LES
AMOUREUX DU LIVRE
SONNETS D'UN BIBLIOPHILE
F<yl^T<yirSIES
COMMANDEMENTS DU BIBLIOPHILE
UrBLIOTHILlaiNA
NOTES ET ANECDOTES
F. FERTIAULT
TTi,ÉFQ^CE "DU 'BI'BLIOTHILE Jq4C0'B
Seize Eaux-fortes
DE
JULES CHEVRIER
De vos beaux livres qui en voudra avoir se faut
depescher d'en achepter (comme disoit Rabelais 1 car
après la première impression ne s'en fera plus
(Ch. Fontaine. Quintil Censeur, i556.)
A . C L A U D I N . É D I T P: U R
3, Rue Guénégaudy 3
M. D.CCC.LXXVII
I ., . I
LES
AMOUREUX DU LIVRE
SONNETS D'UN BIBLIOPHILE,
FANTAISIES, COMMANDEMENTS DU BIBLIOPHILE,
BIBLIOPHILIANA, NOTES ET ANECDOTES
F FERTIAULT
TTi^ÈFcACE VU "B l^BLl OTH 1 LE JcACO'B
(PAUL LACROIX)
SEIZE EAUX-FORTES
DE
JULES CHEVRIER
Les livres ont toujours été la passion
des honnêtes gens.
(Gilles Ménage,)
PARIS
qA. CLcAUVIU^, ÉVÎTEUT{_
3, rue Guénégaud, 3
M DCCC LXXVII
UnivesiLis
SCHOLA
BIBUOTHcCARlORUM
Ottaviensis
2.
c4 ^lOS^SE IG?^EU\
HENRI D'ORLÉANS
DUC D'AUMALE
de l'Académie Françaiie,
Président d'honneur de la Société des Bibliophiles Français,
de la Société du Philobiblion de Londres, etc., etc.
Monseigneur,
\'oizAfOUT{^ éclairé que vous ave~, en tout
temps, porié aux beaux livres, vous a placé
au premier rang, sans coniesre, parmi les
véritables a Amoureux du Livre. » oi une époque
où. certains éditeurs, désireux de bien faire, avaient à
lutter contre l indifférence du goût public, vous leur
envoyiez de la terre d'exil un chaleureux et puissant
encouragement en souscrivant le premier pour le plus
bel exemplaire sur vélin, quel quen fût le prix, dési-
DÉDICACÉ.
reux de témoigner ainsi du haut intérêt, que, même
loin de la patrie, vous portiei aux Lettres françaises.
cAujourSiiui les temps sont changes, îimpulsion est
donnée, un public d élite accueille avec une faveur
marquée les produits de la typographie française qui,
par leur exécution soignée, lui paraissent dignes d'at-
tention. Termettei-donc que ce livre vous soit dédié,
non comme on dédiait jadis aux grands et aux puissants
du jour pour obtenir d'eux des faveurs et des récom-
penses, mais quil vous soit offert à titre de reconnais-
sance envers le Prince des Bibliophiles, qui a été tun
des premiers promoteurs du goût des beaux livres en
France et na cessé de les encourager.
c4ux premiers temps de f Imprimerie, dans les dédi-
caces quon adressait soit à un ami, soit à un zMécène
— et il rien manquait pas alors, — il était d'usage
d initier le public à l'histoire du livre, à ses diverses
phases et péripéties.
ce Les Amoureux du Livre, » amoureux de la
forme antique, sollicitent de vous la faveur de rétablir
quelque peu cette ancienne coutume littéraire.
Ce ri est pas dun seul jet que ce livre a été conçu et
produit. V auteur, bibliophile et poète, pendant des
années, à ses heures perdues, s'exerçait à condenser
en des Sonnets dune contexture difficile , les divers
caractères de la passion des livres quil observait tout
DÉDICACE.
autour de lui. Entre temps, un de ses intimes, auquel
il communiquait ses rêveries poétiques, prenait plaisir
à traduire, avec son crayon d artiste, ce qui pouvait
être développé dans la pensée du poète. On ne se sou-
cie guères de poésie à notre époque et, sans F originalité
de la matière qui n avait pas encore été ainsi traitée,
et le mérite des dessins, /eusse décliné Foffte d'en être
f éditeur ; toutefois je recommandai à t auteur de join'
dre à son livre une partie en prose contenant des anec-
dotes bibliographiques, afin de faire passer ses vers dont
fêtais, je l avoue, juge asseï médiocre. Quelque temps
après, Fauteur m apporta ses Fantaisies d'un Biblio-
mane. Ce n était pas encore précisément ce que f avais
demandé; mais cette prose était asseï bien tournée et
je trouvai quelle pourrait émouvoir la fibre sensible
des bibliophiles , et quelle ne serait pas trop déplacée à
la suite des Sonnets d'un Bibliophile. Je me décidai
donc à faire imprimer ces Fantaisies, accompagnées
d illustrations convenables au sujet. éMais ce ii était pas
tout Savoir donné libre et pleine carrière à ï imagina-
tion, il fallait aborder le côté sérieux : la Philosophie
du Livre. Hauteur réunit des matériaux épars, en fit un
choix, les coordonna et forma ainsi une véritable antho-
logie bibliographique à laquelle nous donnâmes le nom de
Bibliophiliana. Les Notes et Anecdotes vinrent en-
suite pour expliquer les allusions de la poésie et les
passages qui auraient pu paraître obscurs. Tour couron-
DFDICACE.
ner t œuvre, quelques amis, selon la mode 'Rpnsardienne
du XV i^ siècle, adressèrent à t auteur des pièces de vers
et des lettres pour Tencourager à paraître en public.
Le doyen des bibliophiles, le 'Bibliophile Jacob, a
tenu, en maître affectueux, à présenter le nouveau venu
au monde littéraire, et de sa plume élégante et intaris-
sable a rappelé, avec verve et chaleur, plus d'une anec-
dote à la plus grande gloire et exaltation du Livre.
Une de ces histoires, ^Monseigneur, vous intéresse
particulièrement. Elle a trait à la conservation, au fort
des fureurs populaires, " du plus beau livre qui soit
au monde » comme s'écriait fiévreusement le biblio-
phile iiMotteley, d'un véritable Joyau de famille, du
fameux Perceforest, sur vélin, du comte de Toulouse,
dont vous fîtes si royalement payer la rançon à la vente
de la 'Bibliothèque du Talais-%oyal.
Cest dans la patrie de Jean de Tournes, le célèbre
typographe du xvi^ siècle dont la devise anagramma-
tique a Son art en Dieu n (ian de tournes) a été
inscrite au fronton de î œuvre, dans la maison de Louis
Terrin, de celui qui, renouvelant les saines traditions
de fart typographique, a su, le premier en France, re-
donner le vrai et beau type archaïque à ces livres auxquels
vous avei si généreusement donné î hospitalité dans votre
bibliothèque ; cest à Lyon, T ancienne cité typographique
et littéraire des Gryphe, des Est. Volet et des T{ouille,
les dignes émules des Estienne, des Vascosan et des
DÉDICACE. Vij
cMorel, que ce texte a été matériellement combiné,
exécuté et imprimé.
Quant aux eaux-fortes, cest à Chalon, sur les rives
vertes de la Saône quelles ont été dessinées, gravées
et fouillées avec amour par zM. Jules Chevrier, peintre
distingué et bibliophile qui na pas craint de venir
exprès à Taris pour en surveiller le tirage artistique.
Voilà f histoire de notre livre. Tuisse-t-elle intéres-
ser les 'Bibliophiles de t avenir ! U^us avons tout cal-
culé, tout pesé, tout distribué pour faire en sorte de le
mener à bonne fin ; mais les livres, comme les hommes,
ne sont pas parfaits ; on s'efforce de les rendre meilleurs ;
nous tâcherons de faire mieux. Et maintenant veuillei
excuser
Uotre très-humble et obéissant serviteur,
cA. CLqAUVI^,
Éditeur-Bibliophile.
•A*^î?^r^l^?^ï^^i^6•^i?*^^V*^J^ft'W
Queh grands bonheurs le Livre à vos yeux fait goûter.
Vous en aimez le corps. — Et moi j'en aime l'âme.
L'âme. — Ce que le Livre envoie à notre esprit,
Ce que dans ses feuillets, en legs cher et suprême,
Un kimineu.x cerveau nous laissa de lui-même;
Conseil qu'un ami mort chaque jour nous écrit ;
Fluide que l'auteur en inspiré surprit
A l'heure où du génie il reçut le baptême,
Et que, poiNT nous toucher, nous ses enfants qu'il aime,
11 fixa dans son texte où sa voix nous sourit.
C'est cet éclair, ce feu, ce rayon qu'on sent vivre,
Qi_i'il me plaît de nommer l'àme, l'àme du Livre.
(Sonnets d'un Bibliophile, pages 6-7.)
— Belles dames, venez ! Surtout pas d'air moqueur !
Ne vous effrayez pas de ces rimes sincères
Où le rêve a versé le pur de sa liqueur.
Par elle le poète a charmé ses misères.
Lise-^-ncus
(Sonnets d'un Bibliophile, page 35,)
T%ÈFqACE
LETTRE DU BIBLIOPHILE JACOB
à l'auteur des
o4éMOU\EUX VU UV\E
Voyla mon cas,
Compagnons. Je ne pense pas
Rien estre qui plus me console
Que cecy
(J^eiis des supposts du Seigneur de la
Coquille, récite^ a Lyon en 1589.)
Py^rfi^E vous remercie, mon cher ami, d'avoir
>/x| l^ bien voulu me communiquer les bonnes
^X^;;^ feuilles de votre intéressant et charmant
ouvrage. C'est une sorte de droit du seigneur, que
vous accordez à un vieux bibliophile, qui est en-
chanté de pouvoir vous lire et vous applaudir avant
tout le monde.
Amoureux du Livre ! Vous commenciez à l'être,
lorsque je Tétais déjà depuis longtemps. Il y a qua-
XII
rante ans de cela (i), s'il vous en souvient; vous
étiez bien jeune, je n étais pas encore bien vieux,
et je puis dire que si je ne vous ai point appris à
aimer les livres, je ne vous ai pas empêché de les
aimer. Je vous voyais ayant toujours un volume de
poésie en poche ou à la main, et ce volume de
poésie, qui ne changeait pas souvent quand c'était
André Chénier ou Millcvoye , ce volume-là fut le
premier livre de vos amours. C'est lui qui vous a
fait poëte.
Je suis heureux, mon cher ami, de vous retrouver,
à quarante ans d'intervalle, aimant encore les livres
et ne vous lassant pas de les aimer. Votre ouvrage
est, en quelque sorte, un chant d'amour et de
triomphe en l'honneur du Livre, le vrai dieu des
lettrés, ce vrai dieu bienfaisant et consolateur, au-
quel nous rendons un culte idolâtre. Voici le
bréviaire de notre noble culte, et tous les amateurs
du Livre ne manqueront pas de le feuilleter avec
une sympathique dévotion, en répétant à l'unisson
vos antiennes.
Vous avez cité une foule d'écrivains de tous les
temps et de tous les pays, qui ont parlé du Livre ;
mais il eût fallu, pour les citer tous, quadrupler les
(i) En i8j5, M. François Fertiault publiait son premier ouvrage :
La Nuit du Génie, poome.
xuj
proportions de votre ouvrage. Vous ne pouviez
oublier Jules Janin et Mouravit, qui ont consacré
chacun un beau volume, intitulé : le Livre, au
sujet que vous n'avez pas craint de traiter après
eux; mais vous navez pas assez parlé d'un brave
libraire, Edmond Werdet, qui a écrit ÏHiswire du
Livre en cinq volumes, et qui, devenu presque aveu-
gle, s'attachait encore, par la pensée, à l'objet des
affections de sa vie entière. Quant à moi, je me
tiens très-honoré d'avoir ma place, et en bon
lieu, parmi les (Amoureux du Livre, anciens et mo-
dernes.
J'ai bien des fois parlé du Livre, en effet, dans
mes ouvrages, et si je formais un recueil de tout ce
que j'ai écrit à cet égard, ce recueil serait presque
aussi gros que le vôtre, mon cher ami, puisque je
me suis préoccupé de la plupart des questions spé-
ciales qui vous ont paru dignes de figurer, en ma-
nière de tesnmonia, à la suite de vos Sonnets, et que
vous avez cueillies à pleines mains dans le vaste
champ des œuvres Uttéraires et bibUographiques.
zManihus date lilia plenis. Je désire pourtant ajouter
ici, comme corollaire, un petit Eloge du Livre, le-
quel n'a pas encore été imprimé et qui fut lu, il y a
quelques années , dans une réunion composée
d'auditeurs bienveillants, qu'on pouvait mettre, ce
jour-là, au nombre des oimoureux du Livre.
C'étaient les fondateurs, les administrateurs ce
les membres associés d'une Bibliothèque populaire,
à laquelle j'ai donné tant de livres, qu'il m a bien
fallu accepter le titre de président honoraire de
l'administration de cette Bibliothèque, qui a son
siège dans un des quartiers les plus excentriques de
Paris, à La Villette. Vous voyez que les c4moureux
du Livre sont partout, grâce aux progrès des lu-
mières, que les incendies de la Commune, au pé-
trole, ont probablement augmentées et multipliées.
Dans tous les cas, ma Bibliothèque populaire des
Amis de 1 Instruction du XIX^ arrondissemeut a eu la
chance d'échapper à ces incendies, qui ont détruit
ma Bibliothèque de Motteley, que j'avais fait léguer
à l'Etat, et que feue la Bibhothèque du Louvre
avait adoptée comme une pauvre petite orpheline.
La Bibliothèque de Motteley était la plus précieuse
et la plus riche du monde en reliures historiques,
en éditions elzéviriennes, en beaux exemplaires
d'amateurs, en raretés et en curiosités bibliogra-
phiques ; la Bibliothèque de La Villette contient
plus de 4,000 volumes, qui sont bons à lire et qui
ne craignent pas beaucoup d'être maltraités par le
lecteur.
Voici donc ce que je disais à nos Amoureux du
Livre de La Villette :
« Oui, Messieurs, comme moi, vous aimez les
I
livres, puisque vous vous êtes associés non-seule-
ment pour créer une Bibliothèque à votre usage,
mais encore pour distribuer fraternellement les bien-
faits de cette Bibliothèque à quiconque n'a pas de
livres et vous demande sa part de ce pain spirituel,
aussi nécessaire à Tesprit que le pain matériel Test
au corps,
« 11 y a dans un bien vieux hvre, le plus obscur,
le plus étrange des livres, qu'on ne lit guère aujour-
d'hui et dont je ne recommande pas la leélure à tout
le monde, il y a dans les Prophéties d'Ezéchiel une
admirable figure ou allégorie, qu'il nous est per-
mis, du moins, de comprendre. Le Prophète s'a-
bandonne au découragement ; il se sent mourir de
faim, de lassitude et de désespoir. Tout à coup ap-
paraît un Ange, un Génie, qui lui présente un livre
rayonnant de lumière, en lui disant : « Mange ce
livre, et tu vivras ! »
» Le Livre, Messieurs, c'est la raison humaine,
c'est la science divine.
tf Heureux, bienheureux sont ceux-là qui aiment
les livres et qui savent s'en servir ! Ils s'entretien-
nent avec les sages et les doctes des anciens temps ;
ils écoutent leurs conseils; ils se nourrissent de
leurs pensées. Alors les aveugles voient, les sourds
entendent, quand le Livre leur montre le but, le
vrai but de la vie, en leur parlant de famille et de
xyi
PRÉFACE.
patrie, de travail et d'honneur, de justice et de
liberté.
« Votre Bibliothèque, Messieurs, contient tout
cela, quoiqu'elle ne se compose que de bien peu de
volumes ; mais on ne saurait croire ce que peut
renfermer un seul volume, un volume de Molière,
de La Fontaine, de Voltaire ou de Rousseau. Cest
bien là surtout ce qui me semble merveilleux dans
le Livre, qui résume parfois, en quelques pages,
toute la sagesse des nations, toute l'essence des
doctrines philosophiques, tous les efforts, tous les
prestiges, toutes les grandeurs de l'esprit humain.
« Ah ! qu'on me donne un seul livre, Horace,
Rabelais, Montaigne, Pascal, La Bruyère, par exem-
ple; je n'en veux pas d'autre pendant des semaines,
pendant des mois, car je le relirai sans cesse et j'y
trouverai toujours, après l'avoir relu cent fois, un
nouveau sujet d'étude, d'instruction, de rêverie,
de délassement et de plaisir.
« iMais si je m'étonne et me réjouis de tout ce
qu'on peut trouver dans un seul hvre, ce n'est pas
pour vous dissuader, pour vous empêcher d'avoir
beaucoup, beaucoup de livres. Au contraire, je de-
mande. Messieurs, que votre BibUothèque soit
nombreuse, en restant bien choisie 5 je désire qu'elle
réunisse une utile et agréable variété d'ouvrages,
qui puissent convenir à tous les goûts, à tous les
XVIJ
âgeSj à toutes les positions, à tous les besoins. Une
bibliothèque publique, si modeste qu'elle soit,
doit mériter la belle devise que s'était attribuée un
facétieux écrivain du xvi^ siècle, Etienne Tabouret :
c4 TOUS accords! »
C'est d'après ce principe fondamental que j'avais
organisé cette Bibliothèque de La Villette, qui ren-
ferme la plupart des livres nécessaires qu'il faut
avoir pour représenter les cinq classes du système
bibliographique de notre savant libraire Gabriel
Martin : Théologie, Jurisprudence, Sciences et Arts,
Belles-Lettres, Histoire. Ce système bibliographique
est encore le meilleur, le plus logique et le plus
simple qu'on puisse appliquer à la formation d'une
Bibliothèque. Grâce audit système, force a été
d'admettre naturellement des livres de théologie,
dans une Bibliothèque créée par des libres-penseurs
(je m'en excuse et m'en lave les mains) 5 ces livres
de théologie ne sont pas nombreux, une cinquan-
taine de volumes au plus, un peu de Bossuet, de
Fénelon et de Massillon, la Bible, le Nouveau
Testament, limitation de Jésus-Chrijl. C'est assez
joU, n'est-ce pas, pour des libres-penseurs, braves
gens, honnêtes gens, du reste, qui me permettent
de croire en Dieu, comme vous, mon ami.
Vous voyez que, pour être, comme vous aussi,
un (Amoureux du livre (et j'ai fait mes preuves de-
XViij PRÉFACE.
puis cinquante ans), je ne suis ni exclusif, ni into-
lérant, et que je ne contrains pas les gens à n'aimer
que certains livres, à ne lire que les bons ; je ne
les invite pas même à détruire, à brûler les mauvais,
car, en ma qualité d'cAmoureux du Livre, en géné-
ral, j'ai des préférences et des répugnances ; j'ai
des passions et des illusions , ainsi que tous les
amoureux, mais je pense que les plus mauvais
livres ont leur raison d'être et leur utilité relative,
comme les poisons parmi les végétaux, comme les
bêtes féroces parmi les animaux, comme les dé-
mons parmi les puissances du monde invisible. Il
est vrai qu'à mon âge l'amoureux se métamorphose
en philosophe.
Vous avez reconnu, vous avez constaté, dans
votre ouvrage, mon cher ami, que l'amour du Livre
arrive tôt ou tard à la philosophie du Livre, puisque,
dans votre 'Bibliophiliana, où se trouve rangé, par
ordre alphabétique, tout un aréopage de bibliophiles
et de bibliognostes, vous vous préoccupez surtout
de nous faire connaître ce quon a dit du Livre a toutes
les époques ; c est le Livre envisagé du coté philoso-
phique, et le Livre nous apparaît comme l'expression
multiple de la sagesse des nations.
Il y a, aussi, bien de la philosophie dans ce qui
vous appartient en propre, dans les beaux vers,
parfois si touchants et si mclancohques, que le Livre
PREFACE.
VOUS a inspirés. C'est là surtout^ cher bibliophile,
la poésie du Livre.
Quant à vos Notes et Anecdotes, qui se ratta-
chent à vos Sonnets bibliographiques et qui en font
le commentaire curieux et piquant, elles ne sont
qu'un extrait des innombrables matériaux que vous
avez accumulés dans cette série de documents con-
cernant les livres et les bibliophiles. C'est de ces
derniers qu'on peut dire qu'il y a beaucoup d'appe-
lés et peu d'élus. On ferait pourtant un dictionnaire
biographique des bibliophiles, aussi étendu, aussi
abondant que ceux qui ont été faits sur les médecins,
les architectes, les musiciens et les Jésuites. Ce
dictionnaire-là se fera, un jour ou l'autre, ad ma-
jor em librorum gloriam.
Je veux seulement vous signaler une lacune dans
votre nomenclature des bibliophiles : vous n'avez
point assez parlé des passionnés et des excentriques.
Vous auriez dû recueillir ces sanglantes légendes
de bibliophiles espagnols, des moines ordinaire-
ment, qui se sont empoisonnés, égorgés l'un l'au-
tre, pour la possession d'une édition rare, d'un
exemplaire unique. Vous citez bien un ou deux
oimoureux du Livre, qui sont morts de douleur, à la
suite de la perte de leur bibliothèque; mais vous
ne mentionnez pas ceux qui devinrent fous, en
perdant tout-à-coup leurs livres et leurs manus-
prIface.
crics. Le célèbre professeuF humaniste de Forli,
Codrus Urccus, fut un de ces fous-là. Un jour,
après avoir travaillé, toute la nuit, à la lueur de 1a
lampe, dans sa bibliothèque, il sortit, sans avoir
éteint cette lampe, qui devait le rappeler au travail :
le feu prit à ses papiers et consuma tout ce qui
était dans la chambre, Il accourut désespéré et
furieux : il voulait se précipiter dans les flammes
pour sauver ses livres : « O Christ, s écriait-il, quel
grand crime ai-je donc commis ? Quel des tiens
ai-je offensé, pour te laisser emporter contre moi à
une haine si impitoyable ? » Puis, il s adressait à la
Sainte Vierge, en la suppliant d'éteindre Tincendie
et en la menaçant d'aller se cacher dans les enfers.
Ce fut dans une forêt qu'il se cacha pendant vingt
quatre heures; quand la faim le ramena dans la
ville, il se réfugia chez un menuisier, où il vécut,
six mois durant, seul et sans livres. Quel supplice
pour un savant, pour un lettré ! Sans Hvres !
Je regrette que vous n'ayez pas fait mention des
bibliophiles illuminés ou fantaisistes, qui, à l'instar
du poète Mérard de Saint-Just, se mettaient en
quête de livres imaginaires et qui consignaient,
dans leur catalogue, certaines éditions, qu'on ne
trouvera jamais, parce qu'elles n'ont jamais existé.
C'cfl ainsi qu'un maniaque de la Révolution,
L. P. Dufourny, s'était fait une collection théâ-
XXJ
traie composée d'éditions inconnues et d'exemplai-
res uniques, en grattant ou en surchargeant la
date de chaque pièce, sur laquelle il ajoutait en
note : édition non citée par les bibliographes. Vous
avez parlé de ce fameux marquis de Chalabre,
qui a cherché, pendant vingt ans, une édition
de la Bible, qu'il avait entrevue dans un de ses
rêves , et dont , par malice , Charles Nodier lui
avait affirmé l'existence. C'eût été l'occasion de
raconter un peu plus longuement, avec force dé-
tails divertissants, l'histoire désopilante du fameux
Catalogue du comte de Fortsas, mystificadon biblio-
graphique de haut goût, imaginée, en 1840, par le
facétieux Renier Châlon, président de la Société des
Bibliophiles de Mons, et qui fit tant de bruit, en son
temps, à Binche & dans le monde des bibliophiles.
Vous nommez Pixerécourt, le mélodramaturge,
en citant l'inscription qu'il fit graver au-dessus de
la porte de sa bibliothèque, lorsqu'il demeurait à
Paris, dans une maison de la rue du Sentier ; mais
vous ne vous êtes pas assez arrêté à l'article de ce
bibliophile original, qui nous fournirait la matière
d'un gros livre, si nous songions à écrire son histoire
bibliophihque. Peut-être ai-je déjà raconté ailleurs,
qu'un dimanche, en me rendant à son invitation
hebdomadaire pour le déjeuner des Bibliophiles,
je le trouvai rogue et hargneux comme un dogue
XXIJ
à qui on a retiré un os de la gueule. « Quavez-
vous donc? lui dis-je. — J'ai poussé aux enchères
un volume que j'attendais depuis dix ans, reprit-il,
et ce coquin de Bérard me l'a enlevé ! » Bérard, le
premier historiographe des Elzevier, était un des
plus vieux amis de Pixerécourt. Bérard parut :
n Vous osez venir, vous osez vous montrer ! lui cria
Pixerécourt, en l'apercevant. Vous qui m'avez volé
un livre qui m'appartenait ! — Quel livre ? demanda
Bérard abasourdi. — Celui que vous avez acheté
hier à la vente et que je voulais. — Eh ! mon
ami, repartit doucement Bérard, si vous aviez mis
^ francs d'enchère, le livre vous restait... — Bon,
bon ! interrompit le féroce Pixerécourt , votre
mauvaise action ne vous profitera pas : vous en
mourrez bientôt et j'achèterai le livre à votre vente
après décès. Maintenant déjeunons et rappelez-vous
que ce Uvre-là doit me revenir, jj II disait vrai ;
Bérard mourut, et Pixerécourt acheta, triomphant,
le volume qui lui avait échappé peu d'années aupa-
ravant. « Je l'ai! disait-il, en nous le faisant admi-
rer. Ce coquin de Bérard m'a empêché d'être
heureux plus tôt. » (i).
(i) Celte anecdote n'est qu'effleurée, page 354, d'après Gérard
de Nerval. Nous remercions M. Paul Lacroix des détails personnels
qu'il a bien voulu y ajouter.
PREFACE.
Et Mocteley, le bibliophile par excellence, vous
ne le nommez même pas ! C'est que vous ne Favez
pas connu, ce bibliophile original qui n'a jamais
eu son pareil. Il fut, un jour, le héros du genre.
Le 24 février 1848, les révolutionnaires (ceux-là
même qui ont incendié la bibliothèque de Motte-
ley dans le palais du Louvre, aux derniers soupirs
de l'affreuse Commune de 1871) envahirent le
Palais-Royal et commencèrent par jeter dans la
cour du palais les livres de la Bibliothèque pour
en faire un feu de joie. Motteley accourt 5 ce n'est
plus un bibliophile 5 c'est un lion, c'est un apôtre :
et Brûler des livres ! s'écrie-t-il. Vous n'êtes pas
des hommes, vous êtes des bêtes brutes! Vous ne
savez donc pas lire ? 53 On s'empare de lui, on
veut le coucher sur un biàcher de livres, auxquels
on a mis le feu. « O Voltaire! crie Motteley, ce
ne sont plus les Parlements qui brûlent les livres,
c'est le bon peuple de Paris ! » L'invocation à
Voltaire sauva Motteley et la Bibliothèque du
Palais-Royal.
Cependant quelques centaines de volumes avaient
été brûlés, déchirés ou volés. Motteley errait au-
tour des grilles du Palais-Royal, comme une om-
bre sur les bords du Styx 5 il soupirait, il pleu-
rait, il gémissait. Il vient s'adresser au concierge,
qui est à peine remis des émotions de la journée :
PRÉFACE.
cf Monsieur, lui dit-il, je vous conjure de rendre
un service éclatant à l'Etat. Allez voir dans la biblio-
thèque s'ils ont épargné le Grand Terceforest. — Le
grand Terceforest? répond le concierge. Ce Mon-
sieur-là ne demeurait pas au Palais-Royal. — Si fait,
monsieur 5 seconde salle de la Bibliothèque, pre-
mière armoire en entrant, rayon du bas, six vo-
lumes grand in-folio, imprimés sur vélin, avec
miniatures, édition de Galliot du Pré, 1^28... —
Au nom du ciel, monsieur, interrompit le con-
cierge, retirez-vous ! On croira que vous êtes de
la Maison du roi et l'on nous accusera de faire un
complot. . . — Oui, c'est un complot dans l'intérêt de
la France, s'écrie Mo tteley avec exaltation : il s'agit
de sauver le Grand Terceforest, cet exemplaire uni-
que, qui provient de la bibUothèque du comte de
Toulouse, LE PLUS BEAU LIVRE QUI EXISTE AU
MONDE... — Monsieur, de grâce ! On nous observe,
répUque le concierge. On va nous faire un mauvais
parti. N'est-ce pas vous qu'on voulait brûler vif, cet
après-midi ? — Monsieur le concierge, dit solen-
nellement Motteley, je vous somme de vous assurer
si le Grand Tercefœest est encore à sa place dans la
Bibhothèque, C'est une affaire d'Etat. Depuis long-
temps l'Angleterre convoite ce magnifique exem-
plaire. Allez donc dans la Bibliothèque, seconde
salle, première armoire, à gauche, six volumes, grand
PKEF ACE.
in-folioj portant au dos : Terceforesr. Je vous rends
responsable du sort de ce livre incomparable. Ai-
dez-moi à le conserver, mon ami, et je vous pro-
mets la protection de l'illustre Arago. » Le nom
d'Arago produisit sur le concierge plus d'impres-
sion que les prières de Motteley. Il disparut pen-
dant quelques instants, qui parurent des siècles à
iVlotteleyj il revint bientôt, le sourire sur les
lèvres, et dit à voix basse : « Oui, monsieur, il
est là ! On n'y a pas touché. J'ai lu sur le dos des
volumes : Ter ce fort. Est-ce la même chose que
Terceforesi ? n
Motteley était dans le troisième ciel des bibHo-
philes ; il avait oublié la révolution de Février et
toutes ses horreurs. Il répétait machinalement :
Terce, perce, perce forest. Il se rend au siège du
Gouvernement provisoire, dont les membres étaient
réunis en conférence. Impossible de pénétrer dans
la salle où se tenait la réunion. «Il faut, dit-il au
chef des huissiers, il faut que je parle à M. Arago.
Il s'agit d'une question des plus graves. Voici ma
carte. J'ai l'honneur d'être connu de M. Arago. Il
comprendra que si je le dérange, c'est pour une
affaire d'intérêt public. ^ Enfin la carte est remise ;
Arago se décide à quitter un moment ses collègues,
il arrive inquiet et préoccupé : « Illustre citoyen,
s'écrie Motteley en lui serrant les mains, je viens
XXVJ
vous apprendre avec joie que le Grand Terceforest
du Palais-Royal n'a été ni volé, ni détérioré, ni
brûléj grâce à Dieu ! Je vous supplie de donner des
ordres pour qu'il soit mis en lieu de sûreté, car les
agents de l'Angleterre sont peut-être déjà en campa-
gne afin de nous enlever le plus beau des Livres ! »
Je m'arrête ici pour ne pas faire un Livre, en
vous parlant de Livres. C'est ainsi que dans les
iiMille et une C^uirs la princesse Dinarzade ces-
sait de conter, lorsque le jour commençait à
paraître, et elle remettait à la nuit suivante la suite
de ses contes. Mais si j'étais Dinarzade et que vous
fussiez le sultan Schariar, qui aimait les contes en-
core plus que les Livres, je n'en aurais jamais fini
avec mes histoires de Livres et de bibliophiles.
Qui sait si je n'en viendrais pas à vous donner
ainsi les matériaux inédits d'un nouveau volume,
offert et dédié, comme le premier, aux cAmoureux
du Livre?
P. L. JACOB, bibliophile.
BIBLIOTHÈQ_UE DE l'aRSENAL.
i" Août 1876.
^îf^^^"^'
Cfcdb^J-îCfcdbdbC^
SUR LE PORTRAIT DE L'AUTEUR
EST lui ! Voilà ses yeux, où passe un vif éclair,
Qui, pour voir de plus loin, se cachent de lunettes,
Sa barbe, qui frisonne autour de ses pommettes,
Son nez, qui se dilate aux effluves de l'air.
Sur les quais, par les jours sombres, par le temps clair,
De chaque bouquiniste il fouille les cassettes.
Pour trouver un trésor sous des tas de sornettes,
Il a tout ce qu'il faut : le goût, le tact, le flair.
Aide le fait pâmer, Elzevier le rend ivre.
Mais, s'il sait dénicher, il sait écrire un livre,
Et ses vers délicats honorent le vélin.
Aussi pour son esprit est-ce une double fête.
Lorsqu'il rentre au logis, bourse vide et cœur plein.
Un bouquin sous le bras, un sonnet dans la tête !
Prosper BLANCHEMAIN.
Château de Longefont. Août 1876,
XXVI IJ
PIÈCES
LE LIVRE
A F. FERTIAIJLT
a ija^^^»y<s^*o
/»ous allez donc parler de lui,
De cet ami vraiment fidèle,
Qui du cœur sait chasser l'ennui,
Donnant toujours fête nouvelle?
Vous nous direz son vif esprit,
Exempt de morgue et d'hyperbole ;
Comme on le cultive avec fruit,
Comme il charme, comme il console.
Ah 1 l'aimable et franc compagnon,
Sous bois, en juin ; puis, dans la chambre,
— Porte close au souci grognon, —
Devant un feu clair, en décembre !
On peut le prendre, — ou le laisser,
Dédaignant sa verve brillante :
Nul ne risque de l'offenser.
Tant son humeur est bienveillante.
Ami sincère et sans apprêt.
Parfois même il se plaît à rire ;
Conseiller sûr et toujours prêt.
Chacun l'interroge — et l'admire.
LIMINAIRES.
De modeste toile vêtu,
Ou couvert de fine dorure,
Il rend au malade abattu
L'espoir qui soudain transfigure.
En vain les hivers passeront,
Détruisant palais et tonnelle,
Nos enfants le retrouveront
Plein d'une jeunesse éternelle.
Du causeur cher à nos loisirs,
Racontez la grâce et la gloire 1
On lui doit tant de doux plaisirs
Qu'il faut retracer son histoire.
Ce thème est sage et ravissant :
Célébrez l'attrait du bon Livre;
Il en sera reconnaissant, —
Et vous voilà bien sûr de vivre 1
Alexandre PIEDAGNEL.
Passy, 1 5 juin 1876.
PIÈCES
A FRANÇOIS FERTIAULT
auteur des
SONNETS D'UN BIBLIOPHILE
ôi)/Or>tfflMi François, bon chanteur de Bourgogne,
^O^^^viiK F^is des Sonnets, si ce rhythme t'est doux.
(o//ÏI^\\f^ Laisse s'enfler, comme mère Gigogne,
'-''-«--^^^^ Tous ces rimeurs qui font des vers indoux
Comme à Pantin l'on casse les cailloux.
Tous ces gens-là rêvent d'apothéoses :
Mieux vaut, crois-moi, quatorze vers bien nets
Que le fatras de tous ces virtuoses.
Laisse-les dire et sonne tes Sonnets...
L'art le plus pur gît aux petites choses I
Emmanuel des ESSARTS.
LIMINAIRES. XXXJ
A MON AMI FRANÇOIS
Al VU naître ton goût, quand nous sortionsà peine
Delà version grecque et du discours latin,
Pour ce papier noirci qui faisait, cher butin,
Ton escarcelle vide et ton armoire pleine.
Comme tu caressais de l'œil et de la main
Les feuillets neufs coupés par ton couteau d'ébène 1
Et comme tu chassais, de ta plus douce haleine,
La poussière qui dort dans le vieux parchemin !
Et comme tu buvais ces vers ou cette prose,
Quittant le corps pour l'âme et le fait pour la cause,
Oubliant Elzévir ou Didot pour l'écrit !
Puisque le Livre, enfin, veut avoir son histoire,
C'est à toi que devait revenir cette gloire.
Amoureux de la forme, amoureux de l'esprit!
Eugène NUS.
C^¥^
XXXI)
PIÈCES
A F. FERTIAULT
f^.y;^ (
i
^ ^_ ^OÈTE, j'applaudis aux oaîtés de ton livre.
■ Vyis Q-^' "^ serait charmé de ces piquants sonnets
7 ^^ Dont le héros, qui va dans tes caprices vivre,
TzAùp^ N'est autre que Biblos, sa gloire et ses hauts-faits >
Prudhomme le croyait un simple secrétaire,
Indifférent et froid à tout ce qu'il transcrit,
Prêta s'ouvrir à tous, sans choix et sans mystère,
Se laissant feuilleter sans orgueil ni dépit;
Souffrant qu'un nom de sot tache son frontispice
Ou qu'un pouce en spatule écorne son feuillet ;
Vêtant le chagrin rouge ou le veau pain-d'épice,
Sans même regarder comment on l'habillait.
N'en croyez pas un mot, c'est pure calomnie :
Le livre sent et vit, souvent plus que l'auteur ;
Il rayonne, il se gonfle, et sa physionomie
Attire, émeut, affole ou glace l'amateur.
S'il contient de l'histoire, il prend l'air vénérable;
Si c'est un texte saint, il se donne du poids ;
S'il porte de vieux vers, il n'est plus abordable ;
Chargé de fabliaux, il rit d'un air gaulois.
LIMINAIRES.
XXXllJ
Qu'on le cherche, il se cache et se fait introuvable ;
Dès qu'il vous devient cher, il passe en d'autres mains ;
Qu'on l'oublie, il se pique... aux vers il sert de table.
Mais c'est assez parler de lui dans ces quatrains.
BiBLOS, à ton poète il convient qu'on te livre.
Puisque sa verve a su si bien t'interpréter.
Loué soit donc Fertiault en qui germa ce livre,
Et Claudin, qui mit tant de goût à l'éditer 1
Anton Y ME RAY.
A MON CHER BIBLIOPHILE
TRIO DE TRIOLETS
I.
tu'iL soit neuf ou poudreux bouquin,
Chez nous le Livre a large place.
De cet ami nul ne se lasse,
Qu'il soit neuf ou poudreux bouquin.
En veau, basane, ou maroquin,
Le plus vieux, tout fier se prélasse.
Qu'il soit neuf, ou poudreux bouquin,
Chez nous le Livre a large place.
II.
Aux courts instants de ton repos,
En l'un ou l'autre tu veux lire.
Ton doigt feuillette avec délire,
Aux courts instants de ton repos.
Comme tu trouves à propos
Le tome qu'il te faut élire!
Aux courts instants de ton repos,
En l'un ou l'autre tu veux lire.
LIMl N A IRES.
III.
Le Livre a ton esprit... Tant mieux!
Moi, j'ai ton cœur, et sans partage.
Puis-je désirer davantage?
Le Livre a ton esprit... Tant mieux!
Heureuse de te voir joyeux,
Je t'en voudrais... tout un étage.
Le Livre a ton esprit... Tant mieux!
Moi, j'ai ton cœur, et sans partage.
M-"^ Jui.iE FERTIAULT.
XXXVJ
PIÈCES
Verdun (Saône-et-Loire), ce 29 juin 1876.
C^HER Ami ,
)os humbles berceaux, placés côte à côte,
semblaient nous assigner de pareilles desti-
nées dans l'ombre et le silence sur le sol
natal.
La vie sociale avec ses impitoyables nécessités, la li-
berté et l'activité humaines avec leurs capricieuses tyran-
nies, nous ont séparés.
Que nous fait cette cruelle ironie du sort?...
Dieu ne nous a-t-il pas animés du même souffle?
N'a-t-il pas rempli nos cœurs des mêmes amours ?
Riants souvenirs d'enfance, pieuses traditions de fa-
mille, culte de la terre natale, patriotisme, passion du
travail et de l'étude, douce philosophie, vraie religion,
tels sont nos traits d'union.
Quoique éloignés, nous restâmes unis par ces liens
indissolubles qui forment comme la trame de notre être;
nous éprouvâmes bientôt le besoin de leur donner un
corps, une vie, et le Livre jaillit de notre plume.
Tu étais né Poëte ! Tu aimais, tu souffrais, tu pleurais.
Tu choisis une muse pour ta compagne ; vos tristesses et
vos joies se mêlèrent à vos chants harmonieux : tu fus
consolé.
Toi, qui adorais les vieux livres, tu en composas de
jeunes, qui resteront jeunes et aimés, car toujours les
LIMINAIRES. XXXvij
livres, ces amis fidèles parmi les plus fidèles, compteront
des amis même dans les jours les plus sombres.
Chaque fois que tu élargis le cercle de ta famille en
l'augmentant d'une œuvre de poète, d'artiste et de pen-
seur, nos vieux camarades, les chers bouquins de ma
bibliothèque, se pressent pour donner l'hospitalité à ce
nouveau-venu.
Aujourd'hui que, dans ton amour constant pour les
livres, tu en consacres un tout entier à redire leur his-
toire, leur bonne et leur mauvaise fortune, en un mot
leur palpitante destinée, — habent sua fata libelli, — je
marque ce jour d'une craie blanche, et du fond de notre
plantureuse Bourgogne, aima parens, entouré du souvenir
de nos gloires littéraires dont tu continues la longue et
noble lignée, enivré des senteurs de nos coteaux, je te
crie : Bravo ! C'était à toi, cher poète, dont le sel bour-
guignon assaisonne les vers, de glorifier le Sonnet au
point de le choisir pour être l'interprète des émotions
multiples, profondes, indicibles que les bibliophiles éprou-
vent et dont un bibliophile comme toi peut seul être
l'écho fidèle.
Ex Musxo meo,
Tuus ex animo ad omnia obsequia paratus (i).
Abel JEANDET (de Verdun).
D. M.
(i) La formule finale de celte lettre est empruntée à la lettre de
Pontus de Tyard à son imprimeur, en lui adressant le M. S. de son
Traité de rectà nominum iinpositicne.
XXXVIIj
PIÈCES
AI L'AUTEi;
iis
AMOUREUX DU LIVRE.
ne seù pa rimou ; i ne vai don poin t'anviai dé
rime.
J te dire tô braveman, dans mon petio
langaige, qu'i seù bén aise que tu eusse fabri-
quai ein livrô por an dégoizai su lé livre.
Cheù nô, mointen^n, on à prou lecturié, et i m'esseure
qu'au bou de ton écri, on seré bén un pecho pu sai-
van.
Tan meù! Ç'à bé ! Té mô suti me raivigoton. Faiz-an,
diz-an ancor ; tu seré tôjor ein vrà Borguignon salai.
Un aimin qui de prô t'é seùgu,
M. J. D, (de lai Bregogne).
LIMINAIRES.
c^ <5Vf0 7<: l LLUSl%zAlElJl{
JULES CHEVRIER.
MI, peintre des rats friands,
Toi, dont la fraternelle pointe
A mon humble labeur s'est jointe
Pour l'étoiler de traits brillants,
Je voudrais au seuil de ce Livre,
— Dont le cher éditeur Claudin
Sût faire un splendide jardin
Où l'oeil de l'amateur s'enivre, —
Je voudrais inscrire ton nom
De quelque manière jolie,
Pour te dire que point n'oublie
Tes soins... Nom d'une Eau-forte, non 1
Avec amour suivant mon texte,
Flânant dans ma prose ou mes vers.
Tu guettais tous sentiers ouverts.
Ton crayon cherchait tout prétexte.
En maître tu t'en inspiras.
Voilà mon œuvre décorée!...
Et mon Livre aura la durée
De ceux dévorés par tes Rats.
. F. FERTIAULT.
Paris, août 1876.
cAU LECTEUK
N maître de la science typographique, M. Henri
Fournier, dans son Traité de la Typographie,
i8f4, in-i 2, page 193, recommande de placer
['errata au commencement d'un livre. C'est là
sa véritable place, dit-il, et il ajoute : « C'est la seule ma-
nière opportune d'avertir le lecteur, mais il arrive souvent
qu'il ne trouve pas à s'y placer convenablement. » Nous
suivons ce sage précepte. Aucun livre n'est exempt de
fautes. Malgré nos soins, nous n'avons pu, comme d'autres,
éviter quelques erreurs typographiques. Nous réclamons
pour celles-ci et pour celles qui nous auraient échappé
l'indulgence des lecteurs.
ERRATA
Pages.
53. A la dédicace, au lieu de Bîanchemin, lisez : bianchemain.
93 . Verâ 1 1 , au lieu de Nul n'est plus souple et plus riche... suppri-
mez le mot PLUS qui rend le vers faux et lisez : Nul n'est
plus souple et riche...
112. Vers 4, le compositeur typographe a mis deux F au lieu de
deux s longues; de sorte qu'on lit le mot groffir; lisez : Pour
former, pour grossir...
116. Vers j, au lieu de feuille à feuille tournes, lisez : feuille à
feuille TOURNÉS.
ija. Ligne 21, au lieu de ses paroles, lisez: ces paroles.
181. Ligne i } , au lieu de insuit lisez : insulte.
284. Ligne 8, au lieu de haud secus ad, lisez : haud secus ac.
}24. Ligne j, au lieu de /l'iroî 5ui_/acianf, lisez : Libros qui fAC\UNT.
555. Ligne 2, de la deuxième colonne des non-prêteurs, lisez : J. Thomas
Auhry, etc., (en supprimant Du Monstier).
cxx
FANTAISISTES
ET H U M O R I S T I Q_U E S
d'un
BIBLIOPHILE
Auteur
F\a^J^ÇOIS ¥E\Tli4\JLT
Bourguignon
(sm>&^^MsmiS^^g^^mi
LES
SO^^ETS VU^ 'BI'BLIOTHILE
GAZOUILLIS DE VERS
[H! Je vous ai rouverts, à mes livres poudreux!
(A tous vos vers chéris f ai donne la volée ;
^Js^^^ Je les ai convoqués à ma grande ajfemblée,
Et nul d'eux ne se(l plaint d'un choc malencontreux.
C était plaijîr d'entendre, en mon réduit heureux,
Leur voix molle ou févère, éclatante ou voilée,
oiujfi de quel vol prompt T heure sefl écoulée! ..
Cela pourrait bien être un compliment pour eux. —
Dans vos volumes clos, sous vos feuilles muettes.
L'air, l'air vital vous manque^ à mes brillants poètes.
Trifonniers du vélin, que vous deveifouffrir !
Dans le rayon obfcur étouffe qui féjourne.
c4 vous l'cpil qui vous life & le doigt qui vous tourne ! ...
Vous & moi revivons à ce doux parcourir.
LES SONNETS
MAL COUPES
É'BJ'E! il nejî pas bibliophile,
Vhôîe fi choyé du château!
cAu lieu de prendre le couteau
Et de les bien fendre à la fie,
Il raidit fon doigt, le faufile
Sous les feuillets faifant manteau,
Force, &, comme avec un râteau.
Les déchiquette & les effile.
Qu'un ignare laboure ainfi
Ses livres, Je rien aifouci;
cMais quun poète ait ce défordre ! . . ,
Je me navre à tels accidents.
— 0 beau vélin, tu devrais mordre
Tous les doigts qui te font des dents!
D UN BIBLIOPHILE
MES CHAMPS DE BATAILLES
■é^'B ULc4C^CIE% fouventje paje
Où, par rangs, ils font enrajes,
Et, pris de pitié, fy ramajfe
'Des malades & des hlejfés.
éMon nid riefl pas riche en efpace ;
<îMais pour ces vieux aux reins cajjes
Chacun fe ferre, et, de la place,
cA la fin, ton en trouve affe^.
Tanfage alors. Ves foins... fans bornes.'
zMes doigts vont défrifant les cornes ;
Je redreffe un flanc déjeté ;
Le dos humide, je T éponge ;
Où manque un coin, vite une allonge... —
Tour tous f ai maifon de famé.
qp
l ES SONNETS
UNE PLAINTF
E bouquin fouffre par la pluie;
Le bouquin fouffre pai- le froid,
Il fouffre auffi dérre à l étroit
Sur la planche oii, las! il s'ennuie.
L épais brouillard tombe; il leffuie.
Un chaud rayon le frappe droit -^
Tuis la bife... c4 f âpre fur croit
Son dos devient couleur de fuie.
On le voit affailli, fouvent,
Des plus étranges courbatures ;
Il fe tord fous f es couvertures. —
Soleil, poujjîère, averfe, vent,
Le bouquin fubit vos tortures...
— Et le pauvre homme qui le vend?
"&
D UN BIBLIOPHILE
LE PASSE
UI, cejl un foin pieux que daller en arrière,
Chercheur rétrofpeclif abordant les débris,
Des vieux murs écroulés remuant lapoujfière,
Lifant des faits fous ï herbe & fous la moujfe écrits.
On entend s exhaler, en remuant la pierre,
Tous ces bruits d autrefois dans leur fommeil furpris .
Le doux baifer d amour s unit à la prière ;
V hymne f aime fe mêle aux formidables cris.
Vois ; ceft un peuple entier qui s anime et s éveille :
Châtelaine craintive ^ orgueilleux châtelain;
Guerre où le haut feigneur entraine le vilain...
Tout fur git 6* prend corps pendant la docte veille.
— cAinfi, conteur ardent, vers toi font accourus
Les brillants fouvenirs des vieux temps disparus.
LES SONNETS
LE LIVRE
AU DEHORS
E loin vous en flair ei F arôme avant-coureur ;
Vous conremplei, ravi, fa date reculée;
Vous carejfei du doigt fa marge immaculée,
Et de fa rareté vous prànei la valeur.
Vous en aime^ la tranche à la vive couleur,
La nervure du dos ou fvehe ou potelée,
La robe au blanc fatin d un filet dentelée.
Le noir chagrin brodé par le fer du doreur.
Oui, vous vous pdmei d aife, admirateurs aufi'eres,
c4ux délinéaments de fes purs caraéîères;
T)e tout choc defiruéleur vous fave^ T abriter ;
Le couteau curieux ny glijfe point fa lame...
Quels grands bonheurs le Livre à vos yeux fait goûter!
Vous en aimej le corps — & moi f en aime rame:
D UN BIBLIOPHIL E
II
AU DEDANS
\AzÂfE, — ce que le Livre envoie à notre efprit;
Ce que dans fes feuillets , en legs cher & suprême,
Un lumineux cerveau nous laijfa de lui-même;
Confeils qiiun ami mort chaque jour nous écrit;
Fluide que î auteur en infpiré furprit
c4 Iheure où du génie il reçut le baptême,
Et que, pour nous toucher, nous fes enfants quil aime,
Il fixa dans fon texte où fa voix nous fourit.
Cejl cet éclair, ce feu, ce rayon qiion fent vivre,
Quil me plaît de nommer F âme, Tâme du Livre,
El cefi ce que fy bois pour me défaltérer :
Leçons de mes penfeurs, hymnes de mes poètes,
y ai tout ce qui me fait aimer, croire, espérer,
Dans ces pages du cœur... qui pour vous font muettes.
LES SONNETS
TROP BIEN CHOISI
O^T^SIE L/T{I . . . çà peui-ilfe comprendre :
« y en fuis encor tout retourné.
<( Jamais je n aurais pu m attendre
ce cA ça... Quel coup ça ma donné!
ce tN^eJi-ce pas'.' Je fuis là pour vendre. —
ce Quand il eut tout examiné,
ce T)e loin, Je vis fa main fe tendre...
ce Crac! mon tome était enfourné.
et Jeujfe aimé mieux une taloche.
ce TDans les profondeurs de fa poche
ce Jen regardais faillir les coins...
ce Etre riche, — oh ! ceji incroyable ! —
ce Et me voler, moi pauvre diable !!... »
De rage, il enferrait les poings.
d'un bibliophile
BELLE COLLECTION !
OzM'cME un riche il en a... Je ne jais pas un être
Tlus heureux. cA fon gré pojféder tels iréfors! —
Tris (£ envie, un beau jour, je me décide, fors
Et dans lefanéîuaire, enchanté, je pénètre.
'Bravo! bien placés! JuJ}e en face la fenêtre
Tar laquelle un jour vif illumine leurs ors.
Les fers du relieur ont pris, là, des ejfors...
Cefi un raviffement que ce coup d œil fait naître.
Et quels titres! Vojei : les maîtres de tefprit.
Sous le manteau brillant la forte nourriture.
Certes, voilà vêtir notre littérature!
f approche. SMon doigt veut... Quel fou rire me prit! ...
C étaient, couverts de peau, de vélin, ou de moire,
C étaient des dos de bois cloués fur une armoire ! ! ...
qp
LES SONNETS
JOUISSANCE... FUTURE
' 0 UT^fûr, il traverfe une crife! —
qA fureter ufam f es Jours,
Sans trêve, il entajje, 6* toujours.
Comme un avare il théfaurife.
ly ailleurs, beau choix, pas de méprife ;
Quand f es loifirs feront moins courts,
c4 maint texte il aura recours. . .
Et de fon emplette il fe grife.
Tout eji bon, tout lui fervira.
Ses tréfors, il s y plongera...
oAuJfi quel plan il élabore!
Il sejfoujle, augmente fon bien,
Conquiert pour lire. . . et ne lit rien. . . —
T>am! il faut quil amaffe encore.
D UN BIBLIOPHILE
BREDOUILLE
'^UI, qiiil ejl des jours fecs! . . . tN^Jifin, niprejle vue,
'Rien liy fait. — Ce matin, fai braconné partout.
Etalages, bazars, trottoirs & coins de rue,
J'ai tout examiné, tout flairé, fondé tout.
Une étiquette invite. (Après la chofe lue,
Un vieux tome incomplet, mais dur, me donne un coup.
Je pajfe. T>e fon feuil, une femme dodue
zM indique un bel ouvrage... auprès d'un marabout.
— « 'Bon! dis-Je; une trouvaille! » c4h! pauvre efpoir malade!
Ceft un roman fans titre & qui fent la pommade.
— « Au diable la marchande ! •>:> Et Je fuis mon chemin.
Je me penche, plus loin, sur une longue file...
— ce T)ans ces tas alignés quel fretin fe faufile ! »
Et, mains vides, je rentre. . . — « Efpérons mieux demain! » . . .
;sfr
LES SONNETS
BOUQUINS ET RATS
L ASSAUT
\U 'Renais lomes couches un in-folio fe dreje,
cMonrranr fes lettres cfor aux flancs de/on vélin
'Beau volume, que F œil de l amateur carefle. . . —
%aton lui jette, aujfî, plus dun regard câlin.
Il guette, lourdement mitonne un coup d'adrejfe,
Hors du trou met la tête, &, comme d\in tremplin.
Saute, Tour ce bond-là, bravo! peur ni pareje...
Il ne déguerpira que repu, ventre plein.
Tout fier d avoir grimpé fur la tête du livre,
Cefi avec un entrain féroce qu il le livre
c4 fon grignotement, vrai gourmet, vrai glouton.
Q^el régal! T)e la marge et du texte il fe gave.
V oeuvre lourde avec lui va rentrer dans la cave..,
H^ngeur intelligent, quand te reverra-t-on?...
BOUQUINS ET RATS
d'un bibliophile
II
LES DÉLICATS
E leur muf eau pointu, fans peur, pref que riant,
'\ ÏS\))\ Les voilà tous en train de mordre. .. &la cuifine
^Z^^^XÉ. Leur plaît. Tajant du dos à la feuille voifine,
Chacun d eux pulvérife et troue, en vrai friand.
Lun veut avoir raifon dun fer Chateaubriand;
Cef un Homère en veau que T autre emmagafne ;
Un troifième prétend S év igné fa coufine...
Tour y prendre, à ce titre, un repas attrayant.
Teste! Ils font vraiment forts dans leur littérature!
Cejl en gens exercés quils cherchent leur pâture.
Ces rongeurs de la profe & de î alexandrin.
"Rien que ces deux derniers rendraient tefprit bien aije : —
Vun, afcète, nerveux, mange à Sainte Thérèfe;
Vautre, fleuri, fn, gras, à "Brillât-Savarin.
•4
LES SONNETS
CRESCENDO
E fes doigts il dévore
Les tomes racornis,
Et, fiévreux, dans leurs nids
Fouille & moijfonne encore.
Ses yeux, quun reflet dore,
Ont des foifs d^ infinis. . .
Tour deux cAlde jaunis
Son défir vient déclore.
T>éfir vif. Importun.
Il en prend d abord un :
— « oAh ! dit-il, il efi nôtre ! ... 33
zMais, maintenant quil fa.
Que lui fait celui-là?...
Ce quil lui faut, cefi Vautre.
qp
d'un bibliophile 15
DE GLORIA
^T^r^^\n{E que Jusqu'à roi le livre était venu;
Ji ihyS) )\ One tes mains le
Que tes mains Tout touché, que tes yeux (ont pu lire,
Et qiiil eji à jamais perdu ! quon le défire
En vain;... quil va rejler de nous tous inconnu!
Le prêter! ! ... Quoi'.' la peur ne ta point retenu !
Tas un de ces refus que la prudence infpire !
Tas unprejjentiment?... c/lh! quil fe fait maudire
Vindifcret qui de toi ta fi vite obtenu !
Ton excuse, on la fait : oui, c était ton vieux maître,
zMais bien nécejjiteux, f entant la faim peut-être,
Et fupputant déjà la valeur de ton prêt.
Que Tien avais-tu pris ou fait prendre copie!
Tins tard, la prejj'e eût mis objlacle à T œuvre impie.
— Terte cruelle, un jour f aurons-nous ton fecret?...
l6 l ES SONNETS
MORTS ET RESSUSCITES
TRACES DE CONQUÉRANT
ICTOn{E I Lajfiégeam a crevé les murailles,
El dans la ciré morne en pompe il ejf entré.
'Brutal comme un foldat de pillage altéré,
Il court Jus au butin, ce vainqueur fans entrailles.
éMais, pour lui, le profit le plus clair des batailles
EJl le butin vénal. Quant au dépôt f acre
Des lumières du monde, il s'en approche, outré ;
Son fer dans le vélin commence des entailles.
Et lacère : — « c^ quoi bon ces chofes de tefprit':!
Trop f avoir ne vaut rien... Exterminons î écrit ! »
Tuis, levant fon regard plein de lueurs funèbres :
— « cAux livres! Brûler tout! ... » Et lafiamme, étreignant
Ces tréfors, fuit fon œuvre & va les éteignant...
De fa torche barbare il a fait les ténèbres !
d'un bibliophile
«7
II
PALIMPSESTES
EUX-LcA nom point brûlé le livre. Ils font gardé,
Et fan vélin, pour eux, fut une grande joie.
Ils ont tombé dejfus comme fur une proie. ..
oidieu, beau monument! te voilà dégradé.
Ce qiiil difait, îécrit'^ Ils font bien regardé !
Grattant fon épiderme afin qùon ne le voie,
Tour leurs textes nouveaux ils ont poli la voie. . .
Sur un Virgile éteint le plain-chant a brodé.
zMais rien ti était fini. "Des anciens caractères
Vceil invefiigateur reffaifit les myfières ;
On reconfiruit les vers du poète effacé.
— tNjebuhr, oAngelo zMai, votre labeur délivre
Du tombeau ces occis. Vous les faites revivre... —
Le clairvoyant triomphe oit T ignare a pafie.
1
LES SONNETS
III
A HERCULANUM
^LS gifaienr, étouffés fous les couches de cendre
Jp Que le mom furieux à plein ciel leur vomit.
)^|i^@ Vix-huitfiècles!... Quel laps avant quonfût defcendre
En ces cryptes !... — Enfn Tardent chercheur frémit;
On fouille. Ses tréfors, la cité peut les rendre.
Le doigt heurte un rouleau qui tout ce temps dormit:
— « Un papyrus! une œuvre! » cAvec quels foins le prendre!
On T emporte. Un favant près de î objet blêmit.
V entourant de refpeâs, fur un marbre il le pofe,
Vexamine, [entrouvre, & ne rêve autre chofe
Que d enivrer f es yeux de ce texte inconnu.
Cejî, d abord, Thilodème &, plus tard, Epicure,
Tuis d autres, que cet art S exhumer nous procure. . .
Fête à ïenfeveli jufquà nous revenu!!
D UN BIBl lOPHIl E I9
CE QU'ILS SONT DEVENUS
Quo?... Quando?... Quomodo?...
icAS dune abfence prolongée ,
Il rentre ; pour premier devoir
Court à fes livres, quil veut voir. .
El voit fa chambre bien changée !
Il cherche... — « Ejî-ce un ejet dufoir?...
ce Tout entière déménagée ?
« Quels rapineurs font ravagée^... jj
C/iu cerveau ça lui met du noir :
— « Tlus un feula... Tfoii fouffla Tarage?
« En quel fantajlique naufrage
« Corps & biens fe font-ils perdus }.. . ■>•> —
Lui parti, vidant les tablettes.
Tour plus de chic en fes toilettes
Sa femme les avait... vendus !!! ...
qp
lES SONNETS
UN DRAME
INTÉRIEUR
fO'T{cAGE, au grand complet,/ ejî abaiTu fur lui!
Il profpérait, jadis, plus jeune que fon âge.
Le foir venait trop tôt; le jour n avait pas lui
Quil devinait la joie en fon gentil ménage.
éMais, las! dequel vol prompt le bonheur s' ejl enfui!
La zMort, la brufque zMort faucha fon voifinage.
Femme, enfants, tous perdus... Il ejlfeul aujourd'hui...
Le refle aufjî prit route au fatal engrenage :
Son épargne, engloutie aux mains dun gros bonnet ;
Tari, le cher labeur oit fa plume glanait ;
Les feuils amis, fermés; gène... 6* bientôt mifère.
En ces landes, il vit trifle, mais réfolu.
V aride T enveloppe. Il ri a qiiun fuperflu...
Ses livres, — devenus fon premier néccjfaire.
d'un bibliophile
II
ATTAQUE
[cAC^S fa hihlioîhèque il va traînant f es pas.
Il chancelle. Il n a plus la force de de/cendre.
Cejl en vain quil entend les heures des repas. . .
Tout manque ; buffet vide... Il ne fait plus où prendre.
Et le terme ! On menace... Oh ! les cruels ébats!
Que/aire^... Ses bouquins, certe, il en pourrait vendre.
Cela le fauverait ;... mais il rien vendra pas.
Soudain, il tendF oreille. . . il guette. . .c4 quoi s attendre?. . .
Ve r étage au-deffous il perçoit des bruits fourds.
On caufe ; îefcalier fléchit fous des pieds lourds.
On fonne. . . à deux recors il vient d^ ouvrir la porte !
Il a toujours été doux, calme, réfigné ;
éMais en lui fe foulève un accent indigné. . .
Et, devant fon tréfor quon veut prendre, il s emporte :
lES SONNETS
III
DÉ TENSE
OU S ne faifireipas ces livres, je vous dis !
ce On ne prend pas le lit où Vinfolvable couche,
« On ne prend pas fonpain.. . & vous, dans mon taudis,
« Uous vene^ m arracher le morceau de la bouche.
ce Depuis bientôt trois Jours, longs, fiévreux 6* maudits, |
ce Je ri ai d autre aliment pour une faim farouche.
ce Venir me les àter, c eft ade de bandits...
ce Je veux quils refient là... zMalheur à qui les touche!
ce Je les ai bien gagnés. . Si vous voule^ [avoir
ce Comment, voici : J étais pauvre, et, pour les avoir,
cf Cent fois de mon dîner f ai détourné la fomme.
ce C est fur eux que f étends mon corps qui s affaiblit...
ce Vous voyei bien qu il font & mon pain, & mon lit.
ce oArrière !,.. Le premier qui monte, je faffommeH...
d'un BIBLIOPHILE 2}
IV
F I N
\'OEIL fanglam, le poing haur, il s apprête à frapper.
Lune inutile. . . En face il a des cœurs de roche.
Les deux individus font venus pour happer ;
Ils ne lâcheront rien. Le plus hardi s'approche...
— ce (5^es livres!!! jj c4u dcfajlre il ne peut échapper.
c4 leurs flancs, comme un fou, des ongles il s accroche ;
Il leur ouvre f es bras, veut les envelopper...
Lorfqiiun farcafme aigu, que t autre lui décoche,
Vexafpère. Il s'égare, & fa fureur grandit.
cAlors, armant fa main d'un tome, quil brandit.-
— ce Je {empêcherai bien d'en faire la conquête. . . »
Tuis, il pouffe une chaife ; il cherche à fe hiffer :
— ce Ceji à moi ! ... j) zMaisfon pied, peu fur, vient de gUfjer. ,
Et fur fAn d'être heureux il fe caffe la tête !
34 lES SONNETS
LE BON TEMPS
'ÉTcAIT près de vingt ans avant dix-huit cent trente.
Ejiampes & bouquins fe rencontraient encor.
Tour un vieil exemplaire à la mine apparente
On n avait pas hefoin de donner f on poids dor.
Le vendeur s en faifait une modejle rente y
Et tavifé chercheur, calculant fan ejfor,
Sans rendre, par le prix, l aubaine tranfparente,
Touvait dévalifer boutique 6- corridor.
Jours féconds ! jours heureux ! Tlus d'un archéologue
T)e tréfors mal perdus groffitfon catalogue. —
Tout modejle, un, alors, circulait dans les rangs.
Ecartant des rideaux de dépouilles intimes,
Certain foir, il trouva, pour cinquante centimes,
Un plan, — quil revendit... deux mille deux cents francs ! ! .
d'un bibliophile aj
FRONTISPICE
EN TÊTE DUN VOLUME COLLECTIF
It^ÈS Toute moijjon vient le moment des gerbes .
C^ous voici! Vans nos champs nous avons moijfonm
..^^^é^ oA pleins bras nous portons ce que nous a donné
V^otre soleil : faifceaux de fruits, de fleurs, & d herbes.
Que de rhythmes ! Les uns, aux cambrures fuperb es ,
%edrejfent fièrement leur beau front couronné ;
D'autres haf ardent là leur fredon étonné,
Tous adrejfant à îcArt les ardeurs de leurs verbes.
— 'Belles dames, venei ! furtout pas dair moqueur ! ■
C^e vous effraye-^ pas de ces rimes Jîncères,
Où le rêve a verfé le pur de fa liqueur.
Tar elles le poète a charmé fes mifères.
Tortei Tœil & la main aux produits de nos ferres. . .
Lifei-nous ; nous avons de îefprit... &• du cœur !
a6 LES SONNETS
A. M. H. BOULARD
CHEZ LUI
iES meubles en fom pleins ; les tablettes enploîem:
Dans les coins, aux rebords, d'un & d'autre côte';
Sur les in-oélavo les in-douje sajfcoient ;
"Des parquets aux plafonds les piles ont monté.
Vous allei aux fauteuils , des tomes vous renvoient.
Tar monceaux, à tous pas, le tréfor ejî jeté.
Les reflets du foyer fur for des dos flamboient ;
Tour en mettre un de plus, tel angle ejl amputé.
Et ce Ti ejl point fini ! Chaque foir, le brave homme,
'Bon dénicheur, rapporte un nouveau contingent.
Où donc mangera-i-il? où fera-t-il fon fomme?...
'Beau fouci! ... 'Des bouquins! Celafeul efi urgent.
— Hôte croiffant, le Livre encombre f on ménage.
Et fur f on efcalier t amateur déménage .
d'un BIBLIOPHIIE 37
II
DÉLOGÉ
■c4IS, bah! de la mai/on il ejl propriétaire.
Vous verrei quà la longue il trouvera moyen.
Un Jour, il congédie un premier locataire.
Et remplit fon logis d'une avalanche... 'Bien!
Le procédé nejî pas fans charme en fon myjière.
oAutre congé, bientôt. Dès quil riy refie rien,
Entre les murs conquis bondit le vieux notaire. . .
Tous les appartements regorgent de fon bien.
Les volumes font fiers, parbleu ! de ce partage.
Tour eux, cefi un peu £ ordre; ils font logés, claffés.
Lui, les fuivant toujours, fuit d étage en étage :
— a Je m'en vais, leur dit-il, puifque vous me chajfei.n
Et, mis hors, il fubit le fort dur, dont t accable
En fes invafions le bouquin implacable.
Cf^f^
a8
LES SONNETS
UN RACHAT
^
,£ l ai, cet exemplaire à f offre défirée,
Ce doux gage par roi chaudement attendu il
'Dis Jî ma défiance était bien injpirée :
Je l ai. . . du brocanteur à qui tu Tas vendu !
La page aux mots aimants, ta main ta déchirée ;
éMais pas un feul feuillet par le couteau fendu !
Et tu parlais fi haut de cette œuvre... admirée...
oi quel mépris du cœur ef-tu donc defcendu? —
Cefi bien, ami fincère, & je te remercie.
Laijfons ta lâcheté te fembler réuffie ;
cMême, fi tu le veux, du haut-fait fois abfous ;
cMais quand de moi, plus tard, tu voudras un volume,
Tour te le préf enter loin de prendre la plume.
Je for tir ai ma bourfe, & {offrirai... cent fous.
qp
d'un BIBIIOPHILE aç
FOUILLIS
'E bicarré! c/i manquer de méthode il sohjîine.
Il jette pêle-mêle en fort appartement
Ses livres, vajle amas que ÎœH en vain lutine,
Dédale où le fil cajfe, immenfe encombrement.
Et, — voye-^ ce quil aime ! — entre eux, guerre intefiine:
Tétrone fur Tlaton s'étend malignement ;
T{abelais fe blottit derrière Lamartine ;
Dorât frôle Tafcal ; fans ïétreindre autrement,
Sapho près dcAbeilard s arrête ; Jufquà terre
Une Encyclopédie a fait pencher Uoltaire ;
George S and s éparpille autour de faim 'Bernard ;
éMujfet touche à Tibrac ; Daphnis, à Virginie...
Un peu plus, le contrajfe aurait, là, du génie. —
Gai poil fcriptum : Santeuil gambade vers Tanard !
)0 LES SONNETS
A UN AMI DES LIVRES
tOT^vous dit hienfavant! Vous porrei des lunettes
Qui découvrent toujours bien plus loin que vos yeux;
Tartout vous dcniche-[ des bouquins précieux ;
Le pathos a pour vous les pages les plus nettes ;
Vous ave^ de grands airs & de docîes /omettes ,
"De longs mots enfilés coulant à qui mieux mieux;...
c4h ! fous votre perruque & vos rides, bon vieux,
Chacun vous croit, d" honneur , plus Jeune que vous tiêtes.
— Oh! oui, vous êtes Jeune... en fcience furtout.
