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Publication couronnée par l'Académie française
Ern^OND STOULLIGh
LES ANNALES
D
du Théâtre
c
O et
de la Musique
AVEC UNE ("
Préface par M. Jean RICHEPIN
^tente-et' unièmes (Z^nnéey^
PARIS
SOCIÉTÉ D'ÉDITIONS LITTÉRAIRES & ARTISTIQUES
LIBRAIRIE PAUL OLLENDORFF
5o, CHAUSSÉE d'antin, 5o
1906
Tous droits réservés
LES
ANNALES DU THEATRE
ET DE LA MUSIQUE
DU MÊME AUTEUR
Les Annales du Théâtre et de la Musîqvte^ comprennent 30 volumes »
les vingt-et-un premiers en collaboration avec M. Edouard Noël :
1er volume (année 1875), avec une préface de Francisque Sarckt ;
2« volume (année 1876), avec une étude de M. Victorien Saroou, tle rAcadémie fran-
çaise : L'Heure du Spectacle ;
Se volume (année 1877), avec une étude de* Edmond Got, de la Comédie-française
Le Théâtre en Province ;
4e volume (année 1878), avec une étude de Emile Zola : Le Naturalisme au Théâtre ;
5e volume (année 1879), avec une préface de Henri de Lapoumbratk : 1779-1879 ;
6e volume (année 1880), avec uiie étude de Victorin Joncières : La Question du
Théâtre-Lyrique ;
7e volume (année 1881), avec une préface de Henry TouQvrsR : La Maison de
M. Perrin ;
8e volume (année 1882), avec une étude sur la Mise en Scène, par Emile Perrin, de
rinstilut;
9e volume (année 1883), avec une préface de Charles Garhier, de rinslilut': Le Tout
Paris des Premières ;
10e volume (année 1884), avec une préface de Henri de Pêne : Le Journal et le Théâtre ;
lie volume (année 1885), avec une élude de Charles Gounod, de Pinstilut : Considé-
rations sur le Théâtre contemporain ;
12e volume (année 1886), avec une préface de Jules Barbier : Les Jeunes ;
13e volume (année 1887), avec une préface de M. Jules Claretie, de TAcadémie
française : Il y a cent ans ;
14e volume (année 1888), avec une préface de Hector Pessard : Le Théâtre Libre :
15e volume (année 1889), avec une préface de Henri Mcilbac, de TAcadémie fran-
çaise : La Comédie au Cercle ;
16e volume (année 1890), avec une préface de M. Ludovic Halévt, de TAcadémie
fï*ançaise : Une Directrice de la Comédie-Française ;
17e volume (année 1891), avec une préface de Gustave Larroumet, de rinstilut :
Le Centenaire de Scribe ;
18e volume (année 1892), avec une préface de M. Jules Lemaitre, de TAcadémie
française : Le Mysticisme au Théâtre ;
19e volume (année 1893), avec une préface de M. F. Brunetière, de PAcadémie fran-
çaise : La Loi du Théâtre ;
20e volume (année 1894), avec une préface de Francisque Sarcet ;
21e volume (année 1895), avec une préface de M. Félix Duquesnel : De l'Evolution
des Répertoires dramatiques ;
22e volume (année 1896), avec une préface de M. A. Claveau : L'Education du
Comédien ;
23e volume (année 1897), avec une préface de M. Emile Faguet, de l'Académie fran-
çaise : La Comédie contemporaine ;
24e volume (année 1898), avec une préface de M. Augustin Filon : La Philosophie du
Théâtre ;
25e volume (année 1899), avec une préface de M. Albert Carra : Le Prix Monbinne ;
26> volume (année 1900), avec une préface de Lucien Mohlpeld : Le Malaise du
Théâtre ;
27e volume (année 1901), avec une préface de M. Paul Hervieu, de TAcadémie fran-
çaise : Un Ancêtre aux Annales du Théâtre et de la Musique ;
28e volume (année 1902), avec une préface de M. Catulle Mendès : Les Autres et Nous;
29e volume (année 1903), avec une préface de M. Alfred Capus : Les Nouvelles Diffi-
cultés du Théâtre;
30e volume (année 1904), avec une préface de M. C. Saint-SaËns, de l'Institut : Cau-
serie sur l'Art du Théâtre.
Edmond STOULLIG
PUBLICATION COURONNÉE PAR L'ACADÉMIE FRANÇAISE
LES ANNALES
DU THÉÂTRE
ET DE LA MUSIQUE
AVEC UNE
Préface par M. Jean RICHEPIN
^tente'Ct' unièmes Q^nnée^
leos
PARIS
SOCIÉTÉ D'ÉDITIONS LITTÉRAIRES & ARTISTIQUES
LIBRAIRIE PAUL OLLENDORFF
5o, CHAUSSÉE- d'antin, 5o
1906
Tous droits réservés
■^.^
302162
* * • • •
* » •
L'AMATEURISME
Eh ! oui, le mot est hideux. Il est même
d'une hideur éminente et mirobolante.
Si j'ai le triste courage de m'en servir, ce
n'est pas, néanmoins, comme on pourrait le
croire, par un raffinement d'horreur devant
la chose qu'il désigne. Peut-être ne suis-je
pas fort éloigné de penser, au contraire...
Mais n'anticipons pas!... Quoi que je pense
de la chose, au surplus, j'ai employé Je mot
uniquement parce qu'il la désigne d'une fa-
çon claire pour tout le monde, dans le patois
qu'est le français courant d'aujourd'hui. Et
donc j'ai la certitude de me faire bien enten-
dre quand j'écris la proposition suivante :
Dans les Uttres et les arts en général^ et
en particulier dans la littérature et Vart
dramatiques^ V avenir est désormais à V ama-
teurisme.
Autrement dit, et pour prendre un second
vocable au nouveau vocabulaire et le présen-
ter selon les élégants raccourcis de la syn-
taxe à la mode :
Des professionnels y n^en faut plus !
VI PREFACE
Que ce triomphe de l'amateurisme soit tout
proche au théâtre^ c'est ce qui est révélé par la
lecture même des présentes Annales où Ed-
mond Stoullig enregistre sans parti pris les
premières représentations, et dont les pages
sont de plus en plus prises d'assaut par les
amateurs victorieux. Notez que je ne regimbe
pas là-contre. Je constate le fait, voilà tout.
Et pourquoi diable perdrait-on son temps
et sa peine à se gendarmer? Ce qui arrive
ainsi au théâtre est la conséquence naturelle
de ce qui se produit ailleurs et doit se pro-
duire partout, avec notre impérieux besoin
d'égalité. Blâmez ce besoin, si Je cœur vous
en dit; mais le philosophe est bien forcé,
puisque ce besoin existe, d'admettre qu'on y
doit satisfaire dans les arts comme dans le
reste, et au théâtre comme dans les autres
arts. Il y a là une loi fatale, dont les appli-
cations sont logiques, c'est-à-dire justes.
Sans doute les esprits étroits et rétrogrades
ne se soumettront pas volontiers à cette loi.
Même écrasés sous la force inéluctable qui
nous l'impose, ils essaient de la nier. Ils
trouvent, pour en combattre la logique et
pour en blasphémer la justice, des arguments
spécieux, qui ne laissent pas de paraître
PREFACE VIJ
solides. Tel celui-ci, un des meilleurs, que-
je reproduis impartialement :
« Comment ! Tous les -métiers, même les
plus simples, doivent être enseignés ; et ces
métiers compliqués et sublimes, que sont les
arts, le premier venu les pratiquerait d'em-
blée, sans apprentissage! »
Ratiociner en sens contraire serait digne
delà Palice. Mais ce qui ruine cet argument
mieux que tous les raisonnements du monde,,
n'est-ce pas le brutal exposé des faits? Oui^
la supposition ci-dessus est absurde ; et
cependant les choses vont comme si elle était
la sagesse même.
Pour nous en tenir à l'art dramatique, et,,
dans cet art, à l'interprétation, n'est-il pas
évident que l'on y tend de plus en plus à
jouer la comédie au mépris de tout ce qui
constituait naguère ce métier et cet art très
difficiles ? Et, encore une fois, je ne m'in-
digne point, ni ne me plains; je constate.
Naguère, on enseignait aux comédiens, ou
d'eux-mêmes ils s'acharnaient à apprendre^
diverses choses dont ils n'ont plus désormais
le moindre souci. Il y fallait *du temps, de la
patience, de l'étude, même avec les plus heu-
reux dons de nature. Ces diverses choses
VUJ PREFACE
s'appelaient : marcher, gesticuler, avoir de
la tenue, du galbe, le physique de l'emploi,
dire enfin, surtout dire, articuler, avoir une
voix assouplie, juste, forte, prenante, exacte
à tout exprimer. Les maîtres dans ce métier
et cet art n'arrivaient à la maîtrise que tard
dans la vie.
Aux comédiens nouveaux aucune de ces
qualités ne sera plus nécessaire. Peut-être
nuisent-elles déjà. Une seule qualité tiendra
et tient lieu de toutes nos vieilleries. Elle a
nom la sincérité.
Ne cherchez pas à trop la définir, d'ailleurs,
cette fameuse sincérité. Gela ne se définit pas.
Gela se sent. G'est mystérieux, mais indénia-
ble. On l'a ou bien on ne l'a point. Rien ne la
donne. On l'a de naissance. Elle se reconnaît
à je ne sais quelle gaucherie sublime. D'au-
cuns en font le moderne tarte-à-la-crême.
Pourquoi voudriez-vous que celui ou celle
qui' l'ont, ou croient l'avoir, cette qualité su-
prême, absolue, se préoccupassent des autres
qualités, désormais vaines et superfétatoires?
Que gagneraient-ils à les acquérir ? Laissons
ce long travail sans but aux anciens ridi-
cules professionnels ! Les amateurs n'en ont
que faire.
PREFACE JX
Et comme ils ont raison, d'être tels ! Le
triomphe approuve leur ignorance et contre-
signe leur orgueil.
Regardez, en effet, auprès des vétérans
qui s'obstinent à vaincre encore péniblement
parles* moyens de jadis, regardez les cons-
crits gagnant leur bâton de maréchal en
quelques rapides campagnes, par les moyens
d'aujourd'hui ! Vous en trouverez tout le
long du présent livre. Inutile que j'en cite
les noms. Vous n'avez qu'à battre le rappel,
de vos souvenirs.
Il y a là des comédiens et des comédiennes
à qui fut loisible d'être laids, mal bâtis, en
bois ou en baudruche, de bredouiller, de ba-
fouiller, de laisser choir leurs phrases, de
gesticuler en pantins, de dire sans articula-
tion, et faux, toujours faux, sauf deux ou
trois fois dans chaque soirée, et qui, nonobs-
tant, furent applaudis, portés aux nues, flat-
tés, encensés, adorés, préférés- aux plus
grandes gloires mortes ou vivantes.
Secret de ces salles en délire : ces ama-
teurs étaient, comme dit notre jargon, des
sincères.
Et non seulement le public opinait de la
sorte, y compris les connaisseurs ; mais
X PRÉFACE
pareillement s'extasiait la presse, qui pré-
tend mener le public et qui le suit. Et, en
fin de compte, c'est toute la société que nous
sommes qui pensait et sentait ainsi, de la
meilleure foi du monde. Elle aussi, certes,
est sincère, quand elle apothéose de cette
façon les amateurs, et semble prendre. pour
cri de guerre que poussera l'art.de demain :
— A bas les professionnels !
Si j'ai choisi comme matière à exemples
ce plateau du théâtre et ce qui grouille des-
sus, c'est que tout y est grossi, en lumière,
en vedette, dans un éblouissement qui vous
crève les yeux ; c'est aussi parce que m'y
incitait le titre même du livre auquel est
destinée cette préface. Mais, au lieu d'une
préface, c'est un volume entier qu'il me fau-
drait, pour montrer, fût-ce sommairement,
le triomphe de l'amateurisme et la future
ruine des professionnels dans tous les autres
arts.
Songez, en effet, à tant de succès rempor-
tés par des dessinateurs ignorant les pre-
miers éléments dii dessin, par des peintres
sans couleurs, par des écrivains dénués de
style et de grammaire, par tous les poètes
et toutes les poétesses qui pullulent, incapa-
PREFACE XI
bles de chanter quatre vers de suite se
tenant! Un dénombrement homérique ne
suffirait pas à noter leurs noms et leurs vic-
toires.
Car, il ne faut pas se lasser de le répéter,
ces amateurs sont des victorieux ; et leurs
noms sont célèbres, tous, un petit moment
chacun ; et ces gloires sont méritées, en
somme.
Tous, ne sont-ils pas des sincères ? Mépri-
sant les métiers abolis, c'est-à-dire les rou
tines, chacun n'a-t-il pas apporté sa note à
lui, ingénue, ignorante, touchante par cela
même ? Sans doute, il arrive à plus d'un,
presque à chacun, de prendre pour une trou-
vaille quelque antiquaille dont les profession-
nels faisaient fi depuis longtemps ; mais que
cette niaiserie gauche et prétentieuse a de
charme !
Voilà ce que les professionnels ne savent
plus faire, et ce que nous aimons par dessus
tout.
Les professionnels ont cru qu'on ne pour-
rait jamais se passer d'eux, parce qu'ils
étaient seuls en état d'exprimer ce qu'éprou-
vent les autres. Nous voulons aujourd'hui
que le plus humble des autres s'exprime lui-
XIJ PREFACE
même, bien ou mal, peu importe, mais avec
sincérité.
Et, du coup, l'amateurisme est né, fleurit,
va de plus en plus s'épanouir.
L'aboutissement en sera ce qu'il sera,
d'ailleurs, et nul n'y peut rien. Aussi, me
garderaî-je de pronostiquer en mieux ou en
pis pour l'art de demain, l'art de tous pour
tous et par tous. Je ne me permettrai même
pas d'en rire, comme un professionnel mé-
content. Je préfère y songer en philosophe
qui veut tout voir du beau côté, avec indul-
gence et avec espoir.
Qui sait si ce triomphe de l'amateurisme
n'est pas un retour à ce qui devrait être ? Au
fond, les professionnels sont des monstres,
comme le furent les tyrans, les conquérants,
les hommes de génie. L'humanité qui vient
sera peut-être....
Au surplus, voici de quoi conclure sage-
ment et délicieusement. Fut-il un profes-
sionnel ou un amateur, le grand et bon Mis-
tral qui écrivit ce qu'on va lire? Je l'ignore,
en vérité; mais ce que je n'ignore point, c'est
qu'il écrivit en joli français, et savoureux,
pécaïre, le jour où il écrivit ces lignes.
(( Ne nous mettons pas en peine, dit il.
PRÉFACE xiij
« d'enseigner la vita nuova à ceux qui sau-
« ront Tacquérir. La cigale qui sort des pro •
« fondeurs du sol, avant que d'en percer la
« croûte, s'inquiète-t-elle de' la façon dont
« elle existera au pays de la lumière?... La-
ce boureurs et semeurs, labourons et semons,
« voilà de quoi nous occuper. Quand les blés
« seront mûrs, les faucilles viendront bien
« d'elles-mêmes. »
Suivons le brave conseil, et labourons
donc et semons, amateurs ou professionnels.
Même s'il ne doit rien germer dans nos
sillons, n'est-il pas agréable de s'y promener
en faisant un geste qui est auguste, puisque
le père Hugo l'a dit ?
Jean Richepin.
V
' LES
ANNALES DU THEATRE
ET r^E LA MUSIQUE
ACADÉMIE NATIOKAt^E DE MUSIQUE
UArmide de Gluck, depuis si ioQglemps de-
mandée et tant de fois différée, sera la' gtôVè, de la
direction Gailhard... Joignez-y les belles* soirées
de Tristan et Isolde se continuant fort arti'sfjqjist^.
ment avec M. Van Dyck et M'^^ Grandjeari, Tihié-/.
Fessante résurrection du Freychûtz de Weber et
la reprise du Gid de M. Massenet, l'apparition de
deux œuvres inédites : Daria de M. Georges Marty
et le ballet de la Ronde des Saisons de M. Henri
Bûsser, délicieusement^dansé par M'^^ Zambelli —
et vous aurez, avec le répertoire courant, le très
honorable bilan de l'Opéra en Tannée 1905.
Voyons-en le détail.
i3 JANVIER. — Siffurd reparaissait sur Taffiche,
ei M. Ernest Reyer, qui assistait à là représenta-
lion, pouvait constater avec quelle chaleur le public
accueillait son œuvre préférée. M. Affre se faisait
applaudir dans le rôle de Sigurd, qu'il chantait
pour la première fois. M"^ Bréval était une admi-
▲KNALBS ïiV THÉATKB 1
2 LES ANNALES DU TH^TRE
rable Brunehilde; M. A. GressCi un très remar-
quable prêtre d'Odin ; M; Noté, un Gunlher de
belle autorité.
27 JANVIER. — Première repr^ûntation de Z>a-
riciy drame lyrique en deux actes de. MM. Adolphe
Aderer et Armand Ephraïm, 'iftusrque de M. Geor-
ges Marty^ — C'est — s^fiX î^Husion, du reste, à
la terrible actualité -^--'VuilK drame foncièrement
russe, dont l'action .s,cf*pôs6e aux environs de 1820.
Modeste et pauvr&JfiîJe de moujick, Daria a donné
sa vie, son âme étàon cœur à Boris, son seigneur
et maître. .Maij les grands sont frivoles : Daria
ne potiv^\UpKiS mal placer sa confiance. Boris an-
nonce -àj^à^maîtresse qu'il la quitte pour faire un
bèaii'înariage destiné à redorer son blason. Et
^ UWqû'au lieu de se résigner à son triste sort,
'éeJfe-ci s'insurge contre ce lâche abandon, Bbris
ordonne férocement qu'on lui donne le knout...
El certain Ivan se détache alors du groupe des
serfs, se refusant à frapper une femme. — « De
quoi te mêles-tu ? s'écrie Boris, et pourquoi tant
de pitié pour cette créature?/*. Ta l'aimes donc?... »
— « Oui^ maître, répond Ivan, depuis que je l'ai
connue tout enfant. » — « Eh bien! je te la
donne ! » Et Ton appelle le pope. Et le prêtre les
marie. L'es voilà partis pour les terres seigneu-
1. DisimilWtôN. — Dafia, M"c Vix (débuts). — Boria, U. Rouifselière.
— Ivan, M. Delmas: — Le pope, M. Dinar d. — Un garde, M. Cabillot.
— Un* piquéuï", M. Donval. — Deux bûcheron!?, M. Gallois et M. Slam-
ler.
Danse. — M'>«» Barbier, Meunier, Billon,.L. Conaty Klein, Rouvier,
Diiier] MU. Sfaats, Ré(/niér, Cléret.
Mi>o Vix, que la maladie allait momentanément éloigner de la scène,
devait bientôt être remplacée dans le rôle de Daria par M*'* Demongeot,
ACADEMIE' NATIONALE DE 3IUSI^UE 3
riales, eu pleine forêt de l'Ukraine. C/est devant
rizba) où Daria berce son enfant couché dans son
berceau, que nous- nous retrouverons aii. second
acte. Ivan fut si tendre et si bon qu'il a conquis
Tamour de sa femme, ne regrettant désormais
plus rien du- passé... Le passé n'est' pas mort
pourtant : une sonnerie de cor annonce la venue
du maître qui feint d'avo'ir été égaré par la chasse
dans les halliers voisins, et réclame d'Ivan une
héspitalité dont il s'empresse d'abuser, cherchant
à le griser et à profiter de sa lourde ivresse pour
lui' prendre sa femme. Mais au moment où il veut
la: saisir, Ivan, qui simulait un sommeil de plomb,
se relève, justicier, et Tétrangle de ses robustes
mains. Puis il met le feu à J'izba où il laisse le
cadavre de son maître, et s'enfuit avec sa femme
et son enfant. Sur. ce livret violent, plein d'émotion
et d'humanité, simple, rapide, clair et scénique,
M-. Georges Marty a écrit les deux actes pour les-
qi«els sa qualité de prix de Rome (de 1882!) le
désignait depuis longtemps au choix de l'Institut.
Daria est le second oy^vrage de VI. Marty. Le Duc
de Fer rare, où il avait pour très adroit collabora-
te^ar M. Paul Milliet, attestait un musicien de
théâtre, et la manière dont il le conduisait lui-
même faisait heureusement prévoir le remarquable
chef d'orchestre aujourd'hui placé à la tête de la
Société des Concerts du Conservatoire. En Daria^
comiii-3' en son œuvre initiale déjà marquée de
puissance, de' vie, d'envolée et de talent, M*. Marty
manie l'instrumentation de toute sûreté ; ses idées
— mélodies populaires à part — ont de l'élan j de
4 LES ANNALES DU THEATRE
la grâce et de la vigueur ; il sait faire chanter les
voix et traduire avec force les sentiments intimes
de ses personnages. On a redemandé les airs de
danses de caractère dont le thème est si joliment
exposé par le cor et la clarinette et dont le rjthme
original s'accuse de précise façon ; on. a* su appré-
cier le charme très réel de la chanson slave :
« Est-ce donc la fontaine où venait le ramier? »
et le doux agrément de la mélancolique berceuse :
« Dors, ô mon doux agneau », que discrètement
accompagne le violoncelle; on a fait enfin le plus
légitime succès à la rude chanson cosaque : a Le
vent siffle, le vent sanglote », chantée, mimée et
dansée par M. Delmas, qui, de si souple talent, a
fait du rôle complexe d'Ivan, triste, gai, farouche,
terrible, une si curieuse composition. A M. Rous-
selière était échu le personnage fort ingrat de Boris
auquel il prêtait sa chaude voix de ténor. Le rôle
de Daria servait de début à M"* Geneviève Vix, la
brillante lauréate dont, aux derniers concours du
Conservatoire, furent justement remarqués l'évi-
dente intelligence et le solide tempérament dra-
matique. Nous avons retrouvé à l'Opéra ces mêmes
qualités théâtrales, et quand sa voix, qui manque
encore de médium, aura acquis l'émission néces-
saire au vaste vaisseau du monument Garnier, nous
aurons en M"® Vi.x une artiste de réelle valeur.
L'orchestre était savamment et amicalement con-
duit par M. Vidal, qui, à une année de distance,
suivit à la villa Médicis son excellent camarade
Georges Marty. — Marly, Vidal, Pierné, Leroux,
tous Grand Prix de Rome, tous élèves de Massenet,
AGADëMIE^ nationale de Ml'SIQUE 5
faisant, on le voit, glorieusement honneur à leur
illustre maître*
28 JANVIER. — Grande redoute parée, masquée
et travestie *.
3o JANVIER. — La ving't-cinquième représentation
du Fils de rEtoile de MM. Catulle Mendès et
Camille Erlanger était l'occasion d'un vif succès
personnel pour M'*^ Borgo, qui remplaçait au pied
levé, dans le rôle de Sephora, M"*^ Bréval indis-
posée.
i3 FÉVRIER. — Un concours de composition pour
orchestre, dont le jury, nommé par les concurrents,
se composait de MM. E. Reyer, Saint-Saëns^Mas-
senet, Théodore Dubois, Ch. Lenepveu, de l'Insti-
tut; Bruneau, Vincent d'Indy, Camille Erlanger,
G. Fauré, Xavier Leroux, C.-M. Widor, TafFanel,
Paul Vidal, Mangin et P. Gailhard, décernait le
premier prix (i.5oo fr.) à M. Edmond Malherbe,
prix de Rome de 1899; une première mention
(5oo fr.) à M. Ch. Kœchlin ; une deuxième mention
(260 fr.) à M. Bachelet, prix de Rome de 1890.
L'œuvre du vainqueur, le Jugement de Pâris^ sera .
exécutée à l'Opéra.
24 FÉVRIER. — L'orchestre de l'Opéra se trou-
vait ce soir sans chef... L'affiche annonçait Tristan
1. — M. Gailhard avait eu l'idée de ressusciter pour un jour les an-
ciens bals de lOpéra. La recette atteignait 33.700 fr., et la fAte était des
plus brillantes. Un concours dit « de la pantoufle d'or pour le plus petit
pied de Paris » obtenait un gros succès. Une quarantaine de pieds,
plus jolis les uns que les autres, s'étaient posés sur le cou«-sin rouge,
mais la minuscule pantoufle était chaussée déflnitivement par uno
femme de la société sud-américaine, M™* A. Ph. P., qui demandait
qu'où re«5pect.U son incognito.
O LES ANNALES DU THEATRE
et /solde. An dernier marnent, par s^uitede 1 indis-
position de Tun des interprètes, on dut modifier le
spectacle et donner Tannhàuser. Or, d'ordinaire,
c'est M. Mangin qui conduit Tristan et M. Taffanel
qui conduit le Tannhàiiser. Aucun, d'eux ne se
trouvant au tliéâtre, M. Catherine, chef du chant,
monta au pupitre. Bien qu'un. peu ému, M. Cathe-
rine retrouva rapidement la pleine possession de
lui-même et dirigea Torches tre avec autant d'entrain
que de brio.
10 MARS. — Dans Lohengrin^ où M"« L. Grand-
jean est une très dramatique Eisa, M"™® Caro-Lucas
débute officiellement dans le rôle d'Ortrude, où sa
belle voix, conduite avec un art très sûr, et ses
remarquables qualités scéniques lui conquièrent
tous les suffrages ^.
10 AVRIL. — M. Ernest Van Djck, dont la di-
rection s'est assuré le concours pour une série de
représentations aux mois d'avril et de mai, prend
possession du rôle de Tristan. Le célèbre chanteur
wagnérien y appa;*aît admirable de tout point.
Au dernier acte, notamment, très sobre de gestes
1. — Extrait du rapport de M, Déandreis sur le budget des Beaux-
Arts-: «Pendant l'année 1904, il a été donné à l'Opéra 188 représenta-
tions, soit 13 dans chacun desjnois de juillet; août et septembre, et 16
ou 17 dans les antres mois. Dans ce nombre figurent 5 représentations
gratuites : kida^ le 29 mai; le Fils de l'Etoile, fe 14 juillet; Rigoletto,
le 15 novembre; la Favorite, le 18 décembre; les Huguenots, le 25 du
même mois. » Le rapporteur, après quelques ooiiscdérations sur le de-
voir qui incombe à l'Opéra de faire connaître : .lo les compositeurs
français contemporains; 2» les œuvres ancieirnes des grands ciassiques,
se demande si TAcadémie nationale- de rattsic|ue ne pourrait pas insti-
tuer, les jours" actuels de relâche, des . auditions mixtes, à un prix point
élevé; il y verrait le moyen de créer un .public qui deviendrait fidèle à
l'opéra et la possibilité « d'attirer le monde autre part que dans les
music-halls ».
ACADEMIE NATIONALE DE MUSIQUE 7
et d'attitudes> il montre' une intensité, une puis-
sance d'émotion vraiment extraordinaires.
12 AVRIL — Reprise d'Armide^ tragédie lyrique
en cinq actes et huit tableaux de Quinault, musique
de Gluck ^ — La représentation obtient un succès
triomphal, et Ja vérité nous oblige à recoiaaitre que
nous n'avions pas vu depuis longtemps à TOpéra
un spectacle aussi beau. M. Gailhard, aura ainsi
l'indiscutable gloire d'avoir remis lui-même à la-
scène la grande œuvre de Gluck, oubliée depuis
un «iècle, .et nous devons le dire, il y a apporté
un {Soin, une peine, une pureté de goût dont les
très chaleureux, applaudissements des spectateurs
de la pr<îmière l'ont amplement récompensé. Ce fut,
à tous les points. de vue, une noble et magnifique
soirée d'art. Armide est en quelque sorte un ou-
vrage à part dans l'œuvre de Gluck qui, après
avoir excellé dans la peinture des sujets tragiques
et des sentiments du cœur, voulut montrer que
son génie se prêtait aussi aux caprices du genre
descriptif, à la fantaisie gracieuse, aux tableaux
voluptueux. Armide est partagée en scènes d'une
ineffable douceur, à travers lesquelles éclatent des
accents d'une superbe violence et de puissants
élans dramatiques. C'est aussi l'œuvre par laquelle
1. DisiRlBUTioN. — Rettaud, M. Affre,— Hidraot, M. Delmas. — Le
chevalier danois, M. Scaramberg. — UbalJe, M. Gilly. — Aronte,
M. Riddez, — •Artémidore, M. Cabillot. — Arm-ido, MUe Drêval. — !.a
Haine, M"« Rose FéarU — .Sidonie, M^c Lindsat/. — Thômico, M'if Bu-
beî. — Une naïade, MH« Alice Verlet. — I.iicinde, MU" Demougeot. —
Mélis&e^ M'ï» Vix. — Un Plaisir, '^V^'^.AgussoL — Une ajnanto. heure use,
Mil» Mendès. — Mf^* Mathieu. MM. Ragneuu, Stamler.
Pour la preniie»re fois à l'Opéra le nom du clîef ilorchestre — ce ;t,
cette lois, M. Paul Xaffanel —.figure s-ur l'atliche.
8 LES ANNALES DU THEATRE
Glnok voulut répondre à ceux qui lui reprochaient
de manquer de mélodie. 11 leur répondit, en effef^
victorieusement, mais il ne les convainquit pas sur^
Fheure, car la représentation d'Armide souleva
d'incroyables tempêtes, et porta au plus haut
point la colère des partisans de la musique italienne-
qui opposaient les 'œuvres débiles de Piccini à
celles du grand réformateur de notre scène lyri-
que. En donnant Armide, Gluck eut même à lutter
primitivement contre quelques admirateurs de ses^
œuvres précédentes. II écrivait au bailli du Rollel
qui vantait surtout Alceste : « L'ensemble de VAr^^
mide est si différent de celui de Y Alceste que vous^
croiriez qu'ils ne sont pas du même compositeur ;
aussi^ ai-je employé le peu de suc qui me restai!
pour achever V Armide; j'ai tâché d'y être plus-
poète et plus peintre que musicien ; enfin, vous en
jugerez si on veut l'entendre. Je vous confesse
qu'avec cet opéra j'aimerais à finir ma carrière;
il est vrai que pour le public, il lui faudra au moins
autant de temps pour le comprendre qu'il lui en »
fallu' pour comprendre V Alceste. Il y a une espèce
de délicatesse dans V Armide qui n'est pas dan»
V Alceste; car j'ai trouvé le moyen de faire parler
les personnages de manière que vous connaîtrez:
d'abord à leur façon de s'exprimer quand ce sera
Armide qui parlera ou une suivante... » Gluck, à
Vienne, après avoir donné trente opéras italiens —
dont il ne reste, d'ailleurs, pas une note — avait
jugé que la réforme théâtrale qu'il projetait ne
pouvait s'ajccomplir qu'à Paris. Il avait déjà fait
jouer à notre Académie de musique fphigénie en
ACADEMIE NATIONALE DE MUSIQUE ^
Aulide^ Orphée-, Alceste; quand il voulut écrire
Armide, il se servit du poème de Quinault qui,
cent ans auparavant, avait été mis en musique par
LuUy. Ces choix de Gluck sont tout à fait à la
gloire de la scène française, et indiquent quel rang^
élevé elle occupait déjà dans l'ordre musical.. Gluck,
qui avait importé en France T^saçe des répétitions
géaérales avec public, pour Or/>^^'^ et pour Alceste^
donna la répétition g-énérale d'Armide le 5 sep-
tembre 1777. La première représentation eut lieu
le 20 septembre. 11 n^est pas douteux que l'œuvre
ne fut accueillie avec une froideur glaciale^, froideur
qu'augmenta^ paraît-il, un certain désarroi dans la
machinerie. Mais cet accueil ne tint pas aux re-
présentations suivantes, et bientôt, malgré les^
innombrables écrits, les diatribes, les épigrammes,
Armide prit son essor, et l'apparente indifférence
du public se changea peu à peu en enthousiasme.
La dernière reprise àWrmide à l'Opéra de Pari»
fut donnée en 1826. Et nous mentionnerons,
comme document historique, l'extrait suivant d'un
feuilleton du Journal des Débats : « Puisque nous
sommes sur le chapitre de l'ennui, écrivait Geof-
froy, deux mots sur Armide trouveront naturelle-
ment place dans ce feuilleton. Cet opé*a, promise
depuis longtemps aux amateurs^, a reparu avant-
hier à l'Académie royale de musique et a produit
son effet ordinaire : celui d'intéresser pendant
vingt minutes et d'ennuyer pendant deux heures
et demie... » Tel ne sera pas le jugement de
l'actuel successeur de Geoffroy à la critique des
Déba'Sj notre distingué confrère Adolphe Jullien...
lO LES ANNALES DU THEATRE
Armide est, à notre avis, la plus belle des part
lions de Gluck. Style, diction^ idées mélodiquei
sentiment dramatique^, tout y est grand, superbe
ment coordonné ; on sent à chaque page Temprein
du génie. Et nous devrions citer toutes les partie
de cette oeuvre immense, si elle n'était admin
déjà depuis longtemps par tous les musiciem
L'idée de monter Armide à l'Opéra était aus
audacieuse que généreuse, si Ton considère Tin
possibilité de représenter, à moins de frais in
menses, un ouvrage de cette importance^ le pe
sonnel nombreux qu'il fallait lui consacrer^
matériel compliqué qu'il devait mettre en jei
D'autres obstacles encore devaient s'élever conti
la remise à la scène AWrmide, entre autres^
défaut des traductions musicales et la difficulté c
trouver une interprète apte à porter le poids d
personnage principal. Or, la partition à^Armio
(lisez-Ja dans la belle édition Lemôine) est donn^
à l'Opéra telle que Gluck Ta composée, c'est-à-dij
sans une transposition, sans une coupure. Et 1
dernière pierre d'achoppement a été heureusemei
franchie : M'*^ Bréval a été, comme femme {
cornme cantatrice, une Armide idéale. dans, ce roi
colossal situé dans une tessiture quasi inabordf
ble ;. depuis la première scène jusqu'au cri finï
suprême, elle s'est montrée la fidèle interprète c)
Gluck. Le rôle de Renaud, écrit pour la voix d
haute-contre de Legros, est tenu par M. Affre, qi
le chante dans la force de sa belle voix de ténor (
s'y dépense amplement. Il a dit avec charme l'ai
..si difficile : « Plus j'observe ces lieux et plus je le
AG.U>EMIE NATIONALE DE MUSIQUE I I
admire », et n'a point faibli dans les parties che-
valeresques et chaleureuses du rôle. M"° Rose
Féart, aux sculpturales épaules, est superl)e.de
plastique et de voix dans^la Haine, doat elle enlève
avec éclat les notes élevées : ses imprécations sont
bien de nature à terrifier la pauvre 4rmide. Dans
le rôle d'.Hidr*aot, pariait Wt M. Delmas, dont
l'organe, tojujours si bi«n posé, et la diction, tou-
jours si nette, donnent de la valeur aux moindres
détails du phrasé. Une. mention spéciale à M'^^ Alice
Verletjdont l'air de la Naïade nous a permis d'ap-
précier ..la. très jolie voix, et le goût très pur. Et
comment attribuer à M™^' Lindsay, Demougeot,
Vix,iDubel, Agussol, Mendès, à MM. Scaramhar^,
<jilly, Riddez — ils sont trop! — aux choeurs et
à Torchestre, savamment dirigé' par M. Paul Taf-
fanel, la part d'éloges qu'ils méritent?, Puis, si
l^oreille «st charmée, les yeux ne- le sont pas
moins — on compte, un balle^ par acte — et com-
ment ne pas applaudir à r(^sprit ailé de* M'' • Zam-
belli, digne héritière de M^'« Asselin, créatrice de
la célèbre cha<:cane ; à la grâce légère de M^^^ San-
driniy succédant à laGuimard dans la non moins
fameuse, gavotte ; au- sûr talent de leurs, aimables
camarades M"«» Hirsch, Beauvais, Barbier, .Louise
Mante, etc.?. Et que dire des admirables décors,
eu particulier, lesr. Jardins enchantés, avec l'éton-
i^ut et délicieux ^ealèvement — le trucides ascen-
seurs — d'Arwaide et de Renaud, l'évocation des
démons,' et le tableau final, avec le dramatique
écroulement du palais au milieu des flammes d'un
sviperbe incendie ? Ce sont, tous, de pures .jner-
12 LES ANNALES DU THEATRE
veilles, qui font le plus grand honneur à MM. Car^
pezat, Amable, Jambon et Bailly, véritables maîtres
en leur art. ^
19 AVRIL. T— Dans Armide, M. Muratore rem^
place M. Affre, subitement indisposé. Le début
du jeune ténor paraît des plus heureux. Sa pres-
tance et sa jolie voix lui conquièrent, après la
célèbre cavatine du second -acte, la faveur du
public.
i5 MAI. — On donne le Cid pour le début de
jyjue Mérentié dans le rôle de Chimène. De tous les
ouvrages « créés » à TOpéra-Garnier — je ne parle
pas de ceux qui lui vinrent de la province ou de
l'étranger — le Cid est le seul qui soit allé à la
centième. Il méritait donc, à tous égards, d'être
remis au répertoire, où il n'avait pas reparu
depuis cinq ans. Cette reprise a eu lieu dans les
plus favorables conditions. M^*® Mérentié ne s'est
pas contentée de faire applaudir la belle voix, joli-
ment stylée par M. Edmond Duvernoy, qui lui avait
valu, au Conseivatoire, le premier prix de chant;
elle a eu, sous les traits de Chimène, de remar-
quables élans de tragédienne. Les rôles de Ro-
drigue et de Don Diègue ne sont-ils point parmi
les meilleurs d'Alvarez et de Delmas? Et dans le
ballet, charmant d'un bout à l'autre, avec ses mé-
lodies câlines, voluptueuses, enlaçantes^ M'*® Zam-
belli n'est-elle pas exquise, absolument exquise ?
Dans une loge sur la scène, trois femmes, plus
jeunes l'une que l'autre, applaudissaient le Cid :
c'étaient la femme, la fille -et la petite-fille du
compositeur : heureux Massenet !
ACADÉMIE NATIONALE DE MUSIQUE l3
i8 MAI. — Gala organisé par l'Association na-
(ionale de préparation au service militaire *.
3i MAI. — Représentation de gala en l'honneur
du Roi d'Espagne Alphonse XIII. On donne
Samson et Dalila^ suivi de la Maladetta.
2 jum. — Représentation offerte par le Comité
commercial et industriel des fêtes franco-espa-
çnoles aux délégués des institutions économiques
d'Espagne : Armide, avec M"^^ L.^Bréval, Alice
Verlet, Féart, Lindsay, Dubel, Demougeot^
MM. Affre, Delmas, Scaramberg, Gilly, Triadou.
3 JUIN. — Nouvelle représentation de gala en
l'honneur du Roi d'Espagne ^.
19 JUIN. — Thaïs — que l'Opéra ne voudrait pas
se laisser prendre par l'Opéra-Gomique — a reparu
1. Au programme : 2« acte d'Armide avec M»»» Bréval et VerLet^
MM. Affre, Delmas etCabillot; 2» et 5* acte de Faust (MU* Farrar dan»
le rôle de Marguerite, M»« L. Mante et Goulancourt, MM. Rousseliére et
Gresse; ballet du Cid (M"e Zambelli et M. Staats).
Le musée de l'Opéra vient de s'enrichir d'une curieuse miniature re-
présentant un ancien directeur dé l'Académie de musique, F.-J. de Mir-
b€ck, qui occupa ce poste important sous le Directoire. L'œuvre n est
pas signée, maïs elle est exécutée avec une grande finesse. G est une
amusante figure, peu connue, que celle de ce gentilhomme lorrain,
tour à tour avocat, conseiller du Roi, commissaire aux armées et direc-
teur de l'Opéra. La miniature, qui date de la dernière année de sa vie,
le représente avec l'habit de cour, le chapeau et la perruque poudrée
q«i étaient de rigue.ur à Versailles sous Louis XVL Par une coquetterie
qui ne fut pas sans courage à une certaine époque, l'ancien conseiller
du Roi avait tenu à conserver le costume de l'ancien régime.
2. Au programmme :
2« acte de Sigurd : M"» L. Grandjean, MM. Affre, Noté, Nivetto
Kiddet-,
2» acte à'Armide : M"»» L. Bréval, Alice Verlet. Mathieu, Mendès,
>LM. Affre, Delmas, Gabillot;
Ballet de Faust : M»»» Beauvais, Barbier, Salle, L. Mante.
Sigurd était conduit par M. Paul Vidal. C'est AL Taffanel qui diri-
f-'eait le 2« acte d'Armide ; M.- Mangin occupait le pupitre pendant 1©
liallet de Faust.
l6 LES ANNALES DU THÉÂTRE
<lémie des Beaux-Arts, à Fauteur d'une œuvre re-
marquable en peinture, en sculpture, ou en archi-
tecture ou en composition musicale.^
7 AOUT. — M"" Borgo chantait, pour la première
fois, le rôle de Valentine des Huguenots. On fai-
sait à sa belle et vibrante interprétation, notammçni
dans le grand duo du quatrième acte, avec M. Affre,
le plus chaleureux accueil.
22 SEPTEMBRE — PouT le début dc M"^ Jane
Margyl — petit événement parisien — on donne
Sam$on et Dali la. « La carrière de M"^ Margyl
— écrivait M. Louis Schneider — pourrait s'inti-
tuler : « Des Folies-Bergère à l'Opéra » — et la
jeune artiste n'a que. plus de mérite de s'être élevée
jusque-là. . . Nous la vîmes il y a quelques années,
déjà impérialement belle, précédée de tibicines qui
semblaient chanter la, splendeur de ses cheveux
blonds, nous la vîmes s'avancer dans Phrynéy le
joli ballet d'Auguste Germain, mis en musique par
Louis Ganne. Puis, la jolie femme qui, jouant
l'Athénienne Phryné, avait sans doute appris que
l'Athénien Aristide fut exilé parce qu'on l'appelait
trop souvent le Juste, ne voulut plus, un beau
jour, qu'on l'appelât (( la Belle », et elle se mit à
étudier le chant sous la direction si autorisée de
M. Alexandre Luigini, le directeur actuel de la
musique à l'Opéra-Gomique. Elle s'essaya, à la
Gaîté, dans Hérodiade^ au moment où les frères
Isola avaient entrepris le Théâtre-Lyrique. Mais
elle visait plus haut, et, ce soir, elle prenait pos-
session à l'Opéra du rôle de Dalila. Tout est vo-
lonté chez M"« Margyl; il n'est pas jusqu'à sa
ACADEMIE NATIONALE DE MUSIQUE IT
voix de falcon qui ne veuille être une voix de
contralto. Le succès de la cantatrice a été réel. On
sent qu'elle est musicienne ; elle articule très nette-
ment. Peut-être le médium est-il sourd, peut-être
M"® Margyl sombre-t-elle un peu trop dans les
notes graves; mais les notes du haut sortent pleines
et sonores. M"® Margyl mérite d'être encouragée;,
il faut tenir compte de « l'émotion inséparable »
et aussi des conditions dans lesquelles avait lieu^
sans répétition à l'orchestre, son premier début.
Gomme comédienne, M"^ Margjl arrivera à s'ins-
taller tout àfait dans le rôle de Dalila, qu'avec son
profil régulier et son impassible beauté elle peut
un jour jouer à la perfection : il ne lui manque
plus que de se familiariser avec les planches de
l'Opéra. » L'œuvre de M. Saint-Saëns — le maître,
assistait à la représentation — est d'ailleurs, fort
bien interprétée par M. Alvarez, dont la jolie voix
sonne clair dans les notes hautes, et par M. Notéy
q4ii fait applaudir, dans le Grand-Prêlre, son
robuste organe de baryton *.
i4 OCTOBRE. — M. Gailhard faisait acte de justice
1. — M. Lapiasida, qui, avait dû prendre un congé, nécessité par une
1res grande fatigue, vient de demander à M. Gailhard de bien vouloir
accepter sa démission de régisseur général. M. Lsqpissida, qui avait
dirigé le théâtre de la Monnaie de Bruxelles en compagnie de Joseph
Dupont et y avait monté Salammbô, appartenait à notre (^péra depuis
1883. Il n'emportera dans sa retraite volontaire que les regrets de tous
ceux qui le connurent et laissera le souvenir d'un très excellent homme
et d'un régisseur ingénieux et actif. Pour remplacer M. Lapissida, le
directeur a déûnitivement choisi M. Speck, qui avait déjà fait son
intérim. Après avoir chanté les ténors dans plusieurs villes de province,
M. Speck est connu pour avoir rempli les fonctions de régisseur sur
nombre de scènes importantes de France et de l'étranger.
ANNA LIS DU TUBATRE 2
l8 LES ANNALES DU THEATRE
et de bonne administration en réengageant, à de
brillantes conditions, M^'^ Agnès Borgo. C'est au
mois de juillet igoS que le jury du Conservatoire
consacrait, par un premier prix d'opéra, les super-
bes efforts de cette jeune et belle cantatrice d'ori-
gine corse qui, douée d'une voix étoffée, avait joué
fort dramatiquement, ma foi ! la scène de folie du
Tribut de Zamora de Gounod, où triompha jadis
la grande artiste que fut la Krauss. M. Gailbard
l'attacha immédiatement à son théâtre, où elle
débutait avec éclat dans le rôle d'Aïda. Elle y fai-
sait applaudir un organe plein de* force et de
charme, en même temps qu'une diction très pure.
Puis elle remplaçait à l'improviste, dans le Fils de
r Etoile^ comme dans Salammbô, M"^ Bréval brus-
quement indisposée. Le plus vif et le plus légitime
succès la récompensait ces deux fois de sa rare
vaillance. Elle y déployait, en effet, les précieuses
qualités qui lui assuraient, dès lors, une place à
part à rOpéra et, de Tavis unanime, on n'eût
jamais dH qu'elle chantait pour la première fois,
tant elle montrait, en ces rôles écrasants, d'aisance
et de sûreté. . . Enfin, il y a quelques jours, elle
réapparaissait dans Valentine des Huguenots. Et
le rôle lui permettait de développer toutes les ri-
chesses de son admirable voix et de son talent
dramatique si pathétique et si original. M"*^ Borgo
est, ce nous semble, de la race des vraies
artistes...
20 OCTOBRE. — Par suite d'une indisposition de
M'*« Bréval, le rôle d'Armide est chanté par
M'Je Mérentié, qui reçoit du public le plus encou-
acaoëmie nationale de musique 19
rdgeant accueil. — Quelques jours après, le rôle
d^Hidraot vaut à M, Noté, un très mérité succès.
27 OCTOBRE. — Reprise du Freysohûtz ^ opéra
e%trois actes et cinq tableaux de Weber, paroles
françaises de Pacini, récitatifs de Berlioz *. —
Àrmide, puis le Frey9chûtz : M. GaiUiard mérite
les pltts vifs éloges pour ces deux, reprises qui ea*-
richissenl admirablement le répertoire actuel de
notre Académie nationale de musique. 11 est seule-
ment fâcheux qu'il ne nous ait pas rendu Toeuvre
de Weber telle que le compositeur lavait conçue,
sans atidition d'aucune sorte. La pensée d!un pareil
inattre est sacrée et, je dirais volontiers avec Théo-
phile Gautier « qu'on ne doit toucher le .génie
quavcc des mains respectueuses comme le prêtre
quaiid il tient l'hostie ». Au temps de Louis-Phi-
lippe, on pouvait être enchaîné par l'interdiction
du « dialogue parié » à l'Opéra; aujourd'hui ces
régies n'ont plus leur raison d'être. L'Opéra*Comi-
que monte des drames lyriques ; l'Opéra peut biea
monter des opéras comiques, et c'est cette forme
qui a éveillé Tinspiration de Weber. Berlioz â beau
protester de son respect pour le chef-d 'oeuvre, il
en a modifié la structure et l'ordonnance, il l'a dé-
formé, il l'a alourdi, il l'a rendu presque mécon-
i. Distribution. — Max, M. Rousselière. — Gaspard, M. Delmas. —
Otlokar, M. Riddez. — Killian, M. Gilly. — Kouno, M. Delpouget. —
^'n ermit», M. JUatey. -r- Samiel, M. Dénoyé. — Agathe, Mfl« L. Orand-
jean. — Annette, M"c Hatto.
Danse. — M^i* Lobatein, M. Staats-, Mmei Vangœthen, Viullal, MM. Rê-
9'^ier, Ch, JaJcon.
On commençait par la première atidition du Jugement de Paris,
tableau mtisiea} dte M. Edmond Malherbe, couronné ao concoursi musical
d« lOpéra.
\
20 LES ANNALES DU THÉÂTRE
naissable par des interpolations démesurées, enva-
hissantes, parasites. Le récitatif qui relie une
scène à une autre scène détruit d'autant plus
l'équilibre, l'économie de la partition primitive,^^
qu'il est mieux fait, qu'il pastiche plus exactement
le style de Weber. Moins on sent la soudure ber-
liozieime, plus le tableau musical perd ses propor*
tions wébériennes. Ah ! le respect des œuvres, je
ne le comprends qu'absolu, sans nulle restriction!
Quand l'obtiendrons-nous pour les conceptions
musicales, pour Don Juan^ pour le Freyschûtz,
pour tant d'autres ! Que dirait-on d'un architecte
qui s'aviserait de relier les tours de Notre-Dame
par une dentelle de pierre, pour en faire un rétable
même magnifique, sous le prétexte que ce fronton
s'ajuste mieux au cadre gigantesque du panorama
de la Seine?... En i84i, le rôle de Max était tenu
par Marié, le chef de la dynastie des Marié, un
brillant chanteur dont les moyens furent complè-
tement paralysés le soir de la « première ». Agathe^
c'était M"^^ Stoltz, une artiste de flamme dont les
chauds accents, les yeux ardents et les^ cheveux
d'un noir andalous parurent peu en rapport avec
le caractère de l'héroïne allemande. Néanmoins, la
musique de Weber, pathétique, expressive, éner-
gique et colorée, fit une superbe impression, et les
critiques du temps rapportent que le chœur des
chasseurs « fut redemandé à grands cris ». A
l'Opéra, cette fois, on n'a pas redemandé à
grands cris ce chœur banalisé par les orphéons;
mais on a fort goûté les parties w^ébériennes du
Franc Archer^ surtout le deuxième tableau tout
ACADEMIE NATIONALE DE MUSIQUE 21
entier, interprété avec infiniment de style et de
talent par M"® Grandjean. Ml'® Hatto a fait une
Annette très présentable. M. Rousselière n'a pas
paru à son avantage dans le rôle de Max ; mais
M. Delmas a prêté sa grande autorité au person-
nage de Gaspard. Les chœurs n'ont pas toujours
chanté juste et ce sont eux qui ont atténué le suc-
cès du premier acte. Le corps de ballet a été fort
agréable à voir dans le célèbre rondo de piano,
r Invitation à la valse^ devenu de par la tradition,
motif à pirouettes et à jetés-battus. Le décor de la
fonte des balles a fait, une vraie impression de
terreur, et M. Gailhard en a admirablement réglé
la mise en scène. Ah ! s'il nous avait rendu tout le
Freyschûtz avec cette simplicité et cette grâce,
cette concision et cette force, quel Service il eût
rendu à la cause de l'art! M. Taffanel, enfin a
magistralement dirigé le chef-d'œuvre de Cari-
Marie Weber, et le public lui en a témoigné sa
gratitude par de chaleureux applaudissements. La
soirée avait commencé par un petit morceau sym-
phonique qui est proprement une négation de la
symphonie, le Jugement de Paris, inspiré par la
célèbre peinture de Paul Baudry , qu'on admire
au foyer du théâtre. Cette composition de M. Ed-
mond Malherbe fut couronnée au concours de
rOpéra. Les concours, n'ont jamais rien produit
de bien bon. Cette dernière épreuve n'est pas pour
relever leur prestige. M. Edmond Malherbe est un
Prix de Rome qui sait son métier, mais il est aussi
dépourvu d'idées que rempli de prétention. Ses
« motifs conducteurs » superposés n'ont rien du
22 LES AXNALES DV THEATRE
contrepoint, et séparément, ils ne sont érocateurs
d'aucun caractère ni d'aucune passio^. Je ne sais
pas ce que Paris eût pensé de ce petit travail, mais
je suis bien sûr qpie les os de Paul Baudry ont dû
claquer lamentablement dans leur tombe...
3o OCTOBRE. — Bonne reprise de Salammbô y
avec M'^* Bréval, idéale héroïne de l'œuvre, arec
M. Rousselière, dans Matho, et M. Noté, dans
Hamilcar.
4 NOVEMBRE. — Dans le Tannhàuser, M''« Lin-
dsay aborde le rôle d*Eîisabeth, où elle est très
chaleureusement applaudie.
a3 NOVEMBRE. — Spcctaclc de gala en l'honneur
du Roi du Portugal *.
4 DKCBMBRE. — Entre M. Alvarez et M. Noté
M"« Yvonne Dubel se fait applaudir dans le rôle
d'Eisa, de Lohengrin^ qui convient à son jeune
talent *.
1. Av I^toORAMMB. — 1« Ouverture da Freyschutz.
2» L» FréysckUtz (2««cte,2e tableau), MM.-RoMjï^e^ière, Dehnas, Dénoyé.
Orrhostrc dirigt^ par M. TafjTanel,
3« DAtiNM ^rtcque», M»»»! Sandrini, Viollat., G. Conat.
Chant : M. BarM.
Orchoslro dirigé par M. Paul Vidal.
I- Arméde 0- acte), MU« L. Breral, Alice Veriet, MAI. A^w, Noté,
OihiHot.
.•»• B.'^l^et (lu CM, M^^ Zamhelli ot tous les artistes de la danse.
Oroliefltr^ àitiiS!^ par M. Ed, Mangin.
t — Kxirait du rapport sur Le budget des beaux-arts de M. Hearj
Mnrot :
TouH cewx qnt eoonaisaent TOpéra ont été frappés par la forme de
l*oiupl.'iromout accordé à l'orchestre, qui s'enclave profondément dans
Ion fuutouih... Aucun autre théâtre ne présente de disposition pareille^
ot nous oepeasoa8;pa8 qtte Garnier, dans ses plans primordiaux, eût
donné celto forme, qu'il dut inventer plus tard pour satisfaire au place-
ment convenable d*une centaine de musiciens, nécessaire» auTt repré-
sentations. Il neos est revenu, de divers côtés, que Pon pourrait gagner
l'emplacement que l'orchestre emprunte aux fauteuils, en disposai. t.
ACADÉMIE NATIONALE- DE MUSIQUE 23
i3 DÉCEMBRE. — Début de M"* Chenal dans le
rôle de Brunehilde de Siffiird. — Aux concours du
Conservatoire du mois de juillet dernier, M"® Che-
nal fut la grande révélation de la journée du chant
des élèves femmes. Nous nous rappelons encore
avec quelle incontestable autorité elle posa le réci-
tatif de Fair d'Alceste, avec quelle noble simplicité
elle interpréta la vigoureuse musique de Gluck dont
elle sut nous faire comprendre les sereines beautés
et comme elle nous apparut alors très théâtrale et
merveilleusement taillée pour la scène. A son pre-
mier prix de chant elle ajoutait, quelques jours
après, un premier prix d'opéra qui la faisait immé-
diatement engager par M. Gailhard. M"* Chenal
était décidément la noble interprète de Gluck. Elle
comme à rOpéra-Comique, mais beaucoup moins, par exemple, une
partie des musiciens sous Tavant-scéne.
Cette réforme ferait gagner à l'Opéra environ 60 fauteuils à 16fi»nçs,
ce qui doonerait 9G0 francs par représentation et pour les 180 représen-
tations annuelles 172.Ù00 francs. En tenant compte des aléas de 'la<loea-
tion, mettons à 100.000 francs en chiffres ronds l'apport annuel de ces
nouveaux fauteuils, qui seraient parmi les meilleures places de l'Opéra.
Citons maintenant d'autres avantages : le chef d'orcheslro ne chango-
raîl pas de place, car il est actuelleûient au milieu de la lipno qui joiut
las denx sections du premier rang des fauteuils; il aurait en consé-
quence tous ses musiciens devant lui, tandis que maintenant une ma-
jeure partie des instrumentistes se place derrière lui. daus l'enclave
des fauteuiks, ce qui est parfois gênant pour la di^ction et peni nuire
à la parfaite exécution de certains morceaux.
On pourrait satisfaire au désir d'un grand nombre d'amateurs en pro-
fitant de la période des réparations pour construire un treillage qui
monterait et descendrait à volonté et qu'on utiliserait pour les pièce$(
wagBériettB«s. Pour la Tétralogie, par exemple, l'orchestre serait i-achÀ
comme à Bayreuth. Nous ne pensons pas que ce treillage serait une
anomalie dans le chef-d'œuvre de Garnier, car il serait la ha&e-ducadro
admirable formé par les avant-scénes et la voûte qui précède le rideau.
Nous ne dissimulons pas que ce projet doit être étudié avec un sein
parfait par des techniciens, autant pour l'architecture quo pour l'ajeeus'
tique. II serait à désirer qu'une commission peu nombreuse et CMBfkosée
d'h.)mmes véritablement compétents fût appelée à donner son avis.
:24 LES ANNALES DU THEATRE
avait triomphé, nous venons de le dire, dans Tair
d'Alceste; c'est avec la même pureté de style, la
même aisance et la même autorité que, tenant à
elle seule toute la scène, elle déclamait le cinquième
acte A'Armide : véritable tour de force, puisque ce
rôle si tendre n'était pas écrit dans la tessiture de
sa voix. Et c'est avec plaisir que nous la retrou-
vions ensuite faisant sonner ses belles notes de
mezzo dans l'Odette de Charles VI, où elle mon-
trait toute l'adresse et toute la souplese de son
talent de comédienne. M''® Chenal a justifié, fort
heureusement, toutes les jolies espérances que
nous avions mises en elle. C'est d'une belle voix,
généreuse et dramatique, qu'elle a chanté le rôle de
Brunehilde de Sigurd, et la carrière de la débu-
tante s'annonce déjà comme extrêmement brillante.
Ajoutons que l'interprétation de Touvraçe de
M. Reyer était excellente avec MM. AfFre, Noté
«t Gresse, et que la soirée — qui doit être mar-
quée d'un blanc caillou — fut, de tout point,
digne de l'Opéra.
22 DÉCEMBRE. — Première représentation de la
Ronde des Saisons, ballet en trois actes et six ta-
bleaux, livret de M. Charles Lomon, musique de
M. Henri Bûsser*. — C'est d'une légende de Com-
minges que M. Charles Lomon nous dit avoir tiré
le sujet de son ballet. Or, savez-vous bien ce
qu'était au juste le pays de Comminges? — L'an-
I. Distribution. — La sorcière. M. Vanara. — L'intendant, M. Giro-
dier. — Le chef des vendangeurs, M. Raymond. — Oriel, Mlle Zam-
helli. — Le sire de Barbazan, M"c L. Mante. — Le page, MU*- Salle. —
Le Printemps, M»* Ricotti. — L'^té. M"» L, Piron. — L'Automne.
MUe Sirède. — L'IIi er, M!i« yicloux.
ACADÉMIE NATIONALE DE MUSIQUE v^5
cien comté de France, en la province de Gascogne,
que limitait au nord, à Test et à Touest, TArma-
gnac, le Couserans et la Bigorre, au sud, la ligne
de faîte de la frontière espagnole. Et dans le décor
qui représente, sur la hauteur, le château de Bar-
bazan, la rivière qui serpente au loin n'est autre
que la Garonne, chère à. M. Gailhard. Pourquoi
faut-il qu'un jour de vendanges^ le malicieux lutin
Oriel prenne le panier et les traits d'une jeune
fille du village, à l'effet de troubler le cœur du
beau Tancrède, le seigneur de Tendroil? Et Tan-
crède, qui veut à tout prix retrouver « celle qu'il
adore » s'en vient chez la Sorcière. Et nous voyons
la Sorcière lui remettre trois fleurs, symboles et
talismans de$ trois saisons, dont la dernière doit
lui ramener la bien-aimée. Mais que ses lèvres, jus-
qu'à la fin de l'enchantement, ignorent le baiser
d'une femme ! Un danger terrible est lié à l'oubli
de cette recommandation. Puis elle lui remet une
quatrième fleur, la fleur d'hiver/ symbole de la
saison impitoyable ; qu'il ne s'en sépare jamais !
Tancrède évoque donc, grâce aux talismans, le
Printemps et l'Eté, représentés par de ravissantes
jeunes filles ; mais il n'a de regards que pour Oriel,
métamorphosée en abeille, puis en coquelicot. Les
feuilles jaunissent et c'est l'arrivée de l'automne, et
voici de nouveau les vendangeurs et les vendangeu-
ses. Tancrède est radieux. Il a reconnu celle qui a
pris son cœur et lui fait l'aveu de son amour. Cette
fois elle l'accueille en souriant, et quand il lui
demande de danser pour lui seul, elle y consent.
Alors il lui déclare qu'il veut l'épouser. Et elle
26 LES ANNALES DU THEATRE
offre, reconnaissante, le front à son premier bai-
ser. Mais elle veut la dernière fleur, gag^ d'amour
d'autant plus précieux qu'il vient de la refuser à
toutes. Tancrède, enivré, ne voit que ses lèvres
qui l'attirent; il les effleure, pendant que d'un geste
rapide elle lui arrache le fameux talisman. Hélas î
le pacte est rompu! Voici l'Hiver. Le ciel s'obs-
curcit. L'orage se déchaîne. La terre se glace. Tous
fuient épouvantés. Tancrède se sent perdu. Il con-
jure Oriel de fuir, de chercher un refuge au châ-
teau. Mais THiver leur barre la route. D'ailleurs
elle refuse de l'abandonner : ne s'est-elle pas prise
-au piège de l'amour? Le lutin est devenu femme ;
elle aime Tancrède et veut mourir avec lui. La
neige tombe, recouvre les amants enlacés. Alors,
de tous côtés, apparaissent les noirs corbeaux qui,
guidés par l'Hiver^ dansent au,tour d'Oriel et de
Tancrède une ronde folle. Et le rideau tombe au
moment où la neige redouble et où les flocons
envahissent la scène. Sur ce livret, que je ne vous
donne point comme un chef-d'œuvre d'originalité
et d'imprévu, M. Henri Bûsser (prix de Rome de
i8f|3) il /-crit, non, certes, sans verve dans- les
rythmes, et non sans ingéniosité dans les timbres,
une musique sonore, claire et dansante, très dan-
santi: : re qui est croyons-nous, une qualité pour
un îiallel . , . Et ce fut plaisir de voir le jeune com-
pusitcur, naguère bon chef d'orchestre à l'Opéra-
Coniique, s'asseoir au pupitre de l'Opéra pour con-
clu îie lui-même, avec amour, une aimable partition,
di>nt 11* )>remier acte nous a paru particulièrement
linilarU. Et comment M. Bûsser n'eût-il pas triom-
ACADEMIE NATIONALE DE MUSïÇUE 27^
phé av«c M**® Zambelli, qui, dans sa création-
d'Oriel, est une délicieuse merveille de grâce et
de légèreté, de vivacité et d'agité, de souplesse.
el d'esprit? Disons qu'autour de la parfaite et
exquise danseuse évoluent le plus agréablement
du ïoonde : W^^ Louise Mante, un Tancrède flo-
rissant de betlc santé ; M'^^ Mathilde Salle, un page*
rempli de crân«rie ; M'*«s Ricotti, Léa Piron, Sirède^
et J. Nicloux, qui, si joliment personnifient les>
Saisons.
24 DÉCEMBRE. — Bal dcs Sabots de Noël*
26 DÉCEMBRE. — Représentation de gala donnée-
par rAutomobile-Cliib^.
L'année se terminait le 3o décembre par une-
belle représentation de Tristan et /solde, superbe-
ment chanté par M. Van Dyck et par M"® Louise-
Grandjean, et le 3i décembre, avec Sarnson et
1. — M. Gailhard avait eu l'idée d'organiser, pour la veille de Noël,.
an bal d'une originalité eharmante. Toutes les dauies qui y assistaient
étaient priées de déposer leur sabot dans une grande chembiée à sur^
prises se détâcbant sur l'ensemble d'un magnifiqae décor. Les sabot»
devaient être rendus à la fin du bal et dQ,n« chacun sa propriétaire'
devait trouver nn cadeau de Nocl. Puis, pour la plus grand©^ joi'e- des
spectateurs, sortait enfin de la cheminée monumentale, à 11 heuves du
solr^ tout le corps de ballet, MUe Zambelli en tète, et ce n'était pas la>
moins agréable surprise de la soirée. Le corps de ballet dansait lat
Sabotière de 1* Korrigane.
2. — Au programme :
1er acte de Sarnson et Dalila.
Fragments du Bourgeois Gentilhomme^ suivis de la Cérémonie donnée-
par la Comédie Française. M. Leloir interprétait pour la première fois
le rôle d» M. Jourdain. Le& avtres rôles étaient tenus par MM. Tru filer
(le maître à danser^, Laugier (le maître, de philosophie), Georges Berr-
(Covielle), Defcelly (C2ié<mte> elRavet (le maître d'arme»).
Ballet de Dan Juan.
La Ronde des Saisons.
5l8
LES ANNALES DU THEATRE
Dalila^ suivi de Coppélia^ donnés en soirée gra-
tuite *.
Faust, opéra
Tristan et Isolde, drame lyrique
Roméo et Juliette, opéra
Le Fils de l'Etoile^ drame musical
Sigurdj opéra
Samson et Dalila, drame lyrique
Paillasse, drame lyrique. . . .,
Tannhaviser, opéra
*Daria, drame lyrique
Coppélia, ballet
RigolettOj opéra
Le Prophète, opéra
Les Huguenots, opéra , .
La Maladetta, ballet
Lohengrin, opéra
La Valkyrie, -drame lyrique
^Armide, tragédie lyrique
Le Cid, opéra
Thaïs y opéra
A ïda, opéra
Le Trouvère, opéra
Guillaume Tell, opéra
Le Freyschiitz, opéra
Le Jugement de Paris, tableau musical
Salammbô, drame lyrique
* La Ronde des Saisons, ballet
DATE
NOMBRE
delà .
Ire représ.
d'actes
ou de la
reprise
5
»
3
»
5 a. 8 t.
»
5
»
4
13jaiiv.
3 a. 4 1.
))
2
»
4a. 9t.
»
2
27ianv.
2
- »
4
»
5
»
5 a. 6 t.
))
2
»
3 a. 4 t.
»
3
))
5 a. 8 t.
12 avril
4
15 mai
4a. 7t.
))
4
))
4
))
ià5 t.
»
3 a. 5 t.
27 0ct.
1
27 Cet.
4
^ »
3 à6t.
22 déc.
NOMBRE
de
représenl.
pendant
Tannée
24
23
10
2
14
12
1
11
7
7
5
7
- 8
12
5
8
27
iO
2
2
1
3
9
4
4
3
* Les astérisques indiquent, au tableau de chaque théâtre, les oa-
■vrages nouveaux représentés pendant l'année.
1. — M. Dujardin-Beaumetz, sous-secrétaire d'Etat aux Beaux-Arts,
avait proposé à la signature du ministre de l'instruction publique,
M. Bienvenu-Martin, un arrêté aux termes duquel le privilège de M. P.
Gailhard, directeur de l'Opéra, était prolongé d'une année, soit jusqu'au
31 décembre 1907.
COMÉDIE-FRANÇAISE
iGSo'igoô
Le Duel de M. Henri Lavedan — dont le bril-
lant succès allait s'éterniser sur Taffiche — et le
Réoeil de M. Paul Hervieu; le Don Quichotte de
M. Jean Richepin et les Phéniciennes de M. Ri-
voUet seront, joints à deux actes charmants, la
Conversion d'Alceste, de M. Georges Cour teline, et
// était une bergère, . . de M. André Rivoire, le»
principales œuvres inédites d'une année dont, selon
notre coutume, nous allons rappeler au jour le
jour les différents faits, petits et grands.
i5 JANVIER.- — L'anniversaire de Molière se ce-
lébrait avec* les premières représentations de la
Conversion cTAlceste, comédie en un acte, en vers,
de M. Georges Courteline* et d'Hyacinthe ou la
Fille de FApothicaire, à propos en un acte, en
prose, de M. Paul Gruyer^ et avec la reprise d'Am-
phitryon^. — C'est — je le dis comme je le pense
1. Distribution.— Âlceste, M. Henry Mayer. —M. Loyal, M. Croué.
— Philinte. M. Dessonnes. — Oroiite, M. Brunot. — Célimèue, M»« Lara.
2. Distribution. — Maître Nicolas Guillaume, M. Laugier, — Léoni-
4as, M. 5»6tor. — Laforèt, M»" Amel. — Hyacinthe, M»« Y. Oarrick.
3. Distribution. — Sosie, M. de Féraudy, — Jupiter, M. Albert Lam-
bert fila, — Mercure, M. Georges Berr. — Polidas, M. Falconnier. —
Naucrates, M. Hamel. — Amphitryon, M. Jacques Fenotix. — Pausi-
clée, M. Charles Esquier. — Aryatiphontidas, M. Ravet. — Alcméne,
M"« Bartet. — La Nuit, M"* Leconte. — Cléanthis, M«« Thérèse Kalh,
3o LES ANNALES DU THEATRE
— une manière de petit chef-d'œuvre que Tacle de
M. Georges Courteline, la Conversion d'Alceste^
pièce savoureuse et forte, de pensée si profonde et
•si pure de forme, de si exceptionnelle valeur,
•enfin, qu'elle pourrait, à vrai dire, être signée du
nom même de Molière. Dans cette suite du Mi^
santhrope, Alceste est revenu de son humeur cha-
grine, et volt toutes choses en beau — plus Philiiite
^e Philinte. Il ne doute plus de Géiinaène, puis-
qu'il l'a épousée, et quand Oronte vient lui lire un
-nouveau sonnet, plus ridicule encore que le pre-
mier, il a le front de le trouver admirable. L'im-
prud«nt ! Oronte profite de cet cnthoasiasœe mai-
^endu^ et le prie d'user de son inflaei»ce pour faire
insérer ses vers au Mercure de France. Et comme
Alceste refuse, les voilà plus brouillés que jamais 1
Ce n'est pas tout : Alceste a intenté un second
procès qu'il a gagné. M. Loyal lui apporte la noie
^ payer : die est formidable! — « Je gagne,
s'écrie-t-il, et je me trouve plus p'exdre, ayant
^agné, que si j'avais perdu! » Puis — n'est-ce pas
4e comble ! — il acquiert la preuve que Célimène et
PhiKnte le trompent indignement. — « M^on seul
amour ! Et ma seule amitié ! » Alors il redevient,
non sans raison, cette fois, le misanthrope d'anlan,
bien résigné à s'enfuir au fond des bois, sans savoir
<jui, de l'homme ou du loup, remporte en cruauté.
L'exquise et classique comédie de M. Courteline a
^té littéralement acclamée : elle est, j'imagine, en-
trée pour longtemps au répertoire où elle tiendra
-une si belle place, Bile a été fort bien interprétée
par M, Mayer, Alceste très sincère ; par M'"® Lara,
3r
Célimène fiaemenl cruelle ; par M. Croué, Loyal
fort comique. Quant au jeune Brunot, qui prêtait
au rôle d'Oronte sa voîx claironnante et sa verve
bouffonne, ou je me trompe fort, ou il y a
Ta un artiste du plus grand avenir : qui vivra
verra. . . La Conversion (TAlceste était précédée
d*un à-propos (à-propos du 288^ anniversaire de
la naissanee de Molière), Hyacinthe ou la Fille de
l'Apothicaire^ aimable petite comédie en prose de
M, Paul Gruyer, jouée avec conviction par
MM. Laugier, Siblot, M™«^ Yvonne Garrick et
Amel. Elle était suivie de la reprise A' Amphitryon.
Pourquoi cette merveille de l'esprit français? Pour-
quoi — la question vaudrait d être étudiée — pour-
quoi Amphitryon^ ce régal des lettrés, ne produit-
il pas sur le grand public un effet égal à celui des
autres pièces de Molière?... M. de Féraudy repre-
nait le rôle de Sosie qui, au mois de septembre
1880, lui servait de début, — un début qui pro-
mettait et qui a tenu : vous savez comme. . .
M. Georges Berr se faisait pour la première fois
applaudir dans Mercure, qu'il jouait avec une rare
autorité. M. Albert Lambert était, sans toutefois
faire oublier Mounet-Sully, le très beau Jupiter du
leste quiproquo tournant autour d'une alcôve con-
jugale, devenu le type accompli des trois quarls
de nos opérettes. M"« Bartet — la divine Bartet,
jamais l'expression ne fut plus juste — apportait
dans Alcmène sa grâce inexprimable d'attitudes et
la musique de sa voix mélodieuse. Ah ! la Nuit dé-
licieuse — trop courte comme une miit d'amour —
que fut, du haut de ses nuages, la charmante
32 LES ANNALES DU THEATRE
M"« Marie Leconte, au talent si souple et si
sûr!
19 JANVIER. — Avec l'Anglais ou le fou raison-
nablcy où M. Coquelin cadet est toujours étourdis-
sant de verve comique, et le Flibustier, de M. Jean
Richepin, où M. Leioir se montre si puissamment
et si tendrement dramatique, le spectacle de la
matinée se terminait par VAutograplie, ce petit
chef-d'œuvre d'Henri Meilhac*, qui, depuis plu-
sieurs années, n'avait pas reparu sur l'affiche.
M"® Marie Leconte était adorable sous les traits du
personnage de Julie, et M"« Mitzy.-Dalti donnait
beaucoup de piquant et d'élégance au rôle de la
comtesse.
29 JANVIER. — Dans Ruy Blas^ M. Garry abor-
dait pour la première fois le rôle de don Salluste,
qu'il avait très intelligemment composé et qu'il
rendait très habilement, avec un art réel de comé-
dien.
la FÉVRIER. — On fêtait dans l'intimité la 5o"^^
représentation de Notre Jeunesse, -r- Un buffet
avait été dressé au foyer des artistes et, entre le
troisième et le quatrième acte, on buvait au nou-
veau grçmd succès de M. Alfred Capus. Dans un
mot charmant, et tout en réclamant l'abolition des
toasts, l'auteur remerciait ses interprètes, et
M. Jules Claretie souhaitait avec esprit une longue
vieillesse à Notre Jeunesse.
12 FÉVRIER. — Pour la continuation des dt?buts
1. Distribution» — Chastenay, M. (Georges Baillet. — Le comte Ris
cara, M. Louis Dêlau.iay. — Flavio, M. Gribonval, — Julie, M"« Mar.'e
fjficonté. — La comtesse, M^* Mitzy-DaUi.
C03IÉDIE-FRANÇAISE 33
de M"« Madeleine Roch^ Bajazet réapparaissait
au répertoire dans un décor entièrement neuf. —
Le rôle de Roxane, dans la tragédie de Racine,
était pour M"^ Madeleine Roch une nouvelle
épreuve. Elle y avait réussi comme élève, au Con-
servatoire; elle y réussissait comme artiste, à la
Comédie-Française. La diction est belle, nettement
stylée, savamment conduite. M"^ Roch a composé
le personnage avec beaucoup d'art. Elle y S(
•de très beaux mouvements tragiques. Elle était
très applaudie et chaleureusement rappelée.
M"« Géniat abordait pour fe première fois le rôle
d'Atalide. Elle s'y montrait belle diseuse et ani-
mait son personnage de toute la vie, de toute la
passion que lui a données le poète. Le public fai-
sait a la nouvelle Atalide un succès très justifié.
' 26 FÉVRIER. — La Comédie fête l'anniversaire
de Victor Hugo en donnant le soir Ilernani^ après
avoir donné en matinée Ray Blas. M. Mounet-
Sully jouait le rôle de Ruy Blas, et M"^ Bartet re-
prenait le rôle de la Reine. Le Couronnement était
dit par M™^' Lara et M*^^ Roch, devant le buste
sculpté par Falguière.
28 FÉVRIER. — Pour fêter la cinquantième des»
représentations du Théâtre-Français à Gand, les
principaux interprètes de Notre Jeunesse^ W^^ Bar-
tet en tête, jouaient, au Grand Théâtre de cette
ville, la jolie comédie de M. Alfred Capus. Trois
jours après, la Comédie-Française se rendait offi-
ciellement à Liège, où elle jouait la Fille de Ro-
land, avec les interprètes habituels de cet ouvrage,
ANNALES DU THBATRB 3
34 LES ANJȔALES DU THEATRE
saaf M. Silvain et M"»® Sej^ond-Weber, remplacés
dans les rôles du comte Amaury et de Berthe par
M. Ravet et M'»'* Delvair.
7 MARS. — A Toccafiion du Mardi-Gras on re-
prend M. de PouT4i^eaagnac qui n'a pas été joué
depuis trois ans. M. Coquelin cadet tenait le nUe
dubéjaiinepéri^ourdin.Il n'avaitjamaispara plusen
rerve, et jamais il n'avait fait rire autant. C'étaient^
par instants, dans la salle, de véritables tempêtes
de rire, particulièrement lors de la course des apo-
thicaires à travers Torchestre. M. Coquelin cadet
iiait entouré de MM, Truffier, Laugier, Dehèlly,
Siblot, Ravet, de M'"«» Kolb, Lynnès et Yvsonne
Garrick, qui prenaient leur part des appla«disse-
ments et des deux ovations du public.
8 MAKs. — M'"*^ Lara joue au pied levé le rôle
d'Hélène Briant dans Notre Jeunesse^ aux lieu "et
place de M*'^ Bartet, indisposée...
a 4 MARS. — Pour les abonnés du mardi, on re-
prend-le Fils de Giboi/er^.
i6 MARS. — M. Grandval — tel doit être, désor-
mais, sur l'affiche, le nom de M. Gribouval —
faisait ses seconds débuts dans Je rôle de Mario
du Jeu de V amour et du hasard^ où il justifiait les
espérances que son dernier concours au Conser-
vatoire et chacune de ses apparitions sur la scène
1. Distribution. — fliboyer, M. de Féraudy. — Le comte D'OutreviUe^
M. Truffier.— î.e marquis d'Auberive,M. Leloir. — M. Maréchal, M. Lau-
gier. — Duhjis. M. Jolifit. — Un domestique, M. Falconnier. — Coutu-
rier de la Hauto-Sartho, M. Hamel. — Le chevalier de Gexmoise, M. Ra-
vet. — Maximilion Gérard, M. Dessonnes. — Un domestique, M. Gait-
dy. — Le oomte do la Vrilliére, M. Nousael. — M"» Maréchal.
y^mepierson.— La baronne Pfeffer9,MUe Sorel. — Fernande, M'i» Piérat.
M">«' de Vieuxtour, M"» Lherbay.
G©MÉDIE-FRANÇAISE 35
de la Comédie avaient fait naître. M. Grandval est
fort heureusement doué et il a paru, comme plu-
sieurs fois déjà, pour la Maison de MolièKu tt«e
recrue excellente. Il était on ne peut mietix en-
touré par MM. Georges Berr, Baillet, Pierre Lau-
g-ier, M"®=* Leconte et Mitzy-Dalti.
27 MARS. — En l'absence de M. Truffier qui,
avec M. Silvain, est allé à Athènes représenter la
Comédie-Française à une g-rande fête archéologi-
que organisée par le gouvernement hellénique,
M. Garry joue pour la première fois, dans le
Demi-Monde^ le rôle d'Hippolyte Richond.
28 MARS. — La Comédie offrait à ses abonnés
du mardi la reprise de Philiberie d'Emile Augier*
qui n'avait pas été jouée depuis le départ de
M"*^ Broisat. C'est M"^ Maille, la dernière venue
parmi les ■pensionnaires, qui succédait à M"® Broi-
sat. Elle y montrait beaucoup d'intelligence théâ-
trale, disant bien les verset délicieuse sous la poudre.
La salle accueillait favorablement la nouvelle Phi-
liberte, et les applaudissements prouvaient que le
public faisait cas de son jeune talent.
3 AVRIL. — M"*" Géniat jouait pour la première
fois la Denise d'Alexandre Dumas fils, où elle se
montrait excellente de dignité, d'émotion, de pas-
i. Distribution. — Le chevalier de Talmay, M. Georges Baillet. — Ij©
duc de Chamaraule. M. Pietve Laugier. — Raymond de Taiilignan,
M. Dfsaonnes. — IVOUivon, M. Grand-cal. — Un notaire, M. Falcon-
nier. — Un domestique, M. Laty. — La marffuise. M"»» Persootts. —
Julie, Mn« Toonne Qarrick. — Philibei'te, M"» Maille.
Extrait du rapport sur le budget des Beaux- Artw, de M. Déandrei» :
L'ensemble des pièces jouées à la Comédie-Française forme un bloc
de S,175 acte», dont 758 en vers et 1,417 en prose.
Le total des recettes a été pouti'aanée l^ai de si millions 808,369 fr. ;i5.
36 LES ANNALKS DU THEATRE
sion contenue. Son jeu poignant et sobre soule-
vait à plusieurs reprises de chaleureux applaudis-
sements. La jeune artiste était, d'ailleurs, dig-ne-
ment encadrée par M. Paul Mounet, qui a fait de
Brissot une puissante silhouette, par M. Raphaël
Duflos, fort élégant dans André de Bardanne*,
par M™«* Millier, du Minil, Amel, Persoons et
Garrick, qui de tout leur talent contribuaient à
Téclat de Tinterprétation.
4 AVRIL. — Reprise du Petit Hôtel qui n'a pas
été donné depuis une dizaine d'années. La char-
nnante comédie de Meilhac et Halévy est jouée,
cette fois, par MM. Georges Berr, Pierre Laugier
et M^'^ Leconte qui tiennent à souhait les rôles de
Boismaftin, de la Marcillière et d'Antoinette.
7 AVRIL. — Premières représentations de Shylock
on le Marchand de Venise^ comédie en trois actes
et cinq tableaux, en vers, d'Alfred de Vigny,
d'après Shakespeare 2, et de // était une ber^
gère,*, conte en un acte, en vers, de M. André
Rivoire 3. — La Comédie voulait-elle être agréable
à l'un de ses meilleurs sociétaires en lui donnant
l'occasion déjouer un très beau rôle? Elle n'avait
qu'à reprendre l'ingénieuse adaptation de M. Ha-
raucourt justement applaudie il y a quelques an-
i. — Le rôle d'André de Bardanne sera bientôt repris par M. Jacques
Fenoiix.
2. Distribution. — Shylock, M. Leloir. — Bassiano, M. Leitner. — Lo-
renzo, M. Dehelly. — Un officier, M. Falconnier. — Antonio, M. Jacques
Fenoux. — Le Doge de Venise, M. Ravet. — Tubal, M. Siblot. — Gra-
tiano, M. André Brunot. — Portia, M"»» Lara. — Jessica, Mil» Yvonne
Garrich- — Nérissa, Mll« Dussane.
3. Distribution. — Le berger, M. Georges Berr, — La bergère,
Mii« Millier. — La princesse, M»» Lara.
COMÉDIE-FRANÇAISE 87
nées à TOdéon, Ji jouer la traduction, très littérale
et très littéraire, de François-Victor Hugo, ou
mieux encore, à demander à un jeune poète — il
yen a, j'en réponds — un nouveau Shylock d'a-
près Shakespeare... Tout valait mieux vraiment
que d'exhumer ce plat et froid Marchand de Ve-
nise d'Alfred de Vifjny. Soirée néfaste, entre toutes,
où^ en dépit des intelligents efforts de M. Leloir,
secondé en la circonstance par MM. Leitner, Fe-
noux, Dehellj, Brunot, M™^^ Lara, Garrick et Dus-
saiie, le « grand Will » — ayons le courage de
l'avouer — nous a profondément ennuyé ... Le
spectacle avait commencé de façon infiniment plus
lieurense avec un joli acte en vers, subtil et lon-
guet, mais charmant, de M. André Rivoire, un
jeune écrivain déjà fort apprécié des lecteurs de la
Hernie de Paris de M. Ganderax. // était une ber-
gère fut excellemment joué par M. Georges Berr,
par M"« Millier et par M"^^ Lara, qui s'étaient ainsi
chargés de sauver, à la Comédie-Française, l'hon-
neur du pavillon:
9 AVRIL. — Dans Notre jeunesse^ donnée en
matinée, M. Henry Mayer jouait pour la première
fois, et avec succès, le rôle de Lucien Briant.
17 AVRIL. — Première représentation du Duel,
pièce en trois actes de M. Henri Lavedan*. — Le
jour de la répétition générale du Z>tte/, alors que
1- Distribution. — L'abbé Daniel, M. Le Bargy. — Mgr de Bolène,
^^I^aul Mounet. — Le docteur Morey. M. Raphaël Duflos. — Le por-
t'«r, M. Joliel. — Un inlirmier, M. Hamel. — Un domestique, M. Laty.
— La duchesse de Chailies, M"» Bartet. — Yvonno. Mlle Lherbay.
A partir du 27 nvriU le Dn'^l était précédé d'un acte de M. Henri La-
veJan, E,i Vmfe, joué par M. Brunol et M 'e Dussane.
38 LES ANNALES DU THEATRE
le premier acte venait de se terminer sur les plus
chaleureux applaudissements, un mot courait les
couloirs du théâtre, aussi élogieux pour M. Lave-
dan qne dur — jusqu'à Tinjustiee — pour l'un de
sel* confrères en succès : — « Enfin, s'écriait quel-
qu'un, nous voilà dét^apiisés ! » Pourquoi celle
subite ingratitude envers la pièce parisienne, aima-
ble par excellence, exquisement mousseuse, un peu
superficielles peut-être, mais si spirituelle et si
pleii>e de ^-ràce et de fantaisie, de malice et d'obser-
vation, de verve et de talent que nous avx^ns
inaintes fois applaudie dans la Veine et la Petite
Fonctionnaire jusqu'à Notre Jeunesse et Monsieur
Piègois^, Ne peut-on pas trouver de l'aigcrément,
beaucoup d^agrément, aux jolies comédies de
M. Alfred Gapus, sans pour cela méconnaître la
belle vaillance, la haute portée, le puissant intérêt
d'une œuvre — œuvre, dans toute l'acception du
terme — somptueusement littéraire, noble et éle-
vée, dramatique et forte, superbement audacieuse
et éloquente, sincère et poignante, comme celle de
M. Henri Lavedan, ce maître en l'art de remuer
les idées, déjà l'auteur de cette pathétique tragédie
moderne, le Marquis de Priola ? Est-ce donc une
thèse que M. Lavedan a voulu cette fois porter à
la scène? Non, certes, et c'est plutôt un cas psy-
chologique qu'il nous montre, et quand je vous
aurai dit — ne le saviez-vous pas déjà? — que le
duel dont sa pièce porte le titre est un duel moral
ent'e deux frères, dont l'un est un farouche athée
et l'autre un prêtre convaincu, vous jugerez du
réel péril que présentait le délicat sujet traité par le
€OJilÉ0IB-FRA.NÇA.ISE Sq
hardi dramaturge, péril dont il a, d'àill-eurs, glo-
muscfflcnt triomphjé... Un aliéniste distingué, en-
rjgiè libre penseur, le docteur Morey dirig-e daos
h banlieue de Paris, une maison de santé, au Von
soig-iieles morphinomanes, eatre autres, le duc de
Chailles — ce personnage restera à la cantonade
— dont les débauches ont fait un dégénéré que
^'iietle la mort. Dep^jds trois mois, la duchesse, v^
naat voir son indigne mari, s'est trouvée en contact
avec le médecin, dont elle a pu apprécier toutes
les brillantes qualités de casur_et d'esprit. Pas plus
que son ami le docteur, M'"® de Chailles n'est
craraiile, et violemment, en dépit de ses scrupules
d'bonnête femoie, elle se sent attirée vers celui qui
pense que deux êtres jeunes et robustes sont faits
pour s'aimer. Le docteur Morey a un frère qu'il
n'a pas revu depuis dix ans, c'est-à*dire depuis
que, las d'une vie de plaisirs, il s'est senti touché
par la grâce et s'est fait prêtre. Et voilà que, j.us^
tenttent ce jour-là^, l'abbé Daniel — c'est le nom du
frère en question — vient prier le docteur Morey
<1 être le médecin d'un hôpital de jeunes enfants,
qu'il a fondé dans k populeux quartier de Grenelle,
avec le concours d'une société catholique. Le doc^
teur refuse : il ne veut pas. que les malades qu'il
guérira puissent attribuer teur guériso» au docteur
Dieu. — « Un concurrent dont tu as^ ea effet, le
droit d'être jaloux ))^ reprend l'abbé. Et comme^
dans la conversation, plutôt aigre, qu'ont ensemble
^^s deux frères^ d'idées si dissemblables, le doc-
teur a reproché à l'al&bé son inutilité dans la vie,
1^ prêtre proteste : « Je soigne mes semblables
4o LES ANNALES DU THEATRE
' comme lu le fais toi-même, Tu nevois pas quelles
cures merveilleuses s'accomplissent dans mon con-
fessionnal. Si je te disais que, depuis deux mois,
j'empêche une malheureuse d'avouer à un homme
qu'elle l'aime et de commettre ainsi le péché de
l'adultère. Et insensiblement je la ramène vers la
pureté, n — « C'est vers l'amour qu'elle ira malgré
toi, répond le docteur, et la faute n'en sera que
plus douce entre ces deux êtres qui> plus longtemps,
auront attendu l'instant du bonheur. . . » N'avez-
vous pas deviné que la pénitente de l'abbé Daniel
et la duchesse de Chailles ne sont qu'une seule et
même personne. Si l'abbé ne connaît pas le nom
de celle qui vient s'asseoir à son confessionnal, la
duchesse ignore de même que l'abbé soit le frère
du docteur Morey, à qui, gagnée par la passjon,
elle vient de promettre un rendez-vous pour le len-
demain. Ces. coïncidences sont-elles un miracle
divin, comme l'affirmera l'abbé? Elles sont tout
au moins un moyen dramatique, absolument ad-
missible du reste. . . Pourquoi la duchesse que je
vous ai dit n'être pas pieuse s'est-elle adressée à
l'abbé Daniel ? Parce qu'ayant, comme bien des
femmes, un fond de religion, et passant un jour
par hasard dans le quartier populaire de Grenelle,
elle est entrée dans une église toute grande ouverte
et s'est assise, sans le savoir, parmi les pénitentes
qu'appelait au tribunal de Dieu le jeune vicaire de
la paroisse. Le second acte nous introduit dans l'ex-
quise mansarde de l'abbé Daniel — un pur artiste,
n'en doutez pas. Au moment d'aller au rendez-
vous accepté, la duchesse, de plus en plus troublée.
COMÉDIE-FRANÇAISE 4 »
, vient réclamer son appui, et nous verrons ainsi le
jeune prêtre obligé de la défendre c^»tre lamour '
de son frère. Une porte s'ouvre avec fracas : c'est
le docteur lui-même qui l'a suivie et la veut arra-
cher à TEglise. Elle est belle et franchement humaine,
en sa violence toute brutale, la cruelle scène de re-
proches qu'adresse à la duchesse — en l'absence de
l'abbé, brusquement demandé par un mourant au-
quel il va porter lextrême-onction — le docteur
Morey qui va jusqu'à l'accuser d'aimer le prêtre^
son frère. . . comme tout à l'heure, en une admi-
rable joute d'éloquence entre les deux adversaires,
il accusera l'abbé Daniel de ressentir pour sa péni-
tente une tendresse coupable. Ces paroles mau-
vaises ont porté leur fruit. L'abbé Daniel '- — c'est
le troisième acte — vient trouver son grand ami
Mgr de Bolène, un saint évéque des missions
étrangères, naguère martyrisé par les Chinois ; il
dit au noble prélat des Pères Blancs les épouvan-
tables angoisses de son âme troublée, la résolution
qu'il a prise de jeter aux orties la robe dont il ne
se sent plus digne. Mgr de Bolène le réconforte et
consent à l'emmener en Chine avec lui. Mais il
exige qu'avant de partir il voie la duchesse de
Chailles, et que, loin de l'engager à renoncer au
inonde en se faisant carmélite, ainsi qu'elle l'a trop
pompeusement annoncé, elle se décide une fois
veuve — le duc vient d'expirer à la suite d'un
accès de fièvre chaude — à se remarier, à épouser
son frère qui l'aime et qu'elle n'a jamais cessé d'ai-
mer... L'abbé Daniel remplit son cruel devoir avec
une loyauté parfaite et pousse M'"*^ de Chailles vers
1
4i LES AXNALKS DU THÉÂTRE
«a véritable destinée. — (( Les dix petits doigts
4'Uii enfant : tels sont les grains du rosaire qu'elle
devra désormais baiser ». M'"^ de Chailles s^e
laisse facilement persuader : elle sera la femme dw
docteur Morey, et par eHe se réconcilieront les
deux frères qui se haïssaient,. C'est sur leur long
«nabrassement et dans une belle émotion théâtrale
* que se terminera la r.Mnarquable pièce de M. Henri
Lavedan. Elle a été mise en scène par M. Le Bargy
daus une note infiniment juste. Et en choisissant
pour lui — après Priola, le contraste n'était-il pas
curieUiX? — le rôle de l'abbé Daniel,. M. Le Bargy
s'est ménagé uite de ses plus étonnantes créationsL
Quelle âpreté et aussi quelle chaleur,, quelle énao-
tion ! Son triomphe a été complet, inoubliable...
M. Raphaël Duflos, lui, fut un partenaire, je veux
dire un adversaire digne de lui. Très élégant sons
les traits du docteur — il a exprimé de façon très
vraie les tumultueuses agitations de son amour
pour la duchesse de Chailles. 11 n'était guère de
rôle plus difficile à rendre que celui de cette femne
com[^iqiiée toujours en détresse; iL fallait une ar-
tiste dje l'admirable talent de M**^ Bartet pour le
faire admettre, et. applaudir. Le délicieux rôle, au
contraire, de sympathie si franche et de sublimité
si cordiale, qi«e celui de l'évêque martyr, ce noble
héros plein d'entrain, de bonne humeur et de spir-
rituelle gaî té ! M. Paul Mounet l'a rendu avec un
charme et une simplicité au-dessus de tout éloge.
Voilà donc une soirée très brillante, à tous les
points de vue, digne du bon renom de la Comédie-»
Française : la juste revanche de celle de Shylockl
GOJMÉDIB'HPRAJSÇ.USB 43
28^ AVRIL. — Au lendemain do çrand succès du
Lkiel qui part-aii pour une lono-ue et magnifique
carrière, la Gomédâe célébrait la centième repré-
settlatioa de l'éiaow^atttTerpièce de M. Henri Lave-»-
dan, le Marquis de Priola,
3- MAI. — La^ Comédie recevait dans Tintimité
]\{me Eleonora D«»e. A son- entrée dans le foyer des
ar liâtes — où un lundi avait été préparé — des
fleups étaient offertes à la grande actrice italienne
qiii s'entretenait amicalement avec W^^ Bartet,
Mmp PiejTson^ M.. Mounet-Sidlv^ M. Le Barçy,
M.- Coquelin eadet. .. Au cours de la réception,
M.. Jules Claretie improvisait une jolie allocutio«s
applaudie par tous les assistants*.
7 MAJ. — Un comité privé,, présidé par M. Paul
Dimmer, célébirait^y à la Sorbonne, le troisième cen-
1. — La voici sténographiée :.<( Maiiama,.vaus êtes ici en famille et la
présenre de Mine la comtesse Torniëilî, cpii m'a autorisé à vous parler
avaut l'arrivée- d& l'stmbassadeujii dfir volteipays, voiis prouve quo vou*^.
êtes aussi chez vous.
Ce que leminent représentant de Tltalie a fait en homme politique
8u-iiûrieur — rapprocher deux, aatinne^ — vous l'avee fait en grande ar-
tiste : faire fraterniser deux littératures.
Vous avez donné à Paris des fêtes d'art, d émotion, de douleur, de
po<^»ie;' vous aves lini. par: un' acte de générosité artistique en faveur
d*u»e comédienne I reAisadtéo, eet^ eprés avoir admiré votre talent nous
avons admiré votxa cœur.
Nous vous avons applauxiie chez vous; nous somme» heureux de
vou» fêter dans ce- foyer de J>a^ Maison de Molière où tant de gloires ont
pastié.
Et vous y reviendrez^- madame, quand nous inaugurerons la st;itiie
d*UD homme qui voub.adimrait. et. vous aimait. Vous avez promis de dire
po«îr Dumas file les vers qu'a écrits pour vous un poète français, le»
derniers vers de 1 hauteur de. la FiUa d& Roland,
Mais ce n'est pas pour, vûub cappeUr une pDomc«se, vous qui les tenex
toutes, qtie nâiis vious: avan^fc- priée de venir ici. c'est pour vous dire
notre sympathie^ n^ilre» atlmidratian, notre reconnaissance.
Je boiii, madame, à votvo paysv qua uous aimons, et à l'art que vuus
illustrez, —à l'Italie, notre aïeule, etià^aglorieuseiâUe, Eleonora Duso ! »
44 LES ANNALES DU THEATRE
tenaire de Don (Jaichotte en une fêle commémo-
rative à laquelle [)rétaient leur concours MM. Mou-
net-Sully, Jacques Fenoux, Dessonnes, Orandval,
M"® Renée du Minil. M. Mounet-SuUy y lisait une
conférence de M. Jules Claretie, sur Cervantes*.
20 MAI. — Le Fils de Giboyer, déjà repris pour
Tabonnement, reparaissait en matinée sur l'affiche
de la Comédie-Française, avec M. Paul Mounet,
dans le rôle de Giboyer. L'éminent artiste y avait
des instants admirables et son interprétation était
applaudie avec une chaleur toute particulière.
M. Baillet, dans le rôle du marquis, M°»® Persoons,
dans celui de M'"^ Maréchal, qu'ils tenaient pour la
première fois, se faisaient vivement apprécier.
MM. Truffier, Laugier, M"^» Sorel et Piérat retrou-
vaient le grand succès des représentations précé-
cédentes.
24 MAI. — La Comédie donnait la vingtième
représentation du Duel, et la recette s'élevait —
avec une location d'avance de plus de quarante
mille francs — à la somme de 9.307 francs. . . Suc-
1. — Quelques jours aispairavant avait eu lieu, à la Comédie-Française,
dans la salle du comité, cl st^iis la présidence de l'administrateur géné-
ral, l'assemblée générale atuuielle des sociétaires. Tous étaient présents
À l'exception de M. M;iiirice de Féraudy, souffrant; de M»'"» Adeline
Dudlay et Marie Leconte, en congé. La parole était, aussitôt la séance
ouverte, donnée à M. Georges Berr, rapporteur de la commission des
comptes, pour la lecture de son rapport, très écouté et très applaudi.
De même le rapport de M. Jules Claretie, qui était l'historique de l'année
10<)4, se traduisait par un hénêdce permettant de flxer la part de socié-
taire'à 25.000 francs. L'administrateur général parlait de l'avenir avec
une confiance partagée par l'assemblée tout entière et que la proi^périté
des années précédentes permettait d'envisager sous un jour favorable.
La constatation du grand succès du Duel, la belle pièce de M. Henri
Lnvedan, avait sa place marquée dans cet éloquent rapport chaleureu-
sement applaudi et adopté k l'unanimité.
COMÉDIE-FRANÇAISE 4î>
ces de la belle œuvre^ toujours passionnément
discutée pendant les entr'acles, et brillant succès
d'interprétation avec ce quatuor d'artistes : M"® Bar-
tet, >iM. Le Bargy, Paul Mounet, Raphaël Duttos.
3o MAI. — La Comédie participait aux fêtes don-
nées en l'honneur du Roi d'Espaçne, Alphonse
XIIL A l'Elysée, M. Mounet-Sully récitait les Pau-
vres Gens que suivaient Un Caprice^ interprété
par M"^ Bartet, M. Le Bargy et M"® Piérat, et des
monologues de M. Coquelin cadet. — Au Minis-
tère des Affaires Etrangères, toujours devant le
roi, M. Georges Berr avait dit des monologues,
MM. Baillet et Delaunay, M"®^ Leconte et Mitzy-
Dalti avaient joué V Autographe,
2 JUIN. — Représentation de gala en l'honneur
de S. M. Alphonse XIIL Le spectacle se compo-
sait de V Etincelle^ y du premier acte des Roma-
nesques^^ et du Jeu de l'Amour et du Hasard^.
6 JUIN. — Le 'igg™® anniversaire de la naissance
de Corneille était dignement célébré. Un aimable
à propos en vers de M. Georges Docquois, Rue
Saint-Thomas du Louvre^ ^ était fort bien joué par
M. Jacques Fenoux, parfait dans le rôle de Pierre
Corneille, par MM. Ravet, Garry, Siblot, Grandval
^ Mlle prancine Clary. Suivait PoUjeucte. Depuis
1. Distribution. — Kaoul, M. Le Bargy. — M"»» de Renat, M»» Cécile
Sorel. — Antoinette, Mii« Duasane.
2. DisTRiBUToiN. — Straforel, M. J. Ti^ffier. — Bergamin, M. Leloir.
— Percinet, M. Georges Berr, — Pasquinot, M. Pierre Laugier. — Syl-
vette, M»e Mûller.
3. Distribution. — Pasquih, M. Coquelin cadet. — Dorante, M. Baillet,
— Orgon^ M. Laugier. — Mario, M. Dehelly. — Sylvia, M"« Bartet.* —
Lisette, M^i* Leconte.
l^(\ LKS ANNALES DU THEATRE
quelque temps, la tragédie de Corneille n'avait pas
paru sur J'affiche. Elle était excellemment inter-
prétée. M. Monnet-Sully paraissait mag^nifique, sans
défaillance, dans le rôle de Polyeucle. Le grand
ailtiste a été rarenhent plus beau que dans la rscène
avec Néarque et dans la scène du 4^ acte avec
Pauline. De la salle ^enthousiasmée partait, à ce
• moment-là, une ovation interminable qui recona-
mençait à «on entrée en scène au dernier acte.
M"^*^ Seçond-Weber faisait admirer une Pauline
louchante et de tous points « délicieuse », comiae
dit son époux. M. iSilvain incarnait un Félix U'ès
intéressant, très proche de nous, quoique rorwai^i,
et non dépourvu de grandeur, même dans ses pi-
toyables calculs. M. Albert Lambert apportait à
Sévère son élégance fière, sa belle diction et l'ar-
deur de son généreux talent ; M, Delaunay enfi«,
un Néarque plein de flamme, complétait uji enseua-
ble qui faisait vraiment honneur à la Comédie.
i5 JUIN. — Dans Les Ajff aires sont les Affdff'^^^
où M. de Féraudv reparaissait dans sa belle créa-
tion d'Isidore Lechat, M. Louis Delauriay jouait
pour la première fois le r()le du marquis de Por-
cellet.
