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SCIENTIFIQUE INTERNATIONALE
PUBLIÉE SOUS LA DIRECTIOM
DE M. ÉM. ALGLAVE
LXXIV
BIBLIOTHEQUE
SCIENTIFIQUE INTERNATIONALE
PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION
DE M. ÉM. ALGLAVE
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1891.) 3° édition, 1 vol. in-8, cart. à l'anglaise, 6 fr.
La psycholof/ie du Baisonnpment, recherches par l'hypnotisme (F. Alcan,
Paris, 1880). 1 vol. in-18, 2 fr. 50. Traduction russe, Moscou, 1890.
La Perception e.Ttérieure (Mémoire couronné par l'Académie des sciences
morales et politirpies).
Kfudes de psi/cliolofjie e.r péri mentale (Le fétichisme dans l'amour, La vie
psycliiqiie des micro-organismes, etc.), 2" édition, 1891 (0. l>oin. Paris).
Psychir lif'p. of Micro-nrrianism.s, traduction anglaise de Me Cormack. Chi-
cago, 1890.
Da/t Seelenlehen der kleisnslen Lelteivesen , traduction allemande du
D' W. -Mcdiciis. Halle, 1892.
Donljle conaeiousness. Chicago, 18'.M.
COILOMMIKH'-;. — Iinil. l'ALL BRODAHU.
LES ALTÉRATIONS
DE
LA PERSONNALITÉ
ALFRED BINET
Directeur adjoint du laboratoire de psychologie physiologique
de la Sorbonne (Hautes Études)
AVEC FIGURES DANS LE TEXTE
PARIS
ANCIENNE LIBRAIRIE GERMER BAILLIÈRE ET C"
FÉLIX ALCAN, ÉDITEUR
108, BOULEVARD SAINT- G E R MA IN , 108
1892
Tous droits réservés.
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M. TH. RIBOT
PROFESSEUR DE PSYCHOLOGIE EXPERIMENTALE ET COMPARE!
AU COLLÈGE DE FRANCE
Digitized by the Internet Archive
in 2010 ;With funding from
Open Knowledge Gommons, and Harvard Médical School
http://www.archive.org/details/lesaltrationsd1892bine
INTRODUCTION
Il y a une quinzaine d'années qu'on a commencé en
France, en Angleterre, et dans quelques autres pays, des
recherches de psychologie pathologique, fondées sur l'étude
de l'hystérie et de la suggestion; nous savons tous avec
quelle ardeur les physiologistes et les philosophes se sont
livrés à cette étude nouvelle, et en un très court espace de
temps on a recueilli une quantité vraiment considérable
d'observations et d'expériences de toutes sortes; l'halluci-
nation, les paralysies par suggestion, les altérations de la
personnalité, les troubles de la mémoire, le sens muscu-
laire, les suggestions pendant l'état de veille et pendant
l'hypnose, les suggestions inconscientes, etc., telles sont
les principales questions qui ont été examinées et profon-
dément fouillées.
A mesure que les recherches se multipliaient et s'éten-
daient, il s'est élevé entre les expérimentateurs de nom-
breuses discussions; non seulement on ne s'est pas mis
d'accord sur les théories, mais des faits importants
affirmés par les uns ont été niés par les autres; on a même
vu s'élever école contre école. Les controverses, qu'on a
pu regretter, mais qui, en somme, sont constantes et
même nécessaires dans toute recherche nouvelle, ont jeté
quelque doute sur la valeur véritable des matériaux
amassés.
Mon intention, en écrivant ce livre, n'est point de conli-
VIII INTRODUCTION
nuer la tradition des discussions d'école; au lieu cropposcr
mes expériences à celles des autres autours, je vais
prendre dans leur ensemble tous les résultats qui ont été
obtenus dans l'étude d'une question, pour rechercher
quels sont, parmi ces résultats, ceux qui s'accordent et
peuvent être groupés dans une même synthèse. Je retiendrai
seulement les expériences qui se répètent entre toutes les
mains, et qui donnent toujours la môme conclusion,
quelle que soit la fin cherchée; je mettrai au contraire en
réserve, sans les juger, tous les phénomènes qui n'ont
encore été observés que par une seule personne, et qui ne
se rattachent pas logiquement à un ensemble de faits
connus et acquis; et bien entendu je ferai subir cette épu-
ration à mes propres travaux comme à ceux des autres
auteurs.
L'occasion me paraît être favorable pour tenter cette
oeuvre d'éclectisme; il se produit en ce moment un fait
assez curieux : un grand nombre d'observateurs qui n'ap-
partiennent ni à la même école ni au même pays, qui
n'expérimentent pas sur le même genre de sujets, qui ne
se proposent pas le même objet d'expérience, et qui parfois
s'ignorent profondément, arrivent au même résultat, sans
le savoir; et ce résultat, auquel on parvient par des
chemins divers, et qui fait le fonds d'une foule de phéno-
mènes de la vie mentale, c'est une altération particulière de
la personnalité, un dédoublement ou plutôt un morcelle-
ment du moi. On constate que chez un grand nombre de
personnes, placées dans les conditions les plus diverses,
l'unité normale de la conscience est brisée; il so produit
plusieurs consciences distinctes, dont chacune peut avoir
ses perceptions, sa mémoire et jusqu'à son caractèi'c
moral; nous nous proposons d'exposer en détaille résultat
de ces recherches récentes sur les altérations de la person-
nalité.
Sainl-Valery, IS'Jl.
LES ALTÉRATIONS
DE LA PERSONNALITÉ
PREMIÈRE PARTIE
LES PERSONNALITÉS SUCCESSIVES
CHAPITRE PREMIER
LES SOMNAMBULISMES SPONTANÉS
Les phénomènes psychologiques spontanés. — Les somnambulismes. —
La dame américaine de Mac-Nish. — Observation de M. Azam sur Félida.
— Double existence psychologique.— Caractères distinctifs de ces deux
existences. — Un problème. — Observation de M. Dufay. — Observation
de MM. Bourru et Burot sur Louis V... — Observation de M. Proust.
— Observation de M. Weir-Mitchell. — La division de conscience chez
les hystériques. — Observations analogues dans les intoxications, les
rêves et divers états pathologiques.
I
Ce qui fait l'intérêt des phénomènes psychologiques
spontanés, c'est qu'ils ont subi une influence très minime
des personnes qui les observent; ils n'ont pas été pré-
parés de longue main et d'une manière inconsciente par
un auteur qui avait son opinion faite; ils ne. répondent
par conséquent à aucune théorie préconçue; c'est par eux
que nous commencerons nos études *.
1. M. Ribot, dans la préface de son livre sur les Maladies de la Person-
nalité a insisté sur ceUe idée, que nous croyons très importante.
A. BiNET. 1
■2 LES PERSONNALITES SUCCESSIVES
Les altérations de la personnalité qui peuvent se pro-
duire chez des malades revêtent un très grand nombre de
formes différentes; il n'est nullement question de les passer
toutes en revue. Nous nous bornons ici, comme nous
l'avons dit, à étudier un seul type de ces altérations, les
dédoublements de la personnalité ou plutôt la formation
de personnalités multiples chez un même individu. Ce phé-
nomène peut se présenter chez plusieurs catégories de
malades; nous l'envisagerons spécialement dans l'hystérie,
où il a été surtout étudié dans ces derniers temps.
On a souvent désigné sous le nom de somnambules les
personnes qui présentent ces altérations de la personnalité ;
nous avons conservé ce terme de somnambulisme; il a
besoin d'être expliqué, car on ne lui a pas toujours donné
un sens précis, et les recherches récentes, en multipliant
le nombre et la variété des somnambulismes, ont singu-
lièrement compliqué la question. Il en est de cette ques-
tion comme de l'aphasie qui, à l'époque où Broca l'étudiait,
pouvait recevoir une définition simple; c'était la perte de
la parole articulée; aujourd'hui qu'on a découvert et ana-
lysé tant d'autres formes des maladies du langage, telles
que l'agraphie, la cécité verbale, la surdité verbale et bien
d'autres encore, il n'y a plus une aphasie, il y a des apha-
sies. De même, le terme de somnambulisme doit élargir
sa signification; il n'y a pas un somnambulisme, un état
nerveux toujours identique à lui-même, il y a des som-
nambulismes.
Dans le sens vulgaire et populaire du mot, on appelle
somnambulisme naturel l'état des individus qui se lèvent
la nuit et accomplissent des actes automatiques ou intelli-
gents ; ils s'habillent, reprennent leur travail de la journée,
font aller un métier, ou résolvent un problème dont ils ont
vainement jusque-là cherché la solution; puis, ils se recou-
chent, se rendorment, et le lendemain matin, ils ne con-
servent aucun souvenir de s'être levés pendant la nuit; et
ils sont souvent très surpris de voir terminé un travail
qui la veille au soir était encore inachevé. D'autres font
LES SOMNAMBULISMES SPONTANES 3
des promenades sur les toits et une foule d'excentricités.
Les auteurs ne sont pas encore complètement d'accord
sur la nature de ce noctambulisme; on tend cependant à
admettre aujourd'hui que c'est là un ensemble hétéroclite
de phénomènes, qui ne se ressemblent qu'en apparence,
et qui diffèrent de nature. Parmi les somnambules noc-
turnes, il faut d'abord faire la part des épileptiques, dont
un certain nombre peuvent présenter ce qu'on appelle
« l'automatisme ambulatoire ». On admet encore, au moins
provisoirement, que des personnes saines peuvent figurer
parmi les promeneurs nocturnes, et que par conséquent il
existe un noctambulisme physiologique. Mais la majorité,
l'immense majorité des somnambules, il n'en faut pas
douter, est fournie par l'hystérie; ce sont des hystériques
en état de crise, avec cette particularité que leur attaque
a une échéance nocturne ^
On peut voir dans ces phénomènes un exemple de
dédoublement de la personnalité ; il y a deux personnes
chez les noctambules; la personne qui se lève la nuit est
bien distincte de celle qui veille pendant le jour, puisque
cette dernière ne sait rien et ne conserve aucun souvenir
de ce qui s'est passé pendant la nuit; mais il serait peu
utile de faire une analyse attentive de cette situation, les
éléments d'étude en sont trop rares.
Il existe une autre forme de somnambulisme naturel
qu'on peut mieux étudier, c'est le somnambuhsme qui se
manifeste pendant le jour, ou vigilambulisme : c'est celui
dont nous nous occuperons exclusivement. On doit dis-
tinguer, avons-nous vu plus haut, plusieurs somnam-
bulismes naturels ou spontanés. Les distinctions à établir
reposent sur les conditions particulières où ces somnam-
bulismes se produisent et aussi sur les caractères qu'ils
présentent. Nous nous attacherons, dans ce chapitre, à une
forme de somnambulisme naturel qui offre les caractères
suivants : il s'agit de malades hystériques qui présentent,
i. Consulter, à ce sujet, une leçon de M. Charcot publiée dans la Gazette
hebd. de mëd. et de chrr., 22 mars 1890, par M. Blocq.
4 LES PERSONNALITÉS SUCCESSIVES
outre leur vie normale et régulière, une autre existence
psychologique, ou, comme on dit, une condition seconde,
dont ils ne gardent point de souvenir au retour de l'état
normal; le caractère propre de cette condition seconde,
c'est qu'elle constitue une existence psychologique com-
plète; le sujet vit de la vie commune, il a l'esprit ouvert
à toutes les idées et à toutes les perceptions, et il ne délire
pas. Une personne non prévenue ne saurait pas reconnaître
que le sujet est en état de somnambulisme.
Les meilleurs exemples qu'on puisse citer de ce som-
nambulisme que nous venons de définir, se trouvent dans
les observations déjà anciennes d'Azam, de Dufay et de
quelques autres médecins. Ces observations sont aujour-
d'hui bien connues, banales; elles ont été publiées et ana-
lysées dans une foule de recueils médicaux et même pure-
ment littéraires; mais nous espérons que les recherches
récentes de psychologie expérimentale sur les altérations
de conscience ajouteront quelque chose de nouveau à ces
faits anciens; nous les étudierons à un point de vue un
peu différent de celui sous lequel on les a envisagés
jusqu'ici, et peut-être arriverons-nous à mieux les com-
prendre. Considérés tout d'acord comme des phénomènes
rares, exceptionnels, comme de véritables curiosités patho-
logiques, faites pour étonner plutôt que pour instruire, ces
dédoublements de la personnalité nous apparaissent main-
tenant comme le grossissement d'un désordre mental
qui est très fréquent dans l'hystérie et dans des états voi-
sins.
Une des observations les plus célèbres est celle de la
dame américaine de Mac-Nish ^ : « Une jeune dame ins-
truite, bien élevée, et d'une bonne constitution, fat prise
tout à coup et sans avertissement préalable d'un sommeil
profond qui se prolongea plusieurs heures au delà du
temps ordinaire. A son réveil, elle avait oublié tout ce
qu'elle savait, sa mémoire n'avait conservé aucune notion
1. Mac-Nish, P/u7oso;)/t,y ofsleep, 1830. L'observalion appartient, paraît-il,
à .Mitchcll ot Nott et a paru pour la première fois en 1816.
LES SOMNAMBULISMES SPONTANÉS S
ni des mots ni des clioses; il fallut tout lui enseigner de
nouveau; ainsi, elle dut réapprendre à lire, à écrire et à
compter; peu à peu, elle se familiarisa avec les personnes
et avec les objets de son entourage, qui étaient pour elle
comme si elle les voyait pour la première fois; ses pro-
grès furent rapides.
(( Après un temps assez long, plusieurs mois, elle fut,
sans cause connue, atteinte d'un sommeil semblable à
celui qui avait précédé sa vie nouvelle. A son réveil, elle
se trouva exactement dans le même état où elle était avant
son premier sommeil, mais elle n'avait aucun souvenir de
tout ce qui s'était passé pendant l'intervalle; en un mot,
pendant Xétat ancien, elle ignorait \état nouveau. C'est
ainsi qu'elle nommait ses deux vies, lesquelles se conti-
nuaient isolément et alternativement par le souvenir.
« Pendant plus de quatre ans, cette jeune dame a présenté
à peu près périodiquement ces phénomènes. Dans un état
ou dans l'autre, elle n^a pas plus de souvenance de son
double caractère que deux personnes distinctes n'en ont
de leurs natures respectives; par exemple, dans les
périodes d'état ancien, elle possède toutes les connais-
sances qu'elle a acquises dans son enfance et sa jeunesse;
dans son état nouveau, elle ne sait que ce qu'elle a appris
depuis son premier sommeil. Si une personne lui est pré-
sentée dans un de ces états, elle est obligée de l'étudier et
de la reconnaître dans les deux, pour en avoir la notion
complète. Et il en est de même de toute chose.
«Dans son état ancien, elle a une très belle écriture, celle
qu'elle a toujours eue, tandis que dans son état nouveau,
son écriture est mauvaise, gauche, comme enfantine; c'est
qu'elle n'a eu ni le temps ni les moyens de la perfec-
tionner .
« Cette succession de phénomènes a duré quatre années,
et Mme X... était arrivée à se tirer très bien d'affaire, sans
trop d'embarras, dans ses rapports avec sa famille. »
Il est inutile de s'attarder dans l'analyse de cette obser-
vation incomplète; le seul avantage qu'elle présente est
6 LES PERSONNALITÉS SUCCESSIVES
de nous donner une idée sommaire des ultérations de la
personnalité que nous cherchons à étudier. On voit de
prime abord que ce qui caractérise chacune de ces person-
nalités, ce qui les distingue les unes des autres, ce qui fait
qu'elles sont plusieurs et non une seule, c'est un état par-
ticulier de la mémoire. Dans l'état 1, la personne ne se
souvient pas de ce qui s'est passé dans l'état 2; et, récipro-
quement, quand elle se retrouve dans l'état 2, elle oubhe
l'état 1 ; cependant, la mémoire propre à chacun de ces-
états est bien organisée et en relie toutes les parties, de
sorte que la personne, au moment où elle est dans un état,
se rappelle l'ensemble des événements qui s'y rattachent.
Nous nous arrêterons plus longtemps sur l'observation
de Félida, recueillie par M. Azam (de Bordeaux). L'obser-
vation a été très longue, très minutieuse; elle a commencé
en 1858, elle dure encore; elle s'étend donc sur un espace
de plus de trente ans. Nous allons la reproduire presque
in extenso \
Féhda est née en 1843, à Bordeaux, de parents bien
portants. Son développement s'est fait d'une façon régu-
lière. Vers l'âge de treize ans, peu après la puberté, elle
a présenté des symptômes dénotant une hystérie commen-
çante, accidents nerveux variés, douleurs vagues, hémor-
ragies pulmonaires, que n'expliquait pas l'état des or-
ganes de la respiration.
Bonne ouvrière et d'une intelligence développée, elle
travaillait à la journée à des ouvrages de couture.
Yers l'âge de quatorze ans et demi, sans cause connue,
quelquefois sous l'empire d'une émotion, Féhda éprouvait
une douleur aux deux tempes, et tombait dans un accable-
ment profond, semblable au sommeil. Cet état durait
environ dix minutes. Après ce temps, et spontanément,
elle ouvrait les yeux, paraissant s'éveiller, et entrait dans
le deuxième état, qu'on est convenu de nommer condition
seconde; il durait une heure ou deux, puis l'accablement
1. Uijpno Usine, double conscience el allérations de la Personnalité, Paris.
1887.
LES SOMNAMBULISMES SPONTANES 7
et le sommeil reparaissaient et Félida rentrait dans l'état
ordinaire.
Cette sorte d'accès revenait tous les cinq ou six jours, ou
plus rarement; ses parents, et les personnes de son entou-
rage, considérant le changement de ses allures pendant
cette sorte de seconde vie et son oubli au réveil, la
croyaient folle.
Bientôt les accidents de l'hystérie proprement dite s'ag-
gravèrent. Félida eut des convulsions et les phénomènes
de prétendue foKe devinrent plus inquiétants.
M. Azam fut appelé à lui donner des soins en juin 1858 ;
voici ce qu'il constata en octobre de la même année :
Félida est brune, de taille moyenne, assez robuste et
d'un embonpoint ordinaire; elle est sujette à de fréquentes
hémoptysies, probablement supplémentaires; très intelli-
gente et assez instruite pour son état social, elle est d'un
caractère triste, même morose; elle parle peu, sa conver-
sation est sérieuse, sa volonté est très arrêtée et son ardeur
au travail très grande. Ses sentiments affectifs paraissent
peu développés. Elle pense sans cesse à son état maladif
qui lui inspire des préoccupations sérieuses, et souffre de
douleurs vives dans plusieurs points du corps, particuliè-
rement à la tête; le symptôme nommé clou hystérique est
chez elle très développé.
On est particulièrement frappé de son air sombre et du
peu de désir qu'elle a de parler; elle répond aux ques-
tions, mais c'est tout.
Si on l'examine avec soin au point de vue intellectuel,
on trouve ses actes, ses idées et sa conversation parfaite-
ment raisonnables.
Presque chaque jour, sans cause connue, ou sous l'empire
d'une émotion, elle est prise de ce qu'elle appelle sa crise;
en fait, elle entre dans son deuxième état; elle est assise,
un ouvrage de couture à la main ; tout d'un coup, sans
que rien puisse le faire prévoir, et après une douleur aux
tempes plus violente que d'habitude, sa tête tombe sur sa
poitrine, ses mains demeurent inactives et descendent
8 LES PERSONNALITÉS SUCCESSIVES
inertes le long du corps; elle dort ou paraît dormir, mais
d'un sommeil spécial, car aucun bruit, aucune excitation,
pincement ou piqûre, ne saurait Téveilier; de plus, cette
sorte de sommeil est absolument subit. Il dure deux à trois
minutes; autrefois, il était beaucoup plus long.
Après ce temps, Félida s'éveille, mais elle n'est plus
dans l'état intellectuel où elle était quand elle s'est
endormie. Tout paraît différent. Elle lève la tète, et ouvrant
les yeux, salue en souriant les personnes qui l'entourent,
comme si elles venaient d'arriver; la physionomie, triste et
silencieuse auparavant, s'éclaire et respire la gaieté; sa
parole est brève, et elle continue en fredonnant l'ouvrage
d'aiguille que dans l'état précédent elle avait commencé;
elle se lève, sa marche est agile et elle se plaint à peine
des mille douleurs qui quelques minutes auparavant la
faisaient souffrir; elle vaque aux soins ordinaires du
ménage, sort, circule dans la ville, fait des visites, entre-
prend un ouvrage quelconque, et ses allures et sa gaieté
sont celles d'une jeune fille de son âge bien portante; nul
ne saurait trouver quelque chose d'extraordinaire à sa
façon d'être. Seulement son caractère est complètement
changé; de triste, elle est devenue gaie et sa vivacité
touche à la turbulence; son imagination est plus exaltée;
pour le moindre motif elle s'émeut en tristesse et en joie;
d'indifférente à tout, elle est devenue sensible à l'excès.
Dans cet état, elle se souvient parfaitement de tout ce
qui s'est passé pendant les autres états semblables qui ont
précédé et aussi pendant sa vie normale. Il est bon d'ajouter
qu'elle a toujours soutenu que l'état, quel qu'il soit, dans
lequel elle est au moment où on lui parle, est l'état normal
qu'elle nomme sa raison^ par opposition à l'autre qu'elle
appelle sa crise.
Dans cette vie comme dans l'autre, ses facultés intellec-
tuelles et morales, bien que différentes, sont incontesta-
blement entières : aucune idée délirante, aucune fausse
appréciation, aucune hallucination. Félida est autre, voilà
tout. On peut même dire que dans ce deuxième état, dans
LES SOMNAMBULISMES SPONTANÉS 9
cette condition seconde, comme l'appelle M. Azam, toutes
ses facultés paraissent plus développées et plus complètes.
Cette deuxième vie, oii la douleur physique ne se fait
pas sentir, est de beaucoup supérieure à l'autre; elle l'est
surtout par ce fait considérable que, pendant sa durée,
Félida se souvient non seulement de ce qui s'est passé pen-
dant les accès précédents, mais aussi de toute sa vie nor-
male, tandis que pendant sa vie normale, elle n'a aucun
souvenir de ce qui s'est passé pendant ses accès.
Après un temps variable, tout à coup la gaieté de Félida
disparaît, sa tête se fléchit sur sa poitrine et elle retombe
dans un état de torpeur. Trois à quatre minutes s'écoulent
et elle ouvre les yeux pour rentrer dans son existence ordi-
naire. On s'en aperçoit à peine, car elle continue son tra-
vail avec ardeur, presque avec acharnement; le plus sou-
vent c'est un travail de couture entrepris dans la période
qui précède; elle ne le connaît pas, et il lui faut un effort
d'esprit pour le comprendre. Néanmoins elle le continue
comme elle peut, en gémissant sur sa malheureuse situa-
tion; sa famille, qui a l'habitude de cet état, l'aide à se
mettre au courant.
Quelques minutes auparavant elle chantonnait quelque
romance; on la lui redemande; elle ignore absolument ce
qu'on veut dire. On lui parle d'une visite qu'elle vient de
recevoir; elle n'a vu personne. L'oubli ne porte que sur ce
qui s'est passé pendant la condition seconde, aucune idée
générale acquise antérieurement n'est atteinte, elle sait
parfaitement lire, écrire, compter, tailler, coudre, etc., et
mille autres choses qu'elle savait avant d'être malade ou
qu'elle a apprises pendant ses périodes précédentes d'état
normal.
Yers 1858, s'est montré un troisième état qui n'est qu'un
épiphénomène de l'accèg. M. Azam a vu cet état seulement
deux ou trois fois, et pendant seize ans son mari ne l'a
observé qu'une trentaine de fois : étant dans sa condition
seconde, elle s'endort de la façon déjà décrite, et au lieu
de s'éveiller dans l'état normal comme d'habitude, elle se
10 LES PERSONNALITÉS SUCCESSIVES
trouve dans un état spécial que caractérise une terreur
indicible; ses premiers mots sont : « j'ai peur..., j'ai peur. »
Elle ne reconnaît personne, sauf le jeune homme qui est
devenu son mari. Cet état quasi délirant dure peu.
La séparation des deux existences est très nette, comme
le fait suivant peut le démontrer. Un jeune homme de
dix-huit à vingt ans connaissait Félida X... depuis son
enfance, et venait dans la maison; ces jeunes gens ayant
l'un pour l'autre une grande affection s'étaient promis le
mariage. Pendant sa condition seconde, elle s'abandonne à
lui et devient grosse. Dans sa période de vie normale, elle
l'ignore.
Un jour, Félida, plus triste qu'à l'ordinaire, dit à son
médecin, les larmes dans les yeux, que « sa maladie s'ag-
grave, que son ventre grossit et qu'elle a chaque matin des
envies de vomir »; en un mot elle lui fait le tableau le
plus complet d'une grossesse qui commence; elle le con-
sulte sur les troubles physiologiques de sa grossesse qu'elle
prend pour des maladies. Dans l'accès qui suit de près,
Félida dit : « Je me souviens parfaitement de ce que
je viens de vous dire, vous avez dû facilement me com-
prendre, je l'avoue sans détours,... je crois être grosse. »
Dans cette deuxième vie, sa grossesse ne l'inquiétait pas,
et elle en prenait assez gaiement son parti. Devenue
enceinte pendant sa condition seconde, elle l'ignorait donc
pendant son état normal et ne le savait que pendant ses
autres états semblables. Mais cette ignorance ne pouvait
durer; une voisine devant laquelle elle s'était expliquée
fort clairement et qui, plus sceptique qu'il ne convient,
croyait que Félida jouait la comédie, après l'accès lui
rappela brutalement sa confidence. Cette découverte fit à
la jeune fille une si forte impression qu'elle eut des con-
vulsions hystériques très violentes.
. A l'âge de dix-sept ans et demi, Félida a fait ses pre-
mières couches, et pendant les deux années qui ont suivi,
sa santé a été excellente; aucun phénomène particulier n'a
été observé.
LES SOMNAMBULISMES SPONTANES 11
Vers dix-neuf ans et demi, les accidents reparaissent
avec une moyenne intensité. Un an après, deuxième gros-
sesse très pénible, crachements de sang considérables et
accidents nerveux variés, se rattachant à l'hystérie, tels
que accès de léthargie qui durent trois et quatre heures.
A ce moment et jusqu'à l'âge de vingt-quatre ans, les
accès se sont montrés plus nombreux, et leur durée, qui a
d'abord égalé celle des périodes d'état normal, commence
à les dépasser. Les hémorragies pulmonaires sont deve-
nues plus fréquentes et plus considérables. Félida a été
atteinte de paralysies partielles, d'accès de léthargie,
d'extase, etc.
De vingt-quatre à vingt-sept ans, la malade a eu trois
années complètes d'état normal, puis la maladie a reparu.
Dans l'espace de seize années, Félida a eu onze grossesses
à terme ou fausses couches.
La condition seconde, la période d'accès qui en 1858 et
1859 n'occupait qu'un dixième environ de l'existence, a
augmenté peu à peu de durée; elle est devenue égale
à la vie normale, puis l'a dépassée pour arriver graduelle-
ment à l'état actuel oii elle remplit l'existence presque
entière.
En 1875, M. Azam, après avoir longtemps perdu de vue
Félida, la retrouve mère de famille et dirigeant un magasin
d'épicerie; elle a trente-deux ans; elle n'a que deux enfants
vivants. Elle est amaigrie, sans avoir l'aspect maladif. Elle
a toujours des absences de mémoire qu'elle nomme impro-
prement des crises.
Seulement ces prétendues crises, qui ne sont, après tout,
que les périodes d'état normal, sont devenues beaucoup
plus rares. L'absence des souvenirs qui les caractérise lui
a fait commettre de telles bévues dans ses rapports avec
des voisines que Félida en a conservé le plus pénible sou-
venir, et craint d'être considérée comme folle. Elle est
très malheureuse quand elle pense à sa condition normale,
aussi parfois elle a des idées de suicide. Elle reconnaît
que, dans ces moments, son caractère se modifie beau-
12 LES PERSONNALITES SUCCESSIVES
coup : elle devient, dit-elle, méchante et provoque dans
son intérieur des scènes violentes.
Elle raconte certains épisodes qui montrent bien la
raison de son tourment. Un jour qu'elle revenait en fiacre
des obsèques d'une dame de sa connaissance, elle sent
venir la période qu'elle nomme son accès (état normal),
elle s'assoupit pendant quelques secondes, sans que les
dames qui étaient avec elle dans le fiacre s'en aperçoivent,
et s'éveille dans l'autre état, ignorant absolument pourquoi
elle était dans une voiture de deuil, avec des personnes
qui, selon l'usage, vantaient les qualités d'une défunte
dont elle ne savait pas le nom. Habituée à ces situations,
elle attendit; par des questions adroites, elle se fit mettre
au courant, et personne ne put se douter de ce qui s'était
passé.
Elle perd sa belle-sœur à la suite d'une longue maladie.
Or, pendant les quelques heures de son état normal, elle a
eu le chagrin d'ignorer absolument toutes les circonstances
de cette mort; à ses habits de deuil seulement, elle a
reconnu que sa belle-sœur, qu'elle savait malade, avait
succombé.
Ses enfants ont fait leur première communion pendant
qu'elle était en condition seconde; elle a aussi le chagrin
de l'ignorer pendant la période d'état normal.
11 est survenu une certaine différence dans la situation
delà malade. Autrefois FéHda perdait entièrement connais-
sance pendant les courtes périodes de transition ; cette
perte était même si complète qu'un jour, en 1859, elle
tomba dans la rue et fut ramassée par des passants. Après
s'être réveillée dans son autre état, elle les remercia en
riant, et ceux-ci ne purent naturellement rien comprendre
à cette singulière gaieté. Cette période de transition a peu
à peu diminué de longueur, et bien que la perte de con-
naissance soit aussi complète, elle est tellement courte,
que Eélida peut la dissimuler en quelque lieu qu'elle se
trouve. Certains signes à elle connus, tels qu'une pression
aux tempes, lui indiquent la venue de ces périodes. Dès
LES SOMNAMBULISMES SPONTANES 13
qu'elle les sent venir, elle porte la main à la tête, se plaint
d'un éblouissement, et après une durée de temps insaisis-
sable, elle passe dans l'autre état. Elle peut ainsi dissi-
muler ce qu'elle nomme une infirmité. Or cette dissimula-
tion est si complète, que dans son entourage son mari
seul est au courant de son état du moment.
Les variations de caractère sont très accusées. Dans la
période d'accès ou de condition seconde elle est plus fîère,
plus insouciante, plus préoccupée de sa toilette; déplus
elle est moins laborieuse, mais beaucoup plus sensible; il
semble que dans cet état elle porte à ceux qui l'entourent
une plus vive affection.
Dans son état normal, elle~est d'une tristesse qui touche
au désespoir. Sa situation est en effet fort triste, car tout
est oublié, affaires, circonstances importantes, connais-
sances faites, renseignements donnés. C'est une vaste
lacune impossible à combler. Le souvenir n'existe que
pour les faits qui se sont passés dans les conditions sem-
blables. Onze fois Félida a été mère. Toujours cet acte
physiologique de premier ordre, complet ou non, s'est
accompli pendant l'état normal. Si on lui demande à
brùle-pourpointladatedecejour, elle cherche et se trompe
de près d'un mois.
On lui avait donné un petit chien, qui s'habitua à elle
et la caressait chaque jour. Après quelque temps, survient
une période de vie normale; à son réveil dans cette vie, ce
chien la caresse, elle le repousse avec horreur, elle ne le
connaît pas, elle ne l'a jamais vu : c'est un chien errant
entré par hasard chez elle.
Les sentiments affectifs ne sont plus de la même nature
dans les deux conditions. Félida est indifférente et mani-
feste peu d'affection pour ceux qui l'entourent; elle se
révolte devant l'autorité naturelle qu'a son mari sur elle.
« Il dit sans cesse : Je veux ^ dit-elle; cela ne me convient
pas, il faut que dans mon autre état je lui aie laissé prendre
cette habitude. Ce qui me désole, ajoute-t-elle, c'est qu'il
m'est impossible d'avoir rien de caché pour lui, quoiqu'en
14 LES PERSONNALITES SUCCESSIVES
fait je n'aie rien à dissimuler de ma vie. Si je le voulais, je
ne le pourrais pas. Il est bien certain que dans mon autre
vie je lui dis tout ce que je pense. » De plus son caractère
est plus hautain, plus entier.
Ce qui la touche particulièrement, c'est l'incapacité rela-
tive qu'amènent les absences de mémoire, surtout en ce
qui touche son commerce. « Je fais erreur sur la valeur
des denrées dont j'ignore le prix de revient, et suis con-
trainte à mille subterfuges, de peur de passer pour une
idiote! »
Il est plusieurs fois arrivé que, s'endormant le soir dans
son état normal, elle s'est éveillée le matin dans l'accès,
sans que ni elle ni son mari en aient eu connaissance; la
transition a donc eu lieu pendant le sommeil.
Félida dort comme tout le monde et au moment ordi-
naire, seulement son sommeil est toujours tourmenté par
des rêves ou des cauchemars; de plus il est influencé par
des douleurs physiques; ainsi elle rêve souvent d'abattoirs
et d'égorgements. Souvent aussi elle se voit chargée de
chaînes ou liée avec des cordes qui brisent ses membres.
Ce sont ses douleurs musculaires ordinaires qui se trans-
forment ainsi.
On sait quel rôle jouent les habitudes dans l'existence.
Félida conserve-t-elle, pendant ces courtes périodes d'état
normal, alors qu'elle paraît avoir tout oublié, des habi-
tudes acquises pendant la condition seconde? M. Azam a
remarqué que pendant les courtes périodes d'état normal,
Félida a oublié les heures des repas; or, prendre sa nour-
riture chaque jour à la môme heure, paraît être une habi-
tude.
En 1877, Félida a trente-quatre ans. Elle vit en famille
avec son mari et les deux enfants qui lui restent. A la
suite de circonstances diverses, elle a repris son ancien
métier de couturière et dirige un petit atelier. Sa santé
générale est déplorable, car elle souffre de névralgies,
d'hémorragies, de contractures, de paralysies locales, etc.;
elle est cependant fort courageuse, surtout dans la condi-
LES SOMNAMBULISMES SPONTANES 15
tion seconde, où ses douleurs ont, du reste, une moindre
intensité.
La période de transition qui fait entrer Félida en con-
dition seconde est de plus en plus courte. Bien qne Félida
soit devenue plus habile à la dissimuler, la perte de con-
naissance est complète. Dans ces derniers temps, dit
M. Azam, sur ma demande, son mari a constaté, comme
je l'avais fait antérieurement, qu'elle y était toujours abso-
lument étrangère à toute action extérieure.
La veille et le sommeil sont normaux, et les accidents
décrits surviennent indifféremment dans les deux états.
Comme la condition seconde constitue maintenant la vie
presque entière de Félida, on y peut observer à loisir
divers phénomènes hystériques d'une grande rareté. Ce
sont des congestions spontanées et partielles. A un moment
donné, sans cause appréciable, et tous les trois à quatre
jours, Félida ressent une sensation de chaleur en un point
quelconque du corps; cette partie gonfle et rougit. Cela se
passe souvent à la face, alors le phénomène est frappant,
mais le tégument externe est trop solide pour se prêter à
l'exsudation sanguine : une fois seulement, un suintement
de cette nature a eu lieu pendant la nuit au travers de la
peau de la région occipitale, reproduisant les stigmates
saignants.
En 1878, Féhda est, au premier abord, semblable à tout
le monde; cette ressemblance est si grande que, devenue
très habile à dissimuler son amnésie et les troubles qui
l'accompagnent, elle cache très bien une infirmité dont
elle a honte. Couturière et mère de famille, elle remplit à
la satisfaction de tous ses obligations et ses devoirs. D'une
bonne constitution, elle n'est qu'amaigrie par des douleurs
nerveuses, par de fréquentes hémorragies pulmonaires
ou autres.
Dans sa condition seconde, elle est à peu près comme
tout le monde. Enjouée et d'un heureux naturel, elle
souffre peu ; son intelhgence et toutes ses fonctions céré-
brales, y compris la mémoire, sont parfaitement complètes.
46 LES PERSONNALITÉS SUCCESSIVES
Un jour, le plus souvent quand elle a eu quelque cha-
grin, elle éprouve à la tête une sorte de serrement, une
sensation à elle connue, qui lui annonce son prochain
changement d'état. Alors elle écrit\ si on lui demande
l'explication de cet acte, elle répond : « Gomment ferais-je,
si je n'écrivais pas ce que j'aurai à faire? Je suis couturière;
j'ai sans cesse à travailler d'après des mesures déterminées;
j'aurais l'air d'une imbécile auprès de mon entourage, si je
ne savais pas les dimensions exactes des manches et des
corsages que j'ai à tailler. « Bientôt, Félida est prise d'une
perte de connaissance complète, mais tellement courte
(une fraction de seconde) qu'elle peut la dissimuler à tous.
A peine ferme-t-elle les yeux, puis elle revient à elle et
continue sans mot dire l'ouvrage commencé.
Alors elle consulte son écrit pour ne pas commettre des
erreurs qu'elle redoute; mais elle est en quelque sorte une
autre personne, car elle ignore absolument tout ce qu'elle
dit, tout ce qu'elle fait, tout ce qui s'est passé pendant la
période précédente, celle-ci eùt-elle duré deux ou trois ans.
Cette autre vie, c'est l'état normal, c'est la personnaHté, le
naturel qui caractérisaient Félida à l'âge de quatorze ans,
avant toute maladie.
Cette période, qui n'occupe aujourd'hui qu'un trentième
ou un quarantième de l'existence, ne diffère de ces périodes
précédentes que par le caractère. Alors Félida est morose,
désolée; elle se sent atteinte d'une infirmité intellectuelle
déplorable, et elle en éprouve un chagrin qui va jusqu'au
désespoir et jusqu'au désir du suicide. Après quelques
heures, aujourd'hui, survient une période de transition et
notre jeune femme rentre dans la période seconde qui
constitue presque toute son existence.
Un fait spécial, un drame intime, donne la mesure de
la profondeur de la séparation que creuse l'absence de
souvenir entre les deux existences de Féhda, c'est comme
un abîme :
Au mois d'avril 1878, étant en condition seconde, Féhda
croit avoir la certitude que son mari a une maîtresse; elle
LES SOMNAMBULISMES SPONTANÉS 17
se répand en menaces contre elle; prise d'un affreux déses-
poir, elle se pend. Mais ses mesures sont mal prises, ses
pieds renversent une table, les voisins accourent et on la
rappelle à la vie. Cette épouvantable secousse n'a rien
changé à son état. Elle s'est pendue en condition seconde,
en condition seconde elle se retrouve. « Gomme je serais
heureuse, disait-elle deux jours après, si j'avais ma crise
(c'est ainsi qu'elle désigne ses courtes périodes de vie nor-
male); alors au moins j'ignore mon malheur. » Elle
l'ignore, en effet, si bien que pendant les périodes sui-
vantes d'état normal, rencontrant cette femme, elle la
comble de prévenances et de marques d'amitié.
En 1882, Félida vit à peu près toujours en condition
seconde; la vie normale, avec sa perte de souvenir si
caractéristique, n'apparaît plus qu'à des intervalles de
quinze jours à trois semaines et ne dure que quelques
heures; les périodes de transition, qui ne duraient que
quelques minutes, se sont réduites à quelques secondes ou
à une durée si inappréciable que Félida, qui veut que son
entourage ignore sa maladie, peut les dissimuler complè-
tement. Après quinze jours, un mois, deux mois, apparais-
sent de courtes périodes de vie normale précédées et sui-
vies de transitions inappréciables. Leur apparition est
quelquefois spontanée, mais elle est le plus souvent pro-
voquée par une contrariété quelconque; les apparitions
spontanées ont surtout lieu la nuit.
Dans les premières années de la maladie, la vie ordinaire
de Félida était tourmentée par des manifestations doulou-
reuses des plus pénibles, et son caractère était triste,
même sombre et taciturne. Cette tristesse, à un moment,
a été telle que la malade a tenté de se suicider, tandis
que, par opposition, les périodes de condition seconde
étaient caractérisées par l'absence des douleurs et par une
grande gaieté. En un mot, Félida avait, en même temps
que deux existences, deux caractères absolument diffé-
rents. Petit à petit, soit sous l'influence des années et des
épreuves de la vie, soit par toute autre cause, les condi-
A. BiNET. 2
18 LES PERSONNALITÉS SUCCESSIVES
tions secondes, qui sont devenues la vie à peu près entière,
n'ont plus présenté ni gaieté ni liberté d'esprit, mais la
gravité et le sérieux de toute personne raisonnable. On
peut dire que les deux caractères se sont égalisés et comme
fondus l'un dans l'autre.
Enfin, en 1887, Fëlida a quarante- quatre ans; son état
est le même qu'en 1882, les périodes de vie normale
deviennent de plus en plus rares.
On peut en résumé retenir de l'observation précédente
les faits suivants : L'altération de la personnalité présentée
parFélida est sous la dépendance de la névrose hystérique ;
cela est incontestable; Félida a présenté un si grand
nombre de phénomènes hystériques, tels que le clou, les
hémoptysies, les altérations de la sensibihté, les convul-
sions, les attaques de léthargie, qu'on ne saurait conserver
de doute à cet égard. De temps en temps, la malade
change de condition mentale, on peut même dire de per-
sonnalité; la transition ne se fait pas insensiblement, mais
toujours avec une perte de connaissance. Au début, il se
produisait un sommeil profond pendant lequel la malade
ne sentait aucune excitation ; ce sommeil s'est abrégé avec
le temps, mais il reste toujours une perte de connaissance,
qui creuse l'abîme entre les deux existences. 11 est à noter
qu'il n'y a jamais eu de convulsions au moment du pas-
sage, bien que Félida ait eu à d'autres occasions des atta-
ques d'hystérie convulsive.
En se réveillant dans sa condition nouvelle, la malade
est devenue une autre personne. Son caractère est changé;
il était triste, morose, pendant sa condition normale; il
devient plus tendre, plus gai, plus affectueux; en revanche,
la malade est moins active, moins travailleuse. Son intelli-
gence est plus développée, et sa sensibilité paraît plus
délicate (malheureusement, ce point important n'a pas été
examiné avec un soin suffisant). A la modification du
caractère s'ajoute une modification de la mémoire; pen-
dant la condition seconde, Félida conserve le souvenir de
tous ses états, et de tous les faits appartenant aux deux
LES SOMNAMBULISMES SPONTANES 19
existences; cest à ce moment que sa mémoire présente
Je maximum d'étendue. Puis, à un certain moment, il sur-
vient brusquement une nouvelle perte de connaissance
semblable à la première; la malade repasse dans la pre-
mière condition; elle retrouve son caractère triste et son
activité, et, en même temps, elle présente une perte de
mémoire bien curieuse : elle ne peut se rappeler les faits
appartenant à sa condition seconde, et nous avons vu les
nombreuses conséquences, si pénibles pour elle, de cette
amnésie périodique.
La distinction des deux conditions mentales repose donc
sur deux éléments principaux, un changement de caractère
et une modification de la mémoire; c'est ce qui fait que
Félida est réellement deux personnes morales, et qu'elle a
réellement deux moi; son second moi n'est point un moi
factice, inventé dans une intention purement littéraire,
pour faire image; il est parfaitement bien organisé, capable
de lutter contre le premier moi, capable même de le rem-
placer, puisque nous voyons aujourd'hui cette malade
continuer son existence avec ce second moi qui, d'abord
accidentel et anormal, constitue maintenant le centre régu-
lier de sa vie psychique.
Il nous reste, en terminant, à indiquer avec précision le
problème psychologique posé par l'histoire de Féhda; voilà
deux vies mentales qui se déroulent alternativement, sans
se confondre ; chacune de ces existences consiste dans une
série d'événements psychologiques liés les uns aux autres;
si Félida se trouve dans l'état prime, elle peut se rap-
peler les événements de cet état; au contraire il lui est
impossible, sans l'aide d'autrui, de retrouver le souvenir
des événements appartenant à l'état second. Pourquoi?
Cette amnésie ne s'explique point psychologiquement par
les lois si bien étudiées de l'association des idées. D'après
ces lois, tous les souvenirs peuvent se réveiller par l'action
de la ressemblance et de la contiguïté; nous voyons ici ces
deux forces d'association en défaut; les souvenirs de la
condition seconde ne reparaissent pas pendant la condition
20 LES PERSONNALITÉS SUCCESSIVES
normale, alors même qu'ils pourraient être évoqués par
les associations d'idées les plus efficaces; nous n'en vou-
lons pour preuve que ce petit chien, que Félida comble de
caresses pendant la seconde vie et ne reconnaît pas pen-
dant la première. On n'a pas suffisamment remarqué,
croyons-nous, combien cette amnésie caractéristique est
contraire aux idées reçues sur l'association des idées. 11 est
de fait qu'entre les deux synthèses mentales constituant
les deux existences de Félida, l'association d'idées ne joue
plus.
Nous aurons souvent l'occasion de répéter cette remarque.
M. Dufay, de Blois, a publié une observation sur une
malade analogue à la précédente \ Nous citerons les pas-
sages les plus intéressants de cette observation.
« C'est vers 1845 que je commençai à être témoin des
accès de somnambulisme de Mlle R. L., et j'eus pendant
une douzaine d'années l'occasion à peu près quotidienne
d'étudier ce phénomène si bizarre. Mlle R. L. pouvait avoir
alors vingt-huit ans environ. Grande, maigre, cheveux
châtains, d'une bonne santé habituelle, d'une susceptibilité
nerveuse excessive, Mlle R. L. était somnambule depuis
son enfance. Ses premières années se passèrent à la cam-
pagne, chez ses parents; plus tard elle entra successive-
ment en qualité de lectrice ou demoiselle de compagnie
dans plusieurs familles riches, avec lesquelles elle voyagea
beaucoup; puis enfin elle choisit un état sédentaire et se
livra au travail d'aiguille.
<(. Une nuit, pendant qu'elle était encore chez ses parents,
elle rêve qu'un de ses frères vient de tomber dans un
étang du voisinage; elle s'élance de son lit, sort de la
maison et se jette à la nage pour secourir son frère. C'était
au mois de février ; le froid la saisit; elle s'éveille saisie de
terreur, est prise d'un tremblement qui paralyse tous ses
efforts; elle allait périr si l'on n'était arrivé à son secours.
Pendant quinze jours la fièvre la retint au lit. A la suite de
1. Revue scienlifu/uc, 15 juillet i87G.
LES SOMNAMBULISMBS SPONTANÉS 21
cet événement, les accès de somnambulisme cessèrent
pendant plusieurs années. Elle rêvait à haute voix, riait ou
pleurait, mais ne quittait plus son lit. Puis, peu à peu, les
pérégrinations nocturnes recommencèrent, d'abord, rares,
ensuite plus fréquentes, et enfin quotidiennes.
« Je remplirais un volume du récit des faits et gestes
accomplis par Mlle R. L. pendant ce sommeil actif. Je me
bornerai à ce qui est indispensable pour faire connaître
son état.
« Je copie sur mes notes :
« Sa mère est l'objet fréquent de ses rêves. Elle veut
partir pour son pays, fait ses paquets en grande hâte, « car
la voiture l'attend » ; elle court faire ses adieux aux per-
sonnes de la maison, non sans verser d'abondantes larmes;
s'étonne de les trouver au lit, descend rapidement l'esca-
lier et ne s'arrête qu'à la porte de la rue, dont on a eu
soin de cacher la clé, et près de laquelle elle s'affaisse,
désolée, résistant longtemps à la personne qui l'engage à
remonter se coucher, et se plaignant amèrement « de la
tyrannie dont elle est victime ». Elle finit, mais pas tou-
jours, par rentrer dans son lit, le plus souvent sans s'être
complètement déshabillée, et c'est ce qui lui indique, au
réveil, qu'elle n'a pas dormi tranquille, car elle ne se rap-
pelle rien de ce qui s'est passé pendant l'accès.
« Yoilà le somnambulisme tel qu'on l'observe assez fré-
quemment. C'est un rêve en action commencé pendant le
sommeil normal, et se terminant par un réveil, soit spon-
tané, soit provoqué.
« Mais ce n'est pas ce qui arrivait le plus ordinairement
pour Mlle R. L.
« Je copie encore : « Il est huit heures du soir; plusieurs
ouvrières travaillent autour d'une table sur laquelle est
posée une lampe; Mlle R. L. dirige les travaux, et y prend
elle-même une part active, non sans causer avec gaieté.
Tout à coup, un bruit se fait entendre; c'est son front qui
vient de tomber brusquement sur le bord de la table, le
buste s'étant ployé en avant. Voilà le début de l'accès.
22 LES PERSONNALITÉS SUCCESSIVES
« Elle se redresse après quelques secondes, arrache avec
dépit ses lunettes et continue le travail qu'elle avait com-
mencé, n'ayant plus besoin des verres concaves qu'une
myopie considérable lui rend nécessaires dans l'état nor-
mal, et se plaçant même de manière à ce que son ouvrage
soit moins exposé à la lumière de la lampe. A-t-elle besoin
d'enfiler son aiguille, elle plonge ses deux mains sous la
table, cherchant l'ombre, et réussit en moins d'une seconde
à introduire la soie dans le chas, ce qu'elle ne fait qu'avec
difficulté lorsqu'elle est à l'état normal, aidée de ses
lunettes et d'une vive lumière.
« Elle cause en travaillant, et une personne qui n'a pas
été témoin du commencement de l'accès pourrait ne s'aper-
cevoir de rien, si Mlle R. L. ne changeait de façon de parler
dès qu'elle est en somnambulisme.
« Alors, elle parle nègre, remplaçant j^^ par moi^ comme
les enfants; ainsi elle dit : quand moi est bête. Gela signifie :
quand je ne suis pas en somnambulisme.
« Son intelligence, déjà plus qu'ordinaire, acquiert pen-
dant l'accès un développement remarquable; sa mémoire
devient extraordinaire, et Mlle R. L. peut raconter les
moindres événements dont elle a eu connaissance à une
époque quelconque, que les faits aient eu lieu pendant
l'état normal ou pendant un accès de somnambulisme.
« Mais, de ces souvenirs, tous ceux relatifs aux périodes
de somnambulisme se voilent complètement dès que
l'accès a cessé, et il m'est souvent arrivé d'exciter chez
Mlle R. L, un étonnement allant jusqu'à la stupéfaction, en
lui rappelant des faits entièrement oubliés de la fille bôte^
suivant son expression, que la somnambule m'avait fait
connaître.
« La difi'érence de ces deux manières d'être est on ne
peut plus tranchée.
« Mlle R. L. a été débarrassée de sa personnalité anor-
male à l'époque de la ménopause. »
On voit que Mlle R. L. a deux personnalités; elle a même
conscience de ce dualisme, car elle parle de Vautre à la
LES SOMNAMBULISMES SPONTANÉS 23
troisième personne, et elle ignore dans son état premier ce
que cet autre a fait dans l'état second. Le reste de l'obser-
vation n'a d'autre intérêt que d'être une répétition et par
conséquent une confirmation de celle de Félida.
II
Il a été souvent question, dans ces dernières années, de
Louis V..., hystérique mâle qui a présenté de curieuses
successions de personnalité. Nous extrayons les renseigne-
ments suivants de l'ouvrage de MM. Bourru et Burot *.
« L'histoire de Louis V...,disent-ils,est déjà connue dans
la science. M. Gamuset ^ l'a racontée le premier, et après
lui, M. Ribot, M. Legrand du SauUe, M. P. Richer, en
ont parlé; M. J. Voisin ^ a fait deux importantes communi-
cations sur ce malade.
« Né à Paris, rue Jean-Bar t, n° 6, le 12 février 1863, de
mère hystérique et de père inconnu, il a passé une partie
de son enfance à Luysan,près de Chartres; sa mère le mal-
traitait et il était devenu vagabond. Il paraît avoir eu dès
son bas âge des crises d'hystérie accusées par des crache-
ments de sang et des paralysies passagères. Le 23 octobre
1871, il est condamné pour vol domestique à la détention
dans une maison de correction jusqu'à l'âge de dix-huit ans.
Il est envoyé à la colonie des Douaires, puis dirigé sur la
colonie agricole de Saint-Urbain (Haute-Marne), où il reste
du 27 septembre 1873 au 23 mars 1880. Occupé plusieurs
années à des travaux agricoles, il reçoit en même temps
l'instruction primaire dont il profite très bien, car il est
docile et inteUigent. Un jour, pendant qu'il est occupé
dans une vigne à ramasser des sarments, une vipère s'en-
roule autour de son bras gauche, sans le mordre. Il en eut
1. Changements de j:)ersonnalité, p. 19.
2. Camuset, Annales mécUco-'psychologiques, janvier 1882.
3. J. Voisin, Archives de neurologie, septembre 1885, p. 212.
24 LES PERSONNALITES SUCCESSIVES
une frayeur extrême et le soir, rentré à la colonie, il perdit
connaissance et eut des crises. Les attaques se renouve-
lèrent; il survint enfin une paralysie des membres infé-
rieurs, l'intelligence restant intacte.
« En mars 1880, il fut transféré à l'asile de Bonneval
(Eure-et-Loir). Là, on constate que le malade a la physio-
nomie ouverte et sympathique, que son caractère est doux,
qu'il se montre reconnaissant des soins qu'on a pour lui.
Il raconte l'histoire de sa vie avec les détails les plus cir-
constanciés, même ses vols qu'il déplore, dont il est hon-
teux; il s'en prend à son abandon, à ses camarades qui
l'entraînaient au mal. Il regrette fort ce passé et affirme
qu'à l'avenir il sera plus honnête. Il sait lire, écrire à peu
près. On se décide à lui apprendre un état compatible avec
sa paraplégie, son infirmité. On le porte tous les matins à
l'atelier des tailleurs; on l'installe sur une table où il prend
naturellement la posture classique, grâce à la position de
ses membres inférieurs paralysés et contractures. Au bout
de deux mois, Y... sait coudre assez bien; il travaille avec
zèle, on est satisfait de ses progrès. Un jour, il est pris
d'une crise qui dure cinquante heures, à la suite de laquelle
il n'est plus paralysé. Au réveil, Y... veut se lever. Il
demande ses habits, et il réussit à se vêtir, tout en étant
fort maladroit; puis il fait quelques pas dans la salle; la
paralysie des jambes a disparu.
« Une fois habillé, il demande à aller avec ses camarades
aux travaux de culture. On s'aperçoit vite qu'il se croit
encore à Saint-Urbain, et qu'il veut reprendre ses occupa-
tions habituelles. En effet, il n'a aucun souvenir de sa crise
et il ne reconnaît personne, pas plus le médecin et les infir-
miers que ses camarades du dortoir. Il n'admet pas avoir
été paralysé et dit qu'on se moque de lui. On pense à un
état vésanique passager très supposable après une forte
attaque hystérique, mais le temps s'écoule et la mémoire
ne revient pas. V... se rappelle bien qu'il a été envoyé à
Saint-Urbain, il sait que Vautre jow% il a eu peur d'un ser-
pent, mais à partir de ce moment il y a une lacune. Il ne
LES SOMNAMBULISMES SPONTANES 23
se rappelle plus rien. Il n'a pas même le sentiment du
temps écoulé.
« Naturellement on pense à une simulation, à un tour
d'hystérique, et on emploie tous les moyens pour le mettre
en contradiction avec lui-même, mais sans jamais y par-
venir. Ainsi on le fait conduire sans le prévenir à l'atelier
des tailleurs. On marche à côté de lui, en ayant soin de ne
pas l'influencer. Quant à la direction à suivre, V... ne sait
pas où il va. Arrivé à l'ateher, il a tout l'air d'ignorer l'en-
droit où il se trouve et il affirme qu'il y vient pour la pre-
mière fois. On lui montre les vêtements dont il a fait les
grosses coutures alors qu'il était paralysé; il rit, a l'air de
douter, mais enfin il se résigne à croire.
« Après un mois d'expériences, d'observations, d'épreuves
de toutes sortes, on reste convaincu que V... ne se sou-
vient de rien. Le caractère s'est aussi modifié. Ce n'est
plus le même sujet, il est devenu querelleur, gourmand et
il répond impoliment. Il n'aimait pas le vin et donnait le
plus souvent sa ration à ses camarades, maintenant il vole
la leur. Quand on lui dit qu'il a volé autrefois, mais qu'il
ne devrait pas recommencer, il devient arrogant : « S'il a
volé, il l'a payé puisqu'on l'a mis en prison. » On l'occupe
au jardin. Un jour, il s'évade emportant des effets et
soixante francs à un infirmier. Il est rattrapé à cinq lieues
de Bonneval au moment où, après avoir vendu ses vête-
ments pour en acheter d'autres, il s'apprête à prendre le
chemin de fer pour Paris. Il ne se laisse pas arrêter faci-
lement; il frappe et mord les gardiens envoyés à sa
recherche. Ramené à l'asile, il devient furieux, il crie, se
roule à terre. Il faut le mettre en cellule.
« Pendant le reste de son séjour à Bonneval, il continue
à présenter quelques manifestations névrosiques, attaques
convulsives, anesthésies et contractures passagères. Il sort
de cet asile le 24 juin 1881 ; il paraît guéri.
« Il passe quelque temps à Chartres chez sa mère, puis
on l'envoie aux environs de Mâcon, chez un grand proprié-
taire agricole. Il tombe malade, reste un mois à l'Hôtel-
26 LES PERSONNALITÉS SUCCESSIVES
Dieu de Màcon et est transféré à l'asile Saint-Georges, près
de Bourg (Ain), le 9 septembre 1881.
« Pendant ses dix-huit mois de séjour dans cet asile, il
a présenté des crises qui n'avaient aucune régularité, sou-
vent très fortes, parfois légères, d'autres fois survenant
par séries; tantôt il était exalté comme un paralytique
général, tantôt presque stupide et imbécile. Dans certains
cas, il n'a reculé devant aucune responsabilité, obéissant
à ses instincts et à ses impulsions les plus dangereuses,
sachant habilement les couvrir de sa qualité de fou dont
il se parait et de son irresponsabilité matérielle qui résul-
tait de son internement dans un asile d'aliénés. V... est
sorti de Saint-Georges, le 28 avril 1883, amélioré et muni
d'un pécule pour rentrer dans son pays.
« Il arrive à Paris, on ne sait comment; il est admis
successivement dans plusieurs services, en dernier lieu à
Sainte-Anne et enfin à Bicêtre où il entre le 31 août 1883
dans le service de M. J. Voisin qui le reconnaît comme
étant le sujet de M. Camuset, sans savoir ce qu'il était
devenu entre Bonneval et Bicêtre.
« Du mois d'août 1883 au mois de janvier 1884, ses atta-
ques sont rares et observées seulement par les surveillants.
Le 17 janvier 1884, nouvelle attaque très violente qui se
répète les jours suivants avec accès de thoracalgie et alter-
natives de paralysies et de contractures du côté gauche et
du côté droit. Le 17 avril, à la suite d'une crise légère, la
contracture du côté droit a disparu. Il s'est endormi, le
corps phé, les mains derrière la tête et a tranquillement
sommeillé. Le matin, il se réveille et demande ses habits
à l'infirmier. Il veut aller travailler. Il s'étonne que ses
vêtements ne soient pas au pied de son lit; il s'imagine
qu'on vient de les lui cacher par plaisanterie. Il se croit au
26 janvier (jour d'apparition de sa contracture). On l'amène
auprès du chef de son service. Il reste ébahi quand on lui
fait remarquer que les feuilles sont aux arbres, que le
calendrier marque 17 avril, que le personnel du service
est modifié. L'élocution est normale. Il ne se souvient
LES SOMNAMBULISMES SPONTANES 27
pas d'avoir été contracture du côté droit. Il est faible sur
ses jambes et se dandine en voulant se tenir debout. La
pression dynamométrique de la main droite est plus faible
que celle de la main gauche. L'hémianesthésie sensitivo-
sensorielle persiste.
« Les mois suivants, il est calme et se promène dans la
section. Le 10 juin, le malade a une série de crises et à
leur suite la contracture du côté droit est revenue. Il est
resté plusieurs jours au lit, dans l'état où il était, du mois
de janvier au mois d'avril. Il se croyait au 17 avril. Il par-
lait impersonnellement comme alors. Le lendemain la con-
tracture avait disparu et le sujet était revenu à son état
primitif.
« Pendant les six derniers mois de l'année 1884, V... n'a
présenté aucun phénomène nouveau. Son caractère est
modifié. Il était doux pendant la période de contracture ;
en dehors de ces périodes il est indiscipliné, taquin, voleur.
Il travaille irrégulièrement. Les attaques sont toujours
assez fréquentes. La contracture ne reparaît pas une seule
fois, mais l'hémianesthésie conserve son caractère de
stigmate indélébile. V... garde quelques idées délirantes.
Le 2 janvier 1885, après une scène de somnambulisme
provoqué, suivie d'une attaque, il s'évade de Bicêtre en
volant des efiets d'habillement et de l'argent à un infir-
mier, comme lors de son évasion de Bonneval.
« Il reste plusieurs semaines à Paris, en compagnie d'un
ancien compagnon d'asile dont il avait fait la rencontre.
Le 29 janvier 1885, il se fait engager dans l'infanterie de
marine et arrive à Rochefort le 31 janvier. Pendant son
séjour à la caserne il commet des vols. Envoyé devant le
conseil de guerre, une ordonnance de non-lieu est pro-
noncée le 23 mars 1885, et le 27 mars, il entre en obser-
vation. Dès son entrée, il est pris d'une série d'attaques
d'hystéro-épilepsie. Le 30 mars, il présente une contrac-
ture de tout le côté droit, qui se dissipe au bout de deux
jours, mais il reste paralysé et insensible de toute la moitié
droite du corps. »
28 LES PERSONNALITÉS SUCCESSIVES
L'observation de Louis Y... est certainement la plus
complexe et la plus riclie en détails que nous possédions,
bien qu'elle contienne quelques parties obscures. Un pre-
mier fait s'en dégage, c'est qu'à certains moments,
Louis V... perd brusquement le souvenir de périodes
importantes de son existence antérieure et entre dans un
nouvel état psychologique où il change totalement de
caractère, et oîi la distribution de la sensibilité et du mou-
vement se fait dans son corps d'une façon tout à fait dif-
férente. L'état nouveau se distingue donc du précédent par
trois signes principaux: 1° l'état de la mémoire; 2° l'état du
caractère; 3° l'état de la sensibilité et du mouvement. Ce
dernier point est un de ceux qui constituent l'originalité
de l'observation de ce malade; chez les autres hystériques
dont on a rapporté l'histoire jusqu'ici, on n'a point étudié
les changements de sensibilité qui se rapportent aux
changements d'état psychologique. M. i\.zam y fait à peine
allusion, en ce qui concerne Félida; il passe rapidement,
tandis qu'on aurait désiré une étude méthodique. Le cas
de Louis Y... remplit donc une lacune importante dans
nos connaissances; probablement, il ne présente rien
d'exceptionnel à cet égard, et tous les malades qui ont des
états seconds doivent présenter comme lui des modifications
sensitivo-sensorielles qui sont le signal du passage dans
un nouvel état. Cela est nécessaire, logique : du moment
que le caractère se modifie, et que la mémoire change
d'amplitude, il est naturel que la faculté de percevoir des
sensations soit également atteinte; c'est le contraire qui
nous étonnerait.
Les auteurs ont profité de ces variations de la sensibilité
pour faire une série de recherches expérimentales sur leur
sujet; ils sont parvenus à provoquer en quelque sorte à
volonté telle ou telle des personnalités de leur malade, ce
qu'on n'avait pas encore obtenu jusque-là dans la môme
mesure, et avec autant de méthode. C'est là en somme le
grand intérêt de cette observation, et ce qu'elle nous a
appris de plus nouveau. Nous y reviendrons dans la partie
LES SOMNAMBULISMES SPOxNTANES 29
de ce livre qui est consacrée aux phénomènes expérimen-
taux.
Il reste à définir et à classer l'état pathologique de V....
On a comparé ce cas à celui de Félida; cette comparaison
est justifiée par bien des faits, et les analogies sont frap-
pantes; il y a des changements d'état psychologique,
marqués par le caractère et la mémoire; sans doute, ces
états sont plus nombreux chez Y.,., on en a même compté
jusqu'à six, qui ont chacun leur mémoire propre, comme
l'expérimentation sur le malade a permis de le montrer;
mais cette question de chiffre n'a point une importance
générale, et du reste il a existé chez Félida au moins trois
états distincts.
M. Proust a publié récemment * un cas curieux d'automa-
tisme ambulatoire chez un hystérique. Voici son observation :
« Emile X..., trente-trois ans ; fils d'un père original et
buveur; mère nerveuse, un frère cadet rentrant dans la
catégorie des arriérés. Lui, au contraire, est d'une intelli-
gence assez vive. Il a fait de bonnes études classiques et
remporté même des succès dans les concours académiques.
Après avoir étudié la médecine pendant quelques mois, il
est" passé à l'étude du droit, s'est fait recevoir licencié, et,
depuis quelques années, il est inscrit au tableau de l'ordre
des avocats à Paris.
« Emile X... a présenté les signes les plus manifestes
de la grande hystérie (attaques, troubles de sensibilité, de
motilité, etc., etc.). Il est presque instantanément hypno-
tisable. Il suffit qu'il fixe un point dans l'espace, qu'il
entende un bruit un peu fort, qu'il éprouve une impres-
sion vive et subite pour que, aussitôt, il tombe dans le som-
meil hypnotique. Il était, un jour, au café, place de la Bourse.
11 se regarde à la glace. Immédiatement il s'endort. Eton-
nées et effrayées les personnes avec lesquelles il se trouvait
le conduisirent à l'hôpital de la Charité où on le réveilla.
« Une autre fois, au Palais, pendant qu'il plaide, le pré-
\. Tribune médicale, 27 mars 1890.
30 LES PERSONNALITÉS SUCCESSIVES
sident le regarde fixement. Il s'arrête court, s'endort, et
ne peut reprendre sa plaidoirie que lorsqu'un de ses con-
frères, qui connaît son infirmité, l'a éveillé.
« Mais ce n'est pas tout.
(( A certains moments, Emile X... perd complètement la
mémoire. Alors, tous ses souvenirs, les plus récents comme
les plus anciens, sont abolis. 11 a complètement oublié son
existence passée. Il s'est oublié lui-même. Cependant,
comme il n'a pas perdu la conscience, et que, pendant
toute la durée de cette sorte d'état de condition seconde,
— qui peut se prolonger pendant quelques jours, — il
aura, comme dit Leibniz, « l'aperception de ses percep-
tions », une nouvelle vie, une nouvelle mémoire, un nou-
veau moi commencent pour lui. Alors il marche, monte en
chemin de fer, fait des visites, achète, joue, etc.
(( Quand, subitement, par une façon de réveil, il revient à
sa condition première, il ignore ce qu'il a fait pendant les
jours qui viennent de s'écouler, c'est-à-dire pendant tout
le temps de sa condition seconde.
« Ainsi, le 23 septembre 1888, il a une altercation avec
son beau-père (le second mari de sa mère). Il est vivement
impressionné par cette altercation dont il a gardé le sou-
venir très présent. Mais il ignore ce qu'il a fait depuis cette
date du 23 septembre jusqu'au miheu d'octobre suivant. A
cette dernière époque, c'est-à-dire trois semaines après sa
dispute avec son parent, on le retrouve à Yillars-Saint-
Marcelin (Haute-Marne). Gomment a-t-il vécu? où est-il
allé? 11 l'ignore. Ce qu'il en sait, il l'a appris depuis par des
rapports venus de divers côtés. On lui a dit qu'il s'était
rendu chez le curé de Yillars-Saint-Marcelin, « qui l'avait
trouvé bizarre », qu'il était allé faire visite à un de ses oncles,
évoque in partibiis dans la Haute-Marne, et que là, il aurait
brisé difiérents objets, déchiré des livres et même des
manuscrits de son oncle. 11 a su, depuis, qu'il avait con-
tracté cinq cents francs de dettes pendant ses pérégrinations,
qu'il avait été traduit devant le tribunal de Yassy pour
acte de filouterie et condamné par défaut.
LES SOMNAMBULISMES SPONTANES 31
« Autre épisode :
« Le 11 mai 1889, il déjeune dans un restaurant du
quartier latin. Deux jours après, il se retrouve sur une
place de Troyes. Qu'a-t-il fait pendant ces deux jours? Il
n'en sait pas le premier mot. Tout ce qu'il se rappelle,
c'est qu'en revenant à lui, il s'aperçut qu'il avait perdu
son pardessus et son porte-monnaie contenant deux cent
vingt-six francs.
«Dans l'observation d'Emile X... comme dans les obser-
vations similaires, on relève, notamment, les deux points
suivants :
« 1° Une rupture dans la continuité des phénomènes de
conscience, et ce, bien que l'individu, pendant cette rup-
ture, aille, vienne, agisse conformément aux habitudes de
la vie courante.
« 2° S'il y a discontinuité entre les phénomènes de cons-
cience de la période de condition seconde et ceux de la vie
normale, il y a, au contraire, continuité entre les phéno-
mènes de conscience des périodes de condition seconde.
« Ainsi, Emile X..., dans son état normal, ignore ce qu'il
a fait pendant les périodes d'automatisme ambulatoire,
mais il suffit, en le plongeant dans le sommeil hypno-
tique, de le replacer en condition seconde pour qu'aussitôt
il se rappelle les moindres détails de ses pérégrinations.
Éveillé, il ne sait ce qu'il a fait du 23 septembre au 15 octo-
bre; endormi il révèle les incidents de son voyage. S'il a
dépensé cinq cents francs c'est qu'il a joué. 11 dit les sommes
perdues, et à quel jeu. 11 donne le nom de son partenaire.
Il raconte tout ce qu'il a fait et dit chez le curé son ami, et
chez l'évêque son oncle.
« Même chose pour sa fugue à Troyes. Pendant le sommeil
provoqué il dit : « Le 17 mai, au sortir du restaurant, j'ai
pris une voiture, je me suis fait conduire à la gare de l'Est.
Je me suis embarqué par le train de 1 h. 25 et suis arrivé à
Troyes à 5 h. 27; je suis descendu à l'hôtel du Commerce,
chambre n° 5. J'ai déposé mon pardessus, qui renfermait
mon porte-monnaie, sur le dossier d'un fauteuil. Je suis
32 LES PERSONNALITES SUCCESSIVES
ensuite allé au café place Notre-Dame, puis je suis rentré
dîner à 6 h. et demie. Je suis allé faire visite à un négociant
de ma connaissance, M. C..., et j'ai passé chez lui la soirée
jusqu'à 9 heures. Puis je suis revenu me coucher. Je me
suis levé le lendemain à 8 heures, j'ai déjeuné chez M. G....
Je l'ai quitté après déjeuner, j'ai pris la rue de Paris et me
suis senti malade. Je me suis alors adressé à un sergent de
ville qui m'a conduit chez le commissaire de police, et de là
à l'hôpital de Troyes, où on m'a réveillé. »
« A titre de renseignement complémentaire, j'ajouterai
le détail suivant :
« Après avoir appris du malade endormi l'endroit où il
avait laissé son pardessus, nous l'avons engagé, après son
réveil, à écrire à l'hôtel du Commerce. Le surlendemain, à
son grand étonnement, il recevait son pardessus et son
porte-monnaie avec les 226 francs qu'il renfermait. Ces
objets, je l'ai dit, étaient égarés depuis plus de six mois,
et notre malade manquait d'argent.
«Emile X... avait été condamné, par le tribunal de Vassy,
pour filouterie commise pendant sa période d'automatisme
ambulatoire. Le jugement a été annulé quand on a su dans
quelles conditions le délit avait été commis.
« Plus récemment Emile X... a, de nouveau, été inculpé
d'escroquerie. 11 aurait emprunté une somme, d'ailleurs
minime, à un employé du palais de justice, en se targuant
d'une qualité fausse.
« Sur un rapport de MM. Motet et Ballet, une ordon-
nance de non-lieu a été rendue en sa faveur. »
L'observation de M. Proust se rapproche beaucoup de
celle de Félida : changement de caractère pendant les
états seconds, et perte de mémoire à la suite; mais tout
cela aurait besoin d'être étudié avec soin, et un grand
nombre de détails font défaut. Notons en passant un point
intéressant, et qui ne se rencontre pas dans les observa-
tions précédentes; mis en somnambulisme hypnotique,
Emile X... retrouve les souvenirs de l'état second.
Il faut ajouter à la série d'observations qu'on vient de
LES SOMNAMBULISMES SPONTANES 33
lire celle qui a été publiée par Weir-Mitchell; elle constitue
elle aussi une répétition intéressante du cas de Félida. Il
s'agit d'une jeune fille âgée de vingt ans, de caractère
triste, mélancolique, timide; celte personne est envahie par
un sommeil qui dure plus de vingt heures; au réveil, on
s'aperçoit qu'elle a oublié totalement son existence anté-
rieure, ses parents, son pays, la maison où elle demeure;
on peut la comparer, dit l'auteur, à une enfant qui serait
à l'état de maturité. On est obligé de recommencer son
éducation; on luij apprend à écrire, et on remarque à ce
propos qu'elle écrit de droite à gauche, comme dans les
langues sémitiques.
Elle n'avait à sa disposition que cinq ou six mots, vrais
réflexes d'articulation qui étaient pour elle dénués de sens.
Le travail de rééducation, conduit méthodiquement, dura
de sept à huit semaines. Son caractère avait subi un chan-
gement aussi profond que sa mémoire; timide à l'excès
dans son premier état, elle était devenue gaie, expansive,
bruyante, hardie jusqu'à la témérité; elle courait les bois,
les montagnes, attirée par les périls de la contrée sauvage
qu'elle habitait. Puis une nouvelle attaque de sommeil se
produit; la malade revient à son premier état; elle en
retrouve tous les souvenirs, elle en reprend le caractère
mélancohque, qui paraît s'être aggravé; nul souvenir
conscient ne subsiste du second état. Une nouvelle attaque
fit revenir ce second état, avec les phénomènes de cons-
cience qui l'accompagnaient la première fois. La malade
passa successivement un grand nombre de fois d'un de ces
états à l'autre; ces changements se répétèrent pendant une
période de seize ans. Au bout de cette période, les varia-
tions cessèrent; la malade avait alors trente-six ans; elle
vécut dans un état mixte, mais plus voisin du second que
du premier; le caractère n'était ni triste, ni bruyant, mais
raisonnable. Elle mourut à soixante-cinq ans \
Il faut terminer ici la liste des observations; celles que
1. Cité par William James. Psychology, I, 383.
A. BiNET. 3
34 LES PERSONNALITÉS SUCCESSIVES
nous avons reproduites sont, à part quelques divergences
de détail, d'une remarquable uniformité, et les autres que
nous pourrions y ajouter ne nous apprendraient rien de
bien nouveau; ce n'est pas que tout soit dit sur ces cas
pathologiques; nous croyons au contraire qu'il y aurait lieu
d'en pousser l'étude plus loin, et nous avons le soupçon
que l'état second présente un très grand nombre de carac-
tères psychologiques intéressants; on trouve malheureu-
sement peu d'éclaircissements sur ce point dans les
observations publiées jusqu'à ce jour; toutes paraissent à
peu près calquées sur le même modèle, celui de Félida \.
En général, les observateurs n'ont noté chez leurs
malades que deux conditions différentes d'existence; mais
ce nombre de deux n'a rien de constant ni de fatidique,
il n'est peut-être même pas aussi général qu'on le croit;
en y regardant bien, on trouve trois personnalités chez
Félida, et un bien plus grand nombre chez Louis V....
C'en est assez pour repousser l'expression de dédouble-
ment de la personnalité qu'on a voulu appliquer à ces
phénomènes; il peut y avoir dédoublement, comme il peut
y avoir morcellement en trois, quatre personnahtés, etc. ^
Je suis persuadé que les alternances et successions de
personnalité chez les hystériques ne sont point des phéno-
mènes exceptionnels. Ce qui est exceptionnel, c'est de
trouver des sujets types, comme Féhda et comme Louis V...,
chez lesquels le dédoublement est marqué en si gros carac-
tères qu'il a pu frapper des esprits non prévenus. Peut-être
même que si on regardait bien attentivement beaucoup
d'hystériques, on en rencontrerait d'autres qui ne le céde-
raient en rien aux précédents. En tout cas, la succession
de personnalités distinctes doit exister, à quelque degré,
chez plusieurs; ce phénomène doit se traduire, non par
1. Voir une observation de M. Myers, Vroceedings of the Socklij for
Psychical Research, 1887, p. 230. — Ladamc, Rev. de l'Iiypn., 30 jan-
vier 1888, elc.
2. On a prclenilu expliquer par la dualité des hémisphères cérébraux les
dédoublements de la personnalité. M. Ribot a réfuté d'une manière qui me
parait délinitivo cette opinion bien étraugc.
LES SOMNAMBULISMES SPONTANÉS 35
des symptômes bruyants, mais par des amnésies et des
changements de caractère rappelant en petit ceux de
Félida et de Louis V..., et se systématisant, se rattachant à
certaines périodes d'existence. Ce sont là des symptômes
qu'il faut chercher^ comme disait Lasègue en parlant de
l'anesthésie.
Nous sommes restés jusqu'ici confinés dans l'hystérie.
Tous les malades dont nous avons raconté l'histoire sont
incontestablement des hystériques. La question se pose de
savoir si, en dehors de cette névrose, on rencontre des
divisions analogues de la conscience et de la personna-
lité.
Si on prend comme signe de ces divisions l'état de la
mémoire, toujours plus facile à constater d'une manière
précise que les changements de caractère, il faut répondre
affirmativement à la question posée; on trouve dans des
conditions très diverses des fragments de vie psycholo-
gique qui ont pour trait essentiel de posséder une mémoire
propre; nous entendons par là que ces états ne laissent
point de souvenirs pendant la veille, mais que le retour
du même état ramène les souvenirs de sa manifestation
antérieure, et la personne se rappelle tous les faits qu'elle
avait oubliés pendant sa vie normale.
Parfois l'existence d'une mémoire propre à ces états se-
conds se manifeste sous une forme un peu différente et
plus élémentaire ; le sujet recommence toujours les mêmes
actes. On rencontre des exemples aujourd'hui bien connus
de ces particularités psychologiques dans le rêve, les in-
toxications par l'alcool, l'éther, le haschich, etc., les folies
circulaires, l'épilepsie. 11 existe même chez quelques épi-
leptiques une double vie psychologique présentant les
mêmes caractères que dans l'hystérie \
1. Bulletin médical, 1889, n. 18.
CHAPITRE II
LES SOMNAMBULISMES SPONTANÉS (suite)
Systématisation de l'activité psychologique. — Observation de M. Mesnet
sur le sergent de Bazeilles. — Analyse de cette observation. — La con-
science ne disparait point pendant la crise. — Discussion de l'opinion
de M. Huxley sur le rôle de la conscience. — Observations de M. Char-
cot. — Opinion de M. Charcot sur la nosographie des somnarabu-
lismes.
I
Le somnambulisme spontané peut présenter, chez les
hystériques, un caractère un peu différent de celui que
nous venons de décrire. Dans toutes les observations que
nous avons reproduites jusqu'ici, l'état second du sujet
a les allures générales de l'état prime, considéré comme
l'état normal; le sujet a l'esprit ouvert à toutes les idées
et à toutes les perceptions, il est capable de vivre de
la vie commune, en un mot il ne délire pas. On a depuis
longtemps remarqué que les sujets de ce genre, pour un
observateur non prévenu, paraissent normaux, et rien
n'avertit qu'ils se trouvent dans un état second.
Mais il n'en est pas toujours ainsi, tant s'en faut. On a
observé que, dans des circonstances un peu différentes de
celles que nous avons étudiées, le caractère psychologique
du sujet est dans l'état 2 tout à fait différent de l'état 1 ; le
sujet ne vit plus de la vie commune; il est dominé par une
LES SOMNAMBULISMES SPONTANES 37
idée, ou par un groupe d'idées, qai impriment à toute
son existence une orientation particulière. II n'entend pas
ce qu'on lui dit, quand les paroles prononcées n'ont aucun
rapport avec son idée fixe et ne peuvent pas s'y incor-
porer; les objets qui l'entourent le laissent indifférent, ou
ne sont pas perçus d'une manière consciente, quand ils
ne se rapportent pas à sa préoccupation habituelle.
Ces phénomènes constituent bien une altération de la
personnalité par fractionnement spontané; aussi rentrent-
ils logiquement dans le cadre de ce chapitre.
Nous avons vu que le cas type de la première série d'ob-
servations est le cas de Félida. On peut dire que cette nouvelle
série possède aussi un cas type, aujourd'hui bien connu;
c'est celui du sergent de Bazeilles, publié par M. Mesnet \
Nous reproduisons in extenso cette observation impor-
tante.
« F..., âgé de vingt-sept ans, sergent à l'armée d'Afrique,
reçut, dans les batailles livrées sous Sedan, une balle qui
lui fractura le pariétal gauche. La balle, tirée obliquement,
fit une plaie de 8 à 10 centimètres de longueur, parallèle
à la suture temporale, et située à 2 centimètres environ au-
dessous de cette suture.
« Au moment où il reçut cette blessure, F... eut encore la
force de renverser d'un coup de baïonnette le soldat prus-
sien qui venait de le frapper; mais, presque aussitôt, son
bras droit se paralysa, et il dut abandonner son arme pour
échapper à l'incendie et aux obus qui pleuvaient sur le
village de Bazeilles en feu. Il put marcher environ
2'00 mètres, puis sa jambe droite se paralysa à son tour, et
il perdit complètement connaissance. Ce n'est que trois
semaines après que F..., reprenant Fusage de ses sens, se
trouva à Mayence, où il avait été transporté par une ambu-
lance prussienne.
« A ce moment, l'hémiplégie du côté droit était complète,
la perte du mouvement absolue. Six mois après, trans-
- 1. De l'automatisme de la mémoire et du souvenir dans le somnambulisme
pathologique. (Union médicale, 21 et 23 juillet 1874.)
38 LES PERSONNALITES SUCCESSIVES
porté en France, il fut placé dans divers hôpitaux militaires
de Paris, et resta paralysé pendant environ une année.
Néanmoins, il fut assez heureux pour guérir de cette para-
lysie, qui ne laisse plus aujourd'hui d'autres traces qu'une
légère faiblesse du côté droit, à peine sensible pour le
malade, appréciable seulement au dynamomètre.
(( Dès l'époque où le malade était encore à Mayence,
trois à quatre mois environ après sa blessure, il présenta
des troubles de l'inteHigence, se manifestant par accès
périodiques, caractérisés surtout par l'occlusion partielle
des organes des sens et par une activité cérébrale différente
de l'état de veille. Depuis cette époque, même après la
guérison de l'hémiplégie, ces accès n'ont point cessé de se
reproduire, toujours semblables à eux-mêmes, à la diffé-
rence près de la périodicité plus ou moins éloignée(moyenne :
quinze à trente jours), et de la durée de l'accès plus ou
moins allongée (moyenne : quinze à trente heures).
« Les troubles nerveux que nous nous proposons d'étu-
dier chez F... ont donc un point de départ matériel indé-
niable : une fracture du pariétal avec destruction de l'os
dans une étendue facile à constater encore aujourd'hui, et,
à l'occasion de cette fracture, une lésion du cerveau dans
son hémisphère gauche, comme en témoigne l'hémiplégie
de toute la moitié droite du corps pendant plus d'une
année. Quelle a pu être la lésion du cerveau? Vraisembla-
blement une encéphalite locale ou un abcès dans la sub-
stance nerveuse, puisque la plaie extérieure et la paralysie
ont guéri presque au même moment, après une durée d'un
an, et ont permis aux fonctions de sensibilité et de mouve-
ment, si longtemps abolies dans le côté droit du corps, de
reprendre leur équilibre normal. Que reste-t-il donc aujour-
d'hui? Un simple trouble fonctionnel^ apparu au moment
où le cerveau était matériellement malade, et persistant
alors même que toutes les fonctions de la vie de relation
sont rétablies \
1. On considère aujourd'hui l'ctat de F... comme un cas d'hystcrie Irau-
malique. (Voir Ci. Gui non, l'rorjrès médical, 189i, n" 20.)
LES SOMNAMBULISMES SPONTANES 39
« Depuis quatre années, la vie de F... présente deux
phases essentiellement distinctes : l'une, normale; l'autre,
pathologique.
« Dans son état ordinaire, F... est un homme assez intel-
ligent pour pourvoir à ses besoins, pour gagner sa vie ; il a
été commis dans différentes maisons, chanteur dans un
café des Champs-Elysées; et ses fonctions de sergent, lors-
qu'il était au régiment, révèlent certaines aptitudes qui
l'avaient fait remarquer de ses chefs. Depuis qu'il est entré
dans mon service d'hôpital, il se montre serviable, bien-
veillant pour les autres malades, et il n'a donné lieu à
aucun reproche grave pour sa conduite. Sa santé ne laisse
rien à désirer et toutes ses fonctions sont régulières.
« L'intérêt que présente ce malade est dans la phase
pathologique que nous allons étudier, et dans le trouble
qui, tout à coup, survient dans l'exercice de ses facultés
intellectuelles. La transition de l'état normal à l'état de
maladie se fait en un instant, d'une manière insensible.
Ses sens se ferment aux excitations du dehors; le monde
extérieur cesse d'exister pour lui; il ne vit plus que de sa
vie exclusivement personnelle; il n'agit plus qu'avec ses
propres excitations, qu'avec le mouvement automatique de
son cerveau. Bien qu'il ne reçoive plus rien du dehors et
que sa personnalité soit complètement isolée du milieu
dans lequel il est placé, on le voit aller, venir, faire, agir,
comme s'il avait ses sens et son intelligence en plein exer-
cice; à tel point qu'une personne, non prévenue de son
état, le croiserait dans sa promenade, se rencontrerait sur
son passage, sans se douter des singuliers phénomènes
que présente ce malade.
« Sa démarche est facile, son attitude calme, sa physio-
nomie paisible; il a les yeux largement ouverts, la pupille
dilatée; le front et les sourcils contractures, avec un mou-
vement incessant de nystagmus accusant un état de
malaise, de souffrance vers la tête; et un mâchonnement
continu. S'il marche, s'il se promène dans le miheu qu'il
habite et dont il connaît les dispositions locales, il agit avec
40 LES PERSONNALITÉS SUCCESSIVES
toute la liberté d'allure qu'il a dans sa vie habituelle; mais
si on le place dans un autre milieu dont il ne connaît point
les êtres, si on se plaît à lui créer des obstacles en lui bar-
rant le passage, il heurte légèrement chaque chose, s'arrête
au moindre contact, et, promenant les mains sur l'objet, il
en cherche les contours et le tourne facilement. Il n'offre
aucune résistance aux mouvements qu'on lui imprime; soit
qu'on l'arrête, soit qu'on le fasse changer de direction,
soit qu'on précipite sa marche, soit qu'on la ralentisse, il se
laisse diriger comme un automate et continue son mouve-
ment dans la direction qu'on a voulu lui donner.
« Pendant toute la durée de ses crises, les fonctions ins-
tinctives et les appétits s'accomplissent comme à l'état de
santé; il mange, il boit, il fume, il s'habille, se promène le
jour, se déshabille le soir, se couche aux heures où il a
l'habitude de le faire. Sous quelle influence tous ces actes
s"" accomplissent-ils? Sont-ils provoqués par des besoins
réels, par des sensations organiques, ou bien ne sont-ils
pas, eux aussi, automatiques, le simple résultat des habi-
tudes de la veille continuées dans le sommeil? Je serais
disposé à accepter cette dernière interprétation \ car chaque
fois que j'ai vu le malade manger, il mangeait avec glou-
tonnerie, sans discernement, mâchant à peine les aliments,
avalant tout ce qu'il avait sous la main sans arriver jamais
à la satiété, témoignage certain de la satisfaction donnée au
besoin. Il boit de même tout ce qu'on lui présente, vin
ordinaire, vin de quinquina, eau, assa fœtida, sans témoi-
gner d'aucune impression agréable, pénible ou indiffé-
rente.
« L'examen de la sensibihté générale, et de la sensibilité
spéciale des organes des sens, accuse une perturbation
profonde. La sensibilité générale de la peau, des muscles,
est absolument éteinte; on peut impunément piquer la
peau des différentes parties du corps, aux mains, aux bras,
aux pieds, aux jambes, à la poitrine, à la face. Le malade
\. Nous montrerons plus loin cjuc cette interprétation n'est probable-
ment pas exacte, et que F... n'est point un inconscient pendant sa crise.
LES SOMNAMBULISMES SPONTANES 41
n'éprouve également aucune sensation si, prenant une
épingle ou une broche, on traverse le derme et on l'en-
fonce dans la profondeur des muscles. Il en est de même
des expériences faites avec une forte pile électrique; le
malade est insensible à l'action des plus forts courants
portés sur les bras, la poitrine, la face, bien que l'excita-
tion électrique se révèle par la saillie et la contraction la
plus énergique des muscles.
« La sensibilité générale est donc réduite à néant.
« La sensibilité musculaire est conservée.
(( Ouïe complètement fermée. Il ne reçoit aucune impres-
sion des bruits qui se font autour de lui. Le conduit auditif
est, dans toute sa profondeur, insensible aux chatouille-
ments et aux piqûres.
(( Le goût n'existe plus. Il boit indifféremment : eau, vin,
vinaigre, assa fœtida. Les muqueuses de la bouche, de la
langue, sont insensibles à la piqûre,
« Odorat. Aucune odeur, bonne ou mauvaise, n'est perçue
par le malade ; ni le vinaigre, ni l'assa fœtida. La muqueuse
des fosses nasales est insensible dans toute sa profondeur.
On peut enfoncer un corps étranger à travers les fosses
nasales, jusqu'au voile du palais, sans provoquer ni cha-
touillement ni éternuement.
« Vue. La vue est, comme les autres sens, fermée aux
impressions extérieures, mais peut-être d'une façon moins
complète. Le malade nous a semblé, à plusieurs reprises,
n'être point insensible aux effets des objets brillants; mais
la sensation qu'ils déterminent en lui ne lui donne que des
notions si confuses, qu'il appelle aussitôt le toucher à son
aide pour arriver à la connaissance de la forme, du volume,
des contours, etc.
« Le toucher. Le toucher est, de tous les sens, le seul qui
persiste et met le malade en rapport avec le monde exté-
rieur. La délicatesse avec laquelle il promène ses mains
sur les objets, l'usage qu'il a su faire du toucher dans
mille occasions auxquelles nous avons assisté, témoignent
d'une finesse, d'une subtilité de ce sens, supérieures à la
42 LES PERSONNALITES SUCCESSIVES
moyenne de son exercice clans les conditions normales de
la santé.
« L'isolement dans lequel F... se trouve placé est donc la
conséquence d'un trouble considérable apporté dans l'exer-
cice de ses fonctions nerveuses. F... est un malade chez
lequel l'innervation cérébrale perd momentanément ses
attributs de sensibilité générale et spéciale qui 'mettent
l'homme en échange incessant avec les choses extérieures.
Il est atteint d'un trouble fonctionnel qui présente tous les
caractères des névroses, et qui, bien que très singulier, très
exceptionnel dans ses manifestations, n'est pas pour cela
sans exemple et sans précédents dans l'histoire des mala-
dies du système nerveux.
« Le trouble nerveux que présente F... ne se manifeste
que par crises ou accès de courte durée, relativement à la
période intermédiaire. Le premier de ces accès remonte
aux premiers mois de 1871, alors que F... était encore pri-
sonnier en Allemagne et hémiplégique du côté droit. A
cette époque, les crises se répétaient à intervalles plus
courts, et il en fut ainsi tant que la plaie du crâne resta
ouverte, c'est-à-dire un peu plus d'une année-, à dater de
cette époque, elles s'éloignèrent, et la période intermé-
diaire, qui était de cinq à six jours au début, devint, en
moyenne, de quinze à trente jours. Depuis deux ans
environ, elles ont conservé cette périodicité, à moins que
quelques écarts de régime ou quelques excès du malade
viennent en précipiter le retour. Quoi qu'il en soit, elles
sont toujours semblables à elles-mêmes et marquées au
sceau de l'activité inconsciente. Le début de la crise est
précédé d'un malaise, d'une pesanteur vers le front, que
le malade compare à Tétreinte d'un cercle de fer; il en est
de même de sa terminaison, car, plusieurs heures après,
il se plaint encore de pesanteur à la tête et d'engourdisse-
ment. La transition de la santé à la maladie se fait rapide-
ment, en quelques minutes, d'une manière insensible,
sans convulsions, sans cris; il saute de lune à C autre sans
passer par les demi-teintes de jour et de raison^ qu'on
LES SOMNAMBULISMES SPONTANÉS 43
retrouve à Vheure où le sommeil va venir; et Vêtre con-
scient, responsable, en pleine possession de lui-même,
n'est plus ^ un instant après, qu'un instrument aveugle, un
automate obéissant à t activité inconsciente de son cer-
veau. Il se meut avec des apparences de liberté qu'il n'a
pas; il semble vouloir, et il n'a qu'une volonté inconsciente
et impuissante à le débarrasser des plus minces obstacles
opposés à ses mouvements.
« Tous les actes auxquels il se livre, toute l'activité qu'il
montre dans sa crise, ne sont que la répétition de ses habi-
tudes de la veille. Il est incapable de concevoir aussi bien
que d'imaginer; et cependant il est un acte, étrange, —
que nous étudierons plus tard isolément, — qui s'est
montré dès la première crise, alors qu'il était encore
soldat, qui chaque fois se reproduit dans les mêmes condi-
tions, et semble le but spécial de son activité maladive :
c'est l'entraînement au vol ou plutôt à la soustraction de
tous les objets qui lui tombent sous la main et quil cache
indistinctement là où il se trouve. Le besoin de sous-
traire et de cacher est un fait tellement dominant chez ce
malade qu'apparu dès la première crise, il n'a cessé de se
montrer dans les accès ultérieurs. Tout lui est bon à
prendre, même les choses les plus insignifiantes; et s'il ne
trouve rien sur la table de son voisin, il cache avec les
apparences du mystère, alors qu'une nombreuse assistance
l'entoure et le surveille, les différents objets qui lui appar-
tiennent : montre, couteau, porte-monnaie, etc.
« Tout le temps que dure l'accès est une phase de son
existence, dont le souvenir n'est pas pour lui au réveil;
l'oubU est tellement complet, qu'il exprime la plus grande
surprise lorsqu'on lui relate ce qu'il a fait; il n'a pas la
notion, même la plus obscure, du temps, du lieu, du mou-
vement, des investigations dont il a été l'objet, ni des dif-
férentes personnes qui l'ont assisté.
« La séparation entre les deux phases de sa vie, santé et
maladie, est absolue !
« Arrivons à l'étude psychologique de cet homme, par
44 LES PERSONNALITES SUCCESSIVES
l'interprétation des faits qui se produisent pendant la crise,
sans négliger toutefois les détails de l'observation de
chaque jour, qui trouvera sa place dans une autre partie
de ce mémoire.
(.<■ La sensibilité générale est, avons-nous dit, complète-
ment éteinte. — La sensibilité musculaire conservée. —
L'ouïe, l'odorat, le goût, sont fermés aux excitations du
dehors. — La vue ne donne plus que des impressions
obscures, sans connaissance.'^ — Le toucher est conservé,
et semble même acquérir une finesse, une sensibilité exa-
gérées.
« Et c'est au milieu de cette perturbation nerveuse, consi-
dérable, que nous avons à déterminer la valeur et la
signification des actes que nous allons décrire.
