes  en 
masses  notables  et  ne  sont  pas  permanentes,  les  petits  grou- 
pements qui  pouvaient  se  constituer  n'étaient  pas  assez, 
forls  pour  résister  aux  nomades  ou  leur  faire  leur  part,  en  en 
gardant  quelqu'une  pour  eux  ;  ils  ont  été  constamment  raz- 
ziés, privés  de  leurs  moyens  d'existence,  se  sont  découragés 
et  dispersés.  L'extrême  rareté  et  l'exiguïté  des  campe- 
ments humains  au  Sahara,  surtout  des  groupements  fixes 
de  résidents,  tient  principalement  à  cette  cause  :  l'insécurité. 
La  désolation,  non  pas  complète,  mais  presque  absolue, 
du  pays  est  le  fait  de  l'homme. 


182      LE  SAHARA,  LE  SOUDAiN  ET  LES  CHEMINS  DE  FEU  TRANSSAUAHIEV 

Sur  celte  insécurité,  les  témoignages  abondent  :  le  20  d^ 
cembre  1880,  entre  Hassi-Inifel  et  Hassi-Messeguem,  Flattera 
écrit  dans  son  Journal  provisoire   de  roule  :  «  Hier  et  au- 
jourd'hui, nous  avons  reconnu  dans  i*oued  de  nombreuses 
traces  de  chameaux,  vieilles  de  sept  à  huit  jours.  Il  n\  • 
pas  de  traces  de  geas  à  pied.  C'est  donc  probablement  un 
ghezou  (bande  arabe  en  ghazia)  (1)  ou  des  gens  revenant  dv 
ghazia  et  conduisant  des  chameaux  volés.  Ces  traces  venanl 
de  Test  vont  vers  Goléa  ou  vers  TAouguérout  et  le  Gourar^ 
par  l'oued  Mia  au-dessus  de  Inifel.  Ce    sont  peut-être  des 
Chaamba  Mouadhi  de  Goléa,  fort  coutumiers  du  fait,  sans  en 
excepter  leur  caïd  Brick  ;  peut-être  des  Médakénat  du  Gou- 
rara,  comme  ceux  qui  sont  passés  non  loin  de  nous,  vers  El- 
Biodh,  à  notre  premier  voyage.  Dans  tous  les  cas,  il  est 
vraisemblable  que  ce  sont  des  coupeurs  de  roule,  exerçant 
leur  industrie  dans  le  Sahara,  et  ce  qu'il  faut  surtout  regretter, 
c'est  que  les  Chaamba  Mouadhi  de  Goléa,  soumis  à  la  France. 
puissent,  par  leurs  antécédents  déplorables,  donner  ample- 
ment raison  à  ceux  qui  les  accusent  d'être  confondus  parmi 
ces  gens-là  (2).  j>  Les  luttes  entre  les  Chaamba  et  les  Touareg, 
c'est-à-dire  entre  brigands,  sont  fréquentes  :  le  30  décembre, 
aux  environs  d'Hassi-Messeguem,  c'est-à-dire   bien  au  sui 
de  la  résidence  des  Chaamba,  le  Journal  provisoire  de  ronk 
s'exprime  ainsi  :  «  Le  nom  de  Moqtela,  si  fréquent  dans  le 
Sahara,  indique  ici  comme  ailleurs  un  lieu  de  combat.  II  y  a 
une  trentaine  d'années,  des  Chaamba  revenant  du  pays  des 
Touareg,  où  ils  avaient  été  ghazzer  (razzier)  des  chameaux, 
furent  rejoints  en  ce  point  par  les  propriétaires  des  animau\ 
volés    et  il  s'ensuivit  un  combat  dont  on  ne  sait  pas  trop 
bien  l'issue.  Quelques  tombes  se  voient  à  peu  de  distance. 
Ce  sont  celles  de  Chaamba,  disent  les  uns,  de  Touareg, 
disent  les  autres  (3).  »    On  remarquera  la  phrase  initiale. 
«  le  nom  de  Moqtela,  si  fréquent  dans  le  Sahara,  signiGe 

(1)  Ou  razzia,  coinnio  on  dit  plus  communément. 

|2)  Documenl.s  relatifs  à  la  mission  diriyée  au  sud  de  l'Algérie^  page  294. 

(3)  Ibid.y  page  30G. 


DEUXIÈME   MISSION   FUTTEHS.  —  1/INîîÉC'JRlTÉ   UU   SAllARA,    ETC.      183 

lieu  de  combat  ».  Lestombes,  d'ailleurs,  sont  nombreuses 
dans  le  désert;  il  en  est  très  souvent  question;  et  elles  ne 
concernent  guère  des  caravaniers,  les  décès  parmi  ceux-ci 
étant  rares  à  cause  de  la  très  grande  salubrité  du  pays;  elles 
ne  peuvent  que  contenir  les  restes  de  gens  tués  dans  une 
razzia  ou  bien,  aux  temps  où  le  Sahara  était  un  peu  plus  ha- 
bité qu'aujourd'hui,  ceux  d'individus  résidant. 

Si  ces  groupes  rivaux  de  brigands,  les  Chaamba  et  les 
Touareg,  se  livrent  des  combats  fréquents,  à  plus  forte  raison 
tombent-ils  à  l'improviste  sur  les  rares  cultivateurs  ou  pas- 
teurs de  ces  vastes  régions.  Le  9  janvier  1881,  tout  à  fait  en 
plein  Sahara  central,  à  propos  de  l'oued  Oglat-Hameïan, 
district  qui  paraîtrait  assez  favorisé  de  la  nature,  le  Journal 
de  roule  rapporte  :  «  Végétation  très  abondante,  excellente 
pour  les  chameaux;  mais,  malgré  cela,  les  campements  y 
viennent  peu,  lesZoua,  Oulad-Bahamou  et  autres,  par  crainte 
des  coupeurs  de  route  touareg;  les  Touareg,  par  crainte  des 
coupeurs  de  route  arabes.  Il  est  certain  que  la  réputation 
du  pays  est  assez  mauvaise  (1).  »  Les  Zoua,  dont  il  est  ici 
question  et  dont  il  va  être  parlé  plus  loin,  sont,  paraît-il, 
«  de  race  marabout  »,  ce  qui  devrait  leur  valoir  du  respect. 
Ils  sont,  avec  les  Oulad-Bahamou,  les  résidents  de  la  partie 
du  désert  qu'a  parcourue  la  seconde  mission  Flatters  entre 
le  30''  et  le  28''  degré  environ.  Le  lieutenant-colonel  écrit  à 
sa  femme,  le  25  décembre,  du  puits  de  Foued  Insokki,  par 
28^30'  de  latitude:  «  Nous  sommes  chez  les  Oulad-Bahamou, 
tribu  arabe  dont  le  centre  est  à  Insalah.  Ces  gens  sont  bien 
avec  les  Chaamba  algériens  et,  à  part  l'entrée  de  leurs  villes 
de  l'ouest  :  Insalah,  les  oasis  du  Touat,  etc.,  il  leur  est  indif- 
férent que  nous  passions  chez  eux.  Ils  ont  surtout  parmi 
eux  beaucoup  de  gens  des  Zoua,  de  race  marabout,  qui  ont 
des  représentants  chez  les  Chaamba  et  chez  d'autres  tribus 
de  l'Algérie.  Mon  guide  principal  est  un  individu  des  Zoua... 
Plusieurs  Zoua  et  Oulad-Bahamou  sont  venus  nous  voir  des 

il)  Documenti  relatifs  à  la  mission  diHjée  au  sud  de  V Algérie,  page  320. 


184     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARID: 

rares  tentes  qu'ils  habitent  çà  et  là  à  quelque  distance  ii 
noire  route  ;  et  tout  en  cberchantà  nous  vendre,  un  peupla 
cher  qu'ils  ne  valent,  quelques  maigres  moutons,  ils  nom 
ont  assuré  que  nous  trouverions  partout  bon  accueil  (1 
Il  semble  que  ces  gens  soient  sincères  etpaciQques,  mai^ 
malgré  le  caractère  maraboutique  qui  devrait  protéger  !t^ 
Zoua,  ils  sont  exposés, sinon  à  des  massacres,  du  moins  à  da 
vols  et  à  des  razzias.  Ce  ne  sont  pas,  en  effet,  seulement  Ica 
Chaamba,  d'une  part,  et  les  Touareg,  de  l'autre,  qui  volenl^ 
exterminent  ou  oppriment;  ce  sont  souvent  les  caravanes 
elles-mêmes  :  le  31  décembre,  on  trouve  cette  mention,  daod 
le  Journal  de  roule^  au  sujet  de  l'oued  Aoulouggui  :  «  Traces 
de  campements  de  Tété  dernier.  C'étaient  des  campements 
de  Zoua,  dont  la  tente  de  notre  guide,  qui  a  en  ce  moment 
même  quelques  troupeaux  dans  le  sud  de  Mader,  non  loio 
d'ici.  Pendant  qu'il  était  campé  à  Aoulouggui  Tan  dernier. 
Si  Mohamed  ben  Radja  a  vu  passer  une  caravane  considérable 
de  gens  du  Touat,  du  Tidikelt,  etc. ,  qui  se  rendaient  en  pèleri- 
nage à  la  Mecque  par  Ghadamès  et  la  Tripolitaine.  Ils  étaieoi 
plus  de  cinq  cents  portant  fusils  et,  dit  Si  Mohamed,  ils  ne 
se  conduisaient  guère  de  la  façon  qui  convenait  à  la  circons- 
tance, car  ils  se  montrèrent  fort  exigeants  et  se  firent  donner 
une  hospitalité  dont  les  approvisionnements  des  Zoua  se 
ressentirent  longtemps  (2).  »  S'il  advient  de  pareilles  mésa- 
ventures, de  la  part  des  pèlerins,  à  des  tribus  ayant  un 
caractère  maraboutique,  on  comprend  quels  risques  courent 
les  simples  pasteurs  isolés  ou  peu  nombreux,  de  la  part  des 
nomades  ou  passants  divers. 

La  crainte  du  vol  ou  du  meurtre  hante  tous  les  gens  paci- 
fiques dans  le  désert  :  l'ingénieur  Béringer,  membre  de  la 
mission,  dans  une  lettre  adressée  d'Hassi-Messeguem  (28i') 
de  latitude)  à  M.  Charles  Engel  à  Strasbourg,  écrit:  €  Dans 
la  nuit  du  26  décembre  est  arrivé  notre  guide,  parti  la  veille 
pour  visiter  sa  famille  qui  campe  dans  le  voisinage.  Il  parlait 

(1)  Documents  relatifs  à  la  mission  dirigée  au  sud  de  V Algérie,  page  413. 
(21 //»«/.,  page  309. 


DEUXIEME  MISSION  FLATTERS.  —  L'INSÉCURITÉ  DU  SADARA,   ETC.      185 

haut  avec  son  compagnon,  et  celui-ci  jouait  de  la  flûte.  De 
celte  façon,  il  annonçait  bien  à  Tavance  son  arrivée,  et  ne 
risquait  pas  d'être  accueilli  à  coups  de  fusil.  C'est,  d'ailleurs^ 
Tusage  constant  des  gens  qui,  la  nuit,  accostent  exception- 
nellement un  campement  dans  le  désert.  La  méfiance  est  le 
caractère  distinctif  des  voyageurs  du  Sahara,  et  il  n*estpas 
rare  que  deux  caravanes  qui  s'aperçoivent  fassent  demi-tour, 
Tune  à  droite,  l'autre  à  gauche,  pour  éviter  de  se  rencon- 
trer (1).  j>  On  n'en  vient  aux  pourparlers  entre  caravanes  que 
quand  des  indices  certains  révèlent  un  caractère  pacifique  mu- 
tuel. €  Une  caravane  allant  de  Ghadamës  à  Insalah,  dit  le 
Journal  de  route  le  2  janvier  1881,  passe  aujourd'hui  près 
de  Messeguem,  et,  reconnaissant  en  nous  des  gens  pacifiques 
qui  n'en  veulent  pas  au  bien  d'aulrui,  elle  s'installe  à  quelque 
distance  du  camp  pour  profiter  du  rétablissement  des  puits 
et  nous  vendre  en  même  temps  quelques  objets  dont  nous 
pourrions  avoir  besoin.  Ce  sont  des  Oulad-Bahamou  (2).  » 

Ainsi,  la  règle  au  Sahara,  sauf  indices  rassurants,  est  de 
s'éviter  ou  de  se  fuir.  Comment  s'étonner  que  les  ressources 
naturelles,  d'ailleurs  en  général  maigres  et  dispersées,  souvent 
cachées,  comme  Teau  que  recèle  cette  contrée,  ne  soient 
l'objet  d'aucune  exploitation  et  d'aucun  entretien?  Il  y  a 
cependant,  on  Ta  vu,  quelques  campements,  sinon  tout  à 
fait  permanents,  du  moins  habituels  ou  périodiques  :  ces 
Zoua  et  ces  Oulad-Bahamou  dont  il  a  été  question  plus 
haut,  ailleurs  diverses  tribus  de  Touareg,  des  Ifoghas,  des 
Azdger,  surtout  des  serfs  de  ces  tribus,  imrad. 

Quant  aux  caravanes,  elles  ne  peuvent,  dans  ces  condi- 
tions, transporter  que  des  marchandises  de  peu  de  volume, 
ou  la  marchandise  du  désert  par  excellence,  qui  se  trans- 
porte elle-même,  à  savoir  l'esclave.  Le  trafic  des  esclaves, 
quoique  fort  amoindri,  persiste.  A  propos  de  la  caravane  des 
Oulad-Bahamou,  qui  a  rencontré  la  seconde  mission  Flat- 
ters  au  puits  de  Messeguem,  le  Journal  provisoire  de  roule 

ri)  hocuments  relatifs  à  la  mission  dirif/ée  au  sud  de  l'Algérie,  page  437. 
|2)  Ibid.,  page  311. 


486     LE  SAUAKA,  LK  SOUDAN   ET  LES  CHEMINS  DE  FER  THANSSAHaBIEM. 

dit  :  «  Ils  ont  été,  il  y  a  deux  mois,  porter  à  Ghadamës  des  | 
plumes  d'autruche  et  un  peu  de  poudre  d'or,  du  henné,  des 
dattes,  quelques  tapis  et  cotonnades  du  Soudan  et  aussi 
quelques  esclaves  nègres.  Ils  rapportent  en  échange  des  colon- 
nades européennes  venues  par  Tripoli,  un  peu  de  quincail- 
lerie, du  sucre,  du  thé,  la  majeure  partie  destinée  à  être 
réexpédiée  au  Soudan  (1).  »  Traitant  ensuite  ce  sujet,  d'après 
les  renseignements  qui  lui  sont  fournis  par  ces  Oulad-Baha- 
mou  ou  qui  lui  viennent  d'autres  sources,  Flatiers  écrit  le 
2  janvier  1881  :  «  C'est  le  trafic  des  esclaves  qui  donne  les 
bénéfices  les  plus  assurés.  Tous  les  deux  ans  deux  caravanes 
principales  vont  (d'Insalah)  au   Soudan  par   Akabli  et  le 
Tanezrouft;  elles  se  séparent  chez  les  Aoulimmiden,  l'une 
allant  par  l'Âdrar  au  Haoussa,  l'autre  se  réunissant  à  h 
grande  caravane  du  Maroc  qui  va  à  Tombouclou.  Aux  gens 
d'Insalah  sont  joints  ceux  de  Ghadamès  qui  vont  au  Soudan 
occidental.  Ces  caravanes  emportent  des  cotonnades,  de  la 
soie,  de  la  quincaillerie,  de  la  bimbeloterie,  du  sucre,  du 
thé,  de  la  bougie,  etc.  ;  elles  rapportent  des  plumes  d'ao- 
truche,  de  la  poudre  d'or,  un  peu  d'ivoire,  la  plus  grande 
partie  de  ce  dernier  produit  allant  plutôt  par  les  caravanes 
directes  du  Bornou  et  du  Haoussa  sur  la  Tripolitaine  à  l'esl 
Elles  rapportent  encore  du  Soudan  des  tapis,  des  peaux,  etc.. 
mais  on  peut  estimer  que  les  marchandises  de  retour  sonï 
aux  esclaves  dans  le  rapport  de  un  à  quatre.  Les  esclaves 
vendus  et  revendus  de  place  en  place  sont  envoyés  soit  au 
Maroc,  soit  en  Tripolitaine,   où   ils  sont  d'un  écoulemenl 
facile.  11  se  produit  même  des  contre-courants,  car  il  n'est 
pas  rare  de  voir  une  caravane  conduire  des  esclaves  d'Insa- 
lah à  Ghadamès,  ou  réciproquement.  J'ai  vu  par  ici  un  nè^ 
qui  a  été  vendu  trois  fois  à  Ghadamès  et  deux  fois  à  Insalah: 
ce  n'est  qu'à  la  cinquième  vente  qu'il  a  trouvé  un  maître  qui 
a  bien  voulu  l'affranchir,  et  il  est  resté  avec  lui  comme  domes- 
tique. Dans  la  Tripolitaine  et  le  Maroc,   les  marchandises' 

(1)  Documents  relatifs  à  la  mission  dirigée  au  sud  de  VAlgérie^  page  3i*« 


DEUXIÈME  MISSION  FLATTEHS.  —  L'INSÉCURITÉ  DU  SAHARA,   ETC.      187 

soudaniennes  accessoires  de  la  traite  s*écouIent  tout  aussi 
bien  et  même  mieux  qu'en  Algérie,  les  frais  de  douane, 
d'entrepôt  et  de  marché  étant  relativement  peu  élevés.  Les 
marchandises  européennes  y  abondent,  surtout  par  le  com- 
merce anglais.  Quel  avantage  auraient  les  gens  dlnsalah  à 
donner  de   Timportance  au   courant  commercial  allant   à 
l'Algérie  où  la  traite  des  noirs  est  prohibée  ?   Cela  n'em- 
pêche pas  les  Chaamba  de  trafiquer  clandestinement  sur  la 
marchandise  humaine  et  de  conduire  avec  leurs  caravanes, 
particulièrement  au  Mzab,  plus  d'esclaves  que  Ton  ne  sup- 
pose; mais  les  bénéfices  ne  compensent  pas  toujours  les 
risques  à  courir,  et  il  ne  faut  pas  chercher  ailleurs  la  raison 
de  l'abandon  relatif  des  routes  commerciales  du  Sahara 
algérien.  La  chambre  de  commerce  d'Alger  avait  proposé, 
en  1876,  d*admettre  les  engagements  de  nègres  dans  des 
conditions  analogues  à  celles  des  coolies  pour  les  mers  de 
rinde.  C'était  évidemment  la  traite  déguisée;  mais  il  paraît 
incontestable   que,  dans  l'état  actuel  des  choses,  et  sauf 
l'établissement  d'un  chemin  de  fer  transsaharien  qui  modi- 
fierait naturellement  la  situation  du  tout  au  tout,  ce  serait 
un  moyen  certain,  fort  probablement  le  seul,  de  rétablir  et 
même  d'étendre  le  courant  commercial  direct  du  Soudan  à 
l'Algérie  (1).  » 

Il  nous  a  semblé  utile  de  reproduire  textuellement  ce  long 
passage  écrit  par  Flallers,  en  plein  désert,  vers  le  28"  degré 
de  latitude,  dans  les  premiers  jours  de  1881.  Il  revient  à 
plusieurs  reprises  sur  cette  traite  transsaharienne  ;  le  9  janvier, 
près  du  puits  d'Oued-El-Hadjadj  :  «  Nous  rencontrons  ici 
une  ancienne  connaissance  du  premier  voyage,  Sliman  le 
Ilarlani,  gardien  de  la  zaouïa  de  Témassinin  ( Voy.  plus  haut, 
page  117),  qui  revient  d'Insalah  où  il  est  allé  avec  trois  cha- 
meaux faire  une  provision  de  dattes  et  d'un  peu  de  blé.  Il 
ramène  également  deux  nègres  achetés  à  Insalah  par  des 
Ifoghas  qui  les  feront  reprendre  à  la  zaouïa  (2).  »  Ce  pas- 

ili  Documents  relatifs  à  la  mission  dirifjée  au  sud  de  VAlfjéne,  pa/?e  312. 
(2)  Ibid.,  page  321. 


188     LE  SâBàRA,  le  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIEN ^ 

sage  est  intéressant;  Témassinin  n*est,  en  effet,  guère  plu^ 
loin,  du  sud  au  nord,  d'Ouargla  que,  de  Test  à  l'ouest,  d'In- 
salah,  et  le  chemin  dans  la  première  direction  serait  plus 
plan  et  meilleur;  le  blé  devrait  aussi  y  être  plus  facile  à  se 
procurer;  mais  à  Insalah  on  pouvait  acheter  deux  nègres,  ce 
qui  a  fait  pencher  la  balance  vers  ce  marché. 

Dans  une  lettre  à  sa  femme,  en  date  dliassi-Messeguem. 
le  6  janvier,  Flatters  renouvelle  ses  observations  sur  le  com- 
merce du  Soudan,  avec  une  conclusion  plus  formelle  :  €  Là 
traite  des  nègres  est  le  principal;  le  commerce  des  marchan- 
dises est  absolument  accessoire...  Le  chemin  de  fer  trans- 
saharien  modifiera  cette  situation  du  tout  au  tout  (1).  » 

Près  d'un  quart  de  siècle  s'est  écoulé  depuis  ces  réflexions 
du  colonel  Flatters;  nous  avons  pris,  depuis  lors,  possession 
et  de  Tunis  et  d'Insalah;  le  Soudan  central  est  échu,  partie 
à  nous,  partie  à  d'autres  nations  européennes.  La  traite 
transsaharienne  trouve  ainsi  plus  d'obstacles  sur  son  chemin, 
et  il  est  probable  que,  avec  la  tourmente  qui  pendant  dix 
ans,  du  chef  de  Rabah,  a  dévasté  une  grande  partie  du  Sou- 
dan, il  en  est  résulté  un  amoindrissement  notable  de  l'impor- 
tance et  du  nombre  même  des  caravanes.  Il  est  probable 
qu'autrefois,  il  y  a  un  demi-siècle  ou  trois  quarts  de  siècle 
ou  même  un  siècle,. elles  étaient  plus  nombreuses,  que  le 
Sahara  a  dû  être  de  plus  en  plus  abandonné  et  comme  lieu 
de  résidence  et  comme  lieu  de  passage,  et  que  les  puits  et  les 
eaux  y  ont  dû  être  encore  plus  mal  entretenus  qu'au  temps 
où  le  commerce  à  travers  le  désert  était  relativement  actif. 
Il  ne  peut  être  question  d'adopter  la  méthode  d'engagement 
de  coolies  noirs,  que  sollicitait  la  chambre  de  commerce 
d'Alger  en  1876  ;  mais  comme  l'écrivait  Flatters  :  «  le  che- 
min de  fer  Iranssaharien  modifiera  cette  situation  du  tout 
au  tout  ».  11  est  certain  que,  quand  il  sera  établi,  il  se  for- 
mera un  courant  notable  et  constant  d'émigration  temporaire 
et  volontaire  de  noirs  du  Soudan  vers  l'Algérie  et  la  Tunisie. 

(1)  Documents  relatifs  à  la  mission  dirigée  au  sud  de  l'Algérie  y  page  417. 


'MISSION  FLATTERS.  FACILITÉS  DE  CONSTRUCTION  DU  TRANSSAHARIEN.   189 

)es  dizaines  de  mille  nègres  d'abord,  et  ensuite  peut-être  des 
•entaines  de  mille  viendront  y  fournir  une  main-d'œuvre  pour 
es  travaux  agricoles,  pour  ceux  des  mines  et  pour  les  tra- 
•aux  publics.  Comme  on  le  verra  plus  loin,  cette  émigration 
emporaire,  qui  pourra  aisément  porter  sur  une  cinquantaine 
le  mille  têtes  par  an,  dans  chaque  sens,  sinon  même  sur 
jine  centaine  de  mille,  s'accomplissanten  toute  liberté  et  par 
3hoix,  sera  un  des  importants  éléments  de  trafic  du  chemin 
le  fer  transsaharien.    Elle  représentera   près    d'une  demi- 
douzaine  de  millions  de  francs  de  receltes  totales,  sinon 
plus,  et  plusieurs  milliers  de  francs  de  recette  kilométrique. 
Quoique  accomplie  dans  un  pays  plus  difficile  que  celui  de 
la  première  mission,  la  seconde  exploration  de  Flalters  a  aussi 
témoigné,  non  seulement  de  la  possibilité,  mais  de  la  facilité 
de  rétablissement  d'un  chemin  de  fer  :  elle  a  constaté  que, 
même  en  mauvais  terrain,  les  passages  sont  relativement 
aisés.  «  Même  dans  les  rétrécissements  des  extrémités  sur 
la  contre-pente  sud,  en  général  raide  et  accidentée,  dit  le 
Journal  provisoire  de  roule  y  à  la  date  du  18  janvier  1881,  à 
deux  journées  au  sud  d'Hassi-Messeguem,  c'est-à-dire  vers  le 
'28*  degré,  il  se  trouve  des  passages  relativement  aisés  et  il  en 
résulte  que  de  l'oudje  sud  de  l'Erg,  de  Daïa  Ben-Abbou  par 
Toued  du  même  nom,  de  Dra-Allal  par  l'oued  El-Hadjadj,  de 
El-Biodh  par  Toued  Malah,  on  peut  aller  directement  au 
sud-ouest  en  terrain  facile  de  reg,  rallier  la  plaine  d'Adjemor, 
le  Botha    ou   Akharaba    et   Khanghat-el-Hdid    et    Tioun- 
kinin  (1).  »   Or,  la  première  mission  avait  établi  que  jusqu'à 
El-Biodh  la  pose  de  la  voie  ne  rencontrait  aucune  difficulté. 
Le  12  janvier  :  «  A  ce  point  nous  sommes  à   la  ligne  de 
séparation  de  la  vallée  de  l'oued  Foula  et  de  ses  oudians 
avec  la  vallée  à  peu  près  parallèle  de  l'oued  Tilmas  el  Mra, 
autre  affluent  sud-nord  de  l'oued  El-Hadjadj  qu'il  rejoint  à 
20  kilomètres  en  aval  des   puits.  Cette  ligne  de  séparation 
est  marquée  par  une  succession  d'escarpements  de  hamada 

(M  documents  relatifs  à  la  mission  dirigée  au  sud  de  VAlgéHe,  page  319. 


190     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  PER  TRANSSAHARILV, 

relativement  plus  difficiles  que  ceux  que  nous  avons  passé 
mais  offrant  néanmoins  de  nombreux  passages  très  abor- 
dables (1).  »  Le  15  janvier  :  «  Par  Fedj-en-Naam  on  enirr 
dans  le  coudiat  en  terrain  relativement  facile  et  on  trouv: 
un  peu  au  delà  la  tête  de  Toued  Sidi-Moussa  qui  va  à  ^ou^ 
se  perdre  dans  le  reg  du  Massin  vers  Insalah.  Cet  ouei 
Sidi-Moussa,  tête  de  Toued  Inela  de  la  carte  Duveyrier. 
sépare  le  Djebel  Iraouen  proprement  dit  du  Djebr; 
Mouidir.  L'extrême  tête  de  Toued  Sidi-Moussa  louck 
presque  à  Khanghat-el-Hdid  et  à  la  tête  de  Toued  Toghesal 
qui  va  par  Iraouen  à  Tlgharghar.  Sa  gauche  est  marquée 
par  la  chaîne  du  Mouidir,  qui  de  Khanghat-el-Hdid  se  pix»- 
longe  avec  passages  relativement  faciles  jusqu'au  Djebel 
isolé  d'Inzaz,  qui  en  est  comme  un  cap  avancé  (2).  »  h 
17  janvier,  la  note  du  Journal  embrasse  un  trajet  étendo 
et  est  tout  à  fait  affirmative.  «  Route  au  sud-sud-ouesl. 
puis  au  sud....  Le  Djebel  Iraouen  est  franchi  et,  pour 
résumer  ce  qui  a  été  dit  de  la  facilité  des  passages,  il  nVs 
rien  d'exagéré  à  affirmer  qu'une  voie  ferrée  serait  parfai- 
tement exécutable  sur  tout  le  parcours  que  nous  avons  suivi 
depuis  notre  entrée  dans  la  montagne  jusqu'à  la  sortie. 
Mais  ce  n'est  vraisemblablement  pas  par  là  que  Ton 
passera  en  chemin  de  fer,  élant  donné  le  reg  (Voy.  plus  haui 
page  97)  de  Tlgharghar  qui  s'étend  toujours  absolument 
plat  et  ferme  parle  traversdcvant  nous,  du  nord-est  où  noib 
l'avons  laissé  au  premier  voyage,  jusqu'à  Amguid  que  nous 
voyons  se  dessiner  en  cap  des  rochers  du  Tasili  sur  la 
droite  (3).  »  Ainsi,  il  y  aurait  plusieurs  tracés  praticables, 
dont  l'un  en  terrain  tout  à  fait  plan  et  ferme  quasi  depuis 
Ouargla. 

Le  passage  de  la  ligne  de  séparation  des  eaux  entre  la 
Méditerranée  et  l'Océan  ou  le  Tchad  apparaît  aussi,  par 
cette  route  d'Amguid,   relativement   aisée    :  le  20  janvier 

(1)  Documents  relatifs  à  la  mission  dirigée  au  sud  de  V Algérie,  p.  323. 
(i)  Ibid,,  pajçes  32,)  et  32j. 
(3|  Ibid.,  page  329. 


r  MISSION  FLATTERS.  FACILITÉS  DE  CONSTRUCTION  DU  TRANSSAHARIEN.  191 

881,  après  avoir  quitté  Amguid,  le   colonel  Flalters  écrit 
lans  son  Journal  de  roule  :  t  A  20  kilomètres,   le  Tasili 
init  en  trois  caps  élevés  de  700  à  800  mètres,  etune  chaîne  de 
lautes  roches  granitiques  très  déchiquetées  le  prolonge  en 
tournant  peu    à  peu    au   sud-sud-est.    La    grande    dune 
i'Amguid  se  termine  à    notre   droite.   L'oued    Igharghar 
continue  droit  au  sud  en  terrain   reg  sur  le  Djebel  Oudan 
que  Ton  aperçoit  à  environ  120  kilomètres.  La  berge  de  la 
rive    gauche    est    peu   apparente,    quoique    marquée   par 
une  surélévation  de  reg  où  se  distinguent  quelques  points 
rocheux  assez  élevés  et,  parmi  eux,  la  remarquable  gara  du 
Khanrousa.  Au    delà   de  cette  berge  très  facile  à   franchir 
s  étend,   au   sud-ouest,    un  reg   immense    qui    va  jusqu'à 
Tinnakouraf,  gour  isolés  non  loin  de  Tin-Akeli,  un  peu  au 
sud  de  Cheik-Salah  et  visibles  du  point  où  nous  sommes.  De 
Tinnakourat  on    va   en   reg,     sans    accident  sensible    de 
terrain,  au  sud,  à  la  tête  de  Toued  Aberzoug,  au  sud-sud- 
ouest,  à  celle  de  Toued  Adélës,  et,  au  sud-ouest,  à  celle  de 
l'oued   Tirhedjert.  Ces   trois  oueds  forment  les  principaux 
passages  de  TAnehet  vers  le  pays  de  Timissao  et  du  Tanez- 
rouft  au  delà  du  massif  du  Hoggar.   L'Atakor  finissant  en 
cap  élevé  par  le  Taourirt,  et  le  Taourirt  se   prolongeant  à 
Touest-nord-ouest  par  la  chaîne  plus  basse  de   TAnebet, 
ces  passages  sont  faciles  et  forment  comme  des  coupures  de 
reg  dans  TAnehet.  Cependant,  celui  de  l'Aberzoug,  le  plus  au 
sud,  longeant  presque  le  pied  du  Taourirt,   est  un  couloir 
assez  pierreux  d'environ  15  kilomètres  de  longueur.  Celui 
deToued  Adélès  est  beaucoup  plus  large  et  à  terrain  moins 
pierreux  en  reg;  celui  de  Toued  Tirhedjert  est  semblable  à 
Toued  Adélès,  mais  sensiblement  plus  au  nord   et  donnant 
en  plein  reg  du  Tanezrouft  (1).  » 

Ces  descriptions  topographiques  de  la  contrée  qui  s'étend 
au  sud  d*Amguid,  lequel,  nous  le  rappelons,  est  situé  un 
peu  au-dessus  du  26*  degré,  ne  laissent  aucun  doute  sur  la 

(l)  Doçumenls  relatifs  à  la  mission  dirigée  au  sud  de  V Algérie,  page  335. 


192   LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAOARIENS. 

facilité  des  passages,  tant  dans  la  direction  du  sud-ouest 
vers  le  Niger,  que  du  sud-est  vers  le  lac  Tchad.  On  remar- 
quera cet  énorme  reg,  c'est-à-dire  terrain  de  gravier  ferme 
et  plat,  qui  s'étend  sur  une  étendue  de  plus  de  120  kilo- 
mètres au  sud  d'Amguid.  Il  n'est  certainement  pas  de 
condition  plus  propice  à  l'établissement  d'une  voie 
ferrée. 

La  veille  du  jour  où  le  Journal  de  roule  relatait  les  ob- 
servations qui  précèdent,  Flatters,  à  la  date  du  19  janvier, 
écrivant  d'Amguid  au  ministre  des  travaux  publics  pour 
lui  envoyer  son  Journal  provisoire  de  route  d'Hassi-Messe- 
guem  à  Amguid  et  quelques  documents  annexes,  s'exprimait 
ainsi  :  «  L'aridité  absolue  de  la  plaine  immense  qui  s'étend 
au  sud  d'Amguid  rend  bien  difficile,  sinon  impossible, 
l'accès  direct  du  massif  du  Djebel  Hoggar,  situé  au  delà,  et 
je  pense  que  nous  devrons  tourner  par  le  Tasili  (plateau)  à 
l'est,  en  suivant  la  route  des  caravanes...  Dans  tous  les  cas, 
le  tracé  de  la  voie  transsaharienne  que  nous  recherchons  n'en 
sera  pas  moins  déterminé,  môme  dans  les  parties  que  nous 
n'aurons  pas  pu  parcourir,  puisque  l'obstacle  qui  nous 
force  à  nous  détourner  est  la  plaine  de  reg  unie  et  aride  où 
un  chemin  de  fer  peut  toujours  être  établi  avec  la  plus 
grande  facilité.  L'entrée  du  reg  d'Amadghor  étant  déjà 
reconnue  et  son  extrémité  sud  devant  l'être  bientôt  par  la 
reconnaissance  du  changement  de  pente  des  oueds  allant 
au  Soudan,  si  la  ligne  de  faîte  est  vraiment  peu  sensible 
comme  tout  porte  à  le  croire,  la  question  sera  résolue  (1).  » 

Elle  l'est,  en  effet,  par  les  renseignements  qui  suivent 
Sans  examiner  si  ce  reg  immense,  dont  parle  Flatters,  est 
d'une  aridité  absolue,  ce  qui  peut  tenir  à  la  saison  (janvier) 
et  aussi  à  ce  que  les  indigènes  et  les  nomades  ne  se  préoc- 
cupent pas  de  creuser  le  sol  et  de  rechercher  les  sources,  il 
est  clair  que  la  facilité  d'établissement  d'un  chemin  de  fer 
est  très  grande  dans  cette  contrée.  Dans  toute  cette  région, 

(1)  Documents  relatifs  (t  la  mission  dirigée  an  sud  de  VAlgérie,  page  316. 


2'MISSION  FLATTERS.  FACILITÉ  DE  CONSTRUCTION  DU  TRANSSAHARIEN.    193 

du  27*  au  26'' et  jusque  vers  le  25''  degré,  la  nature  du  terrain 
qui  prédomine  est  le  reg,  le  reg  pierreux  ou  la  hamada  tour- 
nant au  reg.  Le  Journal  provisoire  de  roule  le  constate  à 
chaque  instant:  le  11  janvier:  «  Ici  Toued  est  un  peu  plus 
resserré  dans  un  vallonnement  de  reg  ;  on  voit  le  reg  se  re- 
lever assez  sensiblement  au  sud  (l).  »  Le  12  janvier:  «  Passé 
sur  le  reg  pierreux,  mais  facile,  ou  hamada  passant  au 
reg  (2).  »  Le  13  janvier:  «  Plaine  de  reg  presque  complète- 
ment plate  (3).  »  Le  14  janvier:  «  Le  reg  passe  à  la  hamada, 
puis  la  hamada  revient  au  reg;  c*est  une  plaine  unie  mar- 
quée par  du  néci  (4).  »  Le  15  janvier  :  «  Elargissement 
considérable  du  reg...;  il  paraît  démontré  que  pour  aller  au 
sud-ouest  de  Toued  Gharis  ou  deTIgharghardans  la  direc- 
tion de  Timissao,  on  ne  rencontre  que  le  reg  plat  avec 
quelques  gour  isolés  jusqu'au  Coudiat  Ahenet  (5).  »  Nous 
avons  déjà  reproduit  plus  haut  cette  note  du  Journal  de 
roule  du  17  janvier:  «  Le  reg  de  Tlgharghar  qui  s'étend  tou- 
jours absolument  plat  et  ferme  par  le  travers  devant  nous, 
(lu  nord-est  où  nous  l'avons  laissé  au  premier  voyage,  jus- 
qu'à Amguid  (6)  »  ;  également  on  a  vu  que  le  reg  se  poursuit 
bien  au  delà  d'Amguid  :  «  L'oued  Igharghar  continue  droit 
au  sud  en  terrain  reg,  a  dit  le  Journal  de  roule^  sur  le  Djebel 
OudanqueFon  aperçoit  à  environ  120  kilomètres  (7).  »  L'in- 
génieur des  mines  Roche,  membre  de  la  mission,  dans  les 
9  Etudes  géologiques  et  bydrologiques  »  qui  sont  jointes 
au  Journal  de  la  mission  et  envoyées  au  ministère,  constate 
aussi  cette  prédominance  de  terrain  reg:  «  La  plaine  de  reg 
de  Messeguem...,  la  plaine  de  reg  qui  sépare  le  plateau  de 
Tinghert  des  monts  Iraouen  s'étend  à  peu  près  horizontale- 
ment, à  l'est  vers  l'oued  Igharghar,  à  l'ouest  vers  Insalah. 
Elle  est  recouverte  de  cailloux  roulés  de  quartz  et  de  frag- 

^1)  Documents  relatifs  à  la  mission  dirigée  au  sud  de  l'Algérie,  page  32i. 

{±\  Ibid.,  page  322. 

(3i  ïbid,,  page  324. 

(4|  Ibid.,  page  324.  Le  néci  est  une  plante  fourragère, 

(5)  MiV/.,  page  327. 

(Gi  Ibid.,  page  329. 

|T|  Ibid.f  page  335. 

13 


194     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAUAR1£^^ 

ments  de  grès  dévonien  de  plus  en  plus  gros  à  mesure  quoe 
se  rapproche  de  la  montagne  ou  coudiat...  ;  la  vallée  qur 
nous  suivons,  tout  en  restant  comprise  entre  deux  chaînes 
de  collines  élevées,  change  insensiblement  de  sens  et,  aprt^: 
avoir  eu  sa  pente  dirigée  vers  le  nord,  s'incline  peu  à  fits 
vers  le  sud  ;  elle  nous  amène  ainsi  dans  une  grande  plaine  de 
reg,  confluent  de  Toued  Igharghar  et  deToued  Gharis  {l\.  > 

Nous  avons  donné  plus  haut  la  définition  de  ces  termes* 
reg,  hamadoy  gour,  etc.,  par  lesquels  on  distingue  les  diverses 
variétés  du  sol  saharien  (Voy.  plus  haut,  pages  92  à  97).  Le 
même  ingénieur  des  mines  Hoche,  dans  ses  «  Études  géolo- 
giques et  hydrologiques  j>  faisant  suite  à  celles  dont  viennei)! 
d'être  tirés  les  extraits  ci-dessus,  en  donne  une  autre  courte 
définition  :  «  Un  peu  au  sud  d'Amguid,   écritril  dans  son 
rapport  daté  d'Inzelman-Tikhsin  (25**  degré  et  demi  environ 
de  latitude),  la  vallée  de  Tlgharghar  se  développe  sur  une 
largeur  d'au  moins  50  kilomètres;  c'est  une  vaste  plaine  dere::  ' 
(gravier  quartzeux,  sous  lequel  apparaît  parfois  un  calcaiie 
gréseux  quaternaire  ou  peut-être  môme  post-qualernaire  .... 
La  plaine  de  reg  de  Tlgharghar  paraît  se  continuer  vers  le 
sud  et  vers  le  sud-ouest  ;  elle  renferme  quelques  petits  monti- 
cules en  gneiss  quartzeux  et  même  quelques  pics  isolés,  tek  I 
que  le  Khanfousa  (2).  »  i 

On  a  vu  plus  haut  que  ces  plaines  de  reg,  qui  prédominen!  I 
dans  le  Sahara,  sont  très  fréquemment  entrecoupées  d'oued-, 
qui  ont  de  Teau  tout  près  de  la  surface.  Là  où  il  ne  s'en  ren- 
contre pas,  il  est  à  présumer  que  ce  gravier  cache  de  l'eau 
à  une  profondeur  un  peu  plus  grande,  soit  de  15  à  40  mètres, 
et  il  n'advient  guère  que  les  nomades  ou  les  rares  résidenU 
sahariens  fassent  des  recherches  à  cette  profondeur.  Celle 
plaine  de  reg  au-dessous  d'Amguid  paraît  s'étendre  jusqu\» 
la  sebkha  d'Amadghor,  au-dessous  du  25"  degré,  suivant  le> 
renseignements  recueillis  par  la  première  mission  Flatters  (3  . 

(1)  Documents  relatifs  à  la  mission  dingée  au  sud  de  l'Algérie,  page  331. 

(2)  Ibid.,  page  341. 

(3)  Ibid.,  pages  63  ci  64. 


[ISSION  FLATTERS.  FACILITÉ  &fi  CONSTRUCTION  DU  TRANSSAHARIEN.    195 

ra  unanimité  parmi  les  guides  divers  interrogés  séparément 
ur  affirmer  c  la  facilité  du  passage  par  Amadghor  (1)  ». 
i  définitive,  les  larges  gassis  (Voy.  plus  haut,  page  99) 
Ire  les  dunes,  d'une  part,  et  les  plaines  de  reg,  d*autre 
rt,  sont  les  terrains  les  plus  favorables  à  l'exécution  d*un 
emin  de  fer;  les  gour,  toutefois  (Voy.  plus  haut,  page 96), 
i  n'occupent  que  des  espaces  restreints,  demandent  un 
u  plus  de  dépenses,  ainsi  que  la  hamada,  quoique  celle-ci 
alement  soit  aisée  à  franchir. 

La  dernière  note,  en  date  du  29  janvier,  du  Journal  pro- 

mre  de  roule^  est  très  catégorique  sur  la  facilité  d'accès 

cette  région  :  t  Nous  sommes  ici,  dit  à  cette  date  le  Jour- 

i  au  sud  de  TEguéré,  près  du  débouché  de  l'oued  Tedjert 

ns  la  plaine  d'Amadghor.  C'est  le  chemin  des  caravanes, 

il  est  assez  facile.  CeuxdeTAhenet,  pour  aller  au  sud-ouest, 

ir  l'oued  Adélès  à  Salât  et  Timissao,  ou  par  l'oued  Aber- 

•ug  au  Tarhit,  sont  un  peu  plus  difficiles  d'après  ce  que 

senties  gens  qui  les  ont  vus.  Comme  il  ressort  de  la  recon- 

lissance  que  nous  avons  faite  au  sud  d'Ighellachen,  il  est 

rlain  qu'il  n'y  a  aucune  comparaison  à  établir  avec  l'entrée 

lAmadghor  par  le  reg  plat  et  uni  de  l'Igharghar,  et  de  sa 

e  au  delà  de  la  chaîne  du  Toufrigh  que  nous  avons  ici  à 

tre  droite.  Il  y  a  bien  quelques  soulèvements  en  berge  du 

djert  en  travers  de  la  plaine  d'Amadghor,  et,  de  l'est  à 

uest,  la  plaine  elle-même  est  moins  large  qu'on  ne  le  sup- 

serait,  à  cause  du  coudiat  assez  compliqué,  non  figuré  sur 

carte  de  M.  Duveyrier,  qui  forme  la  chaîne  de  l'Eguéré,  et 

i  remplit  l'espace  à  l'ouest  du  Tasili;  mais  les  passages 

righarghar  à  la  plaine  d'Amadghor  sont  en  reg  plat  et  la 

line  est  encore  extrêmement  étendue  en  largeur.  C'est,  du 

te,  ce  que  nous  vérifierons  complètement  d'ici  à  peu  de 

irs,  en  achevant  la  topographie  de  détail  de  cette  ré- 

»n  (2).  » 

lalheureusement  le  Journal  provisoire  de  roule  de  la  se- 

DocumenU  relatifs  à  la  mission  dirigée  au  sud  de  l'Algérie,  page  337. 
J*»V/.,  page  340. 


196     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIENS. 

conde  mission  Flatters,  les  lettres  du  colonel  et  de  ses  com- 
pagnons et  lous  autres  documents  de  la  mission  ne  vont  pas 
plus  loin  que  ce  point  d'Inzelman-Tikhsin  d'où  le  Journal  est 
expédié  et  ne  dépassent  pas  cette  date  extrême  du  29  jao^ 
vier  1881.  On  est  là  au  25*  degré  et  demi  de  latitude,  6  degré^ 
et  demi  au  sud  d'Ouargla  et  5  degrés  et  demi  environ  ad 
nord  de  TAïr  :  plus  de  la  moitié  du  Sahara  proprement  dil 
est  donc  franchie. 

Du  même  point,  d*  «  Inzelman-Tikhsin,  Eguéré,  haul 
Igharghar,  29 janvier  1881 ,  25°30'  latitude  nord  » ,  le  lieulenanl 
colonel  Flatters  écrit  une  lettre  officielle  à  M.  de  Lépinay 
«  secrétaire  de  la  Commission  supérieure  instituée  pour  Tétud^ 
des  questions  relatives  à  la  mise  en  communication,  par  voii 
ferrée,  de  T Algérie  et  du  Sénégal  avec  le  Soudan  ».  Cette  leltr 
concerne  surtout  le  tracé  sud-ouest,  c'est-à-dire  dans  la  dira 
tion  du  Niger,  lequel,  comme  on  Ta  vu  plus  haut,  offre,  s^ 
ce  point,  plus  de  difficultés,  quoique  nullement  redoutables 
M.  de  Lépinay  était  partisan  de  Taboutissement  au  Nigei 
de  là  vient  que  Flatters  s'y  arrête  surtout  dans  cette  lellr 
Quant  au  tracé  central,  le  plus  important  et  le  plus  intére 
sant,  qui  va  droit  vers  la  région  du  Tchad,  il  avait  été  étnd 
jusqu'à  600  kilomètres  au  sud  d'Ouargla  par  la  premiè 
mission,  et  Flatters  achève  pourSOO  ou  400  kilomètres  au  de 
parles  lignes  suivantes  qui  sont  catégoriques:  «  Pour  le  tra< 
central,  Ahitaghen  m'a  envoyé  des  guides  qui  sont  charg 
de  me  conduire  au  Soudan  par  Amadghor  et  Asiou.  I 
plaine  de  l'Igharghar  se  continuant  indéfiniment,  du  moins 
ce  que  nous  avons  vu  jusqu'ici,  à  hauteur  du  Oudan  par 
25"  degré  de  latitude,  le  massif  central  du  Hogghar  Tifîd< 
et  Atakhor  courant  sud  à  droite,  le  Tasili  très  loin  allant 
l'est  à  notre  gauche.  Ici  les  montagnes  ne  sont  pas  comi 
celles  d'Europe;  elles  tombent  à  pic  sur  la  plaine.  Le  Djel 
Oudan,  qui  a  une  altitude  de2000mètres  au-dessus  du  nive 
de  la  mer,  a  1500  mètres  au-dessus   de  l'Igharghar  (T. 

(I|  Documenls  relatifs  à  la  mission  dirigée  au  sud  de  VAlgéiie^  page  431. 


''MISSION  FLATTERS.  FACILITÉ  DE  CONSTRUCTION  DU  TRANSSADARIEN.    197 

ajoutons  en  notre  nom  que  des  montagnes  qui  se  dressent 
lînsi  isolées,  à  l'image  du  Zaghonan  en  Tunisie,  ne  cons- 
ituent  pas  un  obstacle  grave,  parce  que  rien  n'est  plus  aisé 
|ue  de  les  tourner. 

Quant  au  tracé  par  le  sud-ouest,  Flatters  s'exprime  ainsi 
I  son  sujet:  «  Voici  la  ligne  que  jegarantis  dans  Téventualité 
l'un  tracé  sud-ouest:  Igharghar  jusqu'à  Amguidet  Aghella- 
:hen,  reg  uni  et  plat;  tourner  directement  sud-ouest  un  peu 
m  nord  Aghellachen,en  laissant  le  Khanfou sa  à  20 kilomètres 
i  gauche,  le  Mouidir  à  50  kilomètres  à  droite,  droite  de 
/oued  Gharis  qui  ne  va  pas  à  Aghellachen  mais  à  Test 
au-dessus  d'Amguid.  Couper  Tlgharghar  qui  n'a  qu'une 
berge  à  peine  marquée  et  aller  droit  par  les  gour  de  Tin 
rVkeli  et  Tinnakourat  isolés  dans  le  reg  et  visibles  du  Khan- 
rousa  (recueilli  par  renseignements  que  je  puis  considérer 
comme  certains).  Continuer  sud  et  même  un  peu  sud-est 
jusqu'à  l'oued  Aberzoug  en  terrain  reg  et  prendre  l'oued 
Aberzoug  qui  va  ouest-sud-ouest,  formant  couloir  en  mon- 
tagnes de  25  kilomètres;  la  route  en  reg  assez  large  dans 
l'Ahenet,  mais  avec  quelques  détours  et  allante  Toued  Tarhit 
st  Timissao.  —  Variante  :  de  Tinnakourat  aller  sud-sud- 
Duesi  en  reg,  prendre  le  passage  reg  et  moins  détourné  de 
['oued  Adélès  qui  va  aussi  au  Tarhit.  Enfin,  autre  variante  : 
ic  Tinnakourat  continuer  sud-ouest  par  Toued  Tirhedjirt, 
passage  semblable  à  celui  de  l'oued  Adélès,  mais  menant 
lu  Tanesrouft.  —  A^  Zf.  Le  massif  de  l'Atakhor  finit  en  cap 
i  pic  au  Taourirt  (Tarerenetz  de  la  carte  Duveyrier);  il  se 
prolonge  en  chaîne  plus  basse  à  l'ouesl-sud-ouest,  avec  pas- 
sages faciles  en  reg  par  l'Ahenet.  Le  Tanesrouft  n'est  pas 
m  plateau.  C'est  un  reg  en  conlre-bas  de  l'Ahenet,  reg  gassi 
aune  et  par  places  rouge,  absolument  plat.  C'est  le  bahr^ 
la  mer,  disent  les  Arabes  (1).  » 

Nous  avons  tenu  à  reproduire  ce  long  passage  :  le  tracé 
sud-ouest  conduisant   au  Niger    nous  intéresse  médiocre- 

^l)  Documents  relatifs  à  la  rnission  dirigée  au  sud  de  l'Algérie,  page  431. 


198     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAUABIE.XS. 

ment,  d'un  côté  parce  qu'il  est  beaucoup  plus  essentiel  au 
point  de  vue  politique,  économique  et  administratif  d'at- 
teindre la  région  du  Tchad  et  du  Soudan  central  que  la 
région  nigérienne;  d'un  autre  côté,  parce  que  la  poussée 
actuelle  de  la  construction  de  la  voie  ferrée  du  côté  d'Igli  et 
du  Toual  paraît  devoir  faire  construire  par  cette  direction 
le  Transsaharien  d'Algérie  au  Niger.  Nous  n'eussions,  certes. 
pas  choisi  ce  tracé  sur  la  frontière  du  Maroc,  exposé  aux 
déprédations  de  tribus  belliqueuses  et  nombreuses,  comme 
les  Bérabers;  mais  les  choses  ne  sont  plus  entières,  et  la 
construction  d'une  voie  ferrée  d'Oran  au  coude  du  Niger 
semble,  avec  le  temps,  assurée  dans  cette  région. 

On  sait,  d'ailleurs,  et  on  en  verra  plus  loin  les  raisons, 
que  nous  sommes  partisan  de  la  construction  de  plusieurs 
Transsahariens,  de  deux  tout  au  moins  qui  pourront,  l'un  et 
l'autre,  mais  surtout  le  Transsaharien  central,  se  montrer 
rémunérateurs. 

Ce  qui  est  remarquable  dans  le  morceau  de  Flatters  que 
nous  venons  de  citer,  c'est  que  jusqu'à  Inzelman-Tikhsio. 
2d°30'  de  latitude,  et  aussi  loin  que  de  ce  point  sa  vue  peut 
porter  (elle  va  jusqu'à  100  kilomètres  dans  ces  vastes  soli- 
tudes) (1),  et  également  autant  qu'il  a  pu  rassembler  des  ren- 
seignements pour  l'au  delà,  on  ne  rencontre  aucune  diffi- 
culté sérieuse.  Entre  des  montagnes  à  pic,  les  «  couloirs  » 
et  les  «  passages  »  sont  faciles,  et  le  terrain  prédominant 
est  le  reg  (Voy.  plus  haut,  pages  97  et  101)  plat  et  uni. 

Ainsi,  d'Ouargla  jusqu'à  la  plaine  d'Amadghor  et  y  com- 
pris celle-ci,  par  les  observations  directes  réunies  de  la  pre- 
mière et  de  la  seconde  mission  Flatters,  c'est-à-dire  sur  ua 
millier  de  kilomètres,  l'établissement  d'une  voie  ferrée  appa- 
raît comme  une  œuvre  très  simple.  L'ingénieur  des  travaux 
publics  Béringer  a  dressé  l'avant-projet  pour  les  600  pre- 
miers kilomètres  au  sud  d'Ouargla,   d'un  chemin  défera 


(1)  «  Le  temps  est  si  clair  que  l'on  a  vue  jusqu'après  de  100  kilomètres  »,  dit 
le  Journal  de  route  de  la  première  mission  Flatters  [Documents  relatifs  à  h 
mission  dirigée  au  sud  de  l'Algérie,  page  55). 


2'MISSION  FLATTEES.  FACILITÉ  DE  CONSTRUCTION  DU  TRANSSAHARIEN.     199 

large  voie,  et  a  évalué  la  dépense  à  100000  francs  au  plus  le 
kilomètre  (Voy.  plus  haut,  page  140).  Nous  avons  dû,  en  tenant 
compte  de  la  réduction  de  la  voie  à  un  mètre,  au  lieu  de  1",44, 
et  de  la  grande  baisse  des  produits  métallurgiques  depuis 
vingt  ans,  abaisser  cette  dépense  à  50000  ou  55000  francs, 
au  plus,  le  kilomètre.  Il  est  permis  de  dire  que  les  400  kilo- 
mètres plus  au  sud  ne  reviendraient  pas  à  davantage. 

11  resterait  à  connaître  les  400  kilomètres  environ  entre 
la  fin  de  la  plaine  d'Amadghor  et  Âsiou  ;  malheureusement 
le  massacre  de  la  mission  Flatters,  le  16  février  1881,  dix- 
huit  jours  après  les  communications  dont  nous  avons 
extrait  les  constatations  et  appréciations  relatées  plus  haut, 
nous  laissent,  du  chef  de  cette  mission,  sans  renseignements 
à  ce  sujet.  Nous  y  suppléerons  plus  loin  avec  le  Journal  de  la 
mission  Foureau.  Mais  nous  pouvons  dire  dès  maintenant 
<|uil  n'y  a,  dans  ce  plein  centre  du  Sahara,  dans  cette  épine 
dorsale  d'un  médiocre  relief,  aucun  obstacle  sérieux  à  la 
construction  économique  d'une  voie  ferrée. 

Quant  à  la  partie  méridionale  du  Sahara  central,  d'Asiou 
au  Soudan,  elle  est  parfaitement  connue  par  les  récits  et  les 
relevés,  ayant  une  précision  scientifique  irrécusable,  de 
l'homme  qui  restera  incontestablement  le  premier  des  voya- 
geurs nord  et  centre-africains,  à  savoir  le  docteur  Heinrich 
Barth.  Flatters,  tant  d'après  Tétude  de  son  célèbre  prédé- 
cesseur que  d'après  les  renseignements  propres  qu'il  a  re- 
cueillis de  toutes  parts  et  contrôlés,  a  écrit  avec  netteté  et 
vérité,  dans  une  lettre  à  Duveyrier  :  «  A  Asiou,  la  question 
du  Transsaharien  peut  être  considérée  comme  résolue.  Les 
instructions  positives  de  M.  de  Freycinet  ne  nous  prescrivaient 
pas  même  d'aller  si  loin  (1).  » 

La  seconde  mission  Flatters,  si  fatalement  abrégée 
qu'elle  ait  été,  a  donné  des  résultats  très  importants.  Au 
point  de  vue  général,  elle  a  confirmé  que  le  Sahara  présente 
des  ressources,  en  ce  qui  concerne  les  eaux,  la  végétation, 

(1)  Documents  relatifs  à  la  mission  dirigée  au  sud  de  l'Algérie^  page  428. 


200     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHABIL^' 

le  bois,  des  possibilités  pastorales  et  même  cullurales 
quoiqu'elle  Tait  traversé  dans  une  plus  mauvaise  saison 
rhiver,  et  à  travers  des  districts  moins  propices.  Quant  : 
l'œuvre  spéciale  de  la  construction  d'un  chemin  de  fer»  elle  a 
confirmé  que  le  tracé  de  la  première  mission  était  le  md 
leur(l),en  le  complétant  par  une  poussée  directe  sur  Amgiiii 
et  de  là  sur  la  plaine  d'Amadghor.  L'excellence  de  la  position 
d'Amguid  ressortnotammeut  de  ces  études.  Amguid  est  daas 
une  vaste  plaine  :  «  Dans  le  Kheneg,  en  deçà  et  au  delà,  «iu 
le  Journal  de  la  deuxième  mission  Flatters,  l'Igharghar  forn^ 
plaine  de  reg,  comme  celle  que  nous  avons  vue  au  premier 
voyage.  La  plaine  en  deçà,  par  rapport  à  nous,  estappeleej 
indistinctement  Amguid,  Gharis  ou  Igharghar.  L'ouei 
Igharghar  proprement  dit,  qui  a  ici  un  lit  distinct  marqué! 
par  de  la  végélation,  court  sud-nord,  au  pied  des  rocbfô 
élevées  du  Tasili  des  Azdjer.  Le  point  d'eau  d'Amguid  est  au 
sud,  au  pied  de  ces  mômes  roches  formant  cap  au  nord(2i.  » 
Cette  vaste  plaine  est  au  confluent  de  routes  diverses,  celle 
du  nord  vers  Ouargla  par  Timassinine,  celle  du  nord-esl 
vers  Tripoli  par  Timassinine  également,  celle  de  Touesl  vers 
le  Maroc  par  Insalah,  celle  du  sud-ouest  vers  le  Niger  par 
Timassao,  celle  du  sud  direct  par  le  Hoggar  et  Idèlès,  celîe 
du  sud-est  vers  le  Soudan  par  la  sebkha  d'Amadghorei 
Asiou.  Les  eaux  sont  abondantes  dans  la  région.  En  dehors 
des  constatations  de  la  mission  Fia  tiers  et  d'autres  subsé- 
quentes, on  a  en  faveur  delà  position  d'Amguid,  point  néces- 
saire du  passage  d'un  chemin  de  fer  transsaharien  vers  le 
Soudan  central,  l'appréciation  d'un  homme  très  expéri- 
menté dans  les  choses  d'Afrique  et  ayant  fait  une  étude  pro- 
longée du  Sahara,  le  général  Philebert.  M.  Georges  RoilawJ 
également,  dans  son  rapport  hydrologique  sur  le  Sahara. 
joint  son  témoignage  à  ceux  qui  précèdent  (3). 

(1)  Documenls  relatifs  à  la  mission  dirigée  au  sud  de  V Algérie,  pages  ^1* 
4iy.  421.  4ii,  423,  i26. 

(2)  Ibid.,  page  329. 

(3)  (ieorges  Rollaïul,  Hydrologie  du  Sahara  algérien  (Imprimerie   Nalionîl' 
d8'J4),  pagos  IG  et  suivantes.  M.  Rolland  reproduit  un  croquis  du  général  Pliii'. 


2'  MISSION  FLATTERS.  LA  SALUBRITÉ  DU  SAHARA,  ÉNORME  AVANTAGE.     201 

La  seconde  mission  Flalters,  si  fatale  qu'en  ait  été  l*is- 
sue,  a  donc  singulièrement  contribué  à  la  connaissance  du 
Sahara  central.  Elle  a  jeté  un  jour  quasi  complet  sur  te  tracé 
de  toute  la  première  moitié  du  chemin  de  fer  transsaharien 
jusqu'au  25*  degré. 

Elle  a  démontré  également,  comme  la  première  et  comme 
toutes  les  explorations  antérieures  et  suivantes,  que  le 
Sahara  possède  un  immense  avantage,  à  savoir  une  absolue 
salubrité.  11  n'y  a  de  fièvres  d'aucune  sorte  au  Sahara  ;  les 
écarts  de  température  (Voy.  plus  haut,  pages  153  à  156),  à 
la  condition  que  Ton  se  couvre  en  conséquence,  sont  favo- 
rables à  l'homme,  à  l'Européen  notamment.  La  chaleur 
sèche,  la  fraîcheur  nocturne,  parfois  même  en  hiver  le  froid, 
sont  très  propices  à  la  santé,  ils  entretiennent  et  renouvellent 
Ténergie.  «  L'état  sanitaire  est  satisfaisant,  et  on  peut  dire 
aujourd'hui,  bêtes  et  gens  »,  écrit  Flatters  d'Hassi-Messe- 
guem,  par  28°15'  de  latitude,  le  5  janvier  1881.  «  Tout  le 
monde  est  en  excellente  santé  »,  écrit  l'ingénieur  Béringer, 
de  la  plaine  d'Eguéré,  au  sud  du  26*  degré,  le  26  jan- 
vier 1881 .  Trois  jours  après,  il  écrit  encore  le  29  janvier,  d'In- 
zelman-Tikhsin,  près  de  la  sebkha  d'Amadghor  :  «  Nous 
campons  en  ce  moment  par  3"30'  de  longitude  est  et  25''35' 
de  latitude  au  milieu  des  granits  et  des  basaltes.  Tout  va 
bien.  Tout  le  monde  est  bien  portant  (1).  » 

Cette  salubrité  du  Sahara  constitue  un  précieux  avantage 
pour  l'accès  dans  l'Afrique  centrale,  tandis  que  l'abord  de 
celle  contrée  par  toute  autre  direction,  voie  de  l'ouest,  voie 
de  Test  ou  voie  du  sud,  ne  peut  s'effectuer  qu'à  travers  des 
pays  désolés  par  les  fièvres  les  plus  meurtrières. 

Quant  aux  granits  et  aux  basaltes,  et  autres  terrains  pri- 
mitifs du  Sahara  central,  ils  sont,  au  point  de  vue  minéral, 
pleins  de  promesses. 

bert  concernant  l'importance  de  Ja  position  d'Amguid  sur  la  route  de  l'Algérie 
au  Soudan. 

(1)  Documents  relatifs  à  la  mission  dirigée  au  sud  de  l'Algérie,  pages  426, 
420,  438. 


CHAPITRE  VIII 

Sommeil  de  l'idée  tr^nssaharienne.  —  Les  explorations 
AU  SUD  DE  l'Algérie  de  1890  a  1897.  —  Le  commaxdaxt 
Lamy. 

Abandon  virtuel,  après  le  massacre  de  la  deuxième  mission  Flâtters,  de  t««- 
projet  de  Transsaharien.  —  Excessive  pusillanimité  de  l'administration  p»?:: 
les  explorations  sahariennes.  —  Kxcursions  séparées,  néanmoins.  d<»  Fourea; . 
de  Lamy  et  de  quelques  autres,  sur  le  pourtour  de  la  province  do  Constanùn-. 

Le  commandant  Lamy.  —  Son  commandement  à  El-Goléa,  de  181M  à  Î8î»3.  — 
Puits  artésiens  qu'il  fait  creuser  avec  succès.  —  Son  opinion  sur  les  puits  «h 
Sahara.  —  Ils  sont  souvent  souillés  par  les  animaux,  ce  qui  rond  l'eau  nial^aiiit 

Protestation  de  Lamy  contre  l'administration  qui  interdit  toute  «  reconnai-^.«^- 
à  grande  envergure  ».  11  explore,  néanmoins,  tout  le  pays  dans  le  rayon  de  -V 
à  300  kilomètres  d*El-Goléa.  —  Son  opinion  sur  la  contrée. 

La  main-d'œuvre  à  bas  prix  en  ciuéte  do  travail.  —  Les  fourrages  et  le  boi>  au 
Sahara,  d'après  Lamy.  —  Ses  réflexions  sur  la  grande  salubrité,  rinséounN. 
la  facilité  d'établir  des  points  d'eau.  —  //  croit  au  Tranfsa/tarien.  —  I»4«S'itL«> 
lités,  d'après  lui,  de  cultures  dans  le  Sahara. 


Telle  est  la  légèreté  française,  si  peu  habitués  sommes- 
nous  à  persister  dans  un  grand  dessein,  que  la  mort  de 
Flâtters,  simple  accident  qui  n*avait  que  Timportance  d'une 
infortune  individuelle  et  non  d'un  désastre  national,  fit. 
sans  renonciation  formelle,  délaisser  brusquement  le  projet 
si  chaleureusement  accueilli,  de  la  construction  du  chemin 
de  fer  transsaharien.  Si,  moins  imprudent,  Tinfortuné  colonel 
eût  pu,  comme  M.  Foureau  l'a  fait  en  1898-99,  achever  pai- 
siblement la  traversée  du  désert  et  arriver  dans  les  environs 
du  Tchad,  il  est  probable,  dans  la  disposition  d'esprit  où 
Ton  était  alors,  que  la  construction  du  Transsaharien  eût  èlé 
entreprise,  tout  au  moins  amorcée.  Les  destinées  de  la  France 
en  Afrique  s'en  fussent  trouvées  complètement  modifiées, 
incomparablement  agrandies.  Le  Bornou,  par  exemple,  irré- 
parablement perdu  pour  nous,  eût  pu  nous  échoir.  Depuis 
lors,  on  a  laissé  sommeiller  ce  grand  projet;  le  gouverne- 


LE  COMMANDANT  LAMY;   SES  EXPLORATIONS  AU  SAHARA.         203 

ment  s'en  est  pleinement  désintéressé.  Vers  1890,  un  ingé- 
nieur des  mines,  qui  s'est  distingué  par  la  création  d'oasis 
dans  la  partie  nord  du  Sahara,  entre  Biskra  et  Tougourt, 
M.  Georges  Rolland,  Ta  vainement  repris.  Vers  celle  époque, 
nous  n'avons  cessé  de  joindre  nos  efiforts  aux  siens  et  plus 
d'une  fois  nous  avons  eu  quelque  espoir  d'entraîner  le  public 
vers  cette  grande  œuvre.  L'incident  de  Fachoda  nous  fournit 
une  occasion  favorable  de  tirer  ce  grand  projet  du  sommeil 
et  de  le  recommander  à  la  France;  l'opinion  parut  de  nou- 
veau lui  faire  bon  accueil.  Les  raisons  qui  ont  fait  consti- 
tuer  la  grande  commission  du  chemin  de  fer  transsaharien 
en  1879  et  qui  firent  entreprendre  les  explorations  que  nous 
venons  de  mentionner  sont  plus  fortes  que  jamais;  et  vrai- 
ment, ce  n'est  pas  le  massacre  de  la  petite  mission  Flatlers, 
à  la  moitié  du  voyage,  qui  a  pu  diminuer  l'utilité  de  l'œuvre 
et  faire  douter  sérieusement  de  la  possibilité  de  son  exécu- 
tion. Les  Russes  ont  éprouvé  de  bien  plus  grands  mécomptes 
dans  leur  carrière  d'exploration  :  ils  ne  se  sont  pas  laissé 
arrêter  par  de  très   grands  échecs,  la  disparition  d'armées 
entières,  comme  celle  de  la  première  expédition  de  Khiva. 
Nous,  parce  que,  non  pas  une  armée,  ni  même  une  colonne, 
mais  une  dizaine  de  Français  accompagnés  d'une  soixantaine 
d'indigènes  et  pourvus  de  moins  de  trois  cents  chameaux, 
ont  été  tués  par  trahison  et  par  imprudence,  nous  abandon- 
nons une  œuvre  aux  immenses  perspectives! 

Et  cependant,  celte  œuvre  était  bien  amorcée,  on  pouvait 
se  rendre  compte  de  la  plus  grande  partie  du  trajet  et  en 
juger  la  facilité.  La  traversée  du  Sahara  central»  d'Ouargla 
au  lac  Tchad,  s'étend  du  32*"  degré  de  latitude  nord  au  14*. 
La  seconde  moilié  de  cet  itinéraire  environ,  du  23**  degré  à 
Zinder,  dans  le  Soudan,  un  peu  au-dessous  du  H*"  degré  et  de 
celle  ville  au  Tchad,  avait  été  effectuée,  en  1850,  par  Barth; 
puis  la  même  ligne  à  peu  près  avait  été  parcourue,  en  1877, 
par  un  autre  voyageur  allemand,  de  Bary;  mais  tous  les 
deux  avaient  fait  l'autre  moitié  de  la  traversée  par  la  Tripo- 
litaine  et  le  Fezzan.  Le  colonel  Flatlers,  en  1881,  dans  son 


20i     LE  SAHARA,  LE  SOUOAiN  ET  LËà  CHEMINS   DE  FER   TRANSSAHARIENS. 

second  voyage,  si  cruellement  interrompu,  avait  franchi  le 
tropique,  était  arrivé  aux  environs  du  23"  degré,  quand  il  fut 
assassiné,  avec  la  plus  grande  partie  de  son  escorte,  à  un 
endroit  que  Ton  a  nommé  longtemps  Bir-el-Gharama  et  que 
l'on  a  reconnu  depuis  être  le  puits  de  Tadjenout.  On  avail 
eu  de  ses  nouvelles  détaillées  jusqu'à  Inzelman-Tickhsin. 
25"  degré  et  demi  (Voy,  plus  haut,  p.  194  et  suîvantesl. 
Les  rares  survivants  de  cette  seconde  expédition  Flatters, 
n*ayant  pu  sauver  ses  papiers  et  n'ayant  pas  une  capacité  ou 
une  compétence  propre  qui  leur  permît  de  rapporter  des  infor 
mations  personnelles  dignes  de  foi,  il  en  résultait  que  moins 
du  sixième  de  la  ligne  droite  entre  le  sud  de  l'Algérie  et  le 
Soudan,  à  savoir  :  toute  la  partie  du  trajet  s'étendant  entre 
Inzelman-Tikhsin,  25''  degré  et  demi  de  latitude  nord,  el 
Issala,  vers  le  22"  et  demi,  visité  par  Barth,  soit  un  intervalle 
de  3  degrés  seulement  ou  de  333  kilomètres,  échappait  à 
toute  connaissance  des  Européens.  Il  eût  été  aisé,  à  la  fois, 
de  combler  cette  lacune  et  de  montrer  qu'un  groupe  de 
Français,  voyageant  ostensiblement  en  mission  officielle, 
pouvait  traverser  d'outre  en  outre  le  Sahara  central. 

Le  gouvernement,  pusillanime  et  indifférent  aux  grandes 
choses,  se  désintéressa  néanmoins,  à  partir  de  1881,  du 
projet  de  chemin  de  fer  transsaharien  et,  en  même  temps,  de 
toute  exploration  du  Sahara  d'outre  en  outre.  C'est  seule- 
ment sur  le  pourtour  de  l'Algérie  que  portèrent  les  recon- 
naissances; elles  se  dissimulaient,  en  quelque  sorte,  à  ladmi- 
nistralion  qui,  sitôt  avisée,  les  contenait.  Plusieurs  hommes 
d'initiative  s'y  adonnèrent  :  le  commandant  Lamy,  M.  Fou- 
reau,  M.  Méry  et  le  lieutenaiit  Palat,  ce  dernier  qui  périt  par 
assassinat.  Les  deux  premiers,  Lamy  et  Foureau,  s'essayèrent 
isolément  dans  des  pointes  en  plein  désert  avant  d'associer 
leurs  eflbrls  dans  la  même  œuvre. 

Nous  analyserons  et  commenterons  plus  loin  avec  détail 
la  célèbre  traversée  du  Sahara  par  la  mission  Foureau-Lamy, 
d'après  le  Journal  de  roule  de  Foureau.  Auparavant,  il  est 
utile  de  consacrer  quelques   pages   aux  excursions  et  aux 


1-E  COMMANDANT  LAMY  ;  SES  EXPLORATIONS  AU  SAHARA.         205 

appréciations  de  Lamy,  telles  qu'elles  ressortent  de  ses  cor- 
respondances (1).  On  créa,  en  1891,  dix  ans  après  le  désastre 
de  la   seconde  mission  FJatters,  une  compagnie  montée  à 
méhari  (chameaux  rapides)  à  El-Goléa.  Lamy,  alors  capi- 
taine,    en   obtint  le  commandement;  né   en  1858,  sorti  de 
l'Ecole  de  Saint-Cyr  dans  le  premier  sixième  de  sa  promo- 
tion en  1879,  il  avait  fait,  sauf  dix-huit  mois  passés  au  Ton- 
kin  en   1885-1888,  toute  sa  carrière  en  Afrique  :  aux  tirail- 
leurs algériens  d'abord,  puis  au  service  des  renseignements 
à  Tunis,  ensuite  attaché  à  Tétat-major  delà  division  d'Alger, 
puis  officier  d'ordonnance  du  général  commandant  la  d  ivision  ; 
il  fut,  le  P"*  mars  1891,  détaché  dans  Textrôme-sud  et  nommé 
chef  de  poste  à  El-Goléa.  Il  y  resta  près  de  deux  ans,  jus- 
qu'au 31  janvier  1893.  Il  eut  ensuite  des  missions  diverses 
au    Congo,    à    Madagascar,  puis,  promu   commandant  en 
décembre  1896,  il  fut  nommé  en  septembre  1897  commandant 
de  l'escorte  militaire  de  la  mission  saharienne  dite  Foureau- 
Lamy;   après  la   traversée  du  Sahara,  il  fut  tué  le  22  avril 
1900  sur  le  Chari,  au  combat  de  Koucheri  (2)  contre  Rabah. 
C'était  un  homme  de  beaucoup   d'ouverture  d'esprit  et 
d'une  grande  activité.  Un  grand  nombre  de  ses  lettres  sont 
adressées  à  un  vieil  Africain,  fort  au  courant  des  choses  sud- 
algériennesetbonjugeencequilesconcerne,legénéralPoizat. 
El-Goléa  est  situé,   presque  exactement  sur  le  méridien 
d'Alger,  très  peu  distant  du  méridien  de  Paris,  aux  environs 
du  30*  degré  et  demi  de  latitude,  un  degré  et  demi  approxi- 
mativement plus  au  sud  qu'Ouargla,  qui  se  trouve  dans  son 
nord-est.  Visité  par  le  général  de  Galiffet  en   1873,  puis 
occupé  seulement  bien  des  années  plus  tard,  El-Goléa  for- 
mait, à  cette  époque,  notre  poste  le  plus  extrême  dans  le 
désert.  II  le  décrit  en  ces  termes,  en  avril  1891,  un  mois  après 
son  arrivée  :  t  Le  pays  est  très  chaud,  mais  salubre.  Nous 
avons  depuis  quatre  ou  cinq  jours  une  quarantaine  de  degrés 

(1)  Voy.  rimportant  et  attachant  ouvrage,  quoique  un  peu  dispersé  sur  des 
sujets  divers  :  Le  Commandant  Lamy  d'après  sa  coi^i^esvondance  et  ses  souvenirs 
de  campagne  (1358-1900),  par  le  commandant  Reibell  (Hachette,  1903). 

(2)  Op,  cit„  pages  566-568. 


206     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAH ARIENS. 

à  Tombre;  si  cela  continue,  on  nous  trouvera  cuits  à  la  fin 
de  Télé.  Heureusement  Teau  est  excellente  et  en  grande 
quantité.  Je  vais  faire  installer  un  appareil  à  douche  qui 
Jious  rafraîchira  un  peu  (1).  »  Si  abondante  que  soit  l'eau,  il 
s'occupe  de  creuser  des  puits  artésiens,  pour  étendre  les 
cultures,  et  il  réussit  :  c  Vous  avez  sans  doute  appris 
par  la  voie  officielle,  écrit-il  le  16  avril,  que  la  nappe  arté- 
sienne avait  été  trouvée  entre  40  et  45  mèlrcs  de  profondeur 
par  notre  atelier  de  sondage.  Faute  de  tubes,  on  na 
pas  pu  encore  finir  ce  premier  forage;  il  est  probable  que  le 
puits  débitera  environ  300  litres  à  la  minute;  le  lendemain 
du  jour  où  leau  a  jailli,  il  donnait  déjà  176  litres  mesurés 
devant  moi  (2)  ».  Lamy  s'adonne  avec  soin  à  cette  œuvre 
hydraulique;  le  21  juillet  1891,  il  mande  au  général  Poîzat: 
«  Nous  venons  d'achever  un  second  puits  artésien.  Il  est 
situé  sur  l'emplacement  désigné  par  le  colonel  Didier  à 
3  kilomètres  au  nord  d'Ël-Goléa.  Le  débit  de  ce  puits  est  de 
2000  litres  à  la  minute;  c'est  un  véritable  torrent  qui  s'en 
échappe.  J'ai  fait  faire  une  séguia  (rigole)  de  plus  de  3  kilo- 
mètres de  long  pour  écouler  l'eau  dans  le  lit  de  l'oued  Seg- 
gueur  (3).  »  Cinq  mois  après,  le  26  décembre,  dans  une  autre 
lettre  au  général  Poizat,  Lamy  revient  sur  cette  question  : 
«  En  ce  moment,  je  m'occupe  de  deux  choses  qui  absorbent 
à  peu  près  tous  mes  instants  :  la  construction  de  nouvelles 
baraques  pour  loger  une  centaine  d'hommes  de  supplément 
de  la  garnison  et  le  forage  d'un  puits  artésien  situé  à 
3500  mètres  au  sud  du  bordj,  dans  une  petite  oasis  appelée 
Hassi-El-Gara.  Après  vingt-huit  jours  de  travail,  nous  avons 
atteint  une  profondeur  de  81",  10  et  nous  avons  un  débit 
mesuré  hier  soir  de  1 400  litres  à  la  minute,  et  qui  augmente 
à  mesure  que  le  fond  du  trou  de  sonde  se  dégage.  C'est  le 
troisième  sondage  entrepris  avec  succès  depuis  que  nous 
sommes  à  El-Goléa  ;  les  deux  premiers  étaient  ceux  de  Bel- 

(1)  Le  Commandant  Lamy  iVaprès  sa  correspondance  el  ses  souvenirs  de  cam- 
pagne, page  102. 

(2)  Ibid.,  pui^o  105. 

(3)  Ibid.,  page  124. 


LE   COMMANDANT  LAMY;  SES  OBSERVATIONS  SUR  LES  PUITS.     207 

\ïd  et  de  Bel-Bachir.  »  Lamy  explique  que  Ton  avait  pu 
croire  d'abord  à  un  échec  pour  ce  puits  d*Hassi-EI-Gara  ; 
en  effet,  «  à  35  ou  36  mètres,  on  avait  atteint  une  petite 
nappe  jaillissante  qui  ne  donnait  que  110  à  120  litres  à  la 
minute,  ce  qui  était  absolument  insuffisant;  puis  on  était 
entré  dans  une  sorte  d'argile  tantôt  verte  et  tantôt  grise, 
mais  surtout  rouge,  dure  comme  de  la  pierre...  L*atelier  lui- 
même  commençait  à  se  décourager...  Le  débit  du  puits 
augmente  à  chaque  coup  de  trépan  ;  au  bout  de  quelques 
minutes,  il  est  de  500  litres  et  il  augmente  toujours...  En  ce 
moment  c'est  une  vraie  rivière  qui  jaillit  à  gros  bouillons 
hors  du  tube.  Nous  avons  élevé  l'orifice  à  4  mètres  au-des- 
sus du  niveau  du  sol,  l'eau  en  débordait  encore  (1)  ».  On  voit 
quelle  persévérance  il  faut  pour  ces  puits  artésiens  ;  on  doit 
descendre  parfois  à  de  grandes  profondeurs,  et  celle  de 
80  mètres  n*estpas  une  limite  extrême  ;  parfois  on  doit  l'aug- 
menter de  moitié  ou  la  doubler. 

Lamy  avait  ainsi  acquis  une  grande  expérience  hydrau- 
lique saharienne  :  le  général  Poizat  lui  demande  des 
renseignements  généraux  sur  le  débit  des  puits  dans  le 
désert,  et  voici  comment  il  répond  :  c  Vous  me  demandez, 
mon  général,  de  compléter  mes  renseignements  sur  le  pays 
en  déterminant  le  débit  des  puits  du  Sahara.  J'ai  essayé  de  le 
faire  pour  quelques-uns,  mais  pour  beaucoup  d'autres  c'est 
impossible,  voici  pourquoi  :  dans  bien  des  endroits,  l'eau  se 
trouvant  assez  près  de  la  surface  du  sol,  les  gens  du  pays  et 
les  caravanes  ne  creusent  que  les  puits  qui  leur  sont  stricte- 
ment nécessaires,  et  ceux-ci  se  comblent  dès  que  les  néces- 
sités pour  lesquelles  ils  ont  été  faits  disparaissent.  On  peut 
donc  seulement  indiquer  :  eau  abondante,  ou  pas  abondante, 
bonne  ou  mauvaise,  à  tant  de  mètres  de  profondeur.  Quant 
au  débit  exact,  il  est  très  difficile  de  le  déterminer.  Ainsi,  je 
passe  avec  un  détachement  de  trente  hommes,  je  trouve 
les  puits  comblés;  j'en  déblaie  un  ou  deux«  juste  ce  qui 

fl)  Le  Commandant  Lamy  d'après  sa  cotTespondance  et  ses  souvenirs  de  cam- 
pagne, pages  145  et  146. 


208     LE  SâBARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIE^s 

m'est  nécessaire.  Je  passerais  avec  soixante  hommes  que 
j'en  creuserais  le  double.  A  Nebka,  par  exemple,  où  j'abreu- 
vais mon  troupeau  pendant  une  séance  de  pâturage,  j'a; 
trouvé,  le  jour  de  mon  arrivée,  le  puits  comblé;  je  Tai  remis 
en  activité;  au  bout  d*un  jour,  j*ai  constaté  que  son  débit 
n*était  pas  suffisant  pour  abreuver  nos  quatre-vingt-cinq  bêles. 
J*ai  alors  creusé  un  second  puits.  Celui-ci  se  trouvant 
encore  insuffisant,  j'en  ai  fait  un  troisième.  Enfin,  le  jour  de 
mon  départ,  j'en  ai  creusé  un  quatrième,  ce  qui  m'a  permis 
d'abreuver  mon  troupeau  en  moins  d'une  heure;  et  c'est  un 
peu  partout  de  même.  Je  vous  assure  que  nos  tirailleurs 
savent  ce  que  c'est  que  de  curer  un  puits  ou  d'en  faire 
de  nouveaux.  Dans  la  vallée  de  l'oued  M'guidem,  l'eau  se 
trouve  en  assez  grande  quantité  partout,  et  à  10  ou  12  mètres 
de  profondeur  ;  sur  la  route  directe  d'Insalah,  l'eau  est  plus 
rare  et  de  moins  bonne  qualité  aux  points  que  j'ai  visités  : 
El-Okseiba,  Meksa,  Chebbaba,  Mezzer.  L'eau  se  trouve  quel- 
quefois à  fleur  de  terre  (telle  à  Meksa,  0",60  et  au  plus  2",ôO). 
On  n'a  qu'à  augmenter  le  nombre  des  puits,  ce  qui  se  fait 
rapidement  (1).  » 

On  voit  combien  est  embryonnaire  ce  régime  des  puits 
sahariens  et  que  de  ressources  d'eau  doivent  être  inutilisées. 
On  trouve  dans  ces  remarques  une  confirmation  des  observa- 
tions que  nous  avons  faites  antérieurement  ( Voy.  plus  haut, 
pages  158  à  167).  Quant  à  la  qualité  de  l'eau,  si  très  souvent 
elle  est  défectueuse,  c'est  surtout  qu'on  la  laisse  souiller  par 
toutes  sortes  de  débris  organiques,  animaux  ou  végétaux; 
on  l'a  déjà  vu  par  le  récit  des  explorations  antérieures  (se 
reporter  plus  haut,  pages  116  et  117)  ;  le  commandant  Lamy 
ajoute,  sur  ce  point,  un  nouveau  témoignage  décisif.  Dès 
qu'ils  flairent  un  puits,  les  chameaux  s'y  précipitent,  se  vau- 
trent dans  l'eau  et,  en  s'y  abreuvant,  y  font  tous  leurs  besoins. 

Lamy,  dans  cette  situation  de  chef  du  poste  de  Goléa,  en 
ces  années  1892  et  1893,  fut  amené  à  rayonner  à   des  dis- 

(1)  Le  Commandant  Lamy  cVaprès  sa  correspondance  et  ses  souvenirs  de  catt!- 
pagne,  pages  126  et  127. 


LE  COMMANDANT  LAMV,  SES  OBSERVATIONS  SUR  LES  PUITS.     20Ô 

tances  de  200  ou  300  kilomètres  autour  de  cette  oasis;  il 
contribua  à  installer  le  fort  d*Hassi-Inifel  au  sud-est,  celui  de 
Mac-Mahon  au  sud-ouest  et  de  Miribel  au  sud  direct;  il 
poussa  dans  cette  direction  du  sud  jusqu*au  28°  degré,  au 
plateau  du  Tadémaït,  à  Aïn-el-Guettara.  Ses  descriptions, 
en  somme,  sont  fort  encourageantes.  Il  raconte  ainsi,  le 
18  avril  1891,  au  général  Poizat  son  excursion  à  Hassi-Inifel  : 
t  Lorsque  le  bruit  s*est  répandu  que  je  devais  aller  reconnaître 
le  point  d  eau  d'Inifel,  quelques  indigènes  sont  accourus  au 
bureau  et  m*ont  demandé  si  c'était  vrai....  Ils  m*ont  dit  alors  : 
il  n'ya  pas  d'eau  sur  la  route,  elle  est  mauvaise,  vous  mourrez 
tous  de  soif;  lechemin  est  difficile;  il  commence  à  faire  très 
chaud  pour  vous  ;  le  pays  n'est  pas  sûr;  vous  pourrez  faire  de 
fâcheuses  rencontres,  etc..  ;  enfin  toutes  les  mauvaises  rai- 
sons qu'on  trouve  lorsqu'on  veut  empêcher  quelqu'un  de  faire 
quelque  chose  qui  vous  déplaît.  Malgré  tout  cela  je  suis  parti  ; 
nous  avons  fait  un  voyage  superbe,  nous  avons  toujours  eu  de 
leauen  quantité  suffisante  et  nous  n'avons  pas  rencontré  un 
chat,  excepté  dans  les  environs  immédiats  de  l'oasis  (1).  » 
Hassi-Inifel,  d'après  Lamy,  est  à  140  kilomètres  sud-est  d'El- 
Goléa.  Lamy,  il  est  vrai,  n'aime  pas  ce  poste  d'Inifel  et  le  dé- 
clare mal  choisi.  Dans  la  direction  du  sud-ouest  il  n'entrevoit 
guère  plus  de  difficultés:  «  D'El-Goléa,  écrit-il  encore  au  gé- 
néral Poizat,  on  va  dans  le  Gourara,  comme  d'Alger  on  va  à 
Blida;  seulement  il  n'y  a  pas  de  chemin  de  fer.  On  rencontre 
de  l'eau  partout,  un  terrain  très  propice  à  la  marche  des  co- 
lonnes, aucun  obstacle  sérieux  à  surmonter  ;  on  pourrait,  du 
premier  coup,  faire  la  route  en  voiture.  Dans  la  reconnaissance 
que  j'ai  faite  de  l'oued  M'guidem,  je  me  suis  avancé  jusqu*à 
Hass-EI-Heuzma,  à  une  journée  et  demie  de  marche  de  Ta- 
belkoza;  lorsque  je  suis  rentré  à  El-Goléa,  les  gens  du  pays 
m'ont  demandé  pourquoi  je  n'étais  pas  allé  faire  un  tour 
dans  le  Tinerkouk;  rien  n'aurait  pu  m'en  empocher  (2).  » 

\{)  Le  Commandant  Lamy  d'après  sa  correspondance  et  ses  souvenirs  de  cam- 
pagne, page  110. 
(i)  îbid.,  page  120. 

14 


210     LE  SAUARÀ,  le  âOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  ^BR  TRANSSÂfiARl£>S. 

Il  se  plaint,  à  maintes  reprises,  de  la  timidité  gouverne- 
mentale qui  leur  interdit  les  excursions  un  peu  lointaines, 
quoiqu'elles  ne  lui  paraissent  présenter  aucun  danger  ;  c'est 
un  refrain  habituel  dans  ses  lettres  :  le  6  décembre  1892, 
il  parle  de  la  suppression  éventuelle  de  la  compagnie  de 
méharistes  d'El-Goléa  :  «  Du  moment  où  on  ne  les  employait 
pas,  selon  leurs  aptitudes,  dans  ces  reconnaissances  à 
grande  envergure  qui  nous  ont  été  interdites,  autant  vaut  ies 
supprimer(l).  »  Le  16  janvier  1893,  il  narre  au  général  Poizat 
une  aventure  assez  curieuse  :  <  Nous  avons  également  re{u 
un  touriste  de  la  province  de  Constantine.  Il  est  venu  en 
vélocipède  y  îusquk  moitié  route  deTougourt  à  Guerrara;là, 
ne  pouvant  plus  avancer  à  cause  du  terrain,  il  a  couché  son 
instrument  dans  une  dune,  et  a  loué  un  chameau  sur  le  dos 
duquel  il  est  arrivé  à  El-Goléa,  suivi  d'un  petit  coDvoi. 
  El-Goléa,  je  lui  ai  fait  acheter  un  beau  méhari  et  sos 
équipement  ;  il  est  allé  seul  avec  un  Madhoui  (Chaambi. 
d'El-Goléa  à  Inifel  en  trois  jours,  puis  d'Inifel  à  Ouargla 
par  l'oued  Mia.  Personne  n'avait  plus  osé  suivre  celle 
dernière  route  depuis  le  colonel  Flatters,  et  il  faut  que  ce 
soit  un  touriste  venu  directement  de  Blois,  ne  connaissaol 
pas  le  premier  mot  de  TÀlgérie,  qui  entreprenne  des  courses 
auxquelles,  il  y  a  quelques  mois,  on  me  défendait  de  me 
risquer  avec  moins  de  60  hommes.  Quelle  pusillanimité!  et 
quelle  leçon  pour  les  timorés  du  sud  que  la  désinvolture  de 
ce  M.  de  Troberville  allant  tranquillement  fumer  sa 
pipe  en  compagnie  d'un  seul  guide  sur  les  grands  chemins 
du  Sahara  (2)  !»  Et  le  28  janvier,  toujours  d'El-Goléa 
((  J'ai  dû  abandonner  mon  projet  de  rentrer  par  Aïn-Sefra 
La  permission  de  suivre  ce  trajet  m'a  été  refusée,  à  moi  qui. 
depuis  deux  ans,  navigue  dans  le  Sahara,  sous  le  prétexte 
que  le  pays,  que  je  connais  mieux  que  personne,  n'est  pas 
sûr  et  de  peurque  je  meure  de  faim  ou  de  soif  (3).  >  Et  sur  sa 

(i)  Le  Commandant  Lamy  d'après  sa  correspondance  et  ses  souvenirs  de  cQf-- 
vagne,  page  168. 

(2)  Ibid.,  page  174. 

(3)  Ibid.,  page  172. 


LE  CÔMIlANDÀNf  LAMY  :  U  MAIN-D^CËUVRB  Alj  SAHARA.        tii 

roule  de  retour,  il  écrit,  le  28  mars  1893,  à  M.  de  Trober- 
ville  :  «  Vous  savez  de  quelle  façon  j*étais  emprisonné  à 
El-Goléa,  sous  le  prétexte  qu'il  y  avait  de  grands  dangers  h 
s'écarter  de  ce  poste  (1)  !  »  Il  précise  ainsi  les  moyens  pour 
atteindre  le  but  qu*on  hésite  tantà  poursuivre  :  «  Quel  que  soit 
le  côté  par  où  Ton  envisage  la  question  de  pénétration  saha- 
rienne, on  revient  toujours  au  point  de  départ  :  qu  on  donne 
à  Texplorateur  une  escorte,  et  le  Sahara  est  traversé  (2)  »  ; 
en  attendant  cette  escorte,  on  pourrait  faire  des  <  reconnais- 
sances à  grande  envergure  »,  suivant  son  expression;  mais 
il  ajoute  :  «  Ici,  sans  risques  ni  péril,  on  entrave  de  parli 
pris  toute  action  individuelle  (3).  » 

11  fit  néanmoins,  on  Ta  vu,  dans  un  rayon  de  250  à  300  kilo- 
mètres autour  d*El-Goléa,  et  notamment  au  sud  jusqu'au 
pied  du  plateau  du  Tadémaït,  des  excursions  fort  intéres- 
santes. 

Une  observation  dans  ses  lettres  qui  mérite  d'être 
recueillie  se  rapporte  à  la  main-d'œuvre  disponible  en  ces 
régions  si  peu  habitées  :  «  Le  bruit  s'étant  répandu  au 
Touat  et  au  Gourara  qu'on  allait  faire  de  grands  travaux  à 
El-Goléa,  il  m'arrive  chaque  jour  des  caravanes  de  gens  de 
ces  pays  qui  viennent  demander  de  Touvrage  ;  moyennant 
1  fr.  50  par  jour,  nous  pourrions  avoir  d'excellents  ouvriers 
et  nous  créer  des  intelligences  chez  nos  voisins  de  TOuest; 
mais  nous  n'avons  pas  de  travaux  à  leur  donner  (4).  »  Cette  re- 
marque est  très  importante  ;  ce  n'est  pas  seulement  de  l'ouesl, 
mais  aussi  de  l'est  (le  Fezzan)  et  même  du  sud  (le  Soudan) 
qu'accouraient  en  foule  des  travailleurs  à  1  fr.  50  par  jour  pour 
des  travaux  continus  à  exécuter  dans  le  Sahara,  tels  que  le 
Transsaharien  ;  on  en  aurait  facilement  non  seulement  des 
milliers,  mais  même  12000  ou  15000  si  c'était  nécessaire. 

Nous  avons  déjà  cité  les  observations  que,  au  cours  de 

H)  Le  Commandant  Lamy  d'après  sa  correspondance  et  ses  souvenirs  de  cam^- 
pagncy  page  174. 
(2)  Mit/.,  page  178. 
{3)  Ibid.,  page  182. 
(4)  /Aid.,  page  109  (Voy.  aussi  page  140). 


21â     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TKANSSABARIEKS. 

ces  reconnaissances,  Lamy  fit  sur  ces  régions,  notamment  en 
ce  qui  concerne  les  eaux  et  les  puits.  Il  parle  aussi  des  planta 
et  du  bois  :  <  Au  milieu  de  ces  dunes,  il  y  a  dans  certains 
bas-fonds  une  végétation  délicieuse  pour  le  palais  et  Tes* 
tomac  de  nos  animaux  (les  chameaux)  ;  aussi  faut-il  voir  Tair 
béat  qu  ils  ont  lorsqu'on  les  ramène  le  soir  au  camp.  Ils 
ont  tellement  mangé  qu'ils  se  traînent  péniblement  en  rumi- 
nant de  ces  plantes  exquises,  assaisonnées  d'un  sable  très 
pur,  qu'ils  ont  absorbées  toute  la  journée  (1).  »  Évidemment 
ces  pâturages  sahariens  ne  ressemblent  pas  aux  prés  it 
Normandie,  quoique  plusieurs  explorateurs  aient  parlé,  ca 
certains  endroits  et  jusqu'au  plein  centre  du  désert,  de 
véritables  prairies  de  néci  ou  d'autres  variétés  de  fourrage 
(Voy.  plus  haut,  page  125,  et  plus  loin,  page  247).  Il  y  a  aussi 
des  arbustes,  comme  le  /!?r8/]^a  (variété  de  tamarix),  à  Tombre 
desquels  on  s'abrite  (2),  puis  de  vrais  arbres,  même  de 
grands  arbres.  <  Nous  nous  trouvons  en  haut  de  la  côte 
qui  domine  la  vallée  (du  côté  de  l'oued  Mia).  Des  touffes 
noires  la  parsèment  ;  ce  sont  des  arbres  et  des  buissons. 
Nous  allons  donc  avoir  un  peu  de  bois  et  d'ombre  (3).  » 

Il  fut  dpnné  à  Lamy  d'effectuer  la  première  traversée, 
d'outre  en  outre,  du  Sahara  central,  comme  chef  de  rescorte 
de  la  mission  Poureau.  On  a  un  certain  nombre  de  lettres  de 
lui  écrites  au  cours  de  cette  exploration.  On  ne  pourrait  les 
analyser  toutes  sans  faire  double  emploi  avec  le  Journal  de 
route  de  M.  Foureau,  dont  nous  donnerons  plus  loin  une 
analyse,  accompagnée  de  commentaires.  Il  est  bon,  toutefois, 
à  titre  de  diversité  de  témoignages,  de  reproduire  quelques 
extraits  de  cette  correspondance  de  Lamy  sur  cette  traversée 
célèbre.  Elle  s'effectua,  on  le  verra  plus  loin,  dans  de9 
conditions  climatériques  moins  favorables  que  celles  dont 
bénéficia  la  première  mission  Flatters;  l'année  était  beaucoup 
plus  sèche  ;  néanmoins,  pour  l'observateur  attentif»  elle  en 

(i)  Le  Commandant  ÎMmy  cV après  sa  corf^espondafice  et  ses  souvenirs  ileca  • 
pagne,  page  H4. 

(2)  IbUL,  page  119. 

(3)  Ibid.,  page  131. 


LE  COMMANDANT  LAMY  :  FOURRAGES  ET  BOIS  DANS  LE  SAHARA.     213 

conflrme  les  conclusions.  La  végétation  était  séchée  en 
grande  partie  par  cette  insufflsance  des  pluies  récentes,  ce 
qui  ne  veut  pas  dire  qu'il  n'y  eût  aucune  pluie  ;  car,  suivant 
notre  observation,  malgré  le  dicton  qu'il  ne  pleut  que  tous 
les  quatre  ou  cinq  ans  au  Sahara,  il  n*est  jamais  arrivé  à  un 
explorateur  de  s'y  aventurer  quelques  mois,  sans  y  recevoir 
de  la  pluie.  Le  3  décembre  1898,  Lamy  écrit  :  <  Il  y  a 
deux  jours,  nous  avons  eu  ]a  première  pluie  depuis 
notre  départ  (le  23  septembre)  :  éclairs,  tonnerre,  se  répé- 
tant de  montagne  en  montagne,  coup  de  vent  des  plus  vio- 
lents, orage  s'avançant  avec  le  roulement  lointain  de  dix 
régiments  d'artillerie  au  grand  trot  ;  c'était  vraiment  un 
spectacle  majestueux  et  superbe.  Le  lendemain,  nous  en 
avons  été  quittes  pour  nous  sécher  à  un  beau  soleil,  et  rien  ne 
paraissait  plus  de  cette  bourrasque  qui  semblait  vouloir 
tout  détruire  (1)  ». 

Sur  la  végétation  en  plein  Sahara  central,  il  oppose  la 
désolation  du  plateau  du  Tasili  à  la  fécondité  relative  et 
spontanée  des  vallées;  le  12  décembre  1898,  par  26''15', 
il  mande  au  général  Poizat  :  «  Pas  l'ombre  de  végétation 
sur  ces  rochers  et  dans  les  coupures  au  milieu  desquelles  se 
précipitent  les  eaux  lorsque  par  hasard  il  pleut.  Dans  les 
vallées,  au  contraire,  telles  que  l'oued  Samen,  on  trouve  de 
véritables  forêts  de  gommiers  et  de  tamarins  et  du  drinn 
plus  ou  moins  sec,  maigre  nourriture  pour  les  chameaux  qui 
circulent  péniblement  avec  leurs  charges  (2).  »  11  ne  fautpas 
oublier  que  l'on  est  en  décembre  et  que,  même  dans  des 
contrées  plus  favorisées,  les  troupeaux  ne  trouveraient  aux 
champs,  en  celte  saison,  qu'une  maigre  nourriture.  Un  mois 
après,  le  15  janvier  1899,  par  23*3218"  de  latitude,  il  écrit 
au  commandant  Legrand  :  «  Depuis  hier  nous  sommes 
campés  dans  la  plaine  d'Âdjou,  où  nous  coupons  du  drinn, 
espèce  de  fourrage  sec,  pour  nourrir  notre  immense  troupeau 

[i]  Le  Comtnandant  Lamy  d'après  sa  correspondance  et  ses  souvenirs  de  cam- 
pagne, page  515. 
{î)  Ibid.,  paffe  518. 


214     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS. DE  FER  TRANSSAHABIESS. 

de  chameaux  qui  va  avoir  à  franchir  près  de  250  kilomètres 
sans  avoir  rien,  absolument  rien,  à  se  mettre  sous  la  dent.  Cesl 
environ  90000  kilogrammes  de  fourrage  que  nous  sommes 
en  train  de  faucher  et  que  nous  allons  être  obligés  d'em- 
porter en  surcharge  sur  le  dos  de  nos  pauvres  animaux  déjà 
bien  fatigués,  sans  compter  que  nous  serons  obligés,  dans 
trois  jours,  d*y  ajouter  cinq  jours  de  réserve  de  bois  pour  la 
cuisson  de  nos  aliments.  Ce  n'est  pas  la  première  fois  que 
nous  sommes  obligés  de  transporter  tout  ce  qui  est  néces- 
saire à  notre  subsistance  et  à  celle  de  nos  animaux;  pour  le 
passage  du  Tasili,  nous  avions  dû  recourir  aux  mêmes  expé- 
dients; mais  c'est  la  partie  désertique  la  plus  absolue  et  la 
plus  longue  de  notre  voyage  que  nous  allons  aborder  (1).  ■ 
Ce  passage  est  caractéristique.  Qu'au  point  en  quelque  sorte 
le  plus  central  du  Sahara,  on  trouve  à  faucher,  au  mois  de 
janvier,  90  000  kilogrammes  de  fourrage,  cela  ne  doit,  certes, 
pas  passer  inaperçu  ;  ensuite,  il  ressort  de  cette  constatation 
du  commandant  Lamy  que  c'est  exceptionnellementqu'oaesl 
contraint  à  faire  ces  provisions  et  qu'en  général  un  troupeau, 
si  gigantesque  soit-il,  trouve,  dans  cette  longue  traversée,  à 
vivre,  même  en  hiver,  sur  les  ressources  locales. 

Comme  les  explorateurs  précédents  et  ceux  qui  le  suivroot. 
Lamy  constate  à  la  fois  les  fraîcheurs  et  même  les  fi-oids 
nocturnes  du  Sahara  et  la  très  grande  salubrité  du  pays: 
il  écrit  le  29  décembre  1898,  de  Tihodaït,  après  la  traversée 
du  Tasili  :  «  Quant  à  nous  tous,  nous  nous  portons  admira- 
blement bien,  malgré  les  alternatives  de  chaud  et  de  froid 
par  lesquelles  nous  passons.  Il  nous  arrive  fréquemment 
d'avoir  4  ou  b""  au-dessous  de  zéro  le  matin,  pour  remonter  à  *25 
ou  26°  de  chaleur  dans  l'après-midi  du  même  jour.  Ce  malin 
notamment,  pendant  que  nous  étions  en  route,  j'avais  de  pe- 
tits glaçons  dans  ma  barbe  à  sept  heures  et  demie,  tandis  qu'à 
une  heure  du  soir  nous  avions  plus  de  20*^  à  Tombre  (2).  » 

(1)  ^e  Commandant  Lamy  d'après  .sa  correspondance  et  ses  souvenirs  de  caf*>- 
pagne,  page  3i6. 
(i)  Ibid.,  page  o:22. 


LE  C"* LAMY  :  L'INSÉCURITÉ  ;  LES  POINTS  D'EAU  ;  LE  TRANSSAHARIEN.     2<5 

11  est  tout  aussi  affirmatif  qu*on  puisse  Tétre  sur  Tinsécu- 
rilé,  la  plaie  de  ces  immensités  et  Tune  des  principales 
causes  de  leur  actuelle  désolation  ;  outre  les  passages  relatés 
plus  haut,  en  voici  un  de  sa  lettre,  de  la  plaine  d*Âdjou 
(23'  degré  32'  de  latitude),  au  commandant  Legrand  :  «  On 
ne  rencontre  pas  un  être  vivant  lorsqu'on  est  en  forces, 
mais  on  est  invariablement  assassiné  lorsqu'on  circule  seul 
ou  lorsque,  même  nombreux^  on  ne  se  tient  pas  sur  ses 
gardes.  Le  pays  est  sillonné  par  les  caravanes  d'une  part  et 
par  ceux  qui  cherchent  à  les  piller  de  l'autre,  et  lorsqu'on 
croise  sur  le  sable  et  sur  le  gravier  blanc  les  pistes  d'un  trou- 
peau de  chameaux,  on  ne  sait  jamais  à  laquelle  de  ces  deux 
catégories  on  peut  avoir  affaire  (1).  » 

Les  traits  les  plus  importants  de  cette  correspondance  du 
commandant  Lamy  sont  ceux  qui  concernent  la  grande  facilité 
de  l'établissement  d'une  voie  ferrée  et  également  les  possibi- 
lités de  cultures,  en  de  nombreux  points  du  moins;  le  12  dé- 
cembre 1898,  par  26''15'  de  latitude,  il  écrit  au  général 
Poizat  :  <  Je  vous  assure  que  les  anciennes  relations  entre 
Ouargla  et  le  Soudan  ne  seraient  pas  longues  à  rétablir  avec 
quelques  postes  de  l'espèce  de  celui  de  Timassanine,  sous 
les  ordres  d'officiers  actifs,  vigoureux  et  entreprenants,  tels 
que  le  capitaine  Pein.  Il  suffirait  de  vouloir  s'en  donner  la 
peine.  La  seule  difBculté  sérieuse  que  l'on  ait  à  vaincre  pro- 
vient de  la  nature  elle-même.  Ce  n'est  pas  tant  l'eau 
qui  manque  que  les  pâturages  pour  les  animaux.  Sauf 
dans  l'Erg  où  il  faut  parcourir  220  kilomètres  d'El-Biodh 
à  Timassanine  sans  rencontrer  une  goutte  d'eau,  l'eau 
se  trouve  ou  se  trouverait  partout  en  abondance  à  peu 
de  frais,  et  encore  je  suis  convaincu  qu'en  faisant  des  re- 
cherches sérieuses  dans  l'Erg  on  pourrait  y  créer  des  points 
d'eau  suffisamment  rapprochés  pour  en  permettre  la  traver- 
sée sans  craindre  la  soif,  seul  ennemi  qui  ne  pardonne 
pas...  En    somme,  le  jour  où  Ton  établira  des  points  d'eau 

{\)  Le  Commandant  Lamy  d'après  sa  correspondance  et  ses  souvenirs  de  cnm- 
paffne,  page  527. 


216     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN   ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIL^i 

suffisamment  abondants  pour  que  Ton  puisse  arrose: 
quelques  hectares  de  terrain,  on  pourra  faire  pousser  ce 
qu'on  voudra  en  beaucoup  d'endroits.  D'obstacle  matériel, 
aucun,  sauf  les  dunes,  et  encore  sont-elles  coupées  de  feidjs 
et  de  gassis,  où  le  terrain  est  absolument  plan  et  où  3 
n*y  a  qu'à  poser  le  rail  sur  un  reg  caillouteux  et  ré- 
sistant. Les  massifs  ou  les  chatnes  de  dunes  se  tra- 
verseraient en  tunnels,  métalliques  au  besoin.  Les  dq- 
vrages  d'arl,  qui  augmentent  toujours  beaucoup  le  prix  de 
revient  des  voies  ferrées,  seraient  nuls  ou  presque  nuls  si  Too 
faisait  une  reconnaissance  détaillée  du  pays.  Je  crois  ao 
Transsaharien,  telle  est  ma  conclusion.  Mais  il  faudra  choisi' 
le  tracé  le  plus  court  et  le  plus  propice;  et  rien  ne  prouve 
que  ce  soit  notre  itinéraire  (1).  » 

Tout  est  à  retenir  dans  cette  remarquable  lettre  que  Lanijr 
écrivait  du  camp  «  situé  au  pied  même  du  Tasili  des 
Azdjer  ».  On  a  vu  plus  haut  que  le  commandant  Lamy  avait 
une  grande  expérience  des  puits  artésiens,  dont  il  avait  fait 
forer  plusieurs  avec  un  grand  succès  à  El-Goléa  (Voy.  plus 
haut,  page  206).  Quand  donc  il  dit  que  l'on  pourrait  établir 
aisément  des  points  d'eau  assez  rapprochés  dans  la  zooequi 
en  est  dépourvue,  il  parle  avec  une  spéciale  compétence.  So& 
affirmation  que,  tout  au  moins  jusqu'au  Tasili,  il  n  existe 
aucun  obstacle  à  l'établissement  du  Transsaharien,  qu  on  est 
en  général  en  terrain  reg  caillouteux  et  résistant  et  qu'il  ny 
a  qu'à  poser  les  rails,  esttoutà  fait  réconfortante.  Enfin,  cette 
déclaration  nette  et  sommaire  :  «  Je  crois  au  Transsaharien  * 
est  triomphante  dans  sa  brièveté;  il  n'est  pas  jusqu'à  cette 
hypothèse  que  le  meilleur  tracé  pourrait  bien  être  autre  que 
celui  où  la  mission  Foureau-Lamy  est  engagée  qui  ne  soit 
exacte,  car  celui  qu'a  décrit  Flatters  et  qui,  à  partir  d'EI- 
Biodh,  suit  l'oued  Igharghar,  Âmguid  et  la  plaine  d'Amad- 
ghor,  tournant,  au  lieu  de  le  gravir  de  front,  le  plateau  dé- 
nommé Tasili  des  Azdjer,  paraît  de  beaucoup  préférable. 

(1)  Le  Commandant  Lamy  d'après  sa  correspondance  et  ses  souvenirs dtc '• 
patjne,  pages  o  18  et  519. 


fcE  COMMANDANT  LAMY:  POSSIBILITÉS  DE  CULTURES  DANS  LE  SAHARA.    217 

Dans  la  même  lettre,  écrite  du  26''  degré  15',  le  12  dé- 
cembre 1898,  Lamy  s'explique  sur  les  possibilités  de  culture 
dans  les  vallées  du  Sahara  central,  comme  l'oued  Samen  où 
Ton  trouve  «  de  véritables  forêts  de  gommiers  et  de  tama- 
rins 9  ;  il  écrit  :  c  II  est  probable  que,  si  Ton  plantait  des  pal- 
miers, ils  viendraient  admirablement,  mais  pour  cela  il  fau- 
drait travailler;  or,  je  ne  crois  pas  qu'il  y  ait  sur  terre  des 
gens  plus  paresseux  que  les  Touareg.  Depuis  quelques  jours 
nous  sommes  entrés  en  relations  avec  eux.  Ils  ont  été  aussi 
surpris  de  l'arrivée  de  notre  armée  que  si  elle  était  tombée  de 
la  lune.  Ce  n'est  qu'au  delà  d'Aïn  el-Hadjadj  que  nous  avons 
eu  le  plaisir  de  rencontrer  ces  seigneurs  qui,  engourdis  par 
le  froid,  sont  tapis  au  fond  des  ravins  où  ils  gardent  quelques 
chèvres  et  quelques  moutons  étiques  ainsi  que  de  nombreux 
petits  bourriquots,  en  se  racontant  des  histoires.  Leurs  cha- 
meaux sont  peu  nombreux  et  paissent  dans  des  régions  plus 
favorisées  que  celles  que  nous  traversons.  Nous  en  avons  vu 
très  peu  (1).  » 

La  possibilité  d'avoir  des  cultures  régulières  dans  un 
grand  nombre,  sinon  même  dans  la  plupart,  des  vallées  sa- 
hariennes ne  fait  aucun  doute.  Mais  il  est  probable  que  ce 
seront  les  noirs  seuls  qui  réaliseront  ce  progrès,  lequel  ne 
sera  nullement  un  miracle.  Il  faudra  seulement  aménager  les 
eaux  et  surtout  garantir  aux  populations  laborieuses  qui 
essaimeront  en  ce  pays  la  sécurité  dont  les  pillards  du 
désert  les  privent  complètement  à  l'heure  présente. 

A  la  fin  de  la  même  lettre,  très  étendue,  Lamy  émet  quel- 
ques craintes  du  chef  de  ces  pillards  pour  le  convoi  même 
de  la  mission  et  en  même  temps  il  caractérise  de  nouveau 
les  vallées  sahariennes:  <  Nous  serons,  s'il  plaît  à  Dieu,  à 
Tikhamar  (voyez  la  carte,  c'est  marqué)  dans  cinq  ou  six 
jours;  puis,  en  route  vers  l'Aïr.  Inutile  de  vous  dire  que  je 
n  ai  pas  caché  à  nos  nouveaux  amis  (les  Touareg)  que,  s'ils 
nous  volaient,  eux  ou  leurs  congénères,  un  seul  de  nos  cha- 

\^)  U  Commandant  Lamy  d'aprèfs  sa  correspondance  el  ses  souvenirs  de  cam^ 
pagne,  pages  512  et  519. 


218     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSABARIE5?. 

meaux,  ce  qui  serait  assez  facile  lorsque  ces  animaux  sontac 
pâturage  dans  une  de  ces  vallées  encombrées  d'arbustes  el 
de  broussailles,  au  milieu  desquelles  les  chameaux  peuvect 
être  facilement  égarés,  nous  en  aviserions  le  chef  de  poste  df 
Timassanine,  gardien  vigilant  de  la  sécurité  du  pays  sur  nos 
derrières,  qui  ferait  immédiatement  razzier  toute  la  région 
depuis  le  Hoggar  jusqu'à  Rhàt  par  les  trois  cents  goumiers 
d'Ouargla,  qui  n'attendent  qu'un  signal,  qu'une  occasion 
propice  pour  se  précipiter  sur  eux.  Cet  avertissement  et  la  vue 
de  nos  trois  cents  fusils  à  nous,  qui  leur  paraissent  au  moins 
le  double,  leur  ont  inspiré  une  crainte  des  plus  salutaires,  ce 
quiesttoujoursexcellent  (1).  »  Voilà  donc  ces  vallées  du  Sahara 
central,  que  la  légende  représente  comme  un  sol  absolument 
nu  et  rebelle  à  toute  végétation  et  qui  sont,  au  contraire,  eo  j 
plein  mois  de  décembre,  <  encombrées  d'arbustes  et  de  brous- 
sailles ». 

(^es  extraits  de  la  correspondance  du  commandant  Lamy 
contribuent  à  faire  saisir  la  véritable  physionomie  du  Sahara. 
Les  lettres  de  Lamy  s'arrêtent  à  In-Azaoua,  point  voisin 
d'Âsiou  vers  le  2V  degré,  et  qu'il  a  supplanté  comme  station 
de  caravanes.  Le  commandant,  chef  seulement  de  l'escorte 
de  la  mission,  n'avait  pas  à  faire  un  rapport  général  sur 
toute  rétendue  du  tracé;  il  cesse  ses  lettres,  quand  il  ne 
peut  plus  les  faire  parvenir  au  moyen  des  convois  de  ravitail- 
lement par  la  voie  du  nord.  C'est  maintenant  au  Journal  it 
M.  Foureau  qu'il  faut  recourir  afln  d'avoir  la  description 
complète  du  parcours  de  la  mission.  Si  nous  avons  détaché 
les  remarques  de  Lamy,  nous  l'avons  fait  afin  d'avoir  un  té- 
moignage de  plus,  particulièrement  primesautier  et  sincère. 
Le  Journal  de  M.  Foureau  va  nous  fournir,  en  quelque  sorte, 
la  note  officielle. 

En  même  temps  que  le  capitaine,  puis  commandant 
Lamy,  de  1890  à  1893,  explorait  d'El-Goléa  le  sud  de  la 
province  d*Âlger  jusqu'au  plateau  du  Tademait  au  28'  degré, 

(1)  Le  Commandant  Lamy  (Vapres  sa  correspondance  et  ses  souvenirs  de  ca^ 
patjnej  page  520. 


PREMIÉBES  EXPLORATIONS  FOUREAU. -<  RENOUST  DES  0R6ERIES.     210 

une  œuvre  de  pénétration  plus  prononcée  encore  et  plus 
méthodique  s'effectuait  dans  la  province  voisine. 

Il  se  trouvait,  dans  le  sud  de  la  province  de  Constantine, 
un  colon  algérien,  à  Tesprit  fort  entreprenant  et  au  caractère 
vigoureusement  trempé,  M.  Fernand  Foureau,  qui  rêvait  de 
reprendre,  dans  des  conditions  meilleures,  l'expédition 
Flalters.  L'administration  française  s'élant  interdit  les 
grands  desseins  et  les  hautes  visées,  il  dut  se  contenter 
d'explorations  souvent  renouvelées  dans  un  rayon  de  600 
ou  700  kilomètres  au  sud  et  au  sud-est  d'Ouargla.  De  1884 
à  1896,  au  cours  de  missions  données  par  le  ministère  de 
l'Instruction  publique,  il  explora  presque  en  tous  sens  la 
contrée  comprise  dans  ce  rayon  ;  il  parcourut  ainsi,  en  neuf 
voyages,  21 000  kilomètres  dont  9000  en  pays  nouveaux.  Ces 
tournées  le  familiarisaient  avec  le  désert  et  ses  habitants  ; 
il  connut  à  fond  les  Chaamba  et,  autant  qu'on  peut  les 
connaître,  les  Touareg. 

II  est  probable  que  les  précieuses  facultés  de  M.  Foureau 
et  la  lente  et  méthodique  préparation  qu'il  s'était  donnée 
pour  une  exploration  importante  et  décisive  eussent  été 
vaines,  sans  un  incident  de  nature,  en  soi,  secondaire.  II 
mourut,  vers  1897,  un  homme  méritant  et  modeste,  ayant 
fait  une  très  honorable  carrière  professionnelle,  sans  que  les 
regards  du  grand  public  se  soient  jamais  portés  sur  lui, 
M.  Renoust  des  Orgeries,  ancien  inspecteur  général  des 
ponts  et  chaussées.  Il  faisait^  depuis  quelques  années,  partie 
du  Comité  de  l'Afrique  française,  qui  a  pris  une  si  grande 
part  à  l'occupation  par  la  France  d'un  vaste  morceau  du 
continent  africain.  Je  Tai  connu  au  sein  de  cette  société, 
dont  je  fais  partie  moi-môme.  C'était  un  homme  modeste, 
discret,  silencieux,  qui  ne  fit  part  à  personne,  autant  que 
je  le  sache  du  moins,  de  la  libéralité  patriotique  et  utile 
qu  il  préparait.  On  apprit  à  sa  mort  qu'il  avait  fait  à  la 
Société  de  géographie  de  Paris  un  legs  de  250000  francs 
pour  t  favoriser  les  missions  qui,  à  l'intérieur  de  l'Afrique, 
peuvent  contribuer  à  faire  un  tout  homogène  de  nos  pos- 


220     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHAEIElï^. 

sessions  actuelles  de  TÂlgérie,  du  Soudan  et  du  Congo  •. 