29 JUIN. — M. Le Bargy, le créateur de Tabbé
Daniel du Duel, ne se contente pas d'être un de
nos premiers artistes, il se révélait un de nos meil-
leurs conférenciers. Il nous le prouvait à la salle
de la Société de géographie, on il tenait sous le
charme de sa parole un auditoire enthousiaste, de
près de mille personnes. La Tradition au théâtre :
tel était le titre de cette conférence 011 rérudit so-
GOMÉDIE-FRANÇAlSt: ^7
ciétaire se complaisait à remuer une foule d'idées-
in^iiieuses, exprimées avec beaucoup d'art et dans-
une forme si pure..* que sa causerie méritait le seul
reproche d'être trop soig'neusement écrite... *
1. — Notons, entre patres excellents o morceaux », ce remarquable-
portrait d'Emile Perrin, qui mérite d'être signalé comme une eau-forte-
de réelle valeur et dont vous savourerez je pense, toute la fine-reeserie :
« Je retrouve dans mes souvenirs déjà lointains sa mince et-^ca-ve sil-
houette, où un air de commandement se mêle à la plus accueillante ur-
banité. I.e regarda une fermeté singulière avec des contrastes de dureté-
et de bienveillance attendrie. Les mains sont spéciales, laborieuses et
fines, d'une adresse visible, d'une curiosité sensuelle de collectionneur,
celtes de « l'homme A l'œillet », de Van Dnrck. Il fut un homme de gi'and
labeur et de talent délicat. II eut tous les instincts nécessaires à sa fonc-
tion. C'est par la multiplicité des dons pius que par leur éclat qu'il fut '
incomparable. Mais il y eut quelque 4;hose en lui de tout à fait éminent:
c'est le caractère. Dans le difîicile métier qu'il exerça, où, parmi les jeux
entrecroisés de la vanité et de l'ambition, un excès de diplomatie sem-
ble une défense permise, il dédaignait de mentir. Kt ce principe de gou-
-vemement : « Diviser pour régner », il le repoussa comme un jeu niè-
prisabie Il avait fait reposer notre Maison sur lé seul principe de
l'inégalité, ou plutôt d'une égalité supérieure qui se résume en ceci : à
chacun selon ses œuvres. La Comédie-Française fut, avec lui, très bié-
rarchique : situations momies et matérielles se trouvaient établies et-
nnancées avec un soin si attentif et si exact, imposées avec une fermeté
«î volontaire et, en même temps, avec une bonne grâce si persuasive,
que ceux'là mêmes qui auraient pu s'en trouver un peu blessés accep-
taient un ordre de cnosses où se voyaient tant de justesse et d'harmo-
nie-•. Il était, d'ailleurs, merveilleu!H»nient approprié à son entourage
et à son moment. Il se trouva un groupe de comédiens de grand style.
Il leur emprunta un peu de leur aristocratie et leur donna beaucoup de
la sienne. Il dirigea toutes les études de l'avant-scéne ; il y apportait le
goût du travail minutieux et le sens de la perfection. Quand il avait fixé
nne forme d'interprétation, il la surveillait jalousement. Il savait que
i'barmonie d'un ensemble estime réussite de l'état de grâce, qu'elle est
d'autant plus périssable qu'elle a été plus délicatement ordonnée, et qu'il
faut, {>our la maintenir, une volonté ferme et la persistance du goût le
plus exigeant. . . Le dernier souvenir que j'aie gardé de lui est un sou-
venir plein de mélancolie. On était las de ses services et on le poussait
doucement à la retraité. Un jour que j'étais allé le voir, il me parla de
ces tracasseries avec une triste et fine simplicité. « On veut que je m'en
aille. Oo a tort. . . Qu'on me garde 1 » Il avait squs la main un livre :
« Tenez, écoutez ceci. C'est Flutarque qui parle : « "Voila de longues an-
« nées crue je suis archonte à Cfaéronée, et que j y assure le culte d'ApoI-
cdon. Mais qui donc oserait me dire : <( Plutarquè, tu es vieux, tu as asses
« conduit les danses autour de l'autel. . . » Là-dessus, il referme le livre-
«t, d'un ton tré^las, nie redit encore : u Qu'on me garde !» On le garda,
et notre vieil administrateur eut cette joie méritée de mourir pamit
nom, en conduisant, comme Plutarquè, les danses autour de Tautel. n
48 LES ANNALES DU THÉÂTRE
3o JUIN. — La T*"^ Chambre du tribunal civil de
la Seine a rendu son juijement dans l'affaire de la
Comédie-Française contre M"" Brandès*.
2 JUILLET. — Matinée çratuite : Polyeucte et les
Précieuses ridicules^ Corneille et Molière ! dans la
tragédie M. Mounet-Sully et M™« Segond-Weber
dans les rôles de Polyeucte et de Pauline;, MM. Sil-
1. — Le Tribunal n'a point accordé à la*« Société des comédiens fran-
çais » la totalité de sa demande. Il a retenu un certain nombre des griefs
formulés par la transfuge.
Le jugement constate tout d'abord qu'en violation de son contrat
Mlle Brandès a quitté la Comédie pour aller jouer à la Renaissance. Mais
il y a des circonstances atténuantes.
Attendu, dit le Tribunal, que contrairement aux dispositions de l'arti-
cle 6 de l'acte de Société du 27 germinal an Xllf, la demoiselle Brandès
n'a pas reçu, après deux années d'admission dans la Société, le 8« de
part auquel elle avait droit et que les dispositions des articles 46 et sui-
vant du décret de Moscou n'ont point été exécutés ; spécialement que le
Comité, établi par l'article 30, n'a pas été composé conformément aux
prescriptions de l'article 49 et que ledit Comité n'a point pris les mesu-
res nécessaires pour que les doubles soient, conformément aux prescrip-
tions de l'article 5i du décret de Moscou, entendus par le public dans les
principaux rôles de leurs emplois, trois ou quatre fois par mois ;
Attendu sans doute que cette inexécution, à l'égard de la demoiselle
Brandès, de dispositions importantes du pacte social ne suffit point à
justifier la rupture ci-dessus constatée à sa charge des engagements
•qu'elle avait contractés envers la Société ; mais qu'il y a lieu d en tenir
<;ompte dans la fixation des dommages-intérêts.
En conséquence, le Tribunal dit que par application du décret de
Moscou, Mlle Brandès doit « perdre ses fonds sociaux et tout droit à une
pension de retraite », et pour le préjudice qu'elle a causé par son dé-
part, le Tribunal, « tenant compte — d'une part — de l'importance des
services que pendant dix ans encore la Société demanderesse était en
adroit d'attendre de la demanderesse dont le talent est incontestable et,
— d'autre part — de l'inexécution à son profit d'un certain nombre de
de clauses de l'acte ^ocial » condamne MUe Brandès à 2.5,000 francs de
dommages-intérêts. *
Le jugement donne acte en outre à la Comédie :
De ses réserves à raison de tous nouveaux dommages-intérêts qu'elle
pourrait se trouver ultérieurement fondée à réclamer à la demoiselle
Brandès, pour le cas où celle-ci jouerait de nouveau dans l'avenir, sur
un théâtre de Paris ou des départements, dans les conditions contraires
aux conventions souscrites par elle.
Est-il besoin de faire observer que mêmes réserves furent faites lors
des jugements dans les affaires Sarah-Bernhardt et Coquelin ?
GOMËDIE-FRANÇAISE 4&
vain et Albert Lambert fils étaient l'objet des plus
chaleureuses ovations. Les Précieuses ridicules
étaient un lon/Qf éclat de rire avec M. Coquelin ca-
det, étourdissant de comique en Mascarille, avec
MM. Truffier, Pierre Laugier, M"^* Marie Leconte
et Dussane.
10 JUILLET. — Première représentation des
Phéniciennes j drame antique en quatre actes, en
vers, de M. Georges Rivollet *. — Un rêveur
doublé d'un érudit, M. Georges Rivollet, avait
coutume de se délasser de ses arides fonctions de
conseiller référendaire à la Cour des comptes en
écrivant, pour être jouées au cercle, de gaies co-
médies, alertes et spirituelles, quand un jour il eut
l'idée de se lancer à corps perdu dans Fétude du
grec.
Quoi 1 monsieur sait du greci Ah, permettez de grâce
Que, pour l'amour du grec, monsieur, on vous embrasse...
eût dit Phiiaminte... De la lecture, dans le texte,
d'Euripide et de Sophocle, à la traduction en
beaux vers de leurs célèbres tragédies, il n'y avait
1. Distribution. — Œdipe, M. Mounet-Sully, -- Un pâtre, M. Silvain.
— Polynice, M. Alb. Lambert file. — Créon, M. Paul Mounei. — Un
chef thébain, M. Falcohnier. — Un vieillard Ihébain, M. Hamel. —
Etéocle, M. Jacquês Fenoux. — Un messager, M. Ravel. — Le pédago-
gie, M. Oarry. — Antigène, M"« 5. Weber. — Jocaste, Ml'» Delvair. —
Ménœcée, M«« Louise Silvain. — Une Phénicienne, M'i» Madeleine
Roeh — Une Thébaine, M»« Maille. — Une servante, M»» Lherbay.
Une musique de scène de la composition du vaillant chef d'orchestre
^« la Comédie, M. Léon, s'adaptait, pittoresque et colorée, aux diverses
situations de la pièce.
M. Letorey, ancien prix de Rome, est nommé second chef d'orchestre
<ls la Comédie-Française.
4XNALBS DU THÉATRU 4
5o LES ANI^ALifiS: DU. THEATRE
qu^un^pas... Al kesiis ouvrit larmarche!: d'abord
acclamée à Orau^e,. l'honoFabk*. adapiaUon . de
M. Rivollet fut g'mcieuâeioent. accuôillie^r pav» la
C()i»édie^FFançaise< au moment où elle avaii provi--
soiremeiit éluf domicile au théâtre- Sarah«fieFirhandili^
Revenue dans ses murs et dans ses meul)Les,' la
Comédie-Française s'empressade délaisser 4 M'^s//*
et de recevoir du même auteur, un Œdipe à Oo^
lone^ qui devait être pour notre çlorieux Mounetr
Sully le pendant de son admirable succès d^Œclipe^
Uoi. Et voilà que, pour aller plus., vite en besogne,.
en trompant les loisirs de cette saisontestivaile^.elle
nous donne aujourd'kui les Phénicienjies^ quinona
arrivaient d'Orançe toutes montées, et que. quel-
ques répétitions devaient suffire à mettre au.,poiali
C'est d'ailleurs respecter Tordre chronologique qi^
de nous offrir, avant Œdipe à Colone, ces P/téni-
ciennes,' où l'on voit Œdipe'rvaincu-dawssoiii d'wel^
gigantesque contre la fatalité, achevantde trahier
auv fondideson palais iune vie de désespoir. et de
deuil, et tout, d'un coup rappelé, au milieu, des
hommes par un nouveau, malheur, effriSyablei
encore : la rivalité haineuse de ses deux fils et le
combat, impie, où ils se sont déchirés et entre-tués
de leurs mains fraternelles. Le nom-^de la'"prèce'
d'fcluripide vient de ce que le ch(îBur estcomposé-^ie^
femmes pliéniciennès qui, se sont arrêtées à Thèbes,
en se rendant à Delphes pour y être consacrées au
culte d'Apollon. Et le titre résulté aussi .peu.. que
possible du sujet lui-même — le mènae queicekii
des Sept contre Thèbes d'EschylC; Ce sujet* est
essentiellement la rivalité d'Etéocle et Polynice, fils -
COMfiDlEnFHANÇAI<&E 5l^
d'Œdipe^el de Jocaste, se disputant, les armes à la
main, la royauté de Thèbes^ Cette, rivalité, fournit
au'pdèie lapeif)tu£e de ila forme de haine, la^plu»
aobàraie qm existe, la 'fraternelle, puis celle de ja
douleur maieFueMe. chez une femme»- qi^, ^ aimaoi
égale metii ses enfaals, essaye -vainement de lea
réconcilier et les; voit s'entre-tufir ; enfia^ après ;la
moptdes deux frères et de la mère qui n'a paa voulu
leur, survi vire, Tappiarition du père qui le» avait
maudits "Ct don4 la malédiction vient de se nâatiÂ^
fester aussi terriblementi Les Phéniciennes aonû'^
nueni Œdipe-Roi derSophocle en ressuscitant. Jo^
«aste et en différant J'exil d'Œdipe^ que Sophr>cla
avait faiiî mourir,.' aussitôt dévoilé Tinceslev qui
l'unissait à Jocaste, et qu'Euripide fait rester à
Thèbes-, relégué au fond du palais royal, daas; les
doubles. téftèbires de sa cécité volontaire etrde.sa
prison. Séquestré par ses fils, Œdipe leur a soift^
haiié^dfr tirer le fer l'un contre Fautre. Pour : se
smi«traire à cette malédiction, Etéocle et Poiynice
ont dû s'éloignen de Thèbes^ chacun à son:tour, et
alterner chaque année le pouvoir et rexil.kEtéôcle^
Painé, arégné le premier ;^ mais, au bout.detKannée^
il a refusé de s'ex^écuteret décéder la couronne. Pol y-*
nice, dans le but de conquérir le trône qui lui est
dû, assiège Thèbes à la tète d'une armée^ Etic'est un
des plus fangeux passages de l'œuvre originale, et
aussid'un. des mieux traités dans l'œuvre françaiseï
que la scène où. les deux. frères, en présence de leur
mère, plaident, chacun ,pour- leur cause avec i une
force, une-logique,: une passion. . incompairables^
Etéocle voulant conserver le pouvoir, Polyniee exir
52 LES ANNALES DU THEATRE
géant sa part de royauté. Les deux caractères se
développent : l'un tout humain et pénétré de ten-
dresse, celui de Polynice ; l'autre féroce et desséché
par Fégoïsme, celui d'Etéocle. La scène est vrai-
ment d une grande beauté, une pure, forte et simple
beauté de marbre grec. Dans les Phéniciennes nous
retrouvons, sous les traits d'un simple berger qui
lit dans les astres l'avenir des mortels, le devin
Tirésias qui continue à prédire des malheurs. Il
prédit à Créon que son fils Ménœcée ,un enfant de
quinze ans, doit mourir pour sauver Thèbes. Le
fils de Créon laisse croire à son père qu'il va fuir
et vivre> mais bientôt il se frappe lui-même comme
le veut l'oracle et meurt pour son pays. Cette
douce figure de chasteté, d'abnégation et de patrio-
tisme se détache sur le fond noir de la tragédie
avec un relief saisissant. Le sacrifice sublime de
Ménœcée ne tarde pas à porter ses fruits ; un mes-
sage annonce la défaite de l'ennemi et apprend à
Jocaste que ses deux fils sont sur le point d'en
venir aux mains. Le drame se précipite : Jocaste
et sa fille Antigone volent sur le champ de bataille»
Créon entre, pleurant la mort de son fils. Un autre
messager fait à l'infortuné Créon la description
du combat singulier, du duel féroce d'Etéocle et
de Polynice, duel fatal à tous les deux ; il lui conte
l'arrivée tardive de Jocaste, qui ne peut que recueil-
lir leurs dernières paroles et leur dernier soupir,
se frappe à la gorge et expire entre ses deux fils,
les frèi'es ennemis — ceux de la Thébaïde de
Racine — réconciliés dans un suprême embrasse-
ment et goûtant enfin dans les bras de leur mère
COMÉDIE-FRANÇAISE 53
expirante « le charme de la mort ». Les corps
d'Etéocle, de Polynice ct*de Jocaste sont apportés
sur le théâtre. Œdipe, à ce moment, sort du palais
et apprend les nouveaux et irréparables deuils qui
frappent sa malheureuse famille. Sa fille Antigone
lui fait toucher les trois cadavres, puisque ses
yeux ne peuvent plus voir^ et que s'ils voyaient
encore, il les crèverait pour la seconde fois... Ici
l'horreur arrive à son paroxysme accru du con-
traste de la douce pitté fihale d'Antigone et de
rimpitoyable bairie de Créon pour le maudit. Et
lorsque le vieillard emporte, aidé de sa fille, qui va
devenir sa compagne et son guide en exil, le cada-
vre de Polynice auquel Créon a refusé la sépulture,
une terreur plane sur Tauditoire attendri. Si Alkes^
iis était une douce élégie, les Phéniciennes sont un
drame noir, d'un spectacle impressionnant. Assez
fidèlement adapté d'Euripide, il est écrit en vers
clairs et simples, bien rhytmés et bien rimes qu'a
fait valoir, avec son habituel talent, la troupe tra-
fique de notre premier Théâtre-Français. Comment
ne pas louer M"^ Segond-Weber, si suavement
chaste et touchante en pitoyable Antigone; les
admirables élans d'Albert Lambert en Polynice et
les fureurs de M. Fenoux en Etéocle; M"® Delvair,
une Jocaste très maternelle et si bien grimée ; la
belle diction de M. Silvain sous les traits du pâtre;
l'émotion de M. Paul Mounet, sous ceux de Créon,
pleurant son fils Ménœcée, que personnifie M'"® Sil-
vain. Puis, c'est le coup de théâtre de l'arrivée du
vieil Œdipe, en cheveux blancs, aveugle et hébété
de douleur, attiré par les cris de désespoir qui
54 LES ' AXKALEÎS' DU* THEATRE
-raoïrtent du psriais; et'venanl sangloter sur le corps
kle Polynice. Et cette seènê fin^le^ où 'M.^Mouftet-
SbHy approche dé la «ublimité dans le pathétique,
-nous- eflfiplitd%ngoisse et 'd'horreur. . .
i4 JUiLLfET. Au cours «de la* matinée gratuite
où l'on donne, avec4es 'Phéniciennes ^t la Marseil-
4aisè dàit^^^t M^^Dodlay, lQ.'Vraié Farce* de^tMùttre
Pat'helin, d'Edouard Fourmer,' M°« Thérèse Molb
joue pour la première fois, aux côtés de? M/TrîifSer,
toujours' plein de verve eriPathelin,- le rôle déGuil-
4enïettej où elle montre une foiâ de plus cette force
kie comique, cette largeur et Cfett« sûreté de jeu si
fort-appréciées dans la^Maisori de; M^ère.
i8 JWLLRT. — C'est devant une Salle comble, et
avec'une recette* exceptionnellement belle en dépit
*de la chaleur, que se donnait la 'cinquantième
représentation û\x DueL Et au succès de l'émou-
vante et éloquente pièce de M. Henri Lavedan, il
fallait joindre cdur du quatuor admirable d'artis-
"les, qui* la jouaient avec la même foi, Ja même
ardeur qu'au premier jour :* MM. Lef 'Bargy et Ra-
•phbèt'Diïflos, M"« Bartet, M; Paul Mounet,'ebaleu-
Hreusement- applaudis, eux aussi, pour la cinquan-
'tièmefois, et rappelés-après chaque acte»
21 JUILLET. — ^Réapparition de /Sans /««', cet acte
m bref^ et «F'plein, où • M. Marcel Girette avait
affirmé un remarquable talent de dramaturge^ de
^psychologue et d'écrivain. M"« Marie Leconte, fort
iutelligemmeiit secondée par M. <îarry, • en- était
l'exquise interprète*^.
1. -T On.pUçait provisoirement, dans le petit salon attenant au foyer
des artistes, un buste de Maria Legault, offert par son fllp. C était le dé-
C€)MEDIB-FRA*NÇA»SE 5.)
23 JPTLLET. — :-M™^ Segond-Weber, MM. Paul
'McFcmet et' Albert Laftibert filsymterprétanl iSern^'-
ramis, trag-édie en quatre^- -acte • de M. Péladan,
prêtaient leur eoTicourPS à l'inauguration du Théâ-
tre antique <le la I*a4ure installera ' Champig»ny-la-
^Bataille pai^ M. Albert Darmont. L& personnage de
•Sémiramis valait fr^M™* Segond-Weber-wn magni-
fique succès de beauté et de taleïit.
»!î7' JUILLET. -^Ghez l'Avocat accompagnait les
-/^w/cfV?/i/?es..La jolie comédie ^de 'Ml Paul Ferrier
iie'date'pas d%ier/Elle''futkie le ii ^juillet t-SyS
-an -Comité de lecture; reçue à l'unawimîté et-avoc
les compliments du Comité, elle était mise'Ktès le
lendemain (en 'né pétition, et dix jours après les jour-
naux ea annonçaient la prefîaière rrepRéseatation et
en constataient le succès. Les deux principaux
sir de la regrettée comédienne que ce buste .âguràt dans la belle collec-
tion du Théâtre-Français. Avec l'assentiment du Comité, M. Jules Gla-
eetie a accepté le don« et- L'image évoquera^ au milieu des. artistes de la
maison, le souvenir mélancolique de la comédienne. On se rappelle son
premier prix de comédie (à quinze ans) ; M^e Maria Legault avait préféré
le G^'annase à la. Maison. da Molière.. On L'attendait, on la rôjclamait au
Théâtre-Français, et l'administration fut un instant en difficultés avec la
rgmcieuse transfuge. Quand, après avoir brillé rauGymna.4o et au •Vau-
deville-,'elle voulut, rentrer à la Comédie, en pleine possession d'un ta-
lent auquel tous rendaient hommage, les circonstances ne se trouvèrent
plus pour elle aussi favorables; Aussi,, malgré' de' vifs:auccèe dans le
répertoire et quelques créations fort intéressantes, se découragea-t-elle,
-T^ trop (Vite.- au Tester *BHe '.partit; Mais, tout en se faisaBt;^[)ph)udir
ailleurs, en créant, au milieu de la sympathie générale,- la délicieuse çt
précieuse Koxane de Cyrano de Bergerac, la Marie-Louise de TAî^^on,
elle restait attachée, par des liens d'affection, à cette Gomédie-Françaigo
dont un destin contraire l'avait éloignée. El il est touchant de penser
que ce legs de son buste à là A^ison de Molière — le statuaire d'Kpinay
avait exécuté ce buste pendant qu'elle y était pensionnaire — ' était,
sans doute, dans la pensée de la charmante artiste, comme unei façon de
•rentrer définitivement cette fois, — et d'appartenirponr toujours à- cett-e
maison où on appréciait non talent et sa grâce, où on l'aimait, où on la
regrettait et où sa carrière eût dû se faire tout entière. ..
56 LES ANNALES DU THEATRE
rôles de la pièce étaient tenus par Coquelin aîné et
M™® Sarah Bernhardt. Ils y furent pleins de verve
et d'humour, au témoignage de la critique. Le rôle
de l'avocat était joué par M. Joliet — qui repa-
raissait dans la silhouette si plaisamment esquissée
par lui il y a trente-deux ans. Le rôle des époux
Hector est tenu cette fois par M. Brunot et
M"^ Francine Clary.
28 JUILLET. — M"® Bartet est nommée par dé-
cret du Président de la République, sur la propo-
sition du Ministre de l'Instruction publique et des
Beaux-Arts, au grade de chevalier de la Légion
d'honneur.
5 AOUT. — M. Delaunay joue ce soir pour la
première fois, dans Y Ecole des Femmes^ ^ le rôle de
Chrysalde.
7 AOUT. — M. Croué aborde le rôle de Figaro du
Barbier de Séville^ où il se montre plein de verve
et de gaieté. M. André Brunot est un excellent
Léveillé.
9 AOUT. — Dans les Femmes savantes^ M. Des-
sonnes interprète pour la première fois le rôle de
Clitandre, où il montre de la chaleur et de l'émo-
tion. M. Croué est un très plaisant Vadius.
26 AOUT. — M'*® Yvonne Garrick abordait dans
Y Aventurière le rôle de Célie, où son aimable talent
1. — Voici quelle était d'ailleurs l'exacte distribution de la comédie de
Molière ;
Arnolphe, M Laugier. — Horace, M. Dehelly. — Chrysalde, M. £)<?-
launay. — Le notaire, M. Joliet. — Ilenrique, M. Falconnier. — Oronte,
M. Ravet. — Alain, M. Croué. — Agnès, MU» Garrick. — Georgette,
M"« Dussane.
COMÉDIE-FRANÇAISE 67
trouvait brillamment son emploi. M. Grandval in-
carnait avec succès le personnage d'Horace, jus-
-qu'ici confié à M. Dehelly.
28 AOUT. — M. Grandval joue pour la première
fois, dans Denise^ le rôle de Fernand de Thauzette.
4 SEPTEMBRE. — Reprise de Blanchette, de
M. Brieux*.
1 1 SEPTEMBRE. — A Toccasiou du congrès pour
TExlension et la Culture de la langue française, la
Comédie donnait, à Liège, une représentation du
Fils de Giboyer. Remarquablement interprétée
par M™^s Cécile Sorel, Piérat, Persoons, et MM. Bail-
lel, Truffier, Paul Mounet, Laugier, Joliet et Des-
sonnes, la pièce d'Emile Augier soulevait de cha-
leureux applaudissements. Le troisième acte des
Femmes savantes^ qui figurait également au pro-
gramme, n'était pas moins applaudi : M. Laugier
jouait Chrysale; M. Dessonnrîs, Clitandre; M. Joliet,
Vadius ; M"^^ Persoons interprétait Philaminte ;
M"« Piérat jouait Armande, et M**^ Berge, Henriette.
C'était la première fois que M^'« Berge, nouvelle-
ment engagée, jouait avec ses camarades, dont elle
partageait^ d'ailleurs, le succès.
17 SEPTEMBRE. — Le spcctaclc de la première
matinée se compose du C/rf, où M"^ Maille prend
possession du rôle de FInfante, et du Mercure
galant j l'un des triomphes de M. Coquelin cadet.
1. Distribution. — Rousset, M. de Féraudy. — Auguste Morillon,
M. Jacques Fenoux. — Georges Galoux, M. Charles Esquier. — Le
cantonnier, M. Ra-ûet. — M. Galoux, M. Garry. — Morillon, M. Sihlot.
— Le voilurier, M. Laty. — Le facteur, M. Roussel. — M»* Rousset,
M"« Thérèse Kolb. — Elise Rousset, Ml'e Piérat. — Lucie Galoux,
MHe Yvonne Oarrick. — M«no Jules, MU» Lherjay.
^8 LES ANNALES BU THEAIHE
-^ Le soir, on donne le Légataire universel,' pour
la continuation fies débuts de M^'^ Dussane 'et de
M. André Brunot, tout à fait remarquable dans le
rôl« de Grispin, qu'il joue avec une «verve, ^^ne
gaieté et une fantaisie éclatantes.^'M. Siblot^inter-
prète pour la première fois le rôle de Géronte, où
il se montre excellent.
^8 sEPTEftrBRE. — Le FiU naturel ''d'Alexstndve
Dumas fîls * reparaît sur l'affiche de la Cr)Tnédie,
où il est eritré le 2 décembre 1S78, vingt ans après
avoir été joué pour lapreniière fois au Gymnase.
4 OCTOBRE. — La représentation de liiiy Blas
donnait lieu à un incident regrettable.' M. Garry,
affiché pour jouer Do lï Guritan, ne se préseutîtit
pas au théâtre : le rôle était tenu pai* M. Laugier.
Vue lettre de l'administrateur général, adressée le
lendemain à M. Garry, faisait savoir au jeune co-
médien, convaincu de « refus de service », qu'il
né faisait plus partie de la Comédie-Française.
II OCTOBRE. — C'était la première fois que
M*'^ Bartet reparaissait devant le public depuis sa
nomination au grade de chevalier de la Légion
d'honneur. Une . foule d'admirateurs et d'amis
s'étaient rendus au théâtre, .et^ quand le rideau se
levait sur la Nuit d'octobre et que' M'*® Bartet
s'avançait en scène, une ovation grandiose lui était
faite. A la fin de la Nuit d'octobre, l'ovation rè-
1. Distribution. — Aristide Fressard, M. Coquelin cadet. — Lo mar-
quis d'Orgebac, M. Pierre Lau-gier. — Charles Sternay, M. Raphacl
Duflos. — Lucien, M. Dehelly. — Le docteur, M. Joliet. — Jacques,
M. Dessonnes. — Henriette 8ternay, MUe Renée du,' Minil. — Clara
Vignot, Mme S. Weber. — r La marquise, M"»e Amel. — Hermiua.
M'^p Yvonne Ga?Tick. — M^c Gervais, Mil« Lherbay.
COMÉDIE-FRANÇA'ISE 5^
commençfiiit, interminable. Et' M*'^' Bartet, après
avoir salué, se préparait à regagner sa loge, que
*des acclamations s'entendaient encore dans la salle.
»En 'soilant ide' scène, une surprise lattendait^
L»«ira«iiBtr8rteur!général se trouvait sur le théâtre;
il Ja .conduisait -ao foyer ^es artistes, où tous les
BGsciéliatres, ■ tous, les pensionnaires de la nraison
iFattondatent, mèiés au personnel.- Des bravos sa-
illaient l'entrée de la doyenne, à qu? M.- Jules Cla—
-nelie, dans une improvisation charmante, remet—
4ait, au nam.de' ses camarades, une délicieuse-
croix en.'diaiii3(nts avec lanneau en émeraude et
une- garniture >de rubis en forme /de "ruban. iEn
offrant ce soavenir à M"® Bartet,' M.'Jules Claretie
irappelait Jajoie^de la Comédie à<la nouvelle 'de la
distinction accordée à la'grandef artiste, à laçsocié-
^ire modèle, et il terminait en l'embrassant au
«ora de tous. M"^ Bartet^très émue, disait com-
bien elle était touchée : « J'avais toujours cru- que
le plus grand bonheur, quand on appartient à cette
unaison, c'était de se dévouer pour elle ; on a voulu
ajouter encore, pour moi, à cette joie. Je -suis
profondément heureuse..; profondément heureuse
aussi de votre affection : vous êtes, ma famille ! »
Gette manifestation touchante avait, comme bien
on pense^ aHongé considérablement Tentr'acte ;
mais le public qui se doutait qu'au foyer des artistes^
-on fêtait M"^JBiar:tet, îcomme elle avait été fêlée sur
le théâtre, le public ne s'impatientait pas. Au lever
du* rideau, une longue salve d'applaudissements.
mêlés de vivats à nouveau saluait M*'*' Bartet, et
pendant les trois actes du Jeu de l'amour et dit
6o' LES ANNALES DU THEATRE
hasard des bravos enthousiastes retentissaient à
l'adresse de l'admirable actrice.
i6 OCTOBRE. — Première représentation de Don
Quichotte^ drame héroïque en a ers, en trois parties
€t huit tableaux ^ — Depuis trop longtemps éloi-
gné du théâtre, M. Jean Richepin faisait une
rentrée qui était la joie des lettrés et que saluaient
les applaudissements de tous les admirateurs du
grand poète. Mettre en scène le héros de Cervantes
^tait une tâche difficile où ont échoué les plus ha-
biles. Il faut savoir gré au fier et vigoureux artiste
qu'est M. Jean Richepin du respect qu'il a gardé
vis-à-vis du livre fameux, et du tact avec lequel il
y a touché. Mais les aventures personnelles de Don
Quichotte ne pouvaient à elles seules fournir un
drame, étant trop simples et trop monotones.
M. Richepin a donc imaginé, avec quelques-uns
<les personnages du roman de Cervantes, une co-
médie espagnole à la Lope de Véga, -à laquelle se
trouvent activement mêlés Don Quichotte et Sancho.
L'intrigue est celle-ci : Dorothéa, la nièce de Don
1. Distribution. — Don Quichotte, M. Le/oir. — Ginès de Passamonte,
M. Georges Berr. — Don Fernand, M. Dehelly. — Don Luis, duc d'Os-
suna, M. Louis Delaunay. — Le curé, M. Joliet. — Martinez, M. Fal-
connier. — Le majordome, M. Hamel. — Samson Carrasco, le bachelier.
M. Jacques F'enoux. — Pépé, M. Charles Esquier, — L'archer, AL ^'*'
vet. — Palomèque, M. Croué. — Cardenio, M. Dessonnes. — MaîtriS
Nicolas, le barbier, M. Siblot. — Sancho Pança, M. André Brunot. —
Un galérien, M. Grandval. — Un voisin, M. Gaudy. — Un voisin,
M. Laty. — Un voisin, M. Roussel. — Un galérien, M. Mendaille. —
Dorothéa, Mii« Leconte. — Thérèse Pança, Mme Thérèse Kolb. — Léo-
narda, M"» Amel. — Dulcinée, Aldonza Lorenzo, MUe Rachel Boyer.^
Maritorne, MH» Lynnès. — Juana, MUc Dussane. — Doua Maria,
Mlle Mits y- Datti. — Miguelotto, U^lfi Fay lis. — Vhq voisine, M"» Lherbay.
Le rôle de Dorothéa sera repris, à la lin du mois de novembre, par
Mlle Yvonne Garrick.
COMÉ DI E-FRANÇAISE 6 f
Quichotte, aimée du jeune Cardenio, a été remar-
quée par le seigneur Don Fernand. Pendant que
Don Quichotte s^en va conquérir la fameuse Dul-
cinée, Don Fernand, à 1 aide d*un fiefiFé coquin,
Ginès de Passamonte, enlève nuitamment Dorothéa.
II ne faut rien moins que l'intervention de Don
Luis d'Ossuna pour arracher la jeune fille à son
ravisseur 'et la rendre à son amoureux. Dorothéa
revient chez son oncle au moment où il va mourir
épuisé de fatigue et déçu de ses illusions. La pièce
abondait en effets sûrs. Après la curieuse appari-
tion de Don Quichotte absorbé par la lecture de ses
livres de chevalerie — cette vision était à elle seule
un véritable tableau de maître — après le départ
du Chevalier et de son écuyer, si ingénieusement
silhouettés en ombres chinoises par un radieux
clair de lune, voici — le geste est classique — Don
Quichotte allant combattre les moulins à vent;
triste expédition doù il revient fâcheusement
éclopé. C'est ensuite l'arrivée dans l'hôtellerie qu'il
prend pour un château féodal, et la Maritorne,
cette vulgaire porchère, qu'il vénère comme une
princesse. En de superbes vers, solides et sonores,
M. Jean Richepin a magistralement traité le célèbre
épisode des galériens du roi, que va délivrer cet
apôtre de bonté. « Je punirai... » a dit Tarcher
qui durement conduit la chaîne des forçats. Et
Don Quichotte de répondre, imposant et sévère :
Qui donc a ce droit-là : punir?
Quel être, se plaçant au-dessus d*un autre être,
Peut oser devant soi le faire comparaître ?
Quel pécheur est armé d'un privilège tel ?
©2 L!:S ANNALE& DU. THÉÂTRE
Du fond de. quel. paiais ? Du haut de quel:auiel ?
Quel cœur est assez pur pour qu'oie l*en investisse ?
Quer Juste est assez Dieu pour rendreia Jùsiice ?
Et^ lyriquemerit:, parlant à son épée :
Toi par qui, face à face avec Dieu, j'ai juré,
Envers et contre tous, fer, je te brandirai.
Mon serment nousoblige'à ne -pouvoir san» crime
Laisser sans déienseur des. pauvres qu'on opprinre; •
Et, quoi q usaient fail.ces,geas que )e vois maliieureux,.
Puisqu'ils sont opprimés, viens no.us battre pour eux'l
Puis; lors^que- levs ingrats lapidbnt' celui qui-vient
4de les délivrer : « Qu'importe, leur crie-t-il :
O malheureux-, ô racaille stupide,
Dussiezr-Tou&vEneîtuer, abominables fous,
Je ne regratte pas ce que j'ai fait pour vous.
Htrriez'l Frappez 1 Soyez infâmes !
Je vous ai dit des- mots sonnant l'éveil des âmes ;
Et'jemourrafi joyeuxsous vos coups outrageants
Pourqufun seul d'entre vous renaisse,:
0( pauvres gen-sl
La. lecture.. de'ces quelques vers vous fera appré^
cier -la .hauteur de vues et la noblesse- d'âme de
l'ardent poète. Et vous devinez;.sur,qujellesr acdai-
mations s'était baissé le rideau à Tissue de celte
seconde partie du.drame essentiellement artistique,
qui, se terminait «n^pure beauté. Nous .^ne . connais*
sons rien au théâtre de plus g-rand et de plus
poignant, en son axlmirable simplicité, que la mort
<ie Don Quichotte, çuéri de son rêve, mais heu-
reux d'avoir semé la bonne, graine en. Tâme de
COMËDIfirf'RANÇALSË 03^
son fidèle Sancho>. L'api^tre n'a-4-il pas* laissé à
sou disciple le soia der répandre, par le monde: ses-
idées d'équité et de boaté?... Une scène -de cette-
paissante envergure suffirait à la renommée • de
ÂI-. Jean.Richepin, si .ta»t d'œuvres ^-éniales/.ot
glûrieusest ne ravaientdepiais: lonçtemp« établie.
Nous Gompi;enons la hantise- qu'avail M. Leloiride
joueir Don Quichotte.;, il «était Don Quicbottevlui-î
même, et nul artiste à. Paris n'eûl pu.donwer «ne:
physionomie si caractéristique au chevalier? de- la
Triste figure. Maigre, long, les mo-ustaiches. héris-.
séesy. les joues cneusées. par la méditaXian ou-, la
folie, des :y eux» . q ui . sem blent to u j o u rs. s ui vr« > u ne
idéeifujant dans< l'espace, : de grands gestes saGca*^*
déset nerveux^quiisentenl.à la foisile noble hidal;iço.
et rhalluGÎ^Lét^ des jambes droil^es et raides. comme
des pijacettes .: on^ l'eût. dit-détaché d un. dessin de
Gustave Doré*» Son. apparition fufc sensationnelle^.
et jusqu'àJa' scène^. finale qu'il rendait.avec unôt
rare imattrise, :ilétai't. l'idéal initerprète deM.. Jean.
Richepin^ C'est JVI. And'Pé Brunot. qui^idans Sai3-i>^
chO'Pança,, étailî appelé. à rhonnear .de: donner la-
réplique à M. Leloir.,Ce.fut là une bonner fortune
pour le jeune. .artiste au talent déjè remarqué^ il
setiraix.de sa.ttâcheiVavec beaucoup d'intelligeuce
el .mettait à lairgro&ae>.et.gr.asseM figure de l.'écuyeF
veirtru .la rondeur «et. la. bonhomie) qu-il fallait-; il
savait nous* f émouvoir au dernier acte^quaud,. .au
chevet de son maitre mauxant, les larmes jaillis^
saient de sesriyeux au traverse de. son rire forcé»
M. Brunot 'faisait, ainsit une délicate création qui^
pensons4-noas, ..lui comptera dans 1'av.enir. A côté
64 LES ANNALES DU THEATRE
de ces deux types légendaires, M. Jean Richepin
avait introduit dans son affabulation une sorte de
Scapin sérieux qui touchait au premier rôle.
M. Georges Berr, dans Ginès de Passamonte, dé-
ployait une verve, une fantaisie, une autorité qui,
jointes à son impeccable diction^ faisaient de cette
composition une pure merveille. Il avait comme
adversaire M. Jacques Fenoux qui, de très belle
■ allure, menait avec un chaleureux entrain la cam-
pagne au profit des amoureux. La douce Dorothéa,
c'était M"® Leconte à la voix chaude et prenante,
au charme enveloppant^ aux attitudes juvéniles et
poétiques. Ah ! la délicieuse ingénue ! Les rôlet»^
étaient infinis dans la distribution de Don Qui*
chotte. Ils furent tous fort bien tenus, comme cela
doit être à la Comédie-Française, et sans pouvoir
nous appesantir sur chacun d'eux, nous détache-
rons W^'^ Rachel Boyer, si appétissante Dulcinée;
M"« Lynnès, Maritorne si sincère; M"»® Kolb, la
robuste épouse de Sancho Pança ; M'^® Mitzy-Dalti,
"d'élégante finesse en duchesse d'Ossuna. De belles
toiles brossées avec art par MM. Jambon, Amable
et Jusseaume encadraient dignement l'œuvre ma-
gnifiquement littéraire de M. Jean Richepin.
22 OCTOBRE. — La Comé^ic fêtait, dans une
cérémonie d'une grâce familiale, le vingtième anni-
versaire de l'entrée en fonction de M. Jules Cla-
retie, son administrateur général. A l'issue de la
matinée, les artistes, l'administrateur et le person-
nel s'étaient réunis au grand foyer du public. De-
vant la cheminée monumentale, une table, chargée
de fleurs, avait été préparée pour recevoir les sou-
COMÉDIE-FRANÇAISE 65
venirs offerts à M. Jules Claretie : par les artistes,
une belle édition, de i684, des œuvres de Molière,
et par le personnel, une^ superbe réduction en
bronze, sur socle de marbre, de la Pensée de
Chapu. A cinq heures, quand M. Jules Claretie
entre dans le foyer, de vifs applaudissements re-
tentissent. Amusant discours de M. Coquelin ca-
det, vice-doyen,.. Sonnet composé pour la circons-
tance par M. Silvain... M. Jules Claretie parle à
son tour et trouve des paroles qui vont au cœur
de tous. Il rappelle les diverses phases de son
administration y la prospérité de la Maison - —
prospérité qui, constatons-le ici, ne fut à une au-
cune époque aussi éclatante qu'aujourd'hui, — il
en reporte tout l'honneur au talent, au dévoue-
ment de tous, sociétaires et pensionnaires, et à
l'heureuse solidarité, faite d'union, de concorde et
* du perpétuel effort vers le mieux qui est une des
plus belles traditions de la Maison. Dit avec beau-
coup d'émotion et infiniment d'esprit, ce petit dis-
cours est salué de véritables acclamations.
26 OCTOBRE. — Matinée donnée au bénéfice de
l'Association *des artistes dramatiques. Dans les
fables de La Fontaine, qui étaient surtout le grand
régal artistique de cette séance exceptionnelle;
dans les poésies de Victor Hugo, d'Alfred de
Musset, de Leconte de Lisle, de José-Maria de
Heredia, on applaudissait, entre autres merveil-
leux interprètes. M"® Bartet, qui disait un morceau
«xquis d'Alfred de Musset, et M. Coquelin cadet,
qui excitait des fous rires dans toute la salle avec
àNNALBS DU TBBATBB 5
W LES ANNALES DU THEATRE
y
<< une fable de La F'ontaine dil« par un étranger »•
Ddins VJdylhy d'Alfred de Musset, lés travesti»
j^^ de M"«* Piérat et Madeleine Roch obtenaient
un plein succès. Le. cinquième acte de la Vîe de
Bohème terminait le spectacle-. M"« Cécile Sorei,
qui jouait pour la circonstance le rôle de Musette,
se montrait exquise de gaieté attendrie; M"® Marie
Leconte était toujours la Mimi de ses débuts, sou*^
riante dans la vie comme dans la mort de la tendre
héroïne de Murger. M^*« Mitzy-Dalti personnifiait
avec beaucoup d'autorité le personnage deM^^ de
Rouvres. Et pour oondurej la recette dépassait
8.000 francs. Une jolie .aubaine pour la caisse de
TAssociation des artistes dramatiques. Le soir, on
donnait, devant une fort belle salle^ le Monde où
Von s'ennuie^,
9. DÉCEMBRE^ — La Comédic inauguTait ses ma-
tinées classiques du jeudi par: un spectacle du
r-pertoire : Andromaque de Racine^ avec M'*® Bar-
tôt dans Andromaque et M. Mou net-Sully- dana
Oreste, et les Folies Amoureuses àe l^e^nKitàj
avec M^'^ Marie Leconte, Agathe tout à fait
1. — Pour mesJircr lo succès d'un ouvrage de théfttre, il n'est encore!
quv? les chiffres. Adopté par toutes les scènes de France et de l'étranger^
trérduHdans toutes les langues, le Monde où i'on^s ennuie a rapporté à
la iteur/in million. La première représentation est du J85 avril 1881. La
pi ce est, d.'puis, demeurée constamment au répertoire- de la Comédie-
Française^ et elle a atteint la six-cenMéme, alorsr que.- pour' prendve
c^mme points de comparaison les œuvres les plus favorisées du mème>
réïiertoire, Hernani a mis soixante-quinze ans à parvenir à peu- prés au
même chiffre, le <jendre de M. Poirier ^ en quarante et un aas, n'a qu'A
p ine dépassé la cinq-contième, Il ne faut Jurer de rien, qui est de
18>i8,- n'avait que quatre cent trente-sept représentations * la fin de 1901»
Adrienne Lecouvreur (1819) n'en avait à la même date que trois cent
quarante et une, et le Demi Monde, qui^stla pièce la plus jouée d*
Dumas iils, rue Richelieu, deux cent soixante-dix...
COMÉDIE-FRANÇAISE 67
clia=pmaii4e^ et M**'^ Dussane, abordant le rôle de
Lisette.'
16 NovBMBRB* — -Dafts- le- Duel^ M"^ Piérat joue
pour la première fois» le rôle de la duchesse de
Gharllesy. créé pat M*^ Bariet. Comédieniie très
sâre d'elle^méafeey elle sait y accuser: sa jeuoe et
in1érBssani«( pensoaoalité,- s y montreu à\ la fois,
leiidre, émue, chaste et sincèrement aiaaoureuse.
Sou succès est très vif à. côté de ses trois excel-
leaisi caoïâradesy toujours justement applaudis.
29 NôvcMBRB. — M; Fenoux jou« pour la pre-
mière fois le rôle de Rôy Blas,, où ses -dons de
chaleur, dé fougue et d'émotion, son jeu tour à
tour pa«»ionné, vibrant et d'une ardente méfan-^-
colie* romantique soulèvent de m«érités bravos.
Dans la' même représentation, le rôle de CasiWa
est, par suite d'une indisposition de M'*« Géniat,
lena» au pied levé, de façon charmante, par
M»*^"Ga'rrick.
i®*" DÉCEMBRE. — Dàus Ic FUs de Giboyer]
M^^« Géniat aborde le rôle de Fernande, créé par
M™« Favart et repris depuis par M'"^ Barretta et
W¥ PiéFat. Très simple-, de moyens et parfaite de
tenue,. M"^ Géniat a su donner au personnage une
fort * touchante physionomie. On Ta chaléupeuse-
ment. applaudie et rappelée avec les excellents, in-
terprètes de la célèbre pièce d'^Emile Augier.
2 D£€£Afii&B. M.. Jacques Fenoux remplace,
dans, le' docteur Môrey du Duel, M. Raphaël
ftiflds, malade, et joue le rôle avec beaucoup-
d'autorité.
68 LBS ANNALES DU THEATRE
5 DECEMBRE. — La Coinédie inaugure ses soirées
d'abonnement par le Don Quichotte de M. Jean
Richepin, donné deux dimanches de suite en ma-'
tinée devant des salles combles.
17 DÉCEMBRE. — C^est par un spectacle composé
de V Avare et du Malade imaginaire^ suivi de la
Cérémonie, que commence la série du nouvel abon-
nement du répertoire classique du dimanche *.
18 DÉCEMBRE. — Première représentation du
/?e'y^//, pièce en trois actes, en prose^ de M. Paul
Hervieu 2. — M"**^ Thérèse de Mégée est une ado-
rable femme de quarante ans, ou guère moins, à la
veille de marier sa fille unique. Rose, à un jeune
homme qu'elle aime et dont elle est sincèrement
aimée. Les fiançailles ne vont pourtant pas sans
quelques difficultés : les sévères parents du futur
soupçonnent quelque intrigue entre M"™^ de Mégée
et le jeune prince Jean de Sylvanie. Demeuré à
Paris pendant que, chassé par ses sujets, son père,
le prince Grégoire, tente de reconquérir le trône
dont il a été dépossédé, Jean a retrouvé en M. de
1. — L'empre«sement du public aux matinées <lu jeudi forçait l'admi-
nistration, qui n'avait pu satisfaire à toutes les demandes, à créer,
en mm*» ciTtnpenyation, une nouvelle série d'abonnement. La Comédie
LT):njgiirFiit »l!.»nie une série de « Dimanches classiques», soirées de quin-
js^ine i]ur. ttn Jiimii de décembre au mois de mai, devaient offrir aux
ulioïiné^ Annzv représentations de choix, composées de pièces du réper-
joiro chiitÉ.iû.': parmi les plus célèbres, et pour lesquelles les prix étaient
ceitx un hnroai]. fians frais de location.
2, DisTttini TioN, — Prince Hrégoire, M. Mounet-Sully. — Prince Jean,
^1. £,1? liurfjy. — Piméon Keff, M. Paul Mounet. — Farmont, M. Louis
JltilaHnafu — Fiâûul de Mégée, M. Henri Mayer. — Un domestique,
^f. Lfthj. — Tliér^se de .Vfégée, M"» Bartet. — Comtesse de Mégée,
M»c PiersDtt — M"»* de Farmont, M«e Persoons. — Rose de Mégéè,
M"« BerffP (dèhiil) — Une fe nme de chambre, M'i» Faylis, — Maria,
Mil* Lherbatj,
J
GOMÉDIE-FRANÇAISB 69
Mégée, un camarade d'autrefois^ il a fait — c'est
dans l'ordre — la cour à sa femme et pense bientôt
vaincre ses derniers scrupules et obtenir d'elle le
rendez-vous tant de fois sollicité. Les événements
le servent. Voici, surgissant inopinément à Paris,
le prince Grégoire : un soulèvement se prépare en
Syîvanie; à la demande de ses partisans, il vient
d'abdiquer, lui, le prince Rouge, en faveur de son
fils, dont le nom est déjà populaire; on n'attend
plus que son arrivée. Mais Jean refuse de partir. Le
prince Grégoire croit savoir la cause de cet incon-
cevable refus et laisse à Jean vingt-quatre heures
pour réfléchir. Thérèse de Mégée connaît le terrible
ultimatum, elle ne veut pas qu'il s'en aille courir
les sanglantes aventures, et pour qu'il ne parte pas,
elle consent enfin à se donner à lui, à accepter le
rendez-vous qu'il attend d'elle. Le malheur est que
le prince Jean ait choisi, pour recevoir Thérèse, la
maison de Passy isolée, à la lisière du bois où,
quand il est à Paris, le prince Grégoire a coutume
de convoquer ses émissaires. Le voilà donc en ce
rez-de-chaussée, tout parfumé de roses, s'entrete-
nant avec son fidèle Siméon KefF et combinant avec
le farouche conjuré^ le guet-apens qui débarras-
sera le prince Jean de ses intempestives amours et
le rendra à « la cause », au moment où pour agir,
on n'attend plus que lui. Jean et Thérèse auront
à peine eu le temps de se dire qu'ils s'adorent,
qu'attiré par le bruit dans une chambre à côté, le
jeune prince sera immédiatement garotté et bâil-
lonné. La porte fermée sur lui, Keff annoncera à
M"** de Mégée qu'il a été assassiné. Vous jugez^dans
yO LES . A»NALKS»-DU THEATRE
ifBie\ •Hai^'def' tercîMe - àfif^Iement 4a 'jeune .feiiïHie
^«telera/ fmur* i%to«mier «chez »eHe, la iwaisan^ du
crbne. Elle S'dst évanouie 'err'^hemin. 'On PaTâfmas-
«é&^^donâ 4e teis,- p^Q^rtéer.à^•«on'4k)lBieile où;- d»Hce-
mcat îfccueilire; UMit d^atel*d, par un marp qur n'a
-j amwsTTien^ voulu savoir j'-eiJe vdit^ sa Aile se jeter
éams ses bras^icmt en- larmes: Sen^mariag^e 'est ten
'train-desecasser . .. .' Poaï»»lenaGeoii««i0^rv'-q»aiid
il -en-^est temps eucorej itifoudmit- qu'eile^par^t^ au
grand- 'dtner où 'assisteronit ce«oir«ième, les «us-
ières: parents jdu^fiaficéi'Et quoi l^e préseMer da«s
ieïœwnde^dansFv^tat' moral et^physique^où elle est,
«naara-t-elle jumâis la force? Eftle l'-atrra... poor
saillie :: c'est le réveil ! Et quaiid pénét^rant chez
r^e — «- ainsi ' qu^'o^n entrée dans^ on^ moulin :'t n-^msis-
ions pas — le prince J^an verra 'en robe de;- bal
décôttctée celle qu'il croyait ^trouver pleurant- sa
mort, ih comprendra que tout est ftni. « @n a jc^é
du poison dans les sources de* notre -amour- »^ a dit
Tibérèse, et c'est par une muette pression de mains,
comme^dans^une chanil>re' 'mortuaire, q«e se disent
^ieu'ces deux êtres qui jamais ne se reverpont.
Jean n'a plus, dès lors, qu'à tomber ^da-ns^ les bras
de Json père î "qui salue ' 'en - lui «- son ' petit » roi ' » :
pour' lui^ufisi, c'est le réveil !' Tel^esl bien rapide-
ment; bien brièvement racorfté,' «le sujet de l'^awgois-
saiitdrame (j'allais même écrire mélodmime), qui,
dans Toeuvre de M. Paul» Herrieu, se ©tassera
pai^Hédement avec l'Enigme : histoire -«nombre,
volontairement dénuée de toute psyoholog'ie et dont
l'effet-sur le gros du public peut être très- vif. -Une
de» ewiiosités de cette pièce — assurément plus
COMEDtE-FRANÇiUgE 7 1
ronftfttique que réaliste éUii ^c nous montrer
«Ott^laredia^ole-el le chapeau bau4 àe forme notre
génial tragédien Monnet^Sully^-donAant une allure
étonnamment noble- et une grandeur absolument
épî(fae au personnage duprinee Grégoire. Leglo-
rieax doyen, qu'on craignait tant 'de voir dépaysé
dans une œuvre moderne, a eu littéralement les
honneurs d!une soirée au succès de laquelle a lar-
gement Goutribué une .interpréiatiour de tout pre-
mier ordre. Il était impossible de rendre avec plus
^intelligence et detact que-ne Ta' fait M. Le Bar gy
le'irôle du- jeune prince^Jcan, sentimental et- rêveur,
ehaleurcttx et ' pastsionné. -' Que dire 'de M**® Barlet ,
«iacm qi^'ieHe fi été, une fois de plus, la grande
^tiste -que nous connaissons : son départ de la
^«wàson maudite et son - r^our au troisième* acte, en
proie à une si émouvante détresse, sont d'admira-
bles trouvailles de vérité et de simplicité. Quelle
bonne fortune pour un auteur que» d'avoir de tels
P>)^ago»kte^! Et comment ne pas louer l'autorité
de M. ;Paùl Mouaet, sous les traits du terrible
Sîaiéon''^Kieff ; fa grâce touchante de M*»® Piersoii,
«ous c^jox de la. bonne M™^ de Mégée, la .mère du
pauvre-fetre inoffensîf cquereprésenté, non sans uite
attendrifi^ante . mélancolie, M. Henry Mayer.
M**« Berge qui' faisait! ses débuts, dans la pièce de
M. Hervieu a été, elle aussi, fort applaudie, eiicoi^
^etson émotion nou&.ait paru quelque peu arti-
*«ieHe.
2i.DS€GaiaaE« — Pour. le aGô'^^anmversaire de
■Racine, .on^donne.ea-matinée'PA<?rfr« et les P/t//-
^^urs,pté€édisàwBajser ^de. Phèdre, ik^piopo» en
72 LES ANNALES DU THEATRE
vers de M. Gabriel Montoya *. — L'action se
déroule chez Racine en 1677, quelques mois après
la représentation à^Iphigéniè. Racine est décidé à
ne plus écrire pour le. théâtre; il en fait la confi-
dence à Boileau, qui essaye, en vain, de le détour-
ner de ce projet, mais sa résolution est prise :
Sachez donc qu'il me vient à moi-même un mépris
Pour cet art qu'autrefois j'aimais en idolâtre
Et que mon siège est fait de quitter le théâtre. . .
Boileau a beau insister, lui montrer la belle car-
rière qu'il peut encore remplir. Racine demeure
inflexible. Mais l'ombre de Phèdre lui apparaît sou-
dain ; elle réclame de lui un nouveau chef-d'œuvre
et dépose un baiser sur son front. Racine est
troublé, et, lorsque Boileau revient et qu'il l'inter-
roge :
1. Distribution.— Boileau^ M. Ifame^ — Racine, M. Fenoux,—
L'ombre de Phèdre, M»* Roch.
L'année se terminait par une séance du Comité d'administration,
réuni sous la présidence de M. Jules Claretie. Le Comité enregistrait la
démission, renouvelée, de Mil*Kalb, qui, malade depuis plusieurs mois
déjà, avait exprimé Tintention de se retirer. M»* Kalb, qui comptait plus
de vingt années de service dans la maison de Molière, était retraitée à
partir du l«r janvier 1906. Puis, on procédait séance tenantp aux aug-
mentations habituelles de an d'année pour les sociétaires qui n'ont pas
atteint la part entière. MM. Georges Berr, Pierre Laurier, Raphaël
Duflos, Dehelly, et M»'» S. Weber étaient augmentés chacun d'un demi-
douzième; MM. Louis Delaunay et Henry Mayer, M™" Renée Du Minil,
Lara, Marie Leconte, Cécile Sorel, Thérèse Kolb et Piérat, chacun d'un
douzième.
Suivait une assemblée générale des sociétaires, — toujours sous la pré-
sidence de M. Jules Clarotie — où était annoncé l'engagement de M^i* Ber-
the Cerny, une comédienne de talent que venaient de mettre en vue plu-
sieurs remarquables créations faites sur la scène du Vaudeville, et la
prochaine entrée dans la maison de Molière de M. Grand, qui se faisait
alors applaudir au Théâtre Antoine. M. Numa, naguère, aux Capucines,
l'heureux partenaire de M»» Jeanne Granier dans la Bonne Intention de
M. Francis de Croisset, entrait également au Thé&tre-Français.
COMÉDIE-FRANÇAISE 7$
Auriez- VOUS des remords... une telle stupeur
Vous prend à me sentir près de votre cathèdre. . .
le poète lui répond :
Ami, je suis côapable, en effet. , . j'écris Phèdre,
Le Baiser de Phèdre^^ qui remportait un vif
succès, était très bien joué par MM. Fenoux, Ha-
mel et M"« Madeleine Roch.
iA
LES«.2ltNNAL£S DU THEATRE
•
. DATE
NOMBRE
-NOMBRE
-deU
de
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•reprise
l>a«née
REPERTOIRE MODERNE
' £Edip^IiQi^:àremïe ea vers ,
x^atre J[eun£S9e, comédie..
Ruy-BlaSj drame en vers
Le Paofij comédie en vers
La Dernière Idole, drame
Claudie, pièce
Trilby, conte en vers
♦La Conversion d'A^c<?s/ê, comédie envers
^Hyacinthe ou la Fille de l apothicaire
à-propos
Le Flibustier, comédie en vers
L'A utographej comédie
Le Père Lebonnard, comédie en vers..".
Jean-Marie, drame en vers
Le Renoncement, à-propos.
Les Affaires sont les Affaires, pièce
1807, comédie .-
Le Monde oii l'on s'ennuie, comédie
Racine chez Arnauld, pièce
Mademoiselle de la Seiglière, comédie..
L^ Bonhomme Jadis, comédie
Le Marquis de Priola, pièce
On n'oublie pas, pièce
La Revanche d'Iris, comédie en vers . . .
Hernani, drame en vers.
Le Demi-Monde, comédie
La Joie fait peur, comédie
La Nuit d'Octobre, scène
Molière et Scaramouche. comédie en vers
Oringoire, comédie
L'Anglais ou le Fou raisonnable, corn. .
Le Fils de Giboyer, comédie
L Etrangère, comédie
Denise, pièce
Le Mari de la veuve, comédie
Philiberte, comédie en vers
L'Irrésolu, comédie
Le Petit Hôtel, comédie •
*// était une bergère, conte en vers
Shyloch ou le Marchand de Venise, co-
JHtjàie en vers
5
»
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»
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3
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1
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3 .
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1
»
1
15 janv.
1
15 janv.
3
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1
19 janv.
i
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1
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14 mars
5
M
4
»
1
»
3
28 mars
4
»
1
9 avril
3 a. 5 t.
7 avril
3 a. 5 t.
7 avril
7
50
16
5
2
2
8
21
6
3
11
14
4
2
15
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1
9
13
3
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1
7
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IS
1
7
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8
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17
^iCOHEDlB-ffBA^îÇJ^IfiE
75
DATE
NOMBRB
NOMBRE
delà
de
IM représ.
représenL
(i'aclea
ou de la
pendant
reprise
l'année
/RÉPERTOIRE MODERNE (SuiU)
LeCœur a ses nuisons^ comédie..,.
Le^Gendre de Md^ieur Poirier, comédie
L'Etincelle, comédie
*L^Duel, ^tièce
*Eh' Vùsile, comédie
Bataillé de dames, comédie
La Loi de l'ftomme, pièce.
Horace et Lydie, comédie en vers
Les Burgraves, drame
Au Printemps, comédie en vers « .
Il ne faut Jurer de rien, comédie
La Vraie farce de- Maître Pathelin, corn.
* Rue Si-Thomas du Louvrej à-pro;os. en'
yers
h'ktenturière, comédie en vers
Le^onheur qui passe,- comédie -. . . .
Laoplus faible, comédie
Lie Phéniciennes, drame «Btii|ua en vers
Sans lui^ comédie
Chez l'Avocat, comédie en vers libres...
La Cigale chez les fourmis, comédie. . . .
Blanchette, comédie
Les Romanesques, comédie en vers
I^ Fils Naturel, comédie.
*Don QuichoUe, drame héroïque en vers. .
*Le Réveil, pièce
Le Mercure galant, comédie en vers. . . .
*Le Baiser de Phèdre, à-propos en vers . .
RÉPERTOIRE CLASSIQUE
L« Malade imaginaire, comédie
Les Femmes savantes, comédie en vers.
Le Jeu de l'amour et du hasard, coméd.
Iphigénie en A ulide, tragédie
L'Etourdi, comédie en vers
Phèdre, tragédie
Amphitryon, comédie en vers
l^'Atare, comédie
L« Lega, comédie
Bojazet, tragédie
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»
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•17-avril
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27 avril
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6 juin
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10 juillet
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4 a. 1 pr.
28 sept.
3 p. 8 t.
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3
76
LES ANNALES DU THEATRE
DATE
NOMBRE
NOMBRE
delà
de
ire représ.
représent.
d*actes
ou de la
pendant
reprise
l'année
RÉPERTOIRE CLASSIQUE (suttc)
Monsieur de Pourceaugnac, comédie.. . .
Tartuffe^ comédie en vers
Le Misanthrope y comédie en vers
Le Mariage forcée comédie
Le Dépit amoureux, comédie eu vers....
Polyeuctey tragédie
L'Ecole des femmes, comédie en vers.. . .
Lts Fourberies de Scapin^ comédie
Les Préeiet*ses ridicules, comédie
Le Médecin malgré lui, comédie
Les Plaideurs t comédie en vers
Le Barbier de Séville^ comédie
L'Ecole des Maris, comédie en vers
Andromaqu«i tragédie
Horace^ tragédie
Le Cid, tragédie
Le Légataire universel, comédie en vers.
Les Folies amoureuses^ corne die en vers.
3
7 mars
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5
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1
»
2
M
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1
4
1
2
3
2
THÉÂTRE NATIONAL
DE L'OPÉRA-GOMIQUE
Sept œuvres inédites : V Enfant roi de M. Alfred
Bruneau, Chérubin de M. Massenet, Miarka de
M. Alexandre Georges, les Pêcheurs de Saint-Jean
de M. Widor, Hélène de M. Saint-Saëns, la Ca-
brera de M. Gabriel Dupont et la Coupe enchantée
de M. Pierné, forment, avec la reprise de Xaoière
de M. Théodore Dubois et la remise au répertoire
de YOrphée de Gluck, l'important bilan musical de
'année igoB.
i3 JANVIER. — Le théâtre fêtait la cinq-centième
de Manon. M'"^ Marguerite Carré, MM. Edmond
Clément, Fugère et Delvoye se faisaient applaudir
dans les rôles autrefois créés par M^'® Heilbron,
Talazac, Gobalet et Taskin. A la sortie, une belle
ovation était faite à M. Massenet qui avait assisté,
en compagnie de M'"^ Massenet, à la représentation
de son œuvre triomphante.
i8 JANVIER. — Première représentation à' Hélène^
poènie lyrique en quatre tableaux de M. Camille
Saint-Saëns *j et reprise de Xavière^ idylle drama-
* ï^iSTRiBOTioN. — Hélène, W^* Mary Garden. — Vénus, M'ia Saitva-
^«: - Pallas, Mlle Rival. — Paris, M. Ed. Clément.
''«rôle d'Hélène /at repris aa lendemain de la première représentation
Pw M- Guionie.
78 LES ANNALES DU THEATRE
tique en trois actes, d'après le roman de Ferdinand
Fabre, poème de Louis Galle t, musique de M. Théo-
dore Dubois*. — Le théâtre* de TOpéra-Comique
ne pouvait que s'honcwrer en représentant le nouvel
ouvrage de M. Camille Saint-Saëns — 'Tune des
plus hautes gloires de la musique moderne — dont
M. Raoul Gunsbourg nous avait, l'année précé-
dente, offert la primeur sur la scène de Monte-
Carlo. On sait que le maîlre, qui écrit en si belle
prose, verjsifie aussi fort agréablement. Atissi a-t-il
composé lui-même, et comme en se jouant, le
poème d'Hélène, C*ést TH'élène antique — la
« belle Hélène » du trio Meilhac-HaléVy-Offénbach,
la « bonne Hélène » de' M.' Jules Lemaître — Hélène
ne pouvant échapper à sa destinée qui est,, fatale-
ment, celle de tromper le doux Ménélas et de dé-
chaîner là terrible guerre de Troie. Maudissant sa
funeste beauté et se sentant brûler d'une ardeur
dont elle a honte, elle s'enfuit, épouvantée, der
mandant à la mer, où elle va se prédipiter, de la
délivrer d'E'ros... Vénus apparaît au-dessus deis
flots pour lui dire que c'est folie de vouloir résister
à Cypris ; elle vivra pour, l'amour, exempt de re-
mords, et les femmes rediront toujours le nom
d'Hélène; elle aimera Paris, en dépit qu'elle en ait.
Et quand vient le Priamidé, elle se sent déjà toute
à lui. C'est en vain qu'elle implore Jdpitër, et
1. Distribution. — Falcran, M. Fùgère. — Gàubert/Mi JeUn Péfier.
— Landry, M. David Devriès. — Landrinier, M. Huberdeau. — Xa^riére,
M»« Marie- Thiéry. — Benoîte, MUe Marié de iwte., — M«liô, MU» Ti-
phaine. — Prudence, Mj»v« MuthiideCocyte.
Au deuxième acie^-idiveriisseitteiirt rég\é paPiMo&MUrùjfuiUi^ daasé par
M"m Richeaume, G. Dugué et les dame« du corps de balle*.-
THÉATRK.XA'EnOKAl* DE- L^OPéRArCOMIQUE 79
quieflvoyée panlematife desdieftix, Pallas, écartant
1(5 mystère de TaiTftmr, manlne' à. Paris tansT-leSi
maux qui' foodirent- sur sa pairie,' les dixrans de^
luttes sans merci, Tiiforri'Ue' carnage j el.T^oie in--
ceitdJée. « Périsse*^ IHou' en flamm«s, répond le:-
noble fil» dd Priam^ périssent les mienst, et que je'
meure moi-même ! Mon amour me suivra ? dans-
l'éternel sommeil ! » Hélène tombe alors dans: les.
bras de son vainqueur, et tous deux chantent,
éperdus: « Ne- nous éveillons- pas^ du rêve, et ne^
vivons que pour aimer!... » Ah{ le joli tableau
qne celui de la pleine mer où passe le navire em-
pî)rlant Hélène et Paris - tendrement enlacés!...
Quatre décors, quatre nouveaux chefs-d -œuvre de
Jusseaume. Ah ! l'adorable mise en scène (réglée
par M. Albert Carré, c'est tout dire) encadrant
une pure et poétique musiquequi s'acliève en un-
vibrant arioso du ténor et en un duo d'amour éton-
namotent passionné! On sait que personne^ mieux,
que Sàint-Saëns, ne fait dire aux instruments tout
ce qu'ils «ont A dire; Mais pour lui le- drame .doit
rester sur la scène, et l'orchestre ne saurait pré+
tendre à un plusr beau rôle que d'exprimer, le»
sous-entendus, les dessous innombrables de l'action;-
C'est un accompaginateur, d abord», c'est ensniteun:
c >mmetitateur. La voix, instrument divin, inimi-
table, doit toujours garder la première place. Êtref
vivant et musical, sympbonique et vocal,, voilà «&-
que l'auteur cherche à réaliser au théâtre, et jaraaisy
disons-le, il n'y réussit mieux que^dans cette char-^
lûante, mais trop courte partition : une heure de
muftiqi|e délicieuse, rendue en toute perfection par*
So LES ANNALES DU THEATRE
l'orchestre que conduit excellemment M. Alexandre
Luigini. « J'ai été tenté, — a dit M, Saint-Saëns,
adroitement interviewé — par le drame intime :
la tragédie dans la conscience d'Hélène, épouse
vertueuse et reine honorée que la fatalité a con-
damnée à aimer Paris. Tout le débat humain qui
peut se produire entre l'amour, aisément exubérant,
d'un homme très beau à qui Vénus a promis Hé-
lène, et la vertu héroïque, puis chancelante, d'une
femme qui s'efforce vainement de se dérober au
destin — toute cette lutte, cette résistance de la
-créature contre les dieux m'ont paru fournir le
•conflit des passions, grâce auquel on pouvait réali-
ser un poème musical, tout d'amour, de douleur
-et de joie... » Hélène^ en un seul acte — mais un
acte de cinquante-cinq minutes — comporte quatre
tableaux joués progressivement sans entr'acte,
avec la classique unité du lieu, modifiée seulement
par des transformations dé décors, nécessitées par
rinlervention dans l'action de Vénus, puis de Pallas.
Et l'illustre auteur de Samson et Dalila rêva d'une
tragédie selon la formule grecque — tout au
moins d'une pièce construite selon la règle antique
avec toute la participation féerique du merveilleux
païen. Ce n'est pas une tragédie, puisqu'il n'y a
pas de catastrophe; c'est un simple épisode d'amour,
traité sans souci des conventions modernes, et le
grand compositeur a cherché surtoiït la parfaite
harmonisation de l'action, de la musique et des
décors, ces merveilles. C]est tout d'abord la vue
•extérieure du palais dé Ménélas, au dedans éclairé
pour une fête. On célèbre la gloire du roi, de la
THÉÂTRE NATIONAL DE l'opÉRA-COMIQUE 8i
jeune reine, Hélène au bras blanc... Bientôt le
décor change ; c'est maintenant une falaise, sur-
plombant la mer, où, fuyant Tamour coupable,
Hélène lutte dans la nuit noire. C'est alors que
surgit Vénus, apparaissant délicieusement parmi
les ro^es, entourée de nymphes. Puis, après la
superbe scène de lutte amoureuse entre Hélène et
Paris, le décor se transforme de nouveau. C'est la
déesse Pallas prophétisant à Paris les malheurs
qui vont fondre sur ssf patrie. Un mirage de scène
nous montre Troie incendiée, cependant que de
tragiques clameurs de guerre et de carnage désolent
l'immensité. La vision vaine s'évanouit. Hélène et
Paris s'abandonnent à leur amour que chante glo-
rieusement l'orchestre déchaîné. Et, nous l'avons
dit, un tablea:i final nous les montre enlacés sur la
galère qui les emporte vers Ilion. Sept scènes.
Quatre personnages. C'est la blonde Hélène, si
heureusement représentée par M'^^ Mary Garden, la-
sympathique cantatrice à la voix si pure. C'est le
beau Paris, dont le rôle est confié à M.' Clément,
rexcellent ténor au vibrant organe. C'est Vénus à
qui M"* Sauvage! prèle sa beauté plantureuse.
C'est enfin Pallas sous le casque et la cuirasse
d'or, dont le rôle a été confié à une débutante de
valeur, M**® Rival. Et M. Albert Carré nous a
donné là une exquise fête d'art. — La soirée com-
mençait par la reprise de Xavière, Le curieux
roman de Ferdinand Fabre d'où, sous la forme
d'un livret* mi-prose, mi-vers, feu Gallel tira cet
aimable et délicat ouvrage, est une idylle cénévole
d'une grâce pénétrante, où l'auteur de VAbbé Ti^
ANNALBS DU TBI^ATRB 6
82 LES ANNALES DU THÉÂTRE
grane et de Barnabe attestait une fois de plus la
franchise et la sincérité de son art, la puissance de
peintre rustique qui était en lui. L'œuvre de Fer-
dinand Fabre et Louis Gallet — rerue, dit-on, en
ces derniers temps et considérablement adoucie
par le maître Victorien Sardou — a été musica^
lement commentée par M. Théodore Dubois, dont
ce fut, après le ballet de la Farandole, les joliis
petits opéras-comiques de Pain bis et de la Gnzla
de r émir y et l'opéra Aben Hamet^ le cinquième
ouvrage théâtral. Musique bien faite, sans doute,
mais un peu froide. Les ingéniosités harmoniques
qui s'y rencontrent sont plutôt d'uTi savant que
d'un coloriste. Les idées sont parfois un peu
courtes, et de plus de recherche ingénieuse que de
saillie. Enfin, l'instrumentation n'a pas toujours le
relief décoratif que demande la scène. Il y a quand
môme beaucoup de très jolies choses dans cette
partition de Xavière^ que son auteur a pris, la
peine de remettre sur le métier — au point d'avoir
donné un dernier acte entièrement neuf. Nous ci-
terons l'entrée de l'abbé Fulcran, avec le Sit nomen
Domini benedictiim^ repris avec ampleur par Ga-
libert; la légende de Saint-François^ d'une candeur
intense et d'une naïveté délicieuse, chantée d^exquise
façon par M. Fugère, reprenant, pour le plaisir de
tous, le rôle qu'il avait créé il y a quelque dix ans.
Vous avez lu Xaviére — je l'espère pour vous —
et vous vous rappelez ce beau tableau de la fcte
des châtaigniers, avec les « batteurs » arrivaiit en
foule, un brin de verdure à la main, pour se
louer durant le temps de la récolte et entonnant
THÉAtRE NATIONAL D-E L^0PÉRA-€0MIQUE 83
ia vieille complainte, d'une poésie à la fois gaie et
triste, comme la plupart des chants populaires,
où la peine-, l'effort, la sueur ont poussé leurs
^•éfliisisements à travers la dure faim satisfaite,
l'âpre travail accompli. . Le compositeur a traduit
cette scèiae, d^une philosophie mélancolique, en
un chant plutôt gai et en danses joyeuses q,ui
« tirent » sur les bourrées d'Auvergne. Notons
enfin, comme une oasis pleiûe de fraîcheur au.
milieu de cette mélopée continue, la gracieuse
chanson « Grive, grivette, grivoisette », d'abord
dite en duo, puis reprise en quatuor. Les acteurs
chargés de reprendre l'œuvre de M. Théodore
Dubois et de Louis Gallet sont d'ailleurs excellents.
Vous savez si Fugère est l'idole du public, et vous
connaissez le talent de MM. Jean Périer et Huber-
deau, de M™®» Marié de l'isle et Tiphaine. 11 nous,
ceste à louer M. David Devriès, le jeune ténor sorti
naguère de la grande école que gouvernait ajlops
M. Théodore Dubois, et à rendre un juste hom-
mage à la délicieuse M"*^ Mai;ie Thiéry, montrant
daoïs le rôle de Xavièrt le glorieux pendant de sa
charmante création de Muguette.
7 FEVRIER^ — Dans Cavalleria rusticana, M'"" de
Marsans jioue pour la première fois le rôle de
Santuzza, où elle s'était déjà fait applaudir dansv
les représentations populaires organisées par
rOpéra-Comique au théâtre Montparnasse ^
1. — Ces représentations populaires dans les théâtres de la périphérie
«e continueront avec un vit succès. C'est ainsi qu'au cours de la saison
oD donnera au théâtre des Gobelins la Vivandière de Benjamin Godard,
avec M"» de Marsans, M"* Lnoy Vautlirin, Af.VT. Devriès, Gbalmin,
Dulilloy.
84 LES ANNALES DU THEATRE
8 FÉVRIER. — Dans le Vaisseau fantôme, M. Du-
franne chantait pour la première fois le rôle du
Hollandais, dont, après M. Renaud, il donne une
très remarquable et très personnelle interpréta-
tion.
9 FÉVRIER. — Reprise d'Orphée de Gluck, pour
une série de représentations de M"^* Rose Caron,
qui interprétait le rôle d'Orphée avec un sentiment
profond de la musique classique, avec une ampleur
et une majesté qui lui valaient un accueil triom-
phal. M™^s Vallandri, Dumesnil et Vauthrin se
montraient excellentes dans les rôles d'Eurydice,
d'une Ombre heureuse et de TAmour, et recueil-
laient, aux côtés de l'admirable artiste, leur part
de succès.
25 FÉVRIER. — M. Albert Carré, subitement at-
teint d'une attaque d'appendicite, qui nécessitait
une opération immédiate, était brusquement et
forcément arraché à la direction du théâtre. Pen-
dant son absence, qui durait deux mois, le parfait
fonctionnement de* tous les services était assuré
avec une incontestable compétence et une réelle
autorité par M. Albert Vizentini.
3 MARS. -— Première représentation de V Enfant
roi, comédie lyrique en cinq actes d'Emile Zola,
musique de M. Alfred Bru neau^ — L'action se
1. Distribution. — François, M. Du franne. — Auguste, M, Jean-
Périer. — Toussaint, M. Vieuille. — Georget, M»»' Marie Thiéry. —
Madeleine, M'i« Claire Friche. — Pauline, MU» Tiphaine. — La grand'-
mère, M^e Cocyte. — Une mendiante, Mii« Duchène. — Une dame^
Mlle Henriquez. — Marchandes de fleurs, MH«» Dumesnil ^ Costès, Vuil-
lefroy, P. Vaillant, Ughelte, Fairy, Pîa.
L'orchestre était dirigé par M. Luigini.
THÉATHE NATIONAL DE l'opÉRA-COMIQUE 85
passe de nos jours — je vous crois ! — en une
grande boulangerie-pâtisserie d'un riche quartier
de Paris : comme qui dirait la Boulangerie Vien-
noise de la Chaussée d'Antin, à la porte du Vau-
deville... C'est un soir de juillet, et dans la bouti-
que brillamment éclairée à la lumière électrique,
nous apercevons les grands pains tout debout, les
croissants, les brioches, les gâteaux secs dans des
corbeilles, le comptoir en marbre blanc ^où, sur
des assiettes, se trouvent les gâteaux à la crème et
aux confitures : on en mangerait ! a Minuit, dit
François, c'est la sortie des théâtres et Paris rentre
par les rues si vivantes encore, et Paris se couche,
las de sa journée de travail, fiévreux de sa soirée
de plaisir et d'amour ». Et pendant que le patron
descend au fournil où on lui demande des ordres,
nous assistons à la conversation de deux sous-
ordres qui ne rêvent que plaies et bosses. C'est le
<( brigadier » Auguste, don Juan de la boulangerie,
dont le chic de beau garçon est d'avoir partout les
patronnes, se plaignant à Pauline, la jolie ven-
deuse, une fine mouche, elle aussi, de l'incroyable
déveine qui l'a fait tomber sur une Madame ado-
rant son mari. « Son mari ou un autre I fait Pau-
line. Je sais ce que je sais : si tous les mardis elle
sort sous le prétexte d'aller voir une nièce infirme,
la vérité ; — je l'ai suivie — c'est qu'elle va retrou-
ver un tout jeune homme qui la guette aux Tuile-
ries : je les ai vus dans la boutique des jouets ».
Auguste n'en demande pas plus ; il prend un papier
et un crayon :" « Mardi prochain, allez voir ce que
fait votre femme aux Tuileries dans la boutique
86 LES ANNALES DU THKATRE
des jouets ». Il met le billet dans le registre des
commandes^ où le trouvera tout à l'heure lepaftron,
jetant traîtreusement le trouble dans k ménage le
plus heureux, le plus uni. Nous voici maintenant
dans le jardin des Tuileries, dont le fond resplen-
dit, plein de la turbulence d'un petit peuple d'en-
fants qui jouent et qui chantent :
Entrez dans la danse,
Voyez comme on danse :
Sautez, dansez, embrassez
Celle qae vous voudrez.
C'est mardi ; dans la boutiqu^e des jouets, un
j«une garçon de seize ans attend sa mère <jui,
mj^stérieusemenit, vient l'y retrouver tous les huit
jours. « Mère ! enfin c'est toi ! — Mon Georget ! »
Mais un homme survient : c'est François qui, tour-
menté par l'abominable soupçon, a voulu savoir :
« Tu m'as menti^ Madeleine, tu as un amant ! —
Un amant, moiL... François, c'est mon fils., c'est
mon enfant ! » L'heure est venue de la terrible
conafesfiion : à dix-^ept ans, Madeleine s'est laissé
séduire par an cousin de vingt ans qui partit au
régiment et mourut, niême avant que l'enfant vîat
au (monde. Deux ans après, elle épousait Fraaçois,
forcée à ce mariage par son père, qui l'eût tuée si
elle avait parlé, « Pardon, François, de «e f^^
avoir eu la force de te crier la vérité avant le
mariage, pardon de t'avoir ensuite volé ton amour,
tant mon amour pour toi me rendait lâche... »
François pardonnera, à condition qu'elle lui re-
vienne .tout entière, qu'elle choisisse entre son fils
THEATRE NATIONAL DE L^OPÉRA-GOMIQUE 87
et Jui, qu'elle lui jure de ne jamais revoir son
enfant : « L'enfaal d'un autre ne peut avoir de
place dans mon ménage^ il est l'étranger qui
m'outrage ». Et vaincue dans cette lutte sacrilège
entre ses deux amours, Madeleine n'a pas la force
d'abandonner son fils ; elle reste avec Georget.
C'est à son bras que nous la voyons, à l'acte sui-
vant, au marché de la Madeleine, où Georget vient
acheter à sa mère un bouquet de fêle, tandis que
Français, qui in'a pas oublié non plus la sainte
Madeleine^ ne demande que des fleurs de deuil :
celles qu'on met sur une tombe puisque c'est pour
une morte. Une imm^enae douleur s'est emparée
de ces deux êtres séparés depuis dix jours, et
désormais aussi malheureux l'un que l'autre :
celle-ci loin du mari qu'elle a délaissé; ct4ui-là
dans la maison vide où il la pleure. Et dans le
fournil de la boulangerie Delagrange — le fournil
en plein travail du soir — nous touchons au dé-
nouement de l'histoire. Madeleine est revenue parce
qu'elle aime son mari et ne saurait se passer de
lai. « Je reviens me confier à toi. Prends-moi,
tâche de me garder, en faisant que je souffre
moins., .moi qui souffre tant, et tâche d'emplir tout
mon coaur pour qu'il n'ait plus besoin d'autre
tendresse. Oui, fais de moi une épouse si heureuse
qu'elle vive à ton cou dans l'oubli du reste du
monde ».. A quoi François répond en l'étreignant :.
« Eh bien ! oui, ma chère femme, ma loyale et
bnave femme, je veux bien, je vais tâcher de te
reprendre tout entière et de te garder. Je suis
l'honmie, le mari, je t'aimerai assez pour que tu
^
88 LE,S ANNALES DU THEATRE
ne cesses pas une heure de m'aimer et de me
vouloir... Oui, puisque tu me reviens si franche,
isi confiante, essayons encore le bonheur, et nous
oublierons le reste du monde... » J'ai cité ces
phrases in extenso parce qu'elles sont Tune des
plus hautes envolées de la belle partition de M. Al-
fred Bruneau. Le bonheur pourra-t-il donc renaître
entre ces deux êtres au cœur meurtri ? Oui certes,
mais seulement grâce à l'enfant. Par un billet
anonyme — c'est encore un trait du perfide Au-
guste — Gcorget a été mis au courant de la situa-
tion. Il a résolu de s'exiler pour toujours, au-delà
de l'Océan, mais avant de partir il a voulu em-
brasser sa mère qu'il ne reverra plus. Il n'y a pas
place pour lui au foyer, pense-t-il, l'enfant du
hasard ne compte pas. « Non, répond le bon
François. Il n'y a pas d'enfant du hasard; l'enfant
n'est pas l'accident, il est tout, le fruit, la vie
elle-même... L'enfant emporterait tous les cœurs,
il laisserait un tel vide, une blessure si profonde
que nous en souffririons tous à jamais. Chassé
d'ici, il serait là sans cesse à nous séparera Qu'il
reste et qu'il nous^réunisse! . . . Prends-le, Made-
leine, et garde-le, qu'il soit notre fils à tous les
deux 1 » L'enfant triomphe ; vous comprenez main-
tenant ce titre symbolique : VEnfant roL — On
sait le fidèle et inaltérable attachement qu'avait
voué à Zola le probe et sincère compositeur qu'est
Alfred Bruneau. Après le Rêve et V Attaque du
Moulin^ dont Louis Gallet fut le très habile libret-
tiste, après Messidor et VOiiragan^ VEnfant roi,
écrit en prose courante et même assez vulgaire,
THEATRE NATIONAL DE l'oPÉR A-COMIQUE 89
est le cinquième ouvrage du maître qu'il ait musi-
calement traduit; Ce n'est pas le dernier, paraîtril,
et sans parler de la Faute de Vabbé Mouret, que
nous donnera M. Antoine au théâtre de TOdéon,
illustrée d'une curieuse partition d'orchestre, déjà
composée, M. Bruneau a trouvé dans l'héritage de
son grand ami trois autres poèmes complètement
achevés : nul doute qu'avec son affectueuse admi-
ration pour leur auteur il ne s'y attèle loyalement
et obstinément. Tant pis ! Nous aurions voulu voir
son vigoureux talent aux prises avec des œuvres
aussi remplies d'humanité, mais d'un terre à terre
moins exaspéré, d'une écriture un peu plus châtiée.
Exemples, cette phrase d'Auguste, le « traître de
la pièce » : « Puisque Madame n'a pas été gentille,
zut, elle filera, et nous verrons à faire notre popote
avec le patron » ; cette question de l'honnête bou-
langer qui n'a sans doute pas eu le temps d'ap-
prendre à parler français : « Et plus tard, quand il
a été mort? »; ce dialogue en conjugaison : « Dis,
Madeleine, tu me reviens? — Oui, je te reviens.
— Pourquoi me reviens-tu ? — Je te reviens parce
que. . . » Et sans manquer.de respect au génie de
Zola, cent autres perles, tout aussi peu musicales...
Avec l'habile développement de ses thèmes carac-
téristiques des personnages et des idées, comme
celui de rin\50cation à Paris — ô Louise! — et
celui du Pain qu'on jette par pànerées, par char-
retées à rinsatiable faim de Paris ; sur des paroles
qu'on souhaiterait, je l'ai dit, moins banales et
\T^iment plus inspiratrices, la partition de M^ Al-
fred Bruneau reste singulièrement intéressante,
QO LES ANNALES DU THEA'I>RE
j-oliflftent mélodique, de style noble et pur, toujours
sobre, distinguée, d'une poésie très prenante,
d'une belle et puissante émotion. Le rôle de Made-
leine, épouse aimante et mère angoissée, se soutient
d'un bout à l'autre dans des sphères absolument
élevées. L'esprit y trouve sa place, notam^ment
dans la partie de cette fine monche de Pauline, et
c'est une merveiile de gcâce et de fraîcheur que
le final du troisième act^, celui du marché aux
fleurs de la Madeleine, avec l'épisode du baptême
et la phrase de la jeune mère : « Fleurissez l'en-
fant, fleurissez le père . . . » Puis — ;le brillaat
auteur de WEnfant roi mérite encore d'être sur ce
point \ûv^ement félicité — l'orchestration de M.Bru-
neau, à laquelle on pouvait reprocher naguère
quelque lourdeur et quelque dureté, nous apparaît^
cette fois, extrêmement claire et légère, ample eA
sonore, sans jamais cesser d'être discrète. L'inter-
prétation est au-dessus de tout éloge. Comme
chanteuse et comme comédienne, .M^*® Friche
s'est acquittée en artiste de race du rôle de Made-
leine, primitivement écrit pour M"® Delna ; il jorous
semble impossible de s'y montrer plus simple,
plus vraie, plus émouvante. Sous le complet gris
du maître boulanger, M. Dufranne ia .été le digne
paritenaire de M''^ Friche, et le public les a tous
deux réunis dans un même succès. C'est à M*"^ Ma-
rie Thiéry qu'a été dévolu le travesti de Georget ;
le rôle quoique court n'en fait pas moins valoir la
cantatrice, dont nous avons applaudi la voix si
pure, accompagnée par le violoncelle, au dernier
acte. Du légendaire Pelléas au réaliste voyou qu'est
THEATRE NATIONAL DE LOFERA-COMIQUE QT
le mitron Auguste^ la distance était énorme : il
nV avait qu'iun Jean Périer pour la combler avec-
toute la souplesse et toute la finesse de son talent.
de composÂtiona. L'adresse et la sûreté sont les>
habituelles qualités de M'^^ Tiphàiae, elle en a fait
preuve une fois de plus dans ses mordantes répli-
quas de Pauline. Notons M. Vdeuille, parfait sou»
les traits d'un vieux serviteur fidèle, et M^'® Vau-
thrin, infiniment gracieuse en sa courte apparition
da marché aux fleurs, dont Je ravissant d^cbr est
une nouvelle merveille de Jusseaume. Que dire
encore «de M. Lnig-ini menant l'orchestre? Nous-
n avioBS plus d'épithèle à notre service pour louer
sa maîtrise.
• 26 HiwRs. — «Uroe jeune première danseuse, nou-
velkment engagée, M!'« Régina Badet, débute a«vec
beaucoup deg-râce et de charme dans le Ballet.de
Lakmé,
3o MARS. — M*^'^ Bessie Abott chante pour la
première fois — en matinée — le rôle de Violetta
de la Traviata, ot elle fait preuve d'une exquise
virtuosité.
5 AVRIL. — Pelléas et Mélisande reparaissait
sur l'affiche. L'œuvre de M. Débus.sy était in-
terprétée par M*''' Garden, MM. Dufranne, Jean
Périer et Vieuille, dans les rôles qu'ils ont créés,
et par M™®^ Passama, Dumesnil et M. Guîllamat
dans les autres rôles. M. Alexandre Luigîni diri-
geait l'orchestre avec sa magistrale autorité.
5 MAI. — Première rt'^présentation de la Cabrera y
drame lyricpie en deux parties de MM. Henri Gain
92 LES ANNALES DU THEATRE
et Gabriel Dupont*. — M. Edoardo Sonzogiio était
l'homme du jour... A peine venait-il de nous faire
connaître en Siberia — qui suffisait à elle seule à
l'honneur de sa saison italienne au Théâtre Sarah-
Bernhardt — un compositeur de haute marque,
M. Griordano, que TOpéra-Comique nous offrait la
représentation de la Cabrera de M. Gabriel Dupont.
On ne dira plus, je pense, que les concours ne
servent à rien. Désormais, leur cause est gagnée.
Le tournoi international de musique, dû à la gé-
néreuse et intelligente initiative de M. Sonzogno,
nous paraît avoir éloquemment démontré l'utilité
d'une institution si souvent et si injustement décriée.
^ Il nous a révélé un véritable tempérament musical,
un talent jeune et déjà mûr que nous ne soupçon-
nions pas : l'œuvre que nous attendions et que
nous n'osions pas espérer. La partition de la Ca-
brera^ à laquelle le jury attribuait. Tan dernier, le
prix Sonzogno, personnifie, en effet, la plus heu-
reuse expression du drame lyrique, tel que nous le
concevons aujourd'hui. Une histoire simple et
douloureuse, toute de frémissante humanité, un
fait divers brutal qui découvre la cruauté de la
vie, qui nous montre les angoisses intenses d'un
cœur meurtri, les tortures atroces d'une malheu-
reuse femme, une ^gardienne de chèvres séduite,
insultée, abandonnée, obligée de fuir, de cacher sa
honte, et qui^ un beau jour, revient à -son village,
1. Distribution. — Pedrito, M. Clément. — Juan Gheppa, M. Simard.
— Riosso, M. Huberdeau. — Joaquin, M. de Poumayrac. — L'hôtelier,
M. Imbet^t. — Amalia, M«e Gemma Bellincioni — Teresita, M"»« Cocyte*
— Juana, MH« Vauthrin. — Rosario, M"e Costès.
THEATRE NATIONAL DE l'opÉRA-COMIQUE gS
retrouve celui qu'elle a invôlontaireiAent trahi, le
reconquiert par la pitié qu'elle lui inspire, et meurt
dans ses bras au moment où la vie allait lui sou-
rire... Tel est le sujet, très scénique, de la Cabrera,.
un des meilleurs livrets de l'adroit librettiste qu'est
Henri Gain; il devait inspirer à M. Gabriel Dupont^
ce compositeur de vingt-deux ans, une partition,
débordante de passion, une musique violente et
tendre à la fois, qui crie la douleur et qui chante
l'amour avec une extraordinaire intensité. Une
artiste de premier ordre, la Bellincioni, créait, à
Paris comme à Milan, le rôle de la Gabrera. Elle
y remportait le grand succès que méritait son inter-
prétation toute pleine de vie, succès qu'a d'ailleurs
partagé M. Glément, un Pedrito à la voix si solide
et si chaude, au jeu si chaleureux et si vibrant.
23 MAI. — Première représentation de Chérubin^
comédie chantée en trois actes de MM. Francis de-
Croisset et Henri Gain, musique de M. Massenet*^
— Le voici — et même un peu plus tôt que nous
ne l'espérions — le voici à l'Opéra-Gomique où, si
heureusement revenu à la santé, M. Albert Garré
a su nous le brillamment présenter, cet allègre
1. Distribution. — Le philosophe^ M. Fugère. — Le comte, ^. A Al-
lard. — Le duc, M. Cazeneuve. — Le baron, M. Chalmin. — Ricardo,
M. de Poumayrac. — L'hôtelier, M. Huherdeau. — Chérubin, M»* Mary
Garien. — Nina, M"»» Marguerite Carré. — L'Ensoleillad, M"»» Vallan-
dri. — La comtesse, M«« J. Gtiionie. - La baronne, M"»» M. Cocyte.
Manolas : M"«« Costès, Vuillefroy, Ughetto^ d'Oligé, Muratet, Pla et-
Juliot.
OâSciers : MM. Imhert, Lévison, Eloi, Sausini, Vanloo et Julien.
Au premier et au deuxième actes : Divertissements réglés par Mme Ma-
Hquila et dansés par M"" Regina Badet, première danseuse ; Ri-
cheaume, O. Dugué, Luparia et Mary.
L'orchestre était dirigé par M. Luigini,
96 LES ANNALES DU THEATRE
avec mandolines et jusqu'à la phrase finale avec
ses ironiques pizzicati de violons rappelant le
thème de la sérénade de Don Juan^ Torches tre de
M. Massenet est, à son ordinaire, constamment et
purement délicieux? Sous la magistrale direction
de M. Luigini, nous en avoîis savouré toutes les
nuances si fines et si délicates. Et Chérubin fut,
de toutes les façons^ un incontestable succès.
24 MAI. — Dans le Jongleur de Notre-Dame^
M. André Allard chantait pour la première fois le
rôle de Boniface, où il remportait le plus franc
succès. Après la romance de la Sauge, qu'il devait
redire, le public lui faisait une véritable ovation.
28 MAI. — Dans le Vaisseau fantôme^ le rôle
de Senta servait de début à une toute jeune canta-
trice douée d'une jolie voix, M"^ Velder, qui se \
faisait applaudir et rappeler par toute la salle avec '
M. Renaud,
3 JUIN. — Matinée de gala au bénéfice de la
caisse de retraite des artistes de l'orchestre, des
chœurs et du personnel de la scène*.
1. — Voici quel en était exactement le programme :
Le Vaisseau fantôme (R. Wagner), ouverture, chœur des Pileuses,
ballade, airs, chanté par MH» Cl. Friche, M«ne Gocyte, M, L. Beyle.
"Le Cœur a ses raisons^ de MM. G. -A. de Caillavet et R. de Fier»,
joué par MUe Marie Leconte, MM. Henry Mayer et Garry, de la Comédie-
Française.
Deuxième acte d'Alceste (Gluck), chanté par Mme Félia Liitvinne,
MM. Dufranne et Guillamat.
PREMIER INTERMÈDE
Bornéo et Juliette (Gounod), 5o tableau, duo de lAlouette, par M™* Ma-
rie'Thiêry, M. Rousselière, de l'Opéra.
Œuvres pour piano, de Chopin, par M. Arthur Rubinstein.
h' Hypnotiseur^ de M. A. Guyon, dit par M. Coquelin cadet, de la
Comédie-Française.
THEATRE NATIONAL DE L OPERA-COMIQUE 97
8 JUIN. — M?® Sigrid-Arnoldson, « en représen-
tations )), reparaissait avec son habituel succès dans.
Mignon. Ce succès se renouvelait, deux jours
après, avec Lakmé^ qui lui valait de bruyantes
ovations. — Puis, le aS et le 27 juin, M"*^ Sigrid-
Arnoldson chantera deux fois Carmen^ avec
MM. Clément, Dufranne et M*^^ Pornot, ses dignes
partenaires.
26 JUIN. — La ville de Caen avait organisé en
rhonneur de M. Gabriel Dupont — un de ses enfants
— une représentation de la Cabrera. M"^« Margue-
rite Carré s'y faisait chaleureusement applaudir
dans le rôle créé par la Bellincioni. Celui de Pedrito
était tenu, comme à Paris^ par M. Clément. M. Lui-
gini conduisait Torchestre.
3o JUIN. — Au lendemain d'une belle représen-
tation d'Alceste, avec M™® Félia Litvinne, la saison
se clôturait avec une superbe recette obtenue par
Chérubin — grand succès pour tous les inter-
prètes — et par Cavalleria Rusticana.
5 SEPTEMBRE. — Réouvcrturc du théâtre avec
Troisième acte d'Orphée (Gluck), chanté par M«n" Rose Caron, Val-
landri et Vauthrin.
DEUXIÈME INTERMÈDE
Valse de Mireille (Gounod), chantée par M«»e» Tiphaine, A. Pornot,
Ouionie, Vallandri, R. Launay.
Air de Samton et Dalila (Saint-Saens), chanté par M™8 Ch. Wyns.
Trio des Frileux (LuUi), reconstitué et dirigé par M. Reynaldo Hahn,
chanté par MM. Fragson, Jean Périer et A. Aliard.
Air des Noeea de Figaro (Mozart), chanté par MH» Marié de i'Isle.'
Air du 3« acte de la Tosca (Puccini), chanté par M. Garbin.
Ballet de Thamyria (Jean Nouguès), pas de Tldole et de l'Esclave,
réglé par Mn* Mariquita et dansé par Mii«s Régina Badet et Richeaume.
M. Fragson dans son répertoire.
Ouverture des Vêpres siciliennes (Verdi), dirigée par M. Campanini.
Ouverture de Chérubin (Massenet), dirigée par M. Luigini.
ANNALES DU THEATRE 7
98 LES ANNALES DU THEATRE
Manon^, — Le lendemain, la représentation de
Carmen^ chantée par M"^^ Friche et Vallandri,
MM. Clément et Dufranne, servait d'heureux dé-
but à un nouveau chef d'oréhestre, M. Ruhlmann,
qui conduisait avec aisance et sûreté le chef-d'œu-
vre de Bizet.
10 SEPTEMBRE. — Début, daus Mireille, d'une
jeune artiste ehcore inconnue, M"® La Palme, dont
rinexpérience juvénile et la voix jolie reçoivent un
aimable accueil.
12 SEPTEMBRE. — Dans le Roi d'Ys, qui repa-
raît sur l'affiche à la 197^ représentation, inter-
prété par M"^ Marguerite Carré, MM. Ed. Clément,
Dufranne, Vieuille, Huberdeau et Guillamat,
M'"^Cocyte prend possession du rôle de Margared,
et y fait preuve d'un très sûr instinct dramatique,
i3 SEPTEMBRE. — M*^^ Brozia, qui vient du
théâtre de la Monnaie de Bruxelles, débute dans
Violetta de la Traviata, qu'elle chante et joue
non sans adresse et sans grâce.
i5 SEPTEMBRE. — Rentrée de M"^^ Charlotte
Wyns dans Werther, où par sa voix, son jeu,
les mouvements de sa sensibilité, elle paraissait
tout à fait hors de pair. Le public l'applaudissait
longuement.
20 SEPTEMBRE. — Nous avous assisté dans une
salle bondée d'étrangers. Allemands, Russes, Amé-
1. Distribution. — Des Grieux, M. Léon Beyle. — Lescaut, M. Jean
Périer. — Le comte, M. AUard. -^ Brétigny, M. Cazeneuve. — Guillot
de Morfontaine, M. Gour don. — Manon, M>n« Marguerite Carré. —
Poussette, Mi'e Rachel Launay. — Javotte, M^e a. Costès. — Rosette,
Mlle Dumesnil.
L'orchestre était conduit par M. Luigini.
THEATRE NATIONAL DE L OPERA-COMIQUE 99
ricains, et de toutes les petites « Servatoire », à
rapparition dans le Barbier de Séville^ de M**« Ma-
thieu-Lutz, dont le second prix — alors que le
public lui en donnait un premier — avait soulevé
aux c(5n«««wde .juillet, des tempêtes inoubliables.
Succès bruyant cette fois encore pour la charmante
débutante, qui a déjà quelques qualités, mais qui
n'est pas, c'est tout naturel, une artiste accomplie.
Elle introduit toutes sortes de « cocottes » dans le
premier air de Rosine, et réussit à faire applaudir
rinsupportable chanson du Misoli, qui mériterait
d'être à jamais remisée tant elle a. vieilli. W^^ Ma-
thieu-Lutz joue avec intelligence, et elle ira loin si
elle veut travailler et ne pas se croire arrivée dès
le départ. La représentation des plus honorables
nous permet d'applaudir Fugère et Clément tou-
jours les mêmes, c'est-à-dire excellents: l'un, avec
sa méthode large et belle, l'autre, avec ses miè-
vreries, excusables chez un aussi bon musicien;
Dejvoye, puissant Figaro, qui « la connaît dans
les coins », et enfin le nouveau Basile, M. Azéma
— Isnardon /ec/^ — parfait comme voix, comme
style et comme jeu. Nous lui promettons un su-
perbe avenir; son triomphe a été aussi brillant
que mérité.
21 SEPTEMBRE. — M"^® Bréjeau-Silvcr reparaît
avec ses brillantes qualités vocales dans le rôle de
Manon qu'elle avait repris lors de l'ouverture de
la nouvelle salle.
23 SEPTEMBRE. — GriséUdis retrouve les ap-
plaudissements qui saluèrent, à sa première appa-
rition, la belle œuvre de M. Massenet. Le rôle de
tr/....N r
I- L.
" 1^ fîi rcprésenU(îJ!frJ
Fnrhé et Valkod
iiriû et Oufniime, servait d'heureux
■ -tvfaD chef dWdjcstre, M, Ruhlrnail
: -ivec aisanre cl sOrefc le c(ieM'{
tfir dr licitçt.
- fmimt, —Début, dans J///r/7/r. d'u
vie encore iucannïie, M^^^ La Palme, dd
nce juvénile et la voLt jolie reçoivent]
r. — Dans le ftoi d'Ys, qui
ir* à la I(J7^ représerilali<»n, \ù^
'• -j^rritc Carrti, MM. U. Clériie
Ifuberdeau et Guillam^
ssession du roIc de Mar^ar
. ^r...u.v -1 .*♦* Irén stîr inslinct dramatique
^LFrulllt«. — 3f'^'' Brozia, tjui vienf
J^ h Mc^nnaie de Bruxelles, dcbute duq
^- iê Tnwiaffif qu elle chaule et joa
!re53« et sans çrâc^.
fn:«iftc. — Rentrée de M"'« Cliarlt)t
« i^ «ian^ H>r/A^A où par sa voix, son je
^ ^-^^ffncuU àe isa ^nsibdllé, elle parâiss
^^ *nde pair. Le public TapplaucUssa
9# 5jfTf:»wir* — -^cMis arwns assisté dans m
^t K«Av JVlniig«r», Al/eiJiandsy Russes, Ami
II. Jti^HL — Brtfli^.v. M. Castnêwe, -^ GtiiJlî
It tf#«w^t. — \faJ3PU» A/«« Margueiilë Carré, *
^ Urme, m* À. Cmè*. — Rosetl^
THEATRE NATIONAL DE L OPERA-COMIQUE 99
ricains, et de toutes les petites « Servatoire », à
l'apparition dans le Barbier de Séville, de W^^ Ma-
thieu-Lutz, dont le second prix — alors que le
public lui en donnait un premier — avait soulevé
aux c(5îi«mf«r de juillet, des tempêtes inoubliables.
Succès bruyant cette fois encore pour la charmante
débutante, qui a déjà quelques qualités, mais qui
n'est pas, c'est tout naturel, une artiste accomplie.