« L'activité de F. . . , pendant sa crise, est presque la même
que dans son état normal, à cela près que le mouvement
est moins rapide; il marche l'œil ouvert, le regard fixe; si
on le dirige sur un obstacle, il le heurte légèrement et le
tourne; que ce soit un arbre, une chaise, un banc, un
homme, une femme, ce n'est pour lui qu'un obstacle dont
il ne connaît pas les différences. L'expression de sa physio-
nomie est le plus ordinairement immobile, impassible, et
cependant elle reflète parfois les idées qui se présentent
spontanément à son esprit, ou que les impressions du tou-
cher réveillent dans sa mémoire. Ses expressions, son
geste, sa mimique, 'qui ont cessé d'être en rapport avec le
monde extérieur, sont exclusivement au service de sa per-
sonnalité ou, mieux encore, de sa mémoire. — C'est ainsi
que nous assistâmes à la scène suivante :
« Il se promenait dans le jardin, sous un massif d'arbres;
on lui remet à la main sa canne qu'il avait laissé tomber
quelques minutes avant. Il la palpe, promène à plusieurs
reprises la main sur la poignée coudée de sa canne, —
devient attentif, — semljle prêter l'oreille, — et, tout à
coup, appelle : « Henri! » Puis : « Les voilai ils sont au
moins une vingtaine! A nous deux, nous en viendrons à
bout! » Et alors, portant la main derrière son dos comme
LES SOMNAMBULISMES SPONTANES 45
pour prendre une cartouche, il fait le mouvement de
charger son arme, se couche dans l'herbe à plat ventre, la
tête cachée par un arbre, dans la position d'un tirailleur,
et suit, l'arme épaulée, tous les mouvements de l'ennemi
qu'il croit voir à courte distance. — Cette scène, pleine de
péripéties rapportées avec détails dans le cours de l'obser-
vation, a été pour chacun de nous l'expression la plus
complète d'une hallucination provoquée par une illusion
du tact, qui, donnant à une canne les attributs d'un fusil,
a réveillé chez cet homme les souvenirs de sa dernière
campagne, et reproduit la lutte dans laquelle il a été si
grièvement blessé. J'ai voulu, dans la crise survenue
quinze jours plus tard, chercher la confirmation de cette
idée, et je ne crois pas possible de mettre en doute l'inter-
prétation, puisque le malade, ayant de nouveau été placé
dans les mêmes conditions, j'ai vu la même scène se repro-
duire à l'occasion du même objet. Il m'a donc été possible
de dirioer l'activité de mon malade dans un ordre d'idées
que je voulais faire naître, en mettant en jeu les impres-
sions du tact, alors que tous les autres sens ne me permet-
taient aucune communication avec lui.
« Tous les actes, toutes les expressions de F... sont ou la
répétition de tout ce qu'il fa,it chaque jour, ou sont provo-
qués par les impressions que les objets produisent sur le
tact. Il suffit d'observer ce malade pendant quelques
heures pour se faire, à ce sujet, une conviction bien assise.
C'est en le suivant dans ses pérégrinations à travers l'hô-
pital Saint-Antoine que nous avons été témoins, M. Maury
et moi, de mille faits nés du hasard, mais tous intéressants
au point de vue psychologique.
« Nous étions au fond d'un corridor, devant une porte
fermée. F... promène les mains sur cette porte, trouve le
bouton, le saisit, et veut ouvrir; la porte résiste; il cherche
la serrure, puis la clef qu'il ne trouve point. Il promène
alors ses doigts sur les vis qui fixent la serrure, essaye de
les saisir et de les faire tourner, dans le but de détacher la
serrure. — Toute cette série d'actes témoigne d'un mouve-
46 LES PERSONNALITES SUCCESSIVES
ment de l'esprit en rapport avec l'objet qui l'occupe. Il
allait quitter cette porte et se diriger vers un autre lieu,
quand je présente à ses yeux un trousseau de sept à huit
clefs; — il ne les voit pas; — je les agite avec bruit à son
oreille, — il n'entend pas; — je les lui mets dans la main :
il les saisit aussitôt, et les présente tour à tour au trou de
la serrure, sans en trouver une seule qui puisse entrer. Il
quitte alors la place, et s'en va dans une salle de malades,
prenant sur son passage divers objets dont il remplit ses
poches, et arrive devant une petite table servant aux écri-
tures de la salle.
« Il promène les mains sur cette table; elle était vide ; il
rencontre, en la palpant, le bouton d'un tiroir; il l'ouvre;
il prend une plume, et, tout aussitôt, cette plume éveille en
lui ridée d'écrire, car, à l'instant même, il fouille le tiroir,
en retire plusieurs feuilles de papier, puis un encrier, qu'il
place sur la table. Il prend une chaise, et commence une
lettre dans laquelle il se recommande à son général pom^
sa bonne conduite et sa bravoure, en lui demandant de
s'occuper de lui pour la médaille militaire.
« Cette lettre est écrite en termes fort incorrects, mais
équivalents, comme expression et orthographe, à tout ce
que nous lui avons vu faire dans son état de santé. L'ex-
périence à laquelle nous faisait assister le malade, en écri-
vant cette lettre, nous a conduit, séance tenante, à recher-
cher dans quelle mesure le sens de la vue concourait à
l'accomplissement de cet acte. La facilité avec laquelle il
traçait ses caractères et suivait ses lignes sur le papier, ne
nous laissait aucun doute sur l'exercice de la vision appli-
quée à l'écriture; mais, pour faire la preuve irrévocable,
nous avons à diverses reprises placé une épaisse plaque de
tôle entre ses yeux et sa main qui écrivait; bien que tous
les rayons visuels fussent interceptés, il n'interrompit
point immédiatement la ligne commencée; il continua à
tracer quelques mots encore, écrits d'une manière presque
illisible, avec des jambages enchevêtrés les uns dans les
autres; puis il s'arrêta sans manifester de mécontentement
LES SOMNAMBULISMES SPONTANES 47
ni d'impatience. L'obstacle levé, il reprit la ligne inachevée,
et en recommença une autre.
« Le sens de la vue était donc bien en pleine activité, et
nécessaire à l' expression écrite de la pensée du malade.
« Il nous a été facile d'appeler en témoignage une seconde
épreuve non moins démonstrative : pendant que le malade
écrivait nous substituons de l'eau à l'encre dont il se ser-
vait; la première fois qu'il y trempe sa plume, il obtient
encore des demi-teintes suffisantes pour que l'écriture reste
visible; mais à la seconde reprise, la plume, qui n'avait
plus que de l'eau, traça des caractères frustes dont il s'aper-
çut aussitôt. Il s'arrêta, essuya le bout de sa plume, la
frotta sur la manche de son habit et voulut recommencer
à écrire ; — mêmes effets; — nouvel examen de sa plume,
qu'il regarde plus attentivement encore que la première
fois ; — nouvel essai infructueux ; — et ce malade, enrayé
dans son action par notre volonté, n'eut pas un instant
l'idée de chercher l'obstacle dans l'encrier. Sa pensée était
incapable de spontanéité; et sa vue, ouverte sur le papier
et la plume qu'il tenait à la main, restait fort incomplète
à l'endroit de l'encrier, avec lequel il n'avait aucun point
de contact. Cette seconde expérience confirme la première;
Vune comme l'autre nous démontre que la vue existe réel-
lement; mais il nous a semblé résulter de ce fait, que le
champ de la vision était exclusif et restreint à un cercle
absolument personnel au malade; que le spms de la vue ne
s'éveillait qu'à l'occasion du toucher, et que son exercice
restait limité aux objets seulement avec lesquels il était
actuellement en rapport par le toucher. D'autres observa-
tions viendront plus tard à l'appui de cette idée; mais,
avant de passer à un nouvel ordre de faits, je veux signaler
une hallucination fort curieuse que nous fîmes naître for-
tuitement au moment où F... était occupé à écrire.
« Il avait pris pour écrire plusieurs feuilles de papier, il y
en avait une dizaine superposées; il écrivait sur la pre-
mière page, lorsque nous vint l'idée de la retirer brusque-
ment; sa plume continue à écrire sur la deuxième feuille,
48 LES PERSONNALITÉS SUCCESSIVES
comme s'il ne s'était point aperçu de la soustraction que
nous venions de faire, et il achève sa phrase sans même
s'arrêter, sans autre expression qu'un léger mouvement de
surprise. Il avait écrit dix mots sur le deuxième feuillet,
lorsque nous l'enlevâmes rapidement comme le premier;
et il termina sur le troisième feuillet la ligne commencée
sur le précédent, exactement au point où sa plume était
restée placée. Nous enlevons de même et successivement
le troisième feuillet, puis le quatrième, et, arrivé au cin-
quième, il signe son nom au bas de la page, alors que tout
ce qu'il venait d'écrire avait disparu avec les feuillets pré-
cédents. Nous le voyons alors diriger ses yeux vers le haut
de cette page blanche; relire tout ce qu'il venait d'écrire,
avec un mouvement de lèvres accusant chaque mot; puis,
à diverses reprises, tracer avec sa plume, sur différents
points de cette page blanche, là une virgule, là un e, là un
^, en suivant attentivement l'orthographe de chaque mot,
qu'il s'applique à corriger de son mieux ; et chacune de ces
corrections répond à un mot incomplet que nous retrouvons
à la même hauteur, à la même distance sur les feuillets
que nous avons entre les mains.
« Quelle signification donner à cet acte d'apparence si sin-
gulière? 11 nous semble avoir sa solution dans l'état hallu-
cinatoire qui crée Vidée-image, et donne à la pensée ou à
la mémoire une telle puissance de réflexion vers les sens,
que ceux-ci, entrant en exercice, donnent soit à la pensée,
soit au souvenir, une réalité extérieure. C'est l'hallucina-
tion telle que nous la rencontrons dans le sommeil, dans
les rêves, dans les névropathies cérébrales. F... relit dans
sa mémoire la lettre qu'il vient d'écrire, alors que ses yeux
fixés sur cette feuille blanche lui donnent la sensation
fausse de lignes qui n'existent pas; de même que, dans
une des précédentes expériences, il avait, présents devant
ses yeux, les soldats prussiens dont il surveillait les mou-
vements, afin de les surprendre à l'heure convenable.
u Sa lettre terminée, F... quitte la table, se remet en mou-
vement, parcourt de nouveau une longue salle de malades.
LES SOMNAMBULISMES SPONTANES 49
prenant indistinctement tous les objets qu'il rencontre sous
sa main, les mettant dans sa poche, et les cachant ensuite
sous une couverture, sous un matelas, sous une housse de
fauteuil, sous une pile de draps. Arrivé au jardin, il prend
dans sa poche un cahier de papier à cigarettes, l'ouvre, en
détache une feuille, prend son sac de tabac, et roule une
cigarette avec la dextérité d'un homme habitué à cet exer-
cice. Il cherche sa boîte d'allumettes, frotte l'une d'elles,
allume sa cigarette, jette à terre son allumette encore
enflammée, met le pied dessus pour l'éteindre, et fume sa
cigarette en se promenant de long en large dans toute
l'étendue du jardin, sans qu'aucun de ces actes présente
la plus légère déviation de leur manière d'être à l'état
normal. Tout ce qu'il venait de faire était la reproduction
fidèle de sa vie ordinaire.
« Cette première cigarette terminée il se prépare à en
fumer une autre; nous intervenons alors et lui créons des
obstacles. Il a à la main une nouvelle feuille de papier
prête à recevoir du tabac ; il cherche dans sa poche son sac
qu'il ne trouve pas; je le lui avais volé. Il le cherche dans
"une autre poche, parcourt tous ses vêtements, revient à la
première poche pour le chercher encore, et sa physionomie
exprime la surprise. Je lui présente le sac, il ne le voit pas;
je l'approche de ses yeux, il ne le voit pas plus; je l'agite
à la hauteur de son nez, il ne voit rien. Je le mets au con-
tact de sa main, il le saisit aussitôt et achève sa cigarette.
Au moment où il porte à sa cigarette une de ses allumettes
qu'il vient d'allumer lui-même, je la souffle et lui présente
à la place une allumette en feu que je tiens à la main; il
ne la voit pas; je l'approche de ses yeux, si près, que j'ai
pu lui brûler quelques cils, il ne la voit pas davantage, il
n'a pas même le plus léger mouvement de chgnement. Il
allume de nouveau une autre allumette à lui, je la souffle
encore et lui substitue la mienne, même indifférence de sa
part. Je la mets au contact de la cigarette qu'il tient à la
bouche, je brûle le tabac de sa cigarette, il ne s'aperçoit de
rien, ne fait aucun mouvement d'aspiration. Cette expé-
A. BlNET. 4
50 LES PERSONNALITÉS SUCCESSIVES
rience, si remarquable par sa simplicité et par ses résultats,
vient à l'appui de la précédente : toutes deux nous prou-
vent que le malade voit certains objets et ne voit pas cer-
tains autres; que le sens de la vue est ouvert sur tous les
objets personnels en rapport avec lui par les impressions
du toucher, et fermée au contraire, sur les choses exté-
rieures à lui; il voit son allumette et ne voit pas la mienne.
J'ai, à différentes reprises, dans les accès ultérieurs, répété
la même expérience et obtenu les mêmes résultats; le
malade restait indifférent à tout; son œil, terne et fixe,
n'offrait ni clignement ni contraction pupillaire.
« Depuis plus de deux heures, M. Maury et moi nous
suivions ce malade, observant ses mouvements, son allure,
épiant sa pensée; nous avions parcouru avec lui la plus
grande partie de l'hôpital, et nous nous trouvions alors
dans le département de la cuisine. Je le dirige vers le
cabinet de la religieuse, où il n'était jamais entré; il se
guide avec les mains, fait le tour delà pièce, touche chaque
chose; sent un placard, l'ouvre; palpe quelques fioles, les
prend, les regarde; voit du vin, le boit.
« Arrivé à un petit bureau, sa vue est impressionnée par
quelques objets brillants placés sur une étagère, il les
prend, les examine, les met tous successivement dans sa
poche. Je jette, sur le bureau où il promène ses mains,
quelques plumes que ses doigts rencontreront et qui lui
donneront, j'espère, l'idée d'écrire de nouveau.
« A peine les a-t-il touchées qu'il prend une chaise et
commence une lettre adressée à une de ses amies. 11 lui
dit : « Qu'il faut changer l'heure du rendez-vous, qu'il
« chante ce soir au café des Champs-Elysées, et qu'il ne sera
« pas rentré chez lui avant onze heures. » Nous le laissons
achever sa lettre sans lui créer aucun embarras. Il la met
sous enveloppe, l'adresse à Mlle X... et ajoute : A envoyer
par un commissionnaire . Cette indication spéciale signi-
fiait évidemment que cette lettre avait pour lui une cer-
taine importance et qu'il tenait à la faire parvenir sans
retard. Il la met dans sa poche, se lève, et au même ins-
LES SOMNAMBULISMES SPONTANES • SI
tant je prends sans précautions, sans aucune subtilité de
main, cettre lettre à laquelle il attache tant d'importance.
Il ne s'aperçoit même pas de la soustraction que je lui fais,
bien que ma main vienne intentionnellement heurter sa
poitrine et son bras pour arriver jusqu'à sa poche. Les
termes de la lettre me firent penser que notre malade était
dans un ordre d'idées que nous désirions beaucoup lui
voir prendre, mais qu'il nous était impossible de lui sug-
gérer. Il avait, dans sa crise précédente, chanté plusieurs
romances de son répertoire, à un moment où le souvenir
de son ancienne profession de chanteur lui avait sponta-
nément traversé l'esprit; nous attendions donc de quelque
hasard heureux qu'il voulût bien chanter encore, car nous
n'avions nul moyen de l'engager dans cette voie. A peine
avait-il fait quelques pas dans la cour qu'il commença à
fredonner des airs qui, du reste, lui semblaient familiers;
après quoi il se dirigea vers la salle qu'il habite depuis son
entrée à l'hôpital. Arrivé à son lit, il prend sur sa tablette
son peigne, sa glace; il se roule les cheveux, se brosse la
barbe, ajuste son col, ouvre son gilet, procédant avec soin
à tous les détails de sa toilette.
« M. Maury retourne sa glace; il n'en continue pas moins
ses mêmes soins de toilette, en se regardant, comme devant,
dans sa glace qui ne reflète plus aucune image. Plus de
doutes pour nous, il se prépare à une représentation théâ-
trale. Il prend sur son lit le vêtement qu'il avait quitté, et
le rejette aussitôt, — c'était sa capote d'hôpital, — il pro-
mène rapidement les mains sur sa chaise, sur l'appui de la
croisée, en témoignant de quelque impatience.
« L'expression de mécontentement du malade était trop
claire pour que chacun de nous ne vît pas qu'il lui man-
quait un vêtement en rapport avec l'idée qu'il poursuivait;
sa redingote, qui d'habitude était sur un des meubles du
voisinage, ne se trouvait pas à sa disposition. L'un de nous
quitte la sienne, la lui met entre les mains; aussitôt il la
revêt. Son œil est attiré par l'éclat d'an ruban rouge, il le
touche, le regarde, l'enlève. Il rencontre sur son lit plu-
32 • LES PERSONNALITES SUCCESSIVES
sieurs livraisons d'un roman périodique qu'il feuillette
rapidement sans trouver ce qu'il cherche. Que peut-il cher-
cher ainsi? Quelques pages de musique. Je prends une de
ces livraisons, je la roule sur elle-même et, en la lui met-
tant ainsi toute roulée dans la main, je satisfais à son désir
en lui donnant l'illusion d'un rouleau de musique; car
aussitôt il prend sa canne et traverse la salle d'un pas lent,
dégagé. — Chemin faisant, on l'arrête pour lui enlever le
vêtement qu'il avait sur lui, il se laisse faire sans aucune
résistance; l'infirmier lui met entre les mains sa propre
redingote, il s'en revêt, cherche sa boutonnière, voit son
ruban de la médaille militaire, et paraît satisfait. Il des-
cend agilement l'escalier qu'il fréquentait chaque jour,
traverse la cour de l'hôpital avec l'allure d'un homme
afi'airé, et se dirige vers la porte de sortie. Arrivé là, je lui
barre le passage et le tourne le dos contre la porte; il se
laisse faire sans aucune résistance, puis reprend sa marche
dans la nouvelle direction que je viens de lui donner, et
entre en tâtonnant dans la loge du concierge, ouverte sur
le passage où nous étions.
« A ce moment, le soleil éclairait d'une vive lumière un
vitrage de verre qui ferme la loge du côté de la cour. Il
parut n'être point insensible à l'éclat de cette lumière, qui
vraisemblablement lui créa une illusion delà vue, en éveil-
lant une sensation adéquate à l'idée qui le faisait agir.
Cette lumière dut lui donner l'illusion d'une rampe, car il
se plaça aussitôt vis-à-vis d'elle, rajusta sa toilette, ouvrit
le rouleau de papier qu'il avait à la main, fredonna douce-
ment un air, parcourant des yeux les pages qu'il feuilletait
lentement, et marquant avec la main une mesure parfaite-
ment rythmée. Puis il chanta à pleine voix, d'une manière
fort agréable, en nuançant habilement son chant, une
romance patriotique que nous écoutâmes tous avec plaisir.
Ce premier morceau terminé, il en chanta un second, puis
un troisième. Nous le vîmes alors prendre son mouchoir,
s'essuyer la figure; je lui présentai un demi-verre d'eau
fortement vinaigrée, qu'il ne vit pas; je plaçai le verre
LES SOMNAMBULISMES SPONTANES 53
soLis son nez sans que l'odeur du vinaigre fût perçue par
lui; je le lui mis dans la main, et il but sans accuser aucune
sensation,
« Quel rôle le sens de l'ouïe, absolument fermé aux
impressions du dehors, a-t-il joué dans l'exécution si par-
faite des trois romances que nous venons de lui entendre
chanter? S'entendait-il chanter"? Avait-il la perception réelle
de sa voix, alors qu'il n'entendait ni la mienne lorsque je
lui parlais, ni les bruits éclatants et variés que nous faisions
retentir à ses oreilles? De même que, dans une précédente
expérience sur le sens de la vue, nous avions constaté
qu'il voyait l'allumette qu'il tenait à la main, et restait
absolument étranger à l'allumette que je lui présentais.
« La scène à laquelle nous venions d'assister ne nous per-
mettait point de trancher la question, car la mise en œuvre
de ses romances pouvait être un simple mouvement auto-
matique, tout aussi bien que la lutte vigoureuse engagée
entre lui et le soldat prussien, au moment où il s'était cru
armé d'un fusil, n'avait été qu'un souvenir en action. —
Ses gestes, sa tenue, ses inflexions de voix, les nuances
de sentiment et de chaleur qu'il exprimait dans son chant,
étant choses apprises depuis longtemps, et répétées par lui
un grand nombre de fois, pouvaient donc n'être qu'un épi-
sode de sa vie habituelle, une simple réminiscence, une
expression vocale inconsciente, automatique comme tant
d'autres faits qui venaient de se passer sous nos yeux.
Nous avions le plus vif désir de résoudre ce nouveau pro-
blème par une expérience décisive; et c'est encore par la
voie des impressions du toucher que nous avions songé à
interroger le sens de l'ouïe.
« Nous savions que le contact d'une plume éveillait chez
F... l'idée d'écrire; nous savions que du tabac mis dans sa
main lui faisait naître l'idée de fumer, nous pouvions donc
penser que, en lui faisant rencontrer un archet, nous lui
suggérerions l'idée de musique, car il avait l'habitude de
se servir d'un violon pour étudier ses romances. Nous
avions, à cet effet, préparé un violon complètement désac-
o4 LES PERSONNALITÉS SUCCESSIVES
cordé que nous voulions lui mettre entre les mains; et nous
allions trouver, dans cette expérience, une démonstration
complète de l'exercice ou du non-exercice du sens de
Fouie, si F... avait pu rétablir l'accord et se servir de son
violon comme il le faisait d'habitude. — Mais la crise s'est
terminée avant que nous ayons pu faire cette expérience si
simple.
« Cette scène, que je me suis attaché à reproduire fidèle-
ment, est intéressante par l'enchaînement des faits qui se
sont succédé depuis la lettre écrite sous nos yeux à son
amie ; elle marque le moment où l'idée de concert se pré-
sente à son esprit. Depuis lors, jusqu'au moment où il la
réalise, tout s'harmonise et concourt au même but; il pour-
suit la même idée pendant au moins trois quarts d'heure
sans que rien ne l'en puisse distraire un instant.
« C'est là un des points de vue tout particulièrement inté-
ressants dans cette observation, car il accuse clairement la
différence essentielle qui existe entre l'état psychologique
du sommeil et du rêve et les conditions spéciales que la
maladie de F... a créées à son innervation cérébrale. »
L'histoire du sergent de Bazeilles présente des analogies
frappantes avec celle des somnambules hystériques qui ont
été cités plus haut, et en même temps on peut relever des
difi'érences notables qui ne permettent pas de réunir cette
observation aux précédentes.
L'analogie, c'est l'existence de plusieurs vies psycholo-
giques séparées. F..., à la suite d'une blessure à la tète,
présente, par accès, une activité psychique spéciale qui se
distingue de sa vie normale et constitue, si l'on veut user
de ce terme, un état de condition seconde; la séparation
des deux existences est faite ici, comme dans le cas de
Félida, surtout par la mémoire; le malade rentré dans sa
vie normale ne se souvient plus de ce qu'il a fait, de ce
qu'il a dit pendant sa crise, des assistants qui l'ont entouré
et des épreuves auxquelles on l'a soumis. L'état de crise
diffère aussi, semble-t-il, de l'autre état par un changement
de caractère, et notamment par cette impulsion au vol per-
LES SOMNAMBULISMES SPONTANÉS 55
sistante, qui fait que le malade saisit et cache tous les objets
qu'il rencontre. Voilà donc deux éléments, la mémoire et
le caractère, qui différencient nettement la condition se-
conde et la condition première; et dans tout ce qui pré-
cède, les analogies entre F... et les autres malades que
nous avons décrits sont remarquables.
Les différences consistent dans la forme de l'activité
mentale que F... manifeste pendant sa crise. Tandis que
Félida, Louis V... et les autres montrent, pendant leur
condition seconde, une intelligence ouverte à toutes les
excitations extérieures, l'intelligence de F... est au contraire
fermée à toutes les excitations qui n'ont point de rapport
avec l'idée dominante du moment. On vient de le voir par-
courir pendant deux heures un hôpital entier, traverser
les corridors, les salles de malades, se promener dans le
jardin sans se douter des nombreuses personnes qui le
Suivent et qui l'épient ; il ne voit pas ces personnes, parce
que leur présence n'entre pas dans son cercle d'idées; il ne
voit de même aucun des objets qui n'ont point de rapport
avec le roman intérieur qu'il rumine tout en marchant ;
quand il sent le besoin de fumer, et que M. Mesnet, après
avoir éteint son allumette, lui en présente une tout
enflammée, il ne la voit pas, et se laisse brûler les sourcils
par la flamme; mais il a perçu la plume dont il se sert pour
écrire, et le papier à lettre sur lequel il écrit, et le corridor
qu'il traverse et la porte qu'il ouvre : tous ces objets sont
en relation avecsesidéesdominantes. C'est ce que M. Mesnet
a très bien compris et très bien décrit, et il a aussi noté
avec soin le rôle directeur exercé par le toucher sur l'intel-
hgence de son malade.
Ainsi l'activité mentale de F..., pendant ses crises, pré-
sente surtout un développement systématique. M. Mesnet
admet en outre, et même il affirme à plusieurs reprises,
que c'est une activité inconsciente, purement réflexe et
machinale. 11 n'y aurait donc, pendant la crise, aucune
trace de pensée consciente, de jugement, d'imagination.
Cette interprétation, émanant de l'auteur qui avait lui-
S6 LES PERSONNALITÉS SUCCESSIVES
même observé les faits, s'est présentée avec une telle
garantie de rectitude que plusieurs ps^^chologues n'ont eu
aucune difficulté à l'accepter. Il a donc été, pendant un
temps, admis couramment que chez certains malades, une
activité mentale inconsciente et aveugle peut, à certains
moments, se substituer à la conscience, prendre en main
les rênes du gouvernement de l'organisme et produire
toute une série d'actes compliqués. Cette hypothèse — car
c'en est une — a été reprise par un naturaliste anglais
bien connu, M. Huxley, et lui a servi à édifier sa théorie
de la conscience épiphénomène. A quoi sert la conscience,
s'est-il demandé, puisqu'on peut si bien se passer d'elle,
puisque le cerveau, pendant son absence, peut accomplir des
actes ayant un caractère intelligent? La conscience est un
luxe de l'esprit, c'est une chose inutile, un phénomène
surajouté, qui éclaire le processus physiologique, qui le
révèle, mais ne le constitue pas. On a donc comparé la
conscience à l'ombre qui suit le pas du voyageur, à la
lumière qui sort du foyer d'une machine, au timbre qui,
en sonnant, nous apprend l'heure marquée au cadran de la
pendule; supprimez l'ombre, la lumière, le timbre, tous
ces signes extérieurs, le mécanisme interne qu'ils révèlent
n'en fonctionnera pas moins; et de même, si la conscience,
par hypothèse, était supprimée, le cerveau continuerait à
fonctionner, les idées se suivraient, et les jugements se
coordonneraient en raisonnements comme ils le faisaient
auparavant.
On commence à reconnaître aujourd'hui que ces hypo-
thèses sont bien hasardées, et qu'en tout cas les faits qui
leur servent de point de départ principal peuvent recevoir
une tout autre interprétation. 11 n'est nullement démontré
que l'activité mentale du sergent de liazeilles pendant ses
crises soit celle d'un pur automate; loin de là, si on relit
avec soin son observation, on rencontre à chaque instant
des signes de conscience; il est même étonnant qu'on ne
s'en soit pas rendu compte. Regardons-le, au moment où
dominé par le souvenir de son métier de chanteur, il fait
LES SOMNAMBULISMES SPONTANÉS 57
sa toilette pour monter en scène, et cherche une redingote;
sa main errant autour de lui, il ne trouve pas le vêtement
cherché, et donne des signes de mécontentement ; à un
autre moment, pendant qu'il est occupé à écrire une lettre
à son général, on enlève rapidement la feuille de papier
sur laquelle il écrit, et il donne un signe de surprise; sur-
prise, mécontentement, qu'est-ce que tout cela, sinon des
signes de conscience? Et ne suffit-il pas de ces quelques
faits pour jeter les doutes les plus sérieux sur l'hypothèse
de l'homme-machine?
A mesure que nous avancerons dans notre sujet, nous
aurons plus d'une fois l'occasion de montrer que la con-
science n'abdique pas si facilement ses droits qu'on l'a
admis jusqu'ici, et qu'elle peut subsister au sein d'une
activité psychologique rudimentaire.
II
Depuis la publication du mémoire de M. Mesnet, il a
paru un certain nombre d'observations du même genre,
qui en ont confirmé l'exactitude.
Les plus importantes de ces observations nouvelles sont,
sans contredit, celles qui ont été recueillies et publiées
récemment par M. Gharcot et ses élèves. M. Gharcot a eu
l'obligeance de me montrer ses malades et j'ai trouvé une
ressemblance psychologique complète avec le cas de
M. Mesnet. Ges malades présentent tous cette systématisa-
tion exagérée de l'activité intellectuelle, qui leur fait perce-
voir certains objets avec une très grande finesse, tandis que
d'autres passent complètement inaperçus. Voici une de ces
observations; je l'emprunte à une pubhcation très intéres-
sante de M. Guinon ^ :
« Il s'agit d'un nommé de B..., âgé de vingt-neuf ans,
1. Progrès médical, 1891, n°" 20 et sq.
38 LES PERSONNALITES SUCCESSIVES
journaliste. C'est un homme qui ne fait pas partie de la
clientèle hospitalière habituelle. Il a été bien élevé, il a
reçu une bonne instruction, il est bachelier es lettres. Ses
parents étaient rentiers et lui ont laissé une certaine for-
tune qu'il a dissipée de dix-huit à vingt ans.
« A vingt ans il part pour le service militaire comme
volontaire d'un an, dans les hussards. Là il eut une fièvre
typhoïde grave pour laquelle il fut soigné à l'hôpital mili-
taire. Pendant sa convalescence, il était un peu sourd,
avait les jambes enflées et présentait des troubles assez
accentués de la mémoire. Au bout de deux mois de conva-
lescence il fut enfin guéri, mais deux mois plus tard écla-
tèrent les premiers accidents nerveux.
« Le début de ces troubles eut lieu sans cause connue.
Un soir, chez lui, après dîner, il sentit une boule qui lui
remontait à la gorge et l'étouffait, puis perdit connaissance.
Pendant deux ou trois heures, il se débattit, se roulant sur
le plancher et ces convulsions étaient entrecoupées de
périodes d'assoupissement. Dans la suite il n'eut pas d'au-
tres crises pendant huit ans.
« A l'âge de vingt-quatre ans, complètement ruiné,
n'ayant appris aucun métier et obligé de travailler pour
vivre, il se mit à faire du journalisme. Il était reporter (faits
divers, compte rendu des tribunaux, théâtres, etc.).
« En mai 1890, il est envoyé à Marseille par un journal
parisien pour faire du reportage à l'occasion du voyage du
président de la République en Corse.. Il avait déjà depuis
quelque temps une sorte de tremblement de la main droite
qui le gênait beaucoup pour écrire et se faisait accom-
pagner, en guise de secrétaire, par un jeune garçon, à
qui il dictait ses dépêches, ses articles.
« Pendant son séjour à Marseille, il se surmena beaucoup
et faillit avoir une attaque de nerfs, dont il ressentit tous
les prodromes. A ce moment le tremblement de la main
était à son maximum. C'est dans cette .ville qu'il s'aperçut
qu'il était porteur d'une hémiancsthésie droite.
« Après avoir repris son travail pendant un mois, il se
LES SOMNAMBULISMES SPONTANES S9
présenta à la consultation du mardi, à la Salpêtrière, le
21 octobre 1890, parce qu'il ressentait de nouveau les pro-
dromes d'une crise nerveuse.
« Ces prodromes sont toujours les mêmes. Ils consistent
en maux de tête, inappétence, nausées suivies quelquefois
de vomissements par régurgitation, frissons, sensations de
chaud et de froid. A cela s'ajoute une sorte de trouble de
la mémoire, il ne se rappelle plus rien, oublie ce qu'il a fait
la veille et ce qu'il doit faire le lendemain. Cette espèce de
malaise général a précédé presque toutes les crises ou les
séries de crises qui se sont produites depuis quelque temps.
« Lorsqu'il se présente à nous, c'est un homme de force
moyenne, d'aspect pas très robuste, un peu pâle, l'air
abattu et triste. Tous ses organes fonctionnent normale-
ment. Il n'a rien au cœur ni dans les poumons.
« La moitié droite du corps est le siège d'une anestliésie
absolue au contact, à la douleur et à la température. La
perte du sens musculaire de ce côté n'est point absolue; il
sent qu'on remue un doigt, mais sans indiquer toujours
sûrement lequel. La sensibilité profonde, musculaire et
articulaire est abolie complètement.
« Il existe dans la fosse iliaque droite un point doulou-
reux. La pression sur ce point, seulement la pression
profonde, donne lieu aux phénomènes de l'aura (boule,
battements dans les tempes, sifflements dans les oreilles).
De plus, ainsi qu'on le verra plus loin, elle arrête aussi l'at-
taque. 11 en existe un autre au niveau du condyle interne
du fémur du côté droit également.
« Le goût est aboli sur la moitié droite de la langue,
l'odorat complètement perdu pour le côté droit. L'ouïe est
diminuée du même côté. En ce qui concerne la vue, on
constate du côté droit un rétrécissement du champ visuel
à 30". A gauche le champ visuel est normal. De plus,
achromatopsie et polyopie monoculaire.
« Le malade nous dit qu'il est hypnotisable et que danfi
les services hospitaliers oii il a servi de sujet à diverses
expériences^ on l'hypnotisait à Vaide de la pression sur
60 LES PERSONNALITÉS SUCCESSIVES
les globes oculaires. On verra plus loin quel est l'état dans
lequel on met en réalité le malade à l'aide de ce procédé.
« Deux jours après son entrée, le malade nous prie de
vouloir bien V hypnotiser, comme on avait déjà fait à Mont-
pellier et ailleurs, parce qu'il ressent une certaine amélio-
ration à la suite de ces sommeils provoqués. Nous déférons
volontiers à son désir et, après l'avoir fait asseoir sur une
chaise, nous répétons la manœuvre qu'il dit avoir été déjà
employée dans ce but : l'occlusion des yeux avec une
légère pression sur les globes oculaires.
« Au bout de quelques secondes, le malade présente des
mouvements de déglutition et de régurgitation assez pro-
noncés : on dirait qu'il va vomir, mais les vomissements
ne se produisent pas. Bientôt les membres se raidissent
légèrement; ils sont étendus suivant l'axe du corps qui
s'incurve un peu en arrière; les membres inférieurs rap-
prochés l'un contre l'autre, le pied en extension forcée.
Les membres supérieurs sont rapprochés du corps; les
avant-bras en pronation forcée; la paume de la main en
arrière et en dehors, les doigts fléchis. Le bras soulevé
reste dans la position qu'on lui donne. Puis le malade est
agité de quelques frissonnements et bientôt les membres
redeviennent souples et le malade reste assis, calme, la
tête un peu inclinée sur la poitrine, les yeux fermés, dans
l'attitude de quelqu'un qui sommeille.
« Quelques instants après, le malade, les yeux toujours
fermés, commence à réciter à voix basse des vers d'Horace;
à ce moment, nous lui crions dans l'oreille droite : « Des
soldats ! » Le malade cesse sa citation d'fïorace, et au
bout de quelques secondes, après avoir prononcé entre les
dents des paroles inintelligibles, il crie à haute voix, avec
l'intonation du commandement : « En avant! marche!...
Par le flanc droit!... droite!... » Puis, il ouvre les yeux, et
le regard fixe, comme porté au loin, les paupières large-
ment ouvertes, le corps incliné en avant, le cou tendu, il
paraît suivre avec une attention très vive quelque chose
qui se passe à quelque distance.
LES SOMNAMBULISMES SPONTANES 61
« On frappe alors quelques coups de gong, légers et
rythmés : le malade prend une attitude plus calme, qui
semble exprimer le recueillement, il dit : « Marguerite
entre dans la chapelle... Méphistophélès... »
« A ce moment, on pique avec une épingle le côté droit
de la face, qui était anesthésique à l'état de veille; aussitôt
le malade manifeste que la sensation est perçue, en faisant
une grimace, et en portant la main de ce côté. Du côté
gauche, au contraire, il y a une anesthésie, qui n'existait
pas à l'état de veille. En même temps, il s'écrie : « Oh! les
mouches !... »
« On lui ouvre les yeux et on lui présente un verre coloré
en rouge. Au bout de quelques secondes, le malade, avec
anxiété, s'écrie : « Ohl l'incendie... )), et en parlant à lui-
même, changeant de ton : « En voilà au moins pour
soulignes de copie!... »
« On frappe trois coups sur une table. Le malade, avec
autorité: « En scène, mesdemoiselles!... » Changeant de
ton : « Tiens, la petite Ehse..., où a-t-elle pris cette poi-
« trine-là? Je ne la lui connaissais pas..., c'est son habil-
« leuse qui lui aura arrangé cela... » Avec raillerie : « X...
« (un nom d'artiste), qui fait le Delaunay au petit pied! »
« On présente au malade un verre coloré en bleu; avec
admiration : « Oh! que c'est beau!... Superbe, ce dernier
« tableau..., il a des tons d'émail...; c'est l'Exposition du
« Blanc et Noir. . . »
(( On lui présente un verre rouge; toujours avec admira-
tion : « La belle sanguine!... » Puis, changeant de ton,
avec anxiété : « Au feu!... »
« On lui présente un verre bleu. Le malade, avec ironie,
sur un ton emphatique : « Tiens, je suis dans Théo-
ce phile Gautier!.. Je regarde ma princesse derrière un
(( vitrail Nous irons chanter tous les deux la chanson
« de nos vingt ans! »
« On frappe trois coups sur la table. Le malade, chan-
geant de ton, et comnie s'il se parlait à lui-même, écou-
tant : « Voici l'ouverture... ; trémolo à l'orchestre... »
62 LES PERSONNALITÉS SUCCESSIVES
Interrogeant : « Qu'est-ce? un vaudeville?... » Pais comme
s'il critiquait la pièce : « Voilà la scène à faire, comme dit
« Sarcey....; le dialogue est mou... »
« En frappant sur un aimant, on produit comme le son
d'une cloche. Le malade imitant le ton des employés :
« Ghâleau-Chillon!... Vevey!... Embarquez! » Puis chan-
geant de ton, comme s'il s'adressait à un des employés qui
le presse : « On y va..., on embarque...; nous n'allons pas
« faire de plongeon, au moins?... »
« En frappant sur une table avec les doigts, on imite le
bruit du tambour. Le malade, se parlant à lui-même avec
tristesse : « C'est une parade d'exécution..., on va le
« dégrader, le pauvre malheureux..., il ira aux compagnies
« de discipline..., tandis que l'espion de Nancy s'en tirera
« avec cinq ans de prison... Cet homme, qui représente le
« commissaire du gouvernement, manque de majesté... »
« Gomme on le voit, les conceptions délirantes portent
au suprême degré le cachet de la personnalité du malade.
C'est un journaliste, un « gendelettres », sans fortune,
vivant tant bien que mal de sa plume. Il ne parle que de
reportage, de théâtre, de misère d'écrivain à la tâche. Voilà
pour le côté professionnel. Pour ce qui est du caractère, il
ne se dément pas non plus : il est sceptique, désillusionné,
et toutes ses idées délirantes sont marquées à ce sceau-là.
Dans la suite, de nouvelles scènes s'ajoutèrent. Au bout de
quelque temps de séjour à la Salpêtrière, après avoir
observé choses et gens autour de lui, il parlait souvent,
dans son délire, de l'hôpital, des malades, des médecins,
toujours avec cette note sceptique et désillusionnée.
« Quelques jours après son entrée à l'hospice, le malade,
qui observait avec intérêt tout ce qui se passait autour de lui
dans la maison, avait manifesté à plusieurs reprises l'in-
tention d'écrire quelque chose, une nouvelle, un petit
roman sur la Salpêtrière. Profitant d'un moment où il était
dans sa crise délirante, nous attirons son attention sur ce
sujet en lui criant aux oreilles à diverses reprises : « La
Salpêtrière! » et en plaçant devant lui une plume, de l'encre
LES SOMNAMBULISMES SPONTANES 63
et du papier. Au bout de quelques instants il se met à écrire
et remplit ainsi, sans s'interrompre autrement que pour
allumer quelques cigarettes que nous lui offrons, douze
feuillets de papier, composant une sorte de prologue à son
roman. Il décrit la consultation externe de l'hospice un
mardi matin, les allures et la physionomie des nombreux
malades et des personnes de service. Il s'étend peu sur la
description des membres du personnel médical, raconte
ses émotions, son passage au bureau des entrées, etc. De
temps en temps, comme s'il se trouvait avec un camarade
dans un bureau de rédaction de quelque journal, il parle à
cet ami imaginaire, se plaignant de l'exigence du prote qui
n'a jamais assez de copie, demandant quelques conseils,
raturant des mots impropres, faisant des additions et des
renvois régulièrement numérotés. Ces douze pages sont
écrites dans l'espace d'une heure environ.
« On le réveille alors en lui soufflant sur la face et en
pressant sur un point hystérogène qu'il porte dans le flanc
gauche. Il revient à lui après quelques mouvements con-
vulsifs et on lui met sous les yeux le manuscrit qu'il vient
de composer. Il reconnaît bien son écriture et paraît fort
étonné d'avoir écrit tout cela en une heure. Il pense qu'on
a dû le faire écrire pendant qu'il « dormait », car il n'avait
encore rien composé là-dessus à l'état de veille, et, d'autre
part, dans cet état de veille, il lui eût fallu deux bonnes
heures pour écrire ainsi douze pages presque sans retou-
ches.
« Trois jours après on recommence l'expérience. Le
malade prend la plume et, délibérém^ent, sans hésitation,
numérote sa première feuille : 13 et au haut de la page il
écrit le dernier mot de son précédent manuscrit '. Ce jour-
là il écrit sept pages consécutivement, dont la dernière
(feuillet 19) n'est remplie qu'à moitié.
1. « On sait que c'est une coutume chez les personnes qui écrivent pour
l'impression de répéter au haut de chaque page le dernier mot de la
page précédente. Le malade ne manque jamais d'agir ainsi à chaque
page blanche qu'il commence. «
64 LES PERSONNALITES SUCCESSIVES
« Le lendemain nouvelle expérience. Il commence à
numéroter son feuillet : 19 bis en traçant en haut le dernier
mot de la feuille précédente, et écrit une demi-page. Le sur-
lendemain il recommence et continuant la page 19 bis ina-
chevée il numérote 19 ter, puis s'arrête à la page 20.
« Nous le laissons alors vingt jours sans lui reparler de
son roman, et, au bout de ce temps, nous attirons de nou-
veau son attention sur ce sujet. Il prend la plume, numérote
sans hésitation son premier feuillet :21 en traçant comme
toujours en haut les deux derniers mots de la dernière
feuille, écrite vingt jours auparavant. »
Le malade observé par MM. Gharcot et Guinon diffère
principalement de celui de M. Mesnet par l'éveil d'une
plus grande activité sensorielle ; le toucher acquiert une
importance moindre, car la vue et l'ouïe sont plus éveillées;
en outre, le malade a l'usage de la parole, et il laisse
échapper des réflexions souvent raisonnables, et parfois
piquantes, qui indiquent de la façon la plus nette qu'il
n'est point un automate dépourvu de conscience. Les obser-
vations de M. Gharcot lèvent donc tous les doutes qui
pouvaient encore subsister sur ce point important. Nous
croyons inutile d'insister, tant la démonstration nous paraît
complète. La conscience est aussi bien présente chez ces
malades pendant leurs crises, que chez les somnambules
étudiés au chapitre précédent.
Le journaliste B. présente aussi d'autres différences psy-
chologiques; il est moins concentré dans son délire que le
sergent de Bazeilles; celui-ci non seulement ne parle pas,
mais il ne comprend pas ce qu'on lui dit, et par consé-
quent il est inaccessible aux suggestions verbales ; le jour-
naliste a un délire avec lequel on peut entrer en relation
directe, puisqu'il entend et comprend ce qu'on lui dit ; mais
son état intellectuel reste cependant bien différent de celui
des somnambules hypnotiques, car les hallucinations et
conceptions délirantes qu'on lui communique se déve-
loppent sans se laisser conduire au gré de l'expérimen-
tateur.
LES SOMNAMBULISMES SPONTANÉS 65
■ En résumé, le somnambulisme des sujets précédents a
pour caractère psychologique fondamental le délire; ces
sujets ont bien deux personnalités, celle de l'état normal et
celle de la condition seconde; mais cette seconde personne
est délirante.
Nous avons \u que chez les somnambules de notre pre-
mier type les diverses manifestations de l'état second sont
reliées entre elles et unifiées par le souvenir; le malade,
quand il se trouve dans un de ces états, se rappelle ce qui
s'est passé dans les autres états ; la personnalité seconde peut
donc conserver son unité et persister toujours la même,
avec le même caractère, dans les crises successives de som-
nambulisme. En est-il de môme dans le somnambulisme
du second type? La seconde personnabté, qui est délirante,
conserve-t-elle le souvenir de ce qui s'est passé dans les
crises antérieures? Dans bien des cas, il est difficile de le
savoir; car le malade, pendant son délire, ne peut pas être
soumis à un interrogatoire régulier; il ne fie pas conversa-
tion avec l'expérimentateur, et il est bien incapable de
donner les renseignements qu'on lui demande. Mais par-
fois la forme même de son délire, ou les actes qu'il accom-
plit, peuvent nous éclairer. Ainsi que nous l'avons déjà
remarqué plus haut, il y a deux preuves principales de la
continuité de la mémoire : la première, c'est le témoignage
conscient du sujet ; la seconde, c'est la répétition ou la
continuation d'un acte commencé dans la crise précédente.
Le journaliste B. . . fournit cette seconde preuve, et à ce point
de vue, son observation est bien plus instructive que celle
du sergent de Bazeilles. On se rappelle que B... a com-
mencé à écrire pendant un de ses somnambulismes une
nouvelle sur la Salpêtrière. Dans ses crises successives, il
reprend son travail exactement au point où il l'a laissé,
bien qu'on ne lui laisse pas voir les feuillets déjà écrits; et
suivant l'usage des personnes qui font de la copie, il répète
au haut de la première page le dernier mot de la page pré-
cédente; un jour il s'est souvenu aussi du dernier mot qu'il
avait écrit, trois semaines auparavant : c'est donc bien la
A. BlNET. 5
66 LES PERSONNALITÉS SUCCESSIVES
même personnalité qui se manifeste dans les crises succes-
sives.
Nous avons employé jusqu'ici le mot de crise, sans y
attacher un sens bien défini. Il serait intéressant de savoir
dans quelles conditions précises l'activité mentale des
malades tels que F..., se manifeste. On est longtemps
resté dans l'incertitude à ce sujet, et l'observation de
M. Mesnet, quoique très détaillée, ne nous apprend rien; il
paraît seulement que le sergent de Bazeilles éprouve une
sensation d'éblouissement et quelques autres sensations
subjectives avant d'entrer dans sa crise. Les études de
M. Gharcot ont été entreprises principalement avec l'in-
tention de répartir chacun de ces faits dans leurs cadres
nosographiques ; l'éminent professeur s'est donc attaché à
préciser les événements physiologiques dont les altérations
de conscience dépendent. Nous dirons un mot très bref
des conclusions auxquelles il est arrivé, car la nature exchi-
sivement psychologique de notre étude nous oblige à passer
rapidement sur les détails médicaux.
M. Gharcot admet que les phénomènes somnambuliques
ou pseudo-somnambuliques de l'ordre de ceux que nous
venons d'étudier font partie de la grande attaque hysté-
rique; ils représentent la phase intellectuelle de la grande
attaque, celle qui se manifeste seulement à la suite des
convulsions des membres; c'est la période des attitudes
passionnelles et la période de déhre, qui, dans une attaque
vulgaire, sont généralement peu développés, et qui pré-
sentent ici une exagération si considérable qu'à eux seuls
ils constituent presque toute l'attaque ; on peut toutefois,
en y regardant de près, constater dans les cas relativement
complets, l'existence de quelques convulsions des mem-
bres; et cet élément convulsif, si réduit, représente les
phases de mouvements toniques et cloniques qui sont si
importants dans les autres attaques d'hystérie.
CHAPITRE III
LES SOMNAMBULISMES PROVOQUÉS
Les chances d'erreurs dans les expériences de laboratoire. — Le somnam-
bulisme artificiel; comment, on le produit; en quoi il consiste. — Rôle
de la psychologie dans l'étude de ces questions. — Modiflcations du
caractère dans les somnarabulismes. — Modifications de la mémoire. —
Survivance d'un état somnambulique pendant la veille. — Expériences
de M. Gurney, au moyen de l'écriture automatique. — Dédoublement
de conscience; deux pensées qui coexistent et qui s'ignorent.
I
Nous quittons ici l'histoire des altérations spontanées
de la conscience; nous allons entrer dans le domaine des
faits provoqués artificiellement; nous allons chercher à
étudier le fractionnement de la personnalité tel qu'il appa-
raît dans des expériences de laboratoire.
L'importance de ces expériences et surtout leur valeur
psychologique ont été appréciées de façon bien différente
dans ces dernières années. A la première heure, quand les
études sur l'hypnotisme et le somnambulisme furent remises
en honneur par M. Gharcot, il y eut un grand mouvement
d'enthousiasme. Depuis cette époque, il faut bien le recon-
naître, l'enthousiasme a un peu diminué; on s'est aperçu
que ces études présentent une foule de causes d'erreur,
qui en faussent bien souvent les résultats, à l'insu de l'ex-
périmentateur le plus soigneux et le plus prudent, et per-
68 LES PERSONNALITÉS SUCCESSIVES
sonne ne peut se vanter de n'avoir jamais failli. Une des
principales causes d'erreurs incessantes, on la connaît,
c'est la suggestion, c'est-à-dire l'influence que l'opérateur
exerce par ses paroles, ses gestes, ses attitudes, ses silences
mêmes, sur l'intelligence si subtile et souvent si éveillée
de la personne qu'il a mise en somnambulisme.
Il n'y a pas dans la possibilité de ces causes d'erreurs un
motif suffisant pour nous faire abandonner une méthode
féconde ; tout procédé d'observation, pour peu qu'on l'em-
ploie assez longtemps, se montre défectueux par plusieurs
côtés; c'est ainsi que la méthode graphique, si merveil-
leuse en certains cas, peut donner heu à des méprises
capitales sur la forme des mouvements; l'anatomie elle-
même, qui de toutes les sciences biologiques paraît le plus
solidement assise, peut se tromper et prendre des appa-
rences pour la réalité. C'est à l'observateur de veiller; il
doit se méfler constamment de sa méthode et de ses appa-
reils. La principale précaution à prendre ici consiste,
comme nous l'avons dit déjà, à tenir compte seulement des
observations qui se répètent et se vérifient entre toutes les
mains, et auxquelles on parvient par des chemins tout à
fait différents.
Avant d'entrer en matière, il ne sera pas inutile de rap-
peler en quelques mots ce qu'est le somnambulisme hypno-
tique, et quels sont les moyens de le provoquer. Pour tous
les détails dans lesquels nous ne pouvons pas entrer, on
peut se reporter à un de nos ouvrages antérieurs * où le
somnambuhsme provoqué a été étudié en lui-même, en
tant qu'état psycho-pathologique. Nous ne considérons ici
cet état que dans ses rapports avec la théorie des dédouble-
ments de conscience; aussi ne prendrons-nous de nos
descriptions précédentes que ce qui nous est essentiel '\
1. Le Mar/niHisme animal, par Binct et Féré. Biljliolkrrjuc scientifique
internalionale.
2. Le somnambulisme que nous allons décrire ne diffère point du som-
nambulisme naturel et du somnambulisme d'attaque par ce fait qu'il est
provoqué; celle dllférence est fort peu de chose, et du reste on peut pro-
voquer artificiellement le somnambulisme d'attaque et le somnambulisme
LES SOMNAMBULISMES PROVOQUÉS 69
Les moyens efficaces pour provoquer le somnambulisme
sont extrêmement nombreux, si nombreux qu'il serait trop
long d'en donner la liste complète et hétéroclite. Un des
procédés les plus anciennement connus est celui de Braid;
il consiste dans la fixation du regard; le sujet sur lequel
on va expérimenter est assis, on fait silence autour de
lui, et l'expérimentateur le prie de regarder fixement un
petit objet, brillant ou non, qu'il approche de ses yeux de
façon à déterminer une convergence forcée et fatigante
de ses globes oculaires ; au bout de quelque temps, la vue
se trouble, les paupières battent et frémissent, et le sujet
s'endort. On peut encore hypnotiser une personne avec
un bruit monotone et prolongé, ou un bruit violent et
soudain; un jet de lumière électrique, la pression légère
ou forte sur une partie du corps, comme le vertex chez
les hystériques, la constriction des pouces, les passes sont
autant de moyens qui réussissent. On a essayé de mettre
un peu d'ordre dans ces divers procédés d'hypnotisation,
on a même voulu en donner une explication physiologique;
mais leur diversité, la légèreté de l'excitation nécessaire
pour produire l'effet (il suffit parfois d'un souffle, d'un
geste), et enfin ce fait si caractéristique que chez une per-
sonne souvent endormie tout, absolument tout peut réussir
à endormir, toutes ces considérations amènent à supposer
que les causes psychologiques jouent ici le grand rôle.
Seulement, il est bien clair que celte explication ne va
pas loin, et que ceux qui affirment que la suggestion est la
seule cause productrice de l'hypnose ne nous renseignent
guère sur le mécanisme de l'opération. La plupart des
sujets s'endorment parce qu'ils savent qu'on veut les
endormir : cela est évident, incontestable; mais comment
cette idée amène-t-elle le somnambulisme? Il est bien
curieux qu'une personne qui n'a jamais été endormie et à
naturel. Il y a sans doute d'autres différences, encore mal connues; toutes
ces questions sont loin d'être élucidées. Pour ne rien préjuger, nous don-
nerons au somnambulisme expérimental le nom de somnambulisme hypno-
tique.
70 LES PERSONNALITÉS SUCCESSIVES
qui on impose cette idée de sommeil entre dans cet état
particulier qui n'est point le sommeil normal et dont elle
n'a pas encore l'expérience. Expliquer cela par la sugges-
tion, c'est se contenter d'un mot. Avouons-le, nous savons
bien peu de chose de tous ces phénomènes; pour provo-
quer le somnambulisme hypnotique, nous possédons quel-
ques recettes utiles, voilà tout.
Le somnambulisme a été provoqué, par suggestion ou
autrement. En quoi consiste cet état nouveau? En quoi
diffère-t-il de l'état de veille ? quelle transformation a-t-on
fait subir au sujet en lui commandant de dormir? Il serait
peut-être aussi difficile de répondre à cette question qu'à
la précédente. Ce que l'on connaît le mieux, ce sont les
modifications psychologiques présentées parle sujet hypno-
tisé, c'est-à-dire les altérations qui se produisent dans son
intelligence et dans ses sentiments. Il est probable, il est
même certain que ces altérations ont pour base des modifi-
cations matérielles qui se produisent dans les centres ner-
veux du somnambule et dans d'autres parties de son orga-
nisme; mais on ignore complètement la nature de ces
phénomènes purement physiologiques, et tout ce qu'on a
écrit à ce propos me paraît être de la fantaisie. La psy-
chologie de l'hypnose est encore ce que l'on connaît le
mieux, c'est le seul flambeau qui pour le moment puisse
nous guider dans ces recherches. Sans doute, il serait
désirable d'aller plus loin, d'ajouter à l'étude des fonctions
psychiques celle des fonctions physiologiques, d'expliquer
les altérations de la conscience par des expériences dirigées
sur l'état des centres nerveux; car on ne doit pas se dissi-
muler que tous ces phénomènes de conscience que nous
décrivons sont souvent vagues, incertains, à contours mal
dessinés ; et un esprit précis peut ne pas être satisfait par
leur description, et déclarer que leur étude n'a point un
caractère scientifique ; mais nous sommes obligés de nous
contenter de ces notions vagues, parce qu'à tout prendre
elles valent mieux que des notions fausses, et nous les pré-
férons résolument à des hypothèses physiologiques, qui
LES SOMNAMBULISMES PROVOQUÉS 71
paraissent plus précises et sont en réalité beaucoup plus
sujettes à caution \
Si donc on s'en tient au point de vue psychologique
pour caractériser le somnambulisme, on s'aperçoit vite
qu'il constitue pour le sujet un mode d'existence nouveau.
Les anciens magnétiseurs avaient bien raison, quand ils
voyaient dans le somnambulisme l'émergenced'une seconde
personnalité.
Deux éléments fondamentaux constituent une personna-
lité, c'est la mémoire et le caractère. En ce qui concerne
ce dernier point, le caractère, peut-être le somnambulisme
provoqué ne se distingue-t-il pas toujours nettement de
l'état de veille.
Il peut arriver assez souvent que le somnambule n'aban-
donne pas le caractère qu'il avait avant d'être endormi.
Les raisons en sont multiples. D'abord, les expérimentateurs
qui placent une personne en somnambulisme ont en
général quelque suggestion à lui donner; on ne s'attarde
pas à étudier ce qu'il y a de spontané dans l'état produit.
Les modifications du caractère, si elles existent, peuvent
bien passer inaperçues. Puis, il faut remarquer qu'une
modification du caractère, et en particulier une modifi-
cation du to}ius émotionnel est un phénomène important,
qui a le plus souvent une origine interne, dans des sensar
tiens inconscientes, et il traduit au dehors une modification
importante de l'organisme physique. Nous avons vu se
produire de tels phénomènes dans les dédoublements spon-
tanés de la personnalité, et particulièrement dans les cas
où l'état second dure pendant des années. Une modification
aussi radicale ne se produit pas en général dans les états
de somnambulisme provoqué, qui durent peu de temps et
sont provoqués par des excitations parfois d'une légèreté
extrême.
11 n'en est pas de même pour le second élément de la
personnalité, la mémoire. On a remarqué depuis longtemps
1. Les lecteurs qui se rappellent mes autres écrits l'econnaîtront que sur
ce point important j'ai modifié mes opinions anciennes.
72 LES PERSONNALITES SUCCESSIVES
que c'est la mémoire qui fournit le principal signe de Tétat
nouveau et permet de le distinguer de l'état antérieur,
c'est-à-dire de Fétat normal. Le somnambule présente en
efiFet une curieuse modification dans l'étendue de ses sou-
venirs, et il peut se produire chez lui les mêmes phéno-
mènes réguliers d'amnésie que pendant les variations
spontanées de la personnalité.
Deux propositions résument les principales modifica-
tions de la mémoire qui accompagnent le somnambulisme
hypnotique provoqué : 1° le sujet, pendant son état de
veille, ne se rappelle aucun des événements qui se sont
passés pendant le somnambulisme; 2" au contraire, mis
en somnambulisme, il se souvient, non seulement de ses
somnambulismes antérieurs, mais encore des événements
appartenant à son état de veille.
L'exactitude de la première proposition a pu être vérifiée
facilement par tous ceux qui ont fait des expériences ou
qui y sont assisté. Le plus souvent, quand on met une
personne en somnambulisme, on la laisse dans cet état
pendant une heure et plus, et on emploie le temps à faire
sur elle une foule d'expériences; au réveil, le sujet ne se
souvient de rien ; il est obligé de regarder l'heure à la pen-
dule pour savoir combien de temps on l'a laissé en som-
nambulisme ; si on lui a présenté des personnes pendant
son état second, il ne les reconnaît pas au réveil, pour les
avoir déjà vues ; si même on lui montre une lettre qu'on
vient de lui faire écrire en somnambulisme, il peut bien
reconnaître son écriture, mais il ne se souvient pas d'avoir
écrit, et il ne peut pas dire un mot du contenu de la lettre.
11 faut se hâter d'ajouter que rien n'est absolument constant
dans des phénomènes aussi délicats; il y a des souvenirs
qui parfois peuvent être retrouvés, surtout chez certains
sujets qui ont un somnambulisme léger; en les aidant un
peu, en les mettant sur la voie, en leur répétant par exemple
les premiers mots d'une poésie qu'on vient de leur réciter^
on favorise le réveil des souvenirs somnambuhques; à plus
forte raison est-ce possible si on dresse les sujets à se sou-
LES SOMNAMBULISMES PROVOQUÉS 73
venir, si on leur donne la suggestion positive de tout se
rappeler au réveil, ou si comme l'a ingénieusement imaginé
M. Delbœuf, on les réveille brusquement pendant que,
plongés dans le somnambulisme, ils accomplissent un acte
commandé; alors, pris sur le fait au moment du réveil, ils
peuvent se rappeler l'acte qu'ils étaient en train d'exécuter,
ils peuvent se rappeler l'ordre reçu, et de cette façon la
continuité psychique de la veille et du somnambulisme se
trouve établie.
Mais ce sont là des artifices, qui n'ôtent rien à l'exac-
titude de la règle posée; l'oubli reste la vérité dans l'im-
mense majorité des cas, et presque tous les observateurs
sont d'accord pour le reconnaître. Le livre de la vie som-
nambulique se ferme au réveil, et la personne normale ne
peut pas le lire.
D'après notre seconde proposition, le sujet retrouve dans
un somnambulisme nouveau les souvenirs des premiers
somnambulismes, et il se rappelle également son état de
veille. C'est donc pendant le somnambulisme que la mé-
moire atteint son maximum d'extension, puisqu'elle em-
brasse à la fois les deux existences psychologiques, ce que
la mémoire normale ne fait jamais. Nous avons déjà trouvé
cette supériorité de la mémoire somnambulique dans les
observations de somnambuHsme naturel; Féhda, avons-
nous vu, quand elle est dans l'état second, se rappelle à la
fois cet état et l'état prime. C'est une ressemblance nou-
velle à ajouter à tant d'autres. On peut même remarquer
que la somnambule, quand il s'agit de se rappeler cer-
taines particularités de l'état normal, a plus de mémoire
que la même personne éveillée.
Cet ensemble de faits, dont l'exactitude, nous le répé-
tons, a été vérifiée par un si grand nombre d'auteurs qu'il
est inutile de citer des noms, suffit amplement pour con-
clure que le somnambulisme provoqué présente les mêmes
caractères de mémoire que le somnambulisme naturel, et
Braid a pu dire avec raison que le somnambulisme artificiel
est une division de conscience.
74 LES PERSONNALITÉS SUCCESSIVES
Une dernière remarque sur les changements de person-
nalité que produisent les somnambulismes artificiels. Bien
que l'idée qu'un individu se fait de sa personnalité ne
constitue pas cette personnalité, mais n'en soit qu'un élé-
ment accessoire, il est intéressant de constater comment
certaines personnes placées en somnambulisme se repré-
sentent leur état. Malheureusement, l'interrogation des
somnambules ne provoque pas toujours une réponse satis-
faisante, car bien souvent cette réponse est clairement
dictée par des suggestions antérieures. On trouve par
exemple des malades qui affirment qu'elles sont en som-
nambulisme; elles répètent simplement ce qu'elles ont
entendu dire.
Nous retiendrons seulement ce fait curieux que plusieurs
personnes, lorsqu'elles entrent pour la première fois dans
la vie somnambulique, éprouvent un sentiment d'étonne-
ment; elles trouvent que tout est changé; quelques-unes
disent qu'elles se sentent « drôles, bizarres »; d'autres,
parlant plus clairement, affirment qu'elles ne sont pas la
personne de l'état de veille; elles parlent de cette personne
comme d'une étrangère. Nous en emprunterons un exemple
à M. Pitres :
« Une jeune femme que j'ai pu étudier à loisir, Margue-
rite X..., présentait nettement ce phénomène. Quand elle
était endormie, elle ne parlait d'elle qu'à la troisième per-
sonne': « Marguerite est souffrante aujourd'hui, disait-elle;
elle n'est pas contente; elle a été contrariée; il faut la
laisser tranquille. — Mais qui êtes-vous donc, lui deman-
dai-je un jour, pour parler ainsi au nom de Marguerite?
— Je suis son amie. — Et comment vous appelez-vous,
s'il vous plaît? — Je ne sais pas, mais j'aime beaucoup
Marguerite, et quand on lui fait de la peine, cela m'at-
triste. »
« Dans cet état, elle reconnaissait toutes les personnes
avec lesquelles elle était en relations quotidiennes; mais
elle ne leur parlait pas avec la même familiarité qu'à l'état
de veille. Elle ne tutoyait plus ses parents. Son mari était
LES SOMNAMBULISMES PROVOQUÉS 75
le mari de son amie Marguerite et non pas son mari à
elle. Elle aimait beaucoup les liqueurs et s'en privait
d'ordinaire pour ne pas contrarier sa mère. « Voulez-vous
un verre d'anisette? lui dis-je après l'avoir hypnotisée. —
Oh! oui, répondit-elle, cela me fera grand plaisir. Mar-
guerite n'en boit pas parce qu'on le lui a défendu; mais
moi je suis libre. Donnez- moi vite un verre. »
Nous verrons à plusieurs reprises, dans des conditions
différentes, une conscience se distinguer de la même façon,
par le langage, des autres personnalités qui habitent le
même individu; il y a même là quelques questions psycho-
logiques très intéressantes, sur lesquelles nous revien-
drons quand nous aurons décrit un plus grand nombre de
faits.
II
L'expérimentation, qui est à tant de titres inférieure à
l'observation des faits spontanés, présente cependant un
grand avantage; multipliant et variant à l'infini les condi-
tions de l'observation, elle permet de considérer un fait
sous un grand nombre de faces, et elle fait parfois surgir
des phénomènes nouveaux qu'une observation passive
aurait vainement attendus. C'est un peu ce qui s'est passé
ici. En mettant la main sur les états somnambuliques, les
expérimentateurs sont arrivés à découvrir quelques phé-
nomènes extrêmement instructifs, dont on n'a aucune idée
en lisant par exemple l'observation des somnambules
naturels, et qui cependant doivent exister chez les malades
de cet ordre.
Nous avons vu la séparation des deux existences psycho-
logiques qui constituent, l'une la vie normale, l'autre le
somnambuhsme; nous avons vu également que lorsque
la vie normale se développe, tous les souvenirs du som-
nambulisme sont pour un moment effacés. Que devient
donc cette existence surajoutée pendant cette éclipse tem-
■76 LES PERSONNALITES SUCCESSIVES
poraire? Elle avait ses souvenirs, son caractère, ses émo-
tions, ses préoccupations. Est-ce que toute cette activité
somnambulique disparaît quand la vie régulière reprend
son cours? L'observation simple ne nous dit rien; l'expéri-
mentation, fouillant plus profondément, va nous montrer
qu'un reste de la vie somnambulique peut subsister à
l'état de veille, sans que le sujet normal en ait le moindre
soupçon.
Une des expériences qui le montre le mieux est celle-ci,
que nous devons à Gurney, psychologue anglais de beau-
coup de talent \ On a dit un nom, cité un chiffre, raconté
un fait, récité une poésie devant une personne qui est en
somnambulisme artificiel; et on ne lui a donné aucune
suggestion particulière, relativement aux paroles qu'on a
prononcées; on réveille la personne; elle ne se souvient
de rien, comme c'est la règle; ce n'est pas un oubli de com-
plaisance, c'est un oubli sincère, et si profond, que malgré
la promesse d'un souverain — moyen employé par Gurney
comme critérium de sincérité — le sujet ne peut retrouver
un mot de ce qu'on a dit devant lui quelques instants aupa-
ravant. Alors, on prend sa main, on place un crayon entre
ses doigts, ou bien, ce qui revient au même, on lui fait
poser la main à plat sur une planchette spéciale, munie
d'un crayon, et on lui cache sa main et l'instrument au
moyen d'un grand écran interposé. En moins d'une minute
la main s'agite, elle écrit, et ce qu'elle écrit, ce sont pré-
cisément les mots qu'on vient de prononcer devant le
sujet en somnambulisme, et que son moi normal de l'état
de veille ne connaît pas.
Le résultat de cette expérience est déjà bien curieux ;
les conditions spéciales dans lesquelles on la produit le
sont encore davantage. La main du sujet écrit, et lui-
même ne sait pas ce que sa main écrit; alors même que sa
main et son bras ne sont pas insensibles, et peuvent per-
cevoir pressions et piqûres, le sujet ne perçoit rien; parfois,
l. Proc. Soc. l'sych. Researcfi, 18S7, 294.
LES SOMNAMBULISMES PROVOQUÉS 77
il arrive, avec un peu d'exercice, à sentir le mouvement
et à en deviner la nature; mais c'est là une modification
du phénomène qui résulte de ce que le sujet y applique
son attention; dès les premières expériences, il ne perçoit
rien, et il y a des personnes qui, quoi qu'elles fassent,
n'ont jamais rien perçu. En revanche, le sujet éprouve une
sensation subjective assez bizarre; il lui semble, dit-il, que
c'est l'instrument, la planchette qui est animée d'un mou-
vement spontané et entraîne sa main; le mouvement est
parfois accompagné de sensations tactiles douloureuses qui
rendent l'expérience fort peu attrayante.
Ajoutons encore quelques détails pour compléter la phy-
sionomie du phénomène. Dans la forme où l'expérience a
été faite par Gurney, le sujet qu'on vient d'éveiller ne
cherche point à mettre la main sur la planchette ou à
prendre un crayon, comme il le ferait certainement s'il
obéissait à une suggestion précise, si par exemple on lui
avait dit : « A votre réveil, vous ferez ceci ou cela. » Il ne
fait preuve d'aucune spontanéité; c'est passivement, sans
savoir ce qu'on lui veut, qu'il se laisse mettre la main
sur l'instrument, et pendant que l'écriture se trace, son
moi normal s'en désintéresse complètement; il ne prête
ni attention, ni bonne volonté à la petite opération qui
s'accomplit. C'est dire qu'à ce moment il est dans un état
de dédoublement; en lui sont deux personnes, l'une qui
est la personne normale, qui cause avec les assistants, et
l'autre qui écrit; la première ne s'occupe pas de ce que
fait la seconde.
C'est un état de dédoublement, disons-nous; la divi-
sion de conscience, en effet, se rapproche beaucoup de
celle que nous avons étudiée dans les précédents chapitres;
tous les cas ont ceci de commun qu'un ensemble de phé-
nomènes psychologiques bien coordonnés entre eux et se
suffisant, font bande à part et vivent en dehors de la con-
science normale; ces consciences secondaires, chez les som-
nambules naturels, n'arrivent au premier plan que lorsque
la conscience principale s'efface; la condition seconde suc-
78 LES PERSONNALITES SUCCESSIVES
cède à la condition prime : il y a alternance; ici, il y a
coexistence; en un même moment, les deux consciences
vivent côte à côte.
Gurney s'est d'abord attaché à montrer que c'est bien la
vie somnambulique qui survit au sein de la vie normale
rétablie, et pour cela il a observé que si on remet le sujet
en somnambulisme après l'expérience de l'écriture, il se
rappelle non seulement les mots qu'il a écrits, mais encore
il peut dire qu'il s'est servi de la planchette et qu'il a effec-
tivement écrit ces mots-là. La mémoire relie donc les
deux états et en démontre l'unité psychologique.
Un autre soin de Gurney, en relatant ces curieuses
expériences, a été de reconnaître que le phénomène de
mémoire attesté par l'écriture automatique n'a point le
caractère d'une répétition machinale et inintelligente. En
général, il est vrai, l'écriture automatique répète fidèle-
ment la phrase dite au sujet pendant le somnambuHsme,
et même si on l'a interpellé par son nom, en lui disant la
phrase, le nom est reproduit comme le reste; mais l'emploi
de certains artifices d'expérimentation montre la part de
l'inteUigence dans ces phénomènes d'écriture.
Ainsi, il est possible de dicter au sujet en somnambu-
lisme plusieurs chiffres, en le priant de faire l'addition;
puis, si on le réveille brusquement après, sans lui avoir
donné le temps de terminer son calcul, il le termine à
l'état de veille quand on lui met la main sur la plan-
chette; on peut aussi lui faire exécuter des calculs plus
compliqués, lui demander par exemple combien il y a
de lettres dans telle phrase, et le forcer encore à faire le
calcul après son réveil, etc.
Nous avons placé les observations de Gurney dans ce
chapitre, où il n'est question que d'hystériques, parce
qu'il est facile d'en reconnaître l'exactitude en étudiant les
hystériques; mais il importe d'ajouter que Gurney n'a
point étudié spécialement et uniquement ce genre de
malades. Les personnes qui se sont prêtées à ses expé-
riences sont, à ce qu'il prétend, des personnes en bonne
LES SOMNAMBULISMES PROVOQUÉS 79
santé; c'est une affirmation que les auteurs anglais font
souvent; ils sont très discrets et très réservés quand ils par-
lent de leurs sujets, et semblent craindre souvent d'appli-
quer le nom d'hystérie à des personnes qui cependant ont
notoirement des crises de nerfs. Il n'importe. Nous ferons
remarquer à cette occasion, que les hystériques ne sont
pour nous que des sujets d'élection, agrandissant des phé-
nomènes qu'on doit nécessairement retrouver à quelque
degré chez une foule d'autres personnes qui ne sont ni
atteintes ni même effleurées par la névrose hystérique.
L'importance des résultats obtenus par Gurney est
augmentée par ce fait que ce savant auteur est arrivé le
premier en Angleterre à reconnaître le dédoublement de
la personnalité qui se réalise chez l'hypnotisé, et qu'il a
fait ses recherches sans avoir connaissance de celles qui
ont eu lieu en France à peu près vers la même époque \
Le propre des expériences de Gurney est de consister
dans une exploration de la mémoire d'une personne à
laquelle on n'a adressé aucune suggestion spéciale. Par le
procédé déhcat et ingénieux de l'écriture automatique, le
psychologue anglais a montré la persistance à l'état de
veille des états somnambuliques.
Arrêtons-nous un moment devant cette situation psy-
chologique, car c'est la première fois que nous la rencon-
trons; la personne en expérience est revenue à l'état de
veille; elle a retrouvé son moi normal, elle a repris l'orien-
tation ordinaire de ses idées; en elle survit, sans qu'elle
en ait conscience, un reste de la vie somnambulique
qu'elle vient de franchir. C'est une collection de phéno-
mènes psychologiques qui restent isolés de sa conscience
normale, et qui cependant sont doués de conscience; ils
forment une petite conscience à côté de la grande, un petit
point lumineux à côté d'un grand foyer de lumière. Cet
exemple doit servir de transition entre les études qui nous
ont occupé jusqu'ici, et celles qui vont remphr la deuxième
1. Myers, The ^co7'k of Edmiind Gurney. Proceedings S. P. R., décem-
bre 1888, p. 369.
80 LES PERSONNALITÉS SUCCESSIVES
partie de ce livre. Nous connaissons la succession régu-
lière des personnalités, leur alternance dans les somnam-
bulismes naturels et dans les somnambulismes hypno-
tiques; nous venons de voir que cette succession peut
faire place à une coexistence; le moi somnambulique, la
condition seconde ne s'efface pas toujours complètement,
au moment du retour de la veille; ces états peuvent sur-
vivre, coexister avec la pensée normale et donner lieu à
des phénomènes complexes de division de conscience.
Nous allons maintenant étudier les personnalités coexis-
tantes. Abandonnant les précédentes recherches sur le
somnambulisme, nous allons envisager le sujet à l'état de
veille, et décrire les procédés capables de montrer les
divisions de conscience qui se font en lui.
DEUXIEME PARTIE
LES PERSONNALITÉS COEXISTANTES
CHAPITRE PREMIER
l'insensibilité des hystériques. — LES ACTES SUBCONSCIENTS
DE RÉPÉTITION
Historique de la question. — Observation de M. Taine. — Deux conditions
principales de la division de conscience, l'anesthésie et la distraction.
— L'anesthésie hystérique. — Ses principaux caractères. — Dangers de
simulation : moyen de les éviter. — Mouvements intelligents qu'on peut
provoquer dans un membre anesthésique, à l'insn du sujet. — Mouve-
ments de répétition. — Mouvements graphiques, leurs caractères. — Cor-
rection d'une faute d'orthographe. — Mouvements de répétition pro-
voqués par des excitations tactiles insensibles ou par des excitations
visuelles non perçues. — Répétition inconsciente des mouvements volon-
taires. — Le bégaiement de l'écriture. — Diffusion des mouvements
inconscients. — Leur fatalité. — Leur caractère psychologique. — Rôle
de la suggestion. — Définition de plusieurs espèces de suggestions.
I
La question des personnalités multiples et coexistantes a
suscité pendant ces dernières années en France, en Angle-
terre et ailleurs, un très grand nombre de travaux; mais
l'historique de la question se réduit à fort peu de chose.
Nous ne tenons pas compte, bien entendu, des théories
qui ont été émises par les philosophes sur les petites
A. BiNET. 6
82 LES PERSONNALITÉS COEXISTANTES
consciences distinctes et sur le dédoublement du moi,
antérieurement à l'époque où les faits de dédoublement
ont pu être observés directement. Ces théories, qui remon-
tent à Leibniz, et qu'on a reprises et analysées dans ces
derniers temps, ne peuvent pas figurer dans l'historique
d'une question qui n'a progressé que le jour où elle a pris
la forme expérimentale.
Nous devrions ici, suivant l'ordre que nous avons
adopté dans nos premiers chapitres, décrire en premier
lieu les phénomènes spontanés, ceux qui se sont mani-
festés en dehors des laboratoires, car ce sont là les phéno-
mènes profonds, durables, ceux en somme que les théories
d'une école ou d'un chef d'école ont le moins modifiés,
et qui reflètent le plus fidèlement la vraie nature des
choses. Mais il y a des raisons pour abandonner cet ordre
d'exposition; la principale, c'est que les phénomènes spon-
tanés de dédoublement simultané sont les phénomènes du
spiritisme, c'est-à-dire les tables tournantes et les évoca-
tions d'esprit. Or, il est clair que si ces phénomènes con-
tiennent, comme nous le croyons, une grande part de
vérité, cependant cette part a été tellement obscurcie par
la naïveté des uns et la fourberie des autres, que les
esprits sages ont tojuours éprouvé un grand scepticisme.
Bien qu'il soit possible de débrouiller cet écheveau, de
classer les faits démontrés ou démontrables, et de les distin-
guer soit des théories sans fondement, soit des pures absur-
dités, nous ne pouvons pas commencer ici, dès les pre-
mières pages, une étude aussi difficile. Nous sommes donc
obligés de reporter un peu plus loin l'étude du spiritisme.
Cette élimination faite, il ne nous reste à signaler
qu'une seule observation pouvant servir d'introduction
aux recherches récentes; c'est une observation très nette
de dédoublement mental spontané; elle a été recueillie
par M. Taine; l'éminent auteur l'a publiée dans la préface
de V Intelligence ', livre qui a plus de vingt ans de date,
\ De l'In(cllif/(;nce, l. I, p. IG.
l'insensibilité des hystériques 83
et qui cependant contient l'indication de presque tous les
résultats de la psychologie contemporaine.
(( Les manifestations spirites elles-mêmes, dit M. Taine,
nous montrent la coexistence, au même instant, dans le
même individu, de deux volontés, de deux actions dis-
tinctes, l'une dont il a conscience, l'autre dont il n'a pas
conscience et qu'il attribue à des êtres invisibles.
« J'ai vu une personne qui en causant, en chantant,
écrit, sans regarder son papier, des phrases entières, sans
avoir conscience de ce qu'elle écrit. A mes yeux, sa sin-
cérité est parfaite; or, elle déclare qu'au bout de la page
elle n'a aucune idée de ce qu'elle a tracé sur le papier;
quand elle lit, elle en est étonnée, parfois alarmée. L'écri-
ture est autre que son écriture ordinaire. Le mouvement
des doigts et du crayon est raide et semble automatique.
L'écrit finit toujours par une signature, celle d'une per-
sonne morte, et porte l'empreinte de pensées intimes, d'un
arrière-fond mental que l'auteur ne voudrait pas divul-
guer. Certainement on constate ici un dédoublement du
moi, la présence simultanée de deux séries parallèles et
indépendantes, de deux centres d'action ou, si l'on veut,
de deux personnes morales juxtaposées dans le même
cerveau, chacune a une œuvre et une œuvre différente,
l'une sur la scène, l'autre dans la coulisse. »
Nous allons maintenant étudier de près, et dans tous
ses détails, cette curieuse situation psychologique d'une
personne en état de dédoublement. Pour établir tout de
suite le plan de notre exposition, nous indiquerons quelles
sont les conditions les plus fréquentes oii l'on peut observer
la coexistence de deux moi distincts. Elles sont au nombre
de deux. La première, c'est l'insensibihté hystérique; si
une partie du corps d'une personne est insensible, elle
ignore ce qui s'y passe, et d'autre part les centres nerveux
en relation avec cette région insensible peuvent continuer
à agir, comme cela a lieu dans l'hystérie ; il en résulte que
certains actes, souvent simples, mais parfois très compli-
qués, peuvent s'accomphr dans le corps d'une hystérique
84 LES PERSONNALITÉS COEXISTANTES
et à son insu ; bien plus, ces actes peuvent être de nature
psychique et manifester une intelligence qui sera par
conséquent distincte de celle du sujet, et constituera un
second moi, coexistant avec le premier.
Une seconde condition peut amener la division de con-
science; ce n'est pas une altération de la sensibilité, c'est
une attitude particulière de l'esprit, la concentration de
l'attention sur un point unique; il résulte de cet état de
concentration que l'esprit devient distrait pour le reste, et
en quelque sorte insensible, ce qui ouvre la carrière aux
actions automatiques; et ces actions, en se compliquant
comme dans le cas précédent, peuvent prendre un carac-
tère psychique et constituer des intelligences parasites,
vivant côte à côte avec la personnalité normale qui ne les
connaît pas.
Nous étudierons successivement ces deux conditions de
la division de conscience. Il en existe sans doute bien
d'autres; mais celles que nous venons d'examiner sont les
seules qui aient été nettement observées jusqu'ici*.
II
On trouve chez un grand nombre d'hystériques, exa-
minés à l'état de veille et en dehors de leurs crises convul-
sives, un stigmate, connu depuis fort longtemps, mais
dont on n'a compris la valeur réelle que dans ces der-
nières années ; ce stigmate, — qu'on appelait autrefois la
marque des possédées, ou la greffe du diable, — c'est l'in-
sensibilité. Le siège et l'étendue de l'insensibibté hysté-
rique sont très variables; parfois, elle envahit le corps
d. Les auteurs fiui ont étudié dans ces dernières années les persouua-
lllés coexistantes sont nombreux, et nous indiquerons leurs observations
dans le cours de notre travail. — Nous citerons ici seulement deux
études critiques, très intéressantes : ])as Doppel Ich, par Max Dessoir,
et un remarquable article de M. Iléricourt sur VActmlé inconscienle de
l'esprit, Revue scientifique, 31 août 18SU.
l'insensibilité des hystériques 83
entier; plus souvent, elle n'occupe qu'une moitié du corps,
par exemple la moitié gauche, intéressant à des degrés
divers la sensibilité générale, le toucher, le sens muscu-
laire et les sens spéciaux de la vue, de l'ouïe, de l'odorat
et du goût; chez d'autres l'insensibilité, dont la distribu-
tion ne s'explique par aucune particularité anatomique ou
physiologique connue, se limite dans une petite région du
tronc ou des membres et se présente par exemple sous la
forme d'une petite plaque de la peau, qu'on peut piquer,
pincer, brûler et exciter de la façon la plus énergique sans
éveiller la moindre sensation de douleur, sans même que
le contact soit perçu \
L'authenticité de l'anesthésie se démontre au moyen
d'épreuves variées, et aussi par certains signes physiques
qui l'accompagnent fréquemment. Les principaux de ces
signes sont l'abaissement de température des parties non
sensibles, l'absence d'hémorragie après les piqûres, la
diminution de la force musculaire volontaire mesurée au
dynamomètre, la forme de la contraction musculaire,
l'absence de fatigue, l'allongement du temps de réaction,
et enfin l'absence de cri de douleur ou de mouvement de
surprise lorsqu'on excite brusquement et fortement la
région insensible à l'insu du malade. Aucun de ces phé-
nomènes n'a la valeur d'un signe constant; mais la pré-
sence de quelques-uns est une sérieuse garantie pour
l'observateur.
On s'est longtemps mépris sur la vraie nature de l'anes-
thésie hystérique, et on la comparait à une anesthésie vul-
gaire, de cause organique, due par exemple à l'interruption
des nerfs conducteurs des impressions. Cette manière de
voir doit être complètement abandonnée, et nous savons
aujourd'hui que l'anesthésie hystérique n'est pas une insen-
sibilité véritable; c'est une insensibilité par inconscience,
par désagrégation mentale; en un mot, c'est une insensi-
bilité psychique, qui provient simplement de ce que la
1. On peut consulter pour plus de détails une excellente brochure de
M. Pitres : Des Anesthësies hystériques, Bordeaux, 1887.
86 LES PERSONNALITÉS COEXISTANTES
personnalité du malade est entamée, ou même complète-
ment dédoublée. Aussi l'expérimentation pratiquée sur ce
phénomène si banal de l'hystérie va-t-elle nous permettre
d'étudier de près un cas tout à fait remarquable de désor-
ganisation de la personnalité.
Choisissons pour ces expériences une femme hystérique
qui présente une insensibilité étendue à un membre tout
entier /par exemple au bras droit. Fréquemment, chez ces
malades, les formes si complexes de la sensibilité des
téguments sont dissociées; la peau peut rester sensible
tandis que les tissus sous-jacents, les masses musculaires,
les articulations perdent leur sensibilité et deviennent
indolores quand on les comprime fortement; ou bien, c'est
le contraire qui a lieu, la sensibilité abandonne la super-
ficie du tégument et se conserve dans les parties plus pro-
fondes. Ou bien encore, par une complication nouvelle,
certaines régions peuvent ne pas perdre à la fois la sensi-
bilité au contact, à la pression, à la température, aux
courants électriques, mais rester accessibles à une seule
espèce de ces excitations. Ces modifications si nombreuses
de la sensibilité chez les hystériques ont souvent fait croire
l'observateur non prévenu à une simulation qui n'existait
réellement pas. Pour plus de simplicité, nous aurons soin
de choisir une malade dont le bras soit complètement et
parfaitement insensible, présentant une anesthésie super-
ficielle et profonde et une perte du sens musculaire; de
cette façon nous n'aurons pas à surveiller les notions qui
pourraient être fournies au sujet par un reste de sensi-
bilité. De plus, il sera avantageux que la sensibilité du
malade choisi présente un état relativement fixe et ne soit
pas sujette à ces changements, ces oscillations qui s'obser-
vent quelquefois, et dont les causes sont si difficiles à
saisir. Lorsqu'on expérimente sur des hystériques, on ne
saurait prendre assez de précautions.
Il n'est pas nécessaire d'endormir le sujet; on le prend
dans son état normal, pendant la veille, sans lui faire
subir aucune sorte de préparation; le seul dispositif des
l'insensibilité des hystériques 87
expériences consiste à lui cacher la vue de son bras anes-
thésique en le ramenant derrière son dos ou en faisant
usage d'un écran. Les choses étant ainsi disposées, il est
facile — au moins dans certains cas — de provoquer, à
l'insu du malade, dans son membre insensible des mou-
vements intelligents \
Nous allons assister à l'éveil d'une intelligence incon-
sciente; nous pourrons même entrer en communication
avec elle et la diriger, entretenir avec elle une conversa-
tion suivie, mesurer l'étendue de sa mémoire et l'acuité de
ses perceptions.
L'exislence de phénomènes inconscients chez les hysté-
riques n'est pas faite pour nous étonner, car chacun de
nous peut, en se surveillant avec un soin suffisant, sur-
prendre des séries d'actes automatiques, exécutés sans
volonté et sans conscience. Marcher, s'asseoir, tourner la
page d'un livre, sont des actes que nous exécutons sans y
penser; mais il est assez difficile d'étudier chez l'homme
normal l'activité inconsciente; et de plus, cette activité se
montre surtout routinière, faite d'habitudes, vivant de
répétitions; en général, elle invente peu, parfois elle
paraît juger et raisonner, mais ce sont des jugements et
des raisonnements anciens qu'elle répète; en tout cas, elle
acquiert rarement un développement notable, et presque
jamais, peut-on dire, elle ne s'élève à la dignité d'une per-
sonnalité indépendante. Les conditions d'étude sont bien
1. L'étude de ces dissociations a été faite pour la première fois par
M. Féré et par moi. (Arch. de phys., octobre 1887.) J'ai ensuite poursuivi
seul les recherches, et mes principaux articles ont paru dans la Revue
philosophique (mai 1888, février et avril 1889, février et août 1890), dans
Open Court (année 1889, passim), et dans le Mind (janvier 1890). Il est
important de remarquer qu'antérieurement à ces diverses publications
M. Pierre Janet, M. Myers et M. Gurney, pour ne citer que les principaux
auteurs, avaient déjà exposé une théorie de la désagrégation mentale,
avec de nombreuses expériences à l'appui. Si dans mon exposition je ne
suis pas l'ordre historique, c'est que je crois que nos expériences sont
plus aptes que les autres à donner tout de suite une démonstration expé-
rimentale très simple de la double conscience. Je saisis cette occasion
pour adresser mes plus vifs remerciements à M. Charcot qui a bien voulu
me permettre de travailler pendant de longues années dans son service
de la Salpêtrière.
88 LES PERSONNALITÉS COEXISTANTES
plus favorables lorsqu'on s'adresse aux sujets hystériques,
non pas à tous, mais à quelques-uns que nous appren-
drons plus tard à reconnaître; supposons que nous avons
sous les yeux un de ces sujets d'élite, et voyons ce qui se
passe.
On a souvent donné aux mouvements et actes qui peu-
vent se produire dans les conditions précédentes le nom
de mouvements inconscients. Ceci veut simplement dire
que ces mouvements ne sont pas connus du sujet, restent
pour lui ignorés, et par conséquent inconscients; le mot
inconscient n'a qu'un sens tout relatif; nous aurons à
examiner, après avoir décrit tous les faits d'expérience,
si ces phénomènes, inconscients pour le sujet, sont aussi
inconscients en eux-mêmes et pour eux-mêmes, ou s'il
n'est pas plus probable qu'ils appartiennent à une seconde
conscience. Disons-le tout de suite, c'est à cette seconde
solution que nous donnerons la préférence; en tout cas,
pour ne rien présupposer dans un sens ou dans l'autre,
nous substituerons au terme d'inconscient celui de sub-
conscient.
Commençons par des mouvements de répétition; ce sont
les plus simples et peut-être les plus faciles à produire. Le
bras insensible du sujet lui étant caché par un écran, on
fait exécuter à ce bras avec lenteur ou rapidement un mou-
vement régulier, comme un mouvement de va-et-vient vers
la bouche, ou bien on fait tourner Favant-bras autour du
coude, ou on anime un doigt de mouvements alternatifs
de flexion et d'extension; si on abandonne brusquement
le membre au milieu de sa course, on le voit continuer
le mouvement pendant un certain temps, qui varie avec
les sujets; chez les uns, le mouvement communiqué se
prolonge très peu ; le poignet qu'on vient de fléchir plu-
sieurs fois de suite se redresse à peine quand on l'aban-
donne; le mouvement est si léger et si fugitif qu'à moins
d'être averti on ne le remarquerait pas. Au contraire, chez
d'autres malades, le mouvement communiqué peut être
répété plusieurs fois de suite, et même nous avons vu
l'insensibilité des hystériques 89
des hystériques chez lesquels la répétition a lieu plus de
cent fois, sans interruption. Le nombre cent n'est pas une
métaphore; les mouvements ont été comptés.
Il est bien entendu que ces divers mouvements restent
ignorés du sujet; car son bras est anesthésique, et tou-
jours caché par un grand écran interposé ; parfois le sujet
perçoit un léger bruit produit par le froissement de ses
vêtements, et il en conclut qu'on touche son bras ou qu'on
le déplace; mais il ne reçoit aucune impression directe
venant du membre; il n'a conscience, ni des mouvements
que l'expérimentateur imprime à sa main, ni de ceux que
sa main répète avec docilité; à plus forte raison ne fait-il
aucun effort volontaire pour mouvoir la main; son esprit
reste à peu près complètement étranger à l'expérience \
On peut reproduire le môme acte de répétition en pro-
voquant dans le membre des contractions faradiques ou
des mouvements réflexes ; dans cet ordre d'expériences,
la plus délicate et aussi la plus intéressante est la répéti-
tion de mouvements graphiques. Dès qu'on met un crayon
dans la main insensible, en le glissant entre le pouce et
l'index, ces deux doigts se rapprochent pour serrer le
crayon, et la main prend l'attitude nécessaire pour écrire.
A ce moment, si on demande au malade ce qu'on fait de
sa main, il répond presque toujours : « Je ne sais pas. »
Puis l'expérience commence; on imprime au crayon un
mouvement quelconque, par exemple un mouvement cir-
culaire; la main du malade, pendant cet acte, ne suit pas
mollement celle de l'expérimentateur; on éprouve au con-
traire une sensation particulière en la tenant; elle résiste
un peu à certaines impulsions, surtout à celles qui déter-
minent un changement de direction; mais, quand il s'agit
d'un trait à continuer, c'est-à-dire d'une direction donnée
à poursuivre, la main devance en quelque sorte le mou-
vement, comme si elle le devinait. Bref, le mouvement
qu'on réussit à lui communiquer ne peut pas s'appeler un
1. Ceci n'est pas tout à fait juste, comme nous le verrons plus loin.
00 LES PERSONNALITÉS COEXISTANTES
mouvement passif, car la malade y collabore. S'il fallait
user d'une comparaison, nous dirions que l'expérimenta-
teur dirige la main du malade comme un cavalier dirige
un cheval intelligent.
On n'éprouve d'ailleurs cette sensation toute particulière
que lorsqu'on a affaire à une malade qui est apte à répéter
toute seule les mouvements graphiques communiqués.
Chez les sujets qui ne reproduisent rien, la main reste
molle et inerte, une vraie main de mannequin.
Après la communication du mouvement passif, on aban-
donne la main du malade, en ayant soin de laisser l'extré-
mité du crayon appliquée sur une feuille blanche; chez
quelques hystériques, la main tombe sur le côté dès qu'on
l'abandonne; chez d'autres, elle n'a pas cette flaccidité, elle
reste en position, tenant correctement le crayon, comme
si elle allait écrire; mais rien ne vient; on perçoit par-
fois un fin tremblement dans le poignet et dans les doigts;
parfois aussi le crayon trace sur le papier quelques traits
légers, indistincts, et c'est tout. Mais il en est d'autres chez
lesquels le mouvement subconscient est bien plus mani-
feste. Les doigts continuent à se serrer autour du crayon,
et le mouvement graphique qu'on a imprimé est reproduit,
soit tout de suite, soit quelques instants après.
Avec quel degré d'exactitude le mouvement est-il repro-
duit? Si on fait l'essai sur un sujet normal, dont la main
est sensible, celui-ci arrive à deviner quel mot on fait
écrire à sa main; mais quand le mot est long, quand le
mouvement est rapide, quand les caractères sont petits, il
se trompe très souvent. Il n'en est pas de même chez les
hystériques; et on peut dire d'une manière générale que
bien qu'elles n'aient pas la perception consciente du mou-
vement passif, elles peuvent le répéter souvent avec plus
d'exactitude qu'un sujet normal. Mais il y a de grandes
variétés d'un malade à l'autre, et nous devons en tenir
compte.
Les uns ne savent répéter que des mouvements gros-
siers, comme des boucles ou des hachures; mais une fois
l'insensibilité des hystériques 91
que ce mouvement a été reproduit, il se continue très long-
temps, presque indéfiniment; je l'ai vu se continuer une
fois pendant un quart d'heure. D'autres mains se mon-
trent plus intelligentes, ont plus de mémoire; elles sont
capables de reproduire dans les mêmes conditions des
signes empruntés au langage écrit, des chiffres, des lettres
isolées, des mots composés de plusieurs lettres, et même
des phrases entières. Parfois la répétition a lieu aussitôt
que l'expérimentateur cesse de tenir la main insensible ;
d'autres fois, il s'écoule un temps de repos, puis la main
se met en mouvement.