Le nei dans vos fatras, d'accord, vous fave^ tout ;
zMais feul?... Tlume à -{éro, fiyle pris d engelures.
Sur vous fêtais tout près de croire ce quon dit.
zMaintenant fy vois clair : vous avei les allures
T)un connaifjeur pojliche & dun faux érudit.
\
d'un bibliophile
ACCÈS DE TYPOGRAPHIE
^^^ ^_^r vuiti' goujon
' OUl^QUOI ce contre-fens, trop ofés typographes ':
c4vej-vous demandé Jî ce Jeu convenaiti!
UXp^ comems i ébahir avec vos orthographes,
Voilà que vous fcindei notre pauvre Sonnet!
Jufquau verfo lointain pourquoi des paragraphes
Que le goût fi logique au redlo retenait'^
Les poètes, voye^, — ces mauvais calligraphes , —
Le tranfcrivent d'un coup, tout entier, comme il naît.
CT^on, rien n irrite plus mon œil & ma penfée
Que de voir, dun coté, cette œuvre commencée
oittendre , pour finir , un tourner hafardeux.
Cefi un mur fur la route... Oh! des règles plus fages.
Chers protes! .. . Un Sonnet qiion imprime à deux pages,
Cejî comme un zMédaillon quon cajjerait en deux.
m
)a LES SONNETS
ENTREE D'ASSAUT
UF! cejl hardi, courageux voire.
Vix d'un coup! Ceji prefque infenfé.
Quel loi!... Tounam il a pajfé
Doucement, & fans grande hiftoire.
Tour aider, vite, à l heure noire,
D'un long fil j ai tour enlacé,
Tuis tai furtivement poujfé
Dans f angle profond de l armoire.
— Encore des nouveaux venus ^ .. .
— CT^ous les aurons bientôt connus ;
Ils feront de la maifonnée.
Tous amis, pas d'indifférents.
Hurrah! chei nous les cceurs font grands...
Vive la troupe « embouquinée ! »
qp
d'un bibliophile jj
MÉLANCOLIE DE BIBLIOPHILE
=^;^^c^<^v5' limmenfe "Babel que coupe en deux la Seine,
y Jul I Iv T'I/Tiir /'j mnn/1^ nonloinr nii nriTic nniif ^nrfrmnn.Ç .
'hyJX T)ans ce monde penfeuVy où nous nous enfermons,
^cj^x^-^^Jg» Je ne fais quoi parcourt ïatmofphère malfaine,
Qui corrode à la fois Fefprii & les poumons.
Trijle état! — U^aimant pas infliger des fermons,
Je vais me faire ermite et, forti de la fcène,
Uivre avec mes bouquins. Tuifque en vain nous femons.
Cœurs fichés, gare au coup qu un poing lourd nous ajjène!
Là, f attendrai la mort. Sombre, en guife de lin,
De mes chers Eliévirs Je prendrai le vélin
Tour me faire un linceul dans ma tombe érudite.
Entre mes quatre murs Je ni enfev élirai. —
Englouti de la forte, au moins j'éviterai
Les f entiers monftrueux d'une époque maudite!
34
LES SONNETS
MAGLIABECCHI
LE PROf I L
]L ne les quine plus. Ses regards en font ivres.
Il en a fait des murs, des parquets, descloifons.
Et fonfiége, &fa table, &fon lit, toute/} livres.
Ils font, fêté, fa brife, &, l'hiver, fes tifons.
Quand il fonge au repas, fur eux il met fes vivres,
— Un œuf, de leau, du pain en toutes les faifons; —
S il veut bouger, jluet, ne pefant pas cent livres,
Dans fes couloirs étroits il prend des horizons.
Il ufe jufqu au fil fon habit, qui fe perce ;
La poujfière s oublie à fes mains, quelle gerce. . .
Oii, pour les petits foins, le moment opportun!'
Il mène, au long des Jours, fa leéîure acharnée ; —
zMais nul mot, point d'écrits. Lui, fcience incarnée,
Lui qui les voudrait tous... il nen a pas fait un!
d'un bibliophile J5
II
L HOMME
"^ 04 s un! — // lui faut tant chercher, fouiller , connaître,
cApprendre, retenir parmi ceux qui font nés
^^^(^ Quils'ejî toujours gardé, ma foi! d! en faire naître.
Cejî tant pis! Quels tréfors f on favoir eût donnés !
zMais ce doéîe, obligeant, néglige fon bien-être
c4u profit des caufeurs à fon logis menés:
Le foleil part, la nuit ajfombrit la fenêtre.
Sur les textes fes jeux font encore inclinés.
Chaque Jour, fe meublant de quelque découverte ,
cAux futurs érudits fa mémoire ejl ouverte ;
Comme un long répertoire on vient la compulfer.
— Salut donc, vieux « glouton de la littérature! »
Tu lifais pour tranf mettre aux autres la pâture...
'Bravo! cet égoïfme efl bon a profeffer!
\o
ItS SONNETS
COUP DE VENT
fe^
c4C^S la demeure favanie
En avait-on emajfé!
zMais, las! naïf qui fe vante
Vun grand tréfor amajfé. . .
Les bourrafques de la vente
Tar les rayons ont pajje,
Et fai vu, plein d'épouvante,
Le cher « tréfor » difperfé.
zMalheur! ce dejlin me navre
Il femble voir un cadavre
oiux membres éparpillés.
Comme épaves fur les plages,
Vont flotter aux étalages
Cent tomes dépareillés!! ...
m
d'un BIBIIOPHIIE
i7
A DANTE
SUR BÉATRICE
iX^^^AO^^X^J tes vers a fleuri l oAmour , printemps de lame y
zMais l amour pur , marchant fous fa robe de lin :
T)e ton ange entrevu tout ton cœur était plein,
Et pour toi 'Béatrice était plus qu une femme. . .
Oh! tu [enveloppais d'une myjlique flamme. —
Tu îi étais pas encor le fougueux Gibelin,
T>u haut de tes grandeurs jeté comme un vilain.
De ta Florence, hélas! banni comme un infâme! —
Suave & frais défr!... Comme un rayon des deux,
Ta vierge devant toi promenait fon image.
Et toi, tu lui rendais ton angcliqiie hommage ;
T)e fa chafle beauté tu repaijfais tes yeux.
Sans vouloir feulement lui prendre une étincelle...
Vante, le bel amour!... — ^?^as-tu bien aimé qu Elle?
^8
lES SONNETS
RAFFINEMENT
1^ CN^ plein dos des étalagijîes
Un chaud foleil darde fes dons,
]i'X ^^ nous, vieux bouquineurs aux pijies,
Le long des quais nous regardons.
Tejle! On en remplirait des lijles!
Sur les parapets quels cordons!
C^ous plongeons nos coups-dœil dartijies
Jufquau recoin aux abandons.
— cAs-iu vu, là, hors de la boite.
Tris dans fan gros carton, qui boite.
Ce conteur qui te fait rêver':!
— Oui. — Qii^n. dis-tu'.' — faimefon âge.
— Tu le laijfes ? — Je me ménage
Le plaijîr... de le retrouver.
d'unbibliophile J9
L'AUBAINE
LÉGENDE
^^V^o4 UV T{E livre ! Un marchand en offre, — prix honnéie, —
■^^ Veux cinquante, ou trois francs. . . Trois francs, ceji au plus haut
4y5^ — ce Je ne pourrai jamais le vendre comme il faut,
T)it-il ; la couverture ejl rongée. . . & peu nette. •>:>
— « Bn effet, la raifon nef point une fornette ;
Un vélin racorni, troué, cejl un défaut.
Invendable!... J'en vais allumer mon réchaud... n
L ex-vendeur fond fur lui comme à la hayonnette.
Entre le dur carton & le vieux parchemin
Quil déchire, en fureur il enfonce la main...
Le monjlre a, dans fes flancs, des fortunes énormes!
Sous un papier-jofeph on trouve des billets.
Hurrah! des cents, des mille ! ... Excellents, les feuillets 1 . , . —
Oh ! f aurai du refpeâ pour les bouquins informes.
4J LtSSONNElS
SAVANTASSE
0<^cME il y va! quelle faconde !
Il met àfecfon réfervoir,
L impitoyable ! Il nous inonde
Sous les flots de/on lourd /avoir.
Serrés, d allure furibonde
Et drus, ne ceffent de pleuvoir
z/[fotSy textes, noms. . . Holà ! la bonde !
^?(j)us nen voulons plus recevoir.
— Triple érudit, affei ! T)e grâce !
Tu nous fais prendre en grippe Horace,
Homère, Virgile, oiuguflin.
Silence!... ou, plutôt, continue!
Tille tes livres ; exténue
Ta langue, — & perdsy ton latin !
d'un bibliophile 4'
OPHTALMIE
garnir f es rayons il a pajfé la vie.
"Du tréfor grojjljant il Je charmait toujours.
,4^^^^ Il favait fureter, [habile, à faire envie .. .
Tar fes hafards heureux il eût compté fes jours.
zMais cette volupté ne sefï point pourfuivie .
Le pauvre homme, aujourdt hui,fentles injfants bien lourds.
C\uit, nuit pleine ! ... à fes yeux toute Joie ejl ravie...
cAveugle!... Il doit pleurer fes bouquins, J^es amours ^''
Eh! non; dune humeur douce il fupporte fa peine.
Flânant au milieu deux, il ouvre fon vieux chêne,
Cherche un livre, le palpe, & le gUjfe en J^es doigts :
— « Comprenez bien, dit-il ; Je lis à ma manière.
^Autrefois , J e f avais les trouver fans lumière ;
Et, rien quen les touchant, maintenant , je les vois. »
m
43
LES SONNETS
UNE FIN
^U^quel étal!... Jonchant la dalle ,
Sans couverture, & déchirée...
Quoi / ton beau maroquin doré
U^a pas trouvé grâce '... 0 vandale !
Vit-on jamais pareil fcandale?
Une œuvre ! un tome vénéré
Tar des mains grajes démembré,
Un peu plus mis fous lafandale ! ...
— qAu rayon d'honneur tu brillais,
Et de tes fplendides feuillets
On fait des facs dans la boutique.
"Deux fiècles avoir triomphé. . .
Tour envelopper le café
Quon vend faux poids à la pratique !!. . .
d'un bibliophile 4)
AUTOGRAPHE... ET CALLIGRAPHE
^ C^F 1^7^! f enilens un bout . Oh! la bonne aventure!
En œuvre épijîolaire il fe prodigue peu ^
Et fur ce noir format — qiion afauvédufeu —
Du doéle je puis donc contempler V écriture !
Epluchons le fragment. C efi hardi , fans rature;
La plume a, cTun long Jet, trotté, j en fais F aveu ;
Tout le texte a des traits aujjlfins qiiun cheveu ;
éMais des pleins fulgurants forment laflgnature.
cAudace, & favoir-faire . Il faut draper f on nom.
Le malin, en fgnant, tire un coup de canon.
Voyei : comme un volcan éclate f on paraphe.
Tour fe mettre en relief il ne néglige rien !
Il fait dire de lui : « Ce mon (leur écrit bien... »
ly^fais le grand écrivain ne fait pas l'orthographe !
Hif
44 LES SONNETS
DERNIÈRE RESSOURCE
^cAI couru panoui. Las, je rentre.
ce Je mangerai je ne fais où.
ce // faudra me ferrer le vemre ;
ce Car fai grand" faim ... & pas le fou !
ce Jai bien, — mais en lui je concentre
ce Tout mon bonheur, moi vieux hibou, —
ce J ai bien un volume... 0 doux chantre,
ce 1^ abandonner me rendrait fou.
ce Et, pourtant, fi je... {abandonne?... jj
Vami dolent cherche. On lui donne
Une somme à nous étonner.
Je nieflimais peu, vers ou prof e;
éMais mon livre ta fait dîner. . .
zMon livre efî bon à quelque chofe ;
m
d'un bibliophile 4J
UNE PERTE
ic4S ! j étais fi cornent de lavoir obtenu,
— C^onfans mal, toutefois! — "De fes pages latines.
Dont f avais, doux labeur , francifé les tartines,
Souvent Je de'leélais mon regard ingénu.
« zMais contre le méfait ce charme na tenu :
Un larron me ta pris. .. Oh ! peines intejîines !
éMe prendre Jodocus quand fai, là, des bottines ! ...
Et pourquoi me le prendre ? Et queft-il devenu ?
« éMon pauvre vieux tourijle, unique & cher volume.
Tu m étais compagnon quand, la nuit, je veillais;
zMaintenant , quelle main profane tes feuillets?
« Un moutard les falit ; quelque rujfre en allume
Sa pipe... » — Et lérudit chercha, toujours privé.
Tas de chance ! Il ejl mort fans lavoir retrouvé !
^
46 LES SONNETS
TU QUOQUE
-X^!^/// quoi! les poètes aujji
oiu ras vendent leurs chers poètes ! ...
zMais ceft donc le jour des défaites
Quon trouve ce chef-d'œuvre ici ?
Tour quil traîne en ce coin ranci
Ou fur ces planches indifcrètes,
Quel fouffle a face âgé les fêtes ?... —
Le goujfetj las ! sejl aminci !
S'envoler fur t aile des Jîrophes
U^ pare point aux catajlrophes ;
Le hefoin ejl un gros butor.
Tuis, il faut combler l adorée...
Et ce quelle aime, — la dorée, —
Ce neji pas les livres, cejî Cor.
d'un bibliophile 47
A UN BIBLIOGRAPHE
[^T^criîique nejî pas un pédant de grammaire,
Q 1 1 "TU ^ > ^'* "^'^^ ^"^ mefuram, pefam, rognant les mots
^^^•^^ Et, tout fer d'étaler un /avoir éphémère,
T>e fa parole creufe étonne... les marmots.
C\on, non. ^Pourquoi tremper fa plume en l encre amère '
q4 T arbre ne voit-on que les moindres rameaux?
U^otrevol ejl plus grand, plus haut, & plus fommaire :
Ouvrons T écria tout large, & montrons les émaux !
Laijons F œil s'arrêter & fe complaire aux lignes
Oii Sun génie en herbe on découvre les jîgnes.
'Du beau, même futur... c efl autant de gagné,
Tiètres ceux qui s'en vont, toujours, cherchant la faute! —
cAccueil, accueil au livre! Un livre, cef un hôte. . .
Et thôte ne vient point pour être égratigné.
^
48 LES SONNETS
AVERSE
Sii^fiTr ^^^^ '"^ ^^ prenait donc une once à chaque page!
A||\W1 ( Toute fa tabatière y pajait. Quel lifeur ! . . .
^^^■^^^^i-^ c^falhabile, ou dijlrait ; car cejl au grand dommage
T)efon ne~ quil ufaitfon tabac, mon prifeur.
cAprès tout, prifaii-il.' zMalgré cris & tapage,
Il devait favourer fon bien-aimé phrafeur ,
Et la poudre, manquant la narine au pajfage,
Tleuvait au fond du livre... Oh! cejî dune épaijjeur !
Il ne fe ferme plus ; le dos craque; tout baille;
Dans le jîllon trop plein le grain perdu bataille
Et me crible, à fa bafe, un onglet vermoulu.
Cher bouquin! ... — // veut bien nous prêter fa pâture,
{Mais ne l étouffons pas. 0 pauvre couverture !.. .
Faut-il être éventré, morbleu! pour être lu!! —
m
d'un bibliophile 49
UNE SUPPLIQUE
(£ brave homme ! Il a dû, longtemps avant décrire,
Tlein de trouble, tourner fa plume entre f es doigts.
'Bonne lettre, quipeine & pourtant fait fourire :
De ï encre, du crayon... un coup dejfai,j'e crois.
Trois pages f Cejî bien long ; cejl trop donner à lire
c4ux richards araires que le chiffre rend froids.
EJufon naïve! Il fe plaint, ilfoupire,
oi peur d importuner .. . 6* redit tout deux fois l
Cejl diffus ; mais aujjî, là, comme cefl honnête!
Ce timide quêteur doit avoir l'âme nette
Comme le vers latin quil a fu mettre ici.
Quel ton! dans ce factum rien ne hait, rien naccufe :
Il héfite, il demande, & puis craint, & sexcufe ; —
Cejl tellement raté. . . que cen efi réujji !
50 lESSONNErS
« HABENT SUA FATA LIBELLI »
d'où ?
,£ te choifis, & je t emporte ^
Cher bouquin, fous mon bras prejfé ;
cAvec moi tu franchis la porte ;
c4u rayon tu feras placé.
T'a Jlruâure nefl pas bien forte ;
Ton dos efl même un peu caffé.
Tu voyageas de belle forte ! ...
Tar quelles mains as-tu paffé':!
Qui te mit dans fon catalogue H
Qui te vendit f Quel philologue
T(? reconquit^ texte & fleurons i!...
Je fonde en vain ta deflinée,
Qui fait qiiau bout de la journée
c4u logis tous deux nous rentrons.
D UN BIBl lOPHItï 51
II
O Ù ?
1^ T maintenant ? Je te pojfède !
On m'a déjà félicité.
-^^-^^ zMème un fin convoiteux niohfède ;,
Sois fur : ni vendu, ni prêté.
Donc goûte en paix, fi "Dieu nous aide,
zMa durable hofpitalité. —
cMais après i*. . . oi la mort tout cède. . ,
cAprès^.. . Tar quels vents emportée
Où. ? Qui t'aura '^ L hôtel des ventes ?
Courras-tu les noires foupentes,
T>e poudre ou de moifi vêtu ?
T>ici pour te voir difparaitre,
'Battre les quais, changer de maître.
Il faut du courage, fais-tu !
qp
s»
lES SONNETS
PENDANT LES FÊTES DE VENDOME
y CTT"^^ ^ ^ ^^^ '^^"^ qiiarîs dejîècle il revenait fur F eau .
\ It^jjy, F on, il fe relevait de îinjujîe défaite.
VlS^]:^,^ La fvelteffe charmait en fa ftrophe parfaite ;
Il donnait, dif ait-on, la couleur au tableau.
Tu r avais pourtant mis au bout defon rouleau^
Dun mot tu crus T avoir précipité du faite...
cMais ton mot fe trompa ; tu fus mauvais prophète ^
0 grand u légijlateur du Tarnaffe, » 'Boileau !
Un retour de fefprit rabaiffe ta fuperbe :
Le vers correâ & froid du pointilleux zMalherhe,
oAfire efiimé, nefi plus notre premier foleil.
ton condamné, tu vois quelle ardeur il excite.
Hourrah ! La Toéfîe acclame ce réveil...
Le fer rhythmeur t emporte, &• T{onfard refjufcite !
d'un bibliophile 5j
LES DEUX VOLUMES
APOLOGUE
^'UtN^ouvrage nouveau f avais double exemplaire.
L un portait fîmplement f on habit beurre frais.
Tandis que le fécond, déjà pofé pour plaire.
D'un habit maroquin s^ était permis les frais.
Fier fous ce vêtement quun long fil d'or éclaire:
— « Çà! dit-il au premier, tu te penches exprès?
ce T{ecule ; ton papier m' écorche... 33 Tuis, colère;
— « Va-ien! Tu ne dois pas me frotter de f près. »
Sur ce, f humble broché dans le rayon s enfonce,
zMais, tout en s y glijfani, hafarde une réponfe :
— « Oh ! tu fais haute mine ! Efi-ce donc un malheur
« D'être un peu moins doré fur mon dos, fur ma tranche ?
« ^T^usfommes la même œuvre &fympathique & franche. . ,
cf Et, riche ou fimple, avons une égale valeur, »
54 lîS SONNETS
A MES LIVRES
CONDAMNÉS A MORT
^ ■'—' Q u^ ygii^ menacés dans la ville invejlie,
Ornes chers compagnons, mes outils bien-aimcs!
El vous ne pouvez pas tenter une/ortie. . .
(bornes, dans vos rayons vous rejfei enfermés.
Votre demeure, au moins, ejî-elle garantie
Contre le feu, la balle, & les pillards armés ?
C^on, hélas ! & la bombe, avant dêtre amortie ^
Veut jeter la balafre à vos rangs déformés.
oimis, dont ma retraite était fi bien ornée,
Touviei-vous vous attendre à cette dejlinée?...
Vous, avec tant d amour conquis & rajjemblés ;
Vous, oîi mon pauvre efprit f avait trouver fa vie,
Tar la haine féroce & la Jlupide envie
Vous fer ei canonnés, bombardés & brûlés !! ...
d'un bibliophile 5$
AVANT LEXECUTION
;LLOC^S ! toujours fangoijfe!. . . Une peur, cette nuit,
qA. mon oreille a fait ronfler la canonnade ;
,J^^^^ Tuis ce fut la muraille ouverte, (S* îefcalade,
Et îenvahijfement de l étage... Oh! quel huit!
Quel affautH ... Tout efl noir, Taf! un coup de feu luit.
La vitre dégringole , & du rayon malade
La halle a traverfé la mince colonnade.
Un bras brutal fecoue, & la corniche fuit...
Tout gît fur le parquet ! La fol date f que ignoble
Jure, va d'un entrain pris au Jus du vignoble.
Et faccage . . . éMaini tome a le dos enlevé.
Lun arrache un feuillet pour une cigarette ;
Vautre fous fes pieds vous... — zMa torture s arrête :
Vous êtes encor là, chers bouquins... fai rêvé!
^6 l ES SONN ETS
MOUTONS DE PANURGE
^^pOLfTE la nuit encore, épiant, palpitant,
ryih OEil & cœur pris, de vous f ai rêvé, mes chers tomes :
i T)e la poudre au plafond fecouant les atomes,
Vous aviei, tout d'abord, un réveil éclatant.
Tuis, calmés & debout, îun après ïun quittant
Vos rayons, vous alliei, innombrables fantômes ,
— Des Sadis aux T{onfards, des 'Bibles aux 'Bramâmes , —
Vous alliei devant vous. zMais foudain, vous hâtant,
Vousfemblei tituber & ne plus vous connaître.
Tumulte. Un coup de vent vous ouvre la fenêtre.
En troupeau, fur le bord vous vous précipite^.
Gouffre attire, dit-on. Votre foule s'y rue.
Vous prenez votre élan, vous faute^ dans la rue...
Et moi, navré, fans force : — « oillons, fautei ! faute^ !!.. . »
D UN BIBIIOPHILE 57
UN REPAS
L'homme ne fe nourrit pas feulement de pain.
I UI, fy reviens encor. . . J y reviendrai fouveni,
Tauvres amis perdus ! Oh! combien je vous aime !
Vous me repréfentei une part de moi-même.
Vous quirnavei aidé pour ... me montrer f avant.
Tout jeune, quand f allais , plein d ardeur, m' élevant,
Tlus d'une fois, poujc par un déjir fuprême,
Tour avoir un de vous je donnai, — joli thème ! —
Le prix de mon diner. Cejl d'un culte fervent !
Et que fêtais heureux! « Un de plus! » me difaisje.
"Puis, par le beau foleil ou par la froide neige,
fe refais, avec lui, dans la chambre fermé.
Comme je préférais îonctueufe pâture
qA T autre, qù exigeait la vulgaire nature!...
Comme je dévorais mon livre hien-aimé !!
LES SONNETS
LA TOURNÉE
L EN A SA CHARGE
ID^QJieures! Du dîner chacun fem les approches ;
éMais notre dénicheur ri a pas grand faim . Charge',
Il retourne au logis, & fon pas allongé
Franchit du macadam & le fable & les roches.
'Bonne chaffe ! Il jubile, oiâif il a plongé
Jusquaux plus noirs recoins de cent boites bancroches :
Il en a dans les mains, fous les bras, plein les poches
Et, pour rien, ne voudrait d'un feul être allégé.
"Bouquins aux angles tors, aux marges trop coupées,
Tages de manufcrits des flammes échappées.
Tranches rouges, dos ronds blindés de parchemin,
Tomes déshabillés redevenus brochures.
Beaux plats quun fer antique a brodés de hachures. . .
Voilà f ample moijfon quil a faite en chemin !
d'un bibliophile )9
II
ou LES METTRE
[0^7^! mais ce nejlpas tout que les avoir trouvées,
Ces merveilles ; il faut f avoir où. les nicher.
L appartement en crève, & Ton va fe fâcher :
"De place nulle part... Oh! les chambres rêvées!!
Vans iinvifihles trous il parvient à jucher
Les plus minces. Gonflant les piles foulevées,
Il glijfe les plus gros. Les plaquettes^. . . Sauvées !
Gravement il les couche à même le plancher.
Là! pour fes adopiifs cefl qùïl efl tout entrailles ;
Il en mettrait, je crois, jufques dans les murailles. . .
oiux parquets, aux plafonds Je foupçonne un reffort.
Le cher petit réduit fe dilate. Cefl T antre
Où plane fur le livre un myjiérieux fort...
Il rien peut plus tenir, et toujours il en entre !
6o
LES SONNETS
LE DERNIER
''^JLcADIS, quand Je voulais anecdote ou maxime,
^ T)un doigt fur, parmi vous, [allais tout dénicher.
^^^^^ oAujourdhui, fi je veux le moindre millcjime,
Ceji dans ma tête, hélas! quil me faut le chercher.
Je ne peux plus, ouvrant la porte doéiiffime,
Tar vos mille tréfors me fentir allécher^
5\7j de l'œil, parcourir de la hafe à la cime
Les lourds rayons où, fiers, vous aimej à percher.
Tour mon f avoir , allei, cejl bien un peu funejle .
zMa mémoire malade ejl lefeul qui me refie
En fait délivres... Viable! Et f ai beau feuilleter.
Je ny trouve partout qu ombres, ingrates pages.
zMes glanes chargeront de piètres équipages. . . —
c4mis, que nai-je pu ne jamais vous quitter !
^'&
d'un bibliophile 6i
LE COIN DU FEU
^ Juùt
\E calme du foyer me plaît (£ étrange forte.
Là, tous les deux, bien clos, les pieds près des tifons,
U^ous fuivons à lenvi chimères ou raifons,
Capricieux fujeis qiiun léger rire emporte;
Là, des plans d! avenir évoquant la cohorte,
U^ous bâtijfons d'avance ; enfuite, nous puifons
En quelque livre aimé quenfemble nous lifons,
T)afe dont la liqueur au labeur nous exhorte.
Tuis, nous nous contemplons dans ce gentil enfant
Qui fecoue entre nous fon beau front triomphant.
Et dont gaiment la langue à tout propos babille ;
Et nous ne prions Dieu que de nous prolonger
Ces jours de joie intime, & de ny rien changer ^
Tant nous fommes heureux du bonheur en famille !
6a LES SONNETS
LE FIL DU LABYRINTHE
T^ITIQUE, nul ne fait, Jufquau cœur dun volume,
Trojeter mieux que loi la lueur de la plume ;
C^ul ne va plus avant ^ 6 clairvoyant mineur. . .
Tour trouver le filon cejl ton goût qui s allume ,
Lorfurgii devant toi, — ta main a du bonheur — •
T^ncontres-tu le fer réclamé par f enclume,
TJun doigt fi bienveillant tu ï indiques, d'honneur,
Quon prend ïavis fans fiel & t aimant, cher glaneur.
Oui, Ton aime à te voir, fin, fubtil en ton rôle,
Sur toute gloire faite appofam ton contrôle.
Et tournant le rayon fur le nom commencé.
Ton ce bravo ! n, digne à' fur, monte au front du génie ;
La fottife a, parfois, ta flèche d'ironie. . .
Quel mal^ — Homère efl fauf, & Zoïle efl blejfé.
d'un bibliophile 63
UN NAVIGATEUR
*^V un (Av^^ttt Ctxi^o^vAf^t
^^faii un grand mérite au fier navigateur
Qui s'en va découvrir quelque terre inconnue.
Et qui, vers unfeullieu confiatant fa venue,
'Baptife un pays neuf. . . dont il neft pas T auteur.
Gloire au marin ! ceji bien ! — zMais Tinvejîigateur
Qui remonte en fa barque, à tous pas retenue.
Les fources dune langue à fa fin parvenue,
Tlongeant dans chaque idiome un œil inquifiteur ?■. . .
Il touche à mille points en fon cours méritoire.
ÎN^eft-ce pas naviguer fous un rayon de gloire
Que i avancer , certain, fur cet autre océan t
Sur T océan des mots s il efi moins de tempêtes.
Les fols quony découvre ont plus i épines prêtes ;. . .
Cefi un voyage obfcur qui veut un pied géant !
64
lES SONNETS
SON « EUREKA »
\L Jubile :... — « Joie ineffable !
ce Je te tiens, bijou tant rêvé,
a 0 cher petit livre introuvable,
ce Que par miracle J ai trouve !
ce Es-tu vraiment là fur ma table if...
a J'ai peur de ten voir enlevé.
ce Sous ta poujjîère vénérable
ce Comme te voilà confervé !
ce Quels parfums ont tes feuilles larges !
ce Laijfe-moi contempler tes marges,
ce T)u doigt careffer ton vélin.
ce Tour mes yeux cejl une ambroifie... •» —
Et le dénicheur sextafie
"Devant fon tome... aje^ vilain.
^
d'un bibliofhile 65
A SHAKESPEARE
ion lour, vieux génie y orgueil de TcAngleierre!
_ /<— .vy Uérudit contre toi vient braquer Jon canon.
.J:^^^., Qui donc gênerais-tu, qiion veut te mettre à terre'.'.
On contejie déjà ta perfonne... ou ton nom...
Voilà les dépeceurs ejfayant T inventaire...
Sortent-ils dcAcadème, ou bien dun cabanon i
Ils veulent que ton œuvre immenfe, humanitaire,
cAit, pour pères, plufieurs, & toi pour parrain... CM^n!
Ils feraient fi contents, dans leur ardeur qui nie,
De Jîgner ton Hamlet : Shakefpeare... et compagnie !
Tour eux, cejl la trouvaille & l aubaine fans prix.
cAllons, démolijfeurs , frappe^ ! oA la refcouffe ! —
zMais le colojfe ejl là, folide, et la fecouffe
tH^eJî point de force encore à troubler nos efprits.
66 les SONNETS
En omnibus
fa broche elle avait le portrait Sun « bel homme. »
Un plantureux chignon, fur fa nuque abaiffé,
^.^è^t^^ Ombrageait de fes jlots la croqueufe de pomme,
Qui nous montrait fa main d'un gejle un peu forcé.
Elle allait promenant ce regard qui vous fomme,
Trunelle pénétrante & four cil haut froncé,
Tuis, baiffant fes grands yeuxbiflrés , non pour un fomme ,
Elle cherchait à voir. . . comment fêtais chaujje.
tMais îhoriion rêvé nef pas celui qui s'ouvre.
T)ans ce pourchaffement la chercheife découvre
Deux vieux tomes, tenus con amore. Soudain
Elle pliffe la lèvre avec un fier dédain,
Et, toifant ma valeur, en elle elle s exclame :
« — Le sot! Il aime mieux des livres qu une femme! »
d'un BIBIIOPHIIE 67
GUIDE INSPIRÉ
S\. ^_^r con C:::^uï!nttt:—
poète, comme tu fais,
Sans que la verve f oit ufée,
Ouvrir les yeux avec fuccès
Devant les toiles dun mufée !
Quune ceuvre, profonde à l excès,
Comme une énigme f oit lancée,
C\ul plus que toi ne trouve accès
qAux arcanes de fa penfée .
Tous ces grands maîtres du pinceau,
Tar tes vers, radieux faifceau.
Sont charmés de fe voir traduire :
^?{j)us te faluons, toi qui vins
c4 travers leurs groupes divins,
Guide infpiré, pour nous conduire !
68 LES SONNETS
UN BON MARCHE
*'£5\^ ai plein mon panier, dit-elle à la marchande.
ce Les voilà. . . r^/^ quilsfonr: grands, petits, neufs ou vicux^
^ ^ a Je les pris au hafard, en détournant les yeux...
« Car f y tiens... iMais, pour vivre, il faut que je If s vende. »
C était mal débuter. éMoins dire eût valu mieux.
Vacheteufe comprend ï inhabileté grande
El, loin d'être touchée : — « cAutani que je les rende
a Qu offrir un trop bas prix... » Le truc ejl odieux.
Unfanglot comprimé trouble la pauvre femme :
— c( Ce qiiils valent.:, pour vous, ^Madame, fera loi;
ce Je nen demande pas ce quils valent. . . pour moi. »
J avance. Jen montre un. « Celui-là^... » puis réclame
La faveur de le prendre... & le prends, doux effort,
cAprès lavoir payé plufieurs fois le prix fort.
■5132^
D'L'N BIBLIOPHILE 69
UN SAVANT
\U EST-CE donc qii un /avant. ^ Ce grand mot me lutine.
T/ans un fî vajle nom quel arcane ejî caché?. . .
— Tu te moques, ma belle, 6^ ta lèvre mutine
Sourit déjà du fens par ton efprit cherché.
— CN^on ; d honneur, f ai refpeél pour ce front qui sohjline,
Creufant dans fan labeur un fol peu défriché :
Je vois t abeille en lui; fur f es fleurs il butine.
Tirant fouvent du fuc d'un bouquin dejféché.
— Cefl tout ce qu il fait faire. Oui, f es fleurs... font les tomes
T>ont fon cerveau fubtil refpire les atomes;
tAfais, d encre & de f avoir s il efl tout parfumé.
Ton f avant ne fait pas conjurer la tempête. . .
Car le pauvre homme, hélas ! privé £ air ^ enfermé ^
qA force defonger fe fait tourner la tête.
70' lESSONNtlS
AUTO-DA-FE
Omnia purgat edax ignis.
Ovide.
LE PRISONNIER
'^T{qA U^'ÇPfète ! — Un échafaud fur la place publique.
qA trente pas plus loin, jujle en face, un hacher.
Les Cardinaux, venus par une rue oblique,
Font cercle Jur leur fége... On ne peut approcher.
Et le coupable ^^ En pompe onlejï aile chercher;
On rapporte, aufji bien tenu quiine relique.. .
Sous f es chaînes de fer il ne f aurait broncher.
Tauvre prêcheur! On va lui donner la réplique.
c4u doyen des chapeaux le Livre ejî préfenté.
oiu Grand-Inquifteur trônant à fon côté.
Craintif, du bout des doigts, cet aujlère le pajje.
Quel voyage lugubre ! cAu greffier on le rend ;
Vu prévôt à fhuiffier il s'ouvre encor fefpace ;
Il arrive à f archer. . . puis le bourreau le prend.
d'un BIBllOPHllE 71
II
LE SUPPLICE
^7^0 /D & finijlre, en F air, de/es mains il F élève,
/|l Vers les points cardinaux fe tournant gravement.
^ cA î exécution celafemble une trêve...
Cen ejl bien une, hélas ! mais trêve dun moment.
Il dénoue aujfitôt les chaînes le fermant,
Tuis, comme pour tuer T écrit jufqu en fa fève,
Le touche feuille à feuille &, dans ce fouillement ,
T>e la deffrucîion carejfe le doux rêve.
Ce ferait un cadavre, il aurait les corbeaux;
Cefl un Livre. . . il féventre &, lambeaux par lambeaux.
L'imprègne, en Fj plongeant, d huile ou de poix bouillante
Il verfe enfin le tout sur le bûcher, d'où, fort
En crépitant la flamme affamée & brillante. —
Le Livre efi dévoré. . . — Thénix, prends ton ejjor !
73 les SONNETS
A PÉTRARQUE
PENDANT LES FETES DE SON V"*" CENTENAIRE
^ ^. ^t a.^CrfHc-fVrMff.;ç
lU^Q^fiècles! & les vers femhlent n avoir qu un jour
foui y vibre aujjl Jeune, aujjî frais, aujji tendre
Que lorfque ion idiome aimait à faire entendre
cA ta Laure les chants émus d'un chajie amour.
0 grand maître des cœurs épris, à notre tour
U^us venons faluer ta gloire. Sans attendre
De nous tout ce que vaut ton nom, laijfe-nous tendre.
En difciples -[élés, à fêter ce retour.
cAmant mélodieux, tu tiens tàme & f oreille
Sous le charme, & toujours va croijani la merveille :
qA tes fonneis f doux t univers applaudit.
Teufavent que ton front, cherchant avec vaillance,
Tfune encyclopédie amajfait la fcience. . .
Le poète, en ton œuvre, a vaincu lérudit.
d'un BIBLIOPHILE 73
RESTE DE LUI
lT{cAVE cœur! Toint ne faut que perfonne Vempone;
Ceji un tréfor. Que nul ny louche, prou ni peu !
Le moindre changement ne fer ait p as f on jeu;
Il favoure, à la voir, une volupté' forte.
Il fe tient tout debout dans î angle de la porte,
Et contemple. . . Tourtant il n'y voit que du feu :
Tous ces livres « du fis » pour lui ceJi de l'hébreu ;
Cet heureux pojfeffeur ne fait lire. . . Qu importe ! ...
■ — « Ça vient du cher garçon. Si bête que je fois y
» J'ai Tefprit d'y trouver, d'y revoir mon François,
u o4uJf, foir ou matin. Je pajfe. .. & Je regarde.
« cA force de travail il s'était fait f avant. . .
ce Donc fur ces livres-là n allons pas plus avant.
« Dans fa bibliothèque il revit... Je la garde. »
lO
74 LES SONNETS
DISTINGUONS
Légère non est scire.
E le dis avec vous, les livres font la mine
'^l»A l^^ Où qui tend à /avoir doit puifer largement.
j^^^^^\ Là, fans peine, tout prêt, on trouve t aliment;
D^l efprit curieux ne peut crier famine.
o4 travers ces formats, de riche ou pauvre mine,
Certain vient butiner Jufqu à Tépuifement ;
Il feuillette, il feuillette, & cejl plaifir, vraiment,
T)e voir comme f on œil en ces tomes chemine.
Le vajîe répertoire a meublé fon cerveau.
Et, par là, le lifeur croit haufferfon niveau.
T)u peu de ce mérite il napas confcience ;
T) ans fon propre terrain fans creufer bien avant,
T)uf avoir quil grapille il fe croit très-f avant...
— zModère-toi. zMémoire, ami, nef pasfcience.
D UN BIBLIOPHILE 7J
FUREUR
iIV1{ES que f ai cherchés, livres que je pojjède,
Vous qui mavei brûlé de la foif du défir,
Je ne fais quoi delourdpèfefur mon plaijîr . . . "
Quelque chofe de vous me fatigue, m'ohfède.
q4u tome entré i abord vite un tome fuccède ;
La pile monte, monte, & îœil ne fait choifir.
Quel tas! fe geins. V humeur me gâte mon loifr...
Tour mieux vous voir, comment faut-il que Je procède i"
Vous-mêmes éleve^ mon objlacle. Entajfés,
Vous devenei des forts, des bajiions... Cejlajfei'.
oivos angles faillanis ongle ou doigt fe déchire.
Que voulez-vous de moi ? Que puis-je avoir de vous ?
Inutiles moellons, vous vous écrafei tous. —
Livres-murs, croulei donc!... Vous rnempêchei délire.
76
LES SONNETS
DESESPOIR
chaque auteur nouveau quen cherchant il trouvait,
Comme une explojîon vibrait fa Joie intenfe. . .
Un atome de plus du filon quilfuivait !
"Bien venu, ce Jalon comblait une difiance.
{Mais de quels âpres feux f on défir fe revêt !
"Dans t œuvre découverte il lia plus fa pitance.
Le jour, à fes rayons, la nuit, à fon chevet,
De tomes ignorés il flairait fexifience :
— ce Ves tréforsfi nombreux, ... & des infants fi courts!
« Tour quoi tant de joyaux abfents de mon parcours^
« Loin de moi que â^ écrits, chaque jour , ont dû naître!, . ,
» Et, fans les avoir vus, trife, je ni en irai. .. n —
En effet, ne pouvant butiner à fon gré,
Il mourut... du chagrin de ne point tout connaître.
d'un bibliophile 77
LE TAS
DIALOGUE ENTRE UN CRITIQUE ET UN BOUQUINISTE
^^^,'PT'I{pCHEZ, mon brave homme. — Oh ffefpère^ en voilà!
(&y^A^ — Oui, les coins font garnis, & cette alcôve ejl large. . .
^^^^^ — Eh hen! vous avei lu !. . . fen ai plus que ma charge.
zMafoi, monjieur, ça compte, un tas comme cela !
— Combien de tas, plus gros, fai vus for tir de là! ,
— Tlus gros! Tour me gaujer vous prenei de la marge.
Tourner tous ces feuillets?. . . — Ce nef point une charge;
Vingt fois au moins, plus haut jeannette en empila.
— Tout de bon, vous pourriei en combler des voitures!
Je comprends que monfieur foit prompt dans f es leéîures.
Et tous ces livres-là, vous les avei?... — Jugés.
— Qu il faut être f avant pour juger fans rien lire!
— Qù est-ce?... — oAucun nef coupé des livres que f admire ;
Et , pour livres jugés .. . ils font bien ménagés!
qp
f9 LES SONNETS
LES CHOYÉS
[lECNl heureux êtes-vous, mejfieurs les vieux poètes y
Qui, vivants, de la gloire avei eu le revers !
Tour vos quatrains moijis, vos fonnets de travers
C^^tre typographie imagine des fêtes.
Vos œuvres, entre nous, méritaient leurs défaites...
zMais la mode vous porte à nos rayons ouverts :
Culs-de-lampes, fleurons, portraits vous font o^erts ;
Tris de lèle, on encenfe, on couronne vos têtes,
Tardieu ! îafaire ejl bonne ! & cejl un agrément
T> avoir, Jadis, pondu fes vers obfcurément ;
Sur un vélin fuperbe on vous réhabilite.
Tandis qu un pauvre auteur de chefs-d'œuvre, aujourd'hui,
"D'une «feuille de chou » ne trouve pas f appui
Et, pour n atteindre à rien, fouffle, peine 6* milite!
d'un BIBlIOPHllE 79
FIAT LUX!
En ces temps de ténèbres... (14} 0-1470)
i'c4 UTEUl^j — hiJîorien,philofophe, ou poète, —
Chercham à pénétrer les brumes du /avoir,
(•Mais privé des rayons qu aujourd'hui F ail peut voir,
D^était guère avancé ^f on œuvre une fois faite.
Devant lui ne s ouvrait quune route imparfaite :
Lesfcrihes apprêtaient leur plume; en leur coin noir
Ils piochaient, tranfcrivant du matin Jufquau foir
Tendant des ans... la fin du manufcrit pour fête.
Le leâeur obtenait, par ce moyen borné,
— cAu bout de quel labeur! — un unique exemplaire.
oirt pauvre. Il fallait mieux. Un chercheur acharné
ly une f aime lueur tout à coup nous éclaire.
Sous fa féerique main le travail s'accélère.
Lira qui voudra lire. . . Hourrah! le LIVIDE eft nélIL..
(Anniverfaire du 35 juin 1840; Gutenberg à Strasbourg.)
C43^
8o LES SONNETS
OMNI-SCIENCE
\L entend difcourirj même à perte de vue;
Un invejîigateur touche un point épineux;
Sous tépifode obfcur on recherche des nœuds ;
Des jalons de ïhijioire on pajfe la revue ;
Un critique j en fait d'art, Jîgnale une bévue ;
On fonde les reffons des cœurs bons ou haineux, —
'Bravo pour les difeurs! Il fe regarde en eux;
Tar lui, leur découverte ejî toujours entrevue.
De pied ferme il attend... Et juge-{dufuccès :
— ce Tout ce qu on peut f avoir, vous dit-il, je le Jais.
« cAuJJitôt quun volume a paru, je F achète... »
Tuis, croyant que ça fait comme un grain au filon,
c4 chaque auteur cité : — « fai ça fur mon rayon... ^^
Sans rien voir du four ire ébahi quon lui jette.
d'un bibliophile 8i
SCEAUX DURABLES
^ ES livres font à moi, bien à moi. zMais fai crainte.
« Le vent qui les difperfe a Jî vite monté! .. .
« Quoi dit que ce volume ejl ma propriété :^
« Qui le dira, furtout? Quel chiffre? quelle empreinte?
« T{ien, à fœil étranger, ne traduit donc T étreinte
« Qui me lie à T ouvrage avec joie acheté,
« Et pourtant f ai défir que mon nom f oit porté
« cAux futurs poffeffeurs. . . c4llons-j fans contrainte ! »
Et r amateur, tout fer, f avant, du rejîe, ou non.
Imagine un moyen déternifer fon nom:
« Ex libris, » écrit-il; puis, fous des armoiries.
Il figne, fait graver le nom retentiffant,
Le colle au plat du tome... — Oh! le moyen puiffant !
J" en feuillette, en album, des monceaux de fériés!!! ...
■qp
II
8a LES SONNETS
SIMOUN DES VERS
^H/ que de vers perdus ! — Images carejfées,
Etincelles du cœur, vifs éclairs de Fe/prii,
Doux germes, dont lajleur apparaît &Jourii,
Lueurs promenant F aube à travers nos penfées ;
Figures fe drejfant foudaines , ou bercées
Tar le rêve, contours brillants que tail furprit,
Silhouettes quen Fair un caprice décrit,
Hélas! ïinjîant d'après vous êtes effacées!!! .
Ebauches, traits flottants, au paffage attendus.
Vous nétiei donc pas mûrs pour la forme parfaite,
Quau néant du cerveau vous voilà tous rendus':!...
(Alors, tant mieux! — cAmis, chanteifort leur défaite.
Le vent qui les difperfe efl pour vous une fête.
Criei tous avec joie : — « Oh! que de vers perdus! n
d'un bibliophile 8j
UN NAUFRAGE
; L/C L/C^E main d'ami ne forme à notre porte.
Doucement oublié, curieux, je veux voir
^^^^^^ Quel est ï événement qui me viendra ce foir ;
J'attends ce quenfon vol F heure future apporte.
J'aime beaucoup, parfois, à mufer de la forte.
c4vec un rien qui rit on chajfe un p enfer noir;
Vâmefe laijfe prendre à quelque vague efpoir.
Et Ton fe fait heureux d'un rêve... mais qu importe!
Vonc f attends . %ien ne vient. Je rumine un fonnet.
V album fur mes genoux, je griffonne. . . affe\ net ;
zMais mon lutin s'approche. . . o4h ! petite couleuvre!!. . .
Sur t encrier trop plein fon coude sejl jeté;
zAfon fonnet difparait fous îimmenfe pâté. . .
V encre, où je le puifais, fubmerge mon chef-d auvre !
84 LES SONNETS
TRÉSOR OUVERT
j^^) / le livre emprunté revenait au logis !
Si, lorfqu il y revient, c'était fans meunrijfure!
S il ne rapportait pas toujours une blejfure :
Ou la marge ébréchée, on les flancs élargis!!...
c4h! cefl contre mon gré qu avec rigueur f agis.
Comme tous les bons cœurs, dont le nom me rajfure,
J'aimerais à prêter. . . zM'ais pas avec ufure.
— Viens à moi, bon Grolier! cA propos tu fur gis.
Des tomes ifolés & des œuvres complètes,
Tout, tu laiffais tout prendre à tes cfières tablettes ;
Tes livres étaient moins à toi quà tes amis.
Je t'approuve. "Bravo ! généreufe nature!
cAux efprits affamés difpenfe la pâture...
S'ils fe difent en eux: « Garder nefi point permis. »
d'un bibliophile ^s
II
RESTRICTION
[c4VT{Ê, mélancolique & dolent, il regarde.
Il regarde, au rayon d'ordinaire lejlé.
Un gros Trou, vide fait par un tome prête'...
Et qui ne rentre pas : — « Cejl commode ! Il le garde ! jj
Le bon homme en blêmit. Sous fa mine hagarde,
On voit quil maudit fort V emprunteur... trop tenté :
— « Quil revienne! ... éMon plan fera vite arrêté;
« Devant mes chers bouquins je monterai la garde.
<f J'aurai de durs refus pour tous ces indifcrets,
« Qui dans les champs d" autrui vont femant les regrets.
« Eh! que nachète-t-on le livre quon veut lire!...
« Trêtei-vous votre femme ? Eh bien ! le livre aimé
« Efl un tréfor auffi. Quil demeure enfermé...
n Foin des quêteurs-larrons qui nous font un martyre! . . .»
86 LES SONNETS
MES RACHETÉS
^ ^HtOHJ (\0IVCU4
K>-5
^cA.IzME à vous recueillir^ ô mes vieux invalides!
Tour vous, chers délaijfcs, je me fens attendri,
Vous quon Jette à la porte et qui nave^ dabri
Quun recoin, aux rayons objcurs & peu folides.
Là, vous redevenez comme des chryfalides
Jufqiià ce quun pajfant, de charité nourri,
S'arrête & dun vendu refaffe un favori,
Effaçant, un par un, ces lâches fratricides . — •
Quoi! vous leur arrive\ avec vos plus doux mots,
cAvec ces mots du cœur qui foulagent les maux.
Et, pour remerciment, cœurs fecs, ils vous lacèrent!
(Allons, mes parias, relevé^ votre front:
Ce ne font pas mes mains qui vous lacéreront.
Trenei rang. Vos voifins, pour vous loger, fe ferrent.
"^
d'un bibliophile 87
L'INCORRIGIBLE
<tC un <jMt Muf nt connaît tttitux <jMt moi
Plus un!...
(...)
\H! fen ai trop!... Je nen veux plus.
Tous ces gêneurs, quon les emporte!
Ils deviennent une coliorte,
Et leur nombre me rend perclus.
« Ils ont des vouloirs ahfolus ;
Tyajfaut ils francliijeiit ma porte.
Je trouve l audace un peu forte 5
zMais leurs beaux jours font révolus.
" Quon me pende f fen racliette!
Un catalogue?... Je le jette;
La corbeille en fait un repas... —
«o^A ça? ce libraire me leurre!
f attends; il laijfe paffer t heure,
Et fon envoi n arrive pas !!!. . .
qp
88 LES SONNETS
LIQUEUR ET VASE
ACCUSÉ DE RÉCEPTION DE l'eNVOI CORDIAL DE
j-oicfijtn '^oufrtrr
^^^^^ UE voilà prendre ta revanche ! —
C\M»^/Pl ^^ matin, gracieux fous fon habit doré,
^^>^ Comme un rayon, vers nous ton livre a pénétré! .
0 Poète! le beau dimanche!
En fuivam ton humeur fi franche,
Quel tréfor toujours neuf nous avons rencontré!
Comme il a bu, joyeux, notre efprit altéré,
c4 tes vers où. la foif s étanche !
Car cejl un flot plein de faveur,
Fantaifijie puiffant, délicieux rêveur,
Que le flot qui fort de ta plume;
Et, — tu peux len enorgueillir, —
Et ce n était point trop, pour le bien recueillir,
Que fan vafe, ton beau Volume!
d'un bibliophile
89
DE TIBUR
toi, dont lajîrophe ailée,
a Emportant pour fort butin
^J^^ a Vor de mon mètre latin,
ce oAlerte, sefi envolée ,
« Salut ! Ta langue, étoilée
ce Ves reflets du clair matin,
a cA dans un rhythme argentin
a Coulé ma langue exilée.
« ^ul, des tijfeurs au goût pur,
a Vun doigt plus fvelte & plus fur
ce U^afu toucher à ma grâce.
ce zMe voilà traduit! Je crois
ce éM'y connaître, cher Lacroix. . .
a Je ï affirme, & flgne : Horace. »
"^
12
90 LES SONNETS
LA POESIE POPULAIRE
,E fais une merveille. Elle ejl, roui à la fois :
Le/prit chajle & naïf des peuplades premières ;
Lajeuneffe attendrie , errant dans les bruyères;
La châtelaine, allant rêver fous les grands hois.
Elle efl le guerroyeur qui va mettre aux abois
Les cajlels, les démembre & Jette aux vents leurs pierres ;
Elle ejf r anachorète exhalant en prières
Les élans de fon cœur & les fons de fa voix.
Elle efl î amour fauvage ; elle efl T amour candide ;
Tar toute la nature un tendre émoi la guide ;
c4 fonde claire elle aime à fe défaltérer.
Jeune& fraîche toujours. . . — Quelle efl donc ta merveille?
— 0 poète érudit, tu la fuis dans tes veilles :
Ceji la chanfon du peuple... où fan vient sinfpirer.
d'un bibliophile 91
LES DÉDICACES
ÎO<y\^, mon cœur oublieux neft jamais endormi:
Je fouris à tout frère enpoéjie, & faime,
cMédiîam unplaifîr, au fronton d un poème
Tofer, comme un fleuron, le nom d'un mien ami.
Tar cette offre, je fens mon efprit raffermi
Et f éprouve un peu moins cette crainte fuprême ,
Cette four de douleur d'être oublié moi-même...
o4u doux falui des vers on s éveille à demi.
(A votre tour ! Tour vous, — voye\ la fantaifie ! —
Ce technique fonnet efl ï offrande choifie.
Il vous montre {emploi de mes humbles crayons.
Il efl ainji venu ! Trenei. Quoi que je faffe,
c4 caufe de fon air, ce faux air de préface.
Il fera le premier de mes chers médaillons
qp
ça
lES SONNETS
LE SONNET
CONCISION
T^E Sonner, me dit-on, ceji (entrave inutile,
ce Cejl le lit de Trocujfe écourtant, dans tes vers,
(c Et les bleux horiions & les bois aux fronts verts;
(c Cejl le cadre trop court; cejl la gêne infertile. 55
— « Erreur. C^on, le Sonnet na point de règle hojîile.
ce Loin dégarer la zMufe en des efforts pervers,
ce oiux dejjîns les plus purs fes rhythmes font ouverts;
ce Ceft la forme au tour mâle et qui commande aujlyle. »
— ce Cejl, me dit-on encor,laprifon pour Foifeau... »
— ce Tfe tout parler concis cejl le hardi rcfeau,
ce zMais qui ne devient point chaîne pour la penfée.
et T)ans ce travail ferré tout prend force & valeur :
ce (v^for par mot, trait par trait, viennent ligne et couleur, —
ce Et dans un médaillon f image ejî condenfée. 5^
d'un BIBLIOPHILE 93
II
ETENDUE
O ^T^CO'RJ Toujours ce moule ^ & ces formes pareilles?
« Toujours pour vos tableaux ce cadre quon connait ?
^'-1^ ce Quoi! fans pitié toujours nous jeter aux oreilles
ce Ces affreux bouts-rimes quon appelle un Sonnet ! »
— ce 'Bouts-rimés :' le Sonnet? î une de nos merveilles H jj
— ce Toujours pour ce phénix^ votre chaleur renaît! . . . 35
— et o4 luifeul,fobre et ferme, il vaut toutes nos veilles:
ce T)es poétiques fceaux nul ne frappe aujjî net;
ce 5'^m/ ne condenfe mieux fous J a nerveuje empreinte ;
et tH^d ri a plus dJioriion fous fa ligne reflreinte;
ce tN^d neji plus fouple & plus riche en fes diver fîtes.
•>:> Je fais, moi, tel fervent de cette œuvre ample & brève
ce Qui, précis comme un chiffre ou vague comme un rêve,
et T)ans J^es quatorze vers met des immenfîtés. »
94
LES SONNETS
LA RIME RICHE
La Rime devenue riche n'efl point ingrate;
elle paie prefque toujours ce qu'on a fait pour
elle. H.-F. Ami EL.
I
A LA RIME
UI, de ton opulence on veut te faire un crime!
Vans ta voix large et pure on trouve un f on fatal !
Trèchant ton peu d'ampleur comme un point capital,
^T^ombre de tes amants t aiment pauvre, à ma l^ime !
Hélas! ejl-il bien vrai que ta loi les opprime?
Ils difent quavec toi le vers devient métal. ^. . .
O mon beau timbre d'or, de bronze ou de crijial,
C ejî que tu taffourdis celui qui te fupprime !
Le vers que tu finis marche fi noblement!
qAu bout de f es joyaux tu mets un diamant ;
Tu le drapes, en roi, de ton manteau qui traîne.
Je taime, accord parfait de l Injîrument divin ;
Je taime & te défends. . . Car ce tieji point en vain
Que tu fais réfonner ta note fouver aine!
d'un bibliophile 9S
AUX POETES
'0%SQUE la vierge a pris fa quenouille, cher gage,
cArrètei-vous le lin qu enroule fon fufeau ?
Lorfque d agiles doigrs décorent un réfeau,
Êbranlei-vous la trame où le fl d'or s'engage?
Lorfquun groupe vivant du marbre fe dégage,
Dites-vous aufculpteur démoujer fon cifeau i
Voulez-vous, quand Tartijle ouvre un gofier doifeau,
Quil nous Jette à demi fon fonore langage?...
Et vous, qui poffédei le magique Infîrument,
Vous vous contemeriei den jouer mollement
En couronnant vos vers dune note indigente ?
Le barde doit monter tous les degrés du beau.
Son art doit refplendir complet, brillant flambeau...
T>onne\ donc fa parure à la T{ime exigeante !
qp
96 LES SONNETS
SEUL AU MILIEU DE TOUS
''^LE me perds, dans Taris, comme en un gouffre immenfe;
>~XJ -^A Je my forme un défert que mon âme bénit;
^;^ri^;3^ Je laiffe au loin gronder cette ardente démence,
Tourbillon infernal qui déjà vous punit.
J'aime aux coins du chei moi ma douce accoutumance ;
Tauvre oifeau retiré, je fredonne en mon nid ;
c4u feuil, oit pour chacun tout horizon commence,
Tour moi, vieux cafanier, tout hori\on finit.
Ve là, /entends mugir ma vajie folitude ;
zMais je lis, oublié. Sa voix ne ni émeut point...
Tiun Jongeur, humble atome, hé! qui donc a befoin ^
Sur moi du cœur humain f efquiffe un peu l étude ;
Je trouve mon bonheur, blotti dans ma maifon...
r^Merci! — 'Brille longtemps, fraîche & calme faif on !
d'un BIBLIOPHIIE 97
UNE CHRYSALIDE
E pauvre f avant ne /avait
Le premier mot des (impies chofes:
Dans f es chers bouquins il vivait
Comme un Jardinier dans fes rofes.
Du monde à lui rien ri arrivait
c4 travers murs & portes clofes.
Et quel bonheur il éprouvait
D' ignorer nos métamorphofes !.,.
D^tre homme allait, pour fe ravir ,
De î incunable à tEliévir,
Jubilant devant fes vieux tomes. —
Oh! malin! Oh! bien partagé
Qui peut, dans le vieux temps plonge',
Se foujîraire à nos noirs fantômes!!! ,..
n
98
LES SONNETS
BIBLIOTHÈQUE NEUVE
Beau meuble!... »
(Tout le monde.)
L le fallait. — Cejl bien. Vormej, pauvres amis!
Que r acajou brillant fur votre dos retombe!
a EIi! beau meuble! » dit-otJ. . . 'Beau meuble ^ belle tombe
ain trop pieufe eti la mort vous a mis.
Oui, pour vous ceft la mort. O mes chers itifoumis,
qA vos appels foudains le moyen quon fuccombe!
Lample gouffre a reçu votre riche hécatombe,
Et les coups d'ail furtifs ne me font plus permis .
cAdieu, note rapide, extrait, page que f aime!
Je me plains fort, allei! iMais je vous plains de même:
Sous le refped mortel vous navei qu à pâtir.
Tâtiffei!,.. Ve feux d^or vos vitrines fe frangent.
Vcfunts chéris, falui!...— Oh l mes livres fe rangent...
Ceji égal, quel beau temple on leur a fait bâtir !
qp
D UN BIBLIOPHILE
99
UNE CONQUÊTE !...
g^-'gV^'^ /T)
OLUzME entier?... fameufe chance!.
Cejl qiiil eji rare, ainjî complet.
cAufeul que f ai trouvé, fort laid,
(Manquait la feuille qui commence.
— Sans ni enfer d'un mérite immenfe.
Ce nef pas dun coup de flet
Que f ai pu f avoir tel quil ef...
Cef très-bon, la perfévérance.
Un jour, ayant bien fureté.
J'en mis trois pages de coté,
Les tirant d'un tas fcculaire.
Tlus tard, deux hafards complaifants . ..
Il ne m'a fallu que dou^e ans,
zMonficur,... & j'ai mon exemplaire!
lES SONNETS
BOUQUET LITTERAIRE
SUR SON ANTHOLOGl E
,iSM I de nos penfeurs, ami de nos poètes,
Toi qui vis^ de leurs voix, de leurs chants entoure,
Glaneur, en leurs Jardins tu pourfuis tes conquêtes...
Le voilà, ce bouquet faluhre — & déjïré!
'Bon livre ! Que de fleurs ! Ses pages font des fêtes :
Le mort, pour briller là, des vieux jours eji tiré ;
oîu bienveillant appel plus de langues muettes:
Le vivant fort de l ombre & s y trouve éclairé. —
"Bravo ! cejî un bienfait que ton c4nthologie ;
Une onde aux altérés. S\îa chaude apologie
Veut furnommer ton œuvre un tréfor ce fans pareil, i)
On ne contejle plus la valeur du brin d'herbe :
"De nos milliers (fépis tu fais une ample gerbe...
De nos rayons épars tu fais prefque un foleil.
d'un bibliophile
LES DEUX SEVES.
SES millions d'enfams.^ — dont la couche î inonde,
Qù à f es flancs vie & mon renouvellent fans fin, —
Quand la Terre a donné, maternelle & féconde,
Le doux fruit pour lafoîf, F épi mûr pour la faim,
Cette mère, pour nous pleine d'amour profonde.
Interrompt f on labeur & fe repofe, afin
Quen fon moule puijant tout germe fe refonde
Et quon n attende pas & gerbe & grappe en vain.
— De même fait lEfprit. Quand la fleur Toéfie,
Fleur qui chante, aux cœurs fiers qui pour foi Font choifle,
Enfes chauds rhythmes d'or a donné fon parfum,
La fleur, pour un repos, referme fa corolle
Et fe tait. — éMais fon chant? — Son chant nefl point défunt;
Son filence efl le nid où. couve sa parole.
LES SONNETS
UN AMI DES POETES
JAMAIS ASSEZ
'H! comme il les choyait, fes ^i frères de la lyre! »
// fe dcf altérait à leurs vers. Chaque fois
<î^S^5^(S Qb^ f'^'^ <^^^f avait foi f y ardent., pris de délire.,
Il appelait à lui ces efprits de fon choix.
oAvec eux il aimait à pleurer, àfourire,
L hiver, au coin de lâtre, et, tété, dans les bois ;
Tarfois il fe levait, la nuit, pour les relire
En les accentuant « du gejfe & de la voix. »
// bondijfait vers vous; vous étie^ fa pâture,
Le nedar de fes Jours, fa grande ivreffe... Eh bien!
Tenfeurs mélodieux, vous fa Joie & fon bien.
Vous, à travers lef quels il lifait la nature^
'Doux rêveurs, avec fièvre au logis attendus...
Sur la planche, à Vencan, il vçus a tous vendus!!!
d'un bibliophile ioj
II
A DIX sous LE TAS
OILqA donc ce qu il fait des livres quon lui donne!
Quil irejfaille à vos vers &fe pâme, enivre!
cAux paniers du marchand, que nul trafic n étonne,
H a jeté dun coup [on « bataillon facrc; »
Oui, jeté, comme on jette au ventre dune tonne
Le fruit pour la piquette ou le rai fin pourpré;
Comme à T évier leau fale.., — 0 digne ami! f entonne
Tes louanges. Ton nom rejiera vénéré.
Tour te débarrajfer de reliques fi chères,
Tauvre, as-tu donc fenti la dent d'âpres mifèresH
Il faut le froid qui glace, il faut la faim qui mord.'...
IT^on. Ce dernier bourreau, tu ne peux le connaître
Tuijquen tes Jours féconds a fleuri le bien-être ;
éMais t autre?. . . cAh! ton cœur gèle. . . & je te tiens pour mon!!!-
I04 t^ES SONNETS
FAUX DEDAINS
*^ ctrtAints- r^^titur(^
lES vers.' — Sont peu goûtés, & vous rien vendei guères,
Vires-vous. Cependant vous avei vos gourmets.
Eh! vous lefavei bien; malgré toutes vos guerres, 1
La Toéjîe eji noble & rayonne aux fommets .
Et vous la prifeifort. I^fés comme naguères,
q4ux humbles régions Tabaiffe^-vous jamais?
Vous fer v Cl à bas prix les aliments vulgaires
Et cotei raide & haut, zMeJfieurs, le divin mets. —
Vienne un poète aimé, fier des fleurs de fa plume,
Vous lancei à fix francs fon très-mince volume;
Vienne un cher mort , furtout , (ces morts ont tant defprit!)
Son livre efl fabriqué d'un quart de manufcrit...
Vous prouvei donc ce point, que vous force^ de croire:
— zMalgré vous, 6* che^ vous, le vers efl dans fa gloire! —
?^^
d'un bibliophile »o5
LES NOTES
' ELUI-Lc4, cejî un fort. Vès quil lit un volume,
Le dédain à la lèvre & lépigramme à tail,
Il vous prend fon crayon., . Son crayon, ou fa plume.
Et — gare! — au pauvre auteur prépare un rude accueil.
Il fe charge à mitraille & fa mèche s'allume...
Il part .• à pleine marge il fait pleuvoir [orgueil ;
Commentaires partout ; le marteau bat f enclume;
Guerre à mon!... Il va bien illujîrer le recueil!
cAcôté d'un beau vers il griffonne ; ce Stupide! v
a Quel galimathias! n près iun morceau limpide. .,
Jufquau bout, ceji ainfipdr ce f avant cl hier.
cAprès ce beau travail, quand fa verve sémoujje.
Il ferme, en ricanant, fon grimoire, repouffe
L écrivain houfpillé, — puis s admire, tout fier.
14
'o6
LES SONNITS
TOUT FINIT
Ç^^ a-n7 empilé! TuJieu ! quelles rangées !
^ Ves monts y qui fe penchaient en arrière y en avant;
Des blocs, des bataillons. Les planches trop chargées
Décrivaient prefque un arc fous le fardeau f avant.
Et c était j chaque jour y des fouilles dirigées
Dans ces tas y que les mains s en allaient foulcvant,
Et des cris faluaient les pages fubmergées
Que fa foi f de connaître exhumait fi fouvent.
Quel flair pour dénicher la note, le paffage ! ...
Un œil au bout des doigts, & le bonfens Sun f âge...
Oh! les tomes conquis, ouverts, lus & relus!...
Eh bien ! il sefl blafé. Vers fes livres d'étude
Il ne retourne guère, hélas! — Tar habitude
Il en achète encor ;... mais il ne les lit plus.
qp
d'un bibuophile
UNE FIÈRE CHANCE
^LÈVE de zMalherbe, & fruit fec bien complet,
Torchères, plat rimeur, décoche à Gahrielle
Un Sonnet « fur fes yeux » . La forte kyrielle
Fait le même plaijîr que le plus fin couplet.
Quand il vous dit : ce beaux yeux, n trouvai donc un vers laid!
Tout en ejl magnifique , 6* confonne, & voyelle.
oiujji fa récompenfe efi là, matérielle :...
Oui, quatorze cents francs... de rente, s il vous plaitH —
cM a foi! joli denier ! Heureux François Torchères,
Tu conviendras, fais-tu, que tes rimes font chères ;
Ton Sonnet, à ce prix, efi crânement payé !
Je le trouve mauvais ; mais bravo, fans vergogne !.. .
0 malin Trovençal, qui meurs dans ma 'Bourgogne,
Tu devrais — pour exemple à tous — être empaillé !
to8 "-tS SONNETS
UNE EXÉCUTION
NECATUS
iE critique rageur vient de fourbir fa plume
Et d'en tremper le bec au fiel de T envieux^
Contre nos chants du cœur fa colère s allume ^
U^us frappant d'un coup double afin de frapper mieux.
Cefi d'un rude marteau fur une dure enclume !
Cefi à faire rentrer tous nos pleurs dans nos yeux! ...
Il ne refie plus rieh de toi, pauvre volume ! . . .
Tes vers pulvérifés s abattent fous les deux!!
Qu allions-nous croire, aussi! tHj)us, valoir quelque choje?
Le Jugeur au flair fur le fait bien, je fuppofe,
Et, pour r articuler y de fa dent il nous mord. —
Frappé, broyé, mordu, fe peut-il que fy tienne.^
Oh! non; Je ne crois pas que Jamais f en revienne:
Cefi fini ! ...De ce coup Je fuis mort, & bien mort l
d'un bibliophile to9
II
REDIVIVUS
^^^UELLE arme ma touché!' plume acérée ou gaule?
Sous quel choc foudroyant ai-Je dotic fuccombé ?
Je mets le ne^ à lair, Je me frotte f épaule ^
Etfofe à peine encor drejfer mon dos courbé.
Sur ma foi! téreinteur a bien rempli f on rôle :
Chacun de nous ejl bien démoli, bien flambé !
Tour toujoursnous voilà difparus. . . — Tiens ! cefl drôle;
L/nfouflle, un dernier fouflle en nous a regimbé.
Tout furprisj Je me fens ; mon cœur bat, Je refpire ;
cMoi qui me croyais mort ! ... mais ça ne va pas pire ;
T>e dejfous mon rocher Je me fors, Je renais.
cAh f farceur de critique ! cAllons la charge efl bonne !
Quand vous croye- tuer, vous ne tue^ perfonne...
Et fl feus un peu peur, J y gagne deuxfonnets,
CT3^
lES SONNETS
L'OPINION DU PERE JEAN
H RTS^^'^ livres ?. . . Oui, ma foi! f enfuis cas tout de même;
\la^)j\ " Çaferî. J en ai trouve, îan dernier, dans un coin
Deux ou trois, bien fournis, qui nous viennent de loin,
Et dont les feuilles font d un papier fort , que f aime.
et L autre jour, pour po fer un fromage à la crème,
Dunfolidefupport la bourgeoife eut befoin.
Vite aux vieux imprimés I. . . c4h ! fen aurai grand foin ;
Ils font, en mille cas, dune rejfource extrême :
ce Le matin, fi,prejfé, je veux avoir du feu.