Elle introduit toutes sortes de « cocottes » dans le
premier air de Rosine, et réussit à faire applaudir
l'insupportable chanson du Misoli, qui mériterait
d'être à jamais remisée tant elle a vieilli. M'^« Ma-
Ihieu-Lutz joue avec intelligence, et elle ira loin si
elle veut travailler et ne pas se croire arrivée dès
le départ. La représentation des plus honorables
nous permet d'applaudir Fugère et Clément tou-
jours les mêmes, c'est-à-dire excellents: l'un, avec
sa méthode large et belle, l'autre, avec ses miè-
vreries, excusables chez un aussi bon musicien;
Delvoye, puissant Figaro, qui « la connaît dans
les coins », et enfin le nouveau Basile, M. Azéma
-- hndiVàon fecit — parfait comme voix, comme
style et comme jeu. Nous lui promettons un su-
perbe avenir; son triomphe a été aussi brillant
que mérité.
21 SEPTEMBRE. — M°^® Bréjcau-Silver reparaît
avec ses brillantes qualités vocales dans le rôle de
Manon qu'elle avait repris lors de l'ouverture de
la nouvelle salle.
23 SEPTEMBRE. — GriséUdîs retrouve les ap-
plaudissements qui saluèrent, à sa première appa-
rition, la belle œuvre de M. Massenet. Le rôle de
lOO LES ANNALES DU THEATRE
Grisélidis est interprété par M™® Charlotte Wyns.
M. Lucazeau, premier prix d'opéra-comique aux
derniers concours du Conservatoire, débute dans
le rôle d'Alain, où il fait preuve de très réelles
qualités. La distribution se complétait avec M. Fu-
gère et M^'^ Tiphaine, parfaits dans- les rôles qu'ils
avaient si brillamment créés, avec M"® Vauthrin,
MM. Huberdeau et Guillamat.
2l\ SEPTEMBRE. — Nous apprcnions la mort d'une
artiste depuis louj^temps disparue du théâtre, et
dont le nom avait survécu, la créatrice .de Mignon
et de Carmen — qu'on donnait précisément en
matinée ce jour-là — ' M™® Galli-Marié, décédée
dans le Midi, où elle vivait depuis une vingtaine
d'années. Elle était âgée de soixante-cinq ans*.
26 SEPTEMBRE. — C'était une véritable apothéose
— si Ton peut appeler ainsi les honneurs enthou-
1. — Fille du ténor Marié, M^^ Galli-Marié avait débuté à Rouen dans
la Favorite^ en 1861, puis était venue, l'année suivante, à Paris et .était
entrée à l'Opéra-Comique, où elle resta, jusqu'en 1872. Elle y créa Mi-
gnon, en novembre 1866. Elle passa ensuite deux années en. Belgique,
puis revint à l'Opéra-Comique en 1875, où elle créa, le 3 mars, le rôle de
Carmen, le plus fameux de sa carrière. En 1877, Mme Galli-Marié quittait
de nouveau rOpéra-Comique, où elle reparut en 1884 et en 1885. Puis elle
abandonna définitivement le théâtre et s'en alla vi\Te dans le Midi. La
dernière fois qu'on l'entendit en public, ce fut au théâtre Sarah-Bemhardt.
il y a douze ans. Elle vint prendre part à la représentation donnée pour
le monument Bizet. Elle joua Carmen aux côtés de M. Jean de Reszké
qui chantait Don José, de M. Lassalle qui chantait Escamillo et de
M«« Melba qui chantait Micaëla. Merveilleuse musicienne, M"» Galli-
Marié était la vie même au théâtre et elle aimait avoir des partenaires
animés de la même conviction qu'elle. Elle racontait avec joie que trois
de seli Don José l'avaient réellement frappée d'un coup de couteau au
dernier acte de Carmen. M'a* Galli-Marié avait deux sœurs, M>»«* Paola
et Irma Marié, qui ont également laissé un nom à la scène. Une de ses
petites cousines a fait, dans l'art lyrique, une belle carrière et chanté
notamment Carmen avec talent. C'est Mite Marié de L'Isle, qui porte,
non sans éclat, ce grand nom.
THEATRE NATIONAL DE L OPERA-COMIQUE 10 1
siastes rendus à un vivant bien vivant — que la
centième représentarcion de Werther. Le public
était venu en foule,'. assiégeant toutes les places, et
acceptant même de •fe^eip debout dans les cou-
loirs pour témoigner, par ^a^-çrésence, qu'il était
de cœur et d'esprit avec la 'di«iection du théâtre et
avec les artistes, dans les honnpui-? .décernes à Té-
minent compositeur ; et il acclaméit'.l'œuvre, heu-
reux de réparer la sottise de la critfqife et* l'indif-
férence des premiers spectateurs. Aussi M. JVIàsse-
net, qui a assisté à bien des soirées triom'pllaiÊfS, a
dû rarement éprouver de plus douces émotîojïS.
Chaque page de Werther a eu des applaudissais/
ments, mais ce sont la scène du clair de lune au -
premier acte, l'invocation au suicide au deuxième,
le retour de Werther au troisième, et l'admirable
ao^onie du héros, au quatrième, qui ont été particu-
lièrement soulignés par des bravos enthousiastes.
« Toute .mon âme est là », dit le héros de
MM. Paul Milliet, Edouard Blau et Massenet.
Poètes et musicien peuvent en dire autant. Et
Werther, dès à présent, est tenu pour un chef-
d'œuvre digne de rester au répertoire. Il y res-
tera d'ailleurs, de par le désir du public et de
par la volonté directoriale. Après le premier
acte, au foyer des artistes, où M. Albert Carré
recevait avec une extrême bonne grâce les amis de
la maison et les admirateurs de l'ouvrage, des
toasts chaleureux ont été échangés. Le directeur de
rOpéra-Gomique a levé son verre et dit toute la
tendresse, tout le pathétique, toute la passion,
tout le charme, tout le génie que Massenet a
102 , LES ANNALES DU THEATRE
répandus dans Werther^ et le compositeur a
reporté sur l'éminent directeur de notre seconde
scène lyrique le succès ess^tîc^I de la soirée, car
c'est lui qui reprit le '«kief-d'œuvre abandonné,
enfoui, l'exhuma, le ^èlai^tTscita, le fit triomphant.
Rien de plus lé^itinnè-.^ê cet hommag-e du maître
au directeur-ar^i&JLè. dont c'est la g'Ioire de faire
appel de jugftplêftls hâtifs, de braver les opinions
rebelles -aux 'lôf'mules neuves, et d'imposer à l'ad-
miratieii dç la foule des œuvres de beauté. On n'a
oubK^*i{?efsonne dans cette solennité, ni M. Beyle,
.uil ;Wèrthçr ardent, sincère, ni M. Allard, un Albert
tîé' grande tenue lyrique; ni MM. Vieuille (le
••Bailli) et Huberdeau (Johann) ; ni M™® Charlotte
Wyns, une Charlotte aux sentiments émus; ni
]\Iii3 Vauthrin, une délicieuse et poétique Sophie;
ni M. Luigini, un chef d'orchestre incomparable,
communiquant à ses musiciens les propres mouve-
ments de son âme et leur faisant exprimer tout le
langage des amours qui firent de Goethe un des
plus grands poètes de son siècle.
4 OCTOBRE. — Le ténor Salignac fait une bril-
lante rentrée à l'Opéra-Comique, qui fut, il y a
quelques arguées, la scène de ses premiers débuts.
Élève d'Edmond Duvernoy, il sortait alors du Con-
servatoire, où, précisément, la grande scène du
troisième acte de Carmen lui avait valu son pre-
mier prix d'opéra-comique. Depuis, il promena le
rôle de Don José dans les deux mondes, variant
en virtuose les nuances de son jeu suivant le carac-
tère, la stature, en un mot l'action et la réaction
de multiples Carmens. Il devint bientôt en quelque
THEATRE NATIONAL DE l'oPÉRA-COMIQUE I03
sorte un spécialiste du rôle, à telle enseigne qu'en
1896-97 il était engagé à TOpéra dé New- York
tout particulièrement pour y donner la réplique à
M"« Calvé. On se souvenait des ovations que lui
avait prodiguées pendant ce dernier hiver le public
de Nice, très emballé par la véhémence inusitée,
rinlensité d'accent de son jeu avec sa remarquable
partenaire M"*^ Wyns. Ce soir, devant une salle
comble, où l'élément américain étalait toutes ses
élégances, le ténor Salignac, épris avant tout de
vérité dans l'expression et servi par une voix
docile et bien timbrée, — qui sut se faire exquise-
ment vaporeuse dans la romance du second acte,
— a retrouvé les mêmes bravos. Les quatre phases
de son rôle, acte par acte, tiendraient dans ces
quatre mots: simplicité, passion, colère, déses-
poir. Voilà un véritable tempérament dramatique,
le type du tenore lirico^ du ténor d'opéra-comique.
Une excellente interprétation secondait ce début
intéressant. Nommons RP*® Friche, Carmen adroite,
du plus vif intérêt ; M"»® Marie Thiéry, délicieuse
Micaëla ; M. Dufranne, puissant Escamillo.
i4 OCTOBRE. — Les lauréates des derniers con-
cours du Conservatoire défilent sur la scène de
l'Opéra-Comique. Après M"^ Mathieu-Lutz dans le
Barbier, c'était M**^ Mirai, une Mignon très tou-
chante et très sincère, à la voix fraîche et bien
posée ; digne fille de son père, elle semble réunir
les solides qualités qui font une véritable artiste .
M**e Angèle Pornot qui, elle, ne vient pas du
Conservatoire, mais qui fait honneur à la belle
Ecole de Chant de M"« Rosine Laborde, dont elle
I04 LES ANNALES DU THEATRE
est une des plus brillantes élèves, jouait pour la
première fois Philine. Elle y obtenait le succès qjje
lui avait déjà valu sa délicieuse interprétation de
Lakmé. Il est impossible de lancer le trait avec
plus de sûreté et d'égrener avec un art plus délicat
les vocalises un peu surannées de ce rôle de grande
coquette. M"® Pornot est une des jeunes pension-
naires de rOpéra-Comique le plus justement aimées
du public ; il ne lui manque plus désormais qu'une
importante création pour être consacrée étoile.
6 NOVEMBRE, — Première représentation de
Miarka, comédie musicale en quatre actes et cinq
tableaux, poème de M. Jean Richepin^ musique
de M. Alexandre Georges ^ — Rarement une œuvre
de celte importance aura pris contact avec le public
dans des conditions plus heureuses de confiance et
de sécurité. Chacun sait en effet que du très ori-
ginal et très savoureux roman de Jean Richepin :
Miarka, la Jille à l'Ourse^ le compositeur Alexan-
dre Georges détachait naguère, pour les mettre en
musique, toute une série de petits poèmes curieuse-
ment et délicieusement écrits. Exécutées partout el
applaudies, dans les salons comme dans nos
grands concerts, les heureuses Chansons de Miarka
1. Distribution. — Gleude, M. Jean Périer. — Le Roi, M. Lttcazeau.
— Le maire, M. Caieneupe. — Le maître d'école, M. Jluberdeau. — Un
jeune romane, M. Simard. — Un vannier, M. Imbert. — La Vougne,
M«n« Région. — Miarka, Mme Marguerite Carré. — M™* Tavie, M»»» Pier-
ron. — Une laveuse, Mn»e Mwatet. — Une vieille romane, M^^ Perret'
Au troisième tableau, divertissement réglé par M^^ Mariquita, dansé {
par Mlle Régina Badet, première danseuse, M. Price, M»" Richeaume, ||
G. Dugué, Luparia, Mary, Chambon. L'orchestre était dirigé par M. Lui
gini. — Le rôle du Roi- sera repris, dès le lendemain de la première
représentation, par M. Devriès.
THEATRE NATIONAL DE l'oPÉRA-COMIQUE Io5
devaient fatalement, sous la poussée lente de leur
succès même, aboutir au théâtre. Poète et musicien
se sont bravement remis à l'œuvre, cette fois
ensemble ; et c'est pourquoi nous acclamions ce
soir le pittoresque drame lyrique de Miarka.
Drame lyrique, et non pas uniquement prétexte à
faire défiler devant le public des airs connus et
éprouvés. L'action quoique très simple a ceci pour
elle d'aussi important que rare : à savoir que la
source en est intérieure, les faits découlent logi-
quement de l'état d'âme farouche et noble que le
grand poète attribue à ses chers Romanichels. S'il
vous arrive, rencontrant une roulotte à l'entrée
d'un village, de hausser les épaules ou de presser
le pas devant ces raccomodeurs de paniers, ces
rétameurs de casseroles qui, volontiers se trans-
forment en voleurs de poulets ou même de petits
enfants, sachez que vos peurs ou vos dédains pro-
voqueront leur parfait mépris. Ces nomades sont
les ennemis hautains des sédentaires que nous
sommes ; ces asiatiques nous jettent la fameuse
invective de Lamartine :
O vous, peuples assis de rOccident stupide.
Ce qu'ils aiment, ce n'est ni la nature, ni là soli-
tude; et le chant d'amour de Carmen, « Là bas,
là bas, dans la montagne », travestit le rêve d'une
vraie « gitana ». Les Bohémiens tiennent à errer
parmi les hommes qu'ils raillent de se fixer, de
prendre racine. Leur gloire^ c'est de marcher tou-
jours, leur patrie c'est la grande route, et M. Jean
Ï06 LES ANNALES DU THEATRE
Richepin fait dire à sa viçille bohémienne agoni-
sante :
Ne pleure pas, puisqu'il m'est donné
De mourir sur la grande route,
Comme une bonne Romane.
Le livret nous apprend que nous sommes en
Thiérache. Où ça, la Thiérache? L'atlas vous répon-
dra : « dans le département de TAisne ». Mais
comme ces sortes de précisions font envoler la
poésie, notons seulement que la scène se passe en
France, et j'hésiterais même à vous informer qu'elle
se passe de nos jours, si les costumes du prolog-ue
et les poteiaux télégraphiques du décor final ne
m'obligeaient à me constater le contemporain de la
Vougne et de Miarka. Donc la Vougne, a la vieille
louve aux yeux méfiants » que sa tribu chassa
jadis parce que son fils avait dérogé en épousant
une paysanne, erre sans cesse à travers la Thié-
rache, « dans sa rubidal noife au toit goudronné ».
guettant sans doute quelque autre tribu romane.
Or voici qu'un enfant, le petit Gleude, « l'innocent »,
dans un cri d'appel désespéré, nous prodigue les
renseignements utiles : « Pauvre Vougne ! toute
seule contre tous ! mort, son fils ! morte sa bru 1
mort, son cheval ! Elle traîne toute seule sa rubi-
dal ». Et la Vougne survenant crie à son tour :
« La rubidal est sacrée : il vient d'y naître un
enfant!
Et dans l'eau qui court, sous le soleil qui ctée,
Il faut que l'enfant soit consacrée
Par moi, l'aïeule, qui la bénis
Selon le rite des romanis.
THEATRE NATIONAL DE L OPERA-COMIQUE . IO7
Au bord de la rivière, devant la foule plutôt
hostile des laveuses, des vanniers, des enfants^ des
curieux, que contient un brave homme de maire,
la vieille grand'mère, penchée sur le panier qui
sert de berceau à la petite Miarka et que lui tend
Gleude, l'innocent^ dans un geste ravi, chante ses
hymnes à l'Eau et au Soleil. . . Quand les deux cé-
lèbres mélodies, cette fois entourées d'orchestre,
ont résonné dans la voix de M™® Héglon, j'ai
entendu, puis-je dire, passer sur l'auditoire le si-
lence religieux des grandes émotions. Dix-huit ans
se sont écoulés. Dans la campagne glacée, à la lueur
d'un maigre feu, Miarka devenue jeune fille, dort
sous la protection de la Vougne et de son grand
ami Gleude, qui l'aime d'amour, mais qui ne songe
pas encore à oser le lui dire. Le brave homme de
maire avait offert sa maison. Mais comme il con-
voite, par curiosité de collectionneur, les « magiques
livres » que détient la Vougne, celle-ci, toujours
hargneuse, n'accepte pas d'autre hospitalité, que
celle (( de la remise » en plein air. Pourquoi ce
s(^jour où se dément l'âme bohémienne « en ce coin
toujours le même? ». Parce que les tarots (les car-
tes) ont dit : « Là où Miarka naît, si Miarka
grandit, apprenant aux magiques livres tout ce
qu'il faut qu'elle apprenne, Miarka sera reine ».
Comme il est exact que chaque tribu de Bohémiens
obéit à un chef despote, à un roi, comme il nous
paraît simple qu'un roi de Bohème — où même
d'ailleurs — apprécie la délicieuse Miarka que
réalise M°*^ Marguerite Carré, nous admettons, la
musique aidant, que, par une liqueur et des mots
I08 LES ANNALES DU THEATRE
magiques, la vieille grand'mère procure à son en-
fant le rêve de son amour et de sa royauté future»
Et nous assistons à ce rêve. A peine pouvons-
ûous d'abord discerner, dans les ténèbres du
paysage d'hiver, un grouillement d'ombres lointai-
nes ; mais peu à peu les formes se rapprochent et
s'éclairent, et bientôt, dans le cadre joyeux d'un
paysage de printemps, à travers les danses et les
rondes d'amoureux jetant à ses pieds des brassées
de fleurs, le Roi paraît, évoquant la fiancée pro-
mise par le Destin^; « J'entends, dit-il, son cœur
qui m'appelle dans les horizons lointains ; je la vois
qui pleure en rêve puisque son Roi ne vient pas.
Courage, Miarka, sois forte. » Le Roi, lui, ne fai-
blit pas. Je crois que les deux talentueux auteurs
seraient les premiers à protester si l'admiration
qu'a soulevée cette fin d'acte ne faisait pas la juste
part à l'art prodigieux du metteur en scène. A
l'acte suivant, Miarka, malade, habite enfin la mai-
son du maire. Le fidèle Gleude qui n'est plus
(( l'Innocent » tant sou amour en le torturant a
fini par le déniaiser, s'exalte et s'enhardit jusqu'à
se déclarer et se mal déclarer : « Tant pis, si mon
mal tourne en folie ! ... je léchais, je mordrai. . .
A la fille de louve, ce qu'il faut, c'est un loup ! . , .
Je te veux, je t'aurai ». Miarka, que ne laisse
plus libre son rêve de royauté, le repousse violem-
ment et le dompte : « Du loup mis en laisse, je
vais faire un chien ». Et sur l'heure, elle. renvoie le
pauvre Gleude soumis et repentant; mais cela, non
sans un peu de mélancolie, que devine aussitôt la
Vougne. Et l'aïeule, farouche, lui intime l'ordre de
THEATRE NATIONAL DE L OPERA-COMIQ.UE IO9
partir. « Je sais qu'on veut nous voler nos livres
et le voler ton Roi ». El, voyant Miarka résistante,
elle a une façon à elle de brûler ses vaisseaux qui
consiste à incendier la maison du maire. Dernier
tableau : les deux femmes ont fui, et, avec elles,
Gleude le résigné, après que, dans Torage et sous
Taverse, Miarka nous a chanté (avec quel charme !)
les mélodies aimées et attendues des Nuages et de
la Pliiie^ après que la Vougne épuisée, près de sa
fin, vient d'élever Gleiide « au rang des romanis »,
là-bas, au carrefour voisin, un rythme croît et
s'approche, celui d'une marche romanie, n'est-ce
pas le rêve de Miarka qui va prendre corps? Et
n'est-<;e pas de la tribu qui s'avance que Miarka
deviendra la reine ? Mais le rythme décroît ! . . .
Si l'amour et le Roi se trompaient de route. S'ils
passaient à côté de Miarka sans la voir ! . . . Gleude
n'a qu'à se taire et bientôt là troupe sera loin.
Mais l'héroïque garçon se met à crier ; il appelle
ceux et celui qui vont lui prendre sa Miarka. La
scène est étrange et majestueuse. Lorsque le Roi
dit à sa jeune reine enfin rencontrée : « C'est toi,
je t*ai reconnue » sur une. phrase vraiment su-
perbe, les amis de l'ouvrage ont eu la joie de le voir
finir en un moment de profonde beauté. Des deux
sortes de mérite que nous aimons à trouver réunies
dans les chefs-d'œuvre du drame lyrique, à savoir
la valeur musicale en soi et la faculté d'exprimer
le sens et les sentiments du texte, c'est peut-être
bien la seconde qui prévaut dans le grand talent
de M. Alexandre Georges. Elle y est si intense,
elle excelle si étonnamment à tripler l'action sur
irO • LES ANNALES DU THEATRE
notre sensibilité d'un poème qui, par lui-même,
est particulièrement suggestif, que ce don d'illus-
tration nous apparaît tout à fait supérieur et en-
viable. Certaines mélodies de Miarka, fredonnées
sans paroles, peuvent nous laisser indifférents,
qui déjà, chantées au piano, deviennent si impres-
sionnantes, prennent en scène^ avec le prestige
des timbres, de la figuration et du lumineux décor
— où Jusseaume est passé maître — une acuité de
pénétration véritablement extraordinaire. L'inter-
prétation apparaissait hors ligne. M™® Héglon nous
a consciencieusement caché sa beauté sous les che*
veux gris, les rides et le bistre de la vieille
Vougne. Il n'y eut jamais de voix plus profonde,
ni de chant plus noble. Et tout le rôle, surtout la
mort, très sobre de moyens, faisait le plus grand
honneur à son talent de tragédienne. M™® Margue-
rite Carré, costumée à ravir, toute brillante de jeu-
nesse et de souplesse, sous la lourde masse de sa
blonde perruque, faisait délicieusement valoir, par
ses notes tendres et prenantes, celles des chansons
de Miarka échues à son très joli rôle. M. Jean
Périer se taillait le succès personnel le plus flat-
teur dans cette figure ingénue et farouche de
Gleude ; la finesse de sa diction et la délicatesse
de ses attitudes lui valaient à plusieurs reprises,
et notamment au milieu du troisième acte, de lon-
gues salves d'applaudissements. M. Lucazeau^ l'un
des brillants lauréats des derniers concours du
Conservatoire, prêtait sa voix de ténor solide au
personnage un peu immobile du Roi des Bohé-
miens — des * Merlifiches et des Merligodgiers,
THEATRE NATIONAL DE L OPERA-COMIQUE I 1 1
comme on les appelle en patois de la Thiérache.
Et tous les petits rôles étaient honorablement te-
nus par MM. Cazeneuve, Huberdeau et M"^^ Pier-
ron. L'orchestre, dont la tâche était rude (car
celte partition est étrangement chargée) prouvait,
une fois de plus, sa maîtrise et la direction si sa-
vante de M. Alexandre Luigini. Nous avions noté
au passage quelques prodiges de la mise en scène.
Elle était, dans Miarka^ ce qu'elle a coutume d'être
à rOpéra-Comîque, supérieure par la variété de ses
ressources et le goût, — le goût de M. Albert
Carré. — Aussi Hsions-nous avec plaisir, sur la
première page de la partition superbement éditée
par Enoch, cette juste dédicace : « A notre colla-
borateur Albert Carré reconnaissants et affec-
tueux hommages, Jean Richepin et Alexandre
Georges. »
17 NOVEMBRE. — Au lendemain de la savou-
reuse et pittoresque Miarka de MM. Jean Richepin
et Alexandre Georges, qui réalisait, avec son re-
marquable trio : M°^^s Marguerite Carré, Héglon
et M. Jean Périer, des recettes de plus de neuf
mille francs, l'Opérà-Comique nous offrait un
intéressant début : celui de M^'® Hélène Demellier,
une jeune et intelligente cantatrice à la voix cha-
leureuse et délicieusement homogène, qui se faisait
entendre pour la première fois, l'an dernier, au
Châtelet, en interprétant avec un rare talent Hulda
de César Franck. Mais autre chose est de se pro-
duire sur une estrade de concert, et de composer
sur la scène un rôle aussi important que celui de
la Louise de M. Gustave Charpentier, où se sont
112 LES ANNALES DU THEATRE
illustrées déjà plusieurs artistes de valeur. M"® De-
mellier n'a trompé aucune des jolies espérances
qu'on avait fondées sur elle. Nous avons retrouvé
la chanteuse au timbre charmant, à rémission
sûre, à la diction claire et précise que nous pro-
mettait sa première apparition, et elle fait vrai-
ment grand honneur au brillant enseignement de
«on éminent professeur. M"*® Ed. Colonne. Elle a
dit son premier duo avec une infinie tendresse, et
a vu s'accroître encore l'autorité qu'elle prenait
sur le public à l'acte de Montmartre, où elle nous
a tous conquis par la sincérité d'expression de son
bonheur triomphant. On sait que M. Albert Carré
a l'art de mettre au point les sujets qu'il a dans
la main : aussi la comédienne est-elle déjà, chez
M"^ Demellier, à la hauteur de la cantatrice, et
<;'est avec beaucoup de grâce et de simplicité, sans
nulle gaucherie, qu'elle a rendu cette touchante
figure de jeune fille, dont l'amour chaste a de
si passionnés élans. La jeune débutante était
d'ailleurs dignement entourée et soutenue par
MM. Beyle, Dufranne, M™^ Cocyte, vaillants pro-
tagonistes de la belle œuvre de M. G. Charpen-
tier.
23 NOVEMBRE. — M™^ Charlotte Wyns chante le
rôle de Carmen, où elle se fait bisser et fréquem-
ment rappeler.
i6 DÉCEMBRE. -^ Rentrée de M"^ Marié de
risle dans le rôle de Charlotte de Werther, où les
abonnés l'accueillent par des applaudissements
qu'elle partage avec M. Léon Beyle, parfait dans
Werther.
THEATRE NATIONAL DE l'oPÉKA-COMIQUE Ii3
24 DÉCEMBRE. — Rentrée très applaudie de
M. Maréchal dans le Jongleur de Notre-Dame.
26 DÉCEMBRE. — Première représentation de la
Coupe enchantée^ comédie musicale en un acte
(d'après Lafontaine), poème de M. Matrat, mu-
sique de M. Gabriel Pierné *, et des Pêcheur^ de
Saint-Jean, scènes de la vie maritime en quatre
actes de M. Henri Gain, musique de M Gh.-M. Wi-
dor^. — En l'honneur de M. Gabriel Pierné,
M. Matrat avait fait très respectueusement et très
adroitement, dd la célèbre Coupe enchantée de La
Fontaine, un livret d'opéra-comique. Avant d'être
représenté à Paris, Touvrage fut donné au Casino
de Roy an avec un succès qu'il retrouvait ici. Ne
savons-nous pas que Fauteur de la Fille de Taba-
rin est un musicien excellent, intelligent et avisé,
n'ignorant rien de son art, et que tout ce qui sort de
sa plume experte et singulièrement agile est tou-
jours charmant, élégant et pimpant? L'orchestre
de M. Pierné fourmille de ravissants détails, d'a-
droites associations de timbres, de jolis effets de
sonorité, d'heureuses trouvailles ; partout ce ne
sont que babioles .chatoyantes, amusettes frin-
gantes, rencontres piquantes et, ingénieux pas-
1. Distribution. — Josselin, M. A /^ard.— Thibaut, M. Cazeneuve. —
Bertrand, M. Delvoye. — Griffon, M. Gourdon. — Tobie, M. Mes-
^naecker. — Anselme, M. Aséma. — Lucinde, MU» Rachel Launay. —
Lélie, M»« Fairy. — Perrette, M»»" Dangès.
L'orchestre était dirigé par M. E. Picheran".
2. Distribution. -— Jacques, M. Salignac. — Jean-Pierre, M. Vieuille.
Marc, M. Carbonne. — Landi, M. Billot. — L'hôtelier, M. Azéma. —
Marie-Anne, M^*« Claire Friche. — Madeleine, M™» Cocyte. — Jeanne,
Miu Comè8.
I/orchestre était dirigé par M. Ruhlmann.
ANNALES DU THEATRE S
Il4 LES ANNALES DU THEATRE
tiches. Dans Tinlerprétalion — beaucoup plus
brillante du côté du sexe fort que du côté féminin
— il fallait mettre absolument hors pair M. Âllard,
aussi bon chanteur que bon comédien — il enle-
vait vaillamment Fair de la Coupe — et adresser
force éloges à MM. Delvoye et Cazeneuve, ce der-
nier sous les traits du rusé paysan Thibaut, ce
mari malin qui refuse d'être trop exactement ren-
seigné sur son sort. — C'est à Saint-Jean-de-Luz
que se passent les quatre actes — en prose — que
M. Henri Gain a intitulés <( scènes de la vie mari-
time ». Le rideau se lève sur un baptême : celui
de la nouvelle barque de Jean-Pierre, dont Jacques
— le pilote désigné — est le parrain, dont la
marraine n'est autre que Marie-Jeanne, la fille du
patron : — « Regardez donc comme ils sont gen-
tils tous les deux ! Quel joli couple ça ferait! » dit
à Jean-Pierre Madeleine, la mère de Jacques. Et
le sévère patron de répondre : « Deviens-tu folle ?
donner ma fille à un gars sans le sou ! » Toute la
pièce est là... Les deux jeunes gens s'adorent;
ils se sont juré d'être l'un à l'autre... Mais,
croyant qu'il n'en voulait qu'à son argent, Jean-
Pierre a durement chassé Jacques de chez lui.
Désespéré, celui-ci s'est mis à boire pour oublier
son chagrin, et a refusé de prendre du service
atitre part. Il erre sur le port quand, de la jetée,
après une terrible nuit d'orage, on aperçoit un
bateau en détresse : c'est la barque à Jean-Pierre.
— « L'Océan me venge! », s'écrie Jacques. —
« C'est mon père qui se meurt! » implore Marie-
Anne. Et pour elle, l'habile pilote vole au secours
THEATRE NATIONAL DE l'oPÉRA-COMIQUE Ii5
des naufragés; avec quelques braves matelots
comme lui, il met un canot à la mer. Courage !
Ils sont sauvés ! Comment Jean-Pierre refuserait-il
désormais sa fille à celui-là même auquel il doit la
vie?... N'est-il pas étonnant qu'avec un sujet
aussi mince — vous avez vu qu'il tenait en
quelques lignes de récit — les auteurs aient
réussi à intéresser le public pendant quatre actes ?
C'est qu'aussi le librettiste, en des situations très
simples, sans doute, mais très humaines, a su
donner la vie à ses personnages et que le compo-
siteur leur a fait chanter la musique qu'il fallait.
Depuis Maître Ambros à l'Opéra-Comique — cela
ne date pas d'hier ! — et depuis la musique de
scène de Conte d'Avril à l'Odéon, l'auteur de la
Korrigane n'avait, croyons-nous, rien donné au
ihéâtre. Sa nouvelle partition est d'un ordre très
élevé, œuvre d'art franche et sincère^ vraiment
française, en dépit de la profonde connaissance qu'a
certainement M. Widor de l'admirable manière de
Richard Wagner. Nous aimons ce long duo d'a-
mour qui remplit, pour ainsi dire, toute la pièce,
sans réussir jamais à devenir monotone, tant il
reste vrai, vibrant et passionné; nous aimons ces
chœurs qui sonnent toujours merveilleusement,
ces savantes pages symphoniques qui, superbe-
ment, ouvrent chacun des actes, pour arriver au
dernier, où sont si dramatiquement décrites les
furies de la tempête; nous aimons encore ces épi-
sodes variés et pittoresques, entre autres la béné-
diction du bateau, où, dans le vaillant composi-
teur des Pêcheurs de Saint-^ean, nous avons
Il6 LES ANNALES DU THEATRE
retrouvé le puissant maître organiste de Saint-
Sulpice. . . Et sauf le ballet des Sardinières, d'une
invraisemblance peut-être un peu forte au milieu
de ces tableaux réalistes, nous n'avons rien à re-
trancher d'un ouvrage de si heureuse venue et
de si noble tenue. M. Widor a eu la bonne fortune
de rencontrer des interprètes convaincus qui ont
su se grandir à sa taille : M**^ Friche, à la voix
généreuse, aux accents émouvants ; le ténor Sa-
lignac, comédien plein d'ardeur et de feu ;
M. Vieuille, un vrai artiste au talent toujours
sûr; M. Carbonne, qui ne laisse pas tomber le
rôle le plus infime ; M™^ Cocyte, une mère infi-
niment pathétique. . . Le compositeur a trouvé
aussi, en la personne de M. Ruhlmann, un chef
d'orchestre accompli, à qui, dès l'ouverture^ si
verveusement conduite, le public faisait une légi-
time ovation. Puis M. Albert Carré a entouré
l'œuvre d'une mise en scène admirablement soi-
gnée, comme toujours en son théâtre : quelle jolie
nouveauté que la mer démontée du dernier acte,
avec ses paquets d'écume bondissant sur la jetée :
on n'a jamais rien fait de mieux dans le genre
« tempête »...
3 1 DÉCEMBRE. — Daus Miavka^ donnée en ma-
tinée, M"'^ Héglouj en représentations, chantait
encore une fois le rôle de la Vougne, dont elle
avait fait une si admirable création.
THEATRE NATIONAL DE l'oPÉRA-COMIQUE II7
Le Chalet f opéra-comique
La Traviata, opéra
Lakvfié, opéra-comique
Les Noces de Jeannette j opéra-comique .
Manony drame lyrique
La Fille du Régiment, opéra-comique . .
Le Jongleur de Notre-Dame, miracle
Carmen, opéra-comique
Le Vaisseau fantôme, opéra
Cavalleria Rusticana, drame lyrique . . .
Les Dragons de Villars, opéra-comique.
La Vie de Bohème, comédie lyrique
Louise^ roman musical
'^Xavière, idylle dramatique
^Hélène, poème lyrique
Mireille, opéra-comique
Mignon, opéra-comique
Werther, drame lyrique
Les Rendez-vous bourgeois, opéra-comiq.
Le Domino noir, opéra-comique
Orphée, drame lyrique
* L'Enfant Roi, comédie lyrique
Le Légataire universel, opéra bouffe
JPelléas et Mélisande, drame lyrique
Le Barbier de Séville, opéra-bouffe
Le Cor fleuri, féerie lyrique
Alceste, tragédie opéra
Le Roi d'Ys, opéra
*La Cabrera, drame lyrique.^
JPhilémon et Baucis, opéra-comique
^Chért4bin, comédie chantée
Grisélidis, conte lyrique
Le Maître de Chapelle, opéra-comique..
*2kfiarka, comédie musicale
Le Caïd, opéra-comique
*Les Pêcheurs de Saint-Jean, scènes de
la vie maritime
-^La Coupe enchantée, comédie musicale..
V
DATE
NOMBRE
NOMBRE
delà
de
iM représ.
représent.
d'actes
ou de la
pendant
reprise
Tannée
1
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7
4
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17
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»
3
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»
3
3 a. 5 t.
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4
2 part.
5 mai
13
2
»
5
3
23 mai
14
3
»
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»
2
4a.5t,
7 nov.
17
2
»
4
4
28 déc.
3
1
26 déc.
3
THÉÂTRE NATIONAL DE L'ODÉON
(second THEATRE FRANÇAIS)*
Les Venir es dorés de M. Emile Fabre, Jeunesse
de M. André Picard, le Cœur et la Loi des frères
Margueritte, la Variation de M. Pierre Soulaine
et le Patrimoine d'Ambroise Janvier sont, avec
Hippolyte couronné^ le drame antique de M. Jules
Bois, les six ouvrages inédits représentés à l'Odéon
pendant une année, que remplissent encore, avec
le répertoire courant, des reprises, comme celles de
Thérèse Raquin d'Emile Zola et de la Souris
d'Edouard Pailleron.
1 2 JANVIER. — Première représentation du Pa-
trimoine, comédie en trois actes de M. Ambroise
Janvier*, précédée de Le Petit, drame en un acte
de M. Alban de Pohles *. — Avec les Appeleurs^
dont le sort fut d'ailleurs assez médiocre, M. Am-
broise Janvier avait esquissé une tentative quasi-
1. DiSTBiBUTioN. — Lhominois, M. Gémier. — De Mérivel, M. Coste.
— Jean Berthier, M. Louis Marié. — Baptiste, M. Berger.— M»» Wil-
liams, M«« Andrée Mégard. — M"»* Lhominois, Mme Emma Bonnet. —
M*>* de Mérivel, M"« Z>e^on. — Andrée, W^*' A. Dérives. — Pauline,
M»? Spindler. — Maud, M"» DoU.^
2. DiSTRiBunoîT. — François, M. Darras. — Le Père, M. Daumerie. —
Henri, M. B. Terrier.— La Mère, M"»* de Dosmes.— Victoire, M»» Des-
vergers.
120 LES ANNALES DU THEATRE
Ibsénienne, et voulu élever son genre. Cette fois, il
revient à ses premières amours : à la comédie légère,
pour ne* pas dire au pur vaudeville. Le Patrimoine
eût-il mieux réussi autre part qu'à TOdéon? Nous ne
saurions Taffirmer. Toujours est-il que, sur notre
seconde scène littéraire, le sujet en a semblé légère-
ment déplacé et qu'en ces trois actes qui se répè-
tent, la pièce, de gaie qu'elle apparaissait au pre-
mier acte, devait forcément aboutira la monotonie.
M'"® de Mérivel, qui voit s'en aller à vau-l'eau sa
fortune sans cesse dissipée par un mari galantin,
vient d'apprendre, par les renseignements d'une
agence bien informée, qu'une nouvelle frasque va
mettre le comble à sa ruine. Que faire pour arrêter
le désastre, alors qu'il en est encore temps? Elle
consulte, à cet effet, son notaire, M. Lhominois,
qui, cherchant inutilement dans le code des combi-
naisons préservatrices, ne trouve qu'un moyen de
sauver la situation : « Pourquoi M. de Mérivel ne
prend-il pas pour maîtresse une honnête femme? »
Et voici que justement se présente une élégante
Américaine, M™« Williams, que M. de Mérivel a
déjà quelque peu courtisée durant un séjour en
Italie.' De passage à Paris, elle répond à l'invita-
tion que lui ont faite ses aimables compagnons de
voyage, et M™® de Mérivel qui avait voulu l'éviter
autrefois par un départ précipité, se plaît aujour-
d'hui à l'installer chez elle, puisqu'elle doit servir
ses projets. Mais il est dit que la pauvre femme
vivra dans des transes perpétuelles : cette Améri-
caine, qu'elle croyait trop fière pour se livrer à de
basses convoitises, n'a, au contraire, qu'un- but :
THEATRE NATIONAL DE L ODEON 1 2 1
celui de faire dépenser le plus d'argent possible à
ces Français, si soucieux de conserver leur patri-
moine. Elle commence par se faire offrir par M. de
Mérivel un bracelet de trente mille francs, et con-
tinue en déclarant qu'elle attend de lui Tachât d'une
propriété digne d'elle. C'est à ce prix que ses fa-
veurs lui seront acquises. M^^ Lhominois, femme
de glace pour son mari^ le brave notaire, et femme
de feu pour M. de Mérivel qu'elle poursuit de ses
ardentes assiduités, est constamment aux écoutée.
Elle vient donc de surprendre la nouvelle qui met
encore une fois le désarroi dans cette famille affo-
lée. « Pourquoi s'adresser à une étrangère? »
s'écrie-t-elle, pensant que ces gens étaient bien peu
avisés d'aller chercher si loin ce qu'ils avaient là,
si près d'eux. M^^ Williams n'a pas l'âme aussi
noire qu'on aurait pu le croire ; elle a reçu les con-
fidences de sa petite amie Andrée de Mérivel , dont le
mariage se ferait sans les dissipations paternelles ;
elle entrevoit le mal qu'elle a pu faire et s'ingénie
à le réparer. Elle cédera donc la place, en mettant
dans la corbeille de la fiancée le bracelet offert par
le père. Et celui-ci se vengera des insupportables
semonces du notaire^ en exigeant de M^^ Lhomi-
nois un luxe de toilette et une somptuosité de des-
sous, qui mettront bientôt à sec la caisse du tabel-
lion justement trompé. M"^« Andrée Mégard est
une Américaine pur sang dont l'accent a autant de
charme que d'exactitude. Le rôle de M™® Williams
est une fort jolie composition à l'actif de l'adroite
et intelligente artiste. Sous les cheveux grisonnants
de M. de Mérivel, M. Coste laisse deviner toute
122 LES ANNALES DU THEATRE
l'ardeur juvénile de l'infatigable marcheur qui fait,
de gaieté de cœur, la désolation de toute sa famille.
M"*® Emma Bonnet a de la verve en l'incandescente
M"^ Lhominois dont elle porte avec élégance les ca-
tapultueuses toilettes. M"*® Dehon est une belle
matrone — ainsi Tappelle TAméricaine — qui sup-
porte avec dignité les tracas conjugaux. M"® Spindler
est une jeune femme de chambre, séduisante et
futée, dont l'avenir n'a rien qui nous inquijète.
Comment M. Gémier, au talent d'ordinaire si sûr,
n'a-t-il pas mis plus de vérité dans le rôle de Lho-
minois, et pourquoi, en le voyant s'agiter, dans
des gestes saccadés à la façon d'un fantoche,
étions-nous hanté par le souvenir de sa création
d'Ubu Roi?...
i4 JANVIER. — C'est, au samedi cinq heures,
la seconde causerie de M. Franc -Nohain « le
Voyage »*.
i5 JANVIER. — Pour l'anniversaire de la nais-
sance de Molière, on donne, avec le Malade ima^
ginaire et Georges Dandin, la Farce du Médecirij
à-propos en un acte, en vers, de M. Pierre Lafe-
nestre2.
20 JANVIER. — Représentation classique popu-
laire; on donne Britannicus avec M. de Max et
1. Voici quel en était le programme : 1. Fuyons Paris... (Rollinat)r
M. Séverin; 2. La Ballade de l'hirondelle (J. Richepin), M"» Taillade?
3. Si tu veux faisons un rêve (V. Hugo), M"»» Félyne; 4. Panthéon-
Courcelles (Courteline), M. R. Liser ; 5. Voyage d'agrément (C. Dickens)^
M. Cazalis; 9. Aventure de voyage (P.-L. Courier), M. Violet; 7. Vei't-
Vert (Gresset), MH« Doil ; 8. Bonjour Suzon (chanson de Léo Delibes),
Mlle Rosnier ; 9. Le. Voyage (Baudelaire), M. Janvier.
2. Distribution. — Molière, M. Violet. — Georges Pinel, M. Liser. —
Poquelin, M. Godeau. — Madeleine Béjart, M^i" C. Duran,
THËATRB NATIONAL DE L^ODÉON 12 J
M*« Tessandier ^ et le Médecin malgré lui, pour
la rentrée de M. Duard *.
28 JANVIER. — L'Odéon devait à VArlésienne^,
qui si souvent fut sa planche de salut, de célébrer
sa cinquantième représentation. C'est le 5 mai
i885 que, sous la direction Porel, était triompha-
lement entrée au répertoire du second Théâtre-
Français la célèbre pièce de Daudet, si froidement
accueillie treize ans auparavant au Vaudeville, où
l'avait montée Carvalho. Est-il besoin de rappeler
ici les émouvants épisodes d'un drame que tout le
monde connaît : la touchante histoire de la chèvre
de M. Seguin, la si belle scène du conseil de fa-
mille, et surtout l'entrevue des deux vieillards qui,
s'étant aimés chastement dans leur jeunesse, échan-
gent, après une séparation d'un demi-siècle, leur
premier baiser. Rien de plus charmant et de plus
vrai : un chef-d'œuvre^ cette scène délicieuse dont
M™« Favart — l'éminente artiste que vous savez
— a fait admirablement comprendre l'originale
saveur. Elle l'a jouée, en compagnie de M. de Max,
majestueux et digne dans le vieux berger philoso-
phe, avec une émotion attendrie qui est allée au
1. Distribution. — Néron, M. de Max. — Burrhus, M. A. Lambert.—
Narcisse, M. Daumerie.— Britannicus, VL. Roger.— Agrippine,M««»« Tes-
tandier, -— Al]»ine, M"» /. Even. — Junie, M"» Taillade.
8. Distribution. — Sganarelle, M. Duard. — Géronte, M. Cornaglia.
— Lucas, M. Cazalis: — Valére, M. Duparc. — Léandre, M. Louis-Ma-
rie.—'BLobert, M. Taldy.— Martine, M"» Léo Renn.— Jacqueline, Mii«J^.
Promant. — I^ucinde, M»» Rosni-Deryê.
3. Le prom'amme du u cinq heures » se composait d'une causerie de
M. Léo Claretie : « La Danse », avec le concours de M""» Zambelli.
^athilde Salie, Meunier, de l'Opéra, de Wt* Delcourt ei de M. William
Marie.
124 LES ANNALES DU THEATRE
cœur de tous. Que dire encore de M"*^ Tessandier,
sinon que son talent n'a peut-être jamais paru plus
beau, plus complet, plus soutenu que dans ce rôle
•de mère, dont elle indique les nuances, les dou-
leurs, les anxiétés et la sensibilité nerveuse avec
une incomparable vérité ! Elle fait frémir toute la
salle en redescendant Tescalier, Tescalier de Chat-
terton — et a, au moment de la chute de son fils,
un de ces cris tragiques qui sont tout simplement
des trouvailles de génie. M. Dorival joue Frédéri
avec une rare vigueur d'expression : Taillade n'eût
pas mieux rendu autrefois la scène finale. VArlé-
sienne nous avait jadis révélé W^^ Bartet, dont le
succès, dans Vivette, était un charme. Nous y
louerons, aujourd'hui, la douce voix et la claire •
diction de M*'« Sylvie, qui rend le rôle d'une façon
très touchante. N'oublions ni M. Gornaglia, tou-
jours excellent dans le rôle de Francet Mamaï
qu'il créa sur cette même scène; ni M. Darras,
dans le patron Marc, marinier du Rhône et capi-
taine de la Belle-Arsène^ qui essaie de jeter une
note gaie au milieu des sombres péripéties de ce
drame d'amour ; ni M"^ Taillade, fort gentille sous
les traits du petit Innocent. On sait quelle est la
valeur de la musique écrite par Bizet pour le drame
de V Artésienne^ quel régal c'est pour l'auditeur
que ces harmonies si fines, au si élégant contour.
Le prélude, le final du premier acte, la pastorale,
l'appel des bergers, l'entr'acte du troisième tableau
avec la belle phrase que le saxophone et le cor
jouent à l'octave, la valse-menuet, le carillon, le
duettino pour deux flûtes auquel l'auteur de Carmen
THÉÂTRE NATIONAL DE l'oDÉON 125
a SU donner la couleur rétrospective exigée par la
situation, Fandante qui y fait suite, la farandole,.
Tentr'acte du cinquième tableau, le lever du rideau
et le final : autant de pages de maître. Savamment
conduits par M. Edouard Colonne,' les musiciens-
de TOdéon rendent avec un sentiment exquis la
délicieuse partition. Gloire à Bizet! Honneur à
M. Colonne ! On eût tout bissé ! Une des particu-
larités de la pièce est que TArlésienne reste à
Arles : la scène se passe en Camargue, au mas de
Castelet... Le spectateur naïf sonne, d'acte en acte^
à la cantonade, et réclame vivement TArlésienne,
toujours sortie et jamais rentrée, comme était
autrefois M™® Benoîton de Sardou... Eh bien!
n'eût-elle fait que traverser le fond du théâtre,
j'aurais aimé voir, dans son sévère costume de soie
et de velours, cette fière beauté que deux galants
se disputent et pour laquelle meurt d'amour le
plus fou des deux... M. André Rivoire nous Ta
fait très ingénieusement apparaître, en l'honneur
de la cinq-centième représentation, en de très^
nobles vers que nous a dits très harmonieusement
M"e Sergine. Le poète et son interprète ont obtenu
les justes applaudissements qu'ils méritaient...
2 FÉVRIER. — Mérope de Voltaire, avec M"^^ Tes-
sandier, reparaît au programme de la matinée
classique du jeudi.
4 FÉVRIER. — Au « cinq heures », causerie de
M. Jules Bois : « le Miracle moderne ))^
i- Au programme : Claire (Victor Hugo), MUe Marcilly. Stérile (Th.
Gautier), M»* Taillade. Morella (Edgar Poë), M. Janvier. Somnamhu-
^wme (Balzac), M. Marié de L'Isle, M»" Gladys-Maxhance et Spindler. -
120 LES ANNALES DU THEATRE '
6 FÉVRIER. — Avec le Légataire universel^ on
donne Horace, pour la continuation des débuts de
M'ie Sergine et de M, Maxudian.
8 FÉVRIER. — L^Odéon introduisait à son réper-
toire la célèbre pièce qui fut^ il y a trente-deux
ans, le début au théâtre d'Emile Zola. Depuis sa
première représentation à la Renaissance où elle
n'obtint qu'un succès médiocre, Thérèse Raquin *
n'avait — quoi qu'on dise — jamais été reprise
que pour une seule soirée donnée au Vaudeville,
au bénéfice de l'Œuvre de la société maternelle
parisienne, la Pouponnière, fondée par M"*^ Geor-
ges Charpentier. Les principaux interprètes de ce
drame, lors de cette représentation sans lendemain,
étaient M"*« Jane Hading dans le rôle de Thérèse,
Antoine dans celui de Laurent, Saint-Germain dans
Grivet, Marie Laurent, dans le rôle de M"*® Raquin,
qu'elle avait précédemment créé. Tout le monde
<;onnaîtle sujet de Thérèse Raquin: deux amants
qui suppriment le mari pour se rendre heureux,
«t qui ont compté sans le remords de leur crime.
En devenant des meurtriers, ils ont « tué l'amour».
De même Macbeth, en égorgeant le roi, avait « tué
le sommeil ». Le principal défaut de Thérèse Ra-
quin, c'est qu'elle impose au spectateur une tension
d'esprit trop longue et trop uniforme. L'horreur
en est l'unique ressort ; le milieu où elle est placée
ne la rehaussé point. Toujours devant l'œil cette
1. Distribution. — Laurent, M. Dorival. — Grivet, M. Janvier. —
•Camille, M. Marié de L'Isle. — Michaud, M. Darras. — M«« Raquin?
M"e Tessandier. — Thérèse Raquin, M"»e Mégard. — Suzanne, M»" R<^^'
ni-Derys.
THEATRE NATIONAL DB L ODEON I27
•
chambre où Ton respire une si écœurante atmos-
pbère, toujours ce lit, ce mobilier bourgeois, tou-
jours ces bonshommes étriqués ou ces criminels
repoussants ; on étoufFe là-dedans, on aurait besoin
d'une bouffée d'air vif et pur. Hippolyte Hoslein,
le directeur du théâtre de la Renaissance, où, pour
la première fois, fut jouée Thérèse Raquin^ en
1873, avait, paraît-il, éprouvé celte sensation :
pour faire diversion, il avait demandé un acte de
plus se déroulant à Saint-Ouen, sui* les bords de
la Seine : un peu d'eau et de verdure eussent rafraî-
chi les sens ! Au dernier moment, cet acte fut cou-
pé. Il n'était point réussi sans doute. Tant pis !
car il était bien utile. Moins intense est, à notre
avis, l'effet produit par la pièce que n'était celui
du sensationnel roman d'où elle est tirée. Les la-
cunes y sont nombreuses. On ne comprend point,
par exemple, que l'amant de Thérèse Raquin de-
vienne subitement, de complicité avec sa maîtresse,
sans lutte, sans gradation, l'assassin du mari. Le
premier acte ne suffit pas pour initier le public au
lempéraiTienl de cet homme et de cette femme.
Mais en entendant ce soir à l'Odéon les belles envo-
lées tragiques de Thérèse Raquin — ah ! cette
épouvantable nuit de noces ! — nous ne pouvions
nous empêcher de penser combien ceux qui^ en
«873, après l'audition de la pièce, décrétèrent que
le romancier n'était pas un homme de théâtre,
firent preuve d'aveuglement sectaire et de parti pris.
Pas homme de théâtre, l'inventeur du rôle muet
de la mère paralysée au quatrième acte ! Que leur
fallait-il donc? Une femme sensuelle et méchante
128 LES ANNALES DU THEATRE
•
s'est emparée du cœur d'un bon gros garçon ; elle
le possède si bien, qu'elle décide cette âme simple
à tuer le pauvre individu malingre et chétif qu'elle
a épousé. Tous deux le jettent à l'eau un
beau jour; mais comme ce ne sont que des^
(( occasionnels », qu'ils ne sont pas criminels de
profession, bientôt le remords s'attache à eux et
s'empare de leur vie. Ce remords, c'est lui le prin-
cipal personnage du drame, c'est lui qui sépare et
enchaîne les complices de la même faute ; c'est lui
qui les empêche, nouveaux mariés, de s'embrasser
et de s'aimer, lui quf, par ses hallucinations, les-
afFole, les exaspère et transforme l'alcôve nuptiale
en une chambre d'horreur ; c'est lui enfin qui lei^
tuera. Mais, auparavant, l'auteur a tenu à le per-
sonnifier, ce remords^à le montrer vivant sur Ja
scène. C'est la mère paralysée, accusatrice, voyante
et muette, qui se dressera sans cesse devant eux, la
mère qui aura découvert le crime et ne pourra
parler, la mère qui tiendra les coupables haletants
sous ses regards d'acier, la mère vengeresse, dont
les regards tueront. Cela n'est-il pas d'une gran-
deur superbement épique, d'une puissance que
l'on ne retrouverait guère que chez les. Grecs ou
dans Shakespeare? C'est bien l'effroi tragique dans,
toute son horreur, et cette scène géante, où se
passe-t-elle ? Ce n'est point parmi les héros de la
guerre de Troie, ni dans un burg de barons féo-
daux, ni dans le palais des rois d'Aragon, mais
dans l'arrJère-boutique d'une mercière, passage du
Pont-Neuf... C'est très beau, très poignant, parce
qu'on sent l'humanité éclater dans ces personnages
THÉÂTRE NATIONAL DE l'oDÉON I29
de théâtre, on sent leurs luttes intérieures, on voit
de vrais coupables, se débattant contre de vrais
remords, se déchirer entre eux et déchirer leur
propre cœur. Ce n'est plus une aventure quelcon-
que qui cherche à nous émouvoir, c'est la doulou-
reuse et méchante vie avec ses sensations et ses
sentiments qui palpite devant nous, vibrante et
pantelante... M*"* Andrée Mégard, si belle sous sa
chevelure rouge, a joué Thérèse Raquin avec une
énergie farouche, une âpreté, une conviction dont
on a été saisi. Elle a dit, notamment, telle scène
du quatrième avec un accent de vérité qui a fait
éclater les applaudissements. C'ette composition lui
fait véritablement honneur. M. Dorival a de beaux
moments de rage et de vigueur sous les traits de
I^urent. M. Janvier donne une physionomie très
plaisante au vieux garçon et vieux maniaque Gri-
vel. M. Darras est excellent dans Tancien commis-
saire Michaud. Et M. Marié de L'Isle tire tout le
parti possible du rôle, forcément écourté, de
Camille. Quant à M""^ Tessandier, elle est de tout
point admirable. On ne saurait pousser plus loin
l'art d'exprimer les sentiments par le regard. Et
comme elle indique les nuances ! Dans le premier
acte, comme elle est bien la représentation exacte
de la mère simple et dévouée ; au second acte,
ses traits prennent l'empreinte de la plus pro-
fonde douleur; comme elle rend bien le combat
dans Tâme de cette femme qui, un peu par
sacrifice, un peu par égoïsme, va elle-même pro-
poser à Thérèse de remplacer Camille, et enfin
qu'elle est vraie lorsqu'elle simule les effets de*
&NNALBS DU THBATBB 9
l30 LES ANNALES DU THEATRE
la paralysie, et qu'elle est effrayante en furie
vengeresse !
j8 FÉVRIER. — Au « cinq heures », causerie de
M™* Séverine, « La Chanson de Paris », avec le
concours de M"^ Marguerite Deval.
25 FÉVRIER. — Pour Tannivcrsaire de Victor
Hugo, causerie de M. Auguste Dorchain,. « Victor
Hugo et Paris ». Récitations par MM. Janvier^
Coste, M™es Sergine, Taillade, de Fehl, Marcilly,
Rosni.
4 MARS. — Première représentation des Ventres
dorés, pièce en cinq actes de M. Emile Fabre*. —
Le titre seul de la pièce représentée ce soir avec un
très vif succès indique qu'elle se développe dans le
monde de la finance. M. Emile Fabre Ta choisi
après celui du Grand Baron quand il a su que
Ton désignait autrefois ainsi à la Bourse une grosse
personnalité^ le baron de Soubeyran. C'est surtout
une étude de caractères qu'a voulu nous donner le
1. Distribution.— Baron de Thau, M. Oémier. — Vernières, M. Can-
dé. — Baron d'Urth, M. Dorival. — Ghauvelot, M. Janvier. — Brianne,
M. Coste. — Hermann KIobb, M. Maxudian. — D'Angerville, M. Gas-
ton Séverin. — Chavard, M. Darras. — Robert Vernières, M. Marié de
L'isle. — Carrier, M. Godeau. — Jadin, M. Daumerie. — Rando, M. E.
F^■o^e^ — Veurettes, M. Cazalis. — L'homme crédule, M. Robert Lisér.
— Sullivan, M. Louis-Marie. — Le curé, M. Duparc. — Léon, M. Dé-
card. — Vigoureux, M. Roger. — Un actionnaire, M. Sterny, — El
Mansour, M. Taldy. — Cousin, M. Cari Bac. — Grimblot, M. Cornély.
— Un Arabe, M. Terrier. — Un commerçant, M. Berger. — Le Roi,
M. Didier. — Jean, M. Delang le. —-Princesse de Holsbeck, M"* Felicia
Mallet. — Mme Vernières, Mii« Sergine. — Mme KIobb, MUe o. de Fehl.
— Mme Michal, M™» Dehon. — M"»* de Ludre, M"» Madeleine Carlier.—
Mme de Houdé, M^i» L. de Pouzols. — M™» Brianne, M»* Miramon. —
Mme Farnier, MHe Ch. Duran. — Pauline, MHe Doll. — Une jeune Dame,.
M»e A. Dérives. — La petite dame. M"» Spindler. — Une vieille dame,,
Mlle j)e Dosme. — Une actionnaire, Mlle Gaby,
Le rôle de Vernières fut repris à la fin du mois de juin par M. Colas.
THEATRE NATIONAL DE l'odÉON i3i
talentueux auteur de la Vie publique. Son baron
de Thau est un homme d'affaires^ extrêmement
fort, aussi dilettante qu'érudit financier, froidement
énergique, n'ayant ni famille, ni amis, méprisant
les hommes et se moquant des femmes. Ce n'est
pas le Lechat de la forte et belle œuvre d'Octave
Mirbeau. Il est, pour le moment, le président du
Conseil d'administration de la Société de la Nou-
velle-Afrique, constituée par actions au capital de
3oo millions, pour la construction de chemins de
fer, de roules, de canaux, de ports en Mauritanie
(pour ne pas dire le Maroc), un pays encore bar-
bare qu'il s'agit de mettre en valeur. Le baron de
Thau a un rival en la personne du baron d'Urth,
féroce vautour qui planera sur les cinq actes et
qu'on ne verra guère qu'à la fin. Et ses collabora-
teurs sont Chauvelot, vieillard de quatre-vingt-cinq
ans à qui « on ne la fait pas », qui a traversé
toutes les affaires possibles et impossibles et s'est
tiré de tous les Panamas... presque intact; Her-
mann Klobb, un israëlite (aucune polémique reli-
gieuse, du reste, dans la pièce), qui se chargera de
corrompre les parlementaires; le journaliste Car-
rier (la presse trinque quelque peu) ; le marquis
d'Angerville, gentilhomme décavé ; enfin l'admi-
nistrateur délégué, Vernières, ancien sous-secré-
taire d'Etat, l'honnête homme de la bande, que la
nécessité de subvenir aux dépenses de sa femme,
jeune et coquette, a lancé dans la galère, au milieu
de ces financiers sans vergogne et qui sera pris
dans l'engrenage. Voilà les types, et voici en quel-
ques mots ce qu'est la pièce : une affaire au
l34 LES ANNALES DU THEATRE
Ventres dorés, ne suffit évidemment pas à vous
montrer tout ce qu'il y a de fort, de solide, de ro-
buste et de puissant dans cette pièce — forcément
ingrate, comme toutes celles qui ont trait à l'ar-
gent — mais dont trois actes, sur cinq, entourés
d'une vivante et angoissante mise en scène, attei-
gnent à la vraie grandeur théâtrale. M. Gémier fut
un baron de Thau de belle allure, plein de flamme
et de passion, et en l'excellent artiste qui, sur le
théâtre de la Renaissance, avait conduit avec tant
d'habileté les mouvements de foule de la Vie pu-
blique, M. Emile Fabre a retrouvé mieux qu'un
interprète, un véritable collaborateur. Comme l'au-
teur des Ventres dorés savait bien ce qu'il faisait
en confiant à M. Candé l'importante création de
Vernières ! Il était impossible de composer le rôle
avec plus de tact et de sobriété, d'y mettre plus de
simplicité et d'émotion : ça, disons-le, c'est du
grand art!... Citons les silhouettes variées, obser-
vées d'après nature, qu'ont très spirituellement
rendues MM. Janvier, Dorival, Maxudian, Godeau,
Gaston Séverin. Et dans une pièce où les femmes
ne paraissent pour ainsi dire pas, notons la timide,
mais intelligente rentrée de l'incomparable mime,
M''« Félicia Mallet, aventurière assez énigmatique,
et la très heureuse continuation des débuts, pleins
d'espérance, de M**® Sergine, jeune veuve bien vite
consolée.
9 MARS. — M™6 Suzanne Després reparaissait dans
Phèdre; M. de. Max jouait le rôle d'Hippolyte.
i8 MARS. — Au « samedi cinq heures » causerie
de M. Gaston Rageot, sur « les Poètes d'aujour-
THEATRE NATIONAL DE l'oDÉON i35
d'hui », avec le concours de M"®* Simone Le
Bargy, Marthe Régnier, Mellot.
23 MARS. — En matinée, première représenta-
tion d^Hippolyte couronné^ drame antique en qua-
tre actes, en vers, de M. Jules Bois, précédée
dune magistrale conférence de M. Henry Roujon*.
— L^Odéon s'honorait grandement en mettant à
son répertoire l'œuvre remarquable que dix mille
spectateurs avaient acclamée au mois de juillet pré-
cédent au théâtre d'Orange. En la brillante pré-
face qu'il a écrite pour Hîppolyte couronné,
M. Emile Faguet expose comment M. Jules Bois,
sans chercher ni une traduction, ni même une ini-
mitation, s'est simplement inspiré d'Euripide ; il a
raconté sous une forme dialoguée qui donne à la
scène une impression vraiment imprévue « l'inou-
bliable histoire, touchante, chaste, magnifique,
grande et pure, quelque chose comme du Phidias
théâtral ». Et voici comment conclut notre éminent
confrère : « Le poème de M. Jules Bois est, pour
ainsi parler, plus cru, plus hardi et ardent, plus
sauvage que celui d'Euripide. Il se rapproche plus
d'une sorte de barbarie ingénue où il y a à la fois
plus d'inconscience naïve et plus de naïve exalta-
tion vertueuse et religieuse. L'effet est singulier et
troublant, somme toute très émouvant. D'aucuns
1. Distribution. — Hippolutos, M. Marquet. — Théseus, M. Dorival.
— Pittéos, M. Daumerie. — Le jeune chasseur, M. Roger. — 1er chas-
seur, M. Stemy» — 2« chasseur, M. Terrier. —3e chasseur, M. Cornély.
— 4» chasseur, M. Charmy. — 5e chasseur, M. Berger. — 6» chasseur,
M. Louis-Marie.— Le messager, M. Maxudian. — Un soldat, M. Taldy.
— Phedra, M"« Sergine. — La nourrice, M^o Even. — Chœur des fem-
mes, Mlle De Fehl. — Chœur des vieilles femmes, M"»» Dehon. — La
jeune fllle, M"» Oladys-Maxhance. — L'esclave noire, Mlle Calvill.
l36 LES ANNALES DU THEATRE
diraient que, comme Ja Phèdre de Racine est de
l'Euripide travesti en Racine, YHippolyte de
M. Jules Bois est de l'Euripide déguisé en Eschyle.
Pourquoi non, et de quoi se plaindre ? 11 serait in-
téressant (Ju'Eschyle eût traité le sujet d'Hippo-
lyte. Donner au moins quelques traits, quelques
indications rapides et fuyantes, de la manière dont
Eschyle eût pris celte terrible histoire, c'est un
succès, ou du moins, c'est quelque chose qui solli-
cite curieusement et très agréablement l'attention
du lettré, du critique ou du simple specta-
teur amoureux des choses de théâtre. Après tant
de livres curieux, intéressants, vivants, pleins
d'émotion en face du mystère ou de la passion, en
face du visage éternellement changeant de la nature,
cette excursion vers les choses antiques, ce voyage
aux pays de l'ancienne Grèce, encore sauvage»
déjà inquiète des grands problèmes de Tesprit et
de Tâme, sera compté comme un épisode très ca-
ractéristique, très significatif et singulièrement ho-
norable de la belle carrière littéraire de M. Jules
Bois ». On sait que, dans Hippolyte porte-couronne
d'Euripide, Hippolyte résiste à l'amour incestueux
de Phèdre et meurt victime des imprécations de
son père. Hippolyte est le principal personnage de
la tragédie grecque. C'est là. ce qui fait la diffé-
rence essentielle de V Hippolyte d'Euripide et de
la Phèdre de Racine, puisque chez le poète fran-
çais tout l'intérêt est concentré sur l'épouse .de
Thésée ; il est même permis de trouver qu'Hippo-
lyte, dans notre Phèdre, est devenu un peu plus
pâle que de raison... Nous ne vous conterons point
THEATRE NATIONAL DE l'oDÉON iSj
en détail Tépisode développé par M. Jules Bois ;
nous nous bornerons à constater l'effet produit à
la scène par cette belle œuvre. Le vers de M. Jules
Bois qui paraît quelquefois heurté à la lecture est,
au théâtre, d'une énergie, d'une puissance qui ont,
en. maints endroits, remué l'assistance odéonienne
et lui ont donné le frisson des grandes choses
d'art. Nous avons affaire à un drame mouve-
menté, à la fois très ancien et très moderne, et
c'est justice de rendre hommage au noble poète
qui apporte au public une pièce aussi poignante et
aussi solidement charpentée. Et, sans parler du
troisième acte qui est le plus « théâtral » des qua-
tre, on peut dire que l'intérêt ne faiblit guère en
cette œuvre curieuse où s'accumulent des scènes
d'amour d'une hardiesse et d'une vérité surpre-
nantes, des hymnes, des batailles, de l'ivresse, de
la rancune et de la fureur. L'élévation des senti-
ments chez Hippolutos, les instincts débridés chez
Phèdre, les intrigues formidables de la nourrice
magicienne, les purs élans de la jeune fille, les
colères de Théseus, les accents du sage Pittéos ont
captivé l'auditoire. On nous a dit — et nous le
croyons sans peine — qu'à Orange M™^ Segond-
Weber et M. Albert Lambert fils furent admirables.
M"® Sergine, la gentille tragédienne de TOdéon,
n'est* évidemment pas la femme du rôle ; mais quel
feu, quelle chaleur, quels jolis élans de tendresse,
de fougue et de sincérité chez cette toute jeune ac-
trice pleine d'avenir ! Comme elle est de beaucoup
supérieure à l'Hippolyte ronronnant ou hurlant
que nous a donné M. Marquet 1 Chez M*'^ Jane
l38 LES ANNALES DU THÉÂTRE
Even, qui manque de force, nous louerons de belles
attitudes, et chez M"^ Gladys-Maxhance un charme
tout virginal. M. Dorival a gardé le rôle de Thé-
seus qu'il créa Tété 4)récédent, et s'y montre très
vibrant. Les autres... Les autres ne font guère
preuve que de bonne volonté.
24 MARS. — Au (( samedi cinq heures », cause-
rie de M. Gaston Rageôt « les Poètes d'aujour-
d'hui, les Humoristes » *.
8 AVRIL. — Au « cinq heures », causerie de
M. Franc- Nohain : « Floréal », avec Tattrait de
mélodies de Schumann, de Schubert et de Masse-
net, interprétées par M™® Charlotte Lormont.
1 5 AVRIL. — Au « cinq heures », causerie de
M. Ernest Charles : « la Coquetterie » 2.
17 AVRIL. — C'était la première de quatre repré-
sentations de la Passion de M. Edmond Harau-
court, musique de Bach, adaptée par MM. Hille-
macher, données à l'occasion de la semaine sainte,
avec le concours de M. Marquet. Orchestre sous la
direction de M. Théodore Mathieu.
1. — Au programme : Gennevilliers, dimanche d'été (M.. Jean Ajalbert),
M. Coste. — Chiens errants (Hugues Lapaire), M. Janvier. — Le Jeune
homme triste, Moïse sauvé des eaux (Maurice DoHnay), M. G. Violet. —
La Sarigue {TristaLU Bernard), M. R. Liser. — Les ïtupont, Çaî (Paul
Bilhaud), M^o Marthe Régnier. — Histoire naturelle (Jules Renard),
Mlle Marthe Mellot. — Lampisterie, simple légende (Franc-Nohain),
Mm« Simone Le Bargy.
2. — Au programme : 1. Conseils à une Parisienne (Musset), M. Séve-
rin. — 2. Le Manchon de Francine (Murger), M"e Taillade. — 3. Sylvie,
(G. de Nerval), M. Violet. — 4. Ce n'est plus Lisette (Béranger),
M. Coste. — 5. Sous ta capiche (Hugues Lapaire), M. Janvier. — 6. Duel
en juin (Victor Huço), M. Marié de l'Isle. 7. Le Misanthrope (acte 3,
scène V), Mmei Marcilly et Even. — 8. Le Mainchy (Leconte de Lisle),
Mii« Sergine. — Chansons populaires : (a. La ronde des filles de Quim-
perlé — b. Cecilia — c. Nous étions dix filles à marier — d. La Délais-
sée), chantées par Mile Raphaële de Villers.
THÉÂTRE NATIONAL DE l'odÉON iSq
27 AVRIL. — On redonnait en matinée Phèdre^
avec M™® Suzanne Després et M. Marquet.
2 MAI. — Matinée au bénéfice de W^^ Crosnier,
où M°^« Eléonore Duse, venant jouer avec sa troupe
la Seconda Moglie (la seconde M"*^ Tanqueray),
obtenait un succès triomphal.
17 MAI. — Première représentation de la Varia-
tion^ comédie en quatre actes, de M. Pierre Sou-
laine *, précédée de Y Agrafe^ comédie en un acte
de MM. Grenet-Dancourt et Jean Destrem^. — A la
vigoureuse satire des Ventres dorés qui jusqu'à
ses dernières représentations réalisait encore de
fort hoiH3rables recettes odéoniennes, M. Ginisty
faisait succéder, peut-être un peu brusquement,
\ine fine et délicate comédie, aussi douceâtre qu'é-
tait naguère Y Héritier du même auteur, M. Pierre
Soulaine. La « variation » — im titre quelque
peu symbolique — c'est le solo des danseuses...
M"« Germaine Caplain, de l'Opéra, avait, dans le
marquis de Précy-Boran, un protecteur sérieux,
que, pratiquement, elle a le tort de lâcher pour se
donner toute à un jeune et modeste employé du
Crédit Lyonnais, André Gérard, qu'elle aime au
point de renoncer au théâtre, pour l'épouser. Et
voilà que, pour tenter de donner à Germaine le
!• Distribution. — Marquis de Précy-Boran, M. Janvier. — André,
M- Gaston Séverin. — Godeau, M. Darras. — Le Harel, M. Robert
Lizer, — Javron, M. Maxudian. — Germaine Caplain, Mii« Blanche
"Poulain. — Francine, M»» Taillade. — Odette Gléry, M^o Madeleine
Cfirlier. — Noémie, M»» J. Fromant.
2* DiSTjiiBUTiON. — Boislaurent, M. Coste. — Isidore Montaudin,
M. Darras. — Philippe Verneuil, M. E. Violet. — Léa Montaudin,
Miu Marie Marcilly. — Geneviève Mil* A. Dérives.
i4q les annales du théâtre
luxe auqiiel elle était habituée, André quitte^ lui
aussi, son humble place et se lance, à la Bourse^
sî malheureusement, qu'il ne réussit guère qu'à se
cribler de dettes. Quand il n'y a pas de foin au
râtelier, vous savez le proverbe . . . Les reproches
injustes amènent d'incessantes querelles. A la suite
de la dernière dispute où elle s'est sentie plus
particulièrement blessée, Germaine a quitté son
mari. Et déjà l'on prévoit sa rentrée à l'Opéra et
le retour du riche protecteur... Mais André la
rejoint chez Tamie qui lui a donné asile en sa
villa du bord de la mer; l'amour est le plus fort :
nos deux jeunes gens tombent dans les bras l'un
de l'autre, tout prêts à reprendre leur collier de
misère. « Grand bien leur fasse ! » pense Odette
Cléry, la camarade de Germaine qui, elle, com-
prend la vie tout autrement, et s'est chargée — en
moins de temps qu'il ne m'en faut pour vous le
dire — d'attacher à sa personne un hobereau de
province, créé et mis au monde pour lui servir
d'heureux banquier. A pièce honnête, interpréta-
tion honnête — sans plus. Si M"^ Blanche Toutain
nous a paru vraiment trop « popote » sous les traits
de Germaine, M"^ Madeleine Carlier, avec des gestes
et des intonations qui nous ont rappelé M"^ Léonie
Dallet, a mis de l'élégance et du mordant dans le
rôle plus évaporé d'Odette Cléry. M"® Jane Fro-
mant est, avec l'autorité de la soubrette clas-
sique, une femme de chambre essentiellement vraie
et joliment moderne. M. Janvier est digne, et
M. Gaston Séverin un peu froid. — YJAgrafe^
de MM.'Grenet-Dancourt et Destrem, complétait
THEATRE NATIONAL DE l'odÉON i4i
le spectacle. « C'est un proverbe, » écrivait M. Adol-
phe Brisson, qui fera les délices des casinos et des
\ salons. M. Grenet-Dancourt (je ne parle pas de
j M. Destrem, nouveau venu au théâtre) est passé
j maître en ce genre. Outre les Trois femmes pour
un mari — son principal titre de gloire — il a
produit un nombre fabuleux de monologues, de
saynètes à deux, trois, quatre personnages. Il y en
a pour tous les goûts, du bouffon, du gai, du dra-
matique, du sentimental. Et ne médisons point de
ces légers badinages. Ils ne sont pas toujours
indifférents. Alfred de Musset s'est diverti à en
composer, après Scribe, Carmontelle et Marivaux,
î car Marivaux est l'aïeul de qui descend toute la
lignée. Exécuter une pirouette sur une pointe d'ai-
guille, opérer en trente minutes un revirement de
caractère et faire en sorte que l'ingénue, qui
n'éprouvait à huit heures que de la froideur pour
Ernest ou Raoul, l'épouse à huit heures et demie :
c'est presque aussi difficile que d'échafauder un
mélodrame en cinq actes, 11 ne suffit pas d'aligner
des mots, il faut trouver l'incident ou l'accident —
le « clou » — qui amène avec ingéniosité la péri-
pétie finale. C'est tout le sel du proverbe. MM. Gre-
net-Dancourt et Destrem ont gentiment planté leur
clou, et ce clou, est une « agrafe ». Ne m'en
demandez pas davantage. Une pièce aussi légère,
cela ne se raconte pas, cela se croque comme un
gâteau — je ne dis pas comme un petit-four —
entre deux tasses de thé. »
^6 JUIN. — Pour l'anniversaire de Corneille, avec
le I®' et le 2« acte du Menteur et VAnniuersaire,
l42 LES ANNALES DU THEATRE
à-propos en vers de M. Raymoud Genty, on donne
Horace^ où M"® Rebecca Félix, dépFoie dans le rôle
de Sabine, qu'elle jouait pour la première fois, de
belles qualités de tragédienne*.
9 JUIN. — Premières représentations, à ce théâtre,
du Portefeuille^ pièce en un acte, de M. Octave
Mirbeau^; des Miettes^ comédie en deux actes,
de M. Edmond Sée^, et à' Une Blanche^ pièce en
deux actes de M. Lucien Gleize*. — L'Odéon qui a
envoyé une partie de sa troupe porter la bonne
parole dans les provinces, eût pu être minisiérieK
ïement autorisé à fermer ses portes. Mais M. Paul
Ginisty en veine de zèle s'est piqué d'honneur; il
a voulu les tenir ouvertes tout en ayant, à l'instar
de la Comédie-Française, bien des artistes dehors.
C'est une coquetterie qui en vaut une autre. Le
spectacle coupé, destiné à alterner jusqu'à la fin
1. — Avec l'assentiment du sous-secrétaire d'Etat aux beaux-arts, une
partie de la troupe de l'Odéon entreprenait. le 1er juin une tournée dana
les départements. Les spectacles se composaient de : Britannicus, le
Cid, le Médecin malgré lui, les Folies amoureuses, l'Arlésienne. M"«*
Tessandier, Even, Sergine, Taillade, Farna, Desvergers, MM. Alb. Lam-
bert, Dorival, Janvier, Darras, Séverin, Orodeau, Cazalis, Maxudian,
Bac faisaient partie de cette tournée, qui comprenait Dijon, Châloiir
Mâcon, Aix-les-Bains, Grenoble, Lyon, Marseille, Toulon, Aix-en-Pro-
vence, Arles, etc. C'était la première fois qu'un théâtre national se
déplaçait officiellement.
2. Distribution. — Jean Guenille, M. Crémier. — Le commissaire,
M. Coste. — Jérôme Maltenu, M. Décard. — 1er agent, M. Taldy. —
2» agent, M. Cornély. — Flora Tambour, Mlle Dérives.
3. Distribution. — Frédéric Boize, M. Gémier. — Mérissel, M. H.
Burguet, — Pierre Jontine, M. Marié de L'Isle. — Henri de Xilas,
M. Louis-Marie. — Marcelle Boize, MUe B. Toutain. — Une bonne,
Mlle Laine.
4. Distribution. — Palin, M. Coste. — Hurtel, M. Daumerie. —
Le gouverneur, M. Violet. — Sauvageot, M. R. Liser. — Noret,
M. Terrier. — De Kernel, M. Roger. — Sicot, M. Décard. — Mao-V4>n-
try, M. Sterny. — Cora, MHe Dérives.
THEATRE NATIONAL DE l'oDÉON i43
de la saison avec les Ventres dorés, se compose
de trois pièces _dont aucune n'est inédite. Le Por-
tefeuUle est un petit tableau de mœurs que nous
vîmes pour la première fois à la Renaissance.
M, Octave Mirbeau y attaque, avec Tintention
morale et la véhémente éloquence qui lui sont
coutumières, le Code qui décide un châtiment
pour le miséreux vagabond et qui ne prévoit pas
de récompense pour l'honnêteté héroïque du pauvre.
Un ouvreur de portières, que terrassent la vieil-
lesse précoce et la faim quotidienne, trouve un
portefeuille contenant dix mille francs. Il le porte
chez le commissaire de police qui s'émeut d'abord
et qui admire. Puis, à l'interrogatoire sommaire :
« Vos noms ? Votre profession ? » un revirement
se produit dans les sentiments du commissaire.
L'homme n'a ni domicile, ni profession. 11 n'a pas
le sou sur lui. C'est donc un vagabond ! Au poste,
cette nuit, et demain au Dépôt ! Et les flics em-
mènent le pauvre diable. M. Octave Mirbeau aurait
pu ne nous donner que ce lamentable drame, et
l'effet eA est saisissant. Mais il a éclairé cela d'une
lumière artificielle, qui, disons-le, dénature quel-
que peu les personnages. Son commissaire noceur
existe, ou doit exister. Mais je refuse à croire à la
vraisemblance de ce magistrat envoyant au Dépôt
le triste hère qui lui apporte loyalement et brave-
ment une fortune. Le brillant auteur des Affaires
sont les affaires est parti d'un sentiment généreux,
et avec lui nous avons détesté l'iniquité procédu-
rière et policière ; mais, à la fin, il a chargé les
couleurs, et il a exagéré la dose pamphlétaire.
l44 LES ANNALES DU THEATRE
M. Gémier est admirable dans le vagabond : grime,
guenilles, attitude, organe, tout cela est parfait.
On Ta chaleureusement applaudi, et ce fut justice.
Dans les Miettes de M. Edmond Sée nous trou-
vons les mêmes précieuses qualités qui devaient
nous frapper plus tard dans VIndiscret du même
auteur : une rare finesse de pénétrante et intense
observation, une grâce Subtile et quelque peu
tendue, jointes à la joliesse et au maniérisme de
langage : le jeune écrivain est un Marivaux de nos
jours, — oh! oui, de nos jours, de demain plutôt
que d'hier, d'après-demain plutôt que de demain.
Et Ton peut dire des Miettes que c'est Tcèuvre
d'un homme de théâtre et d'un philosophe triste
au fond, gai dans la forme, semée de traits char-
mants et où abondent les mots soudains exprimant
tout un état d'âme ou de cœur. Les « miettes »,
ce sont les miettes du festin de l'amour que
croyait si bien ramasser ce bon Mérîssel, et dont
inopinément profitera le petit de Xjlas, un pur
gosse. Mérissel fut en tiers dans la liaison de Mar-
celle et de Jontine, et lorsque Jontine a quitté
Marcelle, il se regarde comme son successeur
désigné: ne s'est-il pas fait déjà l'ami du mari?...
Ah ! la jolie scène que celle de ce mari refusant les
explications que veut à toute force lui donner sa
femme et demandant à être simplement « le mon-
sieur qui passe ». Marcelle — que ce cœur de
femme est donc délicieusement étudié I — prendra
alors un second amant, qui sera le jeune de Xylas.
Mérissel attendra. M'est avis qu'il attendra long-
temps encore. . . Le sujet n'est rien; le charme.
THEATRE NATIONAL DE l'oDÉON i45
très réel, de la pièce consiste dans la façon dont,
avec une infinie délicatesse et une étonnante adresse
de doigté, il a été traité par le jeune auteur.
iP'® Blanche Toutain a repris le rôle de Marcelle,
qu'avec tant de grâce et d'originalité elle avait
créé à l'Athénée. M. Burguet rend excellemment
la comique désespérance de l'homme qui ne sait se
faire aimer. . . qu'en ami. . . M. Gémier a délicieu-
sement joué l'exquise scène du mari, et M. Louis-
Marie s'est montré plaisant dans le gentil gosse de
vingt ans qui connaît la vie, et dans le fond, et
dans les coins! — 0 le joli et original premier
acte que celui à' Une Blanche de M. Lucien Gleizel
0 la mordante et spirituelle satire de notre admi-
nistration coloniale, sur laquelle il y aurait, paraît-
il, tant et tant à direi ... A Yamanku, le gouver-
neur, le lieutenant de vaisseau de Kerval, le
capitaine de spahis Sauvageot, le i^ecrétaire du gou-
verneur Noret et l'administrateur Sicot passent
leurs saintes journées à se lamenter fâcheusement,
loin, bien loin, de la mère patrie, dans une morne
existence, d'autant plus plate et d'autant plus
assommante que, depuis plusieurs mois, ils man-
quent absolument de femmes... Pas la moindre
petite blanche à se mettre sous la dent ! 11 faut
voir la façon dont ils rabrouent le seul colon de
Tendroit, Jules Palin, qui, sans capitaux, sollicite
vainement une concession . . . C'est sur ces entre-
faites que débarque de Paris, M"« Cora, la petite
amie de Jules, toute désemparée depuis la mort de
Victor, son amant en titre. Et les voilà subitement
allumés à la vue de cette blanche piquante qui se
ANNALES DU THKATr.E 10
l46 LES ANNALES DU THEATRE
* donne pour la femme de Palin. Celui-ci est, dès
lors, choyé par tous comme un vrai mari, dont le
sort fatal est d'être trompé. Mais c'est en vain
qu'ils poussent leur pointe : Cora est fidèle,
incroyablement fidèle, et nos quatre amoureux
n'ont qu'une ressource : celle de supplanter légiti-
mement le trop heureux mari. Cela leur sera d'au-
tant plus facile que, n'étant pas mariée, elle n'aura
pas besoin de divorcer. Cora propose alors à cha-
cun — à commencer par Palin — de l'épouser. . .
Et tous se dérobent à qui mieux mieux. En déses-
poir de cause, elle est sur le point d'accepter la
proposition du roi du pays Fu, Mao Van tri,, dont
les gestes démontrent la folle envie que lui inspire
la gentille blanche. Reine du pays, Cora le devien-
drait, si le roi n'était brusquement dépossédé de
son trône et si, nommé '' fonctionnaire de sixième
classe », — son rêve — : Palin ne lui offrait enfin
le conjungo que lui permet une si avantageuse
position. Il y a de la verve et de l'esprit dans cette
pièce que son auteur a eu raison de réduira à deux
actes, au lieu de trois qu'elle avait primitivement ;
mais — est-ce le cadre plus vaste qui a nui à ses
effets ? — elle nous a paru beaucoup moins bien
jouée à rOdéon, théâtre subventionné, qu'elle ne
l'était à la Renaissance, direction Gémier . . .
Le théâtre avait fermé ses portes le 24 jui^^'
Il les rouvrait le 28 septembre avec Don J^an
d'Autriche^, donné en représentation populaire.
1. Disi-RiBunoN. — Philippe II, M. Dorival, — Don Juan, M. Escof-
fier. — Frère Arsène, M. M<ixudian. — Don Quesada, M. Darrai- —
Don Ruy Gomez, M. Perret. — Le prieur, M. Pillot. — Frère Pacdme,
THEATRE NATIONAL DE l'odÉON ll^J
Plusieurs débutants se produisaient dans la célè-
bre.pièce de Casimir Delavigne. Voici comment les
appréciait M. Adolphe Brisson. « M. Escoffier qui
faisait don Juan, est leste, assez bien tourné. Phy-
sique plutôt agréable, voix suffisante ; mais de la
gaucherie, une chaleur factice, une mimique con-
ventionnelle. Il va falloir se débarbouiller de tout
cela. M. Pillot dessine intelligemment le person-
nage du prieur. M**® Gladys-Maxhance (qui n'est
point une inconnue) ne nous a pas beaucoup remués
dans dona Florinde. Mais le rôle est d'allure si
vieillotte que je me demande s'il eût été possible
d'en tirer un meilleur parti. M"® Hélène Dorville a
très gentiment gazouillé les bavardages de Pablo.
De tous ces « nouveaux », il n'en est qu'un qui
m'ait paru doué de façon exceptionnelle. 11 se
nomme L. Perret. Le rôle dont on l'avait chargé
n'est pas des plus brillants : c'est Ruy Gomès, le
confident, le bas conseiller de Philippe II. A ce
traître, qui pouvait être si banal, M. Perret a su
imprimer une physionomie doucereusement féroce,
mélange de cruauté, de politesse, d'onction ecclé-
siastique, tout à fait dans la couleur de l'époque
et de l'ouvrage. Cet effort de composition sort de
l'ordinaire médiocrité. L'ancienne troupe de l'Odéon
encadrait les néophytes. M. Dorival est un Phi-
lippe Il vigoureux et sobre ; M. Maxudian, un
Charles-Quint estimable; M"® Even, une digne et
M. Duparc. — Frère Timothée, M. Taldy. — Giûès, M. Décard. — Do-
mingo, M. Weber. — Raphaël, M. Ferrier. — Un officier, M. Delangle.
— Doua Florinde, MU» Oladys-Maxhance. — Dorothée, M^» Even. —
Pablo, MU» Dorville,
l48 LES ANNALES DU 'THEATRE
correcte Dorothée ; M. Darras n'est ni assez comi-
que, ni assez tragique dans don Quesada:. »
29 SEPTEMBRE. — Les soifées populaires se conti-
nuent avec les Folies amoureuses *, et M, de Pour^
ceaugnac'^.
9 OCTOBRE. — Première représentation de Le
Cœur et la Loi ^ pièce en trois actes de MM. Paul
et Victor Margueritte^, précédée de la première
représentation de VAmi du ménage^ comédie en un
acte de M. André Rivoire*. — Le divorce par le
1. Distribution. -- Grispin, M. Duard. — Eraste, M. Séverin. —
Albert, M. Darras. — Agathe, MHe Taillade. — Lisette, MUe Farna.
2. Distribution. — M. de Pourceaugnac, M. Cazalis. — Oronte,
M. Janvier. — Eraste, M. Michel. — Sbf igani, M. Jean Dax. — Premier
médecin, M. Robert Liser. — Second médecin, M. Violet. — Un apothi-
caire, M. Décard. — Un paysan, M. Weber. — Premier suisse, M. Du-
parc. — Deuxième suisse, M. Rézal. — Un exempt. M. Taldy. — Un
avocat, M. Terrier. — Un avocat, M. Ferrier. — Julie, M'ie Dérives. —
Nérine, Mlle Zr^o ^«nn. — Lucette, Mii« de Behi*. — Une paysanne ,
Mlle Livry.
3. Distribution. — M. Le Hagre, M. Janvier. — Eparviéj M. Cheva-
let. — Marchai, M. Darras. — Maurot Le Hagre, M. Maxudian.— Her-
belot, M. Robert Liser. — Tartre, M. Pillot. — Traffier, M. Duparc. —
L'avoué de Mme Maubrée, M. Taldy. — Premier avocat, M. Peyritre. —
Deuxième avocat, M.- Terrier. — Un monsieur, M. Léonce Perret. —
L'avoué de M. Maubrée, M. Henri Valbel. — Un avoué, M. Ferrier. —
Troisième avocat. M. Cami. — L'huissier, M. Delangle. — Un client,
M. Berger. — Mme Favié, Mme Emilienne Dux. — Francine Le Hagre,.
Miie Sergine. — Mme Maubrée, Mlle Farna. — Nanon, Mlle Lunéville,
— Josette, la petite Bessy
4. Distribution. — Dormoy, M. Robert Liser. — Verlain, M. Brou. —
Henriette, MUe Marie Marcilly. — Sophie, MUe Fromant. .
MM. Margueritte avaient touché, dans le Cceur et la Loi, à un sujet
poignant. Yoici, entre autres preuves, la lettre que leur adressait Tun»
des plus hautes personnalités de la magistrature, le procureur général
Bulot :
« Messieurs,
« J'ai retrouvé dans le Cœur et la Loi, présentées sous une forme plus=
saisissante, des idées dont nous nous sommes souvent entretenus, et qut
font leur chemin, grâce à vos efforts.
THEATRE NATIONAL DE l'ODÉON i49
consentement d'un seul : telle est la thèse que
poursuivent en apôtres généreux et convaincus les
nobles et vaillants écrivains qui s'appellent Paul et
Victor Margueritte. Les législateurs de i884 ont,
sans doute, entrevu de si graves conséquences à
l'élargissement demandé qu'ils n'ont pas cru devoir
introduire dans le code cette porte de sortie. Mais
il est certain que, dans le cas particulier que nous
présentent les distingués auteurs de l'Odéon, la
loi semble inique qui enserre en ses dures tenailles
l'infortunée M™® Le Hagre. Francine est aussi mal
mariée que possible. Son seigneur et maître est un
triste individu qui ne l'a épousée que pour son ar-
gent et n'a pas craint de la tromper avec une de
ses femmes de chambre. Elle aurait dû obtenir le
divorce : il lui a pourtant été refusé par deux fois,
en instance et en appel. Son indigne mari, que
préoccupe la question pécuniaire, s'est en effet
servi d'un subterfuge qui lui a admirablement
réussi. Pendant l'instance en divorce, elle est venue
soigner sa petite fille tombée malade au cours
d'une visite qu'elle faisait à son père, et les donies-
tiques, payés en conséquence, ont faussement té-
moigné d'un acte de « réconciliation ». M«^« Le
« En attendant une réforme plus compléta, si vous obteniez la sup-
pression du 2e paragraphe de l'article 244 du Gode civil, qui permet au
JQgede décider qu'il y a eu pardon et réconciliation, malgré les récla-
mations de répoux demandeur — alors que celui-ci doit le savoir mieux
^e le magistrat le plus éclairé e# le plus prudent, — la suppression des
coquètes écrites et de la publicité des audiences, et le rétablissement
du divorce par consentement mutuel, vous auriez rendu à la cause de
l'humanité un signalé service. « Bulot. »
Dans le courant du mois de novembre, les interprètes du Cœur et la
^i allaient jouer à Tours, puis à Troyes, l'intéressante pièce de
^IM. Margueritte.
l5o LES ANNALES DU THEATRE
Hagre a, dès lors, perdu son procès. Elle est forcée
de réintégrer le domicile conjugal — pour rien au
monde elle ne s'y résoudrait! — et la voici privée
de son enfant qu'au nom de la loi on va lui enle-
ver.. . Que fait-elle alors? Elle s'enfuit avec sa
fille et aussi avec l'homme qui, depuis longtemps,
a su toucher son cœur : elle se met hors la loi.
Qui oserait lui jeter la pierre? Telle est la pièce
extraordinairement simple sur laquelle MM. Paul
et Victor Margueritte ont bâti leur plaidoyer, clair
et précis. Peu d'action théâtrale : mais une suite
de tirades qui tournent à la conférence souvent in-
téressante et à la copie, abondante sans doute,
mais toujours si bien écrite. Un très divertissant
premier acte qui nous montre le couloir du palais
de justice avec son monde, pris sur le vif, de gens
de robe de toute espèce ; on sent dans cette mise
en scène l'habile homme qu'est Abel Tarride. Un
poignant moment d'angoisse, quand, si impatiem-
ment, on attend cet arrêt de la Cour auquel ont
travaillé des juges de peu de conscience. Enfin, au
dernier acte, un éloquent duo — un peu long pour-
tant à cette fin de pièce — entre la mère qui, in)-
bue des idées d'autrefois, tient pour la résignation
de la femme, et Francine, qui plaide chaleureuse-
ment pour la nouvelle morale, celle du mariage
libre. Et ce fut plaisir d'entendre, en ce duo magni-
fique, une comédienne de premier ordre, M°*® Dux,
qui unit à une voix superbe et à une diction impec-
cable le don, si précieux, de l'émotion communi-
cative, et M"® Sergine, cette jeune artiste, que l'ar-
deur emporte quelquefois un peu trop loin, mais
THEATRE NATIONAL DE L^ODBON l5l
qui nous plaît par sa sincérité et. sa conviction.
Avant la grave comédie de MM. Margueritte, nous
avions entendu une agréable piécette, en vers cette
fois, de M. André Ri voire, le délicieux poète dY/
était une bergère. M. Rivoire a refait là, en un
acte, VAnge du foyer de MM. Robert de Fiers et
Caillavetj naguère applaudi aux Nouveautés. Notons
le début un peu quelconque de M. Brou, Tun des
derniers lauréats du Conservatoire.
i8 ocrroBRE. — Nouvelle représentation popu-
laire composée du Mariage forcé et des Fourberies
de S cap in y pour la rentrée de MM. Duard et Lau-
monier et la continuation des débuts de MM. Jean
Dax, Peyrière, Pillot, Michel, de M^^» Léo Renn
et Labady.
19 OCTOBRE. — On donne en matinée le Bajaset
de Racine, où M"® Sergine est une vibrante et sin-
cère Roxane ; où se font applaudir M"^ de Pouzols-
Saint-Phar, une Atalide de charme langoureux ;
M^^e Suzanne de Behr, pleine de grâce et de chaleur
sous les traits de Zatime ; MM. Normand, en Ba-
jazet; Perrier, en Acomat. La représentation est
précédée d'une subtile et suggestive conférence de
M. Nozière.
21 OCTOBRE. — C'était le premier samedi cinq
heures de la saison ; la causerie intitulée « Petites
Joies » étsrit faite par M. Franc-Nohain*.
4.— Voici quel en était le programme : La Bouquetière [de Paul Arène),
M- Escoffier ; Les Cerises (de J.-J. Rousseau), M^e Taillade; L'Amateur
d« tambour (de Jean Richepin), M. Robert Liser; Le Rêve (de Massenet),
chanté par M. Ferrier ; BucoliqueSj la Cascade, le Portrait (de Renard),
JJ]i«Léo Renn; La Ballade du petit bébé, les Mômes (d'Ed. Rostand),
Mlle Gladys-Maxhance ; La Mousse (de Gustave Droz), Mlle, Farna ; En
voyage (de Sully-Prudhomme), M. Séverin.
l52 LES ANNALES DU THEATRE
25 OCTOBRE. — On reprend, sans tambour ni
trompette, la Souris d'Edouard Pailleron*, qui n'a
pas trop vieilli et fait encore bonne figure. « C'est
— laissons encore parler notre confrère Adolphe
Brisson — c'est le type de la comédie « littéraire »,
fignolée, ciselée, très écrite, avec morceaux brillants,
duos d'amour et cavatines. Mais elle renferme un
rôle délicieux de jeune fille. Les ingénues du Con-
servatoire le connaissent bien et le découpent en
tranches chaque année, au moment des concours.
Ce fut un des triomphes de Suzanne Reichenberg.
W^^ Lély l'a joué avec une fraîcheur, une grâce qui
nous ont ravis. A cette douce enfant s'oppose l'en-
fant terrible, Pepa, qui, en 1887, avait presque
scandalisé le public. Mais si le personnage ne nous
offense plus, il nous agace un peu par sa fausse
insolence et sa fausse belle humeur. Il fallait la
verve débridée de Jeanne Samary pour faire avaler
cela. M^*^ Léo Renn n'y est que vulgaire, hélas I
on ne peut le lui cacher. M. Séverin atténue par sa
bonne grâce la fatuité de Max de Simiers, l'homme
à femmes impénitent, le séduisant et cavalcadant
quadragénaire. M™^» Janè Even, Miramon, Ver-
neuil complètent agréablement l'interprétation de
1. Distribution. — Max de Simiers, M. Gaston Séverin. — Marthe de
Moisand, MU» Madeleine Lély. — Glotilde Woïska, M"»» Madeleine Ver-
neuil. — Mme de Moisand, M^e j. Even. — Pépa Raimbault, M»« Léo
Renn. — Hermine de Sagancey, Mil» Miramon.
Le 23 novembre, MHe Lély, malade, était remplacée par MH* Blanche
Toutain, tout à fait maîtresse du rôle de Marthe, Dans celui de M™» de
Moisand, qu'elle jouera aux lieu et place de Mn« Even, Mii« Angéle Re-
nard se fera, de même, chaleureusement applaudir.
La Souris devait être bientôt précédée d]^ne pièce en un acte, en vers,
Madelon, de M. Edmond Guiraud, interprétée par MM. Escoffier, Décard,
Sterny et M"» Acézat.
THEATRE NATIONAL DE l'oDÉON ' l53
ce célèbre ouvrage qui constitue, par excellence, un
spectacle de famille, la pièce que tout le monde peut
voir. Et vous savez que le romanesque a toujours
plu et plaira toujours au « spectateur françois ».
2 NOVEMBRE. — Matinée classique : Cinna^.
i6 NOVEMBRE. — Ou donuc en matinée le Ma-
riage de Fiffaro'^y avec, au quatrième acte, le diver-
tissement chorégraphique indiqué par Beaumar-
chais, réglé par M^*® Stichel. La célèbre pièce est
précédée d'une causerie de M. Bewiardin.
i8 NOVEMBRE. — Daus VArlésienne, M. Beau-
lieu joue le rôle de Frédéri, et M. Dorival, qui
incarnait Frédéri, joue celui de Balthazar. M^^Dux
tient pour la première fois le personnage de Rose
Mamaï. M. Maxudian fait Francet Mamaï, La Re-
naude, Vivette et l'Innocent sont interprétés par
Mlles Even, Dérives et Didier. — Au « cinq heures »
<lu même jour la causerie était faite par M. Lau-
rent Taillade ^.
1. Distribution. — Ginna, M. Paul Chevalet. — Auguste, M. Maxu-
4ian. — Evandre, M. Pillot. — Maxime, M. Henri Valbel. — Euphorbe,
M. Rezal. — Polyclète. M. Delangle, — Emilie, M»» Réhecca Félix. —
Fulvie, M"« Suzanne de Behr.
2. Distribution. — Figaro, M. Beaulieu. — Le comte, M. Normand.
— Antonio, M. Darras. — Brid'oison, M. Robert Lizer. — Bazile,
M. Duparc. — Pédrille, M. Terrier. — Bartholo, M. Ferrier. — Grippe-
Solerl, M. Veber. — Doublemain, M. Cami. — Suzanne, M"« Hélène
Domille. — La comtesse, M"» Marguerite Ldbady. — Marceline,
M«e Lunéville. — Chérubin, MU« Dérives. — Fanchette, MW« Biguer. —
^^ae paysanne, W^* Livry.
3. — Voici quel était le programme : les Petits Chiens de M. Pierre
Loti : M. Séverin. — La Mort du singe de M. Anatole France : M»» Pou-
Mlt Saint-Phar. — Le Bœuf, M. Mérinos : M. Robert Lizer. — Le
Hanneton, Charles Monselet : M"» Léo RéUn. — Rikki-Tiki-Tavi, Ru-
dyard Kipling : Mi>« Taillade. — Les Chats, Baudelaire ; Cortèae de
Verlaine; les Vieux Chats de R. Gineste : M"« Marcilly. — Le Chat et
le Perroquet de Théophile Gautier : M'i» Farna. — Les Hirondelles du
prisonnier de Béranger. — Toutou de Bruant, chantés par M»« Tarquini
d'Or.
l54 LES ANNALES DU THEATRE
3o NOVEMBRE. — En matinée, on donne le Jeu de
V Amour et du Hdsardy précédé d'une spirituelle
conférence de M. George Vanor. — Le soir, pre-
mière représentation d'un acte en vers de M. Paul
Vergnet, Guillaumin va^t^en guerre^ une farce
amusante, et pourtant littéraire, que font applaudir
M"« Léo Renn, MM. Cazalis, Violet et Pillot.
i«' DÉCEMBRE. — Hcurcux début de M**® Ventura
dans Bérénice. MM. Dorival (Titus), Escoffier
(Antiochus), Perret (Paulin) et M"« Carmen Acézal
(Phénice) sont les partenaires de la jeune tragé-
dienne.
2 DÉCEMBRE. — « La Petite Ville », causerie de
M. Gaston Rageot, est au programme de ce « sa-
medi cinq heures »*.
12 DÉCEMBRE. — Première représentation de
Jeunesse^ comédie en trois actes de M. André
Picard^, précédée d'un acte en vers de M. Sacha
Guitry, Le mari qui faillit tout gâter i. — Le jeune
auteur Aq Bonne fortune et de Monsieur Malézieux
risquait cette fois une grosse partie. A l'issue
1. — La Petite Ville (Gustave Flaubert), M. H. Duard; le Marché
(A. Samain), M. Perret; les Quilles, les Almanachs (Paul Leclerc),
Mil» Didier; les- Chapeaux du Jour de l'An (Franc-Nohain), M. Décard;
la Petite Rue (M. André Rivoire), Mlle Bellanger; la Pipe (Georges
Courteline), M. Violet; les Vieux (Alphonse Daudet), Mii« Taillade; la
Voyante (Anatole France), M. Beaulieu; Carcassonne (M. Nadaud),
M. Robert Lizer; Y Invitation au voyage, le Rideau de ma voisiney
chantés par M"«o Fournier de Noce, de l'Opéra; Comédiens de Province
(MH« Flore), M»« Lavergne.
8. Distribution. — Roger Dautran, M. Tarride. — Rivray, M. Barras.
— Phibort, M. Jean Dax — Jean, M. Février. — Charles Aubert,
M. Janvier. — Chavry, M. G. Séverin. — Désiré, M. Duparc. — Grois-
•ard, M. Peyrière. — Mauricette, M»» Marthe Régnier- — Andrée Dau-
tran, M™» Dux. — Françoise, M™» Marcelle Jullien. — M"»» Chavry,
W* Miramon. — M»» Rivray, M»» Spindler. — Marie, MUe Lambert.