On  était,  en  1897,  revenu  à  une  période  de  ferveur  colo. 
niale  :  la  médiocre  convention  de  1890  entre  la  France  et 
TAngleterre,  qui  nous  arrêtait  quasi  à  la  limite  inférieure  k 
Sahara  ou,  tout  au  plus,  nous  cédait  une  étroite  lisière  du 
Soudan  central,  était  proclamée  insuffisante  par  TopiDioi 
française.  L'accès  de  la  région  du  lac  Tchad  était  l'objel 
d'efforts  méthodiques  de  nos  explorateurs  et  de  nos  colono^ 
venant  de  Touest  et  du  sud.  L*idée  vint  d*y  diriger  aussi  mt 
troisième  mission  par  la  voie  du  nord  et  de  faire  effectue: 
entre  elles  sur  les  rives  de  ce  lac,  plus  célèbre  que  connii 
alors,  une  jonction  consacrant  Tunité  de  nos  possessions 
africaines,  et  soudant,  par  une  démonstration  matérielle  écla- 
tante, nos  trois  tronçons^  le  septentrional,  à  savoir  rAlgérie- 
Tunisie,  l'occidental,  à  savoir  le  Sénégal  et  nos  province 
du  Niger,  le  méridional  enfin,  c'est-à-dire  notre  Congo  et 
les  régions  de  l'Oubanghi  et  du  Chari. 

Le  legs  de  M.  Renoust  des  Orgeries  tombait  à  point;  certes. 
250000  francs  ne  devaient  pas  suffire  à  la  tâche,  et  il  est 
probable  que  l'on  a  dépensé  une  somme  triple,  sinon  qua- 
druple; mais  diverses  sociétés,  en  particulier  le  Comité  de 
l'Afrique  française,  des  particuliers  môme,  enfin  une  subven- 
tion du  ministère  de  l'Instruction  publique  et  Tentretico, 
naturellement,  par  le  ministère  de  la  Guerre  de  la  petite 
troupe  qu'il  avait  constituée  en  escorte  à  la  mission  s'ajou- 
tèrent au  legs  de  l'ancien  inspecteur  général  des  ponts  el 
chaussées  et  couvrirent  les  frais  de  la  traversée  du  Sahara 
central. 

M.  Foureau  était  tout  indiqué  pour  être  le  chef  delà  mis- 
sion; on  lui  adjoignit,  comme  chef  de  l'escorte,  son  émule 
le  commandant  Lamy,  dont  nous  venons  de  retracer  les  tra- 
vaux personnels  et  les  appréciations. 


CHAPITRE  IX 
La  MISSION  Fourkau-Lamy.  —  Organisation  et  caractère  de 

LA  MISSION. 


Préparation  très  soignée  de  la  mission  Foureau-Lamy.  L'effectif  total  de  la  mis- 
sion, du  convoi,  de  l'escorte  et  des  «  convois  libres  »  dépassait  1200  chameaux 
et  approchait  de  400  hommes.  —  Le  désert  dut,  avec  ces  maigres  ressources 
hivernales,  fournir  des  fourrages,  du  bois,  de  l'eau  à* cette  énorme  colonne. 

Le  capitaine  Pein,  du  poste  permanent  de  Timassanine,  est  chargé  du  ravi- 
taillement en  vivres  pour  les  hommes  de  la  mission  et  de  Tescorle.  —  Poste 
temporaire  à  Amguid.  —  Le  contact  est  maintenu  par  le  capitaine  Pein  jusqu'à 
In-Azaoua  au  21  «  degré  de  longitude  et  au  delà  de  la  première  moitié  du 
Sahara. 

L'élément  scientifique  et  technique  est  beaucoup  plus  faiblement  représenté 
dans  la  mission  Foureau-Lamy  que  dans  les  missions  Flatters. 


La  préparation  de  Texploration  Foureau-Lamy  fut  faite 
avec  beaucoup  de  soin  ;  le  livre  que  le  commandant  Reibell 
a  consacré  à  son  ancien  chef,  le  commandant  Lamy,  con* 
lient  à  ce  sujet  de  très  nombreux  détails  ;  nous  y  renvoyons 
le  lecteur  (1),  car  ils  allongeraient  inutilement  le  présent 
ouvrage. 

On  devait  avoir  à  lutter  contre  les  obstacles  provenant  de 
la  nature  et  les  obstacles  provenant  des  hommes;  les  pre^ 
miers,  pour  une  partie  du  parcours,  la  moindre  il  est  vrai, 
étaient  inconnus  et  difficilement  appréciables,  puisque  le 
sixième  du  trajet,  la  partie  la  plus  centrale,  du  25"^  degré  et 
demi  au  22''  degré  et  demi,  n*avait  été  suivi  par  aucun  Euro-* 
péen  oU|  du  moins,  n'avait  été  Tobjet  d^aucune  relation 
européenne  ;  l'expérience  devait  démontrer  que  ces  obstacles 
de  la  nature  avaient  été  grossis  par  l'imagination.  Les  diffi- 

(i)  Voy*  Le  Commandant  Lamy  d'après  sa  correspondance  et  ses  souvenirs  de 
campagne  (1858-1900),  par  le  commandant  Reibell  (librairie  Hachette,  1903).  Tout 
un  chapitre  de  ce  livre,  de  la  page  419  à  la  page  497,  est  consacré  à  la  prépara'- 
tioQ  de  la  «  Mission  saharienne  »  ;  ce  sont  des  lettres  du  commandant  Lamy  et  de 
divers  correspondants  qualifiés,  comme  le  général  de  la  Roque»  le  général 
Urchey,  M.  A.  Le  Chàtelier,  etCé 


â22     LE  SÀHAtiÀ,  LE  SOUDAN  Et  LES  CËEMINS  bfi  FER  tRANSSAfiÂRIEKS. 

cultes  provenant  des  habitants  étaient  plus  mesurables.  Fiat- 
ters  avait  échoué  dans  sa  seconde  exploration,  en  partie 
par  trop  de  confiance,  puisque  lui  et  presque  toute  sa  petite 
troupe  furent  massacrés  par  trahison,  en  partie  aussi,  cepen- 
dant, par  rinsuffisance  de  son  escorte.  Eût-il  échappé  aa 
guet-apens  du  puits  de  Tadjenout  qu'il  est  douteux  qu'avec 
TefTectif  insignifiant  de  sa  mission  il  eût  pu  triompher  de  la 
mauvaise  volonté  des  gens  de  TAïr  et  de  ceux  de  Zinder, 
que  nous  n'occupions  pas  alors. 

Dans  sa  première  mission,  qui  ne  fit,  il  est  vrai,    qu'ex- 
plorer les  confins   extérieurs  de    notre  Algérie,  la  marche 
voisine,  en  quelque  sorte,  de  notre  Algérie  orientale,  le 
colonel  Flatters  n'était  accompagné  que  de  30  cavaliers  à 
méhari  (chameaux  de  course)  et  de  50  chameliers  pris  parmi 
les  Chaamba  d'Ouargla.  L'effectif  de  sa  seconde  expédition, 
sans  être  plus    nombreux,  contenait  une   proportion  plus 
élevée  d'hommes  de  guerre  :  à  32  Chaamba   et  Larba  on 
avait  joint   46  volontaires,  tirés  des  régiments  indigènes. 
Cette  petite  troupe  était  encore  fort  inférieure  au  nombre 
qu'eût  requis  la  prudence  :  au  début,  Flatters  avait  bien 
demandé  une  escorte  de  200  hommes  pris  dans  nos  régiments 
indigènes;  mais  la  Commission  supérieure  du  Transsaharien, 
influencée  par  quelques  esprits  timides,  avait  considéré  que, 
avec  une  pareille  force,  l'exploration  eût  dégénéré  en   une 
<  véritable  expédition  militaire,  perdant  le  caractère  pacifique 
qui  convient  à  une  mission  scientifique  ».  C'est  avec  ces 
raisonnements  qu'on  fait  avorter  les  projets  les  mieux  conçus 
et  que  l'on  perd  les  empires.  L'imbécillité  de  ces  membres  de 
la  Commission  supérieure  a  certainement  privé  la  France, 
pour  toujours,  d'un  des  plus  beaux  morceaux  de  l'Afrique; 
car,  si  Flatters  fût  arrivé  au  Tchad,  en  1882  ou  1883,  il  est 
fort  probable  que  nous  aurions,  dans  notre  lot  de  ce  conti- 
nent, sinon  le  royaume  de  Sokoto,  tout  au  moins  celui  du 
Bornou,  qu'un  détachement  anglais  a  occupé,  à  peu  près 
sans  coup  férir,  en  1902  et  1903. 
Craignant  que  l'exploration  ne  fût  ajournée,  s'il  insistait 


FRÉPARATiON  Et  ÔRGANtSAtlON  t)B  LA  MISSION  l^OUREAtl-LAMY.     2^3 

pour  avoir  200  hommes  de  troupe,  le  malheureux  Flatters 
(Voy.  plus  haut,  pages  146  à  150)  proposa  lui-même  de 
réduire  son  escorte  aux  proportions  dérisoires  que  nous 
venons  d*indiquer. 

Il  ne  fallait  pas  recommencer  cette  faute.  Cette  fois,  les 
précautions  furent  bien  prises  et  Texploration  fut  très  judi- 
cieusement préparée. 

La  mission  comprenait,  outre  M.  Foureau,  son  chef, 
quatre  membres  civils  ;  quant  à  l'escorte  de  la  mission,  elle 
comptait,  outre  le  commandant  Lamy,  10  officiers,  dont 
deux  médecins,  213  tirailleurs  algériens,  51  tirailleurs  saha- 
riens, 13  spahis  algériens,  un  sous-officier  d'artillerie;  au 
total,  avec  le  commandant  Lamy,  289  hommes  de  troupe, 
dont  39  Européens  et  250  indigènes.  La  petite  cavalerie  de 
la  mission  se  composait  de  13  chevaux  de  spahis,  et  12  d'offi- 
ciers ou  membres  civils,  au  total  25.  Les  hommes  de  troupe 
étaient  montés  à  chameau  ;  mais,  par  l'épuisement  et  la  dis- 
parition successive  d'un  grand  nombre  de  ces  bétes  de 
charge,  ils  durent  faire  à  pied  la  dernière  partie  du  trajet. 
L'approvisionnement  de  munitions  consistait  en  200000  car- 
louches  pour  l'infanterie  ;  les  spahis  avaient,  en  outre,  leur 
réserve  à  part  ;  une  section  d'artillerie,  dont  le  personnel  est 
compris  dans  les  chiffres  donnés  plus  haut,  emmenait  deux 
pièces  de  canon  Hotchkiss  de  42  millimètres,  avec  une  pro- 
vision de  €  200  coups  par  pièce,  un  certain  nombre  d'arti- 
fices et  une  grande  quantité  de  pétards  de  mélinite  (1)  ». 

Ainsi,  mission  et  escorte  comptaient  294  hommes;  il 
fallait  à  tout  ce  monde  un  nombre  considérable  de  bêtes  de 
somme  et  à  celles-ci  un  chiffre  respectable  de  gens  de  ser- 
vice, chameliers  et  autres.  Le  convoi  se  composait  d'un 
millier  de  chameaux;  on  avait  engagé,  en  plus  de  l'effectif 
ci-dessus,  une  vingtaine  de  Chaamba  montés  à  méhari, 
guides,  éclaireurs,    chasseurs,    une  quarantaine    d'autres 

(1)  Ces  renseignements  sont  tirés  du  Rapport  d'ensemble  sur  Vescorle  de  la 
MUsion  saharienne,  par  le  commandant  Rcibell •  M.  Foureau  a  joint  en  appen- 
dice une  partie  de  ce  rapport  &  son  ouvrage,  pages  802  et  803. 


^U     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  GDEMINS  DE  FER  TRANSSAHAEIE5S 

indigènes  à  titre  de  sokhrars,  c'est-à-dire  chameliers,  non 
pas  qu*ils  dussent  suffire  pour  le  nombre  énorme  de  bêles, 
mais  ils  devaient  former  les  tirailleurs  au  métier,  nouveas 
pour  eux,  de  conducteurs  de  chameaux.  Trois  mokkaden 
de  la  zaouïa  des  Tidjani,  personnages  religieux  d'une 
influente  confrérie  musulmane  algérienne,  assez  dévouée  à 
la  France,  s'étaient  joints  aussi  à  l'expédition,  ce  qui  po: 
tait  au  delà  de  350  le  personnel  militaire  ou  civil  ;  voilà  quel 
était  l'effectif  propre  de  la  mission,  du  convoi  et  de  son 
escorte.  Elle  était  accompagnée,  en  outre,  de  ce  que  M.  Fou- 
reau  appelle  «  les  convois  libres  »,  qui  ne  laissaient  pas  que 
d'être  importants  :  un  indigène  des  Beni-Thour,  notamment, 
s'était  engagé  à  fournir  toute  la  viande  nécessaire  à  h 
mission  jusqu'à  Timassanine  ;  <(  il  marche  donc  de  conserve 
avec  nous,  dit  M.  Foureau,  poussant  le  troupeau  de  cha- 
meaux qui  constitue  son  approvisionnement,  la  seule  viande 
que  nous  absorberons  pendant  bien  longtemps.  Chaque  soir, 
quelques  fractions  des  convois  libres  dont  j'ai  parlé  plus 
haut  nous  rejoignent  et  font  route  commune  à  l'avant  ou  à 
l'arrière  du  convoi  (1).  » 

A  combien  de  gens  et  de  bêles  montaient  ces  convois 
libres  ?  Nous  ne  trouvons  à  ce  sujet  nulle  indication  ;  mais 
il  est  probable  qu'ils  ajoutaient  bien  200  ou  300  chameaui 
et  une  cinquantaine  d'hommes  à  l'effectif  de  la  mission,  ce 
qui  en  portait  le  total  à  1 200  ou  1300  chameaux  et  à  environ 
400  hommes,  au  moins  pendant  la  première  partie  du  trajet. 

Si  nous  tenons  à  fixer  ces  chiffres,  c'est  qu'ils  ont  une 
grande  importance  pour  se  rendre  compte  des  ressources  du 
pays  parcouru;  on  se  trouve  en  présence,  en  effet,  d'une 
véritable  expédition  qui  va  traverser  sur  un  parcours  d'en- 
viron 2&00  kilomètres,  depuis  Ouargla,  une  des  contrées 
réputées  les  plus  arides  du  globe  ;  si  cette  contrée  était  vrai- 
ment aussi  désolée  et  dénuée  de  tout  que  la  fait  la  légende. 

(1)  FoureaU)  Mi88io7i  saharienne,  page  22.  U  est  dit,  page  84,  que  l'entreprr- 
neur  de  boucherie  se  trouvait  encore  avec  la  mission  dans  le  Tasili  et  continua' 
à  la  pourvoir  de  viande  de  chameau. 


PRÉPARATION  ET  ORGANISATION  DE  LA  MISSION  FOUREAU-LAMY.     225 

il  est  certain  que  jamais  une  colonne  aussi  nombreuse,  ne 
pouvant  aucunement  se  disséminer  à  cause  du  danger  d'at- 
laque,  n'eût  pu  arriver  au  but. 

On  avait  pris,  il  est  vrai,  de  sages  précautions  pour  aider 
au  ravitaillement  de  la  mission  et  de  son  escorte.  Le  capi- 
taine —  depuis  commandant  —  Pein  avait  été  envoyé,  avec 
un  goum  de  120  indigènes  et  de  50  spahis  sahariens,  occuper 
i'oasis  extra-algérienne  de  Timassanine  (1),  située  presque 
au  28"  degré,  à  quelque  450  kilomètres  au  sud  d'Ouargla  et 
plus  méridionale  de  deux  degrés  que  Ghadamès,  qui  se  trouve 
dans  son  est,  avec  la  charge  de  se  tenir  toujours  en  contact 
avecla  mission  et  de  lui  amener  des  convois  d^approvisionne- 
ment.  Le  capitaine  Pein  établit  même  un  poste  temporaire 
de  50  ou  60  hommes,  sensiblement  plus  au  sud  encore,  à 
Amguid  (2),  qui  était  indiqué  jadis  comme  le  terminus  de 
la  première  section  du  Transsaharien  et  qui  se  trouve  à 
600  mètres  d'altitude  aux  abords  du  plateau  central  du 
Sahara,  vers  le  26'  degré  et  demi  de  latitude.  Le  contact  fut 
maintenu  entre  le  capitaine  Pein  et  la  mission  saharienne,  et 
des  convois  furent  transmis  par  celui-ci  à  celle-là  jusqu'à  In- 
Azaoua,  point  d'eau  situé  bien  au  delà  du  milieu  du  Sahara. 
C'est  là  que  le  lieutenant  de  Thézillat,  commandant  le  dernier 
convoi  envoyé  d'Algérie,  rejoignit  la  colonne  Foureau-Lamy  ; 
au  lieu  de  le  renvoyer  vers  le  nord,  on  jugea  plus  prudent  de 
1  adjoindre  avec  sa  petite  troupe  à  la  colonne  pour  marcher 
sur  le  Soudan.  Le  dernier  convoi  de  ravitaillement  est  par- 
venu à  la  mission,  d'après  le  capitaine  —  aujourd'hui  com- 
mandant— Reibell,  càplus  de  1500  kilomètres  d'Ouargla  (3)  ». 

Ainsi,  la  traversée  des  deux  tiers  environ  du  désert  fut 
accomplie  par  divers  petits  convois,  commandés  par  des 
officiers  français  avec  escorte,  pour  rejoindre  le  corps  prin- 

(M  On  peut  lire  plus  haut,  pages  117  et  129,  des  descriptions  de  Timassanine 
ou  Témassinin,  empruntées  aux  documents  de  la  première  mission  Flatters  ; 
on  en  trouvera  plus  loin  (page  252)  une  description  nouvelle  de  M.  Foureau. 

{î)  Mission  saharienne  Foureau-Lamy^  d* Alger  au  Congo  par  le  lac  Tchad, 
par  F.  Foureau.  Paris»  1902,  page  77  et  passim, 

(3)  Le  Commandant  Lamy  d'après  sa  correspondance  et  ses  souvenirs  de 
campagne,  par  le  commandant  Reibell,  page  540. 

15 


226     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TR ANSSAHiilltv  1 

cipal,  lui  apporter  des  courriers  et  rapprovisionner.  Comarj 
ces  petits  convois  de  ravitaillement  ne  suivirent  pas  loujou^ 
exactement  la  même  route  que  la  mission  Foureau,  quiifî 
précédait,  il  en  résulte  la  connaissance  d*autres  trajets  \^:- 
tiels  et  des  renseignements  précieux  qui  s'ajoutent  àceui  jr 
la  mission  elle-même  ;  il  se  dégage,  par  exemple,  des  rela- 
tions du  capitaine  Pein,  qu'il  a  traversé  des  districts  mieci 
pourvus  en  ressources  naturelles  que  ceux  qu'a  parcouru: 
M.  Foureau  (1). 

A  partir  d'In-Âzaoua,  qui  est  un  peu  au-dessous  d'Ask 
c'est-à-dire  du  21*  degré,  d'après  la  carte  détaillée  de  Barli 
la  mission  saharienne  resta  sans  relations  aucunes  avec  \t 
Nord. 

D'après  les  renseignements  fournis  et  que  nous  avons  r«=- 
sûmes,  la  colonne,  forte  ainsi,  avec  les  convois  libres,  des 
viron  400  hommes  et  de  1  200  à  1300  chameaux,  abondam- 
ment munie  de  cartouches,  de  provisions  pour  les  deui 
canons,  de  dynamite  et  de  mélinite,  était  admirablement  |m- 
parée  pour  résister  à  toute  attaque  des  nomades  du  déscri. 
gens  habituellement  armés  de  lances.  Mais  il  fallait  qi:^ 
cette  troupe  nombreuse,  avec  tous  ses  bagages  qui,  outre  b 
munitions,  comprenaient  des  quantités  d'objets  d'échange. 
verroteries,  cotonnades,  etc.,  traversât  tout  le  Sahara,  c'est 
à-dire  une  immensité,  que  l'on  se  figure  toute  de  sable  mou- 
vant et  sans  eau,  qui,  à  tout  le  moins,  ne  compte  guère  o 
population  fixe  et  n'offre  aucunes  réserves  alimentaires. 
Évidemment,  si  le  Sahara  était  conforme  à  l'idée  que  sea 
fait  le  vulgaire,  cette  traversée  eût  été  absolument  impos- 
sible. Avant  d'être  arrivés  au  quart  du  trajet,  les  400  hommes 
et  les  1  200  à  1300  chameaux  seraient  morts  de  faim  et  de 
soif.  Les  convois  de  ravitaillement,  en  effet,  si  utiles  qu  ik 
fussent,  surtout  peut-être  pour  apporter  et  remporter  de> 
nouvelles  et  maintenir  le  moral,  ne  pouvaient   amener  qoc 


(1)  ?sous  reproduirons  plus  loin  (l(;s  passages  des  rapports  du  capitaine  P'i 
dont  on  trouve  des  extraits  dans  le  Comité  de  V Afrique  française^  bulletin  ii!** 
sui'I,  juin  1899,  page  177. 


PRÉPARATION  ET  ORGANISATION   DE  LA  MISSION  FOUREAU^LAMY.     %îl 

quelques  vivres,  une  partie  seulement  des  vivres  destinés 
aux  hommes;  puis,  à  partir  môme  d*In-Azaoua,  ils  cessèrent 
tout  à  fait  ;  ils  n*apportaient  rien  pour  les  bêtes,  d*autant 
qu*ils  avaient  à  se  sufQre  à  eux-mêmes. 

Si  la  traversée  du  fameux  désert  a  donc  pu  s*effectuer  et 
quasi  sans  aucune  perte  d'hommes,  c'est  que  le  Sahara, 
comme  on  va  en  apporter  des  preuves  nouvelles,  est  tout 
à  fait  différent  de  ce  qu*on  Timagine.  Supposez,  dans  une 
de  ces  provinces,  comme  il  s*en  trouve  beaucoup  dans  tous 
les  pays  d'Europe,  même  les  plus  florissants,  sur  le  pla« 
teau  central  de  la  France,  par  exemple,  une  troupe  de  380  à 
400  hommes,  se  présentant,  en  plein  hiver,  avec  un  convoi 
de  1 200  à  1 300  bœufs  ;  il  est  clair  qu*il  serait  très  malaisé 
à  cette  troupe  marchant  rapidement,  conduite  par  des  guides 
peu  fidèles,  entourée  d'une  population  clairsemée  et  hostile, 
de  trouver  sa  nourriture;  sur  le  vaste  plateau  du  Larzac 
notamment,  que  je  connais  particulièrement,  où  l'on  vient 
d'établir  un  camp,  situé  aux  confins  des  départements  de 
rAveyron  et  de  l'Hérault,  et  il  est  en  France  bien  d'autres 
contrées  qui  ne  sont  pas  plus  favorisées,  une  pareille  troupe, 
si  elle  ne  pouvait  puiser  qu'aux  ressources  naturelles  directes 
et  immédiates  du  pays,  pâtirait  sérieusement  de  la  faim  et 
de  la  soif,  car  il  ne  s'y  trouve  pas  d'eau  courante  et  les  mares 
y  soat  rares  et  pauvres. 

Il  n'y  a  donc  nullement  à  s'étonner  que  dans  le  Sahara 
cette  colonne,  relativement  énorme,  se  soit  trouvée  en  proie 
à  de  grandes  difficultés.  Nous  n'avons  pas  à  les  retracer  ;  ce 
n  est  pas  l'objet  de  cette  étude  ;  mais  si  graves  fussent-elles, 
elles  ont  été  surmontées,  sans  pertes  d'hommes,  à  quelques 
unités  près,  répétons-nous  ;  cela  fait  honneur,  sans  doute,  au 
talent  des  chefs,  à  l'endurance  et  à  la  discipline 'de  la  troupe; 
mais  cela  prouve,  d'autre  part,  que  cet  immense  pays,  dont 
la  réputation  est  si  mauvaise,  offre  plus  de  ressources  et 
présente  moins  d'obstacles  qu'on  ne  lui  en  attribue. 

Telle  qu'elle  était  constituée,  la  mission  Foureau-Lamy, 
beaucoup  plus  importante  comme  nombre  et  comme  force 


CHAPITRE  X 

•La  marche  et  les  observations  de  la  mission 
Foureau-Lamy. 


Marche  de  la  mission  Pourcau-Lamy.  —  Analyse  du  journal  de  route.  —  La 
traversée  même  du  désert  a  pris  moins  de  cinq  mois,  et  Ti  m  mobilisation  dao» 
l'Aïr,  par  les  difficultés  que  suscitèrent  les  Touareg,  plus  de  huit  mois.  —  Les 
détours  ou  excursions  faites  au  cours  du  trajet,  les  renseignements  faux  et 
parfois  la  trahison  certaine  des  guides  ont  sensiblement  allongé  la  traversée. 
—  Les  guides  paraissent  intentionnellement  avoir  fait  prendre  à  la  mission  U 
route  la  plus  mauvaise,  dans  le  pays  le  plus  désolé. 

Diflicultés  pour  la  nourriture  constante  des  1 200  à  i  300  chameaux. 

Les  diverses  natures  de  terrains  traversés  ;  confirmation  des  observations  de 
Flatters. 

Les  pluies  et  les  points  d'eau.  —  Abondance  de  ces  derniers.  —  Le  système 
hydraulique  du  Sahara  est  beaucoup  mieux  constitué  qu'on  ne  se  l'imagine  : 
sur  terre  ou  sous  terre,  Teau  s'y  rencontre  fréquemment.  —  Au  lieu  d'aider 
la  nature  dans  le  Sahara,  Thomme  lui  nuit.  —  Le  moindre  aménagement  et 
un  entretien  soigneux  des  puits  donneraient  des  résultats  notables. 

Constatations  de  Foureau  sur  les  pâturages  et  le  bois  au  Sahara.  —  Les  arbres 
au  Sahara  :  le  gommier,  l'éthel;  plateaux  boisés.  —  Végétation  herbacée  très 
variée.  -^  Tous  ces  pacages  pourraient,  en  nombre  de  cas,  être  améliorés  par 
l'homme.  —  La  faune  assez  diversifiée  du  Sahara. 

Groupes  de  population  permanente  au  Sahara  ;  ils  pourraient  être  considéra' 
blement  accrus  si  Ton  procurait  au  pays  la  sécurité. 


Nous  allons  suivre  dans  sa  marche  la  mission  Foureau* 
Lamy,  analyser  et  commenter  le  Journal  de  route  de 
son  chef.  On  y  trouvera,  en  gros,  quoique  faite  en  une  autre 
saison  et  le  long  d'un  autre  tracé,  la  confirmation  des  obser- 
vations des  missions  Flatters  et  des  excursions  ultra-sud- 
algériennes  de  Lamy  et  de  Foureau  lui-même.  Pour  la 
deuxième  partie  du  voyage,  à  partir  d'Asiou,  nous  compa- 
rerons les  constatations  et  appréciations  de  Foureau  à  celles 
de  son  illustre  prédécesseur  Barth. 

La  mission  saharienne  est  partie  le  23  octobre  1898 
d*Ouargla  ou  plutôt  de  Sédrata,  petite  oasis  toute  voisine  de 
la  première,  mais  plus  salubre,  aux  environs  du  32""  degré 
nord.  Le  24  février  1899,  c*est»à-dire  quatre  mois  après  sa 


PRÉPARATION  ET  ORGANISATION  DE  LA  MISSION  FOUREAU-LAMY.     229 

aux  constalatioas  scientifiques  et  techniques  et,  pour  cer- 
taines, il  pouvait  manquer  de  préparation,  outre  que  le  soin 
quotidien  de  la  direction  de  la  mission  lui  laissait  peu  de 
loisirs  et  de  liberté  d'esprit.  Son  journal  de  voyage  offre  le 
plus  vif  intérêt,  sans  doute,  mais  il  ne  présente  pas  cette 
solidité  et  cette  sûreté  d'appréciation  que  peuvent  seuls  pos- 
séder, en  pareille  matière,  les  hommes  pourvus  d'une  ins- 
truction scientifique  étendue  et  de  connaissances  spéciales. 
A  ce  point  de  vue,  on  est  ici  assez  loin,  tant  des  documents 
nombreux  relatifs  aux  missions  Flatlers  que  du  célèbre 
ouvrage  du  grand  voyageur  allemand  Barlh  (1849-1855). 


232     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  GflEMINS  DE   FER  TRANSSAHÂRIE5f. 

pour  se  rendre  en  quelque  sorte  en  pèlerinage  au  poil' 
de  Tadjenout,  lieu  du  massacre  de  la  mission  Fiatlen. 
situé  à  Touest  du  tracé  suivi,  ce  qui  imposa,  aller  et  retour 
huit  étapes  très  dures.  On  faisait  aussi,  de  temps  à  autrt 
surtout  dans  la  première  partie  du  trajet,  des  arrêts  un  ^i 
prolongés,  soit  pour  attendre  les  convois  de  ravitaillemen: 
destinés  aux  hommes,  soit  pour  profiter  de  ce  que  les  pâb- 
rages  sahariens  étaient  en  tel  endroit  plus  abondants  que 
d'ordinaire;  c'est  ainsi  que,  à  la  date  du  18  janvier  1899,  ec 
sortant  de  la  région  de  TAnahef  peu  favorisée,  M.  Fourcai: 
écrit  :  c  Non  seulement  nous  séjournons  aujourd'hui,  maL^ 
nous  avons  Tintention  de  prolonger  assez  longtemps  ce\\e 
halte,  tant  pour  attendre  les  convois  de  ravitaillement  ùe 
l'arrière  que  pour  laisser  reposer  les  animaux  et  leur  per- 
mettre de  manger  à  leur  faim.  Nous  avons  la  chance  de 
trouver  ici,  et  dans  tous  les  environs,  d'assez  bons  pâtu- 
rages,  presque  verts,  de  Mrokba  et  d'Âna  ;  c'est  une  véri- 
table aubaine;  car,  d'après  ce  que  nous  avaient  affirmé  nos 
guides,  nous  ne  devions  rien  y  rencontrer  ;  tout  devait  élre 
mangé.  C'est  là  un  exemple  frappant  de  la  confiance  que 
Ton  peut  accorder  aux  renseignements  fournis  par  les  guides 
de  ce  pays(l).  >  Plusieurs  fois  des  haltes  semblables,  plus 
ou  moins  prolongées,  eurent  le  même  motif. 

L'ignorance  parfois  et  plus  souvent  la  mauvaise  foi  des 
guides  touareg  étaient  une  cause  d'incertitude  et  de  péril,  et 
aussi  de  retard.  M.  Foureau  se  loue  beaucoup  des  guides 
chaamba,  la  grande  tribu  arabe  qui  habite  l'extrême  sud  de 
la  province  de  Constantine  et  le  pays  environnant.  Mais  il 
tient  un  tout  autre  langage  au  sujet  des  guides  touareg  ;  or. 
c'est  à  eux  qu'il  fallait  avoir  recours  à  partir  de  400  ou  500  ki- 
lomètres au  sud  d'Ouargla.  Abd-En-Nebi,  un  homme  de 
confiance  qui  a  accompagné  la  mission  jusqu'au  Soudan  e( 
dont  M.  Foureau  faill'éloge,  «  prétend,  écrit  ce  dernier,  que 
la  route  que  nos  guides  nous  ont  fait  prendre  à  travers  le 

(1)  Mission  saharienne,  pajLçe  100. 


MARCHE  DE  LA  MISSION  FOUREAU-LAMY.  TRAHISON  DES  GUIDES.     233 

Tindessel  est  un  chemin  où  ne  passent  que  des  méhari 
(chameaux  de  course)  ou  des  voyageurs  isolés.  La  vraie 
piste  facile,  coupée  seulement  de  trois  mauvais  passages, 
reste  dans  notre  ouest.  Les  Touareg  ne  nous  auraient  dirigés 
sur  cette  voie  que  parce  qu'ils  pensaient  qu'un  grand  nombre 
de  nos  chameaux  s'arrêteraient  en  route  et  qu'ils  pourraient 
ainsi  les  recueillir  et  en  bénéficier  (1).  >  Et  plus  loin  :  <  Je 
constate  de  plus  en  plus  combien  peu  on  doit  se  fier  aux 
indications  des  guides  :  direction  générale  de  la  route,  état 
de  la  végétation,  longueur  de  Tétape,  sont  des  choses  qu'il 
est  impossible  d'obtenir  exactement  d'eux  (2).  »  D'une  façon 
générale  les  indications  des  guides  touareg  sont  toujours 
décourageantes  ;  sur  la  route  d'In-Âzaoua  à  Iférouane  :  c  là, 
un  heureux  hasard  nous  place  au  milieu  d'une  surface,  très 
inattendue  et  tout  à  fait  bienvenue,  recouverte  de  mrokba 
vert;  nos  chameaux  vont  donc  pouvoir  dîner,  ceux  qui  ne 
sont  pas  restés  en  route  du  moins.  Pourtant  les  guides  nous 
avaient  annoncé  dès  hier  que  nous  ne  trouverions  pas  aujour- 
d'hui une  seule  touffe  d'herbe,  même  sèche  (3).  > 

Et  dans  la  dernière  partie  du  trajet,  au  milieu  du  Damer- 
gou,  pays  cependant  cultivé  et  habité,  à  la  date  du  30  oc- 
tobre 1899  :  «  La  mission  se  met  en  route  à  trois  heures  et 
demie  du  matin,  précédée  de  trois  ou  quatre  guides,  qui 
paraissent  aussi  peu  sûrs  de  la  route  les  uns  que  les 
autres  (4).  »  * 

Que  certains  guides  aient  tendu  des  pièges  à  la  mission, 
soit  pour  la  faire  échouer,  soit  pour  faire  piller  par  des  com- 
pères les  chameaux  abandonnés  dans  un  pays  difficile,  cela 
ne  fait  aucun  doute.  Il  semble  vraisemblable  que,  par  ce 
mauvais  vouloir  des  guides,  on  a  plusieurs  fois  manqué  la 
bonne  route  (5).  Une  fois,  vers  la  fin  du  voyage,  en  quittant 
Agadez,  la   trahison  du   guide    fut  absolument    certaine. 

(1)  Mission  saharienne,  p.  73. 

{i)  ma.,  p.  95. 

(3)  Ibid.,  p.  146. 

(4)  Ihid,,  p.  493. 

(5)  Ibid.,  p.  359. 


234     LE  SAHARA,  LB  SOUDAN  ET  LES  GBEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIENS. 

€  Nous  avions  déjà  constaté,  écrit  M.  Foureau  à  la  date  du 
13  août  1899,  que  nous  étions  suivis  par  de  petits  groupe 
(de  Touareg)  désireux  de  recueillir  nos  épaves  ou  de  nous 
voler  les  animaux.  >  On  s'aperçoit  bientôt  que  le  guide  estde 
connivence  avec  eux.  «  II  avait  dans  le  principe  suivi  à  peu 
près  régulièrement  Tazimut  de  route  qu'il  nous  avait  indiqué 
lui-même  pendant  le  jour;  il  se  met  à  obliquer  d'abord 
légèrement,  puis  fortement  dans  l'est  et  enQn,  peu  à  peu, 
tournant  toujours,  il  nous  mène  directement  au  nord.  »  Oa 
l'interroge,  il  prétend  qu'il  suit  la  bonne  route,  ignorant  que 
la  boussole  renseigne  la  mission  :  c  II  est  évident  que,  soit 
de  son  propre  mouvement,  soit  pour  obéir  à  des  prescrip- 
tions données  d'avance,  Khelil  (le  guide)  voulait  nous  trom- 
per et  qu'il  comptait  sur  la  soif  pour  semer  peu  à  peu  les 
hommes  de  la  mission  et  se  débarrasser*de  nous.  Il  ne  nous 
est  pas  possible  de  nous  faire  illusion  sur  la  façon  de  penser 
à  notre  égard  des  gens  d'Âgadez,  aussi  bien  le  sultan  que 
tous  les  autres.  Ils  ne  voulaient  à  aucun  prix  nous  voir 
suivre  les  chemins  frayés...  Ils  avaient  ainsi  la  certitude  de 
nous  mener  à  la  soif  fatale,  moment  où  nos  hommes  eussent 
été  déprimés  outre  mesure,  ne  cherchant  plus  qu'un  peu 
d'ombre  et  l'espoir  d'un  puits,  que  le  guide  aurait  sans  cesse 
signalé  très  proche;  grâce  à  cette  situation,  le  guide  lui- 
même  se  serait  facilement  échappé  au  dernier  moment,  avec 
une  outre  sur  son  âne,  laissant  la  mission  désorientée  el 
anéantie  dans  la  solitude  sans  eau  de  cette  région  redou- 
table. Les  Touareg  auraient  attendu  les  convulsions  du 
dernier  des  survivants  avant  de  paraître  et  de  s'emparer  de 
nos  dépouilles  (1).  >  Le  commandant  Lamy  donne  l'ordre 
de  fusiller  le  guide.  Mais  ceux  qui  lui  succèdent,  et  d'autres 
auparavant,  se  sont  rendus  coupables  d'erreurs  ou  d'incer- 
titudes, sans  qu'on  pût  les  convaincre  de  mauvaise  foi  (2). 

L'avidité,  à  savoir  l'espoir  du  pillage  des  épaves,  dans  le 
cas  que  nous  venons  de  relater  et  dans  beaucoup  d^autres, 

(1)  Mission  saharienne,  pages  398  à  400. 

(2)  Ibid,,  pages  H9,  403,  etc. 


MARCHE  DE  LA  MISSION  FOURBAU-LAMY.  TRAHISON  DES  GUIDES.     235 

ie  joignait  à  la  haine  du  chrétien  pour  mettre  la  mission  sur 
ie  mauvaises  pistes  et  la  dérouter.  M.  Foureau  surprend 
me  lettre  écrite  par  un  chef  de  village,  et  la  déchiffre  : 
I  C'est  un  grand  malheur,  y  est-il  dit,  que  cette  venue  des 
f oa/ar  (mécréants,  infidèles);  c'est  une  grande  tristesse,  car 
î'est  la  première  fois  qu'un  pareil  fait  se  produit...  (1).  »  Le 
même  sentiment  s'exprimait  avec  violence  dans  divers  propos 
surpris  par  la  mission,  c  La  colonne  des  koufar^  disaient 
les  Touareg,  ah  !  elle  n'ira  pas  au  Soudan  ;  elle  ne  passera 
pas!  (2)  »  II  faut,  par  tous  les  moyens,  les  arrêter.  Ne  pou- 
vant le  faire  par  la  force  comme  pour  Flatters,  on  l'essayait 
par  la  ruse. 

Il  serait,  sans  doute,  exagéré  de  dire  que  tous  les  guides 
du  pays  touareg  furent  de  mauvaise  foi  ;  on  les  payait,  d'ail- 
leurs, très  largement  pour  la  contrée,  un  millier  de  francs 
chacun,  moitié  d'avance  et  moitié  au  terme  de  la  section 
pour  laquelle  ils  étaient  engagés.  Mais  il  est  très  douteux 
que  la  mission,  à  travers  ces  2500  kilomètres,  ait  toujours 
suivi  la  meilleure  route.  Il  parait  absolument  certain  que 
celle  par  Amguid  et  la  plaine  d'Âmadghor,  suivie  par  la 
seconde  mission  Flatters  (Voy.  plus  haut,  pages  189  à  200) 
et  en  partie  depuis  par  le  commandant  Pein,  était  infiniment 
préférable.  La  mission  Foureau  a  donc  été  mise  par  ses 
guides,  non  seulement  sur  de  mauvais  tracés  locaux,  mais 
sur  un  mauvais  tracé  général  qui  lui  a  fait  notamment 
aborder  de  front  le  plateau  du  Tasili,  au  lieu  de  le  tourner 
en  le  laissant  à  l'est.  Même  en  tenant  compte  de  cette  erreur 
fondamentale,  on  verra  que  les  obstacles  parfois,  quoique 
rarement,  sérieux  qu'elle  a  rencontrés  viennent  des  hommes 
et  beaucoup  moins  de  la  nature  des  lieux. 

Celle-ci,  cependant,  devait  répondre  à  d'assez  grandes 
exigences  :  la  nourriture  de  1 200  à  1 300  chameaux,  y  com- 
pris ceux  des  convois  libres,  l'abreuvage  aussi  de  400  hom- 
mes. C'était  là   un  grand  souci;   on  pouvait  sans    doute 

(1)  Mission  saharienne^  page  215, 

(2)  Ihid.,  page  140. 


236     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHAKlCVi 

charger  de  l'eau  pour  quelques  jours  et  également  du  fo; 
rage  destiné  aux  chameaux;  mais  cela  n'ajournait  que  o. 
peu  la  difficulté  qui  se  représentait  bientôt.  Il  fallait  do& 
trouver  des  pâturages  très  fréquemment,  sinon  chaque  jas*. 
sur  toute  cette  étendue  du  Sahara,  et  quoique  parfois  !^ 
guides  à  dessein  conduisissent  la  mission  à  travers  les  lies: 
les  plus  désolés.  Le  commandant  Reibell,  dans  le  subside 
tiel,  très  précis  et  très  intéressant  rapport  qu*il  a  rédigés^ 
Tescorte  de  la  mission  saharienne,  retrace  ainsi  les  dispos 
tions  prises  à  ce  sujet  :  «  Toute  lactivité  du  service i 
surveillance  se  portait  sur  le  troupeau  (les  chameaux),  qu] 
dès  l'arrivée  à  Tétape,  était  envoyé  au  pâturage  à  des  ài4 
tances  atteignant  parfois  plusieurs  kilomètres.  La  garde  ili 
troupeau  se  composait  de  huit  hommes  et  six  sokhars  (chi* 
meliers)  chaamba  par  section  ;  ces  derniers  restaient  di>- 
persés  parmi  les  groupes  de  chameaux,  ou  parlaient  à  \i 
recherche  de  pâturages  nouveaux  ;  les  tirailleurs  formaient 
sur  les  points  dominants  une  ligne  de  poste  autour  du  trou- 
peau... Partant  tous  les  jours  à  la  chasse,  à  la  recherche  de 
points  d*eau  ou  de  terrains  de  pacage,  doués  d'une  vue  per- 
çante  et  lisant  merveilleusement  dans  les  traces,  les  guides 
(chaamba)  constituèrent  un  service  quotidien  de  reconnais- 
sance qui  n'était  pas  sans  danger  dans  un  pays  semé  d'em- 
buscades et  où  quelques-uns  trouvèrent  la  mort  (1).  »  H 
s'agit  dans  cette  citation  des  guides  chaamba,  qui  servirent 
surtout  dans  le  Sahara  septentrional,  et  non  des  guides 
touareg,  ceux-ci  la  plupart  très  suspects,  qui  dirigèrent  la 
mission  dans  le  Sahara  central  et  méridional. 

Ainsi,  à  ces  1200  ou  1300  chameaux,  auxquels  se  joi- 
gnaient quelques  chevaux,  non  seulement  il  fallait  des  pâtu- 
rages en  quelque  sorte  quotidiens,  pendant  toute  la  tra- 
versée du  désert,  mais  il  fallait  encore  que  ces  pâturages, 
destinés  à  ce  troupeau  colossal,  se  trouvassent  à  proximité 
de   l'étape,    à   quelques   kilomètres;    qu'ils  fussent    assez 

(1)  Mission  saharienne^  pages  80i  cl  805. 


MARCHE  DE  LA  MISSION  FOUREAU-LAMY.  ANNÉE  SÈCHE.  237 

amassés  et  faciles  à  surveiller  pour  que  les  chameaux  ne 
/égarassent  pas  ou  ne  fussent  pas  volés  par  de  petits  groupes 
ouareg  qui  suivaient  et  épiaient  constamment  de  loin  la 
aission.  Et  ces  conditions  de  pacage  se  sont  rencontrées 
l'une  manière  continue,  pendant  ces  2500  kilomètres,  avec 
leulement  quelques  intermittences,  qui  ne  mettaient  pas  la 
nission  en  péril.  Le  journal  de  la  mission  reconnaît  que  la 
nortalité  des  chameaux  n'est  imputable  que  pour  la  moindre 
)artie  au  défaut  de  nourriture  (1). 

Cependant,  il  s'est  trouvé  que  Tannée  où  M.  Foureau  a  fait 
la  traversée  du  Sahara  était,  de  son  aveu  et  suivant  la  décla- 
ration des  gens  du  pays,  particulièrement  sèche  :  <  L'année 
est  décidément  mauvaise  et  il  n'a  pas  plu  précédemment, 
écrit  M.  Foureau...  Au  reste,  les  récits  des  indigènes  le 
prouvent  surabondamment;  ainsi,  ils  me  disaient  :  Cette 
année  est  une  année  relativement  sèche...  Il  est  évident  que 
nous  avons  affaire  à  une  année  relativement  sèche  (2).  »  La 
comparaison,  d'ailleurs,  des  observations  de  M.  Foureau  et 
des  relevés  très  précis  de  la  première  mission  Flatters  pour 
le  Sahara  septentrional  et  de  ceux  de  Barth  pour  le  Sahara 
méridional,  où  les  routes  de  ces  explorations  concordèrent 
à  peu  près,  témoigne  que  le  Sahara  avait  reçu  plus  de  pluies 
lors  du  passage  de  Flatters  et  aussi  lors  du  voyage  du  célèbre 
voyageur  allemand  que  lors  de  celui  de  la  mission  Foureau- 
Lamy,  ce  qui  ne  veut  nullement  dire  qu'il  n'en  tomba  pas  à 
cette  dernière  époque. 

Malgrétoutescescirconstances  éminemment  défavorables  : 
nécessité  d'alimenter  un  convoi  colossal,  impossibilité  de  le 
laisser  se  disperser,  erreurs  souvent  volontaires  des  guides 
conduisant  à  dessein  dans  des  pays  particulièrement  désolés, 
sécheresse  spéciale  à  l'année,  la  mission  passa  ;  la  traversée 
fut  accomplie,  quasi  sans  encombre  en  ce  qui  concerne 
les  hommes. 


•  ii)  Voyez  notamment  à  ce  sujet  Mission  saharienne,  pages  23,  24,  71,  160, 
165,  209,  254  et  804. 
(2)  Ibid,,  p.  27,  434,  481. 


238     LE  SABARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CBEMINS  DE  FER  TRANSSAHASÎDL 

Nous  avons  déjà  dissipé,  avec  les  constatations  et  descrip- 
tions des  explorateurs,  plusieurs  des  légendes  au  sujet  t 
Sahara  ;  il  importe  d*y  revenir  encore,  au  risque  de  nos 
répéter,  avec  les  constatations  de  la  mission  Foureau-Lamy 

On  se  représente  le  Sahara  comme  une  étendue  contînih 
de  sables  mouvants,  ne  recevant  aucune  pluie  et  dénuée  c 
toute  végétation.  Ce  sont  là  des  erreurs.  La  plus  granè 
partie  du  Sahara  se  compose  soit  de  rocs,  ou  surface  dur? 
tantôt  unie  et  quasi  polie,  tantôt  semée  de  pierres,  la  h- 
mada^  soit  d'un  gravier  résistant,  le  reg\  la  moindre  partiees! 
formée  de  sable;  mais  ce  sable  n'est  pas  du  sable  mouvant 
c'est  tantôt  un  sable  mi-meuble,  mi-solide,  la/ie6/:a,  etleplas 
souvent  ce  sont  des  dunes,  en  général  fixes  ;  dans  ces  se: 
faces  à  dunes,  que  l'on  appelle  erg  ou  areg^  le  grand  erj 
occidental  par  exemple,  qui  s'étend  au  sud  d'Ouai^la  ei 
jusqu'au  plateau  du  Tasili  (1),  il  y  a  entre  les  rangées  de 
dunes  des  surfaces  solides,  que  l'on  nomme  des  ga$sis 
c  couloir  à  sol  dur,  entre  les  dunes  (2)  »,  parfois  d'une  grande 
largeur  et,  en  tout  cas,  d'une  longueur  énorme  :  c  Le  coni' 
mandant  Pujat  s'avancera  avec  un  goum,  par  le  gassi  Touil 
en  forant  des  puits  en  route...  La  route  se  poursuit  sur 
l'interminable  gassi  Er-Ghessal...  Nous  parcourons  le  gassi 
EUAdham...  Les  spahis  sahariens  et  un  grand  nombre  de 
goumiers,  montés  aussi  à  méhara,  s'avancent  en  ligne  de 
bataille  sur  la  surface  plane  du  gassi  (3).  »  La  continuité 
d'une  plaine  de  sable  mouvant  est  donc,  en  ce  qui  concerne 
le  Sahara,  une  légende.  Gela  ne  veut,  certes,  pas  dire  qui! 
n'y  ait  pas,  de  place  en  place  et  de  temps  à  autre,  des  orages 
de  sable;  mais  ce  sont  des  accidents,  ce  n'est  nullement  la 
caractéristique  du  pays. 

Il  en  est  de  même  de  l'absence  de  pluies  et  d'eau.  Certes, 
le  Sahara  est  une  région  sèche,  mais  il  y  pleut,  et  il  s'y 

(1)  Voy.  plus  haut,  pages  92  à  101,  la  description  de  ces  divers  terraio.'. 
d'après  la  mission  Flattcrs. 

(2)  Mission  saharienne,  p.  28  ;  c'est   la  définition  qu'en  donne  M.  Fouitau. 
Voy.  aussi  plus  haut,  pages  99  et  100,  la  description  du  ga^si  par  Flafters. 

(3)  /6te/.,  pages  20.28  à  30. 


LA  MISSION  FOUREAU-LAMY.  —  LA  PLUIE  ET  LES  POINTS  D'EAU.     239 

rencontre  une  quantité  de  puits  ou  points  d'eau,  sans  parler 
des  nombreux  ghedirs,  c  mare  ou  trou  d'eau  momentané, 
point  où    se    conservent   un  certain    temps    les   eaux    de 
pluie  (1)  ».  Quoique  Tannée  où  il  a  fait  sa  traversée  du  désert 
ail  été  particulièrement   sèche,  fréquemment,   quelquefois 
pendant  toute  une  série  de  jours  consécutifs,  le  journal  de 
M.  Foureau  mentionne  des  chutes  de  pluie  :  le  4  novembre 
1898  :  5  Temps  généralement  couvert,  assez  chaud  et,  à  trois 
reprises,  quelques  larges  gouttes  de  pluie  >  ;  7  novembre  : 
<  Il  s'est  produit,  en  ces  points,  peu  de  temps  avant  notre 
passage,  une  chute  de  pluie  >;  26  novembre  :  c  Averse  assez 
copieuse,  mais  courte  »  ;  27  novembre  :  c  Comme  la  veille 
nous  avons  dans  la  soirée  quelques  gouttes  de  pluie  avec  un 
ciel  menaçant  »  ;  28  novembre  :  c  Nous  recevons  une  série 
de  petites  et  courtes  averses,  depuis  quatre  heures  du  matin 
jusque  vers  midi  »;    1"  décembre  :   c  Nous  recevons  des 
gouttes  éparses  de  pluie  jusqu'après  neuf  heures  du  matin... 
Le  soir  et  dans  la  nuit,  orage  avec  quelques  violentes  aver* 
ses.  Cet  état  de  l'atmosphère  ne  nous  permet  de  partir  le 
2  décembre  qu'assez  tard  >;  12  décembre  :   c  Dans  la  pre- 
mière partie  de  la  nuit,  chute  d'un  peu  de  pluie  avec  vent 
du  nord  (2)  ».  A  cette  dernière  date,  la  mission  était  déjà, 
depuis  six  semaines,  partie  des  environs  d'Ouargla.  Il  y 
avait  vingt-cinq  jours  qu'elle  avait  quitté  Timassanine;  elle 
se  trouvait  dans  le  Tindesset,  aux  abords  du  Tasili  et,  en 
fait,  bien  près  du  centre  du  Sahara.  Ajoutons  que  les  mois 
de  novembre  et  de  décembre  où  M.  Foureau  recevait  ces 
averses,  certaines  assez  fortes  puisqu'elles  Tarrôtaient,  ne 
sont  pas  ceux  des  pluies  habituelles  dans  cette  région.  Celles- 
ci  tombent  généralement  en  septembre.  «  Nous  rencontrons 
(le  10  décembre)  des  emplacements  et  de  petits  lits  de  ruis- 


II)  Mission  saharienne,  page  32.  Voy.  aussi  plus  haut,  pages  112  et  113;  les 
Qhédii's  de  Foureau,  les  rhédirs  do  Flallers  désignent  le  nnîine  objet,  le  gh  et  le 
rh  ou  r  se  substituant  souvent  l'un  &  l'autre  chez  les  divers  explorateurs 
pour  désigner  le  même  son  guttural  indigène;  c'est  ainsi  qu'on  dit  indiffé- 
remment Ghadamès  et  Rhadamès,  Ghat  ou  Rhat. 

[i)  Ibid.,  pages  27,  29,  40,  41,  56. 


240     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIEUi 

selets  où  ont  dû  séjourner  une  petite  crue  ou  des  pluies  è 
septembre.  »  Une  .autre  fois,  toujours  dans  la  même  région 
le  8  décembre,  il  nous  parle  <  d'éboulis  de  grès  plas  o€ 
moins  fln,  sans  cesse  travaillés  par  de  petits  ouad  corres- 
pondant aux  nombreux  ravins  (1)  ». 

La  mission  Foureau-Lamy  ne  les  ayant  pas  mesurées,  nous 
ne  pouvons  savoir  le  volume  des  pluies  diverses  qu'elles 
reçues  (2),  mais  elles  sont  assez  fréquentes  et  quelques-uoe 
asse^  importantes  pour  qu*on  puisse  dire  que,  toutes  vaguer 
qu'elles  soient,  les  relations  de  la  mission  Foureau-Lamy 
confirment  les  observations  des  explorations  antérieures,  à 
savoir  que  le  Sahara  est  dans  presque  toute  son  étendue, 
sinon  dans  tous  ses  districts,  une  région  où  il  pleut  ass€3 
fréquemment  et  dans  une  mesure  nullement  insignifiante  (3i. 

Si  nous  accompagnons  la  mission  au  fur  et  à  mesure  qu  elie 
avance  vers  le  sud,  nous  relevons  aussi  dans  le  journal  à 
M.  Foureau  la  trace  de  pluies  tout  à  fait  au  centre  cette  foi^ 
du  Sahara  et  en  plein  plateau  du  Tasili,  c'est-à-dire  dans 
une  des  régions  réputées  les  plus  désolées  :  le  13  janvier  : 

(1)  Mission  saharienne^  pages  53,  49. 

(2)  Voy.  plus  haut,  pages  i07  à  109,  le  nombre  de  jours  de  pluies  et  le  cub*; 
partiel  de  l'eau  tombée,  d'après  les  relevés  de  la  première  mission  Flattera. 

(3)  D'après  le  premier  fascicule  (paru  b.  la  fin  de  1903)  des  DocttmenU  scien- 
tifiques de  la  mission  saharienne,  consacré  aux  Observations  aslronomiqua  -' 
aux  Observations  météorologiques,  du  14  octobre  1898  au  20  juillet  1900,  la  ui.*- 
sion  a  constaté  de  la  pluie  pendant  116  jours;  si  on  laisse  de  côté  le  Soudan^' 
que  l'on  s'en  tienne  au  Sahara  et  à  l'Aïr,  du  14  octobre  1898  à  la  fin  d'octobre  \^i 
le  nombre  des  jours  de  pluie  est  encore  de  67  pour  un  espace  de  temps  ^pii 
correspond  presque  exactement  à  une  année.  Dans  le  Sahara  proprement  •!«' 
(Aïr  non  compris),  le  nombre  des  jours  de  pluie  a  été  de  14  du  14  octobre  189?  * 
fin  lévrier  1899,  c'est-à-dire  en  quatre  mois  et  demi,  qui  ne  comprennent  pa> 
une  des  saisons  les  plus  pluvieuses,  le  printemps.  Sur  14  jours  de  pluie.  1 
tableau  météorologique  indique  9  jours  où  ce  ne  furent  que  des  gouttes, 
3  jours  où  ces  chutes  d'eau  furent  qualifiées  d'averses  et  2  jours  où  ils  son: 
qualifiés  de  pluies,  par  opposition  aux  gouttes.  Quant  &  l'Aïr,  de  mars  1898  à  tir 
octobre  1899,  le  tableau  météorologique  de  M.  Foureau  y  constata  53  jours  «1? 
pluie,  dont  42  sont  caractérisés  seulement  par  des  gouttes,  3  jours  par  «i-- 
«  pluies  plus  ou  moins  fortes  »,  1  jour  par  une  «  forte  pluie  »,  5  jours  pard^ 
«  fortes  averses  »  et  2  jours  par  des  «  averses  ».  Voy.  le  1«'  fascicule  des  Docu- 
ments scientifiques  de  la  mission  saharienne,  page  89.  On  pourra  ergoter  <o: 
ces  diverses  appellations,  d'autant  que  la  mission  Foureau-Lamy  n'a  fn.^ 
mesuré  ces  pluies,  comme  l'avait  fait  la  mission  Flatters  (Voy.  plus  hanl 
pages  107  à  109).  11  n'en  est  pas  moins  vrai  qu'il  ressort  de  ces  document^ 
que  le  Sahara  est  un  pays  où  il  pleut,  non  seulement  d'une  façon  frétiuenî-: 
par  gouttes,  mais  par  «  averses  »  et  même  par  «  fortes  averses  ». 


LA  MISSION  FOURBAU-LAMY.  —  LA  PLUIB  ET  LES  POINTS  D'EAU.      241 

f  Cette  rivière  a  coulé,  il  n'y  a  pas  très  longtemps  ».  Le 
14  janvier  :  «  Tout  ce  plateau  montagneux-  a  reçu  une  cer- 
taine quantité  de  pluies  Télé  dernier  ».  23  janvier  :  «  Notre 
s^roupe  s'ébranle  au  petit  jour;  le  temps  est  menaçant  et  la 
pluie  tombe  ensuite,  du  reste,  par  gouttes,  jusqu*au  milieu 
de  Taprès-midi  (1)  ».  Ce  n*est  qu'une  pluie  par  gouttes,  il 
ssl  vrai,  mais  qui,  du  petit  jour  au  milieu  de  l'après-midi, 
dure  7  à  8  heures.  La  mission  chemina  longtemps  dans 
le  lit  parfois  très  large  de  nombreuses  rivières,  qui  se  trou- 
venlh  sec,  à  ce  moment,  ou  ne  présentent  que  de  place  en 
place  des  ghedirs  ou  mares,  mais  qui  n'en  constituent  pas 
moins  un  système  très  complet  d'écoulement  des  eaux.  Le 
16  décembre,  dit  le  journal  d^  la  mission,  <  la  colonne 
arrive  aux  abords  d'une  rivière  qui  se  nomme  Ângarab,  au 
point  même  où  une  énorme  brèche  dans  son  lit  a  formé  une 
belle  et  sauvage  cascade.  Une  coupure  nette  terminée  par 
une  table  de  roche  s'enfonce  à  pic,  à  25  mètres  au  moins  ;  au 
fond,  une  belle  mare  d'eau  bleue,  inaccessible  du  reste  à 
cause  des  berges  à  pic  ;  en  haut,  au  contraire,  un  simple  lit 
de  torrent.  .;  quelques  cuves  de  roche  sont  pleines  d'eau  et 
beaucoup  de  nos  hommes  et  de  nos  animaux  y  absorbent 
un  liquide  d'une  admirable  pureté  ».  A  la  date  du  1"  jan* 
vier  1899  :  <  C'est  par  ce  couloir  que  l'ouad  Afara,  après  avoir 
recueilli  toutes  les  rivières  ou  tous  les  ravins  d'amont,  s'en- 
gouffre en  se  rétrécissant  pour  traverser  tout  le  massif  du 
Tasili,  toucher  la  cuvette  de  Menkhour  sous  le  nom  d'ouad 
Tidjoudjelt,  et  enfin  pour  aller  se  perdre  dans  les  dunes  de 
la  vallée  des  Ighargarhen  ».  Le  11  janvier  :  «  L'ouad  Tin- 
hadjel  est  une  grande  rivière  qui,  à  l'est,  va  bientôt  se  perdre 
dans  le  Tafassasset,  mais  qui,  à  droite,  vient  des  montagnes 
lointaines  du  cœur  même  du  Ahaggar  ».  Le  12  janvier  :  <  La 
dernière  partie  de  la  route  nous  fait  remonter  l'ouad  Irsane, 
dans  lequel  on  campe  assez  tard  à  des  tilmas  (sorte  de  mares), 
qui,  pour  le  moment,  sont  à  peu  près  comblés  et  ne  nous 

(1)  Minion  saharienne  (Fourcau-Lamy),  pages  94,  96,  li4. 

16 


242     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHiRIS^S. 

fournissent  que  quelques  outres  d'eau  ».  Le  14  :  «  Tout  le 
système  des  eaux  se  déverse  vers  1  est,  rejoignant  le  grani 
collecteur,  le  Tafassasset  ». 

Le  même  jour,  la  mission  «  avance  ensuite  sur  une  très 
vaste  plaine  plate  bordée  au  sud  par  le  grand  ouad  AdjoD 
sur  le  bord  duquel  est  établi  le  campement  ».  Le  15  janvier 
«  est  consacré  à  un  séjour  sur  Touad  Adjou  (1)--.  Le  haal 
ouad  Adjou  doit  être  boisé  si  Ton  s'en  rapporte  aux  forts 
troncs  d'éthels  secs  que  nous  recueillons  ici  et  que  quelqw 
crue  a  dû  amener  ».  Le  17  janvier  :  <  On  remonte  louid 
Amanenghad,  d'abord  grande  artère  ».  El  dans  la  rëgioo 
difficile  de  Tadent  à  Tarfjenout  où  fut  assassiné  Flatters,  le 
20  janvier  :  <  La  route  nous  fait  descendre  le  collecteur  (k 
ces  petites  rivières,  qui  se  nomme  ouad  Oboden  »;  le  21  jan- 
vier :  «  Départ  matinal  sur  un  sol  de  schiste  et  de  quarii 
coupé  dé  nombreux  lits  de  rivières  se  dirigeant  tous  vers  notre 
gauche  au  sud-ouest.  La  plus  importante  de  ces  rivières 
Touad  Takalous,  se  trouve  bientôt  être  notre  roule  (2)  ». 

Le  mot  rivière  revient  ainsi  et  plus  loin  conslammeûi 
sous  la  plume  de  M.  Foureau;  et  que  Ton  ne  dise  pasqoil 
est  pris  comme  synonyme  de  vallée;  ce  sont  bien  des 
rivières  :  dans  les  passages  cités  plus  haut,  il  est  queslioa 
de  système  d^écoulement  des  eaux,  de  traces  d*eau,  «ie 
mares  et  de  crues  emportant  au  loin  de  forts  troncs  d'arbres. 
Ce  sont  des  rivières  sèches  la  plus  grande  partie  de  lanDée 
qui  se  perdent  dans  les  schistes  ou  sous  le  gravier;  mais  dans 
le  midi  de  la  France,  il  y  a  des  quantités  de  rivières  inUf- 
mittentes. 

On  rencontre,  d'ailleurs,  en  plein  centre  du  Sahara,  des 
points  d'eau  permanents,  indépendamment  des  puits  prop^^ 

(1)  Voy.  plus  haut,  page  213,  le  témoignage  de  Lamy  sur  la  plaine  d'Adjou.  ?t* 
23032'  do  latitude,  presque  exactement  au  centre  du  Sahara,  c*estrà-dire  d**^* 
distance  entre  Ouargla  (32<:  degré)  et  Zinder,  la  cité  soudaniennc,  un  peuis- 
dessous  du  i4«  degré.  C'est  dans  la  plaine  d'Adjou  que,  au  témoignage  de  Laiu} 
la  mission  saharienne  coupa,  en  plein  mois  de  janvier,  90  000  kilos  de  h^' 
rage,  soit  900  quintaux  métriques. 

(2)  Mission  saharienne,  pages  60,  82,  92,  94,  96,  97,  99,  107,  108  et  beaucufti 
d'autres  à  la  suite. 


LA  MISSION  FOUREAU-LAMY.  —  LA  PLUIE  ET  LES  POINTS  D'EAU.     243 

ment  dits  :  le  journal  de  M.  Foureau,  tout  aussi  bien  que 
les  excursions  du  capitaine  Pein,  en  témoignent.  A  la  date 
du  11  décembre,  on  lit  dans  le  Journal  de  Foureau,  surToued 
Inara,  dans  le  Tindesset  :  «  En  ce  point,  Touad  Inara  n'a  pas 
plus  de  200  mètres  de  largeur;  son  lit  est  couvert  de  fourrés 
d'éthels (bois),  de  drinn (fourrage)  et  de  diss...  Cette  rivière  a 
coulé  récemment  et  c*est  elle  qui  a  laissé,  en  aval,  les  traces 
de  crues  que  nous  avons  constatées.  11  paraît  que  dans  son 
Iilsupérieur,rinara  contient  des  mecAeras(l)  encore  remplies 
d'eau,  >  et  le  lendemain,  à  la  date  du  12  décembre  :  «  En  ce 
point,  l'eau  est  à  peine  à  50  centimètres  de  profondeur  dans 
le  sol  et  répandue  dans  tout  le  lil.  La  présence  de  roseaux 
verts  porterait  à  croire  que  c*est  là  un  point  d*eau  perma- 
nent. Lamy  et  Dorian,  ayant  remonté  plus  loin  le  cours  de 
rinara,  ont  découvert,  à  6  ou  7  kilomètres  en  amont  du  puits 
d'inara,  une  grande  mechera  pleine  d*eau,  large  de  25  mètres 
et  longue  de  plus  de  200  mètres...  De  petits  poissons  sillon- 
nent cet  étang  qui,  par  endroits,  est  bordé  de  roseaux  et  de 
lauriers-roses.  Ce  petit  lac  se  nomme  Taksouri.  Son  volume 
a  été  fortement  augmenté  par  la  crue  dont  il  a  été  question.  » 
Et  plus  loin,  à  la  date  du  23  janvier  :  <  Témassint  est  une 
source  où  Teau  arrive  à  fleur  du  sol;  c'est  un  petit  cercle 
entouré  d*un  mince  liséré  d*herbe  verte  et  fine. ..  ;  les  animaux 
boivent  seuls,  entourant  la  source  (2).  >  Ces  eaux,  provenant 
de  rivières  ou  d'écoulements  à  la  surface,  sont  indépendantes 
des  puits. 

Les  reconnaissances  du  capitaine  Pein,  qui,  on  Ta  vu, 
dirigea  les  convois  de  ravitaillement  de  la  mission,  témoi- 
gnent aussi,  comme  on  le  verra  plus  loin,  de  l'existence  de 
cours  d'eau  ou  de  lacs  en  plein  Sahara  central,  sur  le  plateau 
même  du  Tasili  et  aux  environs. 

De  cet  ensemble  de  relations,  il  ressort  que  le  système 


(1)  La  mechera  est  une  autre  désignation  pour  une  mare.  II  serait  &  désirer 
que  les  écrivains  sur  l'Afrique  eussent  à  la  fin  de  leurs  ouvrages  un  lexique  des 
termes  spéciaux  qu'ils  emploient. 

(2)  Mission  saharienne,  pages  54»  55,  116. 


244     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS   DE  FER  TRANSSA&ABILVS 

hydraulique  du  Sahara  est  beaucoup  plus  fortement  constitih 
qu*on  ne  se  l'imagine  en  général.  Cette  vaste  surface  est  loh 
d'être  une  des  plus  sèches  du  globe.  Sur  terre  ou  sous  terre 
sauf  quelques  zones  d*une  étendue  restreinte,  l'eau  s'y  ren- 
contre fréquemment. 

Si  les  caravanes  sont  obligées,  en  général,  de  s'abreure: 
à  des  puits  précaires  et  très  inégaux,  c'est  que  l'œuvre  dt 
l'homme  est  ici  absolument  nulle,  il  n'a  en  rien  aidé  li 
nature;  il  lui  nuit,  au  contraire,  par  ses  déprédations  ets&} 
instincts  destructeurs.  Ces  puits  n'ont,  depuis  une  série  àt 
siècles  et  peut-être  depuis  l'éternité,  été  l'objet  de  presque 
aucun  entretien,  de  presque  aucun  aménagement.  Dès  qu  on  y 
arrive,  surtout  avec  400  hommes  et  1  200  ou  1 300  chameaui. 
il  faut  les  curer.  On  a  trouvé  la  constatation  fréquente  de  cette 
négligence  dans  les  récits  des  voyageurs  antérieurs  (Voy.  plus 
naut,  pages  116  à  120  et  158  à  167)  ;  on  en  trouve  la  confinnalioD 
dans  les  notes  de  la  mission  saharienne.  Voici  une  mention  da 
journal  de  M.  Foureau  sur  l'un  de  ces  puits,  celui  d'Aîoel- 
Hadjadj  à  une  trentaine  de  journées  de  marche  au  sudd'Ouar- 
gla.  <  Ce  puits,  comme  je  l'avais  constaté  plusieurs  fois  (dans 
de  précédents  voyages),  est  comblé  par  le  sable  jusqu'au  ras 
du  sol.  Les  Touareg  ont  détruit  le  jeune  dattier  que  j'avais 
semé  il  y  a  trois  ans  et  qui  existait  l'an  dernier,  et  en  cuire 
ils  ont  enlevé  trois  ou  quatre  rangs  des  pierres  plates  qui  for- 
maient le  coffrage  de  l'édifice  du  puits  (1).  »  On  peut  juger, 
par  cet  exemple,  de  l'incurie  des  nomades  à  l'endroit  des 
points  d'eau  ;  toute  idée  de  les  améliorer  leur  est  étrangère. 

Les  puits  sont,  sans  cesse,  bouchés  ou  éboulés.  A  la  date 
du  5  février,  dans  la  section  d'In-Azaoua  à  Iférouane,  appar- 
tenant au  Sahara  méridional  :  «  Un  seul  puits  nous  fournit 
l'eau  actuellement  ;  il  y  en  a  bien  eu  deux  autres  ici,  très 
voisins  du  premier,  mais  ils  sont  remblayés  par  le  sable 
et  leur  orifice  éboulé  ne  forme  plus  qu'un  vaste  enton- 
noir (2).  » 

(1)  Mission  saharienne ^  page  43. 

(2)  Ibid.,  page  141. 


LA   MISSION  FOUREAU-LAMY.   —  LA  VÉGÉTATION  AU  SAHARA.     245 

Parfois,  le  moindre  aménagement  donnerait  un  résultat 
notable;  le  8  décembre  :  <  Derrière  ce  rideau  on  accède  à 
une  sorte  de  cirque  de  peu  d'étendue  sur  lequel  un  espace 
d'environ  un  hectare  est  recouvert  de  joncs  et  de  roseaux,  et 
dont  le  sol  est  légèrement  exhaussé.  A  Textrémité  sud  de 
cette  surface  sourd  un  petit  filet  d'eau  claire  et  excellente, 
qui  serait  même  assez  abondante  si  Ton  dégorgeait  suffisam- 
ment la  source.  Le  massif  d*où  sort  cette  eau  est  un  amas 
de  détritus  végétaux,  ayant  peu  à  peu  surélevé  le  sol  (1).  » 

Quand  on  pense  que,  dans  un  vieux  pays,  à  climat  tem- 
péré, humide  même  dans  sa  moitié  septentrionale,  comme 
la  France,  une  grande  partie  des  exploitations  rurales  n'ont 
de  Teau  que  par  des  travaux  d'une  certaine  importance,  le 
forage  méthodique  de  puits  ou  l'établissement  de  mares 
cimentées  pour  les  bestiaux,  qu'en  outre  beaucoup  de  com- 
munes sont  obligées  de  chercher  les  eaux  au  loin,  de  les 
capter,  de  les  protéger,  on  comprend  que,  dans  le  Sahara, 
des  soins  analogues  donnés  aux  nombreuses  eaux  de  la  sur- 
face ou  souterraines  en  augmenteraient  dans  des  proportions 
énormes  le  débit.  Le  Sahara,  toutes  les  constatations  précé- 
dentes l'établissent,  possède  des  ressources  en  eaux  relati- 
vement importantes. 

Nous  n'avons  parlé  que  du  Sahara  septentrional  et  central  ; 
quant  au  Sahara  méridional,  il  est,  surtout  à  partir  du 
21^  degré  et  jusqu'au  Ib""  degré,  que  l'on  peut  considérer 
comme  le  terme  de  la  région  réputée  désertique,  dans  des 
conditions  très  supérieures. 

Un  autre  trait  de  la  légende  qui  défigure  le  Sahara,  c'est  que 
cette  immensité  serait  dépourvue  de  végétation.  Les  observa- 
tionsdesexplorationsprécédemmentanalyséesontdéjàdétruit 
celte  erreur  (Voy.  plus  haut,  pages  122  à  130  et  170  à  178).  Le 
journal  de  la  mission  Foureau-Lamy  vient  encore,  sur  ce 
point,  dissiper  la  légende.  Le  désert  contient  de  nombreux 
pacages  et  du  bois.  Ce  n'est  pas  seulement  dans  les  oasis  qu'on 

(1)  Mission  saharienne,  page  49. 


246     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHASIEM 

les  y  rencontre;  c  est  sur  la  généralité  de  la  superficie  saha- 
rienne. Le  bois  est  plus  rare  et  plus  cantonné  que  les  plantes 
fourragères,  mais  il  n*est  pas  absent.  En  dehors  du  palmier, 
qui  exige  une  nappe  d*eau  assez  forte,  on  trouve  dans  le 
Sahara,  outre  de  nombreux  arbustes  et  des  tamarins,  diverses 
sortes  d*arbres  :  le  gommier  notamment  et  Téthel.  Le  gommier 
paraît  avoir  le  Sahara  pour  habitat,  comme  le  savent,  depuis 
plusieurs  siècles,  nos  traitants  du  Sénégal.  Parlant  des  pro- 
cédés de  protection  de  la  mission,  M.  Foureau  écrit  à  la  izk 
du  25  octobre  1898  :  «  Dès  que  nous  avons  atteint  la  zooeâ 
gommiers,  le  carré  (renceinte  du  camp)  était  toujours 
entouré  d'une  ceinture  extérieure  formée  d'abatis  d'arbres 
épineux,  ce  qui,  dans  le  pays  et  en  arabe,  se  nomme  zerik 
et  constitue  une  défense  de  premier  ordre.  >  Et  constamment, 
tout  le  long  du  voyage,  la  présence  de  gommiers  est  consta- 
tée, tantôt  maigres,  clairsemés,  tantôt,  notamment  dans  k 
Sahara  méridional,  superbes;  le  17  décembre,  en  plein  Tin- 
•desset  et  à  Tallitude  la  plus  élevée  du  voyage,  on  trouve  ces 
somme  la  flore  de  TAurès,  augmentée  des  gommiers  ■.  Oo 
en  rencontre  sur  le  plateau  et  sur  les  pentes  du  Tasili;iiy 
en  a  de  différentes  espèces  et  jusque  dans  la  région  la  plus 
inhospitalière  du  Sahara,  celle  qui  s'étend  du  23"  degré  t\ 
demi  de  latitude  au  21''  et  demi  (1).  Après  le  gommier,  Farbri 
principal  du  Sahara  central  est  Télhel,  variété  de  tamarix 
on  voit,  à  diverses  reprises,  dans  le  récit  de  M.  Foureau. 
qu*il  atteint  une  taille  importante;  le  15  janvier  1899,  so3 
journal  note,  dans  le  Tasili,  de  forts  troncs  d*élhels  secs 
que  quelque  crue  a  dû  amener;  près  du  fameux  puits  de 
Tadjenout  où  Flatters  trouva  la  mort,  c  une  énorme  touffe 
d*éthel,  entièrement  brûlée,  dresse,  grimaçant  vers  le  cie!. 
ses  troncs  noircis  par  le  feu,  sur  un  lit  de  cendres  ».  ^^ 
Tadent  à  In-Azaoua,  il  est  fréquent  dans  le  thalweg.  Gom- 
miers, élhels  ou  arbres  d'autres  natures  servent  de  gourbis an^ 
indigènes  et  ils  y  accrochent  leurs  boucliers  et  leurs  lances 

(1)  Mission  saharienne,  pages  21,  49,  63,  79,  98,  114,  124,  133,  144,  U5.  I*' 
255,  etc. 


LA   MISSION  FOURBAU-LAMY.   —  LA  VÉGÉTATION  AU  SAHARA.      247 

c  à  peu  de  distance  en  amont  du  puits  d'ifounane  (dans  le 
Tindesset)  se  trauve  une  nezla  de  Touareg  composée  de 
six  à  sept  gourbis  sous  les  éthels  (1)  >.  Dans  le  Sahara 
méridional,  un  autre  arbre  se  présente  en  groupes  nom- 
breux et  fréquents,  c*est  le  palmier  doum  ou  palmier 
dEgypte,  qui  ne  porte  pas  de  fruits,  mais  dont  le  tronc  ou 
les  rameaux  servent  à  des  usages  variés.  Quand  on  arrive 
dans  TAïr^  d'autres  espèces  arborescentes,  notamment 
des  mimosas  de  toutes  sortes,  se  joignent  aux  précédentes. 
Ainsi  le  Sahara  n*est  pas  dépourvu  d*arbres,  et  Ton  a  vu 
plus  haut  que,  dans  les  régions  les  plus  ingrates,  comme  le 
Tasili,  M.  Foureau  considère  qu*il  y  a  des  plateaux  boisés  (2). 
Aux  approches  de  TAïr,  c'est-à-dire  aux  deux  tiers  de  Ja 
traversée  du  Sahara,  vers  le  20'  degré,  les  espèces  arbo- 
rescentes prennent  un  grand  développement;  le  22  fé- 
vrier 1899  :  <  La  rivière  ne  tarde  pas  à  fuir  vers  Touest,  et 
la  route  nous  fait  remonter  un  do  ses  affluents  de  gauche  où 
la  végétation  est  fort  belle  et  composée  de  gommiers,  de 
graminées  vertes  et  d  autres  essences;  on  dirait  presque 
d'une  prairie  émaillée  d'arbres  ».  Le  23  février  :  «  Le  lit  du 
Tidek  contient  de  beaux  arbres,  gommiers  et  adjar...  Sur  ces 
arbres  se  trouvent  en  grand  nombre  des  nids  d'oiseaux, 
etc.  (3).  >  En  fait,  la  mission  a  pu  s'approvisionner  de  bois, 
sinon  chaque  jour^  du  moins  chaque  semaine,  et,  quand  le 
bois  manque,  le  journal  le  remarque,  ce  qui  prouve  bien  que 
l'absence  continue  sur  un  long  espace  de  plantes  arbores- 
centes est  exceptionnelle.  A  trois  reprises,  il  s'exprime  ainsi  : 
le8  janvier  1899  :  «  Il  n'apparatt  pas  même  l'ombre  d'un  fétu  de 
bois  >;  le  11  janvier  :  «  Ici  ni  bois  ni  végétation  >  ;  on  est 
dans  le  Tasili;  enfin  le  30  janvier, dans  la  marche  de  Tadent 
h  In-Azaoua,  la  région  saharienne  la  plus  désolée  :  «  Bois 
et  végétation  sont  choses  inconnues  ici  (4).  »  Ces  trois  men- 
tions témoignent  bien  que  les  espèces  arborescentes,  ainsi 

\i)  Mission  saharienne,  pages  53,  54,  55,  97,  111,  124,  133,  134. 

(2)  Ibid.,  page  96. 

\Z)  Ihid.,  pages  154,  155. 

|4)  Ibid,,  pages  89,  93. 


248     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  BT  LES  CHEMINS  DE   FER  TRAN^AHARILM 

que  le  journal  le  relate  fréquemment,  se  rencontrent  sur  k 
plus  grande  partie  du  parcours. 

A  plus  forte  raison  en  est-il  ainsi  de  la  végétation  her- 
bacée. Le  Sahara  nourrit  une  quantité  de  plantes,  la  plupar 
fourragères;  c'est  ainsi  qu'on  s'explique  que  les  caravanes} 
trouvent  leur  pâture  et  que  môme  les  1 200  ou  1 300  chameam 
de  la  mission  Foureau-Lamy  et  de  ses  convois  auxiliaire> 
aient  pu,  non  sans  doute  sans  quelques  jeûnes  inlermitt^Dls. 
fort  explicables  pour  une  aussi  grande  quantité  de  béta. 
arriver  à  se  sustenter.  Le  drinn,  le  sbot,  le  neci,  le  mrokba. 
le  had,  le  harta,  le  ghessal,  le  tarfa,  Tana,  ce  dernier  sur- 
tout dans  la  partie  méridionale,  sont  les  plantes  fourragères 
les  plus  usuelles;  les  meilleures  et  heureusement  les  plus 
répandues  paraissent  être  le  drinn  et  surtout  le  mrokbs. 
M.  Foureau  nomme  nombre  d'autres  plantes  qui  trouvenlà 
vivre  dans  le  Sahara  :  le  djédari,  le  falezlez,  le  gouzzai,  k 
lemnad,  le  laurier-rose,  le  kormuka,  l'adjac,  etc.  (1).  Pour 
n'être  pas  un  tapis  ininterrompu  de  plantes  fourragères,  le 
Sahara  en  est  rarement  dépourvu  sur  un  long  espace  conliou. 
Il  nous  serait  facile  de  reproduire  ici,  s^appliquant  même  à 
certains  des  districts  les  plus  désolés  du  Sahara,  des  des- 
criptions de  M.  Foureau  qui  témoignent  que  la  végétation 
y  est  parfois  fort  belle. 

Il  ne  faut  pas  oublier  qu'il  s'agit  d'une  végétation  spon- 
tanée,  sans  aucun  travail,  aucune  aide  de  l'homme.  Le  voya- 
geur, dans  les  pays  incultes  ou  désolés,  établit  toujours  ses 
comparaisons  avec  la  nature,  toute  façonnée  depuis  vingiou 
trente  siècles,  des  pays  civilisés.  Il  n'a  plus  le  sens  de  ce 
qu'est  la  nature  brûle.  Ces  pacages,  sinon  ininterrompas, 
du  moins  très  étendus  et  très  nombreux,  du  Sahara,  iln'esl 
aucun  doute  qu'ils  pourraient  être,  dans  une  certaine  me- 
sure, améliorés.  En  choisissant  les  graminées,  les  plantes 
fourragères  et  les  espèces  arborescentes  les  meilleures,  ea 
s'efTorçant  de  les  substituer  à  celles  inférieures,  en  les  se- 

(1)  Voy.  plus  haut,  pages  122  à  126,  Ifis  diverses  plantes  sahariennes  d'apK* 
la  première  mission  Flatters,  et  rapprocher  los  deux  énumérations. 


MISSION  FOUREAU.  FAUNB  DU  SAHARA.   HABITANTS  PERMANENTS.       249 

mant  dans  les  terrains  les  plus  propices,  on  arriverait,  avec 
des  soins  peu  coûteux»  mais  méthodiques,  à  rendre  cette 
végétation  spontanée  plus  abondante  et  d'essences  plus 
utiles,  ainsi  en  propageant  le  drinn,  le  mrokba,  le  had,  plus 
au  sud  Tana,  aux  dépens  des  sortes  moins  propices  à  la  nour- 
riture du  bétail. 

De  même  que  les  plantes  fourragères  abondent  dans  le  Sa- 
hara, de  même  il  s*y  trouve  une  faune  assez  nombreuse  et 
diverse  :  les  gazelles  dans  le  nord,  les  antilopes  partout,  les 
moutons,  les  chèvres,  les  ânes,  dans  la  partie  méridionale 
des  oiseaux  divers,  une  grande  abondance  de  pintades,  des 
bœufs  zébus.  «  La  végétation  du  had  est  très  belle  dès  que 
Ton  pénètre  dans  Terg  et  le  gibier  pullule  (1).  »  Dans  le  sud,  il 
s  y  joint  des  girafes,  des  autruches,  des  singes,  des  hyènes, 
des  chacals,  des  lions  même  (2). 

Celte  flore  et  cette  faune  variées  font  que  même  le  Sahara 
central  a  des  populations  permanentes,  fort  espacées  et  dis- 
séminées il  est  vrai,  mais  susceptibles  de  devenir  plus  den- 
ses, avec  plus  de  sécurité  et  de  travail.  On  verra  plus  loin, 
à  ce  sujet,  le  témoignage  très  probant  du  commandant  Pein. 
Le  journal  même  de  M.  Foureau  en  fournit  aussi  la  démons- 
tration. On  croyait,  en  général,  que  les  populations  du 
Sahara  résidaient  dans  quelques  districts  particulièrement 
favorisés:  leHoggar  ou  Ahaggar,  la  lisière  du  Fezzan,  TAïr. 
Mais  on  rencontre  partout,  quoique  de  loin  en  loin,  dans 
celte  immense  étendue,  des  groupes  d'habitants  permanents, 
avec  des  troupeaux.  Près  d'Aïn  el-Hadjadj,  aux  abords  du 
plateau  du  Tasili,  on  trouve  des  «  amghad  (serfs)  des 
azdjer  (tribu  targui)  ;  ils  ont  leurs  tentes  près  de  la  source 
précitée;  ils  possèdent  quelques  chameaux  et  quelques  chè- 
vres >.  Un  peu  plus  loin,  en  plein  Tindesset,  voici  d'autres 
Touareg,  habitant  des  gourbis  avec  des  chèvres  et  des  mou- 
lons. Un  peu  plus  loin  encore  «  des  Touareg,  hommes  et 
femmes,  font  boire  leurs  troupeaux  au  moment  de  notre 

|1)  Misêiôn  saharienne^  pages  28,  29,  38. 
IS)  Ibid,,  pages  135,  286. 


250     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHABI^W 

arrivée.  Ces  gens  sont  des  Azdjer  qui  campent  autour  de 
Tighammar  sans  jamais   quitter  ce   point,  sauf   quelques 
hommes  qui  sont  convoyeurs  de  caravanes  et  qui,  par  consé- 
quent, s'absentent  de  façon  intermittente  ».  Au  puits  DQèine 
de  Tighammar,  «  des  multitudes  d*ânes  appartenant  aux  indi- 
gènes trottinent   tout  autour  ».  Et  ainsi,  tout  le  long  de  ce 
parcours  de  2  500  kilomètres,  on  rencontre  de  ces  groupe^ 
sédentaires.   L*Adrar,  par  exemple,  a  une  population  fixe, 
<(  isolée  en  quelque  sorte,  qui  ne  sort  guère  de  ses  monta- 
gnes, et  qui  vit  et  meurt  dans  les  ravins  de  TAdrar,  guidant 
ses  maigres  troupeaux  dans  des  contrées  absolument  sem- 
blables au  Ahaggar  ».    Un  peu  plus  au  sud,  tout  à  fait  au 
cœur  du  Sahara  :    «   Il  y  a  évidemment  autour   de    nous, 
depuis  le  ouad  Irsane,  beaucoup  de  troupeaux  ;  leurs  traces 
le  prouvent  surabondamment.  »  Au  point  culminant  du  tra- 
jet delà  mission,  entre  1300  et   1400  mètres  d'altitude, on 
rencontre  plusieurs  troupeaux  de  chèvres  conduits  par  des 
femmes.  Dans  la  très  dure  excursion  de  Tadent  au  puits  de 
Tadjenout,  on  trouve,  à  deux  reprises,  des  traces  nombreuses 
de  Touareg,  non  pas  pillards,  mais  conducteurs   de  trou- 
peaux, chèvres,  moutons,  ânes  (1).  Tout  ce  monde  se  sauve 
naturellement  au  passage  de  la  mission.  Quant  au  Sahara 
sud,  il  contient  de  nombreuses  populations  fixes,    habitant 
des  maisons  tantôt  en  paillotte,  tantôt  en  bois,  tantôt  en 
pisé  ou  en  toubes  (briques  séchées  au  soleil),  parfois  môme 
en  pierre. 

(1)  Mission  saharienne,  pages    46,   55,  57,  61.  67,  70,  71.  81,  97,  99,  102,  HA 
118,  etc. 


CHAPITRE  XI 
La  mission  FouREAu-LAMY(AS£i/te).  —  Les  diverses  étapes  de 

LA  mission  et  les  CARACTÈRES  SPÉCIAUX  DES  DIVERSES  ZONES 

PARCOURUES.  —  Comparaison  avec  les  odservations  de 
Barth.  —  L'AïR. 

Les  différentes  parties  du  Irajet.  —  Première  section  :  d'Ouargla  (32«  degré  do 
latitude)  à  Ain  el-Hadjadj  (au-dessous  du  27»  degré)  ;  plaine  facile.  —Excellence 
de  la  situation  de  Temassinin;  possibilité  d'importante  oasis. 

Grands  froids  au  Saiiara  la  nuit  en  décembre  et  janvier  :  le  thermomètre  descend 
à  10»  au-dessous  de  zéro. 

Faible  hauteur  de  la  chaîne  de  partage  des  eaux  entre  la  Méditerranée  et  le 
bassin  du  Tchad. 

À  partir  dissala,  non  loin  de  Tadent,  proximité  du  trajet  de  Barth  et  de  celui 
de  la  mission  Foureau-Lamy.  —  Comparaison  des  observations  de  l'un  et  de 
l'autre.  *-  Puits  qui  ont  disparu  depuis  Barth.  —  Prédominance  de  la  plaine. 

—  Description  favorable  par  Barlh  de  la  végétation  de  la  contrée  qui  précède 
l'Aîr  sur  une  étendue  de  deux  degrés  de  longitude.  —  Le  journal  de  Foureau 
confirme  ces  observations.  —  Faune  abondante. 

Obstacles  apportés,  dans  l'Aïr,  par  les  Touareg  Kéloni  &  la  marche  et  au  ravi- 
taillement de  la  mission  Foureau-Lamy.  —  La  mission  est  immobilisée,  de  ce 
chef,  pendant  huit  mois  dans  les  villages  de  l'Aïr.  —  L'Air  est  non  pas  un 
chapelet  d'oasis,  mais  une  continuité  de  terres  cultivées  ou  cultivables  sans 
irrigation. 

Les  observations  de  la  mission  Foureau-Lamy,  rapprochées  de  celles  de  Barth 
pour  la  seconde  partie  du  trajet,  suggèrent  des  réflexions  très  réconfortantes. 

—  Conclusion  du  rapport  du  commandant  Reibell,  de  l'escorte  de  la  mission 
saharienne.  —  Les  difYicultés  que  la  mission  eut  à  surmonter  vinrent  beau- 
coup moins  de  la  nature  des  lieux  que  de  celle  des  hommes. 

Suivons  maintenant  la  mission  saharienne  dans  ses  princi- 
pales étapes  cl  résumons  rapidement  le  caractère  des  diverses 
grandes  sections  de  cet  énorme  pays.  Des  environs  d'Ouargla 
à  Ain  el-Hadjadj,  au-dessous  du  27'  degré  de  latitude,  trajet 
déjà  fait  par  la  première  mission  Flatters,  on  ne  sort  guère 
d'une  plaine  s'élevant  lentement  de  160  mètres  d'altitude, 
hauteur  d'Ouargla,  à  470  mètres  ;  on  suit  d'abord  des  gassis, 
couloirs  généralement  larges  entre  les  dunes,  puis  une  hamada 
ou  sol  de  roc  et  une  surface  de  reg  ou  de  gravier  et  de  pier- 
res; le  pays  est  connu,  les  puits  sont  assez  nombreux,  les 
pacages  convenablement  fournis.  Le  lieu  qui  mérite  le  plus 


252     LK  SAHARA,  LK  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIENS. 

d'être  noté  dans  cette  partie  du  trajet  est  Timassanine 
{alias  Temassinin),  où  le  commandant  Pein  établit  un  poste; 
M.  Foureau  y  arriva  vingt-cinq  jours  après  son  départ  des 
environs  d'Ouargla;  la  distance  paraît  être  à  peu  près  de 
600  kilomètres  :  «  Par  sa  situation,  dit  l'explorateur,  parla 
nature  de  son  sol  et  la  proximité  d'une  nappe  artésienne, 
ce  point  est  appelé  à  se  transformer  dans  Tavenir  en  une 
oasis  importante  (1).  »  Il  serait  très  désirable  que  Ton  s'oc- 
cupât de  cette  transformation  et  qu^on  entretint  un  poste 
en  ce  lieu  ;  il  est  à  1 200  kilomètres  environ  de  la  mer,  et  il 
y  a  sensiblement  moins  que  cette  même  distance  de  Timas- 
sanine aux  premiers  villages  de  TAïr,  contrée  à  nombreuse 
population  fixe. 

D'Aïn  el-Hadjadj  on  s'engage  dans  la  partie  montagneuse 
qui  constitue  le  Sahara  central  et  forme  la  ligne  de  partage 
des  eaux  entre  la  Méditerranée  et  l'Atlantique  ou  le  bassin 
du  Tchad.  On  met  juste  un  mois  (du  8  décembre  1898  au 
9  janvier  1899)  à  atteindre  la  ligne  de  partage  des  eaux,  située 
à  1360  mètres  environ  d'altitude.  On  suit,  en  général,  des 
lits  de  rivière  ;  en  premier  lieu,  on  remonte  l'ouad  Samene  : 
«  sorte  de  long  couloir  à  sol  plan  et  sableux  ou  argileux 
d'une  grande  largeur,  bordé  de  chaque  côté  par  une  haute 
chaîne  de  montagnes  de  grès  de  couleur  très  sombre  (2)  ». 
Pour  passer  d'un  lit  de  rivière  dans  une  autre,  on  traverse 
parfois  des  terrains  tourmentés.  On  foule  un  sol  de  granit 
et  des  hamada.  Les  pâturages  sont  moins  continus  ;  mais 
il  s'en  trouve  encore,  de  même  que  des  puits.  Le  pays, 
quoique  d'aspect  sauvage,  n'est  pas  dépourvu  de  res- 
sources ni  de  possibilités  d'amélioration,  puisque  c'est 
surtout  dans  cette  région  que  se  rencontrent  les  rivières 
ayant  de  l'eau  soit  apparente,  soit  souterraine.  La  mission 
y  a  souffert  du  froid.  Déjà,  le  2  décembre,  à  Aïn  el- 
Hadjadj,  à  une  hauteur  de  470  mètres  seulement,  sur  le  ver- 

(1)  Mission  sahanenne,  page  36.  Voy.  plus  haut,  page  147,  TapprécidUon  de 
Flatters  sur  la  môme  localité. 

(2)  /6irf.,page  48. 


MISSION  FOUREAU.  GARAGTÈRBS  DES  RÉGIONS  PARGOURUES.  LE  FROID.     253 

sant  nord  du  plateau  du  Tassili,  le  thermomètre  était  des- 
cendu la  nuit  à  -|-  ^fi  l  celte  température  basse  n'était  pas 
exceptionnelle  ;  les  15,  16  et  17  décembre,  les  minima  furent 
4-0%8,  -|-3%5  et  +  0°,9,  et  les  maxima  de  ces  trois  jours 
n'ont  pas  atteint  15  degrés.  Le  19  décembre,  le  minimum 
nocturne  fut  de  4""  au-dessous  de  zéro  etle  21  décembrede  3%5 
également  au-dessous  de  zéro.  Le  4  janvier  on  notait  la  tem- 
pérature la  plus  basse  que  la  mission  ait  eu  à  subir,  à  savoir 
10"  au-dessous  de  zéro  (1).  On  était  alors  à  peu  près  au 
point  culminant.  Il  y  a  donc  un  hiver  assez  marqué  dans  cette 
partie  du  Sahara,  et  c'est  une  condition  climatérique  des 
plus  favorables  (2).  Si  une  colonne,  n'ayant  aucun  abri  et 
n'étant  pourvue  que  d'installations  restreintes,  peut  en  pâtir, 
il  est  certain,  d'autre  part,  que  des  colons  fixes  s'en  trouve- 
raient bien  ;  c'est  un  sanatorium  tout  indiqué. 

Quoique  tourmenté,  ce  plateau  du  Tassili  et  ses  abords, 
loued  Samene,  le  Tindesset,  apparaissent  comme  suscep- 
tibles d'une  certaine  mise  en  valeur,  tant  par  ces  conditions 
de  climat  relativement  satisfaisantes  que  par  l'aménagement 
possible  des  eaux,  qui  y  apparaissent  comme  abondantes. 
C'est  dans  cette  région  que  se  trouvent  et  l'oued  Inara  et 
divers  autres  oueds  larges  et  étendus,  dont  il  a  été  parlé  plus 
haut  et  dont  les  eaux,  de  qualité  excellente,  se  montrent  de 
place  en  place.  La  sonde  artésienne  a  toutes  chances  d'y 
réussir  ;  ce  n'est  pas  seulement  dans  le  Sud  algérien  ou  à 
Timassanine  que  l'on  peut  créer  des  oasis.  C'est,  d'ailleurs, 
dans  les  ravins  du  plateau  du  Tassili  que  sont  installés  avec 
leurs  troupeaux  beaucoup  des  groupes  d'habitants  perma- 
nents dont  il  a  été  question  plus  haut.  C'est,  enfin,  dans 
ce  pays  de  granit  et  de  quartz  qu'il  y  a  des  chances  sérieuses 
de  rencontrer  des  richesses  minérales. 

Le  point  culminant  de  la  ligne  de  partage  des  eaux,  sur  le 
tracé  qu'a  suivi  la  mission,  est  fort  peu  élevé.  Un  seuil  de 

(1)  Mission  saharienne,  pages  42,  61,  66,  67  et  86. 

12)  Voy.,  sur  le  froid  au  Sahara,  les  observations  des  explorateurs  précédents, 
pagns  153  à  155. 


254     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHAHICi 

l  360  mètres,  en  effet,  est  des  plus  modiques.  En  France,  non 
chemins  de  fer  s'élèvent  à  d'aussi  hautes  altitudes  sur  oolrt 
plateau  central,  en  laissant  décote  les  Pyrénées  et  les  Alpes 
En  Algérie  même,  notre  ligne  de  pénétration  ouest-africaior 
atteint  des  hauteurs  analogues  :  la  station  de  Kralfalla  est^ 
1 109  mètres,  celle  de  Méchéria  à  1 158,  celle  de  MékalL' 
à  1313  ;  cette  dernière  élévation  est  quasi  strictement  égale 
au  point  culminant  du  parcours  de  M.  Foureau.  Les  ebemia^ 
de  fer  de  l'Afrique  australe  montent  aux  environs  de 
2000  mètres  ;  ceux  des  Etats-Unis,  dans  les  montagnes  Ro- 
cheuses, dépassent  3000.  Par  comparaison  avec  nooibre 
d'autres  grandes  voies  ferrées,  les  difficultés  de  profil,  ei 
admettant,  ce  qui  est  d'ailleurs  douteux,  qu'on  dût  suim 
ce  tracé,  car  il  s'en  présente  de  plus  favorables  (1),  doivent 
donc  être  regardées  ici  comme  modiques. 

Du  9  au  18  janvier  1899,  la  mission  se  tient  encore  sur  If 
plateau  du  Tassili,  tout  en  descendant  graduellement  jus- 
qu'au puits  de  Tadent,  à  une  hauteur  de  1173  mètres  :  el/e 
chemine  sur  une  vaste  plaine  de  reg,  gravier  résistant,  et  de 
roche  presque  absolument  plate.  Le  terrain  devient  parfois 
plus  difQcile  ;  mais  on  «  avance  ensuite  sur  une  très  vaste 
plaine  plate  (2)  >.  On  rencontre  des  rivières  intermilteales. 
des  pacages  assez  fréquents,  sinon  continus,  des  groupes 
fixes  d'habitants  et  des  troupeaux.  Tadent,  lui-même,  est 
situé  le  long  d'une  rivière,  à  eaux  intermittentes  comme 
presque  toutes  celles  dont  il  est  ici  question,  <  artère  asseï 
importante,  dit  le  journal,  et  de  moyenne  largeur,  qui  forme 
une  belle  vallée  peu  tortueuse  (3)  ». 

De  Tadent  à  In-Azaoua,  un  peu  au  delà  du  puits  d*Asiou, 
s'effectue  la  descente  du  Tassili,  de  1 173  mètres  à  508  mè- 
tres d'altitude;  elle  prend  sept  jours,  du 27  janvier  au  2  fé- 
vrier, et  comporte  300  kilomètres  ;  c'est  <  une  interminable 
plaine  avec  un  semis  irrégulier  de  blocs  sporadiques  (4)  ».  On 

(1)  Voy.  plus  haut,  pages  194  à  199. 

(2)  Mission  saharienne,  pages  90  et  9C. 

(3)  Ibid,,  page  124. 

(4)  Ibid.y  page  128. 


MISSION  FOUREAU.  COMPARAISON  AVEC  LES  ORSERVATIONS  DE  BARTD.     255 

se  trouve  dans  le  Sahara  méridional  et  le  climat  a  changé  ; 
cette  section,  assez  courte»  est  la  plus  pauvre  en  eau  et  en 
pâturages.  Il  y  a  toujours  quelques  oueds,  cependant,  et  il 
n  est  guère  douteux  que  des  recherches  et  des  soins  n'y 
découvrissent  et  n*y  maintinssent  des  points  d'eau.  A  partir 
d'Issala,  qui  se  trouve  aux  environs  du  premier  tiers  du 
chemin,  entre  Tadent  et  In-Azaoua,  nous  avons  deux  témoi- 
gnages, au  lieu  d'un.  Barlh,  en  effet,  a  suivi  d'Issala  à  Tes- 
saoua,  l'une  des  portes  du  Soudan,  à  peu  près  la  même  route 
que  la  mission  Foureau,  et  il  décrit  ce  trajet  avec  sa  minutie 
et  son  esprit  scientifique  habituels.  Il  Gt  ce  trajet  au  mois 
d  août,  tandis  que  M.  F'oureau  le  fit  en  janvier,  ce  qui  com- 
plète et  varie  encore  les  renseignements.  Barth  relate  dans 
cette  partie  si  ingrate  du  trajet  plusieurs  orages  et  de  très 
fortes  pluies  pendant  plusieurs  jours  consécutifs.  Des  puits 
auxquels  s'était  abreuvée  la  caravane  à  laquelle  il  s'était  joint 
ont,  depuis  lors,  disparu  :  à  Issala,  qui  se  trouve  à  peu  près 
au  22« degré  40'  de  latitude,  outre  un  puits  (Brunnen),  Barth 
note  de  grands  taillis  d'éthel  et  des  pacages  ;  on  y  fait  pro- 
vision de  fourrage  et  de  bois  (1).  A  Asiou  même,  «  vaste 
dépression,  cuvette  immense,  qui  est  plutôt  un  lit  de 
rivière  »,  dit  M.  Foureau,  on  comptait,  d'après  la  légende, 
101  puits  donnant  de  l'eau  ;  Barth  lui-même  y  signale  deux 
groupes  de  puits  vivants,  et  aujourd'hui  l'on  n'y  trouve 
qu'à  grand'peine  de  quoi  remplir  quelques  outres  (2).  Cela 
doit  tenir  à  l'incurie  et  à  la  négligence  des  nomades,  et 
cet  accident  apparaît  comme  aisément  réparable. 

Même  privée  de  ces  puits,  dont  l'existence  a  été  constatée 
jadis,  cette  région  d'un  peu  au  delà  de  Tadent  à  In-Azaoua, 
qui  s'étend  sur  deux  degrés  et  demi  environ  de  latitude,  la 
plus  désolée  du  Sahara,  est  constamment  parcourue  par  des 
caravanes,  et  elle  n'opposerait  aucun  obstacle  sérieux  à  l'éta- 
blissement  d'une  voie  ferrée,  la  plus  grande  partie  de   la 

(1)  BarUi,  ReUen  und  Entdeckungen  in  Central  Africa,  Justus  Perlhes,  1857, 
t  I«r,  page  303  et  la  carte  4  du  môme  volume. 
\i)  Mission  saharienne,  page  133. 


256     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DB  FER  TRÂNSSAHiBl?>?. 

route,  au  double  témoignage  de  M.  Foureau  et  de  Baril 
s*effectuant  sur  une  immense  plaine. 

D'In-Azaouaà  Iférouane,  premier  village  de  TAïr,  preml-- 
lieu  depuis  Ouargla  où  une  population  d*une  certaine  impc: 
iance  réside  dans  des  demeures  fixes  et  se  livre  à  des  culture 
régulières  et  variées,  il  y  a  280  kilomètres.  Le  pays,d'apr- 
Barth,  tout  au  moins  à  peu  de  distance  d'Assiou  (il  ne  pari 
pas  d'In-Azaoua),  est,  avec  quelques  intermitleoces,  Irt^ 
riche  en  pâturages  {sehr  reich  an  Krautivuchs)^  en  beam 
arbres,  mimosas  ou  autres  ;  il  offre  de  belles  vallées  varie» 
(schône  grûne  Thâler)^  une  végétation  exubérante  (ùppiji 
Végétation)  ;  il  a  des  arbres  (thalas  ou  gommiers)  d*une  ULlt< 
exirdLordinaive  (von  ungeheurer  Grosse^  riesige  Tkalas);\i-^ 
serait  le  caractère  de  cette  partie  du  Sahara  depuis  un  pe< 
au-dessus  du  21*  degré  jusqu'à  l'entrée  de  FAïr,  aux  emi- 
rons  du  19*  degré  (1).  Le  journal  de  M.  Foureau  n'y  conlf^ 
dit  guère  ;  il  est  moins  enthousiaste;  l'explorateur  français 
passe,  d'ailleurs,  en  février,  et  Barth  passait  en  août.  Mai? 
il  relève  fréquemment  une  belle  végétation,  une  abondaDce 
de  gazelles  et  d'antilopes  de  toutes  sortes.  «  Partout  dans 
les  vallées  se  développe  une  belle  végétation  ;  partout  pul- 
lulent les  traces  de  gibier,  gazelles,  antilopes,  etc.  ;  la  végé- 
tation dépasse  ici  tout  ce  que  nous  avions  vu  jusqu'alors  ; 
grands  gommiers,  Abisga,  Teboraq,  elc.  Une  longue  et 
souple  liane,  Tarenkad,  rôcouvre  de  temps  en  temps  de  hauts 
gommiers.  »  Il  note  des  animaux  nouveaux,  parmi  les  oi- 
seaux par  exemple  :  corbeaux  de  grande  taille,  vautours 
chauves,  bande  de  pigeons;  puis  des  bœufs  à  bosse  oo 
zébus  (2).  Ces  descriptions  s'appliquent  au  pays  qui  est 
encore  à  une  demi-douzaine  d'étapes  au  nord  de  l'Aïr, 

Enfin,  on  est  dans  l'Aïr,  la  région  montagneuse  du  Sahara 
tropical  ;  c'aurait  dû  être  le  port  pour  la  mission  saharienne. 
Mais  c'est  alors  qu'elle  eut  à  lutter  contre  l'hostilité  sourde 

(1)  Barth,  op,  cît,;  voir  les  annotations  sur  la  carte  4  du  premier  volume  J? 
l'édition  allemande  originale. 

(2)  Mission  saharienne^  pages  148,  149,  153,  155,  etc. 


IISSION  FOURBAU-LAMY.  —  CARACTÈRE  DES  RÉGIONS  PARCOURUES.     257 

les  Touareg  Kéloui,  qui  Thabitent.  «  Nous  ne  pouvions  pas 
loupçonner  quelle  allait  être  la  tactique  invariable  des  Toua- 
eg  à  notre  égard  ;  nous  ne  pouvions  point  supposer  à  quel 
)oint  Ils  allaient  faire  le  vide  autour  de  nous  (1).  »  Avant 
iherché  deux  fois  à  détruire  la  mission  par  la  force  et  y 
lyant  échoué,  ils  s'efforcèrent  de  Taffamer,  de  semer  le  dé- 
louragement  parmi  ses  membres  et  de  la  disloquer,  et  ils 
'ëussirent  à  l'immobiliser  pendant  huit  mois,  dans  différents 
le  leurs  villages  ou  de  leurs  villes,  à  Iférouane,  à  Âguellal,  à 
Voudéras,  enfin  àAgadez.  C*estlàquela  mission  saharienne, 
lu  chef  de  la  perûdie  des  hommes,  non  de  Tinhospitalité  de 
a  nature,  courut  le  plus  grand  péril. 

L'Aïr,  &  travers  les  récits  de  M.  Foureau,  comme  de  ceux 
le  Barth,  apparatt  comme  une  contrée  habitée,  ayant  une 
f'égélation  variée  et  abondante,  des  cultures  régulières,  assez 
iiversiflées;  sans  doute,  ici,  comme  partout,  le  récit  de 
M.  Foureau  est  moins  brillant  que  celui  du  grand  voyageur 
illemand  ;  il  ressort,  néanmoins,  de  ses  descriptions  que  ce 
pays,  qui  s*étend  sur  environ  deux  degrés  et  quart  à  deux 
legrésetdemi  de  latitude,  constitue  non  pas  un  chapelet 
loasis,  mais  une  continuité  de  terres  déjà  mises  en  exploi- 
atioQ  ou  susceptibles  de  Tètre.  Ce  qui  distingue  les  loca- 
ilés  dénommées  oasis  et  ce  qui  les  limite,  c'est  Tirrigation  : 
a  culture  ne  s'y  étend  pas  au  delà  des  terrains  irrigués. 
Fout  autre  est  le  caractère  de  l'Aïr.  Cette  contrée  ne  repro- 
duit aucunement,  au  sud  du  Sahara,  le  groupe  des  oasis  du 
louât,  par  exemple,  comme  paraît  Tavoir  cru  Duponchel  ;  c'est 
une  région  d'une  beaucoup  plus  grande  importance.  Les 
cultures  peuvent  s'y  faire  sans  irrigation,  grâce  aux  seules 
pluies  tropicales;  cela  ne  veut  pas  dire  que  l'irrigation  n'y 
soit  ni  utile  ni  possible,  mais  elle  n'y  borne  pas  les  étendues 
et  les  possibilités  culturales.  Quoique  appartenant  au  Sahara 
par  sa  position  géographique,  l'Aïr,  avec  son  pédoncule  mé- 
ridional, le  Damergou,  fait  économiquement  et  socialement 

(1)  Mission  saharienne,  page  i58, 

17 


258     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHABlDi 

partie  du  Soudan  central,  dont  elle  constitue  en  quelq^n 
sorte  le  seuil;  aussi  nous  réservons-nous  d*en  parler  en  ini- 
tant  de  cette  dernière  contrée. 

Entre  TÂir  et  le  Damergou,  région  de  cultures  tropicala 
régulières»  il  y  a  un  court  passage  stérile,  s'ét^ndant  sur  n 
degré  géographique  environ,  puis  on  est  dans  une  région  ^ 
village^  nombreux,  à  arbres  splendides,  à  cultures  demilld 
de  coton  et  de  tabac;  avec  parfois  quelques  interruptions  paM 
tielles,  celte  région.  Tune  des  plus  favorisées  de  l'Afrique  d 
que  l*insécurité  et  l'anarchie  ont  seules  empêchée  de  prendu 
un  immense  développement,  s*étend  au  sud  jusqu'à  la  graD>i« 
forêt  équatoriale. 

Si  Ton  résume  les  données  positives  recueillies  par  la  n^ 
sion  Foureau,  si  on  les  compare,  pour  la  partie  communedi 
trajet,  à  celles  de  Barlh,  et  si  l'on  se  reporte  enfin  aux  des* 
criplions  faites  jadis  de  beaucoup  de  contrées  ayant  piis 
actuellement  un  vif  essor,  comme  les  hauts  plateaux  de 
TAfrique  australe,  les  vastes  territoires  de  TAmérique  ua 
Nord  entre  la  province  d'Ontario  et  la  Colombie  Britannique, 
les  districts  australiens  à  une  certaine  distance  des  côle& 
on  devra  juger  que  ces  données  sont  très  réconfortantes. 

Non  seulement  la  mission  Foureau-Lamy  a  pu  Iravcrseï 
ces  2500  kilomètres  sans  quasi  perdre  d'hommes,  sans  qui 
son  nombreux  effectif  fût  atteint  de  maladies»  mais  elle  i 
presque  tout  le  long  de  la  route  rencontré  des  points  d'eao 
malgré  l'incurie  des  indigènes,  parfois  même  des  eaux  asse 
abondantes,  des  pâturages  naturels,  sinon  tout  à  fait  continus 
du  moins  s'étendant  le  long  de  la  majeure  partie  du  trajet  é 
ne  laissant  que  des  lacunes  possibles  à  franchir;  des  essence 
arbustives  robustes  ayant  des  représentants  sur  toute  celM 
surface  immense;  des  troupeaux  maigres  et  d'un  nombrj 
restreint  de  tôles,  mais  se  trouvant  quasi  dans  tous  les  di> 
tricls,  un  ou  deux  exceptés,  de  cette  vaste  solitude. 

Bref,  à  la  lecture  attentive  et  réfléchie  de  ces  pages,  l'idée 
traditionnelle  que  Ton  se  faisait  du  désert,  et  du  Sahara  en 
particulier,  disparait;  ce  n'est  pas  une  immensité  de  sables 


M  FOUREAU-LAMY.  —  CARACTÈRE  DBS  RÉGIONS  PARCOURUES.     259 

ants,  sans  aucune  pluie,  sans  aucune  eau,  sans  aucune 
itioiiy  sans  possibilité  aucune  de  vie  humaine  ou  ani- 
C^est  une  région  variée,  où  les  ressources  élémentaires 
it  pas,  en  général,  défaut,  et  qui  a  le  mérite,  non  négli- 
e,  d'être  Tune  des  plus  salubres  du  globe. 
coimnaiidant  Reibell,  dans  son  rapport  d*ensemble  sur 
rte  de  la  mission  saharienne,  résume  bien  les  difficultés 
ipales  qu'a  rencontrées  l'expédition.  «  De  fait,  le  désert 
ccumuler  les  obstacles,  sans  que  jamais  le  mouvement 
'ant  de  la  mission  en  fût  enrayé;  mais,  à  partir  du  jour 
le  se  heurta  à  la  sourde  obstruction  et  au  fanatisme  des 
reg  de  TAïr,  elle  ne  put  se  frayer  un  chemin,  dans  un 
relativement  facile,  qu'au  prix  de  luttes  incessantes  et 
itigues  inouïes  (1).  »  Ainsi,  ce  n'est  pas  la  nature  des 
:,  c'est  la  nature  des  hommes  qui  retarda  le  passage  de 
issîon  et  lui  causa  des  angoisses. 

Mission  saharienne.  Appendice,  page  806. 


CHAPITRE  XII 

L'AïR     ET     LE     DaMERGOU     D  APRÈS      BarTH      ET      D*APRÈS   J 
JOURNAL   DE   FOUREAU. 


Le  Sahara»  quoiqu'il  offre  des  possibilités  pastorales  et  culturales,  san>  ^ 
aussi  minières,  vaut  surtout  comme  route  vers  les  contrées  tropica  •  i| 
l'Afrique.  J 

Description  de  l'Aïr,  avancée  du  Soudan  dans  le  Sahara.  —  B&rth  y  con^U'  j| 
riches  vallées,  de  bonnes  eaux,  une  végétation  abondante. 

Les  observations  de  la  mission  Foureau-Lamy  ne  contredisent  pas  c^  - 1 
Barth.  —  Les  Touareg  y  retiennent  et  cherchent  h  y  afFamer  la  eu»-.-! 
angoisses  de  celle-ci.  —  Descriptions  très  favorables  du  journal  de  V"^-^ 
sur  les  abords  de  l'Air  :  «  On  dirait  presque  une  prairie  éniaillée  d'ari)>M 

—  Belle  végétation  arbustive  dans  tous  les  ravins.  —  Nombreux  arba>r  <.  i 
viron  2  mètres  de  circonférence.  —  Végétation  jusqu'au  sommet  des  a'Iii-i 

—  Essences  d'arbres  nouvelles.  —  Faune  abondante.  —  Année  relatiTi»- 1 
sèche  au  temps  de  Foureau.  —  Pluies  constatées  par  lui  et  par  Barth. 

Le  Damergou.  *-  «  La  campagne,  d'après  Foureau,  est  riante  et  s«>niblf  a 
plaine  cultivée  de  France.  »  —  Affleurements  ferrugineux.  —  Riches  mit  t 
de  cuivre  d'après  Barth. 


Quoique  le  Sahara,  comme  en  témoignent  toutes  les  a 
plorations  anciennes  et  récentes,  ne  ressemble  en  rien 
rimage  conventionnelle  que  Ton  s'en  fait,  quoiqu'il  ait  de 
possibilités  de  développement,  pastoral  et  même  agricok 
dans  certaines  parties  du  moins,  il  vaut  surtout  comme  rooi 
vers  les  contrées  tropicales  de  TAfrique  intérieure,  comi 
voie  de  communication  rapide,  sûre  et  salubre,  quand  ^ 
Taura  pourvu  d*un  chemin  de  fer,  entre  les  grandes  capitald 
des  nations  européennes  colonisatrices,  Paris,  Londres 
Bruxelles,  Berlin,  et  les  vastes  possessions  de  ces  natii 
au  cœur  du  continent  africain. 

Avant  de  décrire  rapidement  les  nouvelles  provinces  ac 
quises  par  la  France,  l'Angleterre  et  FAUemagne  au  centr 
de  rAfrique,  il  nous  reste  à  achever,  par  quelques  traits,  i 
physionomie,  que  nous  avons  à  peine  esquissée,  de  TA* 
cette  partie  du  Sahara  méridional  où  se  trouvent  des  cent/fl 


L*AÏR  ET  LE  0AMER60U  D'APRÈS  BARTH  ET  FOUREAU.  261 

permanents  de  population,  habitant  des  villages  ou  des  villes 
et  se  livrant,  non  seulement  à  Télevage  du  bétail,  mais  à  des 
cultures  assez  diversifiées. 

L*Aïr,  qui  s'étend  entre  le  19"  degré  et  demi  de  latitude 
nord  et  le  16''  et  quart  environ,  embrassant  ainsi  en  longueur 
Irois  degrés  au  moins,  se  compose  d'une  série  de  vallées 
s  embranchant  sur  une  haute  épine  montagneuse,  dont  les 
sommets,  d'après  Barth,  atteignent  à  6000  pieds  ou  près  de 
2000  mètres.  L'Âïr  appartient-il  au  Soudan,  qui  lancerait 
ainsi  une  pointe  avancée  dans  le  désert?  Fait-il,  au  contraire, 
nettement  partie  du  Sahara?  M.  Foureau  ne  se  lasse  pas  de 
soutenir  que  c'est  une  contrée  saharienne,  et  il  serait  oiseux 
d'y  contredire.  La  possibilité,  cependant,  d'y  faire  souvent 
des  cultures  sans  irrigation  distingue  essentiellement  cette 
contrée  du  Sahara  proprement  dit.  Ce  qu'il  suffit  de  retenir, 
c  est  qu'elle  diffère  sensiblement  des  contrées  situées  entre 
Ouargla  et  le  19"*  degré  et  demi  de  latitude,  et  que,  ni  sous 
le  rapport  de  la  faune  ou  de  la  flore,  ni  sous  celui  des  grou- 
pements humains  et  des  cultures,  elle  ne  peut  être,  de  fort 
loin,  assimilée  à  un  désert. 