Je cours à mon bouquin... crac, fen déchire un peu;
V allumette defjous... voilà le bois qui flambe!
ce Oh! moi, je comprends ça. Les livres ont du bon ;
On y taille une vitre, on y met du jambon...
éMais les lire.'... [N^nni: ça vous fait belle jambe! m
^
d'un BIBLIOPHIIE
OSSÎAN
^— - — JEUX Calédonien, barde émule d Homère;
Comme lui noble chantre, aveugle comme lui;
Toi, dont plus dune ville aujfi veut être mère.
Comme ton vieux rapfodc on te nie aujourd'hui.
Tourtant tes chants font là, fils de la plainte amère
Que tu jetais aux vents quand ï étoile avait lui...
V^n, ta vie, OJJîan, nejl pas une chimère;
Dans ton palais des airs ton âme sefi enfui.
Oh! non; ) aime à te voir au pic des roches nues,
Suivant dun ail plaintif ton Fingal dans les nues,
Evoquant les guerriers morts dans tes froids climats :
y aime à te voir, tranquille au milieu de ï orage.
Dans les fons de ta harpe exhalant ton courage,
Quand fur tes blancs cheveux tombent les blancs frimas.
lES SONNE rs
L'ESPRIT GAULOIS
OzMzME il ejl maints filons dans le Jein de la terre,
Filons de diamants, filons de marbre & d'or.
Qui vont /élaborant avec un lent myfière
Tour former, pour groffir fon maternel tréfor:
De même, en notre langue, alerte plus quaufière,
Le/prit a maints courants cheminant faible ou fort,
Et qui, de notre idiome animant chaque artère,
l^ous donnent ton, penfée, âme & couleur encor.
Lun d'eux, antique & Jeune, en Jouant vous arrive.
Tartant des vieux conteurs d humeur franche & naïve,
Il éveille, en pafjant, les plus Joyeufes voix:
Sonfel, dans T^abelais, trop gros pour quon le craigne.
Toujours vif dans zMarot , s'épure dans zMontaigne . . .
Et brille net che~^ vous, barde au parler gaulois.
qp
d'un bibliophile
LE DADA
0?/ zMaroîie en main, le petit génie
Tan fur le dada qiiil vient d^ enfourcher .
Tefle! quil efl fier!... — « Droit, fans trébucher,
« File à fond de train par la chambre unie !
« Une belle troupe efl là réunie.
ce cAufond des rayons que vas-tu cherchera
« Sur ton in-folio tu veux te jucher?...
<t c4rdent cavalier, gare la manie ! » —
'Bah! le Jeune fou nous écoute bien !
Il a foif Savoir. Tour ne laijjer rien,
V enragé chercheur fe hiffe à la planche ;
oAprès les légers, s acharne aux plus lourds. . .
zMais, crac! tout dévale. Il crie... acAu fecours ! ... jj
Et le conquérant git fous t avalanche!
I>«
1 ES SONNETS
UN MALHEUREUX
DOULEUR
'c4 / pâti pour les aniajfer,
« Er pour eux, qui ni ont fait ma joie,
a Un f ombre Iwriionfe déploie...
« Las ! perfonne à qui les laijfer !
ff *Bien fouvent dans ce noir penfer,
« zMélancolique , je me noie :
« De qui deviendront-ils la proie ?
« Tar quelles mains vont-ils pajferi!
« Vâpre torture ! Oh ! c''ejl atroce !
« Tous ces amis che^ moi venus
« S'en aller aux vents inconnus !! . . . »
c4lors, pris d'une ardeur féroce.
Vers tâtre fe penchant un peu.
Il dit '■ — a Si fy mettais le feui ... »
d'un BIBIIOPHIIE 115
II
DÉSESPOIR
^qALzMEj fœilfecy il fe promène
Entre fes quatre murs tout nus ;
Vefes bouquins Jl bien tenus j
Tlus un 11 habite f on domaine!
Quen a-t-il fait? Quel phénomène
Les difperfa, gros et menus i*. . .
'Bi'iarre! En quels bonds faugrenus
Vejprit dun toqué Je démène!
'Brûler fes livres ?... Oh! non pas !
zMais, navré de leur dejlinée,
Il « en a fait » une fournée :
Tour rien y vendus!... zMaigre repas.
Jeter fon pain. . . En fa demeure
Il gémit, . . On craint quil rien meure.
ii6
LES SONNETS
VOEU DE BLASE
*§^ un tnvtnitUK
Jl1{E!éMaisceJttrès-long...troplonê!.-' Çamépouvanre
% Viable! oAvoirfon efprit & fes yeux înelincs
__J Sur des tomes compads feuille à feuille tournes,
Lentement, & toujours. ..Oh! la tâche énervante ! j
Ve découvrir beaucoup notre fûclefe vante.
Qui donc découvrira — nos temps font trop^ bornes ! —
Une ère oii les leâeurs, au] ourdliui forcenés,
Saffimilent d'un coup œuvre longue &favante^
--Vans la chambre, au grand jour & les livres ouverts,
On pénètre. On choifit, de la profe ou des vers.
Soudain, d'un vif rayon ïatmofphère efl frappée.
V étincelle s échappe et, miracle nouveau,
Tout, comme en un miroir, fe reflète au cerveau..,
Vun clin d'œil on a lu la plus vafle épopée.
O'CN BIBLIOPHILE II7
FARCEUR!...
â\. un trti^etOc
if/ ne me diras pas, gredin que tu Tas lu ! —
J'y vois bien des accrocs & des pages fiipe'es :
Le dos même, en tes mains ingrates, sejl moulu ;...
zMais, cher, on ne lit pas des feuilles non coupées. '
Ce volume, pourtant, ceji toi qui Tas voulu.
Tu devais en charmer tes heures occupées ;
Ta penfée en avait un hefoin ahfolu;
Il fallait... Tu fais là de belles équipées!
Et moi qui tai furpris vingt fois déblatérant
Sur ce livre ! Et jamais ton œil indijc'rent
t^en avait abordé feulement un chapitre!
(Allons I une autre fois je faurai que penfer,
0 mon critique intègre! Et fans niembarrajfer,
%^montant mon fonnet, fen trouve en toi le titre.
Il8 les SONNETS
BIEN SOIGNES
Non moins que sacs de pommes de terre.
^ UEL type! Oh! le crétin mérite un coup de gaule!
Les livres y qui brillaient Jadis à rangs prejfés ,
Dun foujffle de malheur s en allaient ^ pourchajfcs.
U^ous traverfons un temps, mordieu! qui nejl pas drôle.
Lui, les fait rajembler , pour fe donner un rôle.
Il ouvre les couloirs, aux cent carreaux cajfés,
Où gifent les martyrs par fon ordre entajfés ;
Tuis, hélant un porteur: — « Le crochet à f épaule,
ce Et quen trois tours de jambe on ni emporte cela, n
— (t 'Bien, zMonjîeur. » Le bonhomme obéit. Le voilà
Qui dans fon haut machin les fourre, en long, en large.
Se courbe, fe foulève, en trébuche defJouSy
Chemine... 6>', quand il a gagné f es trente fous.
Sur le plancher poudreux vous fait rouler fa charge.
SUR iJi. PiANCiiiiH ÏVUUHl:UX
o^./^/e//^. ^5.
d'un bibl iophile 1 19
DANS SA BÎBLIOTHEQUE
vsyy
U pauvre original fouvent nous f aurions .
Il marche gravement, comme un dieu dans f on temple ;
Cherche, dun regard lent, puis s'approche, et contemple
Les titres des bouquins... que nous dévorerions.
*Beaux livres dans ce gîte entrent par bataillons,
Et jamais la mai/on, pour lui, nejl ajfei ample.
zMais que de biens perdus ! zMalade fans exemple,
Il jouit quand leur poids fait craquer f es rayons.
Il carejfe des yeux la nervure dorée;
'^tourne, avec douleur, la marge perforée ;
Tfun doigt fouple & craintif les tient, de peur de mal.
Vigilant, de fonfouffle, il chajfe les atomes...
Il ferait fentinelle & mourrait pour f es tomes.
Selon lui, cejî aimer les livres... L animal!!!
LES SONNETS
jrais
NIHIL
T de tous ces rréfors, lentement amajfés,
Tar aubaine furprisfur un point de la voie
}i^ Oii le vent des hafards les avait difperfés,
defiderata guettes comme une proie ;
Oui, de tous ces trèfors avec tant (Tan clajfcs,
Etalant leurs manteaux de chagrin ou de foie,
cAvec amour, de Vœil & du doigt carejjés.
Et dans leurs flancs chacun contenant une joie ;
Ouiy de tous ces tréfors qui doraient f es inflants,
De/on ciel nébuleux /avaient faire un beau temps,
Lui tenant lieu de pièce ou de roman en vogue ;
Oui, de tous ces tréfors palpés, tomes élus,
Oui, de tous ces bonheurs, — maintenant quil neft plus,
Que va-t-il refler? 1{ien ? — Si... jufle un Catalogue .'
FIN DES SONNETS
FANTAISIES
D'UN BIBLIOMANE
i6
wmmÈ
"X^ ^Kwi^viv-iR^N^^. :
F<yl^r<:4ISIES
D'UN BIBLIOMANE
LE TRESOR DU BIBLIOPHILE DEFUNT
LE CABAS
'est un jour d'hiver, un jour très-rude même, car il gèle
fort. Aucun passant ne s'attarde. Chacun va à ses
affaires d'un pas délibéré. Les mains emmanchonnées
ne se mettent point à l'air; les mains nues sont rouges,
piquées par une bise aiguë.
Quelques marchands courageux font de la gymnastique devant
ia4 FANTAISIES
leur étalage ; d'autres, plus frileux, se contentent de le regarder,
abrités derrière leurs vitres.
A dire vrai, la foule n'est pas moindre ; seulement elle « musarde »
moins que d'ordinaire. Pas de nez au vent, pas de regard en quête...
11 faut les tiédeurs du printemps ou de l'automne aux rêveries du flâneur.
A travers ces gens pressés qui, en tous sens, arpentent les trot-
toirs, que de types à étudier ! que de croquis à prendre s'il faisait
plus doux ! Mais le froid mord, et on n'a nulle envie de croquer n'im-
porte quoi.
Tout le monde allant vite, les chances d'accident sont plus nom-
breuses. Au détour d'une rue, un flux de personnes est contenu par
une fîle de voitures.
De ce groupe impatienté sort, le plus tôt qu'elle peut, une femme
pauvrement vêtue, à l'air inquiet, et guettant d'un œil fiévreux le
moment propice à la traversée.
Son chapeau, son châle, sa robe, ses bottines, tout cela n'a plus
de dates possibles : c'est une mosaïque disparate, une exhibition
d'antiques à faire pitié... un rêve habillant une ombre.
Pauvre femme I de sa figure on pourrait dire comme de ses
vêtements. Les privations, la misère l'ont décharnée plus que l'âge,
et son ensemble suffit à peine pour donner la certitude que l'on a
physiquement, réellement une personne devant soi.
Mais sa mobilité nerveuse ne tarde pas à rectifier l'impression
première, et, en la voyant se mouvoir dans son indécision, on se
convainc que c'est bien à une créature vivante, à une créature
humaine que l'on a à s'intéresser.
Elle cherche à traverser le boulevard. Elle regarde anxieusement
autour d'elle, et profite d'une éciaircie... Avec du mal et des précau-
tions, la voilà de l'autre côté.
Ce n'est pas l'embonpoint, certes, qui l'a gênée : à force d'exiguité,
de maigreur, elle est devenue d'une légèreté d'oiseau.
Ce qui aurait pu l'alourdir, c'est un cabas très-plein, très-gonflé,
et qu'elle porte presque à deux mains. Elle doit l'avoir ôté de son
bras, certainement fatigué, contusionné peut-être, et il serait temps
qu'elle arrivât à destination.
Probablement elle va bientôt s'y trouver ; car, dès qu'elle s'est
DI'NBIBLIOMANE 13$
assurée qu'elle a le pied d'aplomb sur le trottoir et qu'elle n'a plus
de voiture à craindre, elle cherche des yeux et gagne d'un pas pressé
la boutique d'un bouquiniste, ouverte à peu près en face de la ligne
qu'elle a suivie.
Qu'il fasse chaud, qu'il fasse froid, le patient vendeur de livres est
la, comptant sur la curiosité, sur la passion de l'acheteur, et désirant
que ces deux mobiles soient assez forts, assez puissants pour lui faire
gagner sa modeste journée.
Les volumes sont étalés de manière à provoquer leipassant, qui,
malgrébiseetgelée, s'arrête, regarde, feuillet te... et quelquefois acliète.
Celui vers qui va notre peu opulente marcheuse a un étalage
assez bien approvisionné. Tout le long d'un mur, élevé à la coupée
d'une maison, il a des rayons d'une belle profondeur, garantis par
de bons auvents. A l'une des extrémités, se dresse sa boutique en
planches, qui n'est guère qu'une grande échoppe, mais fermée et
avec des vitres en devanture, et assez spacieuse pour recevoir à la
fois deux ou trois clients. Un poêle microscopique en occupe un des
angles, et, toutes les fois qu'il a besoin de s'abriter d'une intempérie
quelconque, ou qu'un marché particulier semble réclamer de la dis-
crétion, il se retire en son réduit, dont il offre l'hospitalité à la partie
traitante.
Après avoir passé et repassé devant la légère maisonnette pour
s'assurer que le marchand y est, et surtout qu'il y est seul, la pauvre
femme, dont le cœur bat fort, essaie de prendre son grand courage,
se redresse, consolide son pas, s'avance vers le seuil... et entre.
Aussitôt entrée, elle referme la porte sur elle, autant pour se
dérober que pour ne pas se refroidir.
Le bouquiniste a vite deviné. C'est un homme avenant. Il sait son
métier ; mais il a formes et convenances. D'humeur douce, il est
bienveillant au malheureux. Sans délai il se prête à la démarche
mystérieuse.
— Asseyez-vous, Madame, dit-il à sa nouvelle cliente, dont la
mise plus que modeste ne le repousse pas, et dont les traits fins et
distingués le préviennent favorablement.
Obéissante comme une personne qui a besoin de s'asseoir, la
bonne dame s'assied.
ia6 FANTAISIES
— Vous m'apportez quelque chose? reprend le marchand.
En praticien habile, il met dans sa question un ton parfait d'indif-
férence, en même temps qu'il jette sur l'ouverture du cabas un
regard à en dénouer les ficelles.
— Oui, Monsieur ; j'ai là quelques volumes.
— Voyons-les.
La vendeuse ouvre son vieux petit meuble, un reste de tapisserie,
et en tire successivement une douzaine de tomes, brochés ou
reliés.
Elle les sort avec lenteur, les palpe et les considère avec un certain
attendrissement :
— Ils sont encore assez propres, ajoute-t-elle.
— C'est vrai. Madame ; ils ont été entre bonnes mains. On les a
soignés.
— M'en donneriez-vous un prix... raisonnable?
— Toujours raisonnable... pour moi. Pour vous, je ne peux pas
trop savoir comment vous le trouverez.
— Dites, Monsieur, réplique la dame qui devine la fatale dépré-
ciation.
D'un regard le marchand les juge.
C'est curieux de voir avec quelle rapidité, souvent assez judi-
cieuse, il estime un lot. Peu lettré, il a acquis par une manipulation
fréquente la connaissance superficielle et surtout vénale de ses
bouquins. Pour ce coup d'oeil investigateur, c'est la durée de l'éclair.
Il est donc là, regardant les livres de la malheureuse.
Il en prend un ou deux à la main, pour la forme... Mais il est déjà
fixé et à cheval sur son prix.
La pauvre dénuée attend, pleine d'anxiété :
— Eh bien! Monsieur? finit-elle par lui demander tout dou-
cement.
— Six francs, ni plus ni moins, riposte l'acheteur.
La vendeuse laisse échapper une plainte :
— Six francs, Monsieur I... ce n'est pas la moitié de la reliure !
— Je le sais, Madame. Mais que voulez-vous ! comme je peux
vendre, j'achète. Et je ne vendrai pas ces volumes-là plus d'un franc
pièce. Et quand ? J'en ai peut-être pour six mois, un an à les garder
D UN BIBLIOMANE 137
sans en faire un sou. C'est bien parce que je vous vois clans la peine.
A un autre, j'en donnerais de trois à quatre francs.
Toutes les résignations étaient dans l'esprit de l'infortunée cliente.
Elle s'était faite à tous les déboires, et cependant cette dernière offre
la laissait dans la stupéfaction.
Mais que faire? Aller chercher un autre acheteur? Voudra-t-il de la
marchandise, seulement? Et s'il en veut, il n'aura pas la moindre
raison pour être plus large. D'ailleurs elle est exténuée de fatigue
et de besoin :
— Prenez-les, dit-elle tout bas.
Une condamnée à mort qui dirait au bourreau : « me voilà ! »
n'aurait pas plus d'anéantissement dans la voix.
— Il faut que ce soit vous, Madame, répète le marchand. Songez
donc ; pour début de ma journée, au lieu de vendre, j'achète .. c'est
une mauvaise étrenne.
— C'est une bonne action, Monsieur ; meilleure au moins que si
vous me refusiez.
Et elle tend la main, dans laquelle l'acheteur dépose avec politesse
six pièces d'un franc.
En l'absence d'un porte-monnaie, elle va pour les glisser dans une
poche.
— Voulez-vous du papier pour les mettre, Madame ?
Tout en adressant cette question avec une affectueuse bienveillance,
le marchand tend un fragment de prospectus à la dame, qui l'accepte,
et y enveloppe mélancoliquement sa modique recette, qu'elle serre
ensuite.
Cette première opération terminée, la dame fait une pause, puis,
de son cabas, tire un dernier paquet :
— Et celui-là, monsieur? l'achèteriez-vous aussi?
— Encore un volume?
• — Un plus beau que les autres. '
— Montrez-le.
Elle ouvre et déploie une sorte de couverture en carton, et en
extrait avec soin un volume, relié en maroquin et couvert des plus
délicates empreintes que les fers du relieur aient pu façonner.
— Regardez-le bien. Monsieur. Il vaut de l'argent, celui-là.
laS FANTAISIES
— Il vaut plus que les premiers, c'est vrai ; mais, précisément à
cause de cela, il est en dehors de mes prix. Ma clientèle ne me de-
mande que du bon marché, et un livre rare serait mal placé chez
moi...
— Et je ne peux, celui-là, le céder à un centime au-dessous de sa
valeur.
— Raison de plus.
— Alors? interroge la dame interdite.
— Alors, il vous faudra chercher ailleurs.
— Mon Dieu ! mon Dieu! s'écrie-t-elle navrée... Je suis à bout
de forces... que devenir?... Je croyais qu'en considération de l'autre
marché... Je comptais un peu sur cette ressource...
— Mais, Madame, elle existe toujours. Ce que je ne puis faire, un
autre le fera.
— Un autre! soupire-t-elle... Et où le deviner et où le rencon-
trer?...
— Ecoutez, Madame. J'ai un vieil amateur, qui vient souvent
visiter mes livres. Quoiqu'ils ne soient point rares, il y trouve encore
parfois sa pâture. Je peux essayer une chose. Laissez-moi le titre du
vôtre. Je lui en parlerai, et, s'il en a la moindre envie, donnez-moi
votre adresse, et je vous ferai signe.
Résignée à tout, c'est tout émue de reconnaissance qu'elle accepte
cette combinaison. Elle écrit le titre de son volume sur un petit carré
de papier blanc que lui passe le bouquiniste, elle y ajoute son adresse,
et comme une nourrice réintègre son nourrisson dans ses langes,
elle remet le livre dans son étui, l'étui dans le cabas, se lève, et sort...
en remerciant.
\^w.
D UN BIBLIOMANE laç
II
LA NOTE
;A très-peu favorisée vendeuse retourne lentement chez
elle, et, en cheminant, elle se parle.
Essayons de distinguer et de choisir quelques-unes
de ses phrases :
— Ainsi donc, je le remporte ! se dit-elle avec tristesse. Je n'ai
pu le vendre aujourd'hui;... je ne le vendrai pas mieux demain.
C'est fini !... Allons, rentrons; faisons durer autant que possible les
quelques sous que je viens de ramasser, et... après... nous verrons...
Dieu gard' ... !
C'est en se dolentant de la sorte qu'elle rentre en son gîte, étroite
chambrette à laquelle on parvient en montant les marches ébréchées
de six étages et demi. Elle a acheté quelques modestes provisions
avant d'entreprendre son voyage ascensionnel, et elle les dépose
sur une table en noyer, disjointe, boiteuse, et qui n'est plus guère
que la ruine d'un meuble :
— C'est la fin de tout, reprend-elle. Voilà les dernières miettes...
Après ces six francs dépensés, je n'aurai plus rien, plus rien dont je
puisse faire argent ; car pour vendre ce dernier volume, j'échouerai
dans mes tentatives... Et d'ailleurs je ne veux pas enfreindre l'ordre
du défunt ; je veux suivre son conseil : « Rare, m'a-t-il écrit sur une
note ; grande valeur. Ressource pour loi. Ne le donne pas pour
peu. o
A ces mots, elle fait un signe de tête, qui indique chez elle un
doute assez amer.
Un instant après, elle continue :
— Pauvre Bénédict ! puisque tu le dis, c'est vrai ; car tu les con-
naissais bien, tes livres. O mon ami, toi qui les as tant aimés, si tu
savais quelle peine ça été pour moi de les enlever les uns après les
«7
■ 30 FANTAISIES
autres et de les vendre ! Il me semblait que je te les arrachais... Et
pourtant je n'ai que suivi fa volonté. En me les laissant, tu n'as pas
eu le désir que je les garde ., Q^i'en eussé-je fait? Ils n'étaient bons
pour moi que comme « ressource »... et j'en ai usé, si bien qu'au-
jourd'hui la veine est épuisée...
La veuve interrompt son triste monologue. Elle promène un regard
morne sur les murailles de son réduit, et son cœur se serre devant
leur nudité de plus en plus croissante.
— Et puis, ajoute-t-elle, je n'aurais su où les loger... De toute
façon, je ne puis me reprocher de les avoir vendus. De notre ancien
logement, où nous avons mené une vie si mesurée et pourtant si
heureuse, j'ai vu partir pièce à pièce presque tout le mobilier, et là,
dans cette chambre où j'ai été obligée de monter, de me réfugier,
je n'aurais point trouvé place pour tes bibliothèques...
Il lui arrivait fréquemment d'ouvrir son esprit à cette espèce de
lutte: elle était prise du regret d'avoir vendu les livres, et elle se
rassurait en se disant qu'ils lui avaient été laissés exprès pour les
vendre.
— Que n'ai-je pu travailler toujours ! s'écriait-elle parfois ; mais
ma vue est perdue, et mes doigts ne font plus rien de bon de
l'aiguille, que j'ai si bien maniée. Si j'avais eu ce produit à joindre à
ceux des livres, j'aurais eu un peu plus de temps devant moi. Tandis
que je suis là, réduite à l'impuissance, ayant passé par la misère,
touchant au dénuement, et forcée d'attendre le dernier coup.,. Oh !
malheur !... malheur !!...
Infortunée créature ! La douceur faisait le fond de son caractère ;
mais elle ressentait si vivement les secousses de sa situation, que, par
moments, elle était aigrie. Elle avait usé sa résignation, et si elle se
laissait emporter au courant plus fort qu'elle, ce n'était pas sans un
mélange d'impatiences et de petits soulèvements.
Avec tout cela, la journée s'avance.
L'appétit, qui, émoussé, oublie plus d'une fois les dîneurs plongés
dans le bien-être, s'aiguise et se fait tout autrement sentir à ceux sur
qui pèse la gêne...
La veuve dénuée a faim. Elle a beau chercher à se le dissimuler,
plus rien ne la trompe ;... les griffes du besoin la déchirent.
d'un EIBLIOMANE
'î'
Elle se dirige du côté des provisions qu'elle a montées tout à
l'heure, s'en approche comme si elle commettait une indiscrétion,
en prend le moins qu'elle peut, et songe à se préparer un repas.
Quel repas !...
Un œuf, un petit pain, et un verre d'eau, voilà un de ses plus
confortables dîners.
C'est sobre, n'est-ce pas, quand on ne mange qu'à de longs
intervalles?
Hé bien ! ce sera de plus en plus sobre encore, jusqu'au moment
fatal où il n'y aura... plus rien sur la table.
Et ce moment, qu'on n'entrevoit guère sans vertige, il n'est pas
très-loin, hélas !...
La nuit vient.
La malheureuse éprouvée se couche... presque inutilement, car
le lit n'a plus de repos pour elle ; une fièvre fréquente lui empêche
le sommeil.
Plusieurs jours se passent de la sorte, entamant les derniers mor-
ceaux, et rendant horrible la perspective finale.
Un matin, elle se lève. Le froid pique toujours ; les provisions
sont épuisées... l'argent aussi...
— o Qui dort dîne, » dit-elle. Je n'ai plus qu'à me recoucher...
jusqu'à ce qu'il plaise à Dieu de m'enlever définitivement de cet
abîme.
Et elle se remet au lit, où il lui faut tous ses efforts pour de-
meurer.
Elle n'en est plus aux heures tranquilles ; son cerveau tendu
travaille, la souffrance devient plus vive, et des fantômes étranges
commencent à lui apparaître.
Effrayé, son esprit s'exalte. Comme pour être protégée, elle se
rejette dans le souvenir du cher défunt. Il avait toujours été pour
elle un si affectueux appui :
— O mon pauvre Bénédict ! s'exclame-t-elle, ô mon bien-aimé
compagnon ! toi dont le dévouement fut inaltérable, que dirais-tu
si tu me voyais en ce misérable état? et, quoique tu me les aies
amicalement laissés pour en tirer parti, combien ne souffrirais-tu
pas si tu savais tous tes chers livres vendus ! Après moi, c'est ce que
1)3
FANTAISIES
tu aimais le plus au monde, et une seule chose pourrait te consoler
de leur dispersion : une aisance pour moi, qu'ils n'ont... que je n'ai
su me faire. D'une part, j'étais loin de les connaître comme tu les
connaissais ; et d'une autre part, on me devinait nécessiteuse, et c'en
était assez pour qu'on me fît des offres mesquines...
Un léger pincement de lèvres traduit une intention de blâme contre
ces procédés ; mais l'excellente femme ne s'y arrête pas :
— Par petits lots, reprend-elle, ils sont partis de la sorte, élar-
gissant les vides dans ta collection chérie, et n'augmentant guère
mes imperceptibles moyens d'existence... Ah ! tiens, plus d'une fois
je m'en suis voulu de cette manière d'agir, et le pain qu'ils m'ont
procuré m'a presque toujours semblé amer. Je me voyais défaisant
ce que tu avais passé ta vie à construire, et, quoique je fusse un peu
étrangère aux jouissances que tu y trouvais, je n'étais pas moins
heureuse de te voir heureux. Chaque paquet que je sortais me faisait
éprouver une impression douloureuse... On aurait dit que j'emportais
vendre une part de toi...
Elle s'interrompt à cette idée poignante.
Peu après, fâcheux symptôme, son regard s'anime, sa parole
devient plus rapide, plus saccadée, et c'est avec une certaine inco-
hérence qu'elle jette ses paroles :
— Eh ! c'est peut-être bien toi que j'ai vendu, mon tendre ami ?
dit-elle entre autres singularités... Tu n'es plus là... tes livres non
plus... et tes livres... c'était toi !... Pourquoi m'as-tu conseillé de te
vendre?... pourquoi t'ai-je écouté?... J'en suis punie... c'est bien
fait!... Mais je vais expier ma faute... et j'irai te rejoindre... Oh!
si je les avais encore !... si je pouvais les ravoir, je te les reporterais.
Comme je te rendrais content ! et avec quel joyeux remerciement
tu m'accueillerais ?...
Ici, nouvelle pose. La malade se voyait sans doute restituant ses
bibliothèques à Bénédict, et il est probable qu'elle se complaisait a
cet agréable tableau.
En tout cas, sa surexcitation n'est pas de longue durée. Son œil
ne brille plus, ses lèvres se détendent et ce qu'elle se dit de nou-
veau, elle l'articule avec la lenteur que nous lui avons connue aupa-
ravant :
d'un BIBLIOM ANE
m
— Mon Dieu! mon Dieu! quelles fantaisies!... Est-ce que je
divaguerais, maintenant ? Cela m'effrayerait, si je tenais encore à la
vie;... mais sonne l'heure fatale, elle sera pour moi la bienvenue...
c'est l'heure qui délivre...
Là se produit un nouvel écart de sa pensée, qui, instinctivement,
revient à la question matérielle :
— Il me semble pourtant que cet homme aurait bien pu m'a-
cheter ce volume. Sans le lui laisser à vil prix, je lui aurais fait une
concession... une petite, qui n'aurait pas t>rop lutté contre l'avis de
Bénédict... et j'aurais pu me soutenir quelque temps... Au lieu de
cela, il me refuse... c'est me retrancher des jours... Peut-être que,
s'il s'en fût douté, il eût essayé... Un bon mouvement n'est pas
impossible... Enfin, il ne l'a pas eu... c'est arrêté... c'est fini... Eh
bien ! pauvre livre de prix, te voilà stérile. Tu vaux plus que les
autres, qui m'ont fait vivre des mois... et tu ne pourras me faire
vivre... quelques jours !... Reste donc là, sur ma table, inutile chef-
d'œuvre, aussi inefficace aujourd'hui qu'hier... Moi, je reste dans
mon lit... où, résignée, je vais attendre l'heure de Dieu !...
Avec les tortures qu'elle a en perspective, y restera-t-elle?...
Nous le verrons, en la retrouvant.
I -A)
134
FANTAISIES
III
L AMATEUR
)l est matin. Le froid a cessé, et il fait beau.
Le bouquiniste chez qui nous nous son:imes arrêtés
l'autre jour a déjà ouvert. Une de ses bonnes habi-
tudes est d'être matinal. S'il pouvait étaler en même
temps que le coq chante, il serait à son poste dès l'aube. Ses longs
supports sont tendus, ses planchettes sont garnies, et tous ses volumes
prennent l'air, alignés inégalement sur ses rayons.
Voyez-les. Les uns debout, les autres couchés ; les uns ouverts, les
autres fermés ; les uns montrant leurs titres, les autres leurs gravures :
tous disposés le mieux possible pour arrêter le passant, pour affriander
l'acheteur.
Il faut bien se donner quelque mal pour retenir de force le flâneur
indifférent, qui passe, regarde pour regarder... et n'achète pas.
Il faut savoir faire naître en lui une tentation, et surtout le faire
succomber. Notre homme s'y entend. Pour cela, il a une recette
qui est à classer parmi les meilleures... Il est poli, débonnaire —
et loyal.
Je vous réponds que, quand tous les vendeurs tiendront la droiture
pour la plus grande habileté dans les transactions, ils verront s'ac-
croître l'importance de leur clientèle.
Plusieurs curieux, dont un myope, promènent déjà leur nez sur le
dos des livres, qu'ils bousculent plus ou moins. Quand ils les remet-
tent au rang, ce n'est que demi mal ; mais Dieu sait le nombre de
ceux qui ne les rangent pas du tout.
Et cependant, ne pas les ranger c'est prendre le temps de l'étala-
giste... Mais, bah ! on y pense bien, ma foi !... « Il est là pour ça ; il
les rangera lui-même... On ne peut pas acheter sans voir... «etc., etc.
Très-heureux lorsque, au bout de ces mauvaises raisons, on n'a
d'unbibliomane Ij$
pas égratigné quelque titre, écorné r|uelque dos de maroquin, ou
disloqué quelque brochure !
En compensation, à côté de ceux-là, se trouvent aussi les acheteurs
sérieux... et soigneux ! J'en sais tel et tel qui réjouissent le marchand
quand il les voit regarder sa marchandise. Le livre, entre leurs
mains, est traité comme un bijou ; leurs doigts amis glissent dessus
comme du velours ; ils défont les mauvais plis, redressent les cornes,
si bien qu'après avoir été manié par eux, un volume est en meilleur
état qu'auparavant.
Ces clients-là, il faut l'avouer, ne constituent guère que l'exception.
L'un d'eux cependant débouche de la rue voisine, et stationne,
furetant avec une certaine complaisance.
C'est un amateur connu de longue date, bien choyé de l'étalagiste,
et surtout bien considéré... celui-là même dont l'intervention éven-
tuelle a été annoncé à la mélancolique vendeuse.
Il fouille du regard, examine ; puis après son inspection du dehors,
entre, et interroge :
— Avez-vous du nouveau depuis ces deux ou trois jours? Je n'ai
pu venir... et il suffit d'un instant pour qu'une bonne chose se
présente.
— Je n'ai été, Monsieur, à aucune grosse vente; mais, en fait de
broutilles, j'en ai eu pas mal. De plusieurs côtés l'on m'a apjiorté
des petits lots.
— Plusieurs petits lots font nombre, et à la fin on en remplirait
votre boutique. Voyons un peu.
Il n'a pas besoin que le marchand lui montre les endroits où sont
déposés les livres nouvellement acquis ; son flair les lui indique, et il
s'en approche sans la moindre hésitation.
En quelques tours, il remue à peu près tout.
Dans sa chasse, il ne découvre rien de bien extraordinaire. Cepen-
dant il garde à la main deux volumes, l'un relié, l'autre broché.
C'est toute sa bonne fortune.
— Vous avez trouvé quelque chose à votre gré, Monsieur ? J'en
suis fort aise. Cela me prouve que, par ci, par là, j'ai encore du
bon.
— Oui, ces deux volumes ne sont pas mauvais. Ils ont bon air, et
136 FANTAISIES
m'indiquent le goût de leur ancien maître. Il fallait, d'ailleurs, s'y
connaître pour les posséder.
— Ils me viennent d'une pauvre veuve, bien gênée, je crois, et au
moins aussi intéressante...
— Elle vend les livres de son mari !!!... s'écrie vivement l'ama-
teur, sur le point de s'emporter... C'est monstrueux !
— Oh! Monsieur, ne lui en veuillez pas... elle les vend pour
vivre. Ça paraît lui causer une grande peine. Mais, que voulez-
vous?,.. La faim, c'est si terrible!
— Vous avez raison. Son mari avait donc?...
— Une assez jolie bibliothèqne. 11 l'a laissée à sa compagne, qui en
use comme d'une ressource...
— Oh ! tristesse ! Oh ! désolation ! interrompt l'amateur. Toujours
les mêmes accidents ! toujours les mêmes dispersions ! toujours les
mêmes sinistres I... Un homme de savoir, éclairé, passe sa vie à
rassembler les ouvrages qui lui plaisent, et, quand il a fini par déposer
sur ses rayons à peu près tous ses auteurs aimés, crac ! la mort vous
le prend... et voilà qu'un vent d'orage se lève, souffle sur ses amis,
et les éparpille à tous les coins du monde !!... C'est dur, allez !
— Vous, monsieur, vous avez encore longtemps à jouir des vôtres,
reprend le marchand, qui voulait détourner ce courant d'idées peu
propice à sa vente, et, quand on collectionne comme vous, on ne
doit pas s'arrêter.
— Eh ! je ne m'arrête pas non plus. C'est une joie. Jusqu'à mon
dernier moment, autant vaut me la procurer.
Puis, après une pause de quelques secondes :
— Allons, il ne faut pas que la philosophie ou la morale du
métier me cause des distractions. Que je n'oublie pas de vous payer
mes deux bouquins.
— Ah ! Monsieur ! si tous payaient comme vous !...
— Ce serait leur devoir.
Et il donne une pièce, sur laquelle l'étalagiste lui rend de la menue
monnaie.
Il la glisse dans sa poche, introduit çolidement ses deux volumes
sous son bras, et se dispose à sortir. ..
— Tiens ! où ai-je mis mon chapeau ?
DUNBIBLIOMANE IJ7
Effectivement il est tête nue.
Il cherche, et voit bientôt son couvre-chef tranquillement pose sur
des livraisons, à l'un des angles du petit magasin.
Il avance la main et le soulève.
Dans le trajet qu'il parcourt de la tablette à la tête, le chapeau
laisse voltiger un petit papier, que la pression avait fait adiiérer, qui
se détache... et tombe.
L'acheteur, toujours plein de prévenance, se baisse et le ramasse.
Indifféremment il y porte les yeux, en le rendant à l'étalagiste...
Mais son indifférence se change bien vite en une explosion. S'il ne
se fût retenu, il aurait presque poussé un cri de surprise, un hourrah
de triomphe...
— A qui celte note ? demande-t-il avec un empressement qu'il ne
peut plus contenir.
Le marchand se penche pour voir :
— C'est, répond-il de son ton paisible, celle que la dame en
question m'a laissée.
— Celle qui vend ?. . .
— La bibliothèque de son défunt.
— Et ce livre, dont le titre est assez mal écrit, mais qu'a travers
son orthographe fantastique je devine?...
— Est un livre qu'elle a à vendre.
— Elle vous l'a proposé ?
— Oui, Monsieur.
— Et vous ne l'avez pas acheté ?
— Non, Monsieur.
— Pourquoi cette réserve ? C'est pour acheter que vous êtes
marchand, il me semble !
— Il est trop cher pour moi. Je ne tiens pas ce genre de librairie
là. Ce volume serait dépaysé ici, perdu au milieu de publications
ordinaires et courantes... et puis, la meilleure raison de toutes, il
fallait de l'argent !...
— Le prix ne me fait rien.
— Monsieur, je ne me doutais pas qu'il pût vous convenir à ce
point. Autrement, quoiqu'un peu serré, je me serais mis en mesure.
— Alors, elle l'a... remporté?
i8
.jS
FANTAISIES
— Mon Dieu, oui, tout bonnement.
— Pourriez-vous le ravoir ?
J'ai tout de même pensé à vous. Monsieur. J'ai pris l'adresse de
cette brave dame.
— Et?...
— Et, en lui rendant son volume, je lui ai dit que si, par hasard,
il vous convenait, je le lui ferais savoir.
— Mais je peux le lui faire savoir immédiatement. Donnez-moi
son nom et son adresse, et je vous évite une course, ou une lettre.
— Vraiment, Monsieur, vous voulez vous promener jusque-là?
— Certainement. C'est le bon moyen. Quand on veut conquérir,
il ne faut pas temporiser... Et encore, si j'allais arriver trop tard !...
Vous ne savez donc pas que c'est un trésor que je découvre-Ià?. ..
On n'a pas cette veine deux fois en sa vie. De ce livre, on ne connaît
que deux ou trois exemplaires. J'en possède un ;... mais il y manque
le dernier feuillet ! Concevez-vous ma chance si j'en retrouve un
autre complet !... C'eût été une affaire pour vous. Mais n'importe ;
c'est vous qui me mettez sur la trace... je vous donnerai votre
commission comme si vous me l'aviez vendu.., Au revoir. Je cours...
Et l'amateur, enivré et bouleversé en même temps, sort de la
boutique, dont pour la première fois il oublie de fermer la porte,
et, à la lettre, se lance en courant du côté de la demeure de la
veuve.
\-^-V
<sÇ»\\<
D'UNBIBLIOMANE IJ9
IV
PORTE- CLOSE
'adresse qu'on venait de lui donner était à une assez
grande distance : mais la journée s'annonçait belle,
et d'ailleurs les jambes d'un bibliophile ne connaissent
pas d'obstacle.
Un chercheur, résigné à chercher longtemps et à ne pas trouver
toujours, doit se sentir pris d'une joie indicible lorsqu'il fait une
rencontre de ce genre.
Aussi est-ce d'un pas joyeux que notre amateur arpente le pavé
des rues, et, tout en trottant de la façon la plus allègre, il se frotte
les mains et se félicite verbeusement de la trouvaille si inattendue de
son exemplaire :
— J'ai vraiment une chance extraordimire, et je proclame une
fois de plus l'importance de ne jamais négliger le plus petit recoin de
bouquiniste. Voilà un brave homme qui n'y a pas entendu malice,
qui n'a même pu acheter le livre, mais par qui j'ai vent de l'aubaine.
A quelle autre boutique aurais-je pu recueillir ce renseignement?
C'est souvent d'où on ne l'attend pas que vous arrive l'indication pré-
cieuse... Ne perdons pas de temps, et tâchons d'arriver.
Et il continue son voyage rapide, accélère sa marche absolument
comme s'il avait eu encore « ses jambes de quinze ans. »
— Si elle ne l'a pas laissé au marchand l'autre jour, se raconte-t-il,
il y a peut-être lieu d'espérer qu'elle ne l'aura pas davantage laissé
ailleurs aujourd'hui ?... Après cela, il paraît qu'elle est dans une
gène navrante, et la faim est si impérieuse... Elle fait faire bien
d'autres choses que de vendre trop tôt pour moi un volume rare...
Enfin, hâtons-nous !... Je crois, du reste, que je ne suis pas loin de
la maison indiquée?...
140 FANTAISIES
En effet, à force de pas allongés et d'enjambées juvéniles, noire
amateur touche au terme de sa course, et, résultat qu'il aimait fort
à constater, il ne se sent guère plus las, plus essoufflé que s'il eût
achevé une tranquille promenade. lien est ainsi de tout travail auquel
ou se livre avec passion, avec amour ; il ne laisse presque pas sentir
sa fatigue.
Notre amateur de bouquins s'arrête un instant, cherche, s'oriente...
regarde...
Voilà la rue, voilà le numéro...
11 est en face de la demeure... en face de l'écrin qui renferme son
bijou...
Sans retard aucun, il demande au concierge.
Un mot bref lui apprend que la dame est chez elle.
Il monte.
Pour monter, il prend un peu plus de précautions que pour mar-
cher. Toute ascension est dangereuse, et il n'a pas la moindre envie
de dégringoler les marches.
C'est donc d'un pas relativement calme, d'une allure mesurée (|u'il
franchit l'escalier, et, tout en le franchissant, il revient, bien entendu,
à son idée fixe, à son dada :
— Ce feuillet, manquant à mon incunable, était un de mes cha-
grins de bibliophile... Je vais peut-être le retrouver... Oh ! il faut
que je le retrouve .'!...
Et il monte toujours.
Six étages et demi, sans ascenseur, cela ne s'enlève point en une
seconde. Mais enfin une gymnastique persévérante en vient à bout,
et notre actif chercheur, émergeant de la noire spirale, fait son
entrée sur le pallier.
Si ce pallier brille par quelque chose, c'est assurément par son
obscurité. En plein jour, en arrivant du dehors, on n'y va qu'à
tâtons. Seulement, au bout d'une minute, l'œil s'habitue, et l'on finit
par pouvoir y circuler sans trop de danger.
Cinq ou six portes en enfilade s'y suivent, pas trop éloignées les
unes des autres.
Avec plus d'opportunité que dans la rue, le vieil amateur s'oriente
de nouveau... ou plutôt cherche à s'orienter, car il faudrait être
d'unbibliomane 141
doué d'une vue exceptionnelle et phénoménale, pour déchiffrer les
numéros qui doivent être inscrits sur les panneaux.
Comment faire?
Il ne veut pourtant point recourir à la lueur d'une bougie de
poche, qu'il a toujours sur lui...
Puisque ses yeux ne sont pas assez vaillants, il se décide à avoir
recours à ses oreilles.
Attention ! Il écoute...
Rien !
Nouveau moyen, il frappe...
Rien non plus !
— Ce sont des chambres d'ouvriers, se dit-il, désireux de se
donner une explication satisfaisante. Les ouvriers sont partis à leur
ouvrage pour la journée, et les petits nids sont vides... Je me suis
fourvoyé ;... c'est probablement à côté... Continuons ; je trouverai
bien.
Il est parvenu à la dernière des portes. Un fragment de rayon,
filtrant sans doute à travers quelque trou, crevasse ou autre ouverture
de muraille infirme, vient heureusement à son secours en plaquant,
sur l'huis, large comme la main d'une lumière pâle et grisâtre...
Vite il profite de l'auxiliaire, et regarde:
.^ Ah ! c'est le numéro marmotté par le concierge !... Enfin, m'y
voilà !!...
Tout content, tout radieux, il cogne du nœud du doigt trois
coups, également discrets et impératifs, et auxquels il attend la
réponse.
Pas davantage... La réponse ne vient pas.
— Qu'est-ce à dire ! Le concierge se serait-il trompé? La dame
serait-elle sortie, sans qu'il Tait vue I... Miséricorde ! je ne veux pas
entrevoir un coup si diabolique.
Il réfléchit... puis tire ses déductions :
— Si elle est sortie, ce peut être pour quelques emplettes. La vie
a des exigences quotidiennes... Mais, la pauvre femme, elle n'a plus
rien... et, pour faire des emplettes, il faut des sous... Si elle avait
été se faire des sous avec mon volume?.. . Quel échec !... Oh ! je n'y
veux pas croire.
Ma FANTAISIES
Poussé dans ces raisonnements, qui ne manquent pas de logique,
il commence à éprouver une crainte sérieuse.
— Et je dis mon volume !.. reprend-il en se plaisantant triste-
ment... Je ne le tiens pas. Jusque-là, j'avais confiance en une chance
favorable... S'il me fallait y renoncer?
H passe par des émotions inouïes, par de vraies transes.
De nouveau il se penche vers la porte, prête l'oreille, comme si cette
persistance devait lui faire parvenir la réponse désirée...
— Rien ! toujours rien !
Il se désole.
Cependant l'espoir ne le quitte pas. Semblable à l'homme qui se
noie, il se cramponne... hélas ! à quelle branche? Il tourne, tourne,
va et vient, se promène dans l'étroit espace, et s'imagine à chaque
instant que, de l'intérieur, une voix va lui dire d'entrer.
Espérance vaine ! Le silence seul répond à ses interrogations les
plus pressantes.
— O fatalité I geint-il avec découragement. Etre si près de la
possession, et tout perdre !... Je vois bien que c'est fini ! A moins
que je n'attende. Elle ne peut pas rester tout le jour dehors, cette
femme... Dans une heure, dans deux heures, elle rentrera... et je la
verrai... et je lui paierai son livre ce qu'elle voudra... et j'aurai mon
exemplaire.
Sans plus se consulter, il descend une marche, et s'assied de la
façon la plus simple, la plus naturelle au haut de l'escalier :
— Elle ne peut prendre un autre chemin, se répète-t-il. A son
retour, je la saisirai.
Donc, suivant la dernière partie du programme qu'il improvise, il
attend, mais non sans laisser échapper de nombreuses marques d'im-
patience.
Surexcité, il ne se tient pas longtemps assis. 11 va, vient de nou-
veau, colle vingt fois son oreille à la porte, et finit par acquérir la
conviction qu'il n'y a personne chez la pauvre dame...
Il n'est pas content de cette tentative :
— Moi non plus je ne peux pas rester tout le jour dehors, s'écrie-
t-il en maugréant... Il y a erreur dans l'indication du concierge...
Allons! rien ne me réussit... Je n'ai plus qu'à m'en aller...
d'un bibliomane
•4}
Vexé de sa déconvenue, il prend la résolution extrême, boutonne
sa redingote, et pose le pied sur la première marche.
Il se tàte encore... Il voudrait hésiter... Partir, c'est non-seulement
une journée perdue, c'est aussi et surtout l'abandon d'une chance
unique...
Ce à quoi il ne se résigne que difficilement.
Mais il faut pourtant se décider...
Bah ! renonçant à tout, notre désespéré se prépare à descendre...
Au même instant, un bruit insolite lui fait tourner la tête.
Cloué à sa place, il écoute...
Ce bruit lui parvient précisément de la chambre, jusque-là muette,
de la dame...
Elle y est !!... s'écrie-t-il.
II bondit.
En deux pas, il s'est replacé à son poste d'observation. Il applique
son oreille, plus attentive que jamais...
— Ecoutons , se murmure-t-il ; j'aurai peut-être le mot de
l'énigme.
LE DERN'IER FEUILLET
)l écoute donc de toutes ses forces.
Le bruit qu'il a entendu lui est familier, et il ne peut
guère s'y méprendre : c'est un bruit sec, cassant, de
papier déchiré et froissé entre les mains.
Il ne cesse de guetter avec une attention méticuleuse, intense.
Que se passe-t-il de si mystérieux dans les profondeurs de cette
chambre... ?
Il s'ingénie à s'en rendre compte.
Malgré toute sa pénétration, aidée de l'intérêt particulier qui le
pousse, il devine peu de chose.
Tout au plus perçoit-il un léger frôlement d'étoffe, comme si des
plis de robe se promenaient l'un sur l'autre, comme si une personne
se livrait à quelques mouvements sans trop se déplacer.
Intrigué au dernier point, il veut sonder le mystère. Jusqu'ici il a
D UN BIBLIOMANE I45
essayé avec l'oreille ;... l'oreille a été insuffisante. Voulant voir, il va
essayer avec les yeux.
Silencieusement, se portant sur la pointe du pied, retenant son
haleine, il cherche le trou de la serrure, et s'approche, se baisse pour
y plonger l'œil...
— Singulière chose ! se dit-il tout bas. Le trou de la serrure est
bouché !...
Il ne perd pas courage. Il se baisse davantage encore, pose un
genou à terre, puis deux, et, se couchant presque, amène ses yeux
au niveau de la fente du bas de la porte...
Par cette deuxième ouverture, il ne voit rien de plus.
— Aussi bouchée I dit-il en articulant plus haut et oubliant son
projet de garder le silence ;... cette fente est aussi bouchée !!... Ce
n'est pas ordinaire,... ce n'est pas naturel... Il est vrai qu'il a fait froid,
ces jours passés, et qu'elle a pu avoir l'idée de tamponner un peu les
déjointures trop grandes... Mais la serrure? Il faut bien que la clé y
joue, pour ouvrir et fermer... Non, non, ce n'est pas naturel... ce
n'est pas ordinaire...
A ces derniers mots, son cœur battait fort, au bienveillant curieux,
et je crois que, pendant ces battements, le bibliophile avait, d'instinct,
fait place à l'homme.
Tout à coup une idée, qui l'épouvante, lui traverse l'esprit :
— Si c'était un malheur qui se prépare?...
Il veut l'empêcher à tout prix.
Le sort a prononcé.
Il ne réfléchit plus... Il ne choisira pas le moyen ; ce sera le plus
immédiat, le plus prompt.
Il se recule de trois pas, s'élance comme un lion, et donne un tel
coup à la porte, qu'il la brise... et qu'elle cède...
Quel spectacle !...
— Malheureuse !... s'écrie-t-il.
Et, les bras tendus, haletant, il se précipite vers la victime.
Au moment oij le panneau enfoncé se couchait en plusieurs mor-
ceaux sur le carrelage de la chambre, une allumette faisait entendre
son craquement, et la flamme léchait trois ou quatre boules de
'9
I4<> FANTAISIES
papier comprime, disposées sur un fourncou de clicrbon, d'où se
dégageait déjà une acre fumée.
Une seconde a -suffi au visiteur pour sonder l'étendue du désastre,
pour voir qu'une créature trop éprouvée cherche à sortir de ce monde.
— Malheureuse! s'exclame-t-il, qui vous a permis de mourir?...
Celle question, jetée sans préambule, frappe la triste veuve comme
un coup de poing en pleine poitrine.
Etonnée, interdite, affaissée sur elle-même, la pauvre femme, qui
s'était agenouillée pour allumer son fourneau, et probablement aus.si
pour prier, le regarde, les yeux fixes, la bouche ouverte, sans mot
dire, laissant retomber ses bras, et ayant à peine la force de se
demander qui venait la déranger en ce moment suprême ?
— Madame, répondez-moi, lui dit-il de nouveau, affectueusement
et en allant droit au but ; pourquoi voulez-vous mourir ?
— Je n'ai jamais voulu mourir. Monsieur, avant que la misère
m'ait condamnée.
— Vous manquez donc de?...
— De tout.
— C'est cruel ; mais, comme ce n'est pas sans remède, ce n'est
point une raison pour se tuer...
— Ce n'est pas moi qui me tue ; c'est la faim qui fait son œuvre...
Seulement j'abrège l'agonie.
— Vous n'avez plus foi dans les hommes...
— Plus d'espoir, au moins.
— Peut-être est-ce déjà un tort ;... mais la foi en Dieu?
— C'est en Dieu que j'espère aller, il m'appelle à lui, en me
faisant passer par les rudes sentiers du dénuement.
— Dieu n'appelle jamais à lui sa créature avant l'heure... et votre
heure n'est pas venue.
— Elle touche à sa fin, au contraire. Toutes mes ressources sont
épuisées, et je ne connais personne.
— Mauvaise raison. Vous ne me connaissez pas. Madame..., et me
voilà...
— C'est vrai. Monsieur.
— Et je viens vous prouver qu'il vous reste au moins encore une
bonne chance à épuiser.
d'un BIBIIOMANE I47
— A moi, Monsieur?
— Vous sembiez incrédule.
— Pourriez-vous m'apprendre laquelle?
Oui, chère dame. Les manies des uns deviennent le secours des
autres. N'avez-vous pas en votre possession un volume... rare,
précieux... que vous ne refuseriez pas de céder... contre un prix...
raisonnable?...
— Oh ! dérision du sort !... Le coup est par trop cruel !...
La pauvre femme étoufîe un sanglot, baisse la tête, arrête un
moment ses regards sur son fourneau, qui s'est éteint. .. puis ferme
les yeux, et ne peut répondre.
Ce mutisme, gros de douleur, avait son amère éloquence.
Le visiteur regarde, dans la direction des derniers regards de la
malheureuse, et voit, sur le charbon qui n'a pas pris, des papiers
à moitié noircis et dont l'air agité soulève les pellicules de cendre.
Il se penche... et tressaille.
Son investigation ne s'arrête point là.
11 voit aussi à terre une couverture de volume. Il la ramasse en
tremblant, va au dos, et lit le titre...
— Trop tard ! Grand Dieu !... gémit-il à mi-voix... Tout mon
rêve, tout mon bonheur anéanti !!...
Interdit un moment, il reprend bientôt :
— Qu'est-il arrivé. Madame? et pourquoi ce volume est-il?...
— Déchiré ?
— Oui. Vous en saviez la valeur, pourtant.
— Une note amicale me l'avait apprise, et je tenais à en suivre
religieusement l'indication.
— Pourquoi donc, alors, l'avez-vous détruit?...
— Pourquoi je l'ai détruit?... Pour ne pas enfreindre l'avis de
mon cher Bénédict. Il n'a pas voulu que je le donne pour peu... et
je n'ai pu le vendre pour beaucoup. Décidée à mourir, je n'ai rien
imaginé de mieux que de l'employer à cette fin... Le vendre, m'ai-
dait à vivre loin de Bénédict ; le brûler, m'aidait à le rejoindre plus
tôt...
— O Madame, quel digne intérêt ce sentiment m'inspire !... Mais
aussi quelle torture vous me faites éprouver !... Je venais chercher
1^8 FANTArSIES
ce livre, et vous en offrir un prix... acceptable. J'ai un poignant
chagrin de ne plus le trouver...
Ce matin,... il y a quelques heures encore, votre offre me
rendait heureuse.
— Je vous en aurais donné cinq cents francs.
— Cinq cents francs !... Ah ! Monsieur, qu'il y a de jours que je
n'ai vu somme pareille ! C'était la vie pour bien longtemps !
— Je ne m'en dédirai pas... et je me figurerai que je l'ai sauvé de
l'incendie... Les cinq cents francs sont quand même à vous.
— Monsieur 1!...
La pauvre femme n'en croit pas ses oreilles, et ne peut prononcer
un mot de plus.
Cette aubaine inespérée lui produit l'effet d'un mirage. Elle croit
rêver.
Mais, depuis un instant, l'amateur réfléchissait. Une lueur soudaine
illumine son visage ; ses traits chagrinés se dérident :
— Madame? interroge-t-il tout à coup, l'avez-vous déchiré...
complètement ?
— Je ne sais pas, Monsieur; je n'y voyais plus clair... S'il en
reste, c'est dans la couverture que vous tenez... Ouvrez-le.
Le vieux monsieur suit le conseil, qu'en un moment moins troublé
il aurait parfaitement pu se donner lui-même. D'un doigt agité, il
ouvre la couverture... et pousse une exclamation de joie.
Deux feuillets ont survécu. Us ne sont ni déchirés, ni fripés ; ils
tiennent encore au dos... et l'un de ces deux est précisément celui
qui manque à son exemplaire !
— Ah ! Dieu est bon ! Dieu est juste !... s'exclame-t-il pris d'un
indicible soulagement. J'ai doublement gagné ma journée.
Son enthousiasme n'a plus de bornes. S'il n'était que bibliophile, il
sauterait, il chanterait II est heureux comme un pays qui a reconquis
une province.
Le bonheur souffle des idées, et l'humour se met parfois de la
partie, pour faire chorus avec la sensibilité :
— Madame, reprend l'ami des livres, tout à l'heure, quand je le
croyais entier, je vous offrais cinq cent? francs de votre volume. Vous
savez qu'il était très-rare...
UUN BIBLIOMANE
— Monsieur, vous augmentez ma peine.
— Maintenant qu'il n'a plus que deux feuillets, je suis forcé de
convenir qu'il est devenu bien plus rare encore...
— Hélas l
— Je renouvelle mon offre, en la proportionnant à ce surcroît de
valeur... Voilà mille francs... Soignez-vous. Je vais vous envoyer la
concierge pour vous aider... et je vous reverrai.
— Quelle grâce 1...
— Surtout point de remerciements.
Et il sort.
Le bienfaisant bibliomane, doublement heureux, comme il l'a dit,
descendait déjà l'escalier.
La pauvre femme, à moitié éblouie, suffoquée d'un bonheur si
inattendu, et le cœur débordant de reconnaissance, était encore à
genoux.
Avant de se relever :
— Merci, ô Dieu bon ! s'écrie-t-elle avec un accent qui contenait
toute son âme...
— Puis, après :
— Et toi, mon cher Bénédict, réjouis-toi. Tu me l'avais bien dit,
ton volume était un o trésor... » Il devait me sauver la vie !...
Le bibliophile revint.
11 n'abandonna pas la veuve, qui reprit le goût de vivre, — et
vécut en le bénissant.
IJO FANTAISIES
MON PREMIER BOUQUIN
'avais dix ans. Un soir d'été, je sortais de classe. Avant
de rentrer dîner, je fis un tour de ville.
Au coin d'une rue, sur un banc de pierre, je vis le
colporteur déposer sa banette pleine et en sortir sa
marcliandise... D'un bond, je fus près de lui.
Le bonhomme me connaissait;... j'avais déjà regardé deux ou
trois fois son étalage. Je le regardai encore, fourrageant dans se?
livres.. Il me laissa faire.
Jusqu'à cette heure, je m'étais contenté de a toucher des yeux, n
réserve de gousset peu garni. Ce jour-là, grâce aux économies,
j'avais des sous, bien des sous... sept, je crois. Je rayonnais.
Après avoir dérangé nombre de volumes, j'annonce fièrement que
je vais en acheter.
Au milieu de tous ces brochés, j'en avise un relié... mais d'un
vieux ! Je l'ouvre. C'était des vers, — par un modeste, avouant qu'il
a rimé « dans le goût de M. de La Fontaine !... »
Cette prétention grotesque aida-t-elle à mon choix? Je ne sais.
Mais, tout tremblant d'un acte aussi téméraire, — un premier achat !
— je demande le prix du bouquin.
— Cinq sous, me répond d'un ton ferme le marcfiand.
Je plonge ma main dans ma poche, et en retire mes sept sous.
J'en donne cinq ; je remets les deux autres...
Puis, le tome noir sous le bras, je rentre à la maison.
— Qu'est-ce que c'est? s'écrie gatment mon père. Un livre!!
Tiens! tu achètes ça ?...
— Bah ! interrompt ma mère, laisse donc. J'ai idée qu'un jour
il saura s'en servir.
O chère et excellente mère !! ... C'est peut-être à cette réponse
que je dois d'avoir aimé les livres.
Le volume entra. Un peu plus, on l'eût acclamé. Je le posai triom-
phalement sur un rayon. Il lui porta bonheur... Peu à peu d'autres et
d'autres l'y rejoignirent.
D'UNBIBLIOMANE I5I
LA LECTURE EN FAMILLE
CAUSERIE
SS*A
El
'ê charme du foyer me plaît d'étrange sorte,
^ j -s^^/ '^'^ ^ *°" premier veiS; un des sonnets que vous venez
<^^rï^N de lire.
Dans cette poésie, — petit tableau très-condensé, mais néanmoins
très-sentij du bonheur du coin au feu, — le poëte ajoute :
nous puisons
En quelque livre aime qu'ensemble nous Usons...
Ce dernier vers renferme exactement le trait auquel je désirais arriver.
Toute la pièce respire, à un haut degré, ce bonheur d'être
ensemble, et, pour une bonne part, le pivot, la cause, le germe de
ce bonheur... c'est un livre !
Quelle place le livre tient ! Quel rôle le livre remplit ! Quel rôle
surtout le livre remplirait, si l'on savait voir en lui l'ami des loisirs, le
guide écouté des douces heures !...
Qu'y a-t-il de plus attrayant qu'un cercle étroitement serré autour
de la bûche qui flambe? On écoute le lecteur penché près de la
lampe ; attentif, on est comme attaché au récit qui se déroule, au
caractère qui s'étudie ; on s'émeut aux douleurs qui se racontent, ou
l'on sourit à quelque page fine et pleine d'observation.
Nul ne songera à nier ce que l'esprit gagne à ce délassement... Et
c'est loin d'en être toute la portée.
Je sais une famille où se trouve recluse une mère peu valide,
femme d'élite et très-aimée.
Alerte, elle sortait jadis : aujourd'hui, arrêtée par un mal mécani-
que, elle ne peut plus sortir.
Eh bien ! qu'a-t-on imaginé pour semer la vie autour d'elle?
Vous croyez peut-être qu'après les bons soins matériels donnés à
153 FANTAISIES
son corps, on se dit que c'est tout, et qu'on la laisse tranquillement
se replonger dans les méandres intimes et obscurs de ses souffrances?
Oh ! que non !
L'amitié est ingénieuse.
On n'a pas voulu que pour elle la solitude se fit. Tous les soirs, on
vient dans sa chambre, on se groupe à ses côtés, et, là, on tient son
esprit en éveil, on peuple son imagination à l'aide de causeries, —
et principalement de lectures.
Oui, des lectures. Et, comme on sait habilement les lui choisir,
loin de s'en saturer, elle n'en a jamais assez.
Voyez l'intelligente impulsion :
Ces fêles de l'esprit ont généralement pour source courante les
oeuvres consacrées des grands écrivains ; on puise au fleuve. Mais
l'arc de l'esprit ne pouvant, ne devant pas être toujours tendu, à côté
des maîtres de la pensée et de la plume sont appelés de temps à autre
les talents secondaires, et les productions à la mode y apparaissent
aussi parfois pour être discutées, appréciées, jugées... je ne prétends
pas, pour cela, dire acclamées. De celte manière, on y va même au
spectacle : l'un des fils apporte la pièce nouvelle ; le meilleur lecteur
se charge de la faire entendre, donnant à chaque personnage une
inflexion de voix et une physionomie, et, dans le courant de la
semaine, chacun corrobore son opinion primitive de l'opinion plus
ou moins discutable des principaux critiques...
Tout cela, sans parler des joies que procure au groupe le père,
bibliophile acharné, qui a un flair rare et rapporte souvent une vraie
trouvaille, autour de laquelle chacun se regarde et s'extasie.
On ne pourrait se faire une idée précise de l'attrait de ces réu-
nions, dont chaque membre est infailliblement captivé.
Après la soirée passée de la sorte, la chère impotente, sans
brouillards dans le cerveau, se sent plus allègre, et quand elle a
gagné son lit, le sommeil lui arrive bon et léger.
N'est-ce pas un trésor qu'on a sous la main, le livre qui produit
un pareil résultat? Et ne serait-ce pas une ressource immense dans la
vie que de savoir, à point nommé, puiser abondamment à cet efficace
breuvage?
Un livre, c'est tout : c'est une boisson, c'est une nourriturje ; c'est
DUN BIBLIOMANE
Mî
le pain, c'est le vin ; c'est le charme, c'est le reconfort ; c'est le
soutien de nos faiblesses, c'est l'ami de nos douleurs.
Ecoutez celte dernière pensée dans Bernardin de Saint-Pierre :
« Un bon livre, dit-il, est un bon ami. »
Nombreux, très-nombreux sont les auteurs qui ont goiité à l'onc-
tueuse saveur du livre et en ont, par contre-coup, fait deviner aux
autres les délices.
Montaigne a dit du commerce des livres :
(I Cettuy ci cofloye tout mon cours, & m'affifte partout... Pour
me diftraire d'une imagination importune, il n'efl que de recourir
aux livres; ils me deftournent facilement à eulx, & me la defrobbent. »
Maintenant, recueillez cette parole de la grande Christine :
o La lecture est une partie du devoir de l'honnête homme. »
A son tour, J. Joubert s'écrie :
a Ce sont les livres qui nous donnent nos plus grands plaisirs...
Quelquefois même les pensées consolent des choses, et les livres
consolent des hommes. »
M"" de Sévigné avait touché le point plus légèrement, mais non
moins profondément peut-être :
«Tant que nous aurons des livres, dit-elle, nous ne nous pendrons pas.»
Et Montesquieu reprend sur un autre ton :
a Aimer à lire, c'est faire un échange des heures d'ennui, que
l'on doit avoir en sa vie, contre des heures délicieuses. »
Si l'on voulait cieuser le sujet, on aurait à écouter Plutarque,
Cicéron, Pétrarque, et ce cardinal Bessarion qui fit don de sa biblio-
thèque à la ville de Venise, et des vingtaines d'autres.
Voulant seulement effleurer ces textes, — que vous aurez sous les
yeux tout à l'heure, — je n'en choisis plus que deux ou trois.
Le docteur Fée dit excellemment :
« Les livres sont des amis... Une bibliothèque qui les réunit tous,
devient une sorte d'assemblée de famille à laquelle on peut demander
des conseils et des consolations. »
Darimon, idéalisant, s'exprime ainsi :
■> Pour peu que vous vous sentiez l'âme curieuse et recueillie,
lisez, lisez un bon livre, et ce sera un peu comme si vous priiez ; vou?
vous instruirez et vous vous édifierez, vous aurez fait un acte religieux.. »
20
154 FANTAISIES
Et Channing, dans un élan très-beau ;
« C'est surtout par les livres que nous jouissons du commerce des
esprits supérieurs, et cet inappréciable moyen de communication est à
la portée de tout le monde. Dans les plus beaux livres, les grands
iiommes nous parlent, nous donnent leurs plus précieuses pensées et
versent leur âme dans la nôtre. Remercions Dieu des livres ! »
Enfin, Cil. Asselineau, qui vient de mourir, jette ce cri :
o Gloire à vous I vous répandez sur nous la vive lumière du Ciel...
C'est à la clarté de vos paroles que nous entrevoyons le Dieu tout-
puissant caché dans les profondeurs de l'infini, et que nous percevons
les récompenses promises aux justes... »
Comme il faut se borner ici, je clos à ces lignes mes citations, —
que je pourrais facilement centupler.
Mais elles sont assez nombreuses déjà pour avoir éveillé en vous la
corde sympathique. Si vous aimez à lire, vous verrez que tous ces
auteurs ont dit juste ; si le goût de la lecture est encore à naître en
vous, il est plus que probable qu'il y naîtra.
Et, avec ce goût, ce n'est pas seulement un plaisir que vous aurez
à votre gré ; quand vous le voudrez, vous disposerez d'une puissance.
Aux lueurs caressantes du foyer, à l'ombre transparente du store,
aussi bien qu'aux émanations embaumées du jardin, vous pourrez
mettre en jeu le doux ressort qui resserre les liens de la famille et de
l'amitié ; vous serez le magicien qui versera son baume sur les
tristesses, et fortifiera les cœurs ; vous serez les maîtres de l'intérêt
qui attache ; à volonté vous verserez le philtre d'un saint enchante-
ment, et les oreilles s'ouvriront autour de vous pour laisser glisser vos
paroles jusqu'au fond des âmes.
Si vous rencontrez des cœurs droits, vous les maintiendrez dans la
droiture; si, par hasard, il s'en présente à vous de déviés, vous les
remettrez dans la ligne du devoir.
Oh ! oui, le livre fait de grandes choses !... — Que tous les yeux
l'accueillent ! que tous les foyers lui soient ouverts ! — La lecture on
famille est un des meilleurs remèdes à beaucoup de maux d'ici-bos. .
Quand les lecteurs voudront, ce sera une panacée.
O UN BIBLIOMANE I 55
LA MAITRESSE DU MARI
Un dos bonheurs de ma vie !
(...)
,T, le dos englouti dans le velours moelleux d'un fauteuil,
les pieds négligemment avancés devant les tisons, le
corps tout entier doucement pénétré de la bienfai-
sante chaleur de la flamme, mon ami termina sa causerie par ce
récit, — que j'écoutai curieusement parce que, pendant presque
toute sa durée, il me parut une singulière énigme :
II
Je suis marié, comme tu le sais, me dit-il.
Je crois que je passe pour un bon mari ; je tiens surtout à l'être, —
et, pourtant, j'ai... une maîtresse !
Une maîtresse qui a bien des qualités, bien des agréments, et
aussi bien des privilèges, ma foi !
Elle est connue de ma femme... Mieux que cela ; je l'ai, — ça peut
paraître fort, — je l'ai introduite dans le domicile conjugal.
Je l'aime tant, que je la vois partout dans notre appartement. Elle
l'orne, elle le remplit.
1^6 FANTAISIES
Douée de physionomies diverses, d'une pièce à l'autre elle change
d'aspect. Elle a le charme, elle m'attire, — et je me laisse aller avec
un bonheur indicible à celte douce, à cette engageante, à cette
irrésistible attraction.
Lorsqu'une peine quelconque appesantit son nuage en moi, c'est
volontiers à elle que je vas ; c'est elle que j'interroge.