THEATRE NATIONAL DE l'odÉON i55
d'un premier acte ravissant, nous pensions tous
qu'il Tavâit gagnée haut la main, Pourquoi la suite
et la fin de la jolie comédie n'ont-elles pas répondu
tout à fait à ce début prometteur? Sur la scène
de rOdéon, où, dûment autorisé par le ministre,
M. Mounet-Sully viendra jouer quelque jour sa
Vieillesse de Don Jiian^ M. André Picard nous
montre un amoureux de cinquante ans : le Vieil
Hommey est justement le titre de la pièce, impa-
tiemment attendue, de M. Georges de Porto-Riche.
Roger Dautran vient,. suivant la mode actuelle, de
troquer en un reposant fauteuil de sénateur un bril-
lant siège de député. Il est le type de V « homme
à femmes » ; sans avoir jamais éprouvé la grande
passion, sans avoir été jamais ce qu on appelle
« un amant », il n'a pas cessé d'apciinmler les
bonnes fortunes qu'il ne compte plus ... Sa femme,
qu'il déclare lui-même « incomparable » — sans
doute parce qu'il a beaucoup comparé — s'est
constamment résignée, pardonnant toujours à
l'homme qu'elle aime et qu'elle serait désolée de
perdre tout à fait. Comme la Françoise de Georges
de Porto-Riche (toujours lui !), Andrée cache la
douleur de son âme ulcérée. Et puis Roger vieillit
— voyez la blancheur de ses tempes — qui sait
s'il n'est pas à la veille de lui revenir de façon
définitive, quand les femmes ne feront plus atten-
tion à lui ? En attendant, il s'ennuie tant chez
i. — Joué par MM. Barras ^ Paul Chevalet y M"» Taillade.
Jeunesse sera ensuite accompagnée de la Promise de M. Paul Steck,
interprétée par Mm«« Even, Delange, Lunévilley MM. Barras et Ter*
rier.
l56 LES ANNALES DU THEATRE
lui — auprès de sa femme incomparable — qu^l
ne songe qu'à passer au dehors la plupart de ses
soirées. Aujourd'hui encore, prétextant je ne sais
quel banquet de commission parlementaire, il s'est
promis de dîner au restaurant. . . Mais voilà qu'au
moment où il va partir, Andrée lui présente une
jeune fille qu'on lui a recommandée comme lec-
trice, et qu'elle a l'idée de garder, plus que comme
demoiselle de compagnie, comme Tenfant de la
maison, destinée à apporter la gaîté qui lui man-
quait et à retenir at home son mari toujours dis-
posé à sortir. Mauricette est le nom de la jeune
Montmartroise, fille naturelle d'un brave graveur
qui est mort sans lui laisser de quoi vivre, et libre-
ment élevée au milieu d'artistes, camarades de son
père. Le type, amusant, encore qu'un peu connu,
plaît infiniment à Roger Dautran, immédiatement
séduit par la beauté de Mauricette, qui, dans la
circonstance — étant donnée la personne de
M"® Marthe Régnier — est certes plus . que la
beauté du diable. Et voilà — ô imprudence de
M™« Dautran ! — la jeune fille introduite au domi-
<;ile conjugal : Mauricette sera la grande passion
que n'a jamais eue, jusqu'ici, l'éternel amoureux.
Roger ne s'en rendra compte lui-même qu'au mo-
menr où un familier de la maison, le jeune doc-
leur Charles Aubert, dont il fut pour ainsi dire le
tuteur, demandera la main de Mafliricette qui Ta
charmé. Roger s'oppose alors formellement à ce
mariage, et il faut entendre les raisons — si peu
raisonnables ! — qu'il donne à son refus de la
laisser partir . . . Elle part pourtant, non sans lui
THÉÂTRE NATIONAL DE l'oDÉON 167
avoir avoué qu'elle aussi, elle l'aimait; mais elle
doit trop à M"*® Dautran pour vouloir troubler son
ménage, et tranchant dans le vif, elle accepte la
proposition du docteur. . . Nous la retropvons,
quelques mois après, devenue M"*® Charles Aubert,
très mélancolique et, pensant toujours à Dautran,
qui, lui, n'a jamais cessé de penser à elle. Il va
même jusqu'à lui écrire en cachette, lui demandant
un rendez-vous. Très loyalement, Mauricette donne
la lettre à son mari. Celui-ci ne craint pas de les
mettre tous deux en présence : qu'ils s'expliquent
seul à seule ! L'entretien sera court : à peine Mau-
ricette a-t-elle revu, vieilli et quelque peu ravagé
par la maladie et le chagrin de la séparation, le
beau séducteur d'autrefois, qu'elle reconnaît son
erreur : la jeunesse ne va-t-elle pas vers la jeu-
nesse? Dautran n'a qu'à s'incliner en dépit qu'il
en ait, et à s'en retourner tristement au bras de sa
femme qui, bonne et tendre comme elle est, saura
sans doute le consoler de n'avoir plus l'âge des
passions. Ainsi se termine sur une note d'émotion
un peu banale cette comédie, dont le premier acte
s'était enlevé en un si joli mouvement d'esprit et
de gaieté. Est-ce à dire qu'il n'y ait pas, dans la
nouvelle œuvre de. M. André Picard, toujours très
littérairement dialoguée, grande dépense de talent?
Jeunesse annonce un véritable auteur dramatique
que nous devrons à M. Tarride^ — le glorieux par-
rain de M. André Picard, avant d'en être le prin-
cipal interprète, de si parfait naturel et de si belle
autorité. M*'® Marthe Régnier, la délicieuse Mar-
celine de Petite Peste et bientôt l'idéale Florise
l58 LES ANNALES DU THEATRE
Bonheur de M. Adolphe Brisson, est, dans Mauri-
cette, une merveille de jeunesse, de grâce et de
beauté : le charme de la pièce. Nous ne saurions
trop louer M°^« Dux, cette comédienne si sûre qui
joue avec tant de tact le rôle de M"*® Dautran. Mais
quelle erreur d'avoir distribué celui du docteur
Aubert à M. Janvier qui manque totalement de
jeunesse et de distinction et a rendu absolument
invraisemblable la préférence de Mauricette ! La
pièce a été mise en scène avec beaucoup de luxe
et de goût : il nous faut ici encore rendre hommage
à M. Tarride. Elle est précédée d'un acte en vers,
Le Mari qui faillît tout gâter, dont Fauteur de
vingt ans — cet âge est sans pitié — M. Sacha
Guitry, triomphe actuellement aux Mathurins avec
trois actes en prose intitulés Nono... Nous ne sau-
rions rien dire de plus d'une grossière petite élucu-
bration destinée sans doute aussi à être acclamée
sur « une scène à côté », mais vraiment quelque peu
indigne de TOdéon, second Théâtre-Français...
i6 DÉCEMBRE. — Au Samedi cinq heures, « les
Pays de Rêves », causerie faite par M. Raymond
Recouly *.
2ï DÉCEMBRE. — Matinée de bienfaisance au
profit de la caisse de secours des veuves et des
orphelins des Associations des Journalistes répu-
1. — Au programme : Les Tours du silence (Chevrillon) : M. Cheva-
let; Près du puits (Victor Margueritte) : M\\* Sergine; Balamoni
<Pierre Loti) : M. Séverln; Nous et un de pli*s (Rudyard KipHï'fif) •
MUo Taillade ; Conte chinois (Paul Arène) Ballade japonaise : M"« àe
Pouzols ; Le Sultan (Nadaud) : M. Duard. On entendait M»« Vallandri,
de rOpéra-Comique, dam l'air de la Statue^ de Rejer, et les Adieux de
l'hôtesse arabe, de Bizet.
THEATRE NATIONAL DE l'oDBON iBq
blicains et des Journalistes parisiens : première
représentation sans lendemain — à Paris — de
Brichanteau ou la Vie d'un comédien^ la pièce en
quatre actes et cinq tableaux si adroitement tirée
par M. Maurice de Féraudy du livre mémorable
de M. Jules Claretie*. — Le soir, on fêtait l'anni-
versaire de la naissance de Racine avec Bajazet^
les Plaideurs et la représentation d'un à-propos en
vers et en prose de M. Georges Dama, Aux pieds
deliacine. — C'était, chez des humbles, l'aventure
de Titus et de Bérénice. L'amour et là douleur sont
de tous les temps et de toutes les existences. Cet
acte d'émotion et de grâce simple était fort bien
joué par M"« Brassy, MM. Ferrier et Valbel.
3o DÉCEMBRE. — Au Samedi cinq heures, les
EtrenneSy causerie de M. Franc-Nohain 2.
1. Distribution. — Sébastien Brichanteau, M. de Féraudy. — Gaston
Mural, M. Dauvilliers. — Durevert, M. Mondet. — Lord Hartson,
^l. Henry Uoury. — Muntescure, M. Berthelier. — Roland, M. E .Four-
nier. — Docteur Séverin, M. O. Laine. — Daniel, M. Defretne. — Lan-
<lret, M. Larin., — Un homme de la gare, M. Jacques de Féraudy. —
Jeanne Horly, MHe Marie Leconte. — Mb» Doris, M"»» th. Kolb. —
Manchette Claret, M»» Cor a Laparcerie. — Lady Maud, M"» Denise
Morena. — M»» Valadon, M#» Marie-Laure.
Musique de la garde républicaine, sous la direction de M. G. Parés :
Ouverture des Girondins (Litolîf). — Roméo et Juliette^ fête chez
Capulet. (Berlioz). — - Danse vénitienne (G. Parés). — Entr'acte de
Messidor (Bruneau). — Marche militaire (Schubert).
2. — Au programme : Ballade de la Nouvelle Année, de M. Edmond
Rostand (M»« Glad^ s-Maxhance) ; V Année en s enfuyant, Victor Hugo
<M. Janvier); Au pays des Joujoux, Paul Arène (M. Robert Lizer) ; le
Jour de l'An d'un franc-tireur, Alphonse Daudet (M. Séverin) ; Jour de
''An, Théodore de Banville (M»» Cécile Didier); le Facteur, Glatignj
(MUe Dorville) ; Pauvres Etrennes, Jean Richepin (M"» Taillade) ; En
famille, Gustave Droa (MU" Farna). (a) Nocturne (Gros), (b) Rêverie
iSchumann), (c) Zaman«cca(White),pfirMll"JulietteDantin, violoniste.
i6o
LES ANNALES DU THEATRE
Athalie, tragédie
ArmiAe et Gildis, drame en vers
Tartuffe, comédie en vers '.
Le Florentin^ pièce en vers
L'Ecole des mères, comédie
L'Arlésienne, pièce
Le Grillon, comédie ^
Le Jeu du Diable, pièce
L'Heure Espagnole, pièce en vers...
Le Légataire universel, comédie en vers
L'Ecole des Maris, comédie en vers . .
Les Précieuses ridicules, comédie. . . .
Andromaque, tragédie
Le Jeu de V amour et du hasard, comédie
*Le Patrimoine, comédie
*Le Petit, drame
Le Malade imaginaire, comédie
Georges Dandin, comédie.
*La Farce du Médecin, à-propos en vers.
*La Gloire de Molière, à-propos en vers.
Britannicus, tragédie
Le Médecin malgré lui, comédie
Le Roi galant, comédie dramat. en vers.
La Cage, comédie. . ,
Horace,, tragédie
^Thérèse Raquin, drame
L'Epreuve, comédie
L'Absent- pièce
Mérope, tragédie
*Les Ventres dorés, pièce
*Hippolyte couronné, drame ant. en vers
La Passion, drame sacré
Phèdre, tragédie
*La Variation, comédie
*L Agrafe, comédie
Le Menteur, comédie en vers
*L Anniversaire, à-propos en vers.
*Les Miettes, comédie
*Une Blanche, pièce
*Le Portefeuille, pièce
Une Trahison, pièce
■ Les Folies amoureuses, comédie en vers
Don Juan d'Autriche, comédie
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n
7
5
28 sept.
7
THEATRE NATIONAL DE h ODEON
l6l
Monsieur de Pourceaugnac, comédie . . .
*Le Cœur et la Loi, pièce
* L'Ami du ménage, comédie
Marton et Frontinj comédie ?
Les Fourberies de Scapin^ comédie
Le Mariage forcé, comédie
Bajazetj tragédie
La Souris, comédie
Cinna, tragédie
*Madelon, pièce en verfc
Le Mariage de Figaro, comédie
*Guillaumin va-t-en guerre, pièce en vers
Bérénice, tragédie ; .
^Jeunesse, comédie
*Le Mari qui faillit tout gâter, p. eu vers
Le Dépit amoureux, comédie en vers —
*A.ux pieds de Racine, à-pr. en pr. et en v.
*Brichanteau, pièce
Les Plaideurs, comédie en vers
La Promise, comédie
DATE
NOMBRE
NOMBRE
delà
de
!'• représ.
représent.
d*actes
ou de la
pendant
reprise
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21 déc.
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3
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1
1
29 déc.
2
ANNALBS DU THÉÂTRE
11
THEATRE DU GYMNASE *
Trois pièces nouvelles : VA^e d'aimer de
M. Pierre WoIflF, Ces Messieurs de M. Georges
Ancey et la Rafale de M. Henry Bernstein cons-
lilueronl l'histoire du Gymnase en Tannée 1906,
remplie d'ailleurs par la fin des représentations du
Bercail'^ ^ par les reprises du Retour de Jérusalem
et du Secret de Polichinelle^ et aussi les quelques
soirées que dura le Jeune Ménage de MM. Sylvane
et Froyez, originaire de TOdéon,
20 FÉVRIER. — Après quatre-vingt-huit repré-
sentations, le Bercail de M. Henry Bernstein cédait
l'affiche à une* reprise du Retour dé Jérusalem^,
dont l'intérêt consistait principalement dans le
i. — Directeur : M. Alphonse Franck.
2. — Mïï» Burly, indisposée, avait dû abandonner, dans la pièce de
M. Bernstein, le rôle de Louli où elle était remplacée par M^e Liceney.
3. Distribution. — Michel Aubier, M. Dumény. — L'oncle Emile,
M. Numès. — Lazare Hœndelsohn, M. Maurice Luguet. — Tréviéres,
M. André Hall. — Docteur Lurdau, M. Arvel. — Vowenberg, M. Jean
iJoa;. — Georges Daincourt, M. Vial. — M. Aubier père, M. Collen. -—
Moissac, M. Rameil. — Docteur Afkler, M. Paul-Edmond. — Capitaine
Aubier, M. Oarnier. — M. Sonchamp, M. Vidal. — Un domestique,
M. Chauveau. — Raymond, la petite Ouyot. — Un tapissier, M. Bou-
dât. — Un électricien. M. Kosser. — Judith, M™« Simone Le Bargy. —
Suzanne Aubier, M»« Gabrielle Dorziat. — M»» Aubier, M»» Henriot. —
Andrée Daincourt, MU» Camille Liceney. — M«« Sonchamp, M"»» Clau-
rfia. — M*c Afkler, M"« Chantenay, — Une femme de chambre, M»» Cé-
cile Didier. — Marguerite, là petite Boivin.
l64 LES ANNALES DU THEATRE
rétablissement de la grande scène du troisième
acte entre Judith et Lazare, coupée avant la pre-
mière représentation *.
i^^' AVRIL. — Première représentation de VAge
(Taimery comédie en quatre actes de M. Pierre
Wolff^. — \]n véritable « coup de théâtre » avait
été, quelques semaines auparavant, la nouvelle
donnée par les courriéristes bien informés de la
prochaine arrivée de Réjane, retour d'Amérique,
et de son sensationnel engagement au Gymnase,
conclu par câble. Quelle allait être la pièce de
rentrée, dans sa bonne ville de Paris, de l'actrice
parisienne par excellence? Celle que M. Pierre
1. — M. Maurice Donnay iexpliquait ainsi cette suppression : « J'ai
supprimé aussi la scène qui termine le troisième acte, et dans laquelle
les caractères de Judith et de Lazare sont développés selon leur race,
mais en beauté, parce qu'elle a été jugée dangereuse par ceux et pour
ceux qu'elle devait le mieux servir. Dans l'aveu de son amour profond
et pur que Judith fait à Lazare, quelques dames israélites n'ont pu voir
qu'une femme hystérique offrant son corps, alors que c'était une créature
de douleur et de détresse qui proposait son âme, et dans le refus hon-i
nête et fraternel de Lazare des coreligionnaires n'ont pu voir que gêne
et niaiserie. Bref, pour toutes ces causes, on m'a supplié de supprimer
cette scène, et j'ai cédé. Mais, cette décision prise, entre la répétition
géîiérale et la première représentation, j'ai traversé une journée d'an-
goisse. Puisqu'il y avait lutte, j'étais le lutteur qui se coupe un bras,
mutilation qui ne va pas sans souffrance et sans risques ».
' 2. Distribution. — Bellencontre, M. Félix Huguenet. — Longecourl,
M. Dumény. — Maurice Gérard, M. Pierre Magnier. — Taverney,
M. André Calmettes. — Louis, M. Jean Dax. — Le père François,
M. Paul-Edmond. —Jean, M. Chauveau. — Geneviève Clarens, M"» i??'-
jane. — Isabelle Lescar, M»» Gahrielle Dorziat. — Mi'e Jeanne, M'ie Fé-'
lyne. — Andrée Bouquet, M"" Lantelme. — Colette Davron, MU» Lice-
ney. — Hélène Briey, MH» Th. Chantenay. — Annette, M'»« Claudia.
Gros émoi, le 15 avril, au théâtre : un enrouement subit de M"'" Ré-
jane a empêché la représentation de \ Age d'aimer et on a dû rembour-
ser une recette de 6.000 francs. Par mesure de précaution et pour donner
à M"»» Réjane tout le temps de se rétablir, M. Franck décidait de faire
relâche : les représentations de VAge d'aimer ne reprenaient que le 22
avril.
THEATRE DU GYMNASE l65
Wolff avait remise à.M"'^ Saràli Bernhardl et que
fort adroitement il avait retirée du théâtre où,
peut-être, elle n'eût jamais été jouée, pour la porter
à M, Fraiick, prêt à la mettre immédiatement en
répétitions. 'L'Affe (Taimer : tel était le titre, un
peu énigmatique^, de la nouvelle œuvre de l'heureux
auteur du Secret de Polichinelle. Elle n'est pas
sans analogie — pures coïncidences d'ailleurs —
avec Amants, avec le Passé et avec Maman Coli-
bri. Comme la Dominique de M. de Porto-Riche,
la Geneviève Clarens de M. Pierre WolfF touche à
la quarantaine. Elle a eu deux amants : le premier
qui est mort en lui laissant toute sa fortune ; le
second qui Ta fait horriblement souffrir, à tel point
qu'elle a résolu de ne plus aimer. Jamais, jamais !
Aussi, dès qu'elle a vu le séduisant Maurice Gérard,
de dix ans plus jeune qu'elle, s'est-elle éprise de
lui, jusqu'à tomber dans ses bras, à la suite d'une
scène très fine^ sinon très nouvelle, où, sans lui
adresser de déclaration, le prétendant s'est posé
en ami. Plusieurs mois s'écoulent. Geneviève vit
heureuse : elle croit à la fidélité de Maurice, et
pourtant celui-ci n'a pas laissé de donner quelques
coups de canif dans le contrat d'amour qui le lie à
l'adorable femme. C'est ainsi qu'en sa coquette
garçonnière il a reçu un joli « mannequin >> de la
rue de la Paix, dont saura le débarrasser, fort à
propos, un de ses bons amis, le fringant Longe-
court. Geneviève trouve ouverte sur une table —
n'est-ce pas bien invraisemblable ? — une lettre de
Longecourt qui lui apprend toute l'aventure. Pau-
vre Geneviève ! Elle refoule* ses larmes et feint
l66 LES ANNALES DU THEATRE
d'ignorer... Bien pis, en Touraine — ok^! la belle
vue de la Loire un soir d'été ! — en Touraine, où
elle a invité tous ses amis, elle acquiert de ses
propres yeux la preuve que Maurice fait plus que
flirter avec Colette, la maîtresse d'un homme plus
âgé qu'elle. Cette fois encore, plutôt que de s'ex-
poser à perdre son dernier amour, Geneviève se
taira jusqu'à ce que, sa résignation étant mise à
une nouvelle et plus cruelle épreuve, elle éclate en
reproches et en sanglots. Vains reproches; sanglots
-inutiles d'ailleurs. Aux premières parolçs tendres
et suppliantes de Maurice lui jurant de ne plus la
trahir, elle s'apaise et pardonne, puisqu'elle ne
peut cesser d'aimer : « Je te permets, lui dit-elle,
de me faire encore souffrir longtemps ». Voilà,
infiniment simple, comme ^ous voyez, l'intrigue
principale, mais c'est dans les épisodes acces-
soires, ingénieusement rassemblés autour de .cette
histoire douloureuse et mélancolique, que réside
tout l'attrait de Tœuvre de M. Pierre Wolff : œuvre
agréable en somme, et qui réjouira les contempo-
rains, sans encombrer la postérité! Le premier
acte, plein d'esprit et de gaieté, a produit un effet
irrésistible. Et n'est-ce pas, au cours de la pièce,
une bien amusante trouvaille, d'observation très
fine et très juste, que le duo Bellencontre et Andrée
Bouquet : celui-là, vantard et grognon, mais bon
enfant au demeurant, mené en laisse, sans qu'il
s'en doute, par la petite grue naïve et malicieuse-
ment inconsciente à laquelle il a uni son destin
de vieux garçon. Bellencontre, merveilleusement
rendu par Huguenet, est la joie de la soirée, tout
THEATRE DU GYMNASE 167
comme sa partenaire, si délicieusement représentée
par M"® Lantelme, en reste le cïiarme vainqueur.
En l'honneur de M. WolfF, auteur à succès, le
directeur du Gymnase a royalement fait les choses,
et confié les moindres rôles à des artistes de pre-
mier ordre. Ainsi, M. Duihény n'a qu'une scène :
celle où Longecourt rend très galamment à son
ami Maurice le service de le délivrer, à son propre
profit, du joli « mannequin » que personnifie a
ravir l'élégante M"® Félyne. M. Calmettes est en-
core moins bien partagé que son camarade Du-
mény : il donne du moins quelque relief à Taverney,
le vieil homme aux cheveux gris, condamné à être
trompé par la Colette de vingt ans dont, pour son
malheur, il s'est épris — tout comme Geneviève
Clarens sera trahie par son jeune amant Maurice.
■ Maurice, c'est M. Pierre Magnier, doué d'une voix
mâle et caressante bien faite pour lui conquérir
tous les cœurs. M**® Gabrielle Dorziat a rendu avec
beaucoup d'adresse l'amie si serviable, en appa-
rence, qu'elle doit être, en vérité très malveillante :
une vraie vipère... Pour sa rentrée fort attendue,
que dis-je ! pour son début au Gymnase, où elle
n'avait encore jamais paru, M'"^ Réjane a choisi,
non sans quelque courage, le rôle d'une femme au
visage déjà meurtri qui, à l'âge qu'elle a, se rac-
croche, quoi qu'il doive lui en coûter, au dernier
amour de sa vie. Elle l'a joué au naturel, avec
l'incomparable talent que vous lui connaissez tous
— • ayant de plus à vaincre, le premier soir, un
fâcheux enrouement qui l'étreignait à la gorge. Le
public parisien, toujours sympathique à ses chères
l68 LES ANNALES DU THEATRE
idoles, Ta récompensée, par des bravos très cha-
leureux, de tant de vaillance et de crânerie.
2 JUIN. — Première représentation de Ces Mes^
sieurs, pièce en cinq actes de M. -Georges Ancey*.
« J'ai essayé^ sans subterfuges et sai\s faux-fuyants,
mais en termes propres, en accents sincères, de
dénoncer dans ma pièce une des nombreuses
maladies sociales qui nous abêtit et dont nous
mourons ; j'ai voulu simplement et sans parti pris,
n'accusant personne, où tout au moins accusant
en face, j'ai voulu montrer la terrible influence que
peut prendre le prêtre sur la femme, pour le plus
grand péril de tous deux, et cela inconsciemment,
sans préméditation d'aucune sorte, par ce seul fait
qu'il porte un splendide uniforme et qu'il a de beaux
gestes. Histoire presque universelle qui pourrait
s'appliquer à tous les prêtres de toutes les religions !
L'idée est juste, je crois; le danger permanent. Il
mérite qu'on y pense. Aussi qu'est-il arrivé ? On m'a
interdit... Il est vraiment insoutenable qu'à l'heure
où les meetings ont pleine licence de sq réunir^
où les cabotins ^de tous les genres ont le droit de
se jeter à la face les plus hautes injures, que Jes
gens qui vivent dans leur coin et qui peinent soient
les derniers à ne pouvoir exercer leur métier ».
1. Distribution. — Mgr Gaufre, M. André Calmettes. — Pierre Cen-
sier, M. Dumény. — L'abbé Thibaut, M. André-Hall. — Gustave Censier,
M. Maurice Luguet. — L'abbé Morvan, M. Arvel. — L abbé Nourrisson,
M. Jean Dax. — Le colonel du Martin, M. Collen. — Adolphe Gensier,
M. Paul-Edmond. — Léon, Le petit Schmitt. — Maurice, Le petit Phi-
lippe. — Henriette, M»»» Andrée Mégard. — M»»» Fauchery, M«»« Hen-
riot. — Mme du Martin, M»» Gilberte Sergy. — M»"* Bernât, M»'* Ellen
Andrée. — M™« Pépin, M™» Irma Perrot. — Une jeune fille, M"» Camille
Licetiey. — Hélène, La petite Dolbeau. »»
THÉÂTRE DU GYMNASE 169
C est en ces termes vibrants et dignes que M. Georges
Ancey, Tauteur de Ces Messieurs^ si longtemps
interdits par la censure, caractérisait son œuvre
et la mesure dont elle avait été Tobjet. Nous pou-
vons maintenant juger la pièce. Elle est probe et
courageuse, d'intention vigoureuse et franche
d'exécution. La sincérité de l'auteur est aussi
incont^table que son talent. Et voici comment
M. Georges Ancey développe sa thèse. 11 nous pré-
sente un prêtre pas mauvais de sa nature, mais
fatalement gâté par le sacerdoce, troublant au
profit de son ambition, l'esprit, le cœur et les sens
d'une femme ; un autre prêtre, rongé d'envie et
de haine, trahissant le secret de la confession au
profit de cette haine et de cette envie ; un évêque
à qui cette faute grave n'inspire qu'une indulgence
doucement méprisante. 11 y a pourtant un bon
prêtre dans la pièce, un prêtre vraiment chrétien,
plein de mansuétude, d'abnégation et de courage,
mais ces qualités mêmes l'ont fait tomber en dis-
grâce près de ses chefs. M. Ancey nous montre les
mauvais prêtres, conduisant une femme honnête^
mais de religiosité ardente, tout au bord de la faute
el jusqu'aux confins de la foire par exaltation reli-
gieuse. Cette femme, à son tour, trouble la raison
et la santé d'une toute jeune fille à qui elle com-
munique sa propre maladie mystico-sensuelle. Au
demeurant, quels que soient les reproches de vio-
lence et de partialité qu'on puisse leur adresser
— on pouvait prévoir quelques orages dans la salle —
Ces Messieurs sont une œuvre non seulement forte
dans son ensemble, mais de premier ordre dans
lyO LES ANNALES DU THEATRE
plusieurs scènes. Conduite avec fermeté et logique,
la pièce aborde les situations avec un sens drama-
tique très sûr et les traite avec une robuste fran-
chise. Deux grandes scènes — entre le prêtre et
sa pénitente — donnent à l'œuvre sa valeur et sa
portée, et Ton a pu dire que, reprenant une situa-
tion marquée par la gviSe de Molière — car l'ana-
logie est complète — M. Ancey n'a pas été inférieur
^ l'ambition de se mesurer avec le glorieux auteur
de Tartuffe. Aveo d'étonnants rappels de Sarah
Bernhardt dans la voix, dans les attitudes et même
dans la physionomie, M^^ Andrée Mégard a été la
très émouvante et très intéressante héroïne de la
pièce dont elle rend avec une intense vérité tous
les aspects. Elle est S la fois dévote et coquette,
chaste et amoureuse, implacable dans la colère,
restant toujours sympathique et jolie... Dans
M. André Hall, qui s'est chargé de personnifier
Tabbé Thibaut, elle a trouvé un partenaire dont le
talent de composition ne s'est pas un instant
démenti. C'est bien le jeune prêtre, conduit par
l'ambition plus forte que la foi, et qui, pour arriver
à son but, ne s'embarrassera pas des moyens. Le
doux évêque mondain, distingué et fin, sachant à
propojs trouver la réplique et remettre gentiment
chacun à sa place : c'est M. André Calmettes qui
n'a peut-être jamais rencontré de rôle où il fut
plus unanimement et plus justement apprécié.
M. Dumény est le porte-paroles de l'auteur ; c'est
avec sa bonne humeur et son aisance habituelles
qu'il rend le gai mangeur de prêtres qu'a voulu
M, Ancey : le seul qui, selon lui, ait l'esprit sain
THEATRE DU GYMNASE I7I
et le jugement rassis. Citons encore M. Arvel, qui
a fait applaudir la belle franchise de Tabbé Mor-
van, un prêtre vrainaent digne de sa haute mission,
et M. Jean Dax qui rend bien Thypocrisie de Ten-
vieux abbé Nourisson, le traître de la pièce.
U^% Ellen Andrée est tout à fait bien dans la
bonne de l'abbé Thibaut qui mène la cure dans
rintérêt de son maître, et sous les traits de la chai-
sière, M™® Irma Perrot est une commère qui a bec
et ongles. N'oublions ni M*'® Camille Liceney qui
si comiquement a récité son compliment à Tévéque
— un chef-d'œuvre de poésie mirlitonesque — ni
la jeune Hélène (M'*® Dolbeau) dont un innocent
mensonge trouble gravement la petite âme.
3 JUILLET. — Première représentation à ce théâtre
de Second Ménage^ comédie en trois actes, de
MM. Sylvane et Froyez*. — Une gentille pièce
d'été, aimable et bien faite, un peu douce seule-
ment, qu'eût certainement signée l'un des maîtres
du théâtre d'autrefois — si sévèrement jugée par
les petits auteurs d'aujourd'hui — Eugène Scribe.
Elle fut représentée à l'Odéon à un mauvais mo-
ment : lors du fâcheux essai de suppression des
répétitions générales, M. Ginisty — qui s'en sou-
vient? — avait imaginé, à l'occasion de Second
Ménage, un funèbre huis-clos que personne ne lui
demandait : la charmante œuvre tte de MM. Sylvane
et Froyez en reçut le. coup mortel. Elle ressuscite
1. Distribution. — Bringuet, M. Arvel. — Robert Marchai, M. Paul
Derval. — Laverton, M. Collen. — Labigeois, M. Benedict. — Hector,
M. Darcy. — Adrienne, MUc Aimée Samuel. — Florentine, M''» Camille
Liceney. — Françoise, M»« Daugé.
17.2 LES ANNALES DU THEATRE
pour quelques jours seulement au Gymnase où,
infiniment mieux dans son cadre^ elle eût mérité
un meilleur succès et où M"® Aimée Samuel, obli-
geamment prêtée par le Palais-Royal, interprétait
avec la grâce et le ton qu'il fallait le joli rôle
d'Adrienne.
4 SEPTEMBRE. ^ Réouverturc du théâtre par la
43*^ représentation de Ces Messieurs ^ où M"® Eu-
génie Nau reprend le rôle d'Henriette, précédem-
ment tenu par M°^^ Andrée Mogard2._
26 SEPTEMBRE. — Reprise du Secret de Polichi--
nelle. — Le public se montrait ravi de revoir cette
« berquinade » voulue et si parfaitement réussie :
de nouveau on a ri et on a pleuré... Ou a aussi
beaucoup applaudi. L'aimable pièce, simple et tou-
chante, n'était-elle pas interprétée par des artistes
de premier ordre, comme l'incomparable Hugue-
net, qui avait trouvé dans Jouvenel un des meil-
leurs rôles de sa carrière, et sa partenaire Judic,
si exquise en son personnage de mère qu'on n'eût
pas dit qu'elle jouait la comédie?. . . Et puis, et
puis, c'était la curiosité de la soirée, M™^ Simon-
Girard — s'échappant momentanément de l'opé-
rette — faisait sa partie, avec beaucoup d'aisance
et d'esprit, en compagnie de l'adroit Dumény,
dans le joli duo épisodique qui n'était pas l'un des
2. M™« Andrée Mégard avait, sous la direction Moncharmont, emporté
la pièce en tournée dans toutes les grandes villes de France.
Ces Messieurs étaient précédés chaque soir, au Gymnase, d'une cau-
serie successivement faite par MM. Henry Bérenger, Armand Charpen-
tier, Flotron et Mn>c Brémontier.
M. Henry Burguet remplaçait M. André Calmettes comme directeur de
la scène.
THÉTARE DU GYMNASE 178
moindres attraits de la charmante comédie de
M. Pierre Wolff.
20 OCTOBRE. — Première représentation de la
Rafale, pièce en trois actes de M. Henry Bernstein * .
— C'est une pièce simple, forte et violente, toute
en action, sans verbiage inutile. En ce drame im-
pétueux se déroule une vie, une passion, une fougue
extrême. C'est la « rafale » qui passe, emportant
tout sur son passage ! L'intérêt est intense, rémo-
tion parfois poignante. Hélène, voici quelques an-
nées, fut contrainte d'épouser un certain comte de
Bréchebel, homme médiocre, un rustre, avare et
mal élevé. Pourquoi contrainte ? Pour satisfaire au
caprice de son père, le baron Lebourg, un riche
parvenu, dont la seule ambition est de frayer avec
Taristocratie. Financier, dix fois millionnaire, s'é-
lant. octroyé lui-même le titre de baron, il s'arrange
pour recevoir à sa table les plus grands noms de
la noblesse française et veut faire partie du cercle,
très fermé, de la rue Royale. Hélène, sacrifiée sans
pitié, fut, par ce mariage, très malheureuse, jus-
i. Distribution. — Lo baron Lobourg, M. Gémier. — Robert de Cha-
céroy, M. Dumény. — Amédée Lebourg, M. Henry Burguet. — Armand
de Bréchebel, M. Pierre Achard. — Bragelin, M. Arvel. — Le général
duc de Brial, M. Chartol. — La Vieillarde, M. Alerme. — Hélène,
M»« Simone Le Bargy. — La baronne Lebourg, M™» Henriot, — La
marquise de DouUence, M^e Ellen Andrée. — M'"» de Thisieux, M"o Lau-
zière.
La Rnfale était bientôt précédée d'un fort joli acte de M. André
Picard, intitulé Franchise, et déjà joué à l'Athénée. Au Gymnase, la
pièce avait pour interprètes M. Pierre Achard (dans le rôle autrefois
créé par lui), M. Alerme et M»» Camille Preyle.
De même qu elle avait déjà joué à Londres u en anglais », VAdver-
saire de M. Alfred Capus, M«« Simone Le Bargy devait, au printemps
suivant, jouer u en allemand » au Volks-Theater de Vienne, la Rafale
de M. Henry Bern8t»iin. . .
174 LES ANNALES DU THEATRE
qu'au jour où elle se prit à aimer Robert Chacé-
roy. Personne ne soupçonne le grand amour qui
Tunit depuis trois ans à Robert. Nul ne se doute
de cette ardente liaison, son seul bonheur, sa seule
raison de vivre. Robert Taime passionnément aussi,
mais c'est un joueur effréné, joueur par nécessité,
par métier. Sans fortune suffisante pour tenir hono-
rablement son rang, il a réussi, grâce au baccara et
aux courses, à mener la vie à grandes guides. Cela
n'a pas été sans lutte, mais à force de patience et
de bonne volonté, il a pu jusqu'ici dompter la
chance. Hélas I celle-ci a tourné ! Depuis plusieurs
mois, il perd continuellement, et même une nuit,
au cercle, dans un moment d'aberration et de folie,
porteur d'une somme de six cent cinquante mille
francs appartenant aux commanditaires de son
écurie de courses, il a joué cette somme et Ta per-
due. Le voilà, lui, gentilhomme hautain et fier,
descendu — s'il ne peut rembourser — au rang
d'escroc banal, passible de la Cour d'assises. Le
voilà acculé sans issue au déshonneur et à la mort.
Hélène lit dans son regard sa volonté d'en finir,
elle l'interroge et reçoit la confession de son vol.
Cette fin du premier acte est très belle où forcés
qu'ils sontj à cause des invités, des domestiques,
de maîtriser leurs cris et leurs éclats de voix, il
lui avoue la fatale débâcle et sa criminelle action.
Hélène est riche, et bien résolue à sauver son amant.
Mais comme la dignité de Robert se révolte à la
seule proposition de lui procurer la somme, elle
s'efforcera de lui laisser croire qu'il est sauvé par
l'intermédiaire du bijoutier Bragelin. Elle vend
THEATRE DU GYMNASE I75
donc ses bijoux, mais Bragelin demande plusieurs
jours pour les négociations. Robert doit rembour-
ser en quarante-huit heures, le sacrifice devient
inutile. Elle s'adressera alors à un sien cousin,
Amédée Lebourg, et le suppliera de lui prêter l'ar-
gent. Amédée fut autrefois son fiancé et Taimait
follement, lorsquç le baron Lebourg rompit brus-
quement le mariage pour donner sa fille au comte
de Bréchebel. Il n'a pasr cessé de l'aimer et surtout
de la désirer ardemment. Il profitera — grossier
personnage — du service à rendre pour lui propo-
ser un marché honteux. Hélène blessée le chasse.
Elle aura recours à son père. Dans une scène
odieuse et violente, elle le conjure de la sauver.
Lui, habilement, lui arrache son secret, apprend
avec stupeur qu'elle a un amante Robert, et que
celui-ci vient de commettre un vol. Il paraît d'au-
tant moins décidé à lâcher les six cent mille francs.
Hélène à tout prix veut éviter le malheur. Elle quitte
son mari, passe la nuit auprès de Robert, bien dé-
cidée à fuir avec lui lorsque ses créanciers seront
payés. Et elle se vend, odieu^ sacrifice, à son
cousin Amédée, cependant que le baron Lebourg,
par crainte du scandale, vient offrir à Robert de le
sauver s'il consent à lui rendre sa fille et à quitter
immédiatement la France. De telles conditions sont
inacceptables. Robert se donnera la mort, ce sera
pour lui la plus digne des solutions. Il charge
donc le baron de veiller sur Hélène, et celui-ci
parti, s'enferme dans sa chambre. Lorsqu'elle sur-
viendra radieuse, avec l'argent, elle arrivera juste
à temps pour entendre le coup de revolver que
176 LES ANNALES DU THEATRE
vient de se tirer son amant. Elle tombe à terre eii
proie au plus terrible deé* désespoirs. — M. Berns-
tein porte bonheur à M'^^Le Bargy. Après celles du
Détour et du Bercail, elle a fait d'Hélène une créa-
tion d^s plus remarquables. Elle est superbement
tendre, nerveuse, amère, passionnée. M. Dumény a
composé, en artiste consommé, le personnage de
Robert de Chacéroy. Beau joueur, malgré la dé-
veine, il montre une fierté, une élégance, une dou-
leur contenue vraiment admirables- Tous les deux,
M'"® Le Bargy et M. Dumény, ont été parfaits.
M. Gémier accuse avec talent les défauts du baron
Lebourg, financier vaniteux et père abominable-
ment égoïste. M. Burguet apparaît suffisamment
bourru et mal élevé en le cousin Amédée, et
MM. Arvel et Pierre Achard ont tenu avec adresse
les rôles effacés de Bragelin et de Bréchebél, le
triste mari d'Hélène. Les applaudissements qu'avait
récoltés, dès le jour de la répétition générale, le
nom, proclamé par M"*^ I^e Bargy, de M. Henry
Bernstein, accueillaient, pendaat de nombreuses
soirées, l'œuvre énergique et vigoureuse qui faisait
honneur à la maîtrise du jeune et hardi drama-
turge.
Voici, résumée dans le tableau, qui suit, l'année
du Gymnase en 1906 :
THEATRE DU GYMNASE
177
NOMBRE
d'actes
Le Bercail, comédie
Les Vacances d' Antoinette j comédie.
Le Retour de Jérusalem, pièce
*LAge d aimer, comédie
*Ces Messieurs, pièce
^Second ménage, comédie '.
*Le Secret de Polichinelle
* Terrible affaire, comédie
*La Rafale, pièce
*Franchise, pièce
DATE
de la
l'« représ.
ou de la
reprise
NOMBRE
de
représent.
pendant
l'année
20 févr.
17 avril
2 juin
3 juillet
20 sept.
» .
20 octob.
20 octob.
58
62
33
14
21
24
87
85-
ANNALES DU THEATRE
12
THÉÂTRE DU VAUDEVILLE*
Six pièces nouvelles : Petite Peste! de M. Ro-
main Goolus; la Retraite , traduite de Tallemand par
MM. Maurice Rémon et N. Valentin ; YArmaturey
tirée du roman de M. Paul Hervieu par M. Brieux;
la Belle M^^ Héber^ de M. Abel Hermant; la Mar-
che nuptiale^ de M. Henry Bataille et la Cousine
Bette ^ tirée de Balzac par MM. Pierre Decourcelle
et Granet, constitueront — avec la reprise des Demi-
Vierges^ les quelques représentations des Rois
américains de M. Séverin Malafayde et de M°^® Ga-
mille Glermont et les comédies en un acte de
M. Jean Thorel, Son Excellence Dominique^ et de
M. André Barde, le Bon Numéro — l'histoire du
Vaudeville en 19O5.
i3 JANVIER. — Premières représentations de Pe-
tite Peste I comédie en trois actes de M. Romain
Coolus ^, et de Son Excellence Dominique I comé-
1. Directeur : M. Porel ; Administrateur : M. Peutat ; Secrétaire géné-
ral : M. Malacan.
2. Distribution. — Louis Chameron, M. Lérand. — Chantelouve,
M. Oaslon Duboac, ~ Roussay» M. Colombey. — Chancelet, M. Louis
Onuihier. — Dempuis, M. Baron fils. — Lambret, M. JofTre. — Camille,
M. AiMSOurd. — Jean, M. Bertrand. — Paule, M"' Jeanne Thomassin.
— Marceline, M»« Marthe Régnier. — Gina, Mil« Harlay. — Georgette,
MU« De Bray. — Une femm« de chambre, MUe Bêcher.
Mi>« Marthe Régnier, momentanément indisposée, fut remplacée au
pied levé dans le Tôle de Marceline par la très charmante M^i* Yvonne
de Bray.
l82 LES ANNALES DU THEATRE
avait commencé par Son Excellence Dominique !
— une très agréable et très alerte petite comédie
en un acte de M. Jean Thorel d'après la nouvelle
de M. Bergeret. Cette fort gentille pièce, très bien
jouée, était vivement applaudie.
i5 FÉVRIER. — Première représentation de la
Retraite^ comédie dramatique en quatre actes de
M. Franz- Adam Beyerlein, traduite de Tallemand
par MM. Maurice Rémon et N. Valentin *. — Ce
n'est pas une pièce française que nous donne, cette
fois, le Vaudeville, c'est une comédie dramatique
allemande, de M. Adam Beyerlein, jouée déjà dans
le monde entier. Le drame, fort bien fait, est con-
duit avec une indéniable maîtrise ; il est clair, net,
bref, précis. L'intérêt croît d'acte en acte et l'émo-
.tion, qui dès le début s'en dégage, devient tout à
coup d'une intensité extrême, bien que l'intrigue
ne soit ni très nouvelle, ni très éloignée d'un simple
mélodrame. La Retraite était pour le pays voisin
d'une extrême hardiesse ; c'était la lutte ouverte
contre une caste et contre la puissance du milita-
risme en Allemagne. Elle n'a pas pour nous le
même attrait. Un maréchal des logis chef sert de-
1. Distribution. — Volkhardt, maréchal des logis chef, M. Lérand. —
Comte tic Lohdenburg, capitaine do cuirassiers, M. Gaston Dubosc. —
De Baanewitz, capitaine commandant, M. Colomhey. — Helbig, maré-
chal des logis. M. Louis Gauthier. — Michaleck, uhlan, M. Baron fils.
— De Ilœwen, lieutenant de uhlans, M. Roger Monteaitx. — Premier
conseiller, M. Joffre. — De Lauffen, lieutenant de uhlans, M. Roger
Vincent. — Hagemeister, lieutenant d'infanterie, M. Dautillier. —
Spiess, uhlan, M. Vandenne. — Queiss, maréchal des logis, M. Aussourd.
— Paschke, major d'artillerie, M. Bertrand. — Volontaire d'un an, aide
major, M. Grésy. — Greffier du conseil de guerre, M. Lalbarède. — {^
Deuxième conseiller, M. Vertin. — Troisième conseiller, M. Ferré. — ^
Appariteur du conseil de guerre, M. Baud. — Glaire Volkhardt,
Mlle Marthe Mellol.
THEATRE DU VAUDEVILLE l83
puis plus de trente ans avec honneur dans un ré-
giment de cavalerie de la frontière. Il a conquis,
f par sa droiture, Testime de ses chefs et de ses ca-
i marades. Toute sa vie irréprochable fut faite de
I probité, de dignité et de fierté. Volkhardt a une
fille, Claire, qui semble réunir toutes les qualités.
Aimante, gaie, charmante et intelligente, elle fait
Tadoration dé son père. Claire a vingt anis, il faut
songer déjà à la marier. Justement son frère
adoptif, le brave Helbig, recueilli tout jeune par
Volkardt revient ce jour même après un stage de
deux années passées dans une école de cavalerie à
I Hanovre. Les enfants, avant le départ d'Helbig,
I s'aimaient tendrement, ils s'étaient presque fiancés
r et leur union serait pour le père — bientôt atteint
! par la limite d'âge et désolé de quitter le service
? — une consolation et une joie pour ses vieux jours.
Claire ne semble pas autrement satisfaite du
retour d'Helbig. Et pourquoi donc? Parce que
Claire es! la maîtresse du jeune aristocrate hautain
et fier lieutenant de Lauffen. Elle» se. sentit prise
pour lui d'une invincible passion, et malgré les
terribles conséquences que pouvait avoir son
acte, elle s'est donnée à lui, irrésistiblement attirée !
Et voilà que surgit le drame. Helbig revient, tout
au bonheur de retrouver sa jeune, douce et jolie
fiancée. Seul, son souvenir pendant le dur séjour
de là-bas Ta soutenu et encouragé. Il va pouvoir
enfin réaliser son rêve ! Nullement, car l'accueil de
sa petite Claire ne lui laisse aucun espoir. Elle
l'aime' tendrembnt, mais comme un frère et non
d'amour; il faudra renoncer à l'espoir d'en faire
l84 * LES ANNALES DU THEATRE
sa compagne et oublier désormais l'innocente pro-
messe d'autrefois. La. désillusion est amère. D'où
provient ce changement ? En aimerait-elle un
autre ? Le vieux capitaine de Bannewitz peut-être,
qui tantôt lui offrait des fleurs, ou plutôt le jeune
lieutenant de Laufl^en, qu'elle défend avec tant de
chaleur? Il surveillera et saura. Dix heures et
demie ! Voici que résonne en la caserne le son des
clairons jouant la retraite. Dans sa chambre, le
lieutenant de Lauffen, aux derniers accents de la
sonnerie, remplace avec précaution Tabat-jour
blanc de sa lampe par un abat-jour vert, s'assure
que son ordonnance est couché et... attend. C'est
un signal! Claire, tout rfoucement dans le cou-
loir se glisse, entre, referme la porte et se jette à
son cou. « Mon cher petit, comme j'^i peur et
combien grande est notre imprudence ! » Helbig se
méfie I On frappe : c'est lui ! Dans la chambre à
côté, Claire se cache, Helbig entre, la discussion
éclate. Plein de rage, il se contient d'abord et dou-
cement, respecUieusement, donne des explications.
De Lauffen, arrogant, lui ordonne de se retirer.
Claire est ici ! Helbig repousse l'officier, la lutte
s'engage, il lève la main sur son supérieur, reçoit
un coup de sabre qui lui balafre la figuré, atteint
la porte de la chambre, l'ouvre, aperçoit Claire!
De Lauffen appelle, des soldats accourent, on em-
mène Helbig en prison ! C'est rapide, bref, brutal
et poignant... Nous assistons, au troisième acte, à
la séance du conseil de guerre réuni pour juger le
pauvre ,Helbig. L'émotion augmente. C'est -d'une
mise en scène absolument admirable : solennité du
THEATRE DU VAUDEVILLE l85
conseil, simplicité des débals, tout concourt à nous
empoigner. Les juges ne s'expliquent pas la sau-
vage agression. Helbigse refuse à parler, Volkhardt
devant toujours ignorer le déshonneur de sa fille.
De Lauffen, pgur cette raison, observe le même
silence, assure qu'Helbig était pris de boisson,
demande pour lui les circonstances atténuantes.
On fait venir les témoins, Volkhardt d'abord, à
cent lieues de. supposer la terrible vérité; Quiess
ensuite, sous-officier de service qui laisse poindre
quelques soupçons. Une femme se tenait cachée
dans la chambre du lieutenant, la querelle vient
de là. Peut-être pourrait on interroger M^'® Vol-
khardt, mais Claire, d'elle-même, demande à être
introduite. Sans fausse honte, simplement, fran-
chement, elle raconte la querelle, avoue sa pré-
sence dans la chambre, son amour pour le lieutenant,
sa liaison coupable. La scène est d'une incontes-
table grandeur. Le père a failli sauter à la gorge du
lieuteuant^ être jugé à son tour. L'étonnement, la
terreur, la rage se peignent sur son visage. Navrante
est la douleur d'Helbig. Le quatrième acte termine
rapidement le drame. L'auteur a fait du lieute-
nant de Lauffen un hautain gentilhomme — cela
se passerait ainsi, paraît-il, en Allemagne — qui ne
croit pas pouvoir épouser, sans commettre une in-
digne mésalliance, une jeune fille d'aussi modeste
condition. Il aime €lairé cependant et désirerait
volontiers réparer le mal qu'il a fait, mais il reste
indécis lorsque Volkhardt vient lui demander rai-
son de sa conduite. Il refuse même de se battre
avec son inférieur, si bien que le brave homme,
l86 LES ANNALES DU THEATRE
déshonoré, après avoir braqué sur lui son revolver
sans trouver le courage de tirer — il est arrêté par
une vieille habitude de discipline et de respect
envers ses chefs — abat dans un mouvement de
colère, sa fille Claire, venue là pour défendre son
bien-aimé. Les caractères de chacun des person-
nasres militaires de cette comédie sont observés et
étudiés avec une sûre perspicacité. L'interpréta-
tation, comme toujours, au Vaudeville, est par-
faite. M. Lérand a composé le maréchal-des-logis
avec un art infini. Type accompli du sous-officier
zélé et dévoué, il a su montrer sans faiblesse son
adoration pour sa fille et détailler les sentiments si
divers qui secouent et bouleversent le malheureux
Volkhardt. M. Louis Gauthier fait de Helbig un
bravé garçon, touchant et sensible; il a ému toute
la salle par la sincérité de sa douleur. M. Gaston
Dubosc donne à un capitaine de cuirassiers scep-
tique, aimable et bon enfant, toute l'élégance et la
désinvolture de Tofficier mondain. M. Baron fils
caricature d'amusante façon un ordonnance à l'es-
prit obtus et borné. M. Roger Vincent a fait de
très heureux débuts en le lieutenant de Lauffen. Il
aurait réussi à rendre presque sympathique ce per-
sonnage hautain, arrogant et inconscient. MM. Co-
lombey, Joffre, Aussourd, Roger Monteâux sont
irréprochables en tous points. M^^^ Marthe Mçllot,
enfin, a déployé dans Claire Volkhardt, ses rares
qualités de volonté, de franchise, de force et de
passion. C'est un nouveau succès à ajouter à celui
qu'elle remporta dernièrement dans Oiseaux de
passage.
THEATRE DU VAUDEVILLE 187
18 FÉVRIER. — Le Bon numéro^ comédie en un
acte de M. André Barde*, complète Taffiche de la
Retraite^ et le succès de la petite pièce n'est pas
moindre que celui de la grande. Ce Bon numéro^
ça n'est pas précisément une comédie, au sens
strict du mot, c'est un peu ce que les Allemands
appellent une « sotie », les Espagnols une « zar^
suela », c'est-à-dire un cadre où s'agitent des
silhouettes pittoresques, amusantes, dans un con-.
tinuel va-et-vient. Ici, le cadre, c'est yne vente de
charité, dans le jardin de l'hôtel de la baroîine de
Vaucresson^ où les petites boutiques sont tenues
par des femmes du monde, et aussi par des comé-
diennes. Et ce sont les petites rivalités de femmes
qui sont le fond de l'aventure pimpante et frivole
comme il convient^ Sur ce canevas, brodé d'ara-
besques mondaines, se détache une légère action,
l'histoire du jeune Lucien Moustier, le .fils du riche
entrepreneur qui, muni de deux millions de dot,
se dit qu'en arithmétique matrimoniale, il doit
trouver une femme qui lui en apporte quatre. II
est venu chez la baronne, pour voir la fiancée aux
millions, qui est dame-vendeuse ; or, il se trompe
de comptoir, il a regardé le numéro indiqué à l'en-
1. DiSTRiBUTioN. — Comte de Bessac du Goulet, M. Gaston Ditbosc. —
Lucien Moustier, M. Louis Gauthier. — Paul Robinet, M, Baron fils. —
Le général Frochard, M. Joffre. — Tessier, M. Daumllier. — Cahuzac,
M. Camille Bert. — Gérôme, M. Suarès. — Le chef des tziganes,
M. Ferré. — La baronne de Vaucresson, Mme Daynes-Grassot. — Clara
Forty, M'ie Marthe Régnier. — M"o Rqzière, M"»» Cécile Caron. —
Suzanne Deslandes, M^o Harlay. — Germaine Robinet, MH« de Bray. —
Marthe de Chabannes, Mlle Verlain. — Zézette, M"e de Mornand. —
M" Aubert, M»e Netza. — Louise Mellard, MUo de Frézia, — Gilberte
Rousseau, M"e Francy. — Berthe Limeux, MUe Leduc. — Geneviève .
Montés, Mlle de Verlaine. — Jenny, M'i* Becker.
l88 LES ANNALES DU THEATRE
vers, le 9 retourné esl^devenu 6, et quand il s'en est
épris à fond, le coup de foudre, il apprend que celle-
ci n'a pas le sou, c'est une « sans dot », mais le sort
en est jeté, il épousera^ l'exquise jeune fille, qui n'a
pas de fortune, de préférence au monstre, qui a
trois millions ! Encadrée d'un décor exquis de ver-
dure printanière, jouée par une réunion de comé-
diens qu'on ne saurait trouver dans un autre théâtre,
cette petite comédie fait grand efifet : Dubosc, en vi-
veur désabusé ; Louis Gauthier, en jeune homme à
marier; Joffre, en vieux général; M"*®^ Daynes-Gras-
sot, la baronne de Vaucresson ; Marthe Régnier, la
divette de music-hall ; Cécile Caron, Harlay , de Bray,
de Frézia, de Moriiand forment un ensemble rare.
Les jolies femmes, en toilettes élégantes, égaient
cette fantaisie, qui donne sa note claire devant le
tableau plus sombre du beau drame de M. Beyerlein.
19 AVRIL. — Première représentation de VArma-
mature, pièce en cinq actes, de M. Brieux, d'après
le roman de M. Paul Hervieu*. — Qu'est-ce que
V Armature^. . . Vous connaissez depuis longtemps,
j'imagine, la signification de ce titre. Dans le
célèbre roman d'où M. Brieux a tiré les cinq actes
représentés au Vaudeville, M. Paul Hervieu affirme
1. Distribution. — Jacques dExireuil, M. Georges Grand. — Baron
Saffre, M. Chelles. — Marquis de Fé, M. Lerand. — Comte de Gromme-
lain, M. Gaston Dubosc, — Olivier Bréhant, M. Baron fils. — Roger
d'Iancey, M. Roger Monteaux. — M. Pioche, M. Joffre. — MarquiB de
Henève, M. Roger Vincent. — Meuil, M, Dauvillier. — La Broussaille,
M. Vandenne. — Fricandeau. M. Aussourd. — Ghalacey, M. Bertrand.
— Le régisseur, M. Vertin. -^ Nargencey, M. Ferré. — Saint-Bel,
M. Baud. — Giselle, MUe Berthe Cerny, — Baronne Saftre, M"" Cécile
Caron. — Catherine Saffre, M»» DrUnzer . — Princesse Nagear,
. Mlle Paule Andral. — Blanche de Grommelin, M"» Harlay. — Aline,
M»« Netza.
THEATRE DU VAUDEVILLE 189
que, dans la société élégante de Paris, telle qu'elle
est actuellement organisée, tout est subordonné
aux questions d'argent. . . Les préjugés, les con-
venances, les mœurs, l'édifice entier des hypo-
crisies qui constituent la vie sociale ne se tiennent
en équilibre que grâce à un support intérieur,
invisible aux regards distraits et superficiels, et
qui est l'argent. Que le support de l'armature
vienne à manquer : tout s'écroule. Et l'on aper-
çoit les vilenies, les bassesses que cachent les splen-
deurs de la façade ... Le baron Saffre est un
homme très puissant. Ils brasse des affaires colos-
sales; on ne connaît pas au juste le chiffre de sa
fortune ; il mène un train de prince ; il donne en
sa splendide demeure des fêtes auxquelles les gens
les plus huppés sollicitent l'honneur d'être^conviés...
Ce diable de baron tient tout le monde, car tout
• le monde a besoin de lui. On le traite peut-être de
filou quand il a le dos tourné, mais dès qu'il arrive
on lui fait des révérences. Il a marié son fils Arthur
(il ne paraît, d'ailleurs pas dans la pièce), à l'héri-
tière sans dot d'une famille historique ; sa fille
cadette, Marie-Blanche, à un certain comte de
Grommelain, noble comme Bragance et gueux
comme Job ; quant à l'aînée^ Julienne, pauvre
créature disgraciée — on ne la voit pas davantage
au Vaudeville — il lui a permis d'épouser un rotu-
rier beau garçon qui lui a tourné la tête par sa
barbe blonde. Julienne adore bêtement son mari
qui ne Ta prise que pour ses écus. Ces frères, ces
sœurs, ces belles-sœurs, ces beaux-frères se haïssent,
et s^ils font bonne figure au baron Saffre, c'est
igO ' LES ANNALES DU THEATRE
qu'ils croient avoir intérêt à le ménager. En réalité,
ils ont le cœur sec comme du bois. Marie-Blanche
€st morphinomane et s'abandonne aux plus hon-
teuses débauches sous l'œil indulgent de son époux. . .
Olivier voudrait bien courir le guilledou ; mais il
redoute le divorce, qui le guette et le replongerait
au néant d'où il est sorti... Et lui?... le terrible
baron?... n'a-t-il pas quelques galants caprices à
satisfaire?... Nous touchons au point culminant
du drame... Le baron s'est épris d'une jeune femme
qui, en dépit des aventures où elle est précipitée,
reste moralement pure et constamment sympa-
thique. Giselle d'Exireuil ne se laisse pas gagner
par la dépravation ambiante, elle n'est point
vicieuse,, elle est profondément attachée à son
, mari, Jacques, et c'est la sincérité même de cette
tendresse qui va la perdre. Le ménage d'Exireuil
se livre depuis longtemps à des dépenses qui
excèdent sa fortune. Jacques, pour augmenter ses
revenus, s'est engagé dans des spéculations malheu-
reuses, y a englouti son patrimoine... Les créan-
ciers deviennent pressants, les dettes se multiplient.
Il arrive un moment où Jacques est, comme on
dit, « à la côte ». A moins d'un miracle c'est la
catastrophe inévitable. Déjà Jacques agite en son
esprit des projets extrêmes. Il ira en Amérique, il
' se fera chercheur d'or, pionnier, il affrontera les
fièvres... Sa pauvre petite femme tremble de tous
ses membres en l'écoutant. Se séparer, vivre loin
l'un de l'autre, et peut-être ne jamais se revoir...
Quelle horreur !... Jacques reprend : « Et pourtant,
si quelqu'un voulait m'aider !... J'ai dans les mains
THtAÏRE DU VAUDEVILLE I9I
une affaire superbe : il faudrait qu'un grand finan-
cier la" patronat. Ah !- si le baron Saffre daignait
s'y intéresser!... Mais le voudrait-il? » — Et
Giselle, à demi-morte de frayeur, n'ose rien répon-
dre ; elle entrevoit dans l'avenir d'horribles com-
plications... Depuis plusieurs semaines, Saffre
tourne autour d'elle, lui adresse des hommages
qu elle n'a pas eu l'air de remarquer. Et c'est à cet
homme que son mari!... Elle ouvre les lèvres pour
tout dire... Mais elle voit Jacques si pâle, si inquiet,
si abattu, qu'elle n'a pas le courage de parler.
A-t-elle le droit de lui enlever son dernier espoir ?. . .
« Ma foi, reprend Jacques, je vais trouver le
baron... » Saffre, qui connaît la situation des d'Exi-
reuil, a arrêté son plan. Il n'obligera le mari que
si la femme le lui demande expressément et lui en
est reconnaissante. Et tandis que Jacques frappe, à
la porte de ses bureaux, le voilà qui livre à Giselle
un assaut suprême. La scène est développée avec
tact, avec sûreté, avec un sens des nuances et une
Fare compréhension des dessous psychologiques.
Le baron joue avec Giselle comme fait un oiseau
de proie avec un oiselet ; il l'affole, il la fascine ; il
feint d'abord d'ignorer les ennuis d'argent où
Jacques se débat; il force Giselle à lui en faire
l'aveu; il lui offre son amitié dévouée avec des
regards ardents et des mots respectueux ; il lui trace
un effroyable tableau des humiliations et des
déchéances auxquelles est exposé l'homme du
monde ruiné, la gêne, les expédients lamentables,
quelquefois la honte des poursuites judiciaires...
Et Giselle frémit... » Mieux vaut, poursuit-il, une
192 LES ANNALES DU THEATRE
bonne place, et un intérêt dans des affaires pros-
pères ; j'ai justement besoin d'un secrétaire géné-
ral... M. d'Exireuil serait apte à remplir ces déli-
cates fonctions... » Giselle troublée, bouleversée,
écœurée, chasse d^abord le baron... On sent que
bientôt, hélas ! elle succombera.. Elle ne se ressai-
sira qu'après sa chute — trop tard. Et tout en
détestant son infamie, nous en avons pitié. Giselle
est prise dans un engrenage où son corps passe
tout, entier dès qu'elle a eu l'imprudence d'y poser
les doigts ; elle déshonore son mari pour trop
l'aimer, pour l'aimer trop lâchement, pour assurer
son repos, pour ne pas lé quitter.,. Singulier cas
de conscience ! Le baron lui inspire une horreur
insurmontable, mais il la domine par la formidable
force de volonté qui est en lui et qui s'impose aux
faibles et brise leurs résistances... Les événements
se précipitent... La situation du baron est moins
solide qu'elle ne le paraît. Le colosse s'est engagé
dans des opérations gigantesques qui soulèvent
contre lui une coalition de tous les marchés d'Eu-
rope. Il est vaincu ; il est abandonné de ses propres
enfants qui le trahissent pour sauver quelques
débris de patrimoine et achèveront de ruiner son
crédit. Sa raison ne résiste pas à ces déceptions
diverses. Il devient fou, mûr pour la congestion.
Et quand, après la superbe scène de Taveu, Jacques
ira pour tuer le baron Saffre, il ne trouvera plus
qu'une loque, un cadavre râlant, qu'il ne pourra
que jeter à terre en s'écriant : « Tu n'as pas encore
soutîert ! » — Elle est terrible et superbe la scène
de l'aveu, elle eût dû vraiment décider du succès de
THEATRE DV VAUDEVILLE IqS
la pièce, si, jusque-là, Tintérêt n'était pas si malheu-
reusement éparpillé... Jacques d'Exireuil a voulu
savoir si Giselle est la maîtresse du baron. Il l'in-
terroge adroitement. Giselle -se trouble d'abord,
puis elle avoue, elle crie la vérité... C'est pour le
sauver, pour le garder, pour qu'il ne parte pas aux
pays meurtriers qu'elle a accepté le secours du
baron. — « Je n'ai pas été sa maîtresse, mais sa
victime ! » sanglote Giselle. Elle dit les violences
qu'elle a dû subir, son dégoût, sa honte... Jacques
Ta brutalisée. Elle frissonne de fièvre. Elle a soif.
Son mari s'émeut ; il lui prépare de quoi boire et
nent lui soutenir le verre entre ses dents, car elle
grelotte d'angoisse et de froid. Il la recouvre de
son manteau. Puis il gagne la porte. — « Où vas-
tu? » interroge Giselle. — « Je vais tuer le baron
SafFre, lui sauter à la gorge, lui arracher la langue,
lui crever les yeux, lui écraser la tête sous mes
talons!... » — « Ah! oui, Jacques, tue-le!... ».
M"« Cerny a trouvé là un cri admirable. Avec
M. Grand, que réclame si justement le Théâtre- Fran-
çais, elle a joué toute la scène, tout son rôle d'ail-
leurs avec un talent aussi absolument digne de la
Comédie-Française. Le grand défaut de la pièce,
c'est, nous devons le dire, la division de l'intérêt.
En dehors du comte d'Exireuil, tous ces gens,
minutieusement décrits dans le roman de M. Paul
Hervieu, nous sont indifférents à la scène où leurs
papotages nous agacent au suprême degré. Puis,
l'interprétation, — où nous avons noté, dans de
moindres rôles, les efforts de MM. Gaston Dubçsc,
Baron fils, les deux gendres du grand baron, ^ de
A.NNALBS DU THÉÂTBR 13
194 le:s annales du théâtre
M. Joffre, qui a nettement dessiné une silhouette
d'usurier mondain, a péché par une erreur fâcheuse,
erreur de distribution. M. Ghelles, le remarquable
Grégoriew d'Oiseauax de passage j était Thomme le
moins fait qu'on pût trouver pour rendre le person-
nare du baron Saffre, qu'il a manqué du tout au tout.
•5 MAI. — L'Armature n'ayant pas donné ce
qu'on en espérait, la Retraite reparaissait sur
l'affiche, et cette reprise inattendue offrait un
particulier intérêt : le rôle de Claire Volkhardt,
que M"« Marthe Mellot avait marqué de l'autorité
de son talent, était repris par M"« Yvonne de Bray^
une jeune et fine comédienne qui apporte à tout ce
qu'elle joue, non seulement une rare application,
mais encore une véritable intelligence; Elle était,
cette fois, parfaite de sincérité et de charme.
20 MAI. — A dix ans de distance, M. Porel
reprenait au Vaudeville ces fameuses Demi^Vierges^
qu'avec le retentissant succès que l'on sait, il avait
primitivement représentées au Gymnase au moment
ou, de concert avec M. Albert Carré, il dirigeait
les destinées dr théâtre du boulevard Bonne-Nou-
velle. La cinglante et curieuse comédie de M. Marcel
Prévost — dont l'exposition du premier acte nous
1 . Distribution. — Hector Le Teissier, M. Gaston Duhosc. — Maxime
de Ghantel^ M. Louis Gauthier. — Paul Le Teissier, M. Baron fils. —
Ilarden, M. Jo^re. — Julien de Suberceaux, M. Roger Vincent. — Luc
de Lestrange, M. Dauvillier. — Docteur Krauss, M. Aussourd. — Val-
belle, M; J9ffrïrand. — Joseph, M. Vertin. — Espiens, M. Battd. —
Maud de Vouvre, M»* Berthe Cerny. — Jacqueline, M»» Marthe Régnier.
— Mme de Vouvre, M"»» Cécile Caron. — M»» Ucelli, M»« Paule Andral
Etiennette Duroy, MU* Harlay. — Jeanne de Chantel, M"« De Bray. —
Mme de Reversier, M"« Netza. — M^e de Chantel, M»* Henriette Andral.
— Betty, M"« De Mornand. — Cécile Ambre, MUe De Frezia. — Marthe
de Reversier, Mlle Colonna. — Madeleine de Reversier, M"« De Ver-
laine. — Dora Calvell, M»« Bêcher. — Juliette, M»« Brizac.
THEATRE DU TAUDEVILLE I 96
a semblé, cette fois, singulièrement longue en son
éparpillement de scènes épisodiques — offrait,
alors, une interprétation de tout premier ordre
qui — faut-il l'avouer ? — n'a pas aujourd'hui été
entièrement retrouvée. Notons les consciencieux
efiForts de M'*® Berthe Cerny, abordant, non sans
crânerie, le rôle de Maud, qu'établit si brillamment
M"« Jane Hading ; la grâce de M"^ Yvonne de Bray,
succédant à la délicieuse ingénue qu'était Marie
Leçon te ; l'aisance de M. Gaston Dubosc en Hector
Le Tessier, où nous applaudissions M. Dumény;
la saisissante émotion de M. Louis Gauthier sous
les traits de Maxime de Chantel créé par M. H.
Mayer ; le succès de beauté de M"« Marthe Régnier,
la Jacqueline outrancière dont M"® Léonie Yahne
disait avec tant d'impayable drôlerie les amusantes
répliques. Mais où est M. Léra.nd, qui dessina d'un
Irait si juste le type du puissant banquier Harden ?
En dépit d'un accent indéfinissable, M. JofFre y
reste singulièrement quelconque. . . Où est surtout
M. Grand, qui personnifiait avec tant d'élégance
et d'autorité le beau Julien de Suberceaux ? Tombé
aux mains de M. Roger Vincent, d'aspect si chétif
et si vulgaire, le rôle est devenu d'une invraisem-
blance criante et ne laisse pas de jeter sur l'affa-
bulation de l'auteur un discrédit plutôt fâcheux . . .
i4 JUIN. — Première représentation des Rois
américains y pièce en quatre actes de MM. Séverin
Malafayde et de M"*« Camille Clermont*. — La
1. Distribution. — Karnadger, M. Lérand. — Maximilien, M. Capel-
tani. — Chicking, M. Séverin Mars. — Simpson-Addy, M. Dauvillier.
— Farouk, M. Rahlet. — Barkasson, M. Vaslin. — Charlie, M. Pradaly,
196 LES ANNALES DU THEATRE
saison officielle a été close avec les Demi^Vierges.
C'est pour une saison d'été de quinze jours à peine
que M™® Camille Clermont — celle qui fut il y
a... ans, la Fanfan Benoiton de Sardou — a loué à
M. Porel la salle de la Chaussée-d'Antin, afin d'y
faire représenter une comédie de mœurs, de mœurs
américaines, où elle a pour collaborateur l'un des
principaux interprètes de la pièce, M. Séverin
Mars — ou Séverin Malafayde. M™^ Clermont pa-
raît avoir voué aux financiers américains une toute
particulière haine; contre eux, elle avait déjà écrit
un livre cinglant; contre eux encore, elle met à la
scène une satire dramatique dont, par malheur, la
nouveauté n'est pas le mérite le plus éclatant. Ve-
nant après les Affaires sont les Affaires et les
Ventres dorés, ces Rois américains ont même
fait l'effet d'une redite plutôt inutile. Dans un pays
où nos milliardaires sont tous rois de quelque
chose : du pétrole ou du cochon, du sucre ou du
café, Karnadger est le plus intelligent et le plus
puissant de toute la bande. Peu lui chaut, du reste,
d'avoir établi son énorme fortune sur la ruine de
familles entières, il est riche, immensément riche,
et peu disposé à rendre gorge. C'est alors que se
présente son fils, Maximîlien, à qui un poète de
ses amis a ouvert les yeux sur la moralité de son
père. Maximilien s'est mis à la tête du parti socia-
— Baleymoon, M. Baud. — Spyder, M. Daniel. — Hans Smilling,
M. Ydrac. — Radberg, M. Darger. — Ravarold, M. Dousset. — Le
marquis de Courtray, M. Doney. — Béatrice, M»» Milo d'Arcylle. —
Mistress May, Mii« Paule Marsa. — Miss Betty Belby, M"» Madeleine
OuiUy. — Miss Polop, MU* Harnold. — Miss Katson, M"» Defradas. —
Mistress Yunley, Mil» LéoLinh.
THEATRE DU VAUDEVILLE I97
liste : il exige que Karnadger rende un milliard
sur les deux milliards qu'il a trop facilement acquis.
On conçoit que le financier se fasse quelque peu
tirer Foreille... Il y consent pourtant et ce beau
geste lui rend Testime des honnêtes gens. Pardonné
par son fils, il pardonne lui-même à sa fille, qui
s'était enfuie avec le jeune homme pauvre dont il
avait fait son secrétaire. La pièce abonde en idées
généreuses, et aussi, avouons-le, en naïvetés grosses
comme des maisons. N'insistons pas, et souhai-
tons-lui de grand cœur une fructueuse carrière...
en Amérique. Il nous reste à féliciter M. Lérand,
qui fut un Karnadger aussi puissant que le per-
mettait le rôle, et M. Capellani qui montra, vrai-
ment, une belle chaleur en Maximilien. M"® Milo
d'Arcylle était tout à fait charmante sous les traits
de Béatrice, la jeune fille riche enlevée par le se-
crétaire pauvre. Notons la pittoresque silhouette
du milliardaire ataxique dessinée par M. Rablet
et les louables efforts vers Toriginalité de M. Sé-
verin Mars, dont la diction restait tout de même
bien extraordinaire*.
i5 SEPTEMBRE. — Réouvcrturc avec la première
représentation de La Belle Madame Iléber^ comé-
die en quatre actes de M. Abél Hermant^. — C'est
1. — Plus extraordinaire encore... Le 21 juin, le Vaudeville donnait
une représentation avec le concours de M»» Otero ; le spectacle se com-
posait des Rois américains et M»» Otero interprétait une pantomime.
Rêve d'opium.
Le 25 juin, le théâtre fermait définitivement ses portes pour Tété.
2. Distribution. — Théophile Marchai, M. Lérand. — Firmin-Héber,
M. Gaston Dubosc. — Le baron Rabbe^ M. Jo/j^re, — Claude Orcemont,
M. Rouyer. — Le comte de Crissé, M. Roger Vincent. — Joseph,
M. Vertin. — Raymond Briollet, M. Georges Baud. — Max Neuvillette,
igS LES ANNALES DU THEATRE
en vérité une lâche bien difficile que* d'analyser ici
cette pièce en quelques lignes seulement. Comment
mettre un peu d'ordre, un peu dfi, clarté dans une
telle confusion d'idées, d'opinions, de sentiments
différents? Comment étudier au passage une si
infinie diversité de caractères, de personnages et
de mœurs ? Comment fixer aussi hâtivement toutes
les douleurs, toutes les pensées — embrouillées —
de Claude Orcemont, malgré le soin qu'il prend —
trop souvent — à nous en expliquer, au fur et à
mesure, la psychologie? Ce n'est pas que son
roman nous paraisse d'une bien extraordinaire
particularité — il rappelle de trop près, pour cela,
celui de son aîné, Armand Duval — mais ce jeune
homme, violent et faible, s'ingénie à paraître
compliqué. Il nous oblige à une telle attention, il
nécessite, pour le comprendre et le suivre, une
telle tension d'esprit, que la pièce reste pour nous
longue et fatigante. Il y a place, dans ces quatre
actes, pour un roman tout entier, et M. Abel
Hermant eut l'incontestable tort d'y vouloir entas-
ser une œuvre aussi multiple, diffuse, colossale.
C'est dommage, vraiment, car les belles scènes qui
s'y trouvent, les situations théâtrales et fortes
semblent, malgré la qualité du dialogue mordant
et incisif, noyées dans un flot d'inutilités qui ra-
lentissent l'intérêt et embarrassent l'action. C'est
M. Draqùin. — Nicçle Firmin-Héber, Mil» Henriette Rogger». — Fer-
nande Riverol, MH» Gabrielle Dorziat. — M"»« RiveroI-îSaligny, M™» Cé-
cile Caron. — Ninette Le Cosquer, MH« Harlay. — Claire Briollet,
MU« Yvonne de Bray. — La baronne Rabbe, M»» de Momand. —
MU« de Corps-Nuds, M»* Netza. — Denise Louverné, M»« Franey. —
Rosalie, M"» Jeanne Marie- Laurent.
THEATRE DU VAUDEVILLE I99
plus, en somme^ de la littérature que du théâtre,
et cette littérature apparaît à la scène beaucoup
trop touffue, subtile et travaillée. Examinons tout
d'abord le milieu dans lequel nous conduit l'auteur.
C'est celui — bien qu'assez vague — de la classe
riche, de la haute société — oh ! il n'en est pas
plus joli pour cela, et je souhaite que M. Abel
Hermant ait apporté à sa peinture quelque exa-
gération ! — ! où toute femme est dans l'obligation
de prendre un amant, tout mari une maîtresse ; où
la vie n'est que duperie, tromperie et mensonge ;
la conversation que médisance et calomnie; où
toutes les actions ne sont enfin que monstrueuses
vilenies. Ici un mari complaisant qui profite des
liaisons de sa femme, là un amant taré qui triche
dans les cercles. Ici une femme du monde qui vole
à son amant les perles qui ornent son plastron.
Là une sorte d'eatremetteuse, M"*® Riverol-Saligny,
surnommée par ses amis l'Appareilleuse, pour le
soin qu'elle apporte à faciliter leurs unions, à les
faire naître, à les protéger; pour sa sollicitude à
caser avec intelligence, en des chambres mitoyen-
nes ou suffisamment rapprochées, dans son château
des environs de Paris, amants et maîtresses. Joli
monde ! Mais venons à la pièce. Théophile Mar-
chai, l'écrivain célèbre, l'hôte assidu de M°»« Rive-
roi, amusant et juste portrait de l'auteur dramati-
que choyé, complaisammenf écouté, émet, parmi
d'autres belles tirades, sa théorie sur l'amour.
« L'amour, dit-il, le même depuis le commence-
ment des siècles, est également le même dans
toutes les classes de la société. Il se réduit à un
200 LES ANNALES DU THEATRE
homme et une femme qui se. cherchent, se trouvent
et s'unissent. Harem et haras ! Là-dessus est fondé
le monde. Aussi y aura-t-il toujours des amants
de cœur et des filles, des mâles et des coquettes...
L'être humain, pareil à celui d'autrefois, est tou-
jours possédé des mêmes vices et des mêmes pas-
sions, déchaînés avec la même force. Regardez-
vous, regardez autour de vous. Voyez Nicole Héber :
la Belle M™® Héber, la Femme fatale, n'est-elle pas
le plus bel exemple de coquette et de fille que l'on
puisse rencontrer? Un homme ne s'est-il pas ruiné
pour elle, un autre ne s'est-il pas tué, un troisième
encore, le comte de Crissé, ne vient-il pas, pour
elle encore, de tricher au jeu, provoquant au cercle
un abominable scandale? N'est-il pas, lui. Crissé,
la personnification absolue de l'ami de cœur,
(( l'apache » prêt à jouer du poing ou du couteau?
Ne lui obéil-elle pas, elle, soumise^ dominée, maî-
trisée, malgré l'apparente lassitude qu'elle éprouve
de cette liaison? » Et chacun d'ajouter sur le
compte de Nicole sa pçtite infamie. Seul, Claude
Orcemont, nouveau venu dans la société de l'Ap-
pareilleuse, prend énergiquement sa défense. Il
sait qui elle est, quelle fut sa vie, mais se garde
bien de la condamner. Il l'excuse, au contraire, et
nie d'ailleurs l'existence de la Femme fatale. Su-
bitement la conversation s'arrête : la belle M™® Hé-
ber fait une sensationnelle entrée. Tout de suite,
alors qu'on présente à Nicole son brillant défenseur,
une admiration, une sympathie, une attirance pousse
Claude vers elle. Une curiosité aussi et un peu de
jalousie pour tous les amis d'autrefois, pour tous
THEATRE DU VAUDEVILLE 20I
les racontars qu'on se chuchote a tour d'elle. Nicole
se montre amusée, intéressée par les idées franches,
hardies, toutes neuves pour elle, de ce loyal jeune
homme. Elle acceptera la liaison de quelques jours,
le. caprice de quelques heures qu'il quémande si
chaleureusement, déjà tout secoué par l'étrange
beauté de cette femme. Juste à point débarrassé
de Crissé, forcé de disparaître tout au moins pen-
dant plusieurs mois pour faire taire le scandale,
il partira, malgré ses terribles menaces ; car, avant
de s'éloigner, il 4ui a rappelé qu'elle était sa chose,
son bien, et qu'il entendait rester, dût-il pour cela
jouer du couteau, de loin comme de près, son seul
maître. Elle partira pour TAngleterre où Claude va
la rejoindre. Là, leur caprice se change bien vite
en un véritable amour^ violent, inéluctable. Si
bien que lorsqu'un impérieux télégramme de Crissé
rappelle Nicole à Paris, ce sera pour tous deux,
après le plus parfait bonheur, le commencement
de la souffrance. La jalousie fleurit au cœur de
Claude, jalousie du passé — qu'il connaissait ce-
pendant — jalousie du présent, soigneusement
avivée par les perfides insinuations des bons amis.
Il soupçonne Nicole de subir encore, malgré son
amour pour lui, le joug de Crissé. Il aura donc
avec elle, ou lui, une décisive explication. Soutenu
dans sa résolution par la charmante Fernande,
■ fille de l'Appareilleuse — sa fiancée éventuelle s'il
triomphe de ce dangereux amour — il oblige Ni-
cole à choisir entre un départ avec lui, aux yeux de
tous, et Igi séparation irrémédiable. Il aura l'éner-
gie, devant l'hésitation de Nicole, de rompre défi-
202 LES ANNALES DU THEATRE
nitivement et de s'enfuir, lâche et fort, malgré ses
supplications, ses prières, ses cris, la laissant par
terre étendue, douloureusement meurtrie, en proie
à une effrayante crise de douleur et de larmes.
Crissé survient, menaçant, et la relève, brutale-
ment, mais subitement pris de pitié devant tant de
chagrin, il emmène doucement, tout doucement,
sa pauvre Nicole... La scène est superbement tra-
gique. Quelques jours ont passé. Après bien des
pleurs la douleur s'est calmée, Nicole s'est ressai-
sicj l'oubli a presque complètement effacé l'affreuse
crise, et lorsque Claude revient -— trop tard ! —
inguérissable, ne pouvant plus se passer d'elle, elle
lui avoue simplement qu'elle ne l'aime plus, que la
vie pour elle a repris son cours normal, entre
Crissé et Firmin Héber, son complaisant mari. Il
ne reste plus pour Claude qu'une solution possible :
celle de se jeter sous les roues d'un omnibus, de-
vant les fenêtres de celle qu'il aime... Deux débu-
tants assumaient la charge des rôles énormes de
Nicole Héber et de Claude OrcemonU : M*^® Hen-
riette Roggers et M. Rouyer. Ils se sont montrés
tous deux à la hauteur d'une telle entreprise. Il y
a dans M"^ Roggers un vrai tempérament d'artiste,
où ne manquent ni la force ni la grâce. Elle a
joué tout au long en comédienne accomplie, et la
scène où elle tombe abîmée de désespoir a été
rendue avec une admirable réalité. Plus aride
encore, et bien ennuyeux, le personnage de Claude,
où M. Rouyer risquait fort de sombrer. Il a fait
preuve, un peu mélodramatiquement peut-être,
d'une passion sincère, d'une douleur profonde.
THEATRE DU VAUDEVILLE 2o3
Autres débuts encore : celui de M^^® Gabrielle
Dorziat, appréciée déjà au Gymnase et à la Re-
naissance, et dont nous aimions, dans Fernande
Riverol, le jeu sobre, simple et intelligent; celui
de M"® Jeanne Marie-Laurent — un nom qui
oblige — qui fut d'émotion très dramatique dans
la femme de chambre Rosalie; enfin celui de
M. Draquin, finement plaisant en Max Neuvillette.
Voilà déjeunes recrues qui tiennent déjà la ^céne
comme des vétérans^! Nous devions louer la spiri-
tuelle composition de M. Lérand en Théophile
Marchai, le « maître » fameux, si fat et si préten-
tieux ; la distinction de M. Dubosc dans l'infâme
personnage du mari complaisant, qui va jusqu'à se
charger de transmettre à sa femme les cadeaux de
Famant ; la joviale bonhomie de M. Joffre (le baron
Rabbe) ; l'énergie intense, la brutalité aristocra-
tique de M. Roger Vincent (le comte de Crissé).
Et nous devions adresser nos meilleurs compli-
ments à M™® Cécile Caron qui employa tout son
tact et toute son adresse à ne pas rendre odieuse
la vilaine fonction de la trop aimable Appareil-
leuse.
27 OCTOBRE. — Première représentation de la
Marche nuptiale, pièce en quatre actes de
M. Henry Bataille i. — M. Henry Bataille met sa
" 1. Distribution. — Roger Lechâtelier, M. Gaston Dubosc. — Claude
Morillot, M. Janvier. — Eugène, M. Baron fils. — Vicomte de Soussy,
M. Roger Manteaux. — Clozières, M. Joffre. — Général Duplessis-
Latour, M. C. Bert. — Joseph, M. Vertin. — D'Andely, M. Baud, — Le
chef d'orchestre, M. Draquin. — François, M. Lalbarède. — Un porteur
de piano, M. Ferrés.— Grâce de Plessans, Mi^^Berthe Bady.— Suzanne
Lechâtelier, M»» Gabrielle Dorziat. — M«»« de Plessans, M«>>« Cécith
Caron. — M">« Clozières, M»» Paule Andral. — M"« d'Andely,
2o4 LES ANNALES DU THEATRE
coquetterie à s'attaquer aux sujets difficiles, et
Ton n'a pas à craindre avec lui la banalité. Son
talent, vraiment personnel, sait adapter aux exi-
gences du théâtre les problèmes de psychologie les
plus ardus, ou plutôt de physiologie, car il se
plaît à analyser chez la femme les formes de
l'amour. Or, l'amour est un sentiment instinctif
qui souvent proscrit les règles d'équilibre de la
pure et saine raison. Il lui plaît d'étudier la passion
inconsciente, fatale. Ses héroïnes, quelques folies
qu'elles commettent, restent sympathiques, car elles
sont la proie où Vénus s'attache, et il ne peut pas
se faire qu'il en soit autrement. Il prend l'humanité
à l'heure des crises obscures et cherche, par une
patiente analyse, à répandre sur elle la lumière :
il nous apprend aussi qui nous sommes^ mais il ne
nous cache point que nous demeurons impuissants
à apporter en nous les modifications nécessaires
à notre bonheur. Notre but, notre « finale » est
la désillusion bu la mort. L'auteur d'amère philo-
sophie, qu'une fois de plus nous avons applaudi,
a donné un pendant à sa Maman Colibri. Sa Grâce
de Plessans continue la série des pitoyables amou-
reuses. Nature tendre et volontaire, l'amour qui,
sourd au fond d'elle, lui apparaît comme Timage
du sacrifice. Et c'est d'abord à la religion qu'elle
pense, dans les bras de laquelle elle compte se
Mlle Harlay, — Maguet, Mlle Yvonne de Bray. — Mii« Aimée, MUe Ber-
tile Leblanc. — Hortense de Plessans, MH» /. Marie-Laurent. — M"»* de
Verneuil, MH» Netza. — M"»» Grillât, M»» Henriette Andral. — Mariette
de Plessans, MH* Macnyle. — La baronne Valtat, M"» Murât. —
Julienne, M"» Haussmann. — Miette, M"» Massari. — Nelly Leohâtelier,
petite Henry. — Eugénie, Mil« Jane Abel.
THEATRE DU VAUDEVILLE 205
jeter en son besoin de mysticisme qui n'est qu'une
forme déguisée, avouable de la passion. . . quand
survient auprès de la jeune fille tourmentée d'idéal,
le professeur de piano, être effacé, timide, pauvre,
être bon, de bonté bébéte et terre à terre, et par
cette bonté même elle est conquise. Ses parents,
de vieille noblesse, s'indignent à l'idée d'avoir un
tel gendre et refusent leur consentement à ce
mariage. Alors, Berthe, qui « pour la première
fois de sa vie a une volonté nette », s'enfuit avec
le pianiste qui, professeur d'harmonie, lui paraît
avoir une âme harmonieuse. Elle devient sa maî-
tresse sans honte, sans faiblesse, avec fierté. Ne
vous y trompez pas, ce n'est pas Claude Morillot
qu'elle aime : c'est son propre dévouement, c'est le
geste héroïque accompli en faveur d'un être dis-
gracié sur lequel elle s'illusionne parce qu'il est
sans fortune et presque sans défense. Mais on ne
vit pas en courant le cachet. Grâce de Plessans va
implorer l'aide de Suzanne Lechâtelier, une amie
de couvent, mariée à un riche directeur d'usine.
Roger Lechâtelier nomme M. Morillot comptable,
mais en profite pour se présenter chez Grâce en
Tabsence du mari et lui faire l'aveu d'une flamme
brutale. Mal lui en' prend, car la jeune femme, en
une scène de premier ordre, une scène d'une
finesse exquise, lui fait comprendre à quel point
il s*est trompé. — « Je vous remercie, Madame,
de m'avoir donné une leçon, je n'emporterai de
cette visite que le souvenir de la haute estime
où je vous tiens. » Mais le coup est porté. Malgré
les joies de la mansarde, la « Marche nuptiale »
206 LES ANNALES DU THEATRE ,
à quatre mains exécutée avec Claude, la poésie
d'une existence de grisette où se mêle toujours
vaguement l'idée de Tidéal sacrifice, Grâce de
Plessans gardera en elle l'image de^l'élégant
cavalier qui personnifie sa vie passée. Et quand
Morillot rentre, écroulé, ayant volé pour elle deux
cents francs dans la caisse de son patron, elle
a beau plaindre celui pour qui elle s'est à jamais
compromise, et lui dire : « Je reste ! » on sent
qu'en ce nouvel acte de dévouement elle pense
à l'autre. Elle y pense bien plus quelques semaines
plus tard quand, invitée à passer quelques jours
au château de Lechâtelier, elle s'aperçoit que
Roger l'aime profondément et. . . silencieusement.
C'est alors la lutte de la femme qui se sent prête
à faiblir et se cramponne à son honnêteté. Elle
résiste aux prières, aux supplications, aux larmes,
mais avec quel courage ! Je pourrais dire quel
héroïsme 1 Elle sent en effet s'installer en elle non
plus l'amour mystique, non plus l'amour du sacri-
fice, mais l'amour vrai, l'amour humain, l'Amour.
Suzanne Lechâtelier s'est aperçue de quelque
chose, soit par les imprudences de son mari, soit
par les demi-mots de ses bonnes petites amies.
Elle interroge Grâce, elle lui demande : — « Si tu
découvrais que tu aimes Roger, que ferais-tu?
— Regarde-moi bien en face », répond Grâce. Et
les yeux dans les yeux, elle reprend : — « Je me
punirais 1 » C'est égal, elle est sans force ; elle est
au bout de sa résistance. Roger passe. Ils sont
seuls. Ils tombent dans les bras l'un de l'autre et
s'embrassent éperdument. — « Nous n'en pou-
THÉÂTRE DU VAUDEVILLE 2O7
vions plus ! » murmure Roger. Et Grâce de Ples-
sans, épouvantée de ce qu'elle vient de faire,
d'une telle trahison « qu'elle ne prévoyait pas »,
s'enfuit du château, nu-tête, dans la nuit. La voilà
revenue à Paris, chez elle. EUe a encore sur les
lèvres l'empreinte de la caresse définitive. Son
amant, le pauvre pianiste timide et ridicule,
n'existe plus pour elle : il ne lui inspire plus
qu'une immense pitié. Mais elle n'est pas la femme
qui se donne à l'un, puis à l'autre. Elle aime
Roger avec ferveur, si exclusivement que l'enfant
de « l'autre » qu'elle porte dans son sein ne
compte pour rien, et pourtant elle ne lui appar-
tiendra p s. Elle a dit : — - « Chacun porte la
peine de son idéal. » Et plus tard : — « Les
honnêtes . femmes n'appartiennent qu'à un seul
homme ; c'est le seul châtiment dont elles dispo-
sent contre elles-mêmes. » Aussi n'hésite-t-elle
pas. Puisque le bonheur pour elle n'est plus pos-
sible^ puisqu'elle ne. peut aimer du seul amour qui
puisse satisfaire une nature humaine, elle prie
Claude Morillot de la griser d'une valse enivrante
(musique, reste d'amour mystique!) passe dans
une pièce à côté et se lue. Telle est cette œuvre
curieuse, étrange, réelle. M. Bataille s'y place au
premier rang des psychologues. Il doit associer
à son triomphe M™® Berthe Bady qui excelle
à faire vivre ces personnages compliqués. Malgré
le timbre défectueux de sa voix, M™« Bady impose
sa personnalité par une composition savante et
délicate, des intonations tragiques, des gestes bi,en
à elle. C'est une actrice de grande originalité.
208 LES ANNALES DU THEATRE
Elle jouerait admirablement « Sainte Thérèse ».
M. Dubosc a eu de bons moments, d'excellents
passages, mais il a souvent parlé trop vite : il fut
de chaleur. . , froide. M. Janvier fut un peu trop
modeste, d'une timidité parfois exagérée; malgré
tout son talent, je pense qu'on lui a mal indiqué
son rôle. En revanche, M'*® Gabrielle Dorziat fut
parfaite de grâce, de naturel. Les personnages
secondaires étaient bien tenus en la personne de
M"^«^ Cécile Caron, Paule Andral, Harlay, de Bray
et de MM. Joffre, toujours solide. Baron fils,
toujours consciencieux.
5 DÉCEMBRE. — Première représentation de la
Cousine Bette, pièce en quatre actes et sept
tableaux, tirée d'Honoré de Balzac par MM. Pierre
Decourcelle et Granet *. — M. Porel nous a oflFert
avec la Cousine Bette un spectacle de reconsti-
tution rare. L'époque tout entière de Louis-Phi-
lippe nous fut évoquée avec ses gardes nationaux,
ses marchandes à la toilette, ses brillants uni-
formes, ses habits à parements de velours, ses
robes à volants, ses cachemires, ses coiffures à la
1. Distribution. — Marneffe, M. Lérand. — Le prince de Wissem-
bourg, M. Gaston Dubosc. — Le baron Hulot, M. Duquesne. — Le
commissaire de police, M, Baron fils. — Le docteur Blanchon, H. Roger
Monteaux. — Crevel, M. Joffre. — Victorin Hulot, M. I^oityer. —
Wenceslas Steinbock, M. Roger Vincent. — Thirion, 'M. Vandenne.
— Johann Fischer, M. Aussourd. — Le maréchal Hulot, M. Camille
Bert. — Mistouflel, M. Vertin. — Le juge de paix, M. Baud. — Le ser-
gent-fourrier, M. Draquin, — Stidmann, M. Camille Gorde. — L'a
domestique, M. Lalbarède. — M«»« Marneffe, M"» Berthe Ccrny —
Adeline Hulot, M»» Henriette Roggers. — Lisbeth Fischer, M«n« Cécile
Caron. — Célestine, M"» Hdrlay. — Hortense, M»» Yvonnne de Bray.
M»>e Nourrisson, M"»* Ellen Andrée.'^ , — M"» Judici, M«n« Hem'ielte
Andral. — Reine, Mii«/. Marie-Laurenl. —Maria, Mii« Netza. — Une
femme de chambre, MUe Macnyll. — Atala, M"» Fabienne,
THEATRE DU VAUDEVILLE 200
girafe. . . époque si rapprochée et déjà loin de
nous ! Le célèbre roman du plus grand, du plus
puissant de nos écrivains français est encore trop
présent à la mémoire dé nos lecteurs pour que je
leur fasse Tinjure de le leur conter par le menu.
Gomme le Gavroche de Victor Hugo, le Monsieur
Alphonse d'Alexandre Dumas fils, on dit : un
baron Hulot, une madame Marneffe. Le nom de
Balzac pourra disparaître, ses créations ne seront
pas oubliées. Rien de plus osé dans notre moderne
théâtre libre que ce mari complaisant, s'entendant
avec sa femme pour mettre la société en coupe
réglée, causant ouvertement avec elle de la qua-
lité et de la quantité de ses amants, tous deux
onganisant un flagrant délit de chantage. Et ce
baron Hulot, conseiller d'Etat, grand officier de la
Légion d'hQnneur, qui vole pour des catins, recule,
déshonoré, devant le suicide, tombe, misérable
écrivain public^ entre les mains d'une quasi-
mineure ! Meilhac et Halévy possédaient à fond
cette figure sinistre en créant dans la Boule le
déhcieux fantoche si humain de La Musardière.
Seul, le personnage de la cousine Lisbeth,
« parenté pauvre », hypocrite, haineuse, associée
pour la vengeance à la Marnetfe, a perdu quelque
peu du roman à la scène. Elle n'a plus sa gran-
deur inquiétante, peut-être parce que les exigences
du théâtre ont forcé les auteurs à la restreindre,
— ce qui en fait une silhouette vague, pas assez
expliquée; elle ne prend plus sa valeur que par
quelques côtés mélodramatiques qui laissent ainsi
à l'œuvre, pourtant si étonnamment jeune, un
ilNNALES DD THEATBE H
2IO LES ANNALES DU THEATRE
caractère vieillot. Telle qu'elle est cependant, cette
pièce reste curieuse, pittoresque et énergique.
Plaîra-t-elle au public ? * Certes, à condition qu'en
dehors du couple d'amoureux Hortense et Wen-r
ceslas Steinbock, du maréchal Hulot, si noble et
si pitoyable, et surtout d'Adeline Hulot, amante
résignée et éternellement indulgente d'un mari
incorrigible et odieux, à condition, dis-je, qu'un
auditoire de théâtre n'exige point de caractères
sympathiques. Avec son amertume désabusée,
Balzac fit la première place' aux canailles, —
malgré la mort saisissante de M™® MarnefFe, punie
de ses crimes par « l'avarie » qui, sous un autre
nom, existait déjà à cette époque. La troupe du
Vaudeville s'est montrée digne de l'œuvre. Mar-
nefFe, c'est Lérand, dont l'entrée a été «ensatioir^
nelle, et qui est effrayant de souplesse xauteleu&e,
de réalisme aigu. M''^ Berthe Cerny, jolie femme
et fine comédienne, est une M™^ Marnéffe ensorce-
lante et vicieuse à souhait. Le baron Hulot, c'est
Duquesne, superbe, irritant en son entêtement
à la débauche, son inconsciente cruauté, sa
lâcheté finale. M. Joffre a solidement dessiné le
rôle difficile de Crevel, le parfumeur parvenu, et
M. Gaston Dubosc fait grande figure en prince
de Wissembourg, ministre de la guerre, en l'âme
duquel flambe encore la flamme napoléonienne.
M''^ Henriette Roggers a joué avec un art infini la
1. Les représentations de la Cousine Bette ne devaient guère
dépasser le mois de décembre de l'année qui nous occupe. Dés le
8 janvier de la suivante^ elle cédera la place à une nouvelle reprise de
la Retraite, bientôt suivie d'une pièce nouvelle.
THEATRE DU VAUDEVILLE
211
scène délicate où elle s'offre tardivement à Crevel
et a rendu avec une émotion touchante les
angoisses de Tépouse trahie. M"*® Cécile Caron
a tiré parti du mieux qu'elle a pu de la figure
sèche, envieuse, rancunière de Lisbeth, la cou-
sine pauvre. Dans le personnage épisodique de
Mme Nourrisson, la revendeuse à la toilette, on
a fait une ovation à M"*® Ellen Andrée, si drôle-
ment moustachue. N'oublions pas M"^ Yvonne
de Bray, charmante sous les traits de la blonde
Hortense, et M"® Fabienne, pleine de vie et d'en-
train dans la jeune Atala, la dernière passion du
vieil Hulot.
Avec la Cousine Bette se terminera l'année
1905, résumée dans le tableau suivant :
Maman Colibri^ comédie
*Pelite Peste, comédie
*S(m Excellence Dominique, comédie —
*La Retraitey comédie dramatique
*ie Bon Numéro, comédie
*L'Armaturey pièce
La Chambre Empire, comédie »
Les Demi- Vierges^ comédie
*Le8 Rois américains, pièce
*Rêv0 d'Opium, pantomime
*La Belle madame Héber, comédie
*La Marche nuptiale, pièce
*La Cousine Bette, pièce
DATE
NOMBRE
NOMBRE
delà
de
Iro représ.
représent.
d'actes
ou de la
pendant
reprise
l'année
4
»
15
3
13janv.
38
1
13janv.
40
4
15 févr.
92 '
1
18 févr.
71
5
19 avril
19
1
»
41
3
2a mai
23
4
14 juin
12
1
21 juin
5
4
15 sept.
47
4
27 octob.
43
4 a. 7 t.
5déc.
32
THEATRE DES VARIÉTÉS*
Trois opérettes nouvelles ildi Petite Bohème ^ de
MM. Paul Ferrier et Henri Hirchmann; les Dra-
ffons de l'Impératrice, de MM. Georges Duval, Al-
bert Varjoo et André Messager; VAffe d'or, de
MM. Georges Feydeaji, Maurice Desvallières et
Louis Varney, termineront, avec une repriî^e de Miss
Hélyett, la saison d'exclusive opérette téméraire-
ment tentée par M. Samuel. Puis^ avec le Bonheur,
Mesdames, de M. Francis de Croisset, la comédie
reprendra possession du théâtre boulevardier où
désormais nous verrons, comme auparavant, éclec-
tiquement alterner les deux genres. . .
20 JANVIER. — Première représentation de la
Petite Bohème, opérette en trois actes de M. Paul
Ferrier, musique de M. Henri Hirchmann^. —
1. — Directeur : M, Fernand Samuel ; Secrétaire général : M. Jules
Brasseur.
2. Distribution. — Barbemuche^ M. Paul Fugère. — Vicomte de La
Bretèche, M. Prince. — Colline, M. Claudius. — Arsène, M. Vauthier.
— Marcel, M. Alberthal. — Monetti, M. André Simon. — Baptiste,
M. Petit. — Vicomte de La Fouchardiére, M. Bernard. — Schaunard,
M. Casella. — Rodolphe. M. Carpentier. — Jacques, M. Bergerat. —
Tardivel, M. Batréau. — Le notaire, M. Duclerc. — Un masque,
M. Lambert. — Mimi, M"e Eve Lavallière. — Musette, M"* Jeanne Sau-
lier. — La comtesse, M»» Léonie Laporte. — Phémie, M»» Marguerite
Fournier. — Francine, MHe Oinette. — Sidonie, Mil» Nita Rolla. — De-
nise, Mil» Anida Costa.— Angèle, M»* Debrives. — Jenny, M«i«i2^mo.—
Suzanne, MU« Naurey. — Glaire, MH« Eymard. — Virginie, M»» Vanda.
— Irène, M"« Lina Gill. — Léonie, M"« Pujol.
