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Full text of "Les amoureux du livre : sonnets d'un bibliophile, fantaisies, commandements du bibliophile, bibliophiliane, notes et anecdotes"

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LES 


AMOUREUX  DU  LIVRE 

SONNETS    D'UN    BIBLIOPHILE 

F<yl^T<yirSIES 

COMMANDEMENTS    DU    BIBLIOPHILE 

UrBLIOTHILlaiNA 

NOTES    ET    ANECDOTES 


F.    FERTIAULT 

TTi,ÉFQ^CE   "DU  'BI'BLIOTHILE  Jq4C0'B 

Seize  Eaux-fortes 

DE 

JULES    CHEVRIER 


De   vos   beaux  livres  qui  en   voudra   avoir    se   faut 

depescher  d'en   achepter  (comme  disoit   Rabelais 1  car 

après  la  première  impression  ne  s'en  fera  plus 

(Ch.  Fontaine.  Quintil  Censeur,  i556.) 


A  .     C  L  A  U  D  I  N  .     É  D  I T  P:  U  R 

3,    Rue  Guénégaudy    3 


M.  D.CCC.LXXVII 


I  .,     .    I 


LES 


AMOUREUX  DU  LIVRE 

SONNETS    D'UN    BIBLIOPHILE, 

FANTAISIES,    COMMANDEMENTS    DU    BIBLIOPHILE, 

BIBLIOPHILIANA,  NOTES  ET  ANECDOTES 


F     FERTIAULT 

TTi^ÈFcACE   VU  "B  l^BLl  OTH 1  LE   JcACO'B 

(PAUL    LACROIX) 

SEIZE     EAUX-FORTES 

DE 

JULES  CHEVRIER 

Les  livres  ont  toujours  été  la  passion 
des  honnêtes  gens. 

(Gilles  Ménage,) 


PARIS 

qA.    CLcAUVIU^,    ÉVÎTEUT{_ 
3,  rue   Guénégaud,   3 

M    DCCC    LXXVII 


UnivesiLis 

SCHOLA 
BIBUOTHcCARlORUM 

Ottaviensis 


2. 


c4    ^lOS^SE  IG?^EU\ 

HENRI  D'ORLÉANS 

DUC  D'AUMALE 

de  l'Académie   Françaiie, 

Président   d'honneur  de    la  Société   des   Bibliophiles   Français, 

de  la  Société  du  Philobiblion  de  Londres,  etc.,  etc. 


Monseigneur, 


\'oizAfOUT{^  éclairé  que  vous  ave~,  en  tout 
temps,  porié  aux  beaux  livres,  vous  a  placé 
au  premier  rang,  sans  coniesre,  parmi  les 
véritables  a  Amoureux  du  Livre.  »  oi  une  époque 
où.  certains  éditeurs,  désireux  de  bien  faire,  avaient  à 
lutter  contre  l  indifférence  du  goût  public,  vous  leur 
envoyiez  de  la  terre  d'exil  un  chaleureux  et  puissant 
encouragement  en  souscrivant  le  premier  pour  le  plus 
bel  exemplaire  sur  vélin,  quel  quen  fût  le  prix,  dési- 


DÉDICACÉ. 


reux  de  témoigner  ainsi  du  haut  intérêt,  que,  même 
loin  de  la  patrie,  vous  portiei  aux  Lettres  françaises. 
cAujourSiiui  les  temps  sont  changes,  îimpulsion  est 
donnée,  un  public  d  élite  accueille  avec  une  faveur 
marquée  les  produits  de  la  typographie  française  qui, 
par  leur  exécution  soignée,  lui  paraissent  dignes  d'at- 
tention. Termettei-donc  que  ce  livre  vous  soit  dédié, 
non  comme  on  dédiait  jadis  aux  grands  et  aux  puissants 
du  jour  pour  obtenir  d'eux  des  faveurs  et  des  récom- 
penses, mais  quil  vous  soit  offert  à  titre  de  reconnais- 
sance envers  le  Prince  des  Bibliophiles,  qui  a  été  tun 
des  premiers  promoteurs  du  goût  des  beaux  livres  en 
France  et  na  cessé  de  les  encourager. 

c4ux  premiers  temps  de  f  Imprimerie,  dans  les  dédi- 
caces quon  adressait  soit  à  un  ami,  soit  à  un  zMécène 
—  et  il  rien  manquait  pas  alors,  —  il  était  d'usage 
d  initier  le  public  à  l'histoire  du  livre,  à  ses  diverses 
phases  et  péripéties. 

ce  Les  Amoureux  du  Livre,  »  amoureux  de  la 
forme  antique,  sollicitent  de  vous  la  faveur  de  rétablir 
quelque  peu  cette  ancienne  coutume  littéraire. 

Ce  ri  est  pas  dun  seul  jet  que  ce  livre  a  été  conçu  et 
produit.  V auteur,  bibliophile  et  poète,  pendant  des 
années,  à  ses  heures  perdues,  s'exerçait  à  condenser 
en  des  Sonnets  dune  contexture  difficile ,  les  divers 
caractères  de  la  passion  des   livres  quil  observait  tout 


DÉDICACE. 


autour  de  lui.  Entre  temps,  un  de  ses  intimes,  auquel 
il  communiquait  ses  rêveries  poétiques,  prenait  plaisir 
à  traduire,  avec  son  crayon  d  artiste,  ce  qui  pouvait 
être  développé  dans  la  pensée  du  poète.  On  ne  se  sou- 
cie guères  de  poésie  à  notre  époque  et,  sans  F  originalité 
de  la  matière  qui  n  avait  pas  encore  été  ainsi  traitée, 
et  le  mérite  des  dessins,  /eusse  décliné  Foffte  d'en  être 
f  éditeur  ;  toutefois  je  recommandai  à  t auteur  de  join' 
dre  à  son  livre  une  partie  en  prose  contenant  des  anec- 
dotes bibliographiques,  afin  de  faire  passer  ses  vers  dont 
fêtais,  je  l  avoue,  juge  asseï  médiocre.  Quelque  temps 
après,  Fauteur  m  apporta  ses  Fantaisies  d'un  Biblio- 
mane.  Ce  n  était  pas  encore  précisément  ce  que  f  avais 
demandé;  mais  cette  prose  était  asseï  bien  tournée  et 
je  trouvai  quelle  pourrait  émouvoir  la  fibre  sensible 
des  bibliophiles ,  et  quelle  ne  serait  pas  trop  déplacée  à 
la  suite  des  Sonnets  d'un  Bibliophile.  Je  me  décidai 
donc  à  faire  imprimer  ces  Fantaisies,  accompagnées 
d  illustrations  convenables  au  sujet.  éMais  ce  ii  était  pas 
tout  Savoir  donné  libre  et  pleine  carrière  à  ï imagina- 
tion, il  fallait  aborder  le  côté  sérieux  :  la  Philosophie 
du  Livre.  Hauteur  réunit  des  matériaux  épars,  en  fit  un 
choix,  les  coordonna  et  forma  ainsi  une  véritable  antho- 
logie bibliographique  à  laquelle  nous  donnâmes  le  nom  de 
Bibliophiliana.  Les  Notes  et  Anecdotes  vinrent  en- 
suite pour  expliquer  les  allusions  de  la  poésie  et  les 
passages  qui  auraient  pu  paraître  obscurs.  Tour  couron- 


DFDICACE. 


ner  t œuvre,  quelques  amis,  selon  la  mode  'Rpnsardienne 
du  XV  i^  siècle,  adressèrent  à  t  auteur  des  pièces  de  vers 
et  des  lettres  pour  Tencourager  à  paraître  en  public. 
Le  doyen  des  bibliophiles,  le  'Bibliophile  Jacob,  a 
tenu,  en  maître  affectueux,  à  présenter  le  nouveau  venu 
au  monde  littéraire,  et  de  sa  plume  élégante  et  intaris- 
sable a  rappelé,  avec  verve  et  chaleur,  plus  d'une  anec- 
dote à  la  plus  grande  gloire  et  exaltation  du  Livre. 

Une  de  ces  histoires,  ^Monseigneur,  vous  intéresse 
particulièrement.  Elle  a  trait  à  la  conservation,  au  fort 
des  fureurs  populaires,  "  du  plus  beau  livre  qui  soit 
au  monde  »  comme  s'écriait  fiévreusement  le  biblio- 
phile iiMotteley,  d'un  véritable  Joyau  de  famille,  du 
fameux  Perceforest,  sur  vélin,  du  comte  de  Toulouse, 
dont  vous  fîtes  si  royalement  payer  la  rançon  à  la  vente 
de  la  'Bibliothèque  du  Talais-%oyal. 

Cest  dans  la  patrie  de  Jean  de  Tournes,  le  célèbre 
typographe  du  xvi^  siècle  dont  la  devise  anagramma- 
tique  a  Son  art  en  Dieu  n  (ian  de  tournes)  a  été 
inscrite  au  fronton  de  î œuvre,  dans  la  maison  de  Louis 
Terrin,  de  celui  qui,  renouvelant  les  saines  traditions 
de  fart  typographique,  a  su,  le  premier  en  France,  re- 
donner le  vrai  et  beau  type  archaïque  à  ces  livres  auxquels 
vous  avei  si  généreusement  donné  î  hospitalité  dans  votre 
bibliothèque  ;  cest  à  Lyon,  T  ancienne  cité  typographique 
et  littéraire  des  Gryphe,  des  Est.  Volet  et  des  T{ouille, 
les  dignes  émules    des    Estienne,  des  Vascosan  et  des 


DÉDICACE.  Vij 

cMorel,    que  ce   texte  a    été   matériellement  combiné, 
exécuté  et  imprimé. 

Quant  aux  eaux-fortes,  cest  à  Chalon,  sur  les  rives 
vertes  de  la  Saône  quelles  ont  été  dessinées,  gravées 
et  fouillées  avec  amour  par  zM.  Jules  Chevrier,  peintre 
distingué  et  bibliophile  qui  na  pas  craint  de  venir 
exprès  à  Taris  pour  en  surveiller  le  tirage  artistique. 

Voilà  f histoire  de  notre  livre.  Tuisse-t-elle  intéres- 
ser les  'Bibliophiles  de  t avenir  !  U^us  avons  tout  cal- 
culé, tout  pesé,  tout  distribué  pour  faire  en  sorte  de  le 
mener  à  bonne  fin  ;  mais  les  livres,  comme  les  hommes, 
ne  sont  pas  parfaits  ;  on  s'efforce  de  les  rendre  meilleurs  ; 
nous  tâcherons  de  faire  mieux.  Et  maintenant  veuillei 
excuser 

Uotre  très-humble  et  obéissant  serviteur, 

cA.     CLqAUVI^, 

Éditeur-Bibliophile. 


•A*^î?^r^l^?^ï^^i^6•^i?*^^V*^J^ft'W 


Queh  grands  bonheurs  le  Livre  à  vos  yeux  fait  goûter. 
Vous  en  aimez  le  corps.  —  Et  moi  j'en  aime  l'âme. 

L'âme.   —  Ce  que  le  Livre  envoie  à  notre  esprit, 
Ce  que  dans  ses  feuillets,  en  legs  cher  et  suprême, 
Un  kimineu.x  cerveau  nous  laissa  de  lui-même; 
Conseil  qu'un  ami  mort  chaque  jour  nous  écrit  ; 

Fluide  que  l'auteur  en  inspiré  surprit 

A  l'heure  où  du  génie  il  reçut  le  baptême, 

Et  que,  poiNT  nous  toucher,  nous  ses  enfants  qu'il  aime, 

11  fixa  dans  son  texte  où  sa  voix  nous  sourit. 

C'est  cet  éclair,  ce  feu,  ce  rayon  qu'on  sent  vivre, 
Qi_i'il  me  plaît  de  nommer  l'àme,   l'àme  du  Livre. 

(Sonnets  d'un  Bibliophile,  pages  6-7.) 

—  Belles  dames,  venez  !  Surtout  pas  d'air  moqueur  ! 
Ne  vous  effrayez  pas  de  ces  rimes  sincères 
Où  le  rêve  a  versé  le  pur  de  sa  liqueur. 

Par  elle  le  poète  a  charmé  ses  misères. 

Lise-^-ncus 


(Sonnets  d'un  Bibliophile,  page  35,) 


T%ÈFqACE 


LETTRE   DU   BIBLIOPHILE  JACOB 

à    l'auteur  des 

o4éMOU\EUX  VU  UV\E 


Voyla  mon  cas, 

Compagnons.  Je  ne  pense  pas 
Rien  estre  qui  plus  me  console 

Que  cecy 

(J^eiis  des  supposts  du  Seigneur  de  la 
Coquille,  récite^  a  Lyon  en  1589.) 


Py^rfi^E  vous  remercie,  mon  cher  ami,  d'avoir 
>/x|  l^  bien  voulu  me  communiquer  les  bonnes 
^X^;;^  feuilles  de  votre  intéressant  et  charmant 
ouvrage.  C'est  une  sorte  de  droit  du  seigneur,  que 
vous  accordez  à  un  vieux  bibliophile,  qui  est  en- 
chanté de  pouvoir  vous  lire  et  vous  applaudir  avant 
tout  le  monde. 

Amoureux  du  Livre  !  Vous  commenciez  à  l'être, 
lorsque  je  Tétais  déjà  depuis  longtemps.  Il  y  a  qua- 


XII 


rante  ans  de  cela  (i),  s'il  vous  en  souvient;  vous 
étiez  bien  jeune,  je  n  étais  pas  encore  bien  vieux, 
et  je  puis  dire  que  si  je  ne  vous  ai  point  appris  à 
aimer  les  livres,  je  ne  vous  ai  pas  empêché  de  les 
aimer.  Je  vous  voyais  ayant  toujours  un  volume  de 
poésie  en  poche  ou  à  la  main,  et  ce  volume  de 
poésie,  qui  ne  changeait  pas  souvent  quand  c'était 
André  Chénier  ou  Millcvoye ,  ce  volume-là  fut  le 
premier  livre  de  vos  amours.  C'est  lui  qui  vous  a 
fait  poëte. 

Je  suis  heureux,  mon  cher  ami,  de  vous  retrouver, 
à  quarante  ans  d'intervalle,  aimant  encore  les  livres 
et  ne  vous  lassant  pas  de  les  aimer.  Votre  ouvrage 
est,  en  quelque  sorte,  un  chant  d'amour  et  de 
triomphe  en  l'honneur  du  Livre,  le  vrai  dieu  des 
lettrés,  ce  vrai  dieu  bienfaisant  et  consolateur,  au- 
quel nous  rendons  un  culte  idolâtre.  Voici  le 
bréviaire  de  notre  noble  culte,  et  tous  les  amateurs 
du  Livre  ne  manqueront  pas  de  le  feuilleter  avec 
une  sympathique  dévotion,  en  répétant  à  l'unisson 
vos  antiennes. 

Vous  avez  cité  une  foule  d'écrivains  de  tous  les 
temps  et  de  tous  les  pays,  qui  ont  parlé  du  Livre  ; 
mais  il  eût  fallu,  pour  les  citer  tous,  quadrupler  les 


(i)  En  i8j5,  M.  François  Fertiault  publiait  son  premier  ouvrage  : 
La  Nuit  du  Génie,  poome. 


xuj 


proportions  de  votre  ouvrage.  Vous  ne  pouviez 
oublier  Jules  Janin  et  Mouravit,  qui  ont  consacré 
chacun  un  beau  volume,  intitulé  :  le  Livre,  au 
sujet  que  vous  n'avez  pas  craint  de  traiter  après 
eux;  mais  vous  navez  pas  assez  parlé  d'un  brave 
libraire,  Edmond  Werdet,  qui  a  écrit  ÏHiswire  du 
Livre  en  cinq  volumes,  et  qui,  devenu  presque  aveu- 
gle, s'attachait  encore,  par  la  pensée,  à  l'objet  des 
affections  de  sa  vie  entière.  Quant  à  moi,  je  me 
tiens  très-honoré  d'avoir  ma  place,  et  en  bon 
lieu,  parmi  les  (Amoureux  du  Livre,  anciens  et  mo- 
dernes. 

J'ai  bien  des  fois  parlé  du  Livre,  en  effet,  dans 
mes  ouvrages,  et  si  je  formais  un  recueil  de  tout  ce 
que  j'ai  écrit  à  cet  égard,  ce  recueil  serait  presque 
aussi  gros  que  le  vôtre,  mon  cher  ami,  puisque  je 
me  suis  préoccupé  de  la  plupart  des  questions  spé- 
ciales qui  vous  ont  paru  dignes  de  figurer,  en  ma- 
nière de  tesnmonia,  à  la  suite  de  vos  Sonnets,  et  que 
vous  avez  cueillies  à  pleines  mains  dans  le  vaste 
champ  des  œuvres  Uttéraires  et  bibUographiques. 
zManihus  date  lilia  plenis.  Je  désire  pourtant  ajouter 
ici,  comme  corollaire,  un  petit  Eloge  du  Livre,  le- 
quel n'a  pas  encore  été  imprimé  et  qui  fut  lu,  il  y  a 
quelques  années ,  dans  une  réunion  composée 
d'auditeurs  bienveillants,  qu'on  pouvait  mettre,  ce 
jour-là,  au  nombre  des  oimoureux  du  Livre. 


C'étaient  les  fondateurs,  les  administrateurs  ce 
les  membres  associés  d'une  Bibliothèque  populaire, 
à  laquelle  j'ai  donné  tant  de  livres,  qu'il  m  a  bien 
fallu  accepter  le  titre  de  président  honoraire  de 
l'administration  de  cette  Bibliothèque,  qui  a  son 
siège  dans  un  des  quartiers  les  plus  excentriques  de 
Paris,  à  La  Villette.  Vous  voyez  que  les  c4moureux 
du  Livre  sont  partout,  grâce  aux  progrès  des  lu- 
mières, que  les  incendies  de  la  Commune,  au  pé- 
trole, ont  probablement  augmentées  et  multipliées. 
Dans  tous  les  cas,  ma  Bibliothèque  populaire  des 
Amis  de  1  Instruction  du  XIX^  arrondissemeut  a  eu  la 
chance  d'échapper  à  ces  incendies,  qui  ont  détruit 
ma  Bibliothèque  de  Motteley,  que  j'avais  fait  léguer 
à  l'Etat,  et  que  feue  la  Bibhothèque  du  Louvre 
avait  adoptée  comme  une  pauvre  petite  orpheline. 
La  Bibliothèque  de  Motteley  était  la  plus  précieuse 
et  la  plus  riche  du  monde  en  reliures  historiques, 
en  éditions  elzéviriennes,  en  beaux  exemplaires 
d'amateurs,  en  raretés  et  en  curiosités  bibliogra- 
phiques ;  la  Bibliothèque  de  La  Villette  contient 
plus  de  4,000  volumes,  qui  sont  bons  à  lire  et  qui 
ne  craignent  pas  beaucoup  d'être  maltraités  par  le 
lecteur. 

Voici  donc  ce  que  je  disais  à  nos  Amoureux  du 
Livre  de  La  Villette  : 

«  Oui,  Messieurs,  comme  moi,  vous  aimez  les 


I 


livres,  puisque  vous  vous  êtes  associés  non-seule- 
ment pour  créer  une  Bibliothèque  à  votre  usage, 
mais  encore  pour  distribuer  fraternellement  les  bien- 
faits de  cette  Bibliothèque  à  quiconque  n'a  pas  de 
livres  et  vous  demande  sa  part  de  ce  pain  spirituel, 
aussi  nécessaire  à  Tesprit  que  le  pain  matériel  Test 
au  corps, 

«  11  y  a  dans  un  bien  vieux  hvre,  le  plus  obscur, 
le  plus  étrange  des  livres,  qu'on  ne  lit  guère  aujour- 
d'hui et  dont  je  ne  recommande  pas  la  leélure  à  tout 
le  monde,  il  y  a  dans  les  Prophéties  d'Ezéchiel  une 
admirable  figure  ou  allégorie,  qu'il  nous  est  per- 
mis, du  moins,  de  comprendre.  Le  Prophète  s'a- 
bandonne au  découragement  ;  il  se  sent  mourir  de 
faim,  de  lassitude  et  de  désespoir.  Tout  à  coup  ap- 
paraît un  Ange,  un  Génie,  qui  lui  présente  un  livre 
rayonnant  de  lumière,  en  lui  disant  :  «  Mange  ce 
livre,  et  tu  vivras  !  » 

»  Le  Livre,  Messieurs,  c'est  la  raison  humaine, 
c'est  la  science  divine. 

tf  Heureux,  bienheureux  sont  ceux-là  qui  aiment 
les  livres  et  qui  savent  s'en  servir  !  Ils  s'entretien- 
nent avec  les  sages  et  les  doctes  des  anciens  temps  ; 
ils  écoutent  leurs  conseils;  ils  se  nourrissent  de 
leurs  pensées.  Alors  les  aveugles  voient,  les  sourds 
entendent,  quand  le  Livre  leur  montre  le  but,  le 
vrai  but  de  la  vie,  en  leur  parlant  de  famille  et  de 


xyi 


PRÉFACE. 


patrie,  de  travail  et  d'honneur,  de  justice  et  de 
liberté. 

«  Votre  Bibliothèque,  Messieurs,  contient  tout 
cela,  quoiqu'elle  ne  se  compose  que  de  bien  peu  de 
volumes  ;  mais  on  ne  saurait  croire  ce  que  peut 
renfermer  un  seul  volume,  un  volume  de  Molière, 
de  La  Fontaine,  de  Voltaire  ou  de  Rousseau.  Cest 
bien  là  surtout  ce  qui  me  semble  merveilleux  dans 
le  Livre,  qui  résume  parfois,  en  quelques  pages, 
toute  la  sagesse  des  nations,  toute  l'essence  des 
doctrines  philosophiques,  tous  les  efforts,  tous  les 
prestiges,  toutes  les  grandeurs  de  l'esprit  humain. 

«  Ah  !  qu'on  me  donne  un  seul  livre,  Horace, 
Rabelais,  Montaigne,  Pascal,  La  Bruyère,  par  exem- 
ple; je  n'en  veux  pas  d'autre  pendant  des  semaines, 
pendant  des  mois,  car  je  le  relirai  sans  cesse  et  j'y 
trouverai  toujours,  après  l'avoir  relu  cent  fois,  un 
nouveau  sujet  d'étude,  d'instruction,  de  rêverie, 
de    délassement  et  de  plaisir. 

«  iMais  si  je  m'étonne  et  me  réjouis  de  tout  ce 
qu'on  peut  trouver  dans  un  seul  hvre,  ce  n'est  pas 
pour  vous  dissuader,  pour  vous  empêcher  d'avoir 
beaucoup,  beaucoup  de  livres.  Au  contraire,  je  de- 
mande. Messieurs,  que  votre  BibUothèque  soit 
nombreuse,  en  restant  bien  choisie  5  je  désire  qu'elle 
réunisse  une  utile  et  agréable  variété  d'ouvrages, 
qui  puissent  convenir  à  tous   les  goûts,  à  tous  les 


XVIJ 


âgeSj  à  toutes  les  positions,  à  tous  les  besoins.  Une 
bibliothèque  publique,  si  modeste  qu'elle  soit, 
doit  mériter  la  belle  devise  que  s'était  attribuée  un 
facétieux  écrivain  du  xvi^  siècle,  Etienne  Tabouret  : 
c4  TOUS  accords!  » 

C'est  d'après  ce  principe  fondamental  que  j'avais 
organisé  cette  Bibliothèque  de  La  Villette,  qui  ren- 
ferme la  plupart  des  livres  nécessaires  qu'il  faut 
avoir  pour  représenter  les  cinq  classes  du  système 
bibliographique  de  notre  savant  libraire  Gabriel 
Martin  :  Théologie,  Jurisprudence,  Sciences  et  Arts, 
Belles-Lettres,  Histoire.  Ce  système  bibliographique 
est  encore  le  meilleur,  le  plus  logique  et  le  plus 
simple  qu'on  puisse  appliquer  à  la  formation  d'une 
Bibliothèque.  Grâce  audit  système,  force  a  été 
d'admettre  naturellement  des  livres  de  théologie, 
dans  une  Bibliothèque  créée  par  des  libres-penseurs 
(je  m'en  excuse  et  m'en  lave  les  mains)  5  ces  livres 
de  théologie  ne  sont  pas  nombreux,  une  cinquan- 
taine de  volumes  au  plus,  un  peu  de  Bossuet,  de 
Fénelon  et  de  Massillon,  la  Bible,  le  Nouveau 
Testament,  limitation  de  Jésus-Chrijl.  C'est  assez 
joU,  n'est-ce  pas,  pour  des  libres-penseurs,  braves 
gens,  honnêtes  gens,  du  reste,  qui  me  permettent 
de  croire  en  Dieu,  comme  vous,  mon  ami. 

Vous  voyez  que,  pour  être,  comme  vous  aussi, 
un  (Amoureux  du  livre  (et  j'ai  fait  mes  preuves  de- 


XViij  PRÉFACE. 

puis  cinquante  ans),  je  ne  suis  ni  exclusif,  ni  into- 
lérant, et  que  je  ne  contrains  pas  les  gens  à  n'aimer 
que  certains  livres,  à  ne  lire  que  les  bons  ;  je  ne 
les  invite  pas  même  à  détruire,  à  brûler  les  mauvais, 
car,  en  ma  qualité  d'cAmoureux  du  Livre,  en  géné- 
ral, j'ai  des  préférences  et  des  répugnances  ;  j'ai 
des  passions  et  des  illusions ,  ainsi  que  tous  les 
amoureux,  mais  je  pense  que  les  plus  mauvais 
livres  ont  leur  raison  d'être  et  leur  utilité  relative, 
comme  les  poisons  parmi  les  végétaux,  comme  les 
bêtes  féroces  parmi  les  animaux,  comme  les  dé- 
mons parmi  les  puissances  du  monde  invisible.  Il 
est  vrai  qu'à  mon  âge  l'amoureux  se  métamorphose 
en  philosophe. 

Vous  avez  reconnu,  vous  avez  constaté,  dans 
votre  ouvrage,  mon  cher  ami,  que  l'amour  du  Livre 
arrive  tôt  ou  tard  à  la  philosophie  du  Livre,  puisque, 
dans  votre  'Bibliophiliana,  où  se  trouve  rangé,  par 
ordre  alphabétique,  tout  un  aréopage  de  bibliophiles 
et  de  bibliognostes,  vous  vous  préoccupez  surtout 
de  nous  faire  connaître  ce  quon  a  dit  du  Livre  a  toutes 
les  époques  ;  c  est  le  Livre  envisagé  du  coté  philoso- 
phique, et  le  Livre  nous  apparaît  comme  l'expression 
multiple  de  la  sagesse  des  nations. 

Il  y  a,  aussi,  bien  de  la  philosophie  dans  ce  qui 
vous  appartient  en  propre,  dans  les  beaux  vers, 
parfois  si  touchants  et  si  mclancohques,  que  le  Livre 


PREFACE. 


VOUS  a  inspirés.  C'est  là  surtout^  cher  bibliophile, 
la  poésie  du  Livre. 

Quant  à  vos  Notes  et  Anecdotes,  qui  se  ratta- 
chent à  vos  Sonnets  bibliographiques  et  qui  en  font 
le  commentaire  curieux  et  piquant,  elles  ne  sont 
qu'un  extrait  des  innombrables  matériaux  que  vous 
avez  accumulés  dans  cette  série  de  documents  con- 
cernant les  livres  et  les  bibliophiles.  C'est  de  ces 
derniers  qu'on  peut  dire  qu'il  y  a  beaucoup  d'appe- 
lés et  peu  d'élus.  On  ferait  pourtant  un  dictionnaire 
biographique  des  bibliophiles,  aussi  étendu,  aussi 
abondant  que  ceux  qui  ont  été  faits  sur  les  médecins, 
les  architectes,  les  musiciens  et  les  Jésuites.  Ce 
dictionnaire-là  se  fera,  un  jour  ou  l'autre,  ad  ma- 
jor em  librorum  gloriam. 

Je  veux  seulement  vous  signaler  une  lacune  dans 
votre  nomenclature  des  bibliophiles  :  vous  n'avez 
point  assez  parlé  des  passionnés  et  des  excentriques. 
Vous  auriez  dû  recueillir  ces  sanglantes  légendes 
de  bibliophiles  espagnols,  des  moines  ordinaire- 
ment, qui  se  sont  empoisonnés,  égorgés  l'un  l'au- 
tre, pour  la  possession  d'une  édition  rare,  d'un 
exemplaire  unique.  Vous  citez  bien  un  ou  deux 
oimoureux  du  Livre,  qui  sont  morts  de  douleur,  à  la 
suite  de  la  perte  de  leur  bibliothèque;  mais  vous 
ne  mentionnez  pas  ceux  qui  devinrent  fous,  en 
perdant  tout-à-coup   leurs  livres  et  leurs  manus- 


prIface. 


crics.  Le  célèbre  professeuF  humaniste  de  Forli, 
Codrus  Urccus,  fut  un  de  ces  fous-là.  Un  jour, 
après  avoir  travaillé,  toute  la  nuit,  à  la  lueur  de  1a 
lampe,  dans  sa  bibliothèque,  il  sortit,  sans  avoir 
éteint  cette  lampe,  qui  devait  le  rappeler  au  travail  : 
le  feu  prit  à  ses  papiers  et  consuma  tout  ce  qui 
était  dans  la  chambre,  Il  accourut  désespéré  et 
furieux  :  il  voulait  se  précipiter  dans  les  flammes 
pour  sauver  ses  livres  :  «  O  Christ,  s  écriait-il,  quel 
grand  crime  ai-je  donc  commis  ?  Quel  des  tiens 
ai-je  offensé,  pour  te  laisser  emporter  contre  moi  à 
une  haine  si  impitoyable  ?  »  Puis,  il  s  adressait  à  la 
Sainte  Vierge,  en  la  suppliant  d'éteindre  Tincendie 
et  en  la  menaçant  d'aller  se  cacher  dans  les  enfers. 
Ce  fut  dans  une  forêt  qu'il  se  cacha  pendant  vingt 
quatre  heures;  quand  la  faim  le  ramena  dans  la 
ville,  il  se  réfugia  chez  un  menuisier,  où  il  vécut, 
six  mois  durant,  seul  et  sans  livres.  Quel  supplice 
pour  un  savant,  pour  un  lettré  !  Sans  Hvres  ! 

Je  regrette  que  vous  n'ayez  pas  fait  mention  des 
bibliophiles  illuminés  ou  fantaisistes,  qui,  à  l'instar 
du  poète  Mérard  de  Saint-Just,  se  mettaient  en 
quête  de  livres  imaginaires  et  qui  consignaient, 
dans  leur  catalogue,  certaines  éditions,  qu'on  ne 
trouvera  jamais,  parce  qu'elles  n'ont  jamais  existé. 
C'cfl  ainsi  qu'un  maniaque  de  la  Révolution, 
L.   P.   Dufourny,  s'était  fait  une  collection  théâ- 


XXJ 


traie  composée  d'éditions  inconnues  et  d'exemplai- 
res uniques,  en  grattant  ou  en  surchargeant  la 
date  de  chaque  pièce,  sur  laquelle  il  ajoutait  en 
note  :  édition  non  citée  par  les  bibliographes.  Vous 
avez  parlé  de  ce  fameux  marquis  de  Chalabre, 
qui  a  cherché,  pendant  vingt  ans,  une  édition 
de  la  Bible,  qu'il  avait  entrevue  dans  un  de  ses 
rêves ,  et  dont ,  par  malice ,  Charles  Nodier  lui 
avait  affirmé  l'existence.  C'eût  été  l'occasion  de 
raconter  un  peu  plus  longuement,  avec  force  dé- 
tails divertissants,  l'histoire  désopilante  du  fameux 
Catalogue  du  comte  de  Fortsas,  mystificadon  biblio- 
graphique de  haut  goût,  imaginée,  en  1840,  par  le 
facétieux  Renier  Châlon,  président  de  la  Société  des 
Bibliophiles  de  Mons,  et  qui  fit  tant  de  bruit,  en  son 
temps,  à  Binche  &  dans  le  monde  des  bibliophiles. 
Vous  nommez  Pixerécourt,  le  mélodramaturge, 
en  citant  l'inscription  qu'il  fit  graver  au-dessus  de 
la  porte  de  sa  bibliothèque,  lorsqu'il  demeurait  à 
Paris,  dans  une  maison  de  la  rue  du  Sentier  ;  mais 
vous  ne  vous  êtes  pas  assez  arrêté  à  l'article  de  ce 
bibliophile  original,  qui  nous  fournirait  la  matière 
d'un  gros  livre,  si  nous  songions  à  écrire  son  histoire 
bibliophihque.  Peut-être  ai-je  déjà  raconté  ailleurs, 
qu'un  dimanche,  en  me  rendant  à  son  invitation 
hebdomadaire  pour  le  déjeuner  des  Bibliophiles, 
je  le  trouvai  rogue  et  hargneux  comme  un  dogue 


XXIJ 


à  qui  on  a  retiré  un  os  de  la  gueule.  «  Quavez- 
vous  donc?  lui  dis-je.  —  J'ai  poussé  aux  enchères 
un  volume  que  j'attendais  depuis  dix  ans,  reprit-il, 
et  ce  coquin  de  Bérard  me  l'a  enlevé  !  »  Bérard,  le 
premier  historiographe  des  Elzevier,  était  un  des 
plus  vieux  amis  de  Pixerécourt.  Bérard  parut  : 
n  Vous  osez  venir,  vous  osez  vous  montrer  !  lui  cria 
Pixerécourt,  en  l'apercevant.  Vous  qui  m'avez  volé 
un  livre  qui  m'appartenait  !  —  Quel  livre  ?  demanda 
Bérard  abasourdi.  —  Celui  que  vous  avez  acheté 
hier  à  la  vente  et  que  je  voulais.  —  Eh  !  mon 
ami,  repartit  doucement  Bérard,  si  vous  aviez  mis 
^  francs  d'enchère,  le  livre  vous  restait... —  Bon, 
bon  !  interrompit  le  féroce  Pixerécourt ,  votre 
mauvaise  action  ne  vous  profitera  pas  :  vous  en 
mourrez  bientôt  et  j'achèterai  le  livre  à  votre  vente 
après  décès.  Maintenant  déjeunons  et  rappelez-vous 
que  ce  Uvre-là  doit  me  revenir,  jj  II  disait  vrai  ; 
Bérard  mourut,  et  Pixerécourt  acheta,  triomphant, 
le  volume  qui  lui  avait  échappé  peu  d'années  aupa- 
ravant. «  Je  l'ai!  disait-il,  en  nous  le  faisant  admi- 
rer. Ce  coquin  de  Bérard  m'a  empêché  d'être 
heureux  plus  tôt.  »  (i). 


(i)  Celte  anecdote  n'est  qu'effleurée,  page  354,  d'après  Gérard 
de  Nerval.  Nous  remercions  M.  Paul  Lacroix  des  détails  personnels 
qu'il  a  bien  voulu  y  ajouter. 


PREFACE. 


Et  Mocteley,  le  bibliophile  par  excellence,  vous 
ne  le  nommez  même  pas  !  C'est  que  vous  ne  Favez 
pas  connu,  ce  bibliophile  original  qui  n'a  jamais 
eu  son  pareil.  Il  fut,  un  jour,  le  héros  du  genre. 
Le  24  février  1848,  les  révolutionnaires  (ceux-là 
même  qui  ont  incendié  la  bibliothèque  de  Motte- 
ley  dans  le  palais  du  Louvre,  aux  derniers  soupirs 
de  l'affreuse  Commune  de  1871)  envahirent  le 
Palais-Royal  et  commencèrent  par  jeter  dans  la 
cour  du  palais  les  livres  de  la  Bibliothèque  pour 
en  faire  un  feu  de  joie.  Motteley  accourt  5  ce  n'est 
plus  un  bibliophile  5  c'est  un  lion,  c'est  un  apôtre  : 
et  Brûler  des  livres  !  s'écrie-t-il.  Vous  n'êtes  pas 
des  hommes,  vous  êtes  des  bêtes  brutes!  Vous  ne 
savez  donc  pas  lire  ?  53  On  s'empare  de  lui,  on 
veut  le  coucher  sur  un  biàcher  de  livres,  auxquels 
on  a  mis  le  feu.  «  O  Voltaire!  crie  Motteley,  ce 
ne  sont  plus  les  Parlements  qui  brûlent  les  livres, 
c'est  le  bon  peuple  de  Paris  !  »  L'invocation  à 
Voltaire  sauva  Motteley  et  la  Bibliothèque  du 
Palais-Royal. 

Cependant  quelques  centaines  de  volumes  avaient 
été  brûlés,  déchirés  ou  volés.  Motteley  errait  au- 
tour des  grilles  du  Palais-Royal,  comme  une  om- 
bre sur  les  bords  du  Styx  5  il  soupirait,  il  pleu- 
rait, il  gémissait.  Il  vient  s'adresser  au  concierge, 
qui  est  à  peine  remis  des  émotions  de  la  journée  : 


PRÉFACE. 


cf  Monsieur,  lui  dit-il,  je  vous  conjure  de  rendre 
un  service  éclatant  à  l'Etat.  Allez  voir  dans  la  biblio- 
thèque s'ils  ont  épargné  le  Grand  Terceforest.  —  Le 
grand  Terceforest?  répond  le  concierge.  Ce  Mon- 
sieur-là ne  demeurait  pas  au  Palais-Royal. — Si  fait, 
monsieur  5  seconde  salle  de  la  Bibliothèque,  pre- 
mière armoire  en  entrant,  rayon  du  bas,  six  vo- 
lumes grand  in-folio,  imprimés  sur  vélin,  avec 
miniatures,  édition  de  Galliot  du  Pré,  1^28... — 
Au  nom  du  ciel,  monsieur,  interrompit  le  con- 
cierge, retirez-vous  !  On  croira  que  vous  êtes  de 
la  Maison  du  roi  et  l'on  nous  accusera  de  faire  un 
complot. . . — Oui,  c'est  un  complot  dans  l'intérêt  de 
la  France,  s'écrie  Mo tteley  avec  exaltation  :  il  s'agit 
de  sauver  le  Grand  Terceforest,  cet  exemplaire  uni- 
que,  qui  provient  de  la  bibUothèque  du  comte  de 

Toulouse,    LE     PLUS     BEAU     LIVRE     QUI     EXISTE    AU 

MONDE...  —  Monsieur,  de  grâce  !  On  nous  observe, 
répUque  le  concierge.  On  va  nous  faire  un  mauvais 
parti.  N'est-ce  pas  vous  qu'on  voulait  brûler  vif,  cet 
après-midi  ?  —  Monsieur  le  concierge,  dit  solen- 
nellement Motteley,  je  vous  somme  de  vous  assurer 
si  le  Grand  Tercefœest  est  encore  à  sa  place  dans  la 
Bibhothèque,  C'est  une  affaire  d'Etat.  Depuis  long- 
temps l'Angleterre  convoite  ce  magnifique  exem- 
plaire. Allez  donc  dans  la  Bibliothèque,  seconde 
salle,  première  armoire,  à  gauche,  six  volumes,  grand 


PKEF  ACE. 


in-folioj  portant  au  dos  :  Terceforesr.  Je  vous  rends 
responsable  du  sort  de  ce  livre  incomparable.  Ai- 
dez-moi à  le  conserver,  mon  ami,  et  je  vous  pro- 
mets la  protection  de  l'illustre  Arago.  »  Le  nom 
d'Arago  produisit  sur  le  concierge  plus  d'impres- 
sion que  les  prières  de  Motteley.  Il  disparut  pen- 
dant quelques  instants,  qui  parurent  des  siècles  à 
iVlotteleyj  il  revint  bientôt,  le  sourire  sur  les 
lèvres,  et  dit  à  voix  basse  :  «  Oui,  monsieur,  il 
est  là  !  On  n'y  a  pas  touché.  J'ai  lu  sur  le  dos  des 
volumes  :  Ter  ce  fort.  Est-ce  la  même  chose  que 
Terceforesi  ?  n 

Motteley  était  dans  le  troisième  ciel  des  bibHo- 
philes  ;  il  avait  oublié  la  révolution  de  Février  et 
toutes  ses  horreurs.  Il  répétait  machinalement  : 
Terce,  perce,  perce  forest.  Il  se  rend  au  siège  du 
Gouvernement  provisoire,  dont  les  membres  étaient 
réunis  en  conférence.  Impossible  de  pénétrer  dans 
la  salle  où  se  tenait  la  réunion.  «Il  faut,  dit-il  au 
chef  des  huissiers,  il  faut  que  je  parle  à  M.  Arago. 
Il  s'agit  d'une  question  des  plus  graves.  Voici  ma 
carte.  J'ai  l'honneur  d'être  connu  de  M.  Arago.  Il 
comprendra  que  si  je  le  dérange,  c'est  pour  une 
affaire  d'intérêt  public.  ^  Enfin  la  carte  est  remise  ; 
Arago  se  décide  à  quitter  un  moment  ses  collègues, 
il  arrive  inquiet  et  préoccupé  :  «  Illustre  citoyen, 
s'écrie  Motteley  en  lui  serrant   les  mains,  je  viens 


XXVJ 


vous  apprendre  avec  joie  que  le  Grand  Terceforest 
du  Palais-Royal  n'a  été  ni  volé,  ni  détérioré,  ni 
brûléj  grâce  à  Dieu  !  Je  vous  supplie  de  donner  des 
ordres  pour  qu'il  soit  mis  en  lieu  de  sûreté,  car  les 
agents  de  l'Angleterre  sont  peut-être  déjà  en  campa- 
gne afin  de  nous  enlever  le  plus  beau  des  Livres  !  » 
Je  m'arrête  ici  pour  ne  pas  faire  un  Livre,  en 
vous  parlant  de  Livres.  C'est  ainsi  que  dans  les 
iiMille  et  une  C^uirs  la  princesse  Dinarzade  ces- 
sait de  conter,  lorsque  le  jour  commençait  à 
paraître,  et  elle  remettait  à  la  nuit  suivante  la  suite 
de  ses  contes.  Mais  si  j'étais  Dinarzade  et  que  vous 
fussiez  le  sultan  Schariar,  qui  aimait  les  contes  en- 
core plus  que  les  Livres,  je  n'en  aurais  jamais  fini 
avec  mes  histoires  de  Livres  et  de  bibliophiles. 
Qui  sait  si  je  n'en  viendrais  pas  à  vous  donner 
ainsi  les  matériaux  inédits  d'un  nouveau  volume, 
offert  et  dédié,  comme  le  premier,  aux  cAmoureux 

du  Livre? 

P.   L.   JACOB,  bibliophile. 

BIBLIOTHÈQ_UE    DE    l'aRSENAL. 

i"  Août  1876. 


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SUR  LE  PORTRAIT  DE  L'AUTEUR 


EST  lui  !  Voilà  ses  yeux,  où  passe  un  vif  éclair, 
Qui,  pour  voir  de  plus  loin,  se  cachent  de  lunettes, 
Sa  barbe,  qui  frisonne  autour  de  ses  pommettes, 
Son  nez,  qui  se  dilate  aux  effluves  de  l'air. 

Sur  les  quais,  par  les  jours  sombres,  par  le  temps  clair, 
De  chaque  bouquiniste  il  fouille  les  cassettes. 
Pour  trouver  un  trésor  sous  des  tas  de  sornettes, 
Il  a  tout  ce  qu'il  faut  :  le  goût,  le  tact,  le  flair. 

Aide  le  fait  pâmer,  Elzevier  le  rend  ivre. 
Mais,  s'il  sait  dénicher,  il  sait  écrire  un  livre, 
Et  ses  vers  délicats  honorent  le  vélin. 

Aussi  pour  son  esprit  est-ce  une  double  fête. 
Lorsqu'il  rentre  au  logis,  bourse  vide  et  cœur  plein. 
Un  bouquin  sous  le  bras,  un  sonnet  dans  la  tête  ! 

Prosper  BLANCHEMAIN. 


Château  de  Longefont.  Août  1876, 


XXVI IJ 


PIÈCES 


LE   LIVRE 

A    F.     FERTIAIJLT 


a  ija^^^»y<s^*o 


/»ous  allez  donc  parler  de  lui, 
De  cet  ami  vraiment  fidèle, 
Qui  du  cœur  sait  chasser  l'ennui, 
Donnant  toujours  fête  nouvelle? 


Vous  nous  direz  son  vif  esprit, 
Exempt  de  morgue  et  d'hyperbole  ; 
Comme  on  le  cultive  avec  fruit, 
Comme  il  charme,  comme  il  console. 

Ah  1  l'aimable  et  franc  compagnon, 
Sous  bois,  en  juin  ;  puis,  dans  la  chambre, 
—  Porte  close  au  souci  grognon,  — 
Devant  un  feu  clair,  en  décembre  ! 

On  peut  le  prendre,  —  ou  le  laisser, 
Dédaignant  sa  verve  brillante  : 
Nul  ne  risque  de  l'offenser. 
Tant  son  humeur  est  bienveillante. 

Ami  sincère  et  sans  apprêt. 
Parfois  même  il  se  plaît  à  rire  ; 
Conseiller  sûr  et  toujours  prêt. 
Chacun  l'interroge  —  et  l'admire. 


LIMINAIRES. 


De  modeste  toile  vêtu, 
Ou  couvert  de  fine  dorure, 
Il  rend  au  malade  abattu 
L'espoir  qui  soudain  transfigure. 

En  vain  les  hivers  passeront, 
Détruisant  palais  et  tonnelle, 
Nos  enfants  le  retrouveront 
Plein  d'une  jeunesse  éternelle. 

Du  causeur  cher  à  nos  loisirs, 
Racontez  la  grâce  et  la  gloire  1 
On  lui  doit  tant  de  doux  plaisirs 
Qu'il  faut  retracer  son  histoire. 

Ce  thème  est  sage  et  ravissant  : 
Célébrez  l'attrait  du  bon  Livre; 
Il  en  sera  reconnaissant,  — 
Et  vous  voilà  bien  sûr  de  vivre  1 


Alexandre  PIEDAGNEL. 


Passy,  1 5  juin  1876. 


PIÈCES 


A    FRANÇOIS    FERTIAULT 

auteur  des 
SONNETS  D'UN  BIBLIOPHILE 


ôi)/Or>tfflMi  François,  bon  chanteur  de  Bourgogne, 
^O^^^viiK   F^is  des  Sonnets,  si  ce  rhythme  t'est  doux. 
(o//ÏI^\\f^  Laisse  s'enfler,  comme  mère  Gigogne, 
'-''-«--^^^^   Tous  ces  rimeurs  qui  font  des  vers  indoux 
Comme  à  Pantin  l'on  casse  les  cailloux. 
Tous  ces  gens-là  rêvent  d'apothéoses  : 
Mieux  vaut,  crois-moi,  quatorze  vers  bien  nets 
Que  le  fatras  de  tous  ces  virtuoses. 
Laisse-les  dire  et  sonne  tes  Sonnets... 
L'art  le  plus  pur  gît  aux  petites  choses  I 

Emmanuel  des  ESSARTS. 


LIMINAIRES.  XXXJ 


A  MON  AMI  FRANÇOIS 


Al  VU  naître  ton  goût,  quand  nous  sortionsà  peine 
Delà  version  grecque  et  du  discours  latin, 
Pour  ce  papier  noirci  qui  faisait,  cher  butin, 
Ton  escarcelle  vide  et  ton  armoire  pleine. 


Comme  tu  caressais  de  l'œil  et  de  la  main 
Les  feuillets  neufs  coupés  par  ton  couteau  d'ébène  1 
Et  comme  tu  chassais,  de  ta  plus  douce  haleine, 
La  poussière  qui  dort  dans  le  vieux  parchemin  ! 

Et  comme  tu  buvais  ces  vers  ou  cette  prose, 
Quittant  le  corps  pour  l'âme  et  le  fait  pour  la  cause, 
Oubliant  Elzévir  ou  Didot  pour  l'écrit  ! 

Puisque  le  Livre,  enfin,  veut  avoir  son  histoire, 
C'est  à  toi  que  devait  revenir  cette  gloire. 
Amoureux  de  la  forme,  amoureux  de  l'esprit! 

Eugène  NUS. 


C^¥^ 


XXXI) 


PIÈCES 


A  F.  FERTIAULT 


f^.y;^  ( 


i 


^ ^_  ^OÈTE,  j'applaudis  aux  oaîtés  de  ton  livre. 

■  Vyis  Q-^'  "^  serait  charmé  de  ces  piquants  sonnets 
7  ^^  Dont  le  héros,  qui  va  dans  tes  caprices  vivre, 
TzAùp^    N'est  autre  que  Biblos,  sa  gloire  et  ses  hauts-faits  > 


Prudhomme  le  croyait  un  simple  secrétaire, 
Indifférent  et  froid  à  tout  ce  qu'il  transcrit, 
Prêta  s'ouvrir  à  tous,  sans  choix  et  sans  mystère, 
Se  laissant  feuilleter  sans  orgueil  ni  dépit; 

Souffrant  qu'un  nom  de  sot  tache  son  frontispice 
Ou  qu'un  pouce  en  spatule  écorne  son  feuillet  ; 
Vêtant  le  chagrin  rouge  ou  le  veau  pain-d'épice, 
Sans  même  regarder  comment  on  l'habillait. 

N'en  croyez  pas  un  mot,  c'est  pure  calomnie  : 
Le  livre  sent  et  vit,  souvent  plus  que  l'auteur  ; 
Il  rayonne,  il  se  gonfle,  et  sa  physionomie 
Attire,  émeut,  affole  ou  glace  l'amateur. 

S'il  contient  de  l'histoire,  il  prend  l'air  vénérable; 
Si  c'est  un  texte  saint,  il  se  donne  du  poids  ; 
S'il  porte  de  vieux  vers,  il  n'est  plus  abordable  ; 
Chargé  de  fabliaux,  il  rit  d'un  air  gaulois. 


LIMINAIRES. 


XXXllJ 


Qu'on  le  cherche,  il  se  cache  et  se  fait  introuvable  ; 
Dès  qu'il  vous  devient  cher,  il  passe  en  d'autres  mains  ; 
Qu'on  l'oublie,  il  se  pique...  aux  vers  il  sert  de  table. 
Mais  c'est  assez  parler  de  lui  dans  ces  quatrains. 

BiBLOS,  à  ton  poète  il  convient  qu'on  te  livre. 
Puisque  sa  verve  a  su  si  bien  t'interpréter. 
Loué  soit  donc  Fertiault  en  qui  germa  ce  livre, 
Et  Claudin,  qui  mit  tant  de  goût  à  l'éditer  1 

Anton  Y  ME  RAY. 


A  MON  CHER  BIBLIOPHILE 

TRIO    DE    TRIOLETS 


I. 


tu'iL  soit  neuf  ou  poudreux  bouquin, 
Chez  nous  le  Livre  a  large  place. 
De  cet  ami  nul  ne  se  lasse, 
Qu'il  soit  neuf  ou  poudreux  bouquin. 

En  veau,  basane,  ou  maroquin, 

Le  plus  vieux,  tout  fier  se  prélasse. 

Qu'il  soit  neuf,  ou  poudreux  bouquin, 

Chez  nous  le  Livre  a  large  place. 


II. 


Aux  courts  instants  de  ton  repos, 
En  l'un  ou  l'autre  tu  veux  lire. 
Ton  doigt  feuillette  avec  délire, 
Aux  courts  instants  de  ton  repos. 
Comme  tu  trouves  à  propos 
Le  tome  qu'il  te  faut  élire! 
Aux  courts  instants  de  ton  repos, 
En  l'un  ou  l'autre  tu  veux  lire. 


LIMl  N  A  IRES. 


III. 

Le  Livre  a  ton  esprit...  Tant  mieux! 

Moi,  j'ai  ton  cœur,  et  sans  partage. 

Puis-je  désirer  davantage? 

Le  Livre  a  ton  esprit...  Tant  mieux! 

Heureuse  de  te  voir  joyeux, 

Je  t'en  voudrais...  tout  un  étage. 

Le  Livre  a  ton  esprit...  Tant  mieux! 

Moi,  j'ai  ton  cœur,  et  sans  partage. 

M-"^  Jui.iE  FERTIAULT. 


XXXVJ 


PIÈCES 


Verdun  (Saône-et-Loire),  ce  29  juin  1876. 


C^HER     Ami  , 


)os  humbles  berceaux,  placés  côte  à  côte, 
semblaient  nous  assigner  de  pareilles  desti- 
nées dans  l'ombre  et  le  silence  sur  le  sol 
natal. 

La  vie  sociale  avec  ses  impitoyables  nécessités,  la  li- 
berté et  l'activité  humaines  avec  leurs  capricieuses  tyran- 
nies, nous  ont  séparés. 

Que  nous  fait  cette  cruelle  ironie  du  sort?... 

Dieu  ne  nous  a-t-il  pas  animés  du  même  souffle? 
N'a-t-il   pas  rempli   nos  cœurs  des  mêmes  amours  ? 

Riants  souvenirs  d'enfance,  pieuses  traditions  de  fa- 
mille, culte  de  la  terre  natale,  patriotisme,  passion  du 
travail  et  de  l'étude,  douce  philosophie,  vraie  religion, 
tels  sont  nos  traits  d'union. 

Quoique  éloignés,  nous  restâmes  unis  par  ces  liens 
indissolubles  qui  forment  comme  la  trame  de  notre  être; 
nous  éprouvâmes  bientôt  le  besoin  de  leur  donner  un 
corps,  une  vie,  et  le  Livre  jaillit  de  notre  plume. 

Tu  étais  né  Poëte  !  Tu  aimais,  tu  souffrais,  tu  pleurais. 
Tu  choisis  une  muse  pour  ta  compagne  ;  vos  tristesses  et 
vos  joies  se  mêlèrent  à  vos  chants  harmonieux  :  tu  fus 
consolé. 

Toi,  qui  adorais  les  vieux  livres,  tu  en  composas  de 
jeunes,    qui    resteront    jeunes   et  aimés,  car  toujours  les 


LIMINAIRES.  XXXvij 

livres,  ces  amis  fidèles  parmi  les  plus  fidèles,  compteront 
des  amis  même  dans  les  jours  les  plus  sombres. 

Chaque  fois  que  tu  élargis  le  cercle  de  ta  famille  en 
l'augmentant  d'une  œuvre  de  poète,  d'artiste  et  de  pen- 
seur, nos  vieux  camarades,  les  chers  bouquins  de  ma 
bibliothèque,  se  pressent  pour  donner  l'hospitalité  à  ce 
nouveau-venu. 

Aujourd'hui  que,  dans  ton  amour  constant  pour  les 
livres,  tu  en  consacres  un  tout  entier  à  redire  leur  his- 
toire, leur  bonne  et  leur  mauvaise  fortune,  en  un  mot 
leur  palpitante  destinée,  —  habent  sua  fata  libelli,  —  je 
marque  ce  jour  d'une  craie  blanche,  et  du  fond  de  notre 
plantureuse  Bourgogne,  aima  parens,  entouré  du  souvenir 
de  nos  gloires  littéraires  dont  tu  continues  la  longue  et 
noble  lignée,  enivré  des  senteurs  de  nos  coteaux,  je  te 
crie  :  Bravo  !  C'était  à  toi,  cher  poète,  dont  le  sel  bour- 
guignon assaisonne  les  vers,  de  glorifier  le  Sonnet  au 
point  de  le  choisir  pour  être  l'interprète  des  émotions 
multiples,  profondes,  indicibles  que  les  bibliophiles  éprou- 
vent et  dont  un  bibliophile  comme  toi  peut  seul  être 
l'écho  fidèle. 

Ex  Musxo  meo, 

Tuus  ex  animo  ad  omnia  obsequia  paratus  (i). 
Abel   JEANDET  (de  Verdun). 

D.    M. 


(i)  La  formule  finale  de  celte  lettre  est  empruntée  à  la  lettre  de 
Pontus  de  Tyard  à  son  imprimeur,  en  lui  adressant  le  M.  S.  de  son 
Traité  de  rectà  nominum  iinpositicne. 


XXXVIIj 


PIÈCES 


AI    L'AUTEi; 

iis 

AMOUREUX    DU    LIVRE. 


ne  seù  pa  rimou  ;  i  ne  vai  don  poin  t'anviai  dé 
rime. 

J   te  dire  tô    braveman,    dans    mon  petio 
langaige,  qu'i  seù  bén  aise  que  tu  eusse  fabri- 
quai ein  livrô  por  an  dégoizai  su  lé  livre. 

Cheù  nô,  mointen^n,  on  à  prou  lecturié,  et  i  m'esseure 
qu'au  bou  de  ton  écri,  on  seré  bén  un  pecho  pu  sai- 
van. 

Tan  meù!  Ç'à  bé  !  Té  mô  suti  me  raivigoton.  Faiz-an, 
diz-an  ancor  ;  tu  seré  tôjor  ein  vrà  Borguignon  salai. 
Un  aimin   qui  de  prô  t'é  seùgu, 

M.  J.  D,  (de  lai  Bregogne). 


LIMINAIRES. 


c^    <5Vf0  7<:    l  LLUSl%zAlElJl{ 

JULES  CHEVRIER. 


MI,  peintre  des  rats  friands, 
Toi,  dont  la  fraternelle  pointe 
A  mon  humble  labeur  s'est  jointe 
Pour  l'étoiler  de  traits  brillants, 


Je  voudrais  au  seuil  de  ce  Livre, 
—  Dont  le  cher  éditeur  Claudin 
Sût  faire  un  splendide  jardin 
Où  l'oeil  de  l'amateur  s'enivre,  — 

Je  voudrais  inscrire  ton  nom 

De  quelque  manière  jolie, 

Pour  te  dire  que  point  n'oublie 

Tes  soins...  Nom  d'une  Eau-forte,  non  1 

Avec  amour  suivant  mon  texte, 
Flânant  dans  ma  prose  ou  mes  vers. 
Tu  guettais  tous  sentiers  ouverts. 
Ton  crayon  cherchait  tout  prétexte. 

En  maître  tu  t'en  inspiras. 
Voilà  mon  œuvre  décorée!... 
Et  mon  Livre  aura  la  durée 
De  ceux  dévorés  par  tes  Rats. 

.    F.  FERTIAULT. 
Paris,  août  1876. 


cAU    LECTEUK 

N  maître  de  la  science  typographique,  M.  Henri 
Fournier,  dans  son  Traité  de  la  Typographie, 
i8f4,  in-i  2,  page  193,  recommande  de  placer 
['errata  au  commencement  d'un  livre.  C'est  là 
sa  véritable  place,  dit-il,  et  il  ajoute  :  «  C'est  la  seule  ma- 
nière opportune  d'avertir  le  lecteur,  mais  il  arrive  souvent 
qu'il  ne  trouve  pas  à  s'y  placer  convenablement.  »  Nous 
suivons  ce  sage  précepte.  Aucun  livre  n'est  exempt  de 
fautes.  Malgré  nos  soins,  nous  n'avons  pu,  comme  d'autres, 
éviter  quelques  erreurs  typographiques.  Nous  réclamons 
pour  celles-ci  et  pour  celles  qui  nous  auraient  échappé 
l'indulgence  des  lecteurs. 


ERRATA 

Pages. 

53.  A  la  dédicace,  au  lieu  de  Bîanchemin,  lisez  :  bianchemain. 
93 .  Verâ  1 1 ,  au  lieu  de  Nul  n'est  plus  souple  et  plus  riche...  suppri- 
mez le  mot  PLUS  qui   rend  le  vers  faux  et  lisez  :  Nul  n'est 
plus  souple  et  riche... 
112.  Vers  4,  le  compositeur  typographe   a  mis  deux  F  au  lieu  de 
deux  s  longues;  de  sorte  qu'on  lit  le  mot  groffir;  lisez  :  Pour 
former,  pour  grossir... 
116.  Vers  j,  au   lieu  de  feuille  à  feuille  tournes,  lisez  :   feuille  à 

feuille  TOURNÉS. 
ija.  Ligne  21,  au  lieu  de  ses  paroles,  lisez:  ces  paroles. 
181.  Ligne  i } ,  au  lieu  de  insuit  lisez  :  insulte. 
284.  Ligne  8,  au  lieu  de  haud  secus  ad,  lisez  :  haud  secus  ac. 
}24.  Ligne  j,  au  lieu  de /l'iroî  5ui_/acianf,  lisez  :  Libros  qui  fAC\UNT. 
555.  Ligne  2,  de  la  deuxième  colonne  des  non-prêteurs,  lisez  :  J.  Thomas 
Auhry,  etc.,  (en  supprimant  Du  Monstier). 


cxx 

FANTAISISTES 
ET     H  U  M  O  R  I  S  T  I  Q_U  E  S 

d'un 

BIBLIOPHILE 


Auteur 

F\a^J^ÇOIS    ¥E\Tli4\JLT 

Bourguignon 


(sm>&^^MsmiS^^g^^mi 


LES 


SO^^ETS  VU^  'BI'BLIOTHILE 


GAZOUILLIS    DE   VERS 

[H!  Je  vous  ai  rouverts,  à  mes  livres  poudreux! 
(A  tous  vos  vers  chéris  f  ai  donne  la  volée  ; 
^Js^^^  Je  les  ai  convoqués  à  ma  grande  ajfemblée, 
Et  nul  d'eux  ne  se(l  plaint  d'un  choc  malencontreux. 

C était  plaijîr  d'entendre,  en  mon  réduit  heureux, 
Leur  voix  molle  ou  févère,  éclatante  ou  voilée, 
oiujfi  de  quel  vol  prompt  T  heure  sefl  écoulée! .. 
Cela  pourrait  bien  être  un  compliment  pour  eux.  — 

Dans  vos  volumes  clos,  sous  vos  feuilles  muettes. 
L'air,  l'air  vital  vous  manque^  à  mes  brillants  poètes. 
Trifonniers  du  vélin,  que  vous  deveifouffrir  ! 

Dans  le  rayon  obfcur  étouffe  qui  féjourne. 

c4  vous  l'cpil  qui  vous  life  &  le  doigt  qui  vous  tourne  ! ... 

Vous  &  moi  revivons  à  ce  doux  parcourir. 


LES   SONNETS 


MAL    COUPES 


É'BJ'E!  il  nejî  pas  bibliophile, 
Vhôîe  fi  choyé  du  château! 
cAu  lieu  de  prendre  le  couteau 
Et  de  les  bien  fendre  à  la  fie, 

Il  raidit  fon  doigt,  le  faufile 
Sous  les  feuillets  faifant  manteau, 
Force,  &,  comme  avec  un  râteau. 
Les  déchiquette  &  les  effile. 

Qu'un  ignare  laboure  ainfi 

Ses  livres,  Je  rien  aifouci; 

cMais  quun  poète  ait  ce  défordre  ! . . , 

Je  me  navre  à  tels  accidents. 

—  0  beau  vélin,  tu  devrais  mordre 

Tous  les  doigts  qui  te  font  des  dents! 


D    UN    BIBLIOPHILE 


MES  CHAMPS  DE  BATAILLES 


■é^'B  ULc4C^CIE%  fouventje  paje 
Où,  par  rangs,  ils  font  enrajes, 
Et,  pris  de  pitié,  fy  ramajfe 
'Des  malades  &  des  hlejfés. 

éMon  nid  riefl  pas  riche  en  efpace  ; 
<îMais  pour  ces  vieux  aux  reins  cajjes 
Chacun  fe  ferre,  et,  de  la  place, 
cA  la  fin,  ton  en  trouve  affe^. 

Tanfage  alors.  Ves  foins...  fans  bornes.' 
zMes  doigts  vont  défrifant  les  cornes  ; 
Je  redreffe  un  flanc  déjeté  ; 

Le  dos  humide,  je  T éponge  ; 

Où  manque  un  coin,  vite  une  allonge...  — 

Tour  tous  f  ai  maifon  de  famé. 


qp 


l  ES    SONNETS 


UNE    PLAINTF 


E  bouquin  fouffre par  la  pluie; 
Le  bouquin  fouffre  pai-  le  froid, 
Il  fouffre  auffi  dérre  à  l  étroit 
Sur  la  planche  oii,  las!  il  s'ennuie. 

L  épais  brouillard  tombe;  il  leffuie. 
Un  chaud  rayon  le  frappe  droit -^ 
Tuis  la  bife...  c4  f  âpre  fur  croit 
Son  dos  devient  couleur  de  fuie. 

On  le  voit  affailli,  fouvent, 
Des  plus  étranges  courbatures  ; 
Il  fe  tord  fous  f  es  couvertures.  — 

Soleil,  poujjîère,  averfe,  vent, 

Le  bouquin  fubit  vos  tortures... 

—  Et  le  pauvre  homme  qui  le  vend? 


"& 


D    UN    BIBLIOPHILE 


LE   PASSE 

UI,  cejl  un  foin  pieux  que  daller  en  arrière, 
Chercheur  rétrofpeclif  abordant  les  débris, 
Des  vieux  murs  écroulés  remuant  lapoujfière, 
Lifant  des  faits  fous  ï herbe  &  fous  la  moujfe  écrits. 

On  entend  s  exhaler,  en  remuant  la  pierre, 

Tous  ces  bruits  d  autrefois  dans  leur  fommeil  furpris . 

Le  doux  baifer  d  amour  s  unit  à  la  prière  ; 

V hymne  f aime  fe  mêle  aux  formidables  cris. 

Vois  ;  ceft  un  peuple  entier  qui  s  anime  et  s  éveille  : 
Châtelaine  craintive ^  orgueilleux  châtelain; 
Guerre  où  le  haut  feigneur  entraine  le  vilain... 

Tout  fur git  6*  prend  corps  pendant  la  docte  veille. 
—  cAinfi,  conteur  ardent,  vers  toi  font  accourus 
Les  brillants  fouvenirs  des  vieux  temps  disparus. 


LES   SONNETS 


LE  LIVRE 


AU     DEHORS 


E  loin  vous  en  flair  ei  F  arôme  avant-coureur  ; 
Vous  conremplei,  ravi,  fa  date  reculée; 
Vous  carejfei  du  doigt  fa  marge  immaculée, 
Et  de  fa  rareté  vous  prànei  la  valeur. 

Vous  en  aime^  la  tranche  à  la  vive  couleur, 
La  nervure  du  dos  ou  fvehe  ou  potelée, 
La  robe  au  blanc  fatin  d  un  filet  dentelée. 
Le  noir  chagrin  brodé  par  le  fer  du  doreur. 

Oui,  vous  vous  pdmei  d  aife,  admirateurs  aufi'eres, 
c4ux  délinéaments  de  fes  purs  caraéîères; 
T)e  tout  choc  defiruéleur  vous  fave^  T abriter  ; 

Le  couteau  curieux  ny  glijfe  point  fa  lame... 

Quels  grands  bonheurs  le  Livre  à  vos  yeux  fait  goûter! 

Vous  en  aimej  le  corps  —  &  moi  f  en  aime  rame: 


D    UN     BIBLIOPHIL  E 


II 


AU     DEDANS 


\AzÂfE,  —  ce  que  le  Livre  envoie  à  notre  efprit; 
Ce  que  dans  fes  feuillets ,  en  legs  cher  &  suprême, 
Un  lumineux  cerveau  nous  laijfa  de  lui-même; 
Confeils  qiiun  ami  mort  chaque  jour  nous  écrit; 

Fluide  que  î auteur  en  infpiré  furprit 

c4  Iheure  où  du  génie  il  reçut  le  baptême, 

Et  que,  pour  nous  toucher,  nous  fes  enfants  quil  aime, 

Il  fixa  dans  fon  texte  où  fa  voix  nous  fourit. 

Cejl  cet  éclair,  ce  feu,  ce  rayon  qiion  fent  vivre, 
Quil  me  plaît  de  nommer  F  âme,  Tâme  du  Livre, 
El  cefi  ce  que  fy  bois  pour  me  défaltérer  : 

Leçons  de  mes  penfeurs,  hymnes  de  mes  poètes, 
y  ai  tout  ce  qui  me  fait  aimer,  croire,  espérer, 
Dans  ces  pages  du  cœur...  qui  pour  vous  font  muettes. 


LES  SONNETS 


TROP  BIEN  CHOISI 


O^T^SIE  L/T{I . . .  çà  peui-ilfe  comprendre  : 
«   y  en  fuis  encor  tout  retourné. 
<(  Jamais  je  n  aurais  pu  m  attendre 
ce  cA  ça...  Quel  coup  ça  ma  donné! 

ce  tN^eJi-ce  pas'.'  Je  fuis  là  pour  vendre.  — 

ce  Quand  il  eut  tout  examiné, 

ce  T)e  loin,  Je  vis  fa  main  fe  tendre... 

ce  Crac!  mon  tome  était  enfourné. 

et   Jeujfe  aimé  mieux  une  taloche. 
ce  TDans  les  profondeurs  de  fa  poche 
ce  Jen  regardais  faillir  les  coins... 

ce  Etre  riche,  —  oh  !  ceji  incroyable  !  — 
ce  Et  me  voler,  moi  pauvre  diable  !!...  » 
De  rage,  il  enferrait  les  poings. 


d'un  bibliophile 


BELLE   COLLECTION  ! 


OzM'cME  un  riche  il  en  a...  Je  ne  jais  pas  un  être 
Tlus  heureux.  cA  fon  gré pojféder  tels  iréfors!  — 
Tris  (£ envie,  un  beau  jour,  je  me  décide,  fors 
Et  dans  lefanéîuaire,  enchanté,  je  pénètre. 

'Bravo!  bien  placés!  JuJ}e  en  face  la  fenêtre 
Tar  laquelle  un  jour  vif  illumine  leurs  ors. 
Les  fers  du  relieur  ont  pris,  là,  des  ejfors... 
Cefi  un  raviffement  que  ce  coup  d œil  fait  naître. 

Et  quels  titres!  Vojei  :  les  maîtres  de  tefprit. 
Sous  le  manteau  brillant  la  forte  nourriture. 
Certes,  voilà  vêtir  notre  littérature! 

f  approche.  SMon  doigt  veut...  Quel  fou  rire  me  prit! ... 
C étaient,  couverts  de  peau,  de  vélin,  ou  de  moire, 
C  étaient  des  dos  de  bois  cloués  fur  une  armoire  !  ! ... 


qp 


LES  SONNETS 


JOUISSANCE...    FUTURE 


'  0  UT^fûr,  il  traverfe  une  crife!  — 
qA  fureter  ufam  f es  Jours, 
Sans  trêve,  il  entajje,  6*  toujours. 
Comme  un  avare  il  théfaurife. 

ly ailleurs,  beau  choix,  pas  de  méprife  ; 
Quand  f  es  loifirs  feront  moins  courts, 
c4  maint  texte  il  aura  recours. . . 
Et  de  fon  emplette  il  fe  grife. 

Tout  eji  bon,  tout  lui  fervira. 
Ses  tréfors,  il  s  y  plongera... 
oAuJfi  quel  plan  il  élabore! 

Il  sejfoujle,  augmente  fon  bien, 
Conquiert  pour  lire. . .  et  ne  lit  rien. . .  — 
T>am!  il  faut  quil  amaffe  encore. 


D   UN    BIBLIOPHILE 


BREDOUILLE 


'^UI,  qiiil  ejl  des  jours  fecs! . . .  tN^Jifin,  niprejle  vue, 
'Rien  liy  fait.  —  Ce  matin,  fai  braconné  partout. 
Etalages,  bazars,  trottoirs  &  coins  de  rue, 
J'ai  tout  examiné,  tout  flairé,  fondé  tout. 

Une  étiquette  invite.  (Après  la  chofe  lue, 

Un  vieux  tome  incomplet,  mais  dur,  me  donne  un  coup. 

Je  pajfe.  T>e  fon  feuil,  une  femme  dodue 

zM indique  un  bel  ouvrage...  auprès  d'un  marabout. 

—  «  'Bon!  dis-Je;  une  trouvaille!  »  c4h! pauvre  efpoir  malade! 
Ceft  un  roman  fans  titre  &  qui  fent  la  pommade. 

—  «  Au  diable  la  marchande  !  •>:>  Et  Je  fuis  mon  chemin. 

Je  me  penche,  plus  loin,  sur  une  longue  file... 

—  ce  T)ans  ces  tas  alignés  quel  fretin  fe  faufile  !  » 

Et,  mains  vides,  je  rentre. . .  —  «  Efpérons  mieux  demain!  »  . . . 


;sfr 


LES  SONNETS 


BOUQUINS   ET   RATS 


L    ASSAUT 


\U 'Renais  lomes  couches  un  in-folio  fe  dreje, 
cMonrranr  fes  lettres  cfor  aux  flancs  de/on  vélin 
'Beau  volume,  que  F  œil  de  l  amateur  carefle. . .  — 
%aton  lui  jette,  aujfî,  plus  dun  regard  câlin. 

Il  guette,  lourdement  mitonne  un  coup  d'adrejfe, 
Hors  du  trou  met  la  tête,  &,  comme  d\in  tremplin. 
Saute,  Tour  ce  bond-là,  bravo! peur  ni pareje... 
Il  ne  déguerpira  que  repu,  ventre  plein. 

Tout  fier  d  avoir  grimpé  fur  la  tête  du  livre, 

Cefi  avec  un  entrain  féroce  qu  il  le  livre 

c4  fon  grignotement,  vrai  gourmet,  vrai  glouton. 

Q^el  régal!  T)e  la  marge  et  du  texte  il  fe  gave. 
V oeuvre  lourde  avec  lui  va  rentrer  dans  la  cave.., 
H^ngeur  intelligent,  quand  te  reverra-t-on?... 


BOUQUINS   ET  RATS 


d'un  bibliophile 


II 


LES    DÉLICATS 


E  leur  muf eau  pointu,  fans  peur,  pref que  riant, 
'\  ÏS\))\  Les  voilà  tous  en  train  de  mordre. ..  &la  cuifine 
^Z^^^XÉ.  Leur  plaît.  Tajant  du  dos  à  la  feuille  voifine, 
Chacun  d eux  pulvérife  et  troue,  en  vrai  friand. 

Lun  veut  avoir  raifon  dun  fer  Chateaubriand; 
Cef  un  Homère  en  veau  que  T autre  emmagafne ; 
Un  troifième  prétend  S  év  igné  fa  coufine... 
Tour  y  prendre,  à  ce  titre,  un  repas  attrayant. 

Teste!  Ils  font  vraiment  forts  dans  leur  littérature! 
Cejl  en  gens  exercés  quils  cherchent  leur  pâture. 
Ces  rongeurs  de  la  profe  &  de  î alexandrin. 

"Rien  que  ces  deux  derniers  rendraient  tefprit  bien  aije  :  — 
Vun,  afcète,  nerveux,  mange  à  Sainte  Thérèfe; 
Vautre,  fleuri,  fn,  gras,  à  "Brillât-Savarin. 


•4 


LES  SONNETS 


CRESCENDO 


E  fes  doigts  il  dévore 
Les  tomes  racornis, 
Et,  fiévreux,  dans  leurs  nids 
Fouille  &  moijfonne  encore. 

Ses  yeux,  quun  reflet  dore, 
Ont  des  foifs  d^ infinis. . . 
Tour  deux  cAlde  jaunis 
Son  défir  vient  déclore. 

T>éfir  vif.  Importun. 

Il  en  prend  d  abord  un  : 

—  «  oAh  !  dit-il,  il  efi  nôtre  ! ...  33 

zMais,  maintenant  quil  fa. 

Que  lui  fait  celui-là?... 

Ce  quil  lui  faut,  cefi  Vautre. 


qp 


d'un  bibliophile  15 


DE   GLORIA 


^T^r^^\n{E  que  Jusqu'à  roi  le  livre  était  venu; 
Ji    ihyS)  )\  One  tes  mains  le 


Que  tes  mains  Tout  touché,  que  tes  yeux  (ont  pu  lire, 
Et  qiiil  eji  à  jamais  perdu  !  quon  le  défire 
En  vain;...  quil  va  rejler  de  nous  tous  inconnu! 

Le  prêter!  ! ...  Quoi'.'  la  peur  ne  ta  point  retenu  ! 
Tas  un  de  ces  refus  que  la  prudence  infpire  ! 
Tas  unprejjentiment?...  c/lh!  quil fe fait  maudire 
Vindifcret  qui  de  toi  ta  fi  vite  obtenu  ! 

Ton  excuse,  on  la  fait  :  oui,  c  était  ton  vieux  maître, 
zMais  bien  nécejjiteux,  f entant  la  faim  peut-être, 
Et  fupputant  déjà  la  valeur  de  ton  prêt. 

Que  Tien  avais-tu  pris  ou  fait  prendre  copie! 

Tins  tard,  la  prejj'e  eût  mis  objlacle  à  T œuvre  impie. 

—  Terte  cruelle,  un  jour  f  aurons-nous  ton  fecret?... 


l6  l ES  SONNETS 


MORTS   ET   RESSUSCITES 


TRACES    DE    CONQUÉRANT 


ICTOn{E  I  Lajfiégeam  a  crevé  les  murailles, 
El  dans  la  ciré  morne  en  pompe  il  ejf  entré. 
'Brutal  comme  un  foldat  de  pillage  altéré, 
Il  court  Jus  au  butin,  ce  vainqueur  fans  entrailles. 

éMais,  pour  lui,  le  profit  le  plus  clair  des  batailles 
EJl  le  butin  vénal.  Quant  au  dépôt  f acre 
Des  lumières  du  monde,  il  s'en  approche,  outré  ; 
Son  fer  dans  le  vélin  commence  des  entailles. 

Et  lacère  :  —  «  c^  quoi  bon  ces  chofes  de  tefprit':! 
Trop  f  avoir  ne  vaut  rien...  Exterminons  î  écrit  !  » 
Tuis,  levant  fon  regard  plein  de  lueurs  funèbres  : 

—  «  cAux  livres!  Brûler  tout! ...  »  Et  lafiamme,  étreignant 
Ces  tréfors,  fuit  fon  œuvre  &  va  les  éteignant... 
De  fa  torche  barbare  il  a  fait  les  ténèbres  ! 


d'un  bibliophile 


«7 


II 


PALIMPSESTES 


EUX-LcA  nom  point  brûlé  le  livre.  Ils  font  gardé, 
Et  fan  vélin,  pour  eux,  fut  une  grande  joie. 
Ils  ont  tombé  dejfus  comme  fur  une  proie. .. 
oidieu,  beau  monument!  te  voilà  dégradé. 

Ce  qiiil  difait,  îécrit'^  Ils  font  bien  regardé  ! 
Grattant  fon  épiderme  afin  qùon  ne  le  voie, 
Tour  leurs  textes  nouveaux  ils  ont  poli  la  voie. . . 
Sur  un  Virgile  éteint  le  plain-chant  a  brodé. 

zMais  rien  ti  était  fini.  "Des  anciens  caractères 
Vceil  invefiigateur  reffaifit  les  myfières ; 
On  reconfiruit  les  vers  du  poète  effacé. 

—  tNjebuhr,  oAngelo  zMai,  votre  labeur  délivre 
Du  tombeau  ces  occis.  Vous  les  faites  revivre...  — 
Le  clairvoyant  triomphe  oit  T ignare  a  pafie. 

1 


LES   SONNETS 


III 


A    HERCULANUM 


^LS  gifaienr,  étouffés  fous  les  couches  de  cendre 
Jp  Que  le  mom  furieux  à  plein  ciel  leur  vomit. 
)^|i^@  Vix-huitfiècles!...  Quel  laps  avant  quonfût  defcendre 
En  ces  cryptes  !...  —  Enfn  Tardent  chercheur  frémit; 

On  fouille.  Ses  tréfors,  la  cité  peut  les  rendre. 

Le  doigt  heurte  un  rouleau  qui  tout  ce  temps  dormit: 

—  «  Un  papyrus!  une  œuvre!  »  cAvec  quels  foins  le  prendre! 

On  T emporte.  Un  favant  près  de  î objet  blêmit. 

V entourant  de  refpeâs,  fur  un  marbre  il  le  pofe, 
Vexamine,  [entrouvre,  &  ne  rêve  autre  chofe 
Que  d  enivrer  f es  yeux  de  ce  texte  inconnu. 

Cejî,  d  abord,  Thilodème  &,  plus  tard,  Epicure, 
Tuis  d  autres,  que  cet  art  S  exhumer  nous  procure. . . 
Fête  à  ïenfeveli  jufquà  nous  revenu!! 


D   UN    BIBl  lOPHIl  E  I9 


CE    QU'ILS    SONT    DEVENUS 


Quo?...  Quando?...  Quomodo?... 

icAS  dune  abfence prolongée , 
Il  rentre  ;  pour  premier  devoir 
Court  à  fes  livres,  quil  veut  voir. . 
El  voit  fa  chambre  bien  changée  ! 

Il  cherche...  —  «  Ejî-ce  un  ejet  dufoir?... 
ce   Tout  entière  déménagée  ? 
«  Quels  rapineurs  font  ravagée^...  jj 
C/iu  cerveau  ça  lui  met  du  noir  : 

—  «  Tlus  un  feula...  Tfoii  fouffla  Tarage? 

«  En  quel  fantajlique  naufrage 

«   Corps  &  biens  fe  font-ils  perdus  }.. .  ■>•>  — 

Lui  parti,  vidant  les  tablettes. 
Tour  plus  de  chic  en  fes  toilettes 
Sa  femme  les  avait...  vendus  !!! ... 


qp 


lES   SONNETS 


UN    DRAME 


INTÉRIEUR 


fO'T{cAGE,  au  grand  complet,/ ejî  abaiTu fur  lui! 
Il  profpérait,  jadis,  plus  jeune  que  fon  âge. 
Le  foir  venait  trop  tôt;  le  jour  n  avait  pas  lui 
Quil  devinait  la  joie  en  fon  gentil  ménage. 

éMais,  las!  dequel  vol  prompt  le  bonheur  s' ejl  enfui! 
La  zMort,  la  brufque  zMort  faucha  fon  voifinage. 
Femme,  enfants,  tous  perdus...  Il  ejlfeul  aujourd'hui... 
Le  refle  aufjî  prit  route  au  fatal  engrenage  : 

Son  épargne,  engloutie  aux  mains  dun  gros  bonnet  ; 

Tari,  le  cher  labeur  oit  fa  plume  glanait  ; 

Les  feuils  amis,  fermés;  gène...  6*  bientôt  mifère. 

En  ces  landes,  il  vit  trifle,  mais  réfolu. 
V aride  T enveloppe.  Il  ri  a  qiiun  fuperflu... 
Ses  livres,  —  devenus  fon  premier  néccjfaire. 


d'un  bibliophile 


II 


ATTAQUE 


[cAC^S  fa  hihlioîhèque  il  va  traînant  f es  pas. 
Il  chancelle.  Il  n  a  plus  la  force  de  de/cendre. 
Cejl  en  vain  quil  entend  les  heures  des  repas. . . 
Tout  manque  ;  buffet  vide...  Il  ne  fait  plus  où  prendre. 

Et  le  terme  !  On  menace...  Oh  !  les  cruels  ébats! 
Que/aire^...   Ses  bouquins,  certe,  il  en  pourrait  vendre. 
Cela  le  fauverait  ;...  mais  il  rien  vendra  pas. 
Soudain, il  tendF  oreille. . .  il  guette. .  .c4  quoi  s  attendre?. . . 

Ve  r étage  au-deffous  il  perçoit  des  bruits  fourds. 
On  caufe  ;  îefcalier  fléchit  fous  des  pieds  lourds. 
On  fonne. . .  à  deux  recors  il  vient  d^ ouvrir  la  porte  ! 

Il  a  toujours  été  doux,  calme,  réfigné ; 

éMais  en  lui  fe  foulève  un  accent  indigné. . . 

Et,  devant  fon  tréfor  quon  veut  prendre,  il  s  emporte  : 


lES   SONNETS 


III 


DÉ  TENSE 


OU  S  ne  faifireipas  ces  livres,  je  vous  dis  ! 
ce  On  ne  prend  pas  le  lit  où  Vinfolvable  couche, 
«  On  ne  prend  pas  fonpain.. .  &  vous,  dans  mon  taudis, 
«  Uous  vene^  m  arracher  le  morceau  de  la  bouche. 

ce  Depuis  bientôt  trois  Jours,  longs,  fiévreux  6*  maudits,  | 

ce  Je  ri  ai  d autre  aliment  pour  une  faim  farouche. 

ce  Venir  me  les  àter,  c eft  ade  de  bandits... 

ce  Je  veux  quils  refient  là...  zMalheur  à  qui  les  touche! 

ce  Je  les  ai  bien  gagnés.  .  Si  vous  voule^  [avoir 

ce  Comment,  voici  :  J  étais  pauvre,  et,  pour  les  avoir, 

cf  Cent  fois  de  mon  dîner  f  ai  détourné  la  fomme. 

ce  C  est  fur  eux  que  f  étends  mon  corps  qui  s  affaiblit... 
ce  Vous  voyei  bien  qu  il  font  &  mon  pain,  &  mon  lit. 
ce  oArrière  !,..  Le  premier  qui  monte,  je  faffommeH... 


d'un    BIBLIOPHILE  2} 


IV 


F  I  N 


\'OEIL  fanglam,  le  poing  haur,  il  s  apprête  à  frapper. 
Lune  inutile. . .  En  face  il  a  des  cœurs  de  roche. 
Les  deux  individus  font  venus  pour  happer  ; 
Ils  ne  lâcheront  rien.  Le  plus  hardi  s'approche... 

—  ce  (5^es  livres!!!  jj  c4u  dcfajlre  il  ne  peut  échapper. 
c4  leurs  flancs,  comme  un  fou,  des  ongles  il  s  accroche  ; 
Il  leur  ouvre  f es  bras,  veut  les  envelopper... 
Lorfqiiun  farcafme  aigu,  que  t autre  lui  décoche, 

Vexafpère.  Il  s'égare,  &  fa  fureur  grandit. 
cAlors,  armant  fa  main  d'un  tome,  quil  brandit.- 

—  ce  Je  {empêcherai  bien  d'en  faire  la  conquête. . .  » 

Tuis,  il  pouffe  une  chaife  ;  il  cherche  à  fe  hiffer  : 

—  ce  Ceji  à  moi  ! ...  j)  zMaisfon  pied,  peu  fur,  vient  de  gUfjer. , 
Et  fur  fAn  d'être  heureux  il  fe  caffe  la  tête  ! 


34  lES    SONNETS 


LE  BON  TEMPS 


'ÉTcAIT près  de  vingt  ans  avant  dix-huit  cent  trente. 
Ejiampes  &  bouquins  fe  rencontraient  encor. 
Tour  un  vieil  exemplaire  à  la  mine  apparente 
On  n  avait  pas  hefoin  de  donner  f on  poids  dor. 

Le  vendeur  s  en  faifait  une  modejle  rente  y 
Et  tavifé  chercheur,  calculant  fan  ejfor, 
Sans  rendre,  par  le  prix,  l aubaine  tranfparente, 
Touvait  dévalifer  boutique  6-  corridor. 

Jours  féconds  !  jours  heureux  !  Tlus  d'un  archéologue 
T)e  tréfors  mal  perdus  groffitfon  catalogue.  — 
Tout  modejle,  un,  alors,  circulait  dans  les  rangs. 

Ecartant  des  rideaux  de  dépouilles  intimes, 

Certain  foir,  il  trouva,  pour  cinquante  centimes, 

Un  plan,  —  quil  revendit...  deux  mille  deux  cents  francs  !  ! . 


d'un  bibliophile  aj 


FRONTISPICE 


EN   TÊTE    DUN    VOLUME    COLLECTIF 


It^ÈS  Toute  moijjon  vient  le  moment  des  gerbes . 
C^ous  voici!  Vans  nos  champs  nous  avons  moijfonm 
..^^^é^  oA  pleins  bras  nous  portons  ce  que  nous  a  donné 
V^otre  soleil  :  faifceaux  de  fruits,  de  fleurs,  &  d  herbes. 

Que  de  rhythmes  !  Les  uns,  aux  cambrures  fuperb es , 
%edrejfent  fièrement  leur  beau  front  couronné  ; 
D'autres  haf ardent  là  leur  fredon  étonné, 
Tous  adrejfant  à  îcArt  les  ardeurs  de  leurs  verbes. 

—  'Belles  dames,  venei  !  furtout  pas  dair  moqueur  !  ■ 
C^e  vous  effraye-^  pas  de  ces  rimes  Jîncères, 
Où  le  rêve  a  verfé  le  pur  de  fa  liqueur. 

Tar  elles  le  poète  a  charmé  fes  mifères. 

Tortei  Tœil  &  la  main  aux  produits  de  nos  ferres. . . 

Lifei-nous  ;  nous  avons  de  îefprit...  &•  du  cœur  ! 


a6  LES   SONNETS 


A.  M.  H.  BOULARD 


CHEZ    LUI 


iES  meubles  en fom pleins  ;  les  tablettes  enploîem: 
Dans  les  coins,  aux  rebords,  d'un  &  d'autre  côte'; 
Sur  les  in-oélavo  les  in-douje  sajfcoient  ; 
"Des  parquets  aux  plafonds  les  piles  ont  monté. 

Vous  allei  aux  fauteuils ,  des  tomes  vous  renvoient. 
Tar  monceaux,  à  tous  pas,  le  tréfor  ejî  jeté. 
Les  reflets  du  foyer  fur  for  des  dos  flamboient  ; 
Tour  en  mettre  un  de  plus,  tel  angle  ejl  amputé. 

Et  ce  Ti  ejl  point  fini  !  Chaque  foir,  le  brave  homme, 
'Bon  dénicheur,  rapporte  un  nouveau  contingent. 
Où  donc  mangera-i-il?  où  fera-t-il  fon  fomme?... 

'Beau  fouci! ...  'Des  bouquins!  Celafeul  efi  urgent. 
—  Hôte  croiffant,  le  Livre  encombre  f on  ménage. 
Et  fur  f on  efcalier  t amateur  déménage . 


d'un    BIBLIOPHIIE  37 


II 


DÉLOGÉ 


■c4IS,  bah!  de  la  mai/on  il  ejl propriétaire. 
Vous  verrei  quà  la  longue  il  trouvera  moyen. 
Un  Jour,  il  congédie  un  premier  locataire. 
Et  remplit  fon  logis  d'une  avalanche...  'Bien! 

Le  procédé  nejî  pas  fans  charme  en  fon  myjière. 
oAutre  congé,  bientôt.  Dès  quil  riy  refie  rien, 
Entre  les  murs  conquis  bondit  le  vieux  notaire. . . 
Tous  les  appartements  regorgent  de  fon  bien. 

Les  volumes  font  fiers,  parbleu  !  de  ce  partage. 

Tour  eux,  cefi  un  peu  £  ordre;  ils  font  logés,  claffés. 

Lui,  les  fuivant  toujours,  fuit  d étage  en  étage  : 

—  a  Je  m'en  vais,  leur  dit-il,  puifque  vous  me  chajfei.n 
Et,  mis  hors,  il  fubit  le  fort  dur,  dont  t accable 
En  fes  invafions  le  bouquin  implacable. 


Cf^f^ 


a8 


LES    SONNETS 


UN   RACHAT 
^  


,£  l  ai,  cet  exemplaire  à  f  offre  défirée, 
Ce  doux  gage  par  roi  chaudement  attendu  il 
'Dis  Jî  ma  défiance  était  bien  injpirée  : 
Je  l  ai. . .  du  brocanteur  à  qui  tu  Tas  vendu  ! 

La  page  aux  mots  aimants,  ta  main  ta  déchirée  ; 
éMais  pas  un  feul  feuillet  par  le  couteau  fendu  ! 
Et  tu  parlais  fi  haut  de  cette  œuvre...  admirée... 
oi  quel  mépris  du  cœur  ef-tu  donc  defcendu?  — 

Cefi  bien,  ami  fincère,  &  je  te  remercie. 
Laijfons  ta  lâcheté  te  fembler  réuffie  ; 
cMême,  fi  tu  le  veux,  du  haut-fait  fois  abfous  ; 

cMais  quand  de  moi,  plus  tard,   tu  voudras  un  volume, 
Tour  te  le  préf  enter  loin  de  prendre  la  plume. 
Je  for  tir  ai  ma  bourfe,  &  {offrirai...  cent  fous. 


qp 


d'un     BIBIIOPHILE  aç 


FOUILLIS 


'E  bicarré!  c/i  manquer  de  méthode  il sohjîine. 
Il  jette  pêle-mêle  en  fort  appartement 
Ses  livres,  vajle  amas  que  ÎœH  en  vain  lutine, 
Dédale  où  le  fil  cajfe,  immenfe  encombrement. 

Et,  —  voye-^  ce  quil  aime  !  —  entre  eux,  guerre  intefiine: 

Tétrone  fur  Tlaton  s'étend  malignement  ; 

T{abelais  fe  blottit  derrière  Lamartine  ; 

Dorât  frôle  Tafcal  ;  fans  ïétreindre  autrement, 

Sapho  près  dcAbeilard  s  arrête  ;  Jufquà  terre 
Une  Encyclopédie  a  fait  pencher  Uoltaire  ; 
George  S  and  s  éparpille  autour  de  faim  'Bernard  ; 

éMujfet  touche  à  Tibrac ;  Daphnis,  à  Virginie... 
Un  peu  plus,  le  contrajfe  aurait,  là,  du  génie.  — 
Gai  poil  fcriptum  :  Santeuil  gambade  vers  Tanard  ! 


)0  LES  SONNETS 


A  UN  AMI  DES  LIVRES 


tOT^vous  dit  hienfavant!  Vous porrei  des  lunettes 
Qui  découvrent  toujours  bien  plus  loin  que  vos  yeux; 
Tartout  vous  dcniche-[  des  bouquins  précieux  ; 
Le  pathos  a  pour  vous  les  pages  les  plus  nettes  ; 

Vous  ave^  de  grands  airs  &  de  docîes  /omettes , 
"De  longs  mots  enfilés  coulant  à  qui  mieux  mieux;... 
c4h  !  fous  votre  perruque  &  vos  rides,  bon  vieux, 
Chacun  vous  croit,  d"  honneur ,  plus  Jeune  que  vous  tiêtes. 