Barth,  qui  le  parcourut  en  1850  et  1851,  a  fait  de  TÂïr  et 
desonprolongementquile  rattache  au  Soudan,  le  Damergou, 
une  description,  sinon  enchanteresse,  du  moins  très  favo- 
rable et  séduisante  (1).  En  me  reportant  au  grand  ouvrage 
de  Barth  et  à  la  carte  de  TAïr  et  du  Damergou  qu'il  con- 
tient, je  relève,  à  partir  du  20*  degré,  et  même  un  peu  au- 
dessus,  une  suite  d'annotations  mentionnant  de  riches  vallées, 
de  bonnes  eaux,  une  végétation  abondante,  et  constatant  soit 
la  richesse,  soit  les  éléments  de  richesse  du  pays.  Ainsi  : 
Djinninariy  schônes  Thaï  mit  einem  Wald  schôner  Baume  and 
Weidegrund  von  tropischen  Ansehen  (belle  vallée,  avec  un 
bois  de  beaux  arbres  etdes  pâturages  d'aspect  tropical),  et  cela 
à  guère  plus  de  100  kilomètres  au  sud  du  puits  d'Âssiou  ;  Thaï 

il)  Voy.  ReUen  und  Entdeckungen  in  Nord  und  Central  Africa  in  den  Jahren 
^S49  bis  1855,  von  D'  Heinrich  Barth;  (iotha,  Justus  Perthes,  1859,  tome  I«, 
notamment  les  cartes  no»  5  et  6,  pleines  d'annotations  sur  le  caractère  du  pays, 
et  tome  II,  carie  n«  7. 


262     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRÀNSSAHABIlVi 

(vallée)  von  Selufîety  mil  vielen  Baûmen,  Gebusch  and  gain 
Wasser  (avec  beaucoup  d'arbres,  de  bosquets  et  de  bo&n* 
eau);  Brunnen  von  EghellaU  Baumreiches  Thaï  (fontaiee 
d'Egellal,  vallée  riche  en  arbres);  Ausgedehnie  Ebene  «r^ 
gulen  Weidegrûnden  (plaine  étendue  avec  de  bons  pâturage: 
Thaï  Borhel,  gui  bevôlkerl  und  reich  an  Dumbàumen^  Kamtt 
len  und  Ziegen  (vallée  de  Borhel,  bien  peuplée  et  riche  e 
palmiers-doum,  en  chameaux  et  chèvres);  tout  cela  estai 
nord  d'Agadès,  la  capitale  de  TAïr;  quant  aux  environs  it 
celle-ci,  Barth  les  décrit  d'un  trait:  Die  Namen  um  Agada 
bezeichnen  hiibsche  bewachsene  Thàler  (les  noms  aulor 
d'Agadès  indiquent  de  jolies  vallées  couvertes  de  végélalioc 
et,  après  avoir  traversé  pendant  un  degré  géographique  n^ 
étendue  moins  favorisée,  on  retrouve  une  contrée  riche:  dtr 
Tagamay  eine  an  Bindern,  Schafen  und  Pferden  reiche  G^ 
gend  (abondante  en  bœufs,  moutons  et  chevaux);  granis 
troupeaux  de  bœufs  {Grosse  Viehheerden)^  lit-on  un  peu  plc^ 
bas  sur  la  carte  de  Barth;  puis  See  Gamrek  (lac  Gamrek 
umgeben  von  ûppiger  Vegelation  (entouré  d'une  végélatici 
luxuriante)  ;  Zahlreiche  Wassermelonen  (abondants  meloc: 
d'eau)  ;  anmulhiges  Hûgelland  mil  vielen  Baûmen  (gracieuse 
terre  de  collines  avec  beaucoup  d'arbres)  ;  un  peu  au-dessou* 
du  15*  degré,  on  entre  dans  le  Damergou;  erste  Kornfeld' 
von  Damerghu,  Ziegenheerde  (premiers  champs  de  blé,  tro^> 
peaux  de  chèvres)  ;  offenes  fruchlbares  Land  mil  Kornfeldvr. 
(pays  ouvert  et  fertile,  avec  champs  de  blé)  ;  un  peu  plus  bai 
sur  la  lisière  du  Soudan,  près  de  Zinder,  qui  nous  appar- 
tient :  Schône  Baumwollen  und  Tabak-Fflanzangen^  belle? 
plantations  de  coton  et  de  tabac;  cette  annotation  Baumwcir 
len-Pflanzungen  revient  à  chaque  instant  sur  la  carte  de 
toute  la  lisière  du  Soudan  qui  nous  est  reconnue  par  les 
conventions  récentes.  Tout  ce  chapelet  de  notes  favorable? 
et  beaucoup  d'autres  que  nous  passons  pour  ne  pas  allonge' 
inutilement  ce  travail,  s'étend  du  20*  au  13*  degré  et  demi  sur  b 
carte  de  Barth  consacrée  au  Sahara  méridional.  Cependan' 
d'après  toutes  les  données  courantes  et  d'ailleurs  fausses  su 


L*AÎR  ET  LE  DAMBRGOU  D'APRËS  BàRTQ  ET  FOUREAU.  263 

le  Sahara,  on  s'est  habitué  à  considérer  comme  improduc- 
tives ces  étendues  de  700  à  800  kilomètres  de  long,  qui  sont 
en  réalité  parsemées  de  cultures.  Les  gravures  jointes  à 
Tédilion  allemande  ne  sont  pas  moins  engageantes  que  le 
lexle  (1).  Les  villes  sont  nombreuses  :  Tintelloust  et  Tafldet, 
entre  le  19*  et  le  18*  degré;  Afassas,  entre  le  18"  et  le  17'; 
Àgadès  enfin,  la  capitale,  presque  exactement  au  17*  degré, 
place  importante  et  commerçante,  ayant  des  maisons  à  deux 
élages  et  paraissant  compter,  au  temps  de  Barth,  7  000  à 
8000  habitants. 

Les  observations  de  M.  Foureau  contredisent-elles  celles 
deBarth?  On  Ta  prétendu,  mais  il  faut  une  lecture  bien  super- 
ficielle de  son  journal  pour  le  croire.  La  mission  saharienne 
a  fait,  malgré  elle,  dans  TÂTr  un  séjour  des  plus  prolongés. 
Elle  y  est  demeurée  près  de  huit  mois,  du  24  février  1899  au 
17  octobre,  dans  une  sorte  de  captivité,  retenue  non  par  des 
menaceS)  mais  par  des  procédés  dilatoires  qui  ont  suivi  deux 
attaques  infructueuses  à  main  armée.  C*est  là,  et  là  seule- 
ment, qu'elle  a  couru  de  grands  périls,  du  chef  de  la  perfidie 
des  hommes,  non  de  Tinhospitalité  de  la  nature.  <  Les  Toua- 
reg (maîtres  du  pays)  ont  établi  une  sorte  de  blocus  autour 
de  nous,  prenant  leurs  précautions  pour  qu'aucun  ravitaille- 
ment ne  puisse  nous  arriver...  La  tactique  employée  par  les 
Touareg,  depuis  l'agression  du  12  mars,  à  notre  égard,  est 
évidemment  très  judicieuse:  faire  le  vide  absolu  autour  de 
nous,  éloigner  les  troupeaux,  éloigner  les  denrées  alimen- 
taires, disparaître  enfin  eux-mêmes  ;  ils  comptent  bien  ainsi 
que  nous  finirons  par  périr  tous  de  famine  (2).  »  On  promet 
sans  cesse  à  la  mission  des  chameaux  dont  elle  a  besoin 
pour  continuer  sa  route,  on  lui  promet  des  vivres;  jamais  on 
ne  lui  fournit  les  premiers  et  on  ne  lui  apporte  des  seconds 
qu  au  jour  le  jour,  en  quantité  insuffisante,  en  les  lui  faisant 
payer  un  prix  exorbitant.  Les  guides  qu'on  lui  procurait  cher- 

(1)  Reisen  und  Enldeckungen  in  Nord  and  Central  Africa,  von  D'  Heinrich 
Barth,  erster  Band,  4«  carie  et  gravures  du  volume;  Gotha,  Justus, Perlhes,  1857. 
[1]  Mission  saharienne,  pages  282  et  291. 


264     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSiEilil' 

chaient  à  l'égarer  dans  de  mauvais  pays.  Ainsi  retenue  p^< 
dant  huit  mois  dans  une  contrée  qu'elle  eût  pu,  si  elled^j 
eu  des  transports  et  des  approvisionnements»  traverser 
quinze  jours,  forcée  parfois  de  revenir  sur  ses  pas,  la  miss^a 
a  connu  là  des  heures  d'angoisse. 

Près  de  la  moitié  du  livre  de  M.  Foureau  (de  la  page  i^ 
à  la  page  467)  est  consacrée  à  cette  contrée  de  l'Aïr,  qms 
représente  pas  le  dixième  du  parcours  de  la  mission.  Lais- 
sons de  côté  le  récit  des  incidents  quotidiens  et  tenons-Dou:' 
en  à  la  description  générale  du  pays  et  des  habitants;  tk 
ne  diffère  aucunement  de  celle  qu*en  a  faite  Barth,  et  àt 
fait  ressortir  un  pays  qui  contient  d'incontestables  wr 
sources. 

La  mission  arrive  le  24  février  1899  à  Iférouane,  premirt 
village  de  l'Aïr  qu'elle  rencontre.  Dès  Tavant-veille,  ïaspcdi 
des  lieux  est  réjouissant  :   le  22  février,  la  mission  enlre 
«  dans  une  très  large  vallée,  celle  de  la  rivière  AgaJindf 
que  nous  descendons  quelque  temps.   Le  spectacle  est  fotl 
beau  et  très  caractéristique...  La  rivière  ne  tarde  pas  à  fuir 
vers  Touest,  et  la  route  nous  fait  remonter  un  de  ses  afRueBlî 
de  gauche,  où  la  végétation  est  fort  belle  et  composée  de 
gommiers,   de  graminées  vertes  et   d'autres  essences.  Os 
dirait  presque  d'une  prairie  émaillée  d'arbres.  »  Notez  qu? 
l'on  est  ici  au-dessus  du   19*  degré  de  latitude  et  à  plus  de 
5  degrés  au  nord  de  la  lisière  septentrionale  du  Soudai».  U 
23  février,  «  la  mission  arrive  dans  la  grande  et  belle  vallée 
de  l'ouad  Tidek...  Le  lit  du  Tidek  contient  de  beaux  arbr» 
gommiers  et  adjar...   Sur  ces  arbres  se  trouvent  en  grand 
nombre  des  nids  d'oiseaux  ».  On  note  «  des  traces  noïQ- 
breuses  et  fraîches  d'ânes,  de  chameaux,  de  troupeaux  à 
moutons  et  de  chèvres  ».  Le  24  février,  on  est  à  Iférouane 
«  Au  milieu  de  la  vo'dure  qui  recouvre  la  rivière  même,  s 
noire  gauche  et  la  dominant,  s'élèvent  les  troncs  grêles  el 
élancés  de  quelques    dattiers;  des  cases  se  cachent  dans 
toute  cette  végétation,  on  entend  le  grincement  des  poafe 
des  puits  ;  en  somme,  on  sent  la  vie  alors  que,  depuis  des 


L'aTR  et  LB  DAMBBGOU  D'APRÈS  BARTH  BT  FOUREAU.  265 

mois,  tout  était  morne  et  inhabité  sur  notre  route  (1).  » 
En  ce  qui  concerne  toute  cette  contrée  de  TÂïr,  qui  s*étend 
sur  une  longueur  d*environ  trois  degrés  de  latitude,  la 
description  des  lieux,  dans  le  journal  de  M.  Foureau,  n'est 
nullement  inférieure  à  celle  de  Barth.  Partout  il  note  de 
t  très  beaux  gommiers,...  d'énormes  gommiers  qui  donnent 
une  ombre  bienfaisante  >,  des  c  touffes  énormes  d'abisga  », 
autre  espèce  arborescente;  €  tous  les  ravins  contiennent  une 
belle  végétation  de  gommiers,  de  tamat,  de  teboraq,  de 
ladent,  de  djédari,  de  korna  >,  mêlés  à  des  abisga  et  des 
korunka,  toutes  variétés  diverses  des  essences  d'arbres  du 
Sahara  méridional  ;  «  nous  atteignons  une  sorte  de  con- 
fluent de  plusieurs  rivières,  qui  ont  coulé  récemment  et  qui 
sont  très  riches  en  arbres  et  très  agréables  à  parcourir  à 
cause  de  la  délicieuse  odeur  que  dégagent  les  fleurs  de 
diverses  variétés  de  gommiers.  Ces  gommiers  portent  des 
colonies  de  nids  d'oiseaux...  La  liane  Ârenkad  en  recouvre 
d'autres  et  pousse  avec  une  grande  puissance.  Des  traces 
nombreuses  de  singes  se  voient  nettement  sur  le  sable  des 
rivières  ».  Et  plus  loin  :  «  La  végétation  arborescente  est 
superbe  et  représentée  par  des  grands  gommiers,  des  abisga, 
des  téboraq  et  des  tadent.  »  L'espace  nous  manque  pour 
reproduire  tous  les  passages  admiratifs  sur  cette  haute 
végétation  du  Sahara  méridional  ;  il  en  est  cependant  de 
1res  caractéristiques  :  «  La  végétation  est  fort  belle  dans 
celte  rivière  et  composée  des  arbres  déjà  indiqués,  au  milieu 
desquels  les  gommiers  répandent  la  suave  odeur  de  leurs 
multiples  fleurs.  De  nombreux  petits  affluents  plats  serpen- 
tent sur  le  plateau  large  et  se  divisent  en  innombrables  filets 
qui  s'égarent  dans  des  bosquets  riants  où  abondent  les  pin- 
tades et  les  gazelles.  »  C'est  un  t  océan  de  verdure  formé 
par  les  arbres  de  la  vallée  ». 

Voulez-vous  savoir  ce  que  sont  ces  gommiers?  «  Les  grands 
gommiers  sont  ici  très  beaux  ;  beaucoup  d'entre  eux  arrivent 

|1)  Mission  saharienne^  pages  154,  155,  159. 


266     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CBEMINS  DE  FER  TRANSSiEABIBl 

à  60 centimètres  de  diamètre  et  même  dépassent  cette  taille  1 1 
Un  diamètre  de  60  centimètres  équivaut  à  biea  près  k\ 
2  mètres  de  circonférence;  voilà  les  arbres  que  Ton  m- 
contre  dans  TAïr  entre  Iférouane  et  Âoudéras,  entre  le  1? 
et  le  18'  degré,  à  400  et  500  kilomètres  au  nord  du  Tchad 
voilà  un  trait  qui  doit  changer  la  conception  que  Ton  se  fai 
du  Sahara. 

Et  c'est  en  ces  endroits  que  Ton  trouve  dans  le  journal  ë 
M.  Foureau  des  notes  du  même  genre  :  <  La  ramure  des 
grands  gommiers  de  la  rivière...;  on  reste  saisi  par  la  m 
merveilleuse  qui  s'étend    sur  toute  la  haute  vallée  d'Aou^ 
rarène,  représentant  une  belle  masse  de  verdure  dominée  par 
la    silhouette  sombre   du    mont  Bila.  »  Et    fréquemmeo: 
reviennent  ces  notes  :  €  La  haute  taille  des  gommiers  dek 
région...;  le  lit  de  l'ouad  large  et  très  boisé...;    loii5  h 
mamelons  aux  collines  élevées,  situées  à  notre  droite,  sont 
couverts  de  végétation  jusquà  leur  sommet  »  ;  c'est  dans  le 
texte  de  M.  Foureau  que  ces  mots  sont  soulignés.  «  Nous 
continuons  à  remonter  le  lit  de  la  même  rivière,  qui  ncsl 
bientôt  plus^  entre  les  montagnes,  qu*un  ravin  plat  et  élevé, 
dont  le  sol  est  recouvert,  sur  plus  de  la  moitié  de  sa  surface, 
d'une  petite  herbe  naissante  aussi  agréable  à  Tceil  que  douce 
aux  pieds.  Cette  circonstance,  jointe  au  boisement  des  col- 
lines environnantes,  produit  le  plus  singulier  effet  en  ce  lieu 
où  Ton  se  croirait  plutôt  sur  de  hautes  cimes  d'Auvergne,  s/ 
ce  n'était  l'aspect  particulier  des  arbres  qui  ne  rappellent  en 
rien  la  France.  »  C'est  à  la  partie  septentrionale  de  TAïrcpe 
s'applique  cette  description.  Le  bois  de  gommier  a,  d'ail- 
leurs, du  mérite.  Le  journal  parle  plus  loin  de   bracelcU 
faits  c  en  cœur  de  gommier  qui  prend  une  belle  teinte  de 
vieux  palissandre  ». 

Dans  la  partie  méridionale  de  l'Aïr,  d'autres  espèces  arbo- 
rescentes apparaissent  :  «  Les  grands  gommiers  sont  p)u5 
fréquents  maintenant  dans  la  brousse  et,  un  peu  plus  lard, 
commencent  à  apparaître  de  loin  en  loin  des  dania,  de  Si 
10  mètres  de  haut,  à  frondaison  globuleuse  ressemblant  à 


L*ÂÏR  ET  LE  DAMBR60U  D'APRÈS  BARTR  ET  FOUREAU.  2(^7 

des  châtaigniers  et  dont  les  feuilles  sont  analogues  à  celles 
du  caroubier,  disposées  de  même  façon  et  présentant  le 
même  aspect...  De  chacun  des  petits  sommets,  nous  jouis- 
sons d'un  horizon  relativement  étendu  sur  les  halliers  qui 
nous  entourent  de  toutes  parts,  et  au  milieu  desquels  se 
produisent  des  échappées  de  vue  tout  à  fait  charmantes  ;  les 
arbres  sont  plus  variés  que  par  le  passé  et,  dans  la  dépres- 
sion, de  beaux  léboraq  sont  revêtus  de  feuilles.  Tous  les 
petits  thalwegs  sont  recouverts  de  mrokba  et  autres  gra- 
minées vertes.  Le  gibier  est  partout  extrêmement  abondant 
et  de  nouveaux  oiseaux  à  plumage  vert  brillant  viennent 
frapper  nos  regards;  on  voit  aussi  des  perdrix,  des  cailles,  etc. 
La  végétation  arborescente  et  celle  plus  petite  du  sous-bois 
sont  partout  très  florissantes  et  de  nombreuses  espèces  nou- 
velles se  présentent...  Nous  campons  sous  un  gros  dania, 
dont  la  large  envergure  nous  fournit  une  ombre  bienfai- 
sante (1).  »  Et  une  gravure  du  texte  représente  toute  une 
quantité  de  bêtes  et  de  gens  accroupis  sous  cet  arbre  aux 
rameaux  étendus.  Ces  derniers  passages  s'appliquent  au 
paysage  situé  un  peu  au  sudd*Âgadez.  On  ne  peut,  certes, 
refuser  à  M.  Foureau,  si  vives  qu'aient  été  les  angoisses  que 
lui  causait  la  perfidie  des  Touareg,  Tart  de  peindre  les  con- 
trées, pleines  de  vie  végétale  et  animale,  qu'il  traverse  dans 
TAïr.  Et  tout  ce  pays  est  classé  comme  faisant  partie  du 
Sahara,  et  M.  Foureau  lui-même  lui  attribue  une  nature 
saharienne.  Le  Sahara  comprend  donc  sur  de  vastes  éten- 
dues des  régions  où  s*épanouit  la  vie  sous  toutes  ses  formes, 
où  les  possibilités  de  vie  surtout  abondent.  Il  ne  s'agit  pas 
ici  d'une  ligne  d'oasis  comme  dans  le  nord  ou  le  centre  du 
Sahara  ;  ce  n'est  pas  sur  des  terrains  irrigués  que  poussent 
ces  arbres  et  ces  plantes;  on  a  vu  qu'ils  grimpent  jusqu'au 
sommet  des  collines. 

C'est,  cependant,  en  «  une  année  relativement  sèche  » 
que  la   mission  saharienne  a  traversé  toute  cette  zone,    et 

({)  Mission  saharienne,   pages   265,  297,  307,  312,  3i7,  324,  328,  332,  333,  334, 
33o,  353,  480,  481,  482. 


268     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRAKSSAHARiENS. 

une  végétation  variée,  parfois  dense  et  drue,  s'y  rencontre. 
Si  sèche  que  soit  Tannée,  il  pleut,  peu  ou  prou,  très  fré- 
quemment dans  TÂïr.  C'est  à  partir  du  milieu  de  juillet  que 
les  chutes  d*eau  se  produisent  normalement  (1).  Barth  note 
de  très  forts  orages  tropicaux  dans  la  seconde  moitié  d*août: 
c'est  le  31  août  que,  tout  près  de  Séloufiet  dans  le  Dord  de 
TÂïr,  presque  exactement  au  19*  degré  de  latitude,  il  subit 
une  pluie  qui  changea  une  vallée  sèche  en  un  cours  d*eau 
de  plus  d'un  kilomètre  de  largeur  (2).  Pour  n'avoir  pas 
assisté  à  cette  sorte  de  déluge  saharien,  la  mission  Foureau- 
Lamy  n'en  a  pas  moins  reçu  dans  TÂïr  des  pluies  fréquentes: 
«  20  mai,  aujourd'hui  grand  orage  avec  un  peu  de  pluie  >; 
7  juin,  pluie  et  averses;  14  juin,  gouttes  de  pluie  ;  de  même 
le  15;  le  20,  également;  le  27  aussi;  17  juillet:  «  forte 
averse,  mêlée  de  flocons  de  neige  fondue;...  la  montagne  a 
reçu  beaucoup  plus  d'eau  que  nous  »  ;  le  25  juillet  :  «  forte 
averse  qui  dure  une  heure  et  trempe  tout  le  monde  jusqu'aux 
os  »  ;  le  2  août,  gouttes  de  pluie;  le  3  :  «  dans  la  soirée  et 
jusqu'à  la  nuit,  orage  épouvantable;  nous  sommes  trempés 
de  tous  les  côtés;  la  plaine  ressemble  à  un  vaste  lac  couvert 
d'tlots,  qui  sont  représentés  par  les  inégalités  et  les  exhaus- 
sements de  terrain  »  ;  le  4  août  :  «  le  soir,  orage  lointain,  quel- 
ques gouttes  de  pluie  >  ;  le  5  :  «  le  soir,  orage,  vent  et  pluie, 
nous  sommes  à  nouveau  mouillés  »;  le  10,  gouttes  de  pluie; 
de  même  le  15  et  aussi  le  16,  dans  la  journée,  avec,  en  plus, 
une  forte  averse  le  soir  ;  le  18  août  :  «  A  huit  heures,  nous 
nous  trouvons  au  milieu  de  vastes  ghédirs  (mares);  une 
pluie  diluvienne  a  dû  tomber  sur  le  sol  il  y  a  quelques  heures 
à  peine;  tous  les  sentiers  du  medjebed  (tracé  de  la  piste) 
sont  remplis  d'eau  ;  il  semble  que  nous  avancions  dans  un 
lac  parsemé  d'Ilots  >.  Cela  se  passe  aux  portes  d'Agadez.  Le 
19  août  :  c  A  10  heures,  ce  matin,  l'ouad  Tiloua  coulait 
presque  à  pleins  bords,  ayant  sans  doute  reçu  plus  haut  la 

(i)  Mission  saharienne,  page  277. 

(2)  Barth,  Reisen  und  Enldeckungen,  tome  I«^,  page  356  et  carte  5  anneit^' 
au  même  volume. 


BARTH  ET  FOUREAU.  L*AÏR,  BÉTAIL  ABONDANT,  CULTURES  VARIÉES.     269 

pluie  diluvienne  d^hier  soir.  A  quatre  heures,  grand  orage, 
suivi  d'une  violente  averse  d'un  quart  d'heure  ».  Le  20  août  : 
€  goultes  de  pluie  ;  les  indigènes  disent  que  les  orages  et  les 
averses  dureront  encore  une  vingtaine  de  jours,  et  que  les 
chaleurs  leur  succéderont  ».  Le  23  août,  gouttes  de  pluie; 
le  24  août  :  «  l'orage  passant  dans  notre  sud-est,  point  où 
le  ciel  est  livide,  nous  en  sommes  quittes  pour  une  série 
d'averses  »  ;  le  25  août  :  «  petites  averses  de  courte  durée  »  ; 
le  16  septembre,  faibles  averses  après  midi  ;  12  septembre, 
gouttes  de  pluie  ;  16  septembre,  également  (1). 

L'Aïr,  même  dans    une    année    particulièrement   sèche, 
comme  le  reconnaît  M.  Foureau,  reçoit  donc  des  pluies  fré- 
quentes, parfois  très  abondantes.  De  là  cette  végétation, 
soit  herbacée,  soit  arborescente,  qui,  au  témoignage  de  cet 
explorateur,  devient  en  maint  endroit  tout  à  fait  luxuriante 
et  qui  fournit  des  possibilités  culturales  en  dehors  de  toute 
irrigation,  ce  qui  distingue  essentiellement  des  oasis  cette 
contrée  du  Sahara  tropical.  Aussi  les  chèvres,  les  moutons, 
les  bœufs,  les  ânes  abondent  dans  le   pays.  Quoique  les 
Touareg,  maîtres  de  la  contrée,  cherchassent  à  lui  mesurer 
les  vivres,  la  mission  trouvait  à  acheter  journellement  à 
Agadez  plusieurs  dizaines  de  moutons  et  de   chèvres  et 
jusqu'à  une  centaine  en  un  seul  jour.  «  Les  nomades  des 
environs  possèdent  d'assez  grands  troupeaux.  Actuellement, 
notre  troupeau  de  réserve  se  compose  de  plus  de  trois  cent 

(1)  Mission  saharienne,  pages  277,  281,  302,  308,  312.  313,  318,  327,  361,  370,  385, 
386,  387,  405,  408,  410,  413,  421,  etc.  Dans  le  rapport  plus  étendu  et  postérieur, 
intitulé  :  Documents  scientifiques  de  la  mission  saharienne.  Mission  Foureau- 
Lamy,  etc,  (publié  par  la  Société  de  géographie  de  Paris  à.  la  fin  de  1903),  Pre- 
mier  fascicule  :  Observations  astronomiques;  Observations  météorologiques, 
le  tableau  de  la  page  89  relate  53  jours  de  chute  de  pluie  dans  TÂïr,  du  commen- 
cement de  mars  1899  à  la  fin  d'octobre  de  la  même  année,  c'est-à-dire  en  huit 
mois  ;  parmi  ces  53  jours  de  chute  de  pluie,  42  sont  indiqués  comme  n'ayant 
donné  que  des  gouttes,  5  comme  ayant  produit  des  «  pluies  plus  ou  moins 
fortes  »,  1  jour  une  «  forte  pluie  »,  2  jours  des  «  averses  »  et  5  jours  de  «  fortes 
averses  ».  Mais  il  n'échappera  pas  que  les  passages  cités  du  Journal^  docu- 
ment écrit  au  jour  le  jour  et  sous  l'impression  directe,  font  parfaitement  res- 
sortir des  pluies  très  violentes;  il  est  regrettable  que  la  mission  Foureau,  du 
moins  pendant  son  séjour  dans  l'Air,  n'ait  pas  mesuré  le  cube  des  pluies,  comme 
Tavait  fait  la  première  mission  Flatters.  Se  reporter  plus  haut,  pages  107  et 
108,  aussi  page  109,  note.^ 


270     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHABIE!IS. 

cinquante  têtes.  La  viande  des  moutons  de  ce  pays  est  excel- 
lente (1).  »  On  se  plaint  quand  on  ne  trouve  à  acheter  un 
jour  que  huit  moutons  ou  chèvres.  Y  a-t-il  beaucoup  de 
bourgades  françaises  où  des  achats  de  ce  genre  eussent  pu 
se  faire  avec  cette  continuité  pendant  des  mois  ? 

L'Âïr  est  surtout  un  pays  de  pâturages  ininterrompus  ;  la 
population,  toutefois,  s*y  livre  aussi  à  des  cultures,  très 
diversifiées  même,  avec  recours,  souvent,  mais  non  toujours, 
à  Tirrigation;  puis  cette  irrigation,  quand  on  la  pratique,  ne 
vient  pas  le  plus  souvent  de  nappes  d*eau  captées  et  réparties 
sur  un  territoire  étendu,  comme  dans  le  Sahara  du  Nord, 
mais  de  puits  très  nombreux.  Dans  les  jardins,  outre   des 
dattiers,  on  produit  du  millet,  des  légumes  divers,  tomates, 
oignons,  haricots,  pastèques,  courges,  henné,  du  tabac  et 
du  coton,  quoique  ce  ne  soit  que  plus  au  sud  que  cette  der- 
nière  et  intéressante  culture  prenne  du  développement  (2). 
Ces  cultures  sont  assez  soignées,  et  Ton  prend  un  soin  tout 
particulier  des  bœufs,  que  Ton  abrite  du  soleil  alors  qu'ils 
font  la  manœuvre  des  puits. 

Les  villages  ont  une  certaine  importance  et  sont  parfois 
très  voisins  les  uns  des  autres.  M.  Foureau  évalue  à  700âmes 
la  population  d'Iférouane,  à  un  millier  celle  d*Aguellal,  à 
autant  celle  d'Âoudéras  ;  mais  bien  d'autres  villages  sont 
indiqués  par  l'auteur  :  Sélouûet,  Tintaghodé,  nombre  d'au- 
tres, outre  qu'il  ne  les  a  pas  tous  visités.  Il  se  trouve  aussi 
beaucoup  de  villages  ruinés,  particulièrement  à  cause  de 
rinséeurité.  Quant  à  Agadez,  quoique  déchue  d'une  ancienne 
grandeur  réelle,  c'est  une  véritable  ville  ;  elle  compterait 
comme  telle  en  Algérie  ou  en  Tunisie  ;  elle  occuperait,  par 
exemple,  dans  cette  dernière  contrée,  le  sixième  rang. 
Barth,  qui  en  a  fait  une  description  détaillée,  lui  reconnaît 
3  milles  anglais  et  demi  de  tour,  soit  5  kilomètres  et  demi, 
et  pense  qu'elle  a  pu  contenir,  aux  jours  de  sa  splendeur, 
50000  âmes,  sinon  davantage.  Sa  mosquée,  avec  sa  tour 

(1)  Mission  saharienne,  page  437. 

(2)  Ibid,,  pages  339,  346,  420. 


BÂRTB  ET  FOURBAU  :  L'AÏR  ;  ANARCHIE,  INSÉCURITÉ  CONSTANTE.      271 

pyramidale^  est  un  monument  caractéristique.  Diaprés  le 
célèbre  voyageur  allemand,  Âgadez  devait  avoir  encore 
7000  âmes  environ,  quand  il  la  visita  en  1850(1).  M.  Fou- 
reau,  qui  rapporte  que  la  chronique  attribue  70000  âmes  à 
Agadez  lors  de  son  apogée,  ne  lui  reconnaît  plus  que 
5000  âmes  environ  à  Theure  présente.  Barth  a  recherché  les 
causes  du  déclin  de  cette  grande  ville  de  l'Âïr  et  il  les  a 
trouvées  dans  Teffondrement  du  royaume  Songhay,  qui 
s*élendait  sur  tout  le  sud  du  Sahara  et  sur  la  lisière  du 
Soudan,  et  dans  la  destruction  de  la  ville  par  les  Touareg  à 
la  fin  du  xviii*'  siècle.  Depuis  lors,  la  domination  des  Touareg 
n  a  fait  que  s'accentuer,  en  môme  temps  que  le  dépeuple- 
ment, la  dévastation  et  le  recul  des  cultures. 

M.  Foureau  constate  la  lamentable  situation  gouverne- 
mentale de  TÂïr  ;  il  ne  s*y  trouve  aucune  autorité  ;  Tanar- 
cbie  y  est  complète  :  «  Hadj  Mohamed  nous  a  montré  (à 
Tintaghodé,  dans  le  nord  de  TÂîr),  perchées  dans  la  mon- 
tagne, des  espèces  de  grottes  où  lui-même,  son  beau-père  et 
tous  les  habitants  ont  l'habitude  de  cacher  leurs  réserves  de 
provisions,  précisément  pour  le  cas  d'arrivée  d'une  troupe 
de  pillards.  C'est  l'habitude  dans  le  pays  :  dès  la  première 
alerte,  on  se  sauve  et,  comme  les  provisions  sont  enfermées 
d'avance  dans  ces  greniers  de  la  montagne,  on  abandonne 
purement  et  simplement  les  cases.  C'est  là  l'existence  de  ces 
malheureux  ksouriens  de  l'Aïr,  vie  de  transes  perpétuelles 
et  de  continuelles  envolées.  »  Et  plus  loin,  au  sujet  d*un 
autre  village,  Saghen  :  «  Tous  les  habitants  ont  pris  la 
fuite,  les  uns  avec  quelques  chameaux  qui  viennent  d'être 
déchargés,  les  autres  abandonnant  leurs  ânes  encore  tout 
chargés.  »  Et  il  en  est  ainsi  tout  le  long  de  l'Aïr  :  «  Des 
nègres  d'Aguellal  me  disent  qu'il  y  a  à  Talak  un  groupe 
permanent  de  Taitok  (Touareg),  fixés  en  ce  point  depuis  cinq 
à  six  ans  et  ne  vivant  que  de  rapines.  Ces  Touareg 
viennent   de  temps  à  autre   pressurer  les   villages   de   la 

(1|  Barth,  Reisen  und  Enideckungen,  1. 1«^  pages  518  a  520. 


272     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FBH  TRANSSARARISN5. 

montagne.  »  Plus  loin  encore  :  «  A  une  heure,  on  vient,  en 
criant,  du  village,  avertir  qu'un  parti  de  pillards  composé 
d'Amghad  (serfs)  des  Kel-Férouane  (encore  des  Touareg)  vient 
d'enlever,  en  amont,  dans  la  vallée,  les  troupeaux  de 
moutons  et  de  chèvres  du  village...  Il  paraît,  du  reste,  quà 
Aoudéras  c'est  chose  courante  que  de  telles  alertes  et  qu  à 
chaque  instant  les  indigènes  sont  victimes  de  pillages  de  la 
part  des  nomades.  »  Des  remarques  de  même  nature  repa- 
raissent à  propos  d'autres  localités  (1). 

Il  n'est  pas  besoin  de  chercher  d'autre  cause  à  Tétroitesse 
des  cultures  et  au  déclin  de  la'  population  :  suivant  la 
remarque  de  Montesquieu,  les  terres  se  cultivent  et  se  peuplent 
en  raison  encore  plus  de  la  sécurité  dont  on  y  jouit  que  de 
la  fertilité  qu'elles  possèdent.  Quant  à  celle-ci,  elle  ressort 
de  la  concordance  des  observations  de  M.  Foureau  avec 
celles  de  Barth.  La  population  de  l'Aïr,  d'humeur  douce,  est 
assez  raffinée.  M.  Foureau  nous  en  présente  plusieurs 
échantillons  intéressants  et  l'un  tout  à  fait  remarquable  :  El- 
Hadj-Yata,  qui  habite  un  village  du  nord  de  TAïr,  deux  fois 
Hadj,  c'est-à-dire  pèlerin  à  la  Mecque,  fils  lui-môme  d'un 
pèlerin,  «  sorte  de  vieux  philosophe  aimable,  afifable  et 
courtois  »,  parlant  et  écrivant  fort  bien  l'arabe,  «  esprit 
ouvert  et  chercheur  »,  se  souvenant  de  Barth  et  d'Edwin 
von  Bary;  «plein  de  savoir-vivre  et  d'aménité»,  qui  prit 
intérêt  à  la  mission  saharienne  et  chercha  à  lui  faciliter  sa 
lâche  (2).  A  côté  de  celui-ci,  il  s'en  rencontra  quelques  autres, 
assez  dévoués,  dont  un  certain  Akhedou,  quoique  Targui  (3). 
Il  se  trouve  dans  l'Aïr  des  ouvriers  assez  habiles,  notamment 
des  forgerons,  qui,  outre  leur  tâche  habituelle,  font  avec 
adresse  des  bijoux  pour  femmes  (4).  Une  notable  partie  de 
la  population  paraît  être  d'origine  égyptienne  et  avoir  été 
poussée  dans  cette  région  écartée  par  les  invasions  qui  se 
sont  produites  dans  la  région  du  Nil.  Les  femmes  ont  sou- 

(1)  Mission  saharienne,  pages  258,  260,  277,  278,  314,  342,  351. 

(2)  Ibid.»  pages  240,241,  310,  311. 

(3)  Ibid.,  pages  339.  340,  368. 

(4)  Ibid.,  page  426. 


DARTH  ET  FOUREAU:   L'AÏR;  liNDUSTRlES,   RICHESSES  MINÉRALES.      273 

vent  €  l'aspect  d'Européennes,  avec  un  visage  simplement 
bronzé».  Divers  détails  du  costume  et  de  la  coiffure  com- 
pliquée de  certains  habitants  portent  un  «  irrécusable 
témoignage  »  de  celte  origine,  «  leur  teint  est  moins  foncé 
que  celui  de  nos  Chaambba  d'Algérie  ».  Parfois,  on  retrouve 
chez  divers,  femmes  ou  hommes,  «  exaclemenl  le  type  du 
fellah  égyptien  (1).  » 

Ainsi,  de  toutes  façons,  par  la  nature  du  sol  et  par  celle 
(les  hommes,  TAïr  apparaît  comme  une  terre  susceptible 
(l'un  développement  important.  Il  suffirait  presque,  pour 
qu'il  se  produisît,  d'y  établir  la  sécurité.  Si,  de  plus,  il  s'y 
rencontre  des  richesses  minérales,comme  Barth  en  a  relevé 
la  trace,  ce  serait  une  contrée  dont  les  «  possibilités  »  se- 
raient considérables.  Le  célèbre  voyageur  allemand  relate  que 
Tegidda  ou  Tekadda,  qui  est  situé  à  sept  jours  de  marche  au 
sud-ouest d'Agadez,  en  passant  par  une  autre  agglomération 
intéressante,  Ingal,  était  autrefois  célèbre  par  ses  mines  de 
cuivre  et  que  si,  aujourd'hui,  les  habitants  ont  perdu  le 
souvenir  de  ces  mines,  il  est  remarquable  que  les  élriers  et 
une  grande  partie  des  ornements  des  chevaux  soient  encore 
faits  en  ce  métal  (2).  On  sait  que  l'Afrique  étonne  de  plus  en 
plus  le  monde  par  ses  richesses  minérales.  Le  cuivre  est  un 
des  métaux  les  plus  rechierchés  parla  civilisation  :  le  prix  en 
a  varié,  depuis  quelques  années,  de  1  300  ou  1 400  francs 
(cours  actuels  ou  récents)  à  1  700  ou  1 800  francs  la  tonne. 
Les  Anglais  ont  découvert  en  1901  et  mettent  en  exploita- 
tion, aux  environs  du  lac  Tanganyika,  des  gisements  de 
cuivre,  dont  le  minerai  contient,  affirme-l-on,  30  à  40  p.  100 
de  métal  ;  môme  si  la  teneur  des  gisements  près  de  l'Aïr 
était  de  moitié  ou  des  deux  tiers  moindre,  il  serait  possible 
que  ces  minerais  supportassent  un  transport  de  2500  kilo- 
mètres en  chemin  de  fer,  ce  qui,  à  1  1/2  centime  ou  2  centimes 

{[)  Mission  saharienne,  pages  355,423,  484,  483. 

(2)  Barth,  Reisen  und  Entdeckungen,  t.  I*^,  p.  510  ci  511.  M.  Foureau  (Mission 
saharienne,  p.  413).  parie  d'Imgal,  comme  d'un  grand  village,  qu'il  n'a  pas  du 
reste  visité,  situé  à.  une  centaine  de  kilomètres  d'Agadez,  contenant  un  millier 
d'&mes  et  ayant  de  médiocres  salines. 

18 


274     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAEARIE5S 

au  plus  le  kilomètre,  ne  les  grèverait  que  de  37  fr.  dû  : 
50  francs  la  tonne.  Les  minerais  anglais  des  rives  du  Tang-d- 
nyika  n'auront  guère,  et  cela  dans  un  pays  beaucoup  plu< 
difficile  et  plus  malsain,  un  trajet  moindre  à  effectuer. 

Le  Damergou. 

En  sortant  de  l'Aïr,  Barth,  qui  a  suivi  un  tracé  un  per. 
oriental,  note  un  court  plateau  désertique,  de  2000  pieds  ou 
600  mètres  d'altitude  et  d'environ  un  degré  de  latitude  de 
longueur,  livré  à  la  plus  grande  insécurité  ;  les  arbres  ysonl 
rares,  les  pâturages  n'y  manquent  pas,  il  s'y  trouve  des 
puits  peu  nombreux  ;  puis  bientôt  le  pays  s'améliore,  le- 
girafes,  les  bœufs  sauvages,  les  autruches  y  abondent  (die 
Heimalh  der  Giraffôy  deswilden  Ochsen,  des  StrausseSy  elc.i. 
et  l'on  arrive,  vers  le  Ib''  degré  et  demi  de  latitude,  à  une 
contrée,  elle-même  peu  étendue,  que  l'on  appelle  le  Tagama 
et  que  Barlh  définit  ainsi  :  pays  riche  en  bœufs,  en  moutons 
et  en  chevaux  {eine  an  Rindern,  Schafen  und  Pferden  reiche 
Gegend)  ;  il  relève  la  présence  de  grands  troupeaux  de  race 
bovine  ;  un  lac,  le  lac  Gamrek,  entouré  d'une  végétation 
exubérante,  une  abondance  de  melons  d'eau.  Puis  on  entre, 
un  peu  au-dessous  du  15''  degré  de  latitude,  dans  le  Damer- 
gou, pays  ondulé  et  fertile  {welliges  fruchlbares  Land);  Tas- 
pect  en  est  riant  avec  beaucoup  d'arbres,  les  champs  de  blé 
ou  de  millet  y  sont  nombreux;  les  villages  aussi;  certains 
sont  très  importants,  ils  offrent  cette  particularité  que  les 
huttes  y  sont  souvent  couvertes  de  cuir,  ce  qui  prouve 
l'abondance  des  dépouilles  d'animaux.  Le  voyageur  allemand 
y  note  des  bois  épais  {dichler  Wald)^  des  sous-bois  touffus 
[dichles  Unlerholz);  il  constate  que  la  contrée  est  ouverte  el 
habitée  {offene^  bewohnle  Gegend),  puis  il  oblique  vers  l'ouest 
et  descend  aux  environs  de  Tessaoua,  ville  qui  fait  actuel- 
lement partie  de  nos  possessions,  aprèsavoir  constaté  au  nord, 
un  peu   au-dessous  du  14*  degré,  les   premiers  champs  de 


BAHTD  ET  FOURBAU  :  TAGAMA  ET  DAMERGOU,  PAYS  BOISÉ  ET  CULTIVÉ.    275 

colon  du  Soudan  {erste  Baumœollen'Feldcr  im  Sudan)  (1). 

Les  relevés  de  Bartb,  sauf  sur  Tétroil  plateau  entre  TAïr 
et  le  Tagama,  sont  satisfaisants  :  les  deux  tiers  du  trajet 
entre  TAïr  et  le  Soudan  appartiennent,  suivant  lui,  aux  con- 
trées productives.  Voyons  si  les  observations  de  M.  Foureau 
confirment  celles  du  grand  voyageur  qui  Ta  précédé. 

La  mission  saharienne,  en  partant  d'Agadez,  a  suivi  une 
route  plus  directe,  un  peu  moins  orientale  au  début  et  moins 
occidentale  à  la  fin,  et,  au  lieu  d'arriver  aux  environs  de 
Tessaoua,  elle  est  tombée  sur  Zinder,  point  situé  à  la  môme 
latitude,  mais  à  une  moindre  distance  du  Tchad.  On  traverse 
d'abord  une  plaine  avec  peu  de  végétation  ;  puis  on  arrive  à 
un  plateau  ondulé  et  très  boisé,  et,  le  quatrième  jour,  on  se 
trouve  dans  leTagama,  que  M.  Foureau  décrit  ainsi  :  «  pla- 
teau ondulé  où  se  rencontrent  quelques  emplacements  de 
gravier,  mais  dont  le  sol  est  en  général  du  sable  ferme  sur 
du  terrain  argileux.  »  Ce  pays  est  couvert  d'arbres  de  petites 
dimensions,  avec  un  sous-bois  de  graminées.  «  Nous  che- 
minons dans  une  sorte  de  bois  clairsemé,  mais  sans  dis- 
continuité et  sans  emplacements  nus  appréciables...  On  a 
rimpression  d'un  taillis  immense...  La  végétation,  en  tant 
que  graminées,  est  très  luxuriante  et  touffue.  »  La  faune  est 
abondante  et  variée  :  girafes,  antilopes,  gazelles,  autruches, 
traces  de  lions,  et,  comme  oiseaux,  des  pigeons,  des  merles,  des 
alouettes,  perdrix,  cailles,  etc.  Le  sol  parait  fertile,  tout  au 
aïoins  dans  les  dépressions;  on  y  trouve  du  mil  qui  pousse 
sans  culture  :  «  Tout  le  long  du  sentier,  du  mil  mûrit  ses 
panicules  élevées,  plantes  provenant  de  grains  tombés  des 
:harges  de  caravanes  antérieures  sans  doute.  »  Dans  la 
leuxième  partie  du  trajet,  les  arbres  deviennent  fort  beaux, 
les  graminées  hautes.  «  En  résumé,  toute  cette  région  du 
Fagama,  que  nous  venons  de  traverser,  est  une  immense  forêt 
)u  mieux  un  hallier  ininterrompu  composé  de  petits  arbres, 
rlairseoiés  en  général,  mais  en  somme  on  a  Timpression  d*un 

11)  Voy.  la  dernière  carte  du  premier  volume  de  Barth  et  la  première  carte  du 
second  voluine,  où  se  trouvent  les  annotations  que  nous  rapportons. 


«76     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMIiNS  DE  FER  TRANSSAnARlD= 

taillis  sans  limite,  dont  le  sol  est  de  terre  argileuse  recoti 
verte,  en  nombre  de  points,  qui  font  du  reste  la  majeu:? 
partie  de  sa  surface,  par  une  mince  couche  de  gros  sable:. 
de  reg  fin  de  quartz.  Le  Tagama  nourrit  une  immeiiK 
quantité  de  gibier,  poil  et  plume  (1).  > 

Notez  que  le  Tagama,  où  se  trouvent  cette  abondances 
cette  diversité  de  vie,  animale  et  végétale,  où  des  grains:? 
mil  tombés  des  sacs  d'une  caravane  lèvent  sans  aucui' 
culture  et  «  mûrissent  des  panicules  élevées  »,  est  cUsï» 
géographiquement  comme  une  partie  du  Sahara  et  que,  in- 
conséquent, l'imagination  se  représente  cette  contrée  comnf 
une  uniforme  étendue  de  sable  mouvant,  vouée  à  leternel!' 
stérilité. 

Le  Damergou,  qui  suit  le  Tagama,  est  une  sorte  de  marcU 
entre  le  Sahara  et  le  Soudan  ;  mais  nombre  de  géographes 
le  placeraient  encore  dans  la  première  de  ces  régions.  On  a 
vu  le  tableau  favorable  qu'en  faisait  Barth;  voyons  mainle 
nant  celui  qu'en  trace  M.  Foureau.  Il  n'en  a  traversé  que  b 
partie  occidentale,  c'est-à-dire  qu'il  ne  l'a  qu'effleuré,  lui- 
même  le  déclare,  la  partie  la  plus  importante  de  ce  pays, 
celle  où  se  rencontrent  surtout  les  populations  exclusive- 
ment sédentaires  et  agricoles,  se  trouvant  à  Test  du  traco 
qu'il  a  suivi.  Mais  ce  qu'il  a  vu  est  tout  en  faveur  des  lieui 
et  des  habitants  :  «  Dans  le  Damergou,  l'horizon  s'élargit 
on  aperçoit  au  loin  des  collines  et  môme  de  petites  chaîna 
basses,  rocheuses.  Nous  entrons  dans  des  cultures  de  mil 
que  nous  n'allons  plus  quitter  jusqu'au  campement,  tei 
plantations,  dont  le  grain  est  récolté,  mais  dont  les  tig*^ 
restent  debout,  sont  faites  en  ligne  droite  et  demandent  n^ 
main-d'œuvre  relativement  considérable,  ce  qui  permet  i^ 
supposer  que  la  population  de  celte  région  est  assez  dense 
La  campagne  est  riante  et  semble  une  plaine  cultivée  ce 
France  (2).  »  Elle  garde  cet  aspect  jusqu'à  Zinder,  ville  qi- 
appartient  vraiment  au  Soudan  :  «  Il  est  très  important  ii 

(1)  Mission  saharienne,  pages  473,  475,  476.  477,  478,  480,  482.  484,  485. 
{2)Ibid.,  page  486. 


DARTH  ET  FOUREAU  :   LE  DAMERGOU,   CONTRÉE  CULTIVÉE.        277 

d'avoir  un  guide,  altendu  que  dans  ces  cultures  les  sentiers 
sont  fort  nombreux  ;  ils  se  croisent,  se  côtoient  et  s'entre- 
coupent de  telle  sorte  qu'on  s'égarerait  facilement.  »  Aux 
vastes  cultures  de  mil,  se  joignent  des  cultures  de  colon, 
d'une  étendue  restreinte,  mais  très  fréquentes,  ce  qui  a  une 
importance  considérable  comme  preuve  que  cette  plante 
précieuse  est  bien  acclimatée  au  pays.  Les  villages  se  suc- 
cèdent à  de  courts  intervalles,  ou  se  groupent  par  deux 
ou  trois,  gros  et  peuplés.  Les  huttes  en  paille  tressée  et 
d'une  forme  pittoresque  sont  souvent  «  couvertes  de  diverses 
cucurbilacées,  courges  ou  pastèques,  qui  les  tapissent  entiè- 
rement d'un  manteau  de  verdure  d'un  pittoresque  et  char- 
mant effet  ».  La  végétation  arborescente  se  joint  parfois 
avec  splendeur  et  s'entremêle  aux  cultures  diverses.  «  Nous 
sommes  dans  une  belle  vallée,  dont  tout  le  terrain  est  cou- 
vert de  plantations  de  mil,  où  surgissent  çà  et  là  des  juju- 
biers énormes  et  sous  l'ombre  desquels /?/«5  de  cent  chevaux 
(c'est  M.  Foureau  qui  souligne  ces  mots)  pourraient  tenir  à 
Taise.  En  dessous  du  village,  s'étend  un  grand  enclos  com- 
posé d'une  multitude  de  petits  jardins  extrêmement  bien 
entretenus.  Les  planches  de  semis  sont  parfaitement  droites; 
les  canaux  d'arrosage  reliés  aux  puits  sont  très  soignés; 
chaque  jardinet  est  entouré  d'une  haie  en  branches  sèches  de 
korna  ou  d'une  haie  vive  de  plantes  du  pays.  Les  indigènes 
fument  parfaitement  ces  jardins  et  j'y  trouve  des  tas  de  fumier 
parfaitement  relevés  en  attendant  le  moment  del'épandage.  » 
Et  ce  n'est  pas  un  village  exceptionnel  qui  offre  ces  cultures 
soignées,  c'est  tous  :  «  Les  villages  sont  très  peuplés  et 
les  habitants  paraissent  industrieux  et  travailleurs  ;...  tous 
les  villages,  en  principe,  s'élèvent  auprès  d'une  mare  et 
possèdent  de  petits  jardins  plantés  de  cotonniers.  »  Ils  ont 
de  grands  troupeaux  de  bœufs  et  de  moutons  ;  «  tous  leurs 
animaux  sont  en  très  bon  état  ».  Les  habitants  se  montrent 
très  accueillants  :  «  Tous  les  gens  des  villages  environnants 
sont  affables  et  nous  vendent  des  moutons  et  du  mil  dont 
nous  avons  besoin;  ils  apportent  des  volailles,  des    fro- 


278     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHàRIE:^5. 

mages  secs,  un  peu  de  lait,  des  pastèques,  des  potirons,  o\ 
a  offert  aussi  quelques  œufs  d'aufruche  frais.  »  On  se  cnji- 
rait  vraiment  dans  TÂrcadie  des  poètes;  la  musique  elle? 
aubades,  «  tambours,  clarinettes  et  trouvères  »  n'y  mai- 
quent  pas.  Ces  gens  du  Damergou  ne  sont  pas  des  Touareg; 
ils  appartiennent,  d'après  M.  Foureau,  €  à  une  race  auto- 
chtone, mais  qui  s'est  fortement  hybridée  depuis  des  siècle- 
avec  des  races  provenant  d'ailleurs.  Bien  que  noirs,  il  en  t<\ 
peu  qui  aient  les  caractères  du  nègre;  beaucoup,  au  cou- 
traire,  présentent  de  beaux  profils.  En  général  leur  air  e^: 
aimable,  leurs  yeux  très  doux  (1).  » 

Les  observations  de  M.  Foureau  ne  démentent  ainsi  aucu  | 
nement  celles,  si  favorables,  de  Barlh;  et,  cependant,  It  i 
Damergou,  terre  complètement  française,  d'après  les  traites.  | 
ne  l'oublions  pas,  est  le  pays  où  vient  expirer  le  Sahara  elque  | 
nombre  de  gens,  même  instruits,  confondent  avec  le  désert.  ^ 

Pour  achever  la  physionomie  de  ces  contrées  au  sud  Je  , 
l'Aïr,  disons  qu'on  y  traverse  des  affleurements  de  rocbe? 
ferrugineuses  (2),  ce  qui  n'a  d'importance  que  comme  indice 
qu'il  peut  se  rencontrer  dans  ces  immenses  régions  des  ' 
gisements  de  métaux  divers,  car  les  minerais  de  fer  on(  j 
trop  peu  de  valeur  pour  qu'on  puisse  les  transporter  à  des  1 
milliers  de  kilomètres;  mais  de  riches  minerais  de  cuivre,  I 
aussi  de  zinc  et  de  plomb  argentifère,  si  la  dose  d'argent}  ! 
était  assez  forte,  pourraient  supporter  ce  transport;  or,  lou^  j 
témoigne,  d'après  les  observations  de  Barlh  citées  plus  hau(  i 
(page  273)  et  d'après  le  grand  usage  que  l'on  fait  du  cuivre  | 
à  Zinder,  qu'il  doit  se  trouver  dans  cette  région  d'impoi-  i 
tants  gisements  de  ce  dernier  métal.  j 

A  Zinder,  nous  entrons  dans  le  Soudan;  avant  d'y  pém*  i 
trer,  il  faut  encore  recourir  à  d'autres  témoignages,  pour 
rendre  tout  à  fait  certaine  et  accentuée  la  vraie  physionc-  j 
mie  du  Sahara,  si  différente  de  celle  que  la  légende  prèle  à 
celte  immensité. 

(1)  Mission  *a/ta  Tienne,  pages  480  à  41)9. 

(2)  Ibid.,  page  48o. 


BARTfl  ET  FOUREAU  :  LE  DAMERGOU,  CONTRÉE  CULTIVÉE.        279 

Un  aulre  témoignage  important  est  fourni,  d'abord,  par  le 
commandant  Reibell,  qui  fit  partie  de  la  mission  Foureau- 
Lamy  comme  sous-chef  de  l'escorte  et  qui,  en  étant  devenu 
le  chef,  à  la  mort  de  Lamy,  en  a  rendu  compte,  tant  dans 
jn  rapport  officiel,  que  dans  sa  correspondance  privée. 

Nous  avons  déjà  emprunté  à  son  rapport  d'ensemble  une 
phrase  décisive  où  il  dit  que  jamais  le  mouvement  en  avant 
de  la  mission  ne  fut  enrayé  par  les  obstacles  du  désert  et  que 
c  est  à  «  la  sourde  obstruction  et  au  fanatisme  des  Touareg 
de  TAïr  »,  que  furent  dus  ses  retards  et  ses  angoisses,  «  dans 
un  pays  relativement  facile  (1)  ».  Ces  derniers  mots  se  rap- 
portent à  TAïr. 

Le  commandant  Reibell  a  inséré,  dans  le  livre  qu'il  a  pu- 
blié sur  le  commandant  Lamy,  et  dont  nous  avons  donné 
plus  haut  de  nombreux  extraits,  une  longue  lettre  que  lui- 
même  adressa,  de  la  «  vallée  d'Ifeinaran  (la  première  vallée  de 
l'Aïr)  »,  le  14  février  1899,  au  capitaine  Thévenin,  détaché  à 
l'École  supérieure  de  guerre  à  Paris.  Cette  lettre  très  étendue 
et  où  le  commandant,  alors  capitaine,  Reibell  résume  toute 
la  première,  la  plus  longue  et  de  beaucoup  la  plus  impor- 
tante partie  du  voyage  de  la  mission,  traduit  en  termes  fa- 
miliers et  spontanés  les  impressions  de  cet  officier  distingué  : 
«  Le  point  d'où  je  t'écris,  dit  le  capitaine  Reibell,  est  situé 
à  40  kilomètres  au  sud  de  ce  Bir  Asiou,  écrit  en  si  grosses 
lettres  sur  les  meilleures  cartes  qu'on  serait  porté  à  lui  ac- 
corder une  grande  importance  ;  »  et  il  déclare  que  «  les  puits 
d' Asiou  qui  étaient  autrefois  fort  nombreux  et  abondants  — 
on  prétend  qu'il  en  existait   plus  de  cent  —  sont  aujour- 
d'hui taris,  ensablés  ou  disparus....   Le  point  d'eau  qui  a 
remplacé  Asiou,  écrit-il  à  son  ami,  celui  auprès  duquel  nous 
avons  campé  plusieurs  jours,   se  nomme  In-Azaoua.  Il  s'y 
trouve  un   puits  de  7  mètres  en  profondeur,  donnant  une 
eau   excellente,    en   abondance.    Il   est    situé    à    plus    de 
1800  kilomètres  du  point  de  départ  de  nos  étapes,  Biskra. 

(il  Voy.  plus  haut,  page  259,  et  Mission  saharienne,  page  806. 


280     LE  SAHARA,  LE   SOUDAN   ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAnARlE>; 

Nous  avons  franchi  celle  énorme  distance  en  cinq  boûds 
principaux,  correspondant  chacun  à  une  région  d'un  aspecl 
différent  (1).  » 

On  remarquera,  dans  ce  passage,  d'abord  que  le  capitaine 
Reibell  fait  commencer  TAïr   à  40  kilomètres    au-dessous 
d'Asiou,  ce  qui  est  prématuré  et  parafl  indiquer  que  le  pa\s 
lui  semble  assez  bien  doué  ;  ensuite  le  témoignage  très  favo- 
rable qu'il  porte  sur  le  point  d'eau  d*In-Azaoua.  Voici  les 
cinq  bonds  dont  il  est  question  dans  celte  lettre  du  capilaioe: 
le  premier,  de  Biskra  à  Ouargla,  de  400  kilomèlrcs  environ, 
concerne  une  conirée  très  connue  :  «  des  ressources  abon- 
dantes, dil-il,  une  région  peuplée  et  productive,  une  coloni- 
sation florissante,  elc.  »  Le  second  bond  est  ainsi  décrit  : 
«    Un    nouveau    bond    nous   transporte    à     la    zaouîa   de 
Timassanine.    Ce   sont    encore    480    kilomètres     franchis 
à  travers  le  Grand  Erg  qui  oppose,    à  la   lisière    de   notre 
Sahara  algérien,   la  barrière  de  ses  sables  mouvants.  Les 
points  d'eau  y  sont  nombreux,  et  la  boisson  qu'ils  fournissent 
en  abondance,  meilleure  que  dans  TOued-Rhir;  c'est  la  ré- 
gion des  bons  pâturages  qu'entretient,  au  fond  des  cuvettes 
profondes  qui  se  creusententre  les  dunes,  l'humidité  du  sous- 
sol;  c'est  TEden  des  gazelles  et  des  antilopes.  »  L'obstacle 
des  sables  mouvants,  qui  sont  du  reste  plutôt  exceptionnels, 
est  presque  insignifiant  pour  un  chemin  de  fer,  on  la  vu 
plus  haut  (pages  99  à  101,  et  238),  grâce  aux  gassis  ou  larges 
couloirs  de  terrain  ferme  entre  les  dunes;  et  l'ingénieur  Bé- 
ringer  a  constaté  qu'une  voie  terrée  dans  cette  région  pourrai! 
s'établira  très  peu  de  frais  (Voy.  plus  haut,  pages  135  à  140). 
«  Un  troisième  bond  et  nous  abordons,  dit  le  capitaine  Rei- 
bell, les  marches  louareg.   Encore  une  chaîne  de   dunes, 
venant  s'appuyer  aux  contreforts  du  Tassili  des  Azdger,  de 
Timassanine  à  Tébalbalet;  puis  le  pied  de  la  berge  seplen- 
tiionale  de  ce  haut  plateau  que  nous  longeons  jusqu'à  Aïn- 
El-Hadjadj.  Là,  l'inconnu  commence.  Nous  prenons  le  lau- 

(i)  Le  Commandant  Lamy,  d'après  sa  correspondance  et  ses  souvenirs  decam- 
pigne»  par  le  commandant  Reibell.  page  538. 


LE  SAHARA.  —  TÉMOIGNAGE   DU  CAPITAINE  REIBELL.  281 

rcau  par  les  cornes;  nous  montons  à  Tassant  du  Tassili. 
Des  jours  sans  eau,  sans  bois,  sans  pâturages,  pendant 
lesquels  nos  chameaux  gravissent  un  par  un  les  sen- 
tiers pierreux,  portant,  en  plus  de  leur  charge,  leur  ration 
de  fourrage  et  leur  approvisionnement  de  bois...  A  Tikham- 
mar,  nous  sommes  à  320  kilomètres  de  Timassanine,  au 
cœur  du  pays  des  Azdger.  On  s'y  repose  quelques  jours  au- 
près d'un  puits  d'eau  peu  abondant  et  à  proximité  d'un  maigre 
pûlurage.  »  Flatlers  d'abord,  dans  la  correspondance  qui 
nous  est  parvenue  de  sa  deuxième  mission  (Voy.  plus  haut, 
pages  195  à  201),  le  capitaine  Pein  ensuite,  comme  on  le  verra 
plus  loin,  ont  démontré  qu'il  n'y  a  aucune  utilité  à  «  mon- 
ter à  l'assaut  du  Tassili  »  et  qu'il  est  beaucoup  plus  simple 
(le  le  tourner  par  Amguid  et  la  sebkha  d'Amadghor.  Mais 
môme  voulût-on  suivre  ce  morceau  de  route  de  la  mission 
Foureau-Lamy,  il  ne  représente  qu'un  court  passage  de  l'en- 
semble du  tracé;  car  s'il  y  a,  comme  le  dit  le  capitaine  Rei- 
bell,  320  kilomètres  de  Timassanine  à  Tikhammar,  plus  des 
trois  cinquièmes  de  cette  dislance,  jusqu'à  Aïn-El-Hadjadj, 
sont  relativement  aisés,  de  sorte  que  la  partie  difficile  ne  re- 
présente guère  que  130  kilomètres.  En  outre,  la  mission 
Foureau-Lamy  ne  s'est  jamais  élevée  à  1400  mètres  d'al- 
titude, et  Aïn-El-lIadjadj  est  h  la  cote  de  470  mètres,  de  sorte 
que  la  hauteur  gravie  dans  ce  mauvais  passage  n'atteint  pas 
900  mètres,  qui  pourraient  représenter  une  pente  moyenne 
de  7  à  8  millimètres  par  mètre,  en  supposant  encore  qu'il  ne 
se  trouve  pas  sur  cette  route  de  seuil  moins  élevé. 

Voici  maintenant  le  quatrième  bond,  pour  nous  sei-vir  de 
l'expression  du  capitaine  Reibell;  en  quittant  Tikhammar  : 
«  Nous  repartons,  dit-il,  pour  gagner  dans  la  direction  de 
l'est-sud-est  la  route  des  caravanes  de  Rhat  à  l'Aïr.  La 
région  par  courue  pendant  celte  période  porte  le  nom  d' Ahenef . 
Elle  caractérise  le  pays  des  Touareg  de  l'est.  Une  série  de 
larges  vallées  recouvertes  d'une  rare  végétation,  séparées  par 
des  colonnes  de  granit  de  formes  abruptes  aux  silhouettes 
bizarrement  déchiquetées.  On  franchit  le  seuil  presque  insen- 


28â     LE  SAD\RA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAEARIESi 

sible  qui  marque  la  limite  du  bassin  méditerranéen  et  du 
bassin  central  africain.  Les  montagnes  s'élèvent,  les  val 
lées  se  creusent  et  se  resserrent.  On  passe  de  la  léte  de  Tune 
dans  l'autre  par  des  défilés  difficiles  et  étroits;  puis  l'o: 
tombe  dans  une  dépression  plus  vaste  formant  le  pendaDt 
géologique  de  l'oued  Igharghar,  et  qui,  sous  le  nom  de 
Tafessasset,  se  dirige  vers  le  sud.  Nous  venons  camper 
auprès  des  puits  voisins  de  Tadcnt  et  de  Tahabirt»  non  loin 
de  la  route  du  Rhat  au  Soudan,  où  nous  retrouverons  de> 
itinéraires  déjà  parcourus  par  Barth  en  1850,  par  Erwin  de 
Bary  en  1877.  » 

Ce  quatrième  bond  ne  présente  ainsi  que  quelques  difTi- 
cullés  pour  passer  d'une  vallée  dans  une  autre  ;  les  vallées 
sont  dites  larges,  au  moins  pendant  toute  la  première  partie 
du  tracé,  et  l'on  arrive  ensuite  à  une  très  longue  dépression, 
puisque  le  capitaine  Reibell  la  compare  à  l'oued  Igharghar. 
qui  a  plus  de  500  kilomètres  de  longueur.  Ce  qui  est  surtout 
à  noter  dans  cette  description  rapide,  c'est  que,  entre  le 
bassin  méditerranéen  et  le  bassin  centre  africain,  on  franchit 
un  «  seuil  presque  insensible  ».  Quant  à  la  végétation  rare, 
il  ne  faut  pas  oublier  que  c'est  en  décembre  et  janvier,  par 
un  froid  qui  descend  la  nuit  à  6  ou  8°  au-dessous  de  zéro 
(Voy.  plus  haut,  pages  252  et  253),  que  la  mission  Fouerau- 
Lamy  a  traversé  cette  partie  du  Sahara  central  ;  la  végétation 
serait  rare  en  tout  pays  à  celte  époque,  ce  qui  n'a  pas  empêché, 
d'après  le  récit  du  commandant  Lamy  (Voy.  plus  haul. 
pages  213  et  214),  la  mission  de  récolter  en  quelques  jours 
90000  kilos  de  fourrage  dans  une  localité  de  cette  région. 

Reste  le  cinquième  bond  à  partir  de  Tadent  ;  c'est  la  tra- 
versée duTanezrouft,  qui  ne  paraît  pas  présenter  de  grandes 
difficultés  de  marche,  mais  qui  n'offre  guère  de  ressources, 
en  hiver  surtout  (et  il  s'agissait  du  mois  de  janvier)  pour  la 
nourriture  des  animaux  et  des  hommes  :  «  Nous  en  partî- 
mes (de  Tadcnt),  dit  le  capitaine  Reibell,  le  27  janvier,  pour 
entreprendre  la  dernière  partie  de  notre  voyage  jusqu'ici, 
celle  qui,  à  travers  la  région  la  plus  désolée  du  désert,  devait 


LE  SAHARA.   —  TÉMOIGNAGE  DU  CAPITAINE  REIBBLL.  283 

lous  amener  aux  confins  du  pays  d'Aïr,  cette  avancée  du 
Soudan,  fertile  et  tropical,  vers  le  Sahara  touareg.  Nous 
3vons  parcouru  une  distance  de  274  kilomètres  en  sept 
Hapes,  dont  trois  de  46  et  une  de  47  kilomètres  d'une  seule 
Iraite,  à  travers  le  Tanezrouft,  cette  bande  de  terrain  d'une 
aridité  absolue,  redoutée  des  indigènes  eux-mêmes...  Le 
Tanezrouft  n'offre  aucun  vestige  de  végétation;  pas  la 
moindre  touffe  d'herbe,  pas  le  plus  petit  arbrisseau  ;  c'est  la 
v(^ritable  barrière  qui  s'oppose  aux  migrations  du  nord  au 
midi,  dans  cette  partie  de  l'Afrique.  Il  s'étend  sur  une  lar- 
geur de  200  à  300  kilomètres  et  forme  une  bande  ininter- 
rompue, depuis  l'océan  Atlantique  jusqu'au  Nil.  » 

Après  avoir  traversé  le  Tanezrouft,  on  arrive  à  Asiou, 
dont  «  les  cent  puits  >  sont  aujourd'hui  <  taris,  ensablés  ou 
disparus  »,  sans  doute  suceptibles  d'être  revivifiés  avec  quel- 
ques soins,  puis  à  In-Azaoua,  ofi  l'eau  est  <  excellente  et 
abondante  »  (Voy.  plus  haut,  page  279);  enfin,  après  30  kilo- 
mètres dans  la  direction  du  sud,  on  rencontre  «  la  vallée 
dlfeinaran,  riche  en  herbages.  C'est  la  première  des  vallées 
du  pays  d'Aïr  (1)  »,  dit  le  capitaine  Reibell,  qui  étend  ainsi 
TAïr  plus  au  nord  qu'on  ne  le  fait  généralement. 

Nous  avons  tenu  à  reproduire  les  principaux  extraits  de 
cette  correspondance  familière  d'un  jeune  officier  avec  un 
camarade  ;  il  est  naturel  que  les  difficultés  de  la  route  n'y 
soient  point  atténuées  ;  cependant,  à  tout  prendre  et  pour  qui 
sait  observer,  le  témoignage  est  favorable.  Le  capitaine  Rei- 
bell dit  le  plus  grand  bien  de  toute  la  première  partie,  jus- 
qu'à Timassanine  tout  au  moins  ;  plus  loin,  les  difficultés 
qu'il  narre  et  qui,  d'ailleurs,  n'apparaissent  nullement  comme 
bien  redoutables,  s'appliquent  à  deux  passages,  l'un  de  120 
ou  130  kilomètres  environ,  le  Tassili,  de  Aïn-Hl-Hadjadj  à 
Tikhammar,  tracé  d'ailleurs  parfaitement  évitable,  l'autre  de 
-74  kilomètres,  le  Tanezrouft,  offrant  peu  de  ressources  en 
végétation  et  en  eau;  il  faut  toujours  se  rappeler  qu'on  est  en 

{^]  Le  Commandant  Lamy,  d'apt^ès  sa  correspondance  et  ses  souvenirs  de  cam- 
Pf^gne,  par  le  commandant  Reibell,  pages  538  à  545. 


284     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE   FER  TBANSSAHABIEV 

janvier  et  que  les  nomades  ne  font  pas  de  puits  à  quelqy 
profondeur  et  qu^ils  entretiennent  même  très  mcdiocreraa; 
les  puits  superficiels  qui  existent.  Celte  absence  d'eau  clà: 
végétation  n'est,  en  outre,  pas  absolue.  11  s  agit  là  dcif 
vaste  Crau,  semble-t-il.  Mais,  outre  qu'on  pourrait  l'am- 
liorer,  comme  on  a  amélioré  la  Crau  elle-même,  qu'es!  ce 
qu'une  bande  de  terrain  aride  de  274  kilomètres  à  Iraversc. 
en  sol  d'ailleurs  ^peu  mouvementé?  L'ossature  centrale  ui 
Sahara,  l'épine  dorsale  de  cetle  immensité  n'offre  àoix 
aucun  obstacle  considérable,  rien  qui  se  rapproche,  pr 
exemple,  des  montagnes  Rocheuses.  Le  relief  est  des  plus 
modiques,  puisque  le  seuil  n'atteint  pas  1  400  mètres. 

Quant  à  la  seconde  partie  de  la  route,  depuis  Asiou  ou 
In-Azaoua  jusqu'à  Zinder  au  Soudan,  on  a  vu  combien  elle 
offre  peu  de  difficultés  et  quelles  ressources  elle  présente 
en  pâturages,  en  cultures  même  et  en  eau.  Il  est  utile  ici, 
comme  surcroît  d'information,  d'analyser  le  journal  méléon> 
logique  de  Bartli,  pendant  toute  sa  traversée  de  cette  partiedu 
désert,  qui  est  à  peu  près  commune  avec  la  seconde  secliof. 
du  voyage  de  la  mission  Foureau-Lamy.  On  y  verra  le  détail 
des  pluies  qu'enregistra  le  célèbre  voyageur  allemand.  Cesl 
le  12  août  1850  que,  au-dessous  du  23*  degré  de  latitude, 
environ  deux  degrés  et  demi  plus  au  nord  qu'Asiou, 
après  traversé  le  Fezzan  et  l'Anahef,  il  atteint  Issala,  po'wl 
de  jonction  et  de  rapprochement  de  son  itinéraire  avec  le 
tracé  de  la  mission  Foureau  ;  c'est,  d'autre  part,  le  13  jan- 
vier 1851  qu'il  entre  dans  le  Soudan  aux  environs  de  Tes- 
saoua,  un  peu  à  l'ouest  de  Zinder.  Dépouillons  les  Bruch- 
stucke  eines  meleorologischen  Tagebuches  (Morceaux  d'ufi 
journal  météorologique)  de  Barth.  Le  15  août,  violente  pluie, 
accompagnée  de  tonnerre  lointain  (ein  hefliger,  von  enlfern- 
Icm  Donner  begleileler  Begenschauer);  le  16  août,  violent 
ouragan  et  forte  pluie  {ein  hefliger  Orkan^  von  starken  Bc- 
genguss  gefolgt)  ;  le  31  août,  à  3  heures  de  l'après-midi, 
orage  avec  petite  pluie,  durant  une  heure  environ,  mais 
plus  au  sud  pluie  très  violente;  pendant  la  nuit  pluie  abon- 


LE  SAHARA  MÉRIDIONAL.  OBSERVATIONS  DE  BARTH  :  LES  PLUIES.     285 

danle  {Um  3  Uhr  Nachmittag,  Gewillerslarm  mil  wenig 
fiegen,  elwa  1  Stunde  lang  wahrend,  mehr  sùdlich  aber  sehr 
hefliger  Begen.  Wàhrend  der  Nachl  mehr  Regen),  l'*"  sep- 
tembre, pluie  loule  la  matinée  {Begen  wàhrend  des  ganzen 
Morgens).  4  septembre  :  le  matin,  pluie  violente,  qui  dure 
environ  deux  heures  [A  m  Morgen  ein  hefliger  Begen,  der 
elwa  2  Slunden  dauerte).  5  septembre,  l'après-midi  une 
forte  tornade,  suivie  de  2  heures  à  4  heures  par  une  pluie 
continue  (A  m  Nachmillag  ein  slarker  Tornado  welchem 
um  2    Uhr  ein  bis  4   Uhr   anhaltender  Begen  folgle).  Le 

6  septembre,  l'après-midi,  tornade  et  pluie  jusqu'au  soir 
{\achmiltags  ein  Tornado  und  Begen  bis  zum  Abend).  Le 

7  .septembre,  le  journal  remarque  que  toute  la  journée  le  ciel 
a  été  pur  et  qu'il  n'y  pas  eu  de  pluie  [der  Himmel  den  ganzen 
Tag  rein,  kein  Begen).  Le  8  septembre,  l'après-midi,  très 
vif  ouragan  du  sud-sud-ouesl;  forte  pluie  de  4  heures  de 
l'après-midi  à  8  heures  du  soir  {A  m  Nachmillag  ein  aùssersl 
hefliger  S.-S.-W.  Orkan;  slarker  Begen  von  4  Uhr  Nachm. 
bis  10  Uhr  Ab.);  le  9  septembre,  l'après-midi,  orage  du  nord- 
ouest;  il  nous  atteignit  vers  3  heures  du  sud-sud-ouest  avec 
une  forte  pluie  durant  jusqu'à  7  heures  {Nachmillags  ein 
Slurm  von  N.-W.;  er  erreichle  uns  um  3  Uhr  von  S.'S,-W. 
mil  slarkem,  bis  7  Uhr  anhallendem  Begen).  Le  10  : 
orage  tout  autour  de  nous,  chez  nous  pas  de  pluie  {Slurm 
rund  um  uns  her;  bei  uns  kein  Begen).  Le  11  septembre,  le 
journal  note  simplement  :  pas  de  pluie  {Kein  Begen);  le  12, 
l'après-midi,  ouragan  avec  pluie  {Nachmillags  ein  Orkan  mit 
Begen)  ;  le  13,  l'après-midi,  orage  sans  pluie  {Nachmillags 
ein  Slurm  ohne  Begen);  le  14,  le  15  et  le  16,  le  journal  porte 
cette  note  sommaire  :  pas  de  mauvais  temps  {Kein  Gewiller), 
et  le  17  et  le  18,  cette  autre  note  également  succincte  :  beau 
lemi^s  {Schônes  Weller);  le  19,  à  2  heures  de  l'après-midi, 
orage  du  sud-sud-ouest  et  du  nord-nord-ouest  ;  seulement 
un  peu  de  pluie  à  3  heures  de  l'après-midi  {Um  S  Uhr 
Nachm.  ein  Slurm  von  S.-S.-W.,  und  N.-N.-O.;  nur 
wenig  Begen  um  3  Uhr  Nachm.).  Le  20,  à  1  heure,  orage; 


286     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  GBEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIE5S. 

à  2  heures,  pluie  violente  {Nackm,  i  Uhr  Slurm,  um  S  Uhr 
hefliger  Begen);  le  21  et  le  22,  pas  de  mauvais  temps  bi 
d^orage  {Kein  Gewilterslurm).  Le  23,  à  2  heures  de  Tapri^ 
midi,  violent  orage,  mais  sans  pluie  {Um  S  Uhr  Nachm.  hef- 
liger Sturm,  aber  ohne  Begen).  Le  24  septembre,  raprès-midi, 
5  2  heures,  un  violent  vent  d'orage,  accompagné  d'une  forte 
pluie,  abat  nos  tentes  {Nachm.  S  Uhr  riss  ein  hefliger,  ron 
slarkem  Begen  begleileler  Slurmwind  unsere  Zelte  nieder).  Le 
25,  le  26,  le  27,  le  journal  météorologique  note  sim- 
plement :  pas  d'orage  (Kein  Sturm).  Le  28,  raprès-midi,  à 
2  heures,  violent  orage,  avec  seulement  quelques  gouttes  de 
pluie  (Nackm.  2  Uhr  ein  hefliger  Tornado  mit  nur  wenigen 
Begenlropfen).  Du  29  septembre  au  6  octobre,  le  journal 
n'enregistre  plus  de  pluie,  et  le  7  octobre  il  contient  ceKc 
mention  :  Il  tombe  la  dernière  pluie  pour  cette  saison  ;  elle 
s'effectua  peu  avant  midi  et  dura  une  demi-heure  (Es  fiel 
der  lezte  Begen  fiïr  dièse  Begenzeil;  er  kam  kurz  oor  Mil- 
lag  and  hiell  i/S  Slande  an). 

Ce  relevé  du  journal  de  Barth  du  12  août  au  7  octobre  1850 
est  absolument  décisif  :  sur  les  57  jours  de  cette  période,  il 
y  a  17  jours  de  pluie,  dont  13  jours  du  15  août  au  20  sep- 
tembre; et  ce  ne  sont  pas  de  petites  pluies,  mais  souvent 
de  très  grosses  et  longues  averses  et  qui  durent  des  heures 
entières  :  les  mots  «  forte  pluie,  violente  pluie,  pluie  continue» 
(slarker  Begeny  hefliger  Begen,  anhaltender  Begen)  revien- 
nent fréquemment(l  ).Ce  sontlà  les  pluies  tropicales  qui  se  pré- 
sentent à  peu  près  vers  les  mêmes  heures  chaque  jour  l'après- 
midi  :  et,  en  effet,  à  Issala  qu'il  atteignait  le  12  août,  jusqu'à 
Tintellust,  dans  le  nord  deTAïr,  où  il  se  trouvait  en  octobre, 
Barth  était  sous  les  tropiques,  le  tropique  du  Cancer  étaol 
un  degré  environ  au  nord  dissala,  vers  le  23**  degré  et  demi. 
La  plus  grande  partie  de  ces  pluies  est  tombée  sur  le  Tanez- 
rouft  et  dans  la  région  qui  s'étend  au  nord  de  l'Aîr.  II  est 
donc  non  seulement  probable,  mais  certain,  qu'une  région 

(1|  Reisen  und  Entdeckungen  in  Nord  und  Central  Afrika  von  D'  Heinmh 
BarUi,  1. 1•^  pages  632  à  638. 


LE  SADARA  MÉRIDIONAL.  OBSERVATIONS  DE  BARTH  .'   LES  PLUIES.     287 

aussi  arrosée  doit  contenir  des  rivières  souterraines  que  des 
recherches  méthodiques  mettraient  à  jour  et  dont  l'emploi 
atténuerait  notablement  la  désolation  du  Tanezroufl  (Voy. 
plus  haut,  page  283). 

La  saison  des  pluies  tropicales  une  fois  passée,  le  journal 
météorologique  de  Barth  reste  jusqu'au  6  janvier,  sansindi- 
(|uer  de  pluies  nouvelles  ;  il  en  note  de  légères  le  6  et  le  7  jan- 
vier ;  puis  ses  observations  météorologiques  sont  suspen- 
dues; il  est  au  Soudan  et  en  mai,  encore  plus  en  juin  et  en 
juillet,  une  autre  saison  de  pluies  se  fait  sentir  (1). 

Barth  n'a  pas  mesuré,  comme  a  pu  le  faire  la  première 
mission  Flattcrs  (Voy.  plus  haut,  pages  107  et  108),  le  cube 
des  pluies  qu'il  a  reçues  ;  mais  il  paraît  bien  probable  que 
celles  des  mois  d'août  à  octobre,  s'étant  étendues  sur  dix- 
sept  jours,  et  le  plus  grand  nombre  en  ayant  été  caractérisées 
comme  fortes  et  prolongées  parfois  pendant  plusieurs 
heures,  jusqu'à  six  heures  consécutives,  la  totalité  de  cette 
chute  d'eau  doit  bien  atteindre  une  vingtaine  de  centimètres 
cl,  avec  les  pluies  du  printemps,  moindres  sans  doute,  mais 
oQcore  importantes,  une  trentaine  de  centimètres.  C'est  à  peu 
près  ce  qui  tombe  d'eau  annuellement  en  Tunisie  aux  envi- 
rons de  Sfax  (274  millimètres),  où  il  se  fait  beaucoup  de  cul- 
tures en  dehors  de  toute  irrigation  (2).  On  peut  penser  que 
beaucoup  de  fonds  de  vallées  du  Sahara,  surtout  du  Sahara 
au  voisinage  et  au-dessous  du  tropique,  pourraient  être  cul- 
tivés, même  sans  être  irrigués,  et  en  nombre  de  cas  quelque 
irrigation  serait  possible. 

Barth  a  fait  son  voyage  de  retour,  de  la  région  du  Tchad 
en  Tripolitaine,  par  une  route  plus  orientale,  quatre  ans  plus 
tard,  en  1855,  et  dans  une  autre  saison,  à  savoir  au  prin- 
temps, en  mai  et  juin.  Par  des  raisons  de  sécurité  person- 
nelle, obligé,  voyageant  comme  Arabe,  de  ne  pas  se  signaler 
à  l'attention  de  ses  compagnons  de  route,  il  n'a  pu  tenir  un 

(1)  Barth's  Reisen  und  Entdeckungen,  etc.,  t.  II,  pages  7o6  à  762. 

12)  Sur  la  chute  d'eau  annuelle  dans  le  centre  et  le  sud  tunisiens,  voy.  notre 
ouvrage  :  L'Algérie  et  la  Tunisie  {2*  édition,  Guillaumin),  pages  346  à  348,  et  aussi 
l'ouvrage  officiel  :  La  Tunisie  française,  tome  l«r,  pages  133  à  lUl,  notamment  137. 


288     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN   ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRAN^ADAlil 

journal  mélcorologiquc  aussi  complet  que  dans  son  vovi 
d'aller  ;  néanmoins,  il  donne  des  indications  précieuses. 

11  revient  de  Ngégimi  ou  Nguigmi,  située  presque  à 
pointe  septentrionale  du  lac  Tchad  (Voy.  plus  loin,  page ''^'^ 
presque  directement  sur  Mourzouk  et  Tripoli  par  les  oasiî 
de  Kaouar  ou  Bilma   et  de  Sigedine,  se  tenant  à  envi:  : 
quatre  degrés  de  longitude  plus  à  Test  que  son  tracé  dalle:. 
Il  note  plusieurs  jours  de  pluie,  notamment,  sur  la  ca:r 
môme,  à  Bilma.  Relevons  dans  son  récit  de  cette  secor- 
traversée   saharienne    quelques    traits,   qui    achèverool  j 
physionomie  du  pays. 

A  une  étape  au  nord  du  Tchad,  le  24  mai  1855,  à  Kibo.  î 
note  un  beau  fond  de  vallée  couvert  de  feuillage  (scAone  !:• 
laubte  Thalsenkung)  ;  il  dit  que  les  formations  de  valléessoil 
pleines  d'animaux  sauvages  (dièse  Thalbildungen  sind  l'j. 
wilder  Thiere),  ce  qui  suppose  aussi  d'autres  animaux  pi. ^ 
paisibles  servant  à  ceux-ci  de  proie.  Quelques  jours  pb 
loin  il  note  une  belle  région  de  collines  qui  se  prête  aupiUi 
rage  des  chameaux  et  des  moutons,  mais  qui,  à  cause  J^ 
la  situation  présente  désolée  du  pays,  est  inhabitée.  Cestd^ 
Tinsécurité,  produite  par  les  pillards  du  désert,  que  se  plaiol 
ici,  comme  en  maint  endroit  de  son  ouvrage,  Barlh.  Ce? 
contrées,  autour  du  malheureux  et  déchiré  Kaneni,  so:.. 
parmi  les  moins  sûres  :  iiberhaupt  gehôrl  dièse  Slâlle  me: 
dent  unglucklichen,  zerrissencn  Kanem  zix  den  unsickv' 
sien  (1);  après  une  nouvelle  étape,  on  atteint  une  aulrt 
dépression  couverte  de  beaux  arbres  et  de  fourrages  uli!> 
en  abondance  {in  einer  von  schônem  Baamwuchse  umgeh' 
nen  Einscnkung,  die  ausser  Had,  jenen  wohlbekannlr 
vorlrefflichen  Kanieelf aller ^  auch  eine  grosse  Menge  Pfrir 
menUraiil-relem  hervorbringl).  Le  28  mai,  Barth  fait  cdi- 
remarque  de  la  plus  haute  importance:  c  Quand  l'auk 
parut,  je  fis  cette  très  intéressante  remarque  que  toutleloc: 
de  cette  étendue  désertique  une  quantité  notable  de  pluJt 

(1)  Barth's  Reisen  und  Entdeckuîigeii,  etc.,  t.  V,  pages  412,  413,  aussi  ilO 
passim. 


LE  SAHAR/V  MÉRIDIONAL.   BARTH  !   l/iNSÉCURITÉ,   BEAUX  ARBRES.     289 

élaiL  tombée  et  que,  grâce  à  elle,  le  sol  était  couvert  de  had 
et  de  ssebot  »  (loie  die  Morgendiemmerung  anbrachy  machle 
ich  die  sehr  intéressante  Bemerkung,  dass  làngs  dièses  ganzen 
Wùslenslriches  eine  ansehnliche  Menge  Regen  gefallen  and 
in  Folge  dessen  der  Boden  mit  Had  and  Ssebod  bedeckt 
war)  (1).  Ces  deux  plantes  sont  des  fourrages,  la  première 
surtout,  déclarés  par  Barlh  excellents  {vorlrefjlich)  pour  les 
chameaux. 

Voilà  une  constalation  capitale,  d'autant  qu'elle  va  être  con- 
Ormée  plus  loin.  Il  y  a,  en  outre  de  la  grande  saison  des 
pluies  d*automne,  une  saison  des  pluies  de  printemps  dans 
le  Sahara  tropical.  11  ne  s'agit  pas  ici  de  quelques  averses. 
Barth,  qui  n'emploie  pas  les  mots  au  hasard,  écrit  :  une 
quantité  considérable  de  pluie  {eine  ansehnliche  Menge  Regen) 
et  il  ajoute  qu'elle  à  dû  tomber  sur  toute  cette  étendue 
désertique. 

Il  note  plus  loin  un  beau  groupe  d'arbres  dont  Tessencc 
nous  échappe  :  «  Peu  après  nous  passâmes  encore  un  beau 
groupe  d'arbres  Ssimssim  »  (passirten  wir  noch  eine  schône 
Grappe  von  Ssirnssim-Baiimen).  Le  5  juin,  à  deux  reprises, 
vers  midi  d'abord,  puis  à  3  heures,  la  caravane  reçoit  des 
averses.  On  est  alors  dans  une  partie  très  désolée  du  dé- 
sert; néanmoins  Barth  note  que  les  dépressions  sont  ornées 
de  palmiers  doum  isolés,  ou  encore  de  gommiers  {liefe 
Einsenkungen,  mil  vereinzelten  Dumpalmen  geschmiickl,.,  ; 
einezweîle  âhnliche  (Einsenkang),  aber  anstalt  der  Dumpal- 
men sicht  man  darin  nur  Talhabaiïme).  Le  8  juin,  Barlh  fait 
une  remarque  générale  qui  dissipe  une  fois  de  plus  toute 
l'absurde  légende  qui  a  cours  au  sujet  du  Sahara  ;  on 
est  en  plein  été  et  Barth  parle  de  la  chaleur  comme  forte, 
mais  il  ajoute  :  t  Le  sol  était  ici  tout  autour  encore 
remarquablement  humide  à  la  suite  d'une  pluie  tombée 
la  veille,  ce  qui  fournit  de  nouveau  une  forte  preuve  de 
l'inexactitude  de  l'opinion  généralement  répandue  jusqu'ici 


il)  Barth's  ReUen  und  Enldeckuuf/en,  etc.,  t.  V,  pago  iU. 


19 


290     LE  SABARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSADARIE» 

que  toute  celle  étendue  désertique  n*est  jamais  fécoodire 
par  la  pluie  »  (Der  Boden  war  hier  umher  auffallenderaw 
am  uorigen  Tage  durch  einen  Regenguss  befeuchlel  ivordtr 
ivas  wieder  einen  starken  Beweis  von  der  Unrichligkeil  èr 
bis  dahin  allgemein  geheglen  Ansichl  lieferle^  dass  d'mtr 
ganze  Wiistensirich  niemals  von  Regen  befriichlei  ivurde  il-. 
Ce  passage  est  décisif;  on  remarquera  notamment  le  mot 
wieder  (de  nouveau);  c'est  une  preuve  réilérée  de  la  faussiv 
de  la  légende,  ainsi  que  le  dit  Barth  en  termes  des  plus  esph- 
ciles.  Les  traces  d  antilopes  [antilope  bubalis)  sont  doid- 
breusesdans  celte  région.  On  est  là  au-dessus  dulS'defrt. 
près  du  puils  de  San-Kura  ;  c'est  un  fond  de  vallée,  super- 
bement paré  de  «  ssiwak  »,  avec  une  abondante  fontaine, 
seulement  quelques  pieds  au-dessous  du  sol,  entourée  de  buis- 
sons do  palmiers  {es  war  nsemlich  eine  mil  ssiwak  [capporif 
sodala]  slalllich  geschmiïckle  Thalebene mil  reichhalUgen.vA 
Palmgeslrupp  unignrlelen,  Brunnen  {nur  wenige  Fuss  unftr 
der  Ober/Iâche),  Barlli  entrait  quelques  jours  après,  It, 
13  juin,  à  Bîïma  vers  le  19*  degré,  où  il  recevait  encore  delà 
pluie  (2). 

Nous  ne  l'accompagnerons  pas  davantage  dans  son  voyage 
de  retour.  11  est  amplement  prouvé  par  les  extraits  qui  pré- 1 
cèdent  que,  de  môme  qu'il  y  a  une  saison  très  accentuée  de- 
pluies  dans  le  Sahara  tropical  à  la  fin  de  l'été  et  en  automne. 
de  la  mi-août  à  la  mi-octobre,  de  même  il  s'en  trouve  une, 
un  peu  plus  atténuée  peul-élre,  mais  très  caractérisée  encore. 
au  printemps,  en  mai  et  en  juin. 

(1)  Barlli's  Heisen  tincl  Enldeckungen^  etc.,  t.  V,  page  421. 

(2)  Id.,  ibid.,  page  427. 


CHAPITRE  XllI 

UtRES  témoignages  récents  SLR  LE  SaHARA.  EXPLORA- 
TIONS Cottenest;  Guillo-Lohan;  Requin;  Besset;  Pein. 
—  Le  Hoggar  et  le  Mouydir. 


/'Xploration  du  lieutenant  Cotlcncst  au  Hoggar  au  printemps  de  lUÛi.  — 
Pluies.  —  Grande  facilité  du  terrain  sur  plus  de  600  kilonu'tres  au  sud  d'In- 
salah.  —  Nouveau  témoignage  que  la  plus  grande  partie  du  Sahara  pivsoute 
un»*  surface  de  reg  ou  de  sol  uni  et  consistant.  —  Troupeaux  des  Touareg  : 
rln'vres,  moutojis,  ânes. 

îï|4oralion  du  lieutenant  Guillo-Lohan  au  Hoggar  en  octobre  11)02  :  «  Pluies 
t'irn'ntielles  ot  crues  violentes  d'oueds  ».  —  Montagne  de  3000  nirtres  dans 
!'•  Ho'jgar.  —  Nombreux  troupeaux.  —  Impression  favorable  que  fait  le  pays. 

iiiltédition  du  lieutenant  Requin  au  Mouydir.  —  Abondance  des  pâturages, 
<l<s  bois  et  des  eaux.  —  Pluies  fin  mai.  —  (Cultures  abandonnées.  —  Nom- 
hn-useseaux  à  la  surface  du  sol.  —  Conclusions  très  favorables  à  cette  contrée. 

'A|iWation  du  lieutenant  Besset  dans  la  région  d'Insalali,  Amguid,  le  Mouydir 
"•4)  et  Ifatessen.  —  Indications  également  1res  favorables,  notamment  au 
l»»int  de  vue  géologique.  —  Notes  du  professeur  Flamand  à  ce  sujet. 

.«>  missions  diverses  du  capitaine  Pein.  —  Territoires  propices  qu'il  traverse, 
-  Eaux  et  cultures. 

Araclrre  uniformément  favorable  de  toutes  ces  observations  faites  en  des  sai- 
■*on.s  différentes  et  sur  des  tracés  divers. 

u-î-ibilités  pastorales,  culturales  et  minérales  du  Sahara.  —  L'insécurité  pro- 
funilo  et  croissante,  l'ignorance  des  méthodes  de  recherche  et  d'aménagement 
'ies  eaux  et  Tincuric  sont,  beaucoup  plus  que  la  nature,  les  causes  de  la  déso- 
lation He  cette  immense  contrée. 


Avant  de  pénétrer  au  Soudan,  à  la  suite  de  Barlh,  d'une 
art,  et  de  M.  Foureau,  de  l'autre,  il  est  bon  d'achever  par 
Qelques  traits  la  description  du  Sahara.  Certes,  outre  les 
^its  pour  le  Sahara  méridional  du  grand  voyageur  alle- 
land  Barth,  ceux  pour  le  Sahara  septentrional  et  central, 
lalysés  plus  haut,  des  deux  missions  Flatters,  du  comman- 
intLamy  et  de  M.  Foureau  apparaissent  comme  décisifs, 
est  bon  de  leur  en  joindre  encore  quelques  autres  tout 
jcenls,  ceux  de  divers  officiers  qui  ont  fait  des  pointes 
Nies  et  heureuses  dans  des  régions  plus  occidentales  du 
l^hara  central,  notamment  le  Hoggar  et  le  Mouydir,  puis 


292     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER    TRANSSAOAHir- 

les  témoignages  d'un  homme  dont  nous  avons  souvenl .;; 
le  nom  et  qui  est  sans  rival  pour  Texploration  du  SaLa\ 
le  capitaine  Pein.  Ces  nouvelles  dépositions,  quoique  l'i. 
sieurs  s^appliquent  à  une  zone  saharienne  un  peu  diffère: 
achèveront  Timage  réelle  de  cette  immensité. 

Quel  que  soit  le  tracé  que  suivent  les  explorateurs  s.i: 
riens  ou  transsahariens,  ils  trouvent,  dans  le   désert,  cr 
taines  places  qui  offrent  des  possibilités  de  développeme 
en  outre,  l'on  ne  saurait  trop  le  répéter,  ils  ne  restent  ; 
deux  mois  sans  recevoir  de  la  pluie  et  presque  sans  en  ê'n 
incommodés.   Nous  allons  en   fournir   de  nouveaux  loiii 
gnages,  s'appliquant  à  d'autres  parties  de  celle  immeos:' 
le  Sahara. 

Le  lieutenant  Gottenest,  adjoint  de  deuxième  classe  i 
Tannexe  d'Insalah,  a  fait  au  printemps  de  1902,  avec  n^ 
petite  troupe  légère,  un  raid  dans  le  Hoggar  pour  exiger  • 
Touareg  de  cette  région  qui  s'étaient  rendus  coupables  de  qii*J 
ques  rapines  une  indemnité  ou,  en  cas  de  refus,  les  châtier,  m 
excursion  dura  du  25  mars  au  23  mai,  un  peu  moins  de  «î'i^ 
mois.  11  lit  à  peu  près  le  tour  du  massif  du  Hoggar.  l.o 
dacteur  de  Tarticie  du  Bullelin  du  Comité  de  V Afrique  />'.i 
çaise  qui  résume  cette  rapide  et  sommaire  exploration  ii 
que  les  localités  visitées,  certaines  portant  des  noms  g* 
graphiques  célèbres,  donnèrent  quelques  mécomptes.  L 
lieutenant  Gottenest  entra  le  25  avril  dans  Idelès  ;  c»'  r^' 
serait,  écrit  le  rédacteur  A\x  Bullelin^  qu'un  groupe  de  «  >e:< 
ou  huit  maisons  en  argile  (il  veut  sans  doute  dire  en  ton! 
ou  briques  séchées  au  soleil),  une  quinzaine  de  zériba,  c\- 
à-dire  d'enclos  d'épines,  une  trentaine  de  palmiers  et  q:.' 
ques  cultures  travaillées  par  une  quinzaine  de  Ilarralin?^ 
(noirs)  du  Tidikelt  ».  Le  28  avril,  le  lieutenant  Cotten  > 
arrive  à  Arrem-Tazorouk  et  le  rédacteur  du  Bullelin  enb^ 
aussi  un  portrait  peu  flatté  :  «  Gentre  un  peu  plus  imporlv.l 
qu'ldclès,  mais  encore  bien  misérable,  avec  une  cinquantai:'' 
de  maisons  et  quatre  hectares  de  cultures  irriguées.  *  II  e^ 
clair  que  le  lieutenant  n'a  pas  mesuré  ces  quati-e  hectares 


LA   MISSION  GOTTENEST  DANS  LE  nOGGAR.  293 

et  qu'il  pouvait  ne  pas  avoir  Tœil  exercé  d'un  agronome. 
Suit  toute  une  longue  description  d'un  combat.  A  travers  ce 
rnit  on  glane  les  traits  caractéristiques  que  l'auteur  laisse 
lansTombre.  D'abord,  le  lieutenant  Gottencst  s'empara  de 
MO  chèvres  et  de  53  ânes  qu'il  expédia  à  Insalah  ;  ce  n'est 
pas  là  une  quantité  médiocre,  d'autant  qu'il  est  peu  à  pré- 
sumer qu'il  eût  pris  tout  le  bétail  du  district.  Mais  voici  deux 
Irails  bien  plus  importants  :  t  Après  ce  succès  (celui  du 
wmbat),  écrit  le  rédacteur  du  Bulletin^  la  marche  de  retour 
fut  rendue  plus  difficile  par  la  nécessité  de  porter  les  dix 
blessés  qui  furent  pansés  le  soir  du  combat,  sous  une  pluie 
ballante  et  pour  lesquels  on  eut  quelque  peine  à  construire 
Jos  litières.  II  fallut  leur  faire  faire  600  kilomètres  pour  les 
ramener  à  Insalah,  et  ce  retour  fut  naturellement  pour  eux 
jn  calvaire.  Cependant,  celte  route  est  singulièrement  facile 
\  la  marche,  et  dès  le  9  mai,  à  In-Amedjel,  la  mission  trouva  un 
)elit  convoi  de  ravitaillement  envoyé  parle  chef  de  l'annexe 
]'lnsalah...  Ce  poste  fut  atteint  le  23  mai,  après  soixante-deux 
purs  d'absence  (1  )  et  un  parcours  de  1  686  kilomètres  dans 
jn  pays  encore  entièrement  hostile.  » 

Ainsi,  le  lieutenant  Cottenest  fait  une  excursion  qui  dure 
i  peine  deux  mois  et,  h  600  kilomètres  au  sud  direct  d'In- 
ialah,  il  reçoit,  lui  et  sa  troupe,  de  la  pluie  battante,  au 
)oint  d'en  ôtre  incommodé.  Le  second  trait  à  relever 
ians  ce  récit,  c'est  la  facilité  du  terrain  ;  l'auteur  du  Bulletin 
\  revient  d'ailleurs  :  «  Celte  région,  dit-il,  présente  en  tout 
:as  un  certain  intérêt,  celui  d'être  traversée  par  la  meilleure 
oulc  du  Tidikelt  au  Soudan.  La  reconnaissance  a  prouvé, 
'U  effet,  que  le  chemin  entre  Arrem-Tit  et  Insalah  est 
Irangement  facile,  puisque  partout  il  suit  un  reg  (Voy.  plus 
laut,  page  97)  solide  n'ayant  que  des  pentes  à  peine  sensibles. 
)  après  un  ancien  caravanier  du  Tidikelt,  celle  piste  est 
mcoreplus  facile  au  sud  d'Arrem-Tit  et  dans  la  direction  du 
Soudan.  La  seule  raison  pour  laquelle  ce  chemin  aisé  a  été 

'I'  Ce  n'est  pas  soixanto-doux  jours,  c'est  soixante,  puisque,  (rapn-s  le  Bulle- 
''i.  1«.'  lieutenant  Cottenest  avait  quitté  Insalal»  le  if.'i  mars. 


294     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIEV 

abandonné  par  les  caravanes,  pour  des  routes  plus  occiden- 
tales, doit  être  cherchée  dans  les  pillages  perpétuels  dc:^ 
Iloggar  qui  le  rendaient  impraticable  (1).  » 

Ces  observations  témoignent,  d'une  part,  en  faveur  des 
pluies  dans  le  Sahara;  de  Tautre,  en  faveur  de  la  facilité di 
terrain,  ce  qui  vient  encore  à  Tappui  de  nos  remarques  si 
souvent  faites,  que  l'immense  majorité  de  la  surface  du 
Sahara  est  constituée  en  reg  ou  gravier  plat  et  consistant. 

Les  impressions  du  rédacteur  de  ce  Bulletin^  au  sujet  de  I? 
reconnaissance  du  lieutenant  Cottenest,  étaient,  toutefois,  en 
ce  qui  concerne  le  pays  même  du  Hoggar  et  ses  ressources 
beaucoup  trop  pessimistes;  dans  les  livraisons  suivantes, le 
Bulletin  du  Comité  de  l  Afrique  française  a    très  nettement 
corrigé  ces  appréciations  fâcheuses  qui   tenaient  plus  du 
parti  pris  que  de  l'observation  :   dans  la  livraison  de  sep- 
tembre 1902,  ce  J5tt//efm  rapporte  que,  en  se  portant  au-devant 
du  lieutenant  Cottenest,  le  commandant  militaire  des  oasis 
sahariennes  fut  amené  à  traverser   le  Mouydir  par  Arak, 
Tadjemout  et  Toued  d'El-Abiod  :  «  Le  chemin,  dit-il,  fut 
généralement  difficile  ;  mais  par  contre  on  y  rencontra  beau- 
coup d'eau  et  aussi  des  pâturages,  ce  qui   est  chose  fort 
appréciable  au  Sahara.  Cette  richesse  doit  être  sans  doule 
attribuableen  grande  partie  à  l'abondance  relative  des  pluies 
tombées  cette  année  dans  cette  région.  »  Ainsi,  comme  nous 
n'avons  cessé  de  le  faire  remarquer,   tous  les  voyageurs 
sahariens,  sur  tous  les  tracés  et  en  toutes  les  saisons,  s-i 
brèves  que  soient  leurs  excursions,  subissent  des  pluies  oa 
rencontrent  les   traces   manifestes  de  pluies    récentes.  Le 
Bulletin  du  Comité  de  l'Afrique  française  (septembre  1902' 
continue  :  «  En  tout  cas,  la  reconnaissance  y  constata  i^ 
présence  fréquente  de  gazelles  et  d'animaux  que  Ton  pril 
tout  d'abord  pour  des  onagres,  se  fiant  à  une  affirmation d^ 
Duveyrier  {Touareg  du  Nord,  page  225)  qui  avait  signalé  ce 
solipède  comme  vivant  à  l'état  sauvage  en  pays  targui.  L^ 

(1)  Bulletin  du  Comité  de  l'Afrique  française,  août  1902,  pages  307  à  31-. 


EXPLORATION  GUILLO-LOHAN  DANS  LE  HOGGAR.  295 

de  ces  animaux  ayant  été  tué,  on  le  trouva  gras  et  dodu, 
mais...  caslré.  Malgré  ses  jambes  rayées,  cet  onagre  n'était 
qu'un  âne.  On  appril,  en  effel,  que  les  Touareg  ont  coutume 
(le  laisser  en  liberté  leurs  Anes  domestiques  quand  ils  ont 
besoin  de  se  refaire.  En  cet  état,  ils  vivent  par  troupeaux  de 
quinze  ou  vingt.  Il  s*y  produit  parfois  des  naissances  qui 
viennent  encore  augmenter  le  nombre  des  animaux  ainsi 
rendus  à  la  liberté.  Les  Touareg  les  reprennent  dès  qu'ils  en 
ont  besoin  (1).  » 

Ainsi,  ces  troupeaux  des  Touareg  ne  sont  pas  aussi  négli- 
geables que  les  gens  à  parti  pris  le  prétendent;  et,  d'autre 
part,  leHoggar  n'estpas  une  contrée  si  désolée  que  le  faisaient 
entendre  certains  narrateurs  superficiels  ;  c'est  ce  qui  ressort, 
d'une  façon  très  nette,  des  constatations  faites  par  une 
seconde  reconnaissance  en  ce  pays.  Six  mois  après  Texpé- 
dilion  du  lieutenant  Cottenest,  il  en  fut  fait  une  seconde, 
ayant  le  môme  but  :  châtier  les  Touareg.  A  la  suite  d'un  vol 
de  cinquante  chameaux,  commis  dansrOued-Bolha,à  l'ouest 
d'Insalah,  par  un  rezzou  de  Touareg  Hoggar,  le  lieutenant 
Guillo-Lohan  partit  de  ce  poste  le  1"  octobre  1902  pour 
poursuivre  ces  pillards.  Suivons  son  équipée  dans  le  Biil- 
lelin  du  Comité  de  l Afrique  française  :  «  Le  20  octobre,  le 
lieutenant  Guillo-Lohan  se  trouvait  à  In-Amguel  aux  pieds 
delà  Koudia  qui  est,  comme  on  le  sait,  le  nom  réservé  au 
massif  central  du  Iloggar.  Il  se  préparait  à  tomber  sur  les 
pillards  qu'il  avait  jusqu'alors  poursuivis  sans  les  atteindre. 
Mais,  à  son  approche,  les  Touareg  s'enfuirent  dans  toutes 
les  directions.  De  plus,  des  pluies  torrentielles  et  des  crues 
violentes  d'oueds  vinrent  le  bloquer  et  le  contraindre  d'a- 
journer ses  projets;  ceux  qu'il  poursuivait  purent  prendre 
ainsi  une  forte  avance  sur  lui  (2).  »  Ainsi,  des  pluies,  des 
pluies  non  pas  légères,  mais  qui  font  obstacle  à  la  marche. 
En  mai  1902,  le  lieutenant  Cottenest  était  gôné  par  «  une 
pluie  battante  »  pour  le  transport  de  ses  blessés  (Voy.  plus 

(1)  BulUlin  du  Comiléde  V  Afrique  française,  septembre  1902,  pages  317  et  318. 

(2)  Id.,  février  1903,  page  48. 


296  LE  SAUARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  GUEMINS  DE  FER  TRANSSAHARlEKî 

haut,  page  293)  ;  en  octobre  de  la  même  année,  le  lieulenaov 
Guillo-Lohan  est  arrêté,  «  bloqué  »  même,  dît  le  texte,  pa' 
«  des  pluies  torrentielles  et  des  crues  violentes  d'oueds  •. 

L'exploration  du  Hoggar,  faite  par  le  lieutenant  Guillo- 
Lohan,  paraît,  d'ailleurs,  avoir  été  poussée  plus  à  fonJ. 
quoique  sommaire  encore,  que  celle  dulieulenant  Cotteoesl. 
«  Les  résultats  géographiques,  dit  le  Bulletin  du  Comité  (h 
VAfrique  française,  en  ont  été  considérables.  Arrivé  à 
In-Amguel,  le  20  octobre,  par  la  route  directe  (avec  des 
variantes  du  chemin  suivi  par  le  lieutenant  Coltenesli. 
M.  Guillo-Lohan  est  passé  par  les  points  d'Irhafok,  Idclès, 
Tazerouk,  Tin-Tarabin,  Aïloklane,  Tarhahaout,  Taman- 
rasset.  De  ces  différents  villages,  il  a  poussé  quelque> 
excursions  vers  Test.  A  Tamanrasset,  il  a  changé  de  direc- 
tion et  est  monté  sur  la  Koudia  qu'il  a  traversée  du  sud  au 
nord,  puis  il  est  redescendu  sur  In-Amguel  où  il  était  ce 
retour  dans  les  derniers  jours  de  novembre.  Il  a  exploré  sur 
la  Koudia  l'Illamane,  sur  lequel  il  a  atteint  une  altitude  de 
3600  mètres  en  face  d'une  aiguille  inaccessible  de  4fl(Ja 
500  mètres,  ce  qui  permet  d'attribuer  au  tout  une  hauteur 
de  3000  mètres.  On  possédera  donc  désormais  des  donnécN 
topographiques  et  orographiques  précises  sur  cette  région 
du  Hoggar  et  sur  les  voies  qui  y  aboutissent.  L'itinéraire 
suivi  ne  se  confond  que  sur  quelques  points  avec  celui  de 
Cottenest  qu'il  double  et  complète  (1).  » 

Ainsi  parle  le  Bulletin  du  Comité  de  F  Afrique  française: 
c'est  lui,  et  non  pas  nous,  qui  donne  le  nom  de  villages  aux 
sept  localités  citées  plus  haut;  ce  sont  certainement  des 
groupes  d'habitations  fixes.  Et  quelles  sont  les  impressions  de 
l'auteur  de  cette  reconnaissance?  Les  voici  :  «  De  celle 
exploration,  dit  le  Bulletin,  le  lieutenant  Guillo-Lohan  a 
rapporté  aussi  une  abondance  de  faits,  de  nombreuses  pho- 
tographies, des  échantillons  géologiques,  des  observations 
climatériqucs  et  ethniques.  Le  pays  ne  semble  être  ni  aussi 

(1)  Bulletin  du  Comité  de  VAfrique  française,  février  1903,  page  48. 


EXPLORATION  GUILLO-LOHAN  AU  HOGGAR  :  IMPRESSION  FAVORABLE.      297 

aride,  ni  aussi  désert  qu'on  le  supposait,  puisqu'il  y  a  ren- 
contré quelques  milliers  de  moulons,  des  bœufs,  des  cha- 
meaux, et  qu'il  a  pu  visiter  de  petites  agglomérations,  entre 
autres  le  groupe  de  villages  dont  Tit  fait  partie.  Tous  ceux 
qui  s'intéressent  aux  oasis  sahariennes  attendront  avec  impa- 
tience des  nouvelles  plus  complètes  sur  une  reconnaissance 
qui  promet  d'être  des  plus  fructueuses  de  celles  qui  ont  été 
faites  jusqu'à  ce  jour  dans  cette  partie  du  Sahara  algé- 
rien (1).  »  Il  s'agit  bien,  d'après  cette  description,  d'un  pays 
qui  présente  des  ressources  ;  si,  au  lieu  d'être  livré  à  des 
pillards  ignorants,  il  jouissait  de  la  sécurité  et  que,  tout 
au  moins  pour  le  régime  des  eaux  et  une  certaine  direction 
(les  cultures  ou  de  l'élevage,  il  profitât  quelque  peu  des 
données  techniques  de  la  civilisation  contemporaine,  il  est 
certain  qu'on  pourrait  y  réaliser  des  progrès  appréciables. 
Notons  que  le  mot  d'oas/^  est  ici  impropre  ;  ce  terme  ne 
convient,  en  effet,  qu'aux  étendues  cultivables  strictement 
limitées  par  l'irrigation  artificielle,  tandis  que  Ton  peut 
penser  qu'on  pourrait  au  Iloggar  avoir,  comme  aux  envi- 
rons de  Sfax,  par  exemple,  en  Tunisie,  des  cultures  qui  ne 
seraient  fécondées  que  par  les  pluies  Tout  témoigne  que  la 
chute  d'eau  dans  ce  massif  montagneux  doit  être  au  moins 
égale,  sinon  supérieure,  à  celle  du  Sahel  tunisien. 

Cette  môme  réflexion  s'applique  à  une  contrée  intermé- 
diaire entre  le  Iloggar  et  le  Tidikelt,  à  savoir  le  Mouydir.  Il 
CQ  a  déjà  été  question  plus  haut  (voy.  page  294)  d'une  façon 
1res  favorable;  une  autre  exploration  et  des  récits  plus 
détaillés  viennent  achever,  d'une  façon  fort  heureuse,  la 
physionomie  de  cette  région.  Du  16  mai  au  15  juin  1902, 
c'est-à-dire  à  la  fin  du  printemps,  le  chef  d'escadron  Laper- 
rine,  commandant  militaire  des  oasis,  fit  une  reconnaissance 
d'Insalah  au  Mouydir;  le  lieutenant  Requin,  du  1"^  régiment 
de  tirailleurs,  qui  en  faisait  partie,  rédigea  Jus  notes  de  voyage 
que  le  Bulletin  du  Comité  de  l'Afrique  française  (livraison 

11)  BuUetin  du  Comité  de  V Afrique  française,  livraison  do  février  11)03, 
pages  48  et  49. 


298     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  GHEBftNS  DE  FER  TRANSSAHâRIB' 

de  décembre  1902)  a  publiées  ;  nous  allons  les  résumer  el 
en  reproduire  quelques  passages.  La  plus  grande  partie  da 
parcours  se  fait  en  reg,  terrain  plat  de  gravier,  dont  Tex- 
plorateur  distingue  des  variétés  diverses  :  c  plein  reg  uni. 
sans  un  détail,  qui,  de  loin  ou  de  près,  puisse  distraire  la 
vue...  ;  le  terrain  est  encore  du  reg,  mais  du  reg  mou...;  re2 
fin...  ;  reg  gris...  ;  bon  reg  où  Ton  respire,  où  la  montagne  n* 
vous  écrase  plus,  où  Ton  a  des  vues.  Ce  sont  d'abord,  à 
Touest,  d'immenses  tables  horizontales  qui  paraissent  élre 
les  assises  du  massif  traversé  (1)  ».  Ainsi  se  confirme  une 
fois  encore  que  la  majeure  partie  du  sol  du  Sahara  est  du 
reg  ou  terrain  de  gravier  uni  el  en  général  solide,  entre- 
mêlé de  quelques  hamadas  ou  plateaux  pierreux. 

Le  Mouydir,  lui-même,  est  un  massif  montagneux  :  i) 
abonde  en  pâturages,  en  bois  et  en  eaux.  Comparant  l'oued 
El-Botha  qui  traverse  le  désert  de  Test  à  l'ouest,  70  ou 
80  kilomètres  au  sud  d'insalah,  au  Mouydir  qui  se  trouve 
plus  au  sud,  le  lieutenant  Requin  écrit  :  c  Lorsqu'un  mois 
plus  lard,  nous  sommes  rentrés  du  Mouydir,  ses  pûturai^rs 
(de  Toued  El-Botha)  de  drin,  de  larfa,  de  bou-rekouba  eldo 
had  avaient  beaucoup  souffert  du  soleil  de  juin.  Peut-tMre 
souffraient-ils  plus  encore  de  la  comparaison  tout  indiqué*^ 
entre  la  sécheresse  de  la  vallée  du  Botha  et  la  fraîcheur  des 
oueds  du  Mouydir.  • 

Ainsi,  120  à  150  kilomètres  et  jusqu'au  delà  de  200  kilo- 
mètres au  sud  dlnsalah,  s'étend  une  contrée  saharienne 
qui,  au  mois  de  juin,  offre  de  la  «  fraîcheur  ».  Ces  vallées 
du  Mouydir  ont  des  points  d'eau  de  surface  persistants, 
môme  dans  les  mois  ou  les  années  de  sécheresse,  c  Au  boni 
même  de  l'oued,  baignant  son  pied  dans  un  joli  rhédir 
(mare,  voy.  plus  haut,  pages  112  el  113),  l'Adrar  Adjelhouk 
est  une  gara  rocheuse  el  noire  constituée  par  des  amas 
de  fossiles...  La  vallée  de  l'oued  Ay  Maamar,  au  sud 
d'Adjelhouk,  a  de  la  végétation,  du  drin,  d'assez  joli  had  d 

(1)  Renselfjnements  coloniaux  et  documen/s  publiés  par  le  Comité  de  l'Afriqtif 
française.  Supplément  au  Bulletin  du  Comité  de  décembre  1902,  pages  171  et  ITi. 


L'EXPÉDITION   REQUIN  :   LE  MOUVOIR,   VÉGÉTATION  ET   EAUX.     299 

u  bou-rekouba.  Le  chemin  Tabandonne  pour  courir  sur  du 

eg  gris  pendant  trois  heures.  Par  une  brèche  dans  un  escar- 

teaicnt   de  roches  noires,  entre  un   tas   de  pierres   et    de 

ombes,  on  descend  dans  une  longue  et  large  dépression  où 

a  végétation  arborescente  et  fourragère  est  très  développée. 

Ze  maader  s'étend  jusqu'au  llaci  Ay  Maamar.  »  Dans  cette 

lernière  localité  et  aux  environs  d'un  puits,  «  on  remarque 

le  nombreux  talhas  (gommiers)  »•  On  arrive  à  Toued  Tira- 

linine;  cet  oued,  où  Ton  campe,  «  n*est  pas  très  riche  en 

pi\turage,  dit  le  lieutenant  Requin.  11  y  croît  surtout  le  bou- 

rekouba  et  le  talha  (gommier).  Mais  Ton  y  trouvait,  le  22  mai, 

de  l'eau  excellente  à  50  centimètres  de  profondeur  dans  du 

gravier  fin.  11  est  vrai  que  Toued  avait  récemment  coulé  et 

que  celle  période  d'humidité  était  à  peine  close,  puisque,  le 

soir  même,  un  orage  crevait  sur  la  région  (1)  ».  Ainsi  une 

fois  de  plus  se  confirme  ce  phénomène,  qu'il  est  si  important 

de  constater,   que  tout  explorateur  du   Sahara  essuie  des 

orages  et  de  la  pluie  :  le  lieutenant  Requin,  dans  sa  tournée 

de  trentejours,  On  mai  et  commencement  de  juin,  au  Mouydir, 

l'éprouve,  comme  le  lieutenant  Guillo-Lohan    en   octobre 

dans   le  Hoggar  et  le  lieutenant  Coltenest  au  milieu  de  mai 

dans  la  même  contrée. 