Jusqu'ici, dans les épreuves auxquelles nous avons soumis
la main anesthésique, celle-ci n'a fait preuve que de mé-
moire; la répétition a semblé machinale, automatique; il se
produit quelque chose de plus, une opération mentale plus
complexe, quoique toujours subconsciente, lorsque l'on
fait écrire à la main un mot connu, dont on altère volon-
tairement l'orthographe; il est intéressant alors de sur-
veiller le phénomène de répétition; au moment où la main
insensible arrive à la lettre inexacte, elle s'arrête, semble
hésiter, puis tantôt elle passe outre, reproduisant l'erreur,
tantôt au contraire elle la corrige et rétablit le mot avec
son orthographe exacte.
La reproduction peut se faire non seulement à l'occasion
de mouvements graphiques communiqués, mais par un
autre procédé plus détourné, qui fait également intervenir
des sensations inconscientes. Ainsi, lorsque le sujet tient
un crayon dans sa main insensible, il suffît souvent de
tracer avec une pointe mousse des chiffres, des caractères
quelconques sur le dos de la main pour que bientôt après
le crayon reproduise tout cela; il se produit alors quelque
chose de plus qu'une répétition de mouvement; c'est une
traduction; les sensations cutanées sont traduites en leurs
équivalents graphiques. De même si l'on place le sujet
hystérique devant une échelle typographique à une dis-
tance, qu'on trouve par tâtonnement, où il ne peut pas lire
le tableau, il n'est pas rare de voir la main reproduire les
92 LES PERSONNALITÉS COEXISTANTES
caractères que le sujet se dit incapable de déchiffrer. Natu-
rellement, si on augmente trop la distance du sujet au
tableau, la main s'arrête et n'écrit plus rien du tout. Il
peut donc s'opérer une traduction de certaines sensations
visuelles inconscientes en leurs équivalents moteurs.
Ce sont là des opérations psychologiques très simples,
avec lesquelles l'habitude d'écrire nous a familiarisés; c'est
sans aucun effort conscient de traduction que nous copions
une page imprimée, et nous ne remarquons même pas
que copier, c'est substituer à une image visuelle l'image
graphique correspondante. Il n'en est pas moins intéressant
de voir que les mouvements inconscients de l'hystérique
peuvent supposer une substitution analogue, et que dans
ce cas, l'opération inconsciente met en jeu non seulement
des mouvements, non seulement des images motrices, mais
encore des images visuelles, et des associations mentales
entre ces différentes images.
La répétition inconsciente peut se produire à la suite
d'un mouvement volontaire du sujet, tout comme à la
suite d'un mouvement passif. Le cas est peut-être plus
rare que les précédents ; pour bien l'observer , il faut
demander à l'hystérique d'exécuter plusieurs fois, sans
s'arrêter, un même mouvement, par exemple de toucher
un point de son visage avec l'index de la main anesthé-
sique, puis de toucher un point de la table; après plu-
sieurs répétitions volontaires de cet acte, et quand l'hysté-
rique veut s'arrêter, sa main continue le mouvement et
se soulève en quelque sorte toute seule jusqu'à son visage;
ce mouvement inconscient peut souvent être supprimé
par la volonté, mais parfois il s'exécute malgré la volonté
contraire du sujet, fort étonné de cette insubordination
inattendue d'un de ses membres. La répétition incon-
sciente des mouvements graphiques volontaires est plus
curieuse encore; et elle donne à l'écriture de quelques
hystériques un caractère tout particulier.
Nous avons pu nous procurer des brouillons de lettres
écrites par des sujets antérieurem.ent à l'époque où nous
l'insensibilité des hystériques 93
les examinions; un peu d'attention permet d'y découvrir
la manifestation de ces troubles moteurs; on voit que la
malade est obligée d'écrire plusieurs fois de suite la même
lettre; c'est une sorte de bégaiement de la main. Parfois,
la malade s'en aperçoit, elle biffe le trait redoublé et
recommence le mot un peu. plus loin; parfois, au con-
L-'"' ^^'iè^ ^yjKpi^AtJ^
y>'
WlAnni :,'^^'^f''/.^ry-''i^ul^'^^ t^ -^e-l./K'- -•'' •<^*C^^^-
Fip:. 1. — Écriture hystérique, tracée avec la main droite insensible, les yenx
ouverts. La malade a écrit les mots suivants : « Chère Marie, tu vas me trouv (trouver)
bien négligemte ddde ne pas reppp répondre à la bonne ettt et charmmante lettre qui
ttt tu poux le ccc croire m'a bien fff fait rire; ce portrait pein^M de main de maître
surtout... >)
traire, elle ne s'aperçoit de rien, et les erreurs pour-
raient être considérées comme de légères fautes d'ortho-
graphe, si les m à quatre jambages et les u à trois jam-
bages n'indiquaient pas clairement le contraire. 11 est
possible de reproduire expérimentalement sur quelques
sujets ces altérations de l'écriture, en les priant d'écrire
plusieurs fois la même lettre, puis de s'arrêter; quand ils
veulent s'arrêter, la main continue à écrire, malgré eux,
et souvent ils ne mettent fin à l'obsession qu'en jetant la
plume.
94 LES PERSONNALITES COEXISTANTES
Les mouvements précédents présentent le caractère par-
ticulier d'être la répétition de mouvements volontaires;
l'inconscient que nous venons de voir à l'œuvre imite l'acte
du personnage conscient, ce qui n'avait pas lieu dans les
autres expériences.
Nous terminerons en décrivant plusieurs caractères com-
muns aux mouvements inconscients de répétition ; ce sont :
1° Leur diffusion; ils ne restent pas absolument localisés
dans un membre; ils ont une tendance à se généraliser,
et souvent, ils gagnent le membre symétrique; quand on
fait écrire des chiffres à une main, au bout de quelque
temps l'autre s'agite, et si elle tient un crayon, elle tra-
cera les mêmes chiffres que la première; ce qui est très
curieux, c'est que parfois alors une main, douée de sensi-
bilité, répète le mouvement communiqué à l'autre main,
€t cependant le malade ne perçoit pas le mouvement; le
mouvement reste subconscient alors même qu'il a pour
instrument un organe sensible.
Nous verrons plus loin que la plupart des modifications
du mouvement qu'on peut produire chez un sujet hysté-
rique dans une moitié seulement du corps offrent cette
même tendance à la généralisation.
2° Un second caractère des mouvements inconscients de
répétition, c'est leur fatalité. Quand la main va répéter un
mouvement communiqué, fùt-il aussi délicat que celui de
l'écriture, elle se raidit, devient dure au toucher, tandis
que dans les conditions ordinaires elle a la flaccidité d'un
membre frappé de paralysie ou la plasticité de la cire.
Si l'on essaye d'empêcher le mouvement, pendant qu'il
s'exécute, en maintenant les doigts dans une position
fixe, on éprouve une grande résistance; il est très difficile
d'immobiliser les doigts; lorsqu'on enlève le crayon, les
doigts continuent à faire dans le vide les mêmes mou-
vements graphiques. La constriction du poignet retarde
un peu le mouvement. Chez les malades auxquelles on
peut donner des contractures par l'excitation des muscles
et des nerfs, il est difficile d'en produire au moment où
l'insensibilité des hystériques 95
la main, chargée en quelque sorte par un mouvement
passif, va le décharger en reproduisant ce qu'on lui a
fait écrire; quand on arrive à produire une contracture
suffisante pour arrêter le mouvement, il peut arriver que
quelques instants après, si on fait cesser la contracture,
le mouvement recommence.
En terminant l'énumération de cette série d'expériences,
il faut remarquer que leur intérêt réside dans leur simpli-
cité. Rien n'est plus facile que de chercher à les reproduire
chez une malade hystérique présentant de l'anesthésie;
et comme les actes de répétition inconsciente ou sub-
consciente sont les premiers indices de la désagrégation
mentale, il en résulte que la désagrégation mentale, ce
phénomène psychologique de la plus grande complexité,
peut être vérifiée au moyen des procédés les plus simples
et les plus élémentaires. Nous sommes parvenus, croyons-
nous, à en donner une démonstration clinique.
Il nous paraît superflu de démontrer que ces actes sont
intelligents; quelques expériences prouvent nettement que
certains mouvements de répétition ne sont pas de purs
réflexes. Mais dans quelle mesure exacte l'intelhgence
intervient-elle? c'est ce qu'il faut préciser un peu.
Toutes les expériences précédentes ont ce trait commun
que l'expérimentateur force le sujet, ou une partie de son
sujet, à répéter un acte qu'il lui indique; il le force sans
exercer sur lui de violence physique; il agit par action
morale, donc par suggestion. Erigeons en personnage, pour
la commodité de notre exposition, l'inconscient qui répète
les mouvements; nous dirons que l'expérimentateur, en tou-
chant la main et le bras, donne à ce personnage inconscient
l'idée de répéter l'acte, et, en définitive, le suggestionne.
Mais ce mot de suggestion, nous l'avons déjà critiqué, il
est vague, il laisse confondre plusieurs choses distinctes;
et par conséquent nous ne devons pas nous en contenter.
Indiquons rapidement les diverses interprétations possibles
du phénomène de répétition subconsciente, considérée
comme un effet de suggestion.
^6 LES PERSONNALITES COEXISTANTES
On peut donner à une personne éveillée ou en somnam-
bulisme l'ordre, la suggestion d'imiter tous les mouve-
ments qu'on exécute devant elle, ou de continuer indéfini-
ment le mouvement régulier qu'on imprime à une partie
de son corps; on fait tourner ses mains l'une autour de
l'autre, on lui dit : « Vos mains tournent, vous ne pouvez plus
les arrêter », et, en effet, si le sujet est docile à la sugges-
tion, il se produit une série de mouvements irrésistibles.
On comprend combien cette expérience est compliquée; le
mouvement est commandé par l'expérimentateur, et con-
senti par le sujet, qui sait ce qu'il fait, qui se rend compte
et qui obéit à celte suggestion comme il pourrait obéir à
une suggestion d'acte beaucoup plus compliquée, exigeant
de sa part des opérations intellectuelles d'un ordre élevé.
Mais ceux qui ont fait une étude approfondie de la sugges-
tion savent bien qu'un même acte peut être exécuté dans
des conditions mentales tout à fait différentes; la continua-
tion d'un mouvement peut se faire, soit par obéissance,
comme nous venons de le voir, soit tout simplement parce
qu'une image a été évoqut'e dans l'esprit du patient, et que
cette image est une source de mouvements; on fait écrire
une lettre à une main anesthésique; le mouvement de cette
main provoque quelque part dans l'esprit de l'inconscient
des images motrices; ces images ne sont contredites par
rien ; elles vont se dépenser en acte, et le mouvement se
répète; il n'y a point là d'obéissance, mais un phénomène
psychologique plus simple, plus élémentaire.
Je ne puis dire quelle est l'explication qui convient aux
phénomènes de répétition décrits; probablement les deux
explications sont vraies, chacune pour un sujet différent,
et pour des conditions d'expériences différentes; tantôt la
répétition du mouvement est un acte d'obéissance intelli-
gente provenant d'un inconscient qui a compris ce qu'on
lui demande et qui l'exécute; tantôt la répétition est une
affaire d'images évoquées. On voit qu'il y a là des cas à
distinguer, et que le mot sommaire de suggestion ne rend
pas comi)lc do tous les phénomènes.
l'insensibilité des hystériques 97
Ce qui est significatif, c'est que beaucoup de sujets ne
peuvent pas recevoir à l'état de veille de suggestion com-
pliquée par l'intermédiaire de l'écriture inconsciente. On
n'obtient que la répétition de l'ordre qu'on a fait écrire.
On a fait écrire à la main le mot : « toussez ! » le sujet ne
tousse pas, mais sa main écrit plusieurs fois de suite le
mot « toussez »; pose-t-on une question, toujours par le
moyen indiqué, la main n'y répond pas, mais répète la
question. « Gomment vous portez-vous? » La main écrit :
« Comment vous portez-vous? » Rien n'a été compris,
semble-t-il, par le personnage inconscient, qui est encore
trop rudimentaire pour juger, raisonner, et qui ne sait faire
qu'une chose : imiter \ Ce qui me paraît démontrer aussi
que dans certains cas la répétition n'est qu'un automatisme
d'images, c'est que cette répétition peut continuer presque
indéfiniment. Faisons tracer une boucle à la main insensible,
celle-ci va dessiner cette boucle vingt fois, cent fois et
davantage, sans y rien changer, sans se fatiguer, sans
perdre patience. C'est une machine montée qui ne sait
pas s'arrêter.
Mais chaque sujet mérite d'être examiné en lui-même,
et chaque personnage inconscient a très probablement son
état mental particuher; ce qui est vrai de l'un est faux de
l'autre; il est donc inutile de poser des règles générales,
qui seraient inexactes.
Enfin, nous devons rappeler en terminant sur ce point
qu'alors même qu'un inconscient ne paraît pas comprendre
une suggestion compliquée, celle-ci produit souvent un
certain eflet, qu'il faut bien connaître; la suggestion non
comprise persiste à l'état de souvenir; et ce souvenir,
renaissant dans un nouvel état psychologique, pourra
être compris alors pour la première fois; étant compris,
il deviendra le point de départ d'une suggestion tardive,
qui s'accomplira à un moment oii personne ne pense plus
1. Les faits de répélilion des actes se rencontrent dans la catalepsie
hypnotique (voir Magnétisme animal, p. 133) avec les mêmes carac-
tères.
A. BiNET. 7
98 LES PERSONNALITÉS COEXISTANTES
à elle. Reprenons notre dernier exemple; on a fait écrire
à la main un mot quelconque; ce mot n'a pas été compris,
mais il est resté dans la mémoire de l'inconscient; que
celui-ci se développe plus tard, comme nous en verrons
des exemples, il pourra retrouver la suggestion, la com-
prendre et l'exécuter. On ne doit pas perdre de vue cette
cause possible d'erreur.
CHAPITRE II
l'insensibilité des hystériques (suite)
LES ACTES SUBCONSCIENTS d'aDAPTATION
I. Actes d'adaptation inconscieute. — Une ancienne expérience de Lasëgiie.
— Caractères de la catalepsie partielle. — Absence de tremblement,
d'effort et de fatigue. — Durée de la conservation de l'attitude. — Inter-
prétation du phénomène.
II. Actes d'adaptation plus compliqués. — Réactions produites par des
excitations douloureuses non senties. — Électivité. — Paroles incon-
scientes. — Écriture automatique spontanée.
I
Lasègue a donné, il y a longtemps déjà, un excellent
exemple de mouvements subconscients d'adaptation, quand
il a décrit ce qu'il appelle des catalepsies partielles * ;
elles consistent dans l'aptitude des hystériques à conserver
très longtemps avec un membre insensible la position
qu'on lui donne, sans que le sujet éprouve de fatigue,
sans même qu'il perçoive la position de son membre, si
on a pris la précaution de le lui cacher ; la catalepsie par-
tielle peut s'observer en dehors de l'hystérie, dans des
conditions mentales équivalentes ; mais nous décrirons ici
ce phénomène tel qu'on peut l'observer chez les hysté-
riques.
1. Lasègue, Éludes médicales, II, 33.
100 LES PERSONNALITÉS COEXISTANTES
Soulevons par exemple le bras insensible du sujet, tou-
jours pris à l'état de veille, et avec le dispositif de l'écran;
si nous lâchons brusquement le bras, parfois il retombe le
long du corps avec la lourdeur d'un membre atteint de
paralysie flaccide, et chez certains sujets on n'arrive pas à
autre chose; chez d'autres, le bras soulevé reste en l'air.
Supposons que nous avons à étudier un de ces derniers
malades. En soulevant le bras insensible, on peut, au
moyen d'un tour de main spécial, le faire retomber ou le
maintenir levé. Si on veut qu'il retombe, il faut l'aban-
donner brusquement; si on veut qu'il ne retombe pas, il
faut le maintenir en position pendant une seconde, ou le
serrer un peu. Le membre anesthésique paraît comprendre
à merveille le désir de l'expérimentateur; il le comprend
si bien que lorsqu'on n'est pas averti, on ne sait pas com-
ment il se fait que le membre reste levé quand on désire
qu'il reste levé, et retombe quand on désire qu'il retombe.
Pour provoquer ces deux effets opposés, il suffit d'une
nuance. Cet exemple est un des plus frappants qu'on puisse
citer pour démontrer l'intelligence qui peut résider dans
les mouvements subconscients de l'hystérique.
Le caractère le pliTs saillant du phénomène, celui sur
lequel la simulation, si elle tentait de se produire, ne pour-
rait s'exercer *, c'est la durée de la conservation de la
pose. Nous ne dirons pas avec Lasègue que cette durée
est indéfinie, ce n'est là qu'un mot. Lasègue, qui était un
brillant initiateur plutôt que l'homme des recherches appro-
fondies, dit plaisamment que « l'expérimentateur se fatigue
d'attendre avant que le malade soit fatigué de l'immobi-
lité ». En effet, l'expérience peut durer fort longtemps.
Chez un de nos sujets, le bras droit étendu horizontale-
ment et l'avant-bras légèrement fléchi ont mis une heure
vingt minutes à tomber; ce n'est qu'au bout de ce temps
de pose véritablement considérable que le coude, qui bais-
sait lentement, est arrivé au contact du corps, ce qui a
1. Nous parlons sculemenl de la simulation tcnlce par une personne non
hystérique.
l'insensibilité des hystériques 101
mis fin à l'expérience. Gliez une autre femme, l'expérience
n'a pu être prolongée jusqu'à la fin, mais nous avons con-
staté qu'au bout de trois quarts d'heure, l'extrémité du
membre supérieur droit, qui était étendu horizontalement,
avait baissé à peine de cinq à six centimètres.
Si on demande à ces malades de conserver la pose en
même temps avec le bras sensible, les deux bras étant
étendus horizontalement, on s'aperçoit de la différence
qu'il y a entre les deux côtés; le bras sensible se fatigue,
il se fatigue même assez vite, et la malade est obligée de
le baisser pour le reposer, alors que le bras insensible
reste encore en position.
La conservation de l'attitude n'est pas seulement remar-
quable par sa durée; elle présente ce signe particulier
qu'elle a lieu sans tremblement ; la main étendue ne pré-
sente pas ces légères Irémulations qu'on observe chez l'in-
dividu normal fatigué de la pose; le membre du sujet offre
seulement de légères oscillations qui le soulèvent tout
d'une pièce et semblent en rapport avec les mouvements
respiratoires.
A l'absence de tremblement s'ajoute l'absence des signes
qui caractérisent l'effort et la fatigue, comme on peut s'en
assurer en prenant les tracés des mouvements respiratoires;
la respiration peut conserver son rythme régulier à un
moment où chez un sujet normal elle présenterait des irré-
gularités qui révèlent la fatigue et l'effort destiné à la mas-
quer. Enfin, en dernier lieu, le malade, si on en croit son
témoignage, n'éprouve point de sensation consciente de
fatigue.
Ces différents signes physiques sont loin d'être constants.
J'ai vu des malades chez lesquels les tracés de la respira-
tion présentent au bout de quelque temps un trouble
notable, une irrégularité et une précipitation qui sont cer-
tainement sous l'influence de la fatigue, bien qu'ils soient
bien moindres que ceux qu'on peut observer chez ces
mêmes sujets quand c'est le bras sensible qui conserve la
pose. Pendant ce temps, le sujet déclare qu'il ne sent
102 LES PERSONNALITÉS COEXISTANTES
aucune fatigue; nous le croyons sincère, et le démenti que
lui donne la méthode graphique est bien curieux; certaine-
ment, dirons-nous, il y a eu fatigue, le tracé en fait foi,
mais fatigue inconsciente et atténuée.
On a observé parfois que les sujets, quand ils se prêtent
à l'expérience décrite, éprouvent une sensation, non de
fatigue, mais de douleur. Cette douleur peut occuper un
point du corps assez éloigné du membre en expérience;
c'est par exemple la région précordiale, le flanc, ou l'épaule
du côté opposé. Les malades distinguent nettement cette
sensation douloureuse de la sensation de fatigue; il paraît
que c'est tout autre chose.
Je n'insiste pas davantage sur l'étude de ce phénomène;
je me contente de renvoyer le lecteur qui voudrait plus
de détails aux articles et ouvrages de Lasègue, Saint-
Bourdin \ Liébeault % Binet et Féré, Ségias et Ghaslin ^
Pitres S etc. Je signalerai seulement deux questions par-
ticulières.
La première est une question d'interprétation : quelle
est la nature de ce phénomène de plasticité cataleptique?
On l'a longtemps décrit comme un phénomène neuro-mus-
culaire, et on en a placé l'origine dans un état d'hyperexci-
tabilité des centres nerveux, expression commode qui
n'explique rien, mais ne compromet personne. On semble
admettre aujourd'hui, avec plus de raison, que la psycho-
logie a le droit de revendiquer ces phénomènes; le fait est
que leur origine psychologique n'est pas douteuse chez un
grand nombre de sujets; le tour de main nécessaire pour
mettre en jeu cette plasticité le montre suffisamment.
S'ensuit-il que ce soit là une simple suggestion? Oui,
si l'on veut, mais il ne faut pas oublier que la conserva-
tion de l'attitude peut avoir lieu pour plusieurs raisons bien
distinctes, et qui ne sont vraies chacune que pour un cas
1. Catalepsie, p. '.'A).
2. Du So77niïeil, p. 72.
3. La Calatonie (Arcli. de neurologie, n"' 44, 4îj, 40, lï
4. L'Aneslhcsie hysléririue, p. 72.
L'INSENSIBILITÉ DES HYSTÉRIQUES 103
particulier; dans tel cas, par exemple, l'inconscient ne laisse
pas retomber le bras soulevé parce qu'il a compris le désir
de l'expérimentateur et veut s'y conformer. « Pour mettre
un membre en catalepsie, dit M. Bernheim, il suffit de
lever ce membre, de le laisser quelque temps en l'air, au
besoin d'affirmer que ce membre ne peut plus être baissé;
il reste en catalepsie suggestive ; l'hypnotisé dont la volonté
ou le pouvoir de résistance est affaibli conserve passive-
ment l'attitude imprimée. » C'est de l'obéissance; et l'ex-
plication nous paraît exacte pour tous les cas où le phéno-
mène a été produit par suggestion verbale, dans les cas
aussi où le sujet a assisté à des expériences analogues sur
d'autres malades, et dans les cas enfin où l'inconscient de
l'hystérique est assez développé pour se rendre compte de
la pensée de l'opérateur; mais, dans d'autres conditions,
chez d'autres malades, il semble que la cause de la cata-
lepsie, tout en restant psychologique, est plus simple; c'est
une pure inertie mentale, ou ce qu'on a appelé un état de
monoidéisme; l'inconscient subit sans la comprendre, sans
la raisonner, et par conséquent sans y résister, l'attitude
qu'on lui donne. En termes plus précis, nous dirons : quand
une attitude est imprimée au bras, on provoque un certain
nombre de sensations tactiles et musculaires, qui représen-
tent l'attitude, et qui, en continuant à se produire, deviennent
une cause d'excitation pour les muscles dont la contraction
maintient l'attitude; c'est un automatisme de sensations,
d'images et de mouvements, peut-être aussi de désirs et
volitions rudimentaires, qui est de tous points comparable
à celui qui peut déterminer une répétition de mouvements.
Ainsi, il y a tantôt suggestion par obéissance raisonnée,
tantôt suggestion par automatisme. Dans tous les cas, la
plasticité cataleptique a sa source dans l'état mental du
sujet et s'explique par des raisons psychologiques.
104 LES PERSONNALITES COEXISTANTES
II
La conservation d'une atlitude est un acte d'adaptation
simple; en voici d'autres plus compliqués.
Si pendant que le bras est soulevé, on le charge de poids,
le membre étendu peut ne pas se fléchir brusquement; il
fait un effort approprié à la charge nouvelle, de manière
à conserver la position qui lui a été donnée. Dans ce
nouvel exemple, on peut s'assurer que le membre insen-
sible fait preuve de perspicacité, car si on presse tout dou-
cement sur le membre étendu, on le fait baisser, tandis
que, lorsqu'on attache à ce membre l'anneau d'un poids de
2 kilogrammes, le bras reste en position; c'est que^ dans
les deux cas, l'intention de l'expérimentateur est différente,
et se traduit par des mouvements différents, que le sujet
paraît bien comprendre.
On provoque des mouvements complexes d'adaptation
en plaçant dans la main insensible des objets connus ; le
contact de ces objets en suggère l'usage, et détermine des
mouvements appropriés; les deux premiers doigts étant
placés dans les anneaux d'une paire de ciseaux, la main
reconnaît le ciseau, l'ouvre et le ferme comme si elle cher-
chait à couper quelque chose. Si on met le dynamomètre
dans la main d'un sujet, qui a l'habitude de se servir de
cet instrument, et qu'on rapproche les doigts des branches,
la main serre sans en avoir conscience; elle serre une
fois, deux fois, vingt fois de suite, et davantage; le propre
de ces mouvements d'adaptation est de se continuer très
longtemps. Le chiffre de pression est en général un peu
inférieur à celui que donne le même sujet quand il presse
volontairement. Ce qu'il faut remarquer encore, c'est l'as-
sociation, la coordination des mouvements inconscients
entre eux et avec les impressions qui leur servent de point
de départ. Si on tiie les deux bras en avant, le sujet étant
assis et ayant les yeux bandés, tout le corps se soulève,
l'insensibilité des hystériques 105
et les mouvements se coordonnent pom' maintenir la sta-
tion debout sans que le sujet se doute qu'il soit levé. Mais
en général, l'harmonie des mouvements ne va pas jusqu'à
s'établir entre la physionomie et les attitudes imprimées
aux membres ; si on ferme énergiquement le poing anes-
thésique, la figure ne prend pas une expression de colère;
si on joint les mains, la figure ne prend pas une expression
extatique; cependant cette influence du geste sur la physio-
nomie est dans la logique des choses, et on l'a vue parfois se
réahser pendant la catalepsie partielle de l'état de veille '. Il
y a là une générahsation de mouvements inconscients qui
est analogue à celle que nous avons déjà signalée pour la
répétition inconsciente.
Les mouvements d'adaptation les plus curieux se pro-
duisent à la suite d'excitations douloureuses, comme des
pincements de la peau ou des brûlures ; le personnage
inconscient exécute alors des mouvements de défense pour
se soustraire à la douleur. Seulement, il ne suffit pas en
général pour provoquer ces mouvements de défense, de
piquer, même profondément, la main anesthésique. Si le
procédé de la piqûre était suffisant, comme c'est celui
qu'on emploie dans la clinique courante pour explorer la
sensibilité, il y aurait longtemps que les médecins se
seraient aperçus des mouvements d'adaptation que nous
allons décrire. En réalité, les pincements et piqûres ne pro-
duisent pas en général des mouvements de défense ou de
fuite; quoique piquée, la main insensible reste immobile,
sans se défendre. Pour lui faire donner un signe de douleur,
il faut une excitation qui ait une signification et détermine
la perception d'un objet connu. Des impressions simples
1. Pierre Janet, Automatisme psi/chologique, p. 232. Nous aurons à citer
souveût cet important ouvrage, dans lequel la question de la dissociation
mentale a été traitée avec une grande largeur d'idées. Nous exposons ici
le même sujet que M. Pierre Janet, mais en nous plaçant à un point de
vue un peu différent du sien; nous n'avons point cherché, comme lui, à
faire valoir nos opinions personnelles; nous nous attachons plutôt à
exposer les résultats acquis et admis pat- la majorité des auteurs; c'est
pour cette raison que nous laissons de côté plusieurs de nos expériences
personnelles qui n'ont pas encore été répétées et vérifiées par d'autres.
106 LES PERSONNALITES COEXISTANTES
provoquées par une pointe de compas ou d'épingle sont
comme des lettres isolés, a, b, c, qui n'éveillent aucune
idée, tandis que les impressions complexes d'une boîte, d'un
porte-plume sont comme des mots qui suggèrent une idée.
Yoici une des expériences que nous avons imaginées :
mettre dans la main insensible du sujet qui ne voit pas
sa main une boîte d'allumette, et chercher s'il peut faire
flamber une allumette et éviter la flamme. Les résultats
de l'expérience ont beaucoup varié suivant les malades.
L'une n'ouvre pas la boîte; et même, chose assez plai-
sante, elle commet une erreur de perception; elle serre la
boîte de toutes ses forces, en la confondant sans doute
avec le dynamomètre qu'on avait placé dans sa main
quelque temps auparavant. Une autre malade, dans les
mêmes conditions, montre plus de sagacité; sa main
insensible palpe la boîte, parvient à l'ouvrir après beau-
coup d'hésitations, tâte les allumettes avant d'en prendre
une, et, quand elle en a pris une, ne cherche pas à l'al-
lumer, mais la tient immobile entre ses deux doigts. Ici
encore, curieuse erreur de perception : la main croit tenir
un crayon et essaye d'écrire. Nous enflammons nous-mème
l'allumette et nous la lui donnons. Le pouce et l'index ne
paraissent pas s'apercevoir de la flamme qui approche et
qui vient s'éteindre à leur contact en brûlant et fondant le
bout des ongles. Chez une troisième malade la reconnais-
sance de la nature de l'objet a été complète; au bout
d'un instant de contact, la main entoure la boîte, la palpe,
paraît la reconnaître, pousse en dehors le tiroir qui con-
tient les allumettes, en prend une, la frotte contre les
parois de la boîte, l'allume, et la tient allumée, en l'in-
clinant un peu; à mesure que la flamme s'avance, les
doigts reculent, comme s'ils fuyaient devant la chaleur,
et quand la flamme approche à l'extrémité de l'allumette,
les doigts se desserrent, et l'allumette tombe; évidem-
ment, tout a été perçu, et la main a même exprimé par
son geste la crainte d'être brûlée.
On peut voir d'après ce qui précède que malgré l'insen-
l'insensibilité des hystériques 107
sibilité apparente toutes les espèces de sensibilité peuvent
être conservées et mises en jeu par des moyens appropriés.
Mais ce n'est pas tout ; l'étude attentive des réactions pré-
cédentes montre que bien qu'elles émanent d'une pensée,
cette pensée est encore incomplète sur bien des points,
puisqu'elle ne peut aboutir, dans certains cas, qu'à des
mouvements d'adaptation erronés et qu'elle est incapable
de se corriger elle-même. M. Myers, en analysant ces
expériences, a remarqué avec raison qu'elles rappellent
un peu celles où l'on étudie les mouvements instinctifs
d'un animal, après l'avoir privé d'un certain nombre de
ses ganglions nerveux; tel mouvement instinctif peut se
produire encore, mais sans discernement.
Nous avons déjà passé en revue la sensibilité tactile,
musculaire, douloureuse; il nous reste, pour être complet,
à faire mention de la sensibilité élective. On entend par
cette expression l'aptitude que présentent certaines malades
à être influencées par une personne et par celle-là seule-
ment; tel somnambule, par exemple, ne voit, n'entend que
son hypnotiseur et n'obéit qu'à lui. Peut-être ne devrait-on
pas donner le nom de sensibilité à un phénomène qui est
certainement beaucoup plus compliqué que la faculté de
percevoir des sensations. Quoi qu'il en soit, on observe
de l'électivité dans les phénomènes inconscients qu'on
peut provoquer à l'état de veille chez une hystérique, et
en voici un exemple très net. Chez certains sujets, le
bras qu'on lève pour le mettre en catalepsie ne reste levé
que si c'est l'expérimentateur habituel qui le tient; le con-
tact d'une autre personne peut être reconnu et distingué,
car souvent l'ordre d'une autre personne n'est pas obéi;
et c'est en vain que celle-ci soulève le bras et cherche à
le maintenir en l'air un moment; aussitôt qu'elle le quitte,
il retombe; et parfois même, il refuse de se soulever et
se raidit pour résister.
Nous abordons ici des phénomènes complexes, dont
l'analyse est difficile pour le moment, et qui même seraient
révoqués en doute s'ils n'étaient pas en continuation avec
J08 LES PERSONNALITÉS COEXISTANTES
ceux que nous venons d'étudier. Nous ne nous y arrêterons
pas longtemps ; nous devons cependant les mentionner. 11
arrive parfois que lorsqu'on vient de piquer la main insen-
sible, derrière l'écran, celle-ci se retire brusquement et le
sujet s'écrie : « Vous m'avez fait mal ! » Un observateur
non prévenu, qui assisterait à cette expérience pour la pre-
mière fois, serait en droit de conclure que le sujet n'a pas
perdu sa sensibilité; mais il faut remarquer que le sujet a
prononcé ces mots sans conscience; quand on lui adresse
ensuite la parole pour lui demander si la douleur a été
très vive, il répond qu'il n'a rien senti, et il soutient
même qu'il n'a pas dit un mot; sans doute son témoi-
gnage, pris isolément, paraîtra suspect; mais si ce sujet
présente en outre une anesthésie régulièrement constatée,
et s'il a des mouvements inconscients très développés,
nous serons disposés à admettre la sincérité de son affir-
mation; nous admettrons que le personnage subconscient
qui est en lui a perçu la douleur, et que ce personnage, qui
peut exprimer la douleur par des mouvements de la main,
peut aussi, par occasion, les exprimer au moyen de la
parole. Quand l'attention de l'observateur est dirigée de
ce côté, il peut relever assez souvent au cours des expé-
riences des signes d'impatience, des tressaillements, et
même des mots murmurés à voix basse qui appartiennent
certainement au personnage inconscient. Il est bien entendu
que ces phénomènes sont toujours d'une interprétation
délicate.
Enfin, l'inconscient peut s'affirmer d'une manière encore
plus complète par l'écriture automatique spontanée. C'est
la dernière observation que nous rapporterons, car ici les
phénomènes que nous étudions sont bien prêts de se con-
fondre avec ceux du spiritisme, qui feront l'objet d'un autre
chapitre. Nous avons vu déjà précédemment que lorsqu'on
fait répéter à la main insensiljle un mot contenant une
faute d'orthographe, elle peut corriger la faute; c'est une
première preuve d'initiative; l'inconscient peut en donner
bien d'autres. Il y a des malades auxquels il suffit de faire
L INSENSIBILITE DES HYSTERIQUES 109
écrire, par la main insensible, une seule lettre pour que
le mot entier qui commence par cette lettre, soit écrit; on
fait tracer la lettre P,et le sujet écrit Paris, et ainsi de suite.
Parfois, à la suite de ce premier mot, la main en écrit un
second, sans en avoir conscience ; parfois même, c'est une
phrase entière qui apparaît; et j'ai vu des sujets hystériques
auxquels il suffit de mettre un crayon dans la main
insensible pour que des pages entières se couvrent d'écri-
ture, sans que le sujet cesse de parler de toute autre chose ;
et il paraît n'avoir pas conscience de ce que fait sa main.
Tout se passe à peu près comme dans l'observation de
M. Taine, rapportée plus haut. Nous pouvons rappeler à
l'occasion de ces observations les réserves que nous venons
de faire sur l'interprétation des cris de douleur du person-
nage inconscient; rien ne prouve que le malade ne simule
pas, et la simulation serait dans ce cas particulièrement
facile; mais ce n'est pas sur une expérience isolée qu'il faut
fonder sa conviction; il faut étudier un ensemble de faits
et voir s'ils s'enchaînent.
CHAPITRE III
l'insensibilité des hystériques (suite)
CARACTÈRES GÉNÉRAUX DES ACTES SUBCONSCIENTS
I. Enregistrement par la méthode graphique des mouvements subcon-
scients. — Générante de ces mouvements. — La forme de ces mouve-
ments dépend de l'acte d'adaptation provoqué. — Temps physiologique
de réaction.
II. Interprétation générale des phénomènes. — Ils supposent non seule-
ment des sensations inconscientes, et des mouvements inconscients,
mais des souvenirs et des jugements inconscients. — Pourquoi on
n'observe pas ces réactions chez tous les hystériques : nécessité d'une
coordination préalable.
III. L'anesthésie visuelle chez les hystériques. — Ses principaux caractères.
— Discussion sur certains phénomènes singuliers. — Hypothèse anato-
mique. — Expériences directes qui la réfutent. — Hypothèse psycho-
logique.
I
Maintenant que nous connaissons la grande variété de
mouvements subconscients, d'actes subconscients et de
réactions de toutes sortes qu'on peut produire dans un
membre insensible, il n'est pas difficile d'iinaginer ceux
qui peuvent être enregistrés par la méthode graphique ;
tous peuvent l'être avec plus ou moins de commodité.
Pour rester dans les conditions les plus simples, on peut
employer comme mode d'excitation, des piqûres d'épingle;
à chaque piqûre, faite sur la région insensible, il se produit
un petit mouvement responsif dans la région où le tam-
L'INSENSIBILITÉ DES HYSTÉRIQUES 111
boLir récepteur de l'appareil graphique est appliqué; trois
excitations successives produisent trois mouvements et
ainsi de suite. De même si on fait battre un métronome
près du sujet, on recueille des contractions musculaires
qui suivent le rythme des battements du métronome, qui
s'arrêtent quand on l'arrête, se précipitent quand on l'ac-
célère, et ainsi de suite. Le caractère en apparence très
simple et tout à fait élémentaire de ces réactions, les a sou-
vent fait prendre pour des mouvements réflexes; mais,
sans méconnaître que les mouvements inconscients peu-
vent se compliquer de mouvements purement réflexes, il
ne faut pas oublier que ces mouvements inconscients ont
un caractère hautement psychique. Nous en donnerons,
chemin faisant, de nombreuses preuves.
L'appareil qu'on emploie en général pour recueillir les
contractions inconscientes est un tambour myographique,
présentant un bouton en bois que l'on met en contact avec
le tégument de la région qu'on cherche à explorer. Il est
à peine besoin de remarquer que ce mode d'enregistrement
est tout à fait défectueux quand il s'agit d'étudier, non pas
la contraction isolée d'un muscle, mais le mouvement total
d'un membre; car ce mouvement fait intervenir dans
l'ordre le plus compliqué toutes les puissances motrices
appliquées à ce membre; tantôt tel groupe musculaire
entre en action, tantôt tel autre, tantôt un troisième;
l'appareil ne nous renseigne que sur l'activité d'un seul
groupe; c'est un peu comme si, pour connaître une phrase
musicale, nous ne pouvions percevoir qu'une seule note.
Il faudrait trouver d'autres procédés pour étudier les mou-
vements coordonnés. En attendant, servons-nous de ce que
nous avons entre les mains, mais rappelons-nous tout ce
que les tracés présentent d'insuffisant.
L'emploi de la méthode graphique permet d'acquérir
une connaissance plus exacte et en quelque sorte plus
intime des précédents phénomènes, en mettant bien en
lumière les caractères de durée, de grandeur et de forme
des mouvements inconscients. M. Gley a eu le premier
112 LES PERSONNALITÉS COEXISTANTES
l'idée d'appliquer les graphiques à l'étude de ces mouve-
ments, mais il se plaçait dans des conditions un peu diffé-
rentes de celles qui nous occupent actuellement et nous
aurons à revenir plus loin sur ses expériences.
Généralité des mouvements sutjconscients . — Parmi
les faits bien élucidés par la méthode graphique, il faut
d'abord signaler la générahté des mouvements subcon-
scients; ces mouvements ne se produisent pas seulement,
comme on pourrait le croire, dans les régions insensibles,
mais dans toutes les parties mobiles où l'on applique un
appareil enregistreur.
11 en est ainsi notamment pour les mouvements respira-
toires de la cage thoracique. Si on prend le tracé respira-
toire, on constate que les excitations de la peau, dans une
région insensible, peuvent le modifier chez certains sujets,
de telle façon qu'on ne peut pas mettre en doute la pré-
sence d'une pensée inconsciente; j'ai vu chez quelques
personnes le mouvement respiratoire suivre le rythme
d'une série de piqûres ou d'une série de battements du
métronome, alors même que les excitations se suivaient
à des intervalles d'une seconde seulement. Une telle
influence des excitations extérieures sur les mouvements
de la respiration n'est pas extraordinaire, si on l'explique
par des causes purement psychologiques; et nous verrons
bientôt la preuve qu'il y a dans la malade une intelligence
inconsciente qui fait exprès, en quelque sorte, de produire
ces résultats.
Importance des mouvements . — L'importance des mou-
vements subconscients est généralement plus grande dans
les régions insensibles.
Pour bien constater cette différence, il ne suffirait pas
d'appliquer deux tambours enregistreurs sur deux régions
symétriques, dont l'une serait sensible et l'autre ne le
serait pas; les résultats qu'on obtiendrait par cette
méthode seraient tout à fait défectueux, par suite do la
difficulté où on se trouve d'avoir des appareils rigoureuse-
ment comparables. Le mieux est de faire deux expériences
L'INSENSIBILITÉ DES HYSTÉRIQUES M 3
successives sur une même région, en laissant les instru-
ments en place, et en supprimant dans une des expériences
l'insensibilité de la région par une suggestion verbale; on
voit alors très souvent, je n'ose pas dire toujours, qu'avec
le retour de la sensibilité les mouvements inconscients
diminuent, -tandis que la disparition de la sensibilité sous
l'influence d'une nouvelle suggestion les exagère.
Forme des mouvements . ■ — La forme du mouvement
subconscient dépend en premier lieu de la nature de
l'appareil récepteur appliqué à la malade. Si on a mis un
dynamographe dans la main insensible, l'instrument est
serré à chaque excitation; si c'est un tambour qui a été
placé sur les masses musculaires de Favant-bras, le sujet
fait avec les doigts un mouvement tout différent, mais
toujours approprié aux circonstances, montrant ainsi une
fois de plus que les mouvements inconscients ont le carac-
tère de mouvements d'adaptation. Si on avait mis un
crayon dans la main, à chaque excitation de la peau le
crayon aurait dessiné un trait. Voilà une première démon-
stration du caractère psychologique de ces mouvements
inconscients.
La nature de l'excitation peut, elle aussi, influer sur la
forme de la réponse; quand le malade a un dynamographe
dans la main insensible, une excitation brève de la peau
provoque une pression brève de l'instrument; si on excite
plus longtemps, la pression est plus longue. Les rapports
entre l'excitation et la réponse sont surtout bien frappants,
quand on se sert du métronome. La première fois qu'on
fait marcher le métronome à côté du sujet qui tient dans
sa main insensible — et toujours derrière l'écran — un
dynamographe, le plus souvent il ne se produit rien; la
main insensible ne comprend pas en quelque sorte qu'il
faut presser à chaque battement; elle reste immobile; mais
peu à peu les contractions commencent, et une fois amor-
cées, elles se continuent régulièrement. Or, il est bien
curieux de voir que si le métronome bat suivant un rythme
très rapide, puis qu'on l'arrête brusquement, en dehors de
A. BiNET. 8
114 LES PERSONNALITES COEXISTANTES
la vue de la malade, la main de celle-ci ne s'arrête pas
tout de suite, mais fait en plus une contraction, ou une
demi-contraction, comme si elle avait prévu à chaque fois
le bruit nouveau. Ces réactions anticipées sont encore
une preuve excellente que les mouvements inconscients
ont un caractère psychologique.
Temps physiologique de réaction. — Les quelques
expériences que nous venons de résumer font naître assez
naturellement Tidée de mesurer le temps de réaction des
mouvements inconscients; mais pour ma part j'ai été
empêché de le faire, par suite de la difficulté suivante :
lorsqu'on prend le temps de réaction d'une personne, on
l'instruit de l'expérience qu'on va exécuter et on lui recom-
mande de réagir avec autant de rapidité que possible ; or,
on ne peut pas faire une recommandation de ce genre à
l'hystérique dont on étudie les mouvements inconscients,
puisque ces mouvements restent en dehors de sa person-
nalité et de sa volonté. En outre, lorsqu'on donne le
signal à l'improviste, la main anesthésique ne produit son
mouvement que très longtemps après, plusieurs secondes
après; et si on donne au contraire plusieurs signaux suc-
cessifs séparés par des temps égaux, il y a prévision du
signal, et la réponse peut être simultanée. Toutes ces rai-
sons rendent l'expérience bien difficile.
Pour l'exécuter correctement, il faut prendre un détour,
qui demande quelques explications.
Nous n'avons pas encore parlé des mouvements volon-
taires qu'une hystérique peut exécuter avec un membre
insensible; l'étude de ces mouvements sera faite un peu
plus loin. Nous verrons que le mouvement volontaire, sui-
vant qu'il est exécuté par un membre sain ou anesthésié,
présente de grandes différences; la principale est une diffé-
rence dans le temps de réaction; le mouvement du membre
insensible est presque toujours en retard sur l'autre.
On peut recueiUir le mouvement de réponse par diffé-
rents procédés, en faisant interrompre un courant élec-
trique, ou tout simplement en faisant presser un dynamo-
L'INSENSIBILITE DES HYSTÉRIQUES 115
graphe relié par un tube de caoutchouc à la plume d'un
appareil enregistreur; ce dernier procédé est moins cor-
rect que le précédent, mais il a l'avantage de montrer le
fait suivant, qui est extrêmement curieux ; lorsque le sujet
serre volontairement avec la main insensible, pour répondre
aussi vite que possible à un signal convenu, on voit parfois
que, bien qu'on lui ait recommandé de ne serrer qu'une
fois seulement, il a donné deux pressions : l'une des pres-
sions correspond au temps moyen de réaction de la main
insensible ; l'autre, au contraire, généralement beaucoup
moins forte, correspond au temps moyen de réaction de la
main sensible; et la différence entre ces deux moyennes est
assez grande pour qu'il soit impossible de les confondre;
de plus, cette seconde pression est involontaire et incon-
sciente, car le sujet ne croit avoir pressé qu'une fois; enfin,
quand il ne se produit qu'une seule pression, ce qui est le
cas le plus fréquent, cette pression unique et volontaire
présente toujours le temps moyen de la main anesthésique.
Toutes ces raisons nous déterminent à croire que la réac-
tion supplémentaire dont nous venons de parler appartient
à la catégorie des mouvements inconscients; et il en résulte
cette conclusion importante que même pour un membre
insensible, la durée de la réaction inconsciente est à peu
près égale à celle de la réaction consciente pour un membre
sensible.
En terminant ce paragraphe, j'insiste encore sur le
caractère psychologique des réactions que nous venons
d'enregistrer; ce sont des réactions inconscientes, mais
elles n'en émanent pas moins d'une intelligence. Il serait
dangereux de l'oublier, et de croire que par cela seul qu'on
se sert d'un cylindre enregistreur et d'un papier enfumé,
on n'a pas à craindre les causes d'erreurs psychologiques.
|IC> LES PERSONNALITÉS COEXISTANTES
II
Il est temps de laisser de côlé le détail des expériences,
et de chercher à en dégager une idée générale. Toutes les
expériences ont été faites avec un dispositif uniforme, con-
sistant, comme nous l'avons dit et répété souvent, à cacher
à la malade les épreuves auxquelles on soumet son membre
insensible et les réactions qui se produisent dans ce
membre. Il en résulte que lorsque l'expérimentateur n'a
pas l'imprudence de parler à la malade, celle-ci reste étran-
gère à l'expérience, et de fait, elle peut s'occuper de toute
autre chose. Elle n'a point la sensation consciente de ce
qui se passe dans ses membres, à moins qu'il ne se pro-
duise, au cours des recherches, un retour de sensibilité
dont il faut toujours se méfier, et qui s'expliquerait en
partie par un trop grand nombre d'excitations portées sur
une même région.
Les malades sur lesquels on peut reproduire les phéno-
mènes en cause sont assez nombreux; j'ai pu en étudier
plus d'une trentaine; et, d'autre part, depuis que mes
recherches et celles de M. Féré ont été publiées, elles se
sont trouvées conflrmées par les observations concordantes
d'autres auteurs (Babinski, OnanofF, Blocq, P. Janet, etc.),
ce qui semble une preuve de leur exactitude.
Nous devons remarquer que parmi les hystériques, les
hommes en général se prêtent peu à ces recherches : soit
que l'insensibihté de l'hystérie mâle soit plus grave, plus
profonde que celle de la femme, soit pour toute raison que
j'ignore, il est parfois malaisé de provoquer dans le membre
insensible d'un sujet mâle des mouvements subconscients.
Parmi les femmes, il faut faire une distinction importante;
celles qui ont été fréquemment soumises à des manœuvres
d'hypnotisation présentent des mouvements inconscients
bien plus développés que les autres femmes. Cette circon-
stance, la fréquence del'hypnotisation, a une importance bien
l'insensibilité des hystériques 117
plus décisive que le degré de l'anesthésie; d'après ce que j'ai
vu, il n'existe pas de proportion entre le degré de l'anes-
thésie et le développement des mouvements inconscients.
Les faits précédents démontrent quelle est la vraie
nature de l'anesthésie hystérique. On a souvent soupçonné
que l'insensibilité hystérique, dans un certain nombre de
cas, ne supprime pas nécessairement la sensation, comme
le fait une anesthésie de cause organique; ce soupçon fait
maintenant place à la certitude. Les mouvements de répé-
tition, d'adaptation que nous venons de solliciter dans un
membre complètement dépourvu de sensibilité consciente
n'auraient pas pu se produire si rien n'avait été perçu;
pour que la main entoure le crayon glissé entre les doigts,
pour qu'elle ouvre une boîte d'allumettes, serre un dyna-
mographe, ou tout simplement répète fidèlement un mou-
vement de flexion qui a été imprimé à un des doigts, il est
de toute nécessité que certaines impressions aient été recueil-
lies par ce tégument soi-disant anesthésique; il y a donc
eu une perception bien réelle, quoique ignorée du sujet,
une perception inconsciente, et l'anesthésie hystérique
apparaissant alors comme une suppression delà conscience
pourrait être appelée une anesthésie par inconscience.
Il y a plus; l'hypothèse doit aller plus loin; pour expli-
quer la production des actes inconscients, il ne faut pas se
contenter de supposer des sensations inconscientes; iso-
lées, des sensations ne produiraient rien; or, en analysant
les principales observations recueillies, nous avons vu
intervenir des phénomènes de mémoire et de raisonne-
ment, de sorte que les mouvements inconscients nous
révèlent l'existence d'une intelligence qui est autre que
celle du moi du sujet, et qui agit sans son concours et
même à son insu. C'est là une conclusion nécessaire, elle
s'impose; de quelque manière qu'on conçoive cette intelli-
gence secondaire, accessoire, parasite en quelque sorte, il
est certain que chez certains sujets elle existe et qu'elle agit.
11 est vrai que chez de nombreux hystériques anesthé-
siques et notamment chez des hommes, on ne peut rien
118 LES PERSONNALITES COEXISTANTES
produire de semblable ; mais il ne faut pas se hâter d'en
conclure que leur insensibilité est d'une nature différente.
La manifestation des mouvements inconscients et d'une
intelligence en général est soumise à une condition capi-
tale, qui peut manquer : c'est la coordination. Pour qu'un
mouvement passif communiqué au bras soit répété, il ne
suffit pas qu'il soit perçu, il faut que la perception puisse
être coordonnée avec les mouvements de réponse corres-
pondants, et que tout cela s'enchaîne. C'est si bien la
coordination qui fait défaut chez certains sujets auxquels
on ne peut pas donner de mouvements inconscients, que
si par un artifice quelconque on établit cette coordination,
on arrive souvent à faire apparaître les mouvements
inconscients; témoin l'expérience suivante, que j'ai bien
souvent répétée : on place un dynamomètre dans la main
insensible cachée derrière un écran ; il ne se produit rien ;
mais si on prie le sujet de serrer volontairement, plusieurs
fois de suite, l'instrument, en regardant sa main, et qu'on
vienne ensuite à lui replacer le même instrument dans la
main anesthésique, derrière l'écran, la main serre sans en
avoir conscience; cela se comprend, l'expérience prélimi-
naire a créé la coordination qui manquait entre le contact
de l'instrument et Faction de serrer; cette coordination
une fois établie, l'inconscient se manifeste.
III
Comme appendice aux études précédentes doivent
trouver place un certain nombre d'expériences qui ont
été faites sur l'œil hystérique. Nous n'insisterons pas lon-
guement sur cette question, qui est complexe et encore un
peu obscure; nous devons cependant en dire quelques
mots parce que l'étude de l'anesthésie visuelle hystérique
a conduit quelques auteurs, qui en général ne s'accordent
guère avec ceux que nous avons eu l'occasion de citer jus-
L'INSENSIBILITÉ DES HYSTERIQUES H9
qu'ici, à admettre que l'anesthésie hystérique est une
insensibilité de nature psychique.
M. Gharcot et ses élèves (spécialement M. Landolt) ont
montré que dans l'hystérie, les organes des sens et en
particulier Tceil participent à l'insensibilité de la peau. Il
est rare que l'anesthésie visuelle soit complète; en général,
on observe un rétrécissement du champ visuel, une modi-
fication dans la perception des couleurs et des troubles
divers dans l'accommodation.
On a longtemps cherché à comprendre le mécanisme
de l'anesthésie rétinienne des hystériques ; les auteurs '
qui se sont occupés de la question ont constaté un cer-
tain nombre de particularités complexes, et si difficiles
à comprendre qu'ils ont parfois mis en doute la sincérité
de cette anesthésie. Citons un exemple : il y a des hysté-
riques qui perçoivent bien certaines couleurs quand elles
se servent simultanément des deux yeux, et qui cessent
de les percevoir quand elles ne se servent que d'un œil,
du droit ou du gauche. D'autres hystériques se plaignent
d'une cécité de l'œil droit, quand on ferme leur œil gauche,
et cependant elles voient de cet œil droit, sans s'en douter,
quand elles ont les deux yeux ouverts.
Voici dans quelles conditions on peut observer avec pré-
cision ce trouble visuel. On se sert d'une boîte qui est
percée de deux orifices pour les yeux, et qui porte sur sa
face postérieure et interne deux points de couleur diffé-
rente; l'un est à droite, l'autre à gauche, et par un dispositif
ingénieux le sujet perçoit avec son œil droit le point situé
à gauche et avec son œil gauche le point situé à droite.
Cet instrument est employé pour déjouer la simulation,
par exemple chez les conscrits. Le simulateur, qui prétend
ne pas voir avec l'œil droit, dira qu'il ne voit pas le point
qui lui apparaît à droite, et c'est précisément le point qui
est vu par l'œil gauche. Maintenant comment se comporte
l'hystérique qui ne voit pas avec l'œil droit? Tout diffé-
1. Pitres, op. cit., p. 59.
120 LES PERSONNALITÉS COEXISTANTES
remment; quand il regarde dans la boîte, avec ses deux
yeux ouverts, il voit les deux points, celui de droite et
celui de gauche; il voit donc avec les deux yeux.
Pour expliquer ce fait d'observation, qui, si étrange qu'il
paraisse, est cependant tout à fait exact, quelques auteurs
ont eu recours à une hypothèse anatomique. Ils ont sup-
posé qu'il existe dans Técorce cérébrale des centres visuels
de deux sortes; il y en a deux qui sont monoculaires, c'est-
à-dire qui sont en rapport avec la vision par un seul œil;
et il y en a un troisième qui est binoculaire, c'est-à-dire
qui est spécial à la vision simultanée et combinée des deux
yeux. On a admis que chez les hystériques qui ne per-
çoivent pas exactement les couleurs avec un seul œil, le
centre monoculaire d'un œil ou de chacun des deux yeux
est atteint; mais, si le malade emploie les deux yeux, un
autre centre de vision, le centre binoculaire, entre en
action; et comme ce centre-là n'est pas altéré, la perception
des couleurs se fait exactement.
Il est inutile de discuter longuement une hypothèse ana-
tomique, qui est en contradiction avec tout ce qu'on sait
sur l'anesthésie hystérique du tégument; l'anesthésie de
la rétine, qui n'est en somme qu'une partie du tégument
devenue sensible à la lumière, ne peut pas se produire par
un autre mécanisme que l'anesthésie du reste du corps.
D'ailleurs, quelques expériences directes ruinent complète-
ment la prétendue distinction des centres monoculaires et
binoculaires. En voici deux, qui suffiront. Si on place
devant l'œil le plus anesthésique d'une hystérique (l'autre
œil étant fermé), une échelle de caractères typographiques,
à une distance où cet œil ne peut plus les lire, il suffit sou-
vent de mettre un crayon dans la main du sujet pour que
cette main écrive, à l'insu du sujet, certains mots de
l'échelle. L'emploi de l'écriture automatique montre donc
que quoique réduit à son prétendu centre monoculaire le
sujet continue à percevoir les lettres; l'ouverture de l'autre
œil ne fait que rendre cette perception consciente.
Autre exemple. On a donné par suggestion une cécité mo-
l'insensibilité DES HYSTÉRIQUES 121
noculaire à une hystérique, on a supprimé pour elle la vision
de l'œil droit. On ferme l'œil gauche de la malade, on place
devant son œil droiUm livre, et bien qu'elle affirmequ'elle ne
voit rien, le crayon placé dans sa main reproduit les mots
du livre. Comment cette écriture automatique serait-elle
possible si le centre de vision monoculaire, qui seul est
appelé à fonctionner dans cette expérience, était paralysé?
Une autre hypothèse, d'un genre tout différent, a été
faite il y a quelques années par M. Bernheim \ Cette
seconde hypothèse, disons-le tout de suite, nous paraît
être beaucoup plus près de la vérité que la première.
M. Bernheim a nettement saisi que la cause de l'anesthésie
rétinienne est psychique ; or toutes les études que nous
avons rappelées sur l'anesthésie hystérique aboutissent à
la même conclusion; quelle que soit sa forme, quel que soit
son siège, l'anesthésie hystérique est de nature psychique.
Malheureusement l'auteur que nous citons n'a point clai-
rement exprimé sa pensée; peu familiarisé sans doute avec
le langage de la psychologie, il emploie des termes confus,
parfois contradictoires, sur lesquels nous jugeons inutile
de nous appesantir; l'essentiel, en somme, c'est qu'il a
répété quelques-unes des expériences citées, et qu'il est
arrivé à cette conclusion importante que l'hystérique voit
et perçoit, sans en avoir conscience, dans certaines circons-
tances où toute perception paraît abolie. A ce titre les expé-
riences de M. Bernheim et sa théorie méritent une mention.
Nous ne quitterons pas cette question complexe, dont
nous avons à dessein simplifié un peu les difficultés, sans
indiquer avec précision le point obscur, qui appelle des
recherches nouvelles. Ce qui paraît acquis c'est que, dans
un certain nombre de cas au moins, l'anesthésie de la
rétine est une anesthésie par perte de conscience; mais il
reste à comprendre comment une perception qui ne se fait
que d'une façon subconsciente pendant la vision monocu-
laire peut devenir consciente pendant la vision binoculaire.
1. De V amaurose hystérique et de Vamaurose suggestive. Revue de l'iivp.,
1886, 6S.
CHAPITRE IV
l'insensibilité des hystériques (suite et fin)
LE SEUIL DE LA CONSCIENCE
Importance présentée par l'intensité des excitations. — Une expérience
sur le sens visuel. — Analogie entre les effets de l'anesthésie et ceux
d'une diminution dans l'intensité des excitations. — Expériences sur le
seuil des excitations conscientes pour un œil amblyopique. — Expé-
riences sur la concurrence des champs visuels. — Théories sur le seuil
de la conscience.
Il peut arriver qu'un sujet hystérique ne perçoive pas
certaines excitations sensorielles parce que celles-ci ne
sont pas suffisamment intenses, et que cependant ces exci-
tations non perçues ne restent pas sans effet; elles pour-
ront produire un ensemble de réactions intelligentes, qui,
comme l'excitation initiale, demeureront étrangères à la
conscience du sujet et formeront à l'occasion une seconde
conscience, une seconde personnalité plus ou moins rudi-
mentaire. Pour fixer les idées, supposons une hystérique
qui présente, à l'examen visuel, fait selon les méthodes
ordinaires, une acuité visuelle faible; la malade, placée à
telle distance d'une l'échelle de caractères typographiques,
ne peut pas hre tel mot; cependant si on retient un mo-
ment son attention sur ce mot qu'elle n'arrive pas à lire, on
aura parfois la preuve qu'elle l'a lu et perçu d'une manière
inconsciente, car l'écriture automatique peut le reproduire
et môme le commenter; le mot peut devenir le point de
L'INSENSIBILITÉ DES HYSTERIQUES 123
départ d'une série de pensées qui se traduiront par des
gestes et des actes. Si le mot est un ordre, comme « levez-
vous », il pourra être exécuté, etc.
La cause de la division de conscience se trouve ici dans
la faible intensité de l'excitant.
Si on y regarde de près, on s'aperçoit qu'il existe une
grande analogie entre ces deux causes de division de con-
science, l'anestliésie et la faiblesse de l'excitation. L'anes-
thésie est comparable, jusqu'à un certain point, à une
paresse fonctionnelle des organes des sens, paresse d'où
il résulte que les organes ne s'ébranlent que sous l'in-
fluence d'excitations très fortes et les excitations d'intensité
moyenne ne sont point perçues. Supposons l'organe moins
anesthésique, c'est-à-dire, pour employer la même image
littéraire, plus facile à ébranler; si en revanche l'excitation
est plus légère, le résultat sera le même que dans le cas
d'une anesthésie complète : l'organe n'entrera pas en exer-
cice, l'excitation ne sera pas perçue.
Pour appuyer cette interprétation, malheureusement un
peu vague, on peut invoquer un certain nombre d'expé-
riences curieuses; nous n'en citerons que deux. La pre-
mière montre bien que l'anestliésie équivaut à la dimi-
nution d'intensité des excitations. Pour la comprendre, il
faut se rappeler que dans les cas d'hémianesthésie clas-
sique, quand une hystérique est insensible d'une moitié
du corps, les organes des sens et en particulier l'œil placé
du côté insensible, sont généralement atteints, mais moins
que le tégument; prenons l'exemple d'une malade hémi-
anesthésique à droite, et dont l'œil droit présente un
champ visuel rétréci et une perte du sens de certaines
couleurs; le violet n'est pas perçu, mais le rouge continue
à être perçu par l'œil droit. L'œil gauche, situé du côté sain,
perçoit toutes les couleurs et notamment le rouge. Le rouge
est donc perçu par les deux yeux, mais d'une manière diSe-
rente; c'est ici que l'intensité, la force, en un mot la quan-
tité de l'excitation devient importante; en effet, le minimum
perceptible n'est pas le même pour les deux yeux; pour
124 LES PERSONNALITES COEXISTANTES
qu'un même morceau de papier rouge soit vu rouge par
l'œil droit, il faut qu'il présente une certaine surface, plus
grande que celle qui est nécessaire pour donner la sensa-
tion de rouge à l'œil gauche; avec une certaine dimension,
le papier est vu rouge par l'œil gauche et gris par l'œil
droit; bref, par suite de l'anesthésie légère qu'il présente,
l'œil droit a besoin d'une excitation plus forte pour sentir
que s'il était sain; l'anesthésie a pour effet de déplacer le
minimum perceptible : en d'autres termes, elle agit comme
si elle diminuait l'intensité de l'excitation.
Une seconde expérience, qu'on peut pratiquer sur le
même sujet, corrobore la première; si on adapte dans une
paire de lunettes deux verres, l'un rouge, l'autre vert, qui
vus chacun par un œil donnent l'impression complexe
d'une succession irréguhère de rouge et de vert (c'est ce
qu'on appelle la lutte des champs visuels), l'hystérique
n'éprouve pas cette sensation; il perçoit seulement la cou-
leur du verre qu'on aura placé devant son œil gauche,
c'est-à-dire devant l'œil le moins anesthésique : preuve évi-
dente que dans la lutte des deux champs visuels, l'excita-
tion reçue par l'œil gauche est la plus forte, puisqu'elle a
constamment l'avantage.
Ce qu'on appelle le seuil de l'excitation n'est donc point
chez l'hystérique une limite au-dessous de laquelle une
excitation ne produit aucun effet psychologique; les exci-
tations inférieures à un certain minimum de conscience
produisent des phénomènes de sous-conscience. C'est là
un fait intéressant, qui jette quelques doutes sur une opi-
nion généralement admise. On enseigne, en se fondant
sur les expériences de psycho-physique, que la conscience
qui accompagne les excitations des sens n'est point con-
tinue, mais discontinue; si, par artifice, dit-on, on arrive à
diminuer graduellement, et d'une manière très lente, l'in-
tensité d'une excitation donnée, par exemple, le son d'un
timbre, on atteint un certain degré d'excitation où la con-
science est complètement supprimée; au delà de ce point,
c'est le néant mental : plus rien n'est senti ni perçu pour la
l'insensibilité des hystériques 12d
conscience. On comprend la gravité de cette conclusion,
qui peut conduire à toute une théorie sur la répartition de
la conscience dans le monde. Nous inclinons à croire, sans
être absolument affirmatifs, que le point de départ de cette
théorie n'est point solide.
Son point de départ, c'est la croyance un peu naïve que
la conscience qui nous est personnelle, et au centre de
laquelle nous nous trouvons, est la seule qui existe en nous,
et qu'en dehors d'elle rien n'a conscience de rien.
Les expériences qu'on vient de lire montrent que chez
l'hystérique le seuil de la conscience n'a qu'une valeur
toute relative; c'est simplement le seuil à.' une conscience;
au-dessous, il y en a d'autres, et probablement la conscience
se perd et se dégrade par transitions insensibles, absolu-
ment comme tous les phénomènes physiques que nous
connaissons.
On ne se doute pas de la faible quantité d'excitation qui
suffît chez certains sujets pour faire naître la conscience.
Nous touchons ici à des questions encore bien obscures,
et qui seront sans doute dans l'avenir l'objet de décou-
vertes importantes. A titre de suggestion seulement, je
mentionnerai quelques expériences inachevées que j'ai
faites, et qui semblent montrer que l'inconscient peut
avoir une acuité de perception tout à fait remarquable. Je
suis parvenu, en m'adressant au sens tactile d'un membre
insensible, à faire enregistrer par l'écriture automatique
des excitations tellement faibles et délicates que jamais
le toucher normal ne les aurait perçues. J'ai placé sur le té-
gument insensible du dos de la main, du cou, etc., des lettres,
des objets de petite dimension et en rehef, et la main du
sujet est parvenue souvent à dessiner exactement la lettre et
l'objet en relief. D'après les calculs que j'ai pu faire, la
sensibilité inconsciente d'une hystérique est à certains
moments cinquante fois plus fine que celle d'une personne
normale. Peut-être que dans quelques circonstances la pré-
tendue action de la pensée à distance peut s'expliquer par
cette hyperacuité sensorielle vraiment extraordinaire.
CHAPITRE V
LA DISTRACTION
Définition de l'attention et de la distraction. — Comparaison entre les
effets de la distraction et ceux de l'anesthésie hystérique. — Les hysté-
riques sont faciles à distraire. — Développement du personnage incon-
scient produit pendant un état de distraction. — Il répond aux questions
posées. — Moyens de communiquer avec lui. — Il ditye, il peut accepter
un nom. — Rôle de la suggestion dans la construction de cette person-
nalité. — Existence d'une possibilité psychologique. — Suggestions
reçues par le personnage subconscient. — Comment il les exécute. —
Son défaut de résistance. — Danger des suggestions qui s'emmagasinent.
— Le personnage subconscient est de nature somnambulique. — Preuves.
I
Il est possible d'observer des consciences multiples qui
ne résultent point de l'anesthésie, et cette circonstance est
fort importante, car elle permet d'étudier la désagrégation
mentale chez un très grand nombre de personnes, et elle
donne à ces phénomènes une portée qu'ils n'auraient pas s'ils
n'existaient que dans une certaine catégorie de malades.
C'est l'état de distraction, qui peut produire le même
efifet que l'anesthésie; cet état de distraction est une atti-
tude particulière de l'esprit qui, à première vue, semble ne
présenter aucun rapport avec une anesthésie, avec une
abolition de sensations visuelles ou tactiles. Mais il n'est
pas difficile de prouver, en ce qui concerne partictiliè-
LA DISTRACTION 127
rement l'anesthésie hystérique, dont nous avons montré la
nature essentiellement psychique, qu'il existe une relation
des plus étroites entre l'état de distraction et l'insensibiHté.
On sait que l'attention est un efifort de l'esprit et de l'or-
ganisme entier, qui a pour résultat d'augmenter l'intensité
de certains états de conscience; en se portant sur une per-
ception, par exemple, l'attention la rend plus rapide, plus
exacte, plus détaillée ; elle y arrive soit en agissant sur
l'accommodation de l'organe sensoriel en exercice, soit en
suscitant les images mnémoniques appropriées à la percep-
tion de l'objet, soit par d'autres procédés que nous igno-
rons. Cette adaptation convergente de toutes les forces
disponibles de l'organisme sur un seul phénomène, qui
peut être une sensation, une image, un sentiment, etc.,
a pour conséquence de produire un état temporaire de
monoidéisme. Lorsque notre attention se porte avec force
sur une chose, nous ne pensons pour un moment à rien
autre ; et chacun sait que si nous sommes absorbés par une
lecture attachante, il peut arriver que d'autres personnes
causent autour de nous sans que nous entendions leur
voix. De même, lorsque nous attendons avec impatience
une personne et que nous la voyons venir de loin, dans la
rue, elle se détache pour nous de la foule qui l'environne;
si nous épions son pas, nous pouvons percevoir ce bruit
léger du milieu d'une foule d'autres bruits beaucoup plus
intenses, que nous cessons parfois d'entendre. L'attention
met donc, peut-on dire, nos organes des sens dans un état
d'hyperesthésie spéciale, locale, c'est-à-dire systématisée,
relative à une certaine sensation, et en revanche, il se
produit en même temps, pour tout ce qui n'est pas cette
sensation ou pour tout ce qui ne s'y rapporte pas, un état
passager de sensibilité moindre, disons même d'anesthésie.
L'attention ne va pas sans la distraction; on ne fait pas
attention à certaines choses sans se distraire des autres;
l'attention, c'est le côté de la lumière, et la distraction,
c'est le côté de l'ombre.
Or, si l'attention peut indirectement produire une ânes-
128 LES PERSONNALITES COEXISTANTES
thésie psychique, elle peut aussi produire une division de
conscience, puisque les deux phénomènes sont, jusqu'à un
certain point, équivalents; notre nouvelle étude se rattache
donc à la précédente; peut-être aussi est-ce la même étude
qui va continuer, sous une forme un peu différente.
La distraction est une anesthésie passagère, a-t-on dit,
et l'anesthésie (psychique) est une distraction permanente.
L'hystérique, dont le bras est insensible, se trouve à peu
près dans la même situation d'esprit que si elle ne pensait
jamais à son bras, si elle s'en désintéressait, si elle fixait
ailleurs toutes les forces de son attention. Eh bien, faisons-
en l'expérience, retenons sur un point l'attention de cette
hystérique, et examinons les effets spéciaux de la division
de conscience par distraction.
Les premières expériences ont été faites par M. Pierre
Janet, sur des malades hystériques. C'est à ses recherches
"que nous devons une étude très détaillée de la distraction
dans ses rapports avec les phénomènes inconscients.
La production de Tinconscience par distraction repose sur
des données psychologiques connues; cependant j'avoue
avoir longtemps hésité à m'engager dans cette voie, faute de
preuves objectives suffisantes, car l'état de distraction ne
peut pas se constater avec autant de précision qu'une anes-
thésie. M. Pierre Janet a eu raison de ne pas se laisser
arrêter par des scrupules que je reconnais moi-même un
peu exagérés.
Les expériences qu'il a faites sont plus faciles à répéter
et à contrôler qu'on ne le croirait de prime abord. On pour-
rait s'imaginer que si complète que soit l'attention, la dis-
traction qu'elle amène ne vaut point une anesthésie véri-
table. Ceci serait vrai pour une personne normale. Essayons
de la distraire, d'occuper ailleurs son attention, nous n'y
réussirons qu'avec peine. Pendant qu'on l'engage dans
une conversation avec une tierce personne ou qu'on lui
fait lire un ouvrage intéressant, elle garde une arrière-
pensée qui l'empêche de se livrer entièrement à ces occu-
pations; et malgré elle, de temps en temps, son attention
LA DISTRACTION 129
oscille, et se porte précisément sur les points qu'on veut
lui dérober.
Il en est tout autrement chez les hystériques. On ne
saurait croire avec quelle facilité l'attention de ces malades
se laisse distraire; dès qu'elles causent avec une autre per-
sonne, elles vous oublient et ne savent plus qu'on est dans
la chambre; ces malades ont, comme dit M. Janet, un
rétrécissement du champ de la conscience. Profilant de
l'état de distraction produit, on n'a qu'à s'approcher par
derrière et prononcer quelques mots à voix basse pour se
mettre en relation avec le personnage inconscient. La
phrase n'est point entendue par la personnalité principale,
dont l'esprit est ailleurs; mais le personnage inconscient
l'écoute et en fait son prolît.
Au moyen d'artifices très simples, que la moindre habi-
tude suggère à chacun, on commence par s'assurer que
la communication s'est établie; on donne à l'inconscient
de menus ordres, on lui dit de mettre la main sur la
table, ou de remuer la tête, etc. Si l'ordre est exécuté, et
si d'autre part la personne principale semble ne pas l'en-
tendre et continue son occupation, lecture ou conversation,
il est vraisemblable que la division de conscience s'est déjà
opérée, et on n'aura plus qu'à continuer l'usage des mêmes
procédés pour que cette division s'accuse davantage.
Il est en effet bien curieux de voir avec quelle rapidité
l'inconscient se développe dans les expériences de ce genre.
L'effet est plus saisissant, quoique peut-être moins sûr,
que dans les expériences pratiquées sous le couvert de
l'anesthésie. Ce que nous avons étudié jusqu'ici, dans les
chapitres sur l'anesthésie hystérique, se réduit en somme à
peu de chose : quelques petits mouvements de la main ou du
corps, mouvements isolés, qu'il a fallu suivre de près pour
y trouver de l'intelligence; et ce n'est que par un hasard
exceptionnel que l'inconscient prononce quelques mots.
Par cette méthode, on arrive à se convaincre que cet
inconscient existe, on donne même une démonstration
excellente de son existence, mais on ne sait pas au juste ce
A. BiNET. 9
130 LES PERSONNALITÉS COEXISTANTES
qu'il pense ni ce qu'il est. Si l'on cherche à causer avec lui
par l'intermédiaire de récriture, si on lui pose une ques-
tion ou si on lui donne un ordre, on n'obtient pas la
réponse désirée et l'ordre n'est pas exécuté ; fait-on écrire à
la main : « levez-vous », le sujet le plus souvent ne se lève
pas. Sa main insensible se contente de répéter l'ordre donné
en l'écrivant spontanément une seconde fois \
Le procédé de la distraction, employé sur les mêmes
personnes, donne des résultats bien meilleurs, car la ques-
tion posée reçoit une réponse intelligente, et l'ordre donné
est exécuté dans son sens véritable. Il y a donc une grande
différence entre les effets des deux méthodes; ce n'est, bien
entendu, qu'une différence de degré, qui tient au déve-
loppement qu'a pris le personnage inconscient; en outre,
on trouve des malades qui font la transition, et chez
lesquels l'ordre transmis, de quelque façon que ce soit,
est exécuté ponctuellement. Néanmoins il est utile de
signaler une différence qui présente un grand intérêt
psychologique.
Rien n'est instructif comme les conversations qu'on peut
entretenir avec le personnage inconscient. Il faut d'abord
que l'expérimentateur indique à ce personnage comment
celui-ci transmettra les réponses; les moyens sont nom-
breux ; il y en a un qui consiste dans les gestes de la main ;
on conviendra que le sujet répondra oui ou non en agitant
l'index; ceci ne va pas loin; on peut aussi avoir recours à
l'écriture automatique; on glisse un crayon dans la main
du sujet, puis, au lieu de diriger la main, car dans ce cas
elle répéterait indéfiniment l'impulsion graphique commu-
niquée, on pose une question à voix basse : « Quel est
votre nom? », etc., et la main écrit la réponse. On pourrait
encore convenir avec l'inconscient qu'il doit répondre ver-
balement. L'échange des idées une fois établi, on arrive à
1. Renouvelant une ancienne théorie de Maine de 13iran, et s'inspirant
des idées ingénieuses de M. Fouillée sur les dégradations de la conscience,
M. Pierre Janet a essayé de montrer que dans ces expériences et dans
d'autres analogues, il se produit une conscience impersonuelie sans idée
flu rnoi (op. cil., p. 42).
LA DISTRACTION 131
bien connaître l'inconscient et à résoudre de la sorte une
foule de problèmes. Nous aurons à indiquer, dans la troi-
sième partie de notre ouvrage, plusieurs applications ins-
tructives de ce procédé d'étude.
Pour le moment, nous examinerons quatre points : 1° les
perceptions du personnage subconscient; 2° l'étendue de
sa mémoire ; 3" l'idée qu'il se fait de sa personnalité; 4° sa
suggestibilité.
Les perceptions de V inconscient. — Pour les perceptions,
l'observation qu'il est le plus important de faire, c'est que
le personnage subconscient perçoit les sensations provo-
quées sur des régions anesthésiques. Pour lui, l'anesthésie
n'existe point ; elle n'existe qu'au regard de la personne
principale. Aussi peut-on, en utilisant les divers genres de
signaux que nous avons énumérés, mesurer exactement la
sensibilité d'une région soi-disant anesthésique; un esthé-
siomètre est promené sur la peau, et le personnage sub-
conscient répond par signes s'il sent une pointe ou deux.
M. Pierre Janet qui a employé ce procédé a vu que la sen-
sibilité peut être assez fine, aussi fine que celle des régions
normales. J'incline à croire qu'elle peut l'être davantage.
On ne sait pas au juste si le personnage subconscient
perçoit aussi ce que perçoit la conscience normale; les
auteurs font des réserves sur ce point, qui appelle de nou-
velles études.
Mémoire de l'inconscient. — En ce qui concerne la
mémoire, on peut s'assurer que le personnage subconscient
se rappelle exactement tout ce qu'on lui a fait faire à une
époque antérieure, en employant les mêmes procédés : lui
a-t-on cité un fait, il y a huit jours, il y a un an, le fait
n'est pas oublié ; et à la condition qu'on se mette en rela-
tion avec lui par les mêmes moyens, on pourra lui faire
répéter ce qu'on lui a dit. — C'est donc le même inconscient
qu'on a évoqué à des moments différents, et la mémoire
prouve qu'il reste le même dans ses apparitions successives.
Seulement, il faut tenir compte d'une circonstance impor-
tante qui parfois change les résultats attendus. L'incon-
132 LES PERSONNALITÉS COEXISTANTES
scient est électif; appelé à l'existence, ou développé par une
personne, il se rappelle cette personne, il lui obéit de pré-
férence aux autres, avec cette complaisance qui est un
des caractères des somnambules, et l'inconscient qui est
habitué à communiquer avec tel expérimentateur peut ne
pas vouloir répondre à un autre. Il en résulte que la
première personne venue n'est souvent pas capable de
retrouver chez un sujet les phénomènes subconscients qui
ont été étudiés par l'expérimentateur habituel. Nous avons
déjà signalé un fait semblable dans l'état d'anesthésie; il
s'agissait alors d'obliger le bras anesthésique soulevé à
conserver la pose; le bras n'obéit pas. toujours, disions-
nous; il peut rester en l'air quand une personne le sou-
lève, et retomber quand c'est une autre. C'est un phéno-
mène électif, c'est-à-dire un phénomène très complexe, qui
se compose de sensations, de perceptions, de sympathies et
d'antipathies ; il n'est pas étonnant de retrouver ces mêmes
électivités dans des conditions où l'inconscient est très
développé.
Personnalité de l'inconscient. — Passons maintenant à
l'étude de la personnalité. Grâce à l'état de distraction il
s'est produit une personnalité complète. En efïét, comme
le remarque M. Pierre Janet, « l'écriture subconsciente
emploie à chaque instant le mot « je » ; elle est la mani-
festation d'une personne, exactement comme la parole
normale du sujet.... J'eus un jour avec Lucie la conversa-
tion suivante, pendant que son moi normal causait avec
une autre personne. M'entendez- vous, lui dis-je? — (Elle
répond par écrit.) Non. — Mais pour répondre il faut
entendre. — Oui, absolument. — Alors, comment faites-
vous? — Je ne sais. — Il faut bien qu'il y ait quelqu'un
qui m'entende? — Oui. — Qui cela? — Autre que Lucie.
— Ah! bien, une autre personne. Voulez-vous que nous
lui donnions un nom? — Non! — Si, ce sera plus commode.
— Eh bien, Adrienne. — Alors, Adrienne, m'entendez-
vous? — Oui. »
Il est évident que M. Janet, en baptisant ce personnage
LA DISTRACTION 133
inconscient, mieux encore, en affirmant que quelqu'un doit
exister pour lui répondre, M. Janet, dis-je, a beaucoup aidé
à sa formation ; c'est même lui qui l'a créé par suggestion.
Le procédé de la distraction présente cet avantage, ou si
l'on veut, cet inconvénient, qu'il permet à la suggestion de
s'exercer avec une puissance considérable.
Néanmoins, il faut bien remarquer que si la personnalité
d' « Adrienne » a pu se créer, c'est qu'elle a rencontré une
possibilité psychologique; en d'autres termes, il y avait là
des phénomènes désagrégés, vivant séparés de la con-
science normale du sujet; la désagrégation a préparé le
personnage inconscient, et pour que celui-ci réunît et cris-
tallisât ces éléments épars, il a fallu bien peu de chose. Du
reste, l'expérience ne fait que renouveler ici l'œuvre de la
nature; il n'y a point eu de suggestion spéciale dans l'es-
prit de Félida, de Louis V... et de tant d'autres, chez les-
quels toute une portion séparée de la conscience normale
s'est organisée en personnalité secondaire.
11 est à remarquer que le personnage subconscient
désigne en général le moi normal à la troisième personne,
et l'appelle Vautre. Quand on demande à ce personnage s'il
est bien la personne éveillée, le plus souvent il proteste,
et prétend qu'il n'a rien de commun avec cette personne.
Nous avons vu de même une malade de M. Pitres,
qui, mise en somnambulisme, appelle l'autre la personne
éveillée.
Suggestibilité de rinçons cietit. — Arrivons aux sugges-
tions qu'on peut faire exécuter au personnage inconscient;
la suggestibilité doit être considérée, avons-nous vu,
comme un des meilleurs caractères de l'état mental que
produit la distraction ; nous entendons ici par suggestion,
car il faut toujours définir ce mot vague, une idée qu'une
personne met en œuvre en se rendant compte de ce qu'elle
fait. C'est de la suggestion intelligente par opposition à la
suggestion automatique. Dans la division de conscience
qui résulte de l'anesthésie, les suggestions ainsi comprises
ne produisent pas souvent d'effet, faute d'une intelligence
134 LES PERSONNALITÉS COEXISTANTES
suffisante pour les comprendre; les actes et mouvements
du sujet résultent d'un automatisme de sensations et
d'images; ici, le personnage inconscient que la distraction
a découpé dans la personnalité normale possède assez
d'intelligence pour comprendre le sens de l'ordre mur-
muré à voix basse; il va donc pouvoir exécuter des mouve-
ments et des actes dont la conscience normale ne connaîtra
pas l'origine.
Il se produit alors une situation psychologique que nous
avons déjà rencontrée une fois, et sur laquelle le moment
est venu d'insister. Yoici une hystérique à qui, pendant
qu'elle est assise et cause avec une autre personne, on a
dit de se lever et de tirer sa montre; par suite de son état
de distraction, elle n'a pas entendu ce qu'on lui disait; l'in-
conscient a entendu et va s'exécuter; jusqu'ici, rien de
plus simple, tout se comprend, mais une difficulté se pré-
sente maintenant. Il faut que l'hystérique se lève, quitte sa
chaise, pour obéir à l'ordre reçu ; il faut que ses mains se
portent à son corsage, et tirent la montre, comme on le lui
a dit. De quelle façon ces actes pourront-ils s'accomplir?
Le conscient et l'inconscient vont se trouver en présence,
en face l'un de l'autre; vont-ils se voir et se recon-
naître?
A cette question, une réponse unique est impossible. Un
grand nombre de variations ont lieu, d'un sujet à l'autre,
dans l'exécution des actes provoqués pendant un état de
distraction; tout dépend du sujet et de la nature de la sug-
gestion. En général, d'après le récit de M, Pierre Janet, que
nous prenons pour guide dans ces descriptions, la con-
science principale du sujet reste éveillée, mais elle ignore
l'acte qui s'accomplit. On a dit à voix basse : » Dénouez
votre tablier. » Les mains s'avancent tout doucement et le
tablier est dénoué; il tombe sans que le moi normal s'en
soit aperçu.
« Un jour, dit M. Janet *, Léonie tout affairée causait
1. op. cit., p. 239.
LA DISTRACTION 135
avec des personnes présentes et m'avait complètement
oublié; je lui commandai tout bas de faire des bouquets de
fleurs pour les offrir aux personnes qui l'entouraient. Rien
n'était curieux comme de voir sa main droite ramasser une
à une des fleurs imaginaires, les déposer dans la main
gauche, les lier avec une ficelle aussi réelle et les offrir
gravement, le tout sans que Léonie s'en fût doutée ou ait
interrompu sa conversation. »
Il y a beaucoup de malades hystériques qu'on ne peut
pas suggestionner à l'état de veille, ou plus exactement, car
tout est relatif, qui peuvent résister aux suggestions de tel
et tel expérimentateur; elles discuteront l'ordre, et s'il ne
leur plaît pas, elles ne l'exécuteront pas. La suggestion par
distraction permet de les surprendre, et les obhge à obéir,
car leur personnalité principale n'entend pas la suggestion,
et par conséquent ne peut pas s'y opposer, et l'acte
ordonné s'exécute à l'insu des malades.
Ce qui est un procédé commode de suggestion peut
devenir d'autre part l'occasion de grossières erreurs dans
les expérimentations.
Il est prudent que les expérimentateurs pensent souvent
à cet inconscient qui existe chez les hystériques, même à
l'état de veille; il faut apprendre à s'en méfier, et bien
savoir qu'alors que l'hystérique consciente ne voit pas et
n'entend pas, l'inconscient peut voir et entendre, et par
conséquent recevoir des suggestions. Tout se passe, en
somme, quand on étudie une hystérique, comme si on
expérimentait sur le plus rusé des fourbes.
Le danger est d'autant plus grand qu'il est permanent;
il subsiste dans tous les états naturels ou artificiels, si
nombreux et si variés, par lesquels peut passer une hys-
térique.
136 LES PERSONNALITES COEXISTANTES
II
Nous avons terminé la description des procédés qui per-
mettent de découvrir des consciences et des personnalités
secondaires chez l'hystérique éveillé. Les conclusions aux-
quelles nous sommes parvenus sont trop complexes pour
tenir dans une formule simple ; le fait le plus important qui
s'en dégage, c'est la division de conscience, c'est-à-dire la
juxtaposition de plusieurs existences psychologiques qui
ne se confondent pas. Cette conclusion, nous l'avons déjà
trouvée dans des recherches un peu différentes, quand nous
avons examiné la survivance partielle d'un état somnambu-
lique pendant la veille; on se rappelle dans quelles circon-
stances cette survivance peut être mise en lumière, d'après
M. Gurney; l'écriture automatique provoquée pendant
la veille garde le souvenir de ce qui s'est passé pendant
l'état somnambulique, et on peut en conclure que le moi
somnambulique subsiste à quelque degré pendant la
veille.
Il reste à montrer, pour achever la démonstration, que
le moi secondaire formé à la faveur de l'anesthésie ou de
la distraction ne fait qu'un avec le moi somnambuhque.
C'est le moi somnambuhque lui-même, qui se montre ici et
là dans des conditions un peu différentes. M. Pierre Janet
l'a établi par des expériences qui ne laissent aucun
doute.
L'état de la mémoire a servi à cette démonstration; c'est
par la mémoire que l'on parvient à distinguer et à déli-
miter des personnalités coexistantes; c'est aussi par la
mémoire qu'on est parvenu à s'assurer que des états
psychologiques qui apparaissaient à des moments diffé-
rents et dans des occasions différentes sont les mêmes. Si
l'on donne au personnage subconscient de la veille un ordre
ou une idée, en lui murmurant quelques paroles à l'oreille,
la conscience normale ne sait rien et n'entend rien; il faut
LA DISTRACTION 137
placer le sujet en somnambulisme, et pour cela se servir
des procédés connus et décrits plus haut (chapitre III) ; puis
on l'interroge, et on constate que le plus souvent il a gardé
le souvenir de la parole prononcée et peut la répéter. S'il
s'en souvient, c'est qu'il se trouve dans la même condition
psychologique que le personnage subconscient de l'état de
veille, c'est que c'est bien lui qui a entendu; la mémoire
sert à réunir ces divers éLats et nous en montre l'identité.
Il est important d'ajouter que ces continuités de person-
nalités, dont nous venons de faire une description toute
schématique, peuvent se comphquer beaucoup; il arrive
parfois que le souvenir qu'on cherche à retrouver ne se
réveille pas pendant un premier somnambulisme; pour le
reproduire, il faut, une fois le sujet en somnambulisme,
l'hypnotiser de nouveau comme s'il ne l'était pas déjà; on
fait naître ainsi, chez certaines hystériques, un second
somnambulisme, et même un troisième, qui se distinguent
des précédents par un état différent de la mémoire. Ces
faits ont été observés par MM Gurney, Pierre et Jules Janet.
Une autre considération, empruntée aussi aux précé-
dents auteurs, permet de rattacher le moi somnambuHque
au moi subconscient de veille, c'est que les actes subcon-
scients de la veille, en se développant, amènent le somnam-
bulisme.
« J'avais déjà remarqué, a rapporté M. Pierre Janet, que
deux sujets surtout, Lucie et Léonie, s'endormaient fré-
quemment malgré moi au miheu d'expériences sur les
actes inconscients à l'état de veille, mais j'avais rapporté
ce sommeil à ma seule présence et à leur habitude du som-
nambulisme. Le fait suivant me fit revenir de mon erreur.
M. Binet avait eu l'obligeance de me montrer un des sujets
sur lesquels il étudiait les actes subconscients par anes-
thésie, et je lui avais demandé la permission de reproduire
sur ce sujet les suggestions par distraction. Les choses se
passèrent tout à fait selon mon attente : le sujet (Hab...)
bien éveillé causait avec M. Binet; placé derrière lui, je lui
faisais à son insu remuer la main, répondre à mes ques-
138 LES PERSONNALITÉS COEXISTANTES
lions par signes, etc. Tout d'un coup, Hab... cessa de
parler à M. Binet, et se retournant vers moi, les yeux
fermés, continua correctement, par la parole consciente, la
conversation qu'elle avait commencé avec moi par signes
subconscients \ d'autre part, elle ne parlait plus du tout à
M. Binet, elle ne l'entendait plus, en un mot elle était
tombée en somnambulisme électif. Il fallut réveiller le
sujet, qui naturellement avait tout oublié à son réveil. Or,
Hab... ne me connaissait en aucune manière; ce n'était
donc pas ma présence qui l'avait endormie; le sommeil
était donc bien ici le résultat du développement des phé-
nomènes subconscients, qui avaient envahi, puis effacé la
conscience normale *. »
Toutes ces expériences nous conduisent à une même
conclusion : la sous-conscience que nous venons de voir à
l'œuvre est identique avec la conscience somnambulique;
c'est un fragment de la vie somnambuhque qui survit à
l'état de veille. 11 y a longtemps déjà que M. Richet, devan-
çant le résultat d'expériences précises, et se laissant guider
par de simples vues de l'esprit, supposait qu'il existe chez
beaucoup de personnes même éveillées un état d'hémi-
somnambulisme, permettant à une conscience qui n'est pas
la leur d'accomplir des actes intelligents.
(( Supposons, dit-il, qu'il y ait chez quelques individus
un état d'hémi-somnambuhsme tel qu'une partie de l'encé-
phale perçoive des pensées, reçoive des perceptions, sans
que le moi en soit averti. La conscience de cet individu
persiste dans son intégrité apparente; toutefois des opé-
rations très compHquées vont s'accomplir en dehors de la
conscience sans que le moi volontaire et conscient paraisse
ressentir une modification quelconque. Une autre personne
sera en lui qui agira, pensera, voudra, sans que la con-
science, c'est-à-dire le moi réfléchi, conscient, en ait la
moindre notion -. »
1. op. cit., p. 329.
2. Rev. phiL, 18S4, II, p. GSiO.
LA DISTRACTION 139
M. Richet a raison de donner à cet état le nom d'hémi-
somnambulisme; ce terme indique la parenté de cet état
avec le somnambulisme véritable, et ensuite il laisse
comprendre que la vie somnambulique qui se manifeste
durant la veille est réduite, déprimée, par la conscience
normale qui la recouvre. Le personnage somnambulique
perd pendant la veille la liberté de ses allures; son cercle
d'existence est tout à fait rétréci, et sans l'élude de la
mémoire, qui nous sert de fil conducteur dans nos recher-
ches, on ne se serait jamais douté que ces deux êtres n'en
font qu'un.
CHAPITRE VI
LES ACTIONS VOLONTAIRES ET INCONSCIENTES
I. Les relalions des consciences distinctes. — Leur étude dans l'exécution
des mouvements volontaires. • — Définition de l'activité motrice volon-
taire. — Importance des impressions kinesthésiques.
II. Situation mentale d'une hystérique anesthésique. — Perte des sensa-
tions et des images motrices. — Conservation de la faculté de coordina-
tion. — Observations de M. Charcot et d'autres auteurs. — Interpréta-
tion proposée de ces expériences. — La théorie du courant centrifuge.
— Discussion et réfutation de cette théorie. — Rôle méconnu de la divi-
sion de conscience.
III. Étude détaillée de l'écriture tracée avec une main insensible, les yeux
fermés. — Plusieurs catégories de malades. — Les images visuelles direc-
trices. — Correspondance entre les images visuelles et les mouvements.
IV. Autres caractères des mouvements exécutés par les membres anesthé-
siques. — Diminution dans la force de pression au dynamomètre. —
Allongement du temps physiologique de réaction. — Forme particulière
de la contraction. — Durée de l'état de contraction.
I
On a vu jusqu'ici comment chez une même personne
plusieurs faits de conscience peuvent vivre séparément
sans se confondre, et donner lieu à l'existence simultanée
de plusieurs consciences, et même, dans certains cas, de
plusieurs personnalités. Nous avons surtout insisté sur la
séparation des consciences; c'était le premier fait à bien
mettre en lumière. Nous devons maintenant montrer que
si ces consciences sont séparées à un certain point de vue,
elles peuvent être réunies à un autre point de vue, elles
LES ACTIONS VOLONTAIRES ET INCONSCIENTES 141
peuvent entretenir l'une avec l'autre des relations. Ce sont
là des phénomènes très complexes, et très intéressants
pour la psychologie.
Cette question n'a pour ainsi dire pas d'historique ; je crois
avoir été le premier à la traiter dans mes articles de la Revue
philosophique, et M. Pierre Janet l'a enrichie ensuite de
plusieurs faits curieux; je montrerai, dans la Bipartie de ce
livre, combien l'étude des rapports entre les consciences
distinctes éclaire les suggestions classiques du somnambu-
lisme, dont une foule de détails sont restés jusqu'ici inexpli-
qués. Les relations de deux consciences peuvent prendre
deux formes distinctes, l'antagonisme et la collaboration.
Nous étudierons d'abord, dans ce chapitre, leur collaboration.
Si l'on suit avec attention les mouvements et les actes
d'un sujet qui a perdu la sensibilité consciente dans un
ou plusieurs de ses membres, on n'a pas de peine à saisir
sur le fait le personnage subconscient au moment où il
intervient pour aider de son travail silencieux la pensée
ou la volonté de la conscience principale. Mais on ne peut
bien comprendre ce rôle de l'inconscient que si on a une
idée de l'activité motrice normale.