—  Oh!  oui,  vous  êtes  Jeune...  en  fcience  furtout. 
Le  nei  dans  vos  fatras,  d'accord,  vous  fave^  tout  ; 
zMais  feul?...  Tlume  à  -{éro,  fiyle  pris  d engelures. 

Sur  vous  fêtais  tout  près  de  croire  ce  quon  dit. 
zMaintenant  fy  vois  clair  :  vous  avei  les  allures 
T)un  connaifjeur pojliche  &  dun  faux  érudit. 


\ 


d'un  bibliophile 


ACCÈS  DE  TYPOGRAPHIE 

^^^   ^_^r  vuiti'   goujon 

' OUl^QUOI ce  contre-fens,  trop  ofés  typographes  ': 
c4vej-vous  demandé  Jî  ce  Jeu  convenaiti! 
UXp^  comems  i ébahir  avec  vos  orthographes, 
Voilà  que  vous  fcindei  notre  pauvre  Sonnet! 

Jufquau  verfo  lointain  pourquoi  des  paragraphes 
Que  le  goût  fi  logique  au  redlo  retenait'^ 
Les  poètes,  voye^,  —  ces  mauvais  calligraphes ,  — 
Le  tranfcrivent  d'un  coup,  tout  entier,  comme  il  naît. 

CT^on,  rien  n  irrite  plus  mon  œil  &  ma  penfée 
Que  de  voir,  dun  coté,  cette  œuvre  commencée 
oittendre ,  pour  finir ,  un  tourner  hafardeux. 

Cefi  un  mur  fur  la  route...  Oh!  des  règles  plus  fages. 
Chers  protes! .. .  Un  Sonnet  qiion  imprime  à  deux  pages, 
Cejî  comme  un  zMédaillon  quon  cajjerait  en  deux. 


m 


)a  LES  SONNETS 


ENTREE  D'ASSAUT 


UF!  cejl  hardi,  courageux  voire. 
Vix  d'un  coup!  Ceji prefque  infenfé. 
Quel  loi!...  Tounam  il  a  pajfé 
Doucement,  &  fans  grande  hiftoire. 

Tour  aider,  vite,  à  l  heure  noire, 
D'un  long  fil  j  ai  tour  enlacé, 
Tuis  tai  furtivement  poujfé 
Dans  f  angle  profond  de  l armoire. 

—  Encore  des  nouveaux  venus  ^ .. . 

—  CT^ous  les  aurons  bientôt  connus  ; 
Ils  feront  de  la  maifonnée. 

Tous  amis,  pas  d'indifférents. 

Hurrah!  chei  nous  les  cceurs  font  grands... 

Vive  la  troupe  «  embouquinée  !  » 


qp 


d'un    bibliophile  jj 


MÉLANCOLIE  DE  BIBLIOPHILE 


=^;^^c^<^v5'  limmenfe  "Babel  que  coupe  en  deux  la  Seine, 

y Jul  I  Iv     T'I/Tiir  /'j  mnn/1^  nonloinr      nii  nriTic  nniif  ^nrfrmnn.Ç . 


'hyJX  T)ans  ce  monde penfeuVy  où  nous  nous  enfermons, 
^cj^x^-^^Jg»   Je  ne  fais  quoi  parcourt  ïatmofphère  malfaine, 
Qui  corrode  à  la  fois  Fefprii  &  les  poumons. 

Trijle  état!  —  U^aimant  pas  infliger  des  fermons, 
Je  vais  me  faire  ermite  et,  forti  de  la  fcène, 
Uivre  avec  mes  bouquins.  Tuifque  en  vain  nous  femons. 
Cœurs  fichés,  gare  au  coup  qu  un  poing  lourd  nous  ajjène! 

Là,  f  attendrai  la  mort.  Sombre,  en  guife  de  lin, 

De  mes  chers  Eliévirs  Je  prendrai  le  vélin 

Tour  me  faire  un  linceul  dans  ma  tombe  érudite. 

Entre  mes  quatre  murs  Je  ni  enfev élirai. — 

Englouti  de  la  forte,  au  moins  j'éviterai 

Les  f  entiers  monftrueux  d'une  époque  maudite! 


34 


LES     SONNETS 


MAGLIABECCHI 


LE    PROf  I  L 


]L  ne  les  quine  plus.  Ses  regards  en  font  ivres. 
Il  en  a  fait  des  murs,  des  parquets,  descloifons. 
Et  fonfiége,  &fa  table,  &fon  lit,  toute/}  livres. 
Ils  font,  fêté,  fa  brife,  &,  l'hiver,  fes  tifons. 

Quand  il  fonge  au  repas,  fur  eux  il  met  fes  vivres, 
—  Un  œuf,  de  leau,  du  pain  en  toutes  les  faifons;  — 
S  il  veut  bouger,  jluet,  ne  pefant  pas  cent  livres, 
Dans  fes  couloirs  étroits  il  prend  des  horizons. 

Il  ufe  jufqu  au  fil  fon  habit,  qui  fe  perce  ; 

La  poujfière  s  oublie  à  fes  mains,  quelle  gerce. . . 

Oii,  pour  les  petits  foins,  le  moment  opportun!' 

Il  mène,  au  long  des  Jours,  fa  leéîure  acharnée  ;  — 
zMais  nul  mot,  point  d'écrits.  Lui,  fcience  incarnée, 
Lui  qui  les  voudrait  tous...  il  nen  a  pas  fait  un! 


d'un    bibliophile  J5 


II 


L  HOMME 


"^  04  s  un!  —  //  lui  faut  tant  chercher,  fouiller ,  connaître, 


cApprendre,  retenir  parmi  ceux  qui  font  nés 
^^^(^  Quils'ejî  toujours  gardé,  ma  foi!  d!  en  faire  naître. 
Cejî  tant  pis!  Quels  tréfors  f on  favoir  eût  donnés  ! 

zMais  ce  doéîe,  obligeant,  néglige  fon  bien-être 
c4u  profit  des  caufeurs  à  fon  logis  menés: 
Le  foleil  part,  la  nuit  ajfombrit  la  fenêtre. 
Sur  les  textes  fes  jeux  font  encore  inclinés. 

Chaque  Jour,  fe  meublant  de  quelque  découverte , 
cAux  futurs  érudits  fa  mémoire  ejl  ouverte  ; 
Comme  un  long  répertoire  on  vient  la  compulfer. 

—  Salut  donc,  vieux  «  glouton  de  la  littérature!  » 
Tu  lifais  pour  tranf mettre  aux  autres  la  pâture... 
'Bravo!  cet  égoïfme  efl  bon  a  profeffer! 


\o 


ItS     SONNETS 


COUP  DE  VENT 


fe^ 


c4C^S  la  demeure  favanie 
En  avait-on  emajfé! 
zMais,  las!  naïf  qui  fe  vante 


Vun  grand  tréfor  amajfé. . . 

Les  bourrafques  de  la  vente 
Tar  les  rayons  ont  pajje, 
Et  fai  vu,  plein  d'épouvante, 
Le  cher  «  tréfor  »  difperfé. 

zMalheur!  ce  dejlin  me  navre 
Il  femble  voir  un  cadavre 
oiux  membres  éparpillés. 

Comme  épaves  fur  les  plages, 
Vont  flotter  aux  étalages 
Cent  tomes  dépareillés!! ... 


m 


d'un     BIBIIOPHIIE 


i7 


A  DANTE 


SUR     BÉATRICE 


iX^^^AO^^X^J  tes  vers  a  fleuri  l  oAmour ,  printemps  de  lame  y 


zMais  l  amour  pur ,  marchant  fous  fa  robe  de  lin  : 
T)e  ton  ange  entrevu  tout  ton  cœur  était  plein, 
Et  pour  toi  'Béatrice  était  plus  qu  une  femme. . . 

Oh!  tu  [enveloppais  d'une  myjlique flamme.  — 
Tu  îi  étais  pas  encor  le  fougueux  Gibelin, 
T>u  haut  de  tes  grandeurs  jeté  comme  un  vilain. 
De  ta  Florence,  hélas!  banni  comme  un  infâme!  — 

Suave  &  frais  défr!...  Comme  un  rayon  des  deux, 
Ta  vierge  devant  toi  promenait  fon  image. 
Et  toi,  tu  lui  rendais  ton  angcliqiie  hommage  ; 

T)e  fa  chafle  beauté  tu  repaijfais  tes  yeux. 

Sans  vouloir  feulement  lui  prendre  une  étincelle... 

Vante,  le  bel  amour!...  — ^?^as-tu  bien  aimé  qu  Elle? 


^8 


lES    SONNETS 


RAFFINEMENT 


1^  CN^ plein  dos  des  étalagijîes 

Un  chaud  foleil  darde  fes  dons, 
]i'X  ^^  nous,  vieux  bouquineurs  aux  pijies, 
Le  long  des  quais  nous  regardons. 

Tejle!  On  en  remplirait  des  lijles! 
Sur  les  parapets  quels  cordons! 
C^ous  plongeons  nos  coups-dœil  dartijies 
Jufquau  recoin  aux  abandons. 

—  cAs-iu  vu,  là,  hors  de  la  boite. 
Tris  dans  fan  gros  carton,  qui  boite. 
Ce  conteur  qui  te  fait  rêver':! 

—  Oui.  —  Qii^n.  dis-tu'.'  —  faimefon  âge. 

—  Tu  le  laijfes  ?  —  Je  me  ménage 
Le plaijîr...  de  le  retrouver. 


d'unbibliophile  J9 


L'AUBAINE 


LÉGENDE 


^^V^o4  UV  T{E  livre  !  Un  marchand  en  offre,  — prix  honnéie, — 
■^^  Veux  cinquante,  ou  trois  francs. . .  Trois  francs,  ceji  au  plus  haut 
4y5^  —  ce  Je  ne  pourrai  jamais  le  vendre  comme  il  faut, 
T)it-il  ;  la  couverture  ejl  rongée. . .  &  peu  nette.   •>:> 

—  «  Bn  effet,  la  raifon  nef  point  une  fornette ; 
Un  vélin  racorni,  troué,  cejl  un  défaut. 
Invendable!...  J'en  vais  allumer  mon  réchaud...   n 
L  ex-vendeur  fond  fur  lui  comme  à  la  hayonnette. 

Entre  le  dur  carton  &  le  vieux  parchemin 

Quil  déchire,  en  fureur  il  enfonce  la  main... 

Le  monjlre  a,  dans  fes  flancs,  des  fortunes  énormes! 

Sous  un  papier-jofeph  on  trouve  des  billets. 

Hurrah!  des  cents,  des  mille  ! ...  Excellents,  les  feuillets  1 . , .  — 

Oh  !  f  aurai  du  refpeâ  pour  les  bouquins  informes. 


4J  LtSSONNElS 


SAVANTASSE 


0<^cME  il  y  va!  quelle  faconde  ! 
Il  met  àfecfon  réfervoir, 
L  impitoyable  !  Il  nous  inonde 
Sous  les  flots  de/on  lourd  /avoir. 

Serrés,  d  allure  furibonde 

Et  drus,  ne  ceffent  de  pleuvoir 

z/[fotSy  textes,  noms. . .  Holà  !  la  bonde  ! 

^?(j)us  nen  voulons  plus  recevoir. 

—  Triple  érudit,  affei  !  T)e  grâce  ! 
Tu  nous  fais  prendre  en  grippe  Horace, 
Homère,  Virgile,  oiuguflin. 

Silence!...  ou,  plutôt,  continue! 

Tille  tes  livres  ;  exténue 

Ta  langue,  —  &  perdsy  ton  latin  ! 


d'un    bibliophile  4' 


OPHTALMIE 


garnir  f es  rayons  il  a  pajfé  la  vie. 

"Du  tréfor  grojjljant  il  Je  charmait  toujours. 
,4^^^^  Il  favait  fureter,  [habile,  à  faire  envie .. . 
Tar  fes  hafards  heureux  il  eût  compté fes  jours. 

zMais  cette  volupté  ne  sefï  point  pourfuivie . 
Le  pauvre  homme,  aujourdt  hui,fentles  injfants  bien  lourds. 
C\uit,  nuit  pleine  ! ...  à  fes  yeux  toute  Joie  ejl  ravie... 
cAveugle!...  Il  doit  pleurer  fes  bouquins,  J^es  amours  ^'' 

Eh!  non;  dune  humeur  douce  il  fupporte  fa  peine. 
Flânant  au  milieu  deux,  il  ouvre  fon  vieux  chêne, 
Cherche  un  livre,  le  palpe,  &  le  gUjfe  en  J^es  doigts  : 

—  «  Comprenez  bien,  dit-il  ;  Je  lis  à  ma  manière. 

^Autrefois ,  J  e  f  avais  les  trouver  fans  lumière  ; 

Et,  rien  quen  les  touchant,  maintenant ,  je  les  vois.  » 


m 


43 


LES    SONNETS 


UNE    FIN 


^U^quel  étal!...  Jonchant  la  dalle , 
Sans  couverture,  &  déchirée... 
Quoi  /  ton  beau  maroquin  doré 
U^a pas  trouvé  grâce  '...  0  vandale  ! 

Vit-on  jamais  pareil  fcandale? 
Une  œuvre  !  un  tome  vénéré 
Tar  des  mains  grajes  démembré, 
Un  peu  plus  mis  fous  lafandale  ! ... 

—  qAu  rayon  d'honneur  tu  brillais, 

Et  de  tes  fplendides  feuillets 

On  fait  des  facs  dans  la  boutique. 

"Deux  fiècles  avoir  triomphé. . . 

Tour  envelopper  le  café 

Quon  vend  faux  poids  à  la  pratique  !!. . . 


d'un    bibliophile  4) 


AUTOGRAPHE...    ET   CALLIGRAPHE 


^  C^F  1^7^!  f  enilens  un  bout .  Oh!  la  bonne  aventure! 
En  œuvre  épijîolaire  il  fe  prodigue  peu ^ 
Et  fur  ce  noir  format — qiion  afauvédufeu — 
Du  doéle  je  puis  donc  contempler  V écriture  ! 

Epluchons  le  fragment.  C  efi  hardi ,  fans  rature; 
La  plume  a,  cTun  long  Jet,  trotté,  j  en  fais  F  aveu  ; 
Tout  le  texte  a  des  traits  aujjlfins  qiiun  cheveu  ; 
éMais  des  pleins  fulgurants  forment  laflgnature. 

cAudace,  &  favoir-faire .  Il  faut  draper  f on  nom. 
Le  malin,  en  fgnant,  tire  un  coup  de  canon. 
Voyei  :  comme  un  volcan  éclate  f  on  paraphe. 

Tour  fe  mettre  en  relief  il  ne  néglige  rien  ! 

Il  fait  dire  de  lui  :  «  Ce  mon  (leur  écrit  bien...  » 

ly^fais  le  grand  écrivain  ne  fait  pas  l'orthographe  ! 


Hif 


44  LES   SONNETS 


DERNIÈRE   RESSOURCE 


^cAI  couru panoui.  Las,  je  rentre. 
ce   Je  mangerai  je  ne  fais  où. 
ce  //  faudra  me  ferrer  le  vemre  ; 
ce    Car  fai  grand"  faim ...  &  pas  le  fou  ! 

ce  Jai  bien,  —  mais  en  lui  je  concentre 

ce  Tout  mon  bonheur,  moi  vieux  hibou,  — 

ce  J ai  bien  un  volume...  0  doux  chantre, 

ce  1^  abandonner  me  rendrait  fou. 

ce   Et,  pourtant,  fi  je...  {abandonne?...   jj 
Vami  dolent  cherche.  On  lui  donne 
Une  somme  à  nous  étonner. 

Je  nieflimais  peu,  vers  ou  prof e; 
éMais  mon  livre  ta  fait  dîner. . . 
zMon  livre  efî  bon  à  quelque  chofe  ; 


m 


d'un  bibliophile  4J 

UNE  PERTE 

ic4S  !  j  étais  fi  cornent  de  lavoir  obtenu, 
— C^onfans  mal,  toutefois! — "De fes pages  latines. 
Dont  f  avais,  doux  labeur ,  francifé les  tartines, 
Souvent  Je  de'leélais  mon  regard  ingénu. 

«   zMais  contre  le  méfait  ce  charme  na  tenu  : 
Un  larron  me  ta  pris. ..  Oh  !  peines  intejîines  ! 
éMe  prendre  Jodocus  quand  fai,  là,  des  bottines  ! ... 
Et  pourquoi  me  le  prendre  ?  Et  queft-il  devenu  ? 

«   éMon  pauvre  vieux  tourijle,  unique  &  cher  volume. 
Tu  m  étais  compagnon  quand,  la  nuit,  je  veillais; 
zMaintenant ,  quelle  main  profane  tes  feuillets? 

«    Un  moutard  les  falit  ;  quelque  rujfre  en  allume 
Sa  pipe...  »  —  Et  lérudit  chercha,  toujours  privé. 
Tas  de  chance  !  Il  ejl  mort  fans  lavoir  retrouvé  ! 


^ 


46  LES    SONNETS 


TU  QUOQUE 


-X^!^///  quoi!  les  poètes  aujji 

oiu  ras  vendent  leurs  chers  poètes  ! ... 
zMais  ceft  donc  le  jour  des  défaites 
Quon  trouve  ce  chef-d'œuvre  ici  ? 

Tour  quil  traîne  en  ce  coin  ranci 
Ou  fur  ces  planches  indifcrètes, 
Quel  fouffle  a  face  âgé  les  fêtes  ?...   — 
Le  goujfetj  las  !  sejl  aminci  ! 

S'envoler  fur  t aile  des  Jîrophes 
U^  pare  point  aux  catajlrophes  ; 
Le  hefoin  ejl  un  gros  butor. 

Tuis,  il  faut  combler  l  adorée... 
Et  ce  quelle  aime,  —  la  dorée,  — 
Ce  neji  pas  les  livres,  cejî  Cor. 


d'un  bibliophile  47 


A  UN  BIBLIOGRAPHE 


[^T^criîique  nejî  pas  un  pédant  de  grammaire, 
Q 1 1  "TU ^ >  ^'*  "^'^^  ^"^  mefuram, pefam,  rognant  les  mots 
^^^•^^  Et,  tout  fer  d'étaler  un /avoir  éphémère, 
T>e  fa  parole  creufe  étonne...  les  marmots. 

C\on,  non.  ^Pourquoi  tremper  fa  plume  en  l  encre  amère  ' 
q4  T arbre  ne  voit-on  que  les  moindres  rameaux? 
U^otrevol  ejl  plus  grand,  plus  haut,  &  plus  fommaire  : 
Ouvrons  T  écria  tout  large,  &  montrons  les  émaux  ! 

Laijons  F  œil  s'arrêter  &  fe  complaire  aux  lignes 
Oii  Sun  génie  en  herbe  on  découvre  les  jîgnes. 
'Du  beau,  même  futur...  c  efl  autant  de  gagné, 

Tiètres  ceux  qui  s'en  vont,  toujours,  cherchant  la  faute! — 
cAccueil,  accueil  au  livre!  Un  livre,  cef  un  hôte. . . 
Et  thôte  ne  vient  point  pour  être  égratigné. 


^ 


48  LES   SONNETS 


AVERSE 

Sii^fiTr  ^^^^  '"^  ^^  prenait  donc  une  once  à  chaque  page! 
A||\W1  (  Toute  fa  tabatière  y  pajait.  Quel  lifeur  ! . . . 
^^^■^^^^i-^  c^falhabile,  ou  dijlrait  ;  car  cejl  au  grand  dommage 
T)efon  ne~  quil  ufaitfon  tabac,  mon  prifeur. 

cAprès  tout,  prifaii-il.'  zMalgré  cris  &  tapage, 
Il  devait  favourer  fon  bien-aimé phrafeur , 
Et  la  poudre,  manquant  la  narine  au  pajfage, 
Tleuvait  au  fond  du  livre...  Oh!  cejî  dune  épaijjeur  ! 

Il  ne  fe  ferme  plus  ;  le  dos  craque;  tout  baille; 
Dans  le  jîllon  trop  plein  le  grain  perdu  bataille 
Et  me  crible,  à  fa  bafe,  un  onglet  vermoulu. 

Cher  bouquin! ...  —  //  veut  bien  nous  prêter  fa  pâture, 
{Mais  ne  l  étouffons  pas.  0  pauvre  couverture  !.. . 
Faut-il  être  éventré,  morbleu!  pour  être  lu!!  — 


m 


d'un    bibliophile  49 


UNE   SUPPLIQUE 

(£  brave  homme  !  Il  a  dû,  longtemps  avant  décrire, 
Tlein  de  trouble,  tourner  fa  plume  entre  f es  doigts. 
'Bonne  lettre,  quipeine  &  pourtant  fait fourire  : 
De  ï encre,  du  crayon...  un  coup  dejfai,j'e  crois. 

Trois  pages  f  Cejî  bien  long  ;  cejl  trop  donner  à  lire 
c4ux  richards  araires  que  le  chiffre  rend  froids. 
EJufon  naïve!  Il  fe plaint,  ilfoupire, 
oi  peur  d  importuner .. .  6*  redit  tout  deux  fois  l 

Cejl  diffus  ;  mais  aujjî,  là,  comme  cefl  honnête! 
Ce  timide  quêteur  doit  avoir  l'âme  nette 
Comme  le  vers  latin  quil  a  fu  mettre  ici. 

Quel  ton!  dans  ce  factum  rien  ne  hait,  rien  naccufe  : 
Il  héfite,  il  demande,  &  puis  craint,  &  sexcufe  ;  — 
Cejl  tellement  raté. . .  que  cen  efi  réujji ! 


50  lESSONNErS 


«  HABENT  SUA  FATA  LIBELLI  » 


d'où  ? 

,£  te  choifis,  &  je  t  emporte ^ 
Cher  bouquin,  fous  mon  bras  prejfé ; 
cAvec  moi  tu  franchis  la  porte  ; 
c4u  rayon  tu  feras  placé. 

T'a  Jlruâure  nefl  pas  bien  forte  ; 
Ton  dos  efl  même  un  peu  caffé. 
Tu  voyageas  de  belle  forte  ! ... 
Tar  quelles  mains  as-tu  paffé':! 

Qui  te  mit  dans  fon  catalogue  H 
Qui  te  vendit  f  Quel  philologue 
T(?  reconquit^  texte  &  fleurons  i!... 

Je  fonde  en  vain  ta  deflinée, 
Qui  fait  qiiau  bout  de  la  journée 
c4u  logis  tous  deux  nous  rentrons. 


D   UN   BIBl  lOPHItï  51 


II 


O  Ù  ? 


1^  T  maintenant  ?  Je  te  pojfède  ! 
On  m'a  déjà  félicité. 
-^^-^^  zMème  un  fin  convoiteux  niohfède  ;, 
Sois  fur  :  ni  vendu,  ni  prêté. 


Donc  goûte  en  paix,  fi  "Dieu  nous  aide, 
zMa  durable  hofpitalité.   — 
cMais  après  i*. . .  oi  la  mort  tout  cède. . , 
cAprès^.. .  Tar  quels  vents  emportée 

Où.  ?  Qui  t'aura  '^  L  hôtel  des  ventes  ? 
Courras-tu  les  noires  foupentes, 
T>e  poudre  ou  de  moifi  vêtu  ? 

T>ici  pour  te  voir  difparaitre, 
'Battre  les  quais,  changer  de  maître. 
Il  faut  du  courage,  fais-tu  ! 


qp 


s» 


lES   SONNETS 


PENDANT  LES  FÊTES  DE  VENDOME 


y  CTT"^^  ^  ^  ^^^  '^^"^  qiiarîs  dejîècle  il  revenait  fur  F  eau . 
\    It^jjy,  F  on,  il  fe  relevait  de  îinjujîe  défaite. 
VlS^]:^,^  La  fvelteffe  charmait  en  fa  ftrophe  parfaite  ; 
Il  donnait,  dif ait-on,  la  couleur  au  tableau. 

Tu  r  avais  pourtant  mis  au  bout  defon  rouleau^ 
Dun  mot  tu  crus  T  avoir  précipité  du  faite... 
cMais  ton  mot  fe  trompa  ;  tu  fus  mauvais  prophète  ^ 
0  grand  u  légijlateur  du  Tarnaffe,  »  'Boileau  ! 

Un  retour  de  fefprit  rabaiffe  ta  fuperbe  : 

Le  vers  correâ  &  froid  du  pointilleux  zMalherhe, 

oAfire  efiimé,  nefi  plus  notre  premier  foleil. 

ton  condamné,  tu  vois  quelle  ardeur  il  excite. 

Hourrah  !  La  Toéfîe  acclame  ce  réveil... 

Le  fer  rhythmeur  t  emporte,  &•  T{onfard  refjufcite  ! 


d'un  bibliophile  5j 


LES  DEUX  VOLUMES 


APOLOGUE 


^'UtN^ouvrage  nouveau f  avais  double  exemplaire. 
L  un  portait  fîmplement  f on  habit  beurre  frais. 
Tandis  que  le  fécond,  déjà  pofé  pour  plaire. 
D'un  habit  maroquin  s^ était  permis  les  frais. 

Fier  fous  ce  vêtement  quun  long  fil  d'or  éclaire: 

—  «  Çà!  dit-il  au  premier,  tu  te  penches  exprès? 
ce  T{ecule ;  ton  papier  m' écorche...  33  Tuis,  colère; 

—  «  Va-ien!  Tu  ne  dois  pas  me  frotter  de  f  près.  » 

Sur  ce,  f  humble  broché  dans  le  rayon  s  enfonce, 
zMais,  tout  en  s  y  glijfani,  hafarde  une  réponfe  : 

—  «  Oh  !  tu  fais  haute  mine  !  Efi-ce  donc  un  malheur 

«  D'être  un  peu  moins  doré  fur  mon  dos,  fur  ma  tranche  ? 
«  ^T^usfommes  la  même  œuvre  &fympathique  &  franche. . , 
cf  Et,  riche  ou  fimple,  avons  une  égale  valeur,  » 


54  lîS   SONNETS 


A  MES  LIVRES 


CONDAMNÉS     A     MORT 


^  ■'—'  Q u^  ygii^  menacés  dans  la  ville  invejlie, 


Ornes  chers  compagnons,  mes  outils  bien-aimcs! 
El  vous  ne  pouvez  pas  tenter  une/ortie. . . 
(bornes,  dans  vos  rayons  vous  rejfei  enfermés. 

Votre  demeure,  au  moins,  ejî-elle  garantie 
Contre  le  feu,  la  balle,  &  les  pillards  armés  ? 
C^on,  hélas  !  &  la  bombe,  avant  dêtre  amortie ^ 
Veut  jeter  la  balafre  à  vos  rangs  déformés. 

oimis,  dont  ma  retraite  était  fi  bien  ornée, 
Touviei-vous  vous  attendre  à  cette  dejlinée?... 
Vous,  avec  tant  d  amour  conquis  &  rajjemblés  ; 

Vous,  oîi  mon  pauvre  efprit  f avait  trouver  fa  vie, 

Tar  la  haine  féroce  &  la  Jlupide  envie 

Vous  fer  ei  canonnés,  bombardés  &  brûlés  !! ... 


d'un  bibliophile  5$ 


AVANT     LEXECUTION 


;LLOC^S  !  toujours  fangoijfe!. . .  Une  peur,  cette  nuit, 
qA.  mon  oreille  a  fait  ronfler  la  canonnade  ; 
,J^^^^  Tuis  ce  fut  la  muraille  ouverte,  (S*  îefcalade, 
Et  îenvahijfement  de  l  étage...  Oh!  quel  huit! 

Quel  affautH ...  Tout  efl  noir,  Taf!  un  coup  de  feu  luit. 
La  vitre  dégringole ,  &  du  rayon  malade 
La  halle  a  traverfé  la  mince  colonnade. 
Un  bras  brutal  fecoue,  &  la  corniche  fuit... 

Tout  gît  fur  le  parquet  !  La  fol  date f que  ignoble 
Jure,  va  d'un  entrain  pris  au  Jus  du  vignoble. 
Et  faccage . . .  éMaini  tome  a  le  dos  enlevé. 

Lun  arrache  un  feuillet  pour  une  cigarette  ; 

Vautre  fous  fes  pieds  vous...  —  zMa  torture  s  arrête  : 

Vous  êtes  encor  là,  chers  bouquins...  fai  rêvé! 


^6  l  ES    SONN  ETS 


MOUTONS    DE   PANURGE 

^^pOLfTE  la  nuit  encore,  épiant,  palpitant, 
ryih  OEil  &  cœur  pris,  de  vous  f  ai  rêvé,  mes  chers  tomes  : 
i  T)e  la  poudre  au  plafond  fecouant  les  atomes, 
Vous  aviei,  tout  d'abord,  un  réveil  éclatant. 

Tuis,  calmés  &  debout,  îun  après  ïun  quittant 
Vos  rayons,  vous  alliei,  innombrables  fantômes , 
— Des  Sadis  aux  T{onfards,  des  'Bibles  aux  'Bramâmes , — 
Vous  alliei  devant  vous.  zMais  foudain,  vous  hâtant, 

Vousfemblei  tituber  &  ne  plus  vous  connaître. 
Tumulte.  Un  coup  de  vent  vous  ouvre  la  fenêtre. 
En  troupeau,  fur  le  bord  vous  vous  précipite^. 

Gouffre  attire,  dit-on.  Votre  foule  s'y  rue. 

Vous  prenez  votre  élan,  vous  faute^  dans  la  rue... 

Et  moi,  navré,  fans  force  :  —  «  oillons,  fautei  !  faute^  !!.. .  » 


D    UN     BIBIIOPHILE  57 


UN    REPAS 

L'homme  ne  fe  nourrit  pas  feulement  de  pain. 

I UI,  fy  reviens  encor. . .  J y  reviendrai  fouveni, 
Tauvres  amis  perdus  !  Oh!  combien  je  vous  aime  ! 
Vous  me  repréfentei  une  part  de  moi-même. 
Vous  quirnavei  aidé  pour ...  me  montrer  f avant. 

Tout  jeune,  quand  f  allais ,  plein  d  ardeur,  m' élevant, 
Tlus  d'une  fois,  poujc  par  un  déjir  fuprême, 
Tour  avoir  un  de  vous  je  donnai,  — joli  thème  !  — 
Le  prix  de  mon  diner.  Cejl  d'un  culte  fervent  ! 

Et  que  fêtais  heureux!  «  Un  de  plus!  »  me  difaisje. 
"Puis,  par  le  beau  foleil  ou  par  la  froide  neige, 
fe  refais,  avec  lui,  dans  la  chambre  fermé. 

Comme  je  préférais  îonctueufe  pâture 

qA  T autre,  qù exigeait  la  vulgaire  nature!... 

Comme  je  dévorais  mon  livre  hien-aimé  !! 


LES     SONNETS 


LA  TOURNÉE 


L     EN    A     SA    CHARGE 


ID^QJieures!  Du  dîner  chacun  fem  les  approches  ; 
éMais  notre  dénicheur  ri  a  pas  grand  faim .  Charge', 
Il  retourne  au  logis,  &  fon  pas  allongé 
Franchit  du  macadam  &  le  fable  &  les  roches. 

'Bonne  chaffe  !  Il  jubile,  oiâif  il  a  plongé 
Jusquaux  plus  noirs  recoins  de  cent  boites  bancroches  : 
Il  en  a  dans  les  mains,  fous  les  bras,  plein  les  poches 
Et,  pour  rien,  ne  voudrait  d'un  feul  être  allégé. 

"Bouquins  aux  angles  tors,  aux  marges  trop  coupées, 
Tages  de  manufcrits  des  flammes  échappées. 
Tranches  rouges,  dos  ronds  blindés  de  parchemin, 

Tomes  déshabillés  redevenus  brochures. 

Beaux  plats  quun  fer  antique  a  brodés  de  hachures. . . 

Voilà  f  ample  moijfon  quil  a  faite  en  chemin  ! 


d'un     bibliophile  )9 


II 


ou    LES    METTRE 


[0^7^!  mais  ce  nejlpas  tout  que  les  avoir  trouvées, 
Ces  merveilles  ;  il  faut  f avoir  où.  les  nicher. 
L appartement  en  crève,  &  Ton  va  fe  fâcher  : 
"De place  nulle  part...  Oh!  les  chambres  rêvées!! 

Vans  iinvifihles  trous  il  parvient  à  jucher 
Les  plus  minces.  Gonflant  les  piles  foulevées, 
Il  glijfe  les  plus  gros.  Les  plaquettes^. . .  Sauvées  ! 
Gravement  il  les  couche  à  même  le  plancher. 

Là!  pour  fes  adopiifs  cefl  qùïl  efl  tout  entrailles  ; 
Il  en  mettrait,  je  crois,  jufques  dans  les  murailles. . . 
oiux  parquets,  aux  plafonds  Je  foupçonne  un  reffort. 

Le  cher  petit  réduit  fe  dilate.  Cefl  T antre 
Où  plane  fur  le  livre  un  myjiérieux  fort... 
Il  rien  peut  plus  tenir,  et  toujours  il  en  entre  ! 


6o 


LES    SONNETS 


LE  DERNIER 


''^JLcADIS,  quand  Je  voulais  anecdote  ou  maxime, 
^  T)un  doigt  fur,  parmi  vous,  [allais  tout  dénicher. 
^^^^^  oAujourdhui,  fi  je  veux  le  moindre  millcjime, 
Ceji  dans  ma  tête,  hélas!  quil  me  faut  le  chercher. 

Je  ne  peux  plus,  ouvrant  la  porte  doéiiffime, 
Tar  vos  mille  tréfors  me  fentir  allécher^ 
5\7j  de  l'œil,  parcourir  de  la  hafe  à  la  cime 
Les  lourds  rayons  où,  fiers,  vous  aimej  à  percher. 

Tour  mon  f avoir ,  allei,  cejl  bien  un  peu  funejle . 

zMa  mémoire  malade  ejl  lefeul  qui  me  refie 

En  fait  délivres...  Viable!  Et  f  ai  beau  feuilleter. 

Je  ny  trouve  partout  qu  ombres,  ingrates  pages. 
zMes  glanes  chargeront  de  piètres  équipages. . .  — 
c4mis,  que  nai-je  pu  ne  jamais  vous  quitter  ! 


^'& 


d'un  bibliophile  6i 


LE  COIN   DU   FEU 

^    Juùt 


\E  calme  du  foyer  me  plaît  (£  étrange  forte. 
Là,  tous  les  deux,  bien  clos,  les  pieds  près  des  tifons, 
U^ous  fuivons  à  lenvi  chimères  ou  raifons, 
Capricieux  fujeis  qiiun  léger  rire  emporte; 

Là,  des  plans  d! avenir  évoquant  la  cohorte, 
U^ous  bâtijfons  d'avance  ;  enfuite,  nous  puifons 
En  quelque  livre  aimé  quenfemble  nous  lifons, 
T)afe  dont  la  liqueur  au  labeur  nous  exhorte. 

Tuis,  nous  nous  contemplons  dans  ce  gentil  enfant 
Qui  fecoue  entre  nous  fon  beau  front  triomphant. 
Et  dont  gaiment  la  langue  à  tout  propos  babille  ; 

Et  nous  ne  prions  Dieu  que  de  nous  prolonger 
Ces  jours  de  joie  intime,  &  de  ny  rien  changer ^ 
Tant  nous  fommes  heureux  du  bonheur  en  famille  ! 


6a  LES     SONNETS 


LE    FIL   DU   LABYRINTHE 

T^ITIQUE,  nul  ne  fait,  Jufquau  cœur  dun  volume, 
Trojeter  mieux  que  loi  la  lueur  de  la  plume  ; 
C^ul  ne  va  plus  avant  ^  6  clairvoyant  mineur. . . 
Tour  trouver  le  filon  cejl  ton  goût  qui  s  allume , 

Lorfurgii  devant  toi,  — ta  main  a  du  bonheur — • 
T^ncontres-tu  le  fer  réclamé  par  f  enclume, 
TJun  doigt  fi  bienveillant  tu  ï indiques,  d'honneur, 
Quon  prend  ïavis  fans  fiel  &  t  aimant,  cher  glaneur. 

Oui,  Ton  aime  à  te  voir,  fin,  fubtil  en  ton  rôle, 
Sur  toute  gloire  faite  appofam  ton  contrôle. 
Et  tournant  le  rayon  fur  le  nom  commencé. 

Ton  ce  bravo  !  n,  digne  à'  fur,  monte  au  front  du  génie  ; 

La  fottife  a,  parfois,  ta  flèche  d'ironie. . . 

Quel  mal^  —  Homère  efl  fauf,  &  Zoïle  efl  blejfé. 


d'un  bibliophile  63 


UN  NAVIGATEUR 

*^V    un    (Av^^ttt    Ctxi^o^vAf^t 

^^faii  un  grand  mérite  au  fier  navigateur 
Qui  s'en  va  découvrir  quelque  terre  inconnue. 
Et  qui,  vers  unfeullieu  confiatant  fa  venue, 
'Baptife  un  pays  neuf. . .  dont  il  neft  pas  T auteur. 

Gloire  au  marin  !  ceji  bien  !  —  zMais  Tinvejîigateur 
Qui  remonte  en  fa  barque,  à  tous  pas  retenue. 
Les  fources  dune  langue  à  fa  fin  parvenue, 
Tlongeant  dans  chaque  idiome  un  œil  inquifiteur  ?■. . . 

Il  touche  à  mille  points  en  fon  cours  méritoire. 
ÎN^eft-ce  pas  naviguer  fous  un  rayon  de  gloire 
Que  i avancer ,  certain,  fur  cet  autre  océan  t 

Sur  T  océan  des  mots  s  il  efi  moins  de  tempêtes. 
Les  fols  quony  découvre  ont  plus  i  épines  prêtes  ;. . . 
Cefi  un  voyage  obfcur  qui  veut  un  pied  géant  ! 


64 


lES    SONNETS 


SON  «  EUREKA  » 

\L  Jubile :...  —  «  Joie  ineffable  ! 
ce  Je  te  tiens,  bijou  tant  rêvé, 
a   0  cher  petit  livre  introuvable, 
ce    Que  par  miracle  J  ai  trouve  ! 

ce  Es-tu  vraiment  là  fur  ma  table  if... 

a  J'ai  peur  de  ten  voir  enlevé. 

ce  Sous  ta  poujjîère  vénérable 

ce  Comme  te  voilà  confervé  ! 

ce    Quels  parfums  ont  tes  feuilles  larges  ! 
ce  Laijfe-moi  contempler  tes  marges, 
ce  T)u  doigt  careffer  ton  vélin. 

ce   Tour  mes  yeux  cejl  une  ambroifie...  •»  — 
Et  le  dénicheur  sextafie 
"Devant  fon  tome...  aje^  vilain. 


^ 


d'un  bibliofhile  65 


A   SHAKESPEARE 


ion  lour,  vieux  génie  y  orgueil  de  TcAngleierre! 
_  /<— .vy    Uérudit  contre  toi  vient  braquer  Jon  canon. 
.J:^^^.,   Qui  donc  gênerais-tu,  qiion  veut  te  mettre  à  terre'.'. 
On  contejie  déjà  ta perfonne...  ou  ton  nom... 

Voilà  les  dépeceurs  ejfayant  T inventaire... 
Sortent-ils  dcAcadème,  ou  bien  dun  cabanon  i 
Ils  veulent  que  ton  œuvre  immenfe,  humanitaire, 
cAit,  pour  pères,  plufieurs,  &  toi  pour  parrain...  CM^n! 

Ils  feraient  fi  contents,  dans  leur  ardeur  qui  nie, 

De  Jîgner  ton  Hamlet  :  Shakefpeare...  et  compagnie  ! 

Tour  eux,  cejl  la  trouvaille  &  l  aubaine  fans  prix. 

cAllons,  démolijfeurs ,  frappe^  !  oA  la  refcouffe  !  — 
zMais  le  colojfe  ejl  là,  folide,  et  la  fecouffe 
tH^eJî  point  de  force  encore  à  troubler  nos  efprits. 


66  les   SONNETS 


En  omnibus 


fa  broche  elle  avait  le  portrait  Sun  «  bel  homme.  » 
Un  plantureux  chignon,  fur  fa  nuque  abaiffé, 
^.^è^t^^  Ombrageait  de  fes  jlots  la  croqueufe  de  pomme, 
Qui  nous  montrait  fa  main  d'un  gejle  un  peu  forcé. 

Elle  allait  promenant  ce  regard  qui  vous  fomme, 
Trunelle  pénétrante  &  four  cil  haut  froncé, 
Tuis,  baiffant  fes  grands  yeuxbiflrés ,  non  pour  un  fomme , 
Elle  cherchait  à  voir. . .  comment  fêtais  chaujje. 

tMais  îhoriion  rêvé  nef  pas  celui  qui  s'ouvre. 
T)ans  ce  pourchaffement  la  chercheife  découvre 
Deux  vieux  tomes,  tenus  con  amore.  Soudain 

Elle  pliffe  la  lèvre  avec  un  fier  dédain, 

Et,  toifant  ma  valeur,  en  elle  elle  s  exclame  : 

«  —  Le  sot!  Il  aime  mieux  des  livres  qu  une  femme!  » 


d'un    BIBIIOPHIIE  67 


GUIDE  INSPIRÉ 

S\.   ^_^r    con    C:::^uï!nttt:— 

poète,  comme  tu  fais, 
Sans  que  la  verve  f oit  ufée, 
Ouvrir  les  yeux  avec  fuccès 
Devant  les  toiles  dun  mufée  ! 

Quune  ceuvre,  profonde  à  l  excès, 
Comme  une  énigme  f  oit  lancée, 
C\ul  plus  que  toi  ne  trouve  accès 
qAux  arcanes  de  fa  penfée . 

Tous  ces  grands  maîtres  du  pinceau, 
Tar  tes  vers,  radieux  faifceau. 
Sont  charmés  de  fe  voir  traduire  : 

^?{j)us  te  faluons,  toi  qui  vins 
c4  travers  leurs  groupes  divins, 
Guide  infpiré,  pour  nous  conduire  ! 


68  LES    SONNETS 


UN    BON    MARCHE 

*'£5\^  ai  plein  mon  panier,  dit-elle  à  la  marchande. 
ce  Les  voilà. . .  r^/^  quilsfonr:  grands, petits,  neufs  ou  vicux^ 

^ ^  a  Je  les  pris  au  hafard,  en  détournant  les  yeux... 

«  Car  f y  tiens...  iMais,  pour  vivre,  il  faut  que  je  If  s  vende.  » 

C était  mal  débuter.  éMoins  dire  eût  valu  mieux. 
Vacheteufe  comprend  ï inhabileté  grande 
El,  loin  d'être  touchée  :  —  «  cAutani  que  je  les  rende 
a  Qu  offrir  un  trop  bas  prix...  »  Le  truc  ejl  odieux. 

Unfanglot  comprimé  trouble  la  pauvre  femme  : 

—  c(  Ce  qiiils  valent.:,  pour  vous,  ^Madame,  fera  loi; 

ce  Je  nen  demande  pas  ce  quils  valent. . .  pour  moi.  » 

J avance.  Jen  montre  un. «  Celui-là^...  »  puis  réclame 

La  faveur  de  le  prendre...  &  le  prends,  doux  effort, 
cAprès  lavoir  payé  plufieurs  fois  le  prix  fort. 

■5132^ 


D'L'N    BIBLIOPHILE  69 


UN  SAVANT 


\U  EST-CE  donc  qii  un /avant. ^  Ce  grand  mot  me  lutine. 
T/ans  un  fî  vajle  nom  quel  arcane  ejî  caché?. . . 
—  Tu  te  moques,  ma  belle,  6^  ta  lèvre  mutine 
Sourit  déjà  du  fens  par  ton  efprit  cherché. 

—  CN^on  ;  d  honneur,  f  ai  refpeél  pour  ce  front  qui  sohjline, 
Creufant  dans  fan  labeur  un  fol  peu  défriché  : 

Je  vois  t  abeille  en  lui;  fur  f  es  fleurs  il  butine. 
Tirant  fouvent  du  fuc  d'un  bouquin  dejféché. 

—  Cefl  tout  ce  qu  il  fait  faire.  Oui,  f  es  fleurs...  font  les  tomes 
T>ont  fon  cerveau  fubtil  refpire  les  atomes; 

tAfais,  d  encre  &  de  f  avoir  s  il  efl  tout  parfumé. 

Ton  f  avant  ne  fait  pas  conjurer  la  tempête. . . 

Car  le  pauvre  homme,  hélas  !  privé  £  air  ^  enfermé ^ 

qA  force  defonger  fe  fait  tourner  la  tête. 


70'  lESSONNtlS 


AUTO-DA-FE 


Omnia  purgat  edax  ignis. 
Ovide. 


LE     PRISONNIER 


'^T{qA  U^'ÇPfète  !  —  Un  échafaud  fur  la  place  publique. 
qA  trente  pas  plus  loin,  jujle  en  face,  un  hacher. 
Les  Cardinaux,  venus  par  une  rue  oblique, 
Font  cercle  Jur  leur  fége...  On  ne  peut  approcher. 

Et  le  coupable  ^^  En  pompe  onlejï  aile  chercher; 
On  rapporte,  aufji bien  tenu  quiine  relique.. . 
Sous  f es  chaînes  de  fer  il  ne  f aurait  broncher. 
Tauvre prêcheur!  On  va  lui  donner  la  réplique. 

c4u  doyen  des  chapeaux  le  Livre  ejî  préfenté. 
oiu  Grand-Inquifteur  trônant  à  fon  côté. 
Craintif,  du  bout  des  doigts,  cet  aujlère  le  pajje. 

Quel  voyage  lugubre  !  cAu  greffier  on  le  rend  ; 
Vu  prévôt  à  fhuiffier  il  s'ouvre  encor  fefpace  ; 
Il  arrive  à  f  archer. . .  puis  le  bourreau  le  prend. 


d'un    BIBllOPHllE  71 


II 


LE     SUPPLICE 


^7^0 /D  &  finijlre,  en  F  air,  de/es  mains  il  F  élève, 
/|l  Vers  les  points  cardinaux  fe  tournant  gravement. 
^  cA  î exécution  celafemble  une  trêve... 
Cen  ejl  bien  une,  hélas  !  mais  trêve  dun  moment. 

Il  dénoue  aujfitôt  les  chaînes  le  fermant, 
Tuis,  comme  pour  tuer  T  écrit  jufqu  en  fa  fève, 
Le  touche  feuille  à  feuille  &,  dans  ce  fouillement , 
T>e  la  deffrucîion  carejfe  le  doux  rêve. 

Ce  ferait  un  cadavre,  il  aurait  les  corbeaux; 

Cefl  un  Livre. . .  il  féventre  &,  lambeaux  par  lambeaux. 

L'imprègne,  en  Fj  plongeant,  d  huile  ou  de  poix  bouillante 

Il  verfe  enfin  le  tout  sur  le  bûcher,  d'où,  fort 
En  crépitant  la  flamme  affamée  &  brillante.  — 
Le  Livre  efi  dévoré. . .  —  Thénix,  prends  ton  ejjor  ! 


73  les   SONNETS 


A    PÉTRARQUE 


PENDANT    LES    FETES    DE    SON    V"*"    CENTENAIRE 


^   ^.    ^t    a.^CrfHc-fVrMff.;ç 

lU^Q^fiècles!  &  les  vers  femhlent  n  avoir  qu  un  jour 
foui  y  vibre  aujjl  Jeune,  aujjî  frais,  aujji  tendre 
Que  lorfque  ion  idiome  aimait  à  faire  entendre 
cA  ta  Laure  les  chants  émus  d'un  chajie  amour. 

0  grand  maître  des  cœurs  épris,  à  notre  tour 
U^us  venons  faluer  ta  gloire.  Sans  attendre 
De  nous  tout  ce  que  vaut  ton  nom,  laijfe-nous  tendre. 
En  difciples  -[élés,  à  fêter  ce  retour. 

cAmant  mélodieux,  tu  tiens  tàme  &  f  oreille 

Sous  le  charme,  &  toujours  va  croijani  la  merveille  : 

qA  tes  fonneis  f  doux  t univers  applaudit. 

Teufavent  que  ton  front,  cherchant  avec  vaillance, 
Tfune  encyclopédie  amajfait  la  fcience. . . 
Le  poète,  en  ton  œuvre,  a  vaincu  lérudit. 


d'un     BIBLIOPHILE  73 


RESTE  DE  LUI 

lT{cAVE  cœur!  Toint  ne  faut  que  perfonne  Vempone; 
Ceji  un  tréfor.  Que  nul  ny  louche,  prou  ni  peu  ! 
Le  moindre  changement  ne  fer  ait  p  as  f on  jeu; 
Il  favoure,  à  la  voir,  une  volupté'  forte. 

Il  fe  tient  tout  debout  dans  î angle  de  la  porte, 
Et  contemple. . .  Tourtant  il  n'y  voit  que  du  feu  : 
Tous  ces  livres  «  du  fis  »  pour  lui  ceJi  de  l'hébreu  ; 
Cet  heureux  pojfeffeur  ne  fait  lire. . .  Qu  importe  ! ... 

■ —  «  Ça  vient  du  cher  garçon.  Si  bête  que  je  fois  y 
»  J'ai  Tefprit  d'y  trouver,  d'y  revoir  mon  François, 
u  o4uJf,  foir  ou  matin.  Je  pajfe. ..  &  Je  regarde. 

«  cA  force  de  travail  il  s'était  fait  f  avant. . . 

ce  Donc  fur  ces  livres-là  n  allons  pas  plus  avant. 

«  Dans  fa  bibliothèque  il  revit...  Je  la  garde.  » 

lO 


74  LES     SONNETS 


DISTINGUONS 

Légère  non  est  scire. 

E  le  dis  avec  vous,  les  livres  font  la  mine 
'^l»A  l^^  Où  qui  tend  à  /avoir  doit  puifer  largement. 
j^^^^^\  Là,  fans  peine,  tout  prêt,  on  trouve  t  aliment; 
D^l  efprit  curieux  ne  peut  crier  famine. 

o4  travers  ces  formats,  de  riche  ou  pauvre  mine, 
Certain  vient  butiner  Jufqu  à  Tépuifement  ; 
Il  feuillette,  il  feuillette,  &  cejl  plaifir,  vraiment, 
T)e  voir  comme  f on  œil  en  ces  tomes  chemine. 

Le  vajîe  répertoire  a  meublé  fon  cerveau. 
Et,  par  là,  le  lifeur  croit  haufferfon  niveau. 
T)u  peu  de  ce  mérite  il  napas  confcience  ; 

T) ans  fon  propre  terrain  fans  creufer  bien  avant, 
T)uf avoir  quil  grapille  il  fe  croit  très-f avant... 
—  zModère-toi.  zMémoire,  ami,  nef  pasfcience. 


D    UN     BIBLIOPHILE  7J 


FUREUR 


iIV1{ES  que  f  ai  cherchés,  livres  que  je  pojjède, 
Vous  qui  mavei  brûlé  de  la  foif  du  défir, 
Je  ne  fais  quoi  delourdpèfefur  mon  plaijîr . . .  " 
Quelque  chofe  de  vous  me  fatigue,  m'ohfède. 

q4u  tome  entré  i abord  vite  un  tome  fuccède  ; 
La  pile  monte,  monte,  &  îœil  ne  fait  choifir. 
Quel  tas!  fe geins.  V humeur  me  gâte  mon  loifr... 
Tour  mieux  vous  voir,  comment  faut-il  que  Je  procède  i" 

Vous-mêmes  éleve^  mon  objlacle.  Entajfés, 

Vous  devenei  des  forts,  des  bajiions...  Cejlajfei'. 

oivos  angles  faillanis  ongle  ou  doigt  fe  déchire. 

Que  voulez-vous  de  moi  ?  Que  puis-je  avoir  de  vous  ? 
Inutiles  moellons,  vous  vous  écrafei  tous.  — 
Livres-murs,  croulei  donc!...  Vous  rnempêchei  délire. 


76 


LES     SONNETS 


DESESPOIR 


chaque  auteur  nouveau  quen  cherchant  il  trouvait, 
Comme  une  explojîon  vibrait  fa  Joie  intenfe. . . 
Un  atome  de  plus  du  filon  quilfuivait  ! 
"Bien  venu,  ce  Jalon  comblait  une  difiance. 

{Mais  de  quels  âpres  feux  f on  défir  fe  revêt  ! 
"Dans  t  œuvre  découverte  il  lia  plus  fa  pitance. 
Le  jour,  à  fes  rayons,  la  nuit,  à  fon  chevet, 
De  tomes  ignorés  il  flairait  fexifience  : 

—  ce  Ves  tréforsfi  nombreux, ...  &  des  infants  fi  courts! 
«  Tour  quoi  tant  de  joyaux  abfents  de  mon  parcours^ 
«  Loin  de  moi  que  â^  écrits,  chaque  jour ,  ont  dû  naître!, . , 

»  Et,  fans  les  avoir  vus,  trife,  je  ni  en  irai. ..  n  — 

En  effet,  ne  pouvant  butiner  à  fon  gré, 

Il  mourut...  du  chagrin  de  ne  point  tout  connaître. 


d'un    bibliophile  77 


LE  TAS 

DIALOGUE    ENTRE    UN    CRITIQUE    ET   UN    BOUQUINISTE 

^^^,'PT'I{pCHEZ,  mon  brave  homme. —  Oh  ffefpère^  en  voilà! 
(&y^A^  —  Oui,  les  coins  font  garnis,  &  cette  alcôve  ejl  large. . . 
^^^^^  —  Eh  hen!  vous  avei  lu  !. . .  fen  ai  plus  que  ma  charge. 
zMafoi,  monjieur,  ça  compte,  un  tas  comme  cela  ! 

—  Combien  de  tas,  plus  gros,  fai  vus  for  tir  de  là!  , 

—  Tlus gros!  Tour  me gaujer  vous prenei  de  la  marge. 
Tourner  tous  ces  feuillets?. . . —  Ce  nef  point  une  charge; 
Vingt  fois  au  moins,  plus  haut  jeannette  en  empila. 

—  Tout  de  bon,  vous  pourriei  en  combler  des  voitures! 
Je  comprends  que  monfieur  foit prompt  dans  f es  leéîures. 
Et  tous  ces  livres-là,  vous  les  avei?...  — Jugés. 

—  Qu  il  faut  être  f  avant  pour  juger  fans  rien  lire! 

—  Qù  est-ce?...  —  oAucun  nef  coupé  des  livres  que  f  admire  ; 
Et ,  pour  livres  jugés .. .  ils  font  bien  ménagés! 


qp 


f9  LES    SONNETS 


LES  CHOYÉS 


[lECNl  heureux  êtes-vous,  mejfieurs  les  vieux  poètes  y 
Qui,  vivants,  de  la  gloire  avei  eu  le  revers  ! 
Tour  vos  quatrains  moijis,  vos  fonnets  de  travers 
C^^tre  typographie  imagine  des  fêtes. 

Vos  œuvres,  entre  nous,  méritaient  leurs  défaites... 
zMais  la  mode  vous  porte  à  nos  rayons  ouverts  : 
Culs-de-lampes,  fleurons,  portraits  vous  font  o^erts  ; 
Tris  de  lèle,  on  encenfe,  on  couronne  vos  têtes, 

Tardieu  !  îafaire  ejl  bonne  !  &  cejl  un  agrément 
T>  avoir,  Jadis,  pondu  fes  vers  obfcurément  ; 
Sur  un  vélin  fuperbe  on  vous  réhabilite. 

Tandis  qu  un  pauvre  auteur  de  chefs-d'œuvre,  aujourd'hui, 
"D'une  «feuille  de  chou  »  ne  trouve  pas  f  appui 
Et,  pour  n atteindre  à  rien,  fouffle,  peine  6*  milite! 


d'un     BIBlIOPHllE  79 


FIAT  LUX! 

En  ces  temps  de  ténèbres...  (14} 0-1470) 

i'c4  UTEUl^j  —  hiJîorien,philofophe,  ou  poète,  — 
Chercham  à  pénétrer  les  brumes  du /avoir, 
(•Mais  privé  des  rayons  qu  aujourd'hui  F  ail  peut  voir, 
D^était  guère  avancé ^f on  œuvre  une  fois  faite. 

Devant  lui  ne  s  ouvrait  quune  route  imparfaite  : 
Lesfcrihes  apprêtaient  leur  plume;  en  leur  coin  noir 
Ils  piochaient,  tranfcrivant  du  matin  Jufquau  foir 
Tendant  des  ans...  la  fin  du  manufcrit  pour  fête. 

Le  leâeur  obtenait,  par  ce  moyen  borné, 

—  cAu  bout  de  quel  labeur!  —  un  unique  exemplaire. 

oirt  pauvre.  Il  fallait  mieux.  Un  chercheur  acharné 

ly une  f aime  lueur  tout  à  coup  nous  éclaire. 

Sous  fa  féerique  main  le  travail  s'accélère. 

Lira  qui  voudra  lire. . .  Hourrah!  le  LIVIDE  eft  nélIL.. 

(Anniverfaire  du  35  juin  1840;  Gutenberg  à  Strasbourg.) 
C43^ 


8o  LES     SONNETS 


OMNI-SCIENCE 


\L  entend  difcourirj  même  à  perte  de  vue; 
Un  invejîigateur  touche  un  point  épineux; 
Sous  tépifode  obfcur  on  recherche  des  nœuds  ; 
Des  jalons  de  ïhijioire  on  pajfe  la  revue  ; 

Un  critique j  en  fait  d'art,  Jîgnale  une  bévue  ; 
On  fonde  les  reffons  des  cœurs  bons  ou  haineux,  — 
'Bravo  pour  les  difeurs!  Il  fe  regarde  en  eux; 
Tar  lui,  leur  découverte  ejî  toujours  entrevue. 

De  pied  ferme  il  attend...  Et  juge-{dufuccès  : 

—  ce  Tout  ce  qu  on  peut  f avoir,  vous  dit-il,  je  le  Jais. 

«  cAuJJitôt  quun  volume  a  paru,  je  F  achète...  » 

Tuis,  croyant  que  ça  fait  comme  un  grain  au  filon, 
c4  chaque  auteur  cité  :  —  «  fai  ça  fur  mon  rayon...  ^^ 
Sans  rien  voir  du  four  ire  ébahi  quon  lui  jette. 


d'un  bibliophile  8i 


SCEAUX  DURABLES 

^  ES  livres  font  à  moi,  bien  à  moi.  zMais  fai  crainte. 
«  Le  vent  qui  les  difperfe  a  Jî  vite  monté! .. . 
«  Quoi  dit  que  ce  volume  ejl  ma  propriété  :^ 
«    Qui  le  dira,  furtout?  Quel  chiffre?  quelle  empreinte? 

«  T{ien,  à  fœil  étranger,  ne  traduit  donc  T étreinte 

«   Qui  me  lie  à  T  ouvrage  avec  joie  acheté, 

«  Et  pourtant  f  ai  défir  que  mon  nom  f oit  porté 

«  cAux  futurs  poffeffeurs. . .  c4llons-j  fans  contrainte  !  » 

Et  r  amateur,  tout  fer,  f  avant,  du  rejîe,  ou  non. 

Imagine  un  moyen  déternifer fon  nom: 

«  Ex  libris,  »  écrit-il;  puis,  fous  des  armoiries. 

Il  figne,  fait  graver  le  nom  retentiffant, 

Le  colle  au  plat  du  tome...  —  Oh!  le  moyen  puiffant  ! 

J"  en  feuillette,  en  album,  des  monceaux  de  fériés!!! ... 

■qp 

II 


8a  LES   SONNETS 


SIMOUN    DES   VERS 

^H/  que  de  vers  perdus  !  —  Images  carejfées, 
Etincelles  du  cœur,  vifs  éclairs  de  Fe/prii, 
Doux  germes,  dont  lajleur  apparaît  &Jourii, 
Lueurs  promenant  F  aube  à  travers  nos  penfées  ; 

Figures  fe  drejfant  foudaines ,  ou  bercées 
Tar  le  rêve,  contours  brillants  que  tail  furprit, 
Silhouettes  quen  Fair  un  caprice  décrit, 
Hélas!  ïinjîant  d'après  vous  êtes  effacées!!! . 

Ebauches,  traits  flottants,  au  paffage  attendus. 
Vous  nétiei  donc  pas  mûrs  pour  la  forme  parfaite, 
Quau  néant  du  cerveau  vous  voilà  tous  rendus':!... 

(Alors,  tant  mieux!  —  cAmis,  chanteifort  leur  défaite. 

Le  vent  qui  les  difperfe  efl  pour  vous  une  fête. 

Criei  tous  avec  joie  :  —  «  Oh!  que  de  vers  perdus!  n 


d'un  bibliophile  8j 


UN  NAUFRAGE 


;  L/C  L/C^E  main  d'ami  ne  forme  à  notre  porte. 
Doucement  oublié,  curieux,  je  veux  voir 
^^^^^^  Quel  est  ï événement  qui  me  viendra  ce  foir ; 
J'attends  ce  quenfon  vol  F  heure  future  apporte. 

J'aime  beaucoup,  parfois,  à  mufer  de  la  forte. 
c4vec  un  rien  qui  rit  on  chajfe  un  p enfer  noir; 
Vâmefe  laijfe  prendre  à  quelque  vague  efpoir. 
Et  Ton  fe  fait  heureux  d'un  rêve...  mais  qu  importe! 

Vonc  f  attends .  %ien  ne  vient.  Je  rumine  un  fonnet. 
V album  fur  mes  genoux,  je  griffonne. . .  affe\  net  ; 
zMais  mon  lutin  s'approche. . .  o4h  !  petite  couleuvre!!. . . 


Sur  t encrier  trop  plein  fon  coude  sejl  jeté; 

zAfon  fonnet  difparait  fous  îimmenfe  pâté. . . 

V encre,  où  je  le  puifais,  fubmerge  mon  chef-d  auvre  ! 


84  LES     SONNETS 


TRÉSOR  OUVERT 


j^^)  /  le  livre  emprunté  revenait  au  logis  ! 

Si,  lorfqu  il  y  revient,  c'était  fans  meunrijfure! 
S  il  ne  rapportait  pas  toujours  une  blejfure  : 
Ou  la  marge  ébréchée,  on  les  flancs  élargis!!... 

c4h!  cefl  contre  mon  gré  qu  avec  rigueur  f  agis. 
Comme  tous  les  bons  cœurs,  dont  le  nom  me  rajfure, 
J'aimerais  à  prêter. . .  zM'ais  pas  avec  ufure. 
—  Viens  à  moi,  bon  Grolier!  cA  propos  tu  fur  gis. 

Des  tomes  ifolés  &  des  œuvres  complètes, 

Tout,  tu  laiffais  tout  prendre  à  tes  cfières  tablettes  ; 

Tes  livres  étaient  moins  à  toi  quà  tes  amis. 

Je  t'approuve.  "Bravo !  généreufe  nature! 
cAux  efprits  affamés  difpenfe  la  pâture... 
S'ils  fe  difent  en  eux:   «   Garder  nefi  point  permis.  » 


d'un  bibliophile  ^s 


II 


RESTRICTION 


[c4VT{Ê,  mélancolique  &  dolent,  il  regarde. 
Il  regarde,  au  rayon  d'ordinaire  lejlé. 
Un  gros  Trou,  vide  fait  par  un  tome  prête'... 
Et  qui  ne  rentre  pas  :  —  «  Cejl  commode  !  Il  le  garde  !  jj 

Le  bon  homme  en  blêmit.  Sous  fa  mine  hagarde, 
On  voit  quil  maudit  fort  V  emprunteur...  trop  tenté  : 
—  «  Quil  revienne! ...  éMon  plan  fera  vite  arrêté; 
«  Devant  mes  chers  bouquins  je  monterai  la  garde. 

<f  J'aurai  de  durs  refus  pour  tous  ces  indifcrets, 

«  Qui  dans  les  champs  d" autrui  vont  femant  les  regrets. 

«  Eh!  que  nachète-t-on  le  livre  quon  veut  lire!... 

«  Trêtei-vous  votre  femme  ?  Eh  bien  !  le  livre  aimé 

«  Efl  un  tréfor  auffi.  Quil  demeure  enfermé... 

n  Foin  des  quêteurs-larrons  qui  nous  font  un  martyre! . . .» 


86  LES   SONNETS 


MES  RACHETÉS 


^     ^HtOHJ     (\0IVCU4 


K>-5 


^cA.IzME  à  vous  recueillir^  ô  mes  vieux  invalides! 
Tour  vous,  chers  délaijfcs,  je  me  fens  attendri, 
Vous  quon  Jette  à  la  porte  et  qui  nave^  dabri 
Quun  recoin,  aux  rayons  objcurs  &  peu  folides. 

Là,  vous  redevenez  comme  des  chryfalides 
Jufqiià  ce  quun  pajfant,  de  charité  nourri, 
S'arrête  &  dun  vendu  refaffe  un  favori, 
Effaçant,  un  par  un,  ces  lâches  fratricides .  —   • 

Quoi!  vous  leur  arrive\  avec  vos  plus  doux  mots, 
cAvec  ces  mots  du  cœur  qui  foulagent  les  maux. 
Et,  pour  remerciment,  cœurs fecs,  ils  vous  lacèrent! 

(Allons,  mes  parias,  relevé^  votre  front: 

Ce  ne  font  pas  mes  mains  qui  vous  lacéreront. 

Trenei  rang.  Vos  voifins,  pour  vous  loger,  fe  ferrent. 


"^ 


d'un  bibliophile  87 


L'INCORRIGIBLE 

<tC    un  <jMt  Muf  nt   connaît  tttitux    <jMt    moi 

Plus  un!... 
(...) 

\H!  fen  ai  trop!...  Je  nen  veux  plus. 
Tous  ces  gêneurs,  quon  les  emporte! 
Ils  deviennent  une  coliorte, 
Et  leur  nombre  me  rend  perclus. 

«  Ils  ont  des  vouloirs  ahfolus  ; 
Tyajfaut  ils  francliijeiit  ma  porte. 
Je  trouve  l audace  un  peu  forte  5 
zMais  leurs  beaux  jours  font  révolus. 

"  Quon  me  pende  f  fen  racliette! 

Un  catalogue?...  Je  le  jette; 

La  corbeille  en  fait  un  repas...  — 

«o^A  ça?  ce  libraire  me  leurre! 
f  attends;  il  laijfe  paffer  t  heure, 
Et  fon  envoi  n  arrive  pas  !!!. . . 


qp 


88  LES    SONNETS 


LIQUEUR  ET  VASE 

ACCUSÉ    DE    RÉCEPTION    DE    l'eNVOI    CORDIAL    DE 
j-oicfijtn   '^oufrtrr 

^^^^^  UE  voilà  prendre  ta  revanche  !  — 
C\M»^/Pl  ^^  matin,  gracieux  fous  fon  habit  doré, 
^^>^  Comme  un  rayon,  vers  nous  ton  livre  a  pénétré! . 
0  Poète!  le  beau  dimanche! 

En  fuivam  ton  humeur  fi  franche, 
Quel  tréfor  toujours  neuf  nous  avons  rencontré! 
Comme  il  a  bu,  joyeux,  notre  efprit  altéré, 

c4  tes  vers  où.  la  foif  s  étanche  ! 

Car  cejl  un  flot  plein  de  faveur, 
Fantaifijie  puiffant,  délicieux  rêveur, 
Que  le  flot  qui  fort  de  ta  plume; 

Et,  —  tu  peux  len  enorgueillir,  — 
Et  ce  n  était  point  trop,  pour  le  bien  recueillir, 
Que  fan  vafe,  ton  beau  Volume! 


d'un  bibliophile 


89 


DE  TIBUR 

toi,  dont  lajîrophe  ailée, 
a  Emportant  pour  fort  butin 

^J^^  a  Vor  de  mon  mètre  latin, 

ce  oAlerte,  sefi  envolée , 

«  Salut  !  Ta  langue,  étoilée 
ce  Ves  reflets  du  clair  matin, 
a  cA  dans  un  rhythme  argentin 
a  Coulé  ma  langue  exilée. 

«  ^ul,  des  tijfeurs  au  goût  pur, 
a  Vun  doigt  plus  fvelte  &  plus  fur 
ce  U^afu  toucher  à  ma  grâce. 

ce  zMe  voilà  traduit!  Je  crois 
ce  éM'y  connaître,  cher  Lacroix. . . 
a  Je  ï affirme,  &  flgne :  Horace.  » 


"^ 


12 


90  LES    SONNETS 


LA   POESIE   POPULAIRE 


,E  fais  une  merveille.  Elle  ejl,  roui  à  la  fois  : 
Le/prit  chajle  &  naïf  des  peuplades  premières  ; 
Lajeuneffe  attendrie ,  errant  dans  les  bruyères; 
La  châtelaine,  allant  rêver  fous  les  grands  hois. 

Elle  efl  le  guerroyeur  qui  va  mettre  aux  abois 

Les  cajlels,  les  démembre  &  Jette  aux  vents  leurs  pierres  ; 

Elle  ejf  r anachorète  exhalant  en  prières 

Les  élans  de  fon  cœur  &  les  fons  de  fa  voix. 

Elle  efl  î amour  fauvage ;  elle  efl  T amour  candide  ; 
Tar  toute  la  nature  un  tendre  émoi  la  guide  ; 
c4  fonde  claire  elle  aime  à  fe  défaltérer. 

Jeune& fraîche  toujours. . .  —  Quelle  efl  donc  ta  merveille? 

—  0  poète  érudit,  tu  la  fuis  dans  tes  veilles  : 

Ceji  la  chanfon  du  peuple...  où  fan  vient  sinfpirer. 


d'un  bibliophile  91 


LES  DÉDICACES 

ÎO<y\^,  mon  cœur  oublieux  neft  jamais  endormi: 
Je  fouris  à  tout  frère  enpoéjie,  &  faime, 
cMédiîam  unplaifîr,  au  fronton  d  un  poème 
Tofer,  comme  un  fleuron,  le  nom  d'un  mien  ami. 

Tar  cette  offre,  je  fens  mon  efprit  raffermi 
Et  f  éprouve  un  peu  moins  cette  crainte  fuprême , 
Cette  four  de  douleur  d'être  oublié  moi-même... 
o4u  doux  falui  des  vers  on  s  éveille  à  demi. 

(A  votre  tour  !  Tour  vous,  —  voye\  la  fantaifie  !  — 

Ce  technique  fonnet  efl  ï offrande  choifie. 

Il  vous  montre  {emploi  de  mes  humbles  crayons. 

Il  efl  ainji  venu  !  Trenei.  Quoi  que  je  faffe, 
c4  caufe  de  fon  air,  ce  faux  air  de  préface. 
Il  fera  le  premier  de  mes  chers  médaillons 


qp 


ça 


lES    SONNETS 


LE   SONNET 


CONCISION 


T^E  Sonner,  me  dit-on,  ceji  (entrave  inutile, 
ce  Cejl  le  lit  de  Trocujfe  écourtant,  dans  tes  vers, 
(c  Et  les  bleux  horiions  &  les  bois  aux  fronts  verts; 
(c  Cejl  le  cadre  trop  court;  cejl  la  gêne  infertile.  55 

—  «  Erreur.  C^on,  le  Sonnet  na  point  de  règle  hojîile. 
ce  Loin  dégarer  la  zMufe  en  des  efforts  pervers, 

ce  oiux  dejjîns  les  plus  purs  fes  rhythmes  font  ouverts; 
ce  Ceft  la  forme  au  tour  mâle  et  qui  commande  aujlyle.  » 

—  ce  Cejl,  me  dit-on  encor,laprifon pour  Foifeau...  » 

—  ce  Tfe  tout  parler  concis  cejl  le  hardi  rcfeau, 

ce  zMais  qui  ne  devient  point  chaîne  pour  la  penfée. 

et  T)ans  ce  travail  ferré  tout  prend  force  &  valeur  : 

ce  (v^for  par  mot,  trait  par  trait,  viennent  ligne  et  couleur, — 

ce  Et  dans  un  médaillon  f  image  ejî  condenfée.  5^ 


d'un    BIBLIOPHILE  93 


II 


ETENDUE 


O  ^T^CO'RJ  Toujours  ce  moule  ^  &  ces  formes  pareilles? 
«  Toujours  pour  vos  tableaux  ce  cadre  quon  connait  ? 
^'-1^   ce  Quoi!  fans  pitié  toujours  nous  jeter  aux  oreilles 
ce  Ces  affreux  bouts-rimes  quon  appelle  un  Sonnet  !  » 

—  ce  'Bouts-rimés :'  le  Sonnet?  î une  de  nos  merveilles H  jj 

—  ce  Toujours  pour  ce  phénix^  votre  chaleur  renaît! . . .  35 

—  et  o4  luifeul,fobre  et  ferme,  il  vaut  toutes  nos  veilles: 
ce  T)es  poétiques  fceaux  nul  ne  frappe  aujjî  net; 

ce  5'^m/  ne  condenfe  mieux  fous  J a  nerveuje  empreinte  ; 

et  tH^d  ri  a  plus  dJioriion  fous  fa  ligne  reflreinte; 

ce  tN^d  neji  plus  fouple  &  plus  riche  en  fes  diver fîtes. 

•>:>  Je  fais,  moi,  tel  fervent  de  cette  œuvre  ample  &  brève 
ce  Qui,  précis  comme  un  chiffre  ou  vague  comme  un  rêve, 
et  T)ans  J^es  quatorze  vers  met  des  immenfîtés.  » 


94 


LES    SONNETS 


LA  RIME  RICHE 


La  Rime  devenue  riche  n'efl  point  ingrate; 
elle  paie  prefque  toujours  ce  qu'on  a  fait  pour 
elle.  H.-F.  Ami  EL. 

I 

A    LA    RIME 

UI,  de  ton  opulence  on  veut  te  faire  un  crime! 
Vans  ta  voix  large  et  pure  on  trouve  un  f on  fatal  ! 
Trèchant  ton  peu  d'ampleur  comme  un  point  capital, 
^T^ombre  de  tes  amants  t  aiment  pauvre,  à  ma  l^ime  ! 

Hélas!  ejl-il  bien  vrai  que  ta  loi  les  opprime? 
Ils  difent  quavec  toi  le  vers  devient  métal. ^. . . 
O  mon  beau  timbre  d'or,  de  bronze  ou  de  crijial, 
C  ejî  que  tu  taffourdis  celui  qui  te  fupprime ! 

Le  vers  que  tu  finis  marche  fi  noblement! 

qAu  bout  de  f  es  joyaux  tu  mets  un  diamant  ; 

Tu  le  drapes,  en  roi,  de  ton  manteau  qui  traîne. 

Je  taime,  accord  parfait  de  l  Injîrument  divin  ; 
Je  taime  &  te  défends. . .  Car  ce  tieji  point  en  vain 
Que  tu  fais  réfonner  ta  note  fouver aine! 


d'un  bibliophile  9S 


AUX     POETES 


'0%SQUE  la  vierge  a  pris  fa  quenouille,  cher  gage, 
cArrètei-vous  le  lin  qu  enroule  fon  fufeau  ? 
Lorfque  d agiles  doigrs  décorent  un  réfeau, 
Êbranlei-vous  la  trame  où  le  fl  d'or  s'engage? 

Lorfquun  groupe  vivant  du  marbre  fe  dégage, 
Dites-vous  aufculpteur  démoujer  fon  cifeau  i 
Voulez-vous,  quand  Tartijle  ouvre  un  gofier  doifeau, 
Quil  nous  Jette  à  demi  fon  fonore  langage?... 

Et  vous,  qui  poffédei  le  magique  Infîrument, 
Vous  vous  contemeriei  den  jouer  mollement 
En  couronnant  vos  vers  dune  note  indigente  ? 

Le  barde  doit  monter  tous  les  degrés  du  beau. 

Son  art  doit  refplendir  complet,  brillant  flambeau... 

T>onne\  donc  fa  parure  à  la  T{ime  exigeante  ! 


qp 


96  LES    SONNETS 


SEUL  AU   MILIEU   DE  TOUS 


''^LE  me  perds,  dans  Taris,  comme  en  un  gouffre  immenfe; 
>~XJ  -^A  Je  my  forme  un  défert  que  mon  âme  bénit; 
^;^ri^;3^  Je  laiffe  au  loin  gronder  cette  ardente  démence, 
Tourbillon  infernal  qui  déjà  vous  punit. 

J'aime  aux  coins  du  chei  moi  ma  douce  accoutumance  ; 
Tauvre  oifeau  retiré,  je  fredonne  en  mon  nid  ; 
c4u  feuil,  oit  pour  chacun  tout  horizon  commence, 
Tour  moi,  vieux  cafanier,  tout  hori\on  finit. 

Ve  là,  /entends  mugir  ma  vajie  folitude  ; 
zMais  je  lis,  oublié.  Sa  voix  ne  ni  émeut  point... 
Tiun  Jongeur,  humble  atome,  hé!  qui  donc  a  befoin  ^ 

Sur  moi  du  cœur  humain  f  efquiffe  un  peu  l  étude  ; 
Je  trouve  mon  bonheur,  blotti  dans  ma  maifon... 
r^Merci!  —  'Brille  longtemps,  fraîche  &  calme faif on  ! 


d'un    BIBLIOPHIIE  97 


UNE  CHRYSALIDE 


E  pauvre  f avant  ne  /avait 
Le  premier  mot  des  (impies  chofes: 
Dans  f  es  chers  bouquins  il  vivait 
Comme  un  Jardinier  dans  fes  rofes. 

Du  monde  à  lui  rien  ri  arrivait 
c4  travers  murs  &  portes  clofes. 
Et  quel  bonheur  il  éprouvait 
D' ignorer  nos  métamorphofes !.,. 

D^tre  homme  allait,  pour  fe  ravir , 
De  î  incunable  à  tEliévir, 
Jubilant  devant  fes  vieux  tomes.  — 

Oh!  malin!  Oh!  bien  partagé 

Qui  peut,  dans  le  vieux  temps  plonge', 

Se  foujîraire  à  nos  noirs  fantômes!!! ,.. 


n 


98 


LES      SONNETS 


BIBLIOTHÈQUE  NEUVE 


Beau  meuble!...  » 

(Tout  le  monde.) 


L  le  fallait.  —  Cejl  bien.  Vormej,  pauvres  amis! 
Que  r acajou  brillant  fur  votre  dos  retombe! 
a  EIi!  beau  meuble!  »  dit-otJ. . .  'Beau  meuble ^  belle  tombe 
ain  trop  pieufe  eti  la  mort  vous  a  mis. 

Oui,  pour  vous  ceft  la  mort.  O  mes  chers  itifoumis, 
qA  vos  appels  foudains  le  moyen  quon  fuccombe! 
Lample  gouffre  a  reçu  votre  riche  hécatombe, 
Et  les  coups  d'ail  furtifs  ne  me  font  plus  permis . 

cAdieu,  note  rapide,  extrait,  page  que  f  aime! 

Je  me  plains  fort,  allei!  iMais  je  vous  plains  de  même: 

Sous  le  refped  mortel  vous  navei  qu  à  pâtir. 

Tâtiffei!,..  Ve  feux  d^or  vos  vitrines  fe  frangent. 
Vcfunts  chéris,  falui!...— Oh l  mes  livres fe  rangent... 
Ceji  égal,  quel  beau  temple  on  leur  a  fait  bâtir  ! 


qp 


D    UN    BIBLIOPHILE 


99 


UNE   CONQUÊTE  !... 


g^-'gV^'^ /T) 


OLUzME  entier?...  fameufe  chance!. 
Cejl  qiiil  eji  rare,  ainjî  complet. 
cAufeul  que  f  ai  trouvé,  fort  laid, 
(Manquait  la  feuille  qui  commence. 

—  Sans  ni  enfer  d'un  mérite  immenfe. 
Ce  nef  pas  dun  coup  de  flet 
Que  f  ai  pu  f  avoir  tel  quil  ef... 
Cef  très-bon,  la  perfévérance. 

Un  jour,  ayant  bien  fureté. 
J'en  mis  trois  pages  de  coté, 
Les  tirant  d'un  tas  fcculaire. 

Tlus  tard,  deux  hafards  complaifants . .. 
Il  ne  m'a  fallu  que  dou^e  ans, 
zMonficur,...  &  j'ai  mon  exemplaire! 


lES     SONNETS 


BOUQUET   LITTERAIRE 

SUR    SON    ANTHOLOGl E 

,iSM I  de  nos  penfeurs,  ami  de  nos  poètes, 
Toi  qui  vis^  de  leurs  voix,  de  leurs  chants  entoure, 
Glaneur,  en  leurs  Jardins  tu  pourfuis  tes  conquêtes... 
Le  voilà,  ce  bouquet  faluhre  —  &  déjïré! 

'Bon  livre  !  Que  de  fleurs  !  Ses  pages  font  des  fêtes  : 
Le  mort,  pour  briller  là,  des  vieux  jours  eji  tiré  ; 
oîu  bienveillant  appel  plus  de  langues  muettes: 
Le  vivant  fort  de  l  ombre  &  s  y  trouve  éclairé.  — 

"Bravo  !  cejî  un  bienfait  que  ton  c4nthologie  ; 

Une  onde  aux  altérés.  S\îa  chaude  apologie 

Veut  furnommer  ton  œuvre  un  tréfor  ce  fans  pareil,  i) 

On  ne  contejle  plus  la  valeur  du  brin  d'herbe  : 
"De  nos  milliers  (fépis  tu  fais  une  ample  gerbe... 
De  nos  rayons  épars  tu  fais  prefque  un  foleil. 


d'un  bibliophile 


LES  DEUX  SEVES. 

SES  millions  d'enfams.^  — dont  la  couche  î inonde, 
Qù à  f es  flancs  vie  &  mon  renouvellent  fans  fin, — 
Quand  la  Terre  a  donné,  maternelle  &  féconde, 
Le  doux  fruit  pour  lafoîf,  F  épi  mûr  pour  la  faim, 

Cette  mère,  pour  nous  pleine  d'amour  profonde. 
Interrompt  f on  labeur  &  fe  repofe,  afin 
Quen  fon  moule  puijant  tout  germe  fe  refonde 
Et  quon  n  attende  pas  &  gerbe  &  grappe  en  vain. 

—  De  même  fait  lEfprit.  Quand  la  fleur  Toéfie, 

Fleur  qui  chante,  aux  cœurs  fiers  qui  pour  foi  Font  choifle, 

Enfes  chauds  rhythmes  d'or  a  donné  fon  parfum, 

La  fleur,  pour  un  repos,  referme  fa  corolle 

Et  fe  tait. — éMais  fon  chant?  —  Son  chant  nefl  point  défunt; 

Son  filence  efl  le  nid  où.  couve  sa  parole. 


LES     SONNETS 


UN  AMI  DES  POETES 


JAMAIS     ASSEZ 


'H!  comme  il  les  choyait,  fes  ^i  frères  de  la  lyre!  » 
//  fe  dcf altérait  à  leurs  vers.  Chaque  fois 
<î^S^5^(S  Qb^  f'^'^  <^^^f  avait  foi f y  ardent.,  pris  de  délire., 
Il  appelait  à  lui  ces  efprits  de  fon  choix. 

oAvec  eux  il  aimait  à  pleurer,  àfourire, 
L hiver,  au  coin  de  lâtre,  et,  tété,  dans  les  bois  ; 
Tarfois  il  fe  levait,  la  nuit,  pour  les  relire 
En  les  accentuant  «  du  gejfe  &  de  la  voix.  » 

//  bondijfait  vers  vous;  vous  étie^  fa  pâture, 

Le  nedar  de  fes  Jours,  fa  grande  ivreffe...  Eh  bien! 

Tenfeurs  mélodieux,  vous  fa  Joie  &  fon  bien. 

Vous,  à  travers  lef quels  il  lifait  la  nature^ 
'Doux  rêveurs,  avec  fièvre  au  logis  attendus... 
Sur  la  planche,  à  Vencan,  il  vçus  a  tous  vendus!!! 


d'un  bibliophile  ioj 


II 


A    DIX   sous    LE   TAS 


OILqA  donc  ce  qu  il  fait  des  livres  quon  lui  donne! 
Quil  irejfaille  à  vos  vers  &fe pâme,  enivre! 
cAux  paniers  du  marchand,  que  nul  trafic  n  étonne, 
H  a  jeté  dun  coup  [on  «  bataillon  facrc;  » 

Oui,  jeté,  comme  on  jette  au  ventre  dune  tonne 
Le  fruit  pour  la  piquette  ou  le  rai  fin  pourpré; 
Comme  à  T évier  leau  fale..,  —  0  digne  ami!  f  entonne 
Tes  louanges.  Ton  nom  rejiera  vénéré. 

Tour  te  débarrajfer  de  reliques  fi  chères, 

Tauvre,  as-tu  donc  fenti  la  dent  d'âpres  mifèresH 

Il  faut  le  froid  qui  glace,  il  faut  la  faim  qui  mord.'... 

IT^on.  Ce  dernier  bourreau,  tu  ne  peux  le  connaître 

Tuijquen  tes  Jours  féconds  a  fleuri  le  bien-être  ; 

éMais  t  autre?. . .  cAh!  ton  cœur  gèle. . .  &  je  te  tiens  pour  mon!!!- 


I04  t^ES    SONNETS 


FAUX  DEDAINS 

*^    ctrtAints-     r^^titur(^ 


lES  vers.'  —  Sont  peu  goûtés,  &  vous  rien  vendei  guères, 
Vires-vous.  Cependant  vous  avei  vos  gourmets. 
Eh!  vous  lefavei  bien;  malgré  toutes  vos  guerres,       1 
La  Toéjîe  eji  noble  &  rayonne  aux  fommets . 

Et  vous  la  prifeifort.  I^fés  comme  naguères, 
q4ux  humbles  régions  Tabaiffe^-vous  jamais? 
Vous  fer v Cl  à  bas  prix  les  aliments  vulgaires 
Et  cotei  raide  &  haut,  zMeJfieurs,  le  divin  mets.  — 

Vienne  un  poète  aimé,  fier  des  fleurs  de  fa  plume, 

Vous  lancei  à  fix  francs  fon  très-mince  volume; 

Vienne  un  cher  mort ,  furtout ,  (ces  morts  ont  tant  defprit!) 

Son  livre  efl  fabriqué  d'un  quart  de  manufcrit... 

Vous prouvei  donc  ce  point,  que  vous  force^  de  croire: 

—  zMalgré  vous,  6*  che^  vous,  le  vers  efl  dans  fa  gloire!  — 


?^^ 


d'un  bibliophile  »o5 


LES  NOTES 

'  ELUI-Lc4,  cejî  un  fort.  Vès  quil  lit  un  volume, 
Le  dédain  à  la  lèvre  &  lépigramme  à  tail, 
Il  vous  prend fon  crayon., .  Son  crayon,  ou  fa  plume. 
Et  —  gare!  —  au  pauvre  auteur  prépare  un  rude  accueil. 

Il  fe  charge  à  mitraille  &  fa  mèche  s'allume... 
Il  part  .•  à  pleine  marge  il  fait  pleuvoir  [orgueil  ; 
Commentaires  partout  ;  le  marteau  bat  f  enclume; 
Guerre  à  mon!...  Il  va  bien  illujîrer  le  recueil! 

cAcôté  d'un  beau  vers  il  griffonne  ;  ce  Stupide!  v 
a  Quel  galimathias!  n  près  iun  morceau  limpide. ., 
Jufquau  bout,  ceji  ainfipdr  ce  f  avant  cl  hier. 

cAprès  ce  beau  travail,  quand  fa  verve  sémoujje. 
Il  ferme,  en  ricanant,  fon  grimoire,  repouffe 
L écrivain  houfpillé, — puis  s  admire,  tout  fier. 


14 


'o6 


LES    SONNITS 


TOUT  FINIT 


Ç^^  a-n7  empilé!  TuJieu  !  quelles  rangées  ! 

^  Ves  monts  y  qui  fe  penchaient  en  arrière  y  en  avant; 
Des  blocs,  des  bataillons.  Les  planches  trop  chargées 
Décrivaient  prefque  un  arc  fous  le  fardeau  f avant. 

Et  c  était  j  chaque  jour  y  des  fouilles  dirigées 
Dans  ces  tas  y  que  les  mains  s  en  allaient  foulcvant, 
Et  des  cris  faluaient  les  pages  fubmergées 
Que  fa  foi  f  de  connaître  exhumait  fi  fouvent. 

Quel  flair  pour  dénicher  la  note,  le  paffage  ! ... 

Un  œil  au  bout  des  doigts,  &  le  bonfens  Sun  f  âge... 

Oh!  les  tomes  conquis,  ouverts,  lus  &  relus!... 

Eh  bien  !  il  sefl  blafé.  Vers  fes  livres  d'étude 
Il  ne  retourne  guère,  hélas!  —  Tar  habitude 
Il  en  achète  encor  ;...  mais  il  ne  les  lit  plus. 


qp 


d'un  bibuophile 


UNE  FIÈRE  CHANCE 


^LÈVE  de  zMalherbe,  &  fruit  fec  bien  complet, 
Torchères,  plat  rimeur,  décoche  à  Gahrielle 
Un  Sonnet  «  fur  fes  yeux  » .  La  forte  kyrielle 
Fait  le  même  plaijîr  que  le  plus  fin  couplet. 

Quand  il  vous  dit  :  ce  beaux  yeux,  n  trouvai  donc  un  vers  laid! 

Tout  en  ejl  magnifique ,  6*  confonne,  &  voyelle. 

oiujji  fa  récompenfe efi  là,  matérielle  :... 

Oui,  quatorze  cents  francs...  de  rente,  s  il  vous plaitH  — 

cM a  foi!  joli  denier  !  Heureux  François  Torchères, 
Tu  conviendras,  fais-tu,  que  tes  rimes  font  chères  ; 
Ton  Sonnet,  à  ce  prix,  efi  crânement  payé  ! 

Je  le  trouve  mauvais  ;  mais  bravo,  fans  vergogne  !.. . 
0  malin  Trovençal,  qui  meurs  dans  ma  'Bourgogne, 
Tu  devrais  —  pour  exemple  à  tous  —  être  empaillé  ! 


to8  "-tS     SONNETS 


UNE  EXÉCUTION 


NECATUS 


iE  critique  rageur  vient  de  fourbir  fa  plume 
Et  d'en  tremper  le  bec  au  fiel  de  T envieux^ 
Contre  nos  chants  du  cœur  fa  colère  s  allume ^ 
U^us  frappant  d'un  coup  double  afin  de  frapper  mieux. 

Cefi  d'un  rude  marteau  fur  une  dure  enclume  ! 
Cefi  à  faire  rentrer  tous  nos  pleurs  dans  nos  yeux! ... 
Il  ne  refie  plus  rieh  de  toi,  pauvre  volume  ! . . . 
Tes  vers  pulvérifés  s  abattent  fous  les  deux!! 

Qu  allions-nous  croire,  aussi!  tHj)us,  valoir  quelque  choje? 
Le  Jugeur  au  flair  fur  le  fait  bien,  je  fuppofe, 
Et,  pour  r  articuler  y  de  fa  dent  il  nous  mord.  — 

Frappé,  broyé,  mordu,  fe peut-il  que  fy  tienne.^ 
Oh!  non;  Je  ne  crois  pas  que  Jamais  f  en  revienne: 
Cefi  fini  !  ...De  ce  coup  Je  fuis  mort,  &  bien  mort  l 


d'un  bibliophile  to9 


II 


REDIVIVUS 


^^^UELLE  arme  ma  touché!' plume  acérée  ou  gaule? 
Sous  quel  choc  foudroyant  ai-Je  dotic  fuccombé  ? 
Je  mets  le  ne^  à  lair,  Je  me  frotte  f  épaule ^ 
Etfofe  à  peine  encor  drejfer  mon  dos  courbé. 

Sur  ma  foi!  téreinteur  a  bien  rempli  f on  rôle  : 
Chacun  de  nous  ejl  bien  démoli,  bien  flambé  ! 
Tour  toujoursnous  voilà  difparus. . . — Tiens  !  cefl  drôle; 
L/nfouflle,  un  dernier  fouflle  en  nous  a  regimbé. 

Tout  furprisj  Je  me  fens  ;  mon  cœur  bat,  Je  refpire  ; 
cMoi  qui  me  croyais  mort  ! ...  mais  ça  ne  va  pas  pire  ; 
T>e  dejfous  mon  rocher  Je  me  fors,  Je  renais. 

cAh  f  farceur  de  critique  !  cAllons  la  charge  efl  bonne  ! 
Quand  vous  croye-  tuer,  vous  ne  tue^  perfonne... 
Et  fl  feus  un  peu  peur,  J  y  gagne  deuxfonnets, 

CT3^ 


lES     SONNETS 


L'OPINION  DU  PERE  JEAN 


H  RTS^^'^  livres  ?. . .  Oui,  ma  foi!  f  enfuis  cas  tout  de  même; 
\la^)j\  "  Çaferî.  J en  ai  trouve,  îan  dernier,  dans  un  coin 


Deux  ou  trois,  bien  fournis,  qui  nous  viennent  de  loin, 
Et  dont  les  feuilles  font  d un  papier  fort ,  que  f  aime. 

et  L  autre  jour,  pour  po  fer  un  fromage  à  la  crème, 
Dunfolidefupport  la  bourgeoife  eut  befoin. 
Vite  aux  vieux  imprimés  I. . .  c4h  !  fen  aurai  grand  foin  ; 
Ils  font,  en  mille  cas,  dune  rejfource  extrême  : 

ce  Le  matin,  fi,prejfé,  je  veux  avoir  du  feu. 

Je  cours  à  mon  bouquin...  crac,  fen  déchire  un  peu; 

V allumette  defjous...  voilà  le  bois  qui  flambe! 

ce  Oh!  moi,  je  comprends  ça.  Les  livres  ont  du  bon  ; 

On  y  taille  une  vitre,  on  y  met  du  jambon... 

éMais  les  lire.'...  [N^nni:  ça  vous  fait  belle  jambe!  m 


^ 


d'un     BIBLIOPHIIE 


OSSÎAN 

^—  -  —  JEUX  Calédonien,  barde  émule  d Homère; 
Comme  lui  noble  chantre,  aveugle  comme  lui; 
Toi,  dont  plus  dune  ville  aujfi  veut  être  mère. 
Comme  ton  vieux  rapfodc  on  te  nie  aujourd'hui. 