2l4 LES ANNALES DU THEATRE
Cest en i85i que Théodore Barrière faisait repré-
senter aux Variétés la comédie qu'il avait tirée des
Scènes de la vie de Bohème d'Henry Murger, et
que' nous avons vu reprendre à TOdéon, puis au
Théâtre-Français. Et voilà que, plus d'un demi-
siècle après, ces mêmes Variétés nous donnent une
seconde mouture du même livre, d'où M. Paul
Ferrier a extrait de bouffons épisodes, encore restés
inédits, auxquels il a ajouté d'adroites variations
de son cru. L'action, si menue qu'elle soit, a suffi
pour inspirer un jeune musicien devéritablp valeur,
M. Henri Hirchmann qui, sans se laisser intimider
parles récents succès des Puccini et des Léonca-
vallo, n'a pas craint de s'attaquer, lui aussi, à la
Bohème. Sa partition, qu'a fort allègrement Con-
duite le maître Lagoanère, est alerte et vivante,
gaie sans vulgarité, avec une pointe de sentiment
et une note personnelle bien accentuée. Elle est
remplie de jolies choses. Nous citerons, entre
autres, le duo, si gentiment scandé de baisers, de
Rodolphe et de Mimi ; le final du premier acte où
le Dignus est intrare, en canon, est suivi d'un
charmant motif : (< Amour vole » et de l'entraî-
nante marche triomphale de la Bohème ; les cou-
plets de Mimi : « J'ai dans la tête d'être lorette
au quartier Bréda », que débite si comiquement
l'exquise, la toujours exquise Lavallière ; l'entrée
drolatique des Quatre Mousquetaires, et dans ce
même genre parodique, l'air de Musette : « Je
n'ouvrirai ma porte que la bague au doigt » ; la
fête, très brillante, où M. Paul Fugère est si déso-
pilant sous le travestissement de la grande Cathe-
THEATRE DES VARIETES 2l5
rine de Médicis, et où le rideau tombe sur un ef-
fréné cancan digne des maîtres de Topérette ; enfin,
la romance de Marcel regrettant Musette, délicieu-
sement soupirée par l'aimable baryton Alberthal.
On Ta bissée, comme, du reste, la plupart des
numéros que nous venons de citer : c'est vous
dire le chaud accueil fait à la pimpante musique de
M. Hirchmann par le public ravi. Ajoutons que
M. Prince a fait du vicomte de la Bretèchç un
niais absolument exhilarant; que M"^ Saulier est
la plus séduisante des grisettes de i84o; que
Glaudius, long comme un jour sans pain, réalise à
merveille le type de Colline ; qu'avec un simple
sourire et^ quatre mots à dire, M. Vauthier atteste
le comédien de la vieille et bonne école; que
M. Carpentier, nouveau venu aux Variétés, est,
sous les traits de Rodolphe, un joli garçon jouant
avec aisance; que les auteurs doivent savoir gré à
M"« Laporte d'avoir consenti^ quoique aphone, à
tenir son rôle ; que M. Bertin a brossé pour le
premier acte un pittoresque panorama de Paris, et
qu'enfin les costumes sont une piquante reconsti-
tution de répo*que. . .
i3 FÉVRIER. — Première représentation des Z)ra-
gons de V Impératrice ^ opéra-comique en trois
actes de MM. Georges Duval et Albert Vanloo,
musique de M. André Messager*. — C'est une
1. Distribution. — Saint-Gildas, M. Alberthal. — Agénor, M. Prince.
— Prince de Carinthie, M. Claudius. ~ Le colonel, M. A . Simon. —
Plantinois, M. Bergerat. — Bois-Landry, M. Maréchal. — Bridou,
M. Rocher. — Pontmeillan, M. Duclerc. — La Clayette, M. Guérin. —
Survilliers, M. Darcourt. — Lucrèce, M»» Germaine Gallois, — Cy-
prienne, M»* Mariette Sully. — Rigolboche, M^e Marguerite Fournie?-,
2l6 LES ANNALES DU THEATRE
opérette coulée dans le bon vieux moule d'autre-
fois, dont la musique touffue fait un joli opéra-
comique; gaie, fine, pleine de bonne humeur et
d'entrain en son livret de MM. Georges Duval et
Albert Vanloo, gens de théâtre consommés ; habile,
charmante, distinguée, d'orchestration soignée en
sa musique de M. André Messager, ce maître bien
français qui nous donna là Basoche et celle
M^^ Chrysanthème que n'a pas osé reprendre
rOpéra-Comique. Il y a, dans la nouvelle partition
de M. Messager, des airs de charme et de grâce,
. des mélodies douces et enveloppantes, des chan-
sons à boire martiales et entraînantes, des valses
tourbillonnantes et berçantes, des chœurs enfin
qui dénotent toute la science de ce savant compo-
siteur. Voici, en quelques mots, le gentil scénario.
Cela se passe vers 1866; le corps des Cent-Gardes
est, depuis peu, en constante rivalité amoureuse
avec celui des Dragons de Tlmpératrice, un capi-
taine des Cent-Gardes, le séduisant Agénor, ayant
eu la malencontreuse idée de prendre au capitaine
des Dragons, le beau Saint-Gilda§, une de ses
conquêtes. L'heure de la vengeance à donc sonné
et, successivement, le onze petites amies du capi-
taine Agénor ont été enlevées par le capitaine
Saint-Gildas. Mais voilà, il y en a une douzième !
Dans le parc de Saint-Cloud, une nuit de clair de
lune, au milieu de l'allée de la Félicité, le capitaine
— Princesse de Carinthie, M»« Oinette,^ M»»* Paeôme, Mlle Lavernière.
— Marquise Desternich, M"" Nita Rolla. — Duchesse d'Auriffet,
Mlle Dalha. — Virginie, Mlle Eymard. — Caroline, Mlle ilfarn»*.— Prin-
cesse Radiskoï, MUe Valfort, — Lady Armington, Mile Valmory. —
Mn>e Risniann, Mlle Valdiny.
THÉÂTRE DES VARIÉTÉS 217
Agénor fit la rencontre d'une beauté peu farouche
— quelque grande dame probablement — qui
céda vite à ses transports, amoureux. Hélas ! la
belle, apeurée par l'arrivée d'un fâcheux, s'est
enfuie sans se faire connaître, laissant tomber,
par mégarde, un éventail dénonciateur. Il faut
donc, à tout prix, retrouver l'inconnue pour que
triomphe l'honneur des Dragons. Apprenez tout
de suite que la volage grande dame en question
n'est autre que la jolie Lucrèce, femme du colonel
des dragons, que l'éventail perdu va permettre à
une de ses amies, la mignonne Cyprienne, nou-
vellement mariée au capitaine Saint-Gildas, de
se faire aimer de l'indifférent officier, car Cy-
prienne se fera passer pour la propriétaire de
l'éventail et viendra, masquée, le réclamer en plein
bal Mabille, au fat Agénor. Saint-Gildas l'aperce-
vra, s'empressera de lui faire la cour et n'obtiendra
le rendez-vous tant souhaité que s'il consent à lui
laisser garder son incognito. Naturellement la
jeune épousée réussit, en cette . nuit d'ivresse, à
conquérir l'amour de son mari, et c'est avec joie
que Saint-Gildas découvrira, en la femme à l'éven-
tail, sa charmante petite Cyprienne. L'histoire
s'embrouillerait à nouveau^ sans le dévouement
d'une femme de chambre qui s'avoue coupable aux
lieu et place de M™« la Colonelle. L'action est ha-
bilement conduite durant ces trois actes. MM. Du-
val et Vanloo se sont fort adroitement tirés d'un
quiproquo qui eût pu facilement tomber dans la
banalité. Ils ont permis à M. Messager de déployer,
sans restriction, tout son talent. Ils sont Servis par
2l8 LES ANNALES DU THEAtRE
un parfait ensemble d'exécution. M. Prince donne
libre cours à sa fantaisie et fait, du capitaine Agé-
nor, une caricature impayable de fatuité, de suffi-
sance et de drôlerie. M. Alberthal, son heureux
rival en le capitaine Saint-Gildas, est un agréable
baryton qui chante avec sûreté. M. Claudius est
un fin diplomate, prince, de Carinthie, amusant
cuisinier à ses heures. M. Simon a la belle pres-
tance qui convient à un colonel de dragons. Quant
à M''6 Mariette Sully, c'est une Cyprienne faite de
grâce, de charme et de finesse. Elle a su conqué-
rir, par son jeu simple et adroit, et par sa jolie
voix conduite avec art, d'unanimes applaudisse-
ments. Le succès de M"® Germaine Gallois^ en la
superbe et séduisante Lucrèce, n'a pas été moindre.
Enfin, M"^ Marguerite Fournier, sous le costume de
Rigolboche^ danse et cliante avec la folle gaieté
qu'exige le personnage. Les bis et les rappels nom-
breux ont prouvé, d'ailleurs, l'entière satisfaction
du public^ qui a goûté la musique et apprécié
l'élégante reconstitution des costumes du temps :
crinolines, coiffures basses, capelines de paille
d'Italie, petites ombrelles et robes de bal décou-
vrant si joliment les épaules...
i4 MARS. — Première représentation à ce théâtre
de Miss Hélyett^ opérette en trois actes de Maxime
Boucheron, musique d'Edmond Audran*. — C'est
1. Distribution. — James Richter, M. Brasseur. — Smithson, M. Fu-
gère. — Paul Landrin, M. Alberthal. — Puycardas, M. Dambrine. —
Bacarel, M. Carpentier. — La senora Fernandez, Mm» Marie Mapnier.
— Miss HélyettjMUe Eve Lavallière.— Msumela. Fernandez, M»» Tariol-
Baugé. — Premier guide, M^e Dangès. — Deuxième guide, M^» Tylda.
Haphaelle.
THEATRE DES VARIETES 219
encore et toujours une excellente opérette, c'est-
à-dire une très gentille comédie, car je n'ai jamais
cru que Tune pût aller sans l'autre. . . Il est, je
pense, inutile de vous rappeler ici le sujet d'une
œuvrette qui, tout comme Carmen^ a eu sa milliè-
me... Et je n'ai point à vous dire comment, sachant
mettre de l'esprit, de l'ingéniosité, un grain d'ob-
servation et surtout une discrétion charmante dans
le développement d'une action qui pouvait aisé-
ment tourner à la grivoiserie, Maxime Boucheron
trouva le moyen de faire du Paul de Kock pour les
familles. Et vous savez aussi comment Audran
versa sur cette pièce légère de braves petites mé-
lodies sans prétention, agréables à entendre, faciles
à retenir; en somme, une partition fine et délicate,
avec de jolis airs de ses bons jours. Passpns à
l'interprétation. C'est — dans le rôle de Miss
Hélyett où s'illustra Biana Duhamel — M"^ Eve
Lavallière, à croquer, vraiment, avec son élégante
et verte maigreur, en son étroite robe bleue, sous
son chapeau tunnel où éclatent ses dents et ses
yeux de jeune coquine : un Kate Greenaw^ay avec
plus de piquant... C'est M™^ Tariol, — Tariol-
Baugé à ses jours — brûlant littéralement les
planches en la belle Manuela espagnole des stations
balnéaires. C'est M"« Marie Magnier — une Marie
Magnier nouvelle manière — absolument épique
dans le personnage de l'incandescente senora,
brune comme le noir ébène, chantant aussi, même
des morceaux dramatiques, et Tune des vives joies
de la soirée. C'est M. Alberthal, un beau garçon
avec une voix de baryton sympathique, un style
220 LES ANNALES DU THEATRE
élégant, une diction séduisante. C'est M. Dambrine,
ténor habile, acteur intelligent, plein d'entrain et
de fantaisie, qui a énormément amusé dans le rôle
du toréador pour vaches landaises. C'est M. Paul
Fugère qui s'est montré comédien excellent dans
le personnage très comiquement tracé du clergy-
man. C'est — nous l'avons tout exprès gardé pour .
la bonne bouche — Albert Brasseur, si drôle et si
vrai pourtant, si sobre et d'autant plus bouffon
dans James, le flegmatique amoureux de Chicago,
d'une cocasserie sûrement irrésistible dans la scène
— fameuse 1 — où le bon pasteur le fait passer
pour (( l'homme de la montagne » C'est, enfin,
M. de Lagoanère conduisant toujours au succès
cette Miss Hélyettj qu'il monta jadis avec amour,
et que, des centaines et des centaines de fois, il
dirigea paternellement et magistralement...
Cependant, les représentations du « cycle de
l'opérette » suivaient leur cours avec la Vie Pari-
sienne et rCEil crevé, avec le Petit Duc et la Fille
de M^^ Angot^ avec M. de la Palisse, où Brasseur
était tout bonnement admirable, et Barbe-Bleue,
où se révélait Dambrine, le meilleur Barbe-Bleue
que l'on eût entendu depuis José Dupuis...
i^^ MAI. — Première représentation de VAge
d'or, pièce féerique à grand spectacle eh trois
actes et douze tableaux de MM. Georges Feydeau
et Maurice Desvallières, musique de M. Louis
Varney*. — Après deux mois de patientes études
Distribution. -^ Follentin, M. Brasseur — Gabriel, Grégoire, le bour-
reau, un lieutenant, le serrurier et le jeune homme, M. Prince. —
Louis XV, M. Fugère. — Henri de Navarre, prisonnier, marchand de
THEATRE DES VARIÉTÉS 221
préparatoires et une longue semaine de relâches où
les répétitions ne se terminaient jamais avant trois
heures et demie du matin, le très actif directeur des
Variétés nous offrait Tamusant et superbe ouvrage
par lequel il entendait couronner sa laborieuse sai-
son. C'est une véritable féerie ayant jîour point
de départ une idée de comédie, à la fois plaisante
et philosophique. Plaisante en ce que la pièce cons-
titue comme une sorte de voyage à travers les âges,
qui transporte tour à tour les spectateurs dans
les siècles passés et dans Tavenir, en Tan 2000;
philosophique parce que la conclusion, l'inévitable
conclusion, c'est que l'âge d'or, c'est nous qui le
faisons autour de nous, à force de volonté, d'im-
perturbable confiance et de persistante belle hu-
meur. Pendant douze tableaux, curieux, splendides,
pittoresques, les héros de MM. Georges Feydeau
et Maurice Desvallières courent après l'Eden ter-
restre dans les temps les plus divers, jusqu'à ce
que, revenus à Paris, parmi la douceur du retour
et la paix du chez soi, ils finissent par dire :
« Tout de même^ c'est encore ici qu'on est le
mieux ! » L'idée était ingénieuse et nouvelle : il
fleurs, M. Cîaudius. — Coconas, M. Damhrine. — Cartouche, M. Vau-
IhUr. — Ebrahim, le Temps, M. Petit. — Bienancourt, Maurevel, le pos-
tillon, le geôlier, Lebel, un vieux monsieur, M. Simon. — Charles IX,
Mandrin, Franklin, M. Carpentier. — Un amateur, M. Raiter. — La Hu-
riére, M. Batréau.— Un trottin, M. Bergerat.^ Mme FoUentin, Mme Ma-
rie Magnier. -— La reine Margot, M»°« Tariol-Baugé.— hdi collégienne,
M"e Lavallière. — La paysanne, M»» Jeanne Satdier. — Catherine de
Médicis, M"» Jane Evans. — Marquis de Pompadour, M'i« Marguerite
Fournier. — Marthe Follentin, MH« Ginette.— Gillone, gardienne de la
paix, MUe CroiX'Meyer. — Duchesse de Chateauroux, M"* Dorlac. —
Marquise de Boufiflers, MUe JVita Rolla. — Duchesse de Choiseul,
Mnc Eymard.
.22 2 LES ANNALES DU THEATRE ~
appartenait à de véritables hommes de théâtre
comme le sont les deux auteurs de VAffe d'or d'en
tirer parti avec la ^râcô et l'esprit, l'adresse et la
fantaisie, la richesse d'inventicm et la puissance de
comique qui caractérisent leur tsdeat. Modeste
sous-chef de bureau au Ministère des Affaires
étrangères, Follentin, qui a certes une bonne femme
et une fille charmante, n'a pas lieu d'être satis-
fait de son sort. Uu oncle qui vient de mourir lui
a pourtant laissé trois cent mille francs, mais l'hé-
ritage — qu'il n'a d'ailleurs pas encore touché —
semble lui être plus nuisible que profitable : il lui
vaut les pressantes réclamantions des créanciers,
les terribles menaces des anarchistes et, à la veille
d'être nommé chef de bureau, il vient de se voir
préférer la candidature de son collègue Bienan-
court, dont la situation a paru plus intéressante
au ministre que la sienne. Follentin se révolte
contre la destinée, et quand il s'endort, à la lecture
que lui fait sa fille d'ua roman dé Dumas, il re-
grette de n'être pas né à une autre époque, où les
choses s'arrangeaient sans doute de meilleure
façon. Le Temps exauce son désir, et le voilà dans
un rêve — ce rêve est toute la pièce — sous l'habit
de nos jours, transporté au seizième siècle. C'est la
nuit même de la Saint-Barthélémy : Follentin n'a
pas de chance, et après une heureuse rencontre
avec le seigneur Coconas — auquel il parle de
Dumas — le voilà forcé de fuir comme un vil pro-
testant et de chercher un abri contre les arquebu-
sades... Sans le savoir, il entre au Louvre et
pénètre tout de gô dans la chambre de la reine
THEATRE DES VARIETES 323
Margot où^ échappant aux recherches de la redou-
table Catherine de Médicis et du roi Charles IX, il
est fâcheusement découvert par Henri de Navarre,
qu^il tue en duel ... « Et Ravaillac, alors 1 »
s'écrie-t-il au milieu d'un éclat de rire général .
Follentin en a vite assez du seizième siècle et de
ses affreux massacres, et puisque, dans un beau
décor à transformations superbement brossé par
le maître Amablè, le Temps, assis sur les ruines
de son palais, évoque les grandes époques de l'his-
toire qui, toutes, glorieuses, triomphantes ou gran-
dioses, comparaissent devant lui, notre héros
demande à vivre sous Louis XV. Voici donc, peints
par Lemeunier, le parc de Versailles, ses fraîches
charmilles, ses verts quinconces et ses gazons ali-
gnés ; voici la marquise de Pompadour et Jeanne
Bécu, bientôt la Dubarry ; voici un petit bonhomme
en qui — Tidée est vraiment drôle — Follentin
retrouve son propre arrière-grand-père... Mais en
dépit des splendeurs de la cour du Bien-Aimé et
des musiques de Rameau, notre brave homme ne
peut s*empécher de trouver que c'est vraiment une
« sale époque » que celle où, sans autre forme de
procès, sa fille est requise pour le Parc aux Cerfs...
Il a fait fausse route en voulant retourner dans le
passé. L'âge d'or est sans doute l'avenir, et le
décor suivant nous le montre projeté en Tan 2000,
où Paris est relié à la mer parle canal Malesherbes,
où les fils électriques sont si nombreux que l'on
n'aperçoit plus le ciel, où Ton est écrasé par des
automobiles qui vont si vite qu'on ne les voit même
pas, où le féminisme a pris de telles proportions
224 LES ANNALES DU THEATRE
que toutes les corvées, publiques ou privées, sont
désormais le lot des hommes, où sa femme s^ébat
à ses yeux entre deux petits jeunes gens. Aussi,
quand il s'éveille de son vilain rêve, et surtout
quand il apprend que son collègue Bienancoiirt
lui cède sa place de chef du bureau et que son
futur gendre Gabriel lui a fait vendre douze cent
mille francs sa « pendule dé Barras », trouve-t-il
que tout est pour le mieux aujourd'hui. . . La pro-
menade est, comme vous le devinez, singulière-
ment mouvementée, et dans un cadre pittoresque,
élégant et splendide, Tironie, historique ou philo-
sophique, est parfois mordante, toujours spirituelle
et gaie. Et comment ne se fût-on pas esclaffé avec
Albert Brasseur, d'un si haut comique, d'une si
délicieuse finesse en ce long rôle de Follentin, qui
ne quittait point la scène ! Il fallait le voir,
impayable, sous son tromblon trop large qui lui
emboîtait la tête jusqu'aux oreilles, dans sa redin-
gote trop étroite qui faisait vrille et sous son iné-
narrable pardessus beige, se promener à travers
les siècles : l'effet était irrésistible. . , Comment ne
pas applaudir aussi M^^ Tariol-Baugé, si belle
chanteuse et si bonne comédienne en l'incandes-
cente reine Margot qui, en voyant Follentin, rece-
vait le coup de foudre au point de lui offrir le
refuge de sa couche princière ; M}^^ Jeanne Saulier,
très jolie Dubarry à l'aurore de son règne ; M^^^ Eve
Lavallière qui mettait à son rôle de collégien de
l'an 2000 toute la fantaisie que vous pouviez ima-
giner! Comment ne pas rendre justice à M. Dam-
brine, qui « posait » en vrai ténor, une entrée
THEATRE DES VARIÉTÉS 2 25
de Coconas digne de feu Dupuis ; à MM. Prince
et Fugère, toujours amusants ; à M°*® Marie Ma-
gnier, de verve si naturelle en M"™^ Follentin; à
MM. Simon et Garpentier, un Maurevel, entre
autres travestissements, et un Charles IX, parfai-
tement réussis. UAffe d'or se complétait d^une
luxueuse et artistique mise en scène où des nudités
académiques imposaient Tadmiration. Il comportait
une très scénique partition de M. Varney, dont il
fallait retenir lés divers couplets de la reine Margot
si bien chantés, avec une incomparable maîtrise,
par M™^ Tariol-Baugé, et les valses entraînantes
conduites par M. Lagoanère.
26 MAI. — Représentation de retraite et au béné-
fice de M. Vauthier*. La recette dépassait douze
1. — Au programme :
1» La Sonnette d'alarme^ un acte du répertoire des Variétés ;
2» Première représentation d'CTne Grande Consultation^ comédie en
un acte, de M. P. Thinet ;
30 Première représentation des Poupées de M. Dupont^ à-propos en un
acte, de M. Paul Gavault ;
4» Intermède par les artistes de l'Opéra, de la Comédie-Française, de
rOpéra-Comique, de l'Opéra italien, des Variétés, de la Renaissance, du
Palais-Royal, de l'Athénée et des grands concerts de Paris ;
5» Brouillés depuis Wagram, joué par M. Vauthier ;
60 Les Deux Ecoles (2* acte) : MM. Baron, Brasseur, Guy, Mme» Jeanne
Oranier. Marie Magnier, Cécile Lacombe.
Et voici les artistes qui prêtaient leur concours à cette magnifique
représentation :
Mn« Région, de l'Opéra ;
M«« Segond-Weber, MM. Mounet-Sully, Silvain, de la Comédie-
Française ;
MiJw Mary Garden, Marié de L'Isle, MM. Lucien Fugère, Maréchal, de
l'Opéra-Gomique ;
APi« Lina Cavalieri, M. Bassi, de l'Opéra italien ;
M*« Jeanne Granier, Marie-Magnier, Tariol-Baugé^ Germaine Gallois,
Jeanne Saulier, Yvonne Kerlord, Cécile Lacombe, Ginette, Dorlac, Èdméo
Favarl, MM. Brasseur, Prince, Dèmey, etc., des Variétés ;
Mlle Mily-Meyer, M. Guy, de la Renaissance ;
ANNALES DU THÉÂTRE 15
220 LES ANNALES DU THEATRE
mille francs : M'^^ Jeanne Granier, qui avait, pour
sa part, placé pour plus de six mille francs de loges
et de fauteuils, était acclamée dans les Deux Ecoles
avec ses camarades Baron, Brasseur, Guy et
jyjme Marie Magnier. Et M. Vauthier, le héros de
la fête était, dans Brouillés depuis Wagram,
l'objet d'une interminable ovation ^. .
3i MAI. — Clôture annuelle par la dernière
représentation de VAge d'or.
i3 OCTOBRE. — Réouverture : c'est par une fine
et spirituelle comédie en quatre actes de M. Francis
de Croisset, Le Bonheur ^ Mesdames l ^^ infiniment
ment adroite et supérieurement gaie, que, renon-
çant désormais à l'opérette, à laquelle, non sans
quelque témérité, il s'était voué tout entier, M. Sa-
muel inaugurait vaillamment sa saison. Le très
grand succès remporté, l'hiver précédent, sur une
toute petite scène, par la Bonne Intention^ avait
placé bien haut dans l'estime de la critiqué et du
MM. Cooper, Guyon-et Crozan, du Palais-Royal ;
Mlle Marguerite Deval, MM. Fursy et Henry Defreyn, de la Boite à
Fursy ;
M'"«» Anna Thibaud, Fina Montjoie, MM. Polin, Dranem. Mercadier,
Vaunel, des grands concerts de Paris ;
MM. A. Maton, Emile Bourgeois, Mathé et Vasseur, pianistes accom-
pagnateurs.
4. Distribution. — Des Arromanches, M. Baron. — Georges Cartier,
M. Brasseur. — René Marchand, M. Prince. ■— Jacques de Férieux,
M. A.Simon. — Derbault. M. Carpentier. — Paulette Cartier, M'i» Jeanne
Granier. — M«ne Dikar, M™» Marie Magnier. — Marquise des Arroman-
ches, Mlle Eve Lavallière. — Marthe de Férieux, Mn« Lyse Berty. —
Thérèse, M^e Louise Dorlac.
On commençait par Pierrot à la plage, comédie en un acte, en vers,
de M. Jacques Ballieu :
Pierrot, M. Carpentier. — Le directeur, M. Casella.— Colombine,
Mlle A. Barelly.
THEATRE DES VARIETES 227
public élégant le jeune et sympathique écrivain de
la Passerelle- ei du Paorij de Y Homme à V oreille
coupée et de Chérubin. Grâces soient aujourd'hui
rendues à l'incomparable Jeanne Granier qui, des
Capucines^ eut l'art de nous amener au boulevard
Montmartre, où il se trouve si naturellement à sa
place, le plus parisien de nos auteurs dramatiques.
Georges Cartier est un homme heureux, marié
depuis tantôt quinze ans à tine délicieuse femme,
Paulette, qui s'ingénie à lui laisser croire qu'il est
un sculpteur de génie — alors qu'il n'a, tout au
plus, qu'un fort petit talent — et' qui lui ménage
un intérieur si charmant que jamais, au grand
jamais, il n'a eu la plus petite idée de la moindre
infidélité conjugale. Mari impeccable^ — le fait est
rarissime — peut-être incapable de tromper sa
femme. « Incapable », le mot finit par Tagacer
pourtant quand, comme une injure, il lui est jeté à
la face par son ironique et imprudente belle-mère...
Et comme à sa portée — il n'a, pour ainsi dire,
qu'à tendre la main — se trouve, au nombre des
amies de Paulette, une petite femme, Fernande —
mariée toute jeune au vieux marquis des Arroman-
ches — dont l'esprit est ainsi fait qu'elle ne con-
naît pas de plus vive joie que de prendre juste-
ment « le bonheur des autres », il sera l'amant de
la petite marquise, nerveusement affolée du désir
de trou'bler son ménage. C'est alors que se révèle
toute l'intelligence et que se déploie toute la ma-
lice de Paulette, aussi habile à reprendre son bien
qu'elle fut si longtemps adroite pour le garder. Un
hasard — dont l'invention est, d'ailleurs^ très
228 LES ANNALES DU THEATRE
amusante — lui a appris, sans qu'elle puisse
émettre là-dessus le moindre doute, l'état des rela-
tions de son mari et de son amie Fernande. Elle
devine qu'ils doivent se réunir dans la garçonnière
du jeune René Marchand — un petit fat imbécile
qui lui fait à elle-même stupidement la cour. Elle
y vole, et quand y vient la marquise, elle sait lui
faire croire qu'elle est la maîtresse du petit Mar-
chand. Lui prendre son amant est aussitôt la han-
tise de Fernande. Et tout est si bien machiné par
Paulette, que non seulement elle se débarrasse
d une rivale, mais que la petite marquise, juste-
ment désabusée en apprenant que son amie est res-
tée la plus pure des femmes, se décide — cela est
tout de même un peu invraisemblable — à revenir
à son vieil époux, comme elle-même a facilement
reconquis son cher mari. « Non, lui dit Georges,
utilement pardonné, je ne t'ai pas trompée, je me
suis trompé ». Tel est un des jolis mots de l'ex-
quise pièce se terminant heureusement dans la plus
saine morale : c'est dans le ménage que réside le
bonheur, mesdames!... La légère anecdote, dont
je n'ai d'ailleurs fait qu'esquisser le scénario, est
contée le plus délicatement du monde dans un dia-
logue de grâce et d'esprit. Et comme Jeanne Gra-
nier — nous l'avons dit — nous a amené aux Va-
riétés l'auteur idéal, la très jolie pièce de M. de
Groisset y ramenait, en la personne de sa grande
interprète, la parfaite comédienne dont le précieux
talent, fait de belle simplicité, donne l'impression
si exacte de la réalité et l'image même de la vie.
Voyez agir et parler Paulette ; regardez-la quand
ê
THEATRE DES VARIÉTÉS 229
elle écoute et qu'elle comprend tout : n'est-ce point
la nature même ? Après avoir salué comme il con-
venait rheureuse rentrée de l'admirable Granier,
nous applaudissions,, non seulement des deux
mains, mais de tout cœur au retour de la délicieuse
Eve Lavavallière, que nous avons craint un instant
de voir trop longtemps éloignée de la scène : hon-
neur au professeur Pozzi, qui nous Ta rendue
assez solide pour créer cette petite marquise,
curieuse et presque odieuse, si perversement enti-
chée du bonheur des autres. Le rôle était difficile
* à compose* : une autre y eût peut-être échoue.
M"® Lavallière y a mis autant de tact que de finesse :
c'est une artiste de tout premier ordre, et .toujours
si personnelle ! La comédie de M. de Croisset est,
d'ailleurs, jouée en toute perfection. C'est Albert
Brasseur, de bonhomie si radieuse et d'ingénuité si
• touchante dans le personnage du mari trop, heu-
reux. C'est l'excellent Baron, si joyeusement comi-
que sous les traits du marquis Adhéaume des
Arromanches. C'est le jeune Prince, excessivement
drôle sous ceux du petit fat — si bien pris sur le
vif — de René Marchand. C'est la splendide
Marie Magnier, d exhubérant entrain et de fantai-
sie charmante en belle-maman. C'est enfin M''®Lyse
Berty, qui a su donner adroitement la valeur
qu'il fallait à un rôle épisodique, celui de la
piquante nièce d'une vieille chanoinesse dont le
décès subit fait l'amusante intrigue de cette jolie
pièce.
25 NOVEMBRE. — Ou fêtait dans Tintimité la
cinquantième représentation du Bonheur^ mes^
23o
LES ANNALES DU THEATRE
dames t dont la recette atteignait le chiffre exact
de 8.269 francs*.
i5 DÉCEMBRE. — A Thôtel des Sociétés savantes
avait lieu le premier « Banquet d'honneur » offert
par l'Association générale des étudiants : l'écrivain
choisi était M. Francis de Croisset, l'heureux au-
teur du Bonheur, mesdames!
Voici Tannée des Variétés — opérette et comé-
die — résumée dans le tableau suivant :
La Vie parisienne, pièce
La Fille de iW"»» Angot, opérette
Le Petit Bue, opéra-comique
La Sonnette d'alarme, comédie
Monsieur de La Palisse, opérette
L'Œil crevé, opéra-bouffe
Le Choix d'une carrière, comédie
*La Petite Bohème, opérette
*Duval père et fils, comédie
*Les Dragons de l'Impératrice, op.-com..
Miss Hélyett, opérette
Barbe-Bleue, opérette
*L'kge d'Or, pièce féerique
*Le Bonheur, Mesdames, comédie
* Pierrot à la plage, comédie
DATE
NOMBRE
NOMBRE
d'actes
delà
lT« représ.
ou de la
reprise
de
représenl.
pendant
l'année
4
))
13
3
»
7
3
»
6
1
»
45
3
»
17
3
»
11
1
»-
5
3
1
3
20 janv.
21 janv.
13 févr.
16
105
40
3
14 mars
16
3 a. 4 1.
»
2
3 a. 12 t.
1" mai
33
4
13 octob.
91
1
13 octob.
91
1. — C'était, aux Variétés, un véritable défilé des rois. Après le roi de
Grèce, était venu le roi d'Espagne. C'était, enfin, le tour du roi de
Portugal, qui assistait à la représentation du Bonheur, mesdames 1
dans une des grandes avant-scènes otficielles, ornées de fleurs et de
tapisseries d'Aubusson, et assurait M. Samuel qu'il était beureuz de
consacrer k la jolie pièce de M. Francis de Groisset sa première soirée
de liberté.
TÉHATRE DU PALAIS-ROYAL*
dinq pièces nouvelles : le Chopin et la Toison
d'or de MM. Kéroul et Barré; la Marche forcée
de MM. Georges Berr et Marc Serval ; Chambre à
part de M. Pierre Veber, et Une Revue au Palais-
Royal Aq MM. Pierre Veber et Adrien Vély cons-
titueront, avec des fortunes diverses, le bilan de
ce théâtre en igoB.
On avait affiché, le 3 janvier, la cinquantième
représentation d'Une , affaire scandaleuse de
MM. Paul Gavault et Maurice Ordonneau. Le 20
du même mois, on donnait le Chopin de MM. Ké-
roul et Barré ^. Certains bruits coururent sur la
pièce : M. Raimond avait, dit-on, refusé d^y tenir
le principal rôle, sous le vain prétexte qu'elle était
trop « leste ». Leste, elle Test certes, non dans
des termes qui ne bravent pas trop effrontément
1. — Directeur : M. Maurice Chariot ; administrateur général : M. Ar-
mand Lévy ; secrétaire général : M. André Chariot.
2. Distribution. — Dartignac, M. Qalipaux. — Roger Boulac, M. Hur-
teaux, — Robillard, M. Guy on fils. — Le prince Pétroloff, M. Tréville.
— CoUardot, M. Hamilton. — Anatole Durand, M. Duplay. — Baptiste,
M. Bellucci. — M"n« Marignan, Mœo Berthe Legrand. — Josette, M'i« Ai-
mée Samuel. — Suzanne, M»e Sarah Piernold. — Diana, MU» Jane
Faber. — Estelle, M»» Berîand,
M"« Aimée Samuel, indisposée, fut remplacée pendant quelques jours
par M»« Lucie Nobert, qui tint avec beaucoup d'adresse et de charme le
rôle de Josette.
Le Chopin était précédé d'un acte amusant de M. Eugène Héros : Don
Juan moderne.
232 LES ANNALES DU THEATRE
L'honnêteté, mais dans Taction, qui n'est, à vrai
dire, qu'une « coucherie » en trois actes. Peut-être
un jour mettra-t-on le mot sur l'affiche... En tout
cas, et sans aller jusqu'à cette franche appellation,
bien faite pour attirer les foules goguenardes, le
vaudeville de MM. Kéroul et Barré a fait rire abon-
damment, et les spectateurs nous ont paru plus
fortement amusés que réellement offusqués. Bref,
si M. Raimond n'avait point prévu le gros succès
du Chopin^ c'est que l'excellent comique du Palais-
Royal avait, pour une fois, contrairement à son
physique, manqué de nez... Cela commence bien du
reste : le rideau est à peine levé que nous voyons
— le spectacle n'a rien pour déplaire — M"« Faber
en troublant déshabillé^ venant d'utiliser avec Dar-
tignac (M. Galipaux n'eut pas, paraît-il, les mêmes
scrupules que son camarade Raimond) deux bonnes
heures dérobées à son mari. Quand celui-ci sur-
vient, l'oiseau a eu le temps de s'enfuir, mais il a
des soupçons, de graves soupçons. « Prouvez-moi
que vous avez une maîtresse, dit-il à Dartignac,
et je renonce à toute vengeance. » Le second acte,
l'inénarrable second acte, auf a pour but de prou-
ver « la chose » à ce terrible voyeur. Il se passe
dans une maison qui... dans une maison que...
dans une maison dont le type vous fut déjà donné
dans le légendaire Billet de loffement du même
Henri Kéroul. M'"« Marignan — que de fois
M™® Berthe Legrand n'a-t-elle pas joué le rôle ! —
est la tenancière dudit hôtel meublé, meublé et
truqué de telle sorte que, lorsque toutes les cham-
bres sont prises, il suffit d'appuyer sur un bouton
I -^
THEATRE DU PALAIS-ROYAL 233
— voyez Coralie et O^ — pour que, de la cheminée
du salon, sorte un lit de deux personnes. C'est le
lit où Dartignac se montrera avec Josette, son
ancienne maîtresse, le soir même où Josette doit
octroyer à son mari, naïf notaire de province, la
permission de détacher sa fleur d'oranger. C'est
ce même lit qui fut promis par M"™® Marignan aux
ébats du substitut CoUardot et d'une certaine Su-
zanne, bien résolue à tromper son mari. Et vous
voyez le mélimélo, aggravé par ceci que, dans une
chambre voisine, où il s'est enfermé avec M™® Bou-
lac (c'est encore et toujours la belle M'^^ Faber) le
prince Pétroloff attend de la musique de Chopin,
son illustre compatriote, l'excitant dont il a besoin. . .
Mais inutile d'insister : je vous ai dit que tout cela
était inénarrable, et cela doit vous suffire.
17 MARS. — Première représentation de la Mar^
che forcée de MM. Georges Berr et Marc Servais
— Majoret a trompé Champagnac, alors qu'il était
l'amant d'une certaine Madeleine de Commercy.
Champagnac a pardonné, mais à la condition que
le jour où il réclamerait de lui un service quelcon-
que, Majoret quitterait tout pour le lui rendre.
Cela se passait il y a dix ans. Aujourd'hui Cham-
1. Distribution. — Majoret, M. Raimond. — Le marquis Galaor,
M. Ch. Lamy. — Champagnac, M. Galipaux. — Jonathan Pim, M. Hur-
teaux. — Le cocher, M. A. Guyon. — Des Pommettes, M. Tréville. —
Gaétan, M. Hamilton. — Le docteur, M. Bellucci. — Psittakos, M. Jul-
lien. — Trèflatout, M. Orsy. — Gouddakirsch, M. Scipion. — Le com-
missaire, A. Pache. — Joseph, M. Gueudin. — M"»^ Majoret, M^o Berthe
Legrand. — Jeanne des Pommettes, M^o Aimée Samuel. — Pauline,
MU» Suzanne Demay. - Poupoule, M»» Jane Faber. — La princesse,
MUe Mynnie.
Le rôle de Majoret était la soixantedix-huitiéme création, sur la
scène de l'ancien théâtre de la Montansier, de l'excellent Raimond.
234 LES ANNALES DU THEATRE
pagnac a besoin d'un motif sérieux pour rompre avec
Madeleine de Commercy — je veux dire avec Pou-
poule — car il cherche à se faire aimer de M"*^ des
Pommettes en lui montrant qu^il est libre de toute
autre chaîne. Alors il vient relancer Majoret et lui
fait promettre, le revolver au poing, de se faire
pincer en flagrant délit avec Poupoule. Majoret a
promis; c'est « la marche forcée »... Ghampagnac
emploie donc le prétexte classique : il feint de
partir pour Glermont (Oise). Majoret se rend chez
Poupoule, 21, rue Mozart, où il est, en eff'et, sur-
pris, non pas par Champagnac, mais par sa propre
femme... C'est tant pis pour_M. des Pommettes,
qui, un jour d'erreur — il y a de cela quinze belles
années — fut l'amant de M'»® M-ajoret, et celle-ci
a juré de le reprendre, ou de tout dire à son
mari, si jamais elle apprenait elle-même qu'elle
était trompée. Pauvre des Pommettes ! Quinze ans
se sont écoulés, je viens de vous le dire : M"^® Ma-
joret est devenue, à proprement parler, absolu-
ment... inhabitable. Nous en voyons bien d'autres
21, rue Mozart; c'est le traditionnel second acte,
chez la cocotte... Nous y voyons, par exemple, un
Brésilien d'opérette — il y en a donc toujours ? —
arrivant tout exprès pour « s'appuyer Poupoule »,
dont plusieurs de ses compatriotes venus avant lui
à Paris lui ont dit tant et tant de bien. Galaor —
c'est le nom du Brésilien — tient à rester toujours
à la hauteur de la situation. Aussi ne voyage-t-il
jamais sans un brûle-parfums, dont la bienfaisante
odeur a les puissantes propriétés qu'avaient na- ,
guère, dans le répertoire, certaines « dragées
THEATRE DU PALAIS-ROYAL 235
d'Hercule ». C'est au point que, pour l'avoir res-
pîrée ensemble, M™^ des Pommettes et Majoret,
qui, un instant auparavant^ ne' se connaissaient
même pas, deviennent subitement et irrésistible-
ment amoureux l'un de l'autre : l'idée est vraiment
drôle, et produit les plus divertissants effets. Mais
un second acte, si réussi qu'il soit, ne saurait suf-
fire au succès de toute une pièce, et je crains que,
pour être rempli d'épisodes assez inutiles, le troi-
sième ne paraisse un peu bien vide. Disons que
Champagnac finit par rejoindre Majoret fuyant en
automobile avec M™® des Pommettes, que des
Pommettes parvient enfin à se débarrasser de
Mme Majoret, sans que Majoret puisse comprendre
qu'il s'est trouvé un homme assez fou pour enlever
sa femme... Majoret, c'est Raimond ; Champagnac
c'est Galipaux, et des Pommettes, Tréville : tous
trois sont très amusants, et ce n'est certes pas la
faute de M. Charles Lamy, s'il ne peut tirer meil-
leur parti d'un personnage aussi usé que l'est son
Brésilien. Bien ingrate, voire même un peu pénible,
est la tâche de M™® Berthe Legrand (qui ne cesse,
pendant ces trois actes, de s'entendre dire qu'elle
est vieille et laide), et plutôt quelconque, cette fois,
celle de M''« Aimée Samuel. Citons encore M"« Su-
zanne Demay, assez gentille en un rôle de moderne
femme de chambre, auquel M"« Eveline Janney,
au talent trop peu utilisé, eût certainement donné
un particulier relief, puis M*^« Faber, d'une « grue-
tie » bien nature, et regrettons de voir M. Guy on
s'employer en une « panne » de deux lignes, ab-
solument indigne de ce bon comédien.
236 LES ANNALES DU THEATRE
Le 6 avril, on avait repris la Cagnotte^ ^ dont
quelques jours après, le i3 avril, on fêtait la
millième représentation.
22 AVRIL. — Première représentation de Cham-
bre à part^ pièce en trois actes de M. Pierre
Veber2 et du Gant^ pièce en un acte de MM. Paul
Bilhaud et Maurice Hennequin3. — A la fleur dô
ses vingt ans, Nicolette a rapporté de Pau, où elle
s'est élevée un peu librement, des idées très arrêtées
sur le mariage. Elle veut tout de suite — autant
tout de suite que plus tard, pense-t-elle — faire
1. La Cagnotte était jouée par MM. Lamy, Hurteaux, Guyon, Hamilton,
M"» Berthe Legrand... Se souvient-on que le légendaire vaudeville de
Labiche et Delacour fut représenté pour la première fois au théâtre de
la rue Montpensier, le lundi 23 février 186 i, avec une interprétation
de tout premier ordre qui comprenait Geoffroy, Brasseur,. Lhéritier,
Luguet, Lassouche, Pellerin, Kalekaire et M"»» Thierret? Ces artistes
tenaient les pricipaux rôles et créaient les « traditions » d'amusaate
cocasserie qui nous amusent aujourd'hui autant qu'au premier jour. Tous
les acteurs dont le nom est devenu célèbre dans les annales du Palais-
Royal ont joué la Cagnotte. Pellerin, Numa, Sanson, Fizelier, Montbars,
Duval ont repris avec succès les rôles marqués d'une inoubliable em-
preinte par leurs prédécesseurs. Calvin débutait en 1872 dans le rôle de
Golladan créé par Brasseur ; mais seul M. Lamy, qui tient le personnage
aujourd'hui, a pu par sentaient si fin et sa verve plaisamment bouffonne
approcher de la perfection comique atteinte par ce bon comédien. Il
est intéressant de retrouver dans les distributions successives de la
Cagnotte^ depuis quelques années, le nom des artistes qui font partie de
la troupe actuelle. C'est ainsi que M. Galipaux joua le jeune clerc de
notaire. En 1877, M. Raimond se vit attribuer le rôle du garçon de café,
puis celui de Sylvain, créé par Lassouche. M. Hurteaux détient un record.
Nul autant que lui n'a contribué au succès de la Cagnotte -r- puisqu'il a -
tenu, tour à tour, les personnages de Tricoche, de Benjamin, de Sylvain,
avant d'apporter sa rondeur si joviale à celui de Gordenbois.
2. Distribution. — André, M. Raimond. — Montrachet, M. Hurteaux.
— La Ghambotte, M. Tréville. — Des Vignolles, M. Jullien. — Germain,
M. Crozan. — Mme Monbissac, Mme Berthe Legrand. — • Nicolette,
MUo Suzanne Demay. — Marceline, M^e Nobert. — Florize, MUc Faber.
— Alice, MUo Mynnie,
3. Distribution. — Boisjoli, M. Tréville. — Gotanson, M. Duplay. —
Blanche, MUe Aimée Samuel. — Mathilde, M'ie Piernold. — Gatherine,
M>ic Berlind.
THEATRE DU PALAIS-ROYAL 287
« chambre à part », et entend rester avec celui
qui aura Thonneur d'être son mari sur le pied
d'une simple et bonne camaraderie. Et déjà elle a
jeté son dévolu sur son cousin, André Montrachet,
qui ne s'est signalé, jusqu'ici, que comme un
enragé fêtard, et à qui elle accorde d'autant plus
volontiers sa main qu'il la lui demandait pour un
ami, le timide La Chambotte. La tante Monbissac
est ravie: voilà une union qui promet... Elle
ne promet qu'un bon divorce, un divorce d'incli-
nation. Car au bout de six mois, nos deux « cama-
rades » vivent comme chien et chat, au milieu de
disputes continuelles, à propos de tout et de rien,
sans vouloir s'abaisser l'un et l'autre, à la moiadre
des concessions. C'est tout au plus si, pour être
agréable à la tante Monbissac, toujours très con-
tente d'avoir fait le mariage, et pour faciliter une
a.flFaire qu'elle est en train de conclure avec papa
Montrachet, André et Nicolette consentent à une
trêve de deux heures au milieu de leur lutte intes-
tine. Bien qu'ils se détestent, ils s'appelleront
« mon chéri, » et « mon adoré » et s'embrasse-
ront devant la tante quand, en réalité, ils ne son-
gent qu'à se mordre. Un instant, pourtant — la
bonne tante ayant malicieusement déclaré qu'elle
se trouvait si bien chez eux qu'elle allait y rester
trois semaines — un instant, dis-je, on a pu croire
à un rapprochement entre nos deux époux réunis
— • pour la forme seulement — dans là même
chambre. Mais alors qu'il allait se faire écouter de
sa femme, à laquelle il n'avait jamais encore si gen-
timent parlé, André a été rappelé à l'ordre par un
238 LES ANNALES DU THEATRE
signal donné : c'est Marceline, une aimable veuve,
qui a résolu de faire de lui son troisième mari,
tandis que sous la fenêtre de Nicolette soupire
amoureusement l'opiniâtre La Chambotte. Décidé-
ment on divorcera .. . On divorcera, non pour
cause d'incompatibilité d^humeur — le motif n'est
pas admis — mais on se servira d'un moyen qui
ne rate jamais : la constatation de l'entretien d'une
maîtresse sous le toit conjugal. Il n'y a pour cela
qu'à téléphoner à M"® Florise de Mézidon qui
s'amène avec .son matériel. Un type que cette Flo-
rise qui, pour rester avec l'amant de son choix,
' gagne sa vie — les temps sont si durs ! — en se
faisant des cachets comme concubine. Cette fois
pourtant, en bonne fille qu'elle est, elle hésite à
désunir ces jeunes mariés de six mois, adresse à
Nicolette de sages conseils et s'arrange pour être
surprise en flagrant délit, non point avec André,
mais avec La Chambotte. Adieu le divorce : nos
époux s'aiment et se le disent : plus de chambre à
part ! Tel est dans un joli dialogue bourré de mots,
dont quelques-uns sont tout neufs et quelques
autres un peu plus connus, le maigre sujet (c'était
le samedi saint) de l'aimable et fine comédie de
M. Pierre Veber, fort bien jouée par M. Raimond
et M'*^ Suzanne Demay — dans André et dans
Nicolette — par M. Tréville (La Chambotte),
l^raes Berthe Legrand, Nobert et Faber. — Avec
le Gant^ un acte très ingénieusement agencé par
MM. Paul Bilhaud et Maurice Hennequin, très
vivement présenté par MM. Tréville et Duplay,
Mmes Andrée Samuel et Piernold, le Palais-Royal
THEATRE DU PALAIS-ROYAL 289
nous avait donné là un spectacle moral qui eût
obtenu un succès fou à l'ancien Gymnase, celui
qu'on appelait le théâtre de Madame.
Le i5 mai, on reprenait V Affaire Mathieu de
M. Tristan Bernard* : un joli succès de gaieté et
de bonne humeur qui, selon nous, se justifie sur-
tout par la fantaisie et les trouvailles du dialogue.
Ce n'est ni la comédie d'observation, ni la pièce
rosse, ni la pièce grivoise ; c'est^ sans d'autre pré-
tention que celle d'exciter franchement notre hila-
rité, l'ingénieux vaudeville à quiproquo qui peut
être vu par tout le monde et faire le bonheur des
familles. Hennequin fourrait ses personnages dans
les placards ; M. Tristan Bernard les met carré-
ment dans une malle et de cette malle habitée par
des êtres vivants, partent des fusées de bons rires.
M. Raimond était, naguère, un impitoyable Folar-
mand. Nous mentirions en disant que M. Tréville
nous l'a fait oublier. . . Mais nous noterons l'amu-
sante composition de Biaise, l'ex-serrurier abruti
et amoureux qu'a tentée avec bonheur M. Hamilton,
succédant à M. Charles Lamy. . . Et puis, n'est-ce
pas vraiment un poème de joie que la tête de
1. Distribution. — Godelle, M. Guyon. — Folarmand, M. Tréville. —
Biaise, M. Hamilton. — Mathieu, M. Armand Marie. — Borlier, M. Orsy.
— Flappeau, M. Jullien. — Lormoy, M. Grêlé. — Chalmu, M. Scipion.
— Un domestique, M. G. Durafour. — Totor, M. Giteudin. — Eugène,
M. Crozan. — Trapoux, M. Fretel. — Jeanne Godelle, M"o yobert. —
Rosalie, MU« Berland. — Félicie, M"" Mynnie. — Augustine, MH« Lam-
bray, — Berthilde, Mii« Germaine Ry.
\/ Affaire Mathieu était précédée du Seul bandit du village^ vaude-
ville en un actede M. Tristan Bernard, ainsi distribué ; Arsène, M. Guyon.
— Le baron. M. Grandjean. — Le gentleman-farmer, M. Jullien. — Un
commissaire, M. Grêlé. — La baronne, M»« Jeanne Chesnel. — Julie,
M»i« Detrême.
24o LES ANNALES DU THÉÂTRE
M. Guyon dans Arsène le « seul Bandit du village »
qu'il avait déjà joué avec succès aux Capucines ?
C'est avec ce spectacle que la saison se clôturait le
3i mai. Le théâtre rouvrait ses portes le 2 sep-
tembre en réprQpiant, dans une salle entièrement
remise à neuf, le Chopin dont nous avons parlé
plus haut*.
II OCTOBRE. — Première représenetation delà
Toison d'or, vaudeville en trois actes de MM. Ké-
roul et Barré ^. — Les grands esprits se rencon-
trent, dit-on ; les vaudevijillistes aussi. C'est ainsi
que MM. Kéroul et Barré ont repris une idée
qu'avaient eue avant eux MM. Maurice Desvallières
et Antony Mars, les auteurs de Maître Nitouche,
puis MM. Eugène Larcher et Jacques Monnier, les
auteurs du Jumeau. Seulement, il s'agit cette fois
d'une femme . . . habitant une maison à* double
issue ... Et vous vous doutez des quiproquos drô-
1. Distribution. — Roger Boulac, M. Hurteaux. — Robillard, M. Guyon
fils. — Le prince, M. Tréville. — Dartignac, M. Jullien. — Anatole
Durand, M. Diamand. — Gollardot, M. Georges Say. — Baptiste, M. H.
Baur. — M"»» Marignan, Mme Berthe Legrand. — Josette M'i» Aimée
Samuel. — Suzanne, Mi'« Eveline Janney. — Diana, M»« Jane Faber.
— Estelle, M»« Lambray.
Le Chopin était précédé d'un vaudevilleenunactedeM. Jacques Yvel,
intitulé Le Coiffeur de Madame.
2. Distribution. — Sigismond, M. Raimond. — Ghabal^ M. Hurteaux.
— Ledamier, M. Guyon fils. — Des Ablettes, M. Tréville. — Roger Fré-
ville, M. Jullien. — Dumoulin, M. Diamant. — • Bricard, M. Scipion. —
Plumasson, M. Henri Baur, — Mm» Ghabal, M^e Berthe Legrand. —
Eva de Miromesnil, Glotilde Muzard, MU» Viviane Lavergne.— Suzanne,
M»o Suzanne Demay. — Manette, M>1« Eveline Janney. — Lolotte,
MUe Borland. — Stella, Aî^e Madeleine Siamé. — Julie, M»» Lambray.
— Lydie, M"» Gurcia. — Zoé Vwrdier, îS^^-Ltrcette. — Iiouise Verdier,
Mlle Germaine Ry. — Jane Verdier, M^i» Cleo.
La Toison d'or sera bientôt accompagnée d'un amusant vaudeville en
un acte de M. Ernest Blum, intitulé Un Drame dans un fiacre.
THEATRE DU PALAIS-ROYAL 24 1
latiques découlant d'une situation qui est celle des
antiques Ménechmes en une seule et même per-
sonne. Nos modernes Plante — Plante était déjà
imitateur de Ménandre — en ont fait une pièce
amusante qui, grâce au talent de Raimond, dont
l'action sur le public est toujours énorme, et à la
bonne grâce de M**^ Viviane Lavergne, secondée
avec entrain par MM. Hurteaux, Guyon, Tréville,
M^'® Éveline Jann«y, etc., a fort amusé un audi-
toire déjà disposé à la gaîté par le cadre d'une
pimpante salle, restaurée avec beaucoup de goût,
sous le règne — les historiens du Palais-Royal
seront tenus d'en faire mention — de l'aimable di-
recteur Maurice Chariot.
i^^ DÉCEMBRE. — Première représentation d'Une
Revue au Palais-Royal^ en dix tableaux, dont un
prologUe, de MM. Pierre Veber et Adrien Vély*.
— Des spectateurs heureux, souriants, dans une
salle pimpante; sur la scène, parmi les décors pit-
toresques et les costumes chatoyants, un papillo-
1. Distribution. — Guy XIV, M. Cooper. — M. Machin, le caporal,
M. Hurteaux. — Le facteur, le commissaire, M. Martinet, M. Guyon
fils. — Camille Desmoulins, José, la milliardaire, l'abbé Daniel, M. Tré-
ville. — L'inspecteui: des P. T. T., Patouille, Cabrion, le soldat,
M. Hamilton. — Le président, M. Pipelet, M. Jef, M. Bellucci. — Pépé,
Demi-Soupir, premier Nib, M. Jullien. — Le directeur, l'avocat,
M. Prudhomme, le rédacteur en chef, l'évêque, M. Diamand. — Le
J. N. s. R., M"» Machin, M'i« Aimée Samuel. — La cantinière, la Rue
Bréda, l'Opérette française. M»® Jeanne Petit. — La dame, Pépa, la
Puce, l'élève du Conservatoire, M"» Derminy. — La Fête, M"e Jane
Faber. — L'Omnibus automobile, première Midinette, Jeriny l'Ouvrière,
M»« Eveline Janney. — Mme Lagrive, duchesse de Ghiales, MH*» L. No-
bert. — L'Espagnole, premier mouchard, deuxième Nib, M^e Franville.
— Portugaise, M^e Pipelet, sixième Nib, M»» Debary. — La Crème,
MUe Berland.
Une Bévue au Palais-Royal était précédée d'un aimable vaudeville de
M. Ernest Depré, intitulé : Ce bon Titien.
ANNALES DU THEATRE 16
242 LES ANNALES DU THEATRE
tage de beaux yeux, de bouches roses, de chairs
blanches; de délicieuses reconstitutions, des actua-
lités à fleur. . . de peau, de la satire mordante, et
des couplets, et des rondeaux, et de la danse, —
et pas de scènes dans la salle, sauf celles qu'inter-
prètes et auteurs y font naître par leur esprit : la
Revue du Palais^Royal évoque toutes ces choses
fort joliment. Enfin, nous avons applaudi une revue
qui, bien que superbement montée, n'était pas
écrite en vue de la seule mise en scène : une revue
jouée par de vrais comédiens. Il faut avouer que
le fait du jour prend un bien autre relief, présenté
par des artistes renommés comme M'"®* Aimée
Samuel, Eveline Janney, Faber et MM. Tréville,
Cooper, Guyon fils, Hurteaux, Jullien, Hamilton,
etc. Depuis la Briguedondaine^ de Ferrier, Depré
et Clairville, représentée plus de cent fois, il y a
quelque quinze ans, nous n'avions assisté en ce
genre, au Palais-Royal, qu'à des tentatives éphé-
mères. Edmond Gondinet lui-même s'y était autre-
fois brûlé les ailes. Aujourd'hui, les beaux jours
sont revenus dans cette coquette petite salle où
depuis tant d'années le rire est le propre de l'homme
et iiù les spectateurs vont être charmés durant de
longs soirs. Peut-on raconter une revue? Elle
n'emprunte son charme qu'à la forme de ses scènes.
Tout au plus convient-il de s'attarder à l'ingénio-
sité du point de départ. Ici c'est un roi d'Illyrie,
ou de quelque autre pays de rêve, l'élégant Guy
XIV qui, de passage à Paris incognito, revient
voir le théâtre de ses anciennes conquêtes. Mais, ^
comme il goûte la joie de passer inaperçu, en bon
THEATRE DU PÀLAis-ROYAL . 243
bourgeois, il est reconnu de la préposée au bureau
de location (ô loge 22, que de frissons royaux
lu collectionnais jadis I), puis du directeur, du
régisseur, du marchand de programmes, du garde
municipal lui-même. « Vive le roi ! ». et le voilà
forcé d'entendre la Marseillaise. Guy XIV, au
' moment de pénétrer dans la salle, apprend qu'on
joue la Cagnotte qu'il a vue plus de cent-dix-sept
fois. Epouvanté, il appelle à son aide la Fête, au
bras de laquelle il va faire le tour de Paris. Sucr
cessivement alors, il se trouve au jardin du Palais-
Royal, transformé par une société américaine en
succursale du nouveau monde, puis, dans le hall
d'un hôtel fantaisiste, le Cosmopolis. Chez le cou-
turier, nous admirons de jolis déshabillés de fem-
mes; sur les fortifs, nous partageons les regrets
de la bande à Costeau, désolée que la Ville, détrui-
sant les talus gazonnés, supprime ainsi leur chaise
longue ; au tribunal, c'est l'identité constatée de la
femme au masque et la plaidoirie en faveur de
l'amour obligatoire dans le mariage, prôné par
M. Paul Hervieu. Enfin, voici la rue Bréda avec ses
anciennes grisettes, ses gardes nationaux, M. et
M'"® Pipelet, victimes de Cabrion, et Jenny l'Ou-
vrière, si gracieuse, si fine, avec une pointe d'iro-
nie moderne, Jenny l'Ouvrière célébrant modeste-
ment ce qui lui vient d'un « vieux ». Après le bal
entraînant de la Grande Chaumière, l'acte des
théâtres nous a réservé quelques bien amusantes
roçseries, parmi lesquelles les couplets du Volcan
malade où, parlant de l'auteur de cette pièce tris-
tement célèbre, on chante :
244 LES ANNALES DU THEATRE
Est-il carré, rond, pointu ?
A-t-il plus d'talent qu'son père ?
On n'en a jamais rien su 1
Et la scène du Belge dont le premier soin est
'd'aller voir Paris :
... La pièce de Croisset fils,
Aussi célèbr' que i'Manneken-pis.
A travers tout cela, passe le défilé des couturières
du premier empire, les femmes de Gavarni, les
fêtes espagnoles et portugaises, des jambes, des
épaules, des femmes « pile » et d'autres « face »,
toutes louables et confortables, en des costumes
signés LandolfF, ou pas de costumes du tout. In-
terprétation excellente. Une spirituelle parodie du
« Je ne sais rien ! » a valu à M^*^ Aimée Samuel
une ovation méritée. Deux nouvelles recrues,
]\fraes Derminy et Campton, toutes deux transfuges
de music-halls, apportèrent l'agréable note de leurs
talents différents. La première, pittoresque Puce
de la bande à Costeau, imita à la perfection, en
élève du Conservatoire, Lavallière et Polaire, et se
tailla un succès légitime. Miss Campton, elle, enleva
la salle par sa grâce, sa mutinerie., son entrain :
elle incarna une miss Alice Roosevelt délicieuse et
un marin endiablé, — de ceux qui reçurent les
marins français à Portsmouth. Quelle gaîté, quel
esprit dans les moindres répliques, dans les moin-
dres gestes de M'^^ Eveline Janney ! II faut l'en-
tendre dans son « omnibus automobile » dire de
son ton de joyeuse gouaillerie : « J'ai pas peur'. . .
c'est l'amant de ma sœur ». Et en Jenny l'Ouvrière,
I
THEATRE DU PALAIS-ROYAL 245
elle semble une gravure de Gavarni, si gracieuse
et si bien chantante. Citons enfin Jane Faber, ap-
pétissante commère, L. Norbert à la ligne impec-
cable, aux larmes gaies en duchesse de Chiales, et
Fernanville, grasse Espagnole, et Debary, Portu-
gaise affriolante, et Siamé, et Lambray, et Garcia
en Phryné nature. Côté des hommes : Cooper en
Guy XIV, vieux marcheur, roi de la distinction et
de Télégance, interprète éternellement jeune de la
vieille chanson ; Tréville, précieux acteur de com-
position qui, de Tabbé Daniel du Duel et de la
statue de Camille Desmoulins, tira deux figures
inoubliables et fit applaudir la mïiëstria de sa danse
espagnole; Guyon fils, facteur désopilant; Hamil-
ton, étonnant en pioupiou qui répète Cyrano de
Bergerac sous les ordres de son sergent ; Hur-
teaux, qui débita avec tact la scène plutôt leste du
tribunal; Jullien, acteur solide et sûr; Diamand,
épique en évêque de la parodie du Diiel\ Bellucci,
Belge parfait et Pipelet sensible ; Henri Baur, iné-
narrable en juge gâteux ; Georges Scey, toujours
pittoresque; Grêlé et Scipion, toujours conscien-
cieux. J'ai gardé pour la bonne bouche, si j'ose dire,
ou plutôt pour sa bonne voix, M'^^ Jeanne Petit,
dont nous avons eu plaisir à réentendre le timbre si
juste. Ses airs de la Belle Hélène, de la Cantinière
et du Petit Duc (l'opérette française) furent écoutés
avec un grand agrément, et Ton bissa ses couplets de
Colinette de la rue Bréda délicieusement murmurés
avec Cooper... LaReune du Palais-Royal termine
l'année igoB, résumée dans le tableau suivant:
246
LES ANNALES DU THEATRE
Une A/faire scandaleuse, vaudeville ...
Une idée de Barineau, vaudeville
*Le Chopin, vaudeville
*Don Juan modei'ne^ comédie
*La Marche forcée, vaudeville
La Cagnotte, vaudeville
* Chambre à part, pièce
" *Le Gant, pièce
* Monsieur Baptiste, vaudeville
L'Affaire Mathieu, pièce
*Le Seul Bandit du Village, vaudeville.
*Le Coiffeur de Madame, vaudeville. . . .
*La Toison d'or, vaudeville
*Un drame dans un fiacre, vaudeville..
*Une Revue au Palais-Royal
*Ce bon Titien, vaudeville
NOMBRE
. d'actes
4
1
3
1
3
5
3
1
1
3
1
1
3
i
10 1. 1 pr.
1
DATE
de la
Ire représ,
ou de la
. reprise
20 janv.
25 janv.
17 mars
»
22 avril
22 avril
23 avril
15 mai
15 mai
2 sept.
11 octob.
24 octob.
1er déc.
5 déc.
NOMBRE
de
représent.
pendant
Tannée
23
27
106
118
22
16
26
26
23
17
17
55
54
43
38
33
THÉÂTRE SARAH BERNHARDT^
L'année s'était ouverte avec les pièces du réper-
toire : la Sorcière et V Aiglon ^ la Dame aux
camélias et la Tosca ...
7 FÉVRIER. — Première représentation d'An-
ffelo, tyran de Padoue, drame en cinq actes de
Victor Hugo, pavane et inadrigal de M. Reynaldo
Hahn 2. — C'est à la Comédie-Française que Victor
Hugo donna Angelo. M"^ Mars avait entendu chez
elle une lecture du drame, et, entre les deux rôles
de femme, elle choisit celui de la Tisbé. M™® Dor-
val fut engagée à la demande de l'auteur pour
représenter l'autre personnage, celui de Gatarina
Bragadini, la femme du podestat. Ce choix par
]\Iiie Mars de la courtisane, quand le rôle de
l'honnête femme convenait beaucoup, mieux à la
distinction de sa personne et de son talent, n'avait
d'autre raison que la crainte de laisser trop d'avan-
tages à l'actrice populaire de la Porte-Saint-Martin,
1. — Directrice : M"»* Sarah Bernhardt ; secrétaire général : M. Juë.
2. Distribution» — Homodei, M. de Max. — Angelo, M. Desjardins.
— Rodolpho, M. Deneubourg. — Anafesto, M. Guidé. — Gaboardo,
M. Cauroy. — Orféo, M. Cartereau. — Ordelafo, M. Bary. — Le doyen,
M. Mùntvallier. — L'archiprêtre, M. Espinasse. — Un page noir,
M. /. Angelo. — Un huissier, M. Habay. — La Tisbé, Mme Sarah
Bernhardt.— Gatarina, M^o Blanche Dufrène. — Reginella, W^^Seylor.
— Dafné, M»« Kerwich.
2^8 LES ANNALES DU THEATRE
en lui permettant de développer à Taise la fougue
et le naturel de ses qualités instinctives. On devine
ce qui se dut passer aux répétitions entre ces deux
rivales. Célimène fut écrasante d'impertinence, et
la pauvre Marie Dorval supporta tout pour ne pas
créer d'obstacles à la représentation ^e l'ouvrage.
M*^^ Mars dit un jour à l'un de ses camarades un
mot terrible : « Quand on répète auprès de cette
femme on a toujours envie de se gratter. . . » Ce
fut une véritable campagne dramatique que l'ob-
tention de la mise en vedette sur l'affiche du nom
de M'"^ Dorval après celui de M"^ Mars, qui
arguait de son droit pour y figurer seule. Victor
Hugo alla jusqu'à menacer l'administration du
retrait de la pièce si l'on persistait dans ce déni
de justice. Après bien des bondissements de ce
genre, le navire entra enfin dans le port : la repré-
sentation eut lieu le 28 avril i835. Les deux
actrices furent admirables, chacune dans son
genre, chacune avec ses qualités et ses imper-
fections. Quand l'une faiblissait, l'autre relevait la
scène avec une autorité et un effet incomparables.
Beauvallet donna une empreinte merveilleuse au
rôle du podestat de Padoue. Les ricaneurs désap-
pointés ne trouvèrent pas où mordre, et le drame
obtint un triomphe complet. La pensée du maître
était d'opposer deux types de femme : la femme
dans la société, la femme hors la société, toutes
deux se défendant. Tune contre la tyrannie d'un
mari sans amour et sans générosité, l'autre contre
le mépris. Il voulut, dit-il, « enseigner à quelles
épreuves résiste la vertu de l'une, à quelles larmes
m^ATRE SARAH BERNHARDT 249
se lave la souillure de l'autre : faire vaincre, dans
ces deux âmes choisies, les ressentiments de la
femme par la piété de la fille, l'amour d'un amant
par l'amour d'une mère, la haine par le dévoue-
ment, la passion par le devoir. » L'émotion des
spectateurs qui a toujours accompagné ce drame
à ses diverses reprises — en province on le joue
souvent — prouve que l'auteur à'Angelo avait
admirablement réussi à incarner sa pensée dans
les deux grands rôles de la pièce. La Tisbé et la
femme d'Angelo Malipiéri n'émurent pas moins
l'auditoire quand leurs douleurs furent traduites
par Rachel et par sa sœur Rebecca. La pauvre
Rebecca, morte très jeune, annonçait une actrice
de premier ordre ; elle enleva à plusieurs reprises
les enthousiasmes de la salle, même à côté de sa
sœur, qui fut merveilleusement belle cependant.
Des critiques moroses — il y en a toujours —
essayèrent de prouver que Phèdre et Athalie déro-
geaient en pactisant avec la muse moderne. On
peut croire (q[ue si Victor Hugo avait voulu écrire
un rôle pour Rachel, c'eûi été un triomphe pour
l'auteur et pour l'actrice. Ah ! comme notre incom-
parable Sarah Bernhardt a joué cette scène du
second acte, lorsque la Tisbé, toute pâle, entre
daus la chambre de la femme du podestat. —
« Qu'est-ce que ceci ?» — Je vais vous le dire :
« C'est la maîtresse du podestat qui tient dans ses
mains la femme du podestat. . . C'est une comé-
dienne, une fille de théâtre, une baladine qui tient
dans ses mains uue femme mariée, une vertu ! »
Catarina nie d'abord toute relation avec Rodolfo,
25o LES ANNALES DU THEATRE
puis elle avoue qu'elle a peut-être Gommis quelque
imprudence, mais voilà tout. La Tisbé ne veut
rien entendre ; elle appelle à haute voix le mari
qui dort dans la chambre voisine. Tout à coup la
vue d'un crucifix pendu au mur révèle, à la comé-
dienne que ce gage de pardon fut jadis donné par
sa mère à une femme qui la sauvée" de la mort,
('ette femme, c'est Catarina Bragadini, la femme
du podestat qu'elle allait perdre et qu'elle veut
sauver : le crucifix de sa mère !... Lorsque, éveillé
par les cris de la Tisbé, survient le terrible tyran
de Padoue, « tyran pias doux », comme disait la
parodie de Duvert, la comédienne protège à son.
tour sa rivale. La dernière scène de ce drame,
celle où Rodolfo tue la Tisbé^ qu'il croit coupable
du meurtre de la Catarina, est sans doute d'un bel
effet scénique, et elle offre à une artiste de la
Valeur de M™® Sarah Bernhardt l'occasion . de
magnifiques élans ; mais cette scène n'a-t-elle pas
le tort de rappeler le dénouement de Roméo et
Juliette^ déjà remis au théâtre par tant d'auteurs
et sous tant de formes. ,11 y a dans Angelo trop
de mystères, de clefs, de narcotiques, de chemins
dans les murs, trop de ficelles et de formules, ce
qui n'empêche pas l'effet d'être considérable, grâce
au génie d'une « Sarah » qui fait tout passer,
rajeunit les phrases les plus' vieilles et rend
sublime ce qui pourrait paraître, aujourd'hui,
légèrement ridicule. Quel dommage, quel grand
dommage que, même après les changements de
distribution de la dernière heure, M'"^ Sarah
Bernhardt ait été si médiocrement entourée ! . . .
-<
THEATRE SARAH BERNHARDT ti5l
Et ce fut une mauvaise soirée que celle où nous
vîmes à la fois M. Desjardins manquer de diction,
M. Deneubourg manquer de panache et M"^ Blan-
che Dufrène manquer de sincérité... Seul, M. de
Max avait droit à tous nos éloges : il fut, avec le
talent que vous lui connaissez, un impressionnant
Homodei. On sait que la pièce, d'abord en cinq
actes, avait été amputée de l'épisode prétendu dan-
gereux de l'assassinat d'Homodei qui, au lieu de
passeren action, ne' devint plus qu'un récit. Victor
Hugo avait fait cette concession aux scrupules de
la Comédie-Française, qui se rappelait avec terreur
les luttes du 22 novembre 1882, à propos du bouge
de Maguelonne, à l'unique représentation du Roi
s'amuse. L'acte, imprimé dans les dernières édi-
tions de Victor Hugo, n'avait encore jamais été
représenté. Il appartenait au théâtre de M^® Sarah
Bernhardt de nous donner Angelo en son entier,
tel qu'il fut conçu par le poète. Tous les Hugolâ-
tres s'en réjouirent ...
26 FÉVRIER. — L'annivexsaire de la naissance de
Victor Hugo était dignement célébré au théâtre
Sarah Bernhardt. Ayant Angelo^ et devant une
salle comble, M. de Max disait de sa voix grave et
prenante les vers superbes que M. Jean Richepin
avait composés tout exprès pour la solennelle cir-
constance, et que le brillant poète eût pu dire lui-
même — la fête eût alors été complète — si l'on
n'avait pas craint le fâcheux contraste du laid et
triste habit noir de nos jours au milieu des gais et
somptueux costumes du seizième siècle et de la
Renaissance italienne. M. de Max a d'ailleurs fait
252 LES ANNALES DU THEATRE
résonner comme il le fallait Tode magnifique aux
images admirables et aux rimes impeccables, que
M. Jean Richepin a ciselée en maître ouvrier qu'il
est, pour rhonneur du dieu :
O père bon, ô père juste,
Permets-nous de fleurir ton buste,
Et souris, dans ta face. auguste,
A la palme que va poser
Celle qui reste ta prêtresse
Et dont la main d'enchanteresse
Garde en immortelle caresse
Le diamant de ton baiser!
Et après avoir confondu dans les mêmes salves
de chaudes ovations les noms d'Hugo, de Riche-
pin et de Sarah Bernhardt, nous eûmes la joie de
revoir l'idéale interprète de la Tisbé, adorablemènt
jeune et infiniment élégante, spirituelle, moqueuse,
d'ironie caressante, exqùisement fine et enjouée,
de hautaines envolées et de saisissante émotion,
dans une intensité de jeu grandissant d'acte en
acte, jusqu'au dénouement de ce curieux et « amu-
sant » drame d'Ariffelo, qui valait à notre grande
artiste l'un des plus légitimes triomphes de sa glo-
rieuse carrière. . .
8 AVRIL. — Première représentation de la recons-
titution d'une représentation d'Esther, donnée par
les élèves de Saint-Cyr en leur pensionnat en 1689,
devant le roi Louis XIV. Prologue en vers de
M. Jean Sardou*. — M°»e Sarah Bernhardt a eu
1. — Distribution d'Esther : Le Roi Assuérus, Mme SaroJi Bernhardt.
— Aman, premier ministre, Miio2)M/*rène. — Le juif Mardochée, W^^Jane
Méa. — Esther, la Reine, MUe Ventura, — Zarès, Mlle Kerwich. —
THEATRE SARAH BERNHARDT 253
ridée peu banale de représenter sur la scène de
son théâtre — Spectacle de semaine sainte et de
semaine de Pâques — Esther^ la célèbre tragédie
de Racine, telle qu'elle fut jouée par les demoiselles
de Saint-Cyr devant Louis XIV et M"^^ de Main-
tenon. La mise en scène, réglée par le maître
Victorien Sardou, nous montre le Roi assistant à
la représentation avec sa Cour. Un ingénieux
à-propos en vers de M. Jean Sardou nous a d'abord
préparés au spectacle en nous faisant pénétrer dans
rintimité du Roi causant avant Je lever du rideau
avec Racine et Boileau et se disposant à recevoir
ses invités. Esther fut représentée un an après la
résolution que M™« de Maintenon avait prise de ne
plus laisser jouer de pièces profanes à Saint-Cyr.
Elle eut un si grand succès qu'on la joua tout
l'hiver, et cette pièce qui devait être renfermée
dans Saint-Cyr fut vue plusieurs fois du Roi et de
sa Cour, toujours avec les mêmes applaudisse-
ments. Les demandes d'invitation affluaient et de
façon telle que M™^ de Maintenon dressait pour
chaque fois une liste de ceux qui devaient entrer,
et que le roi faisait en personne la police de la
salle. Le roi arrivait, se mettait à la porte inté-
rieure et « tenant sa canne haute pour servir de
barrière » demeurait ainsi jusqu'à ce que toutes
les personnes conviées fussent entrées; alors il
Elise, M"« Seyîor. — Hydaspe (officier) M>i« Simonson. — Asaph (offi-
cier, MH« Rosy.
Distribution du prologue : Le Roi, M. de Max. — Despréaux, M. Cha-
meroy. — Racine, M. Gerval. — Le Grand Dauphin, M. Deneubourg. —
Monsieur, M. Durée. — M«>« de Loubert, Mii« Grandet. — M"» de Vei
Ihéme, M»» Ventura. — Madame, M»» Boulanger.
254 LES ANNALES DU THEATRE
faisait fermer la porte. Et le spectacle commençait. ..
Toute cette mise en scène a été délicieusement
reconstituée au théâtre Sarah Bernhardt. Et on
s'en est fort amusé. Quant à la représentation
même de la tragédie de Racine, où^ comme de
juste tous les rôles étaient tenus par des femmes,
osons dire qu'elle fut singulièrement froide et
affreusement monotone. Et si, dans son fauteuil
sur la scène, Sa Majesté Louis XIV, personnifié
par M. de Max, paraissait s'ennuyer ferme, bien
des spectateurs dans la salle avaient g'rand'peine à
réprimer discrètement leurs bâillements incivils.
Oh! le protocole! M"^ Sarah Bernhardt a, fort
heureusement, dans son admirable répertoire, d'au-
tres créations plus glorieuses que celle d'Assuérus,
qu'elle se contenta de richement habiller et dont,
mélancoliquement^ elle dit les vers mélodieux...
Mais peut-être M'^^ Blanche Dufrène, étonnamment
virile dans le rôle d'Aman, eut-elle tort de ne pas
le posséder très bien au point de vue de la mé-
moire; peut-être encore W^^ Ventura abusa-t-elle,
dans Esther. — après l'Etoile de Scarron, c'est une
récidive! — de la permission d'être médiocre,
comme aussi M''® Seylor du droit d'une timide
élè^^e de Saint-Cyr de zézayer et de jouer en petite
écolière insignifiante et maladroite. Tous nos éloges,
en revanche, à M. Reynaldo Hahn, dont la parti-
tion attestait autant d'adresse moderne que de
science archaïque, et dont les principaux soli furent
chantés avec beaucoup de goût par M"^« Auguez
de Montalant.
Après Esther, après Y Aiglon où M. de Max
THEATRE SARAH BERNHARDT . 255
jouait pour la première fois le rô!e de Melteniich,
Mme Sarah Bernhardt terminait le 25 avril sa sai-
son d'hiver par une belle représentation delà Dame
aux camélias ,.. M. Edouard Sonzogno prenait
alors possession du théâtre, pour y donner pen-
dant un mois et demi, ^ous le patronage de la
Société des grandes auditions musicales présidée
par M"^6 la comtesse Greffulhe, une série d'oeu-
vres italiennes contemporaines dont nous allgns
faire la nomenclature.
2- MAI. — Première représentation d'Adriana
Lecouvreur, comédie-drame en quatre actes de
Scribe et Legouvé, adaptée pour la scène lyrique
par M. À. Colautti, musique de M. Francesco
Cilea^ — Le programme de la saison italienne
organisée par M. Edouard Sonzogho comporte
l'interprétation de sept ouvrages de production
récente et, comme retour unique vers le passé,
celle du Barbiere di ISiviglia, On a choisi, pour
interprètes, quelques-uns des meilleurs chanteurs
de ritalie. L'orchestre et les chœurs viennent de
Milan. Le maestro Campanini, maître de chapelle
des mieux renommés parmi ses compatriotes,
dirige les représentations. Afin que tout soit mar-
qué du caractère national, M. Sbnzogno a fait
brosser les décors dans son pays et, pareillement,
fait confectionner les costumes. L'entreprise, con-
1. Distribution. — Maurice, comte de Saxe, M. E. Carbin. — Prince
de Bouillon, M. E. Sottoîano. — Abbé de Chazeuil, M. E. Pitii-Corsi. —
Michonnet, M. Sammarco. — Quinault, M. E. Wigley. — Poisson,
M. A. Venturini. — Adriana Lecouvreur, M"" A. S/eTi^e. — Princesse
de Bouillon, M»»» Fassini-Peyra. — M"« Jouvenot, M"»» Camporelli. —
Mlle Dangeville, M"»» Giuasani.
tl56 LES ANNALES DU THEATRE
iluite à grands frais, avec des soins minutieux,
prend donc, en son genre, la valeur d'une expé-
rience très loyale, très complète.
^ 31^1. — Première représentation de Siberia^
drame lyrique en trois actes, poème de M. L. lUica,
musique.de M. Umberto Giordano*. — Voilà une
belle œuvre, humaine et forte, hautement signifi-
cative et nettement décisive qui met hors de pair
son compositeur et place la nouvelle école milanaise
au rang le plus élevé. Le sujet, simple, frappant
et poignant, peut se résumer en quelques lignes.
Globy, un voleur et un souteneur, a débauché,
puis vendu à qui voulait l'acheter une pauvre fille
de Saint-Pétersbourg, nommée Stephana. Celle-ci,
montée d'échelon en échelon, grâce à lui, jusqu'au
suprême degré de la galanterie, n'aime, parmi tant
d'amants, qu'un jeune sergent, Vassili. Le sous-
officier ignore qui elle est. Quand il l'apprend, il
vient chez elle, l'insulte au milieu d'une de ses
fêtes, et là, se querellant avec un lieutenant^ le
tue d'un coup de sabre. Il est jugé, condamné et
envoyé en Sibérie. A la frontière, lorsque passent
et s'arrêtent un instant les prisonniers, Stephana
se jette au cou de Vassili et obtient de partager
son sort. Dans les mines où ils sont enfermés, ils
retrouvent, forçat lui-même, Globy, qui se vante
d'avoir possédé le premier la malheureuse femme.
1. Distribution. — Vassili, M. A. Bassi.— Globy, M. Titta Ruffo. —
Walitzin, M. O. Luppi. — Alexis, M. L. Oenzardi. — Il cosacco, Tin-
valido, M. Wigley. — Il banchiere, lo starosta, M. Rescheglian. —
Ivan, l'insprovnik, M. Venturini. — Il capitano, l'ispettore, M. Fahbro.
— Stephana, M"»« A. Pinto. — Nikona, M™» Giussani. — La fanciulla,
Mme L, Simeoli.
^
THEATRE SARAH BERNHARDT 267
Vengeresse, elle révèle Tinfamie de son bourreau
a tous les galériens indignés. Le misérable la
guette et, au moment où, accompagnée de Vassili,
elle va s'évader, il la désigne aux soldats de garde
qui tirent sur elle. En mourant dans les bras de
son compagnon de chaîne, elle bénit la Sibérie,
sainte terre régénératrice de douleur et d'amour.
Les situations claires et vigoureuses du livret de
M. Illica, le sentiment de profonde pitié qui s'en
dégage ont inspiré à M. Giordano une maîtresse
partition où, sans rien renier des exubérances de
sa race, il a su se montrer à la fois vériste et
artiste. « Que de vérité, écrivait M. Alfred Bruneau,
clans cette musique d'angoisses et de larmes, et que
d'art — séparez du mot, je vous prie, l'idée de
métier — dans sa conception et dans sa réalisation !
Elle est non point improvisée^ jetée sur le papier,
au petit bonheur des circonstances, comme tant
d'autres que nous connaissons, mais pensée, réflé-
chie et vécuei Oui, l'auteur a souffert, pleuré,
aimé avec ses personnages. Il l'a fait en poète^ et
voilà le secret de la beauté de Siberia, Au début
le style m'avait semblé manquer de cohérence. La
diversité des scènes formant l'exposition du drame
en est probablement cause. Ces scènes, d'ailleurs,
ne me plaisent pas toutes d'égale manière. Mais le
tableau de la halte des prisonniers garde, du com-
mencement à la fin, une superbe tenue. Dans le
prélude, tragique et frissonnant ; dans les conversa-
tions des cosaques occupant le poste et des parents
venus pour embrasser une dernière fois les con-
damnés; dans le chant des bateliers du Volga.
ANNALES DU THEATRE 17
258 LES ANNALES DU THEATRE
que clament, en avançant, les forçats, et qui, en-
tendu d'abord ainsi qu'un murmure lointain, peu
à peu se précise, grandit et éclate formidable ;
dans le cri déchirant précédant la rencontre pas-
sionnée de Stephana et de-Vassili ; dans l'expres-
sive symphonie suivant le départ et la disparition
du convoi, hurle, sanglote et frémit, mieux encore
que Tatroce infortune d'un peuple, l'universelle et
éternelle torture humaine. Et le dénouement est
aussi très impressionnant, en sa terrible sauvagerie
opposée à la douceur adorable et fraternelle des
carillons de Pâques. Je le répète, une telle œuvre,
si différente, par ses tendances sévères et hautaines,
de celles que les compositeurs milanais nous avaient
offertes jusqu'à présent, suffit à l'honneur de la
jeune musique italienne. Ses interprète:^ ont par-
tagé rimmense et mérité succès qu'elle vient d'ob-
tenir. Il faut louer sans réserves M. Bassi, un ténor
dont la voix ample, souple, généreuse et magnifique
donne au rôle de Vassili son réel caractère.
M"^^ Pinto joue et chante celui de Stephana avec
une admirable ardeur, un ferme talent. En Globy,
M. RufFo est satanique à souhait. Je cite encore
jyimes Giussani, Simeoli, MM. Luppi, Genzardi, et
je félicite les artistes de l'orchestre, que M. Cam-
panini dirige en chef excellent, de la façon supé-
rieure dont ils exécutent la partition de M. Gior-
dano, si bien écrite, du reste, pour eux, si ingé-
nieusement, si largement, si somptueusement
instrumentée. »
9 MAI. — Première représentation d'Amico
Fritz, comédie lyrique en trois actes de M. Suar-
THEATRE SARAH BERNHARDT 25q
don, d'après Erckmann-Chatrian, musique de
M. Maseagni*. — Qui lie connaît Tœuvre d'Érck-
mann-Chalrian où Got, Frédéric Febvre et Suzanne
Reichenberg ont laissé, à la Comédie-Française, de
si vivants souvenirs? Sur un libretto italien, qui
suit d'assez près la pièce originale. M, Mascagni
écrivit^ il y a quinze ans, une partition bruyante
et vulgaire, aussi dépourvue de couleur locale,
aussi peu savoureuse que possible. L'effet en fut
médiocre au Théâtre Sarah Bernhardt... On a
pourtant fait fête au a duo des cerises », dit avec
charme par le créateur, à Rome, de Fritz Kobus,
M. de Lucia — le Jean de Reszké de Tltalie —
et par son aimable camarade, M"® Berlendi, suc*
cédant à M"^ Emma Calvé, qui fut, à l'origine de
l'ouvrage, une exquise Suzel. Puis, on acclama et
redemanda le prélude du troisième acte, que con-
duisit avec autant de précision que de souplesse
M. Rodolfo Ferrari, le réputé chef d'orchestre du
Théâtre lyrique Sonzogno à Milan. Donnons une
mention à M. Kaschmann, le très soigneux inter-
prète du rabbin David, et glissons sur une œuvre
banale qui, à Paris du moins, n'ajoutera rien à la
gloire du compositeur de Cavalleria Rusticana,
i3 MAI. — Première représentation de Fedora^
drame de JM. Victorien Sardou, réduit en trois
actes pour la scène lyrique par M. A. Calautti,
i. Distribution. — Fritz Kobus, M. F. de Lucia. — David, M. G.
Kaschmann. — Planezo, M. L. Reschiglian. — Frederico, M. Paroli.
— Suzel, M'i» L. Berlendi. — Beppe, M">o p, Fassini Peyra. — Cate-
rina, M«« Genesini.
L'orchestre était dirigé par M. Rodolfo Ferra"i.
200 LES ANNALES DU THEATRE
musique de M. Umberto Giordano^ — La célèbre
pièce de Victorien Sardou était-elle un sujet vrai-
ment lyrique ? Nous ne le croyons pas. Et bien que
la musique en soit toujours habilement écrite par
un homme qui a véritablement le sens du théâtre^
nous n'avons malheureusement pas retrouvé, dans
la Fedora de M. Umberto Giordano, la belle émo-
tion que nous avait procurée le poignant second
acte de Siberîa, un pur chef-d'œuvre dont la révé-
lation suffirait à elle seule à Thonneur de la saison
italienne si heureusement organisée par M. Son-
zogno. Mais quel triomphe pour les deux interprètes,
aussi bien pour la Cavalieri, à la voix -si pure, si
souple et si charmante, surtout dans le registre
élevé de son délicieux soprano, que pour M. Caruso,
le ténor admirable, dont le chant, doux et puissant,
est un si magnifique don de la généreuse nature !
22 MAI. — Première* représentation de Zaza^,
comédie lyrique en quatre actes, tirée de la comé-
die de MM. Pierre Berton* et Charles SinTon, par
M. Léoncavallo. — L'anecdote constitutive de cet
opéra ne nous a point paru un excellent thème
musical, la pièce, accommodée en opéra, perd évi-
demment de son esprit et de son émotion.
1. Distribution. -- Comte Loris Ipanov, M. Caruso. — De Sirieix,
M. Titta Ruffo. — Désiré, M. Bada. -— Baron Rouvel, M. Paroli. — Gi-
rille, M. Luppi. — Borov, M. Wigley. — Grech, M.Wulmann. — Lorek,
M. Reschiglian. — Princesse- Fedora Roraazov, Mlle Lina Cavalieri.
— Comtesse Olga Sukarey, M»» Barone. — Diraitri, M»»» Giussani.
2. Distribution. — Emile Dufresne, M. Oarbin. — Gascart, M. Sam-
marco. — Bussy, M. Sottolana. — Malardot, M. Bada. — Lartigon,
M. Fabbro. — Duclou, M. Wigley. — Michelin, M. Paroli. — Zaza,
Mil» Berlendi. — Anaïs, M""» Salgado. — Floriane, M'»»c Simeoli. —
Nathalie, M"><» Giussani, — M"»» Dufresne, Mme Barone.
THÉAtRE SARAH BERNHARDT 26 1
« M. Léoncavallo, disait M. Gauthier- Villars, qui
a écrit cette partition de 4o2 pages, est un auteur
fécond. J'incline à le classeu parmi les improvisa-
teurs plutôt que dans les rangs des raffinés cher-
cheurs de combinaisons mélodiques. Ses harmonies,
du genre spontané, ne portent pas la trace d'un
labeur excessif. Quant à ses mélodies, ceux mêmes
qui en critiquent la contexture les oublient malai-
sément; si elles ne se tiennent pas, elles se retien-
nent. » Le succès a été vif : le compositeur a dû
paraître plusieurs fois sur la scène avec ses inter-
prètes ...
3o M^i. — Première représentation, à ce théâtre,
de // Barbiere di Siviglia, opéra-comique en trois
actes, d'après la comédie de Beaumarchais, musi-
que de Rossini*. — « Il restera de moi le deuxième
acte de Guillaume Tell^ peut-être le dernier acte
di Othello et tout le Barbier », a dit Rossini. Le
Barbier est, en effet, resté au répertoire permanent
de toutes les scènes lyriques du monde ; il suffit à
immortaliser son auteur et honore toute l'école à
laquelle il se rattache. D'où vient l'interprétation
lente, monotone et grise — - oh ! combien ! — don-
née par la troupe du Théâtre Italien à cette comé-
die musicale toute de verve, de couleur et d'esprit ?
C'est que M. Angelo Masini, qui eut l'honneur <Je
créer à Paris Aïda et aussi la Messe de Requiem
de Verdi, a désormais passé l'âge de jouer les
1. Distribution. — Comte Almaviva, M. Angelo Masini. — Figaro,
• M. Titta Ruffo. — Don Bartolo, M. Antonio Baldelli. — Don Basilio,
M. Oreste Luppi. — Fiorello, M. Angelo Bada. — Rosina, Mme Regina
Pacini. — Berta, M"»» G. Giussani.
L'orchestre était dirigé par M. Rodolfo Ferrari.
262 LES ANNALES DU THEATRE
Almaviva; que M. Baldelli, Bartholo plein de
bonne volonté, est un baryton qui a sans doute
fort bien chanté, mais. qui ne chante plus du tout;
que M™« Pacini, très habile vocaliste au timbre ex-
trêmement joli, manque de grâce et de vivacité...
Seul M. Titta Ruffo a soutenu l'honneur de la
représentation en faisant applaudir, sous la veste de
Figaro, son véritable talent de comédien et sa belle
voix admirablement généreuse...
3 JUIN. — Première représentation d'André
Chénier, drame lyrique en quatre actes de
M. Luigi Illica, musique de M. Umberta Gior-
dano*. — Sur ce drame d'Illica (M. Paul Milliel
Ta, d'ailleurs, adroitement traduit en bonne langue
française) qui a le rare mérite d'être très scé-
nique, rapide et fertile en incidents pathétiques, le
futur compositeur de Siheria, M. Umberto Gior-
dano, a écrit une partition très musicale, très
sincère, remarquablement orchestrée et fort habi-
lement traitée au point de vue dramatique. La
clarté, la chaleur, la sève mélodique, la justesse
de l'expression, la vigueur de l'accent, la variété
et le mouvement : telles sont les qualités maî-
tresses de cette œuvre jeune et vivante. Chacun
des tableaux apparaît net en ses contours mélodi-
ques, avec son coloris instrumental, ses exactes
1. Distribution. — Madeleine de Goigny, M«>>« E. Tetrazzini. —
Comtesse de Coigny, Madelon, M"»» Fassini-Peyra. — Bersi, la mulâ-
tresse, Mm^P. Qiussani. — André Chénier, M. A. Bassi, — Charles
Gérard, M. Sammareo. — Roucher, M. O. Luppi. — Mathieu, dit m Po-
pulus », sans-culotte, M. Wigley. — Un incroyable, M. Pini-Corsi. —
Pierre Fléville, M. Paroli. — L'abbé, M. Venturini. — Schmidt (geô-
lier de Saint-Lazare), Dumas (président du tribunal révolutionnaire),
M. Fabbro. — Fouguier-Tinville, accusateur public, M. Wulmann.
THEATRE SARAH BERNHARDT 203
proportions, accusant, avec celui qui le suit ou le
précède les oppositions les plus marquées : le
premier, délicat et pimpant, finement et discrè-
tement orchestré ; le second, mouvementé et pit-
toresque, traversé par les refrains populaires du
<( Ça ira » et de la « Carmagnole » ; celui du tri-
bunal révolutionnaire, rapide et tragique, offrant
un contraste frappant avec le tableau final, qui
s'épanouit en larges phrases d'un lyrisme inspiré,
et s'achève en une belle apothéose d'amour. M. Son-
zogno avait monté André Chénier avec le souci
artistique dont il a déjà donné maintes prçuves en
cette courte saison italienne, et Pinterprétation
n'eut aucun rapport avec celle du Barbier qu'on
avait, non sans malice et sans justesse, appelé le
« Crépuscule des vieîii ». M"^^ Tretrazzini chantait
en artiste le rôle de Madeleine. M. Bassi fut un
très chaleureux André Chénier. M. Sammarco
prétait au personnage de Gérard l'appoint de sa
superbe voix de baryton. Les chœurs étaient
pleins d'entrain et, sous la baguette de M. Cam-
panini, l'orchestre se montra excellent.
i3 JUIN. — Première représentation de Chopin ^
drame lyrique en quatre actes de M. Angelo
Orvieto, musique composée sur les mélodies de
Chopin par M. Giacomo Orefice *.
i5 JUIN. — Soirée de gala donnée au bénéfice de
la Société italienne de bienfaisance de Paris 2.
1. Distribution. — Frédéric Chopin, M. A. Bassi. — Klio,M. Costa. —
I Frate, M. Wulmann. — Flora, M">» Stehle.— Stella, M"«" L. Simeoli.
L'orchestre était dirigé par M. Hodolfo Ferrari.
2. — Au pro^^ramme :
3« acte de Zaza^ de M. R. Léoncavallo : M»» Berlendi, M. E. Oarbin.
264 LES ANNALES DU THEATRE
10 OCTOBRE. — Pendant l'absence très pro-
longée de M™® Sarah Bernhardt, le théâtre était
passé aux mains de M. André Calmettes, le dis-
tingué comédien souvent applaudi au Vaudeville
et au Gymnase. M. Calmettes inaugurait sa direc-
tion par la première représentation du Masque
d'amour^ pièce en cinq actes et huit tableaux de
jyjme Daniel Lesueur *. — C'est sur le nom de
M™®- Daniel Lesueur que M. Georges Leygues,
ministre de l'instruction publique, créa naguère le
précédent qui ouvrait aux femmas de lettres les
cadres de la Légion d'honneur : il la décora
comme romancière et comme poète. En décernant
plus tard à cette artiste de talent une de ses plus
hautes récompenses, le prix Vitet, l'Académie
française consacra une carrière féconde et brillante.
M™^ Daniel Lesueur a voulu ajouter un nouveau
fleuron à sa coufonne de lauriers et se faire
applaudir aussi comme dramaturge. Nous sommes
4e acte à'Adriana Leeouvreur, de M. Francesco Cilea : M"»» Adeiina
Stehle, MM. E. Garhin et M Sammarco.
Intermède. — Gavatine de Figaro, Il Barbiere, 1" acte : M. Titta-
Ruffo. — Variations de Proch, leçon de chant de II Barbiere, 3c acte :
M">« R. Pacini.
3* acte d'André Chénier, de M. Umberto Giordano : M"»" Tetrazzini,
Fassini-Perya, MM. A. Bassi et M. Sammarco.
4e acte de Siberia, de M. Umberto Giordano : M"»" Clara Joanna^
L. Simeoli et M, A. Bassi.
1. Distribution. —Le marquis de Valeor, M. André Calmettes. -^
José Escaldas, M. Henry Krauss. — Oscar Sornières, M. Mauriàe
Claudius. — Le curé du Conquet, M. Cornaglia. — Mathias Gaël,
M. Chameroy. — Le prince de Villingen, M. Bouchez. — Marc de'
Plesguen, M. Grammont. — Mathurine Gaël, M«e Aimée Tessandier.
— Gaëtane de Ferneuse, MHe Anne Ratcliff. — Micheline de Valeor,
Mlle Nelly Cormon. — La môme Cervelas, M^e jf. Moret. — Rosaiinde,
Mi^« de Lagny. — Françoise de Plesguen, M'ie Bl. Body. — Clair»
Vareuse, M'ie Lestai.
THEATRE SARAH BERNHARDT 265
trop galant pour avouer que dans cette nouvelle
entreprise elle a formidablement échoué, mais^
nous sommes aussi trop sincère pour déclarer
qu'elle y a complètement réussi... Une habile
collaboration eût peut-être fait un bon mélodrame
d'Ambigu de cette œuvre obscure et confuse, où
les longs récits succèdent aux longs récits, et où
chacun des tableaux, jusqu'au huitième et dernier,
comporte une exposition de personnages. M. André
Calme ttes, s'improyisant momentanément direc-
teur du théâtre Sarah Bernhardt, a eu le tort de
« tiquer » sur le rôle du faux marquis de Valcor,
qu'il croyait excellent, et sur une pièce qui lui
semblait intéressante. N'insistons pas ici sur cette
double erreur, et bornons-nons à sauver du nau-
frage le puissant talent tragique de M"^^ Tessan-
dier, le pittoresque hardi de M. Krauss et la
fantaisie divertissante de M. Claudius.
6 NOVEMBRE. — Première représentation, à ce
théâtre, de Pour la Couronne^ drame en cinq actes
de M. François Coppée *. — Un public ami des
émotions saines, sympathique à l'œuvre de François
Coppée qui, toute sa vie, cultiva la muse avec res-
pect et suivant la mesure de ses forces, prit plaisir
à entendre exprimer de hautes pensées. Cependant
les vers tragiques parurent cette fois exercer sur la
1. Distribution. — Michel Brancomir, M. Philippe Oarnier, —
Constantin Brancomir, M. Albert Darmont. — Banko, M. André Cal-
rnettes. — L'Evèque-Roi, M. Grammont, — Ourosh, M. G. Colin. —
Lazare, M. Luzan. — Un prisonnier turc, M. Favières. — Un guetteur,
M. Richard. — Un chevrier, M. Stengel. — Un officier, M. Angelo. —
Bazilide, M«n« Aimpe Tessandier. — Militza, M"» Nelly Cormon. — Anna,
M"« Litty Bossa. -. Sophia, M»» Jane Morlet. — Un page, Mlle Bl. Bodrj.
206 LES ANNALES DU THEATRE
foule une influence moindre. Est-ce la part plus
grande de psychologie introduite depuis quelque
temps dans la comédie moderne, plus prenante,
plus vivante ? Est-ce en ce temple habituel de la
« princesse du geste » Tabsence de Celle qui gal-
vanise ? Mais les spectateurs écoutèrent cette his-
toire de dévouement sublime sans le grain d'en-
thousiasme nécessafre pour la consécration des
chefs-d'œuvre, et l'impression douce qu'on en res-
sentit pourrait presque se traiter d'affectueuse
bienveillance. Et puis l'intérêt de Pour la Couronne
s'augmentait en 1896, lors de sa triomphante car-
rière à rOdéon, de ce qu'il fut joué précisément au
lendemain de l'affaire Dreyfus et que de cette coïn-
cidence, il tirait un soudain caractère d'actualité.
Aujourd'hui nous avons entendu sans passion le
récit de cette trahison militaire qui, par dévoue-
ment à la patrie, conduit un fils au parricide. Que
les temps sont changés ! Malgré tout, la soirée fut
noble. La grandeur du sujet, la pureté des vers
procura une fort convenable émotion et donna à
cette soirée un doux éclat. On se plut à reconnaître
au passage le. poète du Passant dans le délicieux
couplet des roses, qui fut acclamé. L'action est
trop connue pour être rappelée en détail. C'était un
beau thème tragique que ce fils de roi prenant son
père, trop servile esclave d'une épouse ambitieuse,
en flagrant délit de trahison;, et forcé de le tuer
pour sauver son pays de l'invasion ; puis accusé
lui-même de ce crime qu'il a su empêcher, se tai-
sant pour que la mémoire paternelle ne soit pas
entachée. Le voici condamné, non po/nt à mourir.
THÉÂTRE SARAH BERNHARDT 267
mais à vivre, et à vivre enchaîné au socle de la
statue de gloire élevée au père infâme, exposé pour
toujours anx insultes «t aux crachats de la foule.
Mais une jeune fille veille, la touchante Milîtza, une
simple aimée qu'il a recueillie pour sa part de
butin et faite libre, et qui Taime d'un amour à la
fois chaste et ardent. Elle le poignarde, puis se tue
dans ses bras;, cette mort est une délivrance.
Dénouement hautain, mais injuste, qui laisse le
public sous le coup d'une impression pénible.
Cette belle pièce avait été brillamment créée à
rOdéon par MM. Fenoux, Pierre Magnier, Albert
Lambert et Rameau, M™**^ Tessandier et Wanda de
Boncza. Seule M"*® Tessandier a conservé son rôle.
Elle a retrouvé ses superbes accents de jalousie
et de vengeance. M"® Nelly Cormon fut le rayon
lumineux de cet orage tragique. Elle a de la grâce
et du fcharme, et le vers chante bien sur sa voix
musicale. M. Philippe Garnier remplissait le rôle
ingrat du traître ; il y fut puissant et autoritaire.
M. Calmettes joua l'espion Benko avec son habi-
leté coutumière, et M. Grammont rappelait (ça n*est
pas une critique) la diction large et vibrante de
M. de Max. Quant à M. Darmont, le parricide
patrfote, il se montra tour à tour violent, tendre et
chrétien en des attitudes harmonieuses, en des into-
nations d'une justesse prenante ; il fut élégant et
pitoyable, et très applaudi. — C^est sur cette
reprise faite pour attirer au Théâtre Sarah^Bern-
hardt les amants de la beauté que se terminait l'an-
née 1905, résumée dans le tableau suivant :
268
LES ANNALES DU THEATRE
La Sorcière f drame
L'A ifflon, drame en vers
La Dame aux camélias, pièce
La Tosca, drame
^Angélo, tyran de Padoue, drame
*Eslherj tragédie
Adriana Lecouvreur, comédie-drame..