Poursuivant  sa  route,  le  lieutenant  Requin  note  près  de 

l'oued    In-Tillet   «  un  pâturage  très  vert  »  ;  puis  il  arrive  à 

Toued  Tadjemout  qui  «  franchit  la  bordure  occidentale  (du 

Mouydir)  par  une  profonde  trouée.  Un  grand  rhédir  (mare, 

voy.  plus  haut,  pages  1 1 2  et  1 13)  la  remplissait  le  23  mai.  Le  lit 

de  Toued  est  couvert  d'une  très  belle  végétation  arborescente 

et  fourragère.  On  y  trouve  en  abondance  bou-rekouba,  drin, 

talha  (gommier),  tarfa,    hadh,  iraa,  quelques  palmiers  et 

d'assez  grands    éthels  (variété    de  tamarix).  Au   pied    de 

VAbelIa,   crête  rocheuse,  haute  de  200  mètres,  longue  de 

2000  mètres,  se  trouve  Aïn  Tadjemout,  puits  alimenté  par 

une  source.  Deux  palmiers  en  indiquentla  place.  Cette  vallée 

(1)  Ibid.,  page  172. 


300  LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSADABIE-NJ. 

élait  autrefois  habitée.  On  y  relève  les  traces  de  jardins 
clôturés  par  des  branches,  deux  ou  trois  gourbis,  autant  li- 
puits  contenant  de  Teau  dans  un  coffrage  en  bois.  Mais  cc> 
traces  datent  d'au  moins  deux  années,  et  ce  fait  est  d'accord 
avec  le  dire  des  indigènes.  L'abandon  daterait  de  roccupaliun 
d'Insalah.  La  nouvelle  de  la  prise  d'In-Rhar  aurait  encore 
précipité  la  fuite.  Ainsi,  les  indigènes  faisaient  depuis  lonir- 
temps  le  vide  en  prévision  de  notre  arrivée  prochaine,  dan^ 
une  région  sur  laquelle  nous  n'avions  hier  encore  que  des 
données  bien  vagues.  » 

Il  paraît  certain  qu'une  fois  rassurés  sur  nos  intention?, 
sachant  enfin  qu'ils  auront  en  nous,  non  des  oppresseurs, 
mais  des  protecteurs  contre  les  pillards,  les  pasteurs  el  Ifs 
cultivateurs  reviendront  dans  un  pays  qui  paraît  se  prêter 
non  seulement  à  l'élevage,  mais  à  la  culture.  A  quelques 
heures  de  marche,  depuis  Tadjemout,  on  aborde  des  dislricls 
tout  à  fait  avenants  :  «  Du  pied  de  l'Erg  Takaraft  à  la 
cuvette  de  Tedjouldjoult,  écrit  le  lieutenant  Requin,  l'ouc^! 
Arak  forme  un  large  et  long  maadcr  (dépression?) où  toutes 
les  variétés  de  plantes  sont  représentées.  Le  Tedjouldjoult 
est  de  tout  lemaader  Arak  l'endroit  le  plus  boisé.  Son  puits 
était  comblé  le  26  mai,  au  passage  de  la  reconnaissance. 
L'eau  a  été  retrouvée  par  8  mètres  de  profondeur,  mais  un 
éboulement  de  toutes  les  parois  n'a  permis  d'en  apprécier  ni 
la  qualité  ni  le  débit.  Il  existe  d'ailleurs,  à  une  heure  de 
marche,  au  pied  du  rocher  Tahout,  un  rhédir  (mare)  iné- 
puisable, alimenté  par  l'oued  Arak.  L'eau  court  dans  h  s 
roseaux,  et  la  présence  d'assez  gros  poissons  confirme  le 
dire  des  indigènes.  »  Jusqu'ici  l'on  n'est  que  sur  la  bordure 
du  Mouydir.  La  reconnaissance  pénétra  dans  l'intérieur,  par 
la  trouée  de  Tadjemout  le  29  mai.  On  rencontre  d'abord 
l'oued  Inguergaramen.  «  Cet  oued  est  assez  vert,  mais  il  n'n 
pas  d'eau,  non  plus  que  Toued  Tikerbatine  que  l'on  coupe. 
On  trouve  plusieurs  rhédirs  (mares)  dans  le  lit  du  Tihou- 
riren.  »  L'explorateur  note  ensuite  :  «  La  traversée  d'une 
sorte  de  prairie  dans  un  bas-fond  conduisant  à  l'oued  Tifen- 


1^'EXPÉDiTioN  Requin:  le  mouydir,  végétation  et  eaux.    301 

ijadj L'oued  a  de  l'eau  de  rhédirs  (mares)  et  de  très  jolis 

pâturages.  Le  bou-rekouba  alleignait  2  mètres.  Du  sommet 
l>lat  d'une  très  haute  montagne  où  Ton  parvient  le 31  mai,  on 
découvre  la  vallée  de  Toued  Tifirin  pleine  de  végétation  et 
ses  très  grands  rhédirs  (mares).  Vers  le  confluent  de  Toued 
Tin-Sellan,  les  pâturages  forment  une  sorte  de  maader 
dessiné  par  la  montagne  Inendhier,  haute  de  200  mètres.  Il 
existerait  en  tout  temps,  dans  la  coupure  de  Toued  Tin-Sellan, 
un  rhédir  (mare)  inépuisable,  dernière  réserve  d'eau  pour  les 

années    de  sécheresse L'oued  Tifirin   reçoit  encore  les 

oueds  In-Zebouze  et  Tariabout.    Sa  vallée  est  une  des  plus 
vastes  et  des  plus  fraîches  du  Mouydir  (1).  » 

Ce  qui  frappe,   dans  cette  description  des  tout  derniers 
jours  de  mai  et  du  commencement  de  juin,  c'est,  outre  cette 
végétation,  cette  verdeur  et  cette  fraîcheur,  l'abondance  des 
vhédirs,  eaux  de  surface,  considérés  comme  permanents.  Le 
récit  du  lieutenant  Requin  y  revient  à  chaque  instant  :  «joli 
rhédir...,  grand  rhédir...,  profond    rhédir...,  rhédir  inépui- 
sable ».  Cette  dernière  épithèle  est  fréquente.  Voici  encore  les 
mômes  notes  pour  la  continuation    de  la    reconnaissance  : 
<i  Par  un  chapelet  ininterrompu  de  rhédirs  et  de  pâturages, 
on  atteint  AïnTin-Djeloulet,  profond  rhédir,  au  pied  d'unegara 
(rochers)  ..  De  nombreux  signaux,  des  tas  de  pierres,  des 
tombes  jalonnent  le  chemin  suivi  jusqu'au  lit  profondément 
encaissé  de  l'oued  Bou-Zerafa.  On  y  trouve  plusieurs  rhédirs. 
Les  pâturages  et  le  bois  sont  assez  abondants  au  pied  des 
dunes.  Après  trois  heures  de  marche  dans  le  reg  caillouteux  et 
dans  le  sable,  on  découvre  le  bahar  Tinka,  immense  nappe 
(l'eau  passagère  en  pleine  dune.  Peu  après,  on  pénètre  dans 
la  région  boisée  du  maader  Tegant.    Les  pâturages  y  sont 
inépuisables.    Les    arbres    atteignent  là     de    très    hautes 
dimensions,  el  l'ombre  qu'ils  donnent  n'est  pas  illusoire.  Ce 
maader  a  un  caractère  propre  qu'on   ne  retrouve  nulle  part 
ailleurs  (2).  ». 

(11  Bulletin  du  Comité  de  V Afrique  frani'aise^  décembre  1902,  page  173. 
\^)ibid.t  page  174. 


302     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSS\HXRΣ!SS. 

Ce  maader  Tegant  est  à  SOkilomètresdela  bordure  oriealak 
du  Mouydir  et,  comme  il  est  déjà  à  quelque  distance  de  la 
bordure  occidentale,  nous  en  concluons  que,  dans  celle 
partie,  le  Mouydir  peut  bien  avoir  140  à  150  kilomètres  de 
largeur,  sinon  davantage. 

Poursuivons  Tétude  de  cette  intéressante  contrée  :  «  Une 
large  croupe  accidentée  de  hamada  ( Voy.  plus  haut,  pages  ft? 
à  94)  sépare  les  oueds  ïaferdel  et  In-Terakh  que  l'on  coupe  de 
Toued  Idjelessen  qui  est  atteint  par  une  descente  rapide.  La 
vallée  humide  et  verte  conduit  à  celle  de  Toued  Tali-Ihedan, 
qui  reçoit  Toued  Tabouremat  et  mène  aux  gorges  de  Tafrar- 
krak.  De  très  grands  rhédirs  (mares)  d'eau  profonde  baignent 
le  pied  de  garas  rocheuses  et  donnent  aux  pâturag-es  une 
vigueur  exceptionnelle.  Au  confluent  de  l'oued  Idjesselen 
dans  Toued  Tahi-Ihedan,  les  deux  vallées  s'élargissent  et 
forment  une  jolie  plaine  de  6  à  8  kilomètres  où  courent  des 
troupeaux  de  gazelles  (1).  » 

Partout  il  y  a  des  rhédirs  (marcs)  :  on  va  «  camper  près 
du  rhédir  Talaoualt  dans  l'oued  Tindjenan...  ».  Dans  l'oued 
Anecerfa  «  l'on  trouve  de  l'eau  de  rhédir  et  des  pâturages  »; 
€  dans  la  région  d'Amsissenen,  les  pâturages  sont  abondants 

et  variés Quelques  kilomètres  plus  loin  apparaissent,  au 

milieu  de  la  vallée,  sur  un  monticule  couvert  de  végétation, 
les  palmiers  sauvages  de  Tidjit.  L'eau  est,  sur  ce  point,  très 
près  du  sol  et  très  magnésienne.  Peu  après,  la  vallée  s'ouvre 
et,  sur  un  mouvement  de  terrain  très  large,  du  genre  éperon, 
on  découvre  Djoghraf,  l'ancienne  oasis.  Les  ruines  d'un 
ksar  de  pierre  occupent  le  point  culminant.  Une  source 
chaude  de  45  à  50°  sort  de  terre  dans  un  champ  de  roseaux. 
De  nombreuses  sources  fraîches  coulent  tout  à  côté.  On 
compte  à  Djoghraf  près  de  deux  cents  palmiers  formant 
de  très  jolis  groupes  et  donnant  beaucoup  d'ombre.  Le 
rhédir  d'Aoussediden,  emplacement  de  bivouac  du  12  juin, 
est  au  pied  d'une  gara  (Voy.  plus  haut,  page  96)  rocheuse,  à  5 

(1)  lienscuj nements  coloniaux  cl  documenls  publiés  par  le  Comité  de  l'Afrique 
française^  Supplément  au  Bulletin  île  décembre  1902,  page  174. 


L'EXPÉDITION  REQUIN  :  LB  MOUYDIR,   VÉGÉTATION  ET  EAUX.     303 

OU  6  kilomètres  de  Djoghraf  (1).  w  Et  Ton  trouve  encore 
d'autres  rhédirs. 

Sous  le  titre  de  Conclusion,  le  lieutenant  Requin  résume 
ainsi  ses  impressions  sur  «  la  partie  du  Mouydir  reconnue  », 
en  disant  qu'il  s^est  «  abstenu  de  toute  hypothèse  sur  les 
régions  voisines  de  l'itinéraire  parcouru  »  :  «  Partout  les 
oueds  ouvrent  des  vallées  très  vertes  qui  font  de  cette  région 
une  région  de  parcours  pour  qui  traîne  à  sa  suite  de  gros 
troupeaux.  Le  Mouydir  était  habité  jadis.  Mais  les  traces 
(le  campement  relevées  à  Tadjemout,  dans  le  maader 
Arak  et  dans  les  vallées  de  Tintérieur  remontent  toutes 
à  plusieurs  années.  S'il  était  habile,  il  ne  Test  donc 
plus.  Cet  abandon  n'a  pas  d'autre  cause  que  notre  arrivée 
subile  à  Insalah  et  la  crainte  de  nous  voir  apparaître 
aussitôt  après  dans  un  pays  où  il  semblait  aux  indigènes 
loul  naturel  de  nous  voir.  Le  Mouydir  n'a-t-il  pas,  en  effet, 
ce  qui  manque  au  Tidikelt  :  de  l'eau  de  pluie,  du  bois  en 
abondance  et  des  pâturages  toujours  verts  (2)  ?  » 

Ainsi  parle  le  lieutenant  Requin  ;  ces  appréciations  sont 
catégoriques  ;  elles  prouvent  qu'entre  120  et  250  kilo- 
mètres au  sud  d'Insalah,  c'est-à-dire  entre  le  26"  et  le 
-./  degré  de  latitude,  aux  trois  cinquièmes  de  la  distance  de  la 
Méditerranée  au  Niger,  il  s'étend,  en  plein  Sahara  central,  de 
vastes  contrées  hospitalières.  L'oued  Tifirin,  l'oued  Tadje- 
mout,lemaaderArak,dont  le  lieutenant  Requin  fait  le  vibrant 
éloge  que  l'on  vient  de  lire,  sont  tout  à  l'extrémité  méridionale 
du  Mouydir.  Il  y  a  là  du  bois,  une  quantité  de  rhédirs  ou  eaux 
à  la  surface  du  sol.  Il  semble  certain  qu'avec  des  amena-" 
gements  on  aurait  des  puits  très  nombreux. 

Ce  n'est  pas  là,  à  vraiment  parler,  une  oasis,  c'est-à-dire  un 
pays  où  l'on  ne  puisse  rien  produire  que  par  l'irrigation;  c'est 
une  terre  de  pâturages  permanents  et  de  ressources  cul- 
turalcs.  Les  pluies  de  la  fin  de  mai  et  du  début  de  juin,  que 
le  lieutenant  Requin  y  a  constatées,   témoignent   que  des 

\i)Ibid. 

(i)  Ihid,,  pageB  174  et  175. 


304     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSABABIEM. 

moissons  pourraient  arriver  à  maturité  dans  ces  fonds  d? 
vallée.  Le  Mouydir  paraît  avoir,  d'après  la  carte  annexée  aux 
noies  du  lieutenant  Requin,  environ  150  5  160  kilomc-lresd* 
largeur  à  son  extrémité  méridionale  qui  est  la  plus  étendue; 
sa  longueur  semble  être  de  120  kilomètres  environ  ;  tout  ea 
tenant  compte  de  la  moindre  largeur  dans  la  moitié  septen 
trionale,  il  semble  bien  que  cette  contrée  comprenne  tout  au 
moins  une  dizaine  de  mille  kilomètres  carrés,  soit  environ 
rétendue  de  deux  départements  français.  En  admettant  que 
le  dixième  seulement  de  cette  surface  se  prêtât  à  des  cultures 
régulières  et  que  le  reste  fût  consacré  aux  pâturages,  il 
pourrait  y  avoir  place  dans  ce  pays  non  seulement  pour  un 
bon  nombre  de  dizaines  de  mille  habitants  permanents,  mais 
peut-être  à  la  longue  pour  plusieurs  centaines  de  mille.  Cesl 
rinsécurité  surtout  qui  maintient  la  désolation  dans  ce^ 
régions  douées  d'appréciables  ressources  naturelles.  Une 
fois  la  sécurité  établie  et  les  noirs  guidés  par  des  blancs 
d'Europe  et  pourvus  des  connaissances  techniques  et  de^ 
capitaux  pour  l'aménagement  des  eaux  et  Tutilisation  du  siJ 
et  du  sous-sol,  de  nombreuses  régions  sahariennes  pour- 
raient nourrir  à  l'aise  une  population  d'une  certaine  impor- 
tance. 

Aux  témoignages  qui  précèdent  et  qui,  par  eux-mêmes, 
suffiraient  pour  faire  la  lumière  sur  la  nature  vraie  du 
Sahara,  les  ressources  qu'il  présente,  et  pour  dissiper  les 
légendes  qui  l'entourent,  nous  pouvons  joindre  deux  autres 
témoignages  d'un  très  vif  intérêt  :  celui  du  lieutenant  Basset 
et  celui  du  capitaine  Peîn. 

Le  lieutenant  Besset  fut  chargé,  le  19  janvier  1903,  de  se 
rendre  d'Insalah,  avec  le  premier  peloton  de  la  compagnie 
des  oasis  sahariennes,  sur  l'oued  Botha,  puis  d'aller  au  sud 
explorer  toute  la  région  de  l'Ifetessen  et  de  pousser  une 
pointe  en  remontant  vers  le  nord-est  jusqu'à  Amguid,  pour 
rattacher  ses  levés  topographiques  à  ceux  du  colonel  Flalters. 
Il  parcourut  1200  kilomètres,  visitant  sur  la  route  '^ 
Mouydir.  Outre  un  rapport  topographique  et  géographique. 


ieutenantbesset;  l'oued  botha;  renseignements  favorables.   305 

I  en  fît  un  géologique,  pour  lequel  il  paraît  avoir  été  très 
>ien  préparé. 

Il  faudrait  reproduire  la  plus  grande  partie  de  ces  docu- 
nents  ;  nous  ne  pouvons  que  les  résumer,  en  laissant  autant 
jue  possible  la  parole  à  Tauteur,  pour  que  ses  appréciations 
ressortent  avec  toute  leur  netteté.  Le  lieutenant  Besset  longe 
l*abord  le  djebel  d'Idjeran  et  le  djebel  Redjem,  qui  sont 
situés    approximativement  entre  100  et  200  kilomètres  au 
sud-est  dlnsalah  :  «  Une  série  de  points  d'eau,  dit-il,  jalonne 
le  pied  de  ces  montagnes  (1)  »,  et  il  donne  les  noms  des 
principaux.  «  A  Aïn-El-Ksob  se  voient   encore  les   ruines 
d'anciennes  séguias  (rigoles    d'irrigation)  et  des  traces  de 
cultures-  L'eau  de  cette  source  est  légèrement  sulfureuse  et 
ferrugineuse  ;   mais  elle  coule  avec  une  abondance  intaris- 
sable. Le  fond  de  l'oued  Botha,  qui  a  plus  de  6  kilomètres 
de  large  sur  ce  point,  est  recouvert  d'alluvions  d'une  fertilité 
remarquable.  Dans  tous  les  ravins  étroits,  que  présente  le 
flanc  ouest  du  djebel  Redjem^  on  trouve  de  petites  sources.  Une 
de  celles-ci  quidonnait25  litres  en  vingt-quatre  heures,  après 
un  travail  d'une  journée,  avec  des  instruments  primitifs,  nous 
a  donnée  mètres  cubes  dans  le  même  temps.  Nous  l'avons 
baptisée  l'Aïn  Gauvet,  pour  que  le  nom  du  chef  d'annexé, 
qui  avait  tant  fait  pour  ce  pays,  soit  rappelé  au  souvenir  de 
ceux  qui  visiteront  la  région.  Cette  eau,  qui  cherche  à  sourdre 
comme  sous  pression  en  remontant  le  long  des  roches  du 
djebel   Redjem,  est  perdue    sans  profit,  alors  que  dans  le 
lit  si  fertile   et   tout  voisin  de  l'oued    Redjem    elle  aurait 
un  emploi  bienfaisant,  d'autant  plus  qu'elle  sourd  à  4  ou 
•>  mètres  au-dessus  du  lit  de  l'oued.  Toute  celte  partie  de 
l'oued  el  Botha  pourrait  être  livrée  à  l'agriculture,  soit  en 
aménageant  les  différentes  sources  de  la  région,  soit  en 
creusant  des  puils  dans  lesquels  nous  pensons  que  l'eau 
serait  ascendante.  » 
Voilà,  certes,  un  témoignage  très  net  sur  les  eaux  que  l'on 

(1|  RenseiffnementJi  coloniaux  et  documents  publiés  par  le  comité  de  l'Afrique 
huiçaise.  Supplément  au  Bulletin  du  cornité  do  janvier  1904,  page  2. 

20 


306     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  P£R  TRANSSAHARIEM. 

trouve  dans  certaines  parties  du  Sahara.  Presque  aussitôt 
après  le  lieutenant  Besset  ajoute  :  «  La  région  d'Aïn  Millok  a 
une  importance  capitale.  Tout  d'abord  la  source  d'Aïn  Millok 
(cuvette)  est  intarissable,  et  donne  de  leau  en  immense 
quantité.  Des  ruines  de  maisons  indiquent  que  des  gens  sy 
fixèrent  autrefois.  Toute  trace  de  culture  a  disparu,  mais  la 
nature  alluvionnaire  du  lit  de  l'oued  Botha  ne  laisse  aucun 
doute  sur  le  succès  des  semailles  qui  y  seraient  faites;  »  et 
le  lieutenant  Besset  expose  la  situation  très  favorable  d'Aîu 
Millok,  d'où  Ton  se  rend  vers  tous  les  points  de  l'horizon  en 
trouvant  chaque  jour  de  l'eau  et  du  pâturage,  sauf  dans  le  rcg 
qui  le  sépare  dTnsalah. 

«  Une  troupe  postée  dans  cette  région  peut  se  porter  en  un 
jour  dans  Toued  Sidi  Moussa,  en  quatre  jours  dans  la  vallée 
de  righarghar,  en  un  jour  sur  la  route  directe  d*Insalah  au 
lloggar  par  In-Belrem  ;  enfin,  par  le  Botha,  Toued  TifOrin  et 
l'oued  Ilobor,  on  débouche  à  Méniet  en  sept  ou  huit  jours,  dans 
la  vallée  de  Toued  Tiradjart,  fossé  nord  du  Hoggar.  Les  points 
d'eau  permanents  sont  Aïn  Millok,  AïnTidjoubar,AïnKsiksou, 
Aïn  Djoghaf,  Aïn  Tidjift,  Aïn  Tinesrouft,  TAdjelman  de  l'oued 
Ilabor  qui  conserve  Teau  pendant  plusieurs  années  et  TAîd 
Baglin.  Djoghaf,  Tidjift,  Tinesrouft  possèdent  des  palmiers, 
environ  deux  cents  à  chacun  des  premiers  endroits  et  centau 
troisième.  L'eau  de  Djoghaf  est  très  bonne,  mais  sourd  à  48*. 
On  y  trouve  tout  près  les  ruines  d'une  ancienne  casbah  en 
pierres  et  celles  d'un  ancien  village.  Les  séguias  (rigoles 
d'irrigation  jet  les  anciens  champs  de  culture  se  distinguent 
encore.  Cette  région,  comme  celle  d'Aïn  el  Ksob  et  celle  de 
l'Aïn  Millok  pourraient  être  exploitées  avec  profit  (1).  > 
Djoghaf  ou  Djoghraf,  dont  parle  si  tivantageusement  l'explo- 
rateur, paraît,  d  après  sa  carte,  être  à  200  kilomètres  au  sud- 
est  d'Insalah.  Le  lieutenant  Besset,  à  ce  propos,  d'après 
l'ouvrage  de  M.  Le  Chatelier,  les Medaganat  (1888),  rapporte, 
en  les  résumant,  des  histoires  de  brigands  et  de  luttes  du 

A\  >uj>plémenf   au    Bulletin  du   Comilé  de  l'Afrique  française^  joxwïçT  W^^^^- 


LIEUTENANT  BESSET  ;  L*OUED  BOTHA  ;  RENSEIGNEMENTS  FAVORABLES.     307 

désert  qui  n'expliquent  que  trop  la  solitude  de  ces  immenses 
contrées,  en  dépit  de  certaines  ressources  qu'elles  présentent. 
C'est  encore  là  un  témoignage  que  l'insécurité  est  la  cause 
principale  de  la  désolation  de  ce  pays. 

Résumant  ses  impressions  sur  la  vallée  de  l'oued  Botha 
et  de  ses  affluents,  le  lieutenant  Besset  écrit  :  «  Le  ruban 
qui,  sur  la  carte,  représente  l'oued  el  Bolha  se  tra- 
ttuit  dans  la  réalité  par  une  longue  suite  de  pâturages, 
dont  les  sources  voisines  facilitent  l'utilisation.  Avec  une 
installation  bien  comprise,  cet  oued  deviendrait  une  base 
(l'opération  commode  pour  nous  et  redoutable  pour  nos 
adversaires.  Que  manquerait-il,  en  effet,  à  la  compagnie 
installée  dans  cette  région?  Les  chameaux  s'y  nourriraient 
copieusement;  une  exploitation  agricole,  organisée  dans 
le  genre  des  anciennes  smalas  de  spahis,  produirait  les 
céréales  nécessaires  à  la  consommation  de  la  troupe  ; 
quelques  chèvres  pâturant  aux  environs  donneraient  à  leurs 
propriétaires  le  beurre  pour  la  préparation  de  leurs  aliments, 
et  les  oasis  de  Mellagoun,  Djoghaf,  Tidjift  et  Tinesrouft, 
avec  un  peu  de  soins  et  de  travail,  rapporteraient  des  dattes 
en  quantité  suffisante.  »  Ce  n'est  pas  seulement  des^postes 
militaires  qui  se  trouveraient  à  l'aise  dans  ces  districts  ;  ce 
sont  des  cultivateurs,  mais  il  faudrait  changer  les  usages  du 
pays:  €  Les  Touareg,  quiviennent  chaque  année  cultiver  ces 
dattes,  ont  une  façon  particulière  de  soigner  les  palmiers  et 
spécialement  de  les  débarrasser  des  branches  (djerid)  sèches. 
Ils  y  mettent  le  feu  ;  le  résultat  n'est  pas  douteux  et  le  plus 
souvent  ils  n'ont  pas  besoin  de  recommencer  ce  beau  travail, 
car  l'arbre  meurt  peu  après.  A  Mellagoun  nous  avons  vu  un 
assez  grand  nombre  de  ces  victimes.  »  Même  les  meilleurs 
pays  ne  pourraient  retenir  de  la  fertilité  avec  ce  genre  de 
traitement. 

«  L'exploitation  de  cette  région,  continue  le  lieutenant 
Besset,  aurait  pour  conséquence  la  diminution  du  prix  des 
céréales  sur  les  marchés  du  Tidikelt  et  les  gens  de  ce  pays 
se  verraient  obligés,  ou  de  renoncer  à  tout  commerce  de  ce 


àÔS     LE  SAdARA,  LE  SOUDAN  Et  LfiS  CidEMlNS  i)E  Î^EK  TAANSSADARIENS. 

genre,  ou  de  suivre  noire  exemple  et  de  cultiver  comme 
nous,  près  de  nous,  pour  livrer  leur  récolte  à  des  prix  abor- 
dables. Notons  encore,  seulement  en  passant,  que  dans  la 
région  paissent  en  liberté  des  ânes  dont  le  travail  pourrait 
être  utilisé.  Sur  place  on  aurait  tous  les  moyens  de  les  cap- 
turer et  de  les  exploiter  sans  débourser  un  sou  pour  leur 
nourriture.  On  pourrait  objecter  que  les  crues  de  Touedel 
Botha  annihileraient  les  efforts  tentés.  Bien  au  contraire, 
les  crues  sont  bienfaisantes.  Dans  ces  parages  Toued  a  uae 
pente  insensible,  son  lit  très  sinueux  a  en  moyenne  6  kilo- 
mètres  de  largeur  et  les  eaux  ne  s'y  répandent  qu'avec  un 
courant  très  affaibli,  en  déposant  un  limon  régénérateur.  Cet 
oued  serait  digne  d'être  baptisé  le  Nil  du  Mouydir.  En 
remontant  la  vallée  de  l'oued  el  Botha  on  y  rencontre  cons- 
tamment du  pâturage,  el  lorsqu'il  paraît  diminuer,  il  se  trouve 
toujours  à  proximité  un  de  ses  affluents  dont  le  lit  en  esl 
garni.  » 

S'il  y  a  dans  le  Sahara  de  vastes  immensités  rebelles  à 
toute  culture,  il  s'en  rencontre  donc  d'autres  et  d'assez  éten- 
dues qui  se  prêteraient,  au  contraire,  avec  un  peu  de  travail  el 
d'ingéniosité,  à  une  exploitation  pastorale  et  cullurale  pro- 
fitable. Et  c'est  dans  de  nombreux  districts  qu'il  en  est 
ainsi. 

Sous  le  titre  très  caractéristique  de  Conclusions^  le  lieute- 
nant Besset  émet  une  appréciation  générale  dont  il  esl 
bon  de  rapporter  les  passages  principaux  : 

«  Au  cours  des  1200  kilomètres  parcourus,  nous  n'avons 
cessé  un  moment,  dit-il,  de  trouver  de  bons  pâturages  et  de 
l'eau  excellente  en  abondance.  Nous  avons  vu  partout  des 
ruines  de  maisons  avec  parfois  des  traces  d'anciennes  cul- 
tures, des  medjebeds  larges  et  bien  conservés,  comme  s'ils 
avaient  été  utilisés  la  veille,  un  nombre  considérable  dt? 
petits  murs  circulaires  en  pierres  sèches,  à  Tintérieur  des- 
quels les  Touareg  mettent  les  agneaux  pendant  que  la  mère 
va  au  pâturage,  et  des  cachettes  renfermant  encore  de  nom- 
breux ustensiles  de  ménage.  Ce  sont  bien  là  des  preuve» 


ITENANT  BESSET  ;  LE  MOUYDIR  ;  RENSEIGNEMENTS  FAVORABLES.     309 

5  le  Mouydir  fui  autrefois  fort  habité.  Les  anciennes  cul- 
es  datent  du  temps  où  la  paix  existait  entre  le  Tidikelt  et 
Hoggar. 

Les   Touareg  utilisèrent   longtemps  après   sa  rupture 

bons  pâturages  de  la  région  jusqu'au  jour  de  notre 

ivée  au  Tidikelt.  Le  pays  fut  abandonné  surtout  après  le 

itre-rezzou  Cottenest,  et  sa  richesse  montre  quelles  pri* 

ions  s'imposent  les  Touareg,  pasteurs  par  excellence,  en 

conduisant  pas  leurs  troupeaux 

I  Lorsque  Ton  quitte  le  Mouydir  pour  rejoindre  le  Tidi- 
It,  on  est  plus  qu'étonné  de  voir  des  hommes  installés 
ns  ce  désert  sablonneux,  sans  même  tenter  d'exploiter  des 
hesses  à  leur  portée,  à  quelques  lieues  plus  au  sud-est. 
n'est  qu'après   avoir  bien  réfléchi  à    la   situation  réci- 
3que  des  Touareg  et  des  gens  du  Tidikelt  que  l'on  com- 
end  le  rôle  joué  par  le  Mouydir.  Entre  ces  peuplades  enne- 
îes,   il  fut  de   tout  temps  une    marche,    analogue    aux 
ciennes  marches  lorraines  et  d'autres  provinces  frontières, 
comme  elles,  quelles  que  soient  et  quelles  qu'aient  été 
s  ressources  naturelles,  il  ne  pouvait  prospérer  qu'avec 
le  longue  période  de  paix  imposée  à  ses  voisins.  Tant  que 
ira  l'état  de  guerre,  les  gens  du  Nord  durent  se  mettre  à 
ibri  derrière  le  reg  désert  qui  s'étend  sur  la  rive  droite  de 
med  el  Botha  et  furent  heureux  de  trouver  la  dépression 
îs  Sebkas  du  Tidikelt,  où,  au  prix  de  travaux  inouïs»  ils 
rvinrent  à  creuser  les  foggara  et  à  féconder  leurs  oasis, 
i  ils  étaient  sûrs  que  leurs  ennemis  du  sud  ne  pourraient 
nir  en  maîtres  commander  dans  leur  pays.  Ils  y  seraient 
^rls  de  faim  et  de  soif,  eux  et  leurs  montures,  sous  les 
?ards  des  propriétaires  abrités  dans  leurs  casbahs.  Le  Tidi- 
It  fut  créé  dans  la  déroule  et  la   misère.  Aujourd'hui,  la 
ualion  est  bien  changée.  Le  Tidikelt  conquis  est  lié  à  notre 
•litique.  Les  Hoggar,  partie  soumis,  partie  en  fuite,  Irem- 
ent  devant  nous,  el  nul  n'ose  s'avancer  au  delà  de  l'oued 
ï'^djert.  La  paix  règne  donc  sur  les  pays  naguère  décimés, 
est  temps  de  leur  rendre  la  vie.  C'est  dans  le  rayonne- 


310     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIE^S. 

ment  de  notre  puissance  pacifique,  dans  la  paix  et  la  pros- 
périté, que  sera  revivifié  le  Mouydir. 

«  Dans  ce  pays,  chacun  des  hommes  de  la  compagoie  du 
Tidikell  trouverait  l'emploi  de  ses  doubles  facultés  de  soldai 
et  de  cultivateur,  suivi  bientôt  après,  dans  celle  dernièi.: 
voie,  par  la  masse  encore  peureuse  et  hésitante,  mais  labo- 
rieuse, des  gens  d'Insalah.  Là  on  trouvera  Teau,  le  bois, 
le  pâturage  et  la  terre  cultivable  qui  manquent  au  Tidikelt 
Là  encore,  après  quelques  efforts,  on  fera  naître  les  produiU 
que  du  Tidikelt  on  est  obligé  de  faire  venir  du  Nord  agrandi 
frais.  Enfin,  c'est  de  là  qu'il  nous  sera  le  plus  facile  de  nous 
mettre  en  route,  soit  pour  le  Hoggar,  soit  pour  Torabouclou. 
soit  pour  l'Aïr.  Ajoutons  encore  que  la  distance  de  Ouarglâ 
à  Aïn  Millok  est  la  même  que  celle  de  Ouargla  à  Insalah. 
Par  suite,  le  transport  des  matières  qu'il  serait  indispen- 
sable de  faire  venir  du  Nord,  en  attendant  que  le  sol  au 
Mouydir  ait  été  mis  en  rapport,  ne  sera  pas  plus  onéreux 
qu'aujourd'hui,  et  même  les  caravanes  préféreront  aboutir 
à  Aïn  Millok,  où  leurs  chameaux  trouveront  à  se  refaire, 
qu'à  Insalah,  où  leurs  bêtes  meurent  de  faim  tant  qu*elle> 
séjournent  dans  le  Tidikelt. 

«  Ces  considérations  militent  assez  en  faveur  d'une  inslal- 
lation  au  Mouydir,  sans  qu'il  soit  besoin  d'insister  davantage. 
Un  pas  a  déjà  été  fait  par  l'envoi  d'un  peloton  au  pâturage 
dans  les  belles  vallées  de  cette  région.  Hommes  (Françaib  et 
indigènes),  gradés  et  officiers,  attendent  avec  impatience 
leur  «  tour  de  pâturage  »,  considéré  partout  ailleurs  comme 
une  corvée  désagréable.  C'est  assez  dire  le  charme  qui  le> 
attire,  charme  fait  de  répulsion  pour  le  Tidikelt,  bled  de  la 
soif  et  de  la  mort,  et  d'attirance  vers  la  verdure  et  les  sources 
fraîches  du  Mouydir,  pays  de  la  vie  (1).  » 

Nous  avons  tenu  à  reproduire  le  texte  même,  quasi 
intégral,  des  «  Conclusions  »  du  lieutenant  Bessel.  Elles 
sont,  on  le  voit,  très  favorables  ;  elles  concordent,  en  tout 

(1)  Supplément  au  Bulletin  du  Comité  de  V Afrique  française,  janvier  1'"* 
pages  7  à  9. 


LIEUTENANT  BESSET;  LB  MOUYDIR;  RENSEIGNEMENTS  FAVORABLES.     311 

point,  avec  celles  de  son  prédécesseur  dans  une  partie  de 
celte  région,  le  lieutenant  Requin  (Voy.  plus  haut,  page  303). 
Il  résulte  aussi  cette  démonstration  curieuse  que  ce  ne 
sont  pas  les  districts  les  meilleurs  du  Sahara,  qui  sont 
aujourd'hui  habités  et  cultivés;  Tinsécurilé,  le  vrai,  le  grand 
fléau  de  celte  immensité,  les  fait  parfois  abandonner  pour 
d'autres  plus  ingrats. 

On  doit  au  même  lieutenant   Besset  un  autre   rapport, 
exclusivement  géologique,  sur  celte  même  vaste  région  d'In- 
salah,  Âmguid,  le  Mouydir  (est)  et  Tlfelessen.  Il  offre,  lui 
aussi,    un    grand    intérêt   par   les    indications    qu'il  donne 
sur   les    chances    de    trouver  des   gisements  de  charbon, 
sur  la  rive  droite  notamment  de  Toued  Botha,  c'est-à-dire 
vers   le  27"  degré  de  latitude,  un  peu  au  sud  et  à  Test  d'In- 
salah.  Le  professeur  Flamand,  chargé  du  cours  de  géogra- 
phie physique  à  TEcole  supérieure  des  sciences  d'Alger,  a 
fait  suivre  d'une  importante  note  le  rapport  géologique  du 
lieutenant  Besset.  Il  y  confirme  l'espérance  relative  au  ter- 
rain  houiller.   Nous  avons    analysé    ces  deux  documents 
encourageanls  dans  une  précédente  i>artie  de  cet  ouvrage 
(Voy.  plus  haut,  pages  85  à  87).  Il  apparaît  aussi  de  cet 
examen  que  la  région  est  très  ferrugineuse;  sans  doute, 
on  ne  peut  espérer  transporter  des  minerais  de  fer  à  1 200 
ou  1  500  kilomètres  ;  mais  s'il  se  rencontrait   dans  celte 
région  d'autres  métaux  moins  communs,  ce  qui  est  assez 
probable,  comme  le  plomb,  le  zinc  et  le  cuivre,  les  minerais, 
à  la  condition  qu'ils  fussent  assez  riches,  pourraientfranchir 
sur  rail  cette  distance  de  1200  à  1500  kilomètres,  et  même 
une   distance  double,   comme  nous  en  ferons  plus  loin  la 
démonstration. 

Le  lieutenant  Besset  fit,  au  mois  de  juin  1903,  une  autre 
tournée,  ayant  un  caractère  exclusivement  militaire  et  qu'il 
intitule  :  «  Une  tournée  de  police  en  pays  Azdjer  ».  A  la 
tête  d'un  détachement  de  148  hommes  et  d'un  nombre  de 
chameaux  correspondant,  pour  chûlier  les  Touareg,  cou- 
pables  de  razzias,  il  parcourut   tout  le  pays   d'In^alah  à 


312     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN   ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TR ANSSA H ARIL^S. 

Tikhammar  par  Amguid.  reliant  ritinéraire  de  la  mission 
Flatlers  à  celui  de  la  mission  Foureau-Lamy,  allant  dt 
zéro  degré  environ  de  longitude,  situation  d'Insalah,  à 
4  degrés  un  tiers  environ  de  longitude  est,  et  descendant 
d*au-dessus  du  27*'  degré  aux  environs  du  25".  Son  récites! 
presque  uniquement  militaire.  On  peut,  néanmoins,  y  trouver 
encore  quelques  noies  favorables  :  d'abord  celle-ci,  qui  est 
importante.  Après  avoir  rappelé  les  campagnes  successives 
faites  en  novembre  1902  au  Iloggar  et  en  février  19(Ki  sur 
Ifelessen  et  Amguid,  puis  au  mois  d'avril  et  de  mai  à  Jn 
Zize,  le  lieutenant  Besset  écrit  :  «  Et  maintenant,  en  juin,  ils 
repartent  pour  une  campagne  d'été  encore  plus  pénible. 
Dire  que  les  pertes  en  animaux  éprouvées  par  ces  méharislcs 
ont  été  à  peu  près  nulles  et  dues  surtout  à  des  causes  étran- 
gères à  la  fatigue  (piqûre  de  vipère,  empoisonnements  par 
le  laurier-rose)  et  que  presque  tous  les  chameaux  sont  encore 
présents  au  peloton,  c'est  faire  le  plus  bel  éloge  des  cava- 
liers qui  les  ont  montés  (1)  ».  C'est,  doit-on  ajouter,  faire 
quelque  éloge  aussi  tout  au  moins  des  ressources  du  pays. 
Le  lieutenant  Besset  parcourt,  sans  doute,  alors  des  zones 
ingrates,  mais  il  en  rencontre  aussi  de  favorables.  Il  fait  celle 
remarque  intéressante  :  «  Eclairés  par  l'expérience  des  tour- 
nées précédentes,  nous  avons  pu  faire  une  constatation  qui 
a  sa  grande  importance  au  point  de  vue  des  recherches  d'eiiu 
que  Ton  pourrait  tenter  dans  le  Mouydir.  Toutes  les  sources 
que  nous  avons  examinées  depuis  Aïn  Ksiksou,  Aïn  Millok, 
Aïn  Baglin  sur  la  limite  nord  du  Mouydir,  en  passant  par  celles 
qui  bordent  le  djebel  Idjeran  sur  toutes  ses  faces,  jusqu'aux 
puits  de  la  région  de  Tegant  (llassi  Armri,  Ilassi  Bechaoui 
se  trouvent  à  la  ligne  de  séparation  des  quarlziles  devoniens 
de  calcaires  bleus  et  rouges  garnis  de  fossiles  dont  les 
échantillons  ont  été  envoyés  à  la  suite  de  notre  rapport  sur 
rifetessen  et  la  région  d*Amguid  (2).  »  C'est  avec  des  obser- 


(l)  Benseifjnemenls  coloniaux.  Supplément  au  Bulletin  du  Comilê de  VAfriqut 
''rançaise  de  mars  1904,  pago  TU. 
{t)  Ibid.,  page  80. 


LE  LIEUTENANT  BESSET;  RENSEIGNEMENTS  FAVORABLES  AU   PAYS.     313 

valions  scientifiques  ou  tout  au  moins  méthodiques  de  ce 
genre,  dont  les  nomades  sont  incapables,  que  Ton  parvien- 
dra graduellement  à  aménager  les  eaux  du  Sahara. 

Actuellement,  il  faut  se  contenter  de  celles  que  la  nature 
offre  d'elle-même,  et  il  s*en  trouve  parfois  dans  des  condi- 
tions qui  méritent  d'être  signalées,  ainsi  :  »  Dans  la  partie 
supérieure  de  Toued  AUaouadj,  écrit  le  lieutenant  Besset  au 
milieu  de  juillet,  on  marche  sur  des  roches  trachytiques. 
La  vallée  est  très  belle  et  garnie  d'une  luxuriante  végétation, 
tantôt  encaissée  entre  deux  montagnes,  tantôt  se  dévelop- 
pant dans   de    vastes  cirques   bordés  alors    vers    Test  de 
dunes   qui    s'étagent  jusqu'à   la    crête  formant   Thorizon. 
C'est  dans  ces  dunes  que  se  trouve  le  point  d'eau  de  Time- 
naih,  lac  allongé  de  400  mètres  de  long  sur  20  mètres  de 
large,  bordé  partout  de  joncs  et  de  berdi,   mais  contenant 
une  eau  tellement  salée  que  les  chameaux   refusent  de  la 
boire.    A  proximité  de  ce   lac,    en   creusant   le    sable,  on 
trouve    à    un   mètre  de  profondeur  une   eau   abondante  et 
acceptable  pour  la  consommation.  Les  Arabes  appellent  ce 
point  El  Mélah  ».  Ces  rencontres  d'eau  se  font  en  plein 
milieu  de  Tété.  Le  lieutenant  Besset  dit  encore,  à  propos  d'un 
point  noté  plus  haut,  dans  le  récit  de  la  deuxième  mission 
Flallers  (Voy.  plus  haut  pages  166,  198  et  201),  et  situé  au 
*25'  degré  30,  en  plein  Sahara  central  :  «  Inzelman  Tikhsin 
est  une  réunion  de  tilmas  (mares)  dont  l'eau  affleure  le  lit  de 
I  oued.  Le  pâturage  y  est  aussi  très  beau.  »  On  est  alors  au 
12  juillet.  Il  faut,  d'ailleurs,  qu'il  y  ait  quelques  ressources 
dans  le  pays,  car  il  s'y  trouve  des  animaux  groupés  en  nom- 
bre ;  le    16  juillet  :  «  Le  brigadier   Admeh  Ben  Diab  et  le 
caïd  Douro  rentrent  le  soir  avec  75  chameaux,  chamelles  ou 
chamelons,    des  fusils,   des    sabres,   des   boucliers,    deux 
négresses  et   des  bagages...  Ces  prises  ont  été   faites  aux 
lailok  (Touareg)  auxquels  on  a   tué  deux  hommes.  Quel- 
ques femmes  furent  prises  et  relâchées.  »  Le  18  juillet  :  «  Le 
caïd  Baba  rentre  le  soir  ramenant  300  chameaux,  chamelles 
et  chamelons,  47  ânes,  des  tentes,  des  mézoued,  des  guerba, 


314     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHAR1E>S. 

des  fusils  et  des  bagages  en  quantité.  »  Cela  est  pris  sur 
des  Touareg,  mais  encore  fallait-il  que  ceux-ci  pussent  ali- 
menter passablement  toutes  ces  bêtes.  Trois  jours  après,  le 
21  juillet  :  a  Le  soir,  la  patrouille  Ben  Bessis  rentre  de 
Tifernin  avec  400  chèvres  ou  moutons,  21  chameaux  el 
quelques  bagages  enlevés  à  Khebbi,  des  Kel  Jntonin.  »  Ce 
point  de  Tifernin,  ou  peut-être  Tifersin  parait  être  sur  le 
cours  moyen  de  Toued  Tighert  un  peu  au  nord  d'Amadghor. 
En  revenant  sur  Amguid,  à  peu  près  à  la  même  latitude, 
mais  à  une  centaine  de  kilomètres  plus  à  Test,  on  rencontre 
loued  Tahohait.  «  Cette  vallée,  dit  le  lieutenant  Besset,  esl 
la  plus  belle  que  nous  ayons  vu  dans  la  région  du  sud  dln 
Salah  ;  garnie  d'une  végétation  luxuriante,  bordée  par  des 
murs  à  pic  de  plus  de  400  mètres  de  haut  avec  des  déchire- 
ments effrayants,  cette  vallée  est  suivie  par  un  oued  sous  les 
sables  duquel  on  sent  Texistence  de  Teau.  De  grands  massifs 
de  berdi,  des  joncs  en  quantité  marquent  les  emplacements 
où  leau  se  rapproche  le  plus  de  la  surface  du  sol  (1).  » 

Ainsi,  même  dans  le  récit  d'un  raid  exclusivement  mili- 
taire, se  glissent  des  notes  favorables  sur  les  ressources 
futures  du  pays.  On  trouve  dans  ce  même  rapport  du  lieu- 
tenant Besset  sur  cette  t  tournée  de  police  en  pays  Azdjer  » 
des  traits  caractéristiques  de  Tinsécurité  de  la  contrée, 
toujours  le  principal  fléau.  Il  n'y  est  guère  question  que  de 
rezzous  et  de  rezzias  réciproques.  On  a  vu  quelle  quantité  de 
bétail,  chameaux,  moutons,  chèvres,  ânes,  le  peloton  du 
lieutenant  a  enlevé  aux  Touareg;  (fêtait  un  châtiment 
mais  ceux-ci  avaient  commencé;  et  la  vie  quasi  habituelle 
du  Sahara,  c'est  la  razzia.  Ces  rezzous  sont  quelquefois  très 
productifs.  «  Nous  recueillons  rapidement,  dit  le  lieutenant 
Cottenest,  les  résultats  de  l'interrogatoire  du  nègre  (faii 
prisonnier).  Il  faisait  partie  d'un  rezzou  de  40  méhara,  com- 
posé de  Taitok,  Téguéhé-Melle,  Kel  Intounin,  IssakamareQ» 
Ihéianen,  commandés  par  Mohamed  ag  Itouni,  le  chef  des 

(1)  Supplément  au  Bulletin  du  Comité  de  l'Afrique  française^  de  mars  Ij 
pages  84,  85,  86. 


LE  CAPITAINE  PEIN  ;  RENSEIGNEMENTS  FAVORABLES  AU   PAYS.     315 

rezzous  de  Toued  Dhamrane  et  de  Ilassy  Mouley.  Cette  der- 
nière affaire  avait  rapporté  200  douros  à  chacun  des  mem- 
bres du  rezzou  (1).  »  Le  douro  étant  la  pièce  de  5  francs, 
200  douros  par  tête  représentent  un  millier  de  francs  ;  certes, 
quand  on  réussit  un  coup  de  ce  genre,  la  profession  de  pirate 
du  désert  est  bien  rémunérée  ;  celle  de  pasteur  ou  de  culli- 
valeur  devient,  par  contre,  singulièrement  ingrate. 

Il  nous  reste  à  faire  comparaître  un  dernier  témoin,  consi- 
dérable par  les  nombreuses  exploratioi^s  qu'il  a  faites  dans 
le  Sahara  central  et  l'expérience  qu'il  y  a  acquise,  le  capi- 
taine Pein.  Il  eut  d'abord  pour  tâche  de  seconder  la  mission 
Fourreau-Lamy,  sans  toutefois  s'y  joindre  ou  l'accom- 
pagner. 

La  mission  importante  dont  fut  chargé  à  ce  sujet  le 
capitaine  Pein,  ainsi  que  les  antécédents  de  cet  officier, 
sont  ainsi  décrits  dans  le  Bullelin  du  Comité  de  l'Afrique 
française  (livraison  de  juin  1899)  :  «  Au  moment  du  départ 
de  la  mission  Lamy,  il  avait  été  décidé  d'installer  h  Témas- 
î?inine(2)unposte  provisoire  qui  pût  rester  le  plus  longtemps 
possible  en  relation  avec  elle  et  la  couvrir  au  besoin.  Le 
capitaine  Pein,  chef  du  poste  d'Ouargla,  qui  s'est  distingué, 
il  y  a  un  an  à  peine,  dans  la  poursuite  d'un  rezzou  jusque 
dans  la  région  de  Ghadamës,  fut  chargé  du  commandement 
de  ce  poste.  Il  avait  avec  lui  120  méhara,  dont  50  spahis 
sahariens  aux  ordres  du  lieutenant  de  Thézillat,  et  une 
quinzaine  de  chevaux.  » 

Ainsi,  le  capitaine  Pein  avait  charge  d'assurer  les  com- 
munications entre  l'Algérie  et  la  mission  Foureau-Lamy. 
11  fut  amené  à  se  rendre  de  sa  personne  jusqu'à  Tadent,  au 
23'  degré  de  latitude,  Témassinine  étant  au  28';  le  lieutenant 
de  Thézillat  se  porta  lui- môme  à  Assiou  et  à  In-Azaoua,  vers 
le  21''  degré,  mais  alors  il  se  joignit  à  la  mission  Foureau- 
Lamy,  qu'il  accompagna  en  revenant,  avec  elle,  parle  Gongo. 

(1)  Supplément  au  Bulletin  du  Comité  de  l'Afrique  française,  de  mars  1904, 
pa^e  83. 
[t)  Voy.  plus  haut,  pages  117  et  252. 


3i6     LE  SAnARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEM^f4S  DE  FER  TRANSSAHAR1KNS. 

«  Le  15  avril  1898,  dit  le  Bulletin  du  Comité  de  V  Afrique 
française^  le  capitaine  Pein  était  à  Témassinine,  trois  jours 
avant  Tarrivée  de  la  mission  Foureau-Lamy.  11  installa  son 
poste  à  6  kilomètres  à  Test  de  la  petite  oasis,  sur  un  point 
dominant  qui  allait  lui  permettre  de  surveiller  tous  les  envi- 
rons. Il  s'y  établit  déflnitivement  et  y  fit  forer  un  puils.  Dès 
que  la  mission  Foureau-Lamy  eut  quitté  Témassinine,  le 
capitaine  Pein,  voulant  s'assurer  par  lui-même  des  disposi- 
tions des  Touareg,  partit  le  28  novembre,  en  reconnaissance 
vers  le  sud-ouest.  Sa  marche  couvrait  en  même  temps  le 
flanc  droit  de  la  mission  qui  s'avançait  pendant  ce  temps 
par  l'oued  Samen,  vers  leTassili.  Le  7  décembre,  le  capitaine 
Pein  était  de  retour;  il  s'était  arrêté  au  puils  d'In-Kelmet,  à 
deux  journées  au  nord-est  d'Amguid,  avait  trouvé  le  pays 
vide  et  les  puits  comblés  depuis  longtemps.  » 

Ce  ne  fut  que  la  première  excursion  du  capitaine;  il  en  fît 
une  autre  plus  prolongée  et  plus  intéressante,  pour  assurer 
des  convois  à  la  mission  Foureau-Lamy.  Le  Bulletin  de 
r Afrique  française  décrit  ainsi  cette  seconde  excursion: 
€  Il  se  porte  d'abord  à  Tikhammar  (au-dessous  du  26'  de- 
gré) par  une  autre  route  que  celle  de  la  mission,  roule  moins 
difflcile,  quoique  souvent  pénible  pour  les  chameaux.  De  là 
il  gagne  ÂfTara,  qu'il  compte  ne  pas  dépasser  ;  mais  la  néces- 
sité d'assurer  le  retour  de  l'escorte  d'un  dernier  et  important 
convoi  que  le  lieutenant  de  Thézillat  a  dû  accompagner  jus- 
qu'à Assiou,  au  delà  de  Tanezroufl,  le  contraint  à  s'avancer 
jusqu'à  Tadent  (23*  degré).  Ce  n'est  que  lorsque  tout  le 
monde  est  rentré  qu'il  se  décide  à  revenir  en  suivant  une 
route  nouvelle  par  la  sebkha  d'Amadghor  et  Amguid  (1).  > 

II  y  a  une  erreur  de  détail  dans  ce  récit  :  le  lieutenant  de 
Thézillat,  au  lieu  de  revenir  par  l'Algérie,  se  joignit  à  la 
mission  Foureau-Lamy  et  raccompagna  jusqu'au  bout;  mais 
cela  n'altère  pas  les  remarques  générales  contenues  dans  ce 
court  exposé.  Il  en  résulte  cette  constatation  importante 

(1)  Comiiede  C Afrique  française,  BuUetin  mensuel,  juin  1899,  pages  176  et  177. 


LE  CAPITAINE  PEIN;  RENSEIGNEMENTS  FAVORABLES  AU  PAYS.     317 

que  le  capitaine  Pein,  après  être  descendu  en  plein  Sahara 
central,  jusqu'à  Tadeut  (23*^  degré  de  latitude),  revint  à 
Témassinine,  par  une  autre  voie  que  celle  qu'avait  suivie 
la  mission  Foureau-Lamy,  et  que  la  route  qu'il  prit  était 
moins  difficile.  C'est  par  la  sebkha  d'Amadghor  et  Amguid 
qu'il  revint  en  Algérie.  Or,  déjà  Flatters  (Voy.  plus  haut, 
pages  189  à  200)  avait  décrit  ce  tracé  comme  très  facile 
et  s'étendait  notamment  sur  Texcellence  de  la  situation 
d'Amguid  (1).  On  a  vu  aussi  plus  haut  (page  216)  que  le 
commandant  Lamy  lui-même,  au  cours  de  la  mission  Fou- 
reau-Lamy, émettait  l'opinion  qu'elle  ne  suivait  pas  la  roule 
la  meilleure.  Pour  se  servir  d'une  expression  de  sport,  la 
mission  Foureau  a,  en  quelque  sorte,  joué  la  difficulté  en 
laissant  de  côté  la  voie,  déjà  en  grande  partie  explorée  et 
toujours  recommandée,  d'Amguid-Amadghor,  qui  tourne  le 
plateau  du  Tassili,  pour  aborder  de  front  ce  dernier  plateau. 

Il  est  regrettable  que  l'on  n'ait  pas  publié  le  détail  de  l'iti- 
néraire du  capitaine  Pein  par  Amadghor  et  Amguid  ;  d'après 
le  Bulletin  du  Comité  de  l'Afrique  française,  il  en  auraitfait  le 
levé;  il  aurait  exécuté  et  fait  exécuter  par  ses  sous-ordres  de 
nombreuses  reconnaissances,  dont  le  résumé  est  que  la  route 
qu'il  a  prise  est  meilleure  que  celle  de  la  mission. 

Le  Bulletin  du  Comité  de  V Afrique  française  (juin  1899) 
donne  seulement,  au  sujet  de  cette  longue  exploration  du  ca- 
pitaine Pein  dans  le  Sahara  central,  le  renseignement  sui- 
vanty  qui  est  intéressant  et  topique:  «  Lors  du  passage  du 
capitaine  Pein,  les  Touareg  campés  dans  la  région  parcourue 
par  lui  étaient  tous  des  imrad  (serfs).  Les  nobles  ne  parurent 
point;  ils  semblaient  vouloir  so  tenir  systématiquement  à 
l'écart.  Seule,  une  femme  noble,  qui  commandait  une  frac- 
tion d'imrad,  ne  craignit  pas  de  se  montrer.  Tous  ces  im- 
rad n'avaient  pour  subsister  que  le  lait  de  leurs  maigres  trou- 
peaux; ils  y  ajoutaient  quelques  racines  plus  ou  moins 
comestibles  qu'ils  parvenaient  à  récolter  çà  et  là.  «  Il  existe 

(1)  Se  reporter  également  plus  haut,  page  200,  sur  les  avantages  de  la  situation 
d'Àiuguid. 


âl8     LE  SAItARA,  Le  SOUDAN  Et  LES  CHEMINS  DE  FER  TtlANSSAHiRIE^S. 

pourtant,  dans  cette  région,  des  localités  où  Teau  est  abon- 
dante, où  les  palmiers  poussent  vigoureusement.  Le  capitaine 
Pein  a  visité  Tune  d'elles,  qui  avait  plusieurs  kilomètres 
d'étendue.  Il  serait  possible  d'y  faire  des  cultures  à  labri  de* 
dattiers.  Mais  Tinsécurité  du  pays  est  trop  grande,  et  les 
Touareg  ne  se  soucient  guère  de  cultiver  pour  les  autres. 
Aussi  se  contentent-ils,  le  moment  venu,  de  récolter  les  dalles 
de  leurs  palmiers  sans  prendre  aucunement  soin  de  ces 
arbres.  En  dehors  de  leurs  quelques  chèvres  et  ademan 
(moutons  à  poils)  éliques,  ces  Touareg  possèdent  également 
de  nombreux  et  vigoureux  ânes,  au  pelage  gris,  qui  consti- 
tuent à  peu  près  leurs  uniques  bêtes  de  somme.  Ils  n'ont,  en 
effet,  presque  pas  de  chameaux  (1).  »  Cette  description,  il  est 
important  de  se  le  rappeler,  s'applique  au  plein  centre  du 
Sahara,  aux  abords  du  Tassili  et  du  Tanezroufl. 

Le  capitaine  Pein,  dans  la  pénétration  qu'il  a  faite  de  12(H> 
à  1300  kilomètres  au  sud  d'Ouargla,  a  donc  constaté  qu'c  il 
existe  dans  cette  région  des  localités  où  l'eau  est  abondante, 
où  les  palmiers  poussent  vigoureusement  »  ;  que  ces  palme- 
raies ont  parfois  plusieurs  kilomètres  d'étendue,  mais  qu'on 
ne  les  entretient  pas,  qu'il  serait  facile  d'y  faire  des  cultures, 
mais  que  la  fainéantise  des  Touareg  et  la  terrible  insécurité 
y  empêchent  tout  travail. 

Voilà  un  précieux  témoignage  qui,  joint  à  tous  ceux  que 
nous  avons  déjà  produits,  démontre  que  la  presque  absolue 
solitude  du  Sahara  vient  moins  de  la  nature  que  des 
hommes. 

Cinq  ans  plus  tard,  en  juin  et  juillet  1^03,  le  capitaine 
Pein  fit  une  reconnaissance  chez  les  Touareg  Azdjer,  au 
Tarât,  contrée  située  un  peu  au  sud  du  27*  degré  de  latitude 
vers  le  7*  degré  de  longitude  est.  Le  rapport  qu'il  en  fait 
contient  aussi  de  nombreuses  notes  favorables.  Il  trouva 
abandonnées  ou  détruites  par  les  Touareg  les  construc- 
tions  qu'il   avait  élevées    sur  la    première  partie  de  celte 

(1)  Comilc  (le  CAfnquv  française.  Uullelin  mensuel ^  }\x\n  1899ipage  ITT. 


LE  CAPITAINE  PEIN;  RENSEIGNEMENTS  FAVORABLES  AU  PAYS.     319 

mte  dans   l'hiver   1897-98  ;  quant  aux   points  d'eau    les 
eilleurs,  il  les  voit  non  seulement  sans  entretien,   mais 
)uillés  :  il  en  est  ainsi  notamment  à  deux  journées  de  marche 
11  sud  de  Témassinine  :  «  La  source  de  Tabelbalet  est  une 
es  plus  importantes  du  Sahara  ;  son  niveau  atteint  le  sol  ; 
ussi  les  gazelles  et  les  animaux  sauvages  viennent-ils  s^y 
breuver.  Je  la  trouvai  complètement  abandonnée  ;  des  ca- 
avres  d'animaux  tombés  en  venant  y  boire,  en  rendaient 
eau  absolument  infecte.  Toute  la  matinée  fut  employée  au 
urage.  »  Telle  est  toujours  cette  incurie  des  nomades,  sans 
quelle  les  puits  d'eau  apparaîtraient  nombreux  et  bienfai- 
ants  dans  ce  désert.  Plus  à  Test  et  sur  un  parcours  nouveau, 
e  capitaine  Pein  rencontre  des  districts  favorables;  à  Lési, 
)ar  exemple  :  «  C'est  un  point  d'eau  des  plus  importants. 
)n  n'a  qu'à  creuser  de  50  centimètres  à  1  mètre  dans  le  sable, 
îomme  à  El-Biodh,  pour  obtenir  autant  de  puits  qu'on  le 
lésire;le  pâturage,  le  bois  y  sont  en  abondance;  enfin,  une 
les  rives  de  l'oued,  dominant  le  point  d'eau,  donne  une  posi- 
tion de  combat  magnifique,  où  une  troupe  peu  nombreuse 
pourrait  défier  toute  attaque.  Nous  fîmes  boire  nos  bêtes 
pendant  la  nuit  et  quittâmes  Lési  au  lever  du  jour.  Vers  huit 
heures  du  matin,  nous  trouvâmes  des  traces  de  chameaux 
toutes  fraîches.  L'oued  Mihéro,  riche  en  eau,  était  devant 
nous;  il  pouvait  y  avoir  des  Touareg  qu'il  nous  fallait  sur- 
prendre; j'expédiai    soixante-dix  méharisles  en  avant;  ils 
découvrirent  un  rhédir  (1);  mais    pas  de  campement.  Une 
véritable  forêt  de  tamarix  des  plus  touffus  tapisse  le  fond  àfi 
cet  oued,  où  l'on  trouve  de  distance  en  distance  des  mares 
pleines  d'eau,  rhédirs  naturels  où  viennent  boire  les  trou- 
peaux (2).»  C'est  en  juillet,  en  plein  élé,  et  cependant  l'eau 
ne  manque  pas.  Ailleurs  le  capitaine  Pein  nous  dit  que 
«  les  Touareg  disparurent  dans  les  ravins  et  les  touffes  d'ar- 
bres de  l'oued,  abandonnant  tentes,  femmes  et  enfants  ».  Il 

(1)  Nous  rappelons  que  le  rhédir  est  une  marc. 

(2)  Supplément  au  Bulletin  du  Comité  de  V Afrique  française,  do  marp  1004, 
pages  76  et  77, 


320     LB  SAHARA  «  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHABIIXS. 

termine  ainsi   :  «  La  reconnaissance  vers  Tarât,  effectua 
dans  les  mois  les  plus  chauds  de  Tannée  et  dans  une  région 
la  plus  privée  d'eau  du  Sahara,  s*est  effectuée  sans  la  moindre 
souffrance  pour  le  goumier  et  sans   perte   sérieuse  d'ani- 
maux. »  Et  voici  sa  conclusion  plus  générale  :  «  II  ne  resli? 
guère,  à  Theure  actuelle,   à  ces  farouches   nomades  (les 
Touareg),  que  le  Fezzan    pour  échapper  à  notre  atleinle, 
mais  il  est  probable  que,  ne  pouvant  se  décider  à  abandooner 
leurs  plateaux  rocheux,   leurs    oueds   magnifiques,  ils  en 
arriveront  à  accepter  notre  domination,  et  de  ce  jour  le 
Sahara  devenu  un  lieu  d'élevage  de  moutons  et  chèvres  de 
qualité  ordinaire,  d'ânes  superbes  et  de  chameaux,  les  plus 
beaux  du  monde,  sera  un  lien  entre  l'Algérie  et  le  Soudan, 
après  avoir  été  si  longtemps  un  obstacle  infranchissable  (1  ).  > 
Ainsi  toute  cette  légion  d'explorateurs,  officiers  de  mérile 
qui,  depuis  une  dizaine  d'années,  parcourent  et  fouillent 
en  tout  sens  le  Sahara,  est  unanime  à  nous  envoyer  des 
notes  encourageantes  sur  Tavenir  et  le  développement  de 
cette  contrée  :  tous  sont  d'accord  que  l'incurie  et  l'insécu- 
rité sont  les  deux  fléaux  qui  le  tiennent  dans  la  désolation, 
avec  si  peu  d'habitants  et  si  peu   de  produits.  Mais  il  y 
existe  des  ressources  latentes  ;  dans  les  rapports  de  tous  ces 
chefs  de  raids  les  mots  d'exploitation,  d'élevage,  de  mise 
en  cultures,  reviennent  fréquemment,  et  il  en  ressort  qu'en 
maintes  régions  étendues,  non  seulement  en  quelques  points 
sporadiques,  le  Sahara  a  un  avenir  pastoral  et  même  cul- 
tural,    indépendamment  de  l'avenir  minéral,   dont   on  ne 
peut  douter.   C'est  la  conviction  qui  se  forme  à  la  lecture 
attentive  des  impressions  des  lieutenants  Cottenest,  Guillo- 
Lohan,  Besset  et  du  capitaine  Pein.  Ils  ont  suivi  des  itiné- 
raires différents,  en  des  saisons  différentes,  mais  ils  ont 
tous  reçu  des  pluies,  tous  vu   nombre  de  points  d'eau  sus- 
ceptibles d'être  améliorés  et  multipliés,  tous  rencontré  des 
pâturages,  du  bois,  des  arbres,  des  restes  de  cultures,  que 

\i)  Supplément  au  Bulletin  du  Comité  de  V Afrique  française,  de  mars  !>•. 
page  78. 


RÉSUMÉ  :   L'AVENIR  PASTORAL  ET  AGRICOLE  DU  SAHARA.         321 

riosécurité  a  fait  abandonner  et  tous  constaté  des  possi- 
bilités d'exploitation. 

Sur  la  partie  méridionale  du  Sahara  occidental  les  ren- 
seignements précis  et  de  dale  récente  font  défaut.  Un  fait 
important  s*est  produit,  cependant,  au  printemps  de  1904. 
Parti  d'Âkabli  le  14  mars,  le  commandant  Laperrine,  chef 
des  compagnies  sahariennes,  s'est  rencontré  le  16  avril,  au 
sud  de  Timissao,  au-dessous  du  24*  degré  de  latitude,  avec 
le  capitaine  Theveniaux,  envoyé  à  sa  rencontre,  de  Tom- 
bouclou,  à  la  tête  d'un  détachement.  La  jonction  s'est  donc 
faite  entre  le  Niger  et  l'Algérie,  à  un  point  situé  approxima- 
tivement à  1200  ou  1250  kilomètres,  en  ligne  droite,  d'Oran 
et  à  700  ou  750  du  coude  septentrional  du  Niger.  Il  n'y  a 
aucun  doute  que  le  trajet  de  Tombouctou  à  Timissao  n'ait 
été  aisé  comme  marche;  mais,  à  Theure  où  nous  écrivons 
ces  lignes,  nous  n'avons  encore  aucune  description  des 
lieux  traversés. 

Quand  on  réunit  tous  les  récits  des  explorateurs,  qu'on  les 
rapproche  et  qu'on  les  groupe,  la  légende  qui  faisait  du 
Sahara  un  pays  uniformément  sans  eau  et  sans  végétation  se 
dissipe.  Cette  immensité  apparaît  alors  sous  son  vrai  jour  : 
une  étendue  en  général  pauvrement  douée  de  la  nature,  au 
point  de  vue  du  sol  du  moins,  car  le  sous-sol  est  inconnu, 
mais  recevant  partout  des  pluies,  ayant  partout,  ou  peu  s'en 
ftiut,  des  eaux  près  de  la  surface,  ayant  une  végétation 
variée,  portant  presque  partout  des  pâturages,  souvent  du 
bois,  contenant  de  nombreux  districts  assez  favorisés, 
certains  d'une  grande  superficie,  comme  le  Mouydir,  l'IIoggar, 
rAïr,  et  beaucoup  d'autres  assez  étendus  ;  une  contrée  gigan- 
tesque, d'un  parcours  facile,  n'était  l'insécurité,  d'une  salu- 
brité exceptionnelle,  offrant  un  passage  aisé  pour  accéder 
aux  riches  pays  tropicaux  et  susceptible  elle-même  d'une 
utilisation  non  négligeable. 

Aussi  bien  M.  Foureau,  pour  Timassanine,  le  capitaine 
Pein,  le  lieutenant  Guillo-Lohan  et  le  lieutenant  Besset, 
notamment,  pour  des  points   situés  tout  à   fait  au  centre 

21 


322     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TR AN SSAB ARIEN!. 

du  Sahara,  reconnaissent  que  des  oasis  peuvent  être  soit 
créées,  soit  considérablement  agrandies  et  que,  en  outre, eo 
dehors  même  de  l'irrigation,  des  surfaces  notables  peuveol 
être  affectées  à  l'élevage  et,  dans  certains  cas,  aux  culture^ 
Il  est  probable  qu'un  jour,  sur  toute  cette  étendue  de'2lM» 
à  2500  kilomètres  de  longueur  et  de  5  millions  de  kilomèlrei 
carrés  de  superficie,  on  déblaiera  et  l'on  entretiendra  loi^ 
ces  puits,  on  aménagera  toutes  ces  eaux,  on  tirera  parti  d» 
toutes  ces  rivières  intermittentes  ou  souterraines,  que  des 
groupes  de  population  se  constitueront  aux  endroits  les  plus 
favorables,  et  il  s'en  rencontre  tout  aussi  bien,  sinon  davan- 
tage, en  plein  Tassili  que  dans  notre  Sud-GonstanliDoi? 
Il  n'y  aurait  rien  d'étonnant  à  ce  qu'un  jour  le  Sahara  conlinl 
une  dizaine,  sinon  deux  dizaines,  de  millions  d'habitants 
formant  un  certain  nombre  d'agglomérations  de  quelquel 
importance. 

L'obstacle  principal,  c'est,  comme  le  disent  le  capitaine 
Pein,  le  lieutenant  Besset  et  tous  ces  vaillants  conducteurs  de 
raids,  l'insécurité.  Ces  contrées  sont  livrées  à  une  insécuril^ 
tout  à  fait  déprimante.  Ceux  des  habitants  qui  auraient  le 
goût  d'une  vie  paisible,  exploitant  les  ressources  du  milieu 
où  la  destinée  les  a  placés,  ne  peuvent  augmenter  ni  Ie| 
nombre  de  leurs  arbres,  ni  celui  de  leurs  troupeaux;  iU 
n'ont  pas  la  pensée  d'aménager  un  peu  les  eaux,  des  nomades 
brigands  devant  les  spolier  de  leur  aisance.  Presque  J 
chaque  page  de  son  journal,  M.  Foureau  constate  rinsê- 
curité  qui,  plus  que  l'aridité  de  la  nature,  est  la  plaie  de 
celte  région  (1). 

Celte  aridité  naturelle,  qui  est  rarement  complète  et  déli- 
nitive,  frappe  d'autant  plus  les  voyageurs  qu'ils  apparlienneni 
à  une  vieille  contrée  riche.  L'homme  civilisé  a  perdu  aujour- 
d'hui le  sens  de  la  nature  primitive  et  brute;  il  est  habitué  l\ 
une  terre  dont  toutes  les  parcelles  ont  été,  depuis  trois  oa 

(1)  Missio7i  saharienne,  voir  notaïunienl  pages  31,  47,  103,  132,  158,  clc:  •" 
pourrait  citer  une  containc  de  pagos  du  journal  de  M.  Foureau  où  il  csl  ip--^ 
tion  do  oc  terrible  lir-au,  l'insécuritii  du  Sahara  et  du  Soudaa  central. 


RÉSUMÉ  :   L'AVENIR  PASTORAL  ET  AGRICOLE  DU  SAHARA.         323 

quatre  mille  ans,  manipulées  par  Thomme;  il  croit  que  cette 
terre  est  celle  que  la  nature  a  faite  ;  il  pense  que  les  eaux 
coulaient  naturellement  là  où  elles  coulent  aujourd'hui  dans 
un  vieux  pays  agricole;  que  les  arbres  y  poussaient  de 
même;  que  les  pâturages  y  étaient  à  peu  près  ce  qu'ils  sont, 
et  c'est  là  une  complète  erreur. 

Même  dans  un  vieux  pays,  comme  la  France,  il  se  rencontre 
des  espaces  plus  ou  moins  étendus,  dont  Taridité  étonne  et 
consterne  ceux  qui  les  voient  pour  la  première  fois:  la  vaste 
plaine  de  la  Grau,  par  exemple,  ou  certains  plateaux  comme 
celui  du  Larzac  ;  on  serait  porté  à  croire  que  ces  lieux  rébar- 
batifs, couverts  de  pierres  et  manquant  d'eau,  ne  se  prêtent  à 
aucune  exploitation  rémunératrice;  et,  cependant,  il  y  a  là 
une  vie  pastorale  et  agricole,  sinon  intense,  du  moins  fruc- 
tueuse; il  se  trouve,  dans  ces  prétendues  solitudes,  10  à 
12  habitants  par  kilomètre  carré,  et  c'est  déjà  quelque  chose. 
Bien  des  points,  sur  la  longue  étendue  du  Sahara,  nous  ap- 
paraissent, d'après  l'idée  que  suggèrent  à  la  réflexion  les 
récits  des  explorateurs,  comme  pouvant  valoir  à  peu  près 
autant,  sinon  parfois  beaucoup  plus,  que  les  contrées  de 
France  que  nous  venons  de  nommer,  et  valussent-ils  deux 
ou  trois  fois  moins  qu'ils  se  prêteraient  encore,  surtout  avec 
une  population  sobre  et  peu  exigeante,  à  une  certaine  exploi- 
tation. On  peut  donc  espérer  quelque  avenir  pastoral  et 
agricole  pour  le  Sahara.  Il  est  permis  de  croire  qu'une  fois 
que  la  sécurité  y  sera  assurée,  —  et  ce  sera  maintenant  pour 
nous  une  œuvre  facile,  quoique  graduelle,  —  il  se  formera, 
de  l'Algérie  au  Soudan,  toute  une  succession  de  groupes 
d'oasis  ou  de  terres  exploitées  (1),  non  pas  toujours  en 
dattiers,  mais  parfois  en  céréales  et  surtout  en  pâturages 
et  en  élevage  de  bétail.  Le  journal  de  M.  Foureau,  lui- 
même,  quoique  le  vaillant  explorateur  n'en  ait  peut-être  pas 
conscience,  nous  apparaît  comme  la  réhabilitation  du  Sahara. 

(1)  On  doit  réserver  le  terme  d*oasis  pour  les  surfaces  soumises  à  une  irriga- 
tioa  permanente  ou  habitueUe  ;  les  surfaces  utilisables  du  Sahara  excèdent  de 
beaucoup  les  oasis,  non  seulement  existantes  ou  à.  développer,  mais  celles  à 
créer. 


324     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIEN'>. 

Nous  ne  parlons  ici  qu'au  point  de  vue  de  la  surface; 
car,  en  ce  qui  concerne  le  sous-sol,  on  ne  sait  rien  el 
Ton  ne  peut  que  conjecturer.  On  considère  qu'il  peut  y 
avoir  des  gisements  carbonifères  dans  le  nord  et  le  centre 
(Voy.  plus  haut,  pages  83  à  87),  des  dépôts  aussi  de  nitrates, 
probablement  de  riches  mines  de  cuivre  aux  environs  de 
TAïr  et  du  Damergou  ;  on  commence  à  exploiter  déjà  des 
gisements  paraissant  riches  de  ce  métal  dans  TExlrême  Sud 
Oranais;  enfin  Ton  a  constaté,  dans  toute  Tétendue  du  Sahara, 
beaucoup  de  terrains  ferrugineux,  indices  probables  de  la 
présence  d'autres  métaux.  L'Aïr  exporte  déjà  de  la  potasse 
(Voy.  plus  loin,  page  417).  Il  est  hors  de  doute  qu'une 
immensité  pareille,  dont  la  plus  grande  partie  est  formée, 
non  pas  de  sable,  comme  on  le  croit,  mais  de  quartz  et  de 
granit,  doit  receler  des  richesses  minérales. 

Pour  le  moment,  nous  n'en  tiendrons  aucun  compte.  11 
nous  suffit  que  le  Sahara  vaille  quelque  chose  par  sa  surface 
même.  Il  est  important  surtout  parce  qu'il  constitue  la  route 
la  plus  courte  de  la  Méditerranée  centrale  et  des  grandes 
capitales  européennes,  Paris,  Londres,  Bruxelles,  Berlin, 
à  ce)4es  des  contrées  de  l'Afrique  qui  ont  le  plus  d'avenir, 
une  route  extrêmement  salubre,  une  route,  en  outre,  entiè- 
rement française. 

Le  journal  de  M.  Foureau,  concordant  avec  tous  les  récils 
des  explorateurs  antérieurs  ou  postérieurs,  démontre  que 
l'établissement  d'un  chemin  de  fer  transsaharien  aboutissant 
à  la  région  du  Tchad  ne  rencontrerait  aucun  obstacle,  nous 
ne  disons  pas  insurmontable,  mais  vraiment  sérieux.  M.  Fou- 
reau le  reconnaît  implicitement  dans  sa  conclusion  :  «  Si  l'on 
ne  veut  le  considérer  que  comme  un  inslrument  de  domi- 
nation (d'autres  disent  un  chemin  de  fer  impérial,  et  c'est 
évidemment  la  môme  chose),  le  Transsaharien,  sous  ce  point 
de  vue  spécial,  serait  alors  une  œuvre  splendide,  aplanirai! 
bien  des  difficultés,  supprimerait  bien  des  obstacles.  Ses 
apôtres  le  défendent  avec  vigueur  et  comptent  bien  que  sa 
construction  sera  la  première  affirmation  de  l'ardente  activité 


CONCLUSIONS  FAVORABLES  AUX  TRANSSAflARIENS.  32H 

du  xx*"  siècle  (1).  »  C'est  par  ces  lignes  que  finit  la  longue 
relation  de  M.  Foureau;  cela  suffit  à  notre  cause  :  il  n'y  a 
aucun  obstacle  naturel  considérable  à  Texécution  de  cette  voie. 
A  plus  forte  raison  en  est-il  ainsi  du  Transsaharien  vers  le 
Niger,  ligne  déjà  amorcée  sur  une  très  appréciable  longueur. 

Au  point  de  vue  politique,  stratégique,  administratif,  Texé- 
cution  immédiate  des  chemins  de  fer  transsahariens  s'impose 
absolument  à  la  France  pour  que  son  empire  africain  de- 
vienne une  réalité  et  que  ses  divers  tronçons  ne  risquent  pas 
de  se  disperser  et  peut-être  d'échoir  en  partie  à  des  rivaux. 

(Juelles  sont,  au  point  de  vue  économique,  les  perspectives 
de  ces  grandes  œuvres,  c'est  ce  que  nous  allons  rechercher, 
en  prenant  nos  données,  non  seulement  dans  le  vieil  ouvrage, 
insurpassé,  du  grand  voyageur  Barlh,  toujours  actuel,  mais 
dans  le  journal  de  M.  Foureau,  dans  le  livre  de  M.  Gentil, 
dans  les  relations  aussi  du  capitaine  Joalland,  dans  celles 
du  capitaine  Lenfant,  les  quatre  derniers  explorateurs  du 
Soudan  français.  Disons  dès  maintenant  que  la  région  du 
Tchad,  avec  les  inondations  régulières  du  lac  et  de  ses 
principaux  tributaires,  s'étendant  sur  une  surface  d'environ 
20000  kilomètres  carrés,  soit  2  millions  d'hectares,  apparaît 
comme  destinée  à  devenir  l'une  des  grandes  contrées  du 
globe  productrices  de  coton,  valant,  par  exemple,  le  Tur- 
kestan,  qu'il  en  est  de  même  de  tout  le  moyen  Niger;  or, 
ce  produit,  le  coton,  avec  d'autres  que  nous  indiquerons 
encore,  comme  les  peaux  et  dépouilles  d'animaux,  le  bétail 
étant  nombreux  dans  cette  région,  comme  le  sel  et  le  sucre 
aussi,  deux  produits  venant  du  nord,  suffirait,  en  l'absence 
même  de  toute  richesse  minérale,  à  assurer  au  Transsaharien 
du  Tcliad  et  au  Transsaharien  du  Niger  un  trafic  se  rappro- 
chant de  celui  du  chemin  de  fer  transcaspien,  qui,  on  le 
sait,  est  considérable  et  très  rémunérateur. 

(i|  Mission  saharienne,  page  7î)8.  C'est  à  nous  que  M.  Foureau  paraît  faire 
allusion  en  ce  qui  touche  celte  appellation  de  chemin  de  fer  impënal.  Nous 
avons,  en  effet,  insisté  sur  celte  idée  que  les  Transsahariens  doivent  être  consi- 
'l<''rés,  non  comme  des  œuvres  algériennes  ou  régionales,  mais  comme  des  œuvres 
impériales  dans  toute  l'étendue  du  mot,  c'est-à-dire  comme  devant  constituer  la 
charpente  de  tout  l'empire  français  en  Afrique. 


LIVRE    III 

LE  SOUDAN  CENTRAL   ET  OCCIDENTAL 


CHAPITRE  PREMIER 
La  région  de  Zinder. 


Immensité  dos  terres  soudanaises  constituant  le  lot  africain  de  la  France.—  Le 
Soudan  central.  —  Zinder. 

Les  descriptions  très  favorables  de  Barth  sur  les  pays  à  l'ouest  et  &  l'est  <le 
Zinder.  —  Les  villes  de  Mirria,  de  Vouchek  et  de  Gouré.  —  Nombreuses  cul- 
turcs  de  coton  et  de  tabac. 

Description  du  capitaine  Joalland  en  1900.  —  Témoignage  très  net  en  faveur 
des  ressources  du  pays.  —  Son  enthousiasme  pour  Zinder  et  la  région  envi- 
ronnante. 

Le  témoignage  de  M.  Foureau  n'infirme  aucunement  les  témoignages  pn'cédenl?. 

—  Son  récit  de  son  entrée  à  Zinder.  —  Sa  description  de  la  ville,  du  comiiitT« 
et  de  l'industrie  des  habitants.  —  Abondance  des  objets  travaillés  en  cuir  et 
en  cuivre. 

Le  pays  apparaît  comme  très  minéralisé.  —  Probabilité  de  gisements  de  cuivrv. 

—  Enormes  gisements  de  fer  constatés  par  M.  Dorian. 
Goûts  de  confortable  et  de  raffinement  relatif  de  la  population. 

Zinder,  voisine  et  rivale  possible  de  Kano,  est  la  vraie  porte  du  Soudan  contrai- 


Au  sud  du  Sahara  s'étend  une  vasle  contrée  tropicale 
entre  TÂtlantique  et  la  mer  Rouge,  qui  jouit  de  grandes 
possibilités  culturales  et  qui  entretient  ou  a  entretenu  une 
très  abondante  population. 

Sur  plus  de  la  moitié  de  la  plus  grande  largeur  du  con- 
tinent africain,  à  savoir  du  20*'  degré  de  longitude  ouest  de 
Paris,  où  s'avance  la  pointe  de  Dakar,  jusqu'au  delà  du 
26*"  et  même,  à  l'extrême  limite,  jusqu'un  peu  au  delà  du 
30"  degré  de  longitude  est,  ces  contrées  soudanaises  limi- 
trophes du  Sahara  appartiennent,  sur  une  profondeur  va- 


LA  RÉGION  DE  ZINDBft.  Ztl 

riable,  à  la  France.  Nous  nous  occuperons  ici  particulière- 
naenl  du  Soudan  central  et  du  Soudan  occidental,  entre  le 
10'  degré  de  longitude  ouest  et  le  25''  degré  de  longitude  est. 
C'est  celte  vaste  contrée  surtout  qu'il  importe  de  rattachera 
la  France  par  des  voies  ferrées,  instruments  administratifs, 
stratégiques  et  économiques. 

Nous  serons  beaucoup  plus  bref  sur  le  Soudan  que  nous 
ne  l'avons  été  sur  le  Sahara,  le  pays  étant  beaucoup  plus 
connu  et  son  avenir  prêtant  moins  à  contestation. 

Le  Damergou,  que  nous  avons  décrit  d'après  les  récits 
des  explorateurs  (Voy.  plus  haut,  pages  274  à  280),  conduit 
à  la  ville  de  Zinder;  on  entre  là  vraiment  dans  le  Soudan;  on 
est  encore  en  terre  française.  On  vient  de  voir  que  la  roule 
de  l'Algérie  à  Zinder  n'a  rien  de  bien  efiTrayant,  qu'elle  n*est 
désolée  que  sur  la  moindre  partie  de  son  étendue,  qu'à  des 
intervalles  qui  n'ont  rien  d'excessif,  elle  présente  partout  des 
points  d'eau,  des  pâturages  nombreux,  du  bois  même, 
qu'enfin,  à  partir  de  TAïr,  au-dessous  du  19"  degré,  jusqu'au 
14*  où  s'ouvre  le  Soudan  proprement  dit,  il  y  a  une  presque 
continuité  de  terres  offrant,  avec  une  population  déjà  séden- 
taire et  une  exploitation  assez  sérieuse  du  sol,  de  grandes 
«  possibilités  culturales  j>.  L'insécurité  seule,  une  insécurité 
terrible  et  de  tous  les  instants,  s'est  opposée  jusqu'ici  à  un 
plus  ample  développement  de  cette  région. 

Le  Sahara,  jusqu'ici  du  moins,  n'est  pas  un  but  suffisant 
en  soi,  c'est  surtout,  à  l'heure  présente,  une  route,  mais  une 
route  des  plus  frayables  et  offrant  des  ressources  latérales. 
L'Aïr  et  le  Damergou,  avec  leur  développement  actuel  et 
surtout  leurs  amples  «  possibilités  »,  sont  des  contrées  ayant 
une  incontestable  valeur  par  elles-mêmes,  mais  qui  pour- 
raient ne  pas  justifier  l'établissement  d'une  voie  ferrée  de 
plus  de  2000  kilomètres.  Le  Soudan,  au  contraire,  est 
un  but  et  justifie  largement  une  grande  voie  de  communi- 
cation de  cette  nature. 

Sur  Zinder  et  la  contrée  qui  l'avoisine,  ainsi  que  sur  la 
région  qui  borde  au  nord-ouest,  au  nord  et  à  l'est,  le  lac 


328     LE  SAHARA,  LB  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAflARlISS. 

Tchad,  nous  avons,  outre  les  témoignages  toujours  précieux 
de  Barth  et  de  M.  Foureau,  un  témoignage  nouveau,  celai 
du  commandant  Joalland,  le  chef  de  la  mission  de  TAfriqu* 
centrale,  qui  fut  d'abord  dirigée  par  Voulet  et  Chanoine. 
Avec  le  concours  de  ces  observations  diverses,  on  va  pouvoir, 
malgré  la  guerre  et  la  dévastation  dont  il  a  été  Tobjet,  assez 
nettement  juger  le  pays. 

Barlh,  dont  les  voyages  dans  le  centre  de  l'Afrique  onl 
duré  plus  de  cinq  ans  (1849  à  1855),  a  parcouru  plusieurs  fois 
le  Soudan  central.  Il  a  notamment  traversé  tout  le  rectangle 
avancé  de  Zinder,  qui  constitue  notre  part,  un  peu  trop 
échancrée,  quoique  récemment  rectifiée  (1904),  du  Soudan 
central  à  Touest  du  Tchad.  Quoique  nous  ne  soyons  pas  les 
mieux  lotis  dans  cette  région  à  Touest  du  fameux  lac  et  que 
notre  part  soit  loin  d'y  valoir  celle  de  l'Angleterre  et  peut-édx* 
même  celle  de  l'Allemagne,  la  lisière  soudanaise  assez  étroite 
qui,  de  ce  côté,  nous  est  laissée  (nous  avons  de  vastes  com- 
pensations à  Test  et  au  sud  du  Tchad)  ressort,  d'après  les 
descriptions  du  voyageur  allemand,  comme  ayant  une  valeur 
sérieuse.  L'ouvrage  de  Barth  est  rempli  de  cartes  détaillées 
où  chacun  de  ses  voyages  est  esquissé  avec  des  annotations 
nombreuses.  Si  Ton  prend  les  cartes  n^'  1  et  2  du  tome  II 
contenant  le  tracé  de  son  parcours  de  Katsena  à  Kouka  par 
Zinder,  on  voit  que  le  district  de  la  ville  de  Tessaoua,  qui 
avoisine  l'extrémité  à  l'ouest  de  notre  rectangle  centre- 
soudanais,  est  marqué  comme  une  région  fertile  {fruchlban 
Gegend),  que  Zinder  {alias^  Sinder)  est  portée  comme  ayant 
10000  habitants  et  se  trouvant  au  milieu  de  cultures  éten- 
dues, qu'il  en  est  de  même,  au  delà  de  Zinder,  à  l'est,  de  la 
ville  de  Mirria,  ancienne  capitale  de  la  province  et,  à  un  degré 
ou  un  degré  et  quart  de  longitude  à  l'est  de  Zinder,  un  peu 
plus  au  nord  quecelle-ci^desdeux  villes  de  Vouchek,  inscrile 
comme  ayant  8000  habitants,  et  Gouré,  comme  en  comptant 
de  9000  à  10000,  avec  divers  villages  voisins,  à  chacun  des- 
quels Barth  attribue  plusieurs  milliers  d'âmes.  D'après  la 
situation  qu'elles  ont  sur  la  carte  de  Barth,  ces  diverses  loca- 


LA  RÉGION  DE  ZINDER  ;  BARTH  ;   RESSOURCES  DU  PAYS.  329 

lilés  importantes  doivent  faire  partie  du  territoire  français  ; 
nous  ne  trouvons  à  ce  sujet  aucun  renseignement  dans  le 
journal  de  M.  Foureau,  qui  n*a  pas  suivi  cette  route;  mais 
la  carte  annexée  aux  récits  du  capitaine  Joalland  porte  Gouré 
dans  notre  territoire,  à  plus  forte  raison  Vouchek  doit-il  en 
faire  partie  (1).  En  tout  cas,  depuis  la  rectification  de  Tan  1904 
qui  abaisse  notre  frontière  jusqu'à  la  rivière  Komadougou, 
il  n'y  a  aucun  doute  que  ces  deux  villes,  Vouchek  et  Gouré, 
ou,  si  elles  ont  disparu,  par  les  dévastations  de  bandes 
soldatesques,  remplacement  où  elles  se  trouvaient,  ne  fassent 
partie  des  possessions  françaises.  Ce  seraient,  avec  Zinder, 
trois  villes  d'une  dizaine  de  mille  âmes  chacune. 

Ce  qui  frappe  surtout  dans  la  carte  de  Barth  et  ce  qui  est 
du  plus  haut  intérêt,  ce  sont  les  annotations  concernant  la 
culture  du  coton.  De  Tessaoua  jusqu'à  Gouré  et  au-dessous, 
dans  le  rectangle  français  du  sultanat  de  Zinder,  les  mots 
<  cultures  de  coton  »  reviennent  à  chaque  instant:  un  peu  au 
nord  de  Tessaoua,  «premiers  champs  de  coton  dans  le  Sou- 
dan »  (ersle  Baurnivollen-Felder  im  Sadan);  villages  de 
Tatéka,  «  coton,  melons  d'eau  »  {Baamwolle,  Wasser-melo- 
nen);  Dambéda,  coton  (Baamwolle);  Tyrméni,  belles  plan- 
tations de  coton  et  de  iah^c  {Schone  Baumivollen  und  Tabak 
Pflanzangen);  plus  loin  un  autre  village  tout  voisin  de  Zinder, 
cultures  étendues  de  céréales  et  coton  (Aasgedehnte  Getrei- 
defelderj  Baamwolle)  ;  de  l'autre  côté  de  Zinder,  coton 
encore;  un  peu  plus  à  l'est,  à  Potoro,  plantations  de  coton 
Baamwollen'Pflanzungen)  ;  à  Handara,  plantations  de  coton 
encore;  de  même  à  Kéléno,  de  môme  aussi  à  Vouchek,  éga- 
lement à  Gouré,  un  peu  plus  au  sud  à  Tunguré,  belles  plan- 
tations de  coton  {Schône  Baamwollen-Pflanzangen)^  etc.  ; 
tout  cela  dans  notre  territoire. 

Si,  de  la  carte,  nous  nous  reportons  au  texte,  il  n'est  pas 
moins  caractéristique  :  le  village  de  Potoro  est  remarquable 
par  l'étendue  de  ses  plantations  de  coton  (durch  die  Aus- 

il)  Voyez  la  carte  publii^e  dans  le  Bulletin  du  Comité  de  l'Afrique  française, 
juin  1901. 


330     LB  SAHARA,  LE  SOUDAN  BT  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIQ^L 

dehnung  seiner  Baumwollen-Pflanzungen  ausgezeichneîeî 
Dorf) ;ldi  ville  de  Mirria,  qui  est  qualifiée  de  très  bien  doué 
par  la  nature  {von  der  Natur  hôchsl  begûnsiiglen  Slâtle  el 
que  de  grands  arbres  de  l'espèce  des  tamarins  couvrent  d^une 
façon  gracieuse,  a,  au  nord,  une  notable  étendue  de  terre 
cultivée  en  colon  et  en  céréales  {ein  ansehnliches  Slûck  LarA 
mit  Baumwolle  und  Waizen  bebaut)  ;  aux  environs  de  Zinder, 
on  cultive  particulièrement  une  quantité  de  tabac  {besonders 
wird  ein  ansenhliche  Menge  Tabak  gebaut)  ;  à  Vouchek,  les 
plantations  de  coton  sont  qualifiées  de  luxuriantes  (eine  sehr 
uppige  Baumwollen'Pflanzungy  sorgfàllig  umzâumt)  ;  d'au- 
tres, comme  à  Tunguré,  sont  simplement  qualifiées  de  belle? 
plantations  (1).  Ainsi  le  coton  est,  dans  toute  cette  région, 
une  culture  habituelle,  on  l'y  retrouve  partout. 

Voilà  ce  qu'était  le  pays,  il  y  a  cinquante  ans;  passons  à 
une  description  plus  moderne,  d'ailleurs  succincte,  celle  du 
capitaine  Joalland,  qui,  en  1900,  comme  chef,  après  Voulel, 
de  la  mission  de  TAfrique  centrale,  a  parcouru  une  grande 
partie  de  nos  possessions  à  l'ouest,  au  nord  et  à  Test  du 
Tchad.  De  Zinder,  il  fit  une  pointe  vers  l'ouest  jusqu'à  Tes- 
saoua  et  traversa  les  lieux  décrits  par  Barth  entre  ces  deuî 
villes;  il  est  le  28  août  à  Tyrméni,  le  29  à  Tounkour,  «  pays 
de  mil  splendide  »,  le  30  à  Koutché,  le  1"  septembre  à  Ché- 
baré  et  le  4  à  Tessaoua  :  «  Dans  tout  ce  pays,  la  tranquillité 
était  absolue,  l'accueil  excellent,  les  récolles  bonnes.  Tes- 
saoua est  un  très  grand  village  entouré  d'un  beau  tata  cré- 
nelé, moins  haut  que  celui  de  Zinder,  mais  bien  entretenu... 
Les  cases  sont  bien  construites,  très  propres  ;  tout  respire 
le  bien-être,  car  Tessaoua  commerce  beaucoup  avec  l'Aïr  et 
le  Damergou...  La  récolte  était,  en  ce  moment,  d'une  extra- 
ordinaire abondance  qui,  correspondant  avec  l'occupaliofl 
du  pays,  attirait  aux  Français  la  sympathie  de  tous.  »  Le 
capitaine  Joalland  ne  dislingue  pas  entre  les  cultures;  ce 
n'est  pas  son  affaire  ;  mais  on  voit  que  l'aspect  du  pays  lui 

(1)  Barth,  Rehen  und  Entdeckungen,  t.  IV,  pages  52,  6i,  76,  77,  78,  79. 


MISSION  FOURBAU  :  LA  RÉGION  DE  ZINDBR,  RESSOURCES  DU  PAYS.     331 

paraît  satisfaisant.  Il  se  contente  de  noter  plus  loin  des 
montagnes  ferrugineuses  (1).  Sur  Zinder,  il  est  enthousiaste  : 
«  Pour  donner  une  idée  exacte  de  ce  qu'est  ce  pays  de  Zin- 
der, il  me  faudrait  évoquer  des  tableaux  des  Mille  et  une 
Nuits.  Il  me  faudrait  décrire  et  Tintérieur  du  palais  du  sultan, 
avec  ses  lits  couverts  d'étoffes  de  soie  et  de  velours  brodés 
d  or,  le  tout  parfumé  à  l'essence  de  rose  ;  il  me  faudrait 
évoquer  le  faste  oriental  transporté  en  pleine  Afrique  cen- 
trale ;  il  faudrait  décrire  aussi  ces  cavalcades  où  les  accoutre- 
ments les  plus  grotesques  se  mêlent  aux  manteaux  brodés 
el  aux  velours  damassés.  Qu'il  me  suffise  de  dire  que  le 
pays  de  Zinder  est  un  pays  riche  où  le  blé,  le  citronnier,  le 
mil,  le  maïs,  le  riz,  les  dattiers,  etc.,  en  un  mot  tous  les  pro- 
duits soudanais,  poussent  en  abondance.  Le  climat  y  est 
admirablement  sain,  aussi  ne  crains-je  pas  d'affirmer  que  ce 
pays  est  appelé  à  un  grand  avenir,  sinon  pour  la  grande,  du 
moins  pour  la  petite  colonisation  (2).  » 

Le  témoignage  de  ce  brillant  officier  confirme  celui  de 
Barth;  est-il  infirmé  parla  déposition  de  M.  Foureau,  qui  fit 
à  Zinder  une  station  de  cinquante-six  jours?  En  aucune  façon. 
Sans  être  aussi  dithyrambique,  le  chef  de  la  mission  saha- 
rienne est  tout  aussi  catégorique  sur  l'aspect  favorable  des 
lieux  et  des  hommes;  aux  approches  de  la  ville,  il  est  reçu 
par  le  sergent  français  Bouthel,  homme  remarquable  qui, 
CQ  l'absence  du  capitaine  Joalland,  parti  pour  contourner  le 
Tchad,  commanda  longtemps  el  avec  un  rare  succès  un  petit 
poste  de  Sénégalais  occupant  le  pays  pour  la  France.  Lais- 
sons narrer  par  M.  Foureau  la  réception  faite  à  la  mission 
saharienne  aux  abords  de  Zinder  :  «  Â  droite,  Bouthel  et 
ses  Sénégalais  présentaient  les  armes  ;  à  gauche,  une  masse 
épaisse  de  cavaliers  de  Zinder  avec,  en  tête,  le  sultan  Ahmi- 
dou  et  Mallem-Yaro,  splendidement  montés  et  équipés, 
accompagnés  de  la  foule  de  fonctionnaires  qu'exige  Téli- 
quette  des  sultans  noirs.  Le  sultan  et  Mallem-Yaro  s'avan- 

(i)  Bulletin  mensuel  du  Comité  de  V Afrique  française,  \\ï\n  1902,  page  i95. 
(2)  Ihid.,  juin  1901,  page  196. 


332     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CREMINS  DE  FER  TRANSSAHARIEV 

cent  pour  nous  saluer  et  nous  souhaiter  la  bienvenue,  pui^ 
nous  précèdent  avec  leurs  innombrables  cavaliers;  nous  k- 
suivons  aussitôt  vers  Zinder.  Cette  réunion  bigarrée,  sci: 
tillante,  dans  laquelle  se  voient  de  très  beaux  chevaux  ricb. 
ment  harnachés  ;  ces  galopades  et  ces  envolées  de  fanla^i 
dans  la  poussière  sont  un  magnifique  spectacle  au  milieu  des 
blocs  de  granit  des  collines  et  des  arbres  des  vallées  (If...  > 
L'auteur,    enthousiasmé,  poursuit  longtemps  encore  celte 
description.    Il   réside,  en    dehors  de    la     ville,    dans  ul 
bloc   de  constructions  qu'un  riche  commerçant,  cité  plu? 
haut,  Mallem-Yaro,  a  donné  à  la  France  et  qui  a  pris  : 
nom  de  Fort  Cazemajou,  en  mémoire  de  l'infortuné  capiUm. 
français  qui  fut  assassiné  à  Zinder,  un  an  auparavant.  <  Le 
tata  du  commandement,  la  plus  importante  des  construction- 
de  pisé,  est  un  édifice  massif  rappelant  comme  extérieurle^ 
maisons    de   Djenné,  si  bien    décrites  par  M.  Dubois,  el 
quant  à  Tintérieur,  les  dispositions  sont  identiques  à  celb 
des  belles  maisons  arabes  d'Algérie,  mais  le  tout  en  Icrrr 
seulement.  Ce  tata  comporte  un  étage  et  des  terrasses.  Le> 
salles  du  rez-de-chaussée  sont  soutenues   par   d'épaisse^ 
colonnes  en  toubes  (briques  séchées)  d'un  gros  diamètre 
dont  quelques-unes  sont  ornées  de  dessins  en  relief,  soit  cl 
nervures  droites,  soit  en  hélice.  » 

La  ville  de  Zinder  occupe  une  surface  d'environ  125  hec- 
tares, entourée  de  murailles  en  terre  de  9  à   10  mètres  à 
hauteur  et  de  12  à  14  mètres  d'épaisseur  à  la  base  aux  envi- 
rons des  sept  ouvertures,   qui  sont  fermées  chacune  p3: 
deux  portes  en  bois,  bardées  du  haut  en  bas  de  lamelles  d 
fer.  D'un  mamelon  situé  à  l'intérieur  de  l'enceinte,  «  on 
jouit  d'une  vue   merveilleuse  sur  la  plaine   uniforménienl 
recouverte  de  grands  arbres  :  baobabs,  korna,  téboraq,  gao. 
grands  gommiers,  quelques  agouas  et  quelques  doums., 
L'aspect  général  de  Zinder  est  riant  et  heureux.  Cette  impres 
sion  est  due  à  la  diversité  des  cases  et  des  maisons,  à  1< 

(i)  Mission  saharienne,  page  500. 


MISSION  FOURBAU  '.   LA   HÉG10N   DE  ZINDER,  RESSOURCES  DU  PAYS.     333 

I 

(lissymétrie  avec  laquelle  elles  sont  placées,  enfin  et  surtout 
aux  nombreux  arbres  qui  s'élèvent  un  peu  partout  dans  un 
nrlislique  désordre,  semant  des  multiples  taches  sombres 
de  leurs  frondaisons  le  fond  plus  clair  des  constructions... 
Elles  sont  par  moitié  à  peu  près  en  maisons  de  briques  de 
lerre  séchées  au  soleil  (toubes)  et  le  reste  en  paillottes  de 
formes   assez  diverses  et  au  toit  conique...  Quant  aux  con- 
structions en  toubes  à  forme  cubique,  elles  sont  faites  à  la 
manière  arabe  avec  terrasses;    leurs  contours,   en   môme 
temps  que  leurs  masses  un  peu  épaisses,  ont  été  évidem- 
ment inspirés  par  des  souvenirs  de  Tart  égyptien.  L'ornemen- 
tation intérieure  elle-même  se  rapporte  au  môme  style  (1).» 
Ce  ne  sont  donc  pas  des  tribus  noires  primitives  et  dépri- 
mées que  Ton  rencontre  dans  ce  Soudan  central,  ce  sont 
des  peuplades  policées,  qui  ont,  venant  sans  doute  d'Egypte, 
comme  le  fait  remarquer  souvent  M.  Foureau,  de  vieilles 
traditions  de  civilisation.  Les  hommes  sont  très  bien  faits 
et  surtout  les  femmes,  c  Leurs  bustes  de  bronze  luisant  sont, 
le  plus  souvent,   d'un  irréprochable  dessin,  et  plus  d'un 
sculpteur  serait  heureux  de  posséder  de  semblables  mo* 
dèles.  »  La  ville  est  pleine  de  vie,  le  marché  très  animé  et 
bien  pourvu.  Le  quartier  delà  boucherie  se  trouve  en  dehors 
du  grand  marché;  c  les  indigènes  qui  vendent  de  la  viande 
n  abattent,  en  général,  que  des  animaux  très  gras,  surtout 
des  moutons,  la  viande  qui  en  provient  est  de  très  belle 
qualité  ».  Tous  les  produits  manufacturés  de  l'Afrique  et  de 
l'Europe  se  rencontrent  à  Zinder;  les  magasins  d'un  riche 
marchand,  Mallem-Yaro,  le  personnage  le  plus  important 
du  pays  après  le  sultan,  sont  bondés  des  marchandises  les 
plus  diverses,  y  compris  des  boîtes  de  parfumerie  d'origine 
française,  des  bouteilles  d'absinthe  et  d'eau  de  Hunyadi- 
Janos. 

On  remarque  à  Zinder  nombre  d'ouvriers  habiles  ;  d'une 
part,  des  teinturiers,  le  pays  produisant  de  l'indigo  et  d'au- 

(1)  Mission  saharienne,  pages  504,  5i0,  512,  514. 


334     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  GBEMINS  DE  FER  TRANSSÀBàUE^i 

très  produits  colorants,  certains  d  origine  minérale,  elfaîsaLl 
un  très  grand  usage  de  couleurs  et  de  vernis  pour  enduire  t\ 
décorer  Tintérieur  des  maisons;  de  Tautre,  des  selliers  el  | 
des  cordonniers,  la  région  fournissant  du  cuir  en  aboadax}£^ 
et  riiabitude  des  riches  harnachements  pour  les  cavaliers 
des  classes  riches  étant  très  répandue  ;  enQn,  des  forgerons, 
orfèvres  ;  le  travail  du  fer  et  du  cuivre  est  très  bien  compris 
à  Zinder,  et  cette  observation  est  très  importante.  Il  est  foil 
dans  cette  ville  comme  dans  toute  la  contrée,  suivani  h 
remarque  de  Barth  que  nous  avons  reproduite  plus  haul,  uu 
très  grand  emploi  du  cuivre;  M.  Foureau  le  remarque  aussi, 
les  forgerons  indigènes  fabriquent  des  bijoux  de  femmes  el 
se  transforment,  à  Toccasion,  en  orfèvres;  ils  fondent  l'or  el 
l'argent;  «  ils  produisent  aussi  des  mors  de  brides, des cli^/- 
nettes  de  brides  et  des  têtières  de  brides  assez  élégantes, 
ornées  de  découpures  de  cuivre,  de  fer-blanc  et  de  petits 
grelots  de  cuivre  assez  artistiques.  Indépendamment  de  ces 
divers  bijoux,  les  femmes  haoussa  portent  d'énormes  brace- 
lets de  cuivre  rouge  ou  de  cuivre  jaune  (laiton)  qui  pèsent 
jusqu'à  2  ou  3  kilogrammes  ».  Certaines  femmes  en  portent 
jusqu'à  deux  à  chaque  bras;  on  fait  aussi  de  plus  petits 
bracelets  mi-partie  en  cuivre  rouge,  mi-partie  en  laiton.  Si 
Ton  ajoute  que  M.  Foureau  a  vu  cinq  canons  de  cuivre  fon- 
dus à  Zinder  même  (1),  on  aura   bien   des  indications  dt 
Fabondance  de  ce  métal  dans  ce  pays  et  Ton  en  conclura 
que,  suivant  les  probabilités,  les  anciennes  mines  de  cuivre, 
dont  Barth  a,  par  la  renommée,  constaté  l'existence  entre 
l'Aïr  et  Zinder  (Voy,  plus  haut,  page  273),  ne  doivent  pas 
être  épuisées  ou  qu'il  s'en  trouve  d'analogues.  Ce  serait  là 
un  fait  capital.  Un  autre  fait  qui  tendrait  aussi  à  le  démon- 
trer, c'est  que  l'on  vend  couramment  sur  les  marchés  dans 
le  Bornou  «  du  soufre  cristallisé,  dont,  dit  M.  Foureau,  je 
n'ai    pu   savoir   la    provenance  (2)  ».   Or,  le  cuivre  el  le 
soufre  sont  des  matières  que  l'on  trouve  dans  les  mêmes 

(1}  Mission  saharienne,  page  503. 
(2)  Ibid,,  page  634. 


[ISSION    FOUREAU  :   U  RÉGION  DE  ZINDER,  RESSOURCES  DU  PAYS.      335 

gisements.  Que  le  pays  des  environs  de  Zinder  et  dans  TAïr 
;oit  très  minéralisé,  on  en  a  un  autre  témoignage  de  la  part 
l'un  homme  des  plus  compétents,  M.  Dorian,  qui  appartenait 
I  une  grande  famille  métallurgiste  et  qui  accompagna  le 
commandant  Lamy  dans  une  excursion  vers  Tessaoua  : 
K  Dorian  a  recueilli,  au  cours  de  cette  tournée,  de  très 
nléressants  échantillons  de  minerai  de  fer  aux  environs  du 
/illafçe  de  Kantchi.  Il  me  dit  que,  dans  toute  cette  région, 
ie  minerai  abonde;  qu^ily  existe  de  nombreux  emplacements 
perforés  de  trous  profonds,  semblables  à  des  puits,  et  d'où 
Ton  extrait  le  minerai.  Les  indigènes  le  fondent  dans  des 
sortes  de  hauts  fourneaux  en  forme  de  creusets.  Il  ajoule 
que,  dans  cette  contrée,  on  fabrique  quantité  de  lances  et 
d* autres  objets  en  fer  (1).  »  On  sait,  en  outre,  que  Tétain, 
malgré  Ténormité  des  prix  de  transport  par  caravane,  a 
toujours  fait  partie  des  exportations  du  Soudan  par  la  voie 
de  Tripoli. 

La  ville  de  Zinder  a  une  annexe,  Zengou,  qui  est  à  une 
distance  de  1500  mètres  et  n'est  pas  entourée  de   murs. 
M.  Foureau  évalue  à  10000  âmes  la  population  de  Zinder  et 
à  4000  ou  5000  celle  de  Zengou.  Dans  les  deux  agglomérations, 
la  population  a  un  certain  soin  de  sa  demeure  et  de  sa  per- 
sonne. Quelques  détails  caractéristiques  Pindiquent  :  «  L'en- 
tourage de  toutes  les  cases  est  toujours  très  propre  et  bien 
balayé...  Chaque  maison  aussi  bien  à  Zengou  qu'à  Zinder 
possède  ses  latrines,  dans  une  cour,  lorsqu'il  s'agit  d'une 
maison  en  toube,  et  dans  l'enclos  entouré  de  seccosy  s'il 
s'agit  d'une  paillotte  »,  et  M.  Foureau  en  fait  la  description 
en  ajoutant  :  «  C'est  presque  soigné,  comme  on  le  voit  (2).  » 
Depuis  notre  prise  de  possession  si  récente,  Zinder  prend 
de  Tessor  et,  maintenant  que  la  sécurité  y  paraît  assurée,  il 
s'y  fait  un  certain   mouvement   de  constructions.   Zinder 
semble  môme  vouloir  menacer  un  peu  Kano,  la  métropole 
commerciale  du  Soudan.  Barth  a  dressé  l'itinéraire  de  Kano 

(1)  Mission  saharienne ^  page  566. 
(i)  Ibid,,  pages  5âl  et  522. 


336     LE  'SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIENS. 

à  Zinder  :  il  n'y  a  que  cinq  jours  de  marche.  Kano,  d'après 
Glapperlon,  comptait  de  30000  à  40000  habitants;  d'après 
Barth,  30000  habitants  pendant  la  plus  grande  partie 
de  l'année,  et  60000,  dans  le  temps  de  la  plus  grande  ani- 
mation, de  janvier  à  avril  (1).  Zinder  est  ainsi  la  véritable 
porte  du  Soudan  ;  elle  se  trouve  à  7  degrés  environ  de  lon- 
gitude est  de  Paris  et  à  peu  près  sur  le  méridien  de  Bône  ou 
la  Galle  ;  on  y  arrive  presque  en  ligne  droite  de  Biskra,  en 
longeant  l'Âïr;  ce  sont  ces  circonstances  qui,  avant  même 
les  explorations  récentes  si  favorables,  nous  la  faisaient 
désigner  comme  le  point  tout  indiqué  d'aboutissement  du 
Transsaharien  de  la  région  du  Tchad. 

(1)  Barth,  Reisen  und  Entdeckungen,  t.  III,  pages  144  et  669. 


CHAPITRE  11 

\   RÉGION   DU  LAC  TcHAD.    —    La    ZONE    d'iNONDATION   DU  LAC 
ET   DE    SES   TRIBUTAIRES. 


i  contrée  enlro  Zinder  et  lo  lac  Tchad.  —  Importante  rectification  do  frontière 
nous  donnant  pour  limite  la  riviôro  du  Komadougou,  par  Taccord  franco- 
anglais  de  1904. 

''vaslaCion  de  tout  le  pays  par  Rabah.  —  Description  que  fait  M.  Fourcau  de 
i-os  rava«:^f;s  et  de  ces  ruines,  particulièrement  en  ce  qui  touche  la  ville  do 
Kuuka. 

i  partie  du  ]>ays  ayant  i-chappi''  à  ces  ravages  donne  des  preuves  de  richesse 
îu-lut'lle  et  de  beaucoup  plus  grande  richesse  possible.  —  Bétail  superbe  d'après 
M.  Foureau.  —  Abondance  de  la  vie  animale.  —  Belle  végétation  :  arbres 
rxtraordinairos.  —  «  Cultures  de'  mil  à  perte  de  vue  ».  —  Tabac,  indigo, 
colon.  —  Rapprochement  des  témoignages  de  Foureau  et  de  Barth  sur  les 
euKurcs  de  coton.  —  «  Champs  de  coton  ». 

l's  inondations  périodiques  du  Tchad,  du  Komadougou  et  des  autres  cours 
dVau  de  la  région.  ■—  Evaluation  de  l'aire  de  ces  inondations. 
es  objections  et  les  inductions  de  M.  Chevalier.  —  Comment  elles  ne  peuvent 
l»révaloir  contre  la  concordance  des  nombreuses  explorations  antérieures, 
dont  plusieurs  sont  récentes. 

'insécurité  constante  et  accrue  sous  Rabah  est  la  seule  cause  de  l'abandon  des 
cultures  et  de  la  réapparition  de  la  brousse.  —  Témoignages  à  ce  sujet. 
.e  Kanein  ;  témoignages  de  Foureau  et  de  Joalland. 
êinoignagc  de  Gentil  :  «  Décidément  la  région  du  Tchad  est  riche  ». 


De  môme  que,  de  Zinder,  on  atteint,  en  quelques  étapes, 
(ano,  la  métropole  commerciale  du  Soudan,  de  même  on 
jagne  facilement,  au  sud-est,  Kouka,  Tancienne  grande 
capitale  du  Bornou,  à  laquelle  l'ensemble  des  témoignages 
es  plus  authentiques,  y  compris  les  plus  récents,  ceux  de 
M.Monteil  et  de  M.  Foureau,  attribuent  une  population  d'une 
centaine  de  mille  âmes,  avant  sa  destruction  par  Rabah. 

M.  Foureau  a  fait  ce  trajet  de  Zinder  à  Kouka,  puis  il  a 
remonté  vers  le  nord  en  suivant  les  rives  du  lac  Tchad, 
qu'il  a  complètement  contournées  à  Test,  pour  rejoindre,  au 
sud-est  de  cette  grande  nappe  d'eau,  vers  l'embouchure  du 
Chari,  qui  s'y  jette,  les  deux  missions  de  l'Afrique  centrale 
el  de  Gentil. 

22 


338     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSADAR1E>f 

L*espace  nous  manque  pour  suivre  la  mission  saharienne» 
dans  tout  ce  parcours  ;  nous  nous  contenterons  de  relever 
les  traits  principaux  qui  doivent  permettre  déjuger  du  pays 
et  de  son  avenir  quand  la  sécurité  y  sera  assurée.  M.  Fourea-i 
quitta  assez  tôt  le  territoire  français  qui,  alors,  était  Irn 
échancré  à  Test,  du  côté  du  Tchad,  et  eût  dû  être  prolong»' 
jusqu'à  la  grande  rivière  de  Komadougou,  un  des  cours  d'eau 
qui  se  jettent  dans  le  Tchad,  vers  le  tiers  nord  à  peu  prè^^ 
de  la  rive  occidentale  de  ce  lac.  Nous  indiquions,  dans  un 
article  h  ce  sujet,  publié  par  la  Revue  des  Deux  Mondes  [X^ 
qu'il  devait  être  aisé  d'obtenir  de  TAngleterre  cette  recli- 
(ication  ainsi  que  quelques  autres.  C'est  ce  qui  est  arrivé  par 
raccord  franco-anglais  de  1904  qui,  d'une  part  abaisse  un 
peu  notre  frontière,  entre  le  Niger  et  Tessaoua,  du  côlé  de 
Sokoto,  et,  d'autre  part,  donne  pour  limite  à  nos  possessions 
la  rivière  de  Komadougou,  du  côté  du  lac  Tchad. 

Une  grande  partie  de  la  contrée  ainsi  parcourue,  de  Zinder 
à  Kouka,  par  la  mission  saharienne,  a  été  effroyablcmenl 
ravagée  par  Rabah,  le  terrible  conquérant  noir,  dont  no? 
Irois  colonnes  réunies,  celle  du  Chari,  celle  de  l'Afrique 
centrale  et  la  mission  saharienne,  toutes  sous  la  conduite 
de  l'héroïque  et  infortuné  commandant  Lamy,  ont  triomphé 
en  avril  1900.  On  peut  lire  le  récit  émouvant  de  celte  lulle 
dans  le  beau  livre  de  M.  Gentil,  l'administrateur  colonial 
auquel  est  due  en  grande  partie  la  préparation  de  notre  con- 
quête des  deux  tiers  des  rives  du  Tchad  (2).  Nous  emprun- 
terons plus  loin  à  cet  ouvrage  quelques  extraits  qui  achève- 
ront de  peindre  la  région.  Un  conquérant  noir  renchérit 
encore  sur  Tamerlan  ou  Gengiskhan;  il  fait  autour  de  lui  la 
désolation  et  la  ruine.  Le  journal  de  M.  Foureau  mentionne, 
à  chaque  instant,  dans  cette  partie  du  récit,  d'effroyables 
dévastations  deRabah  oudeseslieutenants.  «  De  toutesparis 

(1)  Livraison  du  l^""  novembre  1902,  paf,'e  133.  «  U  semble  qu'il  serait  ai- 
(lisions-nous  dans  cet  article,  d'obtenir  de  l'Angleterre  celte  rectification.  \n.< 
que  quelques  autres,  à  l'occasion  de  la  revision  de  nos  droits  sur  Terre-Neuvo.  < 
L'événement  a  confirmé  nos  prévisions. 