Tourtant  tes  chants  font  là,  fils  de  la  plainte  amère 
Que  tu  jetais  aux  vents  quand  ï  étoile  avait  lui... 
V^n,  ta  vie,  OJJîan,  nejl  pas  une  chimère; 
Dans  ton  palais  des  airs  ton  âme  sefi  enfui. 

Oh!  non; )  aime  à  te  voir  au  pic  des  roches  nues, 
Suivant  dun  ail  plaintif  ton  Fingal  dans  les  nues, 
Evoquant  les  guerriers  morts  dans  tes  froids  climats  : 

y  aime  à  te  voir,  tranquille  au  milieu  de  ï  orage. 
Dans  les  fons  de  ta  harpe  exhalant  ton  courage, 
Quand  fur  tes  blancs  cheveux  tombent  les  blancs  frimas. 


lES   SONNE  rs 


L'ESPRIT    GAULOIS 

OzMzME  il  ejl  maints  filons  dans  le  Jein  de  la  terre, 
Filons  de  diamants,  filons  de  marbre  &  d'or. 
Qui  vont  /élaborant  avec  un  lent  myfière 
Tour  former,  pour  groffir  fon  maternel  tréfor: 

De  même,  en  notre  langue,  alerte  plus  quaufière, 
Le/prit  a  maints  courants  cheminant  faible  ou  fort, 
Et  qui,  de  notre  idiome  animant  chaque  artère, 
l^ous  donnent  ton,  penfée,  âme  &  couleur  encor. 

Lun  d'eux,  antique  &  Jeune,  en  Jouant  vous  arrive. 
Tartant  des  vieux  conteurs  d humeur  franche  &  naïve, 
Il  éveille,  en pafjant,  les  plus  Joyeufes  voix: 

Sonfel,  dans  T^abelais,  trop  gros  pour  quon  le  craigne. 
Toujours  vif  dans  zMarot ,  s'épure  dans  zMontaigne . . . 
Et  brille  net  che~^  vous,  barde  au  parler  gaulois. 


qp 


d'un  bibliophile 


LE  DADA 

0?/  zMaroîie  en  main,  le  petit  génie 
Tan  fur  le  dada  qiiil  vient  d^ enfourcher . 
Tefle!  quil  efl  fier!...  —  «  Droit,  fans  trébucher, 
«  File  à  fond  de  train  par  la  chambre  unie  ! 

«  Une  belle  troupe  efl  là  réunie. 
ce  cAufond  des  rayons  que  vas-tu  cherchera 
«  Sur  ton  in-folio  tu  veux  te  jucher?... 
<t  c4rdent  cavalier,  gare  la  manie  !  »  — 

'Bah!  le  Jeune  fou  nous  écoute  bien  ! 
Il  a  foif  Savoir.  Tour  ne  laijjer  rien, 
V enragé  chercheur  fe  hiffe  à  la  planche  ; 

oAprès  les  légers,  s  acharne  aux  plus  lourds. . . 

zMais,  crac!  tout  dévale.  Il  crie...  acAu  fecours  ! ...  jj 

Et  le  conquérant  git  fous  t avalanche! 


I>« 


1  ES   SONNETS 


UN  MALHEUREUX 


DOULEUR 


'c4  /  pâti  pour  les  aniajfer, 
«  Er  pour  eux,  qui  ni  ont  fait  ma  joie, 
a  Un  f ombre  Iwriionfe  déploie... 
«  Las  !  perfonne  à  qui  les  laijfer  ! 

ff  *Bien  fouvent  dans  ce  noir  penfer, 

«  zMélancolique ,  je  me  noie  : 

«  De  qui  deviendront-ils  la  proie  ? 

«  Tar  quelles  mains  vont-ils  pajferi! 

«  Vâpre  torture  !  Oh  !  c''ejl  atroce  ! 

«  Tous  ces  amis  che^  moi  venus 

«  S'en  aller  aux  vents  inconnus  !! . . .  » 

c4lors,  pris  d'une  ardeur  féroce. 

Vers  tâtre  fe  penchant  un  peu. 

Il  dit  '■  —  a  Si  fy  mettais  le  feui ...  » 


d'un     BIBIIOPHIIE  115 


II 


DÉSESPOIR 


^qALzMEj  fœilfecy  il  fe  promène 
Entre  fes  quatre  murs  tout  nus  ; 
Vefes  bouquins  Jl  bien  tenus j 
Tlus  un  11  habite  f on  domaine! 

Quen  a-t-il  fait?  Quel  phénomène 
Les  difperfa,  gros  et  menus  i*. . . 
'Bi'iarre!  En  quels  bonds  faugrenus 
Vejprit  dun  toqué  Je  démène! 

'Brûler  fes  livres  ?...  Oh!  non  pas  ! 
zMais,  navré  de  leur  dejlinée, 
Il  «  en  a  fait  »  une  fournée  : 

Tour  rien  y  vendus!...  zMaigre  repas. 

Jeter  fon  pain. . .  En  fa  demeure 

Il  gémit, . .  On  craint  quil  rien  meure. 


ii6 


LES    SONNETS 


VOEU    DE    BLASE 

*§^    un    tnvtnitUK 

Jl1{E!éMaisceJttrès-long...troplonê!.-'  Çamépouvanre 
%  Viable!  oAvoirfon  efprit  &  fes yeux  înelincs 
__J  Sur  des  tomes  compads  feuille  à  feuille  tournes, 
Lentement,  &  toujours.  ..Oh!  la  tâche  énervante  !  j 

Ve  découvrir  beaucoup  notre  fûclefe  vante. 
Qui  donc  découvrira  —  nos  temps  font  trop^  bornes  !  — 
Une  ère  oii  les  leâeurs,  au] ourdliui  forcenés, 
Saffimilent  d'un  coup  œuvre  longue  &favante^ 

--Vans  la  chambre,  au  grand  jour  &  les  livres  ouverts, 
On  pénètre.  On  choifit,  de  la  profe  ou  des  vers. 
Soudain,  d'un  vif  rayon  ïatmofphère  efl  frappée. 

V étincelle  s  échappe  et,  miracle  nouveau, 

Tout,  comme  en  un  miroir,  fe  reflète  au  cerveau.., 

Vun  clin  d'œil  on  a  lu  la  plus  vafle  épopée. 


O'CN     BIBLIOPHILE  II7 


FARCEUR!... 

â\.     un     trti^etOc 

if/  ne  me  diras  pas,  gredin  que  tu  Tas  lu  !  — 
J'y  vois  bien  des  accrocs  &  des  pages  fiipe'es  : 
Le  dos  même,  en  tes  mains  ingrates,  sejl  moulu ;... 
zMais,  cher,  on  ne  lit  pas  des  feuilles  non  coupées.  ' 

Ce  volume,  pourtant,  ceji  toi  qui  Tas  voulu. 
Tu  devais  en  charmer  tes  heures  occupées  ; 
Ta  penfée  en  avait  un  hefoin  ahfolu; 
Il  fallait...  Tu  fais  là  de  belles  équipées! 

Et  moi  qui  tai  furpris  vingt  fois  déblatérant 
Sur  ce  livre  !  Et  jamais  ton  œil  indijc'rent 
t^en  avait  abordé  feulement  un  chapitre! 

(Allons  I  une  autre  fois  je  faurai  que  penfer, 
0  mon  critique  intègre!  Et  fans  niembarrajfer, 
%^montant  mon  fonnet,  fen  trouve  en  toi  le  titre. 


Il8  les    SONNETS 


BIEN  SOIGNES 


Non  moins  que  sacs  de  pommes  de  terre. 


^     UEL  type!  Oh!  le  crétin  mérite  un  coup  de  gaule! 


Les  livres  y  qui  brillaient  Jadis  à  rangs  prejfés , 
Dun  foujffle  de  malheur  s  en  allaient ^  pourchajfcs. 
U^ous  traverfons  un  temps,  mordieu!  qui  nejl pas  drôle. 

Lui,  les  fait  rajembler ,  pour  fe  donner  un  rôle. 
Il  ouvre  les  couloirs,  aux  cent  carreaux  cajfés, 
Où  gifent  les  martyrs  par  fon  ordre  entajfés  ; 
Tuis,  hélant  un  porteur:  —  «  Le  crochet  à  f épaule, 

ce  Et  quen  trois  tours  de  jambe  on  ni  emporte  cela,  n 
—  (t  'Bien,  zMonjîeur.  »  Le  bonhomme  obéit.  Le  voilà 
Qui  dans  fon  haut  machin  les  fourre,  en  long,  en  large. 

Se  courbe,  fe  foulève,  en  trébuche  defJouSy 
Chemine...  6>',  quand  il  a  gagné  f  es  trente  fous. 
Sur  le  plancher  poudreux  vous  fait  rouler  fa  charge. 


SUR  iJi.  PiANCiiiiH  ÏVUUHl:UX 


o^./^/e//^.  ^5. 


d'un  bibl iophile  1 19 


DANS  SA  BÎBLIOTHEQUE 


vsyy 


U  pauvre  original  fouvent  nous  f aurions . 
Il  marche  gravement,  comme  un  dieu  dans  f on  temple  ; 
Cherche,  dun  regard  lent,  puis  s'approche,  et  contemple 
Les  titres  des  bouquins...  que  nous  dévorerions. 

*Beaux  livres  dans  ce  gîte  entrent  par  bataillons, 
Et  jamais  la  mai/on,  pour  lui,  nejl  ajfei  ample. 
zMais  que  de  biens  perdus  !  zMalade  fans  exemple, 
Il  jouit  quand  leur  poids  fait  craquer  f  es  rayons. 

Il  carejfe  des  yeux  la  nervure  dorée; 

'^tourne,  avec  douleur,  la  marge  perforée  ; 

Tfun  doigt  fouple  &  craintif  les  tient,  de  peur  de  mal. 

Vigilant,  de  fonfouffle,  il  chajfe  les  atomes... 
Il  ferait  fentinelle  &  mourrait  pour  f  es  tomes. 
Selon  lui,  cejî  aimer  les  livres...  L animal!!! 


LES    SONNETS 


jrais 


NIHIL 

T  de  tous  ces  rréfors,  lentement  amajfés, 
Tar  aubaine  furprisfur  un  point  de  la  voie 
}i^  Oii  le  vent  des  hafards  les  avait  difperfés, 
defiderata  guettes  comme  une  proie  ; 


Oui,  de  tous  ces  trèfors  avec  tant  (Tan  clajfcs, 
Etalant  leurs  manteaux  de  chagrin  ou  de  foie, 
cAvec  amour,  de  Vœil  &  du  doigt  carejjés. 
Et  dans  leurs  flancs  chacun  contenant  une  joie  ; 

Ouiy  de  tous  ces  tréfors  qui  doraient  f es  inflants, 
De/on  ciel  nébuleux  /avaient  faire  un  beau  temps, 
Lui  tenant  lieu  de  pièce  ou  de  roman  en  vogue  ; 

Oui,  de  tous  ces  tréfors  palpés,  tomes  élus, 

Oui,  de  tous  ces  bonheurs,  —  maintenant  quil  neft  plus, 

Que  va-t-il  refler?  1{ien ?  —  Si...  jufle  un  Catalogue .' 


FIN     DES    SONNETS 


FANTAISIES 

D'UN   BIBLIOMANE 


i6 


wmmÈ 


"X^  ^Kwi^viv-iR^N^^.  : 


F<yl^r<:4ISIES 

D'UN   BIBLIOMANE 


LE  TRESOR   DU  BIBLIOPHILE   DEFUNT 


LE    CABAS 


'est  un  jour  d'hiver,  un  jour  très-rude  même,  car  il  gèle 

fort.  Aucun  passant    ne   s'attarde.   Chacun   va    à    ses 

affaires  d'un  pas  délibéré.   Les  mains  emmanchonnées 

ne  se  mettent  point  à  l'air;  les  mains  nues  sont  rouges, 

piquées  par  une  bise  aiguë. 

Quelques  marchands  courageux   font  de   la  gymnastique  devant 


ia4  FANTAISIES 


leur  étalage  ;  d'autres,  plus  frileux,  se  contentent  de  le  regarder, 
abrités  derrière  leurs  vitres. 

A  dire  vrai,  la  foule  n'est  pas  moindre  ;  seulement  elle  «  musarde  » 
moins  que  d'ordinaire.  Pas  de  nez  au  vent,  pas  de  regard  en  quête... 
11  faut  les  tiédeurs  du  printemps  ou  de  l'automne  aux  rêveries  du  flâneur. 

A  travers  ces  gens  pressés  qui,  en  tous  sens,  arpentent  les  trot- 
toirs, que  de  types  à  étudier  !  que  de  croquis  à  prendre  s'il  faisait 
plus  doux  !  Mais  le  froid  mord,  et  on  n'a  nulle  envie  de  croquer  n'im- 
porte quoi. 

Tout  le  monde  allant  vite,  les  chances  d'accident  sont  plus  nom- 
breuses. Au  détour  d'une  rue,  un  flux  de  personnes  est  contenu  par 
une  fîle  de  voitures. 

De  ce  groupe  impatienté  sort,  le  plus  tôt  qu'elle  peut,  une  femme 
pauvrement  vêtue,  à  l'air  inquiet,  et  guettant  d'un  œil  fiévreux  le 
moment  propice  à  la  traversée. 

Son  chapeau,  son  châle,  sa  robe,  ses  bottines,  tout  cela  n'a  plus 
de  dates  possibles  :  c'est  une  mosaïque  disparate,  une  exhibition 
d'antiques  à  faire  pitié...  un  rêve  habillant  une  ombre. 

Pauvre  femme  I  de  sa  figure  on  pourrait  dire  comme  de  ses 
vêtements.  Les  privations,  la  misère  l'ont  décharnée  plus  que  l'âge, 
et  son  ensemble  suffit  à  peine  pour  donner  la  certitude  que  l'on  a 
physiquement,  réellement  une  personne  devant  soi. 

Mais  sa  mobilité  nerveuse  ne  tarde  pas  à  rectifier  l'impression 
première,  et,  en  la  voyant  se  mouvoir  dans  son  indécision,  on  se 
convainc  que  c'est  bien  à  une  créature  vivante,  à  une  créature 
humaine  que  l'on  a  à  s'intéresser. 

Elle  cherche  à  traverser  le  boulevard.  Elle  regarde  anxieusement 
autour  d'elle,  et  profite  d'une  éciaircie...  Avec  du  mal  et  des  précau- 
tions, la  voilà  de  l'autre  côté. 

Ce  n'est  pas  l'embonpoint,  certes,  qui  l'a  gênée  :  à  force  d'exiguité, 
de  maigreur,  elle  est  devenue  d'une  légèreté  d'oiseau. 

Ce  qui  aurait  pu  l'alourdir,  c'est  un  cabas  très-plein,  très-gonflé, 
et  qu'elle  porte  presque  à  deux  mains.  Elle  doit  l'avoir  ôté  de  son 
bras,  certainement  fatigué,  contusionné  peut-être,  et  il  serait  temps 
qu'elle  arrivât  à  destination. 

Probablement  elle  va  bientôt  s'y  trouver  ;    car,   dès  qu'elle  s'est 


DI'NBIBLIOMANE  13$ 

assurée  qu'elle  a  le  pied  d'aplomb  sur  le  trottoir  et  qu'elle  n'a  plus 
de  voiture  à  craindre,  elle  cherche  des  yeux  et  gagne  d'un  pas  pressé 
la  boutique  d'un  bouquiniste,  ouverte  à  peu  près  en  face  de  la  ligne 
qu'elle  a  suivie. 

Qu'il  fasse  chaud,  qu'il  fasse  froid,  le  patient  vendeur  de  livres  est 
la,  comptant  sur  la  curiosité,  sur  la  passion  de  l'acheteur,  et  désirant 
que  ces  deux  mobiles  soient  assez  forts,  assez  puissants  pour  lui  faire 
gagner  sa  modeste  journée. 

Les  volumes  sont  étalés  de  manière  à  provoquer  leipassant,  qui, 
malgrébiseetgelée,  s'arrête,  regarde,  feuillet  te...  et  quelquefois  acliète. 

Celui  vers  qui  va  notre  peu  opulente  marcheuse  a  un  étalage 
assez  bien  approvisionné.  Tout  le  long  d'un  mur,  élevé  à  la  coupée 
d'une  maison,  il  a  des  rayons  d'une  belle  profondeur,  garantis  par 
de  bons  auvents.  A  l'une  des  extrémités,  se  dresse  sa  boutique  en 
planches,  qui  n'est  guère  qu'une  grande  échoppe,  mais  fermée  et 
avec  des  vitres  en  devanture,  et  assez  spacieuse  pour  recevoir  à  la 
fois  deux  ou  trois  clients.  Un  poêle  microscopique  en  occupe  un  des 
angles,  et,  toutes  les  fois  qu'il  a  besoin  de  s'abriter  d'une  intempérie 
quelconque,  ou  qu'un  marché  particulier  semble  réclamer  de  la  dis- 
crétion, il  se  retire  en  son  réduit,  dont  il  offre  l'hospitalité  à  la  partie 
traitante. 

Après  avoir  passé  et  repassé  devant  la  légère  maisonnette  pour 
s'assurer  que  le  marchand  y  est,  et  surtout  qu'il  y  est  seul,  la  pauvre 
femme,  dont  le  cœur  bat  fort,  essaie  de  prendre  son  grand  courage, 
se  redresse,  consolide  son  pas,  s'avance  vers  le  seuil...  et  entre. 

Aussitôt  entrée,  elle  referme  la  porte  sur  elle,  autant  pour  se 
dérober  que  pour  ne  pas  se  refroidir. 

Le  bouquiniste  a  vite  deviné.  C'est  un  homme  avenant.  Il  sait  son 
métier  ;  mais  il  a  formes  et  convenances.  D'humeur  douce,  il  est 
bienveillant  au  malheureux.  Sans  délai  il  se  prête  à  la  démarche 
mystérieuse. 

—  Asseyez-vous,  Madame,  dit-il  à  sa  nouvelle  cliente,  dont  la 
mise  plus  que  modeste  ne  le  repousse  pas,  et  dont  les  traits  fins  et 
distingués  le  préviennent  favorablement. 

Obéissante  comme  une  personne  qui  a  besoin  de  s'asseoir,  la 
bonne  dame  s'assied. 


ia6  FANTAISIES 

—  Vous  m'apportez  quelque  chose?  reprend  le  marchand. 

En  praticien  habile,  il  met  dans  sa  question  un  ton  parfait  d'indif- 
férence, en  même  temps  qu'il  jette  sur  l'ouverture  du  cabas  un 
regard  à  en  dénouer  les  ficelles. 

—  Oui,  Monsieur  ;  j'ai  là  quelques  volumes. 

—  Voyons-les. 

La  vendeuse  ouvre  son  vieux  petit  meuble,  un  reste  de  tapisserie, 
et  en  tire  successivement  une  douzaine  de  tomes,  brochés  ou 
reliés. 

Elle  les  sort  avec  lenteur,  les  palpe  et  les  considère  avec  un  certain 
attendrissement  : 

—  Ils  sont  encore  assez  propres,  ajoute-t-elle. 

—  C'est  vrai.  Madame  ;  ils  ont  été  entre  bonnes  mains.  On  les  a 
soignés. 

—  M'en  donneriez-vous  un  prix...  raisonnable? 

—  Toujours  raisonnable...  pour  moi.  Pour  vous,  je  ne  peux  pas 
trop  savoir  comment  vous  le  trouverez. 

—  Dites,  Monsieur,  réplique  la  dame  qui  devine  la  fatale  dépré- 
ciation. 

D'un  regard  le  marchand  les  juge. 

C'est  curieux  de  voir  avec  quelle  rapidité,  souvent  assez  judi- 
cieuse, il  estime  un  lot.  Peu  lettré,  il  a  acquis  par  une  manipulation 
fréquente  la  connaissance  superficielle  et  surtout  vénale  de  ses 
bouquins.  Pour  ce  coup  d'oeil  investigateur,  c'est  la  durée  de  l'éclair. 

Il  est  donc  là,  regardant  les  livres  de  la  malheureuse. 

Il  en  prend  un  ou  deux  à  la  main,  pour  la  forme...  Mais  il  est  déjà 
fixé  et  à  cheval  sur  son  prix. 

La  pauvre  dénuée  attend,  pleine  d'anxiété  : 

—  Eh  bien!  Monsieur?  finit-elle  par  lui  demander  tout  dou- 
cement. 

—  Six  francs,  ni  plus  ni  moins,  riposte  l'acheteur. 
La  vendeuse  laisse  échapper  une  plainte  : 

—  Six  francs,  Monsieur  I...  ce  n'est  pas  la  moitié  de  la  reliure  ! 

—  Je  le  sais,  Madame.  Mais  que  voulez-vous  !  comme  je  peux 
vendre,  j'achète.  Et  je  ne  vendrai  pas  ces  volumes-là  plus  d'un  franc 
pièce.  Et  quand  ?  J'en  ai  peut-être  pour  six  mois,  un  an  à  les  garder 


D    UN    BIBLIOMANE  137 

sans  en  faire  un  sou.  C'est  bien  parce  que  je  vous  vois  clans  la  peine. 
A  un  autre,  j'en  donnerais  de  trois  à  quatre  francs. 

Toutes  les  résignations  étaient  dans  l'esprit  de  l'infortunée  cliente. 
Elle  s'était  faite  à  tous  les  déboires,  et  cependant  cette  dernière  offre 
la  laissait  dans  la  stupéfaction. 

Mais  que  faire?  Aller  chercher  un  autre  acheteur?  Voudra-t-il  de  la 
marchandise,  seulement?  Et  s'il  en  veut,  il  n'aura  pas  la  moindre 
raison  pour  être  plus  large.  D'ailleurs  elle  est  exténuée  de  fatigue 
et  de  besoin  : 

—  Prenez-les,  dit-elle  tout  bas. 

Une  condamnée  à  mort  qui  dirait  au  bourreau  :  «  me  voilà  !  » 
n'aurait  pas  plus  d'anéantissement  dans  la  voix. 

—  Il  faut  que  ce  soit  vous,  Madame,  répète  le  marchand.  Songez 
donc  ;  pour  début  de  ma  journée,  au  lieu  de  vendre,  j'achète  ..  c'est 
une  mauvaise  étrenne. 

—  C'est  une  bonne  action,  Monsieur  ;  meilleure  au  moins  que  si 
vous  me  refusiez. 

Et  elle  tend  la  main,  dans  laquelle  l'acheteur  dépose  avec  politesse 
six  pièces  d'un  franc. 

En  l'absence  d'un  porte-monnaie,  elle  va  pour  les  glisser  dans  une 
poche. 

—  Voulez-vous  du  papier  pour  les  mettre,  Madame  ? 

Tout  en  adressant  cette  question  avec  une  affectueuse  bienveillance, 
le  marchand  tend  un  fragment  de  prospectus  à  la  dame,  qui  l'accepte, 
et  y  enveloppe  mélancoliquement  sa  modique  recette,  qu'elle  serre 
ensuite. 

Cette  première  opération  terminée,  la  dame  fait  une  pause,  puis, 
de  son  cabas,  tire  un  dernier  paquet  : 

—  Et  celui-là,  monsieur?  l'achèteriez-vous  aussi? 

—  Encore  un  volume? 

• —  Un  plus  beau  que  les  autres.  ' 

—  Montrez-le. 

Elle  ouvre  et  déploie  une  sorte  de  couverture  en  carton,  et  en 
extrait  avec  soin  un  volume,  relié  en  maroquin  et  couvert  des  plus 
délicates  empreintes  que  les  fers  du  relieur  aient  pu  façonner. 

—  Regardez-le  bien.  Monsieur.  Il  vaut  de  l'argent,  celui-là. 


laS  FANTAISIES 


—  Il  vaut  plus  que  les  premiers,  c'est  vrai  ;  mais,  précisément  à 
cause  de  cela,  il  est  en  dehors  de  mes  prix.  Ma  clientèle  ne  me  de- 
mande que  du  bon  marché,  et  un  livre  rare  serait  mal  placé  chez 
moi... 

—  Et  je  ne  peux,  celui-là,  le  céder  à  un  centime  au-dessous  de  sa 
valeur. 

—  Raison  de  plus. 

—  Alors?  interroge  la  dame  interdite. 

—  Alors,  il  vous  faudra  chercher  ailleurs. 

—  Mon  Dieu  !  mon  Dieu!  s'écrie-t-elle  navrée...  Je  suis  à  bout 
de  forces...  que  devenir?...  Je  croyais  qu'en  considération  de  l'autre 
marché...  Je  comptais  un  peu  sur  cette  ressource... 

—  Mais,  Madame,  elle  existe  toujours.  Ce  que  je  ne  puis  faire,  un 
autre  le  fera. 

—  Un  autre!  soupire-t-elle...  Et  où  le  deviner  et  où  le  rencon- 
trer?... 

—  Ecoutez,  Madame.  J'ai  un  vieil  amateur,  qui  vient  souvent 
visiter  mes  livres.  Quoiqu'ils  ne  soient  point  rares,  il  y  trouve  encore 
parfois  sa  pâture.  Je  peux  essayer  une  chose.  Laissez-moi  le  titre  du 
vôtre.  Je  lui  en  parlerai,  et,  s'il  en  a  la  moindre  envie,  donnez-moi 
votre  adresse,  et  je  vous  ferai  signe. 

Résignée  à  tout,  c'est  tout  émue  de  reconnaissance  qu'elle  accepte 
cette  combinaison.  Elle  écrit  le  titre  de  son  volume  sur  un  petit  carré 
de  papier  blanc  que  lui  passe  le  bouquiniste,  elle  y  ajoute  son  adresse, 
et  comme  une  nourrice  réintègre  son  nourrisson  dans  ses  langes, 
elle  remet  le  livre  dans  son  étui,  l'étui  dans  le  cabas,  se  lève,  et  sort... 
en  remerciant. 


\^w. 


D    UN    BIBLIOMANE  laç 


II 


LA     NOTE 


;A  très-peu  favorisée    vendeuse  retourne  lentement  chez 
elle,   et,  en  cheminant,  elle  se  parle. 

Essayons  de  distinguer  et  de  choisir  quelques-unes 
de  ses  phrases  : 

—  Ainsi  donc,  je  le  remporte  !  se  dit-elle  avec  tristesse.  Je  n'ai 
pu  le  vendre  aujourd'hui;...  je  ne  le  vendrai  pas  mieux  demain. 
C'est  fini  !...  Allons,  rentrons;  faisons  durer  autant  que  possible  les 
quelques  sous  que  je  viens  de  ramasser,  et...  après...  nous  verrons... 
Dieu  gard'  ...  ! 

C'est  en  se  dolentant  de  la  sorte  qu'elle  rentre  en  son  gîte,  étroite 
chambrette  à  laquelle  on  parvient  en  montant  les  marches  ébréchées 
de  six  étages  et  demi.  Elle  a  acheté  quelques  modestes  provisions 
avant  d'entreprendre  son  voyage  ascensionnel,  et  elle  les  dépose 
sur  une  table  en  noyer,  disjointe,  boiteuse,  et  qui  n'est  plus  guère 
que  la  ruine  d'un  meuble  : 

—  C'est  la  fin  de  tout,  reprend-elle.  Voilà  les  dernières  miettes... 
Après  ces  six  francs  dépensés,  je  n'aurai  plus  rien,  plus  rien  dont  je 
puisse  faire  argent  ;  car  pour  vendre  ce  dernier  volume,  j'échouerai 
dans  mes  tentatives...  Et  d'ailleurs  je  ne  veux  pas  enfreindre  l'ordre 
du  défunt  ;  je  veux  suivre  son  conseil  :  «  Rare,  m'a-t-il  écrit  sur  une 
note  ;  grande  valeur.  Ressource  pour  loi.  Ne  le  donne  pas  pour 
peu.  o 

A  ces  mots,  elle  fait  un  signe  de  tête,  qui  indique  chez  elle  un 
doute  assez  amer. 

Un  instant  après,  elle  continue  : 

—  Pauvre  Bénédict  !  puisque  tu  le  dis,  c'est  vrai  ;  car  tu  les  con- 
naissais bien,  tes  livres.  O  mon  ami,  toi  qui  les  as  tant  aimés,  si  tu 
savais  quelle  peine  ça  été  pour  moi  de  les  enlever  les  uns  après  les 

«7 


■  30  FANTAISIES 

autres  et  de  les  vendre  !  Il  me  semblait  que  je  te  les  arrachais...  Et 
pourtant  je  n'ai  que  suivi  fa  volonté.  En  me  les  laissant,  tu  n'as  pas 
eu  le  désir  que  je  les  garde  .,  Q^i'en  eussé-je  fait?  Ils  n'étaient  bons 
pour  moi  que  comme  «  ressource  »...  et  j'en  ai  usé,  si  bien  qu'au- 
jourd'hui la  veine  est  épuisée... 

La  veuve  interrompt  son  triste  monologue.  Elle  promène  un  regard 
morne  sur  les  murailles  de  son  réduit,  et  son  cœur  se  serre  devant 
leur  nudité  de  plus  en  plus  croissante. 

—  Et  puis,  ajoute-t-elle,  je  n'aurais  su  où  les  loger...  De  toute 
façon,  je  ne  puis  me  reprocher  de  les  avoir  vendus.  De  notre  ancien 
logement,  où  nous  avons  mené  une  vie  si  mesurée  et  pourtant  si 
heureuse,  j'ai  vu  partir  pièce  à  pièce  presque  tout  le  mobilier,  et  là, 
dans  cette  chambre  où  j'ai  été  obligée  de  monter,  de  me  réfugier, 
je  n'aurais  point  trouvé  place  pour  tes  bibliothèques... 

Il  lui  arrivait  fréquemment  d'ouvrir  son  esprit  à  cette  espèce  de 
lutte:  elle  était  prise  du  regret  d'avoir  vendu  les  livres,  et  elle  se 
rassurait  en  se  disant  qu'ils  lui  avaient  été  laissés  exprès  pour  les 
vendre. 

—  Que  n'ai-je  pu  travailler  toujours  !  s'écriait-elle  parfois  ;  mais 
ma  vue  est  perdue,  et  mes  doigts  ne  font  plus  rien  de  bon  de 
l'aiguille,  que  j'ai  si  bien  maniée.  Si  j'avais  eu  ce  produit  à  joindre  à 
ceux  des  livres,  j'aurais  eu  un  peu  plus  de  temps  devant  moi.  Tandis 
que  je  suis  là,  réduite  à  l'impuissance,  ayant  passé  par  la  misère, 
touchant  au  dénuement,  et  forcée  d'attendre  le  dernier  coup.,.  Oh  ! 
malheur  !...  malheur  !!... 

Infortunée  créature  !  La  douceur  faisait  le  fond  de  son  caractère  ; 
mais  elle  ressentait  si  vivement  les  secousses  de  sa  situation,  que,  par 
moments,  elle  était  aigrie.  Elle  avait  usé  sa  résignation,  et  si  elle  se 
laissait  emporter  au  courant  plus  fort  qu'elle,  ce  n'était  pas  sans  un 
mélange  d'impatiences  et  de  petits  soulèvements. 

Avec  tout  cela,  la  journée  s'avance. 

L'appétit,  qui,  émoussé,  oublie  plus  d'une  fois  les  dîneurs  plongés 
dans  le  bien-être,  s'aiguise  et  se  fait  tout  autrement  sentir  à  ceux  sur 
qui  pèse  la  gêne... 

La  veuve  dénuée  a  faim.  Elle  a  beau  chercher  à  se  le  dissimuler, 
plus  rien  ne  la  trompe  ;...  les  griffes  du  besoin  la  déchirent. 


d'un    EIBLIOMANE 


'î' 


Elle  se  dirige  du  côté  des  provisions  qu'elle  a  montées  tout  à 
l'heure,  s'en  approche  comme  si  elle  commettait  une  indiscrétion, 
en  prend  le  moins  qu'elle  peut,  et  songe  à  se  préparer  un  repas. 

Quel  repas  !... 

Un  œuf,  un  petit  pain,  et  un  verre  d'eau,  voilà  un  de  ses  plus 
confortables  dîners. 

C'est  sobre,  n'est-ce  pas,  quand  on  ne  mange  qu'à  de  longs 
intervalles? 

Hé  bien  !  ce  sera  de  plus  en  plus  sobre  encore,  jusqu'au  moment 
fatal  où  il  n'y  aura...  plus  rien  sur  la  table. 

Et  ce  moment,  qu'on  n'entrevoit  guère  sans  vertige,  il  n'est  pas 
très-loin,  hélas  !... 

La  nuit  vient. 

La  malheureuse  éprouvée  se  couche...  presque  inutilement,  car 
le  lit  n'a  plus  de  repos  pour  elle  ;  une  fièvre  fréquente  lui  empêche 
le  sommeil. 

Plusieurs  jours  se  passent  de  la  sorte,  entamant  les  derniers  mor- 
ceaux, et  rendant  horrible  la  perspective  finale. 

Un  matin,  elle  se  lève.  Le  froid  pique  toujours  ;  les  provisions 
sont  épuisées...  l'argent  aussi... 

—  o  Qui  dort  dîne,  »  dit-elle.  Je  n'ai  plus  qu'à  me  recoucher... 
jusqu'à  ce  qu'il  plaise  à  Dieu  de  m'enlever  définitivement  de  cet 
abîme. 

Et  elle  se  remet  au  lit,  où  il  lui  faut  tous  ses  efforts  pour  de- 
meurer. 

Elle  n'en  est  plus  aux  heures  tranquilles  ;  son  cerveau  tendu 
travaille,  la  souffrance  devient  plus  vive,  et  des  fantômes  étranges 
commencent  à  lui  apparaître. 

Effrayé,  son  esprit  s'exalte.  Comme  pour  être  protégée,  elle  se 
rejette  dans  le  souvenir  du  cher  défunt.  Il  avait  toujours  été  pour 
elle  un  si  affectueux  appui  : 

—  O  mon  pauvre  Bénédict  !  s'exclame-t-elle,  ô  mon  bien-aimé 
compagnon  !  toi  dont  le  dévouement  fut  inaltérable,  que  dirais-tu 
si  tu  me  voyais  en  ce  misérable  état?  et,  quoique  tu  me  les  aies 
amicalement  laissés  pour  en  tirer  parti,  combien  ne  souffrirais-tu 
pas  si  tu  savais  tous  tes  chers  livres  vendus  !  Après  moi,  c'est  ce  que 


1)3 


FANTAISIES 


tu  aimais  le  plus  au  monde,  et  une  seule  chose  pourrait  te  consoler 
de  leur  dispersion  :  une  aisance  pour  moi,  qu'ils  n'ont...  que  je  n'ai 
su  me  faire.  D'une  part,  j'étais  loin  de  les  connaître  comme  tu  les 
connaissais  ;  et  d'une  autre  part,  on  me  devinait  nécessiteuse,  et  c'en 
était  assez  pour  qu'on  me  fît  des  offres  mesquines... 

Un  léger  pincement  de  lèvres  traduit  une  intention  de  blâme  contre 
ces  procédés  ;  mais  l'excellente  femme  ne  s'y  arrête  pas  : 

—  Par  petits  lots,  reprend-elle,  ils  sont  partis  de  la  sorte,  élar- 
gissant les  vides  dans  ta  collection  chérie,  et  n'augmentant  guère 
mes  imperceptibles  moyens  d'existence...  Ah  !  tiens,  plus  d'une  fois 
je  m'en  suis  voulu  de  cette  manière  d'agir,  et  le  pain  qu'ils  m'ont 
procuré  m'a  presque  toujours  semblé  amer.  Je  me  voyais  défaisant 
ce  que  tu  avais  passé  ta  vie  à  construire,  et,  quoique  je  fusse  un  peu 
étrangère  aux  jouissances  que  tu  y  trouvais,  je  n'étais  pas  moins 
heureuse  de  te  voir  heureux.  Chaque  paquet  que  je  sortais  me  faisait 
éprouver  une  impression  douloureuse...  On  aurait  dit  que  j'emportais 
vendre  une  part  de  toi... 

Elle  s'interrompt  à  cette  idée  poignante. 

Peu  après,  fâcheux  symptôme,  son  regard  s'anime,  sa  parole 
devient  plus  rapide,  plus  saccadée,  et  c'est  avec  une  certaine  inco- 
hérence qu'elle  jette  ses  paroles  : 

—  Eh  !  c'est  peut-être  bien  toi  que  j'ai  vendu,  mon  tendre  ami  ? 
dit-elle  entre  autres  singularités...  Tu  n'es  plus  là...  tes  livres  non 
plus...  et  tes  livres...  c'était  toi  !...  Pourquoi  m'as-tu  conseillé  de  te 
vendre?...  pourquoi  t'ai-je  écouté?...  J'en  suis  punie...  c'est  bien 
fait!...  Mais  je  vais  expier  ma  faute...  et  j'irai  te  rejoindre...  Oh! 
si  je  les  avais  encore  !...  si  je  pouvais  les  ravoir,  je  te  les  reporterais. 
Comme  je  te  rendrais  content  !  et  avec  quel  joyeux  remerciement 
tu  m'accueillerais  ?... 

Ici,  nouvelle  pose.  La  malade  se  voyait  sans  doute  restituant  ses 
bibliothèques  à  Bénédict,  et  il  est  probable  qu'elle  se  complaisait  a 
cet  agréable  tableau. 

En  tout  cas,  sa  surexcitation  n'est  pas  de  longue  durée.  Son  œil 
ne  brille  plus,  ses  lèvres  se  détendent  et  ce  qu'elle  se  dit  de  nou- 
veau, elle  l'articule  avec  la  lenteur  que  nous  lui  avons  connue  aupa- 
ravant : 


d'un    BIBLIOM  ANE 


m 


—  Mon  Dieu!  mon  Dieu!  quelles  fantaisies!...  Est-ce  que  je 
divaguerais,  maintenant  ?  Cela  m'effrayerait,  si  je  tenais  encore  à  la 
vie;...  mais  sonne  l'heure  fatale,  elle  sera  pour  moi  la  bienvenue... 
c'est  l'heure  qui  délivre... 

Là  se  produit  un  nouvel  écart  de  sa  pensée,  qui,  instinctivement, 
revient  à  la  question  matérielle  : 

—  Il  me  semble  pourtant  que  cet  homme  aurait  bien  pu  m'a- 
cheter  ce  volume.  Sans  le  lui  laisser  à  vil  prix,  je  lui  aurais  fait  une 
concession...  une  petite,  qui  n'aurait  pas  t>rop  lutté  contre  l'avis  de 
Bénédict...  et  j'aurais  pu  me  soutenir  quelque  temps...  Au  lieu  de 
cela,  il  me  refuse...  c'est  me  retrancher  des  jours...  Peut-être  que, 
s'il  s'en  fût  douté,  il  eût  essayé...  Un  bon  mouvement  n'est  pas 
impossible...  Enfin,  il  ne  l'a  pas  eu...  c'est  arrêté...  c'est  fini...  Eh 
bien  !  pauvre  livre  de  prix,  te  voilà  stérile.  Tu  vaux  plus  que  les 
autres,  qui  m'ont  fait  vivre  des  mois...  et  tu  ne  pourras  me  faire 
vivre...  quelques  jours  !...  Reste  donc  là,  sur  ma  table,  inutile  chef- 
d'œuvre,  aussi  inefficace  aujourd'hui  qu'hier...  Moi,  je  reste  dans 
mon  lit...  où,  résignée,  je  vais  attendre  l'heure  de  Dieu  !... 

Avec  les  tortures  qu'elle  a  en  perspective,  y  restera-t-elle?... 
Nous  le  verrons,  en  la  retrouvant. 


I  -A) 


134 


FANTAISIES 


III 


L  AMATEUR 

)l  est  matin.  Le  froid  a  cessé,  et  il  fait  beau. 

Le  bouquiniste  chez  qui  nous  nous  son:imes  arrêtés 
l'autre  jour  a  déjà  ouvert.  Une  de  ses  bonnes  habi- 
tudes est  d'être  matinal.  S'il  pouvait  étaler  en  même 
temps  que  le  coq  chante,  il  serait  à  son  poste  dès  l'aube.  Ses  longs 
supports  sont  tendus,  ses  planchettes  sont  garnies,  et  tous  ses  volumes 
prennent  l'air,  alignés  inégalement  sur  ses  rayons. 

Voyez-les.  Les  uns  debout,  les  autres  couchés  ;  les  uns  ouverts,  les 
autres  fermés  ;  les  uns  montrant  leurs  titres,  les  autres  leurs  gravures  : 
tous  disposés  le  mieux  possible  pour  arrêter  le  passant,  pour  affriander 
l'acheteur. 

Il  faut  bien  se  donner  quelque  mal  pour  retenir  de  force  le  flâneur 
indifférent,  qui  passe,  regarde  pour  regarder...  et  n'achète  pas. 
Il  faut  savoir  faire  naître  en  lui  une  tentation,  et  surtout  le  faire 
succomber.  Notre  homme  s'y  entend.  Pour  cela,  il  a  une  recette 
qui  est  à  classer  parmi  les  meilleures...  Il  est  poli,  débonnaire  — 
et  loyal. 

Je  vous  réponds  que,  quand  tous  les  vendeurs  tiendront  la  droiture 
pour  la  plus  grande  habileté  dans  les  transactions,  ils  verront  s'ac- 
croître l'importance  de  leur  clientèle. 

Plusieurs  curieux,  dont  un  myope,  promènent  déjà  leur  nez  sur  le 
dos  des  livres,  qu'ils  bousculent  plus  ou  moins.  Quand  ils  les  remet- 
tent au  rang,  ce  n'est  que  demi  mal  ;  mais  Dieu  sait  le  nombre  de 
ceux  qui  ne  les  rangent  pas  du  tout. 

Et  cependant,  ne  pas  les  ranger  c'est  prendre  le  temps  de  l'étala- 
giste... Mais,  bah  !  on  y  pense  bien,  ma  foi  !...  «  Il  est  là  pour  ça  ;  il 
les  rangera  lui-même...  On  ne  peut  pas  acheter  sans  voir...  «etc.,  etc. 
Très-heureux  lorsque,  au  bout   de  ces  mauvaises  raisons,    on   n'a 


d'unbibliomane  Ij$ 


pas  égratigné  quelque  titre,  écorné  r|uelque  dos  de  maroquin,  ou 
disloqué  quelque  brochure  ! 

En  compensation,  à  côté  de  ceux-là,  se  trouvent  aussi  les  acheteurs 
sérieux...  et  soigneux  !  J'en  sais  tel  et  tel  qui  réjouissent  le  marchand 
quand  il  les  voit  regarder  sa  marchandise.  Le  livre,  entre  leurs 
mains,  est  traité  comme  un  bijou  ;  leurs  doigts  amis  glissent  dessus 
comme  du  velours  ;  ils  défont  les  mauvais  plis,  redressent  les  cornes, 
si  bien  qu'après  avoir  été  manié  par  eux,  un  volume  est  en  meilleur 
état  qu'auparavant. 

Ces  clients-là,  il  faut  l'avouer,  ne  constituent  guère  que  l'exception. 

L'un  d'eux  cependant  débouche  de  la  rue  voisine,  et  stationne, 
furetant  avec  une  certaine  complaisance. 

C'est  un  amateur  connu  de  longue  date,  bien  choyé  de  l'étalagiste, 
et  surtout  bien  considéré...  celui-là  même  dont  l'intervention  éven- 
tuelle a  été  annoncé  à  la  mélancolique  vendeuse. 

Il  fouille  du  regard,  examine  ;  puis  après  son  inspection  du  dehors, 
entre,  et  interroge  : 

—  Avez-vous  du  nouveau  depuis  ces  deux  ou  trois  jours?  Je  n'ai 
pu  venir...  et  il  suffit  d'un  instant  pour  qu'une  bonne  chose  se 
présente. 

—  Je  n'ai  été,  Monsieur,  à  aucune  grosse  vente;  mais,  en  fait  de 
broutilles,  j'en  ai  eu  pas  mal.  De  plusieurs  côtés  l'on  m'a  apjiorté 
des  petits  lots. 

—  Plusieurs  petits  lots  font  nombre,  et  à  la  fin  on  en  remplirait 
votre  boutique.  Voyons  un  peu. 

Il  n'a  pas  besoin  que  le  marchand  lui  montre  les  endroits  où  sont 
déposés  les  livres  nouvellement  acquis  ;  son  flair  les  lui  indique,  et  il 
s'en  approche  sans  la  moindre  hésitation. 

En  quelques  tours,  il  remue  à  peu  près  tout. 

Dans  sa  chasse,  il  ne  découvre  rien  de  bien  extraordinaire.  Cepen- 
dant il  garde  à  la  main  deux  volumes,  l'un  relié,  l'autre  broché. 
C'est  toute  sa  bonne  fortune. 

—  Vous  avez  trouvé  quelque  chose  à  votre  gré,  Monsieur  ?  J'en 
suis  fort  aise.  Cela  me  prouve  que,  par  ci,  par  là,  j'ai  encore  du 
bon. 

—  Oui,  ces  deux  volumes  ne  sont  pas  mauvais.  Ils  ont  bon  air,  et 


136  FANTAISIES 

m'indiquent    le  goût  de  leur  ancien   maître.  Il  fallait,  d'ailleurs,    s'y 
connaître  pour  les  posséder. 

—  Ils  me  viennent  d'une  pauvre  veuve,  bien  gênée,  je  crois,  et  au 
moins  aussi  intéressante... 

—  Elle  vend  les  livres  de  son  mari  !!!...  s'écrie  vivement  l'ama- 
teur, sur  le  point  de  s'emporter...  C'est  monstrueux  ! 

—  Oh!  Monsieur,  ne  lui  en  veuillez  pas...  elle  les  vend  pour 
vivre.  Ça  paraît  lui  causer  une  grande  peine.  Mais,  que  voulez- 
vous?,..  La  faim,  c'est  si  terrible! 

—  Vous  avez  raison.  Son  mari  avait  donc?... 

—  Une  assez  jolie  bibliothèqne.  11  l'a  laissée  à  sa  compagne,  qui  en 
use  comme  d'une  ressource... 

—  Oh  !  tristesse  !  Oh  !  désolation  !  interrompt  l'amateur.  Toujours 
les  mêmes  accidents  !  toujours  les  mêmes  dispersions  !  toujours  les 
mêmes  sinistres  I...  Un  homme  de  savoir,  éclairé,  passe  sa  vie  à 
rassembler  les  ouvrages  qui  lui  plaisent,  et,  quand  il  a  fini  par  déposer 
sur  ses  rayons  à  peu  près  tous  ses  auteurs  aimés,  crac  !  la  mort  vous 
le  prend...  et  voilà  qu'un  vent  d'orage  se  lève,  souffle  sur  ses  amis, 
et  les  éparpille  à  tous  les  coins  du  monde  !!...  C'est  dur,  allez  ! 

—  Vous,  monsieur,  vous  avez  encore  longtemps  à  jouir  des  vôtres, 
reprend  le  marchand,  qui  voulait  détourner  ce  courant  d'idées  peu 
propice  à  sa  vente,  et,  quand  on  collectionne  comme  vous,  on  ne 
doit  pas  s'arrêter. 

—  Eh  !  je  ne  m'arrête  pas  non  plus.  C'est  une  joie.  Jusqu'à  mon 
dernier  moment,  autant  vaut  me  la  procurer. 

Puis,  après  une  pause  de  quelques  secondes  : 

—  Allons,  il  ne  faut  pas  que  la  philosophie  ou  la  morale  du 
métier  me  cause  des  distractions.  Que  je  n'oublie  pas  de  vous  payer 
mes  deux  bouquins. 

—  Ah  !  Monsieur  !  si  tous  payaient  comme  vous  !... 

—  Ce  serait  leur  devoir. 

Et  il  donne  une  pièce,  sur  laquelle  l'étalagiste  lui  rend  de  la  menue 
monnaie. 

Il  la  glisse  dans  sa  poche,  introduit  çolidement  ses  deux  volumes 
sous  son  bras,  et  se  dispose  à  sortir. .. 

—  Tiens  !  où  ai-je  mis  mon  chapeau  ? 


DUNBIBLIOMANE  IJ7 

Effectivement  il  est  tête  nue. 

Il  cherche,  et  voit  bientôt  son  couvre-chef  tranquillement  pose  sur 
des  livraisons,  à  l'un  des  angles  du  petit  magasin. 

Il  avance  la  main  et  le  soulève. 

Dans  le  trajet  qu'il  parcourt  de  la  tablette  à  la  tête,  le  chapeau 
laisse  voltiger  un  petit  papier,  que  la  pression  avait  fait  adiiérer,  qui 
se  détache...  et  tombe. 

L'acheteur,  toujours  plein  de  prévenance,  se  baisse  et  le  ramasse. 

Indifféremment  il  y  porte  les  yeux,  en  le  rendant  à  l'étalagiste... 

Mais  son  indifférence  se  change  bien  vite  en  une  explosion.  S'il  ne 
se  fût  retenu,  il  aurait  presque  poussé  un  cri  de  surprise,  un  hourrah 
de  triomphe... 

—  A  qui  celte  note  ?  demande-t-il  avec  un  empressement  qu'il  ne 
peut  plus  contenir. 

Le  marchand  se  penche  pour  voir  : 

—  C'est,  répond-il  de  son  ton  paisible,  celle  que  la  dame  en 
question  m'a  laissée. 

—  Celle  qui  vend  ?. . . 

—  La  bibliothèque  de  son  défunt. 

—  Et  ce  livre,  dont  le  titre  est  assez  mal  écrit,  mais  qu'a  travers 
son  orthographe  fantastique  je  devine?... 

—  Est  un  livre  qu'elle  a  à  vendre. 

—  Elle  vous  l'a  proposé  ? 

—  Oui,  Monsieur. 

—  Et  vous  ne  l'avez  pas  acheté  ? 

—  Non,  Monsieur. 

—  Pourquoi  cette  réserve  ?  C'est  pour  acheter  que  vous  êtes 
marchand,  il  me  semble  ! 

—  Il  est  trop  cher  pour  moi.  Je  ne  tiens  pas  ce  genre  de  librairie 
là.  Ce  volume  serait  dépaysé  ici,  perdu  au  milieu  de  publications 
ordinaires  et  courantes...  et  puis,  la  meilleure  raison  de  toutes,  il 
fallait  de  l'argent  !... 

—  Le  prix  ne  me  fait  rien. 

—  Monsieur,  je  ne  me  doutais  pas  qu'il  pût  vous  convenir  à  ce 
point.  Autrement,  quoiqu'un  peu  serré,  je  me  serais  mis  en  mesure. 

—  Alors,  elle  l'a...  remporté? 

i8 


.jS 


FANTAISIES 


—  Mon  Dieu,  oui,  tout  bonnement. 

—  Pourriez-vous  le  ravoir  ? 

J'ai  tout  de  même  pensé  à  vous.  Monsieur.  J'ai  pris  l'adresse  de 
cette  brave  dame. 

—  Et?... 

—  Et,  en  lui  rendant  son  volume,  je  lui  ai  dit  que  si,  par  hasard, 
il  vous  convenait,  je  le  lui  ferais  savoir. 

—  Mais  je  peux  le  lui  faire  savoir  immédiatement.  Donnez-moi 
son  nom  et  son  adresse,  et  je  vous  évite  une  course,  ou  une  lettre. 

—  Vraiment,  Monsieur,  vous  voulez  vous  promener  jusque-là? 

—  Certainement.  C'est  le  bon  moyen.  Quand  on  veut  conquérir, 
il  ne  faut  pas  temporiser...  Et  encore,  si  j'allais  arriver  trop  tard  !... 
Vous  ne  savez  donc  pas  que  c'est  un  trésor  que  je  découvre-Ià?. .. 
On  n'a  pas  cette  veine  deux  fois  en  sa  vie.  De  ce  livre,  on  ne  connaît 
que  deux  ou  trois  exemplaires.  J'en  possède  un  ;...  mais  il  y  manque 
le  dernier  feuillet  !  Concevez-vous  ma  chance  si  j'en  retrouve  un 
autre  complet  !...  C'eût  été  une  affaire  pour  vous.  Mais  n'importe  ; 
c'est  vous  qui  me  mettez  sur  la  trace...  je  vous  donnerai  votre 
commission  comme  si  vous  me  l'aviez  vendu..,  Au  revoir.  Je  cours... 

Et  l'amateur,  enivré  et  bouleversé  en  même  temps,  sort  de  la 
boutique,  dont  pour  la  première  fois  il  oublie  de  fermer  la  porte, 
et,  à  la  lettre,  se  lance  en  courant  du  côté  de  la  demeure  de  la 
veuve. 


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D'UNBIBLIOMANE  IJ9 


IV 


PORTE- CLOSE 


'adresse  qu'on  venait  de  lui  donner  était  à  une  assez 
grande  distance  :  mais  la  journée  s'annonçait  belle, 
et  d'ailleurs  les  jambes  d'un  bibliophile  ne  connaissent 
pas  d'obstacle. 

Un  chercheur,  résigné  à  chercher  longtemps  et  à  ne  pas  trouver 
toujours,  doit  se  sentir  pris  d'une  joie  indicible  lorsqu'il  fait  une 
rencontre  de  ce  genre. 

Aussi  est-ce  d'un  pas  joyeux  que  notre  amateur  arpente  le  pavé 
des  rues,  et,  tout  en  trottant  de  la  façon  la  plus  allègre,  il  se  frotte 
les  mains  et  se  félicite  verbeusement  de  la  trouvaille  si  inattendue  de 
son  exemplaire  : 

—  J'ai  vraiment  une  chance  extraordimire,  et  je  proclame  une 
fois  de  plus  l'importance  de  ne  jamais  négliger  le  plus  petit  recoin  de 
bouquiniste.  Voilà  un  brave  homme  qui  n'y  a  pas  entendu  malice, 
qui  n'a  même  pu  acheter  le  livre,  mais  par  qui  j'ai  vent  de  l'aubaine. 
A  quelle  autre  boutique  aurais-je  pu  recueillir  ce  renseignement? 
C'est  souvent  d'où  on  ne  l'attend  pas  que  vous  arrive  l'indication  pré- 
cieuse... Ne  perdons  pas  de  temps,  et  tâchons  d'arriver. 

Et  il  continue  son  voyage  rapide,  accélère  sa  marche  absolument 
comme  s'il  avait  eu  encore  «  ses  jambes  de  quinze  ans.   » 

—  Si  elle  ne  l'a  pas  laissé  au  marchand  l'autre  jour,  se  raconte-t-il, 
il  y  a  peut-être  lieu  d'espérer  qu'elle  ne  l'aura  pas  davantage  laissé 
ailleurs  aujourd'hui  ?...  Après  cela,  il  paraît  qu'elle  est  dans  une 
gène  navrante,  et  la  faim  est  si  impérieuse...  Elle  fait  faire  bien 
d'autres  choses  que  de  vendre  trop  tôt  pour  moi  un  volume  rare... 
Enfin,  hâtons-nous  !...  Je  crois,  du  reste,  que  je  ne  suis  pas  loin  de 
la  maison  indiquée?... 


140  FANTAISIES 


En  effet,  à  force  de  pas  allongés  et  d'enjambées  juvéniles,  noire 
amateur  touche  au  terme  de  sa  course,  et,  résultat  qu'il  aimait  fort 
à  constater,  il  ne  se  sent  guère  plus  las,  plus  essoufflé  que  s'il  eût 
achevé  une  tranquille  promenade.  lien  est  ainsi  de  tout  travail  auquel 
ou  se  livre  avec  passion,  avec  amour  ;  il  ne  laisse  presque  pas  sentir 
sa  fatigue. 

Notre  amateur  de  bouquins  s'arrête  un  instant,  cherche,  s'oriente... 
regarde... 

Voilà  la  rue,  voilà  le  numéro... 

11  est  en  face  de  la  demeure...  en  face  de  l'écrin  qui  renferme  son 
bijou... 

Sans  retard  aucun,  il  demande  au  concierge. 

Un  mot  bref  lui  apprend  que  la  dame  est  chez  elle. 

Il  monte. 

Pour  monter,  il  prend  un  peu  plus  de  précautions  que  pour  mar- 
cher. Toute  ascension  est  dangereuse,  et  il  n'a  pas  la  moindre  envie 
de  dégringoler  les  marches. 

C'est  donc  d'un  pas  relativement  calme,  d'une  allure  mesurée  (|u'il 
franchit  l'escalier,  et,  tout  en  le  franchissant,  il  revient,  bien  entendu, 
à  son  idée  fixe,  à  son  dada  : 

—  Ce  feuillet,  manquant  à  mon  incunable,  était  un  de  mes  cha- 
grins de  bibliophile...  Je  vais  peut-être  le  retrouver...  Oh  !  il  faut 
que  je  le  retrouve  .'!... 

Et  il  monte  toujours. 

Six  étages  et  demi,  sans  ascenseur,  cela  ne  s'enlève  point  en  une 
seconde.  Mais  enfin  une  gymnastique  persévérante  en  vient  à  bout, 
et  notre  actif  chercheur,  émergeant  de  la  noire  spirale,  fait  son 
entrée  sur  le  pallier. 

Si  ce  pallier  brille  par  quelque  chose,  c'est  assurément  par  son 
obscurité.  En  plein  jour,  en  arrivant  du  dehors,  on  n'y  va  qu'à 
tâtons.  Seulement,  au  bout  d'une  minute,  l'œil  s'habitue,  et  l'on  finit 
par  pouvoir  y  circuler  sans  trop  de  danger. 

Cinq  ou  six  portes  en  enfilade  s'y  suivent,  pas  trop  éloignées  les 
unes  des  autres. 

Avec  plus  d'opportunité  que  dans  la  rue,  le  vieil  amateur  s'oriente 
de  nouveau...   ou   plutôt   cherche   à  s'orienter,   car  il  faudrait  être 


d'unbibliomane  141 


doué  d'une  vue  exceptionnelle  et  phénoménale,  pour  déchiffrer  les 
numéros  qui  doivent  être  inscrits  sur  les  panneaux. 

Comment  faire? 

Il  ne  veut  pourtant  point  recourir  à  la  lueur  d'une  bougie  de 
poche,  qu'il  a  toujours  sur  lui... 

Puisque  ses  yeux  ne  sont  pas  assez  vaillants,  il  se  décide  à  avoir 
recours  à  ses  oreilles. 

Attention  !  Il  écoute... 

Rien  ! 

Nouveau  moyen,  il  frappe... 

Rien  non  plus  ! 

—  Ce  sont  des  chambres  d'ouvriers,  se  dit-il,  désireux  de  se 
donner  une  explication  satisfaisante.  Les  ouvriers  sont  partis  à  leur 
ouvrage  pour  la  journée,  et  les  petits  nids  sont  vides...  Je  me  suis 
fourvoyé  ;...  c'est  probablement  à  côté...  Continuons  ;  je  trouverai 
bien. 

Il  est  parvenu  à  la  dernière  des  portes.  Un  fragment  de  rayon, 
filtrant  sans  doute  à  travers  quelque  trou,  crevasse  ou  autre  ouverture 
de  muraille  infirme,  vient  heureusement  à  son  secours  en  plaquant, 
sur  l'huis,  large  comme  la  main  d'une  lumière  pâle  et  grisâtre... 

Vite  il  profite  de  l'auxiliaire,  et  regarde: 

.^  Ah  !  c'est  le  numéro  marmotté  par  le  concierge  !...  Enfin,  m'y 
voilà  !!... 

Tout  content,  tout  radieux,  il  cogne  du  nœud  du  doigt  trois 
coups,  également  discrets  et  impératifs,  et  auxquels  il  attend  la 
réponse. 

Pas  davantage...  La  réponse  ne  vient  pas. 

—  Qu'est-ce  à  dire  !  Le  concierge  se  serait-il  trompé?  La  dame 
serait-elle  sortie,  sans  qu'il  Tait  vue  I...  Miséricorde  !  je  ne  veux  pas 
entrevoir  un  coup  si  diabolique. 

Il  réfléchit...  puis  tire  ses  déductions  : 

—  Si  elle  est  sortie,  ce  peut  être  pour  quelques  emplettes.  La  vie 
a  des  exigences  quotidiennes...  Mais,  la  pauvre  femme,  elle  n'a  plus 
rien...  et,  pour  faire  des  emplettes,  il  faut  des  sous...  Si  elle  avait 
été  se  faire  des  sous  avec  mon  volume?.. .  Quel  échec  !...  Oh  !  je  n'y 
veux  pas  croire. 


Ma  FANTAISIES 


Poussé  dans  ces  raisonnements,  qui  ne  manquent  pas  de  logique, 
il  commence  à  éprouver  une  crainte  sérieuse. 

—  Et  je  dis  mon  volume  !..  reprend-il  en  se  plaisantant  triste- 
ment... Je  ne  le  tiens  pas.  Jusque-là,  j'avais  confiance  en  une  chance 
favorable...  S'il  me  fallait  y  renoncer? 

H  passe  par  des  émotions  inouïes,  par  de  vraies  transes. 
De  nouveau  il  se  penche  vers  la  porte,  prête  l'oreille,  comme  si  cette 
persistance  devait  lui  faire  parvenir  la  réponse  désirée... 

—  Rien  !  toujours  rien  ! 
Il  se  désole. 

Cependant  l'espoir  ne  le  quitte  pas.  Semblable  à  l'homme  qui  se 
noie,  il  se  cramponne...  hélas  !  à  quelle  branche?  Il  tourne,  tourne, 
va  et  vient,  se  promène  dans  l'étroit  espace,  et  s'imagine  à  chaque 
instant  que,  de  l'intérieur,  une  voix  va  lui  dire  d'entrer. 

Espérance  vaine  !  Le  silence  seul  répond  à  ses  interrogations  les 
plus  pressantes. 

—  O  fatalité  I  geint-il  avec  découragement.  Etre  si  près  de  la 
possession,  et  tout  perdre  !...  Je  vois  bien  que  c'est  fini  !  A  moins 
que  je  n'attende.  Elle  ne  peut  pas  rester  tout  le  jour  dehors,  cette 
femme...  Dans  une  heure,  dans  deux  heures,  elle  rentrera...  et  je  la 
verrai...  et  je  lui  paierai  son  livre  ce  qu'elle  voudra...  et  j'aurai  mon 
exemplaire. 

Sans  plus  se  consulter,  il  descend  une  marche,  et  s'assied  de  la 
façon  la  plus  simple,  la  plus  naturelle  au  haut  de  l'escalier  : 

—  Elle  ne  peut  prendre  un  autre  chemin,  se  répète-t-il.  A  son 
retour,  je  la  saisirai. 

Donc,  suivant  la  dernière  partie  du  programme  qu'il  improvise,  il 
attend,  mais  non  sans  laisser  échapper  de  nombreuses  marques  d'im- 
patience. 

Surexcité,  il  ne  se  tient  pas  longtemps  assis.  11  va,  vient  de  nou- 
veau, colle  vingt  fois  son  oreille  à  la  porte,  et  finit  par  acquérir  la 
conviction  qu'il  n'y  a  personne  chez  la  pauvre  dame... 

Il  n'est  pas  content  de  cette  tentative  : 

—  Moi  non  plus  je  ne  peux  pas  rester  tout  le  jour  dehors,  s'écrie- 
t-il  en  maugréant...  Il  y  a  erreur  dans  l'indication  du  concierge... 
Allons!  rien  ne  me  réussit...  Je  n'ai  plus  qu'à  m'en  aller... 


d'un  bibliomane 


•4} 


Vexé  de  sa  déconvenue,  il  prend  la  résolution  extrême,  boutonne 
sa  redingote,  et  pose  le  pied  sur  la  première  marche. 

Il  se  tàte  encore...  Il  voudrait  hésiter...  Partir,  c'est  non-seulement 
une  journée  perdue,  c'est  aussi  et  surtout  l'abandon  d'une  chance 
unique... 

Ce  à  quoi  il  ne  se  résigne  que  difficilement. 

Mais  il  faut  pourtant  se  décider... 

Bah  !  renonçant  à  tout,  notre  désespéré  se  prépare  à  descendre... 

Au  même  instant,  un  bruit  insolite  lui  fait  tourner  la  tête. 

Cloué  à  sa  place,  il  écoute... 

Ce  bruit  lui  parvient  précisément  de  la  chambre,  jusque-là  muette, 
de  la  dame... 

Elle  y  est  !!...  s'écrie-t-il. 

II  bondit. 

En  deux  pas,  il  s'est  replacé  à  son  poste  d'observation.  Il  applique 
son  oreille,  plus  attentive  que  jamais... 

—  Ecoutons ,  se  murmure-t-il  ;  j'aurai  peut-être  le  mot  de 
l'énigme. 


LE    DERN'IER    FEUILLET 


)l  écoute  donc  de  toutes  ses  forces. 

Le  bruit  qu'il  a  entendu  lui  est  familier,  et  il  ne  peut 
guère  s'y   méprendre  :  c'est  un   bruit  sec,   cassant,  de 
papier  déchiré  et  froissé  entre  les  mains. 
Il  ne  cesse  de  guetter  avec  une  attention  méticuleuse,  intense. 
Que  se  passe-t-il   de  si  mystérieux  dans  les  profondeurs  de  cette 
chambre...  ? 

Il  s'ingénie  à  s'en  rendre  compte. 

Malgré  toute  sa  pénétration,  aidée  de  l'intérêt  particulier  qui  le 
pousse,  il  devine  peu  de  chose. 

Tout  au  plus  perçoit-il  un  léger  frôlement  d'étoffe,  comme  si  des 
plis  de  robe  se  promenaient  l'un  sur  l'autre,  comme  si  une  personne 
se  livrait  à  quelques  mouvements  sans  trop  se  déplacer. 

Intrigué  au  dernier  point,  il  veut  sonder  le  mystère.  Jusqu'ici  il  a 


D    UN    BIBLIOMANE  I45 

essayé  avec  l'oreille  ;...  l'oreille  a  été  insuffisante.  Voulant  voir,  il  va 
essayer  avec  les  yeux. 

Silencieusement,  se  portant  sur  la  pointe  du  pied,  retenant  son 
haleine,  il  cherche  le  trou  de  la  serrure,  et  s'approche,  se  baisse  pour 
y  plonger  l'œil... 

—  Singulière  chose  !  se  dit-il  tout  bas.  Le  trou  de  la  serrure  est 
bouché  !... 

Il  ne  perd  pas  courage.  Il  se  baisse  davantage  encore,  pose  un 
genou  à  terre,  puis  deux,  et,  se  couchant  presque,  amène  ses  yeux 
au  niveau  de  la  fente  du  bas  de  la  porte... 

Par  cette  deuxième  ouverture,  il  ne  voit  rien  de  plus. 

—  Aussi  bouchée  I  dit-il  en  articulant  plus  haut  et  oubliant  son 
projet  de  garder  le  silence  ;...  cette  fente  est  aussi  bouchée  !!...  Ce 
n'est  pas  ordinaire,...  ce  n'est  pas  naturel...  Il  est  vrai  qu'il  a  fait  froid, 
ces  jours  passés,  et  qu'elle  a  pu  avoir  l'idée  de  tamponner  un  peu  les 
déjointures  trop  grandes...  Mais  la  serrure?  Il  faut  bien  que  la  clé  y 
joue,  pour  ouvrir  et  fermer...  Non,  non,  ce  n'est  pas  naturel...  ce 
n'est  pas  ordinaire... 

A  ces  derniers  mots,  son  cœur  battait  fort,  au  bienveillant  curieux, 
et  je  crois  que,  pendant  ces  battements,  le  bibliophile  avait,  d'instinct, 
fait  place  à  l'homme. 

Tout  à  coup  une  idée,  qui  l'épouvante,  lui  traverse  l'esprit  : 

—  Si  c'était  un  malheur  qui  se  prépare?... 
Il  veut  l'empêcher  à  tout  prix. 

Le  sort  a  prononcé. 

Il  ne  réfléchit  plus...  Il  ne  choisira  pas  le  moyen  ;  ce  sera  le  plus 
immédiat,  le  plus  prompt. 

Il  se  recule  de  trois  pas,  s'élance  comme  un  lion,  et  donne  un  tel 
coup  à  la  porte,  qu'il  la  brise...  et  qu'elle  cède... 

Quel  spectacle  !... 

—  Malheureuse  !...  s'écrie-t-il. 

Et,  les  bras  tendus,  haletant,  il  se  précipite  vers  la  victime. 

Au  moment  oij  le  panneau  enfoncé  se  couchait  en  plusieurs  mor- 
ceaux sur  le  carrelage  de  la  chambre,  une  allumette  faisait  entendre 
son   craquement,   et   la  flamme  léchait  trois  ou   quatre  boules  de 

'9 


I4<>  FANTAISIES 


papier   comprime,    disposées   sur  un  fourncou   de  clicrbon,   d'où  se 
dégageait  déjà  une  acre  fumée. 

Une  seconde  a  -suffi  au  visiteur  pour  sonder  l'étendue  du  désastre, 
pour  voir  qu'une  créature  trop  éprouvée  cherche  à  sortir  de  ce  monde. 

—  Malheureuse!   s'exclame-t-il,    qui  vous  a  permis  de  mourir?... 
Celle  question,  jetée  sans  préambule,  frappe  la  triste  veuve  comme 

un  coup  de  poing  en  pleine  poitrine. 

Etonnée,  interdite,  affaissée  sur  elle-même,  la  pauvre  femme,  qui 
s'était  agenouillée  pour  allumer  son  fourneau,  et  probablement  aus.si 
pour  prier,  le  regarde,  les  yeux  fixes,  la  bouche  ouverte,  sans  mot 
dire,  laissant  retomber  ses  bras,  et  ayant  à  peine  la  force  de  se 
demander  qui  venait  la  déranger  en  ce  moment  suprême  ? 

—  Madame,  répondez-moi,  lui  dit-il  de  nouveau,  affectueusement 
et  en  allant  droit  au  but  ;  pourquoi  voulez-vous  mourir  ? 

—  Je  n'ai  jamais  voulu  mourir.  Monsieur,  avant  que  la  misère 
m'ait  condamnée. 

—  Vous  manquez  donc  de?... 

—  De  tout. 

—  C'est  cruel  ;  mais,  comme  ce  n'est  pas  sans  remède,  ce  n'est 
point  une  raison  pour  se  tuer... 

—  Ce  n'est  pas  moi  qui  me  tue  ;  c'est  la  faim  qui  fait  son  œuvre... 
Seulement  j'abrège  l'agonie. 

—  Vous  n'avez  plus  foi  dans  les  hommes... 

—  Plus  d'espoir,    au  moins. 

—  Peut-être  est-ce  déjà  un  tort  ;...  mais  la  foi  en  Dieu? 

—  C'est  en  Dieu  que  j'espère  aller,  il  m'appelle  à  lui,  en  me 
faisant  passer  par  les  rudes  sentiers  du  dénuement. 

—  Dieu  n'appelle  jamais  à  lui  sa  créature  avant  l'heure...  et  votre 
heure  n'est  pas  venue. 

—  Elle  touche  à  sa  fin,  au  contraire.  Toutes  mes  ressources  sont 
épuisées,  et  je  ne  connais  personne. 

—  Mauvaise  raison.  Vous  ne  me  connaissez  pas.  Madame...,  et  me 
voilà... 

—  C'est  vrai.  Monsieur. 

—  Et  je  viens  vous  prouver  qu'il  vous  reste  au  moins  encore  une 
bonne  chance  à  épuiser. 


d'un    BIBIIOMANE  I47 


—  A  moi,  Monsieur? 

—  Vous  sembiez  incrédule. 

—  Pourriez-vous  m'apprendre  laquelle? 

Oui,  chère  dame.  Les  manies  des  uns  deviennent  le  secours  des 

autres.  N'avez-vous  pas  en  votre  possession  un  volume...  rare, 
précieux...  que  vous  ne  refuseriez  pas  de  céder...  contre  un  prix... 
raisonnable?... 

—  Oh  !  dérision  du  sort  !...  Le  coup  est  par  trop  cruel  !... 

La  pauvre  femme  étoufîe  un  sanglot,  baisse  la  tête,  arrête  un 
moment  ses  regards  sur  son  fourneau,  qui  s'est  éteint. ..  puis  ferme 
les  yeux,  et  ne  peut  répondre. 

Ce  mutisme,  gros  de  douleur,  avait  son  amère  éloquence. 

Le  visiteur  regarde,  dans  la  direction  des  derniers  regards  de  la 
malheureuse,  et  voit,  sur  le  charbon  qui  n'a  pas  pris,  des  papiers 
à  moitié  noircis  et  dont  l'air  agité  soulève  les  pellicules  de  cendre. 

Il  se  penche...  et  tressaille. 

Son  investigation  ne  s'arrête  point  là. 

11  voit  aussi  à  terre  une  couverture  de  volume.  Il  la  ramasse  en 
tremblant,  va  au  dos,  et  lit  le  titre... 

—  Trop  tard  !  Grand  Dieu  !...  gémit-il  à  mi-voix...  Tout  mon 
rêve,  tout  mon  bonheur  anéanti  !!... 

Interdit  un  moment,  il  reprend  bientôt  : 

—  Qu'est-il  arrivé.  Madame?  et  pourquoi  ce  volume  est-il?... 

—  Déchiré  ? 

—  Oui.  Vous  en  saviez  la  valeur,  pourtant. 

—  Une  note  amicale  me  l'avait  apprise,  et  je  tenais  à  en  suivre 
religieusement  l'indication. 

—  Pourquoi  donc,  alors,  l'avez-vous  détruit?... 

—  Pourquoi  je  l'ai  détruit?...  Pour  ne  pas  enfreindre  l'avis  de 
mon  cher  Bénédict.  Il  n'a  pas  voulu  que  je  le  donne  pour  peu...  et 
je  n'ai  pu  le  vendre  pour  beaucoup.  Décidée  à  mourir,  je  n'ai  rien 
imaginé  de  mieux  que  de  l'employer  à  cette  fin...  Le  vendre,  m'ai- 
dait à  vivre  loin  de  Bénédict  ;  le  brûler,  m'aidait  à  le  rejoindre  plus 
tôt... 

—  O  Madame,  quel  digne  intérêt  ce  sentiment  m'inspire  !...  Mais 
aussi  quelle  torture  vous  me  faites  éprouver  !...    Je  venais  chercher 


1^8  FANTArSIES 

ce  livre,   et   vous  en   offrir   un   prix...    acceptable.   J'ai  un  poignant 
chagrin  de  ne  plus  le  trouver... 

Ce  matin,...    il  y   a    quelques   heures  encore,    votre  offre  me 

rendait  heureuse. 

—  Je  vous  en  aurais  donné  cinq  cents  francs. 

—  Cinq  cents  francs  !...  Ah  !  Monsieur,  qu'il  y  a  de  jours  que  je 
n'ai  vu  somme  pareille  !  C'était  la  vie  pour  bien  longtemps  ! 

—  Je  ne  m'en  dédirai  pas...  et  je  me  figurerai  que  je  l'ai  sauvé  de 
l'incendie...  Les  cinq  cents  francs  sont  quand  même  à  vous. 

—  Monsieur  1!... 

La  pauvre  femme  n'en  croit  pas  ses  oreilles,  et  ne  peut  prononcer 
un  mot  de  plus. 

Cette  aubaine  inespérée  lui  produit  l'effet  d'un  mirage.  Elle  croit 
rêver. 

Mais,  depuis  un  instant,  l'amateur  réfléchissait.  Une  lueur  soudaine 
illumine  son  visage  ;  ses  traits  chagrinés  se  dérident  : 

—  Madame?  interroge-t-il  tout  à  coup,  l'avez-vous  déchiré... 
complètement  ? 

—  Je  ne  sais  pas,  Monsieur;  je  n'y  voyais  plus  clair...  S'il  en 
reste,  c'est  dans  la  couverture  que  vous  tenez...  Ouvrez-le. 

Le  vieux  monsieur  suit  le  conseil,  qu'en  un  moment  moins  troublé 
il  aurait  parfaitement  pu  se  donner  lui-même.  D'un  doigt  agité,  il 
ouvre  la  couverture...  et  pousse  une  exclamation  de  joie. 

Deux  feuillets  ont  survécu.  Us  ne  sont  ni  déchirés,  ni  fripés  ;  ils 
tiennent  encore  au  dos...  et  l'un  de  ces  deux  est  précisément  celui 
qui  manque  à  son  exemplaire  ! 

—  Ah  !  Dieu  est  bon  !  Dieu  est  juste  !...  s'exclame-t-il  pris  d'un 
indicible  soulagement.  J'ai  doublement  gagné  ma  journée. 

Son  enthousiasme  n'a  plus  de  bornes.  S'il  n'était  que  bibliophile,  il 
sauterait,  il  chanterait  II  est  heureux  comme  un  pays  qui  a  reconquis 
une  province. 

Le  bonheur  souffle  des  idées,  et  l'humour  se  met  parfois  de  la 
partie,  pour  faire  chorus  avec  la  sensibilité  : 

—  Madame,  reprend  l'ami  des  livres,  tout  à  l'heure,  quand  je  le 
croyais  entier,  je  vous  offrais  cinq  cent?  francs  de  votre  volume.  Vous 
savez  qu'il  était  très-rare... 


UUN    BIBLIOMANE 


—  Monsieur,  vous  augmentez  ma  peine. 

—  Maintenant  qu'il  n'a  plus  que  deux  feuillets,  je  suis  forcé  de 
convenir  qu'il  est  devenu  bien  plus  rare  encore... 

—  Hélas  l 

—  Je  renouvelle  mon  offre,  en  la  proportionnant  à  ce  surcroît  de 
valeur...  Voilà  mille  francs...  Soignez-vous.  Je  vais  vous  envoyer  la 
concierge  pour  vous  aider...  et  je  vous  reverrai. 

—  Quelle  grâce  1... 

—  Surtout  point  de  remerciements. 
Et  il  sort. 

Le  bienfaisant  bibliomane,  doublement  heureux,  comme  il  l'a  dit, 
descendait  déjà  l'escalier. 

La  pauvre  femme,  à  moitié  éblouie,  suffoquée  d'un  bonheur  si 
inattendu,  et  le  cœur  débordant  de  reconnaissance,  était  encore  à 
genoux. 

Avant  de  se  relever  : 

—  Merci,  ô  Dieu  bon  !  s'écrie-t-elle  avec  un  accent  qui  contenait 
toute  son  âme... 

—  Puis,  après  : 

—  Et  toi,  mon  cher  Bénédict,  réjouis-toi.  Tu  me  l'avais  bien  dit, 
ton  volume  était  un  o  trésor...  »  Il  devait  me  sauver  la  vie  !... 

Le  bibliophile  revint. 

11  n'abandonna  pas  la  veuve,  qui  reprit  le  goût  de  vivre,  —  et 
vécut  en  le  bénissant. 


IJO  FANTAISIES 


MON    PREMIER    BOUQUIN 

'avais  dix  ans.  Un  soir  d'été,  je  sortais  de  classe.  Avant 
de  rentrer  dîner,  je  fis  un  tour  de  ville. 

Au  coin  d'une  rue,   sur  un  banc  de  pierre,  je  vis  le 
colporteur  déposer  sa   banette  pleine  et  en   sortir  sa 
marcliandise...  D'un  bond,  je  fus  près  de  lui. 

Le  bonhomme  me  connaissait;...  j'avais  déjà  regardé  deux  ou 
trois  fois  son  étalage.  Je  le  regardai  encore,  fourrageant  dans  se? 
livres..   Il  me  laissa  faire. 

Jusqu'à  cette  heure,  je  m'étais  contenté  de  a  toucher  des  yeux,  n 
réserve  de  gousset  peu  garni.  Ce  jour-là,  grâce  aux  économies, 
j'avais  des  sous,  bien  des  sous...  sept,  je  crois.  Je  rayonnais. 

Après  avoir  dérangé  nombre  de  volumes,  j'annonce  fièrement  que 
je  vais  en  acheter. 

Au  milieu  de  tous  ces  brochés,  j'en  avise  un  relié...  mais  d'un 
vieux  !  Je  l'ouvre.  C'était  des  vers,  —  par  un  modeste,  avouant  qu'il 
a  rimé  «  dans  le  goût  de  M.  de  La  Fontaine  !...   » 

Cette  prétention  grotesque  aida-t-elle  à  mon  choix?  Je  ne  sais. 
Mais,  tout  tremblant  d'un  acte  aussi  téméraire,  —  un  premier  achat  ! 
—  je  demande  le  prix  du  bouquin. 

—  Cinq  sous,  me  répond  d'un  ton  ferme  le  marcfiand. 

Je  plonge  ma  main  dans  ma  poche,  et  en  retire  mes  sept  sous. 
J'en  donne  cinq  ;  je  remets  les  deux  autres... 

Puis,  le  tome  noir  sous  le  bras,  je  rentre  à  la  maison. 

—  Qu'est-ce  que  c'est?  s'écrie  gatment  mon  père.  Un  livre!! 
Tiens!  tu  achètes  ça  ?... 

—  Bah  !  interrompt  ma  mère,  laisse  donc.  J'ai  idée  qu'un  jour 
il  saura  s'en  servir. 

O  chère  et  excellente  mère  !! ...  C'est  peut-être  à  cette  réponse 
que  je  dois  d'avoir  aimé  les  livres. 

Le  volume  entra.  Un  peu  plus,  on  l'eût  acclamé.  Je  le  posai  triom- 
phalement sur  un  rayon.  Il  lui  porta  bonheur...  Peu  à  peu  d'autres  et 
d'autres  l'y  rejoignirent. 


D'UNBIBLIOMANE  I5I 


LA    LECTURE    EN    FAMILLE 


CAUSERIE 


SS*A 


El 


'ê  charme  du  foyer  me  plaît  d'étrange  sorte, 


^  j  -s^^/    '^'^  ^  *°"  premier  veiS;  un  des  sonnets  que  vous  venez 
<^^rï^N    de  lire. 

Dans  cette  poésie,  —  petit  tableau  très-condensé,  mais  néanmoins 
très-sentij  du  bonheur  du  coin  au  feu,  —  le  poëte  ajoute  : 

nous  puisons 

En  quelque  livre  aime  qu'ensemble  nous  Usons... 

Ce  dernier  vers  renferme  exactement  le  trait  auquel  je  désirais  arriver. 

Toute  la  pièce  respire,  à  un  haut  degré,  ce  bonheur  d'être 
ensemble,  et,  pour  une  bonne  part,  le  pivot,  la  cause,  le  germe  de 
ce  bonheur...  c'est  un  livre  ! 

Quelle  place  le  livre  tient  !  Quel  rôle  le  livre  remplit  !  Quel  rôle 
surtout  le  livre  remplirait,  si  l'on  savait  voir  en  lui  l'ami  des  loisirs,  le 
guide  écouté  des  douces  heures  !... 

Qu'y  a-t-il  de  plus  attrayant  qu'un  cercle  étroitement  serré  autour 
de  la  bûche  qui  flambe?  On  écoute  le  lecteur  penché  près  de  la 
lampe  ;  attentif,  on  est  comme  attaché  au  récit  qui  se  déroule,  au 
caractère  qui  s'étudie  ;  on  s'émeut  aux  douleurs  qui  se  racontent,  ou 
l'on  sourit  à  quelque  page  fine  et  pleine  d'observation. 

Nul  ne  songera  à  nier  ce  que  l'esprit  gagne  à  ce  délassement...  Et 
c'est  loin  d'en  être  toute  la  portée. 

Je  sais  une  famille  où  se  trouve  recluse  une  mère  peu  valide, 
femme  d'élite  et  très-aimée. 

Alerte,  elle  sortait  jadis  :  aujourd'hui,  arrêtée  par  un  mal  mécani- 
que, elle  ne  peut  plus  sortir. 

Eh  bien  !  qu'a-t-on  imaginé  pour  semer  la  vie  autour  d'elle? 

Vous  croyez  peut-être  qu'après  les  bons  soins  matériels  donnés  à 


153  FANTAISIES 

son  corps,   on  se  dit  que  c'est  tout,   et  qu'on  la  laisse  tranquillement 
se  replonger  dans  les  méandres  intimes  et  obscurs  de  ses  souffrances? 

Oh  !  que  non  ! 

L'amitié  est  ingénieuse. 

On  n'a  pas  voulu  que  pour  elle  la  solitude  se  fit.  Tous  les  soirs,  on 
vient  dans  sa  chambre,  on  se  groupe  à  ses  côtés,  et,  là,  on  tient  son 
esprit  en  éveil,  on  peuple  son  imagination  à  l'aide  de  causeries,  — 
et  principalement  de  lectures. 

Oui,  des  lectures.  Et,  comme  on  sait  habilement  les  lui  choisir, 
loin  de  s'en  saturer,  elle  n'en  a  jamais  assez. 

Voyez  l'intelligente  impulsion  : 

Ces  fêles  de  l'esprit  ont  généralement  pour  source  courante  les 
oeuvres  consacrées  des  grands  écrivains  ;  on  puise  au  fleuve.  Mais 
l'arc  de  l'esprit  ne  pouvant,  ne  devant  pas  être  toujours  tendu,  à  côté 
des  maîtres  de  la  pensée  et  de  la  plume  sont  appelés  de  temps  à  autre 
les  talents  secondaires,  et  les  productions  à  la  mode  y  apparaissent 
aussi  parfois  pour  être  discutées,  appréciées,  jugées...  je  ne  prétends 
pas,  pour  cela,  dire  acclamées.  De  celte  manière,  on  y  va  même  au 
spectacle  :  l'un  des  fils  apporte  la  pièce  nouvelle  ;  le  meilleur  lecteur 
se  charge  de  la  faire  entendre,  donnant  à  chaque  personnage  une 
inflexion  de  voix  et  une  physionomie,  et,  dans  le  courant  de  la 
semaine,  chacun  corrobore  son  opinion  primitive  de  l'opinion  plus 
ou  moins  discutable  des  principaux  critiques... 

Tout  cela,  sans  parler  des  joies  que  procure  au  groupe  le  père, 
bibliophile  acharné,  qui  a  un  flair  rare  et  rapporte  souvent  une  vraie 
trouvaille,  autour  de  laquelle  chacun  se  regarde  et  s'extasie. 

On  ne  pourrait  se  faire  une  idée  précise  de  l'attrait  de  ces  réu- 
nions, dont  chaque  membre  est  infailliblement  captivé. 

Après  la  soirée  passée  de  la  sorte,  la  chère  impotente,  sans 
brouillards  dans  le  cerveau,  se  sent  plus  allègre,  et  quand  elle  a 
gagné  son  lit,  le  sommeil  lui  arrive  bon  et  léger. 

N'est-ce  pas  un  trésor  qu'on  a  sous  la  main,  le  livre  qui  produit 
un  pareil  résultat?  Et  ne  serait-ce  pas  une  ressource  immense  dans  la 
vie  que  de  savoir,  à  point  nommé,  puiser  abondamment  à  cet  efficace 
breuvage? 

Un  livre,  c'est  tout  :  c'est  une  boisson,  c'est  une  nourriturje  ;  c'est 


DUN    BIBLIOMANE 


Mî 


le  pain,  c'est  le  vin  ;  c'est  le  charme,  c'est  le  reconfort  ;  c'est  le 
soutien  de  nos  faiblesses,  c'est  l'ami  de  nos  douleurs. 

Ecoutez  celte  dernière  pensée  dans  Bernardin  de  Saint-Pierre  : 

«  Un  bon  livre,  dit-il,  est  un  bon  ami.   » 

Nombreux,  très-nombreux  sont  les  auteurs  qui  ont  goiité  à  l'onc- 
tueuse saveur  du  livre  et  en  ont,  par  contre-coup,  fait  deviner  aux 
autres  les  délices. 

Montaigne  a  dit  du  commerce  des  livres  : 

(I  Cettuy  ci  cofloye  tout  mon  cours,  &  m'affifte  partout...  Pour 
me  diftraire  d'une  imagination  importune,  il  n'efl  que  de  recourir 
aux  livres;  ils  me  deftournent  facilement  à  eulx,  &  me  la  defrobbent.  » 

Maintenant,  recueillez  cette  parole  de  la  grande  Christine  : 

o  La  lecture  est  une  partie  du  devoir  de  l'honnête  homme.    » 

A  son  tour,  J.  Joubert  s'écrie  : 

a  Ce  sont  les  livres  qui  nous  donnent  nos  plus  grands  plaisirs... 
Quelquefois  même  les  pensées  consolent  des  choses,  et  les  livres 
consolent  des  hommes.   » 

M""  de  Sévigné  avait  touché  le  point  plus  légèrement,  mais  non 
moins  profondément  peut-être  : 

«Tant  que  nous  aurons  des  livres,  dit-elle,  nous  ne  nous  pendrons  pas.» 

Et  Montesquieu  reprend  sur  un  autre  ton  : 

a  Aimer  à  lire,  c'est  faire  un  échange  des  heures  d'ennui,  que 
l'on  doit  avoir  en  sa  vie,  contre  des  heures  délicieuses.   » 

Si  l'on  voulait  cieuser  le  sujet,  on  aurait  à  écouter  Plutarque, 
Cicéron,  Pétrarque,  et  ce  cardinal  Bessarion  qui  fit  don  de  sa  biblio- 
thèque à  la  ville  de  Venise,  et  des  vingtaines  d'autres. 

Voulant  seulement  effleurer  ces  textes,  —  que  vous  aurez  sous  les 
yeux  tout  à  l'heure,  —  je  n'en  choisis  plus  que  deux  ou  trois. 

Le  docteur  Fée  dit  excellemment  : 

«  Les  livres  sont  des  amis...  Une  bibliothèque  qui  les  réunit  tous, 
devient  une  sorte  d'assemblée  de  famille  à  laquelle  on  peut  demander 
des  conseils  et  des  consolations.   » 

Darimon,  idéalisant,  s'exprime  ainsi  : 

■>  Pour  peu  que  vous  vous  sentiez  l'âme  curieuse  et  recueillie, 
lisez,  lisez  un  bon  livre,  et  ce  sera  un  peu  comme  si  vous  priiez  ;  vou? 
vous  instruirez  et  vous  vous  édifierez,  vous  aurez  fait  un  acte  religieux..  » 

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154  FANTAISIES 


Et  Channing,  dans  un  élan  très-beau  ; 

«  C'est  surtout  par  les  livres  que  nous  jouissons  du  commerce  des 
esprits  supérieurs,  et  cet  inappréciable  moyen  de  communication  est  à 
la  portée  de  tout  le  monde.  Dans  les  plus  beaux  livres,  les  grands 
iiommes  nous  parlent,  nous  donnent  leurs  plus  précieuses  pensées  et 
versent  leur  âme  dans  la  nôtre.  Remercions  Dieu  des  livres  !    » 

Enfin,  Cil.  Asselineau,  qui  vient  de  mourir,  jette  ce  cri  : 

o  Gloire  à  vous  I  vous  répandez  sur  nous  la  vive  lumière  du  Ciel... 
C'est  à  la  clarté  de  vos  paroles  que  nous  entrevoyons  le  Dieu  tout- 
puissant  caché  dans  les  profondeurs  de  l'infini,  et  que  nous  percevons 
les  récompenses  promises  aux  justes...   » 

Comme  il  faut  se  borner  ici,  je  clos  à  ces  lignes  mes  citations,  — 
que  je  pourrais  facilement  centupler. 

Mais  elles  sont  assez  nombreuses  déjà  pour  avoir  éveillé  en  vous  la 
corde  sympathique.  Si  vous  aimez  à  lire,  vous  verrez  que  tous  ces 
auteurs  ont  dit  juste  ;  si  le  goût  de  la  lecture  est  encore  à  naître  en 
vous,  il  est  plus  que  probable  qu'il  y  naîtra. 

Et,  avec  ce  goût,  ce  n'est  pas  seulement  un  plaisir  que  vous  aurez 
à  votre  gré  ;  quand  vous  le  voudrez,  vous  disposerez  d'une  puissance. 

Aux  lueurs  caressantes  du  foyer,  à  l'ombre  transparente  du  store, 
aussi  bien  qu'aux  émanations  embaumées  du  jardin,  vous  pourrez 
mettre  en  jeu  le  doux  ressort  qui  resserre  les  liens  de  la  famille  et  de 
l'amitié  ;  vous  serez  le  magicien  qui  versera  son  baume  sur  les 
tristesses,  et  fortifiera  les  cœurs  ;  vous  serez  les  maîtres  de  l'intérêt 
qui  attache  ;  à  volonté  vous  verserez  le  philtre  d'un  saint  enchante- 
ment, et  les  oreilles  s'ouvriront  autour  de  vous  pour  laisser  glisser  vos 
paroles  jusqu'au  fond  des  âmes. 

Si  vous  rencontrez  des  cœurs  droits,  vous  les  maintiendrez  dans  la 
droiture;  si,  par  hasard,  il  s'en  présente  à  vous  de  déviés,  vous  les 
remettrez  dans  la  ligne  du  devoir. 

Oh  !  oui,  le  livre  fait  de  grandes  choses  !...  —  Que  tous  les  yeux 
l'accueillent  !  que  tous  les  foyers  lui  soient  ouverts  !  —  La  lecture  on 
famille  est  un  des  meilleurs  remèdes  à  beaucoup  de  maux  d'ici-bos.  . 

Quand  les  lecteurs  voudront,  ce  sera  une  panacée. 


O    UN    BIBLIOMANE  I  55 


LA    MAITRESSE    DU    MARI 


Un  dos  bonheurs  de  ma  vie  ! 
(...) 


,T,  le  dos  englouti  dans  le  velours  moelleux  d'un  fauteuil, 
les  pieds  négligemment  avancés  devant  les  tisons,  le 
corps  tout  entier  doucement  pénétré  de  la  bienfai- 
sante chaleur  de  la  flamme,  mon  ami  termina  sa  causerie  par  ce 
récit,  —  que  j'écoutai  curieusement  parce  que,  pendant  presque 
toute  sa  durée,  il  me  parut  une  singulière  énigme  : 


II 


Je  suis  marié,  comme  tu  le  sais,  me  dit-il. 

Je  crois  que  je  passe  pour  un  bon  mari  ;  je  tiens  surtout  à  l'être, — 
et,  pourtant,  j'ai...  une  maîtresse  ! 

Une  maîtresse  qui  a  bien  des  qualités,  bien  des  agréments,  et 
aussi  bien  des  privilèges,  ma  foi  ! 