Cette activité motrice a été très bien analysée par M. Wil-
liam James dans son remarquable mémoire sur le Sens
de VEffort. Lorsque, dit-il en résumé, un sujet normal
exécute, les yeux ouverts, avec un membre qui n'est ni
paralysé ni insensible, une action volontaire, simple ou
comphquée, ce mouvement implique tout d'abord certains
états préparatoires, qui sont : 1° une idée préalable de la
fin que le sujet désire atteindre; 2° un fiat, un ictus de la
volonté; puis au moment du passage de la volonté à l'acte,
d'autres éléments interviennent; un événement physiolo-
gique; 3" les contractions musculaires appropriées; et un
événement psychique; 4° la perception sensible du mouve-
ment, à mesure qu'il s'exécute.
Mettons à part les contractions musculaires, qui sont
d'ordre purement physiologique; mettons aussi à part le
fiât de la volonté, qu'il est difficile d'analyser, et dont nous
142 LES PERSONNALITÉS COEXISTANTES
n'aurons pas à nous occuper par la suite ; il reste deux faits
principaux : i° la représentation du mouvement, avant
qu'il s'accomplisse, et 2° la perception du mouvement,
à mesure qu'il s'accomplit. C'est sous ces deux formes que
notre intelligence entre en relation avec l'activité motrice
de nos membres : une représentation antérieure au
mouvement et une perception postérieure; un état de
conscience modèle., et un état de conscience copie.
La représentation antérieure, à quoi sert-elle? à déter-
miner la nature et la forme du mouvement; c'est un mo-
dèle mental du mouvement, un modèle que notre membre
cherche en quelque sorte à copier; si je veux asséner un
coup de poing, et que je réfléchisse à mon acte quelque
temps avant de l'accomplir, j'ai la représentation de ma
main qui se ferme et de mon bras qui se lève. En quoi
consiste cette représentation de l'acte? en perceptions de
mouvement renouvelées ; chez un sujet normal, cette
représentation est très riche; elle est composée d'images
visuelles, tactiles, musculaires et autres; on voit son poing
qui se lève, et en même temps, on a la sensation anticipée
de ce qu'on va éprouver dans le bras et dans la main au
moment de la contraction. Dans les actes réflexes, les
actes idéo-moteurs, l'expression des émotions, les actes
associés en série, etc., la notion consciente qui précède le
mouvement paraît s'effacer et perdre son importance; ces
cas mériteraient une discussion à part, que nous n'avons
pas le temps de faire; nous nous en tenons à un acte
hautement volontaire, et bien réfléchi, dans lequel on a la
représentation de l'acte avant de l'accomplir.
Tel est l'état de conscience qui précède le mouvement ;
celui qui le suit, ou plutôt l'accompagne à mesure qu'il
s'exécute, est aussi important que le précédent; car c'est
lui qui permet de coordonner le mouvement, de le diriger,
de le rectifier quand le but est manqué. Comment se fait ce
contrôle?
Supposons, par exemple, que notre main soit posée sur
nos genoux, ouverte; nous voulons la fermer, et nous la
LES ACTIONS VOLONTAIRES ET INCONSCIENTES 143
fermons. Gomment savons-nous qu'elle est fermée? D'abord
nous le savons parce que nous avons conscience de notre
volonté ; mais une cause quelconque aurait pu s'opposer à
notre mouvement, et notre acte de volonté serait resté
identique; avoir conscience de sa volonté, ce n'est donc
pas avoir conscience du mouvement lui-même ; ce qui
nous permet de percevoir le mouvement à mesure qu'il
s'exécute, c'est la vue et la sensibilité du membre qui agit.
Ces deux ordres de sensations sont de nature centripète;
ce sont des faits extérieurs, transmis au cerveau par les
nerfs sensitifs; ce sont, de plus, des impressions consécu-
tives au mouvement exécuté; elles sont postérieures au
mouvement, elles en sont la copie; elles donnent au sujet
le sentiment de l'énergie qui a été déployée.
Le premier et le plus simple moyen d'information est
celui de la vue. Lorsque l'individu a les yeux ouverts et
fixés sur son membre en action, il est informé par sa per-
ception visuelle de la position occupée par son membre
et de l'acte exécuté. S'il écrit, la vue de sa plume lui
apprend à chaque instant, et avec une précision parfaite,
la lettre qu'il vient de tracer. La vue n'est pas seulement le
témoin du mouvement, elle en est aussi, et par voie de
conséquence, le régulateur; elle le précise, le rectifie, le
corrige. Lorsqu'on ferme les yeux, les mouvements diffi-
ciles ou inusités deviennent incertains, et l'on sait à quel
point une personne qui commence à jouer du piano a besoin
du contrôle visuel pour ne pas faire de fausses notes.
. Le sens de l'ouïe nous fournit une autre source d'infor-
mations, mais de valeur bien moindre. On peut, les yeux
fermés, se rendre compte qu'on écrit en écoutant le bruit
de la plume sur le papier. Mais c'est surtout pour connaître
la qualité des sons émis par la voix que l'oreille nous est
utile. Le rôle de direction qu'elle exerce sur les mouve-
ments des organes vocaux est tout à fait remarquable; on a
souvent observé que les sourds ont une parole rude et peu
harmonieuse, parce qu'ils ne s'entendent pas parler et qu'ils
ne peuvent pas régler l'émission de leur voix.
144 LES PERSONNALITÉS COEXISTANTES
En troisième lieu, des notions sur le mouvement accom-
pli nous viennent des sensations que l'on rapporte à la sen-
sibilité générale; ces sensations, plus obscures et plus mal
définies que les précédentes, sont extrêmement nombreu-
ses; tout d'abord, lorsqu'on exécute un mouvement diffi-
cile, la bouche se ferme, la glotte se resserre, la respiration
s'arrête ou précipite ses mouvements ; ces synergies muscu-
laires doivent contribuer, selon Ferrier et W. James, à la
genèse de la sensation de l'eftbrt; en outre, il se produit
d'autres sensations, mieux localisées, qui proviennent
directement des membres en action; lorsqu'on meut son
bras ou sa jambe, les yeux fermés, on sent que le membre
se déplace; sans doute on a connaissance du mouvement
par le seul fait qu'on a conscience de la volonté qui le com-
mande; mais ce n'est pas tout; il y a une impression spé-
ciale, d'origine périphérique, qui nous avertit de la con-
traction de nos muscles volontaires; nous connaissons
l'énergie, la durée, la vitesse, l'étendue, la direction de
nos mouvements; nous connaissons la situation de nos
membres et des différentes parties de notre corps; enfin,
nous connaissons les mouvements actifs et passifs exécutés
par notre corps pris en totalité. Ces impressions de mouve-
ments (sensations kinesthésiques de Bastian) auxquelles la
psychologie moderne fait jouer un rôle considérable, déri-
vent probablement des muscles contractés, des ligaments
tirés, des articulations comprimées, de la peau tendue ou
relâchée, plissée ou froissée. Ce sont elles qui, indépen-
damment de la vue, nous donnent la notion de la résistance
des corps, de leur poids, de leur consistance, de leur forme.
Seulement, on n'est pas encore parvenu à déterminer avec
certitude ce qui, dans ces sensations totales de mouvement,
revient au muscle, à la peau, aux surfaces articulaires \
\. Pour rélude de cette quesliou, je renvoie à rimporlant ouvrage de
M. lîeaunis : les Serisatiovs inferves. (Bibl. scient, inter.).
LES ACTIONS VOLONTAIRES ET LNGONSCIENTES
II
Si maintenant on considère un hystérique présentant
un membre insensible, on pensera que ce malade est apte
à nous montrer, par la méthode de différence, quelles sont
les fonctions remplies par la sensibilité de la peau, du
muscle et de l'articulation. En effet, les malades de ce
genre, dès qu'ils cessent de voir leurs membres insensibles,
n'ont plus de conscience de leur position; ils ignorent s'ils
sont en état de flexion ou d'extension, ils ne sentent pas
quels sont les mouvements passifs que l'expérimentateur
leur imprime. Briquet parle d'une hystérique, à ce point
insensible de tout le corps qu'on pouvait, après lui avoir
bandé les yeux, l'enlever de son lit et l'étendre par terre
sans qu'elle eût la moindre idée de ce qui s'était passé.
Elle comparait la sensation qu'elle éprouvait ordinairement
à ce que devrait éprouver une personne suspendue en l'air
par un ballon. J'ai observé à la Salpêtrière un certain
nombre d'hystériques qui sont anesthésiques totales et sur
lesquelles il est facile de répéter des expériences analogues
à celle de Briquet.
Les auteurs ont donc cherché, depuis longtemps, à pro-
fiter de l'expérience toute faite que leur offre la maladie
hystérique; il a paru important de savoir quels sont les
désordres de l'activité volontaire qui sont produits chez les
hystériques par la perte des sensations kinesthésiques. Ce
mode de recherche n'offre aucune difficulté; on prie le
sujet de fermer les yeux, ou mieux encore on lui cache la
tête derrière un écran et, ceci fait, on l'invite à exécuter un
certain nombre d'actes, simples ou compliqués, avec son
membre insensible.
Quand l'expérience est disposée de la sorte, dans quelle
situation le sujet se trouve-t-il placé? Pour voir ce qui lui
manque, reportons-nous au schéma de l'activité volontaire
et normale. L'hystérique conserve la faculté de vouloir le
A. BlNET. 10
146 LES PERSONNALITES COEXISTANTES
mouvement, ce que nous avons appelé d'un mot sommaire
le fiât de la volonté. Les muscles, n'étant point paralysés,
peuvent se contracter. Tout ceci subsiste, mais les deux
états de conscience modèle et copie sont gravement atteints.
D'abord la perception du mouvement , à mesure qu'il
s'exécute, est supprimée; plus de sensations visuelles,
puisqu'on interpose un écran; plus de sensations tactiles et
kinesthésiques en retour, puisque le membre est anesthé-
sique. Ainsi, le sujet cesse d'être en communication avec
son membre, il n'en reçoit plus de nouvelles. Voilà pour
l'état de conscience copie. Quant au modèle^ cette repré-
sentation si complexe et si ricbe chez une personne nor-
male, nous allons voir qu'elle s'est notablement appauvrie.
En effet, le sujet ne peut plus se représenter le mouve-
ment sous la forme motrice ; il a perdu à la fois les sensa-
tions kinesthésiques et les images correspondantes; c'est
du moins la règle; l'anesthésie d'un sens entraîne en
général la perte de la mémoire de ce sens '. A défaut
d'image motrice pour se représenter l'acte avant de l'exé-
cuter, l'hystérique peut faire appel à d'autres images, qui
jusqu'à un certain point remplaceront les précédentes; il
pourra surtout employer les images visuelles, si du moins
il a une bonne mémoire visuelle, ce qui n'est pas toujours
le cas; il se fera donc tant bien que mal une représenta-
tion mentale du mouvement à accomplir. Les images
auditives ne peuvent guère lui servir. L'image visuelle
est en somme tout ce qui lui reste.
Pas absolument tout, cependant : nous avons mentionné
simplement la perte des sensations kinesthésiques; ce n'est
pas une perte complète, absolue, ou, du moins, cette perte
n'a lieu que pour la personnalité principale ; tout ce qu'on
doit admettre, c'est que le moi principal du sujet a perdu
la perception de ces sensations; mais à côté et en dehors
de ce moi, il y a une autre conscience capable de recueillir
et de coordonner les sensations qui sont en apparence per-
1. Il y a, je crois, des exceptions à cotte rè{:(le : on peut dire seulement
que très fréquemment l'anestliésie d'un sens en entraîne l'amnésie.
LES ACTIONS VOLONTAIRES ET INCONSCIENTES 147
dues; nous en avons donné déjà de nombreuses preuves.
Du reste, il suffit de quelques expériences très simples
pour mettre en lumière la collaboration des deux person-
nalités. Il est beaucoup de sujets qui corrigent à leur insu
la déviation qu'on imprime à leur main pendant que celle-
ci exécute un mouvement volontaire. Ainsi on leur laisse
croire que leur main insensible est sur les genoux; on
l'éloigné doucement du corps et on la place dans une posi-
tion insolite : puis on commande au sujet, qui a les yeux
fermés, de toucher son front avec la main insensible, qui
est, croit-il, sur ses genoux. Il y a des malades dont la
main est désorientée; d'autres au contraire corrigent sans
le savoir la déviation, et leur main insensible, qu'on l'élève
en l'air, ou qu'on la place derrière le dos, se dirige toujours
directement vers la figure.
Il est clair que chaque malade a sa façon propre de
réagir, ce qui tient à ce que les deux personnalités ne col-
laborent jamais de la même façon; chez les unes, la colla-
boration est tout à fait rudimentaire, chez d'autres elle est
au contraire si parfaite qu'il semble n'exister aucun trouble
de la sensibilité; entre ces deux extrêmes on trouve tous
•les intermédiaires.
Dressons, pour finir ces préliminaires, le bilan d'une
hystérique anesthésique. Elle a pour exécuter des mouve-
ments, quand elle ne se sert pas de la vue :
1° Sa mémoire visuelle, qui peut être excellente, ou pas-
sable, ou très mauvaise ;
2" Des sensations et images kinesthésiques qui forment
une sous-conscience, et cette sous-conscience peut être
plus ou moins bien coordonnée; tantôt elle prête un con-
cours très efficace à la personnalité principale, tantôt elle
ne lui sert de rien.
Nous voyons déjà toutes les complications que la théorie
prévoit dans l'exécution des mouvements. Il y en a quel-
ques autres, d'importance moindre, que nous passons sous
silence, pour simpUfier. Citons maintenant quelques obser-
vations.
148 LES PERSONNALITÉS COEXISTANTES
III
Les mouvements de récriture sont de ceux qui se con-
servent le mieux chez les hystériques anesthésiques; de
plus, ils se prêtent assez bien à l'analyse; aussi feront-ils
l'objet de notre première étude; nous allons résumer ici
des observations faites avec M. Féré sur une trentaine de
malades.
Ce sont ces expériences qui m'ont conduit à reconnaître
la division de conscience chez les hystériques. J'avais eu
l'idée a priori que si une hystérique écrivait les yeux
fermés avec sa main insensible, l'absence de sensations
musculaires se ferait gravement sentir et l'écriture serait
tout à fait incoordonnée. J'ignorais complètement, à ce
moment, la nature de l'anesthésie hystérique. Je fis l'expé-
rience et le résultat donna tort à mon idée préconçue. Je
fus amené alors, avec M. Féré, à étudier les sensations
kinesthésiques, et progressivement je constatai avec lui
le rôle des images visuelles et la séparation des cons-
ciences.
La plupart des malades hystériques peuvent écrire les
yeux fermés, avec leur main insensible; pour ces expé-
riences il faut préférer ceux qui ont la main droite
insensible. L'écriture tracée les yeux fermés ne diffère
pas beaucoup de l'écriture tracée les yeux ouverts; un
observateur non prévenu ne les distinguerait pas ; les
deux spécimens d'écriture ont la même grandeur, et nous
paraissent appartenir au même type graphique ; parfois
on observe le redoublement ou l'omission d'un jambage
ou d'une lettre, irrégularités légères que l'on retrouve
chez un sujet normal écrivant les yeux fermés; parfois
aussi l'écriture tracée les yeux fermés se dislingue par
son amplitude. Quand le malade est insensible de la
main gauche et écrit avec cette main, l'écriture peut être
renversée de droite à gauche; c'est ce qu'on appelle l'écri-
LES ACTIONS VOLONTAIRES ET INCONSCIENTES 149
ture « en miroir » ; mais le plus souvent les malades écri-
vent de gauche à droite, dans le sens normal.
Il est important de fixer avec précision quelles sont
les impressions éprouvées par le sujet hystérique au
moment où il écrit avec sa main insensible. Il s'agit là, il
est vrai, d'un état subjectif, qu'on ne peut connaître que
par conjecture, en interrogeant les malades et en essayant
de comprendre des explications qui ne sont pas toujours
claires. Cependant nous sommes convaincu que chez les
hystériques anesthésiques l'état psychique qui dirige les
mouvements de l'écriture n'est pas le même que celui d'un
scripteur normal. En effet, tous ceux qui ont de l'insensibi-
lité profonde dans le bras et la main s'accordent à dire
qu'ils ne se sentent pas écrire; en d'autres termes, ils n'ont
pas conscience du mouvement volontaire exécuté par leur
main. Aussi, les mouvements de l'écriture, exécutés par la
main anesthésique, sont-ils à la fois volontaires et incon-
scients. Au contraire, quand le sujet se sert de sa main
sensible, il a la notion des mouvements graphiques qu'il
exécute et il apprécie très bien la différence.
De plus, chez la plupart des malades, l'écriture incon-
sciente de la main insensible est guidée par un état de con-
science visuel; les sujets, interrogés avec précision, affir-
ment presque tous {\uils se voient écrivant ; cela veut
dire qu'ils se représentent dans leur esprit l'image de leur
main qui écrit, ou l'image de la lettre qu'ils écrivent; c'est
ce modèle que copie le mouvement graphique inconscient.
Bien entendu, ce fait n'est pas constant, il est seulement
assez général, et tient à ce que les malades appartiennent
au type visuel '. J'ai pu étudier à cet égard une malade
très intéressante, qui a si peu de mémoire visuelle qu'elle ne
peut pas se rappeler la couleur des yeux de ses meilleures
amies, à moins qu'on ait fait allusion devant elle à cette
couleur (alors, c'est la mémoire verbale qui intervient);
cette malade, quand elle écrit les yeux fermés avec sa
1. Sur l'existence du type visuel, voir ma Psychologie dit raisomiement,
cliap. I.
150 LES PERSONNALITES COEXISTANTES
main sensible, fait appel à la mémoire motrice; elle se
rend bien compte que les yeux fermés, elle ne copie pas
dans son esprit un modèle visuel; elle se représente le
mouvement qu'elle doit exécuter. Si on lui demande
d'écrire avec la main insensible, elle peut à peine tracer
quelques lettres informes; cela tient probablement à ce
que, dans ces conditions, la mémoire motrice l'abandonne;
en effet, elle ne peut se représenter, en termes musculaires,
les mouvements d'une main insensible; la sensation motrice
étant perdue pour sa conscience, l'image motrice l'est égale-
ment; et d'autre part, comme la malade n'a presque pas de
mémoire visuelle, il ne reste à sa disposition aucune image
pour guider sa main.
Les autres malades, qui ont une mémoire visuelle meil-
leure, sont obligés de recourir à un artifice pour écrire les
yeux fermés avec leur main insensible; ils ont soin de ne
pas fermer les yeux tout de suite; ils veulent regarder leur
main, quand elle tient la plume et qu'elle est déjà en posi-
tion sur le papier, afin de pouvoir se la représenter ensuite
avec plus de netteté et de force. Ce petit détail d'expérience
qui manque rarement peut servir à contrôler le témoi-
gnage des sujets.
Du moment que Thystérique, dans les conditions parti-
culières où on le place, ne sent pas sa main écrire, on peut
supposer qu'il ne peut pas davantage percevoir exactement
à quel moment il commence à écrire, à quel moment il
finit, et quelle lettre il trace à un moment donné. Mais
une observation attentive montre qu'à ce point de vue les
sujets ne se comportent pas tous de la même façon ; il
faut en distinguer au moins deux catégories.
Les premiers, très nombreux, ne se rendent pas du tout
compte de ce que fait leur main; s'ils arrivent, sans trop se
tromper, à dire les yeux fermés quand ils ont fini d'écrire
un mot, c'est parce qu'ils calculent, comme ils le remar-
quent eux-mêmes, le temps écoulé depuis le commence-
ment de l'acte. Ils ne perçoivent rien, mais ils font une
conjecture. On peut les mettre facilement en défaut pour
LES ACTIONS VOLONTAIRES ET INCONSCIENTES loi
peu qu'on complique l'expérience, par exemple en les
priant d'écrire un certain nombre de fois la même let-
tre; malgré tous leurs efforts, ils ne font point le compte
exact; ayant douze lettres à écrire, ils en écrivent presque
toujours quelques-unes de plus ou de moins. Lorsqu'on les
en avertit, ils en sont étonnés, car ils prétendent s'être vus
écrivant le nombre de fois prescrit. Un second genre de
sujets, chez lesquels les mouvements de l'écriture sont
aussi inconscients que chez les premiers, arrivent néan-
moins à écrire, les yeux fermés, le nombre exact de lettres
qu'on leur indique, ils se rapprochent donc beaucoup plus
que les précédents de l'état psychologique d'un scripteur
normal; cependant avec un peu de soin, on peut encore
trouver des différences ; ainsi, quand on arrête brusquement
leur main insensible, et qu'on leur demande d'indiquer
avec précision quelle lettre ils viennent de tracer, bien
souvent ils se trompent.
IV
D'une manière générale, les mouvements graphiques
sont bien conservés et s'exécutent correctement. Mais il
n'en est pas ainsi des autres mouvements. Nous allons
examiner ces autres mouvements et faire à ce sujet quel-
ques observations.
11 faudrait, pour bien faire, passer en revue une série de
malades et prendre des observations sur chacun d'eux, car
chacun présente un grand nombre de phénomènes qui
lui sont propres. Nous ne pouvons entreprendre un aussi
long travail. Nous sommes obligé de réunir tous les
malades, et aussi un peu, de les confondre dans une des-
cription générale ; ce procédé expéditif a des inconvénients,
car notre description, si elle est vraie dans son ensemble,
ne s'appliquant à aucun malade en particulier, ne sera
vraie de personne.
152 LES PERSONNALITÉS COEXISTANTES
Les auteurs qui ont écrit sur l'anestliésie hystérique sont
arrivés souvent à des conclusions contradictoires, qui tien-
nent à ce que l'on peut tout rencontrer chez l'hystérique
anesthésique, depuis la paralysie complète des mouve-
ments jusqu'à leur intégrité parfaite. On a eu le tort de ne
tenir compte que de l'un ou l'autre de ces phénomènes et
d'en tirer des conclusions particulières, qui en général se
sont trouvées fausses. Nous devons essayer de fournir des
explications capables de s'appliquer à des faits en appa-
rence contradictoires. Voici ces faits.
La majorité des sujets hystériques arrive, les yeux
fermés, à se servir de leur membre insensible avec presque
autant de précision et de sûreté que s'ils avaient les yeux
ouverts. « Certains sujets, dit M. Charcot *, certains sujets,
hystériques pour la plupart, privés de tous les modes de la
sensibilité dans un membre, ont conservé cependant en
grande partie la faculté de mouvoir ce membre librement,
les yeux étant fermés. Notre malade Pin... offre aujourd'hui
un bel exemple du genre. Chez lui, comme on l'a vu, la sen-
sibilité cutanée et la sensibilité profonde sont complète-
ment éteintes dans toute l'étendue du membre supérieur
gauche, et, lorsque les yeux sont fermés, il ne possède
aucune notion des mouvements passifs imprimés aux divers
segments de ce membre, non plus que de la position que
ceux-ci affectent. Les yeux étant ouverts, les mouvements
volontaires, généraux et partiels, du membre, tant pour la
variété que pour la précision, présentent tous les caractè-
res de l'état normal. Ces mouvements persistent, en grande
partie, quand les yeux sont fermés; seulement, ils sont plus
incertains, comme hésitants, nullement incoordonnés tou-
tefois; ils s'opèrent en un mot comme à tâtons. Pin... peut
encore, les yeux clos, diriger ses doigts avec une certaine
précision vers son nez, sa bouche, son oreille, ou encore
vers un objet placé à distance, et réussit à atteindre le
but. ). Plus récemment, en mai 1887, M. Babinski a insisté
1. I.pçoHs sur les mal'Klic.s du syslinne aerverix, III, appendice.
LES ACTIONS VOLONTAIRES ET INCONSCIENTES 153
sur ces mêmes faits dans une communication à la Société
de psyciiologie physiologique. Nous-même, dans un travail
en collaboration avec M. Féré, nous sommes arrivé, d'une
façon indépendante, au même résultat; nous avons cons-
taté que si l'on étudie des sujets hystériques, chez lesquels
la perte de conscience des mouvements passifs est si fré-
quente, et coïncide le plus souvent avec l'insensibilité de
la peau, on reconnaît facilement, et pour ainsi dire au pre-
mier examen, que même lorsque le sujet ne voit pas son
membre, les mouvements volontaires de ce membre sur-
vivent presque toujours à la perte de conscience des mou-
vements passifs. C'est ainsi que le sujet peut, sans le
secours de la vue, donner une direction générale aux
mouvements volontaires de son bras insensible, fléchir iso-
lément le doigt qu'on lui désigne, ramener en avant le bras
insensible qu'on a placé derrière son dos, tirer la langue et
la rentrer, se tenir debout, maintenir un objet entre ses
doigts, écrire, serrer un dynamomètre et parfois même
graduer l'effort de pression.
Les faits de ce genre ont été vus depuis longtemps, mais
donnaient lieu à des interprétations inexactes. Quelques
auteurs disaient : « Les hystériques ne perdent que rare-
ment le sens musculaire, et alors que toutes les autres
sensibihtés tactiles ou affectives sont abolies, elles ont con-
servé la faculté de coudre, de tricoter, d'écrire, mouve-
ments qui exigent des sensations très parfaites et très
complexes. »
On comprend maintenant la confusion commise par ces
auteurs; partant de ce fait que des mouvements coordonnés
sont possibles pour des membres insensibles, ils en con-
cluaient que le sens musculaire est conservé; or rien n'est
moins exact; la vérité est que les mouvements volontaires
peuvent survivre à la perte de conscience des mouvements
passifs, c'est-à-dire à la perte de ce qu'on appelle le sens
musculaire; seulement, la perte n'est pas absolue, elle n'a
lieu que pour la personnalité principale, et à côté d'elle une
autre pensée, une autre conscience coordonne les sensations
lo4 LES PERSONNALITES COEXISTANTES
provenant des membres insensibles et combine les mouve-
ments.
D'autres auteurs ont proposé une interprétation diffé-
rente, mais qui n'est pas plus juste. Nous devons en dire
quelques mots, car la question qui est ici en jeu est très
importante : c'est la question du sens musculaire, de sa
nature et de son siège.
Nous avons rappelé plus haut quels sont les états de
conscience qui nous mettent en relation avec notre activité
motrice. On a pensé que le sujet qui exécute un mouve-
ment volontaire est averti, en outre, de l'exécution de ce
mouvement par des impressions d'un autre ordre; ces
impressions, au lieu d'être centripètes, seraient centrales;
elles correspondraient au courant de sortie de l'influx
moteur; le sujet aurait le sentiment de l'innervation, de la
décharge motrice, au moment même oîi la décharge se fait
dans les cellules motrices de l'axe cérébro-spinal, par con-
séquent avant que les contractions musculaires appro-
priées se produisent. Cette hypothèse n'est pas née d'hier;
elle est au contraire fort ancienne. Développée déjà par
J. Millier, le physiologiste bien connu, elle a été reprise de
nos jours par Bain, Hughlings-Jackson, Wundt, Bern-
hardt, etc.
Récemment, quelques auteurs, en étudiant l'hystérie,
ont cru y trouver un argument en faveur de la thèse que
nous venons d'indiquer, et que l'on désigne sous le nom
de « thèse du courant centrifuge ». Ces auteurs ont pensé
que si les hystériques peuvent coordonner les mouvements
de leurs membres insensibles, les yeux fermés, c'est une
preuve que les sujets de ce genre possèdent un sentiment
d'innervation motrice guidant leurs mouvements volon-
taires; en effet, disent-ils, ces malades ont perdu le secours
des sensations motrices, puisque le membre dont ils se
servent est insensible; ils sont en outre privés temporai-
rement du sens de la vue, par la fermeture des yeux; donc,
pour qu'ils restent, dans ces conditions, capables de diriger
leur activité volontaire, qu'ils puissent par exemple porter
LES ACTIONS VOLONTAIRES ET INCONSCIENTES 155
directement leur main sur un point de leur face, il faut
qu'un état de conscience les éclaire incessamment sur la
nature de leurs mouvements, et leur indique à chaque ins-
tant la position de leur membre ; cet état de conscience
nécessaire ne peut être que le sentiment de la décharge, le
sentiment de l'innervation motrice.
Cette interprétation, on l'a compris, doit être rejetée,
car elle découle logiquement d'une observation inexacte.
Il n'est pas vrai que les malades anesthésiques perdent le
bénéfice des sensations kinesthésiques ; ces sensations
appartiennent à une seconde conscience, qui peut colla-
borer avec la conscience normale.
En résumé, tout s'exphque par 1° : la conservation d'une
bonne mémoire visuelle; 2" la survivance des sensations et
images motrices dans une conscience séparée.
Nous avons distingué deux catégories de sujets et nous
avons décrit les premiers. Les seconds, quand ils cessent
de voir leurs membres anesthésiques, deviennent incapa-
bles de les diriger et même de les mouvoir.
Cette incoordination, plus exactement cette impuissance
motrice, qui, chez certains hystériques, survient après Toc-
clusion des yeux, a été étudiée par Duchenne de Boulogne
sous le nom de « perte de la conscience musculaire ». Ce
nom a le tort de supposer une explication du phénomène,
explication qui est même inexacte, et par conséquent on doit
la rejeter. Si l'expHcation est difficile, les observations sont
très nettes. Il s'agit d'hystériques qui sont incapables, quand
on éteint la lumière, de se lever de leur chaise ou de tendre
la main; pendant la nuit, ces malades restent immobiles
dans leur lit, sans pouvoir changer de place; surpris par
le crépuscule dans la campagne, ils ne peuvent plus mar-
cher. Quand ils marchent en plein jour, on les voit s'avancer
la tête baissée; leur regard est fixé sur leurs pieds; si on les
distrait, et qu'ils cessent de regarder leur main, ils lâchent
les objets qu'ils tenaient, et on a cité l'exemple d'une mère
qui, dans ces conditions, était sur le point de laisser tomber
l'enfant auquel elle donnait le sein; j'en ai vu qui fléchis-
156 LES PERSONNALITÉS COEXISTANTES
sent sur eux-mêmes et tombent, dès qu'on ferme leurs
yeux. Quand on place la main anesthésique de ces malades
derrière leur dos, ils ne peuvent pas la retirer, et il faut
qu'une autre personne leur rende ce service. On pourrait
remplir plusieurs pages en citant tous les exemples qui ont
été rapportés par les auteurs. Nous en avons, pour notre
part, observé un bon nombre, qui ne nous ont laissé aucun
doute dans l'esprit \
Pour expliquer cette impuissance motrice qui succède à
l'occlusion des yeux, il faudrait faire l'étude détaillée de
chaque malade; nous croyons peu à la vérité d'une explica-
tion générale; chaque malade, nous l'avons dit souvent,
doit être envisagé séparément, et ce qui est vrai de l'un est
souvent faux d'un autre. Ne pouvant pas faire ici une étude
aussi minutieuse, nous nous bornerons à quelques indica-
tions.
On a vu par l'analyse détaillée de l'activité motrice quel
est le concours d'états de conscience, de perceptions et de
représentations, qui est nécessaire pour l'accomplissement
d'un mouvement les yeux fermés. L'altération de chacun
de ces états retentira sur le mouvement. Prenons d'abord
la représentation antérieure à l'acte; cette représentation
est généralement de nature visuelle chez une hystérique
anesthésique. Si la mémoire visuelle du sujet est mauvaise,
s'il ne peut pas voir clairement, dans son esprit, la position
de sa main et le mouvement à exécuter, il ne saura pas
au juste quel est le mouvement qu'il doit commander à son
membre, et en conséquence il y aura impuissance motrice
plus ou moins complète. Même résultat si on a empêché
le sujet de regarder sa main avant de lui fermer les yeux,
ou bien s'il ignore la position actuelle de son membre; son
ignorance l'empêche de se représenter visuellement sa
main, et par conséquent il ne peut plus la diriger \
\. Recherches expérim. sur Iti p/iys. des moitvemeids, par Binet et Féré :
Arch. de phys., octobre 1887.
2. L'importance des images visuelles dans ces expériences a été bien
mise en Inniièrt! par M. Pierre Janet dans plusieurs passages de son livre
déjà cité.
LES ACTIONS VOLONTAIRES ET INCONSCIENTES 157
Il est des cas cependant où le mouvement du membre
anesthésique n'a pas besoin d'être dirigé par une image
visuelle consciente et peut se produire correctement, bien
que le sujet soit incapable de se le représenter. M. Pitres
en a donné un exemple fort intéressant; on imprime un
mouvement de rotation aux deux mains; ce mouvement
peut continuer après la fermeture des yeux, parce que l'une
des deux mains n'est point anesthésique, et qu'elle associe
l'autre à son mouvement, elle l'entraîne.
L'hystérique arrive encore à se passer de l'image visuelle
en la remplaçant par une image tactile du même ordre, qui
joue le même rôle, c'est-à-dire averlit le sujet de la posi-
tion de sa main; ainsi Lasègue a vu, et M. Pitres après lui,
que quand le sujet a les yeux fermés et ne peut agiter volon-
tairement les doigts d'une main anesthésique, on peut
rendre ce mouvement possible en posant la main du sujet
sur sa tête qui est sensible ; le contact provoque des sen-
sations tactiles conscientes qui renseignent le sujet sur la
position de sa main et dès lors la main peut se mouvoir.
La cause de l'impuissance motrice peut résider aussi dans
l'absence des sensations kinesthésiques; il est vrai que ces
sensations ne sont pas perdues ; elles se retrouvent dans
d'autres consciences ; mais ces secondes consciences sont
souvent mal organisées; elles ne savent pas collaborer avec
la conscience principale, et les éléments psychologiques
qui les composent restent disséminés et ne rendent aucun
service. Nous avons montré déjà plus d'un fait qui prouve
l'importance de la coordination dans la mise en œuvre des
phénomènes subconscients.
Aux deux circonstances que nous venons de signaler, et
qui sont capables d'expliquer dans un certain nombre de
cas l'affaibhssement musculaire des malades hystériques
quand on leur ferme les yeux, il faut ajouter, avec quelque
réserve, une troisième circonstance : la lumière paraît être
pour ces malades à système nerveux atîaibli un excitant
physiologique nécessaire; si on leur ferme les yeux ou
qu'on les place dans l'obscurité, un grand nombre de leurs
lo8 LES PERSONNALITES COEXISTANTES
fonctions physiologiques se ralentissent ; leur force dyna-
mométrique diminue, même dans le côté sensible ; les
mouvements des membres sensibles deviennent moins
précis et moins rapides; leur mémoire et leur pensée sont
plus paresseuses. C'est bien la suppression de la lumière
qui produit ces résultats, comme M. Féré l'a fait voir dans
une série d'expériences. L'expérience de Strumpel conduit
à la même conclusion *.
Y
Nous n'avons pas encore terminé l'étude des mouve-
ments volontaires exécutés par des membres anesthési-
ques; ces mouvements présentent plusieurs caractères objec-
tifs, qui dépendent de l'anesthésie et qu'on peut résumer
de la manière suivante :
1° Une diminution dans la force de pression dynamomé-
trique ;
2" Un allongement du temps physiologique de réaction;
3° Une forme particulière de la contraction volontaire ;
4° Une augmentation dans la durée de l'état de contrac-
tion, augmentation produite par l'absence de fatigue et
d'effort.
La simple énumération de ces différents points fera sans
doute supposer qu'il s'agit de phénomènes purement phy-
siologiques, qui n'intéressent que médiocrement la psycho-
logie ; ce serait une erreur. La psychologie n'a pas à tirer
profit seulement des expériences qui se passent en conver-
sations ; il y a des phénomènes purement matériels, tels
qu'une contraction musculaire, qui peuvent nous rensei-
gner sur un phénomène mental, et c'est précisément ce qui
se passe ici.
Quand l'hystérique exécute un mouvement volontaire
1. Nous ne faisons qu'indiquer la question. Pour plus de détails, il faut
lire l'ouvrage de Fcré : Sensalioti et Mouvement, un article de Raymond
{ftevii.efj/- miideriiip. IbUl) et une uote de Pick (Neiirol. CnUralh., 1891, n» 15).
LES ACTIONS VOLONTAIRES ET INCONSCIENTES 159
avec sa main insensible, c'est une sous-conscience, avons-
nous vu, qui reçoit l'ordre et qui se charge de l'exécuter;
or si l'on étudie de près la façon dont cet ordre est exécuté,
si on recueille la contraction musculaire avec des appareils
de précision, on trouve dans le tracé de cette contraction
des caractères qui démontrent l'existence d'une sous-con-
science. C'est là une question fort intéressante, et qui mérite
qu'on s'y arrête un instant.
1° Force de pression dynamométrique . — On mesure
dans la clinique médicale la force volontaire d'un sujet au
moyen du dynamomètre, qui indique la force de contrac-
tion des muscles fléchisseurs des doigts.
Depuis les recherches de Briquet, et de Burcq, l'inventeur
de la métallothérapie, on sait que la force de pression est
moindre dans le côté anesthésique que dans le côté sain.
Cette différence, sans être constante, est cependant si
générale qu'elle peut servir de signe objectif à l'anesthésie;
depuis que nous faisons des études de psychologie sur les
hystériques, nous relevons toujours l'état des forces dans
la main droite et dans la main gauche, et nous n'avons
pas trouvé plus de deux ou trois exceptions à la règle de
Burcq. M. Pitres en a signalé aussi quelques-unes \
La difî'érence de force entre les deux côtés offre une
grande variété suivant les sujets ; tantôt, elle est presque
insignifiante et consiste en quelques kilogrammes de plus
ou de moins ; par exemple, la main anesthésique donnera
une pression de 25 kilogrammes et la main sensible une
pression de 28 kilogrammes. Si c'est le côté gauche qui est
anesthésique, une différence de 2 ou 3 kilogrammes n'in-
dique pas un affaiblissement, car elle est normale chez les
droitiers. Dans d'autres cas, la différence, plus accusée, peut
s'élever à 10 ou même 20 kilogrammes et davantage. On
ignore la raison de ces différences, et on n'est pas parvenu
à les rattacher à une cause bien déterminée, par exemple
au degré de l'anesthésie.
1. Op. cit., p. 33.
160 LES PERSONNALITÉS COEXISTANTES
Comme compensation, l'anesthésie hystérique produit
souvent une augmentation de force dans les membres qui
ont conservé leur sensibilité ; on peut constater cette
augmentation de force en modifiant la sensibilité par voie
de suggestion, et en explorant l'état des forces avant et
après. (Binet.)
Si l'anesthésie se complique de paralysie, le membre
symétrique qui n'est ni insensible ni paralysé présente une
augmentation de force (Binet et Féré) ; c'est là un carac-
tère d'autant plus important que dans les paralysies de
causes organiques (Pitres, Friedlander) le côté non paralysé
présente un affaiblissement moteur.
La diminution du chiffre de pression dans un membre
insensible dépend de cette insensibilité, et par conséquent,
dans une certaine mesure, de la division de conscience : ce
qui le prouve bien, c'est qu'en frappant d'insensibilité, par
suggestion, un membre sain, on diminue son chiffre de
pression. Gomment expliquer ce résultat? Nous pouvons
supposer que la force de contraction — qui dépend autant
de la volonté que du muscle — est en relation avec le degré
de développement du moi qui commande la contraction ; si
le moi se réduit à quelques phénomènes psychologiques
élémentaires, il n'y aura point en jeu d'états émotionnels
aussi importants que s'il s'agit d'un moi complet, d'une
personnalité véritable. Ainsi pourrait-on comprendre que
le personnage sous-conscient a moins de force que le per-
sonnage principal; il serait facile de contrôler cette hypo-
thèse en prenant la force dynamométrique d'une même
personnalité à ses diverses étapes de développement.
Quoi qu'il en soit de notre hypothèse, que nous indiquons
à titre de suggestion, il y a un cas où le chiffre de contrac-
tion dépend certainement, d'une façon directe, de causes
psychologiques : c'est celui où on oblige le sujet à serrer
simultanément avec les deux mains; alors le chiffre de pres-
sion s'abaisse dans des proportions souvent considérables.
Cette diminution tient évidemment à un défaut d'attention;
le sujet est forcé de penser et de vouloir simultanément
LES ACTIONS VOLONTAIRES ET INCONSCIENTES 461
-deux mouvements volontaires; on l'oblige à partager son
attention entre les deux actes; et c'est pour ce motif qu'il
donne une pression faible. C'est là, ce nous semble, une
démonstration excellente des idées émises par M. Pierre
Janet sur le rétrécissement du champ de la conscience chez
les hystériques. Nous avons déjà parlé de ce rétrécissement, à
propos de la distraction ; nous donnons maintenant, pour la
première fois peut-être, une preuve matérielle de saréahté.
2" Temps physiologique de réaction. — L'anesthésie
produit un allongement du temps physiologique de réaction
pour les mouvements volontaires.
Duchenne (de Boulogne) a mis le fait en relief dans
une expérience très nette et bien simple, une vraie expé-
rience clinique. On prie un sujet hémianesthésique de rap-
procher ses deux mains et de les ouvrir et fermer simultané-
ment. Le sujet doit avoir les yeux fermés. Le plus souvent,
une des deux mains est en retard sur l'autre ; c'est la main
anesthésique. Mais les résultats varient un peu suivant les
sujets, et suivant les conditions où on les place.
En général quand les yeux sont ouverts, les mouvements
des deux mains sont à peu près simultanés ; ceci tient à ce
que le sujet porte de préférence son attention et son regard
sur la main anesthésique, dont il hâte en quelque sorte le
mouvement. Mais si on lui ferme les yeux, la simultanéité
des mouvements est gravement compromise. Presque tou-
jours, chez les malades que nous avons observés, le retard
de la main anesthésique devient très appréciable à une ins-
pection sommaire; tantôt elle exécute un nombre de mouve-
ments égal à celui de la main sensible, mais avec un retard
constant ; tantôt elle diminue le nombre de ses mouvements,
et ne se fermera par exemple que cinq fois pendant que la
main sensible se ferme douze à quinze fois ; ces mouvements
de la main anesthésique sont souvent incomplets; la fer-
meture du poing est à peine esquissée, et les ongles ne se
cachent pas dans la paume de la main; il peut arriver, par
exagération du phénomène précédent, que la main anes-
thésique reste immobile, alors que le sujet, qui a les yeux
A. BlNET. H
102 LES PERSONNALITÉS COEXISTANTES
fermés, est persuadé qu'il l'ouvre et la ferme alternative-
ment. On pourrait dire, dans ce cas, que le retard est
infini.
Cette description générale ne convient pas à tous les
malades, et nous en citerons quelques-uns pour faire voir
quelle série de variations peut présenter un phénomène qui
est en somme assez simple. Léonie L... est anesthésique à
droite, et hypoesthésique à gauche; les temps de réaction
sont plus longs à droite qu'à gauche, les yeux ouverts;
la différence augmente quand les yeux sont fermés. Dem...
est anesthésique à droite seulement. Quand le sujet ferme
les deux mains en les regardant, et dans ce cas il a soin de
les rapprocher, le mouvement est simultané; des mesures
rigoureuses prises avec des appareils enregistreurs ne lais-
sent aucun doute à cet égard. Si Dem... ferme les yeux, la
main droite insensible se ferme en même temps que l'autre,
à la condition que Dem... pense spécialement et fortement
à sa main droite ; dès que son attention se fatigue, la main
droite cesse tout mouvement. Il en résulte que lorsqu'on
prie Dem... de serrer deux tubes de caoutchouc reliés à un
appareil enregistreur, on a d'abord cinq ou six mouvements
simultanés des deux mains, puis on n'obtient plus que
des mouvements de la main sensible. Il faut interpeller le
sujet, lui montrer qu'il n'a pas employé la main anesthé-
sique et solliciter vivement son attention pour obtenir de
nouveau des mouvements des deux mains. Enfin, nous
citerons Saint-A..., anesthésique à droite; chez elle, que les
yeux soient ouverts ou fermés, les contractions des deux
mains sont simultanées.
Yoici maintenant quelques chiffres de temps de réac-
tion; chez P. S., anesthésique à droite, les temps de réaction
à une excitation sonore (bruit sec d'un métronome) sont :
Temps moyen
Temps maximum...
Temps minimum . . .
Variation moyenne;
Côlé sensible.
Côté
insensible.
0,1 r.
0,35
0,1S
0,50
(),H
0,28
0,018
0,073
LES ACTIONS VOLONTAIRES ET INCONSCIENTES 163
Ces quelques chiffres montrent que non seulement le
temps de réaction est plus court du côté sensible, mais
encore que la réaction est plus régulière, car la variation
moyenne est beaucoup plus faible. Le temps maximum du
côté sensible est même resté inférieur au temps minimum
du côté anesthésique.
M. Féré a fait des expériences analogues qui l'ont con-
duit au même résultat ; il a observé en outre que lorsque la
sensation qui sert de signal est mal perçue, ce qui peut
tenir à ce que le signal est donné en touchant une région
■peu sensible, le temps de réaction est encore retardé.
Nous avons dit plus haut, en étudiant la force de pres-
sion, que lorsque les deux mains serrent simultanément,
le chiffre dépression se trouve abaissé des deux côtés à la
fois; c'est du moins ce qui se passe chez quelques sujets
hystériques. Ce qui vérifie cette première expérience, c'est
qu'on peut la répéter sur les temps de réaction ; ces temps
deviennent plus longs lorsque les deux mains sensible et
anesthésique doivent répondre en même temps au signal.
Voici quelques chiffres, obtenus chez P. S. , dans cette der-
nière condition ; pour tout le reste du dispositif, l'expérience
ne diffère pas de la précédente.
Cùté sensible. Côté insensible.
Temps moyen 0,277 0,709
Temps maximum 0,29 0,88
Temps minimum 0,18 0,4b
Variation moyenne 0,027 0,078
La comparaison de ces chiffres avec ceux que nous
avons donnés plus haut montre que l'allongement du temps
de réaction produit par l'action combinée des deux mains
se fait sentir des deux côtés, mais qu'il est beaucoup plus
considérable pour le côté anesthésique.
C'est chez ce même sujet P. S., pour le dire en passant,
que nous avons constaté, pendant les réactions du côté
anesthésique, la réaction supplémentaire dont nous avons
parlé * ; cette réaction diffère de la réaction ordinaire du côté
1. Voir chap. m.
.164 LES PERSONNALITÉS COEXISTANTES
insensible, d'abord par des caractères psychiques que nous
avons déjà signalés, et ensuite et surtout par le moment où
elle se produit; la réaction ordinaire (dans une réponse
bilatérale) se produit après un temps moyen de 0,709. la
réaction exceptionnelle après un temps moyen de 0,53.
En définitive, le retard du temps de réaction, comme la
diminution du chiffre de pression, peut être mis dans une
certaine mesure sur le compte de la désagrégation mentale;
ce sont des signes auxquels on peut reconnaître la forme
inférieure d'une conscience; ils sont, à ce point de vue,
comparables aux phénomènes d'imitation, que l'on ren-
contre si fréquemment dans les consciences rudimentaires.
3° Forme de la contraction volontaire. — Deux mots suffi-
ront. Si on compare la courbe de contraction du côté sen-
sible à celle du côté anesthésique, on constate que la ligne
d'ascension est généralement plus courte, et plus redressée
dans la contraction volontaire du côté sensible. La diffé-
rence est extrêmement nette, chez quelques malades,
lorsque les deux contractions ont été faites simultanément.
4° Durée de l'état de contraction. — Les différences signa-
lées jusqu'ici entre les mouvements volontaires du côté
sensible et du côté anesthésique n'ont point l'importance
de celles qu'il nous reste à voir. Nous allons nous occuper
de la durée de l'état de contraction, ou de la tension mus-
culaire. Nous allons rechercher pendant combien de temps
le sujet peut se maintenir en état de contraction.
Il peut sembler que c'est là un phénomène purement
musculaire; mais ce serait une erreur de le croire. Nous
avons vu déjà quelle influence l'attention peut exercer sur
le temps de réaction, à ce point que lorsque tel malade,
Dem...., par exemple, pense à sa main insensible, elle
répond à l'excitation, tandis que lorsqu'elle cesse d'y penser
la main devient immobile. Nous avons vu aussi que lors-
qu'on oblige le sujet hystérique à presser en même temps
le dynamomètre des deux mains, le chiffre de pression est
plus faible que celui donné par chaque main pressant
isolément; ce qui tient très probablement, avons-nous dit.
LES ACTIONS VOLONTAIRES ET INCONSCIENTES 165
à ce que dans le premier cas le sujet est obligé de diviser
son attention, au lieu delà concentrer sur une seule main.
Les études que nous faisons sur les mouvements volon-
taires sont donc, par plus d'un côté, des études psycholo-
giques, et constituent une analyse de l'acte de volonté
autant qu'une analyse d'un phénomène moteur. C'est ce
que les observations qui suivent vont démontrer encore.
Il est utile, dans ces sortes d'expériences, de commencer
par se soumettre soi-même aux épreuves qu'on fait subir
aux sujets; on peut ainsi se rendre compte des conditions
mentales où l'hystérique se trouve placé. Si l'on essaye de
mesurer le temps pendant lequel on est capable de con-
server une pose fatigante, ou de presser sur le dynamo-
mètre, on s'aperçoit tout de suite que ce temps est livré à
l'arbitraire du sujet. En effet, en me prenant comme
exemple, j'observe que, quand je presse le dynamographe,
il se passe en moi des phénomènes très complexes, dont
on n'a pas l'habitude de tenir compte. Si quelqu'un m'in-
terroge sur ce que j'éprouve, je dirai peut-être que j'ai
ressenti au bout de quelque temps un sentiment de fatigue
qui m'a obhgé à lâcher l'instrument. Ce n'est pas abso-
lument exact; la fin de la contraction musculaire n'a pas
été amenée directement par la fatigue; quand la fatigue
s'est produite, j'ai réfléchi à la sensation douloureuse que
j'éprouvais, et je me suis demandé si elle était suffisam-
ment intense pour que je suspendisse mon effort; j'ai
délibéré sur ce point, j'ai réfléchi à la longueur de la
courbe dynamographique; je me suis proposé de résister
encore pendant une demi-révolution du cylindre, etc.
Après avoir déhbéré, j'ai pris une décision, j'ai résolu de
desserrer mes doigts; c'est donc en définitive ma volonté
qui a fixé le terme de l'état de contraction; la fatigue et
les autres motifs assez frivoles que je viens de signaler
n'ont été que des causes indirectes; la cause directe qui
amène la fin de la contraction volontaire, c'est la volonté
du sujet.
Je ne doute pas que des états de conscience analogues se
166 LES PERSONNALITÉS COEXISTANTES
produisent chez l'hystérique; je soupçonne par conséquent
que si tel sujet pris comme type soutient très peu de temps
un efîort de contraction, cela peut tenir autant à un affai-
hlissement de sa volonté, à un caprice, à un sentiment
d'ennui ou de mauvaise humeur, enfin à une circonstance
frivole, qu'à un affaiblissement réel du pouvoir moteur;
de même un long effort pourra être attribué à une bonne
volonté exceptionnelle produite par la vanité, la coquet-
terie, etc., et par conséquent la longueur de l'état de con-
traction ne saurait avoir une valeur absolue.
Ceci ne s'applique bien entendu qu'autant que l'hysté-
rique se trouve placé dans les conditions d'un sujet
normal, c'est-à-dire, se servant d'un membre sensible, et
exposé aux sensations de la fatigue et de l'effort. Ce sont
les mouvements du membre sensible qui sont surtout
soumis à ces influences psychologiques dont nous venons
de parler.
Quand le sujet hystérique se sert de son membre insen-
sible, les conditions mentales de l'expérience sont tout à
fait différentes ; la volonté consciente (c'est-à-dire la volonté
de la personnalité principale) n'intervient qu'à un seul
moment de l'expérience, au début; prie-t-on le sujet de
serrer un dynamomètre et de continuer la pression, sa
volonté commande la contraction, la met en train; puis la
main continue à serrer sans qu'il en ait conscience et sans
qu'il ait besoin de s'en préoccuper; de même, quand on lui
demande de garder |une attitude, de maintenir le bras
horizontalement étendu, si le bras est anesthésique, le
sujet n'a qu'à prendre la pose qu'on lui commande; puis
il ne reçoit plus aucune sensation provenant de son bras,
il n'a plus à s'en occuper; et le bras reste en l'air, comme
oublié. On voit donc que les deux situations mentales ne
sont pas comparables.
Le premier fait à signaler, c'est que le membre insen-
sible reste en général plus longtemps en état de contraction
que le membre sensible; la force de contraction est moins
considérable, mais en revanche, la durée est plus grande.
LES ACTIONS VOLONTAIRES ET INCONSCIENTES 167
Si l'on prend la courbe dynamographique du côté sensible
et du côté anesthésique et si on les compare, on constate
cette différence de longueur et, en même temps, la courbe
du côté anesthésique est plus lisse, plus régulière : elle ne
Fig.' 2. — Courbe dynamographique d'un sujet hystérique. Les trois figures sont
des fragments d'un même tracé qui se lit de droite à gauche; dans chaque figure, la
courbe d'en haut appartient à la main sensible, et la courbe d'en bas appartient à la
main anesthésique. La première de ces courbes est courte; on ne la suit que sur la
première et la seconde portion du tracé ; elle disparait sur la troisième, où^ l'on ne
voit plus que la ligne des abscisses; de plus, elle est un peu tremblée et irrégulière,
et dans sa première phase, elle s'élève assez haut. La courbe de la main anesthésique
est plus longue ; après une ligne d'ascension lente, elle se développe presque proba-
blement à la ligne des abscisses, et on la suit sur les trois portions du tracé, qu'elle
parcourt deux fois avant de se confondre avec la ligne des abscisses. (Réduit au tiers.)
présente point de tremblement. C'est ce que montre bien
la figure contenant deux courbes dynamographiques prises
sur P. S., qui est anesthésique à droite; en haut, est repro-
duite la courbe de contraction de la main gauche, sensible;
elle est courte et tremblée; la courbe de contraction de la
main droite, anesthésique, a été prise aussitôt après et avec
108 LES PERSONNALITES COEXISTANTES
le même dispositif expérimental; elle est environ deux fois
et demie plus longue, et plus lisse, plus régulière.
D'autre part le chiffre maximum de pression est moins
considérable que dans le premier cas, et on voit en effet
que la courbe ne s'élève pas autant au-dessus de la ligne des
abscisses; on pourrait donc supposer qu'il y a là une com-
pensation, et que si le sujet essayait de maintenir une
pression légère avec sa main sensible, il arriverait à repro-
duire la courbe de contraction de la main anesthésique;
mais ce serait une erreur; j'ai pu m'en convaincre.
La vraie raison pour laquelle la courbe de contraction
donnée parla main anesthésique est la plus longue est une
raison d'ordre psychologique; la longueur de la courbe
tient à l'absence de sensation de fatigue ; c'est la sensation
de fatigue qui d'ordinaire, chez un sujet de bonne volonté,
met un terme, par son caractère déprimant, à un effort
longtemps continué; la fatigue intervient bien avant l'épui-
sement musculaire et nous en garantit. Dans une con-
science secondaire étroite, la sensation de fatigue ne se
produit pas, ou du moins, si elle se produit, elle n'est pas
aussi nette, aussi intense, aussi bien coordonnée avec les
mouvements du bras que dans une conscience large et
riche; elle n'avertit pas le sujet, elle ne fait pas cesser
l'état de contraction. Le prolongement de cet état est
donc, comme tous les autres caractères que nous avons
signalés, la marque d'une forme inférieure de la conscience.
Il résulte de ce qui précède qu'on trouve en germe,
dans les contractions de la main insensible, les caractères
des contractures hystériques spontanées ou provoquées;
ces caractères sont : 1° un état de demi-contraction, car
quand un membre est contracture, on peut encore aug-
menter la contracture par la faradisation (Richer) et de
plus le bruit musculaire du muscle contracture est plus
faible que celui du muscle en état de contraction volon-
taire (Boudet de Paris et Brissaud); 2° quand on exerce une
traction sur un membre contracture, il cède à la traction,
mais bien plus lentement qu'un membre raidi par la volonté ;
LES ACTIONS VOLONTAIRES ET INCONSCIENTES 169
il cède en outre, sans fatigue, sans modification du rytlime
respiratoire (Cliarcot et Riclier).
On peut étudier sous une autre forme le travail moteur
du membre insensible : c'est la conservation d'une attitude.
Le sujet peut garder très longtemps avec le bras insensible,
plus longtemps en général qu'avec le bras sensible, une
position fatigante; il peut donc se mettre volontairement
en état de catalepsie partielle.
Tous ces faits nous montrent que les phénomènes de
catalepsie et de contracture sont, dans une certaine mesure,
l'expression des divisions de conscience; ils supposent
l'éveil de consciences fragmentaires, qui ne contiennent
guère qae des images motrices et qui sont trop petites pour
connaître le phénomène de la fatigue.
CHAPITRE VII
l'écriture automatique chez les hystériques
Ecriture automatique. — Définition. — Procédé nécessaire pour la provo-
quer. — Ses caractères, son exagération chez les hystériques. — Son
emploi. — Théorie. — L'écriture automatique ne consiste pas dans un
simple réflexe d'idées. — Complexité du phénomène: expérience de
M. Babinski. — Expérience de M. OnanoIT sur le temps de réaction. —
Description générale des mouvements subconscients produits par des
états psychologiques conscients. — Enregistrement de ces mouvements.
— Influeuce de l'anesthésie sur leur développement. — Influence de
l'intensité des excitations sur l'amplitude des mouvements.
I
La collaboration de plusieurs consciences, chez l'hysté-
rique, se manifeste d'une façon tout à fait remarquable
dans ce qu'on a appelé « l'écriture automatique » ; l'intérêt
de ce phénomène se trouve encore augmenté par la fré-
quence avec laquelle il se produit dans un très grand
nombre de circonstances, chez les spirites et même chez
les sujets sains; mais nulle part, croyons-nous, son méca-
nisme n'est aussi facile à étudier et à démontrer que chez
les hystériques; aussi la question mérite-t-elle bien d'être
traitée dans un chapitre distinct.
Nous avons déjà parlé de l'écriture automatique et notam-
ment au chapitre iv, quand nous cherchions à démon-
trer l'existence du personnage subconscient pendant l'état
l'écriture automatique chez les hystériques 171
de veille. Rappelons brièvement les faits : nous avons vu
que si on dirige la main anesthésique pour lui faire écrire
un mot, la main répète ce mot; c'est un premier exemple
d'écriture automatique; nous avons vu aussi que, dans une
division de conscience produite par distraction, l'incon-
scient peut répondre par l'écriture aux questions qu'on lui
pose à voix basse; c'est un second exemple d'écriture
automatique, et ici, l'écriture est plus développée, car elle
ne se contente pas de reproduire la question, elle y répond.
Dans les deux circonstances que nous rappelons, le mou-
vement de l'écriture sert de moyen d'expression au per-
sonnage inconscient et, de plus, il traduit des perceptions
et des idées qui appartiennent à ce personnage, et que la
conscience principale ne connaît pas. La séparation des
consciences est complète, absolue.
Dans nos recherches actuelles, où nous étudions les
relations des consciences distinctes, l'écriture automatique
va jouer un rôle différent; elle va servir de trait d'union
entre les deux consciences; l'idée à traduire appartient à
l'une des consciences, et le mouvement graphique qui
exprime cette idée appartient à l'autre. On le voit, c'est
une collaboration.
Yoici comment l'expérience réaUse cette collaboration.
On prie l'hystérique de penser pendant quelque temps à
un objet, ou à un mot; on ne lui dit pas autre chose; on
ne lui commande de rien écrire, car si cet ordre lui était
donné, on provoquerait un acte volontaire du genre de
ceux que nous venons d'étudier dans le chapitre précé-
dent; en ce moment, ce n'est pas un mouvement que nous
voulons étudier, mais une idée; pour que le but soit
atteint, il est bon de choisir, parmi les idées qu'on suggère,
une de celles qui ne contiennent pas une invitation motrice
évidente; si par exemple on prie l'hystérique de penser à
la personne avec qui elle vient de causer, à la lettre qu'elle
vient de recevoir, ou à un autre souvenir du même genre,
il est clair qu'on ne suscite pas en elle une idée d'acte à
exécuter, mais un simple phénomène d'idéation.
172 LES PERSONNALITES COEXISTANTES
Laissons-la s'absorber un moment dans son idée, puis
glissons un crayon dans sa main insensible, qui lui est
cachée derrière un écran; bientôt la main s'agite; elle serre
le crayon, elle se met à écrire, et ce qu'elle écrit, c'est le
mot pensé. Quand le sujet se représente, non pas un signe,
mais un objet complet, comme une tête, une figure
humaine, on voit parfois la main anesthésique qui cherche
à tracer le dessin de ces objets, révélant ainsi à l'expéri-
mentateur le fond intime de la pensée de son sujet.
Cette expérience, qui peut paraître délicate à réaliser, est
au contraire très facile, et réussit chez beaucoup de malades
qui ne présentent guère d'autres phénomènes de dédouble-
ment mental. La traduction graphique d'un état de l'esprit
par la personnahté secondaire doit donc être considérée
comme un acte subconscient d'un ordre élémentaire chez
les hystériques. Ainsi que nous l'avons dit, on peut repro-
duire l'expérience de l'écriture automatique chez une foule
de personnes non hystériques; ce qui est spécial à l'hys-
térie, c'est l'exagération du phénomène; le mouvement
est si net et pour ainsi dire si grossier que pour le voir il
suffit de regarder la main insensible.
La figure 3 n'a d'autre intérêt que de montrer avec
quelle facilité l'écriture automatique se manifeste. Une hys-
térique était assise dans le laboratoire, près d'une table; à
quelques mètres, un robinet ouvert laissait tomber de l'eau
avec bruit. On glisse un crayon dans la main droite anes-
thésique de la malade, sans qu'elle s'en aperçoive, et l'écri-
ture traduit l'agacement que le bruit de l'eau lui causait.
Ainsi, l'écriture automatique peut exprimer soit les pen-
sées qu'on suggère à l'hystérique, soit ses pensées volon-
taires; si sa main tient une plume ou un crayon, elle enre-
gistre aussitôt rétat de conscience prédominant. Il n'est
môme pas besoin que l'idée soit obsédante, car il suffit
que le sujet lise à haute voix pour que la plume se mette
à écrire. Naturellement, la plume ne va pas aussi vite que
la lecture; aussi, arrive-t-il généralement que l'écriture
automatique trace seulement quelques mots du texte lu;
L'ÉCRITURE AUTOMATIQUE CHEZ LES HYSTÉRIQUES 173
ici, c'est un mot entier, plus loin, une seule lettre, ou un
chiffre. Quand le mot entier est écrit, il ne coïncide plus
avec la lecture qui va toujours; le sujet est parfois arrivé
deux ou trois lignes plus loin, quand la main achève d'écrire
le mot; il y a donc simultanéité de deux pensées diffé-
rentes. J'ai remarqué que souvent les sujets écrivent moins
facilement pendant qu'on provoque à leur insu l'écriture
Fig. 3. — Écriture automatique d'une bystôrique. Elle a écrit : « C'est agaçant,
cette fontaine. »
automatique; ils hésitent, s'arrêtent, paraissent troublés
ou agacés, sans pouvoir en donner la raison.
Les mouvements automatiques sont, dans une certaine
mesure, en relation avec l'intensité des pensées. Dès que
la malade fait un effort intellectuel pour se rappeler, ou
pour raisonner, ou pour deviner quelque chose, on voit sa
main insensible, tenant un crayon, qui prend l'attitude
nécessaire pour écrire ; dès que le problème est résolu ou
abandonné, la main laisse tomber la plume et s'affaisse
dans une attitude de résolution.
II
Dans tous les cas précédents, c'est une représentation
mentale consciente qui provoque un mouvement subcon-
scient. Fixons par un exemple le point où le phénomène
reste conscient. On demande au sujet quel est son âge. k\x
moment où il va répondre, ou même quelques secondes
avant qu'il réponde, la plume qu'on a eu le soin de
glisser entre l'index et le pouce anesthésiques fait la môme
1-4 LES PERSONNALITES COEXISTANTES
réponse écrite. Le sujet a la représentation consciente de
son âge, il n'a pas conscience de ce qu'il écrit. Le processus
psycho-moteur est conscient dans sa première moitié, sub-
conscient dans la seconde.
Si on s'en tenait à ce qui précède, on pourrait croire que
l'écriture automatique consiste dans de simples mouve-
ments réflexes produits par des idées. Il sera facile de
montrer l'insuffisance de cette interprétation; en réalité, il
y a dans toutes ces expériences deux pensées qui s'entre-
croisent et collaborent l'une avec l'autre. Ainsi, le membre
insensible ne commence à écrire, en général, que lorsqu'on
a mis une plume entre les doigts. Tant que la main ne
reçoit pas Tattitude nécessaire pour écrire, elle reste immo-
bile, ou bien exécute des mouvements vagues, indéter-
minés, faciles à distinguer d'un mouvement graphique
véritable. Chez quelques sujets, il est vrai, la main insen-
sible écrit sans qu'on lui ait donné l'attitude nécessaire;
elle écrit, à défaut de plume, avec le bout de son index, ce
qui exige un mouvement tout différent. Ainsi l'attitude
imprimée au membre change la forme de la réponse. Nous
avons vu déjà un fait semblable dans les mouvements sub-
conscients qui répondent à une sensation également sub-
consciente \ Cette influence de l'attitude est une première
complication du phénomène.
En voici d'autres, comme le montre l'ingénieuse expé-
rience qui a été imaginée par M. Babinski, et qu'il a bien
voulu me communiquer ^ On demande au sujet, pris à
l'état de veille, de penser à un chiffre ; puis on prend sa
main insensible, et à son insu, par exemple derrière son
dos, on lui soulève le doigt un certain nombre de fois;
quand on arrive au chiffre pensé, le doigt se raidit, et
indique ainsi le chiffre à l'expérimentateur. Inutile de
remarquer que ce résultat ne peut guère s'expliquer par un
1. V<jif [). 113.
2. M. Dabinski est arrivé d'une façon indépendante à observer j)lusieiirs
des faits que je vais maintenant décrire. Il en est de même pour M. Onanoll".
(Ai-cfi. (le ntiurolor/ie. ISIJO.)
l'écriture automatique chez les hystériques 175
simple mouvement réflexe. Pour arrêter l'expérimentateur
au moment voulu, il faut qu'il y ait dans le sujet une intel-
ligence qui laisse fléchir le doigt, compte le nombre des
flexions, puis quand ce nombre est égal au nombre pensé,
raidit le doigt dans l'intention évidente d'arrêter l'expéri-
mentateur dans sa numération.
M. Onanoff a cherché à mesurer le temps de réaction de
ces mouvements inconscients produits par des idées con-
scientes. Voici comment il a disposé l'expérience. On pro-
pose au sujet de penser à un nombre. Supposons qu'il ait
pensé au nombre 2. On touche le membre une première
fois; le moment du contact est marqué sur le cylindre
enregistreur; le doigt du sujet ne bouge pas; on touche une
seconde fois, le doigt du sujet se déplace; le contact de
l'expérimentateur et le mouvement du sujet s''inscrivent
sur le même cylindre et la distance entre les deux marques
donne la mesure du temps de la réaction subconsciente.
La lecture des tracés a montré que le temps de la réac-
tion subconsciente est moindre que le temps de réaction
d'un même sujet accomplissant un mouvement volon-
taire, avec son membre non anesthésié. En effet, le temps
est de 0",07 à 0",11, chez des sujets présentant dans les
mouvements volontaires un temps de réaction de 0",127 à
0",196. Cette expérience fournit un bon signe objectif contre
la simulation ; elle s'accorde du reste avec celle que nous
avons rapportée plus haut relativement à la réaction sub-
consciente qui accompagne un mouvement volontaire d'un
membre anesthésique.
En appendice à la série d'expériences précédentes, nous
devons noter un fait un peu diS'érent, qui prouve avec
quelle complexité de formes parfois se réalise la collabora-
tion des deux consciences. Dans l'écriture automatique que
nous avons décrite, une des consciences représente l'idée
et l'autre l'exprime. Il est possible que la conscience prin-
cipale, au lieu de provoquer le processus d'un acte dans le
domaine de l'autre conscience, provoque seulement une
tendance, une orientation particulière des idées; voici
176 LES PERSONNALITÉS COEXISTANTES
dans quelles circonstances se produit cette sorte d'induc-
tion psychique, que je crois très intéressante, car on la
retrouve en dehors de l'hystérie, et dans des cas très
nombreux. On demande au sujet le nom d'une personne
ou d'un objet qu'il a peine à se rappeler; on peut faire
l'expérience sur une date, sur un événement quelconque;
le sujet cherche a se rappeler, mais n'y parvient pas; il
dit qu'il a le mot sur le bout de la langue, mais ses efforts
pour le prononcer ne servent à rien. Si alors on met
un crayon dans la main anesthésique, qui est habituée
déjà à l'écriture automatique, il peut arriver que celle-ci
écrive sur-le-champ le mot que le sujet cherche vaine-
ment. Ceci nous prouve : d'abord que la seconde cons-
cience peut avoir une mémoire plus étendue, sur certains
points, que la mémoire de la première conscience; l'obser-
vation est intéressante, et vaut la peine d'être enregistrée,
car des expériences très bien faites ont conduit au même
résultat d'autres observateurs, et ont montré également
que la mémoire inconsciente est plus étendue que la
mémoire consciente '. Mais ce n'est pas pour mettre en
lumière ce fait que j'ai rapporté l'expérience précédente;
c'est pour donner un nouvel exemple de collaboration des
deux consciences. Dans cette recherche d'un mot oublié,
la première conscience donne l'impulsion à la seconde; il y
a donc eu là une influence complexe et assez difficile à
définir, réelle pourtant, entre les deux consciences.
Il est bien curieux que malgré ces communications si
directes et si intimes, les deux consciences restent sépa-
rées, et que l'une d'elles au moins, la conscience princi-
pale, continue à ignorer complètement l'existence de l'autre.
Il m'a semblé qu'une telle situation ne se prolonge jamais
longtemps, et que si on multiplie expérimentalement les
points de contact de ces deux consciences, l'une d'elles,
l'anormale, tend à se développer aux dépens de l'autre;
nous avons déjà assisté une fois à ce développement des
1. Hcauriis, Les Sen.'salioris inlo'jir.s, p. 133. ,'
L'ÉCRITURE AUTOMATIQUE CHEZ LES HYSTÉRIQUES 177
phénomènes subconscients, capables d'envahir le moi
normal et même de l'effacer '. Nous avons vu que si pen-
dant un état de distraction on excite un peu le personnage
subconscient, la personne normale s'endort, et le person-
nage subconscient passe au premier plan, ce qui amène le
somnambulisme. Il se produit ici un fait du même genre.
Si on oblige une hystérique à penser à une série d'idées,
pendant qu'à son insu l'écriture automatique se manifeste
et traduit tous ses états de conscience, il arrive un moment
où la malade s'arrête avec inquiétude; elle sent fuir les
idées qu'elle vient d'évoquer, elle en perd la conscience
nette; si c'est à un calcul mental qu'on l'a occupée, elle
s'embrouille au milieu de ses chiffres, ne se les rappelle
plus, et se déclare incapable de trouver le nombre total,
alors que l'écriture automatique, qui, elle, n'a rien oublié,
écrit le nombre sans hésitation. Le subconscient, dans ces
expériences, s'étend sur le terrain de la conscience prin-
cipale, et accapare quelques-unes de ses idées; facilement,
il pourrait les accaparer toutes et amener le somnambu-
lisme.
III
Il faut, pour rester fidèle aux faits, élargir un peu la
description de ce que nous avons appelé l'écriture automa-
tique. Ce terme, depuis longtemps consacré par l'usage,
mais fort incolore, ne peut s'appliquer qu'à une catégorie
restreinte de mouvements, aux mouvements graphiques
ignorés de la conscience principale. En réalité, ee ne
sont pas les seuls qui peuvent se produire dans les
conditions que nous avons fixées. Les sensations, les
idées, les états de toutes sortes qui se produisent dans
la conscience principale peuvent amener dans la con-
science secondaire un très grand nombre de mouve-
ments variés. Si l'écriture se produit pour enregistrer ces
1. Voir chap. v, p. 138.
A. BiNET. 12
178 LES PERSONNALITÉS COEXISTANTES
états, c'est parce qu'on a mis un crayon dans la main, ou
pour une autre raison analogue. Rien n'est plus facile que
de modifier la forme de l'enregistrement, car elle dépend
en grande partie de l'attitude donnée au membre insen-
sible ou de l'appareil enregistreur qu'on met en contact
avec lui. Plaçons dans la main insensible un tube de caout-
chouc relié à un cylindre enregistreur, et prions le sujet
de penser à un nombre; la main va changer la nature de
son mouvement; au lieu d'écrire, elle presse le tube et le
nombre de pressions indique le chiffre pensé. La netteté
de ces pressions est montrée par la figure 4.
Si l'on met l'appareil d'exploration sur une autre partie
du corps, quelle qu'elle soit, cette partie du corps expri-
mera à sa manière l'idée dominante du sujet. Le mouve-
ment respiratoire lui-même peut se trouver modifié par
cette influence psychologique.
Ces résultats curieux s'expliquent de la façon la plus satis-
faisante lorsqu'on a compris le jeu des sous-consciences.
Le personnage inconscient a saisi l'idée poursuivie par l'ex-
périmentateur et il fait son possible pour s'y soumettre.
La méthode graphique a l'avantage d'éclaircir un cer-
tain nombre de particularités qui passeraient inaperçues ou
resteraient bien peu visibles si on s'en tenait à l'écriture
automatique. Le premier point sur lequel nous voulons
attirer l'attention, c'est l'influence qu'exerce sur les mou-
vements du personnage subconscient l'intensité de l'exci-
tation. Nous avons dit que l'écriture automatique traduit
spécialement les états d'obsession. 11 est clair que si, en un
même instant, par hypothèse, deux idées de force inégale
sillonnent le champ de la conscience, c'est l'idée la plus
forte, la plus colorée, la plus intéressante qui dirigera
le mouvement subconscient de la main. Il est intéressant
de voir cette différence se marquer sur les tracés. Nous
réalisons l'expérience en plaçant un métronome près du
sujet, et nous prions celui-ci de ne pas écouter les bat-
tements; sa main insensible tient, à son insu, un dyna-
mographe relié à un cylindre enregistreur, et on peut
L'ÉCRITURE AUTOMATIQUE CHEZ LES HYSTÉRIQUES 179
voir par la ligne droite qui se trace d'abord sur le cylin-
fa s .«
•dre, que la main n'a exercé aucune pression (fîg. 5). Le
sujet s'efforçant de ne pas entendre le bruit de l'instrunaent,
180 LES PERSONNALITÉS COEXISTANTES
l'excitation auditive a, au point de vue psychologique,
diminué de force. Puis, renversant les conditions de l'expé-
rience, on demande au sujet d'écouter avec attention le
métronome, et on voit qu'aussitôt de fortes pressions de la
main qui se font rythmiquement et restent inconscientes,
viennent montrer que la sensation acoustique a augmenté
d'intensité, ou en tout cas d'importance.
11 est un second point que les appareils graphiques
mettent bien en lumière, et c'est en le signalant que nous
terminerons ce chapitre.
Les mouvements subconscients du genre de ceux que nous
étudions s'accomplissent en général dans les parties insen-
sibles du corps; c'est là du moins que l'expérimentateur
cherche surtout à les produire, parce qu'il désire être mis à
l'abri des simulations par la présence d'une anesthésie bien
contrôlée. Mais l'anesthésie n'est pas une condition néces-
saire de la division de conscience, et un état de distraction
est capable de produire des effets analogues. Nous avons
donc pensé qu'il serait utile d'étudier l'influence qu'exerce
l'anesthésie sur l'intensité des mouvements subconscients.
La recherche a été faite sur une jeune fille hystérique qui
était insensible du bras droit. Deux appareils enregistreurs
sont placés, l'un sur le bras droit, l'autre sur le bras gauche
et dans une première expérience, on fait battre un métro-
nome; dans une seconde, on prie le sujet de penser à un
chiffre. Quatre tracés réunis dans la figure 6 expriment les
résultats de ces premières épreuves. Au premier coup
d'œil, on voit que les mouvements subconscients, très nets
sur les tracés qui correspondent au membre insensible, ne
sont pas marqués sur le tracé du membre sensible; il ne
faut pas faire trop grand fond sur cette différence, car elle
résulte d'une comparaison entre tracés pris avec deux
appareils différents; or comme jamais on n'obtient des
tambours et des leviers qui soient strictement compa-
rables, on ne peut dire dans quelle mesure la différence
des tracés dépend des phénomènes enregistrés, et dans
quelle mesure elle dépend des appareils.
l'écriture automatique chez les hystériques 181
Mais, pour tirer profit des tracés précédents, il faut, sans
modifier les appareils en place, changer la distribution de
la sensibilité du sujet; une suggestion hypnotique nous suf-
fira pour frapper le iDras gauche d'insensibilité et de paralysie ;
picr. G. — Enregistrement graphique de mouvements inconscients chez une hysté-
rique. Le premier tracé et le second correspondent à une même expérience; un métro-
nome est mis en mouvement à côté du sujet ; le tracé du bras insensible (1) indique que
des mouvements inconscients se sont produits dans ce bras sous l'influence du bruit; le
tracé du bras sensible (2) n'indique aucun mouvement. Les deux tracés suivants ©nt
été pris pendant que le sujet pense au nombre cinq; le tracé du bras insensible (3)
présente des mouvements inconscients, qui traduisent bien l'idée du nombre cinq, celui
■du bras sensible (4) n'en indique pas.
puis le sujet est réveillé, le cylindre est remis en mouve-
ment, et on recueille, comme avant, deux sortes de mouve-
ments subconscients, d'abord en utilisant le bruit du métro-
nome, et ensuite en priant le sujet de penser à un chifTre.
Les tracés qu'on obtient (fig. 7) ne doivent pas être comparés
entre eux, pour les raisons que nous avons indiquées; ils
doivent être comparés à ceux de la figure précédente.
J'attire simplement l'attention sur les lignes qui concer-
nent le bras gauche; pendant qu'il est sensible, les mou-
vements inconscients qu'il présente sont nuls; dès qu'il
182 LES PERSONNALITÉS COEXISTANTES
est frappé de paralysie, ces mouvements deviennent très
considérables. La différence est si nette qu'elle se passe
de tout commentaire.
Ajoutons encorCjUne remarque de détail qui est peut-
Fig. 1. — Même expérience que celle do la figure prooédento avec cette différence
que le bras sensible a été frappé d'anesthésie et de paralysie par suggestion. Les
tracés 1 et 3 correspondent au bras primitivement anesthésique (anesthésie spontanée);
les tracés 2 et 4 correspondent au bras rendu anesthésique par suggestion.
être nécessaire, car si précise qu'elle soit, la méthode
graphique a besoin d'être interprétée incessamment pour
ne point donner lieu à des erreurs. Il ne faudrait pas
croire que les membres sensibles ne présentent aucun
mouvement subconscient. Le résultat négatif des tracés
est dû en grande partie à ce qu'on a fait une exploration
bilatérale; les deux tambours enregistreurs ont été appli-
qués simultanément sur une région sensible et sur une
région insensible. Par là, on a en quelque sorte obligé le
personnage inconscient à s'occuper simultanément de deux
points du corps; il a préféré se rendre dans la région in-
sensible. Si l'exploration est unilatérale, si le tambour est
appliqué seulement sur la région sensible, on obtient des
tracés tout différents, où la présence des mouvements sub-
conscients est bien marquée.
CHAPITRE VIII
LES IDÉES D ORIGINE SUBCONSCIENTE
Les idées d'origine subconsciente. — En quel sens l'iiystérique perçoit les
effets d'une excitation sur une région insensible. — L'expérience des
piqûres. — Idée abstraite suggérée. — Caractère obsédant de cette idée.
— Illusion fréquente des sujets soumis à l'expérience. — Expériences
analogues pendant un état de distraction. — Hallucination suggérée à
la seconde conscience et perçue par la première. — Conclusion.
I
Dans les recherches que nous exposons en ce moment
sur la collaboration des consciences distinctes, nous avons
vu jusqu'ici que lïdée conçue, la volonté d'exécuter un
acte, enfin le point de départ et l'initiative du phénomène
appartiennent à la conscience principale, à celle qui parle
par la bouche du sujet éveillé. Les rôles peuvent être
intervertis, et le courant peut changer de sens. Nous allons
voir l'initiative passer à la seconde conscience, à celle qui
ne parle pas, et qui reste dans bien des cas si rudimentaire
qu'on a cru longtemps qu'elle se réduisait à quelques petits
mouvements insignifiants. 11 peut arriver qu'une sensation
perçue par la seconde conscience éveille une idée qui sera
transmise à la première conscience, sans que celle-ci en
reconnaisse l'origine.
Nous avons supposé qu'il suffisait d'avoir reconnu l'in-
184 LES PERSONNALITES COEXISTANTES
sensibilité d'une région quelconque, chez un sujet hysté-
rique, puis de cacher au sujet la vue de cette région par un
écran pour lui faire ignorer complètement tous les phé-
nomènes qu'on provoque dans des parties insensibles de
son corps. Ce n'est là, avouons-le, qu'une situation idéale;
il faudrait que la division de conscience fût bien par-
faite, tout à fait schématique, pour que le moi normal du
sujet ne perçût absolument rien de ce qui se passe dans
une partie de son organisme. Si nous avons fait cette sup-
position, tout en la sachant erronée, c'est parce qu'il faut
mettre de l'ordre dans la description des faits; nous ne
pouvons pas décrire à la fois la division de conscience, et
les influences réciproques de deux consciences distinctes,
qui rendent la division moins parfaite. Nous allons main-
tenant revenir sur nos premières descriptions, et y ajouter
quelques traits, afin de les rendre plus fidèles.
Ce qui est tout à fait exact, au moins d'après ce que j'ai
observé, c'est que le sujet ne perçoit pas les excitations
qu'on applique sur une région insensible; il ne les perçoit
pas avec leur forme réelle, et ne les localise pas au point
excité. Si on lui pique la paume de la main avec une épin-
gle, il ne rapporte pas à cet endroit une sensation de piqûre;
du reste, s'il le faisait, il cesserait par là même d'être anes-
thésique. Les sensations provoquées dans les régions anes-
Ihésiques restent donc inconscientes; mais elles produisent
d'autres phénomènes, qui pénètrent dans la conscience
normale; ce sont des idées, des images, et parfois des
perceptions fausses, des hallucinations. Ainsi, le sujet ne
perçoit pas l'excitation, mais il peut avoir l'idée de cette
excitation, sans savoir bien entendu pourquoi et comment
cette idée lui est venue.
Voici une expérience qui permettra de saisir ce curieux
effet mieux qu'une longue description. Nous prenons la
main insensible, nous la plaçons derrière l'écran, et nous
la piquons neuf fois avec une épingle; pendant ce temps,
ou après avoir cessé les piqûres, nous demandons au
sujet de penser à un chiffre quelconque et de nous le
LES IDÉES d'origine SUBGONSGIENTE 18o
dire; il répond qu'il a choisi le chiCfre 9, c est-à-dire celui
qui correspond au nombre des piqûres. Il n'a point senti
le coup d'épingle, il ne sait pas qu'on l'a piqué, il est resté
aneslhésique; et cependant il a bien senti quelque chose,
comme le prouve la concordance que nous venons de
signaler. L'excitation, quoique non sentie, non perçue par
son moi normal, a produit un certain effet sur ce moi; elle
y a amené une idée, l'idée du nombre des piqûres \
Ce résultat ne semble nullement singulier quand on
arrive à embrasser d'un seul coup d'œil l'ensemble des
altérations de conscience; on voit alors que tout s'en-
chaîne, et que tel fait, qui est étrange quand on le regarde
isolément, est un effet logique et nécessaire. Mais les con-
naissances générales ne s'acquièrent pas de prime abord;
quand je commençai ces études sur l'anesthésie, je ne
compris rien au phénomène que je viens d'indiquer, et
quand je commençai à comprendre, je me crus la dupe
d'une illusion. A plusieurs reprises, je notais sur mon
cahier d'observations qu'une hystérique, dont l'anesthésie
avait été bien contrôlée, affirmait qu'à un certain moment
elle avait deviné ce qu'on faisait sur la région anesthésique.
Un jour, une femme, la nommée Mel..., anesthésique du
bras droit, à qui je faisais écrire le mot Salpêtrière, déclara
qu'elle avait vu ce mot lui apparaître « écrit en blanc sur
fond noir » et cependant, elle n'avait pas vu sa main, et
celle-ci ne sentait ni les contacts ni les piqûres. J'écrivis
ce singulier témoignage, mais étant occupé à d'autres
recherches, je ne continuai pas celle-là. Deux ans après,
j'eus l'occasion de reprendre mes études sur l'anesthésie
hystérique; je fis méthodiquement l'examen de cette ques-
tion, et ne tardai pas à m'assurer qu'en effet une excitation
non sentie peut amener une idée dans l'esprit du malade.
En somme, voici comment il nous semble qu'on doit se
représenter ce processus, pour le rendre compréhensible.
Toute excitation sensorielle produit chez un individu nor-
1. M. Babiaski a observé ce fait en même temps que nous et d'une
manière indépendante. (Communication orale.)
186 LES PERSONNALITÉS COEXISTANTES
mal, la suggestion d'une série d'images associées; l'individu
normal a conscience de tout cela, des images évoquées
comme de la sensation qui en est le point de départ; chez
l'hystérique, la sensation excitatrice reste dans l'ombre;
elle demeure inconsciente ; mais elle conserve sa propriété
suggestive, et continue à évoquer le même cortège d'images
que si elle était perçue et reconnue. Le processus a donc
son développement habituel; si l'on fait six piqûres sur le
dos d'une main sensible, le sujet les comptera et pensera
par conséquent au chiffre six comme le ferait un individu
normal; seulement, chez l'hystérique, la première partie du
processus se passe dans une conscience, et la seconde dans
une autre.
Nous trouverons plus d'un exemple de ces phénomènes
psychologiques dans des observations de suggestion rap-
portées par d'autres auteurs ; nous les désignerons et nous
les étudierons sous le nom diQ suggestions à point de repère
inconscient. Le caractère particulier des expériences que
nous allons exposer maintenant, c'est que l'excitation non
sentie éveille des associations d'idées naturelles, et en
quelque sorte normales; l'idée de nombre survenant après
une suite de piqûres n'est point une idée artificielle, elle
résume tout un côté de la perception et la représente sous
une autre forme. Il est très curieux de voir ces associations
naturelles se conserver malgré la désagrégation mentale,
et servir de trait d'union entre des consciences distinctes
qui ne se connaissent plus.
Voilà donc une idée d'origine subconsciente qui émerge
dans la conscience normale de l'hystérique. Que va devenir
cette idée? Quelle forme va-t-elle prendre? Quels événe-
ments va-t-elle provoquer? Il pourrait se produire ici une
foule de complications, dont nous montrerons d'ailleurs
plusieurs exemples quand à l'appui des faits actuels nous
en citerons d'autres empruntés à la pathologie mentale;
tantôt ridée subconsciente devient une voix qui parle au
sujet, qui le conseille ou le menace; tantôt elle est la
source d'une impulsion motrice, provoque des mouvements
LES IDÉES D'ORIGINE SUBGONSCIENTE 187
et des actes, etc.; elle peut encore devenir l'origine d'un
délire. Rien de tout cela n'a eu lieu chez nos sujets, nous
ignorons pourquoi ; l'expérimentation suppose un certain
nombre de conditions artificielles, souvent ignorées, qui
aiguillent un phénomène dans une certaine direction, au
milieu d'une foule de directions possibles; nos expériences
ont pris la direction du sens visuel; l'idée suggérée par les
sensations subconscientes a toujours été une idée visuelle,
et souvent même une hallucination de la vue.
Je ne crois pas avoir notablement contribué à donner
cette forme aux idées suggérées, car je suis resté bien
longtemps sans la comprendre; quand je faisais trois exci-
tations, par exemple, sur une main anesthésique, le sujet
répondait simplement à la question : « A quoi pensez-vous?
— Je pense au chiffre 3. » Cette réponse n'indiquait pas
autre chose qu'une idée quelconque, peut-être même une
idée abstraite. Mais peu à peu quelques réponses se préci-
sèrent; tel sujet disait : « Je pense à trois sous la forme
de trois points. » Un autre disait : « Je vois des barres,
des bâtons. » Un troisième : « Je vois des colonnes ». Je
ne savais que penser de ces bizarreries, et je les mettais
sur le compte de l'imagination des malades; mais un jour,
brusquement, je m'aperçus que le sujet voyait des points
quand je le piquais, et qu'il voyait des bâtons ou des
colonnes quand j'agitais son doigt anesthésique; plus de
doute, c'était une image visuelle de sa main ou de l'exci-
tation qui lui apparaissait, et toutes mes expériences ulté-
rieures vinrent confirmer mon interprétation.
II
Nous allons étudier deux points principaux :
1° Quelles sont les excitations inconscientes qui peuvent
impressionner indirectement la conscience normale du sujet;
2° Sous quelle forme ces excitations pénètrent dans cette
conscience.
188 LES PERSONNALITÉS COEXISTANTES
Toutes les excitations d'un organe sensoriel anestbésique
peuvent éveiller, par voie de suggestion, des idées con-
scientes. Nous avons cité des excitations tactiles; il faut
ajouter qu'en mettant en jeu le sens musculaire on arrive
au même résultat; fait-on écrire à la main une lettre ou un
mot, le sujet, prié de penser à une lettre ou à un mot,
peut indiquer ceux qu'on lui a fait écrire sans qu'il le
sût; de même, imprime -t- on plusieurs fois le même
mouvement à un doigt, le nombre de ces mouvements
deviendra le nombre pensé. On peut aussi, en appliquant
sur le tégument des lettres ou des dessins en relief, sus-
citer l'image de lettres et de dessins dans l'esprit du
sujet, qui en parlera si on lui demande à quoi il pense; on
reconnaîtra aussi de cette façon que le sujet peut se repré-
senter sa main ou son bras anestbésique dans la position
où précisément on vient de les placer bors de sa vue. Il
suffit aussi de lui deuiander de penser à un point quelconque
de sa main pour s'apercevoir que c'est le point où on le
pique, ce qui prouve qu'il localise en quelque sorte l'exci-
tation, quoiqu'il ne la perçoive pas. Ces procédés fournis-
sent un moyen détourné de mesurer avec un estbésiomètre
la sensibilité d'un membre anestbésique. D'une manière
générale, les cboses se passent comme si le sujet percevait
l'excitation traduite dans le langage d'un autre sens que
le sens tactile ou musculaire ; ainsi tous les détails de l'ex-
citation tactile qui peuvent être transposés, par exemple
dans le langage visuel, seront conservés.
L'expérience peut être conduite de telle façon que l'ex-
citation soit, non de nature sensorielle, mais de nature
intellectuelle; faisons écrire à la main anestbésique plu-
sieurs cbifîres, et disposons les uns au-dessous des autres,
comme pour faire une addition; le moi du sujet pensera,
non pas à toute la série de ces chiffres, mais au cbiffre
total.
Ces divers genres d'excitation ne produisent pas toujours
les effets psychiques dont nous allons parler; si le sujet est
fortement préoccupé, il est bien possible que le léger relen-
LES IDÉES D'ORIGINE SUBCONSGIENTE 189
tissement de toutes ces excitations ne soit pas entendu et
remarqué; il faut s'adresser au malade, le faire asseoir
dans une pièce où on ne fait aucun bruit; on prend ensuite
sa main insensible, on la cache et on l'excite. 11 est probable
que le personnage inconscient qui est dans tout hystérique
comprend vite la pensée de l'expérimentateur; il entend
celui-ci interroger le sujet et lui demander de penser à un
chiffre; il perçoit en même temps que Texpérimentateur
fait un nombre déterminé de piqûres à la main insensible;
avec un peu de perspicacité, il doit comprendre le but de
la recherche; alors il s'y prête, et il cherche à influencer la
conscience normale du sujet; il la suggestionne à son tour,
comme nous verrons plus loin, dans le chapitre vi, qu'il le
fait en mainte autre circonstance; c'est cet inconscient, je
n'en doute pas, qui souffle à la conscience prime l'idée du
nombre, et celle-ci reçoit l'idée sans savoir d'où elle lui
vient. Nous ne croyons donc pas qu'on puisse décrire le
processus comme une série d'associations d'idées; il y a
dans tout cela des actions et des réactions d'un ordre plus
complexe.
Passons sur cette partie un peu obscure de la question,
et arrivons au résultat final. L'idée, dont nous avons étudié
l'origine, vient d'apparaître dans la conscience normale;
c'est par exemple une idée de nombre; on a fait neuf
piqûres à la main anesthésique, et le sujet a pensé au
nombre neuf. Gomment est-il arrivé à ce nombre? On
pourrait croire qu'il a compté les sensations; et même»
il est évident qu'il faut que quelqu'un les ait comptées
pour en savoir la somme; mais ce quelqu'un, souvent,
n'est pas la conscience normale; la conscience normale
ne sait rien de tout cela; le sujet ne peut dire qu'une chose,
c'est qu'il a pensé au chiffre 9 ; une autre conscience a
fait l'addition et la lui a servie toute faite; il ne connaît que
la somme.
Le sujet, ignorant l'origine de l'idée du neuf, n'hésite pas
à se l'attribuer; il a l'illusion qu'il a choisi librement ce
chiffre, et il est persuadé que, s'il l'avait voulu, il aurait
190 LES PERSONNALITES COEXISTANTES
pu en choisir un autre; mais on lui montrera le con-
traire en refaisant la même expérience, ce qui le met dans
l'impossibilité temporaire de penser à un autre chiffre que
celui-là. J'ai aussi employé quelquefois l'artifice suivant
qui intrigue beaucoup les malades; on écrit un chiffre quel-
conque, par exemple trois, sur un morceau de papier, qu'on
plie en quatre, puis on donne ce papier au malade en le
priant de choisir un chiffre quelconque et d'y penser quel-
ques instants; pendant que le malade cherche le chiffre,
on fait sur sa main anesthésique trois piqûres, ce qui
l'oblige à penser au chiffre trois; puis, quand il a déclaré
ce trois qu'il croit avoir choisi au hasard, on lui fait déplier
le papier, et on lui moutre qu'on avait prévu d'avance sa
pensée; la réussite de cette petite expérience est à peu
près certaine.
Tout ce qui précède montre bien que le malade ne saisit
point l'origine de l'idée qui vient tout à coup, brusque-
ment, envahir le champ de sa conscience normale. Jamais,
remarquons-le avec insistance, jamais les sujets que nous
avons étudiés ne se sont doutés de l'origine de ces idées;
la séparation de conscience a toujours été complète,
absolue, malgré les communications qui s'étabhssent
entre les deux consciences.
C'est un des caractères les plus curieux de cette expé-
rience que l'état d'obsession où elle place la personne
pendant un moment; cet état com.mence parfois dès qu'on
fait la première piqûre; le sujet ne peut pas penser à un
nombre avant que la série de piqûres soit terminée, fût-elle
de cent; et, comme nous l'avons dit, c'est le nombre des
excitations qui s'impose à son esprit. 11 y a cependant
quelques sujets qui réussissent à se soustraire à cette
action obsédante, en employant un subterfuge; priés de
penser à un chiffre, ils se servent du nombre des excita-
tions comme chiffre des dizaines, ou bien ils peuvent le
faire entrer dans une autre combinaison.
A la longue, quand les expériences se répètent, les idées
suggérées par des perceptions inconscientes deviennent
LES IDÉES d'origine SUBCONSCIENTE 191
extrêmement intenses; je les ai vues prendre le plus sou-
vent la forme d'images visuelles. L'image visuelle est
devenue aussi éblouissante au dire des malades qu'une
sensation produite par la lumière électrique; elle s'extério-
risait et pouvait couvrir les objets extérieurs à la façon
d'une hallucination, si bien que le sujet qui lit un journal
pendant l'expérience est obligé de suspendre la lecture,
il cesse de voir les caractères imprimés; quand les sujets
arrivent à ce degré de sensibilité, des excitations extrême-
ment légères apparaissent aussitôt sous la forme visuelle,
et il arrive parfois qu'ils croient voir l'excitation qui est
portée sur le tégument.