A chaque question que je lui adresse, elle a une réponse prête,
réponse toujours variée, souvent bienveillante et fine, parfois piquante,
parfois narquoise, et assez fréquemment juste.
Elle possède des langues mortes, des langues vivantes, des
dialectes, des patois, autant que j'en sais moi-même... et un peu plus.
Elle est sérieuse, et elle pétille d'esprit ; elle est érudite, et elle
adore la poésie.
Elle peut narrer des quantités de faits curieux, et ne tarit pas en
anecdotes rares. Indépendante d'humeur, elle est tout ce qu'il y a de
plus éclectique au monde ; elle dit aussi bien le mot pour rire qu'elle
pleure l'élégie, entonne l'ode, fleurit le madrigal, décoche l'épigramme
et cingle la satire.
Saturée et sémillante, elle est toute pleine de science, et toute
brillante d'imagination : d'un côté, règle et compas ; soleil et feu-
follet, de l'autre.
Elle a la sagesse du philosophe, et la gaieté du trouvère. Riche en
préceptes comme l'éther en étoiles, elle vous jette à point nommé
de ces maximes qui valent des diamants. Elle donne les conseils les
plus sains, et me fait de temps en temps des confidences dont j'ai
raison de me défier...
Mais je sais choisir.
Sa toilette est pittoresque, inégale, et particulièrement disparate.
Je fais ce que je peux pour elle ; mais je ne suis pas riche.
Elle a des bijoux par-ci, et presque des loques par-là... Que
voulez-vous ! Avec ses besoins nombreux, il me faudrait tous les
joailliers spéciaux pour l'embellir complètement, et, après tout, ce
que j'aime le plus en elle, c'est sa beauté intrinsèque, sa beauté
morale.
Cette beauté morale constitue aussi sa valeur intellectuelle, — et,
a ce point de vue, elle a des choses de prix,.. . des choses sans prix !
d'unbibliomane 157
Il m'arrive souvent de me poser devant elle, de m'y arrêter, —
l'été, les épaules et les bras au frais ; l'hiver, emmitoufîlé dans ma
robe de chambre, — et de la contempler longuement sans jamais
me lasser, trouvant toujours, au contraire, les heures promptes et le
temps court.
Le bon temps ! les bonnes heures !
J'enivre mon regard à cette contemplation, puis je m'enfonce tout
doucement dans la plus ravissante des rêveries...
Alors le mirage commence; il me semble sentir en moi des ailes,
et je monte, je plane, je m'élance. J'atteins ainsi jusqu'aux confins
les plus vastes, jusqu'aux plus étranges horizons.
L'infini s'ouvre devant moi ; je ne tiens plus à l'écorce de notre terre.
Seulement, comme ma maîtresse est capricieuse, si elle trouve
que je reste trop longtemps plongé dans les lointaines solitudes de
mes pensées, elle m'en tire brusquement — et m'ouvre d'autres ré-
gions, où, par un voyage nouveau, je me repose du précédent voyage...
Elle n'aime pas les impressions de trop longue durée.
Oh 1 l'originale !... Oh ! la multiple !!... Oh ! la bizarre M!...
Et pas moyen, jamais, de lui savoir mauvais gré de ses fantaisies
ni de ses boutades ! —
Vous voyez que c'est d'un bel et bon amour que je l'aime, et, —
dans ma position de mari aimant sincèrement sa femme, — vous
devez trouver le cas légèrement incompréhensible?
Si j'ajoute maintenant que, chez nous, dans ce domicile conjugal,
dans ce nid, cette maîtresse n'excite entre nous ni jalousies, ni
querelles ; que, loin de là, elle aide à tous nos éléments d'harmonie
et de concorde : le cas, pensé-je, vous semblera bien plus incom-
préhensible encore !
Et cela est, — vrai, exact, précis, comme la plus rigoureuse de
toutes les vérités mathématiques.
Ma femme l'aime aussi ; de sorte que nous l'aimons presque
autant l'un que l'autre.
Et l'amour de ma femme pour ma maîtresse ne se traduit point
par quelques rares paroles, que l'on pourrait taxer de diplomatie
ou de résignation ; mais bien par des actes ostensibles, fréquents et
incontestables.
m8 fantaisies
Ainsi elle cause avec elle ; elle se livre, comme je le fais, nu charme
des rêveries qu'elle provoque ; elle la consulte ; elle ajoute un joyau
à sa parure, un trésor à ses trésors ; elle l'ajuste, lui prodigue ses
soins, et, si je me rendais, moi, à l'égard de cette chère, coupable de
quelque négligence, elle m'en ferait vite apercevoir.
Oh ! la singulière, et, pourtant, la suave et naturelle union !
Elle paraît un mystère, un mystère monstrueux... inexplicable ou
moins.
Je me rends compte de cet effet.
L'esprit n'accepte pas d'emblée l'invraisemblance.
Mais tu diras... vous direz tous comme moi quand je vous aurai
tout appris. Vous ferez comme moi... Non, vous ne le ferez pas; car,
si vous êtes le moins du monde curieux et intelligents, vous l'avez
déjà fait...
— Quelle accusation ! interrompis-je.
— Ce n'est point une accusation. C'est une assertion, et, dans
cette assertion, je suis tellement sûr de moi, que voici mon doigi,
ma main, ma tête à couper si je me trompe.
Vois plutôt :
Ma maîtresse, — la maîtresse si choyée dont je viens de t'entre-
tenir, cette belle, sage, spirituelle, fantasque et folle maîtresse,
simple et éclatante, monotone et bariolée, si étonnante dans ses pri-
vilèges et si discrète dans ses exigences, — c'est...
Ma B1BLIOTHÈQ.UE! —
III
Là, mon ami s'arrêta.
Les tisons étaient moins vifs ; on ne sentait [>lus (ju'une molle
tiédeur dans sa chambre :
Il me regarda avec cette douce finesse, qui lui est habituelle et qui
vous pénètre si agréablement :
— Tu comprends, à cette heure? ajouta-t-il.
— Je comprends.
— Et tu m'absous, n'est-ce pas?
— Je crois bien que je t'absous !
D UN B I B L I O M A N E
M9
Effectivement j'étais ravi.
— Il serait, ajoutai-je, à souhaiter que tous ceux qui...
— Chut ! fit doucement mon bibliophile.
Et, à la vérité, maintenant que j'ai fait imprimer sa tirade, je dis
a chut ! » comme lui...
Seulement :
— Avis à certains, et profite le lecteur !
LES COMA4ANDEMENTS
DU BIBLIOPHILE
<S-t Gonnt ^tuvt tcrtifftnAti',
Citait, iu t^A£i££ti!AS-
^^Av £t lofeif tu iMrti?cfîtf<t&
/-^t j)nt? fft €«ft cc^aftmtut.
COon nt^^ (t ttSr Soiiiic- ri v<t»n<tMt.
|63 FANTAISIES
(^ttOMrn<int tout, tu ff^tlftl-.IC-
«^rtc MM ^itt 'difctfutnttttt.
■^uifrtHt <lVtC <ÏC^^fMt»MéMt.
S^^u^»i(> utit ^ufi^iint troMrtr<ic-,
^<»c^tr<l6' ton coMttHttrMtHtj
(^)I\.<liG-, tn ?)t54MC-, tu 6tmi?4C.
^^' ^ t{/|irori()tHtt ttii^f£Mié»it.
, ^''^ * |oii^, £»tH c^«tj-tfc tu ftrntf.
/^t t tu l?eî?itH<)ir»1£- ftMttlMtHt.
&Av\Zr téfr frtfOMC- tu ftfr wtttr<tit,
^^H l'tS- cf»tl^<lHt fo^l<|UttMCHt.
C::,o«m»it Ciiuit ô un f^rois- touriMtiit.
/-^H <tnii lu ftc- |?oftr<t2....
■^'u«c- (.te- jtrurti-.ics- j-'i-MDtinisitMt
I> UN BIBLIOMANE |6}
■f^ftlH Ô un <»flhvt6ft tW|Jl?t|7 tlMtHt J
<^CucuH Liv»:C ut ôctfHJKvîkt,
(\\i n'ccoutittr^ïc. ftwftmtMt.
<5VU wO»t»;.tlKt, tu OMivXïlsM-
CCtS fiftfTcC- ^vlttfHtfftjMtMt.
^__^i ta- ôtftruvtcujjs- tu iMnut)i»?ac-
^^J^ÏMC- rft?vîct, I^M^ltOV<t6ft»M4Mt :
;^^t£- roftuKfr, tu i'cfr v^.îtir.ts-
--<^H fta- diruftfUitiit vtritvntnt.
<3-o»ic, tes- firJ^tjs- tu c^Cî"i»?iic-
r-<^t titndi?<t£' i«»HOMrtuftmtHt^
<3^U vOutt.lU tu ftfr COUjJtï'.lC-
164
FANTAISIES
^MJ^iM, JMiftoiit, TU LES LIRAS...
«si^tjt tnoti ftus- f)*iut coiMMirtnôiJHtiit.
'fVcc- ou |tu, tiir'd, tu vtïtftrAS-
'^^OMf i'ts- coiittitij?ftr fonf^utmtiit.
<^ f.T ^111, tu it coucfjttws-,
CCToutt l'.i nuit tu rcvcr^ïc-
J^>ouautti, Gaocf^UKt ft ZiocumtHt;
CCo»w6<iMt ^iîtj<|Ut tu f tMifirtrMtiil.
BIBLIOPHILIANA
CE Q^U'ON A DIT DU LIVRE
PRESCRIPT.
OlCl une /anthologie bien spéciale: une série
d'opinions sur le LIVRE, — opinions d'écrivains
les plus divers et d'époques et de renommées.
Quoique riche déjà, elle est loin d'être complète. . .
elle ne le sera même jamais. — Ce n'est ni un homme, ni plu-
sieurs qui, à bout de travail, pourraient venir dire : « Tout
ce qu'on a écrit sur /e LIVRE est là. »
Pour hasarder ce mot, il faudrait pouvoir compulser tout ce
que l'esprit de l'homme a produit, et, avant d'avoir accompli
la centième partie de ce tour de force, combien de vies humai-
nes seraient éteintes !
Ce qui est présenté ici n'est donc qu'un échantillon, mais
suffisamment volumineux; — et, quoique je l'aie ébauché sans
sortir de chez moi {on ne travaille bien qu'avec ses livres),
je me berce de l'espoir que plus d'un lecteur y rencontrera la
page de lui inconnue.
Je suis loin, pourtant, d'avoir tout feuilleté ! et tout ce que
fat feuilleté n'est certes pas cité '/...
i68
BIBLIOPHILIANA
Tar la gerbe présente, jugez de ce que pourrait être la
moisson...
L'enîreprendra-t-on jamais? —
Sauf deux ou trois exceptions, je n'ai puisé que chez les
prosateurs. Le même travail serait donc à faire chez les poètes...
Il y aurait, là, l'infini à parcourir. —
Est-il nécessaire de signaler quelques-unes des intentions qui
se sont fait jour pendant ce choix?...
On les saisira, je pense.
Par Livre, fai entendu : le livre matériel, et le livre in-
tellectuel,— c'est-à-dire : livre, lecture, étude, lettres, etc.
Les rapprochements de certaines citations feront voir les
inspirations puisées par les uns chez les autres. Certaines \m[-
T AT] ou % deviendroîit flagrantes... Quant aux PLAGIATS,
jna foi ! il peut se faire qu'on en découvre.
Ce sera la petite pointe de malice courant à travers ces belles
pages, la plupart si élevées, si sincères, et, toutes chauffées à
plein cœur de l'irrésistible amour, de l'enthousiasme du LIVRE.
^l'BLÎOTHlLIdAU^oA
ADDISSON (Joseph)
... J'étudiai si bien, que je puis me vanter d'avoir lu
presque tout ce qu'il y a de bons livres dans les langues
anciennes et modernes...
Dieu a manifesté ses idées par la Création, et il les a,
pour ainsi dire, imprimées dans le grand livre du monde.
L'homme imprime aussi les siennes dans un livre qu'il
produit; et, grâce à cette admirable invention, dont l'é-
poque est encore récente, il peut les faire durer autant
que le soleil et la lune...
Les livres sont l'unique moyen de fixer, de transmettre
aux derniers âges la pensée, cette espèce d'éclair qui ne
fait que briller et disparaître. Quand le corps d'un savant
rentre dans la masse de la matière, quand son âme s'en-
vole au monde des esprits, les livres nous conservent le
dépôt de ses connaissances; ils nous montrent ses idées,
qu'ils ont rendues visibles et permanentes. Un bon livre
est un legs qu'un homme de génie fait au genre humain ;
c'est un trésor, qui, passant d'une génération à l'autre.
170 BlBLIOPHtLIANA
enrichira et celle qui vit, et celle qui va naître, et la
postérité la plus reculée.
(The Spectator, n° 166, trad. de l'abbé Blancliet.)
ALEMBERT (Jean le Rond d')
L'amour des livres, quand il n'est pas guidé par la phi-
losophie et par un esprit éclairé, est une des passions les
plus ridicules. Ce serait à peu près la folie d'un homme
qui entasserait cinq ou six diamants sous un monceau de
caillou.x...
L'amour des livres n'est estimable que dans deux cas:
1° lorsqu'on sait les estimer ce qu'ils valent, et qu'on les
lit en philosophe pour profiter de ce qu'il peut y avoir
de bon, et rire de ce qu'ils contiennent de mauvais;
2° lorsqu'on les possède pour les autres autant que pour
soi, et qu'on leur en fait part avec plaisir et sans réserve...
Malheur à tout livre qu'on n'est pas tenté de relire!
ALIBERT (Jean-Louis)
Les livres sont comme des amis consolateurs, qui em-
pêchent l'âme de trop s'appesantir sur des impressions
chagrines.
{Physiologie des Passions.)
ALLETZ (Edouard)
Le meilleur livre à nos yeux est celui que nous eus-
sions écrit nous-mêmes, si nos émotions suffisaient pour
BIBLIOPHILI ANA
nous donner du génie... Quel bien nous fait une lecture
qui nous délivre de ces pleurs qui, tels que la pluie rete-
nue avant l'orage, ne pouvaient couler !...
On a besoin de lectures comme d'air, de jour, d'ali-
ments... L'auteur d'un livre qui nous distrait, qui nous
console ou nous instruit, semble avoir eu l'intention de
nous rendre service...
La lecture nous fait une autre destinée; elle nous en-
toure d'une société nouvelle... La lecture vous transporte
en des pays qui vous sont inconnus et vous fait remonter
le cours des siècles...
Je prends un livre : je suis seul, mon esprit est attentif,
mes yeux se dirigent vers les caractères, et voilà qu'une
autre pensée parle à la mienne... je m'entretiens avec
Homère et Platon...
11 y a des faims et des soifs de lecture pour les âmes
ardentes qui veulent s'émouvoir et connaître...
Dites-moi ce que vous lisez, je vous dirai qui vous êtes. . .
Heureux le livre qui éveille plus d'idées qu'il n'en ren-
ferme!...
... Si l'on forme un cercle de famille, pour jouir en
commun d'une lecture faite à haute voix, les sentiments
éprouvés rapprochent les cœurs...
Avec la lecture vous n'avez pas besoin des autres.
(^Harmonies de l'Intelligence humaine.)
ALPHONSE LE SAGE
R G I d' A R A G O N
Entre tant de choses que les hommes possèdent, ou
qu'ils recherchent toute leur vie, il n"v a rien de meil-
1^3 BIBLIOPHILI ANA
leur que d'avoir de vieux bois pour brûler, de vieux vin
pour boire, de vieux amis pour la société, et de vieux
livres pour lire. Tout le reste n'est que bagatelles.
AMYOT (Jacql'is)
... Tels livres, d'autant qu'ils sont ornez de beau lan-
gage, enrichis d'exemples tirez de toute l'antiquité, et
tissuz de l'ingénieuse invention d'hommes sçavans qui ont
visé à faire ensemble et à profiter, entrent quelquesfois
avec plus de plaisir es oreilles délicates que ne fait pas la
saincte Escriture, qui pour sa simplicité, sans aucun orne-
ment de langage, semble commander plutost impérieuse-
ment que de suader gratieusenient..
(Trad. des Vies des hommes illustres de Plutarque.)
ARETIN (PiFRRt)
O lucrum ingens ! o inesperatum gaudium !
S'écriait Arétin en s'adressant à Pogge, lors de la dé-
couverte d'une copie manuscrite de Quintilien.
(Pétrarque, Guarini en disaient autant quand ils décou-
vraient quelques manuscrits poudreux des classiques, soit
dans les couvents, soit au fond de quelques vieilles tours.)
(Voir Bearus Rhenanus.)
ARISTOTE
Tout est obscur à un aveugle ; les livres et les sciences
semblent impénétrables à un ignorant.
Les lettres servent d'ornement dans la prospérité et de
consolation dans l'adversité.
BiBLIOPHILIANA 17)
ASSELINEAU (Charles)
Gloire à vousl Vous répandez sur nous la vive lumière
du Ciel... C'est à la clarté de vos paroles que nous
entrevoyons le Dieu tout-puissant caché dans les pro-
fondeurs de l'infini, et que nous percevons les récom-
penses promises aux justes... Vous seuls êtes immortels 1
Nous tous nous vieillissons, et nous mourons à côté de
vous. Par vous, nos enfants connaîtront l'esprit de leurs
pères; par vous, l'esprit de nos pères a survécu en nous.
Vous êtes les flambeaux éternels que les générations se
passent les unes aux autres. Vous êtes la ligne de vie de
l'humanité, les phares de l'histoire et la lumière des
siècles... Parlez! brillezl vous êtes pour nous l'étoile de
la délivrance à l'heure où nos travaux s'interrompent et
où notre pensée captive aspire à la vie de l'esprit...
Gloire à vous! vous répandez sur nous la lumière du
Ciel. Notre devoir est de vous défendre, de vous glori-
fier... Vous êtes la joie et la lumière de nos âmes.
{Le Paradis des gens de lettres.)
SAINT AUGUSTIN
... Voilà que j'entends sortir d'une maison une voix,
comme celle d'un enfant ou d'une jeune fille, qui chan-
tait et répétait en refrain ces mots : « Prends, lis -, prends,
lis. » (Toile, et lege). Changeant aussitôt de visage, je me
mis à chercher avec la plus grande attention si les en-
fants, dans quelques-uns de leurs jeux, faisaient usage
d"un refrain semblable ; je ne me souvins pas de l'avoir
174 BIBLIOPHIllANA
jamais entendu. J'arrêtai mes larmes et me levai, ne
voyant là qu'un ordre du ciel qui m'était donné d'ouvrir
un livre, et délire le premier chapitre que je trouverais...
Combien la lecture publique des ouvrages de Platon
dans son temple ne serait-elle pas meilleure et plus hon-
nête que les mutilations des prêtres de Cybèle dans les
temples des démons!...
[Coîifessions.)
AULU-GELLE (Alilus-Gellius)
On voit des gens qui lisent beaucoup de livres ; ils se
jettent avec ardeur sur tout ce qui s'offre à eux : on serait
tenté de dire, en les voyant parcourir avec précipitation
un grand nombre de volumes, qu'ils ne se proposent
d'autre objet que d'en ôterla poussière. Mais qu'arrive-t-il
dans des lectures si variées? L'esprit est rebuté par la
fatigue et par la lassitude, avant qu'on ait pu trouver
quelque chose d'agréable ou d'avantageux à lire, et qu'on
puisse se souvenir utilement d'avoir lu...
Les livres sont des maîtres muets.
{Nuits /l triques.)
AUSONE (D. Magnus Ausonius)
Lisez ce qui mérite d'être conservé dans la mémoire.
ÉPIGRAMME XLIV
AU GRAMMAIRIEN P H I L G M U S E
Emptis qtiod libris tibi Eibliotheca referta est,
Doctum et grammaticum te, Philomusc, putas.
BIBLIOPHILIANA
Hoc génère et chordas, et plectra, et barbiîa conde :
Mercator hodie (i), cras citharadus eris.
(De ce que ta bibliothèque est pleine de livres achetés,
tu te crois, Philomuse, et savant et grammairien. De
cette manière, achète des cordes, des archets et des lyres :
ayant payé cela aujourd'hui, demain tu seras musicien.)
AZAIS (Pierre-Hyacinthe)
... Les sentimens humains, les mouvemens des moeurs,
les passions des individus, celles des peuples, les résul-
tats, brillans ou désastreux, qu'elles entraînent , voilà
surtout ce qui les intéresse; voilà ce que, pour les atta-
cher à un livre, il faut y traiter, y mettre en œuvre, y
expliquer.
{Physiologie du Bien et du jMal. Préface.)
BACHI (Claudia)
Un livre pernicieux est un forfait permanent...
Un homme fait un livre, on le sait, c'est à qui se mo-
quera de lui; le livre paraît et réussit, c'est à qui sera lié
avec lui et aura deviné sa gloire...
Un physique original, des façons excentriques sans nul
mérite, me font l'effet d'un livre platement écrit que
rehausse frauduleusement une reliure étrange et fastueuse.
(Coups d'Eventail.)
(i) Omnia mercaïus. Variante.
176 Bll)LIOI>HM.IANA
BACON (François)
Lire, c'est converser avec les sages...
La lecture donne à l'esprit de l'abondance et de la
fécondité.
Il y a des livres dont il faut seulement goûter, d'autres
dévorer, d'autres enfin, mais en petit nombre, qu'il faut,
pour ainsi dire, mâcher et digérer...
Les bibliothèques sont comme ces châsses où se con-
servent et reposent les reliques de tous les vieux saints,
mais cette fois sans tromperie et sans imposture...
Si l'invention du vaisseau qui porte d'un endroit à un
autre endroit les richesses et les agréments de la vie, qui
associe les régions les plus éloignées les unes des autres
dans la participation de leurs divers produits, passe pour
une invention si noble, combien plus doit-on exalter les
livres, qui, comme les navires, traversent les vastes mers
du temps, et qui font participer les âges les plus lointains
à la sagesse, aux lumières, aux découvertes les uns des
autres.
{Dignité et accroissement des sciences. — Essais de morale
et de politique, etc.)
BAGLIVI (Georges)
La lecture des bons livres abrège le chemin de la
science.
BAILLET (Adrien)
M. Baillet dit qu'un livre est communément regardé
BIBLIOPHILI ANA X-Jf
pour bon, s'il parvient heureusement au but que l'auteur
s'est proposé, quelques fautes qu'il y ait d'ailleurs.
{Dictionnaire de Littérature par Sabatier de Castres.)
BALZAC (Honoré de)
Plus un livre est beau, moins il a de chances d'être
vendu. Tout homme supérieur s'élève au-dessus des
masses : son succès est donc en raison directe avec le
temps nécessaire pour apprécier l'œuvre...
Quel beau livre ne composerait-on pas en racontant la
vie et les aventures d'un mot ?...
Un beau livre est une victoire remportée tous les jours
par la langue française sur tous les pays...
Il est aussi facile de rêver un livre qu'il est difficile de
le faire...
Un livre vaut tout une vie...
Le livre de Rabelais est la Bible de l'incrédulité...
(Extrait des trois Recueils suivants:
Maximes et Pensées de H. de Baljac. Paris, Pion
frères, 185a.
Maximes et Pensées de H. de Bal-^ac. Paris, M. Lévy
et Hetzel, 1856,
Baljac moraliste, Pensées de Balzac. Paris, Michel
Lévy, 1866.)
BALZAC (Jean-Louis-Guez de)
Il faut peu de livres pour être savant, mais il en faut
beaucoup moins pour être sage...
Ceux qui ne se donnent point de peine à faire leurs
livres, en donnent souvent à ceux qui les lisent.
{Dissertation à Chapelain.)
25
178 BIBLIOPHILIANA
Il doit y avoir des livres pour occuper et pour instruire \
il doit y en avoir pour délasser et pour plaire.
{Dissertation critique.)
BARAT (Nicolas)
La Bibliomanie, ou la passion d'avoir un grand nombre
de livres, est une maladie commune à bien des gens,
surtout en France,
{Nouvelle Bibliothèque choiiie.)
BARTHÉLÉMY (Jean-Jacques)
De mon temps, plusieurs Athéniens avaient des collec-
tions de livres. La plus considérable appartenait à
Euclide...
En y entrant, je frissonnai d'étonnement et de plaisir.
Je me trouvai au milieu des plus beaux génies de la
Grèce. Us vivaient, ils respiraient, dans leurs ouvrages,
rangés autour de moi. Leur silence même augmentait
mon respect. L'assemblée de tous les souverains de la
terre m'eût paru moins imposante. Quelques moments
après, je m'écriai : « Hélas ! que de connaissances refu-
sées aux Scythes 1 » Dans la suite, j'ai dit plus d'une
fois: « Que de connaissances inutiles aux hommes ! »
{Voyage du jeune Anacharsis en Grèce.)
BARY
Après avoir enseigné la vie, les livres la consoleront.
Après avoir été le délassement des travaux, ils adouci-
B IBLIOPHILI AN A I79
ront cette station entre l'âge actif et la mort, qu'on
appelle la vieillesse. A l'écart des choses de ce monde, et
sentant le silence autour de lui, enveloppé de la mélan-
colie des jours écoulés, que fera le vieillard de son loisir,
s'il ne le remplit de l'entretien des livres ?... Ce sont les
livres qui nous montrent l'humanité entière. C'est par
eux que nous rattachons les fils de la trame brisée que
nous avons entre les mains... L'étude des livres n'est
autre que celle des hommes.
BAYLE (Pierre)
Louez avec moi le bon goût de cet habile homme
(David Ancillon) : il vouloit la première édition des livres...
C'est l'entendre, cela ; c'est ce qu'on peut nommer amour
des livres...
Un livre doit être comme un arbre. S'il n'y avoit que
des fruits, il serait un objet affreux. Mais quand il a des
fleurs, des fruits et des feuilles en même temps, comme
les orangers, il plaît extrêmement à la vue.
(Dictionnaire critique, i/jo-)
BERNARDIN DE SAINT-PIERRE
(Jacques-Henri)
Lisez donc, mon fils. Les sages qui ont écrit avant nous
sont des voyageurs qui nous ont précédés dans les sen-
tiers de l'infortune, qui nous tendent la main et nous
invitent à nous joindre à leur compagnie, lorsque tout
nous abandonne. Un bon livre est un bon ami.
(Paul et Virginie.)
l8o BIBLIOPHIltANA
BESSARION (le cardinal Jean)
Dès ma plus tendre enfance, j'ai mis tous mes soins,
tous mes efforts, tout mon zèle à rassembler des livres sur
les sciences de tous genres. C'est pourquoi non-seulement,
dans ma jeunesse, j'en transcrivis plusieurs de ma propre
main ; mais j'employai à en acheter le peu d'argent qu'une
vie économe et frugale me permit d'y consacrer.
En effet, je croyais ne pouvoir acquérir ni d'ameuble-
ment plus beau, plus digne de moi, ni de trésor plus
utile et plus précieux. Ces livres, dépositaires des lan-
gues, pleins des modèles de l'antiquité, consacrés aux
mœurs, aux lois, à la religion, sont toujours avec nous,
nous entretiennent et nous parlent ; ils nous instruisent,
nous forment, nous consolent; ils nous rappellent les
choses les plus éloignées de notre mémoire, nous les
rendent présentes, les mettent sous nos yeux. En un mot,
telle est leur puissance, telle est leur dignité, leur ma-
jesté, leur influence, que, s'il n'y avait pas de livres,
nous serions tous ignorants et barbares ; nous n'aurions
ni la moindre trace des choses passées, ni aucun exem-
ple, ni la moindre notion des choses divines et humaines.
Le même tombeau qui couvre les corps aurait englouti
les noms célèbres...
{Fragment de la Lettre par laquelle il fait don de sa
riche Bibliothèque à la ville de Venise.)
BIGNICOURT (Simon de)
Les Bibliomanes sont comme les avares; la manie
d'amasser leur tient lieu de jouissance...
BIBLIOPHILIANA l8l
Les auteurs qui ont écrit trop d'une page sont des
héros qui ont vécu trop d'un jour...
Le titre d'un livre doit beaucoup promettre; l'ouvrage
doit encore plus donner.
L'habitude de la lecture est comme le lait, dont l'usage
n'est jamais indifférent.
{L'Homme de lettres et l'Homme du monde.)
BIGOT (Emeric)
J'ay fort hanté la librairie de Saint-Laurent, ay coppié
plusieurs traittés, conféré d'autres. J'ay si bien fait que j'y
gagnai une fiebvre tierce, dont je n'eus. Dieu mercy, que
cinq accès. Je fus un mois sans aller à la bibliothèque*
Pour faire insuit à la fiebvre, j'y retournai et copiai un
traité d'Alexander Aphrodisiacus, de la fièvre.
Je vis tous les manuscrits d'Ovide qui y sont, et y
reconnus en tout de vostre main. Quelle diligence ! quelle
exactitude! Je ne vous parleray point des bibliothèques
particulières et des doctes : vous les avez plus pratiquez
que moy, et aurois mauvaise grâce de prétendre vous
en apprendre quelque chose de nouveau...
Je vous porterai un exemplaire de tous ces livres et de
quelques autres... Parmi les vieux livres, j'en pus ren-
contrer quelques uns que vous ne seriez peut estre pas
fasché d'avoir...
[Lettre à Heinsius.)
BLANCHEMAIN (Prosper)
Ce qui recommande principalement le souvenir d'E-
douard Turquety..., c'est son goût éclairé pour ces
l8a BIBLIOPHILIANA
bijoux de notre ancienne typographie, qui coûtent si
cher aujourd'hui. Nombre d'articles de critique biblio-
graphique et littéraire,., témoignent que Turquety ne se
contentait pas de posséder ses livres, mais qu'il les étu-
diait avec soin, avec amour, et qu'il était de ceux qui
savent rompre l'os médullaire pour en extraire la moelle...
(Préface du Catalogue de la Bibliothèque poétique de
feu Edouard Turquety. Paris, A. Claudin, 1868.)
BOLLIOUD-MERMET (Louis)
J'ai toujours aimé les livres et ceux qui les aiment, mais
j'aime encore plus la vérité...
Préférons la qualité bien choisie à la quantité superflue. . .
Il faut à l'homme des occupations sérieuses; s'y appli-
quer, c'est son devoir. Il lui faut aussi de légitimes récréa-
tions; se les procurer, c'est son besoin...
Usons des livres avec discrétion, si nous voulons en
jouir avec fruit...
Heureux qui peut se fixer à un bon choix et en faire
un emploi salutaire!... Sit bona librorum copia (Horace)...
Avec de telles dispositions, l'homme studieux aime
véritablement les livres, en connoît tout le prix et en
retire la plus grande utilité,
[De la Bibliomanie.)
BONALD (Victor de)
Les livres peuvent être comparés aux hommes, et un
ivre n'est autre chose qu'un homme qui parle en public.
RIBLIOPHILIANA l8)
Il faut parcourir beaucoup de livres pour meubler sa
mémoire ; mais quand on veut se former un goût sûr et
un bon style, il faut en lire peu, et tous dans le genre de
son talent. L'immense quantité de livres fait qu'on ne lit
plus...
{Pensées sur divers sujets.)
BONNIN (Charles-Jean-Baptiste)
Difficile dans mes lectures, je n'y cherchai jamais que
la vérité: une confiance crédule ne me paraissait ni de
l'estime, ni de l'admiration, mais aveuglement et paresse...
Dès qu'il paraissait un bon livre, je me raffermissais
dans la résolution de mériter l'estime publique comme
son auteur...
La culture des livres prépare à la connaissance du
coeur humain ; le commerce des hommes donne cette
connaissance...
Lire seulement pour lire est ne point lire, et pire que
ne lire pas; mais la manière de bien lire, est de lire non
la lettre mais l'esprit...
(Pensées.)
BREMER (Frederika)
Mes moments les plus délicieux sont ceux que je passe,
soit le matin, seule dans ma chambre avec les livres amé-
ricains que M. Downing m'a prêtés, soit le soir, avec mes
hôtes,... entourée de bibliothèques... Ici M. et M""® Dow-
ning me lisent alternativement, à la lueur de la lampe,
des morceaux des poètes américains les plus goijtés. Je
monte ensuite ces livres avec moi dans ma chambre...
lS4 BIBLIOPHILIANA
Lorsqu'un auteur vit et écrit durant une longue suite
d'années, ses ouvrages composent une histoire de son
propre développement, à laquelle il ne faut pas toucher,
et qui est toujours instructive pour lui comme pour les
autres. Les écrits d'un auteur sont des parties de sa bio-
graphie, qu'il le veuille ou non.
[La Vie de famille dans le Nouveau-Monde.)
BROSSES (le président Charles de)
... Que diable! une bibliothèque (celle du Vatican) où
il n'y a pas de livres ! Cela est fâcheux, mon doux objet;
mais remettez-vous, les piliers sont revêtus tout autour,
à hauteur d'appui, de petites armoires fermées, remplies
de manuscrits. Voilà ce qui constitue cette belle biblio-
thèque, où il n'y a pas un seul livre imprimé...
... Et autres imaginations de bibliophile. Ah 1 mon ami>
pardon de ce terme qui m'est échappé, car vous êtes
vous-même un grand bibliolâtre...
[Lettres familières écrites d'Italie. — Lettre à M . de Neuilly.)
Voir R. Colomb.
BRUNET (Gustave)
La science des livres embrasse l'histoire littéraire tout
entière; elle touche à tous les points des connaissances
humaines...
Les livres aboutissent à tout et comprennent tout...
On comprend l'anxiété du bibliophile qui s'occupe le
jour de ses livres, qui y rêve la nuit, et qui s'inquiète de
BIBLIOPHILIANA l8^
leur sort. 11 a assisté à une foule de ventes; il a enlevé, à
la chaleur des enchères, quelque rareté qui faisait l'or-
gueil d'une collection rivale; il a parcouru pendant
longues années toutes les boutiques des libraires, il a
fouillé tous les étalages : et les résultats de tant de peines,
de tant d'efforts seront livrés au vent! Cette pensée est
un supplice.
(^Dictionnaire de Bibliologie.)
BRUNETTO LATINI (N.)
Cest livre est appelle Tréfors... Selonc ce que le livre
parole cy après...
Et si ne diray pas que le livre soit estrais de mon po-
vre fens ne de ma nue science; mais il est aussi comme
une brefche de miel cueilli de diverses flours...
Et se aucun demandoit pour quoy cest livre est escript
en romans selon le parler de France pour ce que nous
sommes Ytaliens, je diroie que ce eft pour deux raisons :
— l'une que nous fommes en France, — l'autre pour ce
que la parleure est plus délitable et plus commune à
touz langaiges.
(Li Trésors.)
BRUUN-NEERGAARD (T.-C.)
Il faut quelquefois plus de patience pour achever la
lecture d'un roman, qu'il ne faut de curiosité pour le
commencer...
A un mauvais coftipilateur : Si chacun prenait ce qui lui
appartient, que te resterait-il? La honte de n'avoir pas su
mieux choisir.
(Mes Pensées.)
24
|86 BIBLIOPHILIANA
BURTON (John)
Lorsque je considère cette foule innombrable de livres,
je me sens la force de vivre et de mourir au milieu des
méditations qu'ils renferment, et je goûte avec eux un
contentement réel, une satisfaction plus vive que celles
que pourraient me donner toutes les richesses de la terre.
Il y a dans la lecture des bons livres une volupté qui,
comme la coupe de Circé, vous séduit et vous enchante;
l'attrait de l'étude est tellement irrésistible, que le dernier
jour de vos travaux littéraires estle prioris discipulus...
Semblables à des apothicaires, nous faisons de nouvelles
mixtures: chaque jour nous versons d'un vase dans un
autre ; et, de même que les Romains volaient toutes les
autres cités du monde pour embellir leur Rome mal si-
tuée, ainsi nous enlevons la crème de l'esprit des autres,
nous cueillons les fleurs de choix de leurs jardins culti-
vés, pour en orner nos plants stériles. Nous tissons la
même toile, et nous tordons et détordons toujours la
même corde.
(Voir Lawrence Sterne.)
CAMPANUS (Jean-Ant.)
împr'unit, ille die, quantum non scribitur anno.
(On imprime, en ce jour, plus qu'on n'eût pu écrire
Ml un an.)
(Extrait d'un sixain mis au bas du Tacite imprimé
par Ulrich Hiilin (Udalricus Gallus), en 1470).
(Voir y alla.)
BIBLIOPHILI AN A 187
CASAUBON (IsAAc)
Il est beaucoup de choses qui tiennent mon esprit en
suspens. Ma femme, mes enfants et mes livres sont encore
retenus à Lyon. Uxor, liberï et libr't Lugduni adhuc livrent .
Ils n'en partiront pas avant que j'aie pu voir ce que je
dois espérer ou craindre ici...
{Lettre à Bongars.)
CERVANTES SAAVEDRA (Miguel de)
Or il faut savoir que cet hidalgo, dans les moments où
il restait oisif,... s'adonnait à lire des livres de chevalerie,
avec tant de goût et de plaisir, qu'il en oublia presque
entièrement l'exercice de la chasse et l'administration de
son bien. Sa curiosité et son extravagance arrivèrent à ce
point qu'il vendit plusieurs arpents de bonnes terres à blé
pour acheter des livres de chevalerie à lire. Aussi en
amassa-t-il dans sa maison autant qu'il put s'en procu-
rer...
... pour que vous brûliez tous ces excommuniés de
livres; et il en a beaucoup, qui méritent bien d'être gril-
lés comme autant d'hérétiques, — Ma foi, j'en dis autant,
reprit le curé, et le jour de demain ne se passera pas
sans qu'on en fasse un auto-da-fé et qu'ils soient condam-
nés au feu, pour qu'ils ne donnent plus envie à ceux qui
les liraient de faire ce qu'a fait mon pauvre ami.
[Don Quichotte^ trad. de L. Viardot.^
l88 Bl B l lOPHILIANA
CHANNING (WiLL. Henry)
C'est surtout par les livres que nous jouissons du com-
merce des esprits supérieurs, et cet inappréciable moyen
de communication est à la portée de tout le monde.
Dans les plus beaux livres, les grands hommes nous par-
lent, nous donnent leurs plus précieuses pensées et ver-
sent leur âme dans la nôtre. Remercions Dieu des livres 1
Us sont la voix de ceux qui sont loin et de ceux qui sont
morts-, ils nous font les héritiers de la vie intellectuelle
des siècles écoulés. Les livres sont les vrais niveleurs...
Qu'importe ma pauvreté? Qu'importe que les heureux du
siècle dédaignent d'entrer dans mon obscure demeure ?
Si la Sainte-Ecriture entre et séjourne sous mon toit; si
Milton passe mon seuil pour me chanter le Paradis;
Shakespeare pour m'ouvrir les mondes de l'imagination et
les secrets du cœur humain; Franklin pour m'enrichir de
sa sagesse pratique, je ne manquerai pas d'amis intellec-
tuels, et je puis devenir un homme bien élevé.
CHAPELAIN (Jean)
Il (Guillaume Colletet) a passé ses jours dans l'inno-
cence, entre Apollon et ses livres.
CHASLES (Philarète)
Qui pourrait croire aujourd'hui à la date d'un livre
composé au VI* siècle et où il serait question, directe-
ment ou indirectement, de la puissance de la vapeur, des
BIBLIOPHILIAN A 189
maximes nouvelles de l'économie politique, des discus-
sions sur le droit d'intervention, des lois réglementaires
sur les tarifs, de l'abolition de l'esclavage, de l'anéantisse-
ment de la Pologne, des pénitentiaires...?
L'imprimerie, en multipliant les exemplaires, ne permet
plus aux moindres travaux de l'esprit de se perdre et de
s'évanouir.
Autrefois l'homme de talent qui rétablissait un texte,
qui le corrigeait et l'épurait, qui le commentait et l'ex-
pliquait, ne pouvait produire qu'une seule copie dont la
destruction fortuite mettait à néant tous ses travaux.
Maintenant le philosophe commentateur peut compter sur
une existence aussi durable que celle de l'auteur qu'il
élucide : sa gloire (s'il la mérite) est permanente... la
pensée, si légère, si mobile, se fixe et ne périt pas- c'est
le plus grand des prodiges.
{Encore sur les contemporains.)
CHEVILLIER (André)
Un livre peu correct, c'est un ouvrage plein de ténè-
bres. — C'est une nuit où on ne fait point de pas sans
craindre.
La correction, c'est la lumière avec laquelle on marche
sûrement. — Le plus grand ennemi de l'impression sont
les fautes. Il est d'autant plus dangereux qu'il renaît de
ses propres cendres.
Souvent il croît plus de fautes qu'on n'en a ôté.
Un imprimeur se doit regarder comme un Hercule qui
a toujours des monstres à combattre.
(Origine de l'Imprimerie de Paris.)
19© niBllOPHILIANA
CHRISTINE DE PISAN
En yver, par espécial, s'occupoit souvent (Charles V)
à oyr livre de diverses belles ystoires, de la saincte Es-
cripture, ou des faits des Romains, ou moralitez de
philosophes et d'autres sciences jusques à l'heure du
soupper...
CHRISTINE DE SUÈDE (La Refne)
La lecture est une partie du devoir de l'honnête
homme...
... (à Pascal). Vous êtes le précepteur du genre hu-
main, et le flambeau du monde; je lis vos ouvrages, je
les médite sans cesse, et je sens que mon esprit se ré-
veille, se fortifie et s'anime avec une telle nourriture...
... (à Bayle). Je vous impose pour pénitence, qu'à
commencer du mois prochain, vous m'enverrez les livres
nouveaux, en toutes langues, sur toutes sortes de sujets-,
je n'excepte ni romans, ni satyres ; surtout s'il y a des
livres de chimie, faites-m'en part au plutôt, etc..
... (à Heinsius.) Vous ne regretterez jamais vos peines,
et mes récompenses seront dignes de vous et de moi.
Envoyez-moi les catalogues des livres que vous avez
achetés et des manuscrits que vous avez fait copier, et la
dépense pour vous et pour les achats. Je vous ferai tout
payer...
(Correspondance.^
BIBLIOI'HILIANA I9I
CICÉRON (Marcus-Tullius)
... Les autres plaisirs ne sont ni de tous les temps, ni
de tous les âges, ni de tous les lieux; les lettres, au con-
traire, forment la jeunesse, réjouissent la vieillesse,
embellissent la prospérité, offrent un asile et des conso-
lations dans l'adversité. Elle nous délectent dans notre
intérieur, ne nous empêchent point dans nos affaires du
dehors, et sont les compagnes de nos veilles, de nos
voyages, de nos travaux champêtres. Fussions-nous inca-
pables d'atteindre par nous-mêmes à un plaisir si noble et
d'en goûter toutes les douceurs, encore devrions-nous
l'admirer chez les autres...
(Oratio pro Archia.)
Depuis que Tyrannion a arrangé ma bibliothèque, je la
regarde comme l'âme de ma maison...
Nous ne trouvons ordinairement dans un livre qu'au-
tant d'esprit que nous croyons en avoir nous-mêmes.
CL.
*^**
Dieu a donné aux hommes une bibliothèque en com-
mun ; elle est composée de tout ce qu'il a créé. A chaque
homme son livre particulier, lui-même; qu'il se lise, il
trouvera en soi l'abrégé de tous les autres. Si tu lis avec
jugement, tu deviendras un grand maître en philosophie,
et en même temps un vrai serviteur de l'Auteur divin et
tout-puissant; et si tu lis sans réflexion et simplement
193 BIBLIOPHILIANA
pour lire, tu n'en deviendras que ton propre docteur, le
bouffon de l'auteur...
Ne consulte et n'étudie les livres de Recueils, de com-
pilations et semblables, que comme une Table, ou un
Index, qui doit te guider vers les auteurs originaux, sans
quoi tu risquerais souvent d'être trompé. Je comparerais
volontiers celui qui se farcit de science sur la foi des au-
tres, à celui qui se ferait un buffet magnifique avec la
vaisselle ou l'argenterie de son voisin. II y a bien de l'im-
prudence de la part de l'acheteur, dont les titres sont
plus fondés sur le Témoignage que sur l'Evidence.
{La Oille, par un vieux cuisinier gaulois,
à Constantinople, mdcclv.)
CLAUDIN (Anatole)
La bibliomanie, selon nous, c'est la passion des livres
poussée jusqu'à son dernier paroxysme; c'est la folie lit-
téraire; celui qui en est atteint est un monomane ou un
ignorant. Le monomane et l'ignorant achètent et accapa-
rent les livres rares sans discernement; l'un par manie et
par aberration d'esprit; l'autre doctus cum libro, pour sui-
vre la mode du siècle a amassé, à force d'argent, une
collection où resplendissent l'or et le maroquin pour
faire parade de connaissances qu'il ne possède pas...
La vie d'un homme se reflète dans sa bibliothèque;
c'est là que l'on sait quel a été le but de ses études litté-
raires; on distingue à première vue si c'était une intelli-
gence sérieuse et multiple ou simplement superficielle;
on arrive à découvrir avec une sorte de respect pour sa
mémoire que telle branche des connaissances humaines a
BIELI OPHILIAN A
'9}
été plus particulièrement cultivée par lui, qu'elle a été son
thème favori, l'objet principal de ses recherches intéres-
santes : « Dis moi quels livres tu lis, je te dirai qui tu es. »
(Préface du Catalogue de la bibliothèque
d'un château de Lorraine, 1863.)
CLÉMENT (Claude)
NÉ A ORNANS EN F R A N C H E - C O MTÉ
II y a peu de dépenses, de profusions, je dirais même
de prodigalités plus louables que celles qu'on fait pour les
livres, lorsque en eux on cherche un refuge, les voluptés
de l'âme, l'honneur, la pureté des noms, la doctrine et
un renom immortel.
{Museiy sive Bibliothecœ tam privatir quàm publiccr
extructio, instructio, curer, usus, etc.)
CLEMENT, DE DIJON (Jean-Marie-Bernard)
Bibliothèque. — Une grande bibliothèque est comme
une ville extrêmement peuplée : il serait ennuyeux et
même dangereux d'y faire connaissance avec tout le
monde; chacun y choisit la société qui lui convient. Le
plus grand nombre se contente de la mauvaise com-
pagnie.
Livres. — Si l'on voulait se résoudre à ignorer ce
qu'on ne saura jamais, on ferait beaucoup moins de
livres.
Un vol dont il me semble qu'on se fait peu de scru-
pule, est celui des livres. Tel rougirait de vous dérober
25
194 BIHLIOPHILIANA
un écu, qui n'a point de honte de mettre dans sa poche
deux ou trois volumes qu'il trouve à son gré dans votre
bibliothèque.
{Petit 'Dictionnaire de la Cour et de la ydle.)
COLOMB (R.)
Né faible et délicat (Charles de Brosses), il resta de
petite taille; mais sa nature morale, au contraire, se
montra forte dès le bas âge : il donnait la préférence à
un livre sur tous les jouets de l'enfance.
(Essai sur la Vie et les Écrits du Président de Brosses.)
(Voir Ch. de Brosses.)
COMMINES (Philippe de)
C'est, ce me semble, l'un des grands moïens de rendre
un homme saige, d'avoir leu les histoires anciennes, et
apprendre à se conduire et guarder, et entreprendre sai-
gement par icelles et par les exemples de nos prédéces-
seurs. Car notre vie est si briefve, qu'elle ne suffit à avoir
de tant de chofes expérience.
(Mémoires.)
CONSTANTIN
(Pseudonyme de Léopold-Auguste-Constantin HESSE)
Notre siècle est non seulement plus riche en livres
qu'aucun de ceux qui se sont écoulés, mais la littérature
elle-même a pris un immense développement.
niBLIOPHlLIANA
'95
Que l'on compare enfin, sous le rapport de la morale,
le collectionneur de livres avec le collectionneur d'écus.
L'avare est sans cesse dans une agitation fébrile de sa
mauvaise et stérile passion; il est inquiet, il est malheu-
reux, il a toute la conscience de son vice, il sait la ré-
probation dont il est entouré, il est seul, il cache ses
trésors pour être heureux. Le h\hY\o-phile au contraire est
fier de sa joie; il étale son bonheur, il le raconte à qui
veut l'entendre; ses livres, c'est son orgueil, ce sont ses
titres d'honneur; il jouit... de leur possession et des élo-
ges qu'ils lui attirent.
{Bihliothéconomie.)
COTTON DESHOUSSAYES(JEAN-BAPTisTt)
Un bibliothécaire vraiment digne de ce nom doit, s'il
m'est permis de parler ainsi, avoir exploré d'avance tou-
tes les régions de l'empire des lettres, pour servir plus tard
de guide et d'indicateur fidèle à tous ceux qui veulent le
parcourir. Et, quoiqu'il n'entre nullement dans ma pensée
de mettre au dessus de toutes les sciences la science de la
bibliographie, qui n'est autre chose qu'une connoissance
exacte et raisonnée des productions de l'esprit, on me
permettra toutefois de considérer cette science comme le
principe de toutes les autres, comme leur guide, comme
celle qui doit les éclairer de son flambeau.
[Des Devoirs et des Qualités d'un Bibliothécaire.)
COUPÉ (l'Abbé J.-M.)
BiBLiOMANiE. — Passion dont l'effet ordinaire est
IÇÔ BIBLIOPHILIANA
d'égarer l'esprit, et qui n'attaque personne autant que les
gens qui en ont le moins.
{Dictionnaire des Maurs. 1773)
COURIER (Paul-Louis)
Je ne m'ennuie point; Plutarque m'est d'un grand se-
cours pour passer le temps...
J'aime à relire les livres que j'ai déjà lus nombre de
fois, et par là j'acquiers une érudition moins étendue,
mais plus solide. Je n'aurai jamais une grande connais-
sance de l'histoire, qui exige bien plus de lecture; mais
j'y gagnerai autre chose qui vaut mieux selon moi.
Je passe ici (à Naples) mes jours, ces jours longs et
brûlants, dans la bibliothèque du marquis Tacconi, à tra-
duire pour vous Xénophon, non sans peine; le texte est
gâté. Ce marquis est un homme admirable; il a tous les
livres possibles, j'entends tous ceux que vous et moi sau-
rions désirer. J'en dispose; entre nous, quand je serai
parti, je ne sais qui les lira. Lui ne lit point; je ne pense
pas qu'il en ait ouvert un de sa vie. Ainsi en usait Salomon
avec ses sept ou huit cents femmes; les aimant pour la
vue, il n'y touchait guère, sage en cela surtout; peut-être
aussi, comme Tacconi, les prêtait-il à ses amis...
(Correspondance.)
CUJAS (Jacques)
Qui libris sine répertoria nescit uti, nescit uti.
(Qui ne sait se servir de livres sans répertoire, ne sait
s'en servir.)
BIBLIOPHILIANA I97
CUVILLIER-FLEURY (Alfred-Auguste)
« Ampère, disait Prévost-Paradol en lui succédant à
l'Académie, Ampère est un lettré qui parcourt le monde,
un livre à la main. » Mais ce livre, dirai-je à mon tour,
ce n'est pas celui qu'il fait. Celui-là, sous forme de « pe-
tits papiers », dort dans sa valise, et il n'en sortira qu'à la
prochaine étape, spirituelle et vive ébauche, trop prompte
à se satisfaire elle-même et à laquelle seulement le temps
aura manqué.
(Article dans le Journal des Débats.)
DAMIRON (Jean-Philibert)
Un livre est comme un ami, qui vous parle tout bas et
en quelque sorte à l'oreille, et qui, pour peu qu'il ait
d'art, d'habileté et d'agrément, gagne d'autant mieux votre
confiance, qu'il s'insinue plus doucement et plus intime-
ment dans votre âme,.. Lire est un peu comme prier...
Pour peu que vous vous sentiez l'âme curieuse et recueil-
lie, lisez, lisez un bon livre, et ce sera un peu comme si
vous priiez; vous vous instruirez et vous vous édifierez;
vous aurez fait un acte religieux de raison.
DANIELO (Jean-Paul)
(Secrétaire de M. de Chateaubriand)
Il est vrai que M^^ de Chateaubriand n'a pas fait de
livres... Elle s'est même moquée de plus d'un, et, sachant
198 BIBLIOPHILIAN A
les juger, elle ne les estimait guère qu'au poids. A dix sous
le chef-d'œuvre pour qui en voulait !
Je connais un bouquiniste qui, dans ce commerce, a
fait, avec elle, une bonne partie de sa fortune.
C'est ainsi qu'elle dévastait, au profit des pauvres, la
bibliothèque de M. de Chateaubriand, si toutefois l'on
peut dire que M. de Chateaubriand eût une bibliothèque.
Lui-même ne faisait pas grand cas d'un livre quand il
n'en avait pas besoin. Il n'était pas de ceux qui, sans se
tuer à lire, aiment néanmoins à faire de belles collec-
tions et se plaisent au luxe distingué d'une belle biblio-
thèque...
Je ne crois pas même qu'il ait jamais eu une édition
bien complète de ses œuvres.
Quand il avait besoin d'un livre ou d'une recherche,
j'étais là pour aller aux bibliothèques publiques...
M"»" de Chateaubriand ne se montrait donc nullement
émerveillée des livres... Elle eût été bien fâchée de perdre
son temps à lire... Elle aimait beaucoup mieux le caustique
que le sublime.
Quelquefois c'étaient des livres du jour, quelquefois de
vieux bouquins qu'elle trouvait je ne sais où.
— Elle 3, me disait M. de Chateaubriand, des arse-
naux que nous ne connaissons pas et des lectures spé-
ciales.
... Son œil pénétrant avait bien vite parcouru les pages,
quand elle ne les sautait pas...
M. de Chateaubriand, si réservé, même si taciturne en
public, aimait qu'on lui tînt conversation ou qu'on lui fit
des lectures, surtout lorsque épuisé par l'âge, il ne compo-
sait plus ou presque plus...
BlULIOPHIllANA IÇÇ
Il aimait à revoir ses travaux, à relire les vieux livres,
et parfois à connaître les nouveaux, sur lesquels il me
chargeait de lui faire des rapports détaillés...
{AJ . et M""' de Chateaubriand; quelques détails sur leur
intérieur, leurs habitudes, leurs conversations.)
DECAIEU (Auguste)
... Si, entre cet inconnu que je rencontre pour la
première fois et moi, il s'établit un certain courant; si
nous usons de termes semblables- si, en un mot, ensemble
nous pouvons causer, c'est parce que lui et moi,... avant
de nous être rencontrés, avons déjà causé avec des amis
communs, je veux dire ces génies qui ont traversé le
monde en y laissant un lumineux sillon...
N'est-ce point, en effet, par la lecture de leurs œuvres
ou du récit de leurs actions, que nous entrons en com-
merce direct avec ceux de nos prédécesseurs dont le
nom a survécu à leur époque? Ne les connaissons-nous
pas quelquefois aussi bien, mieux même, que ceux qui les
ont fréquentés pendant leur vie?
Eh bienl vous qui les connaissez, vous figurez-vous
qu'il soit possible de se passer de tous ces amis? Pourriez-
vous de sang froid envisager une séparation qui vous
priverait de ce commerce, qui romprait cette intimité,
qui effacerait de votre mémoire jusqu'à leur nom?...
En somme, de toutes les manies,... avouons que c'est
encore la bibliomanie qui est la plus innocente, et la
moins coûteuse, la moins gênante aussi pour les autres.
Cette passion fait le bonheur de celui qui s"y adonne;
BIBLIOHHILIANA
chacun y trouve, à tous les instants, des satisfactions à sa
portée. En tout cas, ce ne sera pas moi qui lui jetterai la
première pierre.
{De Id Lecture.)
DECOURCELLE (Adrien)
Lecture (la) : L'ivrognerie de l'esprit. — « Qui a lu,
lira! »
Livre (un) : Une bouteille qui nous remplit — sans se
vider.
Bibliothèque : La maison de l'Esprit; — et, généra-
lement, l'esprit de la maison.
(Les Formules du docteur Grégoire.)
DELVAU (Alfred)
Les portes de la Bibliothèque Impériale roulent pesam-
ment sur leurs gonds, comme si cela les ennuyaitdedonner
accès à la petite foule qui les assiège depuis quelques
instants, — ce que M. Prudhomme appellerait les ouvriers
de la pensée, et ce que j'appelle tout simplement les rats
de bibliothèque, les rongeurs intellectuels qui se nourris-
sent des livres des autres, qui font des bouquins neufs
avec de vieux bouquins...
Le bibliophile Jacob, sorti de la bibliothèque de l'Arse-
nal depuis une heure, bouquine sur les quais, où les
elzévirs sont de plus en plus rares pourtant. N'importe!
on espère découvrir un de ces merles blancs dans ces
BIBLIOPHILIANA
petites cages des bouquinistes des quais, — où chantent
si piteusement tant de rossignols. Et la preuve, c'est que
tous les jours, de quatre à cinq heures, les mêmes biblio-
philes, — Jacob ou non, — interrogent soigneusement
les mêmes boîtes, qui répondent si mal à leurs recherches.
On ne trouve rien, mais on a fureté, remué de vieux pa-
piers : on est heureux et on dîne avec plus d'appétit! Le
bouquinage est l'absinthe des savants, — une absinthe qui
n'abrutit pas comme l'autre,
{Les Heures parisiennes.)
DENINA (Charles)
... Dans cette grande disette de livres, quiconque pou-
vait recueillir quelques passages épars sur quelque matière,
devenait d'abord un écrivain célèbre... et, comme la ra-
reté des livres en rendait jaloux ceux qui les possédaient,
quoique la plupart ne les connussent ni ne les entendis-
sent, à peine permettaient-ils à quelques personnes d'en
aller lire chez eux et d'en transcrire quelques passages;
et, dans la crainte qu'on ne les leur enlevât, ils les te-
naient attachés dans leurs bibliothèques par de petites
chaînes.
{Tableau des Révolutions de la Littérature ancienne
et moderne.)
DESCARTES (René)
J'ai été nourri aux lettres dès mon enfance, et, pour ce
qu'on me persuadait que par leur moyen on pouvait ac
26
BIBLIOPHILIAN A
quérir une connaissance claire et assurée de tout ce qui
est utile à la vie, j'avais un extrême désir de les appren-
dre... Ne m'étant pas contenté des sciences qu'on nous
enseignait, j'avais parcouru tous les livres traitant de celles
qu'on estime les plus curieuses et les plus rares...
Je savais que la gentillesse des fables réveille l'esprit;
que les actions mémorables des histoires le relèvent, et
qu'étant lues avec discrétion elles aident à former le juge-
ment; que la lecture de tous les bons livres est comme
une conversation étudiée en laquelle ils ne nous décou-
vrent que les meilleures de leurs pensées...
Mais je croyais avoir déjà donné assez de temps aux
langues, et même aussi à la lecture des livres anciens...
C'est pourquoi, sitôt que l'âge me permit de sortir de
la sujétion de mes précepteurs, je quittai entièrement l'é-
tude des lettres, me résolvant de ne chercher plus d'autre
science que celle qui se pourrait trouver en moi-même,
ou bien dans le grand livre du monde...
Mais, après que j'eus employé quelques années à étu-
dier ainsi dans le livre du monde,... je pris un jour réso-
lution d'étudier aussi en moi-même;... ce qui me réussit
beaucoup mieux, ce me semble, que si je ne me fusse
jamais éloigné ni de mon pays ni de mes livres.
DESCHANEL (Emile)
Quelle volupté délicate pour l'esprit, de pouvoir dis-
poser en maître de ce que le monde littéraire a jamais
produit d'idées et de formes! On attrape, en courant, un
psaume de David, un sonnet de Pétrarque, une sentence
de Marc-Aurèle, une poésie de Victor Hugo, une scène
BIBLIOPHILIANA 30}
de Calidasâ, une de Shakespeare, une de Molière, une
page de Démosthènes, une de Bossuet, une de George
Sand, une de Pétrone, une de Sterne, une de Balzac. Rien
n'est charmant, rien n'est friand comme de goûter ainsi
très-vite à tant de mets différents et choisis...
Etudier dans les bibliothèques publiques, c'est vivre
à l'auberge...
... On est dégoûté d'un livre banal, comme d'une
femme banale.
On ne lit bien que dans ses livres à soi. On contracte
mariage avec eux...
Lorsqu'il ne s'agit que de meubles, trois déménagements,
dit le proverbe, valent un incendie; lorsqu'il s'agit de li-
vres, deux déménagements équivalent à tous les incendies
du monde.
{A bâtons rompus.)
DESCURET (J.-B.-F.)
Gardons-nous de confondre avec les bibiiomanes ces
hommes, doués d'esprit et de goût, qui n'ont des livres
que pour s'instruire, que pour se délasser, et qu'on a dé-
corés du nom de bibliophiles... Le bibliophile devient sou-
vent bibliomane quand son esprit décroît, ou quand sa
fortune augmente... Le bibliophile possède des livres, et
le bibliomane en est possédé.
Parmi toutes les manies de collections, celle des livres
m'a paru tout à la fois la plus répandue, la plus sédui-
sante, et la plus lentement ruineuse...
Si un bon livre est un bon ami, un mauvais livre est un
J04 BIBLIOPHILI ANA
ennemi d'autant plus dangereux que ses armes sont plus
brillantes, mieux polies.
{La Médecine des Passions.)
DES GUERROIS (Charles)
Combien de livres on lit pour dire qu'on les a lus!...
La clarté, dans les ouvrages de l'esprit, réjouit l'intel-
ligence comme la lumière du soleil réjouit les yeux au
printemps...
Les lettres sont les remèdes aux ennuis de la vie. Aux
maux profonds les énergiques remèdes; aux grands en-
nuis les plus grandes consolations. Si vous ne pouvez
prendre le remède qu'à petites doses, prenez-le concen-
tré. Il y a plus de consolation dans un sonnet de Words-
worth lu entre deux visites importunes, que dans un traité
de Cicéron...
{Pensées de l'Art et de la Vie.)
DIBDIN (Thomas-Frognall)
... Rien ne l'arrête, rien ne le refroidit (sir Heber).
Dans la chasse qu'il donne aux livres curieux et rares,
doué d'une force de corps et d'esprit que bien peu de
personnes possèdent, stimulé par les nombreux objets qui
s'offrent sans cesse à lui, il paraît ne pas s'apercevoir
des vicissiiudes des saisons, et il reste dans la même in-
différence à l'égard des révolutions politiques. Les glaces
de la Sibérie, le souffle étouffant du sirocco ne l'arrête-
raient pas un instant lorsqu'il s'agit de conquérir un
volume.
niBLIOPHlLIANA 30$
DIOGENE
Avoir des livres sans les lire, c'est avoir des fruits en
peinture.
DORDRECHT (Ville de)
Sur le plat de certains livres imprimés à Dordrecht
(Hollande), au XVII^ siècle, on voit cette singulière
devise :
Une Minerve, entourée de pieux (symbolisant les di-
gues), et, autour, la légende :
Virgo Dordracena, libros non libéras pariens.
(La Vierge de Dordrecht enfantant des livres et non
des enfants).
DROZ (J.)
Les bons ouvrages sont ceux qui ressemblent à de
bonnes actions.
DRURY (William)
Pontificum videas penetralibm eruta lapsis
Antiquas monachum vellera passa mantis,
Et veteres puncto sine divisore papyros
Quaque frémit monstris littera picta suis.
AEtatis decimte spectes industria quinta :
Jo6 BIBLIOPHILIANA
Quam pulchra archetypos imprimat arte duces
Aldinas ades ineunt et limina Junta,
Quosque suos Stephanus vellet habere Lares.
(Voyez ces parchemins sauvés de la ruine des palais
détruits des Grands de l'Église, et portant la trace des
mains caduques des moines; ces manuscrits sur papier,
sans ponctuation, sans alinéas, avec leurs lettres peintes
toutes frémissantes des monstres qui les entourent ! con-
templez les merveilles du XV® siècle : avec quelle perfec-
tion sortent des presses ces incunables célèbres! c'est
l'oeuvre des Aides, des Juntes, pompeux établissements
qui font l'envie d'Estienne.)
(Vers placés au-dessus de la porte de sa Bibliothèque, et
traduits de l'anglais en latin par son fils.)
DUCLOS (Charles-Pinot)
Les comédies et les romans déposent des mœurs du
temps, sans que les auteurs en aient eu le dessein...
L'amour des lettres rend assez insensible à la cupidité
et à l'ambition, console de beaucoup de privations, et
souvent empêche de les connaître ou de les sentir. Avec
de telles dispositions, les gens d'esprit doivent, tout ba-
lancé, être encore meilleurs que les autres hommes...
DUGAST, De Bois-Saint-Just
Il est une passion très-raisonnable quand elle n'est pas
portée jusqu'à un excès ridicule : c'est celle de la biblio-
BIBLIOPHILIANA iO^
manie d'un homme instruit qui se compose une collection
de livres choisis, non pour attirer les regards des curieux,
mais pour s'assurer une récréation aussi utile qu'a-
gréable....
{Piiris, Versailles et les Provinces au XV IW siècle.)
DUMAS (J.)
Il ne faut pas tout lire; il faut choisir. Celui qui veut
être entouré d'amis vrais, ne doit pas trop ouvrir son
coeur ni bâtir sa maison trop grande. Pour lire utilement,
il faut se borner. Lisez tout, vous pourrez devenir un
érudit; si vous voulez devenir un homme, lisez bien.
DUPERIER (SciPioN)
Messieurs, si de l'artifice des hommes il en peut sortir
quelque ouvrage qui, par son excellence, mérite une in-
violable liberté, c'est aux Livres que cette faveur est due;
car, puisque ce sont eux qui nous mènent à l'intelligence
des Arts; puisque c'est par leur entremise que les Muses
se communiquent à nous, comment pouvons-nous les
rendre tributaires, que nous ne rendions en même temps
serviles et méchaniques les Arts libéraux, à qui l'exemp-
tion de toute servitude a donné le nom de libéraux > La
Liberté est la nourriture des Arts.
{Discours.)
DUTUIT (Eugène)
Le bibliophile n'est pas un homme qui se contente
d'acheter; c'est un homme qui discerne, qui choisit. Un
ao8 BIBLIOPHILIANA
livre n'est pas seulement un bijou précieux; c'est un ami
dont il recherche la conversation, qu'il consulte au be-
soin, qu'il quitte avec regret et reprend avec un nouveau
plaisir. Il l'aime orné d'une parure brillante. Si le hasard
lui fait mettre la main sur un volume encore digne de ce
nom, mais déshérité d'avantages extérieurs, sur un grand
seigneur déchu, il se hâte de le tirer de sa position pré-
caire... Le bibliophile est un chasseur infatigable, tou-
jours à la piste d'un objet rare. Pour s'en emparer, il ne
craint ni les obstacles, ni les périls.
{Discours à l'Académie de Rouen.)
EMERSON (Ralph-Waldo)
Nos livres sont faux parce qu'ils sont fragmentaires;
leurs sentences sont des boiis tnots, et non des parties
d'un discours naturel -, ils expriment d'une manière en-
fantine la surprise ou le plaisir trouvé dans la nature, ou,
ce qui est pire, ils doivent une courte notoriété à une
certaine impertinence ou aversion à l'égard de l'ordre
naturel, qui se traduit par une curiosité ou une bizarrerie
en désharmonie préméditée avec la nature et destinée à
exciter la surprise, comme les jongleurs y arrivent en
cachant leurs secrets...
Chaque livre fournit à son époque une bonne parole...
{Les Représentants de l'Humanité.)
ERASME (Didier)
.... Regardez ces visages blafards, ils ont pâli sur la
philosophie, au milieu d'études profondes et ardues ; tout
HIBLIOPHILI ANA 309
jeunes encore, ils sont déjà vieux • le travail, une tension in-
cessante du cerveau, a desséché chez eux la sève de la vie...
... En fait d'érudition, ils se contentent de peu; ils
sont amplement satisfaits s'ils rencontrent dans quelque
manuscrit vermoulu le nom de la mère d'Anchise, s'ils y
découvrent un mot étrange ou inconnu du vulgaire.
... Ils sont encore bien de la même farine, ces écri-
vassiers qui comptent arriver à l'immortalité en faisant des
livres. Quant à ces savants qui ne destinent leurs ouvra-
ges qu'à un petit nombre d'érudits et redoutent l'œil per-
çant de la critique, je les trouve beaucoup plus à plaindre
qu'à admirer.
Parlez-moi de l'auteur qui écrit sous mon inspiration.
Pour celui-là, vous le voyez jeter sans méditations sur le
papier tout ce qui lui vient au bout de la plume, voire
même ses rêves... Personne n'entend mieux ses intérêts
que ceux qui publient sous leur nom les ouvrages d'au-
trui-j en copiant sans peine, ils s'approprient une gloire
qui a coûté d'immenses travaux à d'autres. Ce n'est pas
qu'ils ignorent que leur plagiat se découvrira un jour ; en
attendant, ils en bénéficient.
{Éloge de la Folie.)
FAUCHET (Le président Claude)
11 n'y a point de mauvais autheur qui ne puisse quelque-
fois servir, au moins pour le tesmoignage de son époque.
FÉE (A.-L.-A.)
Les Livres sont des amis, a-t-on dit, et personne plus
que moi n'est disposé à les qualifier ainsi ; j'ajouterai
BIBLIOPHILIANA'
même que, parmi ces amis, il en est vers lesquels on se
sent attiré par des sympathies si nombreuses qu'on serait
tenté de voir en eux des parents dignes de tout notre respect
et de tout notre amour.
Une bibliothèque qui les réunit tous devient une sorte
d'assemblée de famille, à laquelle on peut demander des
conseils ou des consolations. Ecoutez-les parler, les uns
avec enjouement, les autres avec gravité : tous vous
diront, en bons termes, ce qu'il faudrait que vous fissiez
pour être sage et heureux. Us vous instruisent en vous
récréant, et, sans se lasser jamais, répandent sur vous
des trésors inappréciables de douce morale et de saine
philosophie ; ceux même qui ne peuvent vous convaincre
font entendre à votre oreille des sons harmonieux, dont
les combinaisons savantes vous émeuvent comme le ferait
une musique délicieuse.