Siberia, drame lyrique
Atnico Fritz y comédie lyrique
Fedora, drame
Zaza, comédie lyrique
Il Barbier e di Siviglia, opéra-comique
A ndré Chénierj drame lyrique
Chopin, drame lyrique
*Le Masque d'amour, pièce
Pour la Couronne, drame
DATE
NOMBRE
d'actes
delJL
!»• représ.
oa de la
reprise
5
»
6
»
5
))
5
5
19 janv.
7 février
3'
8 avril
4
2 mai
3
4 mai
3
9 mai
3
13 mai
4
22 mai
3
30 mai
4
4
3 juin
13 juin
5 a. 8 t.
10 oct.
5
6 nov.
NOMBRE
de
représent.
pendant
ruinée
4
22
21
3
68
10
8
2
7
4
3
4
2
31
65
THEATRE DE LA RENAISSANCE*
Quatre pièces : la Massière et Bertrade, de
M. Jules Lemaître ; Monsieur Piégois^ de M. Alfred
Capus, et V Espionne^ de M. Victorien Sardou,
ferment le bilan d'une année, moins heureuse que
les précédentes, qui s'était ouverte avec les der-
nières représentations deVEscalade, de M. Maurice
Donnay.
II JANVIER. — Première représentation de la
Massière, comédie en quatre actes de M. Jules
Lemaître 2, précédée de la Bonne Hélène, comédie
en un acte et deux tableaux du même auteur 3.
Trêve à la politique, à la fâcheuse et décevante
1. — Directeur : M. Lucien Guitry ; administrateur : M. Mussay.
t. Distribution. — Marôze, M. L. Guitry. — Garnoteau, M. Boisselot.
— Jacques Marèze. M. Maury.— Burette, M. fi/meW. — Juliette Dupuy,
Mil» Marthe Brandès. — M»» Marèze, M"»» Anna Judic. — M"»» Durand,
M"» Marie Samary. — Suzanne, M"» Jane Heller. — Marthe, M»« Marthe
Ryter. — Renée, M»» M. Lavigne. — Solange, M"» Litty Bossa. — Olga,
Mii« L. Marka. — Lili, M"» Jeanne Henry. — Andrée, M»» J. FtiSier. —
Madeleine, M»" J. Marlys. — Simone, MH« C. Barneville. — l'» jeune
fllle, M»« ilEf. Charny. — 2« jeune fille, M"» B. Fusier. — 3e jeune fille,
Mi»« L. Ouinoel. — 4« jeune fille, M»* M. Dalny.
Le rôle de Juliette Dupuy fut repris, non sans succès, par MU* Jane
Heller succédant à Mii« Brandès, malade.
3. Distribution. — Priam, M. Coquet. — Hector, M. Arquillière. —
Le grand prêtre, M. Noizeux. — Paris, M. Lorcey. — Gléophile, MU* Jane
Heller. — Hélène, M"» Marthe Ryter. — Vénus, M»i« Nelly Cormon. —
La nourrice. M"» C. Barneville.
270 LES ANNALES DU THEATRE
politique ! M. Jules Lemaître n'avait rien donné
depuis V Aînée, c'est-à-dire depuis sept ans, et c'est
pour la joie de tous qu'il rentrait au théâtre. . . Le
monde des ateliers l'a tenté comme il hante depuis
longtemps notre distingué confrère Adolphe Brisson,
qui nous promet un heureux pendant à son joli
roman de Florise Bonheur. Juliette Dupuy est la
« massière » — vous savez ce que ce mot veut dire
— de l'atelier de femmes que dirige Marèze, un
peintre de probe talent à la veille d'entrer à l'Ins-
titut. Marèze a la barbe grise, et paraît un peu
plus que son âge : cinquante-cirtq ans. Il a pris
sous sa protection cette honnête et vaillante petite
Juliette, qui « sous dirige » intelligemment son
atelier et travaille pour elle-même, afin de faire
vivre sa famille. Qu'y a-t-il au juste dans l'affection
si vive qu'il lui a vouée: de l'amitié, de l'amour
peut-être, n'est-ce pas sa dernière chanson? Il ne
se rend pas compte lui-même du sentiment qui
l'attache à la jeune fille, mais la vérité, c'e^t qu'il
ne peut vivre sans elle, et qu'il se regarde comme
très malheureux quand sa femme, sa brave femme,
naturellement jalouse, interdit à la massière l'ac-
cès du domicile personnel de son vieux maître. Que
sera-ce quand il apprendra que son fils s'est lui-
même épris de Juliette, au point de vouloir
l'épouser. De quel droit la lui prend-il ? De celui
de son âge, hélas ! Il faudra bien qu'il se résigne à
l'amère destinée et donne son consentement à cette
union qgi'il traitait tout d'abord d'infâme trahison :
il ne pouvait y avoir rivalité entre ce père et ce fils
qui s'adorent, et le mariage de Jacques Marèze et
THEATRE DE LA RENAISSANCE 27!
de Juliette Dupuy était le dénouement attendu,
peut être même un peu trop prévu de Témouvante
histoire que nous a contée avec tant de charme et
de délicatesse Texquis écrivain de la Massière. Il
était impossible d'analyser avec plus de profon-
deur, avec une plus juste et une plus fine obser-
vation, le caractère si curieusement nuancé de
Marèze, dont le cœur est en. proie à la crise .fatale
de rhomme arrivé à l'heure douloureuse du renon-
cement à Tamour. Et de quelle main légère, en
quelle langue à la fois spirituelle et naturelle est
traitée cette nouvelle comédie de M. Jules Lemattre,
dont les trois premiers actes sont un pur ravisse-
ment ! J'ai dit les « trois premiers » parce qu'il
faut bien, même à propos d'un maître en cet art
tel que le fut M. Jules Lemaître, faire modeste-
ment œuvre de critique en constatant que le qua-
trième nous a paru quelque peu long *et « traî-
nant », légèrement inexpérimenté aussi, mais
l'auteur de la Massière ne connaît-il pas beaucoup
mieux que nous le fort et le faible de sa touchante
comédie? L'interprétation était merveilleuse avec
Guitry, si étonnamment naturel que ce n'était plus
Guitry, c'était Marèze lui-même, avec les tics du
bon peintre, que' nous avions sous les yeux;
M"« Brandès qui avait su se renouveler pour per-
sonnifier avec une légèreté délicieuse, avec une
mélancolie pleine d'émotion, la sympathique Juliette
Dupuy ; M"^ Judic — encore une heureuse rentrée
— excellente sous les traits de « l'embêtante » et
bonne M™® Marèze ; M. Maury,. très jeune et très
chaleureux dans Jacques Marèze; M"*Heller^ don-
-2"] 2 LES ANNALES DU THEATRE
nant une « physionomie » à Tune des élèves les
plus délurées de Tatelier ; et Boisselot, dans sa très
juste silhouette du collègue hypocrite — la seule
figure antipathique de cette galerie où tous les per-
sonnages étaient vraiment meilleurs que nature :
M. Jules Lemaître, le mordant ironiste de naguère
était devenu, qui Teût cru? un délicieux optimiste.
Meilhac et Halévy avaient jadis écrit cette débridée
parodie de l'antiquité qui s'appelle la Belle Hélène.
M. Jules Eemaîlre donna un pendant à la célèbre
farce avec la Bonne Hélène \ mais les spectateurs
de la • Renaissance s'y régalèrent-t-ils tout à fait
autant qu'il y a quelques années au Vaudeville les
abonnés de M. Porel? Notons pourtant parmi les
nouveaux interprètes : Noizeux, extrêmement plai-
sant dans le grand prêtre, et Coquet, et la mali-
cieuse Marthe Ryter et M"^ Nelly Cormon, la belle
dea ex machina venant donner la « morale » de
l'histoire. ""
23 FÉVRIER. — Cinquantième représentation, de "^
la Massière.
5 AVRIL. — Première représentation de Monsieur
Piéffois, comédie en trois actes de M. Alfred Ca-
pus*. — Ce n'est pas la première fois que M. Al-
1. Distribution. — Monsieur Piégois, M. Lucien Guitry. — Lebrasier^
M. Guy. — Herbelin, M. Boisselot. — Jautel, M. Arquillière. — ' Lestrot,
M. Xoizeux. — Baron Alberti, M. Coquet. — Cerneuil, M. Berthier. —
Jean, M. Blissett. — Boisgenôt, M. Valentin. — Henriette Aubry,
M»« Marthe Brandèa. — Emma, M»» J. Cheirel. — M"» Jantel, M"» J.
Darcourt. — Carmen, M"* J. Heller. — M"»» Lestrot, M"e M. Ryter. —
Léa, M'i« Renée Desprez. — Suzanne, M"« J. Barleys. — Marguerite,
Mlle Y. Harnold. — Une dame, Mlle M. Lavigne.
Le 5 mai, Monsieur Piégois était précédé, sur l'affiche, de Silvérie ou
les Fonds hollandais, comédie en un acte de MM. Tristan Bernard et
Alphonse Allais.
THÉÂTRE DE LA RENAISSANCE 278
fredCapus nous présente M. Piégois : au Gymnase,
nous avions déjà vu, le chapeau ren^^ersé en ar-
rière, M. Numès esquissant à ravir le type d'un
tenancier de cercle, devenu millionnaire, et bras-
seur d'affaires plus ou moins véreuses ... Le
M. Piégois de la Renaissance est directeur du ca-
sino d'une station thermale pyrénéenne, Bagnères-
d'Oron qu'il a, on peut le dire, créée de toutes
pièces, achetant des terrains, construisant des
villas, enrichissant le pays et faisant ainsi une
grosse, une très grosse fortune. Au Casino de Ba-
gnères-d'Oron, Piégois rencontre un ancien cama-
rade de collège, Lebrasier, qu'il a quitté, il y a sept
ans, sous-chef de bureau, et qu'il retrouve chef de
bureau, toujours sans fortune. — « Ah ! dame,
moi, dit mélancoliquement Lebrasier, je n'ai pas
compris mon époque. Au lieu de lâcher mes études
et de mener une existence de vagabond, j'ai suivi
ma carrière régulièrement. Ma famille a voulu faire
de moi un fonctionnaire. Et je mourrai* avec une
retraite de trois mille francs. Voilà où mènent au-
jourd'hui les professions régulières. . . Toi, tu l'as
comprise, ton époque... Tu t'es dit que ce qu'il
fallait avant tout, c'est de s'enrichir par tous les
moyens possibles. Et tu t'es enricîhi, je ne tiens pas
à savoir comment. . . » — « Tu en parles à ton
aise, lui répond Piégois. "Tu te plains d'être chef de
bureau et de gagner six mille francs par an . . .
Mais à une certaine heure de ma vie... je me serais
.contenté de la moitié. Penses-tu que j'aie aban-
donné ma médecine pour la joie de me trouver
seul sans sou ni maille, sur le pavé de Paris ? Si
ANNALES DU THÉÂTRE 18
274 LES ANNALES DU THEATRE
mon père en mourant, après mes deux premières
années d'école, m'avait laissé autre chose que le
restant d'une mince fortune bourgeoise, je n'aurais
pas mieux tiemandé que de devenir un grand mé-
decin. Le malheur est que nos familles nous lan-
cent parfois dans des professions où, pojir gagner
sa vie, il faut commencer par avoir trente mille
francs de rente. . . Après avoir couru pendant dix
ans de place en place et fondé dans Tintervalle
deux ou trois journaux de sport, je me demandais
ce que j'allais faire de l'espèce d'énergie et de
volonté que je sentais en moi, quand est intervenu
le hasard, qui n'est peut-être que la volonté des
autres. Et un soir, au fond d'un tripot, j'ai ren-
contré un bonhomme dont le nom ne t'apprendrait
rien et qui avait fait une fortune prodigieuse dans
les affaires de casinos et de cercles. C'est lui qui
me donna l'idée de fonder un casino ici, qui me
procura les fonds et l'autorisation du gouverne-
ment avec qui il était très bien ... » — « Tout
cela c'est très gentil, répond Lebrasier, mais j'aime
encore mieux ma situation que la tienne, car malgré
ton argent et ton luxe, tu n'es tout de même qu'un
déclassé. » — « Les déclassés sont tellement nom-
breux qu'ils commencent à former une classe qui a,
comme toutes les autres, ses riches et ses pauvres,
ses vainqueurs et ses vaincus. Mettons que je sois
le déclassé riche et arrivé ...» — <( Tu n'exerces
pas une profession avouable. Tu exploites les imbé-
ciles. » — (( Si on n'exploitait pas un peu les imbé-
ciles, il y en aurait trop. » — « Un homme de ton
instruction pouvait aspirer à autre chose. Ça te re-
THEATRE DE LA RENAISSANCE 276
garde, chacun son goût. Moi, si je mène une exis-
tence médiocre, j'ai au moins la consolation de
n'être sorti ni de mon rang, ni de mon milieu. Toi,
tu es condamné à vivre avec des gens suspects et
interlopes. Tu diras ce que tu voudras : il y a un
monde maintenant où tu ne pénétreras plus ... »
C'est précisément dans ce monde — toute la pièce
est là — que Piégois tentera de pénétrer. Il aime
une jeune veuve exquise, Henriette Audry, la sœur
du banquier Jantel. Pourra-t-il jamais l'épou-
ser ?... Qui sait? Le banquier Jantel est juste-
ment à la veille de la ruine. Il lui faudrait pour
l'éviter plusieurs centaines de mille francs. Pié-
gois est prêt à les fournir, non certes en les met-
tant jians les affaires stupides que lui propose le
banquier, et qui comme on dit, ne valent pas un
clou, mais en tenant carrément à sa disposition les
sommes dont il a besoin pour rétablir son crédit.
Cependant Henriette s'est sentie séduite par la
belle intelligence de Piégois qui lui est extrême-
ment sympathique. Mais elle a saintement horreur
de ceux qui, pour gagner de l'argent^, ont com-
mis des actes comme ceux qu'on a reprochés au
directeur du casino de Bagnères-d'Oron, jadis
traîné en police correctionnelle et deux fois ac-
quitté ; or, deux acquittements ne valent-ils pas
une condamnation ? . . . Pour mieux éloigner Pié-
gois, pour l'empêcher de songer à prendre une
place dans sa vie, elle l'insulte, lui jette son passé
à la face, car n a dans sa famille que des hom-
mes d'honneur. .. Piégois ne peut alors contenir
sa colère. 11 lui sied bien, vraiment, de faire la
276 , LES ANNALES DU THEATRE
dédaigneuse, elle qui ne sait pas ce que c'est que
la lutte pour l'existence, elle ji qui il a suffi de
naître pour être riche ! . . . Il lui convient bien de
parler de la sorte : si Piégois n'avait été ce qu'il
fut, c'en serait fait de l'honneur de son frère ! . . .
Mais, puisqu'il en est ainsi, il renonce à la sauver,
Jantel peut chercher un autre commanditaire . . .
C'est alors que rentre Piégois, honteux de s'être
laissé emporter et présentant ses excuses : « Ce
n'est pas très chic, ce que j'ai fait là ! » Il a promis
de sauver Jantel : il n'a qu'une parole... Le second
acte, en son entier, était de tout premier ordre, et
ce sont des acclamations qui en avaient accueilli le
baisser du rideau. Nous aimions moins le dernier
acte, plus « flou », et qui eût demandé à être
« serré ». 11 fallait qu'Henriette connût le désinté-
ressement de Piégois, qui va jusqu'à faire (ton à
Bagnères-d'Oron de son casino; il fallait qu'elle vît
clair dans son propre cœur ; il fallait qu'Emma,
qui avait été depuis les mauvais jours la maîtresse
dévouée de Piégois, reconnût, elle aussi, qu'elle
n'était pas faite pour devenir sa femme ; il fallait
enfin que Lebrasier, l'envieux Lebrasier, applanît
toutes les difficultés en se chargeant du sort
d'Emma. Prise en soi, chacune de ces scènes était
agréable et jolie. Pourquoi l'ensemble en parais-
sait-il un peu long et traînant? L'œuvre a été jouée
en toute perfection. Que dire encore de Guitry,
sinon qu'il se surpasse vraiment à chacune de ses
créations, qu'il est peut-être le plus grand acteur
de l'heure actuelle? Quelle sereine maîtrise dans
sa composition du rôle de Piégois ! Quel naturel et
THEATRE DE LA RENAISSANCE 277
quelle puissance dans la simplicité! Avec quel talent
M"® Brandès a su faire valoir les nuances les plus
délicates du rôle de la sensible Henriette, dont
s'effondrent^ en dépit qu'elle en ait, les sévères
principes ! Louons encore le jeu tout en dehors de
M"® Cheirel, très touchante Emma; la justesse
d'accents de M*^^ Juliette Darcourt, la clairvoyante
belle-sœur d'Henriette Audry; la vérité comique à
la Thiron de M. Guy, si amusant Lebrasier; la
dignité si plaisante de M. Boisselot, l'heureux
maire de Bagnères-d'Oron ; l'angoisse du financier
désemparé, fort bien rendue par M. Arquillière.
La saison s'était close à la fin du mois de mai,
avec la pièce de M. Alfred Capus : Monsieur Pié-
ffois, reparaissait sur l'affiche le 3 octobre, pour
la réouverture du théâtre.
4 NOVEMBRE. — Première représentation de Ber-
irade, comédie en quatre actes de M. Jules Lemaî-
tre*. — Comédie, selon l'affiche ; c'est drame qu'il
fallait dire, car la pièce comportait mort d'homme,
et suicide bien entendu, pour se conformer à l'usage
du moment. On connaît la conscience de M. Jules
Lemaître, et aussi qu'il ne se complaît pointa l'ana-
lyse de sentiments quintessenciés. Il attache géné-
ralement l'effort de son étude psychologique sur le
héros qu'il entoure de personnages simples, de
Distribution. — Le duc de Mauferrand, M. L. Guitry. — M» Aubert,
M. Guy, — Le comte de Vaneuse, M. Dieudonné. — Chaillard, M. Ar-
quillière, — De Taranne, M. Maury. — Hector de Ligny, M» Coquet.
— Joseph, M. Berthier. — Bertrade de Mauferrand, M"« Brandès. —
La comtesse de Laurière, M»» A. Judic. — La baronne de Rommelsbach,
Mil» /. Dareourt. —■ Huguette de Ligny, Mii« M. Ryter. — Célestine,
MU« /. Fusier. — Solange, M»» Barneville.
278 LES ANNALES DU THEATRE
braves gens aptes aux raisonnements honnêtes. II
choisit de préférence le drame intime, le choc
des passions familiales, T homme qui est né, je
ne dirai pas bon, mais point méchant, et qui a
sombré par l'amour de l'argent. La Massière^ qui
fut le plus grand succès de la précédente saison,
nous montrait un père en lutte avec son fils pour
la même femme, la même jeune fille, un père,
équilibré jusque-là, que détraquait un souffle de
rajeunissement. Bertrade nous initie à une tragédie
similaire. Le duc de Mauferrand est ruiné, il vit
sur son nom, sur ses ancêtres, hautain avec ses
créanciers, intransigeant sur le point d'honneur.
Mais il ne s'est pas aperçu que ses grands gestes
fiers ne font que couvrir une surface fragile. —
Peu à peu, déguisant sous des prétextes altiers son
absence de scrupules, il a dégringolé dans Testime
du monde. — Pas encore dans la sienne propre,
car il est inconscient de sa déchéance morale ... II
accepte, sans trop s'en rendre compte, la possibi-
lité de certaines compromissions. La fille de Mau-
ferrand, Bertrade, orpheline depuis dix-sept ans,
a été confiée aux soins de la comtesse de Laurière,
sa tante, qui s'est chargée de son éducation. Ber-
trade est une nature droite et saine ; elle a vu très
peu son père (quinze fois en dix-sept aiis) ; elle le
respecte plus qu'elle ne l'aime et sent très bien la
distance qui les sépare, en leurs deux existences si
distinctes de vieux viveur et déjeune recluse. M. de
Taranne, jeune gentilhomme campagnard, sans
fortune, a demandé la main de Bertrade, sans suc-
cès, car Mauferrand médite d'avoir pour gendre
THEATRE DE LA RENAISSANCE 279
un nommé Chaillard, entrepreneur véreux, entiché
de noblesse, qui, pour prix d'une alliance si flat-
teuse, paiera les trois millions de dettes du duc et
lui assui^ra, sa vie durant, 120.000 livres de
rente. Bertrade s'étonne du refus de son père, in-
siste et finit par lui arracher sa confession. Pour
sauver son père indigne, elle devra non pas être la
jeune fille qui se marie par amour, mais la mar-
chandise qu'on vend. Menacé de la saisie, et ju-
geant la yolonté de Bertrade inébranlable, Mau-
ferrand finit par envisager « pour se refaire » la
possibilité d'un mariage avec une ancienne à lui,
la baronne de Rommelsbach, veuve d'un baron
autrichien dont elle a hérité de riches mines de
cuivre. Cette baronne avait connu le duc, petite
actrice à Çobi^o, vers la fin du second Empire ;
c'est une fine mouche très amorale et très tentante
qui a su racheter toutes les créances de son ancien
amant et croit ainsi le tenir et l'amener à une
union doublement utile, pour lui et pour elle. Lui,
en qui fermente encore un reste d'honneur, hésite,
interroge, et se laisserait aller à cet acte qui le
brûlerait définitivement, si Bertrade, qui a lu dans,
un journal la nouvelle de ce mariage déshonorant,
ne venait le supplier de n'en rien faire. Elle évoque
tous les exemples des aïeux lointains, les princi-
pes héréditaires que le père a oubliés, mais qui se
sont transmis chez la fille et ont fait son âme
haute et forte, et Mauferrand voit enfin clair en
lui-même. Pour la première fois, il comprend qu'il
a été un mauvais père, et qutî son mépris de l'ar-
gent.». . des autres n'a eu d'égal que son âpre désir
28o LES ANNALES DU THEATRE
d'en ressaisir par des moyens inavouables : ou
vendre sa fiUe à Chaillard, ou se vendre, lui, à
Tancienne. cabotine, son ex-maîtresse devenue (et
comment!) millionnaire. Et le duc resté seul, pour-
suivi de cette idée fausse que le suicide pour un
homme c qui se respecte », est préférable à une
lutte grave et pénible, trop lâche, d'autre part,
pour se résigner à vivre sans luxe, esquisse un
grand signe de croix et se fait sauter la cervelle .
La pièce écrite d'un style sobre et net, avec des
coins d'un esprit délicieux (certain tableau du
second Empire était d'une bien ironique évocation)
péchait par le sujet qui manquait d'originalité. Le
personnage de Mauferrand était d'une analyse cu-
rieuse ; mais il avait le tort d'être antipathique, et
les entités qui l'entouraient n'offraient pas la
saveur de celles auxquelles, dans ses autres pièces,
M. Jules Lemaître nous avait accoutumés. Sauf,
pourtant, la silhouette vraiment savoureuse de la
baronne de Rommelsbach qui fut pour M™^ Juliette
Darcourt un véritable triomphe : il n'était pas
possible de composer un rôle et de l'interpréter
avec plus de maestria, de finesse et d'esprit.
M. Guitry était d'une vérité saisissante en duc de
Mauferrand : il en avait merveilleusement rendu
la noble veulerie, l'inconscience je m'enfoutiste,
l'absence toute naturelle de préjugés. — « Jadis le
Roy aurait payé mes dettes ». Cette phrase expli-
que tout le personnage, qui évidemment ne peut
pas se croire débiteur d'une république. Et puis il
disait des choses sur l'argent qu'on pense souvent,
mais qu'on aimerait mieux ne pas entendre. . .
THEATRE DE LA RENAISSANCE 281
Peut-être parce que c'est trop humain. M"^ Bran-
dès était une Bertrade chaste et hautaine ; elle
souffrait et nous partagions sa souffrance : sa
douleur nous émut, car c'était de la vraie douleur;
ses larmes étaient vraiment pleurées. Nous avons
applaudi furieusement M"*® Judic en de meilleurs
rôles : ce n'était point sa faute si nous ne pouvions
cette fois l'applaudir que sympathiquement.
M. Arquillière fut un Chaillard parvenu à souhait,
et M. Dieudonné prêtait à un vieux viveur dans la
purée son élégance naturelle. M. Maury était un
amoureux ardent. M. Coquet un nobliau adroite-
ment ridicule. Il ne nous restait plus qu'à déplo-
rer que M. Guy n'eût pas été mieux servi en un
rôle de notaire qui ne dé.passait pas les limites
d'une (( utilité », d'autant plus difficile à jouer
qu'il ne rapportait guère : à cet excellent artiste,
on devait une revanche.
6 DÉCEMBRE. — ' Première représentation de
V Espionne, comédie en quatre actes de M. Victo-
rien Sardou*. — Nous ne connaissons pas
d'exemple aussi frappant de la continuité dans le
succès que l'existence si prodigieusement remplie
de l'auteur de Divorçons et de la Haine. Et main-
tenant même, le maître Sardou répond victorieu-
sement à ceux qui clamaient ses pièces vieillies,
1. Distribution. — André de Maurillac, M. L. Guitry. — FavroUe,
M. (h*y. — Baron Van der Kraft, M. Arquillière. — Tekli, M. Henry
Rouaselle. — Toupin, M. Coquet. — Godefroy, M. Delorme. — Gustave,
M. Berthier. — Le capitaine, M. P. Laforest. — Un domestique, M. Va-
lantin. — Dora, M^^" Marthe Brandès. — La marquise de Rio-Zarès,
M"« Daynes-Orassot. — Zicka, M»« Blanche Dufrène. — La princesse •
Bariatine, Mlle Juliette Darcourt. — Mion, M»» Marthe Ryter, — Eva,
]||Ut Barneville.
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THEATRE DE LA RENAISSANCE 283
lieux, qu'aVait rendu avec tant de bonheur,
prit et de beauté cette pauvre Céline Montaland.
1 dit et regretté, il ne reste plus qu'à constater
jgueur et l'intérêt de ces quatre actes qui ont
.1 en haleine un public heureux d'applaudir
.11 du théâtre bien charpenté, du vrai théâtre-
premier acte se passe à Nice, comme autrefois
c'est le deuxième, chez la princesse Bariatine,
li a disparu — à Nice, refuge d'épaves, siège de
Ue société cosmopolite où l'on risque de rencon-
er autant de filous que d'honnêtes gens. La
larquise de Rio-Zarès et sa fille Dora, à l'époque
à tout le monde quitte la côte d'azur parce qu'il
l'est plus chic d'y rester, demeurent prisonnières
i Fhôtel, dans l'impossibilité où elles sont de payer
'eurs notes accumulées. C'est de cette position que
veut profiter le baron Van der Kraft, spéculateur
intrigant et voleur, qui entretient à Paris une ar-
née d'espionnes de tous les pays^. dans laquelle il
inrôle, sans qu'elle s'en doute, la marquise de
lio-Zarès : mille francs par mois pour écrire une
îttre de temps en temps. . . « Et puis vous nous
iconterez les potins de Paris. » Ignorant tous ces
ruits fâcheux, André de Maurillac .prend la de-
nse de la jeune fille parce qu'il l'aime au point
î demander sa main. Il l'épouse^, et le soir même
;s noces il s'aperçoit qu'on lui a volé dans son
crétaire un papier politique de la plus haute
portance ^ eX que le voleur..* c esl sa propre
nme I Ici se place utilement le pcraoruiam-, pivot,
la piècCj de la princesse Zika. 4mà ueusum
res du baron Van der Kdf ^B|ka •
284 LES ANNALES DU THEATRE
menée par la jalousie, car, elle aussi, aimait André
de Maurillac, et, le voyant lui échapper, jura de
se venger. Elle se venge, en effet, avec une habileté
de... prestidigitateur, subtilisant des clefs, enfer-
mant le document volé dans des lettres particu-
lières, « passez, muscade », et amenaht ainsi la
séparation définitive entre Maurillac et sa femme,
soupçonnée, que dis-je, convaincue d'un espionnag-e
odieux. Deux scènes sont traitées de main de maî-
tre : celle entre les deux époux, où M"® Brandès a
trouvé des accents d'une sincérité déchirante,
M. Guitry, des cris, des attitudes tragiques dans
leur simplicité. Et surtout la fameuse scène « des
trois hommes », qui a retrouvé l'accueil triomphal
qu'elle avait eu jadis avec MM. Pierre Berton,
Dieudonné et Train. Aujourd'hui la discussion ou
plutôt Fenquéte a lieu entre MM. Guitry, Guy et
Henry Rousselle, un nouveau venu (il fut autrefois
à rOdéon) dont on a apprécié la chaleur et le jeu
sobre, et rien de plus émouvant que le problème
qui se pose : un homme qui a accusé une femme
devant son mari, sans savoir qu'elle était sa femme,
a-t-il le droit de.se taire, ou le devoir de chercher
avec le mari même la vérité qui peut ou perdre
cette femme si coupable, ou la sauver innocente ?
Le dénouement est ingénieux, mais faible : il re-
pose sur la découverte de la véritable espionne par
l'indiscrétion d'un parfum. Le public a paru ce-
pendant y trouver un plaisir. Il m'a semblé d'ailleurs
qu'on éprouva à Taudition d'une pièce de « métier »
une sorte de soulagement, de repos. Un specta-
teur disait : « Cela repose des coupeurs de fil en
-A
THEATRE DE LA RENAISSANCE 285
quatre I » Il entendait par là les auteurs psycho-
logues et les partisans de l'école symbolique.
Victorien Sardou a vaincu par son habileté, je
dirais presque par ses défauts mêmes. Ajoutons
Tagrémënt d'une interprétation où, en dehors de
M. Guitry qui est la perfection même. M"® Brandès
s'est placée incontestablement au premier rang. Il#
fallait Tentendre s'écrier avec une joie d'une émo-
tion intense et si chaste : « Mon mari ! Vous mon
mari à moi ! à moi ! Ah ! comment vous rendre en
bonheur celui que vous me procurez aujourd'hui! »
Elle avait vraiment tiré de ce passage le « petit
frissdil ». M. Guy a eu des gestes délicieux de
finesse, des attitudes éloquentes : c'est un artiste
sûr. M. Arquillière, en baron Van der Kraft, était
d'une silhouette plus inquiétante que ne le fut
jadis Parade, et M. Coquet avait dessiné gaiement
un rôle épisodique d'un député invalidé. M°^® Day-
nes-Grassot excelle à fixer les t'oies de composi-
tion : dans la marquise de Rio-Zarès, elle montrait
une saveur comparable à celle de l'étonnante créa-
trice M°*® Alexis. Mais nous n'aimions pas-M'^^Du-
frène dans le rôle de l'espionne Zika ; elle était
froide, et son jeu banal ne donnait pas à cette
curieuse figure le relief nécessaire. Se rappelle-t-on
M^'^ Bartet?... Avec l'Espionne^ se terminait l'an-
née résumée dans le tableau suivant :
-.'^
zjLà ATT_fcix- 1*1 T^g^raj
m ir A '•
• ' > • ( ^< j
' uu. ' 'Ht*-!.
4 4 i T.
4 f •: toc-
33
THÉÂTRE ANTOINE*
Le 3 février, après le noble effort du Roi
Lear^ où il semblait préluder magnifiquement à la
direction de TOdéon, M. Antoine nous offrait, plus
modestement, un spectacle coupé, digne de l'ancien
<( Théâtre Madame », qui s'appelle aujourd'hui
le Gymnase. Deux de nos plus galants confrères,
M. Alfred Nalanson, qui signe Alfred Athis les très
avisées critiques dramatiques de VHumanitéy et
M. Pierre Veber, le correspondant spirituellement
« rosse » du New-York Herald^ occupent Taffiche
du Théâtre-Antoine. Le premier "a déjà donné sur
cette même scène une gaie comédie, Grasse Maii-
néey toujours inscrite au répertoire. Le second est
beaucoup trop connu comme romancier et comme
auteur dramatique pour que nous ayons besoin
d'énumérer ici ses succès de théâtre et de librairie.
Parlons tout d'abord des Manigances^ comédie en
un acte dô M. Alfred Athis ^. Victor et Charlotte
font le plus charmant et le plus uni des faux
ménages. Pourquoi Victor, qui, tous les mercredis
— c'est le seul jour qu'ils se quittent — va faire
1. — Directeur : M. André Antoine; Administrateur : M. Adrien
Jacque.
2. Distribution. — Victor, M. Signoret. — Marcel, M. Bonarel. —
Charlotte, M»* Jeanne Lion.
288 LES ANNALES DU THEATRE
son poker chez de braves bourgeois de sa connais-
sance, y puise-t-il Tidée de se marier ? Il y a là une
(( demoiselle » riche dont il ferait volontiers sa
femme. Mais pour cela, il faudrait rompre propre-
ment avec Charlotte^ non pas selon Tusage, en lui
"attribuant une somme d'argent — fi ! que c'est
mesquin ! — mais en se faisant ingénieusement
lâcher par elle : son ami Marcel n'est-il pas là tout
prêt à recueillir sa succession ? Marcel l'aime
depuis longtemps : il ne la prendrait pas à son
ami, il la prendra d'un ami. Il se charge donc de
prévenir Charlotte. Celle-ci, tout attristée, ne pro-
teste pas, ne récrimine pas : elle semble se laisser
faire. Mais à quoi servent toutes ces « mani-
gances » ? Et comme avec un peu de tendresse
sincère elle reconquiert vite Têtre faible et irrésolu
qu'est Victor, déjà confus et repentant I Et c'est
elle, alors, qui le consolera de la peine qu'il lui a
causée... La scène est joliment filée .Sur un thème
connu, l'acte de M. Athis est d'une bien piquante
observation. Mais, en ses brèves dimensions, il a
paru quand même un peu long. Ajoutons qu'il
nous réservait cette surprise de nous montrer
médiocre, sous le veston de Victor, M. Signoret,
qui a tant de talent... Passons à V Amourette,
comédie en trois actes de M. Pierre Veber*. Un
riche commerçant, M. I^averton, est père de deux
filles, Jeannine et Marthe, qu'il mariera — c'est
1. Distribution. — Maingant, M. Antoine. — Mazure, M. Francès. —
Laverton, M. Mosnier. — Tapageur, M. Degeorge, — Emile, M. Vargcts,
— Claude, M. Capellani. — Jeannine Mii« Andrée Méry. — Marthe,
M"« De Villers. — W^^ Pensériaux, Mme Ellen Andrée. — M»»» Laverton,
M""» Marie Délia. — M"" Boizel, M™» Miller,
^ THEATRE ANtOINE 289
prévu — un jour ou Tautre. Deux jeunes gens,
Emile et Claude, sont, tous les' dimanches, invités
à passer la journée à sa maison de campagne. Le
premier, qui aime Jeannine, est bien trop timide
pour se déclarer. Le second, infiniment plus hardi,
se fait aimer d'ellie... au point qu'elle consent à se
laisser enlever en automobile — ô le fait-divers !
— quand le papa a trouvé Claude trop pauvre
pour l'accepter comme gendre. Et voilà nos deux
amoureux gagnant, à une vitesse de soixante à
rheure, la frontière bruxelloise. Ils échouent — la
fâcheuse panne ! à quelques lieues de là, en Seine-
et-Oise, dans une mauvaise auberge où Jeannine
commence à trouver que Taventure rêvée est bien
mal organisée, qu'égoïste et maladroit, son amou-
reux idéal est bien peu digne de faire un mari.
Bénie soit l'arrivée de son père qui, fort à propos,
les rapatrie, mais qui décide d'accorder à Claude
la main de celle qu'il a gravement compromise . . .
Alors la situation se retourne : Jimile ose parler et
demander officiellement la main de Jeannine;
Claude sera le mari de sa sœur Marthe, qui l'ai-
mait sans le dire. Et, légèrement abasourdi, tout
d'abord, par cet invraisemblable chassé-croisé, le
papa Laverton s'estimera sans doute heureux de
les avoir casées toutes les deux. Sujet un peu
menu, me direz-vous. Oui... certes, mais le dialogue
est si gai, si léger, qu'il emporte le succès. Celui-ci
avait été très vif au premier acte. Il fut un peu
moindre au second, malgré la puissance comique
du bon Francès, majestueusement bouffon dans
son gendarme sans pitié pour les automobiles. 11
ANNALES DU THÉÂTRE 19
290 LES ANNALES DU THEATRE
fut un peu moindre encore au dernier acte, malgré
le naturel charmant, Tentrain joyeux et Témotion
délicate de M^^^ Andrée Méry, sous les traits de la
spirituelle Jeannine. M. Vargas lui donnait une
réplique attendrie. M. Antoine fut le raisonneur
applaudi de l'agréable vaudeville. — M. Bénière,
à qui ses importantes fonctions d'entrepreneur du
Métropolitain laissent apparemment quelques loir
sirs, nous avait déjà donné une mordante satire, in-
titulée les Tabliers blancs. Cette fois, à la façon de
Courteline, de Mirbeau peut-être, dans une comédie
en un acte intitulée *, Les Experts^ il part en guerre,
vaillamment et drôlement, contre les experts igno-
rants, canailles^ et de plus inconscients. M. Joubert
a congédié, à trois heures de l'après-midi, son
ouvrier Cérolles, à qui il a réglé son compte tout
comme s'il avait travaillé jusqu'à six heures. Et
voilà qu'à quatre heures, en flânant rue Tique-
tonne, celui-ci a glissé sur une pelure d'orange et
s'çst cassé la jambe. Le patron est-il responsable de
cet accident ! Est-ce un accident de travail ? C'est ce
que veut soutenir Cérolles, qui réclame une indem-
nité de 10.000 francs. Les quatre experts discutent
si sottement que, pour en finir, pour ne plus avoir
rien de commun avec eux, Joubert lâche 2.5oo fr.
Que recevra Cérolles ? Un billet de cent francs, en
tout et pour tout. Les 2.400 francs sont mangés
par les frais et partagés par les quatre experts . Et
l'on dit que la justice est gratuite. La justice, c'est
1, Distribution. — Tipeton, M. Degeorge, — Pantelin, M. Desfori'
laines. — Anglure, M. Bonareh — Cérolles, M. Saverne. — Joubert,
M. Léon Bernard. — Sivart, M. Defresnes. — Marie, Mi'« Marley.
THEATRE ANTOINE 29 I
possible. Mais il n'en est pas de même des juge-
ments. On a beaucoup ri de la boutade et parti-
culièrement applaudi la ronde bonhomie de M. De-
george, le « loyal » président d'expertise.
22 FÉVRIER. — Première représentation des Ava-
riés, pièce en trois actes de M. Brieux *. — L'in-
terdiction des Avariés par la censure nous valut,
il y a quelques années, une soirée des plus curieuses.
C'était exactement le ii novembre 1901. Dans la
pimpante salle du Théâtre Antoine on voyait, entre
autres, personnalités invitées, le procureur général
Bulot, voisin de loge de M. Arthur Meyer, et sur
la scène, rangés en demi-cercle autour de la table
de M. Brieux, lisant lui-même sa pièce, une bril-
lante assemblée de jeunes internes, dont la jaquette
de ville eût pu en la circonstance être remplacée
par une blanche serpillière d'hôpital. . . Le succès
fut immense. Cette fois, la pièce a été représentée
après que M. Antoine, en habit noir, se fut avancé
dès le lever du rideau, pour prévenir le public des
intentions de l'auteur : « Cette pièce a pour sujet
l'étude de la syphilis dans ses rapports avec le
mariage. Elle ne contient aucun sujet de scandale,
aucun mot obscène. Est-il donc nécessaire que les
femmes soient sottes et ignorantes pour être ver-
1. Distribution. — Le directeur du théâtre, M. Antoine. —Le docteur,
M. Mosnier. — L'Avarié, M. Léon Bernard. — Le beau-père, M. Des-
fontaines. — Un père, M.Degeorge. — Un élève, M. Verse. — L'épouse,
MHe Van Dçren. — La mère, M'ie Grumbach. — La nourrice, M»»* Mil-
ler. — Une fllle, M'l« Jeanne Z»»on. — Une domestique, MH« -Barsan<7e.
— Une ouvrière, Mii« Marley.
Ce même soir, avait lieu le remarquable début de M^e Jeanne Lion
dans le rôle de Poil de Carotte, la comédie en un acte de M. Jules
Renard.
29*^ LES ANNALES DU THEATRE
tueuses ?» On a acclamé ces quelques mots de pré-
face et, par l'audition des trois actes des Avariés,
on a acquis la preuve que Tauteur, imbu d'idées
si généreuses et si morales, n'était rien moins qu'un
pornographe. Quant à affirmer que sa pièce est une
bonne pièce, et que, très convenablement jouée
d'ailleurs comme elle Ta été, elle doive avoir un
succès durable, ça, c'est une autre affaire. Le pre- ^
mier acte ne se compose que d'une seule, mais une
longue scène entre le jeune homme, « l'avarié » —
le mot est resté — qui vient consulter un spécia-
liste au sujet de son mariage prochain, et le
médecin, qui l'engage fort à le retarder de trois ou i
quatre ans. « Il me faut ça pour vous guérir !» a
dit le médecin, faisant entrevoir au malade tous les
malheurs qui résulteraient d'une union cotitractée I
avant ce délai : la femme, les enfants. . . « Vous
ne commettrez pas ce crime ! » ajoute le bon doc-
teur. Nul ne doute qu'il le commettra . . . Au second
acte, il l'a commis. Marié, très heureux en ménage,
il est supris — surpris ! — par un coup de foudre.
Son bébé est atteint, et le spécialiste — le même
qu'au premier acte — déclare qu'il faut lui retirer
la nourrice, en danger elle aussi, et la nourrice,
bientôt mise au courant, déclare qu'elle aime mieux
perdre sa place que de continuer à allaiter un
enfant pourri — comme son père . . . Alors la
femme sait tout : c'est un cas de divorce. Ainsi du
moins le croit son père, avant d'avoir vu le méde-
cin — toujours le même spécialiste — qui refuse
d'abord de lui délivrer le certificat attestant
<( Ta varie », puis, qui — le troisième acte n'est
THEATRE ANTOINE 298
qu'une conférence médicale à deux personnages —
.finit par lui prouver, avec quelques exemples à
l'appui, et d'une façon vraiment par trop optimiste,
(^ tout est bien comme ça, que sa fille et son
gendre feront, par la suite, le meilleur et le plus
sain des ménages ... Vous attendiez-vous à cette
étrange conclusion?... Aujourd'hui, avant de
contracter un mariage, on réunit les notaires des
deux familles ... Il serait au moins aussi utile de
rjéunir leurs deux médecins . . . Tel est le « deside-
ratum » de M. Brieux, dont le « sermon laïque »,
— ainsi l'appela, le soir de la lecture, M. Camille
PeUetan, montant sur la scène entre le chansonnier
Couyba et le socialiste Fournière — ne manque,
certes, ni de bon sens, ni d'à-propos, — sans rien
ajouter d'ailleurs à la gloire de l'auteur du Bon
Juge et de Blanchette ... En dépit de quelques
écarts de mémoire, M. Mosnier a interprété avec
beaucoup d'intelligence et de conviction le rôle du
médecin. M. Léon Bernard a très justement rendu
la triste veulerie de « l'Avarié ». M™® Miller a mis
du naturel au rôle de la nourrice où elle nous a
seulement semblé un peu marquée, un peu trop
inélégante : ses patrons sont des gens riches, fort
capables de payer les rubans de ses bonnets.
3i MARS. — Première représentation du Meilleur
partie pièce en trois actes, de M. Maurice Main-
dron*. — Après avoir collectionné avec un soin
1. Distribution. — Comte de Keraudran-Kermaria (La Rapine) M. Du-
quesne. — Baron de Héribour, M. Marquet. — Comte de Chambouchard,
M. Signoret. — Urbain Raynaud, M. Mosnier. — De Moncayaux,
M. Léon Bernard. — Du Bartois, M. Degeorge. — Sergent Gossec,
M. Saverne. — Yvain de Kerlor, M. Lauff'. — Un soldat, M. Malherbe.
294 LES ANNALES DU THEATRE
jaloux, pour lui-même et au compte de l'Etat, les
insectes les plus rares, M. Maurice Maindron s'est
voué à Tétude raisonnée des belles armures et des
riches costumes d'autrefois — le seizième siMe
est son époque favorite — et, passé maître en la
science, le doux entomologiste d'antan s'est mis à
écrire^ de violents romans historiques, pleins de
rudesse et de carnage. C'est à la guerre civile —
la seule guerre selon lui, cmi soit logique, parce
que les adversaires savent pourquoi ils se battent
. — c'est au temps singulièrement troublé de la
Ligue que l'auteur de Saint-Cendre a emprunté les
quatre tableaux, dont l'exacte et curieuse mise en
scène devait tenter M. Antoine, toujours en quête
de nouveau et de hardi. — « Ce n'est point ici,
boulevard de Strasbourg, c'est là-bas, à l'Odéon,
que je jouerai- votre pièce! » avait prédit à
M. Maindron l'ancien directeur du Théâtre Libre.
Puis, comme — M. Ginisty ne se pressant pas de
laisser la place — le Meilleur parti courait le
risque d'attendre un peu trop longtemps encore,
M. Antoine s'est décidé à nous montrer, au bruit des
arquebusades et des galopades de chevaux si bien
imitées dans la coulisse, l'amusant et pittoresque
spectacle de la savoureuse reconstitution rêvée par
l'auteur — auquel il n'a guère manqué que d'in-
venter une action dramatique . . . Pour oublier la
— Soldat italien, M. Jeandrieu. — i" soldat espagnol, M. Verse. —
g« soldat espagnol, M. Carlet. — Soldat breton, M. Blondeau. — Made-
leine de Juranson, Mlle Rolly. — Valentine de Keraudran, Mli« Van
Doren. — M">e de Lavilleruault-KerbuUic, M">« EUen Andrée. — Mar-
guerite de Rieuz, M»» Denège. — Jeannette, M"» Barsange. — Yvonne
de Kerbullic, M"» Marley. — Jacqueline, M"" Kalff. — Douairière de
Lavilleruaull, M"» Darsenne.
THEATRE ANTOINE 2^5
coquette qu'il aime, le baron Héribour s'est établi
alchimiste. Madeleine de Juranson se donnera-
t-elle au rêveur ? . . . Pas le moins du monde ! Alors,
pour la séduiie, il se fait homme de guerre, et
entre dans la Ligue. Les Ligueurs se sont emparés
de la ville. Ils barbottent les sacs d'or et prennent
d'assaut les femmes. Un capitaine de bandes,
La Rapine, est maître de la maison qu'habite
Madeleinje : la belle lui appartiendra donc tambour
battant . . . Tant pis pour le baron de Héribour
s'il arrive trop tard ! Celui-ci réussira pourtant à
l'enlever par ruse au reître qui la bat, bien décidé
désormais à lui faire violence. Pour plaire aux
femmes, mieux vaut parfois violence que douceur...
Et c'est là peut-être, avec certaines d'entre elles, le
« meilleur parti ». M. Duquesne — dont c'était le
début au Théâtre Antoine, — s'est montré un
superbe et puissant soudard. M. Signoret a moins
bien réussi dans un rôle qui, disons-le à sa décharge,
ne lui convenait d'aucune sorte : il manque de
panache. Si le lourd costume du seizième siècle
sied peu à son genre de beauté, M'^^ Jeanne Rolly
rend assez plaisamment les angoisses de la coquette
réduite à se laisser violer... à la cantonade; d'ail-
leurs nous ne sommes pas chez M. Chairac.
^iie Van Doren, qui « marche » avec plus de com-
plaisance, au gré de son vainqueur, est surtout
charmante sous le travesti d'un jeune Breton dont
elle se sert pour délivrer son amie Madeleine des
griffes de son maître infiniment grossier. Mais le
Meilleur parti n'a fait que passer : trois repré-
sentations, pas une de plus !...
296 LES ANNALES DU THEATRE
i3 AVRIL. — Reprise de Tante Léontine^ comé-
die en trois actes de MM. Maurice BoniTace
et Edouard Bodin *. — Ce fut, jadis, Tun des
meilleurs succès du Théâtre Libre. Deux jeunes
auteurs y exposaient la question d'argent, de
l'argent « impur », dont M. Capus devait, plus
tard, faire naître Monsieur Piégois, Et il nous y
montrait les scrupules d'une vertueuse famille
de Tourcoing à recevoir 60,000 livres de rente
acquis par « tante Léontine », en menant, à
Paris, le métier pénible et décrié, mais quelquefois
lucratif, de « cocotte »... Cette pièce semblait^
autrefois, fort audacieuse. Elle paraît, ce soir,
supérieurement jouée par Antoine et Signoret, par
jyimès Rosa Bruck, Miller et Jeanne Lion^ amusante
et vivante au possible.
12 MAI. — Premières représentations deja Racey
comédie en trois actes de M. Jean Thorel^ et de
Monsieur Lambert^ marchand de tableaux, comé-
die en deux actes de M. Max Maurey 3. — M. Jean
Thorel, que nous tenions jusqu'à présent pour un
habile adaptateur d'oeuvres étrangères, s'est fait.
1. Distribution. — Dumont, M. Antoine. — Paul Méry, M. Signoret. —
Hardouin, M. Mosnier. — Léontine, M"»» Rosa Bruck. — M™« Dumont,
Mme Miller. — Eugénie, MHe Jeanne Lion. — Maria, M»» Barsange.
2. Distribution. — Marquis Bernard de Thémiste, M. Duqtiesn'i. —
Philippe Gauthier, M. Capellani. — Comte Gontran de Thémiste, M. MoS'
nier. — Maître Antonin, M. Degeorge. — Hély d'Ulbert, M. Vargas. —
Charlotte de Thémiste, M»» Van Doren. — Juliette de Thémiste,
MJi« de Villiers. — Marguerite de La Rouvière, M"« Denège. — Noëlle,
Mlle Marley. — Marie, Mii« Darsëne.
3. Distribution. — Le Docteur, M. Antoine.^ Lambert, M. Sipnor«/. —
Le prince, M. Def> fontaines. — L'Idiot, M. Léon Bernard. — Robert,
M. Lauff. — Mme de Saint-Alain, M»e Grumbach. — M^e Lambert,
W^* Jeanne Lion.
THEATRE ANTOINE 297
cette fois, Timitateur d'une pièce française, célèbre
tout d'abord chez Antoine, jouée ensuite, maia
avec moins de succès, au Théâtre-Français, au
moment où il élut provisoirement domicile à
rOdéon. Notre excellent confrère a repris — d'in-
téressante et originale façon, du reste — Tidée
des Fossiles, de M. François de Gurel... Le mar-
quis Bernard de Thémiste, qui professe le culte
de la race, n'a vraiment pas de chance. Le « bon
Diçu » ne lui a donné que des filles. Or^ il sait, à
n'en point douter, que l'aînée, Charlotte, n'est pas
de lui, et à peine a-t-il marié la cadette qu'il ap-
prend qu'elle ne sera jamais mère : un accouche-
ment la tuerait... Que faire en cette fâcheuse occur-
rence? Accepter, en dépit qu'il en ait, le poupon
de Charlotte ayant fauté — voyez-vous Fatavis-
me ! — avec un jeune aventurier, ex-élève de
l'Ecole des Chartes^ qu'il occupait chez lui à re-
constituer son arbre généalogique. Le niarquis
avait formellement refusé son consentement au
mariage de Charlotte avec ce plébéien de Philippe
Gauthier : il s'estimera heureux de transmettre son
héritage au fils de Gauthier, qui n'a, d'ailleurs,
dans ses veines aucune goutte de son sang. Et
sans dérager — oncques ne vit pareil type de
constante mauvaise humeur — le brave homme
pousse l'illogisme jusqu'à laisser espérer qu'à
cause du bébé, il aimera peut-être un jour cette
Charlotte qu'il détestait au point de lui défendre
de l'appeler son père. Quelle drôle de famille !
Dur et cassant comme le voulait l'auteur, M. Du-
quesne a remarquablement composé le rôle du
298 LES ANNALES DU THEATRE
marquis entiché de sa noblesse. II Ta même com-
pris « avec des bottes w^ car il ne s'est pa^ plus
déchaussé qu'il n'a décoléré au cours de ces trois
actes que n'illumine pas davantage le sourire de
sa digne adversaire, curieusement et sèchement
personnifiée par M"® Van Doren. Et ce n'est pas la
faute de M. Capellani si, de sa belle voix claire et
mordante, il n'a pas rendu plus limpide le rôle de
Philippe Gauthier, le passager amant de M'*® Char-
lotte de Thémiste. — La soirée se termine le plus
plaisamment du monde par une heureuse fantaisie
du jeune directeur du Grand-Guignol, M. Max
Maurey, à qui nous devons déjà tant d'œuvrettes
de bonne et franche gaieté : Un début dans le
monde et Rosalie ; V Aventure ^ la Recommanda-
tion^ et dernièrement encore, l'irrésistible Asile
de nuit. C'est une histoire vraie, tirée d'un fait-
divers connu et déjà mis à la scène — entre autres
Un cas de folie ^ donné aux Capucines — que celle
que nous conte Monsieur Lambert^ marchand de
tableaux. Le sujet ne présentait sans doute rien
de bien nouveau ; mais il y avait « la manière »,
et M. Max Maurey l'a traité avec tant de verve
dans l'observation, tant de finesse dans le trait
comique, que le second acte s'est joué au milieu
des rires très sincères d'une salle énormément
amusée. La scène se passe — encore que la mer
ne soit pas très bleue — sur la Côte d'azur. Que
faire à Monte-Carlo, à moins que l'on n'y joue ?
A la persistante recherche des numéros pleins,
M. Lambert s'est si parfaitement décavé qu'il ne
lui reste plus d'autre ressource que de faire argent
THEATRE ANTOINE 299
du diadème de sa femme. El comme il a trouvé
acquéreur à dix-huit mille francs, il s'empresse de
porter l'objet à l'adresse que lui a indiqifée la
comtesse de Saint-Alain : chez le D' Garain, di-
recteur d'une maison d'aliénés sur la route de
Menton. Mais la prétendue comtesse a pris soin
de s'y présenter avant lui et d'avertir le docteur
que son frère, le vicomte de Saint-André, est at-
teint de la douce manie de se faire appeler Lam-
bert et de réclamer le prix de bijoux qu'il s'ima-
gine avoir vendus. Le D^ Garain attend son homme
de pied ferme et voit en lui — ces aliénistes sont
si malins ! — le fou que l'on vient de recomman-
der à ses bons soins. Il l'interroge sommairement,
et l'envoie d'autant plus vite « à la douche » que
notre pauvre Lambert, croyant, lui aussi, avoir
affaire à un fou, a jugé prudent d'abonder dans
le sens de son interlocuteur. Le quiproquo — pas
très neuf, sans doute, mais toujours très divertis-
sant — ne s'explique qu'à la rentrée de M"« Lam-
bert, venant réclamer son mari. Un infirmier —
celui qu'on appelle l'Idiot — a tout compris, ce
qui permet au docteur de reconnaître sa méprise,
aux Lambert de flairer le vol dont ils ont été vic-
times. Pas trop à plaindre, du reste : le diadème
était faux ; afin de se refaire une bourse de jeu,
M^^ Lambert en avait vendu les vraies pierres, et
bien lui en avait pris, car elle avait, dépuis lors,
toujours gagné. La toile baisse sur les Lambert at^
tablés avec le docteur autour d'une roulette de
chambre — Rouge, impair çt passe ! — histoire
d'essayer une nouvelle martingale... M. Antoine
300 LES ANNALES DU THEATRE
représente au naturel le docteur ignare et rou-
blard. M. Signoret est aussi effaré que le veut le
rôle de Lambert. M"® Grumbach est une voleuse
de grande allure. M"® Jeanne Lion est gracieuse à
souhait sous les traits de M"^® Lambert. M. Paul
Bernard, enfin, a bien le sourire de.... l'Idiot qui
devine tout.
Le théâtre avait fermé ses portes le 3 juin. Il
les rouvrait le i4* septembre avec la Race et
la Parisienne *. Puis, le i8 septembre, le Roi
Lear reprenait pour quelques soirs possession
de Taffiche. Et l'œuvre de MM. Pierre Loti et
Emile Vedel^ se déroulait avec son pittoresque,
ses brutalités et ses naïvetés, aussi bien interpré-
tée qu'auparavant, au milieu des beaux décors
qui, la saison précédente, avaient soulevé dans
Paris une enthousiaste admiration.
10 OCTOBRE. — Première représentation de
Vers l'amour j comédie en cinq actes de M. Léon
Gandillot^. — Un grand, un très grand succès.
1. Distribution. — Lafont, M. Antoine. — Simpson, M. Signoret. —
Dumesnil, M. Mosnier. — Clotilde, MHe j. Roîly. — Adèle, M»e Bar-
sange.
2. Distribution. — Lear, M. Antoine. — Un fou, M. Signoret. — Le
duc d'Albany, M. Phil. d'Amorès. — Le comte de Kent, M. Des fontai-
nes. — Le comte de Gloster, M. Mosnier. — Edmond, M. Vargas. —
Edgar, M. Capellani — Le duc de Cornouailles, M. Saverne. — Ré-
giane, M"« Van Doren. — Cordélia, Ml'e Martineau. — GoneriJ,
Mlle Jeanne Lion.
3. Distribution. — Blanche, M'ie Jeanne Rolly. — Jacques Martel,
M. Grand. — De Grandpierre, M. Duquesne. — Sam Smithson, M. Si-
gnoret. — Un gardien du Bois, M. Antoine. — Le magistrat, M. Des-
fontaines. — Louis Gauthier, M. Capellani. — Ramus, M. Mosnier. —
L'Immortel, M. Degeorge. — Largentière, M. Vargas. — Noël Bounet,
M. Léon Bernard. — Yvonne, MU* Jeanne Lion. — Léopoldine,
Mm« Miller. — Ghopette, M"» Renée Maupin. — Miss, M^e Barsange.
— M»« Rose, M'ie de Villers. — Thérèse, M^e Denège.
THEATRE ANTOINE 3or
» aussi mérité qu'il fut éclatant. C'est, en effet, pu-
rement el simplement, une chose exquise que cette
fraîche et mélancolique histoire d'amour, si tendre
et si douloureuse, si charmante et si poignante^ si
gaie et si touchante, si humaine et si sincère, si
légère et pourtant si tragique — comme la vie
même. Dans un petit restaurant de Montmartre,
à l'enseigne de la Poule verte, et qui pourrait bien
être l'ancien café blanc de la rue La Rochefoucauld,
le peintre Jacques Martel, qui se vante un peu
trop d'aimer « toutes les femmes », a fait la con-
naissance d'un joli mannequin^ Blanche, dont il
s'est follement épris... pour quelques mois. Bientôt,
en effet, il songe à se marier, et la nouvelle en
cause à Blanche tant de peine que Jacques, se
demandant s'il fait bien de quitter une maîtresse
qui lui est si sincèrement attachée, rend sa parole
à son autoritaire fiancée. Trop tard, hélas I...
Quand nos deux amants se retrouvent, c'est Blan-
che qui est. mariée!... Par dépit, par raison peut-
être, elle a épousé le protecteur qui lui offrait une
position des plus sérieuses et même des plus
luxueuses. Et si, mariée désormais, elle consent à
revoir ce Jacques qu'elle aimait et qui maintenant
l'aime d'autant plus qu'elle lui échappe davantage,
ce revenez-y n'a qu'un temps. D'abord, elle espace
ses visites ; puis, elle les cesse tout à fait. Jacques
Vers" Vamour était précédé de Au coin d'un bois, comédie en un acte
et en vers de M. Hugues Delorme, d'après un conte de M. Ibels-Jeof-
frin, ainsi distribué :
Lavolige, M. Signoret ; Sylvaire, M. Des font aines ; Frère Paterne,
M. Degeorge; Vivetto, M"» de Villiers; la petite Pomme d'Api, M»» Pa-
risel.
302 LES ANNALES DU THEATRE
se désespère et souffre de cet abandon, au point
de ne plus pouvoir sans elle supporter la vie.
Quand il apprend qu'elle part pour toujours, il se
tue... C'est le canevas, sans plus, de Ja comédie,
étonnamment vécue, de M. Léon Gandillot. Nous
étions de ceux qui voyions en lui un des écrivains
dramatiques sur lesquels on devait le plus compter,
et nous n'avions jamais douté d'une rentrée sen-
sationnelle du sympathique auteur. C'est avec une
vraie joie que nous saluâmes le triomphal succès
de l'œuvre charmante qui s'appelait Vers ramour.
Interprétation absolument remarquable en la per-
sonne de M. Grand — il n'est pas un de nous qui
n'ait souffert avec lui ! — de M^'^ Rolly, élégante et
souple, si tendrement amoureuse et si inconsciem-
ment cruelle; de M. Duquesne, parfait en le bout
de rôle du mari qui ne veut pas « Tètre »; de
M. Antoine qui, sans doute pour donner l'exem-
ple, en ce théâtre où les moindres personnages
sont excellemment tenus, s'est amusé à dessiner
la modeste silhouette d'un gardien du Bois, philo-
sophe à ses heures. Et puis, quelle merveilleuse
mise en scène ! Le petit café de Montmartre où
commence l'action; le lac du bois de Boulogne,
où se termine douloureusement l'historiette, reste-
ront, chacun en leur genre, d'inoubliables modèles.
Les cinq actes, si bien remplis, de M. Gandillot
étaient accompagnés d'un acte, un peu vide, de
M. Hugues Delorme : Au coin d'un bois. Aimable
fantaisie dont M. Signoret a fait très joyeusement
valoir les rimes riches et les vers spirituellement
ironiques.
THEATRE ANTOINE 3o3
i6 NOVEMBRE. — Inauguration des matinées du
jeudi, avec les Revenants^ et Asile de nuit.
23 NOVEMBRE. — Le spectacle de la seconde mati-
née du jeudi se composait des Avariés et de Dis-
cipline. — Le jeudi 3o, on donnait V Enquête'^ et
la Parisienne.
7 DÉCEMBRE. — Quatrième matinée du jeudi :
Le Voiturier HenscheP et Grasse matinée''. —
U Honneur de Sudermann^ était donné le jeudi
1. Distribution. — Oswald, M. Antoine. — Engstrand, M. SignoreU
— Pasteur Manders, M. Mosnier. — M«n« Alving, M^» Grumbach. —
Régine, M^e Jeanne Lion.
%
2. Distribution. — Le juge d'instruction, M. Antoine. — L'avocat,
M. Signoret. — L'inculpé, M. Mosnier. — Le greffier, M. Desfontaines.
— Le procureur, M. Degeorge. — Le médecin, M. Bernard. — La femme
de l'inculpé, M^i» Grumbach.
3. Distribution. — Le voiturier Henschel, M. Antoine. — Le maqui-
gnon Walther, M. Vargas. — Siebenhaat, M. Signoret. — "Wermelskirch,
M. Léon Bernard. — Georges, M. Dês fontaines. — Fabig, M. CalmeL—
Frantz, M. Mosnier. — Hauffe, M. Saverne.— Hildebrand, M. Michelez.
— Grunert, M. Marot. — M™» Henschel, M^» Grumbach. — Hannè,
MU* Fleury. — M«« Wermelskirch, M«« H. Miller. — Francisca,
M»» Marley. — Chariot, M»» Parisel. — Bertha, la petite Louisette.
i. Distribution. — Emile Gouturot, M. Desfontaines. — Gustave
Aubert, M. Signoret. — Juliette Gouturot, M»« Jeanne Lion. — Eme-
rantine^ M"» Barsange.
5. Distribution. — Le baron de Traast-Saarberg, M. Antoine. — Ro-
bert Heinecke, M. Grand. — Conrad, M. Signoret. — Lothaire Brandt,
M. Mosnier. — Hugo Stengel, M. Desfontaines. — Umhlingk, M. De-
george.— Le père Heinecke, M. L. Bernard. — Michalsky, M. Saverne.
— .Wilhelm, M. Calmel.— Ragharita, M. Hatot.^ Jean, M. Landouzy.
— Amélie, M"* Grumbach. — M*« Heinecke, M"»» Miller. — Lenore^
M»« Van Doren. — Augusta, M"« G. Fleury. — Aima, M»» Martineau.
— M»» Hebenstreit, M'i« Darsenne.
3o4 LES ANNALES DU THEATRE
suivant; puis V Indiscret^ et Au Teléphone'^y (21
décembre)^ et enfin (28 décembre) Oiseaux de
passage 3.
1. Distribution. — Marivon, M. Antoine.— Lucien Rivolet, M. Grand.
— Valautin, M. Mosnier. — Farizet, M. Desfontaines. — Morgan,
M. Vargas. — Un domestique. M. Calmel. — Thérèse, W^^ Jeanne Rol-
ly. — Louise Ovize, M^e Jeanne Lion. — M«n« Baige, Mii« Luce Colas. —
Françoise Marivon, MUe Barsange. — Henriette, Mil* Martineau. —
M"« Laure, Ml'« Aubry.
2. Distribution. — Marex, M. Antoine. — Rivoire, M. Mosnier. — "
Biaise, M. Saverne. — Justin, M. Calmel.— Marthe, M"» Van Doren.—
Nanette, Mme Miller. — Lucienne Rivoire, M»« Barsange. — Un gamin,
Mi'« Marley. — Le petit Marex, la petite Schmitt.
3. Distribution. — Gregoriew, M. Chelles. — Guillaume, M. Antoine.
— 4iiIien,M. Grand. — Zakharine, M. Signoret.— Charles, M. Degeorge.
— Joseph, M. Calmel. — Le facteur, M. Marot. — Tatiana^ M^^*Mellot. —
Véra, Mil* Van Doren. — M"» Lafargue, M"* Grumbach. — M»» Dufour,
Mil» Miller. — Georgette, M^e Barsange. — Louise, M^» de Villiers. —
Julie, M»» Marley.
^
THEATRE ANTOINE
3o5
Le Roi Learf traduction
Oiseaux de passage, pièce
La Mariotte, comédie
La Main de Singe, conte dramatique. ..
Discipline, pièce
Asile de nuit^ comédie
Maternité, pièce
Petite femme, comédie
La Puissaneejies Ténèbres j drame
Les Revenants, drame . . . ^
Les Honnêtes femmes, comédie
*L'Amourettef comédie
*Les Experts, comédie
*Les Manigances, comédie
Grasse matinée, comédie
*Les Avariés, pièce
Poil de Carotte, comédie
Mariage d'Argent, pièce
*Le Meilleur Parti, pièce
La Parisienne, comédie
Tante Léontine, comédie
*La Race, comédie
* Monsieur Lambert,marchand de tableaux
comédie
*Vers l'Amour, comédie
*Au coin d'un bois, comédie en vers
Le Voiturier Henschel, pièce
L'Honneur, comédie
L'Indiscret, comédie
Au Téléphone, drame
DATE
N'OMBRE
delà
d'actes
ou de la
reprise
28 scènes
»
4
»
2
»
2
»
2
»
1
»
3
»
1
»
5 a. 6 t.
»
3
»
1
»
3
3 février
1
3 février
1
3 février
1
»
3
22 févr.
1
»
1
»
3
31 mars
3
»
3
13 avril
3
12 mai
2
12 mai
5
10 octob.
1
10 octob.
5
»
4
»
3
»
2
»
32
2
6
7
9
12
3
32
3
8
3i
20
105
20
27
56
7
23
3
10
38
42
39
96
96
i
1
1
1
ANNALES DU THEATRE
20
THÉÂTRE DE LA PORTE-SAINT-MARTIN
Au Napoléon de Martin-Laya succédait, le 25
janvier, Résurrection^ de M. Henry Bataille*.
MM. Clèves et Clerget n'avaient certes pas prévu,
au moment- où ils décidaient cette reprise, la ter-
rible actualité que viendraient lui donner les tra-
giques événements de Saint-Pétersbourg. On sait
comment, en^ortant à la scène l'admirable roman
de Tolstoï, M. Henry Bataille a fait non seulement
la pièce qui « a réussi », mais même une œuvre
d'art qui méritait le suffrage des lettrés, une œuvre
dramatique qui devait secouer d'émotion la masse
des spectateurs. Le drame qu'a tiré du célèbre
roman l'auteur, naguère applaudi, de Maman
Colibri, est d'ailleurs digne du succès qu'il a
obtenu. Est-ce à dire pour cela que nous avons
1. Distribution. — Nekludoff, M. André Calmettes. — Siraonson,
M. Maxence. — Le marchand, M. Poggi. — Oastinow, M. Liabel. —
Krilitzoff, M. Valney-Charlet. — Le capitaine, M. Denerty. — Ignaty
Nikiplorovitch, M.-Ferrier, — Nikhine, M. Lebrun. — Kolosow, M. Paul
Laurent. -^ Tikow, M. Cambey. — L'officier, M. Delvil. — Le profes-
seur, M. Charly. — Le commis, M. Demarsy. — L'interne, M. Daatiery.,
— La Masiowa, M"« Berlhe Bady, — Fedosia, M»« Flore Mignot. —
Princesse Kortchaguine, Mii« Jeanne Malvau. — Missy, Mil* Rebacca
Félix. — Tante Laura, Mïi« I>or«a. — Tante Sonia, MU* Ft7/«c. — Nata-
cho, MW« Paule Nancray. — Marie Pawlowa, MH» Depeintier. — La
grande Rousse, M»« Brenneville. — L'infirmière, Mi'e Pradier. — Une
^arde-malade, Mn« Dantèze. — Une servante^ M»« Bérangère. — La fille
du diacre. M»* O'mont. — La Beauté, M^» Rapp. — Matrobla,
MW» Aumont,
3o8 LES ANNALES DU THEATRE
retrouvé dans l'adaptation, si habile soit-elle, le
génie de Tolstoï? Non certes, et de l'analyse du
caractère de NekludofiF, un modèle dé pénétration
psychologique, il ne reste, en somme, que trop peu
dans les six tableaux dont se compose le drame
de M. Henry Bataille. Le premier, où nous assis-
tons à la séduction de Katucha ne sort guère de
l'ordinaire banalité. Le second, qui représente la
salle du jury en pleine délibération, a la valeur
d'une amusante caricature. Plus faible, à notre
avis, est le troisième tableau où Tauteur nous intro-
duit dans la famille de Nekludoff, rompant avec
sa fiancée mondaine et disant son fait à la magis-
trature. Mais superbe en son réalisme saisissant,
celui de l'intérieur de la prison de Moscou, où la
Maslovs^a, abrutie par l'ivresse, crache sa haine
à celui qui, pris de pitié, lui a demandé pardon...
D'une navrante vérité, celui de l'infirmerie, où la
fille perdue a tant de peine à se « relever ». Et
très intéresante encore, quoique très « romance »
le tableau qui conclut en histoire d'amour : ce sont
les adieux à Nekludoff de la pauvre Katucha, heu-
reusement « ressuscitée » et résolue à^^épouser un
de ses compagnons de chaîne qui semble tomber
,de la lune, tant nous le connaissons peu...
M™® Berthe Bady a gardé tout naturellement son
inoubliable création de la Maslowa, où, faisant
applaudir, sous les plus divers aspects, son très
remarquable talent, elle trouva l'occasion de se
classer définitivement étoile au firmament dramati-
que. Elle a joué le rôle avec la même intensité
d'expression qu'autrefois, avec plus de sûreté
THEATRE DE LA PORTE-SAINT-MARTIN SOQ
encore, si c'est possible. A Torigine, M. Dumény
tenait avec beaucoup d'élégance et d'autorité le
personnage du prince Dimitri NekludofF. M. Cal-
mettes a moins d'aisance et de distinction que son
prédécesseur; il est moins grand seigneur et a.
montré moins d'émotion sincère. Mais il a fait
preuve de vigueur et d'âpreté, et n'a, en somme,
aucunement failli à sa tâche d'humanitaire. Autour
de ces deux protagonistes s'empresse une troupe
où chacun « donne » avec ardeur en son rôle
modeste. C'est ainsi que, dans une trop courte
apparition, la scène, malheureusement unique, de
Missy, rendant sa parole et sa bague à NekludofF,
M^*® Rebecca Félix fait apprécier ses qualités de
grâce et de simplicité; M"® Jeanne Malvau sous
les traits de la princesse Kortchaguine ; M"® Flora
Mignot, jolie Fédosia; M. Maxence, impression-
nant Simonson ; M. Poggi, amusant en marchand
juré : tous font montre de talent en leur tâche res-
pective... NapoUoriy où M. Maxence prend posses-
sion du rôle de Napoléon, le Courrier de Lyon^
puis le BossUy avec M. Dulac, dans Lagardère,
M. Maxence, dans Gonzagùe, MM. Saidreau et
Poggi, dans Passepoil et Gocardasse, ont succédé
à Résurrection.
19 MAI. — Première représentation de Pauvre
Fille, pièce en cinq tableaux de M. GerhardtHaupt-
mann, adaptation de M. Jean Thorel*, suivie de
/
2. Distribution. — Le père Bern, M. Léon Noél. — Flamm, M. Du-
lae. — Auguste, M. Maxence, — Streckmann, M. Valney-Charlet. —
Le vieux Frite, M. Denerty. — Kahn, M. Aumont. — Le garde, M. L.
Raoul. — Kleinert,. M. Canubey. — Heinzel, M. Dastiéry.— M»» Flamm,
3 10 LES ANNALES DU THEATRE
Lidoire^ scène de la vie militaire, de M. Georges
Courleline*. — A Gerhardt Hauptmann, Fauteur
de cet émouvant drame des Tisserands^ que nous
révéla M. Antoine, le théâtre de la Porte-Saint«
Martin empruntait — pour quelques soirs seule-
ment — une pièce célèbre en Allemagne, Rose
Bern^ qu'avait très habilement adaptée, sous le
nom de Pauvre Fille^ M. Jean Thorel. C'est l'his-
toire, très simple, d'une jeune paysanne qui, tra-
vaillant vaillamment pour nourrir son père, s'est
laissé séduire par le bourgmestre M. Flamm, chez
qui elle était en service. Sa faute a été découverte
' par le mécanicien Streckmann ; celui-ci menace de
tout dire si Rose ne consent pas à lui appartenir.
Et voilà que pour acheter son silence, la pauvre
fille se donne à ce Don Juan de village. Pourquoi
Streckmann — c'est vraiment le traître du mélo-
drame — l'insulte-t-il devant tous un jour de mois-
son? Le vieux Bern le cite alors en justice, et
apprend que les accusations portées contre sa fille
n'étaient pas, hélas! une calomnie. Rose est
déshonorée, elle va être mère. Et de honte, la mal-
heureuse se tue. Elle avait pourtant rencontré des
êtres pitoyables à sa misère : son fiancé Auguste,
tout prêt à lui pardonner, et la femme du bourg-
mestre, . . Ah ! la belle scène, véritablement poi-
,gnante, que celle où, sans dire quel fut le séduc-
M'ie Jeanne Malvau. — Rose Bern, M»» Blanche Barat. —.Marthe,
Mil» Bérangère. — La vieille Fritz, M»» Villac. — Minna, M"« Rapp. —
La petite. M»» R. Valien.
2. Distribution. — La Biscotte, M. Poggi. — Lidoire, M. Saidreau, —
Le maréchal des logis, M. Paul Laurent. — Maraboul, M. Dastiéry. —
Le brigadier, M. L. Raoul, — Vergisson. M. Demarcy,
THEATRE DE LA PORTE-SAINT-MARTIN 3 II
leur, elle avoue à M™« Flamm sa maternité !
M'^® Jeanne Malvau, abordant un emploi dont elle
n'a, certes, pas encore Tâge, a joué de façon ab-
solument remarquable le rôle de M™« Flamm. Et
sous les traits du père Bern, on a également fort
applaudi, pour son naturel parfait, le solide comé-
dien qu'est Léon Noël. Ces deux artistes de valeur
ont été le charme de cette trop pâle copie de notre
Claudie et de notre Closerie des genêts. M"« Barat
— toute fraîche émoulue du Conservatoire — nous
a paru manquer de véritable émotion dans le rôle
de Rose, tenu par elle dans une gamme constam-
ment larmoyante et forcément monotone. La direc-
tion de la Porte-Saint-Martin avait donné au drame
allemand une généreuse hospitalité — le décor de
la moisson était superbe — et complété le spec-
tacle par un éclat de rire bien français. Lidoire^ ce
petit chef-d'œuvre comique de Gjeorges Courteline,
joyeusement enlevé par MM. Saidreau et Poggi,
produisait, comme de coutume, un effet énorme.
Après quelques représentations d'Electra^y on
reprenait successivement la Grâce de Dieu'^y le
1. — La pièce de M. Paul Milliet avait alors pour interprètes MM. Du-
lac, Valney-Charlet, Léon Noël, Lîabel, M»" F. Mignot, Jeanne Malvau^
Dantèze. *
2. — M. Léon Noël jouait « le père Loustalot »; le rôle de Marie était
confié à M"« Flore Mignot.
^ Un changement s'était produit le 26 juin dans la direction du thé&tre
de la Porte-Saint-Martin. M. Paul Larochelle remplaçait, comme asso-
cié, M. Clerget auprès de M. Paul Clèves. Détails curieux pour les
amateurs de coïncidences : comme le fait aujourd'hui son fils, M. Laro-
chelle père avait quitté la direction des théâtres populaires de la rive
gauche pour la Porte-Saint-Martin, alors détruite par la Commune et
cpi*il fit reconstruire. Et M. Paul Clèves,' qui avait succédé au père,
devenait l'associé du fils.
3l2 LES ANNALES DU THEATRE
Courrier de Lyon et le Bossu ^. Puis, en plein été^
le 19 août, la direction lançait une pièce nouvelle :
les Exploits de MontenVair^ cinq actes et huit ta-
bleaux de MM. E. Herbel et Bouvet 2. — M. et
M"*® Lamy ont fait fortune à Noi^méa et vont
rentrer en France donner la main de leur fille
Hermance au brave lieutenant Ferna^'d. Comme
ils craignent d'être volés et soulages des six cent
mille francs qui composent leur fortune,M°*® Lamy,
en une heureuse opération, troque cet argent contre
un choix de perles rares, qu'elle portera toujours
dans son corsage. Ainsi, le fameux MontenFair,
le terrible forçat qui vient de s'évader, celui-là
même qui jura d'avoir la galette et la peau de
M. Lamy ne pourra aisément s'en emparer. Les
Lamy ont donc loué, de retour en France, une
gentille villa aux environs de Fontainebleau, où est
caserne le régiment du lieutenant Bernard, devenu
capitaine, et Ton doit, aussitôt après les grandes
manœuvres, célébrer le mariage des fiancés. Tout
irait, vous le voyez, pour le mieux, si le sombre
Carriès, amoureux fou d'Hermance, ne l'avait sui-
1. — C'était, le 12 août, la centième de la reprise du Bossu. Le célèbre
drame d'Anicet-Bourgeois et Paul Féval, aura été, depuis sa création,
représenté .2. 197 fois sur nos quatre grandes scènes populaires.
2. Distribution. — Ma Rose, M. Poggi. — Lamy, M. Bartel. — Ber-
nard, M. Liabel. — Jeannel, M. Lorrain. — Carriès, M. Hautefeuille.—
Malestrot, M. Denerty. — Ribouis, M. Mulhery. — L'adjudant, M. Paul
Laurent. — Le brigadier, M. Albert. — Mégot, M. Calmel. — L'agent,
M. Clerville. — Le troquet, M. Cambey. — Fossoir, M. Raoul. — Duc
de Cherval, M. Catrieu. — La Patate, M. Dastiiry. — Le gendarme.
M. Aumont. — Le caporal, M. Ouibert. — Gironde, M»« Ch. Durand.—
Hermance, M»« Depeinter. — M"»* Lamy, Mil» Le Grand. — Nika,
M"« Bérangère. — M"»» Malestrot, M"« Villac. — Pinsonnette, Miï« Ada
Delide. — La Tôle, M»» Rapp. — Emilienne, M»« Paulette Lory. — Chi-
chette, Miu De Marbo.
THEATRE DE LA PORTE-SAINT-MARTIN 3l3
vie depuis Nouméa, bien résolu à posséder de gré
ou de force, la jolie jeune fille, qui maintes fois
repoussa avec mérpris ses déclarations et ses offres.
Car ries,* déguisé tantôt en mendiant, tantôt en col-
porteur, s'entend avec quelques apaches pour
cambrioler la villa des Lamy et s'emparer de la
jeune fille^ qu'on lui amènera jusqu'à son auto-
mobile postée non loin de là. Heureusement Jea'nnel
veille. Qu'est-ce donc que Jeannel? Un bon gar-
çon, ordonnance du capitaine Bernard, ancien
forçat condamné par erreur judiciaire et dont l'in-
nocence fut reconnue, grâce à l'intervention dudit
Bernard, à qui il est aujourd'hui, bien naturelle-
ment, dévoué corps et âme. Jeannel, vêtu en ou-
vrier, surveille sans relâche Carriès, et, simulant
l'ivrognerie, évente le cambriolage de la villa et
met en fuite les bandits avant que ceux-ci aient pu
trouver la fameuse cachette des six cent mille francs,
M"*« Lamy ayant revendu avec un joli petit bénéfice
ses perles rares. Mais les péripéties du ménage
Lamy ne sont pas, hélas ! terminées. Les voilà, en
suivant les manœuvres, perdus dans les Vosges et
réfugiés en une misérable chaumière, dont les pro-
priétaires, sans le vouloir, leur font une peur
affreuse ; puis M.^ Lamy est pris par les gendarmes
pour le célèbre iftontenlair, — dont on parle tou-
jours, et qu'on ne voit jamais, — arrêté et conduit
enfin au capitaine Bernard, qui, lui, a échappé
par miracle à la mort que lui destinait Carriès.
Un réserviste du nom de Ma Rose, avait la mis-
sion, moyennant forte récompense, de lui loger au
cour des manœuvres une balle dans la tête. Carriès,
3l4 LISS ANNALES DU THEATRE
dénoncé, est arrêté séance tenante; Montenl'air
lui-même se fait pincer, et rien ne s'oppose désor-
mais aux mariages de Bernard avec Hermance, et
de Jeannel avec Nika, la gentille servante. Notons
M." Poggi, gai et bon enfant dans Ma Rose;
M. Bartel, plein de rondeur en Lamy.Et passons...
19 OCTOBRE. — Reprise de la Jeunesse des Mous^
quetaires^ drame en cinq actes et douze tableaux
d'Alexandre Dumas et Auguste Maquet*.
9 NOVEMBRE. — M. Zcllcr importe "au théâtre de
la Porte-Saint-Martin une série de matinées classi-
ques, qu'il a précédemment organisées dans la
salle du Trocadéro. Elles commencent par Athalie,
avec la musique de J.-B. Moreau et les chanteurs
de Saint-Gervais sous la direction de M. Ch. Bordes.
Avant la tragédie de Racine, M. George Vanor
donne une ardente conférence sur le traditionna-
lisme religieux au théâtre; il exalte l'éloquence
sacrée allant de la chaire à la scène et de Bossuet
à Racine; il célèbre la majesté prophétique des
strophes d'Esther et d'Athalie, et il trouve de
nobles accents pour moderniser en la transformant
l'action des drames raciniens. Le public, enthou-
siasmé, applaudit longuement le distingué confé-
rencier.
i. Distribution. — D'Artagnan, M. Marié de Liste. — Athos, M. Du-
lac. — Porthos, M. Zeller. — Aramis^ M. Paul Laurent. — Richelieu,
M. Perny. — Buckingham, M. Lidbel. — Bonacieux, M. Léon Noél, —
Louis XIII, M. Roger Cari. — Tréville, M. Valney-Charlet. — Planchet»
M. Poggi. — Rochefort, M. Denerty. — De Winter, M. Lorrain. —
Felton, M. Haute feuille. — Milady, Mii« Brille. — M"»* Bonacieux^
Mlle Flore Mignot. — Anne d'Autriche, M"« Demidoff. — La supérieure,
MU« Villac. — Eatefana, un page, MUe Paulette Lorcy,
THEATRE DE LA PORTE-SAINT-MARTIN 3l5
i6 NOVEMBRE. — Au programme de la matinée
classique du jeudi : Œdipe à Colorie^ tragédie en
trois actes de Sophocle (adaptation de M. J. Gas-
tambide, musique de scène et chœurs de M. Fran-
cis Thomé), avec M. Philippe Garnier, M"^ Jane
Thomsert, MM. Ferry, G. Zeller, Henry Perrin, et
première représentation de V Athénienne y comédie
antique en trois actes, de M. Albert Marquet
(adaptation du Miles gloriosus de Plante) *. Ecrite
en une jolie langue, semée de traits, présentant
avec une habileté consommée les situations comi-
ques du vieil auteur latin et y ajoutant par d'amu-
santes transpositions de mots, l'œuvre de M. Albert
Marquet a soulevé des fusées de rires.
23 NOVEMBRE. — On douuc en matinée (matinées
Zeller) le Cid^ où M''® Lucie Brille est une re-
marquable Chimène, et les Plaideurs qui excitent
une gaieté folle. Très brillante conférence de
M. George Vanor qui fait, à propos du Cid^ un
éloge enthousiaste de la chevalerie castillane, de
l'honneur français.
7 DÉCEMBRE. — Lcs Femmes savantes et le Ma--
lade imaginaire^ avec M. Barrai, excellent de
verve et de drôlerie dans le rôle d'Argan, composent
le spectacle de la matinée, que précède une causerie
de M. George Vanor. A propos de Trissotin et de
Vadius, le conférencier réhabilitait Cotin et Ménage,
1. Distribution. — Pyrgopolinice, M. Henry Perrin. — Palestrion,
M. Stacquet. — Périplectomène, M. Bahier. — Scélèdre, M. G, Flandre,
— Pleuside^ M. A. Lauff. — Artotrogue, M. Calriens. — Luerion,
M. Trévovuc, — Garion, M. Lerou. — Philocomasie, MU« Delmay. —
Acrotéleutie, M»* Mérindol. — Milphidippe, M^* Louise Koch. —
Cléoiiice, Mil* Meyran.
3l6 LES ANNALES DU THÉÂTRE
et il libérait Philaminte et Armande de leur répu-
tation de ridicule. La tâche était ardue; maïs
chaque paragraphe s'étayait d'un document, et à
chaque instant un mot d'esprit triomphait de la
résistance des spectateurs les plus prévenus. Dans
les Femmes savantes^ M°^^* Dehon, Derigny, Flore
Mignot, Demidoff, MM. Perny, Perrin et Berthe-
lier étaient fort applaudis. M. Zeller jouait Chry-
sale : il y remportait un succès personnel.
i4 DÉCEMBRE. — Au programme de la matinée
classique : le Dépit amoureux et Y Avare ; cause-
rie de M. George Vanor.
21 DÉCEMBRE. — Précédée d'une conférence de
M. Laurent Tailhade, Andromaque se donnait
devant une salle ravie. Tous les excellents inter-
prètes de l'œuvre de Racine, M. Segond dans
Oreste, M. Teste dans Pyrrhus, M™^ Louise Prévor
dans Hermione étaient longuement applaudis.
Mais le gros succès de la journée allait sans con-
tredit à M"® Lucie Brille, qui jouait le rôle d'An-
dromaque avec une originalité, une beauté d'atti-
tudes et une maîtrise véritable qui la mettaient tout
à fait hors de pair.
THEATRE DE LA PORTE-SAINT-MARTIN
3i7
Napoléon, épopée
Résurrectiony drame * . .
Le JBossUf drame
*Pauvre Fille, pièce,
Lidoire, pièce
Electra, pièce
La Oràce de Dieu, drame
*Les Exploita de Montent air, pièce
La Jettnesse des Mousquetaires, drame..
Athalie, tragédie
Le Mariage forcé, comédie
Œdipe à Colone, tragédie
* L'Athénienne, comédie antique
Le Cid, tragédie
Les Plaideurs, comédie en vers
Les Femmes savantes, comédie en vers.
Z/« Malade imaginaire, comédie
Le Dépit nmoureux, comédie en vers. . .
L'Avare, comédie
Andromaque, tragédie
Le Médecin malgré lui, comédie
Phèdre, tragédie
Les Précieuses ridicules, comédie
DATE
NOMBRE
NOMBRE
delà
de
1" représ.
représent.
d*actes
ou de la
pendant
reprise
Tannée
3p.6a.40t.
»
30
5 a. 1 pr.
25 janv.
72
5 a. 10 t.
31 mars
106
5 tabl.
19 mai
6
1
19 mai
15
5
24 mai
5
1" juin
31
5 a. 8t.
19 août
69
5 a. 18 1.
9 nov.
87
5
»
1
»
3
»
3
))
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2
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»
5
»
3
»
5
»
1
1)
THÉÂTRE DE LA GAITÉ
L'année avait commencé par une série de
<f matinées classiques ». Le 5 janvier, Coquelin-
nous offrait le très vif plaisir de Tapplaudir dans
Tartuffe^ qu'il n'avait joué encore à Paris que lors
de sa représentation de retraite au Théâtre-Fran-
çais. Il nous présentait, en la personne de M"« Gilda
Darthy, une superbe Elmire,^et sous les traits de
Dorine, la soubrette forte en gueule (le rôle ne
pouvait guère lui convenir) M°*® Céline Chaumont,
l'aimable Cyprienne de Divorçons. La représenta-
tion se terminait par les Précieuses ridicules^, où
Coquelin était le Mascarille incomparable que
devait aller voir toute la génération nouvelle.
C'était, disons-le, une admirable merveille.
i3 JANVIER. — Première représentation, à ce
théâtre de VAbbé Constantin^. —Elle est amusante
— r quoique honnête — la comédie que tirèrent si
1. Distribution. — Tartuffe, M. Coquelin aîné. — Orgon, M. J, Coque-
lin. — Valère, M. Volny. — Gléante^ M. Marqttet, — Damis, M. Rozen-
berg. — Loyal, M. Chabert. — L'exempt, M. Monteux. — Dorine,
M»« Céline Chaumont. -^ Elmire, M"* Oilda Darthy. — Marianne,
M»« Mylo d'Arcyle. — M»* Pernelle, M»» Délia.
2. Distribution. — Mascarille, M. Coquelin aîné. — Gorgibus, M. Ho-
zenberg. — Jodelet, M. Chabert. — La Grange, M. Volny. — Du Groisy,
M. Monteux. — Un porteur, M. Adam, — 2« porteur, M. Déan. —
1« violon, M. Ogereau. — Gathos, M»» Moreno. — Madelon, W^« Bou-
€hetal. — Marotte, MU« Voulzie.
3. Distribution. — L'abbé Constantin, M. Coquelin aîné. — Paul de
Lavardens, M. Rozenberg. — Jean Reynand, M. Lamothe. — Bernard,
320 LES ANNALES DU THÉÂTRE
habilement du joli récit de M. Ludovic Halévy,
feu Crémieux et son jeune et avisé collaborateur
d'alors, M. Pierre Decourçelle. Ah ! ce bon abbé
Constantin, si doux, si souriant, et ces ravissantes
Américaines qui traversent la pièce avec leur hon-
nêteté et leur beauté^ ils vont encore (c'est de
l'abbé et de son filleul que je parle) faire verser
plus d'une larme et faire plus d'un caprice (je
songe aux jolies Yankees). Et tout cela pourquoi?
Parce que cela a le charme d'une vertu sans ennui.
Faire une pièce d'un roman où il n'y avait pas de
pièce, la tâche était ingrate, et nous avons dit jadis
comme Hector Crémieux et M. Pierre Decourçelle
s'acquittèrent le mieux du monde de la délicate
besogne qu'ils avaient assumée. Le premier acte
est une exposition supérieurement adroite, dont
les détails sont de purs bijoux. Il faut voir le bon
curé se rallier aux belles Américaines quand il les
sait aussi catholiques que charitables. « Mais alors^
dit-il, le bruit se répandant dans les communes
voisines, on va venir s'établir pauvre àSauvigny ».
Charmant est le dîner dans le jardin, rempli de
roses, du presbytère de campagne ; délicieuse est
la scène où, l'abbé s'étant endormi, les deux Amé-
ricaines chantent... toujours un peu plus fort,
pour l'éveiller sans lui laisser croire qu'on s'est
M. Péricaud. — De Larnac, M. Mondos. — M»" de Lavardens, M"»» Marie
Magnier. — Mm« Scott, M»» Marcelle Lender. — Bettina, MW« Blanche
Toutain, — Pauline, M«« Angèle.
Le rôle du jardinier Bernard était repris par un jeune comédien,
M. Chabert, remplaçant au pied levé M. Péricaud, indis^sé, et jouant
avec beaucoup de pitioresque et de bonhomie.
Le 22 février, aura lieu la 50« représentation de la reprise de l'Abbé
Constantin.
THEATRE DE LA GAITÉ 321
aperçu qu'il dormait. . . Grand succès, de même,
pour le second acte, avec le duel des deux amis,
Jean Reynaud et Paul de Lavardens — une inven-
tion, et même une trouvaille des dramaturges —
avec Téquipée de Bettina, courant sous la pluie
aux nouvelles de Jean qui, bien entendu, est sain
et sauf. On entend la fanfare : le régiment passe ; il
est passé ! Je vous recommande le grand parapluie
retourné par l'orage : ce sont de ces précieux
effets de mise çn scène qui valent de longues tirades.
C'est au troisième acte, chez le curé, qu'est, à
vrai dire, la. scène à grand effet : Bettina venant
s'offrir, elle et ses millions, au pauvre, mais honnête
lieutenant. Rien de moins imprévu, mais rien de
charmant comme ce troisième acte, bourré de
petites, de toutes petites choses, amusantes,
vivantes et remplies de délicieux traits d'observa-
tion. . . Encore une fois, on a fort applaudi la pièce,
quoique honnête, et peut-être, parce que honnête...
Et Vôn a fait fête à ses interprètes actuels. Coque-
lin, le Tartuffe d'hier, est exquis dans la douce
figure de Tabbé Constantin : impossible d'y mettre
plus de tact, plus de mesure, plus de bonhomie,
plus de grandeur simple. M^^ Marie Magnier, qui
fut autrefois une si élégante M"*^ Scott, est une
fort amusante M'»® de Lavardens. Ce sont de sédui-
santes Américaines que M™^^ Marcelle Lender et
Blanche Toutain, et il n'est pas jusqu'à M"^^Angèle
— une sympathique rentrée au théâtre — qui
n'ait obtenu un gros succès sous le bonnet à coiffe
de la servante du curé. Les recettes de l'Abbé
Constantin — l'idéale pièce de famille — devaient
ANNALES DU T-IÉAlRi^ 21
322 LES AIsNALES DV THEATRE
permettre à la direction de la Gaité d'aUendre
patiemment, non pas Foeuvre de M. Rostand qui
ne viendra pas, mais le Scarron de M. Catulle
Mendès, qu'allait nous jouer Coquelin.
19 JANVÎER. — Matinée classique avec le Malade
imaginaire^ et le Médecin malgré lui^,
3o MARS. — Première représentation de Scarron^
comédie tragique en trois actes, en vers, de
M. Catulle Mendès, musique de M. Reynaldo Ra-
bin 3. — Il sied aux vrais artistes de « jouer la dif-
ficulté ». Faire du célèbre et affreux cul-de-jatte —
traîné d'acte en acte dans un fauteuil à roulettes —
le héros d'une pièce de théâtre, n'était-ce point là
1. Distribution. — Diafoirus, M. Coquelin aîné. — Argan, M. Jean
Coquelin. — Purgon, M. Rozenberg. — Béralde, M. Monteux. — Gléante,
M. Coiteau. — M. Diafoirus, M. Garay. — PleuraTit, M. Chmbert. —
BoDiiefoi, M. Adam. — Toinette, M»« Marguerite Ugalde. — Angélique,
M»« Maggie Gauthier. — Belise, M"» Bouchetal. — Louison, La petite
Hefntiette Douwe.
2. DiSTRiBOTiON. .— Sganarello, M. Coquelin aîné . — GéTonte, M.Jiozen-
berg* — Léandre, M. Dauchy. — Valère, M. Garay. — Lucas, M. Gha-
bert. — M. Robert, M. Adam. — Martine, M"» Bouchetal. — Lucinde,
M"« Mylo d'Arcyle. — Jacqueline, M«« Renée Bussy.
3. DraxRiBtTiON. — Soarron, M. Coquelin aîné. — Destin, M. Volny,
— Touesaint-Quinet, M. Laroohe. — De Villarceaux, M. Capellanù —
La Rancune, M. Péricaud. — La Meanardiére, M. Gravier. — Fouca-
pal, M. Rozenberg. — Rotrou, M. Sohutz. — Ménage, M. Chabert. —
Armentières, M. Grammont. — Comte de Bélin, M. Albert. — Miton,
M. Dauchy, — Mars, M. Person — L'abbé Celli, M. Gandera. — Ninon
de Lenrloe, M»e Gilda Darthy. — Françoise d'Aubigné, MM* Si/ivie. —
Etoile, Mlle Ventura. — M"»» do La Bazinières, W^» Voulzie, —
M«» d'Aubigné, M»e Massie. — Une bourgeoise, Mn« Btanchet. — La
Tripotière, M»« G. Rose. — MU« Diodée, M"« Piekell. — Mœt de Ribau-
doû, MH» Dixel. — Marquise de Lestissac, MUe Baylat. — Comtesee de
Fiesque, M"» Verdier. — Venue, MH« Guétry. — Marion Déforme,
M^>» Bernard. — Psyché, M»» d*Armor. — Pallas, M»» Roeine. — Hébé,
M"« Ovise» — Bellone, M^e Leno. — Françoise d'Aubigné, petite Angèle
Henry.
THEATRE DE LA GAITJÉ 323
une conception si étonnamment hardie qu'elle fri-
sait la témérité ? Par la prestigieuse magie de sa
vaste et solide érudition d'écrivain et de sa souve-
raine maîtrise de poète, le probe auteur de Scar^
ron a triomphé autant qu'il le pouvait de la tant
périlleuse entreprise. Et le rideau s'est baissé sur
des ovations qui s'adressaient à l'admirable vir-
tuose qu'est M. Catulle Mendès, à l'incomparable
comédien que s'est montré une fois de plus M. Go-
quelin aîné. En sa comédie tragique qui suit pa« à
pas l'histoire du poète burlesque, M. Catulle Men-
dès nous montre Scarron rencontrant pour la pre-
mière fois au Mans Françoise d'Aubigné, alors
toute petite fille, au moment où il vient de débiter
une lyrique et sacrilège tirade à la gloire du singa,
qui lui vaudra d'être précipité dans les bones gla^
cées de la Sarthe. Nous le retrouvons le soir
même de son étrange union avec M^'^ d'Aubigné ;
rien de plus pénible, mais rien de plus saisissant
aussi que le tableau suivant ; Taffiche l'appelle iro-
niquement le « Coucher du maxié » : Xriste marié
qu'on verse de sa chaise roulante à son lit de dou-
leur... (( Oh ! Scarron, soyez juste, a dit en son
franc parler Ninon de Lenclos : qui donc serait
cocu si vous ne l'étiez pas ? » Scarron pourtant ne
veut point « l'être » : il consent à ce que la jeune
femme qu'il adore ne soit jamais pour lui qu'une
sœur, mais il prétend qu'un autre ne lui vole pas
son trésor... 11 a compté sans Villarceaux, qui
semble, vraiment, avoir tout ce qu'il faut pour
conquérir le cœur de la « belle Indienne », et mo-^
tiver le sixain de Gilles Boileau :
324 LES ANNALES DU THEATRE
Vois sur quoi ion erreur se fonde,
Scarrort, de croire que le monde
Te va voir pour ton entretien ;
Quoi, ne vois-tu pas, grosse bête,
Si tu grattais un peu ta tête,
Que tu le devinerais bien ?
Il faut voir Scarron, dans un accès de fureur
jalouse retrouver assez de force pour briser les
deux bras de sa chaise, s'échapper de son demi-
cercueil et marcher Tépée à la main sur les amou-
reux réunis en la chambre jaune — nuance sym-
bolique — de la complaisante Ninon. Puis comment
ne pas frémir à Tacte de la mort si cruellemjent
railleur, si profondément pathétique! Et j'imagine
quelle doit être la suprême joie d'un maître tel
que Catulle Mendès de se voir compris et inter-
prété comme il l'a été par Coquelin, absolument
admirable — il n'y a pas d'autre mot — dans le
rôle si complexe et si difficile de Scarron. Ah ! le
mérité triomphe de notre grand comédien ! Après
et avec Coquelin, nous voulons nommer M"^- Syl-
vie, qui, ne « mangeant » point les vers comme
ses trop gourmandes camarades, M^^^Gilda Darthy
et Ventura, a mis infiniment d'intelligence et de
mordant dans le personnage de Françoise, ou
Francine Scarron, songeuse, prudente, ambitieuse
et dévote : une remarquable composition qui fait
le plus grand honneur à la jeune artiste de l'Odéon,
si heureusement prêtée au théâtre de la Gatté. —
De jolis décors — le frais jardin du troisième acte,
où s'épanouit le printemps, est une merveilleuse
toile de M. Bertin — encadrent dignement l'œuvre
THEATRE DE LA GAITE 325
de M. Catulle Mendès, l'un des plus nobles types
d'hommes de lettres de ce temps.
Dès le 20 avril on reprenait VAbbé Constantin,
dont on fêtait bientôt à ce théâtre la loo^ repré-
sentation. Et le 28 avril on nous rendait le Maître
de forges^, qui, dignement^ terminait à la Gaîté
la saison des comédies. Nous avons donc revu le
célèbre ouvrage de M. Georges Ohnet qui obtint, il
y a vingt-deux ans, un si énorme succès, et nous
avons trouvé que c'était là une excellente pièce, et
que Ton ne s'était pas trompé sur son compte. Le
drame est touchant parce qu'il est vrai et que la
situation est forte. Le premier acte du Maître de
forges est tout simplement de premier ordre. Il
fait attendre de très grandes choses, ce qui est
précisément le métier d'un premier acte. Il pose,
et avec une netteté, une clarté et un relief extraor-
dinaires, une situation infiniment intéressante.
Claire de Beaulièu aime son cousin, qu'extérieure-
ment elle trouve charmant. Elle est aimée en si-
lence par un homme sérieux qu'elle n'aime pas.
Le cousin l'abandonne froidement pour faire un
mariage riche. De dépit, d'orgueil froissé, elle
épouse brusquement l'homme sérieux, sans oublier
le séduisapt cousin. Que va-t-il sortir de là ? De
i. Distribution. —Moulinet, M. Coquelin aîné. — Philippe Derblay,
M. Desjardins, — Bachelin, M. Laroche. — Duc de Bligny, M. Volny.—
Baron de Préfont, M. Rozenberg. — Octave, M. Dauchy, — Le général,
M. Person. — Gobert, M. Chabert. — Le docteur Servan, M. Ogereau»—
Le préfet, M. Orammont. — De Pontac, M. Dannequin. — Jean,
M. Adam. — Claire de Beaulièu, M«»e Jane Hading. — Athénaïs,
MU« Oilda Darthy. — Marquise de Beaulièu, M"» Pauline Patry. —
Baronne de Préfont, M"» Kerwich. — Suzanne, M"» Mylo d'Arcylle. —
Brigitte, M»» Merle.
326 LES ANNALES DU THEATRE
grands malheurs, et puis, nous en avons Tespoir,
un redressement de toutes choses qui sera produit
par Tamour. Le soir des noces, la femme se refuse
à son mari dans une scène qui n'était pas, certes,
facile à faire et qui est admirablement faite. Le
mari, très épris, mais très ferme et très digne, si-
gnifie à sa femme qu'il ne faut pas qu'elle s'avise
de revenir et que jamais il ne sera son mari qu'aux
ycHX du monde, et la pièce, très savourense, sera
la lutte de deux orgueils, et l'orgueil vaincu par
l'amour. C'est très intéressant et très bien inter-
prété, non pas par M. Desjardins qui, resté « en
bois », n'a pas su mettre dans le rôle de Philij>pe
Derblay toute l'humanité qu'il comporte, mais i>ar
M"^® Jane Hading qui est toujours, avec la grâce
altière et fine qui la caractérise, une Claire admi-
rable et vraiment originale... Elle sent, elle com-
prend ; elle fait sentir et elle fait comprendre. Elle
est vibrante, passionnée et nerveuse. Peut-être y
prend-elle aujourd'hui un petit peu trop de
« temps », mais elle a de si beaux éclats, de si
beaux silences farouches ! C'est une grande et belle
actrice que doit regretter, que devrait redemander
le ThéâtreJFrançais... M™® Hading y a sa place
toute marquée et parmi tant de rôles, si bien dans
ses cordes, elle n'aurait que l'embarras du choix.