Un exemple sera nécessaire pour se faire une idée nette
de ce qui se passe. J'applique un jour sur la nuque anes-
thésique d'une jeune fille hystérique un petit disque en
cuivre, de 2 cent. 5 de diamètre, et portant un petit dessin
en relief; le disque, que la malade n'avait jamais vu,
cela va sans dire, est maintenu pendant quelques instants
au contact de la peau; la malade s'agite, elle se plaint
d'avoir deséblouissements; elle voit des taches lumineuses
de forme circulaire qui brillent devant ses yeux; chaque
fois qu'on augmente la pression sur le disque, l'éclat de
la sensation augmente, et si la pression devient trop forte,
elle peut produire le même effet qu'un jet de lumière
électrique, elle immobihse la malade en catalepsie. Mais
n'allons pas jusque-là; maintenons simplement le contact,
pour chercher jusqu'à quel point la perception du disque
de cuivre se fait exactement. Pour ne pas faire des inter-
rogations fertiles en suggestions, je prie la malade de
prendre un crayon et de dessiner ce qu'elle voit. C'est une
pauvre fille sans grande instruction, qui n'a jamais appris à
dessiner, et qui, en outre, est atteinte d'amyotrophie juvé-
nile; les masses musculaires de son bras, dont elle se sert
pour dessiner, sont atrophiées au point qu'elle peut à peine
le soulever jusqu'à sa tête. Malgré ces conditions défec-
tueuses, la malade arrive à tracer le dessin suivant, que
nous plaçons ici à côté de l'original; et pour permettre la
192 LES PERSONNALITES COEXISTANTES
comparaison, nous ajoutons im troisième dessin, fait dans
les mêmes conditions par une personne normale. Cette
expérience nous révèle chez l'inconscient une acuité de
perception bien remarquable (fîg. 8).
(1)
(•2)
(3)
Fig. S. — (1), le modèle du dessin en relief qui est appliqué sur la région nuoale
du sujet en expérience, de façon à provoquer une impression laolile complexe; (2), re-
présentation par le dessin de Tinipression provoquée; sujet normal; (3), représentation
par le dessin de l'impression provoquée; sujet hystérique. (Lavr.)
Trois ans après, nous revoyons la même malade, nous
répétons sur elle la même expérience avec un dessin dif-
Fig. 9. — (1), le modèle du dessin en relief qui est appliqué sur la région nucalo-
du sujet en expérience, de façon à provoquer une impression tactile complexe ; (2), re-
présentation par le dessin de l'impression provoquée; sujet normal; (S), représentation
par le dessin do l'impression provoquée; sujet hystérique. (Lavr.)
férent, et nous obtenons encore un résultat bien curieux,
qui est représenté par la figure 9.
Il est possible que ces expériences donnent la clef du
phénomène décrit souvent sous le nom de transposition
des sens, et qui consisterait dans l'aptitude présentée par
certaines personnes à voir au moyen des organes du tou-
LES IDÉES D'ORIGINE SUBGONSGIENTE 193
cher. Les détails que nous venons de rapporter montrent
que la transposition des sens tout en étant, à strictement
parler, une illusion, résulte cependant d'un phénomène
psychologique de suggestion d'images, qui est bien réel *.
III
11 est toujours intéressant de trouver la confirmation
d'une expérience dans d'autres expériences d'un genre dif-
férent; c'est pour cette raison que nous montrerons que
dans les divisions de conscience produites par distraction
on rencontre également des influences psychiques exercées
par la conscience secondaire sur la conscience principale.
En général, dans l'état de distraction, la division de con-
science s'opère d'une façon si systématique que les con-
sciences multiples ne se mélangent pas. Nous avons vu
que lorsque, par un ordre donné à l'inconscient, on le
force à se lever ou à marcher, le personnage principal
ne s'aperçoit de rien; il croit rester assis et immobile,
tandis que ses bras et son corps entier obéissent à l'ordre
reçu. Une hallucination lui couvre les yeux et l'empêche
de voir les actes de l'inconscient. Dans ces cas, la sépa-
ration des consciences reste aussi complète qu'elle peut
l'être.
Mais il y a d'autres circonstances où le mélange
s'opère, et M. Pierre Janet en a cité quelques-unes qui sont
bien curieuses. On a adressé une suggestion d'hallucina-
tion à l'inconscient. « Le commandement n'est pas entendu
par le sujet, l'origine de l'hallucination est inconsciente,
mais l'hallucination elle-même est consciente, et entre
tout d'un coup dans l'esprit du sujet. Ainsi, pendant que
Léonie ne m'écoute pas, je lui dis tout bas que la personne
à qui elle parle a une redingote du plus beau vert. Léonie
1. J'ai pu étudiei" longuement, grâce à ce procédé, le phénomèue de la
Vision mentale. Voir Reoue philosophique, 1890.
A. BiNET. 13
194 LES PERSONNALITES COEXISTANTES
semble n'avoir rien entendu, et cause encore avec cette
personne, puis elle s'interrompt et éclate de rire : « Oh!
mon Dieu, comment vous êtes-vous habillé ainsi, et dire
que je ne m'en étais pas encore aperçue. » Je lui dis de
même tout bas qu'elle a un bonbon dans la bouche; elle
semble bien n'avoir rien entendu, et si je l'interroge, elle
ne sait ce que j'ai dit, mais la voici cependant qui fait des
grimaces et qui s'écrie : « Ah ! qui est-ce qui m'a donc mis
cela dans la bouche? » Ce phénomène est fort complexe,
il comprend un mélange de faits inconscients et de faits
conscients reliés à un certain point de vue et cependant
séparés à un autre \ »
L'auteur arrive, on le voit, à la même conclusion que
nous. L'exemple cité e^t d'autant plus intéressant qu'il
peut être considéré comme le type de la plupart des
suggestions. Nous reviendrons plus tard sur cette ques-
tion importante.
Et maintenant, si nous jetons un coup d'œil d'ensemble
sur l'objet des trois chapitres précédents, nous voyons
que la division de conscience, telle qu'elle existe chez
l'hystérique, ne constitue pas une démarcation brusque,
suspendant toute relation entre les consciences. Loin de
là ; les phénomènes psychologiques de chaque groupe exer-
cent sur le groupe voisin une influence incessante, et la
division de conscience ne suspend même pas le jeu de
l'association des idées; il arrive qu'une idée associée à une
autre l'éveille et la suggère, bien que les deux appartien-
nent à des consciences différentes. La division laisse donc
subsister l'automatisme des images, des sensations et des
mouvements; elle consiste seulement dans une limitation
de la conscience; chacun des moi ne connaît que ce qui se
passe dans son domaine.
Dans tout ce qui précède et dans tout ce qui va suivre,
nous ne cessons pas de rester dans un sujet très limité;
nous ne cultivons qu'un petit coin du vaste domaine de la
1. 0//. ciL, p. 242.
LES IDEES D'ORIGINE SUBCONSGIENTE 195
pathologie mentale et nerveuse; ainsi, nous négligeons
complètement l'étude des aliénés, pensant que sur ce
point rien de décisif n'a été fait depuis l'ouvrage de
M. Ribot, qui a Lien montré dans quelle mesure ces
malades peuvent présenter des personnalités multiples. Il
faut cependant franchir ici, une fois seulement, les limites
que nous nous sommes tracées, car les faits que nous
venons d'étudier trouvent dans la pathologie mentale une
application tellement directe qu'on ne peut se dispenser
de la signaler.
En effet, s'il est exact qu'on rencontre fréquemment chez
les aliénés et dans une foule d'autres conditions morbides
des séparations de conscience, on doit rencontrer bien
plus fréquemment encore des consciences qui, quoique
séparées, continuent à agir les unes sur les autres, ce qui
produit des résultats d'une grande complexité.
Nos expériences, qui ont porté presque uniquement sur
des suggestions d'images visuelles, ne donnent pas une
idée du nombre considérable de formes que la communi-
cation de consciences peut revêtir; il peut se produire
non seulement des hallucinations visuelles, mais des hal-
lucinations de tous les autres sens et des idées fixes; la
volonté et les sentiments peuvent être également affectés,
et c'est là probablement ce qui exphquerait un certain
nombre des impulsions irrésistibles que le malade subit
sans perdre la conscience de son identité.
Dans ces derniers temps M. Séglas * a montré plus claire-
ment qu'on ne l'avait fait jusqu'ici que certains malades
peuvent contenir des groupes distincts de phénomènes
psychologiques, et qu'il peut y avoir entre ces groupes, à
des moments donnés, des communications d'idées; ces
idées prennent chez les aliénés de préférence la forme
auditive ou la forme motrice; le plus communément, ce
sont des voix qui se font entendre au malade; les voix
1. Progrès médical, n°' 33, 34, 1888, et Annales médico-psycho., janv. et
juillet 1889. Voir aussi un très intéressant article de F. de Sarlo [Rivista
di Freniatria, II et III, 1891).
196 LES PERSONNALITÉS COEXISTANTES
prononcent des paroles ayant un sens, et répondant, comme
on a pu s'en assurer, à un état de préoccupation dont le
malade n'a point la conscience claire; parfois, le malade
n'entend pas distinctement le son, mais il perçoit un
mouvement d'articulation qui se produit dans sa bouche,
et il comprend le sens des paroles qui sont sur le point
d'être émises; c'est l'hallucination motrice verbale; d'autres
fois, sa main écrit spontanément sans quïl en ait cons-
cience. Il n'est pas besoin d'insister longuement pour
montrer l'intérêt de ces observations et leur analogie avec
celles que l'on fait sur les hystériques.
CHAPITRE IX
LA PLURALITÉ DES CONSCIENCES CHEZ LES SUJETS SAINS
i. Historique. — Le pendule explorateur. — Idées de Chevreul. — L'écri-
ture automatique. — La lecture de pensée. — Expériences de M. Richet
et de ^\. Gley. — Interprétation des recherches précédentes. — Les pro-
priétés motrices des images. — Insuffisance de cette explication.
II. La division de l'attention volontaire. — Ses effets ordinaires. — L'in-
conscience fréquente, preuve d'une tendance au dédoublement.
m. Les manifestations subconscientes pendant l'état de distraction. — ■
Anesthésie. — Répétition des mouvements communiqués. — • Caractère
intelligent de cette répétition. — La suggestion par le sens du toucher.
— L'écriture automatique. — Conclusion.
I
Il est aujourd'hui devenu banal de remarquer que la
plupart des expériences qu'on a pratiquées sur des per-
sonnes hystériques se répètent avec des résultats à peu
près équivalents mais amoindris chez des personnes saines,
et que par conséquent l'hystérie, dont les troubles intellec-
tuels ont été étudiés avec une si grande prédilection par
la psychologie française contemporaine, doit être consi-
dérée comme un réactif permettant de rendre plus appa-
rents certains phénomènes délicats de l'intelligence nor-
male. Nous allons trouver ici une nouvelle démonstration
de cette vérité.
Deux procédés d'exposition sont à notre disposition. On
pourrait d'abord chercher des exemples de dissociation
198 LES PERSONNALITÉS COEXISTANTES
mentale dans les observations de la vie courante, montrer
par exemple que de tous temps les moralistes et les poètes
ont soutenu qu'il existe en chacun de nous plusieurs moi,
qui se révèlent principalement dans les manifestations
violentes de la passion. Malgré l'intérêt littéraire de ces
recherches, nous croyons utile de les négliger, parce
qu'elles donnent des résultats trop incertains; il est pré-
férable, à tous les points de vue, d'employer un autre
procédé.
Nous allons nous borner à relater les expériences qui
ont été faites sur des personnes saines ou à peu près, et
qui contiennent des preuves de dissociation de conscience;
ces expériences sont précises, autant du moins que des
expériences psychologiques peuvent l'être; et leurs résul-
tats, sans avoir la généralité et le caractère brillant des des-
criptions des poètes, nous paraissent mille fois préférables \
Toutes les expériences qui vont suivre ont pour trait
commun de placer une personne dans une condition telle
qu'elle trahit au dehors, sans le vouloir et souvent sans le
savoir, la pensée secrète qui l'occupe. En d'autres termes,
cette personne est amenée à exécuter des mouvements
inconscients.
L'interprétation psychologique de ces expériences a un
peu varié; celle qu'on avait imaginée autrefois était assez
simple. On admettait que le caractère principal des mouve-
ments inconscients est une action des pensées sur les mou-
vements; toute pensée, et particulièrement si elle est con-
crète, si elle est image, a une tendance à se dépenser en
mouvement; elle contient en elle un germe moteur; bien
plus, elle est un mouvement qui commence, qui s'ébauche;
penser, a-t-on dit avec raison, c'est se retenir d'agir, c'est
exercer une action d'arrêt sur la tendance motrice des
images qui occupent l'esprit à un moment donné. Suppo-
1. Ces études sur les réacUons des sujets sains comparés aux hysté-
nijucs, soulèvent des proljlèmes encore disciilcs, par exemple celui des
rapports de l'hystérie avec l'hypnotisme. Nous laissons ces problèmes de
côté et nous nous contentons de décrire une série d'expériences.
PLURALITÉ DES CONSCIENCES CHEZ LES SUJETS SAINS 199
sons que pour une raison quelconque cet arrêt n'ait pas
lieu; la pensée va se traduire en acte, l'état psychique
interne va prendre une forme extérieure, indépendamment
de la volonté de la personne, et souvent à son insu. C'est
l'automatisme des images, et pour qu'il se manifeste, une
seule condition est requise, ne pas l'empêcher, laisser faire.
Telle est, résumée en quelques mots, la théorie de l'au-
tomatisme qu'on a admise pendant longtemps; il semble,
comme nous l'avons dit, qu'on doive un peu la compli-
quer, en y ajoutant le jeu simultané de plusieurs synthèses
mentales. Les mouvements inconscients des individus
normaux doivent être considérés, à ce qu'il semble, non
comme de simples effets des propriétés motrices des
imases, mais comme des effets d'un dédoublement mental
très léger. Par là ils se rattachent aux observations et aux
expériences qui ont été faites sur les hystériques, et on
pourra chemin faisant s'assurer que ce sont comme des
épisodes incomplets, fragmentaires de l'histoire des plura-
lités de conscience.
Il faut maintenant citer les faits et les expériences. En
suivant Tordre historique , nous examinerons d'abord
l'expérience du pendule explorateur, qui, comme on le
sait, a été bien analysée pour la première fois par Ghe-
vreul; nous étudierons ensuite l'écriture automatique et la
lecture de pensées.
Le pendule explorateur est un instrument assez simple;
il se compose d'un corps solide suspendu à un fil, dont
l'extrémité libre est tenue entre les doigts. Mais si l'instru-
ment est simple, les phénomènes qu'il permet d'observer
sont assez déhcats, et l'interprétation qu'on en a donnée a
beaucoup varié.
Il est utile de reproduire presque entièrement la lettre
que Ghevreul écrivit à Ampère sur « une classe particulière
de mouvements musculaires «.Cette lettre fut publiée dans
la Revue des Deux Mondes le 1" mai 1832; elle contient
un résumé des expériences de Chevreul sur le pendule
explorateur.
200 LES PERSONNALITES COEXISTANTES
« Mon cher ami,
« Vous me demandez une description des expériences que
je fis en 1812 pour savoir s'il est vrai, comme plusieurs
personnes me l'avaient assuré, ([u' un pendule formé d'un
corps lourd et d'un fil flexible oscille lorsqu'on le tient à la
main au-dessus de certains corps, quoique le bras soit
immobile. Vous pensez que ces expériences ont quelque
importance; en me rendant aux raisons que vous m'avez
données de les publier, qu'il me soit permis de dire qu'il a
fallu toute la foi que j'ai en vos lumières pour me déter-
miner à mettre sous les yeux du public des faits d'un genre
si différent de ceux dont je Tai entretenu jusqu'ici. Quoi
qu'il en soit, je vais, suivant votre désir, exposer mes
observations; je les présenterai dans l'ordre où je les ai
faites.
« Le pendule dont je me servis était un anneau de fer
suspendu à un fîl de chanvre; il avait été disposé par une
personne qui désirait vivement que je vérifiasse moi-même
le phénomène qui se manifestait lorsqu'elle le mettait au-
dessus de l'eau, d'un bloc de métal, ou d'un être vivant;
phénomène dont elle me rendit témoin. Ce ne fut pas, je
l'avoue, sans surprise, que je le vis se reproduire, lors-
qu'ayant saisi moi-même de la main droite le fil du pen-
dule, j'eus placé ce dernier au-dessus du mercure de ma
cuve pneumato-chimique, d'une enclume, de plusieurs ani-
maux, etc. Je conclus de mes expériences que s'il n'y avait,
comme on me l'assurait, qu'un certain nombre de corps
aptes à déterminer les oscillations du pendule, il pourrait
arriver qu'en interposant d'autres corps entre les premiers
et le pendule en mouvement, celui-ci s'arrêterait. Malgré
ma présomption, mon élonnement fut grand, lorsqu'après
avoir pris de la main gauche une plaque de verre, un gâteau
de résine, etc., et avoir placé un de ces corps entre du
mercure et le pendule qui oscillait au-dessus, je vis les
oscillations diminuer d'ampHtude et s'anéantir entière-
ment. Elles recommencèrent lorsque le corps intermédiaire
PLURALITÉ DES CONSCIENCES CHEZ LES SUJETS SAINS 201
eut été retiré, et s'anéantirent de nouveau par l'interposi-
tion du même corps. Cette succession de phénomènes se
répéta un grand nombre de fois et avec une constance vrai-
ment remarquable, soit que le corps intermédiaire fût tenu
par moi, soit qu'il le fût par une autre personne. Plus ces
effets me paraissaient extraordinaires, et plus je sentais le
besoin de vérifier s'ils étaient réellement étrangers à tout
mouvement musculaire du bras, ainsi qu'on me l'avait
affirmé de la manière la plus positive. Cela me conduisit à
appuyer le bras droit, qui tenait le pendule, sur un support
de bois que je faisais avancer à volonté de l'épaule à la
main et revenir de la main vers l'épaule. Je remarquai
bientôt que, dans la première circonstance, le mouvement
du pendule décroissait d'autant plus que l'appui s'appro-
chait davantage de la main, et qu'il cessait lorsque les
doigts qui tenaient le fil étaient eux-mêmes appuyés,
tandis que dans la seconde circonstance, l'effet contraire
avait heu; cependant pour des distances égales du sup-
port au fil, le mouvement était plus lent qu'auparavant. Je
pensai, d'après cela, qu'il était très probable qu'un mouve-
ment musculaire qui avait lieu à mon insu déterminait le
phénomène, et je devais d'autant plus prendre cette opi-
nion en considération que j'avais un souvenir, vague à la
vérité, d'avoir été dans un état tout particulier, lorsque
mes yeux suivaient les oscillations que décrivait le pendule
que je tenais à la main.
« Je refis mes expériences, le bras parfaitement libre, et je
me convainquis que le souvenir dont je viens de parler
n'était pas une illusion de mon esprit, car je sentis très bien
qu'en même temps que mes yeux suivaient le pendule qui
oscillait, il y avait en moi une disposition, ou tendance au
mouvement, qui, toute involontaire qu'elle semblait, était
d'autant plus satisfaite que le pendule décrivait de plus
grands arcs; dès lors, je pensai que si je répétais les expé-
riences les yeux bandés, les résultats pourraient être tout
différents de ceux que j'observais; c'est précisément ce qui
arriva. Pendant que le pendule oscillait au-dessus du mer-
•20-2 LES PERSONNALITÉS COEXISTANTES
cure, on m'appliqua un bandeau sur les yeux : le mouve-
ment diminua bientôt; mais quoique les oscillations fussent
faibles, elles ne diminuèrent pas sensiblement par la pré-
sence des corps qui avaient paru les arrêter dans mes pre-
mières expériences. Enfin, à partir du moment où le pen-
dule fut en repos, je le tins encore pendant un quart
d'heure au-dessus du mercure, sans qu'il se remît en
mouvement, et dans ce temps-là, et toujours à mon insu,
on avait interposé et retiré plusieurs fois, soit le plateau
de verre, soit le gâteau de résine.
« Voici comment j'interprète ces phénomènes :
« Lorsque je tenais le pendule à la main, le mouvement
musculaire de mon bras, quoique insensible pour moi, fît
sortir le pendule de l'état de repos, et les oscillations une
fois commencées furent bientôt augmentées par l'influence
que la vue exerça pour me mettre dans cet état particulier
de disposition ou tendance au mouvement. Maintenant, il
faut bien reconnaître que le mouvement musculaire, lors
même qu'il s'est accru par cette même disposition, est
cependant assez faible pour s'arrêter, je ne dis pas sous
l'empire de la volonté, mais lorsqu'on a simplement la
pensée d'essayer si telle chose l'arrêtera. Il y a donc une
liaison intime établie entre l'exécution de certains mouve-
ments et l'acte de la pensée qui y est relative, quoique cette
pensée ne soit point encore la volonté qui commande aux
organes musculaires. C'est en cela que les phénomènes
que j'ai décrits me semblent de quelque intérêt pour la
psychologie, et môme pour l'histoire des sciences; ils prou-
vent combien il est facile de prendre des illusions pour des
réalités, toutes les fois que nous nous occupons d'un phé-
nomène où nos organes ont quelque part, et cela dans des
circonstances qui n'ont pas été analysées suffisamment.
« En effet, que je me sois borné à faire osciller le pen-
dule au-dessus de certains corps, et aux expériences où ses
oscillations furent arrêtées, quand on interposa du verre,
de la résine, etc., entre le pendule et les corps qui sem-
blaient en déterminer le mouvement, et certainement je
PLURALITE DES CONSCIENCES CHEZ LES SUJETS SAINS 203
n'aurais point eu de raison pour ne pas croire à la baguette
divinatoire et à autre chose du même genre. Maintenant,
on concevra sans peine comment des hommes de très
bonne foi, et éclairés d'ailleurs, sont quelquefois portés à
recourir à des idées tout à fait chimériques pour expliquer
des phénomènes qui ne sortent pas réellement du monde
physique que nous connaissons ^ Une fois convaincu que
rien de vraiment extraordinaire n'existait dans les effets qui
m'avaient causé tant de surprise, je me suis trouvé dans
une disposition si différente de celle où j'étais la première
fois que je les observai, que longtemps après et à diverses
époques, j'ai essayé, mais toujours en vain, de les repro-
duire...
« Les faits précédents, et l'interprétation que j'en ai
donnée, m'ont conduit à les enchaîner à d'autres que nous
pouvons observer tous les jours; par cet enchaînement,
l'analyse de ceux-ci devient à la fois plus simple et plus
précise qu'elle ne l'a été, en même temps que l'on forme
un ensemble de faits dont l'interprétation générale est sus-
ceptible d'une grande extension. Mais avant d'aller plus
loin, rappelons bien que mes observations présentent deux
circonstances principales :
« I. Penser qu'un pendule tenu à la main peut se mouvoir,
et qu'il se meuve sans qu'on ait la conscience que l'organe
musculaire lui imprime aucune impulsion : voilà un pre-
mier fait.
« IL Voir ce pendule osciller, et que ses oscillations devien-
nent plus étendues par l'influence de la vue sur l'organe
musculaire, et toujours sans qu'on en ait la conscience :
voilà un second fait.
1. « Je conçois très bien qu'un homme de bonne foi, dont l'attention tout
entière est fixée sur le mouvement qu'une baguette qu'il tient en ses mains
peut prendre par une cause qui lui est inconnue, pourra recevoir, de la
moindre circonstance, la tendance au mouvement nécessaire pour amener
la manifestation du phénomène qui l'occupe. Par exemple, si cet homme
cherche une source, s'il n'a pas les yeux bandés, la vue d'un gazon vert,
abondant, sur lequel il marche, pourra déterminer en lui, à son insu, le
mouvement musculaire capable de déranger la baguette, par la liaison
établie entre l'idée de la végétation active et celle de l'eau. »
204 LES PERSONNALITES COEXISTANTES
« La tendance au mouvement déterminée en nous par la
vue d'un corps en mouvement se retrouve dans plusieurs
cas, par exemple :
« 1° Lorsque l'attention étant entièrement fixée sur un
oiseau qui vole, sur une pierre qui fend l'air, sur de l'eau
qui coule, le corps du spectateur se dirige d'une manière
plus ou moins prononcée vers la ligne du mouvement;
« 2° Lorsqu'un joueur de boule ou de billard suivant de
l'œil le mobile auquel il a imprimé le mouvement, porte
son corps dans la direction qu'il désire voir suivre à ce
mobile, comme s'il lui était possible encore de le diriger
vers le but qu'il a voulu lui faire atteindre...
« La tendance au mouvement dans un sens déterminé,
résultant de l'attention qu'on donne à un certain objet, me
semble la cause première de plusieurs phénomènes qu'on
rapporte généralement kV imitation) ainsi, dans le cas où la
vue et même l'audition porte notre pensée sur une personne
qui bâille, le mouvement musculaire du bâillement en est
ordinairement chez nous la conséquence; je pourrais en
dire autant de la communication du rire, et cet exemple
même présente, plus que tout autre analogue, une circons-
tance qui me paraît appuyer beaucoup l'interprétation que
je donne de ces phénomènes; c'est que le rire, faible
d'abord, peut, s'il se prolonge, passez-moi l'expression,
^'accélérer (comme nous avons vu les oscillations du pen-
dule tenu à la main augmenter d'amplitude sous l'in-
fluence de la vue), et le rire ^'accélérant peut aller jusqu'à
la convulsion. »
Le mérite de Chevreul est d'avoir bien vu que les oscil-
lations du pendule ont une cause psychologique et tiennent
à l'état d'esprit de l'observateur en expérience ; le pen-
dule, en somme, n'est qu'un instrument commode pour
enregistrer les mouvements inconscients de la main ; et il les
rend visibles en les amplifiant. Si on cherche à condenser
en quelques mots les explications un peu diffuses de Che-
vreul, on voit qu'il a attribué le phénomène à ce que l'on
désigne aujourd'hui sous le nom de pouvoir moteur des
PLURALITE DES CONSCIENCES CHEZ LES SUJETS SAINS 205
images. Nous reviendrons sur cette explication, après avoir
cité quelques autres exemples de mouvements inconscients.
\a écriture automatique peut être considérée comme une
action psychologique de même ordre que celle du pendule
explorateur; l'action est seulement un peu plus délicate et
plus complexe; voici en quoi elle consiste et dans quelles
conditions on peut la provoquer. Nous empruntons les
détails suivants à une note intéressante que M. Gley a
publiée à propos d'un de nos articles sur l'anesthésie hysté-
rique et sur les mouvements inconscients qu'on peut y
observer.
« La personne sur laquelle je fais Texpérience, dit
M. Gley, prend une plume ou un crayon; je lui dis de
pensera un nom et que je vais, sans qu'elle me dise rien,
bien entendu, écrire ce nom; alors je lui saisis la main et,
tenant celle-ci et paraissant la diriger comme lorsqu'on
apprend à écrire à un enfant, en réalité je la laisse aller,
car c'est la personne môme qui écrit le nom en question
sans en avoir conscience. Inversement, on peut tenir soi-
même la plume et se faire conduire la main par le sujet en
expérience. La pratique toutefois m'a montré qu'on réussit
mieux de la première manière. Une précaution utile à
prendre consiste à faire fermer les yeux au sujet ou à le
prier de regarder droit devant lui ou en l'air, bref, ailleurs
que sur le papier.
« J'ai réussi cette petite expérience sur un très grand
nombre de personnes d'âges divers et de l'un ou de l'autre
sexe, de conditions sociales variées, très bonnes en général.
C'est dire qu'il n'y a pas à tenir compte d'un état plus
ou moins morbide du système nerveux (hystérie par
exemple). Dans la plupart des cas, les mouvements graphi-
ques sont absolument inconscients; dans quelques cas, au
bout d'un temps variable, mais toujours très appréciable,
le sujet s'aperçoit qu'il exécute des mouvements; ceux-ci
cessent conséquemment d'être inconscients pour devenir
simplement involontaires. J'ai toujours réussi jusqu'à pré-
sent, et du premier coup, avec les personnes qui savent un
•20(5 LES PERSONNALITES COEXISTANTES
peu dessiner, à plus forte raison avec des peintres, avec des
sculpteurs, etc. »
Des expériences analogues ont été faites avec les mêmes
résultats par un très grand nombre d'auteurs, Preyer,
Sikorsky, etc. Les variantes sont si insignifiantes qu'elles
ne méritent pas d'être signalées.
Il est facile de reconnaître que l'écriture automatique
est la même opération psychologique que celle du pendule
explorateur; dans les deux cas un mouvement se produit,
sans que le sujet en ait conscience, et ce mouvement de la
main traduit une pensée interne; c'est la pensée d'une
direction dans l'espace, comme dans l'expérience de Ghe-
vreul, ou la pensée d'un mot à écrire, comme dans l'ex-
périence de l'écriture automatique. L'analogie des deux
expériences est si frappante qu'on leur a donné, et avec
raison, une explication commune. Ceux qui ont cherché à
expliquer les mouvements du pendule explorateur par le
pouvoir moteur des images ont invoqué ici le même fait
psychologique. A ce titre, il sera intéressant de repro-
duire l'interprétation de M. Gley.
(( Si les choses se passent ainsi, c'est, je crois, parce qu'il
entre dans toute représentation des éléments moteurs,
ceux-ci jouant pour la constitution et par suite dans le
rappel de l'image un rôle plus ou moins important suivant
les individus. Qu'est-ce en particulier qu'un nom? Il y a
déjà longtemps que M. Gharcot a montré de la façon la
plus claire (voy. en particulier Progrès médical^ 1883) que
le mot est un complexus, constitué par l'association de
quatre espèces d'images : auditive, visuelle, motrice d'arti-
culation et motrice graphique; et ses recherches anatorno-
cliniques ont prouvé que du trouble de l'un ou de l'autre
des organes cérébraux nécessaires à cette fonction si com-
plexe du langage résulte une forme déterminée d'aphasie
(surdité ou cécité verbales, aphasie motrice, agraphie).
« Mais chaque groupe d'images n'est pas également impor-
tant chez tous les individus. On sait très bien que les uns
ont phitôt des images auditives, les autres sont plutôt des
PLURALITÉ DES CONSCIENCES CHEZ LES SUJETS SAINS 207
visuels, suivant l'expression usitée aujourd'hui, et les
autres des moteurs. Penser à un nom pour les uns c'est
donc surtout, et pour quelques-uns même, c'est exclusive-
ment entendre ce nom (image auditive); pour les autres,
c'est le voir; pour d'autres encore, c'est le prononcer (image
motrice d'articulation) et pour un dernier groupe c'est
l'écrire (image graphique). Qu'on n'oublie pas que pour
beaucoup (les indifférents^ comme les a appelés M. Ghar-
cot), les images des trois catégories peuvent être utilisées.
Par suite, je suis porté à croire que, si on trouvait un audi-
tif pur, et qu'on tentât avec l'expérience dont il s'agit ici,
on n'obtiendrait aucun résultat.
« Je ferai cependant une réserve. Ne se pourrait-il pas que
même chez un auditif, dans quelques cas, soit sous l'in-
fluence de la légère émotion produite par cette expérience
d'apparence un peu étonnante pour le vulgaire, soit sur-
tout à cause de l'attitude prise (et M. Binet dans l'article
cité plus haut a bien montré l'importance de l'attitude pour
la production de ces mouvements inconscients chez les
hystériques), soit pour ces deux raisons réunies, l'expé-
rience réussît? — Mais alors une conclusion ne s'impose-
t-elle pas? C'est que dans toute image il y a des éléments
moteurs, comme éléments intégrants : aucune perception
de la vue n'est possible sans mouvements des muscles de
l'œil et du muscle accommodateur; la formation de toute
image tonale ne résulte pas seulement de la transmission
au cerveau des sons entendus, mais implique aussi des
mouvements des muscles intrinsèques de l'oreille. Tous
ces phénomènes de mouvement laissent leur trace dans le
cerveau; et ces résidus moteurs doivent s'associer aux
autres résidus de même nature qui résultent des mouve-
ments graphiques. Seulement celte association est sans
doute plus ou moins forte. En tout cas, on voit que, même
chez les auditifs ou les visuels purs, toute image comprend
des éléments moteurs qui, dans certains cas, peuvent réveiller
des images graphiques, bien que celles-ci chez ces individus
ne jouent aucun rôle dans l'exercice habituel de la pensée.
208 LES PERSONNALITES COEXISTANTES
« Il importe de remarquer maintenant que très générale-
ment cette partie motrice de la représentation mentale est
inconsciente, si toutefois l'on excepte le phénomène connu
sous le nom de parole intérieure'^ encore sait-on qu'il est
besoin d'ordinaire d'une certaine habitude de l'observation
de soi-même pour que la parole intérieure n'échappe pas à
la conscience. En effet, toute représentation mentale n'est
qu'une résultante; c'est de cette résultante seule, ce semble,
que l'on a habituellement conscience : les éléments simples
constituants ne se dégagent pas. C'est ainsi que le timbre
d'un son est dû à ce que des notes accessoires s'unissent à
la note principale; et le son musical perçu est formé par
des sensations plus simples, agglomérées pour ainsi dire,
et qui ne sont point perçues; sans elles néanmoins, la sen-
sation n'aurait point lieu. Pour montrer que cette dernière
implique les premières à titre d'éléments intégrants, il faut
un artifice expérimental. De cette manière peut, ce me
semble, s'interpréter l'expérience que j'ai décrite. De même,
les phénomènes organiques, cardiaques, vaso-moteurs,
sécrétoires, etc., qui accompagnent presque tous, sinon
tous les états affectifs, aident sans doute ces états à se con-
stituer et peut-être même précèdent le phénomène con-
scient, loin de le suivre; ils n'en restent pas moins, dans
nombre de cas, inconscients.
« Gomme conséquence ultime on pourrait dire que, pour
toute une classe d'individus surtout (les moteurs), se repré-
senter un acte, c'est en ébaucher l'exécution. Et ainsi on
trouverait une raison psychologique profonde à la vieille
maxime juridique, à savoir que l'intention doit être
réputée pour le fait. »
La lecture de pensée^ ou ce qu'on appelle de ce nom, sup-
pose l'existence de mouvements inconscients, qui sont de
môme nature, à peu près, que l'écriture automatique. Cette
opération a été souvent étudiée et décrite, surtout par des
gens du monde, et elle constitue en effet un jeu de société;
elle fait partie de ce qu'on pourrait appeler la psychologie
amusante. Cependant quelques hommes de science se sont
PLURALITÉ DES CONSCIENCES CHEZ LES SUJETS SAINS 200
occupés de la question, d'abord M. Bird en Amérique, puis
MM. Richet, Gley, de Varigny, qui ont fait plusieurs com-
munications à la Société de Biologie en 1884, et MM. Ro-
bertson, Galton, Romanes, etc., en Angleterre, Preyer,
Sikorsky, etc., en Allemagne. Voici comment l'expérience
se dispose dans la plupart des cas. Une personne est
priée de penser fortement, avec autant de fixité que pos-
sible, à un objet; l'objet peut être absent, ou présent.
Une seconde personne prend la main de la première,
et doit chercher à deviner sa pensée, sans l'interroger
verbalement. S'il s'agit d'un objet présent dans le lieu où
l'on se trouve, et qu'on a eu le soin de cacher, la personne
qui devine doit se diriger avec l'autre personne vers l'en-
droit de la cachette. Telle est l'expérience; le nombre des
réussites exclut l'explication du hasard et l'honorabilité
des personnes avec lesquelles on a pu la réussir exclut
toute idée de simulation. Comment donc une personne peut-
elle deviner la pensée d'une autre, en lui tenant simple-
ment la main? C'est par les mouvements de cette main,
mouvements faibles, délicats, presque imperceptibles, mais
cependant bien significatifs pour quiconque a le tact un
peu exercé et l'esprit prompt; grâce à ces mouvements, on
est conduit vers l'objet cherché avec une précision dont on
ne se doute pas avant d'avoir fait soi-même l'expérience.
M. Bird a donc eu raison de donner à cette lecture le nom
de lecture de mouvements musculaires (muscle-reading).
La nature exacte de ces mouvements est difficile à décrire,
elle varie du reste beaucoup d'une personne à l'autre; mais
il est facile de comprendre ce qu'ils peuvent être dans un
certain nombre de cas. Lorsqu'on entraîne loin de l'objet
caché la personne qui pense à cet objet, il peut arriver que
sa main résiste un peu, extrêmement peu, à ce mouvement;
elle résistera moins si le mouvement la dirige vers l'objet;
et enfin, quand elle passera devant, il se pourra qu'elle
exécute avec la main un petit mouvement de flexion ou
d'extension, ou qu'elle ait un petit soubresaut qui indiquera
que l'objet est là. Les personnes calmes, pondérées, qui ne
A. BiNET. 14
210 LES PERSOiNNALITES COEXISTANTES
donnent pas de signes d'impatience, qui savent gouverner
leurs muscles, n'ont pas de ces mouvements.
Remarquons bien que les mouvements ne sont en général
ni volontaires ni conscients pour la personne qui les exé-
cute. Il y a mieux encore; il peut arriver que la personne
qui joue le rôle de devin ne perçoive pas les mouvements,
et cependant se dirige vers l'objet ou devine la pensée sans
se rendre compte du moyen qu'elle emploie pour y arriver.
Cette explication de la lecture des pensées par les mou-
vements de la main a été bien établie par M. Bird, pour
la première fois. M. Gley a eu l'idée ingénieuse d'enre-
gistrer directement les mouvements; et les résultats de
cette méthode si démonstrative sont assez intéressants
pour mériter une publication intégrale.
« Gomme on peut le voir sur les graphiques, dit M. Gley,
il se produit tout le temps de l'expérience dans la main
du sujet des contractions fibrillaires,des petits mouvements
de pression, etc., qui indiquent, on le comprend aisément,
la direction à suivre et qui, en général, augmentent d'inten-
sité quand on arrive devant l'objet. A ce moment d'ailleurs,
on est encore renseigné par l'immobilité soudaine du sujet,
par la cessation de tous mouvements dans sa main, et on
éprouve même la sensation du relâchement qui survient
dans ses muscles. Il y a là une sorte de phénomène
d'arrêt, consécutif à l'état de tension continue, de tonicité
exagérée, par lequel ses muscles viennent de passer. —
Quant aux mouvements eux-mêmes, il est possible d'en
distinguer de deux sortes, suivant les sujets : parmi ceux-
ci en effet, les uns donnent les petits mouvements de la
main, les frémissements musculaires dont je viens de
parler; chez les autres, il y a comme un mouvement de
traction de tout le bras et de la main, et dans ce cas, on se
sent quasi entraîné vers l'objet; chez quelques-uns enfin
on observe à la fois cette traction et les pressions de la
main. D'autre part, il m'a semblé dans plusieurs expé-
riences que les sujets qui présentent les mouvements de
pression sont ceux dont la main se relâche, lorsqu'on est
PLURALITÉ DES CONSCIENCES CHEZ LES SUJETS SAINS 211
arrivé devant l'objet; la main des autres, au contraire, à ce
moment reste contractée comme par une sorte de geste
impératif.
« J'ai inscrit ces mouvements d'une manière très simple.
Je place dans la paume de la main droite du sujet le tam-
bour d'un cardiographe double; ma propre main s'applique
sur la face métallique de ce tambour, et sur le dos de ma
main se voient les doigts du sujet. Ce petit appareil est mis
en relation avec un tambour dont le levier style écrit sur
un cylindre enregistreur. Dans quelques expériences je me
suis servi du myographe pour l'homme, placé sur les mus-
cles fléchisseurs de l'avant-bras, et j'ai obtenu des tracés
analogues. — Gomme je ne pouvais pas augmenter déme-
surément la longueur des tubes de caoutchouc transmet-
teurs, la recherche de l'objet ne s'est jamais faite que dans
un rayon assez court, et par conséquent ces expériences
ont toujours eu peu de durée.
« Assurément l'analyse des mouvements obtenus de cette
façon n'est pas très facile ; est-elle même possible? car la
forme de ces légères contractions musculaires, fîbrillaires
si l'on veut, est peu distincte, ce qui tient sans doute au
mode d'inscription que j'ai imaginé, dont je ne me dissi-
mule pas les défauts. Mais j'ai cru que pour le moment,
alors qu'on a essayé de parler de suggestion mentale, l'es^
sentiel était de montrer la réalité des mouvements dont il
s'agit et par conséquent d'en fournir une preuve objective
et véritable ^ »
M. Gley, dans des expériences ultérieures faites avec
M. Richet, a vu qu'à la suite d'un empoisonnement léger
par le haschisch, qui a pour effet d'augmenter la vivacité
des images mentales, l'écriture automatique et les autres
mouvements subconscients peuvent se manifester chez des
personnes qui ne présentent pas ces réactions pendant
leur état norm,al.
1. Il est à désirer qu'on construise des appareils spéciaux pour enre-
gistrer les mouvements inconscients dans toutes les conditions néces-
saires.
212 LES PERSONNALITES COEXISTANTES
Les expériences que nous venons de résumer ont été
groupées sous le nom de mouvements inconscients, et,
comme nous l'avons déjà dit, elles ont été expliquées le
plus souvent par les propriétés motrices des représenta-
tions mentales. Il nous reste à montrer que cette interpré-
tation, sans être absolument inexacte, est insuffisante, et
que Tespèce de mimique inconsciente par laquelle une
personne traduit dans certains cas une pensée interne ne
peut s'expliquer que par des phénomènes de double cons-
cience. Nous chercherons par conséquent à substituer aux
théories communément admises, une théorie un peu diffé-
rente, plus générale et plus compréhensive.
Le lecteur qui nous a suivi jusqu'ici a dû être frappé,
et à plusieurs reprises, de l'analogie qui existe entre les
mouvements dits inconscients des sujets sains et les réac-
tions si variées des personnahtés secondaires des hys-
tériques. Tous ces phénomènes sont identiques au fond ;
ils ne diffèrent que par le milieu, les circonstances exté-
rieures ou le degré de développement. Prenons par exemple
l'écriture automatique. On peut, comme le montre M. Gley,
amener une personne normale à écrire le mot auquel elle
pense ; sa main l'écrit sans le vouloir. Il en est de même
pour l'hystérique, chez lequel l'écriture automatique est
développée à tel point qu'il n'est besoin d'aucun dispositif
spécial, d'aucun tour de main, pour l'observer. Or, nous
avons vu en détail que cette écriture automatique de l'hys-
térique n'est point un phénomène isolé, sans lien avec le
reste; c'est une partie dans un ensemble; c'est un des mille
moyens par lesquels les personnalités secondaires affleurent
et se manifestent; et il existe des rapports multiples entre
cette manifestation de la pluralité de conscience et les autres.
Pourquoi n'en serait-il pas de même chez un individu
normal? Il est bien probable que chez lui aussi l'écriture
automatique, étant de môme ordre que chez les hysté-
riques, fait partie d'un même ensemble de phénomènes,
et remonte à une même cause primordiale, la désagré-
gation.
PLURALITE DES CONSCIENCES CHEZ LES SUJETS SAINS 213
L'hypothèse que nous présentons paraîtra si vraisem-
blable à quiconque a observé de près l'hystérie qu'il sem-
blera inutile de la démontrer. Nous avons cru cependant
qu'il serait intéressant d'étudier méthodiquement la ques-
tion, en soumettant quelques sujets normaux exactement
à la même série d'expériences que des hystériques. Nous
résumerons par conséquent nos idées personnelles sur la
question.
Si la pluralité de consciences et de personnalités chez
les hystériques avait pour condition nécessaire l'anesthésie
d'une partie du corps, on renoncerait à en trouver l'équi-
valent chez une personne normale, dont la sensibilité est
intacte. Mais on a vu déjà que la division de conscience
peut se produire à une autre occasion; ce que fait l'insen-
sibilité des organes sensoriels, un état particulier de l'es-
prit peut le faire aussi. 11 en est de même chez des sujets
sains; ces sujets peuvent présenter des attitudes spéciales
de l'esprit qui permettent à la désagrégation mentale de se
manifester.
Ces conditions mentales sont assez nombreuses, mais
nous n'en examinerons que deux.
Nous étudierons d'abord une situation qui est très nette
et très facile à définir : c'est celle où une personne s'efforce
de comprendre, en même temps, dans sa conscience, plu-
sieurs phénomènes psychologiques différents : par exemple
elle cherche à percevoir en même temps un grand nombre
de sensations, provenant d'objets différents ; ou bien elle
essaye d'exécuter un certain nombre de mouvements qui
n'ont rien de commun, ni la forme, ni le but.
En second lieu, nous examinerons ce qui se produit
quand l'attention du sujet, au lieu de se diviser entre les
divers phénomènes qu'on provoque en lui, ne se fixe que
sur un seul, déterminant ainsi un état de distraction pour
tout le reste. Nous verrons que cette orientation particulière
de l'attention produit des effets bien différents de ceux
qu'on observe dans le cas d'attention collective.
214 LES PERSONNALITES COEXISTANTES
II
Chacun a remarqué qu'il est difficile de suivre en même
temps deux pensées différentes, comme lire et écouter une
conversation : une des opérations est entravée par l'autre;
pour savoir exactement ce qui se passe dans ce cas, on
peut faire l'expérience suivante : une personne est priée
d'exécuter en même temps une opération intellectuelle, et
une opération musculaire. Comme la méthode graphique
permet de décomposer cette dernière opération en un tracé,
on pourra, au moyen des caractères présentés par ce tracé,
connaître l'altération mentale qui résulte du conflit.
L'opération motrice qu'on doit enregistrer peut être très
simple : ainsi, on place entre les mains de la personne en
expérience un tube de caoutchouc fermé et rehé à un
appareil enregistreur; on la prie de serrer le tube un cer-
tain nombre de fois suivant un certain rythme qu'elle doit
s'efforcer de conserver pendant le cours de l'expérience;
puis on lui demande d'exécuter en même temps un travail
intellectuel, tel qu'une lecture à haute voix, la récitation
d'un morceau appris par cœur, un calcul mental ou la
solution d'un problème quelconque.
Le tracé pris dans ces conditions présente des irrégula-
rités qui commencent au moment où le travail mental sup-
plémentaire se produit, et finissent avec ce travail. Etudions
ces irrégularités. En quoi consistent-elles ? La plus légère
est un allongement des intervalles de repos qui séparent
chaque pression de la main. Quand on n'a l'esprit occupé
par aucune autre opération, on arrive assez facilement à
placer entre les pressions de la main des intervalles de repos
sensiblement égaux. Cette faculté de mesurer le temps est
celle qui se trouble la première. Je l'observe sur moi-
même lorsque je fais une addition de tête pendant qu'avec
la main droite je fais une série de pressions en essayant
de conserver les intervalles que j'ai d'aJjord adoptés; les
PLURALITE DES CONSCIENCES CHEZ LES SUJETS SAINS 215
pressions qui coïncident avec cette petite opération de
calcul sont plus espacées que les précédentes; parfois le
ralentissement persiste après que le calcul a cessé. Chez
d'autres personnes, il y a un allongement très considé-
rable ; parfois on cesse de serrer, sans le vouloir, pendant
deux ou trois secondes ; il y a, peut-on dire, un oubli, une
perte de mémoire temporaire.
Il se produit aussi, très fréquemment, des altérations
dans la forme de la courbe; sa hauteur diminue, ou sa
ligne d'ascension s'allonge.
Dans le cas où on doit faire plusieurs pressions entre
chaque intervalle de repos, il peut arriver que le nombre
des pressions soit diminué ou augmenté. Parfois on oublie
complètement le nombre convenu. On a commencé par
faire cinq pressions; puis, pendant le calcul mental, ce
nombre tombe à quatre ou s'élève à six; le calcul terminé,
quand on peut fixer de nouveau son attention sur les mou-
vements de la main, on ne sait plus combien de fois on
doit presser.
11 est aussi très fréquent de voir l'incoordination s'intro-
duire dans le tracé; deux séries de contractions qui devraient
être séparées par un intervalle de repos se mélangent ; la
contraction musculaire peut présenter les formes les plus
accidentées ; une seconde contraction commence avant que
la première ait cessé ; deux contractions successives sont
tout à fait inégales comme durée ; il y en a qui peuvent se
prolonger pendant plus d'une seconde, tandis que d'autres
durent à peine un dixième de seconde; enfin, dans certains
tracés, il y a du tremblement. Ces irrégularités peuvent
être considérées comme un véritable délire moteur, qui est
du reste l'expression d'un délire d'idéation correspondant.
Mais les modifications les plus intéressantes sont celles
qui se produisent dans le domaine de la conscience, et par
là ces expériences ne sont point sans analogie avec celles
que l'on peut faire sur l'hystérique. Exerçant des pressions
pendant qu'on fait un calcul mental, on perd la conscience
nette des mouvements exécutés ; l'expérience terminée, on
216 LES PERSONNALITES COEXISTANTES
est souvent incapable de dire si on a serré une fois de trop
ou une fois de moins, ou si la forme de la contraction est
restée régulière ou non. Ce n'est pas de l'inconscience, car
on sait qu'on a serré; c'est une conscience vague, affaiblie.
L'altération de la conscience, fait bien instructif, peut
exister parfois alors que le tracé est tout à fait régulier et
ne révèle aucun désordre mental. Aussi, prié de serrer par
série de cinq pendant un calcul mental, on arrive parfois
à faire le nombre de pressions voulues, mais sans le savoir;
et avant d'avoir vu son tracé, on ne peut pas dire s'il est
bon ou mauvais.
Cette perte de conscience, dans les conditions indiquées,
donne un caractère psychologique intéressant aux mouve-
ments de la main ; ils restent des mouvements volontaires,
mais ils deviennent inconscients, comme ceux que nous
avons étudiés au chapitre v.
11 est bien probable que les personnes qui produisent,
sans en avoir conscience, des tracés réguliers, présentent
une tendance très nette à la division de conscience et à
l'indépendance de plusieurs synthèses mentales.
Le dispositif d'expérience, que nous Amenons de décrire,
ne permet d'étudier qu'une seule des opérations mentales
en conflit, celle qui a une forme motrice et qui s'inscrit sur
le cylindre; il est facile d'obtenir simultanément le tracé des
deux opérations, et pour cela on prie la personne d'exé-
cuter simultanément avec chaque main un travail différent.
Dans ce cas, comme dans ceux que nous venons d'exa-
miner, la perfection des deux opérations est en général
beaucoup moins grande que si on les exécutait chacune
isolément. Mais le fait le plus frappant, c'est la tendance
que présente chacun des deux genres de mouvements
à introduire quelques-uns de ses éléments caractéristiques
dans l'autre mouvement. Les deux synthèses motrices étant
en présence, chacune semble chercher à influencer l'autre.
Nous avions déjà constaté ce fait quand nous cherchions à
faire coexister une opération intellectuelle avec un mouve-
ment compliqué de la main. Nous avions remarqué chez
PLURALITE DES CONSCIENCES CHEZ LES SUJETS SAINS 217
une personne que, pendant qu'elle lisait des vers à haute
voix, sa main en suivait le rythme. Mais l'accord était fugitif.
Lorsque ce sont des mouvements des deux mains qui coïn-
cident, cette influence est beaucoup plus nette.
Résumant ce qui précède, nous pouvons retenir ce qui
suit : lorsqu'une personne partage son attention entre deux
opérations psychiques volontaires, qu'elle s'efforce d'exé-
cuter simultanément, chacune des opérations, surtout au
début, est faite moins correctement que si elle était faite
isolément; en second lieu, il arrive souvent qu'une des
opérations tend à imposer aux autres sa forme particulière,
son rythme.
Mais ce qui domine, ce qui nous semble surtout impor-
tant à constater, c'est que chez certaines personnes, il se
produit une division de conscience ; une des opérations en
conflit sort de la conscience du sujet, et continue à s'exé-
cuter sans qu'il la dirige et qu'il la perçoive nettement.
III
Ce que la division de l'attention arrive à faire quelquefois,
on peut le provoquer directement, et plus sûrement, par
un autre procédé, l'état de distraction. On se rappelle qu'il
est facile d'entretenir chez les hystériques, en concen-
trant sur un seul point leur attention, un état de distrac-
tion assez intense pour que des phénomènes subconscients
extrêmement compliqués se développent. Nous avons
cherché à répéter la mêm.e expérience sur des sujets sains,
et nous avons obtenu des résultats équivalents.
Ainsi qu'il était facile de le prévoir, on retrouve sur des
personnes saines, non seulement l'écriture automatique,
mais toute la série d'actes subconscients, dont l'écriture
automatique n'est qu'un terme, et qui, par leur ensemble,
sont les signes de la division de conscience. Il y a donc,
croyons-nous, ressemblance très grande à ce point de vue
entre les hystériques et les individus sains.
218 LES PERSONNALITÉS COEXISTANTES
Le dispositif de l'expérience est le même dans les deux
cas; peut-être cependant faut-il, quand le sujet n'est pas
hystérique, user de quelques précautions supplémentaires
pour augmenter l'état de distraction, qui n'est point aussi
intense que dans l'hystérie. En général, il ne suffit point
de faire lire à une personne un livre intéressant, ou de la
faire causer avec un tiers, pour que lorsqu'on lui prend
la main, elle ne s'occupe point de ce qu'on \-à faire avec
cette main; malgré elle, son attention revient vers l'expé-
rimentateur, au lieu de se fixer ailleurs, et il faut ici for-
tifier l'état de distraction par un artifice.
Celui que j'ai employé est si naturel qu'il viendra certai-
nement à l'esprit de tous ceux qui voudront répéter mes
observations. Nous allons voir que dans la plupart des
expériences on oblige la main de la personne à se mouvoir
spontanément en dehors de sa volonté. Le point important
est d'éviter que la personne remarque ces mouvements
spontanés de sa main ; car si elle s'en occupait, l'incon-
science et l'automatisme disparaîtraient. Pour parer à cet
inconvénient, il faut laisser croire que la main est conti-
nuellement inerte et passive, et que c'est l'expérimenta-
teur qui, de temps en temps, pour les besoins d'une
expérience qu'on n'explique pas, imprime à la main un
mouvemenL Cela suffît pour tranquilliser le sujet, qui dès
lors abandonne sa main sans résistance, s'en désinté-
resse, et se trouve dans des conditions mentales excel-
lentes pour que sa conscience se divise.
Après ces quelques mots préliminaires, nous allons indi-
quer rapidement les principales épreuves psychologiques
qu'on peut faire subir au sujet.
C'est d'abord l'anesthésie par distraction. La personne
distraite n'est point devenue absolument insensible comme
ime hystérique distraite, dont on peut traverser la peau ou
lever le bras sans qu'elle s'en aperçoive; sa sensibilité n'est
pas détruite, mais la finesse de certaines de ses perceptions
est bien diminuée; deux pointes de compas appliquées sur
la main et enlevées rapidement donnent la sensation d'une
PLURALITÉ DES CONSCIENCES CHEZ LES SUJETS SAINS 219
piqûre unique, alors qu'avec le même écart, et sur la
même région, les deux pointes auraient été perçues iso-
lément si le sujet avait fixé son attention sur sa main;
c'est donc de l'anesthésie par distraction; elle est fugitive,
par conséquent trompeuse, mais elle existe.
Les mouvements passifs de répétition sont aussi très
faciles à provoquer. Un crayon étant placé dans la main du
sujet, qui est prié de le tenir comme s'il voulait écrire, on
dirige la main et on lui fait tracer un mouvement uniforme,
choisissant celui qu'elle exécute avec le plus de facilité,
des traits, des hachures, des boucles ou des petits points.
Après avoir communiqué ce mouvement pendant quelques
minutes, on abandonne doucement la main à elle-même,
ou on reste en contact avec elle, pour que la personne ne
s'aperçoive de rien; mais on cesse d'exercer une action
directrice sur les mouvements. La main abandonnée à
elle-même fait quelques légers mouvements. On reprend
l'expérience d'entraînement, on la répète avec patience
pendant plusieurs minutes, le mouvement de répétition se
perfectionne ; au bout de quatre séances, j'ai vu chez une
personne la répétition si nette que la main ne traça pas
moins de quatre-vingts boucles sans s'arrêter.
La présence de ces mouvements subconscients de répé-
tition nous apprend qu'il y a là un personnage inconscient,
que l'expérience vient de dégager; mais il est clair que ce
personnage est loin d'avoir le même développement que
chez une hystérique. La 'peine qu'on éprouve à lui faire
répéter des mouvements en est la preuve. L'expérimenta-
teur ne peut pas imprimer des mouvements au hasard ; il
est obligé de choisir ceux qui réussissent le mieux. En
général ceux qu'on peut exécuter d'un seul trait sans
changement de direction et sans arrêt se répètent assez
bien.
Les mouvements graphiques, par leur délicatesse, attirent
moins l'attention du sujet que des mouvements de flexion
et d'extension des membres; ceux-ci cependant peuvent
être répétés par l'inconscient, et à ce propos, il est curieux
220 LES PERSONNALITES COEXISTANTES
de remarquer que la flexion du poignet se répète mieux
que la flexion isolée d'un doigt.
Le caractère tout à fait rudimentaire de l'inconscient est
bien marqué par la facilité avec laquelle on lui donne cer-
taines habitudes. Lorsqu'on a fait écrire plusieurs fois de
suite des boucles, la main s'accoutume à ce mouvement
et le reproduit à tort et à travers ; car si l'on veut ensuite
lui faire tracer des hachures, les mouvements se déforment
bien vite et se changent en boucles. La mémoire de cet
inconscient est si peu étendue qu'il n'est même pas capable
de conserver le souvenir de plusieurs espèces de mouve-
ments.
L'inconscient n'a pas seulement de la mémoire, il peut
encore recevoir et exécuter quelques suggestions, qui sont,
il est vrai, d'un ordre absolument élémentaire. Ces sug-
gestions peuvent être données au moyen du toucher. Avec
une simple pression, on agit sur la main et on la fait
mouvoir dans toutes les directions. Ce n'est point une
impulsion mécanique, c'est bien une suggestion tactile.
Si avec une pression, on fait mouvoir la main, une autre
pression, tout aussi légère, l'arrête, l'immobilise; une
autre pression, d'un genre un peu différent, la fait écrire.
11 est difficile de dire la différence de ces pressions ; mais
l'expérimentateur, en les faisant, a une certaine intention,
et cette intention est souvent comprise avec beaucoup de
finesse par la main de la personne. Rien n'est plus curieux
que cette sorte d'hypnotisation partielle, grâce à laquelle
une personne croit être et se trouve en effet complètement
éveillée et en possession d'elle-même, tandis que sa main
obéit docilement aux ordres tactiles de l'expérimentateur.
Ces quelques détails me semblent suffire amplement pour
démontrer la possibilité d'éveiller un inconscient chez des
personnes saines ou à peu près saines. Cet inconscient,
nous le répétons, n'a ni le développement ni l'éclat de celui
des hystériques; ce n'est pas lui qui écrira spontanément
des lettres et des confessions, mais c'est déjà quelque chose
qu'il existe.
PLURALITÉ DES CONSCIENCES CHEZ LES SUJETS SAINS 221
Son existence, bien constatée, nous permet de montrer
que récriture automatique, telle qu'on la provoque chez
des personnes saines, telle que M. Gley l'a décrite, est un
phénomène de division de conscience, et non un simple
effet du pouvoir moteur des images. En effet, prévenu par
mes expériences antérieures sur les hystériques, j'ai pu
retrouver dans l'écriture automatique des personnes saines
certains traits qui ne laissent aucun doute.
Examinons bien la façon dont la main se comporte
pendant l'expérience de l'écriture automatique. Si on la
guide, cherchant à deviner ses mouvements, on ne voit
rien; mais si on l'abandonne à elle-même, on constate un
fait bien significatif : avec une légère pression, on l'em-
pêche d'écrire; avec une petite poussée, on accélère le
mouvement graphique; la main étant devenue immobile,
il suffît souvent de la toucher pour qu'elle recommence à
écrire. Elle reste donc, pendant toute l'expérience, sugges-
tible; et cette suggestibilité montre bien, à notre avis,
qu'un inconscient dirige ses mouvements. Du reste, nos
autres expériences nous en ont déjà appris l'existence
et le rôle, et tout ce que nous avons observé et décrit chez
les hystériques vient plaider en faveur de cette opinion.
TROISIÈME PARTIE
LES ALTÉRATIONS DE LA PERSONNALITÉ
DANS LES EXPÉRIENCES DE SUGGESTION
CHAPITRE PREMIER
LES PERSONNALITÉS FICTIVES CRÉÉES PAR SUGGESTION
La suggestion : définition. — ■ Changements de personnalité volontaires ou
simulés. — Changements de personnalité produits par suggestion. —
Expériences de M. Richet. — Expériences de MM. Ferrari, Hèricourt et
Richet sur les modifications de l'écriture produites par les changements
de personnalité. — Discussion des expériences. — Le changement de
personnalité a pour condition une amnésie. — Division de conscience
qui en résulte. — Controverse sur le mode d'exécution de certaines sug-
gestions. — Opinion de M. Delbœuf. — Opinion de M. fiernheim. —
Conciliation.
Le problème psychologique que nous étudions dans ce
livre présente comme caractère principal de rester tou-
jours un, sous ses formes multiples; chaque chapitre nou-
veau ne fait qu'amener un aspect nouveau du même
phénomène. Nous allons en trouver ici la preuve.
Nous devons étudier dans cette troisième partie ce qui
se passe dans la situation psychologique suivante : une
personne a été régulièrement mise dans un état de som-
nambulisme artificiel; elle a reçu une suggestion, donnée
par les procédés classiques; celte suggestion s'exécute soit
pendant le somnambuUsme, soit après le retour de l'état
-224 LES EXPÉRIENCES DE SUGGESTION
de veille. Notre but est de prouver, par l'analyse des
expériences, que la suggestion provoque le plus souvent
une division de conscience et ne peut se réaliser qu'à ce
prix.
Or, il n'est pas difficile de montrer par quel lien logique
cette nouvelle étude se rattache aux précédentes.
Nous avons étudié jusqu'ici des suggestions communi-
quées au personnage subconscient pendant un état de dis-
traction ou d'anesthésie. Nous savons que le personnage
subconscient n'est pas autre chose qu'un personnage som-
nambulique; cest donc la même personne, prise dans
des conditions un peu différentes, qui va recevoir les sug-
gestions et les exécuter.
En se plaçant au point de vue particulier des altérations
de la personnalité, on peut diviser les suggestions en deux
groupes : celles qui ont pour but et pour effet direct de
créer une personnalité nouvelle, et celles dont le but, tout
différent de celui-là, ne peut cependant être atteint que par
une division de conscience. Un chapitre distinct sera con-
sacré à chacune de ces catégories de suggestion. Il y a sans
doute des relations très étroites et même des phénomènes
de passage entre les deux catégories que nous établissons;
mais nous ne devons pas moins conserver nos classifica-
tions, et même en exagérer un peu l'importance; car les
phénomènes de division de conscience sont si complexes
et parfois si subtils que si on les réunissait tous dans une
description commune on n'arriverait pas à les faire com-
prendre.
La suggestion peut, avons-nous dit, avoir à la fois pour
but et pour eflet direct de créer une personnalité nouvelle.
C'est alors l'expérimentateur qui fait choix de cette per-
sonnalité et oblige le sujet à la réaliser. Les expériences
de ce genre, qui réussissent sur un grand nombre de som-
nambules, et qui produisent le plus souvent des effets
très curieux, sont connues depuis assez longtemps, et
elles ont été, on peut le dire, répétées à satiété dans ces
PERSONNALITES FICTIVES CREEES PAR SUGGESTION 225
dernières années. M. Richet est le premier auteur qui les
ait étudiées méthodiquement, et la description qu'il en a
donnée est assez intéressante pour mériter d'être reproduite
in extenso; c'est une observation type.
Comme introduction à ces faits nouveaux, rappelons
brièvement, avec l'auteur, quelques notions de psycho-
logie courante.
Lorsque nous sommes éveillés et en pleine possession
de toutes nos facultés, nous pouvons imaginer des senti-
ments différents de ceux que nous éprouvons d'ordinaire.
Par exemple, alors que je suis tranquillement assis à ma
table, occupé à composer ce livre, je puis concevoir les
sentiments que dans telle ou telle situation vont éprouver
un soldat, une femme, un peintre, un Anglais. Mais quelles
que soient les conceptions fantaisistes que nous formions,
nous ne cessons pas d'être conscients de notre existence
personnelle. L'imagination a beau s'élancer dans l'espace,
il reste toujours le souvenir de nous-mêmes. Chacun de
nous sait qu'il est lui et non pas un autre, qu'il a fait ceci
hier, qu'il a écrit une lettre tout à l'heure, qu'il doit écrire
telle autre lettre demain, qu'il y a huit jours il était hors de
Paris, etc. C'est ce souvenir des faits passés, souvenir tou-
jours présent à l'esprit, qui fait la conscience de notre per-
sonnalité.
11 en est tout autrement chez les deux femmes A et B,
que M. Richet a étudiées.
« Endormies et soumises à certaines influences. A... et
B... oublient qui elles sont; leur âge, leurs vêtements,
leur sexe, leur situation sociale, leur nationalité, le lieu
et l'heure où elles vivent, tout cela a disparu, il ne reste
plus dans l'inteUigence qu'une seule image, qu'une seule
conscience : c'est la conscience et l'image de l'être nou-
veau qui apparaît dans leur imagination.
« Elles ont perdu la notion de leur ancienne existence.
Elles vivent, parlent, pensent, absolument comme le type
qu'on leur a présenté. Avec quelle prodigieuse intensité
de vie se trouvent réalisés ces types, ceux-là seuls qui ont
A. BlNET. 15
22G LES EXPERIENCES DE SUGGESTION
assisté à ces expériences peuvent le savoir. Une descrip-
tion ne saurait en donner qu'une image bien affaiblie et
imparfaite.
« Au lieu de concevoir un type, elles le réalisent, l'ob-
jectivent. Ce n'est pas à la façon de l'halluciné, qui assiste
en spectateur à des images se déroulant devant lui; c'est
comme un acteur, qui, pris de folie, s'imaginerait que le
drame qu'il joue est une réalité, non une fiction, et qu'il
a été transformé, de corps et d'âme, dans le personnage
qu'il est chargé de jouer.
« Pour que cette transformation de la personnalité
s'opère, il suffit d'un mot prononcé avec une certaine
autorité. Je dis à A.... : « Vous voilà une vieille femme »;
elle se voit changée en vieille femme, et sa physionomie,
sa démarche, ses sentiments sont ceux d'une vieille femme.
Je dis à B.... : « Vous voilà une petite fille »; et elle prend
aussitôt le langage, les jeux, les goûts d'une petite fille.
« Encore que le récit de ces scènes soit tout à fait terne
et incolore comparé à ce que donne le spectacle de ces
étonnantes et subites transformations, je vais cependant
essayer d'en indiquer quelques-uns.
« Voici quelques-unes des objectivations de M.... :
« En paysanne. Elle se frotte les yeux, s'étire. « Quelle
heure est-il? quatre heures du matin! » (Elle marche
comme si elle faisait traîner ses sabots...) « Voyons, il
faut que je me lève! allons à l'étable. Hueî la rousse!
allons, tourne-toi... » (Elle fait semblant de traire une
vache...) « Laisse-moi tranquille, Gros-Jean. Voyons, Gros-
Jean, laisse-moi tranquille, que je te dis!... Quand j'aurai
fini mon ouvrage. Tu sais bien que je n'ai pus fini mon
ouvrage. Ah! oui, oui! plus tard »
(( En actrice. Sa figure prend un aspect souriant, au lieu
de l'air dur et ennuyé qu'elle avait tout à l'heure. « Vous
voyez bien ma jupe. Eh bien! c'est mon directeur qui l'a
fait rallonger \ Ils sont assommants, ces directeurs. Moi
\. " C'est une femme, très respectable mère de famille, et très religieuse
de sentiments, qui parle. »
PERSONNALITES FICTIVES CREEES PAR SUGGESTION 227
je trouve que plus la jupe est courte, mieux ça vaut. Il y
en a toujours trop. Simple feuille de vigne. Mon Dieu, c'est
assez! Tu trouves aussi, n'est-ce pas, mon petit, qu'il n'y
a pas besoin d'autre chose qu'une feuille de vigne? Regarde
donc cette grande bringue de Lucie, a-t-elle des jambes,
hein!
« Dis donc, mon petit! (Elle se met à rire.) Tu es bien
timide avec les femmes; tu as tort. Yiens donc me voir
quelquefois. Tu sais, à trois heures, je suis chez moi tous
les jours. Viens donc me faire une petite visite, et apporte-
moi quelque chose. »
« En général. « Passez-moi ma longue-vue. C'est bien!
c'est bien! Où est le commandant du premier zouave? Il y
a là des Kroumirs! Je les vois qui montent le ravin... Com-
mandant, prenez une compagnie et chargez-moi ces gens-
là. Qu'on prenne aussi une batterie de campagne... Ils sont
bons, ces zouaves! Comme ils grimpent bien.... Qu'est-ce
que vous me voulez, vous...? Comment, pas d'ordre? [A
pari \) C'est un mauvais officier, celui-là; il ne sait rien
faire. — Vous, tenez... à gauche. Allez vite. — [A port.)
Celui-là vaut mieux... Ce n'est pas encore tout à fait bien.
{Haut.) Voyons, mon cheval, mon épee. (Elle fait le geste
de boucler son épée à la ceinture.) Avançons. Ah! je suis
blessé! »
« En prêtre. (Elle s'imagine être l'archevêque de Paris, sa
figure prend un aspect très sérieux. Sa voix est d'une dou-
ceur mielleuse et traînante qui contraste avec le ton rude
et cassant qu'elle avait dans l'objectivation précédente.)
[A part.) « 11 faut pourtant que j'achève mon mandement. »
(Elle se prend la tête entre les mains et réfléchit.) [Haut.)
« Ah! c'est vous, monsieur le grand vicaire; que me
voulez-vous? Je ne voudrais pas être dérangé... Oui, c'est
aujourd'hui le l'^'' janvier, et il faut aller à la cathédrale...
Toute celte foule est bien respectueuse, n'est-ce pas, mon-
sieur le grand vicaire? Il y a beaucoup de religion dans le
1. « Les apartés de ces dialogues sont aussi 1res intéressants. Ils sont
dits à voix très basse, mais distincte, en remuant à peine les lèvres. »
228 LES EXPERIENCES UE SUGGESTION
peuple, quoi qu'on fasse. Ah! un enfant! qu'il approche,
je vais le bénir. Bien, mon enfant. (Elle lui donne sa bague
[imaginaire] à baiser.) (Pendant toute cette scène, avec la
main droite elle fait à droite et à gauche des gestes de
bénédiction...) « Maintenant, j'ai une corvée : il faut que
j'aille présenter mes hommages au président de la Répu-
blique... Monsieur le Président, je viens vous offrir tous
mes vœux. L'église espère que vous vivrez de longues
années; elle sait qu'elle n'a rien à craindre, malgré de
cruelles attaques, tant qu'à la tête du gouvernement de la
République se trouve un parfait honnête homme. » (Elle se
tait et semble écouter avec attention.) (A part.) « Oui, de
l'eau bénite de cour. Enfin!... Prions! » (Elle s'agenouille.)
« En religieuse. Elle se met aussitôt à genoux, et com-
mence à réciter ses prières en faisant force signes de croix,
puis elle se relève : « Allons à l'hôpital. Il y a un blessé
dans cette salle. Eh bien! mon ami, n'est-ce pas que cela
va mieux ce matin? Voyons! laissez-moi défaire votre ban-
dage. (Elle fait le geste de dérouler une bande.) Je vais
avec beaucoup de douceur; n'est-ce pas que cela vous sou-
lage? Voyons! mon pauvre ami, ayez autant de courage
devant la douleur que devant l'ennemi. »
« Je pourrais encore citer d'autres objectivations de A...
soit en vieille femme, soit en petite fille, soit en jeune
homme, soit en cocotte. Mais il me paraît que les exemples
donnés ci-dessus sont suffisants pour qu'on se fasse
quelque idée de cette transformation absolue de la person-
nalité dans tel ou tel type imaginaire. Ce n'est pas un
simple rêve : c'est un rêve vécu.
« Les objectivations de B... sont tout aussi saisissantes
que celles de A... En voici quelques-unes :
« En général. — Elle fait « hum, hum! » à plusieurs
reprises, prend un air dur, et parle d'un ton saccadé...
Allons boire! — Garçon, une absinthe! Qu'est-ce que ce
godelureau? Allons, laissez-moi passer... (ju'est-ce que tu
me veux? » (On lui remet un papier, qu'elle fait semblant
de lire.) « Qu'est-ce qui est là? » (Rép. C'est un homme de
PERSONNALITÉS FICTIVES CRÉÉES PAR SUGGESTION 229
la l""" du 3.) — « Ah! bon! voilà! (Elle griffonne quelque
chose d'illisible.) Vous remettrez ça au capitaine adjudant-
major. Et fllez vite. — f]h bien! et cette absinthe? » (On
lui demande s'il est décoré). « Parbleu! » — (Rép. C'est
qu'il a couru des histoires sur votre compte.) — « Ah!
quelles histoires? Ah! mais! Ah! mais! Sacrebleu! Quelles
histoires? Prenez garde de m'échauffer les oreilles. Qu'est-
ce qui m'a f... un clampin comme ça? » (Elle se met dans
une violente colère, qui se termine presque par une crise
de nerfs.)
« En matelot. Elle marche en titubant, comme le matelot
qui descend à terre après une longue traversée. « Ah! te
voilà, ma vieille branche! allons vadrouiller! je connais
un caboulot où nous serons très bien. Il y a là des filles
chouettes. »> Nous renonçons à décrire le reste de l'histoire.
« En vieille femme. On lui demande : « Gomment allez-
vous? » elle baisse la tête en disant : « Hein! » — « Gom-
ment allez-vous? » Elle dit de nouveau : « Plein! Parlez
plus haut, j'ai l'oreille dure. » Elle s'assoit en geignant,
tousse, se tâte la poitrine, les genoux, en se disant à elle-
même : « C'est les douleurs ! Aïe ! Aïe ! — Ah ! vous m'amenez
voire fille! Elle est gentille, cette enfant. Embrasse-moi,
mignonne, et va jouer. Avez-vous un peu de tabac? »
« En petite fille\ Elle parle comme une petite fille de cinq
à six ans : « Ze veux zouer. Raconte-moi quelque sôse.
Jouons à cache-cache, etc.. » Elle court en riant, se cache,
fait cou. Ce jeu, très fatigant pour nous, dure j)rès d'un
quart d'heure. Il est remplacé par colin-maillard, puis
cache-tampon, etc. Ensuite elle veut jouer à la pépé, la
berce. On lui fait raconter l'histoire du petit Chaperon
rouge, elle dit que c'est très joli, mais triste. On lui
demande si c'est moral, et elle répond qu'elle ne sait
pas ce que c'est que moral. Elle ne veut pas raconter
d'autre histoire, se fâche, tire la langue, pleure, tape du
1. '< Cette objectivation a duré une heure et demie, sans que B... se soit
démentie une seule fois dans soa langage enfantin ou dans ses allures. »
230 LES EXPÉRIENCES DE SUGGESTION
pied, etc.; ne veut pas d'un polichinelle, parce que c'est
un joujou de petit garçon, dit qu'elle sera bien sage,
demande sa poupée ou des confitures.
« En M. X...^ pâtissier. — Cette dernière objectivation
était particulièrement intéressante, car, il y a plusieurs
années, étant au service de M. X..., elle fut brutalisée et
frappée par lui, si bien que la justice s'en mêla, je crois.
B... s'imagine être ce M. X. : sa figure change et prend
un air sérieux. Quand les pratiques arrivent, elle les reçoit
très bien. « Parfaitement, monsieur, pour ce soir à huit
heures, vous aurez votre glace ! Monsieur veut-il me
donner son nom? Excusez-moi s'il n'y a personne, mais
j'ai des employés qui sont si négligents. R...! B...! Vous
verrez que cette sotte-là est partie. Et vous, monsieur, que
me voulez-vous? » (Réponse : Je suis commissaire de
police, et je viens savoir pourquoi vous avez frappé votre
domestique.) — « Monsieur, je ne l'ai pas frappée. »
(Réponse : Cependant elle se plaint.) — Elle prend un air
très embarrassé. « Monsieur, elle se plaint à tort. Je l'ai
peut-être poussée, mais je ne lui ai pas fait de mal Je vous
assure, monsieur le commissaire de police, qu'elle exa-
gère. Elle a fait un esclandre devant le magasin... » (Elle
prend un air de plus en plus embarrassé.) « Que cette
fille s'en aille. Je vous assure qu'elle exagère. Et puis je ne
demande qu'à entrer en arrangement avec elle. Je lui don-
nerai des dédommagements convenables. » (Réponse :
Vous avez battu vos enfants.) « Monsieur, je n'ai pas des
enfants : j'ai un enfant, et je ne l'ai pas battu. »
(( On voit que dans cette objectivation de B..., quoique le
personnage qu'elle représentait lui soit très antipathique,
elle n'a pas cherché à le représenter ridicule ou odieux.
Elle cherchait au contraire à l'excuser, tellement elle était
entrée dans le rôle. Son air ennuyé et contraint, ses
réponses évasives, mais polies, étaient absolument con-
formes à ce que peut dire, penser et faire un individu inter-
rogé par un magistrat, et qui est coupable.
« Ce n'est pas du reste un des moins curieux phénomènes
PERSONNALITÉS FICTIVES CRÉÉES PAR SUGGESTION 231
de ces objectivations, que la transformation complète des
sentiments. A... est timide; mais elle devient très hardie,
quand elle objective un personnage hardi. Elle est très
religieuse; elle devient irréligieuse, quand elle représente
un personnage irréligieux. B... est silencieuse; elle devient
bavarde quand elle représente un personnage bavard. Le
caractère a complètement changé. Les goûts anciens ont
disparu et sont remplacés par les goûts nouveaux qu'est
supposé avoir le nouveau type représenté. »
Dans un travail plus récent, fait en collaboration avec
MM. Ferrari et HéricOurt \ M. Richet a ajouté un détail
curieux aux expériences précédentes; il a montré que le
sujet auquel on impose un changement de personnalité
n'adapte pas seulement ses paroles, ses gestes et ses atti-
tudes à la personnalité nouvelle; son écriture même peut
se modifier et se mettre en relation avec les idées nouvelles
qui envahissent sa conscience; cette modification de l'écri-
ture est d'autant plus intéressante à constater que l'écri-
ture, pour certains graphologues contemporains, n'est pas
autre chose qu'une partie de la mimique. Voici quelques
exemples empruntés aux précédents auteurs.
On suggère successivement à un jeune étudiant qu'il est
un paysan madré et retors, puis Harpagon, et enfin un
homme extrêmement vieux. En même temps qu'on voit les
traits de la physionomie et les allures générales du sujet
se modifier et se mettre en harmonie avec l'idée du person-
nage suggéré, on observe que son écriture subit des modi-
fications parallèles, non moins accentuées, et revêt éga-
lement une physionomie spéciale particuUère à chacun
des nouveaux états de conscience. En un mot, le geste
scripteur s'est transformé comme le geste en général.
Dans une note sur l'écriture hystérique, j'ai montré que
sous l'influence d'émotions suggérées, ou sous l'influence
d'excitations sensorielles, l'écriture de l'hystérique peut
1. La Personnalité et l'écriture, essai de graphologie expérimentale.
(Revue phiL, avril 1886.)
•232 LES EXPÉRIENCES DE SUGGESTION
se modifier; elle s'agrandit, par exemple, dans le cas d'exci-
tations dynamogènes \
Les suggestions que nous venons d'étudier ont pour
caractère de ne pas porter spécialement sur une perception
ou sur un mouvement, c'est-à-dire sur un élément psy-
chique limité; ce sont des suggestions d'ensemble; elles
imposent au sujet un thème qu'il se trouve obhgé de déve-
lopper avec toutes les ressources de son inteUigence et de
son imagination; et si on examine avec soin les observa-
tions, on voit aussi que dans ces suggestions les facultés
de perception sont intéressées et perverties au même titre
que celles de l'idéation; ainsi le sujet, sous l'action de sa
personnalité d'emprunt, cesse de percevoir le monde exté-
rieur tel qu'il est ; il éprouve des hallucinations en rapport
avec sa nouvelle personnalité psychologique : évêque, il se
croit à Notre-Dame et voit la foule des fidèles; général, il
se croit entouré de troupes, etc. Tout ce qui s'harmonise
avec la suggestion est évoqué. Ce développement systé-
matique des états de conscience appartient à tous les genres
de suggestions, mais il n'est peut-être nulle part aussi
marqué que dans les transformations de la personnalité.
A l'inverse, tout ce qui peut contredire la suggestion se
trouve inhibé, et sort de la conscience du sujet. On a
remarqué que les changements de personnalité supposent
un phénomène d'amnésie; le sujet, pour revêtir la per-
sonnalité d'emprunt, doit commencer par oublier sa per-
sonnalité vraie; l'immense quantité de souvenirs qui repré-
sentent son existence passée et constituent la base de son moi
normal se trouve pour un moment effacée, parce que ces sou-
venirs sont en contradiction avec l'idée de la suggestion.
Il se produit donc dans la conscience du sujet une divi-
sion, un partage; et c'est par là que ces phénomènes
rentrent dans le cadre de notre livre. Par suite de la
suggestion imposée, la personnalité vraie, avec une partie
de son cortège d'états de conscience, quitte la scène; elle
1. Éludes de p.iychol. e.rpiîrimenlale. Doin, 2" édition, 1891.
PERSONNALITÉS FICTIVES GRÉÉES PAR SUGGESTION 233
est réléguée au second plan, elle est temporairement
oubliée, et une personnalité nouvelle, dirigée par l'expé-
rimentateur, se forme et évolue, empruntant à l'ancienne,
qu'elle semble ne pas connaître, quelques-uns de ses élé-
ments, et notamment les habitudes motrices du geste et du
langage sans lesquelles il lui serait impossible de s'ex-
primer. C'est du reste ce que M. Richet a très bien exprimé
en disant : « L'objectivation des types dépend d'un trouble
de la mémoire et d'un trouble de l'imagination. La mémoire
de notre personnalité étant pervertie, la conscience de
notre personne disparaît. L'imagination étant surexcitée,
les hallucinations se produisent; et alors le moi nouveau
dépend uniquement de la nature de ces hallucinations'. »
Il est incontestable que cette division de conscience est
un phénomène superficiel et temporaire, dans les condi-
tions où l'expérience a été tentée jusqu'ici. L'individu n'est
pas réellement scindé en deux, comme l'était par exemple
Félida.
La division de conscience qui se manifeste chez les
somnambules naturels a des causes internes, inhérentes
à l'organisme même du sujet; c'est un phénomène psy-
chique traduisant un état de souffrance des centres ner-
veux. Il en est tout autrement chez un sujet dont on a
transformé la personnalité par simple suggestion; ici, la
division résulte d'une cause externe; elle est le produit
d'une idée communiquée au sujet par une autre personne
et, par conséquent, elle ne présente pas en général la même
gravité.
Quelques auteurs sont même allés très loin dans cette
voie; ils ont soutenu que dans les expériences de transfor-
mation de la personnalité le sujet joue un rôle, une sorte,
de comédie; il serait comparable à un acteur, qui exprime
des sentiments sans les ressentir. Les auteurs qui adoptent
cette interprétation, et parmi eux nous citerons M. Del-
bœuf ^ ne pensent point que le sujet cherche à simuler et à
d. Même article p. 235.
•1. Revue de V Hypnotisme, janvier et février 1889.
•234 LES EXPERIENCES DE SUGGESTION
tromper l'expérimentateur; la vieille idée de la simulation
est aujourd'hui abandonnée; ils pensent que le sujet obéit
à un mobile un peu différent. Ayant reçu un ordre, comme
celui de représenter un soldat ou un paysan, il exécute
l'ordre de son mieux, n'ayant d'autre désir que celui de
complaire à celui dont il a reçu la suggestion. Il joue la
comédie, mais pour le bon motif. C'est là, en somme, un
état psychologique très complexe, mais cependant facile à
comprendre.
Cette opinion a été vivement combattue par d'autres
auteurs, notamment M. Bernheim \ qui ont soutenu que
dans tous les cas le sujet est sincère et croit réellement à
la suggestion reçue; on lui a communiqué une personnalité
nouvelle, il l'accepte, parce que la suggestion est pour lui
la réalité même, et que pour un moment il oublie complè-
tement sa personnalité ancienne.
Nous jugeons inutile d'opter entre ces deux opinions
d'apparence contradictoire, parce que nous les considérons
toutes deux comme également justes; elles s'appliquent
seulement à des cas différents. 11 y a des personnes qui
ne sont point dupes des suggestions qu'on leur donne, et
qui les exécutent quand même, ne pouvant résister à l'as-
cendant de l'opérateur : celles-ci n'oublient point qui elles
sont; qu'on leur dise de représenter un prêtre, un général,
une religieuse, elles seront capables de le faire comme
chacun de nous peut le faire; elles savent qu'elles jouent
un rôle; elles s'efforcent de feindre et elles conservent
toujours le souvenir de leur personnaHté. D'autres au con-
traire sont complètement victimes de l'illusion suggérée,
parce que le souvenir de leur moi antérieur est pour un
moment complètement effacé.
Ce sont là des effets différents qui tiennent à la nature
psychique de chaque sujet, et aussi peut-être au mode
employé pour le suggestionner. Il est donc inutile d'élever
des discussions relativement à ces points de fait; deux
1. La controverse a porté, non sur le genre spécial de suggestions que
nous éludions, umis sur tous les genres de suggestion.
PERSONNALITÉS FICTIVES CREEES PAR SUGGESTION 235
faits, ne l'oublions pas, peuvent être différents sans être
contradictoires.
Laissant de côté cette discussion épisodique, nous rap-
pellerons en terminant ce chapitre que les moralistes et les
philosophes ont souvent constaté dans le cours de la vie
humaine des variations de personnalité, qui ressemblent
beaucoup à celles que la suggestion peut produire. Nous
renvoyons , à cet égard , à un intéressant ouvrage de
M. Paulhan, r Activité mentale et les éléments de r esprit.
CHAPITRE II
LE RAPPEL DES PERSONNALITÉS ANCIENNES PAR SUGGESTION
Rappel d'une existence psychologique antérieure. — En quoi consiste le
rappel. — Moyens de le produire : suggestions, eslhésiogènes. — Expé-
riences de MM. Bourru et Burot sur Louis V... et quelques autres sujets. —
Caractères de la division de conscience qui se manifeste dans ces expé-
riences. — Le jeu de l'association des idées est suspendu sur certains
points.
La suggestion de changement de personnalité peut être
faite dans des conditions un peu différentes de celles
que nous venons de décrire. Au lieu d'imposer au sujet
une personnalité de fantaisie, on évoque dans son esprit
le souvenir d'une époque antérieure de son existence et on
le force à revivre cette époque. Au lieu de lui affirmer
qu'il a changé de sexe, ou qu'il est devenu prêtre ou
soldat, on lui suggère qu'il a huit ans, ou quinze ans. Ce
n'est point une transformation aussi complète de sa per-
sonnalité, mais c'est cependant une modification : car,
comme on le sait bien, notre personnalité se modifie avec
le temps; la personnalité n'est point une entité fixe, per-
manente et immuable; c'est une synthèse de phénomènes,
qui varie avec ses éléments composants, et qui est sans
cesse en voie de transformation. Dans le cours d'une exis-
tence même normale un grand nombre de personnalités
distinctes se succèdent; c'est par artifice que nous les réu-
RAPPEL DES PERSON. ANCIENNES PAR SUGGESTION 237
nissons en une seule, car à vingt ans de distance nous
n'avons plus la même manière de sentir et déjuger.
Si l'on vient, par suggestion, à replacer le sujet à une
période antérieure de son existence et à faire revivre, pour
un moment, une de ses personnalités mortes, il en résulte
que le souvenir de son moi actuel disparaît pour un
moment, ainsi que toutes les connaissances acquises pos-
térieurement à la date fixée par la suggestion; il se produit,
comme dans les cas où l'on suggère une personnalité de
fantaisie, une division de conscience; toute une synthèse
de phénomènes disparaît, est oubliée, pour faire place,
temporairement, à une synthèse plus ancienne.
Nous verrons en outre, un peu plus loin, que ces expé-
riences ont une portée plus grande que les précédentes,
car la personnalité évoquée est une personnalité vraie et
non une personnalité fictive, créée de toutes pièces par
l'imagination. 11 ne faudrait cependant pas aller jusqu'à
croire que c'est la synthèse ancienne qui reparaît; ce n'en
est que le souvenir, Técho affaibli.
MM. Bourru et Burot se sont les premiers engagés dans
cette voie; ils ont fait leurs premières expériences sur V...,
cet hystéro-épileptique mâle dont nous avons relaté plus
haut l'histoire accidentée; ils ont ensuite étendu, leurs
recherches à d'autres malades. Pour ramener Je sujet à
une époque antérieure de son existence, ils ont employé
deux moyens : l'un des deux est très simple, c'est la sug-
gestion, consistant à affirmer au sujet qu'il a tel âge, ou
qu'on est en telle année, etc. La suggestion est dans ce
cas facile à imaginer, et nous n'en dirons pas davantage.
Le second moyen, plus compliqué, mais aussi plus intéres-
sant et plus instructif, c'est l'évocation directe d'un état
psychologique ancien, ayant une date précise; et cet état,
une fois apparu, éveille à son tour par association d'idées
la série de phénomènes qui se sont trouvés groupés autour
de lui. Supposons, pour fixer les idées, qu'une personne
hystérique ait eu vers l'âge de quinze ans le bras droit
paralysé; elle est depuis longtemps guérie, et le bras droit
238 LES EXPÉRIENCES DE SUGGESTION
est redevenu sensible et mobile; si par suggestion on
fait renaître la paralysie, il y a des chances pour que les
souvenirs reliés à celui de la paralysie réapparaissent et
donnent au sujet l'illusion qu'il a quinze ans. Il y a là toute
une chaîne d'idées; si on tire sur un anneau, la traction
passe d'un anneau à l'autre et parcourt toute la chaîne *.
Seulement, ici, la question se complique un peu par
suite du mode d'expérience qui a été adopté par MM. Bourru
et Burot. Ces auteurs avaient à leur disposition, à l'hôpital
de Rochefort, ce V..., qui avait été, à des époques diverses
de sa vie, frappé de paralysie dans des parties différentes
de son corps; il n'était pas difficile de réaliser de nou-
veau chacune de ces paralysies, par suggestion, afin
d'évoquer par là même la période d'existence qui s'y rat-
tachait. Les auteurs n'ont pas manqué de faire cette expé-
lience, mais ils en ont aussi fait une autre; ayant re-
marqué que V... était extrêmement sensible à l'action des
métaux à distance, ils ont cherché à provoquer chez le
malade un changement d'état somatique (c'est-à-dire un
changement dans la distribution de la sensibilité et de la
motilité conscientes) en le soumettant à l'action des esthé-
siogènes.
Je ne puis pas, bien entendu, garantir l'exactitude de ces
expériences; l'action des eslhésiogènes sur le système ner-
veux des hystériques est encore mise en doute par de très
bons esprits, et la question me paraît loin d'être élucidée.
On est donc libre d'admettre que les barreaux aimantés,
le fer, l'or et les autres métaux dont on s'est servi pour
modifier l'état de Louis V..., n'ont agi que par suggestion,
ou par un moyen analogue.
Cette interprétation n'enlève pas tout intérêt aux expé-
riences, puisqu'on peut à la rigueur les mettre sur le
compte de la suggestion.
Grâce aux esthésiogènes, les auteurs ont pu produire et
1. J'ai indiqué, depuis longtemps, dans une noie faite en collaboration
avec M. Férc, le rôle de ces associatious d'idées dans les suggestions
rétrospectives. {Revue pfiilosop/i/q7(p. 18ls<).)
RAPPEL DES PERSON. ANCIENNES PAR SUGGESTION 239
fixer six états somatiques principaux. Ce sont : V une hémi-
plégie droite avec anesthésie droite; 2° une hémiplégie
gauche, face comprise, avec anesthésie gauche; 3° une
hémiplégie gauche, face non comprise, avec anesthésie
gauche; 4" une paraplégie avec anesthésie des membres
paralysés ; 5" une légère parésie avec anesthésie de la jambe
gauche; 6° un état où il n'existe point de paralysie, mais
une hyperesthésie de la jambe gauche. En même temps
que ces changements physiques, se produisent des trans-
formations constantes de Fétat psychique du sujet, notam-
ment de son caractère et de sa mémoire, et les deux
choses sont intimement hées l'une à l'autre; dès qu'on a
provoqué un certain état somalique, l'état de conscience
correspondant s'éveille, et le sujet se trouve transformé.
En voici un exemple : prenons Louis V... au moment où
il se trouve paralysé et insensible de tout le côté droit.
C'est ainsi qu'il s'est présenté à l'observation, pendant son
séjour à l'hôpital militaire de Rochefort. Il a le caractère
d'une mobilité excessive, doux mais facilement irritable.
Il est violent et arrogant dans ses paroles, sa physionomie
et son attitude. Il est bavard, son langage est grossier; il
tutoie tout le monde et donne à chacun un surnom irré-
vérencieux; il fume du matin au soir, et obsède chacun
de ses demandes indiscrètes de tabac et d'argent. Sa
mémoire est précise pour les choses actuelles; il récite des
colonnes entières de journal \ Son souvenir dans le temps
est borné à sa présence actuelle à Rochefort, à son séjour
à Bicêtre et à la deuxième partie de son séjour à Bonneval.
Il ne sait comment il a été transporté à Bonneval; il croit
qu'il y est venu tout enfant. Si on lui dit qu'il a appris le
métier de tailleur, quand il était paralysé des deux jambes,
il répond qu'on se moque de lui; il n'a jamais été paralysé
des deux jambes, jamais il n'a appris à coudre, et en effet,
il ne sait pas tenir une aiguille en main. A Bonneval, on
1. Il est regrettable que les auteurs n'insistent pas davantage sur ce
point. L'étude de la mémoire présente assez d'importance pour mériter
plus de précision.
240 LES EXPÉRIENCES DE SUGGESTION
l'a toujours employé aux travaux du jardin; du reste, il
passait son temps à fumer des cigares. Il se rappelle par-
faitement avoir volé soixante francs et des effets à un
infirmier, s'être évadé et avoir été ramené à l'asile. De
Bonneval, il se trouve à Bicêtre sans pouvoir dire ni pour-
quoi ni comment, ayant oublié toutes les étapes intermé-
diaires. Il donne des renseignements très complets sur
Bicêtre; il parle souvent des médecins qui le soignaient, de
M. J. Voisin et de M. Bourneville. Tout ce qu'il a fait au
régiment pendant les deux mois qu'il a été soldat est
présent à sa mémoire.
Un état tout différent du précédent est produit par l'ap-
plication de l'aimant sur la nuque. La respiration s'accélère,
le sujet reste immobile, les yeux fixes; on constate un
léger tremblement des lèvres, puis un certain mouvement
de mâchonnement et de déglutition, enfin bâillement et
réveil. La paralysie des deux jambes est complète avec con-
tracture en extension. La perte de sensibilité est étendue
sur toute la partie inférieure du corps. Toute la partie supé-
rieure jouit de la sensibilité et du mouvement. La phy-
sionomie est triste, les yeux sont baissés, il n'ose regarder
autour de lui, il est poli et même timide. La prononciation
est nette, mais enfantine. On lui présente un livre, il épelle
les lettres et les syllabes comme s'il commençait à
apprendre à lire. Il se croit à Bonneval : il vient de voir
M. Gamuset et d'autres personnes de cet asile. Son occupa-
tion ordinaire est le travail à l'atelier des tailleurs; il coud
en homme du métier et fait un sac avec adresse. Son intel-
ligence est très obtuse, ses connaissances générales sont
nulles. Il ne connaît que deux endroits : Bonneval où il
se trouve et Saint-Urbain d'où il vient; il se rappelle avoir
vu à Saint-Urbain une vipère qui lui a fait peur, qui l'a
rendu malade. Sa mémoire correspond à la période assez
limitée de son existence pendant laquelle il a été paralysé
des deux jambes.