Ainsi rassemblés, ces auteurs forment une société
choisie, composée des gens que vous aimez le mieux.
Discrets et spirituels, ils parlent quand on le désire, se
taisent quand on le veut; jamais incommodes, et toujours
complaisants. Plusieurs d'entre eux se sont fait connaître
à vous dès votre entrée dans la vie; les autres seulement
à la maturité de l'âge, ou même dans la vieillesse. Ceux-ci
vous ont laissé passer sur la terre sans rien perdre de leur
éternelle jeunesse; ceux-là vous permettent de deviner que
letempsa marché pour eux, comme il a marché pour vous.
{Voyage autour de ma Bibliothèque.)
LA FIZELIÈRE (Albert de)
Avoir des livres! Là n'est point la grande affaire. Il est
facile d'en remplir des armoires,., et des greniers. Il suf-
BIBIIOPHILIANA
fit, pour cela, de posséder beaucoup d'argent, un peu
de patience et un bon libraire.... Mais aimer les livres,
c'est autre chose.
Aimer les livres, entrer avec eux en commerce fami-
lier, les connaître, les consulter avec discernement :
c'est tout un art; c'est presque une profession. Flairer
avec l'instinct du limier — sous le veau crasseux ou le
parchemin recroquevillé — le parfum d'esprit ou de
raison, de science ou de bon sens dont ces pages du
vieux temps sont imprégnées; tomber juste sur celui qui
doit nous instruire, nous intéresser ou seulement nous
plaire; trouver, sans se tromper d'un feuillet, l'endroit
précis de ce bouquin méprisé du passant, où gît la leçon
qu'on cherche, la consolation qu'on attend, le fait qui
éclaire ou le mot qui éclate : ohl ceci est la pierre de
touche de l'amour des livres...
A qui sait aimer les livres, peu de livres suffisent. Le
secret est de savoir s'en servir et d'en extraire les trésors
infinis et sans cesse renaissants que le génie et la science
y ont fait entrer.
{Jules Janin et sa Bibliothèque.)
FONTAINE (Charles)
... Mais à la vérité, de vos beaux livres, qui en vou-
dra voir, se faut depescher d'en achetter (comme disoit
Rabelais, que tu ne daignes nommer expressément, sinon
par le nom d'Aristophane) car après la première impres-
sion, ne s'en fera plus.
{Quintil Censeur.)
BIBLIOPHILIANA
FONTAINE, DE RESBECQ
Pour être sage et profiter, un bibliophile ne doit pos-
séder que ce qui sera éternellement beau et vraiment
grand, par la pensée comme par l'expression.
{Promenades sur les quais de Paris.)
FOURNIER (J.-F.)
Plus un Livre est rare, plus il est sujet à varier dans
son prix: il dépend, à cet égard, du caprice des ama-
teurs, de sa condition, de sa conservation et de mille
autres circonstances, que les gourmets seuls savent ap-
précier, si on peut se servir de cette expression... Les
Livres qu'on rencontre souvent ont une valeur courante
et déterminée, dont ils ne s'écartent guère que lorsqu'ils
commencent à devenir rares; mais les objets qu'on ne
trouve presque jamais, n'ont d'autre valeur que celle que
le besoin ou le caprice peuvent y attacher : aussi les
voit-on quelquefois doubler et tripler d'une vente à
l'autre.
{Dictionnaire portatif de Bibliographie.)
FRANKLIN (Benjamin)
Dès mon enfance j'étais passionné pour la lecture, et
l'employais à acheter des livres tout l'argent qui me ve-
nait dans les mains. J'étais fou de voyages. Ma première
acquisition fut les OEtivres de Btinyan en petits volumes sé-
parés. Je les revendis ensuite pour acheter les Collections
BIBIIOPHILIANA 31]
historiques de Eurton. C'étaient de petits livres à fort bon
marché, formant en tout quarante volumes. La petite
bibliothèque de mon père était presque toute composée
d'ouvrages de polémique religieuse. Je les lus presque
tous. J'ai souvent regretté qu'à une époque où j'étais
dévoré d'une telle soif de m'instruire, il ne me fût pas
tombé sous la main des livres mieux appropriés à mes
goûts, puisqu'il était décidé que je ne serais pas théolo-
gien. Parmi ceux qui me charmèrent le plus étaient les
Vies de Plutarque.
Cette passion livresque détermina enfin mon père à
faire de moi un imprimeur...
[Mcmcires. Traduction E. Laboulaye. )
ÈTITcATHE VE FT^o^J^KLl^
Ecrite par lui-même, en 1728 :
LE CORPS
DE
BENJAMIN FRANKLIN,
IMPR IMEUR,
— TEL QUE LA COUVERTURE d'uN VIEUX LIVRE,
dépouillé de ses feuilles,
de son titre et de sa dorure, —
gît ici, pature pour les vers.
Mais l'oeuvre elle-même ne sera pas perdue;
ELLE REPARAÎTRA, c'eST LA FOI DE FrANKLIN,
dans une nouvelle
et plus belle édition,
revue et co rrigée
PAR
l'auteur.
314 BIBLIOPHILI ANA
GAILLON (Le Marquis Isidore de)
... 11 faut disputer des goûts, car il y en a de bons et
de mauvais, de délicats et de grossiers : il y a, par exem-
ple, le goût des livres qui doit être mis hors de pair, et
avoir la primauté sur tous les autres ; car il est le plus
beau, le plus noble... il n'y a rien au-dessus de l'amour
des livres.
... Quel goût touche de plus près à l'esprit que celui
des livres, des livres qui sont l'esprit de l'humanité, vivant
et se perpétuant de siècle en siècle, des livres qui nous
rendent l'élite des écrivains, des penseurs, et ce qu'il y a
de meilleur dans cette élite, les génies à leurs bons mo-
ments, à leurs heures favorables, à l'instant où le dieu les
visite?...
Si les livres sont des amis, ils sont aussi des maîtres,
maîtres que l'on n'écoute pas toujours...
Que l'ambition le taquine (le bibliophile)... il a recours
à ses moralistes ; il les met à tous les jours, comme M^^ de
Sévigné faisoit son cher Nicole qui lui étoit bon pour
tout, même contre la pluie...
... O science des livres 1 ta beauté est tout intérieure,
ainsi que le Psalmiste l'a dit de celle de la fille du roi.
Tu es en effet la fille du roi, la fille de l'esprit ; or, étant
fille du roi, tu es reine toi-même. Tu mets à notre dis-
position le monde entier; par toi nous possédons l'idéal
de ce que les autres ne réalisent qu'imparfaitement.
Qu'il me soit permis de citer, après Cicéron, cette
gloire du barreau de Rome, une des célébrités de notre
barreau français, le vieux Pasquier. Après des jours d'ab-
BIBLIOPHILIANA JI5
sence ou de distraction ailleurs, lui aussi il se réconcilie
avec ses livres ; c'est l'expression qu'il emploie, et je croi-
rais volontiers qu'il n'a pas besoin de l'emprunter à Cicé-
ron, tant elle est juste et naturelle.
Hélas ! quelque noble, quelque digne d'estime que soit
l'amour des livres, cet amour a le sort de tautes les cho-
ses humaines, et est compris dans les vanités que Salomon
a vues sous le soleil. Ces trésors que nous amassons avec
un soin si curieux et si amoureux, ces livres que nous
épousons, il faudra les quitter. Linquenda tellus et domiis et
uxor; comme dit Horace; uxor, c'est-à-dire notre biblio-
thèque !...
{Petit Discours à la louange des Bibliophiles.)
GALITZIN (Le prince Augustin)
... Pour nous autres bibliophiles obstinés, plus retentit
à nos oreilles le marteau des démolisseurs, plus nous de-
vons nous appliquer à défendre contre lui nos vieux
livres. Leur amour est une dernière barrière à opposer à
cette malfaisante passion pour le neuf à tout prix qui
irritait déjà Milton au point qu'il prétendait qu'il vaut
presque autant tuer un homme qu'un bon livre (Areopa-
getica). Celui qui tue un homme, remarque le poète, tue
une créature raisonnable, image de Dieu; mais celui qui
détruit un bon livre détruit, pour ainsi dire, la raison
elle-même, tue l'image de Dieu dans l'œil où elle habite.
Beaucoup d'hommes vivent, fardeaux inutiles de la terre;
mais un bon livre est le précieux sang vital d'un esprit
supérieur, embaumé et religieusement conservé comme
un trésor pour une vie au-delà de sa vie...
{Etude sur la Bibliothèque Impériale de Saint-Pétersbourg.)
2l6 BIBLIOPHILIANA
GAUTIER (Théophile)
Moi, pour mon compte, et je prétends vous convertir
à mon système, je ne lis que les préfaces et les tables, les
dictionnaires et les catalogues. C'efl une précieufe écono-
mie de temps et de fatigue ; tout est là, les mots et les
idées. La préface, c'est le germe j la table, c'est le fruit;
je saute comme inutiles tous les feuillets intermédiaires.
Qu'y verrais-)e> Des phrases et des formes; que m'importe!
Il en est des livres comme des femmes : les uns ont des
préfaces, les autres n'en ont pas; les unes se rendent
tout de suite, les autres font une longue résistance; mais
tout finit toujours de même... par la fin...
La préface, c'est la pudeur du livre... c'est la jeune
fille qui reste longtemps à dénouer sa ceinture...
Je vous le proteste ici, afin que vous le sachiez, je
hais de tout mon cœur ce qui ressemble, de près ou de
loin, à un livre : je ne conçois pas à quoi cela sert.
Les gros Plutarque in-folio, témoin celui de Chrysale,
ont une utilité évidente : ils servent à mettre en presse,
à défaut de rabats, puisqu'on n'en porte plus, les gra-
vures chiffonnées et qui ont pris un mauvais pli : on peut
encore les employer à exhausser les petits enfants qui ne
sont pas de taille à manger à table...
Le seul plaisir qu'un livre me procure encore, c'est le
frisson du couteau d'ivoire dans ses pages non coupées :
c'est une virginité comme une autre, et cela est toujours
agréable à prendre. Le bruit des feuilles tombant l'une
sur l'autre invite immanquablement au sommeil, et le
sommeil est, après la mort, la meilleure chose de la vie.
{Les Jeune-Fr^mce. Préface.)
BIBLIOPHILIAN A 21^
GAVET (Daniel)
Plaignons ceux qui, leurs occupations terminées, leurs
devoirs remplis, jouissant de la santé, et ayant pris de
l'exercice, n'aimeraient à continuer ou à commencer la
lecture d'un livre attrayant que l'on ne ferme qu'à regret,
lorsque la raison et le sommeil l'ordonnent. Lire!... le
doux mot 1 et la douce chose! Ajoutons que, lire un ou-
vrage, c'est en lire plusieurs autres, en deviner plusieurs
autres, c'est en faire quelques-uns, en refaire quelques
autres...
Un bon esprit tirera bon parti d'un mauvais livre,
quelque mauvais qu'on se l'imagine...
A lire beaucoup, combien l'on apprend, combien peu
l'on sait!.,.
{Mes Pages intimes.)
GELLERT (Christian)
... Continue, mon fils, de suivre ces règles, et tu ne
te trouveras pas dans le cas de tant de gens qui n'ont lu
un si grand nombre de livres, que pour se nourrir la
mémoire ou la vanité; mais tu liras pour enrichir égale-
ment ton esprit et ton cœur...
Je te destine par an une certaine somme pour des
livres. Tu seras le maître de les choisir à ta fantaisie...
Ne t'en rapporte pas sans examen aux jugements des
journalistes... Je compte te laisser cinq à six ans à l'Uni-
versité. Pendant ce temps-là tu ne dois point te proposer
a8
2ïS BIBLIOPHILIANA
de lire tout, mais seulement ce qu'il y a de meilleur et de
plus essentiel.
{Lettres choisies de M, Gellert, traduction Huber.)
GÉNIN (François)
... Mais lorsqu'on se fut mis à exhumer les œuvres du
moyen-âge, à les déchiffrer, à les lire et relire avec in-
tention et sympathie, un nouveau jour se leva ; on dé-
couvrit alors, et cela ne remonte pas bien haut, on
découvrit ce fait singulier qu'on n'aurait jamais soup-
çonné, que l'histoire du français moderne était le fran-
çais ancien, et subsidiairement que l'ancien français
vivait encore aujourd'hui dans la bouche et dans le patois
des provinces.
{Récréations philologiques. Préface.)
GEOFFROY
Chanoine de Sainte-Barbe-en-Auge, en J170
Claustrum shie armario, quasi castrum sine armamentario.
Une abbaye sans bibliothèque est comme un château
sans arsenal.
GIRARDIN (M'"^ Emile de)
(Delphine Gay)
Une femme élégante et riche, une femme d'esprit,
attend patiemment deux mois pour lire un roman de
George Sand, et l'idée ne lui vient pas de l'acheter; et
BIBLIOPHILIANA 2l()
dans son élégante demeure vous trouverez toutes les
splendeurs imaginables... Cependant il est une justice à
rendre à nos jeunes élégantes : elles n'ont point de
livres, c'est vrai, mais elles ont de superbes bibliothèques...
Au fond des plus petites armoires, sur les étagères, pas
un livre non plus! Là où l'on voyait jadis les vers d'André
Chénier, les poésies de lord Byron, de Lamartine, de
Victor Hugo, de M""^ Valmore, de M"® Tastu, vous trou-
vez des bergers en flacon, des chiens de porcelaine, des
magots chinois... Mais à quoi bon des livres? O progrès!
Que voulez-vous? les jeunes femmes ne lisent plus!...
Vous nous reprochez de couvrir nos étagères et les
rayons de nos bibliothèques de vases chinois...; mais
admirez les belles fleurs que renferment ces vases... J'ai
peut-être très-mauvais goût, mais j'aime mieux le parfum
des fleurs que celui des livres. — Je n'exige pas, Ma-
dame, que vos salons se changent en bibliothèques, je
crois qu'on peut aimer à la fois les livres et les fleurs;
mais.,, j'aurai l'honneur de vous dire franchement que je
ne vois pas encore assez de fleurs dans votre salon, où
je ne vois pas un seul livre.
(Le V' de Launay. Lettres Parisiennes.)
GIRAULT DE SAINT-FARGE AU (Eusèbe)
Les livres ont pour objet principal de perpétuer et
d'étendre les connaissances, de nous initier aux principes
des sciences, des arts, de la morale, de la philoso-
phie, etc. Ils sont les dépositaires des lois, de la mé-
moire, des inventions, des découvertes, des usages, des
mœurs, des coutumes, des produits du génie, etc., etc.
BIBLIOPHILIANA
Ce sont des conseillers désintéressés, toujours prêts à
nous éclairer; ils servent à l'instruction de la jeunesse,
suppléent au défaut des maîtres, et souvent au défaut du
génie et de l'invention.
(Histoire littéraire française et étrangère.)
GOETHE (J. WoLFGANG de)
Quoi qu'on puisse objecter contre les collections qui
donnent par fragments les spécimens des auteurs, elles
produisent cependant de fort bons effets. Nous n'avons
pas toujours la conception assez ouverte et assez vive
pour nous assimiler chaque œuvre selon sa valeur. Les
jeunes gens surtout, dont le jugement n'est pas encore
mûr, éprouvent aux passages brillants un généreux en-
thousiasme. Les endroits pleins d'originalité, les grands
sentiments, les descriptions frappantes, les traits humo-
ristiques, tout saisit d'une manière distincte et décisive.
GOUDAR (Ange)
11 est plus facile d'entendre les livres que d'entendre
les hommes...
Si l'on ôtoit des meilleurs auteurs modernes les pensées,
les réflexions qui appartiennent aux anciens, on verroit
tout d'un coup disparaître des millions de livres, et la plu-
part des gros in-folio réduits à de très-petits volumes...
Ce n'est point être plagiaire que de se servir d'une
pensée d'un ancien ou d'un moderne, pourvu qu'on la
produise dans un nouveau jour.
{"Pensées diverses ou Réflexions sur différents sujets,
d ins le genre de. M. de la Bruyère.)
BIBLIOPHILIANA
GRiJN (Alphonse)
Une lecture sans ordre et sans méditation ne profite
pas plus qu'un repas mal digéré...
Par une étrange contradiction, les écoles primaires se
sont étendues successivement sur tout le territoire ; on
s'efforce d'apprendre à lire à tout le monde: puis, quand
on a préparé l'instrument, on le laisse sans emploi; on a
provoqué le goût de la lecture, et on ne lui donne pas
d'aliments; on a fait des lecteurs, et on ne leur a point
préparé de livres!...
Apprendre, c'est un devoir : Dieu nous a donné une
intelligence à développer, comme un corps à conserver,
comme une volonté à exercer. Mais apprendre pour
soi seul, est-ce satisfaire à la voix d'en-haut> Celui-là
aura-t-il rempli la loi de la vie qui aura thésaurisé une
immense science, et qui mourra emportant dans la tombe
tout son savoir? Non; les avares de la science ne valent
pas mieux que ceux de la richesse...
Voyez cet homme qui pâlit sur ses livres ; il passe des
journées, il consume des nuits à l'étude; il débrouille
l'obscurité des vieux siècles ; il pénètre, par la pensée,
dans les secrets de la création; il comprend l'ordre des
sociétés; il lit dans les astres; il résume et s'explique
toutes les philosophies. Mais, toutes ces choses, il ne les
écrit sur aucun papier, il ne les dit à aucune intelli-
gence, il ne les sait que pour lui. Beaucoup de gens
l'admirent; on devrait le flétrir... c'est un grand cou-
pable.
{Pensées des divers Ages de la vie.)
BIBLIOPHILIANA
GRUYER (L.-A.)
Ceux qui n'ont lu que certains livres, fort éloquents
du reste, mais remplis d'erreurs et d'extravagances, ne
savent rien, s'ils n'ont pas, en y réfléchissant mûrement,
cherché par eux-mêmes à démêler le vrai d'avec le faux.
GUÉRIN (Eugénie de)
... L'esprit vivra comme il pourra, je ne sais de quoi
le nourrir; point de livres de mon goût. Encore cepen-
dant faut-il quelque chose \ je ne puis me passer de lire,
de fournir quelque chose à ce qui pense et vit..
Je vais lire et prendre un calme apparent... Je vais
lire: que lirai-jeî Le choix des livres, malaisé comme
celui des hommes : peu de vrais et d'aimables...
Dans tout livre il y a quelque chose de bon; c'est une
poudre d'or semée partout...
J'ai assez de mes robes de Paris, tandis que l'àme n'a
jamais trop de vêture. J'aimerais des livres, quelque
chose où je m'envelopperais la pensée toute transie au
froid de ce monde...
{Journcil et lettres.)
DE GUERIE (Jean-Marie-Nicolas)
Qui n'aime à trouver dans les livres des conseillers
utiles, toujours prêts à nous instruire; des amis complai-
sans, toujours prêts à nous plaire; des maîtres dont la
sévérité même n'est pas sans indulgence, et que leurs
BIBLIOPHILI ANA
disciples peuvent visiter sans crainte, écouter sans rougir
et quitter sans humeur ?Trop souvent bannie des cercles et
des cours, la sincérité trouve un asile dans une page écrite
avec une sage liberté, et les vérités que la flatterie cache aux
monarques, se sont réfugiées dans les livres. La mémoire
y puise ses richesses, et l'esprit son aliment. C'est là que
le génie rencontre l'étincelle où se rallument ses flammes
assoupies; là qu'une âme généreuse, quand la sagesse
peut-être n'est ailleurs qu'un fantôme, peut embrasser du
moins dans le portrait d'un grand homme, l'auguste image
de la vertu. L'univers est gouverné par les livres. Inter-
prètes des dogmes religieux, ils instruisent la terre à
révérer son Auteur ; dépositaires des lois, ils assurent
par elles le repos des familles-, les nations leur doivent
la plus belle moitié de leur bonheur et de leur gloire.
GUIBERT, DE NOGENT
Abbé de Sainte-Marie de Nogent-sous-Couci
... Tandis qu'ils se resserrent dans une étroite pau-
vreté, ils ont amassé une riche bibliothèque; car moins
ils possèdent de ce pain qui n'est que matériel, plus ils
travaillent pour acquérir cette autre nourriture qui ne
périt point, mais vit éternellement.
{En parlant des Chartreux de Grenoble.)
GUYARD (Auguste)
... Un livre est une lampe allumée dans les profondes
et noires cavernes du sentiment, qui les fait tout à coup
aa4 BIBLIOPHILIANA
resplendir d'une multitude de formes, latentes jusqu'a-
lors, et dont on n'avait qu'une conscience vague.
... Le lecteur attentif et compétent d'un livre fait tou-
jours, mentalement, le long de sa lecture, un livre plus
complet, sinon meilleur, que celui qu'il lit.
(Quintessences.)
HALL (Joseph)
Quel monde d'esprit est ici rassemblé ! Je ne saurais
dire ce que cette vue m'inspire le plus, de l'épouvante
ou du plaisir. Cela m'épouvante de songer qu'il y a ici
tant de livres que je ne puis connaître; cela me réjouit
de penser que cette variété d'auteurs me fournit tant de
secours pour connaître ce dont j'ai besoin.
Dieu a donné à l'homme une âme affairée, dont l'agi-
tation ne peut découvrir beaucoup de vérités cachées
qu'à travers le temps et l'expérience. Supprimer les livres
ne serait autre chose qu'une injure à l'humanité, dont
les âmes, comme autant de flambeaux, s'allument les unes
aux autres. Quel bonheur de pouvoir évoquer, sans le
secours de la nécromancie, les anciens savants de mé-
rite, et de pouvoir m'entretenir avec eux de tous mes
doutes!
Béni soit Dieu, qui a allumé tant de lampes brillantes
dans son Église !
Et maintenant nul, à moins d'être aveugle, ne peut
plaider la cause des ténèbres. Bénie soit donc aussi la
mémoire de ces fidèles serviteurs de Dieu, qui ont laissé
leur esprit, leur vie, dans ces précieux papiers, et qui se
BIBLIOPHILIANA 33$
sont volontiers consumés eux-mêmes dans ces monuments
durables, pour donner la lumière aux autres hommes !
HALL (Le Rév. Robert)
L'homme pauvre, qui sait lire et qui possède le goût
de la lecture, trouve chez lui à se divertir, sans être
tenté de se rendre pour cela aux cabarets... L'homme
qui a acquis le goût des livres, deviendra, selon toute
vraisemblance, un penseur; et, quand vous avez donné
à un pauvre l'habitude de penser, vous lui avez plus
donné que si vous lui aviez fait cadeau d'une somme
d'argent. Vous l'avez mis en possession du principe même
de toute prospérité légitime.
HEINSIUS (Daniel)
Je ne suis pas plutôt entré dans cette bibliothèque,
que je ferme la porte sur moi et que je bannis de cette
manière la concupiscence, l'ambition, l'ivrognerie, la
paresse et tous les vices dont l'oisiveté, mère de l'igno-
rance et de la mélancolie, est la source: je siège au sein
même de l'éternité, parmi ces hommes divins, avec tant
d'orgueil, avec tant de satisfaction, que je prends en pitié
tous les grands et tous les riches qui sont étrangers à
cette félicité.
HENRI IV
(A la Reine) ... 'Vive Dieu! Vous ne m'auriés rien
sçeu mander qui me fust plus agréable que la nouvelle
29
236 BIBLIOPHILIANA
du plaisir de lectures qui vous a prins. Plutarque me sou-
rit tousjours d'une fresche nouveauté; l'aimer, c'est m'ai-
mer, car il a esté l'instituteur de mon bas aage. Ma bonne
mère, à qui je doibs tout, et qui avoit une affection si
grande de veiller à mes bons déportemens et ne vouloir
pas, ce disoit-elle, voir en son fils un illustre ignorant,
me mit ce livre entre les mains, encore que je ne feusse
à peine plus un enfant de mamelle. Il m'a esté comme ma
conscience et m'a dicté à l'oreille beaucoup de bonnes
honestetez, et maximes excellentes pour ma conduite et
le gouvernement des affaires...
{Correspondance.)
HÉRAULT, DE SÉCHELLES (Marie-Jean)
Un livre et un homme, même médiocres, sont utiles
à un méditatif. Ce sont des prétextes pour penser. De
plus, la bêtise rafraîchit l'homme échauffé par le génie
ou l'esprit...
L'utilité des livres dépend tellement du choix qu'on en
peut faire, que tel érudit, plein de mots et de sciences
étrangères, en sait moins à trente ans qu'il n'en eût ap-
pris s'il se fût contenté de parcourir le monde, ses cinq
sens ouverts aux impressions...
Mais ce n'est pas assez de savoir choisir les livres; il
faut encore en déterminer la quantité, se bien placer,
profiter de ses momens, faire naître les dispositions, ra-
lentir ou accélérer alternativement le mouvement de sa
pensée, jouer tour à tour le rôle actif et le rôle passif,
enfin savoir se passer de livres...
On ne peut pas dire qu'on a lu un auteur, à moins
BIBLIOPHILIANA
qu'on ne se rappelle ses principales idées, son plan et
son but...
Une preuve qu'il faut fixer sa vue sur un livre pour
avoir droit de dire : je l'ai lu, c'est que de deux ou trois
mille volumes qu'un lettré mobile peut avoir lus, il ne lui
reste guères plus qu'à un marquis français des pages sur
lesquelles il a glissé en chaise de poste...
Avec ces précautions, on trouvera dans les livres autre
chose que des noms- d'êtres inconnus... Enfin, si nous
savons lire, nous apprendrons, par un bon livre, ce que
notre tempérament, notre situation, et la distance des
lieux nous eût toujours empêché de savoir.
(Théorie de l'Ambition.)
HORACE (Q^ Flaccus)
O campagne, quand te reverrai-je? Quand me sera-t-il
permis, tantôt par les livres des anciens, tantôt par le
sommeil et les heures paresseuses, de goijter l'agréable
oubli d'une vie inquiète?...
(Odes. Traduction de Leconte de Lisle.)
HOSPITAL (Michel de l)
Je veux toutefois que ma femme et fille gardent ma
Librairie, afin que personne n'en puisse rien sous-
traire, et qu'ils la donnent au dit Michel, quand il sera
en âge, sous condition qu'elle sera ouverte pour la
commodité de ceux de la famille, ensemble les domesti-
ques et autres qui fréquentent la maison.
aaS BIBLIOPHILIAN A
... Et laisse et lègue par testament toute ma Librairie et
Bibliothèque à Michel Hurault de L'Hospital, qui me sem-
ble plus idoine et plus affectionné aux bonnes lettres que
les autres petits.
{Extrait de son Testament.)
... à la campagne, aussi bien qu'à la ville, ma maison
est pourvue de livres, mes plus fidèles amis. Quand je
veux, après mes récréations, m'adonner aux choses sé-
rieuses, je consulte Platon et les philosophes qu'il a ins-
pirés... Ai-je besoin d'études moins sévères? A mes or-
dres apparaissent les poètes et leurs divines inspirations.
Ils sont si nombreux et si variés dans les enivrements
qu'ils procurent à l'esprit du sage, qu'il me semble diffi-
cile de chercher ailleurs la vraie satisfaction...
{Epitre à Guy du Faur. Traduction de Bandy de Nalèclie.)
HUET (Daniel)
Évêque d'Avranches
Néanmoins, mon but principal était d'acheter des livres...
J'accourus donc bien vite à Paris, et plus vite encore
chez les libraires. Mais l'argent que j'avais destiné à m'ap-
provisionner dans leurs boutiques fut bientôt épuisé...
Tout l'argent que j'avais pu ramasser, en le dérobant à
mes autres plaisirs, les libraires de la rue Saint-Jacques
me l'enlevaient jusqu'au dernier sou. D'où il advint que,
durant toute cette époque de ma jeunesse, mon escar-
celle presque toujours vide ne logeait que des araignées.
Au contraire, ma bibliothèque était si bien remplie,
BIBIIOPHILIANA a2<)
qu'elle n'avait pas son égale dans tout le pays, ni pour le
choix, ni pour le nombre des livres. Ce choix consistait
dans les écrivains de l'antiquité, qu'avant tout j'avais voulu
posséder. D'ailleurs, je n'attachais pas la moindre impor-
tance à la reliure, qu'elle fût en parchemin ou en maro-
quin ; je laissais ce luxe aux publicains et aux banquiers.
Plus tard, quand je pus me rendre la justice de n'avoir
point amassé tant de livres par une vaine ostentation,
mais uniquement pour en faire usage, je me souciai peu
de les entretenir propres. Si je trouvais, en les lisant,
quelque chose qui valût la peine d'être noté, soit pour
la correction du texte, soit pour l'éclaircissement des
passages, je le notais à la marge. Une pensée toutefois
m'obsédait : ce travail de tant d'années, me disais-je,
cette masse de volumes rassemblés à si grands frais pour
le plaisir ou l'aliment de mon esprit, seront dispersés un
jour, ou retourneront dans les boutiques des libraires, ou
tomberont dans les mains des sots. Cette idée m'épou-
vantait, et, pour empêcher qu'elle ne se réalisât, je pris
une mesure dont il sera parlé dans la suite. (11 la légua
aux Jésuites de la Maison Professe de Paris, — ce qui ne
h sauva pas du tout de la dispersion tant redoutée.)
(Mémoires. Traduction Ch. Nisard.)
IRVING (Washington)
Les années développèrent cette tendance à la flânerie.
J'en vins à aimer avec passion les livres...
J'étais, de fait, dans la salle de lecture de la grande Bi-
bliothèque Britannique, — immense collection de volu-
a^O BIBLIOPHILIANA
mes de tous les temps et de tous les idiomes, dont beau-
coup sont maintenant oubliés, et dont la plupart sont
bien rarement lus; une de ces sources abandonnées de
vieille littérature auxquelles se rendent maints auteurs
modernes pour y puiser à pleins seaux la science d'au-
trefois, « une provision d'anglais pur sang, » dont ils puis-
sent grossir le maigre ruisseau de leur pensée...
Après tout, pensai-je, cette disposition des auteurs à la
friponnerie ne peut-elle pas leur avoir été mise au cœur
dans un sage dessein? Ne serait-ce pas le moyen employé
par la Providence pour que les semences de savoir et de
sagesse soient transmises d'âge en âge, en dépit de l'iné-
vitable déclin des ouvrages où elles se produisirent
d'abord?... Beaucoup de ces ouvrages, d'ailleurs, subis-
sent une espèce de métempsycose et renaissent sous une
forme nouvelle. Ce qui primitivement était une histoire
soporifique, revit sous la figure d'un roman ; — une
vieille légende se change en une pièce moderne; —
un traité de philosophie bien austère fournit la matière
de toute une série d'essais pleins de bruit et d'étincelles...
{Le Livre d'Esquisses. Traduction Tli. Lefebvre.)
JAMIN (dom Nicolas)
C'est peu d'avoir de bons livres; le point capital, c'est
de les bien lire...
Révoquer en doute les avantages de la lecture ne peut
être l'effet que d'une ignorance grossière, d'une brutale
stupidité, ou d'un grand orgueil, qui porterait à penser
qu'on peut se suffire à soi-même sans avoir besoin des
B IBLIOPHILIANA 3} I
lumières d'autrui. En effet, ce noble exercice est à l'es-
prit ce que l'aliment est au corps; il le nourrit, le fortifie,
en étendant ses idées et ses connaissances...
Dites-moi quels livres vous lisez ordinairement, et moi,
je vous dirai qui vous êtes...
Les bons livres de notre siècle ne sont estimables que
parce que les écrivains laborieux savent y réunir les beau-
tés éparses dans les anciens...
Retranchez, encore une fois, des livres de nos beaux
esprits tout ce dont ils sont redevables à ces premières
sources (les anciens), vous les réduirez presque à rien...
Un arrêt du Parlement, qui condamne au feu un livre
impie, est porté par les gazettes jusqu'aux extrémités du
royaume: et il fait connoître le livre, et naître l'envie de
le lire, et le téméraire écrivain devient fameux.
{Le Fruit de mes Lectures.)
JANIN (Jules)
O chefs-d'œuvre! beautés! grâces! consolations! sa-
gesse! O livres, nos amis, nos guides, nos conseils, nos
gloires, nos confesseurs! On les étudie, on les aime, on
les honore... Et, de même que les anciens posaient dans
un coin de leur chambre un petit autel paré de verveine,
et sur cet autel domestique un dieu familier, le vrai biblio-
phile ornera sa maison de ces belles choses...
Qu'il rentre en son logis, ou qu'il en sorte, il donne
un coup d'œil à ses dieux favorables. Il les reconnaît
d'un sourire; il les salue en toute reconnaissance, en
tout respect. Il s'honore aussi de ces amitiés illustres, il
s'en vante!...
2^2 Bl BLIOPHILI ANA
Les livres ont encore cela d'utile et de rare : ils nous
lient d'emblée avec les plus honnêtes gens- ils sont la
conversation des esprits les plus distingués, l'ambition des
âmes candides, le rêve ingénu des philosophes dans toutes
les parties du monde; parfois même ils donnent la re-
nommée, une renommée impérissable, à des hommes qui
seraient parfaitement inconnus sans leurs livres. Us ajoutent
même à la gloire acceptée.
{L'Amour des Livres.)
O les bords heureux et charmants, qui contiennent
tant de science! Il faut compter aussi pour une biblio-
thèque, la plus utile et la plus clémente de toutes, la
ceinture des quais, chargée de livres, de très-beaux et de
très-bons livres, déchus de leur première splendeur, qui
viennent chercher sur ces remparts un ami, un hôte, un
sauveur. On peut dire, à coup sûr, sans faire une épi-
gramme, qu'il y a plus de bel esprit, de sage philosophie
et d'aiticisme, répandus sur le parapet des quais de Paris,
que dans tout le reste de la France. Avec un peu de zèle
et de soin, très-peu d'argent surtout, vous trouverez,
dans ce Campo-Santo des vieux livres, tous les poèmes,
toute l'histoire et tout le théâtre. 11 abonde en facéties,
recherches, contes, romans, traités de toute espèce; et
des sermons tant qu'on en veut. La théologie y coudoie
l'histoire, et l'histoire, à son tour, y est débordée par les
mathématiques. Tout ce qui s'est pensé, écrit, rêvé,
parlé, discuté parmi nous, se rencontrerait du quai Vol-
taire au parapet du Pont-Neuf...
Pour ma part, je ne sais pas de plus belle et de plus
honnête oraison funèbre qu'un tout petit catalogue, ou
BIBLIOPHILIAN A 3]^
les bibliophiles à venir verront d'un coup-d'œ.il que vous
étiez un homme ingénu, courtois, modeste, ami des beau-
tés faites pour peu de gens, content d'une richesse à la
portée de votre sagesse et représentant les plus heureuses
privations...
Un livre est et doit être un honnête homme, ami des
honnêtes gens...
Accordez-nous, grands dieux, une provision suffisante
de bons livres, qui nous accompagnent dans notre vie, et
nous servent de témoignage après notre mort !
JEAN DE SALISBURY
Qui peut douter qu'il ne faille lire les poètes, les his-
toriens, les orateurs et les mathématiciens, puisque, sans
cette lecture, on ne peut devenir lettré > Car ceux qui
ne sont point versés dans ces sortes d'ouvrages ne peu-
vent passer pour des gens lettrés, quoiqu'ils sachent le
latin...
Contemptor grammatices non modo litterator non est, sed
nec litteratus dici débet.
Celui qui méprise la grammaire non-seulement n'est
pas un lettré, mais ne doit pas même passer pour savoir
lire.
(Voir Vubhé Lebeuf.)
Saint JÉRÔME
Homme faible et misérable, je jeûnais avant de lire
Cicéron. Après plusieurs nuits passées dans les veilles,
3°
334 BIBLIOPHILIANA
après des larmes abondantes que m'arrachait le souvenir
de mes fautes, je prenais Platon. Lorsque ensuite, reve-
nant à moi, je m'attachais à lire les prophètes, leur dis-
cours me semblait rude et négligé. Aveugle que j'étais,
j'accusais la lumière!...
{Voir Villemain.)
... Que votre lecture soit modérée; ce n'est pas la
lassitude, mais la prudence, qui doit vous la faire inter-
rompre. Une lecture trop prolongée est repréhensible;
car ce qui est bon de soi-même cesse de l'être et devient
sujet au blâme, si on le porte au-delà des bornes.
JOLY (Le p. Joseph-Romain)
A l'égard des bons livres, il faut en user comme des
bons repas, oij l'on doit manger sobrement, si l'on a en-
vie que les aliments profitent. Scaliger nous apprend que
François Junius et Théodore Marsile sont parvenus tous
deux au même but, qui est l'ignorance : le premier, en
lisant tous les livres; et l'autre en ne lisant rien.
{Dictionnaire de Morale.)
JOUBERT (J.)
Hélas! ce sont les livres qui nous donnent nos plus
grands plaisirs, et les hommes qui nous causent nos plus
grandes douleurs. Quelquefois même les pensées con-
solent des choses, et les livres consolent des hommes...
11 n'est rien de plus beau qu'un beau livre...
BIBLIOPHILIANA 255
Ecrire un livre ou écrire un ouvrage sont deux choses.
On fait un ouvrage avec l'art, et un livre avec de l'encre
et du papier...
Les très bons écrivains écrivent peu, parce qu'il leur
faut beaucoup de temps pour réduire en beauté leur
abondance ou leur richesse... Heureux est l'écrivain qui
peut faire un beau petit livre!...
... Le grand inconvénient des livres nouveaux : ils nous
empêchent de lire les anciens...
Il est des livres où l'on respire un air exquis.
Il faut qu'un livre rappelle son lecteur, comme on dit
que le bon vin rappelle son buveur.
{Lettres et Pensées.)
JULIEN (l'Empereur)
Alii quidetn equos amant, alii aves, alii feras ; m'ihi vero a
puerulo mirandum acquirendi et possidendi libros insedit
desiderium.
Les uns aiment les chevaux; d'autres les oiseaux;
quelques-uns la chasse aux bêtes féroces; quant à moi,
dès ma plus tendre enfance , une étonnante passion
d'acquérir et de posséder des livres m'a dominé.
{Sur les frontons des deux grandes Bibliothèques, qu'il
fonda à Constantinople et à Antioche.)
KEMPIS (Thomas a)
La bibliothèque est le vrai trésor d'un monastère; sans
elle, il est comme une cuisine sans casseroles, une table
sans mets, un puits sans eau, une rivière sans poissons,
33^ BIBLIOPHIll ANA
un manteau sans vêtements, un jardin sans fleurs, une
bourse sans argent, une vigne sans raisins, une tour sans
gardes, une maison sans meubles. Et, de même qu'on
conserve soigneusement un bijou dans une cassette bien
fermée, à l'abri de la poussière et de la rouille, de même
la bibliothèque, suprême richesse du couvent, doit être
attentivement défendue contre l'humidité, les rats et les
vers.
LABAR (Louis)
... Par cette simple et excellente raison, l'auteur qui
s'est acheté cher reste un bon auteur. Un livre bien payé
est une chose sacrée : qui y touche est un monstre...
Il n'y a que le premier pas qui coûte : ton premier né
bien vendu, la fortune de ses cadets est faite; l'amateur
de papier imprimé ne laissera point ton premier ouvrage
solitaire dans ses rayons- et tous, autant que tu voudras
bien en faire, descendront à grands frais dans sa biblio-
thèque ..
{Satires et Elégies.)
LABOULAYE (Edouard)
Quand on veut dresser le tableau de la civilisation,
on peut mesurer le rang d'un peuple au nombre de livres
qu'il consomme...
Un livre est une voix qu'on entend, une voix qui vous
parle : c'est la pensée vivante d'une personne séparée
de nous par l'espace ou le temps; c'est une âme. Les
livres réunis dans une bibliothèque, si nous les voyions
avec les yeux de l'esprit, représenteraient pour nous les
BIBLIOPHILIANA
337
grandes intelligences de tous les pays et de tous les siè-
cles, qui sont là pour nous parler, nous instruire et
nous consoler...
Les livres ne sont pas seulement une richesse commune.
Le livre, ou plutôt lame conservée dans le livre, est une
société constante dans la bonne comme dans la mauvaise
fortune...
Le meilleur moyen de communiquer avec les hommes,
ce sont les livres, parce que les livres nous ont conservé
l'expérience des temps passés...
Où trouver des consolations?... Où donc trouver des
amis véritables? Dans les livres. Là sont des gens qui ont
souffert et qui ont raconté ce qu'ils ont souffert; des
amis qui ont vécu souvent plusieurs siècles avant nous,
mais qui nous consolent parce qu'ils viennent mêler leur
douleur à la nôtre; ils pleurent avec nous...
De toutes les folies qui peuvent mener un honnête
homme à Charenton et même ailleurs, la plus innocente,
à mon gré, c'est la manie des livres. Paris est rempli de
graves personnages qui sont entichés de ce vice incu-
rable; toujours prêts à condamner les erreurs d'autrui
pour glorifier leur propre faiblesse, et d'autant plus ma-
lades qu"ils se croient plus sensés... Ne soyons cependant
pas cruels pour ces amateurs qui accueillent ce qu'em-
porte le temps, et qui nous gardent ainsi les reliques du
passé; en faveur des services qu'ils nous rendent, par-
donnons-leur une innocente manie...
C'est notre grand avantage, à nous, que d'avoir un
passé; nous vivons, nous pensons avec l'expérience de
3 ou 4000 ans accumulés, et cela grâce aux livres...
{Discours populaires.)
338 BIBLIOPHILIANA
LA BRUYÈRE (Jean de)
Je vais trouver cet homme, qui me reçoit dans une
maison où, dès l'escalier, je tombe en faiblesse d'une
odeur de maroquin noir dont ses livres sont tous cou-
verts. Il a beau me crier aux oreilles, pour me ranimer,
qu'ils sont dorés sur tranche, ornés de filets d'or, et de
la bonne édition, me nommer les meilleurs l'un après
l'autre, dire que sa galerie est remplie, à quelques en-
droits près, qui sont peints de manière qu'on les prend
pour de vrais livres arrangés sur des tablettes, et que l'œil
s'y trompe; ajouter qu'il ne lit jamais, qu'il ne met pas le
pied dans cette galerie, qu'il y viendra pour me faire
plaisir: je le remercie de sa complaisance, et ne veux,
non plus que lui, visiter sa tannerie, qu'il appelle
bibliothèque...
Si les pensées, les livres et les auteurs dépendaient des
riches et de ceux qui ont fait une belle fortune, quelle
proscription! il n'y aurait plus de rappel. Quel ton, quel
ascendant ne prennent-ils pas sur les savants!
{Les Caractères. — De U Mode.)
LACORDAIRE (J.-Baptiste-Henri)
A part le besoin de recherches dans un but utile, il ne
faut lire que les chefs-d'œuvre des grands noms; nous
n'avons pas de temps pour le reste.
BIBLIOPHILIANA flJÇ
LACROIX (Paul)
Bibliophile Jacob
... Le livre, cette expression vivante et durable de la
pensée humaine...
Salut, vieux livres, quels que vous soyez, vous qui
tapissez les parapets de la Seine, depuis la Grève jusqu'au
Tuileries, vous qui rivalisez avec les parfums du Marché-
aux-Fleurs, vous qui changez de couleurs et de formes sous
l'influence humide des brouillards de la rivière et sous les
ardeurs du soleil de midi; vous qui passez sans cesse de
main en main avant de trouver un père adoptif; vous qui
reviendrez tôt ou tard à votre station en plein air, jusqu'à
ce que vos ruines tombent pièce à pièce dans la hotte du
chiffonnier; salut, vieux livres, mes amis, mes consolateurs,
mes plaisirs et mes espérances!
Vieux livres, vous êtes la dernière passion de l'être
intelligent : le cœur qui a cessé de battre à tous les
amours retrouve encore pour vous un battement, et le
feu sacré de la bibliomanie ne meurt qu'avec le biblio-
mane; l'âge n'a pas de glaces capables de refroidir cette
passion...
{Ma République.)
LA HARPE (Jean-François de)
C'est en lisant les anciens que l'on juge et que l'on
goûte mieux les bons modernes qui leur ressemblent;
c'est avec eux que le goût s'épure et que l'âme s'élève et
340 BIBLIOPHILIANA
se fortifie, que le sentiment de la vraie gloire et l'amour
du vrai beau s'accroissent et s'affermissent. On ne les lit
pas assez... Quel homme... n'a pas souvent à se plaindre
des injustices de ses contemporains?... Qu'il revienne
vivre avec Horace, Virgile et Cicéron ; qu'il converse
avec ces grandes âmes : la sienne retrouvera tout son
courage, et c'est avec de pareils confrères qu'il oubliera
ses ennemis.
(Suétone, Discours préliminaire.)
LAMARTINE (Alphonse de)
... Le jour, courant les forêts; le soir, lisant ce que je
trouvais sur les vieux rayons de ces bibliothèques de
famille...
Je retrouvais sur les rayons poudreux du salon la Jéru~
salem délivrée du Tasse et le Télémaqiie de Fénelon. Je les
emportais dans le jardin... Je me couchais à côté de mes
livres chéris, et je respirais en liberté les songes qui
s'exhalaient pour mon imagination de leurs pages...
Job, Homère, Virgile, le Tasse, Milton, Rousseau, etsur-
tout Ossian et Paul et Virginie; ces livres amis me parlaient
dans la solitude la langue de mon cœur; une langue
d'harmonie, d'images et de passions,- je vivais tantôt avec
l'un, tantôt avec l'autre, ne les changeant que quand je
les avais pour ainsi dire épuisés...
... Un autre livre broché, en papier de couleur, était
fermé sous son bras, entre son habit noir et son coude ;
on voyait qu'il y pensait malgré lui; son regard, distrait
BIBLIOPHILIANA 241
de ses textes grecs et latins ouverts sur le pupitre de sa
chaire, se détournait involontairement et tombait obli-
quement sur le livre pressé contre son cœur.
Nous-mêmes nous regardions avec curiosité ce livre,
dont la couverture inusitée excitait notre étonnement.
Nous avions comme le pressentiment ou comme l'attente
de quelque chose d'extraordinaire contenu dans ce mys-
térieux volume...
Il n'y a que les gens de loisir qui peuvent lire des
livres en beaucoup de volumes; ils prennent leur plaisir
en gros, comme leurs provisions chez l'épicier... « Ah!
quand viendra donc une bibliothèque des pauvres gens?
Qui est-ce qui nous fera la charité d'un livre? »
{Confidences et préface de Geneviève.)
LAMB (Charles)
J'avoue, pour ma part, qu'il est dans le cours d'une
journée vingt occasions autres que le dîner où je me
sens disposé à dire des grâces. J'en voudrais, par exem-
ple, quelque formule applicable à une excursion agréa-
ble, à une promenade au clair de la lune, à une réunion
d'amis, à un problème résolu. Pourquoi aussi ne pas dire
des grâces avant nos lectures, ces repas spirituels? des
grâces avant Milton, des grâces avant Shakespeare? un
acte de piété pour nous introduire dans le beau livre de
la Reine des Fées (de Spencer)?...
{Les Grâces avant le repas.)
3«
243 BIBLIOPHILIANA
LA MONNOYE (Bernard de)
Il seroit à souhaiter que ceux qui composent n'écri-
vissent que des singularités, et que ces singularités fussent
vraies : ce seroient des ouvrages inestimables. On a même
lieu de croire que, s'il n'y avoit dans les livres que des
choses singulières, des choses une fois dites, la vie ordi-
naire d'un homme seroit assez longue pour les lire, sinon
tous, du moins la plus grande partie,
... Un génie libre; l'amour du vrai jusque dans la
moindre bagatelle; un peu de lecture; un peu de cri-
tique; une étude particulière de la connoissance des li-
vres, et des auteurs; quelque habitude à composer en
plus d'une langue, surtout en vers : tout cela rassemblé
m'a mis en train d'entreprendre de mon chef une espèce
de Ménagiana.
{Ménagiana.)
LAPELOUZE (Valentin de) '
... C'était un très-bon homme... Il (Mercier) trouvait
incommodes les livres reliés, et lorsqu'il en achetait qu'il
n'avait pu trouver autrement, il en faisait des brochures
en les dépouillant de leurs cartons; il appelait cela leur
casser le dos. . .
^Cite par Ch. Monselet.)
LARCHEY (Lorédan)
Un mari bibliophile vaut un philosophe pour toutes les
Xantippe du monde...
BIBLtOPHILIANA 34^
Bouquin : livre ancien, livre d'occasion. Diminutif
ironique de l'allemand buch (prononcez bouc). Se prend
indifféremment en bonne et en mauvaise part...
- Le livre est éternel; il ne meurt que pour renaître sous
une autre forme, ainsi que les produits naturels au milieu
desquels nous vivons. Il suffit de quelques pages salies
pour composer le fumier qui hâtera l'éclosion du livre de
l'avenir.
Donc, sans rien exalter, ne méprisons rien; conser-
vons au bouquin le plus infime le juste bénéfice d'une
neutralité bienveillante.
{Nouveautés anecdotiques. Bibliophile français.)
LA ROCHEFOUCAULD (François VI, duc de)
Il y a des personnes qui aiment les livres comme des
meubles, plus pour parer et embellir leur maison que
pour orner et enrichir leur esprit.
(Maximes.)
LATENA (N.-V. de)
Une preuve de peu d'esprit eft de ne savoir reconnaî-
tre aucun défaut dans les grands écrivains, ni aucune
beauté dans les écrivains médiocres.
Quand un écrit nous a frappés d'abord par beaucoup
d'esprit, s'il ne perd rien à une seconde lecture, il faut
qu'il y ait autre chose que de l'esprit...
Les meilleurs livres, comme les meilleurs aliments, sont
344 BIBLIOPHtLIANA
ceux qui, sous le moindre volume, contiennent le plus
de nourriture saine et substantielle...
Semez çà et là quelques belles pensées dans un ou-
vrage futile, mais amusant, le public vous applaudira.
Faites un livre dont chaque mot soit une pensée, et cha-
que pensée, la révélation d'une vérité, quelques esprits
distingués vous goûteront, le reste jettera le livre...
On peut lire quelquefois de bons romans, quand on
veut reposer son esprit, et quand on ne peut plus avoir
le désir de les mettre en action...
[Etude de l'Homme.)
LEBER (J.-MicH. -Constant)
Le plus grand avantage de l'étude des lettres est d'a-
doucir les mœurs et de resserrer les liens qui unissent
l'homme à l'homme dans l'état de société. L'histoire de
la littérature est, en grande partie, l'histoire de la civili-
sation.
(Observations sur l'Histoire de la Langue française.)
LEBEUF (L'abbé Jean)
... La disette des livres (sous Charlemagne) fit un tort
considérable; Alcuin lui-même en était dépourvu, et ne
citait beaucoup d'auteurs que de mémoire. Dans un en-
droit il se plaint qu'il manque en France de plusieurs
livres de belles-lettres qu'il avait en Angleterre: il dit
ailleurs qu'il n'a point les ouvrages de Pline. Ici, il cher-
Bl BLIOPHILI ANA 345
che le traité de Saint Augustin; là, son exemplaire des
Lettres de Saint Grégoire-le-Grand le jette dans une mé-
prise, faute d'en avoir eu plusieurs pour voir la diffé-
rence, et reconnaître que le sien n'était pas complet.
On lisait les auteurs païens dans les écoles de l'ordre
de Cluny... On y regardait cette étude comme fort pro-
pre pour l'intelligence des livres saints; et, pour me
servir du langage de Jean de Sarisbery, ils cherchaient
l'or de la sagesse, à l'exemple de Virgile, dans la boue
d'Ennius.
Mais, quoiqu'il y eût des livres, des maîtres et des éco-
les dans le XI^ siècle, la science de ce temps-là ne pouvait
pas être fort profonde : le nombre des livres était encore
trop petit pour former de vrais savants...
Les maîtres n'étaient pas moins rares que les livres.
(De lÉTiit des Sciences sous Chjrlemagne.)
LEBLANC (L'abbé Jean-Bernard)
Plusieurs livres, après avoir fait beaucoup de bruit
dans leur naissance, tombent dans le mépris, ou du moins
dans l'oubli... Ils tirent leur principal mérite d'un jargon
différent du langage ordinaire... L'esprit de cette année
ne sera point de l'esprit l'année prochaine.
LEFEVRE-DEUMIER (Jules)
... Le passé a, pour ainsi dire, sculpté ou embaumé la
sienne (sa voix) pour nous la léguer... On parle avec ce
2^6 BIBLIOPHILIAN A
qui fut. J'aime ces morts qui causent avec leurs descen-
dants, qui les consolent et les éclairent. Les livres ne sont
pas des hommes : c'est bien mieux, ce sont des âmes.
J'aime ces ambassades vivantes des siècles expirés, qui
viennent, de leur part, coloniser nos déserts. Les biblio-
thèques sont des empires habités par des idées...
... Les livres sont des jardins où l'esprit de tous les
siècles a semé des fleurs de tous les temps et de tous les
climats; des fleurs immobiles qui nous transportent où
nous ne sommes pas, où nous voudrions être; des fleurs
qui sont presque magiciennes, qui évoquent pour l'âme
les pays qu'elles enchantent...
[Le Livre du Promeneur.)
LEVALLOIS (Jules)
Les livres me consolent des fleurs, et, à leur tour, les
fleurs me distraient, me reposent des livres. En ce der-
nier point, pourtant, j'exagère. Il y a des livres que
j'aime particulièrement à lire au printemps; il en est
d'autres qui ne me plaisent et ne me contentent qu'au
cœur de l'été. Selon les saisons, mes préférences, mes
goûts varient,..
... Après avoir feuilleté d'un doigt impatient ces sé-
ducteurs (les contemporains), qui parfois me débauchent
et me détournent de mon chemin, je me hâte de les fer-
mer, de les écarter. Un long et profond entretien avec
les sages, avec les forts, avec les maîtres, pourra seul me
rendre la sérénité, me remettre sur la trace et dans la
direction du vrai...
BIBLIOPHILIANA 247
... L'hiver... c'est le temps où l'on aborde le plus cou-
rageusement, le plus volontiers, les ouvrages de grand
format... Adieu les in-4° et vive Cazinl... le petit format
est fait pour l'été. On met son Virgile ou son La Fontaine
dans sa poche, et l'on s'en va courir les champs.
{L'Année d'un Ermite.)
LIGNE (Charles-Joseph, Prince de)
Examinez les meilleurs livres; pressez-les, distillez,
alambiquez. Il y a si peu de vérités dans le monde et si
peu de nouveautés, qu'on trouvera peut-être trois pages
véritablement intéressantes dans un volume de douze
cents. Ce n'est plus le fond qu'on examine, c'est la forme,
et de la grâce du style dépend le succès de l'ouvrage...
{Mes Ecarts ou ma Tète en liberté.)
La seule manière de lire un livre de pensées, sans s'en-
nuyer, c'est de l'ouvrir à tout hasard, et, après avoir
trouvé ainsi souvent ce qui intéresse, le fermer au bout
d'une ou de deux pages, et de méditer. Si on lit tout de
suite, on croit, comme après avoir passé en revue un
portefeuille d'estampes, qu'on n'en a vu qu'une.
{Pensées diverses.)
LOMEIER (Jean)
Si quis in bontim librum incidat, id fortuna magis quant
sapientia tribuendum.
Si l'on tombe sur un bon livre, c'est plutôt l'effet du
hasard que des connaissances.
{De Bibliothecis.)
24^ BIBLIOPHILIANA
LOPE DE VEGA CARPIO (Feliz)
... Charmé de telles matinées succédant à des jours si
sombres, je déplorais maintefois mes égarements. Je me
retirais ensuite pour écrire, ou consulter mes livres. On
m'appelait aux heures des repas, et je répondais souvent
avec humeur qu'on me laissât tranquille, tant l'étude est
puissante...
LUCAS DE PENNA
Liber est lumen cordis, spéculum corporis, virtutum magister,
vitiorum depulsor^ corona prudentium, cornes itiîieris, domesîicus
amicus, congerro jacentis, collega et consiliarius prcesidenîis,
myrothecium eloquentia, hortus plenus fructibus, pratum floribus
distinctum, memor'ns penus, vita recordationis. Vocatus, prope-
rat,jussus,festinat; semper prasto est, nunquam non morigerus;
rogatus, confestim respondet, arcana révélât, obscura illustrât,
ambigua certiorat, perplexa resolvit. Contra adversam fortu-
nam defensor, secunda moderator, opes adauget, jacturam
propulsât. . .
Le livre est la lumière du cœur, le miroir du corps;
il enseigne les vertus, chasse les vices; il est la couronne
des prudents, le compagnon de voyage, l'ami domesti-
que, la société du malade, le collègue et le conseiller de
celui qui gouverne, le vase à parfums de l'éloquence, le
jardin plein de fruits, le pré orné de fleurs, la provision
de la mémoire, la vie du souvenir. Appelé, il arrive ;
BIBLIOPHILIANA 349
commandé, il se hâte; toujours il est prêt, jamais il ne
manque de complaisance; interrogé, il répond sur-le-
champ; il révèle ses secrets, éclaire les points obscurs,
assure les douteux, résoud les perplexes. Il défend con-
tre la mauvaise fortune, modère la prospérité, augmente
les richesses, repousse la dépense...)
{Polyhistor de Morhoff, liv. I, ch. j. — Cité par Peignot )
LUCRÈCE (Titus Lucretius Carus)
La fortune des livres n'est pas toujours la même ; au-
jourd'hui dans l'honneur, demain dans le mépris.
{De Natura Rerum. Liv. IV.)
MABIRE (J.-L.)
La plupart des livres sont semblables à ces pays dé-
serts, où il faut faire trente lieues pour trouver un clocher
ou un lieu de repos.
[Dictionnaire de Maximes.)
Voir S, N***, prieur de Saint-Ton.
MAISTRE (Xavier de)
... Un bon feu, des livres, des plumes: que de res-
sources contre l'ennui ! Et quel plaisir encore d'oublier
ses livres et ses plumes pour tisonner son feu !,..
Ma bibliothèque donc est composée de romans, puis-
33
250 BIBLIOPHILI AN A
qu'il faut vous le dire, — oui, de romans et de quelques
poètes choisis...
Je ne finirais pas, si je voulais décrire la millième par-
tie des événements singuliers qui m'arrivent lorsque
je voyage près de ma bibliothèque...
(Voyage autour de ma Chambre.)
MALESHERBES (Chrétien-Guillaume
DE LaMOîGNON de)
Je suis fâché, Monsieur, de n'avoir pas de bonne ré-
ponse à vous faire ; mais tous les livres saisis à la poste
sont brûlés impitoyablement par ordre exprès du Roy,
et les vostres ont subi cette destinée...
{Lettre a Grosley, de Troyes.)
MANUEL (Don Juan)
... Beaucoup de gens n'entendent pas ce qui est abs-
trait ou difficile; ils ne peuvent donc aimer certains
livres, ni prendre goûta les lire; et, par suite, ils n'en
tirent aucune utilité.
{Le comte Lucanor. — Prologue.)
MARC-AURÈLE (Antonin)
Retirez-vous en vous-même. Pratiquez souvent cette
retraite de l'âme ; vous vous y renouvellerez. Ayez quel-
BIBLIOPHILIANA
351
que maxime qui au besoin ranime votre raison, et qui
fortifie vos principes, La retraite vous met en commerce
avec les bons auteurs. Les habiles gens n'entassent point
les connaissances, mais ils les assemblent : faites que vos
lectures coulent dans vos mœurs, et que tout le profit se
tourne en vertu.
{Pensées.)
MARTIN (L.-AiMÉ)
L'instruction ne donne pas l'intelligence, elle la meu-
ble et la développe; elle nous ajoute les idées des au-
tres, et nous grandit de tout ce qu'elle nous ajoute; elle
met en nous Socrate, Platon, Newton, Fénelon, et nous
permet de les égaler, non dans leurs vastes conceptions,
mais dans leur charité évangélique, ce qui est plus beau
et plus heureux...
On s'étonnera peut-être de la puissance que nous at-
tribuons aux livres; mais les livres sont des idées, et
c'est avec des idées que les petites et les grandes choses
se font ici-bas... Il y en a trois ou quatre qui gouvernent
le monde... Les peuples sont heureux ou malheureux
suivant la pensée écrite qui les inspire. Voilà pourquoi
l'Asie meurt sous le poids de ses chaînes; voilà pourquoi
aussi la France, l'Angleterre, l'Amérique sont libres...
L'influence des livres est universelle; c'est le grand
levier du monde moral et politique. Imaginez en effet
une force comparable à celle-ci : aux deux extrémités du
globe la même page va éveiller les mêmes pensées, sou-
lever les mêmes passions, réunir comme en un faisceau
a^a BIBLIOPHILIANA
les êtres que l'immensité sépare, et nous révéler, au
milieu de la variété des races, la fraternité des âmes,
l'unité du genre humain.
{Plan de Bibliothèque universelle. — Introduction.)
MARTONNE (Alfred de)
Quand on est jeune, on n'a nul souci de la forme du
livre; qu'il soit beau ou laid, bien ou mal relié, peu
importe. On se moque des éditions rares, des textes
curieux, des livres de prix. On ne s'occupe que de
l'idée et surtout du sentiment. On n'a cure que de ce qui
plaît au cœur, et touche et émeut. Foin de l'esprit et des
belles dorures! Il n'y a pas de bibliophile de vingt ans.
Quand on est jeune, on ne sait pas relire un livre. A
peine sait-on le lire. On le dévore, et, pour bien juger
un livre, il faut le relire et à différentes époques de sa vie.
Il y a, comme cela, des livres qui sont un thermomètre
de l'esprit ou plutôt du cœur...
(Lire er relire, ou quand on est jeune. — De la
2' édit. de Fagots et Fagots.)
MEISTER (Léonard)
La meilleure règle à suivre dans le choix de ses lectu-
res est celle qu'il convient de s'imposer de bonne heure
dans le choix de ses liaisons. Il faut toujours tâcher de
vivre avec des êtres qui nous soient supérieurs à quel-
ques égards, qui ne soient pas du moins trop au-dessous
de nous-mêmes, et puissent nous donner l'espérance de
BIBLIOPHILIANA
^53
nous rendre meilleurs ou plus aimables, et, s'il est pos-
sible, l'un et l'autre. Il faut choisir d'abord les livres qui
nous servent d'instituteurs, de guides et de maîtres; ce
n'est qu'après avoir bien profité de ceux-là que nous
pourrons nous attacher à d'autres comme à des amis, à
des amis de tous les jours et de tous les instants, parce
qu'il n'y a que ceux-là dont l'amitié nous rende vraiment
heureux.
MÉNAGE (Gilles)
Si tous les livres des anciens étaient dans le feu, il n'y
en a guères que j'en tirasse plus volontiers que Plutar-
que. Il ne m'a jamais ennuie; et quoique je le lise sou-
vent, j'y trouve toujours de nouvelles beautés...
Défendez-moi, l'on me lira. Je dis cela de la plupart des
livres, car assurément on ne les lit que parce qu'ils sont
défendus, quoiqu'ils ne vaillent quelquefois pas la peine
d'être lus.
Entre tous les livres que l'on lit, il y en a beaucoup où
l'on ne trouve presque rien de bon. En cela il faut imiter
les abeilles; elles voltigent sur toutes les fleurs, mais elles
ne tirent pas de toutes de quoi faire du miel : Apes in
omnibus quarunt, non ex omnibus carpunt.
Les livres de dévotion et ceux de galanterie s'achètent
également. La différence que j'y trouve, c'est qu'il y a
plus de gens qui lisent les livres de galanterie qu'il n'y en
a qui les achètent; et plus de gens qui achètent les livres
de dévotion, qu'il n'y en a qui les lisent.
Les livres ont toujours été la passion des honnêtes gens.
(Ménagiana.)
354 BIBLIOPHILIANA
MENIERE
II arrive un temps où l'on ne lit plus guère, on relit :
c'est l'époque de la maturité, des récapitulations; il faut
à notre esprit une nourriture plus choisie... L'on revient
avec plaisir aux anciens livres,... et ces retours vers un
passé glorieux sont le plus grand charme de la vie calme,
de la solitude du cabinet...
Un homme d'esprit a dit : Legitur ad probandum, et je
trouve qu'il a cent fois raison. Un livre ne nous intéresse
qu'en raison des arguments qu'il nous fournit à l'appui
d'une thèse adoptée.
{Etudes médicales sur les Poète: latins.)
MENTELLE (Edme)
Bibliothèques. — Il y a des hommes qui ont des
bibliothèques comme des femmes ont des magots sur la
cheminée, seulement pour la décoration de l'apparte-
ment.
{Le Portefeuille du R. P. Cillet.)
MÉRAY (Antony)
Les livres sont des vases précieux au moyen desquels
les générations se transmettent naturellement leur âme;
ce sont les témoins vivants de l'immortalité humaine;
grâce à eux, nous jouissons par avance du don d'ubi-
BIBLIOPHILIANA 3^5
quité. Le monde entier s'ouvre à l'intelligence du biblio-
phile ; il traverse à son gré les mers et les temps ; il pénètre,
sans crainte d'y être coudoyé, dans les foules de toutes
les époques, et s'y choisit librement ses guides dans le
nombre des esprits supérieurs qui lui ont légué les pré-
occupations de leurs contemporains...
Si la passion des livres est l'une des plus nobles, elle
est aussi l'une des plus vastes, et celle dont le champ se
trouve le plus merveilleusement varié...
On peut classer tout d'abord les bibliophiles en deux
grandes catégories : ceux qui jouissent de la substance
des livres, qui les traquent pour en extraire le contenu
et s'imprégner de leur esprit; et ceux qui les saisissent au
passage pour s'en faire les conservateurs, qui en con-
templent amoureusement la forme, qui les restaurent,
les revêtent de pourpre et d'or et les préservent des
profanations du vulgaire...
Un de nos plus illustres contemporains, grand ami des
livres, se plaît, en montrant sa riche bibliothèque, à dé-
clarer qu'il étudie avec plus de facilité dans un bel exem-
plaire, et qu'il choisit toujours pour cela celui dont le
papier est plus ferme au toucher et la justification typo-
graphique le plus agréable à l'œil. Nous sommes tout-à-
fait de son avis ; il sort d'un beau livre une sérénité calme,
une heureuse harmonie qui rendent attrayants les plus
graves travaux. En vérité, c'est une chose très-désirable
dans un livre que la bonne condition ; elle annonce pres-
que toujours d'ailleurs la bonne édition, dont la recherche
indique un nouveau genre de préférences plus sérieuses
que les préférences artistiques.
{Les Livres et les Bibliophiles. — Archives du Bibliophile^ tome I.)
356 BIBLIOPHILIANA
MERCIER (Louis-Sébastien)
Convaincus, par les observations les plus exactes, que
l'entendement s'embarrasse de lui-même dans mille diffi-
cultés étrangères, nous avons découvert qu'une biblio-
thèque nombreuse étoit le rendez-vous des plus grandes
extravagances et des plus folles chimères...
Presque tous les livres se font à Paris, s'ils ne s'y im-
priment pas. Tout jaillit de ce grand foyer de lumières.
• — « Mais, dira-t-on, commeiit fait-on encore des livres ? »
— « Oui, mais c'est que presque tous sont à refaire, et
ce n'est qu'en refondant les idées d'un siècle que l'on
parvient à trouver la vérité, toujours si lente à luire sur
le genre humain. »
On remarque la même proportion entre la fabrication
des livres et leur décomposition, qu'entre la vie et la
mort; consolation que j'adresse à ceux que la multitude
des livres ennuie ou chagrine...
L'exercice de la pensée appartient également à tous;
et, puisque le génie transcendant, véritablement lumi-
neux, n'est pas dans les livres, il est dans les hommes.
Méprisez les livres, et cherchez les hommes. Nous avons
beaucoup de livres, et le livre nous manque; le livre que
je conçois, et qui pourrait nous tenir lieu de tous les au-
tres ; il séparerait ce qui est, de ce qui n'est pas.
L'ignorance, même par air, érige un trophée en l'hon-
neur du savoir. Que de sots possesseurs d'une immense
bibliothèque ressemblent aux libraires qui se promènent,
tous les jours, au milieu d'une foule de livres qu'ils nont
jamais ouverts!...
BIBHOPHILIANA
257
On refond des livres comme on refond des suifs.
Voyez Panckouke; n'est-il pas un maître chandelier?....
(Tableau de Paris.)
Voir Valentin de Lapelou-^e.
MERLET (Gustave)
... A mes yeux, un livre n'a de valeur que s'il me laisse
voir non un auteur, mais une personne, et par consé-
quent un style.
... Les écarts des indépendants me déplaisent encore
moins que la routine; et, loin de décourager ceux qui
tentent des voies nouvelles, je pense que le premier de-
voir de celui qui juge les livres sera toujours d'aimer le
talent, même quand il se trompe et fait fausse route.
... Où commence, où finit la fantaisie? Les lumières de
l'instinct peuvent-elles suppléer aux leçons réfléchies de
l'expérience ? Est-ce dans les livres qu'on parvient à con-
naître le cœur humain ?
(Hommes et Livres.)
METTERNICH (Le Prince de)
Aimez l'étude, les tableaux, la musique; faites-vous,
s'il le faut, bibliomane (et collectionneur de papillons! );
mais ayez un goût quelconque, une manie pour vos vieux
jours, sans quoi vous périrez.
3J
aj8 BIBLIOPHILIANA
MICHELE! (Jules)
... Un Dieu parfois, une Cité, en dit beaucoup plus
que les livres, et, sans phrase, exprime l'âme même...
On parle trop des anciens philosophes. Leurs livres,
même en Grèce, étaient peu lus...
L'alphabet est divin. Chaque lettre est une force de
Dieu...
{La Bible de l'Humanité.)
On se figure à peine ce que c'est que la faim de la
lecture. Pendant son travail, — et le plus inconciliable de
tous avec l'étude, — parmi le roulement, le tremblement
de vingt métiers, un malheureux fileur mettait un livre
sur un coin de son métier, et lisait une ligne chaque fois
que le chariot roulait et lui laissait une seconde.