Elle  est  connue  de  ma  femme...  Mieux  que  cela  ;  je  l'ai,  —  ça  peut 
paraître  fort,  —  je  l'ai  introduite  dans  le  domicile  conjugal. 

Je  l'aime  tant,  que  je  la  vois  partout  dans  notre  appartement.  Elle 
l'orne,  elle  le  remplit. 


1^6  FANTAISIES 

Douée  de  physionomies  diverses,  d'une  pièce  à  l'autre  elle  change 
d'aspect.  Elle  a  le  charme,  elle  m'attire,  —  et  je  me  laisse  aller  avec 
un  bonheur  indicible  à  celte  douce,  à  cette  engageante,  à  cette 
irrésistible  attraction. 

Lorsqu'une  peine  quelconque  appesantit  son  nuage  en  moi,  c'est 
volontiers  à  elle  que  je  vas  ;  c'est  elle  que  j'interroge. 

A  chaque  question  que  je  lui  adresse,  elle  a  une  réponse  prête, 
réponse  toujours  variée,  souvent  bienveillante  et  fine,  parfois  piquante, 
parfois  narquoise,  et  assez  fréquemment  juste. 

Elle  possède  des  langues  mortes,  des  langues  vivantes,  des 
dialectes,  des  patois,  autant  que  j'en  sais  moi-même...  et  un  peu  plus. 

Elle  est  sérieuse,  et  elle  pétille  d'esprit  ;  elle  est  érudite,  et  elle 
adore  la  poésie. 

Elle  peut  narrer  des  quantités  de  faits  curieux,  et  ne  tarit  pas  en 
anecdotes  rares.  Indépendante  d'humeur,  elle  est  tout  ce  qu'il  y  a  de 
plus  éclectique  au  monde  ;  elle  dit  aussi  bien  le  mot  pour  rire  qu'elle 
pleure  l'élégie,  entonne  l'ode,  fleurit  le  madrigal,  décoche  l'épigramme 
et  cingle  la  satire. 

Saturée  et  sémillante,  elle  est  toute  pleine  de  science,  et  toute 
brillante  d'imagination  :  d'un  côté,  règle  et  compas  ;  soleil  et  feu- 
follet,  de  l'autre. 

Elle  a  la  sagesse  du  philosophe,  et  la  gaieté  du  trouvère.  Riche  en 
préceptes  comme  l'éther  en  étoiles,  elle  vous  jette  à  point  nommé 
de  ces  maximes  qui  valent  des  diamants.  Elle  donne  les  conseils  les 
plus  sains,  et  me  fait  de  temps  en  temps  des  confidences  dont  j'ai 
raison  de  me  défier... 

Mais  je  sais  choisir. 

Sa  toilette  est  pittoresque,  inégale,  et  particulièrement  disparate. 
Je  fais  ce  que  je  peux  pour  elle  ;  mais  je  ne  suis  pas  riche. 

Elle  a  des  bijoux  par-ci,  et  presque  des  loques  par-là...  Que 
voulez-vous  !  Avec  ses  besoins  nombreux,  il  me  faudrait  tous  les 
joailliers  spéciaux  pour  l'embellir  complètement,  et,  après  tout,  ce 
que  j'aime  le  plus  en  elle,  c'est  sa  beauté  intrinsèque,  sa  beauté 
morale. 

Cette  beauté  morale  constitue  aussi  sa  valeur  intellectuelle,  —  et, 
a  ce  point  de  vue,  elle  a  des  choses  de  prix,.. .  des  choses  sans  prix  ! 


d'unbibliomane  157 

Il  m'arrive  souvent  de  me  poser  devant  elle,  de  m'y  arrêter,  — 
l'été,  les  épaules  et  les  bras  au  frais  ;  l'hiver,  emmitoufîlé  dans  ma 
robe  de  chambre,  —  et  de  la  contempler  longuement  sans  jamais 
me  lasser,  trouvant  toujours,  au  contraire,  les  heures  promptes  et  le 
temps  court. 

Le  bon  temps  !  les  bonnes  heures  ! 

J'enivre  mon  regard  à  cette  contemplation,  puis  je  m'enfonce  tout 
doucement  dans  la  plus  ravissante  des  rêveries... 

Alors  le  mirage  commence;  il  me  semble  sentir  en  moi  des  ailes, 
et  je  monte,  je  plane,  je  m'élance.  J'atteins  ainsi  jusqu'aux  confins 
les  plus  vastes,  jusqu'aux  plus  étranges  horizons. 

L'infini  s'ouvre  devant  moi  ;  je  ne  tiens  plus  à  l'écorce  de  notre  terre. 

Seulement,  comme  ma  maîtresse  est  capricieuse,  si  elle  trouve 
que  je  reste  trop  longtemps  plongé  dans  les  lointaines  solitudes  de 
mes  pensées,  elle  m'en  tire  brusquement  —  et  m'ouvre  d'autres  ré- 
gions, où,  par  un  voyage  nouveau,  je  me  repose  du  précédent  voyage... 

Elle  n'aime  pas  les  impressions  de  trop  longue  durée. 

Oh  1  l'originale  !...  Oh  !  la  multiple  !!...  Oh  !  la  bizarre  M!... 

Et  pas  moyen,  jamais,  de  lui  savoir  mauvais  gré  de  ses  fantaisies 
ni  de  ses  boutades  !  — 

Vous  voyez  que  c'est  d'un  bel  et  bon  amour  que  je  l'aime,  et,  — 
dans  ma  position  de  mari  aimant  sincèrement  sa  femme,  —  vous 
devez  trouver  le  cas  légèrement  incompréhensible? 

Si  j'ajoute  maintenant  que,  chez  nous,  dans  ce  domicile  conjugal, 
dans  ce  nid,  cette  maîtresse  n'excite  entre  nous  ni  jalousies,  ni 
querelles  ;  que,  loin  de  là,  elle  aide  à  tous  nos  éléments  d'harmonie 
et  de  concorde  :  le  cas,  pensé-je,  vous  semblera  bien  plus  incom- 
préhensible encore  ! 

Et  cela  est,  —  vrai,  exact,  précis,  comme  la  plus  rigoureuse  de 
toutes  les  vérités  mathématiques. 

Ma  femme  l'aime  aussi  ;  de  sorte  que  nous  l'aimons  presque 
autant  l'un  que  l'autre. 

Et  l'amour  de  ma  femme  pour  ma  maîtresse  ne  se  traduit  point 
par  quelques  rares  paroles,  que  l'on  pourrait  taxer  de  diplomatie 
ou  de  résignation  ;  mais  bien  par  des  actes  ostensibles,  fréquents  et 
incontestables. 


m8  fantaisies 


Ainsi  elle  cause  avec  elle  ;  elle  se  livre,  comme  je  le  fais,  nu  charme 
des  rêveries  qu'elle  provoque  ;  elle  la  consulte  ;  elle  ajoute  un  joyau 
à  sa  parure,  un  trésor  à  ses  trésors  ;  elle  l'ajuste,  lui  prodigue  ses 
soins,  et,  si  je  me  rendais,  moi,  à  l'égard  de  cette  chère,  coupable  de 
quelque  négligence,  elle  m'en  ferait  vite  apercevoir. 

Oh  !  la  singulière,  et,  pourtant,  la  suave  et  naturelle  union  ! 

Elle  paraît  un  mystère,  un  mystère  monstrueux...  inexplicable  ou 
moins. 

Je  me  rends  compte  de  cet  effet. 

L'esprit  n'accepte  pas  d'emblée  l'invraisemblance. 

Mais  tu  diras...  vous  direz  tous  comme  moi  quand  je  vous  aurai 
tout  appris.  Vous  ferez  comme  moi...  Non,  vous  ne  le  ferez  pas;  car, 
si  vous  êtes  le  moins  du  monde  curieux  et  intelligents,  vous  l'avez 
déjà  fait... 

—  Quelle  accusation  !  interrompis-je. 

—  Ce  n'est  point  une  accusation.  C'est  une  assertion,  et,  dans 
cette  assertion,  je  suis  tellement  sûr  de  moi,  que  voici  mon  doigi, 
ma  main,  ma  tête  à  couper  si  je  me  trompe. 

Vois  plutôt  : 

Ma  maîtresse,  —  la  maîtresse  si  choyée  dont  je  viens  de  t'entre- 
tenir,  cette  belle,  sage,  spirituelle,  fantasque  et  folle  maîtresse, 
simple  et  éclatante,  monotone  et  bariolée,  si  étonnante  dans  ses  pri- 
vilèges et  si  discrète  dans  ses  exigences,  —  c'est... 

Ma  B1BLIOTHÈQ.UE!  — 

III 

Là,  mon  ami  s'arrêta. 

Les  tisons  étaient  moins  vifs  ;  on  ne  sentait  [>lus  (ju'une  molle 
tiédeur  dans  sa  chambre  : 

Il  me  regarda  avec  cette  douce  finesse,  qui  lui  est  habituelle  et  qui 
vous  pénètre  si  agréablement  : 

—  Tu  comprends,  à  cette  heure?  ajouta-t-il. 

—  Je  comprends. 

—  Et  tu  m'absous,  n'est-ce  pas? 

—  Je  crois  bien  que  je  t'absous  ! 


D    UN    B  I  B  L  I  O  M  A  N  E 


M9 


Effectivement  j'étais  ravi. 

—  Il  serait,  ajoutai-je,  à  souhaiter  que  tous  ceux  qui... 

—  Chut  !  fit  doucement  mon  bibliophile. 

Et,  à  la  vérité,    maintenant  que  j'ai  fait  imprimer  sa  tirade,  je  dis 
a  chut  !   »  comme  lui... 
Seulement  : 

—  Avis  à  certains,  et  profite  le  lecteur  ! 


LES    COMA4ANDEMENTS 


DU     BIBLIOPHILE 


<S-t  Gonnt  ^tuvt  tcrtifftnAti', 
Citait,  iu  t^A£i££ti!AS- 

^^Av  £t  lofeif  tu  iMrti?cfîtf<t& 
/-^t  j)nt?  fft  €«ft  cc^aftmtut. 


COon  nt^^  (t  ttSr  Soiiiic-  ri  v<t»n<tMt. 


|63  FANTAISIES 

(^ttOMrn<int  tout,  tu  ff^tlftl-.IC- 
«^rtc  MM  ^itt  'difctfutnttttt. 

■^uifrtHt     <lVtC    <ÏC^^fMt»MéMt. 

S^^u^»i(>  utit  ^ufi^iint  troMrtr<ic-, 
^<»c^tr<l6'  ton   coMttHttrMtHtj 

(^)I\.<liG-,  tn  ?)t54MC-,  tu  6tmi?4C. 
^^'  ^  t{/|irori()tHtt  ttii^f£Mié»it. 

, ^''^  *  |oii^,  £»tH  c^«tj-tfc  tu  ftrntf. 

/^t    t  tu    l?eî?itH<)ir»1£-    ftMttlMtHt. 

&Av\Zr  téfr  frtfOMC-  tu  ftfr  wtttr<tit, 

^^H    l'tS-    cf»tl^<lHt   fo^l<|UttMCHt. 

C::,o«m»it  Ciiuit  ô  un  f^rois-  touriMtiit. 

/-^H  <tnii  lu  ftc-  |?oftr<t2.... 

■^'u«c-   (.te-  jtrurti-.ics-  j-'i-MDtinisitMt 


I>  UN    BIBLIOMANE  |6} 

■f^ftlH    Ô  un    <»flhvt6ft    tW|Jl?t|7  tlMtHt  J 

<^CucuH  Liv»:C  ut  ôctfHJKvîkt, 
(\\i  n'ccoutittr^ïc.  ftwftmtMt. 

<5VU    wO»t»;.tlKt,   tu    OMivXïlsM- 

CCtS    fiftfTcC-    ^vlttfHtfftjMtMt. 

^__^i     ta-  ôtftruvtcujjs-  tu  iMnut)i»?ac- 

^^J^ÏMC-    rft?vîct,    I^M^ltOV<t6ft»M4Mt  : 

;^^t£-  roftuKfr,  tu  i'cfr  v^.îtir.ts- 
--<^H  fta-  diruftfUitiit  vtritvntnt. 

<3-o»ic,  tes-  firJ^tjs-  tu  c^Cî"i»?iic- 
r-<^t  titndi?<t£'  i«»HOMrtuftmtHt^ 

<3^U    vOutt.lU    tu    ftfr    COUjJtï'.lC- 


164 


FANTAISIES 


^MJ^iM,  JMiftoiit,  TU    LES   LIRAS... 
«si^tjt  tnoti  ftus-  f)*iut  coiMMirtnôiJHtiit. 

'fVcc-  ou  |tu,  tiir'd,  tu  vtïtftrAS- 
'^^OMf  i'ts-  coiittitij?ftr  fonf^utmtiit. 

<^  f.T  ^111,  tu  it  coucfjttws-, 

CCToutt  l'.i  nuit  tu  rcvcr^ïc- 
J^>ouautti,  Gaocf^UKt  ft  ZiocumtHt; 

CCo»w6<iMt  ^iîtj<|Ut  tu  f  tMifirtrMtiil. 


BIBLIOPHILIANA 


CE    Q^U'ON    A    DIT    DU   LIVRE 


PRESCRIPT. 


OlCl  une  /anthologie  bien  spéciale:  une  série 
d'opinions  sur  le  LIVRE,  —  opinions  d'écrivains 
les  plus  divers  et  d'époques  et  de  renommées. 
Quoique  riche  déjà,  elle  est  loin  d'être  complète. . . 
elle  ne  le  sera  même  jamais.  —  Ce  n'est  ni  un  homme,  ni  plu- 
sieurs qui,  à  bout  de  travail,  pourraient  venir  dire  :  «  Tout 
ce  qu'on  a  écrit  sur  /e  LIVRE  est  là.  » 

Pour  hasarder  ce  mot,  il  faudrait  pouvoir  compulser  tout  ce 
que  l'esprit  de  l'homme  a  produit,  et,  avant  d'avoir  accompli 
la  centième  partie  de  ce  tour  de  force,  combien  de  vies  humai- 
nes seraient  éteintes  ! 

Ce  qui  est  présenté  ici  n'est  donc  qu'un  échantillon,  mais 
suffisamment  volumineux;  —  et,  quoique  je  l'aie  ébauché  sans 
sortir  de  chez  moi  {on  ne  travaille  bien  qu'avec  ses  livres), 
je  me  berce  de  l'espoir  que  plus  d'un  lecteur  y  rencontrera  la 
page  de  lui  inconnue. 

Je  suis  loin,  pourtant,  d'avoir  tout  feuilleté  !  et  tout  ce  que 
fat  feuilleté  n'est  certes  pas  cité  '/... 


i68 


BIBLIOPHILIANA 


Tar  la  gerbe  présente,  jugez  de  ce  que  pourrait  être  la 
moisson... 

L'enîreprendra-t-on  jamais?  — 

Sauf  deux  ou  trois  exceptions,  je  n'ai  puisé  que  chez  les 
prosateurs.  Le  même  travail  serait  donc  à  faire  chez  les  poètes... 

Il  y  aurait,  là,  l'infini  à  parcourir.  — 

Est-il  nécessaire  de  signaler  quelques-unes  des  intentions  qui 
se  sont  fait  jour  pendant  ce  choix?... 

On  les  saisira,  je  pense. 

Par  Livre,  fai  entendu  :  le  livre  matériel,  et  le  livre  in- 
tellectuel,—  c'est-à-dire  :  livre,   lecture,   étude,  lettres,  etc. 

Les  rapprochements  de  certaines  citations  feront  voir  les 
inspirations  puisées  par  les  uns  chez  les  autres.  Certaines  \m[- 
T  AT]  ou  %  deviendroîit  flagrantes...  Quant  aux  PLAGIATS, 
jna  foi  !  il  peut  se  faire  qu'on  en  découvre. 

Ce  sera  la  petite  pointe  de  malice  courant  à  travers  ces  belles 
pages,  la  plupart  si  élevées,  si  sincères,  et,  toutes  chauffées  à 
plein  cœur  de  l'irrésistible  amour,  de  l'enthousiasme  du  LIVRE. 


^l'BLÎOTHlLIdAU^oA 


ADDISSON  (Joseph) 


...  J'étudiai  si  bien,  que  je  puis  me  vanter  d'avoir  lu 
presque  tout  ce  qu'il  y  a  de  bons  livres  dans  les  langues 
anciennes  et  modernes... 

Dieu  a  manifesté  ses  idées  par  la  Création,  et  il  les  a, 
pour  ainsi  dire,  imprimées  dans  le  grand  livre  du  monde. 
L'homme  imprime  aussi  les  siennes  dans  un  livre  qu'il 
produit;  et,  grâce  à  cette  admirable  invention,  dont  l'é- 
poque est  encore  récente,  il  peut  les  faire  durer  autant 
que  le  soleil  et  la  lune... 

Les  livres  sont  l'unique  moyen  de  fixer,  de  transmettre 
aux  derniers  âges  la  pensée,  cette  espèce  d'éclair  qui  ne 
fait  que  briller  et  disparaître.  Quand  le  corps  d'un  savant 
rentre  dans  la  masse  de  la  matière,  quand  son  âme  s'en- 
vole au  monde  des  esprits,  les  livres  nous  conservent  le 
dépôt  de  ses  connaissances;  ils  nous  montrent  ses  idées, 
qu'ils  ont  rendues  visibles  et  permanentes.  Un  bon  livre 
est  un  legs  qu'un  homme  de  génie  fait  au  genre  humain  ; 
c'est  un  trésor,  qui,  passant  d'une  génération  à  l'autre. 


170  BlBLIOPHtLIANA 

enrichira  et  celle  qui  vit,  et  celle    qui   va  naître,  et  la 
postérité  la  plus  reculée. 

(The  Spectator,  n°  166,  trad.  de  l'abbé  Blancliet.) 

ALEMBERT  (Jean   le  Rond  d') 

L'amour  des  livres,  quand  il  n'est  pas  guidé  par  la  phi- 
losophie et  par  un  esprit  éclairé,  est  une  des  passions  les 
plus  ridicules.  Ce  serait  à  peu  près  la  folie  d'un  homme 
qui  entasserait  cinq  ou  six  diamants  sous  un  monceau  de 
caillou.x... 

L'amour  des  livres  n'est  estimable  que  dans  deux  cas: 
1°  lorsqu'on  sait  les  estimer  ce  qu'ils  valent,  et  qu'on  les 
lit  en  philosophe  pour  profiter  de  ce  qu'il  peut  y  avoir 
de  bon,  et  rire  de  ce  qu'ils  contiennent  de  mauvais; 
2°  lorsqu'on  les  possède  pour  les  autres  autant  que  pour 
soi,  et  qu'on  leur  en  fait  part  avec  plaisir  et  sans  réserve... 

Malheur  à  tout  livre  qu'on  n'est  pas  tenté  de  relire! 

ALIBERT  (Jean-Louis) 

Les  livres  sont  comme  des  amis  consolateurs,  qui  em- 
pêchent l'âme  de  trop  s'appesantir  sur  des   impressions 

chagrines. 

{Physiologie  des  Passions.) 

ALLETZ  (Edouard) 

Le  meilleur  livre  à  nos  yeux  est  celui  que  nous  eus- 
sions écrit  nous-mêmes,  si  nos  émotions  suffisaient  pour 


BIBLIOPHILI  ANA 


nous  donner  du  génie...  Quel  bien  nous  fait  une  lecture 
qui  nous  délivre  de  ces  pleurs  qui,  tels  que  la  pluie  rete- 
nue avant  l'orage,  ne  pouvaient  couler  !... 

On  a  besoin  de  lectures  comme  d'air,  de  jour,  d'ali- 
ments... L'auteur  d'un  livre  qui  nous  distrait,  qui  nous 
console  ou  nous  instruit,  semble  avoir  eu  l'intention  de 
nous  rendre  service... 

La  lecture  nous  fait  une  autre  destinée;  elle  nous  en- 
toure d'une  société  nouvelle...  La  lecture  vous  transporte 
en  des  pays  qui  vous  sont  inconnus  et  vous  fait  remonter 
le  cours  des  siècles... 

Je  prends  un  livre  :  je  suis  seul,  mon  esprit  est  attentif, 
mes  yeux  se  dirigent  vers  les  caractères,  et  voilà  qu'une 
autre  pensée  parle  à  la  mienne...  je  m'entretiens  avec 
Homère  et  Platon... 

11  y  a  des  faims  et  des  soifs  de  lecture  pour  les  âmes 
ardentes  qui  veulent  s'émouvoir  et  connaître... 

Dites-moi  ce  que  vous  lisez,  je  vous  dirai  qui  vous  êtes. . . 

Heureux  le  livre  qui  éveille  plus  d'idées  qu'il  n'en  ren- 
ferme!... 

...  Si  l'on  forme  un  cercle  de  famille,  pour  jouir  en 
commun  d'une  lecture  faite  à  haute  voix,  les  sentiments 
éprouvés  rapprochent  les  cœurs... 

Avec  la  lecture  vous  n'avez  pas  besoin  des  autres. 

(^Harmonies  de  l'Intelligence  humaine.) 

ALPHONSE    LE    SAGE 

R  G  I    d'  A  R  A  G  O  N 

Entre  tant  de  choses  que  les  hommes  possèdent,  ou 
qu'ils  recherchent  toute  leur  vie,  il  n"v  a  rien   de  meil- 


1^3  BIBLIOPHILI ANA 

leur  que  d'avoir  de  vieux  bois  pour  brûler,  de  vieux  vin 
pour  boire,  de  vieux  amis  pour  la  société,  et  de  vieux 
livres  pour  lire.  Tout  le  reste  n'est  que  bagatelles. 

AMYOT  (Jacql'is) 

...  Tels  livres,  d'autant  qu'ils  sont  ornez  de  beau  lan- 
gage, enrichis  d'exemples  tirez  de  toute  l'antiquité,  et 
tissuz  de  l'ingénieuse  invention  d'hommes  sçavans  qui  ont 
visé  à  faire  ensemble  et  à  profiter,  entrent  quelquesfois 
avec  plus  de  plaisir  es  oreilles  délicates  que  ne  fait  pas  la 
saincte  Escriture,  qui  pour  sa  simplicité,  sans  aucun  orne- 
ment de  langage,  semble  commander  plutost  impérieuse- 
ment que  de  suader  gratieusenient.. 

(Trad.   des  Vies  des  hommes  illustres  de  Plutarque.) 

ARETIN  (PiFRRt) 

O  lucrum  ingens  !  o  inesperatum  gaudium  ! 

S'écriait  Arétin  en  s'adressant  à  Pogge,  lors  de  la  dé- 
couverte d'une  copie  manuscrite  de  Quintilien. 

(Pétrarque,  Guarini  en  disaient  autant  quand  ils  décou- 
vraient quelques  manuscrits  poudreux  des  classiques,  soit 
dans  les  couvents,  soit  au  fond  de  quelques  vieilles  tours.) 

(Voir  Bearus  Rhenanus.) 

ARISTOTE 

Tout  est  obscur  à  un  aveugle  ;  les  livres  et  les  sciences 
semblent  impénétrables  à  un  ignorant. 

Les  lettres  servent  d'ornement  dans  la  prospérité  et  de 
consolation  dans  l'adversité. 


BiBLIOPHILIANA  17) 


ASSELINEAU  (Charles) 

Gloire  à  vousl  Vous  répandez  sur  nous  la  vive  lumière 
du  Ciel...  C'est  à  la  clarté  de  vos  paroles  que  nous 
entrevoyons  le  Dieu  tout-puissant  caché  dans  les  pro- 
fondeurs de  l'infini,  et  que  nous  percevons  les  récom- 
penses promises  aux  justes...  Vous  seuls  êtes  immortels  1 
Nous  tous  nous  vieillissons,  et  nous  mourons  à  côté  de 
vous.  Par  vous,  nos  enfants  connaîtront  l'esprit  de  leurs 
pères;  par  vous,  l'esprit  de  nos  pères  a  survécu  en  nous. 
Vous  êtes  les  flambeaux  éternels  que  les  générations  se 
passent  les  unes  aux  autres.  Vous  êtes  la  ligne  de  vie  de 
l'humanité,  les  phares  de  l'histoire  et  la  lumière  des 
siècles...  Parlez!  brillezl  vous  êtes  pour  nous  l'étoile  de 
la  délivrance  à  l'heure  où  nos  travaux  s'interrompent  et 
où  notre  pensée  captive  aspire  à  la  vie  de  l'esprit... 
Gloire  à  vous!  vous  répandez  sur  nous  la  lumière  du 
Ciel.  Notre  devoir  est  de  vous  défendre,  de  vous  glori- 
fier... Vous  êtes  la  joie  et  la  lumière  de  nos  âmes. 

{Le  Paradis  des  gens  de  lettres.) 

SAINT  AUGUSTIN 

...  Voilà  que  j'entends  sortir  d'une  maison  une  voix, 
comme  celle  d'un  enfant  ou  d'une  jeune  fille,  qui  chan- 
tait et  répétait  en  refrain  ces  mots  :  «  Prends,  lis  -,  prends, 
lis.  »  (Toile,  et  lege).  Changeant  aussitôt  de  visage,  je  me 
mis  à  chercher  avec  la  plus  grande  attention  si  les  en- 
fants, dans  quelques-uns  de  leurs  jeux,  faisaient  usage 
d"un  refrain  semblable  ;  je  ne  me  souvins   pas  de  l'avoir 


174  BIBLIOPHIllANA 

jamais  entendu.  J'arrêtai  mes  larmes  et  me  levai,  ne 
voyant  là  qu'un  ordre  du  ciel  qui  m'était  donné  d'ouvrir 
un  livre,  et  délire  le  premier  chapitre  que  je  trouverais... 
Combien  la  lecture  publique  des  ouvrages  de  Platon 
dans  son  temple  ne  serait-elle  pas  meilleure  et  plus  hon- 
nête que  les  mutilations  des  prêtres  de  Cybèle  dans  les 

temples  des  démons!... 

[Coîifessions.) 

AULU-GELLE  (Alilus-Gellius) 

On  voit  des  gens  qui  lisent  beaucoup  de  livres  ;  ils  se 

jettent  avec  ardeur  sur  tout  ce  qui  s'offre  à  eux  :  on  serait 

tenté  de  dire,  en  les  voyant  parcourir  avec  précipitation 

un  grand    nombre  de  volumes,   qu'ils  ne  se  proposent 

d'autre  objet  que  d'en  ôterla  poussière.  Mais  qu'arrive-t-il 

dans  des  lectures  si  variées?  L'esprit  est  rebuté   par  la 

fatigue  et   par   la  lassitude,  avant  qu'on  ait  pu    trouver 

quelque  chose  d'agréable  ou  d'avantageux  à  lire,  et  qu'on 

puisse  se  souvenir  utilement  d'avoir  lu... 

Les  livres  sont  des  maîtres  muets. 

{Nuits  /l triques.) 

AUSONE  (D.  Magnus  Ausonius) 
Lisez  ce  qui  mérite  d'être  conservé  dans  la  mémoire. 

ÉPIGRAMME    XLIV 


AU    GRAMMAIRIEN     P  H  I  L  G  M  U  S  E 

Emptis  qtiod  libris  tibi  Eibliotheca  referta  est, 
Doctum  et  grammaticum  te,  Philomusc,  putas. 


BIBLIOPHILIANA 


Hoc  génère  et  chordas,  et  plectra,  et  barbiîa  conde  : 
Mercator  hodie  (i),  cras  citharadus  eris. 

(De  ce  que  ta  bibliothèque  est  pleine  de  livres  achetés, 
tu  te  crois,  Philomuse,  et  savant  et  grammairien.  De 
cette  manière,  achète  des  cordes,  des  archets  et  des  lyres  : 
ayant  payé  cela  aujourd'hui,  demain  tu  seras  musicien.) 


AZAIS  (Pierre-Hyacinthe) 

...  Les  sentimens  humains,  les  mouvemens  des  moeurs, 
les  passions  des  individus,  celles  des  peuples,  les  résul- 
tats, brillans  ou  désastreux,  qu'elles  entraînent ,  voilà 
surtout  ce  qui  les  intéresse;  voilà  ce  que,  pour  les  atta- 
cher à  un  livre,  il  faut  y  traiter,  y  mettre  en  œuvre,  y 
expliquer. 

{Physiologie  du  Bien  et  du  jMal.  Préface.) 


BACHI  (Claudia) 

Un  livre  pernicieux  est  un  forfait  permanent... 

Un  homme  fait  un  livre,  on  le  sait,  c'est  à  qui  se  mo- 
quera de  lui;  le  livre  paraît  et  réussit,  c'est  à  qui  sera  lié 
avec  lui  et  aura  deviné  sa  gloire... 

Un  physique  original,  des  façons  excentriques  sans  nul 
mérite,  me  font  l'effet  d'un  livre  platement  écrit  que 
rehausse  frauduleusement  une  reliure  étrange  et  fastueuse. 

(Coups  d'Eventail.) 

(i)  Omnia  mercaïus.  Variante. 


176  Bll)LIOI>HM.IANA 


BACON  (François) 

Lire,  c'est  converser  avec  les  sages... 

La  lecture  donne  à  l'esprit  de  l'abondance  et  de  la 
fécondité. 

Il  y  a  des  livres  dont  il  faut  seulement  goûter,  d'autres 
dévorer,  d'autres  enfin,  mais  en  petit  nombre,  qu'il  faut, 
pour  ainsi  dire,  mâcher  et  digérer... 

Les  bibliothèques  sont  comme  ces  châsses  où  se  con- 
servent et  reposent  les  reliques  de  tous  les  vieux  saints, 
mais  cette  fois  sans  tromperie  et  sans  imposture... 

Si  l'invention  du  vaisseau  qui  porte  d'un  endroit  à  un 
autre  endroit  les  richesses  et  les  agréments  de  la  vie,  qui 
associe  les  régions  les  plus  éloignées  les  unes  des  autres 
dans  la  participation  de  leurs  divers  produits,  passe  pour 
une  invention  si  noble,  combien  plus  doit-on  exalter  les 
livres,  qui,  comme  les  navires,  traversent  les  vastes  mers 
du  temps,  et  qui  font  participer  les  âges  les  plus  lointains 
à  la  sagesse,  aux  lumières,  aux  découvertes  les  uns  des 
autres. 

{Dignité  et  accroissement  des  sciences.  —  Essais  de  morale 
et  de  politique,  etc.) 

BAGLIVI  (Georges) 

La  lecture  des  bons  livres  abrège  le  chemin  de  la 
science. 

BAILLET  (Adrien) 
M.   Baillet  dit  qu'un  livre  est  communément  regardé 


BIBLIOPHILI ANA  X-Jf 

pour  bon,  s'il  parvient  heureusement  au  but  que  l'auteur 
s'est  proposé,  quelques  fautes  qu'il  y  ait  d'ailleurs. 

{Dictionnaire  de  Littérature  par  Sabatier  de  Castres.) 

BALZAC  (Honoré  de) 

Plus  un  livre  est  beau,  moins  il  a  de  chances  d'être 
vendu.  Tout  homme  supérieur  s'élève  au-dessus  des 
masses  :  son  succès  est  donc  en  raison  directe  avec  le 
temps  nécessaire  pour  apprécier  l'œuvre... 

Quel  beau  livre  ne  composerait-on  pas  en  racontant  la 
vie  et  les  aventures  d'un  mot  ?... 

Un  beau  livre  est  une  victoire  remportée  tous  les  jours 
par  la  langue  française  sur  tous  les  pays... 

Il  est  aussi  facile  de  rêver  un  livre  qu'il  est  difficile  de 
le  faire... 

Un  livre  vaut  tout  une  vie... 
Le  livre  de  Rabelais  est  la  Bible  de  l'incrédulité... 
(Extrait  des  trois  Recueils  suivants: 
Maximes   et  Pensées  de   H.   de  Baljac.   Paris,   Pion 

frères,  185a. 
Maximes  et  Pensées  de  H.  de  Bal-^ac.   Paris,  M.  Lévy 

et  Hetzel,  1856, 
Baljac  moraliste,  Pensées  de  Balzac.  Paris,   Michel 
Lévy,  1866.) 

BALZAC  (Jean-Louis-Guez  de) 

Il  faut  peu  de  livres  pour  être  savant,  mais  il  en  faut 
beaucoup  moins  pour  être  sage... 

Ceux  qui  ne  se  donnent  point  de  peine  à  faire  leurs 
livres,  en  donnent  souvent  à  ceux  qui  les  lisent. 

{Dissertation  à  Chapelain.) 
25 


178  BIBLIOPHILIANA 

Il  doit  y  avoir  des  livres  pour  occuper  et  pour  instruire  \ 
il  doit  y  en  avoir  pour  délasser  et  pour  plaire. 

{Dissertation  critique.) 

BARAT  (Nicolas) 

La  Bibliomanie,  ou  la  passion  d'avoir  un  grand  nombre 

de  livres,   est  une  maladie  commune  à  bien  des  gens, 

surtout  en  France, 

{Nouvelle  Bibliothèque  choiiie.) 

BARTHÉLÉMY   (Jean-Jacques) 

De  mon  temps,  plusieurs  Athéniens  avaient  des  collec- 
tions de  livres.  La  plus  considérable  appartenait  à 
Euclide... 

En  y  entrant,  je  frissonnai  d'étonnement  et  de  plaisir. 
Je  me  trouvai  au  milieu  des  plus  beaux  génies  de  la 
Grèce.  Us  vivaient,  ils  respiraient,  dans  leurs  ouvrages, 
rangés  autour  de  moi.  Leur  silence  même  augmentait 
mon  respect.  L'assemblée  de  tous  les  souverains  de  la 
terre  m'eût  paru  moins  imposante.  Quelques  moments 
après,  je  m'écriai  :  «  Hélas  !  que  de  connaissances  refu- 
sées aux  Scythes  1  »  Dans  la  suite,  j'ai  dit  plus  d'une 
fois:  «  Que  de  connaissances  inutiles  aux  hommes  !  » 
{Voyage  du  jeune  Anacharsis  en  Grèce.) 

BARY 

Après  avoir  enseigné  la  vie,  les  livres  la  consoleront. 
Après  avoir  été  le  délassement  des  travaux,  ils  adouci- 


B  IBLIOPHILI  AN  A  I79 

ront  cette  station  entre  l'âge   actif  et  la   mort,    qu'on 

appelle  la  vieillesse.  A  l'écart  des  choses  de  ce  monde,  et 
sentant  le  silence  autour  de  lui,  enveloppé  de  la  mélan- 
colie des  jours  écoulés,  que  fera  le  vieillard  de  son  loisir, 
s'il  ne  le  remplit  de  l'entretien  des  livres  ?...  Ce  sont  les 
livres  qui  nous  montrent  l'humanité  entière.  C'est  par 
eux  que  nous  rattachons  les  fils  de  la  trame  brisée  que 
nous  avons  entre  les  mains...  L'étude  des  livres  n'est 
autre  que  celle  des  hommes. 

BAYLE  (Pierre) 

Louez  avec  moi  le  bon  goût  de  cet  habile  homme 
(David  Ancillon)  :  il  vouloit  la  première  édition  des  livres... 
C'est  l'entendre,  cela  ;  c'est  ce  qu'on  peut  nommer  amour 
des  livres... 

Un  livre  doit  être  comme  un  arbre.  S'il  n'y  avoit  que 
des  fruits,  il  serait  un  objet  affreux.  Mais  quand  il  a  des 
fleurs,  des  fruits  et  des  feuilles  en  même  temps,  comme 
les  orangers,  il  plaît  extrêmement  à  la  vue. 

(Dictionnaire  critique,  i/jo-) 

BERNARDIN  DE  SAINT-PIERRE 

(Jacques-Henri) 

Lisez  donc,  mon  fils.  Les  sages  qui  ont  écrit  avant  nous 
sont  des  voyageurs  qui  nous  ont  précédés  dans  les  sen- 
tiers de  l'infortune,  qui  nous  tendent  la  main  et  nous 
invitent  à  nous  joindre  à  leur  compagnie,  lorsque  tout 
nous  abandonne.  Un  bon  livre  est  un  bon  ami. 

(Paul  et  Virginie.) 


l8o  BIBLIOPHIltANA 


BESSARION  (le  cardinal  Jean) 

Dès  ma  plus  tendre  enfance,  j'ai  mis  tous  mes  soins, 
tous  mes  efforts,  tout  mon  zèle  à  rassembler  des  livres  sur 
les  sciences  de  tous  genres.  C'est  pourquoi  non-seulement, 
dans  ma  jeunesse,  j'en  transcrivis  plusieurs  de  ma  propre 
main  ;  mais  j'employai  à  en  acheter  le  peu  d'argent  qu'une 
vie  économe  et  frugale  me  permit  d'y  consacrer. 

En  effet,  je  croyais  ne  pouvoir  acquérir  ni  d'ameuble- 
ment plus  beau,  plus  digne  de  moi,  ni  de  trésor  plus 
utile  et  plus  précieux.  Ces  livres,  dépositaires  des  lan- 
gues, pleins  des  modèles  de  l'antiquité,  consacrés  aux 
mœurs,  aux  lois,  à  la  religion,  sont  toujours  avec  nous, 
nous  entretiennent  et  nous  parlent  ;  ils  nous  instruisent, 
nous  forment,  nous  consolent;  ils  nous  rappellent  les 
choses  les  plus  éloignées  de  notre  mémoire,  nous  les 
rendent  présentes,  les  mettent  sous  nos  yeux.  En  un  mot, 
telle  est  leur  puissance,  telle  est  leur  dignité,  leur  ma- 
jesté, leur  influence,  que,  s'il  n'y  avait  pas  de  livres, 
nous  serions  tous  ignorants  et  barbares  ;  nous  n'aurions 
ni  la  moindre  trace  des  choses  passées,  ni  aucun  exem- 
ple, ni  la  moindre  notion  des  choses  divines  et  humaines. 
Le  même  tombeau  qui  couvre  les  corps  aurait  englouti 
les  noms  célèbres... 

{Fragment  de  la  Lettre  par  laquelle  il  fait  don  de  sa 
riche  Bibliothèque  à  la  ville  de  Venise.) 

BIGNICOURT  (Simon  de) 

Les  Bibliomanes  sont  comme  les  avares;  la  manie 
d'amasser  leur  tient  lieu  de  jouissance... 


BIBLIOPHILIANA  l8l 


Les  auteurs  qui  ont  écrit  trop  d'une  page  sont  des 
héros  qui  ont  vécu  trop  d'un  jour... 

Le  titre  d'un  livre  doit  beaucoup  promettre;  l'ouvrage 
doit  encore  plus  donner. 

L'habitude  de  la  lecture  est  comme  le  lait,  dont  l'usage 
n'est  jamais  indifférent. 

{L'Homme  de  lettres  et  l'Homme  du  monde.) 

BIGOT  (Emeric) 

J'ay  fort  hanté  la  librairie  de  Saint-Laurent,  ay  coppié 
plusieurs  traittés,  conféré  d'autres.  J'ay  si  bien  fait  que  j'y 
gagnai  une  fiebvre  tierce,  dont  je  n'eus.  Dieu  mercy,  que 
cinq  accès.  Je  fus  un  mois  sans  aller  à  la  bibliothèque* 
Pour  faire  insuit  à  la  fiebvre,  j'y  retournai  et  copiai  un 
traité  d'Alexander  Aphrodisiacus,  de  la  fièvre. 

Je  vis  tous  les  manuscrits  d'Ovide  qui  y  sont,  et  y 
reconnus  en  tout  de  vostre  main.  Quelle  diligence  !  quelle 
exactitude!  Je  ne  vous  parleray  point  des  bibliothèques 
particulières  et  des  doctes  :  vous  les  avez  plus  pratiquez 
que  moy,  et  aurois  mauvaise  grâce  de  prétendre  vous 
en  apprendre  quelque  chose  de  nouveau... 

Je  vous  porterai  un  exemplaire  de  tous  ces  livres  et  de 
quelques  autres...  Parmi  les  vieux  livres,  j'en  pus  ren- 
contrer quelques  uns  que  vous   ne  seriez  peut  estre  pas 

fasché  d'avoir... 

[Lettre  à  Heinsius.) 

BLANCHEMAIN  (Prosper) 

Ce  qui  recommande  principalement  le  souvenir  d'E- 
douard Turquety...,   c'est    son   goût  éclairé    pour   ces 


l8a  BIBLIOPHILIANA 


bijoux  de  notre  ancienne  typographie,  qui  coûtent  si 
cher  aujourd'hui.  Nombre  d'articles  de  critique  biblio- 
graphique et  littéraire,.,  témoignent  que  Turquety  ne  se 
contentait  pas  de  posséder  ses  livres,  mais  qu'il  les  étu- 
diait avec  soin,  avec  amour,  et  qu'il  était  de  ceux  qui 
savent  rompre  l'os  médullaire  pour  en  extraire  la  moelle... 

(Préface  du  Catalogue  de  la  Bibliothèque  poétique  de 
feu  Edouard  Turquety.  Paris,  A.  Claudin,   1868.) 


BOLLIOUD-MERMET  (Louis) 

J'ai  toujours  aimé  les  livres  et  ceux  qui  les  aiment,  mais 
j'aime  encore  plus  la  vérité... 

Préférons  la  qualité  bien  choisie  à  la  quantité  superflue. . . 

Il  faut  à  l'homme  des  occupations  sérieuses;  s'y  appli- 
quer, c'est  son  devoir.  Il  lui  faut  aussi  de  légitimes  récréa- 
tions; se  les  procurer,  c'est  son  besoin... 

Usons  des  livres  avec  discrétion,  si  nous  voulons  en 
jouir  avec  fruit... 

Heureux  qui  peut  se  fixer  à  un  bon  choix  et  en  faire 
un  emploi  salutaire!...  Sit  bona  librorum  copia  (Horace)... 

Avec  de  telles  dispositions,  l'homme  studieux  aime 
véritablement  les  livres,  en  connoît  tout  le  prix  et  en 
retire  la  plus  grande  utilité, 

[De  la  Bibliomanie.) 


BONALD  (Victor  de) 

Les  livres  peuvent  être  comparés  aux  hommes,  et  un 
ivre  n'est  autre  chose  qu'un  homme  qui  parle  en  public. 


RIBLIOPHILIANA  l8) 

Il  faut  parcourir  beaucoup  de  livres  pour  meubler  sa 
mémoire  ;  mais  quand  on  veut  se  former  un  goût  sûr  et 
un  bon  style,  il  faut  en  lire  peu,  et  tous  dans  le  genre  de 
son  talent.  L'immense  quantité  de  livres  fait  qu'on  ne  lit 

plus... 

{Pensées  sur  divers  sujets.) 

BONNIN  (Charles-Jean-Baptiste) 

Difficile  dans  mes  lectures,  je  n'y  cherchai  jamais  que 
la  vérité:  une  confiance  crédule  ne  me  paraissait  ni  de 
l'estime,  ni  de  l'admiration,  mais  aveuglement  et  paresse... 

Dès  qu'il  paraissait  un  bon  livre,  je  me  raffermissais 
dans  la  résolution  de  mériter  l'estime  publique  comme 
son  auteur... 

La  culture  des  livres  prépare  à  la  connaissance  du 
coeur  humain  ;  le  commerce  des  hommes  donne  cette 
connaissance... 

Lire  seulement  pour  lire  est  ne  point  lire,  et  pire  que 
ne  lire  pas;  mais  la  manière  de  bien  lire,  est  de  lire  non 

la  lettre  mais  l'esprit... 

(Pensées.) 

BREMER    (Frederika) 

Mes  moments  les  plus  délicieux  sont  ceux  que  je  passe, 
soit  le  matin,  seule  dans  ma  chambre  avec  les  livres  amé- 
ricains que  M.  Downing  m'a  prêtés,  soit  le  soir,  avec  mes 
hôtes,...  entourée  de  bibliothèques...  Ici  M.  et  M""®  Dow- 
ning me  lisent  alternativement,  à  la  lueur  de  la  lampe, 
des  morceaux  des  poètes  américains  les  plus  goijtés.  Je 
monte  ensuite  ces  livres  avec  moi  dans  ma  chambre... 


lS4  BIBLIOPHILIANA 

Lorsqu'un  auteur  vit  et  écrit  durant  une  longue  suite 
d'années,  ses  ouvrages  composent  une  histoire  de  son 
propre  développement,  à  laquelle  il  ne  faut  pas  toucher, 
et  qui  est  toujours  instructive  pour  lui  comme  pour  les 
autres.  Les  écrits  d'un  auteur  sont  des  parties  de  sa  bio- 
graphie, qu'il  le  veuille  ou  non. 

[La  Vie  de  famille  dans  le  Nouveau-Monde.) 

BROSSES  (le  président  Charles  de) 

...  Que  diable!  une  bibliothèque  (celle  du  Vatican)  où 
il  n'y  a  pas  de  livres  !  Cela  est  fâcheux,  mon  doux  objet; 
mais  remettez-vous,  les  piliers  sont  revêtus  tout  autour, 
à  hauteur  d'appui,  de  petites  armoires  fermées,  remplies 
de  manuscrits.  Voilà  ce  qui  constitue  cette  belle  biblio- 
thèque, où  il  n'y  a  pas  un  seul  livre  imprimé... 

...  Et  autres  imaginations  de  bibliophile.  Ah  1  mon  ami> 
pardon  de  ce  terme  qui  m'est  échappé,  car  vous  êtes 
vous-même  un  grand  bibliolâtre... 

[Lettres  familières  écrites  d'Italie.  —  Lettre  à  M .  de  Neuilly.) 

Voir  R.  Colomb. 

BRUNET  (Gustave) 

La  science  des  livres  embrasse  l'histoire  littéraire  tout 
entière;  elle  touche  à  tous  les  points  des  connaissances 
humaines... 

Les  livres  aboutissent  à  tout  et  comprennent  tout... 

On  comprend  l'anxiété  du  bibliophile  qui  s'occupe  le 
jour  de  ses  livres,  qui  y  rêve  la  nuit,  et  qui  s'inquiète  de 


BIBLIOPHILIANA  l8^ 

leur  sort.  11  a  assisté  à  une  foule  de  ventes;  il  a  enlevé,  à 
la  chaleur  des  enchères,  quelque  rareté  qui  faisait  l'or- 
gueil d'une  collection  rivale;  il  a  parcouru  pendant 
longues  années  toutes  les  boutiques  des  libraires,  il  a 
fouillé  tous  les  étalages  :  et  les  résultats  de  tant  de  peines, 
de  tant  d'efforts  seront  livrés  au  vent!  Cette  pensée  est 

un  supplice. 

(^Dictionnaire  de  Bibliologie.) 

BRUNETTO    LATINI   (N.) 

Cest  livre  est  appelle  Tréfors...  Selonc  ce  que  le  livre 
parole  cy  après... 

Et  si  ne  diray  pas  que  le  livre  soit  estrais  de  mon  po- 
vre  fens  ne  de  ma  nue  science;  mais  il  est  aussi  comme 
une  brefche  de  miel  cueilli  de  diverses  flours... 

Et  se  aucun  demandoit  pour  quoy  cest  livre  est  escript 

en  romans  selon  le  parler  de  France  pour  ce  que  nous 

sommes  Ytaliens,  je  diroie  que  ce  eft  pour  deux  raisons  : 

—  l'une  que  nous  fommes  en  France,  —  l'autre  pour  ce 

que  la   parleure   est  plus   délitable  et  plus  commune  à 

touz  langaiges. 

(Li  Trésors.) 

BRUUN-NEERGAARD   (T.-C.) 

Il  faut  quelquefois  plus  de  patience  pour  achever  la 
lecture  d'un  roman,  qu'il  ne  faut  de  curiosité  pour  le 
commencer... 

A  un  mauvais  coftipilateur  :  Si  chacun  prenait  ce  qui  lui 

appartient,  que  te  resterait-il?  La  honte  de  n'avoir  pas  su 

mieux  choisir. 

(Mes  Pensées.) 

24 


|86  BIBLIOPHILIANA 


BURTON  (John) 

Lorsque  je  considère  cette  foule  innombrable  de  livres, 
je  me  sens  la  force  de  vivre  et  de  mourir  au  milieu  des 
méditations  qu'ils  renferment,  et  je  goûte  avec  eux  un 
contentement  réel,  une  satisfaction  plus  vive  que  celles 
que  pourraient  me  donner  toutes  les  richesses  de  la  terre. 
Il  y  a  dans  la  lecture  des  bons  livres  une  volupté  qui, 
comme  la  coupe  de  Circé,  vous  séduit  et  vous  enchante; 
l'attrait  de  l'étude  est  tellement  irrésistible,  que  le  dernier 
jour  de  vos  travaux  littéraires  estle  prioris  discipulus... 

Semblables  à  des  apothicaires,  nous  faisons  de  nouvelles 
mixtures:  chaque  jour  nous  versons  d'un  vase  dans  un 
autre  ;  et,  de  même  que  les  Romains  volaient  toutes  les 
autres  cités  du  monde  pour  embellir  leur  Rome  mal  si- 
tuée, ainsi  nous  enlevons  la  crème  de  l'esprit  des  autres, 
nous  cueillons  les  fleurs  de  choix  de  leurs  jardins  culti- 
vés, pour  en  orner  nos  plants  stériles.  Nous  tissons  la 
même  toile,    et  nous  tordons  et  détordons   toujours  la 

même  corde. 

(Voir  Lawrence  Sterne.) 


CAMPANUS  (Jean-Ant.) 

împr'unit,  ille  die,  quantum  non  scribitur  anno. 
(On  imprime,  en  ce  jour,  plus  qu'on  n'eût  pu   écrire 
Ml  un  an.) 

(Extrait  d'un  sixain  mis  au  bas  du  Tacite  imprimé 
par  Ulrich  Hiilin  (Udalricus  Gallus),  en  1470). 
(Voir  y  alla.) 


BIBLIOPHILI  AN  A  187 


CASAUBON  (IsAAc) 

Il  est  beaucoup  de  choses  qui  tiennent  mon  esprit  en 
suspens.  Ma  femme,  mes  enfants  et  mes  livres  sont  encore 
retenus  à  Lyon.  Uxor,  liberï  et  libr't  Lugduni  adhuc  livrent . 
Ils  n'en  partiront  pas  avant  que  j'aie  pu  voir  ce  que  je 
dois  espérer  ou  craindre  ici... 

{Lettre  à  Bongars.) 


CERVANTES   SAAVEDRA  (Miguel  de) 

Or  il  faut  savoir  que  cet  hidalgo,  dans  les  moments  où 
il  restait  oisif,...  s'adonnait  à  lire  des  livres  de  chevalerie, 
avec  tant  de  goût  et  de  plaisir,  qu'il  en  oublia  presque 
entièrement  l'exercice  de  la  chasse  et  l'administration  de 
son  bien.  Sa  curiosité  et  son  extravagance  arrivèrent  à  ce 
point  qu'il  vendit  plusieurs  arpents  de  bonnes  terres  à  blé 
pour  acheter  des  livres  de  chevalerie  à  lire.  Aussi  en 
amassa-t-il  dans  sa  maison  autant  qu'il  put  s'en  procu- 
rer... 

...  pour  que  vous  brûliez  tous  ces  excommuniés  de 
livres;  et  il  en  a  beaucoup,  qui  méritent  bien  d'être  gril- 
lés comme  autant  d'hérétiques,  —  Ma  foi,  j'en  dis  autant, 
reprit  le  curé,  et  le  jour  de  demain  ne  se  passera  pas 
sans  qu'on  en  fasse  un  auto-da-fé  et  qu'ils  soient  condam- 
nés au  feu,  pour  qu'ils  ne  donnent  plus  envie  à  ceux  qui 
les  liraient  de  faire  ce  qu'a  fait  mon  pauvre  ami. 

[Don  Quichotte^  trad.  de  L.  Viardot.^ 


l88  Bl  B  l  lOPHILIANA 


CHANNING   (WiLL.  Henry) 

C'est  surtout  par  les  livres  que  nous  jouissons  du  com- 
merce des  esprits  supérieurs,  et  cet  inappréciable  moyen 
de  communication  est  à  la  portée  de  tout  le  monde. 
Dans  les  plus  beaux  livres,  les  grands  hommes  nous  par- 
lent, nous  donnent  leurs  plus  précieuses  pensées  et  ver- 
sent leur  âme  dans  la  nôtre.  Remercions  Dieu  des  livres  1 
Us  sont  la  voix  de  ceux  qui  sont  loin  et  de  ceux  qui  sont 
morts-,  ils  nous  font  les  héritiers  de  la  vie  intellectuelle 
des  siècles  écoulés.  Les  livres  sont  les  vrais  niveleurs... 
Qu'importe  ma  pauvreté?  Qu'importe  que  les  heureux  du 
siècle  dédaignent  d'entrer  dans  mon  obscure  demeure  ? 
Si  la  Sainte-Ecriture  entre  et  séjourne  sous  mon  toit;  si 
Milton  passe  mon  seuil  pour  me  chanter  le  Paradis; 
Shakespeare  pour  m'ouvrir  les  mondes  de  l'imagination  et 
les  secrets  du  cœur  humain;  Franklin  pour  m'enrichir  de 
sa  sagesse  pratique,  je  ne  manquerai  pas  d'amis  intellec- 
tuels, et  je  puis  devenir  un  homme  bien  élevé. 


CHAPELAIN  (Jean) 

Il   (Guillaume  Colletet)  a  passé  ses  jours  dans  l'inno- 
cence, entre  Apollon  et  ses  livres. 


CHASLES  (Philarète) 

Qui  pourrait  croire  aujourd'hui  à  la  date  d'un  livre 
composé  au  VI*  siècle  et  où  il  serait  question,  directe- 
ment ou  indirectement,  de  la  puissance  de  la  vapeur,  des 


BIBLIOPHILIAN A  189 

maximes  nouvelles  de  l'économie  politique,  des  discus- 
sions sur  le  droit  d'intervention,  des  lois  réglementaires 
sur  les  tarifs,  de  l'abolition  de  l'esclavage,  de  l'anéantisse- 
ment de  la  Pologne,  des  pénitentiaires...? 

L'imprimerie,  en  multipliant  les  exemplaires,  ne  permet 
plus  aux  moindres  travaux  de  l'esprit  de  se  perdre  et  de 
s'évanouir. 

Autrefois  l'homme  de  talent  qui  rétablissait  un  texte, 
qui  le  corrigeait  et  l'épurait,  qui  le  commentait  et  l'ex- 
pliquait, ne  pouvait  produire  qu'une  seule  copie  dont  la 
destruction  fortuite  mettait  à  néant  tous  ses  travaux. 
Maintenant  le  philosophe  commentateur  peut  compter  sur 
une  existence  aussi  durable  que  celle  de  l'auteur  qu'il 
élucide  :  sa  gloire  (s'il  la  mérite)  est  permanente...  la 
pensée,  si  légère,  si  mobile,  se  fixe  et  ne  périt  pas-  c'est 
le  plus  grand  des  prodiges. 

{Encore  sur  les  contemporains.) 

CHEVILLIER  (André) 

Un  livre  peu  correct,  c'est  un  ouvrage  plein  de  ténè- 
bres. —  C'est  une  nuit  où  on  ne  fait  point  de  pas  sans 
craindre. 

La  correction,  c'est  la  lumière  avec  laquelle  on  marche 
sûrement.  —  Le  plus  grand  ennemi  de  l'impression  sont 
les  fautes.  Il  est  d'autant  plus  dangereux  qu'il  renaît  de 
ses  propres  cendres. 

Souvent  il  croît  plus  de  fautes  qu'on  n'en  a  ôté. 

Un  imprimeur  se  doit  regarder  comme  un  Hercule  qui 
a  toujours  des  monstres  à  combattre. 

(Origine  de  l'Imprimerie  de  Paris.) 


19©  niBllOPHILIANA 


CHRISTINE  DE  PISAN 

En  yver,  par  espécial,  s'occupoit  souvent  (Charles  V) 
à  oyr  livre  de  diverses  belles  ystoires,  de  la  saincte  Es- 
cripture,  ou  des  faits  des  Romains,  ou  moralitez  de 
philosophes  et  d'autres  sciences  jusques  à  l'heure  du 
soupper... 


CHRISTINE  DE  SUÈDE  (La  Refne) 

La  lecture  est  une  partie  du  devoir  de  l'honnête 
homme... 

...  (à  Pascal).  Vous  êtes  le  précepteur  du  genre  hu- 
main, et  le  flambeau  du  monde;  je  lis  vos  ouvrages,  je 
les  médite  sans  cesse,  et  je  sens  que  mon  esprit  se  ré- 
veille, se  fortifie  et  s'anime  avec  une  telle  nourriture... 

...  (à  Bayle).  Je  vous  impose  pour  pénitence,  qu'à 
commencer  du  mois  prochain,  vous  m'enverrez  les  livres 
nouveaux,  en  toutes  langues,  sur  toutes  sortes  de  sujets-, 
je  n'excepte  ni  romans,  ni  satyres  ;  surtout  s'il  y  a  des 
livres  de  chimie,  faites-m'en  part  au  plutôt,  etc.. 

...  (à  Heinsius.)  Vous  ne  regretterez  jamais  vos  peines, 
et  mes  récompenses  seront  dignes  de  vous  et  de  moi. 
Envoyez-moi  les  catalogues  des  livres  que  vous  avez 
achetés  et  des  manuscrits  que  vous  avez  fait  copier,  et  la 
dépense  pour  vous  et  pour  les  achats.  Je  vous  ferai  tout 
payer... 

(Correspondance.^ 


BIBLIOI'HILIANA  I9I 


CICÉRON   (Marcus-Tullius) 

...  Les  autres  plaisirs  ne  sont  ni  de  tous  les  temps,  ni 
de  tous  les  âges,  ni  de  tous  les  lieux;  les  lettres,  au  con- 
traire, forment  la  jeunesse,  réjouissent  la  vieillesse, 
embellissent  la  prospérité,  offrent  un  asile  et  des  conso- 
lations dans  l'adversité.  Elle  nous  délectent  dans  notre 
intérieur,  ne  nous  empêchent  point  dans  nos  affaires  du 
dehors,  et  sont  les  compagnes  de  nos  veilles,  de  nos 
voyages,  de  nos  travaux  champêtres.  Fussions-nous  inca- 
pables d'atteindre  par  nous-mêmes  à  un  plaisir  si  noble  et 
d'en  goûter  toutes  les  douceurs,  encore  devrions-nous 
l'admirer  chez  les  autres... 

(Oratio  pro  Archia.) 

Depuis  que  Tyrannion  a  arrangé  ma  bibliothèque,  je  la 
regarde  comme  l'âme  de  ma  maison... 

Nous  ne  trouvons  ordinairement  dans  un  livre  qu'au- 
tant d'esprit  que  nous  croyons  en  avoir  nous-mêmes. 


CL. 


*^** 


Dieu  a  donné  aux  hommes  une  bibliothèque  en  com- 
mun ;  elle  est  composée  de  tout  ce  qu'il  a  créé.  A  chaque 
homme  son  livre  particulier,  lui-même;  qu'il  se  lise,  il 
trouvera  en  soi  l'abrégé  de  tous  les  autres.  Si  tu  lis  avec 
jugement,  tu  deviendras  un  grand  maître  en  philosophie, 
et  en  même  temps  un  vrai  serviteur  de  l'Auteur  divin  et 
tout-puissant;   et  si   tu   lis  sans  réflexion  et  simplement 


193  BIBLIOPHILIANA 

pour  lire,  tu  n'en  deviendras  que  ton  propre  docteur,  le 
bouffon  de  l'auteur... 

Ne  consulte  et  n'étudie  les  livres  de  Recueils,  de  com- 
pilations et  semblables,  que  comme  une  Table,  ou  un 
Index,  qui  doit  te  guider  vers  les  auteurs  originaux,  sans 
quoi  tu  risquerais  souvent  d'être  trompé.  Je  comparerais 
volontiers  celui  qui  se  farcit  de  science  sur  la  foi  des  au- 
tres, à  celui  qui  se  ferait  un  buffet  magnifique  avec  la 
vaisselle  ou  l'argenterie  de  son  voisin.  II  y  a  bien  de  l'im- 
prudence de  la  part  de  l'acheteur,  dont  les  titres  sont 
plus  fondés  sur  le  Témoignage  que  sur  l'Evidence. 

{La  Oille,  par  un  vieux  cuisinier  gaulois, 
à  Constantinople,  mdcclv.) 

CLAUDIN  (Anatole) 

La  bibliomanie,  selon  nous,  c'est  la  passion  des  livres 
poussée  jusqu'à  son  dernier  paroxysme;  c'est  la  folie  lit- 
téraire; celui  qui  en  est  atteint  est  un  monomane  ou  un 
ignorant.  Le  monomane  et  l'ignorant  achètent  et  accapa- 
rent les  livres  rares  sans  discernement;  l'un  par  manie  et 
par  aberration  d'esprit;  l'autre  doctus  cum  libro,  pour  sui- 
vre la  mode  du  siècle  a  amassé,  à  force  d'argent,  une 
collection  où  resplendissent  l'or  et  le  maroquin  pour 
faire  parade  de  connaissances  qu'il  ne  possède  pas... 

La  vie  d'un  homme  se  reflète  dans  sa  bibliothèque; 
c'est  là  que  l'on  sait  quel  a  été  le  but  de  ses  études  litté- 
raires; on  distingue  à  première  vue  si  c'était  une  intelli- 
gence sérieuse  et  multiple  ou  simplement  superficielle; 
on  arrive  à  découvrir  avec  une  sorte  de  respect  pour  sa 
mémoire  que  telle  branche  des  connaissances  humaines  a 


BIELI  OPHILIAN  A 


'9} 


été  plus  particulièrement  cultivée  par  lui,  qu'elle  a  été  son 
thème  favori,  l'objet  principal  de  ses  recherches  intéres- 
santes :  «  Dis  moi  quels  livres  tu  lis,  je  te  dirai  qui  tu  es.  » 

(Préface  du  Catalogue  de  la  bibliothèque 
d'un  château  de  Lorraine,  1863.) 

CLÉMENT  (Claude) 

NÉ    A    ORNANS    EN    F R A N C H E - C O MTÉ 

II  y  a  peu  de  dépenses,  de  profusions,  je  dirais  même 
de  prodigalités  plus  louables  que  celles  qu'on  fait  pour  les 
livres,  lorsque  en  eux  on  cherche  un  refuge,  les  voluptés 
de  l'âme,  l'honneur,  la  pureté  des  noms,  la  doctrine  et 
un  renom  immortel. 

{Museiy  sive  Bibliothecœ  tam  privatir  quàm  publiccr 
extructio,  instructio,  curer,  usus,  etc.) 

CLEMENT,  DE  DIJON  (Jean-Marie-Bernard) 

Bibliothèque.  — Une  grande  bibliothèque  est  comme 
une  ville  extrêmement  peuplée  :  il  serait  ennuyeux  et 
même  dangereux  d'y  faire  connaissance  avec  tout  le 
monde;  chacun  y  choisit  la  société  qui  lui  convient.  Le 
plus  grand  nombre  se  contente  de  la  mauvaise  com- 
pagnie. 

Livres.  —  Si  l'on  voulait  se  résoudre  à  ignorer  ce 
qu'on  ne  saura  jamais,  on  ferait  beaucoup  moins  de 
livres. 

Un  vol  dont  il  me  semble  qu'on  se  fait  peu  de  scru- 
pule, est  celui  des  livres.  Tel  rougirait  de  vous  dérober 

25 


194  BIHLIOPHILIANA 


un  écu,  qui  n'a  point  de  honte  de  mettre  dans  sa  poche 
deux  ou  trois  volumes  qu'il  trouve  à  son  gré  dans  votre 
bibliothèque. 

{Petit  'Dictionnaire  de  la  Cour  et  de  la  ydle.) 


COLOMB  (R.) 

Né  faible  et  délicat  (Charles  de  Brosses),  il  resta  de 
petite  taille;  mais  sa  nature  morale,  au  contraire,  se 
montra  forte  dès  le  bas  âge  :  il  donnait  la  préférence  à 
un  livre  sur  tous  les  jouets  de  l'enfance. 

(Essai  sur  la  Vie  et  les  Écrits  du  Président  de  Brosses.) 

(Voir  Ch.  de  Brosses.) 


COMMINES  (Philippe   de) 

C'est,  ce  me  semble,  l'un  des  grands  moïens  de  rendre 
un  homme  saige,  d'avoir  leu  les  histoires  anciennes,  et 
apprendre  à  se  conduire  et  guarder,  et  entreprendre  sai- 
gement  par  icelles  et  par  les  exemples  de  nos  prédéces- 
seurs. Car  notre  vie  est  si  briefve,  qu'elle  ne  suffit  à  avoir 

de  tant  de  chofes  expérience. 

(Mémoires.) 


CONSTANTIN 

(Pseudonyme  de  Léopold-Auguste-Constantin  HESSE) 

Notre  siècle  est  non  seulement  plus  riche  en  livres 
qu'aucun  de  ceux  qui  se  sont  écoulés,  mais  la  littérature 
elle-même  a  pris  un  immense  développement. 


niBLIOPHlLIANA 


'95 


Que  l'on  compare  enfin,  sous  le  rapport  de  la  morale, 
le  collectionneur  de  livres  avec  le  collectionneur  d'écus. 
L'avare  est  sans  cesse  dans  une  agitation  fébrile  de  sa 
mauvaise  et  stérile  passion;  il  est  inquiet,  il  est  malheu- 
reux, il  a  toute  la  conscience  de  son  vice,  il  sait  la  ré- 
probation dont  il  est  entouré,  il  est  seul,  il  cache  ses 
trésors  pour  être  heureux.  Le  h\hY\o-phile  au  contraire  est 
fier  de  sa  joie;  il  étale  son  bonheur,  il  le  raconte  à  qui 
veut  l'entendre;  ses  livres,  c'est  son  orgueil,  ce  sont  ses 
titres  d'honneur;  il  jouit...  de  leur  possession  et  des  élo- 
ges qu'ils  lui  attirent. 

{Bihliothéconomie.) 

COTTON  DESHOUSSAYES(JEAN-BAPTisTt) 

Un  bibliothécaire  vraiment  digne  de  ce  nom  doit,  s'il 
m'est  permis  de  parler  ainsi,  avoir  exploré  d'avance  tou- 
tes les  régions  de  l'empire  des  lettres,  pour  servir  plus  tard 
de  guide  et  d'indicateur  fidèle  à  tous  ceux  qui  veulent  le 
parcourir.  Et,  quoiqu'il  n'entre  nullement  dans  ma  pensée 
de  mettre  au  dessus  de  toutes  les  sciences  la  science  de  la 
bibliographie,  qui  n'est  autre  chose  qu'une  connoissance 
exacte  et  raisonnée  des  productions  de  l'esprit,  on  me 
permettra  toutefois  de  considérer  cette  science  comme  le 
principe  de  toutes  les  autres,  comme  leur  guide,  comme 
celle  qui  doit  les  éclairer  de  son  flambeau. 

[Des  Devoirs  et  des  Qualités  d'un  Bibliothécaire.) 

COUPÉ  (l'Abbé  J.-M.) 
BiBLiOMANiE.  —  Passion   dont   l'effet    ordinaire    est 


IÇÔ  BIBLIOPHILIANA 


d'égarer  l'esprit,  et  qui  n'attaque  personne  autant  que  les 
gens  qui  en  ont  le  moins. 

{Dictionnaire  des  Maurs.  1773) 

COURIER    (Paul-Louis) 

Je  ne  m'ennuie  point;  Plutarque  m'est  d'un  grand  se- 
cours pour  passer  le  temps... 

J'aime  à  relire  les  livres  que  j'ai  déjà  lus  nombre  de 
fois,  et  par  là  j'acquiers  une  érudition  moins  étendue, 
mais  plus  solide.  Je  n'aurai  jamais  une  grande  connais- 
sance de  l'histoire,  qui  exige  bien  plus  de  lecture;  mais 
j'y  gagnerai  autre  chose  qui  vaut  mieux  selon  moi. 

Je  passe  ici  (à  Naples)  mes  jours,  ces  jours  longs  et 
brûlants,  dans  la  bibliothèque  du  marquis  Tacconi,  à  tra- 
duire pour  vous  Xénophon,  non  sans  peine;  le  texte  est 
gâté.  Ce  marquis  est  un  homme  admirable;  il  a  tous  les 
livres  possibles,  j'entends  tous  ceux  que  vous  et  moi  sau- 
rions désirer.  J'en  dispose;  entre  nous,  quand  je  serai 
parti,  je  ne  sais  qui  les  lira.  Lui  ne  lit  point;  je  ne  pense 
pas  qu'il  en  ait  ouvert  un  de  sa  vie.  Ainsi  en  usait  Salomon 
avec  ses  sept  ou  huit  cents  femmes;  les  aimant  pour  la 
vue,  il  n'y  touchait  guère,  sage  en  cela  surtout;  peut-être 
aussi,  comme  Tacconi,  les  prêtait-il  à  ses  amis... 

(Correspondance.) 


CUJAS  (Jacques) 

Qui  libris  sine  répertoria  nescit  uti,  nescit  uti. 
(Qui  ne  sait  se  servir  de  livres  sans  répertoire,  ne  sait 
s'en  servir.) 


BIBLIOPHILIANA  I97 


CUVILLIER-FLEURY  (Alfred-Auguste) 

«  Ampère,  disait  Prévost-Paradol  en  lui  succédant  à 
l'Académie,  Ampère  est  un  lettré  qui  parcourt  le  monde, 
un  livre  à  la  main.  »  Mais  ce  livre,  dirai-je  à  mon  tour, 
ce  n'est  pas  celui  qu'il  fait.  Celui-là,  sous  forme  de  «  pe- 
tits papiers  »,  dort  dans  sa  valise,  et  il  n'en  sortira  qu'à  la 
prochaine  étape,  spirituelle  et  vive  ébauche,  trop  prompte 
à  se  satisfaire  elle-même  et  à  laquelle  seulement  le  temps 
aura  manqué. 

(Article  dans  le  Journal  des  Débats.) 


DAMIRON    (Jean-Philibert) 

Un  livre  est  comme  un  ami,  qui  vous  parle  tout  bas  et 
en  quelque  sorte  à  l'oreille,  et  qui,  pour  peu  qu'il  ait 
d'art,  d'habileté  et  d'agrément,  gagne  d'autant  mieux  votre 
confiance,  qu'il  s'insinue  plus  doucement  et  plus  intime- 
ment dans  votre  âme,..  Lire  est  un  peu  comme  prier... 
Pour  peu  que  vous  vous  sentiez  l'âme  curieuse  et  recueil- 
lie, lisez,  lisez  un  bon  livre,  et  ce  sera  un  peu  comme  si 
vous  priiez;  vous  vous  instruirez  et  vous  vous  édifierez; 
vous  aurez  fait  un  acte  religieux  de  raison. 


DANIELO    (Jean-Paul) 

(Secrétaire   de    M.   de  Chateaubriand) 

Il  est  vrai  que  M^^  de  Chateaubriand    n'a  pas  fait   de 
livres...  Elle  s'est  même  moquée  de  plus  d'un,  et,  sachant 


198  BIBLIOPHILIAN  A 

les  juger,  elle  ne  les  estimait  guère  qu'au  poids.  A  dix  sous 
le  chef-d'œuvre  pour  qui  en  voulait  ! 

Je  connais  un  bouquiniste  qui,  dans  ce  commerce,  a 
fait,  avec  elle,  une  bonne  partie  de  sa  fortune. 

C'est  ainsi  qu'elle  dévastait,  au  profit  des  pauvres,  la 
bibliothèque  de  M.  de  Chateaubriand,  si  toutefois  l'on 
peut  dire  que  M.  de  Chateaubriand  eût  une  bibliothèque. 

Lui-même  ne  faisait  pas  grand  cas  d'un  livre  quand  il 
n'en  avait  pas  besoin.  Il  n'était  pas  de  ceux  qui,  sans  se 
tuer  à  lire,  aiment  néanmoins  à  faire  de  belles  collec- 
tions et  se  plaisent  au  luxe  distingué  d'une  belle  biblio- 
thèque... 

Je  ne  crois  pas  même  qu'il  ait  jamais  eu  une  édition 
bien  complète  de  ses  œuvres. 

Quand  il  avait  besoin  d'un  livre  ou  d'une  recherche, 
j'étais  là  pour  aller  aux  bibliothèques  publiques... 

M"»"  de  Chateaubriand  ne  se  montrait  donc  nullement 
émerveillée  des  livres...  Elle  eût  été  bien  fâchée  de  perdre 
son  temps  à  lire...  Elle  aimait  beaucoup  mieux  le  caustique 
que  le  sublime. 

Quelquefois  c'étaient  des  livres  du  jour,  quelquefois  de 
vieux  bouquins  qu'elle  trouvait  je  ne  sais  où. 

—  Elle  3,  me  disait  M.  de  Chateaubriand,  des  arse- 
naux que  nous  ne  connaissons  pas  et  des  lectures  spé- 
ciales. 

...  Son  œil  pénétrant  avait  bien  vite  parcouru  les  pages, 
quand  elle  ne  les  sautait  pas... 

M.  de  Chateaubriand,  si  réservé,  même  si  taciturne  en 
public,  aimait  qu'on  lui  tînt  conversation  ou  qu'on  lui  fit 
des  lectures,  surtout  lorsque  épuisé  par  l'âge,  il  ne  compo- 
sait plus  ou  presque  plus... 


BlULIOPHIllANA  IÇÇ 

Il  aimait  à  revoir  ses  travaux,  à  relire  les  vieux  livres, 
et  parfois  à  connaître  les  nouveaux,  sur  lesquels  il  me 
chargeait  de  lui  faire  des  rapports  détaillés... 

{AJ .  et  M""'  de  Chateaubriand;  quelques  détails  sur  leur 
intérieur,  leurs  habitudes,  leurs  conversations.) 


DECAIEU    (Auguste) 

...  Si,  entre  cet  inconnu  que  je  rencontre  pour  la 
première  fois  et  moi,  il  s'établit  un  certain  courant;  si 
nous  usons  de  termes  semblables-  si,  en  un  mot,  ensemble 
nous  pouvons  causer,  c'est  parce  que  lui  et  moi,...  avant 
de  nous  être  rencontrés,  avons  déjà  causé  avec  des  amis 
communs,  je  veux  dire  ces  génies  qui  ont  traversé  le 
monde  en  y  laissant  un  lumineux  sillon... 

N'est-ce  point,  en  effet,  par  la  lecture  de  leurs  œuvres 
ou  du  récit  de  leurs  actions,  que  nous  entrons  en  com- 
merce direct  avec  ceux  de  nos  prédécesseurs  dont  le 
nom  a  survécu  à  leur  époque?  Ne  les  connaissons-nous 
pas  quelquefois  aussi  bien,  mieux  même,  que  ceux  qui  les 
ont  fréquentés  pendant  leur  vie? 

Eh  bienl  vous  qui  les  connaissez,  vous  figurez-vous 
qu'il  soit  possible  de  se  passer  de  tous  ces  amis?  Pourriez- 
vous  de  sang  froid  envisager  une  séparation  qui  vous 
priverait  de  ce  commerce,  qui  romprait  cette  intimité, 
qui  effacerait  de  votre  mémoire  jusqu'à  leur  nom?... 

En  somme,  de  toutes  les  manies,...  avouons  que  c'est 
encore  la  bibliomanie  qui  est  la  plus  innocente,  et  la 
moins  coûteuse,  la  moins  gênante  aussi  pour  les  autres. 

Cette  passion  fait  le  bonheur  de  celui  qui  s"y  adonne; 


BIBLIOHHILIANA 


chacun  y  trouve,  à  tous  les  instants,  des  satisfactions  à  sa 
portée.  En  tout  cas,  ce  ne  sera  pas  moi  qui  lui  jetterai  la 
première  pierre. 

{De  Id  Lecture.) 


DECOURCELLE    (Adrien) 

Lecture  (la)  :  L'ivrognerie  de  l'esprit.  —  «  Qui  a  lu, 
lira!  » 

Livre  (un)  :  Une  bouteille  qui  nous  remplit  —  sans  se 
vider. 

Bibliothèque  :  La  maison  de  l'Esprit;  —  et,  généra- 
lement, l'esprit  de  la  maison. 

(Les  Formules  du  docteur  Grégoire.) 


DELVAU    (Alfred) 

Les  portes  de  la  Bibliothèque  Impériale  roulent  pesam- 
ment sur  leurs  gonds,  comme  si  cela  les  ennuyaitdedonner 
accès  à  la  petite  foule  qui  les  assiège  depuis  quelques 
instants,  —  ce  que  M.  Prudhomme  appellerait  les  ouvriers 
de  la  pensée,  et  ce  que  j'appelle  tout  simplement  les  rats 
de  bibliothèque,  les  rongeurs  intellectuels  qui  se  nourris- 
sent des  livres  des  autres,  qui  font  des  bouquins  neufs 
avec  de  vieux  bouquins... 

Le  bibliophile  Jacob,  sorti  de  la  bibliothèque  de  l'Arse- 
nal depuis  une  heure,  bouquine  sur  les  quais,  où  les 
elzévirs  sont  de  plus  en  plus  rares  pourtant.  N'importe! 
on  espère  découvrir  un  de  ces  merles  blancs  dans   ces 


BIBLIOPHILIANA 


petites  cages  des  bouquinistes  des  quais,  —  où  chantent 
si  piteusement  tant  de  rossignols.  Et  la  preuve,  c'est  que 
tous  les  jours,  de  quatre  à  cinq  heures,  les  mêmes  biblio- 
philes, —  Jacob  ou  non,  —  interrogent  soigneusement 
les  mêmes  boîtes,  qui  répondent  si  mal  à  leurs  recherches. 
On  ne  trouve  rien,  mais  on  a  fureté,  remué  de  vieux  pa- 
piers :  on  est  heureux  et  on  dîne  avec  plus  d'appétit!  Le 
bouquinage  est  l'absinthe  des  savants,  —  une  absinthe  qui 
n'abrutit  pas  comme  l'autre, 

{Les  Heures  parisiennes.) 


DENINA   (Charles) 

...  Dans  cette  grande  disette  de  livres,  quiconque  pou- 
vait recueillir  quelques  passages  épars  sur  quelque  matière, 
devenait  d'abord  un  écrivain  célèbre...  et,  comme  la  ra- 
reté des  livres  en  rendait  jaloux  ceux  qui  les  possédaient, 
quoique  la  plupart  ne  les  connussent  ni  ne  les  entendis- 
sent, à  peine  permettaient-ils  à  quelques  personnes  d'en 
aller  lire  chez  eux  et  d'en  transcrire  quelques  passages; 
et,  dans  la  crainte  qu'on  ne  les  leur  enlevât,  ils  les  te- 
naient attachés  dans  leurs  bibliothèques  par  de  petites 
chaînes. 

{Tableau  des  Révolutions  de  la  Littérature  ancienne 
et  moderne.) 


DESCARTES    (René) 

J'ai  été  nourri  aux  lettres  dès  mon  enfance,  et,  pour  ce 
qu'on  me  persuadait  que  par  leur  moyen  on  pouvait  ac 

26 


BIBLIOPHILIAN  A 


quérir  une  connaissance  claire  et  assurée  de  tout  ce  qui 
est  utile  à  la  vie,  j'avais  un  extrême  désir  de  les  appren- 
dre... Ne  m'étant  pas  contenté  des  sciences  qu'on  nous 
enseignait,  j'avais  parcouru  tous  les  livres  traitant  de  celles 
qu'on  estime  les  plus  curieuses  et  les  plus  rares... 

Je  savais  que  la  gentillesse  des  fables  réveille  l'esprit; 
que  les  actions  mémorables  des  histoires  le  relèvent,  et 
qu'étant  lues  avec  discrétion  elles  aident  à  former  le  juge- 
ment; que  la  lecture  de  tous  les  bons  livres  est  comme 
une  conversation  étudiée  en  laquelle  ils  ne  nous  décou- 
vrent que  les  meilleures  de  leurs  pensées... 

Mais  je  croyais  avoir  déjà  donné  assez  de  temps  aux 
langues,  et  même  aussi  à  la  lecture  des  livres  anciens... 

C'est  pourquoi,  sitôt  que  l'âge  me  permit  de  sortir  de 
la  sujétion  de  mes  précepteurs,  je  quittai  entièrement  l'é- 
tude des  lettres,  me  résolvant  de  ne  chercher  plus  d'autre 
science  que  celle  qui  se  pourrait  trouver  en  moi-même, 
ou  bien  dans  le  grand  livre  du  monde... 

Mais,  après  que  j'eus  employé  quelques  années  à  étu- 
dier ainsi  dans  le  livre  du  monde,...  je  pris  un  jour  réso- 
lution d'étudier  aussi  en  moi-même;...  ce  qui  me  réussit 
beaucoup  mieux,  ce  me  semble,  que  si  je  ne  me  fusse 
jamais  éloigné  ni  de  mon  pays  ni  de  mes  livres. 


DESCHANEL   (Emile) 

Quelle  volupté  délicate  pour  l'esprit,  de  pouvoir  dis- 
poser en  maître  de  ce  que  le  monde  littéraire  a  jamais 
produit  d'idées  et  de  formes!  On  attrape,  en  courant,  un 
psaume  de  David,  un  sonnet  de  Pétrarque,  une  sentence 
de  Marc-Aurèle,  une  poésie  de  Victor  Hugo,  une  scène 


BIBLIOPHILIANA  30} 

de  Calidasâ,  une  de  Shakespeare,  une  de  Molière,  une 
page  de  Démosthènes,  une  de  Bossuet,  une  de  George 
Sand,  une  de  Pétrone,  une  de  Sterne,  une  de  Balzac.  Rien 
n'est  charmant,  rien  n'est  friand  comme  de  goûter  ainsi 
très-vite  à  tant  de  mets  différents  et  choisis... 

Etudier  dans  les  bibliothèques  publiques,  c'est  vivre 
à  l'auberge... 

...  On  est  dégoûté  d'un  livre  banal,  comme  d'une 
femme  banale. 

On  ne  lit  bien  que  dans  ses  livres  à  soi.  On  contracte 
mariage  avec  eux... 

Lorsqu'il  ne  s'agit  que  de  meubles,  trois  déménagements, 
dit  le  proverbe,  valent  un  incendie;  lorsqu'il  s'agit  de  li- 
vres, deux  déménagements  équivalent  à  tous  les  incendies 
du  monde. 

{A  bâtons  rompus.) 


DESCURET  (J.-B.-F.) 

Gardons-nous  de  confondre  avec  les  bibiiomanes  ces 
hommes,  doués  d'esprit  et  de  goût,  qui  n'ont  des  livres 
que  pour  s'instruire,  que  pour  se  délasser,  et  qu'on  a  dé- 
corés du  nom  de  bibliophiles...  Le  bibliophile  devient  sou- 
vent bibliomane  quand  son  esprit  décroît,  ou  quand  sa 
fortune  augmente...  Le  bibliophile  possède  des  livres,  et 
le  bibliomane  en  est  possédé. 

Parmi  toutes  les  manies  de  collections,  celle  des  livres 
m'a  paru  tout  à  la  fois  la  plus  répandue,  la  plus  sédui- 
sante, et  la  plus  lentement  ruineuse... 

Si  un  bon  livre  est  un  bon  ami,  un  mauvais  livre  est  un 


J04  BIBLIOPHILI ANA 

ennemi  d'autant  plus  dangereux  que  ses  armes  sont  plus 
brillantes,  mieux  polies. 

{La  Médecine  des  Passions.) 


DES  GUERROIS  (Charles) 

Combien  de  livres  on  lit  pour  dire  qu'on  les  a  lus!... 

La  clarté,  dans  les  ouvrages  de  l'esprit,  réjouit  l'intel- 
ligence comme  la  lumière  du  soleil  réjouit  les  yeux  au 
printemps... 

Les  lettres  sont  les  remèdes  aux  ennuis  de  la  vie.  Aux 
maux  profonds  les  énergiques  remèdes;  aux  grands  en- 
nuis les  plus  grandes  consolations.  Si  vous  ne  pouvez 
prendre  le  remède  qu'à  petites  doses,  prenez-le  concen- 
tré. Il  y  a  plus  de  consolation  dans  un  sonnet  de  Words- 
worth  lu  entre  deux  visites  importunes,  que  dans  un  traité 
de  Cicéron... 

{Pensées  de  l'Art  et  de  la  Vie.) 


DIBDIN   (Thomas-Frognall) 

...  Rien  ne  l'arrête,  rien  ne  le  refroidit  (sir  Heber). 
Dans  la  chasse  qu'il  donne  aux  livres  curieux  et  rares, 
doué  d'une  force  de  corps  et  d'esprit  que  bien  peu  de 
personnes  possèdent,  stimulé  par  les  nombreux  objets  qui 
s'offrent  sans  cesse  à  lui,  il  paraît  ne  pas  s'apercevoir 
des  vicissiiudes  des  saisons,  et  il  reste  dans  la  même  in- 
différence à  l'égard  des  révolutions  politiques.  Les  glaces 
de  la  Sibérie,  le  souffle  étouffant  du  sirocco  ne  l'arrête- 
raient pas  un  instant  lorsqu'il  s'agit  de  conquérir  un 
volume. 


niBLIOPHlLIANA  30$ 


DIOGENE 

Avoir  des  livres  sans  les  lire,  c'est  avoir  des  fruits  en 
peinture. 

DORDRECHT  (Ville  de) 

Sur  le  plat  de  certains  livres  imprimés  à  Dordrecht 
(Hollande),  au  XVII^  siècle,  on  voit  cette  singulière 
devise  : 

Une  Minerve,  entourée  de  pieux  (symbolisant  les  di- 
gues), et,  autour,  la  légende  : 

Virgo  Dordracena,  libros  non  libéras  pariens. 

(La  Vierge  de  Dordrecht  enfantant  des  livres  et  non 
des  enfants). 

DROZ  (J.) 

Les  bons  ouvrages  sont  ceux  qui  ressemblent  à  de 
bonnes  actions. 

DRURY   (William) 

Pontificum  videas  penetralibm  eruta  lapsis 
Antiquas  monachum  vellera  passa  mantis, 

Et  veteres  puncto  sine  divisore  papyros 

Quaque  frémit  monstris  littera  picta  suis. 

AEtatis  decimte  spectes  industria  quinta  : 


Jo6  BIBLIOPHILIANA 

Quam  pulchra  archetypos  imprimat  arte  duces 
Aldinas  ades  ineunt  et  limina  Junta, 

Quosque  suos  Stephanus  vellet  habere  Lares. 

(Voyez  ces  parchemins  sauvés  de  la  ruine  des  palais 
détruits  des  Grands  de  l'Église,  et  portant  la  trace  des 
mains  caduques  des  moines;  ces  manuscrits  sur  papier, 
sans  ponctuation,  sans  alinéas,  avec  leurs  lettres  peintes 
toutes  frémissantes  des  monstres  qui  les  entourent  !  con- 
templez les  merveilles  du  XV®  siècle  :  avec  quelle  perfec- 
tion sortent  des  presses  ces  incunables  célèbres!  c'est 
l'oeuvre  des  Aides,  des  Juntes,  pompeux  établissements 
qui  font  l'envie  d'Estienne.) 

(Vers  placés  au-dessus  de  la  porte  de  sa  Bibliothèque,  et 
traduits  de  l'anglais  en  latin  par  son  fils.) 


DUCLOS   (Charles-Pinot) 

Les  comédies  et  les  romans  déposent  des  mœurs  du 
temps,  sans  que  les  auteurs  en  aient  eu  le  dessein... 

L'amour  des  lettres  rend  assez  insensible  à  la  cupidité 
et  à  l'ambition,  console  de  beaucoup  de  privations,  et 
souvent  empêche  de  les  connaître  ou  de  les  sentir.  Avec 
de  telles  dispositions,  les  gens  d'esprit  doivent,  tout  ba- 
lancé, être  encore  meilleurs  que  les  autres  hommes... 


DUGAST,  De  Bois-Saint-Just 

Il  est  une  passion  très-raisonnable  quand  elle  n'est  pas 
portée  jusqu'à  un  excès  ridicule  :  c'est  celle  de  la  biblio- 


BIBLIOPHILIANA  iO^ 


manie  d'un  homme  instruit  qui  se  compose  une  collection 
de  livres  choisis,  non  pour  attirer  les  regards  des  curieux, 
mais  pour  s'assurer  une  récréation  aussi  utile  qu'a- 
gréable.... 

{Piiris,  Versailles  et  les  Provinces  au  XV IW  siècle.) 

DUMAS  (J.) 

Il  ne  faut  pas  tout  lire;  il  faut  choisir.  Celui  qui  veut 
être  entouré  d'amis  vrais,  ne  doit  pas  trop  ouvrir  son 
coeur  ni  bâtir  sa  maison  trop  grande.  Pour  lire  utilement, 
il  faut  se  borner.  Lisez  tout,  vous  pourrez  devenir  un 
érudit;  si  vous  voulez  devenir  un  homme,  lisez  bien. 

DUPERIER  (SciPioN) 

Messieurs,  si  de  l'artifice  des  hommes  il  en  peut  sortir 
quelque  ouvrage  qui,  par  son  excellence,  mérite  une  in- 
violable liberté,  c'est  aux  Livres  que  cette  faveur  est  due; 
car,  puisque  ce  sont  eux  qui  nous  mènent  à  l'intelligence 
des  Arts;  puisque  c'est  par  leur  entremise  que  les  Muses 
se  communiquent  à  nous,  comment  pouvons-nous  les 
rendre  tributaires,  que  nous  ne  rendions  en  même  temps 
serviles  et  méchaniques  les  Arts  libéraux,  à  qui  l'exemp- 
tion de  toute  servitude  a  donné  le  nom  de  libéraux  >  La 

Liberté  est  la  nourriture  des  Arts. 

{Discours.) 


DUTUIT  (Eugène) 

Le   bibliophile  n'est  pas  un   homme   qui  se   contente 
d'acheter;  c'est  un  homme  qui  discerne,  qui  choisit.    Un 


ao8  BIBLIOPHILIANA 

livre  n'est  pas  seulement  un  bijou  précieux;  c'est  un  ami 
dont  il  recherche  la  conversation,  qu'il  consulte  au  be- 
soin, qu'il  quitte  avec  regret  et  reprend  avec  un  nouveau 
plaisir.  Il  l'aime  orné  d'une  parure  brillante.  Si  le  hasard 
lui  fait  mettre  la  main  sur  un  volume  encore  digne  de  ce 
nom,  mais  déshérité  d'avantages  extérieurs,  sur  un  grand 
seigneur  déchu,  il  se  hâte  de  le  tirer  de  sa  position  pré- 
caire... Le  bibliophile  est  un  chasseur  infatigable,  tou- 
jours à  la  piste  d'un  objet  rare.  Pour  s'en  emparer,  il  ne 
craint  ni  les  obstacles,  ni  les  périls. 

{Discours  à  l'Académie  de  Rouen.) 

EMERSON   (Ralph-Waldo) 

Nos  livres  sont  faux  parce  qu'ils  sont  fragmentaires; 
leurs  sentences  sont  des  boiis  tnots,  et  non  des  parties 
d'un  discours  naturel  -,  ils  expriment  d'une  manière  en- 
fantine la  surprise  ou  le  plaisir  trouvé  dans  la  nature,  ou, 
ce  qui  est  pire,  ils  doivent  une  courte  notoriété  à  une 
certaine  impertinence  ou  aversion  à  l'égard  de  l'ordre 
naturel,  qui  se  traduit  par  une  curiosité  ou  une  bizarrerie 
en  désharmonie  préméditée  avec  la  nature  et  destinée  à 
exciter  la  surprise,  comme  les  jongleurs  y  arrivent  en 
cachant  leurs  secrets... 

Chaque  livre  fournit  à  son  époque  une  bonne  parole... 
{Les  Représentants  de  l'Humanité.) 


ERASME  (Didier) 

....  Regardez  ces  visages  blafards,  ils   ont  pâli  sur  la 
philosophie,  au  milieu  d'études  profondes  et  ardues  ;  tout 


HIBLIOPHILI ANA  309 

jeunes  encore,  ils  sont  déjà  vieux  •  le  travail,  une  tension  in- 
cessante du  cerveau,  a  desséché  chez  eux  la  sève  de  la  vie... 

...  En  fait  d'érudition,  ils  se  contentent  de  peu;  ils 
sont  amplement  satisfaits  s'ils  rencontrent  dans  quelque 
manuscrit  vermoulu  le  nom  de  la  mère  d'Anchise,  s'ils  y 
découvrent  un  mot  étrange  ou  inconnu  du  vulgaire. 

...  Ils  sont  encore  bien  de  la  même  farine,  ces  écri- 
vassiers  qui  comptent  arriver  à  l'immortalité  en  faisant  des 
livres.  Quant  à  ces  savants  qui  ne  destinent  leurs  ouvra- 
ges qu'à  un  petit  nombre  d'érudits  et  redoutent  l'œil  per- 
çant de  la  critique,  je  les  trouve  beaucoup  plus  à  plaindre 
qu'à  admirer. 

Parlez-moi  de  l'auteur  qui  écrit  sous  mon  inspiration. 
Pour  celui-là,  vous  le  voyez  jeter  sans  méditations  sur  le 
papier  tout  ce  qui  lui  vient  au  bout  de  la  plume,  voire 
même  ses  rêves...  Personne  n'entend  mieux  ses  intérêts 
que  ceux  qui  publient  sous  leur  nom  les  ouvrages  d'au- 
trui-j  en  copiant  sans  peine,  ils  s'approprient  une  gloire 
qui  a  coûté  d'immenses  travaux  à  d'autres.  Ce  n'est  pas 
qu'ils  ignorent  que  leur  plagiat  se  découvrira  un  jour  ;  en 

attendant,  ils  en  bénéficient. 

{Éloge  de  la  Folie.) 

FAUCHET  (Le  président  Claude) 

11  n'y  a  point  de  mauvais  autheur  qui  ne  puisse  quelque- 
fois servir,  au  moins  pour  le  tesmoignage  de  son  époque. 

FÉE  (A.-L.-A.) 