11 serait trop long de décrire les uns après les autres les
étals par lesquels peut passer Louis V... Pour ne point
RAPPEL DES PERSON. ANCIENNES PAR SUGGESTION 241
revenir encore sur l'histoire de ce malade, que nous avons
longuement racontée dans la première partie de ce livre,
nous emprunterons à MM. Bourru et Burot l'histoire d'un
autre sujet, Jeanne R..., sur laquelle ils ont pu refaire des
expériences analogues.
« Jeanne R..., âgée de vingt-quatre ans, est une jeune
fille très nerveuse, et profondément anémique. Elle est
sujette à des crises de pleurs et de sanglots; pas de crises
convulsives, mais de fréquents évanouissements; elle est
facilement hypnotisable; elle dort d'un sommeil profond
et à son réveil elle a de l'amnésie.
(( On lui dit de se réveiller à l'âge de six ans. Elle se
trouve chez ses parents; on est au moment de la veillée,
on pèle des châtaignes. Elle a envie de dormir et demande
à se coucher; elle appelle son frère André pour qu'il
l'aide à finir sa besogne; mais André s'amuse à faire des
petites maisons avec des châtaignes au lieu de travailler :
« Il est bien fainéant, il s'amuse à en peler dix, et moi il
faut que je pèle le reste. »
(( Dans cet état, elle parle le patois limousin, ne sait pas
lire, connaît à peine l'A B G. Elle ne sait pas parler un mot
de français. Sa petite sœur Louise ne veut pas dormir :
« Il faut toujours, dit-elle, dandiner ma sœur qui a neuf
mois. » Elle a une attitude d'enfant.
« Après lui avoir mis la main sur le front, on lui dit que
dans deux minutes elle se retrouvera à l'âge de dix ans.
Sa physionomie est toute diflérente; son attitude n'est plus
la même. Elle se trouve aux Fraiss, au château de la
famille des Moustiers, près duquel elle habitait. Elle voit
des tableaux et elle les admire. Elle demande où sont les
sœurs qui l'ont accompagnée, elle va voir si elles viennent
sur la route. Elle parle comme un enfant qui apprend à
parler; elle va, dit-elle, en classe chez les sœurs depuis
deux ans, mais elle est restée bien longtemps sans y
aller; sa mère étant souvent malade, on l'obligeait à garder
ses frères et ses sœurs. Elle commence à écrire depuis
six mois, elle se rappelle une dictée qu'elle a donnée
A. BiNET. 16
242 LES EXPERIENCES DE SUGGESTION
mercredi et elle écrit une page entière très couramment
et par cœur; c'est la dictée qu'elle a faite à l'âge de dix
ans.
« Elle dit ne pas être très avancée : « Marie Coutureau
aura moins de fautes que moi; moi, je suis toujours après
Marie Puybaudet et Marie Coutureau, mais Louise Rol-
land est après moi. Je crois que Jeanne Baulieu est celle
qui fait le plus de fautes. »
(c De la même manière, on lui commande de se retrouver
à l'âge de quinze ans. Elle sert à Mortemart chez Mlle Bru-
nerie : « Demain, nous allons aller à une fête, à un
mariage. — Au mariage de Baptiste Colombeau, le maré-
chal. C'est Léon qui sera mon cavalier. Oh! nous allons
bien nous amuser! Oh! je n'irai pas au bal, Mlle Brunerie
ne veut pas; j'y vais bien un quart d'heure, mais elle ne
le sait pas. » Sa conversation est plus suivie que tout à
l'heure. Elle sait lire et écrire. Elle écrit le Petit Savoyard.
« La différence des deux écritures est très grande. A son
réveil, elle est étonnée d'avoir écrit le Petit Savoyard,
qu'elle ne sait plus. Quand on lui fait voir la dictée qu'elle
a faite à dix ans, elle dit que ce n'est pas elle qui l'a
écrite \ »
Depuis l'époque où ces expériences ont été publiées, un
grand nombre d'auteurs en ont fait d'autres du même
genre, et ont obtenu les mêmes effets. M. Pitres et ses
élèves ont étudié ces phénomènes sous le nom d'ecmnésie.
Nous croyons qu'on ne saurait trop insister sur l'impor-
tance de ces suggeslions rétrospectives, car cette impor-
tance n'a pas encore été bien sentie.
Ce mode de suggestion, qui permet de replacer une per-
sonne à des époques antérieures de son existence, recevra
certainement un jour, j'en suis convaincu, de nombreuses
applications médicales; car d'une part, il éclairera le dia-
gnostic en permettant de découvrir, dans ses détails, l'ori-
gine et le mode de production d'un symptôme hystérique;
\. Op. cil., p. 1;J2.
RAPPEL DES PERSON. ANCIENNES PAR SUGGESTION 243
et d'autre part, peut-être verra-t-on qu'en reportant le
malade, par un artifice mental, au moment même où le
symptôme a apparu pour la première fois, on rend ce
malade plus docile à une suggestion curative. En tout cas,
c'est une expérience à tenter.
Au point de vue purement psychologique, qui seul nous
intéresse, les suggestions rétroactives nous apprennent
quelque chose de nouveau sur le mécanisme de la division
de conscience. Elles nous apprennent d'abord qu'une foule
de souvenirs anciens, que nous croyons morts, car nous
sommes incapables de les évoquer à volonté, continuent à
vivre en nous; par conséquent les limites de notre mémoire
personnelle et consciente ne sont pas plus que celles de
notre conscience actuelle des limites absolues; au delà de
ces lignes, il y a des souvenirs, comme il y a des percep-
tions et des raisonnements, et ce que nous connaissons de
nous-même n'est qu'une partie, peut-être une très faible
partie, de ce que nous sommes.
Les lois de l'association des idées, dont, à la suite des
psychologues anglais, on a tant usé et même abusé pour
expliquer une foule de phénomènes de l'esprit, se mon-
trent ici en défaut ; elles sont incapables de nous faire com-
prendre pourquoi et comment des souvenirs conservés ne
revivent pas à l'appel des impressions nouvelles qui leur
sont associées. Tel événement d'enfance, qui ne se repré-
sente plus à notre esprit, mais qu'une suggestion rétro-
active peut y ramener, n'a certainement pas manqué d'oc-
casions, dans le cours de la vie normale, pour remonter à
la surface de la conscience; un grand nombre d'événe-
ments similaires ont dû se produire depuis; si donc il n'a
point obéi à cet appel de la similitude, c'est que le jeu des
associations d'idées n'était point suffisant pour le provo-
quer, et ne suffit pas, par conséquent, à expliquer le déve-
loppement de notre vie mentale; il y a sans doute autre
chose que ces liens légers pour attacher les idées. Des
causes plus profondes, et dont nous avons peine à démêler
la nature, car elles sont inconscientes, agissent pour répartir
244 LES EXPÉRIENCES DE SUGGESTION
nos idées, nos perceptions, nos souvenirs, et tous nos états
de conscience, en synthèses autonomes et indépendantes.
Lorsque nous sommes dans une de ces synthèses, nous
avons peine à réveiller une idée appartenant à une syn-
thèse différente; en général, une association d'idées ne
suffît pas; mais quand plusieurs éléments de cette seconde
synthèse ont été ressuscites pour une raison ou pour une
autre, la synthèse entière réapparaît.
CHAPITRE III
SUGGESTIONS D ACTES
Exécution des suggestions post-liypaotiques. — Changements de physio-
nomie. — La conscience normale ignore l'ordre reçu. — L'oubli après
l'acte : observations de M. Beaunis. — L'exécution subconsciente des sug-
gestions : observations de MM. Delbœuf, Janet, etc. ■ — ^ Retour de l'état
somnambulique. — Explication de ces phénomènes.
- Les changements de personnalité provoqués par sugges-
tion hypnotique créent une situation psychologique assez
simple; en général, il n'y a pas coexistence de personnalités
distinctes; une seule occupe la scène, reléguant les autres
dans la coulisse.
Nous allons voir la situation se compliquer beaucoup
plus dans d'autres genres de suggestions, où le concours,
la coexistence de deux conditions mentales distinctes sera
bien visible.
Le sujet étant en somnambulisme, un ordre lui est
donné, et cet ordre lui est donné de telle sorte qu'il ne
puisse être exécuté qu'au réveil. Transportons-nous au
moment de l'exécution, et observons le sujet agissant.
Cette observation a été faite avec le plus grand soin par
beaucoup d'auteurs, et ils ont relevé, les uns intentionnelle-
ment, les autres sans en avoir le soupçon, certains signes
psychiques qui prouvent qu'au moment où la suggestion
post-hypnotique se réaUse, il y a un retour momentané de
•246 LES EXPÉRIENCES DE SUGGESTION
l'état somiiambulique initial. Les observations de Gurney,
dont nous avons parlé plus haut\ trouvent ici une confir-
mation d'autant plus sérieuse qu'elle résulte d'expériences
appartenant à un ordre d'idées différent.
Il faut d'abord rappeler en quelques mots le mode habi-
tuel d'exécution des suggestions post-hypnotiques. En
général le sujet qui a reçu l'ordre d'exécuter tel ou tel acte
après son réveil, par exemple dix minutes après son réveil
ou bien à un signal convenu d'avance, ce sujet, en se
réveillant du sommeil hypnotique, semble reprendre la
libre et entière possession de son intelligence; il n'est plus
suggestible, ou l'est devenu beaucoup moins; il ne sait rien
du somnambulisme qui vient de s'écouler, il n'a même pas
connaissance de cette suggestion, qu'il va cependant exé-
cuter dans un instant. Si on lui en parle avant que l'heure
sonne ou que le signal soit donné, il ne comprend pas
ce qu'on veut lui dire, il rit et se moque. Puis, tout à coup,
brusquement, le tableau change; la conversation entamée
s'arrête, on voit la physionomie du sujet se modifier, et par-
fois prendre une expression frappante de résolution vio-
lente, et la suggestion est exécutée (Beaunis, Liégeois).
D'après les auteurs qui n'ont point reconnu le phéno-
mène de division de conscience, c'est le sujet normal, le
sujet d'état de veille, qui accomplit la suggestion post-
hypnotique. Le cas peut en effet se présenter; mais en ana-
lysant quelques détails des observations classiques, on
voit déjà poindre la division de conscience. Ainsi, on a
donné au sujet en somnambulisme l'ordre d'un vol ou
l'hallucination d'un oiseau; il commet le vol pendant l'état
de veille; il éprouve l'hallucination; il se rappelle donc la
suggestion, mais non la suggestion entière; il a oublié la
parole de l'expérimentateur; il ne sait pas de qui il a reçu
l'ordre; il ne sait même pas qu'un ordre lui a été donné.
Cet oubli partiel, que j'ai décrit ailleurs avec M. Féré ',
i. Voir p. 70.
2. Mar/netismc animal, p. loi.
SUGGESTIONS D ACTES 247
qui n'est point constant, mais très fréquent, et qu'on ne
comprend guère à première vue, s'éclaire d'un jour tout
nouveau si on le compare à ce qui se passe dans les sug-
gestions données pendant un état de distraction ou même
à la faveur de l'anesthésie. Rappelons brièvement les faits.
Quand l'hystérique est distraite, et qu'on commande une
hallucination au personnage inconscient, la conscience
principale n'entend rien des mots murmurés à voix basse,
mais elle perçoit l'hallucination \ De même, quand, sur la
main insensible, on dessine une lettre avec une pointe
mousse, le sujet ne sent point le contact de la pointe, mais
il a la représentation, parfois même l'hallucination de la
lettre écrite ^
Dans les deux cas, même opération psychologique; la
parole prononcée, comme la sensation tactile faite sur la
main ont amené des images associées, mais le premier
terme de l'association est resté dans la conscience secon-
daire, et le second terme, l'image, a seul fait son entrée
dans la conscience principale. Or, c'est bien ce qui se passe
dans toutes les suggestions données pendant le somnam-
bulisme et se continuant pendant l'état de veille : la con-
science principale ne connaît que l'effet, le dernier terme
de la suggestion; c'est la conscience somnambuhque qui
a entendu les paroles de la suggestion; ajoutons que la
conscience somnambulique, qui joue ici le même rôle que
le personnage subconscient de l'état d'anesthésie et de
l'état de distraction, est identiquement le même person-
nage. C'est encore un point sur lequel pleine lumière a
été faite ".
Il faut donc considérer les suggestions classiques, celles
qui sont données pendant un état de somnambulisme pour
être exécutées ou simplement pour se continuer pendant la
"veille, comme des opérations psychologiques qui exigent
une duahté de consciences.
1. Voir p. 193.
■2. Voir p. 188.
3. Voir p. 138.
248 LES EXPÉRIENCES DE SUGGESTION
Dans un certain nombre de cas, il paraît même démontré
qu'au moment de l'exécution d'une suggestion post-hyp-
notique, la personnalité normale de l'état de veille, qui ne
connaît pas la suggestion reçue, qui du reste ignore toutes
les péripéties de l'expérience, et qui s'est souvent recons-
tituée d'une façon assez complète pour lutter contre une
suggestion nouvelle, s'efface, disparaît, est anéantie; c'est
la personne somnambulique qui envahit la scène. Nous
avons hâte d'énumérer les faits qui le démontrent.
Le premier de ces faits a été relevé par M. Beaunis \
c'est l'oubli rapide qui suit l'exécution d'une suggestion
post-hypnotique. On a dit au sujet endormi d'exécuter au
réveil un acte quelconque, changer un meuble de place,
ou tourner rapidement ses mains l'une autour de l'autre;
pendant qu'il obéit à cet ordre, on appelle d'une façon
toute particulière son attention sur ce qu'il fait; on lui
dit de remarquer son mouvement, et on peut s'assurer
qu'il a pleine conscience de son acte. C'est du moins
ainsi que les sujets se comportent dans les expériences
de M. Beaunis. Or, malgré la conscience avec laquelle
ils accomphssent les ordres suggérés, tout est oublié
quelques instants après; vient-on à leur demander ce qu'ils
ont fait avec leur main, ils ne se rappellent rien et ne com-
prennent pas la demande.
Cet oubli n'est peut-être pas un phénomène constant.
Quel est le phénomène constant en psychologie? Mais il est
fréquent, et ceci nous montre que lorsqu'une action est
accomplie sous l'empire d'une suggestion, alors elle diffère
grandement d'une action volontaire et spontanée; cette
différence persiste même pour les actes suggérés qu'on
exécute à l'état de veille, car si par exemple le sujet avait
spontanément, en dehors de tout commandement, déplacé
un meuble ou fait un geste, il en aurait sûrement con-
servé le souvenir.
L'oubli après l'acte exécuté nous paraît comparable à
1. Le Somnambulisme provor/uf', p. 121. Paris, 1SS7.
SUGGESTIONS D'ACTES 249
l'oubli qui succède au somnambulisme; il marque bien, à
notre avis, que le sujet, au moment précis où l'acte est
exécuté, se trouve dans la condition mentale du somnam-
bulisme, puisque le signe psychique principal de cet état,
c'est-à-dire l'amnésie qu'il laisse après lui, peut se vérifier
à cette occasion.
D'autres expériences, celles de Gurney, de M. Delbœuf,
de M. Pierre Janet, de MM. Fontan et Ségard, et les
miennes, viennent confirmer cette interprétation, qui, si
elle ne s'appuyait pas sur un plus grand nombre de faits,
resterait un peu hypothétique.
Chez les sujets du genre de ceux que M. Beaunis a étu-
diés, l'état somnambuHque ne renaît que partiellement à ce
moment décisif où la suggestion post-hypnotique se réalise;
ils gardent conscience d'eux-mêmes, et la seule preuve
que l'activité somnambulique est intervenue, c'est l'oubli
de l'acte. Il est d'autres personnes pour qui, dans les
mêmes circonstances, le retour de l'état somnambulique
est plus net, plus frappant, plus complet; il n'y a pas seu-
lement oubli après l'acte, mais inconscience pendant que
l'acte suggéré s'accomplit. Le moi normal reste étranger à
la suggestion; c'est en dehors de lui, de sa volonté et de
son intelligence qu'elle s'exécute; et c'est par rapport à lui
qu'elle est inconsciente. L'inconscience, ainsi comprise, est
une sorte d'oubli anticipé. La perte de conscience, vraie
aggravation de la perte de mémoire, contribue à établir
définitivement la division des consciences.
Il faut citer quelques exemples. Nous en empruntons un
à M. Pierre Janet. « Après avoir étudié sur Lucie, rapporte
cet auteur, les suggestions ordinaires pendant l'état hypno-
tique je lui donnai des ordres à accomphr après le réveil,
et je fus frappé de la manière singulière dont elle les exé-
cutait. Elle avait à ce moment l'apparence la plus naturelle,
parlait et agissait en se rendant bien compte de tous les
actes qu'elle faisait spontanément; mais, au travers de tous
ces actes naturels, elle accomplissait comme çav dis trac tw?i
les actes commandés pendant le sommeil. Non seulement,
250 LES EXPÉRIENCES DE SUGGESTION
comme la plupart des sujets, elle les oubliait après les avoir
accomplis, mais elle ne paraissait pas les connaître, au
moment même oîi elle les exécutait. Je lui dis de lever les
deux bras en l'air après le réveil; à peine est-elle dan&j
l'état normal qu'elle lève les deux bras au-dessus de sa
tête, mais elle ne s'en inquiète pas; elle va, vient, cause,
tout en maintenant ses deux bras en l'air. Si on lui demande
ce que font ses bras, elle s'étonne d'une pareille question
et dit très sincèrement : « Elles ne font rien du tout, mes
mains, elles sont comme les vôtres *. »
Chez d'autres sujets, le retour de l'état somnambulique
se montre plus complet encore; on a pu constater qu'il
ramène l'état delà sensibilité qui le caractérise chez chaque
sujet, et que celui-ci acquiert même une suggestibilité qu'il
n'a pas pendant la veille (Gurney)'. Mieux encore, certains
sujets s'endorment de nouveau pour exécuter l'acte post-
hypnotique, et un auteur a pu dire, exagérant un peu
un fait qui n'est vrai que de certaines personnes, que
toute suggestion post-hypnotique équivaut à celle-ci :
« Après votre réveil, vous vous endormirez de nouveau
pour accomplir la suggestion. » Il est clair qu'un tel ordre
n'a été ni donné, ni sous-entendu, et que si l'état somnam-
bulique renaît, c'est que les conditions mentales qu'il
implique sont nécessaires à l'accomplissement de la sug-
gestion donnée.
Ainsi, chaque individu a sa manière propre de se con-
duire; chez les uns, oubli après l'acte; chez les autres,
inconscience de l'acte; chez d'autres enfin, perle absolue,
totale de conscience et somnambulisme. Ceci nous montre
avec combien de variantes un même acte peut s'ac-
complir.
Ces variantes, du reste, se ramènent à un fait unique,
la division de conscience, et l'importance comparée des
deux consciences en action. Les Hmites de ces consciences
1. Op. ril.^ p. 2oo.
2. S. F'. It., 4887, p. 271.
SUGGESTIONS D' ACTES 2ol
n'ont rien de fixe et d'immuable; nous l'avons vu déjà à
deux reprises *, le subconscient tend sans cesse à se déve-
lopper et à submerger la personnalité principale, et les
différences observées d'un sujet à l'autre résultent du degré
variable de développement atteint par le moi somnambu-
lique.
i. Voir p. d38 et m.
CHAPITRE IV
LES SUGGESTIONS A POINT DE REPÈRE INCONSCIENT
LES HALLUCINATIONS
Sugfrestions où le but seul est indiqué, le moyen étant confié à l'initiative
du sujet. — Hallucinations à point de repère. — Principaux caractères.
— Optique hallucinatoire. — Le point de repère est l'objet d'une per-
ception inconsciente. — Démonstration directe de cette perception. —
Intelligence du personnage subconscient.
S'il fallait s'en tenir à ce qui précède, les rapports des
deux consciences, pendant l'exécution des suggestions,
seraient assez simples ; un acte est commandé , avons-
nous vu; la conscience somnambulique, qui a recueilli la
suggestion et s'en rend bien compte, se contente d'intro-
duire ridée de l'acte dans la conscience principale, ou bien
elle se substitue à la conscience principale pour réaliser
la suggestion. Mais on peut créer, par artifice, des situa-
tions assez complexes, qui entraînent une complexité cor-
respondante dans les rapports des deux consciences. En
d'autres termes, on a pu obliger le moi somnambulique à
collaborer avec le moi normal, de sorte que la suggestion
devient leur œuvre commune.
Pour bien comprendre ce point, il faut remarquer tout
d'abord que dans beaucoup de cas la suggestion pose un
problème; elle indique au sujet un but à atteindre, sans
lui en indiquer le moyen ; la question du comment est
LES SUGGESTIONS A POINT DE REPÈRE INCONSCIENT 25^
laissée à son initiative, elle ne fait pas partie de l'idée
suggérée.
Ainsi, on donne au sujet l'ordre d'exécuter un mouvement
huit minutes après son réveil, mais on ne lui indique pas
comment il doit apprécier le temps pour ne faire le mou-
vement ni trop tôt ni trop tard. De même, on lui commande
de ne plus voir un objet, sans lui apprendre le moyen
qu'il doit employer pour ne pas le voir. De même encore,
on lui montre une hallucination sur une carte blanche,
qu'il devra retrouver ensuite parmi dix cartes semblables,
et on ne lui suggère aucun procédé pouvant le guider dans
sa recherche. Voilà trois exemples typiques : ce sont du
reste les seuls dont nous ayons l'intention de parler. Ils
offrent ce trait commun que le but est indiqué, mais que le
moyen de l'atteindre est laissé à l'initiative du sujet. Or,
nous allons montrer par une étude détaillée que le sujets
interrogé pendant la veille, ne sait rien des moyens em-
ployés. C'est le moi somnambulique qui intervient ici, qui
invente les moyens, qui écarte les causes d'erreurs, et qui
se charge de mener à bonne fin la suggestion. Il y a, si
l'on veut, collaboration, mais à parts inégales; le rôle
intelligent est tenu par le personnage somnambulique.
Nous commencerons par dire un mot des hallucinations
avec point de repère. Nous en avons longuement parlé
ailleurs *, et si nous y revenons, c'est pour ajouter à notre
description quelques détails complémentaires, que nous
avons appris depuis, et qui sont relatifs au dédoublement
de conscience.
Une règle paraît dominer les hallucinations visuelles
qu'on impose par suggestion verbale aux personnes hyp-
notisées : c'est que l'objet imaginaire est vu à peu près
dans les mêmes conditions que s'il était réel. C'est ainsi
que lorsque la suggestion a créé un objet inerte et immo-
bile, cet objet imaginaire occupe à poste fixe la position
indiquée par l'expérimentateur; le livre, la clef, pour
1. Magnétisme animal, par Binet et Féré, p. 136.
'254 LES EXPERIENCES DE SUGGESTION
prendre des exemples simples, qu'on aura fait apparaître
sur un coin de table y resteront placés; le sujet ne verra
ces objets imaginaires que quand il se tournera vers la
table; s'il ferme les yeux, s'il détourne ses regards, s'il
sort de la pièce, il perd conscience de son hallucination,
comme il perdrait la perception de l'objet réel correspon-
dant; rhallucination reste là, fixée à la table : elle attend le
sujet, qui la retrouvera quand il reviendra dans la chambre '.
Vu de loin, l'objet imaginaire paraît se rapetisser, il est
perçu d'une façon moins distincte que de près, etc. A ces
quelques faits très simples, viennent s'en ajouter d'autres
qui ne peuvent être mis en lumière que par des expériences
un peu plus compliquées, mais qui sont cependant, je crois,
de même nature. Lorsqu'on presse mécaniquement sur un
des yeux de l'halluciné, pendant qu'il regarde son halluci-
nation, l'objet imaginaire est vu double, comme les objets
réels ^; un prisme le dévie, des lentilles peuvent l'agran-
dir, le rapetisser, ou le faire paraître renversé, suivant la
distance de l'objet au foyer de la lentille. Ces expériences
d'optique hallucinatoire ont été répétées par de nombreux
1. Il est curieux de voir avec quelle persistance durent les hallucinations
bien associées à un point de repère. J'ai parlé, dans ma Psycholorjie du
raisonnement, d'une hallucination donnée à W. .. en 1884; on lui avait
suggéré qu'elle était représentée nue sur une photographie qui en réalité
représentait une vue des Pyrénées. Mon excellent ami, M. Londe, chef des
travaux chimique de la Salpêtrière, m'apprend que cette hallucination ne
s'est pas encore effacée (juin 1891); il suffit de montrer la photographie à
W...pour qu'elle croie y voir son propre portrait. Aucune suggestion n'a
été faite dans l'intervalle pour renouveler son hallucination; mais on lui
a montré la photographie quatre ou cinq fois.
2. En relatant pour la première fois cette série d'expériences sur la
modification des hallucinations visuelles yjar des moyens physiques, j'ai
commis une curieuse erreur; j'ai attribué à Brewstcr le mérite d'avoir le
premier constaté qu'on peut en pressant sur l'œil d'une personne en état
d'hallucination dédoubler son hallucination. L'erreur a été relevée par
M. Gurney et M. Hack-Tuke. En réalité, Hrewster n'a fait aucune expé-
rience de ce genre; consulté par une personne qui lui demandait un
moyen de distinguer un objet réel et une apparition imaginaire, il répondit
qu'il fallait chercher, en pre?sant sur l'œil, ù obtenir une double image; il
pensait que l'image de l'objet réel pouvait seule être dédoublée. Je lui ai
donc attribué gratuitement une expérience qu'il n'a jamais faite, et une
opinion qui est juste le contraire de la sienne. Nous voyons d'autre part
que le critérium qu'il indique pour distinguer la réalité de l'hallucination
ne pourrait pas servir pour les hystériques hypnotisés.
LES SUGGESTIONS A POINT DE REPÈRE INCONSCIENT 2oo
observateurs, qui sont arrivés, quelques-uns même d'une
manière indépendante, à admettre la théorie du point de
repère, que j'ai formulée le premier \ Cette théorie se
résume ainsi : l'hypnotique s'arrange pour associer l'image
hallucinatoire à une sensation d'un objet réel, existant
dans le monde extérieur; les instruments d'optique, en
modifiant cette sensation réelle, donnent au sujet l'idée
d'une modification correspondante dans l'hallucination; si
le sujet reçoit à un certain moment deux sensations au lieu
d'une, il étendra ce phénomène de dédoublement à l'hal-
lucination elle-même, et il percevra deux objets imaginaires.
Parmi les expériences qui semblent démontrer l'exactitude
de l'interprétation précédente, j'en rappellerai une, bien
des fois citée par les auteurs ; on montre à une personne
en somnambuUsme un portrait imaginaire sur une carte
en apparence toute blanche, et on confond ensuite cette
carte avec plusieurs autres, après l'avoir marquée d'un
signe pour qu'on puisse la retrouver à coup sur; le sujet
retrouve 'très souvent le portrait sur la même carte qu'on
lui a montrée, et il peut même très souvent aussi replacer
la carte dans la même position; on doit en conclure qu'il
reconnaît sans doute le papier de la carte à quelque signe
particuher. Ce signe lui sert de point de repère.
Réduit à ces proportions, le phénomène que nous étu-
dions devient assez banal, et récemment, on a pu soutenir
qu'une hallucination à point de repère extérieur ne peut
rien prouver contre la simulation ; si le sujet a en effet la
perception d'un point de repère qu'il voit se modifier
régulièrement quand on place devant ses yeux des instru-
ments d'optique, il peut, alors même qu'il n'est pas hallu-
ciné, décrire des modifications correspondantes dans
l'objet imaginaire qu'il prétend voir. Mais je trouve que le
raisonnement précédent n'a qu'une apparence de rigueur,
et les expériences d'optique hallucinatoire me paraissent
1. Revue philosophique, mai 1884. — Voir Bernheim, De la Suggestion,
p. 108; Lombroso el OUolengiii, Pierre Janet, op. cit., p. 154; Seppili, Revista
di Freniatria, 1890.
250 LES EXPÉRIENCES DE SUGGESTION
demeurer un excellent critérium contre la simulation, si
nous voulons nous placer à ce point de vue spécial.
En effet, le point de repère auquel le sujet suggestionné
attache son hallucination présente quelques caractères par-
ticuliers et difficilement simulables. En premier lieu, il est
à noter que dans les expériences de portrait que nous
avons rappelées plus haut, le sujet ne peut pas indiquer
comment il reconnaît le carton qui sert de support à
l'image hallucinatoire; lui demande-t-on pourquoi il
désigne ce carton-ci plutôt que celui-là, il répond invaria-
blement que c'est parce que le premier est un portrait;
mais comme le portrait est purement imaginaire, ce n'est
pas là ce qui lui sert réellement d'indice, et sa réponse,
quoique sincère, ne nous éclaire pas; certainement le
carton présente un point noir, une ombre, n'importe quoi;
et bien que le sujet soit incapable de nous les désigner, il
doit s'en servir d'une façon ou d'une autre.
Yoici du reste une expérience qui montre bien que la
perception du point de repère se fait d'une manière incon-
sciente : prenons une photographie et fixons dessus, par
suggestion, l'hallucination d'un portrait. Le sujet, à qui on
présente ensuite la photographie, voit le portrait, mais ne
voit point la photographie qui est dessous; l'imaginaire
cache le réel; le sujet voit ce qui n'existe pas, il ne voit
pas ce qui existe. Dans ces conditions la photographie invi-
sible, c'est-à-dire non perçue d'une manière consciente,
sert de point de repère, car si, quelque temps après, huit
jours après, on vient à montrer au sujet une seconde
épreuve de la même photographie, il y apercevra un
second portrait imaginaire. Ces hallucinations si bien loca-
lisées renferment donc toujours une perception incon-
sciente qui leur sert d'attache.
L'expression de perception inconsciente que nous venons
d'employer met déjà sur la voie de l'explication de ce qui
précède; nous avons vu que bien souvent chez les sujets
hypnotisés ce qui paraît inconscient ne l'est pas, mais
appartient à une autre conscience, et constitue l'indice d'un
LES SUGGESTIONS A POINT DE REPÈRE INCONSCIENT 257
état de désagrégation mentale. On peut donc supposer que
le point de repère est perçu par une personnalité et que
l'hallucination est perçue par l'autre, et que ce cas est un
exemple de collaboration de deux personnalités. C'est en
effet ce qui a lieu, comme M. Pierre Janet a pu s'en assurer
le premier. Après avoir donné une hallucination de por-
trait sur un carton, il a dédoublé son sujet par le procédé
de la distraction; il s'est mis en communication avec la
seconde personnalité et lui a demandé ce qu'elle voyait
sur le carton; celle-ci lui a désigné un point noir, bien
réel ; c'est ce point noir qui lui permettait de ne pas con-
fondre le carton avec d'autres; la personnalité principale
qui était seule hallucinée, voyait le carton et le portrait,
mais ne voyait pas le point noir. La théorie du dédouble-
ment mental se trouve donc au bout de toute cette série
d'expériences que nous venons de résumer, et qui ont été
entreprises en 1883, c'est-à-dire à une époque où les phé-
nomènes de dédoublement n'étaient guère connus. Je vois
dans ces rencontres et ces confirmations multiples la preuve
que nous n'avons point été l'objet d'illusions et que nous
avons pu découvrir un peu de la réalité.
Il est utile de se rendre compte qu'on a fait un pas en
avant; il est utile aussi de ne pas oublier qu'on est encore
loin du but. Les expériences précédentes, en mettant en
évidence le point de repère qui sert à retrouver l'halluci-
nation, qui sert à l'extérioriser, etc., nous ont appris un fait
intéressant; mais combien d'autres demeurent inexpliqués!
Pour se rendre compte du résultat des expériences, il ne
suffit point de constater que le personnage inconscient
retrouve le point de repère : il faut en outre supposer qu'il
le cherche, pour le retrouver quand il est peu visible; et
là ne doit pas s'arrêter son rôle. Quand l'opérateur vient
à dédoubler le point de repère, par la pression oculaire
ou autrement, le sujet halluciné n'a pas la perception que
le point de repère est doublé; c'est l'inconscient qui doit
s'en apercevoir ; c'est donc à lui qu'il appartient de dédou-
bler l'image hallucinatoire ; il intervient également quand,
A. BiNET. 17
2o8 LES EXPERIENCES DE SUGGESTION
par différents moyens optiques, on modifie de différentes
façons le point de repère. C'est lui en somme qui tient le
grand rôle ; il cherche à exécuter le mieux possible la sug-
gestion qui lui a été confiée; et s'il s'arrange pour que
l'objet imaginaire soit perçu à peu près dans les mêmes
conditions que s'il était réel, c'est parce que cela fait
partie de la suggestion qu'il a reçue; l'hallucination serait
bien vite reconnue fausse et démasquée si elle ne simulait
pas la réalité. Je suis donc enclin à admettre que tous ces
signes divers de l'hallucination hypnotique que nous avons
décrits doivent se rencontrer surtout chez les sujets dont
l'inconscient est intelligent, et a du savoir faire.
Quant à la conscience normale, elle ne paraît pas être au
courant de tout ce travail de critique et d'élaboration qui
se passe au-dessous d'elle et comme dans un plan infé-
rieur; le moi normal ne sait qu'une chose en se réveillant
du sommeil hypnotique : c'est qu'il a devant lui un objet
qui lui paraît réel, et si cet objet lui paraît tel, c'est qu'il
est bien imité.
On s'est demandé si des expériences semblables pour-
raient se répéter sur des hallucinations spontanées, dans
des cas autres que l'hystérie et la suggestion. Nous croyons
pouvoir répondre aujourd'hui à cette question que pour
que des expériences aussi délicates réussissent, elles ont
besoin d'un inconscient bien organisé.
CHAPITRE V
LES SUGGESTIONS A POINT DE REPÈRE INCONSCIENT (suite)
LA MESURE DU TEMPS
Suggestions à longue échéance. — Nécessité d'une mesure du temps. —
Inconscience du sujet. — Discussions, — Explication proposée par
M. Bernheim. — Expériences de M. Pierre Janet : c'est le personnage
subconscient qui calcule le temps.
Nous avons à décrire maintenant les suggestions d'acte
à longue échéance, opérations dans lesquelles on trouve
un nouvel exemple de dédoublement mental. L'étude
que nous venons de faire sur les hallucinations visuelles
nous permettra, malgré sa brièveté, d'être encore plus bref
sur cette seconde question; car en réalité les deux phéno-
mènes sont calqués l'un sur l'autre. Ce sont tous deux des
suggestions à point de repère inconscient.
Les suggestions à échéance flxe sont de deux genres. On
peut d'abord donnera la personne hypnotisée l'ordre d'exé-
cuter une suggestion après son réveil, et à une échéance
marquée par un signal, comme lorsqu'on lui commande de
dire telle parole à M. X..., quand elle le rencontrera; nous
n'avons pas à nous occuper ici de ce genre de suggestion.
Dans un second genre de suggestions, l'échéance n'est
point marquée par un événement extérieur, mais par un
certain laps de temps; le sujet doit commettre tel acte,
260 LES EXPÉRIENCES DE SUGGESTION
éprouver telle hallucination dans cinq minutes, dans treize
jours, dans un mois. Ainsi, on commande à une personne
en somnambulisme de revenir au bout de quinze jours :
le jour dit, à l'heure dite, elle revient. On s'est plu, pour
augmenter le caractère merveilleux de l'expérience, à
allonger indéfiniment le délai; on l'a étendu même à une
année; mais cette variante, qui prouve simplement la téna-
cité de la mémoire du sujet, ne complique pas beaucoup la
suggestion, et il est aussi difficile de comprendre comment
le sujet se rappelle l'échéance de quinze jours que celle
d'une année entière.
Précisons bien la difficulté. En quoi consiste- t-elle? En
ceci : d'une part, on impose au sujet un acte qu'il ne
peut accomplir correctement que s'il mesure le temps; et
d'autre part, si on cherche à pénétrer dans sa conscience,
quand il est sous l'empire de la suggestion, on constate
que non seulement il n'a aucune préoccupation relative à
cette mesure du temps, mais encore il a complètement
oubhé la suggestion. On lui dit de faire un acte dans
quinze jours; réveillé, il ne se souvient de rien, et cepen-
dant, dans quinze jours, l'acte sera fait.
M. Bernheim a fait une première tentative d^explication;
cette mesure du temps, dit-il en substance, a lieu con-
sciemment; de temps en temps, le souvenir de la sugges-
tion est revenu dans la conscience, et de temps en temps
le sujet a compté les jours écoulés, mais ce calcul a été
fait rapidement et ensuite oublié. Le sujet ne se souvient
plus qu'il s'est souvenu '. La supposition est intéressante;
malheureusement elle ne concorde pas exactement avec
les faits. Bien des sujets, si on les interroge soigneusement
avant l'échéance de la suggestion, ne peuvent absolument
rien en dire; jusqu'au moment où elle se réalise, la sug-
gestion leur est inconnue; elle reste dans une nuit com-
plète, elle n'est point éclairée d'une manière intermittente,
comme le suppose M. Bernheim. Il y a là non pas un
1. Berulieim, Du la Sitgfjrs/.io)i, p. 172-174.
LES SUGGESTIONS A POINT DE REPÈRE INCONSCIENT 261
oubli, mais une inconscience véritable '. La solution de
cette difficulté doit donc être cherchée ailleurs.
M. Pierre Janet est le premier auteur qui ait nettement
posé la question, et qui l'ait résolue, en faisant intervenir
les phénomènes de la division de conscience. Il a d'abord
montré que l'exécution d'une suggestion à échéance lixe
ne peut pas être produite par une simple association latente,
mais exige des remarques, des comptes, en un mot des
jugements qui persistent dans la tête de l'individu jusqu'au
moment où la suggestion se réalise. Voici comment l'auteur
dispose l'expérience : « Lucie étant en état de somnambu-
hsme constaté, je lui dis du ton de la suggestion : « Quand
j'aurai frappé douze coups dans mes mains, vous vous
rendormirez. » Puis, je lui parle d'autre chose, et cinq ou
six minutes après, je la réveille complètement L'oubli
de tout ce qui s'était passé pendant l'état hypnotique et
de ma suggestion en particuher était complet. Cet oubli,
chose importante ici, m'était garanti, d'abord par l'état
de sommeil précédent qui était un véritable somnambu-
lisme avec tous les signes caractéristiques, par l'accord
de tous ceux qui se sont occupés de ces questions et qui
ont tous constaté l'oubli au réveil de semblables sugges-
tions, enfin par la suite de toutes les expériences précé-
dentes faites sur ce sujet où j'avais toujours constaté cette
inconscience. D'autres personnes entourèrent Lucie et
lui parlèrent de différentes choses; cependant, retiré à
quelques pas, je frappai dans mes mains cinq coups assez
espacés et assez faibles. Remarquant alors que le sujet
ne faisait aucune attention à moi et parlait vivement, je
m'approchai et je lui dis : « Avez-vous entendu ce que
je viens de faire? — Quoi donc, je ne faisais pas atten-
tion. — Et cela? (Je frappe dans mes mains.) — Vous
venez de frapper dans vos mains. — Combien de fois? —
Une seule. » Je me retire et continue à frapper un coup
plus faible de temps en temps; Lucie distraite ne m'écoute
1. Beaunis, Somnambulisme, p. 243.
26-2 LES EXPERIENCES DE SUGGESTION
plus et semble m'avoir complètement oublié. Quand j'ai
ainsi frappé six coups qui, avec les précédents, faisaient
douze, Lucie s'arrête immédiatement, ferme les yeux et
tombe en arrière endormie. « Pourquoi dormez-vous? lui
dis-je. — Je n'en sais rien, cela m'est venu tout d'un
coup. » Si je ne me trompe, c'est là l'expérience de
MM. Richet et Bernheim, mais réduite à une plus grande
simplicité. La somnambule avait aussi dû compter, car
je m'appliquais à faire les coups égaux et le douzième ne
se distinguait pas des précédents; mais, au lieu de compter
des jours, ce qui avait fait croire à une mesure de temps,
elle avait compté des bruits. Il n'y avait aucune faculté
nouvelle, car tous les coups étaient faciles à entendre,
quoiqu'elle prétendît n'en avoir entendu qu'un seul : elle
avait dû les écouter et les compter, mais sans le savoir,
inconsciemment. L'expérience était facile à répéter et je
l'ai refaite de bien des manières : Lucie a compté ainsi
inconsciemment jusqu'à 43, et les coups furent tantôt
réguliers, tantôt irréguliers, sans que jamais elle se soit
trompée sur le résultat. Une des expériences les plus
frappantes fut celle-ci. Je commande : « Au troisième
coup vos mains se lèveront; au cinquième elles se bais-
seront; au sixième vous ferez un pied de nez; au neu-
vième vous marcherez dans la chambre; au seizième vous
vous endormirez dans un fauteuil, » Nul souvenir au
réveil et tous ces actes s'accomplissent dans l'ordre voulu,
tandis que, pendant tout le temps, Lucie répond aux ques-
tions qu'on lui adresse, et n'a aucune conscience qu'elle
compte des bruits, qu'elle fait un pied de nez ou qu'elle
se promène.
« Après avoir répété l'expérience, il fallait songer à la
varier et j'ai essayé d'obtenir ainsi des jugements incon-
scients très simples. La disposition de l'expérience reste
toujours la même; les suggestions sont faites pendant le
sommeil hypnotique bien constaté, puis le sujet est com-
plètement réveillé , les signes et l'exécution ont lieu
pendant la veille. « Quand je dirai deux lettres pareilles
LES SUGGESTIONS A POINT DE REPÈRE INCONSCIENT 263
l'une après l'autre, vous resterez toute raide, » Après le
réveil, je murmure les lettres « a... c... d... e... a... a... »,
Lucie demeure immobile et entièrement contracturée ;
c'est là un jugement de ressemblance inconscient. Voici
des jugements de différence : « Vous vous endormirez
quand je dirai un nombre impair », ou bien : « Vos mains
se mettront à tourner Tune sur l'autre quand je pro-
noncerai un nom de femme. » Le résultat est le même :
tant que je murmure des nombres pairs ou des noms
d'homme, rien n'arrive; la suggestion est exécutée quand
je donne le signe : Lucie a donc inconsciemment écouté,
comparé et apprécié ces différences.
« J'ai essayé ensuite de compliquer l'expérience pour
voir jusqu'où allait cette faculté inconsciente de jugement.
Quand la somme des nombres que je vais prononcer fera
10, vos mains enverront des baisers. » Mêmes précau-
tions; elle est réveillée, l'oubli est constaté et, loin d'elle,
pendant qu'elle cause avec d'autres personnes qui la
distraient le plus possible, je murmure 2... 3... 1... 4...
et le mouvement est fait. Puis j'essaye des nombres plus
compliqués ou d'autres opérations : « Quand les nombres
que je vais prononcer deux par deux, soustraits l'un de
l'autre, donneront comme reste six, vous ferez tel geste »,
ou des multiplications, ou même des divisions très sim-
ples. Le tout s'exécute presque sans erreur, sauf quand
l'opération devient trop compliquée et ne pourrait plus
être faite de tête. Gomme je l'ai déjà remarqué, il n'y
avait là aucune faculté nouvelle, mais des phénomènes
ordinaires s'exécutant inconsciemment.
« Il me semble que ces expériences se rapportent assez
directement au problème de l'exécution intelhgente des
suggestions qui paraissent oubliées. Les faits signalés sont
parfaitement exacts ; les somnambules peuvent compter
les jours et les heures qui les séparent de l'accomplisse-
ment d'une suggestion, quoiqu'ils n'aient aucun souvenir
de cette suggestion elle-même. En dehors de leur con-
science, il y a un souvenir qui persiste, une attention tou-
264 LES EXPÉRIENCES DE SUGGESTION
jours éveillée, et un jugement bien capable de compter
les jours, puisqu'il peut faire des multiplications et des
divisions '. »
Nous n'avons rien à ajouter à cette conclusion, parfaite-
ment exacte; nous nous contentons de rappeler combien de
fois déjà dans ce livre une série d'expériences nous a con-
duit à cette notion des sous-consciences, qui travaillent en
dehors de la conscience principale.
1. Pierre Janet, op. cit., p. 263.
CHAPITRE VI
l'anesthésie systématique
I. Confusion de la terminologie. — Définition de l'anesthésie systématique.
— Insensibilité hystérique incomplète et partielle. — Insensibilité en
îlots. — Valeur des signes locaux. — Insensibilité relative à certains
objets. — L'anesthésie systématique suggérée.
II. Historique. — Bertrand, Charpignon, Braid. — Expériences de M. Beru-
beim. — Expériences de MM. Binet, Féré et Richer sur la conservation des
images complémentaires, et sur la reconnaissance de l'objet rendu invi-
sible. — Expériences de M. W. James. — Expériences de M. Bernheim.
— Expériences de M. Liégeois. — Expériences de M. Pierre Janet.
m. Résumé des faits. — Interprétation psychologique.
I
Il nous reste à parler d'un troisième et dernier phéno-
mène psychologique, produit par suggestion. Ce phénomène
a vivement attiré l'attention des observateurs dans ces der-
nières années; il a donné lieu à de nombreuses discussions,
qui du reste n'ont pas été sans profit pour nos connais-
sances; les noms qu'on lui a appliqués sont nombreux, et
quelques-uns renferment toute une théorie; M. Bernheim
et ses collègues de Nancy se servent du mot à.'' hallucina-
tion négative; nous avons proposé, avec M. Féré, celui
dUanesthésie systématique) on pourrait aussi donner à ce
phénomène le nom de perception inconsciente ; mais il ne
faut pas attacher trop d'importance à ces questions de ter-
266 LES EXPÉRIENCES DE SUGGESTION
minologie; l'essentiel est de se mettre d'accord sur la nature
des choses.
On peut décrire ce phénomène comme résultant d'une
espèce particulière d'anesthésie; nous avons longuement
parlé dans les pages précédentes de l'anesthésie hystérique,
nous avons cherché à en préciser la nature et à en fixer les
hmites. Pour la facilité de nos descriptions, nous avons
pris comme type une anesthésie à la fois totale et com-
plète; définissons bien ces termes; l'anesthésie est totale
quand elle comprend toutes les espèces de sensibilités
d'une région, et elle est complète lorsque les excitations,
quelle qu'en soit l'énergie, ne peuvent éveiller aucune
trace de conscience. Voici par exemple une malade dont
le bras est insensible. On transperce sa main avec une
longue épingle, on brûle la pulpe de ses doigts avec un
thermo-cautère, on exerce une pression profonde sur les
masses musculaires du bras, on fait parcourir une portion
du membre par un courant électrique d'une grande inten-
sité, et pendant toutes ces épreuves la malade reste indif-
férente, et ne perçoit rien, ni sensation ni douleur. On
dit alors que son anesthésie est totale, parce qu'elle porte
sur tous les modes de la sensibilité cutanée, et complète,
parce que les excitations les plus énergiques ne provoquent
aucune réaction dans sa conscience \
Mais ce cas est réellement un peu théorique, et je ne
garantis pas qu'on ait pu l'observer une seule fois. D'abord,
il faut faire une première réserve sur les anesthésies com-
plètes. De bons juges pensent que jamais l'anesthésie hys-
térique n'est complète; l'insensibilité est purement relative,
elle n'a lieu que pour des excitations modérées; si l'on
augmente l'énergie de l'excitation, il arrive un moment où
celle-ci pénètre dans la conscience du sujet, et peut même
provoquer un retour passager de la sensibilité, retour pen-
dant lequel des excitations beaucoup plus légères seront
perçues.
i. Pitres, op. cil.., p. 11.
L'ANESTHÉSIE systématique 267
Il faut ajouter, à ce qu'il me semble, des réserves analo-
gues relativement à l'anesthésie totale; le plus souvent, et
même dans les cas où il s'agit d'une insensibilité de vieille
date, tous les modes de la sensibilité ne sont pas éteints; la
sensibilité à la température peut survivre à l'extinction de
la sensibilité tactile ; il peut y avoir toutes les dissocia-
tions possibles, et une des plus fréquentes est la conserva-
tion de la sensibilité au courant électrique, ou à l'action
des métaux. Les anesthésies partielles sont aussi fréquentes,
et peut-être plus, que les anesthésies totales.
La dissociation peut aller plus loin. Il n'est pas rare
d'observer que dans un groupe d'excitants s'adressant au
même sens, par exemple au sens tactile ou au sens de la
pression, certains de ces excitants peuvent être perçus tandis
que d'autres ne le sont pas; la forme de l'excitation tactile
peut avoir dans ce cas une grande influence, et je citerai à
l'appai une observation que j'ai faite moi-même sur plu-
sieurs malades; ils étaient insensibles à la piqûre, à la pres-
sion et au courant électrique, alors même qu'on donnait à
ces excitations une grande énergie; mais il suffisait d'asso-
cier deux de ces excitations, de piquer avec une épingle en
même temps qu'on pressait sur la peau insensible avec un
corps mousse, pour éveiller aussitôt une sensation de dou-
leur extrêmement vive. Chez ces sujets, l'anesthésie était
partielle au point de ne pas comprendre tous les genres
d'excitants mécaniques \
Ce même caractère se présente dans tous les cas, si fré-
quents, où l'anesthésie ne s'étend pas uniformément sur
une région entière, mais existe en îlots distribués sur la
peau sensible de la façon la plus irrégulière et la plus
variable, sans affecter le moindre rapport avec la distri-
bution anatomique des nerfs de la région. Si l'on promène
alors une pointe d'épingle sur le tégument, le sujet peut
sentir une piqûre légère sur un point, et ne rien perce-
voir du tout quand, un centimètre plus loin, on enfonce
1. Contribution à l'étude de la douleur (Revue philosophique, 1889).
268 LES EXPÉRIENCES DE SUGGESTION
répingle dans une plaque insensible. Phénomène bizarre
et d'autant plus important que cette sorte de tatouage anes-
thésique est extrêmement fréquente. Puisqu'aucun fait
analomique ne peut en rendre compte, il semble qu'on puisse
en demander l'explication à la physiologie des sens. Or, il
a été soutenu par de nombreux expérimentateurs que chaque
point de notre tégument a une manière spéciale de sentir
et que la qualité de la sensation varie avec la région de la
peau; c'est là ce qui nous permet de distinguer le point où
nous sommes touchés, et de ne pas confondre une piqûre
au front et une piqûre à la main. Cette hypothèse des signes
locaux — car ce n'est jusqu'ici qu'une hypothèse — peut
servir à rendre plus compréhensible le tatouage hystérique;
dans un îlot d'insensibihté, ce qu'il faut considérer, ce n'est
pas le territoire devenu insensible, c'est un groupe de sen-
sations semblables, ayant une nuance locale commune;
et si, un peu plus loin, à quelques centimètres de là, l'ex-
citation est sentie, c'est que la sensation tactile est un peu
différente de la première; elle a sa nuance, son signe, qui
permet de la reconnaître et qui ne la laisse pas confondre
avec les précédentes; nous trouverions donc ici — si notre
hypothèse était vérifiée — un nouvel exemple d'anesthésies
partielles, c'est-à-dire spéciales à certains groupes de sen-
sations tactiles '.
Nous sommes déjà loin de cette anesthésie totale et com-
plète, qu'on ne trouve guère que dans les hvres; nous
allons nous en éloigner encore davantage; voici de nou-
veaux faits qui vont nous montrer sous un jour intéres-
sant la complexité de ce phénomène hystérique; je les
emprunte à M. Pierre Janet. Il y a des malades qui sem-
blent totalement insensibles et qui peuvent cependant
reconnaître encore certains objets en particulier. Une
dame hystérique semblait avoir totalement perdu toute
sensibilité cutanée aux deux bras et aux deux mains; elle
1. M. Janet indique une hypothèse voisine de la nôtre, op. cit., p. 292. Pour
l'(Hude des signes locaux, je renvoie à ma l'sycholof/ie du Raisonnement,
p. 99.
L'aNESTHÉSIE systématique 269
ne ressentait aucune douleur, n'appréciait aucun objet.
Cependant elle reconnais?ait parfaitement au contact cer-
tains objets habituels de sa toilette. Elle savait, en touchant
son oreille, si elle avait ou n'avait passes boucles d'oreille,
elle reconnaissait sa bague et savait quand on la lui met-
tait ou quand on la lui retirait, sans avoir besoin de rien
regarder.... Elle sentait également dans ses cheveux ses
épingles en fer ou en écaille, qu'elle pouvait chercher par
le contact, ôter ou remettre, même si on les déplaçait.... Le
fait, ajoute M. Janet, ne doit pas être rare chez les hysté-
riques. » Je suis fort disposé, pour ma part, à accepter
cette opinion, et mes observations m'ont souvent montré
que chez l'hystérique l'anesthésie s'accommode aux besoins
pratiques du sujet; celui-ci arrive assez généralement à
percevoir ce qu'il a besoin de percevoir.
Les faits précédents nous servent de transition pour
aborder le phénomène de suggestion auquel nous avons
donné le nom d'anesthésie systématique. C'est une ânes-
thésie partielle, comme celle que nous venons d'étudier; et
elle présente, comme chez la dame observée par M. Janet,
le caractère d'être spéciale à un certain objet. La sugges-
tion qu'on adresse au sujet hypnotisé, ou pris à l'état de
veille, mais docile, consiste à lui défendre de percevoir un
objet en particulier. Cette interdiction ne lui enlève que
la perception de l'objet dont on lui parle, et il continue à
percevoir les autres. De là le nom d'anesthésie systéma-
tique que l'on donne au phénomène; l'anesthésie est sys-
tématique parce qu'elle supprime un système de sensations
et d'images, qui sont afférentes à un objet particulier.
Quelques auteurs, nous l'avons dit, ont élevé des contes-
tations sur le nom que nous avions donné à ce phéno-
mène; ils ont cru qu'on avait tort d'en faire une anesthésie,
car l'anesthésie signifie une destruction de la sensation,
une paralysie de la sensibilité; or, nous verrons tout à
l'heure que la suggestion ne va pas jusque-là; lorsqu'on
défend à un sujet de percevoir un objet, la défense se
borne à lui enlever la perception consciente, mais elle ne
270 LES EXPERIENCES DE SUGGESTION
supprime pas la sensation; il n'y a point là d'anesthésie
vraie ; et on peut même, au moyen de certains artifices que
nous indiquerons plus loin, montrer que le sujet, au
moment où il ne paraît rien voir, et ne rien entendre, per-
çoit et enregistre ce qui se passe autour de lui avec une
acuité sensorielle remarquable. Cependant ces raisons ne
nous empêcheront point de conserver l'expression d'anes-
thésie systématique; nous conviendrons seulement do ne
donner à cette expression qu'un sens relatif; il sera bien
entendu que s'il y a, dans ces expériences, de Tanesthésie,
c'est une anesthésie par inconscience. Du reste, c'est ce qui
a lieu également, dans bien des cas, pour l'anesthésie hys-
térique; alors même qu'elle paraît totale et complète, elle
peut ne pas consister dans une destruction de la sensation ,
et résulter d'une simple perte de conscience; le motif n'a
pourtant pas paru suffisant pour changer le nom de l'anes-
thésie hystérique.
Le fait important, celui que la terminologie doit bien
indiquer, c'est que l'anesthésie systématique n'est qu'une
forme, une variété de l'anesthésie hystérique spontanée;
elle n'en représente qu'un degré de compHcation; la légi-
timité de ce rapprochement me paraît hors de doute, et je
vois avec satisfaction que beaucoup d'auteurs partagent
aujourd'hui cette opinion, que M. Féré et moi avons été,
croyons-nous, les premiers à indiquer.
C'est précisément ce que nous allons essayer de montrer
encore une fois; les nombreuses expériences qui ont été
faites dans ces dernières années rendront notre travail
facile ; et nous arriverons finalement à conclure que l'anes-
thésie systématique, étant de môme nature que l'anesthésie
spontanée, illustre par un nouvel exemple la théorie de la
désagrégation mentale; car la perception interdite par sug-
gestion subit le même sort que les sensations provenant
des régions anesthésiques; elle est reléguée dans une
seconde conscience, où elle détermine des idées, des rai-
sonnements et des actes qui sont également inconscients
pour la personnalité principale.
L'ANESTHÉSIE systématique 271
Nous pourrions procéder tout de suite à la démonstra-
tion régulière de cette thèse; mais il nous paraît plus
intéressant de prendre un autre chemin, un peu plus long,
qui nous conduira au même but. Ce que nous cherchons
surtout à mettre en lumière dans ce livre, ce sont les ren-
contres des observateurs qui ne se cherchaient pas, ce sont
les accords inattendus d'expériences tout à fait diffé-
rentes. A ce point de vue, l'historique de la question
présente un avantage sans pareil; car il nous fait assister à
une série de tentatives isolées qui, sans avoir été concer-
tées, ont toutes convergé au même point. Fait assez singu-
lier, la question de l'anesthésie systématique est une de
celles qui ont soulevé le plus de controverses, et c'est peut-
être celle sur laquelle tous les expérimentateurs sont le
mieux d'accord, mais sans le savoir.
II
Les faits de ce genre sont connus depuis fort longtemps;
Bertrand est peut-être un de ceux qui les ont décrits le plus
clairement : « J'ai vu, dit-il, la personne qui magnétisait
les somnambules leur dire quand elles étaient endormies :
Je veux que vous ne voyiez en vous éveillant aucune des
personnes qui se trouvent dans la chambre, mais que vous
croyiez voir telle ou telle personne qu'il leur désignait et
qui souvent n'était pas présente. La malade ouvrait les
yeux, et sans paraître voir aucune des personnes qui l'en-
touraient, adressait la parole à celles qu'elle croyait voir \ »
On trouve des descriptions analogues dans les livres de
Teste, de Charpignon, de Braid, de Durand (de Gros), de
Liébeault, etc. Le plus souvent, il est vrai, l'expérimenta-
teur prenait un moyen indirect pour supprimer la percep-
tion d'un objet ou d'une personne; il les transformait; il
1. Ti^aité du somnambulisme, p. 236. Gonf. P. Janet, op. cit., p. 271,
auquel j'emprunte quelques-uQS des détails suivants.
272 LES EXPERIENCES DE SUGGESTION
donnait par exemple la suggestion qu'une personne pré-
sente était une autre personne; alors le sujet voyait la
personne fictive, avec les traits et le costume qu'il lui con-
naissait, et en même temps il ne voyait pas la personne
réellement présente; riiallucination faisait office d'écran,
qu'on nous passe cette comparaison grossière, et rendait
invisible un objet réel. Mais dans d'autres circonstances,
l'expérimentateur s'est efforcé directement de produire une
anesthésie systématique. On a dû songer à expliquer un
phénomène aussi bizarre que l'abolition d'un objet présent.
Mais les premières explications qu'on en a trouvées sont
bien naïves. Teste dit que c'est le « fluide magnétique,
vapeur inerte, opaque et blanchâtre séjournant comme un
brouillard où la main le dépose, qui cache les objets à la
somnambule ». Gharpignon prétend de son côté qu'il a pu
rendre un objet invisible en l'entourant d'une couche
épaisse de fluide. On n'a pas grand'chose à tirer de ces
théories-là. Du reste, elles n'étaient pas communes à tous
les magnétiseurs. Bertrand déjà avait bien compris l'in-
fluence de la suggestion, de l'idée imposée au somnam-
bule. C'est sur cette action d'une pensée que Braid, Durand
(de Gros) et Liébeault insistèrent aussi. « L'impression sug-
gérée, dit Braid, s'est à tel point emparée de l'esprit du
patient que l'on peut, sous son influence, suspendre les
fonctions de la vue, la rendre aveugle pour un objet placé
devant lui *... »
C'était déjà beaucoup de comprendre la cause véritable
de ce phénomène, et de le rapporter à la suggestion; mais
nous devons cependant reconnaître que cette explication
n'est que partielle, et reste en chemin. C'est ici le moment
de répéter ce que nous avons dit plus haut au sujet des
hallucinations à point de repère; l'expérimentateur, en se
servant du procédé de la suggestion, indique à l'hypnotisé
le but à atteindre, mais il ne lui fournit pas les moyens d'y
arriver; la théorie de la suggestion ne nous renseigne pas
1 . Neu7-7/pnolof/ù.', p. 247.
L'ANESTHÉSIE systématique 273
sur le comment des choses, et par conséquent elle ne
donne pas satisfaction complète à l'esprit.
En 1884, M. Bernheim reprit cette étude et donna aux
faits précédents le nom d'hallucination négative ; il les isola
bien des hallucinations positives, et montra, par plusieurs
expériences, que la suggestion peut supprimer directement
une perception des objets présents*. La description était
excellente, mais ce n'était qu'une description. Peu après,
parut un travail de M. Féré et de moi sur les paralysies par
suggestion ^ Dans ce travail, nous cherchions d'abord à
rapprocher les anesthésies systématiques des anesthésies
hystériques totales, dont les premières ne forment qu'une
variété; et nous citions à ce propos une expérience qui a
été vérifiée depuis par d'autres observateurs : l'objet invi-
sible, regardé fixement pendant quelques instants, peut
produire une image de couleur complémentaire : fait-on
disparaître par suggestion un petit carré rouge, le sujet
qui ne le voit pas, mais qui contemple pendant quelques
minutes le point de l'espace occupé par le papier rouge,
verra apparaître au bout de quelque temps à la même place
un carré de couleur verdàtre; cette seconde sensation, de
couleur complémentaire, se distingue d'une image consé-
cutive ordinaire par son mode de production, car elle dure
tout le temps que le sujet regarde le carré rouge invisible ^
et si le sujet fixe ensuite son regard sur un autre point, il
peut voir apparaître l'image consécutive de ce carré vert.
Cette expérience concorde avec celle de M. Regnard, qui a
vu que dans la dyschromatopsie hystérique spontanée, les
couleurs non perçues peuvent donner lieu à des images
complémentaires. Donc le petit carré rouge qui est là, sous
les yeux du sujet et que celui-ci prétend ne pas percevoir,
a réellement impressionné sa sensibilité rétinienne.
1. De la Suggestion, 1884, p. 27.
2. Revue scientifique, d884.
3. Nous réparons ici une erreur commise dans l'interprétation du phé-
nomène précédent que nous avions considéré jusqu'ici comme une image
consécutive. {Magnétisme animal, p. 235.)
A. BiNET. 18
274 LES EXPERIENCES DE SUGGESTION
Une autre expérience peut servir à montrer que l'objet
invisible est réellement perçu.
Cette expérience est beaucoup plus importante que la
première, et présente un intérêt capital, car elle peut
donner une idée de la vraie nature de l'anesthésie systéma-
tique. Entre dix cartons d'apparence semblable, nous en
mentirons un à la somnambule, en lui suggérant qu'elle
ne le verra pas à son réveil, mais qu'elle verra et recon-
naîtra tous les autres Au réveil, nous lui présentons les
dix cartons, elle les prend tous, sauf celui que nous lui
avons montré pendant le somnambulisme, et que nous
avons rendu invisible par suggestion. GoQiment le sujet
peut-il arriver à exécuter une suggestion aussi compliquée?
Gomment se fait-il qu'il ne confonde pas le carton invisible
avec les autres? Il faut bien qu'il le reconnaisse; s'il ne le
reconnaissait pas, il ne le verrait pas : d'où cette conclusion
en apparence paradoxale que le sujet est obligé de recon-
naître l'objet invisible pour ne pas le voir.
On peut du reste montrer très facilement la nécessité
de ce travail de perception, de comparaison et de recon-
naissance; car lorsque les cartons sont trop pareils, les
confusions sont fréquentes, et elles le sont encore plus si
on ne montre qu'un coin des cartons. Le sujet voit si
bien le carton que si on lui donne la suggestion de ne pas
voir au réveil le carton sur lequel on écrit le mot « invi-
sible » , malgré la contradiction apparente que renferme
cette suggestion, elle peut être parfaitement exécutée.
Donc, dans les faits de ce genre, il ne peut être ques-
tion de paralysie vraie et de perception abolie; il y a tou-
jours un raisonnement inconscient qui précède, prépare
et guide le phénomène d'anesthésie; la perception de
l'objet interdit continue à se faire, mais elle devient incon-
sciente.
Telle est la conclusion à laquelle nous nous sommes
arrêtés; et il convient d'ajouter que nous y avons été
rejoints par M. Paul Richer, qui faisait vers la même
époque des recherches sur cette question, et qui a imaginé
L'ANESTHÉSIE SYSTÉMATIQUE 275
des expériences analogues aux nôtres. De son côté, un
psychologue américain que nous avons plusieurs fois
cité, M. William James, a fait quelques remarques inté-
ressantes qui confirment et complètent les précédentes ^
On fait un trait de plume sur une feuille blanche et on
commande à son sujet de ne pas le voir; docile à cet
ordre, il ne voit que la feuille blanche; si on double le
trait de plume en plaçant devant un de ses yeux un
prisme de seize degrés, il dira qu'il voit un trait de
plume, celui dont l'image est déviée. Ce résultat est bien
curieux. Le sujet ne paraît aveugle que pour un seul trait
de plume, qui occupe une position fixe sur la feuille
de papier; c'est cependant une des images de ce trait de
plume qui est déviée par le prisme, et s'il la perçoit, c'est
probablement qu'il ne la reconnaît pas comme étant celle
qu'on lui a défendu de voir. L'expérience peut être con-
tinuée. Les deux yeux de la personne sont restés jusqu'ici
ouverts; si on ferme l'œil devant lequel le prisme n'a pas
été placé, le sujet continue à voir le trait à travers le
prisme; la fermeture de cet œil ne produit pas de modi-
fication; mais si alors on enlève le prisme, le trait dis-
paraît même pour l'œil qui continuait à le voir à travers
cet instrument; ce que j'expliquerai encore en disant que
le sujet vient de reconnaître l'objet invisible, quand celui-ci
a repris sa position primitive, et que l'ayant reconnu, il
se hâte d'obéir à la suggestion en ne le percevant pas.
Tout ce qui précède nous montre de la façon la plus
claire que le sujet se comporte comme une personne qui
a le désir, la volonté de ne pas voir l'objet invisible; il
s'arrange pour ne pas le percevoir, il s'y applique; et il
cherche surtout à ne pas le confondre avec d'autres dont
la perception lui est laissée; il le distingue des autres, le
reconnaît; mais parfois, il se laisse tromper, il ne le recon-
naît pas, et alors il le perçoit.
Si réellement le sujet faisait ce travail avec conscience
l. Psychology, II, p. 607.
276 LES EXPERIENCES DE SUGGESTION
— et peut-être y en a-t-il qui ont conscience de tout cela,
— le phénomène serait assez simple à comprendre; le
sujet serait docile à la suggestion, sans en être la dupe,
il mettrait toute sa bonne volonté à exécuter ce qu'on lui
demande, il jouerait en quelque sorte la comédie pour
le bon motif. Mais si on y regarde avec soin, on s'aperçoit
que ce travail mental préliminaire de perception et de
reconnaissance n'est point conscient; si on demande au
sujet ce qui se passe en lui quand on lui présente l'objet
invisible, il ne peut donner aucun renseignement; il ne
voit rien, il ne peut pas en dire davantage. Voilà du
moins ce que j'ai constaté chez un hystérique très intel-
ligent, que j'avais averti de la suggestion que je lui
avais donnée.
Résumons-nor donc en disant que l'anesthésie systé-
matique est préc*^Jée d'un certain nombre de phénomènes
psychologiques inconscients.
Continuons. L'objet invisible a été perçu et reconnu.
Que se passe-t-il ensuite? Une fois que la perception et la
reconnaissance ont eu lieu, on pourrait supposer que tout
cela est oublié, que le sujet redevient absolument aveugle
et sourd, et que l'anesthésie est complète. Il n'en est rien;
la perception de l'objet continue, seulement elle se fait
encore d'une manière inconsciente. C'est ce que vont nous
montrer les expériences de M. Bernheim.
Ici se place un fait assez curieux. Il est toujours intéres-
sant de voir des auteurs faire des expériences qui confir-
ment des thèses qu'ils ont combattues ou qu'ils seraient
disposés à combattre. On connaît la position prise dès la
première heure par M. Bernheim dans les études sur l'hyp-
notisme. Cet auteur soutient avec une très grande force, mais
sans restriction et sans nuance, la théorie de la suggestion;
pour lui, la suggestion est la clef de tous les phénomènes
hypnotiques, elle explique tout et suffît à tout. Il y a dans
ses ouvrages ce qu'un peintre appellerait un grand parti
pris de simplification; et je suis persuadé que ce caractère
est la raison véritable du succès de ses idées. Or, nous
L'ANESTHÉSIE systématique 277
allons voir que l'expérience imaginée par M. Bernheim
confirme d'une part les nôtres, et suppose d'autre part que
le sujet renferme plusieurs foyers de conscience.
C'est un fait d'observation que quand la suggestion inhi-
bitoire a été bien donnée, le sujet n'a la perception con-
sciente de rien de ce qui se passe autour de lui; il peut
devenir aveugle et sourd au point de subir sans protester
un simulacre d'attentat aux mœurs. M. Bernheim a pu
néanmoins se convaincre que, malgré les apparences, le
sujet ne perd rien de ce qui se passe; et la preuve, c'est
que si on le rendort, si on lui donne la suggestion rétro-
spective qu'il a tout vu, et tout entendu, et qu'on lui com-
mande avec énergie de raconter la scène, il arrive à la
décrire avec la fidélité d'un témoin attentif qui n'a laissé
échapper aucun détail.
Nous reproduisons textuellement les expériences de l'au-
teur * :
« Elise B..., âgée de dix-huit ans, domestique, est
affectée de sciatique. C'est une jeune fille honnête, de
conduite régulière, d'intelligence moyenne, ne présentant,
en dehors de sa sciatique, aucune manifestation, aucun
antécédent névropathique.
« Elle a été, dès la première séance, très facile à mettre
en somnambulisme, avec hallucinabilité hypnotique et
post-hypnotique et amnésie au réveil. Je développe chez
elle facilement une hallucination négative. Je lui dis, pen-
dant son sommeil : « A votre réveil, vous ne me verrez
plus; je serai parti. » A son réveil, elle me cherche des
yeux et ne paraît pas me voir. J'ai beau lui parler, lui
crier dans l'oreille, lui introduire une épingle dans la
peau, dans les narines, sous les ongles, appliquer la pointe
de l'épingle sur la muqueuse oculaire; elle ne sourcille
pas. Je n'existe plus pour elle, et toutes les impressions
acoustiques, visuelles, tactiles, etc., émanant de moi, la
laissent impassible; elle ignore tout. Aussitôt qu'une
1. Revue de l'hypnotisme, l^' décembre 1888.
278 LES EXPERIENCES DE SUGGESTION
autre personne la touche, à son insu, avec une épingle,
elle perçoit vivement et retire le membre piqué.
« J'ajoute, en passant, que cette expérience ne réussit
pas avec la même perfection chez tous les somnambules.
Beaucoup ne réalisent pas les suggestions sensorielles
négatives; d'autres ne les réalisent qu'en partie. Certains,
par exemple, quand j'ai affirmé qu'ils ne me verront pas
à leur réveil, ne me voient pas; mais ils entendent ma
voix, ils sentent mes impressions tactiles. Les uns sont
étonnés de m'entendre et de se sentir piqués, sans me
voir; les autres ne cherchent pas à se rendre compte;
d'autres enfin croient que cette voix et cette sensation
émanent d'une autre personne présente. Ils récriminent
violemment contre elle; cette personne a beau protester
que ce n'est pas elle et chercher à le leur démontrer, ils
restent convaincus que c'est elle.
« On arrive parfois à rendre l'hallucination négative
complète pour toutes les sensations en faisant la sugges-
tion ainsi : « A votre réveil, si je vous touche, si je vous
pique, vous ne le sentirez pas; si je vous parle, vous ne
m'entendrez pas. D'ailleurs, vous ne me verrez pas; je
serai parti. » Quelques sujets arrivent ainsi, à la suite de
cette suggestion détaillée, à neutraliser toutes leurs sen-
sations; d'autres n'arrivent à neutraliser que la sensa-
tion visuelle, toutes les autres suggestions sensorielles
négatives restant inefficaces.
« La somnambule dont je parle réalisait tout à la per-
fection. Logique dans sa conception hallucinatoire, elle
ne me percevait en apparence par aucun sens. On avait
beau lui dire que j'étais là, que je lui parlais; elle était
convaincue qu'on se moquait d'elle. Je la fixe avec obsti-
nation et je lui dis : « Vous me voyez bien ; mais vous faites
comme si vous ne me voyiez pas ! vous êtes une farceuse,
vous jouez la comédie! » Elle ne bronche pas et continue
à parler aux autres personnes. J'ajoute, d'un air con-
vaincu : « D'ailleurs, je sais tout! Je ne suis pas votre
dupe! Vous êtes une mauvaise fille. Il y a deux ans déjà.
L'ANESTHÉSIE SYSTÉMATIQUE 279
VOUS avez eu un enfant et vous l'avez fait disparaître! Est-
ce vrai? On me l'a dit! « Elle ne sourcille pas; sa physio-
nomie reste placide. Désirant voir, dans un intérêt médico-
légal, si un abus grave peut être commis à la faveur d'une
hallucination négative, je soulève brusquement sa robe et
sa chemise: cette jeune fille est de sa nature très pudi-
bonde. Elle se laisse faire sans la moindre rougeur à la
face. Je lui pince le mollet et la cuisse : elle ne manifeste
absolument rien. Je suis convaincu que le viol pourrait
être commis sur elle dans cet état, sans qu'elle oppose la
moindre résistance.
« Gela posé, je prie mon chef de clinique de l'endormir
et de lui suggérer que je serai de nouveau là, au réveil.
Ce qui a lieu, en effet. Elle me voit de nouveau et ne se
souvient de rien. Je lai dis : « Vous m'avez vu tout à
l'heure! Je vous ai parlé. » Etonnée, elle me répond :
« Mais non, vous n'étiez pas là! — J'y étais; je vous ai
parlé. Demandez à ces messieurs. — J'ai bien vu ces
messieurs. M. P. voulait me soutenir que vous étiez là!
Mais c'était pour rire! Vous n'y étiez pas! — Eh bien!
lui dis-je, vous allez vous rappeler tout ce qui s'est passé
pendant que je n'y étais pas, tout ce que je vous ai dit,
tout ce que je vous ai fait ! — Mais vous n'avez rien
pu me dire, ni faire, puisque vous n'étiez pas là! » J'in-
siste d'un ton sérieux et, la regardant en face, j'appuie
sur chaque parole : « Je n'y étais pas , c'est vrai ! Vous
allez vous rappeler tout de même. » Je mets ma main sur
son front et j'affirme : « Vous vous rappelez tout, absolu-
ment tout! Là! Dites vite! Qu'est-ce que je vous ai dit? »
Après un instant de concentration, elle rougit et dit :
« Mais non, ce n'est pas possible : vous n'étiez pas là! Je
dois avoir rêvé ! — Eh bien ! qu'est-ce que je vous ai
dit dans ce rêve? » Elle ne veut pas le dire, honteuse!
J'insiste. Elle finit par me dire : « Vous m'avez dit que
j'avais eu un enfant! — Et qu'est-ce que je vous ai fait? —
Vous m'avez piquée avec une épingle! — Et puis? » Après
quelques instants : « Mais non, je ne me serais pas laissée
•280 LES EXPÉRIENCES DE SUGGESTION
faire! C'est un rêve! — Qu'est-ce que vous avez rêvé?
— Que vous m'avez découvert, etc. »
<( J'arrive ainsi à évoquer le souvenir de tout ce qui a été
dit et fait par moi pendant qu'elle était censée ne pas me
voir! Donc, elle m'a vu en réalité, elle m'a entendu, malgré
son inertie apparente. Seulement, convaincue par la sug-
gestion que je ne devais pas être là, sa conscience restait
fermée aux impressions venant de moi, ou bien son esprit
neutralisait au far et à mesure qu'elles se produisaient les
perceptions sensorielles; il les effaçait, et cela si complète-
ment, que je pouvais torturer le sujet physiquement, et
moralement ; elle ne me voyait pas, elle ne m'entendait
pas ! Elle me voyait avec les yeux du corps, elle ne me
voyait pas avec les yeux de l'esprit. Elle était frappée de
cécité, de surdité, d'anesthésie psychiques pour moi; toutes
les impressions sensorielles émanant de moi étaient bien
perçues, mais restaient inconscientes pour elle. C'est bien
une hallucination négative, illusion de l'esprit sur les phé-
nomènes sensoriels.
« Cette expérience, je l'ai répétée chez plusieurs sujets
« susceptibles d'hallucinations négatives. Chez tous j'ai pu
« constater que le souvenir de tout ce que les sens ont
« perçu pendant que Tesprit effaçait, a pu être reconstitué. »
Ces expériences, d'une simplicité remarquable, sont
de celles qui montrent le mieux le dédoublement de la
conscience du sujet, au moment où il obéit à certaines sug-
gestions. Comment pourrait-on comprendre en effet qu'une
personne se rappelle avec tant de vérité ce qu'on lui a
défendu de voir, s'il n'y a pas eu quelque part en elle, pen-
dant toute la durée de l'expérience, quelqu'un qui était
attentif aux choses interdites? Il s'est produit évidemment
toute une série de perceptions inconscientes, retenues
ensuite par une mémoire inconsciente ; et l'expérimenta-
teur n'a point donné à son sujet l'idée de tout cela ; il n'y a
pas pensé lui-môme ; il s'est borné à imposer de toutes ses
forces l'idée de ne pas voir, il n'a point indiqué comment
cette prohibition devait être exécutée. Il s'est donc passé
L'ANESTHÉSIE systématique 281
dans cette expérience de suggestion quelque chose qui n'est
pas de la suggestion, et qui consiste en un dédoublement
de la personnalité du sujet. Nous ne forçons pas beaucoup
l'interprétation des faits en disant que M. Bernheim vient
ici, bon gré mal gré, apporter sa pierre à la théorie de la
désagrégation mentale.
Nous trouvons maintenant à citer de curieuses observa-
tions de M. Liégeois, un jurisconsulte de Nancy, qui tra-
vaille avec M. Liébeault et M. Bernheim et partage la plu-
part de leurs idées. Les études qu'il a faites sur ce qu'on
appelle à Nancy l'hallucination négative conduisent à la
même conclusion que celles de M. Bernheim ; elles ne
s'expliquent pas si on ne fait pas l'hypothèse que l'individu
suggestionné contient à un certain moment deux person-
nalités distinctes. M. Liégeois a eu l'avantage de voir clai-
rement cette conclusion; il l'a comprise, il l'a même pro-
clamée, et il a cru qu'il décrivait un état psychologique
nouveau. 11 est vrai qu'à cette époque les expériences de
M. Pierre Janet, dont il nous reste à parler, avaient été déjà
publiées dans la Revue philosophique; mais M. Liégeois n'y
fait pas allusion, et très probablement il ne les connais-
sait pas.
Yoici comment on peut résumer ses expériences : il
donne à une personne en somnambuhsme la suggestion
qu'au réveil elle ne pourra ni le voir ni l'entendre, ni le
percevoir d'aucune façon ; la suggestion s'exécute correcte-
ment; au réveil, la somnambule ne le voit pas et ne lui
répond pas quand il lui parle ; l'anesthésie, dans l'observa-
tion rapportée, était même si complète que l'expérimenta-
teur pouvait enfoncer une épingle dans le bras de son sujet
sans que l'épingle fût vue ou provoquât de la douleur; le
sujet avait cependant toute sa sensibilité, mais il était telle-
ment dominé par la suggestion qu'il ne percevait rien de
ce qui provenait de la personne rendue invisible. M. Lié-
geois s'aperçut cependant qu'il avait un moyen de rester en
communication avec cette personne ; c'était de lui parler
d'une façon impersonnelle, de lui dire par exemple :
282 LES EXPÉRIENCES DE SUGGESTION
« X... a soif, X... a faim, X... veut se promener. » Le sujet
paraît ne rien entendre, mais au bout de quelques minutes,
il exécute l'acte indiqué; il l'exécute sans avoir conscience
de ce qu'il fait, en tout cas sans en garder le souvenir; car si
quelqu'un des assistants lui demande ce qu'il a fait, il ne peut
pas en rendre compte. Si nous rappelons ces phénomènes
d'inconscience, ce n'est pas qu'ils présentent pour nous
quelque chose d'intéressant ou de bien nouveau ; l'impor-
tant est de voir qu'un expérimentateur non prévenu arrive
exactement au même résultat que d'autres. M. Liégeois,
interprétant ses expériences, dit : « Ceci montre que pen-
dant l'hallucination négative le sujet voit ce qu'il paraît ne
pas voir et entend ce qu'il paraît ne pas entendre. Il y a en
lui deux personnalités; un Moi inconscient qui voit et qui
entend, et un Moi conscient qui ne voit pas et n'entend
pas\.. » Je pense inutile d'insister. Je ne suis pas le pre-
mier à constater l'intérêt de cette coïncidence ; elle a déjà
frappé un grand nombre de personnes, même celles qui
sont étrangères à ces études. Je me contente de citer in
extenso une des expériences de M. Liégeois.
« Je n'existe plus pour Mme M..., à qui M. Liébeault a,
sur ma demande, suggéré que, une fois éveillée, elle ne
me verra, ni ne m'entendra plus. Je lui adresse la parole,
elle ne me répond pas ; je me place devant elle, elle ne
me voit pas; je la pique avec une épingle, elle ne ressent
aucune douleur; on lui demande où je suis, elle dit qu'elle
l'ignore, que sans doute je suis parti, etc.
« J'imagine alors de faire à haute voix des suggestions
à cette personne, à qui je semble être devenu totalement
étranger, et, chose singulière, elle obéit à ces suggestions.
« Je lui dis de se lever, elle se lève; de s'asseoir, elle
s'assied; de tourner ses mains l'une autour de l'autre, elle
les tourne.
« Je lui suggère un mal de dents, et elle a mal aux dents;
un éternuement, et elle éternue; je dis qu'elle a froid, et
1. JJe la suggestion ei du somnambulisme dans leurs rupporls avec la
jurisprudence, etc., 1889, p. 701 à 7H.
L'ANESTHÉSIE systématique 283
elle grelotte ; qu'elle doit aller près du poêle, dans lequel
il n'y a d'ailleurs pas de feu, et elle y va, jusqu'à ce que
je lui dise qu'elle a chaud, et alors elle se trouve bien.
Pendant tout ce temps, elle est, pour tous les assistants,
aussi complètement éveillée qu'eux-mêmes; interrogée
par eux, elle répond que je suis absent, elle ne sait pas
pourquoi; peut-être vais-je revenir tout à l'heure, etc.
Interpellée par moi, en mon nom personnel, toutes mes
demandes restent sans réponse. Elle ne réahse que les
idées que j'exprime impersonnellement, si je puis ainsi
parler, et comme si elle les tirait de son propre fonds ;
c'est son moi inconscient qui la fait agir, et le moi con-
scient n'a aucune notion de l'impulsion qu'elle reçoit du
dehors.
« L'expérience me parut assez intéressante pour être
renouvelée avec un autre sujet, et voici le résumé succinct
des épreuves et des vérifications faites quelques jours
plus tard avec la jeune Camille S...
« Camille S..., dix-huit ans, est une très bonne somnam-
bule; M. Liébeault et moi, nous la connaissons depuis près
de quatre ans; nous l'avons endormie souvent; nous
l'avons toujours trouvée d'une entière bonne foi : elle nous
inspire, en un mot, toute confiance. Cette constatation
était nécessaire, on va le voir, pour donner quelque poids
aux singuliers résultats que j'ai obtenus, et qui confirment
d'ailleurs absolument la première observation concernant
Mme M...
« M. Liébeault endort Camille, et sur ma demande, il lui
suggère qu'elle ne me verra ni ne m'entendra plus, puis
il me laisse expérimenter à ma guise. Réveillé, le sujet
est en rapport avec tout le monde; seul, je n'existe pas
pour lui; mais, ainsi que je vais le démontrer, cela n'est
pas tout à fait exact : il y a en lui comme deux person-
nahtés, dont l'une me voit, quand l'autre ne me voit pas,
et m'entend, quand l'autre ne fait aucune attention à mes
paroles.
« D'abord je m'assure de l'état de la sensibilité : chose
284 LES EXPÉRIENCES DE SUGGESTION
curieuse, celle-ci existe au regard de tous les assistants
et n'existe pas pour tout ce qui vient de moi; si on la
pique, elle retire vivement son bras ; si je la pique, elle
ne sent rien ; je lui plante des épingles qui restent sus-
pendues à ses bras, à sa joue, elle n'accuse aucune sensa-
tion, elle ne les voit même pas.
« Ce fait d'anesthésie, non pas réelle, mais personnelle
en quelque sorte, est déjà assurément fort singulier; il
est, si je ne me trompe, tout à fait nouveau. De même, si
je place un flacon d'ammoniaque sous son nez, elle ne le
repousse pas ; elle s'en éloigne, au contraire, si c'est une
main étrangère qui le lui présente.
« Nous allons voir maintenant — toujours pendant quelle
ne peut^ en appareiice du moins, ni me voir ni m'en-
tendre — se dérouler à peu près toute la série des sug-
gestions qui peuvent être faites à l'état de veille. Je les
résume, ainsi qu'il suit, d'après les notes que j'ai prises,
au moment même, le 14 juin 1888.
« Je rappelle, en tant que de besoin, que, si je m'adresse
directement à Camille S..., si je lui demande, par exemple,
comment elle va, depuis quand elle n'est pas venue, etc.,
sa physionomie reste impassible : elle ne me voit, ni ne
m'entend; au moins n'en a-t-elle pas conscience.
« Je procède alors, comme je l'ai dit tout à l'heure,
impersonnellement ; parlant, non pas en mon nom, mais
comme s'il s'agissait d'une voix intérieure, exprimant des
pensées que le sujet tirerait de son propre fonds. Et alors
l'automatisme somnambulique se montre, sous cette forme
nouvelle et imprévue, aussi complet que sous toute autre
déjà connue.
« Je dis à haute voix : « Camille a soif; elle va aller
demander, à la cuisine, un verre d'eau qu'elle apportera
sur cette table. » Elle semble n'avoir rien entendu, et
cependant, au bout de quelques instants, elle fait la
démarche indiquée et l'accomplit avec l'allure vivo et
impétueuse déjà plusieurs fois signalée chez les somnam-
bules. On lui demande pourquoi elle a apporté le verre
L'ANESTHÉSIE systématique 28S
qu'elle vient de poser sur la table; elle ne sait ce qu'on
veut lui dire ; elle n'a pas bougé; il n'y a là aucun verre.
« Je dis : « Camille voit le verre; mais ce n'est pas de
l'eau comme on veut le lui faire croire ; c'est du vin, il est
très bon, elle va le boire et il lui fera du bien. » Elle exé-
cute ponctuellement l'ordre donné; puis aussitôt elle a
tout oublié.
« Je lui fais dire successivement des paroles peu conve-
nables : « Coquin de sort! Cré nom d'un chien! Cr... » et
elle répète tout ce que je lui ai suggéré, perdant d'ailleurs
instantanément le souvenir de ce qu'elle vient de dire.
« A M, F..., qui s'étonne de ces faits, qui lui reproche
ces propos inconvenants elle dit : « Mais je n'ai pas pro-
noncé ces vilains mots; pour qui me prenez- vous? vous
rêvez, vous êtes donc fou ? »
« Elle me voit sans me voir. En voici la preuve. Je dis :
« Camille va s'asseoir sur le genou de M. L... »; aussitôt,
elle s'y jette violemment et déclare, sur interpellation,
qu'elle est toujours sur le banc où elle s'est placée un
moment auparavant.
« M. Liébeault m'adresse la parole; comme elle ne me
voit pas et ne m'entend pas consciemment^ elle s'en
étonne et alors elle engage avec lui un colloque où je
joue le rôle de souffleur; mais d'un souffleur qui serait logé
dans son cerveau même. C'est moi qui lui suggère toutes
les paroles suivantes, qu'elle prononce, convaincue qu'elle
exprime sa pensée propre :
« Monsieur Liébeault, vous parlez donc aussi au mur
maintenant? 11 faudra que je vous endorme pour vous
guérir ; nous changerons ainsi de rôle, etc. »
« Monsieur F..., comment va votre bronchite? »
« M. F... lui demande pourquoi et comment elle dit tout
cela. Et elle de répondre, après que je lui ai soufflé :
« Mais comment voulez-vous que cela me vienne? comme
à tout le monde. Comment les idées vous viennent-elles
à vous-même? » et elle continue à développer le thème que
je lui ai donné.
286 LES EXPÉRIENCES DE SUGGESTION
(c Elle paraît être dans un état absolument normal et tient
tête à tous les assistants avec beaucoup de présence d'es-
prit. Seulement, elle intercale, au milieu de sa conver-
sation, les phrases que je suscite dans son esprit et qu'elle
fait siennes inconsciemment.
(( Ainsi, pendant qu'elle discute avec M. F..., à qui elle
dit qu'elle le conduira à Maréville \ son interlocuteur
ayant objecté : « Mais je ne suis pas fou? » elle lui répond :
« Tous les fous disent qu'ils ne sont pas fous ; vous dites
que vous n'êtes pas fou, donc vous êtes fou, » Elle est
très flère de son syllogisme et ne se doute pas qu'elle vient
de me l'emprunter.
« Voulant m'assurer, une fois de plus, qu'elle me voit
sans en avoir conscience, je dis : « Camille va prendre
dans la poche du gilet de M. L... un flacon dans lequel il
y a de l'eau de Cologne, elle le débouchera et en appré-
ciera la délicieuse odeur. » Elle se lève, vient droit à moi,
cherche d'abord à gauche, puis à droite, prend dans ma
poche un flacon d'ammoniaque, le débouche et en aspire
avec plaisir les émanations. Il faut que je le lui retire des
mains.
« Puis, toujours par suggestion, elle me défait mon sou-
lier droit. M. F... lui dit : « Qu'est-ce que vous faites là?
Vous ôtez à M. L... un de ses souhers! » Elle est offus-
quée : « Mais à quoi pensez-vous? M. L... n'est pas là, je
ne puis donc lui ôter son soulier. Mais vous êtes donc
encore plus fou que tout à l'heure! » Et comme M. F...
lève les bras au ciel en me parlant, Camille s'écrie :
« Décidément, il faudra que je vous conduise à Maréville.
C'est dommage! Pauvre M. F...! » Celui-ci ne se tient pas
pour battu : « Mais enfin, ce souher que vous tenez là,
qu'est-ce que c'est? » Je viens au secours de mon sujet,
et je dis : « C'est un soulier que Camille doit essayer, elle
n'a pu le faire ce matin chez elle, parce que son cordon-
nier lui a manqué de parole ; il s'est enivré, et il vient de
1. Asile d'aliénés, près de Nancy.
L'ANESTHÉSIE systématique 287
l'apporter seulement tout à l'heure; elle va l'essayer ici
même. »
« Tout cela est accepté, répété exactement, exécuté ponc-
tuellement, toujours comme par une inspiration spontanée.
Par convenance, elle se tourne vers le mur pour essayer
mon soulier; elle le trouve un peu large, parce que je dis
qu'il est un peu large et me le remet, parce que je dis
qu'elle doit me le remettre.
(.( Enfin, sur ma suggestion, elle reporte le verre à la cui-
sine; à son retour, interrogée par M. F..., elle déclare
qu'elle n'est pas sortie de la pièce où nous nous trouvons;
qu'elle n'a rien bu, qu'il n'y a jamais eu de verre entre
ses mains. Vainement on lui montre le cercle humide que
le pied du verre a laissé sur la table; ce cercle, elle ne le
voit pas, il n'y en a pas, on veut lui en faire accroire ! et
alors, pour prouver son dire, elle passe, à plusieurs
reprises, la main sur la table, faisant voler, sans les voir,
les feuilles sur lesquelles je prends des notes et qui par-
ticipent à mon privilège d'invisibilité; nul doute que, s'il
y avait eu là un encrier, il n'eût été projeté sur le parquet.
« Pour mettre fin à cette série d'épreuves, je dis à haute
voix : « Camille, vous allez me voir et m'entendre. Je
vous souffle sur les yeux. Yous vous portez maintenant
fort bien. » Je suis à trois mètres d'elle, mais la sugges-
tion opère; Camille passe, sans transition apparente, de
l'état d'hallucination négative dans lequel l'avait plongée
M. Liébeault, à l'état normal qui, pour elle, naturellement,
s'accompagne d'une amnésie complète. Elle n'a aucune
notion de tout ce qui vient de se passer; ces expériences
nombreuses, variées de toute façon, ces hallucinations,
ces paroles, ces actes dans lesquels elle a joué le prin-
cipal rôle, tout cela est oubUé, tout cela, c'est pour elle
le néant absolu. »
Les expériences de M. Pierre Janet sur cette question ne
diffèrent pas de celles de M. Liégeois par le fond, mais la
forme en est plus curieuse et plus savante; M. Liégeois
n'est amené que par le raisonnement à admettre une dua-
288 LES EXPÉRIENCES DE SUGGESTION
lité de personne; M. Janet nous fait voir le dédoublement;
il nous fait assister au travail de deux consciences qui
restent distinctes et qui s'ignorent.
Les procédés employés pour mettre en lumière la seconde
conscience sont variés, mais le plus simple et le plus direct
est toujours celui de la distraction. Nous en avons déjà
tant parlé qu'il est oiseux d'insister longuement. Rappelons
seulement qu'on occupe l'attention du sujet sur un point,
par exemple en le faisant causer avec une autre personne,
et que pendant qu'il est dans cet état de distraction, on lui
parle à voix basse, et on convient avec lui qu'il répondra
aux questions par l'écriture; de cette façon, sa personna-
lité se scinde en deux; il y a une conscience qui parle
avec le premier interlocuteur, et une autre conscience qui
échange des idées avec le second. Par ce procédé, l'expé-
rimentateur peut connaître la seconde conscience, appré-
cier ses facultés et savoir en particulier ce qu'elle perçoit
du monde extérieur. Si on opère pendant que le sujet a
reçu une suggestion d'anesthésie systématique, on peut
reconnaître facilement que la perception interdite a pris
place dans la seconde conscience, et que tandis que la
personnalité prime, celle qui parle, ne sait rien de l'objet
invisible, la personnalité seconde peut souvent le décrire
dans tous ses détails.
M. Pierre Janet est arrivé à faire cette observation, en
appliquant la suggestion d'anesthésie à un objet pris dans
une collection d'objets semblables; c'est du reste cette
forme d'expérience qui est la plus instructive, car elle
montre mieux que les autres combien l'anesthésie systé-
matique a un mécanisme compliqué. Yoici par exemple un
sujet en somnambulisme auquel on montre cinq cartes
blanches dont deux sont marquées d'une petite croix; on
lui donne l'ordre de ne plus voir au réveil les cartes mar-
quées d'une petite croix. Tandis que le sujet, c'est-à-dire sa
personnalité principale obéit à la suggestion et voit^au réveil
seulement les trois cartes blanches, la seconde personna-
lité se comporte tout autrement; si on lui parle à voix
L'ANESTHÉSIE systématique 289
basse et qu'on lui demande de décrire ce qu'il y a sur les
genoux, elle répond qu'il y a deux cartons marqués d'une
petite croix. La même épreuve peut être répétée en substi-
tuant aux croix des points de repère beaucoup plus com-
pliqués, qui exigeront pour être reconnus un calcul; par
exemple, on peut suggérer au sujet de ne pas voir les
carrés de papier, qui portent un chiffre pair, ou un mul
tiple de six, etc. Le résultat de ces expériences est exacte-
ment le même que celui des précédentes, bien que la
seconde conscience ne puisse pas se borner à un simple
coup d'œil pour reconnaître la carte que l'autre conscience
ne doit pas voir. Ceci nous prouve que cette seconde con-
science peut faire acte de raisonnement. On a en outre varié
les expériences de mille façons et toujours obtenu à peu
près le môme résultat.
Il est intéressant de remarquer à ce propos qu'il est pos-
sible, au moins chez certaines personnes, de provoquer
de l'anesthésie systématique sans la suggérer directement.