(:*)  Emile  Gentil,  la  Chute  de  VEmpire  de  Rabah,  1902;  Hachette, 


LA  RÉGION  DU  LAC  TCHAD.  —  RESSOURCBS  DU  PAYS.  339 

dans  la  brousse,  mais  surtout  aux  environs  des  villages,  ou 
voit  gisant  à  terre  des  ossements  humains.  Des  crânes 
jonchent  le  sol  et  les  soldats  de  Rabah  ont  dû  faire  dans  cette 
région  dinnombrables  hécatombes.  Cette  rage  de  destruc- 
tioû  et  de  tuerie  est  vraiment  effrayante;  ces  vestiges  récents 
sentie  lamentable  épisode  d'une  sauvage  invasion.  Ce  n*est 
pas  sans  raison  que  les  noirs  de  ce  pays  ne  parlent  de 
Rabah  qu*en  tremblant  et  en  donnant  tous  les  signes  d'une 
terreur  sans  nom.  L'emplacement  du  camp,  en  particulier, 
qui  était  autrefois  un  des  villages  de  Gaschguer,  est  un  véri- 
table ossuaire.  »  Et  il  en  est  fréquemment  ainsi  tout  le  long 
de  la  route;  la  mention  «  village  détruit  par  Rabah  »  revient 
avec  une  terrible  monotonie  (1),  et  le  comble  de  l'horreur, 
c'est  la  destruction  absolue  de  cette  ville  de  Kouka,  aux 
100  000  âmes,  que  Barth  et  Monteil  ont  connue  florissante. 
«Xous  cheminons  longtemps,  dit  M.  Foureau,  au  milieu  des 
maisons  ébranlées  et  des  débris  d'une  splendeur  passée  que 
rien  ne  vient  plus  rappeler...  La  mission  quitte  cette  der- 
uière  partie  de  la  ville  en  franchissant  les  vestiges  de  son 
mur  de  rempart  le  plus  occidental,  dont  l'aspect  est  encore 
fort  imposant  ;  là  elle  débouche  sur  un  ancien  vaste  marché, 
1res  large  avenue  bordée  de  maisons  en  toubes  (briques 
séchées  au  soleil),  évenlrées,  mais  encore  debout;  c'était  là 
une  banlieue  extra  muros  très  importante.  La  traversée  totale 
de  la  ville,  de  l'est  à  l'ouest,  compte  environ  4  kilomètres, 
kilomètres  pénibles,  puisqu'ils  se  développent  continuelle- 
ment entre  des  ruines  (2).  »  C'était  donc  vraiment  une  grande 
ville  que  Kouka,  dont  les  débris  impressionnent  encore. 

Une  contrée  qui  nourrit  et  soutient  une  capitale  de 
lOOOOOâmes  ne  peut  être  dépourvue  de  ressources.  Aussi  ce 
pays,  dans  sa  plus  vaste  étendue,  apparatt-il  comme  bien 
doué  de  la  nature.  Il  s'y  rencontre,  sans  doute,  des  zones 
ou  bandes  de  terrains  médiocres,  comme  celle  qui  s'étend 

11)  Mission saharienne.Yoy,  nolamment  pages  589.  591,  593,  602,  610,  614,615, 
624.  625,  637,  640,  etc. 
(2)  Ibid.,  pages  625  et  626. 


340     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIE>< 

de  rextrémité  de  rancien  rectangle  avancé  de  Zinder  au 
Tchad;  là,  sur  une  longueur  de  120  kilomètres  environ, lui 
trouve  un  sol  assez  ingrat  où  les  habitants  vivent  surtout 
de  la  production  d'un  sel  de  mauvaise  qualité,  ou  plutôt  è. 
natron,  que  le  sous-sol  fournit  en  quantités  assez  abondantes 
Mais  de  beaucoup  la  majeure  partie  de  la  région  offre  tous  le.^ 
signes  d'une  grande  richesse  actuelle  et  d'une  beaucoup  plus 
grande  richesse  possible.  Les  villages,  là  où  se  sont  arrêter 
les  ravages  de  Rabah,  sont  nombreux  et  florissants,  les  habi- 
tants affables  ;  ils  ont  des  aptitudes  industrielles,  pour  h 
poterie  par  exemple.  Le  gros  bétail  se  rencontre  partout  ti 
d'un  très  beau  type  :  «  leurs  bœufs  sont  très  beaux  etpounus 
de  cornes  énormes  ».  Effrayés  par  l'arrivée  de  la  missiur . 
les  habitants  de  certains  villages  se  sontenfuis,  d'autres  t  se 
sont  bornés  à  faire  évacuer  vers  le  nord  de  grands  trou- 
peaux de  bœufs.  Leurs  bœufs,  comme  ceux  d'Arégué,  sool 
très  beaux  ;  beaucoup  d'entre  eux,  surtout  ceux  destinés  au 
portage,  sont  castrés  et  la  plupart  en  très  bel  état  de 
graisse  (l).*.  »  Les  moutons  aussi  abondent.  La  vie  animale 
est,  d'ailleurs,  exubérante;  le  gibier  de  toute  nature  pullule, 
et,  par  endroits,  le  pays  est  «  une  véritable  volière  (2)  ». 

La  vie  végétale  ne  le  cède  pas  à  la  vie  animale;  à  chaque 
instant,  le  journal  de  M.  Foureau  s'émerveille  de  la  beauU' 
des  arbres.  En  voici  un,  aux  abords  d'un  village  détruit  par 
Rabah  :  <  Seul,  archisécuiaire,  majestueux  et  énorme,  ua 
magnifique  figuier  sycomore  étend  sa  ramure  colossale  à 
Tangle  sud  du  village  et  offrirait  sans  exagération  l'hospi- 
talité de  son  ombre  à  un  régiment  tout  entier  (3).  »  D'autres, 
aux  termes  du  Journal  de  la  mission,  se  contenteraient  d'abri- 
ter chacun  une  centaine  de  cavaliers.  Le  figuier  sycomore 
surtout  paraît  être  gigantesque,  M.  Foureau  lui  applique 
cette  épithète  dans  d'autres  passages.  Les  cultures  couvrenl 
des  surfaces  considérables  ;  c'est  le  mil  qui  domine.  «  Le 

(1)  Mission  sahanenne,  pages  583,  594,  595,  630,  632.  644. 

(2)  /6«t/.,  page  633. 

(3)  Ibid.,  page  640;  voyez  aussi  pages  584,  590.  591,  592,601,  604.  608,  612. 65£ 


MISSION  FOUREAU  :  CULTURES  DE  COTON  DANS  LA  REGION  DU  TCHAD.     341 

sentier  ne  quitte  pas  les  cultures  de  mil...  ;  on  chemine 
dans  des  cultures  de  mil  à  perle  de  vue,  sillonnées  de  sen- 
tiers courant  dans  toutes  les  directions.  Des  troupeaux  de 
bœufs  et  de  moutons  paissent  de-ci  de-là  accompagnés  d'au- 
truches privées...  Le  mil  règne  en  maître  partout  (1).  »  On 
trouve  aussi,  outre  de  nombreuses  variétés  de  légumes,  du 
blé,  du  tabac,  de  Tindigo,  et  surtout  une  plante,  bien  plus 
importante  au  point  de  vue  mondial,  le  coton. 

On  a  vu  combien  Barth  avait  été  frappé  des  nombreuses 
et  parfois  importantes  cultures  de  coton  dans  le  Soudan.  Le 
témoignage  de  M.  Foureau  n'inflige  encore  sur  ce  point 
aucun  démenti  à  Barth;  car,  à  chaque  instant  depuis TAïr, 
le  mol  de  coton  revient  sous  sa  plume,  comme  celui  de 
Banmivolle  sous  celle  de  Barth.  Dès  TAïr,  aux  environs 
d'Agadez,  le  coton  lui  apparaît  (2).  II  ne  le  quitte  pour  ainsi 
dire  plus.  On  le  retrouve  à  chaque  pas  dans  le  Damergou, 
dans  le  pays  de  Zinder,  dans  le  Bornou  et  sur  les  deux 
rives  du  Tchad.  Ce  ne  sont  souvent  que  des  jardinets  et  de 
petits  carrés;  mais  cela  tient,  sans  doute,  d*une  part,  à  Tin- 
sécurité  et,  d*autre  part,  à  ce  que  la  demande  du  coton  est 
purement  locale,  toute  exportation  en  étant  impossible  par  le 
prix  des  transports.  Cependant,  les  cultures  deviennent  de 
place  en  place  plus  importantes,  et  on  les  arrose  ou  on  les 
irrigue.  Alors,  il  ne  s*agit  plus  de  jardinets,  mais  de  <  champs 
de  coton  »  ;  celte  expression  revient  fréquemment,  et  ils  sont 
assez  étendus  pour  que  la  mission  y  campe  :  «  Cette  brousse 
3ède  alors  la  place  à  des  champs  de  coton...  ;  c'est  dans  ces 
champs  de  coton  que  nous  campons.  »  Aux  environs  de 
Kouka  détruite,  la  plaine  «  est  jonchée  de  dépressions 
lont  le  sol  noir  a  été  cultivé  jadis  en  coton  et  en  mil...  » 
^lus  loin,  t  sur  le  bord  des  étangs  et  entre  le  camp  et  la 
ivièrc  (le  Komadougou),  s'étendent  des  cultures  d'orge,  de 
>lé  et  de  coton  qui  s'arrosent  au  moyen  de  perches  à  bascule 
iuisant  l'eau  en  contre-bas  dans  ces  divers  réservoirs...  » 

(l)  }fis9ion  aaharienne,    pages  579,  595. 
d\  Ibid.,  page  420. 


342     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAQARIE!;: 

Plusieurs  fois,  pour  la  région  est  et  sud-est  du  Tchad,  \t 
journal  parle  de  ces  irrigations  de  colon.  D'après  nombre 
de  passages,  il  est  clair  qu'il  ne  s*agit  plus  de  cultures  spora- 
diques  et  insigniGantes  (1). 

Le  point  important,  d'ailleurs,  ce  n'est  pas  Téteodue 
actuelle  de  ces  cultures  de  coton  pour  un  marché  restreint, 
c'est  la  fréquence  de  ces  cultures  indiquant  une  parfait? 
adaptation  de  la  plante  au  pays.  De  toutes  les  matières  vég? 
taies,  en  dehors  de  celles  qui  servent  à  ralimentalion  «ir 
rhomme,  le  coton  est,  sans  aucune  comparaison  possible 
la  plus  importante,  celle  dont  la  demande,  sur  le  marclr 
universel,  se  développe  avec  le  plus  de  constance  et  de  régu- 
larité, au  point  qu  elle  tend  toujoursà  excéder  l'offre.  Unpajs 
qui  peut  produire  le  coton  en  abondance  et  à  bas  prixesl  assuri 
d'une  exportation  énorme.  On  Ta  bien  vu  par  TÉgyplc,  Aonl 
la  production  de  coton  était  modique,  il  y  a  un  demi-siècle,il 
est  devenue  très  considérable  depuis  quelques  années;  de 
1890-91  à  1899-1900,  elle  s'est  accrue  dans  ce  pays  de  plusde 
60  p.  100,  atteignant  dans  cette  dernière  année  6510000  kao- 
tars  de  50  kilogrammes,  soit  325500  tonnes  ;  l'étendue  con>> 
crée  à  cette  culture  était  de  906  000  acres  anglais  (2),  soilJf 
371 000  hectares.  La  production  moyenne  approche  doncd'onc 
tonne  par  hectare  (exactement  877  kilos  à  l'heclare).  H  s'agi'- 
ici,  il  est  vrai,  de  coton  brut,  la  flbre  de  coton  n'est  produite 
qu'à  raison  de  250  à  300 kilos  à  l'hectare.  11  suffirait  quedaû* 
le  Soudan  central  on  put  consacrer  200000  hectares  à  la 
production  méthodique  du  colon  pour  qu'on  obtint,  avec  le 
même  rendement,  entre  50  000  et  60000  tonnes  de  coIod. 
presque  toutes  destinées  à  l'exportation  en  Europe.  Or.  i 
n'est  pas  douteux  que  ce  n'est  pas  seulement  200000  he:- 
lares  qu'on  pourrait  planter  en  colon  dans  la  région  du 
Tchad,  mais  probablement  le  double  de  cette  étendue  ('Ji 

(1)  Mission  saharienne,  pagos  403,  499,  509,  570,  574,  595,  001,  COC.  OU.  ''• 
613,  615,  617,  627.  632.  637,  630,  641,  666,  668. 

(2)  The  Stalesman's  Yearbook,  1901.  page  1164. 

^3)  Nous  donnons  plus  loin  (pages  365  et  366)  quelques  renseignemcob  *«•  " 
culture  (lu  coton. 


LA  RÉGION  DU  TCHAD  :   LES  INONDATIONS  PÉRIODIQUES.  343 

Rien  ne  ressemble  plus  à  TÉgypte  que  la  région  du  Tchad  ; 
c'est  un  climat  analogue,  avec  plus  de  conditions  de  salu- 
brité pour  TËuropéen,  grâce  à  la  fraîcheur  des  nuits  en 
hiver,  qui,  d*aprës  Barth,  durant  trois  mois,  s'abaisse  à  4  ou 
5 degrés  au-dessus  de  zéro;  c'est  une  population  de  môme 
nature,  industrieuse,  laborieuse  et  douce,  M.  Foureau  Ta 
reconnu  maintes  fois;  c*est  la  môme  flore;  ce  sont  les 
mêmes  cultures;  enfin  et  surtout  tout  ce  Soudan  central  et, 
en  particulier,  les  rives  du  Tchad  sont  des  pays  d'inonda- 
lions  régulières;  des  étendues  considérables  de  terrains,  des 
centaines  de  mille  hectares,  sinon  môme  un  ou  deux  mil- 
lions d'hectares,  sont  régulièrement  couvertes  chaque 
année  par  les  crues  du  lac  et  des  grands  cours  d'eau  qui  s'y 
jettent,  le  Komadougou,  le  Chari,  le  Bahr-el-Ghazal,  etc. 
\ii  ces  inondations  régulières  ont  les  mêmes  principes 
fécondants  dans  ce  centre  de  l'Afrique  que  dans  le  nord-est 
du  môme  continent.  Tous  les  cours  d'eau,  d'ailleurs,  de  cette 
région  sont  au  régime  des  inondations  régulières  :  et  le 
Logone,  et  la  Bénoué,  et  le  Niger. 

On  a  beaucoup  disserté  sur  le  lac  Tchad;  certains  écri- 
vains ont  voulu  le  considérer  comme  un  simple  marais,  un 
bourbier  môme,  ont  dit  quelques-uns.  C'est  mal  juger  celte 
puissante  nappe  d'eau.  On  a  très  diversement  apprécié  son 
élendue.  Les  explorateurs  et  les  géographes  sont  loin  de 
s'entendre  à  ce  sujet.  Rohlfs  lui  attribue  seulement  11000  ki- 
lomètres carrés  pendant  les  basses  eaux,  deux  fois  environ 
l'étendue  d'un  de  nos  départements  français  moyens;  Nach- 
tigal  lui  assigne  27000  kilomètres  carrés;  Reclus  va  jusqu'à 
50 000  kilomètres  lors  des  hautes  eaux(l),  l'ét^due  de  huit 
à  neuf  de  nos  départements  moyens.  C'est  que  le  lac  Tchad 
est  le  grand  déversoir  de  tout  un  réseau  d'importants  fleuves 
tropicaux  dont  plusieurs  ont  un  cours  très  étendu  et  vien- 
nent de  montagnes  ayant  unealtitude  déplus  de2000 mètres, 
et  que  son  niveau  varie  énormément  d'une  saison  à  l'autre. 

W)  Reclus,  Géographie  universelle,  t  XII,  page  667. 


344     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHABIESS 

Les  observations  des  explorateurs  sont  sur  ce  point  très 
concluantes.  Voici  Harth,  qui  a  visité  plusieurs  fois  le  lac 
Tchad  en  des  saisons  différentes  et  en  des  années  diverses: 
lors  de  son  séjour  à  Kouka,  au  mois  d'avril ,  il  fait  uot 
excursion  dans  la  direction  du  lac,  il  quitte  la  ville  de 
Ngornou;  il  se  hâte  pour  jouir  de  la  vue  de  la  nappe  d'eau: 
mais  aucun  lac  ne  s'offre  à  la  vue,  Rein  See  ivar  za  sehen , 
une  plaine  gazonnée  interminable,  sans  aucun  arbre,  s'élend 
jusqu'à  Thorizon  le  plus  éloigné;  «  enfin,  après  que  Therbe 
eut  gagné  sans  cesse  en  fraîcheur  et  en  luxuriance,  nous 
atteignîmes  un  marais  peu  profond,  einen  seichlen  Samp/. 
aux  rives  les  plus  irrégulières,  tantôt  s'étendant,  (antôl  î>e 
retirant,  de  sorte  qu'il  nous  devenait  très  difficile  d'aller 
plus  loin...  Combien  différent  était  l'aspect  de  cette  conlrte 
de  celui  qu'elle  offrait  dans  l'hiver  de  1854  à  1855,  alors  que 
la  ville  de  Ngornou  était  à  moitié  embarrassée  d'eau,  el 
qu'un  lac  profond  et  ouvert  s^était  constitué  tout  au  sud, 
couvrant  tous  les  champs  fertiles  jusqu'au  village  di 
Koukiya  ».  Et  il  conclut  que  «  le  caractère  du  Tchad  esl 
d'être  une  énorme  masse  d'eau,  dont  les  rives  changent 
chaque  mois,  de  sorte  qu'on  ne  peut  les  porter  avec  exac- 
titude sur  une  carte  ;  il  faudrait,  après  des  observations 
prolongées,  marquer  la  moyenne  des  basses  eaux  et  la 
moyenne  des  hautes  eaux  (1)  ».  Au  terme  de  ses  longs 
voyages,  qui  ont  duré  plus  de  cinq  ans,  Barth  eut  une  sur- 
prise en  sens  inverse  ;  c'était  un  peu  plus  au  nord,  aux  envi- 
rons de  Barroua  :  «  La  route  entière  que  j'avais  suivie  la 
première  fois  était  alors  toute  couverte  d'eau,  le  Tchad, 
après  la  grande  inondation  de  celte  année,  plus  grande  que 
d'habitude,  n'étant  pas  encore  rentré  dans  ses  limites 
habituelles  (2).  » 

Les  inondations  annuelles  du  grand  lac  centre-africain  cl 
des  cours  d'eau  qui  s'y  déversent  n'ont  naturellement  pas 
échappé  à  l'observation  de  M.  Foureau,  quoiqu'il  n'ait  fait 

(1)  Barlh,  Reisen  und  Enldeckungen,  t.  Il,  pages  405  el  406. 

(2)  Ibid.,  t.  V.  page  408. 


e 


LA  RÉGION  DU  TCHAD  t   LëS  INONDATIONS  PÉRIODIQUES.         345 

aucun  séjour  prolongé  sur  les  bords  du  lac  et  qu'il  Tait  seu- 
lement contourné,  dans  une  marche  assez  rapide,  des  envi- 
rons de   Kouka,  en  remontant  au  nord,  jusqu'à  Goulfei  à 
l'embouchure  du  Chari  après  avoir  longé  toute  la  rive  orien- 
tale. Il  en  parle  très  fréquemment.  Ainsi  pour  celles  du  Ko- 
madougou  :  c  La  mission  traverse  la  dépression  nommée 
Kaouaoua,  large  surface  elliptique  entièrement  dépourvue 
d'arbres  et  entourée  d'une  enceinte  de  gommiers  au  tronc 
noir,  témoignage  certain  d'un  séjour  périodique  sous  Teau...  ; 
nous  côtoyons  quelques  instants  le  lit  de  la  rivière,  mar- 
chant sur  un  sol  dur  et  argileux,  que  recouvrent  périodique- 
ment les  eaux...  »  Plus  loin  le  journal  note  «  une  large  zone 
d'inondations  où  dorment  encore  pleins  d'eau   des  étangs 
herbeux  et  poissonneux,  des  marigots  allongés,  qui  consti- 
tuent des  bras  de  la  rivière  aux  hautes  eaux  ».  Et  de  même 
tout  le  long  du  Tchad  :  «  La  plaine  que  nous  parcourons 
ensuite  est  maintenant  presque  nue,  elle  comporte  de  nom- 
breux terrains   inondés  dans  la  saison  des  pluies...  Cette 
plaine  est  à  sol  noirûtre  légèrement  argileux,  sujette  à  inon- 
dation...   j»  Et  voici  qui  concerne  les  parties  des  rives  du 
Tchad    réputées  les  plus  médiocres,  celles  du  nord  et  du 
nord-est,  qui  appartiennent  h  la  France  :  t  Nous  atteignons 
le  village  de   Barroua,  situé  en  bordure  de  la  brousse;  ce 
village  n'est  point  permanent  et  sert  à  la  pêche,  à  la  fabrica- 
tion du  sel  et  à  la  culture  du  coton  qui  l'entoure.  Lorsque 
les  eaux  sont  hautes,  les  habitants  occupent  un  autre  village 
du  même  nom  situé  à  l'intérieur  des  terres  et  que  je  n'ai  pas 
vu.  »  Cette  dualité  de  villages,  appartenant  à  la  même  popu- 
lation, Tun  pour  la  saison  sèche,  dans  les  lieux  sujets  à  sub- 
mersion, l'autre  pour  la  saison  des  hautes  eaux,  est  fréquente 
dans  la  région  du  Tchad  et  témoigne  de  l'étendue  des  inon- 
dations du  lac.  «  Après   12  kilomètres    de  marche,    nous 
passons  au  petit  village  de  Bangoa    Toutes  ces  aggloméra- 
lions  ne  sont  toujours  que  des  annexes  de  villages  perma- 
nents situés  à  l'intérieur.  »  Tout  à  fait  au  nord  du  lac,  en 
plein  Kanem,  à   Yara  et  avoisinant  le  Sahara  :  t  Actuelle- 


346     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARILNS. 

ment  (février),  le  Tchad  se  trouve  au  moins  aux  trois  quarts 
de  sa  descente  ;  de  l'autre  côté  du  sentier,  les  grandes  sur- 
faces couvertes  de  roseaux  énormes  et  vigoureux  sont  indu- 
bitablement submergées  par  les  hautes  eaux;  actueUemeni 
même,  bon  nombre  de  ces  massifs  ont  encore  les  pieds  dans 
Teau  que  nous  cachent  seules  leurs  hautes  tiges  vertes  el 
leurs  feuilles  frémissantes.  »  Le  lendemain  :  «  La  plaine  est 
couverte  d*un  lapis  de  graminées  rudes  et  piquantes;  c^e^t 
une  plaine  d'inondalion,  bien  entendu,  mais  qui,  peulélre, 
ne  se  recouvre  pas  d'eau  tous  les  ans...  Ce  qui  m'indiqueque 
le  lac  doit  encore  baisser  notablement,  c'est  que  les  sentiers 
du  medjebed,  traversant  le  petit  golfe,  sont  très  visibles 
sous  l'eau  et  ont  dû  être  creusés  par  les  pieds  des  animaui 
alors  que  le  sol  était  à  découvert.  »  Le  surlendemain  (8  fé- 
vrier) :  €  La  marche  entière  d'aujourd'hui  s'effectue  sur  une 
plaine  dont  presque  parlout,  —  sauf  sur  le  sommet  de  rares 
petites  ondulations,  formant  îles  ou  presqu'îles  allongées. 
—  la  surface  est  immergée  lorsque  les  eaux  du  Tchad  sont 
très  hautes.  »  Toutes  ces  observations  s'appliquent  à  la 
région  du  Kanem.  Plus  au  sud,  à  l'est  et  également  en  terri- 
toire français,  à  la  hauteur  du  Bahr-el-Ghazal,  <  au  dire  des 
indigènes,  lors  des  très  hautes  crues  du  Tchad,  l'eau  s'avance 
jusqu'à  une  soixantaine  de  kilomètres  dans  l'intérieur  des 
terres...  ;  le  sol  est  jonché  de  coquilles  palustres,  témoignage 
du  séjour  des  eaux  à  certains  moments  ».  Quand  on  approche 
du  Chari  :  «  Dans  cette  région,  les  gommiers  sont  très 
beaux^  mais  l'écorce  de  la  partie  inférieure  de  leurs  troncs 
est  noire  et  rugueuse,  ce  qui  provient,  à  mon  sens,  de  leur 
séjour  périodique  dans  l'eau...  Toute  cette  région  que  nous 
venons  de  parcourir  est  recouverte,  pendant  la  saison  des 
pluies,  par  la  divagation  des  eaux  du  Chari  ou  des  innom- 
brables bras  de  son  delta  (1).  » 

Les  inondations  périodiques  du  Tchad  sont  ainsi  recon- 
nues par  tous  les  explorateurs;  elles  s'étendent  sur  toutes 

{{)  Mission  saharienne,  pages  592,  GOl.  613,617,  624,626,   627,  631.  639,6*1, 
642,  647,  648,  649,  664,  669,  671,  672,  673. 


LA  RÉGION  DU  TCHAD  :   LES  INONDATIONS  PÉRIODIQUES.         347 

les  rives  du  lac;  celles  des  cours  d'eau  divers  de  la  région 
sont  aussi  très  importantes.  On  sait,  d'ailleurs,  que  de  ré- 
centes explorations  ont  établi  que,  aux  époques  de  hautes 
eaux,  le  Logone,  bras  du  Chari,  peut  rejoindre  la  Bénoué. 
L'Afrique  centrale  soudanaise  reproduit  ainsi  le  phénomène 
des  inondations  du  Nil,  peut-être  même  dans  des  proportions 
plus  vastes. 

En  s'en  tenant  à  la  région  propre  du  Tchad,  quelle  peut 
être  l'étendue  des  surfaces  submergées  par  le  lac  aux  hautes 
eaux?  Il  est  impossible  de  le  dire;  d'après  le  seul  voyageur 
qui  ait  fait  des  séjours  prolongés  et  en  diverses  saisons  sur 
les  rives  du  lac,  Barth,  elle  serait  énorme.  Si  l'on  s'en  tenait 
aux  écarts  d'évaluation  de  la  surface  du  lac  par  les  différents 
explorateurs  ou  géographes  cités  plus  haut,  on  pourrait  admet- 
tre que  les  inondations  du  Tchad  couvrent  une  surface  d'une 
vingtaine  de  mille  kilomètres  carrés  ou  de  2  millions  d'hec- 
tares, égale  à  toute  la  surface  cultivée  de  l'Egypte.  D'après 
les  statistiques  britanniques,  en  effet,  l'étendue  des  terres 
cultivées  en  Egypte,  dans  l'année  1891,  était  de  5 102  200  fed- 
dans,  et  le  feddan  égale  1,03  acre  anglais  (1),  lequel  lui- 
même  correspond  à  40  ares  1/2,  ce  qui  donne  2066000  hec- 
tares environ  pour  toute  la  superficie  des  terres  égyptiennes 
en  culture.  Il  se  peut,  toutefois,  que  les  superficies  soumises 
aux  inondations  périodiques  du  Tchad  soient  moindres. 
M.  Foureau,  dans  la  région  nord  et  nord-est,  la  moins  favo- 
risée, correspondant  au  Kanem,  plaçait  à  quelques  kilo- 
mètres seulement  la  limite  des  terres  submersibles;  mais, 
d'autre  part,  comme  le  prouvent  les  passages  que  nous  avons 
cités,  le  Tchad,  quand  il  le  contourna  dans  une  marche 
rapide,  en  janvier  et  février,  était  très  loin  d'être  revenu  à 
son  niveau  minimum,  et,  dans  la  région  sud-orientale,  les 
indigènes  estimaient  à  60  kilomètres  la  zone  d'inondation 
aux  grandes  crues.  Il  paraît  donc  assez  modéré  d'évaluer  à 
1  million  d'hectares  ou  10000  kilomètres  carrés  les  super- 

U)  The  Statesnian's  Yearbook,  1901,  page  1163. 


J 


348     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAH\BIE.NS. 

(icies  inondées  lors  des  fortes  crues;  ce  chiffre  doit  être 
considérablement  augmenté,  si  l'on  tient  compte  des  inonda- 
tions des  cours  d'eau  qui  se  jettent  dans  le  Tchad  :  Koma- 
dougou,  Chari,  Logone,  etc. 

Des  inondations  périodiques  d'eau  douce  sous  un  climat 
tropical,  une  terre  noire,  partie  sablonneuse,  partie  argileuse, 
des  débris  de  coquilles  lacustres,  tout  cela  avec  la  fréquence 
des  cultures  de  coton  et  de  mil,  ce  sont  des  promesses  d'une 
magnifique  prospérité  agricole. 

Comment  se  fait-il  que  ces  pays  n'y  soient  pas  encore 
parvenus?  C'est  Tinsécurité  surtout  qui  est  responsable  de 
ce  retard.  Sans  revenir  sur  les  effroyables  ravages  de  Rabab, 
toute  cette  région,  du  fait  des  Touareg  et  des  nomades  de 
toutes  sortes,  de  potentats  se  livrant  aux  razzias  et  au  recru- 
tement de  l'esclavage,  est  en  proie  à  la  terreur.  Voici  la 
moins  bonne  partie  des  rives  du  Tchad,  celles  du  nord  et 
du    nord-est,  le  Kanem;   une  t  baie  (du   lac)   s'y  nomme 
Kazagoua,  ce  qui,  en  bornouan,  signifie  :  l'endroit  où  Ton 
se  bat  sans  cesse....    Le  chef  de  Djarachéro  apporte  des 
moutons.  Il  nous  raconte  que  ses  sujets  et  lui  n'ont  quitte 
Néguigmi  (excellente  position  sur  le  lac)  que  depuis  peu  de 
temps.  Ils  ont  dû  abandonner  ce  village   à  cause  de  son 
insécurité  :  il  était  constamment  soumis  aux  pillages  des 
Boudouma,  des  Tebbou,  des  Oulad-Sliman  surtout  (1)  ». 
Ces  Boudouma  sont  des  pirates  qui  habitent  les  nombreuses 
îles  du  Tchad,  y  possèdent  un  nombreux  bétail  et  se  livrent, 
avec  des  pirogues  très  ingénieusement  construites,  à  des 
descentes  pour  effectuer  des  razzias.  Çarth  notait  déjà  l'insé- 
curité de  toute  celte  région  nord-orientale  du  Tchad.  Quoi- 
que, pour  celte  raison  surtout,  le  Kanem  ait  actuellement 
une  population  clairsemée,  il  ne  manque  pas  d'éléments  de 
richesse.  Les  Oulad-Sliman,  ces  nomades  pillaris,  possè- 
dent des  moutons  et  des  bœufs  par  milliers.  Quant  à  Négui- 
gmi, presque  à  la  pointe  la  plus  septentrionale  du  Tchad, 
M.  Foureau  en  fait  une  attrayante  description  :  «  La  mission 

{[)  Mission  saharienne^  pages  644,  645. 


FOUREAU  ET  JOALLAND  :  LE  KANEM,  POSSIBILITÉS  DE  RICHESSE.      349 

défile  devant  le  village  abandonné  de  Néguigmi,  au  milieu 
duquel  s'élèvent  les  types  élancés  de  quelques  palmiers- 
dattiers.  Une  vaste  prairie  entoure  ce  village  et  confine  aux 
rives  du  lac,  peu  éloigné.  La  position  est  fort  belle  et,  en 
remontant  légèrement  sur  les  collines  pour  se  garder  des 
crues,  on  pourrait  créer  là  un  centre  important,  à  la  condition 
de  le  défendre  contre  les  invasions  des  nomades.  Toute  la 
plaine  supérieure  pourrait  être  cultivée  en  mil  et  toutes  les 
surfaces  à  inondation  sont  susceptibles  de  nourrir  des  dat- 
tiers et  du  coton  :  c'est  simplement  une  question  de  sécu- 
rité. »  Et  il  en  est  ainsi  de  tout  le  Kanem  (1). 

Plus  catégorique  encore  est  le  capitaine  Joalland,   qui  a 

parcouru  tout  ce  pays  à  la  tête  de  la   mission  de  l'Afrique 

centrale.     Il    constate    combien    les     Oulad-Sliman,  .   les 

nonaades  du   nord  du  Tchad,    sont  pillards  :  c  C'est  à   eux 

surtout  que  l'on  doit  imputer  la  ruine  du  Kanem;  paras^iles 

des  noirs,  ils  vivent  du  travail  de  ces  derniers  ;  »  et  il  ajoute: 

c   Les   noirs  sont  les  seules  gens  intéressants  du   Kanem 

proprement  dit.  Du  sud  du  Ghittati  jusqu'au  Bnhr-el-Ghazal, 

et  du  Tchad  jusqu'à  cette  grande  zone  déserte  qui  sépare  le 

Ouadaï  du  Kanem,  existe  un  pays  riche  en  grains,  en  dattes, 

en  bétail.   Quand  on   songe  aux  richesses  que  ce  pays  peut 

produire,  malgré  son  état  d'anarchie  et  les  luttes  qu'il  a  été 

obligé  de  soutenir,  on  est  en  droit  d'espérer  en  faire   une 

colonie  splendide,  maintenant  que  nous  y  avons  apporté  la 

paix  et  établi  l'unité  du  commandement  (2).  » 

Il  est  un  autre  témoignage,  dont  le  poids  est  des  plus 
grands  :  c'est  celui  de  M.  Gentil,  administrateur  colonial,  le 
premier,  sinon  le  seul,  Européen  qui,  à  différentes  reprises, 
sur  un  petit  vapeur  portant  les  couleurs  françaises,  ait  navigué 
sur  le  Tchad;  dans  deux  campagnes  successives,  de  1895  à 
1898  et  de  1899  à  janvier  1901,  il  a  conquis  à  la  France  les  deux 
tiers  des  rives  du  grand  lac.  Sur  la  richesse  et  les  c  possi- 
bilités »  du  pays,  ses  dépositions  sont  formelles  et  décisives. 

(i)  Mission  saharienne,  pages  64G  et  669. 

(2)  Bulletin  du  Coniilé  de  l'Afrique  française,  juin  1901,  page  192. 


350     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  UES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHABIE!<S, 

Nous  ne  lui  ferons  que  quelques  courts  emprunts.  Après  la 
balaille  de  Koussouri,  où  périt  le  sauvage  conquérant  noir 
Rabab,  M.  Gentil  fait  une  excursion  jusqu'à  Dikoa,  qui  était 
devenue   la  capitale  de  ce  tyran.  La  première   impression 
qu'il  reçoit  est  médiocre  :  t  Le  terrain  entre  Koussouri  el 
Dikoa  est  généralement  très  plat.   La    pluie  n*est  tombée 
qu'une  fois  ou  deux  ;  aussi  tout  semble  sec  et  aride.  Des 
étendues  de  plaines  immenses,  où  poussent  quelques  arbres 
chétifs  et  rabougris,  c'est  tout  ce  qu'on  aperçoit.  Nous  avons 
vraiment  la  sensation   d'un  paysage  saharien.  >  Excellent 
observateur,  toutefois,  M.  Gentil  corrige  lui-même  cette  im- 
pression défavorable  :  «  Mais,  en  prêtant  un  peu  d*allenlion 
aux  choses  qui  m'entourent,  mes  idées  se  modifient  peu  h 
peu.     D'abord,     nous   rencontrons   à    chaque    instant    de 
nombreux  villages.  Le  pays  est  très  habité  et  sa  populatiou 
très  dense.  De  plus,  ce  que  j'ai  pris  pour  des  plaines  incultes 
et  désertes,    ce   sont   en    réalité  d'immenses  champs  qui 
viennent   d'être  ensemencés.  Partout  il  y  a  des  rigoles  qui 
permettent  à  l'eau  des  pluies  de  séjourner  dans  les  champs 
et  de  les  irriguer.  »  M.  Gentil  arrive  à  Dikoa,  la  capitale  de 
Rabah,  en  partie  détruite  par  une  explosion  de  poudrière;  il 
en  est  émerveillé,  il  en  fait  une  description  tout  aussi  enthou- 
siaste que  celle  que  fit  de  Zinder  le  capitaine  Joalland.  Mais 
Dikoa  était  bien  plus  importante  :  <  L'impression  ressentie 
est  grandiose.  Si  loin  que  la  vue  s'étende,  on  aperçoit  des 
murailles  et  l'on  est  frappé  de  la  régularité  des  constructions. 
Tout  est  très  propre.  »  Et  il  décrit  la  ville,  les  palais  de 
Rabah  et  de  ses  fils,  et  <  des  grands  seigneurs  »,  construc- 
tions imposantes,  bien  tenues  et  luxueuses.  «  Ce  qui  frappa 
surtout  nos  troupes  lorsqu'elles  pénétrèrent  dans  la  ville, 
c'était  l'état  de   propreté  véritablement  extraordinaire  qui 
régnait  dans  cette  ville  et  même  en  dehors...  Je  rapportai 
de  mon   séjour  à  Dikoa   l'impression  de  quelque  chose  de 
grand,  d'une  vie  intense  et  d'un  mouvement  de  population 
comme  je  n'en  avais  pas  encore   vu   en  Afrique.   »   Puis 
M.  Gentil   quitte  Dikoa,   qui  est  en  territoire  allemand,  il 


LA   RÉGION  DU  TCHAD  :  TÉMOIGNAGE  TRÈS  FAVORABLE  DE  GENTIL.     351 

revient  chez  nous,  à  Forl-Lamy  :  «  Quel  changement  s'est 
opéré  en  quinze  jours  !  La  pluie,  tombée  en  abondance,  a 
fertilisé  toutes  ces  plaines  qui  me  semblaient  auparavant  si 
désolées.  Partout  on  rencontre  des  plantations  pleines  de 
promesses.  Décidément  la  région  du  Tchad  est  riche  et 
vaut  la  peine  d'être  conquise.  Nous  n'en  avons  malheu- 
reusement qu'une  partie,  mais  notre  lot  est  encore  assez 
beau  pour  qu'on  ne  puisse  pas  regretter  les  sacrifices 
consentis  en  hommes  et  en  argent  (1).  »  M.  Gentil  dépeint 
ailleurs  comme  excellente  par  ses  qualités  laborieuses  la 
population  noire  de  toute  la  région  du  Tchad. 

Ainsi,  voilà  une  foule  de  témoignages  concordants,  depuis 
celui,  tout  à  fait  magistral,  de  Barth,  dans  les  années  1849 
à  1855,  jusqu'aux  plus  récents.  Nous  avons  tenu  à  reproduire 
le  texte  môme  de  ces  dépositions  si  concluantes. 

Il  est  vrai  qu'il  s'est  produit  récemment  une  note  discor- 
dante. Une  mission  a  été  organisée  au  commencement  de 
1902  par   les    ministères  de  l'Instruction  publique  et  des 
Colonies  pour    étudier,  au  double  point  de   vue    scienti- 
fique et  économique,  les  produits  du  sol,  les  habitants,  la 
faune,  la  flore  de  nos  nouvelles  possessions  de  l'Afrique 
centrale.  Le  chef  de  la  mission,  M.  Chevalier,  docteur  es 
sciences,  chef  du  laboratoire  colonial  du  Muséum,  après  avoir 
parcouru  le  Congo  français,  le  Haut-Oubanghi,  la   région 
du  Tchad  et  le  Baghirmi,a  émis  un  avis  moins  favorable  aux 
régions  entourant  le  grand  lac  africain  et  au  lac  lui-même. 
Cette  masse  d'eau,  d'après  lui,  tendrait  à  se  resteindre,  l'ar- 
chipel du  Tchad  gagnerait  de  plus  en  plus  vers  l'ouest,  les 
lies  se  souderaient  chaque  année  à  la  côte  du  Kanem.  «  La 
terre  et  le  soleil  boiraient  le  lac  »,  suivant  un  mot  indigène. 
M.  Chevalier  a,  d'autre  part,  une  opinion  médiocre  du  Ba- 
ghirmi,  dont  la  capitale  Massénya  a  été  complètement  dé- 
truite par  Rabah  et  dont  toute  l'étendue  a  été  dévastée  par 
des  guerres  sans  merci. 

(1)  Emile  Gentil,  la  Chute  de  l'Empire  de  Rabah,  pages  239,  240,  243,  244, 
2S3,  254. 


352  LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIENS. 

Il  ne  nous  paratt  pas  que  cette  impression  puisse  préva- 
loir contre  les  témoignages  si  formels,  si  favorables  cl  si 
unanimes  cités  plus  haut.  Le  Tchad  a  des  crues  variables, 
tout  comme  le  Nil  ;  c'est  sans  doute  à  une  époque  de  faibles 
crues  que  la  mission  Chevalier  s'est    trouvée  dans    celle 
région.  Mais  on  a  vu  que  les  constatations  de  Foureau,  de 
Joalland  et  de  Gentil  concordent  complètement,  quant  au 
fond,  avec  celles  de  Barth,  antérieures  de  45  ans.  Les  descrip- 
tions notamment  faites  par  Foureau  et  Barth  de  Barroua  et 
de  l'importante  localité  de  Néguigmi  ou  Nguigmi,  tout  à 
fait  à  l'extrémité  nord  occidentale  du  lac  (voy.  plus  haut, 
p.  3^14, 345  et  349),  ne  présentent  aucune  différence  essentielle. 
Le  fait  constaté  par  Foureau  que  dans  cette  région  les  villages 
sont  doubles,  l'un  établi  dans  les  terres,  l'autre  sur  les  rives 
du  lac,  celui-ci  habité  seulement  quand  la  crue  a  cessé,  ce 
qui  n'était  pas  le  cas  pour  Néguigmi  quand  Foureau  y  passa, 
est  tout  à  fait  démonstratif.  De  môme,  les  récits  de  Joalland 
sur  les  ressources  du  Kanem  sont  topiques  (voy.  plus  haut, 
p.  349).  Quant  au  fait  que  quelques-unes  des  nombreuses  tles 
de  l'archipel  du  Tchad  vers  la  partie  est  méridionale  du  lac, 
située  en  face  du  Chari,  se  souderaient  à  la  terre  ferme, 
peut-être  par  suite  des  alluvions  du  Ghari  que  des  courants  y 
entraîneraient,  il  n'aurait  rien  d'extraordinaire  oud'inquiélanl. 

L'aspect  désertique  ou  saharien  d'une  partie  de  ces  contrées 
où  les  dévastations  de  Rabah  et  d'autres  destructeurs  ont  sévi 
n'a  pas  lieu  non  plus  de  nous  surprendre,  et  il  n'offre  rien  de 
définitif.  L'administrateur  Gentil,  dans  les  très  remarquables 
passages  que  nous  avons  cités  plus  haut  (p.  350  et  351),  nou> 
a  mis  en  garde,  avec  beaucoup  de  perspicacité,  sur  les  consé- 
quences à  tirer  de  l'aspect  du  sud  du  Bornou  :  il  l'avait  jug^  | 
saharien  à  la  première  visite  et  ensuite,  corrigeant  sagement 
cette  impression  superficielle,  il  vit  que  c'était  une  terre 
pleine  de  richesses.  Barth  aussi  (voy.  plus  haut,  p.  344)  eut 
un  revirement  d'opinion  du  même  genre.  Enfin,  ie  capitaine 
Lenfant  (voy.  plus  loin,  page  358)  eut  également  un  revire- 
ment d'opinion  de  môme  nature  à  propos  du  moyen  Niger. 


LA  RÉGION  DU  TCHAD:  SON  GRAND  AVENIR.  353 

Il  faut  noter  que  Fourcau,  Joalland  el  Gentil,  dont  les 
descriptions  de  la  région  sont  très  favorables,  ont  traversé  ce 
pays  deux  ou  trois  ans  seulement  avant  la  mission  Che- 
valier. Or,  la  nature  des  lieux  ne  se  modifie  pas  sensiblement 
eo  un  si  court  espace  de  temps. 

Quand  un  pays  a  été  ravagé  systématiquement  par  des  con- 
quérants noirs,  pendant  une  série  d'années,  dépeuplé  par  eux, 
que  les  eu  Itures  y  ont  cessé  ou  s  y  sont  notablemen  t  a moindries , 
ce  qui  a  été  lecas  de  toute  cette  région,  ainsi  que  du  Baghirmi, 
il  apparaît  comme  naturellement  stérile.  Mais  une  dizaine  et 
surtout  une  vingtaine  d'années  de  paix,  à  plus  forte  raison 
deux  ou  trois  générations  d*hommes  Jouissant  de  la  sécu- 
rité lui  rendent  son  essor.  C'est  ce  qui  arrivera  à  la  région 
du  Tchad.  Barth  avait  signalé  entre  Zinder  et  le  lac  des 
villes  importantes  de  8000  à  10000  âmes  :  Wiischek  et 
Gouré,  par  exemple  (voy.  plus  haut,  p.  3^28),  qui  paraissent 
actuellement  avoir  disparu  ;  comme  pour  Kouka  (voy.  plus 
haut,  p.  339),  cette  disparition  doit  avoir  pour  cause  la  des- 
truction systématique  de  quelque  con<juéranl  et  Tinsécurilé 
permanente. 

Si  €  la  terre  et  le  soleil  boivent  Teau  du  lac  »,  ils  mettront 
certainement  non  pas  quelques  années,  ni  quelques  décades 
d'années,  mais  une  série  de  siècles  à  Tépuiser.  Les  change- 
ments physiques  considérables,  surtout  en  Afrique,  durent 
des  périodes  séculaires.  En  attendant,  on  peut  faire  œuvre 
vive,  grande  œuvre  même,  dans  cette  région  où  la  vie  a 
été  détruite  ou  comprimée  par  les  ravages  systématiques  de 
Thomme  et  non  pas  par  les  perturbations  de  la  nature. 

Malgré  cette  voix  dissidente,  on  peut  donc  considérer  que 
la  région  du  Tchad,  pays  de  Zinder,  Bornou,  Kanem,  Ba- 
guirmi,  plus  loin  le  Ouadaï,  c'est  un  des  joyaux  de  l'Afrique. 
Il  y  a  là,  semble-t-il,  une  nouvelle  Egypte,  sinon  môme  une 
plus  grande  Egypte,  car,  en  plus  d'un  territoire  périodique- 
ment submergé  qui  approche  de  celui  de  la  vallée  du  Nil,  la 
région  du  Tchad  possède  des  immensités  de  terres  que  les 
simples  pluies  tropicales  rendent  fécondes  ;  elle  a,  en  outre, 

23 


354     LE  SABARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHJlRIEM 

des  dépôts  métalliques  ;  c'est  une  Egypte  séquestrée,  qut 
l'absence  de  débouchés  et  Finsécurité  ont  maintenue  daD> 
la  médiocrité.  Cette  Egypte  intérieure,  il  appartient  à  lii 
France  de  la  mettre  en  communication  avec  le  reste  du  mon»! 
par  rétablissement  d*une  voie  ferrée  transsaharienne,  b 
facilité  d*exécution  et  d'exploitation  de  cette  voie  ferrée  e^rl 
évidente  ;  les  éléments  de  trafic  abondent,  avec  des  prix  dt 
transport  pouvant  facilement  descendre  à  2  centimes  uu 
1  centime  et  demi  le  kilomètre  (45  à  60  francs  la  tonne  du 
Tchad  à  la  Méditerranée),  sinon  même  à  1  1/4  ou  1  ccnlim? 
(30 à  37  fr.  50  pour  tout  le  parcours)  :  peaux  d'animaux,  dan- 
ce  pays  exubérant  en  bétail  ;  plantes  et  substances  tincl" 
riales  ;  et  surtout  le  coton,  dont  le  pays  peut  produire  el 
exporter  facilement  une  cinquantaine  de  mille  tonnes;  sao-^ 
parler  des  produits  minéraux,  comme  le  cuivre  dont  l'exis- 
tence est  partout  attestée,  la  potasse  qui  s'exporte  déjà  de 
TAïr  (voy.  plus  loin,  page  417);  en  sens  inverse,  sel,  sucre 
et  produits  manufacturés  divers. 

La  France  a  manqué  au  xviii*'  siècle  sa  mission  coloni- 
satrice; les  circonstances  lui  ont  fourni  l'occasion  inespértr 
d'essayer  une  nouvelle  carrière  coloniale  ;  mais  si,  pa^ 
rincompréhension  ou  l'indifférence  du  gouvernement  et  de 
Topinion,  elle  ne  sait  pas  rattacher  rapidement  à  rAlsférif 
par  une  voie  ferrée  ces  territoires  qu'on  a  nommés  «  k> 
Indes  Noires  »  et  que  nous  appelons,  quant  à  nous,  1^ 
Nouvelle-Egypte,  l'Egypte  Intérieure,  elle  aura  de  nouvc«aw, 
et  celte  fois  sans  retour  possible,  failli  définitivement  à  sa 
mission  colonisatrice  :  elle  n'aura  Jamais  d'Empire  afri- 
cain. 


CHAPITRE  III 
Le  Soudan  nigérien. 

Caractère  «lu  Niger  et  importance  passrc,  actuelle  et  surtout  future,  des 
rontn^es  qu'il  traverse  et  qu'il  arrose.  —  Les  trois  sections  principales  du 
llt^uve.  —  La  France  détient  le  Niger  supérieur  et  le  Niger  moyen.  —  Les 
inondations  périodiques  du  moyen  Niger. 

Los  descriptions  du  capitaine  Lenfant.  —  Le  Nil  français.  —  La  région  de 
Say.  —  La  région  de  Djenné.  —  Preuves  d'une  grande  population  et  d'une 
<*ivilisation  avancée  dans  ces  contrées.  —  La  ville  même  de  Djenné.  —  Le 
delta  du  Bani-Djoliba. 

L'insécurité,  l'invasion  touareg  et  la  traite  sont  les  seules  causes  du  recul  de 
ces  régions  très  favorisées  de  la  nature.  ~  Qualités  tréf»  appréciables  des 
populations  agricoles  des  bords  du  Niger  moyen  et  du  Niger  supérieur.  — 
Jugement  que  porte  sur  elles  le  capitaine  LcnfanL 

Facilités  qu'offre  le  moyen  Niger  pour  la  culture  du  coton.  —  Millions  d'hec- 
tares qui  pourraient  y  être  affe<*Uîs  à  cette  culture.  —  Renseignements  et 
calculs  sur  l'avenir  cotonnier  de  cette  région. 

Le  Transsaharien  est  la  seule  voie  propice  pour  les  échanges  entre  le  moyen  Niger 
et  l'Europe  :  les  chemins  de  fer  sénégalais  ne  desserviront  utilement  que  le 
haut  Niger.  —  Démonstration  à  ce  sujet. 

Ainsi  que  nous  Tavons  dit,  au  début  de  cet  ouvrage,  nous 
considérons  que  la  France  devra  construire  deux  chemins 
de  fer  transsahariens  :  Tun  reliant  TAlgérie  à  la  région  du 
Tchad  et  au  Soudan  central^  l'autre  rattachant  TAIgérie  au 
coude  du  Niger.  D'autre  part,  l'œuvre  de  pénétration  beau- 
coup plus  avancée  dans  cette  dernière  région  à  partir  de 
DOS  possessions  algériennes,  la  ligne  ferrée  très  importante 
dc'jà    construite  ou  en  construction  dans  le  Sud-Oranais^ 
la<|uclle  doit  servir  de  premier  tronçon   au  Transsaharien 
occidental,  la  dépense  très  réduite  pour  la  pousser  en  ligne 
quasi  droite  vers  le  Soudan,  toutes  ces  circonstances  réu- 
nies font  penser  actuellement  que  le  Transsaharien  occiden- 
tal sera  construit  avant  le  Transsaharien  central.  Quoique^ 
aous  eussions  donné  la  préférence  à  celui-ci,  au  point  de  vue 
stratégique,  politique,  administratif  et  même  économique^ 
nous  reconnaissons  que  les  circonstances  récentes  assurent 
|a  priorité  à  celui-là.  Aussi,  ce  livre  serait-il  incomplet  si 


356     LE  SAHABA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIENS. 

nous  ne  consacrions  un  chapitre  sommaire  aux  ressources 
que  peut  présenter  la  contrée  du  coude  du  Niger  et  le  Sou- 
dan nigérien. 

Les  descriptions  abondent  à  ce  sujet.  Nous  renverrons 
notamment  le  lecteur  aux  études  de  Mgr  Hacquard  sur 
Tombouctou  et  son  commerce  (1),  au  livre  aussi  du  capitaine 
Lenfant  :  Le  Niger ^  voie  ouverte  à  notre  Empire  africain^lY 
Nous  nous  contenterons  de  tirer  de  ce  dernier  ouvrage,  ainsi 
que  d'autres  excursions  à  Tombouctou,  quelques  indications 
rapides  et  topiques.  Nous  y  joindrons  quelques  renseigne- 
ments d'ordre  technique  sur  les  perspectives  de  la  culture 
du  coton  dans  cette  vaste  contrée. 

Le  Niger  est  un  fleuve   immense  d'environ   4000  kilo- 
mètres  de  cours.    Ses    sources    multiples    paraissent  èlre 
vers  le  huitième  degré  de  latitude  et  le  treizième  de  lontçi- 
tude  ouest,  dans  notre  Fouta  Djallon,  ainsi  que  sur  les  cou- 
fins  de  l'État  de  Libéria,  et  sur  ceux  de  la  colonie  britannique 
de  Sierra  Leone  ;  il  est  donc,  à  son  origine,  peu  éloigné  de 
l'Océan  dont  une  chaîne  de  montagnes  le  sépare,  mais  il 
'  remonté  vers  le  nord-est  en   décrivant  un  énorme    coude, 
atteignant  et  dépassant  légèrement  le  dix-septième  de^ré 
de  latitude,  puis  il  s'infléchit  vers  le  sud-est,  venant  se  dé- 
verser dans  l'océan  Atlantique  par  des  bouches  nombreuses,  | 
vers  le  quatrième  degré  de  latitude  et  le  quatrième  degré 
également  de  longitude. 

Cet  énorme  cours  d'eau  est  soumis,  sur  son  parcours,  ài 
des  régimes  hydrographiques  différents;  il  est,  d'ailleurs,  en 
maint  endroit,  interrompu  par  des  rapides,  de  sorte  que  lai 
navigation  ne  saurait  guère  s'effectuer  du  Niger  supérieur  ou 
même  du  Niger  moyen  jusqu'à  l'Océan  sans  des  frais  colos- 
saux, ainsi  que  la  preuve  en  sera  fournie  plus  loin.  Quant 
à  des  travaux  qui  aménageraient  le  Niger  et  le  rendraient  sur 
toute  son  étendue  facilement  navigable  sans  interruption,  ils 
coûteraient  probablement  1  milliard  de  francs,  c'esUà-din^ 

(1)  Bulletin  de  la  Société  des  Étude   coloniales  et  maritimes,  n»  du  30  Ju  in  1  > 

(2)  Paris,  1903,  librairie  Hachette. 


LE  SOUDAN   NIGÉRIEN  :  GRAND  AVENIR  DU   PAYS.  337 

le  prix  de  sept  ou  huit  chemins  de  fer  transsahariens  ;  encore 
est-il  vraisemblable  que,  même  avec  cette  prodigieuse 
dépense,  ce  fleuve  ne  se  prêterait  pas  partout  à  une  naviga- 
tion vraiment  économique. 

Il   faut  donc  considérer  le  Niger  comme  constituant,  en 
quelque  sorte,  plusieurs  voies  distinctes,  qui  ne  sont  sou- 
dées les  unes  aux  autres  qu'en  apparence.  On  a  divisé  géné- 
ralement en  trois  zones  ce  vaste  cours  d'eau,  le  Niger  supé- 
rieur, le  Niger  moyen  et  le  Niger  inférieur  ou,  pour  substi- 
tuer des  appellations  géographiques  précises  à  ces  dénomi- 
nations approximatives  :   le  Djoliba,  Tissa  et  le  Kouarra. 
i(  Nous  avons  partagé  le  fleuve,  dit  le  capitaine  Lenfant,  en 
trois  tronçons,  Djoliba,  Issa,  Kouarra.  Nous  les  avons  étu- 
diés comme  trois  fleuves  indépendants  (1).  »  Le  Djoliba  va 
des    sources  du  Niger  jusqu'au   poste   de  Mopti,  vers  le 
sixième  degré  et  demi  de  longitude  ouest.  L*Issa  ou  Issa  Ber 
s'étend  de  ce  point  jusqu'un  peu  au-dessous  de  Say,  c'est- 
à-dire  aux  environs  du  premier  degré  de  longitude  est  et 
du  treizième  de  latitude;  le  Kouarra  comprend  toute  la  par- 
lie  inférieure  du  fleuve  jusqu'à  la  mer. 

Le  Djoliba  et  l'Issa  Ber  (Niger  supérieur  et  Niger 
moyen)  coulent  entièrement,  à  quelques  fractions  près,  en 
territoire  français.  Quelle  est  la  valeur  de  la  région  qu'ils 
parcourent  ou  qu'ils  arrosent?  Littéralement,  en  effet,  ils  en 
arrosent  une  grande  partie.  Le  Djoliba  ou  Niger  supérieur 
et  rissa  Ber  ou  Niger  moyen,  celui-ci  seulement  sur  une 
fraction  de  son  parcours,  constituent  des  cours  d'eau  à  crues 
périodiques  et  à  inondations  régulières  ;  ils  ont  ce  caractère 
notamment  dans  toute  la  région  entre  Tombouctou  et  le  voi- 
sinage des  sources  du  fleuve,  sur  une  étendue  d'au  moins 
1200  kilomètres. 

On  sait  quel  étonnement  produisit,  il  y  a  sept  ou  huit 
ans,  la  révélation  qu'il  y  avait  des  lacs  importants  auprès  de 
Tombouctou  :  ces  lacs   sont  des  déversoirs  des  crues  du 

(1)  Lenfant,  Le  Niger,  p.  233. 


358     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSA  H  ARIENS. 

Niger.  Le  capitaine  Lenfant  distingue  la  «  région  lacustre  i 
qui  avoisine  Tombouctou  à  Touest,  la  «  cuvelte  d'inonda- 
tion condenseur  de  la  crue  occidentale  »  qui  touche  à  celle-ci 
un  peu  en  amont  et  comprend  le  lac  Débo,  puis  un  peu  plus 
en  amont  encore,  mais  non  loin,  le  delta  du  Niger  Bani, 
à  la  rencontre  du  fleuve  et  de  son  affluent  le  Bani,  qui  a  une 
grande  étendue  vers  le  sud. 

Ces  inondations  périodiques  qui  rappellent  celles  du  Nil  et 
qui  s'étendent  sur  plusieurs  milliers  d'hectares,  sont,  avec 
le  soleil  africain,  un  incontestable  élément  de  productivité 
agricole.  Jusqu'ici,  ce  sont  plutôt  des  promesses  que  dos 
réalités  de  grande  production  culturale  qu'on  rencontre  dans 
cette  contrée;  au  premier  abord,  celle-ci  peut  décevoir  l'ob- 
servateur inatlentif.  «  Apparences  de  pauvreté,  produits  et 
richesses  (1)  >,  dit  finement  le  capitaine  Lenfant  en  parlant  de 
la  partie  inférieure  de  l'Issa  Ber  (Niger  moyen).  C'est  en 
quittant  Say  pour  remonter  le  fleuve  :  t  Le  pays,  dil-il, 
devient  lui-même  plus  attrayant,  bien  qu'il  semble  ne  rien 
produire.  Le  voyageur,  qui  passe  en  brûlant  les  étapes»  ne 
peut  se  rendre  un  compte  exact  de  la  valeur  économique  du 
pays.  Le  Nil  français,  sur  lequel  nous  allons  naviguer,  ne 
laisse  paraître  aucune  richesse;  mais  en  cherchant  bien,  il 
est  facile  de  voir  que  l'indigène,  quelles  que  soient  sa  paresse 
ou  sa  négligence,  obtient  de  ces  terrains  d'alluvion  tout  ce 
qu'il  désire,  lorsqu'un  souffle  de  progrès  et  de  nouveauté 
pénètre  dans  son  cerveau  (2).  »  Ces  lignes  sont  caractéris- 
tiques; on  se  rappelle  une  réflexion  analogue  faite  par 
l'administrateur  Gentil  sur  la  région  du  Tchad  (Voy.  plus 
haut,  p.  350)  :  stérilité  apparente,  richesse  réelle,  sinon  tou- 
jours actuelle,  tout  au  moins  richesse  possible,  certaine 
môme  quand  le  pays  jouira  de  la  sécurité  et  qu'il  sera  repeu- 
plé, tel  est  le  contraste  fréquent  que  présentent  les  contrées 
africaines. 

(1}  Lenfant,  Le  Nif/er,  p.   167  et  256;  ces  mots  expressifs  figurent  dans  U* 
sommaire  du  chapitre  vi  de  ce  livre. 
(2)  Lenfant,  Le  Niger,  p.  174. 


LE  SOUDAN   NIGÉRIEN  :   GRAND  AVENIR  DU  PAYS.  389 

Il  se  trouve  que  c  est  précisément  dans  ses  régions  supé- 
rieures et  moyennes,  le  long  du  Djoliba  et  de  Tissa  Ber, 
c'est-à-dire  sur  la  partie  française,  que  le  Niger  paraît  offrir 
le  plus  de  ressources.  La  contrée  de  Zinder  (ne  pas  con- 
fondre avec  la  ville  de  la  région  du  Tchad)  à  Say  et  un  peu 
au-dessous  est  ainsi  caractérisée  par  le  capitaine  Lenfant  sur 
In  carte  qu'il  a  dressée  du  fleuve  :  c  Région  très  peuplée  ; 
riz,  mil,  coton,  indigo,  gomme,  jardins,  arachide,  manioc, 
patates,  bourgou,  troupeaux.  »  Cette  désignation  s'applique 
à  la  rive  droite  du  fleuve  entre  le  treizième  degré  de  latitude 
et  le  quatorzième  et  quart.  De  même  le  Niger  supérieur, 
entre  Kouroussa  et  un  peu  en  amont  de  Bamako,  porte  cette 
annotation,  sur  la  même  carte  :  «  Pays  du  Soudan,  ayant 
la  population  la  plus  dense  ;  riz,  maïs,  mil,  arachides, 
patates,  manioc,  ignames,  ozonifis,  légumes  d'Europe, 
indigo,  miel,  cire,karité,  acajou,  caoutchouc,  minerai  de  fer.  » 
De  Siguiri  à  Ségou,  des  environs  du  douzième  aux  environs 
du  huitième  degré  de  longitude  ouest,  toujours  sur  la  carte 
du  capitaine  Lenfant,  le  pays  est  qualiQé  :  <  Région  coton- 
nière  ».  Mais  ce  terme  ne  doit  pas  être  considéré  comme 
appartenant  exclusivement  à  cette  zone;  car  plus  à  Test  et 
au  nord  tout  le  delta  du  Niger  Bani,  qui  a  pour  principal 
centre  Djenné  et,  en  outre,  la  cuvette  d'inondation  des  envi- 
rons de  Tombouclou,  est  très  apte  à  la  même  culture,  ainsi 
qu'à  beaucoup  d'autres.  C'est  là  que  sont  les  territoires  sub- 
mergés ou  submersibles  les  plus  étendus.  Ecoutons  le  capi- 
taine Lenfant  parler  de  Djenné  :  c  Tout  le  pays  (le  delta  du 
Niger  Bani)  est  extrêmement  fertile  et  capable  de  produire 
des  récoites  superbes;  malheureusement  il  manque  de 
travailleurs.  L'auteur  du  Tarikh  es  Soudan  nous  apprend 
qu'au  XVII*  siècle  la  province  de  Djenné  comptait  7  077  vil- 
lages (il  n'y  en  a  pas  400  de  nos  jours),  soit  environ 
4000000  d'habitants  et  que  le  sultan  communiquait  avec 
celui  de  Tombouctou  en  faisant  crier  ses  messages  d'un 
village  à  l'autre.  Il  est  probable  que  les  richesses  renaîtront 
avec  le   calme  et  que  ces  populations  prolifiques  rendront 


360     LE  SAHABA,  LB  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSÂHAaiB52. 

un  jour  aux  rizières,  envahies  par   les  herbes,  Icssor  des 
temps  passés  (1).  » 

Ces  espérances  ne  sont  nullement  excessives  et  tout  in- 
dique que  le  récit  de  l'auteur  arabe  du  Tarikh  es  Soudan  clail 
exact  dans  sa  description.  Quel  que  soit  le  contraste  enlrt 
la  situation  actuelle  de  la  région  et  celle  d'autrefois,  ]:i 
ville  de  Djenné,  dans  toute  sa  contexture  et  dans  son  aspect 
général,  garde,  malgré  son  déclin,  les  traces  d*une  ancienne 
prospérité  et  d'une  vieille  civilisation.  Le  capitaine  LenfaDt 
en  témoigne  :  «  Djenné,  dit-il,  fut  jadis  une  grande  cité  ;  cette 
ville  présente  encore  beaucoup  d'intérêt.  Ses  maisons  soo( 
fort  bien  construites  ;  des  escaliers  larges  et  divisés  en  frac- 
tions d*élages  conduisent  aux  diverses  pièces  dans  lesquelles 
se  traitent  les  affaires  commerciales  importantes.  Les  plan- 
chers sont  faits  de  palmiers  enchevêtrés,  qui,  recouverts  d'un 
excellent  pisé,  sont  propres  et  d'un  usage  agréable.  Tout 
décèle  à  Djenné  les  efiTets  d'une  civilisation  très  avancée.  Les 
terrasses  comportent  de  petites  guérites  destinées  aux 
latrines  et  des  tuyaux  de  poterie  débouchent  au  rez-de- 
chaussée  dans  de  grands  vases  que  l'on  jette  au  fleuve 
chaque  malin.  Les  eaux  de  pluie  s'écoulent  par  des  gouttières 
creusées  dans  le  tronc  des  rôniers  fendus  dans  la  longueur; 
d*innombrables  pigeons,  que  les  indigènes  respectent  cl 
vénèrent,  se  posent  sur  les  chéneaux  et  sur  les  clochelofls' 
pointus  dont  s'ornent  les  toitures.  Je  remarquai,  au-dessus 
de  la  porte  de  chaque  maison,  des  cornes  de  chèvre  piquées 
dans  la  maçonnerie  ;  ces  ornements  servent  à  retenir  les 
stores  lorsqu'ils  sont  roulés.  Les  portes  des  maisons  sont 
monumentales  et  dessinées  à  la  façon  des  grandes  cheminées 
de  nos  vieux  châteaux;  les  pieds-droits  s'élancent  jusqu à 
la  toiture,  recouverts  de  dessins  et  de  rosaces.  Les  rues 
sont  étroites,  sinueuses,  mais  propres.  Le  coup  d'œil  qui  se 
déroula  sous  mes  yeux,  lorsque  je  montai  sur  la  terrasse  du 
cercle,  est  fort  intéressant  :  on  ne  voit  que  des  clochetons, 
des  terrasses,  des  guérites,   quelques  touffes   d'arbres  qui 

(1)  Lcnfant,  Le  Niger,  p.  215. 


LE  SOUDAN   NIGERIEN  :   GRAND  AVENIR  DU  PAYS.  361 

dépassent,  et  devant  moi  s'étendait,  immense,  la  plaine 
ianle  et  verte  de  Djenné,  sillonnée  de  canaux  et  teintée  de 
>Ieu  par  les  méandres  du  Bani  (1).  » 

Voilà  certes  une  description  séduisante  ;  nombre  de  petites 
illes  de  province  de  France  pourraient  envier  cette  citéafri- 
raine  déchue;  qu'on  rapproche  ce  tableau  de  Lenfant  de  celui 
lu  capitaine  Joalland  sur  Zinder  (Voy.  plus  haut,  p.  330), 
le  la  relation  de  Foureau  sur  la  même  ville  et  sur  les  ruines 
le  Kouka  (Voy.  plus  haut,  p.  338),  de  celle  de  Gentil  sur 
Dikoa  (Voy.  plus  haut,  p.  350),  on  se  convaincra  que  toutes  ces 
notes  concordantes  témoignent  que  toute  la  vaste  contrée  du 
Soudan,  du  Niger  au  Tchad,  a  joui  autrefois  d'une  civili.sa- 
lion  très  perfectionnée  et  qu'elle  en  garde  encore  des  restes 
fort  appréciables. 

Ce  n*est  pas  seulement  par  une  certaine  élégance  et  un 
confortable  très  digne  d'être  signalé,  que  Djenné  se  recom- 
mande,   c*est   aussi  par   Taclivité   économique.    Ecoutons 
encore  le  capitaine  Lenfant  :  «  A  tous  égards,  cette  ancienne 
capitale  est  admirablement  située,  écrit-il.  Des  conques  et 
des  marigots,  qui  Tenserrent  de  toutes   parts,  conduisent 
vers  le  Bani  ou  vers  le  Djoliba  (Voy.  plus  haut,  page  357), 
vers  les  forêts  de  Koutiala,  vers  le   Macina,  le  Mossi,  les 
territoires  de  la  Boucle,  vers  Saraféré,  Kabara,  vers  Ségou, 
Sansanding,  Nyamina,  Bamako  ;   d'autre   part,    de    belles 
pirogues    longues,    solides  et  souvent    chargées   de  12   5 
IT)  tonnes,  sont  mouillées  devant  les  remparts,  au  pied  des 
ruines  de  la  vieille  mosquée,  détruite  par  le  feu  du  ciel  et 
sous  les  murs  de  laquelle  Allah  ensevelit  les  Toucouleurs  pour 
les  châtier  de  leur  dépravation.  Il  règne  au  marché  une  acti- 
vité considérable,  mais  elle  devait  être  plus  grande  autre- 
fois. Les  produits  les  plus  variés  y  sont  échangés  contre  les 
denrées    provenant    des  pays   voisins.  De  plus,  la    région, 
quoique  manquant  de  bras,   produit  du    mil  cl   du    riz    en 

U)  Lenfant,  Le  Mf/er,  p.  216.  D'après  le  capitaine  Lenfant,  Djenné,  Djeuné, 
l>jinnée,  Guinéa,  Guinée,  sont  dfs  iléfonnations  du  mémo  mot.  et  c'est  cette 
ville  qui  a  donné  son  nom  à  la  contrée  d'Alriiiue  appelée  Guinée. 


362     LK  SAHABA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS.  DE  FER  TRANSSAHÂB1E5S. 

abondance  ;  c'est  le  grenier  du  Soudan  ;  c'est  là  que  nos  fils  e\ 
successeurs  verront  renaîtreà  la  culture  ces  immenses  rizières, 
que  les  herbes  et  les  lotus  recouvrent  en  partie  à  Vheurt- 
actuelle.  Et  ce  jour-là,  Djenné  redeviendra  la  reine  de* 
cités  commerciales  de  notre  Empire  africain  (1).  >j 

Toute  la  contrée  environnante  offre  d'immenses  ressources 
<  Après  avoir  reconnu  les  marigots  du  delta  Bani*Djoliba, 
je  rentrai  à  Koulikoro,  écrit  le  capitaine  Lenfant,  le  1"  sep- 
tembre par  Sansanding,  Ségou  el  Nyamina.  Ce  sont  de 
grands  centres,  de  beaux  villages,  des  régions  cultivées  où 
les  terres  sont  riches  et  productives.  C'est  le  vrai  pays  du 
Nil  français.  Le  fleuve  avait  beaucoup  monté.  L'inondation 
recouvrait  les  berges  et  déposait  son  apport  annuel  de  limon 
fertilisateur  ;  je  naviguais  dans  les  champs  de  mil,  sur  le> 
rizières,  parfois  môme  à  travers  la  forêt  (2).  »  Et  lecapilaine 
Lenfant,  dans  son  livre,  à  cette  place,  publie  une  gravure  qui 
représente,  suivant  la  légende  qu'il  y  met,  t  le  Nil  français 
inondant  les  rives  de  sa  crue  fertilisante  ». 

Comment,  par  quelles  causes,  s'est  restreinte  à  des  propor- 
tions aujourd'hui  modestes  la  prospérité  d'une  contrée  que 
la  nature  a  si  bien  douée?  La  cause  est  unique,  nous  l'avons 
mainte  fois  signalée  :  l'insécurité.  La  chute  de  l'ancien  empire 
Sonraï  qui,  d'après  Barth,  s'étendait  sur  la  plus  grande 
partie  du  Soudan  et  s'effondra  au  xviii*  siècle  l^voy.  plushaul. 
page  271),  le  triomphe,  la  dévastation  et  l'oppression  des 
Touareg,  puis  les  luttes  acharnées  et  sauvages  des  tyrans 
locaux,  les  rapts  encore  d'adultes  et  surtout  d'enfants,  ont 
prodigieusement  réduit  la  population  et  les  cultures. 

«  Sur  tout  son  parcours  à  partir  d'Ansongo  (3),  Tissa  Ber 
(section  moyenne  du  Niger)  est  extrêmement  large  ;  il 
s'étend  souvent  sur  8  et  même  12  kilomètres  d'une  rive  à 
l'autre  ;  partout  il  inonde  et  dépose  un  limon  fertilisateur. 

(1|  Lenfant,  I^  ^ifjev,  p.  il 7. 

(2)  Id.,  ihid.,  p.  sis. 

(3)  Point  situô  sur  la  brandie  orientale  du  coude  du  Niger,  vers  le  quinzicnn- 
degré  et  demi  de  latitude  et  le  premier  et  demi  de  longitude  ouest.  Il  s'agit  du 
parcours  en  amont  d'Ansongo. 


LE  SOUDAN   NIGÉRIEN  !  GRAND  AVENIR  DU  PAYS.  363 

Mais,  s'il  peut  produire  tout*,  il  ne  produit  presque  rien;  Tindi- 
irène chancelle  encore  sous  le  coup  de  massue  qui  Ta  frappé. 
Depuis  Tinvasion  targuie,  il  ne  sait  s'il  doit  renaître  ou  s'enfon- 
cer sous  terre,  s'il  doit  s'enfuir  ou  s'approcher  du  Niger.  Il  y 
a  une  grande  différence  entre  le  bief  Débo-Ansongo  et  la 
région  DounzoU'Say,  au  point  de  vue  de  la  population  et  des 
produits;  il  n'y  en  a  pas  au  point  de  vue  de  la  fertilité  (1).  » 
(les  deux  régions  sont  situées  en  territoire  français. 

L'esclavage  et  la  traite  ont  aussi  contribué  à  la  dévasta- 
lion  ;  c'est  le  cas  de  Say  notamment,  ce  n'est  plus  aujour- 
d'hui qu'un  village  :  «  La  ville  devait  être  grande  autrefois, 
écrit  le  capitaine  Lenfant;  il  est  certain  qu'elle  comptait  au 
moins  vingt-cinq  mille  habitants.  Elle  était  sise  au  croise- 
ment de  diverses  routes  sur  lesquelles  se  traînaient  des  con- 
vois de  captifs  vendus  sur  le  marché  par  les  traitants  de 
nègres;  les  guerres  ont  décimé  la  population;  notre  présence 
a  chassé  les  Peuls  rebelles  à. notre  influence.  Aujourd'hui  la 
population  s'élève  à  deux  mille  cinq  cents  âmes;  toutefois 
le  pays  se  repeuple  assez  rapidement  (2).  » 

C'est  sur  des  centaines  de  lieues  que  la  désolation  s'est 
produite  :  «  A  partir  d'Ansongo  jusqu'à  Timbouctou,  Ségou, 
Koulikoro  et  Toulimandio,  c'est-à-dire  sur  environ  1400  kilo- 
mètres de  son  cours,  le  Niger  est  absolument  calme.  Les 
rives  de  l'Issa  Ber  (section  moyenne  du  fleuve,  voy.  plus  haut, 
page  357)  sont  à  peu  près  désertes,  parce  que  les  Touareg 
ont  tout  pillé.  Cependant  nous  sommes  au  milieu  d'une  val- 
lée qui,  deux  siècles  auparavant,  était  habitée  tout  le  long 
dos  rives  et  dans  les  îles.  C'était  l'époque  de  l'invasion  des 
Soaraïs  et  de  leurs  luttes  avec  les  Berbères  (3).  »  Les  Sonraïs, 
race  laborieuse,  avaient  constitué  un  grand  et  puissant  Élat 
paisible;  les  Touareg  réussirent  à  le  détruire  :  de  là  surtout 
Jale  la  décadence.  La  constatation  du  capitaine  Lenfant 
coïncide  avec  celle  de  Barlh  et  la  confirme. 


il)  Lenfant,  l.e  Niger,  p.  207. 
(i)  Id.,  i6iV/.,  p.  173. 
(3)1(1.,  ïôiV/..  p,  iOfc. 


364     LB  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHâRICN^ 

La  population  indigène  apparatt,une  fois  rassurée  et  pro- 
tégée, comme  susceptible  de  développement.  Le  capitaine 
Lenfant  fait  Téloge  de  celle  de  Say:  «  Les  habitants  de  Say. 
dit-il,  sont  des  Toucouleurs,  croisés  de  Peuls  et  de  SonraÏN 
mais  chez  qui  le  sang  foulani  prédomine  ;  ces  indigèQe> 
parlent  trois  langues,  car  les  nobles  s*exp  ri  ment  couramment 
en  aoussa,  peul  et  sonraï.  Ce  sont  des  hommes  intéressants, 
avec  lesquels  on  peut  s'entendre  ;  la  race  est  LxtnMncmer.l 
fine  et  sympathique  ;  à  part  leur  teint  bronzé,  ils  ont  Tâsperl 
des  Aryens  et  des  Berbères  que  Ton  rencontre  sur  le  Nii:»r 
depuis  Say  jusqu'aux  confins  de  la  plaine  de  Djenné  (1).  • 

La  description  que  fait  le  capitaine  Lenfant  des  populatioD> 
de  la  partie  plus  haute  du  ficuve,  les  Bambaras  notammenl. 
n'est  pas  moins  réconfortante  :  «  Les  villages  BambaraN 
du  Bélédougou  (2)  sont  riches,  bien  construits  et  bien  peu- 
plés. L'indigène  habite  des  cases  en  terre,  recouvertes  dt^ 
terrasses  ;  il  réserve  la  case  recouverte  de  paillotte  pour  ses 
bestiaux,  ses  grains  et  ses  provisions.  Les  cultures  soni 
belles  et  variées  :  riz,  mil,  mais,  patates,  manioc,  arachides, 
piments,  tabac,  coton,  indigo,  etc.  ;  le  pays  produit  du  ka- 
rité  en  quantités  considérables  ;  il  y  a  de  belles  forêts  avecles 
essences  de  bois  que  nous  avons  précédemment  indiquées, 
les  bestiaux  sont  bien  soignés;  le  miel  abonde.  Plus  au  sud. 
dans  les  pays  Sénofos,  le  caoutchouc,  Tivoire,  se  joignent 
à  ces  produits,  tout  cela  dépend  des  latitudes  sur  lesquelles 
on  opère.  Le  Bnmbara  de  la  campagne  extrait,  des  minerais 
qu'il  grille  dans  ses  hauts  fourneaux,  le  fer  pour  ses  instru- 
ments de  culture,  pour  ses  lances  et  pour  ses  armes.  C'esl 
un  guerrier  très  brave  et  vigoureux;  c'est  un  cultivateur 
patient  qui  sait  se  défendre.  Cette  race  nous  a  fourni  tous  les 
travailleurs,  depuis  ceux  qui  manient  la  pelle  etla  pioche  sur 
nos  chantiers,  jusqu'à  celui  qui  dirige  nos  machines.  C'esl 
avec  elle  que  nous  avons  formé  ces  beaux  régiments  à 
tirailleurs,  dont  la  bravoure  et   Tentrain  nous  ont  assuré  la 

(I)  Lf'nf.'iîU,  Le  A'/V/rr,  p.  173. 

(i)  C'est  la  région  sur  les  rives  du  Niger  entre  Djenné  et  Bamako. 


LE  SOUDAN  NIGÉRIEN  :   GRAND  AVENIR  DU   PAYS.  365 

enquête  de  notre  territoire,  et  nous  ont  permis  d'imposer 
u  Soudan  nos  idées  pacifiques  et  notre  civilisation  (1)  ». 

Ainsi,  non  seulement  la  nature,  mais  la  race  humaine,  sur 
Bs  bords  des  2500  à  2800  kilomètres  du  Niger  qui  appar- 
liennent  h  la  France,  sont  pleines  de  promesses  de  dévcloppe- 
IDent.  Une  génération  jouissant  de  la  sécurité  suffira  à 
rétablir,  en  faccroissant  encore,  Tancienne  population  et 
rancienne  prospérité  de  ces  contrées. 

Parmi  les  produits  qu*on   peut   en  attendre,  il  en  est  un 
parliculiërement  important  pour  la  civilisation  générale,  c'est 
le  coton.  On  sait  que  cette  denrée  a  énormément  renchéri 
depuis  plusieurs  années  et  que  Tessor  de  sa   production  en 
Amérique,  aux  Indes,  en  Egypte,  dans  TAsie  centrale,  ne 
peut  suivre  celui  de  la  demande.  En  Angleterre,  comme  en 
France,  il  s'est  constitué  des  associations  pour  le  dévelop- 
pement et  l'amélioration  delà  culture  du  coton  aux  colonies. 
Les    documents  présentés    au   Congrès  colonial   de   1904, 
tenu  à  Paris,  sont  nombreux  et  instructifs  sur  les  possibi- 
lités   qu'offre  cette  culture  dans  nos  possessions  africaines 
et  particulièrement  sur  les  bords  du  Niger.  Il  n'a  pas  été 
présenté  à  ce  Congrès  moins  de  sept  mémoires  sur  le  coton 
en  Afrique  (2).  Les  plus  importants  et  les  plus  détaillés  de 
ces  projets  visent  le  moyen  Niger  et  le  haut  Niger.  Nous 
allons     puiser    quelques    renseignements    à    ces     études 
spéciales. 

Le  moyen  et  le  haut  Niger  paraissent  un  lieu  d'élection 
pour  la  culture  du  cotonnier.  Toute  la  zone  de  Tombouctou 
à  Bamako  ou  Bamakou,  ainsi  que  tout  le  cours  du  Bani,  y 
sont  particulièrement  propices.  Il  est  certain  que  la  région 
entre  Tombouctou  et  Say  s'y  prêterait  aussi,  mais  la  première 

(1)  Lenfant,  Le  Mf/er,  p.  220  et  22i. 

(2)  En  voici  les  titres  :  L'avenir  de  la  culture  du  coton  au  moyen  Niger,  par 
M.  (le  Préaudet;  Un  projet  d'entreprises  cotonnières  en  Afrique  occidentale, 
par  MM.  Bouchor  et  Krol;  Les  cultures  cotonnières  du  haut  Sif/er,  par  M.  Le 
Uiirbier;  Sécessitf'  de  cultures  cotonnières  européennes  en  Atyérie  et  en  Afrique 
occidentale,  par  M.  Du  Taillis;  La  vallée  du  Sénéfjal,  région  cotonnière,  par 
M.  Maine  fils;  Le  coton  à  Madagascar,  par  M.  Froment.  Voy.  Bibliothèque 
des  Congrès  coloniaux  français  ;  Rapports  présentés  à  la  troisième  section  du 
Congrès  colonial  de  i904;  Ghallamel,  éditeur,  1904,  Paris. 


366     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES   CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARI£?^î 

étant  plus  connue  et  notre  autorité  y  étant  mieux  établie, 
c'est  d'elle  seulement  que  Ton  s'occupe  aujourd'hui.  Se  réft-  i 
rant  à  un  croquis  du  moyen  et  du  haut  Niger  qu'ils  onl  \ 
joint  à  leur  mémoire,  MM.  E.  Boucher  et  Gérard  Krol 
écrivent  :  «  La  carte  ci-annexée,  qui  indique  les  terraixis 
arrosés  par  le  Niger  et  susceptibles  de  pouvoir  être  cultivés 
pour  le  coton,  représente  une  superficie  de  3500000  hectares. 
Si  ce  champ  immense  était  cultivé,  il  pourrait  produire 
875000  tonnes  de  coton  annuellement,  dont  la  valeur  consi- 
dérée au  prix  le  plus  bas,  soit  1  fr.  25  le  kilogramme,  repré- 
senterait plus  d'un  milliard  de  francs  (1).  i»  Il  ne  faut  pas 
oublier  que  les  Etats-Unis  ont  actuellement  10  millions 
d'hectares  de  plantations  de  coton,  exactement  9710000  hec- 
tares en  1899  (2). 

On  calcule  que  le  rendement  brut  d'un  hectare  est  de 
800  kilos  de  coton,  et  le  rendement  net  en  fibres  de2J'^ 
à  280  (3).  On  évalue  à  151  fr.  50  par  hectare  le  total  des  frais 
et  à  204  francs  au  prix  de  1  fr.lOle  kilogramme,  le  prix  de  vente 
en  France;  l'écart,  soit  113  francs,  représenterait  le  coût  de 
transport  et  le  bénéfice.  En  admettant  une  vingtaine  de  francs 
pour  le  prix  de  transport  des  240  kilogrammes  de  fibres  dont 
il  s'agit  et  une  dizaine  de  francs  pour  les  frais  divers,  cour- 
tages et  autres,  il  resterait  plus  de  80  francs  de  bénéfice  par 
hectare  (4). 

Nous  n'avons  pas  à  discuter  ces  données.  L'association 
cotonnière  fondée  en  France  sous  la  direction  d'un  grand 
commerçant  en  coton,  M.  Esnault  Pelleterie,  s'occupe  de 
toutes  les  études  spéciales  concernant  cette  production  dans 
notre  Afrique.  Elle  a  fait  choix,  dit-on,  de  Ségou,  pour  siège 
de  ses  premières  exploitations. 

(i)  Rapports  présentés  à  la  troisième  section  du  Congrès  colonial  de  ^90-$, p.  oii. 

(2)  Les  États-Unis  au  vingtième  siècle^  par  Pierre  Leroy-Beaulieu,  p.  444. 

(3}  liapports  présentés  à   la  troisième  section  du   Congrès  colonial  de  1904, 
p.  27  et  44. 

(4)  Ibid.,  p.  27  et  28.  L'auteur  du  mémoire  no  compte  que  52  francs  de  bén»' 
ficc  par(!e  qu'il  suppose  le  transport  par  la  voie  conipli(iuée  et  coûteuse  «lu 
Niger  à  Kayes,  la  navigation  du  Sénégal  et  celle  de  la  côte  d'Afrique  en  Francf 
mais  le  Transsaharien,  voie  facile,  réduirait  considérablemeut  ces  frais. 


LE  SOUDAN  NIGÉRIEN  :   GRAND  AVENIR  DU  PAYS.  367 

Tous  les  hommes  techniques  sont  d*accord  que  la  vallée 
du  Niger  et  du  nouveau  Niger  se  prêtent  merveilleusement 
h  la  production  du  coton.  Il  n'y  a  pas  lieu  de  s'occuper  de 
Tirrigation,  ou  du  moins  de  faire  de  grands  et  coûteux  tra- 
vaux pour  l'organiser,  puisque  l'inondation  régulière  du 
fleuve  y  supplée. 

L'exemple  de  l'Egypte,  de  l'Inde  et  du  Turkestan  est  on 
ne  peut  plus  réconfortant  en  ce  qui  touche  l'avenir  coton- 
nier de  la  vallée  du  Niger  et  de  la  contrée  du  Tchad.  Il  suffit, 
(l'une  part,  que  la  population  s'accroisse  par  la  sécurité  et 
([u'un    moyen  de   transport  économique  soit  établi.  Or,   le 
chemin  de  fer  transsaharien  au  tarif  kilométrique,  très  rému- 
nérateur, de  3  centimes  la  tonne  transporterait  le  coton  du 
Niger  à    Oran  au  prix  de  75  francs  la  tonne  et  du  Tchad   à 
Philippeville  au  prix  de  90  francs,  à  peine  8  ou  9  p.  100  de 
la  valeur  du   produit.   On  pourrait  même,  si  c'était  néces- 
saire,  réduire   le  tarif  kilométrique   à  2  centimes,  ce  qui 
représenterait  seulement  50  et  60  francs  respectivement  la 
tonne  pour  le  transport  du  Niger  ou  du   Tchad  aux  côtes 
algériennes,  et  de  celles-ci  à  un   grand  port  quelconque 
d'Europe,    Marseille,  Gênes,  Trieste,    Barcelone,  le  Havre, 
Liverpool,  Anvers  et  Hambourg,  le  fret  ne  serait  que  de  8  à 
10  francs  la  tonne.  Tout  le  transport  du  centre  de  l'Afrique 
jusqu'au  grand  port   du  pays  manufacturier  européen   ne 
reviendrait  ainsi  qu'à  85  à  100  francs  la  tonne  de  coton,  res- 
pectivement pour  le  coton  du  Niger  et  le  coton  du  Tchad  et, 
avec  le  tarif  kilométrique  de  2  centimes,  à  60  et  70  francs, 
soit  6  à  7  p.  100  à  peine  de  la  valeur  de  la  denrée. 

Il  est  permis  d'espérer  que  la  région  du  Niger  arrivera,  un 
jour,  à  produire  600000  à  700000  tonnes  de  coton,  tout  au 
moins  400000  ou  500000;  mai»  quand,  dans  le  délai  d'une 
quinzaine  ou  d'une  vingtaine  d'années,  elle  n'en  produirait 
encore  que  60000  à  80000,  ce  serait  déjà  une  notable  richesse 
pour  le  pays  et  un  trafic  important  pour  le  chemin  de  fer 
^-ranssaharien. 
Le  simple  développement  de  la  population  et  des  cultures 


3*70     LE  SAHARA;  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIENS. 

Niger.  Au  contraire,  la  navigation  est  peu  coûteuse  sur 
l'immense  bief  d'Ânsongo  et  le  Transsaharien  jusqu'à  Oran 
pourrait  transporter  les  produits  de  valeur  à  3  centimes  le 
kilomètre,  soit  75  francs  la  tonne;  ceux  de  moindre  prix,  à 
2  centimes,  soit  50  francs  la  tonne  et  presque  certainement 
à  1  centime  et  demi,  soit  37  fr.  50  la  tonne  les  produits  de 
faible  valeur,  sinon  môme  à  1  centime  1/4  (32  fr.  50).  Ces 
deux  derniers  tarifs  sont  très  modiques,  mais  praticables, 
et  les  deux  premiers  eux-mêmes  sont,  dans  la  plupart  des 
cas,  très  acceptables. 

Nous  examinerons  plus  loin  les  questions  d'exploitation. 
Le  chemin  de  fer  transsaharien  occidental  sera  très  facile 
h  construire;  pour  les  1700  à  1800  kilomètres,  à  partir  du 
terminus  actuel  des  lignes  sud-oranaises,  il  ne  paraît  pas 
devoir  coûter  plus  d'une  centaine  de  millions,  au  grand 
maximum,  soit  55000  francs  le  kilomètre. 

Autant  qu'on  peut  s'en  rendre  compte,  c'est  à  Tombouc- 
tou  môme  ou  non  loin  de  cette  ville  qu*il  faudrait  qu'aboutit 
le  Transsaharien  occidental.  Tombouctou  réunit,  en  effet, 
des  avantages  importants  :  il  est  presque  sur  le  méridien 
d'Oran;  il  se  trouve  à  peu  près  au  milieu  du  grand  bief 
(^u  Niger  moyen;  il  est  proche  de  la  zone  la  plus  riche 
des  inondations  du  fleuve;  il  n'est  pas  bien  éloigné  do 
Taoudéni,  la  grande  saline  saharienne  qui  apportera  un 
trafic  notable  à  la  voie  ferrée  ;  c'est  l'excellence  de  cet  empla- 
cement qui  a  fait  de  Tombouctou,  dans  le  passé,  le  grand 
centre  de  l'afflucnce  et  de  la  distribution  du  commerce  dans 
toute  celle  partie  de  l'Afrique;  il  semble  que  l'avenir  devra 
consacrer  cette  situation. 


LIVRE  IV 


DE  L'EXECUTION  ET  DU  TRAFIC 
DES  CHEMINS  DE  FER  TRÀNSSÀHARIENS 


CHAPITRE  PREMIER 
Facilité  et  coût  modique  de  l*entreprise. 


Los  chemins  de  fer  transsahariens  sont  des  œuvres  l'elativement  modestes.  — 
Leur  étendue  est  très  inférieure  à  celle  des  grandes  lignes  de  Tancien  et  du 
nouveau  monde. 

La  plus  grande  partie  des  tronçons  qui  les  co m po.se nt  s'imposera  dans  un  temps 
prochain,  même  indépendamment  de  toute  idée  transsaharienne.  —  Si  l'on 
déduit  ces  tronçons  en  toutes  circonstances  nécessaires  dans  le  Sud-Âlgérion 
et  le  Soudan,  la  longueur  proprement  dite  du  Transsaharien  devient  très 
modique. 

Le  sol  du  Sahara  se  prête  merveilleusement  à  l'établissement  d'une  voie  ferrée. 
—  La  salubrité  du  pays  facilite  les  travaux. 

Aucune  objection  sérieuse  ne  peut  être  faite  du  chef  de  l'insuffisance  des  eaux 
pour  l'exploitation. 

La  construction  sera  très  peu  onéreuse.  —  Elle  devra  se  tenir  entre  50000  et 
60  000  francs  le  kilomètre. 

Les  frais  d'exploitation  aussi  s'annoncent  comme  modiques. 


Immenses  seraient  les  résultats  des  chemins  de  fer  trans- 
sahariens, et  Teffort  serait  modique.  Il  ne  faut  pas  croire 
qu*il  s'agisse  1&  d'une  de  ces  œuvres  colossales  qui  dévorent 
d'énormes  accumulations  de  capitaux.  Dans  les  temps  où 
nous  vivons  et  par  rapport  aux  travaux  publics  qui  se  sont 
faits  récemment,  se  font  ou  se  projettent  sur  la  surface  du 
globe,  un  chemin  de  fer  transsaharien  serait  une  œuvre  à 
coup  sûr  originale,  mais  relativement  modeste.  Elle  ne 
demanderait  qu'une  dépense  fort  restreinte.  Tout  d'abord, 
même  au  simple  point  de  vue  de  la  longueur  kilométrique, 
uQ  chemin  de  fer  transsaharien  serait  loin  de  figurer  parmi 
les  ligoes  ferrées  les  plus  longues  du   globe.  De  Biskra  au 


372     LE  SAHAHA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRâNSSÀH ARIENS. 

Soudan,  jusqu'à  Zinder  par  exemple,  qui  nous  appartient 
et  qui  est  à  3  degrés  environ  de  longitude  à  Test  de  Biskra, 
ou  bien  encore,  si  on  le  préfère,  au  Kanem,  c'est-à-dire  à  la 
rive  septentrionale  du  lac  Tchad,qui  se  trouve  4  degrés  de 
longitude  encore  plus  à  Test,  mais  un  peu  plus  au  nord,  la 
distance  en  ligne  droite  est  d'environ  2400  à  2  500  kilomètres, 
mettez  de  2600  à  2700,  en  supposant  des  déviations  exigées 
par  le  relief  du  terrain  sur  une  courte  partie  du  tracé. 

Or,  pour  tout  homme  qui  se  tient  un  peu  au  courant  du 
train  du  monde  et  dont  Tesprit  n'est  pas  enfermé  dans  nos 
étroites  vallées  métropolitaines,  un  chemin  de  fer  de  2  600 
à  2  700  kilomètres  ne  compte  plus  aujourd'hui  parmi  les 
lignes  ferrées  de  première  grandeur.  Le  chemin  de  fer  trans- 
sibérien a  plus  de  6000  kilomètres,  le  Transcontinental 
Canadian  Pacific  en  a  plus  de  5000,  et  le  Transcontinental 
Pacific  américain  presque  autant  ;  voilà  donc  des  chemins 
de  fer  qui  sont  deux  fois  plus  longs,  sinon  davantage,  que 
la  ligne  qu'il  nous  faut  construire  pour  faire  un  tout  de  nos 
tronçons  disséminés  de  l'Afrique  du  nord  et  du  centre.  En 
Afrique  même,  dans  une  contrée  très  désolée  et  peu  fertile 
de  l'Afrique  —  pour  ne  pas  parler  de  l'entreprise  du  Cap  au 
Caire  qui  n'est  encore  qu'à  l'état  de  formule,  quoiqu'elle 
s'exécute  rapidement  par  tronçons,  —  le  chemin  de  fer  du 
Cap  au  Zambèze,  actuellement  terminé  ou  sur  le  point  de 
Têtre,  dépasse  en  longueur  de  15  à  20  p.  100  environ  le  futur 
Transsaharien  de  la  région  du  Tchad,  et  les  difficultés  d'exé- 
cution étaient  bien  autrement  grandes  dans  le  premier  cas 
qu'elles  ne  seront  dans  le  second,  à  cause  de  la  nature  du 
pays  et  du  relief  tourmenté  du  sol. 

Ce  n'est  donc  pas  l'étendue  de  la  ligne  qui  doit  nous 
arrêter;  d'autant  moins  que,  si  l'on  décompose  cette  étendue, 
on  voit  que,  môme  en  renonçant  à  réunir  l'Algérie  au  Sou- 
dan, une  notable  partie  des  2  600  ou  2700  kilomètres  devra 
être  faite  à  assez  bref  délai,  soit  au  titre  de  chemins  de  fer 
algériens,  soit  au  titre  de  chemins  de  fer  soudanais.  C'est  le 
cas  d'abord  pour  les  370  kilomètres  de  Biskra  à  Ouargla, 


DE  L*BXÉGUTION  DES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIENS.        373 

lesquels  sont  étudiés  depuis  une  vinglaine  d'années  et  qui, 
depuis  dix  ans  environ,  font  Tobjet  d'un  projet  ministériel  et 
d'une  demande  de  concession.  On  peut  considérer  qu'en 
tout  état  de  cause  ces  370  kilomètres  seront  construits  assez 
prochainement. 

11  en  est  de  même,  quoique  l'exécution  puisse  en  être  un 
peu  plus  différée,  de  la  ligne  ferrée  devant  relier  la  grande 
contrée  tropicale  et  cultivable  du  Sahara  méridional,  l'Âîr, 
tout  au  moins  la  capitale  de  cette  région,  Agadès,  à  notre 
Soudan,  soit  à  Zinder,  soit  à  un  point  voisin.  Il  est  en  effet 
inadmissible  que,  contrairement  à  tous  les  peuples  colonisa* 
leurs.  Russes,  Anglais,  Belges,  Nord-Américains,  nous 
ayons  la  prétention  de  posséder  éternellement  des  territoires 
sans  y  faire  de  travaux  publics.  On  a  vu  que  le  voyageur 
allemand  Barlh,  le  plus  exact  peut-être  des  explorateurs,  a 
fait  de  la  région  de  l'Aîr,  de  ses  vallées,  de  ses  productions, 
un  tableau  séduisant  et  que  les  récits  de  M.  Foureau  n'y  con- 
tredisent aucunement  (se  reporter  plus  haut,  pages  261  à  278). 
La  jonction  de  cette  contrée  au  Soudan  par  une  ligne  ferrée 
s*imposera,  quelle  que  doive  être  la  décision  relative  au 
Transsaharien. 

On  conçoit  qu'il  ne  soit  pas  possible,  une  fois  que  nous 
aurons  établi  notre  domination  dans  cette  contrée,  de  la 
laisser  sans  communication  par  chemin  de  for  avec  le 
Soudan.  Ce  serait  d*autant  plus  inadmissible  qu'outre  les 
produits  agricoles  et  fabriqués,  il  y  a  dans  cette  région  des 
sources  de  trafic  qui  proviennent  du  transit  du  sel  ;  Barth 
parle  du  départ  d'une  caravane  de  10  000  chameaux  se  ren- 
dant aux  salines  de  Bilma,  situées  au  nord-est  d'Agadès, 
dans  le  pays  dit  de  Kaouar.  II  reconnaît  que  le  chiffre  des 
chameaux  peut  être  un  peu  exagéré,  mais  qu'il  n'en  résulte 
pas  moins  un  énorme  mouvement.  Il  semble  découler  de  son 
texte  que  plusieurs  fois  par  an  des  caravanes  de  ce  genre, 
sinon  exactement  de  cette  importance,  traversent  Agadèsou 
VAïr(l). 

(1)  Reisen  und  Entdeckungen,  etc..  von  D""  Heinrich  Barth.  1. 1»',  pages  467, 468. 


374     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAH ARIENS. 

Indépendamment  de  tout  projet  de  Transsaharîen,  il 
ressort  donc  comme  évident  que  Ton  devra  construire  une 
ligne  ferrée,  reliant  TAïr,  tout  au  moins  à  partir  d'Agadès, 
17"  degré,  plus  probablement  à  partir  de  Tintelloust,  18'  de- 
gré et  demi,  au  Soudan,  mettons  à  Zinder,  point  assez  cen- 
tral; ce  serait  une  longueur  de  600  à  700  kilomètres  à 
déduire  de  celle  du  Transsaharien  proprement  dit,  puis- 
qu'elle aurait  sa  nécessité  propre  en  dehors  de  toute  jonction 
de  TAlgérie  avec  la  région  du  Tchad.  Il  est  même  très  vrai- 
semblable que  cette  ligne  ferrée,  simplement  soudanaise, 
devrait  un  jour  être  prolongée  à  Test  jusqu'à  l'oasis  de 
Bilma,  qui  approvisionne  aujourd'hui  entièrement  le  Sou- 
dan central  de  sel  (1).  Il  y  a  des  chances  sérieuses  pour  que 
ces  lignes  soudanaises,  desservant  la  partie  tropicale  du 
Sahara,  soient  rémunératrices. 

Si  Ton  retranche  ces  tronçons  qu'il  faudra  toujours  faire, 
à  savoir  les  370  kilomètres  de  Biskra  à  Ouargla  et  les  600 
ou  700  du  Soudan  central  à  TAïr,  on  voit  que  la  longueur 
prévue  de  2  600  à  2  700  kilomètres  pour  le  chemin  de  fer  de 
jonction  de  l'Algérie  et  de  la  région  du  Tchad,  se  réduit,  en 
réalité,  à  1600  ou  1 700  kilomètres.  Voilà  la  longueur  de 
transsaharien  à  proprement  parler  ;  cette  ligne,  dont  le  seul 
nom  épouvante  les  gens  superficiels,  se  réduit  à  des  propor- 
tions vraiment  des  plus  modiques. 

A  plus  forte  raison  en  est-il  ainsi  du  Transsaharien  de 
l'Ouest  vers  le  Niger;  les  lignes  oranaises  et  sud-oranaiscs, 
poussées  aujourd'hui  jusqu'à  Colomb  ou  Béchar,  ont,  depuis 
Oran^  plus  de  700  kilomètres  en  exploitation  ou  sur  le  point 
de  l'être  ;  il  est  décidé  de  les  prolonger  de  200  kilomètres 
environ  plus  au  sud  jusqu'à  Igli.  Or,  d'Igli  à  Tombouctou, 
la  distance  n'est  que  de  1 600  à  1 700  kilomètres;  c'est  donc, 
en  soi,  peu  de  chose,  mais  cette  distance  se  réduit  bien 
davantage  quand  on  la  décompose.  11  est  incontestable  que 

(1)  Au  cas  où  Ton  ferait  prochainement  le  Transsaharien,  on  pourrait  ajour- 
ner le  tronçon  ferré  vers  Bilina,  parce  que  le  sel  à  fournir  au  Soudan  pourrait 
venir  directement  de  France. 


DE  l'exécution  des  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIENS.         375 

Ton  sera  amené  prochainement  à  pousser  nos  lignes  sud* 
oranaises  jusqu*à  nos  oasis  du  Touat  ou  du  Tidikeit,  à  savoir 
jusqu'à  Taourirt  environ  ;  ce  sera  un  prolongement  de  400  à 
iV)  kilomètres  ;  on  ne  sera  plus  alors  qu'à  1 200  kilomètres 
environ  du  Niger;  d'autre  part,  on  sera  amené  certainement, 
indépendamment  de  toute  idée  transsaharienne,  à  relier  par 
une  voie  ferrée,  tout  au  moins  industrielle,  la  célèbre  saline 
de  Taoudéni  au  Niger,  car  cette  saline  approvisionne  tout  le 
Soudan  et  comporte  un  trafic  important;  le  tronçon  Taou- 
déni-Tombouctou  représente  environ  600  kilomètres.  Si  Ton 
lient  compte  de  toutes  les  voies  ferrées,  dont  la  nécessite 
propre  s'impose,  la  lacune  qui  subsisterait  entre  les  lignes 
sud-oranaisespousséesjusqu'au  Touat  et  la  ligne  industrielle 
Taoudéni-Tombouctou,  en  tenant  compte  de  quelques  dévia- 
tions du  tracé  nécessitées  par  la  traversée  des  localités 
sus-désignées,  serait  seulement  de  700  kilomètres  environ, 
irestàces  700  kilomètres  que  se  réduit  en  définitive  le  Trans- 
saharien occidental  proprement  dit;  ce  n'est  donc  plus 
qu'une  petite  voie  ferrée,  par  l'étendue  et  par  la  dépense. 

Si  la  longueur  n'a  rien  d'effrayant,  la  nature  du  pays  peut-elle 
faire  reculer  devant  l'œuvre?  Il  s'agit  de  traverser  le  Sahara, 
c'est-à-dire  un  désert,  ce  que  le  public,  d'après  la  convention, 
se  représente  comme  une  immense  étendue  de  sables  mou- 
vants, soulevés  et  remués  en  tous  sens  par  les  vents.  Il  a  été 
surabondamment  démontré  plus  haut,  par  les  rapports  con- 
cordants des  différents  explorateurs,  que  la  légende  a  complè- 
tement dénaturé  le  Sahara  ;  le  sable,  notamment  le  sable 
mouvant,  n'y  occupe  que  des  parties  très  restreintes,  sur- 
tout dans  la  région  qui  offre  le  tracé  le  plus  naturel  au 
Transsaharien.  Le  gravier  uni  et  solide,  ce  que  l'on  appelle 
le  reg,  couvre  de  beaucoup  la  plus  grande  partie  du  Sahara 
el  aussi  les  plateaux  pierreux  dénommés  hamada.  Dans  la 
région  où  il  y  a  du  sable,  en  général  fixé  par  une  certaine 
végétation^  on  trouve,  désignés  par  le  nom  de  gassis^  de 
larges  couloirs  de  terrain  ferme  entre  les  dunes,  notamment 
au  sud  d'Ouargla,  en  suivant  à  peu  près  le  lit  du  fleuve  sou- 


:^* 


376     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIENS. 

terrain  Tlgharghar  par  Amguid  et  par  la  plaine  d'Amadghor 
et  en  gravissant  les  pentes  les  plus  douces  du  plateau  rocheux, 
de  médiocre  hauteur  d'ailleurs,  le  Tassili,  qui  occupe  le  Sa- 
hara du  centre. 

Le  Sahara,  en  définitive,  est  beaucoup  plus  une  étendue 
de  roc  qu'une  étendue  sablonneuse.  On  ne  peut  dire  que  ce 
soit  une  plaine  absolue,  mais  le  relief  n'est  nulle  part  1res 
élevé;  sur  cette  longueur  de  2600  à  2700  kilomètres,  de 
Biskra  à  la  région  du  Tchad,  les  points  culminants,  soit 
dans  le  plateau  du  Tassili,  soit  dans  TAïr,  ne  paraissent 
dépasser  nulle  part  1800  mètres,  hauteur  d'un  tiers  moindre 
que  les  points  culminants  de  l'Algérie,  et  il  ne  s'agit  là  que 
de  pics  isolés  que  Ton  peut  tourner  aisément. 

La  carte  jointe,  dans  les  Comptes  rendus  de  la  Sociélè  de 
Géographie^  aux  lettres  écrites  par  M.  Foureau,  du  puits 
d'Asiou,  c'esf-à-dire  du  Sahara  méridional,  fixe  à  une  hauteur 
de  1 362  mètres  la  ligne  de  partage  des  eaux  entre  la  Médi- 
terranée et  l'Atlantique,  au  Djebel  Ahorrene,  à  plus  de 
1 300  kilomètres  au  sud  de  Biskra  ;  rien  ne  dit  qu'en  étudiant 
mieux  le  pays  on  ne  trouvera  pas  des  cols  plus  bas.  Ce  rehef 
modéré,  sur  un  si  grand  trajet,  doit  faire  considérer  le  Sa- 
hara sinon  comme  une  plaine  au  sens  absolu  du  mot,  tout 
au  moins  comme  une  des  contrées,  relativement  à  leur 
étendue,  les  plus  planes  de  l'Afrique.  Pour  se  rendre  du 
Cap  au  Transvaal,  on  gravit  de  bien  autres  sommets. 

Quant  au  Transsaharien  occidental,  celui  du  Niger,  il  ne 
rencontre  plus  aucun  obstacle  de  montagne,  la  ligne  de  par- 
tage des  eaux  ayant  été  franchie  d'Aïn-Sefra  à  Béni-Ounif 
par  les  tronçons  actuellement  en  exploitation. 

Ainsi,  terrain  de  gravier  et  de  roc,  plutôt  que  de  sable, 
relief  modique  du  sol,  voilà  les  caractéristiques  du  pays. 
Pour  rétablissement  d'un  chemin  de  fer,  pour  le  coût  de  cons- 
truction et  d'exploitation,  elles  sont  favorables.  Le  manque 
d'eau»  il  est  vrai,  serait  une  condition  contraire;  mais  il  a  été 
amplement  démontré  plus  haut  que,  sauf  sur  des  étendues 
restreintes,  Teau  ne  manque  aucunement  dans  le  Sahara. 


CONSTRUCTION   DES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIENS.  377 

Dans  toute  la  partie  septentrionale,  de  Biskra  à  Tougourt, 
la  sonde  artésienne  a  fait  jaillir  des  quantités  de  nappes  et 
surgir  de  nombreuses  oasis.  Au  sud  de  Tougourl  jusqu'au 
delà  d'El-Biod,  sur  700  ou  800  kilomètres,  s'étend  la  vallée 
de  righarghar,  et,  outre  les  puits  qui  s'y  rencontrent  actuel- 
lement, la  sonde  artésienne  en  fera  certainement  trouver 
d*autrcs.  Le  Sahara  méridional,  recevant  d'ailleurs  déjà 
les  pluies  tropicales,  dans  la  grande  section  qui  va  d'Asiou 
au  Tchad  et  qui  représente  un  bon  tiers  du  tracé  du  Trans- 
saharien, les  puits  sont  nombreux.  11  reste  le  haut  plateau  du 
Tassili,  d'une  longueur  de  400  à  500  kilomètres,  formant  la 
chaîne  de  partage  des  eaux  entre  la  Méditerranée  et  l'Atlan- 
tique; là,  les  puits  sont  plus  rares;  mais  il  en  existe  pour 
alimenter  les  caravanes  assez  fréquentes  qui  traversent  cette 
région,  la  plus  désolée  du  Sahara.  MM.  Foureau  et  Lamy, 
avec  une  expédition  comprenant  un  millier  de  chameaux  et 
plusieurs  centaines  d'hommes,  ont  éprouvé  de  la  difficulté  à 
se  ravitailler  en  eau  dans  une  partie  du  parcours  du  Tassili 
et  un  peu  au  sud  jusqu'à  Asiou  ;  mais  enfin  ils  y  sont  par- 
venus. L'on  conviendra  qu'il  faut  moins  d'eau  pour  alimenler 
quelques  trains  de  chemin  de  fer  que  pour  des  milliers  de 
chameaux  et  d'hommes. 

Puis  ces  eaux  ne  sont  pas  aménagées,  ces  puits  ne  sont 
pas  entretenus  ;  Ton  peut  avoir  la  certitude  que,  la  science 
européenne  et  surtout  le  soin  et  la  vigilance  des  Européens 
aidant,  les  ressources  en  eau  de  cette  région  seront  considé- 
rablement accrues. 

Les  chaudières  perfectionnées  des  locomotives  actuelles 
usent  très  peu  d'eau.  On  peut  s'en  convaincre  en  examinant 
le  petit  nombre  des  arrêts  des  trains  rapides,  entre  Paris  et 
Marseille,  par  exemple  :  sur  les  862  kilomètres  de  Paris  à 
Marseille,  les  arrêts  ne  sont  qu'au  nombre  de  six,  soit  en 
comptant  la  station  de  départ,  sept,  étant  ainsi  à  une  dis- 
tance moyenne  de  plus  de  123  kilomètres  ;  encore  ces  arrêts 
ont-ils  parfois  pour  raison  d'être  beaucoup  plus  l'importance 
des  villes  traversées  que  des  nécessités  techniques.  De  Paris  à 


378     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSABAR1E!<iS. 

Laroche,  premier  arrêt,  la  distance  est  de  155  kilomëlres;  de 
Laroche  à  Dijon,  deuxième  arrêt,  elle  est  de  160.  On  pourrait 
faire  sans  arrêt  200  et  250  kilomètres,  sans  avoir  à  faire  une 
excessive  provision  d'eau.  Or,  si  les  Irains  rapides  de 
Paris  à  Marseille  sont  peu  chargés,  d'autre  part  ils  ont  une 
énorme  vitesse,  ce  qui  exige  une  grande  consommation  de 
vapeur.  Duponchel  évaluait,  vers  1877,  à  500  mètres  cubes 
(Voy.  plus  haut,  pages  63  et  64)  la  consommation  d'ua 
train  traversant  lé  Sahara  ;  mais,  dans  le  dernier  quart  de 
siècle,  les  chaudières  se  sont  beaucoup  perfectionnées. 

En  supposant,  dans  les  parties  les  plus  sèches,  un  arrêt 
tous  les  200  kilomètres,  cela  représenterait  tout  au  plus, 
d'après  les  calculs  de  Duponchel,  30  mètres  cubes  d'eau  à 
fournir  à  chaque  train  par  les  stations  les  plus  éloignées; 
depuis  lors  cette  quantité  a  diminué  de  plus  de  aïoitié  el 
s*est  réduite  à  une  quinzaine  de  mètres  cubes  au  maximum  ; 
en  supposant  trois  trains  par  semaine  dans  chaque  sens, 
cela  ne  correspond  qu'à  un  débit  journalier  de  moins  de 
13  mètres  cubes,  soit  environ  500  litres  par  heure,  8  à 
9  litres  par  minute;  c'est  le  débit  d'à  peine  une  sourcelelte 
insignifiante.  Quand  on  aura  un  peu  aménagé  les  ressources 
d'eau  du  Sahara,  on  pourra  ouvrir  des  stations  moins  dis- 
tantes, dont  l'écart  ne  dépasse  guère  une  centaine  de  kilo- 
mètres et  l'on  obtiendra,  dans  la  plupart  des  stations,  un 
débit  dix  et  vingt  fois  plus  important. 

C'est  ce  qui  est  arrivé  partout  pour  les  chemins  de  fer 
désertiques  qui,  à  l'heure  actuelle,  foisonnent  dans  le 
monde.  On  en  compte  plus  de  10000  kilomètres,  soitdansle 
désert  d'Atacama,  en  pleine  Amérique  du  Sud,  où  se  trou- 
vent les  gisements  de  nitrate,  soit  dansTAustralie  de  l'Ouest, 
de  Perth  à  Coolgardie  et  à  Kalgurli,  pays  des  mines  d'or, 
soit  dans  le  district  dénommé  Northern  Territory,  où  la 
colonie  de  l'Australie  du  Sud  a  fait  pénétrer  un  chemin  de 
fer  visant  le  centre  de  ce  continent,  soit  dans  la  région  de 
l'Asie  centrale,  où  les  Russes,  les  pionniers  de  cette  sorte  de 
travaux,  ont  construit  le  chemin  de  fer  transcaspien,  soit  dans 


CONSTRUCTION  FEU  GOÛTEUSE  DES  CHEMINS  DE  FER  DESERTIQUES.     379 

les  déserts  de  Libye  et  de  Nubie  où  les  Anglais  ont  construit 
diverses  voies  ferrées  pour  éviter  les  cataractes  et  les 
méandres  du  Nil. 

Partout  le  désert  reçoit  des  chemins  de  fer  et  les  alimente; 
nulle  part  le  manque  d'eau  n'a  été  un  obstacle  à  la  voie 
ferrée.  A  Coolgardie,  premier  siège  des  mines  d*or  ouest- 
australiennes,  Teau,  en  1895,  se  vendait  couramment  0  fr.  25 
à  0  fr.  30  le  litre,  et,  avant  sa  distillation  (1),  elle  était  de 
plus  mauvaise  qualité  que  Teau  que  trouvent  nos  avant- 
postes  dans  le  Sahara  :  cela  n'a  nullement  empêché  la 
locomotive  d'arriver  à  Coolgardie  et  de  dépasser  même 
celle  station.  Dans  le  Turkestan,  les  trains  font  quelquefois 
160  kilomètres  sans  rencontrer  une  goutte  d'eau.  II  s'en 
faut  que  la  situation  apparaisse  comme  aussi  défavorable, 
nous  ne  disons  pas  dans  le  Sahara  en  général,  mais  même 
sur  le  plateau  du  Tassili,  qui  en  forme  la  partie  la  plus  sau- 
vage. La  carte  de  M.  Foureau  y  révèle  des  quantités  d'oueds, 
et,  si  à  sec  qu'ils  puissent  se  trouver  dans  certaines  saisons, 
il  D*y  en  a  pas  moins  là  des  ressources  que  l'on  peut  amé- 
nager, soit  par  des  citernes,  soit  par  des  puits  artésiens.  Dût- 
on  renoncer  à  cette  ressource,  les  puits  actuels,  mieux  entre- 
tenus, sufOraient.  Mais  il  est  quasi  certain  que  ces  quantités 
d'eau  pourront  être  considérablement  accrues,  même  sur  le 
plateau  du  Tassili.  Les  reconnaissances  du  capitaine  Pein, 
se  rattachant  à  la  mission  Foureau,  Tont  démontré.  Les 
observations  de  Lamy  et  du  lieutenant  Besset  sont  égale- 
ment très  décisives  à  ce  point  de  vue  (Voy.  plus  haut, 
pages  215  et  305  à  314). 

Ni  rétendue  de  la  ligne  à  exécuter,  ni  le  caractère  des  lieux 
ne  sont  donc  de  nature  à  inquiéter  ou  à  décourager.  L'œuvre 
apparaît  comme  de  proportions  modestes  et  d'une  exécution 
relativement  aisée.  La  très  grande  salubrité  du  pays,  pro- 
clamée par  tous  les  explorateurs,  est  un  autre  élément  qui 

(1)  Voy.  dans  l'ouvrage  de  M.  Pierre  Leroy-Beauliou  :  les  Soiivelles  Sociétés 
anfjlo-saxonnes  (nouvelle  édition,  1901),  le  chapitre  relatif  à  rAustralie  de  l'Ouest, 
pages  49  et  50. 


380     LE  SAHARA,  LB  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHAtlE55 

aide  à  la  facilité  de  la  construction  et  de  rexploitatîon  de 
la  ligne.  Il  ne  s'agit  pas  ici  de  terrains  marécageux,  où  les 
fièvres  paludéennes,  la  fièvre  jaune,  les  maladies  sur  le  bétail 
sévissent,  comme  dans  TOucst  africain  ou  dans  rAfrique 
équatoriale,  et  immobilisent  ou  enlèvent  une  propoiiioa 
notable  de  travailleurs.  Le  Sabara  est  une  des  contrées  les 
plus  salubres  du  globe.  Serait-ce  la  dépense  qui  pourrait 
faire  hésiter?  Peut-être,  il  y  a  trente  ou  quarante  ans,  en 
eût-il  été  ainsi,  quoique  Ton  ait  vu  plus  haut  les  calculs 
de  ringénieur  Béringcr,  faits  sur  place  en  1880,  pour  la 
construction  à  prix  très  modéré  d*une  voie  ferrée  sur 
600  kilomètres  au  sud  d*Ouargla  (Voy.  plus  haut,  page  Wj 
Aujourd'hui,  on  a  faitde  très  grands  progrès  dans  la  construc- 
tion des  chemins  de  fer  en  pays  neufs.  J'ai  suivi  deprès,élant 
administrateur,  depuis  la  fondation,  de  la  société  qu'elle 
concerne,  la  construction  d'une  ligne  en  région  désertique, 
débouchant  dans  le  Sahara  septentrional,  la  ligne  de  Sfaxà 
Gafsa  et  aux  gisements  de  phosphates  sud-tunisiens  ;  j'ai 
été  la  visiter  par  le  premier  train  qui  a  accédé  aux  carrières, 
aujourd'hui  célèbres,  du  Metlaoui;  le  succès  de  cette  ligne 
a  contribué  à  me  faire  reprendre  Tidée  du  chemin  de  fer 
transsaharien.  On  a  construit  en  dix-huit  mois  et  moyennaol 
moins  de  60000  francs  par  kilomètre,  y  compris  un  matériel 
des  plus  importants,  destiné  à  pourvoir  à  un  transport 
annuel  de  400000  tonnes  de  phosphates,  les  245  kilomètres 
de  Sfax  aux  mines  de  phosphates,  h  travers  une  contrée 
désertique  sur  la  moitié  du  parcours. 