Les  Livres  sont  des  amis,  a-t-on  dit,  et  personne  plus 
que  moi   n'est  disposé  à    les  qualifier   ainsi  ;  j'ajouterai 


BIBLIOPHILIANA' 


même  que,  parmi  ces  amis,  il  en  est  vers  lesquels  on  se 
sent  attiré  par  des  sympathies  si  nombreuses  qu'on  serait 
tenté  de  voir  en  eux  des  parents  dignes  de  tout  notre  respect 
et  de  tout  notre  amour. 

Une  bibliothèque  qui  les  réunit  tous  devient  une  sorte 
d'assemblée  de  famille,  à  laquelle  on  peut  demander  des 
conseils  ou  des  consolations.  Ecoutez-les  parler,  les  uns 
avec  enjouement,  les  autres  avec  gravité  :  tous  vous 
diront,  en  bons  termes,  ce  qu'il  faudrait  que  vous  fissiez 
pour  être  sage  et  heureux.  Us  vous  instruisent  en  vous 
récréant,  et,  sans  se  lasser  jamais,  répandent  sur  vous 
des  trésors  inappréciables  de  douce  morale  et  de  saine 
philosophie  ;  ceux  même  qui  ne  peuvent  vous  convaincre 
font  entendre  à  votre  oreille  des  sons  harmonieux,  dont 
les  combinaisons  savantes  vous  émeuvent  comme  le  ferait 
une  musique  délicieuse. 

Ainsi  rassemblés,  ces  auteurs  forment  une  société 
choisie,  composée  des  gens  que  vous  aimez  le  mieux. 
Discrets  et  spirituels,  ils  parlent  quand  on  le  désire,  se 
taisent  quand  on  le  veut;  jamais  incommodes,  et  toujours 
complaisants.  Plusieurs  d'entre  eux  se  sont  fait  connaître 
à  vous  dès  votre  entrée  dans  la  vie;  les  autres  seulement 
à  la  maturité  de  l'âge,  ou  même  dans  la  vieillesse.  Ceux-ci 
vous  ont  laissé  passer  sur  la  terre  sans  rien  perdre  de  leur 
éternelle  jeunesse;  ceux-là  vous  permettent  de  deviner  que 
letempsa  marché  pour  eux,  comme  il  a  marché  pour  vous. 
{Voyage  autour  de  ma  Bibliothèque.) 

LA  FIZELIÈRE  (Albert  de) 

Avoir  des  livres!  Là  n'est  point  la  grande  affaire.  Il  est 
facile  d'en  remplir  des  armoires,.,  et  des  greniers.  Il  suf- 


BIBIIOPHILIANA 


fit,  pour  cela,  de  posséder  beaucoup  d'argent,  un  peu 
de  patience  et  un  bon  libraire....  Mais  aimer  les  livres, 
c'est  autre  chose. 

Aimer  les  livres,  entrer  avec  eux  en  commerce  fami- 
lier, les  connaître,  les  consulter  avec  discernement  : 
c'est  tout  un  art;  c'est  presque  une  profession.  Flairer 
avec  l'instinct  du  limier  —  sous  le  veau  crasseux  ou  le 
parchemin  recroquevillé  —  le  parfum  d'esprit  ou  de 
raison,  de  science  ou  de  bon  sens  dont  ces  pages  du 
vieux  temps  sont  imprégnées;  tomber  juste  sur  celui  qui 
doit  nous  instruire,  nous  intéresser  ou  seulement  nous 
plaire;  trouver,  sans  se  tromper  d'un  feuillet,  l'endroit 
précis  de  ce  bouquin  méprisé  du  passant,  où  gît  la  leçon 
qu'on  cherche,  la  consolation  qu'on  attend,  le  fait  qui 
éclaire  ou  le  mot  qui  éclate  :  ohl  ceci  est  la  pierre  de 
touche  de  l'amour  des  livres... 

A  qui  sait  aimer  les  livres,  peu  de  livres  suffisent.  Le 
secret  est  de  savoir  s'en  servir  et  d'en  extraire  les  trésors 
infinis  et  sans  cesse  renaissants  que  le  génie  et  la  science 
y  ont  fait  entrer. 

{Jules  Janin  et  sa  Bibliothèque.) 


FONTAINE  (Charles) 

...  Mais  à  la  vérité,  de  vos  beaux  livres,  qui  en  vou- 
dra voir,  se  faut  depescher  d'en  achetter  (comme  disoit 
Rabelais,  que  tu  ne  daignes  nommer  expressément,  sinon 
par  le  nom  d'Aristophane)  car  après  la  première  impres- 
sion, ne  s'en  fera  plus. 

{Quintil  Censeur.) 


BIBLIOPHILIANA 


FONTAINE,    DE   RESBECQ 

Pour  être  sage  et  profiter,  un  bibliophile  ne  doit  pos- 
séder que  ce  qui  sera  éternellement  beau  et  vraiment 
grand,  par  la  pensée  comme  par  l'expression. 

{Promenades  sur  les  quais  de  Paris.) 


FOURNIER  (J.-F.) 

Plus  un  Livre  est  rare,  plus  il  est  sujet  à  varier  dans 
son  prix:  il  dépend,  à  cet  égard,  du  caprice  des  ama- 
teurs, de  sa  condition,  de  sa  conservation  et  de  mille 
autres  circonstances,  que  les  gourmets  seuls  savent  ap- 
précier, si  on  peut  se  servir  de  cette  expression...  Les 
Livres  qu'on  rencontre  souvent  ont  une  valeur  courante 
et  déterminée,  dont  ils  ne  s'écartent  guère  que  lorsqu'ils 
commencent  à  devenir  rares;  mais  les  objets  qu'on  ne 
trouve  presque  jamais,  n'ont  d'autre  valeur  que  celle  que 
le  besoin  ou  le  caprice  peuvent  y  attacher  :  aussi  les 
voit-on    quelquefois    doubler  et    tripler   d'une   vente  à 

l'autre. 

{Dictionnaire  portatif  de  Bibliographie.) 


FRANKLIN  (Benjamin) 

Dès  mon  enfance  j'étais  passionné  pour  la  lecture,  et 
l'employais  à  acheter  des  livres  tout  l'argent  qui  me  ve- 
nait dans  les  mains.  J'étais  fou  de  voyages.  Ma  première 
acquisition  fut  les  OEtivres  de  Btinyan  en  petits  volumes  sé- 
parés. Je  les  revendis  ensuite  pour  acheter  les  Collections 


BIBIIOPHILIANA  31] 

historiques  de  Eurton.  C'étaient  de  petits  livres  à  fort  bon 
marché,  formant  en  tout  quarante  volumes.  La  petite 
bibliothèque  de  mon  père  était  presque  toute  composée 
d'ouvrages  de  polémique  religieuse.  Je  les  lus  presque 
tous.  J'ai  souvent  regretté  qu'à  une  époque  où  j'étais 
dévoré  d'une  telle  soif  de  m'instruire,  il  ne  me  fût  pas 
tombé  sous  la  main  des  livres  mieux  appropriés  à  mes 
goûts,  puisqu'il  était  décidé  que  je  ne  serais  pas  théolo- 
gien. Parmi  ceux  qui  me  charmèrent  le  plus  étaient  les 
Vies  de  Plutarque. 

Cette  passion   livresque  détermina  enfin  mon  père   à 
faire  de  moi  un  imprimeur... 

[Mcmcires.  Traduction  E.  Laboulaye.  ) 

ÈTITcATHE  VE   FT^o^J^KLl^ 
Ecrite  par  lui-même,  en  1728  : 

LE    CORPS 
DE 

BENJAMIN   FRANKLIN, 

IMPR  IMEUR, 
—  TEL    QUE    LA    COUVERTURE    d'uN    VIEUX    LIVRE, 

dépouillé  de  ses  feuilles, 
de   son   titre    et   de    sa   dorure,  — 

gît  ici,  pature  pour  les  vers. 

Mais  l'oeuvre  elle-même  ne  sera  pas  perdue; 

ELLE    REPARAÎTRA,     c'eST    LA    FOI    DE    FrANKLIN, 

dans  une  nouvelle 

et  plus  belle  édition, 

revue  et  co  rrigée 

PAR 

l'auteur. 


314  BIBLIOPHILI ANA 


GAILLON  (Le   Marquis  Isidore  de) 

...  11  faut  disputer  des  goûts,  car  il  y  en  a  de  bons  et 
de  mauvais,  de  délicats  et  de  grossiers  :  il  y  a,  par  exem- 
ple, le  goût  des  livres  qui  doit  être  mis  hors  de  pair,  et 
avoir  la  primauté  sur  tous  les  autres  ;  car  il  est  le  plus 
beau,  le  plus  noble...  il  n'y  a  rien  au-dessus  de  l'amour 
des  livres. 

...  Quel  goût  touche  de  plus  près  à  l'esprit  que  celui 
des  livres,  des  livres  qui  sont  l'esprit  de  l'humanité,  vivant 
et  se  perpétuant  de  siècle  en  siècle,  des  livres  qui  nous 
rendent  l'élite  des  écrivains,  des  penseurs,  et  ce  qu'il  y  a 
de  meilleur  dans  cette  élite,  les  génies  à  leurs  bons  mo- 
ments, à  leurs  heures  favorables,  à  l'instant  où  le  dieu  les 
visite?... 

Si  les  livres  sont  des  amis,  ils  sont  aussi  des  maîtres, 
maîtres  que  l'on  n'écoute  pas  toujours... 

Que  l'ambition  le  taquine  (le  bibliophile)...  il  a  recours 
à  ses  moralistes  ;  il  les  met  à  tous  les  jours,  comme  M^^  de 
Sévigné  faisoit  son  cher  Nicole  qui  lui  étoit  bon  pour 
tout,  même  contre  la  pluie... 

...  O  science  des  livres  1  ta  beauté  est  tout  intérieure, 
ainsi  que  le  Psalmiste  l'a  dit  de  celle  de  la  fille  du  roi. 
Tu  es  en  effet  la  fille  du  roi,  la  fille  de  l'esprit  ;  or,  étant 
fille  du  roi,  tu  es  reine  toi-même.  Tu  mets  à  notre  dis- 
position le  monde  entier;  par  toi  nous  possédons  l'idéal 
de  ce  que  les  autres  ne  réalisent  qu'imparfaitement. 

Qu'il  me  soit  permis  de  citer,  après  Cicéron,  cette 
gloire  du  barreau  de  Rome,  une  des  célébrités  de  notre 
barreau  français,  le  vieux  Pasquier.  Après  des  jours  d'ab- 


BIBLIOPHILIANA  JI5 

sence  ou  de  distraction  ailleurs,  lui  aussi  il  se  réconcilie 
avec  ses  livres  ;  c'est  l'expression  qu'il  emploie,  et  je  croi- 
rais volontiers  qu'il  n'a  pas  besoin  de  l'emprunter  à  Cicé- 
ron,  tant  elle  est  juste  et  naturelle. 

Hélas  !  quelque  noble,  quelque  digne  d'estime  que  soit 
l'amour  des  livres,  cet  amour  a  le  sort  de  tautes  les  cho- 
ses humaines,  et  est  compris  dans  les  vanités  que  Salomon 
a  vues  sous  le  soleil.  Ces  trésors  que  nous  amassons  avec 
un  soin  si  curieux  et  si  amoureux,  ces  livres  que  nous 
épousons,  il  faudra  les  quitter.  Linquenda  tellus  et  domiis  et 
uxor;  comme  dit  Horace;  uxor,  c'est-à-dire  notre  biblio- 
thèque !... 

{Petit  Discours  à  la  louange  des  Bibliophiles.) 

GALITZIN  (Le   prince  Augustin) 

...  Pour  nous  autres  bibliophiles  obstinés,  plus  retentit 
à  nos  oreilles  le  marteau  des  démolisseurs,  plus  nous  de- 
vons nous  appliquer  à  défendre  contre  lui  nos  vieux 
livres.  Leur  amour  est  une  dernière  barrière  à  opposer  à 
cette  malfaisante  passion  pour  le  neuf  à  tout  prix  qui 
irritait  déjà  Milton  au  point  qu'il  prétendait  qu'il  vaut 
presque  autant  tuer  un  homme  qu'un  bon  livre  (Areopa- 
getica).  Celui  qui  tue  un  homme,  remarque  le  poète,  tue 
une  créature  raisonnable,  image  de  Dieu;  mais  celui  qui 
détruit  un  bon  livre  détruit,  pour  ainsi  dire,  la  raison 
elle-même,  tue  l'image  de  Dieu  dans  l'œil  où  elle  habite. 
Beaucoup  d'hommes  vivent,  fardeaux  inutiles  de  la  terre; 
mais  un  bon  livre  est  le  précieux  sang  vital  d'un  esprit 
supérieur,  embaumé  et  religieusement  conservé  comme 
un  trésor  pour  une  vie  au-delà  de  sa  vie... 

{Etude  sur  la  Bibliothèque  Impériale  de  Saint-Pétersbourg.) 


2l6  BIBLIOPHILIANA 


GAUTIER  (Théophile) 

Moi,  pour  mon  compte,  et  je  prétends  vous  convertir 
à  mon  système,  je  ne  lis  que  les  préfaces  et  les  tables,  les 
dictionnaires  et  les  catalogues.  C'efl  une  précieufe  écono- 
mie de  temps  et  de  fatigue  ;  tout  est  là,  les  mots  et  les 
idées.  La  préface,  c'est  le  germe  j  la  table,  c'est  le  fruit; 
je  saute  comme  inutiles  tous  les  feuillets  intermédiaires. 
Qu'y  verrais-)e>  Des  phrases  et  des  formes;  que  m'importe! 

Il  en  est  des  livres  comme  des  femmes  :  les  uns  ont  des 
préfaces,  les  autres  n'en  ont  pas;  les  unes  se  rendent 
tout  de  suite,  les  autres  font  une  longue  résistance;  mais 
tout  finit  toujours  de  même...  par  la  fin... 

La  préface,  c'est  la  pudeur  du  livre...  c'est  la  jeune 
fille  qui  reste  longtemps  à  dénouer  sa  ceinture... 

Je  vous  le  proteste  ici,  afin  que  vous  le  sachiez,  je 
hais  de  tout  mon  cœur  ce  qui  ressemble,  de  près  ou  de 
loin,  à  un  livre  :  je  ne  conçois  pas  à  quoi  cela  sert. 

Les  gros  Plutarque  in-folio,  témoin  celui  de  Chrysale, 
ont  une  utilité  évidente  :  ils  servent  à  mettre  en  presse, 
à  défaut  de  rabats,  puisqu'on  n'en  porte  plus,  les  gra- 
vures chiffonnées  et  qui  ont  pris  un  mauvais  pli  :  on  peut 
encore  les  employer  à  exhausser  les  petits  enfants  qui  ne 
sont  pas  de  taille  à  manger  à  table... 

Le  seul  plaisir  qu'un  livre  me  procure  encore,  c'est  le 
frisson  du  couteau  d'ivoire  dans  ses  pages  non  coupées  : 
c'est  une  virginité  comme  une  autre,  et  cela  est  toujours 
agréable  à  prendre.  Le  bruit  des  feuilles  tombant  l'une 
sur  l'autre  invite  immanquablement  au  sommeil,  et  le 
sommeil  est,  après  la  mort,  la  meilleure  chose  de  la  vie. 
{Les  Jeune-Fr^mce.  Préface.) 


BIBLIOPHILIAN  A  21^ 


GAVET  (Daniel) 

Plaignons  ceux  qui,  leurs  occupations  terminées,  leurs 
devoirs  remplis,  jouissant  de  la  santé,  et  ayant  pris  de 
l'exercice,  n'aimeraient  à  continuer  ou  à  commencer  la 
lecture  d'un  livre  attrayant  que  l'on  ne  ferme  qu'à  regret, 
lorsque  la  raison  et  le  sommeil  l'ordonnent.  Lire!...  le 
doux  mot  1  et  la  douce  chose!  Ajoutons  que,  lire  un  ou- 
vrage, c'est  en  lire  plusieurs  autres,  en  deviner  plusieurs 
autres,  c'est  en  faire  quelques-uns,  en  refaire  quelques 
autres... 

Un  bon  esprit  tirera  bon  parti  d'un  mauvais  livre, 
quelque  mauvais  qu'on  se  l'imagine... 

A  lire  beaucoup,  combien  l'on  apprend,  combien  peu 
l'on  sait!.,. 

{Mes  Pages  intimes.) 


GELLERT  (Christian) 

...  Continue,  mon  fils,  de  suivre  ces  règles,  et  tu  ne 
te  trouveras  pas  dans  le  cas  de  tant  de  gens  qui  n'ont  lu 
un  si  grand  nombre  de  livres,  que  pour  se  nourrir  la 
mémoire  ou  la  vanité;  mais  tu  liras  pour  enrichir  égale- 
ment ton  esprit  et  ton  cœur... 

Je  te  destine  par  an  une  certaine  somme  pour  des 
livres.  Tu  seras  le  maître  de  les  choisir  à  ta  fantaisie... 
Ne  t'en  rapporte  pas  sans  examen  aux  jugements  des 
journalistes...  Je  compte  te  laisser  cinq  à  six  ans  à  l'Uni- 
versité. Pendant  ce  temps-là  tu  ne  dois  point  te  proposer 

a8 


2ïS  BIBLIOPHILIANA 

de  lire  tout,  mais  seulement  ce  qu'il  y  a  de  meilleur  et  de 
plus  essentiel. 

{Lettres  choisies  de  M,  Gellert,  traduction  Huber.) 

GÉNIN  (François) 

...  Mais  lorsqu'on  se  fut  mis  à  exhumer  les  œuvres  du 
moyen-âge,  à  les  déchiffrer,  à  les  lire  et  relire  avec  in- 
tention et  sympathie,  un  nouveau  jour  se  leva  ;  on  dé- 
couvrit alors,  et  cela  ne  remonte  pas  bien  haut,  on 
découvrit  ce  fait  singulier  qu'on  n'aurait  jamais  soup- 
çonné, que  l'histoire  du  français  moderne  était  le  fran- 
çais ancien,  et  subsidiairement  que  l'ancien  français 
vivait  encore  aujourd'hui  dans  la  bouche  et  dans  le  patois 
des  provinces. 

{Récréations  philologiques.  Préface.) 


GEOFFROY 

Chanoine  de  Sainte-Barbe-en-Auge,  en   J170 

Claustrum  shie  armario,  quasi  castrum  sine  armamentario. 
Une  abbaye  sans  bibliothèque  est  comme  un   château 
sans  arsenal. 

GIRARDIN  (M'"^  Emile   de) 
(Delphine  Gay) 

Une  femme  élégante  et  riche,  une  femme  d'esprit, 
attend  patiemment  deux  mois  pour  lire  un  roman  de 
George  Sand,  et  l'idée  ne  lui  vient  pas  de  l'acheter;  et 


BIBLIOPHILIANA  2l() 


dans  son  élégante  demeure  vous  trouverez  toutes  les 
splendeurs  imaginables...  Cependant  il  est  une  justice  à 
rendre  à  nos  jeunes  élégantes  :  elles  n'ont  point  de 
livres,  c'est  vrai,  mais  elles  ont  de  superbes  bibliothèques... 
Au  fond  des  plus  petites  armoires,  sur  les  étagères,  pas 
un  livre  non  plus!  Là  où  l'on  voyait  jadis  les  vers  d'André 
Chénier,  les  poésies  de  lord  Byron,  de  Lamartine,  de 
Victor  Hugo,  de  M""^  Valmore,  de  M"®  Tastu,  vous  trou- 
vez des  bergers  en  flacon,  des  chiens  de  porcelaine,  des 
magots  chinois...  Mais  à  quoi  bon  des  livres?  O  progrès! 
Que  voulez-vous?  les  jeunes  femmes  ne  lisent  plus!... 

Vous  nous  reprochez  de  couvrir  nos  étagères  et  les 
rayons  de  nos  bibliothèques  de  vases  chinois...;  mais 
admirez  les  belles  fleurs  que  renferment  ces  vases...  J'ai 
peut-être  très-mauvais  goût,  mais  j'aime  mieux  le  parfum 
des  fleurs  que  celui  des  livres.  —  Je  n'exige  pas,  Ma- 
dame, que  vos  salons  se  changent  en  bibliothèques,  je 
crois  qu'on  peut  aimer  à  la  fois  les  livres  et  les  fleurs; 
mais.,,  j'aurai  l'honneur  de  vous  dire  franchement  que  je 
ne  vois  pas  encore  assez  de  fleurs  dans  votre  salon,  où 
je  ne  vois  pas  un  seul  livre. 

(Le  V'  de  Launay.  Lettres  Parisiennes.) 

GIRAULT  DE  SAINT-FARGE AU  (Eusèbe) 

Les  livres  ont  pour  objet  principal  de  perpétuer  et 
d'étendre  les  connaissances,  de  nous  initier  aux  principes 
des  sciences,  des  arts,  de  la  morale,  de  la  philoso- 
phie, etc.  Ils  sont  les  dépositaires  des  lois,  de  la  mé- 
moire, des  inventions,  des  découvertes,  des  usages,  des 
mœurs,  des  coutumes,  des  produits  du  génie,  etc.,  etc. 


BIBLIOPHILIANA 


Ce  sont  des  conseillers  désintéressés,  toujours  prêts  à 
nous  éclairer;  ils  servent  à  l'instruction  de  la  jeunesse, 
suppléent  au  défaut  des  maîtres,  et  souvent  au  défaut  du 
génie  et  de  l'invention. 

(Histoire  littéraire  française  et  étrangère.) 

GOETHE    (J.  WoLFGANG  de) 

Quoi  qu'on  puisse  objecter  contre  les  collections  qui 
donnent  par  fragments  les  spécimens  des  auteurs,  elles 
produisent  cependant  de  fort  bons  effets.  Nous  n'avons 
pas  toujours  la  conception  assez  ouverte  et  assez  vive 
pour  nous  assimiler  chaque  œuvre  selon  sa  valeur.  Les 
jeunes  gens  surtout,  dont  le  jugement  n'est  pas  encore 
mûr,  éprouvent  aux  passages  brillants  un  généreux  en- 
thousiasme. Les  endroits  pleins  d'originalité,  les  grands 
sentiments,  les  descriptions  frappantes,  les  traits  humo- 
ristiques, tout  saisit  d'une  manière  distincte  et  décisive. 

GOUDAR  (Ange) 

11  est  plus  facile  d'entendre  les  livres  que  d'entendre 
les  hommes... 

Si  l'on  ôtoit  des  meilleurs  auteurs  modernes  les  pensées, 
les  réflexions  qui  appartiennent  aux  anciens,  on  verroit 
tout  d'un  coup  disparaître  des  millions  de  livres,  et  la  plu- 
part des  gros  in-folio  réduits  à  de  très-petits  volumes... 

Ce  n'est  point  être  plagiaire  que  de  se  servir  d'une 
pensée  d'un  ancien  ou  d'un  moderne,  pourvu  qu'on  la 
produise  dans  un  nouveau  jour. 

{"Pensées  diverses  ou  Réflexions  sur  différents  sujets, 
d  ins  le  genre  de.  M.  de  la  Bruyère.) 


BIBLIOPHILIANA 


GRiJN  (Alphonse) 

Une  lecture  sans  ordre  et  sans  méditation  ne  profite 
pas  plus  qu'un  repas  mal  digéré... 

Par  une  étrange  contradiction,  les  écoles  primaires  se 
sont  étendues  successivement  sur  tout  le  territoire  ;  on 
s'efforce  d'apprendre  à  lire  à  tout  le  monde:  puis,  quand 
on  a  préparé  l'instrument,  on  le  laisse  sans  emploi;  on  a 
provoqué  le  goût  de  la  lecture,  et  on  ne  lui  donne  pas 
d'aliments;  on  a  fait  des  lecteurs,  et  on  ne  leur  a  point 
préparé  de  livres!... 

Apprendre,  c'est  un  devoir  :  Dieu  nous  a  donné  une 
intelligence  à  développer,  comme  un  corps  à  conserver, 
comme  une  volonté  à  exercer.  Mais  apprendre  pour 
soi  seul,  est-ce  satisfaire  à  la  voix  d'en-haut>  Celui-là 
aura-t-il  rempli  la  loi  de  la  vie  qui  aura  thésaurisé  une 
immense  science,  et  qui  mourra  emportant  dans  la  tombe 
tout  son  savoir?  Non;  les  avares  de  la  science  ne  valent 
pas  mieux  que  ceux  de  la  richesse... 

Voyez  cet  homme  qui  pâlit  sur  ses  livres  ;  il  passe  des 
journées,  il  consume  des  nuits  à  l'étude;  il  débrouille 
l'obscurité  des  vieux  siècles  ;  il  pénètre,  par  la  pensée, 
dans  les  secrets  de  la  création;  il  comprend  l'ordre  des 
sociétés;  il  lit  dans  les  astres;  il  résume  et  s'explique 
toutes  les  philosophies.  Mais,  toutes  ces  choses,  il  ne  les 
écrit  sur  aucun  papier,  il  ne  les  dit  à  aucune  intelli- 
gence, il  ne  les  sait  que  pour  lui.  Beaucoup  de  gens 
l'admirent;  on  devrait  le  flétrir...  c'est  un  grand  cou- 
pable. 

{Pensées  des  divers  Ages  de  la  vie.) 


BIBLIOPHILIANA 


GRUYER  (L.-A.) 

Ceux  qui  n'ont  lu  que  certains  livres,  fort  éloquents 
du  reste,  mais  remplis  d'erreurs  et  d'extravagances,  ne 
savent  rien,  s'ils  n'ont  pas,  en  y  réfléchissant  mûrement, 
cherché  par  eux-mêmes  à  démêler  le  vrai  d'avec  le  faux. 


GUÉRIN  (Eugénie  de) 

...  L'esprit  vivra  comme  il  pourra,  je  ne  sais  de  quoi 
le  nourrir;  point  de  livres  de  mon  goût.  Encore  cepen- 
dant faut-il  quelque  chose  \  je  ne  puis  me  passer  de  lire, 
de  fournir  quelque  chose  à  ce  qui  pense  et  vit.. 

Je  vais  lire  et  prendre  un  calme  apparent...  Je  vais 
lire:  que  lirai-jeî  Le  choix  des  livres,  malaisé  comme 
celui  des  hommes  :  peu  de  vrais  et  d'aimables... 

Dans  tout  livre  il  y  a  quelque  chose  de  bon;  c'est  une 
poudre  d'or  semée  partout... 

J'ai  assez  de  mes  robes  de  Paris,  tandis  que  l'àme  n'a 
jamais  trop  de  vêture.  J'aimerais  des  livres,  quelque 
chose  où  je  m'envelopperais  la  pensée  toute  transie  au 
froid  de  ce  monde... 

{Journcil  et  lettres.) 


DE  GUERIE  (Jean-Marie-Nicolas) 

Qui  n'aime  à  trouver  dans  les  livres  des  conseillers 
utiles,  toujours  prêts  à  nous  instruire;  des  amis  complai- 
sans,  toujours  prêts  à  nous  plaire;  des  maîtres  dont  la 
sévérité  même  n'est  pas  sans  indulgence,    et  que  leurs 


BIBLIOPHILI  ANA 


disciples  peuvent  visiter  sans  crainte,  écouter  sans  rougir 
et  quitter  sans  humeur  ?Trop  souvent  bannie  des  cercles  et 
des  cours,  la  sincérité  trouve  un  asile  dans  une  page  écrite 
avec  une  sage  liberté,  et  les  vérités  que  la  flatterie  cache  aux 
monarques,  se  sont  réfugiées  dans  les  livres.  La  mémoire 
y  puise  ses  richesses,  et  l'esprit  son  aliment.  C'est  là  que 
le  génie  rencontre  l'étincelle  où  se  rallument  ses  flammes 
assoupies;  là  qu'une  âme  généreuse,  quand  la  sagesse 
peut-être  n'est  ailleurs  qu'un  fantôme,  peut  embrasser  du 
moins  dans  le  portrait  d'un  grand  homme,  l'auguste  image 
de  la  vertu.  L'univers  est  gouverné  par  les  livres.  Inter- 
prètes des  dogmes  religieux,  ils  instruisent  la  terre  à 
révérer  son  Auteur  ;  dépositaires  des  lois,  ils  assurent 
par  elles  le  repos  des  familles-,  les  nations  leur  doivent 
la  plus  belle  moitié  de  leur  bonheur  et  de  leur  gloire. 


GUIBERT,  DE  NOGENT 

Abbé  de  Sainte-Marie  de  Nogent-sous-Couci 

...  Tandis  qu'ils  se  resserrent  dans  une  étroite  pau- 
vreté, ils  ont  amassé  une  riche  bibliothèque;  car  moins 
ils  possèdent  de  ce  pain  qui  n'est  que  matériel,  plus  ils 
travaillent  pour  acquérir  cette  autre  nourriture  qui  ne 
périt  point,  mais  vit  éternellement. 

{En  parlant  des  Chartreux  de  Grenoble.) 


GUYARD  (Auguste) 

...  Un  livre  est  une  lampe  allumée  dans  les  profondes 
et  noires  cavernes  du  sentiment,  qui  les  fait  tout  à  coup 


aa4  BIBLIOPHILIANA 


resplendir  d'une  multitude  de  formes,  latentes  jusqu'a- 
lors, et  dont  on  n'avait  qu'une  conscience  vague. 

...  Le  lecteur  attentif  et  compétent  d'un  livre  fait  tou- 
jours, mentalement,  le  long  de  sa  lecture,  un  livre  plus 
complet,  sinon  meilleur,  que  celui  qu'il  lit. 

(Quintessences.) 


HALL  (Joseph) 

Quel  monde  d'esprit  est  ici  rassemblé  !  Je  ne  saurais 
dire  ce  que  cette  vue  m'inspire  le  plus,  de  l'épouvante 
ou  du  plaisir.  Cela  m'épouvante  de  songer  qu'il  y  a  ici 
tant  de  livres  que  je  ne  puis  connaître;  cela  me  réjouit 
de  penser  que  cette  variété  d'auteurs  me  fournit  tant  de 
secours  pour  connaître  ce  dont  j'ai  besoin. 

Dieu  a  donné  à  l'homme  une  âme  affairée,  dont  l'agi- 
tation ne  peut  découvrir  beaucoup  de  vérités  cachées 
qu'à  travers  le  temps  et  l'expérience.  Supprimer  les  livres 
ne  serait  autre  chose  qu'une  injure  à  l'humanité,  dont 
les  âmes,  comme  autant  de  flambeaux,  s'allument  les  unes 
aux  autres.  Quel  bonheur  de  pouvoir  évoquer,  sans  le 
secours  de  la  nécromancie,  les  anciens  savants  de  mé- 
rite, et  de  pouvoir  m'entretenir  avec  eux  de  tous  mes 
doutes! 

Béni  soit  Dieu,  qui  a  allumé  tant  de  lampes  brillantes 
dans  son  Église  ! 

Et  maintenant  nul,  à  moins  d'être  aveugle,  ne  peut 
plaider  la  cause  des  ténèbres.  Bénie  soit  donc  aussi  la 
mémoire  de  ces  fidèles  serviteurs  de  Dieu,  qui  ont  laissé 
leur  esprit,  leur  vie,  dans  ces  précieux  papiers,  et  qui  se 


BIBLIOPHILIANA  33$ 

sont  volontiers  consumés  eux-mêmes  dans  ces  monuments 
durables,  pour  donner  la  lumière  aux  autres  hommes  ! 

HALL  (Le   Rév.   Robert) 

L'homme  pauvre,  qui  sait  lire  et  qui  possède  le  goût 
de  la  lecture,  trouve  chez  lui  à  se  divertir,  sans  être 
tenté  de  se  rendre  pour  cela  aux  cabarets...  L'homme 
qui  a  acquis  le  goût  des  livres,  deviendra,  selon  toute 
vraisemblance,  un  penseur;  et,  quand  vous  avez  donné 
à  un  pauvre  l'habitude  de  penser,  vous  lui  avez  plus 
donné  que  si  vous  lui  aviez  fait  cadeau  d'une  somme 
d'argent.  Vous  l'avez  mis  en  possession  du  principe  même 
de  toute  prospérité  légitime. 

HEINSIUS  (Daniel) 

Je  ne  suis  pas  plutôt  entré  dans  cette  bibliothèque, 
que  je  ferme  la  porte  sur  moi  et  que  je  bannis  de  cette 
manière  la  concupiscence,  l'ambition,  l'ivrognerie,  la 
paresse  et  tous  les  vices  dont  l'oisiveté,  mère  de  l'igno- 
rance et  de  la  mélancolie,  est  la  source:  je  siège  au  sein 
même  de  l'éternité,  parmi  ces  hommes  divins,  avec  tant 
d'orgueil,  avec  tant  de  satisfaction,  que  je  prends  en  pitié 
tous  les  grands  et  tous  les  riches  qui  sont  étrangers  à 
cette  félicité. 

HENRI  IV 

(A  la  Reine)  ...  'Vive  Dieu!  Vous  ne  m'auriés  rien 
sçeu  mander  qui  me  fust  plus  agréable  que  la  nouvelle 

29 


236  BIBLIOPHILIANA 


du  plaisir  de  lectures  qui  vous  a  prins.  Plutarque  me  sou- 
rit tousjours  d'une  fresche  nouveauté;  l'aimer,  c'est  m'ai- 
mer,  car  il  a  esté  l'instituteur  de  mon  bas  aage.  Ma  bonne 
mère,  à  qui  je  doibs  tout,  et  qui  avoit  une  affection  si 
grande  de  veiller  à  mes  bons  déportemens  et  ne  vouloir 
pas,  ce  disoit-elle,  voir  en  son  fils  un  illustre  ignorant, 
me  mit  ce  livre  entre  les  mains,  encore  que  je  ne  feusse 
à  peine  plus  un  enfant  de  mamelle.  Il  m'a  esté  comme  ma 
conscience  et  m'a  dicté  à  l'oreille  beaucoup  de  bonnes 
honestetez,  et  maximes  excellentes  pour  ma  conduite  et 
le  gouvernement  des  affaires... 

{Correspondance.) 

HÉRAULT,  DE   SÉCHELLES  (Marie-Jean) 

Un  livre  et  un  homme,  même  médiocres,  sont  utiles 
à  un  méditatif.  Ce  sont  des  prétextes  pour  penser.  De 
plus,  la  bêtise  rafraîchit  l'homme  échauffé  par  le  génie 
ou  l'esprit... 

L'utilité  des  livres  dépend  tellement  du  choix  qu'on  en 
peut  faire,  que  tel  érudit,  plein  de  mots  et  de  sciences 
étrangères,  en  sait  moins  à  trente  ans  qu'il  n'en  eût  ap- 
pris s'il  se  fût  contenté  de  parcourir  le  monde,  ses  cinq 
sens  ouverts  aux  impressions... 

Mais  ce  n'est  pas  assez  de  savoir  choisir  les  livres;  il 
faut  encore  en  déterminer  la  quantité,  se  bien  placer, 
profiter  de  ses  momens,  faire  naître  les  dispositions,  ra- 
lentir ou  accélérer  alternativement  le  mouvement  de  sa 
pensée,  jouer  tour  à  tour  le  rôle  actif  et  le  rôle  passif, 
enfin  savoir  se  passer  de  livres... 

On  ne  peut  pas   dire  qu'on  a  lu  un  auteur,   à  moins 


BIBLIOPHILIANA 


qu'on  ne  se  rappelle  ses  principales  idées,  son  plan  et 
son  but... 

Une  preuve  qu'il  faut  fixer  sa  vue  sur  un  livre  pour 
avoir  droit  de  dire  :  je  l'ai  lu,  c'est  que  de  deux  ou  trois 
mille  volumes  qu'un  lettré  mobile  peut  avoir  lus,  il  ne  lui 
reste  guères  plus  qu'à  un  marquis  français  des  pages  sur 
lesquelles  il  a  glissé  en  chaise  de  poste... 

Avec  ces  précautions,  on  trouvera  dans  les  livres  autre 
chose  que  des  noms-  d'êtres  inconnus...  Enfin,  si  nous 
savons  lire,  nous  apprendrons,  par  un  bon  livre,  ce  que 
notre  tempérament,  notre  situation,  et  la  distance  des 
lieux  nous  eût  toujours  empêché  de  savoir. 

(Théorie  de  l'Ambition.) 


HORACE  (Q^  Flaccus) 

O  campagne,  quand  te  reverrai-je?  Quand  me  sera-t-il 
permis,  tantôt  par  les  livres  des  anciens,  tantôt  par  le 
sommeil  et  les  heures  paresseuses,  de  goijter  l'agréable 
oubli  d'une  vie  inquiète?... 

(Odes.  Traduction  de  Leconte  de  Lisle.) 


HOSPITAL  (Michel  de  l) 

Je  veux  toutefois  que  ma  femme  et  fille  gardent  ma 
Librairie,  afin  que  personne  n'en  puisse  rien  sous- 
traire, et  qu'ils  la  donnent  au  dit  Michel,  quand  il  sera 
en  âge,  sous  condition  qu'elle  sera  ouverte  pour  la 
commodité  de  ceux  de  la  famille,  ensemble  les  domesti- 
ques et  autres  qui  fréquentent  la  maison. 


aaS  BIBLIOPHILIAN  A 


...  Et  laisse  et  lègue  par  testament  toute  ma  Librairie  et 
Bibliothèque  à  Michel  Hurault  de  L'Hospital,  qui  me  sem- 
ble plus  idoine  et  plus  affectionné  aux  bonnes  lettres  que 

les  autres  petits. 

{Extrait  de  son  Testament.) 


...  à  la  campagne,  aussi  bien  qu'à  la  ville,  ma  maison 
est  pourvue  de  livres,  mes  plus  fidèles  amis.  Quand  je 
veux,  après  mes  récréations,  m'adonner  aux  choses  sé- 
rieuses, je  consulte  Platon  et  les  philosophes  qu'il  a  ins- 
pirés... Ai-je  besoin  d'études  moins  sévères?  A  mes  or- 
dres apparaissent  les  poètes  et  leurs  divines  inspirations. 
Ils  sont  si  nombreux  et  si  variés  dans  les  enivrements 
qu'ils  procurent  à  l'esprit  du  sage,  qu'il  me  semble  diffi- 
cile de  chercher  ailleurs  la  vraie  satisfaction... 

{Epitre  à  Guy  du  Faur.  Traduction  de  Bandy  de  Nalèclie.) 


HUET  (Daniel) 

Évêque  d'Avranches 

Néanmoins,  mon  but  principal  était  d'acheter  des  livres... 
J'accourus  donc  bien  vite  à  Paris,  et  plus  vite  encore 
chez  les  libraires.  Mais  l'argent  que  j'avais  destiné  à  m'ap- 
provisionner  dans  leurs  boutiques  fut  bientôt  épuisé... 
Tout  l'argent  que  j'avais  pu  ramasser,  en  le  dérobant  à 
mes  autres  plaisirs,  les  libraires  de  la  rue  Saint-Jacques 
me  l'enlevaient  jusqu'au  dernier  sou.  D'où  il  advint  que, 
durant  toute  cette  époque  de  ma  jeunesse,  mon  escar- 
celle presque  toujours  vide  ne  logeait  que  des  araignées. 
Au   contraire,    ma    bibliothèque    était   si   bien    remplie, 


BIBIIOPHILIANA  a2<) 


qu'elle  n'avait  pas  son  égale  dans  tout  le  pays,  ni  pour  le 
choix,  ni  pour  le  nombre  des  livres.  Ce  choix  consistait 
dans  les  écrivains  de  l'antiquité,  qu'avant  tout  j'avais  voulu 
posséder.  D'ailleurs,  je  n'attachais  pas  la  moindre  impor- 
tance à  la  reliure,  qu'elle  fût  en  parchemin  ou  en  maro- 
quin ;  je  laissais  ce  luxe  aux  publicains  et  aux  banquiers. 
Plus  tard,  quand  je  pus  me  rendre  la  justice  de  n'avoir 
point  amassé  tant  de  livres  par  une  vaine  ostentation, 
mais  uniquement  pour  en  faire  usage,  je  me  souciai  peu 
de  les  entretenir  propres.  Si  je  trouvais,  en  les  lisant, 
quelque  chose  qui  valût  la  peine  d'être  noté,  soit  pour 
la  correction  du  texte,  soit  pour  l'éclaircissement  des 
passages,  je  le  notais  à  la  marge.  Une  pensée  toutefois 
m'obsédait  :  ce  travail  de  tant  d'années,  me  disais-je, 
cette  masse  de  volumes  rassemblés  à  si  grands  frais  pour 
le  plaisir  ou  l'aliment  de  mon  esprit,  seront  dispersés  un 
jour,  ou  retourneront  dans  les  boutiques  des  libraires,  ou 
tomberont  dans  les  mains  des  sots.  Cette  idée  m'épou- 
vantait, et,  pour  empêcher  qu'elle  ne  se  réalisât,  je  pris 
une  mesure  dont  il  sera  parlé  dans  la  suite.  (11  la  légua 
aux  Jésuites  de  la  Maison  Professe  de  Paris,  —  ce  qui  ne 
h  sauva  pas  du  tout  de  la  dispersion  tant  redoutée.) 

(Mémoires.  Traduction  Ch.   Nisard.) 


IRVING   (Washington) 

Les  années  développèrent  cette  tendance  à  la  flânerie. 
J'en  vins  à  aimer  avec  passion  les  livres... 

J'étais,  de  fait,  dans  la  salle  de  lecture  de  la  grande  Bi- 
bliothèque Britannique,  —  immense  collection  de  volu- 


a^O  BIBLIOPHILIANA 


mes  de  tous  les  temps  et  de  tous  les  idiomes,  dont  beau- 
coup sont  maintenant  oubliés,  et  dont  la  plupart  sont 
bien  rarement  lus;  une  de  ces  sources  abandonnées  de 
vieille  littérature  auxquelles  se  rendent  maints  auteurs 
modernes  pour  y  puiser  à  pleins  seaux  la  science  d'au- 
trefois, «  une  provision  d'anglais  pur  sang,  »  dont  ils  puis- 
sent grossir  le  maigre  ruisseau  de  leur  pensée... 

Après  tout,  pensai-je,  cette  disposition  des  auteurs  à  la 
friponnerie  ne  peut-elle  pas  leur  avoir  été  mise  au  cœur 
dans  un  sage  dessein?  Ne  serait-ce  pas  le  moyen  employé 
par  la  Providence  pour  que  les  semences  de  savoir  et  de 
sagesse  soient  transmises  d'âge  en  âge,  en  dépit  de  l'iné- 
vitable déclin  des  ouvrages  où  elles  se  produisirent 
d'abord?...  Beaucoup  de  ces  ouvrages,  d'ailleurs,  subis- 
sent une  espèce  de  métempsycose  et  renaissent  sous  une 
forme  nouvelle.  Ce  qui  primitivement  était  une  histoire 
soporifique,  revit  sous  la  figure  d'un  roman  ;  —  une 
vieille  légende  se  change  en  une  pièce  moderne;  — 
un  traité  de  philosophie  bien  austère  fournit  la  matière 
de  toute  une  série  d'essais  pleins  de  bruit  et  d'étincelles... 

{Le  Livre  d'Esquisses.  Traduction  Tli.  Lefebvre.) 


JAMIN  (dom  Nicolas) 

C'est  peu  d'avoir  de  bons  livres;  le  point  capital,  c'est 
de  les  bien  lire... 

Révoquer  en  doute  les  avantages  de  la  lecture  ne  peut 
être  l'effet  que  d'une  ignorance  grossière,  d'une  brutale 
stupidité,  ou  d'un  grand  orgueil,  qui  porterait  à  penser 
qu'on  peut  se  suffire  à  soi-même  sans  avoir  besoin   des 


B  IBLIOPHILIANA  3}  I 


lumières  d'autrui.  En  effet,  ce  noble  exercice  est  à  l'es- 
prit ce  que  l'aliment  est  au  corps;  il  le  nourrit,  le  fortifie, 
en  étendant  ses  idées  et  ses  connaissances... 

Dites-moi  quels  livres  vous  lisez  ordinairement,  et  moi, 
je  vous  dirai  qui  vous  êtes... 

Les  bons  livres  de  notre  siècle  ne  sont  estimables  que 
parce  que  les  écrivains  laborieux  savent  y  réunir  les  beau- 
tés éparses  dans  les  anciens... 

Retranchez,  encore  une  fois,  des  livres  de  nos  beaux 
esprits  tout  ce  dont  ils  sont  redevables  à  ces  premières 
sources  (les  anciens),  vous  les  réduirez  presque  à  rien... 

Un  arrêt  du  Parlement,  qui    condamne  au  feu  un  livre 
impie,  est  porté  par  les  gazettes  jusqu'aux  extrémités  du 
royaume:  et  il  fait  connoître  le  livre,  et  naître  l'envie  de 
le  lire,  et  le  téméraire  écrivain  devient  fameux. 
{Le  Fruit  de  mes  Lectures.) 

JANIN  (Jules) 

O  chefs-d'œuvre!  beautés!  grâces!  consolations!  sa- 
gesse! O  livres,  nos  amis,  nos  guides,  nos  conseils,  nos 
gloires,  nos  confesseurs!  On  les  étudie,  on  les  aime,  on 
les  honore...  Et,  de  même  que  les  anciens  posaient  dans 
un  coin  de  leur  chambre  un  petit  autel  paré  de  verveine, 
et  sur  cet  autel  domestique  un  dieu  familier,  le  vrai  biblio- 
phile ornera  sa  maison  de  ces  belles  choses... 

Qu'il  rentre  en  son  logis,  ou  qu'il  en  sorte,  il  donne 
un  coup  d'œil  à  ses  dieux  favorables.  Il  les  reconnaît 
d'un  sourire;  il  les  salue  en  toute  reconnaissance,  en 
tout  respect.  Il  s'honore  aussi  de  ces  amitiés  illustres,  il 
s'en  vante!... 


2^2  Bl  BLIOPHILI  ANA 


Les  livres  ont  encore  cela  d'utile  et  de  rare  :  ils  nous 
lient  d'emblée  avec  les  plus  honnêtes  gens-  ils  sont  la 
conversation  des  esprits  les  plus  distingués,  l'ambition  des 
âmes  candides,  le  rêve  ingénu  des  philosophes  dans  toutes 
les  parties  du  monde;  parfois  même  ils  donnent  la  re- 
nommée, une  renommée  impérissable,  à  des  hommes  qui 
seraient  parfaitement  inconnus  sans  leurs  livres.  Us  ajoutent 

même  à  la  gloire  acceptée. 

{L'Amour  des  Livres.) 


O  les  bords  heureux  et  charmants,  qui  contiennent 
tant  de  science!  Il  faut  compter  aussi  pour  une  biblio- 
thèque, la  plus  utile  et  la  plus  clémente  de  toutes,  la 
ceinture  des  quais,  chargée  de  livres,  de  très-beaux  et  de 
très-bons  livres,  déchus  de  leur  première  splendeur,  qui 
viennent  chercher  sur  ces  remparts  un  ami,  un  hôte,  un 
sauveur.  On  peut  dire,  à  coup  sûr,  sans  faire  une  épi- 
gramme,  qu'il  y  a  plus  de  bel  esprit,  de  sage  philosophie 
et  d'aiticisme,  répandus  sur  le  parapet  des  quais  de  Paris, 
que  dans  tout  le  reste  de  la  France.  Avec  un  peu  de  zèle 
et  de  soin,  très-peu  d'argent  surtout,  vous  trouverez, 
dans  ce  Campo-Santo  des  vieux  livres,  tous  les  poèmes, 
toute  l'histoire  et  tout  le  théâtre.  11  abonde  en  facéties, 
recherches,  contes,  romans,  traités  de  toute  espèce;  et 
des  sermons  tant  qu'on  en  veut.  La  théologie  y  coudoie 
l'histoire,  et  l'histoire,  à  son  tour,  y  est  débordée  par  les 
mathématiques.  Tout  ce  qui  s'est  pensé,  écrit,  rêvé, 
parlé,  discuté  parmi  nous,  se  rencontrerait  du  quai  Vol- 
taire au  parapet  du  Pont-Neuf... 

Pour  ma  part,  je  ne  sais  pas  de  plus  belle   et  de  plus 
honnête  oraison   funèbre  qu'un  tout  petit  catalogue,  ou 


BIBLIOPHILIAN  A  3]^ 


les  bibliophiles  à  venir  verront  d'un  coup-d'œ.il  que  vous 
étiez  un  homme  ingénu,  courtois,  modeste,  ami  des  beau- 
tés faites  pour  peu  de  gens,  content  d'une  richesse  à  la 
portée  de  votre  sagesse  et  représentant  les  plus  heureuses 
privations... 

Un  livre  est  et  doit  être  un  honnête  homme,  ami  des 
honnêtes  gens... 

Accordez-nous,  grands  dieux,  une  provision  suffisante 
de  bons  livres,  qui  nous  accompagnent  dans  notre  vie,  et 
nous  servent  de  témoignage  après  notre  mort  ! 


JEAN  DE  SALISBURY 

Qui  peut  douter  qu'il  ne  faille  lire  les  poètes,  les  his- 
toriens, les  orateurs  et  les  mathématiciens,  puisque,  sans 
cette  lecture,  on  ne  peut  devenir  lettré  >  Car  ceux  qui 
ne  sont  point  versés  dans  ces  sortes  d'ouvrages  ne  peu- 
vent passer  pour  des  gens  lettrés,  quoiqu'ils  sachent  le 
latin... 

Contemptor  grammatices  non  modo  litterator  non  est,  sed 
nec  litteratus  dici  débet. 

Celui  qui  méprise  la  grammaire  non-seulement  n'est 
pas  un  lettré,  mais  ne  doit  pas  même  passer  pour  savoir 

lire. 

(Voir  Vubhé  Lebeuf.) 


Saint  JÉRÔME 

Homme  faible  et  misérable,  je   jeûnais  avant  de  lire 
Cicéron.  Après  plusieurs  nuits  passées  dans  les  veilles, 

3° 


334  BIBLIOPHILIANA 


après  des  larmes  abondantes  que  m'arrachait  le  souvenir 
de  mes  fautes,  je  prenais  Platon.  Lorsque  ensuite,  reve- 
nant à  moi,  je  m'attachais  à  lire  les  prophètes,  leur  dis- 
cours me  semblait  rude  et  négligé.  Aveugle  que  j'étais, 
j'accusais  la  lumière!... 

{Voir  Villemain.) 

...  Que  votre  lecture  soit  modérée;  ce  n'est  pas  la 
lassitude,  mais  la  prudence,  qui  doit  vous  la  faire  inter- 
rompre. Une  lecture  trop  prolongée  est  repréhensible; 
car  ce  qui  est  bon  de  soi-même  cesse  de  l'être  et  devient 
sujet  au  blâme,  si  on  le  porte  au-delà  des  bornes. 


JOLY  (Le  p.  Joseph-Romain) 

A  l'égard  des  bons  livres,  il  faut  en  user  comme  des 
bons  repas,  oij  l'on  doit  manger  sobrement,  si  l'on  a  en- 
vie que  les  aliments  profitent.  Scaliger  nous  apprend  que 
François  Junius  et  Théodore  Marsile  sont  parvenus  tous 
deux  au  même  but,  qui  est  l'ignorance  :  le  premier,  en 
lisant  tous  les  livres;  et  l'autre  en  ne  lisant  rien. 

{Dictionnaire  de  Morale.) 


JOUBERT  (J.) 

Hélas!  ce  sont  les  livres  qui  nous  donnent  nos  plus 
grands  plaisirs,  et  les  hommes  qui  nous  causent  nos  plus 
grandes  douleurs.  Quelquefois  même  les  pensées  con- 
solent des  choses,  et  les  livres  consolent  des  hommes... 

11  n'est  rien  de  plus  beau  qu'un  beau  livre... 


BIBLIOPHILIANA  255 


Ecrire  un  livre  ou  écrire  un  ouvrage  sont  deux  choses. 
On  fait  un  ouvrage  avec  l'art,  et  un  livre  avec  de  l'encre 
et  du  papier... 

Les  très  bons  écrivains  écrivent  peu,  parce  qu'il  leur 
faut  beaucoup  de  temps  pour  réduire  en  beauté  leur 
abondance  ou  leur  richesse...  Heureux  est  l'écrivain  qui 
peut  faire  un  beau  petit  livre!... 

...  Le  grand  inconvénient  des  livres  nouveaux  :  ils  nous 
empêchent  de  lire  les  anciens... 

Il  est  des  livres  où  l'on  respire  un  air  exquis. 

Il  faut  qu'un  livre  rappelle  son  lecteur,  comme  on  dit 
que  le  bon  vin  rappelle  son  buveur. 

{Lettres  et  Pensées.) 

JULIEN  (l'Empereur) 

Alii  quidetn  equos  amant,  alii  aves,  alii  feras  ;  m'ihi  vero  a 
puerulo  mirandum  acquirendi  et  possidendi  libros  insedit 
desiderium. 

Les  uns  aiment  les  chevaux;  d'autres  les  oiseaux; 
quelques-uns  la  chasse  aux  bêtes  féroces;  quant  à  moi, 
dès  ma  plus  tendre  enfance ,  une  étonnante  passion 
d'acquérir  et  de  posséder  des  livres  m'a  dominé. 

{Sur  les  frontons  des  deux  grandes  Bibliothèques,  qu'il 
fonda  à  Constantinople  et  à  Antioche.) 

KEMPIS  (Thomas  a) 

La  bibliothèque  est  le  vrai  trésor  d'un  monastère;  sans 
elle,  il  est  comme  une  cuisine  sans  casseroles,  une  table 
sans  mets,  un  puits  sans  eau,  une  rivière  sans  poissons, 


33^  BIBLIOPHIll  ANA 


un  manteau  sans  vêtements,  un  jardin  sans  fleurs,  une 
bourse  sans  argent,  une  vigne  sans  raisins,  une  tour  sans 
gardes,  une  maison  sans  meubles.  Et,  de  même  qu'on 
conserve  soigneusement  un  bijou  dans  une  cassette  bien 
fermée,  à  l'abri  de  la  poussière  et  de  la  rouille,  de  même 
la  bibliothèque,  suprême  richesse  du  couvent,  doit  être 
attentivement  défendue  contre  l'humidité,  les  rats  et  les 
vers. 

LABAR  (Louis) 

...  Par  cette  simple  et  excellente  raison,  l'auteur  qui 
s'est  acheté  cher  reste  un  bon  auteur.  Un  livre  bien  payé 
est  une  chose  sacrée  :  qui  y  touche  est  un  monstre... 

Il  n'y  a  que  le  premier  pas  qui  coûte  :  ton  premier  né 
bien  vendu,  la  fortune  de  ses  cadets  est  faite;  l'amateur 
de  papier  imprimé  ne  laissera  point  ton  premier  ouvrage 
solitaire  dans  ses  rayons-  et  tous,  autant  que  tu  voudras 
bien  en  faire,  descendront  à  grands  frais  dans  sa  biblio- 
thèque .. 

{Satires  et  Elégies.) 

LABOULAYE  (Edouard) 

Quand  on  veut  dresser  le  tableau  de  la  civilisation, 
on  peut  mesurer  le  rang  d'un  peuple  au  nombre  de  livres 
qu'il  consomme... 

Un  livre  est  une  voix  qu'on  entend,  une  voix  qui  vous 
parle  :  c'est  la  pensée  vivante  d'une  personne  séparée 
de  nous  par  l'espace  ou  le  temps;  c'est  une  âme.  Les 
livres  réunis  dans  une  bibliothèque,  si  nous  les  voyions 
avec  les  yeux  de  l'esprit,  représenteraient  pour  nous  les 


BIBLIOPHILIANA 


337 


grandes  intelligences  de  tous  les  pays  et  de  tous  les  siè- 
cles, qui  sont  là  pour  nous  parler,  nous  instruire  et 
nous  consoler... 

Les  livres  ne  sont  pas  seulement  une  richesse  commune. 
Le  livre,  ou  plutôt  lame  conservée  dans  le  livre,  est  une 
société  constante  dans  la  bonne  comme  dans  la  mauvaise 
fortune... 

Le  meilleur  moyen  de  communiquer  avec  les  hommes, 
ce  sont  les  livres,  parce  que  les  livres  nous  ont  conservé 
l'expérience  des  temps  passés... 

Où  trouver  des  consolations?...  Où  donc  trouver  des 
amis  véritables?  Dans  les  livres.  Là  sont  des  gens  qui  ont 
souffert  et  qui  ont  raconté  ce  qu'ils  ont  souffert;  des 
amis  qui  ont  vécu  souvent  plusieurs  siècles  avant  nous, 
mais  qui  nous  consolent  parce  qu'ils  viennent  mêler  leur 
douleur  à  la  nôtre;  ils  pleurent  avec  nous... 

De  toutes  les  folies  qui  peuvent  mener  un  honnête 
homme  à  Charenton  et  même  ailleurs,  la  plus  innocente, 
à  mon  gré,  c'est  la  manie  des  livres.  Paris  est  rempli  de 
graves  personnages  qui  sont  entichés  de  ce  vice  incu- 
rable; toujours  prêts  à  condamner  les  erreurs  d'autrui 
pour  glorifier  leur  propre  faiblesse,  et  d'autant  plus  ma- 
lades qu"ils  se  croient  plus  sensés...  Ne  soyons  cependant 
pas  cruels  pour  ces  amateurs  qui  accueillent  ce  qu'em- 
porte le  temps,  et  qui  nous  gardent  ainsi  les  reliques  du 
passé;  en  faveur  des  services  qu'ils  nous  rendent,  par- 
donnons-leur une  innocente  manie... 

C'est  notre  grand  avantage,  à  nous,  que  d'avoir  un 
passé;  nous  vivons,  nous  pensons  avec  l'expérience  de 
3  ou  4000  ans  accumulés,  et  cela  grâce  aux  livres... 

{Discours  populaires.) 


338  BIBLIOPHILIANA 


LA  BRUYÈRE  (Jean  de) 

Je  vais  trouver  cet  homme,  qui  me  reçoit  dans  une 
maison  où,  dès  l'escalier,  je  tombe  en  faiblesse  d'une 
odeur  de  maroquin  noir  dont  ses  livres  sont  tous  cou- 
verts. Il  a  beau  me  crier  aux  oreilles,  pour  me  ranimer, 
qu'ils  sont  dorés  sur  tranche,  ornés  de  filets  d'or,  et  de 
la  bonne  édition,  me  nommer  les  meilleurs  l'un  après 
l'autre,  dire  que  sa  galerie  est  remplie,  à  quelques  en- 
droits près,  qui  sont  peints  de  manière  qu'on  les  prend 
pour  de  vrais  livres  arrangés  sur  des  tablettes,  et  que  l'œil 
s'y  trompe;  ajouter  qu'il  ne  lit  jamais,  qu'il  ne  met  pas  le 
pied  dans  cette  galerie,  qu'il  y  viendra  pour  me  faire 
plaisir:  je  le  remercie  de  sa  complaisance,  et  ne  veux, 
non  plus  que  lui,  visiter  sa  tannerie,  qu'il  appelle 
bibliothèque... 

Si  les  pensées,  les  livres  et  les  auteurs  dépendaient  des 
riches  et  de  ceux  qui  ont  fait  une  belle  fortune,  quelle 
proscription!  il  n'y  aurait  plus  de  rappel.  Quel  ton,  quel 
ascendant  ne  prennent-ils  pas  sur  les  savants! 

{Les  Caractères.  —  De  U  Mode.) 


LACORDAIRE  (J.-Baptiste-Henri) 

A  part  le  besoin  de  recherches  dans  un  but  utile,  il  ne 
faut  lire  que  les  chefs-d'œuvre  des  grands  noms;  nous 
n'avons  pas  de  temps  pour  le  reste. 


BIBLIOPHILIANA  flJÇ 

LACROIX    (Paul) 
Bibliophile  Jacob 

...  Le  livre,  cette  expression  vivante  et  durable  de  la 
pensée  humaine... 

Salut,  vieux  livres,  quels  que  vous  soyez,  vous  qui 
tapissez  les  parapets  de  la  Seine,  depuis  la  Grève  jusqu'au 
Tuileries,  vous  qui  rivalisez  avec  les  parfums  du  Marché- 
aux-Fleurs,  vous  qui  changez  de  couleurs  et  de  formes  sous 
l'influence  humide  des  brouillards  de  la  rivière  et  sous  les 
ardeurs  du  soleil  de  midi;  vous  qui  passez  sans  cesse  de 
main  en  main  avant  de  trouver  un  père  adoptif;  vous  qui 
reviendrez  tôt  ou  tard  à  votre  station  en  plein  air,  jusqu'à 
ce  que  vos  ruines  tombent  pièce  à  pièce  dans  la  hotte  du 
chiffonnier;  salut,  vieux  livres,  mes  amis,  mes  consolateurs, 
mes  plaisirs  et  mes  espérances! 

Vieux  livres,  vous  êtes  la  dernière  passion  de  l'être 

intelligent  :  le  cœur   qui   a   cessé  de  battre  à  tous  les 

amours  retrouve   encore  pour  vous  un  battement,  et  le 

feu  sacré  de  la  bibliomanie  ne  meurt  qu'avec  le  biblio- 

mane;  l'âge  n'a  pas  de  glaces  capables  de  refroidir  cette 

passion... 

{Ma  République.) 

LA  HARPE  (Jean-François  de) 

C'est  en  lisant  les  anciens  que  l'on  juge  et  que  l'on 
goûte  mieux  les  bons  modernes  qui  leur  ressemblent; 
c'est  avec  eux  que  le  goût  s'épure  et  que  l'âme  s'élève  et 


340  BIBLIOPHILIANA 


se  fortifie,  que  le  sentiment  de  la  vraie  gloire  et  l'amour 
du  vrai  beau  s'accroissent  et  s'affermissent.  On  ne  les  lit 
pas  assez...  Quel  homme...  n'a  pas  souvent  à  se  plaindre 
des  injustices  de  ses  contemporains?...  Qu'il  revienne 
vivre  avec  Horace,  Virgile  et  Cicéron  ;  qu'il  converse 
avec  ces  grandes  âmes  :  la  sienne  retrouvera  tout  son 
courage,  et  c'est  avec  de  pareils  confrères  qu'il  oubliera 
ses  ennemis. 

(Suétone,  Discours  préliminaire.) 


LAMARTINE  (Alphonse  de) 

...  Le  jour,  courant  les  forêts;  le  soir,  lisant  ce  que  je 
trouvais  sur  les  vieux  rayons  de  ces  bibliothèques  de 
famille... 

Je  retrouvais  sur  les  rayons  poudreux  du  salon  la  Jéru~ 
salem  délivrée  du  Tasse  et  le  Télémaqiie  de  Fénelon.  Je  les 
emportais  dans  le  jardin...  Je  me  couchais  à  côté  de  mes 
livres  chéris,  et  je  respirais  en  liberté  les  songes  qui 
s'exhalaient  pour  mon  imagination  de  leurs  pages... 

Job,  Homère,  Virgile,  le  Tasse,  Milton, Rousseau, etsur- 
tout  Ossian  et  Paul  et  Virginie;  ces  livres  amis  me  parlaient 
dans  la  solitude  la  langue  de  mon  cœur;  une  langue 
d'harmonie,  d'images  et  de  passions,-  je  vivais  tantôt  avec 
l'un,  tantôt  avec  l'autre,  ne  les  changeant  que  quand  je 
les  avais  pour  ainsi  dire  épuisés... 

...  Un  autre  livre  broché,  en  papier  de  couleur,  était 
fermé  sous  son  bras,  entre  son  habit  noir  et  son  coude  ; 
on  voyait  qu'il  y  pensait  malgré  lui;  son  regard,  distrait 


BIBLIOPHILIANA  241 

de  ses  textes  grecs  et  latins  ouverts  sur  le  pupitre  de  sa 
chaire,  se  détournait  involontairement  et  tombait  obli- 
quement sur  le  livre  pressé  contre  son  cœur. 

Nous-mêmes  nous  regardions  avec  curiosité  ce  livre, 
dont  la  couverture  inusitée  excitait  notre  étonnement. 
Nous  avions  comme  le  pressentiment  ou  comme  l'attente 
de  quelque  chose  d'extraordinaire  contenu  dans  ce  mys- 
térieux volume... 

Il  n'y  a  que  les  gens  de  loisir  qui  peuvent  lire  des 
livres  en  beaucoup  de  volumes;  ils  prennent  leur  plaisir 
en  gros,  comme  leurs  provisions  chez  l'épicier...  «  Ah! 
quand  viendra  donc  une  bibliothèque  des  pauvres  gens? 
Qui  est-ce  qui  nous  fera  la  charité  d'un  livre?  » 

{Confidences  et  préface  de  Geneviève.) 


LAMB  (Charles) 

J'avoue,  pour  ma  part,  qu'il  est  dans  le  cours  d'une 
journée  vingt  occasions  autres  que  le  dîner  où  je  me 
sens  disposé  à  dire  des  grâces.  J'en  voudrais,  par  exem- 
ple, quelque  formule  applicable  à  une  excursion  agréa- 
ble, à  une  promenade  au  clair  de  la  lune,  à  une  réunion 
d'amis,  à  un  problème  résolu.  Pourquoi  aussi  ne  pas  dire 
des  grâces  avant  nos  lectures,  ces  repas  spirituels?  des 
grâces  avant  Milton,  des  grâces  avant  Shakespeare?  un 
acte  de  piété  pour  nous  introduire  dans  le  beau  livre  de 
la  Reine  des  Fées  (de  Spencer)?... 

{Les  Grâces  avant  le  repas.) 
3« 


243  BIBLIOPHILIANA 


LA  MONNOYE  (Bernard  de) 

Il  seroit  à  souhaiter  que  ceux  qui  composent  n'écri- 
vissent que  des  singularités,  et  que  ces  singularités  fussent 
vraies  :  ce  seroient  des  ouvrages  inestimables.  On  a  même 
lieu  de  croire  que,  s'il  n'y  avoit  dans  les  livres  que  des 
choses  singulières,  des  choses  une  fois  dites,  la  vie  ordi- 
naire d'un  homme  seroit  assez  longue  pour  les  lire,  sinon 
tous,  du  moins  la  plus  grande  partie, 

...  Un  génie  libre;  l'amour  du  vrai  jusque  dans  la 
moindre  bagatelle;  un  peu  de  lecture;  un  peu  de  cri- 
tique; une  étude  particulière  de  la  connoissance  des  li- 
vres, et  des  auteurs;  quelque  habitude  à  composer  en 
plus  d'une  langue,  surtout  en  vers  :  tout  cela  rassemblé 
m'a  mis  en  train  d'entreprendre  de  mon  chef  une  espèce 

de  Ménagiana. 

{Ménagiana.) 


LAPELOUZE  (Valentin   de)   ' 

...  C'était  un  très-bon  homme...  Il  (Mercier)  trouvait 
incommodes  les  livres  reliés,  et  lorsqu'il  en  achetait  qu'il 
n'avait  pu  trouver  autrement,  il  en  faisait  des  brochures 
en  les  dépouillant  de  leurs  cartons;  il  appelait  cela  leur 
casser  le  dos. . . 

^Cite  par   Ch.  Monselet.) 


LARCHEY  (Lorédan) 

Un  mari  bibliophile  vaut  un  philosophe  pour  toutes  les 
Xantippe  du  monde... 


BIBLtOPHILIANA  34^ 


Bouquin  :  livre  ancien,  livre  d'occasion.  Diminutif 
ironique  de  l'allemand  buch  (prononcez  bouc).  Se  prend 
indifféremment  en  bonne  et  en  mauvaise  part... 
-  Le  livre  est  éternel;  il  ne  meurt  que  pour  renaître  sous 
une  autre  forme,  ainsi  que  les  produits  naturels  au  milieu 
desquels  nous  vivons.  Il  suffit  de  quelques  pages  salies 
pour  composer  le  fumier  qui  hâtera  l'éclosion  du  livre  de 
l'avenir. 

Donc,  sans  rien  exalter,  ne  méprisons  rien;  conser- 
vons au  bouquin  le  plus  infime  le  juste  bénéfice  d'une 
neutralité  bienveillante. 

{Nouveautés  anecdotiques.  Bibliophile  français.) 


LA  ROCHEFOUCAULD  (François  VI,  duc  de) 

Il  y  a  des  personnes  qui  aiment  les  livres  comme  des 
meubles,  plus  pour  parer  et  embellir  leur  maison  que 
pour  orner  et  enrichir  leur  esprit. 

(Maximes.) 


LATENA  (N.-V.    de) 

Une  preuve  de  peu  d'esprit  eft  de  ne  savoir  reconnaî- 
tre aucun  défaut  dans  les  grands  écrivains,  ni  aucune 
beauté  dans  les  écrivains  médiocres. 

Quand  un  écrit  nous  a  frappés  d'abord  par  beaucoup 
d'esprit,  s'il  ne  perd  rien  à  une  seconde  lecture,  il  faut 
qu'il  y  ait  autre  chose  que  de  l'esprit... 

Les  meilleurs  livres,  comme  les  meilleurs  aliments,  sont 


344  BIBLIOPHtLIANA 


ceux  qui,  sous  le  moindre  volume,  contiennent  le  plus 
de  nourriture  saine  et  substantielle... 

Semez  çà  et  là  quelques  belles  pensées  dans  un  ou- 
vrage futile,  mais  amusant,  le  public  vous  applaudira. 
Faites  un  livre  dont  chaque  mot  soit  une  pensée,  et  cha- 
que pensée,  la  révélation  d'une  vérité,  quelques  esprits 
distingués  vous  goûteront,  le  reste  jettera  le  livre... 

On  peut  lire  quelquefois  de  bons  romans,  quand  on 
veut  reposer  son  esprit,  et  quand  on  ne  peut  plus  avoir 
le  désir  de  les  mettre  en  action... 


[Etude  de  l'Homme.) 


LEBER  (J.-MicH. -Constant) 

Le  plus  grand  avantage  de  l'étude  des  lettres  est  d'a- 
doucir les  mœurs  et  de  resserrer  les  liens  qui  unissent 
l'homme  à  l'homme  dans  l'état  de  société.  L'histoire  de 
la  littérature  est,  en  grande  partie,  l'histoire  de  la  civili- 
sation. 

(Observations  sur  l'Histoire  de  la  Langue  française.) 


LEBEUF  (L'abbé  Jean) 

...  La  disette  des  livres  (sous  Charlemagne)  fit  un  tort 
considérable;  Alcuin  lui-même  en  était  dépourvu,  et  ne 
citait  beaucoup  d'auteurs  que  de  mémoire.  Dans  un  en- 
droit il  se  plaint  qu'il  manque  en  France  de  plusieurs 
livres  de  belles-lettres  qu'il  avait  en  Angleterre:  il  dit 
ailleurs  qu'il  n'a  point  les  ouvrages  de  Pline.  Ici,  il  cher- 


Bl  BLIOPHILI  ANA  345 


che  le  traité  de  Saint  Augustin;  là,  son  exemplaire  des 
Lettres  de  Saint  Grégoire-le-Grand  le  jette  dans  une  mé- 
prise, faute  d'en  avoir  eu  plusieurs  pour  voir  la  diffé- 
rence, et  reconnaître  que  le  sien  n'était  pas  complet. 

On  lisait  les  auteurs  païens  dans  les  écoles  de  l'ordre 
de  Cluny...  On  y  regardait  cette  étude  comme  fort  pro- 
pre pour  l'intelligence  des  livres  saints;  et,  pour  me 
servir  du  langage  de  Jean  de  Sarisbery,  ils  cherchaient 
l'or  de  la  sagesse,  à  l'exemple  de  Virgile,  dans  la  boue 
d'Ennius. 

Mais,  quoiqu'il  y  eût  des  livres,  des  maîtres  et  des  éco- 
les dans  le  XI^  siècle,  la  science  de  ce  temps-là  ne  pouvait 
pas  être  fort  profonde  :  le  nombre  des  livres  était  encore 
trop  petit  pour  former  de  vrais  savants... 

Les  maîtres  n'étaient  pas  moins  rares  que  les  livres. 

(De  lÉTiit  des  Sciences  sous  Chjrlemagne.) 


LEBLANC  (L'abbé  Jean-Bernard) 

Plusieurs  livres,  après  avoir  fait  beaucoup  de  bruit 
dans  leur  naissance,  tombent  dans  le  mépris,  ou  du  moins 
dans  l'oubli...  Ils  tirent  leur  principal  mérite  d'un  jargon 
différent  du  langage  ordinaire...  L'esprit  de  cette  année 
ne  sera  point  de  l'esprit  l'année  prochaine. 


LEFEVRE-DEUMIER  (Jules) 

...  Le  passé  a,  pour  ainsi  dire,  sculpté  ou  embaumé  la 
sienne  (sa  voix)  pour  nous  la  léguer...  On  parle  avec  ce 


2^6  BIBLIOPHILIAN  A 


qui  fut.  J'aime  ces  morts  qui  causent  avec  leurs  descen- 
dants, qui  les  consolent  et  les  éclairent.  Les  livres  ne  sont 
pas  des  hommes  :  c'est  bien  mieux,  ce  sont  des  âmes. 
J'aime  ces  ambassades  vivantes  des  siècles  expirés,  qui 
viennent,  de  leur  part,  coloniser  nos  déserts.  Les  biblio- 
thèques sont  des  empires  habités  par  des  idées... 

...  Les  livres  sont  des  jardins  où  l'esprit  de  tous  les 
siècles  a  semé  des  fleurs  de  tous  les  temps  et  de  tous  les 
climats;  des  fleurs  immobiles  qui  nous  transportent  où 
nous  ne  sommes  pas,  où  nous  voudrions  être;  des  fleurs 
qui  sont  presque  magiciennes,  qui  évoquent  pour  l'âme 
les  pays  qu'elles  enchantent... 


[Le  Livre  du  Promeneur.) 


LEVALLOIS  (Jules) 

Les  livres  me  consolent  des  fleurs,  et,  à  leur  tour,  les 
fleurs  me  distraient,  me  reposent  des  livres.  En  ce  der- 
nier point,  pourtant,  j'exagère.  Il  y  a  des  livres  que 
j'aime  particulièrement  à  lire  au  printemps;  il  en  est 
d'autres  qui  ne  me  plaisent  et  ne  me  contentent  qu'au 
cœur  de  l'été.  Selon  les  saisons,  mes  préférences,  mes 
goûts  varient,.. 

...  Après  avoir  feuilleté  d'un  doigt  impatient  ces  sé- 
ducteurs (les  contemporains),  qui  parfois  me  débauchent 
et  me  détournent  de  mon  chemin,  je  me  hâte  de  les  fer- 
mer, de  les  écarter.  Un  long  et  profond  entretien  avec 
les  sages,  avec  les  forts,  avec  les  maîtres,  pourra  seul  me 
rendre  la  sérénité,  me  remettre  sur  la  trace  et  dans  la 
direction  du  vrai... 


BIBLIOPHILIANA  247 

...  L'hiver...  c'est  le  temps  où  l'on  aborde  le  plus  cou- 
rageusement, le  plus  volontiers,  les  ouvrages  de  grand 
format...  Adieu  les  in-4°  et  vive  Cazinl...  le  petit  format 
est  fait  pour  l'été.  On  met  son  Virgile  ou  son  La  Fontaine 
dans  sa  poche,  et  l'on  s'en  va  courir  les  champs. 

{L'Année  d'un  Ermite.) 

LIGNE  (Charles-Joseph,  Prince  de) 

Examinez  les  meilleurs  livres;  pressez-les,  distillez, 
alambiquez.  Il  y  a  si  peu  de  vérités  dans  le  monde  et  si 
peu  de  nouveautés,  qu'on  trouvera  peut-être  trois  pages 
véritablement  intéressantes  dans  un  volume  de  douze 
cents.  Ce  n'est  plus  le  fond  qu'on  examine,  c'est  la  forme, 
et  de  la  grâce  du  style  dépend  le  succès  de  l'ouvrage... 
{Mes  Ecarts  ou  ma  Tète  en  liberté.) 

La  seule  manière  de  lire  un  livre  de  pensées,  sans  s'en- 
nuyer, c'est  de  l'ouvrir  à  tout  hasard,  et,  après  avoir 
trouvé  ainsi  souvent  ce  qui  intéresse,  le  fermer  au  bout 
d'une  ou  de  deux  pages,  et  de  méditer.  Si  on  lit  tout  de 
suite,  on  croit,  comme  après  avoir  passé  en  revue  un 
portefeuille  d'estampes,  qu'on  n'en  a  vu  qu'une. 

{Pensées  diverses.) 

LOMEIER  (Jean) 

Si  quis  in  bontim  librum  incidat,  id  fortuna  magis  quant 
sapientia  tribuendum. 

Si  l'on  tombe  sur  un  bon  livre,   c'est  plutôt  l'effet  du 

hasard  que  des  connaissances. 

{De  Bibliothecis.) 


24^  BIBLIOPHILIANA 


LOPE  DE  VEGA  CARPIO  (Feliz) 

...  Charmé  de  telles  matinées  succédant  à  des  jours  si 
sombres,  je  déplorais  maintefois  mes  égarements.  Je  me 
retirais  ensuite  pour  écrire,  ou  consulter  mes  livres.  On 
m'appelait  aux  heures  des  repas,  et  je  répondais  souvent 
avec  humeur  qu'on  me  laissât  tranquille,  tant  l'étude  est 
puissante... 


LUCAS  DE  PENNA 

Liber  est  lumen  cordis,  spéculum  corporis,  virtutum  magister, 
vitiorum  depulsor^  corona  prudentium,  cornes  itiîieris,  domesîicus 
amicus,  congerro  jacentis,  collega  et  consiliarius  prcesidenîis, 
myrothecium  eloquentia,  hortus plenus  fructibus,  pratum  floribus 
distinctum,  memor'ns  penus,  vita  recordationis.  Vocatus,  prope- 
rat,jussus,festinat;  semper  prasto  est,  nunquam  non  morigerus; 
rogatus,  confestim  respondet,  arcana  révélât,  obscura  illustrât, 
ambigua  certiorat,  perplexa  resolvit.  Contra  adversam  fortu- 
nam  defensor,  secunda  moderator,  opes  adauget,  jacturam 
propulsât. . . 

Le  livre  est  la  lumière  du  cœur,  le  miroir  du  corps; 
il  enseigne  les  vertus,  chasse  les  vices;  il  est  la  couronne 
des  prudents,  le  compagnon  de  voyage,  l'ami  domesti- 
que, la  société  du  malade,  le  collègue  et  le  conseiller  de 
celui  qui  gouverne,  le  vase  à  parfums  de  l'éloquence,  le 
jardin  plein  de  fruits,  le  pré  orné  de  fleurs,  la  provision 
de  la  mémoire,   la  vie   du  souvenir.  Appelé,  il  arrive  ; 


BIBLIOPHILIANA  349 


commandé,  il  se  hâte;  toujours  il  est  prêt,  jamais  il  ne 
manque  de  complaisance;  interrogé,  il  répond  sur-le- 
champ;  il  révèle  ses  secrets,  éclaire  les  points  obscurs, 
assure  les  douteux,  résoud  les  perplexes.  Il  défend  con- 
tre la  mauvaise  fortune,  modère  la  prospérité,  augmente 
les  richesses,  repousse  la  dépense...) 

{Polyhistor  de  Morhoff,  liv.  I,  ch.  j.  —  Cité  par  Peignot  ) 


LUCRÈCE  (Titus  Lucretius  Carus) 

La  fortune  des  livres  n'est  pas  toujours  la  même  ;  au- 
jourd'hui dans  l'honneur,  demain  dans  le  mépris. 

{De  Natura  Rerum.  Liv.  IV.) 


MABIRE  (J.-L.) 

La  plupart  des  livres  sont  semblables  à  ces  pays  dé- 
serts, où  il  faut  faire  trente  lieues  pour  trouver  un  clocher 
ou  un  lieu  de  repos. 

[Dictionnaire  de  Maximes.) 

Voir  S,  N***,  prieur  de  Saint-Ton. 


MAISTRE  (Xavier  de) 

...  Un  bon  feu,  des  livres,  des  plumes:  que  de  res- 
sources contre  l'ennui  !  Et  quel  plaisir  encore  d'oublier 
ses  livres  et  ses  plumes  pour  tisonner  son  feu  !,.. 

Ma  bibliothèque  donc  est  composée  de  romans,  puis- 

33 


250  BIBLIOPHILI  AN  A 

qu'il  faut  vous  le  dire,  —  oui,  de  romans  et  de  quelques 
poètes  choisis... 

Je  ne  finirais  pas,  si  je  voulais  décrire  la  millième  par- 
tie des  événements  singuliers  qui  m'arrivent  lorsque 
je  voyage  près  de  ma  bibliothèque... 

(Voyage  autour  de  ma  Chambre.) 

MALESHERBES  (Chrétien-Guillaume 

DE    LaMOîGNON    de) 

Je  suis  fâché,  Monsieur,  de  n'avoir  pas  de  bonne  ré- 
ponse à  vous  faire  ;  mais  tous  les  livres  saisis  à  la  poste 
sont  brûlés  impitoyablement  par  ordre  exprès  du  Roy, 
et  les  vostres  ont  subi  cette  destinée... 

{Lettre  a  Grosley,  de  Troyes.) 

MANUEL  (Don   Juan) 

...  Beaucoup  de  gens  n'entendent  pas  ce  qui  est  abs- 
trait ou  difficile;  ils  ne  peuvent  donc  aimer  certains 
livres,  ni  prendre  goûta  les  lire;  et,  par  suite,  ils  n'en 
tirent  aucune  utilité. 

{Le  comte  Lucanor.  —  Prologue.) 

MARC-AURÈLE  (Antonin) 

Retirez-vous  en  vous-même.  Pratiquez  souvent  cette 
retraite  de  l'âme  ;  vous  vous  y  renouvellerez.  Ayez  quel- 


BIBLIOPHILIANA 


351 


que  maxime  qui  au  besoin  ranime  votre  raison,  et  qui 
fortifie  vos  principes,  La  retraite  vous  met  en  commerce 
avec  les  bons  auteurs.  Les  habiles  gens  n'entassent  point 
les  connaissances,  mais  ils  les  assemblent  :  faites  que  vos 
lectures  coulent  dans  vos  mœurs,  et  que  tout  le  profit  se 
tourne  en  vertu. 

{Pensées.) 


MARTIN    (L.-AiMÉ) 

L'instruction  ne  donne  pas  l'intelligence,  elle  la  meu- 
ble et  la  développe;  elle  nous  ajoute  les  idées  des  au- 
tres, et  nous  grandit  de  tout  ce  qu'elle  nous  ajoute;  elle 
met  en  nous  Socrate,  Platon,  Newton,  Fénelon,  et  nous 
permet  de  les  égaler,  non  dans  leurs  vastes  conceptions, 
mais  dans  leur  charité  évangélique,  ce  qui  est  plus  beau 
et  plus  heureux... 

On  s'étonnera  peut-être  de  la  puissance  que  nous  at- 
tribuons aux  livres;  mais  les  livres  sont  des  idées,  et 
c'est  avec  des  idées  que  les  petites  et  les  grandes  choses 
se  font  ici-bas...  Il  y  en  a  trois  ou  quatre  qui  gouvernent 
le  monde...  Les  peuples  sont  heureux  ou  malheureux 
suivant  la  pensée  écrite  qui  les  inspire.  Voilà  pourquoi 
l'Asie  meurt  sous  le  poids  de  ses  chaînes;  voilà  pourquoi 
aussi  la  France,  l'Angleterre,  l'Amérique  sont  libres... 

L'influence  des  livres  est  universelle;  c'est  le  grand 
levier  du  monde  moral  et  politique.  Imaginez  en  effet 
une  force  comparable  à  celle-ci  :  aux  deux  extrémités  du 
globe  la  même  page  va  éveiller  les  mêmes  pensées,  sou- 
lever les  mêmes  passions,  réunir  comme  en  un  faisceau 


a^a  BIBLIOPHILIANA 


les  êtres  que  l'immensité  sépare,  et  nous  révéler,  au 
milieu  de  la  variété  des  races,  la  fraternité  des  âmes, 
l'unité  du  genre  humain. 

{Plan  de  Bibliothèque  universelle.  —  Introduction.) 


MARTONNE  (Alfred  de) 

Quand  on  est  jeune,  on  n'a  nul  souci  de  la  forme  du 
livre;  qu'il  soit  beau  ou  laid,  bien  ou  mal  relié,  peu 
importe.  On  se  moque  des  éditions  rares,  des  textes 
curieux,  des  livres  de  prix.  On  ne  s'occupe  que  de 
l'idée  et  surtout  du  sentiment.  On  n'a  cure  que  de  ce  qui 
plaît  au  cœur,  et  touche  et  émeut.  Foin  de  l'esprit  et  des 
belles  dorures!  Il  n'y  a  pas  de  bibliophile  de  vingt  ans. 
Quand  on  est  jeune,  on  ne  sait  pas  relire  un  livre.  A 
peine  sait-on  le  lire.  On  le  dévore,  et,  pour  bien  juger 
un  livre,  il  faut  le  relire  et  à  différentes  époques  de  sa  vie. 
Il  y  a,  comme  cela,  des  livres  qui  sont  un  thermomètre 
de  l'esprit  ou  plutôt  du  cœur... 

(Lire  er  relire,  ou  quand  on  est  jeune.  —  De  la 
2'  édit.  de  Fagots  et  Fagots.) 


MEISTER  (Léonard) 

La  meilleure  règle  à  suivre  dans  le  choix  de  ses  lectu- 
res est  celle  qu'il  convient  de  s'imposer  de  bonne  heure 
dans  le  choix  de  ses  liaisons.  Il  faut  toujours  tâcher  de 
vivre  avec  des  êtres  qui  nous  soient  supérieurs  à  quel- 
ques égards,  qui  ne  soient  pas  du  moins  trop  au-dessous 
de  nous-mêmes,  et  puissent  nous  donner  l'espérance  de 


BIBLIOPHILIANA 


^53 


nous  rendre  meilleurs  ou  plus  aimables,  et,  s'il  est  pos- 
sible, l'un  et  l'autre.  Il  faut  choisir  d'abord  les  livres  qui 
nous  servent  d'instituteurs,  de  guides  et  de  maîtres;  ce 
n'est  qu'après  avoir  bien  profité  de  ceux-là  que  nous 
pourrons  nous  attacher  à  d'autres  comme  à  des  amis,  à 
des  amis  de  tous  les  jours  et  de  tous  les  instants,  parce 
qu'il  n'y  a  que  ceux-là  dont  l'amitié  nous  rende  vraiment 
heureux. 


MÉNAGE   (Gilles) 

Si  tous  les  livres  des  anciens  étaient  dans  le  feu,  il  n'y 
en  a  guères  que  j'en  tirasse  plus  volontiers  que  Plutar- 
que.  Il  ne  m'a  jamais  ennuie;  et  quoique  je  le  lise  sou- 
vent, j'y  trouve  toujours  de  nouvelles  beautés... 

Défendez-moi,  l'on  me  lira.  Je  dis  cela  de  la  plupart  des 
livres,  car  assurément  on  ne  les  lit  que  parce  qu'ils  sont 
défendus,  quoiqu'ils  ne  vaillent  quelquefois  pas  la  peine 
d'être  lus. 

Entre  tous  les  livres  que  l'on  lit,  il  y  en  a  beaucoup  où 
l'on  ne  trouve  presque  rien  de  bon.  En  cela  il  faut  imiter 
les  abeilles;  elles  voltigent  sur  toutes  les  fleurs,  mais  elles 
ne  tirent  pas  de  toutes  de  quoi  faire  du  miel  :  Apes  in 
omnibus  quarunt,  non  ex  omnibus  carpunt. 

Les  livres  de  dévotion  et  ceux  de  galanterie  s'achètent 
également.  La  différence  que  j'y  trouve,  c'est  qu'il  y  a 
plus  de  gens  qui  lisent  les  livres  de  galanterie  qu'il  n'y  en 
a  qui  les  achètent;  et  plus  de  gens  qui  achètent  les  livres 
de  dévotion,  qu'il  n'y  en  a  qui  les  lisent. 

Les  livres  ont  toujours  été  la  passion  des  honnêtes  gens. 

(Ménagiana.) 


354  BIBLIOPHILIANA 


MENIERE 

II  arrive  un  temps  où  l'on  ne  lit  plus  guère,  on  relit  : 
c'est  l'époque  de  la  maturité,  des  récapitulations;  il  faut 
à  notre  esprit  une  nourriture  plus  choisie...  L'on  revient 
avec  plaisir  aux  anciens  livres,...  et  ces  retours  vers  un 
passé  glorieux  sont  le  plus  grand  charme  de  la  vie  calme, 
de  la  solitude  du  cabinet... 

Un  homme  d'esprit  a  dit  :  Legitur  ad  probandum,  et  je 
trouve  qu'il  a  cent  fois  raison.  Un  livre  ne  nous  intéresse 
qu'en  raison  des  arguments  qu'il  nous  fournit  à  l'appui 
d'une  thèse  adoptée. 

{Etudes  médicales  sur  les  Poète:  latins.) 


MENTELLE  (Edme) 

Bibliothèques.  — Il  y  a  des  hommes  qui  ont  des 
bibliothèques  comme  des  femmes  ont  des  magots  sur  la 
cheminée,  seulement  pour  la  décoration  de  l'apparte- 
ment. 

{Le  Portefeuille  du  R.  P.  Cillet.) 


MÉRAY  (Antony) 

Les  livres  sont  des  vases  précieux  au  moyen  desquels 
les  générations  se  transmettent  naturellement  leur  âme; 
ce  sont  les  témoins  vivants  de  l'immortalité  humaine; 
grâce  à  eux,  nous  jouissons  par   avance  du  don   d'ubi- 


BIBLIOPHILIANA  3^5 

quité.  Le  monde  entier  s'ouvre  à  l'intelligence  du  biblio- 
phile ;  il  traverse  à  son  gré  les  mers  et  les  temps  ;  il  pénètre, 
sans  crainte  d'y  être  coudoyé,  dans  les  foules  de  toutes 
les  époques,  et  s'y  choisit  librement  ses  guides  dans  le 
nombre  des  esprits  supérieurs  qui  lui  ont  légué  les  pré- 
occupations de  leurs  contemporains... 

Si  la  passion  des  livres  est  l'une  des  plus  nobles,  elle 
est  aussi  l'une  des  plus  vastes,  et  celle  dont  le  champ  se 
trouve  le  plus  merveilleusement  varié... 

On  peut  classer  tout  d'abord  les  bibliophiles  en  deux 
grandes  catégories  :  ceux  qui  jouissent  de  la  substance 
des  livres,  qui  les  traquent  pour  en  extraire  le  contenu 
et  s'imprégner  de  leur  esprit;  et  ceux  qui  les  saisissent  au 
passage  pour  s'en  faire  les  conservateurs,  qui  en  con- 
templent amoureusement  la  forme,  qui  les  restaurent, 
les  revêtent  de  pourpre  et  d'or  et  les  préservent  des 
profanations  du  vulgaire... 

Un  de  nos  plus  illustres  contemporains,  grand  ami  des 
livres,  se  plaît,  en  montrant  sa  riche  bibliothèque,  à  dé- 
clarer qu'il  étudie  avec  plus  de  facilité  dans  un  bel  exem- 
plaire, et  qu'il  choisit  toujours  pour  cela  celui  dont  le 
papier  est  plus  ferme  au  toucher  et  la  justification  typo- 
graphique le  plus  agréable  à  l'œil.  Nous  sommes  tout-à- 
fait  de  son  avis  ;  il  sort  d'un  beau  livre  une  sérénité  calme, 
une  heureuse  harmonie  qui  rendent  attrayants  les  plus 
graves  travaux.  En  vérité,  c'est  une  chose  très-désirable 
dans  un  livre  que  la  bonne  condition  ;  elle  annonce  pres- 
que toujours  d'ailleurs  la  bonne  édition,  dont  la  recherche 
indique  un  nouveau  genre  de  préférences  plus  sérieuses 
que  les  préférences  artistiques. 

{Les Livres  et  les  Bibliophiles.  —  Archives  du  Bibliophile^  tome  I.) 


356  BIBLIOPHILIANA 


MERCIER  (Louis-Sébastien) 

Convaincus,  par  les  observations  les  plus  exactes,  que 
l'entendement  s'embarrasse  de  lui-même  dans  mille  diffi- 
cultés étrangères,  nous  avons  découvert  qu'une  biblio- 
thèque nombreuse  étoit  le  rendez-vous  des  plus  grandes 
extravagances  et  des  plus  folles  chimères... 

Presque  tous  les  livres  se  font  à  Paris,  s'ils  ne  s'y  im- 
priment pas.  Tout  jaillit  de  ce  grand  foyer  de  lumières. 
• —  «  Mais,  dira-t-on,  commeiit  fait-on  encore  des  livres  ?  » 
—  «  Oui,  mais  c'est  que  presque  tous  sont  à  refaire,  et 
ce  n'est  qu'en  refondant  les  idées  d'un  siècle  que  l'on 
parvient  à  trouver  la  vérité,  toujours  si  lente  à  luire  sur 
le  genre  humain.  » 

On  remarque  la  même  proportion  entre  la  fabrication 
des  livres  et  leur  décomposition,  qu'entre  la  vie  et  la 
mort;  consolation  que  j'adresse  à  ceux  que  la  multitude 
des  livres  ennuie  ou  chagrine... 

L'exercice  de  la  pensée  appartient  également  à  tous; 
et,  puisque  le  génie  transcendant,  véritablement  lumi- 
neux, n'est  pas  dans  les  livres,  il  est  dans  les  hommes. 
Méprisez  les  livres,  et  cherchez  les  hommes.  Nous  avons 
beaucoup  de  livres,  et  le  livre  nous  manque;  le  livre  que 
je  conçois,  et  qui  pourrait  nous  tenir  lieu  de  tous  les  au- 
tres ;  il  séparerait  ce  qui  est,  de  ce  qui  n'est  pas. 

L'ignorance,  même  par  air,  érige  un  trophée  en  l'hon- 
neur du  savoir.  Que  de  sots  possesseurs  d'une  immense 
bibliothèque  ressemblent  aux  libraires  qui  se  promènent, 
tous  les  jours,  au  milieu  d'une  foule  de  livres  qu'ils  nont 
jamais  ouverts!... 