MONPONT
Les bons livres peuvent être parfois les plus légers, au
propre comme au figuré...
Si la lecture est le pain de l'intelligence, ce pain-là ne
devrait jamais être taxé que pour le garantir de toute fal-
sification.
Un mauvais orateur est toujours plus écouté qu'un bon
livre, par cette raison qu'il supplée au défaut de pensée
par des gestes et des cris.
{Poissons d',-lvril à toutes sauces.)
BIBLIOPHIIIANA ^59
MONSELET (Charles)
... Quel livre peut sembler mauvais, lorsqu'il est lu
par dessus une jolie épaule?...
... La moitié de leur réputation est assise sur le scan-
dale. Mais ce qui les grandit dans le passé est justement
ce qui les rabaisse dans l'avenir... 11 ne reste plus d'eux
que leur oeuvre... On s'aperçoit dès-lors que l'homme
tenait autant de place que le livre, et que ce qui nuit le
plus au second c'est le premier...
(Les Oubliés et les Dédaignés.)
MONTAGUE (lady Mary Worthley)
Il n'y a point de divertissement qu'on se procure à
aussi bon marché que la lecture, et il n'y a point de plaisir
plus durable.
[Lettres.)
MONTAIGNE (Michel de)
Cettuy ci (le commerce des livres) costoye tout mon
cours, et m'assiste partout; il me console en la vieillesse
et en la solitude : il me descharge du poids d'une oysifveté
ennuyeuse, et me desfaictà toute heure des compaignies
qui me faschent; il esmousse les poinctures de la douleur,
si elle n'est du tout extrême et maistresse. Pour me dis-
traire d'une imagination importune, il n'est que de recou-
a6o BIBLIOPHILIAN A
rir aux livres; ils me destournent facilement à eulx, et
me la desrobent.. C'est la meilleure munition que i'aye
trouvée à cest humain voyage...
Je ne cherche aux livres qu'à m'y donner du plaisir par
un honneste amusement: ou, si j'estudie, je n'y cherche
que la science qui traicte de la cognoissance de moy
mesme, et qui m'instruise à bien mourir et à bien vivre...
Prendre les livres n'est pas les apprendre...
Le malade n'est pas à plaindre qui a la guarison en sa
manche. En l'expérience et usage de cette sentence, qui
est très véritable, consiste tout le fruict que je tire des
livres... l'en jouis, comme les avaricieux des trésors, pour
sçavoir que j'en jouiray quand il me plaira... Ils sont à
mon côté pour me donner du plaisir à mon heure...
Chez moi, je me destourne un peu plus souvent à ma
librairie... Là je feuillette à cette heure un livre, à cette
heure un aultre, sans ordre et sans desseing, à pièces
descousues...
Les livres ont beaucoup de qualitez agréables à ceulx
qui les sçavent choisir...
{ Essais.)
MONTEIL (Amans-Alexis)
J'ai lu tous les livres qui me sont tombés sous la main. . .
... Quant aux livres d'un prix élevé, rien de plus ma-
gnifique : les planches en étaient revêtues de velours et
d'autres étoffes de soie, ou d'un beau cuir empreint des
ornements les plus exquis .. Le dedans répondait à de si
précieux enrichissements... Soit dit à la gloire de notre
siècle, jamais l'art d'écrire les livres, jamais l'art d'en
BIBLIOPHILIANA 361
peindre les miniatures, les ornements, les bordures, les
dentelles... n'a été porté à un si haut point...
Souvent, en se promenant au milieu de tous ses livres,
il disait: celui-ci vaut tant, celui-là tant, cet autre tant...
Mes amis, un homme comme moi doit bien vendre ses
livres ou les garder. Voilà, ajouta-t-il en tirant deux grands
volumes d'un étui brodé de rubis et de perles, un Saint-
Augustin qui me paiera la ferme que je viens d'acheter.
Il ne sortira pas de ma boutique à moins de i ,000 livres. ..
(Histoire des Français de divers Etats.)
MONTESQUIEU
Aimer à lire, c'est faire un échange des heures d'ennui,
que l'on doit avoir en sa vie, contre des heures déli-
cieuses...
Dans les livres, on trouve les hommes meilleurs qu'ils
ne sont : amour-propre de l'auteur, qui veut toujours
passer pour plus honnête homme en jugeant en faveur de
la vertu. Les auteurs sont des personnages de théâtre...
A quoi bon faire des livres pour cette petite terre, qui
n'est guère plus grande qu'un point?...
L'étude a été pour moi le souverain remède contre les
disgrâces de la vie, n'ayant jamais eu de chagrin qu'une
heure de lecture n'ait dissipé.
(Per.sées.)
MOURAVIT (Gustave)
L'amour des livres ! mais ce goût saurait-il naître ailleurs
que dans les grandes âmes ? N'est-il pas un heureux pri-
a6a BIBLIOPHILIANA
vilége des plus nobles natures, et, « sous un autre nom,
l'amour de la justice et de la vérité? » N'est-il pas aussi un
élément pur du bonheur présent, le maître des plus
douces vertus, la source de ces aspirations infinies vers
le vrai bien, vers les futures béatitudes, vers les ineffables
clartés de l'avenir, dont les lueurs anticipées brillent
parfois à nos yeux dans ce délicieux commerce avec le
livre?
{Le Livre.)
MUNARET (DO
La lecture des mauvais livres ne fait qu'allonger sans
fin le chemin de la science,
• {Impressions de Lecture.)
NAUDÉ SAINT-MAURICE
Nous ne cherchons dans les livres que l'esprit on le
génie que nous croyons avoir.
{Réflexions morales.)
Voyez Cice'ron.
NODIER (Charles)
... L'innocent bonheur du bibliomane, bonheur qui
repose sur des puérilités charmantes, dont il ne faut pas
se moquer. Malheur à l'homme au cœur sec qui lui dispu-
terait cette joie, surtout quand il n'en a plus d'autre!...
D'ailleurs, une manie n'est pas le signe d'une organisation
BIBLIOPHILIANA 363
vulgaire, quand elle s'attache au produit de l'intelligence
et du génie. C'est une touchante, et noble, et respectable
préoccupation des esprits distingués...
Le bibliophile est un homme doué de quelque esprit
et de quelque goût, qui prend plaisir aux œuvres du gé-
nie, de l'imagination et du sentiment. Il aime cette muette
conversation des grands esprits qui n'exige pas de frais de
réciprocité, que l'on commence où l'on veut, que l'on
quitte sans impolitesse, qu'on renoue sans se rendre im-
portun; et de l'amour de cet auteur absent, dont l'arti-
fice de l'écriture lui a rendu le langage, il est arrivé, sans
s'en apercevoir à l'amour du symbole matériel qui le re-
présente. Il aime le livre, et il se plaît à orner ce qu'il
aime...
Le bibliophile sait choisir ses livres; le bibliomane les
entasse...
Après le plaisir d'avoir des livres, le plaisir d'en parler.
Du sublime au ridicule, il n'y a qu'un pas; du biblio-
phile au bibliomane, il n'y a qu'une crise.
NOËL (Eugène)
Si vous n'avez jamais lu à la campagne, devant votre
cheminée, au milieu des bruits étranges du dehors, je
doute que vous puissiez savoir jusqu'à quel point un livre
peut s'emparer de l'âme.
S. N*** PRIEUR DE SaINT-YoN
Un bon Livre ne perd rien de son mérite pour être
calomnié par des envieux, ou négligé par des ignorans.
a64 BIBLIOPHILIANA
Il n'a pas besoin de protection ni de l'assistance des Puis-
sances de la Terre : il se protège par lui-même...
La Science est la nourriture de l'Ame, de même que
l'Aliment est ce qui fait subsister le Corps...
Il y a peu de Livres où l'on puisse mettre un nom par-
ticulier d'Auteur sans blesser la vérité, puisqu'il n'y en a
point qui soit l'ouvrage d'un seul...
Il y a des gens qui voudraient qu'un Auteur ne parlât
jamais des choses dont les autres ont parlé, autrement on
l'accuse de ne rien dire de nouveau; il vaudrait autant
qu'on l'accusât de se servir des mots anciens, car toutes
les bonnes Maximes sont dans le Monde; il ne s'agit que
de les bien appliquer.
La plupart des Livres sont semblables à ces Païs déserts
où il faut faire trente lieues pour trouver un Clocher, ou
un lieu pour se reposer.
(Pljgiairiana. — Préface. j
Voir J.-L. Mahire.
OFFROY (Victor)
Chacun a son livre de prédilection: le mien, c'est la
nature. Je l'aime parce qu'il est simple et vrai, et, quand
je veux écrire, c'est chez lui que je prends mes sujets...
Penser, lire, écrire, c'est vivre avec soi-même, c'est
exercer son esprit, épancher son cœur, et créer avec son
âme. Ovide, chez les Sarmates, charmait son exil par les
lettres. « Donnez-nous une plume, un livre, disaient Silvio
Pellico et Andryane sous les plombs de Venise, et nous
vous pardonnons nos fers. »
Un bon livre est un ami de tous les temps, de tous les
BIBLIOPHILIANA 26^
lieux; il nous récrée, nous instruit, nous console; il nous
accompagne dans la solitude, dans nos voyages, dans nos
veilles; il nous conseille, adoucit nos maux, éclaire notre
raison, mûrit notre intelligence, et nous rend meilleur en
nous rendant plus sage.
Mais ce bon livre est rare dans notre époque...
(Mes derniers Loisirs, et Préface des Vieux
PéchéSf par Al. Toupet.)
OMAR
Brûlez toutes les bibliothèques, car ce livre (le Koran)
renferme tout ce qu'elles ont de précieux.
OVIDE (Publics Ovidius Naso)
... Toi, tu m'apportes la consolation; tu es la quiétude
dans mes soucis, le remède à mes maux...
Tels livres ne plaisent qu'après la mort des auteurs;
l'Envie a coutume de mordre et de blesser les vivants.
OXENSTIERN (axel, comte de)
11 en est de certains savans comme d'un bel et bon
livre, mais chargé de tant de poussière qu'on a de la
répugnance à l'ouvrir, de peur de se salir les mains.
(Pensées.)
PANDOLFINI (Ange)
... A ces dépenses non nécessaires, mais qui ne se font
pas sans quelques raisons, on peut encore ajouter les dé-
Î4
a66 BIBLIOPHILIANA
penses consacrées à des plaisirs et à des délassements de
bonne compagnie, sans lesquels, toutefois, on peut vivre
bien et honnêtement, comme à posséder de bons livres,
de nobles coursiers et de riches tapisseries.
[Truite du Gouvernement de la Famille.)
PASCAL (Blaise)
Les meilleurs livres sont ceux que chaque lecteur
croit qu'il aurait pu faire ; la nature, qui seule est
bonne, est toute familière et commune... Je hais les
mots d'enflure.
PASQUIER (ESTIHNNE)
... De sorte qu'étant maintenant réduit en ma cham-
bre, voici l'économie que j'y garde. J'ai d'un côté mes
livres, ma plume et mes pensées; d'un autre, un bon feu,
tel que pouvait souhaiter Martial, quand, entre les félicités
humaines il y mettait ces deux mots : focus perennis. Ainsi
me dorlotant de corps et d'esprit, je fais de mon étude
une étuve, et de mon étuve une étude; et en l'un et
l'autre sujet je donne ordre qu'il n'y ait aucune fumée:
au demeurant, étude de telle façon composée, que je ne
m'asservis aux livres, ains les livres à moi. Non que je les
lise de propos délibéré pour les contredire; mais tout
ainsi que l'abeille sautelle d'une fleur à autre, pour pren-
dre sa petite pâture dont elle forme son miel, aussi lis-je
ores l'un, ores un autre auteur, comme l'envie m'en
prend, sans me lasser, ou opiniâtrement harasser en la
BIBLIOPHILI ANA 367
lecture d'un seul : car autrement ce ne serait plus étude,
ains servitude pénible. Ainsi mûrissant par eux mes con-
ceptions, tantôt assis, tantôt debout, ou me promenant,
leurs auteurs me donnent souvent des avis auxquels ja-
mais ils ne pensèrent, dont j'enrichis mes papiers...
(Lettre â Achille de Harlay.)
' Voir le Marquis de Gaillon.
PATIN (Guy)
V. C. R. passe toute sa vie à ce qu'on appelle vulgai-
rement bouquiner, c'est-à-dire à chercher de vieux livres.
11 est habile dans la connaissance des meilleures Editions;
il vous marque parfaitement bien la différence qu'il y a
des unes aux autres; il n'en ignore point le prix. Sa
science s'étend jusqu'à la généalogie des Livres. « Un tel
Autheur, dit-il, relié en maroquin, lavé et réglé, et à
double tranche-fii, vient de M***, qui l'avait acheté tant;
je l'ai eu de sa défroque pour la moitié. » On vient d'im-
primer un ancien Historien avec des Nottes et des Com-
mentaires très-curieux et très-instructifs. V. C. R. n'en
veut point; il ne demande que l'ancienne édition, quoi-
qu'il sache bien qu'il n'y trouvera point les augmentations
que porte la nouvelle. V. C. R. est-il sçavant> Non ; il
est seulement Brocanteur.
[Lettres.)
PEIGNOT (Gabriel)
Cette dénomination (de bibliophile) convient à toute
personne qui aime les livres... La vraie philosophie, gui-
a68 BIBLIOPHILI ANA
dée par le goût, doit toujours déterminer le choix du
bibliophile dans ses acquisitions. Entasser les livres sans
discernement n'est pas prouver qu'on les aime. Ce n'est
donc pas celui qui a le plus de livres, mais celui qui
possède les meilleurs, qui mérite le titre de bibliophile...
11 nous semble que le titre de bibliophile ne doit appar-
tenir qu'à celui qui aime les livres comme on doit les
aimer, et non à celui qui a la manie de vouloir tout en-
vahir, ou dont la passion s'égare dans des recherches
d'ouvrages, rares à la vérité, mais la plupart du temps
inutiles, et qu'un simple caprice fait parfois centupler de
valeur.
{Dictionnaire raisonné de Bibliologie.)
PELLICO (SiLvio)
... Puis je me pris à revoir les antiques pages que j'eus
pour douces amies dans mes veilles.
Et souvent sur des livres poudreux je vais posant ma
main tremblante, et je les ouvre, et il me semble retour-
ner aux jours studieux de ma jeunesse, et les larmes cou-
lent 1 Et je trouve les marques que dans mes livres j'ai
posées, là où avec mon esprit je m'attachais profondé-
ment, là où sur les hautes pensées d'un auteur aimé je
faisais un commentaire de vérité ou d'erreur.
Cependant c'est avec un esprit différent que je vous
revois, ô livres tant aimés de mes premiers jours! Je suis
poète; mais éteint est en moi le désir de me prosterner,
idolâtre, devant les Homères. Si en feuilletant leurs écrits
je soupire encore, ce n'est plus par la magie de leurs
BIBLIOPHILIANA ^69
grands pensers : plus d'un livre m'est cher, et pourtant
en lui rarement c'est lui que je cherche ; je m'y cherche
moi-même.
(^Les Passions, poésie. Traduction F. F.)
Voir Victor Offroy.
PETIT-SENN (J.)
A l'auteur, qui fait aimer ses livres je préfère celui qui
s'y fait aimer.
Il est des souvenirs préférés qui s'offrent d'abord à
notre mémoire; ainsi nos livres favoris s'ouvrent d'eux-
mêmes aux pages bien-aimées.
Un sot mis avec luxe est un mauvais livre doré sur
tranche.
Il est des écrivains profonds à la manière des puits : au
fond de tous deux il n'y a que de l'eau claire.
Ne nous étonnons point de la prospérité des méchants
et des malheurs du juste, car la vie est un livre où les
errata sont après la fin.
{Bluettes et Boutades.)
PÉTRARQUE (François)
On me croit trop solitaire à Vaucluse, parce qu'on
ignore mes ressources. On m'y croit sans amis ; j'en ai
pourtant, et gens de tous les pays, de tous les siècles,
distingués à la guerre, dans la magistrature et dans les
lettres, aisés à vivre, toujours à mes ordres. Je les fais
venir quand je veux*, je les renvoie de même: ils n'ont
jamais d'humeur, et répondent à toutes mes questions.
270 Bl BLIOPHILIAN A
Les uns font passer en revue devant moi tous les évé-
nements des siècles passés; d'autres me dévoilent les
secrets de la nature \ ceux-ci m'apprennent à bien vivre
et à bien mourir; ceux-là chassent l'ennui par leur gaîté,
et m'amusent par leurs saillies. Il y en a qui disposent
mon âme à tout souffrir, à ne rien désirer, et me font
connaître à moi-même : en un mot, ils m'ouvrent la
porte de tous les arts et de toutes les sciences ; je les
trouve dans tous mes besoins.
Pour prix de si grands services, ils ne me demandent
qu'une chambre bien fermée, dans un coin de ma petite
maison, où ils soient à l'abri de leurs ennemis. Enfin, je
les mène avec moi dans les champs, dont le silence leur
convient mieux que le tumulte des cités...
{lettre /K.— Trad. de M. Paccard.)
Il est vray qu'on voit de certaines gens qyi croyant
sçavoir tout ce qui est écrit dans les Volumes qu'ils gar-
dent à la maison. Et, lorsqu'on tombe sur quelque dis-
cours qui a esté traité par quelque grand homme : « J'ai,
« disent-ils, ce livre dans mon étude, » croyant que cela
suffit...
Mais il faut prendre une autre route que tu ne fais
pour tirer quelque gloire de tes Livres ; c'est de les bien
connoistre, et non pas seulement de les avoir. Il faut les
commettre à ta mémoire plutost qu'à ta Bibliothèque, et
les renfermer dans ta teste, et non pas dans un Armoire.
{Des Livres et des Bibliothèques. Entretien xxxvii. —
Trad, de M. de Grenaille.)
Fgregios cumulare libros, prxclara supellex;
Ast unum uîilius volvere sape librum.
BIBLIOPHILIANA 271
PIEDAGNEL (Alexandre)
... Quoi de meilleur, en effet, qu'un bon livre pour la
nourriture et la joie de l'esprit? En le lisant, aux heures
de fatigue morale, on se sent réconforté, on oublie ses
déceptions, ses ennuis; le calme bienfaisant peu à peu
renaît au fond de l'âme, l'œil s'éclaire, le front se dé-
ride, et le sourire alors refleurit sur les lèvres. Aimons-
les donc, ces compagnons fidèles, ces amis « froids et
sûrs, » selon l'expression de l'auteur des Contemplations.
Oui, sans doute, froids au premier abord; mais, dès que
les yeux charmés ont retrouvé les pages préférées,
comme ils s'animent, ces chers hôtes du foyer, comme ils
parlent, comme ils réchauffent l'esprit, un instant engourdi
par la prose de la vie, sèche, glaciale, envahissante!...
Nous sommes à la merci du morose hiver!... et main-
tenant, n'est-il pas vrai ? durant les longues veillées, en
face des tisons rougis qui craquent et pétillent, oublieux
des soucis du jour, on se plaît à relire un vrai livre, tout
en écoutant la chanson de la bouilloire ou celle du gril-
lon familier.
{Une Résurrection littéraire. — Etude sur
Vauquelin de la Fresnaye.)
PIERQUIN, DE GEMBLOUX
Un livre est criminel lorsqu'il agite au lieu de calmer.
Méfiez-vous des livres faits par des jeunes gens, et re-
cherchez avidement ceux des vieillards. Votre esprit y
gagnera autant que votre cœur.
37^ BIBLIOPHILIANA
Un livre de pensées est un parterre où l'esprit ne
cueille que les fleurs qui lui conviennent.
Il est bien rare qu'un mauvais livre n'ait point un mé-
rite quelconque pour un homme instruit.
Il n'y a que les sots qui ne rencontrent que de mauvais
livres.
Pour bien parler, lisez ceux qui écrivent bien.
Il y a une foule de gens qui connaissent beaucoup de
livres, et n'en savent pas un.
(Pensées et Maximes.)
PIERRE-LE-VÉNÉRABLE
Abbé de Cluny
... Appelle donc à son aide (de la méditation) une
pieuse lecture. Ranimé par cette lecture, ferme le livre,
et médite ce que tu viens de lire : c'est un puissant se-
cours...
Prends une plume... grave sur des pages les lettres
divines, et sème sur le papier la parole de Dieu. Quand
la moisson sera mûre, je veux dire le livre achevé, que
les fruits multipliés de la saine nourriture nourrissent les
lecteurs...
Tout ce que la lecture de tes livres abaissera d'orgueil,
vaincra de luxure, apaisera de colère, calmera d'avarice,
amènera de repentir ou de conversion, sera autant de
moissons célestes amassées par tes soins...
{Lettre à un Religieux.)
BIBLIOPHILIANA ^73
PIRMEZ (Octave)
La pensée, c'est la vie; la page d'un livre doit être
vivante comme la prairie.
Les livres qui nous paraissent les plus froids sont sou-
vent les plus passionnés.
Un amer sourire contracte les lèvres de l'envieux qui
ouvre un livre nouveau.
{Feuille'es.)
PIXERÉCOURT (GuiLBERT de)
Un livre est un ami qui ne change jamais.
{Inscrit d Ventrée de sa Bibliothèque :)
Tel est le triste sort de tout livre prêté :
Souvent il est perdu, toujours il est gâté.
PLINE L'ANCIEN
Muîtum legendum est, non multa.,.
In bibliothecis loquuntur defunctorum immortales anima.
Nullum lihrum tam malum esse, qui non aliquâ ex parte
prosit.
(Il faut lire souvent, mais pas beaucoup de livres...
Dans les bibliothèques parlent des morts les âmes im-
mortelles.
Il n'y a aucun livre si mauvais qu'il soit, dans lequel il
n'y ait quelque chose de bon).
35
374 BIBLIOPHILI ANA
PLINE LE JEUNE
11 faut choisir les meilleurs livres dans chaque genre,
et s'attacher à lire beaucoup de choses...
Mecum tantum et cum libellis loquor. O rectam, sinceram-
que vitam ! O dulce otium, honestamque omni negotio pul-
chrius I
(Je m'entretiens seulement avec moi et avec mes livres.
O vie raisonnable et pure! O doux loisir, et honnête, et
quasi meilleur que toute occupation ! )
{Lettres.)
PLUTARQUE
Les livres sont les organes et les instruments de la
science. C'est par le moyen des livres que les lois se
sont conservées; c'est dans les livres que les grands ca-
pitaines se sont formés, que les philosophes ont appris
la sagesse, enfin que nous apprenons nos devoirs et les
règles d'une bonne conduite...
Ne lire de sages écrits que pour en admirer le style,
c'est ne s'attacher qu'à la couleur et à l'odeur des plantes
salutaires, et en négliger, en méconnaître les vertus.
PONTGIBAUD (Le Comte de)
La lecture, qui fait l'ornement de notre esprit, nuit
quelquefois à son originalité.
L'étude a pour effet d'élargir indéfiniment les horizons
de notre existence.
BIBLIOPHILIANA 375
Par elle, nous vivons : dans le passé, d'une manière
plus intéressante encore que dans le présent ; dans l'ave-
nir, par la conjecture et par la pondération lumineuse
des choses révélées; dans la hauteur et dans les profon-
deurs, par une pénétration infiniment subtile...
La conversation la plus commode est celle qu'on tient
avec un livre : — dès qu'il vous fait bailler, on le ferme
et tout est dit.
Quel est l'ami, si familier qu'il soit, qu'on puisse con-
gédier aussi à point?
{Chemin faisant.)
POSTEL (Uabbé V.)
11 n'est point de lieu dans l'univers où les livres soient
honorés comme à Rome, où l'on rencontre autant de
magasins de librairie, de papeterie, de gravures, de bou-
quins de toutes sortes. Des ventes de bibliothèques ma-
gnifiques sont journellement affichées sur les murs de
chaque quartier, et les acheteurs se trouvent.
PRÉVOST-PARADOL (LuciEN-ANAToit)
Salut, lettres chéries, douces et puissantes consola-
trices! Depuis que notre race a commencé à balbutier
ce qu'elle sent et ce qu'elle pense, vous avez comblé le
monde de vos bienfaits; mais le plus grand de tous,
c'est la paix que vous pouvez répandre dans nos âmes.
Vous êtes comme ces sources limpides, cachées à deux
pas du chemin, sous de frais ombrages ; celui qui vous
ignore continue à marcher d'un pas rapide, ou tombe
376 BIBLIOPHILIAN A
épuisé sur la route ; celui qui vous connaît accourt à
vous, rafraîchit son front et rajeunit en vous son cœur.
Vous êtes éternellement belles, éternellement pures,
clémentes à qui vous revient, fidèles à qui vous aime.
Vous nous donnez le repos, et si nous savons vous ado-
rer avec une âme reconnaissante et un esprit intelligent,
vous y ajouterez par surcroît quelque gloire. Qu'il se
lève d'entre les morts et qu'il vous accuse, celui que
vous avez trompé l
(Essais de Politique et de Littérature. — Étude sur Lucrèce.)
Voir Cuvillier-Fleury.
Le lieutenant-colonel Staaf, dans sa Littérature française,
donne à ce morceau le titre de : Invocation aux Lettres.
RABELAIS (François)
... Tant y ha que, en leage ou je suys, j'ay esté con-
trainct d'apprendre les lettres Grecques, lesquelles je
n'avoys contemnées comme Caton, mais je n'avoys eu
loisir de comprendre en mon jeune eage. Et voulentiers
me délecte à lire les Moraulx de Plutarche, les beaulx
Dialogues de Platon, les Monumens de Pausanias, et
Anticquitez de Atheneus, attendant l'heure que il plaira
a Dieu mon créateur m'appeler, et commender yssir de
ceste terre...
(Voir Charles Fontaine.)
RAIBERTI
Les professeurs de rhétorique sont payés pour faire
composer par leurs écoliers des philippiques et des élé-
BIBLIOPHtLIANA 377
gies contre le prétendu vandalisme d'Omar; quanta moi,
je recommande l'exemple de ce grand homme à toutes les
personnes de sens...
Les bibliothèques m'inspirent une tristesse mêlée de
terreur : elles me font l'effet de vastes nécropoles où
dorment entassés les plus insignes fous de l'univers; plus
elles sont grandes, plus mon cœur se serre et se sent
pris de compassion pour les malheureux possédés de la
monomanie de tout savoir. Pauvres bêtes sans queue !
Etudiez, lisez, lisez; faites comme la grenouille qui veut
devenir un bœuf; après avoir usé vos yeux et votre
santé à déchiffrer la vingtième partie des volumes ras-
semblés dans cette salle grande comme une église, vous
vous apercevrez que vous êtes devenus tout au plus de
vieux ânons.
RANTZAU (Henry)
Gentilhomme danois , fondateur de la grande Bibliothèque
de Copenhague.
Salvete, aureoli mei libelli^
Mea delicice, mei lepores !
Oîtam vos sœpè oculis juvat videre.
Et tritos manibus tenere nostris l
Tôt vos eximii, tôt eruditi,
Prisci lumina sxculi et recentis,
Confecere viri, suasque vobis
Ausi credere lucubrationes ,
Et sperare decus perenne scriptis;
Seque hac irrita spes fefellit illos.
a;^ BIBLIOPHILIANA
(Je vous salue, ô livres miens enrichis d'or, mes déli-
ces, mes charmes! combien souvent j'ai envie d'avoir les
yeux sur vous, et de vous tenir tournés entre mes mains !
Tant d'hommes supérieurs, lumières du siècle passé et du
siècle présent, tant d'érudits vous ont confectionnés; ils
ont été assez hardis pour vous confier le fruit de leurs
veilles, et espérer une gloire durable pour leurs écrits...
et cette espérance, non stérile, ne les a pas trompés I)
RENOUARD (Antoine-Augustin)
Ma bibliothèque fut commencée en 1778 avec le pre-
mier écu que me donna mon père, et dont je fis usage
pour acheter un Horace; j'avais alors treize ans.
RHENANUS (Beatus)
. . . Itaque Tertulliani libros secum attulit, quos ab illo paulb
post apud Basileam agens, accepi non minori gaudio quam si
gemmas mihi misisset.
(11 apporta donc avec lui les livres de Tertullien, que
peu après il dirigea sur Bàle, et que je reçus avec une
joie non moins grande que s'il m'eût envoyé des pier-
reries.)
(In prcefatione ai Stanislaum Turcum,— H finit
de lui narrer la trouvaille qu'il vient de faire des
livres de Tertullien. i^o.)
Voir Arétin.
BIBLIOPHILIANA 379
RICHARD, DE BURY.
Hi sunt magistri qui nos instruunt, sine virgis et ferulis,
sine choiera, sine pecunia. Si accedis, non dormiunt; si inqui-
ris, non se abscundunt; non obmurmurant, si oberres; cachin-
nos nesciunt, si ignores...
(Ils sont les maîtres qui nous instruisent, sans verges ni
férules, sans humeur, sans dépense. Si vous les appro-
chez, ils ne dorment pas; si vous les cherchez, ils ne se
cachent point ; ils ne murmurent point, si vous bronchez ;
si vous ignorez, ils ne se moquent point...)
... O Dieu des Dieux de Sion, quel torrent de plaisirs
a réjoui notre cœur toutes les fois que nous avons visité
Paris, le paradis du monde!... Dans cette cité est la
serre chaude de l'esprit; là sont des bibliothèques dans
des cellules embaumées d'aromates intellectuels; là fleu-
rissent toutes sortes de volumes... C'est là qu'en vérité,
ouvrant notre trésor et déliant les cordons de notre
bourse, nous avons répandu l'argent d'un cœur joyeux,
pour racheter et arracher à la poussière et à la fange des
livres inestimables.
(Pkilobibîion.)
RIGAUD (A. F.)
Les grandes phrases servent de préambule à la plupart
des livres qui paraissent aujourd'hui.
BIBLIOPHILIANA
C'est une enseigne qui prouve leur mérite, à peu près
comme les comptoirs d'acajou garantissent la probité des
marchands et la bonté des marchandises.
RIGAULT (Hippolyte)
... Voilà les sentiments qu'éveille dans le coeur l'amour
des vieux volumes. Admirable passion qui est plus qu'un
plaisir, qui est presque une vertu. Aussi qu'il est doux
de s'y abandonner! qu'il est doux de partir le matin du
logis comme pour une conquête 1 et qu'il l'est plus en-
core d'y rentrer tout chargé de dépouilles opimes! On
raconte son bonheur, qu'on appelle son adresse; on
compte ses prisonniers avec un air vainqueur; on les
range un par un sur de modestes rayons; ils seront ai-
més, choyés, dorlotés, malgré leur indigence, comme
s'ils étaient vêtus d'or et de soie.
{Les Quais de Paris.)
RIVAROL (Antoine, Comte de)
On ferait souvent un bon livre de ce qu'on n'a pas
dit, et tel édifice ne vaut que par ses réparations...
Les titres de la plupart des livres ne sont qu'un pré-
texte pour le génie.
{Pensées.)
ROLAND (M'"« Marie-Jeanne)
... Je ne me suis jamais souvenue d'avoir appris à lire;
j'ai ouï dire que c'était chose faite à quatre ans,... et que
BtBLIOPHILI AN A 38l
dès lors il n'avait plus été besoin que de ne pas me lais-
ser manquer de livres. Quels que fussent ceux qu'on
me donnait ou dont je pouvais m'emparer, ils m'absor-
baient tout entière, et l'on ne pouvait plus me distraire
que par des bouquets... Sous le tranquille abri du toit
paternel, j'étais heureuse dès l'enfance avec des fleurs et
des livres.... dans l'étroite enceinte d'une prison,... j'ou-
blie l'injustice des hommes... avec des livres et des
fleurs.
...J'y avais remarqué une cachette (dans l'atelier de
son père) où l'un des jeunes gens mettait des livres...
Je lus ainsi beaucoup de voyages,... quelques théâ-
tres... et le Plutarque de Dacier. Je goûtai ce dernier
ouvrage plus qu'aucune chose que j'eusse encore vue...
Plutarque semblait être la véritable pâture qui me con-
vînt...
Mon père se plaisait à me faire de temps en temps le
cadeau de quelques livres, puisque je les préférais à
fout...
(Mémoires.)
ROMEY (Charles)
Peu de lecteurs voient dans les bons livres tout ce
qu'il y a. Les sots ne sauraient y voir l'esprit : il leur
échappe comme la finesse des traits aux myopes.
{Hommes et Choses de divers temps.)
ROUCHER (Jean-Antoine)
Je n'oublierai jamais ces jours de mon enfance, oij,
me menant avec vous dans des promenades solitaires,
î6
38a BIBLIOPHILIANA
VOUS m'entreteniez du génie précoce de Pascal et du
Tasse, et me faisiez lire la vie de ces deux grands hom-
mes... Je n'oublierai jamais qu'à ces premières lectures,
vous fîtes bientôt succéder celle de Télémaque et de la
Jérusalem délivrée. Quel charme je trouvai à ces deux
ouvrages 1
{Les Mois. Dédicace à son père.)
ROURE (Le Marquis du)
L'imprimerie, une fois découverte, s'enrichit, se polit
tout d'un coup singulièrement... Ce n'est pas ici le lieu
d'en parler avec détail ; mais, honneur, gloire et recon-
naissance, mille fois, au paisible triumvirat qui, pour tou-
jours, établit, entre les intelligences, des voies rapides et
sûres, d'une extrémité de la terre à l'autre !
{Analcctabiblion.)
ROUSSEAU (Jean-Jacques)
L'abus des livres tue la science : croyant savoir ce
qu'on a lu, on se croit dispensé de l'apprendre...
Trop de lecture ne sert qu'à faire de présomptueux
ignorants. De tous les siècles de la littérature, il n'y en a
point où on lut tant que dans celui-ci, et point où l'on
fut moins savant...
J'ai fait des livres, il est vrai; mais jamais je ne fus un
itvrier.
BIBLIOPHIIIANA 28}
SAADI
En une année heureuse entre les deux fêtes, — la six
cent cinquante cinquième, — ce livre, qui est un trésor
de pierreries, a été achevé, — Aie du respect pour ce
livre, vertueux et intègre lecteur...
Chaque feuille d'un arbre vert, aux yeux d'un homme
éclairé, — est le feuillet du livre qui enseigne la connais-
sance du Créateur...
SABATIER, DE CASTRES (Antoine)
Nous n'étalerons point les avantages qui naissent en
foule de la lecture : il suffit de dire qu'elle est indispen-
sable pour orner l'esprit et former le jugement; sans elle
le plus beau naturel se dessèche et se fane...
La multitude des livres est le seul moyen d'en éviter la
perte ou l'entière destruction. C'est cette multiplicité qui
les a préservés des injures des tems, de la rage des ty-
rans, du fanatisme des persécuteurs, des ravages des
barbares, et qui en a fait passer, au moins une partie,
jusqu'à nous, à travers les longs intervalles de l'ignorance
et de l'obscurité...
La multitude prodigieuse des livres est parvenue à un
tel degré que, non-seulement il est impossible de les lire
tous, mais même d'en savoir le nombre et d'en connoître
les titres. « On ne pourroit pas lire tous les livres, dit un
auteur du dernier siècle, quand même on auroit la con-
formation que Mahomet donne aux habitans de son para-
a84 BIBLIOPHILIANA
dis, où chaque homme aura 70,000 têtes, chaque tête
70,000 bouches, et chaque bouche 70,000 langues, qui
parleront toutes 70,000 langages différents. »
Un livre est bon quand il n'a que peu de défauts, opti-
mus ille qui minimis urgetur vitiis. -^
{Dictionnaire de Littérature.)
SABINUS (Georgius)
Haud seciis ad dura fugitivos carcere servat
Vestra catenatos bibliotheca libros.
Ouid mirum, si nulla viget doctrinal Colendi
Doctrine auctores hîc ubi vincula gerunt.
(Les livres fugitifs, votre bibliothèque les garde enchaî-
nés et non autrement que dans une dure prison. Quoi
d'étrange, si nulle doctrine n'est en vigueur ? Là, les au-
teurs de la doctrine à cultiver portent des chaînes!)
[Sur les Bibliothèques enchaînées des Moines.)
SACY (Sylvestre de)
Le goût des livres, quand il n'est pas la passion d'une
âme honnête, élevée et délicate, est le plus vain et !e plus
puéril de tous les goûts...
C'est par l'amour des lettres qu'il faut être conduit à
l'amour des livres...
Tant qu'on n'a pas trouvé précisément l'exemplaire
qu'on veut, l'exemplaire sans tache, pur et frais, comme
un livre d'hier relié par Boyer, Dusseuil, Padeloup ou De-
BIBLIOPHILIANA 285
rome, on se passe de l'ouvrage. — Comment! vous n'avez
pas un Racine? — Hélas! non. Voilà trente ans que j'en
cherche un. J'aurai la douleur, je crois, de mourir sans
avoir trouvé celui que je veux. — Mais toutes les bouti-
ques de libraires regorgent de Racines ! — Pour vous,
oui ; pour moi, je n'en veux qu'un, et celui que je veux,
il est introuvable...
C'est un très-grand et très-légitime plaisir de regarder
d'un œil d'amateur les beaux volumes que l'on possède,
de les ranger, de les manier, de les épousseter; ces jouis-
sances délicieuses, je les permets au bibliophile, pourvu
qu'il lise ou qu'il ait l'intention de lire... Le bibliophile
odieux, c'est celui qui achète brutalement des livres qu'il
ne lit jamais.
... Les possesseurs de ces deux bibliothèques en ont
joui sagement. Ce n'était pas pour eux un meuble de
luxe, une vaine décoration d'appartement. Ils aimaient les
beaux livres, mais ils les aimaient pour les lire; ils en
paraient leur esprit, ils en nourrissaient leur cœur. Dans
ces livres, ils avaient cherché et trouvé ce qui est le vé-
ritable fruit des livres : la tranquillité de l'âme, le goût
d'une vie simple, modeste et cachée. Tâchons d'être bi-
bliophiles aux mêmes conditions qu'eux !
{Catalogue des Livres de la bibliothèque
de feu M. de Bure.)
SAINTE-BEUVE (Gharles-Augustin)
Le goût des livres a ses bizarreries et ses replis à l'in-
fini, comme toutes les avarices. Les tours malicieux, les
a86 BIBLIOPHILIANA
ruses, les rivalités, les inimitiés même qu'il engendre, ont
quelque chose de surprenant et de marqué d'un coin à
part.
SAINT-EVREMONT
L'étude est la plus solide nourriture de l'esprit... C'est
le grand livre du monde qui apprend le bon usage des
autres livres, et qui peut faire d'un homme savant un
homme aimable et utile à la société.
SAINT-MARTIN (Louis-Claude de)
Il y a de bonnes raisons pour que les livres des savants
et des littérateurs l'emportent sur les miens : i° ils sont
mieux faits, et, dans le vrai, leurs auteurs ont grand be-
soin de suppléer par la forme à ce qui manque au fond
de leurs productions ; 2° leurs ouvrages doivent faire
fortune plus que les miens, parce qu'ils songent plus que
moi à travailler pour ce monde-ci, attendu que je ne
travaille que pour l'autre.
Le monde m'a repoussé à cause de l'obscurité et de
l'imperfection de mes livres. S'il s'était donné la peine de
me scruter profondément, peut-être aurait-il goûté mes
livres à cause de moi, ou plutôt à cause de ce que la
Providence a mis en moi.
SALDEN (GuiLL.)
Lectio prima placer, necnon repetita placebit.
(Une première lecture plaît ; la seconde ne déplaira pas.)
BIBL lOPHILIANA 387
SAND (George)
... Je connais peu de plaisirs aussi doux, aussi soute-
nus, aussi attachants que celui d'avoir les mains occupées
d'un travail quelconque, pendant qu'une voix amie (so-
nore ou voilée, qu'importe 1 ) vous fait entendre simple-
ment, sans emphase et sans prétention, un beau et bon
livre.
{Autour de la Tahle. I.)
SANIAL-DUBAY (J.)
11 en est des livres comme des hommes ; les bons de-
viennent plus rares de jour en jour...
Les gros livres sont l'écueil des écrivains et le fléau
des lecteurs...
Si l'esprit usait des livres comme le corps use des ali-
mens, il n'en prendrait et n'en retiendrait que ce qui
serait propre à le nourrir et à le fortifier.
{Pensées sur l'Homme, le Monde et les Mœurs.)
SAY (Jean-Baptiste)
Il vaut mieux lire deux fois un bon ouvrage, qu'une
seule fois un mauvais...
Quand on sort de lire les Vies de Plutarque, on est
fier d'être homme. Lorsqu'on sort de lire les Maximes de
La Rochefoucauld, on en est honteux.
{Petit volume, contenant quelques aperçus
des hommes et de la société.)
288 BIBL lOPHILI ANA
SCALIGER (Joseph)
Pour une parfaite bibliothèque, il faudrait avoir six
grandes chambres...
Amis, voulez-vous connaître un des grands malheurs
de la vie ? Eh bien ! vendez vos livres 1
Celui-là qui veut connaître en un seul bloc toutes les
misères d'ici-bas, qu'il vende ses livres : Bibliothecam
vendat l — {Variante par J . Janin.)
SCOTT (Walter)
Ces petits elzevirs sont les trophées de maintes pro-
menades que j'ai faites, le soir comme le matin, dans
Cowgate, Canongate, le Bow et Sainte-Mary's Wynd, en
un mot, partout où il se trouvait des troqueurs, des re-
vendeurs, des trafiquants en choses rares et curieuses.
Que de fois j'ai marchandé jusqu'à un demi-sou, de
crainte qu'en accordant trop aisément le prix qu'on me
demandait, je ne fisse soupçonner la valeur que j'attachais
à l'ouvrage 1 Que de fois j'ai tremblé que quelque passant
ne vînt se mettre entre moi et ma prise ! Que de fois j'ai
regardé le pauvre étudiant en théologie, qui s'arrêtait
pour ouvrir un livre sur l'étalage, comme un amateur
rival ou un libraire déguisé 1 Et puis, monsieur Lowel,
quelle satisfaction de payer le prix convenu et de mettre
le livre dans sa poche, en affectant une froide indiffé-
rence tandis que la main frémit de plaisir! Quel bonheur
BIBLIOPHILI ANA 289
d'éblouir les yeux de nos rivaux plus opulents en leur
montrant un trésor comme celui-ci (ouvrant un petit
livre enfumé, du format d'un livre d'heures), de jouir de
leur surprise et de leur envie, en ayant soin de cacher
sous un voile mystérieux le sentiment de son adresse et
de ses connaissances supérieures! Voilà, mon jeune ami,
voilà les moments de la vie qu'il faut marquer d'une pierre
blanche, et qui nous payent des peines, des soins et de
l'attention soutenue, que notre profession exige plus que
toutes les autres !
SÉNÈQ^LJE
La lecture est l'aliment de l'esprit. Elle le délasse des
fatigues de l'étude, quoiqu'elle soit une étude elle-même...
Thesauros oportet esse non libros...
Otium sine litteris, mors est et vivi hominis sepultura.
(Vous vous plaignez de la disette des livres ; il n'importe
pas d'en avoir beaucoup, mais d'en avoir de bons. La mul-
titude des livres n'est propre qu'à distraire l'esprit. Ne
pouvant en lire autant que vous pouvez en acquérir,
n'en acquérez qu'autant que vous en pouvez lire...)
Non ?nulta parum, sed pauca multum legenda.
SERRES (Olivier de) S-" Du PRADEL
Notre gentilhomme estant dans la maison se pourme-
nera sous la guide de ses livres, par la terre, par la mer,
par les royaumes... ayant les cartes devant les yeux, lui
montrant à l'œil les situations.
{Le Théâtre d'Agriculture.)
37
290 BIBLIOPHILI ANA
SÉVIGNÉ (Marie de Rabutin-Chantal
Marquise de)
Tant que nous aurons des livres, nous ne nous pen-
drons pas (Voir le Marquis de Gaillon)...
J'ai apporté ici (aux Roches) quantité de livres choisis;
je les ai rangés ce matin : on ne met pas la main sur un,
tel qu'il soit, qu'on n'ait envie de le lire tout entier;
toute une tablette de dévotion, et quelle dévotion! Bon
Dieu 1 quel point de vue pour honorer notre religion !
l'autre est toute d'histoires admirables; l'autre de morale;
l'autre de poésies, et de nouvelles, et de mémoires. Les
romans sont méprisés, et ont gagné les petites armoires...
... pour Pauline, cette dévoreuse de livres, j'aime
mieux qu'elle en avale de mauvais, que de ne point aimer
à lire.
(Lettres.)
SORBIÈRE (Samuel)
... Mais si vous aviez veu comme moy la manière de la
quelle il (de Saumaise) compose ses livres, la négligence
qu'il apporte, le bruit que Ion fait tout à l'entour de luy,
et les distractions parmy lesquelles il escrit sans aucune
méditation, vous excuseriez bien plustost les défauts qui
se glissent dans ses ouvrages. Il les commence sans qu'il
en ayt fait le projet, ny tracé de dessein. Les pensées luy
naissent au bout de la plume les unes après les autres.
Il les couche sur le papier comme elles luy viennent, et
BIBLIOPHILIANA 3C)l
ne relit jamais ses escritures. Il n'escrit que d'un costé de
la feuille, et cela brusquement et sans marge ; il colle les
feuilles l'une au bout de l'autre, et il en fait des rouleaux;
de sorte qu'il peut mesurer ses livres à l'aulne, et qu'il
avoit bonne grâce de dire qu'il y en avoit six toises de
faites, en parlant d'un certain livre dont onluy demandoit
des nouvelles, et qu'il faisoit attendre depuis longtemps...
Il n'a fait aucun ouvrage basty à chaux et à sable, et
dont la postérité ayt à tirer quelque avantage...
(Lettre au P. Mersenue. Correspondance)
SPIZELIUS (Theoph.)
... Mortua sine libris in qiiibus loquuntur mortui, studia
litterarum sunt.
(Morte est l'étude des lettres, sans les livres dans les-
quels parlent les morts.)
STAPFER (Paul)
... Liseurs éternels, arrêtez-vous un peu; remontez en
arrière, faites le compte de ce qui vous reste de vos in-
nombrables lectures... Quel néant, mes amis! n'êtes-
vous pas épouvantés?,..
Dis-moi quels auteurs, quels livres tu aimes à lire, je te
dirai qui tu es et ce que tu peux faire. Des habitudes,
des préférences de lecture bien constatées suffisent pour
tracer une ligne certaine de démarcation entre les es-
prits...
2^2 BIBLIOPHILIANA
La comparaison ancienne qui assimile les livres à des
amis et la lecture à une conversation, s'applique par ex-
cellence à cette catégorie de lectures et de livres plus
propres à développer l'intelligence d'une manière géné-
rale qu'à graver dans la mémoire des connaissances pré-
cises...
Les livres tellement pauvres qu'il n'y ait rien à en tirer
sont presque aussi rares que les livres excellents où cha-
que ligne est riche d'un trésor...
Les vieux routiers de l'art de lire savent seuls tourner
les feuillets d'un livre quelconque avec une frémissante
impatience, parcourir du regard le champ entier d'une
page, ne point muser ni sommeiller ni se perdre dans le
fatras, aller droit à la perle et d'un coup d'oeil sûr fondre
sur la petite proie brillante qui se cache en un coin.
{Méditation sur h Lecture.)
STASSART (Baron de)
Le public est tellement rassasié de livres aujourd'hui,
qu'à moins d'imaginer un titre bizarre et qui pique la
curiosité, il est bien difficile de se faire lire.
{Pensées de Circé.)
STEVENS (George)
Mon indignation ne connaît point de bornes, quand je
trouve des livres qui distillent les passions des jeunes
gens au point de justifier la licence par les excuses les
plus frivoles...
Bl BLIOPHILIANA 393
STENDHAL
(PSF.UDONYME DE HeNRY BEYLE)
Un livre, pour se bien vendre, doit : — i" avoir un joli
titre ; — 2° être écrit sur un sujet à la mode j — 3° être fa-
cilement compris.
STERNE (Lawrence)
... J'avais alors une très-bonne santé. Les livres, la
peinture, la musique et la chasse étaient mes amuse-
ments...
Et qu'arrivera-t'il quand on y sera parvenu (au plus
haut degré de perfection de nos connaissances) ? Il faut
espérer que ce terme mettra fin à toutes sortes d'écrits.
Le manque de toutes espèces d'écrits mettra fin à tous
genres de lectures. La guerre amène la pauvreté, et la
pauvreté ramène la paix. Il en sera de même du défaut
de lecture : il abolira toute espèce de connaissances :
on reverra les temps d'ignorance, et il faudra recom-
mencer. Nous nous retrouverons dans le même temps
où nous étions avant qu'il y eût des livres. Heureuse,
trois fois heureuse époque !...
Les bons écrits sont comparables au vin : le bon sens
en est la force, et l'esprit, la saveur.
Dans le monde, vous êtes sujet aux caprices de chaque
extravagant : dans votre bibliothèque, vous soumettez les
hommes célèbres aux vôtres.
394 BIBLIOPHILl ANA
Ferons-nous toujours de nouveaux livres, comme les
apothicaires font de nouvelles médecines, en les trans-
vasant d'un vase dans un autre? Sommes-nous destinés à
toujours tordre ou détordre la même corde, à toujours
être dans la même ornière , toujours au même pas?
• (Voir Burton, qui est venu le premier.)
TAINE (Hippolyte-Adolphe)
Tel est le charme de ces livres qui remuent tous les
sujets, qui donnent l'opinion de l'auteur sur toutes cho-
ses, qui nous promènent dans toutes les parties de sa
pensée, et, pour ainsi dire, nous font faire le tour de son
esprit.
TENANT DE LATOUR
... Un point que les malins considèrent comme phéno-
ménal, savoir, un bibliophile qui lit ses livres... Il n'y a de
véritable bibliophile... que celui qui a déjà lu tous les
livres qu'il possède, et qui, pénétré, ravi de cette lec-
ture, en reporte le charme sur la forme extérieure elle-
même.
Le goût des livres est un sentiment que rien ne vient
altérer ou suspendre, et qui tient constamment celui
qu'il anime dans un état de mouvement moral.
... Moi j'aime mes livres comme je les aimais à vingt
ans; je les aime peut-être même avec plus d'ardeur, car,
tout bien considéré, je les connais mieux, et il n'arrive
BIBLIOPHI LIANA i95
point dans l'amour des livres ce qui arrive, hélas! dans
l'autre amour...
... Je voudrais pouvoir établir aujourd'hui, une fois
pour toutes, que, parmi les goûts si divers que la Provi-
dence a départis aux humains, l'amour des livres est celui
qui, après avoir donné, pendant la prospérité, les plus
grandes, les plus véritables jouissances, ménage, pour
toutes les peines de la vie, les plus douces, les plus pu-
res, les plus durables consolations.
{Mémoires d'un Bibliophile.)
TERRASSON (lAbbé Jean)
Il en est des livres comme delà lumière. La trop grande
quantité n'éclaire point; elle éblouit, elle aveugle, et
nuit plus qu'elle ne sert.
TEXIER (Edmond)
De tous les êtres créés par Dieu, le bibliophile est sans
contredit le plus égoïste et le plus féroce. La passion de
l'or n'est rien, comparée à celle du livre...
La bibliomanie est, à mon avis, une des plus dangereu-
ses, et la plus despotique, parce qu'elle n'est jamais sa-
tisfaite. Le vrai bibliomane croit, comme Alexandre,
que rien n'est fait tant qu'il reste quelque chose à faire,
qu'il possède peu de chose tant qu'il peut envier les tré-
sors d'un autre...
C'est dans son œuvre que se réfugie la meilleure part
açû BliJLIOPHILIANA
de l'écrivain... Dans les détails ordinaires de la vie,
l'écrivain n'est qu'un homme; il passe dieu dans son
livre, et c'est ainsi que toute bibliothèque est un pan-
théon...
Savoir lire, quelle science! C'est interroger un écri-
vain, c'est lui demander l'enseignement des choses que
l'on ignore, c'est discuter avec lui sur tel point et le ré-
futer sur tel autre. On l'aborde avec respect, mais sans
parti pris; on entre en conversation intime avec lui, on
se laisse aller, puis on résiste, et si l'on se sent entraîné,
tout va bien... Mais il ne sait pas lire ni même épeler
celui qui, prenant un livre, tourne page sur page et ne
s'arrête essoufflé qu'au dernier feuillet; il se gorge de
mots, l'idée lui échappe. Toute lecture est un voyage
d'agrément...
Nous n'avons même plus le loisir de lire, nous écrivons
tant!
{Les Choses du temps ■présent.)
THIERRY (Augustin)
... Je me mis à chercher dans les livres d'histoire des
preuves et des arguments à l'appui de mes croyances...
Cette épreuve, souvent répétée, ne tarda pas à boule-
verser mes idées en littérature. Insensiblement je quittai
les livres modernes pour les vieux livres, les histoires
pour les chroniques, et je crus entrevoir la vérité étouf-
fée sous les formules de convention et le style pompeux
de nos écrivains. Je tâchai d'effacer de mon esprit tout
ce qu'ils m'avaient enseigné, et j'entrai, pour ainsi dire,
en rébellion contre mes maîtres.
BIliLlOPHILIANA 397
...Ce qui est imprimé dans tant de livres, ce que tant de
professeurs enseignent, ce que tant de disciples répètent,
obtient force de loi et prévaut contre les faits eux-
mêmes. Instruit de ce qu'il m'en a coûté de peine pour
refaire, seul et sans guide, mon éducation historique, je
me propose de faciliter ce travail à ceux qui voudront
l'entreprendre et remplacer par un peu de vrai les niai-
series du collège et les préjugés du monde.
{Lettres sur l'Histoire de France. Avertissement.)
THURMANN (Gaspàr)
La connaissance des livres abrège de moitié le chemin
de la science, et c'est déjà être très-avancé en érudition
que de connaître exactement les ouvrages qui la donnent.
TROLLOPE (MisTREss)
J'établissais toujours un parallèle, peut-être futile, entre
le manque d'élégance extérieure et intérieure des volu-
mes imprimés en Amérique. Les compositions des Amé-
ricains n'ont pas cette précision de pensée et ce fini
achevé que donne la conviction d'écrire pour des sa-
vants ou des hommes de goût, pas plus que leur papier
bleu sale et leurs caractères usés n'ont l'élégance qui
convient à un volume destiné à passer dans les mains et
sous les yeux d'un épicurien littéraire... Certes, on ne
devrait pas regretter la vue d'un beau papier luisant, en
lisant une nouvelle de l'auteur de Waverley ; cependant
38
açS BIBLIOPHILIAN A
je dois confesser, à ma honte, qu'en tournant le vilain pa-
pier gris, mon esprit trop occupé des choses de la terre
s'arrête souvent au milieu de son plaisir pour soupirer
après les presses à satiner de l'Angleterre.
{Maurs domestiques des Américains.)
TRUBLET (l'Abbé Nicolas-Charles-Joseph)
Je ne comprends pas comment on peut ne pas aimer
la lecture, quand on considère qu'un livre est un ami
qui moralise sans offenser personne; qui prend vos heu-
res de commodité soit le jour, soit la nuit, pour vous
parler, et qui le fait toujours sans passion; qui ne se fâche
point d'être interrompu au milieu de sa période, et qui
ne vous sait pas mauvais gré de ce que vous passez légè-
rement sur des choses qui lui ont coûté, et qui lui pa-
raissent excellentes.
(Essais de Littérature et de Morale.)
TURQUETY (Edouard)
J'ai toujours aimé et parfois regretté la coutume qu'a-
vaient nos anciens écrivains d'échanger entre eux les
quelques lignes qu'ils mettaient en tête de leurs ouvrages. Il
y avait, ce me semble, dans cette bienveillance réci-
proque une sorte de fraternité qui honorait les lettres...
(Avant-propos des Pensées de P. Roclipédre.)
BIBLIOPHILI AN A 399
VALLA (Laurent)
Et quod vix toto quisguam prascriheret anno
Munere Germano confiât una dies.
(Et ce qu'à peine on eût écrit en une année tout
entière, la découverte allemande le confectionne en un
jour.)
(Voir Campanus.)
VALOIS (Hadrien de)
Saxa quidem et tumulos consumit longa vetustas :
Nil tamen in libros tempora juris hahent.
(Une longue vétusté consume les pierres même et les
tombeaux: cependant le temps n'a rien de ce pouvoir sur
les livres.)
VAUVENARGUES
(Luc de Clapiers, marquis de)
Les bons livres sont l'essence des meilleurs esprits, le
précis de leurs connaissances et le fruit de leurs longues
veilles. L'étude d'une vie entière s'y peut recueillir dans
quelques heures...
Les Vies de Plutarque sont une lecture touchante; j'en
étais fou dans mon enfance; le génie et la vertu ne sont
nulle part mieux peints... Il me tomba, en même temps.
JOO BIBLIOPHILIANA
un Sénèque dans les mains, je ne sais par quel hasard;
puis des lettres de Brutus à Cicéron;... je mêlais ces
trois lectures, et j'en étais si ému, que je ne contenais
plus ce qu'elles mettaient en moi; j'étouffais, je quittais
mes livres, et je sortais comme un homme en fureur,
pour faire plusieurs fois le tour d'une assez longue
terrasse...
VÉRON (PiERRr)
BiBLioMANE. — L'hystérique du bouquin.
Bibliothécaire. — Le pion des livres.
Destinée. — Un livre dont les pages ne sont pas
coupées.
{Le Carnaval du Dictionnaire.)
VIGNEUL-MARVILLE (de)
(Pseudonyme de Noel-Bonaventure d'Argone, Chartreux.)
C'est de tout tems qu'on a fait la guerre aux livres,
comme aux hommes et aux sciences. Les Romains ont
brûlé les livres des Juifs, des Chrétiens et des philoso-
phes: les Juifs ont brûlé les livres des Chrétiens et des
Païens; et les Chrétiens ont brûlé les livres des Païens et
des Juifs. La plupart des livres d'Origène et des anciens
hérétiques ont été brûlez par les Chrétiens. Le cardinal
Ximénès, à la prise de Grenade, fît jeter au feu cinq mille
Alcorans. Les Puritains, en Angleterre, au commencement
de la Réforme prétendue, brûlèrent une infinité de mo-
BIBLIOPHILIANA JOI
nastères et d'anciens monumens de la véritable religion.
Un évêque anglois mit le feu aux archives de son église,
et Cromwel, dans les derniers tems, brûla la bibliothèque
d'Oxfort, qui étoit une des plus curieuses de l'Europe.
{Mélanges d'Histoire et de Littérature.)
VILLEMAIN (Abel-François)
... Il (Plutarque) a peint l'homme, et il a dignement
retracé les plus grands caractères et les plus belles actions
de l'espèce humaine. L'attrait de cette lecture ne passera
jamais; elle répond à tous les âges, à toutes les situations
de la vie; elle charme le jeune homme et le vieillard; elle
plaît à l'enthousiasme et au bon sens. (Voir Plutarque.)
... Il (saint Jérôme) conservait, dans sa cellule de
Bethléem, les chefs-d'œuvre de l'éloquence profane qu'il
avait rassemblés jadis avec beaucoup de soin, pendant
son séjour à Rome et dans les Gaules. C'était le seul tré-
sor qu'il eût apporté avec lui dans l'Orient. Le charme de
ces lectures le ravissait encore; et son christianisme
jaloux s'effrayait d'un semblable enthousiasme. ÇVoW Saint
Jércme) . . .
On dit avec raison que l'univers est gouverné par des
livres...
{Notice sur Plutarque. — Tableau de l'Eloquence
chrétienne au IV' siècle.)
VIOLLET-LE-DUC (Eugène-Emmanuel)
J'achetais ces livres pour les lire, et non pour leur
rareté : car personne n'en voulait, et mes emplettes m'atti-
)02 BIBLIOPHILIANA
raient les reproches de ma famille et les sarcasmes de
mes amis, tant c'était étrange, à cette époque, mon goût
pour ces bouquins!
VOLTAIRE (François-Marie Arouet de)
Vous les méprisez, les livres, vous dont toute la vie est
plongée dans les vanités de l'ambition et dans la re-
cherche des plaisirs ou dans l'oisiveté; mais songez que
tout l'univers connu n'est gouverné que par des livres,
excepté les nations sauvages...
La plupart des livres ressemblent à ces conversations
générales et gênées, dans lesquelles on dit rarement ce
qu'on pense...
Il en est des livres comme du feu dans nos foyers: on
va prendre ce feu chez son voisin; on l'allume chez soi;
on le communique à d'autres, et il appartient à tous...
Ce n'est que par la lecture qu'on fortifie son âme;
la conversation la dissipe, le jeu la resserre... Comme le
bon sens de M. André s'est fortifié depuis qu'il a une
bibliothèque! Il vit avec les livres comme avec les hom-
mes; il choisit, il n'est jamais la dupe des noms. Quel
plaisir de s'instruire et d'agrandir son âme pour un écu,
sans sortir de chez soi !...
On est inondé de livres. J'ai honte des miens...
(Pris un peu partout.)
Un livre défendu est un feu sur lequel on veut mar-
cher et qui jette au nez des étincelles.
(Du Portefeuille intitulé : le Sottis er.)
BIBLIOPHILIANA 3OJ
VOYER-D'ARGENSON (Antoine-René de)
Multi voCATi, pauci lecti.
Beaucoup d'APPELÉs, mais peu de lus.
(TDevise proposée pour lu bibliothèque d'un
Fermier-Général.)
WATTEVILLE (baron de)
Ce fut en i8p qu'il (Amédée Rigaud) commença à
rechercher les livres, à se créer une bibliothèque. Mais,
à partir de ce moment, il fut saisi par ce doux et puissant
engrenage que connaissent tous les bibliophiles: le livre
du jour appelle le livre du lendemain; il faut remplacer
un exemplaire défectueux par un exemplaire en parfait
état; il faut compléter une série, songer aux reliures; on
ne s'appartient plus, on est tout à sa passion.
{Catalogue de feu Amédée Rigaud. Notice.)
WERDET (Edmond)
C'est peut-être une banalité, mais bonne à redire : de
toutes les conquêtes dont l'humanité est fière, celles que
nous devons à l'imprimerie et au commerce des livres
sont les seules qui doivent résister à l'action du temps.
A l'aide des livres, nos pères nous ont légué un héri-
tage intellectuel, qui défie les plus beaux et les plus
J04 BIBLIOPHILIANA
durables monuments de bronze ou de marbre. A l'aide
des livres, nous doublons, si faire se peut, les richesses
transmises; elles viennent contribuer à la perfection et à
l'élégance de nos moeurs nouvelles...
La poussière des bibliothèques est une poussière fé-
conde.
Aujourd'hui, plus encore qu'en aucun autre temps,
l'amour des livres est un goût universel...
{Histoire du Livre en France. Préface de la II' partie.)
WEY (Francis)
... Peut-être observera-t-on que nous usons des livres
avec assez de sobriété; mais on conviendra que nombre
d'anciens auteurs, que l'on ne saurait passer sous silence
dans une histoire littéraire, n'ont pas exercé de sensible
influence sur les destinées du langage... Je sais que par-
fois, en semblable occasion, l'on entasse beaucoup de
noms, et l'on va exhumer des autorités inconnues, afin de
prouver que l'on a tout compulsé...
{Histoire des Révolutions du Langage en France.)
WOLF
Wolf, bibliographe allemand du XVIF siècle, auquel les
Fugger d'Augsbourg accordèrent l'entrée journalière de
leur bibliothèque, leur en témoigna sa reconnaissance en
vers grecs. Il définit cette fameuse bibliothèque :
BiBLIOPHlLlANA 305
« Un firmament littéraire, où il y a autant de livres que
l'on compte d'étoiles à la voûte céleste. »
Il la compare encore à :
« Un jardin scientifique, dans lequel il se plaisait jour-
nellement à cueillir des fleurs littéraires, et à goûter tou-
tes les jouissances de l'instruction. »
ZALUSKI (Le comte Joseph)
Je n'ai pas de collines verdoyantes, couvertes de vignes
et d'oliviers, ni de terres, comme on en voit du haut de
la voie Emilienne; je vous offre les délicieux petits livres
des vieux auteurs que j'ai eu tant de plaisir à compulser.
Vous y trouverez également les essais plaisants de nos
beaux jours, quand l'âge se prêtait à ce doux genre
d'études.
(En 1747, cet illustre Polonais, évèque de Kiew, avait rassemblé à Varsovie
plus de 200,000 volumes, à l'acquisition desquels avait passé tout son patri-
moine. Cette collection, fruit de 46 années de recherches, il la légua à sa
patrie. Ces livres sont devenus le fonds principal de la Bibliothèque de Saint-
Pétersbourg.)
J9
)o6 BIBLIOPHILIANA
l'auteur de : L'Art et la Vie deStendahl. (albert coilignon.)
Dès l'âge de dix ans, il avait en germe cette passion de
la lecture qui devint plus tard si ardente. Tous ses bio-
graphes s'accordent à lui reconnaître ce précoce et se-
cret penchant pour les livres. Il les aimait d'autant plus
qu'il fallait les lire en cachette et qu'il avait bien de la
peine à les découvrir. Dès qu'il put sortir seul, un de
ses premiers actes d'indépendance fut d'en acquérir par
lui-même, en toute propriété. Un louis d'or de 24 livres,
lentement amassées, était toute sa fortune d'enfant. Il l'é-
changea contre les OEuvres complètes deFlorian...
Son penchant littéraire, son amour des livres le met-
taient en opposition continuelle avec les habitudes et les
croyances de sa famille.
A la fin d'un vieux Catholicon
(Édition de Rouen, 1499.)
Improbus innumeris librarius ante talentis
Quod dabat, exiguâ nunc st'tpe vendit opus...
f^ullum opus, 0 nostri felicem temporis artem !
Celât in arcano bibliotheca situ.
Quem fnodo rex, quem vïx prïnceps modo rarus habebat,
Quisque sibi librum pauper habere potest.
(L'ouvrage qu'un coquin de libraire vendait jadis une
BIBLIOPHILIANA
}07
somme fabuleuse, il le donne aujourd'hui pour une somme
minime... Pas de bibliothèque, ô l'heureuse industrie de
notre temps ! qui nous cache quelque œuvre dans ses
rayons secrets. Le livre, que naguère prince ou roi pou-
vait à peine obtenir, tout pauvre peut maintenant se le
procurer.)
PENSÉES CHINOISES
La femme laborieuse range toujours ses meubles ; le
lettré studieux dérange continuellement ses livres...
Je lis pour la première fois un bon livre, et j'y prends
le même plaisir que si je faisais un nouvel ami. Je relis
un livre que j'ai lu ; c'est un ancien ami que je revois.
{Plusieurs citateurs ont prêté cette dernière
pensée à Voltaire.)
Extrait de I'Exposition de Chaumont
... Le livre est, dans la vie de l'homme et dans la vie des
peuples, tantôt le remède au mal, tantôt l'instrument du
bien.
Nous ne parlons pas des livres sans émotion... Oui, le
livre, ce fragile papier, cette voix sans accent et sans
visage, même quand elle crie dans le désert, c'est encore
une des plus hautes puissances. Il n'y a même ici-bas, au
fond, qu'une puissance, la pensée...
Voyez un peu. A la tête de tous les peuples il y a un
livre, et un livre à la tête de toutes les civilisations...
)o8 BIBLIOPHILIANA
Le livre, phare de la vie publique, est aussi l'appui de
la vie privée. C'est le pain de l'enfant et le lait des vieil-
lards. Dans la tristesse, il nous console; dans la joie, il
ajoute à notre allégresse. Après le travail, il charme le
repos ; dans le repos, il prévient l'ennui. Le matin, à
midi, le soir, il est toujours là sur le bureau, le guéridon
ou la table de nuit; il est partout. En tout lieu, à toute
heure, vous retrouvez ce bon ami. Les moins sérieux
peuvent en venir au petit livre de Ballanche et de Gœthe :
« Je n'ai jamais eu de peine que n'ait dissipée un quart
d'heure de lecture. »
UN JEUNE HERMITE
{Dictionnaire des Gens du monde)
Bibliothèque, — Vaste dépôt des crimes et des er-
reurs de l'homme, dont on pourrait brûler les onze dou-
zièmes sans lui porter aucun préjudice.
Livre. — Dépôt des erreurs et des folies humaines,
où, parmi un grand nombre de paradoxes, on rencontre
quelques vérités.
• (Voir aux Anonymes, Album des Gens du monde)
JOURNAL DES SÇAVANS
On peut comparer les Livres, qui se composent sur un
même sujet, à des cercles qu'une pierre jetéedans l'eau a
tracés, qui se suivent et s'effacent les uns les autres,
en sorte qu'il n'y a que les derniers dont il reste seule-
BIBLIOPHILI AN A 309
ment quelque impression. Dès qu'un nouveau Livre pa-
roît, il fait tomber tous les autres des mains, il s'insinue
par la grâce de la nouveauté, et emporte le prix sur les
autres.
DE L**
Il en est de la forme des livres comme de la physio-
nomie des personnes : l'impression que l'une et l'autre
produisent est favorable ou fâcheuse, indépendamment
du mérite des individus et des ouvrages.
MAXIME DES ORIENTAUX
Un bon livre est le meilleur des amis. Vous vous en-
tretenez agréablement avec lui lorsque vous n'avez pas
un ami à qui vous puissiez vous fier. Il ne révèle pas vos
secrets, et il vous enseigne la sagesse.
PROVERBE
Un gros livre est un grand mal.
***
Biographie de Martin Spickler
Un Elzevir lui causait de douces émotions ; mais ce qui
le plongeait dans un ravissement extatique, c'était uo
Henri Estienne.
{Cite par Aloysius Bertrand.)
)IO BIBIIOPHILIANA
DIVERS ANONYMES
Les livres sont un asyle où les sottises ont droit de
bourgeoisie.
Il n'y a point de plus courte vie que celle d'un mauvais
livre.