C'est  la  voie  étroite,  dite  voie  d'un  mètre,  qui  devrait  ôlre 
adoptée  ;  elle  réduit  énormément  la  dépense  de  construcUon 
et  d'cxploilalion,  d'autant  qu'il  faudrait  se  servir  ici  de 
traverses  métalliques.  L'expérience  coloniale  a  prouvé, 
dans  toutes  les  parties  du  globe,  que  la  voie  d'uii  mètre  pew/ 
se  prêter  à  un  trafic  d'une  grande  intensité.  Presque  tous 
les  chemins  de  fer  coloniaux,  en  Australie,  dans  l'Afrique 
du  Sud,  en  nos  propres  colonies,  sont  de  celte  largeur.  L'on 
sait  même,  mais  ici  il  y  a  abus  d'étroitesse,  que  le  célèbre 


CONSTRUCTION  PEU  COÛTEUSE  DBS  CHEMINS  DE  FEK  DÉSERTIQUES.     38t 

chemin  de  fer  du  Congo  belge  est  à  O'^jTS  d'écartement. 
Cerlaias  chemins  de  fer,  dans  les  colonies  anglaises  ou 
portugaises,  la  ligne  de  Beïra  à  Fort  Salisbury  par  exemple, 
reliant  le  nord  de  la  Rhodésia  à  Tocéan  Indien,  a  élé  cons- 
truite d'abord  à  O^jôO  d'écartement.  Il  serait  imprudent  de 
restreindre  autant  la  voie;  mais  celle  d'un  mètre  peut 
pourvoira  un  trafic  énorme.  Ainsi  la  ligne  de  Sfax  à  Gafsa 
et  aux  phosphates  du  Metlaoui  en  Tunisie,  à  une  seule  voie 
de  1  mètre,  a  pu  transporter  180000  tonnes  de  phosphates 
en  1901,  265  000  en  1902,  345000  en  1903  et  en  transportera, 
pense-t*on,  plus  de  400000  en  1904,  sans  compter  quelques 
dizaines  de  milliers  détonnes  de  transports  accessoires.  On 
pense  que  celte  ligne  de  Sfax-Gafsa  pourrait,  avec  de  simples 
doublements  de  la  voie  à  quelques  endroits  de  croisement, 
faire  face  à  un  transport  de  600000  tonnes  de  phosphates. 
Ainsi,  une  ligne  ferrée  de  1  mètre,  non  pas  même  à  double 
voie  sur  toute  l'étendue,  mais  simplement  avec  des  double- 
ments pour  les  croisements,  peut  aisément  pourvoir  à  un 
trafic  de  600000  tonnes  dans  chaque  sens,  trafic  énorme. 

Une  voie  ferrée  de  1  mètre  peut  comporter  des  wagons 
de  très  grande  capacité.  On  sait  que,  jusque  vers  l'an  1900 
ou  1901,  les  plus  grands  chemins  de  fer  d'Europe  n'em- 
ployaient pour  le  transport  des  marchandises  que  des  wagons 
uniformes  de  10  tonnes,  tandis  qu'aux  États-Unis  d'Amérique 
les  wagons  de  30, 40  et  50  tonnes  pour  le  transport  des  mar- 
chandises encombrantes  étaient,  dès  lors,  usuels.  Ces  grands 
wagons  réduisent  notablement  le  poids  mort  et  les  mani^ 
pulations,  ce  qui  abaisse  sensiblement  le  prix  de  transport. 
Depuis  1900  les  grandes  Compagnies  françaises  se  sont  mises 
à  commander,  bien  timidement  encore,  des  wagons  de  20  à 
50  tonnes  (Voy.  plus  haut,  page  57,  texte  et  note). 

Les  Compagnies  africaines  à  voie  étroite  les  avaient 
devancées.  La  Société  des  phosphates  de  Sfax  à  Gafsa  a^ 
pour  type  le  plus  habiluel,  des  wagons  de  18  tonnes,  d'une 
capacité  presque  double  de  ceux  des  wagons  encore  le  plus 
usités  en  France.  Les  chemins  de  fer  de  TAfrique  du  Sud  à 


382     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRAnSSAfiÀftlLT:. 

voie  étroite    (Transvaal,    Orange,    Cap)  ont    adopté   les 
wagons  de  30  à  35  tonnes  de  capacité  :  une  correspondance 
de  Johannesburg,  en  date  du  2  novembre  1903,  publiée  [« 
le  journal  anglais  spécial  IcSlalist  (1),  décrit  ainsi  ce  progrèi^ 
dans  Tcxploitation  des  voies  ferrées;  il  s*agit  du   transport 
des    charbons  sud-africains  :    c   La  grandeur  accrue  des 
wagons  qu'emploie  actuellement  le  chemin  de  fer  facilii^ 
considérablement  Texploitation.  Quoique  le  cheoiin  de  (tr 
soit  seulement  à  la  largeur  de  3  pieds  6   pouces   (?K  1^ 
wagons  à  charbon  les  plus  usités  à  Theure    actuelle  sost 
d'une  capacité  de  30  à  35  tonnes,  c'est-à-dire   de  6OO00i 
70000  livres  anglaises.  J'ai  fait  un  relevé  relativement  à  un 
de  ces  wagons.  Le  poids  total  chargé  était  de  I007401ivi¥â. 
le  poids  de  tare  de  30720  livres  et  le  chargement  réel  de 
70000  livres.  On  projette  encore  des  wagons  plus  grande 
jusqu'à  80000  livres  de  chargement,  et  la  tare  des  wagons  d*: 
la  forme  la  plus  nouvelle  a  une  moindre  proportion  au  poids 
total  du  wagon  chargé  que  l'ancien  matériel.  Le  rapport  du 
poids  vif  et  du  poids  mort  avec  le  nouveau  matériel  roulant 
est  légèrement  au-dessous  de  2  tonnes  et  demie —  exactement 
2,4 —  de  poids  vif  {live  weighl)  à  1  tonne  de  poids  mort.  »  Ce 
que  l'auteur  appelle  ici  le  poids  vif  est  le  poids  utile;  ains: 
le  poids  mort,  la  tare,  n'atteint  pas  30  p.  100  du  poids  du 
wagon  chargé,  tandis  qu'auparavant  il  atteignait  en  général 
la  moitié  :  l'utilisation  d'un  train  d'un  môme  poids  à  remor- 
quer se  trouve  ainsi  accrue   de  40  p.  100   environ.  El  le» 
chemins  de  fer  à  voie  étroite,  on  le  voit,  se  prêtent  parfai- 
tement à  ces  perfectionnements.  Ces  vastes  wagons  corn 
portent  aussi  un  chargement  et  un  déchargement  automa- 
tiques. L'exploitation  s'en  trouve  ainsi   très  peu  onéreuse 
Tandis  que  les  trains  de  nos  grandes  Compagnies  mélrap^- 
litaines  ne  comportent  qu'un  poids  de  600  à  700  tonnes,  dont 
300    tonnes    utiles,    les    trains  américains    vont   jusqu'à 

(1)  The  Statist,  28  novembre  i903,  page  970. 

(2)  Le  pied  anglais  =  3  décimètres  04  et  le  pouce  s  2  centimètres  54  :  cela 
correspond  donc  à  i™,05  de  largeur  de  voie. 


CONSTRUCTION  PEU  COÛTEUSE  DES  CHEMINS  DE  FER  DÉSERTIQUES.     383 

2  500  tonnes  dont  1 500  tonnes  utiles  au  moins^  et  Ton 
est  arrivé  aux  États-Unis  à  avoir,  dans  Tensemble,  un 
moindre  nombre  de  trains  pour  une  somme  totale  de  trans- 
ports beaucoup  plus  considérable.  Si  le  Transsaharien  doit 
transporter  des  matières  encombrantes  à  très  bas  prix, 
comme  non  seulement  le  coton,  qui  a  une  valeur  assez  élevée, 
mais  les  minerais  communs,  ces  progrès  dans  la  consti- 
tution des  trains  seront  d'une  aide  précieuse. 

Quant  à  la  vitesse  sur  les  chemins  de  fer  à  voie  de  1  mètre, 
elle  est  très  fréquemment  de  35  à  40  kilomètres  à  l'heure,  et 
si  Ton  ne  l'a  pas  développée  davantage,  c'est  qu'on  ne  l'a 
pas  cherché,  n'y  voyant  aucun  intérêt. 

La  construction  des  chemins  de  fer  à  voie  de  1  mètre,  en 
pays  salubre,  ce  qui  est  un  point  capital,  et  où  le  prix  du 
terrain  est  peu  élevé  (or,  dans  le  Sahara,  il  ne  coûtera  abso- 
lument rien)  est  très  peu  dispendieuse.  Les  Anglais  arrivent 
à  30000  ou  37500  francs  le  kilomètre  dans  ces  conditions, 
soit  1 200  à  1500  livres  sterling;  ce  prix  est  très  souvent  aussi 
celui  de  beaucoup  de  lignes  en  pays  Scandinaves,  notam- 
ment en  Norvège. 

Les  Français  en  Algérie  et  en  Tunisie,  même  dans  les 
pays  de  montagnes,  sont  parvenus,  depuis  1890,  à  construire 
ces  lignes  ferrées  pour  un  prix  de  50000  à  52000  francs, 
matériel  compris,  et  Ton  pourrait  même  descendre  d*une 
dizaine  de  mille  francs  au-dessous.  Tenons-nous-en,  toute- 
fois, à  ce  prix  de  50000  à  52  000  francs.  La  voie  ferrée  de 
Sfax  à  Gafsa  n'a  guère  coûté  davantage.  D'après  le  dernier 
document  officiel  sur  les  chemins  de  fer  français,  publié 
en  1903,  et  relatif  à  la  situation  de  ces  chemins  de  fer  au 
31  décembre  1901,1a  ligne  de  Tunis  à  Zaghouan  et  au  Pont- 
du-Fahs  a  coûté  51 827  francs  par  kilomètre  ;  celle  de  Sousse 
à  Kairouan  54882  francs;  celle  d'Hammâm  Lif  à  Nabeul 
42872  francs;  de  Kalaa-Srira  à  Enfidaville  52361;  celle 
de  Bir  Bou-Rckba  à  Enfidaville  53702;  celle  de  Sousse  à 
Moknine  46789  ;  pour  ces  339 kilomètres  du  nouveau  réseau 
tunisien,  la  dépense  moyenne  est  tout  au  plus  de  50000  fr. 


384     LE  SAHARA,  LB  SOUDAN  8T  LES  CBEMINS  DE  FER  TRANSSAHaRIEHS. 

Les  plus  récentes  lignes  algériennes,  dans  le  désert  ou 
aux  abords  du  désert,  n'ont  pas  coûté  davantage  :  ainsi, 
d'après  les  documents  officiels,  les  118  kilomètres  de  la 
ligne  d'Aïn-Sefra  à  Duveyrier,  qui  étaient  livrés  à  la  circu- 
lation au  31  décembre  1901,  n'avaient  coûté  que  52 175  francs 
le  kilomètre  (1).  Or  cetle  ligne  d'Aïn-Sefra  à  Duveyrier 
offrait  des  difficultés  particulières,  étant  une  ligne  en  noion- 
tagnc.  Bien  plus,  la  continuation  de  ce  chemin  de  fer,  de 
Béni-Ounif  à  Ben-Zireg,  n'est  évaluée,  dans  un  document 
parlementaire,  pour  une  longueur  de  60  kilomètres,  qu'à  une 
dépense  totale  de  2288000  francs,  matériel  compris,  soit 
38133  francs  seulement  par  kilomètre.  Cette  dépense  se 
répartit  ainsi:  infrastructure,  900000 francs  ;  superstructure. 
361  960  francs  ;  bâtiments  (gares  de  Ben-Zirek  et  de  Ben-YaJi 
ou  Ben-Aîch,  maisons  de  garde),  300000  francs;  matériel 
roulant,  480000  francs;  imprévu,  frais  d'études,  etc., 
238  040  francs  (2).  Si  la  construction  du  Transsaharien  était 
bien  conduite,  il  est  probable  que  les  deux  tiers  de  la  ligne 
reviendraient  à  moins  de  40000  francs  le  kilomètre,  caria 
dépense  ci-dessus  pour  le  matériel  pourrait  être  fort  réduite, 
en  tenant  compte  de  l'énorme  étendue  de  la  ligne,  et,  d'autre 
part,  il  n'y  aurait  de  gares  que  tous  les  80  ou  100  kilomètres 
et  non  pas  tous  les  30  kilomètres. 

Le  prix  de  50000  à  55000  francs  le  kilomètre  ressorl 
donc  comme  un  grand  maximum,  susceptible  de  gros  rabais, 
pour  les  voies  ferrées  de  cette  nature  (3),  dont  le  coût  tend 


(1)  ^finiiftère  des  Travaux  publics.  Stalistif/ue  des  Chemins  de  fer  françaiian 
Si  décembre  i90i^  Molun,  Inipriinoric  administrative,  1903,  pages  510  à  5i3.  ft 
é^alomont  le  rapport  de  M.  Baudin,  député,  au  nom  do  la  CommissioQ  du  budp't. 
«urles  Participations  de  VEtat  et  de  l'Algérie  dans  la  charge  annuelle  des  che- 
mins de  fer  algériens,  15  décembre  1903,  page  35. 

(2)  Comité  de  V Afrique  française.  Bulletin  mensuel,  décembre  1903,  p.  381. 

(3)  M.  Ktienne,  député  d'Oran,  dans  une  interview  avec  un  rédacteur  du  Temps. 
après  un  voyage  dans  l'Extrême  Sud-Oranais  au  printemps  de  1904,  fixe  au<*i 
à  50  000  francs  le  prix  kilométrique  cle  la  prohmgation  du  cheinîn  de  fer 
dans  le  désert  :  «  On  sera  à  Hen-Zireg  à  la  lin  do  l'année,  disait-il;  mais  à  mon 
avis  on  ne  devra  pas  s'anvler  là.  Il  faudra  pousser  la  voie  jusqu'à  BtVharrt 
même  jusijua  Kt^nadsa,  à  8o  kilonirlres  de  Ben-Zircg...  —  Ne  sont-ce  pas  là  a 
première  vue,  objecte  son  interlocuteur,  des  entreprises  bien  coûteuses,  ôtant 
donné  le  peu  de  développement  économique  à  espérer  de  ces  régions?  —  Point 


COÛT  D'ÉTABLISSEMENT  ET  D'EXPLOITATION  DES  TRANSSAHARIENS.     385 

5  s'abaisser  aux  environs  de  40000  francs,  quand  le  terrain 
offre  des  facilités  particulières  comme  d'Haraman  Lif  à 
Nabeul  (42872  francs)  en  Tunisie,  et  ne  se  relève  que  rare- 
ment quand  apparaissent  de  sérieuses  difficultés  de  terrain. 
Mais  l'étude  faite  du  Sahara,  la  prépondérance  du  terrain 
reg  uni  (Voy.  plus  haut,  pages  97  et  98)  témoigne  que  le 
premier  cas,  celui  de  facilités  particulières,  sera  beaucoup 
plus  fréquent  dans  celte  immensité,  que  le  second  cas,  celui 
de  difficultés  spéciales. 

On  peut  ainsi  évaluer  (et  il  est  très  probable  que  celte 
évaluation  serait  susceptible  d'une  assez  forle  réduction,  à 
52000  francs  le  prix  de  construction  et  d'établissement 
(matériel  compris)  des  370  kilomètres  de  Biskra  à  Ouargla 
et  des  800  à  900  kilomètres  suivants  qui,  d'après  le  rapport 
fait  sur  place  par  l'ingénieur  Béringer  (Voy.  plus  haut, 
pages  135  à  144),  n'offrent  absolument  aucune  difficulté  (1). 
C'est  donc,  pour  cette  première  grande  section  d'environ 
1 200  kilomètres,  une  dépense  de  62  millions  et  demi  de  francs. 
La  traversée  du  plateau  central,  quoiqu'on  n'ait  nullement 
besoin  d'aborder  de  front  le  Tassili,  ainsi  que  Ta  fait,  en 
jouant  la  difficulté,  la  mission  Foureau-Lamy,  peut,  sur400  ou 
r)00  kilomètres,  coûter  davantage  ;  mais,  étant  données  toutes 
les  facultés  d'adaptation  au  terrain  d'un  chemin  de  fer  à  voie 
étroite  et  la  médiocre  altitude  du  seuil  (1350  mètres  au  plus 
d'altitude  au-dessus  de  la  mer),  on  ne  peut  évaluer  à  plus  de 
80000  francs  le  prix  unitaire  kilométrique;  en  portant  à 
500  kilomètres,  ce  qui  est  fort  exagéré,  l'étendue  de  celte 
section  centrale,  on  a  pour  elle  une  dépense  de  40  millions 
qui  s'ajoutera  aux  62  millions  et  demi  des  1 200  premiers  kilo- 
mètres, ensemble  102  millions  et  demi  pour  ces  1 700  kilo- 
mètres. Restent  900  à    1 000  kilomètres  pour  aboutir  soit  à 

^i  coûleuses,  reprend  M.  Etienne.  On  fait  là-bas  un  kilomètre  pour  50  000  francs 
ot  les  espérances  de  développement  économique  ne  sont  pas  aussi  faibles  que 
vous  paraissez  le  croire.  »  Le  Temps,  du  18  mai  1904,  première  page. 

Il)  L'ingénieur  Béringer  ne  parle  que  des  000  kilomètres  au  sud  d'Ouargla, 
parce  qu'il  n'avait  alors  étudié  que  cette  étendue;  mais  les  constatations  de  la 
seconde  mission  Flatters  (Voy.  plus  haut,  pages  189  à  199)  assurent  qu'il  en  est 
de  même  pour  plusieurs  centaines  de  kilomètres  au  delà. 

25 


386      LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CUEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIENS. 

Zinder,  soit  à  un  point  sur  la  rive  septentrionale  du  Tchad. 
Les  constatations  tant  de  Barth  que  de  Foureau  témoignent 
que  le  Sahara  méridional,  dès  au-dessus  d'Asiou,  ne  pré- 
sente aucune  difficulté  de  terrain.  On  pourrait  donc,  pour 
ces  900  à  1 000  kilomètres,  reprendre  Tévalualion  de 
52000  francs  le  kilomètre;  néanmoins,  comme  on  se  trouvera 
plus  loin  de  la  base  d'opération,  qui  naturellement  sera  au 
nord,  élevons  l'évaluation  à  60000  francs  le  kilomètre  pour 
ces  900  à  1000  kilomètres  de  la  section  du  Soudan  ou  du 
Tchad;  c'est  60  millions, au  plus,  à  ajouter  aux  102  millions 
précédents  :  les  2700  kilomètres  du  Transsaharien  du  Tchad 
ressortiraient  ainsi  à  162  millions. 

Il  est  inflniment  probable  que  Ton  pourrait,  avec  celle 
somme  modeste,  mener  à  bien  cette  œuvre  qui,  d'ailleurs, 
est  modeste  aussi  en  elle-même,  mais  dont  les  conséquences 
politiques  et  économiques  seraient  colossales.  Majorons, 
néanmoins,  encore  de  18  millions  cette  dépense  pour  l'im- 
prévu ;  on  arrive  à  180  millions,  et  c'est  là  le  chiffre  tout  à 
fait  maximum  qui,  avec  une  direction  énergique  et  habile, 
ne  devrait  certainement  pas  être  atteint.  L'une  des  dépenses 
serait  d'amener  sur  place  le  matériel  et  les  rails,  car  les 
matériaux  de  construction  abondent  sur  tout  le  parcours, 
notamment  la  pierre  et  le  ballast;  quant  aux  traverses,  ou 
sait  qu'elles  seraient  métalliques.  Une  autre  dépense  consis- 
terait dans  l'apport  des  vivres  aux  travailleurs,  mais  ceux-ci 
appartiendront  à  des  races  sobres.  Le  matériel,  d'autre  pari, 
compris  dans  les  prix  qui  précèdent,  sera  très  peu  coûteux, 
comme,  au  début  du  moins,  il  n'y  aura  guère  de  trafic  local, 
pas  d'embranchements  ou  peu  d'embranchements,  le  matériel 
sera  beaucoup  plus  intensivement  utilisé  que  ce  n'est  habituel 
sur  nos  réseaux  ramifiés,  à  nombreuses  stations,  à  trafic  local 
important  et  à  fréquents  embranchements.  Il  n'y  aura  pas 
besoinentoutde  plus  d'une  cinquantaine  oud'unesoixanlaino 
de  locomotives,  ni  de  plus  d'un  millier  de  wagons  ou  de 
douze  cents  wagons  au  grand  maximum,  même  pour  un  trafic 
considérable.  La  tolalitc  de  ce  matériel  n'exigera  cerlainemenl 


COLT  D'ÉTABLISSEMENT  ET  D'EXPLOITATION   DES  TRANSSAHARIENS.     387 

pas,  pendant  toute  la  période  initiale  du  moins,  une  dépense 
lolalede  plus  d'une  dizainedemillions  de  francs  sur  les  160mii- 
lions  formant  le  prix  presque  certain  de  la  construction. 

11  ne  faut  pas  oublier  que  la  main-d'œuvre  ne  manquerait 
pas  pour  ce  travail  :  sans  parler  des  Kabyles  et  des  Italiens 
qui  ne  feraient  pas  défaut  pour  la  partie  septentrionale,  on 
pourrait  compter  sur  un   grand  afflux  de  nègres  tant  des 
oasis  sahariennes  que  du  Fezzan  et  du    Soudan.  Ces  deux 
régions  renferment  des  quantités  illimitées  de  bons  travail- 
leurs, qui,  pour  gagner  1  fr.  75  à  2  francs  par  jour,  franchis- 
sent d'énormes  distances.  Ils  viennent,  depuis  une  dizaine 
d'années,  en  bandes  nombreu.ses  en  Tunisie  ;  je  les  y   ai 
vus  souvent  dans  les  voyages  annuels  que  je  fais  depuis  1885 
en  ce  pays;  ils  y  rendent  des  services  très  appréciés  (1).  On 
a  vu  plus  haut  que  le  commandant  Lamy,  étant  chef  de  poste 
à  El-Goléa  en  1891,  sur  l'annonce  qu'il  projetait  de  grands 
travaux,  recevait  «  chaque  jour  des  caravanes  de  gens  (du 
Touat  ctdu  Gourara)  qui  viennent  demander  de  l'ouvrage; 
moyennant  1  fr.  50  par  jour,  disait-il,  nous  pourrions  avoir 
dexcellents  ouvriers  (*2)  >.  Il  est  probable  aussi  que  dans  le 
Sahara  méridional,  à  partir  des  premiers  villages  de  l'Aïr  et 
sur  un  parcours  de  650  à  700  kilomètres,  on  les  aurait  à  bien 
meilleur  compte.  Aux  mines  de  phosphates  du  Metlaoui  (au 
delà  de  Sfax)   que  j'ai  des  raisons  particulières  pour  bien 
connaître,  on  a  réuni,  sans  aucune  peine  et  sans  frais,  deux 
milliers  de  bons  travailleurs,  en  partie  européens,  en  beaucoup 
plus  grand  nombre  kabyles  ou  nègres.  On  trouverait  très 
aisément  10000  à  15000  Kabyles  ou  noirs  pour  les  travaux 
(lu  Transsaharien  et,  étant  données  les  facilités  du  terrain, 
on  pourrait  faire  1  kilomètre  et  demi  à  2  kilomètres  par  jour, 

ii)Unc  note  lunisicnne  officielle  constatait,  au  printemps  de  1899,  à  propog 
«l'une  rixe  entre  ouvriers  italiens  et  nègres  soudanais,  qu*un  grand  nombre  de 
'•••ux-ci  sont  employés  aux  travaux  du  port  de  Bizerte.  Il  en  est  de  même  aux 
carrières  de  phosphates  de  la  Compagnie  de  Gafsa  et  aussi  dans  des  domaines 
particuliers.  Au  domaine  de  Schuiggui  (Tunisie),  dont  je  suis  Tadministrateur 
déh'gué,  on  a,  au  printemps  de  1904.  à  la  suite  d'une  grève  d'ouvriers  italiens, 
engagé  une  cinquantaine  de  nègres  du  Soudan. 

ii)  /.e  Commandant  Lamy  d'après  sa  correspondance  et  ses  souvenirs  de  cam' 
pftyne,  par  le  commandant  Reibell,  Paris,  1903,  page  109. 


388     LE  SAflARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRAKSSAHARIENS. 

ce  qui  permettrait  de  construire  complètement  les  26^^^  à 
27()0  kilomètres  en  cinq  ans  au  plus. 

Nous'n'avonsparléplusbaulqueduTranssaharienduTchad; 
quant  au  Transsaharien  du  Niger,  la  longueur  à  construire  e^i 
beaucoup  moindre  et  les  facilités  de  terrain  paraissent  encore 
plus  grandes.  La  ligne  ferrée  va  atteindre,  à  la  fin  derannéc 
1904,  comme  on  Ta  vu  plus  haut  (page  384,  note),  Ben  Zirep  à 
700  kilomètres  environ  au  sud  d'Oran;  pour  gagner  le  Ni- 
ger, il  reste  1 700  à  1 800  kilomètres  au  plus  à  construire,  co 
terrain  qui  se  présente  résistant  (reg)  et  uni.  Il  n'y  a  nulle  raison 
pour  que  le  prix  de  50000  francs  le  kilomètre  soit  dépassé,  ce 
qui  ferait  ressortira  90  millions  la  dépense  totale  de  construc- 
tion de  ce  Transsaharien  à  partir  des  tronçons  déjà  exécutés; 
majorons-la,  néanmoins,  de  10  millions  pour  l'imprévu,  on 
n'arriverait  encore  qu'à  100  millions,  voilà  la  faible  somme 
qu'il  en  coûterait  pour  rattacher  par  un  lien  stratégique  et 
économique  puissant  l'Algérie  au  Soudan  français. 

Si  de  la  construction,  on  passe  à  l'exploita tioD,  nousi 
voyons  que  celle-ci,  pour  l'un  et  l'autre  Transsabarien, 
pourrait  être  très  économique  :  certaines  de  nos  compagniesi 
africaines,  celle  de  Bône-Guelma  en  Tunisie  notamment, 
ont  beaucoup  amélioré  leurs  méthodes  à  ce  sujet.  D'après 
le  document  officiel  précité,  en  1901,  les  369  kilomètres  à 
voie  étroite  exploités  en  Tunisie  par  cette  compagnie,  avec 
deux  trains  par  jour  au  minimum  dans  chaque  sens,  ont 
coûté  en  moyenne  2753  francs  de  frais  d'exploitation  par 
kilomètre  et  ont  laissé  une  recette  nette  de  103 000  francs, 
quoique  ces  lignes  soient  toutes  nouvelles,  qu'elles  consti- 
tuent des  tronçons  épars  et  parcourent  en  général  des  pays 
assez  incultes  et  peu  peuplés.  La  Compagnie  de  1  Est 
algérien  dépense  3874  francs  pour  la  ligne  de  Batna  à 
Biskra  (121  kil.),  mais,  outre  que  c'est  une  ligne  à  voie  large, 
elle  comporte  pendant  la  saison  d'hiver  un  certain  luxe  (1' 

(1)  Les  lignes  du  nouveau  iV'seau  tunisien  à  voie  étroite  de  la  Coinpasnh 
Hône-Guolnia  sont  ainsi  répaitii.'s  :  Tunis  à  Ilanuiian-el-Lif  (17  kilomt'tn-' 
Haniman-el-Lif  à  Nabcul  (73  kil.),  Soussc  à  Kairouan  (48  kil.).  Kalaa-Srira  i 
Enlidaville  (43  kil.),  Bir-bou-Rekba  à  Enlidaville  (40  kil.),  Tunis  (Djcbcl-Dj. l'«u.I , 


COÛT  D'ÉTABLISSEMENT  ET  D'EXPLOITATION   DES  TRANSSAHARIENS.     389 

Les  frais  d'exploitation  des  chemins  de  fer  transsahariens 
permettraient  certaines  économies;  Ténormité  même  de  la 
ligne  qui  fait  que  les  trains  franchiront  sans  rompre  charge 
uDc  énorme  dislance,  le  petit  nombre  des  stations  qui  seront, 
sans  doute,  éloignées  Tune  de  Tautre  d'une  centaine  de  kilo- 
uièlres,  atténueront  beaucoup  les  frais;  ensuite,  au  cas  où 
l'on  ne  se  servirait  pas  de  houille,  TÉtat  pourrait  dégrever  le 
pétrole  avec  lequel  on  pourrait  chauffer  les  locomotives.  Il  y 
a  deux  hypothèses  pour  un  chemin  de  fer  transsaharien  :  ou 
il  aurait  un  grand  trafic  et  une  exploitation  intensive,  ce  qui 
n'est  nullement  improbable,  à  la  longue  du  moins;  il  fau- 
drait alors  plusieurs  trains  chaque  jour  dans  chaque  sens, 
el  peut-être  des  trains  de  voyageurs  distincts  des  trains  de 
marchandises;  ou  bien  le  trafic  sera  restreint;  nous  regar- 
dons la  première  hypothèse  comme  la  plus  probable  avec  le 
temps;  mais  tenons-nous-en  à  la  seconde,  qui  est  la  plus 
d('savantageuse  pour  notre  thèse.  Dans  le  cas  d'un  trafic 
réduit,    il   suffirait  d'avoir  en  chaque  sens  deux  ou   trois 
trains  par  semaine  ;  le  Transcaspien   a  actuellement  trois 
trains  hebdomadaires  de  voyageurs.  Dans  ces  conditions, 
les  frais  d'exploitation  ne  devraient  pas  dépasser  2000  francs 
par  kilomètre  (1),  car  il  y  aurait  quatre  à  cinq  fois  moins 
de  trains  que  sur  les  lignes  tunisiennes   nouvelles  de   la 
Compagnie  Bône-Guelma  qui  ne  coûtent  que  2753  francs 
par  kilomètre  ;  certaines  dépenses  seraient  plus  grandes  dans 
le  désert,  mais  d'un  autre  côté,  le  bien  moindre  nombre  de 
trains  fournirait  une  compensation  en  économies.  La  main 
d'œuvre  noire,  h  bon  marché,  procurerait  les  cantonniers, 
les  hommes  d'équipe,  les  manœuvres,  les  chauffeurs  même. 
Comptons,  toutefois,  la  dépense  à  3  000  francs  par  kilomètre  ; 
lexamen  des  éléments  de  trafic  démontre  que  ces  frais  d'ex- 
ploitation seraient  très  facilement  couverts,  et  bientôt  large- 
ment dépassés,  au  point  de  laisser  un  considérable  revenu  net. 

i  Zafîliouan)  et  Smindja  k  Pont-du-Falis  (73  kil.),  Mornag  (13  kil.).  L'indication 
h'  Kvs  frais  d'exploitation  est  lin'e  du  document  oïliciel  :  Statistique  des  Che- 
nins  (le  fer  français  au  3f  décembre  iUOi,  pajçes  508-501)  et  512-513. 

(  !  \  Kn  l'année  1897,  la  Compagnie  Bône-Guolma  exploitait  les  252  kilomtMros  de 
on  K'seau  à  voie  étroite  alors  existant  à  moins  do  2  000  francs  par  kilomètre. 


CHAPITRE  II 

Les  éléments  de  trafic  des  chemins  de  fer  transsahariens. 


Les  chemins  de  fer  transsahariens  mettant  le  Soudan  à  cinq  ou  six  jours  «i-> 
capitales  des  fçrands  peuples  colonisateurs,  Paris,  Londres,  Bruxelles.  Bi^rlm. 
sont  naturellement  appelés  à  un  important  trafic.  —  Ils  seront  les  prinriii*l«  • 
voies  de  pénétration  et  de  service  pour  toute  l'Afrique  intérieure,  ius*]»*'  vr,- 
l'équateur.  Us  représenteront,  pour  les  voyageurs,  une  grande  éconoruie  r.V' 
tiveraent  aux  transports  maritimes  et  mettront  les  voyageurs  à  l'abn  d--- 
fièvres  de  la  côte. 

Les  différentes  catégories  de  voyageurs  qui  se  serviront  des  Transsahariens.— 
(îrandc  importance  certaine  du  courant  de  migration  temporaire  des  noi  • 
du  Soudan  vers  l'Algérie  et  la  Tunisie.  —  Les  prix  de  transport  des  calégor;»  • 
diverses  de  voyageurs  par  ces  voies.  Les  recettes  de  ce  chef. 

Le  trafic  de  marchandises.  —  Le  sel;  à  lui  seul  le  transport  de  c elle  dLVi:« " 
procurerait  plusieurs  millions  de  francs  au  chemin  de  fer  transsaharien. - 
Il  en  est  de  môme  du  sucre  ;  la  baisse  des  prix  effectuée  par  la  diminuti  «n 
des  prix  de  transport  développerait  énormément  la  consommation  soudanais* 
de  ces  denrées.  —  Le  transport  du  café  et  du  thé.  —  Importance  de  r^f- 
dernière  consommation  dans  rAfri(]uc  intérieure. 

Le  transport  des  objets  manufacturés  du  nord  au  sud  ;  calcul  de  leur  imY-r- 
tance  d'après  certaines  analogies. 

Le  trafic  des  marchandises  du  sud  au  nord.  —  Ce  trafic  n'existe  actuelleni'i:' 
(jue  pour  les  articles  qui  peuvent  supporter  un  prix  de  transport  dr  6«"«i  j 
1000  francs  la  tonne.  —  Tout  un  trafic  nouveau  se  créera  quand  le  i"^ 
moyen  de  transport  entre  la  Méditerranée  et  le  Soudan  descendra  à  Tu  < .j 
80  francs  la  tonne  (2  4/2  à,  2  3/4  centimes  le  kilomètre)  pour  les  marcbandi -^ 
ordinaires  et  à  37  ou  45  francs  la  tonne  (4  centime  1/4  ou  l  centime  !/21a  t«.n:' 
pour  les  marchandises  ayant  le  moins  de  valeur. 

Prouve,  d'après  les  tarifs  existant  sur  les  chemins  de  fer  exploités  à  l'ini:i' 
distance,  qu'un  tarif  moyen  de  2  !/2  centimes   et    un  tarif  miniiiurrii  <-'' 
4  centime  1/4  seraient  possibles  et  rémunérateurs  pour  un  transport  d»'-^'* 
à,  3  000  kilomètres,  sans  manipulations  intermédiaires. 

Dès  maintenant,  il  existe  une  nature  de  marchandises  d'exportation  susrop'il  f" 
d'un  énorme  développement  :  les  peaux  du  Soudan.  —  Autres  produits  «i  iv 
porlation  déjà  constatés.  —  Le  principal  article,  toutefois,  doit  être  le  r-it" 
—  Immense  avenir  cotonnier  de  l'Africpic  intérieure  (région  du  Tcha^  ' 
région  du  Niger).  —  Il  y  a  là.  l'équivalent  du  Turkestan,  sinon  de  l'Éj^yplt'. 

Les  produits  minéraux.  —  Tous  les  bons  minerais  de  cuivre,  de  zinc,  nièm*'  - 
plomb,  pourraient  payer  les  tarifs  des  Transsahariens  et  trouver  un  déliouih- 
en  Europe.  —  Les  nitrates  entre  le  Touat  et  le  Hoggar.  —  Ccrlilmle  «l"»' 
portants  gisements  de  cuivre  et  probabilités  de  gisements  d'autres  min»'rîi'^ 

Résumé  rlu  trafic  probable  des  chemins  de  fer  trans^aharions.  —  Il  nniur- 
rerait  largement  le  capital  engagé. 

Aucune  entreprise  ne  s'offre  aujourd'hui  il  la  France  dans  des  condition?  au- 
avantageuses. 

yucl   pourrait  ùlve  le  trafic  des  chemins   de  fer   Iranssi- 
hariens?  Il  est  clair  qu'on  ne  peut  Tévaluer  avec  exacliluJt* 


ÉLÉMENTS  DE  TRAFIC  DES  TRANSSAHARIENS.  391 

parce  qu'il  est  presque  tout  entier  à  créer.  Un  esprit  habitué 
à  Tobservalion  économique  et  qui  sait  apprécier  Teffet  pro- 
duit par  les  voies  de  communication  à  longue  distance  entre 
contrées  à  climats  différents  peut,  néanmoins,  s'en  faire  une 
idée.  Il  ne  suffit  pas  de  prendre  les  différentes  denrées  des 
pays  tempérés,  situés  au  nord  de  la  ligne,  et  des  pays  tropi- 
caux situés  au  sud,  de  les  supputer  et  de  faire  l'addition  du 
tonnage.  Ce  procédé  est  insuffisant  et  trompeur.  Il  faut  voir 
les  choses  de  beaucoup  plus  haut  et  par  grandes  masses. 

Le  trafic  d'un  Transsaharien  peut  être  d'abord  un  trafic 
de  voyageurs  et  de  colis  à  grande  vitesse,  en  second  lieu  un 
trafic  de  marchandises  communes  à  petite  vitesse.  La  voie 
nouvelle  jouira  de  l'un  et  de  l'autre. 

Le  trafic  des  voyageurs  et  des  colis  à  grande  vitesse  sera, 
sinon  dès  le  lendemain  de  l'ouverture  de  la  ligne,  du  moins 
au  bout  de  peu  d'années,  considérable,  nous  n'hésitons  pas  à 
le  dire.  Pour  en  juger,  il  suffit  de  rappeler  que  le  Transsa- 
harien mettra  la  région  la  plus  riche  des  tropiques,  c'est-à- 
dire  tout  le  Soudan  central,  à  cinq  ou  six  jours  de  Paris, 
Londres,  Bruxelles  et  Berlin,  à  savoir  des  capitales  des  quatre 
pays  les  plus  intéressés  dans  le  développement  de  l'Afrique 
(Voy.  plus  haut,  page  34).  Le  Transsaharien  aura  le  mono- 
pole de  tous  les  transports  postaux  au  centre  de  l'Afrique, 
jusqu'à  l'Etat  du   Congo  inclusivement.  Le  Transsaharien 
sera  du  reste  nécessairement  prolongé  un  jour  par  une  ligne 
ferrée    allant,    sinon   jusqu'au    Congo,    du    moins  jusqu'à 
rOubanghi.  L'explorateur  Gentil,  qui,  dans  une  conférence 
faite  à  l'École  coloniale  à  Paris,   s'est  déclaré  le  partisan 
résolu  du  Transsaharien,  préparait  un  chemin  de  fer  reliant 
rOubanghi  à  la  partie  navigable  du  Chari.  Ainsi,  tous  les 
transports  par  terre,  non   seulement  pour  les  possessions 
françaises,  mais  pour  les  possessions  anglaises,  les  posses- 
sions allemandes   et   les   possessions  belges,  prendront  la 
voie  transsaharienne.  Comme,  de  plus,  le  chemin   de   fer 
Iranssaharien  sera,  avec  le  temps,  prolongé  par  deux  lignes 
transversales  dans  le  sens  des  parallèles,  vers  Test  et  vers 


302     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIëNS. 

Touest,  il  est  possible  qu'il  offre  également  la  plus  courte 
durée  pour  les  transports  postaux  à  destination  de  rAmé- 
rique  du  Sud  ;  Rio-Janeiro  et  Buenos-Ayres  pourront,  au 
point  de  vue  des  correspondances,  être  ainsi  de  plusieurs 
jours  plus  rapprochés  de  Paris,  Londres,  Bruxelles  et 
Berlin.  Le  Transsaharien,  plongeant  directement  du  nord  au 
sud  dans  le  centre  de  TAfrique,  en  suivant  presque  le  méri- 
dien de  Paris,  est  destiné  à  devenir  la  charpente  de  tout  le 
réseau  ferré  des  deux  tiers  de  T Afrique.  Le  trafic  postal  peui 
élre  déjà  un  élément  appréciable  de  revenu  pour  une  voie 
ferrée  de  ce  genre  ;  qu'on  pense  à  Timporlance  qu'attachent 
la  France  et  Tltalie  au  passage  de  la  malle  des  Indes  el 
à  l'ardeur  qu'elles  mettent  à  se  la  disputer! 

Toutes  les  malles  pour  les  trois  quarts  du  continent  africaio 
et  pour  une  partie  de  TAmériquc  du  Sud  suivront  le  Trans- 
saharien, soit  le  Transsaharien  du  Niger,  soit  celui  du  Tchad. 
Cet  exemple  entraînera  tous  les  colis  à  grande  vitesse,  pour 
lesquels  Téconomie  de  trois  ou  cinq  jours  à  huit  ou  dix 
jours  de  voyage  a  de  l'importance,  et  ce  n'est  pas  là  non 
plus,  quand  il  s'agit  de  zones  aussi  énormes,  un  élcmenl 
négligeable.  D'autre  part,  tous  les  voyageurs  à  destination 
de  l'Afrique  du  Centre,  Congo  compris,  emprunteront  aussi 
cette  voie  ;  ces  voyageurs  sont  de  genre  très  divers  :  fonc- 
tionnaires et  leurs  familles,  chefs  ou  employés  d'adminis- 
trations privées,  officiers,  sous-offlciers,  parfois  soldats, 
allant  rejoindre  ou  rentrant  en  congé,  commerçants,  plan- 
teurs, colons  de  toute  nature,  touristes  môme,  —  car  il 
n'est  pas  douteux  que  le  centre  de  l'Afrique,  mis  à  cinq  ou 
six  jours  de  Paris,  Londres,  Bruxelles  el  Berlin,  ne  devienne 
un  centre  d'attraction,  — prendront  le  Transsaharien.  Ils  le 
feront  d'autant  plus  que  celte  voie  procurera  une  notable 
économie  d'argent  relativement  à  la  voie  de  mer.  Il  en  coule 
de  700  francs  à  1000  francs  pour  se  rendre  de  Bordeaux  aux 
ports  de  l'Afrique  de  l'Ouesl,  Dakar,  Konakri  et  Kotonou. 
et  l'on  n'est  que  sur  la  côte,  avec  les  risques  en  plus  des 
fièvres,  de  la  fièvre  jaune  notamment;  les  3000  kilomètres 


ÉLÉMENTS  DE  TRAFIC  DES  TRàNSSAHARIENS.  393 

le  Philippcville  ou  Alger  à  la  région  du  Tchad  pourraient, 
;n  place  de  luxe,  être  franchis  pour  400  à  450  francs.  Est-il 
îxagéré  de  penser  qu'avec  toutes  les  catégories  de  voyageurs 
înumérées  ci-dessus  on  arriverait,  les  deux  sens  compris, 
I  sept  ou  huit  mille  voyages,  procurant  au  Transsaharien 
mviron  3  millions  et  demi  de  francs,  surcroît  de  bagages 
:ompris,  soit,  pour  chacun  des  2700  kilomètres  du  Trans- 
saharien proprement  dit,  1300  francs  environ  ? 

Il  y  aurait  une  source  non  moins  abondante  de  trafic  de 
voyageurs  dans  le  transport  des  indigènes  mêmes,  du  Soudan 
central  aux  régions  méditerranéennes.  Personne  n'ignore 
[{ue  les  populationsprimitivesaiment  beaucoup  à  se  déplacer. 
Cela  se  manifeste  en  Egypte,  dans  notre  Algérie-Tunisie,  au 
Transvaal,  au  Tonkin,  en  Chine  môme.  Or,  la  riche  région 
entre  le  Niger  et  le  Tchad  est  considérée  comme  ayant 
une  population  d'environ  30  millions  de  noirs  (1).  Ces  gens 
sont  assez  travailleurs  et,  du  reste,  migrateurs.  On  a  vu 
(page  387)  qu'il  en  arrive,  à  l'heure  actuelle,  en  Tunisie, 
malgré  la  longueur  du  chemin,  cherchant  ce  qui  est  pour  eux 
un  haut  salaire,  à  savoir  1  fr.  75  à  2  francs  par  jour.  La  main- 
d'œuvre,  pour  les  travaux  publics,  ceux  des  mines  et  carrières 
qui  deviennent  de  plus  en  plus  nombreuses,  ceux  môme  des 
exploitations  agricoles  européennes,  se  fait  rare  dans  nos  pos- 
sessions du  nord  de  l'Afrique.  Le  Transsaharien  pourrait,  pour 
60  francs,  transporter  en  quatre  jours  un  noir  de  la  région  du 
Tchad  en  pleine  Algérie  ou  Tunisie  (2).  Ce  parcours  pourrait 

iU  11  est  possible  que  ce  chiiïre  soit  exagéré,  à  l'heure  actuelle,  depuis  les  dé- 
vastations de  Rabah  et  autres  conquérants  centre-afrieains.  Mais  aujourd'hui 
qup,  par  l'éUblissement  de  la  domination  des  trois  principaux  peuph's  européens, 
fiançais,  Anglais  et  Allemands,  la  paix,  la  sécurité  et  la  justice  régnent  dans 
n'ite  zone  immense,  on  peut  compter  sur  un  pullulement  rapide  de  la  population. 
Aussi  le  chiffre  ci-dessus,  s'il  n'est  pas  encore  atteint,  le  sera  très  rapidement. 

(-)  (le  prix  de  60  francs  pour  les  2  700  kilomètres  du  Transsaharien  du  Tchad, 
^'l  200  ou  300  kilomètres  en  plus  en  Algérie,  n'a  rien  d'impraticable.  II  représente, 
fîn  otTet,  deux  centimes  par  kilomètre.  Le  chemin  de  fer  colonial  anglais  de 
La^os  k  Ibadan  (colonie  de  Lagos)  a  transporté  81  25(î  voyageurs  en  1902,  dont 
"'"/■.  ^;n  troisième  classe;  le  tarif  de  celte  classe  est  de  un  dcmi-denier  par  mille 
ll^iOî)  mètres);  cela  ne  correspond  guèn*  <|u'âL  trois  conlimes  le  kilomètre:  mais 
'•'^ ligne  de  Lagos  n'a  que  200  kilomètres,  et  le  Transsaharien  en  ayant  2  700,  la 
<'hurgo  {kilométrique  serait  naturellement  moindn*  {Comité  de  l'Afrique  française, 
fiiiUelin  mensuel,  décembre  1003,  page  389). 


394    LE  Sahara,  le  Soudan  et  les  chemins  de  fer  transsahabiens. 

môme  s'eilectuer  pour  une  quarantaine  de  francs,  car  le  tarif 
(les  chemins  de  fer  sibériens  et  central-asiatiques  est,  en  troi- 
sième classe  pour  3010  versles(un  peu  plusde3200  kilomètres» 
de  16  roubles  80  copeks  ou  de  45  francs  en  nombre  rond.  Dans 
ces  conditions,  il  est  certain  que,  à  la  longue,  des  dizaines  de 
milliers  de  noirs  du  Soudan  viendraient  faire  des  campagnes 
de  deux  ou  trois  ans  dans  nos  colonies  méditerranéennes 
pour  y  amasser  un  pécule  et  retourner  ensuite  chez  eux. 

Ils  gagneraient  facilement  500  à  600  francs  par  année  daos 
la  région  méditerranéenne,  dont  ils  économiseraient  au 
moins  la  moitié,  sinon  les  deux  tiers  ;  cela  leur  permettrait 
de  revenir  au  bout  de  deux  ans  et  demi  ou  trois  ans  avec  ud 
pécule  de  600  à  700  ou  800  francs  nets,  frais  d'aller  et  de  retour 
déduits;  au  Soudan,  c'est  là  une  véritable  fortune,  facilemeo} 
acquise,  étant  donnés  les  goûts  migrateurs  des  noirs.  11  se 
pourrait  même  que,  au  lieu  de  séjourner  deux  ans  et  demi  à 
trois  ans  en  Algérie  et  en  Tunisie,  les  noirs  du  Soudan  n  y 
fissent  qu'un  séjour  moyen  d'un  an  et  demi,  ce  qui  leur 
permettrait  encore  de  rentrer  chez  eux  avec  300  ou  400  francs 
nets,  fortune  encore  assez  sérieuse  dans  ce  pays.  Les  noirs 
qui  travaillent  aux  mines  du  Transvaal  n'y  restent,  en 
moyenne,  que  six  mois.  D'après  une  appréciation  très  mo- 
dérée, une  trentaine  de  mille  noirs  pourrait  chaque  année 
voyager  ainsi  dans  chaque  sens,  entre  le  Soudan  et  la  Médi- 
terranée, soit  60000  en  tout,  et  procurer  une  recette  d'environ 
3  millions  par  an,  soit  de  plus  1000  francs  par  kilomètre. 

Celle  évaluation  est  excessivement  faible,  car,  en  suppo- 
sant deux  ans  à  deux  ans  et  demi  de  séjour,  cela  ne  supposerait 
quela  présence  simultanée  de  60  000  à  75  000  noirs  du  Soudaw 
dans  notre  colonie  algérienne  et,  avec  un  an  et  demi  de  séjour 
moyen  45000  seulement;  on  peut  dire  que  ces  chiffres  a  uraienl 
des  chances  d'être  rapidement  doublés  ou  triplés,  sinon  quin- 
tuplés ou  sextuplés  ;  mais,  comme  on  construira  sans  doute  tout 
au  moins  deux  chemins  de  fer  transsahariens,  tenons-nous-en, 
pour  le  début,  à  la  très  modeste  évaluation  ci-dessus. 

Il  faudrait  y  ajouter  le  trafic   local,  qui,  dans  certaines 


ÉLÉMENTS  DE  TRAFIC  DES  TRANSSAHARIENS.  395 

réjçions  sahariennes,  sera  important,  entre  TAïr,  par  exemple, 
et  le  Soudan.  Avec  les  transports  postaux,  qui  sont  appelés 
à  être  très  considérables,  les  petits  colis  à  grande  vitesse, 
les   voyageurs  blancs  de  toute  catégorie  à  destination  de 
tout  le  cenire  de  l'Afrique,  les  migrations  de  noirs  entre 
le    Soudan,  TAlgérie   et  la  Tunisie,  paraissent  bien  devoir 
fournir  ensemble  un    trafic  minimun  de  7  à  8  millions  au 
Transsaharien  proprement  dit,  soit  de  3000  francs  environ 
par  kilomètre;  ce  serait  plus  qu'il  ne  faut  pour  les  frais  d'ex- 
ploitation, élant  donné  que  la  Compagnie  de  Bône  à  Guelma 
a  pu  exploiter  les  chemins    de  fer  tunisiens  à  voie   étroite, 
ayant  deux  trains  par  jour  dans  chaque  sens,  h  un  peu  moins 
de  2000  francs  par  kilomètre  en  1897  et  que,  encore  en  1901, 
avec  un  trafic  accru  de  ces  voies  ferrées,  ses  frais  d'exploi- 
tation ne  montent,  on  Ta  vu,  qu'à  2743  francs  par  kilomètre. 
Les  1000  francs  d^écart  dans  un  cas  et  les  250  francs  dans  un 
autre,  étantdonnéle  moindre  nombre  des  trains,  des  stations 
et  des  manipulations,  compenseraient  largement  le  surcroît  de 
charge  qui  pourrait  résulter  du  climatetdes  difficultés  locales. 
Nous  n'avons  parlé  jusqu'ici  que  du  trafic  des  voyageurs  et 
des  messageries  à  grande  vitesse  :  il  n'est  pas  douteux  qu'il 
n'y  ait,  en  outre,  un  important  trafic  de   marchandises  ;  la 
profonde  diversité  des  climats,  c'est-à-dire  des  productions, 
que  la  ligne  rapprochera   d'une    manière  si  sensible,   doit 
provoquer  de  nombreux  échanges. 

11  est  tout  d'abord  un  article  qui,  à  lui  seul,  peut-être, 
pourrait,  même  indépendamment  des  voyageurs,  procurer 
aux  chemins  de  fer  transsahariens  un  trafic  rémunérateur  : 
c'est  le  sel.  On  sait  que  cette  denrée  indispensable  manque 
à  tout  le  cenire  africain.  Dans  certains  endroits  de  cette 
région,  on  extrait  le  sel  de  la  bouse  de  vache  ou  de  plantes 
diverses;  ailleurs,  on  l'apporte  laborieusement  de  l'oasis  de 
Bilma,  située  au  nord-est,  où,  d'après  la  voyageur  allemand 
Nachligal,  se  rendent  chaque  année  à  cet  cfl"et  70  000  cha- 
meaux (1).  Le  sel  revient,  dans  la  généralité  du  Soudan,  à 

(I)  Elisée  Reclus.  Géographie  universelle,  t.  XI,  page  819. 


396     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  Et  LES  Cl!EM1NS  DE  FER  TRâNSSA11AH1E>'S. 

0  fr.  50  ou  1  franc,  sinon  môme  plus,  le  kilogramme  (1).  En 
France,  le  sel  paie  un  impôt  de  0  fr.  10  el  se  vend  au  détail 
une  vingtaine  de  centimes  le  kilogramme  ;  il  s*en  consomme  I 
350  000  000  kilogrammes,  soit  9  kilogrammes  à  peu  près  par  * 
habitant.  Le  Transsaharien,  en  puisant  le  sel  soit  à  la  sebka 
d'Amadghor,  soit  dans  les  chotts  algériens,  soit  môme  el 
surtout  dans  les  salins  méridionaux  de  la  France,  pourrait 
moyennant  un  fret  de  80  à  100  francs  par  tonne,  corres- 
pondant, outre  le  fret  de  Marseille  à  Philippevillc  ou  Alger, 
à  2  centimes  et  demi  ou  3  centimes  par  kilomètre  sur  toul  le 
parcours,  —  ce  qui  équivaudrait  juste  à  notre  impôt  fran- 
çais, —  faire  baisser  le  prix  du  sel  au  Soudan  à  une  vingtaine 
de  centimes  au  lieu  de  50  centimes  au  minimum  ;  la  con- 
sommation, en  quelques  années,  en  quadruplerait;  en  sup- 
posant qu'elle  ne  fût  que  de  la  moitié  environ  de  celle  de  la 
population  française,  soit  de  5  kilogrammes  par  habitant  au 
lieu  de  9  chez  nous,  et  en  ne  supputant,  pour  la  zone  d'at- 
traclion  de  chaque  chemin  de  fer  transsaharien,  qu'une 
population  de  15  millions  d'âmes,  ce  serait  un  trafic  de 
75  000  tonnes  qui,  à  60  ou  70  francs  en  moyenne  par  tonne, 
en  supposant  qu'une  partie  provînt  du  milieu  du  Sahara  el 
le  reste  seulement  du  sud  de  l'Algérie  ou  de  la  France, 
représenterait  4  millions  el  demi  à  5  millions  et  quart  de 
francs  ou  1  500  à  1 700  francs  par  kilomètre,  de  quoi  couvrir, 
avec  un  seul  article  de  marchandises,  les  deux  tiers  envi- 
ron des  frais  d'exploitation  de  la  ligne.  Celte  évaluation  de 
75000  tonnes  de  sel  pour  le  trafic  de  chaque  ligne  transsaha- 
rienne est  d'ailleurs  très  modérée,  et  il  est  probable  que,  à  la 
longue,  cette  quantité  serait  doublée. 

(I)  Mfffllarquard,  i^t'quo  de  Tombouctou  et  du  Soudan  français,  dans  une 
monographie  de  celte  ville,  s'exprime  ainsi  :  «  Sous  le  rapport  du  grand  com- 
merce, Tombouctou  ne  doit  (Mre  considéré  que  comme  un  entrepôt.  Là  aiTÎve  le 
sel,  l'article  i>rincipal.  apporté  par  les  chameaux  des  salines  de  Taoudéni,  situées 
dans  le  nonl-nord-ouest  à  trois  semaines  de  marche  environ.  Ce  qu'on  appHle 
«  barres  de  sel  »  sont  des  pla<|ues  d'environ  l™,30dc  longueur  sur  0"»,40  à  0",riO 
de  largeur  otO«n,Oià  0™,o:i  d'épaisscur.Elb's  pèsent  en  moyenne  30  kilogrammes 
«'t  leur  ]iv\\  varie  de  15  à  3o  fVancs,  selon  la  (jualité,  les  dimensions,  la  rareté.» 
{Bulle fin  de  ta  Société  des  études  coloniales  et  maritimes,  n«  du  30  juin  1891», 
page  IHO.)  Ainsi  c'est  ù  50  centimes  au  minimum  ({ue  ressortait  à  Tombouclou  la 
plus  basse  qualité  de  sel  et  la  meilleure  dépassait  un  franc. 


ÉLÉMENTS  DB  TRAFIC  DES  TRANSSAHARIENS.  397 

Un  autre  article  fournirait  aussi,  au  bout  de  peu  de  temps, 
un  fret  1res  abondant  aux  chemins  de  fer  transsahariens,  c*est 
le  sucre  :on  sait  que  ce  produit  revient,  à  Theure  actuelle,  en 
France,  à  25  ou  27  francs  les  100  kilogrammes,  soit  0  fr.  25  à 
0  fr.  27  le  kilogramme,  impôt  non  compris.  If  n'en  coûterait 
pas  100  francs  la  tonne  pour  transporter  le  sucre  de  Marseille 
au  Tchad  ou  au  Niger,  ce  qui  représenterait,  en  outre  du  fret 
mariliine,  un  tarif  de  3  centimes  à  3  centimes  1/4  par  kilo- 
mètre. Le  sucre  reviendrait  donc  en  gros  à  0  fr.  35  ou  0  fr.  37 
le  kilogramme  rendu  en  plein  Soudan  central,  et  mettons 
que,  au  détail,  on  le  portât  à  0  fr.  50,  ce  ne  serait  jamais 
que  0  fr.  25  la  livre;  en  Tan  1900,  il  a  été  importé  en  Algérie 
une  quantité  de  18519  074  kilogrammes  de  sucre,  soit,  en 
chiffres  ronds,  4  kilogrammes  par  tête  d'habitant  (1)  AdmeU 
tons  une  quantité  moitié  moindre  pour  chacun  des  15  mil- 
lions d^habitants  coirespondant  à  la  sphère  soudanienne  d'un 
des  Transsabariens,  cela  représenterait  30000  tonnes  de  sucre 
qui,  h  3  centimes  la  tonne,  procureraient  un  trafic  total  d'en- 
viron 3  millions  et  un  trafic  kilométrique  de  900  à  1  000  francs. 
Ces  deux  marchandises,  le  sel  et  le  sucre,  représenteraient 
ainsi  une  recette  kilométrique  de  2400  à  2600  francs,  suf- 
fisant à  couvrir  les  frais  d'exploitation. 

Nombreuses  seraient  les  autres  sources  de  trafic  :  dans  le 
sens  du  nord  au  sud,  les  céréales  algériennes  à  destination 
de  toutes  les  oasis  sahariennes,  dont  l'importance  irait  en 
grandissant  et  dont  le  nombre  aussi  s'accroîtrait,  comme  on 
Va  vu  plus  haut  par  les  réflexions  du  capitaine  Pein  sur  le 
pays  des  Touareg  et  des  autres  explorateurs,  le  lieutenant 
Besset,  notamment.  Certaines  autres  denrées  d'alimentation, 
comme  le  café  et  le  thé,  toujours  très  appréciés  dans  les  pays 
chauds,  le  thé  notamment  dans  tout  le  centre  de  l'Afrique, 
auraient  certainement  un  débouché  dans  l'Afrique  tropicale 
et,   pendant   très   longtemps    du    moins,    devraient   venir 

(1)  Gouvernement  général  de  l'Algérie.  S  lalis  ligue  générale  de  VAlgérie,  année 
1000,  pages  228  à  231.  Le  sucre  reviendrait  au  Soudan,  après  avoir  parcouru 
3000  kilomètres,  à  la  moitié  du  prix  auquel  il  rcvenuit,  en  1900,  en  Algérie,  à 
cause  de  l'immunité  d'impôt. 


398     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAH ARIENS. 

du  dehors.  Les  slalisliques  algériennes  constalenl  pour 
l'année  1900  l'importation  de  4793913  kilogrammes  de  café, 
1  kilogramme  par  habitant  en  chiffres  ronds.  Mgr  Ilacquard. 
dans  sa  monographie  sus-mentionnée  de  Tombouctou, 
s'exprime  ainsi  :  <  Plusieurs  fois  dans  la  journée,  les  riches 
boivent  le  thé  ;  le  café  est  peu  en  usage  à  cause  de  sa 
rareté  (1)-  >  Mais  une  fois  ces  deux  marchandises,  dont  le 
prix  originaire  est  très  bas,  introduites  par  une  voie  ferrée, 
qui  les  taxerait  à  4  ou  5  centimes  par  kilomètre,  soit  à  120 
ou  150  francs  la  tonne,  par  conséquent  de  0  fr.  12  à  0  fr.  lô 
le  kilogramme,  ces  denrées  tomberaient  à  un  prix  très 
bas  et  ne  tarderaient  pas  à  devenir  d'usage  populaire.  En 
mettant  pour  cette  consommation  du  café  et  du  thé  réunis 
la  moitié  seulement  de  la  quantité  par  tête  delà  seule  con- 
sommation du  café  en  Algérie,  soit  un  demi-kilogramme 
pour  chacun  des  15  millions  d'habitants  de  la  sphère  de 
chacun  des  Transsahariens,  on  aurait  7  millions  et  demi  de 
kilogrammes,  soit  7  milliers  et  demi  de  tonnes  qui,  au  tarif 
de  4  ou  5  centimes  le  kilomètre,  représenteraient  300  à 
375  francs  par  kilomètre.  La  même  remarque  que  celle  de 
Mgr  Hacquard,  au  sujet  de  la  consommation  du  thé,  a  été 
faite  par  divers  voyageurs  dans  le  Soudan  plus  central.  Le 
consul  de  France  à  Tripoli  note  aussi  cette  denrée  comme 
un  des  principaux  objets  d'importation  dans  l'Afrique  inté- 
rieure (2).  Les  dattes,  que  le  Soudan  ne  produit  pas  et  qui  y 
sont  assez  appréciées,  constitueraient  aussi  un  produit  ali- 
mentaire offrant  un  certain  fret  du  nord  au  sud  ;  mais  nous 
ne  citons  ce  dernier  article  que  pour  mémoire,  quoiqu'il 
puisse  produire  une  recette  assez  importante. 

Si,  des  objets  d'alimentation,  auxquels  on  pourrait  join- 
dre beaucoup  d'autres  que  ceux  sus-indiqués,  nous  passons 
aux  articles  manufacturés  devant  composer  le  trafic  du  nord 
au  sud,  les  perspectives  sont  également  fort  étendues.  Les 

(1)  Bulletin  de  la  Société  des   études  coloniales  et  maritimes,  30  juin  189*J. 
pa^c  170. 

(*2)  Moniteur  officiel  du  commerce,  n*  du  24  juiUet  1902,  page  62U. 


ÉLÉMENTS  DE  TRAFIC  DES  TJIANSSA  H  ARIENS.  399 

objets  manufaclurés  comprennent  d'abord  les  fils  elles  tissus 
de  toutes  sortes  pour  le  vêlement  et  rameublemenl,  puis  les 
objets  divers  dits  de  pacolille,  d'ornement  ou  de  distraction, 
enfin  les  instruments  de  travail  qui,  même  pour  une  popula- 
tion primitive,  mais  laborieuse,  comme  ces  noirs  agriculteurs 
el  un  peu  industriels,  ne  laissent  pas  que  d'avoir  quelque 
importance.  Ce  qui  renchérit  actuellement  ces  objets  dans  le 
centre  de  TAfrique  et  en  rend  le  débouché  minime,  c'est 
rénormité  du  prix  de  transport  :  celui-ci  est  grevé  de  600  à 
900  francs  la  tonne,  parfois  davantage,  outre  l'insécurité  qui 
oblige  à  une  sorte  de  prime  d'assurance,  se  traduisant  par 
une  nécessité  de  bénéfices  plus  élevés;  même  avec  un  tarif 
de  5  à  6  centimes  la  tonne,  sur  les  3000  kilomètres  du  Trans- 
saharien du  Tchad  et  son  amorce  en  Algérie,  le  prix  de  trans- 
port s'abaisserait  à  150ou  180 francs  la  tonne,  par  conséquent 
17)  à  18  centimes  le  kilogramme,  et  si  ce  prix  était  trop  élevé 
pour  telle  ou  telle  catégorie  d'objets,  on  pourrait  le  réduire 
encore  de  moitié  ou  des  trois  quarts.  Mais  un  tarif  de  5  cen- 
times la  tonne  en   moyenne  paraît,  pour  les  objets  manu- 
faclurés, très  acceptable.  Outre  le  prix  actuel  du  transport 
par  caravane  ou  par  porteur,  le  prix  de  revient  des  objets 
manufacturés  est  encore  renchéri  par  Timpossibilitéde  trans- 
porter de  grosses  masses  et  la   nécessité  de   morceler  les 
empaquetages,  ce  qui   ajoute  beaucoup  au  coùl.   A  quelle 
quantité  monterait,  avec  un  prix  de  transport  moyen  de   la 
Méditerranée  au  Soudan  central  de  5  centimes  le  kilogramme 
(150 francs  la  tonne),  la  consommation  dans  celle  contrée  des 
objets  fabriqués  dans  les  pays  civilisés?  Notez  que  celte 
population  du  Soudan,  tout  en  étant  primitive,  n'esl  nulle- 
ment sauvage,  que  ce  sont  des  noirs  travailleurs  et  assez 
éveillés.  On  a  vu  plus  haut  (page  333)  qu'à  Zinder,  qui  est 
loin  d'être  un  des  principaux  entrepôts  du  Soudan  central, 
on  trouvait  chez  certains  commerçants  indigènes  des  mar- 
chandises de  toultîs  sortes,  jusqu'à  des  bouteilles  d'eau  d'IIu- 
nyadi  Janos,  dans  un  pays  où  il  n'existait  pas  un  Européen.  En 
Van  1900,  il  a  été  importé  en  Algérie  15  302803  kilogrammes 


400     LE  SAnARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSABARIENS. 

de  tissus  de  toute  nature,  ce  qui  représente  plus  de  3  kilo- 
grammes par  habitant  ;  les  vêtements  confectionnés  atteignent 
plus  d'un  million  de  kilogrammes,  les  meubles  et  ouvrages 
en  bois  «33  millions  de  kilogrammes;  les  importations  algé- 
riennes de  poteries,  verres  et  cristaux  ont  atteint  18  463000  ki- 
logrammes, soit  approximativement  4  kilos  par  léte  ;  les 
outils  et  ouvrages  en  métaux  11477989  kilogrammes  ou 
2  kilos  un  quart  environ  par  habitant;  les  machines  cl 
mécaniques  5443000  kilogrammes;  les  savons  autres  que 
ceux  de  parfumerie  10541000  kilogrammes;  les  ouvrages  cd 
peaux  et  en  cuirs  et  les  peaux  préparées  9  millions  et  demi 
de  kilogrammes  ;  en  y  ajoutant  la  bimbeloterie,  la  parfu- 
merie, etc.,  on  arrive  à  un  total  de  plus  de  100  millions  de 
kilogrammes  ou  100  000  tonnes  d'objets  manufacturés  divers 
importés  en  Algérie  (1).  Sans  doute  une  partie  est  destinée 
aux  600000  Européens,  quoique  la  plupart  d'entre  eux  soient 
dans  une  situation  fort  modeste;  mettons,  ce  qui  doit  être 
excessif,  que  la  moitié  de  ces  importations  d'objets  fabri<[ués 
concerne  les  600000  Européens.  Il  resterait  encore  50  mil- 
lions de  kilogrammes  d'im  portation  d'objets  fabriqués  pour  les 
indigènes,  soit  plus  de  1 1  kilogrammes  par  tête.  Ne  comptons 
que  le  cinquième  à  peine  de  celte  moyenne,  soit2  kilogrammes 
d'objets  fabriqués  européens  pour  chacun  des  15  millions 
d'habitants  de  la  sphère  soudanienne  de  chacun  des  Trans- 
sahariens, cela  donnerait  30  millions  de  kilogrammes  ou 
30000  tonnes,  qui,  à  5  centimes  en  moyenne  de  prix  de 
transport  par  tonne  kilométrique,  représenteraient  une  recelle 
de  1  500  francs  par  kilomètre. 

y  u'on  ne  dise  pas  que  cette  évaluation  est  trop  élevée  :  les 
nègres  du  Soudan  agriculteurs  et  industriels  ne  sont  nulle- 
ment des  barbares  ou  des  sauvages  comme  les  habitants  dir 
Congo.  On  en  trouve  la  preuve  d'un  côté  dans  les  descrip- 
tions de  Zinder  et  Dikoa,  par  Joalland,  Foureau  et  Gentil 
( Voy.  plus  haut,  pages  330  à  334  et  350),  de  l'aulre,  dans  la 

(1)  Slalislique  générale  de  l'Algéiie,  année  1900,  pages  228  à  231. 


Ét^ÉMEMTS  DE  TRAFIC  DES  TBANSSAUARIBNS.  401 

[escrîption  d6  Djemié  et  des  leriîitoires  environnants,  par 
.enfant  («Voy.  plus  haui,  pages  360  b  362). 

En  dehoors  de  tous  h^  articles  précités,  bien  d'autres, 
ansi  doute,  viendraient  du  nord  par  les  voies  transsaha- 
iennes.  Mgr  Hacquard,  par  exemple,  dans  sa  monographie 
le  Tomhouotou,  parlant  des  meules  dont  se  servent  les  ha- 
ùtants  pour  moudre  leur  grain,  s'exprime  ainsi  :  «  Le  blé  est 
îcrasé  enbre  deux  pierres,  Tune  grande  et  fixe  (foufou-toudi)^ 
autre  petite  {foufou-toudi-idjé),  qu'on  fait  glisser  à  la  main 
\\xv  la  priamière*  Ces  pierres  coûtent  5  à  6  francs  ;  elles  vien- 
nent dQ3  montagnes  du  sud  ou  du  Sahel  (Maroc)  (1).  »  Ainsi 
m  fait  venir  du  nord  jusqu^à.  des  pierres.  Le  Sjoudan,  qui 
dans  la  plus  grande  partie  de  son  étendue  n'a  ni  pierres,  ni 
boi^,  du  moins  en  abondance,  en  fera  yetàr  du.  nord  quand 
il  pourra  lui  en  arriver  à  bom  marché  pair  cette  voie. 

Ne  tenons,  .néanmoins^  aucun  compte  de  ce. trafic  d'ap- 
point, difficilement  évaluable,  et  bomonis-nous  aux  éléments 
ci-dessu9  •  Réôapi tulona-les  :  75000  tonnes  de  seL  représentant, 
à  60  ou  70  francs  en  moyenne  par  tonne,  4  millions  et  demi 
è  5  millions  un  quart  de  francs,  ou  1500  à  1700  francs  par 
kilomètre;  30 000  tonnes  de  sucre  ;qai,  à  3. centimes  la  tonne 
kilométrique,  fourniraient  près  de  3  millions,,  et  900  francs 
par  kilomètre;  30000  tonnes  d'objets  fabriqués  h  5  centimes 
par  tonne  et  kilomèti«,  soit  environ  4  millions  un  quart  et 
1500  francs  par  kilomètre,  voilà,  pour  le  traficdes  marchan- 
dises du  nord)  au  sud,  11  millions  et  demi  à  12  millions  et 
demi  de  francs  et  3900  à  4  100  francs  au  kilomètre;  il  y 
faudra  joindre  le  trafic  voyageur,  également  du  nord  au  sud, 
qui,  comme  on  Ta  vu  plus  haut  (pages  393  et  394),.  sera  Jrès 
important^  surtout  en  ce  qui  concerne  les  mouvements  pério- 
diques de  migration  des  noirs  du  Soudan  vers  l'Algérie  jet  la 
Tunisie;  noua  rappellerons  plus  loin  les  chiffres  à. ce  sujet. 
Quant  au  trafic  des  marchandises  dans  le  sens  du  &ud  aiu 

ûord,  la  pensée  se  poi^lei naturellement  d^abord  sur:  les  fai- 

U)  UuUetrnde  la  Société  des  études  coloniales,  30  juin  1899.  page  175. 

26 


402     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIENS. 

bles  objets  d'échange  qui  traversent  actuellement  tout  !t 
désert  pour  aboutir  à  Tripoli,  notamment  l'ivoire,  les  plum^^ 
d'autruche,  un  peu  d'étain,  quelques  peaux  d'animaux  com- 
muns, cependant,  chèvres  notamment,  ce  qui  est  un  indic* 
bien  plus  important.  Les  gens  superficiels  invoquent  la  mo- 
dicité de  ce  commerce  pour  tourner  en  dérision  le  chemb 
de  fer  Iranssaharien,  pauvres  cervelles  qui  témoignent,  par 
ces  allégations,  de  leur  peu  d'élasticité  et  de  leur  faiblesse  dt 
compréhension.  La  vérité,  pour  tout  esprit  réfléchi,  c'est  qu'à 
peine  quelques  embryons  du  trafic  soudano-méditerraoéeD 
existent  à  l'heure  actuelle,  parce  qu'il  en  coûterait  au  moias 
600  à  800  francs  par  tonne  pour  les  effectuer  à  chameau 
Il  en  résulte  que  sont  seuls  transportables  du  sud  au  nord 
les  objets  qui  valent  notablement  plus  de  1  franc  le  kilo- 
gramme ;  or  ces  denrées  de  luxe  sont  en  petite  quanliU 
Il  en  sera  tout  différemment  quand  les  chemins  de  fertrao^ 
sahariens,  tout  en  pratiquant  un  tarif  élevé  de  15  à  *25  cen- 
times par  tonne  kilométrique,  soit  de  400  à  750  francs  du 
Soudan  à  la  Méditerranée  pour  les  marchandises  précieuses, 
comme  l'ivoire,  les  plumes  d'autruche,  peutrôtre  même  le 
caoutchouc,  réduiront  le  tarif  moyen  à  2  centimes  et  demi  ou 
2  centimes  trois  quarts  et  pourront  même,  pour  les  marchan- 
dises tout  à  fait  communes,  l'abaisser  à  1  centime  et  quart 
sinon  parfois  à  1  centime,  soit  37  francs  ou  30  francs  1^ 
tonne  du  Soudan  à  un  port  algérien  de  la  Méditerranée 
A  la  condition  que  les  tarifs  soient  très  bas,  les  productions 
soudanaises  à  transporter  par  cette  voie  pourront  atteind^ 
un  énorme  volume. 

Le  tarif  moyen  à  petite  vitesse  sur  les  chemins  de  ferfra^ 
çais  est  tombé,  après  des  réductions^successives,  aux  environ^ 
de  5  centimes  et  demi  le  kilomètre.  Si  l'on  considère  quele^ 
marchandises  transportées  sur  le  Transsaharien  effectueront 
un  parcours  en  général  décuple,  sinon  vingtuple,  du  pa' 
cours  moyen  sur  les  chemins  de  fer  de  la  France  métrop'^ 
litaine,  qu'ils  donneront  ainsi  lieu  à  infiniment  moins  de 
manipulations,  il  n'y  a  rien  d'excessif  à  penser  que  le  Urit 


ÉLÉMENTS  DE  TRAFIC  DES  TRANSSAHARIENS.  403 

moyen  pourra  être  moitié  moindre  que  le  tarif  moyen  métro- 
politain ;  c'est  pour  cette  raison  qu*il  pourra  être  abaissé 
à  2  centimes  et  demi  ou  2  centimes  trois  quarts.  Quoique 
les  tarifs  des  chemins  de  fer  algériens  soient  réputés 
comme  excessivement  élevés,  ce  qui,  au  moment  où  nous 
écrivons  (juin  1904),  motive  un  projet  de  loi  pour  un  chan- 
gement de  régime  en  ce  qui  les  concerne,  ils  contiennent, 
néanmoins,  sur  la  ligne  d*Alger  à  Oran,  pour  les  marchan- 
dises des  cinquième  et  sixième  séries,  des  tarifs  de  3  centimes 
par  tonne  et  par  kilomètre  entre  201  et  300  kilomètres,  et 
de  2  centimes  pour  les  mêmes  marchandises  au  delà  de 
3i)0  kilomètres;  ce  tarif  de  3  centimes  s'applique  même 
pour  certaines  marchandises  au  delà  de  100  kilomètres  sur 
la  même  ligne  ;  TEst  Algérien  et  le  Bône-Guelma  ont  aussi 
quelques  tarifs  de  2  centimes  par  tonne  et  par  kilomètre  (1). 
II  est  clair  que  ce  n'est  nullement  là  le  minimum  auquel  on 
pourrait  descendre  pour  un  parcours  en  wagon  complet 
de  18  à  30  tonnes  (au  lieu  de  5  à  10  tonnes  des  compagnies 
précitées)  et  pour  une  longueur  consécutive  de  2500  ou 
3000  kilomètres,  au  lieu  de 300  ou  400.  Les  plumes  d'autruche, 
l'ivoire,  la  poudre  d'or  s'il  s'en  trouve,  subiront  un  tarif  de 
20  à  25  centimes  par  kilomètre  et  par  tonne,  ce  qui  repré- 
sentera encore  une  économie  sur  le  transport  en  caravane. 
Les  articles  manufacturés  pourront  payer  de  4  à  6  ou  7  cen- 
times et  en  moyenne  5  centimes,  comme  nous  l'avons  dit 
plus  haut;  le  sel  et  le  sucre,  3  centimes. 

Parmi  les  produits  allant  du  Soudan  à  la  Méditerranée,  on 
pourrait  taxer  à  4  centimes  les  peaux  et  dépouilles  d'animaux 
communs,  l'indigo,  les  minerais  riches  d'étain,  les  essences 
tropicales  précieuses;  le  coton,  la  laine,  les  poils  devraient 
payer  tout  au  plus  3  centimes  la  tonne  kilométrique,  peut- 
être  même  2  centimes  et  demi;  enfin,  il  faudrait  abaisser  le 
tarif  à  1  centime  et  quart,  peut-être  même  à  1  centime  pour 

(1)  Voy.  le  rapport  de  M.  Baudin,  au  nom  de  la  commission  du  budget,  sur  les 
Participations  de  l'Etat  et  de  l'Algérie  dans  la  charge  annuelle  des  Chemins 
de  fer  algériens  (13  décembre  1903),  pages  5  à  10. 


494     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHESIIXS  DE  FER  TRANSSAHARIENS. 

UDô  quantité  de  marchandises.  Ces  tarifs  de  1  centime  et  quart 
«tde  I  centime  ne  sont  pas  inconnus  sur  mas  réseaux  français; 
en  voici  un  exemple  :  à  Taixliomne  de  1903  le  gouvernement  a 
homjologué  des  propositions  de  tarifs  des  Compagnies  du 
Nord  eè  de  FEstipour  le  transport  auxu'sines  métallurgiques 
des  craies  phosphatées  de  la  Somme»  aux  termies  desquels, 
pour  les  expéditions  d  au  moins  cinq  wagons  de  20  tonnes,  le 
tarifs  abaisse  àO  fr.  015  par  tonn«  et  par  kilomètre  aadelà  de 
125  kilomètres  ;  et  pourles  expéditions  de  2401onnes,  le  tarif, 
qui  est  inxtialemeat  de  3  centimes  jusqu'à  125  kilomètres, 
«^abaisse  à  1  centime  au  delà  (>).  Si  ces  tarifs  de  I  centime  et 

(U  Le  renseignement  ci-dessus  ost  extrait  du  journal  technique  le  Phosphate, 
Revue  irUernalionale  des  inatières  fertilisarU^es,  n?  du  2  ,déc«isi)r^  1903.  Voici 
le  texte  même  du  passage  de  ce  journal  à  ce  sujet  : 

c(  Dans  notre  Duiuôrodu  11  &ovipmbre,  noua  ipdiquiotis  que  le  ministère  div 
Travaux  publics  venait  d'homologuer  un  tarif  de  faveur,  spécialement  destiné 
au  transport  des  craios  phosphatées  pour  les  usines  métallur^ques. 

«  Nous  croyons  utile  de  reproduire  à  cette  place  ledit  tarif,  dont  Tapplicatiun 
n«  manquera  pas  d*nocélérer  le  mouvement  comraefcial  stir  les  «raies  métallur- 
:giques. 

<(  Le'Toici  donc  in  extenso  :  '  '  ' 

«  Craie  phosphatée  deslinée  aux  usines  métallurgiques, 

«  a.  Par  expédition  d'au  moins  5  wagons  de  20  "tonnés,  ou  payant  pour  r» 
if)oids  ;      .     • 

«  b.  Par  expédition  d'au  moins  i2  wagons  de  20  tonnes,  ou  paN'ant  pour  ti 
poids  l*|.  ;  ' 

«  Points  de  provenance  :  toutes  ïes  gares  du  réseau  de  TEst;  de  destination  : 
toutes  les  gares  du  réseau  du  Nord,  ou  réciproquement^ 

«  Prix  des  barèmes  dont  les  bases  sont  mdiquées  ci-aprés,  à  augmenter  dt> 
frais  de  gare.  Le  chargement  elle  déchargement  doivent  être  effectués  parler 
K3xpéditeurs  et  par  les  destinataires. 

«  Prix  par  1000  kiloigramme6<  : 

«  a.  100  tonnes. 

«  Jusqu'à  23  kilomètres  0  fr.  04  par  kilomètre. 

«  Pour  chaque  kilomètre  en  excédent  de  :  25  à  50  kil.  0,03  ;  50  h.  125  kil.  O.Oi. 
125  kil.  0,015. 

«  h.  240  tonnes. 

«  i5  à  125  kil.  0,02;  125  kil.  0.01. 

<-  Réseaux  participants  :  Est,  Nord,  Ceintures. 

«  Ces  barèmes  sont  jalonnés  par  les  prix  suivanli»  : 

a.         •  h, 

25  kilomètro.^j , 1.»  1,» 

50  —  ...  1.75  1,50 

.100  —        . ,...»..      .     2,75  2,50 

125  3.25  3,  » 

2Û0  —       . 4,875  3.73 

300  -  .^,875  4,75 

40»  —  7,375  5,75 

500  -  8,875  6,75 

600  -         10,375  7,75 

700  —        11,875  8,75 

tt  C)  A  défaut  de  wagons  de  20  lonnds.  il  sera  fourni  d€S  wagons  dont  la  limite  de  chargement 
«era  telle  que,  pour  pouvoir  pro  iter  des  prix  du  présent  paragraphe,  le  commerce  ne  soit  pa9dbli|« 
d'effectuer  un  chargement  supérieur  aux  minima  fixés.  » 


ÉLÉMENTS  DB  TRAFIC  DES  TRANSSAHABIENS.  405 

demi  et  de  i  ceatime par  kilomèlre  pour  les  marchandises  le& 
plus  communes  sont  praticables  sur  les  chemins  de  fer  fran- 
çais pour  les  parcours  de  plus  de  125  kilomètres,  à  plus  forte 
raison  doivent-ils  Têtre  en  Afrique  pour  des  parcours  er^ 
wagons  complets  de  2500  à  3000  kilomètres^  sans  manu- 
tention intermédiaire  aucune.  Il  va  de  soi,  d  ailleurs,  que 
ces  taux  très  rédui&s  ne  seraient  concédés  que  pour  les  mar- 
chandises incapables  d*en  supporter  d*un  peu  plus  élevéS'. 
Aux  États-Unis*  il  est  très  fréquent,  notamment  pour  les 
transports  de  charbonsi,  que  le  tarif  sur  les  chemins  de  fer 
descende  au-desBous  de  1  centime  par  tonne  kilométrique; 
il  se  rapproche  parfois  de  trois  quarts  ide  centime.  Il  est 
admis,  m£n^  en  Franoe,  qa  une  marchandise  à. long  parcours 
(infiniment  moindre  que  le  parcours  transsaharien)  et.  à 
simple  chargement  défraie  facilement  tous  les  frais  de 
traction  proprement  dits  moyennant  un  demi-centime  le 
kilomètre. 

  rheure  présente,  les  principales  exportations  du  Soudan 
par  la  voie  de  Tripoli  sont  les  plumes  d*autruohe  exportées 
en  France,  l'ivoire  en  Angleterre,  et  les  peaux  tannées  en 
Amérique.  Des  plumes  d'autruche  et  de  rivoire,imarchandises 
rares  et  précieuses,  pouvant  supporter  un  fret  élevé,  mais  en 
définitive  peu  important,  nous  ne  dirons  rien.  Il  n'en  est 
nullement  de  même  des  peaux  à  destination  de  l'Amérique  ; 
elles  aiteignent,  môme  en  l'année  désastreuse  1901  ^  un  chiffre 
relativiement  élevé,  ii  savoir  750000  francs  (1);  cependant 
elles  ont  eu  à  supporter,  si  elles,  venaient  du  Soudan  mème^ 
700  à  800  franco  de  frais  de  transpoirt, .  outre  l'immensité 

(1)  Le  consul  de  France  à  Tripoli,  du  rapport  duquel  nous  extrayons  ce  ren- 
seignement, B'ezpiime  ainsi  i  «  Les  relations  xximmerciates  dt  la  Tri^oUtaine 
avec  les  pays  du  centre  de  l'Afrique  ont  été  peu  favorisées  au  cours  de  l'année  1901  : 
la  valeur  totale  des  expoilations  et  des  importations  réunies  est  descendue  à. 
S  millions  environ.  Ladiminulion  progressive  du  commerce  caravanier  au  cour^ 
des  dernières  années  a  donc  continué  et  s'est  même  accentuée.  La  nouvelle  du 
pillage  d'une  importante  caravane  de  Kano,  attacfuéé  par  les  Touareg  aui 
moment  de  son  entrée  dans  TAIr,  a  arrét^  l'envoi  des  marchandises  par  la  voir 
de  Ghat-Ghadamés  ;  le  trafic  n'avait  pas  encore  repris  au  mois  de  mai  dernier.  •» 
Néanmoine,  le  iconiul  note  une  e^Rpoo'tatiiQn  de  7SO0O0  franos  de  peaux  du 
Soudan.  (Moniteur  officiel  du  Commerce,  livraison  du  24  juillet  1902,  pages  6i<S- 
et6É9.) 


406     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIENS 

des  risques.  Ce  ne  sonl  donc  que  les  qualités  les  plus  rares 
et  celles  provenant  des  districts  les  moins  éloignés,  comme 
le  nord  de  l'Aïr,  qui  ont  pu  affronter  cette  immensité  de 
charges.  Étant  donnée  toute  Tétendue  du  Soudan  et  que  les 
troupeaux  de  chèvres,  de  moutons  et  de  bœufs  y  abondent, 
et  surtout  sont  susceptibles  de  s*y  multiplier  avec  la  paix,  si 
Ton  considère  qu'en  beaucoup  d*endroits  la  population  y 
a  grand  soin  des  animaux  domestiques  (Voy.  plus  haut, 
pages  269,  277,  340),  on  peut  être  assuré  que  les  peaux 
soudanaises^  qui  représentaient  à  Tripoli  une  exportation  de 
750000  francs  dans  Tannée  calamiteuse  1901  et  qui  avaient 
atteint  un  chiffre  moitié  plus  élevé  et  parfois  double  dans  les 
années  plus  favorisées,  pourraient  fournir,  avec  la  sécurité 
du  transport  et  un  fret  de  100  à  150  francs,  au  lieu  de7U() 
à  800  francs,  une  exportation  décuple,  un  jour  même 
vingtuple.  11  y  faudrait  joindre  la  laine  pour  les  moutons, 
dont  les  troupeaux  abondent,  les  poils  pour  les  chèvres,  les 
os,  sabots  et  débris  d'animaux,  tous  objets  très  recherchés 
par  les  nations  civilisées,  qui  peuvent  aisément  supporter 
un  prix  de  transport  de  100  à  150  francs  par  tonne,  soit  de 
3  1/2  à  5  centimes  par  kilomètre.  On  ne  peut  estimer  à 
moins  de  dix  à  douze  mille  tonnes  ce  trafic,  ce  qui  produirait 
500  francs  par  kilomètre.  Le  tabac,  à  lui  seul,  pourrait 
fournir  un  transport  de  plusieurs  milliers  de  tonnes.  Les 
denrées  plus  précieuses,  comme  Tindigo,  Tétain,  la  noû 
de  kola,  les  essences  colorantes  ou  odorantes,  le  henné. 
Tivoire,  etc.,  capables  de  supporter  un  fret  deux  ou  trois  fois 
plus  élevé,  pourraient  donner  également  500  francs  par  kilo- 
mètre. Le  trafic  local,  comme  Tapport  du  millet  dans  TAïr, 
qui  en  manque,  fournirait  aussi  un  certain  appoint  non 
négligeable;  de  môme  la  gomme,  les  gommiers  étant  assez 
nombreux  dans  la  zone  désertique  du  sud  du  Sahara  et 
susceptibles  de  se  développer. 

Le  principal  produit  usuel  d'exportation,  toutefois,  serait 
le  coton.  On  a  vu  plus  haut  combien  le  Soudan  centrai,  la 
contrée  du  Tchad,    est   prédestiné  à  devenir  une  grande 


ÉLÉMENTS  DE  TRAFIC  DES  TRANSSAHARIENS.  407 

région  colonnière  (Voy.  pages  329  el  341);  le  colon  s'y 
trouve  déjà  cultivé  partout,  malgré  Tinsécurité  du  pays  et 
l'absence  de  grands  débouchés  :  les  inondations  régulières 
du  Tchad  et  des  cours  d^au  y  aboutissant,  comme  le 
Komadougou  et  le  Chari  (Voy.  plus  haut,  page  343),  font 
de  cette  partie  du  Soudan  une  sorte  d* Egypte,  à  laquelle 
la  sécurité  seule  et  la  direction  industrielle  ont  manqué 
jusqu'ici.  Il  est  très  modeste  de  penser  que,  avec  le  temps, 
la  région  du  Tchad  rivalisera,  pour  la  production  cotonniëre, 
avec  le  Turkestan  et  avec  TÉgypte  quand  elle  jouira  de  la 
même  sécurité  et  qu'une  habile  direction  européenne  s'y 
sera  introduite  :  il  est  modéré  de  penser  que  250000  à 
•!0000O  hectares,  la  plupart  inondés,  pourront  être  plantés 
en  ce  précieux  textile  dont  le  monde  n'aura  jamaisassez, 
et  que  la  quantité  exportable  atteindra  60  à  70000  tonnes  ; 
n  en  comptons  que  50000;  le  coton  valant  plus  de  1000 francs 
la  tonne,  on  peut,  sans  excès,  lui  appliquer  un  tarif  de  3  ou 
même  4  centimes  par  kilomètre,  ce  qui  ne  représenterait  que 
90  à  120  francs  pour  atteindre,  du  Tchad,  un  port  médi- 
terranéen :  ce  serait  une  recette  de  1500  à  2000  francs  le 
kilomètre. 

On  peut  se  reporter  aux  renseignements  techniques  que 
nous  avons  donnés  sur  les  perspectives  de  la  culture  du 
coton  en  Algérie,  l'on  y  verra  qu'immense  est  l'avenir  coton- 
nier de  l'Afrique  intérieure,  aussi  bien  dans  la  région  du 
Tchad  que  dans  celle  du  Niger  moyen  (Voy.  pages  365  à  368). 

Bien  d'autres  matières  viendraient  au  Transsaharien  et  y 
fourniraient  un  trafic  d'appoint  d'une  certaine  importance  : 
divers  fruits  tropicaux  et  divers  bois  également  des  tropi- 
ques; le  caoutchouc,  venant  du  haut  Oubanghi  et  du  nord 
de  la  forêt  équatoriale;  plusieurs  produits  agricoles,  ne  serait- 
ce  que  les  œufs,  dont  les  peuples  civilisés  n'ont  jamais  assez, 
qui  affluent  chez  eux  du  fond  de  la  Sibérie  et  de  l'Australie 
et  que  des  procédés  connus  de  conservation  maintiennent 
dans  un  état  comestible  malgré  la  distance  et  la  chaleur. 

En  laissant  de  côté  tous  ces  appoints,  dont  la  somme 


408     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHBXliNS  DE  FBR  TRAiNSSAH ARIENS. 

n'est  Dollement  négligea'ble,  on  a  un  trafic  en  marchandises^ 
du  sud  au  nord,  de  3000  à  3  500  fiiancs  par  kîtomètre. 

Il  ^iste  une  autre  source  de  tr^fi^,  et  celle-ci  de  la  plus 
haute  importance,  ce  sont  leâ  produits  minéraux. 

'  11  n'est  guère  de)  marchandises  communes,  liieme  le  blé, 
même  les  métaux,  même  les  ndindraië  un  peuriches,  qui  ne 
puissent  supportei",  quand  les  priii  sont  relativement  bas  au 
lieu  de  producticm,  un  tairif  de  1  centime  et  demi  ou  dé  1  cen- 
time par  kilomètre  sur  8  000  kilomètres,  soit  de  30  à  45  francs. 
Le  blé  vaut  en  France  éU  moyentie,  dans  ces^ernièrës  années. 
200  francs  la  itonne  ;  la  laine,  même  dan^s  les  bas  <iours,  raot 
1000  fiiancs  la  tonne;  le  coton,  1000  firanés ;  le  cuivre,  1 250 
à  1500  francs;  le>  plomb^  250  à  300  francs;  le  zinc,  450  à 
550  francs  ;  l'élain  vaut  encore  davantage  ;  inéme  lés  minerais 
non  travaillés,  mais  ayant  une  aseez  bonne  tendeur,  pourraient 
supporter  un  tarif  aussi  modique.  Il  est  trè&  peu  de  marchan- 
dises communes  qui  ne  Tuillent  pas  aujourd'hui  200,  tout  au 
moins  150  francs  la  tontie,  et  qui,  par  Conséquent,  étant  pro- 
diiites  à  bon  icompte  au  Soudan>  sOit  du'  fait  de  Texcellence 
du  sol  et  du  bas  prix  de  la  main-d'œuvt*e,  soit  par  Tabondanee 
de  gisements  miniers,  ne  puissent  franchir,  dans  les  condi 
lions  que  nous  venons  de  dire,  les  2500  kilomètres  du 
Transsaharien  du  Niger  ou  les  3000  kilomètres  du  Transsa- 
harien du  Tchad  et  de  leurs  prolongements  eu  Algérie^ 

Nous  n'avons  pas  parte  des  riohess^s  minérales  que  le 
Sahara  peut  contenir,  sauf  le  sel,  qui  assurera  un  énforme 
trafic;  On  peut  considérer  comme  certain  que  cette  immen- 
sité, qui»  dans  le  plateau  du  Tassili,  longeant' le  Hoggar,  et 
dans  TAïr,  contient  de  vastes  zonfes  de  terrains  primitifs, 
renferme  des  richesses  minfièrôs.  Sans  être  excessivement 
bien  douées  sous  ce  rapport,  TAlgérieet  la  Tunisie  com- 
prennent de  trèsi  appiréciables  gisements  de  zinc  et  de 
plomb,  sains  parler  de  leurs  immenses  dépôts  de  fer  et  de 
phosphates,  deux  matières  qui,  toutefois,  ne  semblent  pas 
pouvoir  supporter  actuellement  des  traiiSports  sur  voies  de 
fer  de  plus  de  500  à  600  kilomètres.  >  «. 


£LâMBNTS  DE  TRAFIC  DES  TRANSSAHARIENS.        40» 

Bienplus  pourvu  dé  terrains  primitifs,  le  Sahara  s'annonce 
comme  devant  être  bien  plus  riobd  en  mides  métalliques 
et  en  gisements  minéraux  de  toutes  soi^tes.  Dès  maintenant, 
il  est  certain  qu'il  s*y  rencontre  des  dépôts  de  nitrates;  la 
seule  question  est  de  savoir  s'ils  sont  assez  i abondants  pour 
être  exploités  ;  c*est  une- question  qui  sera  tranchée  prochai- 
nement;: si  ces  nitrates  étadent  exploitables^  ils  pourraient 
payer  des*  transports. de  plusieurs  milliers  de  kilomètres. 
Nous  nous  contenterons  de  menlioniier  les  études  purement 
théoriques  que  M.  'A.  âoideyre/  notamment,  a  faites  à  ce 
sujet  ()).  Dîaprès  des  observations  ingénieuses,  il  existerait 
une  loi  de  concentration  des  matières  iminérales  sur  des 
bandes  pai*allëles  à  Téquatetirt' c'est  ainsi  ique  les  phosphates 
d'Algérie  et  dé'  Tunisie  correspondent  à  êeux  de  la  Floride 
et  d-es  Cardlines,  que  les  pétroles. de  Bakou  sont  le  pendant 
de  ceuk  des'  États-Unis  et  ^ue  le  Sahara  doit  comporter  des 
dépôU  d6  nitrate  1  analogues  à  cefix  du  déserb  d'Atacama 
dan»   TAmérique  du  Sud.  Nous  citons   cette  lobservation 
théorique^  à  titre   de    curiosité.;'  mais   o^est  par  l'Obser- 
Talion  •  directe    d^un    grand    nombre  de    voyageurs  c|ue 
lexistence  d&  gisements  de  nitrate^  en  plein  Sahara  a  été 
constatée.  L'ingénieur   en   chef  des  minesv  professeur   à 
rÉcdle  «  des  Mines»  L.  de  Launay  dans  sdn  buvrafge  :  Les 
Richesses  minérales  de  V Afrique  du  Sud,  i^*exprime  ainsi  à 
ce  sGJeti:  «  Des  matières  '  salines  plus  rares  et  dé  valeur 
beaucoup  plus  grande  dans  un  pays  industriel,  mais  utili- 
sables seulement  après  transport  en  des  contrées  civilisées, 
existent  certainement  dans  diverses  régions  d'Afrique  ;  par 
exemple  les  natrons,  déjà  exploités  en  Egypte,  en  Abys- 
sinie,etc.(2);  les  nitrates  si  recherchés  pour  l'agriculture,  etc. 
et  que  les  indigènes  exploitent  en   plusieurs  points  pour 
fabriquer  la  poudre  (Maroc,  région  du  Touat,   sud  de   la 
province  de  Constantine,  Haute-Egypte)...  Dans  toute  cette 

(1)  Voir  ses  articles  dans  la  Revue  scientifique,  intitulés  :  les  Nitrates  de 
l'Aftique  du  Nord,  2^  semestre  de  1895,  et  Origine  et  distribution  des  gîtes  de 
fnétallaides  ;  Ressources  minières  du  Sahara,  n»  du  4  mars  1899. 

(2)  Le  natron  existe  en  grandes  quantités  entre  Zinder  et  le  Tchad. 


410     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIENS. 

région,  sur  le  plateau  de  TÉguéré  (350  kilomètres  E.-S.-E. 
d  Insalab)  à  800  et  1000  mètres  d altitude  et  plus  à  louest 
dit-on,  dans  V Archipel  Touatien^  il  existerait  des  gise- 
ments de  nitre,  situés  à  une  faible  dislance  de  la  surface... 
C*est  à  M.  Flamand  que  Ton  doit  les  principaux  rensei- 
gnements, très  vagues  d*ailleurs,  sur  ces  gisements  nitreux. 
exploités,  paraît-il,  par  les  Arabes,  qui  se  serA'ent  de  ce 
salpêtre  pour  fabriquer  leur  poudre.  D*après  des  échan- 
tillons  rapportés  par  lui,  il  existe,  dans  la  région  de  Timi- 
moun,  des  nitrates  à  65  p.  100  de  nitrate  de  soude  et 
35  p.  100  de  nitrate  de  potasse,  tout  à  fait  analogues  à  la 
caliche  du  désert  d*Atacama.  Lb  gisement  le  plus  riche  de 
TArchipel  Touatien  serait,  dit'on,  k  lei.sebkha  des  Oulad 
Mahmoud  y  à  20  kilomètres  nord  de  Kaberten  (l).  »  Si  ces 
nitrates  sont  exploitables,  les  1300  ou  les  1 500  kilomètres 
à  franchir,  à  un  tarif  de  2  centimes,  et  ce  n'est  nullement 
là,  on  Ta  vu,  le  minimum  possible  des  tarifs  sur  un  chemin 
de  fer  transsaharien,  représenteraient  seulement  26  à 
30  francs  la  tonne  pour  une  marchandise  qui  vaut  environ 
200  francs  dans  les  ports  algériens;  à  supposer  que  ron  n'en 
transportât  que  200000  à  300000  tonnes  par  an,  ce  qui 
représenterait  beaucoup  moins  du  quart  des  transports  de 
nitrate  au  Chili  (2)  et  n'égalerait  pas  la  moitié  des  exportations 
qui  se  font  actuellement  de  phosphates  d'Algérie  et  de  Tunisie, 
ce  serait  une  recette  de  4  000  à  6  000  francs  par  kilomètre. 


(4)  De  Launay,  les  Richesses  minérales  de  V Afrique,  Paris  1903,  pages  iT* 
et  252. 

(2)  D'aprôs  des  tableaux  publiés  par  un  journal  technique,  l'exportation  de* 
nitrates  du  Chili  a  porté  sur  les  quantités  suivantes  par  période  quinquennale 
et  comme  moyenne  annuelle  depuis  1880  : 

Total  des  Moyenne  Augmentaucn 

Périodes  quinquennales.  exportations.  annuelle.  pour  100. 

Tonnes  Tonnes 

1880-188i 2.220.926  444.185  62 

1885-1889 3.318.520  663.704  49 

1890-1894 4.813.670  îm2.734  45 

1895-1899 6.204.636  1  240.927  29 

1900-1903  (quatre  années)...     5.537.396  1.384.349  11  1/2 

Voy.  le  journal  l'Engrais,  n©  du  1"  janvier  1904,  page  16. 


ÉLÉUBNTS  DE  TRAFIC  DES  TRANSSÂHARIENS.  .  411 

Il  ne  S  agit  là,  sans  doute,  que  d'hypothèses  et  de  «  possi- 
bilités »,  comme  disent  les  Anglais;  mais,  quand  ces  magni- 
fiques <  possibilités  »  se  joignent  à  de  satisfaisantes  certi- 
tudes, comme  celles  que  nous  avons  décrites  plus  haut, 
cesi  assez  pour  déterminer  un  grand  travail  public  qui  ne 
doit,  d'ailleurs,  coûter  qu'une  somme  modique,  100  et 
160  millions  de  francs  respectivement  pour  le  Transsaharien 
du  Niger  et  pour  celui  du  Tchad. 

Si  Tespoir  de  rencontrer  des  nitrates  exploitables  dans  le 
Sahara,  toutfondé  qu'il  soit  sur  des  indices  sérieux  ou  sur  des 
observations  théoriques  vraisemblables,  peut  paraître  tenir 
•un  peu  de  la  conjecture,  il  n'en  est  nullement  ainsi,  d'autres 
très  importants  métaux  communs.  La  présence  de  certains 
de  ceux-ci  est  parfaitement  constatée  d'une  part,  dans  le 
Sud-Oranais  ou  le  Sud-Marocain,  d'autre  part  dans  l'Aïr  et 
au  Soudan  central.  En  ce  qui  concerne  le  Sud-Oranais  et  le 
Sud-Marocain,  M.    Etienne,   après    la  tournée   qu'il  fit  au 
printemps  de  1904  au  delà  du  terminus  de  notre  voie  ferrée 
et  dont  nous,  avons  déjà  parlé,  s'exprime  ainsi,  dans  une 
interview  avec  un  rédacteur  du  journal  le  Temps  :  «  Toute  la 
partie  montagneuse  est  fortement  minéralisée  :  zinc,  plomb 
et  cuivre.  Déjà  une  exploitation  de  cuivre  est  commencée  à 
13  kilomètres  d'Aïn  Sefra.  J'y  ai  vu  six  cents  ouvriers  au 
travail.  On  peut  donc  se  fier  à  l'avenir  (1).  »  Nous  ajouterons, 
d'après  nos   renseignements  particuliers,    qu'une  conces- 
sion de  cuivre  du  Sud-Oranais,  peut-être  celle  dont  parle 
M.  Etienne, a  été  obtenue  par  un  haut  employé  d'un  des  plus 
grands  établissements  de  crédit  de  Paris  et  s'annonce  comme 
une  très  belle  affaire. 

D'autre  part,  on  a  vu  plus  haut  que,  à  divers  points  des 
itinéraires  de  Foureau-Lamy  et  de  ses  prédécesseurs,  des 
roches  ferrugineuses  ont  été  rencontrées,  et  que  M.  Dorian, 
appartenant  à  une  famille  et  à  un  milieu  métallurgiques  qui 
lui  ont  donné  de  la  compétence   et  de  l'expérience,  a  été 

(1)  Le  Temps,  du  18  mai  1904,  première  page,  5*  colonne. 


412     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TaiJ>CSSAHARIE!iS. 

frappé  des  ressources  en  fer  du  pays  voisin  de  Zinder  (Voy. 
pLus  haut,  p.  335).  On  ne  peut  faire  parcourir  3000  kiiomèbts 
à  des  minerais  defer.  Mais  le  fer  est  très  rarement  un  métal 
isolé  ;  on  le  remarque  davantage  parce  qu'il  affleure  et  donne 
une  ooloration  ispéciale  aux  districts  où  il  se  trouve.  A  côté 
du  fèr,  il  est  certain  que  le  cuivre  est  abondant  aubL  enviroas 
de  TAïr  et  dans  le  Soudan.  Barth  parle  très  explicitement  de 
mines  de  cuivre  importantes  un  peu  au  sud-ouest  de  l'Air, 
les  mines  de  Tegidda  ou  deTekkada,  près  d'Imgal  (Voy.  plus 
haut^  p.  273).  De  plus,  tous  les  exploriateurs  ont  été  frappés 
de  Textraordinaire  abondance  d'objets  et  d'ustensiles  de  cuivre 
à  Zinder.  Il  suffit  dé  se  reporter- plus  haut,  aux  récits  qne 
nous  avons  reproduits  sur  «cette  ville,  pour  s'en  convaincre 
(Voy«  plus  haut9:p.<326  à  336).  Et  ce  n'est  pas  seulement  à 
Zinder,  c'est  dans  totti  le.  Soudan  que  le  cuivre  tient  une 
place  énorme  dans  les.  usages  et  l'ornementation  ides  habi- 
llants. On  l'y  prodigue,  comme  toute  marchandise  qui  est 
commune  dans  un  pays.  Mgr  Hacquard,  dans  sa  mono- 
graphie de  Tombouctou,  en  parle  également  :  à  propos  du 
costume  des  femmes,  il  ^'exprime  ainsi  :  «  Dans  la  eoiflfure, 
oe  sont  des  plaques  de  métal,  d'or,  d'argent,  de  cuivre  et 
même  de  fer-blanc,  triangulaires^,  rectangulaires,  carrées, 
irondes,  plus  ou  moins  ouvragées.  .«Des  bagues,  des  bradeleis, 
des  anneaux  de  pieds  en  cuivre,  eii  argent,  en  perles,  com- 
plètent ceS'  ornements... ^  D'autres  accessoires  du  costimie 
sont  communs  aux  deux  sexes:...  la  pipe 'en  terre,  au  long 
tube  en  bois,  en  os  ou  en  tibia  de  mouton,  ornée  de  fils  de 
cuivre  ou  d'argent.  Ici  tout  le  mondie  fixme  :  hoDunes, 
femmes  et  enfants...  Les  hommes  ne  sortent  guère  sans  un 
long  bâton  orné  de  rondelles  de  cuivre.  »  : 

Le  cuivre  et  le  cuir  sont  prodigués  partout,  ce  dernier 
prouvant  '  l'abondance  du  bétail  qui  pourrait  fournir  une 
énormei  exporkation  de^peaux.  Parmi  les  Touaregs*  les  mieux 
équipés*,  dit  encore  Mgr  Hacquard,  portent -un  bouclier  large 
en  cuir  blanc,  orné  d'étoffes  de  couleur  en  croix,  fixées  au 
cuir  par  des  clous  en  cuivre  ou  en  fer  à  large  tète  ».  Bien 


TRAFIC  DES  TBÂNSSAHARIENS;   RICHESSES  MINÉRALES.  413 

d^autres  observations  eonstatent  le  voisinage  de  la  produc- 
tion   du  cuivre  :  «  Les  orfèvres  (de  Tombouctouj),  ajoute 
Mgr    Hacqnard,  font  des  bijoux  de  tout  métal;  ils  ne<  ira- 
Taillent  plus  For  parce  que  ce  mêlai  précieux  ne  vient  plus 
à   Tombouctou,  coniine  autrefois,  et  ils  n*ont  pas  encore 
réussi  à  fondre  Tor. monnayé.  L  argent  provient  des  pièces 
de  monnaie;  le  cuivre  arrive  du  Mossi  et  du  Haoussia.  »  Le 
Mossi  est  assez  au  sud  du  Niger  ei  échapperait  san^  doute  au 
Traosâaharien;  mais' le  Haoussa,  c'est,  au  contraire,  la  con- 
trée à  Touest  de  Tombouctou,  le  Sokôto,  nos  possessions  de 
Zinder,  le  Bornou,  et  cette  observation  de  Mgr*  Haequard 
confiimie  la  production  du  càivre  dans  cette  région,  quie 
desserviraient  les  Transsahariens.  Mgr  Hacquard  note  encore 
que  les  foa*gerons  et  les  serruriers  font  «  de  petiti^  ouvreiges 
incrustés  de  cuivre,;...  des  crosses  ihcrustées  d'ivoire^  d'ai»- 
geat  ou  de  cuivre  (1)  «. 

Aiiksi     il  •  est  partout   question    d'ornements    de   cuiVre 
comme  très  répandus,  et  ce  cuivre  vient  en  grande  partie  dU 
Uaoussa,  c'est-à-dire  de  la  région  des  envirotis  du  Tchad, 
malgré  la  difficulté  des  trahsporis  et  le  passade  désertique 
qui  s'étend  à  Test'  du  Niger  leentral.  Si  Ton  rapproche  ces 
constaiations  de  Mgr  Haicquard  de  celles  de  Bartb  ëur  les 
minés  de  cuivre  au  sud-ouest  de  TAïr  et  de  celles  des  explo- 
rateurs  plus  réceùts'sur  l'usage  abondant  et  quasi  l'abus 
du  cuivre  à  Zinder  (Voy.  plus  haut,  p.  334) j  on  ne  peut  avoir 
de  doute  sur  l'existenoe  d'importants  gisements  'de  ce  métal 
en  cette  contrée.  On  sait,  d'ailleurs,  quelle  est  la  richesse  en 
métauic  de  toutes  sortes,  cuivre  notamment,  de  toute  la  partie 
méridionale  et  centrale  de  l'Afrique,  depuis  le  cap  de  Bonne- 
Espérance  jusqu'au  lac  de  Tanganyika,  qui  sont  les  iseuls 
morceaux  de  ce  continent  qui  aient  été  suffisamment  explo- 
rés. Qu'il  se  trouve  aussi  des  dépôts  de  cette  matière  dans 
l'Afrique  supraéquatoriale,  au-dessus  du  10'  degré  de  longi- 
tude, il  n'y  a  là  rien  d'étonnant. 

IM  Bulletin  de  la  Société  des  Études  coloniales  et  maritimes,   livraison  du 
30  juin  1899,  pages  173  à  181. 


414     LEL  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAQ ARIENS. 

L*existence   d'abondants    gisements    cuprifères   dans  la 
région  du  Tchad  étant  ainsi  établie,  il  est  hors  de  doute 
qu*ils  fourniraient  au  chemin  de  fer  transsaharien  de  cette 
région  un  fret  très  appréciable.  La  valeur  du  cuivre,  depuis 
plusieurs  années,  varie  entre  54  et  70  livres    sterling  la 
tonne  (1350  à  1750  francs);  c'est  un  métal  très  recherché 
pour  une  double  et  précieuse  aptitude  qu'il  possède  :  ses 
applications  électriques  d'une  part  et  la  vertu  médicatrice 
de  ses  sels  contre  les  maladies  des  plantes  (le  sulfate  de 
cuivre  contre  le  mildiew  ou  péronoospora   et  contre  de» 
parasites  divers  d'autres  plantes  utiles).  Une  baisse  de  prix 
du  cuivre  au-dessous  de  54  livres  sterling,  soit  1350  francs, 
la  tonne  ne  paraît  aucunement  à  craindre.'  A  Theiire  actuelle 
(juillet   1904),  il  vaut  entre  57  et  58  livres  la  tonne,  soil 
environ  1 450  francs.  11  est  vrai  que  Ton  ne  trouve  pas  du 
cuivre  pur  et  que  les  minerais  ne  contiennent  parfois  que  de 
faibles  proportions  de  ce  métal.  On  soutient  toutefois  que 
les   gisements   de   cuivre,   récemment  découverts  dans  la 
Rhodésia  et  la  Zambésia,  auraient  une  teneur  de  40  et  même 
50  p.  100;  laissons  de  côté  cette  teneur  exceptionnelle  et 
admettons  seulement  les  teneurs  habituelles  aux  mines  sud- 
africaines  en  exploitation,  soit  de  18  à  25  p.  100  de  cuivre  (1  )  : 
cela  représente,  au  cours  relativement  assez  bas  de  54  livres 
ou  1350  francs  la  tonne,  une  valeur  de  243  à  337  francs  la 
tonne,  moins  les  frais  de  transport  et  de  fusion  ;  ûxons  ceux-ci. 
ce  qui  paraît  fort  exagéré,  à  une  vingtaine  de  francs  la  tonne  de 
minerai  :  il  reste  une  valeur  pour  celui-ci  de  223  à  317  francs. 
Il  est  clair  qu'un  minerai  de  cette  valeur  pourrait  facilement 


(1)  M.  de  Launay,  ingénieur  en  chef  des  mines,  dans  son  ouvrage  les  Hi- 
chesses  minérales  de  l*  Afrique,  Paris,  1903,  cite  de  nombreuses  mines  de  cuIm'' 
ayant  une  teneur  de  18  p.  100  et  au-dessus  :  en  1899-1900,  dit-il,  la  Société  bii  n 
connue  «  la  Cape  Copper  C»  a  tiré  de  sa  mine  d'Ookiep.  21032  tonnes  de  mini- 
rai  à  18  p.  100  et  do  sa  mine  Spectakel,  plus  à  Touost,  019  tonnes  à  30.13  p.  \w. 
La  Namagua  Copper  Co  a  produit  9000  tonnes  de  minerai  avec  un  bént^fi«T  net 
de  3  millions  ».  Or,  cela  représente  plus  de  300  francs  de  bénéGces  par  tonne,  lais- 
sant ainsi  une  énorme  marge  pour  le  transport.  Une  autre  mine  de  la  ai»>me 
région  (le  Namaqualand),  la  mine  de  Tweefontein  produit  annuellement 
4o00  tonnes  de  minerai  trié,  tenant  28  à  30  p.  100  de  cuivre,  et  4  500  tonnes  dt 
minerai  plus  fin  à  27  p.  100  de  cuivre.  (De  Launay,  Op.  cit.,  p.  133  et  136.': 


TRAFIC  DES  TftANSSAHARlENS  ;   RICHESSES  MINÉRALES.  415 

payer  un  tarif  de  1  centime  et  demi  la  tonne  sur  les  3000  kilo- 
mètres de  longueur  ferrée  maxima  du  Soudan  à  la  Médi- 
terranée, soit  un  prix  de  transport  de  45  francs  pour  arriver 
à  Alger  ou  à  Philippeville,  d'où  un  fret  de  cabotage  de  7  à 
10  francs  la  tonne  le  porterait  à  Marseille  ou  en  Angleterre. 
Supposons  que,  au  lieu  d'une  teneur  de  18  p.  100,  qui  est 
constatée  et  dépassée  dans  les  mines  exploitées  du  Nama- 
qualand,  on  n'eût  qu'une  teneur  de  10  p.  100,  il  serait  encore, 
sans   doute,  possible  de  transporter  utilement  ce  minerai 
par  le  Transsaharien.  Sa  valeur  serait,  en  effet,  au  minimum 
de  135  francs  la  tonne,  moins  une  vingtaine  de  francs  que 
représentent  au  maximum  les  frais  de  fusion,  soit  115  francs. 
Ce    minerai  pourrait  supporter  tout  au  moins  un  tarif  de 
transport  de  1  centime  un  quart  par  kilomètre,  soit  37  fr.  50, 
ou,  au  pis  aller,  de  1  centime,  tarif  qui,  nous  l'avons  vu, 
serait  à  la  rigueur  praticable,  soit  30  francs  du  Soudan  à  la 
Méditerranée.  Il  faut  noter,  en   outre,  que  d'une  part  les 
minerais  de  cuivre,  et  notamment  ceux  qui  sont  pauvres, 
contiennent  en  général  des  parcelles  d'or  et  d'argent,  qui  en 
relèvent  la  valeur  d'une  cinquantaine  de  francs,  sinon  plus, 
à  la  tonne,  de  sorte  que  celle-ci  ressortirait  toujours  aux 
environs  de  200  francs  la  tonne,  par  conséquent  très  suscep- 
tible de  supporter  une  charge  de  transport,  du  Soudan  à 
la   Méditerranée,    non   seulement   de    30    francs,    mais  de 
37  fr.  50  ou  môme  de  45  francs,  correspondant  à  un  tarif 
de  1  centime  un  quart  à  1  centime  et  demi  par  kilomètre, 
largement  rémunérateur  pour  un  transport  s'effectuant  par 
grandes  masses  et  avec  un  parcours  ininterrompu,  sans  mani- 
pulations, d'environ  3000  kilomètres.  Enfin,  quand  le  minerai 
est  trop  pauvre,  il  est  aisé  de  «  l'enrichir  »  au  point  de  départ, 
soit  par  un  traitement  à  l'eau,  soit  par  la  cuisson.  C'est  ainsi 
que  M.  de  Launay,  en  parlant  de  la  mine  d'Ookiep,  dans  le 
Damaraland,  écrit  :  «  On  grille  et  fond  sur  place  pour  obtenir 
une  matte  à  50  p.  100  de  cuivre  que  Ton  expédie  à  Swansea  (1  ).  » 

11)  De  Launay  :  les  Richesses  minérales  de  V  Afrique  y  page  43G. 


416     LE  SAHARA,  LB  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIENS. 

Or  le  Damaraland  6st  un  pays  absolument  analogue  au 
Sahara;  il  ne  reçoit  pas  plu6  d'eau  que  le  Sahara  méridional 
et  ne  continent  pa9  plus  de  bois.  U  &ut  noter,  d*aulre  pari, 
qu*il.n  est  nullement  iiécessaîre  d*  «ienrichîr  »  le  minerai  de 
cuivre  à  50  p.  100  de  teneur  et.  que,  à  10  ou  12  p.  100,  il  est 
parfaitement  .transportable  au  ,Tran8$abarien. 

En  dehors  du  cuivre,  tous  les  autres  minerais  de  métaux 
communs,  sauf  le  fer»  pourraiexit  rémunérer  le  transport  par 
le  Transsaharien.  Cela  est  vrai,  au  plus  h^tut  degré,  du  zinc, 
miétal  aujourd'hui  fort  recherché  et  qui  est  assez  abondant 
en  Tunisie  et  auasâ  en  ÂlgérieMLetziac  vaut  20  à  ^  livces  la 
tonne,  soit  &00  à  550  fraosic^.  h^s  iteneuns  de  40  à  50  p.  100  de 
métal  pouj:  ces  minerais  ne  sont  pas  rares,  ce  qui  met  1^  prix 
du  minenai. entre  180  let  230  francs Ja  tQnne(fraiç  de  fusion 
déduits); 'mais  cette  teneur  tombât-ellQ  à  30  p.  100  que  le 
minerai  pourrait  encore  payer  entre  30  et  45  francs,  pour 
aller  du  Soudan  à  la  Méditerranée.  De  m^me  pour  le  piomb, 
qui,  il  est  vrai,  ne  vaut  que  11  à  12  livres  sterling  (275  à 
300. francs)  la  tonne  ;  imais  ici  les  beneurs  sont  souvent  plus 
élevées,  allant  à  60  ou  70  p.  100^  et  très  fréquemjnenl  le 
plomb  contient  de  largent,  entre  lun  demi-kilogramme  et 
un  kilogrammeiou  un  kilogramme  et  demi;  maigre  la  .baisse 
actuelle  de  rargent^  cela  ajoute  entre  40  et  100  francs  à  la 
valeur  idu  plomb  et  fait  que  le  minerai  d'une  bo^ne  mine 
vaut  rarement  moins  de  180  à  300  francs  la  tonne.  Danp  ces 
conditions,  il'peut  supporter  un  prix  de  tj^ansport  du  Soudan 
à  la  Méditerranée,  de  30  à  45  francs  la  tonne. 