Quand on a donné un ordre en somnambulisme, et que
cet ordre doit être exécuté à l'état de veille, il arrive sou-
vent, comme nous l'avons déjà dit plus haut, que pendant
l'exécution de l'acte la personne se dédouble; une des con-
sciences exécute l'acte, et l'autre conscience, la conscience
principale de la veille, reste étrangère à l'expérience *. Le
bras peut se lever, la main peut exécuter une opération
compliquée sans que le moi normal en soit averti; on a vu
parfois des sujets qui font ainsi une promenade sans s'en
douter. Or, ce sont là de remarquables exemples d'anes-
Ihésie systématique, produits par une voie indirecte, par
une suggestion post-hypnotique. Celle-ci s'adresse au per-
sonnage inconscient; c'est lui qu'elle regarde, au moins
chez les sujets dont nous parlons, de même que c'est lui
■qui, dans les cas où l'on suggère directement l'anesthésie,
accapare les perceptions interdites; il n'est donc pas éton-
nant que le résultat soit à peu près le même ^
i. Voir p. 249.
2. Pierre Jauet, op. cit., p. 282.
A. DlNET. 19
290 LES EXPÉRIENCES DE SUGGESTION
Il y a sans doute quelques différences psychologiques
entre les deux expériences, car la suggestion n'est pas
donnée de la même façon; dans un cas, on suggère au
sujet de ne pas voir, on lui fait une défense, on emploie
une suggestion négative; et dans l'autre cas, on suggère
au sujet d'exécuter un acte, on lui donne une suggestion
positive; mais nous n'avons pas à insister sur des diffé-
rences accessoires, car notre but est principalement de
rapprocher des faits de môme genre, et de faire saisir des
analogies importantes.
Après toute la série d'études précédentes, on arrive à
cette proposition que dans la suggestion d'anesthésie la
perception n'est point supprimée, détruite, mais elle peut
être retrouvée comme faisant partie d'une autre cons-
cience. C'est absolument la conclusion à laquelle nous avait
déjà conduit l'étude de l'insensibilité hystérique spontanée,
et on aurait pu prévoir celte conclusion a priori^ en se
fondant sur cette simple considération que l'anesthésie
systématique ne diffère que par la forme de l'anesthésie
spontanée. Mais nous avons préféré montrer qu'on peut
atteindre ce résultat en employant une méthode différente.
III
Il nous reste maintenant à critiquer et à modifier légère-
ment la conclusion à laquelle nous venons d'arriver; il ne
nous semblerait pas tout à fait exact d'admettre que toute
suggestion d'anesthésie systématique a pour effet direct de
créer un dédoublement de la personnalité et de faire passer
d'une personnahté A à la personnalité B la perception
frappée d'interdit. Ce n'est évidemment pas là ce que les
auteurs précédents ont affirmé, et les faits se présentent
sous un jour un peu différent.
La nature du phénomène dépend beaucoup, à ce qu'il
nous semble, de la préparation psychologique qu'on a fait
suljir à la personne sur laquelle on expérimente. Si cette
L'ANESTHÉSIE systématique 291
personne a été fréquemment hypnotisée, si elle offre tous
les phénomènes de la désagrégation mentale, si elle pos-
sède déjà un personnage subconscient bien organisé et
toujours prêt à entrer en action, il est bien possible que ce
personnage, qui est aux écoutes pendant l'expérience,
comprenne ce qu'on veut, se jette en quelque sorte sur la
perception de l'objet invisible, et s'en empare. C'est bien
ainsi que les choses se passent chez les sujets de M. Pierre
Janet; et je n'en veux pour preuve que cet échantillon
de dialogue échangé entre l'opérateur et son sujet. On a
défendu à Lucie de voir les cartons marqués d'une croix.
(( A ce moment, dit l'auteur, je m'éloigne d'elle, et profi-
tant d'un instant de distraction suffisant, je commande de
prendre un crayon et d'écrire ce qu'il y a sur les genoux.
La main droite écrit : « Il y a deux papiers marqués d'une
petite croix. — Pourquoi Lucie ne me les a-t-elle pas remis?
— Elle ne peut pas, elle ne les voit pas. » Qu'on analyse
cette dernière réponse, et qu'on juge de sa complexité.
Nous avons ici un personnage subconscient qui non seule-
ment se rend compte de ce qu'il voit, mais juge l'autre
personnage, le conscient, sait ce que celui-ci peut voir,
peut dire et peut faire. Un tel développement psychique a
dû être le terme d'un entraînement véritable; il a fallu que
le sujet eût fréquemment l'occasion de se dédoubler pour
le faire avec cette rigueur. Après tout, si le phénomène
n'avait pas présenté ce grossissement artificiel, on ne l'au-
rait pas reconnu. Mais je suis persuadé que lorsqu'on
essaye pour la première fois chez une personne qui n'a pas
eu l'occasion de se dédoubler une suggestion d'anesthésie
systématique, il ne se produit rien de pareil ; une certaine
perception se trouve exclue de la sphère d'une conscience,
et c'est tout; cette exclusion est le fait principal. Que
devient cet état psychologique? Reste-t-il isolé? Ou bien
est-il recueilli par une seconde personnalité naissante?
Yoilà ce qui me paraît très variable.
Ces réflexions me conduisent à rappeler ce que j'ai pu
voir moi-même sur les hystériques dont j'ai étudié pendant
292 LES EXPÉRIENCES DE SUGGESTION
la veille les mouvements inconscients par anesthésie. On
se rappelle que nous avons montré maintes fois que l'anes-
thésie peut avoir pour effet d'isoler des phénomènes psy-
chologiques comme le fait un état de distraction. Ce sont
deux procédés parallèles. Il est donc logique de chercher
chez les sujets auxquels on a donné des suggestions néga-
tives si les mouvements subconscients par anesthésie
peuvent fournir quelque renseignement sur la perception
de l'objet invisible.
Les résultats sont cependant assez différents. Nous avons
vu quelle réponse fait le personnage inconscient dans les
expériences de distraction; l'écriture du sujet anesthésique
ne répond pas toujours de même. Voici à peu près quelle
distinction il faut faire. Si la suggestion inhibitoire a con-
sisté à suspendre complètement la perception d'un objet,
si par exemple on a dit au sujet qu'il ne verra plus aucun
des caractères d'une page imprimée, il peut arriver que la
main anesthésique reproduise ces caractères, témoignant
ainsi que le personnage subconscient continue à les per-
cevoir; ou bien la main, traduisant l'état dominant du
sujet, se bornera à écrire indéfiniment : « Je ne vois pas,
je ne vois pas. » Lorsque la suggestion a opéré en trans-
formant l'objet, lorsqu'on a par exemple suspendu la vision
d'une photographie en inculquant l'idée que la photogra-
phie représente toute autre chose, alors c'est cette vision
hallucinatoire qui se trouve retracée par l'écriture automa-
tique.
Ainsi, les résultats sont un peu moins simples que dans
l'état de distraction; nous avons vu déjà pareil fait se
reproduire plusieurs fois. La division de conscience pro-
duite pendant un état de distraction a un caractère plus
net, plus tranché, plus systématique que celle qui dérive
de l'anesthésie, et les consciences séparées le sont si bien
que souvent elles cessent de communiquer. Au contraire,
dans l'anesthésie, la communication persiste, et tout état
important qui se trouve dans une des consciences a une
tendance à rayonner sur les autres. Ceci nous explique
L'ANESTHÉSIE SYSTEMATIQUE 293
assez bien pourquoi, lorsqu'on recouvre un portrait par
l'hallucination d'un autre portrait, c'est cette hallucination,
suggérée à la conscience principale, qui envahit les sous-
consciences.
Je ne veux point quitter cette question de l'anesthésie
systématique, une des plus importantes que nous ayons eu
à examiner, sans dire encore un mot des obscurités qu'elle
présente. Malgré la grande valeur des résultats acquis,
nous sommes loin de pouvoir décrire d'un bout à l'autre
toute la série de phénomènes qui doivent se produire
depuis le moment où la suggestion est donnée jusqu'à
celui où elle se réalise. Ce que nous connaissons assez
bien, c'est le point d'arrivée, le résultat final, c'est-à-dire
la dissociation. Mais nous ignorons comment la perception
d'un objet et les divers souvenirs qui s'y rattachent ont
opéré leur migration de la conscience A dans la cons-
cience B.
Nous avons vu plus haut, au moyen de beaucoup d'ex-
périences, que pour cesser de voir un objet et celui-là seu-
lement, une personne doit commencer par le percevoir et
le reconnaître, de quelque façon que ce soit, et le rejet de
cette perception ne peut avoir lieu que lorsqu'elle est déjà
commencée. De plus, au fur et à mesure que l'expérience
se poursuit, si l'expérimentateur modifie l'objet invisible,
comme il le fait par exemple en interposant un prisme
devant les yeux de son sujet (exp. de M. William James),
il faut encore qu'une intelligence intervienne et décide si
l'objet ainsi modifié doit être perçu ou non. Tout ce travail
de contrôle est nécessaire; sans cela la suggestion serait
exécutée à l'aveugle, c'est-à-dire fort mal. Or, qui est-ce
qui est chargé de ce travail de contrôle? Quelle est l'intel-
ligence qui décide à tout moment que le sujet doit perce-
voir ceci et non cela? Ce n'est pas le moi normal, car il n'a
conscience de rien; il reçoit en quelque sorte le travail
tout fait. Ce doit être un personnage capable de tout voir,
car pour que la suggestion soit bien exécutée, pour que k
carte qui doit rester invisible dans un paquet de dix cartes,
294 LES EXPÉRIENCES DE SUGGESTION
ne soit pas confondue avec les autres, il faut qu'il y ait
quelqu'un qui la compare à toutes les autres, et par con-
séquent les perçoive toutes. J'ignore complètement ce que
peut être ce personnage, si même il existe et comment il
opère; l'expérience ne m'a rien appris là-dessus, je me
laisse simplement guider par le raisonnement.
En terminant ces considérations, disons qu'ici encore,
comme pour l'hallucination, on sait peu de chose en com-
paraison de ce qui reste à trouver; mais il y a des faits
acquis.
Je passe sous silence plusieurs questions que j'ai traitées
déjà dans la Revue philosophique, par exemple les rap-
ports entre l'anesthésie systématique et la négation. Ce
sont des vues personnelles, qui n'ont pas leur place dans
ce livre.
CHAPITRE VII
LE DÉDOUBLEMENT DE LA PERSONNALITÉ ET LE SPIRITISME
Éliminations préalables. — Mouvemcnls inconscients. — Une observation
de M. Myers. — Analyse. — Étendue de la division de conscience. —
Les moyens d'expression des personnages subconscients. — Les causes
de leur apparition.
I
Les recherches de ces dernières années ont éclairé d'un
jour nouveau les phénomènes du spiritisme, en nous
montrant que ces phénomènes sont constitués en grande
partie par la désagrégation mentale; il n'y a point de dif-
férence essentielle entre les expériences que nous avons
vu pratiquer sur les hystériques et les expériences en
quelque sorte spontanées que les spiritiques pratiquent sur
eux-mêmes. Les principales différences tiennent à des con-
ditions accessoires, on pourrait presque dire à des condi-
tions anecdotiques, au milieu, aux noms employés, aux
exphcalions imaginées, etc.
Qu'est-ce que le spiritisme? Tout le monde le connaît,
au moins par ouï-dire, car il a sévi longtemps en France,
comme une épidémie. Les manifestations auxquelles il a
donné lieu sont si nombreuses et si variées qu'on trouvera
peut-être difficile de résumer en quelques mots les traits
principaux de cette doctrine.
296 LES EXPÉRIENCES DE SUGGESTION
Mais nous n'avons pas l'intention de traiter la question
dans son ensemble; nous voulons simplement indiquer ses
points de contact avec les théories psychologiques que
nous exposons.
Nous commencerons par quelques éliminations néces-
saires. 11 existe, au dire des auteurs, certains phénomènes
spirites qui se produisent en dehors de l'action d'une per-
sonne ou d'une cause connue; ce sont les phénomènes dits
physiques, comme les coups dans les murs, les tables et
autres meubles qui se soulèvent d'eux-mêmes, sans qu'on
y touche, l'écriture directe par des crayons marchant tout
seuls, ou glissés entre deux ardoises, les apparitions d'es-
prits qu'on peut photographier ou même mouler; nous ne
nions pas ces phénomènes, parce que de parti pris nous
ne voulons rien nier; mais la démonstration scientifique
est encore attendue; nous n'en parlerons pas.
Après avoir ainsi circonscrit notre sujet d'étude, exami-
nons ce qui reste d'essentiel dans une séance spirite; c'est
un ensemble de faits, toujours à peu près les mêmes,
qu'on retrouve dans toutes les descriptions des écrivains
spéciaux; ces faits consistent dans des mouvements incon-
scients exécutés par une personne appelée médium, qui
est censée servir d'instrument aux esprits lorsque ceux-ci
veulent exprimer leur pensée à des personnes vivantes.
Les auteurs qui ont décrit cette communication de pensée
avec les esprits des morts ont eu le tort de mêler les des-
criptions avec les hypothèses, et ces dernières sont géné-
ralement absurdes; nous sommes donc obligés, quand nous
les reprenons, d'opérer un triage entre le fait observé et
son interprétation. Nous trouvons ici déjà un exemple de
cette analyse à faire. Qu'est-ce qu'un esprit? La présence
de l'esprit qu'on évoque est-elle réellement prouvée, quand
le médium se croit en communication avec lui? Tout cela,
ce n'est que de l'hypothèse gratuite. Le fait d'observation,
c'est que le médium, c'est-à-dire une personne reconnue
plus apte que d'autres au genre d'expérience que nous
allons décrire, peut exprimer sans en avoir la volonté et
DÉDOUBLEMENT DE LA PERSON. ET SPIRITISME 297
sans en avoir la conscience une pensée qui n'est pas la
sienne.
Examinons en effet les deux expériences fondamentales
auxquelles on peut ramener toutes les autres : ce sont
l'expérience de la table tournante ou parlante, et l'expé-
rience de récriture automatique ; encore les deux phéno-
mènes sont-ils au fond identiquement les mêmes.
Quand on se sert de la table, plusieurs personnes s'as-
seyent autour de ce meuble et posent leurs mains dessus;
à la table on peut substituer un guéridon, une corbeille,
mais peu importe. Les personnes posent une question à
l'esprit, et bientôt, sous l'influence des contacts multiples,
la table tourne, son pied se soulève ou frappe le sol
d'après une convention établie d'avance, l'esprit répondra
en faisant frapper un coup au pied de la table, pour dire
oui, et deux coups pour dire non; ou bien, procédé plus
ingénieux, on suit sur un alphabet le nombre des coups
frappés par la table; la lettre à laquelle on s'arrête est
celle désignée par l'esprit, ce qui permet d'obtenir avec
un peu de patience la phrase entière.
Le procédé de l'écriture automatique est beaucoup plus
direct et plus simple; la table est supprimée; on met dans
la plume du médium un crayon, qui écrit tout seul la
réponse de l'esprit, sans que le médium ait la volonté
d'écrire ou la conscience de ce qu'on lui fait écrire.
C'est à ce qui précède que se bornent les manifestations
spirites dont nous avons à nous rendre compte.
Or, en quoi consistent ces phénomènes? En mouvements
inconscients et involontaires. Gela est d'évidence pour les
mouvements de l'écriture automatique; et quant aux
tables tournantes, il a été démontré depuis longtemps, par
les recherches les plus précises, qu'elles tournent seule-
ment sous l'impulsion des mains.
On a cru longtemps qu'il fallait attribuer simplement
ces mouvements à la supercherie, et il est de fait que dans
bien des cas rien ne serait plus facile à simuler; ea pres-
sant légèrement sur une table, on en soulève le pied, et
298 LES EXPÉRIENCES DE SUGGESTION
un médium pourrait fort bien écrire en affirmant qu'il ne
sait pas ce qu'il écrit. Mais nous devons abandonner cette
explication grossière; car il y a un nombre considérable
de personnes dignes de foi qui affirment avoir été les
acteurs du phénomène, avoir posé la main sur des tables
qui tournaient, avoir tenu des plumes qui écrivaient, sans la
moindre volonté de faire mouvoir la table ou écrire la plume.
Ce sont là des preuves suffisantes, quand une doctrine
comme le spiritisme aboutit à bouleverser le monde entier
et fait des milliers de croyants. Ceux qui demandent des
preuves matérielles pour des phénomènes qui n'en com-
portent pas courent le risque d'ignorer ce que tout le
monde sait, et de soutenir des opinions contraires à la
vérité la plus évidente.
Les premiers observateurs qui cherchèrent à se rendre un
compte exact des actions spirites ont eu la préoccupation
exagérée de leur trouver des analogies dans les phénomènes
de la vie normale. On s'est efforcé de montrer que chacun
de nous exécute des mouvements inconscients. L'exemple
qu'on a cité le plus souvent est celui du pendule explo-
rateur, que nous avons décrit tout au long. En somme, on
a pensé que « le pouvoir moteur des images >>, pour em-
ployer le langage actuel de la psychologie, devait suffire
à expliquer les phénomènes spirites. Explication franche-
ment insuffisante, il est aisé de le montrer, et on ne doit
pas s'étonner que les adeptes de la doctrine ne se soient
pas laissés convaincre.
En effet, l'étude soigneuse des phénomènes indique que
l'écriture automatique provient d'une pensée autre que la
pensée consciente du médium. Il y a en lui, à un certain
moment, deux pensées qui s'ignorent et qui ne communi-
quent entre elles que par les mouvements automatiques de
l'écriture; disons plus exactement : il y a deux personna-
lités coexistantes; car la pensée qui dirige l'écriture auto-
matique n'est point une pensée isolée et décousue, elle
a un caractère à elle, et même elle porte un nom, le nom
de l'Esprit dont on a invoqué la présence.
DÉDOUBLEMENT DE LA PERSON. ET SPIRITISME 299
Nous trouvons donc là un nouvel et curieux exemple
de désagrégation mentale et de dédoublemenl de la per-
sonnalité. Un des auteurs qui ont le mieux compris la vraie
nature des phénomènes spirites, M. Myers ^, a très exacte-
ment résumé la théorie des personnalités multiples à un
moment oîi les études de M. Janet sur le somnambulisme,
et les nôtres sur l'insensibilité hystérique, qui devaient
aboutir au même résultat, n'étaient pas encore commen-
cées. Cette nouvelle coïncidence, à ajouter à tant d'autres,
augmente la sûreté des résultats, et nous prouve que
malgré les imperfections et fautes de détail qui doivent
exister dans ces recherches, comme dans toutes, le fond
en est exact.
De même que les expériences de suggestion, celles du
spiritisme réussissent bien sur une certaine catégorie de
sujets, parmi lesquels les hystériques tiennent une place
importante. Les hystériques, et d'une façon générale les
somnambules, forment la majeure partie des bons mé-
diums; on peut s'en assurer en parcourant les ouvrages
de spiritisme; de temps en temps l'auteur le plus discret
ne peut pas éviter de dire que tel excellent médium a eu
une crise de nerfs, ou se fatigue vite par suite d'une santé
trop délicate; il est du reste reconnu généralement que
les opérations du spiritisme prédisposent aux accidents
nerveux, ainsi que M. Gharcot en a rapporté un exemple
frappant ^
II
Entrons maintenant dans quelques détails. Nous emprun-
tons à M. Myers, et nous publions intégralement, une des
observations les plus intéressantes qu'il ait recueillies.
Celle-ci lui a été communiquée par M. A., un ami dont il
garantit la bonne foi.
1. Automatic uriting, Proceed. S. P. R., 1885.
2. Maladies du système nerveux, t. III, p. 228.
300 LES EXPÉRIENCES DE SUGGESTION
« L'expérience fut faite une première fois à Pâques, en
1883; après un intervalle d'une semaine elle fut reprise et
continuée pendant trois jours; le premier jour, dit l'obser-
vateur, je fus sérieusement intéressé; le second jour, je
devins perplexe; le troisième, il me sembla que j'abordais
des expériences entièrement nouvelles, d'un caractère à la
fois terrible et romantique; le quatrième, le sublime tomba
tristement dans le ridicule.
PREMIER JOUR
« L'auteur prend une plume, et pose la question. C'est
la plume qui écrit la réponse.
« Demande. Sous quelles conditions puis -je entrer en
communication avec l'Invisible?
« Réponse. La main remua aussitôt, pour tracer
cette ligne; le résultat n'était guère favorable; mais comme
l'auteur avait dans la pensée que la condition requise pour
communiquer avec l'Invisible était une parfaite rectitude,
il pensa que la réponse s'appliquait exactement à la de-
mande.
« Demande. Quelle est la cause qui en ce moment fait
mouvoir ma plume?
« Réponse. La religion.
« Demande. Quelle est la cause qui fait écrire cette ré-
ponse à ma plume?
« Réponse. La conscience.
« Demande. Qu'est-ce que la religion?
« Réponse. Adoration.
« Ici s'éleva une difTiculté. Quoique l'auteur n'expectât
aucune de ces trois réponses, cependant quand les pre-
mières lettres furent écrites, il prévit le reste du mot. Ceci
pouvait vicier le résultat. Gons..., par exemple, aurait pu
finir comme >< consciousness », si l'auteur avait pensé à ce
mot au lieu de penser à conscience. Alors, il se produisit
un fait singulier, comme si une intelligence avait voulu
prouver par la forme de la réponse qu'elle était la seule
DÉDOUBLEMENT DE LA PERSON. ET SPIRITISME 301
cause de la réponse, et que celle-ci n'était point le résultat
de Fexpectation; en effet, les questions suivantes provo-
quèrent des réponses singulières.
« Demande. Adoration de quoi?
« Réponse. Wbwbwbwbwb.
« Demande. Quelle est la signification de wb?
« Réponse. Win (gagner). Buy (acheter).
« Demande. Quoi?
« Réponse. Connaissance.
« Ici, l'auteur eut la perception anticipée des mots qui
allaient être écrits, et la plume eut une brusque secousse,
comme pour dire qu'il était inutile de continuer.
« Demande. Comment?
« Réponse. Ici, c'était la première réponse qui reve-
nait. Quoique fortement impressionné par les premières
réponses, qui, à première vue, semblaient prouver une
intelligence et une volonté indépendantes, l'auteur remarqua
qu'en somme il n'avait rien appris de nouveau, et pensa
que le tout était dû à la cérébration inconsciente et à
l'attention expectanle. Ayant posé quelques demandes sur
des questions de fait qu'il ne connaissait pas, mais pouvait
contrôler, et ayant obtenu des réponses inintelligibles ou
fausses, il abandonna l'expérience.
DEUXliiME JOUR
« Demande. Qu'est-ce que l'homme?
« Réjjonse. Fhse.
« La plume, en traçant cette réponse, entra dans une
violente agitation.
« Demande. Que veut dire F?
« Réponse. Fesi.
« Demande. L?
« Réponse. Le.
« Demande. J?
« Réponse. Ivy.
« Demande. S?
« Réponse. Sir (en français. Monsieur).
302 LES EXPÉRIENCES DE SUGGESTION
« Demande. E?
« Réponse. Eye. (en français, Œil). Fesi le ivy sir eye.
« Demande. Est-ce un anagramme?
« Réponse. Oui.
« Demande. Combien de mots dans la réponse?
« Réponse. 4.
« L'auteur essaye de deviner, n'y réussit pas, et renonce.
TROISIÈME JOUR
« Demande. Qu'est-ce que l'homme?
« Réponse. Tefî hasl esble lies.
« Demande. Est-ce un anagramme?
« Réponse. Oui.
« Demande. Combien contient-il de mots?
« Réponse. V (c'est-à-dire cinq).
« Demande. Quel est le premier mot?
« Réponse. See (en français, vois).
« Demande. Quel est le second mot?
« Réponse. Eeeeee.
<( Demande. See? (vois?) Dois-je interpréter moi-même?
« Réponse. Essaye.
« M. A. trouva d'abord, comme solution : « Life is less
able » (c'est-à-dire : la vie est le moins capable). Il reprit
l'anagramme du jour précédent, et trouva : « Every life is
yes » (c'est-à-dire : toute vie est oui). Mais sa plume sembla
indiquer une préférence pour un autre ordre des mots :
« Every life yes, is » (c'est-à-dire : toute vie oui est).
« Etonné par la production de ces anagrammes, qui lui
semblaient prouver une intelligence indépendante de la
sienne, l'auteur devint à ce moment un spirite convaincu,
et ce fut avec une frayeur respectueuse qu'il reprit ses
interrogations.
'< Demande. Qui es-tu?
« Réponse. Clé lia II
« Demande. Tu es une femme?
« Réponse. Oui.
DÉDOUBLEMENT DE LA PERSON. ET SPIRITISME 303
Demande. As-tu jamais vécu sur la terre?
Réponse. Non.
Demande. Yivras-tu?
Réponse. Oui.
Demande. Quand?
Réponse. Dans six ans.
Demande. Pourquoi t'entretiens-tu avec moi?
Réponse. E if Clelia e 1.
c L'auteur interprète ainsi : « I Clelia feel ». Moi, délia,
je sens. Sur la demande si c'est là la solution :
Réponse. E if Clelia e 1 20.
:< Demande. Est-ce vingt votre âge?
Réponse, ce (Elle était éternelle.)
Demande. Alors 20 quoi?
Réponse. Mots.
L'interrogatoire s'arrête ici et est remis au lendemain.
L'auteur croit à ce moment qu'il est en relation avec un
esprit au nom romantique qui s'incarnera dans six ans. 11
est très agité, dort mal.
QUATRIÈME JOUR
« L'interrogation est reprise, avec la même forme em-
phatique.
« Demande. Pourquoi me parles-tu?
« Réponse. (Ligne ondulée.) L'écriture répète : Pourquoi
me parles-tu ?
« M. A., sans se laisser déconcerter par cette répétition,
la considère comme une réponse solennelle et d'un esprit
pénétrant; il examine les motifs de sa conduite, purifie sa
pensée de tout alliage terrestre, et reprend :
« Demande. Pourquoi me réponds-tu?
« Réponse (ligne ondulée). Pourquoi me réponds- tu?
« Demande. Est-ce moi-même qui fais la réponse?
« Réponse. Oui.
« Demande, délia est-elle présente?
« Réponse. Non.
- « Demande. Qui est donc ici?
304 LES EXPERIENCES DE SUGGESTION
« Réponse. Personne.
« Demande. Clélia existe-t-elle?
« Réponse. Non.
« Demande. Avec qui ai-je parlé hier?
« Réponse. Avec personne.
« Demande. Pourquoi avez-vous menti?
« Réponse (ligne ondulée). Pourquoi avez-vous menti?
« Demande. Les âmes existent-elles dans un autre monde ?
<( Réponse. M B.
« Demande. Qu'est-ce que MB veut dire?
« Réponse. May be (c'est-à-dire : cela peut être). A partir
de ce moment la plume tantôt affirme l'existence de Clélia,
tantôt la nie. »
Cette observation, si intéressante à tous les points de
vue, peut nous servir de base pour la discussion des phé-
nomènes très complexes, très délicats et très variés par
lesquels la division de conscience se manifeste cliez le
médium écrivant.
Nous ne nous attarderons pas à prouver en détail, au
moyen d'une démonstration en règle, que l'esprit évoqué
par le médium n'est pas autre chose que le personnage
subconscient des hystériques qui lui aussi s'évoque si faci-
lement pendant l'état de veille. L'analogie des deux situa-
lions psychologiques est si claire et si évidente que je juge
tout à fait inutile d'insister.
Nous ferons mieux de rechercher ce qu'il y a d'original
dans l'expérience spirite, et nous étudierons successive-
ment : 1° l'étendue de la division de conscience; 2° ses
moyens d'expression et de manifestation; 3° ses causes.
Le premier point est certainement le plus connu et
aujourd'hui le mieux étudié. La forme même du récit par
demandes et réponses, le dialogue, indique bien la dualité
des personnalités, et, à plusieurs reprises, l'auteur de l'ob-
servation remarque qu'il a eu le sentiment de converser
avec une intelligence et une volonté autres que la sienne.
Bien plus, cette intelligence s'affirme si bien comme
personnage distinct du moi normal qu'elle se baptise elle-
DÉDOUBLEMENT DE LA PERSON. ET SPIRITISME 303
même et prend le nom romanesque de Clélia, nom que
l'auteur prétend n'avoir jamais connu; en tout cas, s'il Fa
connu, il n'en a pas conservé le souvenir conscient. Ce
nom inconnu de Clélia, écrit subitement par la main du
médium, semble avoir vivement impressionné l'observa-
teur, et il dit que pendant un certain temps il a cru avoir
affaire à un personnage réel. Chacun de nous peut s'ima-
giner par quelles émotions il a dû passer à ce moment-là,
et je gage que plus d'un lecteur sera tenté de renouveler
l'expérience, contre laquelle je crois cependant qu'il est
bon de se tenir en garde, car on y perd toujours un peu
de l'unité de sa pensée et de la clarté de son intelligence.
Quant au contenu des réponses, M. A. remarque qu'il
n'y a jamais trouvé la révélation de faits à lui inconnus;
sur ce point, plusieurs observations sont à présenter.
D'une façon générale, il est exact de dire que le person-
nage inconscient qui joue le rôle d'esprit, n'étant qu'une
portion détachée de l'intelligence du médium, ne peut pas
avoir d'autres facultés et d'autres connaissances que lui. La
lecture des nombreuses évocations spirites qu'on a publiées
et où l'on a fait parler des personnages célèbres, tels qu'Ar-
chimède, Socrate, Aristote, montre qu'on n'a pu tirer de
ces grands génies aucune pensée profonde et digne d'eux ;
ce sont en général des réflexions banales, qui ne dépassent
point la portée d'une intelligence ordinaire. Mais il faut tenir
compte des conditions où l'expérience est faite pour en
apprécier les résultats; la solennité de l'évocation, la gran-
deur du but poursuivi, le recueillement de l'assistance doi-
vent souvent exalter pour un moment les facultés du per-
sonnage subconscient, et lui faire trouver des pensées
dont il eût été incapable pendant un instant d'atonie.
Ajoutons que le personnage subconscient peut avoir une
étendue de mémoire et une finesse de perception incon-
nues du personnage normal : nous en avons vu la preuve
chez les hystériques * ; tout ceci peut contribuer à donner
1. Voir, notamment, p. 192.
A. BiNET. 20
306 LES EXPÉRIENCES DE SUGGESTION
aux réponses écrites une forme mystérieuse, dont l'expli-
cation naturelle est cependant facile à trouver.
Le caractère inattendu des réponses est encore un bon
signe de division de conscience. Le médium, avons-nous
vu, s'est borné à poser une question; pour qu'il connaisse
la réponse, il faut qu'il se relise. Souvent il ne peut pas
se relire sans l'assistance d'une autre personne, tant l'écri-
ture est indistincte. Il peut aussi commettre dans sa
lecture des erreurs qui seront rectifiées un peu plus tard,
par une nouvelle intervention de l'Esprit. La réponse
peut être d'une nature bizarre, inattendue; parfois, c'est
une plaisanterie, une espièglerie ou même une grossièreté,
qui étonnent d'autant plus le médium qu'il avait fait une
demande sérieuse; enfin la réponse peut prendre la forme
d'un anagramme ou d'un rébus; elle contient parfois des
faits que le médium avait oubliés, etc.
Telle qu'elle résulte des faits précédents, la division de
conscience ne sépare que des pensées; elle reste dans le
domaine de l'idéation; nous n'avons point encore vu la
sensibilité des organes périphériques subir des modifications
parallèles, comme chez nos hystériques. Il est rare que les
écrivains spirites fassent mention de ce point. Ce sont en
général des enthousiastes et des mystiques, bien mal pré-
parés aux explorations méthodiques; du reste il est pro-
bable que la question de savoir si le bras du médium écri-
vant devient à un moment insensible leur paraîtrait une
question tout à fait insignifiante et dénuée d'intérêt. Lors-
qu'on cherche à causer avec les âmes des morts, on ne
s'abaisse pas à chercher la sensibilité aux piqûres. Il est
cependant digne de remarque que dans bien des cas le
médium, en racontant ce qui s'est passé en lui, affirme ne
pas avoir senti le mouvement de sa main au moment où
elle écrivait; d'autres perçoivent bien une agitation de la
main, mais ne peuvent pas savoir ce qu'elle écrit, avant
d'avoir jeté les yeux sur le papier. Ces observations ne sont
pas constantes, car dans d'autres cas le médium paraît être
resté conscient de toute l'expérience; il est cependant vrai-
DÉDOUBLEMENT DE LA PERSON. ET SPIRITISME 307
semblable que chez certains sujets l'écriture du médium
entraîne un certain degré d'anesthésie.
Une expérience, malheureusement unique, mais bien si-
sniflcative, vient le démontrer. M.William James surveillait
un jour un jeune homme qui présentait à un haut degré
le phénomène de l'écriture automatique. Son bras et sa
main droite, avant l'expérience, étaient sensibles. Pendant
que la main traçait des caractères, M. W. James vint à piquer
fortement cette main, à plusieurs reprises, de manière à
provoquer une vive sensation de douleur. Le jeune homme
ne sentit rien, ni douleur ni contact. Il était donc devenu
temporairement anesthésique du bras droit, absolument
comme nos hystériques mises en état de distraction. Cette
anesthésie transitoire était bien le résultat du dédouble-
ment de conscience, et en voici la preuve : le personnage
subconscient, qui se manifestait par l'écriture, sentit la
douleur, et il écrivit ces mots : « Ne me faites pas de mal. »
III
Voilà donc la division de conscience nettement établie,
au moins chez un grand nombre de médiums; on ne peut
conserver aucun doute sur ce point. Un trait particulier de
ces expériences, c'est l'illusion qui paraît dominer le per-
sonnage subconscient. Pour bien comprendre cette illu-
sion, il faut se rappeler comment les faits se présentent
dans nos paisibles expériences de laboratoire, qui man-
quent à peu près de tout caractère dramatique. Lorsqu'on
est parvenu à découvrir l'inconscient que recouvre l'anes-
thésie d'une hystérique, on est en présence d'un petit
groupe de phénomènes élémentaires qui ne forment guère
qu'une sous-conscience, et non une personnalité. Dans l'état
de distraction provoqué, cette conscience secondaire, nous
l'avons dit souvent, est bien mieux développée; elle se dis-
tingue elle-même de la conscience principale que, bien sou-
vent,chose curieuse, elleappellelV^^^'re; facilement, on arrive
308 LES EXPERIENCES DE SUGGESTION
à lui faire accepter un nom différent : ce nom, il faut bien
le remarquer, ne s'applique point à une personnalité fictive ;
il groupe des phénomènes bien réels, une vie psychologique
qui a été réellement vécue. Sous le nom d'Adrienne, par
exemple, le sujet de M. Pierre Janet désigne une partie de
son existence présente et passée découpée dans son exis-
tence totale. C'est ici que la différence se manifeste bien
entre nos expériences et celles des spirites. Le personnage
subconscient du spirite porte un nom fictif; c'est Socrato
ou Napoléon, c'est n'importe quel esprit évoqué; en tout
cas, ce personnage ne se considère pas comme une partie
du médium lui-même, il ne s'apphque pas certains souve-
nirs spéciaux au médium. Cette différence est caractéristi-
que, et contribue beaucoup à donner une physionomie par-
ticulière et bien originale aux manifestations spiritiques.
A quoi tient-elle? A ces conditions de milieu mental, qui
sont si importantes dans toutes les expériences de ce genre.
Le médium qui prend la plume ne reste point, comm.e nos
hystériques, indifîerent et ignorant du but poursuivi; il a
son système, ses croyances. Il croit aux esprits et à la pos-
sibilité de les évoquer; il est dominé par une préoccupation
puissante; c'est même lui, ou l'assistance, qui en général
choisit l'Esprit avec lequel on va entrer en communication ;
quand même ce choix ne serait pas fait, comme dans l'ob-
servation de Clélia, le médium s'attend à converser avec
une intelligence distincte de la sienne; il se trouve en un
mot dans les meilleures conditions pour faire de l'auto-
suggestion.
Seulement, chose curieuse, le moi qui subit l'effet de la
suggestion, ce n'est pas le moi normal, c'est le moi secon-
daire. C'est ce dernier qui reçoit la suggestion qu'il est tel
ou tel personnage, et qui subissant cette illusion ou s'y prê-
tant avec complaisance — on ne sait trop au juste comment
les choses se passent — va écrire des messages dans le
style du personnage évoqué, et les signera du nom de ce
personnage. Nous avons yu plus haut les curieuses expé-
riences de M. Ilichot; dans ces expériences, aujourd'hui
DÉDOUBLEMENT DE LA PERSON. ET SPIRITISME 309
devenues classiques, on transforme par suggestion une per-
sonne, on la force à jouer une personnalité fictive. A quel-
ques nuances près, c'est bien ce qui se passe ici. Les choses
ont lieu comme si dans un instant de distraction on avait
pu communiquer avec le personnage subconscient et lui
imposer une personnalité nouvelle.
Cette personnalité suggérée, le subconscient peut l'expri-
mer de différentes façons : d'abord par l'écriture, c'est le cas
le plus habituel; et c'est à ce moyen de communication que
nous devons les fastidieux messages dont les journaux spi-
rites sont remplis. Les médiums ont remarqué souvent que
cette écriture ne ressemble pas à la leur; chose assez natu-
relle, car, comme l'ont montré les expériences de MM. Richet,
Ferrari et Héricourt, les suggestions qui transforment la
personnalité modifient dans le même sens l'écriture. Si le
personnage subconscient se développe beaucoup, il ne se
contentera pas de diriger les mouvements de la main; il
aura une tendance à s'emparer d'autres moyens d'expres-
sion, il remuera la tête du sujet, lui fera faire des grimaces,
il pourra même se mettre à parler. Dans ce cas, qui a été
quelquefois observé, le médium prononce des paroles dont
son moi normal n'a pas conscience. Bien plus, on a vu par-
fois au milieu de l'expérience le médium se lever, gesti-
culer, prendre une attitude théâtrale et réahser le person-
nage évoqué, le représenter; le médium, bien entendu,
n'a point conscience du rôle qu'il joue; quand tout cela
sera terminé, sa conscience normale pourra n'en garder
aucun souvenir ; car ce n'est pas lui, à proprement parler,
qui a agi, c'est le personnage subconscient. Nous avons
déjà vu tant de situations analogues qu'il n'est nul besoin
d'expliquer celle-là; il suffit de rappeler que chez beaucoup
de sujets, au moment où une suggestion post-hypnotique
est exécutée, le moi somnambulique entre en scène, et
s'avance vers la rampe, tandis que le moi normal remonte
vers le second plan ou disparaît dans la coulisse *.
1. Voir p. 230.
310 LES EXPERIENCES DE SUGGESTION
Ainsi, réunissons ces deux expériences : 1° suggestion en
période somnambulique de transformation de personna-
lité; 2" suggestion dont l'exécution est remise après le
réveil, et nous arriverons au même résultat que les expé-
riences de spiritisme.
Mais si le résultat est semblable, les causes qui le produi-
sent sont quelque peu différentes. Dans nos précédentes
études nous avons vu la division de conscience résulter de
deux causes principales, l'anesthésie hystérique et la dis-
traction. Dans le phénomène spontané de révocation de
l'esprit par un médium, nous ne trouvons en jeu aucune
de ces deux causes ; il se produit sans doute des modifica-
tions mentales moins simples et moins faciles à décrire. Le
recueillement du médium, sa conviction qu'une seconde
intelligence va s'emparer de sa main, en un mot l'auto-sug-
gestion est ce qui produit la scission dans sa conscience ; et
on pourrait, en communiquant à une hystérique la même
disposition d'esprit, en reproduire tous les effets.
Nous avons enfin à noter l'importance comparative des
deux personnalités en présence, et à comprendre ces com-
munications, qui sont ici particulièrement complexes. Chez
l'hystérique en expérience nous avons vu des groupes
d'idées appartenant à une conscience suggérer, par asso-
ciation, d'autres groupes d'idées dans la seconde conscience ;
la suggestion s'est faite en général entre une sensation et
une image, ou entre une image et un mouvement; elle
était donc d'un ordre tout à fait élémentaire; et pour
prendre un exemple, qui précisera les idées, nous rappel-
lerons que cinq piqûres faites sur la main anesthésique
donnent à la conscience principale l'idée du nombre cinq.
Parfois les relations de conscience se compliquent un peu,
et constituent une collaboration plutôt qu'une association
d'idées. Dans l'intelligence du médium, ces communica-
tions simples entre personnalités se rencontrent fréquem-
ment; ainsi il y a des médiums qui ont tout à coup, brus-
quement, une vision mentale d'une idée qu'ils rapportent
à l'esprit; parfois aussi ils entendent retentir, comme pro-
DEDOUBLEMENT DE LA PERSON. ET SPIRITISME 311
nonce par une voix intérieure, la pensée de l'Esprit. Tout
ceci peut s'expliquer par des associations entre des états
dont les uns sont conscients et les autres subconscients;
mais ce qu'il est difficile d'expliquer de cette manière, ce
sont des communications plus complexes et plus subtiles
qui ont lieu dans presque toutes les expériences.
Rappelons-nous en effet ce qui se passe dans l'observation
de Clélia : un dialogue se poursuit entre le conscient et le
subconscient; chaque interrogation est suivie d'une réponse
qui n'est pas quelconque, mais qui prouve que la demande
a été entendue et comprise. Or, la conscience normale ne
connaît pas directement la conscience secondaire ; pour que
le médium connaisse la réponse de l'esprit, il faut qu'il
relise son écriture; c'est de cette façon que le dialogue
peut se poursuivre. Le subconscient au contraire n'a pas
besoin de signes extérieurs pour saisir la pensée de la con-
science normale; cette pensée, qui peut ne pas être
énoncée à haute voix, qui souvent n'est formulée que men-
talement, le subconscient la saisit, la comprend, et y
répond. C'est à lui qu'appartient en somme le premier rôle
dans les expériences du spiritisme; nous sommes du reste
habitué à l'importance de sa part de collaboration; nous
avons dit que dans les suggestions compliquées, c'est lui
qui se charge de toutes les opérations délicates; lisait tout,
tandis que le moi normal ne sait rien. De même, dans
les alternances de personnalités, le moi de la condition
seconde connaît souvent le moi de la condition prime, et
celui-ci croit exister seul.
Toutes ces analogies doivent nous servir de guide et
assurent notre marche au milieu de questions difficiles.
C'est cette méthode de comparaison qui, à notre avis, s'im-
pose pour les recherches futures '.
1. On pourrait encore étudier les personnalités multiples dans les phé-
nomènes de possession du moyen âge : le sujet a été si fréquemment traité
que nous pensons inutile d'y revenir.
CONCLUSION
Le moi est une coordination. — Opinion de M. Ribot. — Le rôle de l'as-
sociation des idées dans la constitution du moi. — • Les limites de la
conscience.
I
Depuis que la psychologie tend à se séparer de la littéra-
ture et de Tart oratoire, et à devenir une science positive,
elle attache surtout de l'importance aux petits faits bien
observés, et elle relègue au second plan les théories bril-
lantes. On ne sera donc pas étonné de ne pas trouver dans
le dernier chapitre d'un livre sur la personnalité une
théorie personnelle à l'auteur sur la nature de la person-
nalité. Notre conclusion sera un simple rappel des faits,
et une réunion des interprétations éparses que ces faits
nous ont suggérées, à mesure que nous les décrivions.
Cherchons d'abord à condenser en quelques lignes la
substance de ce livre. Depuis le commencement jusqu'à
la fm, nous avons toujours considéré le même phénomène,
la pluralité de consciences chez un individu. Nous disons
conscience, nous ne disons pas personnalité, parce que
conscience désigne simplement une collection de phéno-
mènes psychologiques conscients et réunis ensemble,
tandis qu'on ne doit donner le nom de personnalité à cette
(itiUectidii que lorsqu'elle acquiert un haut degré de déve-
loppement et que l'idée du moi se produit; bien que la
limite soit difficile à tracer entre les deux — précisément
CONCLUSION 313
parce qu'il s'agit moins d'une différence de nature que
d'une différence de degré — il est clair que les mouvements
très simples provoqués chez une personne normale pendant
un état de distraction (voir p. 217) sont le signe d'une sous-
conscience, tandis que dans les mêmes conditions, et avec
les mêmes procédés, on peut provoquer souvent chez une
hystérique hypnotisable une sous-personnalité.
Ces consciences et personnalités multiples se distinguent
les unes des autres par deux faits principaux, le caractère
et la mémoire; ce sont là les signes qui permettent de dire
qu il y a dans un individu, à un moment donné, deux,
trois personnalités, ou même un plus grand nombre. Le
caractère tiré de la mémoire est le pkis précis, car il permet
non seulement de distinguer les personnalités, mais encore
de ramener à une même personnalité plusieurs états de
conscience séparés par le temps.
Nous avons étudié d'abord la succession réguUère de
deux ou plusieurs personnaHtés chez un même individu,
dans les somnambulismes naturels et les somnambuhsmes
provoqués. L'alternance des conditions prime et seconde,
dont chacune a sa mémoire et son caractère, présente une
régularité presque schématique, qui prépare l'esprit à bien
comprendre les phénomènes plus délicats qui se produi-
sent, lorsque les consciences et personnaUtés, au lieu de
se succéder, coexistent. Dans ce cas, le signe auquel on
reconnaît la pluralité des consciences n'est point fourni
par la mémoire, mais par la conscience elle-même. La
mémoire, du reste, n'est qu'une forme de la conscience :
c'est la conscience des choses passées. Ici, la conscience
d'une 'partie des choses présentes est supprimée. Le sujet,
placé dans l'état A, n'a point conscience d'un certain groupe
de phénomènes constituant l'état B, qui coexiste avec l'état
A, de même que dans les cas de personnalités successives,
le même sujet, placé dans un état A, ne conserve point la
mémoire, ou conscience rétrospective, de l'état B, qui s'est
écoulé.
Les consciences et personnalités coexistantes s'obser-
314 LES EXPÉRIENCES DE SUGGESTION
vent chez les hystériques dans les états d'anesthésie, et on
peut les provoquer et les développer quelque peu, en fai-
sant naître un état de distraction. Nous avons étudié
l'étendue des consciences secondaires, les phénomènes
élémentaires de répétition et d'adaptation qu'elles repré-
sentent, puis leur vie indépendante, leur écriture spon-
tanée, leur suggestibilité, la finesse de leurs perceptions;
nous nous sommes attaché à déterminer avec soin leurs
points de contact avec la conscience principale, et nous
avons vu que des associations multiples peuvent se faire
entre elles; une idée appartenant à une conscience peut
suggérer une autre idée dans l'autre conscience; bien
plus, deux consciences peuvent collaborer à une œuvre
commune; mais si, dans tous ces cas, elles se mélangent à
un certain point de vue, elles restent cependant distinctes,
car le moi de l'état A n'a point conscience du moi de
l'état 13.
Nous nous sommes proposé enfin d'établir une relation
entre les successions de personnalités et leurs coexistences.
Nous avons vu que le personnage somnambulique, qui,
dans les expériences d'hypnotisme et dans les accès spon-
tanés de somnambulisme, prend un remarquable déve-
loppement, peut se conserver en partie pendant l'état de
veille, et que c'est précisément lui qui est le personnage
subconscient que nous avons étudié dans les états d'anes-
thésie et de distraction : mille preuves nous ont été four-
nies de son identité, et la meilleure est toujours celle de
la mémoire; le moi somnambulique connaît toutes les
pensées du personnage subconscient de l'état de veille
(p. 137) et le moi subconscient connaît celles du moi som-
nambulique (p. 76). Ce point étant pleinement démontré,
nous avons examiné les relations complexes du personnage
somnambulique avec la conscience normale des sujets,
considérés au moment oii ils exécutent certaines sugges-
tions de nature complexe : rappelons simplement nos
études sur l'hallucination et l'anesthésie systématique qui
nous ont montré que le moi somnambulique intervient
CONCLUSION 31è>
incessamment pour assurer la réalisation d'une suggestion,
qui se fait sans que la conscience normale puisse se rendre
compte de rien.
En résumé, nous avons vu se produire, soit chez des
malades, soit chez des sujets en expérience, un véritable
émiettement de consciences; et de temps en temps, souvent
avec l'aide d'un peu de suggestion, une de ces consciences
a pu atteindre la dignité d'une personnalité véritable.
La personnalité de nos sujets d'observation et d'expé-
rience nous a paru comparable à un édifice compliqué et
fragile, dont le moindre accident peut renverser une partie;
et les pierres détachées de l'ensemble deviennent, chose
curieuse, le point de départ d'une nouvelle construction
qui s'èleve rapidement à côté de l'ancienne. Ce dernier trait,
sans être spécial à l'hystérie, ni même présent chez tous
les hystériques, est cependant bien caractéristique des
études précédentes.
Il ne faut pas, cependant, exagérer le rôle des person-
nages subsconscients, et étendre sans discernement les
conclusions des études précédentes à la vie normale. Le
fait primitif, nous l'avons dit, ce ne sont point les person-
nalités secondaires, c'est la désagrégation des éléments
psychologiques; ce n'est qu'après coup, et souvent par
dressage, par suggestion, que ces éléments épars s'orga-
nisent en personnalités nouvelles. Ce second temps du
phénomène est distinct et indépendant du premier, et pro-
bablement beaucoup moins fréquent, surtout chez les indi-
vidus normaux; on ne saurait admettre que tous les états
qui se produisent en nous sans que nous en ayons con-
science, appartiennent à d'autres personnages, et que par
exemple, lorsque nous regardons un objet, les sensations
vagues que nous envoient les autres objets dans la vision
indirecte sont accaparées par des personnalités secondaires,
tapies en quelque sorte derrière notre conscience person-
nelle; ces sensations indistinctes restent, à notre avis, sim-
plement disséminées. Pour tout dire, trois propositions
principales résument les faits précédents :
316 LES EXPÉRIENCES DE SUGGESTION
r Des éléments qui entrent normalement dans la consti-
tution de notre moi peuvent être en état de désagrégation ;
2" Une conscience ne cesse pas d'accompagner ces élé-
ments, bien que notre moi en perde conscience;
3° Parfois, dans des conditions exceptionnelles, patholo-
giques ou expérimentales, ces éléments s'organisent en
personnalités secondaires.
Cette dernière circonstance, si peu générale qu'elle soit,
étant possible, présente cet intérêt d'éclairer la nature
de notre moi et son mode de formation. Yoici com-
ment.
Nous sommes faits de longue date, par les habitudes
du langage, par les fictions de la loi, et aussi par les résul-
tats de rintrospection, à considérer chaque personne
comme constituant une unité indivisible. Les recherches
actuelles modifient profondément cette notion importante.
Il paraît aujourd'hui démontré que si. l'unité du moi est
bien réelle, elle doit recevoir une définition toute diffé-
rente. Ce n'est point une entité simple, car s'il en était
ainsi, on ne comprendrait pas comment, dans des condi-
tions données, certains malades, exagérant un phéno-
mène qui appartient sans doute à la vie normale, peu-
vent manifester plusieurs personnalités distinctes; ce qui
se divise doit être formé de plusieurs parties; si une per-
sonnalité peut devenir double ou triple, c'est la preuve
qu'elle est un composé, un groupement, une résultante
de plusieurs éléments. L'unité de notre personnalité adulte
et normale existe bien, et personne ne songerait à mettre
sa réalité en doute; mais les faits pathologiques sont là
qui prouvent que cette unité doit être cherchée dans la
coordination des éléments qui la composent.
Cette vérité, l'ancienne psychologie n'avait pas peu con-
tribué à la faire oublier, non seulement par ses hypothèses
sur la nature du moi qu'elle tenait pour une entité distincte
des phénomènes de conscience, supérieure à ces phéno-
mènes et ne participant pas à leurs changements inces-
sants — mais encore par la méthode d'analyse qu'elle
CONCLUSION 317
appliquait aux états de conscience. On sait que pour les
anciens psychologues, tous ces états de conscience si nom-
breux, si -variés, si nuancés, qui composent la vie mentale
sont ramenés à des facultés de l'esprit. Il y aurait une
faculté de mémoire, une faculté de raisonnement, une
faculté de perception, une faculté de volition. Cette termi-
nologie, qui a été critiquée avec raison, a eu le désavan-
tage de faire supposer l'existence de certaines entités ima-
ginaires; on a cru qu'il existait ime mémoire, une volonté,
et ainsi de suite. Nous ne nous laissons plus duper aujour-
d'hui par cette terminologie trompeuse; nous n'admettons
plus que par commodité de langage l'existence de la
mémoire; nous savons que ce qu'il y a de réel et de vivant
chez un individu, ce sont des actes de mémoire, c'est-à-
dire de petits événements particuliers et distincts; l'en-
semble de ces événements peut bien recevoir un nom par-
ticulier, mais ce terme n'ajoute rien à la connaissance du
phénomène; et tous ces actes de mémoire locaux, spéciaux
sont si bien distincts qu'on peut voir, dans certains cas patho-
logiques, toute une catégorie de mémoires qui disparaissent,
tandis que d'autres restent intactes ou à peu près. C'est ainsi
qu'une personne peut perdre la seule mémoire des choses
visuelles, des formes par exemple ou des couleurs, et con-
server la mémoire verbale, qu'elle est même obligée d'uti-
liser pour remplir les lacunes de l'autre mémoire. Bien
plus, la perte de mémoire peut être localisée, spécialisée à
ce point qu'on a vu des personnes ne plus savoir lire l'im-
primé et conserver l'aptitude à hre la musique \ Toutes
ces dissociations de la mémoire sont aujourd'hui bien
connues, et nous dispensent d'insister sur les autres formes
de dissociation. Ce qu'il faut principalement retenir de tout
ceci, c'est que ce que nous appelons notre esprit, notre
inteUigence est un groupement d'événements internes,
extrêmement nombreux et variés, et que l'unité de notre
être psychique ne doit pas être cherchée ailleurs que dans
1. Psycholor/ie du raisonnement, chap. i. -
318 LES EXPÉRIENCES DE SUGGESTION
ragencement, la synthèse, en un mot la coordination de
tous ces événements.
Telle est l'idée générale que M. Ribot a nettement for-
mulée en terminant son remarquable ouvrage sur les Mala-
dies de la 'personnalité. « L'unité du moi, au sens psycho-
logique du mot, c'est, dit-il, la cohésion, pendant un temps
donné, d'un certain nombre d'états de conscince clairs,
accompagnés d'autres moins clairs, et d'une foule d'états
physiologiques qui, sans être accompagnés de conscience,
comme leurs congénères, agissent autant qu'eux. Unité
veut dire coordination. » Ces lignes ont bientôt dix ans de
date ; elles ont été écrites à une époque où l'on ne connais-
sait pas encore, dans le détail, toutes les observations des
personnalités multiples que nous avons cherché à résumer
dans ce livre. On peut dire que les faits nouveaux en
démontrent pleinement la justesse.
II
Pouvons-nous faire un pas de plus? Pouvons-nous dire
comment le composé mental qui représente le moi se
construit avec ses éléments? Sur ce point, les recherches
nouvelles apportent un supplément d'information, qui, pour
être négatif, n'en a pas moins une grande valeur. Nous
insisterons d'autant plus que nous tenons surtout à indiquer
l'état actuel, et peut-être momentané, de la question.
Une vérité importante se dégage de toutes nos études
psychologiques : c'est que l'association des idées est im-
puissante à expliquer la genèse d'une personnahté, ou
d'une simple synthèse de phénomènes. Rappelons quel-
ques-uns des faits qui nous l'ont déjà bien prouvé. Les
sujets qui partagent leur existence dans deux conditions
mentales différentes, peuvent, dans l'une de ces condi-
tions, ne point se souvenir des événements qui se rat-
tachent à la seconde. La perte de souvenir est si nette
CONCLUSION 319
qu'une personne vue pendant une des conditions n'est
point reconnue dans la seconde, et le médecin est obligé
d'être présenté deux fois pour être connu par les deux per-
sonnalités. C'est assez dire que le mécanisme habituel de
la mémoire cesse de fonctionner. Un objet, qui dans un
état A suggère une série de souvenirs, ne suggère plus
rien dans l'état B; c'est cependant le même objet, et d'autre
part la série de souvenirs n'est pas détruite, puisque le retour
de l'état prime leur permettra d'être évoqués; c'est le
mécanisme du rappel qui est atteint. De même, les expé-
riences de suggestion qui font revivre à une personne une
époque antérieure de sa vie ramènent des souvenirs oubliés
pendant l'état normal, c'est-à-dire des souvenirs que les
lois ordinaires de l'association sont incapables de faire
revivre. Ces lois d'association sont par conséquent sou-
mises à des influences supérieures, qui tantôt leur permet-
tent d'agir, tantôt les suspendent. A elles seules, les asso-
ciations ne suffisent point à former une synthèse, et ce
n'est pas en associant les uns aux autres des événements
psychologiques qu'on peut réussir à expliquer la formation
d'une personnalité.
Dans des conditions d'expérience un peu différentes,
plusieurs existences psychologiques coexistent chez un
même individu, et des idées appartenant à une des con-
sciences suggèrent d'autres idées à l'autre conscience.
C'est ainsi que lorsqu'on provoque l'écriture automatique
la conscience principale pense à un mot, et la conscience
secondaire écrit le mot ; l'association des idées n'est point
suspendue, elle opère entre deux consciences; mais, par
un fait assez singulier, les deux consciences restent cha-
cune dans ses limites; notamment la conscience A ne sait
rien des idées et des mouvements qu'elle a provoqués
dans le domaine de la conscience B. Ce fait d'expérience
nous montre sous un jour nouveau l'impuissance des
associations à expliquer la formation d'une synthèse; l'in-
telligence ne se compose pas seulement d'un automatisme
d'images et de mouvements, puisque là où cet automatisme
320 LES EXPERIENCES DE SUGGESTION
se poursuit régulièrement, une conscience peut s'arrêter, et
une personnalité trouve sa limite.
Tout ceci confirme pleinement les idées théoriques si
intéressantes que M. Paulhan a récemment développées sur
l'activité des éléments de la pensée \ M. Paulhan a réduit
quelque peu le rôle attribué aux associations d'idées et
montré que ces associations ne sont que des ouvrières au
service d'influences supérieures qui les dirigent.
Si ce n'est pas l'association d'idées qui est le ciment de
la personnalité, c'est-à-dire qui réunit en faisceau des phé-
nomènes multiples et leur donne l'unité, on peut penser
que ce rôle est dévolu à la mémoire. On a longuement
insisté sur la mémoire, comme facteur de la personnalité;
on a même plutôt exagéré son rôle qu'on ne l'a diminué.
Pour beaucoup de philosophes la mémoire serait le fonde-
ment unique de notre identité personnelle. Les obser-
vations que nous avons rapportées confirment-elles cette
opinion?
Nous avons vu des personnalités se succéder chez un
même individu physique; nous les avons vues aussi coexis-
ter; ce qui a fait leur séparation, c'est tout d'abord l'état
de la conscience; telle personnalité, avons-nous remarqué,
n'a point conscience de tout un groupe de phénomènes
psychiques intelligents; ce groupe ne fait donc pas partie
de cette personnalité; l'absence d'une conscience unifiante
est ce qui nous permet de dire qu'il y a là deux personna-
lités et non une seule; la perte de conscience prend, dans
certains cas, la forme matérielle de l'anesthésie; dans d'au-
tres cas, c'est une distraction, c'est-à-dire une perte de
conscience légère et fugitive. Or, la perte de conscience
conduit à la perte de mémoire; c'est le même phénomène,
avons-nous dit souvent, car la mémoire n'est pas autre
chose que la conscience rétrospective; l'amnésie continue
donc l'anesthésie ; et de môme que l'anesthésie est la bar-
rière séparant des personnalités coexistantes, l'amnésie est
1. l.\i.ctwilé mentale el les éléments de l'esprit. Paris, 18S9.
CONCLUSION 321
la barrière qui sépare les personnalités successives. Tous les
faits que nous avons étudiés tendent à montrer que la
mémoire ou d'une façon plus générale la conscience est un
facteur de la personnalité.
Est-ce le seul? Nous ne le croyons pas, et nous nous
élevons, avec M. Ribot, contre les auteurs qui veulent faire
de la mémoire le seul fondement de la personnalité. La
preuve que cette opinion est exagérée, c'est que dans cer-
taines conditions, une personne peut, tout en gardant la cons-
cience et la mémoire de certains de ses états, les répudier,
les considérer comme étrangers à sa personnalité. La som-
nambule observée par M. Pitres se rappelle, comme c'est
la règle, les événements de son état de veille, mais ne se
les attribue pas; elle parle de la personne éveillée comme
d'une personne étrangère, et l'appelle ï autre. Même lan-
gage chez le personnage subconscient de l'état de veille,
qui n'est du reste qu'un personnage somnambulique ; il
parle à la troisième personne du moi normal, qu'il con-
naît bien, et l'appelle Vautre. D'autres exemples, nom-
breux et démonstratifs, pourraient être empruntés aux
ouvrages des aliénistes.
Tout ceci montre qu'une seule mémoire peut embrasser
différents états sans que ces états soient considérés par
l'individu comme faisant partie d'une seule personnalité.
Le jugement qui unifie ces états ne se produit pas. L'indi-
vidu ne les reconnaît pas tous pour siens, il n'y retrouve pas
la marque de sa personnalité. Pourquoi? Nous ne le savons
pas au juste, et nous ne pouvons faire que des conjectures.
Sans doute, il y a une manière de sentir et d'agir qui est
propre à chacun de nous; nous avons nos affections, nos
goûts et nos désirs; nous avons même notre façon de
percevoir, de juger, de raisonner, en un mot de penser;
le somnambule en se représentant la période d'existence
de son état de veille n'y retrouve ni les sentiments ni les
pensées ni les actes de la vie somnambulique; malgré la
mémoire qui les unit, une scission se fait entre ces deux
parties d'une même existence, et la somnambule arrive
A. BiKET. 21
322 LES EXPÉRIENCES DE SUGGESTION
à cette conclusion : ce n'est pas moi qui ai fait tous ces
actes qu'on me rappelle, ce n'est pas moi qui porte ce nom
par lequel on me désigne, c'est une autre.
Il reste à indiquer la plus importante conclusion de ces
études. Nous voulons parler des limites de la conscience.
On a admis souvent jusqu'ici que la conscience détermine
elle-même ses limites, et que là où elle cesse il n'y a plus
que des processus physiologiques. L'activité nerveuse de
chacun de nous serait donc de deux espèces : l'une lumi-
neuse, consciente d'elle-même; l'autre aveugle, dépourvue
de conscience et réduite à des changements matériels qui
s'accompliraient dans les cellules et les fibres composant
les centres nerveux. On a même fait mainte hypothèse sur
ces points, et il est inutile de rappeler les théories de Car-
penter, de Maudsley et de Huxley sur la cérébration incon-
sciente. Nous en avons du reste déjà dit quelques mots. Il
y a lieu, semble-t-il, de reviser ces théories, qui ne sont
rien moins que définitives. Un grand nombre de théories
physiologiques ou psycho-physiologiques sont devenues
insensiblement classiques, sans avoir jamais pu justifier de
preuves suffisantes; à force de les répéter, on leur a donné
de l'autorité; il en est ainsi pour le schéma bien connu de
l'activité nerveuse, qui ne repose sur aucune donnée his-
tologique, et qui est même démenti par les faits histo-
logiques récents; il en sera de même, nous en avons la
présomption, pour l'hypothèse de la cérébration incon-
sciente.
Cette hypothèse ne repose que sur le témoignage de la
conscience, et ce témoignage doit être tenu pour fort sus-
pect. Nous avons dit que l'oubli est souvent purement
relatif, vrai seulement d'une condition mentale particu-
lière, et non pour une condition mentale différente; nous
avons vu également que l'inconscience n'existe qu'au
regard d'une certaine personnalité, et cesse pour une
autre synthèse de phénomènes. En un mot, il peut y
avoir chez un môme individu, pluralité de mémoires,
pluralité de consciences, pluralité de personnalités; et
CONCLUSION 323
chacune de ces mémoires, de ces consciences, de ces per-
sonnalités ne connaît que ce qui se passe sur son terri-
toire. En dehors de notre conscience, il peut se produire
en nous des pensées conscientes que nous ignorons; fixer
la nature, l'importance, l'étendue de ces consciences nou,s
paraît impossible pour le moment; il se peut que la con-
science soit le privilège de certains de nos actes psychi-
ques; il se peut aussi qu'elle soit partout dans notre orga-
nisme; il se peut même qu'elle accompagne toutes les
manifestations de la vie.
FIN
/•^0^i^^.:^>»^ y^^l^^^^^i.,^^ ^1^^^^
/2U^^^>*^^'<;2^^C^ a^^^^^^r^^^L.-i^-/^'^^ J^^^f^^^i^^^ ^
Introduction vu "^L*^-"^
PREMIÈRE PARTIE t^sc^^
(k , V 5 «* t-es personnalités successives.
^ ^ T J ^^^^
/f^HAMTREfi I-X~ Les somnambulismes spontanés . '^^
A^ A- «y^x — Les somnambulismes spontanés (suite) ^^ ^
tltl — Les somnambulismes provoqués 67^^^^-!*^
-^^. ^ vj DEUXIÈME PARTIE ^^
^'^ («^ Les personnalités coexistantes. /7Z^^~^ -^^ ^
fPiTRE f4L — L'insensibilité des hystériques. — Les actes sub- ^^
conscients de répétition 81 ^^cj.
•il. — L'insensibilité des hystériques (suite). — Les actes ^^^-^^^
subconscients d'adaptation 99 .
^, ,1IL — L'insensibilité des hystériques (suite). — Caractères /.
^ ^ « généraux des actes subconscients 110 '^y:^^^
^ S^/. ^IV. — L'insensibilité des hystériques (suite et lin). — Le ^^^^L
^_ «J I \f T\ seuil de la conscience 122-^/'
^ K J V. — La distraction 126'^--^>2^
^ A — ^ \^^- — Les actions volontaires et inconscientes 140 ^
H \ — ■ '^ Wll. — • L'écriture automatique chez les hystériques 170 J^
\^ — V VIIL — Les idées d'origine subconsciente 183 ^^,^^
^ ^ — V. VlX. — La pluralité des consciences chez les sujets sains.. 197 ^- ^
A ■** 1 \ TROISIEME PARTIE
*" OdLes "itérations de la personnalité dans les expériences
'i ^ A ^ de suggestion. î2!^»y^
•^^pitmeIn I. — Les personnalités fictives créées par suggestion... 223
\J 4k~"Ç/)\\ ^^* ~~ ^^ rappel des personnalités anciennes par sug- *. -^
iS^ •^ gestion 236^^--^^
» WV— ^> wIL — Suggestions d'actes 245
"?)s^ — Y i^lV. — Les suggestions à point de repère inconscient. — ^^
^^ T L Les hallucinations 252(^ ^^j;
^ , — \^^^' — Les suggestions à point de repère inconscient (suite). ***-<-<,
*> ^ y/û — La mesure du temps ^^^ y^Y %^
'^— $'*^'^^I- — L'anesthésie systématique 265 ^^-"^'^«iîi
N— \ VIL — Le dédoublement de la personnalité et le spiritisme. 293
^-^ VIIL — Conclusion 312^/^
LIBRAIRIE FÉLIX ALCAN
BIBLIOTHEQUE
SCIENTIFIQUE INTERNATIONALE
PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION
DE M. ÉM. ALGLAVE
Volumes in-8, reliés en toile anglaise. — Prix : 6 fr.
Avec reliure d'amateur, tranche sup. dorée, dos et coins en veau. 10 fr.
J. Tyndall. Les glaciers et les tr.\nsformations de l'eau, suivis d'une
étude de M. Hebnholtz sur le même sujet, avec 8 planches tirées
à part et nombreuses figures dans le texte, 5^ édition. . . 6 fr.
Bagehot. Lois scientifiques du développement des nations. Se édit. 0 fr.
J. Marey. La machine animale, locomotion terrestre et aérienne, avec
117 figures dans le texte. 5" édition augmentée 0 fr.
A. Bain. L'esprit et le corps considérés au point de vue de leurs
relations, avec figures. 5" édition G fr.
PettigTe"W. La locomotion chez les animaux, avec 130 fig. 2" édit. 6 fr.
Herbert Spencer. Introduction a la science sociale. 9"^ édit. (i fr.
O. Schmidt. Descendance et darwinisme, avec fig. 6® édit. . . 0 fr.
H. Maudsley. Le crime et la folie. 6" édition 6 fr.
P.-J. Van Beneden. Les commensaux et les parasites dans le règne
animal, avec 83 figures dans le texte. 3« édition 0 fr.
Balfour Stewarî. La conservation de l'énergie, suivie d'une étude
sur La nature de la force, par P. de Saint-Robert. 5*^ édition. 6 fr.
Draper. Les conflits de la science et de la religion. Se édition. 6 fr.
Léon Dumont. Théorie scientifique de la sensibilité. 4"^ édit. 6 fr.
Schutzenberger. Les fermentations, avec 28 figures. 5^ édition. 6 fr.
Whitney. La vie du langage. 3« édition 6 fr.
Cooke et Berkeley. Les champignons, avec 110 figures. 4« édit. 6 fr.
Bernstein. Les sens, avec 91 figures dans le texte. 4'= édition. . 6 fr.
Bertbelot. La synthèse chimique. 6« édition 6 fr.
Luys. Le cerveau et ses fonctions, avec figures. 6^ édition, . . G fr,
W. Stanley Jevons. La monnaie et le mécanisme de l'échange. 5^ édi-
tion .... 6 fr.
Fuchs. Les volcans et les tremblements de terre, avec 30 figures dans
le texte et une carte en couleurs. 4;« édition G fr.
Général Brialmont. La défense des Etats et les camps retranchés,
avec nombreuses figures et deux planches hors texte. 3" édit. G fr.
A. de Quatrefages. L'espèce humaine. 10^ édition 6 fr.
Blaserna et Helmholtz. Le son et la musique, avec 50 figures dans
le texte. 4-e édition , . . . . G fr.
Rosenthal. Les muscles et les nerfs, avec 75 fig. 3^ édit. ... G fr.
Brucke et Helmholtz. Principes scientifiques des beaux-arts, suivis
de L'optique et la peinture, avec 39 figures. 3^ édition. ... G fr,
Wurtz. La théorie atomique, avec une planche. G« édit. ... G fr,
Secchi. Les étoiles. 2 vol., avec 60 figures dans le texte et 17 planches
en noir et en couleurs, tirées hors texte. 2e édition 12 fr.
N. Joly. L'homme avant les métaux. Avec 150 figures. 4^ édition. G fr.
A. Bain. La science de l'éducation. 7^ édition G fr.
Thurston. Histoire de la machine a vapeur, revue, annotée et aug-
mentée d'une Introduction par .7. Hirsch, avec 140 figures dans le
texte, 16 planches tirées à part et nombreux culs-de-lampe. 3^ édition.
2 vol 12 fr.
R. Hartmann. Les peuples de l'Afrique, avec 91 fl.gures et une carte
des races africaines. 2« édition G_ fr.
Herbert Spencer. Les bases de la morale évolutio.nniste. 4^ édi-
tion G fr.
— II —
Th.. -H. Huxley. L'écrevisse, introduction à l'étude de la zoologie,
avec 82 figures 0 fp.
De Roberty. La sociologie. 1 vol in-8, 2« édition 0 fr.
O.-N. Rood. Théorie scientifique des couleurs et leurs applications à
Part et à l'industrie, avec 130 figures dans le texte et une planche
en couleurs 6 fr.
G. de Saporta et Marion. L'évolution du règne végétal. Les crypto-
games, avec 85 figures dans le texte (3 fr.
Charlton Bastian. Le système nerveux et la pensée, 2 vol., avec
d84 flg. dans le texte. 2" édition 12 fr.
James Sully. Les illusions des sens et de l'esprit. 2° édition. G fr.
Alph. de CandoUe. L'origine des plantes cultivées. 3» édition. 6 fr.
Young. Le soleil, avec 86 figures 6 fr.
J. Lubbock. Les fourmis, les abeilles et les guêpes, 2 vol., avec 05 fig.
dans le texte et 13 planches hors texte dont 5 en couleurs. . 12 fr.
Ed. Perrier. La philosophie zoologique avant Darwin. 2" éd. . . 6 fr.
Stallo. La matière et la physique moderne. ''2'^ édition 6 fr.
Mantegazza. La physionomie et l'expression des sentiments, avec
8 planches hors texte. 2° édition 6 fr.
De Meyer. Les organes de la parole, avec 51 figures. ... G fr.
DeLanessan. Introduction a la botanique. Le sapin, avec fig. 2'' éd. 6 fr.
G. de Saporta et Marion. L'évolution du règme végétal. Les pha-
nérogames. 2 vol., avec 136 figures 12 fr.
E. Trouessart. Les microbes, les ferments et les moisissures, avec
107 fig. dans le texte. 2'^' édition 6 fr.
R.Hartmann. Les singes anthropoïdes, et leur organisation comparée
à celle de l'homme, avec 63 fig. dans le texte 6 fr,
O. Schmidt. Les mammifères dans leurs rapports avec leurs ancêtres
géologiques, avec 51 fig. dans le texte G fr.
Binet et Féré. Le magnétisme animal, avec figures dans le texte.
3« édition G fr.
Romanes. L'intelligence des animaux. 2 vol. 2° édition. . . 12 fr.
C. Dreyfus. L'évolution des mondes et des sociétés. 2^ édition. G fr.
F. Lagrange. Physiologie des exercices du corps. 5"^ édition, G fr.
Daubrée. Les régions invisibles du globe et des espaces célestes, avec
78 figures dans le texte G fr.
Sir J. Lubbock. L'homme préhistorique. 2 vol., avec 228 flg., dans
le texte, 3^ édition 12 fr.
Ch. Richet. La chaleur animale, avec graphiques dans le texte. 6 fr.
Faisan. La période glaciaire, étudiée principalement en France et en
Suisse, avec 105 flg. dans le texte et 2 cartes 6 fr.
H. Beaunis. Les sensations internes G fr.
Cartailhac. La France préhistorique, d'après les sépultures et les
monuments, avec 162 figures G fr.
Berthelot. La révolution chimique, Lavoisier G fr.
Sir J. Lubbock. Les sens, l'instinct et l'intelligence des animaux,
PRINCIPALEMENT CHEZ LES INSECTES, aVCC Vlg. danS IC ICXlC. . . G fr.
Starcke. La famille primitive G fr.
Arloing. Les virus, avec fig. dans le texte G fr.
Topinard. L'homme dans la nature, avec figure- 0 fr.
De Quatrefages. Darwin et ses pnÉcuRSEuns français (i IV.
De Quatrefages. Les continuatei:rs de Darwin (i fr.
A. Lefevre. Les races et i.ics i..\.m;i:i:s. {Smn^ presse.)
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RIBOT fTli.j. La psyeliolo<;ie de raUeiilioii. \ vol. in-lS. . . 2 fr. Ijl)
ANCIENNE LIBRAIRIE GERMER BAILLIERE ET C^
FÉLIX ALGAN, Éditeur
MEDECINE - SCIENCES
CATALOGUE
DES
Livres de Fonds
TABLE DES MATIÈRES
Bibliothèque scientifiûue in-
ternationale 2
KécENTES PUBLICATIONS MEDI-
CALES ET SCIENTIFIQUES :
Pathologie et thérapeutique mé-
dicales 6
Pathologie et thérapeutique chi-
rurgicales 7
Thérapeutique, pharmacie, hy-
giène 9
Anatomie, physiologie, histologie. 10
Maladies mentales et nerveuses. 12
Physique, chimie 13
Histoire naturelle. . , U
Anthropologie 15
Magnétisme, hypnotisme, sciep-
ces occultes 15
Histoire des sciences. 17
Pages
Bibliothèque de l'étudiant
en médecine 18
Livres scientifiques et médi-
caux NON CLASSÉS DANS LES
SÉRIES PRÉCÉDENTES , par
ordre alphabétique de noms
d'auteurs : 20
Publications périodiques :
Revue de médecine 31
Revue de chirurgie 31
Archives italiennes de biologie. 31
Journal de l'Anatomie 31
Recueil d'ophthalmologie. ...... 32
Annales d'hydrologie 32
Annales des sciences psychi-
ques .'. ! 32
Revue mensuelle d'anthropolo-
gie .... . 32
Revue médicale de l'Est 32
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CE CATALOGUE ANNULE LES PRECEDENTS
On peut se procurer tous les ouvrages
qui se trouvent dans ce Catalogue par l'intermédiaire des libraires
de France et de l'Étranger.
On peut également les recevoir franco par la poste,
sans augmentation des prix désignés, en joignant à la demande
des TIMBRES-POSTE FRANÇAIS OU uu mandAt suk Paris
PARIS
108, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 108
Au coin de la rue Uautefeuille.
JANVIER 1892
BIBLIOTHÈQUE SCIENTIFIQUE
INTERNATIONALE
Publiée sous la direction de M. Emile ALGLAVE
La Bibliothèque scientifique internationale est une œuvre dirigée
par les auteurs mêmes, en vue des intérêts de la science, pour la po-
pulariser sous toutes ses formes, et faire connaître immédiatement dans
le monde entier les idées originales, les directions nouvelles, les
découvertes importantes' qui se font ciiaque jour dans tous les pays.
Chaque savant expose les idées qu'il a introduites dans la science et
condense pour ainsi dire ses doctrines les plus originales.
On peut ainsi, sans quitter la France, assister et participer au mou-
vement des esprits en Angleterre, en Allemagne, en Amérique^ en
Italie, tout aussi bien que les savants mêmes de chacun de ces pays.
La Bibliothèque scientifique internationale ne comprend pas seule-
ment des ouvrages consacrés aux sciences pliysiques et naturelles, elle
aborde aussi les sciejices morales, comme la philosophie, l'histoire,
la politique et l'économie sociale, la haute législation, etc.; mais les
livres traitant des sujets de ce genre se rattachent encore aux sciences
naturelles, en leur empruntant les méthodes d'observation et d'expé-
rience qui les ont rendues si fécondes depuis deux siècles.
Cette collection paraît à la fois en français, en anglais, en alle-
mand et en italien : à Paris, chez Félix Alcan; à Londres, chez
C. Kegan, Paul et G'^ ; à New- York, chez Appleton ; à Leipzig, chez
Brockhaus ; à Milan, chez Dumolard frères.
LISTE DES OUVRAGES PAR ORDRE D'APPARITION (D
73 VOLUMES IN-8, CARTONNÉS A l'anglaise, CHAQUE VOLUME : 6 FRANCS.
1. J. TYNDALL. * Lcm Cilaeier« et les Tranarormatlons de l'e*n.
avec figures. 1 vol. in-8. 5« édition. (V. P.) 6 fr.
2. BàGëHOT. * fiOlM «elentlllqaes du déTeloppement des nations
dans leurs rapports avec les principes de la sélection naturelle et de
l'hérédité. 1 vol. in-8. 5« édition. 6 fr.
3. M VREY. * lia Machine animeile, locomotion terrestre et aérienne,
avec de nombreuses fijf. 4 vol. in-8. 5* édit. augmentée. (V. P.) 6 fr.
4. BAIN. ^ li'Eflprlt et le Oorpa. i vol. in 8. 5' édition. 6 fr.
5. PETTIGREW. * I^a JLoeoniotlon ehea le« anlmanx, marche, natation,
1 vol. in-8, avec figures. 2" édit. 6 fr.
S. H i;RBËRT spencer.* I.a Science sociale. 1 v. in-8. 9* édit. (Y. P.) 6 fr.
7. SCHMIDT (0.). * Lm Descendance de riionime et 1« Darwinisme.
1 vol. in-8, avec fig. 5* édition. 6 fr.
8. MADDSLËY. * f.e Crime et la Folie. 1 vol. in-8. 5° édit. 6 fr.
9. YAN BËNEDEN. * i,es Commensaux et les Parasites dans le
rècne animal. 1 vol. in-8, avec figures. 3* édit. (Y. P.) 6 fr.
10. BALPOUR STEWâRT. f.a Conservation de l'énergie, suivi d'une
Etude sur la nature de la force, par M. P. de Saint-Robert, avec
figures. 1 vol. in-8. 5' édition. 6 fr.
11. DRAPER. I.es Confllls de la science et de la relislon. 1 vol.
in-8. 8« édition. 6 fr.
12. L. DUMONT. * Théorie selentlflqae de la sensibilité. 1 vol. in-8.
i" édition. 6 fr.
(1) Lfis titrcH ni,iniii(!sd'iin astérisque ont 6U\ ailoplii.s par lu Ministère de l'Inslruclion
pilblique pour lf;s Hibliolhcqiios et les distriliutions ([<• prix dos Lycées et Collèges. L'^s
titres inaripids V. 1'. sont adojilcs pour les dislributioiis de prix et les bibliollicqucs do la
ville de Paris.
13. SCHUTZENBERGER. Cea Fermentation*. 1 vol. in-8, avec ûg.
58 édition. 6 fr.
14. WHITNEY. * I.a TIe dn lansase. 1 vol. in-8. 3» édit. (V. P.) 6 fr.
16. COOKE et BERKELEY. I.e« Champignons. 1 vol. in-S, avec figures.
4^ édition. 6 fr.
16. BERNSTEIN. * tea Sens. 1 vol. in-8, avec 91 fig, 4^ édit. (V. P.) 6 fr.
17. BERTHELOT. *E,a Synthèse eiilmiqne. 1vol. in-8. 6«édit.(V. P.) 6 fr.
18. VOGEL. * lia PbotoKraptaie et la Chimie de la lumière, avec
95 figures. 1 vol. in-8. 4^ édition. (V. P.) 6 fr.
19. LUYS. lie * Cerveau et ses fonetions, avec figures. 1 vol. in-8.
6« édition. (V.P.) 6 fr,
20. STANLEY JEVONS.* La Monnaie et le Héeanlsme de l'échange.
1 vol. in-8. 4» édition. (V. P.) 6 fr,
SI. FUCHS. * Les Tolcans et les Tremblements de terre. 1 vol. in-8,
avec figures et une carte en couleur. 4'' édition. (V, P.) 6 fr.
22. GÉNÉRAL 6RIALM0NT. * Les Camps i;etranehés et lenr rôle
dans la défense des États, avec fig. dans le texte et 2 plan-
ches hors texte. 3^ édit. 6 fr.
23. DE QUATREFÂGES. * L'Espèce humaine. 1 vol. in-8. 10* édition.
(V. P.) 6 fr.
24. BLÂSERNÂ et HELMHOLTZ. * Le Son et la Musique. 1 vol. in-8,
avec figures. 4^ édition, (V. P.) 6 fr.
25. ROSENTHAL. * Les Wferfs et les Muscles. 1 vol. in-8, avec 75 figu-
res. 3« édition. (V. P.) 6 fr.
26. BRUCKE et HELMHOLTZ. * Principes scientiOqnes des beaux-
arts. 1 vol. in-8, avec 39 figures. 3^ édition. (V. P.) 6 fr.
27. WURTZ. * La Théorie atomique. 1 vol. in-8. 5« édition. (V. P.) 6 fr.
28-29. SECCHl (le père). * Les Étoiles. 2 vol. in-8, avec 63 figures dans le
texte et 17 planches en noir et en couleur hors texte. 2« édition
(V. P.) 12 fr.
30. JOLY.* L'Homme avant les métaux. 1 vol. in-8, avec figures. 4^ édi-
tion. (V.P.) 6fr.
31. A. BAIN.* LaSciencedel'éducation. lvoLin-8.7«édit.(V. P.) 6 fr.
32-33. THURSTON (R.) * .Histoire de la machine à vapeur, précédée
d'une Introduction par M. Hirsch. 2 vol. in-8, avec 140 figures dans
le texte et 16 planches hors texte. 3« édition. (V. P.) 12 fr.
34. HARTMANN (R.). Les Peuples de l'Afrique. 1 vol. in-8, avec
figures. 2» édition. (V, P.) 6 fr.
35. HERBERT SPENCER. Les Bases de la morale évolutionnlste.
1 vol. in-8. 4« édition. 6 fr.
36. HUXLEY. L'Écrevisse, introduction à l'étude de la zoologie. 1 vol.
in-8, avec figures. 6 fr.
37. DE ROBERTY. De la Sociologie. 1 vol. in-8. 2« édition. 6 fr.
38. ROOD. Théorie scientlOque des couleurs. 1 vol. in-8, avec
figures et une planche en couleur hors texte. (V. P.) 6 f r.
39. DE SAPORTA et MARION. L'Évolution dn règne végétal (les Crypto.
games). 1 vol. in-8 avec figures. (V. P.) 6 fr.
40-41. CHARLTON BASTIAN. Le Cerveau, organe de la pensée chn
l'bommeetcheziesanimaax. 2vol. in-8, avec figures. 2^éd. 12 fr.
42. JAMES SULLY. Les Illusions des sens et de l'esprit. 1 vol. in-8,
avec figures. 2* édit. (Y. P.) 6 fr.
43. YOUNG. Le Soleil. 1 vol. in-8, avec figures. (Y. P.) 6 fr.
44. De CANDOLLE. L'Origine des plantes cultivées. 3« édition. 1 vol.
in-8. (V. P.) 6fr.
45-46. SIR JOHN LUBBOCK. Fourmis, abeilles et guêpes. Études
expérimentales sur l'organisation et les mœurs des sociétés d'insectes
hyménoptères. 2 vol. in-8, avec 65 figures dans le texte et 13 plan-
ches hors texte, dont 6 coloriées. (V. P.) 12 fr.
_ 4 —
47. PERRIER (Edm.). I^a Philosophie zoologlque avant Oarwin.
1 vol. in-8. 2» édition, (V. P.) 6 fr.
a^. STALLO. I.a Matière et la PhyMqae moderne. 1 vol. in-8, 2« éd.
précédé d'une Introduction par Friedel. 6 fr.
^9. MA.NTEGAZZA. lia Physionomie et l'Expression des sentiments.
1 vol. in-8. 2^ édit., avec huit planches hors texte. 6 fr.
60. DE MEYER. lies Organes de la parole et lenr emploi poar
la formation des sons du langage. 1 vol. in-8, avec 51 figures,
traduit de l'allemand et précédé d'une Introduction par M. 0. Cla-
veau. , ^/'■•
51. DE LANESSAN, Introduction à l'Étude de la botanique (le Sapin).
1 vol. in-8, 2" édit., avec 143 figures dans le texte. (V. P.) 6 fr.
52-53. DE SAPORTA et MARION. li'évolution du règne végétal (les
Phanérogames). 2 vol. in-8, avec 136 figures. 12 fr.
54. TROUESSART. lies Microbes, les Ferments et les Moisissures.
1 vol. in-8, 2« édit., avec 107 figures dans le texte. (V: P.) 6 fr.
65. HARTMANN (R.). lies Singes anthropoïdes, et leur organisation
comparée à celle de l'homme. 1 vol. in-8, avec 63 figures dans
le texte. 6 fr.
56 SCHMIDT (0.). lies Mammifères dans leurs rapports avec leurs
ancêtres géologiques. 1 vol. in-8 avec 51 figures. 6 fr.
67. BINET etFÉRÉ. I-e Magnétisme animal. 1 vol. in-8, avec figures.
3« édit. , .6. ^^^
58-59 ROMANES. li' intelligence des animaux. 2 vol. in-8. 2" édition.
(V. P.) \^ iT-
60. F.LAGRANGE. Physiologie des exercices du corps. 1 vol. in-8.
à^ édition (V. P.) 6 fr.
61. DREYFUS (Camille). Évolution des mondes et des sociétés. 1 vol.
iQ-8. 2« édit. 6 fr.
62. DAUBRÉE liCS régions Invisibles du globe et des espaces
célestes. 1 vol. in-8 avec 78 grav. dans le texte. 2« éd. (V. P.) 6 fr.
63-64. SIR JOHN LUBBOCK. * li'homme préhistorique. 2 vol. in-8.
avec 228 gravures dans le texte. 3« édit. 12 fr.
65. RICHET (Ch.). lia chaleur animale. 1 vol. in-8, avec figures. 6 fr.
66. FALSAN. (A.). lia période glaciaire principalement en France et
en Suisse. 1 vol. in-8, avec 105 grav. et 2 cartes, (V. P.) 6 fr.
67. BEAUNIS (H.). l.es Sensations internes. 1 vol. in-8. 6 fr,
68. CARTAILHAC (E.). lia France préhistorique, d'après les sépultures
et les monuments. 1 vol. in-8, avec 162 gravures. (V. P.) 6 fr.
69. BERTHELOT. * lia Révolution chimique, liavoisier. 1 vol. in-8
avec gravures. " ""•
70. SIR JOHN LUBBOCK. * I-es sens et l'instinct chc» les animaux,
principalement chez les insectes. 1 vol. in-8, avec 150 grav. 6 fr.
71. STARCKE. * lia famille primitive. 1 vol, in-8. 6 fr.
72. ARLOING, * liCs virus. 1 vol. in-8, avec fig. 6 fr.
73. TOPINARD li'oom me dans la Halure. 1vol. in-8, avec fi^'. 1892. 6 fr.
OUVRAGES SUR LE POINT DE PARAITRE :
BINET (Alf.). liCS altérations do la personnalité. 1 vol. in-8, avec fig.
DE QUATREFAGES (Ch.). Darwin et ses précurseurs français. 1 vol.
iri-S". 2« édition refondue.
GUIGNET. Poteries, verres et émaux. 1 vol., avec gravures.
ANDRÉ fCh.). liC système solaire. 1 vol. in-8., avec gravures.
KUNCKEL D'HERCULAIS. Les sauterelles. 1 vol., avec gravures.
ROMIEUX. liB topographie et la géologie. 1 vol., avec grav, et cartes.
MO.ITILLET (de). L'Origine de l'homme. 1 vol., avec figures.
PERRIER (E.). li'Embryogénie générale. 1 vol., avec figures.
LACA8SAGNE. Lcm Criminels. 1 vol., avec figures.
POUCHET (G ). La forme et la vie. 1 vol., avec figures.
6ERTILL0N. La démographie. 1 vol.
CARTAILHAC. Les Gaulois. 1 voU, avec gravures.
— 5 —
LISTE PAR ORDRE DE MATIÈRES DES VOLUMES
COMPOSANT LA
BIBLIOTHÈQUE
SCIENTIFIQUE INTERNATIONALE
(•73 volumes parns)
PHYSIOLOGIE
BiNET et FÉRÉ. Le Magnétisme animal, illustré.
Bernstein. Les Sens, illustré.
Marey. La Macliirie animale, illustré.
Pettigrew. La Locomotion chez les animaux, ill.
Rosenthal. Les Nerfs et les Muscles, illustré.
James Sully. Les Illusions des Sens et de l'Es-
prit, illustré.
De M«;yer. Les Organes de la parole, illustré.
Lagrange. Physiologie des exercices du corps.
RiCHET (Ch.). La chaleur animale, illustré.
Beaunis. Les sensations internes.
Arloing. Le Virus, illustré.
PHILOSOPHIE SCIENTIFIQUE"
Romanes. L'Intelligence des animaux. 2 vol. illust.
LUYS. Le Cerveau et ses fonctions, illustré.
Charlton Bastian. Le Cerveau et la Pensée chez
l'homme et les animaux. 2 vol. illustrés.
Bain. L'Esprit et le Corps.
Maudsley. Le Crime et la Folie.
LÉON DuMONT. Théorie scientifique de la sensi-
bilité .
Perrier. La Philosophie zoologique avant Darwin.
Stallo. La Matière et la Physique moderne.
Mantegazza. La Physionomie et l'expression des
sentiments, illustré.
Dreyfus. L'Évolution des mondes et des sociétés.
LUBBOCK. Les Sens et l'Instinct chez Tes animaux,
illustré.
ANTHROPOLOGIE
De Quatrefages. L'Espèce humaine.
JOLY. L'Homme avant les métaux, illustré.
LuBBOCK. L'Homme préhistorique, 2 vol. illustrés.
Hartmann. Les Peuples de l'Afrique, illustré.
Cartailîiac. La France préhistorique, illustré.
TOPINARD. L'homme dans la nature, ilktstré.
ZOOLOGIE
ScHMiDT. Les Mammifères dans leurs rapports avec
leurs ancêtres géologiques, illustré.
, ScHMiDT. Descendance et Darwinisme, illustré.
Huxley. L'Écrevisse (introduction à la zoologie), ill.
Van Beneden. Les Commensaux et les Parasites
du règne animal, illustré.
LUBBOCK. Fourmis, Abeilles et Guêpes. 2 vol.
illustrés.
Trouessart. Les Microbes, les Ferments et les
Moisissures, illustrés.
Hartmann. Les Singes anthropoïdes et leur orga-
nisation comparée à celle de l'homme, illustré.
règne
BOTANIQUE — GEOLOGIE
De Saporta et Marion. L'Évolulion du
végéta) (les Cryptogames), illustré.
De Saporta et Marion. L'Évolution du règne
végétal (les-Phanérogames). 2 vol. illustrés.
C00KE et Berkeley. Les Champignons, illustré.
De Candolle. Origine des Plantes cultivées.
De Lanessan. Le Sapin (iniroduction à la bota-
nique), illustré.
FucHS. Volcans et Tremblements de terre, illitstré.
Daubrée. Les Régions invisibles du globe et des
Espaces célestes.
CHIMIE
WURTZ. La Théorie atomique.
Berthelot. La Synthèse chimique.
Berthelot. La Révolution chimique, Lavoisier.
SCHUTZENBERGER. Les Fermentations, illustré.
ASTRONOMIE— MÉCANIQUE
Secchi (le Père). Les Étoiles. 2 vol. illustrés.
YouNG. Le Soleil, illustré.
Thurston. Histoire de la Machine à vapeur. 2 vol.
illustrés.
PHYSIQUE
Balpour Stewart. La Conservation de l'énergie,
illustré.-
Tyndall. Les Glaciers et les Transformations de
l'eau, illustré.
Falsan. La période glaciaire, illustré.
VOGEL. Photographie et Chimie de la lumière, illust.
THÉORIE DES BEAUX-ARTS
Brucke et Helmholtz. Principes scientifiques des
Beaux-Arts, illustré.
RooD. Théorie scientifique des couleurs, illustré.
P. Blaserna el Helmholtz. Le Son et la Musique,
illustré.
SCIENCES SOCIALES
Herbert Spencer. Introduction à la science
sociale.
Herbert Spencer. Les Bases de la Morale évol'u-
tionniste.
A. Bain. La Science de l'éducation.
Bagehot. Lois scientifiques du développement des
nations.
De Roberty. La Sociologie.
Draper. Les Conflits de la science et do la religion.
Stanley Jevons. La Monnaie et le Mécanisme de
l'échange.
Brialmont (le général). La Défense des États el
les Camps retranchés, illustré.
Whitney. La Vie du langage.
Starcke. ~La Famille primitive, ses origines, son
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D"" LÉCORCHÉ. 1 vol. gr. in-8, avec grav. dans le texte. Sous presse.
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DURAND-FARDEL. £,es eaux minérales et les maladies cbro-
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l'appareil respiratoire. 1 fort vol. gr. in-8. 1884. ICft-.
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et de ses annexes, de Vappareil génito-urinaire, de Vappareil de^
l'ouïe, maladies de la peau- 1 fort vol. gr. in-8. 1887. T4!fr.
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chirurgicales générales, traduit de l'allemand par M. le dbtteur
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1886. 1 fort vol. gr. in-8, avec 180 fig. dans le texte. J2.0 fr.
BOECKEL (Jules). Sur les Uystes hydatiques du rein au i^oint
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BOECKEL (Jules). Oe la résection, du genou, étude basée sur
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BOECKEL (Jules). »es Uystes du pancréas, chirurgie du. pan-
créas. 1 vol. in-8. 1891. f.^"^-
DELATTRE (G. -A.). Traité de dystocie pratique. 1886. 1 volf^îh-8,
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DELBET. ou traitement des anévrysmes. 1 vol. in-8. 1889. 5 fr.