Un personnage vipérin et venimeux comme celui
d'Âthénaïs convient peu à l'aimable visage de
M"® Gilda Darthy. Dans le petit rôle de Moulinet,
dont il a bien voulu se charger pour la circons-
tance, Coquelin aîné a mis littéralement la salle en
joie. Et comme nous lui demandions pourquoi
THÉÂTRE DE LA GAfTÉ . J27
il n'avait pas joué Philippe comme il le compre-
nait, avec l'infinie bonté qui est bien dans Tâmç du
personnage : — « Non, nous a-t-il répondu, je
suis maintenant trop vieux pour le rôle ; mais je
le jouerai tout de même un jour, . car je compte
bien reprendre Petruccio de la Mégère apprivoi^
sée, . . » Voilà qui nous pronïet dans l'avenir une
intéressante soirée.
3 JUIN. — Première représentation, à ce théâtre,
de Champignol malgré lui. Uri vaudeville plein de
verve, d'invention et d'habileté, étonnamment gai
et admirablement bâti, que conçurent dans la joie
MM. Georges Feydeau et Maurice Desvallières. La
pièce s'est jouée des centaines de fois... En un
temps où nous sommes tous soldats, où tous doi-
vent à la patrie leurs treize jours ou leurs deux
ans, ces scènes de là vie militaire ne pouvaient
manquer d'avoir le gros succès qu'elles ont obtenu.
J ajoute — et c'est là un merveilleux argument
pour les apôtres de la vérité dramatique — que
ces scènes sont d'autant plus amusantes qu'elles
sont presque toujours observées d'après nature.
Les lignards de Champignol malgré lui existent
réellement, et beaucoup, parmi nous, ont vii ces
types d'officiers, de sous-officiers, de simples réser-
i. Distribution. — Champignol, M. Germain. — Saint-Plorimond,
M. Qalip<»Hx, — Gamarat, M. NoizBux. — Charnel, M. Jvtger. -^ Foa-
rageot, M. Chameroy. — Singleton, M.. Vallières. — Ledoux.M. iSivers.
— CéleâUa, Af. Dauchp. — Grosban, M. Calvin,^- Le prince de Valence,
M. Ch. Beriheaux. — Belouette, M, Dannequin. — LavalanchO:
M. Berly. — LaFauchette, M. Laroque. — Badin, M. Carterean. — Bri
gantier de gwnd«rBierie, M. Ogeréau. -^ Oérôme, M. Georges. — Josepb
M. Veriant, — Angéle, M'ie Viviane Lavergne. — Charlotte, M"« àtar-
guérite Lavigne. — Mauricetle, M^e Senfter. — Adriemie, M^l» Vouiiîe.
328 LES ANNALES DU THÉÂTRE
vistes. Un instant nous avons craint qu'en son
nouveau et plus vaste cadre, la joyeuse bouffonne-
rie de MM. Feydeau et Desvallières ne semblât
quelque peu vieillie, quelque peu dépaysée. Mais,
dès le premier acte, nous étions complètement ras-
suré : la pièce a paru aussi follement gaie qu'au-
trefois. C'est naturellement aux hommes q l'ap-
partient le triomphe de l'interprétation. Le vrai
Champignol est le toujours divertissant Germain,
et le fou rire vous prend, pour ne vous plus lâcher,
dès qu'apparaît, en simiesque pioupiou, celui qui
représente « un de nos premiers peintres de l'épo-
que », comme dit sa femme. « Champignol malgré
lui », c'est dans le rôle de Guy, Galipaux, plein de
fantaisie. Tarride avait dessiné en artiste original
d'un trait piquant et spirituel, le rôle du conven-
tionnel capitaine. M. Noizeux, qui a beaucoup de
talent — nous l'avons souvent remarqué — ne
s'est nullement montré indigne de lui succéder.
M"® Viviane Lavergne joue de façon agréable et
adroite le rôle de M«»« Champignol. Et M"« Mar-
guerite Lavigne — en vraie fille d'Alice Lavigne —
rend avec beaucoup de drôlerie celui de la petite
bonne qui arrive de son pays, mais qui ira loin,
lorsqu'elle aura trouvé le banquier rêvé par sa
tante. A eij juger par le gros effet de cette reprise,
qui s'est faite, le premier soir, devant une salle
fort élégante, Champignol malgré lui n'aura nul-
lement à se repentir d'avoir changé de garnison.
Et si tous ceux qui l'ont vu aux Nouveautés vien-
nent le revoir à la Gaîté, c'est un spectacle qui
n'est pas près de quitter l'affiche; en voilà pour
THEATRE DE LA GAITÉ i^^
tout Tété. Heureux Feydeau, heureux Desval-
lières ! . . . En réalité, le théâtre fermait ses portes
le 17 juillet avec Champignol malgré lui. Il les
rouvrait avec lui le 12 août. L'âme de la pièce,
c'est toujours Germain, incomparable de brio et
de fantaisie dans le rôle de Champignol. Regnard
lui donne la réplique avec sa bonhomie habituelle
et sa rondeur amusante; puis c'est Jaeger, Noizeux,
Vallières, Chanieroy, etc., dont l'entrain mène heu-
reusement la pièce. Du côté féminin, M"^ (î'iorence
Gromier est absolument charmante; M"® Marguerite
Lavigne, étourdissante d'ahurissement ; M*'® Senher,
pleine de charme, etM"®Pickell, très piquante. Suc-
cès de fou rire comme précédemment.
12 SEPTEMBRE. — Première représentation, à ce
théâtre, du Roman d'un jeune homme pauvre^
pièce en cinq actes et sept tableaux d'Octave
Feuillet*. — L'été étant fini, la direction du
théâtre de la Gaîté a remisé le vaudeville et laissé
là Champignol^ pour revenir à la comédie roma-^
nesque qui lui avait déjà fort heureusement réussi
avec les reprises de VAbbé Constantin et du
Maître de Forges. Après MM. Ludovic Halévy et
Georges Ohnet, c'est le tour d'Octave Feuillet avec
le Roman d'un jeune homme pauvre. Je ne vous
dirai pas les amours de Maxime Odiot, marquis de
1. DiSTRiBUTioN.^iJfc- Maxime Odiot, M. Marquet. — Laroque. M. Péti-
caud. — De Bévallan, M. Coste: r- Laubépia. M. Laroche. — Alain,
M. Céalis. — Docteur Desmarets, M. Gravier. — Gaston de Lussac,
M. Dauchy. — Vauberger, M. Ogereau. — Champlein, M. Danequin. —
Yvonnet, M. Venant. — Marguerite, M"»' /Suzanne Munte. — M»* La-
roque, M"»» Pauline Patry. — M»» Hélouin, Mi'« H. Demongey. —
M»» Aubry, M»» Dehon. — Christine, MU» H. Doll. — M™« Vau*>e'^er
M«»« Graxier-Magnier,
33o LES ANNALES DU THÉÂTRE
Campeey, gentilhomme généreusement ruiné, le
martyr de l'honneur, avec Marguerite Laroque,
rhéritière des millions d'un vieux corsaire, et les
péripéties dramatiques qu'engendrent entre ces
• deux âmes faites l'une pour l'autre la susceptibi-
lité même de leur désintéressement et la pudeur
également chatouilleuse de leur délicatesse. Le saut
périlleux qu'exécute Maxime en se précipitant du
sommet de la tour d'Elren est une des scènes les
plus connues du roman et du drame contempo-
rains. Revenir sur ces pages célèbres, ce serait par
trop arriver de son village. Le Roman d'un jeune
homme pauvre est un de ces drames qui plaisent
toujours. Il flatte ce goût, qui est très vif chez un
public français^ d'échapper un soir à la maussade
réalité et de s'élancer dans l'aimable pays des
rêves. Le drame de Feuillet, à examiner la chose de
prèsj n'est qu'une édition nouvelle des Famées
Confidences de Marivaux. — « Quel est ce jeune
homme qui vient de passer? demande Araminthe
à Lisette, il est vraiment bien fait, et salue de fort
bonne grâce. » — « C'est un jeune homme né de
parents honnêtes et qui n'avaient pas de biens ».
— (( Ah ! la fortune est injuste I » Et voilà toute
la pièce. Dorante devient l'intendant d'Araminthe,
s'insinue peu à peu dans son cœur et finit par
triompher de ses scrupules. Tout cela se passe
dans un milieu fantaisiste, entre ciel et terre, et
l'on a plaisir à suivre les progrès de cette passion
qui ne trouve d'obstacle qu'en elle-même et quetout
favorise au dehors; on est sûr du succès; on en
jouit d'avance et l'on en est heureux encewe après.
THEATRE DE LA GAIlÉ 33 1
Et ces fixations délicieuses — le conte de fée de
Vàge mûr — vous font passer doucement une heure
ou deux en compag-nie de personnes charmantes
éi d'événements toujours heureux, tandis qu'au-
tour Tair est embaumé, le vent frais, le ciel dou-
cement rosé, et que tout sourit dans la nature. . .
Ge qui nous pkît encore dans ce Roman d'un
jeune homme pauvre, c'est que la pièce est faite
avec beaucoup de naïveté. L'absence de toute
rouerie est agréable dans ce genre de drames. Les
personnels entrent, vont et viennent sans qu'on
sache pourquoi, ni qu^ils puissent dire comment.
Ce manque d'habileté, qui est presque toujours un
défaut très sensible au théâtre, se tourne ici en
qualité. On se pkît à- ces inexpériences qui n'ôtent
rien à la délicatesse des sentiments et à la grâce
un peu molle du style, souvent charmant. C'était
Lafontaine et Jane Èssler qui jouaient autrefois, au
Vaudeville de la place de la Bourse où la pièce fut
créée il y a quelque chose comme quarante ans,
^les rôles de Maxime Odiot et de Marguerite La-
roque, et les anciens^ se rappellent avec quel feu,
quel emportement de passion ! Duquesne venant
de Bruxelles à Paris débuta au Gvmnase dans le
« jeune homme pauvre »; il avait alors pour parte-
naire M"« Jeanne Malvau. Ce furent, plus tard, à
l'Odéon, la pauvre Wanda de Boncza et M, Pierre
Magnier; puis M"*« Seg-oni-Weber et M. Marquet
qui est justement aujourd'hui, à la Gaîté, titukiredu
rôle de Maxime Odiot. Il y a de nouveau mérité
les bravos du public, encore que son jeu nous pa-
raisse emphatique et monotone et qu'il manque
332 LES ANNALES DU THEATRE
d'élan. M"« Suzanne Munte, légèrement marquée
pour le rôle de Marguerite, est froide, sans émo-
tion véritable, sans sincérité. M. Péricaud, excel-
lent comme toujours (c'est lui qui joue cette vieille
canaille de Laroque), a rendu de la plus remar-
quable façon sa scène d'hallucination et de délire
à la vue du visage de Maxime éclairé par la lampe,
on le croirait vraiment à « l'article de la mort » ;
il donne l'illusion parfaite du vieillard de quatre-
vingts ans. M. Coste,' qui fut le Le Bargy de la rive
gauche, montre dans Bévallan une élégante désin-
volture teintée d'un peu de charge. M. Laroche
est un très sympathique L'Aubépin et M. Céalis a
très adroitement composé le petit rôle du fidèle
Alain. Mp® Patry a du charme et du naturel en
^me Laroque; M"®Dehonest amusante enM™«Au-
bry. Jamais, sous les traits de la jolie M^*® Démon-
gey, on ne pourrait soupçonner une âme aussi
noire que celle de l'institutrice Héloin. N'oublions
pas M"^ DoU dans le petit rôle de la paysanne
qu'embrasse le jeune homme pauvre; elle complète
de mignonne façon l'interprétation de ce spectacle
vénérable et lénifiant, tout à l'adresse des familles.
12 OCTOBRE. — Nouvelle reprise de Cyrano de
Bergerac *.
1. Distribution.— Cyrano, M. Coquelin aîné.— Ragueneau, M. Jean
Coquelin. — De Guiche, M. Desjardins. — Christian, M. Volny. — Pre-
mier cadet, M. Péricaud. — Lebret, M. Laroche. — Ligniéres, M. Coste.
— Carbon, M. Gravier. — Val vert, M. Monteux. — Premier marquis,
M. Chabert. — Bellerose, M. Céalis. — Cuigny, M. Dai^chy. — Le bour-
geois, M. Person. — Jodelet, M. Carteron. — D'Artagnan, M. Maxime
Capoul. — Brissailles, M. Dannequin. — Roxane, MHe Yahne. — Lise,
Ml" Bl. Miroir. — La duègue, M»« Bouchetal. — Sœur Marthe,
Mil» Kefwich. — Sœur Glaire, MHe Voulzie. — Premier page. M»* DoU,
— Une précieuse, M'i* Beilat. — Une bouquetière, W^^Dannequin.
THEATRE DE LA GAITÉ 333
23 OCTOBRE. — Spectacle de gala au profit des
Voyageurs du commerce et de l'industrie. On
reprend Iç Maître de Forges *, qui alternera avec
Cyrano,
17 NOVEMBRE. — Première représentation de
Les Oberléj pièce en cinq actes de M. Edmond
Haraucourt, tirée du roman de M. René Bazin ^.
Le livre de M, Bazin, l'académicien sensible et
patriote, avait eu, en raison du cadre de Factuelle
Alsace allemande, un succès de curiosité un peu
grave mêlée d'attendrissement. La censure avait
cru devoir opposer son veto au spectacle des sol-
dats du kaiser faisant, en éternels vainqueurs, peser
sur leur conquête le talon de leurs lourdes bottes.
Elle eut peur de permettre qu'on prononçât au
feu de la rampe des phrases de regrets et de co-
lère concentrée. C4omme toutes les pièces préala-
blement interdites, celle-ci ne parut pas comporter
la nécessité de mesures si sévères. On écouta les
Oberlé sans passion, et aussi, selon la formule du
serment judiciaire, « sans haine et sans crainte ».
1. — Intermède entre les deuxième et troisième actes : Quatuor de
Rigoletto, par MM. Noté, Dubois, M^e» Soyer et Demougeot, de l'Opéra j
Trio de Jérusalem, par MM. Nivette, Dubois etMH« Agussol, de l'Opéra;
MM. Coquelin cadet, de la Comédie-Française et Jean Goquelin.
2. Distribution. — L*oncle Ulrich, M. Coquelin aîné. — Philippe Oberlé,
M. Péricaud. — Joseph Oberlé. M. Desjardins. — Von Farnow, M. Vcl-
ny. — Jean Oberlé, M. Monteux. — M. Bastian, M. Laroche.— Le comte
de Kassewitz, M. Coste. — Le conseiller B|||png, M. Céalis. — Un bri-
gadier de douane, M. Chabert. — Le professeur Knopplle, M. Adam. —
Un douanier, M. Person. — Le professeur von Finkon, M. Lineval. —
Iw paysan, M. Ogereau. — 2« paysan, M. Dannequin. — Un jeune
paysan, M. Venant. — Un vieillard, M. Totah. — Lucienne Oberlé,
Mil» Léonie Yahne. — Monique Oberlé, MH« Bouchetal. — Odile Bastian,
M"« Miéris. — M"»» Knopple, M"» Kerxcich. — M"»* Bransing, Mii« B$j
tat. — Une vieille femme, MHe Merle. — M"»» Rosental, M"» Bussiére.
334 LEâ ANNALES DU THEATRE
Les tttnps 6ont*iIs changés. En tout cas, les pré-
occupations ne sont plus pareilles, ei, même après
les incidents derniers qui nous firent un instaitt
courir le sang plus vite dans les veines^ nous
n'avons pas la même façon que jadis d'envisager
Tau delà de la frontière. Quelques spectateurs ap-
portèrent à leur approbation une certaine réserva,
jugeant dangereuse cette tendance à de probléma-
tiques revendications ; d'autres regrettèrent que
Tauteur n'apportât pas glus d'éclat à ces airs de
fanfares et qu'on se cantonnât dans une poétique
de timide revanche. Peut-être le tact de M. Harau-
court, indispensable en une question aussi brû-
lante-, contribua-t-il à affaiblir l'enthousiasme d'un
public habitué à voir traiter les sujets d'actualité
à coups de poing. Mais il ne s'agit là^ devant un
auditoire blasé, que d'une appréciation restreinte.
L'opinion générale rendait justice aux qualités de
l'œuvre, d'une simplicité noble, féconde en effets
de scène, d'une saisissante sobriété. Du choc des
caractères se dégage un haut enseignement^ et
Fimpression eût été plus vive encore si le stjle ne
s'était pas fleuri de rhétorique prétentieuse qui
enlève à l'ensemble sa saveur réelle. Les person-
nages, pénétrés un peu trop de l'importance de
leur mission, parlent comme au prêche : ik ponti-
fient. Les mêmes propos, en une conversation sin-
cèrement vécue, enssent certainement enlevé la
salle aux passages de force ou d'émotion qui ne
furent écoutés qu'avec sympathie. Malgré ces ré-
serves d'un ordre spécial, les Oberié^ magnifique-
ment montés, interprétés de façon magistrale (trop
tHËÀTRË DE LA GAITÉ S3^
magistrale !) produiront xSur Terril des specta*
teure ordinaires de la Gaîté une impression pro-
fende. Devant cette tragédie domestique, au-des-
sus de laquelle plane le spectre de la patrie i^uti-
lée, ils réfléchiront avec gravité. Ils ne se diront
pas : a Trente-cinq ans se sont -écoulés, l'aventure
n'est plus mienne. » Mais ils penseront : « Qui
sait si ces souvenirs, déjà vieux, ne menacent pas
de céder la place à d'autres, plus cuisants en-
core ? » Et l'on songera à la possibilité d'un pro-
chain réveil. En cela, les Oberlé sont une œuvre
saine qu'il convient de juger avec respect. L'action
n'est qu'un prétexte pour évoquer à chaque mot,
à chaque geste, l'ombre de. la France d'hier, sai-
gnante et désolée. C'est elle qui, en chaque ré-
plique, poétique et vibrante, joue le rôle du chœur
dans les drames de l'antiquité. Au-dessus de l'on-
cle Ulrich, de Philippe Oberlé, de Jean Oberlé et
de Monsieur Bastian, la France toujours est la
grande héroïne. Ce drame est avant toute chose
une évocation. L'histoire est simple. La voici :
trente années de soumission ont fait l'Alsace
craintive ; sa force de résistance s'en est trouvée,
diminuée. Bien qu'en certaines âmes le souvenir
de la défaite soit aussi vivace qu'au premier jour,
d'autres, retenus par leurs affaires et le soin de
leur famille, se sont peu à peu habitués, puis assi-
milés au vainqueur : tel Joseph Oberlé, directeur
d'une importante usine, qui pousse à un tel point
l'oubli des injures qu'il consent au mariage de sa
fille Lucienne avec le lieutenant allemand Von Far-
now, familier de la cour de Berlin. Son fils Jean^
336 LES ANNALES DU THEATRE
qui revient de Munich, après quatre ans de hautes
études, a échappé à Tinfluence allemande. Resté
Français de cœur, il respire avec délices Tair de
TAlsace, qui est un peu celui de la France. Aussi
reste-t-il atterré quand sa sœur lui apprend son
alliance prochaines. La bataille morale s'engage,
d'une part, entre Joseph Oberlé, sa fille. Lucienne
et l'officier Von Farnow^, de l'autre, entre Jean,
tout à la fougue de sa patriotique jeunesse, Mon-
sieur Bastian, alsacien intransigeant, l'oncle Ulrich,
que la France attire comme une maîtresse chérie,
et Philippe Oberlé, le grand-père, hautaine figure
(i'octogénaire, dont la volonté n'a pas faibli, même
sous les attaques de la paralysie, oi qui recouvre
la parole aux grandes occasions pour prononcer le
mot définitif, en grand Français de France qui ne
désarme pas. Jean Oberlé aime Odile Bastian,
mais se heurte au refus obstiné de son père. Celui-
ci rêve en effet de se présenter comme député aux
futures élections, et si son fils épousait la fille d'un
ennemi juré du vainqueur, c'en était fait pour lui
du Reichstag. Cette décision augmente l'aversion
de Jean pour le fiancé de sa sœur Lucienne, si
bien que, pour échapper aussi bien à la tyrannie
paternelle qu'à la puissance des lois du conqué-
rant, la veille de son volontariat, il se décide à dé-
serter. Enfermé par son père qui le conduira lui-
même demain à la caserne, et au besoin réclamera
contre lui Taide des gendarmes. Jean est délivré
par le grand-père qui^ d'un geste large, désignant
la frontière de France, lui dit : «Va ». Et nous voici
au dernier acte, près d'un poste de douane, au
THEATRE DE LA GAITÉ 337
seuil de la frûgtière. Il fait nuit encore. On entend
le bruit d'une poursuite. Un homme paraît fuyant :
frappé d'un coup de fusil, il tombe dans un fossé.
Cet homme, c'est l'oncle Ulrich qui* s'est dévoué
pour dépister les soldats allemands à la poursuite
de Jean qui, maintenant, est en sûreté sur la terre
de France : soldat français, il épousera la fille de
l'intègre Bastian. Le rôle de l'oncle Ulrich, relati-
vement peu étendu, a été rendu par Coquelin aîné
avec une scienc^des nuances tout à fait remar-
quable ; sans un geste emphatique, sans un éclat
de voix, par les seules ressources de son cœur fé-
cond en tendresse émotive, il a fait passer dans la
salle le précieux petit frisson. De quel amour, du
haut du tertre de Sainte-Odile, il tend les bras
vers la patrie dont la brise presque vierge vient lui
caresser le visage, et de quels accents pénétrants il
lui adresse, au milieu du peuple à genoux, la prière
de l'exilé I A côté de lui, Péricaud, dans un rôle
presque muet, a magistralement traduit l'inflexi-
bilité du grand-père et son entêtement héroïque.
Cette création lui sera comptée parmi les meilleures
de sa longue carrière. Monteux fut élégant, très
touchant aussi et d'une grande vaillance. Qu'il se
garde seulement d'imiter son maître en des accents
coquelinesques dont il peut, dont il doit se passer.
Le lieutenant Von Farnow a trouvé en Volny un
interprète de silhouette impressionnante, et Des-
jardins et Laroche furent, l'un un Oberlé père ar-
tistiquement antipathique, l'autre un irréductible
suffisamment convaincu. A M"® Léonie Yahjije était
échu le rôle de Lucienne, physionomie sèche de
ANNALES DU THÉATIlE 22
338 LES ANNALES DU THEATRE
je^ine fille ambitieuse, qui confond Pambition avec
Tamoar ; elle sut en rendre a soubail le côté frotd,
^établissant ainsi un habile contraste avec la ligure
chaste d*Odile, à qui M**« Miéris prêtait le <*ian«e
de son angélique sourire et de ses grands yeux m-
nocewts. Citons enfin M*^« Bouchetal, qui se mon-
tra des plus touchantes dans le Mie de la mère,
Monique Obftrlé. Les décors sont délicieux : la
forêt de sapins, la colline de Sainte-Odite et la
frontière sont autant de tableaux de^ maître. Et
quand le vent apporte le carillon des proches clo-
chers de France, je défie le plus endurci de ne
pas sentir une larme perler sous sa paupière. Avec
les Oberfé^ où, dès le 20 novembre, M. Jean Co-
quelin a^tiit assumé la lourde tâche de reprendre
le rôle de son père, gravement souffrant, où
M. Maxime Capoui succédait à M. Monteux dans
celui de Jean Oberlé, se terminait Tannée, résumée
dans le tableau suivant :
THEATRE DE LA GAITE
339
La Cigale et la Fourmi^ opéra-comique
Le Bourgeois Gentilhomme f pièce
Tartuffe^ comédie ea vers
Les Précieuses ridicules, comédie
L'Abbé Constantin^ -comédie
*La Danseuse au Couvent y pièce
* L'Héritage d' Yvette, pièce
Le Malade imaginaire, comédie. .......
Le Médecin malgré lui, comédie
*Scarron, comédie tragique en vers
Le Maître de Forges, pièce
Champignol malgré lui, pièce
* Une Correspondance, pièce
Le Roman d'un jeune homme pauvre, piic«.
Cyrano de Bergerac, comédie héroïque..
Les Oberlé, pièce
DATE
NOMBRE
delà
d'actes
ou de la
reprise
3 a. 10 t.
»
5
»
5
»
1
»
3
13janv.
1
16 janv.
1
19janv.
3
»
3
»
5
30 mars
5
28 avril
3
5 juin
1
»
5 a. 7 t.
12 sept.
5
»
5
17 nov.
NOMBER
de
représent,
pendant
Tannée
11
2
1
1
lia
4
92
2
2
22
55
82
47
35
23
53
THÉÂTRE DU GHATELET^
Deux pièces nouvelles, toutes les deux de
MM. Victor de Cottens et Victor Darlay, Tom
Pitty le roi des Pickpockets^ et, dans les derniers
jours du mois de décembre, les 4oo Coups du
Diable constituèrent le bilan de l'année. Elle avait
commencé avec l'éternel Tour du mondes dont les
représentations s'étaient continuées jusqu'au 19
février.
2 MARS. — Première représentation de Tom
Pitty le roi des Pickpockets^ pièce à grand spec-
tacle en quatre actes et dix-huit tableaux, de
MM. Victor de Cottens et Victor Darlay, musique
nouvelle el arrangée par M. Marins Baggers^. —
Promettre des merveilles, et tenir au-delà des pro-
1. — Directeur .' M. Fontanes ; Secrétaire général : M. Georges Bégua-
eeau.
2. Distribution. — Tom Pitt, M. Max Dearly. — Cricri, M. Pougaud,
— Lapoire, M. Vilbert, — Séraphin, M. Paul Ardot. — Boby, M. Favey.
— Picrates, M. Danvera* — Lionel, M. JR. Maire. — Polonius, M. Hol-
den. — Le juge, M. Houssaye. — Le capitaine de gendarmerie,
M. /. Renez. — Le manager, M. Magnard. — Pirouette, M»» Béraldy.
— Edna, MU« Myrah — Arabella, M»« Virginie Rolland, — L'auber-
giste, Mlïe Feugère. — Pépita, M"» Lizy.
Ballets réglés par M»« Stichel, dansés par M"»* Lucie Maire, danseuse
étoile, et par tout le corps de ballet.
Ijes Ping-Pong's, danseuses anglaises.
Les Harrisson, troupe américaine composée de 20 clowns.
Les Nino-Nino, petits danseurs excentriques.
34 2 LES ANNALES DU THEATRE
messes : c'est ce que réalisait Thabile et prodig-ue
directeur du Châtelet, M^ Fontanes, tirant parti
avec un rare boojieur des notifs» de m^ en scène
originale et somptueuse que lui fournissait la pièce
à grand spectacle — à très grand spectacle, croyez-
le — de MM. Victor de €ottens et Victor Darlay,
écrite sur le modèle nouveau — n'est-ce pas Flo-
rodora qui mit ici le genre à la mode? — où le
texte est si curieusement entremêlé de danses (jue
chaque root de l'artiste principal est suivi d'un joli
pas de gigue ou de cake-w^alk. Ajoutons qu'en
donnant à l'immense salle du Châtelet la vie et la
gaîté dont elle a besoin, ce mouvement perpétuel,
pFutôt étrange ailleurs, n'a nulle part mieux qu*en
ce vaste cadre sa place et sa raison d'être. La chasse
aux millions est, vous le savez, le thème habituel
de» ces pièces^. En pouvaît-il èfere autremeri'l, cette
fcris-, avec le Roi des Ptekpœkeès f Xiv^ certain
M. JBJuff, q»ï a eu le mall>e«r de voir sou fils
enlevé par des sahimbanqucs, est parti po^-r l'Amé-
que, où il a i-éaBsé, d'ans le com«>efce àes p^mes,
une fortune coiossale. Il la laissera tout entière,
puisqu'il n'a* pu retrouver son héritier direct à ses
neveu et nièce, Liond et Edita, eondamnésr à
s'épouser. Il charge du soiji d'exécuter sejs volontés
soo correspondant de MarsdilJre, le biefi uoinmé
Lapx>ire. Celui-ciV arrivait à Laiwlres ea gare de
Ch»ri«!g-Cro®s, fort en peine, puisqu'il ae ssrit pas
un mot d'anglais, trouve ua iBoasieux foct. aiiaBble
qui se charge de le renseigner : c'est Tom Pifl,
qui vient d'être réélu par sa bftad«^ roi deSi psdk^
pockets. Lapoîre a commis rîmprucfeiïce d« lui
THËATfi£ DU GHAXEJbET 34>î
faire lire la kUjre qui contient les- iiistFiicliQn& ée.
M. BluiF ; et \ ou^. pensez que Tom PiU esm £ak soa
profit : il se dcmnerst pcmr Lionel allai^t épeusex'
au cliiàieâLU de Cleidon la petite nièce aux cinq centA
millions. U arriverait eâectivement à s€hi bui sî
son coocurrerat blackbourlé à la royauté des pick-
pocketS' ne se mettait ea tête de Luâ faire rater
soa plan,, et ne le démasq>uai4 définitiveiaeiit en
présence de M. BJaiff lui-même^ reirouvanrt à la
fois soA fik et Tonle qu'il avait |>erdyi depiûfi vida^i
ans. Mai» que de péripéties avant. d/en.arri^r à ee
dénouement keureux et moral ! Par exemple^ des
substituitions de persoiuieâ comme celles^ de
Pirouette, lajeuoe saltimbanque^ prefloM, auchâ*
teau dci^' Roses-Mo«sses^, la plac»i de sa petite
bieoi&kitriee Ëdna ; des travestôssemients de toute
sorte comme cebii de Tom Pitt en» cuisinière de
VAI&aà/^Qa,, doOft la chaudière éelate et dont les
passagers n'échappeat au naufrage que pour pas*
ser dans le ventre, d'une gigante»q4je baleine d'oi
ils ress<D^teiit ptusi gai» que jadmaift.... Ohl c^te
baleine, ce que; pendianrt de^ mois et de& mois- elle
feiîa la joae des jeunes^ spectateurs du Chételet 1
Quan4 aii» clous,, aussi respec^table» qtu/iiiBiomfbRaf*
blés,, il n'y a qjue L'emfeapras. du: choix :.-G'esl h, iéhet
paxpulaire de: Cleidoft avec son délifiieux manège de.
chevaux de »bois montas par de» coij^il^e» de baJJef»
ri«ies^ diUSL poses infinimenit graeieuse^ G'est^. dana
le s^ndide déeoi: d'Amâèlts, i^étonnoAt bal mas^
que de l'Opéra. deSantorAllégro),. avec soniéblouia»-
sant lufitrte: àet eriatair^ sea lagpsi animées, doni: les:
speàtateutfs travestiûs^ se. muent suibitement eiii wie;
344 I^ES ANNALKS DU THÉÂTRE
armée de gendarmes, et ses danseases dont les
pimpants et scintillants costumes sont de nouveaux
chefs-d'œuvre de Landolff. C'est enfin la Volière
de M. Bluff, dont les oiseaux, d'espèces variées au
plumage multicolore, se balançant mollement sur
leurs perchoirs, ont des visages de femmes plus
jolis les uns que les autres. Joignez à tout cela les
Ping Pong's, ces mignonnes danseuses et chanteu-
ses anglaises auxquelles un léger accent ajoute
encore une pointe de piquant ; joignez les exploits
des clowns américains, les Harrisson, dont les
gambades se profilent à travers la pièce ; puis un
quatuor d'artistes dont l'effet sur le public ne peut
manquer d'être énorme. En roi des pickpockets,
M. Max Dearly, nouveau Frégoli, donne libre
cours à sa haute fantaisie. Il faut le voir en cuisi-
nière de V Albatros, en président de la République,
il faut l'admirer en ses diverses transformations,
toujours fin, toujourjs exhilarant. Et, sans que,
devant ce nouveau météore, son étoile ait pâli,
M. Pougaud reste l'idole du Châtelet. Il n'a qu'à
ouvrir la bouche, à montrer le bout de son nez
pour que la salle lui fasse fête. M. Vilbert, si sou-
vent applaudi à Parisiana, a fait au théâtre un
excellent début : sa verve joviale et sa ronde
bonhomie lui ont conquis, sous les traits de
Lapoire, de Marseille, tous les suffrages. C'est du
Conservatoire et de la classe de M. Georges Berr
que nous arrive M. Paul Ardot. Sa scène de l'idiot
n'a été qu'un éclat de rire général. A côté de
jIiiKî Virginie Rolland, duègne toujours amusante,
deux aimables débuts : M"^ Béraldy, qui brûle les
THÉÂTRE DU CHATELET 345
planches^ et M"« Myral, qui se sert gentiment
d'une petite voix. Partition faite de pièces et de
morœaux très verveusement conduite par M. Bag-
gers.
25 MARS. — Matinée au bénéfice de la Société
de secours mutuels des artistes et employés des
théâtres et concerts de Paris*.
Le théâtre avait fermé le lo juin pour rouvrir
le 10 août, avec Tom Pitt, le roi des Pickpockets ^
dont la dernière représentation se donnait le 25
août. Le lendemain 26, on reprenait le Tour du
monde en 80 jours *.
i4 NOVEMBRE. — Matinée au bénéfice de l'Asso-
ciation des artistes dramatiques ^.
1. — Au programme : Oringoire, avec MM. Silvain^ Georges Berr,
Joiiet, Hamel et M»» Mùller et Lynnés, de la Comédie-Française ;
Chonehette, avec M. Max Dearly et Mil* Alice Bonheur; au piano,
M. Claude Terrasse ; intermèdes par : M. Goquelin aîné ; M">« Noria; de
l'Opéra; M. Louis Diémer; MM. Jean Périer et David Devriès, Mlle An-
géle Pornot, de l'Opéra-Comique ; M»»" Simon-Girard, Paulette Darty,
Esther Lekain, MM. Dranem, Vilbert, Jean Battaille, Hyspa, Frey, Les
Ping-Pong's, danseuses anglaises.
2. Distribution. — Passepariout, M. Pougaud. — Archibald Gorsican,
M. PortaU — Philéas Fogg, M. Maire. — Fix, M. Rivers. — Le gou-
verneur de Suez, M. F. Renez. — Le chef des Pawnies, M. Holden. —
Un magistrat anglais, M. Favey. — Gromarty, M. Vinler. — Sullivan,
M. Collet. — Le tavernier, M. Drangam. — Ralph, M. Faivre. — Un
parsi, M. Oilles. — Flanagan, M. Lenoir. — Aouda, Mii« Satvadora.^-'
Margaret, M»» Crisafulli. — Néméa, M»» Myral. — Nakahira, M»» Lot-
caves. — La Malaise, MH* Suzel.
8. — Voici quel en était le programme : Ouverture du Tannhœuser
(Wagner); Rêverie (Scbumann); Marche hongroise, par l'orchestre
Colonne; air de Thaïs (Massenet), par M. Dufranne; MU* J. Leclerc,
air; Spalding, mélodie pour violon; Il neige (Bemherg), et aubade du
Roi d*Ys (Lalo), par M. Clément; Prière ^ a) Follets» b) sous la direc-
tion de M. Alph. Hasselmans, pour harpes, par ses élèves ; prélude de
YEnfant Roi (Bruneau), dirigé par l'auteur ; a) A ma fiancée (Schu-
mann); b) iVo^^ (Augusta Holmes), par M"* Ch.. Wyoj; air de i*atrie
(Paladilhe), par M. Delmas; morceaux k quatre mains par MM. Diémer
i
340 LES ANNALES OU TAUSAXRE
23 D«cfiMBtfiE. — Première repréâeatatiûQ des
/if}0 coapH du Diable^ pièce en quatre actes et
Lierilf>siY tableaux^ de MM. Ykloi: de Cotieus et
Vît'liïf [>arlay, musique de scène de M. Baçgers-*.
— iJepuis quinze jours, les affiches du Châtdèt
r^-^st'inl liaient à un bulletin de victoire^ avec cette
tlillVrenrt' qu'un bulletin de victoire enregistre un
fait acciMiipli et que les affiches du Ghâtelet annoa-
Çàietd (les merveilles futures^ « Vous allez voir ce
que uMiB allez voir!... Des prodiges de mise en
hvvwv ; iliîs éblouissemenls de feux électri(|ues ; des
jiiur;iilli's d'eau naturelle; des cyclones déchaînés
cuire lieux apothéoses; des revues, dont la splen-
duui- di'passera celle de Bétheny; et des balïets.
dîtdjMliqiies; et des kilomètres de panoramas...
Jl('juiu^^ez-vous, jeunes et vieux! Voici la féerie
ùrHLueJle dont nul, petit oui grand,, n^ peut se fake
inii* il hSj l' Accourez! le bureau de location et Ik
ciiissi' ilu' thé^re sont ouverts à trenienrfji ba*-
tatils!,.. » Ehi biftn^ nous^ devons à la vérité
fe(MMqn il L'use de reconnaître q«« le» bo»iîïieat n/a
rii-n prtmiis qui ne ftlt vrai. La féerie annwette a
Hk> Jniiaéede^vaa^ uji^e salle co£E{)£e, qm a trépigné
d'eylfiousiasrne, q,ui a acclamé les dîécors, îes trocs,
f ,.ii7i!' ti,\rtii (Widor), exécuté sous sa dicwtiom; M>a« Ax&tiaa- Patti
çUmiiUU iiu aindfii iVoces.de.Figixiro et la valse d'U Bacio.
l, Ih»JiiJuiJTi<iM* — •MaciusyAL PnugantL — Le bon géaiA,, M. Ci«w*
d(u^. ^ lt*ilhti(rfii,, M^ t^Qrt.aL — Le-péro iiSjéphjiir, M» Fave^x —Le/ gèi»
M» It"! lu nul, 5(Iw Fa»t>r«k. — Sauitt-Frusquia, IVL Drcungam. — Le rar d^s
géalr'** ^1* ttiiiM,. — ^Eatbioâl), M. Lenotir.. — Satan,. M«» 5fc»t«n-C?t>;ar(k
— Ilil4f gn LTn ti^, M"»- Sii^n Bax&nia:. — Fiiiô-M<Muchû,, M'> Mcmifti-Lauim
M&iftm* — Le princa' Ft-idiiUn, Mii« HioeUe^ de Loàid^ -^ €reiitcuda„
W^^Nfim;/, ^Tliib*è», M't^ Su<^l', ^ Bma»t, iWi* ameridcu
THEATRE DU GHATELET 34^
les- carionnages,,. les accessôifres, le» costumes, lesk
perruques, les cbarussures^ les acrobatiesi, et même
les artistes, et mênae ks auteurs. Et c'a é*é )«&tke*
Si je mêle un peu tout cela, les chaussures et les
trucs, les cartoanfihges et les a.uteiws,. c'est que?
tout cela a été cité à la fin de la représentalkwî : oa
ne nous a épargné le nom d'aucun des fourftisseuirsi
du spectacle,, et l'o» sk bien fait, car MM. Pinauli,
Hagedorn^ Lorette, Grait, Loisel, Gok)rBttbier, Lan-
dotff, Amable, Jam-bo^n et Bailly oat bel et bie»
collaboré avec le diirecteuar, M. Fontanies*, et avec
les charpentiers du scénario, MM. Victor de Gottena
et Victor Darlay. Victor, Victores! J'ajo^rterai
même à la liste déjà -Wag ue les noms^ des Pin^
Pong's, danseuses anglaises, et ceux des Harrissoa,
clowas émérites. La féerie quia be«t;é aos premiéï&
réres et donné dies aiks à nos idées naissantes, (poi
a,, comme disait Saint-Victor,, fait voler l'oiseau.
bleu sous le ciel de notre berceau — cette féeric^là
existe encore, elle existera toujours. On la rajeur
nira arec u« peu de ciniéfiaMto^^raphie, cm Iwi infu-
sera un grain de té4éphi(i)«e et d'aviatit)!» aérie^oi^e^
maïs ce sera toujours le charme des vieilles faibles;
qtti e» agrémentera la tram«e. Prodiges et pires tigesw
Il Éattdft-a touj-ours pour nous divertir que les» arbres
chantent^ quie Veau parle, q;i*e- les, pieirres précieuses
fas^nt l'amour,, qwe les fleurs piroposent des;
énigmes ; il fawkdira q;ue des ©ciseaux fantastique»
e»porteifct dans leur bec. les taJisiiaans sai*v««ips et
les tittrbans des- dervichies, et qu'un pauvire diaUie
troiwe des diâmajsits^ dans lespois»ona é^:i(eifttrés<; il
faudra qu'u» évoca^wr qwdcomfue, Safeaji o» B(Mt
348 LES ANNALES DU THEATRE
Génie, justicier suprême ou Commandeur des
Croyants, qu'un Haroun-al-Raschid enfin, nous
conduise dans le palais d'émeraudes et de rubis
où Chaîne-des-Cœurs rêve nonchalamment couchée
sur un sopha d'ambre, devant une table « garnie
de cédrats, de vins de Schiraz et de tartelettes au
gingembre »... C'est la loi de nature. Les 4oo coups
du Diable ne font pas exception à cette loi bien-
heureuse. Vous en pouvez juger par cette analyse
assez exacte que le prévoyant directeur du Châtelet
a remise à l'auditoire : « Le Roi des Génies, qui
gouverne le monde du haut du Septième Ciel, vient
d'apprendre que le Mal triomphe sur la Terre, et
cela, par la faute du Bon Génie. Celui-ci, d'un
caractère indolent et léger, a laissé le Prince Satan
faire les quatre cents coups parmi les humains. Il
faut que cela finisse, et que l'équilibre soit rétabli
entre le Bien et le Mal. C'est pourquoi le Bon
Génie est envoyé sur notre planète avec mission
d'y réparer le mal qu'il a laissé commettre. Mais,
pour ce voyage, le Bon Génie est désarmé : il n'a
plus les talismans qui le rendaient inviolable I Ce-
pendant, un hasard lui fait connaître qu'il y a en
Suisse un sorcier nommé Alcofribas, possesseur
d'un trèfle à quatre feuilles, talisman bien supérieur
à tous les talismans connus. Le Bon Génie part
donc pour la grotte d' Alcofribas, et^ comme il est
craintif, il prend un compagnon de voyage^ le
Marseillais Marius Bombardas. » Comment et
pourquoi le Bon Génie ne doit ni manger, ni dor-
mir en cours de route ; comment et pourquoi Ma-
rius ne doit, lui, embrasser aucune femme, pas
THEATRE DU CHATELET 349
même sa fiancée, sous peine d'être changés tous
les deux en statues de pierre, ce sont là les péri-
péties qui constituent les trente- six tableaux des
4qo coups du Diable, y diYO\xQ que j'ai pris le plus
grand plaisir à ces péripéties; que j'ai ri aux
mésaventures de Claudius et de Pougaud, tous
deux si amusants ; de Tétonnante M"*® Simon-Girard,
et de l'adorable Baxone; que j'ai écarquillé les
yeux en voyant des « places se promener » ; des(
« chats » mettre sens dessus dessous l'auberge du
Lapin sauté; et les pharmacies se transformer en
pâtisseries^ et vice versa; que j'ai applaudi aux
cortèges et aux ballets qui se succèdent sans se
ressembler. Oh! les bonnes, les aimables pièces
qui incarnent le mensonge et la gourmandise, qui
persuadent l'impossible, qui apprivoisent les chi-
mères et les hippogriffes I Oh ! les beaux dénoue-r
ments qui musèlent les ogres et les monstres, et
qui font triompher la candeur sur les créatures
difformes du chaos des mythes ! Au fil du souve-
nir, j'ai mentionné quelques « clous »; if m'en
revient que je m'en voudrais de ne pas citer : les
eaux diaboliques^ si joliment éclairées ; les « Am-
bassades » où la France, l'Italie, la Russie, l'An-
gleterre, l'Espagne et les Pays-Bas se livrent à une
série de jetés-battus réglés avec art ; le siège du
Château des Carpathes, où les manœuvres mili-
taires sont confiées aux dames du corps de ballet.
Et au milieu de tout cela, les artistes en vedette
que j'ai déjà nommés exercent leur fantaisie cou-
tumière, secondés par des bataillons de jolies
femmes. A signaler encore un début des plus
35o
LES AN5ÎAÏ.ES DV THEATRE
heureux, celui de M"® Marie-Louise Riô^, la filie
de notre regretté confrère Victor Roger, une mi-
gnonne artiste qui a de Tass^rance, une voix
claire, une diction nette, et de l'espièglerie à Te-
v^idre, en un mot, tout oequ'esige son personnage
de Fine-Mouche; et le Taillant chef d'^orchestre
Boggers qui a choisi les rytfimes joyeux et ies
wiusiçicns disciplinés. En voiïà plus qu'il n'en
fa«ut pour assurer — pendant ks premiers mois de
Tannée survante — des recettes magnifiques à la
nouvetk féerie du Qiâtelet.
. M^onsieur i^liàimeîU, pièce ,
Le Tour du Monde en 80 jours, pièce>. . .
'*'Tom PiU, le roi des Pichpock&ts^ pièce. .
*Lès 400 £9uft Au Diable, ^i^
AOMBKE
4 a. 28 *.
5 a, 22 t.
4 a. 18 t.
4 a. 36 M
DATE
delà
Iro représ.
vm Ae 'la
reprise
3 jaajwer
2 mars
sadéici
NOfiBBX
de
représent.
pendfeoil
TannèB
I3d
149
11
THÉÂTRE DE L' AMBIOU i
Q«atre pièces fl?o\ivelks : La Belie Marseillaise
de M . Pierre Berlxwa ^t ta Grande FcrniiUe de
M. Arquillière; la €<mqmête de l'air de MM, Ca-
Hailk Audigier et Paul Géry, «t le Crime d'un /lis
de M. Maurice Lefèvre oonstitueàit, avec les div^rijes
retprises que no%is allons mentionner à leur date, te
répertoire de l'Ambigu pendant Tannée i^5; elle
avait comnaencé avec le Crime d'Aix, de M. Al-
bert Pttjol, représenté pour la dernière fois le i5
janvier,
16 jjus*viiau — Première représentation de la
Cûi/tquête de i*air, pièce csn quatre acteii; et cinq
iabksaix, de MM. Caaiaîlle Audigier et Paul Géry*.
— HeaTÎ Frâncard, travailleur infatigable et inve»-
teur heureux, a tr©«vé, oa cru trouver, l'aviatemr
d . ^3)iraot«ar : M. lekorgês Grisiear ; SecrdUine : M. FeraiaBd H«lphem.
.% BisiBiBfECiaM. — Keati FraBcard, M. Sév9rin-X[<€rs . — Dqc de
Oesvrea, M. Dieudo»né. — Portai, M. Gaillard. — Hôrne MauvraO}
"W. Stiétmnt. — BarucuiMt, M. Vilia. — "WaH*!, M. lAiztr. — Moser,
M. M^remu. — Dajpont, M. MorvL — N^vil, M. Spnès. ^ Du V«2I(»,
M. Ususy. — Maniouwski, M. Qréhan. — Des Charmettes, JM. Vaslim,
— Sfaxquis ^e Lion, M, I>enizoL — Uéaéral Taaor^de, M. Ukxuwpdor.'^
• JSanAa FA, M. Lindêr^ — Crsvaux, M. Dulcûns, — IKoraac, M. Bénard.^-
X.© Boucher, M. Jacquier, — Louise Prancard, M"« pubuisson. —
I)«iii«i«e de ClMPvret^ M^ CarOL — M»* Jivacr^ Mit* 9wmviUe. —
Baronne des Charmettes, Mil* DherbloAf. — Miss Paston« Mii* Lambert.
-»— WaiTiuiae fl^Bapeuill©, Mﻫ Yrinne. — M^» Hermann, W»«iZWVDrtn«.
352 LES ANNALES DU THEATRE
parfait, Tinstrument idéal qui évoluera dans Tes-
pace avec la plus entière docilité. Les fonds seuls
lui manquent pour construire Tappareil, tel qu'il
Ta conçu et le voilà, génial mais pauvre inventeur,
en quête de commanditaires. Ce sera pour Pierre
Mauvrac, monsieur peu recommandable, — le
traître ! — l'occasion excellente de ^e rapprocher
de celle qu'il poursuit de ses assiduités, de celle
qu'il veut à tout prix, de Louise Francard, la
femme de l'inventeur ! Il commanditera donc Fran-
card pour lui voler son bonheur. Mais Louise est
une honnête et vertueuse personne qui adore son
mari et repoussera les avances de Mauvrac avec
une telle fierté, une telle énergie que celui-ci
jurera de se venger. De connivence avec un riche
et peu délicat financier, Mauser, il fait signer à
Francard une traite de cinquante mille francs qui
le mettra à sa merci, puis le dépouillera tranquille-
ment de sa gloire et des bénéfices futurs à réaliser,
en s'emparant des plans de l'aviateur et en s'insti-
tuant l'inventeur unique. Mais une expérience déci^
sive remettra peut-être Francard en meilleure pos-
ture : il s'agit de faire en public une ascension aux
environs de la Tour Eiffel, et de prouver ainsi Tex-
cellence de l'instrument. Malheureusement au
banquet qui précédait l'expérience, l'aide de Fran-
card, l'ouvrier Barucaud, a bu plus que de cou-
tume. Il fait par une fausse manœuvré s'effondrer
l'aéroplane dans le vide, et Francard, se blesse
mortellement. Il ne mourra pas cependant avant de
se venger. Mauvrac revenu dans la maison du mo-
ribond pour voler ses dessins et tenter une dernière
THEATRE DE l'aMBIGU 353
démarche auprès de Louise, est surpris par le
malade qui reitrouve juste assez de forces pour lui
loger une balle en pleine poitrine avant de tomber
mort lui-même. L'interprétation — côté hommes
— est digne d'éloges. M. Séverin-Mars a fait une
création intéressante en l'inventeur Francard. 11
s'est montré tour à tour naïf, violent et dramatique.
M. Etiévant à qui revenait, naturellement, le rôle
du traître, a été excellent d'hypocrisie en Pierre
Mauvrac. M. Dieudonné n'a certes pas manqué
d'élégance en duc des Gesvres, un vieux gentil-
homme, viveur et bon enfant. M. Villa est resté le
gai compère que nous connaissions, et M. Gaillard
a su conserver* beaucoup de tact et de sobriété.
M"*® Dubuisson s'est contentée de montrer quelque
charme dans le rôle de Louise Francard, et
jyfmes Canti et Derblay l'ont secondée de leur mieux.
— Et quatre jours après, on reprenait les Deux
Orphelines. M- y il\^, le grand favori du public au
boulevard Saint-Martin, égayait les situations at-
tendrissantes du célèbre drame de D'Ennery et
Cormoa, et M. Etiévant, humble tour à tour, rési-
gné et pathétique dans le rôle de Pierre, MM. Lié-
zer, Denizot, Moreau soulevaient des bravos fort
légitimes. M™^ Canti dessinait une remarquable
Frochard, pittoresquement ignoble et lâche ;
M'^® Dauville, dans lé rôle de la comtesse de Li-
nières, montrait de précieuses qualités d'émotion
et de dignité. Les deux orphelines, M'^®» Chapelas
et Lambert, faisaient couler beaucoup de larmes ;
elles étaient touchantes et jolies à souhait, et toute
la. salle avait pour elles les yeux de Pierre.
ANNALES DU THÉATEE 23
354 LES ANNALES DU THEATRE
i4 FÉVRIER. — Reprise de Paillasse^ drame en
cinq actes d'Adolphe d'Ennery et Marc Fournier*^
où se faisait plusieurs fois acclamer M. Krauss, ex-
cellent dans Paillasse, le seul rôle, à vra\i dire, de
la pièce.
3 MARS. — Première représentation de la Belle
Marseillaise^ pièce en quatre actes et cinq tableaux
de M. Pierre Berton^. — C'est yne comédie histo-
rique — genre Scribe et Sardou — de théâtre
excellent, très bien faite, fort ingénieusement cons-
truite, avec quelques passages, de ci de là, char-
mants et délicats. Tout au plus pourrions-nous
reprocher à M. Berton une fâcheuse lenteur, une
longueur un peu excessive, même dans ses scènes
les mieux filées. Mais la Belle Marseillaise méritait
les chauds applaudissements qui l'accueillaient le
premier soir, et Ton pouvait espérer qu'elle plairait
au public de l'Ambigu habitué sans doute à des
mélos plus corsés. L'action se passe sous le Con-
sulat et voilà de nouveau au théâtre le personnage
de Napoléon. Il est douteux que la psychologie du
1. Distribution. — Paillasse, M. Krauss. — LjB chevalier de Roliac,
M. Etiévant. —* Le vicojTite Hercule, M. Villa. — Duc de Montbazon,
M. Liézer. — Grelu, M. Moret. — Bailli de Gourgemont, M. Brunet. ^
(rraia d'Amour, M. Champdor. — De Gastel-Blangy, M. Bresiner. — Vi-
dame d'Arpignol, M. Vaslin. — Le médecin, M. Grehan. — Beaumesnil,
M. Linder. — Commandeur de PuÔiérps, M. Bénard. — Duperron,
M. Dubois, -r- Jean Joson, M. Daumouche. — Madeleine, lyi"" Barbier,
— M'i« de Vermandbis, M™» Canti. — Jacquinet, Mlle H. Lamy- — Cathe-
rine, Mlle Dauville. — Nini Flora, MU» Chapelas. — AnastaBie, MUc Di-
vonne. — Jeanne, la petite Boivin.
2. Distribution. — Bonaparte. M; Gastillan.— Marquis de Tallemont,
' M. Dieudonné. — Crisenoy, M. André Brûlé. — Cambacérés, M. Liézer,
— Régnier, M. Moreau. — Fouché, M. Synès. — Happ, M. Denizot. —
Jeanne de Briantes, MU» JWaud Amy. — Joséphine, MU* J. Béryl. —
Hortcnse, MH» Preyle. — Pauline, Mi'« Vallier.
THEATRE DE l'aMBIGU 355
grand homme soit ici d'une rigoureuse exactitude,
mais qu'importe, puisqu'il a remporté cette fois
encore une nouvelle victoire. 11 s'agit de déjjouer
les complots ourdis par le marquis dp Tallemont,
royaliste endurci, contre Id premier Consul. Le
vieux marquis tient, sous le nom de Lacaussade, le
restaurant fameux de la « Belle Marseillaise » ; il
y prépare là, en toute sécurité, fa terrible machine
infernale. Tallemoat a installé à la caisse du res-
taurant sa jeune femme, Jeanne de Briaiites, qui,
sans connaître au juste la nature de fa conspira-
tion, joue consciencieusement son rôle de « Belle
Marseillaise ». Elle fut épousée toute enfant par le
marquis qui respecta son innocence et ne fut jamais
pour elle qu'un père. Nombreux sont les adora-
teurs de la Belle Marseillaise. Parmi les brillants
officiers qui 1^ courtisent, le colonel Crisenoy ne
lui est pas indifférent. Même, avertie par le mar-
quis qu'un danger le menace s'il accompagne à
l'Opéra Bonaparte, elle prolonge gentiment son
dîner, jusqu'à ce qu'éclate^ — formidable explo-
sion ! — la machine infernale. On secourt les blessés,
on relève les morts, et Ion apporte au restaurant
le cadavre de Lacaussade, ou plutôt de celui qu'on
croit "être Lacaussade. Il avait prêté ses vêtements
à un ami; c'est cet ami qu'on retrouve mort, et
Tallemont, sain et sauf, apparaît à sa femme
éplorée. 11 lui faitjurer.de ne jamais, en aucuî^e
circonstance, avouer qu'il est en vie, serment qu'elle
s'offorcera de tenir coûte que coûte. Quatre ans
après, au second acte, au Palais des Tuileries,
Bonaparte veut marier Crisenoy. Celui-ci refuse .
356 LES ANNALES DU THEATRE
Il aime la Belle Marseillaise et n'épousera qu'elle .
Qu'est-ce donc au juste que la Belle Marseillaise ?
Bonaparte, par Fouché, l'apprendra bientôt. C'est
la femme de Tallemont, l'auteur de l'attentat de
la rue Saint-Nicaise, cq Tallemont qu'on croit mort
et qui, de retour en France, conspire plus que
jamais. Bonaparte veut savoir où il se cache, il fait
venir sa veuve et l'obligera à épouser, séance
tenante, le colonel Crisenoy, espérant ainsi la forcer
à révéler l'existence de son premier mari. Jeanne,
héroïquement, accepte le mariage, mais ne veut à
aucun prix, dans la chambre nuptiale^ se donner à
Crisenoy. Harcelée de questions, elle lui dévoile
enfin le secret qui l'étouffe. Crisenoy, tout dévoué
à Bonaparte, ne peut accepter la complicité de
l'assassin Tallemont. Il dira tout au premier
Consul, mais lorsqu'apparaît celui-ci,, il reste muet,
lié parle serment qu'il a fait à sa femme. Bonaparte
devine le drame intime, il fait mettre en prison
Crisenoy, pour soji silence obstiné. Jeanne, cepen-
dant, est restée à la cour, dame d'honneur de José-
phine. Bonaparte, séduit par sa grâce et sa jeunesse,
s'est mis à l'aimer. Cet amour permettra à Jeanne
de lui sauver la vie. Ayant surpris son ancien mari,
déguisé en vieux militaire, homme de confiance de
Régnier, ministre de la police, changeant la taba-
tière du premier Consul, contre une tabatière iden-
tique remplie d'un poison foudroyant, elle parvient
dans une scène de coquetterie délicieuse, à faire
le troc utile. Le premier Consul mis au courant,
toujours par Fouché, de ce nouvel attentat, soup-
(;onne un instant Jeanne d'en être la. complice. Elle
THEATRE DE l'aMBIGU 357
;se justifie aussitôt en prenant force prises et en
éternuant de bon cœur. En raison de son dévoue-
ment, elle obtiendra le pardon de Crisenoy, qu'elle
épouse pour tout de bon, débarrassée enfin de
Talleinont, mort dans un duel. Bonaparte, le sojr
même, deviendra Napoléon et prendra le titre
d'empereur des Français, ainsi que le réclame son
peuple admirateur. M"^ Maud Amy, jolie à ravir, a
été simplement exquise en la Belle Marseillaise.
Elle manque peut-être un peu de force dans le
drame, mais elle est souple et gracieuse dans la
comédie. M. Castillan a composé avec une réelle
intelligence le rôle écrasant de Bonaparte, réussis-
sant toujours à lui conserver son ampleur et son
autorité. M. Dieudonné a été parfait sous les traits
du marquis de Tallemont, un bien enragé conspira-
teur. M. André, Brûlé a de Télégance et de la jeu-
nesse, il a montré de plus une émotion, une chaleur
d'adoration bien convaincue pour son idole. Il
fallait citer encore M^*^ Béryl, qui disait juste, et
constater-que toute la troupe avait droit aux plus
justes éloges. Une belle soirée d'art dont on
pouvait féliciter M. Grisier. — La Belle Marseil^
laise atteindra, le 17 mai, sa centième jeprésen-
tation.
19 MAI. — Reprise des Aventures de Thomas
Plumepatte, pièce à spectacle en cinq actes et
douze tableaux, de M. Gaston Marot*.
1. Distribution. — Thomas Plumepatte, M. Villa. — Poster, M. Lié-
zer. — «Georges Stappleton, M. Reusy. — James Powel, M. Maurice
Flamire. — Jenny, M"»» Xciana. — Anna, Mi'« Chapelas. — Henriette
MU» Marcelle Her-vyl. — Catherine, M'ï" Moury.
358 LES ANNALES DU THEATRE
i5 JiiN. — Reprise de la Fleuriste des Halles y
drame en six actes, de M. Henri Demesse *.
1 1 JUILLET. — Reprise de la Bande à Fifi^
drame en cinq actes et huit tableaux, tiré du roman
de Constant Guéroult par MM. Gardel-Hervé et
Maurice Varret 2.
8 SEPTEMBRE. — Première représentation du
Crime d'un fils^ drame en cinq actes de M. Mau-
rice Lefèvre^. — Un ami très digne de foi nous a
raconté que M. Maurice Lefè^Te avait eu jadis
pour sa pièce — il est bien entendu qu'il la signe
seul aujourd'hui, ainsi que c'est d'ailleurs son droit
1. DiSTBiBUTioN. — Pierre Pascal, M. Caiîlard. — Xavier Mauduit,
M. Vilta. — Antoine Villette, M. Liézer. — Frédéric Pascal^ M. Volnys.
— Nicolas, M. Champdor. — Le docteur, M. Picard. — Me Barré,
M. Brenner. — Joseph, M. Linder. — L'abbé, M. Gréhan. — Capitaine
Voiron, M. Bénard. — Un agent, M. Sylvain. — Françoise Pascal,
Mf^f Dubuisson. — Delphine Villette, M^^» Chapeîas. — Hortense Mau-
duit, Mlle yoris. — Lucile de Marcillac, M'i» Derblay. — Noémie Mau-
duit, M"» Yriane. — Fanchette, Iti^^* Divonne.— Marthe, W^^Maylianes,
2. Distribution. — Fifi Vollard, M. Villa. — Soufflard, M. Caiîlard.
— Milord, M. Grégoire. — Micaud, M. Liézer. — Lesage, M. Gréhan.—
Bisson, M. Champdor. — Georges, M. Reusy. — Le père Toussaint,
M. De7'vet. — lldefonse, M. Linder. — Le marchand «î'habits, M. Jac-
quier. — M. Dubois, M. Garbagny. — Moulin, M. Bénard. — <■ Garçon de
café, M. Shjlvain. — Castro, M. Bernard. — Alliette, M"»» Delphine
Renot. — La Vollard, M»" Victorin. — Elisa, M"" Chapelas. — M»» Re-
nault, Mll« Banville. — Geneviève, M^» Derblay. — La marquise,
Mil» Maury. — La mère Toussaint, M^» Villon. — Agiaé, MU» Rain-
ville. — Ursule, M"» Yriane. — MUe Germaine, Mil* Divcmne. —
Mme Pitouard, M"* Georgette.
3. Distribution. — Docteur îfasson, M. Gaillard. — Marquis de
Mandres, M. Etiévant. — Pistolet, M. Villa. — Paul Herbeaux, M. Vol-
nys.— Champoreau, M. Liézer. — Jolicœur, M. Blanchard. — Lalouette,
M. Gréhan. — Don Escobal, M. Champdor. — Barbillon, M. Denizot. —
ïom Bluff, M. Linder. — M^e Herbeaux, MHe Grumbach. — Hélène,
Mil» Qhapelas. — Ida de Sarcy, MHe Horel. — Mominette, MH» H. Lamy.
— Honorine, >Ime Victorin.— Colonelle de Villeneuve, Mi'-DçireaAa. —
Justine. M"» Derblay. — M^e de Plessis-L'Estang, MUe Yriane. —
Victoire. M"e Divonne,
THEATRE DE l' AMBIGU SSg
— des visées beaucoup plus hautes — quo non
<iscendam — il la destinait, paraît-il, au Gymnase...
Yoilà qui est étrang^e. L'ambigu est le théâtre qui
convenait par excellence à ce bon mélo, très cor-
rectement écrit selon la formule du. genre ; il y est
à sa vraie place ; il avait tout ce qu'il fallait pour
y réussir. La scène se passe « de nos jours ».
Herbeaux et le marquis, ex^colonel de Mandres,
étaient deux frères d'armes. Herbeaux est mort en
laissant une veuve dont le marquis devient Tami
le plus sûr, et un fils, Paul, qu'il aimera comme
s'il était sien. C'est avec plaisir qu'il lui destine en
mariage sa gentille filleule Hélène ; c'est avec peine
qu'il voit le jeune homme, perdu par de mauvaises
fréquentations, s'éprendre follement d'une abomi-
nable fille et chercher dans d'infâmes tripots de
Montmartre l'argent qu'elle lui demande. Mais le
baccarat n'ayant pas « rendu », voilà qu'un soir —
j'ai honte de vous le dire — le misérable Paul est
surpris — tel un ignoble cambrioleur — crochetant
un secrétaire et volant sa payvre mère. Celle-ci
devient folle... Tellement folle qu'elle s'est enfuie
de chez elle et que nous la voyons errer en men-
diante, affreusement pitoyable, sur les berges de
la Marne, vainement recherchée depuis trois jours
par ce bon M. de Mandres, aidé de son ordonnance,
et enfin reconnue par... son propre fils qui, muni
de l'argent volé, faisait justement la fêle en ces
parages... La scène est-elle invraisemblable? Non,
certes, car elle a été, nous assure-t-on, tirée de la
réalité d'un brutal fait-divers. Elle est, en tout cas,
supérieurement émouvante, et devait tenter un
36o LES ANNALES DU THEATRE
dramaturge habile. Sur les berges de la Marne,
Paul n'a pas seulement retrouvé sa mère, il a, pour
l'avoir voulu venger des insultes d'irrespectueux
bandits, reçu un très mauvais coup. Il y eût même
laissé sa peau s'il n'avait été sauvé à temps, juste
à temps, par la fidèle ordonnance de M. de Man-
dres. Et le voilà bientôt revenu à la vie, et aussi à
de meilleurs sentiments... Il ne s'agit plus que de
rendre la raison à sa malheureuse mère. C'est
l'affaire d'un avisé docteur qui a l'idée sublrme de
reconstituer à rebours la scène du vol en donnant
à Paul Herbeaux le beau rôle et en distribuant à
des aminches dont c'est l'habituel métier celui de
cambrioleurs surpris en flagrant délit. M'"® Her-
beaux se persuade qu'elle a fait « un mauvais rêve »
et tout finira bien, comme c'est la coutume à
l'Ambigu-Comique. Obligatoire en ces sortes de
pièces — rappelez-vous les légendaires Passepoil
et Cocardasse du Bossu — le duo bouffe des hon-
nêtes filous est toujours d'un effet irrésistible. Cette
fois encore, il fut acclamé en la personne de Pis-
tolet et de Lalouette, rendus de très plaisante façon
par MM. Villa et Gréhan. M"^ Grumbach prêtait
son solide talent au rôle de M'"® Herbeaux. Et
sous les traits de M. de Mandres, M. Etiévant
s'était montré absolument « hors pair ». « Même
au Théâtre-Français — avons-nous entendu dire
dans les couloirs — le rôle n'eût pas été joué avec
plus d'émotion et de vérité. » M. Etiévant pouvait,^
ce me semble, se contenter d'un pareil éloge.
6 OCTOBRE. — Reprise du Régiment^ drame en
cinq actes et huit tableaux de MM. Jules Mary et
THEATRE DE L* AMBIGU ' 36 T
Georges Grisier*. — M. Grisier a sans doute pensé
qu'on n'était jamais si bien servi que par soi-
même... Et, puisqu'il s'agissait de remplacer le
Crime d'un Jils, il a décidé la reprise d'un mélo-
drame qu'avec la collaboration de M. Jules Mary^
il donna, voici vingt ans, au théâtre de l'Ambigu,
que dirigeait alors Emile Rochard. Le Régiment
n'est pas un drame guerrier, c'est un drame mili-
taire. Point d'alertes, d'assauts, ni d'attaques»
Point de coup de fusil. Pas le moindre petit obus.
Le Régiment a lieu en pleine paix, et n'est qu'un
mélodrame ordinaire, se passant dans le monde
des bonnes casernes gaillardes et réjouissantes.
C'est l'histoire d'un enfant perdu, puis retrouvé^
malgré les raachinajtions ténébreuses d'un quidam
qui a voulu se faire passer pour lui, et qui, quelque
temps, y a réussi. Le quidam finit pac être tué en
duel par l'enfant perdu, et l'enfant retrouve sa
mère, qui est femme de colonel. Mais, pour avoir
tué le quidam, l'enfant perdu et retrouvé passe eu
conseil de guerre, ce qui prolonge un peu la chose.
Vous pensez bien que, comme il a tué un chena-
pan, et qu'il est fils, non seulement de la colonelle,
mais, ainsi que cela se révèle au dernier moment,
du colonel tout autant, il échappe aux sévérités de
la loi militaire. Cette histoire, avec tous les inci-
dents qu'elle* soulève, dépasse bien un peu les
limites de la vraisemblance.- Cependant, le Régi-
1. Distribution. — Colonel de Gheverny, JM. Gaillard. — Pierre Gi-
ronde, M. Etiévant. — Belhomme, M. Villa. — Jacques, M. J. Volnys. —
Patoche, M. Liézer. — M"« de Gheverny, M«n« Dubuisson. — Catherine^
M«n« Gense. — Marjolaine, M'i«. Chapelas. — Margot, MUe Derblay.
362 LES ANNALES DU THEATRE
ment fut un gros succès, surtout à cause des scènes
de la vie militaire (la chambrée; la troupe en
marche ; le sommeil de la troupe à la belle étoile)
qui y sont très adroitement enchâssées, et qui res-
tent 4rès vives, amusantes et touchantes. Les décors
sont fort beaux. La reproduction du tableau de
Détaille, le Bêve^ est toujours d'un effet imman-
quable, même sur les blasés. La pièce (jue créèrent
très brillamment Péricaud, Desjardins, Pouctal,
Gravier, Pougaud, M™^» Marie Laure et Descorval,
est aujourd'hui fort bien jouée par MM. Etiévant,
Villa, Gaillard, M""^ Gense... Et M. Grisier pouvait
quelque temps encore faire les honneurs de son
affiche à MM. Jules Mary et Grisier.
3i OCTOBRE. — Nouvelle reprise des Deux Or-
phelines^.
22 NOVEMBRE. — Preuiière représentation de la
Grande Famille^ pièce en six actes de M. Arquil-
lière ^. — Après le souvenir ému adressé à l'Alsace
par la voix, ou plutôt par la plume de MM. René
Bazin et Haraucourt, après les fanfares patriotiques
que, un peu inconsidérément peut-être, la voix de
1. Distribution. — Pierre, M. Etiévant. -r Picard, M. Villa. — De Vau-
vrey, M. J. Volnys, — Le docteur, M. Liézer. — Jacques, M." Denizot.
— De Linières, M. Grey. — Marest, M. Synës. — De Presles, M. Linder.
— Lafleur, M. Champdor. — La Frochard, M^e Victorin. — Henriette,
M'ic Chapelas. — La comte'sse, M»» Doriane. — Louise, M^» Paulette
Gralia. — Sœur Geneviève, Ml'e de Cerny. — Marianne, M"» Vallier. —
Florette, M»» Derblay. — Julie, M»" Divonne.
2. Distribution. — Bertrand, M. Louis Gauthier. — Brune, M. Etié-
vant. — Le capitaine, M. Adrien Caillard.— Caporal Gabert, M. Villa.
— Le sergent-major, M. Liézer. — Le comique, M. Moret. — Rondet,
M. Linder. — Gaillard, M. Brenner. — Louis, M. Denizot. — Louise,
Mlle Suzanne Munte. — Lili, M"e Chapelas. — Mariossa, M'i« Doriane.
— Mère Baptiste, M"» Victorin. — M"»» Grindot, M^'e Deley.
THEATRE DE l'aMBIGU 363
Coqaelin fit sonner à nos oreilles, voici qu'on nous
introduit dans l'intimité de notre armée, à la
caserne. Est-ce pour diminuer en nous l'idée d'une
revanche possible? Je le croirais volontiers. Et
l'Alsace une fois encore jettera un regard moins
confiant vers son ancienne patrie. Ce n'est point que
la pièce de .M. Arquillière ne soit pas pleine de
talent et d'émotion, et de vig'ueur. Elle fera sur le
public, sur tous les publics, un effet considérable;
il convient de féliciter le directeur, M. Grisier,
d'avoir modifié son habituelle formule. Seulement,
cette pièce, remarquable étude de la vie militaire,
nous fait toucher du doigt, en les avivant, des
plaies qu'il vaudrait mieux guérir. Je ne parle pas
des carottiers, qui sont amusants et sans consé-
quence, mais de la lutte violente éclatant entre
deux soldats de is;"rade différent, d'officier à sous-
officier, et faisant planer sur le lieutenant qui, pour
insulter le sergent, s'abrite de la discipline, comme
une ombre de lâcheté. Cette scène à peine toléra-
ble dans un théâtre de comédie pure, où d'ail-
leurs elle eût été présentée moins lourdement,
devient odieuse à TAmbigu, théâtre populaire où
les intentions de l'auteur sont exagérées, défor-
mées même par les spectateurs socialistes des
hautes galeries, de sorte que ce peuple, ignorant
d'une psychologie plus artistique que tendancieuse,
s'en va convaincu qu'il a assisté à une pièce anti-
militariste, et (je l'ai entendu à la sortie) qu'on
leur a dit, leur fait à ces « cochons-là! » Les
<( cochons », ôe sont les officiers. Cela explique les
protestations qui se sont élevées au cours de ce
364 LES ANNALES DU THEATRE
cinquième acte long et pénible, protestations stri-
dentes que n'eurent pas le courage d'étouffer les
ordinaires applaudissements. Et certes, on n^ap*
prouve point également le personnage épisodique
du sous-ofF encourageant son carharade à déserter
et opposant aux observations de son supérieur des
répliques de révolte et de mauvaise- tête. Est-il
bon, dans une œuvre forte et sensible, de montrer
tout ce qui existe, surtout quand il ne peut en
ressortir que des exemples malsains? Oui, je sais,
M. Arquillière, ex-pensionnaire du théâtre Antoine,
élevé à l'école du maître, répondra : « Je n'ai pas
voulu faire de l'antimilitarisme : j'ai simplement
écrit ce que j'ai vu ». N'empêche que d'entendre
pendant s^x actes des soldats s'écrier : « Sale mé-
tier!...' Ah! oui, sale métier! » n'encourage
guère à faire partie de la Grande Famille. Le ser-
gent Bertrand dit : « La caserne, ce n'est pas la
patrie » ; pourtant, sans la caserne, comment la
patrie serait-elle défendue ? On ne peut pourtant
pas la remplacer par le café. Vous m'objecterez :
« Le capitaine est une silhouette de justice et de
bonté — comme celui que dessina si magistrale-
ment Courteline dans les Gaietés de F Escadron ».
Mais il vient trop tard, et sa plaidoirie émue du
sixième acte n'ôtera pas de Tidée des fameux spec-
tateurs d'en haut que tous les officiers sont ... ce
que je répétais tout à l'heure. La fable est simple
et pittoresque, comme il convient aux esprits nets^
familiers du Théâtre libre. Le sergent Bertrand,
réengagé, aime une fille de café-concert. Il Ta dans
la peau. Et aussi il trouve à satisfaire par elle ce
THÉÂTRE DE l'aMBIGU 365
besoin de tendresse qu'a développé en lui la vie
grise, déprimante de province. Il a connu Louise
au Beuglant, où soldats et officiers vont tuer leur
temps. Mais le lieutenant Brune est également épris
de la chanteuse, au point d'être aveuglé par la
jalousie^ et de menacer ceux qui rapprochent ; car
il prétend l'avoir à lui seul et la garder. Louise
adore Bertrand ; elle repousse les avances de Brune,
mais commet l'imprudence d'aller voir son amant
cinq minutes, le temps d'un baiser, à onze heures
du soir dans la cour de la caserne. Elle est surprise
par le lieutenant qui soupçonne le caporal Gabert
d'avoir Louise pour maîtresse. Mais Bertrand se
découvre dans un mouvement d'impatience jalouse,
et Brune, aveuglé. par la rage, ne se contente pas
de le menacer des pires répressions, il l'insulte
d'abord, lîii; puis, devant son calme apparent, il
va jusqu'à injurier la femme elle-même. Le sergent
bondit, lève la main sur son Supérieur. « Ber-
trand ! », s'écrie le caporal Gabert épouvanté. Le
geste, par bonheur,, n'a été qu'çsquissé ; mais
Brune, fort de son grade, continue à exciter celui
qui ne peut pas lui répondre en des termes tels
que, par toute la salle, des cris s'échappèrent :
« Assez ! Assez ! » Quel est l'officier qui parlerait
ainsi? Celui-là n'existe pas qui, durant une demi-
heure, odieusement et interminablement, même,
aveuglé par la jalousie, cracherait au visage d'un
inférieur de ces phrases irréparables.* Un officier
cela? Non. Un malade ou un fou... Dès lors, Ber-
trand, veut déserter. Il se prépare à fuir avec sa
maîtresse qui doit l'attendre près de la gare avec
366 LES ANNALES DC THÉÂTRE
des vêtements civils et de là passer la firoatière.
Mais voici le capitaine. Il a tout appris par Louise
qui, au dernier moment, épouvantée d'un pareil
acte, est venue le trouver, lui, le père de la Grande
F'amille. Elle lui a donné une lettre pour Bertrand,
« son petit », son amant adoîré, lettre où elle lui
annonce qu'elle se Sacrifie pour lui et part pour
toujours. Bertrand, que les conseils et la haute
morale du capitaine ont déjà ébranlé, tombe assis,
secoué de sanglots. — « Ah ! mon capitaine, j'ai
bien du chagrin !» — « Pleurez ! » lui dit douce-
ment le brave homme. Et dans ses propres yeux
on devine des larmes. Ce drame « nouveau jeu »,
exempt de mélo, sans mort finale, ni punition du
traître, a, je le répète, brillamment réussi. Il est
joué à la perfection, avec une justesse de nuances
et un mouvement remarquables. On prétend qu'An-
toine, qui avait reçu la pièce, s'intéressa active-
ment aux répétitions. En tout cas, on y reconnaît
son mouvement préféré de dialogue et la minutie
de sa mise en scène. Très curieux, le premier acte.
L'établissement de la mère Baptiste, avec un public
de soldats chahuteurs, ses chansons accompagnées
au refrain sur les verres et les tables de marbre,
ses « reconduites » d'artistes parmi les cris d'ani-
maux, offre une ^saveur spéciale de Beuglant de
province. Au troisième acte, le corps de garde a
obtenu un gros succès de pittoresque et de vérité...
sauf la sentînelle de garde qui reste la même de
huit heures à minuit. Les factions jie sont-elles pas
de deux heures seulement : pauvre sentinelle! elle
fait du rabiot. . . M. Louis Gauthier, que nous
THJÉAXftB I>B l'aMBIG0 867
avioR» sincèrement applaudi au Vaudeville dans la
Retraite j a été un sergent Bertrand jeune, vibrant,
amoureux; après nous avoir charmés, il nous a
profondément émus par la sincérité de sa souffrance
et de sa révolte. A côté de lui, Je caporal Gabart^
rencontré en Villa un interprète délicieux. On ne
peut être plus fin que ce jeune artiste, dont les.
qualités de naturel exquis ont heureusement trouvé,,
en ce temple des conventions, un rôle de vraie hu-
manité. M. Adrien Gaillard, le beau capitaine, a
joué avec une grande émotion, et aussi M. Liézer,
un sergent-major sensé et sensible. Le poids de la
pièce reposait sur M. Etiévant. Get acteur, qui
incarne depuis longtemps à l'Ambigu les traîtres
de drame, abordait un personnage malaisé. Le lieu-
tenant Brune pouvait, par son exagération même,
devenir ridicule : il ne fut que dangereux, et il
faut complimenter M. Etiévant d'avoir par sa
netteté d'allure et la sobriété de ses moyens, empê-
ché, dans la grande scène du cinquième acte,
Torage de s'accentuer : au cours de cette partie
difficile, il fut un partenaire précieux. Gonstatons,
enfin, le succès, ce n'est pas assez, le triomphe de
W^^ Suzanne Munte, dont le rôle de Louise est
certes la plus belle création. Elle a joué avec une
maîtrise incomparable et pris du coup sa place
parmi nos premières comédiennes. Elle fut en ce
rôle de fille, grande amoureuse. Et nous n'avons-
que des éloges à adresser à M™^^^ Ghapelas (Lili) et
Dorianè (Mariossa), et aussi aux vingt-six autres
. artistes, tous excellents, mais dont je regrette de
ne pouvoir citer les noms, ils sont trop... Le
368
LES ANNALES DU THEATRE
théâtre allait enfin connaître des jours heureux, et
nous retrouverons, Tan prochain, sur l'affiche de
FAmbigu la Grande Famille^ dont la cinquantième
représentation s'était donnée le 3o décembre.
Le Crime d'Aix, pièce ■
'*'La Conquête de l'air ^ pièce
Les Deux f)rpheîines, drame
Paillasse, drame
'"La Belle Marseillaise^ pièce
Les Aventures de Thomas Plumepatte,
pièce
La Fleuriste des Halles, drame
La Bande à Fifi, drame
*Le Crime d'un Fils, drame
Le Régiment, drame *.
*La Grande Famille, pièce
NOMBRE
d'actes
5 a. 8 t.
4 a. 5 t.
5 a. 8 t.
5
4 a. 5 t.
5 a. 12 t.
6
5 a. 8 t.
5
5 a. 8 t.
6
DATE
de la
Ire représ.
ou de la
reprise
16 janv.
24 janv.
20 févr.
3 mars
19 mai
15 juin
11 juillet
8 sept.
6 octobre
22 nov.
NOMBRE
de
reprèsent.
pendcant
Tannre
19
4
53
21
91
29
29
65
32
29
46
THÉÂTRE DES NOUVEAUTÉS*
Quatre pièces nouvelles : le Gicjolo de M. Miguel
Zamacoîs, VAnge du foyer de MM. G.-A. de Cail-
lavet et Robert de Fiers, Dix minutes d'arrêt de
M. Georges Duval, Florette et Patapon de M. Mau-
rice Hennequin constitueront le répertoire de Tan-
née 1905, commencée avec la Gueule du loup de
MM. Maurice Hennequin et Paul Bilhaud.
24 JANVIER. — Première . représentation de Le
Gigolo^ pièce en trois actes de M. Miguel Zamacoîs 2.
— M. Serjeux a un fils, Jacques, étudiant en droit,
qui s'amuse... trop et qu'il veut protéger contre le
« collage », si dangereux : voyez la fâcheuse his-
toire de Manon Lescaut et du chevalier Des Grieux...
Or, il y a dix-huit mois que Jacques est le « gigolo »
de NiniBellair, et cela ne peut durer. Aussi mande-
t-il de Baycux toute la famille pour tenir conseil,
1. — Directeur : M. Henri Micheau ; Secrétaire général : M. Lionel
Meyer.
' 2. Distribution. — Hippolyte Serjeux, M. Germain. — Jacques Ser-
jeux. M. Torin. — Antonin Tribleau, M. Landrin. — Le concierge,
M. Laurel. — Edmottd, M. GatV/ard. — Honoré Serjeux, M. Keppens.—
Vu facteur, M. Prosper. — Nini Bellair, M'i» Suzanne Carlix. — Lucie
Serjeux, 'iA\^*Maud Amy. — M"»» Bellair, M™» Rosine Maurel. — La
tante Delphine, M»» Guitty. — Louise Serjeux, M"«« Jenny Rose. —
Clémence Tribleau, M"»» Gense. — Suzanne, Mii« Jenny Morgan. —
Lilia, M'>« Magda Simon. — Jeanne, M"» Dartigue. — Maria, MH» J.
Buarini.
ANNALES DU THÉÂTRE 24
370 LES ANNALES DU THEATRE
lui annoncer cette grande nouvelle : « Jacques a
.une maîtresse », et aviser au moyen de tirer le
garçon des jolies griffes de Nini. — « J'ai une
idée ! s'écrie tante Delphine : qu'on le lance sur
une autre femme ! » Et M^^ Louise Serjeux, qui
est jeune*et jolie, semble posséder toutes les con-
ditions requises pour opérer cette utile diversion.
Puis on décide que Serjeux père et l'oncle Antonin
Tribleau iront tous deux, mais l'un après l'autre,
et sous un nom supposé, trouver la séduisante
Nini, et se donneront comme protecteurs sérieux,
exigeant d'elle qu'avant tout elle lâche son gigolo.
Et vraiment ils arrivent au bon moment chez Nini...
Ne vient-elle pas — les cartes, qui ne trompent
jamais, l'avaient, hélas ! bien prédit à son hono-
rable mère — d'être froidement plaquée par sou
vieux, et n'a-t-elle pas justement fait dire à la
concierge de laisser monter tout le monde... Nini
réservera donc un aussi excellent accueil à Dupont,
sentimental pratique, qu'à Duval, sentiqniental rê-
veur, lui débitant successivement leur boniment :
« Je vous aime et je suis riche, excessivement
riche. » Et nos deux vieux sont si cordialement
reçus que les voilà bientôt très enflammés l'un et
l'autre et réciproquement jaloux. Nini a d'ailleurs
promis de renvoyer son gigolo : Jacques ne l'a-t-il
pas prévenue que son père lui ayant coupé les
vivres il lui était désormais impossible de la rece-
voir en sa garçonnière. C'est pourtant dans cette
garçonnière, d'où il a su écarter Nini, que se
passe le très piquant troisième acte de la comédie
de M. Zamacoïs. Jacques y a donné rendez-vous à
THEATRE DES NOUVEAUTES 87 I
.sa jeune tante, Lucie Serjeux, cette jolie femme
que le conseil de famille avait tout d'abord pro-
posée comme diversion. La gentille provinciale y
est venue, quoique timidement, et timidement aussi
elle se laisse enlever son corsag^e et défaire ses
bottines... C'est en ce déshabillé prometteur que,
délégué par la famille, toujours liguée contre Ninî,
la surprend son mari,». Pardonnera-t-il?... Jésus
a bien pardonné à la femme adultère : il est vrai
que ce n^était pas la sienne... Et Jacques, renon-
çant désormais aux femmes du monde, même de
Bayeux, continuera à être le gigolo qu'il était
naguère : son père s'est montré assez sensiblement
épris lui-même de la séduisante Nini pour avoir
perdu le droit de lui faire de la morale. En ces
lignes trop brèves, vous avez « la lettre » de l'amu-
sante pièce applaudie aux Nouveautés; vous n'en
avez pas « l'esprit ». Etx'est dommage : M. Miguel
Zamacoïs l'a bourrée de mots pétillants tels qu'on
en pouvait attendre de l'auteur de Bohèmos, ce
petit chef-d'œuvre railleur que nous révéla M'"® Sa-
rah Bernhardt, de l'écrivain si pimpant et si avisé,
qui signe, au Figaro^ du célèbre pseudonyme du
« Monsieur de l'orchestre » les charmantes Soirées
parisiennes que vous savez. Le « gigolo. » c'est
M. Torin, idole du public ; ses deux « repê-
cheurs » sont MM. Germain et Landrin, tous deux
excellents. M"^ Suzanne Carlix est d'entrain déli-
cieux et de naturel étonnant sous les traits de Nini
Bellair. M"® Maud Amy" est beaucoup trop jolie
pour être délaissée par son mari : c'est absolument
invraisemblable... M"*® Maurel a dessiné une belle-
372 ^^ LES ANNALES DU THEATRE
mère telle que l'aurait croquée le talentueux Abel
Faivre.
19 MARS. — Première représentation de VAnge
du foyer ^ pièce en trois actes de MM. G.-A. deCail-
lavet et Robert de Fiers *. — C'est pour ces deux
jeunes auteurs le joli pendant de leur très mérité
succès des Sentiers de la Vertu. Excusez-moi de
ne vous point dire par le menu l'intrigue de VAnge
du foyer. Mais, d'abord, y a-t-il une intrigue dans
cette aimable comédie qui a été applaudie à tout
rompre par l'auditoire le plus enthousiaste que
puissent rêver deux ingénieux auteurs, sympathi-
ques entre tous? Je ne l'affirmerai pas. L'intrigue,
la forte intrigue, n'est ici nullement nécessaire.
Les scènes se succèdent spirituelles, pétillantes,
mousseuses, gaies, entraînantes et fines, et c'est
charmant. L'ange du jeune foyer de Jacques et
Marianne Chardin est un bon et gros garçon —
pourquoi ne pas vous le dire tout de suite : le rôle
est joué par Torin — qui, sur laffiche, s'appelle
le baron Sigismond des Oublies. C'est lui, l'amant
— il ne l'est pas encore, mais il le sera, c'est fatal,
— qui veille sur le bonheur conjugal du ménage,
détournant Jacques de toute liaison sérieuse et
1. Distribution. — Jacques Chardin, M. Noblet. — Sigismoncl des Ou-
blies, M. Torin. — Stettin, M. Numa. — Golard, M. Landrin. —
Me Charlotte, M. Mondos. — Pousta, M. Bélières. — Pierre, M. Laurel.
— Le concierge, M. Gailîard. — Des Friquettes, M. Lo7^ain. — La
Ilire, M. Marche. — Un commissionnaire, M. Prosper. — Marianne
Chardin, M»» Marcelle Lender. — Ghouquette, M»« Suzanne Carlijc. —
M"»» Vareilles, M»* Rosine Maurel.^- Jacqueline Mareuil, W^* Sandry,
— M«e Troussel, M"»* Jenny Rose. — Augustine, M»» Gense. —
M«>« de Salbris, MH« Magda Simon, — Guillemette Trousse!, MHe Lu-
cienne Saunier. — M"» Saint-Martin, M'i* Delacourt. — Le trottin,
Mlle Buarini. — Thérèse Troussel, M»« Dylna. — Louise, M"e Lorane,
THEATRE DES NOUVEAUTÉS SyS
s'arrangcant poqr que Marianne qui ne voit guère
son mari qu'aux heures des repas, ne s'ennuie pas
trop d'être ainsi délaissée. C'est ainsi qu'il lui
amène M"'' Chouquette Bouvreuil, qui doit chanter
à sa prochaine soirée. Laissez-moi vous. recom-
mander comme une des choses les plus exquises
de la pièce cette première scène entre la petite ac-
trice au cœur ingénu et M™® Marianne Chardin,
une élégante Parisienne, très lancée, voire même
un peu folle. . . — « Je vous assure que ma vie à
moi n'est pas dnMe, dit Chouquette. — Pourtant,
vous devez avoir des moments agréables ? — Mais
non, madame, je n'ai jamais aimé. — Comment?
fait Marianne étonnée. — Evidemment, avec Tédu-
calion que j'ai reçue. . . ma mère m'a toujours ré-
pété : « Quand l'amour est une carrière, il doit
cesser d'être un sentiment. » Si bien que je ive
sais pas ce qu'il faut faire pour plaire aux hommes. ..
aux hommes qui me plaisent. Enfin, je suis cocotte,
mais pas coquette. — Eh bien! moi, je suis coquette,
et pas cocotte ! » Et comme M'"^ Chardin lui a en-
seigné la manière de prendre les hommes, la petite
Chouquette est au comble de l'admiration : a II
n'y a qu'une femme honnête pour en savoir si
long ! » Elle profite, d'ailleurs, on ne peut mieux
de la bonne leçon : Q'est sur Jacques Chardin
qu'elle opère. . . Jacques s'éprend vile de la petite
chanteuse, et la voilà elle-même vraiment amou-
reuse, inscrivant son bonheur a,u dos de la photo-
graphie qu'elle apporte à Jacques en la garçon-
nière qu'a dû, contraint et forcé, lui prêter son
ami Sigismond, et que Sigismond lui redemande à
3^4 Ï-KS ANNALES DU THEATRE
rimproviste, car il a obtenu de Marianne le rendez-
vous attendu depuis si longtemps. II obtiendrait
même davantage, si Marianne, qui, déjà, s'est laissé
défaire son corsage, ne trouvait sur la table la
photoçrraphie qui lui révèle l'infidélité de son mari.
Le divorce est dans l'air. N'ayez crainte, et fiez-
vous en à MM. Robert de Fiers et Caillavet, il
n'aboutira point... Jacques n'ai rae-t-il pas toujours
sa femme? Chouquette le sait bien, et comme c'est,
après tout, une brave petite personne, elle entre-
prend de réconcilier charitablement les deux
époux. Elle est charmante, absolument charmante,
cette nouvelle scène entre les deux femmes, la
contre-partie de celle du premier acte. C'est le tour
de la malicieuse petite cocotte d'éduquer la mon-
daine très frivole : — <( C'est tout de même un peu
votre faute si tout ce qui est arrivé est arrivé. Vous
n'avez peut-être pas assez retenu votre mari auprès
de vous. Vous ne lui avez peut-être pas fait la vie
qu'il fallait lui faire, les plats et les coquetteries
qu'il aurait aimés... Vous n'avez peut-être pas
su vous occuper de lui. . . C'est drôle, toutes les
dames mariées sont comme ça. Elles s'imag-inent
qu'il n'y a pas besoin de faire des frais pour gar-
der un homme. Faut se donner du mal. Nous, on
s'en donne. Voyez-vous, vous autres, les honnêtes
femmes, vous n'êtes pas sérieuses. — Mais enfin
j'aime. . . c'est-à-dire j'aimais beaucoup mon mari.
— Oui, mais il y a la manière. . . Vous l'aimiez
beaucoup, mais peut-être pas bien. Ainsi, lui avez-
vous jamais fait des scènes injustes, à propos de
rien?. . . L'avez-vous rendu jaloux? Avez-vous été
THEATRE DES NOUVEAUTÉS d']5
exigeante, capricieuse, intolérable? — Mais non.
— Alors vous ne Tavez jamais rendu malheureux?
— Jamais. — Et vous voulez qu'il vous aime. . .
Oh! voyons, madame... » Avons-nous besoin
d'ajouter que la leçon porte ses fruits? Marianne
se réconciliera avec son mari, et sachant désormais
les choses nécessaires pour rester une bonne petite
femme honnête, elle ne permettra plus à « Tange
du foyer » de s'occuper de son bonheur. Ah ! que '
M''® Marcelle Lender, si élégante, a mis de grâce
et d'adresse en son personnage de Marianne Char-
din ! Avec quel naturel et quelle verve spirituelle
M"® Suzanne Carlix a composé le joli rôle de
Chouquette ! . . . A M. Noblet, plein d'aisance et
d'autorité, étaient dévolus les jolis « couplets »
sur les « bonnes petites cocottes », sur la messe
de la Madeleine, etc., que les auteurs ont heureu-
sement plaqués dans leur amusante comédie ;
M. Noblet les a dits merveilleusement. M. Torin
est, sans charge aucune, un Sigismond plein de
rondeur et de bonhomie. M. Moqdos a plaisamment
rendu la caricature d'un avoué, très parisien, dont
le nom volait sur les lèvres de bien des habitués
des premières. Et M. Numa, l'excellent partenaire
de Jeanne Granier dans la Bonne Intention de
M. Francis de Croîsset, traversera plus d'une fois
le boulevard en auto pour venir de la salle des
Capucines aux Nouveautés, jouer le bout de rôle
de son « homme de cheval »^ l'un des amusants
épisodes de la triomphante et morale comédie. La
cinquantième représentation de VAnffe du foyer ^^
se donnera en matinée, le 3o avril, avec une su-
SyO LES ANNALES DU THEATRE
perbe recelte. La charmante pièce où la comédie
fine et légère s'allie si bien à la farce la plus
joyeuse, sera représentée jusqu'à la clôture annuelle
le 3i juillet.
i4 SEPTEMBRE. — Réouverture du théâtre avec
la première représentation de Dix miaules d'arrêt^
pièce en trois actes de M. Georges Duval*. — (Vest
une œuvre aimable, qui ne brille pas positivement
par une originalité excessive, mais où il y a de la
gaieté vive et pimpante. Bref, ces trois actes, habi-
lement « arrangés » s'écoulent agréablement sans
longueur et sans effort. Frisant ça et là le vaude-
ville, la pièce se reprend juste à temps par une
très jolie scène de comédie au second acte, où
I état d'âme de Suzanne Le Perrier, son excitation
nerveuse émoustillée encore par le Champagne, ses
dix-huit mois de veuvage et l'exemple enfin d'un
hôtel de province aux nombreux cabinets particu-
liers, où dix couples, vingt couples sortent en s'em-
brassant, finissent par avoir raison de sa vertu et
la laissent sans forces dans lesbrasdcLa, Croisette.
C'est la scène capitale. L'anecdote peut d'ailleurs
se conter en deux mots. Suzanne est la veuve char-
mante d'un vieux savant assommant et insuppor-
1. Distribution. — Gaston, M G. Noblet. — Le Huchois, M. Germain.
— La Croisette, M. Colotnbey. — Lizardieux, M. Bétières. — Barillard,
M.. Laurel — Prosper, M. P. Ardot. — Joseph, M. Gaillard. — L ofli-
cier, M. Lefèvre. — Le substitut, M. Brunot. — Le contrôleur, M. P-
Berty. — Mîviuico, M. Marche. — Charles, M. Nyhel. — Suzanne,
WW'^ MunaUff Lëndér. — Glodilde, MUe Sandry. — Zoé, M"e Piernold.
— La dajne vuil^o, Mlle Sandraz. — Claire, MUe j. Buarini. — La
cuf'otle, MHi! Siiinfù,— Agathe, MUe Dalézia.— La grisefte, Mi'o Pauly.
DLr miftutiia dMrrêt était accompagné d'un acte intitulé, le Coup du
tf'féf/ratnrn^, tle M. Lucien puval, le fils de M. TTeorgos Duval ; le père
el le iM^ L'h-ijonl: iiinsien même temps sur la même alliche.
THEATRE DES NOUVEAUTÉS 877
table qu'elle a enduré pendant sept longues années,
le célèbre Le Perrier, qui n'a su ni pu lui donner
aucune des joies qu'elle était en droit d'attendre du
mariage. Son père, M. Le Huchois, de TAcadémie,
— qui ne serait pas fâché^ entre nous, de s'occu-
per plus librement de la piquante et rusée Zoé,
une jeune personne qui donne dans l'Institut, —
songe à la remarier. Suzanne, en principe, n'y est
point opposée, à la condition toutefois que le mari
soit de son goût, jeune, gai, séduisant. Elle a fait,
songez donc, une telle provision de tendresse, d'af-
fection, d'illusions! Le Huchois a pour collègue et
ami ce bon La Croisette, qui voudrait bien, lui,
marier son neveu, le vicomte Gaston de La Croi-
sette. Gaston se montre assez disposé à mettre fin
une bonne fois à l'existence de noceur qu'il a
menée jusque-là, si la femme qu'on veut lui donner
est suffisamment aimable, jolie, élégante. Les deux
jeunes gens sont donc faits pour s'entendre. Mal-
heureusement Joseph, le vieux domestique resté
fidèle à l'ancien maître, trace à Suzanne un portrait
de Gaston extra-fantaisiste : savant austère et opi-
niâtre, toujours attelé à d'énormes travaux, et à
Gaston il présente Suzanne comme une horrible
mégère, veuve éplorée et inconsolable. Il n'en faut
pas davantage pour les décider l'un et l'autre à
repousser pareille union. Néanmoins, pour ménager
père et oncle, ils acceptent l'entrevue à Saint-
Claude, à la campagne, où ils doivent passer tous
deux quelques jours, pour se mieux juger, dans la
propriété de Le Huchois.. Vous devinez le reste.
Gaston monte dans le compartiment de Suzanne^
378 LES ANNALES DU THEATRE
qui lui paraît délicieuse, il lui fait la cour; Suzanne
trouve le monsieur charmant et se la laisse faire...
Château-Randon, dix minutes d'arrêt 1... On des-
cend prendre un consommé. Patatras ! le déraille-
ment d'un convoi de marchandises recule de
plusieurs heures le départ du train pour Saint-
Claude. Que vont-ils faire ? Souper, parbleu ! Gas-
ton se montre plus aimable, plus prévenant ; elle,
plus fébrile, plus nerveuse. On échange des confi-
dences. — « Je partais, navré, vers un mariage !
— Moi aussi ! C'est curieux ! — Non, c'est stu-
pide, révoltant ! » Et Suzanne affolée, vaincue,
cède aux instances plus pressantes de Gaston.
Jugez de leur tête, à tous deux, lorsqu'au troisième
acte ils se retrouvent à Saint-Claude. Il ne saurait
plus être question entre eux de mariage. Suzanne
ne peut devenir la femme de Cflui à qui elle s'est
si facilement donnée. — Singulière garantie pour
l'avenir ! — Honnêtement, loyalement, elle avertit
Gaston de ses intentions. Lui neJ'entend pas ainsi,
il excuse la faute, — un moment d'oubli, de folie,
dont il doit d'ailleurs partager les torts, ayant
abusé grossièrement de la situation. Et puis, et
puis... il l'aime et la convainct facilement. La
pièce a sutout pour elle, à défaut de valeureuses
qualités, l'incomparable mérite d'être admirable-
ment interprétée par M^*® Marcelle Lender et par
M. Noblet. Ils ont été parfaits l'un et l'autre dans
deux rôles entièrement à leur convenance. M. No-
blet est un La Croisette toujours élégant, léger et
spirituel; M^*^ Marcelle Lender^ une délicieuse
veuve — on ne peut êti'e plus naturelle, plus
THÉÂTRE DES NOUVEAUTÉS 879
« femme », plus séduisante. MM. Germain et Co-
lombey^, M"*®^ Piernold et Sandry, s'agitent à leurs
côtés, prodiguent leur entrain habituel et enca-
drent joyeusement ces deux distingués comédiens.
21 OCTOBRE. — Première représentation de Flo-
rette et Patapon^ pièce en trois actes de MM. Mau-
rice Hennequin et Pierre ^ Veber*. — Pourquoi
« pièce » et non pas « vaudeville »? C'est bien, en
effet, le vaudeville, gai, fou, ahurissant, qui porte
à la rate et supprime la réflexion en faisant éclater
ie rire. Ici, le quiproquo règne, en maître, avec ses
portes classiques, ses substitutions de personnes,
ses déshabillages, ses déguisements, ses rôles
moins logiques qiie trépidants. Et de ce méli-mélo
presque inconcevable se dégage une grande joie
pour tous ceux (et j'espère qu'ils sont légion) qui
aiment à être violemment chatouillés. De ce vau-
deville, enfant gâté de la réussite, je vais pourtant
essayer de conter l'aventure. Florette et Patapon
sont, non pas deux femmes, comme on pourrait le
croire, mais deux associés dans une entreprise
d'engrais chimiques. Florette est marié à la blonde
Riquette, d'allure indépendante et légère, qui jongle
innocemment avec tout ce qui peut compromettre
une 'réputation. Elle plaisante librement avec les
hommes, s'amuse à se faire suivre dans la rue, se
1. Distribution. — Florette, M. Germain, — Barbet, M. Torin. —
Patapon, M. Co/om&di/. — Jambard, M. Landrin. — Auguste, M. Lauret.
— Monbissac, M. Paul Ardot. — Pontoy, M. Oaillard. — Armand,
M. Barnier. — Péchot, M. Lefèvré. — La Barbe, M. Marche. — Cornu,
M. Brunot. — Anthime, M. Prosper. — Un chauffeur, M. Nybel. — Ri-
quette, M"« Cassive. — Blanche, MHe Piernold. — Chéchette, M"» M.
Lavigne. — M"»» Mézaubran, M»»* Jenny Rose. — Claire, M"« /. Henry.
— Marie, M'-» Jeanne Buarini.
38o LES ANNALES DU THEATRE
fait embrasser pour la blague par le secrétaire de
son mari, Julien Barbet, dont elle chavire ainsi
platoniquement le cœur. Patapon est Tépoux de
Blanche, femme austère, timide, horriblement hon-
nête : aussi est-elle à tout bout de champ citée
comme exemple par son mari, lequel, confiant en
une telle vertu, passe son temps à faire prévoir à
Florette, en termes ironiques, un avenir fécond en
infortunes conjugales. Une dépêche commerciale
force les deux associés à partir pour Londres.