D'une  façon  générale,  on  peut  affirmer  que,  de^  t^^rifs  de 
1  centime  et  demi,  1  centime  et  quart  et  .môme  1  centime 
étant  parfaitement  praticables  sur  un  .chemiin  de  fer  de  250U 
à  3000  kilomètres  de  longueur  (lignes  algériennes  comprises), 
toute  marchandise  dont  la  valeur  dans  un  port  d'Algérie 
est  do  140  à  150;  francs  la  tonne,  c'est-à-dire  les  1000  kilos, 
et  qui  peut  être  produite  dans  de  bonnes  conditions  au 
Soudan,  peut  supporter  et  payer  le  transport  des  2500  à 
3  000  kilomètres  par  le  chemin  de  fer  transsaharien,  puis- 


TRAFIC  DES  TRANSSAHARIENS  ;   RICHESSES  MINÉRALES.  417 

L*il  n^en  résulterait  qu'une  charge  d*une  trentaine  de  francs. 
Tj  presque  toutes  les  marchandises,  même  les  plus  corn- 
unes,  sont  dans   ce  cas,  puisqu'il  n*en  est  guère  qui  ne 
lille  140  à  150  francs  rendue  à  Philippeville  ou  à  Alger,  et 
>0  à   160  francs  rendue  à  Marseille,  Gênes,  Trieste,  Liver- 
>ol,  Londres,  Anvers  ou  Hambourg. 
Élaat    donné  que  tous  les   minerais  d'une   assez  bonne 
ineur,  sans  être  exceptionnelle,  sauf  ceux  de  fer,  pourront^ 
u  fond  du  Sahara  ou  du  Soudan  central,  suivre  les  rails  du 
ranssaharien,  il  est  très  modéré  d'estimer  à  une  centaine 
e  mille  tonnes  annuellement  ceux  qui  entreront  dans  le  tra- 
kc  de  cette  ligne  :  car  une  seule  bonne  mine  de  cuivre  ou  de 
>lomb  ou  de  zinc  produit  aisément  40 (KX)  à  r>0000  tonnes  de 
ninerai,  parfois  le  double,  et,  en  comptant  100  000  tonnes  de 
ninerai  pour  tous  ces  métaux  réunis,  on  est  certainement 
modeste.  Il  n*y  a  pas  que  les  métaux  proprement  dits,  il  y 
a  toutes  les  substances  minérales  utiles  qui  pourraient  don- 
ner lieu  à  un  transport  important  sur  les  Transsahariens. 
Ainsi,  aujourd'hui  même,  TAïr  ou  Âsben  exporte   par  la 
Nigeria  britannique  une  certaine  quantité  de  potasse.  On 
lit  dans  un  rapport  de  sir  Frédéric  Lugard,  gouverneur  de 
la  Nigeria,  les  lignes  suivantes  :  «  3"*  Asben,  etc.  Le  troi- 
sième groupe  et  de  beaucoup  le  plus  important  est  celui  qui  se 
livre  au  commerce  de  la  potasse  et  du  bétail.  Cette  potasse 
est  de  deux  sortes  :  en  pierre  ou  en  poudre  ;  sa  valeur  est 
par  tonne  à  Kano  en  pierre,  18  liv.  sterl.  13  shiil.,  à  1300 
cauris  pour  1  shilling;  en  poudre,  4  liv.  st.  6  à  6  liv.  st.  14... 
La  majeure  partie  de  cette  potasse  vient  d*Asben  et  de 
Minaou,  en  territoire  français.  Mais  on  en  trouve  dans  cer- 
taines régions  de  la  Nigeria  elle-même,  notamment  dans  le 
nord  du  Bornou,  et  aussi,  dit-on,  dans  quelques-unes  des 
lies  du  Tchad,  par  exemple  à  Kaoua.  Chaque  année,  à  la 
saison  sèche,  les  Asben  pénètrent  dans  le  protectorat  avec 
des  convois  de  chameaux  chargés  de  potasse  et  avec  des 
troupeaux  de  bétail  sur  pied  (1).  »  Voilà  un  fret,  existant  dès 

(1)  Bulleiin  du  Comité  de  l'Afrique  française,  livraison  de  février  1904,  p.  61. 

27 


418      LE  SAHARA,   LE  SOUDAiN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHABIENS. 

maintenant  et  peut-être  très  abondant  pour  le  TranssaharieQ. 
(rest  une  réponse  décisive  aux  étourdis  qui  déclarent  qu'ils 
n'aperçoivent  aucun  trafic  pour  ces  lignes.  Le  chiffre  de 
100000  tonnes  pour  Tensemble  des  minéraux  transportés  du 
sud  au  nord  par  chacun  des  Transsahariens  apparaît  ain^i 
comme  très  modique.  En  leur  appliquant  un  tarif  moyen  de 
1  centime  un  quart  la  tonne,  ce  qui  laisse  supposer  que  cer- 
tains, ceux  suffisamment  riches,  paieraient  1  centime  et  demi, 
et  les  plus  pauvres  1  centime  par  tonne  et  par  kilomètre, 
par  wagon  complet  de  18  à  30  tonnes,  on  a  une  recette 
de  1 250  francs  par  kilomètre  dans  le  sens  du  sud  au  nord, 
qu'il  faut  ajouter  à  celles  que  nous  avons  déjà  énumérêe> 
(V^oy.  plus  haut,  pages  401  à  408);  elles  montaient  à  3<M) 
ou  3500  francs,  suivant  les  cas  et  suivant  les  tarifs,  pour 
les  marchandises  seules;  on  se  trouve  donc  maintenant  à 
4250  ou  4750  francs  pour  le  trafic  en  marchandises  du  sud 
au  nord.  Si  Ton  y  joint  le  trafic  en  marchandises  du  nord 
au  sud,  que  nous  avons  évalué  avec  la  plus  grande  modéra- 
tion entre  3900  et  4 100  francs  (Voy.  plus  haut,  page  -101 . 
on  a  un  ensemble  de  8  150  à  8850  francs  pour  le  trafic  en 
marchandises  dans  les  deux  sens.  Il  faut  y  joindre  23O0  francs 
pour  le  trafic  des  voyageurs,  dont  moitié  environ  pour 
les  voyageurs  blancs  et  moitié  pour  les  voyageurs  noirs, 
ce  qui,  pour  le  transport  des  noirs,  paraît  infiniment  au- 
dessous  des  probabilités;  on  arrive  ainsi  à  une  recette  totale 
de  10450  à  11 150  francs  par  kilomètre.  Il  y  aurait  bien  à 
y  joindre  quelques  recettes  accessoires  pour  la  poste,  par 
exemple,  non  seulement  française,  mais  anglaise,  allemande, 
belge,  qui  se  servirait  des  Transsahariens  pour  apporter 
les  courriers  aux  colonies  des  diverses  nations  de  la  région 
du  Tchad  et  du  haut  Congo  ou  du  Niger,  pour  l'usage 
aussi  du  télégraphe  longeant  la  ligne,  lequel  serait  infini- 
ment moins  cher  que  les  télégraphes  sous-marins.  En  ne 
comptant  que  quelques  centaines  de  francs  de  ce  chef,  on 
arrive  à  une  recette  d'ensemble  de  11000  à  12000  francs 
par  kilomètre.  La  longueur  môme  de  la  ligne,  le  peu  d'em- 


TRAFIC  DES  TRANSSAHARIENS;    RICHESSES  MINÉRALES.  419 

ranchements,  quoique  à  la  longue  on  en  créerait  quelques- 
ns,  Tabsence  de  rupture  de  charge  et  de  manipulations  en 
ours  de  route,  la  très  grande  salubrité  du  pays,  réduisant 
onsidérablement  les  frais,  il  est  loisible  d'estimer  ceux-ci 

la  moitié  de  cette  recette.  H  resterait  ainsi  entre  5  500 
t  6  000  francs  de  recette  nette  kilométrique,  et  comme  la 
igne  n'aurait  pas  coûté  à  construire  plus  d'une  soixantaine 
e  mille  francs,  au  grand  maximum  en  moyenne  65000  le 
lilomètre,  la  recette  représenterait  de  8  à  9  p.  100  du 
apital.  Cette  grande  œuvre  serait  ainsi  une  superbe  affaire  : 
3  gain  réalisé  au  delà  de  l'intérêt  et  de  Tamortissement 
courrait  servir  à  construire  des  embranchements,  un  par 
xemple  se  détachant  vers  l'Ouadaï,  ou  des  prolongements 
lans  le  Soudan. 

On  ne  peut  penser,  il  est  vrai,  que  ce  trafic  brut  de  11 000  à 
12000  francs  par  kilomètre  et  cette  recette  nette  de  5500  à 
)000  francs  écherraient  aux  chemins  de  fer  transsahariens 
lès  le  lendemain  de  leur  ouverture;  il  y  faudrait  sans  doute 
quelques  années,  une  demi-douzaine  d'années  par  exemple  ; 
nfiais  il  est  probable  que,  dès  la  troisième  ou  quatrième 
iïnnée,  le  trafic  serait  déjà  notable  et  Ton  ne  peut  guère 
Jouter  qu'il  n'atteignît,  dès  ce  moment,  5000  à  6000  francs 
par  kilomètre;  or,  comme  avec  l'exploitation  peu  intensive 
de  ces  premières  années,  les  frais  d'exploitation,  vu  les  très 
grandes  facilités  qu'offrirait  un  chemin  de  fer  d'autant  de 
longueur,  sans  manipulations  intermédiaires,  ne  dépasse- 
raient pas  2500  francs  à  3  000  francs  par  kilomètre,  il  reste- 
rait toujours  un  excédent  de  recette  nette  de  pareille  somme 
qui  représenterait  l'intérêt  à  4  p.  100  approximativement  du 
capital  engagé,  lequel  ne  dépasserait  pas,  on  l'a  vu,  en 
moyenne  60000  à  65000  francs  par  kilomètre,  y  compris  le 
matériel  roulant. 

Dans  les  calculs  établis  plus  haut,  nous  avons  surtout 
considéré  le  Transsaharien  du  Tchad,  mais  les  mêmes  calculs 
approximativement  peuvent  s'appliquer  au  Transsaharien  du 
^iger.  On  sait  que,  d'après  nous,  les  deux  lignes  méritent 


420     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAQ ARIENS. 

d*ôlre  construites  sans  retard,  quoique  nous  comprenions 
que  Ton  commence  par  celle  qui  est  la  plus  courte  et  qui  se 
trouve  déjà  très  amorcée,  à  savoir  le  Transsaharien  du 
Niger. 

Il  y  a  toute  probabilité  que  cette  recelte  presque  initiale 
de  11 000  à  12000  francs  par  kilomètre  arriverait  à  doubler, 
au  bout  de  quinze  ou  vingt  ans,  ne  serait-ce  que  par  le 
transport  accru  des  voyageurs  noirs,  dont  le  nombre  sé- 
lëverait  à  plusieurs  centaines  de  mille,  et  par  le  transport 
accru  également  des  substances  minérales  qui  atteindrait 
des  centaines  de  mille  tonnes,  sinon  même  un  million  de 
tonnes  ou  davantage.  Les  chemins  de  fer  transsahariens 
compteraient  alors  parmi  les  entreprises  les  plus  rémuné- 
ratrices du  XX*  siècle,  pouvant  produire  un  intérêt  annuel 
de  15  ou  20  p.  100  des  capitaux  engagés  et  permettant  Téta 
blissement  graduel,  sans  aucun  sacrifice,  de  tout  un  réseau 
ferré  de  chemins  de  fer  dans  l'Afrique  intérieure.  Qui  a  suivi 
Tessor  des  continents  ne  saurait  trop  s'étonner  de  Tincapa- 
cité  des  géographes  en  chambre  et  autres  cerveaux  aussi 
étroits  qu'inexpérimentés  qui  ne  saisissent  pas  ces  perspec- 
tives certaines. 


CHAPITRE  III 

Combinaison  pour  pourvoir  aux  éventualités  de  déficit, 
quoique  improbables,  des  chemins  de  fer  transsahariens. 

La  loi  (le  juillet  1904  stipulant  la  décroissance  automatique  des  garanties  d'in- 
térêts de  la  France  au  réseau  ferré  algérien  existant.  —  Décroissance  auto- 
matique de  même  nature,  d'après  une  convention  de  1002,  de  la  garantie 
d'intérêts  aux  chemins  de  fer  tunisiens.  —  Possibilité  d'altecter  ces  disponi- 
bilités certaines  à  couvrir  les  insuffisances  éventuelles,  trrs  peu  probables,  des 
chemins  de  fer  transsahariens  :  calculs  à  ce  sujet. 

Ap|)ort  de  trafic  que  les  chemins  de  fer  transsahariens  feraient  aux  lignes  algé- 
riennes actuellement  existantes  :  évaluation  du  bénéfice  «le  cet  apport.  — 
Trafic  actuel  de  la  gare  terminus  <ie  Béni-Ounif.  —  Le  trafic  actuel  en  mar- 
chandises de  la  gare  de  Biskra. 

De  récononiie  pour  l'entretien  des  garnisons  et  pour  l'administration  dans  l'ex- 
trême Sud  algérien,  sur  les  rives  du  Niger  et  dans  la  région  du  Tchad;  calculs 
à.  ce  sujet. 

On  peut  considérer  qu'il  n'existe,  pour  ainsi  dire,  pas  de 
risques  d'improductivité  pour  aucun  des  deux  chemins  de  fer 
iranssahariens,  mettant  les  tropiques  en  relations  directes, 
rapides  et  peu  coûteuses,  avec  les  vieilles  nations  civilisées  : 
Transsaharien  du  Tchad  et  Transsaharien  du  Niger.  Mais 
en  ce  qui  touche  les  gens  sceptiques,  toujours  inquiets 
à  l'idée  de  toute  nouveauté  un  peu  vaste,  il  est  un  autre 
argument  qui  est  décisif  en  faveur  de  l'œuvre.  Si  modique 
que  soit  cette  dépense  de  1«50  à  160  millions,  au  très  grand 
maximum  180,  pour  une  entreprise  d'une  telle  importance 
politique,  stratégique  et  civilisatrice,  non  moins  qu'écono- 
mique, que  le  Transsaharien  du  Tchad,  et  de  100  millions 
seulement  pour  le  Transsaharien  du  Niger,  la  France,  en 
supposant  qu'elle  ne  pût  y  retrouver  une  rémunération 
directe  ou  immédiate  de  ce  capital  engagé,  pourrait  néan- 
moins construire  ces  voies  ferrées,  sans  qu'il  en  coûtât  rien 
i  notre  budget. 

La  France  trouverait,  dans  le  déclin  graduel  de  sa  ga- 
rantie aux  chemins  de  fer  algériens  et  tunisiens,  une  disponi- 
bilité annuelle  correspondant   à  la  plus  grande  partie  de 


422     LE  SAHARA,  LE  SOUDAiN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRAIfSSAAARIETîS. 

Tintérêt  de  cette  somme  de  150  à  160  millions  et  fort  éven- 
tuellement de  180  millions  pour  la  première  de  ces  lignes  et 
de  100  millions  pour  la  seconde.  Cette  remarque  ne  se  rat- 
tache pas  à  de  simples  espérances,  mais  à  des  faits  tout  a 
fait  positifs  et  acquis.  La  Chambre  des  députés  a,  au  com- 
mencement de  Tannée  1904,  voté  une  loi  déterminant  les 
participations  de  l'État  et  de  l'Algérie  dans  la  charge 
annuelle  des  chemins  de  fer  algériens  et  le  Sénat,  à  son 
tour,  Ta  adoptée  au  mois  de  juillet  de  la  même  année,  de 
sorte  qu^elle  est  maintenant  définitive. 

Aux  termes  de  cette  loi,  c  les  avances  de  TÉtat  aux 
compagnies  de  chemins  de  fer  algériens  sont  remplacées  par 
une  subvention  annuelle  au  budget  de  TAlgérie,  fixée  à 
forfait  à  dix-huit  millions  de  francs  (18000  000)  pour 
chacun  des  exercices  1905,  1906  et  1907.  Cette  subvention 
décroîtra  ensuite  annuellement  de  trois  cent  mille  francs 
(300  000)  pour  les  années  1908  à  1912  inclusivement;  de 
quatre  cent  mille  francs  (400000)  pour  les  années  1913  à  1917, 
et  de  cinq  cent  mille  francs  (500  000)  à  partir  de  1918  jus- 
qu'à Tannée  1946  où  elle  prendra  fin  (1).  » 

Le  présent  livre  paraît  au  milieu  de  Tannée  1904.  Il  semble 
bien  peu  probable,  malgré  tous  nos  efforts  pour  hâter  la  solu* 
tion ,  que  Tun  des  chemins  de  fer  transsahariens  soit  commencr 
énergiquement  avant  le  milieu  de  1907.  Quelle  que  soit  la  dili- 
gence que  Ton  y  mette  et  quoique  Tœuvre  pût  être  exécutée 
beaucoup  plus  rapidement,  il  n'est  guère  probable,  étant  don- 
nées nos  habitudes  de  tortue  en  matière  de  travaux  publics, 
que  la  ligne  demande  moins  d*une  dizaine  d*années  pour  son 
complet  achèvement  ;  cela  mènerait  vers  la  fin  de  1917.  Or,  on 
vient  de  voir  que,  dans  les  cinq  années  de  1908  à  1912,  Tan- 
nuité  à  servir  par  TÉtat  aux  chemins  de  fer  algériens  diminut- 


(  1  )  Rapport  fait  au  nom  de  la  Commission  du  budget  chargée  d'examiner  i> 
projet  de  loi  ayant  pour  objet  la  modification  de  la  loi  du  f9  décembre  1900,  >n, 
le  budget  spécial  de  V Algérie,  et  l'approbation  d'une  convention  déterminant  /•** 

PARTICIPATIONS  DE    l'EtAT   ET  DE  i/AlGÉRIE    DANS  LA  CHARGE   ANNUELLE   DBS  CHEMINS  bC 

FKR  ALtiÉniENs,  par  M.   Pienv  Baudin,   ilêputé:   annexe    au  procès-verbal  de  h 
s«>ance  du  lo  décembre  11)03,  p.  28  :  projet  de  loi,  article  2. 


:OMBINAIS0N  FINANCIÈRE  POUR  LA  CONSTR.  DES  TRANSSAHARIENS.     423 

*ait  de  300  000  francs  annuellement,  soit  1 500  000  francs  pour 
:es  cinq  années  et  que,  dans  les  cinq  années  suivantes,  de 
1913  à  1917,  elle  se  réduirait  annuellement  de  400000  francs, 
soit  de  2  millions  ;  ce  serait  donc  de  3  millions  et  demi  que 
se  serait  réduite  automatiquement,  à  la  fin  de  1917,  Tannuité 
due  par  l'État  à  l'Algérie  pour  ses  chemins  de  fer,  juste  au 
moment  où,  par  une  hypothèse  vraisemblable,  l'un  des  che- 
mins de  fer  transsahariens  entrerait  en  exploitation.  Il  y  faut 
joindre  372000  francs  pour  une  décroissance  analogue  de 
l'annuité  servie  à  la  Tunisie,  en  vertu  d'une  convention  de 
même  nature  du  17  mars  1902,  entre  la  Tunisie  et  l'État 
français,  pour  la  garantie  d'intérêts  de  la  ligne  de  la  Med- 
jerda  (1);  c'est  ainsi  une  disponibilité  annuelle,  dès  main- 
tenant certaine,  de  3872000  francs  qui  écherra  au  gou- 
vernement français,  du  chef  des  chemins  de  fer  algériens  et 
tunisiens,  à  la  fin  de  1917. 

Cette  disponibilité,  dès  maintenant  certaine,  de  près  de 
4  millions  par  an,  pourrait  être  affectée,  en  cas  de  besoin, 
à  l'intérêt  des  100  millions  de  francs  qu'aurait  coûtés  le 
chemin  de  fer  transsaharien  du  Niger,  qui  se  présente, 
dans  les  conditions  actuelles,  comme  celui  qui  sera,  sans 
doute,  construit  le  premier  :  à  31/2  d'intérêt,  cette  somme 
de  100  millions  représente  3  500  000  francs  ;  en  suppo- 
sant qu'il  n'y  ait  aucune  recette  nette,  supposition,  certes, 
bien  peu  vraisemblable,  on  pourrait  affecter  cette  disponibi- 
lité annuelle  dès  maintenant  certaine  de  3872000  francs  à 
l'intérêt  et  à  l'amortissement  du  capital  de  construction 
de  cette  ligne  depuis  le  terminus  actuel  de  Béni-Ounif.  Ce 
terminus  n'est  que  provisoire,  puisqu'il  est  décidé,  en  prin- 
cipe, que  la  ligne  sera  poussée  200  kilomètres  au  moins  plus 
loin,  jusqu'à  Igli,  et  qu'une  section  d'une  soixantaine  de 
kilomètres  jusqu'à  Colomb  ou  Béchar  est  actuellement  en 
construction.  Le  terminus  présent  et  provisoire,  Béni-Ounif, 
est  à  624  kilomètres  d'Oran  ;  le  terminus  en  vue,  Colomb  ou 

11)  Voirie  Bulletin  de  Statistique  et  de  Législation   comparée  (du  ministère 
des  flnances),  1«  volume  de  1902,  pages  418  et  419. 


I 


424     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHAHIESS. 

Béchar,  sera  à  environ  700  kilomètres  de  ce  même  port  médi- 
terranéen. Or,  on  peut  dire  que  la  presque  totalité  du  trafic 
du  chemin  de  fer  transsaharien,  tout  au  moins  les  quatre 
cinquièmes,  sinon  les  neuf  dixièmes,  sera  du  trafic  pour  la 
ligne  de  Colomb  ou  Béchar  à  Oran.  En  supposant,  évaluation 
singulièrement  pessimiste,  que  le  trafic  du  Transsaharien 
occidental,  nous  infligeant  une  profonde  déception,  ne  fût 
que  de  3000  francs  le  kilomètre,  correspondant  aux  simples 
frais  d*exploitation,  ces  3000  francs  seraient  un  trafic  soré- 
rogatoire  pour  la  ligne  actuellement  construite  ou  en  cours  de 
construction  de  Colomb  ou  Béchar  à  Oran  ;  sur  les  700  kilo- 
mètres de  cette  ligne,  cet  apport  supplémentaire  de 
3000  francs  par  kilomètre,  laisserait  bien  la  moitié  comme 
recette  nette,  soit  1050000  francs.  Ainsi,  par  l'apport 
des  3000  francs  de  trafic  brut  par  kilomètre  que  lui  ferait 
le  Transsaharien  du  Niger,  dans  les  circonstances  réputées 
les  plus  défavorables,  ce  serait  un  surcroît  de  recette  nette 
de  1050000  francs  qu'encaisseraient  nos  lignes  actuellement 
existantes  ou  en  construction  du  Sud-Oranais. 

(^e  bénéfice  de  1 050000  francs  pour  ces  lignes  se  joindrait 
h  la  disponibilité  annuelle  de  3872000  francs,  constatée 
plus  haut  du  chef  de  la  décroissance  de  l'annuité  à  servir 
par  la  France  aux  chemins  de  fer  algériens  et  tunisiens  ;  la 
disponibilité  annuelle  serait  ainsi  portée  à  4  922000  francs. 

Comme  l'intérêt  et  l'amortissement  des  100  millions  que 
coûterait  à  établir  le  Transsaharien  du  Niger  n*exigerait 
qu'une  annuité  de  3500000  francs,  on  aurait  ainsi,  même 
dans  le  cas  le  plus  défavorable,  une  disponibilité  de 
1422000  francs  à  reporter  sur  le  Transsaharien  du  Tchad, 
pour  faire  face  aux  insuffisances  de  trafic,  soit  temporaires, 
soit  permanentes  de  celui-ci. 

Cette  situation  serait  déjà,  en  soi,  satisfaisante;  mais,  eo 
fait,  elle  le  serait  bien  davantage.  Il  est  puéril,  en  effet,  de 
penser  que  le  Transsaharien  du  Niger  ne  produirait  aucune 
recette  nette.  Ce  qui  se  présente,  à  l'heure  actuelle,  pour  le 
tronçon   d'Aïn-Sefra-Béni-Ounif  fournit  une  preuve  mani- 


COMBINAISON  FINANCIÈRE  POUR  LÀ  CONSTR.  DES  TRANSSAHARIEiNS.     425 

feste   qu'il  en    produirait  une.  Dans  Vintervieœ  à  laquelle 
Dous  avons  déjà  fait  quelques  emprunts,  M.  Etienne,  député 
<l*Oran,  après  sa  visite  à  nos  postes  du  désert,  au  delà  du 
terminus  de  la  voie  ferrée,  au  printemps  de  1904,  s'exprime 
ainsi  :  «   Les  espérances  de  développement  économique  ne 
sont  pas  aussi  faibles  que  vous  paraissez  le  croire.  D'abord, 
le  Sud  marocain  est  sensiblement  plus  peuplé  que  le  nôtre. 
On  en  a  la  preuve  parle  traBc  même  qui  se  fait  actuellement 
sur  la  ligne.  Actuellement,  elle  paie  ses  frais  d'exploitation. 
On  a  débuté  avec  trois  trains  par  semaine;  maintenant,  il  y 
en  a  un  à  peu  près  tous  les  jours.  L'accroissement  est  cons- 
tant. A  Béni-Ounif,  où  il  n'y  avait  rien  il  y  a  deux  ans,  s'élève 
aujourd'hui  une  ville  —  oui,  une  petite  ville,  le  mot  n'est  pas 
trop  fort —  marché  central  du  Sud  où  il  se  fera,  dès  cette 
année,  pour  5  ou  6  millions  d'affaires.  Ensuite,  Figuig  est 
un  des  plus  beaux  paysages  du  monde,  vaste,  original,  éton- 
nant. Quand  on  le  saura  bien,  des  touristes  iront.  Enfin,  il 
y  aies  mines (l)...  » 

Ainsi,  dès  maintenant,  ce  tronçon  de  chemin  de  fer  déser- 
tique fait  ses  frais  d'exploitation;  le  point  terminus  est 
devenu  une  petite  ville  ;  il  s'y  fait  5  à  6  millions  d'affaires. 
Dans  un  an  ou  deux  et  au  furet  à  mesure  qu'il  sera  prolongé 
davantage,  ce  tronçon,  qui  dès  aujourd'hui  a  cessé  de  coûter, 
rapportera. 

L'appréciation  de  M.  Etienne  et  l'espoir  que  nous  venons 
d'émettre  sont  corroborés  par  les  documents  spéciaux.  Le 
Bulletin  da  Comité  de  r Afrique  française^  sous  ce  titre  : 
«  Le  marché  de  Béni-Ounif»,  contient  deux  colonnes  de  ren- 
seignements très  précis,  des  plus  concluants  :  «  L'activité 
commerciale  de  Béni-Ounif,  y  est-il  dit,  a  considérablement 
augmenté  pendant  le  premier  trimestre  de  1904.  Douze  com- 
merçants nouveaux  se  sont  installés  dans  le  centre  et,  malgré 
la  concurrence  qu'ils  apportent,  le  chiffre  d'affaires  de  toutes 
les  maisons  déjà  établies  s'est  notablement  accru.   Cette 

(l)Le  TempSf  du  18  mai  1904,  !'«  page,  o«  colonne. 


426     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHABIDï 

augmentation  des  transactions  commerciales  lient  évidem- 
ment à  une  fréquentation  plus  régulière  des  gens  du  Figuig 
et  des  Doui  Ménia  ;  mais  elle  résulte  surtout  de  la  politique 
d^apaisement  qui  a  déterminé  depuis  deux  mois  le  rappro- 
chement des  Béni-Guil  et  les  démarches  pacifiques  des  gens 
d'Aïn-Chaïr  près  des  autorités  de  Béni-Ounif  et  de  Béchar 
Pendant  le  mois  de  mars,  en  effet,  chaque  jour  des  caravane* 
de  Béni-Guil  sont  arrivées  sur  le  marché,  amenant,  pour  la 
vente,  des  moutons  et  des  chameaux  et  rentrant  dans  leurs 
campements  avec  des  chargements  de  blé,  d'orge,  de 
semoule,  de  sucre,  de  café  et  de  thé  (!)•  » 

Les  denrées  qui  viennent  d'être  citées  ne  sont  que  les 
principales  composant  le  trafic  de  Béni-Ounif.  c  Nous  indi- 
querons ci-dessous,  dit  le  Bulletin  du  Comité  de  r Afrique 
française,  le  chiffre  d'affaires  des  principaux  négociants  du 
centre  pendant  le  trimestre  écoulé  »,  et  le  Bulletin  donne 
une  nomenclature  de  ventes  d'épicerie,  d'étoffes,  de  tissus  et 
d'articles  indigènes,  de  céréales,  de  quincaillerie,  montant 
à  692000  francs  pour  le  seul  premier  trimestre  de  1904;  mais 
ce  chiffre  de  692000  francs  s'applique  seulement  aux  arlic/es 
spécialement  dénommés  et  estimés  en  valeur;  il  y  en  a 
d'autres  dont  la  valeur  n'a  pas  été  indiquée  et  qui  ne  figurent 
pas,  par  conséquent,  dans  cette  somme  de  692000  francs.  H 
est  bon  de  citer  quelques-unes  des  mentions  concernant  la 
partie  du  trafic  non  estimée  en  argent  :  «  En  outre,  dit  le 
Bulletin,  ce  négociant  a  acheté  aux  indigènes  de  TOuesl 
550  quintaux  de  peaux  de  filali  (marocain),  70  quintaux  de 
dattes,  25  quintaux  de  poils  de  chèvre  pour  la  confection  des 
tentes,  2500  moutons  »  ;  et,  plus  loin,  pour  d'autres  négo- 
ciants :  «  A  acheté,  en  outre,  aux  gens  de  l'OueslSOO  bur- 
nous et  50  quintaux  de  poils  de  chèvres...;  a  acheté,  en 
outre,  aux  gens  de  TOuest,  35  quintaux  de  filali  et  60  quin- 
taux de  poils  de  chèvre...;  a  acheté,  en  outre,  aux  gens  de 
l'Ouest  33  quintaux  de  filali,  48  quintaux  de  dattes  et  72quin- 

(1)  Comité  de  l'Afrique  française^  Bulletin  mensuel,  mai  1904,  page  151. 


COMBINAISON  FINANCIÈRE  POUR  LA  GONSTR.  DES  TRANSSAHARIENS.     427 

taux  de  bekhour  (espèce  d^encens  venant  du  Soudan)...;  a 
acheté,  en  outre,  aux  gens  de  TOuest  42  quintaux  de  fllali 
et  25  quintaux  de  bekhour.  »  Ainsi,  voilà  cinq  mentions 
indiquant  des  quantités  et  non  des  valeurs  :  ces  quantités  ne 
sont  pas  négligeables:  2500  moutons;  118  quintaux  de 
dattes  ;  300  burnous  de  fabrication  des  oasis  ;  660  quintaux 
de  filali  (marocain);  135  quintaux  de  poils  de  chèvre; 
97  quintaux  de  bekhour  ou  encens  indigène.  En  réunissant 
ces  trois  derniers  articles,  on  obtient  892  quintaux  en  un 
seul  trimestre  et  pour  une  étendue  de  pays  assez  restreinte. 
Il  y  a  encore  d'autre  trafic  de  la  gare  de  Béni-Ounif,  en 
plus  de  ceux  sus-mentionnés  :  <  En  outre,  dit  le  Bulletin  du 
Comité  de  l'Afrique  française^  les  gens  du  Figuig  continuent 
à  recevoir  du  Tell  une  certaine  quantité  de  marchandises 
qu'ils  peuvent  se  procurer  directement  grâce  à  leurs  relations. 
La  gare  de  Béni-Ounif  a  aussi  reçu  pendant  le  premier  tri- 
mestre 1904  pour  des  commerçants  des  oasis  : 

Blé 421 .730  kilogrammes. 

Tissus 9.780  — 

Beurre  et  huile 6.420  — 

Laine 590  - 

.\rlicles  divers 13.370  — 

«t  Le  mouvement  commercial  de  Béni-Ounif,  continue  le 
Bulletin^  ne  s^arrélera  pas  là  ;  nous  constaterons  certaine- 
ment pendant  le  prochain  trimestre  une  augmentation  sen- 
sible des  transactions  commerciales  qui  sera  exclusivement 
déterminée  par  une  fréquentation  plus  grande  de  tribus 
nomades  de  l'Ouest  (1).  » 

Ainsi,  M.  Etienne  n'exagérait  pas,  en  parlant  d'un  chiffre 
annuel  d'affaires  de  5  à  6  millions  pour  ce  marché 
improvisé  de  Béni-Ounif;  car,  si  aux  692000  francs  spécia- 
lement désignés  ci-dessus  pour  les  marchandises  ayant  fait 
Tobjet  d'une  évaluation,  on  ajoute  les  marchandises  dénom- 
brées seulement  en  quantités  et  non  en  argent,  le  million 
doit  ôtre  dépassé  pour  un  trimestre. 

(ly  BuUetin  du  Comité  de  r  Afrique  française,  mai  1904,  page  152. 


428     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRâNSSàHARIEXS. 

Dans  un  numéro  précédent,  le  Bulletin  du  Comité  de 
r  Afrique  française^  relatant  le  trafic  de  la  gare  de  Béni-Ounif 
dans  le  dernier  trimestre  de  1903,  écrivait  :  «  Elle  a  expédié 
sur  le  Tell  plus  de  60  tonnes  de  lainages  tissés  et  de  cuir 
(filali)  »  et  il  ajoutait  :  «  Les  habitants  des  Ksour  ne  peuveot 
se  procurer  de  l'argent  que  par  la  vente  de  leurs  burnous  ou 
kaïks,  de  peaux  de  filali  qu'ils  reçoivent  du  TaGlelt  et  des 
dattes  qu'ils  récoltent  ou  qui  leur  sont  envoyées  du  Sud- 
Ouest  (1).  * 

Si  le  chemin  de  fer  pénétrait  beaucoup  plus  au  sud,  arri- 
vant d'abord  à  Igli,  puisa  Béni-Âbbès  et  à  Taourirt,  de  façon 
à  desservir  les  oasis  du  Touat  et  du  Tidikelt,  en  attendant 
qu'on  le  pousse  jusqu'au  Niger,  Taire  du  trafic  s'élendanl 
considérablement,  ces  quantités  augmenteraient  dans  des 
proportions  notables,  et  en  supposant  que  les  tout  derniers 
tronçons,  du  moins  avant  la  jonction  accomplie  avec  le 
Soudan,  n'eussent  qu'un  trafic  restreint,  les  premiers  qui 
bénéficieraient  du  trafic  recueilli  sur  toute  la  ligne  en  auraient 
un  fort  important  qui  procurerait  une  recette  nette  appré- 
ciable. La  pacification  et  le  repeuplement  du  pays  contri- 
bueraient encore  à  le  développer. 

Ce  développement  ne  peut  faire  aucun  doute  :  on  en  a  une 
preuve  dans  le  rendement  du  chemindeferdeBatnaàBiskra. 
Cette  ligne  a  une  étendue  de  120  kilomètres;  elle  fut  long- 
temps regardée  comme  une  sorte  de  ligne  somptuaire,  dont 
on  pouvait  à  peine  espérer  qu'elle  arrivât  jamais  à  couvrir 
ses  frais  d'exploitation.  Le  trafic  en  resta  longtemps  station- 
naire  à  4  500  francs  le  kilomètre,  chiffre  qui  paraissait  repré- 
senter le  summum  de  ce  qu'on  en  pouvait  attendre.  Or,  ce 
trafic  est  en  train  d'augmenter  notablement  :  le  produit  brut 
a  été  585072  francs  en  1901,  636696  francs  en  1902,  et 
687505  francs  en  1903,  correspondant  à  une  recette  brute 
kilométrique  de  4849  francs,  5277  francs  et  5698  francs 
respectivement  pour  chacune  de  ces    trois  années.  Si  cette 

(1)  Bulletin  du  Comilé  de  V  Afrique  f ramai  se  ^  février  1904,  page  56. 


OMBINAISON  FINANCIÈRE  POUR  LA  CONSTR.  DES  TRANSSAHARIENS.     429 

igné  avait  été  établie  à  voie  étroite,  au  lieu  de  Tétre  trèsinu- 
ilenient  à  voie  large  et  qu*elle  fût  exploitée  comme  Test  le 
iouveau  réseau  à  voie  étroite  des  chemins  de  fer  tunisiens, 
I  savoir  les  lignes  de  Sousse,  Kairouan  et  autres,  elle  ne 
coûterait  pas  au  maximum  plus  de  3000  francs  de  frais 
d'exploitation  et  elle  fournirait  environ  2700  francs  de  béné- 
fice net  par  kilomètre. 

Il  ne  faudrait  pas  croire,  d'après  la  renommée  mondaine 
de    Biskra,  que  la  plus  grande  partie  du  trafic  de  la   ligne 
Batna-Biskra  fût  due  aux  touristes:  sur  les  687 505  francs  de 
recettes  de  cette  ligne  en   1903,  les  voyageurs  n'ont  fourni 
que    221 769    francs,  les   marchandises    à    grande   vitesse 
52  894  francs  ;  près  des  deux  tiers  du  produit  du  trafic  viennent 
des  marchandises  à  petite  vitesse,  à  savoir,  412841  francs.  Et 
la  gare  même  de  Biskra  fournit  à  peu  près  la  moitié  de  ce 
trafic    des    marchandises    de    petite    vitesse,    à    savoir, 
195285  francs.  Ce  sont  là  les  produits  des  contrées  déser- 
tiques (1). 

On  voit  combien  est  extravagante  l'idée  que  le  désert  ou 
le  Soudan  n'apporteraient  d'autre  trafic  que  des  plumes 
d'autruche  ou  de  la  poudre  d'or. 

Des  deux  Transsahariens,  d'après  les  explications  qui  pré- 
cèdent, celui  du  Niger  pourrait  être  fait  dès  maintenant  sans 
aucuns  sacrifices;  il  en  faudrait  peut-être  quelques-uns,  mais 
limités  et  temporaires,  pour  le  Transsaharien  du  Tchad,  et  la 
combinaison  exposée  ci-dessus,  en  ce  qui  concerne  les  dispo- 
nibilités par  suite  des  annuités  décroissantes  aux  chemins 
de  fer  algériens,  éliminerait  tout  risque  sérieux. 

11  est  un  autre  élément,  dont  on  doit  tenir  compte  :  on  ne 
peut  contester  que  les  frais  d'entretien  des  troupes  françaises, 
à  la  charge  de  la  métropole,  tant  dans  l'extrême  Sud  algérien 
que  dans  la  région  dénommée  «  le  troisième  territoire  mili- 
taire »,  à  savoir  la  partie  du  Soudan  située  autour  de  Zinder, 
et  également  dans  la  région  de  Test  et  du  sud  du  Tchad,  dé- 

(1)  Voir  le   Rapport  du  conseil   (V administration  à  l'assemblée  générale  des 
actionnaires  de  l'Est- Algérien,  du  iO  avril  1904,  pages  63  et  75. 


430     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSÂHARIEN3. 

nommée  <  territoire  du  Chari  >,  ne  dussent  être  notablement 
réduits  par  l'exécution  des  Transsahariens  qui  desserviraient 
ces  contrées  et  leur  amèneraient  à  peu  de  frais  les  approvision- 
nements divers.  Or,  à  Theure  actuelle,  les  frais,  si  sommaires 
qu'ils  soient,  de  Toccupation  du  Chari,  et  ceux  du  territoire 
de  Zinder,  ainsi  que  des  postes  extrêmes  sud-algériens  dans 
le  prolongement  de  la  province  de  Constantine  non  reliés  par 
voie  ferrée  à  l'Algérie,  ne  peuvent  être  évalués  à  moins  de 
7  à  8  millions  de  francs.  On  n'en  trouve  pas  le  détail  dans  nos 
budgets  ;  on  a  seulement  certains  éléments  partiels  :  ainsi 
l'on  relève,  au  budget  de  1904,  chapitre  55  du  ministère 
des  colonies  (1),  un  crédit  de  prévision  de  2600000  francs 
pour  les  c  dépenses  militaires  des  territoires  du  Chari  et  du 
Congo  français  »,  dont  les  deux  tiers  au  moins  concernent  le 
Chari,  c'est-à-dire  les  rives  du  Tchad,  qui  est  le  point  le  plus 
délicat  de  l'ensemble  de  cette  colonie  :  c'est  donc  là  environ 
1800000  francs  de  dépenses  militaires  sur  un  des  points  que 
desservirait  le  Transsaharien  ;  quant  au  territoire  de  Zin- 
der, dénommé  troisième  territoire  militaire,  quoique  situé 
tout  au  centre  de  l'Afrique,  il  est  défrayé  par  les  crédits  af- 
fectés à  l'Afrique  occidentale  ;  ces  crédits  figurent  aux  cha- 
pitres 35  et  44  d\î  môme  ministère,  sous  les  rubriques  : 
€  Troupes  aux  colonies,  Afrique  occidentale  »  et  «  Vivres  et 
fourrages,  Afrique  occidentale  »,  pour  les  sommes  respec- 
tives de  7  039  441  francs  et  4  254  705,  ensemble  1 1 300  000  francs 
en  chiffres  ronds  :  le  territoire  de  Zinder  étant  le  plus  éloigné 
et  ne  se  trouvant,  à  l'heure  présente,  accessible  qu'après  avoir 
traversé  des  déserts,  il  est  très  modéré  d'admettre  qu'il  doit 
bien  absorber  1  600000  francs  sur  ces  11300000.  Voilà  donc 
3400000  francs  avec  les  dépenses  similaires  au  Chari.  Mais 
il  ne  s'agit  ici  que  des  dépenses  spéciales  d'entretien  des 
troupes  dans  ces  régions  écartées  et  actuellement  quasi 
inabordables.  L'occupation  du  Chari  et  du  territoire  de 
Zinder  doit  aussi  donner  lieu  à  certains  prélèvements  sur 

(1)  Rapport  (le  M.  Merlou  sur  le  Budget  général  de  l'exercice  1904,  pages  570 
et  o77. 


COMBINAISON  FliNANClÈRE  POUR  LA  GONSTR.  DES  TRANSSAHARIENS.      431 

(lautres  chapitres  du  ministère  des  colonies,  par  exemple 
sur  les  chapitres  41,  42,  47,  48,  concernant  les  «  frais  de 
roule  et  de  passage  du  personnel  militaire  »,  la  «  remonte  et 
harnachement  »,  le  «  personnel  des  hôpitaux  »,  «  Thabillement 
et  le  couchage  »,  et  montant  respectivement  à  7  221 115  francs, 
767  152  francs,  4  091 268  francs  et  3401 805  francs,  ensemble 
environ  15  millions  et  demi.  Il  est  certain  que  dans  des  ter- 
ritoires, d*ailleurs  très  vastes,  comme  ceux  de  Zinder  et  du 
Chari,  où  une  tonne  de  transport  ne  peut  venir  d'Europe  ou 
de  la  côte  avec  des  frais  moindres  de  700  à  1000  francs,  tous 
les  objets  destinés  aux  troupes  doivent  être  prodigieusement 
renchéris  ;  ils  baisseront  sensiblement  quand  le  prix  de 
transport  de  la  Méditerranée  au  Tchad  ne  sera  plus  que  de 
40  francs  à  100  francs  la  tonne  suivant  la  nature  des  den- 
rées transportées. 

Nous  n'avons  parlé  que  des  dépenses  militaires;  il  y  a, 
en  outre,  les  dépenses  d'administration  ;  il  n'est  pas  facile 
ni  même  possible  de  les  dégager,  parce  qu'elles  sont  confon- 
dues dans  les  budgets  locaux,  auxquels  d'ailleurs  la  métropole 
alloue  souvent,  par  nécessité,  des  subventions,  ce  qui  est  le 
cas  du  Congo  avec  son  prolongement  le  Chari.  Il  tombe 
sous  le  sens  que  ces  dépenses  aussi  seraient  allégées  par 
une  voie  à  la  fois  rapide  et  peu  coûteuse  de  communication 
avec  la  Méditerranée. 

En  s'appuyant  sur  les  éléments  et  les  considérations  qui 
précèdent,  il  est  ainsi  très  modéré  d'évaluer  à  7  millions 
et  demi  de  francs  ceux  des  frais  normaux  d'occupation  et 
d'administration  des  oasis  sud-constantinoises,  du  terri- 
toire de  Zinder  et  du  territoire  du  Chari  qui  seraient  atté- 
nués par  l'exécution  du  chemin  de  fer  transsaharien  ;  il  est, 
d'autre  part,  très  modéré  d'évaluer  au  tiers  du  total  de  cette 
dépense,  soit  à  2  millions  et  demi  de  francs  sur  7  millions 
et  demi,  l'économie  qui  de  ce  chef  résulterait  pour  le  budget 
français  de  l'exécution  de  ces  Transsahariens. 

On  a  vu  plus  haut  (pages  423  et  424)  qu'en  tenant  compte 
des  réductions  automatiques,  absolument  certaines,  stipu- 


434     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHAaiLvJ 

de  260  millions,  à  3  et  demi  d'intérêt  et  d'amorlissemeil. 
représenterait  une  charge  annuelle  de  9100000  francs.       i 

On  vient  de  voir  (pages  429  à  431)  que  le  Transsaharien  da 
Tchad  économiserait  au  moins  2  millions  et  demi  par  an  su: 
les  frais  d*occupation  et  d'administration  des  oasis  sud-cons- 
lantinoises,  du  territoire  de  Zinderet  des  territoires  du  Charie! 
du  Tchad.  Le  Transsaharien  du  Niger  épargnerait  aisémenU. 
son  côté,  1  million  sur  les  frais  d'occupation  et  d'adminisln- 
tion  des  oasis  sud-oranaises,  de  celles  du  Touat,  duTidikell 
et  de  la  contrée  des  bords  du  Niger;  ce  serait  ensemble  us-^ 
économie  de  3  millions  et  demi.  En  second  lieu,  en  snpfK/- 
sant  que  le  trafic  de  chacun  des  deux  Transsahariens  restât  au 
chifiTre  infime  et  invraisemblable  deSOOO  francs  par  làlomètr^ 
cette  recette  affluerait  quasi  intégralement  aux  chemins  tw 
fer  algériens  et    sud -algériens   actuellement  établis  ou  en 
construction  et  leur  procurerait  une  recette  nette  égale  à  iâ  ' 
moitié  de  ce  surcroît  de  recette  brute,  soit  1500  francs  par  | 
kilomètre,  ce  qui,  pour  les  330  kilomètres  de  Biskra  à  Conî- 
lantine  représenterait,  en  chiffres  ronds,  500000  francs  el  i 
pour  les  700  kilomètres  de   Colomb    ou   Béchar  à  Oran  j 
lOoOOOO  fr.,  ensemble  1550  000  francs.  Ce  bénéfice  net  mifli  | 
mum  procuré  aux  chemins  de  fer  algériens,  joint  aux  3  mil-  | 
lions  d'économie    produits    par   les    deux   Transsahariens  | 
sur  les  dépenses  d'occupation  et  d'administration  des  oasis 
sahariennes,  du  Soudan  nigérien  et  du  Soudan  du  Tchad. 
constituerait  une  disponibililé  annuelle  de  5  millions.  Enùo. 
la  disponibilité,  à  partir  de  1917,  de  3872000  francs,  par 
suite  des  annuités  décroissantes  de  la  métropole  aux  oie- 
mins  de  fer  algériens,  en  vertu  de  la  convention  de  1902  el  de 
la  loi  de  1904,  porterait  la  disponibilité  totale  à  8  900 000  francs 
en  chiffres  ronds,  chiffre  quasi  exactement  égal  à  Ysinnéïê 
de  9 100000  francs  qu'exigeraient  Tintérêt et  ramortissemenl 
à  3,50  p.  100  de  la  somme  de  260  millions  consacrée  à  Této- 
blissement  des  deux  chemins  de  fer  transsahariens. 

Ainsi,  Ton  pourrait  construire  d^ici  à   1917,  à  savoir,  ea 
une  douzaine  d'années,  les  deux  chemins  de  fer  transsaha- 


KMBINAISON  FINANGIËRB  POUR  LA  GO?rSTR.  DES  TRANSSAHARIENS.     435 

ens,  celui  du  Niger  et  celui  du  Tchad,  sans  que,  en  vertu 
es  calculs  irréfutables  qui  précèdent  et  d'après  la  com- 
inaison  qui  vient  d'être  exposée,  il  en  coûtât  un  centime 
u  Trésor. 

Il  est,  toutefois,  peu  probable  que,  d*ici  à  1917,  les  deux 
i'raassaharietts  soient  construits  ;  nous  serions  déjà  heureux 
[ue  Tun  d*eux,  celui  dont  Tamorce  est  la  plus  avancée,  le 
Transsaharien  du  Niger,  fût  terminé  dans  cette  période.  En 
idmettant  qu*il  fallût,  pour  Tœuvre  totale,  quatre  années  de 
3lus  et  que  Tun  des  deux'Transsahariens,  le  dernier  construit, 
ne  pût  être  livré  à  la  circulation  que  vers  1920  ou  1921,  il  y 
aurait  une  nouvelle  ressource,  dans  cette  période  prolongée, 
qui  mettrait  encore  plus  l'État  à  Tabri  de  tout  risque. 

On  a  vu  que  la  décroissance  de  l'annuité  à  servir  par  la 
métropole  aux  chemins  de  fer  algériens  procure  (page  422) 
^ne  disponibilité  annuelle  de  3872000  francs  à  partir  de  la 
fin  de  1917;  or,  à  partir  du  1"  janvier  1918,  aux  termes  de 
l'arrangement  conclu  avec  la  Tunisie  et  de  la  loi  de  1904  en 
ce  qui  concerne  l'Algérie,  la  décroissance  des  annuités  de 
l'Etat  pour  les  garanties  d'intérêts  des  chemins^de  fer  nord- 
africains  sera  de  500000  francs  par  an  pour  l'Algérie  et 
de  31 000  pour  les   chemins   de  fer   tunisiens,    ensemble 
i)31000,  ce  qui,  pour  les  quatre  années  1918,  1919,  1920  et 
1921  représente  une  décroissance  de  2 124  000  ;  cette  dispo- 
nibilité s'ajoutant  à  celle   effectuée,  par  le  môme  procédé 
automatique,  de  l'an  1906  pour  la  Tunisie  et  de  l'an  1908  pour 
l'Algérie  jusqu'à  1917,  porterait  à  5996000  francs  la  dispo- 
nibilité de  ce  chef  à  partir  du  1"  janvier  1922  et  à  plus  de 
11  millions  le  total  des  disponibilités  que,  d*aprës  les  calculs 
ci-dessus,  la  métropole  pourrait  appliquer  à  couvrir  l'intérêt 
^t  l'amortissement  des  deux  chemins  de  fer  transsahariens, 
si  leurs  recettes  n'y  pourvoyaient  pas  suffisamment.  Or,  une 
disponibilité  de  11  millions  ferait  face,  au  taux  de  3  1/2  p.  100, 
^  un  capital  de  plus  de  310  millions,  somme  beaucoup  plus 
considérable  que  celle  qui  serait  exigée  par  la  construction 
des  deux  Transsahariens. 


436     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN   ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHàRlENS. 

Ainsi,  de  toutes  façons  et  en  adoptant  les  hypothèses  les 
plus  défavorables,  celle  d'une  absence  absolue  de  recettes 
nettes  des  voies  nouvelles,  TÉtat  français  se  trouverait  dès 
le  moment  de  Fouverture  des  deux  chemins  de  fer  transsa- 
haricns,  ou  tout  au  plus  tard  deux  ou  trois  ans  après  cette 
ouverture,  en  état  de  faire  face  au  service  de  l'intérêt  et  de 
Tamortissement  des  sommes  qu'ils  auraient  coûté.  II  joui- 
rait, sans  avoir  fait  aucun  sacrifice  et  comme  d'un  doo 
absolument  gratuit,  de  tous  les  avantages  considérables 
que  les  Transsahariens  lui  procureraient  pour  Tentretien  des 
troupes  et  l'administration  des  oasis  sahariennes  et  des  pos- 
sessions françaises  au  Soudan  occidental  sur  le  Niger,  d  une 
part,  dans  le  territoire  de  Zinder,  de  l'autre,  et  sur  les  deux 
rives  du  Tchad  ainsi  que  dans  le  territoire  du  Chari.  11 
jouirait  aussi  de  toute  l'influence  et  de  tout  le  prestige  que 
des  œuvres  semblables  lui  assureraient  dans  cette  partie  du 
monde. 

Encore  avons-nous  voulu,  dans  ces  calculs,  nous  en  tenir 
aux  faits  absolument  positifs  et  résultant  des  lois  et  conven- 
tions en  COUTS  (convention  du  17  mars  1902  pour  les  chemins 
de  fer  tunisiens  et  loi  de  juillet  1904  pour  les  chemins  de  fer 
algériens);  nous  n'avons  aucunement  tenu  compte  de  la 
très  grande  probabilité  que  le  développement,  qui  ne  cesse 
de  s'effectuer  depuis  1898,  du  trafic  propre  aux  chemins  de 
fer  algériens  et  tunisiens  et  qui  a  sa  cause  non  moins  dans 
le  récent  essor  minier  que  dans  l'essor  agricole  de  rAIgérie 
et  de  la  Tunisie,  accroîtra  les  disponibilités  résultant  de  la 
décroissance  automatique  de  ces  annuités  à  la  charge  de  la 
métropole.  Nous  avons  voulu,  en  effet,  écarter  tout  calcul 
conjectural  et  nous  en  tenir  aux  données  absolument  posi- 
tives résultant  des  lois  et  conventions  en  vigueur. 

On  voit,  par  la  démonstration  qui  précède,  que,  si  Ton 
veut  appliquer,  comme  cela  est  naturel  et  facile,  les  dispo- 
nibilités résultant  de  la  décroissance  légale  des  garanties 
d'intérêts  algériennes  et  tunisiennes  au  paiement  de  l'intérêt 
des  dépenses  de  construclion  des  chemins  de  fer  transsaha- 


3MBINAIS0N  FIiNANGlËRE  POUR  LA  GONSTR.   DES  TRANSSAHARIENS.     437 

iens,  il  est  de  toute  impossibilité  que  ces  grandes  œuvres 
oûteat  un  centime  au  budget  français.  L^Étataura  constitué, 
ans  se  charger  aucunement,  deux  merveilleux  instruments 
>olitiques,  stratégiques,  administratifs  et  économiques.  Aux 
rois  premiers  points  de  vue,  il  en  obtiendra  des  avantages 
considérables;  au  quatrième  point  de  vue,  il  est  très  vrai- 
semblable qu'il  en  retirera  aussi  des  bénéfices,  même  pécu- 
liaires  ;  mais  en  aucun  cas,  et  à  Textrême  pis-aller,  ces 
œuvres  ne  pourraient  lui  être  à  charge. 

C*est  faute  de  connaître  le  fonctionnement  de  ces  garanties 
d'intérêts  algériennes  ettunisiennes,  en  vertu  des  conventions 
et  lois  de  1902  et  de  1904,  que  tant  de  gens  s'efiTraient  à  la 
pensée  d'une  dépense  qui  a,  dès  à  présent,  son  ample  contre- 
partie assurée. 

11  est,  d'ailleurs,  infiniment  probable  que,  même  financiè- 
rement, d'après  les  évaluations  très  modérées  que  nous  avons 
faites  plus  haut  (Voy.  pages  393  à  420),  les  chemins  de  fer 
transsahariens  seront  une  excellente  affaire.  Néanmoins, 
comme  le  gros  public  n'est  pas  familier  avec  des  œuvres  de 
ce  genre,  il  serait  toujours  difficile  d'accomplir,  sans  une 
garantie  d'intérêts  de  l'État,  ces  grandes  entreprises  qui  se- 
ront certainement,  à  la  longue,  très  rémunératrices  (1). 

(1)  Il  se  pourrait,  toutefois,  que  si  l'un  des  Transsahariens,  celui  du  Niger  par 
exemple,  était  amorcé  jusqu'à,  la  moitié  environ  de  son  étendue,  de  façon 
quM  ne  restât  que  1  000  à  1  200  kilomètres  à  construire  pour  atteindre  le  but 
final,  des  sociétés  privées  se  chargeassent  d'effectuer  ce  complément  sans  ga- 
rantie d'intérêts,  au  cas,  par  exemple,  où  on  leur  assurerait  la  concession  de 
toutes  les  mines  ou  carrières  situées  dans  un  certain  périmètre,  par  exemple 
<lan8  une  zone  de  300  à  400  kilomètres  de  chaque  côté  de  la  voie.  Une  telle  com- 
binaison pourrait  se  présenter  si,  notamment,  le  ïranssaharien  du  Niger  était 
amorcé  par  TÉtat  jusqu'à,  Taourii-t  ou  Âkabli,  de  façon  à  desservir,  ce  «lu'il  fau- 
dra bien  faire  un  jour,  les  oasis  du  Touat  et  du  Tidikelt.  Cette  combinaison 
pourrait  être  encore  facilitée,  si  l'État,  ayant  ainsi  établi  un  réseau  de  pénétra- 
tion de  1 100  à  1300  kilomètres,  accordait  à  la  Compagnie  <iui  effectuerait  le  com- 
plément méridional,  une  participation  de  33  à  40  p.  100  sur  le  trafic  transsaharien 
dont  les  lignes  établies  par  l'État  et  constituant  la  moitié  septentrionale  du 
réseau  viendraient  à  profiter.  L'œuvre  du  Transsaharien  se  présente  ainsi  conim»' 
absolument  simple  et  ne  comportant  aucun  danger  financier. 


CHAPITRE   IV 

Concurrence  entre   les    chemins    de   fer  transsahariens 

ET    LES    VOIES    VERS    l' ATLANTIQUE.   GrANDE  SUPÉRIORITÉ 

DES  PREMIERS  POUR  DESSERVIR  l'AfRIQUE  INTÉRIEURE. 


Les  voies  soit  fluviales,  soit  mi-partie  fluviales  mi-partie  ferives,  soit  enfién»iit»p: 
ferrées,  allant  de  l'Afri(iuc  intérieure  vers  la  côte  de  l'Atlantique  ne  |>our;vn* 
faire  une  concurrence  sérieuse  aux  chemins  de  fer  transsahariens. 

Môme  au  cas  où  il  y  aurait,  par  les  voies  de  l'ouest  ou  du  sud>oue^t,  une  <cu- 
sible  diminution  de  distance,  elle  serait  beaucoup  plus  que  coni|)enst'e  (^ir 
Tinfériorité  des  ports,  dont  les  barres  rendent  l'accès  dan^reux,  par  TinsaJ-i- 
brité  et  par  l'éloignomenl  de  l'Europe.  —  Le  coût  du  fret  et  celui  de?  a^<l- 
ranccs  maritimes  dépasseraient  de  beaucoup  l'économie  sur  le  transport  p»" 
terre. 

Innavigabilité  du  Niger  sur  la  totalité  de  son  parcours.  —  Ce  fleuve  est  corun»» 
({uatre  ou  cinq  fleuves  juxtaposés,  mais  sans  communication  entre  eux.  - 
Les  différents  biefs  du  Niger  et  les  rapides.  —  La  navigabilité  sur  chacun  A*- 
ces  biefs.  —  Coût  énorme  du  transport  d'une  tonne  des  bouches  du  Ni^rt-ri 
Say  ou  à  Toiiibouctou  ;  ce  coùl  égale  huit  à  dix  fois  le  prix  de  transport  «ur 
le  Transsahai*ien.  —  Dépenses  prodigieuvses  qu'exigerait  la  mise  en  étal  appn»xi- 
matif  de  navigabilité  de  ce  fleuve. 

La  navigabilité  défectueuse  du  Sénégal.  —  Détails  (L  ce  sujet.  —  Le  chemin  'i^* 
fer  de  Kayes  au  Niger.  —  Nécessité  de  le  prolonger  jusqu'à  la  ligne  Daliar- 
Saint-Louis.  —  Il  recevra  surtout  le  trafic  du  Niger  supérieur  et  de  la  moindr? 
partie  du  Niger  moyen.  —  Le  chemin  de  fer  transsaharien  attirera  à  lui  uii' 
bonne  partie  du  trafic  de  Ségou  à  Mopti  et  la  totalité  du  trafic  des  Tvp*>f.- 
de  Mopti,  Toinbouctou,  Ansongo  jusqu'à  Saï. 

La  nouvelle  roule,  découverte  par  le  capitaine  Lenfant,  d'accès  au  Tchad  i»ur 
la  Bénoué.  —  Elle  no  peut  avoir  qu'une  portée  économique  très  restreinte,  fi 
ne  peut,  à  aucun  point  de  vue,  lutter  contre  un  Transsaharien.  —  Les  deai 
Transsahariens  ne  peuvent  avoir  aucune  voie  rivale  effective. 


Il  se  trouve  des  personnes  pour  soutenir  que  soit  les 
voies  navigables,  Sénégal,  Niger,  Bénoué,  aboutissant  à 
TAtlantique,  soit  des  voies  mi-fluviales  mi-ferrées,  soit  des 
chemins  de  fer  qui  partiraient  de  Tocéan  Atlantique  ou 
du  golfe  de  Guinée  pour  se  diriger  vers  le  Soudan  nigérien 
ou  vers  le  Soudan  du  Tchad,  ayant  une  plus  courte  distance 
que  les  Transsahariens,  déroberaient  à  ceux-ci  une  grande 
partie   de  leur  trafic.  C'est,  selon  nous,  une  grave  erreur. 


CONCURRENCE  ENTRE  LES  VOIES  DE  L'OUEST  ET  LES  VOIES  DU  NORD.     439 

D'abord,  celle  concurrence  serait  quasi  nulle  en  ce  qui 
concerne  la  poste,  les  voyageurs,  les  colis  privés,  parce 
que  la  durée  du  transport,  tant  par  terre  que  par  mer,  serait 
deux  fois  plus  longue  par  la  voie  de  Touest  que  par  la  voie 
du  nord.  En  outre,  ces  chemins  de  fer  seront  beaucoup  plus 
difficiles  à  construire  et  à  exploiter  dans  ces  pays  maréca- 
geux, fiévreux,  où  l'Européen  a  grand*peine  à  vivre.  Les 
tarifs  devront  naturellement  y  être  beaucoup  plus  coûteux, 
par  la  raison  ci-dessus  et  par  celle  aussi  que,  la  dislance 
étant  moindre  (1 500  kilomètres  du  Tchad  à  la  côte  du  Bénin, 
au  lieu  de  3000  jusqu'à  la  Méditerranée),  les  tarifs  kilomé- 
triques ne  pourraient  être  aussi  abaissés,  cet  abaissement 
dépendant,  en  grande  partie,  de  Tétendue  du  parcours  sans 
rupture  de  charge. 

Il  est  probable  que  le  transport  par  le  sud-ouest,  s*il  n*était 
pas  tout  à  fait  aussi  coûteux  que  par  la  voie  du  nord,  pour- 
rait, tout  au  plus,  offrir  une  réduction  de  10  à  15  p.  100; 
elle  serait  beaucoup  plus  que  compensée  par  les  difficultés 
dembarquement  dans  les  médiocres  ports,  encombrés  de 
barres  et  presque  tous  malsains,  de  la  côte  occidentale 
d'Afrique,  par  la  beaucoup  plus  grande  élévation  du  fret 
maritime  vers  les  marchés  d'Europe,  par  la  charge  beaucoup 
plus  lourde  aussi  des  assurances  maritimes.  Enfin,  le  sur- 
croît de  transport  terrestre  sera  largement  compensé,  pour  la 
généralité  des  marchandises  même  communes,  non  seulement 
par  la  moindre  durée  et  la  plus  grande  régularité  du  trajet, 
mais  par  l'arrivée  des  denrées  en  pleine  Méditerranée  occiden- 
tale, à  quelques  heures  de  Marseille,  de  Gènes,  de  Trieste  et 
à  portée  de  marchés  de  consommation  considérables,  la 
France,  Tltalie,  la  Suisse,  TAutriche,  TAllemagne  du  Sud, 
outre  que  le  fret  d'Algérie  aux  grands  ports  anglais,  belges 
et  allemands  du  nord  est  très  bas,  7  à  8  francs  la  tonne. 

De  même,  les  chemins  de  fer  transsahariens  n'ont  rien  à 
redouter  de  la  navigation  du  Niger  et  des  voies  d'eau  que  Ton 
a  découvertes  entre  l'Atlantique  et  la  région  du  Tchad.  On  doit 
rendre  le  plus  grand  hommage  aux  explorations   très  méri- 


440     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHABIE5S 

loires  du  capitaine  Lenfant.  Son  livre  :  Le  Niger ^  voie  ou- 
verte à  noire  empire  africain  {l)y  a  résumé  d'une  manière Irt-s  | 
intéressante  Tétude  qu'il  a  faite  de  ce  grand  cours  d'eau  au 
point  de  vue  des  possibilités  du  trafic.  Mais,  outre  qu'il  y  a 
700  à  800  kilomètres  du  Tchad  au  Niger,  le  cours  de  ce  fleuve 
est  encombré  de  rapides,  qui  séparent  les  différents  biefs  et  en 
empêchent  la  communication.  D*après  les  données  mêmes 
que  Lenfant  a  recueillies,  le  cours  inférieur  du   fleuve  de 
Lokodja-Forcados,  un  peu  au-dessous  du  8""  degré  de  lati- 
tude, jusqu*à  Tembouchure,  n'est  navigable  toute  Tafioéê 
qu'aux  chalands  calant  50  centimètres  au  plus,  c'est-à-dire  à 
de  tout  petits  bateaux;  il  ne  Test  que  dix  mois  de  l'aonée 
aux  chalands  de  70  centimètres,  seulement  sept  mois  de 
Tannée  à  ceux  de  1  mètre  et  de  six  à  quatre  mois  de  l'année 
aux  chalands  calant  davantage.  La  section  du  fleuve  imioé- 
diatement  au-dessus,  celle  de  Jebba,  un  peu  au-dessous  de 
l'enclave  d'Arenberg,  vers  le  9*  degré  un  tiers,  à  Lokodja 
n*est  plus  navigable  toute  Tannée,  même  aux  plus  petits 
chalands  ;  elle  Test,  de  mi-juillet  à  fin  mai,  aux  pirogues 
calant  de  20  à  35  centimètres,  c'est-à-dire  tout  à  fait  infimes, 
de  fin  juillet  au  milieu  d'avril  aux  chalands  de  50  centimètres, 
c'est-à-dire  encore  tout  petits,  et  ce  n'est  plus  que  pendant 
huit^  sept,  six  ou  cinq  mois  qu  elle  Test  aux  chalands  calanl 
davantage.  Là  finit  le  bas  Niger.  On  se  heurte  ensuite  aux 
chutes  de  Boussa,  qui  ne  sont  navigables  que  pendant  sept 
ou  huit  mois  aux  chalands  calant  jusqu'à  50  centimètres^ 
seulement  six  mois  à  ceux  de  70  et  jamais  à  ceux  calant 
davantage.  Quant  au  Niger  moyen,  de  Saï  à  Boussa,  il  est 
navigable  neuf  mois  aux  pirogues  calant  35  centimètres  au 
plus,  six  mois  à  six  mois  et  demi  à  celles  de  50  et  70  centi- 
mètres et  seulement  cinq  à  six  mois  aux  chalands  exigeant 
une  plus  forte  profondeur.  On  rencontre  ensuite,  en  remon- 
tant, les  rapides  de  Labezenga,  qui  sont  navigables  pendant 
six  à  sept  mois  aux  pirogues  infimes  ne  calant  pas  plus  de 

(1)  Librairie  Hachette,  Paris,  1903. 


:ONCUBRE]NCB  ENTRE  LES  VOIES  DE  L'OUEST  ET  LES  VOIES  DU  NORD.     441 

^5  centimètres  et  de  six  à  quatre  mois  aux  chalands  calant 
dO  à  70  centimètres,  un  mois  seulement  à  ceux  de  1  mètre 
et  jamais  à  des  embarcations  plus  fortes.  Dans  les  trois  biefs 
supérieurs,  ceux,  en    remontant  le    cours   du    fleuve,    de 
Ansongo-Kabara,  puis  Mopti-Koulikoro   et  enfin   Bamako- 
Siguiri,  le  cours  du  fleuve  paraît  mieux  établi  et  la  navigation 
est  assurée  pendant  quatre,  cinq,  huit  ou  dix  mois  respec- 
tivement aux  chalands  calant  1",20,  1  mètre,  70  centimètres, 
50  centimètres  et  aux  pirogues  de  20  à  35  centimètres  ;  mais, 
môme  pour  ces  dernières  embarcations  infimes,  la  navigation 
ne  peut  pas  s'effectuer  absolument  toute  l'année  (1).  Il  y  a 
toujours  deux  ou  trois  mois  où  elle  doit  être  soit  suspendue, 
soit  assujettie  à  des  irrégularités. 

Il  résulte  de  ce  résumé  des  observations   du  capitaine 
Lenfant  que,  sauf  le  bas  Niger,  de  Lokodja  à  Forcados  et 
peut-être  de  Jebba  à  Lokodja,  ce  grand  fleuve  ne  peut  se 
prêter  à  une  navigation  économique;  il    ne  pourra  jamais, 
dans  sa  partie  supérieure  du  moins  et  sur  toute  l'étendue  de 
son  cours,  faire  concurrence  à  un  chemin  de  fer  transsaharien  ; 
la  navigation  sera  confinée,  en  quelque  sorte,  dans  chacun 
des  biefs  du  Niger  et  y  recueillera  les  marchandises  pour  les 
mener  à  une  voie  ferrée  aboutissant  au  même  bief:  autrement 
les  frais  seront  énormes.  Le  capitaine  Lenfant  l'a  démontré 
lui-même,  puisque  de  l'embouchure  du  Niger  les  marchan- 
dises qu'il  a  transportées  à  Saï  n'ont  pas  coûté  moins  de 
600  francs  de  frais  de  transport  par  tonne.  Alors  même  qu'on 
parviendrait,  avec  des  travaux,  à  réduire  graduellement  ce 
prix  à  300  francs  la  tonne,  la  concurrence  avec  la  voie  ferrée 
transsaharienne  serait  impossible,  puisque  nous  avons  vu 
que,  sur  celle-ci,  le  tarif  moyen  du  Soudan  à  la  Méditerranée 
serait  de  60  à  75  francs  la  tonne  et  que,  pour  les  marchan- 
dises de  peu  de  valeur,  le  tarif  pourrait  se  réduire  à  40  et 
môme  probablement  à  30  francs  la  tonne. 
Voulût-on  faire  au  Niger  des  travaux  analogues  à  ceux 

|i)  Capitaine  Lenfant,  Le  Siger,  appendice,  tableau  n»  2. 


442     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  GBEUINS  DE  FER  TRANSSâHARIE!^S. 

que  Ton  a  faits  à  la  Seine  et  au  Rhône,  on  ne  parviendrait  pas 
à  réduire  au-dessous  de  150  ou  100  francs  la  tonne  le  trans- 
port à  TAllantique  des  marchandises  provenant  d'au-dessas 
de  Saï  et,  pour  obtenir  ce  chétif  résultat,  il  faudrait  une 
dépense,  peut-être  d*un  milliard,  à  coup  sûr  d'au  moins  cinq 
cents  millions,  c*est-à-dire,  au  cas  le  plus  favorable,  à  peu 
près  double  de  celle  qu'exigerait  la  construction  des  deux 
chemins  de  fer  transsahariens  du  Niger  et  du  Tchad.  Étant 
donné  que  le  fleuve  a  quatre  ou  cinq  fois  Tétendue  du  Rhône 
et  de  la  Saône  et  sept  à  huit  fois  celle  de  la  Seine^  sans 
compter  que  son  débit  est  beaucoup  plus  variable  et  incom* 
parablement  plus  faible  à  Tétiage,  une  dépense  de  cinq  cents 
millions  pour  le  rendre  approximativement  navigable  toute 
Tannée,  serait  certainement  insuffisante. 

Une  réflexion  du  même  genre  s'applique  aux  voies  mi- 
partie  ferrées,  mi-partie  fluviales,  surtout  quand  il  s'agit 
de  fleuves  à  débit  aussi  instable  que  ceux  de  TOuest  africain  : 
ces  voies  mixtes  ne  peuvent  servir  que  pour  le  transport  de 
marchandises  relativement  riches  ;  elles  sont  incapables  de 
desservir  économiquement  un  trafic  très  volumineux  et  de 
marchandises  de  peu  de  valeur.  La  voie  mixte  ferrée  et  flu- 
viale du  chemin  de  fer  dit  du  Soudan,  à  savoir  du  Sénégal 
au  Niger,  en  fournit  la  preuve.  On  sait  que  le  point  d'attache 
de  cette  ligne  ferrée  au  Sénégal  est  Kayes,  à  896  kilomètres 
de  Saint-Louis. 

«  Les  chalands  jaugeant  quelques  tonnes  peuvent  circuler 
en  toute  saison  jusqu'à  Kayes  »  ;  mais,  ce  ne  sont  pas  ces 
a  chalands  jaugeant  quelques  tonnes  >  qui  peuvent  faire  un 
transport  économique.  Les  chalands  ayant  50  centimètres  de 
tirant  d'eau  ne  peuvent  remonter  jusqu'à  Kayes  que  sept  mois 
de  l'année,  ceux  de  1°,20  que  quatre  mois  et  demi;  les  em- 
barcations calant  2  mètres  n'y  peuvent  arriver  que  pendant 
trois  mois  et  demi  et  celles  de  3  mètres  que  pendant  trois  mois; 
c'est  la  condamnation  de  tout  très  grand  trafic  régulier.  Si, 
au  lieu  de  Kayes,  on  prenait  pour  point  d'attache  de  la  ligoe 
ferrée  Bakel,  situé  à  123  kilomètres  en  aval,  mais  encore  à 


XCURRENCE  ENTRE  LES  VOIES  DE  L'OUEST  ET  LES  VOIES  DU  NORD.     445 

3  kilomètres  de  Saint-Louis,  on  n*aurait  que  des  condi- 
>ns  à  peine  meilleures.  Il  faudrait  pousser  la  ligne  ferrée 
le  actuellement  du  Soudan  tout  au  moins  jusqu'à  Dioul- 
^diabé,  à  576  kilomètres  en  aval  de  Kayes,  mais  encore  à 
!0  kilomètres  de  Saint-Louis,  pour  avoir  des  conditions  de 
ivigabili lé  franchement  meilleures,  quoique  encore  insufQ- 
intes.  L.es  chalands  de  50  centimètres  peuvent,  en  effets 
ioionler  à  Diouldédiabé  toute  Tannée,  ceux  de  1",20  pendant 
euf  mois  et  ceux  de  2  mètres  pendant  huit  mois;  les  navires 
e3  et  5  mètres  y  peuvent  accéder  pendant  cinq  mois  (1). 
lela  se  prêterait,  sans  doute,  à  des  transports,  mais  non  à 
►as  prix;  la  voie  mi-partie  ferrée,  mi-partie  fluviale,  rendrait 
les  services  appréciables,  mais  insuffisants. 

Le  fâcheux  état  de  la  navigabilité,  nous  ne  disons  pas 
ie  la  navigation,  du  Sénégal  est  constaté  par  tous  les  docu- 
ments récents  et  toutes  les  études  des  hommes  spéciaux;  le 
danger  delà  Qèvre  jaune  s'y  joignant,  ainsi  que  les  fièvres 
paludéennes  endémiques,  il  en  résulte  que  cette  voie  mi-flu- 
^îale,  mi-ferrée,  pourra,  sans  doute,  avoir  une  sérieuse  utilité 
locale,  mais  qu'elle  ne  pourra  jamais  servir  de  voie  de  péné- 
tration efficace  dans  le  Soudan  de  Ségou  à  Saï  et  à  plus 
forte  raison  à  Test  de  Saï. 

Le  rapport  fait  à  la  fin  de  1903,  au  nom  de  la  commission 
du  budget  de  1904,  par  M.  Thierry,  député  (2),  sur  la  voie 
îerrée  de  Kayes  au  Niger,  contient  des  constatations  confir- 
mant les  observations  qui  précèdent  : 

«  Cette  voie  ferrée,  qui  doit  présenter  un  développement 
total  de  560  kilomètres  entre  Kayes  et  Koulikoro,  point 
situé  sur  le  Niger,  en  aval  des  rapides  de  Bammako  et  en 
lèle  du  bief  de  Bammako,  a  subi  de  nouveaux  relards  en 
1900,  y  est-il  dit,  par  suile  de  la  fièvre  Jaune  au  Sénégal  et 


(l)  Voir  une  élude  détaillée  sur  V Amélioration  des  voies  navif/ables  en 
Afrique  occidentale,  Bulletin  mensuel  du  Comité  de  l'Afrique  française,  livraison 
de  décembre  1903,  page  378  et  suivantes. 

\î)  Rapport  fait  au  nom  de  la  Commission  du  budget  chargée  d'examiner  le 
projet  de  loi  portant  fixation  du  budget  général  de  Vexercice  t904  (Ministère 
uEs  COLONIES.  Chemin  de  fer  de  Kayes  ai:  Niger),  par  M.  J.  Thierry,  député. 


444     LE  SAHARA,   LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHAEII£>% 

au  Soudan  et  par  r absence  de  crue  du  fleuve  Sénégal,  Celh 
dernière  circonstance  a  empêché  le  transport  à  Kayes  rfa 
matériel  expédié  de  France  et  qui  est  resté  en  dépôt  à  Sainl 
Louis.  On  a  dû,  dès  lors,  renoncer  à  poursuivre  la  pose  d 
la  voie  concurremment  avec  Tavancement  des  travaux  d'iol 
frastructure,  mais  Ton  a  donné  une  impulsion  plus  vive  ain 
travaux  de  terrassements  afin  de  compenser    la   perte  dl 
temps   résultant  du   retard   de  la    superstructure.    Aa$\ 
espère-t-on^  si  pendant  la  période  de  crue  de  1903  les  IranM 
ports  différés  peuvent  être  effectués^  que  le  programme  priJ 
mitif  pourra  se  réaliser  avec  un  délai  supplémentaire  dJ 
dépassant  pas  six  mois.  Dès  lors,  Tachèvemeat  définitif  dJ 
chemin  de  fer  jusqu'à  Koulikoro  et  sa  mise  ea  exploitation  1 
auraient  lieu  dans  le  premier  semestre  de  1905.  »  | 

On  comprend  combien  précaire  est  une  voie  de  cette  na-  | 
ture.  Le  rapport  fait  au  Sénat  par  M.  Saint-Germain,  sénateur  | 
d'Oran,  sur  la  même  œuvre,  donne  des  détails  encore  plus 
topiques  sur  les  effets  de  la  fièvre  jaune  et  de  rinsuffisancf 
de  crue  du  fleuve  ;  voici  comment  il  s'exprime  :  «  Les  res- 
sources mises  à  la  disposition  du  chemin  de  fer  par  la  loi  du 
4  mars  1902,  et  qui  sont  réalisées  annuellement  conformé- 
ment aux  prévisions  budgétaires,  seront  très  vraisemblable 
ment  suffisantes  pour  achever  la  construction  jusqu'au  ter- 
minus de  Koulikoro.  Il  ne  pourrait  y  avoir  insuffisance  que 
dans  le  cas  où,  contrairement  aux  prévisions  de  l'Adminis- 
tration, le  Conseil  d'État  trancherait  en  faveur  des  Sociétés 
de  transport  un  litige  actuellement  pendant.  //  s'agit,  dans  ce 
litige,  du  matériel  {environ  20000  tonnes),  que  ces  Sociilés 
auraient  dû  transporter^  en  190S^  Jusquà  Kayes,  mais 
quelles  ont  laissé  à  Saint-Louis,  en  raison  de  linsuffisance 
de  crue  du  fleuve,  »  Et  le  rapporteur  sénatorial  revient  à 
plusieurs  reprises  sur  ces  deux  obstacles  :  fièvre  jaune  e( 
insuffisance  de  crue,  à  propos  de  l'avancement  des  travaux  : 
«  D'après  les  derniers  renseignements  reçus,  tout  le  maté- 
riel nécessaire  pour  atteindre  Bamako,  sur  le  Niger,  matériel 
qui  était  resté  en  dépôt  à  Saint-Louis  en  1902  par  suite  de 


CONCURRENCE  ENTRE  LES  VOIES  DE  L'OUEST  ET  LES  VOIES  DU  NORD.     445 

[insuffisance  de  crue  du  fleuve  Sénégal^  est  actuellement 
à  Kayes.  La  pose  de  la  voie  a  recommencé  le  1"  octobre. 
L  impulsion  communiquée  aux  chantiers  permet  de  compter 
sur  une  vitesse  mensuelle  d'avancement  dans  la  pose  de 
12  kilomètres  environ.  La  plate-forme  a  atteint  Bamako.  Il 
ne  reste  plus  que  40  kilomètres  pour  atteindre  le  ter- 
minus de  Koulikoro  sur  le  bief  navigable  du  Niger.  On  peut 
compter  que  le  rail  sera  à  Bamako  à  la  fin  de  1904.  Il  attein- 
dra Koulikoro  dans  le  courant  de  1905,  sauf  événemenl  im- 
prévu {fièvre  jaune,  insuffisance  de  crue).  Grâce  aux  disposi- 
tions prises  par  le  directeur  des  chemins  de  fer  et  à 
limpulsion  imprimée  aux  chantiers,  on  aura  regagné  le 
relard  de  la  fièvre  jaune  et  l'insuffisance  de  crue  en  1902.  » 

Tous  ceux  qui  s'intéressent  à  cette  voie  sont  donc  très 
préoccupés  de  ces  obstacles  :  le  faible  débit  des  eaux  et  les 
graves  maladies,  notamment  la  fièvre  jaune.  Néanmoins, 
cette  voie  ferrée,  quoique  exploitée  seulement  en  1902  sur 
3.30  kilomètres  environ,  au  lieu  de  560  qui  doivent  la 
constituer  intégralement,  donne  déjà  un  trafic  supérieur  aux 
prévisions  ;  pour  le  premier  semestre  de  1903,  les  recettes, 
d  après  le  rapport  de  M.  Saint-Germain,  se  sont  élevées  à 
295277  francs,  soit  1440  francs  environ  par  kilomètre,  cor- 
respondant à  près  de  3000  francs  par  an,  et  le  rapporteur 
sénatorial  ajoute  : 

c  Les  prévisions  budgétaires  pour  1903  s'élevant  à 
801000  francs,  on  a  donc  réalisé  pendant  le  premier  semestre 
1903 plus  delà  moitié  de  la  fixation  budgétaire,  et,  cepen- 
dant, les  conditions  ont  été  défavorables,  les  négociants 
n'ayant  pu,  par  suite  de  Tinsuffisance  de  crue  en  1902,  re- 
nouveler leurs  approvisionnements,  d*où  est  résultée  une 
pénurie  de  transports  à  la  montée.  Ces  résultats  provisoires 
ne  peuvent  encore  donner  une  idée  du  mouvement  commer- 
cial à  prévoir,  les  courants  de  trafic  ne  pouvant  s'établir  que 
lorsque  la  voie  ferrée  sera  en  exploitation  jusqu'au  Niger.  » 
Tout  en  tenant  compte  de  ce  que  les  transports  destinés  à  la 
construction  de  la  voie  ont  contribué  dans   une  certaine 


446     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHASIDS. 

mesure  à  ces  recettes  relativement  satisfaisantes,  on  nepeoi 
pas   ne  pas    être  frappé    de   ce  que  les  recettes  propres 
au  commerce,  d*aprës  les  tableaux  graphiques  insérés  dans 
les  rapports  de  MM.   Saint-Germain  et  Thierry,  sont  dêj^ 
notables  et  en  ascension  continue.  Le  rapport  de  M.  Thiern 
est  très  net  à  ce  sujet;  voici  comment  il  s^exprime:  c  Le5^^ 
cettes  de  l'exploitation  de  1902  se  sont  élevées  à  757433  fr . 
supérieures  de  106434  francs  aux  prévisions  budgétaires  qui 
étaient  de  651 000  francs.  Cette  augmentation  a  été  due  eu 
grande  partie  à  Taccroissement  des. recettes  commerciales 
tant  pour  les  voyageurs  que  pour  les  marchandises  ;  on  peut 
espérer  qu*elle  se  reproduira  dans  les  années  suivantes  et  que 
le  chemin  de  fer  de  Kayes  au  Niger,  une  fois  achevé,  poorra 
équilibrer  ses  recettes  et   dépenses.  Cette  perspective  esl 
une  raison  de  plus  pour  presser  Tachëvement  de  cette  lign^ 
qui,  après  avoir  passé  par  tant  de  tribulations,  se  préseoie 
enfin  comme  voisine  de  son  achèvement  et,  qui  mieux  est. 
comme  rémunératrice.  » 

Ainsi  voilà  une  voie  mi-partie  fluviale,  mi-partie  ferrée. 
certes  dans  des  conditions  peu  favorables,  qui  va,  néanmoins, 
être  rémunératrice^  c'est  le  mot  dont  se  sert,  et  avec  raison, 
selon  nous,  le  très  compétent  député  de  Marseille,  rappor- 
teur à  la  Chambre  :  c'est  une  preuve  de  l'importance  des 
ressources  du  Soudan,  quoique  cette  voie  ne  ^atteignepa^ 
encore,  quoiqu'elle  n'en  doive  desservir  qu'une  région  assci 
limitée  et  quoique,  enfin,  les  richesses  du  Soudan  soient 
actuellement,  notamment  en  ce  qui  concerne  les  plantations 
de  coton,  pour  la  plus  grande  partie  indéveloppées  (Voy. 
plus  haut,  pages  365  à  368). 

Celte  voie  mi-partie  fluviale,  mi-partie  ferrée,  alors  même 
qu'elle  sera  rémunératrice,  comme  tout  le  fait  penser,  ne 
constituera  jamais  qu'un  instrument  grossier  et  insuffisant. 
Une  preuve  nouvelle  en  est  fournie  par  les  péripéties  du 
voyage  qu'effectue  sur  le  Sénégal,  au  moment  où  nous 
écrivons,  le  gouverneur  général  de  l'Afrique  occidentale, 
M.  Roume,  avec  un  groupe  d'ingénieurs,  de  fonctionnaires 


CO.NCURRENCE  ENTRE  LES  VOIES  DE  L'OUEST  ET  LES  VOIES  DU  NORD.      447 

et  de  publicistes;  voici  comment  un  de  ces  derniers,  fort 
connu  par  de  nombreuses  tournées,  notamment  au  Tonkin 
et  sur  tous  les  bords  de  TAfrique,  Madagascar,  Congo,  ac- 
tuellement Soudan,  M.  Pierre  Mille,  raconte  dans  le  Temps 
du  6  janvier  1904,  un  accident  qui  advint  au  navire  le  Bor- 
gnis-Desbordes  portant  M.  Roume  et  sa  suite  ;  nous  reprodui- 
sons son  récit  en  en  élaguant  les  passages  purement  humo« 
ristiques: 

t  II  était  six  heures  du  matin.  Le  Borgnis-Desbordes 
remontait  assez  vaillamment  les  eaux,  fort  calmes  en  appa- 
rence, du  fleuve  Sénégal.  Le  Borgnis-Desbordes  heurta 
brusquement  de  sa  quille  contre  le  fond  de  la  rivière,  fit  un 
petit  bond  pour  se  dégager,  n*y  parvint  point  et  enfin  s'arrêta 
sur  un  rocher,  où  il  demeura  parfaitement  immobile,  mais 
penché  mélancoliquement  sur  tribord,  comme  un  bateau  un 
peu  honteux.  Il  n*y  avait  pourtant  pas  de  sa  faute  :  les 
navires  calant  plus  de  1™,85  ne  peuvent  dépasser  le  seuil  de 
Mafou  que  durant  trois  mois  de  Tannée.  Or,  le  bief  de  Mafou 
n*est  qu'à  316  kilomètres  de  Saint-Louis,  et  il  s'en  faut 
encore  de  250  kilomètres  avant  qu'on  ait  atteint  Kayes  (1), 
point  terminus  du  chemin  de  fer  du  Soudan.  Et  c'est  à  Kayes 
qu'il  faut  arriver,  car  les  rives  du  Sénégal  ne  fournissent 
qu'un  commerce  insignifiant  :  il  n'y  a  que  le  Soudan  qui 
rapporte.  Conséquence  :  le  chemin  de  fer  de  Kayes  au  Niger 
ne  servira  que  fort  peu  durant  huit  mois  de  l'année,  car  les 
marchandises  qu'il  aura  transportées  jusqu'au  Sénégal  ne 
pourront  guère,  pendant  ces  huit  mois,  naviguer  sur  le 
fleuve  qu'en  chalands  tirés  à  la  cordelle.  Il  faut  donc  aviser. 
Après  examen,  il  a  été  décidé  que  couper  le  fleuve  par  des 
barrages  à  écluses  serait  un  travail  gigantesque,  infiniment 
coûteux»  et  qui  ne  «  paierait  »  pas.  Le  tonnage  annuel  de  la 
navigation  ne  justifie  point  de  tels  frais. 

«...  Reste  donc  à  baliser  le  fleuve,  tel  qu'il  est,  à  en  établir, 

|1)  Il  doit  y  avoir  dans  In  récit  du  Temps  une  faute  d'impression,  car,  d'après 
l'élude  précitée  sur  Yamélioration  des  voies  navu/ables  en  Afrique  occidentale 
{Bulletin  du  Comité  de  l'Afrique  française,  décembre  1903,  page  370),  Mafou 
est,  non  pas  à  250  Itilomètres,  mais  à  571  kilomètres  do  Kayes. 


448     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIENS. 

sur  la  carte,  le  chenal  navigable.  C*esl  une  opération  minu- 
tieuse, que  le  lieutenant  de  vaisseau  Mazeran  espère  avoir 
terminée  au  mois  de  juillet  prochain  Mais  il  faut,  de  plus, 
trouver  un  type  d*embarcation  à  moteur  mécanique  sufli- 
samment  rapide,  et  d*un  très  faible  tirant  d*eau.  Ce  type 
n*est  pas  encore  fixé.  Les  «  mono-roues  »  que  radminislra- 
tion  a  mis  sur  le  fleuve,  et  qui,  une  fois  chargés,  enfoncent  dans 
Teau  de  plus  d*un  demi-mètre,  ne  peuvent  remonter  jusqu'à 
Kayes  dès  que  les  eaux  ont  baissé.  Tant  bien  que  mal,  sui- 
vant la  saison,  ils  arrivent  jusqu'à  Tamboukané,  ou  jusqu'à 
Sébékou,  ou  jusqu'à  Bakel,  et  finissent  par  s^arréler  plus 
bas  encore.  Quand  ils  s*ensablent,  tout  le  monde,  y  compris 
votre  serviteur,  se  jette  à  l'eau  et  les  pousse  par  derrière,  par 
devant,  par  tribord,  par  bâbord,  jusqu'à  ce  que  le  bon  petil 
navire  ait  consenti  enfin  à  céder  à  de  si  pressantes  sollicita- 
tions. Restons  donc  dans  le  domaine  des  possibilités  écono- 
miques :  quel  sera  le  prix  de  revient  de  la  tonne,  de  Kayes  à 
Saint-Louis,  sur  des  embarcations  qui  pourront,  au  maxi- 
mum, transporter  une  trentaine  de  tonnes  et  devront  payer 
cependant  leur  amortissement,  leur  charbon  ou  leur  pétrole, 
leur  assurance  annuelle,  leur  patron  et  leur  équipage?  Ils 
pourraient  remorquer,  il  est  vrai,  deux  petits  chalands. 
Pourtant,  d'après  un  calcul,  il  en  coûterait  plus  de  200  francs 
pour  traîner  de  la  sorte  1 000  kilogrammes  du  point  terminus 
actuel  du  chemin  de  fer  du  Soudan  jusqu'à  Saint-Louis.  Il 
faut  également  considérer  qu'au  mois  de  mai,  au  barrage  de 
Tamboukané  par  exemple,  il  ne  reste  pas  10  centimètres 
d'eau  sur  le  seuil  du  fleuve.  Mais  entre  ces  barrages,  il  y  a 
des  biefs  profonds  ;  le  travail  d'aménagement  d'un  chenal 
donnerait  par  conséquent  des  résultats  utiles  :  on  ne  courrait 
pas  le  risque  de  voir  toute  l'eau  du  bief  supérieur  dans  celui 
du  dessous  :  ce  qui  contribuerait  à  transformer  en  opération 
de  dessèchement  un  travail  ayant  pour  but  le  creusement 
d'un  canal  navigable.  L'hydraulique  a  de  ces  surprises.  La 
solution  pratique  consiste  donc  à  découvrir  un  type  de  re- 
morqueur à  faible  tirant  d'eau,  pouvant  traîner  après  lui  des 


aPÉRIORITB  DES  TRANSSAHARIENS  SUR  LES  VOIES  CONCURRENTES.     449 

halands  portant  au  moins  150  tonnes.  Si  les  conclusions 
le  Tétude  à  laquelle  on  se  livre  en  ce  moment  sont  néga- 
ives,  avant  d'entreprendre  la  construction  d'un  nouveau 
'.hemin  de  fer,  se  dirigeant  à  peu  près  directement  de  Kayes 
I  Dakar  —  700  kilomètres,  qui  coûteraient  70  millions  —  on 
Dourra  peut-être,  tout  simplement,  prolonger  le  chemin  de 
fer  du  Niger  au  Sénégal  jusqu'à  Bakel.  » 

Il  est  clair  qu'un  fret  de  200  francs  la  tonne,  ou  même,  en 
admettant  qu'on  parvint  à  le  réduire  notablement,  de 
loO  francs  la  tonne,  auquel  se  joindraient  les  frais  de  la 
navigation  sur  le  Niger  et  du  transit  sur  les  560  kilomètres 
ferrés  de  Koulikoro  à  Kayes,  tout  en  permettant  d'exporter 
une  certaine  quantité  de  marchandises  soudanaises,  resterait 
encore  bien  excessif.  Puis,  même  à  ce  prix,  il  ne  pourrait  pas 
y  avoir  une  navigation  très  active  sur  ce  fleuve  si  peu  fourni 
d'eau  ;  il  pourrait  se  prêter  à  un  trafic  de  quelques  dizaines 
de  mille  tonnes,  non  de  cent  ou  deux  cent  mille,  à  plus 
forte  raison  d'un  million  de  tonnes.  Cette  maigre  voie  serait 
vite  encombrée. 

M.  Pierre  Mille  signale  aussi,  en  son  style  pittoresque, 
Tautre  grand  obstacle  des  contrées  ouest-africaines,  et  dont 
le  Sahara,  ce  qui  constitue  pour  lui  un  avantage  incom- 
mensurable, est  absolument  exempt  :  la  fièvre  jaune  et  en 
plus  les  fièvres  pernicieuses  :  «  Et  puis,  dit-il,  la  fièvre  jaune 
est  venue,  elle  a  passé  sur  le  Sénégal  sa  faux  et  son  balai. 
Une  partie  des  Européens  est  au  cimetière,  l'autre  a  fui. 
Une  nouvelle  administration  est  arrivée,  qui  a  trouvé  table 
rase,  dans  des  bâtiments  presque  en  ruines.  Les  tables  rases 
ont  du  bon.  Les  ruines  aussi  :  on  les  abandonne!  Mais  il  ne 
faudrait  cependant  pas  qu'après  chaque  épidémie  l'Afrique 
occidentale  tout  entière,  dirigée  du  Sénégal,  ressemblât  à 
un  cataleptique  qui,  à  chaque  réveil,  ne  se  rappellerait  rien 
de  son  existence  antérieure.  Avant  toutes  choses,  peut-être, 
il  est  nécessaire  de  résoudre  ce  problème  :  rendre  l'Afrique 
habitable  aux  blancs.  Après  quoi  il  faudra  s'occuper  de  la 
peupler  de  noirs.  Ce  n'est  peut-être  pas  aussi  commode  qu'où 

29 


450     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIE^E. 

le  croit.  Il  meurt  au  moins  autant  de  petits  nègres  que  de 
petits  Chinois,  bien  qu'on  ne  les  abandonne  point  au  boni 
des  fleuves.  C'est  la  faute  de  leur  père,  de  leur  mère  et  di 
pays,  qui  ne  sont  pas  sains,  les  uns  ni  Tautre.  Et  quant  ac 
pays,  la  fièvre  paludéenne  s'y  promène  sur  les  ailes  des 
moustiques.  On  se  figure  qu'elle  ne  frappe  que  les  Euro- 
péens :  c'est  une  erreur.  Elle  fait  mourir  aussi  un  nombre 
incalculable  de  petits  nourrissons  noirs  ;  et  si  ceux  qui  sur 
vivent  n'ont  plus  la  fièvre,  c'est  qu'ils  sont  vaccinés,  ou  i 
peu  près.  C'est  même,  la  plupart  du  temps,  chez  les  noirs 
impaludés  que  les  moustiques  vont  chercher  Thémaiozoaire 
de  la  fièvre,  qu'ils  vont  ensuite  inoculer  aux  blancs.  Ainsi 
du  moins  le  proclame  la  science  (1)-  » 

Au  lieu  de  dépenser  des  sommes  très  considérables  à 
l'aménagement  du  Sénégal,  il  serait  plus  simple  et  plus  pro- 
fitable d'exécuter  un  chemin  de  fer  reliant  Kayes,  point  de 
départ  de  la  ligne  dite  du  Soudan,  à  un  point  de  la  iigfle 
actuelle  de  Dakar  à  Saint-Louis  ;  ce  seraient  650  à  700  kilo- 
mètres environ  à  construire  qui  ne  devraient  pas  coûter  plos 
de  35  à  40  millions  de  francs  (2)  ;  vraisemblablement,  ao 
bout  de  quelque  temps  d'exploitation,  cette  ligne  deviendrait 
rémunératrice,  comme  l'est  actuellement  la  ligne  de  Saint- 
Louis  à  Dakar  (3).  Le  chemin  de  fer  du  Soudan  de  Kouli- 
koro  sur  le  Niger  à  Dakar  aurait  ainsi  environ  1 300  kilo- 
mètres, soit  560  kilomètres  de  Koulikoro  sur  le  Niger  à 
Kayes,  650  à  700  kilomètres  approximativement  de  Kayes  à 
un  point  de  la  ligne  Dakar^Saint-Louis  et  50  à  60  kilomètres 
sur  cette  dernière  ligne.  Cette  ligne  ferrée  rendrait  de  gi^d^ 
services  ;   elle   pourrait  recueillir  le  trafic  des  biefs  supè- 


(1)  Le  Temps  du  6  janvier  1904,  2*  page,  4®  et  o«  colonnes. 

(2)  M.  lierre  Mille  dit  plus  haut  cent  millions,  mais  Texpérience  des  derni'> 
chemins  de  fer  africains  prouve  que  l'on  ne  devrait  pas  dépasser  53 Ou>i  ^ 
60000  francs  par  kilomètre. 

(3)  La  ligne  de  Dakar-Saint-Louis,  après  quelques  années  de  médiocre  pro- 
ductivité, est  devenue  très  rémunératrice  depuis  1901.  La  Compagnie  pt^ul  ^^ 
seulement  se  passer  de  la  garantie  de  TEtat,  mais  même  offèctuer  à  celui<oi  àr^ 
remboursements,  tout  en  portant  de  30  francs  à.  38  francs  le  dividende  par&ctioa 
de  500  francs  pour  chacun  des  exercices  1901,  1902  et  1903. 


UPâRIORITÉ    DBS  TRANSSAHARIENS  SUR  LBS  VOIES  CONCURRENTES.     451 

leurs  du  Niger,  à  savoir  de  Siguiri-Bamakou  et  une  partie 
le  celui  de  Koulikoro-Mopti,  point  situé  à  moitié  chemin 
tntre  Bamakou  et  Kabara»  port  de  Tombouctou.  Il  est, 
outefois,  certain  que  tout  le  trafic  du  Niger  moyen  de 
ilopti,  probablement  même  de  Ségou  à  Say,  sur  une  lon- 
gueur de  fleuve  de  800  à  1 000  kilomètres,  comprenant  la 
sphère  la  plus  propre  aux  cultures,  prendrait  le  Transsaharien 
3ccideQtal,  du  coude  du  Niger  à  Oran,  quand  celui-ci  serait 
exécuté.  Ce  transsaharien  occidental  n'aurait,  en  effet,  que 
I  000  kilomètres  environ  de  plus  que  la  voie  ferrée  Koulikoro- 
Kayes-Dakar;  il  aboutirait  en  pleine  Méditerranée,  et  la 
navigation  fluviale  serait  beaucoup  moins  longue  et  moins 
coûteuse  pour  aller  chercher  la  gare  terminus  de  ce  trans- 
saharien occidental  que  pour  remonter  à  Koulikoro. 

Il  n'en  résulte  pas  que  le  chemin  de  fer  dit  actuellement 
du  Soudan  n*aura  pas  une  sérieuse  utilité.  Il  suppléera  par- 
tiellement, quoique  très  insuffisamment,  au  Transsaharien 
occidental,  tant  que  celui-ci  ne  sera  pas  construit.  D'autre 
part,  il  captera  une  partie  du  trafic  des  biefs  supérieurs  du 
Niger,  surtout  de  celui  de  Koulikoro  à  Ségou,  sinon  à  Mopti, 
et  une  partie  du  traflc  du  bief  de  Siguiri-Bamakou,  quoiqu'il 
soit  possible  qu'une  fraction  de  ce  dernier  trafic  aille  à  la 
Ugne  ferrée  de  Konakri  (Guinée)  à  Kouroussa  (sur  le  haut 
Niger)  par  le  Fouta  Djallon,  qui  sera  beaucoup  plus  courte, 
ne  devant  avoir  que  650  à  700  kilomètres,  contre  1 300  environ 
de  la  ligne  du  Sénégal-Soudan  ;  cette  dernière  ligne  contri- 
buera encore  par  surcroît,  et  ce  ne  sera  pas  le  moindre  de 
ses  services,  à  mettre  en  valeur  le  Sénégal.  L'extension  des 
cultures,  le  long  de  la  ligne  Dakar-Saint-Louis,  et  la  grande 
productivité  actuelle   de  cette  voie  ferrée  sont  pleines  de 
promesses  pour  ses  prolongements. 

Toutes  ces  lignes  ferrées  seront  utiles  et  ne  se  feront  au- 
cunement une  concurrence  préjudiciable.  La  division  du  cours 
du  Niger  parles  rapides  en  un  certain  nombre  de  biefs  fera  en 
quelque  sorte  une  répartition  naturelle  du  trafic  entre  elles. 
Aucune  d'elles,  toutefois,  ne  pourra  remplacer  le  Transsa- 


452     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSARARIL^S. 

harien,  ni  atteindre,  même  de  loin,  à  son  importance.  Les 
chemins  de  fer  transsahariens  seront,  entre  tous  les  autres 
chemins  de  fer  de  l'Afrique  d'au-dessus  de  Téquateur,  les 
grandes  lignes  dominatrices. 

Nous  devons  mentionner,  avec  les  plus  vifs  éloges,  îâ 
prouesse  que  vient  d'accomplir  (fin  de  1903)  le  capilain'^ 
Lenfant  en  gagnant,  au  moment  des  inondations,  le  Charipar 
la  Bénoué  et  en  démontrant  que,  quelques  semaines  ou  quel- 
ques mois  par  an,  la  zone  entre  les  deux  fleuves  est  en  grandt 
partie  submergée.  C'est  là  une  précieuse  contribution  géo- 
graphique qui  pourra  avoir  des  conséquences  heureuses  a^. 
point  de  vue  cultural.  Mais  il  est  évident  que  ce  ne  sont  p»as 
des  pirogues  de  20  ou  30  centimètres  de  tirant  d*eau  ol 
même  des  chalands  de  50  centimètres,  ne  pouvant  servir. 
d'ailleurs,  que  quelques  semaines  par  an  et  interrompues  par 
un  portage,  qui  pourront  transporter  à  bas  prix  de  grande^ 
quantités  de  marchandises. 

Il  est  utile  de  reproduire  le  résumé  même,  sinon  officiel, 
du  moins  officieux,  du  rapport  de  la  belle  exploration  faite 
par  le  capitaine  Lenfant  pour  démontrer  que  la  voie  nou- 
velle, intéressante,  sans  doute,  et  qui  pourra  être  éventuel- 
lement utile  pour  d'autres  objets,  ne  peut  aucunement 
constituer  la  route  habituelle  et  normale  pour  les  relaUoiis 
économiques  entre  l'Europe  et  la  contrée  du  Tchad. 

Voici  en  quels  termes  le  Bullelin  du  Comité  de  rAfriqat 
française  rend  compte  des  résultats  de  l'exploration  Lenfant; 
il  s'agit  d'une  correspondance  provenant  de  la  Mission  : 

«  C'en  est  fait.  Nous  venons  de  constater  que  le  Tchad 
communique  bien  avec  l'Océan,  et  le  Benoît-Garnier^  notre 
bateau,  flotte  actuellement  sur  le  Ghari.  Certes,  un  naviga- 
teur du  Logone  peut  passer  bien  souvent  devant  la  plaine 
marécageuse,  suivie  d'une  mare  par  laquelle  nous  avons 
débouché  dans  cette  rivière,  sans  se  douter  que  c'est  là  la 
vraie,  la  meilleure  porte  d'entrée  pour  s'en  aller  du  Logone 
à  la  Bénoué  et  à  l'Atlantique;  et  c'est  ce  qui  explique  sans 
doute  que  les  officiers  et  les  explorateurs  circulant  dans  ces 


PÉRIORITÊ  DBS  TRANSSAHARIENS  SUR  LES  VOIES  CONCURRENTES.     453 

ira^es  ne  liaient  pas  découverte  plus  tôt.  Mais  nous,  qui 
unions  en  sens  inverse,  nous  ne  pouvions  la  manquer. 
«  Vous  connaissez  les  grands  traits  de  notre  route  :  Niger, 
énoué,  Mayo-Kabi,  Toubouri,  communication  entre  Tou- 
ouri  et  le  Logone,  Logone,  Chari.  En  voici  les  détails  tels 
ue  nous  les  avons  reconnus  : 
«  Le  Mayo-Kabi  circule  dans  une  plaine  bordée  de  hauteurs 
niformes  d'une  altitude  moyenne  de  110  à  115  mètres.  Cet 
spect,  quand  on  remonte  la  rivière,  dure  jusqu'au  village  de 
^ala,  à  80  kilomètres  de  Léré  (les  indications  des  cartes 
lans  cette  région  sont  sans  valeur).  De  Lata,  il  faut  faire 
ine  vin^aine  de  kilomètres  pour  gagner  le  Toubouri.  Ces 
^mgt  kilomètres  ont  été  la  partie  pénible  de  notre  voyage. 
Le  Toubouri  est  à  110  mètres  d'altitude  au-dessus  du  Kabi. 
La  rivière  sortant  du  Toubouri  s'engage  dans  les  gorges 
semées  de  rapides,  puis,  près  de  Lata,  elle  tombe  brusque- 
ment par  trois  cascades  successives  formant  un  gigantesque 
escalier  dont  le  spectacle  est  terrifiant  et  inoubliable.  La  cas- 
cade supérieure  a  une  dizaine  de  mètres  de  hauteur,  celle  du 
milieu  une  douzaine  de  mètres  et  la  cascade  inférieure  50  à 
60  mètres.  De  Lata  à  Gourounsi,  il  ne  peut  donc  pas  être 
question  de  navigation.  Il  y  a  une  journée  de  portage.  Nous 
avons  dû  démonter  le  Benott-Garnier  pour  le  transporter  au- 
dessus  delà  cataracte.... 

«  A  partir  de  Gourounsi  commence  le  Toubouri,  et  a  recom- 
mencé notre  navigation.  Le  Toubouri  est  un  marais  large  et 
profond  dont  les  rives  ont  à  peine  5  mètres  de  hauteur  et 
qui  a  100  kilomètres  de  long.  Il  présente  une  série  de  mares 
et  de  plaines  herbeuses  qui  constitueraient  des  rizières  splen- 
dides  entre  les  mains  des  Peuhls. 

«  La  communication  entre  le  Toubouri  et  le  Logone  est 
une  dépression  de  terrain  de  2  à  3  kilomètres  de  large  et 
dune  vingtaine  de  kilomètres  de  long  ressemblante  un  parc 
étroit  avec  des  pelouses,  des  arbres  et  des  villages.  Du  côté 
gauche  (en  montant)  existe  une  rivière  mal  tracée  à  travers 
désherbes  assez  espacées,  et  reliant  des  étangs  et  des  trous 


454  LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSARAaiE.NS. 

d*eau.  A  notre  passage,  la  crue  était  à  sa  fin-  A  en  juger  par 
les  pailles  laissées  dans  les  arbustes,  elle  a  dû  être  celle 
année  de  1  m.  38.  Elle  est  à  son  maximum  du  15  août  au 
i  "'  octobre  ordinairement,  c'est-à-dire  pendant  six  semaines. 
Durant  cette  période  des  vapeurs  calant  trois  pieds  d'eau  y 
circuleraient  à  Taise.  Et  du  20  juillet  au  25  octobre,  la  navi- 
gation y  est  possible  pour  des  chalands  calant  deux  pieds. 

«  En  résumé,  la  route  que  nous  avons  explorée  se  présente 
dans  les  conditions  de  viabilité  suivantes  :  de  Bordeaux  à 
Garoua,  quarante-cinq  jours  en  bateau  à  vapeur.  De  Garoua 
à  Lata,  six  jours,  avec  des  bateaux  calant  trois  pieds  et  longs 
de  30  mètres.  De  Lata  à  Gourounsi  pour  passer  du  Mayo- 
Kabi  au  Toubouri,  un  jour  de  portage.  De  Gourounsi  au 
Tchad,  neuf  à  dix  jours  de  chaland.  Ajoutez  huit  à  dix  jours 
pour  les  arrêts  en  route,  et  vous  verrez  que  par  cette  route 
on  peut  aller  de  Bordeaux  au  Tchad  en  soixante-dix  jours 
au  lieu  de  cinq  mois  qu'on  met  par  le  Congo.  Le  prix  de 
transport  de  la  tonne  ne  paraît  pas  devoir  revenir  à  plus  de 
500  francs  avec  1  à  2  p.  100  de  déchet,  au  lieu  de  2000  francs 
et  de  50  à  60  p.  100  de  déchet  par  la  voie  du  Congo  (1). 

Ainsi,  il  y  a  d'abord  une  interruption  de  navigation  et  un 
portage  durant  une  trentaine  de  kilomètres  ;  en  admettant 
que  ce  portage  soit  remplacé  ultérieurement  par  une  voie 
ferrée,  il  n'en  résultera  pas  moins  la  nécessité  de  deux  trans- 
bordements, au  commencement  et  à  la  fin  de  celte  voie  ferrée. 
En  second  lieu,  les  vapeurs  de  trois  pieds  d'eau,  ce  qui  est 
assez  modeste,  ne  peuvent  naviguer  qu'au  maximum  de  crue, 
c'est-à-dire  pendant  six  semaines  par  an,  du  15  août  au 
P'  octobre.  En  troisième  lieu,  les  chalands  calant  2  pieds, 
c'est-à-dire  des  embarcations  très  modiques,  ne  pourront 
circuler  que  pendant  trois  mois  et  cinq  jours.   En  dernier 
lieu,   sur  celte  route  qui  ne  pourra  servir  qu'un  tiers  de 
l'année,  le  prix  de  transport  est  évalué  à  500  francs  la  tonne, 
ce  qui  ne  peut  être  supporté  que  par  des  marchandises  d'une 
haute  valeur. 

(1)  Bulletin  du  Comité  de  VAfrique  française,  mars  1904,  p.  21. 


IPÉRIORITÉ    DES  TRÂNSSAHARIENS  SUR  LES  VOIES  CONCURRENTES.     455 

Il  ressort  manifestement  de  ces  conditions  que  la  voie 
écouverle  par  le  capitaine  Lenfant  ne  peut  aucunement 
ssurer  le  développement  économique  de  la  région  du  Tchad. 
Il  faut  une  voie  ouverte  toute  Tannée»  jamais  interrompue, 
l'exig^eant  qu'une  ou,  au  maximum,  deux  semaines  et  sur- 
out  abaissant  le  prix  de  transport  non  pas  à  500  francs  la 
onne,  non  pas  à  300  ou  200  même,  mais,  au  très  grand 
naxînium,  à  100  francs  et  pour  les  marchandises  les  plus 
communes  à  60  ou  70  francs,  sinon  à  50  ou  à  40,  parfois 
même  un  peu  au-dessous. 

La  voie  du  nord  seule  peut  remplir  ces  conditions.  Aussi 
TÂfrique  intérieure  est  indéveloppable,  tant  que  Ton  n*aura 
pas  rétabli  les  courants  du  trafic  dans  leur  sens  historique, 
en  profitant  des  découvertes  de  la  science  moderne,  c'est-à- 
dire  en  construisant  les  chemins  de  fer  transsahariens. 


CHAPITRE  V 
De  la  construction  et  de  l'exploitation  des  chemins  de  fer 

TRANSSAHARIENS.   —  ÉtAT  OU  COMPAGNIES  PRIVÉES  ? 

Conclusion. 


La  construction  et  Texploitation  des  chemins  de  fer  transsahariens  doit  être 
confiée  à  des  compagnies  privées. 

Deux  déplorables  exemples  de  la  construction  par  TÉtat  français  :  le  chemin  de 
fer  du  Soudan  (liaison  du  Sénégal  et  du  Niger),  long  de  560  kilomètres,  a  été 
construit  par  l'Etat  en  vingt-trois  ans,  avec  un  prix  triple  ou  quadruple  de  ce 
qui  eût  été  nécessaire;  la  petite  ligne  de  118  kilomètres  d'AIn-Sefra  àDuvev- 
rier,  dans  le  Sud-Oranais,  a  pris  neuf  ans  pour  sa  construction  par  TÉtat. 

La  continuation  de  cette  ligne  d'une  extrême  importance  économique  et  straté- 
gique subit  les  mêmes  lenteurs.  —  Gaspillages  parlemcntairement  constaté!, 
même  l'intérêt  militaire  le  plus  évident  ne  fait  pas  départir  TÉtat  de  ces  len- 
teurs. —  Trois  causes  de  ces  irrémédiables  lenteurs  de  l'État.  —  Questions  de 
trésorerie  qui  rendent  très  difficile  la  construction  par  l'État  français  de 
lignes  étendues. 

La  construction  par  l'État  russe  du  Transcaspien  et  du  Transsibérien  ne  saurait 
servir  d'argument  en  faveur  de  la  construction  par  l'État.  —  Il  est  reconnu 
aujourd'hui  (^ue.^si  méritoire  qu'ait  été  la  construction  de  ces  deux  grandes 
œuvres  de  l'Etat  moscovite,  elles  sont  entachées  de  beaucoup  de  lacunes,  dr 
défauts  et  de  prodigalités. 

Les  tracés  des  Transsahariens.  —  Prétention  de  dévier  au  sud  du  Maroc  et  ver> 
l'Atlantique  les  lignes  sud-oranaises.  — Grands  inconvénients  de  cette  déviation. 

Frais  énormes  et  soucis  que  cause  l'absence  des  Transsahariens.  —  Impossibilit'. 
sans  eux,  de  constituer  l'empire  français  africain.  —  Conclusion. 


La  construction  des  chemins  de  fer  transsahariens  devra 
être  confiée  à  des  compagnies  privées.  Ce  serait  la  vouer  à 
une  durée  indéfinie  et  en  ajourner,  par  conséquent,  indéfi- 
niment l'usage,  que  de  la  confier  à  TÉtat.  L'incapacité  de 
rÉtat  français  pour  la  construction  de  grands  chemins  de 
fer  coloniaux  est  amplement  prouvée,  théoriquement  et  pra- 
tiquement. Au  point  de  vue  pratique,  on  en  a  deux  lamen- 
tables exemples  :  d'un  côté  le  chemin  de  fer  dit  du  Soudan, 
ligne  de  jonction  du  Sénégal  au  Niger;  de  l'autre  côté,  le 
chemin  de  fer  sud-oranais  d'Aïn-Sefra  à  Béni-Ounif. 


CONSTRUCTION   PAR  VÈTkT  OU  PAR  DES  COMPAGNIES.  457 

Ces  deux  œuvres  exécutées  par  TÉtat  méritent  d'être  lé- 
gendaires, tellement  Teffroyable  lenteur  de  leur  construction 
dépasse  tout  ce  qu*on  pouvait  imaginer.  C'est  en  1882  qu'a 
été  commencé  le  chemin  de  fer  dit  du  Soudan,  de  Kayes  à 
Bamakou  sur  le  Niger,  devant  être  prolongé  d'une  cinquan- 
taine de  kilomètres  jusqu'à  Koulikoro  pour  tourner  des 
rapides  et  aboutir  à  un  autre  bief  du  fleuve.  Or,  de  Kayes  à 
Bamakou  la  distance  est  seulement  de  516  kilomètres;  on 
n'a  réussi  à  construire  en  moyenne  que  17  à  18  kilomètres 
par  an  :  la  ligne,  longue  jusqu'à  son  point  terminus  de 
560  kilomètres  environ,  ne  sera  achevée  qu'en  1905,  vingt- 
trois  ans  après  qu'on  l'a  commencée  :  on  n'a  guère  fait  plus 
d'une  vingtaine  de  kilomètres  par  an  en  moyenne.  Les  tra- 
vaux se  sont  ressentis  de  cette  prodigieuse  lenteur  :  le  capital 
engagé  dans  la  période  des  débuts  est  resté  vingt  ans  et 
plus  improductif,  le  chemin  de  fer  ne  devant  avoir  une  utilité 
considérable  qu'après  l'achèvement  de  la  jonction  des 
deux  fleuves,  Sénégal  et  Niger.  Outre  la  charge  résultant  de 
la  prolongation  de  la  période  d'improductivité,  il  faut  tenir 
compte  de  ce  que  l'interruption  fréquente  des  travaux  ou 
leur  ralentissement,  dans  cette  contrée  tropicale,  a  amené 
une  bien  plus  grande  usure  du  matériel  et  également  des 
éboulements  de  remblais  et  des  surcroîts  de  dépenses  de 
toute  espèce.  La  ligne  a  ainsi  coûté  trois  fois  au  moins  plus 
cher  qu'elle  n'eût  dû;  si  les  travaux  en  eussent  été  confiés 
dès  1882  à  une  compagnie  privée,  on  eût  pu,  avec  la  même 
dépense,  construire,  en  moitié  moins  de  temps,  c'est-à-dire 
en  une  douzaine  d'années,  non  seulement  les  560  kilomètres 
environ  de  Kayes  à  Koulikoro,  mais  en  plus  les  650  à  700  kilo- 
mètres environ  de  la  jonction  de  la  ligne  Dakar-Saint-Louis 
avec  celle  de  Kayes-Niger.  L'Ouest  africain  français  eût  été 
ainsi  doté,  dix  à  douze  ans  plus  tôt  et  sans  plus  de  dépenses, 
d'une  ligne  plus  que  double  en  étendue  et  constituant  un 
excellent  instrument  politique,  administratif  et  économique. 