Tout écrivain un peu jaloux de sa réputation devrait
employer la moitié de sa vie à faire un livre, et l'autre
moitié à le corriger.
N'est-il pas ridicule de voir des personnes plongées
dans la dissipation et dans les plaisirs du monde faire un
amas inutile de livres, qu'ils n'ouvrent jamais, et qu'ils ne
regardent que comme des meubles ? Ce qui devrait or-
ner leur esprit ne sert qu'à orner leur cabinet.
Un livre est une lettre écrite à tous ses amis inconnus,
que l'on a dans l'univers.
Les bibliothèques choisies sont des républiques tran-
quilles, où les savants jouissent d'une seconde vie. On
achète, à prix d'argent, l'honneur de les avoir pour ci-
toyens.
Comment firent les premiers philosophes "avant qu'il y
eût des livres? Si tu veux être parfaitement sage, lis l'uni-
vers ; après cela, lis-toi toi-même.
11 en est des plaisirs comme des gros livres, qui ga-
gnent presque toujours à être abrégés.
{Manuel de Morale. 1771.)
Faire emplette de Livres qu'on est incapable d'entendre
BIBLIOPHILIANA 3 I 1
et de goûter, les acheter seulement parce qu'ils ont été
mis au jour par un Auteur célèbre, c'est comme si un
homme achetoit des habits qui ne lui iroient pas, par la
raison que ces habits ont été faits par un fameux Tail-
leur.
{Amusemens des Gens d'esprit.)
On pourrait appliquer au choix des livres ce que dit
le proverbe sur le choix des liaisons : « Dis-moi qui tu
hantes, je te dirai qui tu es. »
{Nouveau Recueil de Pensées, 1834.)
Lecture. — Bonne, nourriture de l'âme; mauvaise,
poison de l'esprit.
Livres. — Leur choix fait la preuve et la richesse des
gens de goût.
(F. *** Le Portefeuille français. )
Livres. — ... Les livres sont la monnaie de l'esprit.
Il en est de frappée à tous les coins et en difFérens mé-
taux; mais celle de billon est la plus considérable.
On a beau les faire gros, les livres d'aujourd'hui, ils
n'en sont ni moins maigres, ni moins secs.
(♦** Paris, les Femmes et l'Amour.)
BiBLioMANiE. — Passion dont l'efFet ordinaire est
d'égarer l'esprit, et qui n'attaque personne autant que les
gens qui en ont le moins. Elle est encore le plus grand
obstacle au goût et à la saine critique.
{Les Coups-d'OEil, Milan, an VI républicain.)
BIBLIOPHILIANA
Bibliothèque. — Médecine de l'âme. Dépôt de vé-
rités et d'erreurs, où le mauvais l'emporte malheureuse-
ment sur le bon. La pharmacie et l'égout de l'esprit humain.
Livre. — On pourrait comparer les titres pompeux
de certains livres à ces édifices dont la façade n'éblouit
d'abord les yeux que pour nous conduire à des ruines.
(*** Album des Gens du monde.)
Avoir un livre, c'est le plaisir du bibliophile; le cher-
cher, est son occupation favorite; le trouver, son bon-
heur suprême.
{Annuaire du Bibliophile, i86a.)
La forme entre pour une part si importante dans la
destinée des livres, que souvent elle emporte le fond.
{Le Magasin pittoresque.)
Les livres, comme les hommes, ont leurs titres de no-
blesse, et les d'Hozier bibliographiques suppléent les
quartiers d'un volume par les célébrités de toute espèce
auxquelles il a appartenu, depuis les maîtresses des rois
jusqu'aux prélats et aux modestes hommes de lettres.
{Cité par L.- A. Constantin.)
Les livres sont les dépositaires des lois, de la mémoire,
des événements, des inventions, des découvertes, des
usages, des mœurs, des coutumes, etc., etc. Ce sont des
conseillers désintéressés, toujours prêts à nous instruire
chez nous et quand nous voulons ; ils suppléent au dé-
faut des maîtres, souvent au défaut de génie et d'inven-
tion, et élèvent quelquefois ceux qui ont de la mémoire
BIBLIOPHILIANA )I)
au-dessus des personnes d'un esprit plus vif et plus bril-
lant. Quelle ressource les livres n'offrent-ils pas dans le
loisir? Le poids accablant de l'ennui ne se fait jamais
sentir dès qu'on aime la lecture. Quelle comparaison
entre la futilité des salons et la méditation des œuvres
d'un écrivain profond et éloquent!... Avec la ressource
d'un bon livre, l'esprit est satisfait, l'âme est intéressée...
{Encyclopédie des Jeunes Etudiants.)
... Le père de famille prudent éloigne de ses enfants le
voisin vicieux, déraisonnable ou même frivole; mais il
apporte souvent moins d'attention dans le choix des livres
admis au foyer domestique. Quelle est, en réalité, la fré-
quentation la plus fâcheuse, celle des hommes ou celle des
livres? Un ami dangereux s'éloigne, le livre reste; il est
toujours là; on y revient à toutes les heures de solitude
ou d'ennui ; c'est le compagnon intime, l'invisible con-
seiller, le perpétuel interlocuteur de notre esprit. Aussi
peut-on dire, sans aucune exagération, que l'éducation se
fait surtout par les premières lectures.
iAlinanach du Magasin pittoresque.)
C'est une belle passion que celle des bons livres,
quand on les fait passer dans sa mémoire et dans son cœur.
{Almar.ach du Bonheur.)
Ne jugez jamais un homme sur ses habits, pas plus
qu'un livre sur sa reliure.
Les anciens avaient une si haute idée des livres, qu'ils
les comparaient à des trésors : Thesauros oportet esse, non
Libros.
(A. de T. — Pensées, Maximes et Portraits.)
40
314 DIBLIOPHILIANA
DERNIER ÉCHANTILLON
Bouquin. — Vieux livre semblable à beaucoup d'es-
prits.
{Dictionnaire des Maurs, par l'abbé Coupé. 177J)
Bouquin. — Vieux livre, semblable à beaucoup d'es-
prits.
{Les Coups-d'OEil. Milan, an VI républicain.)
Bouquin. — Vieux livre semblable à beaucoup d'es-
prits, et avec lequel cependant on en manufacture de
nouveaux.
{Dictionnaire des Cens du monde, par un
jeune hermite, 18 18.)
Bouquin. — Vieux livre semblable à beaucoup d'es-
prits.
{L'Observateur, par Francis Levasseur, i8jo.)
Bouquin. — Vieux livre semblable à beaucoup d'es-
prits, et avec lequel cependant on en manufacture de
nouveaux.
(***. Album des Gens du monde, 1853.)
NOTES
ET cAU^ECVOrES
NOTES ET ANECDOTES
'AzouiLLis DE VERS (page i). — Qui ne s'est
maintes fois réjoui en sortant des rayons ses
chers poètes, soi-disant pour les mettre à
l'air, mais bien pour picorer pensée et couleur
à travers leurs pages ?..,
Vous comprenez tous l'ivresse de ces heures, et mieux,
certes, que ne l'eût fait l'abbé de Longuerue. A son in-
ventaire, il ne se trouva point, parmi ses livres, un seul
volume de poésie. Dans cet ostracisme, l'Arioste seul
était épargné. " Pour ce fou-là, disait-il, il m'a quelque-
fois amusé. »
Mal coupés (2). — On en voit encore fréquemment,
de ces volumes effilochés. J'en possède un, qui vient de
la bibliothèque de Corot, et qui est bien le chef-d'œuvre
du genre. Au lieu d'un doigt, notre délicieux peintre a
dû y passer toute la main... Plusieurs de ces marges ra-
vinées auraient pu lui fournir des modèles de lignes pour
accidents de terrain, montagnes ou précipices.
Mes CHAMPS de bataille (3). — A ce propos, et comme
contre-partie de ces soins donnés aux vieux livres par
bon nombre de bibliophiles, on peut rappeler la manie
i8
de S. Mercier, signalée dans notre Bibliophiliana (Y voir
Valentiîi de Lapelouze).
Une plainte (4). — Je ne vois jamais un de ces pau-
vres étalagistes en plein vent, sans me sentir pris de la
même compassion. Je suis toujours disposé à soupçon-
ner, parmi eux, de vieux soldats des lettres, comme
Achaintre, comme Deleau, et quelques autres.
Achaintre (N,-L.) est bien le type le plus complet du
bouquiniste érudit, ou, pour être exact, de l'érudit de-
venu un peu par force bouquiniste. Un des meilleurs
latinistes de Paris, il avait passé de la chaire de professeur
à un étalage avoisinant l'Institut. Quelle cause l'avait fait
ainsi descendre ? Quoique certains biographes n'en par-
lent pas, il paraît que le savant éditeur d'Horace, de Juvé-
nal, de Phèdre, etc., traducteur lui-même des Traités de
Cicéron, de Dialogues de Platon, etc., aimait à boire...
ce qui ne l'empêchait pas d'être correcteur de latin chez
Didot, annotateur de classiques chez Lemaire, qui parfois
avait recours à la bouteille pour retenir son travailleur.
— Deleau, qui tenait sur l'ancienne place du Carrousel
un étalage semblable à celui que représente la vignette de
la page 123 de ce livre, prenait aussi, malgré son nom,
souvent du vin... Quo me, Bacche, rapts tui plénum >
Le Passé (f). — Ce sonnet a surtout en vue les pitto-
resques études de Paul Lacroix sur le moyen âge.
Le Livre. (6-7). — J'espère avoir plus d'un partisan
dans ma manière d'envisager et d'aimer le Livre,
Un bibliophile qui vient de mourir, Léopold Marcel,
notaire honoraire à Louviers, avait pris pour devise :
Pro facie ingenioque, phrase dans laquelle Lucrèce (Liv. V)
semble indiquer mes deux points de vue.
ETANECDOTES JI9
Quelques lignes du marquis de Caraccioli, pour finir:
«Quel vaste champ que celui de la lecture! L'univers
abonde de livres... Si nous jetons un coup d'oeil sur
cette multitude d'hommes qui lit, ou qui du moins fait
semblant de lire, nous verrons à peine la millième partie
qui lise de bonnes choses, qui lise avec réflexion, et qui
lise à propos... On ne lit bien que lorsque la lecture
perfectionne le goût, réforme les mœurs, et nous rend
plus amateurs de la vérité... » (La Jouissance de soi-?néme.)
Trop bien choisi (8). — Parmi les bouquineurs cela
s'est vu, cela se voit... Heureusement que c'est l'exception !
La chose s'est également exécutée sur une plus grande
échelle. On en peut lire deux exemples piquants dans
Paris, Versailles et les Provinces au XVlll^ siècle. La pre-
mière anecdote est relative au cardinal P***, qui dévalisait
les bibliothèques des abbayes de la Suisse; — la seconde,
à M. R..., célèbre médecin à L..., qui décomplétait des
ouvrages chez des libraires, afin de les leur acheter en-
suite à vil prix.
D'après des notes manuscrites inédites du savant Mer-
cier de Saint-Léger, que nous avons eues entre les mains,
l'abbé Dinouart (A.-J.-T.), traducteur et plagiaire, doit
figurer aussi parmi ceux qui ne se gênaient pas pour
s'emparer des livres des autres. Nous le mentionnons,
les nombreux méfaits du coupable en valent la peine...
Mais nous tenons à ne point allonger cette liste, qui
manque de gaîté.
Belle collection! (9). — On pourrait énumérer
longuement tous ces faux amateurs, qui mentent aux
yeux avec leurs livres factices. Passons cette nomencla-
3^0
ture sans intérêt. Seulement cinglons, en même temps
qu'eux, une autre sorte de barbares.
G*** a une grande pièce, où il veut installer une belle
bibliothèque. Les rayons sont posés : « Achetez-moi des
livres. » On lui en apporte des mètres cubes : « Rangez-
moi ça là-dedans. » On en met autant qu'on peut : ce En
voilà de trop grands... » Belle misère 1 « On les rognera.
Mais, — vous allez voir que j'ai de l'idée, — par où vaut-il
mieux les rogner? par en haut, ou par en bas > Il me sem-
ble qu'on fait toujours mieux en commençant qu'en finis-
sant. C'est donc le bas des pages qui doit doit être le moins
soigné... Je les ferai rogner par le bas...» Et le relieur
enleva, « par le bas,)) un tiers de chaque volume, puis les
recouvrit d'une splendide reliure. Les invalides dorés en-
trèrent exactement dans les rayons. Le propriétaire de
cette monstruosité se frottait les mains en se promenant
devant ses dos à dorures !...
Les livres et bibliothèques imaginaires rentrent trop
dans l'esprit de cette note pour que nous les passions
sous silence. On eut la bibliothèque des Dames, celle des
Dévotes, celle des Petits-Maîtres. Les soi-disant catalo-
gues, celui de Fortsas en tête, se succédaient, effleurant,
raillant, écorchant, parlant même politique. Quoique
nous ne songions point à en donner ici une idée, nous
ne pouvons moins faire que de signaler, comme une des
plus saillantes du genre, celle de Turgot, qu'il appelait
ses Gaietés, et dont voici quelques titres :
Traité du Droit de conquête, ouvrage posthume de Car-
touche;
Traité des Ornements de la poésie moderne, par M. Eisen;
Nouveau Système sur l origine des cloches ;
ET ANECDOTES {3 I
Dictionnaire de caractères, à l'usage des poètes comiques;
Histoire naturelle et morale des Araignées, avec la descrip-
tion de leurs amours, par M. le duc de **• ;
Cours complet de Morale, extrait des romans de Crébillon
fils;
cArt de compliquer les questions simples, par l'abbé Ga-
gliano;
T)u Pouvoir de la Musique, par M. Sedaine;
De l'Emploi des Images en poésie, par M. Dorât.
La bibliothèque de la Préfecture de la Seine possédait
un de ces panneaux. (Voir la i l'ne journée du Livre, de
J. Janin.)
On peut voir encore dans la grande salle de l'abbaye
de Saint-Waast, devenue aujourd'hui bibliothèque publi-
que de la ville d'Arras, de curieux panneaux indiquant
des livres imaginaires.
Sauvai, La Bruyère et Pope ont parlé des livres à dos
factices. Ecoutez le railleur anglais : « Mylord est curieux
en livres. Il vous en fait parcourir tous les dos, chacun
avec la date de sa publication. Admirez ces livres de vélin
ou ces livres de bois magnifiquement décorés : pour l'usage
que mylord en fait, ces derniers sont aussi bons que les
autres... »
Ferdinand IV, roi de Naples, Scribe, et beaucoup d'au-
tres, dont un docteur que nous avons connu, se sont fait
faire des bibliothèques factices.
Ajoutons ces quelques lignes de J.-B. Monfalcon, con-
servateur de la Bibliothèque de la ville de Lyon. Il parle
de la collection des Syndicats : « Cette collection a eu
beaucoup à souffrir de l'incurie du consulat et du vanda-
lisme d'un des derniers archivistes. Un de ces gardiens,
4«
jaa
véritable calamité, rassembla les feuilles en vélin qui lui
tombèrent sous la main et les fit relier au prix de i fr. ^'o
par un papetier. Comme il se trouvait gêné dans cette
opération par des sceaux nombreux fixés au parchemin...
il eut la malheureuse idée de les en détacher pour les
jeter au feu, acte de vandalisme dont je l'ai entendu
s'applaudir. »
Jouissance future (lo). — Plus d'un lecteur recon-
naîtra ce terrible convaincu, passant sa vie à faire des
provisions... auxquelles il n'aura jamais le temps de tou-
cher.
Bredouille (ii)- — '' ^^ut passer par ces mauvais
moments pour avoir la chance de quelque bonne rencon-
tre... et le vent ne se lève pas tous les jours pour les
pauvres chercheurs un peu difficiles!
Bouquins et Rats (12-13). — La dédicace de ces
deux sonnets appellera une fois de plus l'attention sur le
spirituel illustrateur de ce livre. Avant les pages de ce
magistral aqua-fortiste, je n'avais pas soupçonné toute la
finesse de la gent « trotte-menu. » Chevrier est le peintre
du rat bibliovore. — Il en est aussi le justicier. Regardez
le ravissant dessin dont il a voulu enrichir nos Notes.
Flagrante delicto, porte en titre cette eau-forte... sévère.
Voyez par quelle adroite fatalité le rongeurfautif est puni.
N'est-ce pas une scène vivante et pleine d'humour ? Peut-on
mieux saisir son coupable? Peut-on surtout mieux l'exé-
cuter >
Deux petites citations :
" Il est à souhaiter qu'elle (la bibliothèque) reçoive le
ETA NECDOTES ^2^
soleil levant, et que la construction de la pièce où elle
est placée la défende de ces petits quadrupèdes,
qui, les livres rongeans,
Se font savans jusques aux dents.
« Elle n'a point d'ennemis plus dangereux après les
emprunteurs, disent les mauvais plaisans. »
(Ch, Nodier, (Mélanges de littérature et de critique.)
«... Le terrain est couvert de barils, de caisses encore
pleines d'objets divers... La vue de ces objets, irrécusa-
bles témoins d'un grand désastre, nous remplit de pitié...
Je trouve même dans ces caisses, au fond d'une de ces
cabanes, plusieurs centaines de volumes composés des
principaux philosophes anglais, français, allemands du
xviii® siècle, d'ouvrages de théologie, d'énormes in-folio
sur le droit canon et le « Parfait notaire ; » les rats
semblent, depuis bien des années, avoir visité seuls cette
bibliothèque si étrangement composée pour des pêcheurs
de morue ou pour les marins qui ont naufragé sur ce
rocher. »
{Mission de l'île Saint-Paul pour l'observation du passage
de Vénus, Rapport lu par M. Mouchez, Je l'Académie
des Sciences, le 25 octobre 1875.)
Crescendo (14). — N'est-ce pas, chers pécheurs,
que vous retrouvez bien là cetle incurable intensité du
désir? Ce tyrannique besoin « de l'autre? »J'en sais plus
d'un, enfiévré de la sorte jusqu'à la mort.
Le Révérend C. M. Cracherode, — amateur anglais
très-zélé, qui légua au Musée Britannique d'innombrables
ja*
livres précieux, et à qui l'on adressa une longue pièce
de vers latins commençant ainsi:
Libres qui faciant venvstiores,
Beatissime Cracherode, dicam... —
« mourut, dit Le Roux de Lincy, et ses derniers instants
furent empoisonnés par le regret d'avoir vécu sans avoir
possédé les Annales de Triveth, et surtout, hélas I le Pin-
dare d'Henri Estienne, en vieille reliure, bien conservé. »
De Gloria (i^'). — Le sonnet raconte sommaire-
ment l'épisode. J'ajoute les lignes suivantes, de M. Valéry
{Voyage liistoriq., littér. et artistiq. en Italie), qui font con-
naître le nom du coupable : Dans la Magliabecchina se
trouve « un manuscrit de i 342, du vieux maître de Pétrar-
que, Convenevole de Prato (Lalanne dit Convennole da
Prato), que l'indigence rendit infidèle, qui mit en gage le
traité de la Gloire, de Cicéron, que son élève lui avait
prêté et qui ne s'est point retrouvé... » — Pétrarque
l'avait reçu en présent de Raimondo de Soranzo.
On sait qu'il a été dit que le médecin Pietro Alcyonio,
sous les yeux de qui le joyau était tombé (dans la biblio-
thèque léguée par Giustiniani à un monastère de reli-
gieuses), avait fait dessus main basse et en avait pris
les plus beaux passages pour en fabriquer un opuscule
intitulé de Exilio. Le plagiaire trouva des défenseurs...
Mais nous n'avons point l'intention d'aborder ce thème
d'érudition militante.
Ciccron avait composé ce Traité en 710, à 6] ans,
dix-sept mois avant sa mort.
Morts et Ressuscites (16-17-18.) — Ici, trois pha-
ses bien caractéristiques du Livre : Bibliothèques brûlées.
ET ANECDOTES ja^
— textes effacés, — papyrus retrouvés. Nous laissons de
côté les volumes quel'on pourrait écriresurces trois points.
Notre Bibliophiliana donne le cri d'Omar, que nous
avons maintenu quoique l'on ait essayé de prouver que
la Bibliothèque d'Alexandrie n'a point été brûlée. Cela
réduirait à néant la tradition des 400,000 volumes chauf-
fant les bains de la ville pendant six mois.
(Voir dans les Poésies de l'époque des Thang, trad. du
chinois par le marquis d'Hervey-Saint-Denis, la légende
de la « Source des Immortels, » relative à l'incendie des
livres ordonné par le fameux Thsin-Chi-Hoang-Ti, l'an 2i'}
avant notre ère. — Parcourir également l'opuscule tou-
chant intitulé : Thoma Bartholini de Eibliothecce incendia
Dissertatio (1709), ainsi que la Préface, dans laquelle
André Westphal parle des bibliothèques incendiées).
Empruntons encore quelques lignes à une note de
M. Patin : « C'est ainsi, dit-il du célèbre de Thou, qu'en
racontant les massacres d'Orléans, cette sanglante imita-
tion de la Saint-Barthélémy, au milieu de la douleur qui
pénètre son âme et qui se répand dans son langage, il
trouve encore des regrets pour la bibliothèque d'un savant,
de P. de Mondoré, dispersée et détruite dans ces jours
de désordre... »
En contre-partie de ces tableaux de destruction, on peut
lire ce passage d'une lettre de P.-L. Courier à M. Chaban,
au sujet du transport des manuscrits de la Badia à la Bi-
bliothèque de Saint- Laurent : « C'est le zèle de l'antiquité
qui m'engage, Monsieur, à vous présenter cette humble
requête... Songez qu'avec deux lignes vous allez conser-
ver les titres de noblesse des Grecs et des Romains, et
vous attirer les bénédictions de tout ce qu'il y aura ja-
\2Ù
mais d'antiquaires et d'érudits dans tous les siècles des
siècles. »
Pour les palimpsestes, nous citerons seulement le traité
de Republicâ, de Cicéron, que Pétrarque chercha en vain,
et « que l'abbé Maï, depuis cardinal, retrouva dans un
manuscrit de l'Ambroisienne, à Milan, sous l'écriture su"
perposée d'un âge de décadence, » puis le manuscrit du
IV® siècle, découvert par Fréd. Mone, et qui a fourni
d'importants fragments pour les cinq livres (de X I à XV)
de Pline.
Quant aux trouvailles faites à Herculanum, depuis 1713,
nous nous bornerons à signaler : Philodème, sur la Musique
et sur la Rhétorique; Epicure, sur la Nature; Démétrius,
sur la Géométrie ; Colotès, sur l'Isis de Platon : Polystrate,
sur la Morale; Chrysippe, sur la Providence; Thadrus,
ami de Cicéron, sur la nature des Dieux, etc. — M. de
Pongerville, en tête de sa traduction en vers de Lucrèce,
a donné le fac-similé de plusieurs pages d'Epicure.
Ce qu'ils sont devenus (19). — Le fait est des plus
authentiques. Je l'ai su par un ami qui venait d'être té-
moin de la stupéfaction du mari. Quel retour pour le
bibliophile ! Ses livres — et comment vendus ! — méta-
morphosés en robes et en chiffons !1...
Un Drame (20-21-22-23), — Cet épisode, poignant,
ne demande pas un long commentaire. — 11 pourrait rap-
peler le pauvre Lauwers, «que, dit Mouravit, la mort sur-
prit (1829) les regards fixés sur ses collections immenses,
dont il n'avait pas voulu ôter le plus mince volume pour
en faire l'échange contre une dernière bouchée de pain ! »
En guise d'annexé , on pourrait également signaler
ET ANECDOTES }27
quelques-uns des fervents amateurs qui se sont tués en
tombant de leur échelle. Nommons entre autres : Le P.
Louis-Jacob de Saint-Charles, Frédéric-Adolphe Ebert,
l'helléniste Coray, et notre contemporain Don Joachim
Gomez de la Cortina, marquis de Morante. Ajoutons
Rover, mort, à 82 ans, d'une chute faite en prenant un
de ses livres.
Le bon temps (24). — Dans un article de Revue,
M. Le Roux de Lincy a publié une Notice sur les livres et
les estampes de A. -P. -M. Gilbert (né le 8 novembre lySf,
mort le 4 janvier 1848). Nous lui empruntons quelques
lignes :
« II était membre de plusieurs Sociétés savantes, entre
autres de la Société des antiquaires de France... Il a
exercé pendant longues années les modestes fonctions
de gardien des tours de Notre-Dame. . .
« Au nombre des trouvailles heureuses de feu Gilbert,
il faut compter surtout deux plans de Paris des plus ra-
res : d'abord le plan dressé en 1647 P^'" l'ingénieur du
roi, Jacques Gomboust, et publié en i6f2. Le dernier
exemplaire de ce plan avait été payé, en i8f2, à la vente
Walckenaer, un peu plus de 800 francs. Gilbert l'avait
acheté autrefois, à l'étalage d'un bouquiniste, 8 sous.
Ensuite le plan de Paris, en quatre feuilles, exécuté vers
If 60, et attribué à Jacques Androuet du Cerceau, dont
on ne connaît qu'un autre exemplaire, à la Bibliothèque
de l'Arsenal, avait coûté à Gilbert, il y plus de trente ans,
10 sous. Il a été acquis par la ville pour la somme de
2,200 francs... »
Un autre exemplaire se trouvait entre les mains du
libraire Edwin Tross, et vient de passer à la vente faite
ja8
après son décès; il a été acquis par M. Jules Cousin,
bibliothécaire du Musée municipal de l'hôtel Carnavalet,
pour remplacer celui brûlé par la Commune, et a coûté
cette fois à la ville de Paris, 3,000 fr. sans les frais.
Jules Janin nous dira ces deux autres traits :
<f Un étalagiste a vendu pour i sou la première lettre
d'Americ Vespuce à Laurent de Médicis, ornée de la
planche de bois représentant au sommet des sauvages
nus, et, tout au bas, l'arrivée de la flotte en Amérique...
« Pour 6 sous qui lui restaient, Ch. Nodier achetait le
Songe de Polyphile, imprimé à Venise chez les Aide, et le
revendait cent écus. »
Pour notre part, nous avons trouvé deux fois, à 30 et
à <;o centimes, le petit in-8°, non signé, d'Alfred de Vigny,
contenant Héélena; — pour 30 centimes, l'Eloge de la
Folie, avec les bois d'après Holbein, — et quelques au-
tres. Mais ce temps est passé!
Frontispice (2f). » — Simple appel. C'est toujours
avec plaisir que l'on jette son cri de bibliophile en ou-
vrant la marche devant un livre. — Nous étions, alors,
entouré d'un groupe de jeunes poètes enthousiastes.
Mais, depuis, une lourde masse a tombé sur le groupe, et
sans écraser personne, l'a dispersé!!!...
A, -M. -H. BouLARD (26-27) — Figure des plus
caractéristiques et des plus originales. Les anecdotes
abonderaient à propos de cet amasseur de livres. Beau-
coup sont connues. Contentons-nous de dire, d'après le
docteur Descuret, qu'à sa mort (arrivée le 6 mai i82f)
il laissa près de six cent mille volumes. Après la vente
qui en fut faite, les étalagistes de Paris se trouvèrent tel-
ET ANECDOTES JSÇ
lement encombrés, que, pendant plusieurs années , les livres
d'occasion, et même certains bons livres courants, ne se
vendirent plus que la moitié de leur valeur habituelle. —
Disons encore, en passant, qu'il avait une pièce pleine de
livres immoraux et obscènes, dans laquelle on n'entrait
jamais. Il les achetait pour les brûler.
Mary-Lafon le fait mourir d'une fluxion de poitrine qu'il
gagna à descendre, tout en sueur, dans sa cave, pour y
déposer un lot de livres qu'il venait d'acheter.
En fait de collectionneur, après l'Antiquaire de Walter
Scott, on pourrait citer Davalet, « cet autre entasseur
furieux qui, certes, n'y allait pas de main morte, puisqu'il
était parvenu à remplir, sans ordre et sans distinction
d'objets, une caserne, depuis la cave jusqu'au grenier. »>
Mais Ruhier, mort il y a quelques années, ne lui cédait
en rien. 11 avait loué, près des fortifications, les vastes
combles d'un magasin de fourrages, — l'idée du feu ne
lui était pas venue ! — et il y entassait tableaux, défro-
ques, porcelaines, gravures et livres. Il ramassa ainsi plus
de quinze mille volumes. « Une singularité relative à ces
livres, c'est que l'humidité en ayant détrempé les couver-
tures, le parquet était dissimulé sous une sorte de bouillie
rougeâtre de plusieurs centimètres d'épaisseur, dans la-
quelle on enfonçait comme dans une purée épaisse de
détritus de reliures et de cartonnages... » Il disait que le
vin est « superflu, » ne possédait aucun meuble autour de
son grabat, et mourut de privations et de froid au milieu
des « chers et muets témoins de ses joies discrètes. »
Un rachat. (28). — Là, le sonnet a demandé la parole
pour un fait personnel.
Fouillis (29). — Devant cette fantaisie, il ne man-
42
ÎÎO
querait plus que de ranimer tous ces esprits divers, et de
leur faire danser une immense farandole.
A UN AMI DES LIVRES (^o). — Epigramme typique,
et non individuelle.
Accès de typographie (31). — Que tous mes amis,
auteurs d'excellents sonnets à deux pages, me pardonnent!
Moi, j'aime, d'un coup d'oeil, saisir cette pièce en son
entier.
Entrée d'assaut (32). — Un des mille petits tours de
force auxquels nous nous sommes livrés, les uns ou les
autres.
Mélancolie de bibliophile (33). — Encore une
fantaisie, mais triste. Rapprochez de ce sonnet celui intitulé
une Chrysalide (page 97).
Magliabecchi (34-35'). — Seconde étude dans le
genre de celle sur Boulard. Nous n'exhumerons pas non
plus les anecdotes au sujet de cet homme, qui vécut au
milieu de ses livres. Il est, mais en bonne part, un de ceux
qu'on a appelés helluones librorum. — A propos de ce so-
briquet, lisez dans Bayle : a M. Claude conseilla un jour
à un sçavant, qui avoit lu prodigieusement, d'être trois ou
quatre années sans lire, et sans faire autre chose que mé-
diter. C'est comme s'il lui avait dit : « Vous avez assez
" mangé; digérez présentement. » Ceux qu'on nomme
helluones librorum ont besoin de cet avis. »
Ce sobriquet vient de Cicéron, qui, en parlant de
Caton {de Finibus, etc., lib. III, 7), dit : « C'est dans ce
moment de loisir et parmi tous ces volumes qu'il parais-
sait affamé de livres, helluo librorum... »
ET ANEC DOTES )]I
Coup de vent (36). — Catastrophe dont nous re-
cueillons tous les jours des lambeaux, lambeaux dont nous
reconstruisons tous les jours notre monument, monu-
ment dont à son tour notre mort dispersera les pierres ! ! . .
Dante (37). — Ce sonnet a été mis en tête de notre
traduction des Rimes de Dante (Sonnets, Canzones, Balla-
des, Sextines), la première complète qui ait été entre-
prise. — Elle est, à ce point de vue, au même rang que
notre traduction des Noei Borguignon de Bernard de
La Monnoye. — C'est tout ce que nous voulons en dire.
Raffinement (38). — Une des mille nuances de no-
tre douce... et impérieuse passion. L'explique qui pourra;
mais il paraît que pour certains, ce n'est point assez de
la joie de trouver une fois.
L'aubaine (39). — A côté de ce récit, d'apparence
légendaire, on pourrait narrer des faits où figureraient
tel et tel volume jouant le rôle de coffre-fort. Il suffira
de rappeler le Plutarque de l'étudiant.
Dans un de ces moments de gêne si fréquents chez la
jeunesse folâtre, un élève en droit met sous son bras un
Plutarque envoyé par son père, et va l'offrir à un mar-
chand de vieux livres. Prix proposé, prix accepté;
l'homme garde le livre, et l'étudiant rentre avec sa som-
me, qu'il se hâte d'entamer. Le lendemain, de bonne
heure, on frappe à la porte. C'est son acheteur de la
veille : « Monsieur, lui dit-il, je vous rapporte votre vo-
lume. » — Pourquoi cela ? » — «Je ne peux pas le garder.»
— « Mais... » — « Voyez plutôt. » Et, d'un doigt exercé,
il fait défiler les feuillets sous les yeux du jeune homme...
n»
ébahi. Au commencement de chaque biographie se pré-
lassait un billet de banque... Et l'étudiant, peu studieux,
point du tout liseur, n'en savait rien! Cependant son
père lui avait dit : « Je t'envoie un Tlutarque. C'est une
'ecture substantielle. Ne l'oublie pas, et feuillette-le sou-
vent. » Le fils n'avait pas compris... 11 lui a fallu un hon-
nête bouquiniste pour lui révéler cette petite fortune.
(iM. A. de Fontaine de Resbecq conte autrement cette
anecdote dans la Lettre XV de ses Voyages littéraires.)
Rattachons à ce sujet « ce Volume de billets de banque^
dit M, de Lescure (les /autographes), intercalés entre cha-
que feuillet, imprimé et offert, dit-on, à M*"^ du Cayla,
par la galanterie de Louis XVIII,... » — ainsi que la Bible
léguée à M'^* Mars par M. de Chalabre (encore un biblio-
phile!) qui en avait couvert 2f gravures avec des billets
de 1 ,000 francs.
Un vieil avare, marchand de chiffons, vient de mourir
en laissant près de 400,000 francs chez lui, sous diverses
formes, entre autres 12 billets de 1,000 dans une vieille
Bible.
Savantasse (40). — D'après nature... et rien de
plus. J.-L. Guez de Balzac, dans son Socrate chrétien, a
dit: « J'ai pitié d'un homme qui fait de si grandes diffé-
rences entre pas et point, qui traite l'affaire des gérondifs
et des participes comme si c'était celle de deux peuples
voisins l'un de l'autre et jaloux de leurs frontières... »
Ophtalmie (41). — Quelle douleur 1 Ne plus pouvoir
contempler ses livres! Plusieurs l'ont eue. — D'autres,
qui les voyaient, ne pouvaient plus s'en servir.
Albert de la Fizelière dit de Jules Janin : « ... Il lui était
ET ANECDOTES J }}
également interdit de lire. Concevez-vous les déchire-
ments d'un pareil supplice? 11 se voyait entouré des plus
beaux livres qu'on puisse rêver; ses chers auteurs, — son
amour et sa fortune, — ruisselaient devant ses yeux, sous
leur parure d'or et de maroquin et, nouveau Tantale,
enchaîné par l'ankylose, il étendait vainement vers eux ses
mains frémissantes. »
Lequel est le plus terrible?
Citons encore M. H., en laissant parler M. Fontaine de
Resbecq : c Devenu aveugle, ce courageux bibliophile
se faisait conduire par son domestique sur le quai Vol-
taire;... on l'approchait des boîtes. Il passait alors légè-
rement les mains sur les livres,... puis, saisissant quelque
mince volume: « N'est-ce pas de chez Barbin?... » Il se
trompait souvent, mais il lui est arrivé plus d'une fois de
deviner juste. »
Une fin (42). — C'est triste à dire! Mais, jeune éco-
lier, avec un de mes condisciples, chez un grand épicier
qui en empilait toujours des montagnes, combien de livres
n*ai-je pas brisé pour en avoir les images.!... C'était sin-
gulièrement débuter. Par bonheur que j'ai mieux conti-
nué... Oh! les vocations!!.. . (Voir p).
Autographe... et calligraphe (4'î)- — Tout le
commentaire est contenu dans le sonnet.
Dernière ressource (44). — Qui ne dirait vingt
fois pour une: « Vends mon livre, brave garçon,... et
dine! »
Une perte (4^). — Cette perte, exactement narrée,
est celle du texte latin du Voyage dans la vieille France, de
334
Jodocus Sincerus (Juste de Zinzerling). Que ce pauvre
Thaïes Bernard l'a donc regretté!...
Tu QUOQUE?... (46). — La vente du livre considérée
à un autre point de vue qu'au sonnet 44.
A UN BIBLIOGRAPHE (47). — U ne nous semble pas
malséant de réclamer la bienveillance pour les jeunes.
Certains les trouvent gênants-.. Et pourtant si on ne les
avait point aidés, eux!...
Averse (48). — C'est un peu de tout qu'on découvre
au fond des livres, mais le tabac domine. La statistique
ad hoc montrerait les priseurs en majorité. — Après le
tabac, viennent les miettes de pain, la farine, les fleurs
séchées, etc., etc., sans compter les billets intimes... et
quelquefois les lettres non ouvertes qui recommandaient le
volume à la bienveillance d'un critique!
Une supplique (49). — Je l'ai eue entre les mains, cette
lettre. Elle valait la peine d'être étudiée, et j'ai été remué
par la rare honnêteté et le ton discret du demandeur.
Habent sua fata LiBELLi (fo-fi). — Ccux qui
aiment le Livre comprendront ces deux sonnets. Ils sen-
tiront ce qu'ils renferment de joies et de tortures. Je
rappellerai seulement ici : le savant Brunck, qui pleurait
ses livres vendus; — l'excellent abbé Goujet, mort de
douleur d'avoir été obligé de mettre sa bibliothèque en
vente; — Jacq. Gopile, médecin du xvi^ siècle, égale-
ment mort de douleur du pillage de sa bibliothèque.
Pendant les fêtes de vendom e (p). — Acclamation
ET AN ECDOTES J ] $
d'un réveil attendu... et mérité. — C'est aux publications
de M. Prosper Blanchemain qu'il faut demander les ren-
seignements, documents nouveaux et anecdotes concer-
nant le chef de la Pléiade, « l'Apollon de la source des
Muses. »
A propos de Ronsard, un aveu, l'aveu d'un méfait dont
je demande pardon à tous les bibliophiles. J'étais jeune
collégien. Je n'aimais encore que les images. Un jour, je
rencontre le vieux père J..., promenant sa voiture de
bouquins. J'en avise un énorme. C'était le Ronsard in-f°.
Je fais arrêter le marchand, et je feuillette le tome : —
« Me vendriez-vous les gravures seules? » — « Tout de
même. » Et, prix fait, le voilà qui m'ouvre le majestueux
volume et, en m'aidant, m'en laisse arracher les portraits,
de délicieux portraits de Thomas de Leu! — Mais, voyez
la punition : depuis que j'ai quitté la Bourgogne pour
venir à Paris, je n'ai plus vestiges de ces fines estampes...
Quel accident les a détournées de moi ? (Voir 42).
Les deux volumes (n)- — Tout simplement imaginé
pour couler un Apologue spécial dans le moule si at-
trayant du Sonnet.
A mes livres (sA'SS)- — Faible écho des transes
éprouvées pendant la terrible année des obus et des
bombes.
Moutons de panurge (f6). — Pourrait se joindre
aux deux précédents. — Une rectification. Ce sonnet
devrait avoir pour titre : Bouquins de Panurge.
Un repas (f7). — Combien ont mis, et plus d'une
fois, le prix de leur dîner dans un livre 1 Je ne sais point
n'
de volupté plus intense que celle de mater la faim du
corps en satisfaisant la faim de l'esprit.
Signalons, sans entrer dans les détails, Georges Ste-
phenson, se faisant ouvrier cordonnier, afin de pouvoir
s'acheter des livres et, plus tard, donner de l'instruction à
son fils, — qui fut le célèbre Robert Stephenson, enterré
aujourd'hui à Westminster, à côté des rois d'Angleterre.
" On ne travaille bien, dit Deschanel, qu'avec ses livres
à soi. Un pauvre homme dépensait en livres le prix de
son dîner: — «Mais, lui dit quelqu'un, si vous lisiez ces
livres à la Bibliothèque? » — « Je ne peux lire, répondit-il,
que les livres que j'ai achetés. »
Larcher, voyant son collègue Langlès lui offrir de lui
prêter un livre dont il avait grand besoin pour sa traduc-
tion d'Hérodote, le remercia froidement, disant qu'il n'a-
vait pas l'habitude de travailler avec les livres qui ne lui
appartenaient pas.
On peut rappeler le pauvre Gaulieur, « sobre comme
un ascète,... économisant sou par sou sur un maigre trai -
tement... pour pouvoir venir de temps en temps, avec un
petit sac d'écus, à la chasse des livres rares... » {L'Evéne-
ment, 26 avril 1866.)
Ne quittons pas l'amour du Livre sans réunir un trio
d'opinions, qui ne manquera pas de piquant. — Isidore,
paraphrasé par DomM.Jamin, commence par dire : « Un
lecteur qui lit sans penser à ce qu'il lit est un homme qui
n'a point d'âme, ou qui oublie qu'il en a une. C'est l'at-
tention qui donne la vie à la lecture : sans elle, elle n'est
qu'une fonction de l'animal, qui laisse le lecteur dans
l'ignorance. » — Maintenant, écoutez ces deux passages,
assez différents et où les auteurs ne se privent pas de
£T ANECDOTES 3J7
jouer sur les mots. Alain dit des clercs dissipés : « Potius
dediti gula quant glossœ ; potius colligunt libras quàm legunt
libros; libentius intuentur Martham quàm Marcum ; ?nalunt
légère inSalmone quàm inSalomone... » — Mais tous ne méri-
tent pas ces reproches- Philippe Harveng, abbé de Bonne-
Espérance, dit des écoliers studieux: <f ... Qui plus amant
scolas quàm 7iundinas, exarant codices quàm calices, scientiam
quàm pecuniam... »
La tournée (fS-fç). — Les bouquineurs, à la res-
cousse! — Tous se reconnaîtront dans ces deux pages.
Un petit tableau à l'appui. Il est de Jean-Victor Rossi
(Janus Nicius Erythraus) racontant au Nonce (à Cologne)
Fabio Chigi « le zèle, l'ardeur, les ruses de Gabriel Naudé,
— grand ramassier, dit G. Brunet, — pour se procurer,
dans un voyage qu'il fit à Rome en 1647, des livres pré-
cieux et à très-bas prix. »
Voici le fragment :
<c cAt velles hominem, ex tabernis bibliopolarum exeuntem,
aspicere, risum profecto tenere non passes; ita exit, capite,
barbâ, vestibus, telis aranearum atque erudito illo pulvere, qui
libris adhaserat, plenus, ut ad eum depellendum, nulla satis
videantur esse excutice, nulli peniculi... (Mais, si vous voulez
contempler l'homme, sortant des boutiques des libraires,
vous ne pourrez vous empêcher de rire : il en sort, la
tête, la barbe, les vêtements tellement remplis de toiles
d'araignées, tellement couvert de la docte poussière qui
adhérait aux livres, que, pour l'épousseter, il n'y aurait
jamais assez de brosses, assez de plumeaux...)
Que d'ardents et infatigables chasseurs du Livre on
pourrait mentionner avant de clore cette note! Nous nous
4}
3J8
contenterons d'emprunter quelques lignes à Petit-Radel :
<< Il est continuellement parlé de livres dans les lettres
de Gerbert, et des sommes d'argent qu'il employait, étant
pape, à en faire rechercher dans toute l'Italie, l'Allemagne
et la Belgique. Il insiste, dans sa correspondance avec
quelques savans, sur la nécessité de s'appliquer surtout à
la correction du texte de Pline; et, pour se procurer
l'Achilléide de Stace, il promet en échange une sphère
céleste en bois, recouverte d'une peau de cheval. » (Re-
cherches sur les Bibliothèques anciennes et modernes.)
Le dernier (6o). — A joindre encore à f4-f5'. Il y
a, là, l'expression d'une tristesse d'un genre particulier.
Le coin du feu (6i), — Tableau de famille, que
l'amour du Livre éclaire de son doux rayon.
Le fil du labyrinthe (62). — Hommage au plus
pénétrant de nos critiques, après lecture, surtout, des
Portraits littéraires.
Un navigateur (63). — Sous la dédicace de ce
sonnet reste voilé un érudit... qui n'a point voulu faire
de bruit dans les lettres.
Son « eurêka! » (64). — Explosion de joie qui suit
la trouvaille. Si l'on voulait noter ces élans d'une manière
précise, on toucherait bien à quelques grains de folie....
mais si douce et si innocente !
Ecoutez Alexandre Dumas (préface des Mariages du père
Olifus) : « Esprit changeant, capricieux, amoureux d'un
livre comme un roué du temps de la Régence était amou-
reux d'une femme, pour l'avoir; puis, quand il l'a, fidèle
ET ANECDOTES j }9
un mois, non pas fidèle, enthousiaste, le portant sur lui
et arrêtant ses amis pour le leur montrer, le mettant sous
son oreiller le soir, et se réveillant la nuit, rallumant sa
bougie pour le regarder, mais ne le lisant jamais. »
A Shakespeare (6f). — Chacun sait que ce nom a
été orthographié de plus de vingt façons différentes.
Dans son numéro du ii août 1874, le Figaro imprime
ceci :
« Une chose assez drôle : le dernier numéro d'une
revue anglaise, le Fraser's Magazine, demande sérieuse-
ment de qui sont les œuvres de Shakespeare >
« L'auteur de cet article réunit différents arguments
qui permettent d'attribuer à lord Bacon la paternité de
toutes ces œuvres immortelles. — Lord Palmerston était
au nombre des adeptes de la théorie baconienne.
« D'autres prétendent que Bacon n'était que le colla-
borateur (mais le principal) d'une société d'esprits d'élite
dont sire Walter Raleigh faisait partie ; mais tous s'ac-
cordent à croire que parmi eux se trouvait un nommé
Shakespeare, sorte de factotum, moitié comédien, moitié
poète, à qui l'on permettait de signer ces pièces.
« Renvoyé à l'Académie française... d'Angleterre. » —
(Voir 111.)
Assez longtemps avant cette note, L. Lalanne avait dit:
« On a conservé un curieux passage d'un certain Robert
Greene, qui, auteur dramatique lui-même, se plaint des
plagiats continuels du grand poète, à peine connu; il
l'appelle un Jean-Factotu?n, et lui reproche de s'approprier
les compositions dramatiques de Marlowe, Lodge et
Peele, compositions auxquelles Shakespeare mettait son
nom. »
340
En omnibus (66). — Episode vrai. Les jolies et ba-
nales pécheresses n'ont rien à démêler avec notre noble
passion. — M'"" de Pompadour, pourtant, figure parmi les
femmes-bibliophiles.
Puisque ce mot vient de s'écrire, nommons quelques-
unes de ces dernières:
Aiguillon (duchesse d');
Albany (Caroline^ comtesse d'j;
Anne d'Autriche, reine de France;
Anne de Bretagne;
Anne de Lorraine;
Artois (Marie-Thérèse de Savoie, comtesse d');
Berry (Caroline de Naples, duchesse de);
Bourbon (Louise -Adélaïde duchesse de);
Catherine de Médicis;
Catherine II, impératrice de Russie;
Cha M illard (M°" de);
Christine, reine de Suède ;
Condé (princesse de);
CuRRER (miss Richardson);
D acier (M""" Anne LeFèvre, femme de André);
Delessert (M"" Benjamin);
Devonshire (duchesse de); *
Diane de France ;
Diane de Poitiers;
Dos ne (M"'i;
Du Barry (Jeanne Vaubernier, comtesse);
Elisabeth, reine d'Angleterre ;
EoN (Ciiarlotte-Geneviève-Thimothée, chevalière d');
Fenwick (M"), fille de sir Thomas Pliilipps, le célèbre collec-
tionneur de Manuscrits;
Grammont, née Choiseul (duchesse de);
Isa beau de Bavière ;
Jeanne Cray ;
ET ANECDOTES J4I
Jeanne de Naples;
La Va ll 1ère (iM"* de);
Lamballe (princesse de);
Lesdiguières (Paule de Gondi, duchesse de);
Maine (Anne-Louise de Bourbon, duchesse du);
Maintenon (M"" Françoise d'Aubigné, marquise de);
Marguerite d'Autriche;
Marguerite de France, reine Margot;
Marguerite de Valois, reine de Navarre;
Mar ie-Antoi NETTE d'Autriche, reine de France;
Marie d'Aspremont, duchesse de Lorraine;
Marie de Médicis, reine de France;
Marie- Josèphe de Saxe;
Marie Leczinska, reine de Fiance ;
Mars (M"');
MoNTESPAN (marquise de);
MoNTESSON (marquise de);
Montmorency-Luxembourg (duchesse de);
Montpensier (duchesse de);
MoucHY (duchesse de);
No AILLES (vicomtesse de) ;
Orléans (princesses d');
PoMPADOUR (Antoinette Poisson, marquise de);
Rachel (M"');
Raguse (duchesse de);
Savoie (Marie-Adélaïde de), duchesse de Bourgogne;
SoLAR (comtesse Cla.-Casalgrasso);
Thou (Marie de Barbançon-Cany, femme de J.-Aug. de);
Vassé (marquise de);
Vaudemont (Louise de), femme de Henri III;
Verrue (Jeanne d'Albert de Luynes, comtesse de);
Waddington (marquise Mariana-Florenzi);
Wiborade (sainte);
Yves (comtesse d').
Guide inspiré (67). — A l'éditeur, artiste et désin-
143
téressé, à qui l'on doit quelques-uns des plus beaux livres
de la librairie moderne. Ecrit en recevant de lui •. Dresde,
Montpellier, 18^8, et Dresde, Paris, Montpellier, 1860. —
Ces albums reproduisent les principaux tableaux des
Musées des villes mentionnées aux titres, et chaque re-
production est accompagnée d'une pièce de vers de
L. Curmer, qui avait pris pour devise : L'or rien ne me
cure.
Un bon marché (68). — Navrant. Pris sur nature.
Rapprocher ce sonnet de notre nouvelle le Trésor du
Bibliophile défunt {Fantaisies d'un Bibliomané).
Un savant (69). — Coup d'œil comique jeté sur un
maniaque, et dans lequel on peut voir à peu près tous les
passionnés excessifs de la claustration bibliophilesque.
Lisez dans la Médecine des Passions, de Descuret, chapitre
Manie de l'Etude, l'exemple de Mentelli, conté avec beau-
coup de détails.
Un autre chercheur, plus que patient, a travaillé huit
heures par jour, pendant trois ans consécutifs, pournous
apprendre que la Bible contient :
66 livres,
1,189 chapitres,
31,17] versets,
773,6^6 mots,
3, f 66,^60 lettres,
6,2)<{^ fois le nom de Jéhova,
46,227 « la particule et.
Peignot a calcule que Voltaire, pour l'ensemble de ses
œuvres, a tracé à peu près 33,000,000 de caractères
alphabétiques.
ET ANECDOTES
34Î
AuTO-DA-FÉ (70-71). — On a, dans ces deux son-
nets, la description minutieusement exacte de la céré-
monie qui se renouvela tant de fois, brûla tant de livres...
et en détruisit si peu. Les Méditatiom de Descartes, le
Dictionnaire de Bayle, la Cité du Soleil de Campanella, la
Sagesse de Charon, les Provinciales de Pascal, VEsprit
d'Helvétius, et des centaines dont nous supprimons la
liste, y ont passé... et n'en sont point morts!
Ajoutons ce passage que nous trouvons après coup :
« ... Rousseau éditait son Emile, Diderot l'Encyclo-
pédie, Voltaire son Dictionnaire philosophique, ses Lettres
sur les Anglais, brûlées stupidement sur arrêt du Parle-
ment de Paris par la main du bourreau, comme si l'on
brûlait la pensée? Du bûcher où le juge la fait monter,
elle se transforme en millier d'étincelles qui lui sautent
au visage et, s'élevant dans l'espace, illuminent à jamais
d'une immense lueur le ciel de l'intelligence. »
(H. Bosselé T. — Etude sur les OEuvres posthumes de
J. Michelet. — Opinion nationale du 14 janvier
1876.)
A PÉTRARQUE (72). — Ici l'ou ne gronde plus l'au-
teur des doux sonnets à Laure (Voir if); on l'acclame, au
contraire. La pièce est dédiée à l'organisateur même des
belles fêtes du V^ centenaire.
Reste de lui (7]). — Encore une étude d'après
nature. J'aime ce père illettré, plein de l'image qu'il
retrouve dans les livres de son cher fils.
Distinguons (74). — A plus d'un peut s'adresser
ce croquis, pris sur le vif. — La mémoire ne fait pas le
)44
savant, mais le savant est loin d'être réfractaire à la mé-
moire : Hugues Doneau, jurisconsulte de Chalon-sur-
Saône, au xvr siècle, savait par cœur tout le corps du
Droit; — Joseph Scaliger apprit en vingt et un jours
l'Iliade et YOdyssée; — Chrétien Chemnitius savait si bien
la Bible, qu'il citait le chapitre ou le verset où se trouvait
le passage ou le nom propre qu'on lui proposait; — un
Toscan savait toute VEnéide ; — Nicolas Bourbon récitait
{'Histoire de M. de Thou et les £/o^w de Paul Jove; —
un autre savait par cœur tout le texte grec à'Aris-
tote, etc., etc.
Fureur (yf). — Qui n'a jeté ce cri, ou un cri ana-
logue... en augmentant toujours, toujours ses tas, ses
rayons et ses piles >
Désespoir (76). — On sent, là, le point extrême de
la douleur.
Nous avons déjà mentionné plusieurs de ceux que l'on
peut appeler les bibliophiles mar-tyrs. Nommons encore :
Mœris Storer, poète latin anglais, mort de consomption
en 1799;
J. Quin, bibliophile irlandais, qui s'est tué en 1809;
Van Hulthem, qui, pour éviter la poussière et la fumée
à ses livres, n'a jamais voulu de feu dans sa chambre. Par
le rude hiver de i82f, il revenait du fond de la Hollande,
ayant oublié son manteau et tenant sur ses genoux deux
magnifiques volumes qu'il n'avait point voulu confiera
ses malles.
Puis, pour finir, ce fantastique marquis de Chalabre.
Faut-il prendre au sérieux l'anecdote où Alex. Dumas
nous le montre (préface des Mariages du père Olifus)
ET ANECDOTES J45
mourant de désespoir de ne pouvoir trouver la fameuse
Bible, qu'en un moment d'humour avait inventée Ch.
Nodier ?
A plusieurs de ceux-là on pourrait, pour les consoler,
répéter la superbe prière de Jean Reynaud (Terre et Ciel) :
<( Accordez-nous, mon Dieu, de reprendre, dans le nou-
vel asile oij vous nous transportez, la suite de nos travaux
interrompus dans celui-ci! »
Le tas (77). — On se plaint que, sauf deux ou trois
belles exceptions, la critique n'existe plus. Le fait qui
suit ne viendrait-il pas à l'appui de cette plainte? C'est
par brassées qu'on trouve, sur les quais et les planches
des bouquinistes, des volumes venant de chez divers bi-
bliographes, et dont le couteau n'a pas ouvert une seule
feuille... 11 est vrai que, parfois, certains amis vous traitent
de mêmel
« Revenu des erreurs de ce monde, dit Décembre-
Alonnier, nous avons reconnu que cet usage barbare
(d'offrir à la critique une centaine d'exemplaires de tout
ouvrage) n'avait d'autre résultat que de peupler les quais
d'une masse de pauvres volumes qui, ornés d'une dédi-
cace, croyaient trôner dans un salon et se trouvaient jetés
dans la boîte d'un bouquiniste... »
Une vieille fantaisie de Swift va nous aider à en finir
avec la critique:
{La déesse Critique se métamorphose en Livre.) — « Aussitôt
la tendresse maternelle commença à troubler son imagi-
nation... Elle vit son fils Wotton, pour lequel les Parques
filoient une trame trop courte... Elle chérissoit ce fruit
de ses amours clandestins... et elle résolut d'aller verser
dans son âme la valeur et l'allégresse... Elle trouva bon
44
346
de changer de figure... Elle ramassa toute sa personne
divine dans les bornes étroites d'un volume in-octavo;
sa peau devint blanche et aride, et tout son corps se fen-
dit et se sépara en cent et cent pièces (les feuillets),
comme la sécheresse de l'été ride la surface de la terre
altérée. Sa chair se convertit en carton, et ses membranes
en papier. Ses enfants y versèrent adroitement une dé-
coction de noix de galles et de suye, en guise de lettres ;
sa rate se répandit partout. La peau qui l'avait couverte
auparavant continua à la couvrir, et sa voix resta ce qu'elle
fut autrefois.
« Sous ce déguisement, elle avança vers les Modernes. . . »>
(Productions d'esprit (1736). — La bataille des Livres.)
Les choyés (78). — C'est en assez grand nombre
qu'on pourrait indiquer les exhumations poétiques aux-
quelles fait allusion cette boutade... Et, quand elle m'a
échappé, je n'espérais guère être imprimé avec les beaux
types de Louis Perrin !
Puisqu'il s'agit, ici, de belles réimpressions, faisons place
à deux alinéas, qui vont se livrer une gentille petite guerre :
— « Si vous voulez, dit Ménage, qu'il n'y ait point de
fautes dans les ouvrages que vous ferez imprimer, ne
donnez jamais de copies bien écrites; car alors on les
donne à des apprentifs qui font mille fautes; au lieu que,
si elles sont difficiles à lire, ce sont, les maîtres qui y
travaillent eux-mêmes. »
Maintenant écoutez Décembre-Alonnier :
— « ... II (le bibliophile Jacob) livre son manuscrit com-
plet pt entièrement recopié, car il n'est pas seulement
auteur, il est aussi bibliophile, et il sait trop bien qu'un
mauvais manuscrit n'a jamais produit de bonne édition... »
ET ANECDOTES
Î47
Que les deux préopinants s'arrangent!
La belle typographie ne réimprime pas que des médio-
crités. Pourcontre-balancer un peu notre sortie, mention-
nons les riches éditions de Louise Labé et de Pernette du
G«///fr,duesauxsoinsdeM. Monfalcon; Y Histoire des Ducs de
Bourbon, parla Mure ; les Matériaux pour l'Histoire de Margue-
rite d'Autriche, par M. de Quinsonas- les éditions de Molière,
de Clément Marot, et tant d'autres belles éditions, publiées
par N. Scheuring, de Lyon, dans la maison de Louis Perrin.
Fiat luxI (79). — Tableau très-condensé, mais qui
ne pouvait manquera la galerie. La dédicace allait de soi.
A cette époque, on regardait comme le fruit d'un tra-
vail excessif, une Bible écrite en cinq mois par cinq reli-
gieux (à Moyen-Moutier, en Lorraine).
« Il existait dans la bibliothèque des Célestins de Paris,
dit Peignot, un bel exemplaire des Canons de Gratien (i),
manuscrit. Le copiste a noté qu'il avait employé 21
(i) Au moment où nous écrivons cette note, un procès vient de se
dénouer, qui a jeté quelque émotion dans le camp des bibliophiles.
— Le libraire Bachelin-Detlorenne avait acquis publiquement en An-
gleterre, à la vente aux enchères, après décès du brasseur Perkins,
un riche et précieux manuscrit, la Concordance des Canons discordants,
de Gratien, splendide volume sur vélin, avec de nombreuses minia-
tures du XIV® siècle. Il le présenta à son tour en France dans une
vente publique. Aux annonces et à la publicité faites, le Gouverne-
ment, qui avait constaté, depuis longtemps déjà, la disparition de son
Gratien, provenant de la fameuse bibliothèque du président
Bouhier, reconnut son bien... et s'en ressaisit. De part et d'autre il
s'échangea des plaidoyers éloquents, érudits et curieux. Mais l'éru-
dition fut la plus faible; l'entière bonne foi même de M. Bachelin,
reconnue par le Tribunal et par la Cour, ne put servir sa cause, et il
348
mois à l'écrire: sur ce pied, il faudrait lyfo ans à trois
hommes pour faire 3,000 exemplaires du même ouvrage. »
Au XI® siècle, on considérait comme un grand présent
qu'un abbé au Maine eût donné quatre volumes (une
Bible, un Canoniste, Smaragde, et un Passionel)... C'était
beaucoup que de posséder ifo volumes.
Les livres étaient si chers! Le Gallois (Tra/V^ des plus
belles Bibliothèques de l'Europe, 1680) nous en cite « un bel
exemple dans la personne d'Antoine Pecatel (i), natif de
Palerme, qui, en I4ff, vendit sa métairie pour achepter
Tite-Live de Pogge Florentin. «Jacques Picolomini, cardinal
de Pavie, ne put avoir les œuvres de Plutarque à moins de
80 écus d'or, ni les Epitres de Sénèque à moins de 2f.
Gaguin paya 100 écus les Concordances, etc., etc.
Que de fantaisies à propos du Livre I Que n'a-t-on dit
pour, contre, et sur? Le cri « Il y a trop de livres! » a été
fut condamne à restituer à l'Etat le splendide manuscrit — qu'il avait
payé... 10,000 francs! — Dura lex, sed lex ! — Si quelque chose
peut le consoler, c'est qu'il perdit ce procès tout en recevant de nom-
breuses marques de sympathie.
En février 165 a, Louis XIV l'eût fait gagner. Le roi termine la lettre
qu'il écrivit à Fouquet, pour la conservation de la Bibliothèque du
cardinal Mazarin, en disant : « Voulons que, s'il en a été vendu quelque
un (des livres), vous ayez à le retirer, en remboursant ceux qui les
auront achetés; c'est à quoi ne ferez faute. »
Signé : « LOUIS.
Et plus bas : « de Guénégaud. »
(i) Lalanne, dans ses Curiosités bibliographiques, dit « Antoine
Panormita ou de Palerme, » et cite, comme Le Gallois, la lettre adres-
sée par ce savant au roi de Naples, Alphonse V, au sujet de cette
emplette.
ET ANECDOTES }49
jeté de mille manières. VEcclésiaste dit : Scribendi nullus est
finis. — Se plaignant du temps que prend la multitude
des livres, Sénèque s'écrie : Tantum nobisvacat> Jam vivere,
jam mon s ci mus >
Cardan veut que trois livres suffisent à une personne
ne faisant profession d'aucune science : Une Vie des Saints
et des autres hommes illustres, un livre de poésies pour
amuser l'esprit, et un troisième qui traite des règles de la
vie civile. — D'autres ont proposé de se borner à deux
livres pour toute étude : l'Ecriture, qui nous apprend
Dieu; le livre de la Création, c'est-à-dire l'Univers, qui
nous découvre son pouvoir. — Huet prétendait que tout
ce qui s'est écrit cf depuis que le monde est monde »
pourrait tenir en 9 ou 10 volumes in-folio, si chaque chose
n'avait été dite qu'une fois. Il en exceptait cependant
l'Histoire. — Je le crois bien; Marmontel a prétendu qu'il
faudrait, en lisant quatorze heures par jour, huit cents ans
pour épuiser ce que la Bibliothèque royale contient seule-
ment sur l'Histoire (et qui s'élève à plus de quatre-vingt
mille ouvrages). — Aboulghazi-Behadour-Khan, dans son
Histoire des Mongols et des Tartares, traduite par le baron
Desmaisons, a dit : « Depuis Adam jusqu'à nos jours, on a
déjà écrit tant d'ouvrages historiques que Dieu seul en
sait le nombre. »
Empruntons à Peignot le calcul suivant, sur le nombre
des ouvrages imprimés depuis l'origine de l'imprimerie:
I®'' siècle (de 1436 à if]^) — 42,000 ouvrages.
2« « (de \<i-]6 à 1636) — f7f,ooo »
■}^ » (de 1636 à 1736) — i,22f,ooo »
4* » (de 1736 à 1822) — 1,839,960 »
Total: 3,681,960
îïo
Autre calcul, de Ch. Nodier (Mélanges de littêrat. et de
critique) : « On a calculé ou supposé par approximation que
le nombre des livres que l'imprimerie a produits depuis
son invention, s'élèveroit à 3 ,277,764,000 volumes, en
admettant que chaque ouvrage a été tiré à 300 exem-
plaires pour terme moyen, et que tous les exemplaires
existent. D'après cette hypothèse, et en donnant à cha-
que volume un pouce d'épaisseur seulement, il faudroit,
pour les ranger côte à côte sur la même ligne, un espace
de 18,207 lieues, qui fait un peu plus du double de la
circonférence de la terre... Mais comme on n'a ordinai-
rement qu'un exemplaire d'un livre, ce qui réduit cette
appréciation à la 300^ partie, il est probable qu'on pour-
roit ranger tous les livres qui ont été publiés pendant ces
quatre derniers siècles, sur un rayon de 61 lieues de lon-
gueur; ou, ce qui seroit plus facile, plus commode et plus
élégant, dans une galerie de six lieues, garnie de cinq
tablettes de chaque côté. Tout ce qu'on peut conclure
de ce calcul, c'est que le nombre des livres est incalcu-
lable, et que la formation d'une bibliothèque complète est
physiquement impossible. »
Nous ne dirons pas combien le Livre a été contrefait.
Nous citerons seulement cette opinion du marquis de
Langle (Jérôme-Charlemagne Fleuriau) : « La contrefaçon
d'un livre est un vol. »
Est-il nécessaire de relater ici que le premier livre
français sorti des presses françaises, est les Chroniques de
Saint-Denis, imprimé a Paris en 1476, en l'hostel de Pasquier
Bonhomme >
Un livre qui fait époque dans l'imprimerie et qui a pré-
cédé celui-ci, est le fameux Psautier de Mayence, in-f'
ET ANECDOTES J^l
(i4f7). On n'en connaît que six exemplaires. Louis XVIII
en a acheté un 12,000 francs pour sa bibliothèque. Notre
éditeur nous en signale un septième jusqu'ici inconnu qui
se trouve à la bibliothèque de la ville d'Angers, classé par
erreur dans le catalogue des manuscrits et qui porte la
mention de son don fait par le bon roi artiste René d'An-
jou à une congrégation religieuse de cette ville.
Omni-science (80). — On rencontre souvent cet
aplomb imperturbable. Montaigne a dit : « Prendre des
livres, n'est pas les apprendre. » (Voir Ausone, dans notre
Bibliophiliana . — Voir surtout le Dialogue De librorum
copia, de Pétrarque).
Citons, en passant, Bonnemet, le célèbre amateur du siè-
cle dernier, dont les livres ont passé dans la bibliothèque
du duc de la Vallière, et qui prétendait avoir des éditions
princesses. (G. Mouravit, dans ses Additions, dit principes.)
Sceaux durables (81). — L'intelligent éditeur à qui
est dédié ce sonnet possède une riche et curieuse collec-
tion d'Ex libris.
Une publication vient de signaler cette innocente ma-
nie.— Arrivée à sa deuxième édition, l'étude de A. Poulet-
Malassis : Les Ex-libris français, est le guide éclairé et in-
dispensable que tout collectionneur spécial devra suivre.
Elle indique et décrit ces marques de possession des
livres depuis le xvi^ siècle jusqu'à aujourd'hui; elle si-
gnale les ex-libris singuliers, donne les noms des petits
maîtres du xviii* siècle qui en ont dessiné ou gravé, et
la liste générale des dessinateurs et des graveurs qui ont
signé des ex-libris français. A l'appui de ses observations.
Î5«
l'auteur a fait graver 24 planches, fac-similé des plus re-
marquables de ces marques.
On connaît la drôlerie du bonhomme de père qui,
voyant son fils apposer sur ses livres un cachet de pro-
priété en y écrivant : Ex libris M.***, fit, dans le même
but, frapper en or : Ex libris M.*** au fond de son cha-
peau... — Il faut bien rire un peu!
Simoun des vers (82). — Ce chant sur les pièces
avortées prend la chose très-gaîment. Perdre une forme,
un cadre, ou une idée, n'est cependant pas toujours
aussi gai que cela.
Un naufrage (83). — Encore un tableau... j'allais
dire un accident d'intérieur (Voir 61). Pour qui aime la vie
de famille, ces sujets naissent en foule... Femme, enfants,
père, mère, sœurs, oh! oui, vous avoir est bon !
Les accidents analogues, ou produits n'importe comme,
sont assez fréquents. De Vigneul-Marville (qui est Dom
Bonaventure d'Argonne) raconte que « Perauda, italien
savant et curieux, aïant acheté bien cher un beau et rare
manuscrit, une guenon, qu'il nourrissoit, trempa sa patte
dans l'encre et effaça entièrement le manuscrit. »
Trésor ouvert (84-8f). — 11 faudrait, ici, établir
une double liste : d'un côté, les prêteurs ] de l'autre, les
non-prêteurs. Les premiers sont les plus nombreux.
Echantillon :
niÉTEURS :
Liicullus,
Pline le jeune,
Ricliard de Bury,
Isidore de Péluse,
De Thou,
Nicolas de Nicolis,
Michel Bégon,
Grolier [Grolierii et amicorum),
ET ANECDOTES
}5î
Suite des préteurs
Maïoli Çrho-Maioli et amicorum),
DuFay {Entre iiinis tout est com-
mun),
Marucelli {Publicœ et maximœ
pauperum utilitati),
Randon de Boisset,
Gueulette {ThomiV G. et amico-
rum),
Francis Douce,
Etienne Baluze,
Et. Gabriau de Riparfonds,
Possevin,
Mathieu Guéroult,
Crescimbeni,
D'Alembert,
Etc., etc., etc.
NON-PRÉTEURS:
Colietet,
Naigeon,
Cigongne,
Démétrio Canevari,
Guilbert de Pixérécourt,
Daniel du Monstier,
Gifanius,
Du Monstier J. Thomas Aubry,
curé de Saint-Louis-en-l'lie,
De Menante,
Etc., etc., etc.
Possevin a dit : Bonum quo communius est, eo est divinius,
— « Le diable emporte les emprunteurs de livres! » a dit,
en contre-poids, Daniel du Monstier.
Un autre, d'après D'Alembert, faisait relier les siens
très-proprement, et, de peur de les gâter, il les emprun-
tait à d'autres, quand il en avait besoin, quoiqu'il les eût.
Il avait mis sur la porte de sa bibliothèque : Ite ad ven-
dentes. Aussi ne prêtait-il de livres à personne.
Un curé de Saint-Louis, à Paris, Jean-Thomas Aubry,
avait pris la même devise, allongée, tirée de saint Mat-
thieu, XXV : Ite ad vendentes et emite vobis.