BIBHOPHILIANA 


257 


On    refond   des   livres   comme    on   refond    des    suifs. 
Voyez  Panckouke;  n'est-il  pas  un  maître  chandelier?.... 

(Tableau  de  Paris.) 
Voir  Valentin  de  Lapelou-^e. 


MERLET  (Gustave) 

...  A  mes  yeux,  un  livre  n'a  de  valeur  que  s'il  me  laisse 
voir  non  un  auteur,  mais  une  personne,  et  par  consé- 
quent un  style. 

...  Les  écarts  des  indépendants  me  déplaisent  encore 
moins  que  la  routine;  et,  loin  de  décourager  ceux  qui 
tentent  des  voies  nouvelles,  je  pense  que  le  premier  de- 
voir de  celui  qui  juge  les  livres  sera  toujours  d'aimer  le 
talent,  même  quand  il  se  trompe  et  fait  fausse  route. 

...  Où  commence,  où  finit  la  fantaisie?  Les  lumières  de 
l'instinct  peuvent-elles  suppléer  aux  leçons  réfléchies  de 
l'expérience  ?  Est-ce  dans  les  livres  qu'on  parvient  à  con- 
naître le  cœur  humain  ? 

(Hommes  et  Livres.) 


METTERNICH  (Le  Prince  de) 

Aimez  l'étude,  les  tableaux,  la  musique;  faites-vous, 
s'il  le  faut,  bibliomane  (et  collectionneur  de  papillons!  ); 
mais  ayez  un  goût  quelconque,  une  manie  pour  vos  vieux 
jours,  sans  quoi  vous  périrez. 

3J 


aj8  BIBLIOPHILIANA 


MICHELE!  (Jules) 

...  Un  Dieu  parfois,  une  Cité,  en  dit  beaucoup  plus 
que  les  livres,  et,  sans  phrase,  exprime  l'âme  même... 

On  parle  trop  des  anciens  philosophes.  Leurs  livres, 
même  en  Grèce,  étaient  peu  lus... 

L'alphabet  est  divin.  Chaque  lettre  est  une  force  de 
Dieu... 

{La   Bible  de  l'Humanité.) 

On  se  figure  à  peine  ce  que  c'est  que  la  faim  de  la 
lecture.  Pendant  son  travail,  —  et  le  plus  inconciliable  de 
tous  avec  l'étude,  —  parmi  le  roulement,  le  tremblement 
de  vingt  métiers,  un  malheureux  fileur  mettait  un  livre 
sur  un  coin  de  son  métier,  et  lisait  une  ligne  chaque  fois 
que  le  chariot  roulait  et  lui  laissait  une  seconde. 


MONPONT 

Les  bons  livres  peuvent  être  parfois  les  plus  légers,  au 
propre  comme  au  figuré... 

Si  la  lecture  est  le  pain  de  l'intelligence,  ce  pain-là  ne 
devrait  jamais  être  taxé  que  pour  le  garantir  de  toute  fal- 
sification. 

Un  mauvais  orateur  est  toujours  plus  écouté  qu'un  bon 
livre,  par  cette  raison  qu'il  supplée  au  défaut  de  pensée 
par  des  gestes  et  des  cris. 

{Poissons  d',-lvril  à  toutes  sauces.) 


BIBLIOPHIIIANA  ^59 


MONSELET   (Charles) 

...  Quel  livre  peut  sembler  mauvais,  lorsqu'il  est  lu 
par  dessus  une  jolie  épaule?... 

...  La  moitié  de  leur  réputation  est  assise  sur  le  scan- 
dale. Mais  ce  qui  les  grandit  dans  le  passé  est  justement 
ce  qui  les  rabaisse  dans  l'avenir...  11  ne  reste  plus  d'eux 
que  leur  oeuvre...  On  s'aperçoit  dès-lors  que  l'homme 
tenait  autant  de  place  que  le  livre,  et  que  ce  qui  nuit  le 
plus  au  second  c'est  le  premier... 

(Les  Oubliés  et  les  Dédaignés.) 


MONTAGUE  (lady  Mary  Worthley) 

Il  n'y  a  point  de  divertissement  qu'on  se  procure  à 
aussi  bon  marché  que  la  lecture,  et  il  n'y  a  point  de  plaisir 
plus  durable. 

[Lettres.) 


MONTAIGNE  (Michel  de) 

Cettuy  ci  (le  commerce  des  livres)  costoye  tout  mon 
cours,  et  m'assiste  partout;  il  me  console  en  la  vieillesse 
et  en  la  solitude  :  il  me  descharge  du  poids  d'une  oysifveté 
ennuyeuse,  et  me  desfaictà  toute  heure  des  compaignies 
qui  me  faschent;  il  esmousse  les  poinctures  de  la  douleur, 
si  elle  n'est  du  tout  extrême  et  maistresse.  Pour  me  dis- 
traire d'une  imagination  importune,  il  n'est  que  de  recou- 


a6o  BIBLIOPHILIAN  A 


rir  aux  livres;  ils  me  destournent  facilement  à  eulx,  et 
me  la  desrobent..  C'est  la  meilleure  munition  que  i'aye 
trouvée  à  cest  humain  voyage... 

Je  ne  cherche  aux  livres  qu'à  m'y  donner  du  plaisir  par 
un  honneste  amusement:  ou,  si  j'estudie,  je  n'y  cherche 
que  la  science  qui  traicte  de  la  cognoissance  de  moy 
mesme,  et  qui  m'instruise  à  bien  mourir  et  à  bien  vivre... 

Prendre  les  livres  n'est  pas  les  apprendre... 

Le  malade  n'est  pas  à  plaindre  qui  a  la  guarison  en  sa 
manche.  En  l'expérience  et  usage  de  cette  sentence,  qui 
est  très  véritable,  consiste  tout  le  fruict  que  je  tire  des 
livres...  l'en  jouis,  comme  les  avaricieux  des  trésors,  pour 
sçavoir  que  j'en  jouiray  quand  il  me  plaira...  Ils  sont  à 
mon  côté  pour  me  donner  du  plaisir  à  mon  heure... 

Chez  moi,  je  me  destourne  un  peu  plus  souvent  à  ma 
librairie...  Là  je  feuillette  à  cette  heure  un  livre,  à  cette 
heure  un  aultre,  sans  ordre  et  sans  desseing,  à  pièces 
descousues... 

Les  livres  ont  beaucoup  de  qualitez  agréables  à  ceulx 

qui  les  sçavent  choisir... 

{ Essais.) 


MONTEIL  (Amans-Alexis) 

J'ai  lu  tous  les  livres  qui  me  sont  tombés  sous  la  main. . . 

...  Quant  aux  livres  d'un  prix  élevé,  rien  de  plus  ma- 
gnifique :  les  planches  en  étaient  revêtues  de  velours  et 
d'autres  étoffes  de  soie,  ou  d'un  beau  cuir  empreint  des 
ornements  les  plus  exquis  ..  Le  dedans  répondait  à  de  si 
précieux  enrichissements...  Soit  dit  à  la  gloire  de  notre 
siècle,    jamais  l'art  d'écrire   les    livres,   jamais  l'art  d'en 


BIBLIOPHILIANA  361 


peindre  les  miniatures,  les  ornements,  les  bordures,  les 
dentelles...  n'a  été  porté  à  un  si  haut  point... 

Souvent,  en  se  promenant  au  milieu  de  tous  ses  livres, 
il  disait:  celui-ci  vaut  tant,  celui-là  tant,  cet  autre  tant... 
Mes  amis,  un  homme  comme  moi  doit  bien  vendre  ses 
livres  ou  les  garder.  Voilà,  ajouta-t-il  en  tirant  deux  grands 
volumes  d'un  étui  brodé  de  rubis  et  de  perles,  un  Saint- 
Augustin  qui  me  paiera  la  ferme  que  je  viens  d'acheter. 
Il  ne  sortira  pas  de  ma  boutique  à  moins  de  i  ,000  livres. .. 
(Histoire  des  Français  de  divers  Etats.) 

MONTESQUIEU 

Aimer  à  lire,  c'est  faire  un  échange  des  heures  d'ennui, 
que  l'on  doit  avoir  en  sa  vie,  contre  des  heures  déli- 
cieuses... 

Dans  les  livres,  on  trouve  les  hommes  meilleurs  qu'ils 
ne  sont  :  amour-propre  de  l'auteur,  qui  veut  toujours 
passer  pour  plus  honnête  homme  en  jugeant  en  faveur  de 
la  vertu.  Les  auteurs  sont  des  personnages  de  théâtre... 

A  quoi  bon  faire  des  livres  pour  cette  petite  terre,  qui 
n'est  guère  plus  grande  qu'un  point?... 

L'étude  a  été  pour  moi  le  souverain  remède  contre  les 
disgrâces  de  la  vie,  n'ayant  jamais  eu  de  chagrin  qu'une 

heure  de  lecture  n'ait  dissipé. 

(Per.sées.) 


MOURAVIT  (Gustave) 

L'amour  des  livres  !  mais  ce  goût  saurait-il  naître  ailleurs 
que  dans  les  grandes  âmes  ?  N'est-il  pas  un  heureux  pri- 


a6a  BIBLIOPHILIANA 


vilége  des  plus  nobles  natures,  et,  «  sous  un  autre  nom, 
l'amour  de  la  justice  et  de  la  vérité?  »  N'est-il  pas  aussi  un 
élément  pur  du  bonheur  présent,  le  maître  des  plus 
douces  vertus,  la  source  de  ces  aspirations  infinies  vers 
le  vrai  bien,  vers  les  futures  béatitudes,  vers  les  ineffables 
clartés  de  l'avenir,  dont  les  lueurs  anticipées  brillent 
parfois  à  nos  yeux  dans  ce  délicieux  commerce  avec  le 

livre? 

{Le  Livre.) 


MUNARET  (DO 

La  lecture  des  mauvais  livres  ne  fait  qu'allonger  sans 
fin  le  chemin  de  la  science, 

•  {Impressions  de  Lecture.) 


NAUDÉ  SAINT-MAURICE 

Nous  ne  cherchons  dans  les  livres  que  l'esprit  on  le 
génie  que  nous  croyons  avoir. 

{Réflexions  morales.) 
Voyez  Cice'ron. 

NODIER  (Charles) 

...  L'innocent  bonheur  du  bibliomane,  bonheur  qui 
repose  sur  des  puérilités  charmantes,  dont  il  ne  faut  pas 
se  moquer.  Malheur  à  l'homme  au  cœur  sec  qui  lui  dispu- 
terait cette  joie,  surtout  quand  il  n'en  a  plus  d'autre!... 
D'ailleurs,  une  manie  n'est  pas  le  signe  d'une  organisation 


BIBLIOPHILIANA  363 


vulgaire,  quand  elle  s'attache  au  produit  de  l'intelligence 
et  du  génie.  C'est  une  touchante,  et  noble,  et  respectable 
préoccupation  des  esprits  distingués... 

Le  bibliophile  est  un  homme  doué  de  quelque  esprit 
et  de  quelque  goût,  qui  prend  plaisir  aux  œuvres  du  gé- 
nie, de  l'imagination  et  du  sentiment.  Il  aime  cette  muette 
conversation  des  grands  esprits  qui  n'exige  pas  de  frais  de 
réciprocité,  que  l'on  commence  où  l'on  veut,  que  l'on 
quitte  sans  impolitesse,  qu'on  renoue  sans  se  rendre  im- 
portun; et  de  l'amour  de  cet  auteur  absent,  dont  l'arti- 
fice de  l'écriture  lui  a  rendu  le  langage,  il  est  arrivé,  sans 
s'en  apercevoir  à  l'amour  du  symbole  matériel  qui  le  re- 
présente. Il  aime  le  livre,  et  il  se  plaît  à  orner  ce  qu'il 
aime... 

Le  bibliophile  sait  choisir  ses  livres;  le  bibliomane  les 
entasse... 

Après  le  plaisir  d'avoir  des  livres,  le  plaisir  d'en  parler. 

Du  sublime  au  ridicule,  il  n'y  a  qu'un  pas;  du  biblio- 
phile au  bibliomane,  il  n'y  a  qu'une  crise. 


NOËL  (Eugène) 

Si  vous  n'avez  jamais  lu  à  la  campagne,  devant  votre 
cheminée,  au  milieu  des  bruits  étranges  du  dehors,  je 
doute  que  vous  puissiez  savoir  jusqu'à  quel  point  un  livre 
peut  s'emparer  de  l'âme. 


S.    N***    PRIEUR    DE    SaINT-YoN 

Un  bon  Livre  ne  perd  rien  de  son  mérite  pour  être 
calomnié  par  des  envieux,  ou  négligé  par  des  ignorans. 


a64  BIBLIOPHILIANA 

Il  n'a  pas  besoin  de  protection  ni  de  l'assistance  des  Puis- 
sances de  la  Terre  :  il  se  protège  par  lui-même... 

La  Science  est  la  nourriture  de  l'Ame,  de  même  que 
l'Aliment  est  ce  qui  fait  subsister  le  Corps... 

Il  y  a  peu  de  Livres  où  l'on  puisse  mettre  un  nom  par- 
ticulier d'Auteur  sans  blesser  la  vérité,  puisqu'il  n'y  en  a 
point  qui  soit  l'ouvrage  d'un  seul... 

Il  y  a  des  gens  qui  voudraient  qu'un  Auteur  ne  parlât 
jamais  des  choses  dont  les  autres  ont  parlé,  autrement  on 
l'accuse  de  ne  rien  dire  de  nouveau;  il  vaudrait  autant 
qu'on  l'accusât  de  se  servir  des  mots  anciens,  car  toutes 
les  bonnes  Maximes  sont  dans  le  Monde;  il  ne  s'agit  que 
de  les  bien  appliquer. 

La  plupart  des  Livres  sont  semblables  à  ces  Païs  déserts 
où  il  faut  faire  trente  lieues  pour  trouver  un  Clocher,  ou 
un  lieu  pour  se  reposer. 

(Pljgiairiana.  —  Préface. j 
Voir  J.-L.  Mahire. 


OFFROY  (Victor) 

Chacun  a  son  livre  de  prédilection:  le  mien,  c'est  la 
nature.  Je  l'aime  parce  qu'il  est  simple  et  vrai,  et,  quand 
je  veux  écrire,  c'est  chez  lui  que  je  prends  mes  sujets... 

Penser,  lire,  écrire,  c'est  vivre  avec  soi-même,  c'est 
exercer  son  esprit,  épancher  son  cœur,  et  créer  avec  son 
âme.  Ovide,  chez  les  Sarmates,  charmait  son  exil  par  les 
lettres.  «  Donnez-nous  une  plume,  un  livre,  disaient  Silvio 
Pellico  et  Andryane  sous  les  plombs  de  Venise,  et  nous 
vous  pardonnons  nos  fers.  » 

Un  bon  livre  est  un  ami  de  tous  les  temps,  de  tous  les 


BIBLIOPHILIANA  26^ 

lieux;  il  nous  récrée,  nous  instruit,  nous  console;  il  nous 
accompagne  dans  la  solitude,  dans  nos  voyages,  dans  nos 
veilles;  il  nous  conseille,  adoucit  nos  maux,  éclaire  notre 
raison,  mûrit  notre  intelligence,  et  nous  rend  meilleur  en 
nous  rendant  plus  sage. 
Mais  ce  bon  livre  est  rare  dans  notre  époque... 

(Mes  derniers  Loisirs,  et  Préface  des  Vieux 
PéchéSf  par  Al.  Toupet.) 

OMAR 

Brûlez  toutes  les  bibliothèques,  car  ce  livre  (le  Koran) 
renferme  tout  ce  qu'elles  ont  de  précieux. 

OVIDE  (Publics  Ovidius   Naso) 

...  Toi,  tu  m'apportes  la  consolation;  tu  es  la  quiétude 
dans  mes  soucis,  le  remède  à  mes  maux... 

Tels  livres  ne  plaisent  qu'après  la  mort  des  auteurs; 
l'Envie  a  coutume  de  mordre  et  de  blesser  les  vivants. 

OXENSTIERN  (axel,  comte  de) 

11  en  est  de  certains  savans  comme  d'un  bel  et  bon 
livre,  mais  chargé  de  tant  de  poussière  qu'on  a  de  la 
répugnance  à  l'ouvrir,  de  peur  de  se  salir  les  mains. 

(Pensées.) 

PANDOLFINI  (Ange) 

...  A  ces  dépenses  non  nécessaires,  mais  qui  ne  se  font 
pas  sans  quelques  raisons,  on  peut  encore  ajouter  les  dé- 

Î4 


a66  BIBLIOPHILIANA 


penses  consacrées  à  des  plaisirs  et  à  des  délassements  de 
bonne  compagnie,  sans  lesquels,  toutefois,  on  peut  vivre 
bien  et  honnêtement,  comme  à  posséder  de  bons  livres, 
de  nobles  coursiers  et  de  riches  tapisseries. 

[Truite  du  Gouvernement  de  la  Famille.) 

PASCAL  (Blaise) 

Les  meilleurs  livres  sont  ceux  que  chaque  lecteur 
croit  qu'il  aurait  pu  faire  ;  la  nature,  qui  seule  est 
bonne,  est  toute  familière  et  commune...  Je  hais  les 
mots  d'enflure. 

PASQUIER    (ESTIHNNE) 

...  De  sorte  qu'étant  maintenant  réduit  en  ma  cham- 
bre, voici  l'économie  que  j'y  garde.  J'ai  d'un  côté  mes 
livres,  ma  plume  et  mes  pensées;  d'un  autre,  un  bon  feu, 
tel  que  pouvait  souhaiter  Martial,  quand,  entre  les  félicités 
humaines  il  y  mettait  ces  deux  mots  :  focus  perennis.  Ainsi 
me  dorlotant  de  corps  et  d'esprit,  je  fais  de  mon  étude 
une  étuve,  et  de  mon  étuve  une  étude;  et  en  l'un  et 
l'autre  sujet  je  donne  ordre  qu'il  n'y  ait  aucune  fumée: 
au  demeurant,  étude  de  telle  façon  composée,  que  je  ne 
m'asservis  aux  livres,  ains  les  livres  à  moi.  Non  que  je  les 
lise  de  propos  délibéré  pour  les  contredire;  mais  tout 
ainsi  que  l'abeille  sautelle  d'une  fleur  à  autre,  pour  pren- 
dre sa  petite  pâture  dont  elle  forme  son  miel,  aussi  lis-je 
ores  l'un,  ores  un  autre  auteur,  comme  l'envie  m'en 
prend,  sans  me  lasser,  ou  opiniâtrement  harasser  en  la 


BIBLIOPHILI  ANA  367 

lecture  d'un  seul  :  car  autrement  ce  ne  serait  plus  étude, 
ains  servitude  pénible.  Ainsi  mûrissant  par  eux  mes  con- 
ceptions, tantôt  assis,  tantôt  debout,  ou  me  promenant, 
leurs  auteurs  me  donnent  souvent  des  avis  auxquels  ja- 
mais ils    ne  pensèrent,   dont   j'enrichis   mes    papiers... 

(Lettre  â  Achille  de  Harlay.) 
'  Voir  le  Marquis  de  Gaillon. 

PATIN  (Guy) 

V.  C.  R.  passe  toute  sa  vie  à  ce  qu'on  appelle  vulgai- 
rement bouquiner,  c'est-à-dire  à  chercher  de  vieux  livres. 
11  est  habile  dans  la  connaissance  des  meilleures  Editions; 
il  vous  marque  parfaitement  bien  la  différence  qu'il  y  a 
des  unes  aux  autres;  il  n'en  ignore  point  le  prix.  Sa 
science  s'étend  jusqu'à  la  généalogie  des  Livres.  «  Un  tel 
Autheur,  dit-il,  relié  en  maroquin,  lavé  et  réglé,  et  à 
double  tranche-fii,  vient  de  M***,  qui  l'avait  acheté  tant; 
je  l'ai  eu  de  sa  défroque  pour  la  moitié.  »  On  vient  d'im- 
primer un  ancien  Historien  avec  des  Nottes  et  des  Com- 
mentaires très-curieux  et  très-instructifs.  V.  C.  R.  n'en 
veut  point;  il  ne  demande  que  l'ancienne  édition,  quoi- 
qu'il sache  bien  qu'il  n'y  trouvera  point  les  augmentations 
que  porte  la  nouvelle.  V.  C.   R.   est-il  sçavant>  Non  ;  il 

est  seulement  Brocanteur. 

[Lettres.) 

PEIGNOT  (Gabriel) 

Cette  dénomination  (de  bibliophile)  convient  à  toute 
personne  qui  aime  les  livres...  La  vraie  philosophie,  gui- 


a68  BIBLIOPHILI ANA 

dée  par  le  goût,  doit  toujours  déterminer  le  choix  du 
bibliophile  dans  ses  acquisitions.  Entasser  les  livres  sans 
discernement  n'est  pas  prouver  qu'on  les  aime.  Ce  n'est 
donc  pas  celui  qui  a  le  plus  de  livres,  mais  celui  qui 
possède  les  meilleurs,  qui  mérite  le  titre  de  bibliophile... 
11  nous  semble  que  le  titre  de  bibliophile  ne  doit  appar- 
tenir qu'à  celui  qui  aime  les  livres  comme  on  doit  les 
aimer,  et  non  à  celui  qui  a  la  manie  de  vouloir  tout  en- 
vahir, ou  dont  la  passion  s'égare  dans  des  recherches 
d'ouvrages,  rares  à  la  vérité,  mais  la  plupart  du  temps 
inutiles,  et  qu'un  simple  caprice  fait  parfois  centupler  de 
valeur. 

{Dictionnaire  raisonné  de  Bibliologie.) 


PELLICO  (SiLvio) 

...  Puis  je  me  pris  à  revoir  les  antiques  pages  que  j'eus 
pour  douces  amies  dans  mes  veilles. 

Et  souvent  sur  des  livres  poudreux  je  vais  posant  ma 
main  tremblante,  et  je  les  ouvre,  et  il  me  semble  retour- 
ner aux  jours  studieux  de  ma  jeunesse,  et  les  larmes  cou- 
lent 1  Et  je  trouve  les  marques  que  dans  mes  livres  j'ai 
posées,  là  où  avec  mon  esprit  je  m'attachais  profondé- 
ment, là  où  sur  les  hautes  pensées  d'un  auteur  aimé  je 
faisais  un  commentaire  de  vérité  ou  d'erreur. 

Cependant  c'est  avec  un  esprit  différent  que  je  vous 
revois,  ô  livres  tant  aimés  de  mes  premiers  jours!  Je  suis 
poète;  mais  éteint  est  en  moi  le  désir  de  me  prosterner, 
idolâtre,  devant  les  Homères.  Si  en  feuilletant  leurs  écrits 
je  soupire  encore,  ce  n'est  plus  par  la   magie  de  leurs 


BIBLIOPHILIANA  ^69 


grands  pensers  :  plus  d'un  livre  m'est  cher,  et  pourtant 

en  lui  rarement  c'est  lui  que  je  cherche  ;  je  m'y  cherche 

moi-même. 

(^Les  Passions,  poésie.  Traduction  F.  F.) 

Voir  Victor  Offroy. 


PETIT-SENN  (J.) 

A  l'auteur,  qui  fait  aimer  ses  livres  je  préfère  celui  qui 
s'y  fait  aimer. 

Il  est  des  souvenirs  préférés  qui  s'offrent  d'abord  à 
notre  mémoire;  ainsi  nos  livres  favoris  s'ouvrent  d'eux- 
mêmes  aux  pages  bien-aimées. 

Un  sot  mis  avec  luxe  est  un  mauvais  livre  doré  sur 
tranche. 

Il  est  des  écrivains  profonds  à  la  manière  des  puits  :  au 
fond  de  tous  deux  il  n'y  a  que  de  l'eau  claire. 

Ne  nous  étonnons  point  de  la  prospérité  des  méchants 
et  des  malheurs  du  juste,  car  la  vie  est  un  livre  où  les 

errata  sont  après  la  fin. 

{Bluettes  et  Boutades.) 


PÉTRARQUE  (François) 

On  me  croit  trop  solitaire  à  Vaucluse,  parce  qu'on 
ignore  mes  ressources.  On  m'y  croit  sans  amis  ;  j'en  ai 
pourtant,  et  gens  de  tous  les  pays,  de  tous  les  siècles, 
distingués  à  la  guerre,  dans  la  magistrature  et  dans  les 
lettres,  aisés  à  vivre,  toujours  à  mes  ordres.  Je  les  fais 
venir  quand  je  veux*,  je  les  renvoie  de  même:  ils  n'ont 
jamais  d'humeur,  et  répondent  à  toutes  mes  questions. 


270  Bl  BLIOPHILIAN  A 


Les  uns  font  passer  en  revue  devant  moi  tous  les  évé- 
nements des  siècles  passés;  d'autres  me  dévoilent  les 
secrets  de  la  nature  \  ceux-ci  m'apprennent  à  bien  vivre 
et  à  bien  mourir;  ceux-là  chassent  l'ennui  par  leur  gaîté, 
et  m'amusent  par  leurs  saillies.  Il  y  en  a  qui  disposent 
mon  âme  à  tout  souffrir,  à  ne  rien  désirer,  et  me  font 
connaître  à  moi-même  :  en  un  mot,  ils  m'ouvrent  la 
porte  de  tous  les  arts  et  de  toutes  les  sciences  ;  je  les 
trouve  dans  tous  mes  besoins. 

Pour  prix  de  si  grands  services,  ils  ne  me  demandent 
qu'une  chambre  bien  fermée,  dans  un  coin  de  ma  petite 
maison,  où  ils  soient  à  l'abri  de  leurs  ennemis.  Enfin,  je 
les  mène  avec  moi  dans  les  champs,  dont  le  silence  leur 
convient  mieux  que  le  tumulte  des  cités... 

{lettre  /K.— Trad.  de  M.  Paccard.) 

Il  est  vray  qu'on  voit  de  certaines  gens  qyi  croyant 
sçavoir  tout  ce  qui  est  écrit  dans  les  Volumes  qu'ils  gar- 
dent à  la  maison.  Et,  lorsqu'on  tombe  sur  quelque  dis- 
cours qui  a  esté  traité  par  quelque  grand  homme  :  «  J'ai, 
«  disent-ils,  ce  livre  dans  mon  étude,  »  croyant  que  cela 
suffit... 

Mais  il  faut  prendre  une  autre  route  que  tu  ne  fais 
pour  tirer  quelque  gloire  de  tes  Livres  ;  c'est  de  les  bien 
connoistre,  et  non  pas  seulement  de  les  avoir.  Il  faut  les 
commettre  à  ta  mémoire  plutost  qu'à  ta  Bibliothèque,  et 
les  renfermer  dans  ta  teste,  et  non  pas  dans  un  Armoire. 

{Des  Livres  et  des  Bibliothèques.  Entretien  xxxvii. — 
Trad,  de  M.  de  Grenaille.) 

Fgregios  cumulare  libros,  prxclara  supellex; 
Ast  unum  uîilius  volvere  sape  librum. 


BIBLIOPHILIANA  271 


PIEDAGNEL  (Alexandre) 

...  Quoi  de  meilleur,  en  effet,  qu'un  bon  livre  pour  la 
nourriture  et  la  joie  de  l'esprit?  En  le  lisant,  aux  heures 
de  fatigue  morale,  on  se  sent  réconforté,  on  oublie  ses 
déceptions,  ses  ennuis;  le  calme  bienfaisant  peu  à  peu 
renaît  au  fond  de  l'âme,  l'œil  s'éclaire,  le  front  se  dé- 
ride, et  le  sourire  alors  refleurit  sur  les  lèvres.  Aimons- 
les  donc,  ces  compagnons  fidèles,  ces  amis  «  froids  et 
sûrs,  »  selon  l'expression  de  l'auteur  des  Contemplations. 
Oui,  sans  doute,  froids  au  premier  abord;  mais,  dès  que 
les  yeux  charmés  ont  retrouvé  les  pages  préférées, 
comme  ils  s'animent,  ces  chers  hôtes  du  foyer,  comme  ils 
parlent,  comme  ils  réchauffent  l'esprit,  un  instant  engourdi 
par  la  prose  de  la  vie,  sèche,  glaciale,  envahissante!... 

Nous  sommes  à  la  merci  du  morose  hiver!...  et  main- 
tenant, n'est-il  pas  vrai  ?  durant  les  longues  veillées,  en 
face  des  tisons  rougis  qui  craquent  et  pétillent,  oublieux 
des  soucis  du  jour,  on  se  plaît  à  relire  un  vrai  livre,  tout 
en  écoutant  la  chanson  de  la  bouilloire  ou  celle  du  gril- 
lon familier. 

{Une  Résurrection  littéraire.  —  Etude  sur 
Vauquelin  de  la  Fresnaye.) 


PIERQUIN,  DE  GEMBLOUX 

Un  livre  est  criminel  lorsqu'il  agite  au  lieu  de  calmer. 

Méfiez-vous  des  livres  faits  par  des  jeunes  gens,  et  re- 
cherchez avidement  ceux  des  vieillards.  Votre  esprit  y 
gagnera  autant  que  votre  cœur. 


37^  BIBLIOPHILIANA 


Un  livre  de  pensées  est  un  parterre  où  l'esprit  ne 
cueille  que  les  fleurs  qui  lui  conviennent. 

Il  est  bien  rare  qu'un  mauvais  livre  n'ait  point  un  mé- 
rite quelconque  pour  un  homme  instruit. 

Il  n'y  a  que  les  sots  qui  ne  rencontrent  que  de  mauvais 
livres. 

Pour  bien  parler,  lisez  ceux  qui  écrivent  bien. 

Il  y  a  une  foule  de  gens  qui  connaissent  beaucoup  de 
livres,  et  n'en  savent  pas  un. 

(Pensées  et  Maximes.) 

PIERRE-LE-VÉNÉRABLE 

Abbé  de  Cluny 

...  Appelle  donc  à  son  aide  (de  la  méditation)  une 
pieuse  lecture.  Ranimé  par  cette  lecture,  ferme  le  livre, 
et  médite  ce  que  tu  viens  de  lire  :  c'est  un  puissant  se- 
cours... 

Prends  une  plume...  grave  sur  des  pages  les  lettres 
divines,  et  sème  sur  le  papier  la  parole  de  Dieu.  Quand 
la  moisson  sera  mûre,  je  veux  dire  le  livre  achevé,  que 
les  fruits  multipliés  de  la  saine  nourriture  nourrissent  les 
lecteurs... 

Tout  ce  que  la  lecture  de  tes  livres  abaissera  d'orgueil, 
vaincra  de  luxure,  apaisera  de  colère,  calmera  d'avarice, 
amènera  de  repentir  ou  de  conversion,  sera  autant  de 
moissons  célestes  amassées  par  tes  soins... 

{Lettre  à  un  Religieux.) 


BIBLIOPHILIANA  ^73 


PIRMEZ  (Octave) 

La  pensée,   c'est  la  vie;  la  page  d'un  livre  doit  être 
vivante  comme  la  prairie. 

Les  livres  qui  nous  paraissent  les  plus  froids  sont  sou- 
vent les  plus  passionnés. 

Un  amer  sourire  contracte  les  lèvres  de  l'envieux  qui 
ouvre  un  livre  nouveau. 

{Feuille'es.) 


PIXERÉCOURT  (GuiLBERT   de) 

Un  livre  est  un  ami  qui  ne  change  jamais. 

{Inscrit  d  Ventrée  de  sa  Bibliothèque  :) 

Tel  est  le  triste  sort  de  tout  livre  prêté  : 
Souvent  il  est  perdu,  toujours  il  est  gâté. 

PLINE  L'ANCIEN 

Muîtum  legendum  est,  non  multa.,. 

In  bibliothecis  loquuntur  defunctorum  immortales  anima. 

Nullum  lihrum  tam  malum  esse,  qui  non  aliquâ  ex  parte 
prosit. 

(Il  faut  lire  souvent,  mais  pas  beaucoup  de  livres... 

Dans  les  bibliothèques  parlent  des  morts  les  âmes  im- 
mortelles. 

Il  n'y  a  aucun  livre  si  mauvais  qu'il  soit,  dans  lequel  il 
n'y  ait  quelque  chose  de  bon). 

35 


374  BIBLIOPHILI ANA 


PLINE  LE  JEUNE 

11  faut  choisir  les  meilleurs  livres  dans  chaque  genre, 
et  s'attacher  à  lire  beaucoup  de  choses... 

Mecum  tantum  et  cum  libellis  loquor.  O  rectam,  sinceram- 
que  vitam  !  O  dulce  otium,  honestamque  omni  negotio  pul- 
chrius  I 

(Je  m'entretiens  seulement  avec  moi  et  avec  mes  livres. 
O  vie  raisonnable  et  pure!  O  doux  loisir,  et  honnête,  et 

quasi  meilleur  que  toute  occupation  !  ) 

{Lettres.) 

PLUTARQUE 

Les  livres  sont  les  organes  et  les  instruments  de  la 
science.  C'est  par  le  moyen  des  livres  que  les  lois  se 
sont  conservées;  c'est  dans  les  livres  que  les  grands  ca- 
pitaines se  sont  formés,  que  les  philosophes  ont  appris 
la  sagesse,  enfin  que  nous  apprenons  nos  devoirs  et  les 
règles  d'une  bonne  conduite... 

Ne  lire  de  sages  écrits  que  pour  en  admirer  le  style, 
c'est  ne  s'attacher  qu'à  la  couleur  et  à  l'odeur  des  plantes 
salutaires,  et  en  négliger,  en  méconnaître  les  vertus. 


PONTGIBAUD  (Le  Comte  de) 

La  lecture,  qui  fait  l'ornement  de  notre  esprit,  nuit 
quelquefois  à  son  originalité. 

L'étude  a  pour  effet  d'élargir  indéfiniment  les  horizons 
de  notre  existence. 


BIBLIOPHILIANA  375 


Par  elle,  nous  vivons  :  dans  le  passé,  d'une  manière 
plus  intéressante  encore  que  dans  le  présent  ;  dans  l'ave- 
nir, par  la  conjecture  et  par  la  pondération  lumineuse 
des  choses  révélées;  dans  la  hauteur  et  dans  les  profon- 
deurs, par  une  pénétration  infiniment  subtile... 

La  conversation  la  plus  commode  est  celle  qu'on  tient 
avec  un  livre  :  —  dès  qu'il  vous  fait  bailler,  on  le  ferme 
et  tout  est  dit. 

Quel  est  l'ami,  si  familier  qu'il  soit,  qu'on  puisse  con- 
gédier aussi  à  point? 

{Chemin  faisant.) 


POSTEL  (Uabbé  V.) 

11  n'est  point  de  lieu  dans  l'univers  où  les  livres  soient 
honorés  comme  à  Rome,  où  l'on  rencontre  autant  de 
magasins  de  librairie,  de  papeterie,  de  gravures,  de  bou- 
quins de  toutes  sortes.  Des  ventes  de  bibliothèques  ma- 
gnifiques sont  journellement  affichées  sur  les  murs  de 
chaque  quartier,  et  les  acheteurs  se  trouvent. 


PRÉVOST-PARADOL  (LuciEN-ANAToit) 

Salut,  lettres  chéries,  douces  et  puissantes  consola- 
trices! Depuis  que  notre  race  a  commencé  à  balbutier 
ce  qu'elle  sent  et  ce  qu'elle  pense,  vous  avez  comblé  le 
monde  de  vos  bienfaits;  mais  le  plus  grand  de  tous, 
c'est  la  paix  que  vous  pouvez  répandre  dans  nos  âmes. 
Vous  êtes  comme  ces  sources  limpides,  cachées  à  deux 
pas  du  chemin,  sous  de  frais  ombrages  ;  celui  qui  vous 
ignore  continue  à  marcher  d'un  pas  rapide,  ou   tombe 


376  BIBLIOPHILIAN  A 


épuisé  sur  la  route  ;  celui  qui  vous  connaît  accourt  à 
vous,  rafraîchit  son  front  et  rajeunit  en  vous  son  cœur. 
Vous  êtes  éternellement  belles,  éternellement  pures, 
clémentes  à  qui  vous  revient,  fidèles  à  qui  vous  aime. 
Vous  nous  donnez  le  repos,  et  si  nous  savons  vous  ado- 
rer avec  une  âme  reconnaissante  et  un  esprit  intelligent, 
vous  y  ajouterez  par  surcroît  quelque  gloire.  Qu'il  se 
lève  d'entre  les  morts  et  qu'il  vous  accuse,  celui  que 
vous  avez  trompé  l 

(Essais  de  Politique  et  de  Littérature.  —  Étude  sur  Lucrèce.) 
Voir  Cuvillier-Fleury. 

Le  lieutenant-colonel  Staaf,   dans  sa  Littérature  française, 
donne  à  ce  morceau  le  titre  de  :  Invocation  aux  Lettres. 


RABELAIS  (François) 

...  Tant  y  ha  que,  en  leage  ou  je  suys,  j'ay  esté  con- 
trainct  d'apprendre  les  lettres  Grecques,  lesquelles  je 
n'avoys  contemnées  comme  Caton,  mais  je  n'avoys  eu 
loisir  de  comprendre  en  mon  jeune  eage.  Et  voulentiers 
me  délecte  à  lire  les  Moraulx  de  Plutarche,  les  beaulx 
Dialogues  de  Platon,  les  Monumens  de  Pausanias,  et 
Anticquitez  de  Atheneus,  attendant  l'heure  que  il  plaira 
a  Dieu  mon  créateur  m'appeler,  et  commender  yssir  de 

ceste  terre... 

(Voir  Charles  Fontaine.) 


RAIBERTI 

Les  professeurs  de  rhétorique  sont  payés  pour  faire 
composer  par  leurs  écoliers  des  philippiques  et  des  élé- 


BIBLIOPHtLIANA  377 


gies  contre  le  prétendu  vandalisme  d'Omar;  quanta  moi, 
je  recommande  l'exemple  de  ce  grand  homme  à  toutes  les 
personnes  de  sens... 

Les  bibliothèques  m'inspirent  une  tristesse  mêlée  de 
terreur  :  elles  me  font  l'effet  de  vastes  nécropoles  où 
dorment  entassés  les  plus  insignes  fous  de  l'univers;  plus 
elles  sont  grandes,  plus  mon  cœur  se  serre  et  se  sent 
pris  de  compassion  pour  les  malheureux  possédés  de  la 
monomanie  de  tout  savoir.  Pauvres  bêtes  sans  queue  ! 
Etudiez,  lisez,  lisez;  faites  comme  la  grenouille  qui  veut 
devenir  un  bœuf;  après  avoir  usé  vos  yeux  et  votre 
santé  à  déchiffrer  la  vingtième  partie  des  volumes  ras- 
semblés dans  cette  salle  grande  comme  une  église,  vous 
vous  apercevrez  que  vous  êtes  devenus  tout  au  plus  de 
vieux  ânons. 


RANTZAU  (Henry) 

Gentilhomme  danois ,  fondateur  de  la  grande   Bibliothèque 
de  Copenhague. 

Salvete,  aureoli  mei  libelli^ 
Mea  delicice,  mei  lepores  ! 
Oîtam  vos  sœpè  oculis  juvat  videre. 
Et  tritos  manibus  tenere  nostris  l 
Tôt  vos  eximii,  tôt  eruditi, 
Prisci  lumina  sxculi  et  recentis, 
Confecere  viri,  suasque  vobis 
Ausi  credere  lucubrationes , 
Et  sperare  decus  perenne  scriptis; 
Seque  hac  irrita  spes  fefellit  illos. 


a;^  BIBLIOPHILIANA 


(Je  vous  salue,  ô  livres  miens  enrichis  d'or,  mes  déli- 
ces, mes  charmes!  combien  souvent  j'ai  envie  d'avoir  les 
yeux  sur  vous,  et  de  vous  tenir  tournés  entre  mes  mains  ! 
Tant  d'hommes  supérieurs,  lumières  du  siècle  passé  et  du 
siècle  présent,  tant  d'érudits  vous  ont  confectionnés;  ils 
ont  été  assez  hardis  pour  vous  confier  le  fruit  de  leurs 
veilles,  et  espérer  une  gloire  durable  pour  leurs  écrits... 
et  cette  espérance,  non  stérile,  ne  les  a  pas  trompés  I) 


RENOUARD  (Antoine-Augustin) 

Ma  bibliothèque  fut  commencée  en  1778  avec  le  pre- 
mier écu  que  me  donna  mon  père,  et  dont  je  fis  usage 
pour  acheter  un  Horace;  j'avais  alors  treize  ans. 


RHENANUS  (Beatus) 

. . .  Itaque  Tertulliani  libros  secum  attulit,  quos  ab  illo  paulb 
post  apud  Basileam  agens,  accepi  non  minori  gaudio  quam  si 
gemmas  mihi  misisset. 

(11  apporta  donc  avec  lui  les  livres  de  Tertullien,  que 
peu  après  il  dirigea  sur  Bàle,  et  que  je  reçus  avec  une 
joie  non  moins  grande  que  s'il  m'eût  envoyé  des  pier- 
reries.) 

(In  prcefatione  ai  Stanislaum  Turcum,—  H  finit 
de  lui  narrer  la  trouvaille  qu'il  vient  de  faire  des 
livres  de  Tertullien.  i^o.) 

Voir  Arétin. 


BIBLIOPHILIANA  379 


RICHARD,   DE  BURY. 

Hi  sunt  magistri  qui  nos  instruunt,  sine  virgis  et  ferulis, 
sine  choiera,  sine  pecunia.  Si  accedis,  non  dormiunt;  si  inqui- 
ris,  non  se  abscundunt;  non  obmurmurant,  si  oberres;  cachin- 
nos  nesciunt,  si  ignores... 

(Ils  sont  les  maîtres  qui  nous  instruisent,  sans  verges  ni 
férules,  sans  humeur,  sans  dépense.  Si  vous  les  appro- 
chez, ils  ne  dorment  pas;  si  vous  les  cherchez,  ils  ne  se 
cachent  point  ;  ils  ne  murmurent  point,  si  vous  bronchez  ; 
si  vous  ignorez,  ils  ne  se  moquent  point...) 

...  O  Dieu  des  Dieux  de  Sion,  quel  torrent  de  plaisirs 
a  réjoui  notre  cœur  toutes  les  fois  que  nous  avons  visité 
Paris,  le  paradis  du  monde!...  Dans  cette  cité  est  la 
serre  chaude  de  l'esprit;  là  sont  des  bibliothèques  dans 
des  cellules  embaumées  d'aromates  intellectuels;  là  fleu- 
rissent toutes  sortes  de  volumes...  C'est  là  qu'en  vérité, 
ouvrant  notre  trésor  et  déliant  les  cordons  de  notre 
bourse,  nous  avons  répandu  l'argent  d'un  cœur  joyeux, 
pour  racheter  et  arracher  à  la  poussière  et  à  la  fange  des 
livres  inestimables. 

(Pkilobibîion.) 


RIGAUD  (A.   F.) 

Les  grandes  phrases  servent  de  préambule  à  la  plupart 
des  livres  qui  paraissent  aujourd'hui. 


BIBLIOPHILIANA 


C'est  une  enseigne  qui  prouve  leur  mérite,  à  peu  près 
comme  les  comptoirs  d'acajou  garantissent  la  probité  des 
marchands  et  la  bonté  des  marchandises. 


RIGAULT  (Hippolyte) 

...  Voilà  les  sentiments  qu'éveille  dans  le  coeur  l'amour 
des  vieux  volumes.  Admirable  passion  qui  est  plus  qu'un 
plaisir,  qui  est  presque  une  vertu.  Aussi  qu'il  est  doux 
de  s'y  abandonner!  qu'il  est  doux  de  partir  le  matin  du 
logis  comme  pour  une  conquête  1  et  qu'il  l'est  plus  en- 
core d'y  rentrer  tout  chargé  de  dépouilles  opimes!  On 
raconte  son  bonheur,  qu'on  appelle  son  adresse;  on 
compte  ses  prisonniers  avec  un  air  vainqueur;  on  les 
range  un  par  un  sur  de  modestes  rayons;  ils  seront  ai- 
més, choyés,  dorlotés,  malgré  leur  indigence,  comme 
s'ils  étaient  vêtus  d'or  et  de  soie. 

{Les  Quais  de  Paris.) 


RIVAROL  (Antoine,  Comte  de) 

On  ferait  souvent  un  bon  livre  de  ce  qu'on  n'a  pas 
dit,  et  tel  édifice  ne  vaut  que  par  ses  réparations... 

Les  titres  de  la  plupart  des  livres  ne  sont  qu'un   pré- 
texte pour  le  génie. 

{Pensées.) 


ROLAND  (M'"«  Marie-Jeanne) 

...  Je  ne  me  suis  jamais  souvenue  d'avoir  appris  à  lire; 
j'ai  ouï  dire  que  c'était  chose  faite  à  quatre  ans,...  et  que 


BtBLIOPHILI  AN  A  38l 


dès  lors  il  n'avait  plus  été  besoin  que  de  ne  pas  me  lais- 
ser manquer  de  livres.  Quels  que  fussent  ceux  qu'on 
me  donnait  ou  dont  je  pouvais  m'emparer,  ils  m'absor- 
baient tout  entière,  et  l'on  ne  pouvait  plus  me  distraire 
que  par  des  bouquets...  Sous  le  tranquille  abri  du  toit 
paternel,  j'étais  heureuse  dès  l'enfance  avec  des  fleurs  et 
des  livres....  dans  l'étroite  enceinte  d'une  prison,...  j'ou- 
blie l'injustice  des  hommes...  avec  des  livres  et  des 
fleurs. 

...J'y  avais  remarqué  une  cachette  (dans  l'atelier  de 
son  père)  où  l'un  des  jeunes  gens  mettait  des  livres... 

Je  lus  ainsi  beaucoup  de  voyages,...  quelques  théâ- 
tres... et  le  Plutarque  de  Dacier.  Je  goûtai  ce  dernier 
ouvrage  plus  qu'aucune  chose  que  j'eusse  encore  vue... 
Plutarque  semblait  être  la  véritable  pâture  qui  me  con- 
vînt... 

Mon  père  se  plaisait  à  me  faire  de  temps  en  temps  le 

cadeau  de  quelques  livres,    puisque  je  les  préférais   à 

fout... 

(Mémoires.) 

ROMEY   (Charles) 

Peu  de  lecteurs  voient  dans  les  bons  livres  tout  ce 
qu'il  y  a.  Les  sots  ne  sauraient  y  voir  l'esprit  :  il  leur 
échappe  comme  la  finesse  des  traits  aux  myopes. 

{Hommes  et  Choses  de  divers  temps.) 

ROUCHER  (Jean-Antoine) 

Je  n'oublierai  jamais  ces  jours  de  mon  enfance,  oij, 
me  menant  avec  vous  dans  des   promenades  solitaires, 

î6 


38a  BIBLIOPHILIANA 

VOUS  m'entreteniez  du  génie  précoce  de  Pascal  et  du 
Tasse,  et  me  faisiez  lire  la  vie  de  ces  deux  grands  hom- 
mes... Je  n'oublierai  jamais  qu'à  ces  premières  lectures, 
vous  fîtes  bientôt  succéder  celle  de  Télémaque  et  de  la 
Jérusalem  délivrée.  Quel  charme  je  trouvai  à  ces  deux 
ouvrages  1 

{Les  Mois.  Dédicace  à  son  père.) 


ROURE  (Le  Marquis  du) 

L'imprimerie,  une  fois  découverte,  s'enrichit,  se  polit 
tout  d'un  coup  singulièrement...  Ce  n'est  pas  ici  le  lieu 
d'en  parler  avec  détail  ;  mais,  honneur,  gloire  et  recon- 
naissance, mille  fois,  au  paisible  triumvirat  qui,  pour  tou- 
jours, établit,  entre  les  intelligences,  des  voies  rapides  et 
sûres,  d'une  extrémité  de  la  terre  à  l'autre  ! 

{Analcctabiblion.) 


ROUSSEAU  (Jean-Jacques) 

L'abus  des  livres  tue  la  science  :  croyant  savoir  ce 
qu'on  a  lu,  on  se  croit  dispensé  de  l'apprendre... 

Trop  de  lecture  ne  sert  qu'à  faire  de  présomptueux 
ignorants.  De  tous  les  siècles  de  la  littérature,  il  n'y  en  a 
point  où  on  lut  tant  que  dans  celui-ci,  et  point  où  l'on 
fut  moins  savant... 

J'ai  fait  des  livres,  il  est  vrai;  mais  jamais  je  ne  fus  un 
itvrier. 


BIBLIOPHIIIANA  28} 


SAADI 

En  une  année  heureuse  entre  les  deux  fêtes,  —  la  six 
cent  cinquante  cinquième,  —  ce  livre,  qui  est  un  trésor 
de  pierreries,  a  été  achevé,  —  Aie  du  respect  pour  ce 
livre,  vertueux  et  intègre  lecteur... 

Chaque  feuille  d'un  arbre  vert,  aux  yeux  d'un  homme 
éclairé,  —  est  le  feuillet  du  livre  qui  enseigne  la  connais- 
sance du  Créateur... 


SABATIER,  DE  CASTRES  (Antoine) 

Nous  n'étalerons  point  les  avantages  qui  naissent  en 
foule  de  la  lecture  :  il  suffit  de  dire  qu'elle  est  indispen- 
sable pour  orner  l'esprit  et  former  le  jugement;  sans  elle 
le  plus  beau  naturel  se  dessèche  et  se  fane... 

La  multitude  des  livres  est  le  seul  moyen  d'en  éviter  la 
perte  ou  l'entière  destruction.  C'est  cette  multiplicité  qui 
les  a  préservés  des  injures  des  tems,  de  la  rage  des  ty- 
rans, du  fanatisme  des  persécuteurs,  des  ravages  des 
barbares,  et  qui  en  a  fait  passer,  au  moins  une  partie, 
jusqu'à  nous,  à  travers  les  longs  intervalles  de  l'ignorance 
et  de  l'obscurité... 

La  multitude  prodigieuse  des  livres  est  parvenue  à  un 
tel  degré  que,  non-seulement  il  est  impossible  de  les  lire 
tous,  mais  même  d'en  savoir  le  nombre  et  d'en  connoître 
les  titres.  «  On  ne  pourroit  pas  lire  tous  les  livres,  dit  un 
auteur  du  dernier  siècle,  quand  même  on  auroit  la  con- 
formation que  Mahomet  donne  aux  habitans  de  son  para- 


a84  BIBLIOPHILIANA 


dis,  où  chaque  homme  aura  70,000  têtes,  chaque  tête 
70,000  bouches,  et  chaque  bouche  70,000  langues,  qui 
parleront  toutes  70,000  langages  différents.  » 

Un  livre  est  bon  quand  il  n'a  que  peu  de  défauts,  opti- 
mus  ille  qui  minimis  urgetur  vitiis.  -^ 

{Dictionnaire   de  Littérature.) 


SABINUS  (Georgius) 

Haud  seciis  ad  dura  fugitivos  carcere  servat 

Vestra  catenatos  bibliotheca  libros. 
Ouid  mirum,  si  nulla  viget  doctrinal  Colendi 
Doctrine  auctores  hîc  ubi  vincula  gerunt. 
(Les  livres  fugitifs,  votre  bibliothèque  les  garde  enchaî- 
nés et  non  autrement  que  dans  une  dure  prison.  Quoi 
d'étrange,  si  nulle  doctrine  n'est  en  vigueur  ?  Là,  les  au- 
teurs de  la  doctrine  à  cultiver  portent  des  chaînes!) 

[Sur  les  Bibliothèques  enchaînées  des  Moines.) 


SACY  (Sylvestre    de) 

Le  goût  des  livres,  quand  il  n'est  pas  la  passion  d'une 
âme  honnête,  élevée  et  délicate,  est  le  plus  vain  et  !e  plus 
puéril  de  tous  les  goûts... 

C'est  par  l'amour  des  lettres  qu'il  faut  être  conduit  à 
l'amour  des  livres... 

Tant  qu'on  n'a  pas  trouvé  précisément  l'exemplaire 
qu'on  veut,  l'exemplaire  sans  tache,  pur  et  frais,  comme 
un  livre  d'hier  relié  par  Boyer,  Dusseuil,  Padeloup  ou  De- 


BIBLIOPHILIANA  285 


rome,  on  se  passe  de  l'ouvrage. —  Comment!  vous  n'avez 
pas  un  Racine?  —  Hélas!  non.  Voilà  trente  ans  que  j'en 
cherche  un.  J'aurai  la  douleur,  je  crois,  de  mourir  sans 
avoir  trouvé  celui  que  je  veux.  —  Mais  toutes  les  bouti- 
ques de  libraires  regorgent  de  Racines  !  —  Pour  vous, 
oui  ;  pour  moi,  je  n'en  veux  qu'un,  et  celui  que  je  veux, 
il  est  introuvable... 

C'est  un  très-grand  et  très-légitime  plaisir  de  regarder 
d'un  œil  d'amateur  les  beaux  volumes  que  l'on  possède, 
de  les  ranger,  de  les  manier,  de  les  épousseter;  ces  jouis- 
sances délicieuses,  je  les  permets  au  bibliophile,  pourvu 
qu'il  lise  ou  qu'il  ait  l'intention  de  lire...  Le  bibliophile 
odieux,  c'est  celui  qui  achète  brutalement  des  livres  qu'il 
ne  lit  jamais. 

...  Les  possesseurs  de  ces  deux  bibliothèques  en  ont 
joui  sagement.  Ce  n'était  pas  pour  eux  un  meuble  de 
luxe,  une  vaine  décoration  d'appartement.  Ils  aimaient  les 
beaux  livres,  mais  ils  les  aimaient  pour  les  lire;  ils  en 
paraient  leur  esprit,  ils  en  nourrissaient  leur  cœur.  Dans 
ces  livres,  ils  avaient  cherché  et  trouvé  ce  qui  est  le  vé- 
ritable fruit  des  livres  :  la  tranquillité  de  l'âme,  le  goût 
d'une  vie  simple,  modeste  et  cachée.  Tâchons  d'être  bi- 
bliophiles aux  mêmes  conditions  qu'eux  ! 

{Catalogue  des  Livres  de  la  bibliothèque 
de  feu  M.  de  Bure.) 


SAINTE-BEUVE  (Gharles-Augustin) 

Le  goût  des  livres  a  ses  bizarreries  et  ses  replis  à  l'in- 
fini, comme  toutes  les  avarices.  Les  tours  malicieux,  les 


a86  BIBLIOPHILIANA 


ruses,  les  rivalités,  les  inimitiés  même  qu'il  engendre,  ont 
quelque  chose  de  surprenant  et  de  marqué  d'un  coin  à 
part. 

SAINT-EVREMONT 

L'étude  est  la  plus  solide  nourriture  de  l'esprit...  C'est 
le  grand  livre  du  monde  qui  apprend  le  bon  usage  des 
autres  livres,  et  qui  peut  faire  d'un  homme  savant  un 
homme  aimable  et  utile  à  la  société. 

SAINT-MARTIN   (Louis-Claude  de) 

Il  y  a  de  bonnes  raisons  pour  que  les  livres  des  savants 
et  des  littérateurs  l'emportent  sur  les  miens  :  i°  ils  sont 
mieux  faits,  et,  dans  le  vrai,  leurs  auteurs  ont  grand  be- 
soin de  suppléer  par  la  forme  à  ce  qui  manque  au  fond 
de  leurs  productions  ;  2°  leurs  ouvrages  doivent  faire 
fortune  plus  que  les  miens,  parce  qu'ils  songent  plus  que 
moi  à  travailler  pour  ce  monde-ci,  attendu  que  je  ne 
travaille  que  pour  l'autre. 

Le  monde  m'a  repoussé  à  cause  de  l'obscurité  et  de 
l'imperfection  de  mes  livres.  S'il  s'était  donné  la  peine  de 
me  scruter  profondément,  peut-être  aurait-il  goûté  mes 
livres  à  cause  de  moi,  ou  plutôt  à  cause  de  ce  que  la 
Providence  a  mis  en  moi. 

SALDEN  (GuiLL.) 

Lectio  prima  placer,  necnon  repetita  placebit. 

(Une  première  lecture  plaît  ;  la  seconde  ne  déplaira  pas.) 


BIBL  lOPHILIANA  387 


SAND  (George) 

...  Je  connais  peu  de  plaisirs  aussi  doux,  aussi  soute- 
nus, aussi  attachants  que  celui  d'avoir  les  mains  occupées 
d'un  travail  quelconque,  pendant  qu'une  voix  amie  (so- 
nore ou  voilée,  qu'importe  1  )  vous  fait  entendre  simple- 
ment, sans  emphase  et  sans  prétention,  un  beau  et  bon 

livre. 

{Autour  de  la   Tahle.  I.) 

SANIAL-DUBAY  (J.) 

11  en  est  des  livres  comme  des  hommes  ;  les  bons  de- 
viennent plus  rares  de  jour  en  jour... 

Les  gros  livres  sont  l'écueil  des  écrivains  et  le  fléau 
des  lecteurs... 

Si  l'esprit  usait  des  livres  comme  le  corps  use  des  ali- 
mens,  il  n'en  prendrait  et  n'en  retiendrait  que  ce  qui 
serait  propre  à  le  nourrir  et  à  le  fortifier. 

{Pensées  sur  l'Homme,  le  Monde  et  les  Mœurs.) 

SAY  (Jean-Baptiste) 

Il  vaut  mieux  lire  deux  fois  un  bon  ouvrage,  qu'une 
seule  fois  un  mauvais... 

Quand  on  sort  de  lire  les  Vies  de  Plutarque,  on  est 
fier  d'être  homme.  Lorsqu'on  sort  de  lire  les  Maximes  de 
La  Rochefoucauld,  on  en  est  honteux. 

{Petit  volume,  contenant  quelques  aperçus 
des  hommes  et  de  la  société.) 


288  BIBL  lOPHILI  ANA 


SCALIGER  (Joseph) 

Pour  une  parfaite  bibliothèque,  il  faudrait  avoir  six 
grandes  chambres... 

Amis,  voulez-vous  connaître  un  des  grands  malheurs 
de  la  vie  ?  Eh  bien  !  vendez  vos  livres  1 

Celui-là  qui  veut  connaître  en  un  seul  bloc  toutes  les 
misères  d'ici-bas,  qu'il  vende  ses  livres  :  Bibliothecam 
vendat  l  —  {Variante  par  J .  Janin.) 


SCOTT  (Walter) 

Ces  petits  elzevirs  sont  les  trophées  de  maintes  pro- 
menades que  j'ai  faites,  le  soir  comme  le  matin,  dans 
Cowgate,  Canongate,  le  Bow  et  Sainte-Mary's  Wynd,  en 
un  mot,  partout  où  il  se  trouvait  des  troqueurs,  des  re- 
vendeurs, des  trafiquants  en  choses  rares  et  curieuses. 
Que  de  fois  j'ai  marchandé  jusqu'à  un  demi-sou,  de 
crainte  qu'en  accordant  trop  aisément  le  prix  qu'on  me 
demandait,  je  ne  fisse  soupçonner  la  valeur  que  j'attachais 
à  l'ouvrage  1  Que  de  fois  j'ai  tremblé  que  quelque  passant 
ne  vînt  se  mettre  entre  moi  et  ma  prise  !  Que  de  fois  j'ai 
regardé  le  pauvre  étudiant  en  théologie,  qui  s'arrêtait 
pour  ouvrir  un  livre  sur  l'étalage,  comme  un  amateur 
rival  ou  un  libraire  déguisé  1  Et  puis,  monsieur  Lowel, 
quelle  satisfaction  de  payer  le  prix  convenu  et  de  mettre 
le  livre  dans  sa  poche,  en  affectant  une  froide  indiffé- 
rence tandis  que  la  main  frémit  de  plaisir!  Quel  bonheur 


BIBLIOPHILI  ANA  289 

d'éblouir  les  yeux  de  nos  rivaux  plus  opulents  en  leur 
montrant  un  trésor  comme  celui-ci  (ouvrant  un  petit 
livre  enfumé,  du  format  d'un  livre  d'heures),  de  jouir  de 
leur  surprise  et  de  leur  envie,  en  ayant  soin  de  cacher 
sous  un  voile  mystérieux  le  sentiment  de  son  adresse  et 
de  ses  connaissances  supérieures!  Voilà,  mon  jeune  ami, 
voilà  les  moments  de  la  vie  qu'il  faut  marquer  d'une  pierre 
blanche,  et  qui  nous  payent  des  peines,  des  soins  et  de 
l'attention  soutenue,  que  notre  profession  exige  plus  que 
toutes  les  autres  ! 

SÉNÈQ^LJE 

La  lecture  est  l'aliment  de  l'esprit.  Elle  le  délasse  des 
fatigues  de  l'étude,  quoiqu'elle  soit  une  étude  elle-même... 

Thesauros  oportet  esse  non  libros... 

Otium  sine  litteris,  mors  est  et  vivi  hominis  sepultura. 

(Vous  vous  plaignez  de  la  disette  des  livres  ;  il  n'importe 
pas  d'en  avoir  beaucoup,  mais  d'en  avoir  de  bons.  La  mul- 
titude des  livres  n'est  propre  qu'à  distraire  l'esprit.  Ne 
pouvant  en  lire  autant  que  vous  pouvez  en  acquérir, 
n'en  acquérez  qu'autant  que  vous  en  pouvez  lire...) 

Non  ?nulta  parum,  sed  pauca  multum  legenda. 


SERRES  (Olivier  de)  S-"  Du  PRADEL 

Notre  gentilhomme  estant  dans  la  maison  se  pourme- 
nera  sous  la  guide  de  ses  livres,  par  la  terre,  par  la  mer, 
par  les  royaumes...  ayant  les  cartes  devant  les  yeux,  lui 
montrant  à  l'œil  les  situations. 

{Le  Théâtre  d'Agriculture.) 
37 


290  BIBLIOPHILI ANA 


SÉVIGNÉ  (Marie   de  Rabutin-Chantal 
Marquise  de) 

Tant  que  nous  aurons  des  livres,  nous  ne  nous  pen- 
drons pas  (Voir  le  Marquis  de  Gaillon)... 

J'ai  apporté  ici  (aux  Roches)  quantité  de  livres  choisis; 
je  les  ai  rangés  ce  matin  :  on  ne  met  pas  la  main  sur  un, 
tel  qu'il  soit,  qu'on  n'ait  envie  de  le  lire  tout  entier; 
toute  une  tablette  de  dévotion,  et  quelle  dévotion!  Bon 
Dieu  1  quel  point  de  vue  pour  honorer  notre  religion  ! 
l'autre  est  toute  d'histoires  admirables;  l'autre  de  morale; 
l'autre  de  poésies,  et  de  nouvelles,  et  de  mémoires.  Les 
romans  sont  méprisés,  et  ont  gagné  les  petites  armoires... 

...  pour   Pauline,    cette  dévoreuse    de    livres,    j'aime 

mieux  qu'elle  en  avale  de  mauvais,  que  de  ne  point  aimer 

à  lire. 

(Lettres.) 


SORBIÈRE  (Samuel) 

...  Mais  si  vous  aviez  veu  comme  moy  la  manière  de  la 
quelle  il  (de  Saumaise)  compose  ses  livres,  la  négligence 
qu'il  apporte,  le  bruit  que  Ion  fait  tout  à  l'entour  de  luy, 
et  les  distractions  parmy  lesquelles  il  escrit  sans  aucune 
méditation,  vous  excuseriez  bien  plustost  les  défauts  qui 
se  glissent  dans  ses  ouvrages.  Il  les  commence  sans  qu'il 
en  ayt  fait  le  projet,  ny  tracé  de  dessein.  Les  pensées  luy 
naissent  au  bout  de  la  plume  les  unes  après  les  autres. 
Il  les  couche  sur  le  papier  comme  elles  luy  viennent,  et 


BIBLIOPHILIANA  3C)l 

ne  relit  jamais  ses  escritures.  Il  n'escrit  que  d'un  costé  de 
la  feuille,  et  cela  brusquement  et  sans  marge  ;  il  colle  les 
feuilles  l'une  au  bout  de  l'autre,  et  il  en  fait  des  rouleaux; 
de  sorte  qu'il  peut  mesurer  ses  livres  à  l'aulne,  et  qu'il 
avoit  bonne  grâce  de  dire  qu'il  y  en  avoit  six  toises  de 
faites,  en  parlant  d'un  certain  livre  dont  onluy  demandoit 
des  nouvelles,  et  qu'il  faisoit  attendre  depuis  longtemps... 
Il  n'a  fait  aucun  ouvrage  basty  à  chaux  et  à  sable,  et 
dont  la  postérité  ayt  à  tirer  quelque  avantage... 

(Lettre  au  P.  Mersenue.  Correspondance) 


SPIZELIUS  (Theoph.) 

...  Mortua  sine  libris  in  qiiibus  loquuntur  mortui,  studia 
litterarum  sunt. 

(Morte  est  l'étude  des  lettres,  sans  les  livres  dans  les- 
quels parlent  les  morts.) 


STAPFER  (Paul) 

...  Liseurs  éternels,  arrêtez-vous  un  peu;  remontez  en 
arrière,  faites  le  compte  de  ce  qui  vous  reste  de  vos  in- 
nombrables lectures...  Quel  néant,  mes  amis!  n'êtes- 
vous  pas  épouvantés?,.. 

Dis-moi  quels  auteurs,  quels  livres  tu  aimes  à  lire,  je  te 
dirai  qui  tu  es  et  ce  que  tu  peux  faire.  Des  habitudes, 
des  préférences  de  lecture  bien  constatées  suffisent  pour 
tracer  une  ligne  certaine  de  démarcation  entre  les  es- 
prits... 


2^2  BIBLIOPHILIANA 

La  comparaison  ancienne  qui  assimile  les  livres  à  des 
amis  et  la  lecture  à  une  conversation,  s'applique  par  ex- 
cellence à  cette  catégorie  de  lectures  et  de  livres  plus 
propres  à  développer  l'intelligence  d'une  manière  géné- 
rale qu'à  graver  dans  la  mémoire  des  connaissances  pré- 
cises... 

Les  livres  tellement  pauvres  qu'il  n'y  ait  rien  à  en  tirer 
sont  presque  aussi  rares  que  les  livres  excellents  où  cha- 
que ligne  est  riche  d'un  trésor... 

Les  vieux  routiers  de  l'art  de  lire  savent  seuls  tourner 
les  feuillets  d'un  livre  quelconque  avec  une  frémissante 
impatience,  parcourir  du  regard  le  champ  entier  d'une 
page,  ne  point  muser  ni  sommeiller  ni  se  perdre  dans  le 
fatras,  aller  droit  à  la  perle  et  d'un  coup  d'oeil  sûr  fondre 
sur  la  petite  proie  brillante  qui  se  cache  en  un  coin. 

{Méditation  sur  h  Lecture.) 

STASSART  (Baron  de) 

Le  public  est  tellement  rassasié  de  livres  aujourd'hui, 
qu'à  moins  d'imaginer  un  titre  bizarre  et  qui  pique  la 
curiosité,  il  est  bien  difficile  de  se  faire  lire. 

{Pensées  de  Circé.) 


STEVENS  (George) 

Mon  indignation  ne  connaît  point  de  bornes,  quand  je 
trouve  des  livres  qui  distillent  les  passions  des  jeunes 
gens  au  point  de  justifier  la  licence  par  les  excuses  les 
plus  frivoles... 


Bl  BLIOPHILIANA  393 

STENDHAL 

(PSF.UDONYME    DE    HeNRY    BEYLE) 

Un  livre,  pour  se  bien  vendre,  doit  :  —  i"  avoir  un  joli 
titre  ;  —  2°  être  écrit  sur  un  sujet  à  la  mode  j  —  3°  être  fa- 
cilement compris. 


STERNE  (Lawrence) 

...  J'avais  alors  une  très-bonne  santé.  Les  livres,  la 
peinture,  la  musique  et  la  chasse  étaient  mes  amuse- 
ments... 

Et  qu'arrivera-t'il  quand  on  y  sera  parvenu  (au  plus 
haut  degré  de  perfection  de  nos  connaissances)  ?  Il  faut 
espérer  que  ce  terme  mettra  fin  à  toutes  sortes  d'écrits. 
Le  manque  de  toutes  espèces  d'écrits  mettra  fin  à  tous 
genres  de  lectures.  La  guerre  amène  la  pauvreté,  et  la 
pauvreté  ramène  la  paix.  Il  en  sera  de  même  du  défaut 
de  lecture  :  il  abolira  toute  espèce  de  connaissances  : 
on  reverra  les  temps  d'ignorance,  et  il  faudra  recom- 
mencer. Nous  nous  retrouverons  dans  le  même  temps 
où  nous  étions  avant  qu'il  y  eût  des  livres.  Heureuse, 
trois  fois  heureuse  époque  !... 

Les  bons  écrits  sont  comparables  au  vin  :  le  bon  sens 
en  est  la  force,  et  l'esprit,  la  saveur. 

Dans  le  monde,  vous  êtes  sujet  aux  caprices  de  chaque 
extravagant  :  dans  votre  bibliothèque,  vous  soumettez  les 
hommes  célèbres  aux  vôtres. 


394  BIBLIOPHILl  ANA 


Ferons-nous  toujours  de  nouveaux  livres,  comme  les 
apothicaires  font  de  nouvelles  médecines,  en  les  trans- 
vasant d'un  vase  dans  un  autre?  Sommes-nous  destinés  à 
toujours  tordre  ou  détordre  la  même  corde,  à  toujours 
être  dans  la  même  ornière  ,  toujours  au  même  pas? 

•  (Voir  Burton,  qui  est  venu  le  premier.) 


TAINE  (Hippolyte-Adolphe) 

Tel  est  le  charme  de  ces  livres  qui  remuent  tous  les 
sujets,  qui  donnent  l'opinion  de  l'auteur  sur  toutes  cho- 
ses, qui  nous  promènent  dans  toutes  les  parties  de  sa 
pensée,  et,  pour  ainsi  dire,  nous  font  faire  le  tour  de  son 
esprit. 


TENANT  DE  LATOUR 

...  Un  point  que  les  malins  considèrent  comme  phéno- 
ménal, savoir,  un  bibliophile  qui  lit  ses  livres...  Il  n'y  a  de 
véritable  bibliophile...  que  celui  qui  a  déjà  lu  tous  les 
livres  qu'il  possède,  et  qui,  pénétré,  ravi  de  cette  lec- 
ture, en  reporte  le  charme  sur  la  forme  extérieure  elle- 
même. 

Le  goût  des  livres  est  un  sentiment  que  rien  ne  vient 
altérer  ou  suspendre,  et  qui  tient  constamment  celui 
qu'il  anime  dans  un  état  de  mouvement  moral. 

...  Moi  j'aime  mes  livres  comme  je  les  aimais  à  vingt 
ans;  je  les  aime  peut-être  même  avec  plus  d'ardeur,  car, 
tout  bien  considéré,  je  les  connais  mieux,  et  il  n'arrive 


BIBLIOPHI  LIANA  i95 

point  dans  l'amour  des  livres  ce  qui  arrive,  hélas!   dans 
l'autre  amour... 

...  Je  voudrais  pouvoir  établir  aujourd'hui,  une  fois 
pour  toutes,  que,  parmi  les  goûts  si  divers  que  la  Provi- 
dence a  départis  aux  humains,  l'amour  des  livres  est  celui 
qui,  après  avoir  donné,  pendant  la  prospérité,  les  plus 
grandes,  les  plus  véritables  jouissances,  ménage,  pour 
toutes  les  peines  de  la  vie,  les  plus  douces,  les  plus  pu- 
res, les  plus  durables  consolations. 

{Mémoires  d'un  Bibliophile.) 


TERRASSON  (lAbbé  Jean) 

Il  en  est  des  livres  comme  delà  lumière.  La  trop  grande 
quantité  n'éclaire  point;  elle  éblouit,  elle  aveugle,  et 
nuit  plus  qu'elle  ne  sert. 


TEXIER  (Edmond) 

De  tous  les  êtres  créés  par  Dieu,  le  bibliophile  est  sans 
contredit  le  plus  égoïste  et  le  plus  féroce.  La  passion  de 
l'or  n'est  rien,  comparée  à  celle  du  livre... 

La  bibliomanie  est,  à  mon  avis,  une  des  plus  dangereu- 
ses, et  la  plus  despotique,  parce  qu'elle  n'est  jamais  sa- 
tisfaite. Le  vrai  bibliomane  croit,  comme  Alexandre, 
que  rien  n'est  fait  tant  qu'il  reste  quelque  chose  à  faire, 
qu'il  possède  peu  de  chose  tant  qu'il  peut  envier  les  tré- 
sors d'un  autre... 

C'est  dans  son  œuvre  que  se  réfugie  la  meilleure  part 


açû  BliJLIOPHILIANA 


de  l'écrivain...  Dans  les  détails  ordinaires  de  la  vie, 
l'écrivain  n'est  qu'un  homme;  il  passe  dieu  dans  son 
livre,  et  c'est  ainsi  que  toute  bibliothèque  est  un  pan- 
théon... 

Savoir  lire,  quelle  science!  C'est  interroger  un  écri- 
vain, c'est  lui  demander  l'enseignement  des  choses  que 
l'on  ignore,  c'est  discuter  avec  lui  sur  tel  point  et  le  ré- 
futer sur  tel  autre.  On  l'aborde  avec  respect,  mais  sans 
parti  pris;  on  entre  en  conversation  intime  avec  lui,  on 
se  laisse  aller,  puis  on  résiste,  et  si  l'on  se  sent  entraîné, 
tout  va  bien...  Mais  il  ne  sait  pas  lire  ni  même  épeler 
celui  qui,  prenant  un  livre,  tourne  page  sur  page  et  ne 
s'arrête  essoufflé  qu'au  dernier  feuillet;  il  se  gorge  de 
mots,  l'idée  lui  échappe.  Toute  lecture  est  un  voyage 
d'agrément... 

Nous  n'avons  même  plus  le  loisir  de  lire,  nous  écrivons 
tant! 

{Les  Choses  du  temps  ■présent.) 


THIERRY  (Augustin) 

...  Je  me  mis  à  chercher  dans  les  livres  d'histoire  des 
preuves  et  des  arguments  à  l'appui  de  mes  croyances... 
Cette  épreuve,  souvent  répétée,  ne  tarda  pas  à  boule- 
verser mes  idées  en  littérature.  Insensiblement  je  quittai 
les  livres  modernes  pour  les  vieux  livres,  les  histoires 
pour  les  chroniques,  et  je  crus  entrevoir  la  vérité  étouf- 
fée sous  les  formules  de  convention  et  le  style  pompeux 
de  nos  écrivains.  Je  tâchai  d'effacer  de  mon  esprit  tout 
ce  qu'ils  m'avaient  enseigné,  et  j'entrai,  pour  ainsi  dire, 
en  rébellion  contre  mes  maîtres. 


BIliLlOPHILIANA  397 

...Ce  qui  est  imprimé  dans  tant  de  livres,  ce  que  tant  de 
professeurs  enseignent,  ce  que  tant  de  disciples  répètent, 
obtient  force  de  loi  et  prévaut  contre  les  faits  eux- 
mêmes.  Instruit  de  ce  qu'il  m'en  a  coûté  de  peine  pour 
refaire,  seul  et  sans  guide,  mon  éducation  historique,  je 
me  propose  de  faciliter  ce  travail  à  ceux  qui  voudront 
l'entreprendre  et  remplacer  par  un  peu  de  vrai  les  niai- 
series du  collège  et  les  préjugés  du  monde. 

{Lettres  sur  l'Histoire  de  France.  Avertissement.) 


THURMANN  (Gaspàr) 

La  connaissance  des  livres  abrège  de  moitié  le  chemin 
de  la  science,  et  c'est  déjà  être  très-avancé  en  érudition 
que  de  connaître  exactement  les  ouvrages  qui  la  donnent. 


TROLLOPE  (MisTREss) 

J'établissais  toujours  un  parallèle,  peut-être  futile,  entre 
le  manque  d'élégance  extérieure  et  intérieure  des  volu- 
mes imprimés  en  Amérique.  Les  compositions  des  Amé- 
ricains n'ont  pas  cette  précision  de  pensée  et  ce  fini 
achevé  que  donne  la  conviction  d'écrire  pour  des  sa- 
vants ou  des  hommes  de  goût,  pas  plus  que  leur  papier 
bleu  sale  et  leurs  caractères  usés  n'ont  l'élégance  qui 
convient  à  un  volume  destiné  à  passer  dans  les  mains  et 
sous  les  yeux  d'un  épicurien  littéraire...  Certes,  on  ne 
devrait  pas  regretter  la  vue  d'un  beau  papier  luisant,  en 
lisant  une  nouvelle  de  l'auteur  de  Waverley ;   cependant 

38 


açS  BIBLIOPHILIAN  A 

je  dois  confesser,  à  ma  honte,  qu'en  tournant  le  vilain  pa- 
pier gris,  mon  esprit  trop  occupé  des  choses  de  la  terre 
s'arrête  souvent  au  milieu  de  son  plaisir  pour  soupirer 
après  les  presses  à  satiner  de  l'Angleterre. 

{Maurs  domestiques  des  Américains.) 


TRUBLET  (l'Abbé  Nicolas-Charles-Joseph) 

Je  ne  comprends  pas  comment  on  peut  ne  pas  aimer 
la  lecture,  quand  on  considère  qu'un  livre  est  un  ami 
qui  moralise  sans  offenser  personne;  qui  prend  vos  heu- 
res de  commodité  soit  le  jour,  soit  la  nuit,  pour  vous 
parler,  et  qui  le  fait  toujours  sans  passion;  qui  ne  se  fâche 
point  d'être  interrompu  au  milieu  de  sa  période,  et  qui 
ne  vous  sait  pas  mauvais  gré  de  ce  que  vous  passez  légè- 
rement sur  des  choses  qui  lui  ont  coûté,  et  qui  lui  pa- 
raissent excellentes. 

(Essais  de  Littérature  et  de  Morale.) 


TURQUETY  (Edouard) 

J'ai  toujours  aimé  et  parfois  regretté  la  coutume  qu'a- 
vaient nos  anciens  écrivains  d'échanger  entre  eux  les 
quelques  lignes  qu'ils  mettaient  en  tête  de  leurs  ouvrages.  Il 
y  avait,  ce  me  semble,  dans  cette  bienveillance  réci- 
proque une  sorte  de  fraternité  qui  honorait  les  lettres... 

(Avant-propos  des  Pensées  de  P.  Roclipédre.) 


BIBLIOPHILI  AN  A  399 


VALLA  (Laurent) 

Et  quod  vix  toto  quisguam  prascriheret  anno 
Munere  Germano  confiât  una  dies. 
(Et  ce   qu'à  peine  on   eût  écrit  en    une  année  tout 
entière,  la  découverte  allemande  le  confectionne  en  un 
jour.) 

(Voir  Campanus.) 


VALOIS  (Hadrien  de) 

Saxa  quidem  et  tumulos  consumit  longa  vetustas  : 
Nil  tamen  in  libros  tempora  juris  hahent. 
(Une  longue  vétusté  consume  les  pierres  même  et  les 
tombeaux:  cependant  le  temps  n'a  rien  de  ce  pouvoir  sur 
les  livres.) 


VAUVENARGUES 
(Luc  de  Clapiers,  marquis  de) 

Les  bons  livres  sont  l'essence  des  meilleurs  esprits,  le 
précis  de  leurs  connaissances  et  le  fruit  de  leurs  longues 
veilles.  L'étude  d'une  vie  entière  s'y  peut  recueillir  dans 
quelques  heures... 

Les  Vies  de  Plutarque  sont  une  lecture  touchante;  j'en 
étais  fou  dans  mon  enfance;  le  génie  et  la  vertu  ne  sont 
nulle  part  mieux  peints...  Il  me  tomba,  en  même  temps. 


JOO  BIBLIOPHILIANA 


un  Sénèque  dans  les  mains,  je  ne  sais  par  quel  hasard; 
puis  des  lettres  de  Brutus  à  Cicéron;...  je  mêlais  ces 
trois  lectures,  et  j'en  étais  si  ému,  que  je  ne  contenais 
plus  ce  qu'elles  mettaient  en  moi;  j'étouffais,  je  quittais 
mes  livres,  et  je  sortais  comme  un  homme  en  fureur, 
pour  faire  plusieurs  fois  le  tour  d'une  assez  longue 
terrasse... 


VÉRON   (PiERRr) 

BiBLioMANE.  —  L'hystérique  du  bouquin. 
Bibliothécaire.  —  Le  pion  des  livres. 
Destinée.  —  Un  livre   dont  les  pages  ne  sont  pas 
coupées. 

{Le  Carnaval  du  Dictionnaire.) 


VIGNEUL-MARVILLE   (de) 

(Pseudonyme  de  Noel-Bonaventure  d'Argone,  Chartreux.) 

C'est  de  tout  tems  qu'on  a  fait  la  guerre  aux  livres, 
comme  aux  hommes  et  aux  sciences.  Les  Romains  ont 
brûlé  les  livres  des  Juifs,  des  Chrétiens  et  des  philoso- 
phes: les  Juifs  ont  brûlé  les  livres  des  Chrétiens  et  des 
Païens;  et  les  Chrétiens  ont  brûlé  les  livres  des  Païens  et 
des  Juifs.  La  plupart  des  livres  d'Origène  et  des  anciens 
hérétiques  ont  été  brûlez  par  les  Chrétiens.  Le  cardinal 
Ximénès,  à  la  prise  de  Grenade,  fît  jeter  au  feu  cinq  mille 
Alcorans.  Les  Puritains,  en  Angleterre,  au  commencement 
de  la  Réforme  prétendue,  brûlèrent  une  infinité  de  mo- 


BIBLIOPHILIANA  JOI 


nastères  et  d'anciens  monumens  de  la  véritable  religion. 
Un  évêque  anglois  mit  le  feu  aux  archives  de  son  église, 
et  Cromwel,  dans  les  derniers  tems,  brûla  la  bibliothèque 
d'Oxfort,  qui  étoit  une  des  plus  curieuses  de  l'Europe. 
{Mélanges  d'Histoire  et  de  Littérature.) 

VILLEMAIN  (Abel-François) 

...  Il  (Plutarque)  a  peint  l'homme,  et  il  a  dignement 
retracé  les  plus  grands  caractères  et  les  plus  belles  actions 
de  l'espèce  humaine.  L'attrait  de  cette  lecture  ne  passera 
jamais;  elle  répond  à  tous  les  âges,  à  toutes  les  situations 
de  la  vie;  elle  charme  le  jeune  homme  et  le  vieillard;  elle 
plaît  à  l'enthousiasme  et  au  bon  sens.  (Voir  Plutarque.) 

...  Il  (saint  Jérôme)  conservait,  dans  sa  cellule  de 
Bethléem,  les  chefs-d'œuvre  de  l'éloquence  profane  qu'il 
avait  rassemblés  jadis  avec  beaucoup  de  soin,  pendant 
son  séjour  à  Rome  et  dans  les  Gaules.  C'était  le  seul  tré- 
sor qu'il  eût  apporté  avec  lui  dans  l'Orient.  Le  charme  de 
ces  lectures  le  ravissait  encore;  et  son  christianisme 
jaloux  s'effrayait  d'un  semblable  enthousiasme.  ÇVoW  Saint 
Jércme) . . . 

On  dit  avec  raison  que  l'univers  est  gouverné  par  des 

livres... 

{Notice  sur  Plutarque.  —  Tableau  de  l'Eloquence 
chrétienne  au  IV'  siècle.) 

VIOLLET-LE-DUC  (Eugène-Emmanuel) 

J'achetais  ces  livres  pour  les  lire,  et  non  pour  leur 
rareté  :  car  personne  n'en  voulait,  et  mes  emplettes  m'atti- 


)02  BIBLIOPHILIANA 


raient  les  reproches  de  ma  famille  et  les  sarcasmes  de 
mes  amis,  tant  c'était  étrange,  à  cette  époque,  mon  goût 
pour  ces  bouquins! 


VOLTAIRE  (François-Marie  Arouet  de) 

Vous  les  méprisez,  les  livres,  vous  dont  toute  la  vie  est 
plongée  dans  les  vanités  de  l'ambition  et  dans  la  re- 
cherche des  plaisirs  ou  dans  l'oisiveté;  mais  songez  que 
tout  l'univers  connu  n'est  gouverné  que  par  des  livres, 
excepté  les  nations  sauvages... 

La  plupart  des  livres  ressemblent  à  ces  conversations 
générales  et  gênées,  dans  lesquelles  on  dit  rarement  ce 
qu'on  pense... 

Il  en  est  des  livres  comme  du  feu  dans  nos  foyers:  on 
va  prendre  ce  feu  chez  son  voisin;  on  l'allume  chez  soi; 
on  le  communique  à  d'autres,  et  il  appartient  à  tous... 

Ce  n'est  que  par  la  lecture  qu'on  fortifie  son  âme; 
la  conversation  la  dissipe,  le  jeu  la  resserre...  Comme  le 
bon  sens  de  M.  André  s'est  fortifié  depuis  qu'il  a  une 
bibliothèque!  Il  vit  avec  les  livres  comme  avec  les  hom- 
mes; il  choisit,  il  n'est  jamais  la  dupe  des  noms.  Quel 
plaisir  de  s'instruire  et  d'agrandir  son  âme  pour  un  écu, 
sans  sortir  de  chez  soi !... 

On  est  inondé  de  livres.  J'ai  honte  des  miens... 
(Pris  un  peu  partout.) 

Un  livre  défendu  est  un  feu  sur  lequel  on  veut  mar- 
cher et  qui  jette  au  nez  des  étincelles. 

(Du  Portefeuille  intitulé  :  le  Sottis  er.) 


BIBLIOPHILIANA  3OJ 


VOYER-D'ARGENSON  (Antoine-René  de) 

Multi  voCATi,  pauci  lecti. 

Beaucoup  d'APPELÉs,  mais  peu  de  lus. 

(TDevise  proposée  pour   lu    bibliothèque  d'un 
Fermier-Général.) 


WATTEVILLE  (baron  de) 

Ce  fut  en  i8p  qu'il  (Amédée  Rigaud)  commença  à 
rechercher  les  livres,  à  se  créer  une  bibliothèque.  Mais, 
à  partir  de  ce  moment,  il  fut  saisi  par  ce  doux  et  puissant 
engrenage  que  connaissent  tous  les  bibliophiles:  le  livre 
du  jour  appelle  le  livre  du  lendemain;  il  faut  remplacer 
un  exemplaire  défectueux  par  un  exemplaire  en  parfait 
état;  il  faut  compléter  une  série,  songer  aux  reliures;  on 
ne  s'appartient  plus,  on  est  tout  à  sa  passion. 

{Catalogue  de  feu  Amédée  Rigaud.  Notice.) 


WERDET  (Edmond) 

C'est  peut-être  une  banalité,  mais  bonne  à  redire  :  de 
toutes  les  conquêtes  dont  l'humanité  est  fière,  celles  que 
nous  devons  à  l'imprimerie  et  au  commerce  des  livres 
sont  les  seules  qui  doivent  résister  à  l'action  du  temps. 

A  l'aide  des  livres,  nos  pères  nous  ont  légué  un  héri- 
tage  intellectuel,   qui    défie   les  plus  beaux  et  les   plus 


J04  BIBLIOPHILIANA 

durables  monuments  de  bronze  ou  de  marbre.  A  l'aide 
des  livres,  nous  doublons,  si  faire  se  peut,  les  richesses 
transmises;  elles  viennent  contribuer  à  la  perfection  et  à 
l'élégance  de  nos  moeurs  nouvelles... 

La  poussière  des  bibliothèques  est  une  poussière  fé- 
conde. 

Aujourd'hui,  plus  encore  qu'en  aucun  autre  temps, 
l'amour  des  livres  est  un  goût  universel... 

{Histoire  du  Livre  en  France.  Préface  de  la  II' partie.) 


WEY  (Francis) 

...  Peut-être  observera-t-on  que  nous  usons  des  livres 
avec  assez  de  sobriété;  mais  on  conviendra  que  nombre 
d'anciens  auteurs,  que  l'on  ne  saurait  passer  sous  silence 
dans  une  histoire  littéraire,  n'ont  pas  exercé  de  sensible 
influence  sur  les  destinées  du  langage...  Je  sais  que  par- 
fois, en  semblable  occasion,  l'on  entasse  beaucoup  de 
noms,  et  l'on  va  exhumer  des  autorités  inconnues,  afin  de 
prouver  que  l'on  a  tout  compulsé... 

{Histoire  des  Révolutions  du  Langage  en  France.) 


WOLF 

Wolf,  bibliographe  allemand  du  XVIF  siècle,  auquel  les 
Fugger  d'Augsbourg  accordèrent  l'entrée  journalière  de 
leur  bibliothèque,  leur  en  témoigna  sa  reconnaissance  en 
vers  grecs.  Il  définit  cette  fameuse  bibliothèque  : 


BiBLIOPHlLlANA  305 

«  Un  firmament  littéraire,  où  il  y  a  autant  de  livres  que 
l'on  compte  d'étoiles  à  la  voûte  céleste.  » 

Il  la  compare  encore  à  : 

«  Un  jardin  scientifique,  dans  lequel  il  se  plaisait  jour- 
nellement à  cueillir  des  fleurs  littéraires,  et  à  goûter  tou- 
tes les  jouissances  de  l'instruction.  » 


ZALUSKI  (Le  comte  Joseph) 

Je  n'ai  pas  de  collines  verdoyantes,  couvertes  de  vignes 
et  d'oliviers,  ni  de  terres,  comme  on  en  voit  du  haut  de 
la  voie  Emilienne;  je  vous  offre  les  délicieux  petits  livres 
des  vieux  auteurs  que  j'ai  eu  tant  de  plaisir  à  compulser. 
Vous  y  trouverez  également  les  essais  plaisants  de  nos 
beaux  jours,  quand  l'âge  se  prêtait  à  ce  doux  genre 
d'études. 

(En  1747,  cet  illustre  Polonais,  évèque  de  Kiew,  avait  rassemblé  à  Varsovie 
plus  de  200,000  volumes,  à  l'acquisition  desquels  avait  passé  tout  son  patri- 
moine. Cette  collection,  fruit  de  46  années  de  recherches,  il  la  légua  à  sa 
patrie.  Ces  livres  sont  devenus  le  fonds  principal  de  la  Bibliothèque  de  Saint- 
Pétersbourg.) 


J9 


)o6  BIBLIOPHILIANA 


l'auteur  de  :  L'Art  et  la  Vie  deStendahl.  (albert  coilignon.) 

Dès  l'âge  de  dix  ans,  il  avait  en  germe  cette  passion  de 
la  lecture  qui  devint  plus  tard  si  ardente.  Tous  ses  bio- 
graphes s'accordent  à  lui  reconnaître  ce  précoce  et  se- 
cret penchant  pour  les  livres.  Il  les  aimait  d'autant  plus 
qu'il  fallait  les  lire  en  cachette  et  qu'il  avait  bien  de  la 
peine  à  les  découvrir.  Dès  qu'il  put  sortir  seul,  un  de 
ses  premiers  actes  d'indépendance  fut  d'en  acquérir  par 
lui-même,  en  toute  propriété.  Un  louis  d'or  de  24  livres, 
lentement  amassées,  était  toute  sa  fortune  d'enfant.  Il  l'é- 
changea contre  les  OEuvres  complètes  deFlorian... 

Son  penchant  littéraire,  son  amour  des  livres  le  met- 
taient en  opposition  continuelle  avec  les  habitudes  et  les 
croyances  de  sa  famille. 


A  la  fin  d'un  vieux  Catholicon 

(Édition  de  Rouen,  1499.) 

Improbus  innumeris  librarius  ante  talentis 

Quod  dabat,  exiguâ  nunc  st'tpe  vendit  opus... 
f^ullum  opus,  0  nostri  felicem  temporis  artem  ! 

Celât  in  arcano  bibliotheca  situ. 
Quem  fnodo  rex,  quem  vïx  prïnceps  modo  rarus  habebat, 

Quisque  sibi  librum  pauper  habere  potest. 

(L'ouvrage  qu'un  coquin  de  libraire  vendait  jadis  une 


BIBLIOPHILIANA 


}07 


somme  fabuleuse,  il  le  donne  aujourd'hui  pour  une  somme 
minime...  Pas  de  bibliothèque,  ô  l'heureuse  industrie  de 
notre  temps  !  qui  nous  cache  quelque  œuvre  dans  ses 
rayons  secrets.  Le  livre,  que  naguère  prince  ou  roi  pou- 
vait à  peine  obtenir,  tout  pauvre  peut  maintenant  se  le 
procurer.) 

PENSÉES  CHINOISES 

La  femme  laborieuse  range  toujours  ses  meubles  ;  le 
lettré  studieux  dérange  continuellement  ses  livres... 

Je  lis  pour  la  première  fois  un  bon  livre,  et  j'y  prends 
le  même  plaisir  que  si  je  faisais  un  nouvel  ami.  Je  relis 
un  livre  que  j'ai  lu  ;  c'est  un  ancien  ami  que  je  revois. 

{Plusieurs  citateurs  ont  prêté  cette  dernière 
pensée  à  Voltaire.) 


Extrait  de  I'Exposition  de  Chaumont 

...  Le  livre  est,  dans  la  vie  de  l'homme  et  dans  la  vie  des 
peuples,  tantôt  le  remède  au  mal,  tantôt  l'instrument  du 
bien. 

Nous  ne  parlons  pas  des  livres  sans  émotion...  Oui,  le 
livre,  ce  fragile  papier,  cette  voix  sans  accent  et  sans 
visage,  même  quand  elle  crie  dans  le  désert,  c'est  encore 
une  des  plus  hautes  puissances.  Il  n'y  a  même  ici-bas,  au 
fond,  qu'une  puissance,  la  pensée... 

Voyez  un  peu.  A  la  tête  de  tous  les  peuples  il  y  a  un 
livre,  et  un  livre  à  la  tête  de  toutes  les  civilisations... 