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les parties du corps : lésions inflammatoires, traumatiques; lésions
consécutives au traumatisme ou à l'inflamm^Uion. Maladies virulentes.
Tumeurs. — Affections des divers tissus et systèmes qrganiques.
Affections du tissu ceflulaire, maladies des bourses séreuses. Affections
de la peau, «les veines, d'^s artères, des ganglions lymphatiques, des
nerfs, des muscles, des tendons, des os.
Tome deuxième. 1 vol. in-18. 8 fr.
Maladies des articulations. — Affections des régions et appareils
organiques : affections du crâne et du cerveau, du rachis, maladies
de l'appareil olfactif, de l'appareil auditif, de l'appareil de la vision.
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Malad. de l'appareil delà vision (suite), de la fai'e, des lèvres, des dents.
Tome QUATRIÈME, par MM. Terrier, Broca et Hartmann. 1 vol. in-18.
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Maladies des gencives, des maxillaires, de la langue, de la région
; parotidienne, des amygdales, de l'œsophage, des voies aériennes, du
larynx, de la trachée, du corps thyroïde, du cou, de la poitrine, du
.iîsein, delamamille, etc.
Tomes cinqdièjâe et sixième terminant l'ouvrage. Sous presse.
LE FORT. La «orographie cranio-céréhrale, applications chirur-
gicales. 1 vo!':?if-8, avecfig., 2^ édition. Sous presse.
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' l'anglais par M. le docteur JL.-H. Petit, et précédées d'une Intro-
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MEYER (H. de). Eies organes de la parole et leur emploi pour la
formation des sons, du langage 1 vol. in-8. 1884. iS fr.
MOSSO. £,a peur, étude psycho-physiologique, traduit de l'italien par
M. F. HÉMENT. 1886. 1 vol. in-18, avec fig. dans le texte. 2 fr., 50
MOSSO. l,a fatigue, étude psycho-phjsiologique, traduit de l'italien,
par le docteur Langlois, 1 vol. in-18. {Sous. presseJ)
PREYER. Éléments de physiologie générale, traduit de ralle-
mandparM. Jules Soury. 1 vol. in-8, 1884. 5 fr.
REITERER (Ed.). Développement du squelette des extrémités
et des productions cornées ehex les mammifères. 1 vol. in-8,
avec 4 pi. hors texte, 1885. 4 fr.
RICHëT (Ch.). Physiologie des muscles et des nerfs^ 1 fort
vol. in-8. 1882. 15 fr.
RICHET(Ch.). Essai de psychologie générale.! v. in-18. 2fr.50
RICHET(Ch.).I.a chaleur animale. 1 vol. in-8 avec fig. 1888. 6fr.
RICHET(Ch.). Du suc gastrique chez l'homme et chez les animaux.
1 vol. in-8, 1878, avec une planche hors texte. 4. fr. 50
RIGHET (Ch ) . structure des circonvolutions cérébrale» (thèse
de concours d'agrégation), ln-8. 1878. 5 fr.
RICHET (Ch.). Cours de physiologie. Programme sommaire. 1891.
1 vol. in-12. 3 fr.
SABOURIN (Ch.). Recherches sur l'anatomie normale et patho-
logique de la glande biliaire de l'homme. 1 vol. ini-8,, avec
233 figures dans le texte 1888. ^ 8 fr.
SERGI (G.). i.a psychologie physiologique. 1 vol. in-8,. avec 40 fig.
dans le texte. 1887. / 7 fr. 50
SERGUEYEFF. Physiologie de la veille et du sommeil, le som-
meil et le système nerveux. 2 forts vol. in-8. 1890. 20 fr.
SNELLEN. Échelle typographique pour mesurer l'acuité de la vi-
sion, par M. le docteur Snellen, médecin de l'hôpital Néerlandais
pour les maladies des yeux, à lUrecht. 4 fr.
SULLY (James). I^es illusions des sens et de l'esprit. 1 vol., in-8,
avec figures. 2" édit. 1888. Cart. 6 £r
VULPIAN. liCçons sur l'appareil vaso-moteur (physiologie et patho-
logie), recueillies par M. le docteur H. Carville. 2 vol. in-8. 18 fin.
WUNDT. Éléments de psychologie physiologique, traduits de
l'allemand par le M. docteur Rouvier. 1886. 2 forts vol. in-8, avec
nombreuses figures dans le texte. 20 fi".
12 —
Maladies nerveuses et mentales.
AUBRY. Va coutugiua du moiirfre. 1 vol. in-8. 1837. 3 fr, 50
AUBEK (Ed.). Hygiène des rciunics nerveuses, ou Conseils aux
femmes pour les époques critiques de leur vie. 1 vol. gr, iu-18. 3fr. 50
AXENFELD et IIUCHAIID. Traité dos névroses. 2« édition, augmentée
de 700 pages par Henri Huchard, médecin des hôpitaux. 1 fort. vol.
in-8, 1882. 20 fr.
AZAM. Le caractère dans la santé et la maladie. 1 vol. in-8,
avec une préface de M. Th. Ribot. 1887. U fr.
BIGOT (V.). Des périodes raisonnantes de l'aliénation luen-
tale. i vol. in-8. 10 fr.
BRIERRE DE BOISMONT. Des hallucinations, ou Histoire raisonnée
des apparitions, des visions, des songes, de l'extase, du magnétisme
et du somnambulisme. 3'^ édition très augmentée. 1 vol. ih-8. 7 fr.
CHARBONNIER. Maladies et facultés diverses des mystiques .
i vol. in-8. 0 fr.
CHEVALLIER (Paul). De la paralysie des nerfs vaso>nioteurs
dans Phémiplégie. In-8 de 50 pages 1 fr. 50
DÉJERINE. Sur l'atrophie musculaire des ataxiques (névrite
phériphérique des ataxiques), étude clinique et anatomo-pathologique.
1 vol. in-8. 1889. 3 fr.
DÉJERINE KLUMPKE (iM""). De.«t polynévrites et des paralysies et
atrophies satursiincs, étude clinique et analomo-palhologique.
1 vol. in-8. 1889. 6 fr.
FÉRÉ (Cil.). Du traitement des aliénés dans les familles. 1 vol.
in-18. 1839. 2 fr. 50
FÉRÉ (Ch.). Des épilepsies et des éplleptiques. 1 vol. gr. in-8
avec 67 gravures et 12 planches hors texte. 1890. 20 fr.
GURISËY, MYERS et POUMORE. L,es hallucinations télépathiques
traduit et abrégé des Phutitasms of the livinga par L. Marillier,"
avec une préface de M. Ch. Richet. 1 vol. in-8. 1891. 7 fr. 50.
ICARD. K,a feiuino pendant la période luenstruelle, étude de
psycholoiçie morbide et de médecine légale. 1 vol. in-8. 1890. 6 fr.
KOVALEVSKY. Uysiène et traitement des lualadics mentales
et nerveuses, i vol. in-8, traduit du russe par le D'' W. De Hols-
TEiN. 1890 5 fr.
LE'VILLAIN. nygiène des gens nerveux. 1 vol. in-18. 2® édit.
br. 3fr. 50, cait. à l'angl. 4 fr.
LANDOIJZY et DÉJERINE. De la myopathie atrophiquc progre.s-
sive (Myopathie héréditaire sans névropathie, débutant d'ordinaire
dans l'enfance par la face). 1 vol. in-8. 1885. 3 fr. 50
LOMBROSO. L'homme criminel (fou moral, criminel-né, épilep-
tique), élude anthropologique et médico-légale. 1 vol. in-8.
1887. 10 fr.
Atlas de 40 planches, accompagnant cet ouvrage. 12 fr.
MACAHIO. Des paralysies dynamiques ou nerveuses. In-S. 2 fr. 50
MANDOiN. Histoire critique de la folie instantanée, temporaire,
inilinctive. 1 vol. in-8. 3 fr. 50
MAUDbLEY. Le crime et la folie. 1 vol. in-8. 4« édit. 6 fr.
MAUDSLEY. La pathologie de Tesprit, traduit de l'anglais par
M. Germont. 1 vol. in-8. 10 fr.
MOREAU (de Tours). Traité pratique de la folie névropathiquc
1 vol. in-18. 3 fr. 50
PADIOLE\U (de Nantes). De la médecine morale dans le traite-
ment des maladies nerveuses. 1 vol. in-8 II fr. 50
RIBOT (Th.). Les maladies de la mémoire. 1 vol. in-18, 7« édi-
tion. 2 fr. 50
RIBOT (Th.). Les maladies de la volonté. 1 vol. in-18. 7" édi-
tion. 2 fr. 50
— 13 —
RIBOT (Th.). E,es maladies de la personnalité. 1 vol. in-18. 2« édi-
tion. 2 fr. 50
SOLLIER. Psychologie de l'idiot et de rimbéeile. 1 vol. irirS,
avec planches hors texte. 4891. 5 fr.
THULIÉ. La folie et la loi. 2« édit. 1 vol. in-8. 3 fr. 50
THOLIÉ. De la manie raisonnante du docteur Campagne.
ln-8. 2fr.
TISSIÉ (Ph.). Eics rêves, pathologie, physiologie, avec préface de M. le
Professeur Azam, 1 vol. in-18. 1890. 2 fr. 50
Physique. — Chimie.
BERTHELOT. Lasyntbèse chimique. In-8, Q^ édit. 1887. Cart. 6 fr.
BERTHLLOT. La Révolution chimique, Lavoisier, 1 vol. in-8,
avec gravures. 1890. cart. 6 fr.
BLASEKNA. Le son et la musique, suivi des Causes physiologiques de
r harmonie musicale, par H. Helmholtz. 4^ édit. 1 vol. in-8, avec fig.
Cart. 6 fr.
DUFËT. Cours élémentaire de physique. 1 vol. in-12, avec
643 figures dans le texte et une planche en couleurs. Cart. 6 fr.
FALSÂN. La période glaciaire principalement en France et en
iSuisse. 1 vol. irt-8, avec 105 gravures dans le texte et 2 planches
hors texte. 1889. Cart. 6 fr.
GRÉHANT. Manuel de physique médicale. 1 vol. in-18, avec
469 figures dans le texte. 6^ édit. augmentée. 1892. 7 fr.
GRIMAUX. Chimie organique élémentaire. 1 vol. in-18, avec
figures. ^ • 5 fr.
GRIMAUX. Chimie Inorganique élémentaire. 6° édit. augmentée.
1891. 1 vol. in-18, avec figures. 5 fr.
LE NOIR. Physique élémentaire. 1 vol. in-12. 2« édit. 1887, avec
455 figures dans le texte. 6 fr.
LE NOIR, Chimie élémentaire. 1 vol. in-12. 2« édit. 1887, avec
72 figures. 3 fr. 50
PISANI. Traité pratique d'analyse chimique qualitative et
quantitative, suivi d'un traité A^ Analyse au chalumeau, à l'usage
des laboratoires de chimie. 4^ édit. 1892. 1 vol. in-12. 3 fr. 50
PISANI et DIRVËLL. La chimie du laboratoire. 1 v. in-t2. 1882. ^4fr.
RICHE. Manuel de chimie médicale. 1 vol. in-18, avec 200 fig.
dans le texte. 3^ édition. 1881. 8 fr.
ROOD. Théorie scientiOque des couleurs. 1 vol. in-8, avec figures
et une planche en couleurs hors texte. Cart. 6 fr.
SAIGEY. La physique moderne. 1 vol. in-18. 2® édit. 2 fr. 50
SCHUTZENBERGER. Les fermentations^ avec figures dans le texte.
1 vol. in-8. 5e édit. 1889. Cart. 6 fr.
SECCHI (le Père). Les étoiles. 2 vol. in-8, avec 63 fig. dans le texte
et 17 planches en noir et en couleurs hors texte. 2^ édit. Cart. 12 fr.
STALLO. La matière et la physique moderne. 1 vol. in-8 2'^ éd
Cartonné. 6 fr.
THURSTON. Histoire de la machine h vapeur. 2 vol. in-8, avec
140 figures dans le texte et 16 planches hors texte. 3^ édit. 12 fr.
TYNDALL(J.). Lès glaciers et les transformations de l'eau,
avec figures. 1 vol. in-8. 5^ édit. Cart. 6 fr.
WURTZ. La théorie atomique. 1 vol. in-8. 5^ édit. Cart. 6 fr.
YOUNG. Le §loleil. 1 vol, in-8, avec figures. Cart, 6 fr.
14 —
Histoire natarelle.
A6ÀSS1Z. De l'espèce et des elasslOcatlons en zoologie.
1 vol. in-8. 5 fr.
BEAUREGARD (H.). I.es insectes vésicants. 1 vol. gr. ia-8, avec
34 planches en lithographie et 44 gravures dans le texte. 1890. 25 fr.
BËLZDING. Anatoniio et physiologie animales. 1 vol. in-8, avec
540 figures. 2« édit. 1891. 6 fr.
BLANCHARD. Itlœiirs, instincts et nictaniorphoscs des insectes.
1 vol. gr. in-8, avec 200 figures dans le texte et 40 planches hors
texte. 2=^ éd. 1877. 25 fr.
BOSSU. Botanique et plantes médicinales. 1 vol. in-12 de
600 pages, avec 1029 gravures. 7 fr. 50
CANDOLLE (de). I^'origlne des plantes cultivées. 1 vol. ia-8.
3^ édition. Cart. 6 fr.
CARTAILHAG. I^a France prétaistôritiue d'après lés monuments
et les sépultures. 1 vol. in-8, avec 150 gravures dans le
texte. 1889. Cart. 6 fr.
COOKE et BERKELEY. l,es champignons, avec 110 figures dans le
texte. 1 vol. in-8. 4« édit. Cart. 6 fr.
DARWIN. i.es récifs de corail, leur structure et leur distribution.
1 vol. in-8, avec 3 planches hors texte, traduit de l'anglais par
M. COSSERAT. 8 fr,
DAUBRÉE. lies régions invisibles du globe et des espaces
célestes. 1 vol. in-8, avec 78 figures. 2» édit. 1892. Cart. 6 fr.
FALSAN. Ija période glaciaire, principalement en France et en
Suisse. 1 vol. in-8, avec 105 gravures et 2 cartes. 1889. Cart. 6 fr.
HERBERT SPENCER. Principes de biologie, traduit de l'anglais par
M. B. Gazelles. 2 vol. in-8. * 20 fr.
HUXLEY (Th.). ti'écrevisse, introduction à l'étude de la zoologie. 1 vol.
in-8, avec 89 figures dans le texte. Cart. 6 fr.
HUXLEY. lia physiographie, introduction à l'étude de la nature.
1 vol. in-8, avec 128 figures dans le texte et 2 planches hors
texte. 2^ édit. 8 fr.
DE LANESSAN. introduction à la botanique (/e Sapin). 1 vol. in-8,
avec fig. 2"= édit. Cart. 6 fr.
LE MONNIER. it^natomle et physiologie végétales. 1 vol. in-8,
avec 103 figures dans le texte. 2^ édit. augmentée, 1888. 3 fr.
LE NOIR, nistolro naturelle élémentaire. 1 vol. in-12, 3* édit.,
avec 251 figures dans le texte. 5 fr.
LUBBOCK. liCs fourmis, les guêpes et les abeilles. 2 vol. in-8,
avec figures et planches en couleurs. Cart. 12 fr.
LUBBOCK. lies sens et l'instinct cbcai les animaux, principa-
lement chez les insectes. 1 vol. in-8, avec 136 gravures dans le
texte cartonné à l'anglaise. 6 fr.
PERRIER. lia philosophie zoologique avant Darwin. 1 vol.
in-8, 2« édit. Cart. 6 fr.
QUATREFAGES (de). li'espcce humaine. 1 vol. in-8. 10« édit. 6 fr.
ROMANES. L'intelligence des animaux, avec préface de M. Edm.
Perrier. 2 vol. in-8. 2c édit. .1888. Cart. 12 fr.
DE SAPORTA et MARION. I/évolution du règne végétal.
Tome 1 : Les Cryptogames. 1 vol. in-8, avec 85 figures dans le
texte. Cart. à l'anglaise. 6 fr.
Tomes II et III : Les Phanérogames. 2 vol, in-8, avec 136 figures
dans le texte. 1885. Cart. " 12 fr.
SCHMIDT (0.). liB descendance de l'homme et le darwinisme.
1 vol. in-8, avec figures. 5" édition. Cart. 6 fr.
SCH.MIDT (0.). ■..es mammifères dans leurs rapports avec leurs
ancêtres géologiques. 1887. 1 vol. in-8, avec 51 fig. Cart. 6 fr.
— 15 —
SMEE (A.). Mon jardin, géologie, botanique, histoire naturelle, 1 ma-
gnifique vol. gr. in-8, orné de 1300 figuras. Broché. 15 fr.
TROUESSART. Les microbes, les ferments et les moisissures.
1 vol. in-8 avec 107 fig. 2'= édit. revue 1890. Cart. 6 fr.
VAN BENEDEN, E.es commensaux et les parasites ^ans le
règne animal. 1 vol. in-8, avec figures. 3^ édit. Cart. 6 fr.
VIANNA DE EIMA. l^Hiomme selon le transformisme. 1 vol. in-18.
1887. 2 fr. 50
Anthropologie.
CARTÂlLHAG.'La France préhistorique, i vol. in-8, avec 162 gra-
vures. 1889. 6 fr.
EVANS (John). l,es âges de la pierre. 1 beau vol. gr. in-8, avec
467 figures dans le texte. 15 fr. — En demi-reliure. 18 fr.
EVANS (John), t'âge du bronze. 1 fort vol. in-8, avec 540 figures
dans le texte. 15 fr. — ^ En demi-reliure. 18 fr.
FUCHS. TLes volcans et les tremblements de terre. 1 vol. in-8.
a« édk. Cart. 6 fr.
GAROFALO. I.a criminologie. 1 vol. in-8, 2« édit. 1890. 7 fr. 50
HARTMANN (R.). Les peuples de l^frique. 1 vol. in-8, avec
figures. 2" édit. Cart. 6 fr.
HARTMANN (R.). Les singes anthropoïdes et leur organisation
comparée à celle de l'homme. 1886. 1 vol. in-8, avec 63 fig.
Cart. 6 fr.
JOLY. L'homme avant les métaux. 1 vol. in-8. 4« édit., avec
figures. Cart. 6 fr.
LOMBROSO. L'anthropologie criminelle et ses récents progrès.
1 vol. in-18, avec gravures. 2^ édit. 1891. 2 fr. 50
LOMBROSO. L'homme de génie. 1 vol. in-8, 1889, avec préface de
M. le professeur Ch. RiCHET. 10 fr.
LOMBROSO. L'homme criminel. Voy. p. 12.
LOMBROSO. Nouvelles recherches de psychiatrie et d'anthro-
pologie criminelle. 1 vol. in-18. 1892. 2 fr. 50
LUBBOCK. L'homme préhistorique, étudié d'après les monu-
ments et les costumes retrouvés dans les différents pays de l'Europe,
suivi d'une Description comparée des mœurs des sauvages modernes,
avec 256 fig. 3« édit. 1888. 2 vol. in-8. Cart. 12 fr,
LUBBOCK. Origines de la civilisation, état primitif de l'homme
et mœurs des sauvages modernes, traduit de l'anglais. 3® édition,
1 vol. in-8 avec fig. Broché. 15 fr. — Relié. 18 fr.
PIÈTREMENT. Les chevaux dans les temps historiques et pré-
historiques. 1 vol. gr. in-8. Broché, 6 fr. — Demi-rel., tranches
dorées. 9 fr.
SALMON. Age de la pierre, division industrielle de la période paléo-
lithique quaternaire et de la période néolithique. 1 vol. in-8 avec ta-
bleaux et planches hors texte. ,1891. 3 fr,
TARDE, La criminalité comparée. 1 vol. in-18, 2*^ édition.
1890. . 2 fr. 50
TOPIWARD, L'homme dans la nature, 1 vol. in-8 cart. avec
gravures, - 6 fr.
Hypnotisme et Magnétisme, — Sciences occultes.
BERGERET. Philosophie des sciences cosmologiques, critique
des sciences et de la pratique médicale, ln-8 de 310 pages, _ 4 fr,
BERTRAND, Traité du somnambulisme, 1 vol. in-8. 7 fr,
BINET. La psychologie du raisonnement, étude expérimentale
par l'hypnotisme. 1886. 1 vol. in-18. 2 fr. 50
BINET et FÉRÉ. Le magnétisme animal. 3^ éd., 1890. 1 vol. in-8,
avec fig. Cartonné. 6 fr.
BONJEAN. L'hypnotisme, ses rapports avec le droit, la thérapeutique,
la suggestion mentale. 1 vol. in-18. 1891. 3 fr.
— 16 —
BRIERRE DE BOISMONT. Des hallucinations, ou Histoire raisonnée
des apparitions, des visions, des songes, de l'extase, du magnétisme et
du somnambulisme. 3« édition très augmentée. 1 vol. in-8. 7 fr.
CAHAGNET. Abrégé des merveilles du ciel et de l'enrer, de Swe-
denborg. 1 vol. gr. in-18. 3 fr. 50
GAHAGJSET. Encyclopédie magnétique spiritualiste. 1854 à
1862. 7 vol. gr. in-18. 28 fr.
CAHAGNET. i^ettres odiques-magnétiqnes du chevalier Reichen-
bach, traduites de l'allemand. 1 vol, in-18. 1 fr. 50
CAHAGNET. niagie magnétique, ou Traité historique et pratique de
fascinations, de miroirs cabalistiques, d'apports, de suspensions, de
pactes, de charmes des vents, de convulsions, de possession, d'envoû-
tement, de sortilèges, de- magie de la parole, de correspondances
sympathiques et de nécromancie. 2^ édit. 1 vol. gr. in-18. 7 fr,
CAHAGNET. §ianctuaire du spiritualisme, ou Etude de l'âme hu-
maine et de ses rapports avec l'univers, d'après le somnambulisme et
l'extase. 1 vol. in-18. 5 fr.
CAHAGNET. Méditations d'un penseur, ou Mélanges de philosophie
et de spiritualisme, d'appréciations, d'aspirations et de déceptions.
2 vol. in-18. ^ 10 fr.
CHARPIGNON. Physiologie, médecine et métaphysique du
magnétisme. 1 vol. in-8 de 480 pages. _ 6 fr.
CHRISTIAN (P.). Bistoire de la magie, du monde surnaturel
et de la fatalité à travers les temps et les peuples. 1 vol. gr. in-8 de
669 pages, avec un grand nombre de fig. et 16 pi. hors texte. 10 fr.
DELBŒUF (J.). lie magnétisme animal, à propos d'une visite à
l'école de Nancy. 1 vol. ia-8, 1889. 2 fr. 50
DELB<i;UF(J.). Magnétiseurs et médecins. Ibroch. in-8, 1890. 2fr
DELBCEUF. ne l'origine des effets curatifs de l'hypnotisme.
1 Vol. in-8. 1887. 1 fr. 50
DELBŒtJF, NÉEL et LEPLÂT. De l'étendue de l'action curativo
de l'hypnotisme. L'hypnotisme appliqué aux altérations de l'organe
visuel. 1 broch., avec une pi. hors texte. 1890. 1 fr. 50
DU POTET. Traité complet de magnétisme, cours en douze leçons.
4" éflition. 1 vol. in-8. 8 fr.
DU POTET. Manuel de l'étudiant magnétiseur, ou Nouvelle
instruction pratique sur le maguétisme, fondée sur trente années
d'expériences et d'observations. 4* édit. 1 vol. gr. in-18. 3 fr. 50
DU POTET. E,c magnétisme opposé à la médecine. Ia-8. 6 fr.
DU POTET. I^a magie dévoilée, ou principes de science occulte.
(// ne reste que quelques exemplaires de cet ouvrage.) 1 vol. in-4,
papier fort, rel., avec grav. dans le texte et porlr. de l'auteur. 100 fr.
ELIPHAS LEVI. Histoire de la magie, avec une exposition de ses
procédés, de ses rites et de ses mystères. 1 vol. in 8 avec 90 fig, [Il ne
reste plus que très peu d'exemplaires de cet ouvrage). 25 fr.
ELIPHAS LEVI. l,a clef des grands mystères, suivant Hénoch,
Abraham, Hermès Trismégiste et Salomon. 1 vol. in-8. 12 fr.
ELIPHAS LEVI. Dogme et rituel do la haute magie. 2° édit.
2 vol. in-8, avec 24 fig. •I8 fr.
ELIPHAS LEVI. E.a science des esprits, révélation du dogme secret
des cabalistcs, esprit occulte des Évangiles, appréciations des doc-
trines et (les phénomènes spirites. 1 vol. in-8. 7 fr.
CAPtClN. I^e magnétisme expliqué par lui-mi^me, ou Nouvelle
théorie des phénomènes de l'état magnétique, comparés aux phéno-
mènes de l'état ordinaire. 1 vol. in-8. 4 fr.
CAUTlIlKlt. Histoire du somnambulisme connu clicx tous les
peuples sous les noms divers d'extases, songes, oracles, visions.
Examen di's rloclrines de l'antiquilé el des temps modernes, sur ses
causes, ses effets, ses abus, ses avantages et l'utilité de son concours
avec la médecine 2 vol. in-8. 10 fr.
— 17 —
GAUTHIER (Aubin). Revue magnétique, journal des cures et des
faits magnétiques et somnambuliques. Décembre 1844-à octobre 1846.
2 vol. in-8. 8 fr.
Les numéros de mai, juin, juillet, août et septembre ^846 n'ont jamais été
publiés; ils foniicnl, dans le tome II, une lacune des pages 241 à 432.
JANET (Pierre). Ei'automatîsine psychologique. Essai sur les formes
inférieures de l'activilé humaine, 1 vol. in-8. 1889. 7 fr. 50
LA FONTAINE. 1,'apt de magnétiser, ou le magnétisme vital consi-
déré au point de vue théorique, pratique et thérapeutique. 6^ édit.
1890. 1 vol. in-8. ' " 5 fr.
LAFONTAINE. mémoires d'un magnétiseur. 2 vol. in-18. 7 fr.
LEVI (Eliphas). — Voy. Eliphas Lévi, ci-dessus.
MESMER Mémoires et apborismes, suivis des procédés de d'Eslon.
Nouv. édit. avec des notes par J.-J A. Ricard, ln-18: 2 fr. 50
MORIN. Du magnétisme et des sciences occultes. 1 vol. in-8. 6 fr.
PHILIPS (J. -P.). Cours théorique et pratique de braidisme, ou
hypnotisme nerveux, considéré dans ses rapports avec la psychologie,
la physiologie et la pathologie, el dans ses applications à la médecine,
à la chirurgie, à la physiologie expérimentale, à la médecine légale
et à l'éducation. 1 vol. in-8. 3 fr. 50
Histoire des Sciences.
AUBER (Éd.). Institutions d'Hippocrate, ou Exposé dogmatique des
vrais principes de la médecine, extraits de ses œuvres. 1 volume
gr. in-S. 10 fr-
BOUCHARDAT. Annuaires de thérapeutique, de matière médi-
cale et de toxicologie, de 1841 à 1886. 49 vol. (Voir détails
page 21.)
BOUCHET. Histoire de la médecine et des doctrines médi-
cales. 2 vol. in-8. 16 fr.
DAVID (Th.). Bibliographie française de l'art dentaire. 1 fort
vol. gr. in-8, avec préface du docteur L.-H. Petit, 1889. 5 fr.
GRIMAUX (Ed.). I^avoisier (l'Si43-l«©4), d'après sa correspondance,
ses manuscrits, ses papiers de famille et d'autres documents inédits.
1 beau vol. grand in-8, avec 10 gravures hors texte, en taille-douce
et en typographie, 1888. 15 fr.
LÉPINE Ija thérapeutique sons les premiers Césars. 1890^
in-8. 1 f'-.
NICAISE. I.a grande Chirurgie de «uy de Cbauliac, chirurgien,
maître en médecine de l'Université de Montpellier, composée en l'an 1363,
revue et collationnée sur les manuscrits et imprimés latins et français.
ornée de gravures avec notes, une introduction sur le moyen âge, sur
la vie et les œuvres de Guy de Chauliac, un glossaire et une table
alphabétique, par E. Nicaise. 1 fort vol. grand in 8. 1891. 28 fr.
MAINDRON (E.). I.'Académie des sciences, histoire de l'Académie,
fondation de l'Institut national, Bonaparte membre de l'Institut.
1 beau vol. grand in-8, avec 53 gravures dans le texte, portraits,
plans, etc., 8 planches hors texte et 2 autographes, d'après des docu-
ments originaux, 1888. 12 fr.
PETIT (L.-H). Œuvres complètes de Jean Méry, fl«45-fl9«3
(anatomie, physiologie, chirurgie), avec une préface de M. le profes-
seur Verneuil. 1 vol. grand in-8, avec 3 planches et le portrait de
Méry, tirés hors texte, 1887. 16 fr.
POUGHET (G.). Charles Robin, sa vie et son œuvre. 1 vol. in-8,
avec un beau portrait sur acier de Gh. Robin. 3 fr. 50
POUGHET (G.). I.a biologie aristotélique. 1vol. in-8. 1885. 3fr. 50
TANNERY. Pour la science hellène, de Thaïes à Empédocle. 1 vol.
in-8. 7 fr. 50
TROJA. Expériences sur la régénération des os. Paris, 1775,
traduit du latin avec notes et introduction par le D>" Vedrènes.
1 vol. in-18, 1889. 4 ff 50
— 18 —
BIBLIOTHÈQUE DE L'ÉTUDIANT EN MÉDECINE
COLLECTION d'OUVRAGES POUR LA PRÉPARATION
AUX EXAMENS DU DOCTORAT, DU GRADE D'oFFICIER DE SANTÉ
ET AU CONCOURS DE l'EXTERNAT ET DE L'INTERNAT.
I" EXAMEN
(Physique, chimie, histoire naturelle.)
LE NOIR. — Histoire naturelle,
avec 255 fi^. dans le texte. 3^ édit. 5 fr.
GREHANT. — M.\NUEL DE PHYSIQUE
MÉDICALE. 1 vol. gr. in -18, avec
469 figures dans le texte. 7 fr.
LE NOIR. — Physique élémentaire,
avec 455 fig. dans le texte. 2» édit. 6 fr.
RICHE. — Manuel de chimie médi-
cale. 3» édit. 1881. 1 vol. in-18, avec
200 figures dans le texte. 8 fr.
GRIMAUX. — Chimie organique élé-
mentaire. Leçons professées à la
Faculté de médecine. 1 vol. in-18.
6* édition augmentée. 1892. 5 fr.
GRIMAUX. — Chimie inorganique élé-
mentaire. 6« édition augmentée. 1891.
1 vol. in-18. 5 fr.
DE LANESSAN. — Le sapin, introduc-
tion à l'étude de la botanique. 1 vol.
in-8, 2« édit. 6 fr.
LE NOIR. — Chimie élémentaire.
1 vol. in-12, avec 69 fig. 2« édit. 3 fr. 50
PISANI. — Traité d'analyse chi-
' MIQUE. 1 vol. in-18. 3« édit. 3 fr. 50
PISANI et DIRVELL. — La Chimie du
laboratoire. 1 vol. in-18. 4 fr. 50
2° EXAMEN
1" PARTIE. {A7ialomie, histologie.)
ALAVOINE. — Tableaux du système
NERVEUX, 2 gr. tableaux avec fig. 5 fr.
DEBIERRE. — Traité élémentaire
D'anatomie de l'homme (anatomie
descriptive et dissection) avec notions
d'organogénie et d'embryologie géné-
rale.
Tome I, Manuel de l'amphithéâtre,
système locomoteur, système vascu-
laire, nerfs périphériques, 1 fort vol.
gr. în-8, avec 450 figures en noir et
en plusieurs cou), dans le texte. 20 fr.
Tome II. Système nerveux central,
organes des sons, splanchnologie, sys-
tème vasculaire, système nerveux
péi'iphcrique. 1 vol, in 8, avec 515 grav.
en noir et en plusieurs couleurs dans
le texte 20 fr.
2° PARTIE. (Physiologie.)
LONGET. — Traité de physiologie.
2« édit. 3 vol. gr. in-8. 12 fr.
BURDON-SANDERSON, FOSTER et
LAUDER-BRUNTON. —Manuel du la-
boratoire DE physiologie, 1 vol. in-8,
avec 184 fig. dans le texte. 1884. 7 fr.
RICHET (Ch.). — La chaleur animale.
1 vol. in-8. 6 fr.
BBAUNIS (Ed.). — Les sensations in-
ternes. 1 vol. in-8. 0 fr
3° EXAMEN
1" PARTIE. (Médecine opératoire, pathologie externe, accouchements.)
BILLfiOTH et WINIWARTER.— Traité
DE pathologie ET DE CLINIQUE CHI-
RURGICALES GÉNÉRALES. 2" édition
française d'après la 10* édition alle-
mande. 1 fort vol. gr. in-8, avec 180 fig.
dans le texte. 1886. 20 fr.
JAMAIN et TERRIER. — Manuel de
PETITE CHIRURGIE. 6= éilit. refondue.
1 vol. gr. iii-18, avec 455 fig. 9 fr.
JAMAIN et TERRIER. — Manuel de
pathologie et de CLINIQUE CHIRUR-
GICALES. 3» édition :
Tome I. 1 voL gr. in-18. 8 fr.
Tome II. 1 vol. in-18. 8 fr.
Tome III. 1 vol. in-18. 8 fr.
Tome IV. 1vol. in-18. 8 fr.
MALGAIGNE et LE FORT. — Manuel
de médecine opératoire. 9" édition,
avec 7i4 fig. dans le texte. 2 vol.
gr. in-18. 16 fr.
MAUNOURY et SALMON. — Manuel
de l'art des ACCOUCHEMENTS. 3« édit.
j vol. gr. in-18, avec 115 fig. 7 fr.
NÉLATON.— Éléments de pathologie
chirurgicale. 2« édition, revue par
MM. les docteurs Jamain, Péan, Des-
prés, Horteloup et Gillette.
6 vol. gr. in-8, avec 795 fig. 32 fr.
RICHARD. — Pratique journalière
de la chirurgie. 1 vol. in-8 avec
grav , 2° édit. 5 fr.
TERRIER.— Eléments de pathologie
chirurgicale générale. Fasc. I. Li-
sions traumaliques et leurs compli-
cations. 1 vol. in-8. 7 fr.
Fasc. II. Complications des lésions
traumaliques. — Lésions inflamma-
toires. 1 vol. in-8. 6 fr.
Fasc. III terminant l'ouvrage.
(Sous presse.
2" PARTIE. (Pathologie interne, pathologie générale.)
GINTRAC— Cours théorique et pra- i
TIQUE de PATMOLOOIE INTERNE ET DE
thérapie médicm.k. 9 vol. in-8. 63 Ir.
N1EMEYER. — Éléments de patho-
logie INTERNE, traduits de l'allemand.
annotés par M. Cornil. 3« édit. fran-
çaise. 2 vol. gr. in-8, 4 fr. 50
TARDIEU. — Manuel de pathologie
ET DE clinique MÉDICALES. 1 fofl
vol. in-18. 4» édit. 2 fr. 50
19 —
4° EXAMEN
{Hygiène, médecine légale, thérapeutique, matière médicale,
pharmacologie.)
CORNIL et A.-J. MARTIN. — Leçoms
ÉLÉMENTAIRES d'hygiène PRIVÉE, Ivol.
in-18. 2° éd. (Sous presse.)
BOUCHARDAÏ. — Traité d'hygiène
PUBLIQUE ET PRIVÉE BASÉE SUR
l'Étiologie. 1 V. gr. in-8. 2«édit. 18 fr.
KUNZE. — Manuel de médecine pra-
tique. 1 vol. in-18. 1 fr. 50
TAYLOR. — Traité de médecine
légale, traduit de l'anglais par
M. H. Coutagne. 1 vol. gr. in-8. 4 fr. 50
A. et G.BOOCHARDAT. — Nouveau For-
mulaire magistral. 29^ édit., revue,
collationnée avec le nouveau Codex,
augmentée de formules nouvelles et
d'une Note sur l'alimentation dans le
diabète sucré et de la liste complète
des mets permis aux glycosuriques.
1 vol. in-18. 3fr. 50
Cartonné, i fr. — Relié. 4 fr. 50
5" EXAMEN
1" PARTIE. (Cliniques externe, obstétricale, etc.)
DELORME. — Traité de chirurgie de
guerre.
Tome I. 1 vol. in-8. 16 fr.
Tome II. (Sous presse.)
JAMAIN et TERRIER.— Manuel de
pathologie et de clinique chirur-
gicales. 3« édition :
4 vol. in-18. 32 fr.
BOUCHUT et DESPRÉS. ^ Diction-
naire DE. MÉDECINE ET DE THÉRA-
PEUTIQUE médicale et chirurgi-
cale, comprenant le résumé de la
médecine et de la chirurgie, les indi-
cations thérapeutiques de chaque ma-
ladie, la médecine opératoire, les
accouchements, l'oculistique, l'odonto-
teclinie, les maladies d'oreille, l'élec-
trisation, la matière médicale, les eaux
minérales, et un formulaire spécial
pour chaque maladie. 5° édit. 1889.
1 vol. in-4, avec 950 figures dans le
texte, et 3 cartes. — Prix : br. 25 fr.
— Cart., 27 fr. 50. — Relié, 29 fr.
MAUNOURY et SALMON. — Manuel
de l'art des accouchements , à
, l'usage des élèves en médecine et des
élèves sages-femmes. 3° édit., avec
415 figures dans le texte. 7 fr.
2° PARTIE. {Clinique interne, anatomie pathologique.)
AXENFELD et HUCHARD. — Des
névroses. 1 fort vol. in-8. 20 fr.
BARTELS.— Les maladies des reins.
1 vol. in-8. 7 fr. 50
BOUCHARDAT. — De la glycosurie
ou diabète sucré. 1 vol. in-8,
2= édit. 15 fr.
DAMASCHINO. — Leçons sur les
maladies des voies digestives. 1 vol.
in-8. 14 fr.
DURAND-FÂRDEL. — Traité des ma-
ladies chroniques. 2 vol. in-8. 20 fr.
DURAND-FARDEL. —Traité des eaux
, minérales. 1 vol. in-8, 31= édit. 10 fr.
FÉRÉ. — Les épilepsies et les épi-
lep tiques. 1 vol. in-8 avec 12 pi. 20 fr.
MARTINEAU. — Traité clinique des
affections de l'utérus. 1 vol.
in-8. 14 fr.
GINTRAC (B.). —Cours théorique et
clinique de pathologie interne et
de thérapie médicale. 9 vol. gr. in-8.
63 fr.
HOUEL. — Manuel d' anatomie patho-
logique générale et appliquée,
contenant : la description et le cata-
logue du musée Dupuytren. 2° édit.
1 vol. gr. in-18. 2 fr. 25
CORNIL, RANVIER et BUAULT. —
Manuel d'histologie pathologique.
2 vol. gr. in-8, avec 577 firrures dans
le texte. 3» édit. {Sous presse.)
CORNIL et BABES. — Les bactéries
ET LEUR ROLE DANS l'HISTOLOGIE
pathologique des maladies INFEC-
TIEUSES. 3" édition, avec fig. et pi.
hors texte. 2 vol. gr. in-8. 40 fr.-
GOUBERT. — Manuel de l'art des
autopsies cadavériques , surtout
dans ses applications à l'anatomie
pathologique. 1 vol. in-8 de 500 pages,
avec 145 gravures dans le texte. 2 fr.
HERARD, CORNIL et HANOT. — De la
phtisie pulmonaire. 1 vol. in-8,
2= édit. 1888. 20 fr
LANCEREAUX. — Traité historique
et pratique de la syphilis. 1 vol.
in-8, 2« édit. 17 fr.
MURCHISON.— De la fièvre typhoïde.
1 vol. in-8. 3 fr.
ONIMUS et LEGROS. — Traité d'élec-
tricité médicale. 1 vol. in-8,
2' édit. 17 fr.
WBBBR. — Climatothérapie. 1 vol.
in-8. 6 fr.
BERTON. Guide et Questionnaire de tous les examens de
médecine, avec les réponses des examinateurs eux-mêmes aux
questions les plus difficiles; suivi des Programmes des conférences
pour l'internat et l'externat, avec de grands Tableaux synoptiques
inédits d'anatomie et de pathologie. 1 vol. in-18. 3" édit. {Sous presse.)
THÉVENIN ET DE VARIGNY. Uictionnaire abrégé des sciences
physiques et naturelles. 1 vol. in-18 de 630 pages, imprimé sur
deux colonnes, cartonné à l'anglaise. 1889. 5 fr.
LIVRES SCIENTIFIQUES
(par ordre alphabétique de noms d'auteurs)
NON CLASSÉS DANS LES SÉRIES PRÉCÉDENTES
(MÉDECINE — SCIENCES)
ALAVOINE. Tableaux du système nerveux, deux grands tableaux
avec figures. 1 fr, 50
AMUSSAT (Alph.). mémoires sur la galvanocaustique thermique.
1 vol. in-8, avec 44 fig. intercalées dans le texte. 1876. 3 fr. 50
AMUSSAT (Alph.). Des sondes à demeure et du conducteur en
baleine. 1 brochure in-8, avec fig. dans le texte. 1876. 75 c.
ARLT (de). Des blessures de reeil considérées au point de vue
pratique et médico-légal. 1 vol. in-18. 1 fr. 25
ARTlGU£S.Amélle-les-JBalns^ son climat et ses thermes. 1 vol.
in-8 de 267 pages. 1 fr, 25
ARCHIAC (d'). E,eçons sur la faune quaternaire professées au Mu-
séum d'histoire naturelle. 1865. 1 vol. in-8. 1 fr. 25
AUBER (Ed.). Traité de la science médicale (histoire et dogme).
1 fort vol. in-8. 8 fr.
AUBER (Ed.). De la Bèvre puerpérale devant l'Académie de
médecine, et des principes du vitalisrae hippocratique appUqués à
la solution de cette question, ln-8. 3 fr. 50
AUBEK (Ed.). Philosophie de la médecine. 1 vol. in-18. 2 fr. 50
AUBfcR (Ed ). Hygiène des femmes nerveuses, ou Conseils : ux
femmes pour les époques critiques de leui- \Me. 1 vol. gr. in-18. 3 fr. 50
AUZIAS-TURENNE. L.a syphiliitation, syphilis, vaccine, sur les ma-
ladies virulentes, variétés. 1 fort vol. in-8. 16 fr.
AZAM. i.es toqués (entre la raison et la folie). \ br. in-8. 1891. 1 fr.
BARTELS. I^es maladies des reins, traduit de l'allemand par
M. le docteur Edelmann; avec Préface et Notes de M. le professeur
LÉPINE. 1 vol. in-8 avec fig. 1884. 7 fr. 50
BARTHÉLÉMY SAINT-HILAIRH:. I.a philosophie dans ses rapports
avec les sciences et la religion. 1 vol. in-8. 1889. 5 fr.
BAUDON. li'ovariotomie abdominale, ln-8. U fr.
BAUDRIMONT. Formation du globe terrestre pendant la période
qui a précédé l'apparition des êtres vivants. 1 vol. in-18. 2 fr. 50
BECQUEREL. Traité des applications de rélectrlcité à la thé-
rapeutique médicale et chirurgicale. 2^édit. 1 vol. in-8. 2fr.50
BELZUNG. ncclierches sur IVrgot de seigle. 1 vol. in-8, avec
22 gravures. 1889. 1 fr. 50
BERGERET. Philosophie des sciences cosmologiques, critique
des sciences et de la pratique médicale. Ia-8 de 310 pages. 4 fr.
BERGERET. Petit manuel do la santé. 1 vol. in-18. 7 fr.
BERNARD (Claude). Leçons sur les propriétés des tissus \i-
vants, avec 94 fig. dans le texte. 1 vol. in-8. 2 fr. 50
BERNARD. Champignons observés À la Rochelle et dans les envi-
rons. 1 vol. in-8, avec 1 atlas, figures noires, 15 fr. — Coloriées. 25 fr.
BERTET. Pathologie et chirurgie du col utérin. In-8. 2 fr. 50
BERTON. Guide et Questionnaire de tous les examens de médecine,
suivi de Programmes de conférences pour l'externat et l'internat,
avec Tableaux synoptiques inédits d'anatomie et de pathologie. 1 vol.
in-18. 30 édit. • {Sous pt^Sf^e.)
BEYRAN. lôléments de pathologie générale. In 18. 75 c.
BINZ. Abrégé de matière médicale et de thérapeutique. 1 vol.
in-ia. 75 c.
BLACKWELL (le D'' Elisabeth). Conseils aux parents sur l'éduca-
tion de leurs enfants. 1 vol. in-18. 2 fr.
BLATIN. Bechcrchcs physiologiques et cliniques sur la nico-
tine et le tabac. Gr. in-8. 4 fr.
OUVRAGES SCIENTIFIQUES 21
BOGQUILLON. Revue du groupe des Vcrbénacées. 1 vol. gr.
in-8 de 186 pages, avec 20 planches gravées sur acier. 15 fr.
BOGQUILLON. Anatouiie et physiologie des organes reproduc-
teurs des Cbampignons et des E,ichens. In- 4. 2 fr. 50
BOGQUILLON. Mémoire sur le groupe des Tiliacées. Gr. in-8
de 48 pages. - 2 fr.
BONJEAN. Monographie de la rage. 1 vol. in-18. 1879. 3 fr. 50
BOSSANO (P. B.). Recherches expérimentales sur l'origine mi-
crobienne du tétanos. 1 vol. in-S. 1890. 2 fr.
BOTKIN, Des maladies du cœur. 1 vol. in-8. 3 fr. 50
BOTKIN. De la flèvre. 1 vol. in-8. 4 fr. 50
BOUGHARDAT. Annuaire de thérapeutique, de matière médi-
cale, de pharmacie et de toxicologie, de 1841 à 1886, conte-
nant le résumé des travaux thérapeutiques et toxicologiques publiés
de 1840 à 1885, et les formules des médicaments nouveaux, suivi
de Mémoires divers de M. le professeur Bouchardat.
La collection complète se compose de 46 années et 3 suppléments. 49 vol. gr. in-32.
Prix des années 1841 à 1873, et des suppléments, chacune 1 fr. 25
— — 1874 à 1886, 1 fr. .50
Les années 1875, 1884, 1885, 1886 sont épuisées.
1841. — Monographie du diabète sucré.
1842; — Observations sur le diabète sucré et mémoire sur une maladie nouvelle,
l'hippurie.
1843. — Mémoire sur la digestion.
1844. — Rectierclies et expériences sur les contrepoisons du sublimé corrosif, du
plomb, du cuivre et de l'arsenicl
184.5. — Mémoire sur la digestion des corps çras.
1846. — Recherches sur des cas rares de chimie pathologique.et mémoire sur l'action
des poisons et de substances diverses sur les plantes et les poissons.
1846. Supplément. — 1" Trois ménioires sur les fermentations.
S" Un mémoire sur la digestion des substances sucrées et fécu-
lentes, et des recherches sur les fonctions du pancréas.
3° Un mémoire sur le diabète siicré ou glycosurie.
4° Note sur les moyens de déterminer la présence et la quantité
de sucre dans les urines.
5" Notice sur le pain de gluten.
- 6» Nature et traitement physiologique de la phthisie.
1847. — Mémoire sur les principaux contrepoisons et sur la thérapeutique des em-
poisonnements, et diverses notices scientifiques.
1848. — Nouvelles observations sur la glycosurie, thérapeutique des affections
syphilitiques, influence des nerfs pneumogastriques dans la digestion.
1849. — Mémoire sur la thérapeutique du choléra.
1850. — Thérapeutique de» affections syphilitiques et affaiblissement de la vue coïn-
cidant avec les maladies dans lesquelles la nature de l'urine est modifiée.
1851. — Pathogénie et thérapeutique du rliumatisme articulaire aigu.
1859. — Traitement de la phthisie et du rachitisme par l'huile de foit de morue.
1856. — Mémoires : 1" sur les amidonneries insalubres; 2° sur le rôle des matières
albumineuses dans la nutrition.
1856. Supplément.— 1" Histoire physiologique et thérapeutique de la cinchonine;
2* Rapports sur les remèdes proposés contre la rage;
3° Recherches sur les alcaloïdes dans les veines ;
" i" Solution alumineusè benzinée ;
5" La table alphabétique des matières contenues dans les An-
nuaires de 1841 à 1855, rédigée par M. le docteur. Ramon.
1857. — Mémoire sur l'oligosurie, avec des considérations sur la polyurie.
1858. — Mémoire sur la genèse et le développement de la fièvre jaune.
1859. — Rapports sur les farines falsifiées, le pain bis et le vin plâtré.
1860. — Mémoire sur l'infection déterminée dans le corps de l'homme par la fermen-
tation putride des produits morbides ou excrémentitiels. Des désinfectants
qui peuvent être employés pour prévenir cette infection.
1861. — Mémoire sur l'emploi thérapeutique externe du sulfate simple d'alumine et
de zinc, par M. le docteur Homolle.
1861. — Supplément (^ptiis^).
1862. — Deux conférences faites aux ouvriers sur l'usage et l'abus des liqueurs for es
et des boissons ferraentées.
1863. — Mémoire sur les eaux potables.
1864.- Origine et nature de la vaccine ; inoculatU n, traitement de la syphilis.
1865. — Mémoire sur l'exercice forcé dans le traitement de la glycosurie.
1866. — Mémoire sur les poisons, les venins, les virus , les miasmes spécifiques df ns
leurs rapports avec les ferments.
1867. — Mémoire sur la gravelle.
1868. — Mémoire sur le café.
1869. — Sur la production de l'urée. — Sur l'étiologte de la gljcosune.
22 OUVRAGES SCIENTIFIQUES.
1870. — Mémoire sur la goutte.
1871-72. — Mémoire sur l'état sanitaire de Paris et de Meti pendant le siège.
1873. — Mémoire s«r l'étiologie du typlius.
1874. — Mémoire sur l'iiygiènedu soldat.
1875. — Mémoire sur l'hygièite tliérapeutique des maladies.
1876. — Mémoire sur le traitement tiygiénique des maladies chroniques et des
convalescences.
1877. — Mémoire sur l'éliologie tliérapeutique.
1878. — Nouveaux moyens dans la glycosurie.
1879. — Des vignes phylioxérées.
1880. — Mémoire sur le traitement hygiénique des dyspepsies.
1881. — Hygiène et thérapeutique du scorbut.
1882. — Sur la piéservation des maladies contagieuses.
1883. — Sur le traitement hygiénique de la fièvre typhoïde, et sur les parasiticides,
1884. — Sur les maladies contagieuses et la genèse de leurs parasites (épuisé).
1885. — Notice sur le choléra asiatique, sa nature, son parasite; hygiène, trai-
tement. — Mémoire sur l'atténuation des virus {épuisé).
1886. — Traitement hygiénique du mal de Biight; diflicultés de l'hygiène, etc.
(épîdsé).
BOUCHÂRDàT. jBtupplénieiK à l'Annuaire de thérapeutique, etc.,
pour 1846, contenant des mémoires : 1" sur les fermentations;
2° sur la digestion des substances sucrées et féculentes et sur les
fonctions du pancréas, par MM. Bouchardat et Sandras ; 3° sur le
diabète sucré ou glycosurie; 4° sur les moyens de déterminer la pré-
sence et la quantité de sucre dans les urines ; 5° sur le pain de glu-
ten ; 6° sur la nature et le traitement physiologique de la phthisie.
1 vol. gr. in-32. 1 fr. 25
BOUCHARDAT. Supplément à l'Annuaire de thérapeutique, etc.,
pour 1856, contenant : 1° l'histoire physiologique et thérapeutique
de la cinchonine ; 2° rapport sur les remèdes proposés contre la rage ;
3° recherches sur les alcaloïdes dans les urines ; 4" solution alumi-
neuse benzinée ; 5° la table alphabétique des matières contenues
dans les Annuaires de 1841 à 1855, rédigée par M. Ramon. 1 vol.
in-32. 1 fr, 25
BOUCHARDAT. Opuscules d'économie rurale, contenant les en-
grais, la betterave, les tubercules de dahlia, les vignes et les vins, le
lait, le pain, les boissons, l'alucite, la digestion et les maladies des
vers à soie, les sucres, etc. 1 vol. in-8. 3 fr. 50
BOUCHARDAT. Traité des maladies de la vigne. 1 vol, in-8. 3 fr. 50
BOUCHARDAT. l.e> travail, son influence sur la santé (conférences
faites aux ouvriers), 1 vol, in-18. 2 fr. 50
BOUCHARDAT. Histoire naturelle. 2 vol. in-18, avec grav, 1 fr. 25
BOUCHARDAT. Physique. 1 vol. gr. in-18. 3« édit, 1 fr.
BOUCHARDAT etQUEYENNK. instruction sur l'essai et l'analyse
du lait. 1 br. gr, in-8. 3« édit. 1879, 1 fr. 50
BOUCHARDAT et QUEVENNE. Du lait, i^' fascicule : Instruction sur
l'essai et l'analyse du lait; 2*^ fascicule: Des laits de femme, d'ânesse,
de chèvre, de brebis, de vache. 1 vol. in-8. 6 fr.
BOUCHARDAT (Gustave). Histoire générale des matières albu-
mîiioYdcs (Thèse d'agrégation). 1 vol. in-8. 2 fr. 50
BOUCHER. I.e flarwinisme. 1 br. in-8. 1891. 1 fr, 25
BOURDEAU (Louis), Théorie des sciences. Plan de science inté-
grale. 2 vol. in-8. 20 fr.
BOURDEAU (Louis). I.cs forces de l'industrie. Progrès de la puis-
sance humaine. 1 vol. in-8. 5 fr.
BOURDEAU (Louis). I.u conquête du monde animal, In-8. 5 fr.
BOUHDET (Eiig,). Ues maladies du caractère au point de vue
de l'hygiène morale et de la philosophie positive, ln-8. 5 fr.
BOURDET. i>rlnclpcs d'éducation positive. In-18. 3 fr. 50
BOURDET (Eiig.). Vocabulaire des principaux termes de la
philosophie posiOvo. 1 vol. iri-18. 3 fr. 50
BOUTIGNY (M. H. P.) d'Évreux. ibludcs sur le» corps à l'état
spliéroVdal. 1 vol. in-8. 4" édition. 10 fr,
BOUYER (Achille). Ktudo médicale sur la station hivernale
d'Amélie-ie«-Bains, 1 vol. in-18, 1 fr> 50
OUVRAGES SCIENTIFIQUES. 23
BRAULT. Contribution à l'étude des népbi-ites. 1881. In-8, avec
3 planches. 2 fr.
BRÉMOND (E.). »e l'hygiène de l'aliéné. In-S. 2 fr.
BRIGHAM. quelques observations chirurgicales. 1872. Gr. in-8
sur papier de Hollande, avec 4 photographies. 1 fr. 50
BRIERRE DE BOISMONT. Bu suicide et de la folie-suicide. 2^ édi-
tion. 1 vol. in-8 de 680 pages. 2 fr. 25
BURDON-SANDERSON, FOSTER et LAUDER-BRUNTON. manuel du
laboratoire de physiologie, traduit de l'anglais par M. MoQUlN-
Tandon. 1 vol. in-8, avec 184 figures dans le texte. 1884. 7 fr.
BYASSON (H.) ET FOLLET (A.), étude sur l'hydrate de chloral et
le trichloracétate de soude, 1871. In-8 de 64 pages. 75 c.
CABADÉ. Essai sur la physiologie des épithéliums. In-8 de
88 pages, avec. 2 planches gravées. 2 fr. 50
CASTORANI. Mémoire sur le traitement des taches de la
cornée, néphélion, albugo. hi-8. 1 fr.
CASTORANI, Mémoire sur l'extraction linéaire externe de la
cataracte. In-8. 3 fr. 50
CAZENEUVE, Des densités -des vapeurs au point de vue chi-
mique (Thèse d'agrégation). In-8. 1878. 3 fr. 50
GHAïlGOT ET CORNIL. Contributions à. l'étude des altérations
anatomiques de la goutte, et spécialement du rein et des articu-
lations chez les goutteux. In-8 de 30 pages, avec pi. 1 fr. 50
CHARCOT et PITllES. Etude critique et clinique de la doctrine
des localisations motrices dans l'écorce des hémisphères
cérébraux de l'homme. Gr. in-8. 2 fr. 50
CHARPIGNON. Considérations sur les maladies de la moelle
épinière. In-8. ^ i*"'
CHARPIGNON. Études sur la médecine animique et vitaliste.
1 vol. gr. in-8 de 192 pages. 4fr.
CHASERAY (Alexandre). Conférences sur l'âme. In-18. 50 c.
CHAUFFARD. I»e la spontanéité et de la spéciOcité dans les
maladies. 1 vol. in-i8 de 232 pages. 3 fr.
CHÉRUBIN. De l'extinction des espèces, études biologiques sur
quelques-unes des lois qui régissent la vie. liL-18. 2 fr. 50
CHIPAULT (Antony). De la résection sous-périostée dans la
fracture de l'omoplate par armes à feu. ln-8. 3 fr. 50
CHIPAULT. Fractures par armes à feu. In-8, avec 37 pi. 25 fr.
CHUFFART. I^es affections rhumatismales du tissu cellulaire
sous-cutané (Thèse d'agrégation, 1886). 1 vol. in-8. 1 fr. 50
CLEMENCEAU. De la génération des éléments anatomiques.
précédé d'une Introd. par M. le professeur Robin. In-8. 1 fr. 50
Conférences historiques de la Faculté de médecine faites pen-
dant l'année 1865. {Les Chirurgiens érudits, par M. Verneuil. —
- Guy de Chauliac, par M. Follin. — Celse, par M. Broca. — Wurtzius,
par M. Trélat. — Bioland, par M. Le Fort. — heuret, par M. Tar-
nier. — Harvey, par M. Béclard. — Stahl, par M. Lasègue. —
Jenner, par M. Lorain. — Jean de Vier, par M. Axenfeld. — Laennec,
par M. Chauffard. — Sylvius, par M. Gubler. — Stoll, par M. Parrot.
1 vol. in-8. i fr- 50
CORNIL. Des différentes espèces de néphrites, ln-8. 3 fr. 50
CORNIFj. — Voy. Laennec et voy. Charcot.
DAMASCHINO. Des différentes formes de pneumonie aiguë
chez les enfants, ln-8 de 154 pages. 3 fr. 50
DAMASCHINO. I.a pleurésie purulente. In-8. 3 fr. 50
DAMASCHINO. Étiologie de la tuberculose. In-8 de 204 p. 2 fr. 50
D'ARDONNE. I>a philosophie de l'expression, étude psycholo-
gique. 1 vol. in-8 de 352 pages. 8 fr.
D'ASSIER. Physiologie du langage phonétique, ln-18. 2 fr. 50
24 OUVRAGES SCIENTIFIQUES.
D'ASSIER. Physiologie du lnng;ngc sraphiquc. In-18. 2 fr. 50
D'ASSIEB. Essai de phllosopliie positive au JLIX.^ siècle.
Première partie : le Ciel. 1 vol. in-18. 2 fr. 50
D'ASSIEK. Essai de philosophie natnrelle chez l'homnic. 1 vol.
in-12, 1882. 3 fr. 50
DEGRAUX-LAURENT. Études ornitholosiques. La puissance de
l'aile, ou l'oiseau pris au vol. 1 vol. in-8. 5 fr,
DELBCËUF. Psychophysique, mesure des sensations de lumière et de
fatigue; théorie générale de la sensibilité. In-18, 1883. 3 fr. 50
DELBŒUF. Examen critique de la loi psychophysique. 1 vol.
in-18. 3fr. 50
DELBOEUF. l.o sommeil et les rêves. 1 vol. in-18, 1885. 3 fr. 50
DELBCËUF. I^a matière brute et la matière vivante. 1 vol.
in-18, 1887. 2 fr. 50
DELVAILLE (Camille). Études sur l'histoire naturelle. 1 vol.
in-18. 3 fr. 50
DELVAILLE (Camille). Ue la flèvre de lait. In-8. 2 fr. 50
DELVAILLE (Camille). Oe l'exercice de la médecine, nécessité de
reviser les lois qui la régissent en France. In-8. 2 fr.
DELVAILLE (Camille), i^ettres médicales sur l'Ansloterre.
In-8. 1 fr. 50
DESPAGNET. Compte rendu de la Clinique de M. le D<^ Ciale-
zowski. (Du l»"" juillet 1880 au l^' juillet 1881.) In-8. 3 fr. 50
DESPAGNET. ne l'irido-choroïdite snppurative dans le leucome
adhérent de la cornée, ln-8, 1887. 2 fr.
DEVEHGIE (Alphonse). Médecine légale théorique et pratique,
3« édit. 3 vol. in-8. 7 fr. 50
DONDERS. l/astigmatisme et les verres cylindriques. Iu-8. 1 fr. 25
DROGNAT-LANDRÉ. De l'extraction de la cataracte. Grand
in-8. 50 c.
DROGNAT-LANDRÉ. De la contagion seule cause de la propa-
gation de la lèpre. In-8. 75 c.
DUJARDIN-BEAUMETZ. Myélite aiguC. In-8. 2 fr. 50
DURAND (de Gros). Physiologie philosophique. 1 vol. iu-8. 8 fr.
DURAND (de Gros). De rmnuence des milieux sur les caractères
de races, de l'homme et des animaux. In-8. 1 fr. 50
DURAND (de Gros). Ontologie et psychologie physiologique.
1 vol. in-18. 3 fr. 50
DURAND (de Gros). De l'hérédité dans répilepsie. 50 c.
DURAND (de Gros). E.es origines animales de l'homme, éclairées
par la physiologie et l'anatomie comparatives. 1 vol. in-8. 5 fr.
DURAND (de Gros). Genèse naturelle des formes animales.
ln-8, avec fi^urps, 1888. 1 fr. 25
DURAND-FARDEL.l.ettre» médicales sur Vichy. Wéd. 1877.2fr.50
DURAND-FARDEL. Traité pratique des maladies dos vieillards.
2« édition. 1 fort voL gr. in-8. 5 fr.
Éléments de science sociale, ou Religion physique sexuelle et
naturelle, par un D'"en médecine, /inédit. 1884. 1vol. in-18. 3 fr. 50
ELEVY. Biarritz, bains de mer et ville d'hiver. 1 vol. in-18. 1891 3 fr.
FAIVRE(Erncst). Delà variabilité des espèces. 1 vol. in-18. 2 fr. 50
FERMOND. Études comparées des rouilles dans les trois grands
embranchements végétaux. 1 vol. in-8, avec 13 pi. 10 fr.
FERMOND. Phytogénie, ou Théorie mécanique de la végétation.
1 vol. gr. in-8 de 708 pages, avec 5 planches. 12 fr.
FERMOND. Essai de phytomorphie, ou Étude des causes qui dé-
terminent les principales formes véfiétales. 2 vol. gr. in-8. 30 fr.
FERMOND. Faits pour servir à l'histoire générale de la récon-
datlon chez les végétaux, ln-8 de A5 pages. 2 fr.
FERRIER. tes fonctions du cerveau. 1 vol. in-8, traduit de l'an-
glais par M. H,-C. de VARiGNY,avec 68fig. dans le texte. 1878. 3 fr.
OUVRAGES SCIENTIFIQUl S 25
FERRIER. Do la localisatiua des maladies cérébrales, traduit
de l'anglais par M. H. -C. DE Varigny, suivi d'un mémoire de MM.Char-
COT et Pitres sur les Localisations motrices dans les hémisphèrm de
Vécorce du cerveau. 1 vol. in-8 et 67 fig. dans le texte. 2 fr.
PERRIÈRE. E.'âme est la roncdon du cerveau. 2 vol. in-12.
1883. 7 fr.
FEKRIÈRE. I^ matière et l'énergie. 1 vol. in-12. 1887. 4 fr. 50
PERRIÈRE. l,avie et rame. 1 vol. in-12. 1888. 4 fr. 50
PERRIÈRE, lies erreurs scientinques de la Bible. 1 vol. in-12.
1891. 3 fr. 50
FI AUX. li 'enseignement de la médecine en Allemagne. 1 vol.
in-8. 1877. 5 fr,
FLINT. lleeherches expérimentales sur une nouvelle fonction
du foie. in-8. 1868. 2 fr. 25
FOY. mémorial do thérapeutique à l'usage du médecin. Ia-8.
1862. 4 fr.
FREDERIQ (D'). Hygiène populaire. 1 vol. in-12, 18/5. - 4 fr.
FUMOUZE (A.). De la cantbaride offlcinalc (thèse de pharmacie).
In-jtde 58 pages et 5 planches. 3 fr, 50
FUMOUZE (V.). tes spectres d'absorption du sang (thèse de doc-
torat). In-4 de 141 pages et 3 pi. 4 fr. 50
GALEZ0W8KI. Desmârres, sa viç et ses œuvres. Ia-8. 2 fr.
GÂLEZOWSKI. tes troubles oculaires dans l'ataxie locomotrice.
In-8. 1884. 1 fr, 50
GÂLEZOWSKI. Sur l'emploi de l'aimant pour l'extraction des
corps étrangers métalliques de l'œil. In-8. 2 fr,
GARNIËR. Dictionnaire annuel des progrès des sciences et
Institutions médicales, suite et complément de tous les diction-
naires, précédé d'une Introduction par M. le docteur Amédée Latour.
23 vol. in-12 de 500 pages chacun.
Prix de la 1" année, 1864. 1 fr. 50
— des 2S 3% 4% 5« et 6« années, 1865 à 1869, chacune 2 fr.
— de la 7^ année 1870 et 1871. 2 fr. 25
— des 8«, 9«, 10% 11% 12% 13% 14% 15% 16% 17% 18% 19%
20% 21% 22^ et 23» années, 1872 à 1887, chacune. 2fr. 25
GELY. Études sur le cathétérisme curviligne et sur l'emploi
d'une nouvelle sonde dans le cathétérisme évacuatlf.
1 vol. in-4 avec 97 planches. 2 fr.
GEOFFROY SAINT-HILAIRE (Etienne). Tie, travaux et doctrine
scientifique, par Isid. Geoffroy Sai«t-Hilaire. 1 vol. in-12. 3 fr, 50
GERVAIS (Paul), zoologie. Reptiles vivants et fossiles. In-8. 7 fr.
GILLE. te traitement des malades à. domicile. 1 vol. in-8. 6 fr.
GINTttAG (E.). Cours théorique et clinique de pathologie In-
terne et de thérapie médicale. 1853-1859. 9 v. gr, in-8. 63 fr.
GIRAUD-TEULON. t'œil. Notions élémentaires sur la fonction de la
vue et ses anomalies. 2^ édition. 1 vol. in-12. 1 fr,
GIRAUD-TEULON, «Eil schématique, dimensions décuples.
1 tableau. 75 c.
GOLDSCHMIDT (D.), De la vaccine animale. In-8, 1885. 1 fr.
GOUBERT. Manuel de l'art des autopsies cadavériques. 1867.
1 vol. in-18avec 145fig. 2 fr.
GOUJON. Étude d'un cas d'hermaphrodisnie bisexué! Impar-
fait chez l'homme. In-8 avec 2 planches, 1872. 1 fr.
GREHANT. Recherches physiques sur la respiration de
l'homme. In-8 de 46 pages, avec 1 planche. 75 c.
GROVE (W. R.). Corrélation des forces physiques. In-8. 7 fr. 50
GUl^'lER. Essai de pathologie et de clinique médicales, conte-
nant des recherches spéciales sur la forme pernicieuse de la maladie
des marais, la fièvre typhoïde, la diphtérie, la pneumonie, la thoraco-
centèse chez les enfants, le carreau, etc. 1 fort vol. in-8. 8 fr.
26 OUVRAGES SCIENTIFIQUES
HÂNRIOT (I\I.). Hypothèses sur la constitution de la matière
(Thèse d'agrégation, 1880). 1 vol. in-8. 3 fr.
HÉMEY (Lucien). »e la péritonite tuberculeuse. In-8. 2 fr.
HENRY. (Charles). Cercle chromatique présentant tous les complé-
ments et toutes les harmonies des couleurs, avec une Introduction
sur la Théorie générale du la Dynamogénie, grand in-folio, beau
cart. ^ hO fr.
HENRY (Charles). Rapporteur esthétique, avec notice sur ses
applications. 20 fr.
HENRY (Charles) §>ur une loi générale des réactions psycho-
motrices, br. in-8. 2 fr.
HIRIGOYEN. ne l'influence des déviations de la colonne verté-
brale sur la conformation du bassin (Thèse d'agrégation,
1880). 1 vol. in-8, 4 fr.
Hommage à 91. Chevreul h l'occasion de son centenaire
(31 août *S8e). 1 beau vol. in-4 de 95 pages, imprimé sur
papier de Hollande, contenant sept mémoires originaux par MM. Rer-
THELOT, DEMARÇAY, DUJARDIN- REAUMETZ, A. GAUTIER, GrIMAUX,
Georges Pouchet et Ch. Richet. 1 fr. 50
HOUËL. Alanuel d'anatomie pathologique générale et appli-
quée, contenant le Catalogue et la description des pièces déposées au
musée Dupuytren. 2« édition. 1 vol. in-18 de 930 pages. 2 fr. 25
HUGHARD (H.). Étude critique sur la pathogénie de la mort
subite dans la flèvre typhoïde. 1 br. in-8, 1878. 1 fr. 25
HUXLEY. lia physiographie, introduction à l'étude de la nature,
traduit et adapté par M. G. Lamï. 1 vol. in-8 avec figures dans le
texte et 2 planches en couleurs, broché. 2^ édition. 8 fr.
ISAMBERT (E.). Études sur l'emploi thérapeutique du chlorate
de potasse, spécialement dans les affections diphtéritiques (croup,
angine couenneuse, etc.). 1 vol. in-8. 75 c.
ISAMBERT (E.). Parallèle des maladies générales et des mala»
dies locales. In-8. 1 fr.
JACOBY. Phtisie et altitudes. 1 br. in-8. 1889. 1 fr. 50
JACQUES. I^'intubation du larynx. In-8. 1888. 2 fr. 50
JAMAIN. Des plaies du cœur. Thèse d'agrégation. 1857. in-8. 75 c.
JORDAN. Traitement des pseudarthroses par Tautoplastie
périostiqae. In-4 avec 3 pi. 1880. 1 fr. 25
JOSAT. De la mort et de ses caractères. 1 vol. in-8. 7 fr.
JOSAT. Recherches historiques sur l'épilepsle. In-8. 2 fr.
JOUSSET DE BELLESME. Recherches expérimentales sur la
digestion des insectes, et de la Blatte en particulier, ln-8. 3 fr.
JOUSSET DE BELLESME. Phénomènes physiologique» de la
métamorphose chez la l.ibellule déprimée. In-8. 2 fr. 50
JOUSSET DE BELLESME. Recherches expérim. sur les fonc-
tions du balancier chez les insectes diptères. In-8. 3 fr.
KOVALEVSKY. E,'ivrognerie, ses causes, son traitement. 1 vol. in-8.
1888. Cart. 1 fr. 50
KUNZR;. Manuel de médecine pratique, traduit de l'allemand par
.*M. Knoeri, 1883. 1 vol. in-18. 1 fr. 50
LABORDE. L,es hommes et les actes de l'insurrection de Paris
devant la psychologie morbide. 1871. In-18 de 150 p. 2 fr. 50
LAHILONNE. Kssai de critique médicale. Pau et ses environs au
point de vue des afToctions paludéennes. Gr. in-8. 2 fr.
LAIIILONNE. Étude do météorologie médicale au point de vue
des voies respiratoires. 2 fr. 50
LAHILO.NNR. Histoire des fontaines de Cauterets et de leur em-
ploi au traitement des maladies chroniques. 1 vol. in-18, 1877. 3 fr.
LAHILONNE. Étude de posologie hydro-minérale rationnelle
dauM les troubles de la respiration et do la circulation. In-8,
1887. 1 fr.
OUVRAGES SGIENTIWQUES. 27
LANDAU. Théorie et traitement de la glycosurie. In-8. I fr. 50
LAUSSEDAT. l,a Suisse. Études médicales et sociales. Iu-18. 1 fr. 25
LE FORT. lia chirurgie militaire et les Sociétés de secours en
France et à l^étranger. In-8 avec gravures. 10 fr.
LE FORT. Étude sur l'organisation de la médecine en France et
à l'étranger. In-8, 1874. 3 fr.
LÉPINE. lie ferment glycoliptlque et le pathogénie du diahète.
In-8. 1891. 1 fr.
LEYD16. Traité d'histologie comparée de l'homme et des
animaux, 1 fort vol. in-8 avec 200 figures, 4 fr. 50
LIARD. Des définitions géométriques et des définitions
empiriques, i vol. in-18. 2« édition. 1887. 2 fr. 50
LIEBREIGH (Oscar). I^'hydrate de chloral. 75 c.
LIEBREIGH (Richard). Nouveau procédé d'extraction de la cata-
racte. In-8 de 16 pages, 1872. 75 c.
LIOUVILLE (H.), ne la généralisation des anévrysmesmiliaires.
1 vol. in-8 de 230 pages, et 3 pi. comprenant 19 fig. 6 fr.
LONGET. Traité de physiologie. 3^ édition. S vol. gr. in-8 avec
figures. 12 fr.
LONGET. Mouvement circulatoire de la matière dans les
trois règnes. 2 grands tableaux avec figures. 2 fr, 25
LOUET. Ouïde administratif du médecin-accoucheur et de la
sage-femme. 1vol. in-18, 1878. 1 fr. 25
lia lutte contre l'abus du tabac, publication de la Société contre
l'abus du tabac. 1 vol. in-18, 1889, Cart. à l'anglaise. 3 fr, 50
MAC GORMAG, Manuel de chirurgie antiseptique, traduit de
l'anglais par le docteur Lutaud, 1 fort vol. in-8. 2 fr.
MACARIO. Entretiens populaires sur la formation des mondes
et les lois qui les régissent. 1 vol. in-18. 2 fr. 25
MACARIO. liettres sur l'hygiène. 1 vol. in-18. 2 fr.
MACARIO. De l'Influence médicatrice du climat de IVIce.
4« édition. 1886. In-18. 1 fr.
MAIRET. Formes cliniques de la tuberculose mlliaire du
poumon (thèse d'agrégation, 1878). 1 vol. ih-8. 3 fr. 50
MANDON. De la fièvre typhoïde, nouvelles considérations sur sa
nature, ses causes et son traitement. 1 vol. in-8. 6 fr.
MANDON. Essai de dynamique médicale. 1886. 1 vol. in-8, 3 fr.
MANDON. Yan Helmont, sa biographie et ses œuvres. In-4. 6 fr.
Manuel populaire des premiers soins à donner aux malades
et aux blessés avant l'arrivée du médecin, publié par la
Société Française d'hygiène, 1 br. in-8. 1891. 60 c.
MAREYV Du mouvement dans les ^ fonctions de la vie.
1 vol, in-8 avec 200 figures dans le texte. 3 fr.
MARTIN. Du traitement des fractures du maxillaire inférieur
par un nouvel appareil. 1 vol. in-8 avec 61 fig. 1887. 3 fr.
MARTINY. liO bord de la mer, le traitement maritime et ses rapports
avec l'homœopathie. 1 vol. in-8 1889. 3 fr.
MARX (Edmond). De la fièvre typhoïde. In-8. 3 fr.
MAURIN (A. -S.). Dictionnaire du foyer et d'infirmerie. 1 vol.
in-18, 2« édition. 1886. 3 fr, 50
MAURIN (A.- S.). Mouveau formulaire magistral des maladies
des enfants. 1 vol. in-18, 2« édit. 1886. 3 fr. 50
MAURIN (A. S.). Formulaire de l'herboristerie. 1 vol. in-18.
1888. 4 fr.
MELLEZ. Genèse de la terre et de l'homme. 1 vol. in-8. 5 fr.
MENIÈRE. Cicéron médecin. Étude médico-littéraire. In-18. 4fr. 50
MENIERE. lies consultations de madame do iSévigné. Étude mé-
dico-littéraire. 1 vol. in-8. 3 fr.
MENIERE. lies moyens thérapeutiques employés dans les ma-
ladies de l'oreille. Thèse. Gr. in-8. 2 fr.
28 OUVRAGES SCIENTIFIQUES.
MENIÈRE. Du traiteiuont de rotorrbée puruIcHte chronique,
considérations sur la maladie de Manière. In-18. J fr. 25
MEUNIER (Stanislas). E.lthologie terrestre et comparée (roches,
météorites). 1 vol. in-8, 108 pages, 1 fr. 50
MOREL. Traité des champignons. I11-I8, avec grav. col. 8 fr.
MOUGEOT (de l'Âube). itinéraire d'un nbiétiste h travers les
sciences et la religion. In-18. 3 fr. 50
MOURAO-PITTA. Madère. Station médicale fixe. Climat des plaines et
des altitudes. 1889. 1vol. in-8, cart. 2 fr.
MURCHISON. De la nèvre typhoïde, avec Notes et Introduction du
docteur H. Gceneau de Mussy. 1 vol. in-8 avec figures dans le texte
et planches hors texte. 3 fr.
NÉLATON. Éléments do pathologie chirurgicale, par A. Néla-
ton, membre de l'Institut, professeur de clinique à la Faculté de
médecine, etc.
Seconde édition complètement remaniée par MM. les docteurs Jamain,
Péan, Després, Gillette et Horteloup, chirurgiens des hôpitaux.
Ouvrage complet en 6 vol. gr. in-8, avec 795 fig. dans le texte. 32 fr.
On vend séparément les volumes :
Tome premier, revu par le docteur Jamain. Considérations géné-
rales sur les opérations. — Affections pouva7it se montrer dans toutes
les parties du corps et dans les divers tissus. 1 f. v. gr.iu-8. 3 fr.
Tome deuxième, revu par le docteur Péan. Affections des os et des
articulations. 1 fort vol. gr. in-8, avec 288 fig. dans le texte, 5 fr.
Tome troisième, revu par le docteur Péan. Affections des articu-
lations (suite), affections de la tête, des organes de l'ol/action. i vol.
gr, in-8, avec 148 figures, 4 fr. 50
Tome quatrième, revu par le docteur Péan. Affectio7is des appa-
reils de l'ouïe et de la vision, de la bouche, du coti, du corps
thyroïde, du larynx, de la trachée et de l'œsophage. 1 vol. gr. in-8,
avec 208 figures dans le texte. — Ne se vend pas séparément.
Tome cinquième, revu par les docteurs Péan et Després, Affections
de la poitrine, de l'abdomen, de l'anus, du rectum et de la région
sacro-coccygienne . 1 vol, gr. in-8, avec 61 fig. dans le texte. 4 fr. 50
Tome sixième, par les docteurs Després, Gillette et Horteloup,
Affections des organes génito-urinaires de l'homme. — Affections
des organes génito-urinaires de la femme. — Affections des mem-
bres. 1 vol. gr. in-8, avec 90 figures. 1885. 10 fr,
NICAISE. Des lésions de Pintestin dans les hernies. In-8
de 120 pages. 3 fr,
NIEMEYER. Éléments de pathologie interne et de thérapeu-
tique, traduit de l'allemand, annoté par M. CORNIL, 3" édition
française, augmentée de notes nouvelles. 2 vol, gr. in-8, 4 fr, 50
NIVELET. Gall et sa doctrine. 1 vol. in-8. 1890. 5 fr.
GDIER ET BLACHE. f^uolques considérations sur les causes de
la mortalité dos nouveau-nés, et sur les moyens d'y remédier,
Gr. in-8 de 30 pages et XI tableaux, 1 fr. 50
OLLIVIER (Clément), InHuence des affections organiques sur la
raison, ou Pathologie morale. In-8 de 244 pages, 4 fr,
ONIMUS, De la théorie dynamique de la chaleur dans les sciences
biologiques. In-8. 1 fr.
ONIMUS et VIRY. Étude critique des tracés obtenus avec le car-
diographe et le sphygmographe, In-8 de 75 pages. 2 fr.
ONIMUS ET VIRY, Études critiques et expérlm. sur l'occlusion
des orifices auriculo-venlriculaires, In-18 de 60 pages. 1 fr. 25
PAQUET (F.). I.a gutta-percha ferrée appliquée à la chirurgie sur
les champs de bataille et dans les hôpitaux. In-8. 50 c.
PARENT (A.). Compte rendu de la Clinique de M. le D' Galo-
zowskl.(Du l"novembre 1878 au l*' novembre 1879.) In-8. 1 fr. 25
PÉAN. Splénotomie. Ablation complète de la rate. In-8, 1 fr.
OUVRAGES SCIENTIFIQUES. 29
PÉAN. De la forcîpressure, ou de l'application des pinces à l'hé-
mostasie chirurgicale. In-8, 1875. 2 fr. 50
PEAN. Du piacement des vaisseaux coninie moyen d'hémo-
stase. 1 vol. in-8, 1877, U fr.
PÉROCHË. lies causes des phénomènes glaciaires et tor-
rides, justification. In-8. 2 fr.
PÉROlJHE. Xes oscillations polaires et les températures géolo-
giques. In-8, 1880. 2 fr.
PÉROCHE. li'honime et les temps quaternaires au point de vue
des glissements polaires et des influences processionnelles. In-8. 2 fr.
PÉROCHE. liCS végétations fossilei^ dans leurs rapports avec les
révolutions polaires et avec les influences thermiques de la précession
des équinoxes. 1886. 1 vol. in-8. 3 fr.
PHILIPS (J.-P.). mnuence réciproque de la pensée, de la
sensation et des mouvements végétatifs, ln-8. 1 fr.
PICOT. De rétat de la science dans la. question des maladies
infectieuses. In-8, 1872. 2 fr.
PICOT. Recherches expérimentales sur rinflammation suppu-
rative. In-8 avec 4 planches. 2 fr.
PiETRA SANTA (de). Eaux minérales naturelles françaises et
étrangères autorisées au 1<"^ octobre 1891. 1 vol. in-8. 3 fr. 50
PIGEON (Gh.). Du rôle de l'électricité dans l'économie ani-
male. In-8, 1880. 1 fr. 50
PITRES. De l'hémiplégie syphilitique. 1 broch. in 8. 1889. 1 fr.
POEY. I.e positivisme. 1 vol. in-l2. 4 fr. 50
POEY. M. liittré et Aug. Comte. 1 vol. in-12. 3 fr. 50
POINTE. Hygiène des collèges. In-18. 1 fr. 25
PORAK (Ch.). Considérations sur Tictcre des nouveau-nés et
sur le moment où il faut pratiquer la ligature du cordon ombilical.
ln-8, 1878. 2 fr.
POHAK(Ch.). De l'influence réciproque delà grossesse et des
maladies de cœur (Thèse d'agrégation, 1880). 1 vol. in-8. 4 fr.
POUCHET (Georges). Des changements de coloration sous l'in-
fluence des nerfs. 1 vol. in-8 avec 5 pi. en couleur. 10 fr.
PREYER. Phyi>iologie spéciale de l'embryon, 1887. 1 vol. in-8,
avec fig. et 9 pi. hors texte. 7 fr. 50
QUEVENNE et ROUCHARDAT. — Voy. Bouchardat et Quevenne.
RARBINOWICZ. I^a médecine du thalmud. 1 vol. in-8. 10 fr.
RABUTEAU. Étude expérimentale sur les effets physiologiques
des fluorures et des composés métalliques. In-8. 75 c.
RABUTEAU. Phénomènes physiques de la vision. In-4. 75 c.
REGAMEY (G™^). Anatomie des formes du cheval à l'usage des
peintres et des sculpteurs, publié sous la direction de M. Félix Regamey,
avec texte par M. le docteur Kuhff 6 pi. en chromolithographie. 2 fr. 50
RE Y. Dégénération de l'espèce humaine et sa régénération.
1 vol. in-8 de 226 pages. 3 fr.
RICHARD. Pratique journalière de la chirurgie. 1 vol. gr. in-8
avec 215 figures dans le texte. 2^ édit., 1880, augmentée de cha-
pitres inédits de l'auteur, et revue par M. le docteur J. Crauk. 5 fr.
RIETSCH. Reproduction des cryptogames. 1 vol. gr. in-8, avec
figures. 5 fr.
ROBIN (Ch.). Des tissus et des sécrétions. Anatomie et physiologie
comparées. Gr. in-18 sur 2 colonnes. 1 fr. 50
ROBIN. Des éléments anatomiqnes. 1 vol. in-8. 1 fr. 50
ROMIÉE. De l'amhlyopie alcoolique. In-8, 1881. 2 fr.
ROISEL. i.es Atlantes. Études antéhistoriques. In-8, 1874. 7 fr.
ROTTENSTEIN. Traité d'anesthésie chirurgicale, contenant la
description et les applications de la méthode anesthésique de
M. Paul Bert. 1880. 1 vol. in-8 avec figures. 10 fr.
30 OUVRAGES SCIENTIFIQUES
SANDRAS et BOURGUIGNON. Traité pratique des maladies
nerveuses. 2 vol. in-8. 3 fr. 50
SANNÉ. Étude sur le croup après la trachéotomie, évolution
normale, soins consécutifs, complications. In-8. 4 fr.
SAUVAGE. 2EooIogie. Des poissons fossiles. In-8. 1 ^r. 25
SCHIFF. I^eçons sur la physiologie de la digestion, faites au
Muséum d'histoire naturelle de Florence. 2 vol. gr. in-8. 20 fr.
SCHWEIGGER. I^eçons d'ophtbalmoscopie,1885, 3 fr. 50
SOELBERG-WELLS. Traité pratique des maladies des yeux.
1 fort vol. gr. in-8, avec figures. Traduit de l'anglais. 4 fr. 50
SOUS, manuel d'ophthalmoscopie. 1 vol. in-8. 1 fr. 25
TALAMON. Recherches anatomo- pathologiques et cliniques
sur le foie cardiaque. Gr. in-8. 2 fr.
TARDIEU. Manuel de pathologie et de clinique médicales.
4^ édition, corrigée et augmentée. 1873. 1 vol. gr. in-18. 2 fr. 50
TAULE. IVotions sur la nature et les propriétés de la matière
organisée. In-8. 1 fr. 25
TAYLOR. Traité de médecine légale, traduit sur la 7« édition
anglaise, par M. le docteur Henri Coutagne. 1 vol. gr. in-8. 4 fr. 50
TERRIER (Félix). De l'œsophagotomle externe. In-8. 3 fr. 50
TERRIER (Félix). Des anévrysmes cirsoldes (Thèse d'agrégation^
1872). In-8. 3 fr.
THÉRY (de Langon). Traité de l'asthme. 1 vol. in-8. 5 fr.
THÉVENIN et DE VARIGNY. Dictionnaire abrégé des sciences
physiques et naturelles. 1 vol. in-18 de 630 pages sur deux
colonnes. Cart. à l'anglaise. 1889. 5 fr. ,
TROLARD. De la prophylaxie des maladies exotiques, impor-
tables et transmissibles. Des mesures propres à remplacer les
quarantaines. 1 br. ia-8. 1891. 1 fr.
UFFELMANN. Des maisons hospitalières destinées aux enfants
faibles etscrofulenxdes classes pauvres, etc. In-8, 1884. 1 fr. 50
VAN ENDE (U.). Histoire naturelle de la croyance, l""^ partie :
l'animal. 1 vol. in-8. 1887. 5 fr.
VARIGNY (H. G. de). Recherches expérimentales sur l'exci-
tabilité électrique des circonvolutions cérébrales et sur
la période d'excitation latente du cerveau. In-8, 1884. 2 fr.
VASLIN (L.). Études sur les plaies par armes à feu. 1 vol,
gr. in-8 de 225 pages, accompagné de 22 pi. en lithogr. 6 fr.
VERNIAL. Origine de l'homme, d'après les lois de l'évolution natu-
relle. 1 vol. in-8, 1882. 3 fr.
VILLENEUVE Cliniques chirurgicales de l'Hôtel-Dieu de Marseille
(1888-1889). In-8, 1891. 2 fr.
VILLENEUVE. De l'opération césarienne après la mort de la mère,
réponse à M. le docteur Depaul. Br. in-8 de 160 pages. 2 fr. 50
yjRGHOW. Des trichines, à l'usage des médecins et des gens du
monde . In-8 de 55 pages et pi. coloriée. 75 c.
VIRGHOW. Pathologie des tumeurs, cours professé à l'Université de
Berlin, traduit de l'allemand par M. le docteur Aronssohn.
Tome I. 1 vol. gr. in-8 avec 106 fig.; 3 fr. 75. Tome 11. 1 vol.
gr. in-8 avec 74 fig.; 3 fr. 75. Tome lU. 1 vol. gr. in-8 avec
49 fig; 3 fr. 75. Tome IV (1" fascicule). 1 vol. gr. in-8 avec fig. 1 fr. 50
WIET. Do l'élongation des nerfs. 1882. In-8 avec figures. 4 fr.
WILLEMIN.Des coliques hépatiques et do leur traitement par
res eaux de Yichy. 4^ édit. 1886. 1 vol. in-18. 3 fr. 50
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PUBLICATIONS PÉRIODIQUES
Revue de Médecine
DIRECTEURS : MM.
BOUCHARD I CHARCOT
Prof, à la Faculté de méd. de Paris, Médecin de Prof, à la Faculté de méd. de Paris, Médecin de la
Lariboisière, Membre de l'Académie des sciences. | Salpêtrière, Membre de l'Académie des sciences.
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Inspecteur général des écoles vétérinaires. Membre de l'Académie des sciences.
RÉDACTEURS EN CHEF : MM.
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Professeur agrégé à la Faculté de médecine de Paris,
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do Lyon, Correspondant de l'Institut.
Revue de Chirurgie
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de Lyon, Correspondant de l'Institut.
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de Paris, Membre de l'Académie des sciences.
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Chirurgien de l'hôpital Laennec.
F. TERRIER
Prof, agrégé à la Faculté de méd. de Paris, Membre
de l'Acad. de méd. Chirurgien de l'hôpital Bichat.
Ces deux Revues paraissent depuis le commencement de 1881, le 10 de chaque mois,
chacune formant une livraison de 3 ou 6 feuilles d'impression, gr. in-S".
Elles continuent la Revue mensuelle de médecine et de chirurgie fondée en 1877.
Abonnement pour chaque Revue séparée. i Abonnement pour les deux Revues réunies.
On an, Paris 20 fr. Un an, Paris 35 fr
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Chaque année de la Revue mensuelle de médecine et de chirurgie, de la Revue de
médecine et de la Revue de chirurgie se vend séparément. 20 fr. — Chaque livraison. 2 fr.
Archives italiennes de Biologie
Publiées en français par A. Mosso, Prof"^ à l'Université de Turin.
Tomes I et II, 1882, 30 fr. — Tomes II! à Xli (1883 à 1890), chacun 20 fr.
Ces Ai'chives paraissent sans périodicité fixe; chaque tome, publié en 3 fascicules,
coiite 20 francs, payables d'avance.
JOURNAL DE L'ANATOMIE ET DE LA PHYSIOLOGIE
normales et pathologiques
DE L'HOMME ET DES ANIMAUX
Dirigé par MM^
GEORGES POUCHET
Professeur-administrateur
au Muséum d'histoire naturelle.
MATHiAS DUVAL
Membre de l'Académie de médecine.
Professeur à la Faculté de médecine.
VINGT-HDITIÉME ANNEE (1892)
Ce journal, fondé par Charles Robin, paraît tous les deux mois et a pour objet: la téra-
tologie, la chimie, organique, Vhijgiène, la torÀcologie et la médecine légale dans leurs
rapports avec l'anatomie et la physiologie, les applications de l'anatoniie et de la phy-
siologie à la pratique de la médecine, de la chirurgie et de l'obstétrique.
Il forme à la fin de l'année un beau volume grand in-8% de 700 page^ environ, avec
de nombreuses gravures dans le texte et 30 planches lithographiées, ou en taille-douce,
en noir et en couleurs, hors texte.
Un an : pour Paris, 30 fr. ; pour les départements et l'étranger, 33 fr. — la lirraison, 6 fr.
Les treize premières années, 1864, 1865, 1866, 1867, 1868, 1869, 1870-71,1872^ 1873,
1874, 1875, 4876 et 1877, sont en vente au prix de 20 fr. l'année, et de 3 fr. 50 la livrai-
gon. Les années suivantes depuis 1878 coûtent 30 fr., la livraison 6 fr.
— 32 —
RECUEIL D OPHTALMOLOGIE
Dirigé par les D" Galezowski et Boucher
Paraissant tous les mois par livraisons in-8 de 4 feuilles
3^ série, U* année, 1892.
Abonnement : Un an, 20 fr., pour la France et l'Étranger. La livraison, 2 francs.
La 1" série, publiée sous le titre de Journal d'ophtalmologie, par MM. Galezowski
et PiÉCHAUD, année 1872. 1 vol. in-8 20 fr.
Les volumes de la 2« série, années 1874, 1875, 1876, 1877, 1878, se vendent chacun
séparément 15 fr.
La 3° série commence avec l'année 1879. Prix des années 1879 à 1889: Chacune
séparément 20 fr.
Annales de la Société d'Hydrologie Médicale
DJE FARI8
COMPTES RENDUS DES SÉANCES DE 4854 A 1891
Abonnement : un an, Paris, 6 fr. ; Départements, 7 fr. ; Étranger 8 fr.
34 volumes in-8 : Paris, 20i fr.; Départ,, 238 fr. — Chaque volume sép., 7 fr.
ANNALES DES SCIENCES PSYCHIQUES
Recueil d'observations et d'expériences paraissant tous les deux mois
Dirigé par le JD"^ DARIEX
DEUXIÈME ANNÉE, 1892
Les Annales des Sciences psychiques, dont le plan et le but sont tout à fait nouveaux, paraissent
tous les deux mois depuis le 15 janvier 1891. Chaque livraison forme un cahier de quatre feuilles in-8*
carré, de 64 pages, renfermé s lUS une couverture.
Elles rapportent, avec force preuves à l'appui, toutes les observations sérieuses qui leur sont adres-
sées, relativement aux faits soi-disant occultes de télépatliie, de lucidité, de pressentiments, de
mouvements d'objets, d'apparitions objectives.
En dehors de ces recueils de faits, sont publiés des documents et discussions sur les bonnes condi-
tions pour observer et cjcpérimenter, des analyses, des bibliographies, des critiques, etc.
Abonnements : Un an, du 25 janvier, 12 francs ; la livraison, 2 fr. 50
REVUE MENSUELLE
de l'École d'Anthropologie de Paris
PUBLIÉE PAR LES PROFESSEURS
Deuxième Année, 1892
La Revue mensuelle de l'École d'Anthropologie de Paris paraît le 15 de chaque mois.^
Chaque livraison forme un cahier de doux feuilles in-S" raisin (32 pag'es) renfermé sous une couverture
imprimée et contenant :
1» Une leçon d'un des professeurs de l'École. Cette leçon, qui forme un. tout par elle-même, est
accompapfnée de gravures, s'il y a lieu ;
2" Des analyses et comptes rendus des faits, des livres et dos revues périodiques, concernant l'an-
thropolof^ie de façon à tenir les lecteurs au courant des travaux des Sociétés d'anthropologie fran-
çaises et étrangères, ainsi que des publications nouvelles ;
3" Sous le titre: Variétés. soai rassemblés des notes et des documents pouvant être utiles aux per-
sonnes qui s'intéressent aux sciences anthropologinues.
Prix d'abonnement :
Un an (à partir du 15 janvier) pour tous pays, 10 francs; la livraison, 1 franc.
REVUE MEDICALE DE L'EST
PARAISSANT LE 1«"" ET LE 15 DE CHAQUE MOIS
Dix-neuvième année, 181)2
Comité de Rédaclion : MM. les Professeurs Baraban, Bernheim, Démange, Gross, Hergott,
IlEYDENREicir, ScnMiTT, Spili.mAnn, (le la Faculté de Médecine de Nancy.
Rédacteur en chef : M. P. Parisot, Professeur agrégé à la Faculté de Médecine de Nancy.
Abonnement: Un an, du !•' janvier, France et Étranger: 12 francs
Pour les Étudiants en médecine : P> francs,
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