« Un jour que Gaspard Schopp (c'est Deschanel qui
raconte) priait Gifanius de lui prêter un manuscrit de
Symmaque, Gifanius lui fit cette réponse : « Me demander
de prêter mon Symmaque, monsieur ! Mais c'est comme
45
J54
si l'on me demandait de prêter ma femme! » Perinde est
atque iixorem meam utendam postulare! —
Et la lutte entre deux amis, lutte racontée par plu-
sieurs, Gérard de Nerval entre autres, et qui se termine
par ce mot cruellement résigné : « Je l'aurai à ta vente ! »
Et tant et tant que l'on pourrait narrer!...
Cependant il ne faudrait pas se faire accuser de biblio-
taphie : «Les bibliotaphes , dit Lucien, n'amassent des
livres que pour empêcher les autres d'en acquérir et d'en
faire usage... La bibliotaphie est la bibliomanie de l'avare
et du jaloux. »
Notre éditeur nous citait dernièrement, entre autres
exemples de lui personnellement connus, celui d'un ma-
nuscrit très-intéressant de feu Gabriel Peignot, détenu
indûment et tenu en charte privée par un de ces mono-
manes.
Ici trouve place impérieusement ce passage, sous forme
d'apologue, d'Isidore de Péluse : « Un agriculteur, qui
renferma son blé après la récolte et refusa d'en faire part
à ceux de ses concitoyens qui étaient dans le besoin, fut
lapidé et son corps ensuite réduit en cendres. Cet
homme, cependant, n'avait fait que serrer et cacher son
propre bien : il n'en périt pas moins comme s'il eût at-
tenté à la propriété publique. — Et toi, qui, ne possédant
aucune connaissance en propre, n'as que le mérite d'avoir
acquis les livres d'une foule de savans, quelle accusation
n'encourrais-tu pas si tu ne faisais participer les autres
aux avantages dont ces livres sont la source! Quelle pu-
nition Dieu ne t'infligerait-il pas, pour avoir possédé un
trésor sans fruit et sans utilité pour tes semblables 1 »
(Liv. /, Ep. cccxcix.)
ET ANECDOTES 355
M. Toinard (Ménagiana) donne une explication assez
plaisante :
« La raison, dit-il, pour laquelle on rend si peu de
livres prêtés, c'est qu'il est plus aisé de les retenir que
ce qui est dedans. »
D'autre part, Joseph-André Zaluski, ce passionné
qui soupait d'un morceau de pain et de fromage pour
réunir plus de 200,000 volumes, rendit sa bibliothèque
publique (174^). (Voir ce nom ^u Bibliophiliana.)
Mes rachetés (86). — A propos des volumes que
leurs destinataires vendent, après en avoir arraché Vex-
dono. Ce feuillet écorné gâtait le livre ; mais c'était une
pudeur. Aujourd'hui, on la néglige même.
L'incorrigible (87). — Plusieurs de mes amis me
reconnaîtront... et eux aussi. — Il y a loin, cependant,
de nous à quelques-uns, tel que Richard Heber, par
exemple, qui achetait sans les voir des bibliothèques dans
nombre de villes d'Europe, et dont l'immense collection
ne lui coûta pas moins de 100,000 livres sterling.
Liqueur et vase (88). — Au maître sonnettiste lyon-
nais, en remercîment de ses Sonnets, Poèmes et Poésies,
Lyon, 1864, si splendidement imprimés par Louis Penin,
De Tibur (89). — En parlant, dans le Bulletin du
Bouquiniste, des traductions de Leconte de Lisle, hous
avons émis cette opinion : « Pour être fidèlement et
chaudement interprétés, les poètes doivent être traduits
356
— en prose — par des poètes. Cette formule deviendra
un axiome. Nous pourrions signaler quelques brillants
travaux qui font exception...» — Au premier rang de
ces exceptions, figurent les traductions magistrales de
Jules Lacroix : Shakespeare, Juvénal, Horace.
La Poésie populaire (90). — Depuis un certain
nombre d'années, le vent a soufflé du côté du chant po-
pulaire. Dédaignée d'abord, cette expression des senti-
ments du peuple est maintenant recherchée, et l'on n'a
plus à dire en quel honneur elle a été remise. Dans plu-
sieurs provinces ces naïfs poèmes sont recueillis déjà ;
mais tout n'est point fait encore.
Quand la France aura-t-elle au complet son Romancero
populaire > — Le ministre Fortoul avait jadis commencé la
chose. L'impulsion était bonne; mais, depuis sa mort,
tout est resté là.
Pouvons-nous terminer une note sur le chant populaire
sans signaler la contestation de l'authenticité des chants
du Barzaz-Breiz de M. de la Villemarqué par M. Luzel ? Ce
différend n'a pas eu encore, croyons-nous, tout le re-
tentissement qu'il est appelé à avoir... Mais laissons les
deux champions aux prises : de leur choc, courtois, sortira
une vérité.
Les dédicaces (g i.)~ Ce sonnet devait être, comme
il le dit, le premier d'un groupe, qui n'a point été formé.
Les autres existent, mais épars. Quelques-uns figurent
dans nos cent-vingt de ce livre.
On a exprimé, là, le plaisir de couronner une page
d'un nom sympathique. — Cinq ou six de ces noms d'amis
ET ANECDOTIS }Î7
manquent ici, parce qu'ils ont déjà leurs sonnets ailleurs.
Néanmoins nous les regrettons.
Le Sonnet (92-93). — Beaucoup de sonnettistes ont
défini le Sonnet. M. Louis de Veyrières en a fait une
excellente monographie. Cette pièce est peut-être celle
que nous eussions dû lui dédier.
Bien entendu que nous négligeons toute recherche ou
dissertation sur l'origine de ce cadre très-aimé, origine
discutée (et diversement indiquée) par Ronsard, Pasquier,
Cl. Fauchet, Henry Estienne, G. Colletet, Ginguené,
Fauriel, Boulay-Paty, Ch. Asselineau, Abel Jeandet, L. de
Veyrières, P. Gaudin, etc.
' L'ancien prosodiste lyonnais Phérotée De La Croix a dit
de notre moule affectionné : « Le Sonnet comprend tout
ce que l'Ode a de beau et de délicat, et tout ce que l'Epi-
gramme a de subtil et de concis. »
La rime riche (94-9^). — Il y a peu de chose à ajou-
ter sur le fond... on pourrait dire sur la doctrine de
cette pièce. La rime riche a aujourd'hui de nombreux
partisans. Alfred de Musset, qui s'est amusé, de temps à
autre, à rimer indi gemment, n'a pas manqué, de temps à
autre aussi, de rimer opulemment, pour montrer qu'il le
pouvait. Coquetterie 1
Nous ne donnerons qu'une note de couleur locale
pour le premier vers du deuxième sonnet: — La que-
nouille a été, dans beaucoup de nos anciennes provin-
ces, et est encore, dans plusieurs de nos départements,
un des gages les plus précieux offerts par le promis à sa
fiancée. — A Carnac on fait présent, à la nouvelle ma-
riée, d'une quenouille qu'elle est obligée de filer. —
358
Dans l'Orne, on vient chercher le trousseau de la mariée
avec une charrette sur le devant de laquelle on a placé
une quenouille. — Dans la Manche, le bedeau présente
une quenouille à la mariée, qui y attache un ruban et une
pièce de fil. — En Sologne, cinq paysannes présentent à
la future une quenouille et un fuseau. — Dans les Lan-
des, une vieille femme porte la quenouille de la mariée
pendant tout le temps de la noce. — Dans le Lot-et-
Garonne et dans le Tarn-et-Garonne, on porte en pompe
la quenouille et le fuseau de la mariée à sa nouvelle de-
meure. — Etc., etc., etc.
Seul au milieu de tous (96). — Autre petit coin
du doux tableau de la vie intime, (Voir 61 et 8j.)
Une chrysalide (97). — On sent qu'il existe, ce
boudeur du monde, qui se sauve de notre fracas dans
son laborieux silence.
Bibliothèque neuve (98). — Le vrai travailleur de
l'esprit éprouve une sorte de chagrin devant les livres
trop bien rangés.
Hobbes n'éprouva jamais cette peine... Il ne possédait
point de bibliothèque. 11 avait très-peu lu dans son en-
fance, et souvent il disait à ses amis : « Depuis l'âge de
seize ans je n'ai pas ouvert un livre. » Il a dit encore :
« Si j'avais lu autant de livres que tels et tels, je serais
aussi ignorant qu'ils le sont. »
Mélanchton, lui, avait une bibliothèque qui n'était pas
nombreuse. Quatre auteurs seulement la composaient, et
l'on disait les quatre P de Mélanchton. C'étaient : Platon,
ETA NECDOTES 359
Pline, Plutarque, et Ptolémée. — Lomeier dérange le qua-
tuor en indiquant Aristote au lieu de Platon.
Le médecin C. Falconnet disait que, s'il était forcé de
ne choisir que quatre volumes dans sa bibliothèque (com-
prenant près de 20,000 ouvrages), il prendrait d'abord
la Bible, puis maître François (Rabelais), maître Michel
(Montaigne), et maître Benoît (Spinosa).
Ecoutez d'Alembert : «J'ai ouï dire à un des plus
beaux esprits de ce siècle qu'il était parvenu à se faire,
par un moyen assez singulier, une bibliothèque très-
choisie, assez nombreuse, et qui pourtant n'occupe pas
beaucoup de place. S'il achète, par exemple, un ouvrage
en douze volumes, où il n'y ait que six pages qui méri-
tent d'être lues, il sépare ces six pages du reste, et jette
l'ouvrage au feu. Cette manière de former une bibliothè-
que m'accommoderait assez, » — On prétend qu'il s'agit,
là, du Falconnet de tout à l'heure.
L'amusant paradoxe de Mader est ainsi raconté par
Deschanel : <f Un savant allemand, J.-J. Mader, dans son
amour pour les bibliothèques, a voulu leur créer des
titres de noblesse et faire remonter l'origine des collec-
tions de livres jusqu'avant le déluge. Dans une disserta-
tion intitulée : "De Scriptis et Billioîhecis antediluvianis, il a
cherché à démontrer qu'à cette époque déjà les hommes,
qui étaient fort instruits dans tous les arts, possédaient des
bibliothèques... » Notre savant éditeur, qui a jadis par-
couru cet ouvrage rare, nous dit que Mader était telle-
ment épris de son sujet, qu'il est arrivé, d'après certaines
citations des Livres Saints interprétés à sa manière, à
donner les titres des livres qui devaient composer une
bibliothèque avant le déluge!
j6o
Depuis le Ménagiana, on a plusieurs fois rapporté le
trait suivant, sans le reproduire en entier : <f M. de Beau-
tru ayant été envoyé en Espagne, il alla à l'Escurial, où
il vit la Bibliothèque; et, par une conférence qu'il eut
avec le Bibliothécaire, il connut que c'étoit un très-mal
habile homme. Ensuite il vit le Roi, qu'il entretint des
beautés de cette Maison-Royale, et du choix qu'il avoir
fait de son Bibliothécaire; il lui dit qu'il avoit remarqué
que c'étoit un homme rare, et que S. M. pouvoit le faire
Surintendant de ses finances. — Pourquoi? lui dit le Roi.
— Sire, ajouta-t-il, c'est que, comme il n'a rien pris dans
vos Livres, il ne prendra rien dans vos Finances. »
Osymandias fît construire une bibliothèque magnifique,
sur le frontispice de laquelle il fit écrire ces mots : Le
Trésor des remèdes de l'âme, o-r/iç, 'laTfctcv. — Jules Janin
avait donné pour titre à la sienne : la Pharmacie de lame.
Etait-ce en souvenir de l'ancien sceau de la Bibliothèque
de Grenoble : Pharmaca anima >
Une conquête (99). — Chapitre curieux de la bi-
bliomanie, que celui des exemplaires complétés à la lon-
gue I La belle patience! Il y a loin de là à la manie
expéditive de Falconnet.
Voyez, dans un autre genre : « Notre commune pas-
sion pour les poètes du xvi® siècle, dit P. Blanchemain,
fut l'origine de notre rapprochement. Turquety venait
d'acquérir un livre rare, mais incomplet. Je possédais le
même ouvrage, imparfait aussi, et nos deux exemplaires
pouvaient se compléter l'un par l'autre. Instruit de cette
circonstance, j'allai le voir pour lui proposer de tirer au
sort à qui posséderait un exemplaire sans lacunes. Mais je
ITANECD'^TES j6l
me trouvai en présence d'un homme tellement bon, aima-
ble et sympathique, que le désir de conclure un marché
fut soudain remplacé par celui de gagner un ami. Quand
je le quittai, les feuillets de mon livre avaient passé dans
le sien. » — Bravo!
Bouquet littéraire (loo). — Tout le monde des
lettres connaît la publication du lieutenant-colonel Staaff:
La Littérature française,... Lectures choisies. Cet ouvrage,
adopté aujourd'hui dans les lycées et les collèges, est la
base de toute instruction littéraire. Il est, en même temps,
une des grandes preuves d'afFecticn que notre pays et
notre littérature aient pu recevoir. On a beaucoup de
recueils de morceaux littéraires, mais aucun de cet intérêt
ni de cette dimension. Les compilateurs futurs y viendront
puiser.
Est-ce bien à la suite de ce sonnet qu'il faut attacher
une plaisante réponse ?... Bah ! le mot lecture la justifiera.
Voici le mot : Louis XIV demandait au duc de Vivonne
« ce que la lecture faisait à l'esprit ?» — « Sire, répondit
le duc, ce que vos perdrix font à mes jours. » Esprit de
gourmet.
Le lieutenant-colonel StaafF a des gourmets d'un autre
ordre pour ses intéressants volumes.
Les DEUX sèves (loi). — Pour ce sonnet, pas d'anec-
dote. Quoique abstrait, il se passera de commentaire. —
Depuis ma dédicace, Piedagnel nous a donné sa belle
Étude sur J. -F. MILLET.
Un ami d es poètes (102-10^). — Il est mort, l'au-
46
,6a
teur de ce méfait, je devrais dire de ce crime. Paix à lui !
Mais, s'il était vivant, le profanateur, je le tancerais encore
de son indignité.
Les faux dédains (104). — Boutade de poète. Dans
la boutade il y a toujours un peu de conviction, comme
dans le paradoxe il y a toujours un peu de vérité.
Les notes (106). — J'en appelle à tous ceux qui,
dans le temps, ont eu entre les mains surtout des volumes
de cabinets de lecture. Foin des annotateurs 1
Tout finit (106). — D'un qui avait moins lu que le
type de ce sonnet, d'Alembert raconte ceci : « La passion
des livres est quelquefois poussée jusqu'à une avarice
très-sordide. J'ai connu un fou qui avait conçu une ex-
trême passion pour tous les livres d'astronomie, quoiqu'il
ne sût pas un mot de cette science. Il les achetait à un
prix exorbitant, et les renfermait proprement dans une
cassette, sans les regarder. » — C'est seulement par ce
dernier trait que l'anecdote tient au sonnet.
Une fiere chance (107). — Où ai-je lu pour la
première fois l'anecdote à laquelle je fais allusion ici? Je
ne saurais le dire. Un doute me vient. Dans VoAcadémie
des modernes Poètes français, volume édité par Anthoine
du Brueil, Paris, m.d.xcix, je trouve, partiel, un sonnet
du sieur de Porchères, » sur les yeux, » non de la belle
Gabrielle, mais « de U"^'^ la marquise de Monceaux. »
Est-ce cette marquise qui a si bien rente notre poète, ou
a til encore chanté les yeux de l'amie du roi galant?
ET ANECDOTES )6)
En tous cas, nous pensons être agréable en reprodui-
sant la pièce si largement rétribuée.
La voici
SONNET
Sur les yeux de M"" la marquise de Monceaux,
du sieur de Porchères.
Ce ne sont pas des yeux, ce sont plustost des Dieux ;
Ils ont dessus les Rois la puissance absolue :
Dieux, non, ce sont des Cieux, ils ont la couleur bleue,
Et le mouvenaent prompt comme celui des Cieux.
Cieux, non, mais deux Soleils clairement radieux,
Dont les rayons brillans nous offusquent la veuë :
Soleils, non, nnais Esclairs de puissance incogneuë,
Des foudres de l'Amour signes présagieux.
Car, s'ils estoient des Dieux, feroient-ils tant de mal?
Si des Cieux, ils auroient leur mouvement égal :
Deux Soleils ne se peut : le Soleil est unique :
Esclairs, non : car ceux-cy durent trop et trop clairs;
Toutesfois ie les nomme, afin que le m'explique.
Des yeux, des Dieux, des Cieux, des Soleils, des Esclairs.
Après lecture, on est fixé.
Une exécution (io8- 109). — Procès-verbal un peu
passionné d'une petite noirceur de critique.
L'opinion du père je an (iio). — Je crois avoir bien
croqué le brave homme qui m'a servi de modèle. Il prouve
qu'il y a des hlhVio-philes à tous les degrés et de tous les
genres. Celui-là était convaincu.
j64
OssiAN (iii). — Jeune, je me révoltais contre la
démolition des grandes figures littéraires. Ossian était du
nombre des victimes que je déplorais. Depuis, j'ai bien été
forcé d'accepter Mac-Pherson. N'est-ce pas un peu une
mode que ce coup de pioche, périodique et fréquent, sur
telle ou telle individualité, même légendaire?... Qui nous
garantit que des érudits futurs ne viendront pas essayer de
saper Dante, Corneille, Hugo, Lamartine? (Voir 6f .)
L'esprit gaulois (112). — Coup d'œil de poète jeté
sur la linguistique. L'étude des langues procure de très-
vives jouissances. En voici une, d'un genre particulier:
Anne RadclifFe, — l'auteur des sombres romans naguères
si en vogue, — était très-sensible à la belle musique.
Elle éprouvait un grand charme à entendre prononcer les
langues sonores, et se faisait répéter les passages des
classiques grecs et latins dont les sons la frappaient,
priant de temps en temps que l'on voulût bien lui en faire
la traduction. — C'est Walter Scott qui nous apprend
cela, dans sa Biographie litténiirc des Rominiciers célèbres.
Le dada (i!3)- — Fantaisie, que traduit bien plai-
samment et bien spirituellement l'eau-forte de Chevrier.
Un malheureux (114- 117). — Encore une expres-
sion navrante de nos douleurs, de nos tortures.
— « Un de mes amis, dit Edmond Texier, grand déni-
cheur de livres rares, m'a avoué qu'il avait été pris d'un
invincible désir de mettre le feu à sa bibliothèque, après
avoir visité celle de M. le duc d'Aumale... »
Voeu de blasé (116). — Si la passion savait être rai-
E T ANE CDOTES J65
sonnable, il n'y aurait pas d'excès. J'admets que mon
désireux soit excessif... Pourtant je me rappelle le mo-
ment de la découverte de Daguerre, — que, par paren-
thèse, on doit à M. Niepce. Elle semblait à chacun un
conte des Mille et une Nuits... Et, depuis, combien de
milliers et de milliers de photographies! 11...
FarceurI fiiy). — Petite semonce, assez directe.
La rapprocher, pour un point, du n° 77.
Bien soignés (118). — Historique De toute évi-
dence, ce brave commissionnaire aurait traité avec
beaucoup plus d'égards des bottes de légumes. Des na-
vets, ça peut se détériorer; mais des livres!!... Quant à
l'ordonnateur de la chose. Dieu le bénisse!
C'est Bayle qui ne l'aurait pas pris pour déménageur.
Ce savant déménagea deux fois. Il tint pour les deux plus
graves événements de sa vie ces déménagements, qui lui
brouillèrent ses papiers et ses livres.
Dans sa bibliothèque (i 19). — Toujours la passion
folle pour le contenant, et la plus complète indifférence
pour le contenu!...
Plus d'une fois, dans ces sonnets, il a été question de
reliures. Sans répéter ici les noms des artistes qui en ont
fait de si belles, citons-en une fantastique : « Dos de peau
de gants, plats de papier d'emballage et de velours violet,
coins variés, tranche-file en oreilles de souris, tranches tri-
colores, gardes de moire blanche avec un polichinelle
gigantesque; sinets de ficelle, ornés de personnages
provenant de boîtes d'allumettes chimiques, carte de visite
j66 NOTES
grotesque et lettre autographe de l'auteur. »> (De la bi-
bliothèque de M. de Rosny.) — L'ouvrage ainsi relié est :
l'Essai sur l'origine unique et hiérogliphique des chiffres et des
lettres chez tous les peuples, par de Paravey.
Ni H IL (120). — Voilà à quoi se réduisent les plus
riches, les plus splendides collections! Une vie tout en-
tière de recherches et de classement... et la dévastation
au bouti
En voir un exemple dans Pontus de Tyard, de J.-P. Abel
Jeandet, imprimé par Louis Perrin. L'auteur couronné de
cette belle Etude, nous apprend (pages 192 - 197), dans un
chapitre spécial, reproduit très-élogieusement par L. La-
cour (Annales du Bibliophile, du Bibliothécaire et de l'Archi-
viste, numéro du 2f mai 1862, sous ce titre : Bibliothèque
d'un évêque au XVl^ siècle), quel a été le sort de la biblio-
thèque de l'illustre membre de la Pléiade.
Il est vrai qu'un Catalogue n'est pas toujours rien. Dans
le temps, le Catalogue de la bibliothèque d'un amateur, par
Renouard, a fait sensation. De nos jours, un certain nom-
bre ont été remarqués. A. Claudin en a fait un excellent
de la bibliothèque si riche de feu Victor Luzarche, de
Tours. Ceux du célèbre amateur Yéméniz, du baron
J. Pichon, de Achille Genty, etc., etc., sont d'un haut ou
d un piquant intérêt. Je signalerai, comme un des plus
curieusement littéraires, celui que Charles Monselet a in-
titulé : Catalogue détaillé, raisonné et anecdotique d'une jolie
Collection de Livres rares et curieux, dont la plus grande partie
provient de la bibliothèque d'un homme de lettres bien connu,
« La bibliothèque de Bruxelles vient de recevoir,
(janvier 1876), de M™'^ Carter-Brown, de Providence,
ET ANECDOTES
}67
(Rhode-Island, Etats-Unis), un exemplaire du splendide
Catalogue de la bibliothèque formée par feu M, Carter-
Brown, son mari. Ce Catalogue, dressé par M. JohnRus-
sel-Bartlett, en quatre volumes grand in-8°, est un
chef-d'œuvre de typographie- il n'a été tiré qu'à cent
exemplaires...
«c 11 contient la nomenclature et la description de 4, 162
ouvrages concernant les deux Amériques.
« La collection formée par M. Carter-Brown ne sera
point dispersée :on l'estime à deux millions... »
EPILOGUE
TcA'BLE
des
SONNETS D'UN BIBLIOPHILE
Gazouillis de vers
Mal coupés
Mes Champs des batailles .
Une Plainte
Le Passé
Le Livre :
I, Au dehors
II. Au dedans
Trop bien choisi
Belle collection
Jouissance... future . . . .
Bredouille
Bouquins et rats :
I. L'Assaut
II. Les Délicats
Crescendo
De Gloria
Morts et ressuscites :
I. Traces de conquérant.
2
i
4
S
6 I
7
'3
>4
'5
i6
II. Palimpsestes 17
III. A Herculanum ... 18
Ce qu'ils sont devenus . . . 19
Un Drame :
I. Intérieur 20
II. Attaque ai
III. Défense 22
IV. Fin 25
Le bon Temps 24
Frontispice 25
A -M.-H. Boulard :
I. Chez lui 26
II. Délogé 37
Un Rachat 28
Fouillis 29
A un ami des livres .... 30
Accès de typographie ... 51
Entrée d'assaut 32
Mélancolie de bibliophile. . 5 j
47
3 70
TABIE DES SONNETS
Magliabecchi :
I. Le Profil 34
II. L'Homme j $
Coup de vent 36
A Dante 37
Raffinement 38
L'Aubaine 39
Savantasse 40
Ophtalmie 41
Une Fin 43
Autographe... et Caliigra-
phe 43
Dernière Ressource .... 44
Une Perte 45
Tu quoque? 46
A un Bibliographe 47
Averse 48
Une Supplique 49
Hahent suafata Libelli :
I. D'où? 50
II. Où? 51
Pendant les fêtes de Ven-
dôme 53
Les deux Volumes 53
A mes livres:
I. Condamnés à mort . . 54
II. Avant l'exécution . . 55
Moutons de Panurge .... 56
Un Repas 57
La Tournée :
I. 11 en a sa charge ... S8
II. Où les mettre?. ... 59
Le Dernier 60
Le Coin du feu 61
Le Fil du labyrinthe .... 63
Un Navigateur 63
Son 0 Eurêka / » 64
A Shakespeare 0<i
En Omnibus 66
Guide inspiré 67
Un bon Marché 68
Un Savant 69
Auto-da-fé :
I. Le Prisonnier 7°
II. Le Supplice 71
A Pétrarque 72
Reste de lui 73
Distinguons 74
Fureur 75
Désespoir 76
Le Tas 77
Les Choyés 78
Fiat lux! 79
Omni-Science 80
Sceaux durables 81
Simoun des vers 83
Un Naufrage 83
Trésor ouvert :
I. Élan 84
II. Restriction 85
Mes Rachetés 86
L'Incorrigible 87
Liqueur et Vase 88
De Tibur 89
La Poésie populaire .... 90
Les Dédicaces 91
Le Sonnet :
I. Concision 92
II. Étendue 93
La Rime riche :
I. A la Rime 94
II. Aux Poètes 9 5
TABLE DES SONNETS
Î7'
Seul au milieu de tous . . 96
Une Chrysalide 97
Bibliothèque neuve .... 98
Une Conquête 99
Bouquet littéraire 100
Les deux Sèves loi
Un Ami des Poètes :
F. Jamais assez 102
II. A dix sous le tas. . . 103
Faux Dédains . 104
Les Notes 10$
Tout finit 106
Une fière Chance .... 107
Une Exécution :
I. Necatus 108
II. Redivivus 109
L'Opinion du père Jean . . iio
Ossian 1 1 1
L'Esprit gaulois 112
Le Dada 113
Un Malheureux :
I. Douleur 114
II. Désespoir 11$
Vœu de blasé 116
Farceur ! 1 i '
Bien soignés i iS
Dans sa bibliothèque . . . 119
Nihil 20
^A^A^A^^A^^.^A^<^A^^
TcA'BLE
des
FANTAISIES D'UN BIBLIOMANE
Le Trésor du Bibliophile défunt:
I. Le Cabas »3j
II. La Note «29
III. L'Amateur «34
IV. Porte close '59
V. Le dernier Feuillet '44
Mon premier Bouq.uin 'So
La Lecture en famille '5'
La Maîtresse du mari '55
Les Commandements du Bibliophile 161
•A- ~A- »A- -A» •A' «A^ «A- "A^ "^^ -A^ *4'".»'^-*4'^.»'^"*^f *^«
'BI'BLIOTHILIoiC^cA
TABLE DES AUTEURS CITÉS
Prescript 167
Addisson 1 69 ,
Alembert (d') 170 !
Alibert » !
Alletz (Ed.) ;
Alphonse-le-Sage '7' i
Amyot (J.) 173 1
Arétin (Pierre) » |
Aristote » i
Asselineau '73
Augustin (Saint) »
Aulu-Gelle 174
Ausone »
Azaïs '7^ i
Bachi (Claudia) •
Bacon 176 I
Baglivi s
Bailiet s
Balzac (Honoré de). ... 177
Balzac (J.-L. Guez de) . . »
Barat i;8
Barthélémy (J.-J.) .... •>
Bary ■
Bayle 179
Bernardin de Saint-Pierre. 170
Bessarion 180
Bignicourt (de) >
Bigot 181
Blanchemain (Pr.) .... »
Bollioud-Mermet 183
Bonald (de) »
Bonnin 185
Bremer (Frederika) .... »
Brosses (de) 184
Brunet (G.)
Brunelto Latin! 185
Bruun-Neergaard »
Burton 186
Campanus <;
Casaubon 187
Cervantes »
Channing i!>8
Chapelain »
Chasles (Philarète) .... »
Chevillier 189
Christine de Pisan .... 190
Christine de Suède .... •
Cicéron 191
3/6
BIBLIOPHILI AN A
Cl»»* '9'
Claudin (Anatole) «93
Clément (Claude) .... i9J
Clément (de Dijon). ... »
Colomb '94
Commines (Ph. de). ... »
Constantin »
Cotton des Houssayes. . . 19 5
Coupé
Courier (P.-L.) 9^
Cujas "
Cuvillier-Fleury 197
Damiron »
Danielo »
Decaïeu «99
Decourcelle (Ad.) 200
Delvau (Alf.) »
Denina 201
Descartes »
Deschanel 202
Descuret 20j
Des Guerrois 204
Dibdin »
Diogène 205
Dordrecht (Ville de) ... »
Droz »
Drury »
Duclos 206
Dugast »
Dumas (J.) 207
Dupérier »
Dutuit »
Emerson 208
Erasme ■
Fauchet (Cl.) 209
Fée »
Fizelière (AI'j . de la) . .
Fontaine (Ch.)
Fontaine de Resbecq . .
Fournier (J.-F.)
Franklin
Gaillon (marquis de) . .
Galitzin (prince) ....
Gautier (Théophile) . .
Gavet
Gellert
Génin
Geoffroy
Girardin (M°" E. de) . .
Girault de Saint-Fargeau
Goethe
Goudar
Grùn
Gruyer
Guérin (Eugénie de) . .
Guérie (de)
Guibert
Guyard
i Hall (Joseph)
! Hall (Robert)
j Heinsius
Henri IV
Hérault de Séchelles . .
j Horace
I Hospital (M. de T) . . .
i Huet (D.)
{ Irving (Wash.)
I Jamin (Dom N.). . . .
I Janin (Jules)
j Jean de Salisbury ....
I Saint Jérôme
i Joly (le P.)
210
2 1 1
212
214
215
2 1 6
217
218
219
32Û
221
222
223
224
225
»
226
227
m
228
229
230
231
1}
234
AUTEURS CITES.
i77
Joubert aj4
Julien (l'emp') 335
Kempis (Th. à) »
Labar 3]û
Laboulaye »
La Bruyère 238
Lacordaire »
Lacroix (Paul) 259
Laharpe »
Lamartine 340
Lamb (Charles) 341
La Monnoye 243
Lapelouze (V. de) .... »
Larchey (Lorédan) .... »
La Rochefoucauld .... 343
Latena (de) »
Leber 244
Lebeuf »
Leblanc 245
Lefèvre-Deumier »
Levailois (J.) 246
Ligne (prince de) 247
Lomeier »
Lope de Vega 248
Lucas de Penna »
Lucrèce 249
Mabire »
Maistre (X. de) »
Malesherbes (de) 350
Manuel (Don J.) »
Marc-Aurèle »
Martin (L.-Aimé) 251
Martonne (A. de) 253
Meister »
Ménage 353
Ménière 254
Mentelle 354
Méray (Antony) »
Mercier (L.-S.) 356
Merlet 357
Metternich (prince de) . . »
Michelet 358
Monpont n
Monselet 359
Montague (Lady) »
Montaigne »
Monteil 360
Montesquieu 261
Mouravit ■>
Munaret 2C3
Naudé Saint-Maurice ... n
Nodier (Charles) «
Noël (Eugène) 263
S. N*** .
Offroy (Victor) 304
Omar 365
Ovide »
Oxenstiern »
Pandolfini 0
Pascal 21.6
Pasquier (Est.) »
Patin (Guy) 307
Peignot (Gabriel) »
Pellico (Silvio) 368
Petit-Senn 269
Pétrarque »
Piédagnel (Al.) 271
Pierquin de Gembloux . . »
Pierre-le-Vénérable. ... 372
Pirmez (O.) 373
Pixerécourt (G. de). ... »
Pline (l'ancien) »
J78
BIBLIOPHILI AN A,
Pline (le jeune) 274
Plutarque »
Pongibaiid (comte de) . . »
Poste! (V.) 275
Prévost-Paradol »
Rabelais 276
Raiberti »
Rantzau 277
Renouard 278
Rhenanus (Beatus) .... »
Richard de Bury 279
Rigaud (A.-F.) «
Rigault (H.) 280
Rivarol a
Roland (M"") »
Romey (Ch.) 281
Roucher s
Roure (marquis du). . . . 282
Rousseau (J.-J.) »
Saadi 283
Sabatier de Castres. ... »
Sabinus (G.) 284
Sacy (S. de) »
Sainte-Beuve 285
Saint-Evremont 286
Saint-Martin »
Salden (G.) »
Sand (George) 287
Sanial-Dubay »
Say (J.-B.) »
Scaliger (Joseph) 288
Scott (Walter) »
Sénèque 289
Serres (Olivier de) .... »
Sévigné (M"" de) 290
Sorbière »
Spizelius 291
Stapfer (P.) »
Stassart (baron de) .... 292
Stevens (G.) »
Stendhal 29 j
Sterne »
Taine 294
Tenant de Latour »
Terrasson (J.) 295
Texier (Ed.) »
Thierry (Augustin) .... 296
Thurmann 297
Trollope (mistr.) »
Trublet (l'abbé) 298
Turquety (Ed.) »
Valla (Laurent) 299
Valois (Hadrien de). ... »
Vauvenargues »
Véron (Pierre) joo
Villemain 501
Viollet-le-Duc »
Voltaire 302
Voyer-d'Argenson .... joj
Watteville (baron de) . . »
Werdet »
Wey (Fr.) 504
Wolf
Zaluski (comte) 305
ANONYMES
L'auteur de : l'An et la Vie
de Stendhal
A la fin d'un vieux Catho-
licon.
306
AUTEURS CITES.
Î79
507
Pensées Chinoises ....
Extrait de : l'Exposition de
Clermont
Un jeune Hermite .... 308
Journal des Sçavans. ... »
De L*»* }09
309
Maxime des Orientaux .
Proverbe »
*•• {Cite par Aloysius Ber-
trand) n
Divers anonymes 310
Dernier échantillon .... 314
^q(^çr^qr»j^/îj(^çTp^^^^^^^j^^
C^OTES ET c4D^ECV0TES
INDEX ANALYTIQJUE
DES NOMS ET DES MATIERES Qu'oN Y TROUVERA
Aboulghazi-Behadol'R-Khan. Ce quji pense du nombre des
ouvrages historiques, 349.
AcH AINTRE (N.-L.)> type du bouquiniste érudit. Sa passion, j 1 8.
Alain de lille. Ce qu'il dit des clercs dissipés, 337.
Alcyonio (Pietro), a plagié De Gloria, 334.
Alembert (d'), mentionne un non-prêteur, et donne sa devise, 353.
— Nous fait connaître un moyen singulier de Falconnet, 359.
— Ce qu'il raconte d'un acheteur bizarre, 363.
Alexandrie (Bibliothèque d'), brûlée ou non, 325. — (On pourrait
encore, sur ce point, consulter la thèse de Drapeyron.)
Améric Vespuce (Lettre de) à Laurent de Médicis, combien ache-
tée, 328.
Androuet du Cerceau (J.j, dresse en 1 560 lepian de Paris, 327.
Archiviste. Manière de conserver d'un des Archivistes de Lyon,
331 -323.
Arioste (L*), seul poète toléré par l'abbé de Longuerue, 3 17.
Arras (Bibliothèque d'), possède de curieux panneaux de livres ima-
ginaires, 321.
Au MALE (Duc d'). Désir qu'inspire la vue de sa bibliothèque, 364.
B'AChelin-Deflorenne, achète le Gratien provenant du prési-
dent Bouhier, et est obligé de le restituer, 347-348.
Bacon (Lord). On lui attribue les œuvres de Shakespeare, 339.
8a NOTESETANECDOTES
Balzac (Guez de). Ce qu'il dit du pédant de grammaire, 532.
Bartholin (Th.). Sa dissertation sur l'incendie de sa bibliothè-
que, ja^.
Bayle. Ce qu'il dit à propos du sobriquet helluo librorum, j jo. —
Son Dictionnaire brûlé, 34}. — Ses deux déménagements, 365.
BEAUTRu(de). Son mot sur le bibliothécaire de l'Escurial, }6o.
Bernard (Thaïes), perd son Jodocus Sincerus, 334.
Bible. Celle léguée à M"' Mars par le marquis de Chalabre, 33a. —
Celle du chiffonnier, d°. — Ce qu'elle contient en livres, cha-
pitres, versets, mots et lettres, 342. — Une, imaginée par Ch.
Nodier, fait mourir le marquis de Chalabre. 344-345. — Quel
temps pour en écrire une, 347.
Bibliophiles prêteurs. Liste de quelques-uns, avec leurs de-
vises, 352-353.
Bibliophiles non prêteurs. Liste de quelques-uns avec leurs
devises, 353.
BiBLiOTAPHES (les), d'après Lucien, 3 54.
BiBLiOTHÈci_UES ANTÉDILUVIENNES. Lcur découvertc, par J.-J.
Mader, 3 59.
BiBLiOTHÈQ_uES IMAGINAIRES. Les principales, 320.
Blanchemain (Pr.). Sa science sur Ronsard, 335. — Il complète
un livre rare chez Turquety, 360- 361.
Bonnemet. Comment il appelait ses éditions pn'ncépi, 351. — Dans
quelle bibliothèque ont passé ses livres, d°.
Bosselet (H.). Passage sur les livres condamnés au feu. 343.
Boulard (A.-M.-H.). Ce qu'il laissa de volumes, à sa mort, 328. —
Influence de cette quantité sur les ventes, 329. — Comment
Mary-Lafon le fait mourir, d°.
Bourbon (Nie). Sa mémoire, 344.
Brûlés (livres condamnés à être), 343.
Brunck. Sa douleur, 354.
Bulletin du Bouq.uiniste, d'Aug. Aubry. Notre article sur Le-
conte de Lisle, 355-356.
Campanella. Sa Cite du Soleil brûlée, 345 .
Caraccioli (marquis de), fragment cité, 319.
Cardan. Ses trois livres, 349.
INDEX ANALYTIQUE jS}
Carnavalet (le Musée municipal de l'hôtel), acquiert le plan de
Paris, d'Androuet du Cerceau, 328.
Carter- Brown {M""=). Catalogue qu'elle donne à la Bibliothèque
de Bruxelles, 566-567. — Ce que contient ce Catalogue, 567.
C ATALOGU ES. Amateurs dont lesCatalogues sont remarqués, 566-567.
Caton, celui que Cicéron a appelé helluo Ubrorum, 550.
Cayla(M°" du). Quel volume elle reçoit de Louis XVIII, 552.
Chaban. P.-L. Courier lui écrit pour les manuscrits delà Badin, 525.
Chalabre (marquis de). Son legs à M"' Mars, 532. — Sa mort,
344-545-
Charon (Pierre). Sa ^jg-^iJ^ brûlée, 545.
Chemnitius (Chr.). Sa mémoire, 544.
Chevrier (Jules), peintre des rats bibliovores, 522.
Chigi (Fabio). Rossi lui raconte les pérégrinations de Naudé, 5 37.
Chrysippe, retrouvé à Herculanum, 526.
Cicéron. Son traité de Gloria, perdu 524. — Auteur du sobriquet
donné à Caton, 350.
Claudin (A.). Sa collection d'£x libris, 551. — Un de ses Cata-
logues, 366.
C ORAY, tombe et se tue, 327.
Courier (P.-L.). Sa lettre à M. Chaban, 325.
CoLOTÈs, retrouvé à Herculanum, 526.
Convenevole de Prato, a vendu le traité de Gloria, 524.
Corot, le peintre paysagiste, coupait mal ses livres, 517.
Cracherode (le Rev.). Ses legs; sa mort, 525 - 524.
Critique (la) n'existe plus guères, 545. — Métamorphosée en
Livre, 545-346.
Curmer(L.). Ses albums; sa devise, 342.
Daguerre. Allusion à sa découverte, 365.
Dante. Première traduction complète de ses Rimes, 351.
Davalet. Enragé collectionneur, 329.
Décembre-Alonnier. Son opinion sur les volumes offerts à la
critique, 345. — Son moyen d'avoir de bonnes éditions, 346.
Dédicaces. Je tiens encore à dire que plusieurs Dédicaces, qui n'y
sont pas, devaient figurer en tète de divers Sonnets, 356.
Déménagements. Ce qu'en pense Bayle, 365,
}84 NOTES ET ANECDOTES
DÉMOLITION de renommées légendaires, 364,
De La Croix (Phérotée). Ce qu'il dit du Sonnet, 3^7.
Del EAU, étalagiste. Son goût, 318.
Démétrius, retrouvé à Herculanum, 326.
Descartes. Ses A/^'i/'fjfionî brûlées, 343.
Deschanel. Anecdote sur les livres empruntés, 336. — Raconte
l'épisode de Gifanius, 353-3^4.
Desmaisons (baron), traducteur de l'ouvrage d'Aboulghazi-Belia-
dour-Khan, 349.
Dinouart (l'abbé). Comment il procédait pour ses ouvrages et ses
livres, 3 19.
Don de quatre volumes, fait par un abbé au xi' siècle, 348; —
d'un Psalterium de Mayence, 1457, par René d'Anjou, 351.
Doneau (Hugues). Sa mémoire, 344.
Du Breuil (Anthoine). Volume édité par lui, 362.
Dumas (Alexandre). Quel amateur il nous fait connaître, 338-359.
— Parle du Marquis de Chalabre, 344-345.
Ebert (Fred.-Ad.), se tue en tombant d'une échelle de bibliothèque,
337-
Ecclésiaste. Sa sentence sur les livres, 349.
Epi eu RE, retrouvé à Herculanum, 326. — Fac-similé de plusieurs
de ses pages par M. de Pongerville, d".
Erasme. Son Eloge de la Folie; combien acheté, 338.
Escurial. Mot de Beautru sur le bibliothécaire de ce palais, 360.
Estienne (Henri). Cracherode meurt sans avoir possédé son Pin-
dare, 324".
Ex DO no, jadis arraché, laissé maintenant, 3$$.
ExiLio (de). Traité du plagiaire Alcyonio, 334.
Ex LiBRis. Collection de A. Claudin, 351. — Publication spéciale
de Poulet-Malassis, 351-352. — l'Ex libris du chapeau, 352.
F ALCONNET (C). Son choix de quatre volumes, 3 59. — Son moyen
d'avoir une bibliothèque peu volumineuse, d°.
Femmes-bibliophiles. Liste de quelques-unes, 3 40 - 3 4 1 .
Ferdinand IV, roi de Naples. Sa bibliothèque factice, 321.
Fontaine de Resbecq.(A,), raconte aussi le Plutarque de l'étu-
diant, 352. — Le bibliophile aveugle, 333.
INDEX ANALYTIQ_UE J85
FoRTOL'L, avait donné une bonne impulsion à la poésie popu-
laire, 356.
FoRTSAS. Son Catalogue imaginaire, jao.
Gage. Sens local de ce mot; sous quelle forme il se présente,
357-558.
Gaguin. Ce qu'\\pa\e les Concordances, 348.
Gauli EUR. Son moyen d'avoir des livres, 336.
GÉRARD DE Nerval, raconte la lutte de deux amis, 3 54
Gerbert (le pape). Ses dépenses pour les livres, 338,
GiFANius, refuse son Symmaque à Gaspard Schopp, 353.
Gilbert (A.-P.-M.). Notice sur ses livres et ses estampes, 327. —
Ses fonctions, d".
Gloria (de). Traité de Cicéron perdu par Pétrarque, 324.
GoMBOUST (J.), dresse en 1647 le plan de Paris, 3 27.
GoPiLE (J.). Quelle douleur le fait mourir, 3 34.
G ouj ET (l'abbé). Mort de quelle douleur, 534.
Gratien. Bel exemplaire de ses Canons, 347. — Ce qu'il faudrait
de temps pour en obtenir 3,000 exemplaires manuscrits, 347-
348. — Procès à propos de l'exemplaire acheté à la vente de
Perkins par Bachelin-Deflorenne, 347-348.
Grée NE (Robert). Son opinion sur Shakespeare, 339.
Grenoble. Ancien sceau de la Bibliothèque, 360.
Harveng (Phil), parle des écoliers studieux, 337.
Heber (Richard), acheteur cosmopolite; ses bibliothèques nom-
breuses, qu'il ne connaissait pas toutes de vue ; leur prix, 3 ■; 5 .
H EL EN A, d'Alfred de Vigny, trouvée deux fois sur les quais, 328.
Helvétius. Son Esprit brûlé, 343.
Herculanum. Papyrus qu'on y trouve, 326.
Hervey-Sai NT-D EN is (marquis d'), cite la légende de la « Source
des Immortels, «325.
HoBBES, n'avait point de livres ; ce qu'il dit de la lecture, 358.
Hue T. Son opinion sur tout ce qui s'est écrit, 349.
HuLTHEM (Van), bibliophile martyr, 344.
Images, arrachées des livres, 333. — Portraits enlevés du Ronsard
in-folio, 335.
Isidore. Son opinion sur la lecture, 336.
49
j86 NOTES ET ANECDOTES
Isidore de Peluse. Son apologue sur les non prêteurs, 354.
Jamin (Dom N.), paraphrase Isidore, jjô.
Janin (Jules). Trouvailles racontées, 328. — Sa douleur quand il
ne peut plus lire, 332 - 333. — Appellation de sa bibliothèque,
360.
Jeandet (J.-P.-Abel). Son Etude sur Pontus de Tyard, 366.
JODOCUS SiNCERUS. Exemplaire perdu de son Voyage dans la
vieille France, 3 3 3 - 3 34. — De qui pseudonyme, 3 34.
La Bruyère. Parle des livres factices, 321.
Lacour (L.), cite un chapitre du Pontus de Tyard d'Abel Jeandet,
366.
Lacroix (Jules). Ses traductions en vers, 356.
Lacroix (Paul). Ses études sur le moyen-âge, 318.
La Fizelière (Alb. de), nous montre J. Janin paralysé, 332 • 333 .
L ALANNE, citéà propos de c/e G/on'J, 324.— Cite Rob. Greene sur
Shakespeare, 339.
La Monnoye (Bernard de). Traduction de ses Noei Borguignon,
L angle (J.-C.-Fleuriau, marquis de). Son mot sur la contrefaçon
d'un livre, 350.
L ARCHER, refuse le livre de Langlès, 3 36.
Lauwers. Sa mort^ 326.
La Villemarq_ué (de), contesté par M. Luzel, 356.
Leconte de LisLE. Notre opinion sur les traductions des poètes, à
propos des siennes, 3 $ 5 - 3 56.
Le Gallois, parle de l'emplette d'Ant. Pécatel, 348.
Leu (Thomas de), graveur des portraits enlevés du beau Ronsard,
335-
Le Roux DE L INC Y, parle de Cracherode, 324. — Des estampes
de Gilbert, 327.
Lescure (de). Volume de billets de banque, 332.
L IVRE (le). Son apologie... Tout ce livre est en l'honneur du Livre.
— (Voir particulièrement les deux Sonnets 6-7, le Bibliophiliana
en entier, et la Note pages 318-319.)
Livres. Factices, 3 19. — Imaginaires, 320. — Rognés d'un tiers, d°.
— Auteurs qui en ont parlé, 321. — Brisés pour en avoir les
INDEXANALYT1Q_UE j8f
gravures, j j j . — Ce qu'on y trouve après les avoir achetés, j 54.
— Leur prix avant l'imprimerie, 348. — Nombre jugé néces-
saire par certains, J49. — Le premier livre français sorti des
presses françaises, J50. — Trop bien rangés, 358.
LoDGE, pillé par Shakespeare, jjç.
LoMEiER, dérange les quatre P de Mélanchton, J59.
LoNGUERUE (l'abbé de), n'aimait point les poètes, 517.
Louis XIV. Sa lettre à Fouquet ; veut qu'on rembourse les livres
volés qu'on retrouve, 348. — Sa question au duc de Vivonne
sur la lecture, 361 . \
Louis XVIII. Quel volume il offre à M°" du Cayla, 3 52.
Lucien. Sa définition de la bibliotaphie, 354,
Lucrèce, fournit une devise à L. Marcel, 318. — Fac-similé d'Epi-
cure, 326.
LuzARCHE (V.). Son Catalogue par A. Claudin, 366.
Luzel (F.-M.). Ce qu'il conteste à M. de La Villemarqué, 3 56.
Mader. Ses bibliothèques antédiluviennes, 359.
Magliabecchi, appelé helluo librorum, 330.
M AÏ (Angelo), découvre le traité de Republicà, 326.
Marcel (L. , bibliophile. Sa devise, 318.
Marlowe, pillé par Shakespeare, 339.
Marmontel. Son opinion sur la lecture des documents histori-
ques, 349.
Mars (M"'). Quelle Bible elle hérite du marquis de Chalabre, 532.
Mary-Lafon, raconte la mort de Boulard, 339.
Mélanchton. Les quatre P de sa bibliothèque, 358-359.
Ménage. Son moyen d'avoir de bonnes éditions, 346.
Ménagian A. Cité, 3 55, 360.
Mentelli, travailleur excessif, cité par Descuret, 342.
Mercier (S.). Sa manie à l'égard des reliures, 318.
Mercier de Saint-Léger. Ses notes manuscrites, 3 19.
Millet (J.-F.). Sa biographie par Al. Piedagnel, 361.
Monceaux (marquise de). De Porchères lui adresse un sonnet, 302.
Mon DORÉ (P. de). Destruction de Sd bibliothèque, 325.
MoERis Storer. Sa mort, 344.
Mone (Fréd.), découvre un manuscrit du IV' siècle, 326.
)88
NOTES ET ANECDOTES
MoNFALCON (J.-B.) parle de la collection des Syndicats, }2i. —
Belles éditions qu'on lui doit, 347.
MONSELET (Ch.). Son Catalogue détaillé, 566.
Montaigne. Un mot sur les livres, ^ 5 1.
MoRANTE (Marquis de). Se tue en tombant de l'échelle de sa biblio-
thèque, 527.
Mouchez. Son Rapport sur le passage de Vénus. — Trouve une
vieille bibliothèque de naufragés dans l'île de Saint-Paul, 3a j.
MouRAViT (G.). Sa variante sur les éditions Princeps de Bonne-
met, } 5 1 .
Musset (Alfred de). Sa rime, parfois indigente, parfois opulente,
Naudé (Gab.), sortant de chez les libraires et dépeint par Rossi, 337.
NiEPCE (de Saint-Victor), inventeur de la découverte... de Da-
guerre, 362. (L'inventeur est Nicéphore Niepce. Niepce de
Saint-Victor est son neveu, qui a beaucoup perfectionné la
photographie.)
Nodier (Charles), ce qu'il dit sur les rats et les emprunteurs, 323.
— Combien il achète et revend le Songe de Polyphile, 328. —
Son calcul pour une bibliothèque complète, 350.
NoEi BoRGUiGNON. Première traduction complète par F. Fer-
tiault, 331.
Orléans (Massacreurs d'), dispersent la bibliothèque de P. Mon-
doré, 32$.
OssiAN, figure littéraire démolie, 364.
OsYMANDiAS. Inscription de sa bibliothèque, 36c.
P'*'** (Le cardinal), dévaliseur en Suisse, 319.
P. Les quatre P de Mélancliton, 358-359. — Dérangés par Lo-
meier, 3 59.
Palimpsestes. Erudits qui en ont découvert, 326.
Palmerston (lord), partisan delà théorie baconienne sur les œuvres
de Shakespeare, 3 39.
Panneaux de livres imaginaires, 321.
Panor.mita (Antoine). Lalanne appelle ainsi le Pécatel (Antoine) de
Le Gallois, 348.
Pafyrus, retrouvés à Herculanum, 526.
INDEX ANAllfTI<i.UE J89
Paravey (de). Reliure bizarre d'un de ses ouvrage?, J65 - j66.
Paris (plan de), acheté par Gilbert, 337. — Un autre exemplaire,
combien vendu, 328.
Pascal. Ses Provinciales brûlées, j4j.
Patin. Note sur de Thou, 325.
Péc ATEL (Antoine), vend sa métairie pour acheter un Tite-Live, 34^.
Peele, pillé par Shakespeare, 359.
Peignot (Gabriel). Son calcul à propos des œuvres de Voltaire,
J42. — Autre sur 'e nombre des ouvrages imprimés (jusqu'en
1823), 349.
Pera'jda. Ce que sa guenon lui fait d'un beau manuscrit, 352.
Perkins (le brasseur). Gratien acheté après son décès, 347.
Perrin (Louis). Quelques-unes de ses belles impressions, 346-347.
Petit-Radel, Parle de Gerbert, 338.
Pétrarq_uf, perd le traité de Gloriîi, 324. — Cherche en vain le
traité de Republicà, 326. — A propos de son V centenaire, 345 .
Philodëme, retrouvée Herculanum, 326.
Phoedrus, retrouvé à Herculanum, 326,
PicoLOMi NI (Jacques). Ce qu'il paye un Plutarque, etc., 548.
PiEDAGNEl (A.). Son étude sur Millet, 361.
Pline. Ce qu'un manuscrit du IV* siècle nous rend de ses livres, 326.
Plutarq_ue (le) de l'Etudiant, 331. — Prix d'un P/ufarçu^ manus-
crit, 348.
Poésie populaire. Dédaignée d'abord, recherchée maintenant;
impulsion reçue, 356. — Différend entre MM. Luzel et de La
Viilemarqué, d".
Poètes. Groupe de jeunes enthousiastes, dispersé, 328. — Combien
de tolérés par l'abbé de Longuerue, 3 1 7.
PoLYSTRATE, retrouvé à Herculanum, 326.
PoNGERviLLE (de). Ses/iic-îîmi/e d'Epicurc, 326.
Pont u 5 de Tyard. Dispersion de sa bibliothèque, 366.
Pope. Parle des livres factices, 321.
Porchères (de). Son sonnet à la marquise de Monceaux, 363.
Psalterium de Mayence (le fameux). Combien on en connaît
d'exemplaires, 350-}$!. — Prix de celui de Louis X V H I, 351.
— Un à la bibliothèque d'Angers classé parmi les Manuscrits, d°.
J90 NOTES ET ANECDOTES
Quenouille. Gage du promis en diverses localités, }57-}58,
QuiN (J.). Sa mort, 344.
R***, médecin. Son jeu chez les libraires, j 19.
Radcliffe (Anne). Son goût pour les langues sonores, 364.
Raimondo de Soranzo, avait donné Je C/or(ii à Pétrarque, 524.
Raleigh (Sir Walter), faisait partie du groupe anti-sliakespea-
rien, jj;.
Reliure. Description d'une des plus Fantaisistes, 365 -366.
René d'Anjou, fait don d'un Psaherium imprimé en 1457 à un
couvent d'Angers, 351.
Renouard. Son Catalogue, 366.
Reynaud (J.). Sa prière, ^^'^.
Rime riche. Coquetterie d'Alfred de Musset, 357.
Rimes de Dante, première traduction complète par F. Fertiault,
Ronsard, fêté à Vendôme, 3 54- 3 J 5- — Portraits enlevés de l'édi-
tion in-folio de ses œuvres, 335.
RoSNY (de). Une reliure de sa bibliothèque, 365 - 566.
Rossi (J.-V.), dépeint Gabriel Naudé, 537 .
Rover, mort des suites d'une chute, 3 37.
Ru HIER, collectionneur étrange; sa purée de livres, 329.
RussEL-B artlett (John), rédacteur du Catalogue de M- Carter-
Brown, 367.
S ai NT- Charles (le P. L.-J. de), se tue en tombant, 3 37.
S AU VAL, parle des livres factices, 321.
ScALiGER (Joseph). Sa mémoire, 344.
Scheuring (N.), grâce au concours de la maison Perrin, de Lyon,
a fait de belles éditions, 347.
S chopp (Gaspard), demande un livre à Gifanius, 3^3.
S COTT (Walter). Ce qu'il nous apprend d'Anne Radcliffe, 3 64.
Scribe. Sa bibliothèque factice, 321.
SÉNÈQ_UE. Son interrogation sur les livres, 349.
Shakespeare. De qui sont ses œuvres, 339. — Accusé de pillages
par divers, d".
Sonnet. Le Sonnet à deux pages, 350. — Auteurs qui ont recherché
et discuté son origine, 357.
INDEX ANALYTIQ.UE JÇI
SouLARY (Joséphin). Son beau recueil, 355.
Staaff (le Lieutenant-Colonel). Son anthologie, 361.
Stephenson (Georges), père de Robert Stephenson. Se fait cordon-
nier pour avoir des livres, jjé.
Swift. Sa fantaisie sur la Critique, 345-J46.
Te X 1ER (Edmond), nous dit l'envie étrange d'un dénicheur de li-
vres, 364.
Thsin-Chi-Hoang-Ti, ordonne l'incendie des livres 325.
T o 1 N A R D. Son mot sur les livres non rendus, 555.
Toscan (un). Sa mémoire, 344.
Triveth. Cracherode meurt sans avoir possédé ses Annales, 3 J4.
Trop I Le cri : « //^ a trop de livres! », 348-349.
Tross (Edwin), a possédé un exemplaire du pian de Paris d'Androuet
du Cerceau, 327.
Tués. Bibliophiles tués en tombant de leur échelle, 327. — Biblio-
philes martyrs, 344.
TuRGOT. Ses Gaietés; choix de ses titres, 320-321.
Turquety (Ed.). Cause de sa liaison avec Blanchemain, 360 - 3C1.
Valéry, cité à propos de de- Gloria, 324.
VEYBiàREs(L. de). Sa monographie du Sonnet, 357.
Vigneul-Marville (de), nous fait connaître la guenon de Pé-
rauda, 352.
Vigny (Alfred de). Son Héléna, combien achetée, 328.
VivoNN E (duc de). Sa réponse à Louis XIV, 361.
Voleurs de livres, 3 19.
Voltaire, Ce que ses œuvres contiennent de lettres, 342.
Westphal (André). Sa Préface pour la Dissertation de Bartho-
lin, 325.
Zaluski (J.-A.), évêque bibliophile. Son régime, 355.
Zinzerling (Juste de). Son pseudonyme, 334. (Voir Jcdccus Sin-
cerus.)
■tir tîr TÎr -tlf -tîf tif tif \V tlf -tJy -Otf -tlf tif t3> yXf
TABLE EXPLICATIVE
"DES EqAUX-FO%TES
SONNETS D'UN BIBLIOPHILE
Planches Pages
I. Frontispice. — Une bibliothèque hantée
par le pur amour du livre, l'amour de
l'étude I
H. Portrait de l'auteur. — xxvi
III. Bouquins et Rats. — ^^ Sur trois tomes
couchés... n — Un Cauchemar de bibliophile. i 2
IV. Sceaux durables. — Fragilité des blasons,
des armoiries, des ex-libris. Le temps, les
vers rongeurs et la voracité des rats en
ont facilement raison. Pour exprimer son
idée, l'artiste, au lieu de reproduire des
ex-libris, a préféré représenter un volume
aux armes du célèbre bibliophile Jacques-
Auguste DE THOU, entamé par un rat
de bibliothèque 81
50
394 TABLE EXPLICATIVE
Planches Page
V. « Et le Conquérant gît sous l'avalanche. » —
Où conduit l'amour effréné du Livre... à
l'écrasement sous le poids de sa propre
folie 113
VI. «Sur le plancher poudreux vous fuit rouler sa
charge. » — Quand on aime les livres, il
ne faut point trop les confier aux porte-
faix, et il est bon au moins de les couver
des yeux 118
FANTAISIES D'UN BIBLIOMANE
LE TRÉSOR DU BIBLIOPHILE DÉFUNT
VII. La Veuve au cabas. — Elle se dirige vers
l'échoppe d'un bouquiniste 12"]
VIII. Le Trésor dans le cabas 128
IX. Le maigre dîner de la Veuve 13^
X. Le Trésor. — Le Psautier de I45'7, premier
livre imprimé avec date certaine, et dont
on connaît à peine quelques exemplaires
qui sont pour la plupart incomplets, . . 138
XI. Le Réchaud. — Désespoir de la Veuve, qui
n'a pu trouver à vendre le trésor de son
mari, le bibliophile défunt 143
XII. Le Bibliophile sauveur, qui, apprenant par
hasard, par le bouquiniste de l'échoppe,
l'existence d'un exemplaire à vendre du
DES EAUX-FORTES J95
Planches Pages
Psautier de 14^7, accourt, frappe à la
porte de la Veuve, et n'ayant pas reçu de
réponse, regarde fiévreusement par le trou
de la serrure 144
XIII. Groupe de Livres. — Fin de chapitre . . 149
LA MAITRESSE DU MARI
XIV. La BiBLioMANiE, la Folle du logis, la Maî-
tresse du Mari-Bibliophile.
Hop ! Marotte en main, le petit génie
Part sur le dada qu'il vient d'enfourcher.
Cette planche eût peut-être été mieux pla-
cée à la page 1 13, si cette page n'eût déjà
été chargée d'une avalanche de livres .. . Non
bis in idem... Telles sont les convenances
typographiques. — Exemple d'un sonnet
traduit en deux planches... ou peut-être
bien de deux planches condensées en un
sonnet. Dans ce dernier cas, l'auteur des
vers serait !e coupable i f 9
NOTES ET ANECDOTES
XV. Flagrante delicto. — Une juste repré-
saille, mais une bien faible compensation
des ravages causés chez un Bibliophile. Si
ce rat eût médité le traité du Flagrant délit.
Î9Û
TABLE DES EAUX-FORTES
Planches •'^ge»
qui était à sa portée... il eût évité la
Peine de Mort si près de lui p2
XVI. ÉpiLOGUt. — Pensée d'un aqua-fortiste phi-
losophe, qui a peur, en trop lisant, de ne
trouver au fond du trésor de la sagesse
humaine qu'un inextricable mélange d'er-
reurs et de sottises 369
Universitas
SCHOLA
E LIVRE A ÉTÉ ACHEVÉ d' 1 M PR 1 M E R
{f^*Û A LYON, SUR LE RHONE ET LA SAONE,
PAR LES SOINS ET AUX FRAIS DE
A. CLAUDIN, libraire de PARIS ET DE LYON,
EN LA MAISON DE FEU LOUIS PERRIN^
CONTINUÉE PAR ALF. LOUIS PERRIN
ET MARI NET ASSOCIÉS, LE
XXX^ JOUR DE SEPTEMBRE
DE l'année
M . D . CCC . LXXVI .
V^c^RESENS OPUS ABSOLUE ULLACALAMI
' ■"' EXARATIONE SED MIRA IMPRIMENDI
J-^<i^ ARTE , FE;L1C1TFR CONSUMMATUM EST
LUGDUNI SUPER RHODANUM ET ARARIM, DL'CTU
ET SUMPTIBUS A. CLAUDIN, BIBLIOPOL/t
PARISIENSIS ET LUGDUNENSIS , IN
OFFICINA ILLUSTRIS TYPOGRAPHl
LU DOVICI FERRIN, PER
ALFR. LUD. PERRIN ET
MARINET SOCIOS
XXXA DIE MENSIS SEPTEMBRIS
ANNO INCARNATIONIS
DOMINIC/î
M.D.CCC.LXXVI.
LAUS DEO
Extrait du Catalogue
De la librairie A. (XAUDIN. 3, rue Guénégaud.
Noëls Bourguignons (Les), de
Gui Banuai Hornanl de la Monnoyc),
suivis des Noêls Maçonnais du Parrain
Bliaise (le P. Lhuillier, texte patois,
accompagne d'une traduction littérale,
par F. Fertiault. s" édition illustrée de
24 dessins et augin. de notices et do-
cuments nouveaux. i858,in-i2. 4 fr. 5o.
Kdition la meilleure et la plus complète de
ces Noiils, l'une des productions les plus fines
et le* plus populaires de la poésie patoise.
C'est le chel-d'œuvre de La Monnoye.
Quelques exemplaires seulement.
Cours d'Amour (La Vie au temps
des\ croyances, usages et mœurs in-
times des XI', .\u« et xiii' siècles, d'après
les chroniques, gestes, jeux-partis et fa-
bliaux, pa-r Antonv Mérav, 1876. Beau
vol. in-S écu, papier vergé, impression
en caractères antiques, titre rouge et
noir, fleurons et lettres ornées par Léon
Lemaire. 7 fr. 5o
Dans cet ouvrage remarquable « M. Méray
a voulu nous montrer comment nos mères ont
amené la France à devenir la terre classique
de la galanterie et de l'amour raffiné... 11
nous retrace fidèlement ces jeux d'esprit, ces
distractions fines, piquantes, indiscrètes sou-
vent et ne reculant pas devant les personna-
lités les plus malicieuses qui caractérisent
si bien cette intéressante époque de notre
histoire. C'est là, le principal attrait de ce
livre, la partie la plus attentivement étudiée,
celle que tous les étions de l'auteur ont tendu
à transformer en certitude historique... Toutes
les traces de ce mystère de nos annales in-
times, de cette page vCaiment française, qu'il
a été possible de réunir se trouvent dans cet
intéressant volume. » (Echo, du 3o avril
1876).
Chansonnier Huguenot du XVI'
siècle (Le). Lyon, imp. L. Perrin, 1871,
■1 vol. in-i6 carré, papier vergé teinté,
impression en caractères antiques. 10 fr.
Cette curieuse publication, imprimée avec
le luxe de bon goût et le soin que comportent
les livres destinés aux véritables bibliophiles,
est due au zèle éclairé de M. Henri Bordier,
de la Bibliothèque Nationale, bien connu par
son Dictionnaire des pièces autographes
volées, et par d'autres ouvrages qui témoignent
de savantes et consciencieuses recherches.
M. Bordier a l'ait précéder ce Chansonnier
Huguenot d'une très-intéressante préface,
dans laquelle il fait ressortir avec beaucoup
de tact I opportunité et l'utilité de la mise en
lumière de ces petits recueils de chansons,
oubliés depuis deux cents ans, et qui. négligés,
proscrits ou perdus, ont presque entièrement
disparu- des bibliothèques. Au point de vue
de la vérité historique, ce recueil, qui rappelle
tous les événements du xvk siècle, a une
valeur inconstestable ; mais en outre, comme
dit M. Bcn-dier avec beaucoup de justesse,
>' il montrera qu'il y eut une belle et nerveuse
poésie de la Réforme. On verra dans ce petit
livre qu'elle ne lut pas inférieure aux autres
œuvres d'art du même temps; on y verra
aussi qu'avec un de ses souvenirs de famille,
le Protestantisme peut doter les lettres fran-
çaises d'un recueil de vers qui semblera tout
nouveau tant il était oublié, et qui mérite bien
d'être rendu à la lumière... » — Parmi le.»
chansons recueillies, on en trouve un certain
nombre d'HusTORo de Bcaulieu, poète et
organiste Limousin. On retnarque une chan-
son en patois provençal, datée de ib6.\.,
etc.. La chanson parodiée des Funérailles
du duc de Guise ipage 253 et suiv.i, est
surtout curieuse en ce qu'elle a servi de pa-
tron à lu fameuse chanson populaire de
Malborough. Enfin l'ouvrage se termine par
une excellente Bibliographie de la Chanson
protestante et par une table des noms cités.
— Le même Chansonnier Hugue-
not. Grand-papier de Hollande, 1 forts
vol. in-i6. 12 fr.
Annales Plantiniennes depuis
la fondation de l'imprimerie Plantinienne
à Anvers, jusqu'à la mort de Chr. Plan-
tin, i3d5-i589, par C. Ruelens et A. de
Backer. i86'3, m-8, avec portrait de
Piantin et fac-similé de sa signature. 8fr.
Excellente bibliographie, indispensable à
tout bibliographe. Elle a été tirée à petit
nombre (200 exemplaires seulement).
Banquier du Diable (Discours
prodigieux et espouvantabie du thréso-
rier et) qui ont esté bruslés à Vesouz en
la Franche-Comté, le 18 janvier lôio.
après avoir confessé une infinité de ma-
léfices et sorcelleries par eux commises,
ensemble le moyen comme ils furent
descouverts, avec la copie de larrest du
parlement de Dôle. A Lyon, pour Jean
Doret (lôio). Broch. in-i(3, pap. vergé
fort, caractères antiques. i fr. 30
Réimpression fac-similé de l'édition origi-
nale d'après le seul exemplaire connu et con-
servé à la Bibliothèque Nationale. Cette
réédition tirée à petit nombre a été exécu-
tée avec beaucoup de goût à Dôle en 1871.
Comédie Bressane du XVU''
siècle (L'Enrôlement de Tivan), en
vers, par Brossard de Montaney, con-
seiller au présidial de Bourg. Lyon,
imprim. L. Perrin, 1870, in-8, caractères
antiques, titre rouge et noir^ rig. à l'eau-
forte et illustrations humoristiques daris
le texte, papier teinté. 6 fr.
Jolie publication tirée à petit nombre et
exécutée avec beaucoup de goût. La comédie
de Tivau a fait les délices de la société
Bressane au xvii' et ■aww siècles. L'auteur a
joyeusement tracé le caractère naïf de son hé-
ros, les scènes qu'anime ce plaisant personnage
sont dialoguées avec beaucoup de naturel et
le stvie est émaillé de gracieux détails. Il y
a là îine mine féconde à exploiter par les phi-
lologues. C'est en 1673 que Tivan fut com-
posé. Plusieurs vers de la VI" scène font
allusion à la campagne à' Alsace que le grand
Condé allait entreprendre après la mort de
Turenne. Une traduction française accompagne
le texte patois.
— Le même, tiré sur Grand-papier
de Hollande. Quelques exemplaires seu-
lement. 12 tr.
CATALOGUES MENSUELS DE LIVRES CURIEUX
KN VKNTE A PR[X MARQUÉS
Les catalogues sont envoyés franco en province <•/ à l'étranger sur demande affranchie.
X
L.a Bibliothèque
université d'Ottawa
Echéance
The Library
University of Ottawa
Date Due
"-è
a39003 005538326b
CE Z
0992
.F4 7/J
k 1877
COO
FERTIAULT,
F
AMOUREUX
D
ACCyif
142Ô51Ô