)o8  BIBLIOPHILIANA 


Le  livre,  phare  de  la  vie  publique,  est  aussi  l'appui  de 
la  vie  privée.  C'est  le  pain  de  l'enfant  et  le  lait  des  vieil- 
lards. Dans  la  tristesse,  il  nous  console;  dans  la  joie,  il 
ajoute  à  notre  allégresse.  Après  le  travail,  il  charme  le 
repos  ;  dans  le  repos,  il  prévient  l'ennui.  Le  matin,  à 
midi,  le  soir,  il  est  toujours  là  sur  le  bureau,  le  guéridon 
ou  la  table  de  nuit;  il  est  partout.  En  tout  lieu,  à  toute 
heure,  vous  retrouvez  ce  bon  ami.  Les  moins  sérieux 
peuvent  en  venir  au  petit  livre  de  Ballanche  et  de  Gœthe  : 
«  Je  n'ai  jamais  eu  de  peine  que  n'ait  dissipée  un  quart 
d'heure  de  lecture.  » 


UN  JEUNE   HERMITE 

{Dictionnaire  des  Gens  du  monde) 

Bibliothèque,  —  Vaste  dépôt  des  crimes  et  des  er- 
reurs de  l'homme,  dont  on  pourrait  brûler  les  onze  dou- 
zièmes sans  lui  porter  aucun  préjudice. 

Livre.  —  Dépôt  des  erreurs  et  des  folies  humaines, 
où,  parmi  un  grand  nombre  de  paradoxes,  on  rencontre 
quelques  vérités. 
•  (Voir  aux  Anonymes,  Album  des  Gens  du  monde) 


JOURNAL  DES  SÇAVANS 

On  peut  comparer  les  Livres,  qui  se  composent  sur  un 
même  sujet,  à  des  cercles  qu'une  pierre  jetéedans  l'eau  a 
tracés,  qui  se  suivent  et  s'effacent  les  uns  les  autres, 
en  sorte  qu'il  n'y  a  que  les  derniers  dont  il  reste  seule- 


BIBLIOPHILI  AN  A  309 


ment  quelque  impression.  Dès  qu'un  nouveau  Livre  pa- 
roît,  il  fait  tomber  tous  les  autres  des  mains,  il  s'insinue 
par  la  grâce  de  la  nouveauté,  et  emporte  le  prix  sur  les 
autres. 

DE  L** 

Il  en  est  de  la  forme  des  livres  comme  de  la  physio- 
nomie des  personnes  :  l'impression  que  l'une  et  l'autre 
produisent  est  favorable  ou  fâcheuse,  indépendamment 
du  mérite  des  individus  et  des  ouvrages. 


MAXIME  DES  ORIENTAUX 

Un  bon  livre  est  le  meilleur  des  amis.  Vous  vous  en- 
tretenez agréablement  avec  lui  lorsque  vous  n'avez  pas 
un  ami  à  qui  vous  puissiez  vous  fier.  Il  ne  révèle  pas  vos 
secrets,  et  il  vous  enseigne  la  sagesse. 


PROVERBE 
Un  gros  livre  est  un  grand  mal. 

*** 
Biographie  de  Martin  Spickler 

Un  Elzevir  lui  causait  de  douces  émotions  ;  mais  ce  qui 
le  plongeait  dans  un   ravissement    extatique,  c'était   uo 

Henri  Estienne. 

{Cite  par  Aloysius  Bertrand.) 


)IO  BIBIIOPHILIANA 


DIVERS  ANONYMES 

Les  livres  sont  un  asyle  où  les  sottises  ont  droit  de 
bourgeoisie. 

Il  n'y  a  point  de  plus  courte  vie  que  celle  d'un  mauvais 
livre. 

Tout  écrivain  un  peu  jaloux  de  sa  réputation  devrait 
employer  la  moitié  de  sa  vie  à  faire  un  livre,  et  l'autre 
moitié  à  le  corriger. 

N'est-il  pas  ridicule  de  voir  des  personnes  plongées 
dans  la  dissipation  et  dans  les  plaisirs  du  monde  faire  un 
amas  inutile  de  livres,  qu'ils  n'ouvrent  jamais,  et  qu'ils  ne 
regardent  que  comme  des  meubles  ?  Ce  qui  devrait  or- 
ner leur  esprit  ne  sert  qu'à  orner  leur  cabinet. 

Un  livre  est  une  lettre  écrite  à  tous  ses  amis  inconnus, 
que  l'on  a  dans  l'univers. 

Les  bibliothèques  choisies  sont  des  républiques  tran- 
quilles, où  les  savants  jouissent  d'une  seconde  vie.  On 
achète,  à  prix  d'argent,  l'honneur  de  les  avoir  pour  ci- 
toyens. 

Comment  firent  les  premiers  philosophes  "avant  qu'il  y 
eût  des  livres?  Si  tu  veux  être  parfaitement  sage,  lis  l'uni- 
vers ;  après  cela,  lis-toi  toi-même. 

11  en  est  des  plaisirs  comme  des  gros  livres,  qui  ga- 
gnent presque  toujours  à  être  abrégés. 

{Manuel  de  Morale.  1771.) 
Faire  emplette  de  Livres  qu'on  est  incapable  d'entendre 


BIBLIOPHILIANA  3  I  1 

et  de  goûter,  les  acheter  seulement  parce  qu'ils  ont  été 
mis  au  jour  par  un  Auteur  célèbre,  c'est  comme  si  un 
homme  achetoit  des  habits  qui  ne  lui  iroient  pas,  par  la 
raison  que  ces  habits  ont  été  faits  par  un  fameux  Tail- 
leur. 

{Amusemens  des  Gens  d'esprit.) 

On  pourrait  appliquer  au  choix  des  livres  ce  que  dit 
le  proverbe  sur  le  choix  des  liaisons  :  «  Dis-moi  qui  tu 
hantes,  je  te  dirai  qui  tu  es.  » 

{Nouveau  Recueil  de  Pensées,  1834.) 

Lecture.  —  Bonne,  nourriture  de  l'âme;  mauvaise, 
poison  de  l'esprit. 

Livres.  —  Leur  choix  fait  la  preuve  et  la  richesse  des 
gens  de  goût. 

(F.  ***  Le  Portefeuille  français. ) 

Livres.  —  ...  Les  livres  sont  la  monnaie  de  l'esprit. 
Il  en  est  de  frappée  à  tous  les  coins  et  en  difFérens  mé- 
taux; mais  celle  de  billon  est  la  plus  considérable. 

On  a  beau  les  faire  gros,  les  livres  d'aujourd'hui,  ils 
n'en  sont  ni  moins  maigres,  ni  moins  secs. 

(♦**  Paris,  les  Femmes  et  l'Amour.) 

BiBLioMANiE.  —  Passion  dont  l'efFet  ordinaire  est 
d'égarer  l'esprit,  et  qui  n'attaque  personne  autant  que  les 
gens  qui  en  ont  le  moins.  Elle  est  encore  le  plus  grand 
obstacle  au  goût  et  à  la  saine  critique. 

{Les  Coups-d'OEil,  Milan,  an  VI  républicain.) 


BIBLIOPHILIANA 


Bibliothèque.  —  Médecine  de  l'âme.  Dépôt  de  vé- 
rités et  d'erreurs,  où  le  mauvais  l'emporte  malheureuse- 
ment sur  le  bon.  La  pharmacie  et  l'égout  de  l'esprit  humain. 

Livre.  —  On  pourrait  comparer  les  titres  pompeux 
de  certains  livres  à  ces  édifices  dont  la  façade  n'éblouit 
d'abord  les  yeux  que  pour  nous  conduire  à  des  ruines. 

(***  Album  des  Gens  du  monde.) 

Avoir  un  livre,  c'est  le  plaisir  du  bibliophile;  le  cher- 
cher, est  son  occupation  favorite;  le  trouver,  son  bon- 
heur suprême. 

{Annuaire  du  Bibliophile,  i86a.) 

La  forme  entre  pour  une  part  si  importante  dans  la 
destinée  des  livres,  que  souvent  elle  emporte  le  fond. 

{Le  Magasin  pittoresque.) 

Les  livres,  comme  les  hommes,  ont  leurs  titres  de  no- 
blesse, et  les  d'Hozier  bibliographiques  suppléent  les 
quartiers  d'un  volume  par  les  célébrités  de  toute  espèce 
auxquelles  il  a  appartenu,  depuis  les  maîtresses  des  rois 
jusqu'aux  prélats  et  aux  modestes  hommes  de  lettres. 

{Cité  par  L.- A.  Constantin.) 

Les  livres  sont  les  dépositaires  des  lois,  de  la  mémoire, 
des  événements,  des  inventions,  des  découvertes,  des 
usages,  des  mœurs,  des  coutumes,  etc.,  etc.  Ce  sont  des 
conseillers  désintéressés,  toujours  prêts  à  nous  instruire 
chez  nous  et  quand  nous  voulons  ;  ils  suppléent  au  dé- 
faut des  maîtres,  souvent  au  défaut  de  génie  et  d'inven- 
tion, et  élèvent  quelquefois  ceux  qui  ont  de  la  mémoire 


BIBLIOPHILIANA  )I) 


au-dessus  des  personnes  d'un  esprit  plus  vif  et  plus  bril- 
lant. Quelle  ressource  les  livres  n'offrent-ils  pas  dans  le 
loisir?  Le  poids  accablant  de  l'ennui  ne  se  fait  jamais 
sentir  dès  qu'on  aime  la  lecture.  Quelle  comparaison 
entre  la  futilité  des  salons  et  la  méditation  des  œuvres 
d'un  écrivain  profond  et  éloquent!...  Avec  la  ressource 
d'un  bon  livre,  l'esprit  est  satisfait,  l'âme  est  intéressée... 
{Encyclopédie  des  Jeunes  Etudiants.) 

...  Le  père  de  famille  prudent  éloigne  de  ses  enfants  le 
voisin  vicieux,  déraisonnable  ou  même  frivole;  mais  il 
apporte  souvent  moins  d'attention  dans  le  choix  des  livres 
admis  au  foyer  domestique.  Quelle  est,  en  réalité,  la  fré- 
quentation la  plus  fâcheuse,  celle  des  hommes  ou  celle  des 
livres?  Un  ami  dangereux  s'éloigne,  le  livre  reste;  il  est 
toujours  là;  on  y  revient  à  toutes  les  heures  de  solitude 
ou  d'ennui  ;  c'est  le  compagnon  intime,  l'invisible  con- 
seiller, le  perpétuel  interlocuteur  de  notre  esprit.  Aussi 
peut-on  dire,  sans  aucune  exagération,  que  l'éducation  se 
fait  surtout  par  les  premières  lectures. 

iAlinanach  du  Magasin  pittoresque.) 

C'est  une  belle  passion  que  celle  des  bons  livres, 
quand  on  les  fait  passer  dans  sa  mémoire  et  dans  son  cœur. 

{Almar.ach  du  Bonheur.) 

Ne  jugez  jamais  un  homme  sur  ses  habits,  pas  plus 
qu'un  livre  sur  sa  reliure. 

Les  anciens  avaient  une  si  haute  idée  des  livres,  qu'ils 

les  comparaient  à  des  trésors  :  Thesauros  oportet  esse,  non 

Libros. 

(A.  de  T.  —  Pensées,  Maximes  et  Portraits.) 

40 


314  DIBLIOPHILIANA 


DERNIER  ÉCHANTILLON 

Bouquin. — Vieux  livre  semblable  à  beaucoup  d'es- 
prits. 

{Dictionnaire  des  Maurs,  par  l'abbé  Coupé.  177J) 

Bouquin.  — Vieux  livre,  semblable  à  beaucoup  d'es- 
prits. 

{Les  Coups-d'OEil.  Milan,  an  VI  républicain.) 

Bouquin.  —  Vieux  livre  semblable  à  beaucoup  d'es- 
prits, et   avec  lequel  cependant  on  en  manufacture  de 

nouveaux. 

{Dictionnaire  des  Cens  du  monde,  par  un 
jeune  hermite,   18 18.) 

Bouquin.  —  Vieux  livre  semblable  à  beaucoup  d'es- 
prits. 

{L'Observateur,  par  Francis  Levasseur,  i8jo.) 

Bouquin.  —  Vieux  livre  semblable  à  beaucoup  d'es- 
prits, et  avec  lequel  cependant  on  en  manufacture  de 

nouveaux. 

(***.  Album  des  Gens  du  monde,  1853.) 


NOTES 


ET   cAU^ECVOrES 


NOTES  ET  ANECDOTES 


'AzouiLLis  DE  VERS  (page  i).  —  Qui  ne  s'est 
maintes  fois  réjoui  en  sortant  des  rayons  ses 
chers    poètes,    soi-disant   pour  les   mettre    à 
l'air,  mais  bien  pour  picorer  pensée  et  couleur 
à  travers  leurs  pages  ?.., 

Vous  comprenez  tous  l'ivresse  de  ces  heures,  et  mieux, 
certes,  que  ne  l'eût  fait  l'abbé  de  Longuerue.  A  son  in- 
ventaire, il  ne  se  trouva  point,  parmi  ses  livres,  un  seul 
volume  de  poésie.  Dans  cet  ostracisme,  l'Arioste  seul 
était  épargné.  "  Pour  ce  fou-là,  disait-il,  il  m'a  quelque- 
fois amusé.  » 

Mal  coupés  (2).  —  On  en  voit  encore  fréquemment, 
de  ces  volumes  effilochés.  J'en  possède  un,  qui  vient  de 
la  bibliothèque  de  Corot,  et  qui  est  bien  le  chef-d'œuvre 
du  genre.  Au  lieu  d'un  doigt,  notre  délicieux  peintre  a 
dû  y  passer  toute  la  main...  Plusieurs  de  ces  marges  ra- 
vinées auraient  pu  lui  fournir  des  modèles  de  lignes  pour 
accidents  de  terrain,  montagnes  ou  précipices. 

Mes  CHAMPS  de  bataille (3).  —  A  ce  propos,  et  comme 
contre-partie  de  ces  soins  donnés  aux  vieux  livres  par 
bon  nombre  de  bibliophiles,  on  peut  rappeler  la  manie 


i8 


de  S.  Mercier,  signalée  dans  notre  Bibliophiliana  (Y  voir 
Valentiîi  de  Lapelouze). 

Une  plainte  (4).  —  Je  ne  vois  jamais  un  de  ces  pau- 
vres étalagistes  en  plein  vent,  sans  me  sentir  pris  de  la 
même  compassion.  Je  suis  toujours  disposé  à  soupçon- 
ner, parmi  eux,  de  vieux  soldats  des  lettres,  comme 
Achaintre,  comme  Deleau,  et  quelques  autres. 

Achaintre  (N,-L.)  est  bien  le  type  le  plus  complet  du 
bouquiniste  érudit,  ou,  pour  être  exact,  de  l'érudit  de- 
venu un  peu  par  force  bouquiniste.  Un  des  meilleurs 
latinistes  de  Paris,  il  avait  passé  de  la  chaire  de  professeur 
à  un  étalage  avoisinant  l'Institut.  Quelle  cause  l'avait  fait 
ainsi  descendre  ?  Quoique  certains  biographes  n'en  par- 
lent pas,  il  paraît  que  le  savant  éditeur  d'Horace,  de  Juvé- 
nal,  de  Phèdre,  etc.,  traducteur  lui-même  des  Traités  de 
Cicéron,  de  Dialogues  de  Platon,  etc.,  aimait  à  boire... 
ce  qui  ne  l'empêchait  pas  d'être  correcteur  de  latin  chez 
Didot,  annotateur  de  classiques  chez  Lemaire,  qui  parfois 
avait  recours  à  la  bouteille  pour  retenir  son  travailleur. 
—  Deleau,  qui  tenait  sur  l'ancienne  place  du  Carrousel 
un  étalage  semblable  à  celui  que  représente  la  vignette  de 
la  page  123  de  ce  livre,  prenait  aussi,  malgré  son  nom, 
souvent  du  vin...  Quo  me,  Bacche,  rapts  tui  plénum  > 

Le  Passé  (f).  —  Ce  sonnet  a  surtout  en  vue  les  pitto- 
resques études  de  Paul  Lacroix  sur  le  moyen  âge. 

Le  Livre.  (6-7).  —  J'espère  avoir  plus  d'un  partisan 
dans  ma  manière  d'envisager  et  d'aimer  le  Livre, 

Un  bibliophile  qui  vient  de  mourir,  Léopold  Marcel, 
notaire  honoraire  à  Louviers,  avait  pris  pour  devise  : 
Pro  facie  ingenioque,  phrase  dans  laquelle  Lucrèce  (Liv.  V) 
semble  indiquer  mes  deux  points  de  vue. 


ETANECDOTES  JI9 


Quelques  lignes  du  marquis  de  Caraccioli,  pour  finir: 
«Quel  vaste  champ  que  celui  de  la  lecture!  L'univers 
abonde  de  livres...  Si  nous  jetons  un  coup  d'oeil  sur 
cette  multitude  d'hommes  qui  lit,  ou  qui  du  moins  fait 
semblant  de  lire,  nous  verrons  à  peine  la  millième  partie 
qui  lise  de  bonnes  choses,  qui  lise  avec  réflexion,  et  qui 
lise  à  propos...  On  ne  lit  bien  que  lorsque  la  lecture 
perfectionne  le  goût,  réforme  les  mœurs,  et  nous  rend 
plus  amateurs  de  la  vérité...  »  (La  Jouissance  de  soi-?néme.) 

Trop  bien  choisi  (8).  —  Parmi  les  bouquineurs  cela 
s'est  vu,  cela  se  voit...  Heureusement  que  c'est  l'exception  ! 

La  chose  s'est  également  exécutée  sur  une  plus  grande 
échelle.  On  en  peut  lire  deux  exemples  piquants  dans 
Paris,  Versailles  et  les  Provinces  au  XVlll^  siècle.  La  pre- 
mière anecdote  est  relative  au  cardinal  P***,  qui  dévalisait 
les  bibliothèques  des  abbayes  de  la  Suisse;  —  la  seconde, 
à  M.  R...,  célèbre  médecin  à  L...,  qui  décomplétait  des 
ouvrages  chez  des  libraires,  afin  de  les  leur  acheter  en- 
suite à  vil  prix. 

D'après  des  notes  manuscrites  inédites  du  savant  Mer- 
cier de  Saint-Léger,  que  nous  avons  eues  entre  les  mains, 
l'abbé  Dinouart  (A.-J.-T.),  traducteur  et  plagiaire,  doit 
figurer  aussi  parmi  ceux  qui  ne  se  gênaient  pas  pour 
s'emparer  des  livres  des  autres.  Nous  le  mentionnons, 
les  nombreux  méfaits  du  coupable  en  valent  la  peine... 
Mais  nous  tenons  à  ne  point  allonger  cette  liste,  qui 
manque  de  gaîté. 

Belle  collection!  (9).  —  On  pourrait  énumérer 
longuement  tous  ces  faux  amateurs,  qui  mentent  aux 
yeux  avec  leurs  livres  factices.  Passons  cette  nomencla- 


3^0 


ture  sans  intérêt.   Seulement   cinglons,    en   même  temps 
qu'eux,  une  autre  sorte  de  barbares. 

G***  a  une  grande  pièce,  où  il  veut  installer  une  belle 
bibliothèque.  Les  rayons  sont  posés  :  «  Achetez-moi  des 
livres.  »  On  lui  en  apporte  des  mètres  cubes  :  «  Rangez- 
moi  ça  là-dedans.  »  On  en  met  autant  qu'on  peut  :  ce  En 
voilà  de  trop  grands...  »  Belle  misère  1  «  On  les  rognera. 
Mais,  —  vous  allez  voir  que  j'ai  de  l'idée,  —  par  où  vaut-il 
mieux  les  rogner?  par  en  haut,  ou  par  en  bas  >  Il  me  sem- 
ble qu'on  fait  toujours  mieux  en  commençant  qu'en  finis- 
sant. C'est  donc  le  bas  des  pages  qui  doit  doit  être  le  moins 
soigné...  Je  les  ferai  rogner  par  le  bas...»  Et  le  relieur 
enleva,  «  par  le  bas,))  un  tiers  de  chaque  volume,  puis  les 
recouvrit  d'une  splendide  reliure.  Les  invalides  dorés  en- 
trèrent exactement  dans  les  rayons.  Le  propriétaire  de 
cette  monstruosité  se  frottait  les  mains  en  se  promenant 
devant  ses  dos  à  dorures  !... 

Les  livres  et  bibliothèques  imaginaires  rentrent  trop 
dans  l'esprit  de  cette  note  pour  que  nous  les  passions 
sous  silence.  On  eut  la  bibliothèque  des  Dames,  celle  des 
Dévotes,  celle  des  Petits-Maîtres.  Les  soi-disant  catalo- 
gues, celui  de  Fortsas  en  tête,  se  succédaient,  effleurant, 
raillant,  écorchant,  parlant  même  politique.  Quoique 
nous  ne  songions  point  à  en  donner  ici  une  idée,  nous 
ne  pouvons  moins  faire  que  de  signaler,  comme  une  des 
plus  saillantes  du  genre,  celle  de  Turgot,  qu'il  appelait 
ses  Gaietés,  et  dont  voici  quelques  titres  : 

Traité  du  Droit  de  conquête,  ouvrage  posthume  de  Car- 
touche; 

Traité  des  Ornements  de  la  poésie  moderne,  par  M.  Eisen; 
Nouveau  Système  sur  l  origine  des  cloches  ; 


ET    ANECDOTES  {3  I 


Dictionnaire  de  caractères,  à  l'usage  des  poètes  comiques; 
Histoire  naturelle  et  morale  des  Araignées,  avec  la  descrip- 
tion de  leurs  amours,  par  M.  le  duc  de  **•  ; 

Cours  complet  de  Morale,  extrait  des  romans  de  Crébillon 

fils; 

cArt  de  compliquer  les  questions  simples,  par  l'abbé   Ga- 

gliano; 

T)u  Pouvoir  de  la  Musique,  par  M.  Sedaine; 
De  l'Emploi  des  Images  en  poésie,  par  M.  Dorât. 

La  bibliothèque  de  la  Préfecture  de  la  Seine  possédait 
un  de  ces  panneaux.  (Voir  la  i  l'ne  journée  du  Livre,  de 
J.  Janin.) 

On  peut  voir  encore  dans  la  grande  salle  de  l'abbaye 
de  Saint-Waast,  devenue  aujourd'hui  bibliothèque  publi- 
que de  la  ville  d'Arras,  de  curieux  panneaux  indiquant 
des  livres  imaginaires. 

Sauvai,  La  Bruyère  et  Pope  ont  parlé  des  livres  à  dos 
factices.  Ecoutez  le  railleur  anglais  :  «  Mylord  est  curieux 
en  livres.  Il  vous  en  fait  parcourir  tous  les  dos,  chacun 
avec  la  date  de  sa  publication.  Admirez  ces  livres  de  vélin 
ou  ces  livres  de  bois  magnifiquement  décorés  :  pour  l'usage 
que  mylord  en  fait,  ces  derniers  sont  aussi  bons  que  les 
autres...  » 

Ferdinand  IV,  roi  de  Naples,  Scribe,  et  beaucoup  d'au- 
tres, dont  un  docteur  que  nous  avons  connu,  se  sont  fait 
faire  des  bibliothèques  factices. 

Ajoutons  ces  quelques  lignes  de  J.-B.  Monfalcon,  con- 
servateur de  la  Bibliothèque  de  la  ville  de  Lyon.  Il  parle 
de  la  collection  des  Syndicats  :  «  Cette  collection  a  eu 
beaucoup  à  souffrir  de  l'incurie  du  consulat  et  du  vanda- 
lisme d'un  des  derniers  archivistes.  Un  de  ces  gardiens, 

4« 


jaa 


véritable  calamité,  rassembla  les  feuilles  en  vélin  qui  lui 
tombèrent  sous  la  main  et  les  fit  relier  au  prix  de  i  fr.  ^'o 
par  un  papetier.  Comme  il  se  trouvait  gêné  dans  cette 
opération  par  des  sceaux  nombreux  fixés  au  parchemin... 
il  eut  la  malheureuse  idée  de  les  en  détacher  pour  les 
jeter  au  feu,  acte  de  vandalisme  dont  je  l'ai  entendu 
s'applaudir.  » 

Jouissance  future  (lo).  —  Plus  d'un  lecteur  recon- 
naîtra ce  terrible  convaincu,  passant  sa  vie  à  faire  des 
provisions...  auxquelles  il  n'aura  jamais  le  temps  de  tou- 
cher. 

Bredouille  (ii)-  —  ''  ^^ut  passer  par  ces  mauvais 
moments  pour  avoir  la  chance  de  quelque  bonne  rencon- 
tre... et  le  vent  ne  se  lève  pas  tous  les  jours  pour  les 
pauvres  chercheurs  un  peu  difficiles! 

Bouquins  et  Rats  (12-13).  —  La  dédicace  de  ces 
deux  sonnets  appellera  une  fois  de  plus  l'attention  sur  le 
spirituel  illustrateur  de  ce  livre.  Avant  les  pages  de  ce 
magistral  aqua-fortiste,  je  n'avais  pas  soupçonné  toute  la 
finesse  de  la  gent  «  trotte-menu.  »  Chevrier  est  le  peintre 
du  rat  bibliovore.  —  Il  en  est  aussi  le  justicier.  Regardez 
le  ravissant  dessin  dont  il  a  voulu  enrichir  nos  Notes. 
Flagrante  delicto,  porte  en  titre  cette  eau-forte...  sévère. 
Voyez  par  quelle  adroite  fatalité  le  rongeurfautif  est  puni. 
N'est-ce  pas  une  scène  vivante  et  pleine  d'humour  ?  Peut-on 
mieux  saisir  son  coupable?  Peut-on  surtout  mieux  l'exé- 
cuter > 

Deux  petites  citations  : 

"  Il  est  à  souhaiter  qu'elle  (la  bibliothèque)  reçoive  le 


ETA  NECDOTES  ^2^ 


soleil  levant,  et  que  la  construction  de  la  pièce  où  elle 
est  placée  la  défende  de  ces  petits  quadrupèdes, 

qui,  les  livres  rongeans, 

Se  font  savans  jusques  aux  dents. 

«  Elle  n'a  point  d'ennemis  plus  dangereux  après  les 
emprunteurs,  disent  les  mauvais  plaisans.  » 

(Ch,  Nodier,  (Mélanges  de  littérature  et  de  critique.) 

«...  Le  terrain  est  couvert  de  barils,  de  caisses  encore 
pleines  d'objets  divers...  La  vue  de  ces  objets,  irrécusa- 
bles témoins  d'un  grand  désastre,  nous  remplit  de  pitié... 
Je  trouve  même  dans  ces  caisses,  au  fond  d'une  de  ces 
cabanes,  plusieurs  centaines  de  volumes  composés  des 
principaux  philosophes  anglais,  français,  allemands  du 
xviii®  siècle,  d'ouvrages  de  théologie,  d'énormes  in-folio 
sur  le  droit  canon  et  le  «  Parfait  notaire  ;  »  les  rats 
semblent,  depuis  bien  des  années,  avoir  visité  seuls  cette 
bibliothèque  si  étrangement  composée  pour  des  pêcheurs 
de  morue  ou  pour  les  marins  qui  ont  naufragé  sur  ce 
rocher.  » 

{Mission  de  l'île  Saint-Paul  pour  l'observation  du  passage 
de  Vénus,  Rapport  lu  par  M.  Mouchez,  Je  l'Académie 
des  Sciences,  le  25  octobre  1875.) 

Crescendo  (14).  —  N'est-ce  pas,  chers  pécheurs, 
que  vous  retrouvez  bien  là  cetle  incurable  intensité  du 
désir?  Ce  tyrannique  besoin  «  de  l'autre?  »J'en  sais  plus 
d'un,  enfiévré  de  la  sorte  jusqu'à  la  mort. 

Le  Révérend  C.  M.  Cracherode,  —  amateur  anglais 
très-zélé,  qui  légua  au  Musée  Britannique  d'innombrables 


ja* 


livres  précieux,  et  à  qui  l'on  adressa  une  longue  pièce 
de  vers  latins  commençant  ainsi: 

Libres  qui  faciant  venvstiores, 

Beatissime  Cracherode,  dicam...  — 

«  mourut,  dit  Le  Roux  de  Lincy,  et  ses  derniers  instants 
furent  empoisonnés  par  le  regret  d'avoir  vécu  sans  avoir 
possédé  les  Annales  de  Triveth,  et  surtout,  hélas  I  le  Pin- 
dare  d'Henri  Estienne,  en  vieille  reliure,  bien  conservé.  » 

De  Gloria  (i^').  —  Le  sonnet  raconte  sommaire- 
ment l'épisode.  J'ajoute  les  lignes  suivantes,  de  M.  Valéry 
{Voyage  liistoriq.,  littér.  et  artistiq.  en  Italie),  qui  font  con- 
naître le  nom  du  coupable  :  Dans  la  Magliabecchina  se 
trouve  «  un  manuscrit  de  i  342,  du  vieux  maître  de  Pétrar- 
que, Convenevole  de  Prato  (Lalanne  dit  Convennole  da 
Prato),  que  l'indigence  rendit  infidèle,  qui  mit  en  gage  le 
traité  de  la  Gloire,  de  Cicéron,  que  son  élève  lui  avait 
prêté  et  qui  ne  s'est  point  retrouvé...  »  —  Pétrarque 
l'avait  reçu  en  présent  de  Raimondo  de  Soranzo. 

On  sait  qu'il  a  été  dit  que  le  médecin  Pietro  Alcyonio, 
sous  les  yeux  de  qui  le  joyau  était  tombé  (dans  la  biblio- 
thèque léguée  par  Giustiniani  à  un  monastère  de  reli- 
gieuses), avait  fait  dessus  main  basse  et  en  avait  pris 
les  plus  beaux  passages  pour  en  fabriquer  un  opuscule 
intitulé  de  Exilio.  Le  plagiaire  trouva  des  défenseurs... 
Mais  nous  n'avons  point  l'intention  d'aborder  ce  thème 
d'érudition  militante. 

Ciccron  avait  composé  ce  Traité  en  710,  à  6]  ans, 
dix-sept  mois  avant  sa  mort. 

Morts  et  Ressuscites  (16-17-18.) —  Ici,  trois  pha- 
ses bien  caractéristiques  du  Livre  :  Bibliothèques  brûlées. 


ET    ANECDOTES  ja^ 

—  textes  effacés,  —  papyrus  retrouvés.  Nous  laissons  de 
côté  les  volumes  quel'on  pourrait  écriresurces  trois  points. 
Notre  Bibliophiliana  donne  le  cri  d'Omar,  que  nous 
avons  maintenu  quoique  l'on  ait  essayé  de  prouver  que 
la  Bibliothèque  d'Alexandrie  n'a  point  été  brûlée.  Cela 
réduirait  à  néant  la  tradition  des  400,000  volumes  chauf- 
fant les  bains  de  la  ville  pendant  six  mois. 

(Voir  dans  les  Poésies  de  l'époque  des  Thang,  trad.  du 
chinois  par  le  marquis  d'Hervey-Saint-Denis,  la  légende 
de  la  «  Source  des  Immortels,  »  relative  à  l'incendie  des 
livres  ordonné  par  le  fameux  Thsin-Chi-Hoang-Ti,  l'an  2i'} 
avant  notre  ère.  —  Parcourir  également  l'opuscule  tou- 
chant intitulé  :  Thoma  Bartholini  de  Eibliothecce  incendia 
Dissertatio  (1709),  ainsi  que  la  Préface,  dans  laquelle 
André  Westphal  parle  des  bibliothèques  incendiées). 

Empruntons  encore  quelques  lignes  à  une  note  de 
M.  Patin  :  «  C'est  ainsi,  dit-il  du  célèbre  de  Thou,  qu'en 
racontant  les  massacres  d'Orléans,  cette  sanglante  imita- 
tion de  la  Saint-Barthélémy,  au  milieu  de  la  douleur  qui 
pénètre  son  âme  et  qui  se  répand  dans  son  langage,  il 
trouve  encore  des  regrets  pour  la  bibliothèque  d'un  savant, 
de  P.  de  Mondoré,  dispersée  et  détruite  dans  ces  jours 
de  désordre...  » 

En  contre-partie  de  ces  tableaux  de  destruction,  on  peut 
lire  ce  passage  d'une  lettre  de  P.-L.  Courier  à  M.  Chaban, 
au  sujet  du  transport  des  manuscrits  de  la  Badia  à  la  Bi- 
bliothèque de  Saint- Laurent  :  «  C'est  le  zèle  de  l'antiquité 
qui  m'engage,  Monsieur,  à  vous  présenter  cette  humble 
requête...  Songez  qu'avec  deux  lignes  vous  allez  conser- 
ver les  titres  de  noblesse  des  Grecs  et  des  Romains,  et 
vous  attirer  les  bénédictions  de  tout  ce  qu'il  y   aura  ja- 


\2Ù 


mais  d'antiquaires  et  d'érudits  dans  tous  les  siècles  des 
siècles.  » 

Pour  les  palimpsestes,  nous  citerons  seulement  le  traité 
de  Republicâ,  de  Cicéron,  que  Pétrarque  chercha  en  vain, 
et  «  que  l'abbé  Maï,  depuis  cardinal,  retrouva  dans  un 
manuscrit  de  l'Ambroisienne,  à  Milan,  sous  l'écriture  su" 
perposée  d'un  âge  de  décadence,  »  puis  le  manuscrit  du 
IV®  siècle,  découvert  par  Fréd.  Mone,  et  qui  a  fourni 
d'importants  fragments  pour  les  cinq  livres  (de  X  I  à  XV) 
de  Pline. 

Quant  aux  trouvailles  faites  à  Herculanum,  depuis  1713, 
nous  nous  bornerons  à  signaler  :  Philodème,  sur  la  Musique 
et  sur  la  Rhétorique;  Epicure,  sur  la  Nature;  Démétrius, 
sur  la  Géométrie  ;  Colotès,  sur  l'Isis  de  Platon  :  Polystrate, 
sur  la  Morale;  Chrysippe,  sur  la  Providence;  Thadrus, 
ami  de  Cicéron,  sur  la  nature  des  Dieux,  etc.  —  M.  de 
Pongerville,  en  tête  de  sa  traduction  en  vers  de  Lucrèce, 
a  donné  le  fac-similé  de  plusieurs  pages  d'Epicure. 

Ce  qu'ils  sont  devenus  (19).  —  Le  fait  est  des  plus 
authentiques.  Je  l'ai  su  par  un  ami  qui  venait  d'être  té- 
moin de  la  stupéfaction  du  mari.  Quel  retour  pour  le 
bibliophile  !  Ses  livres  —  et  comment  vendus  !  —  méta- 
morphosés en  robes  et  en  chiffons  !1... 

Un  Drame  (20-21-22-23),  —  Cet  épisode,  poignant, 
ne  demande  pas  un  long  commentaire.  —  11  pourrait  rap- 
peler le  pauvre  Lauwers,  «que,  dit  Mouravit,  la  mort  sur- 
prit (1829)  les  regards  fixés  sur  ses  collections  immenses, 
dont  il  n'avait  pas  voulu  ôter  le  plus  mince  volume  pour 
en  faire  l'échange  contre  une  dernière  bouchée  de  pain  !  » 

En  guise    d'annexé  ,    on   pourrait   également    signaler 


ET    ANECDOTES  }27 

quelques-uns  des  fervents  amateurs  qui  se  sont  tués  en 
tombant  de  leur  échelle.  Nommons  entre  autres  :  Le  P. 
Louis-Jacob  de  Saint-Charles,  Frédéric-Adolphe  Ebert, 
l'helléniste  Coray,  et  notre  contemporain  Don  Joachim 
Gomez  de  la  Cortina,  marquis  de  Morante.  Ajoutons 
Rover,  mort,  à  82  ans,  d'une  chute  faite  en  prenant  un 
de  ses  livres. 

Le  bon  temps  (24).  —  Dans  un  article  de  Revue, 
M.  Le  Roux  de  Lincy  a  publié  une  Notice  sur  les  livres  et 
les  estampes  de  A. -P. -M.  Gilbert  (né  le  8  novembre  lySf, 
mort  le  4  janvier  1848).  Nous  lui  empruntons  quelques 
lignes  : 

«  II  était  membre  de  plusieurs  Sociétés  savantes,  entre 
autres  de  la  Société  des  antiquaires  de  France...  Il  a 
exercé  pendant  longues  années  les  modestes  fonctions 
de  gardien  des  tours  de  Notre-Dame. . . 

«  Au  nombre  des  trouvailles  heureuses  de  feu  Gilbert, 
il  faut  compter  surtout  deux  plans  de  Paris  des  plus  ra- 
res :  d'abord  le  plan  dressé  en  1647  P^'"  l'ingénieur  du 
roi,  Jacques  Gomboust,  et  publié  en  i6f2.  Le  dernier 
exemplaire  de  ce  plan  avait  été  payé,  en  i8f2,  à  la  vente 
Walckenaer,  un  peu  plus  de  800  francs.  Gilbert  l'avait 
acheté  autrefois,  à  l'étalage  d'un  bouquiniste,  8  sous. 
Ensuite  le  plan  de  Paris,  en  quatre  feuilles,  exécuté  vers 
If 60,  et  attribué  à  Jacques  Androuet  du  Cerceau,  dont 
on  ne  connaît  qu'un  autre  exemplaire,  à  la  Bibliothèque 
de  l'Arsenal,  avait  coûté  à  Gilbert,  il  y  plus  de  trente  ans, 
10  sous.  Il  a  été  acquis  par  la  ville  pour  la  somme  de 
2,200  francs...  » 

Un  autre  exemplaire  se  trouvait  entre  les  mains  du 
libraire  Edwin  Tross,  et  vient  de  passer  à  la  vente  faite 


ja8 


après  son  décès;  il  a  été  acquis  par  M.  Jules  Cousin, 
bibliothécaire  du  Musée  municipal  de  l'hôtel  Carnavalet, 
pour  remplacer  celui  brûlé  par  la  Commune,  et  a  coûté 
cette  fois  à  la  ville  de  Paris,  3,000  fr.  sans  les  frais. 

Jules  Janin  nous  dira  ces  deux  autres  traits  : 

<f  Un  étalagiste  a  vendu  pour  i  sou  la  première  lettre 
d'Americ  Vespuce  à  Laurent  de  Médicis,  ornée  de  la 
planche  de  bois  représentant  au  sommet  des  sauvages 
nus,  et,  tout  au  bas,  l'arrivée  de  la  flotte  en  Amérique... 

«  Pour  6  sous  qui  lui  restaient,  Ch.  Nodier  achetait  le 
Songe  de  Polyphile,  imprimé  à  Venise  chez  les  Aide,  et  le 
revendait  cent  écus.  » 

Pour  notre  part,  nous  avons  trouvé  deux  fois,  à  30  et 
à  <;o  centimes,  le  petit  in-8°,  non  signé,  d'Alfred  de  Vigny, 
contenant  Héélena;  —  pour  30  centimes,  l'Eloge  de  la 
Folie,  avec  les  bois  d'après  Holbein,  —  et  quelques  au- 
tres. Mais  ce  temps  est  passé! 

Frontispice  (2f).  »  — Simple  appel.  C'est  toujours 
avec  plaisir  que  l'on  jette  son  cri  de  bibliophile  en  ou- 
vrant la  marche  devant  un  livre.  —  Nous  étions,  alors, 
entouré  d'un  groupe  de  jeunes  poètes  enthousiastes. 
Mais,  depuis,  une  lourde  masse  a  tombé  sur  le  groupe,  et 
sans  écraser  personne,  l'a  dispersé!!!... 

A, -M. -H.  BouLARD  (26-27)  —  Figure  des  plus 
caractéristiques  et  des  plus  originales.  Les  anecdotes 
abonderaient  à  propos  de  cet  amasseur  de  livres.  Beau- 
coup sont  connues.  Contentons-nous  de  dire,  d'après  le 
docteur  Descuret,  qu'à  sa  mort  (arrivée  le  6  mai  i82f) 
il  laissa  près  de  six  cent  mille  volumes.  Après  la  vente 
qui  en  fut  faite,  les  étalagistes  de  Paris  se  trouvèrent  tel- 


ET    ANECDOTES  JSÇ 

lement  encombrés,  que,  pendant  plusieurs  années ,  les  livres 
d'occasion,  et  même  certains  bons  livres  courants,  ne  se 
vendirent  plus  que  la  moitié  de  leur  valeur  habituelle.  — 
Disons  encore,  en  passant,  qu'il  avait  une  pièce  pleine  de 
livres  immoraux  et  obscènes,  dans  laquelle  on  n'entrait 
jamais.  Il  les  achetait  pour  les  brûler. 

Mary-Lafon  le  fait  mourir  d'une  fluxion  de  poitrine  qu'il 
gagna  à  descendre,  tout  en  sueur,  dans  sa  cave,  pour  y 
déposer  un  lot  de  livres  qu'il  venait  d'acheter. 

En  fait  de  collectionneur,  après  l'Antiquaire  de  Walter 
Scott,  on  pourrait  citer  Davalet,  «  cet  autre  entasseur 
furieux  qui,  certes,  n'y  allait  pas  de  main  morte,  puisqu'il 
était  parvenu  à  remplir,  sans  ordre  et  sans  distinction 
d'objets,  une  caserne,  depuis  la  cave  jusqu'au  grenier.  »> 

Mais  Ruhier,  mort  il  y  a  quelques  années,  ne  lui  cédait 
en  rien.  11  avait  loué,  près  des  fortifications,  les  vastes 
combles  d'un  magasin  de  fourrages,  —  l'idée  du  feu  ne 
lui  était  pas  venue  !  —  et  il  y  entassait  tableaux,  défro- 
ques, porcelaines,  gravures  et  livres.  Il  ramassa  ainsi  plus 
de  quinze  mille  volumes.  «  Une  singularité  relative  à  ces 
livres,  c'est  que  l'humidité  en  ayant  détrempé  les  couver- 
tures, le  parquet  était  dissimulé  sous  une  sorte  de  bouillie 
rougeâtre  de  plusieurs  centimètres  d'épaisseur,  dans  la- 
quelle on  enfonçait  comme  dans  une  purée  épaisse  de 
détritus  de  reliures  et  de  cartonnages...  »  Il  disait  que  le 
vin  est  «  superflu,  »  ne  possédait  aucun  meuble  autour  de 
son  grabat,  et  mourut  de  privations  et  de  froid  au  milieu 
des  «  chers  et  muets  témoins  de  ses  joies  discrètes.  » 

Un  rachat.  (28). —  Là,  le  sonnet  a  demandé  la  parole 
pour  un  fait  personnel. 
Fouillis  (29).  —  Devant   cette  fantaisie,   il  ne  man- 

42 


ÎÎO 


querait  plus  que  de  ranimer  tous  ces  esprits  divers,  et  de 
leur  faire  danser  une  immense  farandole. 

A  UN  AMI  DES  LIVRES  (^o).  —  Epigramme  typique, 
et  non  individuelle. 

Accès  de  typographie  (31).  —  Que  tous  mes  amis, 
auteurs  d'excellents  sonnets  à  deux  pages,  me  pardonnent! 
Moi,  j'aime,  d'un  coup  d'oeil,  saisir  cette  pièce  en  son 
entier. 

Entrée  d'assaut  (32).  —  Un  des  mille  petits  tours  de 
force  auxquels  nous  nous  sommes  livrés,  les  uns  ou  les 
autres. 

Mélancolie  de  bibliophile  (33).  —  Encore  une 
fantaisie,  mais  triste.  Rapprochez  de  ce  sonnet  celui  intitulé 
une  Chrysalide  (page  97). 

Magliabecchi  (34-35').  —  Seconde  étude  dans  le 
genre  de  celle  sur  Boulard.  Nous  n'exhumerons  pas  non 
plus  les  anecdotes  au  sujet  de  cet  homme,  qui  vécut  au 
milieu  de  ses  livres.  Il  est,  mais  en  bonne  part,  un  de  ceux 
qu'on  a  appelés  helluones  librorum.  —  A  propos  de  ce  so- 
briquet, lisez  dans  Bayle  :  a  M.  Claude  conseilla  un  jour 
à  un  sçavant,  qui  avoit  lu  prodigieusement,  d'être  trois  ou 
quatre  années  sans  lire,  et  sans  faire  autre  chose  que  mé- 
diter. C'est  comme  s'il  lui  avait  dit  :  «  Vous  avez  assez 
"  mangé;  digérez  présentement.  »  Ceux  qu'on  nomme 
helluones  librorum  ont  besoin  de  cet  avis.  » 

Ce  sobriquet  vient  de  Cicéron,  qui,  en  parlant  de 
Caton  {de  Finibus,  etc.,  lib.  III,  7),  dit  :  «  C'est  dans  ce 
moment  de  loisir  et  parmi  tous  ces  volumes  qu'il  parais- 
sait affamé  de  livres,  helluo  librorum...  » 


ET    ANEC  DOTES  )]I 

Coup  de  vent  (36).  —  Catastrophe  dont  nous  re- 
cueillons tous  les  jours  des  lambeaux,  lambeaux  dont  nous 
reconstruisons  tous  les  jours  notre  monument,  monu- 
ment dont  à  son  tour  notre  mort  dispersera  les  pierres  !  !  . . 

Dante  (37).  —  Ce  sonnet  a  été  mis  en  tête  de  notre 
traduction  des  Rimes  de  Dante  (Sonnets,  Canzones,  Balla- 
des, Sextines),  la  première  complète  qui  ait  été  entre- 
prise. —  Elle  est,  à  ce  point  de  vue,  au  même  rang  que 
notre  traduction  des  Noei  Borguignon  de  Bernard  de 
La  Monnoye.  —  C'est  tout  ce  que  nous  voulons  en  dire. 

Raffinement  (38).  —  Une  des  mille  nuances  de  no- 
tre douce...  et  impérieuse  passion.  L'explique  qui  pourra; 
mais  il  paraît  que  pour  certains,  ce  n'est  point  assez  de 
la  joie  de  trouver  une  fois. 

L'aubaine  (39).  — A  côté  de  ce  récit,  d'apparence 
légendaire,  on  pourrait  narrer  des  faits  où  figureraient 
tel  et  tel  volume  jouant  le  rôle  de  coffre-fort.  Il  suffira 
de  rappeler  le  Plutarque  de  l'étudiant. 

Dans  un  de  ces  moments  de  gêne  si  fréquents  chez  la 
jeunesse  folâtre,  un  élève  en  droit  met  sous  son  bras  un 
Plutarque  envoyé  par  son  père,  et  va  l'offrir  à  un  mar- 
chand de  vieux  livres.  Prix  proposé,  prix  accepté; 
l'homme  garde  le  livre,  et  l'étudiant  rentre  avec  sa  som- 
me, qu'il  se  hâte  d'entamer.  Le  lendemain,  de  bonne 
heure,  on  frappe  à  la  porte.  C'est  son  acheteur  de  la 
veille  :  «  Monsieur,  lui  dit-il,  je  vous  rapporte  votre  vo- 
lume. »  —  Pourquoi  cela  ?  »  —  «Je  ne  peux  pas  le  garder.» 
—  «  Mais...  »  —  «  Voyez  plutôt.  »  Et,  d'un  doigt  exercé, 
il  fait  défiler  les  feuillets  sous  les  yeux  du  jeune  homme... 


n» 


ébahi.  Au  commencement  de  chaque  biographie  se  pré- 
lassait un  billet  de  banque...  Et  l'étudiant,  peu  studieux, 
point  du  tout  liseur,  n'en  savait  rien!  Cependant  son 
père  lui  avait  dit  :  «  Je  t'envoie  un  Tlutarque.  C'est  une 
'ecture  substantielle.  Ne  l'oublie  pas,  et  feuillette-le  sou- 
vent. »  Le  fils  n'avait  pas  compris...  11  lui  a  fallu  un  hon- 
nête bouquiniste  pour  lui  révéler  cette  petite  fortune. 
(iM.  A.  de  Fontaine  de  Resbecq  conte  autrement  cette 
anecdote  dans  la  Lettre  XV  de  ses  Voyages  littéraires.) 

Rattachons  à  ce  sujet  «  ce  Volume  de  billets  de  banque^ 
dit  M,  de  Lescure  (les  /autographes),  intercalés  entre  cha- 
que feuillet,  imprimé  et  offert,  dit-on,  à  M*"^  du  Cayla, 
par  la  galanterie  de  Louis  XVIII,...  »  —  ainsi  que  la  Bible 
léguée  à  M'^*  Mars  par  M.  de  Chalabre  (encore  un  biblio- 
phile!) qui  en  avait  couvert  2f  gravures  avec  des  billets 
de  1 ,000  francs. 

Un  vieil  avare,  marchand  de  chiffons,  vient  de  mourir 
en  laissant  près  de  400,000  francs  chez  lui,  sous  diverses 
formes,  entre  autres  12  billets  de  1,000  dans  une  vieille 
Bible. 

Savantasse  (40).  —  D'après  nature...  et  rien  de 
plus.  J.-L.  Guez  de  Balzac,  dans  son  Socrate  chrétien,  a 
dit:  «  J'ai  pitié  d'un  homme  qui  fait  de  si  grandes  diffé- 
rences entre  pas  et  point,  qui  traite  l'affaire  des  gérondifs 
et  des  participes  comme  si  c'était  celle  de  deux  peuples 
voisins  l'un  de  l'autre  et  jaloux  de  leurs  frontières...  » 

Ophtalmie  (41).  —  Quelle  douleur  1  Ne  plus  pouvoir 
contempler  ses  livres!  Plusieurs  l'ont  eue.  —  D'autres, 
qui  les  voyaient,  ne  pouvaient  plus  s'en  servir. 

Albert  de  la  Fizelière  dit  de  Jules  Janin  :  «  ...  Il  lui  était 


ET    ANECDOTES  J  }} 

également  interdit  de  lire.  Concevez-vous  les  déchire- 
ments d'un  pareil  supplice?  11  se  voyait  entouré  des  plus 
beaux  livres  qu'on  puisse  rêver;  ses  chers  auteurs,  —  son 
amour  et  sa  fortune,  —  ruisselaient  devant  ses  yeux,  sous 
leur  parure  d'or  et  de  maroquin  et,  nouveau  Tantale, 
enchaîné  par  l'ankylose,  il  étendait  vainement  vers  eux  ses 
mains  frémissantes.  » 

Lequel  est  le  plus  terrible? 

Citons  encore  M.  H.,  en  laissant  parler  M.  Fontaine  de 
Resbecq  :  c  Devenu  aveugle,  ce  courageux  bibliophile 
se  faisait  conduire  par  son  domestique  sur  le  quai  Vol- 
taire;... on  l'approchait  des  boîtes.  Il  passait  alors  légè- 
rement les  mains  sur  les  livres,...  puis,  saisissant  quelque 
mince  volume:  «  N'est-ce  pas  de  chez  Barbin?...  »  Il  se 
trompait  souvent,  mais  il  lui  est  arrivé  plus  d'une  fois  de 
deviner  juste.  » 

Une  fin  (42).  —  C'est  triste  à  dire!  Mais,  jeune  éco- 
lier, avec  un  de  mes  condisciples,  chez  un  grand  épicier 
qui  en  empilait  toujours  des  montagnes,  combien  de  livres 
n*ai-je  pas  brisé  pour  en  avoir  les  images.!...  C'était  sin- 
gulièrement débuter.  Par  bonheur  que  j'ai  mieux  conti- 
nué... Oh!  les  vocations!!.. .  (Voir  p). 

Autographe...  et  calligraphe  (4'î)-  —  Tout  le 
commentaire  est  contenu  dans  le  sonnet. 

Dernière  ressource  (44).  —  Qui  ne  dirait  vingt 
fois  pour  une:  «  Vends  mon  livre,  brave  garçon,...  et 
dine!  » 

Une  perte  (4^).  —  Cette  perte,  exactement  narrée, 
est  celle  du  texte  latin  du  Voyage  dans  la  vieille  France,  de 


334 


Jodocus  Sincerus  (Juste  de  Zinzerling).  Que  ce  pauvre 
Thaïes  Bernard  l'a  donc  regretté!... 

Tu  QUOQUE?...  (46).  —  La  vente  du  livre  considérée 
à  un  autre  point  de  vue  qu'au  sonnet  44. 

A  UN  BIBLIOGRAPHE  (47).  —  U  ne  nous  semble  pas 
malséant  de  réclamer  la  bienveillance  pour  les  jeunes. 
Certains  les  trouvent  gênants-..  Et  pourtant  si  on  ne  les 
avait  point  aidés,  eux!... 

Averse  (48).  —  C'est  un  peu  de  tout  qu'on  découvre 
au  fond  des  livres,  mais  le  tabac  domine.  La  statistique 
ad  hoc  montrerait  les  priseurs  en  majorité.  —  Après  le 
tabac,  viennent  les  miettes  de  pain,  la  farine,  les  fleurs 
séchées,  etc.,  etc.,  sans  compter  les  billets  intimes...  et 
quelquefois  les  lettres  non  ouvertes  qui  recommandaient  le 
volume  à  la  bienveillance  d'un  critique! 

Une  supplique  (49). —  Je  l'ai  eue  entre  les  mains,  cette 
lettre.  Elle  valait  la  peine  d'être  étudiée,  et  j'ai  été  remué 
par  la  rare  honnêteté  et  le  ton  discret  du  demandeur. 

Habent  sua  fata  LiBELLi  (fo-fi).  —  Ccux  qui 
aiment  le  Livre  comprendront  ces  deux  sonnets.  Ils  sen- 
tiront ce  qu'ils  renferment  de  joies  et  de  tortures.  Je 
rappellerai  seulement  ici  :  le  savant  Brunck,  qui  pleurait 
ses  livres  vendus;  —  l'excellent  abbé  Goujet,  mort  de 
douleur  d'avoir  été  obligé  de  mettre  sa  bibliothèque  en 
vente;  —  Jacq.  Gopile,  médecin  du  xvi^  siècle,  égale- 
ment mort  de  douleur  du  pillage  de  sa  bibliothèque. 

Pendant  les  fêtes  de  vendom  e  (p).  — Acclamation 


ET    AN  ECDOTES  J  ]  $ 

d'un  réveil  attendu...  et  mérité.  —  C'est  aux  publications 
de  M.  Prosper  Blanchemain  qu'il  faut  demander  les  ren- 
seignements, documents  nouveaux  et  anecdotes  concer- 
nant le  chef  de  la  Pléiade,  «  l'Apollon  de  la  source  des 
Muses.  » 

A  propos  de  Ronsard,  un  aveu,  l'aveu  d'un  méfait  dont 
je  demande  pardon  à  tous  les  bibliophiles.  J'étais  jeune 
collégien.  Je  n'aimais  encore  que  les  images.  Un  jour,  je 
rencontre  le  vieux  père  J...,  promenant  sa  voiture  de 
bouquins.  J'en  avise  un  énorme.  C'était  le  Ronsard  in-f°. 
Je  fais  arrêter  le  marchand,  et  je  feuillette  le  tome  :  — 
«  Me  vendriez-vous  les  gravures  seules?  »  —  «  Tout  de 
même.  »  Et,  prix  fait,  le  voilà  qui  m'ouvre  le  majestueux 
volume  et,  en  m'aidant,  m'en  laisse  arracher  les  portraits, 
de  délicieux  portraits  de  Thomas  de  Leu!  —  Mais,  voyez 
la  punition  :  depuis  que  j'ai  quitté  la  Bourgogne  pour 
venir  à  Paris,  je  n'ai  plus  vestiges  de  ces  fines  estampes... 
Quel  accident  les  a  détournées  de  moi  ?  (Voir  42). 

Les  deux  volumes  (n)-  —  Tout  simplement  imaginé 
pour  couler  un  Apologue  spécial  dans  le  moule  si  at- 
trayant du  Sonnet. 

A  mes  livres  (sA'SS)-  —  Faible  écho  des  transes 
éprouvées  pendant  la  terrible  année  des  obus  et  des 
bombes. 

Moutons  de  panurge  (f6).  —  Pourrait  se  joindre 
aux  deux  précédents.  —  Une  rectification.  Ce  sonnet 
devrait  avoir  pour  titre  :  Bouquins  de  Panurge. 

Un  repas  (f7).  —  Combien  ont  mis,  et  plus  d'une 
fois,  le  prix  de  leur  dîner  dans  un  livre  1  Je  ne  sais  point 


n' 


de  volupté  plus  intense   que  celle  de  mater  la  faim   du 
corps  en  satisfaisant  la  faim  de  l'esprit. 

Signalons,  sans  entrer  dans  les  détails,  Georges  Ste- 
phenson,  se  faisant  ouvrier  cordonnier,  afin  de  pouvoir 
s'acheter  des  livres  et,  plus  tard,  donner  de  l'instruction  à 
son  fils,  —  qui  fut  le  célèbre  Robert  Stephenson,  enterré 
aujourd'hui  à  Westminster,  à  côté  des  rois  d'Angleterre. 

"  On  ne  travaille  bien,  dit  Deschanel,  qu'avec  ses  livres 
à  soi.  Un  pauvre  homme  dépensait  en  livres  le  prix  de 
son  dîner:  —  «Mais,  lui  dit  quelqu'un,  si  vous  lisiez  ces 
livres  à  la  Bibliothèque?  »  —  «  Je  ne  peux  lire,  répondit-il, 
que  les  livres  que  j'ai  achetés.  » 

Larcher,  voyant  son  collègue  Langlès  lui  offrir  de  lui 
prêter  un  livre  dont  il  avait  grand  besoin  pour  sa  traduc- 
tion d'Hérodote,  le  remercia  froidement,  disant  qu'il  n'a- 
vait pas  l'habitude  de  travailler  avec  les  livres  qui  ne  lui 
appartenaient  pas. 

On  peut  rappeler  le  pauvre  Gaulieur,  «  sobre  comme 
un  ascète,...  économisant  sou  par  sou  sur  un  maigre  trai  - 
tement...  pour  pouvoir  venir  de  temps  en  temps,  avec  un 
petit  sac  d'écus,  à  la  chasse  des  livres  rares...  »  {L'Evéne- 
ment, 26  avril  1866.) 

Ne  quittons  pas  l'amour  du  Livre  sans  réunir  un  trio 
d'opinions,  qui  ne  manquera  pas  de  piquant.  —  Isidore, 
paraphrasé  par  DomM.Jamin,  commence  par  dire  :  «  Un 
lecteur  qui  lit  sans  penser  à  ce  qu'il  lit  est  un  homme  qui 
n'a  point  d'âme,  ou  qui  oublie  qu'il  en  a  une.  C'est  l'at- 
tention qui  donne  la  vie  à  la  lecture  :  sans  elle,  elle  n'est 
qu'une  fonction  de  l'animal,  qui  laisse  le  lecteur  dans 
l'ignorance.  »  —  Maintenant,  écoutez  ces  deux  passages, 
assez  différents  et  où   les  auteurs  ne  se  privent  pas  de 


£T    ANECDOTES  3J7 


jouer  sur  les  mots.  Alain  dit  des  clercs  dissipés  :  «  Potius 
dediti  gula  quant  glossœ  ;  potius  colligunt  libras  quàm  legunt 
libros;  libentius  intuentur  Martham  quàm  Marcum  ;  ?nalunt 
légère  inSalmone  quàm  inSalomone...  »  —  Mais  tous  ne  méri- 
tent pas  ces  reproches-  Philippe  Harveng,  abbé  de  Bonne- 
Espérance,  dit  des  écoliers  studieux:  <f  ...  Qui  plus  amant 
scolas  quàm  7iundinas,  exarant  codices  quàm  calices,  scientiam 
quàm  pecuniam...   » 

La  tournée  (fS-fç).  —  Les  bouquineurs,  à  la  res- 
cousse! —  Tous  se  reconnaîtront  dans  ces  deux  pages. 

Un  petit  tableau  à  l'appui.  Il  est  de  Jean-Victor  Rossi 
(Janus  Nicius  Erythraus)  racontant  au  Nonce  (à  Cologne) 
Fabio  Chigi  «  le  zèle,  l'ardeur,  les  ruses  de  Gabriel  Naudé, 
—  grand  ramassier,  dit  G.  Brunet,  —  pour  se  procurer, 
dans  un  voyage  qu'il  fit  à  Rome  en  1647,  des  livres  pré- 
cieux et  à  très-bas  prix.  » 

Voici  le  fragment  : 

<c  cAt  velles  hominem,  ex  tabernis  bibliopolarum  exeuntem, 
aspicere,  risum  profecto  tenere  non  passes;  ita  exit,  capite, 
barbâ,  vestibus,  telis  aranearum  atque  erudito  illo  pulvere,  qui 
libris  adhaserat,  plenus,  ut  ad  eum  depellendum,  nulla  satis 
videantur  esse  excutice,  nulli  peniculi...  (Mais,  si  vous  voulez 
contempler  l'homme,  sortant  des  boutiques  des  libraires, 
vous  ne  pourrez  vous  empêcher  de  rire  :  il  en  sort,  la 
tête,  la  barbe,  les  vêtements  tellement  remplis  de  toiles 
d'araignées,  tellement  couvert  de  la  docte  poussière  qui 
adhérait  aux  livres,  que,  pour  l'épousseter,  il  n'y  aurait 
jamais  assez  de  brosses,  assez  de  plumeaux...) 

Que  d'ardents  et  infatigables  chasseurs  du  Livre  on 
pourrait  mentionner  avant  de  clore  cette  note!  Nous  nous 

4} 


3J8 


contenterons  d'emprunter  quelques  lignes  à  Petit-Radel  : 
<<  Il  est  continuellement  parlé  de  livres  dans  les  lettres 
de  Gerbert,  et  des  sommes  d'argent  qu'il  employait,  étant 
pape,  à  en  faire  rechercher  dans  toute  l'Italie,  l'Allemagne 
et  la  Belgique.  Il  insiste,  dans  sa  correspondance  avec 
quelques  savans,  sur  la  nécessité  de  s'appliquer  surtout  à 
la  correction  du  texte  de  Pline;  et,  pour  se  procurer 
l'Achilléide  de  Stace,  il  promet  en  échange  une  sphère 
céleste  en  bois,  recouverte  d'une  peau  de  cheval.  »  (Re- 
cherches sur  les  Bibliothèques  anciennes  et  modernes.) 

Le  dernier  (6o).  —  A  joindre  encore  à  f4-f5'.  Il  y 
a,  là,  l'expression  d'une  tristesse  d'un  genre  particulier. 

Le  coin  du  feu  (6i),  —  Tableau  de  famille,  que 
l'amour  du  Livre  éclaire  de  son  doux  rayon. 

Le  fil  du  labyrinthe  (62).  —  Hommage  au  plus 
pénétrant  de  nos  critiques,  après  lecture,  surtout,  des 
Portraits  littéraires. 

Un  navigateur  (63).  —  Sous  la  dédicace  de  ce 
sonnet  reste  voilé  un  érudit...  qui  n'a  point  voulu  faire 
de  bruit  dans  les  lettres. 

Son  «  eurêka!  »  (64).  —  Explosion  de  joie  qui  suit 
la  trouvaille.  Si  l'on  voulait  noter  ces  élans  d'une  manière 
précise,  on  toucherait  bien  à  quelques  grains  de  folie.... 
mais  si  douce  et  si  innocente  ! 

Ecoutez  Alexandre  Dumas  (préface  des  Mariages  du  père 
Olifus)  :  «  Esprit  changeant,  capricieux,  amoureux  d'un 
livre  comme  un  roué  du  temps  de  la  Régence  était  amou- 
reux d'une  femme,  pour  l'avoir;  puis,  quand  il  l'a,  fidèle 


ET   ANECDOTES  j  }9 

un  mois,  non  pas  fidèle,  enthousiaste,  le  portant  sur  lui 
et  arrêtant  ses  amis  pour  le  leur  montrer,  le  mettant  sous 
son  oreiller  le  soir,  et  se  réveillant  la  nuit,  rallumant  sa 
bougie  pour  le  regarder,  mais  ne  le  lisant  jamais.  » 

A  Shakespeare  (6f).  —  Chacun  sait  que  ce  nom  a 
été  orthographié  de  plus  de  vingt  façons  différentes. 

Dans  son  numéro  du  ii  août  1874,  le  Figaro  imprime 
ceci  : 

«  Une  chose  assez  drôle  :  le  dernier  numéro  d'une 
revue  anglaise,  le  Fraser's  Magazine,  demande  sérieuse- 
ment de  qui  sont  les  œuvres  de  Shakespeare  > 

«  L'auteur  de  cet  article  réunit  différents  arguments 
qui  permettent  d'attribuer  à  lord  Bacon  la  paternité  de 
toutes  ces  œuvres  immortelles.  —  Lord  Palmerston  était 
au  nombre  des  adeptes  de  la  théorie  baconienne. 

«  D'autres  prétendent  que  Bacon  n'était  que  le  colla- 
borateur (mais  le  principal)  d'une  société  d'esprits  d'élite 
dont  sire  Walter  Raleigh  faisait  partie  ;  mais  tous  s'ac- 
cordent à  croire  que  parmi  eux  se  trouvait  un  nommé 
Shakespeare,  sorte  de  factotum,  moitié  comédien,  moitié 
poète,  à  qui  l'on  permettait  de  signer  ces  pièces. 

«  Renvoyé  à  l'Académie  française...  d'Angleterre.  »  — 
(Voir  111.) 

Assez  longtemps  avant  cette  note,  L.  Lalanne  avait  dit: 
«  On  a  conservé  un  curieux  passage  d'un  certain  Robert 
Greene,  qui,  auteur  dramatique  lui-même,  se  plaint  des 
plagiats  continuels  du  grand  poète,  à  peine  connu;  il 
l'appelle  un  Jean-Factotu?n,  et  lui  reproche  de  s'approprier 
les  compositions  dramatiques  de  Marlowe,  Lodge  et 
Peele,  compositions  auxquelles  Shakespeare  mettait  son 
nom.  » 


340 


En  omnibus  (66).  —  Episode  vrai.  Les  jolies  et  ba- 
nales pécheresses  n'ont  rien  à  démêler  avec  notre  noble 
passion.  —  M'""  de  Pompadour,  pourtant,  figure  parmi  les 
femmes-bibliophiles. 

Puisque  ce  mot  vient  de  s'écrire,  nommons  quelques- 
unes  de  ces  dernières: 

Aiguillon  (duchesse  d'); 
Albany  (Caroline^  comtesse  d'j; 
Anne  d'Autriche,  reine  de  France; 
Anne  de  Bretagne; 
Anne  de   Lorraine; 

Artois  (Marie-Thérèse  de  Savoie,  comtesse  d'); 
Berry  (Caroline  de  Naples,  duchesse  de); 
Bourbon  (Louise -Adélaïde  duchesse  de); 
Catherine  de  Médicis; 
Catherine   II,  impératrice  de  Russie; 
Cha  M  illard  (M°"  de); 
Christine,   reine  de  Suède  ; 
Condé  (princesse  de); 
CuRRER  (miss  Richardson); 
D  acier  (M"""  Anne  LeFèvre,  femme  de  André); 
Delessert  (M""  Benjamin); 
Devonshire  (duchesse  de);  * 

Diane  de  France  ; 
Diane  de  Poitiers; 
Dos  ne  (M"'i; 

Du  Barry  (Jeanne  Vaubernier,  comtesse); 
Elisabeth,   reine  d'Angleterre  ; 
EoN  (Ciiarlotte-Geneviève-Thimothée,  chevalière  d'); 
Fenwick  (M"),  fille  de  sir  Thomas   Pliilipps,  le  célèbre    collec- 
tionneur de  Manuscrits; 
Grammont,  née  Choiseul  (duchesse  de); 
Isa  beau  de  Bavière  ; 
Jeanne  Cray  ; 


ET    ANECDOTES  J4I 

Jeanne  de  Naples; 

La  Va ll  1ère  (iM"*  de); 

Lamballe  (princesse  de); 

Lesdiguières  (Paule  de  Gondi,  duchesse  de); 

Maine  (Anne-Louise  de  Bourbon,  duchesse  du); 

Maintenon  (M""  Françoise  d'Aubigné,  marquise  de); 

Marguerite  d'Autriche; 

Marguerite  de  France,  reine  Margot; 

Marguerite  de  Valois,  reine  de  Navarre; 

Mar ie-Antoi NETTE  d'Autriche,  reine  de  France; 

Marie  d'Aspremont,  duchesse  de  Lorraine; 

Marie  de  Médicis,  reine  de  France; 

Marie- Josèphe  de  Saxe; 

Marie  Leczinska,  reine  de  Fiance  ; 

Mars  (M"'); 

MoNTESPAN  (marquise  de); 

MoNTESSON  (marquise  de); 

Montmorency-Luxembourg  (duchesse  de); 

Montpensier  (duchesse  de); 

MoucHY  (duchesse  de); 

No  AILLES  (vicomtesse  de)  ; 

Orléans  (princesses  d'); 

PoMPADOUR  (Antoinette  Poisson,   marquise  de); 

Rachel  (M"'); 

Raguse  (duchesse  de); 

Savoie  (Marie-Adélaïde  de),  duchesse  de  Bourgogne; 

SoLAR  (comtesse  Cla.-Casalgrasso); 

Thou  (Marie  de  Barbançon-Cany,  femme  de  J.-Aug.  de); 

Vassé  (marquise  de); 

Vaudemont  (Louise  de),  femme  de  Henri  III; 

Verrue  (Jeanne  d'Albert  de  Luynes,  comtesse  de); 

Waddington  (marquise  Mariana-Florenzi); 

Wiborade  (sainte); 

Yves  (comtesse  d'). 

Guide  inspiré  (67).  —  A  l'éditeur,  artiste  et  désin- 


143 


téressé,  à  qui  l'on  doit  quelques-uns  des  plus  beaux  livres 
de  la  librairie  moderne.  Ecrit  en  recevant  de  lui  •.  Dresde, 
Montpellier,  18^8,  et  Dresde,  Paris,  Montpellier,  1860.  — 
Ces  albums  reproduisent  les  principaux  tableaux  des 
Musées  des  villes  mentionnées  aux  titres,  et  chaque  re- 
production est  accompagnée  d'une  pièce  de  vers  de 
L.  Curmer,  qui  avait  pris  pour  devise  :  L'or  rien  ne  me 
cure. 

Un  bon  marché  (68).  —  Navrant.  Pris  sur  nature. 
Rapprocher  ce  sonnet  de  notre  nouvelle  le  Trésor  du 
Bibliophile  défunt  {Fantaisies  d'un  Bibliomané). 

Un  savant  (69).  —  Coup  d'œil  comique  jeté  sur  un 
maniaque,  et  dans  lequel  on  peut  voir  à  peu  près  tous  les 
passionnés  excessifs  de  la  claustration  bibliophilesque. 
Lisez  dans  la  Médecine  des  Passions,  de  Descuret,  chapitre 
Manie  de  l'Etude,  l'exemple  de  Mentelli,  conté  avec  beau- 
coup de  détails. 

Un  autre  chercheur,  plus  que  patient,  a  travaillé  huit 
heures  par  jour,  pendant  trois  ans  consécutifs,  pournous 
apprendre  que  la  Bible  contient  : 

66     livres, 
1,189     chapitres, 
31,17]     versets, 
773,6^6     mots, 
3,  f  66,^60     lettres, 

6,2)<{^     fois  le  nom  de  Jéhova, 
46,227       «    la  particule  et. 
Peignot  a  calcule  que  Voltaire,  pour  l'ensemble  de  ses 
œuvres,  a  tracé  à   peu   près   33,000,000   de   caractères 
alphabétiques. 


ET    ANECDOTES 


34Î 


AuTO-DA-FÉ  (70-71).  —  On  a,  dans  ces  deux  son- 
nets, la  description  minutieusement  exacte  de  la  céré- 
monie qui  se  renouvela  tant  de  fois,  brûla  tant  de  livres... 
et  en  détruisit  si  peu.  Les  Méditatiom  de  Descartes,  le 
Dictionnaire  de  Bayle,  la  Cité  du  Soleil  de  Campanella,  la 
Sagesse  de  Charon,  les  Provinciales  de  Pascal,  VEsprit 
d'Helvétius,  et  des  centaines  dont  nous  supprimons  la 
liste,  y  ont  passé...  et  n'en  sont  point  morts! 

Ajoutons  ce  passage  que  nous  trouvons  après  coup  : 
«  ...  Rousseau  éditait  son  Emile,  Diderot  l'Encyclo- 
pédie, Voltaire  son  Dictionnaire  philosophique,  ses  Lettres 
sur  les  Anglais,  brûlées  stupidement  sur  arrêt  du  Parle- 
ment de  Paris  par  la  main  du  bourreau,  comme  si  l'on 
brûlait  la  pensée?  Du  bûcher  où  le  juge  la  fait  monter, 
elle  se  transforme  en  millier  d'étincelles  qui  lui  sautent 
au  visage  et,  s'élevant  dans  l'espace,  illuminent  à  jamais 
d'une  immense  lueur  le  ciel  de  l'intelligence.  » 

(H.  Bosselé  T.  —  Etude  sur  les  OEuvres  posthumes  de 
J.  Michelet.  —  Opinion  nationale  du  14  janvier 
1876.) 

A  PÉTRARQUE  (72).  —  Ici  l'ou  ne  gronde  plus  l'au- 
teur des  doux  sonnets  à  Laure  (Voir  if);  on  l'acclame,  au 
contraire.  La  pièce  est  dédiée  à  l'organisateur  même  des 
belles  fêtes  du  V^  centenaire. 

Reste  de  lui  (7]).  —  Encore  une  étude  d'après 
nature.  J'aime  ce  père  illettré,  plein  de  l'image  qu'il 
retrouve  dans  les  livres  de  son  cher  fils. 

Distinguons  (74).  —  A  plus  d'un  peut  s'adresser 
ce  croquis,  pris  sur  le  vif.  —  La  mémoire  ne  fait  pas  le 


)44 


savant,  mais  le  savant  est  loin  d'être  réfractaire  à  la  mé- 
moire :  Hugues  Doneau,  jurisconsulte  de  Chalon-sur- 
Saône,  au  xvr  siècle,  savait  par  cœur  tout  le  corps  du 
Droit;  —  Joseph  Scaliger  apprit  en  vingt  et  un  jours 
l'Iliade  et  YOdyssée;  —  Chrétien  Chemnitius  savait  si  bien 
la  Bible,  qu'il  citait  le  chapitre  ou  le  verset  où  se  trouvait 
le  passage  ou  le  nom  propre  qu'on  lui  proposait;  —  un 
Toscan  savait  toute  VEnéide ;  —  Nicolas  Bourbon  récitait 
{'Histoire  de  M.  de  Thou  et  les  £/o^w  de  Paul  Jove;  — 
un  autre  savait  par  cœur  tout  le  texte  grec  à'Aris- 
tote,  etc.,  etc. 

Fureur  (yf).  —  Qui  n'a  jeté  ce  cri,  ou  un  cri  ana- 
logue... en  augmentant  toujours,  toujours  ses  tas,  ses 
rayons  et  ses  piles  > 

Désespoir  (76).  —  On  sent,  là,  le  point  extrême  de 
la  douleur. 

Nous  avons  déjà  mentionné  plusieurs  de  ceux  que  l'on 
peut  appeler  les  bibliophiles  mar-tyrs.  Nommons  encore  : 

Mœris  Storer,  poète  latin  anglais,  mort  de  consomption 
en  1799; 

J.  Quin,  bibliophile  irlandais,  qui  s'est  tué  en  1809; 

Van  Hulthem,  qui,  pour  éviter  la  poussière  et  la  fumée 
à  ses  livres,  n'a  jamais  voulu  de  feu  dans  sa  chambre.  Par 
le  rude  hiver  de  i82f,  il  revenait  du  fond  de  la  Hollande, 
ayant  oublié  son  manteau  et  tenant  sur  ses  genoux  deux 
magnifiques  volumes  qu'il  n'avait  point  voulu  confiera 
ses  malles. 

Puis,  pour  finir,  ce  fantastique  marquis  de  Chalabre. 
Faut-il  prendre  au  sérieux  l'anecdote  où  Alex.  Dumas 
nous  le  montre  (préface  des   Mariages   du  père  Olifus) 


ET    ANECDOTES  J45 

mourant  de  désespoir  de  ne  pouvoir  trouver  la  fameuse 
Bible,  qu'en  un  moment  d'humour  avait  inventée  Ch. 
Nodier  ? 

A  plusieurs  de  ceux-là  on  pourrait,  pour  les  consoler, 
répéter  la  superbe  prière  de  Jean  Reynaud  (Terre  et  Ciel)  : 
<(  Accordez-nous,  mon  Dieu,  de  reprendre,  dans  le  nou- 
vel asile  oij  vous  nous  transportez,  la  suite  de  nos  travaux 
interrompus  dans  celui-ci!  » 

Le  tas  (77).  —  On  se  plaint  que,  sauf  deux  ou  trois 
belles  exceptions,  la  critique  n'existe  plus.  Le  fait  qui 
suit  ne  viendrait-il  pas  à  l'appui  de  cette  plainte?  C'est 
par  brassées  qu'on  trouve,  sur  les  quais  et  les  planches 
des  bouquinistes,  des  volumes  venant  de  chez  divers  bi- 
bliographes, et  dont  le  couteau  n'a  pas  ouvert  une  seule 
feuille...  11  est  vrai  que,  parfois,  certains  amis  vous  traitent 
de  mêmel 

«  Revenu  des  erreurs  de  ce  monde,  dit  Décembre- 
Alonnier,  nous  avons  reconnu  que  cet  usage  barbare 
(d'offrir  à  la  critique  une  centaine  d'exemplaires  de  tout 
ouvrage)  n'avait  d'autre  résultat  que  de  peupler  les  quais 
d'une  masse  de  pauvres  volumes  qui,  ornés  d'une  dédi- 
cace, croyaient  trôner  dans  un  salon  et  se  trouvaient  jetés 
dans  la  boîte  d'un  bouquiniste...  » 

Une  vieille  fantaisie  de  Swift  va  nous  aider  à  en  finir 
avec  la  critique: 

{La  déesse  Critique  se  métamorphose  en  Livre.)  —  «  Aussitôt 
la  tendresse  maternelle  commença  à  troubler  son  imagi- 
nation... Elle  vit  son  fils  Wotton,  pour  lequel  les  Parques 
filoient  une  trame  trop  courte...  Elle  chérissoit  ce  fruit 
de  ses  amours  clandestins...  et  elle  résolut  d'aller  verser 
dans  son  âme  la  valeur  et  l'allégresse...  Elle  trouva  bon 

44 


346 


de  changer  de  figure...  Elle  ramassa  toute  sa  personne 
divine  dans  les  bornes  étroites  d'un  volume  in-octavo; 
sa  peau  devint  blanche  et  aride,  et  tout  son  corps  se  fen- 
dit et  se  sépara  en  cent  et  cent  pièces  (les  feuillets), 
comme  la  sécheresse  de  l'été  ride  la  surface  de  la  terre 
altérée.  Sa  chair  se  convertit  en  carton,  et  ses  membranes 
en  papier.  Ses  enfants  y  versèrent  adroitement  une  dé- 
coction de  noix  de  galles  et  de  suye,  en  guise  de  lettres  ; 
sa  rate  se  répandit  partout.  La  peau  qui  l'avait  couverte 
auparavant  continua  à  la  couvrir,  et  sa  voix  resta  ce  qu'elle 
fut  autrefois. 

«  Sous  ce  déguisement,  elle  avança  vers  les  Modernes. . .  »> 
(Productions  d'esprit  (1736).  —  La  bataille  des  Livres.) 

Les  choyés  (78).  —  C'est  en  assez  grand  nombre 
qu'on  pourrait  indiquer  les  exhumations  poétiques  aux- 
quelles fait  allusion  cette  boutade...  Et,  quand  elle  m'a 
échappé,  je  n'espérais  guère  être  imprimé  avec  les  beaux 
types  de  Louis  Perrin  ! 

Puisqu'il  s'agit,  ici,  de  belles  réimpressions,  faisons  place 
à  deux  alinéas,  qui  vont  se  livrer  une  gentille  petite  guerre  : 

—  «  Si  vous  voulez,  dit  Ménage,  qu'il  n'y  ait  point  de 
fautes  dans  les  ouvrages  que  vous  ferez  imprimer,  ne 
donnez  jamais  de  copies  bien  écrites;  car  alors  on  les 
donne  à  des  apprentifs  qui  font  mille  fautes;  au  lieu  que, 
si  elles  sont  difficiles  à  lire,  ce  sont,  les  maîtres  qui  y 
travaillent  eux-mêmes.  » 

Maintenant  écoutez  Décembre-Alonnier  : 

—  «  ...  II  (le  bibliophile  Jacob)  livre  son  manuscrit  com- 
plet pt  entièrement  recopié,  car  il  n'est  pas  seulement 
auteur,  il  est  aussi  bibliophile,  et  il  sait  trop  bien  qu'un 
mauvais  manuscrit  n'a  jamais  produit  de  bonne  édition...  » 


ET    ANECDOTES 


Î47 


Que  les  deux  préopinants  s'arrangent! 

La  belle  typographie  ne  réimprime  pas  que  des  médio- 
crités. Pourcontre-balancer  un  peu  notre  sortie,  mention- 
nons les  riches  éditions  de  Louise  Labé  et  de  Pernette  du 
G«///fr,duesauxsoinsdeM.  Monfalcon;  Y  Histoire  des  Ducs  de 
Bourbon,  parla  Mure  ;  les  Matériaux  pour  l'Histoire  de  Margue- 
rite d'Autriche,  par  M.  de  Quinsonas-  les  éditions  de  Molière, 
de  Clément  Marot,  et  tant  d'autres  belles  éditions,  publiées 
par  N.  Scheuring,  de  Lyon,  dans  la  maison  de  Louis  Perrin. 

Fiat  luxI  (79).  —  Tableau  très-condensé,  mais  qui 
ne  pouvait  manquera  la  galerie.  La  dédicace  allait  de  soi. 

A  cette  époque,  on  regardait  comme  le  fruit  d'un  tra- 
vail excessif,  une  Bible  écrite  en  cinq  mois  par  cinq  reli- 
gieux (à  Moyen-Moutier,  en  Lorraine). 

«  Il  existait  dans  la  bibliothèque  des  Célestins  de  Paris, 
dit  Peignot,  un  bel  exemplaire  des  Canons  de  Gratien  (i), 
manuscrit.    Le    copiste    a    noté   qu'il  avait   employé  21 


(i)  Au  moment  où  nous  écrivons  cette  note,  un  procès  vient  de  se 
dénouer,  qui  a  jeté  quelque  émotion  dans  le  camp  des  bibliophiles. 
—  Le  libraire  Bachelin-Detlorenne  avait  acquis  publiquement  en  An- 
gleterre, à  la  vente  aux  enchères,  après  décès  du  brasseur  Perkins, 
un  riche  et  précieux  manuscrit,  la  Concordance  des  Canons  discordants, 
de  Gratien,  splendide  volume  sur  vélin,  avec  de  nombreuses  minia- 
tures du  XIV®  siècle.  Il  le  présenta  à  son  tour  en  France  dans  une 
vente  publique.  Aux  annonces  et  à  la  publicité  faites,  le  Gouverne- 
ment, qui  avait  constaté,  depuis  longtemps  déjà,  la  disparition  de  son 
Gratien,  provenant  de  la  fameuse  bibliothèque  du  président 
Bouhier,  reconnut  son  bien...  et  s'en  ressaisit.  De  part  et  d'autre  il 
s'échangea  des  plaidoyers  éloquents,  érudits  et  curieux.  Mais  l'éru- 
dition fut  la  plus  faible;  l'entière  bonne  foi  même  de  M.  Bachelin, 
reconnue  par  le  Tribunal  et  par  la  Cour,  ne  put  servir  sa  cause,  et  il 


348 


mois  à  l'écrire:  sur  ce  pied,  il  faudrait  lyfo  ans  à  trois 
hommes  pour  faire  3,000  exemplaires  du  même  ouvrage.  » 

Au  XI®  siècle,  on  considérait  comme  un  grand  présent 
qu'un  abbé  au  Maine  eût  donné  quatre  volumes  (une 
Bible,  un  Canoniste,  Smaragde,  et  un  Passionel)...  C'était 
beaucoup  que  de  posséder  ifo  volumes. 

Les  livres  étaient  si  chers!  Le  Gallois  (Tra/V^  des  plus 
belles  Bibliothèques  de  l'Europe,  1680)  nous  en  cite  «  un  bel 
exemple  dans  la  personne  d'Antoine  Pecatel  (i),  natif  de 
Palerme,  qui,  en  I4ff,  vendit  sa  métairie  pour  achepter 
Tite-Live  de  Pogge  Florentin.  «Jacques  Picolomini, cardinal 
de  Pavie,  ne  put  avoir  les  œuvres  de  Plutarque  à  moins  de 
80  écus  d'or,  ni  les  Epitres  de  Sénèque  à  moins  de  2f. 
Gaguin  paya  100  écus  les  Concordances,  etc.,  etc. 

Que  de  fantaisies  à  propos  du  Livre  I  Que  n'a-t-on  dit 
pour,  contre,  et  sur?  Le  cri  «  Il  y  a  trop  de  livres!  »  a  été 


fut  condamne  à  restituer  à  l'Etat  le  splendide  manuscrit  —  qu'il  avait 
payé...  10,000  francs!  —  Dura  lex,  sed  lex !  —  Si  quelque  chose 
peut  le  consoler,  c'est  qu'il  perdit  ce  procès  tout  en  recevant  de  nom- 
breuses marques  de  sympathie. 

En  février  165  a,  Louis  XIV  l'eût  fait  gagner.  Le  roi  termine  la  lettre 
qu'il  écrivit  à  Fouquet,  pour  la  conservation  de  la  Bibliothèque  du 
cardinal  Mazarin,  en  disant  :  «  Voulons  que,  s'il  en  a  été  vendu  quelque 
un  (des  livres),  vous  ayez  à  le  retirer,  en  remboursant  ceux  qui  les 
auront  achetés;  c'est  à  quoi  ne  ferez  faute.  » 
Signé  :  «  LOUIS. 
Et  plus  bas  :  «  de  Guénégaud.  » 

(i)  Lalanne,  dans  ses  Curiosités  bibliographiques,  dit  «  Antoine 
Panormita  ou  de  Palerme,  »  et  cite,  comme  Le  Gallois,  la  lettre  adres- 
sée par  ce  savant  au  roi  de  Naples,  Alphonse  V,  au  sujet  de  cette 
emplette. 


ET    ANECDOTES  }49 

jeté  de  mille  manières.  VEcclésiaste  dit  :  Scribendi  nullus  est 
finis.  —  Se  plaignant  du  temps  que  prend  la  multitude 
des  livres,  Sénèque  s'écrie  :  Tantum  nobisvacat>  Jam  vivere, 
jam  mon  s  ci  mus  > 

Cardan  veut  que  trois  livres  suffisent  à  une  personne 
ne  faisant  profession  d'aucune  science  :  Une  Vie  des  Saints 
et  des  autres  hommes  illustres,  un  livre  de  poésies  pour 
amuser  l'esprit,  et  un  troisième  qui  traite  des  règles  de  la 
vie  civile.  —  D'autres  ont  proposé  de  se  borner  à  deux 
livres  pour  toute  étude  :  l'Ecriture,  qui  nous  apprend 
Dieu;  le  livre  de  la  Création,  c'est-à-dire  l'Univers,  qui 
nous  découvre  son  pouvoir.  —  Huet  prétendait  que  tout 
ce  qui  s'est  écrit  cf  depuis  que  le  monde  est  monde  » 
pourrait  tenir  en  9  ou  10  volumes  in-folio,  si  chaque  chose 
n'avait  été  dite  qu'une  fois.  Il  en  exceptait  cependant 
l'Histoire.  —  Je  le  crois  bien;  Marmontel  a  prétendu  qu'il 
faudrait,  en  lisant  quatorze  heures  par  jour,  huit  cents  ans 
pour  épuiser  ce  que  la  Bibliothèque  royale  contient  seule- 
ment sur  l'Histoire  (et  qui  s'élève  à  plus  de  quatre-vingt 
mille  ouvrages).  —  Aboulghazi-Behadour-Khan,  dans  son 
Histoire  des  Mongols  et  des  Tartares,  traduite  par  le  baron 
Desmaisons,  a  dit  :  «  Depuis  Adam  jusqu'à  nos  jours,  on  a 
déjà  écrit  tant  d'ouvrages  historiques  que  Dieu  seul  en 
sait  le  nombre.  » 

Empruntons  à  Peignot  le  calcul  suivant,  sur  le  nombre 
des  ouvrages  imprimés  depuis  l'origine  de  l'imprimerie: 
I®'' siècle  (de  1436  à   if]^)  —        42,000  ouvrages. 
2«       «       (de   \<i-]6  à   1636)  —      f7f,ooo         » 
■}^       »       (de   1636  à   1736)  —   i,22f,ooo         » 
4*       »        (de   1736  à   1822)  —   1,839,960         » 

Total:         3,681,960 


îïo 


Autre  calcul,  de  Ch.  Nodier  (Mélanges  de  littêrat.  et  de 
critique)  :  «  On  a  calculé  ou  supposé  par  approximation  que 
le  nombre  des  livres  que  l'imprimerie  a  produits  depuis 
son  invention,  s'élèveroit  à  3 ,277,764,000  volumes,  en 
admettant  que  chaque  ouvrage  a  été  tiré  à  300  exem- 
plaires pour  terme  moyen,  et  que  tous  les  exemplaires 
existent.  D'après  cette  hypothèse,  et  en  donnant  à  cha- 
que volume  un  pouce  d'épaisseur  seulement,  il  faudroit, 
pour  les  ranger  côte  à  côte  sur  la  même  ligne,  un  espace 
de  18,207  lieues,  qui  fait  un  peu  plus  du  double  de  la 
circonférence  de  la  terre...  Mais  comme  on  n'a  ordinai- 
rement qu'un  exemplaire  d'un  livre,  ce  qui  réduit  cette 
appréciation  à  la  300^  partie,  il  est  probable  qu'on  pour- 
roit  ranger  tous  les  livres  qui  ont  été  publiés  pendant  ces 
quatre  derniers  siècles,  sur  un  rayon  de  61  lieues  de  lon- 
gueur; ou,  ce  qui  seroit  plus  facile,  plus  commode  et  plus 
élégant,  dans  une  galerie  de  six  lieues,  garnie  de  cinq 
tablettes  de  chaque  côté.  Tout  ce  qu'on  peut  conclure 
de  ce  calcul,  c'est  que  le  nombre  des  livres  est  incalcu- 
lable, et  que  la  formation  d'une  bibliothèque  complète  est 
physiquement  impossible.  » 

Nous  ne  dirons  pas  combien  le  Livre  a  été  contrefait. 
Nous  citerons  seulement  cette  opinion  du  marquis  de 
Langle  (Jérôme-Charlemagne  Fleuriau)  :  «  La  contrefaçon 
d'un  livre  est  un  vol.  » 

Est-il  nécessaire  de  relater  ici  que  le  premier  livre 
français  sorti  des  presses  françaises,  est  les  Chroniques  de 
Saint-Denis,  imprimé  a  Paris  en  1476,  en  l'hostel  de  Pasquier 
Bonhomme  > 

Un  livre  qui  fait  époque  dans  l'imprimerie  et  qui  a  pré- 
cédé celui-ci,  est  le  fameux  Psautier  de  Mayence,  in-f' 


ET    ANECDOTES  J^l 


(i4f7).  On  n'en  connaît  que  six  exemplaires.  Louis  XVIII 
en  a  acheté  un  12,000  francs  pour  sa  bibliothèque.  Notre 
éditeur  nous  en  signale  un  septième  jusqu'ici  inconnu  qui 
se  trouve  à  la  bibliothèque  de  la  ville  d'Angers,  classé  par 
erreur  dans  le  catalogue  des  manuscrits  et  qui  porte  la 
mention  de  son  don  fait  par  le  bon  roi  artiste  René  d'An- 
jou à  une  congrégation  religieuse  de  cette  ville. 

Omni-science  (80). —  On  rencontre  souvent  cet 
aplomb  imperturbable.  Montaigne  a  dit  :  «  Prendre  des 
livres,  n'est  pas  les  apprendre.  »  (Voir  Ausone,  dans  notre 
Bibliophiliana .  —  Voir  surtout  le  Dialogue  De  librorum 
copia,  de  Pétrarque). 

Citons,  en  passant,  Bonnemet,  le  célèbre  amateur  du  siè- 
cle dernier,  dont  les  livres  ont  passé  dans  la  bibliothèque 
du  duc  de  la  Vallière,  et  qui  prétendait  avoir  des  éditions 
princesses.  (G.  Mouravit,  dans  ses  Additions,  dit  principes.) 

Sceaux  durables  (81).  —  L'intelligent  éditeur  à  qui 
est  dédié  ce  sonnet  possède  une  riche  et  curieuse  collec- 
tion d'Ex  libris. 

Une  publication  vient  de  signaler  cette  innocente  ma- 
nie.— Arrivée  à  sa  deuxième  édition,  l'étude  de  A.  Poulet- 
Malassis  :  Les  Ex-libris  français,  est  le  guide  éclairé  et  in- 
dispensable que  tout  collectionneur  spécial  devra  suivre. 
Elle  indique  et  décrit  ces  marques  de  possession  des 
livres  depuis  le  xvi^  siècle  jusqu'à  aujourd'hui;  elle  si- 
gnale les  ex-libris  singuliers,  donne  les  noms  des  petits 
maîtres  du  xviii*  siècle  qui  en  ont  dessiné  ou  gravé,  et 
la  liste  générale  des  dessinateurs  et  des  graveurs  qui  ont 
signé  des  ex-libris  français.  A  l'appui  de  ses  observations. 


Î5« 


l'auteur  a  fait  graver  24  planches,  fac-similé  des  plus  re- 
marquables de  ces  marques. 

On  connaît  la  drôlerie  du  bonhomme  de  père  qui, 
voyant  son  fils  apposer  sur  ses  livres  un  cachet  de  pro- 
priété en  y  écrivant  :  Ex  libris  M.***,  fit,  dans  le  même 
but,  frapper  en  or  :  Ex  libris  M.***  au  fond  de  son  cha- 
peau... —  Il  faut  bien  rire  un  peu! 