La  même  incapacité  radicale  et  incurable  de  l'État 
français  comme  constructeur  de  lignes  ferrées  s'est  révélée, 


458   LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DB  FER  TRANSSAHARIENS. 

d'une  façon  tout  aussi  accentuée  et  condamnable,  dans  le 
Sud-Oranais.  La  compagnie  Franco-Algérienne,  aujourd'hui 
en  liquidation,  quoique  de  médiocre  importance  et  jouissant 
de  peu  de  prospérité,  avait  construit  très  rapidement  et 
économiquement  pour  le  temps,  le  chemin  de  fer  dit  da 
Kreider  au  sud  de  Kralfalla  jusqu'à  Méchéria  ;  celte  ligne 
avait  138  kilomètres;  en  1887  elle  construisit,  aussi  avec 
une  relative  rapidité,  les  102  kilomètres  de  Méchéria  à  Aîn- 
Sefra,  prolongement  des  lignes  précédentes.  D'autre  part, 
l'État  s'étant  chargé  de  la  construction  du  prolongement  de 
ces  lignes,  commença  en  1892  la  petite  ligne  de  84  kilomètres 
d'Aïn-Sefra  à  Djenien-bou-Resq  et  il  ne  parvint  à  la  livrer  à  la 
circulation  qu'en  1901  avec  le  prolongement  de  34  kilo- 
mètres de  Djenien-bou-Resq  à  Duveyrier,  soit  1 18  kilomètres 
construits  par  l'État  en  neuf  ans,  à  raison  de  moins  de 
20  kilomètres  par  an.  La  suite  de  cette  ligne  de  pénétration 
désertique,  d'une  suprême  importance  stratégique  et  poli- 
tique, en  attendant  que,  par  une  plus  grande  longueur,  elle 
puisse  avoir  une  importance  économique,  s'effectue,  par  les 
soins  de  l'État,  avec  la  même  lenteur.  Au  moment  où  nous 
revoyons  ces  hgnes  (juillet  1904),  l'État  n'a  livré  à  la  circu- 
lation, depuis  1901,  qu'un  nouveau  tronçon  insignifiant  de 
28  kilomètres  de  Djenien-bou-Resq  à  Beni-Ounif,  en  face  de 
Figuig.  Il  lui  reste  encore  200  à  250  kilomètres  à  construire 
pour  arriver  à  Igli,  point  capital  pour  la  sécurité  de  nos  pos- 
sessions algériennes,  encore  à  500  kilomètres  environ  de  nos 
oasis  du  Touat.  Cette  première  étape  nécessaire  de  200  à 
250  kilomètres  jusqu'à  Igli,  l'État,  s'il  ne  modifie  pas  sa 
méthode,  mettra  une  dizaine  d'années  ou  tout  au  moins  une 
demi-douzaine  à  l'accomplir.  Un  député  rapporteur  sur  l'Al- 
gérie à  la  Chambre,  M.  Darquet,  dans  son  rapport  au  nom 
de  la  Commission  du  budget  en  1903,  constatait,  après  Tavoir 
vu  de  ses  yeux,  que  le  matériel  de  construction  se  détériorait 
inutile,  que  les  remblais  inachevés  se  défaisaient  et  que  des 
sommes  importantes  étaient  ainsi  perdues.  Le  Bulletin  da 
Comité  de  l'Afrique  française  constate  d'autre  part,  pour  1904, 


CONSTRUCTION  PAR  L'ÉTAT  OU  PAR  DES  COMPAGNIES.  459 

que  les  travaux  sont  quasi  arrêtés,  en  ce  quiconcerne  un 
nouveau  tronçon  long  de  60  kilomètres  entre  Beni-Ounif  et 
Ben-Zireg,  quoique  la  dépense  soit  très  faible,  en  tout 
•2280000  francs  ou  seulement  38000  francs  par  kilomètre,  et 
que  d*autre  part  la  majeure  partie  du  matériel  de  la  voie  et  du 
matériel  accessoire  nécessaire  à  la  superstructure  (56  kilomè- 
tres sur  60)  soit  déjà  en  dépôt  à  Duveyrier  (1).  Ainsi,  dans  les 
mains  de  TËtat,  les  travaux  ne  se  font  pas  ou  traînent  indéfi- 
niment ;  ces  prodigieux  retards  se  produisent  même  quand 
Turgence  de  l'exécution  est  la  plus  manifeste.  Personne 
n'ignore  les  combats  désastreux  pour  nous  qui  ont  eu  lieu  dans 
Tété  et  l'automne  1903,  sur  ou  près  le  prolongement  projeté 
de  cette  ligne  sud-oranaise,  à  El-Moungar  et  Taghit.  La  voie 
ferrée  nous  les  eût  épargnés  en  nous  dispensant  de  longs  et 
coûteux  convois,  prêtant  à  des  surprises.  Elle  économiserait 
beaucoup  plus  que  l'intérêt  de  son  coût  et  le  montanl  de  ses 
frais  d'exploitation  sur  nos  dépenses  d'occupation  de  ces 

il)  Voici  le  passage  du  Bulletin  du  Comité  de  V Afrique  française  {livraison 
<ie  décembre  1!M)3,  page  381)  relatif  à  ce  tronçon  : 

«  La  voib  fkbkée.  —  Le  gouverneur  général  a  réussi  à  obtenir  du  Parlement 
les  crédits  nécessaires  pour  le  prolongement  du  chemin  de  fer.  Dans  les  crédits 
supplémentaires  demandés  pour  1903  (Chambre  des  députés,  n»  1258),  le  cha- 
pitre 69  (Etudes  et  travaux  du  chemin  de  fer  d'Aïn-Sefra  vers  Igli)  est  inscrit 
pour  2  400  000  francs. 

«  Sur  cette  somme  1400000  francs  s'appliquent  à  la  ligne  jusqu'à  Beni-Ounif 
I parachèvement  et  matériel  roulant),  et  un  million  au  tronçon  de  Beni-Ounif  à 
Ben-Zireg.  Ce  dernier  tronçon  aura  60  kilomètres  et  la  dépense  totale  est  éva- 
luée à  2  millions  280000  francs;  il  traversera  un  pays  à  peu  près  plat  et  n'exi- 
gera pas  d'ouvrages  d'art  importants.  La  majeure  partie  du  matériel  de  la  voie 
tît  du  matériel  accessoire  nécessaire  à  la  superstructure  (30  kilomètres  sur  60) 
^st  déjà  en  dépôt  à  Duveyrier.  Les  dépenses  prévues  se  répartissent  ainsi  : 
infrastructure.  900000  francs;  superstructure,  361960  francs;  bâtiments  (gares 
de  Ben-Zireg  etdeBen-Yala  ou  Bou-Aïch,  maisons  de  garde),  300  000  francs  ;  maté- 
riel roulant,  480  000  francs;  imprévus,  frais,  études,  etc.,  238  040  francs.  D'autre 
part,  le  chapitre  71  du  budget  du  ministère  des  travaux  publics  (Etudes  et  tra- 
vaux du  chemin  de  fer  d'Aïn-Sefra  vers  Igli)  a  été  voté  pour  le  budget  de  1904 
a  200000  francs.  Ce  chiCfre  est  fatalement  condamné  à  un  crédit  supplémen- 
taire, car  dans  le  rapport  de  M.  Bourrât  sur  les  garanties  d'intérêt  {Documents 
parlementaires,  n»  1214,  p.  243),  nous  lisons  avec  quelque  surprise  que,  dans 
une  note  remise  par  le  ministre  des  travaux  publics,  il  est  dit  que  «  aucun 
travail  ne  sera  entrepris  en  1904  sur  cette  ligne,  dont  le  point  terminus  est 
actuellement  fixé  à  Beni-Ounif  ».  Il  est  vrai  que  cette  note  est  du  25  juillet. 
Mais  le  chiffre  inscrit  et  voté  au  budget  de  1904  n'en  est  pas  moins  de  200  000  fr. 
seulement. 

«  Ajoutons  que  le  général  Lyautey  vient  de  procéder,  au  début  de  décembre, 
à  une  inspection  des  postes  de  laZousfana  et  du  Béchar.  » 


4(^0     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRAlCSSAfiAB1E5i 

contrées   désertiques  (1);  elle    aurait,    par   surcroît,  use 

(1)  Nous  extrayons  d'un  article,  publié  anonymement,  dans  la  Revne  dePs-t  \ 
du  l«f  janvier  1904,  sur  le  «  Combat  d'El-Moungar  »,  et  dû  manifestement  a  e-* 
homme  pratiquement  très  au  courant  de  ces  régions,  les  détails  qui  suiwnl,  U^ 
quels  montrent  l'énormité  et  suggèrent  le  coût  excessif  des  convois  de  rantaile- 
ment  en  l'absence  de  voies  ferrées.  Il  s*agit  du  convoi  dont  la  principak  se  - 
tion  fut  surprise  et  en  grande  partie  détruite  à  til-Moungar  le  2  septembre  1*»^ 
par  200  Bérabers  : 

«  Le  convoi  du  commandant  Bichemin  comprenait  900  chameaux  seulement 
marchaient,  en  outre,  avec  lui,  130  chameaux  environ  appartenant  k  des  parti- 
culiers; au  total,  1050  chameaux  :  chiffre  relativement  peu  élevé,  encoffi?* 
raison  des  milliers  d'animaux  qu'on  avait  été  habitué  k  voir  dans  le  Sad-^^ri 
nais,  à  la  suite  des  colonnes  expéditionnaires  opérant  dans  ces  régions  dep«.- 
plusieurs  années.  En  récapitulant  les  effectifs  indiqués  ci-dessus,  le  convoi  avii: 
pour  escorte,  à  partir  d'El-Moungar,  par  ordre  du  général  de  division  : 

«    t  compagnies  de  tirailleurs  algériens 330  fusils. 

«  1  compagnie  et  demie  de  la  légion  montée  à  mu- 
lets   350    — 

«    4  pelotons  de  spahis  algériens 90  carabineii. 

«  50  isolés  en  détachement  de  relève  destinés  aux 

postes  du  sud,  au  total  près  de 850  fusils. 

«  Non  compris  les  mokazénis,  c'est-à-dire  bien  près  d'un  fusil  par  chameau. 
Tout  ce  monde  boit,  mange  en  route,  et  l'exagération  même  des  eff^ectifs  <ît- 
vait  conduire  k  l'éparpillement.  Il  y  avait,  en  outre,  plus  de  100  chevaux  et 
180  mulets,  cela  boit  ferme.  Cette  agglomération  de  forces  autour  d'un  au>^î 
faible  convoi,  le  grand  nombre  d'hommes,  de  chevaux  et  de  mulets  qu'il  faUai! 
abreuver  chaque  jour,  le  faible  débit  des  deux  seuls  puits  existant  entre  El- 
Morra  et  Taghit,  sur  un  parcours  de  62  kilomètres,  tout  cela  allait  impo^^r 
le  fractionnement  du  convoi.  »  Ainsi  plus  de  1 330  chameaux,  chevaux  et  mukh 
et  830  fusils  ou  carabines  pour  un  a  faible  convoi  »  ;  «  chiffre  relativement  F« 
élevé  en  comparaison  des  milliers  d'animaux  qu'on  avait  été  habitué  à  voir 
dans  le  Sud-Oranais  à  la  suite  des  colonnes  expéditionnaires  opérant  dans^  oe* 
régions  depuis  plusieurs  années  »  ;  voilà  la  méthode  absolument  grotesque  et 
inqualifiable  que  suit  la  BYance  au  début  du  xx*  siècle,  ne  sachant  user  ni  de  1» 
voie  ferrée,  ni  du  télégraphe  avec  ou  sans  fils,  et  accumulant  ainsi  les  pertes  et 
les  dépenses,  celles-ci  bien  au  delà  de  ce  qu'eût  coûté  l'établissement  de  celle 
installation  moderne  essentielle  :  le  chemin  de  fer. 

«  Nous  avions,  cette  fois,  dit  l'auteur  auquel  nous  empruntons  ces  renseigne- 
ments, 36  morts,  dont  2  officiers,  les  seuls  présents  à  l'affaire...  et  48  blessée 
31  hommes  seulement  étaient  indemnes.  Parmi  les  animaux,  un  cheval  tué: 
un  cheval  blessé  ;  les  autres  s'étaient  échappés  ;  23  mulets  tués,  un  blessé  et  3» 
enlevés  par  l'ennemi  ;  82  chameaux  tués,  le  reste  du  convoi  enlevé  ou  disparu  ; 
25  fusils  1886  pris  par  J'ennemi,  qui  feront  d'autres  victimes  dans  nos  rangs 
à  une  prochaine  occasion,  et  4  800  cartouches  enlevées,  tel  était  le  bilan  de 
cette  funeste  journée.  »  «  Et  encore  se  trouvait-il  que  l'effectif  des  assaillant, 
de  180  à  200  au  plus,  était  à  peine  supérieur  au  peloton  attaqué.  »  Voy.  h 
Revue  de  Pans  du  !«••  janvier  1904,  pages  89,  90,  100  et  104. 

Douze  jours  auparavant,  le  20  août  1903,  nous  avions  eu  un  combat  sanglant 
du  môme  genre,  à  Taghit,  à  une  quarantaine  de  kilomètres  au  sud  d'El- 
Moungar.  Et  les  combats  sont  continuels  dans  cette  région.  Dans  un  autre.  \^ 
3  mars  1901,  à  El-Hamira,  toujours  contre  un  parti  de  Bérabers,  nous  eûmt^> 
2;)  tués,  dont  2  officiers,  et  49  blessés,  dont  3  officiers  {Revue  de  Pans,  Ibil, 
p.  104).  Et  tout  cela  coûte  énormément  cher  :  «  en  ce  qui  concerne  les  force» 
indigènes  auxiliaires  (goums  et  maghzens),  quand  l'un  d'eux  est  tué,  il  faut 
payer  1  000  francs  à  la  famille  ;  on  paie  300  francs  pour  les  blessés  »  {Ibid.,  p.  1(H» 


CONSTRUCTION  PAR  L'ÉTAT  OU  PAR   DES  COMPAGNIES.  461 

assez  grande  utilité  économique.  Et  cependant,  elle  ne  se 
fait  qu'à  pas  de  tortue  et,  faute  d'elle,  on  gaspille  non  seule- 
ment des  centaines  de  mille  francs,  mais  des  millions 
chaque   année. 

Le  secret  de  ces  lenteurs  de  TÉtat  est  triple  :  d'un  côté,  le 
désaccord  entre  différentes  administrations  ressortissant  de 
différents  ministères,  telles  que  les  administrations  rivales 
des  ponts  et  chaussées  et  du  génie  ;  d'un  autre  côté,  les  très 
minutieuses  formalités  de  comptabilité  et  autres,  l'impossibi- 
lité de  reporter  purement  et  simplement  un  crédit  d'un  exer- 
cice sur  un  autre  ou  de  le  virer  d'un  chapitre  sur  un  chapitre 
voisin;  en  troisième  lieu,  l'hésitation,  très  naturelle,  qu'é- 
prouve l'État  à  emprunter  des  sommes  d'une  moyenne 
importance,  de  peur  que  ces  emprunts  ne  soient  mal  inter- 
prétés ou  qu'ils  ne  pèsent  sur  les  cours  de  ses  rentes  ou  de 
ses  autres  effets  publics.  La  trésorerie  de  l'État  français  ne 
se  prête  pas  à  l'emploi  de  capitaux  modiques;  elle  ne  sait 
comment  se  les  procurer  et  n'use  que  des  ressources  exiguë?, 
toujours  discutées  et  précaires,  du  budget,  sans  savoir  les 
escompter  ;  ce  dernier  défaut  est  un  obstacle  insurmontable 
à  toute  grande  œuvre. 

En  escomptant  un  crédit  permanent  de  1  million  de  francs, 
au  lieu  des  2400000  francs  dont  parle  le  Bulletin  du  Comité 
de  rAfrique  française  dans  le  passage  cité  plus  haut,  une 
compagnie  privée  se  fût  assuré  25  à  28  millions  de  francs,  de 
quoi  construire  500  à  560  kilomètres  de  voie  ferrée,  au  prix 
aujourd'hui  bien  établi  de  50000  francs  par  kilomètre  ;  elle 

el  107»;  et  telle  est  la  prodigieuse  routine  française,  que  toutes  ces  pertes  et  ces 
échecs  ne  nous  amènent  pas  à  pousser  un  peu  vigoureusement  le  chemin  de 
fer,  comme  le  feraient  les  Anglais  et  les  Russes. 

A  un  autre  point  de  vue,  l'étude  de  la  Revue  de  Paris  confirme  tout  ce  que 
nous  avons  dit  du  désert;  elle  y  constate  de  la  végétation,  même  au  mois 
d'août.  Les  chameaux  «  marchent  isolément  sous  la  conduite  de  leurs  guides 
accoutumés,  broutaillant  dc-ci  de-là  les  maigres  touffes  des  arbustes  desséchés 
de  la  vallée.  Quand  on  s'arrête,  le  même  souci  des  animaux  fait  choisir  un  bon 
fond  à  proximité  de  quehiuc  pâturage  saharien...  Les  hommes  vont  ramasser 
des  broussailles  pour  faire  le  café  ;  ils  recherchent  quelques  touffes  d'herbes  à 
donner  aux  mulets...  L'ennemi  se  sert  comme  couvert  des  nombreuses  touffes 
qui  parsèment  le  sol.  «Tout  celafm  août  et  les  1"  et  2  septembre  [Ibid.,  pages  94. 
9oell01). 


462     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIENS. 

eût  ainsi  mené,  en  deux  ans  probablement,  le  chemin  de  fer 
sud-oranais  bien  au  delà  d*Igli  et  très  près  des  premières 
oasis  du  Touat.  Il  est  incontestable  que  TÉtat  y  eût  consi- 
rablement  gagné,  d*abord  par  la  sécurité  de  toute  cette  région, 
ensuite  par  Téconomie  des  convois  et  des  frais  d'occupation 
et  d'administration.  Mais  les  règles  et  la  comptabilité  de 
l'État  français  ne  se  prêtent  pas  à  l'escompte  d'un  crédit 
permanent  ;  de  là  son  infirmité  irrémédiable  pour  un  grand 
travail  public. 

L'exemple  souvent  invoqué  de  TÉtat  russe,  pour  les 
chemins  de  fer  transcaspien  et  transsibérien,  qu'il  a  con- 
struits lui-même,  est  loin  d'être  décisif.  Tout  en  applaudis- 
sant à  l'énergie  du  gouvernement  russe  qui  a  poussé  ces 
travaux  avec  une  très  grande  rapidité,  on  reproche  à  ces 
voies  d'avoir  été  trop  coûteuses  et  de  présenter  certaines 
lacunes  et  certains  défauts  qu'une  administration  privée  eût 
sans  doute  évités  (1). 

C'est  donc  à  des  compagnies  privées  qu'il  faut  confier 
l'exécution  des  chemins  de  fer  transsahariens,  tout  en  les 
contrôlant  pour  que  l'entreprise  ne  soit  pas  coûteuse  et  se 
trouve  bien  établie.  Des  compagnies  de  ce  genre  pourraient 
faire  en  cinq  ou  six  ans  et  en  sept  ou  huit  ans  respectivement 
les  1 700  et  les  2700  kilomètres  du  tracé  occidental  (Algérie- 
Niger)  et  du  tracé  oriental  ou  plutôt  central  (Algérie- 
Tchad). 

Nous  sommes  naturellement  amené  à  examiner  les 
questions  de  tracés  concernant  les  chemins  de  fer  transsa- 
hariens. Il  s'est  produit,  à  ce  sujet,  beaucoup  de  rivalités  : 
chaque  province  algérienne,  puis  aujourd'hui  la  Tunisie, 
prétend  avoir  chez  elle  le  point  de  départ  de  la  ligne.  Ces 
compétitions  n'ont  pas  été  pour  peu  de  chose  dans  le  retard 
apporté  à  l'exécution  de  l'œuvre.  La  solution,  cependant» 
est  facile  à  trouver  et  elle  s'impose  très  nettement.  II  y 
aura  certainement  et  il  doit  y  avoir  plusieurs  chemins  de  fer 

(1)  Voy.   l'ouvrage   de  M.    Pierre  Leroy-Beaulieu,  la  Rénovation  de  VAsk, 
Sibérie,  Chine,  Japon,  4«édit.,  Paris  1904,  pages  121  à  136. 


CONCLUSION.  46$ 

transsahariens  :  deux  notamment,  tous  deux  utiles  et  pro- 
ductifs, quoique  de  valeur  inégale. 

N'oublions  pas  d'abord  qu'un  chemin  de  fer  transsaharien 
ne  doit  pas  être  une  œuvre  algérienne,  ni  une  œuvre  tuni- 
sienne ;    c'est,  dans  toute  la  force  de  l'expression    anglo- 
saxonne,  une  œuvre  impériale.  Les  voies  ferrées  à  construire 
à  travers  et  au  delà  du  désert  doivent  être,  en  {)remier  lieu, 
des  instruments  politiques  et  stratégiques,  reliant  les  trois 
tronçons  de  notre  futur  empire  africain,  qui  n'existe  encore 
qu'en  embryon  informe  et  dispersé  :  ces  voies  doivent  cons- 
tituer définitivement  cet  Empire,  nous  permettre  notamment 
d'établir  efflcacement  notre  souveraineté  sur  le  Ouadaï,  le 
Barghirmi,  c  est-à-dire  qu'il  est  indispensable  que  la  voie 
principale  se  rapproche  le  plus  possible  de  ces  contrées  encore 
insoumises  et  formant,  avec  nos  postes  de  l'Oubanghi,  l'ex- 
trême Est  de  notre  domaine  de  l'Afrique  centrale.  Ainsi,  les 
environs  du  Tchad,  un  point  qui  ne  saurait  être  plus  éloigné 
à  Vouest  que  Zinder  et  qui  devra  peulrêtre  se  trouver  plus 
rapproché  du  grand  lac  africain,  voilà  le  point  d'aboutisse- 
ment nécessaire  du  premier  Transsaharien,  celui  auquel  nous 
pouvons  donner  le  nom  de  Grand  Central  Africain  ;  de  même 
que  sa  primauté  politique  et  stratégique  est  incontestable,  de 
même  aussi  sa  primauté  économique. 

Le  second  Transsaharien,  celui  de  l'Ouest  ou  de  TAlgérie- 
Niger,  a  aussi  une  incontestable  utilité  :  il  mérite  d'être 
construit  et  il  sera,  sans  doute,  construit  le  premier  parce 
qu'il  est  beaucoup  plus  amorcé,  que  la  longueur  à  construire 
est  relativement  modique,  environ  1 700  kilomètres,  et  que  le 
coût  en  est  peu  élevé,  au  grand  maximum  une  centaine  de 
millions  de  francs.  Nous  concédons  que  lés  circonstances 
actuelles  lui  confèrent  la  priorité,  et  nous  désirons  qu'on  se 
mette  immédiatement  à  l'œuvre,  pour  le  terminer,  ce  qui 
serait  aisé,  vers  1910  ou,  au  plus  tard,  avant  1912.  Mais  il  ne 
faudra  pas  s'arrêter  là  :  ce  premier  Transsaharien  serait 
insuffisant  pour  la  consolidation  de  nos  possessions  aux 
environs  et  à  l'est  du  Tchad  et  pour  la  mise  en  œuvre  de 


464     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIENS. 

TAfrique  intérieure.  Au  triple  point  de  vue  politique,  straté- 
gique et  commercial,  le  Transsaharien  principal  doit  avoir 
une  direction  différente.  Il  doit  s'enfoncer  en  quelque  sorte 
par  uue  ligne  droite  de  la  Méditerranée  vers  la  région  du 
Tchad,  soit  à  Zinder,  soit  entre  Zinder  et  ce  lac.  Voilà  le  pomi 
d'aboutissement  très  nettement  tracé.  Il  constituera  ainsi  le 
Grand  Central  Africain,  destiné  à  être  continué  tout  au 
moins  jusqu'à  TOubanghi  et  offrant,  par  son  plongement  ec 
plein  continent  et  son  aboutissement  en  pleine  Méditerranée 
occidentale,  une  utilité  incomparablement  plus  grande  que 
celle  du  chemin  de  fer,  dont  on  parle  tant,  du  Cap  au  Caire, 
lequel  suit  beaucoup  trop  la  côte  orientale,  zone  la  moins  riche, 
et  débouche  au  fond  le  plus  éloigné  de  la  Méditerranée. 

Le  point  de  départ  du  Transsaharien  du  Tchad  sur  cette 
mer  est  facile  à  trouver.  Au  point  de  vue  stratégique,  le 
Grand  Central  Africain  doit  partir  d'un  des  points  situés  à 
peu  près  au  centre  de  notre  Algérie-Tunisie,  de  manière  à 
n*ètre  pas  menacé  par  une  puissance  voisine.  Au  point  de 
vue  commercial,  il  faut  que  ce  transsaharien  mette  le  Soudan 
central  à  la  moindre  distance  possible  de  Marseille  et  de 
Paris  ;  il  doit  réaliser  la  formule  :  le  Soudan  central  à  cinq 
jours  ou  cinq  jours  et  demi  de  Paris,  à  six  jours  de  Londres, 
de  Bruxelles  et  six  jours  et  demi  de  Berlin.  Il  faut,  par 
conséquent,  que  le  Transsaharien  du  Tchad,  Grand  Central 
Africain,  aboutisse  à  Philippeville  et  à  Alger,  les  points  les 
plus  rapprochés  de  Marseille.  Cela  est  indispensable, 
notamment  si  Ton  veut  que  le  Transsaharien  ait  un  grand 
trafic  de  voyageurs. 

Ainsi,  la  région  du  Tchad  pour  point  d'arrivée,  Phi- 
lippeville ou  Alger,  plus  exactement  l'un  et  l'autre,  comme 
points  de  départ,  voilà  déjà  le  tracé  en  grande  partie  déter- 
miné de  la  voie  transsaharienne  allant  au  Tchad.  Il  convient, 
en  outre,  que  ce  transsaharien  suive  la  voie  la  plus  courte 
entre  Philippeville  ou  Alger  et  le  Tchad  ;  cette  voie,  c'est 
celle  par  laquelle  se  sont  faites  toutes  les  grandes  recon- 
naissances et  les  explorations,  à  savoir  la   voie  de  Biskra, 


GOiNGLUSION.  465 

largla,  Âmguid,  longeant  et  laissant  à  l'ouest  le  massifvol- 
Clique  du  Iloggar,  puis  desservant  les  vallées  fertiles  de 
..ïr  et  les  nombreuses  mines  ou  carrières  de  ce  pays  (1). 
est  le  tracé  le  plus  court,  celui  qui  a  toujours  paru  le  plus 
iurel;  on  y  rencontrera  les  nombreuses  oasis  de  TOued 
r,  puis  les  oasis  futures  que,  d'après  le  capitaine  Pein, 
I  pourrait  un  jour  créer  ou  améliorer,  ainsi  qu'il  a  été  dit 
us  haut,  en  pays  touareg  (voy.  p.  317  et  318);  on  longera 
s    contrées   sahariennes   centrales   qui   peuvent  contenir 
îs  richesses  minérales  ou  minières  ainsi  que  la  sebkha 
*Amadghor;   on  aura,  sur  le   parcours  méridional,  avec 
u  sans  un  embranchement  vers  l'est,  une  partie  des  trans- 
cris des  salines  de  Bilma  ;  on  pourra  également  transporter 
u  Soudan  le  sel  des  chotts  algériens  et  celui  de  France. 
!^ette  voie  a  toujours  été  recommandée  aussi  bien  par  les 
ailitaires  que  par  les  civils. 

Tout  chemin  de  fer  transsaharien  doit  être  aussi  court  que 
30ssible  :  il  doit  courir  directement,  du  point  de  départ  au 
point  d'arrivée,  sans  aucunes  déviations  que  celles,  si  c'est  in- 
lispensable,  qui  peuvent  être  motivées  par  de  grands  obstacles 
topographiques  à  éviter  ;  mais  il  est  peu  probable  que  des 
déviations  un  peu  importantes  soient  nécessaires.  Le  Trans- 
saharien oriental  notamment,  ou   Grand  Central  Africain, 
doit  se  diriger,  sans  détour,  au  moins  accentué,  de  Philippe- 
ville  à  la  région  du  Tchad,  par  Biskra,  Ouargla,  Amguid,  la 
sebkha  d'Amadghor,  J'Aïr;  il  aura  2600  à  2700  kilomètres  et, 
en  y  comprenant  les  lignes  algériennes  existantes,  3  000  kilo- 
mètres; ce  serait  une  folie  que  de  rallonger  en  rejetant  vers 
l'ouest  la  partie  supérieure.  Il  faut  imiter  les  Russes,  qui  ont 
cherché  pour  leur  Transsibérien  le  plus  court  trajet  possible 
et  qui  n'ont  pas  hésité  à  laisser  complètement  de  côté  l'an- 
cienne capitale  Tobolsk  et  à  ne  desservir  que  par  un  embran- 

(l)Nous  rappelons  que  dès  maintenant  on  est  assuré  qu'il  existe  près  de 
VAïr  (le  riches  gisements  de  cuivre  et  aussi  d'importantes  carrières  de  potasse, 
dont  il  se  fait  déjà,  mais  à  très  grands  frais,  et  par  conséquent  en  quantités 
limitées,  une  certaine  exportation  par  la  Nigeria  britannique.  Voy.  le  Bulletin 
du  Comité  de  l'Afrique  française,  février  liJOi,  page  61,  et  plus  haut  page  417. 

30 


466     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIENS. 

chement  la  ville  la  plus  importante  de  la  Sibérie,  Tomsk, 
afin  de  ne  pas  dévier  le  tronc  principal. 

Il  vaut  beaucoup  mieux  construire  successivement  deux 
Transsahariens,  tout  à  fait  séparés,  chacun  courant  aussi 
directement  que  possible  du  nord  au  sud,  que  de  conslituer 
un  tronc  commun  sur  lequel,  au  milieu  du  désert,  viendraient 
s'embrancher  deux   lignes.    Tune   vers   l'est,    l'autre  vers 
Touest.  On   allongerait  ainsi  de  400  à  500  kilomètres  au 
moins  chacun  des  parcours,  ce  qui  serait  une  énorme  faute 
Depuis  que  nous  avons  occupé  le  Touat,  en  1900  et  1901, 
on  aurait  dû  relier  ses  oasis  à  Oran,  par  un  chemin  de  fer 
spécial  qui  aurait  quelques  chances  non  seulement  de  faire 
ses  frais,  mais  de  donner  un  petit  revenu  net  ;   on  aurait 
ainsi  construit  la  moitié  environ  du  Transsaharien  occidental. 
Au  lieu  de  faire  le  détour  par  Béni-Ounif-Colomb-Béchar  e( 
Igli,  en  inclinant  ainsi  beaucoup  trop  vers  l'ouest  et  en 
allongeant  la  route,  rien  n'eût  été  plus  aisé  que  de  construire 
la  ligne  directe  du  Gourara  et  du  Touat,  allant  droit  du  nord 
au  sud,  à  partir  d'Aïn-Sefra  et  de  Mograr  ou  Moghar-Tahlani; 
cette  voie  aurait  suivi  par  Tabelkosa  la  ligne  des  caravanes. 
Un  homnie  très  au  courant   des  choses  du   Sud-Oranais, 
M.  A.  Le  Chôtelier,  a  établi   combien  il  était  regrettable 
d'avoir  abandonné  ce  tracé  direct  (1)  qui,  d'ailleurs,  était 
beaucoup  plus  à  l'abri  des  attaques  des  Bérabers  et  autres 
tribus  belliqueuses,  situées  beaucoup  plus  à  l'ouest,  donloQ 
a  été  chercher  le  contact  sans  utilité.  De  Mograr  à  Timi- 
moun,  il  n'y  avait  guère  que  450  kilomètres,  pas  beaucoup 
plus  que  de  Mograr  à  Igli,  et  l'on  se  trouvait  à  1  degré  et 
demi  plus  au  sud;  de  Mograr  à  Taourirt,  il  n'y  a  guère  que 
650  à  700  kilomètres  et   l'on  eût   traversé    le  Gourara  et 
le  Touat  ;  l'on  se  fût  trouvé  à  1 200  kilomètres  de  la  Médi- 
terranée, ayant  achevé  environ    la  moitié   de   la  ligne  de 
jonction  de  la  Méditerranée   et  du   Niger.    Le  détour  par 
Béni-Ounif  et  Igli  allongera  de  250  à  300  kilomètres  ce  par- 
Ci)  Voy.  la  Revue  de  Paris  du  1«"  janvier  1904,  page  110. 


CONCLUSION.  467 

ours.  L*on  est  maintenant  trop  engagé  dans  cette  voie  pour 
éprendre  prochainement  la  première.  Plus  lard,  si  le  trafic 
s  justifie,  on  pourra  faire  une  ligne  directe  par  Timimoun 
t  Tabelkosa,  pour  rectifier  et  réduire  de  250  à  300  kilo- 
nëtres  le  Transsaharien  occidental. 

Il  importe,  toutefois,  de  ne  pas  dévier  plus  à  Touest  la 
igné  d'Aïn-Sefra,  Bénif-Ounif  et  Igli  ;  quelques  coloniaux, 
ivant  la  tète  tournée  d'impérialisme,  voudraient  maintenant 
!a  dirig^er  de  Colomb-Béchar  sur  Kénadsa  et  le  Tafilelt,  pour 
rejoindre  l'Atlantique,  afin,  disent-ils,  de  prendre  le  Maroc 
k  revers  ;  ce  serait  une  faute  considérable.  On  s'éloignerait 
du  but,  qui  doit  être  le  Soudan  par  la  traversée  ou  le  voisi- 
nage du  Touat  ou  du  Tidikelt;  on  courrait  les  aventures; 
comme  ligne  stratégique  contre  le  Maroc,  la  ligne  proposée 
de  Colomb-Béchar  vers  l'Atlantique  n'a  aucune  valeur,  étant 
séparée  du    Maroc-Atlantique  par  les  hauts   sommets   de 
TAtlas  et  ne  pouvant  aboutir  qu'à  la  colonie  espagnole  de 
Sanla-Cruz-del-mar.   Si  l'on  veut   prendre    possession   du 
Maroc,  ce  que  nous  regarderions  comme  une  faute,  il  convient 
d*y  entrer  directement  par  l'Algérie  et  non  pas  de  l'aborder 
par  l'extréme-sud  en  traversant  une  chaîne  de  montagnes 
eiTroyable.  Le  projet  est  absolument  utopique. 

Le  Transsaharien  du  Niger  est  maintenant  longuement 
amorcé  sur  environ   700  kilomètres;  il  faut  désormais  le 
pousser  rapidement  et  sans  aucune  déviation  droit  vers  le 
fleuve.  On  devra  d'autant  plus  se  réjouir  de  l'établissement 
de  cette  ligne  de  la  Méditerranée  au  Niger  qu'une  fois  ter- 
minée, et  peut-être  même  avant  son  achèvement,  les  travaux 
en  paraîtront  si  faciles  que  l'on   se  mettra  sans  hésitation  à 
la  construction  de  l'autre  Transsaharien,  plus  important 
encore,  à  savoir  la  ligne   de  la  Méditerranée  au  Tchad.  Il 
iU3nviendrait  dès  maintenant  d'en  construire    l'amorce,  à 
savoir  les  370  kilomètres  de  la  ligne  de  Biskra  à  Ouargla. 

Partant  de  Biskra,  le  principal  chemin  de  fer  transsaharien 
ou  Grand  Central  Africain  aurait  son  origine  presque  au 
nœud  de  nos  voies  ferrées  nord-africaines  ;  il  sera  à  portée 


468     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSA  H  ARIENS. 

de  Bône,  Philippeville,  Bougie,  Alger  môme,  moyennant  la 
construction  d'un  court  tronçon  de  Bordj-bou-Aréridj  à  la 
ligne  de  Batna-Biskra  ;  il  pourra  même  être  rattaché  à 
Bizerte  par  la  continuation  de  la  ligne  en  projet  de  Gafsa 
à  Tozeur  jusqu'aux  environs  de  Tougourt  par  El-Oued.  Le 
tracé  Biskra-Ouargla-Amguid  s'impose  d'une  façon  absolue. 

Nous  ne  ferons  que  mentionner  le  projet,  qu*ont  conçu  et 
que  soutiennent  avec  ardeur  certains  colons  tunisiens,  de 
faire  partir  le  Transsaharien  de  Gabès  pour  le  diriger  sur  le 
Tchad  par  Ghadamës  et  Ghat.  Ce  projet  excentrique  ne  sup- 
porte à  aucun  point  de  vue  Texamen.  Il  est  beaucoup  trop 
oriental.  La  bourgade  de  Gabès,  excessivement  éloignée  de 
Marseille  et  sans  aucune  protection  contre  l'étranger,  serait 
un  détestable  aboutissement  stratégique  et  économique.  11 
est  à  craindre,  en  outre,  que  les  arrangements  diplomatiques 
avee  l'Italie  n'aient  concédé  à  celte  puissance  Ghadamës  et 
Ghat;  quand  on  se  serait  réservé  ces  points,  ce  qui  est  très 
douteux,  une  ligne  suivant  ce  tracé  serait  trop  près  de  la 
Tripolitaine  et  exposée  aux  incursions  de  la  puissance  qui 
dominera  ce  pays.  Aussi  ce  tracé  est-il  absolument  fantai- 
siste. 

Quelques  personnes  ont  imaginé  qu'avant  de  construire 
les  Transsahariens,  il  faudrait  faire  une  sorte  d'  «  inventaire  » 
des  ressources  du  Sahara.  C'est  là  un  excès  de  précaution 
qui  risquerait  d'ajourner  indéfiniment  Tœuvre.  Certes,  il  est 
utile  de  faire  autant  d'explorations  que  possible  dans  le 
désert;  mais  on  ue  dresse  pas  ainsi,  en  quelques  années,  ni 
même  en  quelques  décades  d'années,  ï inventaire  d'un  pays 
de  5  millions  de  kilomètres  carrés.  En  1903  un  comité  avait 
été  formé  par  «  l'Union  coloniale  française  »  pour  faire  Tin- 
ventaire  des  ressources  naturelles  de  l'Afrique  occidentale;  il 
n'a  pu  aboutir  et  a  dû  se  dissoudre.  A  plus  forte  raison  en 
serait-il  ainsi  pour  «  l'inventaire  du  Sahara  >.  Les  ressources 
naturelles  se  découvrent  graduellement,  en  grande  partie 
souvent  par  hasard.  Les  voies  de  communication  aident  à 
ces  découvertes  et  ne  doivent  pas  les  attendre.  C'est  environ 


CONCLUSIOxN.  460 

soixante  années  après  notre  possession  de  TAlgérie  et  bien 
après  rétablissement  du  chemin  de  fer  de  Tebessa  qu*on  a 
découvert  les  riches  gisements  de  phosphate  de  cette 
région.  Rappelons,  d*ailleurs,  que  les  chemins  de  fer  trans- 
sahariens ne  sont  pas  des  œuvres  sahariennes  ;  ils  aideront 
à  la  mise  en  valeur  des  ressources  du  Sahara,  mais  ils 
ont  un  autre  but,  politique  et  économique  :  constituer  soli- 
dément  l'empire  français  africain  et  mettre  en  valeur  nos 
possessions  du  Soudan. 

La  question  des  transsahariens  est  maintenant  très  ample- 
ment éclairée.  Comment  hésitons-nous  à  entreprendre  ces 
grandes  œuvres  dont  le  principe  était  quasi  décidé  il  y  a 
vingt-quatre   ans?  De  toutes  parts.   Anglais,   Américains, 
Australiens  et  Russes  multiplient  les  énormes  travaux  ;  nous, 
nous  ne  pensons  qu*à  de  petits  chemins  de  fer  côtiers,  qui 
peuvent  avoir  une  utilité  régionale,  mais  qui  ne  donneront 
jamais  à  notre  empire  africain  la  charpente  dont  il  a  besoin, 
qui  ne  mettront  jamais  les  tropiques  à  quatre  jours  et  demi 
ou  cinq  jours  de  Marseille,  Gênes  et  Trieste,  à  cinq  jours 
et  demi  ou  six  jours  de  Paris,  Londres,  Bruxelles  et  Berlin. 
Nous  nous  complaisons  dans  les  choses  mesquines  ;  ce  qui 
est  grand  épouvante  nos  faibles  cervelles.  Cependant,  nos 
explorateurs  font  de  magnifiques  prouesses  :  Gentil  dans  la 
région  du  Tchad,  Marchand  sur  le  haut  Nil,  beaucoup  d'au- 
tres encore;  nous  les  applaudissons,  les  couvrons  de  fleurs, 
puis  retournons  à  nos  distractions,  à  Tinsignifiance  de  notre 
vie  privée  et  de  notre  vie  publique  ;  nous  ne  faisons  ni  même 
ne  tentons  rien  pour  consolider  en  nos  mains  et  pour  utiliser 
Tœuvre  de  ces  braves.  Prenons-y  garde,  elle  nous  échappera  ; 
le  haut  Nil  nous  a  déjà  échappé  ;  il  en  sera  bientôt  de  même 
du  Ouadal,  car  nous  défions  que  jamais  on  le  soumette  et 
on  le  gouverne  autrement  qu'avec  le  Transsaharien  du  Tchad. 
Le  Sénégal  et  le  Congo  sont  des  bases  trop  fragiles;  TAl- 
gérie-Tunisie  seule  fournit  une  base  sérieuse  à  notre  action 
dans  le  centre  de  TAfrique.  Écoutons  ce  que  disait  dans  la 
séance  du  30  mai  1899  le  ministre  des  affaires  étrangères. 


4^0     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DB  FER  TRANSSiLHARIE.XS. 

M.  Delcassé,  au  Sénat,  en  s*excusant  d'avoir  abandonné  à 
TAnglelerre  le  Bahr-el-Ghazal  :  «  Quel  homme  politique 
n'ayant  pas  perdu  complètement  le  sens  de  la  réalité,  quel 
ministre  sachant  que  du  Caire  on  peut  en  vingt  jours  amener 
par  le  Nil  des  milliers  d'hommes  au  Bahr-el-Ghazal,  tandis 
quil  nous  faut  près  d'un  an  pour  y  faire  parvenir  épuisés 
WO  soldats,  qui  donc  aurait  osé  venir  demander  au  pays  le 
sacrifice  inutile  du  sang  et  de  l'argent  par  où  Ton  aurait  po 
essayer  seulement  de  disputer  ce  territoire  (1)?  * 

Le  ministre  des  affaires  étrangères  avait  raison  ;  mais  la 
situation   va   être   demain    exactement   la  môme  pour    le 
Ouadaï;  nous  aurons  besoin,  par  la  voie  du  Sénégal  ou  celle 
du  Congo,  sinon  d'un  an,  du  moins  de  huit  à  dix  mois,  pour  y 
amener  quelques  centaines  d'hommes.  Avec  le  Transsaharien 
du  centre  ou  Grand  Central  Africain,  nous  pourrions,  en  trois 
ou  quatre  semaines,  si  besoin  était,y  jeter  10  000  ou  15000 hom- 
mes.   Est-il  permis  d'hésiter?  Le  terrible  aveu  fait    par 
M.  Delcassé  au  Sénat  ne  doit-il  pas  ouvrir  les  yeux?  Ou  nous 
perdrons  la  plupart  de  nos  possessions  du  centre  de  TAfri- 
que,  ou  il  faut  que,  sans  aucun  ajournement,  nous  construi- 
sions le  Transsaharien  du  Tchad;  c*est  Tinstrument  straté- 
gique indispensable  ;  c'est,  de  plus,  un  instrument  économique 
qui  promet  d'être  très  efficace^  et  cela  ne  coûterait  que  150  à 
160  millions,  dont  le  service  annuel,  comme  intérêt  et  amor- 
tissement, est  dès  maintenant  assuré,  en  dehors  même  du 
trafic,  par  la  décroissance  des  garanties  de  l'État  français 
aux  chemins  de  fer  algériens.  D'après  les  déclarations  des 
ministres  de  la  guerre  et  de  la  marine,  les  simples  mesures 
de  précaution  prises  au  moment  de  Fachoda  auront  coûté 
une  centaine  de  millions  de  francs  ;  c'est  les  deux  tiers  de  ce 
qu'il  faut  pour  construire  le  Transsaharien  du  Tchad.  A 
moins  que  la  France  ne  se  résigne  à  ne  plus  compter  dans 
le  monde,  il  faut  qu'elle  sache  et  veuille  entreprendre  cette 
œuvre,  en  réalité  très  modeste,  malgré  sa  longueur,  la  seule 

(1)    Journal  officiel  du  31  mai  1899,  page  689. 


CONCLUSION.  4'^1 

œuvre,  vraiment  considérable  par  ses  effets,  que  nous  puis- 
sions faire  encore;  elle  nous  vaudra,  aux  portes  de  la  France, 
la  possession  paisible  et  l'exploitation  fructueuse  d*une 
immensité  de  territoire.  La  postérité  flétrirait  avec  raison  la 
génération  qui,  après  avoir  abandonné  TÉgypte,  n'aurait 
même  pas  su  faire  à  temps  le  transsaharien,  Grand  Central 
Africain.  Le  Transsaharien  du  Niger,  coûtant  85  à  90  millions 
de  francs,  construit  rapidement  en  quatre  ou  cinq  ans, 
pourra  lui  servir  de  préface.  Mais,  dans  ce  moment  décisif 
de  rhistoire  mondiale,  il  ne  faut  plus  perdre  une  heure. 


APPENDICE 

LES  TARIFS    ET  LES   RECETTES  SUR    LES    CHEMINS   DE   FER   RUSSES 

ASIATIQUES 

Comme  preuve  de  la  praticabilité  et  de  la  productivité  des 
tarifs,  tant  de  voyageurs  que  de  marchandises,  que  nous 
proposons  pour  les  futurs  chemins  de  fer  transsahariens^ 
nous  pouvons  invoquer  Texemple  des  chemins  de  fer  russes 
en  Asie,  à  savoir  du  chemin  de  fer  transcaspien  dans  TÂsie 
centrale  et  des  différentes  lignes  composant  ce  que  Ton 
est  convenu  d'appeler  le  chemin  de  fer  transsibérien.  L'ad- 
ministration des  chemins  de  fer  russes  nous  a  gracieuse- 
ment communiqué  les  données  relatives  tant  aux  tarifs  qu'au 
trafic  de  ces  lignes. 

Nous   examinerons   particulièrement  ce  qui  concerne  le 
chemin  de  fer  transcaspien  ou  de  TAsie  centrale  (Krass- 
novodsk-Ândijan)  ;  étant  plus  ancien  que  le  Transsibérien, 
on  peut  considérer  que  son  trafic  est  maintenant  bien  établi 
et  que,  tout  en  étant  susceptible  de  développement  ultérieur^ 
il  se  trouve,  à  Theure  présente,  dans  une  situation  à  peu  près 
normale.   Il  dessert,  d'ailleurs,  des  contrées   qui  ont  une 
grande  analogie  avec  le  Sahara  et  le  Soudan.  La  longueur 
en  est  aussi  très  analogue  à  celle  de  nos  futurs  Transsaha- 
riens. Il  avait,  en  eCTet,  en  1901,  année  à  laquelle  s'applir 
quent  les  renseignements  officiels  qui  nous  ont  été  transmis, 
2357  verstes.  Le  verste  égale  1067  mètres;  2357  verstes 
représentent  donc  2515  kilomètres  en  chiffres  ronds,  c'est- 
à-dire  presque  exactement  l'étendue  du  Transsaharien  occi- 
dental, y  compris  les  lignes  algériennes,  d'Oran  au  Niger, 
et  à  pçu  de  chose  près  le  Transsaharien  de  la  région  du 
Tchad  de  Biskra  à  Zinder. 
L'analogie  entre  ces  deux  futures  lignes  transsahariennes 


474     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CBEMINS  DE  FER  TRANSSAHAaiERS. 

et  le  Transcaspien  est  aussi  grande  que  possible.  De  même 
pour  la  nature  des  lieux,  comme  on  le  verra,  si  Ton  veut  se 
reporter  à  notre  ouvrage  :  la  Colonisation  chez  les  peuples 
modernes  (1). 

Voici  les  données  officielles  principales  relatives  au  che- 
min de  fer  transcaspien  pour  les  années  1900  et  1901  ;  depuis 
lors,  le  trafic  n*a  fait  qu'augmenter. 

1900  1901 

Ventes  (3). 

Longueur  de  la  ligne  exploitée 2.061  2.357 

Roubles  (3). 

A.  Recettes, 

a.  Transport  de  voyageurs  : 

Chiffre  global 1.298.20S        1.682.263 

Par  versle , 531 .49  7U  ,06 

à.  Marchandises. 
Grande  vitesse  : 

Chiffre  global 193.989  169.406 

Par  verste 94,12  71.87 

c.  Petite  vitessp  * 

Chiffre  global . . .' 8.982.575  10.694.UO 

Par  verste 4,338,35  4.337.31 

d.  Taxes  supplémentaires  et  recettes  diverses  : 

Chiffre  global 647.792  668.552 

Par  verste 314.31  283.64 

Recette  totale  (a  +  ô  +  c  +  rf)  : 

Chiffre  global 11.122.564      13.214.761 

Par  verste 4.725,42         5.606,60 

B.  Dépenses  (f exploitation  : 

Chiffre  global 8.634.826  10.299.685 

Par  verste 3.668,15  4.369,80 

Bénéfice  net  lA  — B)  : 

Chiffre  global 2.487.738  2.915.076 

Par  verste 1,057  1^7 

Il  ressort  de  ce  tableau  que,  dans  Tannée  1901,  la  recette 
totale  du  chemin  de  fer  transcaspien  s'est  élevée  à 
13214761  roubles  ou,  en  chiffres  ronds,  35  millions  et  demi 
de  francs.  La  recette  brute  par  verste  était  de  5606  roubles 
ou  presque  exactement  15000  francs,  correspondant  à  un  peu 
plus  de  14000  francs  par  kilomètre. 

(1)  La  Colonisation  chez  les  peuples  modernes,  par  Pau  Leroy-Beaulieu,  5«  édiU 
Guillaumin  éditeur,  t.  II,  p.  439  &  445. 

(2)  Nous  rappelons  que  le  verste  =  1  067  mètres. 

(3)  Le  rouble  »  2  fr.  66. 


APPENDICE  :  TARIFS  ET  TRAFIC  DO  TRANSCASPIEN.  475 

.  C'est  là  un  chiffre  élevé  qui  dépasse  d^environ  15  à  20  p.  100 
celui  que  nous  avons  indiqué  pour  lé  trafic  probable  de  cha- 
cun des  chemins  de  fer  transsahariens. 

Les    frais  d'exploitation,  assez  considérables,  montaient 
à  10299685  roubles  ou,  en  chiffres  ronds,  27800000  francs^ 
soit  par  verste  4369  roubles  ou  11 650  francs,  correspondant 
à  10900  francs  environ  par  kilomètre.  Il  restait,  néanmoins, 
un     notable    bénéfice   net,  à    savoir  2915076    roubles  ou 
7870  000  francs,  correspondant  à  1237  roubles  par  verste, 
soit  3340  francs,  ou  environ  3130  francs  par  kilomètre.  En 
attribuant  cette  recette  nette  aux  chemins  de  fer  transsaha- 
riens, soit  3 130  francs  par  kilomètre,  on  voit  que  à  3  3/4  p.  100, 
intérêt  et  amortissement  compris,  elle  rémunérerait  un  capi- 
tal de  premier  établissement  de  83000  francs  par  kilomètre. 
Or,  on  a  vu  que  tous  les  antécédents  témoignent  que  les  che- 
Qiins  de  fer  transsahariens  ne  reviendraient  pas  à  plus  de 
55  000    ou    60000    francs    par    kilomètre.    Cette    recette 
nette  pourrait  donc  fléchir  de  près  d'un  tiers  qu^elle  suffi- 
rait encore  à  couvrir  l'intérêt  normal  et  l'amortissement  du 
capital  consacré  à  chacun  des  chemins  de  fer  transsahariens. 
L'exemple  du   chemin  de  fer  transcaspien   est  donc  au 
plus  haut  degré  réconfortant. 

L'étude  des  tarifs  de  cette  voie  ferrée  n'est  pas  moins  ins- 
tinctive que  celle  du  trafic. 

Donnons  d'abord  le  nombre  des  voyageurs  et  leur  répar- 
tition entre  les  classes  pour  le  chemin  de  fer  transcaspien 
ou  de  l'Asie  centrale  : 

Années. 

'      1900  "  190l"" 

Nombre  total  de  voyageurs 747.660  1 .063.519 

Voyageurs  de  !'«  classe 40  4 .667 

—  de  2«  classe 56.650  73.950 

—  de  3«  classe 615.019  923.066 

Ouvriers 6.199  2.177 

Colons 1.153  *            1.166 

Voyageurs  au  tarif  militaire 61.714  53.167 

Déportés  et  leur  escorte 5.311  3.234 

Conducteurs  de  bétail 1 .324  2.090 

Le  nombre  des  voyageurs  sur  le  chemin  de  fer  de  l'Asie 


476     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIEXS. 

centrale  esl  énorme,  puisqu'il  dépasse  1  million.  Les  voya* 
geurs  européens,  parmi  lesquels  se  recrutent  surtout,  sans 
doute,  les  deux  premières  classes,  sont  relativement  assez 
nombreux  :  4667  voyageurs  de  première  classe  et  73450  de 
seconde  ;  la  France,  nation  colonisatrice,  étant  sensiblement 
plus  riche  que  la  Russie,  et  les  chemins  de  fer  transsaha- 
riens devant  servir  une  clientèle  internationale  qui  manque 
complètement  au  Transcaspien,  lequel  aboutit  à  un  pays 
fermé  par  d'énormes  chaînes  de  montagnes,  il  est  vraisem- 
blable que  les  voyageurs  de  première  classe  seront  relati- 
vement plus  nombreux  que  ceux  du  Transcaspien  et  qu'une 
partie  de  la  deuxième  classe  de  ce  dernier  passera  à  la  pre- 
mière sur  ceux-là. 

.  Le  point  le  plus  caractéristique,  c'est,  sur  le  Transcaspien, 
l'énorme  affluence  des  voyageurs  de  troisième  classe,  plus 
de  900000,  non  compris  les  ouvriers  de  la  ligne,  colons,  mi- 
litaires, déportés,  et  autres  voyageurs  spéciaux. 

Ce  très  grand  afllux  de  voyageurs  de  troisième  classe  se 
rattache  d'abord  à  ces  habitudes  et  ces  goûts  de  pérégrina- 
tion et  de  déplacement  que  Ton  constate  chez  toutes  les 
populations  primitives  :  Arabes,  Chinois,  Hindous,  etc.  II 
est,  du  reste,  favorisé  par  les  très  bas  tarifs. 

Nous  ne  pouvons  mieux  faire  que  de  reproduire  ici  tex- 
tuellement la  note  qui  nous  a  été  communiquée  par  Tadmi- 
nistration  des  chemins  de  fer  russes. 

«c  Les  tarifs  en  vigueur  pour  les  voyageurs  sur  les  che- 
mins de  fer  Transbaïkalien,  Sibérien,  de  l'Asie  centrale  et  de 
rOussouri  sont  les  mêmes  que  ceux  en  vigueur  dans  la 
Russie  d'Europe. 

«  Schéma  du  tarif  en  vigueur  pour  les  première,  deuxième 
et  troisième  classes  : 

«  Il  est  perçu  sur  les  chemins  de  fer  russes  pour  le  trajet 
en  troisième  classe  sur  les  distances  de  1-300  verstes  un  prix 
calculé  par  verste,  à  savoir  :  de  1-160  verstes,  à  raison  de 
1,4375  copeck  (1)  par  voyageur  et  par  verste;  160-300  en 

(1)  Le  copeck  esl  la  centième  partie  du  rouble  et  égale,  par  conséquent,  0  fr.0i6fi. 


APPENDICE  :  TARIFS  ET  TRAFIC  DU  TRANSCASPIBN.  477 

ajoutant  au  prix  total  d'un  voyage  de  lôOverstes  =  2  R.30c. 
par  voyageur,  0,9  copeck  par  voyageur  et  par  verste.  A  partir 
de  300  verstes,  le  prix  n'est  plus  calculé  par  verste,  mais 
par  zone.  Toute  portion  d'une  zone  est  considérée  comme 
zone  entière.  Le  calcul  étant  fait  sur  les  bases  suivantes  : 

<  A .  Pour  les  distances  jusqu'à  3010  verstes  inclusivement  : 
pour  la  première  zone  de  301-325  verstes  inclus,  il  est  ajouté 
au  prix  total  d'un  parcours  de  300  verstes  qui  est  de 
3  R.  56  copecks  par  voyageur,  24  copecks  par  voyageur  ; 
pour  chaque  zone  suivante  il  est  ajouté  20  copecks  par  voya- 
geur. Les  zones  pour  les  distances  de  301-3010  sont  fixées 
comme  suit  : 

De  301  à  500  verstes  8  zones  de  25  verstes  chacune. 
501   710   —   7   —     30      — 
711   990   —   8   -     35      — 
991  1510   —   13   —     40       — 
1511  3010   —   30   —     50 

<  B,  Pour  les  distances  supérieures  à  3010  verstes,  il  est 
ajouté  au  prix  total  d'un  parcours  de  3010  verstes,  qui  est 
de  16  R.  80  copecks  par  voyageur,  40  copecks  par  voya- 
geur et  par  zone.  Les  zones  supérieures  à  la  distance  de 
3  010  verstes  sont  fixées  à  70  verstes  chaque. 

«  Le  tarif  du  parcours  en  deuxième  classe  est  de  50  p.  100 
supérieur  à  celui  effectué  en  troisième  classe  ;  celui  du  par- 
cours en  première  çst  de  150  p.  100  supérieur  à  ce  dernier. 

c  Tarif  des  voyages  en  quatrième  classe  : 

c  Pour  le  voyage  en  quatrième  classe  il  est  perçu  sur  les 
chemins  de  fer  russes  le  prix  suivant  : 

«  Pour  les  distances  de  1-920  verstes  3/4  de  copeck  par 
voyageur  et  par  yerste  ;  à  partir  de  921  verstes  le  prix  n'est 
plus  calculé  par  verste,  mais  par  zone.  Toute  fraction  de  zone 
est  considérée  comme  zone  entière.  Le  calcul  est  fait  d'après 
Téchelle  suivante  : 

c  a.  Sur  les  distances  de  921  verstes  à  3010  inclusivement, 
il  est  ajouté  au  prix  total  d'un  voyage  de  920  verstes  qui  est 
de  6  R,  90  copecks  par  voyageur,  15  copecks  par  voyageur 


478     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TB AN SSAH ARIENS. 

-et  par  zone,  les  zones  pour  les  distances  de  921-3010  verstes 
étant  fixées  comme  suit  : 

De  921  à  990verstes    2  zones  de  33  versles  chacune. 
991     1510      —      13      —  40  — 

1510    3010      —      30      —  50  — 

«  6.  Pour  les  distances  supérieures  à  3010  verstes,  il  est 
ajouté  au  prix  d'un  parcours  de  3010  verstes,  qui  est  de 
13  R.  65  copecks  par  voyageur,  20  copecks  par  voyageur  et 
par  zone.  Les  zones  pour  les  distances  supérieures  à 
3010  verstes,  sont  fixées  à  70  verstes  chacune.  » 

Il  résulte  de  ce  qui  précède  que  le  prix  d'un  transport  de 
3010  verstes,  soit  3211  kilomètres  (le  verste=  1067  mètres! 
en  troisième  classe  sur  tous  les  chemins  de  fer  russes  est 
de  16  R.  80  copecks,  soit  de  45  francs  en  chiffres  ronds.  Or. 
cette  distance  de  3211  kilomètres  excède  notablement  la  lon- 
gueur de  chacun  des  chemins  de  fer  transsahariens,  y  com- 
pris les  lignes  algériennes  jusqu'à  la  mer,  l'un  de  ces  che- 
mins de  fer,  celui  d'Oran  au  Niger,  ne  devant  avoir  en  tout 
que  2500  kilomètres  au  maximum,  et  l'autre,  celui  de  Philip- 
peville-Zinder,  que  3000  kilomètres.  Or,  nous  avons  admis 
plus  haut  dans  nos  calculs  (voy.  pages  393  et  394)  que  Ton 
pourrait  faire  payer  aux  noirs  pour  le  trajet  du  Soudan  en 
pleine  Algérie  ou  vice-versa  une  soixantaine  de  francs  ;  si 
l'on  appliquait  le  tarif  des  chemins  de  fer  russes  dans  tout 
l'empire,  c'est  moins  de  40  francs,  et  non  pas  60,  que  l'on 
devrait  demander.  Notre  tarif  proposé,  qui  nous  paraît  sus- 
ceptible de  procurer  un  transport  annuel  d'une  centaine  de 
mille  noirs  au  début,  et  de  plusieurs  centaines  de  mille 
ensuite,  pourrait  donc,  si  c'était  nécessaire  ou  utile,  être 
réduit  d'un  bon  tiers. 

Bien  plus,  on  a  vu  qu'il  existe  sur  un  grand  nombre  de 
chemins  de  fer  russes  un  tarif  de  quatrième  classé  (1).  Un 
voyage  de  920  verstes,  équivalant,  en  chiffres  ronds,  à  un 

(1)  11  ne  parait  pas,  toutefois,  d'après  les  données  figurant  plus  hai^t  |p«  4T5i, 
que  la  4»  classe  se  rencontre  sur  le  chemin  de  fer  transcaspien. 


APPENDICE  :   TARIFS  ET  TRAFIC  DU  TRANSCASPIEN.  470 

millier  de  kilomètres,  en  quatrième  classe,  coûte  6  roubles  90, 
soit  18  fr.  60,  et  un  voyage  en  quatrième  classe  de  3010  verstes 
(3211  kilomètres),  dépassant  sensiblement  Tétendue  du  plus 
long  des  Transsahariens,  coûte  13  R.  65  copecks,  soit  35  fr.  85. 
On  voit  que  les  tarifs  des  chemins  de  fer  russes  pour 
voyageurs  sont  très  sensiblement  moins  élevés  que  ceux  que 
nous  proposons  plus  haut  et  qui  nous  semblent  devoir  déter- 
miner un  courant  très  intense  de  transport  de  personnes  sur 
les  chemins  de  fer  transsahariens. 

L'exemple  des  chemins  de  fer  russes  confirme  aussi,  en  ce 
qui  concerne  la  modicité  des  tarifs  de  marchandises,  les 
évaluations  que  nous  avons  faites  au  cours  de  cet  ouvrage, 
notamment  la  possibilité,  tout  en  laissant  à  la  ligne  une 
puissance  rémunératrice,  d'abaisser  à  environ  2  cen- 
times et  demi  le  tarif  moyen  par  tonne  et  par  kilomètre  et 
de  descendre,  pour  les  marchandises  de  peu  de  valeur,  fai- 
sant le  trajet  d'outre  en  outre,  à  un  tarif  de  1  centime  un 
quart,  sinon  même  de  1  centime,  par  kilomètre  et  par  tonne. 
Ici  encore  nous  allons  commencer  par  reproduire  textuel 
lement  la  note  qui  nous  a  été  obligeamment  communiquée 
par  Tadminislration  des  chemins  de  fer  russes  : 

<c  Tarifs  pour  le  transport  des  marchandises,  en  vigueur 
sur  les  chemins  de  fer  de  la  Russie  d'Asie  : 

«  Tous  les  chemins  de  fer  de  la  Russie  d'Asie,  le  Trans- 
baïkalien,  le  Sibérien,  ceux  de  l'Asie  centrale  et  de  l'Ous- 
souri  usent  du  tarif  général  pour  le  transport  des  mar- 
chandises dans  les  trains  de  marchandises  en  grande  et 
petite  vitesse  tant  dans  la  communication  locale,  que  dans 
les  communications  directes  avec  les  chemins  de  fer  russes 
d'intérêt  général. 

M  Le  môme  tarif  est  appliqué  au  transport  des  marchan- 
dises en  grande  et  petite  vitesse  dans  les  communications 
directes  entre  les  stations  du  chemin  de  fer  transbaïkalien 
et  sibérien,  de  même  que  les  communications  directes  de 
chacune  de  ces  lignes  avec  le  réseau  de  la  Russie  d'Europe. 
Le  prix  du  transport  est  perçu  pour  la  distance  totale  entre 


480  LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIENS. 

la  station  de  départ  et  la  station  de  destination  définitive. 
Les  parties  du  chemin  de  fer  transbaïkalien,  [rkoutsk-Baîkal 
et  lankkoï-Striétensk,  qui  sont  séparées  par  le  lac  Baîkal, 
sont  considérées  avec  la  ligne  mandchourienne  comme  lignes 
ininterrompues.  Les  taux  des  tarifs  généraux  pour  le  trans- 
port des  marchandises  sont  calculés  d*apfës  les  tarifs  dits 
de  classe  ou  d'après  les  tarifs  dits«  différentiels  ».  On  appelle 
«  tarif  de  classe  »  un  tarif  d'après  lequel  le  prix  total  du 
transport  est  calculé  sur  une  même  base  par  poud  et  par 
verste.  Les  prix  de  transport  calculés  d'après  les  neuf  pre- 
mières classes  sont  soumis  aux  réductions  suivantes  : 

Au-dessus  de  200  verstes —  10  p.  100 

—  500      —     —13      — 

_  1000      —     —20      — 

—  1500      —    —25      — 

—  2000      —     —30      — 

«  Les  prix  de  transport  pour  les  distances  supérieures  doi- 
vent toujours  être  supérieurs  aussi  aux  prix  des  distances 
moins  longues.  Voici  la  liste  des  classes  : 

l»"»  classe.  1/10  de  copeck  par  poud  et  par  verste  (1).  \ 


Plus  une  classe 

spéciale 

à.  1/125  par  poud 

et  par  verste. 

/ 

«  On  appelle  «  tarif  différentiel  »  calculé  d'après  une  for- 
mule spéciale  représentant  la  réunion  de  deux,  trois,  ou  plu- 
sieurs classes,  dont  chaque  classe  suivante  est  inférieure  à 
la  classe  précédente,  un  tarif  dans  lequel  le  taux  se  diffé- 
rencie d'une  classe  à  l'autre  par  une  augmentation  du  prix 
calculé  par  poud  et  par  verste. 

(l)  Le  poud  =s  16  kilogrammes;  le  verste  =  1  067  mitres. 


2« 

— 

1/12 

3« 

— 

1/15 

4e 

— 

1/18 

5« 

— 

1/24 

6» 

— 

1/30 

7« 

— 

1/36 

8« 

— 

1/40 

9= 

— 

1/45 

10» 

— 

1/65 

ne 

— 

1/75 

i'2* 

— 

1/100 

% 

■  e 


LÉGENDE  < 

itinéraire  de  René  Caillié  I8Z7-m. 

«+  d? Barth  ^50-55, 

.*  £/" Flattirs  leM." 

--  d? Flatters  l^aa-Sl  i  * 

-,*  -(/"__ Montdr  isso-tt. 

^.^  _ — d'. Catemajou  ïB93. 

—  _ — rf* .Marchand  iâ96'99 

^  d^ Fouroau-Lflm;y  lasa  i9oo'* 

d? Joalland-Meynier  WSS-iMi. 

d? Flamand  isoo. 

d? Cottenest  1902 

—  d* Guillo-Lohan   1902. 

d? BesMt  i9oa. 

df Lenfant  I903. 

d? Vinatte-Laperrine  190* 

d^ Théveniaut  I90* 


Chemmdefbr  ^^^enprqjetouenconstr^ 

Échelle  : 

— 1      I      ■ '      ■      I 

200    300    *00    500    600    700    600  Hilométrea 

lame  africaro  frgn^ata  C5V.tj6Ti\i  anblaiLQ. 


JSL 


T^ 


.30 


APPENDICE   :   TARIFS  ET  TRAFIC  DU  TRANSCASPIEN.  481 

«  Exemple  : 

Tarif  différentiel  n»  6. 

De     1  —    450  verstes  :  4^  classe. 

451  —    800        —       On  ajoute  au  prix  total  du  transport  pour  450  verstes 
sa  22  cop.  50,  1/10  de  copeck  par  poud  et  par 
verste 
801  —  1400       —       5«  classe. 

UOl  —  2800       —       On  ajoute  au  prix  du  transport  pour  1400  verstes 
=■  46,67  copecks,  1/75  de  copeck  par  poud  et  par 
verste . 
JK.u-dessus  de  2800       —       6«  classe. 

«  Les  Chemins  de  fer  russes  appliquent  25  tarifs  diflfé- 
irentiels  : 

22  numérotés  de  I- XXII. 

et 

3  spéciaux  :  A.  B.  C. 

«  Le  tableau  ci-dessous  indique  le  taux  initial  et  le  taux 
maximum  de  ces  tarifs  différentiels.  » 


Tarifs  différentiels 

No  1 

2 

3 

4 

5 

6 

7 

I::::::::::::; 

10 

11 

12 

13 

14... 

15 

16 

17 

18 

19 

20 

21 

22 

Tarif  différentiel 
spécial  : 

A 

B 

C 


TAUX  PAR  POUD  ET  PAR  VERSTE. 


Taux  initial. 


1/12 
1/12 
1/15 
1/15 
1/12 
1/18 
1/18 
1/18 
1/18 
1/18 
1/18 
1/18 
1/18 
1/24 
1/24 
1/24 
1/36 
1/36 
1/36 
1/45 
1/65 
1/65 


1/10 

1/24 
1/45 


Taux  maximum  (final). 


A  partir  de  3. 04  5  venlei  l/18dec©pcek,r«dBild«30  0/o 
-      4.615    -     1/30      -  -         ' 


2.800 



j> 

2.142 

— 

1/36 



2.142 



» 

3.016 

— 

» 

3.600 

— 

1/40 

— 

2.860 



» 

2.700 



1/45 



2.304 

— 

u 



2.142 

— 

1/40 



1.857 

— 

1/65 

— 

1.050 

— 

1/75 

— 

1.912 

— 

» 

» 

» 

567 

— 

1/75 



400 

— 

1/100 



2.650 

— 

1/125 

— 

» 

» 

3.579 

1/23 

2.142 



1/30 



250 

— 

1/100 

— 

31 


482     LE  SAHARA,  LE  SOUDAN  ET  LES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHABIENI. 

Sans  entrer  dans  de  trop  grands  détails,  on  remarquera 
que  le  tarif  initial  de  la  classe  12  (page  480)  est  de  1  cen- 
tième de  copeck  par  poud  et  par  verste  ;  le  copeck  est  la 
centième  partie  du  rouble  et  vaut  par  conséquent  2,66  cen- 
times ;  ce  tarif  correspond  à  1  centime  27  environ  par  tonne 
et  par  verste,  soit  1  centime  19  par  tonne  et  par  kilomèlre, 
inférieur  par  conséquent  à  1  centime  un  quart,  et  il  ne  s'agit 
ici  que  du  taux  initial,  lequel,  on  Ta  vu,  est  abaissé  de 
10,  15,  20,  25  et  30  p.  100  suivant  les  distances.  On  en  peut 
conclure  que,  pour  un  parcours  total  de  2500  ou  3000  kilo- 
mètres, équivalant  à  la  longueur  respective  de  nos  deux 
Transsahariens,  les  tarifs  de  1  centime  un  quart  sont  (ré 
quents  sur  les  chemins  de  fer  russes  et  que  ceux  de  1  cen- 
time sont  eux-mêmes  parfois  pratiqués. 

On  descendrait  même  au-dessous  de  1  centime  la  tosne 
kilométrique,  si  Ton  considérait  la  classe  spéciale  (page  480) 
pour  laquelle  le  tarif  initial  est  seulement  de  1  cent  vingt- 
cinquième  de  copeck  par  poud,  correspondant  à  1  centime 08 
la  tonne  kilométrique,  mais  doit  subir  les  réductions  de  10, 
15,  20,  25  et  30  p.  100  suivant  les  distances. 

De  ces  données  positives  et  officielles  sur  les  tarifs  el  le 
trafic  des  chemins  de  fer  russes,  il  résulte  que  les  tarifs  mi- 
nima  que  nous  avons  indiqués  pour  les  chemins  de  fer  trans- 
sahariens sont  parfaitement  praticables,  étant  sensiblement 
supérieurs  aux  tarifs  actuellement  appliqués  sur  des  lignes 
ferrées  analogues  et  qui  sont  rémunératrices. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


?RÉPACB. 


LIVRK  PREMIER 

CONSTITUTION  DU   FUTUR  EMPIRE  FRANÇAIS  AFRICAIN.  LES  DÉBUTS   DE  L'IDÉE 

TRANSSAHARIENNE. 


CHAPITRE  PREMIER 

De   la  pénétration  de   L^AfRIQUE    par   les  puissances   européennes.   —  MÉTHODE 
QUE   NOUS   SUIVRONS   DANS   CET   OUVRAGE i 

CHAPITRE  II 

Coup  d'obil  général  sur  l'empire  français  continental  africain.  —  Nécessité 
d'un  lien  entre  les  tronçons  qui  le  composent. 

Constitution  empirique,  en  dehors  de  tout  plan,  des  possessions  françaises 
africaines.  —  Matériaux  possibles  d'un  empire  plitôt  qu'un  empire.  — 
Les  trois  tronçons  dispersés  et  sans  lien  actuel. 

L'Algérie  et  la  Tunisie  forment  la  solide  base  naturelle  du  futur  empire 
franco-africain.  —  Preuves  &  ce  sujet.  —  Les  chemins  de  fer  transsalia- 
riens  sont  les  liens  nécessaires  entre  ces  trois  tronçons.  —  Le  retard 
apporté  k  leur  construction,  depuis  que  l'idée  fut  formulée  en  1878,  a  fait 
perdre  à  la  France  la  moitié  du  Soudan  central. 

Impossibilité  pour  la  France  de  dominer  et  d'exploiter  le  Ouadaï  sans  le 
Transsaharien  central,  de  l'Algérie  à  la  région  du  Tchad.  —  Sans  ce 
transsaharien,  le  Ouadaï  est  destiné  à  échapper  à  la  France,  de  même 
probablement  le  Baghirmi  et  toute  la  contrée  à  l'est  du  Tchad. 
Éventualité  d'un  chemin  de  fer  britannique  du  Nil  à  la  Nigeria.  —  L'absence 
du  Transsaharien  amènerait  un  jour  la  dislocation  des  possessions  fran- 
çaises de  l'Afrique  centrale  et  la  perte  d'une  notable  partie  d'entre  elles.        7 

CHAPITRE  III 

I    Considérations  économiques  générales  au  sujet  des  chemins  de  fer  transsahariens. 

Outre  leur  importance  politique,  administrative  et  stratégique,  les  chemins 
de  fer  transsahariens  auraient  une  utilité  économique  de  premier  ordre. 
—  Mon  expérience  africaine.  —  Méprises  vulgaires  sur  les  difficultés  et 
la  productivité  des  travaux  publics  sortant  de  l'ordinaire.  —  Un  exemple 
colonial  français  de  la  facilité  d'exécution  et  du  bas  prix  des  chemins  de 
fer  déserliques 2:i 


484  TABLE  DES  MATIÈRES. 

CHAPITRE  IV 
Genèse  de  l'idée  transsaharienne. 

Formule  du  général  Hanoteau  en  1859.  —  Les  tropiques  à  six  jours  de 
Paris.  —  Il  ne  se  trouve  pas,  sur  l'ensemble  du  globe,  un  point  où  le? 
tropiques  soient  aussi  près  des  grandes  capitales  européennes.  —  Les 
lignes  ferrées  suivant. le  méridien  sont,  toutes  circonstances  égales,  plus 
productives  que  celles  suivant  le  parallèle. 

L'ingénieur  Duponchel  en  1878.  —  Analyse  de  son  livre  et  examen  critique 
de  son  projet.  —  Sa  description  générale  du  Sahara;  justesse  habituelle 
de  ses  vues.  — ■  Son  appréciation  exacte  de  la  culture  des  oasis. 

Tracé  du  Transsaharien  de  Duponchel.  —  Étude  de  ce  projet  de  voie  ferrée. 
—  Grosses  exagérations  de  ses  évaluations.  —  Énormes  réductions  qu<? 
comporteraient  la  technique  actuelle  et  la  connaissance  beaucoup  plus 
exacte  du  pays 34 

LIVRE  II 

LES  EXPLORATIONS  RÉCENTES  OU  SAHARA.  LA  NATURE  OU  PAYS. 


CHAPITRE  PREMIER 
La  mission  Cuoisy  et  les  travaux  de  Georges  Rolland. 

La  commission  du  chemin  de  fer  transsaharien.  —  Les  quatre  missions 
d'exploration  instituées.  —  (JEuvre  sérieuse  de  deux  d'entre  elles.  —  La 
mission  Ghoisy  et  Georges  Rolland  dans  le  Bas-Sahara  ou  Sahara  con*- 
tantinois.  —  Les  ouvrages  techniques  de  J^I.  Georgeâ«BûllaJW^  sur  le 
Sahara.  —  CaTactùrc  généralement  rocheux  du  Sahara.  —  Li\s  trois  type-? 
principaux  de  régions  naturelles  de  cette  immensité.  —  Le  sable  n'esl 
qu*en  sous-ordre  au  Sahara.  —  Les  districts  de  dunes  et  les  gassis.  —  Le 
reg.  —  Caractère  ferme  et  plan  de  l'ensemble  du  Sahara.  —  Indices  de 
terrains  primitifs  devant  receler  des  gisements  métalliques  et  de  terrain> 
houillers "3 

CHAPITRE  II 
La  première  mission  Flattbrs. 

Le  lieutenant-colonel  Flatters.  —  Instructions  qui  lui  sont  données.  — 
Composition  de  la  première  mission  Flatters.  —  Trajet  effectué  par  la 
mission.  —  Impoiiance  des  documents  recueillis  et  publiés.  —  Ce^ 
documents  constituent  une  véritable  enquête  sur  le  versant  nord  du 
Sahara  central.  —  Les  diverses  natures  de  sol  au  Sahara  :  la  hamada, 
les  gow\  la  nebka,  le  ver/,  Vei^g.  —  De  beaucoup  la  plus  grande  partie  du 
Sahara  est  formée  de  sol  ferme  et  plan.  —  Facilités  tout  élémentaires  de 
l'établissement  d'une  voie  ferrée  de  600  kilomètres  au  sud  d'Ouargia 
d'après  l'avant-projet  de  l'ingénieur  Béringer  de  la  première  mission 
Flatters.  —  Les  gassis  ou  couloirs  fermes  entre  les  dunes.  —  Permanence 
de  ces  couloirs.  —  En  dehors  des  gassis,  étendue  de  sable  fixé  par  la 
végétation.  —  La  plus  grande  partie  du  Sahara  se  compose  de  hamada 
et  surtout  de  l'eg,  terrain  consistant  et  en  général  plan.  —  Ces  condi- 
tions sont  éminemment  propices  à  rétablissement  économique  d'une 
voie  ferrée ^ 


TABLE  DES  MATIÈRES.  485 


CHAPITRE  m 
Suite  de  la  première  mission  Flattbrs.  Pluies  et  points  d'eau  observés  par  elle. 

"Description  du  Sahara  d'après  le  chef  et  les  membres  de  cette  mission.  — 
Kxamen  de  la  siccité  et  de  l'aridité  du  Sahara.  —  Ces  caractères  du 
désert  sont  loin  de  se  retrouver  uniformément  et  d'une  façon  accentuée 
sur  toute  sa  surface.  —  Le  Sahara,  sur  de  nombreux  points  de  son  éten- 
due, diffère  beaucoup  de  la  réputation  que  lui  fait  la  légende. 

Importance  des  caravanes  qui  traversent  ce  désert.  —  Il  fournit  aux  néces- 
sités d'alimentation  des  bétes  et  procure  de  l'eau  et  du  bois  aux  hommes. 

—  Effectif  de  la  première  mission  Flatters.  —  La  surface  du  Sahara  se 
prête,  en  maints  districts,  à  une  exploitation  culturale  ou  pastorale  et  à 
l'habitat  permanent  de  Thomme.  —  Démonstration  qui  en  est  faite  par 
le  «(  Journal  de  route  »  et  les  documents  annexes  de  la  mission  Flatters. 

—  Ce  que  boit  un  chameau  ;  comparaison  avec  la  quantité  d'eau  qu'exi- 
gerait un  train.  —  Tous  les  explorateurs  qui  ont  parcouru  le  Sahara  ont 
reçu  de  la  pluie.  —  Pluies  nombreuses  et  parfois  très  abondantes 
qu'essuie  la  première  mission  Flatters.  —  Évaluation  de  ces  pluies.  — 
Les  points  d'eau  rencontrés  et  observés  par  la  mission.  —  Les  eaux 
superficielles.  —  Fréquence  et  importance  des  eaux  souterraines.  —-  La 
mauvaise  qualité  des  eaux  tient  souvent  aux  débris  organiques,  qu'on  y 
laisse.  -^  Les  moindres  soins  procureraient  souvent  de  l'eau  abondante 

et  de  bonne  qualité 103 

CHAPITRE  IV 

La  première  mission  Flatters  (Suite).  —  La  végét.4.tion  herbacée  et  arbustivb 
qu'elle  a  constatée  au  Sahara. 

Grande  variété  des  plantes  au  Sahara.  La  plupart  sont  fourragères.  —  Énu- 

mération  des  plus  répandues  d'entre  elles.  —  «  Véritable  prairie  ».  —  La 

faune  du  Sahara  d'après  la  première  mission  Flatters. 
Le  bois  et  les  arbres.  Les  principales  essences  arbustives.  Débris  nombreux 

et  possibilités  de  palmeraies.  —  Les  gommiers.  —  Les  itels.  —  Arbres 

«  énormes  ». 
L'insécurité  est  cause  que  les  cultures  ne  sont  pas  plus  nombreuses. 
Renseignements  sur  la  faune.  —  Troupeaux  de  chèvres.  —  Animaux  variés.    122 

CHAPITRE  V 

La  première  mission  Flatters  (Suite).  —  L'avant-projet  de  chemin  de  fer 
SUR  600  kilomètres  au  sud  d'Ouargla. 

Le  Sahara  offre  des  conditions  très  propices  à  l'établissement  des  lignes 
ferrées.  —  Rapport  à  ce  sujet  de  l'ingénieur  Béringer,  membre  de  la  mis- 
sion Flatters.  —  Quoique  s'appliquant  à  611  kilomètres  seulement  au  sud 
d'Ouargla,  ce  rapport  vaut,  d'après  les  renseignements  recueillis  par  la 
deuxième  mission  Flatters,  pour  environ  400  kilomètres  au  delà,  soit 
pour  un  millier  de  kilomètres  ou  près  de  la  moitié  du  parcours  du 
Transsaharien.  —  L'avant-projet  de  l'ingénieur  Béringer.  —  Il  conclut, 
pour  un  chemin  de  fer  à  voie  large,  à  une  dépense  maxima  de  100  000  francs 
par  kilomètre.  —  Examen  de  cet  avant-projet.  —  L'adoption  de  la  voie 
de  1  mètre  et  la  baisse  considérable  des  produits  métallurgiques  depuis  1880 
permettent  d'abaisser  à  50  000  ou  53  000  francs  par  kilomètre  la  dépense 
de  construction  de  la  voie  transsaharienne  (matériel  roulant  compris}..     134 


486  TABLE  DES  MATIÈRES. 


CHAPITRE  VI 
La  dbuxi&mb  mission  Platters. 

Composition  insuffisante  de  la  seconde  mission  Flatters.  —  Le  colonel  avait 
demande  d'abord  un  effectif  deux  ou  trois  fois  plus  considérable.  — 
Nature  et  intérêt  des  documents  relatifs  à  cette  seconde  mission.  —  La 
température  au  Sahara  ;  comparaison  &  ce  sujet  des  relevés  de  la  pre- 
mière mission  Flatters  au  printemps  et  de  la  deuxième  en  hiver.  —  Fraî- 
cheur et  même  froid  des  nuits  :  les  maxima  et  les  minima  dans  les  deux 
saisons.  —  Constatations  de  la  mission  relatives  aux  eaux  et  aux  pluies. 
—  Quoique  plus  rares  que  sur  le  trajet  de  la  première  mission,  les  points 
d'eau  ne  manquent  pas,  sont  souvent  abondants  et  le  seraient,  sans  doute, 
toujours  s'ils  étaient  entretenus.  —  Pluies  essuyées  par  la  seconde 
mission  Flatters.  —  Ses  constatations  sur  les  pâturages  et  la  végétation; 
bois  et  arbres  divers.  —  Faune  de  cette  partie  du  Sahara  :  animaux 
divers  ;  gibier  abondant.  —  Les  relevés  de  la  seconde  mission  Flatters, 
en  une  autre  saison  et  pour  un  autre  tracé,  confirment  ceux  de  la  pre- 
mière mission 14S 

CHAPITRE  VII 
L\  DEUXIÈME  MISSION  Flatters  (SuUe).  —  Cause  principale  de  la  soLrrcDE 

PRESQUE  ABSOLUE  DU  SaHARA  :  l'iNSÉCURITK.  —  Le  TRACé  DU  CHEMIN  DE  FER. 

Le  Sahara  est  livré  aux  pillards.  —  Les  razzias  empêchent  l'habitation  per- 
manente et  la  culture  en  dehors  des  oasis  importantes.  —  Témoignages 
abondants  relatifs  à,  cette  insécurité.  —  Cliaamba  et  Touareg  et  autres 
coupeurs  de  routes.  —  Les  caravanes  même  oppriment  parfois  et  ran- 
çonnent les  petits  groupes  de  résidents  ou  se  pillent  entre  elles.  —  Per- 
sistance du  trafic  des  esclaves.  —  Le  Sahara  a  dû  être  de  plus  en  plus 
abandonné  et  comme  résidence  et  comme  lieu  de  passage. 

La  deuxième  mission  Flatters  a  constaté,  comme  la  première,  la  facilité  de 
rétablissement  d*un  chemin  de  fer  dans  le  Sahara.  —  Grande  prédomi- 
nance du  terrain  ret/,  plan  et  ferme,  constituant  une  plaine  horizontale 
solide.  —  Facilité  certaine  du  passage  jusqu'à  Amadghor  vers  le  24«  degré 
de  latitude.  —  Excellence  de  la  position  d'Amguid. 

Très  grande  salubrité  du  Sahara.  —  Elle  constitue  un  avantage  inappré- 
ciable à  la  route  du  nord  relativement  aux  autres  voies  d'accès  à  l'Afrique 
du  centre 181 

CHAPITRE  VHi 

Sommeil  de  l'idée  transsaharienne.  —  Les  explor.\tions  au  sud  de  L'ALcéftiB 
DE  1890  A  1897.  —  Le  commandant  Lamy. 

Abandon  virtuel,  après  le  massacre  de  la  deuxième  mission  Flatters,  de 
tout  projet  de  Transsaharien.  —  Excessive  pusillanimité  de  l'administra- 
tion pour  les  explorations  sahariennes.  —  Excursions  séparées,  néan- 
moins, de  Foureau,  de  Lamy  et  de  quelques  autres,  sur  le  pourtour  de 
la  province  de  Constantine. 

Le  commandant  Lamy.  —  Son  commandement  &  El-Goléa,  de  1891  à  1893. 
—  Puits  artésiens  qu'il  fait  creuser  avec  succès.  —  Son  opinion  sur  les 
puits  du  Sahara.  —  Ils  sont  souvent  souillés  par  les  animaux,  ce  qui 
rend  l'eau  malsaine. 

Protestation  de  Lamy  contre  l'administration  qui  interdit  toute  «  reconnais- 
sance à  grande  envergure  ».  Il  explore,  néanmoins,  tout  le  pays  dans  le 
rayon  de  250  à  300  kilomètres  d'El-Goléa.  —  Son  opinion  sur  la  contrée. 


TABLE  DES  MATIÈRES.  487 

La  main-d'œuvre  à  bas  prix  en  quéle  de  travail.  —  Les  fourrages  et  le  bois 
au  Sahara,  d'après  Lamy.  —  Ses  réflexions  sur  la  grande  salubrité»  Tin- 
sécurité,  la  facilité  d'établir  des  points  d*eau.  —  il  croit  au  Transsaha- 
rien.  —  Possibilités,  d'après  lui,  de  culture  dans  le  Sahara 202 

CHAPITRE  IX 
LiA  MISSION  Foureau-Lamy.  —  Organisation  et  caractère  de  la  mission. 

Préparation  très  soignée  de  la  mission  Foureau-Lamy.  L'effectif  total  de 
la  mission,  du  convoi,  de  l'escorte  et  des  «  convois  libres  »  dépassait 
1  200  chameaux  et  approchait  de  400  hommes.  —  Le  désert  dut,  avec  ces 
maigres  ressources  hivernales,  fournir  des  fourrages,  du  bois,  de  l'eau  à 
cette  énorme  colonne. 
Le  capitaine  Pein,  du  poste  permanent  de  Timassanine,  est  chargé  du  ravi- 
taillement en  vivres  pour  les  hommes  de  la  mission  et  de  l'escorte.  — 
Poste  temporaire  à  Àmguid.  —  Le  contact  est  maintenu  par  le  capitaine 
Pein  jusqu'à  In-Azaoua  au  21»  degré  de  longitude  et  au  delà  de  la  pre- 
mière moitié  du  Sahara. 
L^ élément  scientifique  et  technique  est  beaucoup  plus  faiblement  représenté 
dans  la  mission  Foureau-Lamy  que  dans  les  missions  Fiatters 221 

CHAPITRE  X 
La  marche  et  les  observations  de  la  mission  Foureau-Lamy. 

Marche  de  la  mission  Foureau-Lamy.  —  Analyse  du  journal  de  route.  — 
La  traversée  môme  du  désert  a  pris  moins  de  cinq  mois,  et  l'immobilisa- 
tion dans  TAIr,  par  les  difficultés  que  suscitèrent  les  Touareg,  plus  de 
huit  mois.  —  Les  détours  ou  excursions  faites  au  cours  du  trajet,  les 
renseignements  faux  et  parfois  la  trahison  certaine  des  guides  ont  sen- 
siblement allongé  la  traversée.  —  Les  guides  paraissent  intentionnelle- 
ment avoir  fait  prendre  à  la  mission  la  route  la  plus  mauvaise,  dans  le 
pays  le  plus  désolé. 

Difficultés  pour  la  nourriture  constante  des  1  200  à,  1  300  chameaux. 

Les  diverses  natures  de  terrains  traversés  ;  confirmation  des  observations 
de  Fiatters. 

Les  pluies  et  les  points  d'eau.  ~  Abondance  de  ces  derniers.  —  Le  système 
hydraulique  du  Sahara  est  beaucoup  mieux  constitué  qu'on  ne  se  Tima- 
gine  :  sur  terre  ou  sous  terre,  Teau  s'y  rencontre  fréquemment.  —  Au 
lieu  d'aider  la  nature  dans  le  Sahara,  l'homme  lui  nuit.  —  Le  moindre 
aménagement  et  un  entretien  soigneux  des  puits  donneraient  des  résul- 
tats notables. 

Constatations  de  Foureau  sur  les  pâturages  et  le  bois  au  Sahara.  —  Les 
arbres  au  Sahara  :  le  gommier,  l'éthel  ;  plateaux  boisés.  —  Végétation 
herbacée  très  variée.  —  Tous  ces  pacages  pourraient,  en  nombre  de  cas, 
être  améliorés  par  l'homme.  —-  La  faune  assez  diversifiée  du  Sahara. 

Groupes  de  population  permanente  au  Sahara  ;  ils  pourraient  être  considé- 
rablement accrus  si  l'on  procurait  au  pays  la  sécurité 230 

CHAPITRE  XI 

La  mission  Foureau-Lamy  [Suite).  —  Les  diverses  étapes  de  la  mission  et  les 

CARACTÈRES  SPÉCIAUX  DES  DIVERSES  ZONES  PARCOURUES. 

Les  différentes  parties  du  trajet.  —  Première  section  :  d'Ouargla  (32«  degré 
de  latitude)  à  Aln-el-Hadjadj  (au-dessous  du  27<^  degré)  ;  plaine  facile.  — 
Excellence  de  la  situation  de  Témassininc;  possibilité  d'importante  oasis. 


488  TABLE  DES  MATIÈRES. 

Grands  froid»  au  Sahara  la  nuit  en  décembre  et  janvier  :  le  thermomètre 
descend  à  lO©  au-dessous  de  zéro. 

Faible  hauteur  de  la  chaîne  de  partage  des  eaux  entre  la  Méditerranée  et  le 
bassin  du  Tchad. 

A  partir  d'Issala  non  loin  de  Tadent,  proximité  du  trajet  de  Barth  et  de 
celui  de  la  mission  Foureau-Lamy.  —  Comparaison  des  observations  de 
l'un  et  de  l'autre.  —  Puits  qui  ont  disparu  depuis  Barth.  —  Prédomi- 
nance de  la  plaine.  »  Description  favorable  par  Barth  de  la  végétation  de 
la  contrée  qui  précède  l'Aïr  sur  une  largeur  de  deux  degrés  de  longi- 
tude. —  Le  journal  de  Foureau  confirme  ces  observations.  —  Faune 
abondante. 

Obstacles  apportés,  dans  l'Aïr,  par  les  Touareg  Kéloui  k  la  marche  et  au 
ravitaillement  de  la  mission  Foureau-Lamy.  —  La  mission  est  immobi- 
lisée, de  ce  chef,  pendant  huit  mois  dans  les  villages  de  TAïr.  —  L'Air 
est  non  pas  un  chapelet  d'oasis,  mais  une  continuité  de  terres  cultivées 
ou  cultivables  sans  irrigation. 

Les  observations  de  la  mission  Foureau-Lamy,  rapprochées  de  celles  de 
Barth  pour  la  seconde  partie  du  trajet,  suggèrent  des  réflexions  très 
ri^confortantes.  —  Conclusion  du  rapport  du  commandant  Reibell,  de 
l'escorte  de  la  Mission  Saharienne.  —  Les  difficultés  que  la  mission  eut  à 
surmonter  vinrent  beaucoup  moins  de  la  nature  des  lieux  que  de  celle  des 
hommes -51 

CHAPITRE  XII 
L'AÏR  ET  LE  Damergou  d'après  Barth  et  d'après  le  journal  de  F0DRE\r. 

Le  Sahara,  quoiqu'il  offre  des  possibilités  pastorales  etculturales,  sans  doute 
aussi  minières,  vaut  surtout  comme  route  vers  les  contrées  tropicales  de 
l'Afrique. 

Description  de  l'Aïr,  avancée  du  Soudan  dans  le  Sahara.  —  Barth  y  constate 
de  riches  vallées,  de  bonnes  eaux,  une  végétation  abondante. 

Les  observations  de  la  mission  Foureau-Lamy  ne  contredisent  pas  celles 
de  Barth.  —  Les  Touareg  y  retiennent  et  cherchent  k  y  affamer  la  mis- 
sion :  angoisses  de  celle-ci.  —  Descriptions  très  favorables  du  journal  de 
Foureau  sur  les  abords  de  l'Aïr  :  «  On  dirait  presque  une  prairie  émaillée 
d'arbres.  »  —  Belle  végétation  arbustive  dans  tous  les  ravins.  —  Nombreux 
arbres  d'environ  2  mètres  de  circonférence.  —  Végétation  jusqu'au  som- 
met des  collines.  —  Essences  d'arbres  nouvelles.  —  Faune  abondante.  — 

Année  relativement  sèche  au  temps  de  Foureau.  —  Pluies  constatées  par 
lui  et  par  Barth. 

Le  Damergou.  —  «  La  campagne,  d'après  Foureau,  est  riante  et  semble  une 
plaine  cultivée  de  France».  —  Affleurements  ferrugineux.  —  Riches  mine- 
rais de  cuivre  d'après  Barth 260 

CHAPITRE  XIII 

Autres  témoignages  récents  sur  le  Sahara.  —  Explorations  Cottenest; 
GuiLLo-LouAN ;  Requin;  Besset;  Pein.  —  Le  IIoggar  et  le  Mouydu. 

L'exploration  du  lieutenant  Cottenest  au  Hoggar  au  printemps  de  1902.  - 
Pluies.  —  Grande  facilité  du  terrain  sur  plus  de  600  kilomètres  au  sud 
d'Insalah.  — -  Nouveau  témoignage  que  la  plus  grande  partie  du  Sahara 
présente  une  surface  de  reg  ou  de  sol  uni  et  consistant.  —  Troupeaux 
des  Touareg  :  chèvres,  moutons,  ânes. 

Exploration  du  lieutenant  Guillo-Lohan  au  Hoggar  en  octobre  1902  :  «  Pluies 
torrentielles  et  crues  violentes  d'oueds  ».  —  Montagne  de  3  000  mètres 
dans  le  Hoggar.  —  Nombreux  troupeaux.  —  Impression  favorable  que 
fait  le  pays. 


TABLE  DES  MATIÈRES.  489 

Expédition  du  lieutenant  Requin  au  Mouydir.  —  Abondance  des  p&tu- 
rag^es,  des  bois  et  des  eaux.  —  Pluies  fin  mai.  —  Cultures  abandonnées. 
—  Nombreuses  eaux  k  la  surface  du  sol.  —  Conclusions  très  favorables 
à  cette  contrée. 

Exploration  du  lieutenant  Besset  dans  la  région  d'Insalah,  Ainguid,  le 
Mouydir  (Est)  et  Ifatessen.  —  Indications  également  très  favorables, 
notamment  au  point  de  vue  géologique.  —  Notes  du  professeur  Flamand 
à  ce  sujet. 

Les  missions  diverses  du  capitaine  Pein.  —  Territoires  propices  qu'il  tra- 
verse. —  Eaux  et  cultures. 

Caractère  uniformément  favorable  de  toutes  ces  observations  faites  en  des 
saisons  différentes  et  sur  des  tracés  divers. 

Possibilités  pastorales,  culturales  et  minérales  du  Sahara.  —  L'insécurité 
profonde  et  croissante,  l'ignorance  des  méthodes  de  recherche  et  d'amé- 
nagement des  eaux  et  Tincurie  sont,  beaucoup  plus  que  la  nature,  les 
causes  de  la  désolation  de  cette  immense  contrée 291 


LIVRE  III 

LE  SOUDAN    CENTRAL  ET   OCCIDENTAL. 


CHAPITRE  PREMIER 
La  région  de  Zinder. 

Immensité  des  terres  soudanaises  constituant  le  lot  africain  de  la  France. 

—  Le  Soudan  central.  —  Zinder. 
Les  descriptions  très  favorables  de  Barlh  sur  les  pays  à  l'ouest  et  à  l'est 

de  Zinder.  —  Les  villes  de  Mirria,  de  Vouchek  et  de  Gouré.  —  Nombreuses 

cultures  de  coton  et  de  tabac. 
Description  du  capitaine  Joalland  en  1900.  —Témoignage  très  net  en  faveur 

des  ressources  du  pays.  —  Son  enthousiasme  pour  Zinder  et  la  région 

environnante. 
Le  témoignage  de  M.  Foureau  n'infirme  aucunement  les  témoignages  pré- 
cédents. —  Son  récit  de  son  entrée  à  Zinder.  —  Sa  description  de  la  ville, 

du  commerce  et  de  l'industrie  des  habitants.  —  Abondance  des  objets 

travaillés  en  cuir  et  en  cuivre. 
Le  pays  apparatt  comme  très  minéralisé.  —  Probabilité  de  gisements  de 

cuivre.  —  Énormes  gisements  de  fer  constatés  par  M.  Dorian. 
Goûts  de  confortable  et  de  raffinement  relatif  de  la  population. 
Zinder,  voisine  et  rivale  possible  de  Kano,  est  la  vraie  porte  du  Soudan 

central 326 

CHAPITRE  H 
La  région  du  lac  Tchad.  —  La  zone  d'inondation  du  lac  et  de  ses  tributaires. 

La  contrée  entre  Zinder  et  le  lac  Tchad.  —  Importante  rectification  de  fron- 
tière nous  donnant  pour  limite  la  rivière  du  Komadougou,  par  l'accord 
franco-anglais  de  1904. 

Dévastation  de  tout  le  pays  par  Rabah.  —  Description  que  fait  M.  Foureau 
de  ces  ravages  et  de  ces  ruines,  particulièrement  en  ce  qui  touche  la 
vUle  de  Kouka. 

La  partie  du  pays  ayant  échappé  à  ces  ravages  donne  des  preuves  de 
richesse  actuelle  et  de  beaucoup  plus  grande  richesse  possible.  —  Bétail 
superbe,  d'après  M.  Foureau.  —  Abondance  de  la  vie  animale.  —  Belle 


490  TABLE  DBS  MATIÈRES. 

végétation  :  arbres  extraordinaires.  —  «  Cultures  de  mil  &  perte  de  vue  >. 

—  Tabac,  indigo,  coton.  —  Rapprochement  des  témoignages  de  Fourean 
et  de  Barth  sur  les  cultures  de  coton.  «  Champs  de  coton  ». 

Les  inondations  périodiques  du  Tchad,  du  Komadougou  et  des  autres  cours 
d'eau  de  la  région.  —  Évaluation  de  Taire  de  ces  inondations. 

Les  objections  et  les  inductions  de  M.  Chevalier.  —  Gomment  elles  ne 
peuvent  prévaloir  contre  la  concordance  des  nombreuses  explorations 
antérieures.  —  L'insécurité  constante  et  accrue  sous  Rabah  est  la  seolo 
cause  de  l'abandon  des  cultures  et  de  la  réapparition  de  la  brousse.  — 
Témoignages  à,  ce  sujet. 

Le  Kanem  ;  témoignages  de  Foureau  et  de  Joalland. 

Témoignages  de  Gentil  :  «  Décidément  la  région  du  Tchad  est  riche  »....    ^T 

CHAPITRE  III 
Le  Soudan  NioéaiEN. 

Caractère  du  Niger  et  importance  passée,  actuelle  et  surtout  future,  des 
contrées  qu'il  traverse  et  qu'il  arrose.  —  Les  trois  sections  principales 
du  fleuve.  —  La  France  détient  le  Niger  supérieur  et  le  Niger  moyen.  — 
Les  inondations  périodiques  du  Moyen-Niger.  —  Les  descriptions  du 
capitaine  Lenfant.  —  Le  Nil  français.  —  La  région  de  Say.  —  La  région 
de  Djennô.  —  Preuves  d'une  grande  population  et  d  une  civilisation 
avancée  dans  ces  contrées.  —  La  ville  même  de  Djenné.  —  Le  delta  du 
Bani-Djoliba.  —  L'insécurité,  l'invasion  Touareg  et  la  traite  sont  Ie$ 
seules  causes  du  recul  de  ces  régions  très  favorisées  de  la  nature.  — 
Qualités  très  appréciables  des  populations  agricoles  des  bords  du  PTiger 
moyen  et  du  Niger  supérieur.  —  Jugement  que  porte  sur  elles  le  capi- 
taine Lenfant.  —  Facilités  qu'offre  le  moyen  Niger  pour  la  culture  du 
coton.  —  Millions  d'hectares  qui  pourraient  y  être  affectés  &  cette  culture. 

—  Renseignements  et  calcul  sur  l'avenir  cotonnier  de  cette  région.  —  Le 
Transsaharien  est  la  seule  voie  propice  pour  les  échanges  entre  te 
Moyen-Niger  et  l'Europe  :  les  chemins  de  fer  Sénégalais  ne  desserviront 
utilement  que  le  Haut-Niger.  —  Démonstration  à  ce  sujet 355 


LIVRE  IV 

DE  L'EXéCUTION  ET  DU  TRAFIC  DES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIENS. 


CHAPITRE  PREMIER 
Facilité  et  coût  modique  de  l'entreprise. 

Les  chemins  de  fer  transsahariens  sont  des  œuvres  relativement  modestes. 

—  Leur  étendue  est  très  inférieure  A  celle  des  grandes  lignes  de  l'ancien 
et  du  nouveau  monde. 

La  plus  grande  partie  des  tronçons  qui  les  composent  s'imposera  dans  un 
temps  prochain,  môme  indépendamment  de  toute  idée  transsaharienne. 

—  Si  l'on  déduit  ces  tronçons  en  toutes  circonstances  nécessaires  dans 
le  Sud-Algérien  et  le  Soudan,  la  longueur  proprement  dite  des  Transsaha- 
riens devient  très  modique. 

Le  sol  du  Sahara  se  prête  merveilleusement  &  l'établissement  d'une  voie 

ferrée.  —  La  salubrité  du  pays  facilite  les  travaux. 
Aucune  objection  sérieuse  ne  peut  être  faite  du  chef  de  l'insuffisance  des 

eaux  pour  l'exploitation. 


TABLE  DES  MATIÈRES.  491 

a  construction  sera  très  peu  onéreuse.  —  Elle  devra  se  tenir  entre  500Û0 
et  60  000  francs  le  kilomètre, 
es  frais  d'exploitation  aussi  s'annoncent  comme  modiques 371 

CHAPITRE  II 
Les  éléments  de  trarc  des  chemins  de  fer  transsahariens. 

.es  chemins  de  fer  transsahariens  mettant  le  Soudan  &  cinq  ou  six  jours 
des  capitales  des  grands  peuples  colonisateurs,  Paris,  Londres,  Bruxelles, 
Berlin,  sont  naturellement  appelés  à,  un  important  trafic.  —  Ils  seront 
les  principales  voies  de  pénétration  et  de  service  pour  toute  l'Afrique 
intérieure,  jusque  vers  Téquateur.  —  Ils  représenteront,  pour  les  voya- 
geurs, une  grande  économie  relativement  aux  ^transports  maritimes  et 
mettront  les  voyageurs  à,  l'abri  des  fièvres  de  la  côte, 
«es  différentes  catégories  de  voyageurs  qui  se  serviront  des  Transsahariens. 
—  Grande  importance  certaine  du  courant  de  migration  temporaire  des 
noirs  du  Soudan  vers  l'Algérie  et  la  Tunisie.  —  Les  prix  de  transport  des 
catégories  diverses  des  voyageurs  par  ces  voies.  Les  recettes  de  ce  chef, 
je  trafic  des  marchandises.  —  Le  sel  ;  à,  lui  seul  le  transport  de  cette  den- 
rée procurerait  plusieurs  millions  de  francs  au  chemin  de  fer  transsaha- 
rien. —  Il  en  est  de  même  du  sucre;  la  baisse  des  prix  effectuée  par  la 
d\roinution  des  prix  de  transport  développerait  énormément  la  consom- 
mation soudanaise  de  ces  contrées.  —  Le  transport  du  café  et  du  thé.  — 
Importance  de  cette  dernière  consommation  dans  l'Afrique  intérieure. 
Le  transport  des  objets  manufacturés  du  sud  au  nord  ;  calcul  de  leur  impor- 
tance d'après  certaines  analogies. 
Le  trafic  des  marchandises  du  sud  au  nord.  —  Ce  trafic  n'existe  actuelle- 
ment que  pour  les  articles  qui  peuvent  supporter  un  prix  do  transport 
de  600  h  1000  francs  la  tonne.  —  Tout  un  trafic  nouveau  se  créera 
quand  le  prix  moyen  de  transport  entre  la  Méditerranée  et  le  Soudan 
descendra  à,  70  ou  80  francs  la  tonne  (2  1/2  à  2  3/4  centimes  le  kilomètre) 
pour  les  marchandises  ordinaires  et  à  30  ou  45  francs  la  tonne  (1  centime  1/4 
ou  1  centime  1/2  la  tonne)  pour  les  marchandises  ayant  le  moins  de 
valeur. 
Preuve,  d'après  les  tarifs  existant  sar  les  chemins  de  fer  exploités  à  longue 
distance,  qu'un  tarif  moyen  de  2  1/2  centimes  et  un  tarif  minimum  de 
1  centime  1/4  seraient  possibles  et  rémunérateurs  pour  un  transport  de 
2500  à  3  000  kilomètres,  sans  manipulations  intermédiaires. 
Dès  maintenant,  il  existe  une  nature  de  marchandises  d'exportation  sus- 
ceptible d'un  énorme  développement  :  les  peaux  du  Soudan.  —  .Autres 
produits  d'exportation  déjà  constatés.  —  Le  principal  article,  toutefois, 
doit  être  le  coton.  —  Immense  avenir  cotonnier  de  l'Afrique  intérieure 
(région  du  Tchad  et  région  du  Niger).  —  11  y  a  là  l'équivalent  du  Tur- 
kestan,  sinon  de  l'Egypte. 
Les  produits  minéraux.  —  Tous  les  bons  minerais  de  cuivre,  de  zinc, 
même  de  plomb,  pourraient  payer  les  tarifs  des  Transsahariens  et  trouver 
un  débouché  en  Europe.  —  Les  nitrates  entre  le  Touat  et  le  Hoggar.  — 
Certitude  d'importants  gisements  de  cuivre  et  probabilités  de  gisements 
d'autres  minéraux.  —  Exportation  actuelle  de  la  potasse  de  l'Air. 
Résumé  du  trafic  probable  des  chemins  de  fer  transsahariens.  —  Il  rému- 
nérerait largement  le  capital  engagé. 
Aucune  entreprise  ne  s'offre  aujourd'hui  à  la  France  dans  des  conditions 
aussi  avantageuses 390 


492  TABLE  DES  MATIÈRES. 

CHAPITRE  IH 

Combinaison  pour  pourvoir  aux  éventualités  de  déficit,  quoique  iiPioBAtiEs, 

DES   CHEMINS  DE   FER  TRANSSAHARIENS 

»La  loi  de  juillet  1904  stipulant  la  décroissance  automatique  des  garanties 
d'intértMs  de  la  France  au  réseau  ferré  algérien  existant.  —  Décroissance 
automatique  de  même  nature,  d'après  une  convention  de  190â.  de  la 
garantie  d'intérêts  aux  chemins  de  fer  tunisiens.  —  Possibilité  d'affecter 
ces  disponibilités  certaines  &  couvrir  les  insuffisances  éventuelles,  très 
peu  probables,  des  chemins  de  fer  transsahariens  :  calculs  à  ce  sujet 

Apport  de  trafic  que  les  chemins  de  fer  transsahariens  feraient  aux  lignes 
algériennes  actuellement  existantes  :  évaluation  du  bénéfice  de  cet 
apport.  —  Trafic  actuel  de  la  gare  terminus  de  Béni-Ounif.  —  Le  trafic 
actuel  en  marchandises  de  la  gare  de  Biskra. 

De  l'économie  pQur  l'entretien  des  garnisons  et  pour  l'administration  dan< 
l'extrême  sud  algérien,  sur  les  rives  du  Niger  et  dans  la  région  du 
Tchad  ;  calculs  à  ce  sujet ♦-* 

CHAPITRE  IV 
'Concurrence    entre   les   chemins   de    fer    transsahariens    et   les  voies  roi 
l'Atlantique.  —  Giiandb  suPÉRioRrrÉ  des  premiers  pour  desservir  L'AFUjrE 
intérieure. 

Les  voies  soit  fluviales,  soit  mi-partie  fluviales  mi-partie  ferrées,  soit  entière- 
ment ferrées,  allant  de  l'Afrique  intérieure  vers  la  côte  de  l'Atlantique 
ne  pourront  faire  une  concurrence  sérieuse  aux  chemins  de  fer  transsa- 
hariens. 

Môme  au  cas  où  il  y  aurait»  par  les  voies  de  l'ouest  ou  du  sud-ouest,  une 
sensible  diminution  de  distance,  elle  serait  beaucoup  plus  que  compensée 
par  l'infériorité  des  ports,  dont  les  barres  rendent  l'accès  dangereux, 
par  l'insalubrité  et  par  l'éloignement  de  l'Europe.  —  La  surcharge  de  fret 
et  des  assurances  maritimes  dépasseraient  de  beaucoup  l'économie  sur 
le  transport  par  terre. 

Innavigabilité  du  Niger  sur  rintégralitc  de  son  parcours.  —  Ce  fleuve  est 
comme  quatre  ou  cinq  fleuves  juxtaposés,  mais  sans  communication 
entre  eux.  —  Les  différents  biefs  du  Niger  et  les  rapides.  —  La  naviga- 
bilité sur  chacun  de  ces  biefs.  —  Coût  énorme  du  transport  d'une  tonne 
des  bouches  du  Niger  &  Say  ou  à  Tombouctou  ;  ce  coût  égale  huit  à  dii 
fois  le  prix  de  transport  sur  le  Transsaharien.  —  Dépenses  prodigieuses 
qu'exigerait  la  mise  en  état  approximatif  de  navigabilité  de  ce  fleuve. 

La  navigabilité  défectueuse  du  Sénégal.  —  Détails  à  ce  sujet.  —  Le  che- 
min de  fer  de  Kayes  au  Niger.  —  Nécessité  de  le  prolonger  jusqu'à  la 
ligne  Dakar-Saint-Louis.  —  Il  recevra  surtout  le  trafic  du  Niger  supé- 
rieur et  de  la  moindre  partie  du  Niger  moyen.  —  Le  chemin  de  fer 
transsaharien  attirera  à.  lui  une  bonne  partie  du  trafic  du  moyen  Niger, 
de  Ségou  à  Mopti  et  la  totalité  du  trafic  des  régions  de  Mopti,  de  Tom- 
bouctou, Ansongo  jusqu'à  Say. 

La  nouvelle  route,  découverte  par  le  capitaine  Lenfant,  d'accès  au  TchaJ 
par  la  Bénoué.  —  Klle  ne  peut  avoir  qu'une  portée  économique  tr»s 
restreinte,  et  ne  peut,  à  aucun  point  de  vue,  lutter  contre  le  Transsaha- 
rien. —  Les  deux  Transsahariens  ne  peuvent  avoir  aucune  voie  rivale 
effective *^ 


Table  des  matières.  493^ 


CHAPITRE  V 

DZ     LA    CONSTRUCTION   ET  DE   l'bXPLOITATION   DES  CHEMINS  DE  FER  TRANSSAHARIENS. 

État  ou  compagnies  privées?  Conclusion. 

•a  construction  et  l'exploitation  des  chemins  de  fer  transsahariens  doit 

être  confiée  à  des  compagnies  privées. 
)oux  déplorables  exemples  de  la  construction  par  l'État  français  :  le  che- 
min de  fer  du  Soudan  (liaison  du  Sénégal  et  du  Niger),  long  de  560  kiio- 
nièlres,  a  été  construit  par  l'État  en  vingt-trois  ans,  avec  un  prix  triple 
ou  quadruple  de  ce  qui  eût  été  nécessaire;  la  petite  ligne  de  118  kilo- 
mètres d'Aïn-Sefra  à  Duveyrier,  dans  le  Sud-Oranais,  a  pris  neuf  ans 
pour  sa  construction  par  l'Etat. 
La  continuation  de  cette  ligne  d'une  extrême  importance  économique  et 
stratégique  subit  les  mêmes  lenteurs.  —  Gaspillages  parlementairement 
constatés.  —  Môme  l'intérêt  militaire  le  plus  évident  ne  fait  pas  départir 
rÉtat  de  ces  lenteurs.  —  Trois  causes  de  ces  irrémédiables  lenteurs  de 
VÉlat.  —  Questions  de  trésorerie  qui  rendent  très  diffieile  la  construction 
par  rÉtat  français  de  lignes  étendues. 
La  construction  par  l'État  russe  du  Transcaspien  et  du  Transsibérien  ne 
saurait  servir  d'argument  en  faveur  de  la  construction  par  l'État.  —  Il 
est  reconnu  aujourd'hui  que,  si  méritoire  qu'ait  été  la  construction  de  ces 
deux  grandes  œuvres  de  l'État  moscovite,  elles  sont  entachées  de  beau- 
coup de  lacunes,  de  défauts  et  de  prodigalités. 
Les  tracés  des  Transsaharicns.  —  Prétention  de  dévier  au  sud  du  Maroc  et 
vers  l'Atlantique  les  lignes  sud-oranaises.  Grands  inconvénients  de  ce 
projet. 
Frais  énormes  et  soucis  que  cause  l'absence  des  Transsahariens.  —  Impos- 
sibilité, sans  eux,  de  constituer  l'empire  français  africain.  —  Conclusion.    456 

APPENDICE 
Les  tarifs  et  le  trafic  du  chemin  de  fer  transcaspien  ou  du  Turkestan 473- 


3:4-04.—  GoBBKiL.  Imprimerie  Ed.  CrAté. 


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De  la  Coloniaation  chez  les  peuples  modernes.  li'  i^ditinn.  tî  %oL  în*8. 

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L'Etat  moderne  et  mn  Fonctions,  i  leri  voL  in-H.  :t  iiiHinn,  Prix.  *J  tV. 
Essai  sar  la  répartition  des  rtchessea  et  la  tendance  à  une  moifidre  inéga- 

Uté  des  conditions,  i  vol.  in-8,    V  éiliLion.  Prix*  ,     U  U\ 

Le  CollectiTisme,  f^Mimen  (m  îlîquf  du  nouveau  socialisme,  L<t  1  Évolutiou 

du  socialisme  depuis  1895.  't'  i'dition.  Vn\. ,     *i  tV. 

L  Algérie  et  la  Tunisie,    i  voL  in-8,  2*  t'nlîtUîn.  PHx,  - ^^  li . 


Dictionnaire  d^Ëconomie  politique,  (>ur  MM.  Lin^  Say  et  Jusepii  (jiuilkv- 

Hf.RT.  3  \*iL  ^M'.  in-K,  ronipruuant  un  ï^upplénienl-  l*n\    imii  Um.     iV(»  fr. 

R*-ll(^,.,......,.,...*...-r ...*-  t'î»  "V^ 

Dictionnaire  du  Commerce,  de  Tlndustrie  et  de  la  Banque,  piii  M\LVu^ 

t:.ivtiî  el  A,  K\riAuuviai,.:i  viiltnin'is^'iiind  m  h  mislu.  *U-  :\  i^m  pttf.^es. 

Prix  :  Biwhé -,.*..,.., î>0  fr. 

n       ÏSrlié... ........      ,. .,     *•»  *V. 

Le  Droit  international  codifié,    paî'  BiAyrsuiM,   Ifiwîiiit  jmr  C,   Luiuk 

piTrtMfe*rinH'  hioj,'raphif  d<^  TaiiliHir.  5"  rililion,  1  vol  in-S.  l*rix.  10  IV. 
Théorie  générale  de  l'État,  \mr  h*  nn^mc,  traduit  par  A.  Ih.  iimmMn:y. 

H^rdiliiHi.  t    v*.|.  in-H.    t>nx.,.,,,. .......*.. '^  U\ 

La  Politique,  [uii  le  inènic/liaduil  (wir  A,  lÏK  HiEnMATTF>i.  r  ('*ilHîun,  I  %oK 

in  H.  Prix * ,  * *  *  *    - ^  fi- 

Le  Droit  poblic  gémérali  i>ar  iv  luoirn  .  traduil  par  A    Dr   \lumvrrt:\. 

t^  Hïimr,  l  vol.  în-H.   Prix..  .-...,,  "<  (r, 

La  BnsBie  économique  et  sociale,  par  \v  V^*  (kiMBEs  m  LÏLhiiVkVxw.,  lu 

lorl  \(4tim('  iii-IS    Prix,.......,.,. >-* ♦     <*  0\ 

Le  Droit  politique  contemporain,  par  le  Ah^uti.  l-n  foii  voluni*»  în-^, 

\iy]^    _       _  _   , ,.... I  '^    fr. 

Les  Tarifs  aitférentiels  coloniaux  en  ce  qui  touche  l'Inde  anglaise, 

tmimiihilitc  Jtr  kur  iHiibUsHmHnt ,  pur  Laim  Xmsuw,  consut  du  France. 

lini*'li.  m-iH  Piiw  .  ^  ^'^ 


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