Simoun  des  vers  (82).  —  Ce  chant  sur  les  pièces 
avortées  prend  la  chose  très-gaîment.  Perdre  une  forme, 
un  cadre,  ou  une  idée,  n'est  cependant  pas  toujours 
aussi  gai  que  cela. 

Un  naufrage  (83).  —  Encore  un  tableau...  j'allais 
dire  un  accident  d'intérieur  (Voir  61).  Pour  qui  aime  la  vie 
de  famille,  ces  sujets  naissent  en  foule...  Femme,  enfants, 
père,  mère,  sœurs,  oh!  oui,  vous  avoir  est  bon  ! 

Les  accidents  analogues,  ou  produits  n'importe  comme, 
sont  assez  fréquents.  De  Vigneul-Marville  (qui  est  Dom 
Bonaventure  d'Argonne)  raconte  que  «  Perauda,  italien 
savant  et  curieux,  aïant  acheté  bien  cher  un  beau  et  rare 
manuscrit,  une  guenon,  qu'il  nourrissoit,  trempa  sa  patte 
dans  l'encre  et  effaça  entièrement  le  manuscrit.  » 

Trésor  ouvert  (84-8f).  —  11  faudrait,  ici,  établir 
une  double  liste  :  d'un  côté,  les  prêteurs  ]  de  l'autre,  les 
non-prêteurs.  Les  premiers  sont  les  plus  nombreux. 

Echantillon  : 

niÉTEURS  : 


Liicullus, 
Pline  le  jeune, 
Ricliard  de  Bury, 
Isidore  de  Péluse, 


De  Thou, 

Nicolas  de  Nicolis, 

Michel  Bégon, 

Grolier  [Grolierii  et  amicorum), 


ET    ANECDOTES 


}5î 


Suite  des    préteurs 


Maïoli  Çrho-Maioli  et  amicorum), 

DuFay  {Entre  iiinis  tout  est  com- 
mun), 

Marucelli  {Publicœ  et  maximœ 
pauperum  utilitati), 

Randon  de  Boisset, 

Gueulette  {ThomiV  G.  et  amico- 
rum), 


Francis  Douce, 

Etienne  Baluze, 

Et.  Gabriau  de  Riparfonds, 

Possevin, 

Mathieu  Guéroult, 

Crescimbeni, 

D'Alembert, 

Etc.,  etc.,  etc. 


NON-PRÉTEURS: 


Colietet, 

Naigeon, 

Cigongne, 

Démétrio  Canevari, 

Guilbert  de  Pixérécourt, 

Daniel  du  Monstier, 


Gifanius, 

Du  Monstier  J.  Thomas  Aubry, 
curé  de  Saint-Louis-en-l'lie, 
De  Menante, 

Etc.,  etc.,  etc. 


Possevin  a  dit  :  Bonum  quo  communius  est,  eo  est  divinius, 
—  «  Le  diable  emporte  les  emprunteurs  de  livres!  »  a  dit, 
en  contre-poids,  Daniel  du  Monstier. 

Un  autre,  d'après  D'Alembert,  faisait  relier  les  siens 
très-proprement,  et,  de  peur  de  les  gâter,  il  les  emprun- 
tait à  d'autres,  quand  il  en  avait  besoin,  quoiqu'il  les  eût. 
Il  avait  mis  sur  la  porte  de  sa  bibliothèque  :  Ite  ad  ven- 
dentes.  Aussi  ne  prêtait-il  de  livres  à  personne. 

Un  curé  de  Saint-Louis,  à  Paris,  Jean-Thomas  Aubry, 
avait  pris  la  même  devise,  allongée,  tirée  de  saint  Mat- 
thieu, XXV  :  Ite  ad  vendentes  et  emite  vobis. 

«  Un  jour  que  Gaspard  Schopp  (c'est  Deschanel  qui 
raconte)  priait  Gifanius  de  lui  prêter  un  manuscrit  de 
Symmaque,  Gifanius  lui  fit  cette  réponse  :  «  Me  demander 
de  prêter  mon  Symmaque,  monsieur  !  Mais  c'est  comme 

45 


J54 


si  l'on  me  demandait  de  prêter  ma  femme!  »  Perinde  est 
atque  iixorem  meam  utendam  postulare!  — 

Et  la  lutte  entre   deux  amis,   lutte  racontée  par  plu- 
sieurs, Gérard  de  Nerval  entre  autres,  et  qui  se  termine 
par  ce  mot  cruellement  résigné  :  «  Je  l'aurai  à  ta  vente  !  » 
Et  tant  et  tant  que  l'on  pourrait  narrer!... 

Cependant  il  ne  faudrait  pas  se  faire  accuser  de  biblio- 
taphie  :  «Les  bibliotaphes ,  dit  Lucien,  n'amassent  des 
livres  que  pour  empêcher  les  autres  d'en  acquérir  et  d'en 
faire  usage...  La  bibliotaphie  est  la  bibliomanie  de  l'avare 
et  du  jaloux.  » 

Notre  éditeur  nous  citait  dernièrement,  entre  autres 
exemples  de  lui  personnellement  connus,  celui  d'un  ma- 
nuscrit très-intéressant  de  feu  Gabriel  Peignot,  détenu 
indûment  et  tenu  en  charte  privée  par  un  de  ces  mono- 
manes. 

Ici  trouve  place  impérieusement  ce  passage,  sous  forme 
d'apologue,  d'Isidore  de  Péluse  :  «  Un  agriculteur,  qui 
renferma  son  blé  après  la  récolte  et  refusa  d'en  faire  part 
à  ceux  de  ses  concitoyens  qui  étaient  dans  le  besoin,  fut 
lapidé  et  son  corps  ensuite  réduit  en  cendres.  Cet 
homme,  cependant,  n'avait  fait  que  serrer  et  cacher  son 
propre  bien  :  il  n'en  périt  pas  moins  comme  s'il  eût  at- 
tenté à  la  propriété  publique.  —  Et  toi,  qui,  ne  possédant 
aucune  connaissance  en  propre,  n'as  que  le  mérite  d'avoir 
acquis  les  livres  d'une  foule  de  savans,  quelle  accusation 
n'encourrais-tu  pas  si  tu  ne  faisais  participer  les  autres 
aux  avantages  dont  ces  livres  sont  la  source!  Quelle  pu- 
nition Dieu  ne  t'infligerait-il  pas,  pour  avoir  possédé  un 
trésor  sans  fruit  et  sans   utilité  pour  tes  semblables  1    » 


(Liv.  /,  Ep.  cccxcix.) 


ET    ANECDOTES  355 


M.  Toinard  (Ménagiana)  donne  une  explication  assez 
plaisante  : 

«  La  raison,  dit-il,  pour  laquelle  on  rend  si  peu  de 
livres  prêtés,  c'est  qu'il  est  plus  aisé  de  les  retenir  que 
ce  qui  est  dedans.  » 

D'autre  part,  Joseph-André  Zaluski,  ce  passionné 
qui  soupait  d'un  morceau  de  pain  et  de  fromage  pour 
réunir  plus  de  200,000  volumes,  rendit  sa  bibliothèque 
publique  (174^).  (Voir  ce  nom  ^u  Bibliophiliana.) 

Mes  rachetés  (86).  —  A  propos  des  volumes  que 
leurs  destinataires  vendent,  après  en  avoir  arraché  Vex- 
dono.  Ce  feuillet  écorné  gâtait  le  livre  ;  mais  c'était  une 
pudeur.  Aujourd'hui,  on  la  néglige  même. 

L'incorrigible  (87).  —  Plusieurs  de  mes  amis  me 
reconnaîtront...  et  eux  aussi.  —  Il  y  a  loin,  cependant, 
de  nous  à  quelques-uns,  tel  que  Richard  Heber,  par 
exemple,  qui  achetait  sans  les  voir  des  bibliothèques  dans 
nombre  de  villes  d'Europe,  et  dont  l'immense  collection 
ne  lui  coûta  pas  moins  de  100,000  livres  sterling. 

Liqueur  et  vase  (88).  —  Au  maître  sonnettiste  lyon- 
nais, en  remercîment  de  ses  Sonnets,  Poèmes  et  Poésies, 
Lyon,  1864,  si  splendidement  imprimés  par  Louis  Penin, 

De  Tibur  (89).  —  En  parlant,  dans  le  Bulletin  du 
Bouquiniste,  des  traductions  de  Leconte  de  Lisle,  hous 
avons  émis  cette  opinion  :  «  Pour  être  fidèlement  et 
chaudement  interprétés,  les  poètes  doivent  être  traduits 


356 


—  en  prose  —  par  des  poètes.  Cette  formule  deviendra 
un  axiome.  Nous  pourrions  signaler  quelques  brillants 
travaux  qui  font  exception...»  — Au  premier  rang  de 
ces  exceptions,  figurent  les  traductions  magistrales  de 
Jules  Lacroix  :  Shakespeare,  Juvénal,  Horace. 

La  Poésie  populaire  (90).  —  Depuis  un  certain 
nombre  d'années,  le  vent  a  soufflé  du  côté  du  chant  po- 
pulaire. Dédaignée  d'abord,  cette  expression  des  senti- 
ments du  peuple  est  maintenant  recherchée,  et  l'on  n'a 
plus  à  dire  en  quel  honneur  elle  a  été  remise.  Dans  plu- 
sieurs provinces  ces  naïfs  poèmes  sont  recueillis  déjà  ; 
mais  tout  n'est  point  fait  encore. 

Quand  la  France  aura-t-elle  au  complet  son  Romancero 
populaire  >  —  Le  ministre  Fortoul  avait  jadis  commencé  la 
chose.  L'impulsion  était  bonne;  mais,  depuis  sa  mort, 
tout  est  resté  là. 

Pouvons-nous  terminer  une  note  sur  le  chant  populaire 
sans  signaler  la  contestation  de  l'authenticité  des  chants 
du  Barzaz-Breiz  de  M.  de  la  Villemarqué  par  M.  Luzel  ?  Ce 
différend  n'a  pas  eu  encore,  croyons-nous,  tout  le  re- 
tentissement qu'il  est  appelé  à  avoir...  Mais  laissons  les 
deux  champions  aux  prises  :  de  leur  choc,  courtois,  sortira 
une  vérité. 

Les  dédicaces  (g  i.)~  Ce  sonnet  devait  être,  comme 
il  le  dit,  le  premier  d'un  groupe,  qui  n'a  point  été  formé. 
Les  autres  existent,  mais  épars.  Quelques-uns  figurent 
dans  nos  cent-vingt  de  ce  livre. 

On  a  exprimé,  là,  le  plaisir  de  couronner  une  page 
d'un  nom  sympathique. — Cinq  ou  six  de  ces  noms  d'amis 


ET    ANECDOTIS  }Î7 


manquent  ici,  parce  qu'ils  ont  déjà  leurs  sonnets  ailleurs. 
Néanmoins  nous  les  regrettons. 

Le  Sonnet  (92-93).  —  Beaucoup  de  sonnettistes  ont 
défini  le  Sonnet.  M.  Louis  de  Veyrières  en  a  fait  une 
excellente  monographie.  Cette  pièce  est  peut-être  celle 
que  nous  eussions  dû  lui  dédier. 

Bien  entendu  que  nous  négligeons  toute  recherche  ou 
dissertation  sur  l'origine  de  ce  cadre  très-aimé,  origine 
discutée  (et  diversement  indiquée)  par  Ronsard,  Pasquier, 
Cl.  Fauchet,  Henry  Estienne,  G.  Colletet,  Ginguené, 
Fauriel,  Boulay-Paty,  Ch.  Asselineau,  Abel  Jeandet,  L.  de 
Veyrières,  P.  Gaudin,  etc. 

'  L'ancien  prosodiste  lyonnais  Phérotée  De  La  Croix  a  dit 
de  notre  moule  affectionné  :  «  Le  Sonnet  comprend  tout 
ce  que  l'Ode  a  de  beau  et  de  délicat,  et  tout  ce  que  l'Epi- 
gramme  a  de  subtil  et  de  concis.  » 

La  rime  riche  (94-9^). —  Il  y  a  peu  de  chose  à  ajou- 
ter sur  le  fond...  on  pourrait  dire  sur  la  doctrine  de 
cette  pièce.  La  rime  riche  a  aujourd'hui  de  nombreux 
partisans.  Alfred  de  Musset,  qui  s'est  amusé,  de  temps  à 
autre,  à  rimer  indi gemment,  n'a  pas  manqué,  de  temps  à 
autre  aussi,  de  rimer  opulemment,  pour  montrer  qu'il  le 
pouvait.  Coquetterie  1 

Nous  ne  donnerons  qu'une  note  de  couleur  locale 
pour  le  premier  vers  du  deuxième  sonnet:  —  La  que- 
nouille a  été,  dans  beaucoup  de  nos  anciennes  provin- 
ces, et  est  encore,  dans  plusieurs  de  nos  départements, 
un  des  gages  les  plus  précieux  offerts  par  le  promis  à  sa 
fiancée.  —  A  Carnac  on  fait  présent,  à  la  nouvelle  ma- 
riée,   d'une    quenouille    qu'elle  est  obligée  de  filer.  — 


358 


Dans  l'Orne,  on  vient  chercher  le  trousseau  de  la  mariée 
avec  une  charrette  sur  le  devant  de  laquelle  on  a  placé 
une  quenouille.  —  Dans  la  Manche,  le  bedeau  présente 
une  quenouille  à  la  mariée,  qui  y  attache  un  ruban  et  une 
pièce  de  fil.  —  En  Sologne,  cinq  paysannes  présentent  à 
la  future  une  quenouille  et  un  fuseau.  —  Dans  les  Lan- 
des, une  vieille  femme  porte  la  quenouille  de  la  mariée 
pendant  tout  le  temps  de  la  noce.  —  Dans  le  Lot-et- 
Garonne  et  dans  le  Tarn-et-Garonne,  on  porte  en  pompe 
la  quenouille  et  le  fuseau  de  la  mariée  à  sa  nouvelle  de- 
meure. —  Etc.,  etc.,  etc. 

Seul  au  milieu  de  tous  (96).  —  Autre  petit  coin 
du  doux  tableau  de  la  vie  intime,  (Voir  61  et  8j.) 

Une  chrysalide  (97).  —  On  sent  qu'il  existe,  ce 
boudeur  du  monde,  qui  se  sauve  de  notre  fracas  dans 
son  laborieux  silence. 

Bibliothèque  neuve  (98).  —  Le  vrai  travailleur  de 
l'esprit  éprouve  une  sorte  de  chagrin  devant  les  livres 
trop  bien  rangés. 

Hobbes  n'éprouva  jamais  cette  peine...  Il  ne  possédait 
point  de  bibliothèque.  11  avait  très-peu  lu  dans  son  en- 
fance, et  souvent  il  disait  à  ses  amis  :  «  Depuis  l'âge  de 
seize  ans  je  n'ai  pas  ouvert  un  livre.  »  Il  a  dit  encore  : 
«  Si  j'avais  lu  autant  de  livres  que  tels  et  tels,  je  serais 
aussi  ignorant  qu'ils  le  sont.  » 

Mélanchton,  lui,  avait  une  bibliothèque  qui  n'était  pas 
nombreuse.  Quatre  auteurs  seulement  la  composaient,  et 
l'on  disait  les  quatre  P  de  Mélanchton.   C'étaient  :  Platon, 


ETA  NECDOTES  359 


Pline,  Plutarque,  et  Ptolémée.  —  Lomeier  dérange  le  qua- 
tuor en  indiquant  Aristote  au  lieu  de  Platon. 

Le  médecin  C.  Falconnet  disait  que,  s'il  était  forcé  de 
ne  choisir  que  quatre  volumes  dans  sa  bibliothèque  (com- 
prenant près  de  20,000  ouvrages),  il  prendrait  d'abord 
la  Bible,  puis  maître  François  (Rabelais),  maître  Michel 
(Montaigne),  et  maître  Benoît  (Spinosa). 

Ecoutez  d'Alembert  :  «J'ai  ouï  dire  à  un  des  plus 
beaux  esprits  de  ce  siècle  qu'il  était  parvenu  à  se  faire, 
par  un  moyen  assez  singulier,  une  bibliothèque  très- 
choisie,  assez  nombreuse,  et  qui  pourtant  n'occupe  pas 
beaucoup  de  place.  S'il  achète,  par  exemple,  un  ouvrage 
en  douze  volumes,  où  il  n'y  ait  que  six  pages  qui  méri- 
tent d'être  lues,  il  sépare  ces  six  pages  du  reste,  et  jette 
l'ouvrage  au  feu.  Cette  manière  de  former  une  bibliothè- 
que m'accommoderait  assez,  »  —  On  prétend  qu'il  s'agit, 
là,  du  Falconnet  de  tout  à  l'heure. 

L'amusant  paradoxe  de  Mader  est  ainsi  raconté  par 
Deschanel  :  <f  Un  savant  allemand,  J.-J.  Mader,  dans  son 
amour  pour  les  bibliothèques,  a  voulu  leur  créer  des 
titres  de  noblesse  et  faire  remonter  l'origine  des  collec- 
tions de  livres  jusqu'avant  le  déluge.  Dans  une  disserta- 
tion intitulée  :  "De  Scriptis  et  Billioîhecis  antediluvianis,  il  a 
cherché  à  démontrer  qu'à  cette  époque  déjà  les  hommes, 
qui  étaient  fort  instruits  dans  tous  les  arts,  possédaient  des 
bibliothèques...  »  Notre  savant  éditeur,  qui  a  jadis  par- 
couru cet  ouvrage  rare,  nous  dit  que  Mader  était  telle- 
ment épris  de  son  sujet,  qu'il  est  arrivé,  d'après  certaines 
citations  des  Livres  Saints  interprétés  à  sa  manière,  à 
donner  les  titres  des  livres  qui  devaient  composer  une 
bibliothèque  avant  le  déluge! 


j6o 


Depuis  le  Ménagiana,  on  a  plusieurs  fois  rapporté  le 
trait  suivant,  sans  le  reproduire  en  entier  :  <f  M.  de  Beau- 
tru  ayant  été  envoyé  en  Espagne,  il  alla  à  l'Escurial,  où 
il  vit  la  Bibliothèque;  et,  par  une  conférence  qu'il  eut 
avec  le  Bibliothécaire,  il  connut  que  c'étoit  un  très-mal 
habile  homme.  Ensuite  il  vit  le  Roi,  qu'il  entretint  des 
beautés  de  cette  Maison-Royale,  et  du  choix  qu'il  avoir 
fait  de  son  Bibliothécaire;  il  lui  dit  qu'il  avoit  remarqué 
que  c'étoit  un  homme  rare,  et  que  S.  M.  pouvoit  le  faire 
Surintendant  de  ses  finances.  —  Pourquoi?  lui  dit  le  Roi. 
—  Sire,  ajouta-t-il,  c'est  que,  comme  il  n'a  rien  pris  dans 
vos  Livres,  il  ne  prendra  rien  dans  vos  Finances.  » 

Osymandias  fît  construire  une  bibliothèque  magnifique, 
sur  le  frontispice  de  laquelle  il  fit  écrire  ces  mots  :  Le 
Trésor  des  remèdes  de  l'âme,  o-r/iç,  'laTfctcv.  —  Jules  Janin 
avait  donné  pour  titre  à  la  sienne  :  la  Pharmacie  de  lame. 
Etait-ce  en  souvenir  de  l'ancien  sceau  de  la  Bibliothèque 
de  Grenoble  :  Pharmaca  anima  > 


Une  conquête  (99).  —  Chapitre  curieux  de  la  bi- 
bliomanie,  que  celui  des  exemplaires  complétés  à  la  lon- 
gue I  La  belle  patience!  Il  y  a  loin  de  là  à  la  manie 
expéditive  de  Falconnet. 

Voyez,  dans  un  autre  genre  :  «  Notre  commune  pas- 
sion pour  les  poètes  du  xvi®  siècle,  dit  P.  Blanchemain, 
fut  l'origine  de  notre  rapprochement.  Turquety  venait 
d'acquérir  un  livre  rare,  mais  incomplet.  Je  possédais  le 
même  ouvrage,  imparfait  aussi,  et  nos  deux  exemplaires 
pouvaient  se  compléter  l'un  par  l'autre.  Instruit  de  cette 
circonstance,  j'allai  le  voir  pour  lui  proposer  de  tirer  au 
sort  à  qui  posséderait  un  exemplaire  sans  lacunes.  Mais  je 


ITANECD'^TES  j6l 

me  trouvai  en  présence  d'un  homme  tellement  bon,  aima- 
ble et  sympathique,  que  le  désir  de  conclure  un  marché 
fut  soudain  remplacé  par  celui  de  gagner  un  ami.  Quand 
je  le  quittai,  les  feuillets  de  mon  livre  avaient  passé  dans 
le  sien.  »  —  Bravo! 

Bouquet  littéraire  (loo).  —  Tout  le  monde  des 
lettres  connaît  la  publication  du  lieutenant-colonel  Staaff: 
La  Littérature  française,...  Lectures  choisies.  Cet  ouvrage, 
adopté  aujourd'hui  dans  les  lycées  et  les  collèges,  est  la 
base  de  toute  instruction  littéraire.  Il  est,  en  même  temps, 
une  des  grandes  preuves  d'afFecticn  que  notre  pays  et 
notre  littérature  aient  pu  recevoir.  On  a  beaucoup  de 
recueils  de  morceaux  littéraires,  mais  aucun  de  cet  intérêt 
ni  de  cette  dimension.  Les  compilateurs  futurs  y  viendront 
puiser. 

Est-ce  bien  à  la  suite  de  ce  sonnet  qu'il  faut  attacher 
une  plaisante  réponse  ?...  Bah  !  le  mot  lecture  la  justifiera. 
Voici  le  mot  :  Louis  XIV  demandait  au  duc  de  Vivonne 
«  ce  que  la  lecture  faisait  à  l'esprit  ?»  —  «  Sire,  répondit 
le  duc,  ce  que  vos  perdrix  font  à  mes  jours.  »  Esprit  de 
gourmet. 

Le  lieutenant-colonel  StaafF  a  des  gourmets  d'un  autre 
ordre  pour  ses  intéressants  volumes. 

Les  DEUX  sèves  (loi).  —  Pour  ce  sonnet,  pas  d'anec- 
dote. Quoique  abstrait,  il  se  passera  de  commentaire.  — 
Depuis  ma  dédicace,  Piedagnel  nous  a  donné  sa  belle 
Étude  sur  J. -F.  MILLET. 

Un  ami  d  es  poètes  (102-10^).  —  Il  est  mort,  l'au- 

46 


,6a 


teur  de  ce  méfait,  je  devrais  dire  de  ce  crime.  Paix  à  lui  ! 
Mais,  s'il  était  vivant,  le  profanateur,  je  le  tancerais  encore 
de  son  indignité. 

Les  faux  dédains  (104).  —  Boutade  de  poète.  Dans 
la  boutade  il  y  a  toujours  un  peu  de  conviction,  comme 
dans  le  paradoxe  il  y  a  toujours  un  peu  de  vérité. 

Les  notes  (106).  — J'en  appelle  à  tous  ceux  qui, 
dans  le  temps,  ont  eu  entre  les  mains  surtout  des  volumes 
de  cabinets  de  lecture.  Foin  des  annotateurs  1 

Tout  finit  (106).  —  D'un  qui  avait  moins  lu  que  le 
type  de  ce  sonnet,  d'Alembert  raconte  ceci  :  «  La  passion 
des  livres  est  quelquefois  poussée  jusqu'à  une  avarice 
très-sordide.  J'ai  connu  un  fou  qui  avait  conçu  une  ex- 
trême passion  pour  tous  les  livres  d'astronomie,  quoiqu'il 
ne  sût  pas  un  mot  de  cette  science.  Il  les  achetait  à  un 
prix  exorbitant,  et  les  renfermait  proprement  dans  une 
cassette,  sans  les  regarder.  »  —  C'est  seulement  par  ce 
dernier  trait  que  l'anecdote  tient  au  sonnet. 

Une  fiere  chance  (107). —  Où  ai-je  lu  pour  la 
première  fois  l'anecdote  à  laquelle  je  fais  allusion  ici?  Je 
ne  saurais  le  dire.  Un  doute  me  vient.  Dans  VoAcadémie 
des  modernes  Poètes  français,  volume  édité  par  Anthoine 
du  Brueil,  Paris,  m.d.xcix,  je  trouve,  partiel,  un  sonnet 
du  sieur  de  Porchères,  »  sur  les  yeux,  »  non  de  la  belle 
Gabrielle,  mais  «  de  U"^'^  la  marquise  de  Monceaux.  » 
Est-ce  cette  marquise  qui  a  si  bien  rente  notre  poète,  ou 
a  til  encore  chanté  les  yeux  de  l'amie  du  roi  galant? 


ET    ANECDOTES  )6) 


En  tous  cas,  nous  pensons  être  agréable  en  reprodui- 
sant la  pièce  si  largement  rétribuée. 


La  voici 


SONNET 


Sur  les  yeux  de  M""  la  marquise  de  Monceaux, 
du  sieur  de  Porchères. 

Ce  ne  sont  pas  des  yeux,  ce  sont  plustost  des  Dieux  ; 
Ils  ont  dessus  les  Rois  la  puissance  absolue  : 
Dieux,  non,  ce  sont  des  Cieux,  ils  ont  la  couleur  bleue, 
Et  le  mouvenaent  prompt  comme  celui  des  Cieux. 

Cieux,  non,  mais  deux  Soleils  clairement  radieux, 
Dont  les  rayons  brillans  nous  offusquent  la  veuë  : 
Soleils,  non,  nnais  Esclairs  de  puissance  incogneuë, 
Des  foudres  de  l'Amour  signes  présagieux. 

Car,  s'ils  estoient  des  Dieux,  feroient-ils  tant  de  mal? 
Si  des  Cieux,  ils  auroient  leur  mouvement  égal  : 
Deux  Soleils  ne  se  peut  :  le  Soleil  est  unique  : 

Esclairs,  non  :  car  ceux-cy  durent  trop  et  trop  clairs; 

Toutesfois  ie  les  nomme,  afin  que  le  m'explique. 

Des  yeux,  des  Dieux,  des  Cieux,  des  Soleils,  des  Esclairs. 

Après  lecture,  on  est  fixé. 

Une  exécution  (io8-  109).  —  Procès-verbal  un  peu 
passionné  d'une  petite  noirceur  de  critique. 

L'opinion  du  père  je  an  (iio).  —  Je  crois  avoir  bien 
croqué  le  brave  homme  qui  m'a  servi  de  modèle.  Il  prouve 
qu'il  y  a  des  hlhVio-philes  à  tous  les  degrés  et  de  tous  les 
genres.  Celui-là  était  convaincu. 


j64 


OssiAN  (iii).  —  Jeune,  je  me  révoltais  contre  la 
démolition  des  grandes  figures  littéraires.  Ossian  était  du 
nombre  des  victimes  que  je  déplorais.  Depuis,  j'ai  bien  été 
forcé  d'accepter  Mac-Pherson.  N'est-ce  pas  un  peu  une 
mode  que  ce  coup  de  pioche,  périodique  et  fréquent,  sur 
telle  ou  telle  individualité,  même  légendaire?...  Qui  nous 
garantit  que  des  érudits  futurs  ne  viendront  pas  essayer  de 
saper  Dante,  Corneille,  Hugo,  Lamartine?  (Voir  6f .) 

L'esprit  gaulois  (112).  —  Coup  d'œil  de  poète  jeté 
sur  la  linguistique.  L'étude  des  langues  procure  de  très- 
vives  jouissances.  En  voici  une,  d'un  genre  particulier: 
Anne  RadclifFe,  —  l'auteur  des  sombres  romans  naguères 
si  en  vogue,  —  était  très-sensible  à  la  belle  musique. 
Elle  éprouvait  un  grand  charme  à  entendre  prononcer  les 
langues  sonores,  et  se  faisait  répéter  les  passages  des 
classiques  grecs  et  latins  dont  les  sons  la  frappaient, 
priant  de  temps  en  temps  que  l'on  voulût  bien  lui  en  faire 
la  traduction.  —  C'est  Walter  Scott  qui  nous  apprend 
cela,  dans  sa  Biographie  litténiirc  des  Rominiciers  célèbres. 

Le  dada  (i!3)-  —  Fantaisie,  que  traduit  bien  plai- 
samment et  bien  spirituellement  l'eau-forte  de  Chevrier. 

Un  malheureux  (114- 117).  —  Encore  une  expres- 
sion navrante  de  nos  douleurs,  de  nos  tortures. 

—  «  Un  de  mes  amis,  dit  Edmond  Texier,  grand  déni- 
cheur de  livres  rares,  m'a  avoué  qu'il  avait  été  pris  d'un 
invincible  désir  de  mettre  le  feu  à  sa  bibliothèque,  après 
avoir  visité  celle  de  M.  le  duc  d'Aumale...  » 

Voeu  de  blasé  (116).  —  Si  la  passion  savait  être  rai- 


E  T    ANE  CDOTES  J65 


sonnable,  il  n'y  aurait  pas  d'excès.  J'admets  que  mon 
désireux  soit  excessif...  Pourtant  je  me  rappelle  le  mo- 
ment de  la  découverte  de  Daguerre,  —  que,  par  paren- 
thèse, on  doit  à  M.  Niepce.  Elle  semblait  à  chacun  un 
conte  des  Mille  et  une  Nuits...  Et,  depuis,  combien  de 
milliers  et  de  milliers  de  photographies! 11... 

FarceurI  fiiy).  —  Petite  semonce,  assez  directe. 
La  rapprocher,  pour  un  point,  du  n°  77. 

Bien  soignés  (118).  —  Historique  De  toute  évi- 
dence, ce  brave  commissionnaire  aurait  traité  avec 
beaucoup  plus  d'égards  des  bottes  de  légumes.  Des  na- 
vets, ça  peut  se  détériorer;  mais  des  livres!!...  Quant  à 
l'ordonnateur  de  la  chose.  Dieu  le  bénisse! 

C'est  Bayle  qui  ne  l'aurait  pas  pris  pour  déménageur. 
Ce  savant  déménagea  deux  fois.  Il  tint  pour  les  deux  plus 
graves  événements  de  sa  vie  ces  déménagements,  qui  lui 
brouillèrent  ses  papiers  et  ses  livres. 

Dans  sa  bibliothèque  (i  19).  —  Toujours  la  passion 
folle  pour  le  contenant,  et  la  plus  complète  indifférence 
pour  le  contenu!... 

Plus  d'une  fois,  dans  ces  sonnets,  il  a  été  question  de 
reliures.  Sans  répéter  ici  les  noms  des  artistes  qui  en  ont 
fait  de  si  belles,  citons-en  une  fantastique  :  «  Dos  de  peau 
de  gants,  plats  de  papier  d'emballage  et  de  velours  violet, 
coins  variés,  tranche-file  en  oreilles  de  souris,  tranches  tri- 
colores, gardes  de  moire  blanche  avec  un  polichinelle 
gigantesque;  sinets  de  ficelle,  ornés  de  personnages 
provenant  de  boîtes  d'allumettes  chimiques,  carte  de  visite 


j66  NOTES 

grotesque  et  lettre  autographe  de  l'auteur.  »>  (De  la  bi- 
bliothèque de  M.  de  Rosny.)  —  L'ouvrage  ainsi  relié  est  : 
l'Essai  sur  l'origine  unique  et  hiérogliphique  des  chiffres  et  des 
lettres  chez  tous  les  peuples,  par  de  Paravey. 

Ni  H  IL  (120).  —  Voilà  à  quoi  se  réduisent  les  plus 
riches,  les  plus  splendides  collections!  Une  vie  tout  en- 
tière de  recherches  et  de  classement...  et  la  dévastation 
au  bouti 

En  voir  un  exemple  dans  Pontus  de  Tyard,  de  J.-P.  Abel 
Jeandet,  imprimé  par  Louis  Perrin.  L'auteur  couronné  de 
cette  belle  Etude,  nous  apprend  (pages  192  - 197),  dans  un 
chapitre  spécial,  reproduit  très-élogieusement  par  L.  La- 
cour  (Annales  du  Bibliophile,  du  Bibliothécaire  et  de  l'Archi- 
viste, numéro  du  2f  mai  1862,  sous  ce  titre  :  Bibliothèque 
d'un  évêque  au  XVl^  siècle),  quel  a  été  le  sort  de  la  biblio- 
thèque de  l'illustre  membre  de  la  Pléiade. 

Il  est  vrai  qu'un  Catalogue  n'est  pas  toujours  rien.  Dans 
le  temps,  le  Catalogue  de  la  bibliothèque  d'un  amateur,  par 
Renouard,  a  fait  sensation.  De  nos  jours,  un  certain  nom- 
bre ont  été  remarqués.  A.  Claudin  en  a  fait  un  excellent 
de  la  bibliothèque  si  riche  de  feu  Victor  Luzarche,  de 
Tours.  Ceux  du  célèbre  amateur  Yéméniz,  du  baron 
J.  Pichon,  de  Achille  Genty,  etc.,  etc.,  sont  d'un  haut  ou 
d  un  piquant  intérêt.  Je  signalerai,  comme  un  des  plus 
curieusement  littéraires,  celui  que  Charles  Monselet  a  in- 
titulé :  Catalogue  détaillé,  raisonné  et  anecdotique  d'une  jolie 
Collection  de  Livres  rares  et  curieux,  dont  la  plus  grande  partie 
provient  de  la  bibliothèque  d'un  homme  de  lettres  bien  connu, 

«  La  bibliothèque  de  Bruxelles  vient  de  recevoir, 
(janvier  1876),   de    M™'^   Carter-Brown,  de  Providence, 


ET    ANECDOTES 


}67 


(Rhode-Island,  Etats-Unis),  un  exemplaire  du  splendide 
Catalogue  de  la  bibliothèque  formée  par  feu  M,  Carter- 
Brown,  son  mari.  Ce  Catalogue,  dressé  par  M.  JohnRus- 
sel-Bartlett,  en  quatre  volumes  grand  in-8°,  est  un 
chef-d'œuvre  de  typographie-  il  n'a  été  tiré  qu'à  cent 
exemplaires... 

«c  11  contient  la  nomenclature  et  la  description  de  4, 162 
ouvrages  concernant  les  deux  Amériques. 

«  La  collection  formée  par  M.  Carter-Brown  ne  sera 
point  dispersée  :on  l'estime  à  deux  millions...  » 


EPILOGUE 


TcA'BLE 

des 

SONNETS  D'UN  BIBLIOPHILE 


Gazouillis  de  vers 

Mal  coupés 

Mes  Champs  des  batailles  . 

Une  Plainte 

Le  Passé 

Le  Livre  : 

I,  Au  dehors 

II.  Au  dedans 

Trop  bien  choisi 

Belle  collection 

Jouissance...  future  .   .   .   . 

Bredouille 

Bouquins  et  rats  : 

I.  L'Assaut 

II.  Les  Délicats 

Crescendo 

De  Gloria 

Morts  et  ressuscites  : 

I.  Traces  de  conquérant. 


2 
i 

4 
S 

6    I 
7 


'3 
>4 
'5 

i6 


II.  Palimpsestes 17 

III.  A  Herculanum  ...  18 
Ce  qu'ils  sont  devenus  .  .  .  19 
Un  Drame  : 

I.  Intérieur 20 

II.  Attaque ai 

III.  Défense 22 

IV.  Fin 25 

Le  bon  Temps 24 

Frontispice 25 

A  -M.-H.  Boulard  : 

I.  Chez  lui 26 

II.  Délogé 37 

Un  Rachat 28 

Fouillis 29 

A  un  ami  des  livres  ....  30 

Accès  de  typographie   ...  51 

Entrée  d'assaut 32 

Mélancolie  de  bibliophile.   .  5  j 

47 


3  70 


TABIE    DES    SONNETS 


Magliabecchi  : 

I.  Le  Profil 34 

II.  L'Homme j  $ 

Coup  de  vent 36 

A  Dante 37 

Raffinement 38 

L'Aubaine 39 

Savantasse 40 

Ophtalmie 41 

Une  Fin 43 

Autographe...    et   Caliigra- 

phe 43 

Dernière  Ressource  ....  44 

Une  Perte 45 

Tu   quoque? 46 

A  un  Bibliographe 47 

Averse 48 

Une  Supplique 49 

Hahent  suafata  Libelli  : 

I.  D'où? 50 

II.  Où? 51 

Pendant  les  fêtes  de  Ven- 
dôme   53 

Les  deux  Volumes 53 

A  mes  livres: 

I.  Condamnés  à  mort  .   .  54 

II.  Avant  l'exécution    .   .  55 
Moutons  de  Panurge ....  56 

Un  Repas 57 

La  Tournée  : 

I.  11  en  a  sa  charge    ...  S8 

II.  Où  les  mettre?.   ...  59 

Le  Dernier 60 

Le  Coin  du  feu 61 

Le  Fil  du  labyrinthe  ....  63 

Un  Navigateur 63 


Son  0  Eurêka  /  » 64 

A  Shakespeare 0<i 

En  Omnibus 66 

Guide  inspiré 67 

Un  bon  Marché 68 

Un  Savant 69 

Auto-da-fé  : 

I.  Le  Prisonnier 7° 

II.  Le  Supplice 71 

A  Pétrarque 72 

Reste  de  lui 73 

Distinguons 74 

Fureur 75 

Désespoir 76 

Le  Tas 77 

Les  Choyés 78 

Fiat  lux! 79 

Omni-Science 80 

Sceaux  durables 81 

Simoun  des  vers 83 

Un  Naufrage 83 

Trésor  ouvert  : 

I.  Élan 84 

II.  Restriction 85 

Mes  Rachetés 86 

L'Incorrigible 87 

Liqueur  et  Vase 88 

De  Tibur 89 

La  Poésie  populaire  ....  90 

Les  Dédicaces 91 

Le  Sonnet  : 

I.  Concision 92 

II.  Étendue 93 

La  Rime  riche  : 

I.  A  la  Rime 94 

II.  Aux  Poètes 9  5 


TABLE    DES    SONNETS 


Î7' 


Seul  au  milieu  de  tous  .   .  96 

Une  Chrysalide 97 

Bibliothèque  neuve  ....  98 

Une  Conquête 99 

Bouquet  littéraire 100 

Les  deux  Sèves loi 

Un  Ami  des  Poètes  : 

F.  Jamais  assez 102 

II.  A  dix  sous  le  tas. .   .  103 

Faux  Dédains .  104 

Les  Notes 10$ 

Tout  finit 106 

Une  fière  Chance    ....  107 
Une  Exécution  : 

I.  Necatus 108 


II.  Redivivus 109 

L'Opinion  du  père  Jean  .   .  iio 

Ossian 1 1 1 

L'Esprit  gaulois 112 

Le  Dada 113 

Un  Malheureux  : 

I.  Douleur 114 

II.  Désespoir 11$ 

Vœu  de  blasé 116 

Farceur  ! 1  i  ' 

Bien  soignés i  iS 

Dans  sa  bibliothèque  .   .  .  119 

Nihil 20 


^A^A^A^^A^^.^A^<^A^^ 


TcA'BLE 

des 

FANTAISIES  D'UN  BIBLIOMANE 


Le  Trésor  du  Bibliophile  défunt: 

I.  Le  Cabas »3j 

II.  La  Note «29 

III.  L'Amateur «34 

IV.  Porte  close '59 

V.  Le  dernier  Feuillet '44 

Mon  premier  Bouq.uin 'So 

La  Lecture  en  famille '5' 

La  Maîtresse  du  mari '55 

Les  Commandements  du  Bibliophile 161 


•A-  ~A-  »A-  -A»  •A'  «A^  «A-  "A^  "^^  -A^  *4'".»'^-*4'^.»'^"*^f *^« 


'BI'BLIOTHILIoiC^cA 


TABLE     DES     AUTEURS     CITÉS 


Prescript 167 

Addisson 1 69    , 

Alembert  (d') 170    ! 

Alibert »      ! 

Alletz  (Ed.) ; 

Alphonse-le-Sage '7'    i 

Amyot  (J.) 173    1 

Arétin  (Pierre) »      | 

Aristote »      i 

Asselineau '73 

Augustin  (Saint) » 

Aulu-Gelle 174 

Ausone » 

Azaïs '7^    i 

Bachi  (Claudia) • 

Bacon 176    I 

Baglivi s 

Bailiet s 

Balzac  (Honoré  de).   ...  177 
Balzac  (J.-L.  Guez  de)  .    .        » 

Barat i;8 

Barthélémy  (J.-J.)  ....        •> 

Bary ■ 

Bayle 179 


Bernardin  de  Saint-Pierre.  170 

Bessarion 180 

Bignicourt  (de) > 

Bigot 181 

Blanchemain  (Pr.)  ....  » 

Bollioud-Mermet 183 

Bonald  (de) » 

Bonnin 185 

Bremer  (Frederika)  ....  » 

Brosses  (de) 184 

Brunet  (G.) 

Brunelto  Latin! 185 

Bruun-Neergaard » 

Burton 186 

Campanus <; 

Casaubon 187 

Cervantes » 

Channing i!>8 

Chapelain » 

Chasles  (Philarète)  ....  » 

Chevillier 189 

Christine  de  Pisan  ....  190 

Christine  de  Suède  ....  • 

Cicéron 191 


3/6 


BIBLIOPHILI  AN  A 


Cl»»* '9' 

Claudin  (Anatole) «93 

Clément  (Claude)    ....  i9J 

Clément  (de  Dijon).   ...  » 

Colomb '94 

Commines  (Ph.  de).    ...  » 

Constantin » 

Cotton  des  Houssayes.  .    .  19  5 

Coupé  

Courier  (P.-L.) 9^ 

Cujas " 

Cuvillier-Fleury 197 

Damiron » 

Danielo » 

Decaïeu «99 

Decourcelle  (Ad.) 200 

Delvau  (Alf.) » 

Denina 201 

Descartes » 

Deschanel 202 

Descuret 20j 

Des  Guerrois 204 

Dibdin » 

Diogène 205 

Dordrecht  (Ville  de)   ...  » 

Droz » 

Drury » 

Duclos 206 

Dugast » 

Dumas  (J.) 207 

Dupérier » 

Dutuit » 

Emerson 208 

Erasme ■ 

Fauchet  (Cl.) 209 

Fée » 


Fizelière  (AI'j  .  de  la)  .   . 

Fontaine  (Ch.) 

Fontaine  de  Resbecq  .   . 

Fournier  (J.-F.) 

Franklin 

Gaillon  (marquis  de)   .   . 

Galitzin  (prince)   .... 

Gautier  (Théophile)  .    . 

Gavet 

Gellert 

Génin 

Geoffroy 

Girardin  (M°"  E.  de)  .   . 

Girault  de  Saint-Fargeau 

Goethe 

Goudar 

Grùn 

Gruyer 

Guérin  (Eugénie  de)  .   . 

Guérie  (de) 

Guibert 

Guyard 

i    Hall  (Joseph) 

!    Hall  (Robert) 

j    Heinsius 

Henri   IV 

Hérault  de  Séchelles  .    . 

j    Horace 

I    Hospital  (M.  de  T)   .   .    . 

i    Huet  (D.) 

{    Irving  (Wash.) 

I    Jamin  (Dom  N.).  .   .    . 

I    Janin  (Jules) 

j    Jean  de  Salisbury  .... 

I    Saint  Jérôme 

i  Joly  (le  P.) 


210 
2 1 1 
212 


214 
215 
2 1 6 
217 

218 


219 

32Û 


221 

222 


223 

224 

225 

» 

226 
227 

m 
228 
229 
230 
231 

1} 

234 


AUTEURS    CITES. 


i77 


Joubert aj4 

Julien  (l'emp') 335 

Kempis  (Th.  à) » 

Labar 3]û 

Laboulaye » 

La  Bruyère 238 

Lacordaire » 

Lacroix  (Paul) 259 

Laharpe  » 

Lamartine 340 

Lamb  (Charles) 341 

La  Monnoye 243 

Lapelouze  (V.  de)  ....        » 
Larchey  (Lorédan)  ....        » 

La  Rochefoucauld    ....  343 

Latena  (de) » 

Leber 244 

Lebeuf » 

Leblanc 245 

Lefèvre-Deumier » 

Levailois  (J.) 246 

Ligne  (prince  de) 247 

Lomeier » 

Lope  de  Vega 248 

Lucas  de  Penna » 

Lucrèce 249 

Mabire » 

Maistre  (X.  de) » 

Malesherbes  (de) 350 

Manuel  (Don  J.) » 

Marc-Aurèle » 

Martin  (L.-Aimé) 251 

Martonne  (A.  de) 253 

Meister » 

Ménage 353 

Ménière 254 


Mentelle 354 

Méray  (Antony) » 

Mercier  (L.-S.)     356 

Merlet 357 

Metternich  (prince  de)  .   .  » 

Michelet 358 

Monpont n 

Monselet 359 

Montague  (Lady) » 

Montaigne » 

Monteil 360 

Montesquieu 261 

Mouravit ■> 

Munaret 2C3 

Naudé  Saint-Maurice  ...  n 

Nodier  (Charles) « 

Noël  (Eugène) 263 

S.  N*** . 

Offroy  (Victor) 304 

Omar 365 

Ovide » 

Oxenstiern » 

Pandolfini 0 

Pascal 21.6 

Pasquier  (Est.) » 

Patin  (Guy) 307 

Peignot  (Gabriel) » 

Pellico  (Silvio) 368 

Petit-Senn 269 

Pétrarque » 

Piédagnel  (Al.) 271 

Pierquin  de  Gembloux  .   .  » 

Pierre-le-Vénérable.    ...  372 

Pirmez   (O.) 373 

Pixerécourt  (G.  de).  ...  » 

Pline  (l'ancien) » 


J78 


BIBLIOPHILI  AN  A, 


Pline  (le  jeune) 274 

Plutarque » 

Pongibaiid  (comte  de)  .   .       » 

Poste!  (V.) 275 

Prévost-Paradol » 

Rabelais 276 

Raiberti » 

Rantzau 277 

Renouard 278 

Rhenanus  (Beatus)    ....       » 

Richard  de  Bury 279 

Rigaud  (A.-F.) « 

Rigault  (H.) 280 

Rivarol a 

Roland  (M"") » 

Romey  (Ch.) 281 

Roucher  s 

Roure  (marquis  du).   .   .   .  282 

Rousseau  (J.-J.) » 

Saadi 283 

Sabatier  de  Castres.   ...        » 

Sabinus  (G.) 284 

Sacy  (S.  de) » 

Sainte-Beuve 285 

Saint-Evremont 286 

Saint-Martin » 

Salden  (G.) » 

Sand  (George) 287 

Sanial-Dubay » 

Say  (J.-B.) » 

Scaliger  (Joseph) 288 

Scott  (Walter) » 

Sénèque 289 

Serres  (Olivier  de)  ....        » 

Sévigné  (M""  de) 290 

Sorbière » 


Spizelius 291 

Stapfer  (P.) » 

Stassart  (baron  de)  ....  292 

Stevens  (G.) » 

Stendhal 29  j 

Sterne » 

Taine 294 

Tenant  de  Latour » 

Terrasson  (J.) 295 

Texier  (Ed.) » 

Thierry  (Augustin)  ....  296 

Thurmann 297 

Trollope  (mistr.) » 

Trublet  (l'abbé) 298 

Turquety  (Ed.) » 

Valla  (Laurent) 299 

Valois  (Hadrien  de).  ...  » 

Vauvenargues    » 

Véron  (Pierre) joo 

Villemain 501 

Viollet-le-Duc » 

Voltaire 302 

Voyer-d'Argenson    ....  joj 

Watteville  (baron  de)  .   .  » 

Werdet » 

Wey  (Fr.) 504 

Wolf 

Zaluski  (comte) 305 


ANONYMES 

L'auteur  de  :  l'An  et  la  Vie 
de  Stendhal 

A  la  fin  d'un  vieux  Catho- 
licon. 


306 


AUTEURS    CITES. 


Î79 


507 


Pensées  Chinoises  .... 
Extrait  de  :  l'Exposition  de 

Clermont 

Un  jeune  Hermite  ....     308 
Journal  des  Sçavans.  ...        » 
De  L*»* }09 


309 


Maxime  des  Orientaux  . 

Proverbe » 

*••  {Cite  par  Aloysius  Ber- 
trand)    n 

Divers  anonymes 310 

Dernier  échantillon  ....  314 


^q(^çr^qr»j^/îj(^çTp^^^^^^^j^^ 


C^OTES   ET  c4D^ECV0TES 

INDEX     ANALYTIQJUE 
DES    NOMS    ET    DES    MATIERES    Qu'oN    Y    TROUVERA 


Aboulghazi-Behadol'R-Khan.  Ce  quji  pense  du  nombre  des 

ouvrages  historiques,  349. 
AcH  AINTRE  (N.-L.)>  type  du  bouquiniste  érudit.  Sa  passion,  j  1 8. 
Alain  de  lille.  Ce  qu'il  dit  des  clercs  dissipés,  337. 
Alcyonio  (Pietro),  a  plagié  De  Gloria,  334. 
Alembert  (d'),  mentionne  un  non-prêteur,  et  donne  sa  devise,  353. 

—  Nous  fait  connaître  un  moyen  singulier  de  Falconnet,  359. 

—  Ce  qu'il  raconte  d'un  acheteur  bizarre,  363. 
Alexandrie  (Bibliothèque  d'),  brûlée  ou  non,  325.  —  (On  pourrait 

encore,  sur  ce  point,  consulter  la  thèse  de  Drapeyron.) 

Améric  Vespuce  (Lettre  de)  à  Laurent  de  Médicis,  combien  ache- 
tée, 328. 

Androuet  du  Cerceau  (J.j,  dresse  en  1 560  lepian  de  Paris,  327. 

Archiviste.  Manière  de  conserver  d'un  des  Archivistes  de  Lyon, 
331 -323. 

Arioste  (L*),  seul  poète  toléré  par  l'abbé  de  Longuerue,  3 17. 

Arras  (Bibliothèque  d'),  possède  de  curieux  panneaux  de  livres  ima- 
ginaires, 321. 

Au  MALE  (Duc  d').  Désir  qu'inspire  la  vue  de  sa  bibliothèque,  364. 

B'AChelin-Deflorenne,  achète  le  Gratien  provenant  du  prési- 
dent Bouhier,  et  est  obligé  de  le  restituer,  347-348. 

Bacon  (Lord).  On  lui  attribue  les  œuvres  de  Shakespeare,  339. 


8a  NOTESETANECDOTES 


Balzac  (Guez  de).  Ce  qu'il  dit  du  pédant  de  grammaire,  532. 

Bartholin  (Th.).  Sa  dissertation  sur  l'incendie  de  sa  bibliothè- 
que, ja^. 

Bayle.  Ce  qu'il  dit  à  propos  du  sobriquet  helluo  librorum,  j  jo.  — 
Son  Dictionnaire  brûlé,  34}.  —  Ses  deux  déménagements,  365. 

BEAUTRu(de).  Son  mot  sur  le  bibliothécaire  de  l'Escurial,  }6o. 

Bernard  (Thaïes),  perd  son  Jodocus  Sincerus,  334. 

Bible.  Celle  léguée  à  M"'  Mars  par  le  marquis  de  Chalabre,  33a.  — 
Celle  du  chiffonnier,  d°.  —  Ce  qu'elle  contient  en  livres,  cha- 
pitres, versets,  mots  et  lettres,  342.  —  Une,  imaginée  par  Ch. 
Nodier,  fait  mourir  le  marquis  de  Chalabre.  344-345.  —  Quel 
temps  pour  en  écrire  une,  347. 

Bibliophiles  prêteurs.  Liste  de  quelques-uns,  avec  leurs  de- 
vises, 352-353. 

Bibliophiles  non  prêteurs.  Liste  de  quelques-uns  avec  leurs 
devises,  353. 

BiBLiOTAPHES  (les),  d'après  Lucien,  3  54. 

BiBLiOTHÈci_UES  ANTÉDILUVIENNES.  Lcur  découvertc,  par  J.-J. 
Mader,  3  59. 

BiBLiOTHÈQ_uES  IMAGINAIRES.  Les  principales,  320. 

Blanchemain  (Pr.).  Sa  science  sur  Ronsard,  335.  —  Il  complète 
un  livre  rare  chez  Turquety,  360-  361. 

Bonnemet.  Comment  il  appelait  ses  éditions  pn'ncépi,  351. —  Dans 
quelle  bibliothèque  ont  passé  ses  livres,  d°. 

Bosselet  (H.).  Passage  sur  les  livres  condamnés  au  feu.  343. 

Boulard  (A.-M.-H.).  Ce  qu'il  laissa  de  volumes,  à  sa  mort,  328. — 
Influence  de  cette  quantité  sur  les  ventes,  329.  —  Comment 
Mary-Lafon  le  fait  mourir,  d°. 

Bourbon  (Nie).  Sa  mémoire,  344. 

Brûlés  (livres  condamnés  à  être),  343. 

Brunck.  Sa  douleur,  354. 

Bulletin  du  Bouq.uiniste,  d'Aug.  Aubry.  Notre  article  sur  Le- 
conte  de  Lisle,  355-356. 

Campanella.  Sa  Cite  du  Soleil  brûlée,  345 . 

Caraccioli  (marquis  de),  fragment  cité,  319. 

Cardan.  Ses  trois  livres,  349. 


INDEX    ANALYTIQUE  jS} 


Carnavalet  (le  Musée  municipal  de  l'hôtel),  acquiert  le  plan  de 

Paris,  d'Androuet  du  Cerceau,  328. 
Carter- Brown  {M""=).  Catalogue  qu'elle  donne  à  la  Bibliothèque 

de  Bruxelles,  566-567.  —  Ce  que  contient  ce  Catalogue,  567. 
C  ATALOGU  ES.  Amateurs  dont  lesCatalogues  sont  remarqués,  566-567. 
Caton,  celui  que  Cicéron  a  appelé  helluo  Ubrorum,  550. 
Cayla(M°"  du).  Quel  volume  elle  reçoit  de  Louis  XVIII,  552. 
Chaban.  P.-L.  Courier  lui  écrit  pour  les  manuscrits  delà  Badin,  525. 
Chalabre  (marquis  de).  Son   legs  à  M"' Mars,  532.  —  Sa  mort, 

344-545- 

Charon  (Pierre).  Sa  ^jg-^iJ^  brûlée,  545. 

Chemnitius  (Chr.).  Sa  mémoire,  544. 

Chevrier  (Jules),  peintre  des  rats  bibliovores,  522. 

Chigi  (Fabio).  Rossi  lui  raconte  les  pérégrinations  de  Naudé,  5  37. 

Chrysippe,  retrouvé  à  Herculanum,  526. 

Cicéron.  Son  traité  de  Gloria,  perdu  524.  —  Auteur  du  sobriquet 
donné  à  Caton,  350. 

Claudin  (A.).  Sa  collection  d'£x  libris,  551.  —  Un  de  ses  Cata- 
logues, 366. 

C  ORAY,  tombe  et  se  tue,  327. 

Courier  (P.-L.).  Sa  lettre  à  M.  Chaban,  325. 

CoLOTÈs,  retrouvé  à  Herculanum,  526. 

Convenevole  de  Prato,  a  vendu  le  traité  de  Gloria,  524. 

Corot,  le  peintre  paysagiste,  coupait  mal  ses  livres,  517. 

Cracherode  (le  Rev.).  Ses  legs;  sa  mort,  525  -  524. 

Critique  (la)  n'existe   plus  guères,    545.  —  Métamorphosée  en 
Livre,  545-346. 

Curmer(L.).  Ses  albums;  sa  devise,  342. 

Daguerre.  Allusion  à  sa  découverte,  365. 

Dante.  Première  traduction  complète  de  ses  Rimes,  351. 

Davalet.  Enragé  collectionneur,  329. 

Décembre-Alonnier.   Son  opinion  sur  les  volumes  offerts  à  la 
critique,  345.  —  Son  moyen  d'avoir  de  bonnes  éditions,  346. 

Dédicaces.  Je  tiens  encore  à  dire  que  plusieurs  Dédicaces,  qui  n'y 

sont  pas,  devaient  figurer  en  tète  de  divers  Sonnets,  356. 
Déménagements.  Ce  qu'en  pense  Bayle,  365, 


}84  NOTES    ET    ANECDOTES 

DÉMOLITION  de  renommées  légendaires,  364, 

De  La  Croix  (Phérotée).  Ce  qu'il  dit  du  Sonnet,  3^7. 

Del  EAU,  étalagiste.  Son  goût,  318. 

Démétrius,  retrouvé  à  Herculanum,  326. 

Descartes.  Ses  A/^'i/'fjfionî  brûlées,  343. 

Deschanel.  Anecdote  sur  les  livres  empruntés,   336.  —  Raconte 

l'épisode  de  Gifanius,  353-3^4. 
Desmaisons  (baron),  traducteur  de  l'ouvrage  d'Aboulghazi-Belia- 

dour-Khan,  349. 
Dinouart  (l'abbé).  Comment  il  procédait  pour  ses  ouvrages  et  ses 

livres,  3 19. 
Don  de  quatre  volumes,   fait  par   un  abbé  au  xi' siècle,  348;    — 

d'un  Psalterium  de  Mayence,  1457,  par  René  d'Anjou,  351. 
Doneau  (Hugues).  Sa  mémoire,  344. 
Du  Breuil  (Anthoine).  Volume  édité  par  lui,  362. 
Dumas  (Alexandre).  Quel  amateur  il  nous  fait  connaître,  338-359. 

—  Parle  du  Marquis  de  Chalabre,  344-345. 
Ebert  (Fred.-Ad.),  se  tue  en  tombant  d'une  échelle  de  bibliothèque, 

337- 

Ecclésiaste.  Sa  sentence  sur  les  livres,  349. 

Epi  eu  RE,  retrouvé  à  Herculanum,  326.  —  Fac-similé  de  plusieurs 
de  ses  pages  par  M.  de  Pongerville,  d". 

Erasme.  Son  Eloge  de  la  Folie;  combien  acheté,  338. 

Escurial.  Mot  de  Beautru  sur  le  bibliothécaire  de  ce  palais,  360. 

Estienne  (Henri).  Cracherode  meurt  sans  avoir  possédé  son  Pin- 
dare,  324". 

Ex  DO  no,  jadis  arraché,  laissé  maintenant,  3$$. 

ExiLio  (de).  Traité  du  plagiaire  Alcyonio,  334. 

Ex  LiBRis.  Collection  de  A.  Claudin,  351.  —  Publication  spéciale 
de    Poulet-Malassis,  351-352.  —  l'Ex  libris  du  chapeau,  352. 

F  ALCONNET  (C).  Son  choix  de  quatre  volumes,  3  59.  —  Son  moyen 
d'avoir  une  bibliothèque  peu  volumineuse,  d°. 

Femmes-bibliophiles.  Liste  de  quelques-unes,  3  40  -  3  4 1 . 

Ferdinand  IV,  roi  de  Naples.  Sa  bibliothèque  factice,  321. 

Fontaine  de  Resbecq.(A,),  raconte  aussi  le  Plutarque  de  l'étu- 
diant, 352.  —  Le  bibliophile  aveugle,  333. 


INDEX     ANALYTIQ_UE  J85 


FoRTOL'L,  avait  donné  une  bonne  impulsion  à  la  poésie  popu- 
laire, 356. 

FoRTSAS.  Son  Catalogue  imaginaire,  jao. 

Gage.  Sens  local  de  ce  mot;  sous  quelle  forme  il  se  présente, 
357-558. 

Gaguin.  Ce  qu'\\pa\e  les  Concordances,  348. 

Gauli  EUR.  Son  moyen  d'avoir  des  livres,  336. 

GÉRARD  DE  Nerval,  raconte  la  lutte  de  deux  amis,  3  54 

Gerbert  (le  pape).  Ses  dépenses  pour  les  livres,  338, 

GiFANius,  refuse  son  Symmaque  à  Gaspard  Schopp,  353. 

Gilbert  (A.-P.-M.).  Notice  sur  ses  livres  et  ses  estampes,  327.  — 
Ses  fonctions,  d". 

Gloria  (de).  Traité  de  Cicéron  perdu  par  Pétrarque,  324. 

GoMBOUST  (J.),  dresse  en  1647  le  plan  de  Paris,  3  27. 

GoPiLE  (J.).  Quelle  douleur  le  fait  mourir,  3  34. 

G  ouj ET  (l'abbé).  Mort  de  quelle  douleur,  534. 

Gratien.  Bel  exemplaire  de  ses  Canons,  347.  —  Ce  qu'il  faudrait 
de  temps  pour  en  obtenir  3,000  exemplaires  manuscrits,  347- 
348.  —  Procès  à  propos  de  l'exemplaire  acheté  à  la  vente  de 
Perkins  par  Bachelin-Deflorenne,  347-348. 

Grée  NE  (Robert).  Son  opinion  sur  Shakespeare,   339. 

Grenoble.  Ancien  sceau  de  la  Bibliothèque,  360. 

Harveng  (Phil),  parle  des  écoliers  studieux,  337. 

Heber  (Richard),  acheteur  cosmopolite;  ses  bibliothèques  nom- 
breuses, qu'il  ne  connaissait  pas  toutes  de  vue  ;  leur  prix,  3  ■;  5 . 

H  EL  EN  A,  d'Alfred  de  Vigny,  trouvée  deux  fois  sur  les  quais,  328. 

Helvétius.  Son  Esprit  brûlé,  343. 

Herculanum.  Papyrus  qu'on  y  trouve,  326. 

Hervey-Sai  NT-D  EN  is  (marquis  d'),  cite  la  légende  de  la  «  Source 
des  Immortels,  «325. 

HoBBES,  n'avait  point  de  livres  ;  ce  qu'il  dit  de  la  lecture,  358. 

Hue  T.  Son  opinion  sur  tout  ce  qui  s'est  écrit,  349. 

HuLTHEM  (Van),  bibliophile  martyr,  344. 

Images,  arrachées  des  livres,  333.  —  Portraits  enlevés  du  Ronsard 
in-folio,  335. 

Isidore.  Son  opinion  sur  la  lecture,  336. 

49 


j86  NOTES    ET    ANECDOTES 


Isidore  de  Peluse.  Son  apologue  sur  les  non  prêteurs,  354. 

Jamin  (Dom  N.),  paraphrase  Isidore,  jjô. 

Janin  (Jules).   Trouvailles   racontées,  328.  —  Sa  douleur  quand  il 

ne  peut  plus  lire,  332  -  333.  —  Appellation  de  sa  bibliothèque, 

360. 
Jeandet  (J.-P.-Abel).  Son  Etude  sur  Pontus  de  Tyard,  366. 
JODOCUS  SiNCERUS.  Exemplaire  perdu   de  son    Voyage   dans  la 

vieille  France,  3  3  3  -  3  34.  —  De  qui  pseudonyme,  3  34. 
La  Bruyère.  Parle  des  livres  factices,  321. 
Lacour  (L.),  cite  un  chapitre  du  Pontus  de  Tyard  d'Abel  Jeandet, 

366. 
Lacroix  (Jules).  Ses  traductions  en  vers,  356. 
Lacroix  (Paul).  Ses  études  sur  le  moyen-âge,  318. 
La  Fizelière  (Alb.  de),  nous  montre  J.  Janin  paralysé,  332  •  333 . 
L  ALANNE,  citéà  propos  de  c/e  G/on'J,  324.—  Cite  Rob.  Greene  sur 

Shakespeare,  339. 
La  Monnoye  (Bernard  de).  Traduction  de  ses  Noei  Borguignon, 

L  angle  (J.-C.-Fleuriau,  marquis  de).  Son  mot  sur  la  contrefaçon 

d'un  livre,  350. 
L  ARCHER,  refuse  le  livre  de  Langlès,  3  36. 
Lauwers.  Sa  mort^  326. 

La  Villemarq_ué  (de),  contesté  par  M.  Luzel,  356. 
Leconte  de  LisLE.  Notre  opinion  sur  les  traductions  des  poètes,  à 

propos  des  siennes,  3  $  5  -  3  56. 
Le  Gallois,  parle  de  l'emplette  d'Ant.  Pécatel,  348. 
Leu  (Thomas  de),  graveur  des  portraits  enlevés  du   beau  Ronsard, 

335- 

Le  Roux  DE  L  INC  Y,  parle  de  Cracherode,  324.  —  Des  estampes 

de  Gilbert,  327. 
Lescure  (de).  Volume  de  billets  de  banque,  332. 
L  IVRE  (le).  Son  apologie...  Tout  ce  livre  est  en  l'honneur  du  Livre. 

—  (Voir  particulièrement  les  deux  Sonnets  6-7,  le  Bibliophiliana 
en  entier,  et  la  Note  pages  318-319.) 

Livres.  Factices,  3 19.  —  Imaginaires,  320.  —  Rognés  d'un  tiers,  d°. 

—  Auteurs  qui  en  ont  parlé,    321.    —  Brisés  pour  en   avoir  les 


INDEXANALYT1Q_UE  j8f 


gravures,  j  j  j .  —  Ce  qu'on  y  trouve  après  les  avoir  achetés,  j  54. 
—  Leur  prix  avant  l'imprimerie,  348.  —  Nombre  jugé  néces- 
saire par  certains,  J49.  —  Le  premier  livre  français  sorti  des 
presses  françaises,  J50.  —  Trop  bien  rangés,  358. 

LoDGE,  pillé  par  Shakespeare,  jjç. 

LoMEiER,  dérange  les  quatre  P  de  Mélanchton,  J59. 

LoNGUERUE  (l'abbé  de),  n'aimait  point  les  poètes,  517. 

Louis  XIV.  Sa  lettre  à  Fouquet  ;  veut  qu'on  rembourse  les  livres 
volés  qu'on  retrouve,  348.  —  Sa  question  au  duc  de  Vivonne 
sur  la  lecture,  361 .  \ 

Louis  XVIII.  Quel  volume  il  offre  à  M°"  du  Cayla,  3  52. 

Lucien.  Sa  définition  de  la  bibliotaphie,  354, 

Lucrèce,  fournit  une  devise  à  L.  Marcel,  318.  —  Fac-similé  d'Epi- 
cure,  326. 

LuzARCHE  (V.).  Son  Catalogue  par  A.  Claudin,  366. 

Luzel  (F.-M.).  Ce  qu'il  conteste  à  M.  de  La  Villemarqué,  3  56. 

Mader.  Ses  bibliothèques  antédiluviennes,  359. 

Magliabecchi,  appelé  helluo  librorum,  330. 

M  AÏ  (Angelo),  découvre  le  traité  de  Republicà,  326. 

Marcel  (L.  ,  bibliophile.  Sa  devise,  318. 

Marlowe,  pillé  par  Shakespeare,  339. 

Marmontel.  Son  opinion  sur  la  lecture  des  documents  histori- 
ques, 349. 

Mars  (M"').  Quelle  Bible  elle  hérite  du  marquis  de  Chalabre,  532. 

Mary-Lafon,  raconte  la  mort  de  Boulard,  339. 

Mélanchton.  Les  quatre  P  de  sa  bibliothèque,  358-359. 

Ménage.  Son  moyen  d'avoir  de  bonnes  éditions,  346. 

Ménagian  A.  Cité,  3  55,   360. 

Mentelli,  travailleur  excessif,  cité  par  Descuret,  342. 

Mercier  (S.).  Sa  manie  à  l'égard  des  reliures,  318. 

Mercier  de  Saint-Léger.  Ses  notes  manuscrites,  3 19. 

Millet  (J.-F.).  Sa  biographie  par  Al.  Piedagnel,  361. 

Monceaux  (marquise de).  De  Porchères  lui  adresse  un  sonnet,  302. 

Mon  DORÉ  (P.  de).  Destruction  de  Sd  bibliothèque,  325. 

MoERis  Storer.  Sa  mort,  344. 

Mone  (Fréd.),  découvre  un  manuscrit  du  IV'  siècle,  326. 


)88 


NOTES     ET    ANECDOTES 


MoNFALCON  (J.-B.)  parle  de  la  collection  des  Syndicats,  }2i.  — 
Belles  éditions  qu'on  lui  doit,  347. 

MONSELET  (Ch.).  Son  Catalogue  détaillé,  566. 

Montaigne.  Un  mot  sur  les  livres,  ^  5 1. 

MoRANTE  (Marquis  de).  Se  tue  en  tombant  de  l'échelle  de  sa  biblio- 
thèque, 527. 

Mouchez.  Son  Rapport  sur  le  passage  de  Vénus.  —  Trouve  une 
vieille  bibliothèque  de  naufragés  dans  l'île  de  Saint-Paul,  3a j. 

MouRAViT  (G.).  Sa  variante  sur  les  éditions  Princeps  de  Bonne- 
met,  }  5 1 . 

Musset   (Alfred   de).   Sa  rime,    parfois  indigente,  parfois  opulente, 

Naudé  (Gab.),  sortant  de  chez  les  libraires  et  dépeint  par  Rossi,  337. 
NiEPCE  (de  Saint-Victor),  inventeur   de   la   découverte...  de   Da- 

guerre,  362.  (L'inventeur  est  Nicéphore  Niepce.    Niepce   de 

Saint-Victor  est  son   neveu,   qui   a    beaucoup   perfectionné    la 

photographie.) 
Nodier  (Charles),  ce  qu'il  dit  sur  les  rats  et  les  emprunteurs,  323. 

—  Combien  il  achète  et  revend  le  Songe  de  Polyphile,  328.  — 

Son  calcul  pour  une  bibliothèque  complète,  350. 
NoEi    BoRGUiGNON.  Première  traduction  complète    par  F.    Fer- 

tiault,  331. 
Orléans  (Massacreurs  d'),  dispersent  la   bibliothèque  de  P.  Mon- 

doré,  32$. 
OssiAN,  figure  littéraire  démolie,  364. 
OsYMANDiAS.  Inscription  de  sa  bibliothèque,  36c. 
P'*'**  (Le  cardinal),  dévaliseur  en  Suisse,  319. 
P.  Les  quatre  P   de  Mélancliton,  358-359.  —  Dérangés  par   Lo- 

meier,  3  59. 
Palimpsestes.  Erudits  qui  en  ont  découvert,  326. 
Palmerston  (lord),  partisan  delà  théorie  baconienne  sur  les  œuvres 

de  Shakespeare,  3  39. 
Panneaux  de  livres  imaginaires,  321. 
Panor.mita  (Antoine).  Lalanne  appelle  ainsi  le  Pécatel  (Antoine)  de 

Le  Gallois,  348. 
Pafyrus,  retrouvés  à  Herculanum,  526. 


INDEX    ANAllfTI<i.UE  J89 


Paravey  (de).  Reliure  bizarre  d'un  de  ses  ouvrage?,  J65  -  j66. 
Paris  (plan  de),  acheté  par  Gilbert,  337.  —  Un  autre  exemplaire, 

combien  vendu,  328. 
Pascal.  Ses  Provinciales  brûlées,  j4j. 
Patin.  Note  sur  de  Thou,  325. 

Péc  ATEL  (Antoine),  vend  sa  métairie  pour  acheter  un  Tite-Live,  34^. 
Peele,  pillé  par  Shakespeare,  359. 
Peignot    (Gabriel).  Son  calcul  à  propos  des  œuvres  de  Voltaire, 

J42.  —  Autre  sur  'e  nombre  des  ouvrages  imprimés  (jusqu'en 

1823),  349. 
Pera'jda.  Ce  que  sa  guenon  lui  fait  d'un  beau  manuscrit,  352. 
Perkins  (le  brasseur).  Gratien  acheté  après  son  décès,  347. 
Perrin  (Louis).  Quelques-unes  de  ses  belles  impressions,  346-347. 
Petit-Radel,  Parle  de  Gerbert,  338. 
Pétrarq_uf,  perd  le  traité  de  Gloriîi,  324.   —  Cherche  en   vain    le 

traité  de  Republicà,  326.  —  A  propos  de  son  V  centenaire,  345 . 
Philodëme,  retrouvée  Herculanum,  326. 
Phoedrus,  retrouvé  à  Herculanum,  326, 
PicoLOMi  NI  (Jacques).  Ce  qu'il  paye  un  Plutarque,  etc.,  548. 
PiEDAGNEl  (A.).  Son  étude  sur  Millet,  361. 

Pline.  Ce  qu'un  manuscrit  du  IV*  siècle  nous  rend  de  ses  livres,  326. 
Plutarq_ue  (le)  de  l'Etudiant,  331. —  Prix  d'un  P/ufarçu^  manus- 
crit, 348. 
Poésie  populaire.   Dédaignée  d'abord,    recherchée  maintenant; 

impulsion  reçue,  356.  —  Différend   entre  MM.   Luzel  et  de  La 

Viilemarqué,  d". 
Poètes.  Groupe  de  jeunes  enthousiastes,  dispersé,  328.  —  Combien 

de  tolérés  par  l'abbé  de  Longuerue,  3 1  7. 
PoLYSTRATE,  retrouvé  à  Herculanum,  326. 
PoNGERviLLE  (de).  Ses/iic-îîmi/e  d'Epicurc,  326. 
Pont u 5  de  Tyard.  Dispersion  de  sa  bibliothèque,  366. 
Pope.  Parle  des  livres  factices,  321. 

Porchères  (de).  Son  sonnet  à  la  marquise  de  Monceaux,  363. 
Psalterium    de    Mayence   (le    fameux).    Combien   on  en    connaît 

d'exemplaires,  350-}$!.  —  Prix  de  celui  de  Louis  X  V  H I,  351. 

—  Un  à  la  bibliothèque  d'Angers  classé  parmi  les  Manuscrits,  d°. 


J90  NOTES   ET    ANECDOTES 

Quenouille.  Gage  du  promis  en  diverses  localités,  }57-}58, 

QuiN  (J.).  Sa  mort,  344. 

R***,  médecin.  Son  jeu  chez  les  libraires,  j  19. 

Radcliffe  (Anne).  Son  goût  pour  les  langues  sonores,  364. 

Raimondo  de  Soranzo,  avait  donné  Je  C/or(ii  à  Pétrarque,  524. 

Raleigh    (Sir  Walter),   faisait  partie   du    groupe    anti-sliakespea- 

rien,  jj;. 
Reliure.  Description  d'une  des  plus  Fantaisistes,  365  -366. 
René  d'Anjou,  fait  don  d'un   Psaherium  imprimé   en    1457  à  un 

couvent  d'Angers,  351. 
Renouard.  Son  Catalogue,  366. 
Reynaud  (J.).  Sa  prière,  ^^'^. 
Rime  riche.  Coquetterie  d'Alfred  de  Musset,  357. 
Rimes  de  Dante,  première  traduction   complète  par  F.  Fertiault, 

Ronsard,  fêté  à  Vendôme,  3  54-  3  J  5-  —  Portraits  enlevés  de  l'édi- 
tion in-folio  de  ses  œuvres,  335. 

RoSNY  (de).  Une  reliure  de  sa  bibliothèque,  365  -  566. 

Rossi  (J.-V.),  dépeint  Gabriel  Naudé,  537  . 

Rover,  mort  des  suites  d'une  chute,  3  37. 

Ru  HIER,  collectionneur  étrange;  sa  purée  de  livres,  329. 

RussEL-B  artlett  (John),  rédacteur  du  Catalogue  de  M-  Carter- 
Brown,  367. 

S  ai  NT- Charles  (le  P.  L.-J.  de),  se  tue  en  tombant,  3  37. 

S  AU  VAL,  parle  des  livres  factices,  321. 

ScALiGER  (Joseph).  Sa  mémoire,  344. 

Scheuring  (N.),  grâce  au  concours  de  la  maison  Perrin,  de  Lyon, 
a  fait  de  belles  éditions,  347. 

S  chopp  (Gaspard),  demande  un  livre  à  Gifanius,  3^3. 

S COTT  (Walter).  Ce  qu'il  nous  apprend  d'Anne  Radcliffe,  3 64. 

Scribe.  Sa  bibliothèque  factice,  321. 

SÉNÈQ_UE.  Son  interrogation  sur  les  livres,  349. 

Shakespeare.  De  qui  sont  ses  œuvres,  339.  —  Accusé  de  pillages 
par  divers,  d". 

Sonnet.  Le  Sonnet  à  deux  pages,  350.  —  Auteurs  qui  ont  recherché 
et  discuté  son  origine,  357. 


INDEX    ANALYTIQ.UE  JÇI 

SouLARY  (Joséphin).  Son  beau  recueil,  355. 

Staaff  (le  Lieutenant-Colonel).  Son  anthologie,  361. 

Stephenson  (Georges),  père  de  Robert  Stephenson.  Se  fait  cordon- 
nier pour  avoir  des  livres,  jjé. 

Swift.  Sa  fantaisie  sur  la  Critique,  345-J46. 

Te X  1ER  (Edmond),  nous  dit  l'envie  étrange  d'un  dénicheur  de  li- 
vres, 364. 

Thsin-Chi-Hoang-Ti,  ordonne  l'incendie  des  livres    325. 

T  o  1 N  A  R  D.  Son  mot  sur  les  livres  non  rendus,  555. 

Toscan  (un).  Sa  mémoire,  344. 

Triveth.  Cracherode  meurt  sans  avoir  possédé  ses  Annales,  3  J4. 

Trop  I  Le  cri  :  «  //^  a  trop  de  livres!  »,  348-349. 

Tross  (Edwin),  a  possédé  un  exemplaire  du  pian  de  Paris  d'Androuet 
du  Cerceau,  327. 

Tués.  Bibliophiles  tués  en  tombant  de  leur  échelle,  327.  —  Biblio- 
philes martyrs,  344. 

TuRGOT.  Ses  Gaietés;  choix  de  ses  titres,  320-321. 

Turquety  (Ed.).  Cause  de  sa  liaison  avec  Blanchemain,  360  -  3C1. 

Valéry,  cité  à  propos  de  de- Gloria,  324. 

VEYBiàREs(L.  de).  Sa  monographie  du  Sonnet,  357. 

Vigneul-Marville  (de),   nous  fait  connaître  la  guenon   de  Pé- 
rauda, 352. 

Vigny  (Alfred  de).  Son  Héléna,  combien  achetée,  328. 

VivoNN  E  (duc  de).  Sa  réponse  à  Louis  XIV,  361. 

Voleurs  de  livres,  3 19. 

Voltaire,  Ce  que  ses  œuvres  contiennent  de  lettres,  342. 

Westphal  (André).  Sa  Préface  pour  la  Dissertation    de   Bartho- 
lin,  325. 

Zaluski  (J.-A.),  évêque  bibliophile.  Son  régime,  355. 
Zinzerling  (Juste  de).  Son  pseudonyme,  334.  (Voir  Jcdccus  Sin- 
cerus.) 


■tir  tîr  TÎr  -tlf  -tîf  tif  tif  \V  tlf  -tJy  -Otf  -tlf  tif  t3>  yXf 


TABLE    EXPLICATIVE 


"DES    EqAUX-FO%TES 


SONNETS    D'UN   BIBLIOPHILE 

Planches  Pages 

I.  Frontispice.  —  Une  bibliothèque  hantée 
par  le  pur  amour   du  livre,  l'amour  de 

l'étude I 

H.  Portrait  de  l'auteur.  — xxvi 

III.  Bouquins    et    Rats.   — ^^  Sur   trois   tomes 

couchés... n —  Un  Cauchemar  de  bibliophile.        i  2 

IV.  Sceaux  durables.  — Fragilité  des  blasons, 

des  armoiries,  des  ex-libris.  Le  temps,  les 
vers  rongeurs  et  la  voracité  des  rats  en 
ont  facilement  raison.  Pour  exprimer  son 
idée,  l'artiste,  au  lieu  de  reproduire  des 
ex-libris,  a  préféré  représenter  un  volume 
aux  armes  du  célèbre  bibliophile  Jacques- 
Auguste  DE  THOU,  entamé  par  un  rat 

de  bibliothèque 81 

50 


394  TABLE     EXPLICATIVE 

Planches  Page 

V.  «  Et  le  Conquérant  gît  sous  l'avalanche.  »  — 
Où  conduit  l'amour  effréné  du  Livre...  à 
l'écrasement  sous  le   poids  de  sa  propre 

folie 113 

VI.  «Sur  le  plancher  poudreux  vous  fuit  rouler  sa 
charge.  »  —  Quand  on  aime  les  livres,  il 
ne  faut  point  trop  les  confier  aux  porte- 
faix, et  il  est  bon  au  moins  de  les  couver 
des  yeux 118 


FANTAISIES    D'UN     BIBLIOMANE 

LE  TRÉSOR  DU   BIBLIOPHILE  DÉFUNT 

VII.  La  Veuve  au  cabas.   —  Elle  se  dirige  vers 

l'échoppe  d'un  bouquiniste 12"] 

VIII.  Le  Trésor  dans  le  cabas 128 

IX.  Le  maigre  dîner  de  la  Veuve 13^ 

X.  Le  Trésor.  —  Le  Psautier  de  I45'7,  premier 

livre  imprimé  avec  date  certaine,  et  dont 
on  connaît  à  peine  quelques  exemplaires 
qui  sont  pour  la  plupart  incomplets,   .   .       138 

XI.  Le  Réchaud.  —  Désespoir  de  la  Veuve,  qui 

n'a  pu  trouver  à  vendre  le  trésor  de  son 

mari,  le  bibliophile  défunt 143 

XII.  Le  Bibliophile  sauveur,  qui,  apprenant  par 
hasard,  par  le  bouquiniste  de  l'échoppe, 
l'existence  d'un  exemplaire  à  vendre  du 


DES    EAUX-FORTES  J95 


Planches  Pages 

Psautier  de  14^7,  accourt,  frappe  à  la 
porte  de  la  Veuve,  et  n'ayant  pas  reçu  de 
réponse,  regarde  fiévreusement  par  le  trou 
de  la  serrure 144 

XIII.  Groupe  de  Livres.  —  Fin  de  chapitre   .    .      149 

LA     MAITRESSE     DU      MARI 

XIV.  La   BiBLioMANiE,  la  Folle  du   logis,   la  Maî- 

tresse du  Mari-Bibliophile. 

Hop  !  Marotte  en  main,  le  petit  génie 
Part  sur  le  dada  qu'il  vient  d'enfourcher. 

Cette  planche  eût  peut-être  été  mieux  pla- 
cée à  la  page  1 13,  si  cette  page  n'eût  déjà 
été  chargée  d'une  avalanche  de  livres .. .  Non 
bis  in  idem...  Telles  sont  les  convenances 
typographiques.  —  Exemple  d'un  sonnet 
traduit  en  deux  planches...  ou  peut-être 
bien  de  deux  planches  condensées  en  un 
sonnet.  Dans  ce  dernier  cas,  l'auteur  des 
vers  serait  !e  coupable     i  f  9 


NOTES    ET   ANECDOTES 

XV.  Flagrante  delicto.  —  Une  juste  repré- 
saille,  mais  une  bien  faible  compensation 
des  ravages  causés  chez  un  Bibliophile.  Si 
ce  rat  eût  médité  le  traité  du  Flagrant  délit. 


Î9Û 


TABLE    DES    EAUX-FORTES 


Planches  •'^ge» 

qui  était  à   sa  portée...   il    eût  évité    la 

Peine  de  Mort  si  près  de  lui p2 

XVI.  ÉpiLOGUt.  — Pensée  d'un  aqua-fortiste  phi- 
losophe, qui  a  peur,  en  trop  lisant,  de  ne 
trouver  au  fond  du  trésor  de  la  sagesse 
humaine  qu'un  inextricable  mélange  d'er- 
reurs et  de  sottises 369 


Universitas 

SCHOLA 


E     LIVRE    A    ÉTÉ    ACHEVÉ    d'  1  M  PR  1  M  E  R 
{f^*Û     A    LYON,   SUR    LE    RHONE    ET     LA    SAONE, 
PAR     LES     SOINS     ET     AUX    FRAIS     DE 
A.   CLAUDIN,   libraire    de   PARIS    ET   DE  LYON, 
EN     LA     MAISON    DE    FEU     LOUIS     PERRIN^ 
CONTINUÉE  PAR  ALF.    LOUIS   PERRIN 
ET    MARI  NET    ASSOCIÉS,    LE 
XXX^  JOUR   DE   SEPTEMBRE 
DE      l'année 
M  .  D  .  CCC  .  LXXVI . 


V^c^RESENS    OPUS    ABSOLUE    ULLACALAMI 
'  ■"'      EXARATIONE      SED       MIRA      IMPRIMENDI 


J-^<i^      ARTE  ,     FE;L1C1TFR     CONSUMMATUM     EST 

LUGDUNI   SUPER  RHODANUM   ET  ARARIM,  DL'CTU 

ET     SUMPTIBUS     A.      CLAUDIN,     BIBLIOPOL/t 

PARISIENSIS      ET       LUGDUNENSIS  ,      IN 

OFFICINA   ILLUSTRIS  TYPOGRAPHl 

LU  DOVICI     FERRIN,    PER 

ALFR.    LUD.    PERRIN    ET 

MARINET    SOCIOS 

XXXA     DIE     MENSIS     SEPTEMBRIS 

ANNO    INCARNATIONIS 

DOMINIC/î 

M.D.CCC.LXXVI. 


LAUS  DEO 


Extrait  du  Catalogue 

De  la  librairie  A.  (XAUDIN.  3,  rue  Guénégaud. 


Noëls  Bourguignons  (Les),  de 
Gui  Banuai  Hornanl  de  la  Monnoyc), 
suivis  des  Noêls  Maçonnais  du  Parrain 
Bliaise  (le  P.  Lhuillier,  texte  patois, 
accompagne  d'une  traduction  littérale, 
par  F.  Fertiault.  s"  édition  illustrée  de 
24  dessins  et  augin.  de  notices  et  do- 
cuments nouveaux.  i858,in-i2.  4  fr.  5o. 
Kdition  la  meilleure  et  la  plus  complète  de 

ces  Noiils,  l'une  des  productions  les  plus  fines 

et   le*  plus  populaires  de  la  poésie  patoise. 

C'est  le  chel-d'œuvre  de  La  Monnoye. 
Quelques  exemplaires  seulement. 

Cours  d'Amour  (La  Vie  au  temps 
des\  croyances,  usages  et  mœurs  in- 
times des  XI',  .\u«  et  xiii'  siècles,  d'après 
les  chroniques,  gestes,  jeux-partis  et  fa- 
bliaux, pa-r  Antonv  Mérav,  1876.  Beau 
vol.  in-S  écu,  papier  vergé,  impression 
en  caractères  antiques,  titre  rouge  et 
noir,  fleurons  et  lettres  ornées  par  Léon 
Lemaire.  7  fr.  5o 

Dans  cet  ouvrage  remarquable  «  M.  Méray 
a  voulu  nous  montrer  comment  nos  mères  ont 
amené  la  France  à  devenir  la  terre  classique 
de  la  galanterie  et  de  l'amour  raffiné...  11 
nous  retrace  fidèlement  ces  jeux  d'esprit,  ces 
distractions  fines,  piquantes,  indiscrètes  sou- 
vent et  ne  reculant  pas  devant  les  personna- 
lités les  plus  malicieuses  qui  caractérisent 
si  bien  cette  intéressante  époque  de  notre 
histoire.  C'est  là,  le  principal  attrait  de  ce 
livre,  la  partie  la  plus  attentivement  étudiée, 
celle  que  tous  les  étions  de  l'auteur  ont  tendu 
à  transformer  en  certitude  historique...  Toutes 
les  traces  de  ce  mystère  de  nos  annales  in- 
times, de  cette  page  vCaiment  française,  qu'il 
a  été  possible  de  réunir  se  trouvent  dans  cet 
intéressant  volume.  »  (Echo,  du  3o  avril 
1876). 

Chansonnier  Huguenot  du  XVI' 

siècle  (Le).  Lyon,  imp.  L.  Perrin,  1871, 
■1  vol.  in-i6  carré,  papier  vergé  teinté, 
impression  en  caractères  antiques.  10  fr. 
Cette  curieuse  publication,  imprimée  avec 
le  luxe  de  bon  goût  et  le  soin  que  comportent 
les  livres  destinés  aux  véritables  bibliophiles, 
est  due  au  zèle  éclairé  de  M.  Henri  Bordier, 
de  la  Bibliothèque  Nationale,  bien  connu  par 
son  Dictionnaire  des  pièces  autographes 
volées,  et  par  d'autres  ouvrages  qui  témoignent 
de  savantes  et  consciencieuses  recherches. 
M.  Bordier  a  l'ait  précéder  ce  Chansonnier 
Huguenot  d'une  très-intéressante  préface, 
dans  laquelle  il  fait  ressortir  avec  beaucoup 
de  tact  I  opportunité  et  l'utilité  de  la  mise  en 
lumière  de  ces  petits  recueils  de  chansons, 
oubliés  depuis  deux  cents  ans,  et  qui.  négligés, 
proscrits  ou  perdus,  ont  presque  entièrement 
disparu-  des  bibliothèques.  Au  point  de  vue 
de  la  vérité  historique,  ce  recueil,  qui  rappelle 
tous  les  événements  du  xvk  siècle,  a  une 
valeur  inconstestable  ;  mais  en  outre,  comme 
dit  M.  Bcn-dier  avec  beaucoup  de  justesse, 
>'  il  montrera  qu'il  y  eut  une  belle  et  nerveuse 
poésie  de  la  Réforme.  On  verra  dans  ce  petit 
livre  qu'elle  ne  lut  pas  inférieure  aux  autres 
œuvres  d'art  du  même  temps;  on  y  verra 
aussi  qu'avec  un  de  ses  souvenirs  de  famille, 
le  Protestantisme  peut  doter  les  lettres  fran- 
çaises d'un  recueil  de  vers  qui  semblera  tout 


nouveau  tant  il  était  oublié,  et  qui  mérite  bien 
d'être  rendu  à  la  lumière...  »  —  Parmi  le.» 
chansons  recueillies,  on  en  trouve  un  certain 
nombre  d'HusTORo  de  Bcaulieu,  poète  et 
organiste  Limousin.  On  retnarque  une  chan- 
son en  patois  provençal,  datée  de  ib6.\., 
etc..  La  chanson  parodiée  des  Funérailles 
du  duc  de  Guise  ipage  253  et  suiv.i,  est 
surtout  curieuse  en  ce  qu'elle  a  servi  de  pa- 
tron à  lu  fameuse  chanson  populaire  de 
Malborough.  Enfin  l'ouvrage  se  termine  par 
une  excellente  Bibliographie  de  la  Chanson 
protestante  et  par  une  table  des  noms  cités. 

—  Le  même  Chansonnier  Hugue- 
not. Grand-papier  de  Hollande,  1  forts 
vol.  in-i6.  12  fr. 

Annales    Plantiniennes     depuis 
la  fondation  de  l'imprimerie  Plantinienne 
à  Anvers,  jusqu'à  la  mort  de  Chr.  Plan- 
tin,  i3d5-i589,  par  C.  Ruelens  et  A.  de 
Backer.    i86'3,   m-8,    avec    portrait    de 
Piantin  et  fac-similé  de  sa  signature.  8fr. 
Excellente   bibliographie,    indispensable   à 
tout   bibliographe.    Elle  a   été   tirée  à  petit 
nombre  (200  exemplaires  seulement). 

Banquier  du  Diable  (Discours 
prodigieux  et  espouvantabie  du  thréso- 
rier  et)  qui  ont  esté  bruslés  à  Vesouz  en 
la  Franche-Comté,  le  18  janvier  lôio. 
après  avoir  confessé  une  infinité  de  ma- 
léfices et  sorcelleries  par  eux  commises, 
ensemble  le  moyen  comme  ils  furent 
descouverts,  avec  la  copie  de  larrest  du 
parlement  de  Dôle.  A  Lyon,  pour  Jean 
Doret  (lôio).  Broch.  in-i(3,  pap.  vergé 
fort,  caractères  antiques.  i  fr.  30 

Réimpression  fac-similé  de  l'édition  origi- 
nale d'après  le  seul  exemplaire  connu  et  con- 
servé à  la  Bibliothèque  Nationale.  Cette 
réédition  tirée  à  petit  nombre  a  été  exécu- 
tée avec  beaucoup  de  goût  à  Dôle  en  1871. 

Comédie  Bressane  du  XVU'' 
siècle  (L'Enrôlement  de  Tivan),  en 
vers,  par  Brossard  de  Montaney,  con- 
seiller au  présidial  de  Bourg.  Lyon, 
imprim.  L.  Perrin,  1870,  in-8,  caractères 
antiques,  titre  rouge  et  noir^  rig.  à  l'eau- 
forte  et  illustrations  humoristiques  daris 
le  texte,  papier  teinté.  6  fr. 

Jolie  publication  tirée  à  petit  nombre  et 
exécutée  avec  beaucoup  de  goût.  La  comédie 
de  Tivau  a  fait  les  délices  de  la  société 
Bressane  au  xvii'  et  ■aww  siècles.  L'auteur  a 
joyeusement  tracé  le  caractère  naïf  de  son  hé- 
ros, les  scènes  qu'anime  ce  plaisant  personnage 
sont  dialoguées  avec  beaucoup  de  naturel  et 
le  stvie  est  émaillé  de  gracieux  détails.  Il  y 
a  là  îine  mine  féconde  à  exploiter  par  les  phi- 
lologues. C'est  en  1673  que  Tivan  fut  com- 
posé. Plusieurs  vers  de  la  VI"  scène  font 
allusion  à  la  campagne  à' Alsace  que  le  grand 
Condé  allait  entreprendre  après  la  mort  de 
Turenne.  Une  traduction  française  accompagne 
le  texte  patois. 

—  Le  même,  tiré  sur  Grand-papier 
de  Hollande.  Quelques  exemplaires  seu- 
lement. 12  tr. 


CATALOGUES  MENSUELS  DE  LIVRES  CURIEUX 

KN  VKNTE  A  PR[X  MARQUÉS 

Les  catalogues  sont  envoyés  franco  en  province  <•/  à  l'étranger  sur  demande  affranchie. 


X 


L.a  Bibliothèque 
université  d'Ottawa 
Echéance 


The  Library 
University  of  Ottawa 
Date  Due 


"-è 


a39003  005538326b 


CE    Z 

0992 

.F4  7/J 

k     1877 

COO 

FERTIAULT, 

F 

AMOUREUX 

D 

ACCyif 

142Ô51Ô