Patapon s'en va bien tranquille, persuadé que
Blanche l'attendra en filant la laine. Mais Florette
un peu inquiet, confie Riquette au fidèle Barbet.
(( — Tu surveilleras ma femme. — Non. — Pour-
quoi? — Je Taime. — Je le savais, mais tu es
incapable de tromper un ami. » Aussitôt seule.
Blanche, au comble de la joie, avoue à Riquette
qu'elle a un amant. « — Toi, un amant! — Et ce
n'est pas le premier. C'est le douzième. Il m'attend
à Cotte-sur-Mer. J'ai vingt-quatre heures de liberté.
Je pars : viens avec moi. — Eh bien, j'accepte l On
va faire la bombe... Ça m'amuse. » Et toutes deux
s'échappent au nez et à la barbe de l'infortuné
Barbet, qui, effaré, court les rejoindre, précédé
par le comte de Monbissac, un vieux marcheur qui,
ayant rencontré Riquette dans la rue, s'est juré
qu'elle serait à lui. Nous voici transportés dans le
hall de Thôtel de Cotte-sur-Mer. L'amant de
Blanche vient de recevoir par télégramme la nou-
velle de son arrivée : « Commande en gare deux
heures : livraison à domicile. » Ce qui signifie
qu'il doit attendre sa bien-aimée à l'hôtel même.
THÉÂTRE DES NOUVEAUTES 38 I
t
Or, deux voyageurs entrent : c'est Florette et Pa-
tapon. Au liçu de partir par Boulogne, Florette a
voulu partir par Calais, *et ils ont raté le bateau
de cinq minutes. Patapon, qu'un remède contre le
mal de mer a rendu malade sur terre, en profite
pour demander une chambre, tandis que Florette
qu'une jeune grue rencontrée par hasard, M'*® Ché-
chette, a fortement allumé, mijote un rendez-vous
de passagères amours. Puis voici Blanche et Bi-
quette. Réunion dfes deux amants : amour, délices
et orgues, à la grande joie de Riquette que ce
spectacle enchante... Alors survient Julien Barbet,
fidèle à son rôje de geôlier. Il a frété un train
spécial (3.000 francs, toutes ses économies) pour
rejoindre celle qu'il doit garder jalousement et la
ramener à PàriSi A partir de ce moment, il devient
impossible de narrer toute la série de joyeux inci-
dents qui jettent le reste de la pièce dans des
complications inextricables : Barbet est pris pour
Florette, Florette pour Barbet; Patapon assiste
derrière une cloison aux amours de Blanche et de
son amant, sans savoir qu'il s'agit de sa femme;
Florette déguisé en femme, est pris par Barbet
pour Riquette, et enlevé en automobile ; et finale-
ment Barbet, dont tous les actes de dévouement
n'ont réussi qu'à lui attirer des coups de pied au...
bas du dos et à. le faire prendre pour un satyre,
est arrêté et conduit en prison. Le dernier acte se
passe dans un décor double, mi-partie dans la
chambre de Barbet, mi-partie sur le palier d'un
escalier. Imaginez des gens qui ont perdu leur
clef, qui se réfugient précipitamment dans des
382 LES ANNALES DU THÉATHE
■*
loçements qui ne leur appartiennent pas, puis
faites que tout se découvre à la grande gloire de
l'adultère, pour finir dans une apothéose d'igno-
rance maritale ou de pardon. Cette folie est admi-
rablement jouée dans un mouvement que nous
offrons en exemple à certaines scènes vouées au
pur vaudeville : ainsi le spectateur n^a point le
temps de la réflexion. Germain a trouvé en Florette
un de ses bons rôles de fantaisie simiesque, et
C]olombey — Patapon — mérite d'être loué pour
son entrain de bon aloi. Le public a fait fête à la
rentrée de M"*^ Cassivé, plus jeune et plus exubé-
rante que jamais ; c'est une artiste précieuse pour
ce genre de pièces où sa gaieté est communicative.
A colé de la jolie Riquette, la non moins jolie
Pieriiold fut charmante en cette Blanche qui per-
sonnifie élégamment ce que nous appellerons
« l'adultère honnête ». Mais le héros de la soirée
fut Torin, le gros Torin, l'épique Torin. Avec
sa face large de bébé réjoui, il rappelle étonam-
ment José Dupuis : chacune de ses répliques met
la salle en joie. Il fallait l'entendre dire avec
son admirable accent de conviction naïve : « — Si
j'avais su enlever sa femme, j'aurais aussi em-
porté la caisse ! » Ne vous y trompez pas :
avec Raimond et Brasseur, Torin est un de nos
trois premiers comiques. Lui seul suffit à por-
ter Florette et Patapon sur ses bonnes grosses
épaules. Les autres artistes, MM. Landrin, Paul
Ardot, excellent en vieux marcheur, Lauret,
Gaillard; M"'«« Lavigne, Chéchette fantaisiste et
digne fille de sa mère (elle en a l'amusante voix
THEATRE DES NOUVEAUTES
383
de basse), Jenny Rose, duègne familiale, et
J. Henry avaient contribué au succès de ce vau-
deville, qui longtemps par delà Tannée igoS
devait faire les beaux soirs du joli théâtre des
Nouveautés.
La Gueule du Loup, pièce
A cache-cache, pièce
*Le Gigolo, pièce
*La Diva en tournée, comédie
* L'Ange du foyer, pièce
*Dûc minutes d'arrêt, pièce
*Le Coup du télégramme, vaudeville
*Florette et Patapon, pièce
* Monsieur l'Adjoint, pièce
NOMBRE
d'actes
DATE
de la
l'* représ.
ou de la
reprise
24 janv.
»
19 mars
14 sept.
15 sept.
21 oct.
NOMBRE
de
représent.
pendant
Tannée
26
26
61
209
149
42
76
83
• 47
I
THEATRE DE L'ATHÉNÉE *
L'année avait commencé fort heureusement avec
la jolie Chiffon de MM. René Péter et RoF>ert Dan-
ceny, dont les représentations se prolongeaient jus-
qu'au 22 février. La centième s'était donnée le 28
janvier*.
24 FÉVRIER. — Première représentation de la
Petite Milliardaire, comédie fantaisiste en trois
actes de MM. Henri Dumay et Louis VoresiK — La
voici enfin cette Petite Milliardaire dont on par-
lait depuis si lon^lemps. depuis trop lonslempH
peut-être Et. sans nous arrêter aux tiraill*;-
ments auxquels elle avait d'»nné lieu entre le direc-
teur et les auteurs, entre les deux ant^jrs eux-
mêmes, entre U direction et sa principale iuler-
prète, M-*^ Yahoe, div:»ri5 ici, ce qu'est la c//ri,*:dje
et ce que fut la représentation. Les trois actes *-eî
j£ £...r***Z>ïn'
Secrétaire r^iy-?». . M- ino- larrr,
le tôle «i-a narcv^ c lurjes^L. vi. ^ *rji$T. •*,*.<: L'-t- r*Ti tt^ta.: r*n: ^ *v*
par UD de i«« «^it^^ra jçi^f» ^«i.«jia i* ret X T-Ji v n.. i >*-,
SUhWt-Ro». M. £î. >^-. — ÎMTitoA'L JL * ^Krf. -«. — :>t ;-i'^
^.V
THÉÂTRE DE L'ATHÉNÉE *
L'année avait commencé fort heureusement avec
la jolie Chiffon de. MM. René Péter et Robert Dan-
ceny, dont les représentations se prolongeaient jus-
qu'au 2 2 février. La centième s'était donnée le 28
janvier ^
i!\ FÉVRIER. — Première représentation de la
Petite Milliardaire^ comédie fantaisiste en trois
actes de MM. Henri Dumay et Louis Forest^. — La
voici enfin cette Petite Milliardaire dont on par-
lait depuis si longtemps, depuis trop longtemps
peut-être . . . Et, sans nous arrêter aux tiraille-
ments auxquels elle avait donné lieu entre le direc-
teur et les auteurs, entre les deux auteurs eux-
mêmes, entre la direction et sa principale inter-
prèle, M"^ Yahne, disons ici, ce qu'est la comédie
et ce que fut la représentation. Les trois actes se
1. — Directeur : M. Abel Deval; Administrateur : M. Eugène Damoye ;
Secrétaire général : M. Paul Largy.
2. — M. Deval, indisposé, avait dû abandonner pendant quelques jours
le rôle du marquis d'Ësterel, où il était fort intelligemment remplacé
par un de ses sympathiques pensionnaires, M. Laumonier.
3. DiSTRiBunoiî. — Kikewitch, M. Lévesque. — Ckrûneman, M. Miln.—
Stanley-RoBS, M. BuÙier. — Barbazan, M. A. Baudoin. — Le prince
Ladislas, M. Leubas. — Morain, M. Laumonier. — Le père, M. Servais.
— Boleslas, M. Marius Barlay. — Betsy, M"« Diéterle. — Juanlta,
M»« Caveîl. — Cléo, M»» Templey. — Rozio, M»» Caumont.
ANNALES DU THBATRE 25
386 LES ANNALES DU THEATRE
passent aux environs de Chicago, où M. Ross, le
puissant milliardaire, a fait construire un château
où il n'y a pas une pièce, pas une fenêtre, pas uu
escalier, pas une pierre qui ne rappelle un fait his-
torique : à coups de bank-notes, il en a fait venir
d'Europe les matériaux pris à bonne source. Il est
père d'une jeune miss, Betsy, aussi charmante
qu'excentrique, et dont il tolère toutes les fantai-
sies les plus coûteuses, pourvu qu'elles soient ori-
/o^inales. C'est ainsi que, faisant sur son yacht une
promena4e en mer, elle a rencontré un navire bri-
tannique qui filait à toute vitesse : il lui pousse
immédiatement l'idée de le dépasser, et, faisant
chauffer la machine au risque d'éclater, elle bat
messieurs les Ang-Iais et arrive bonne première ;
mais elle n'a oublié qu'une toute petite chose en
cette course folle, c'est de reprendre soiTjpère qui,
depuis plusieurs jours, l'attend à Gibraltar. Nous
J^ voyons ensuite, cette petite Betsy pleine d'incon-
séquence, ramener un Turc, superbe lutteur qui
la suit partout, et avec lequel, en public, elle fait
des haltères. Puis -elle organise des courses en
plein Chicago et, s'habillant en jockey, elle enfour-
che le pur-sang qui doit obtenir le prix. Marier
Betsy est, comme on pense, le plus vif désir de
M. Ross. Et comme l'Amérique se fait une gloire
de redorer les blasons, il cherche un gendre noble,
qui plaise à sa fille. Deux bons juifs, Kikevitch et
Grûneman, qui l'ont déjà volé tant et plus sur ses
tableaux et autres objets d'art, ont flairé une
grosse commission, et présentent : celui-ci, un
prince polonais authentique, Ladislas... ce que
THEATRE DE L ATIlÉXÉr. 887
VOUS voudrez : celui-là, le baroa de Barbazan,
marseillais aussi pur que possible. Entre ces deux
prétendants, Betsy n'hésite pas : elle préfère. . .
Morain, le secrétaire de son père,- un jeune et élé-
gant parisien qui Tadore sans le dire, de peur
qu'on puisse supposer qu'il convoite ses cinquante
millions de dot. Ceci ne fait plus l'affaire de nos
deux aigrefins, qui voient s'en aller en fumée leurs
belles espérances^ et, pour faire manquer un
mariage qui ne leur rapporte rien, ils lancent en
pleine fête donnée par M. Ross, la fâcheuse Cleo,
la maîtresse dont Morain se croyait à tout jamais
débarrassé. Cette exhibition produit l'effet attendu :
Betsy, furieuse, annonce qu'elle prend pour mari
le prince Ladislas. Mais devant la balourdise de ce
fiancé ridicule, affublé d'une famille plus grotesque
que nature, son dépit ne tient pas : c'est Morain
seul qu'elle aime, c'est lui qu'elle épouse... Sur
cette donnée peu nouvelle en elle-même, les auteurs
de la Petite Milliardaire ont brodé une fantaisie
échevelée, dont la finesse n'est, certes, pas la prin-
cipale qualité, et dont n'ont point paru très drôles
des inventions qui consistent à faire danser par la
troupe de l'Athénée un cake-walk déjà suranné^
ou à faire écouter, non aux portes, mais grimpés
en haut d'un portique de gymnastique, deux per-
sonnages — ce sont les deux juifs de l'histoire —
qui ont intérêt à entendre discuter les clauses d'un
contrat de mariage. Qu'est-ce que cette pièce car-
navalesque ? M. Deval nous avait habitués à des
comédies ordinairement plus délicates et plus spi-
rituellement amusantes. Et puis — sont-ce donc là
388 LES ANNALES DU THEATRE
les fruits de la campagne heureusement menée par
notre ami Adolphe Brisson contre l'emploi des gros
mots au théâtre? Jamais auteurs ne furent plus
prodigues d'expressions grossières. . . MU^ Diéterle
— qui pour cette fois ne chante pas — est une
Bctsy sémillante, et turbulente^ pleine d'adresse et
de gentillesse, de verve et d'entrain, qui a tout ce
qu'il faut pour devenir l'enfant gâtée du public
comme elle est celle de son honorable père M. Ross.
A M"® Cavell, mexicaine; au tempérament excessif,
est départie l'une des meilleures scènes de la pièce :
celle où l'on voit Juanita, qui vient de jurer qu'elle
renonçait définitivement à l'amour, s'enflammer
subitement au contact du vibrant marseillais Bar-
bazan, dans lequel M. Baudoin s'est révélé si digne
fils de la Cannebière. Moins exact peut-être est
M. Bullier^ dont l'accent américain nous a paru
quelque peu intermittent : ce qui ne l'empêche
pas de tenir avec aisance son rôle de richissime
Yankee. M. Laumonier (Morain) est un jeune
amoureux sympathique, aimable et désinvolte.
M. Leubas a su s'assimiler la lourdeur et la stu-
pidité du prince Ladislas. Pour figurer l'un des
deux juifs, M. Deval a emprunté à son associé,
M. Richemond, le comique le plus aimé des Folies-
Dramatiques, M. Milo, qui fut un parfait Grûne-
man. Pourquoi M. Lévesque a-t-il tenu à s'en-
laidir outre mesure pour représenter Kikevitch ?
Cette caricature nous a semblé aussi repoussante
qu'inutile.
27 AVRIL. — Première représentation de Nellie
Moray^ comédie dramatique en quatre actes, de
THEATRE DE l'aTHÉNÉE SSg
M. Henri Dumay*. — Comme dans la Petite Mil^
liardaire^ dont il était justement l'un des auteurs,
M. Henri Dumay nous emmène en Amérique. Il
nous y pfésente le sénatieur Withney qui, de gaieté
de cœur, a jadis abandonné pour faire un bon
mariage d'argent, une maîtresse qu'il avait rendue
mère. De ce mariage il lui est né une fille — char-
mante puisqu'elle est personnifiée par M'*® Bignon
: — qui dans deux mois doit épouser le lieutenant
Paul Batchelder. Mais, sur ces entrefaites, Batchel-
der s'éprend follement de Nellie Moray qui est,
non seulement au théâtre « la plus grande chan-
teuse du siècle », — excusez du peu! — mais
aussi à la Bourse la plus intelligente femme d'af-
faires qui soit. C'est entre Paul et Nellie le plus
grand amour. . . subitement troublé par l'annonce
du mariage projeté et par la lettre d'appel à
l'armée que le sénateur a fait adresser au lieute-
nant. Et comme Nellie Moray lui reproche de lui
enlever ainsi cruellement son Paul, Withney
riposte en disant qu'elle n'en est certes pas à un
amant près. . . Nellie bondit sous l'injure, et va se
jeter sur Tinsulleur, quand quelqu'un s'écrie : —
• « Malheureuse : c'est votre père ! » — « Eh bien,
c'est du propre ! » répond Nellie. Fin du second
acte : il y en a quatre . . . Nellie Moray se venge
1. Distribution. — Général William Canfiel, M. Bulîier. — Olivier
van Duzer, M. Lévesque. .— Duncan Withney, M. Camis. — Docteur
Mortimer. M. Leubas. — Paul Batchelder, M. Laumonier. — Peter,
M. de Ségus, — Frank Sterling, M. Lefaur. ~ B. van Durer. M. Marins
Barlay. — Lester, M. Ramy. — Herr Wcismann, M. Fabert. — L'or-
donnance, M. Barrelet. — Pomeray, M. Lebroton. — Pierre, M. Louis
Sance, — Nellie Moray, M^i» Eugénie Xau. — Clora Withney, M»* Bignon.
— Loulou, M"« Templey.
3(J0 LES ANNALKS DU IHKATHE
par un coup de bourse qui pour Wilhney sera la
ruine totale. C'est en vain qu'il vient solliciter un
délai qui lui permettra de payer ses différences.
Nellie ne veut rien entendre. Puis, quand elle
apprend que Withney est. allé se tuer, elle se hâte
de prendre le train pour Ten empêcher. Elle arrive
à temps et hii accorde, avec toutes les facilités
désirables, le pardon de sa conduite passée. Le
rideau baisse sur l'étreinte du père et de la fille, le
mariage de, M*'^ Clara Withney avec un de ses
cousins, et probablement aussi celui de Nellie
Moray avec son bienaimé lieutenant. Ce n'est, ni
par la nouveauté du sujet, ni par Tesprit du dia-
logue, ni par Tingéniosilé des détails que brille la
pièce de M. Dumay — dissident de la Société des
Auteurs — et nous nous demandions comment, au
lieu de s'obstiner à la représentation d'une œuvre
mal venue, dont l'insuccès ne pouvait profiter à
personne, auteur et directeur n'avaient pas songé
à trancher par une belle et bonne indemnité leur
fâcheux différend. Ajoutons que la pièce était péni-
blement défendue par deux « débutants » qui
étaient, pour ainsi dire deux « revenants » :
•M. Camis, d'une solennité un peu « vieux jeu »
dans le rôle de Whitney ; M^^*^ Eugénie Nau, qui,
dans celui de Nellie, convenant si peu à sa nature,
était restée comme elle restera toujours, Tidéale
« Fille Elisa id. Nous notions l'effort de M. Fabert
sous les traits d'un banquier physiquement aveu-
gle, mais si clairvoyant qu'il menait à lui seul le
marché de la Bourse de New-York, et nous atten-
dions de la direction de TAthénée, ordinairement
THÉÂTRE DE l'aTHÉNÉE SqI
plus heureuse en ses choix, une nouvelle convoca-
tion qui ne pouvait être que très prochaine.
5 MAI. — Première représentation de Cœur de
moineau^ comédie en quatre actes de M. Louis
Artus*. — M. Abel Deval avait la douce habitude
de ne convier la critique qu'une fois par saison à
des pièces qui duraient toute Tannée. Allait-il
maintenant se mettre sur le pied de la convoquer
toutes les semaines?,.. Huit jours après Nellie
Moray — Nellie Mort-nëe, comme dit Tauti^e —
nous revenions à l'Athénée pour Cœur de moi-
neau... Nous n'y reviendrons plus avant la fin de
novembre. Elle est de finesse exquise, pleine de
charme poétique et toute remplie d'esprit, celte
comédie de M. Louis Artus, assurément très digne
de plaire à notre ami Georges de Porto-Riche qui
— si nous nous en souvenons bien — la recom-
manda jadis à M. Franck, directeur du Gymnase.
Le héros de M. Artus est un Don Juan réduction
Collas. Son Claude aime toutes les femmes, « moi-
neau pétillant, sautillant, voletant, moineau clian-
geant qui joue du bec et de la plume vers toutes
1. Distribution. — Claude, M. Brulë. — Lemercier, M. BuUipr. —
Martignac, M. A. Baudoin. — John, M. L. Sance. — Pontivon, M. L. Frë-
mont. — Louis, M. Laforêt. — Iluguette, Mlle Dièlerle. — Margot,
M''» Duluc. — Nadia, MHe Louise Bignon. — Sophie Lemercier,
Mii« Alice AôL — Ariette, MH« Marguerite Templey. — M>»« de Ponti-
vott, M>l« Norris. — Théréze, MHe Marguerite Didier. — Maud,
Mlle Prince.
On commençait par La Consultation, comédie en un acte, de M. Léon
Dleppois.
Mlle Duluc était, dans le courant du mois de juin, remplacée par une
jeune comédienne MUo Reynal, qui jouait avec beaucoup d'intelligence
le rôle de Margot de Cœur de moineau.
Mlle Diéterle sera vers la lin d'octobre, suppléée, dans le rôle d'Huguette,
parM'ie Clairville, déjà souvent applaudie aux Fulies Dramatiques.
392 LES ANNALES DU THEATRE
les moinelles qui passent, prompt à les poursuivre
comme à les quitter... Ce n'est, d'ailleurs pas un
méchant moineau, mais un moineau inconscient qui
a la plume sensible... » Claude est l'amant d'une
gentille actrice des Variétés qui l'adore, malgré
son inconstance, et sait qu'il lui revient toujours.
Et pourtant voilà que, pendant une soirée mon-
daine à laquelle Margot prête son concours, il a
revu une jeune fille de province, Huguette, avec
qui, l'été précédent, à Cabourg, il a quelque peu
flirté. Huguette n'a dès lors jamais cessé de penser
à lui, et c'est elle qui ramène à Paris ses parents,
M. et M»"^ de Ponti^on. Claiide est très flatté de se
savoir aimé, mais il tient à déclarer lui-même aux
parents qu'il n'est pas libre, qu'il n'a aucunement
l'intention de se marier, n'empêche que de plus en
plus touché par les paroles de M. et de M"*® de
Pontivon qui lui découvrent les sentiments de leur
fille, il leur demande — inconsciemment — la main
de M"*' Huguette ! Pauvre Margot ! Elle ne songe
même pas à lutter; elle tient à laisser à Claude un
gentil souvenir de leur liaison, et bravement, elle
se sacrifie. — « Sois-lui au moins fidèle! » se
contente-t-elle de lui dire, et lui de répondre en
sanglotant : « Jamais je ne pourrai ! » Le mol
n'est-il pas joli? Nous retrouvons le jeune ménage
en pleine lune de miel sur la Côte d'Azur. Est-ce à
dire pourtant que ne s'éveille point parfois le moi-
neau que Claude a dans le cœur ? Ah ! que si !.. .
Mais s'il s'est laissé aller à dire de trop douces
paroles à M'"® Lemercier, la femme de son ami ;
s'il a permis à la soubrette Ariette de glisser dans
THEATRE DE l\tHENÉE SqS
sa poche la clef de sa chambre ; s'il a serré la main
de Nadia, Tincandescente femme du bretteur Mar-
tignac, cela ne tire pas à conséquence : il n'aime
que son Huguette, et la preuve en est qu'il la
presse tendrement contre son cœur, tandis que
sous le ciel étoile, un chanteur napolitain dégoise
d'entraînantes sérénades... Ah! la belle nuit
d'amour ! Ah ! le charmant baisser de rideau du
second acte qui décida du très vif succès de la spi-
rituelle comédie de M. Artus ! Claude aime sa
femme, je vous dis... Pourquoi faut-il que très
tenace, Nadia vienne le relancer jusque chez lui,
pendant une absence d'Huguette ? Pourquoi faut-il
aussi qu'il ait revu Margot? Celle-là est dans sa
chambre, qui l'attend; celle-ci est dans ses bras,
quand survient Huguette. Celte fois, c'en est trop:
un bon divorcé sera la juste punition du mari
volage. Un divorce? Allons donc! Est-ce que
Claude ne saura pas prouver à Huguette, non par
des paroles, mais par un silence infiniment plus
éloquent, qu'il n'a jamais cessé de l'aimer ? Huguette
pardonne. Et les voilà remis ensemble, pour le
moment du moins^ car qui pourrait prévoir l'avenir
avec un pareil « cœur de moineau »? M. Louis
Artus nous a donné là une savoureuse élude de
caractère, traitée avec une infinie délicatesse, et je
ne saurais trop insister sur la formé originale et
personnelle de son dialogue. Sa très jolie comédie
n'a rien perdu pour avoir quelque peu attendu.
Elle a trouvé dans M. Brûlé — ce Claude à l'âme
de moineau qui s'éprend de toutes les femmes et
dont toutes les femmes s'éprennent — un interprète
394 LES ANNALES DO THEATRE
du plus rare talent. Pourquoi la Comédie-Fran-
çaise ne s'attache-t-elle pas immédiatement ce ravis-
sant jeune premier : un délicieux Valentin A' Il ne
faut jurer de rien? M. Brûlé était, d'ailleurs, on
ne peut mieux secondé par M^'® Duluc, très tou-
chanteMargot ; par M"« Diéterle, très adroite et très
gentille Huguette; par M"® Bignon, séduisante
Nadia; par M. Bullier, de naturel parfait dans
remploi de raisonneur.
12 MAI. — Matinée organisée en Thonneur de
Gustave Flaubert pour le rachat du pavillon de
€roisset*.
17 ET 23 MAI. — Deux concerts dirigés par
M. Reynaldo Hahn. Œuvres de Lulli2 et de Ra-
meau 3.
3o JUILLET. — Centième représentation de Cœur
de moineau,
20 SEPTEMBRE. — M. Abcl Dcval fêtait fort heu-
reusement la rentrée des créateurs • de Cœur de
moineau^ la très jolie pièce de M. Louis Artus,
1. — Une causerie de M. Hugues Le Roux précédait des lectures
faites par MM. Mounet-SuUy, Silvain, Coquelin aîné, Grand, et par
M'"" I^ouise Silvain, Rose Syma, Lucienne Dorsy. Un air de Salarambô
était chanté par M«»>« Jeanne Raunay, et une poésie inédite de M. Fau-
chois était dite par M"» Jeanne Delvair.
2. — Thésée (prologue des vieillards et des nymphes); Athys (scène
du sommeil, air, scène de la métamorphose); Isis (scène des enfers, trio
des frileux) ; Cadmus (scène guerrière, scène champêtre) ; Proserpine
(chœur de l'écho); Armtde, air de Renaud). Mme» Raunay, Mathieu
d'Ancy, Brohly; MM. Périer, Daraux, Plaraondon, Fragson et Bernard.
3. — Castor et Pollux, fragments du prologue et du deuxième acte.
Les Indes galantes^ trois pièces pour clavecin ; Hippolyte et Aricie,
grande scène de Thésée, fragments des fêtes d'Hébé (airs, chœurs, airs
de ballet). MH" Lindsay, de l'Opéra, et Jeanne Leclerc; M.VI. Louis
Diémer, Delmas, de l'Opéra; Daraux, Plamondon.
THÉÂTRE DE l'aTHÉNÉE Sgb
dont la vogue avait bravement traversé tout Tété.
Et c'était pour la critique une joie de réapplaudir
au succès de M''^ Diéterle — Huguette si fine
qu'elle le paraissait presque trop ; — de M"^ Du-
luc, charmante et touchante délaissée; du jeune
Brûlé, l'exquis amoureux que la Comédie-Française
se décidera peut-être à appeler à elle, quand, ayant
déjà mûri, il ne sera plus l'idéal Fantasio que
nous donnerait aujourd'hui une piquante reprise
du Chandelier de Musset.
3o NOVEMBRE. — Première représentation dç
Triplepatte, comédie en cinq actes de MM. Tris-
tan Bernard et André Godfernaux*. — Nous at-
tendions avec curiosité la première « comédie » de
M. Tristan Bernard, que ses qualités d'observa-
tion, de finesse et d'humour avaient depuis long-
temps placé au premier rang des auteurs gais.
Jusqu'alors il n'avait commis que des vaudevilles,
tels que l'Affaire Mathieu et la Famille du bros-
seur^ plus un petit chef-d'œuvre de joie, Y Anglais
tel quon le parle. Mais cet extraordinaire fantai-
siste, ce génial pincc-sans-rire, se devait — nous
devait — d'écrire une œuvre théâtrale dans la
formule de son Mari pacifique où de ses Mé-
1. Distribution. —Vicomte de Houdan, M. Lévesque. — M. Herbelier^
M. BnUier. — Boucherot, M. Leubas. — Le docteur, M. Baudoin. —
Comte d'Avron, M. Lefaur. — Baude-Boby, M. de Ségus. — Le maire,
M. Ramy — Carolus, M. Bressol. — Baronne Pépin, MH«Am<7. Leriche. —
Yvonue, Al"» Diéterle. — M»»» Herbelier, M»» Caumont. — Comtesse de
Trèvecœur, M'ie Aél. — Dolly, Ml'» Templey. — Giberte, M"» Prince. —
M"»o Gaudin, M»'» Norris.
A la fin du mois de décembre, Triplepatte était précédé du Captif,
un délicieux petit acte de M. Tristan Bernard, primitivement joué aux
Mathurlns, et remplaçant sur l'atiiche de l'Athénée le Négociant de Be-
sançon, du même auteur.
396 LES ANNALES DU THEATRE
moires (T un jeune homme rangé. La tentative a été
faite : elle a brillamment réussi. J'en constate ici
le succès, malgré quelques longueurs qui ont, par-
ticulièrement au quatrième acte, arrêté le public
dans son élan joyeux. Mais ces défauts pourront
être rapidement corrigés, et cette comédie « sé-
rieusement bouffonne », rendue plus alerte, sera
longtemps applaudie de tous ceux qui apprécient
le talent, et surtout le talent personnel. Si nous
considérons cette pièce au point de vue <( métier »,
elle nous apparaîtra, sinon toute nue, du moins
habillée d'étoffes rares et légères. II y a un sujet
tout petit, tout petit, et il semble que dans le cou-
rant de ces cinq actes, l'auteur se soit refusé de
parti pris à y introduire la plus minuscule com-
plication. Cela ne vit que par le détail, l'épisode,
l'imprévu, — et parmi cette orgie d'imaginations
d'à-côté, il est des fantaisies vraiment folles, irré-
sistibles : entre autres une inénarrable partie de
poker au cours d'une soirée, pendant que du sa-
lon voisin on entend les... rugissements d'une
chanteuse mondaine. Il y a bien là une très jolie
satire de la vie parisienne, égratignure sans mé-
chanceté, à fleur de peau qui donne la marque
juste de Tristan Bernard : il consent à faire rire, —
il serait désolé de faire de la peine à quelqu'un.
Ah ! mon Dieu, l'histoire est des plus simples : le
vicomte de Houdan est un oisif de bonne famille
qui a mangé sa fortune avec les femmes, au jeu
aussi, en faisant courir : il a même eu un cheval
qui Ta rendu célèbre, un canasson qui arrivait ré-
gulièrement bon dernier, à la cravache I Ce che-
THEATRE DE l'aTHÉNÉE 897
val s'appelait Triplepatte : ce nom devint un sur-
nom et passa de la bête au propriétaire. Triple-
patte est un indécis, un faible. Prendre une déci-
sion lui est plus que pénible : de sorte que, comme
il suit l'avis de tous, obéit aii dernier qui parle, il
appartient à tout le monde. C'est une forme d'irré-
solu. Or, la baronne Pépin veut le marier, enragée
marieuse ; Tusurier Boucherot veut le marier,
créancier désireux de rentrer dans ses fonds ;
]y{me Herbelier, aimable parvenue, veut le marier^
mère prévoyante et désireuse d'avoir un gendre
qui descend des croisés. Malheureusement Triple-
patte a une maîtresse, la jolie DoUy, dont il ne
peut se résigner à se détacher ; de plus, il s'est
engagé envers l'américaine famille des Trèvecœur
à épouser leur fille... qui n'a que six ans. 11 a en-
core douze ans à attendre ! Et voilà notre vicomte
tiraillé entre ses désirs et ses craintes, d'une part
retenu par ses attaches ou ses serments, de l'autre
encouragé par l'enragée marieuse ou l'usurier qui,
pour être remboursé un jour, vise la dot des Her-
belier. Se mariera-t-il ? Ne se mariera-t-il pas ?
C'est le « baiserai-je, papa ? » de Molière. Cette
irrésolution se dessine à l'acte de la présentation
au bal, se précise dans la garçonnière du vicomte,
où il est relancé par sa fiancée de six ans dont
la mère, pour empêcher un mariage scandaleux,
fait enlever les habits du marié par son. valet de
chambre, — atteint son paroxysme à l'acte de la
mairie où, après avoir fait « poireauter » le maire,
ses témoins, ses invités, Triplepatte, que ramè-
nent l'usurier et la baronne, arrive en pyjama et
SgS LES ANNALES DU THEATRE
en pantoufles, mais... ne se décide pas à pro-
noncer le « oui » sacramentel. Grand scandale qui
se termine à l'acte suivant, plus banal, où, en une
scène prévue, le fiancé récalcitrant s'aperçoit que
la jeune Yvonne Herbelier fera une femme exquise.
Le personnage très important de Triplepatte a élé
confié, un peu inconsidérément, à M. Lévesque,
qui fut un excellent « curateur au ventre » dans
V Enfant du miracle^ mais qui n'a point paru avoir
ni le physique, ni les moyens de supporter un
rôle aussi écrasant. 11 y a néanmoins fait preuve
de quelques qualités qui eussent été mieux en va-
leur dans des compositions plus pittoresques v{
de second plan. Que Noblet eût été charmant en
Triplepatte ! M. Bullier a dessiné une bien amu-
sante silhouette de maître de maison qui, mourant
de sommeil, essaie de persuader à ses invités
d'aller se coucher. Et j'aime beaucoup le dialogue
incisif de M. Lefaur, au jeu spirituel. MM. Bau-
doin, en médecin mondain, Leubas, en usurier
inquiet, sont de belle tenue. Nous avons admiré
de nouveau l'aisance et la perfection de physiono-
mie, de gestes, de la très intelligente Augustine .
Leriche, qui se prodigue en impayables efl^are-
ments ; M"® Diélerle est très jeune fille, mignonne
et timide à souhait : c'est vraiment une ravissante
comédienne. Et M"'® Caumont, plaisante, bien
qu'un peu grimacière, a contribué au plaisir de la
soirée. Le reste de la troupe, composée pour la
plupart d'inconnus, constitue un ensemble des
meilleurs obtenu par des efforts bien compris
et un travail assidu... Le succès de Triple-
THEATRE DE l'aTHÉNÉE 899
patte passera par-dessus Tannc^e, résumée dans
le tableau suivant^ pour faire les beaux jours de
ran 1906. . .
Chiffon^ comédie
Vn Négociant de Besançon, comédie. . . .
*La Petite Milliardaire ^ comédie fantais.
""Nelhe Moray, comédie dramatique
*La Consultation, comédie
*Cœur de Moineau, comédie
* Séduction, comédie
*Triplepatte, comédie
*Le Captif, comédie
NOMBRE
d'actes
DATE
delà
lr« représ.
ou de la
repcis»
24 févr.
27 avril
27 avril
5 mal
5 juillet
30 nov.
26 déc.
NOMBRE
de
représent.
pendant
Tannée
62
147
73
5
79
232
172
38
THÉÂTRE DES FOLIES-DRAMATIQUES^
L'année avait commencé avec le gros succès de
Madame VOrdonnance de M. Jules Chance!, dont,
le i3 mars, on fêtait la centième représentation.
Le 17 mai, on donnait les Millions de Zizi ^, folie-
opérette en trois actes et quatre tableaux, sans
nom d'auteur, — qui était encore plus une folie
qu'une opérette. Les Millions de Zizi apparte-
naient à la vieille famille de ces pièces où des gens,
partis à la recherche d'un trésor, vous entraînent
à travers les régions les plus bizarres et dans les
aventures les plus extravagantes. Il y avait de tout
là dedans, et il vous suffira de savoir que l'un des
|)rincipaux tableaux de cette folie était joué par
des singes ou des clow^ns. C'était la pièce d'été
dans toute sa beauté ou dans toute son horreur.
L'interprétation était très homogène, en ce sens
qu'il ne s'y trouvait pas d'étoile. Citons M. Mario
Deblair, qui était' drôle, et W^^ E. Gauthier, qui
était gentille.
1. — Directeur : M. Richemond; administrateur-secrétaire général
M. Roger Debrenne.
2. Distribution. — Mn>« Polochon, M. Mario Deblair. — Paincuit,
M. Prévost, — Docteur Blog, M. De Ségus. — Crockitt, M. Roulant. —
Bertin, M. Albouy. — Cassebuche, M. Rousseau. — Lardier, M. Six. —
Un visiteur, M. Raoul. —Zizi, MU» B. Gauthier. — Miss Mary, W^» Del-
may. — Pip singe, Tom, Sam, John, Garçons livreurs, Policemen,
Gardes, Singes, Maçons, Les Omers.
ANNALKS DU THÉÂTRE 2G
402 LES ANNALES DU THEATRE
Dès le 3i mai, Madame VOrdonnance avait
déjà reparu sur Taffiche, en attendant la reprise,
à la date du lo juin>.d'f//ig nuit de noces y inter-
prétée par les artistes qui, Tannée précédente,
avaient créé les principaux rôles de la joyeuse
folie de MM. Henri Kéroul et Albert Barré*.
C'est avec Une nuit de noces que le théâtre fer-
mait au commencement de juillet ; c'est encore
avec Une nuit de noces qu'il rouvrait le i®' sep-
tembre.
2 2 SEPTEMBRE. — Reprise du Billet de loge-
ment, vaudeville en trois actes de MM. Antony
Mars et Henri Kéroul 2, dont le 6 novembre, on
donnera la 6oo«* et dernière représentation.
9 NOVEMBRE. — Première représentation de
Volcan d'amour, vaudeville en trois actes ^. — Le
1. — MM. Milo, Bouchard, Modot, M'^** Marcelle Yrven, Caumoni.
2. Distribution. — Labourdette, M. Matrat. — Moulard, M. Milo. —
Ghampeau, M. Bouchard. — Commandant de Mongiron, M. Derval. —
Dingois, M. Modot. — Lieutenant Fré ville, M. Albouy. — Maloisel.
M. Prévost. — Lardinois, M. Bernard. — Fillerin, M. O. Hous&eau. —
M»« Hèloïse, M»e Aug. Leriche. — Paulette, M»« Mylo d'Arcyle. —
Mme Dingois, M»» Marcelle Vrven. — Pauline, M"« Clairville. —
Veuve Martin, M»» Delagrange. — M»»» Savoureau, M"» Divonne. — Ro-
salie, Mlle Delmay. — M«»e Godet, M»» Lefrançois.
3. Distribution. - Mathurin, M. Matrat. — Mulot, M. Milo. — Pierre,
M. Rouvière. — Coutelas, M. Prévost, — Poche, M* Bouchard. — Lepao-
tois, M. Modot. — Frumence, M. Gravier. — Hector, M. Albouy. — Cer-
voise, M. Borval. — Eloi Copin, M. Alary. — Barnum, M. Léonce. —
Samboul, M. Rousseau. — La Sophie, M"« Ouitty. — Simone, MHe Mar-
celle Yrven. — Joliette, M^e Clairville. — Aouda, M»» Demay. — Blan-
che, M"» i^aynaZ. — Catherine, M"» Delagrange.— Cé\es\e^ W^^ Divonne.
— Clarisse, M'i» Lefrançois. — M"»» Triquet, M'ie Delorme.
M. Richemond avait, quelques jours avant la représentation, adressé
à la presse ce communiqué un peu inattendu : « La pièce qui succédera
au Billet de logement est un vaudeville en trois actes, intitulé Volcan
d'amour, dont l'auteur est. . . Le Matin. » Que signitiait cette plaisan-
terie?... Voici : le directeur des Folies-Dramatiques n'ayant pu renou-
THEATRE DES FOLIES-DRAMATIQUES 4o3
bruit exagéré qui avait été mené autour de la pièce
nous faisait présager une soirée féconde en agréa-
bles surprises. Il y eut bien surprise, mais elle ne
fut pas agréable. . . Madeleine Guitty se promène
à travers ces trois actes en disant : « Je suis une
erreur judiciaire »• Mettons que ceci est une erreur
tliéâtrale, et n'en parlons plus. Ou plutôt, si, par-
lons-en, puisque notre devoir est de le faire. Mais
vêler son traité avec la Société des auteurs, rétive au trust des théâtres,
«vait été mis en interdit par celle-ci, — les membres de la Société des
auteurs ne pouvant désormais faire représenter leurs œuvres sur cette
scène. Le Âfatin rouvrait la question en se substituant aux auteurs mis
«n interdit. L'auteur du Volcan n'était pas le Matin; mais le Matin,
en se substituant à M. Michel Carré, l'auteur véritable, d'accord avec lui,
avait l'intention d'ouvrir un nouveau procès concernant cette question
des trusts. Il publiait d'abord une lettre de M. Richemond racontant
l'impossibilité dans laquelle il se trouvait déjouer la pièce de M. Michel
Carré, membre de la Société des auteurs ; puis il ajoutait : u Puisque
M. Michel Carré est rayé du nombre dés auteurs pouvant se faire jouer
«t que sa pièce n'existe plus par ordre du trust des auteurs, nous pre-
nons son titre, nous autorisons M. Richemond et le théâtre des Folies-
Dramatiques à représenter la pièce du Matin intitulée Volcan d'amour.
Cette pièce sera l'œuvre de la section théâtrale que crée aujourd'hui le
Matin et qui continuera dans l'avenir à donner des pièces auî^ théâtres
en lutte avec le trust. La section théâtrale du Matin, sera, comme toute
sa collaboration, anonyme. Inutile de dire que le Matin ne percevra
aucun droit d'auteur pour lui ; ce sera simplement un nouveau service
qu'il cherche modestement à rendre â la cause de la liberté du théâtre. »
Volcan d'amour fut, d'ailleurs, la première et dernière pièce signée par
le ^If^an'n, dont l'initiative n'eut aucune espèce de suite... Ajoutons,
qu'à propos de la représentation de Volcan d' Amour ^ au théâtre des
Folies-dramatiques, et des regrets exprimés par M. Michel Carré, l'au-
teur de cette pièce, la commission de la Société des auteurs et composi-
teurs dramatiques, écartant la pénalité de l'exclusion, décida de sou-
mettre son cas à un arbitrage. M. Michel Carré désigna M. Paul Bilhaud
pour son arbitre, et la commission M. Paul Oavault. Tous désignèrent
ensuite M. Marcel Prévost pour tiers arbitre. Tous trois tombèrent
d'accord pour que l'auteur délinquant versât à la caisse de la Société le
total de ses droits d'auteur de Volcan d'Amour calculés sur le pied de
douze pour cent, qui avaient été déposés, par les soins de M. Riche-
mond, A la Caisse des dépôts et consignations, en attendant la solution
du conflit, et en outre qu'il payât, â titre d'amende, la somme de
0.000 francs, maximum de la pénalité prévue par l'article il des statuts.
Ainsi se réglait cette affaire qui avait fait grand tapage.
4o4 LES ANNALES DU THEATRE
étonnons-nous d'une inexpérience qui ne peut s'ex-
pliquer que par une collaboration anonyme et irres-
ponsable. .11 nous semblait que les scènes avaient
été mélangées dans un chapeau et tirées au hasard
par la main de l'innocence. L'action se déroule
aux environs de Caen, exclusivement entre paysans
normands, dont nous dûmes subir le patois de
neuf heures à minuit. Histoire lamentable que celle
de ce paysan, volcan d'amour, qui cherche en vain
à érupter, et qui, pour faciliter ses fredaines ne
trouve rien de mieux que de prier son ami intime
de le faire cocu. Et puis ? Mon Dieu, c'est à peu près
tout... Ajoutez un amoureux naïf qu'on surnomme
M. Puceau, un épicier amant d'une femme à barbe,
une aimée, une danse du ventre, un âne, un co-
chon vivant qui crie, et vous avez une idée de la
sauce qui n'a pas pu nous faire avaler le poisson.
Décidément, comme dit M. René Bures, du Matiriy
le métier d'auteur dramatique est « un abominable
métier », surtout quand la somme de tant d'efforts
aboutit à un si piètre résultat. La vaillante troupe
des Folies a donné avec autant d'ardeur que si
elle combattait pour une bonne cause. Sans la
conscience admirable de MM. Matrat, Milo, tou-
jours pittoresque, Bouchard, Bouvière, Prévost,
Gravier, Modot, et de M™®^ Madeleine Guitty, épi-
que femme à barbe; Yrven, admirable Rubans,
Clairville et Delmay, l'éruption de ce Volcan
d'amour^ qui confinait au grandiose d'un mont
Pelé, n'aurait peut-être pas été jusqu'au bout.
21 DÉCEMBRE. — Première représentation à' Une
Veine de, , , vaudeville en trois actes de MM. IL
THEATRE DES FOUES-DRAMATIQUES 4o5
Kéroul et A. Barré*. Après Taventure tristement
célèbre de Volcan d'amour ^ le trust prenait sa re-
vanche. La nouvelle folie des auteurs de la Nuit
de noces et du Chopin réussissait au delà même
de ce qu'en avaient espéré les amis de MM. De val
et Richemond. Il ne nous appartient pas de discu-
ter à quel point, après ce franc succès, l'expulsion
de MM. Kéroul et Barré hors de la Société des au-
teurs dramatiques demeurait opportune. Notre de-
voirs^ se borne à constater que le public éprouvait
le plus grand plaisir au spectacle de cette bouffon-
nerie,. L'aventure avait pourtant des Coins de co-
médie légère qui en rehaussaient la saveur. Le
point de départ avant tout était charmant. Bacho-
îet, architecte^ et son ami, Fernand, chef de bu-
reau au ministère, sont mariés à deux femmes
exquises, Alice et Raymonde. Ces deux épouses
modèles adorent leurs maris, lesquels luttent vai-
nement contre une guigne noire. Rien ne leur
réussit! Durant une villégiature à Cabourg, ils ap-
prennent l'un que la place de conseiller d'Etat
qu'il guettait va lui échapper au profit d'une sim-
ple nullité, l'autre qu'il manque sur une vente de
terrain un bénéfice de quarante mille francs. En
vérité, c'est le comble de la déveine. Sur ce, Alice
1. Distribution. — Cavaillon, M. Matrat. — Bacholet, M. Milo. —
Gaston, M. Deschamps. — Fernand, M. Roupière. — Nadir, M. Prévost.
— Van Brick, M. Moçlot. — Léon, M. Gravier. — Laverdière, M. Derval.
— Paul, M. Alhouy. — Badinet, M. Rousseau. — Antonin, M. Fretel. —
Françcfis, M. Judicis. — Le muet, M. Michaux. — Le vicomte, le petit
Philippe. — Raymonde, M"» Louise Bignon. — Lelia, M*'» Yrven. —
M"« Auguste, M"« Guitty. — Alice, M'i» Raynal. — Léontine, MUe Del-
may. — M»» Capoulade, Mlle Divonne. — Gudule, MU» Cavaletti. —
Mn>« pommier, Mii« Delagrange. — Julienne. Mii« Jackminn. — La nour-
rice, M» Leroy.
4o6 LES ANNALES DU THEATRE
apprend que celui qui sera conseiller d'Etat à la
place de son cher mari est trompé par sa femme
à bouche que veux- tu. Le proverbe « avoir une
veine de. . . cocu w n'est donc pas un vain dicton.
Si elle essayait — par amour ! — de tromper Ba-
cholet, pendant qu'Alice de son côté trompera
Fernand? — Oh! non! A quoi penses-tu là? Je
suis une honnête femme ! — Possible, mais aimons-
nous nos maris, oui ou non? — Oui. — Eh bien,
voilà assez longtemps qu'ils se donnent du mal en
travaillant pour nous offrir le luxe et le confort. A
nous de leur prouver maintenant notre reconnais-
sance.. — En les trompant ! — Puisque ça leur
sera utile ! Et puis nous ne ferons cela qu'avec le
premier venu. — Quelle horreur ! — Il faut que le
hasard préside à cette aventure, sans quoi le pro-
verbe n'aurait pas raison. Toi, tu tromperas Fer-
nawd avec le premier passant qui demandera du
feu à ton mari, — moi, avec le premier passant
qui laissera tomber sa canne. » Or, celui qui de-
mande à Fernand d'allumer son cigare est un
athlète de cirque, nommé Cavaillon, qui soulève,
d'une seule main, comme on ferait d'une plume de
paon, des poids de cent cinquante kilos. Celui qui
laisse tomber sa canne s'appelle Nadir :• c'est un
Turc, secrétaire particulier de Mouffetar-pacha. Et
voilà nos deux imprudentes fort empêchées ; bien
qu'elles espérassent mieux de leur première rencon-
tre, par amour pour leur mari elles iront jusqu'au
bout. Le second acte nous transporte à Caen, où
sous divers prétextes, tous les personnages se ren-
dent incognito, dans une chambre, ou plutôt dans.
THEATRE DES FOLIES-DRAMATIQUES l^O']
deux chambres d'hôtel séparées par un vestibule
que dessert au fond un escalier montant et descen-
dant. C'est exactement la même plantation que le
décor du deuxième acte de V Hôtel du Libre^
Echange, Seulement, au lieu de deux lits, cette fois
nous en avions trois. En vertu de ce principe qu'un
vaudeville avec un lit va deux cents fois, Fauteur
né malin qui en met deux ira quatre cents re-
présentations. Avec ses trois lits. Une veine de, . ,
ne quittera donc pas vraisemblablement Taffiche
avant dix-huit mois. N'attendez pas par exemple
que je vous conte par le menu ce qui se passe dans
ce second acte qui excita le rire d'une foule en dé-
lire, car j'estime que ces spectateurs joyeux ne
raisonnèrent point leur joie. .Qu'il suffise de savoir
que Raymonde, malgré sa bonne volonté, ne peut
se résigi»er aux. baisers de l'athlète, dont l'exagé-
ration des muscles l'effraie, et qu'Alice s'aperçoit
que Nadir n'est qu'un vulgaire gardien du sérail.
Dans cet hôtel les maris font la noce sans voir leur
femme, les femmes s'efforcent à la faire sans con-
naître la présence de leur mari. . . Et elles la font
en effet, la noce tant désirée, pas avec le lutteur
et le Turc, mais avec deux jeunes gens que le ha-
sard mit sur leurs pas et sous leur main : les sé-
duisants Laverdière et Gaston. Oh! pendant le jeu
de bouffonneries qui se passe au centre de la scène,
les jolis et gracieux tableaux, dans les chambres à
droite et à gauche, d'épaules décolletées, de bras
nus, de chevelures dénouées ! Le' vaudeville yit de
carambolages : celui-ci, un peu leste, nous en ofïVe
de toutes catégories. Et le troisième acte se défoule
4o8 LES AXXALES DU THEATRE
dans les flots d'une çaieté incohérente qui n'a rien
de désagréable. Bien entendu, les deux jeunes
amoureux sont tous deux en situation d'obtenir, Tun
la place de conseiller d'Etat, l'autre la vente des
fameux terrains, et cela comble de joie les maris
trompés, concluant d'un air triomphal : — « Déci-
dément, pour avoir de la veine, on n'a pas besoin
d'être cocu! » Là troupe des Folies-Dramatiques
avait vaillamment contribué au succès en un excel-
lent ensemble. Ce genre de folie doit être joué en
fous, dans un mouvement qui suppriine la réflexion.
Nul n'avait le loisir de réfléchir, et l'on applaudissait
Matrat, épique Cavaillon, Milo (Bacholet) habile à
varier la composition de ses rôles, Modot, Rou-
\ière, Prévost. Une mention spéciale pour les deux
jeunes amoureux, Derval (Laverdière) très en pro-
grès, et un quasi-débutant. Deschamps (rôle de
Gaston) très adroit, gentil comédien, élève, paraît-
il, de M. Le Bargy, élève « personnel », ce qui est
rare. M™®* Louise Bignon et Raynal étaient char-
mantes en épouses coupables. Nous avions admiré
en costume de bain les. . . cuisses de RP'® Yrven,
et regretté que Texcellente Guitty n'ait qu'à dessi-
ner un personnage épisodique.
THEATRE DES FOLIES-DRAMATIQUES
409
Madame l'Ordonnance, vaudeville.
Monsieur Musard, comédie
*L«s Millions de Zizi, folie-opérette
*L'Ame sœur, vaudeville
Une Nuit de noces, vaudeville
Expresse- Union, vaudeville
Le Billet de logement, vaudeville . .
* L'Hôtel Godet, vaudeville
* Volcan d'amour, vaudeville
, * Un Fiacre -S. V. P., vaudeville
*Une Veine.de..., vaudeville
* Un Constat, vaudeville
DATE
NOMBRE
NOMBRE
delà
de
!'• représ.
représent.
d'actes
ou de la
pendant
reprise
l'année
3
»
157
1
»
150
3 a. 4 t.
17 mai
14
1
19 mai
29
3
10 juin
50
1
18 juin
43
3
22 sept.
55
1
22 sept.
55
3
9 nov.
45
1
10 nov.
45
3
21 déc.
4
1
26déc.
4
THÉÂTRE DES BOUFFES-PARISIENS
De puissants appels avaient été adressés aux
poètes, et de grandes réunions avaient eu pour
but — le cas était, hélas ! urgent — de soutenir,,
de sauver au moyen de bienfaisantes souscriptions
le (( théâtre des poètes » : c'est des Bouffes-Pari-
siens qu'il s'agissait. . . A quoi avaient abouti ces
nombreux pourparlers, ces solennelles assemblées
où furent prononcés tant de discours inutiles ? A
la représentation — je n'ose dire d'un vaudeville^
— mais d'une comédie en bonne et saine prose,
dont le succès eût dû tirer définitivement d'af-
faire le sympathique Armand Bour, peut-être im-
prudemment embarqué sur la galère de M. Catulle
Mendès. Qu'est-ce que les Mer 1er eau de M. Geor-
ges Berr*, donnés le 19 janvier? Une pièce gaie.
1. Distribution. — Ernest Merlereau, M. Huguenel. — Pascal Merle-
reau, M. André Brûlé. — Gourgançon, M. Barrai. — M. de Graissac,
M. Collin. — Un clerc de notaire, M. Ville /ils. — Morvillette, M. Béné-
dict. — Benjamin, M. Hivers. — Gréalou. M. Six. — Blequencourt,
M. Pradaly. — M. Brousse, M. Edmond. — PrairoIIes, M. Schaeffer. —
M"»» Merlereau, M»» Dux. — Jeannine de Brécy, MH» Demarsy. — FJî-
pote, Mn« Léonie Dallet. — Simone, M^e Bertile Leblanc. — Louies^
MU* Maud Harvet. — Ninon, M»» Darling. — Tante Elisabeth, M»* Ar-
nous-Rii'ière. — Zoé, Ml'c Giosz,
Les Merlereau étaient précédés iVAnne la Simple, farce en un acte,
en vers, de M. Maurice Âllou, ainsi distribuée :
Thibault, M. Bénédict. — Jehan Blondel, M. Schaeffer. — Théophile,
M. ynié fils. — Bernard, M. Keyssler. — Frère Rose, M. Bertrand. —
Anne, MH« Bertile Leblanc.
i
4l2 LES ANNALES DU THEATRE
sentimentale par endroits, voire même attendris-
sante, qui n'est pas dénuée d'analogie avec la
triomphante Madame Flirt (M. Georges Berr
avait alors pour collaborateur son ami Paul Ga-
.vault), qui faillit s'éterniser sur l'affiche de l'Athé-
née. M. Merlereau, le riche propriétaire d'un châ-
teau historique aux environs de Nantes, vit heu-
reux entre sa femme et son fils Pascal, bientôt en
âge d'être marié. Lé bonheur de Merlereau serait
tout à fait complet, si Pascal, qui ne songe qu'à
l'étude, voulait bien consentir à être un peu moins
sérieux. Pour le moment, la grande préoccupation
de Pascal est d apprendre aux enfants du pays
l'histoire de France et la géographie au moyen de
leçons chantées, et rien n'est plus drôle que de les
entendre réciter leurs chefs-lieux de départements
sur un timbre du Caveau et de voir une de cesr pe-
tites filles attaquer le règne de Louis XV en dansant
le plus comiquement du monde une pavane du
temps. Vraiment cela ne peut durer ainsi, et Mer-
lureau décide que Pascal ira faire la fête à Paris,
où le pilotera dans les plus joyeux endroits le vieil
ami Gourgançon, viveur endurci. On va jusqu'à
emmener la bonne, Flipote, qui, elle, ne demande
qu'à marcher. Pascal se laisse faire : sa douce
fiancée Simone de Graissac n'a-t-elle point trouvé
elle-même qu'il était un peu grave ! . . . Tout le
monde veut qu'il fasse la noce : il la fera dans les
grands prix. N'apprenons-nous pas, en eflfet, qu'en
deux mois de temps les factures envoyées à papa
Merlereau se montent à la somme respectable de
37.660 francs 76 centimes... 11 va bien le petit
THEATRE DES BOUFFES-PARISIENS 4l5
Pascal, et Merlereau, jugeant que le moment est
peut-être venu de mettre le holà, accourt à Paris,
où il en apjprend de belles : son fils est resté le
jeune homme chaste et studieux qu'il était na-
guère, et sa vie se passe entre les bibliothèques et
les cours de la Sorbonne. C'est Gourgançon, le
fêtard, qui tirait à vue sur la caisse de Merlereau :
la preuv-e en est dans les bijoux dont il a gratifié
Flipote, devenue comtesse des Glycines. Merlereau
n'ose d'ailleurs pas les lui reprendre : Flipote est
si capiteuse ! Et le voilà pris lui-même dans l'en-
grenage, fortement aguiché par la toute charmante
Jeannine de Brécy, sottement dédaignée par son
fils. Il ne songe guère à retourner à Nantes : ne
vient-il pas d'offrir à Jeannine un hôtel de deux
cent mille francs, et il a tout à fait oublié sa
femme, quand celle-ci, inquiète de son fils, inquiète
de son mari, s'amène à Paris, flanquée de M. de
Graissac et de sa fille Simone. Pascal prend alors
pour lui les frasques de son père; Graissac les
trouve si fortes qu'il rompt avec son futur gendre ;
^jme Merlereau ne s'y trompe pas : elle a l'air de
croire, mais elle sait à quoi s'en tenir. Elle par-
donne à son fils ; en réalité, elle le remercie : ne
s'est-il pas chargé, au nom de JMerlereau, de rom-
pre avec Jeannine, à qui, comme compensation^
on laissera le petit hôtel. Elle est tien jolie vrai-
ment, la scène entre le père et le fils où Merlereau
s'exprime ainsi*: « 11 faut que jeunesse se passe...
On n'échappe pas à la loi du plaisir. Elle est im-
placable. Voilà pourquoi Graissac a tort de traiter
d'esprit léger un père qui veut que son fils.
r.f ""- "^
4l4 LES ANNALES DU THEATRE
«'amuse... Je ne me suis pas amusé, moi, Pascal.
A vingt ans, j'avais tes idées... Prends garde, à
'Cinquante, d'être prisipar les miennes. . . Amuse-toi. . .
Sinon, un jour, dans très longtemps, tu rencontre-
ras une Jeannine... Elle te fera mettre un costume
•de polichinelle, et tu feras la noce, cette noce
tyrannique à laquelle nous ne pouvons nous sous-
traire... Tout comme moi, tu te feras pincer, tu te
réveilleras entre une Simone vieillie et un grand
fils bien sage, et tu ne sauras plus du tout quelle
contenance prendre. Tu seras mortifié d'avoir
trompé la femme que tu aimes, et déçu d'avoir
quitté trop tôt celle que tu désires. Tu te seras
diverti trois semaines en faisant de la peine à tout
le monde, alors que tu pouvais t'amuser dix ans
sans faire de mal à personne. Tu ne connaîtras du
printemps et de l'été que Tarrière-saison, et le
rappel de ta jeunesse ne te laissera au cœur que le
désespoir de ne l'avoir pas vécue. Amuse-toi, mon
.garçon ! » Non seulement Pascal ne s'amuse pas
avant son mariage, mais nous craignons qu'il
n'amuse guère sa femme et qu'alors. . . Mais cela
le regarde, n'est-ce pas ? Et puis, si Merlereau
^'échappe piarfois de Nantes pour venir à Paris,
sonner à la porte de l'hôtel offert à Jeannine, nul
doute qu'il n'y soit*gentiment reçu... Sur une idée
paradoxale, M. Georges Berr avait écrit une comé-
die fine et délicate qui plaisait au public. En l'ap-
portant au directeur des Bouffes, M. Huguenet lui
faisait un cadeau dont il espérait bien être le pre-
mier à profiter. Le rôle de Merlereau avait tenté
l'excellent artiste en quête d'un pendant à sa déli-
THEATRE DES BOUFFES-PARISIENS 4^5
cieuse création du Secret de Polichinelle ; il s'y
montrait exquis de naturel et de bonhomie char-
mante. Il fallait tout le talent de M. André Brûlé
— il en a beaucoup — pour que le rôle du jeune
Pascal ne fût pas trop ridicule. Il le faisait accep-
ter tout entier, et jouait le troisième acte en vrai
comédien. M™® Dux avait, dans le personnage de
jyjme Merlereau, des trouvailles d'émotion contenue
et de douce mélancolie : cela était tout à fait bien .
M. Barrai était drôle en Gourgançon ;. M"® Demarsy
était une élégante et captivante Jeannine de Précy ;
M"® Léonie Dallet, amusante pince-sans-rire, une
Flipote de fantaisie originale...
10 FÉVRIER. — Première représentation à ce
théâtre de Cadet, Roussel^ comédie en trois actes,
en vers, de M, Jacques Richepin*, primitivçment
donnée par M. Armand Boùr au théâtre Victor
Hugo (Trianon), reprise ensuite à la Porte-Saint-
Martin par la direction Clèves et Clerget.
21 MARS. — Première représentation du Talis-
man (d'après Fulda), pièce en quatre actes, en
vers,, de M. Louis Marsolleau^. — Vous connais-
sez — qui ne connaît? — ce joli conte d'Andersen,
1. Distribution. — Cadet Roussel, M. Armand Bour. — Roussel
aîné, M. Bénédict. — Aude, M. Ville fils. — Le père Roussel, M. Six.
— Mathias, M. Charles Edmond. — 1er commis, M. Erné. — 2« commis,
M. Keyssler. — Delvaporine, M"* Suzanne Devoyod. — La Maillard,
Mlle Gina Barbieri. — Moriette, M»» Bertile Leblanc. — La mère flous-
sel, M'Je Gaillard.
2. Distribution. — Le roi Astolph, M. de Max. — Orfiz, M. Henry
Krauss. — Habakuk, M. Armand Bour. — Dioméde, M. Mitrecey. —
Maddalena, M»« Gina Barbieri. — Rita, MUe Bertile Leblanc. —
l*"* femme du peuple, Mi'« Foresta. — 2« femme du peuple, Mi'« Gaillard.
Le Talisman était précédé de Le Dernier rêve du duc d'Enghien,
pièce en un acte et en vers de M. A. de Gardilanne, ainsi distribuée :
4l6 LES ANNALES DU THEATRE
intitulé le Manteau de V Archiduc ? Un auteur
allemand, Fulda, en a fait une pièce, et d'après
lui, M. Louis Marsolleau a écrit en vers souples et
sonores les quatre actes applaudis aux Bouffes
sous le titre du Talisman. En voici brièvement le
sujet. — Il y avait une fois, dans Tfle de Chypre,
un roi nommé Astolph, qui méritait vraiment
d'être puni de son fâcheux orgueil de vilain tyràîl.
Dans ce but il vient, censément de la Ghaldée, un
nommé Orfiz qui, se disant tailleur, offre de con-
fectionner pour son souverain maître un habit
superbe que/ seuls, ne pourront voir les méchants
ou les sots. Or, cet Orfiz montre aux courtisans
un mannequin d'ébène .sur lequel il n'y a rien, ce
qui s'appelle rien. Et tous, de peur de passer pour
des sots ou des méchants, assurent qu'ils voient le
splendide vêtement qui, en réalité, n'existe point.
Le roi fait de même, déclarant qu'il paraîtra en
public habillé du riche costume. Il s'avance, en
effet, vêtu d'une simple chemise, et la foule de
pousser des cris enthousiastes, admirant la beauté
du costume tant vanté, les uns le trouvant du plus
beau rouge, les autres d'un délicieux bleu d'azur...
jusqu'au moment où une jeune fille s'écrie naïve-
ment qu'elle ne voit rien, qu'il n'y a rien... Le
doute ébranle le peuple qui désormais va discuter...
Le roi fait arrêter la misérable, coupable d'avoir
donné l'éveil, et fait charger le peuple qui ne veut
Henri, duc d'Enghien, M. Colin. — L'Aiglon, M. Pradaîy. — Marquis
de Thumery, M. Six. — Baron de Grunstein, M. Edmond. — Schnaidt,
M. Kessler. — Le colonel Chariot, M. Schœjfer. — Le serviteur, M. Le-
roux. — Charlotte, princesse de Rohan, M'i« Bertile Leblanc. — Prin-
cesse de Carignan, M"« Darling. '
THEATRE DES BOUFFES*PARISIENS l\l^
plus voir ce qui n'est pas^ En rentrant seul en son
palais, le roi Astolph se heurte à des cadavres...
Les mécontents ont un chef : c'est le favori même
du roi, et sans le dévouement d'une femme envers
laquelle il se montra pourtant, bien cruel, Astolph
serait lâchement assassiné ! Alors il écoute celle
qui l'a sauvé et rend la liberté à la jeune fille que,
pour sa franchise, il avait condamnée à mort.
Désormais, il sera plus qu'un roi, il sera un homme.
Y avait-il en ce conte, bon à insérer dans les Lec-
tures pour touSj le sujet d'une pièce capable d'at-
tirer les foules en un théâtre qui avait tant besoin
d'un véritable succès? Nous n'osions l'affirmer. . .
Toujours est-il que M. de Max se montra puissant
et terrible dans le rôle du roi, que M. Henry
Krauss fit une figure originale de celle d'Orfiz, que
M"®Bertile Leblanc eut de la grâce en la jeune fille
trop franche, et M"® Gina Barbieri de la force en
la femme dévouée ; qu'enfin, non content de créer
avec beaucoup de pittoresque un rôle de vannier
brusquement élevé à la dignité de duc par la vo-
lonté royale, M. Bour avait remarquablement mis
en scène la poétique fantaisie de M. Marsolleau.
Après avoir donné avec le concours d'artistes de
choix quarante-cinq matinées de poésie et de mu-
sique, M. Armand Bour essayait des répétitions
publiques d'oeuvres inédites. C'était, le 17 avril,
Phyllisj tragédie en cinq actes de M. Paul Sou-
chon, musique de scène de M. Emile Vuillermoz*.
1. Distribution. -- Démophon, M. Hervé,— Thoas, M. Henry Perrin,
— Cléonte, M. Colin.— Phyllis, M«i« Jane Famés.— Ghariclée, M"» Fo-
retta. — Une suivante, MUa Qallot.
ANNALES DU THEATRE ^7
4l8 LES ANNALES DU THEATRE
Puis, le 21 avril, le public du vendredi saint as-
sistait à la représentation avec décors et costumes
de JésuS'Christ, sélection de poésies de Victor
Hugo, interprétées par M"® Berthe Bady , MM. Henry
Kraus, Armand Bour, Rameil et Hervé — précédés
d'une éloquente conférence de M. Robert de Mon-
tesquiou. Notons, avant d'enregistrer ici la fin de
la direction Armand Bour*, la série de représen-
tations que vint donner, dans la salle des Bouffes-
Parisiens, M™^ Yvette Guilbert. La célèbre chan-
teuse « fin de siècle » adoptant le style Pompadour
et coiffant la perruque poudrée à la maréchale,
pour nous dire, exquise marquise de Lancret, ac-
compagnée au clavecin, des chansons du dix-hui-
tième siècle, voilà qui aurait dû piquer au plus haut
point la curiosité parisienne . . . Depuis plusieurs
années déjà, Tintelligente artiste s'était faite coU
lectionneuse d'antiquailles inédites; il était juste
qu'elle nous invitât à goûter les fruits savoureux de
ses patientes et laborieuses recherches ; c'était un
bien curieux répertoire, délicieusement unique,
qu'elle s'était ainsi constitué. Vous ne sauriez croire
avec quelle merveilleuse souplesse l'incomparable
diseuse avait opéré la très hardie métamorphose de
son vigoureux talent ; avec quelle grâce spirituelle
elle détaillait ces ravissants couplets d'autrefois ;
avec quelle pureté de goût elle avait adroitement
encadré sa jolie tentative, et s'était choisi comme
1. — Des mains de M. Armand Bour le théâtre devait passer en celles
de MM. Monza et Darcourt. Puis, on annonçait qu'une Société anonyme,
qui s'était constituée pendant une période de quinze années, devait
prendre possession du théâtre le 1«' juillet suivant.
THEATRE DES BOUFFES-PAJIISIENS 4l9
collaborateurs d'aussi précieux virtuoses que
]\Iiie Marguerite Delcourt^ reine du clavecin, que
M. Nanny, un contrebassiste comme il n'en existe
guère, que les trois Gasadesus jouant avec une rare
perfection du quinton, de la viole d'amour et de la
viole de gambe : tout un ensemble d'instruments
anciens, à qui la diva, fine comme Tambre, avait su
réserver une part de son glorieux succès.
29 NOVEMBRE. — Première représentation des
Filles Jackson et C^®, fantaisie bouffe en trois actes
de M. Maurice Ordonneau, musique de M. Jules
Clérice *. — Fermé depuis longtemps aux flonflons
de l'opérette, le joli théâtre de la rue Monsigny
rouvrait par un gentil succès. Devant un livret
clair, bon enfant, aux situations comiques, parfois
légèrement sentimentales, devant une jolie parti-
tion, tour à tour spirituelle et vibrante, le public
a paru heureux de s'affranchir des préoccupations
ultra-psychologiques qui, à l'heure des distractions
théâtrales, l'attendent au détour d'une scène comme
au coin d'un bois. Il semble bon d'encourager la
renaissance de l'opérette que chacun désirait, mais
que, sous l'influence de quelques critiques sec-
taires, nul n'osait souhaiter tout haut. Obligée de
se réfugier au café-concert, l'opérette laissait
au seuil des music-halls sa finesse et sa bonne
tenue nécessaires. Pour l'honneur de notre goût
1. Distribution. — Janicot, M. Paul Fugère. — Jonathan Jackson,
M. Dekernel. ~ Frédéric, M. Devaux. — Jackson, M. Raiter. — Le
commandant, M. Bartel. — Félicien, M. Defrenne. — M»» Angèle La-
miral, MHe Jane Pernyn. — Arabelle Jackson, Mli« De Craponne. —
M«»« Lamiral, M»» Léonie Laporte. — Florence Jackson, M»» JDe Kier-
cour. — MH« Ghamorin, M«»« Virginie Rolland. — Justine, Mii« Loury.
420 LES ANNALES DU THEATRE
national, applaudissons donc à sa rentrée dans
les théâtres de genre. Certes, l'aventure des
filles Jackson s'échappant de pension pour aller
retrouver leurs pères en Amérique, puis se faisant
passer auprès d'eux pour deux servantes afin
d'éviter, amoureuses toutes deux de deux jeunes
officiers, d'épouser deux horribles princes chinois,
— celte histoire aimable, féconde en quiproquos
classiques, mais de bon aloi, n'éveillera pas en
nous des pensées profondes. Qu'importe, si nous
nous sommes franchement divertis aux facéties de
l'excellent Paul Fugère qui, sous sa robe de pen-
sionnaire, « la plus grosse des grandes », a mis
en joie toute la salle! Pourquoi ce matelot arrive-
t-il à passer pour la « cousine » de son lieutenant,
et devient-il, en même temps qu'une actrice de
café-concert en quête d'engagement, une des filles
Jackson et C'®? Qu'il vous suffise de savoir que
c'est pour protéger la fuite des deux Jackson véri-
tables et contribuer finalement à leur bonheur.
Pour ce faire, M. Maurice Ordonneau nous trans-
porte de la pension des Mésanges sur le pont d'un
navire, puis à Saigon, où nous assistons aux
« splendeurs » d'un ballet en miniature ; après quoi
les filles retrouvent leurs pères, les pères leurs
enfants, et tout finit par deux mariages... que
dis-je? trois mariages, ou quatre, je ne sais plus au
juste. L'auteur est bon : il veut que tout le monde
soit content, même le public qui ne se fit pas faute
d'applaudir librettiste, musicien et interprètes.
Sur ce livret aimable et suffisamment fantaisiste,
M. Clérice a brodé une de ses plus pimpantes par-
THEATRE DES BOUFFES-PARISIENS 421
titions. On connaissait Thabileté de ce jeune com-
positeur dans Par ordre de l'Empereur^ dans les
Petites Vestales. Aujourd'hui, dans les Filles
Jackson^ il s'affirme spirituel dans le détail et puis-
sant dans Torches tration. Citons particulièrement
le quatuor de la danse, qui est un petit bijou, les
couplets de M'"® Pernyn au capitaine, qui' furent
bissés d'acclamation, le finale du deux bissé éga-
lement et qu'on réentendra dans toutes les revues
de fin d'année, et la scène musicale des quatre
Jackson, terminée par la jolie et délicate prière des
deux jeunes filles. Si, comme je l'espère^ l'opérette
renaît, M. Justin Clérice est, parmi les composi-
teurs modernes, destiné à l'une des premières places.
J'ai déjà dit le bien que je pensais de Paul Fugère,
qui fut la joie de la soirée. On n'est pas plus natu-
rellement comique, et la leçon de danse du premier
acte, avec M^»®^ Pernyn et Virginie Rolland, fut
d'un effet irrésistible, MM. Derkernel, digne reflet
de feu Berthelier, Bartel, tout en ronde jovialité,
Raiter et Devaux, ténor agréable, donnèrent l'illu-
sion d'uoe troupe homogène. Ainsi que M"*^^ Pernyn,
malicieuse et bien chantante, de Craponne, trans-
fuge de rOpéra-Gomique, à la voix fraîche et sûre,
et de Kiercour, sympathique'ingénue, M'^e Virginie
Rolland dessina, en maîtresse de danse, une
silhouette rococo tout à fait artistique et jolie, et
M"« Léonie Laporte fit, pour être drôle, des efforts
que nous nous plaisons à constater...
422
LES ANNALES DU THÉÂTRE
Rabelais, comédie en vers ... :
L' Inévitable, comédie
Un Honnête Homme, comédie
*Les Pires aveugles, comédie
*Les Merlereau, comédie
*Anne la Simple, comédie en vers
Cadet Roussel, comédie en vers
*Le Talisman, pièce en vers
*Le Dernier rêve du duc d'Enghien
comédie en vers
*Les Filles Jacksen et C»«, fant.-bouffe. .
* L'Etude Falempiny comédie
DATE
NOMBRE
NOMBR£
delà
de
Ire représ.
représent.
d'actes
on de la
pendant
reprise
Tannée
3
»
20
1
»
10
1
»
8
1
9 janv.
7
-3
19janv.
24
1
19 janv.
60
4
10 févr.
36
4
21 mars
8
1
21 mars
8
3
29 nov.
39
1
11 déc.
25
THÉÂTRE GLUNY*
Au succès du True du Brésilien y de MM. Nan-
cey et Armonl, que lui avait galamment lég^ué la
précédente année, le Théâtre Cluny faisait suc-
céder, le 20 janvier, une reprise toujours heureuse
de Trois femmes pour un mari^ la célèbre farce
de M. Grenet-Dancourt^.
23 FÉVRIER. — Première représentation de la
Femme au masque^ comédie-bouffe en' trois actes,
de MM. Daniel Riche et Léo* Marchés 3. — Vous
dirai-je — oh ! non, je ne vous le dirai pas — com-
ment certaine épreuve de la « Femme au Masque »,
1. — Directeurs : MM. Ponoet frères.
2. Distribution. — André, M. J. Poncet. — Carindol, M. Dorgat. —
Raoul , M. E. Durafour. — Dardembois, M. Lureau. — Boxoon, M. Arnould.
— Dubochard, M. Wagmann, — Baptiste, M. Marins. — L'adjoint,
M. Lecomte. — M»» Bassinet, M"»» Franck-Mel. — Pigeotte. M"»» AndraL
— Juliette, M"« Renée Leduc. — Miss Victoria, Mi'« Brunel. —
M«n« Carindol, Mlle Loisier. — Euphémie, Mli« Amori. — Françoise,
Mlle Sarlier.
On commençait par On prend des pensionnaires, vaudeville en un
acte de M. Albert Perrinet.
3. Distribution. — Roland, M. J. Poncet. — Le commandeur, M. Dorgat,
— Jacques, M. Dupont. — Némorin, M. Arnould. — Fonville, M. Lureau
— Amour, M. Wagmann. — Gaëtan, M. Marius. — Maurice, M. Gaverny,
— Raymonde, Mii« Favelli. — Amélie, MH^ Bertry. — Lucienne, M»» Bru-
nel. — Mne Langlois, M"»« Franck-Mel. — M"»* de Gastelnajac, MH» Se-
bert. — Yvonne, M»» Amori. — Catherine, Mll« Vernou.
On commençait par la Comtesse Séraphin, comédie en un acte, de
M. Georges Naval.
4 24 LES ANNALES DU THEATRE
ag'uichante nudité à la Gervex qui passe tout
d'abord des mains d'une femme mariée dans celles
de... la maîtresse de son amant, fait Tobjet d'une
invraisemblable poursuite, aboutissant à une nou-
velle pose chez le photographe qui consiste à nous
dévoiler les jolies épaules de M^'^^ Favelli et Brunel.
Ajouterai-je que M. J. Poncet avait créé là un type
« dans le genre » de nos meilleurs comiques, que
sous les traits du commandeur de Boulopapalescu,
M. Dorgat montrait comme toujours beaucoup de
naturel, que M"® Bertry avait de Tentrain, et que
tous s'efforçaient de rendre amusante une folie si
compliquée qu'elle en devenait parfois un peu obs-
cure.. On riait sans doute, mais savait-on bien au
juste pourquoi on riait?...
i4 AVRIL. — Glissons sur un piètre vaudeville de
M. Marc Sonal, La Chambre des baisers *, qui
bientôt cédait la place à une nouvelle reprise de
Trois femmes pour un mari^ mais notons la repré-
sentation de Poussier de motte ^^ fait-divers en
deux tableaux. Cette œuvrette de M. Jean Canora
— un début au théâtre ce nous semble — a du
pittoresque et du mouvement. « Poussier de motte »
1. Distribution. — Trinquette, M. Champagne. — Papillard. M. Dupont,
*— Plantinet, M. Mercier. — Bournache, M. Lureau. — Lebeau-Dusoin^
M. Wagmann. — Octave, M. Arnould. — Mathieu, M. Marins. — Un
clerc, M. Vissière. — Francine, M"»» Andra^ — Natalio, M»* /'rancA-
Mel. — Suzanne d'Arcachon, MHe Brunel. — Irma, M"» Sebert. —
Adrienne, M"c Amori.
2. Distribution. — Le commissaire, M. Dorgat. — Janicet, M. Dupont.
Rata, M. Amould. — Loupias, M. Wagmann. — Bibi La Purée, M. Ber-
thier. — Un agent, M. Vissière. — Rosalie Pichon, M"« Bertry. —
Jacques Pichon, M'i» Barré.
On commençait par Ce bon Cyprien, vaudeville en un acte, de M. Marc
Sonal.
THEATRE CLUNY 425
est un petit charbonnier qui a commis la faute de
dérober à son patron une pièce de vingt francs qu'il
est allé jouer aux courses^ La chose s'arrangerait,
car sa famille a remboursé. Mais un reporter a eu
vent de Taffaire — oh ! ces journalistes ! — et Ta
contée à ses lecteurs. Notre gamin, déshonoré, se
tue de honte et de désespoir... Retenez le nom de
M. Jean Canora, et aussi celui de M"® Cécile Barré
-— c'est, je crois bien, la petite-fille du célèbre
Boufifé — qui a joué avec beaucoup d'émotion le
rôle travesti de Poussier de motte.
i3 MAI. — Première représentation de la Bande
Pick'Pocky eccentric american vaudeville en quatre
actes de M. Daniel Jourda*. — Naguère on nous
avait annoncé la transformation de Cluny en
music-hall. La nouvelle était vraie. Mais 1 affaire
ayant manqué, le vaudeville reprit bientôt posses-
sion du théâtre. Et voilà qu'aujourd'hui, hantés,
sans doute par l'idée qu'ils avaient dû abandonner,
MM. Poucet nous donnent — ^ avant l'Amérique,
avant la province et l'étranger, auxquels elle serait,
dit-on, ultérieurement destinée, — une pièce à
tiroirs qui n'a, en réalité, d'autre prétention que
de servir à encadrer un certain nombre de numéros
de café-concert. Le scénario a été tracé, non sans
adresse, par M. Daniel Jourda — l'auteur de cer-
taine Josette^ dont nous avons dit, autrefois, tout
1. Distribution. — Ilolsonn, M. Holsonn. — Trust et Pick-Pock,
M. Mercier. — Leblasé, M. Champagne. — Harris, M. Lureau. —
Louis, M. Parait. — Un gendarme. M. Aîkok. — Nab, M. Pilhs. —
M»« Darvines, M">« Andral. — Criquette, W^«- Berthe Gay^ — M"»* Bri-
geoia, Mme Franch-Mel. — Jane, M»« Cécile Barré. — Margot,
M"e Sebert. — Lisette, M»» Amori. — Toinon, M"o Reine.
426 LES ANNALES DU THEATRE
le mérite — mais ce n'est pas à l'intrigue que le
spectateur s'intéresse en ces œuvres hybrides,
c'est aux clowns et à leurs clowneries. Nous ne
vous raconterons donc pas comment deux agents
d'assurances, Trust et Harris, voulant à tout prix
prévenir le suicide d'un neurasthénique' (Leblasé est
son nom) dont la mort leur coûterait très cher, se
sont mis en tête de le distraire à l'aide des attrac-
tions les plus intenses et les plus variées; com-
ment Harris est tout d'abord enfermé dans son
propre cofFre-fort, qu'on a préalablement pris
soin de débarrasser de ses valeurs, et comment le
célèbre Pick-Pock prend audacieusement la place
de Trust, et mène dare-dare la bande des agiles
cambrioleurs ; comment on s'aperçoit que Leblasé
n'était réellement malade que d'amour pour une
piquante M™^ Darvines,*et comment tout finît par
un mariage, dans une amnistie générale. . . Inutile
d'insister sur la pièce... L'essentiel est, nous
l'avons dit, que les clowns soient 'plaisants.
Holsonn, le héros de Cluny, ne manque, certes, ni
de drôlerie, ni de fantaisie. Il faut le voir effectuer
son entrée en dirigeable, à cheval sur son petit
Santos-Dumont uP i, qu'il mène à sa guise,
comme vous le faites de votre bicyclette. II faut
encore le voir, avec la facilité que vous mettriez à
avaler un simple éclair, engloutir toute une bou-
tique de gâteaux auxquels il joint, pour s'amuser,
quelques bougies allumées. Il faut assister, une
fois de plus, à la poursuite presque classique
« sur les toits »,. où la bande Pick-Pock traîne à
ses trousses une escouade de gendarmes, natu-
THEATRE CLUNY 427
rellemenl maladroits. Leblasé s'est déclaré satisfait
du spectable dérivatif que lui offraient les « excen-
triques » de Cluny. Pourquoi le public se serait-il
montré' plus difficile ? Bornons-nous à constater la
joie qu'il n'a guère cessé de manifester au cours
de cette soirée plutôt étrange, et à mentionner
parmi les efforts tentés pour nous divertir, sans
jamais fatiguer nos méninges, ceux d'une nouvelle
venue au boulevard Saint-Germain, M"® Berthe
Gay — qui a de la gaieté comme l'indique son
nom — et aussi la bonne volonté de M^^ Franck-
Mel, une duègne solide fourvoyée en des situations
de plaisanterie un peu grosse et tout au plus
bonne pour l'exportation.
i4 JUILLET, — Sans souci de la chaleur, le
théâtre, (fui avait fermé ses portes afin d'exécuter
quelques travaux de peinture et d'embellissements ,
les rouvrait bravement, donnant au public de la
fête nationale la première représentation d'un vau-
deville militaire de M. Herbel, le Pacha du
bataillon^. L'idée première n'en est pas très neuve
et nous connaissons l'histoire de cet amoureux
1. Distribution. — Le vicomte Adhémar, M. Champagne. — L'adju-
dant, M. Mercier'. — Le capitaine Lebastard, M. Keppens. — Pattu,
M. Martus. — Boulingar, M. Wagmann. — Le général, .M. Dargeville.
— Le sergent de garde, M. Berthier. — Filoche, M. Vissière. — Le
caporal de garde, M. Brissaud. — Le sergent-major, M. Paruit. —
Rifolin, M. Antony. — Le cocher, M. Derieux. — Le colonel, M. Rodez.
Lehaussois, M. Salomon. — Virginie, M"»* Andral. — M»» Raboulin,
M«n« Franck-Mel. •— Colette, MU* Cécile Barré. — Victorine, Mii« Mar-
celle Du Bled.
On commençait par Chez le Critique^ comédie en un acte de M. Paul
Janot, ainsi distribuée :
Anselme Patin, M. Dangeville. — Dominique, M. Martus. — Sujette
Fleuron, M»e Marcelle Du Bled.
428 LES ANNALES DU THEATRE
qui, surpris aux pieds de la femme d'un officier,
n'a d'autre ressource que de passer pour le nou-
vel ordonnance. Mais . il convient de reconnaître
que l'auteur avait su rajeunir agréablefnent ce
sujet déjà ancien par une sàrie d'épisodes tous
fort gais et qui n'ennuyaient pas un instant. Pour
une pièce d'été, c'était l'essentiel. Cette amusante
folie était enlevée par une troupe pleine d'entrain :
MM. Champagne, Mercier, Keppens, Marins,
Wagmann, Mn^es Andral, Franck-Mel et Cécile
Barré — celle-ci particulièrement charmante.
2 SEPTEMBRE. — Reprisc du Truc du Br£silien^
dont on fêtait, quelques jours après^ la i5o^ repré-
sentation.
22 SEPTEMBRE. — Première représentation de
Francs-Maçons ! vaudeville en trois actes de
MM. Claude Roland et G. Leprince^ — Un gai
vaudevilhî, dont la farce, un peu lourde, a néan-
moins beaucoup amusé. Il provoquera longtemps,
ainsi rondement mené, la douce hilarité d'un pu-
blic bienveillant. On y retrouve, cela va sans dire,
tous leS' trucs habituels à ce genre de pièces. Voyez
plutôt... Leverdier a imaginé l'ingénieux moyen de
1. Distribution. — André Chevilly, M. J. Poncet. — Leverdier,
M. Dorgat. — Saint-Archange, M. Mercier. — Paul Dubreuil, M. Cham-
pagne. — Brunois, M. Jacquier. — Léon Vilcourt, M. Marius. — Un
agent, M. Vissière. — M™» Leverdier, M«e Franck-Mel. — Marthe,
Mlle Villeroy. — Claire^ M'ie C. Barré, — M"»» Brunois, M"» Bertry, —
Colombe, Mlle Sorel. — Angèle, MU* M. du Bled. — Simone, MH« Le-
comte. — Lili, MH» Sébert.
On commençait par Hermance a de la vertu 1 comédie en deux actes
de MM. Claude Roland et André de Lorde.
MM. Claude Roland et G. Leprince avaient tiré Francs-Maçons d'un
grand succès allemand, Logen Bruder, de MM. Karl Laufs et Karl
Kratz, deux auteurs fort connus de l'autre côté du Rhin.
THEATRE CLUNY 429
tromper la surveillance de sa femme et de faire en
toute tranquillité ses petites fredaines. Il se dit
franc-maçon, et même Vénérable de la Loge de
Bourges, et, depuis vingt-trois ans que cela dure,
il jouit paisiblement, au nez de sa femme et de ses
quatre filles, de toute sa liberté. Sa douce quié-
tude est seulement troublée par le cruel souvenir
d'une ancienne amie qui, désolée de son abandon,
se serait suicidée... Leverdier vient à Paris, ac-
compagné de toute sa famille, retrouver André, le
mari de Marthe, sa fille aînée^ absente depuis trois
semaines. Il s'agira, alors, pour André, de cacher
à sa femme et aux beaux-parents la noce effrénée
qu'il n'a pas manqué de faire durant ces courtes
vacances. Les cinquante mille francs, complément
de la dot de Marthe, ne lui reviendront qu'à ce
prix. Alors il inventera tout simplement qu'il s'est
fait recevoir, lui aussi, dans la franc-maçonnerie
et qu'il consacrait toutes ses nuits aux dures
épreuves de son entrée en loge. Et voilà le Véné-
rable de Bourges et le frère .v André s'étudiant
aux mêmes gestes, singeant les mêmes signes
conventionnels pour ne pas se trahir mutuellement ;
voilà cet enragé de Brunois, provincial abruti, qui
veut à toute force faire partie, lui aussi, de la
fameuse association, se soumettant avec un farou-
che entêtement aux épreuves les plus saugrenues
qu'imagine, à bout d'arguments, le Vénérable
Leverdier; voilà le cabot Saint-Archange, inspec-
teur des loges de Parisiana, où se passaient le
plus souvent les petites orgies d'André, pris, grâce
à son titre pompeux, pour un véritable franc-
I
43o LES ANNALES DU THEATRE
oiaçon ; voilà les deux demi-mondaines, Simone et
Lili, toutes deux fidèles habituées des loges —
toujours de Parisiana — prises pour des francs-
maçonnes par la famille ébourifiFée. Suivrons-nous
donc les aventures abracadabrantes de Paul Du-
breuil qui, pour sauver son ami, se déguise en
couturière, fille de la suicidée Héloïse — à noter
ici un suggestif déshabillé de la jolie Marthe se
faisant essayer un corsage par ladite couturière...
Nous vous éviterons les cris de ce crétin de Brunois
braillant à tue-tête f « C'est ma fille, ma bonne
fille ! » Nous vous passerons sous silence Tarrivée
d'un gardien de la paix, porteur d'un procès-verbal
contre André pour tapage nocturne et nous ne
ferons qu'effleurer la leçon du cabot Saint-Archange
qui réussit habilement à se faire servir à déjeuner
et offrir maints cigares... Apprenez tout bonne-
ment que Léon Vilcourt, un vrai franc-maçon
celui-là, sauve la situation, et que tout se termine,
vous le pensez bien, par un' nombre illimité de
très heureux mariages et aussi par la découverte
de M"^^ Brunois, en la vivante Héloïse, la suicidée
d'antan. Toute la troupe de Cluny, sans exception,
a joué avec une vaillante conviction et un parfait
entrain cette farce excessive. Citons particulière-
ment M. Dorgat, de joyeuse bonhomie en Lever-
dier; M. Champagne^ amusant sous le jupon de la
couturière ; M. Mercier, cabotin assez vécu sous
les traits de Saint-Archange, et M. Jacquier, de
masque impayable dans le stupide Brunois,
Mnies Franck-Mel, Villeroy, Bertry et Sorel pre-
naient leur bonne part, elles aussi, du succès gé*:
THEATRE GLUNY
43 1
r
ie-
néral : un succès qui se prolongera par delà i goS
pour continuer, toujours très vivace, pendant
l'année suivante.
Le Truc du Brésilien, vaudeville
Joseph, comédie
Trois Femmes pour un Mari.
*0n prend des prisonniers, vaudeville...
*La Femme au masque, comédie-bouffe . .
*La Comtesse Séraphin
*Le Jour des Violettes, vaudeville
*La Chambre des baisers, vaudeville
* Poussier de Motte, fait-divers
*Ce bon Cyprien, vaudeville
*La Bande Pick Pock, exent. amer. vaud.
*Le Pacha du Bataillon^ vaudeville milit.
*Chez le Critique, comédie
* Francs-Maçons I vaudeville
*I{ermance a de la vertu, comédie
NOMBRE
d'actes
DATE
delà
1» représ.
ou de la
NOMBRE
de
représetn.
pendant
reprise
l'année
4
»
44
1
»
23
3
1
20jaiiv.
61
34
3
23 févr.
58
1
23 févr.
49
1
6 avril
33
1
li avril
7
2 tabl.
14 avril
3i
1
14 avril
6
4
13 mai
24
»
1
3
2
14 juillet
14 juillet
22 sept.
22 sept.
58
79
118
118
t^
THÉÂTRE DÉJAZETi
Quelques lignes suffisent à Theureuse histoire
du Théâtre Déjazet en i9o5 : on y aura joué du-
rant toute Tannée la triomphante pochade mili-
taire de MM. André Sylvane et Mouézy-Eon, Tire
au Flanc ! dont la 4oo® représentation se donnait
le 10 octobre et dont on fêtait, un mois après, à
la date du lo novembre, le joyeux anniversaire.
Le jeudi 21 décembre, M. Georges Rolle avait
affiché sa i33® matinée de famille : vous en trou-
verez le répertoire indiqué au tableau suivant :
i. — Directeur : M. Georges Rolle.
ANNALES DU THEATRE 28
434
LES ANNALES DU THEATRE
Tire au flanc ! comédie
Célérité-Diaerétion, pièce
// i. . . ou Elle ?. . ., comédie
Le Gamin de Paris, comédie
La Dame au petit chien, comédie
Une Aventure de la Clairon , vaudeville.
Premier prix de piano, comédie
Indiana et Charlemagne, vaudeville ....
Château Yquem, vaudeville
La Fille de l'Avare, comédie
Avant la noce, opérette
L'es Jurons de Cadillac, comédie
La Famille de l'Horloger, comédie
Le Mariage extravagant, opérette
La Classe, vaudeville
Horace et Liline, vaudeville
La peur d'être Grand'mère, comédie
L'Anglais ou le Fou raisonnable, coméd.
Philippe, comédie
La Main leste, comédie
Pauvre Jacques, comédie
Lischen et Fristchen, opérette
Le Dîner de Madelon, vaudeville
Le Chapeau d'un Horloger, comédie....
Estelle, comédie
Les Brebis de Panurge, comédie
Le Gentilhomme pauvre, comédie
Le Moulin joli, vaudeville
DATE
NOMBRE
NOMBRE
delà
d«
représeot.
d'actes
oa de la
pendant
reprise
l'année
3
»
425
M
167
23 mai
258
12 janv.
7
I2jaûv.
2
12janv.
1
19 janv.
5 »
26 janv.
4
16 fév.
4
2 mars
4
2 mars
1
16 mars
5
16 mars
5
13 avril
5
27 avril
3
27 avril
3
4 mai
5
18 mai
7
8 juin
1
26 octob.
4
26 octob.
4
2 nov.
3
23 nov.
3
23 nov.
3
23 nov.
^
23 nov.
4
2
21 déc.
2
1
21 déc.
2
GRAND GUIGNOL *
27 JANVIER^ — L'Affaire Pascuit, tableau judi-
ciaire de MM. George Courteline et Pierre Veber,
tiré des « Tribunaux comiques », de Jules Moineau^ ;
La Mémoire des dates , de MM. Félix Galipaux
et Edmond Guiraud^ ; Le Point d'honneur y de
M. Bonis Charancle^ ; La Maisonnette, de MM. Wil-
liam Busnach et Ferdinand Bloch^ ; Un début dans
le Monde, de MM. Max Maurey et Paul Mathiex^.
8 MARS. — Ariette, de MM. Marcel Manchez '^^
Une Erreur judiciaire, de MM. Charles Esquier et .
1. — Directeur : M. Max Maurey.
2. Distribution. — Le président, M. Oouget. — Bézuche, M. Dufrenne^
— Canuche, M. Bussy, — Pascuit, M. Baur. — Le substitut, M. Launay.
— L'huissier, M. Ratineau. — L'avocat, M. Flandre. — Désirée,
Mn<« Méryem. — Hortense, M»» R. Daubiguy.
3. Distribution. — Le docteur, M. Dufrenne. — M. Latouche^
M. Busay. — Jean, M. Raîineau. — Antoinette, M»» Lydie Doria.
4. Distribution. — Chambaran, M. Gouget. — BonndLrdy M. Dufrenne.
— Coutancey, M. -R. Bussy. — Lapige, M. Flandre. — Thoré, M. Lau-
nay. — Muiler, M. Baur. — La veuve Marraud, M^e Bailly. — Gabrielle,
Mîio Méryem, — Suzette, Mil* Barry.
5. Distribution. — Jean Brichet, M. Ratineau. — Alfred, M. Launay.
— Caroline Brichet, M»« Clarens.
6. — Joué par M"»»» Emilienne Darty, Clarens, Bailly, Lydie Doria et
M. Dufrenne.
7. Distribution. — Jacques de Réville, M. O. Dufrenne. — Le Petit
Bouchard, M. Bussy. — De Cambes, M. Launay. — Ariette, M"» Daubi-
gny. — Fanny, MUe D. Fleury.
436 LES ANNALES DU THEATRE
Pharnel*; Gardiens de phare, de MM. Paul Au-
lier et Paul Cloquemin*; Cyprienne, de M. Jeaa
Drault^; Trop tard, en vers, de M. Xavier Roux*.
22 AVRIL. — Pâquerette, de MM. Eugène Héros
et Léon Abric^; Cher Maître, de M. Elie de Bas-
sani; La Terreur de Sébasto^.
17 MAI. — L'Obsession, pièce en deux actes, de
MM. André de Lorde et Alfred Binet^; Papa, de
MM. Abel Tarride et Henri Piazza^; L'Occasion,
de M. Robert Dieudonné*^.
1. Distribution. — Adolphe LangloU, M. O. Dufrenne. — Le commis-
saire, M. Ratineatt. — Un agent, M. Btissy, — M"« Langlois, M"« Mar-
celle Bailli/. — Elise, M»« Daubigny. — M»» Lalande, M"» Lauriane.
2. Distribution. — Yvon, M. Oouget. — Brehan, M. Bressol] puis
M. Brizard.
3. Distribution. — Chamerlan, M. O. Dufrenne. — Badoulot, M. Baur.
— Robertin, M. Bussy. — Cyprienne, M"e Giîberte Deretz.
.4. Distribution. — Pierrot, M. Chevillât, — Suzette, M»» Renée Cla-
rens.
5. Distribution. — Le Monsieur, M. Dufrenne. — L'agent, M. Bussy.
— Ugène, M. La^nay. — Edouard, M. Baur. — Pài^uerette, M»» Genty.
— M»» Robillard, M»» Marcelle Bailly. — La teinturière, M*'« Reint:
Daubigny. — La modiste, MUe B.arry.
6. Distribution. — Paul Jouvin, M. Oscar Dufrenne. — Le Costau,
M. Baur. — Le père Lucas, M. Ratineau. — La Panthère, M. Brizard.
— Le Poilu, M. Chevillât . — Le garçon, M. Launay. — Titine, MH«Pter-
val. — Suzanne, M»» Daubigny. — Alice, MH« Fleury.
7. — Jouée par MM. Oscar Dufrenne^ Baur, Ratineau. Brizard,
Chevillât, Launay et M"«» Pierval, Reine Daubigny et Denize Fleury.
8. Distribution.. — Jean, M. Gouget. — Docteur Ménard, jR. Bussy.
— Leroy, M. Royel. — Bernard, M. Brizard. — M»» Desmarets,
Mlle Marcelle f?ot7/y. — Marthe, M»» O, Devyl. — Françoise, M"« Barry.
— Le Petit Pierre, Raymond Crétot. — La petite Madeleine, M»» Mcide-
leine Crétot.
9. Distribution. — Germaine, M"* M. Barry. — . Jeanne M"» Pierval.
— Florence, M'i» Daubigny.
10. Distribution. — Roger Benoist, M.' Brizard. — Léon, M. Launay.
Marianne, M"» Daubigny. — Clémence, M'l« Pieroal.
GRAND GUIGNOL 437
17 JUIN. — La Mascarade interrompue^ de la
baronne Hélène de Zuylen de Nievelt*; U École
des jeunes filles, de M. Jean Lorrain 2.
26 SEPTEMBRE. — Adèle est grosse, de^M. H.
Beaujot^.
23 OCTOBRE. — Le Chirurgien de service, de
MM. Johannès Gravier et A. Libert* ; Ce cochon de
Morin, de MM. G. Montoya et G. d'Aguzan, d'après
une nouvelle de Guy de Maupassant^ ; La Folie
blanche, de M. R. Lenormand^; Un peu de musi-
que, de M. Crosnier^ tirée d'une nouvelle d'Eugène
Fourrier^; Mongenod, de M. Marcel Herbidon».
1. Distribution. — Le prince Prospère, M. Gouget. — Le comte Leo-
nardo, M. Brizard. — Premier seigneur, M. Buasy. — Deuxième sei-
gneur, M. Ratineau. — Troisième seigneur, M. Launay. — La marquise
Violante, M»« Clarel. — La duchesse Fortunata» M"» Pierval. — La
comtesse Gemma, M"« Wuilfford. — Premier courtisan, Mi'^ Devyî. —
Deuxième courtisan, MU* Jeanne Chesnel. — Une dame de U Cour,
Mil» Barry.
2. Distribution. — M. Baudran, M. Ratineau. — Gougniat, M. Baur^
— Honorine, M"« Bailly. — M»» Bolumet, M"« Mériem. — Ophélie,
M»« Pierval.
3. Distribution. — M. Dupont, M. Tune. — Paul, M. Jobert. —
M"»» Dupont, M«« Marcelle Bailly. — Adèle, M»* Mértem.
4. Distribution. — Premier interne, M. Tune» — Deuxième interne,
M. Brizard, — Troisième interne, M. Jobert. — Quatrième interne,
M. Werney. — Le chirurgien de service, M. R. Bussy. -^ Le directeur,
M. Chevillot.
5. Distribution. — Labarbe, M. R. Bussy. — Morin, M. Ratineau. —
Tonnelet, M. Chevillot. — Rivet, M. Jobert. — M«« Morin, M»» Marcelle
Bailty. — Henriette, M»« Pierval,
6. Distribution. — Le guide, M. Brizard. — Valsorey, M. Tune. —
Palézieux, M. Ratineau. — Marc, M. Jobert. — M">« Palèzieux, M»» Mar-
celle Bailly. — Eveline Valsorey, M»» Pierval. — Elfrida Darvson,
M»« Alfé» — Alberta, M»« Elise Perret. — Kate Darvson, M»« Favières.
7. — Jouée par MM. R. Bussy, Tune, Brizard, Werney, Jobert.
8. Jouée par M. Werney; M*»» Marcelle Bailly, Bérangëre, Elise
Perret.
THÉÂTRE DES MATHURINS^
lô JANVIER. — La Femme de César ^ de MM. Hu-
gues Delorme et G. Gaillard, musique de M. Rodol-
phe Berger*; U Eperon^ de MM. Louis Schneider
et André Delcamp^ ; La Revue des Mathurins^ de
M. Lucien Boyer*.
2 MARS. — Le Bon Exemple^ de M. Maxime
Formont^ ; La Dot de Virginie, de MM. Yves
Mérande et René Guy®.; Monsieur Complote^ de
M. André Barde ^ ; Le Marchand d' Amour ^ pièce
1. ~- Directeurs : M. Jules Berny ; puis, M. Achille Quellier.
2. Distribution. — Triceps, M. Tauffenberger. — Jules César, M. Fer-
nand Frey. — Tircis, M. Victor Boucher. — Vaganus, M. Henry
Houry. — Pompeia, M»'» Suzanne de Bèhr, — Hortensia, Mlle Vanô
Heina.
3. Distribution. — Gatigny, M. Victor Boucher. — Delormel, M. Henry
Houry. — M"»» Delormel, MH» Alice Nory. — Justine, MUe Léo Linh.
4. — Jouée par M"«m Thérèse Cemay, Jane Rosny, Léo Linh et par
MM. Fernand Frey, Victor Boucher, Houry et Sevestre.
5. Distribution. — Stany, M. Boucher. — Marcelle, M»* Alice Nory.
Julie, Mil* Marcelle Deschamps.
6. Distribution. — Rabourdin, M. Tauffenberger. — Maître Plique,
M. Boucher. — Un Clerc, M. Sevestre. — M»»» Rabourdin, Mlle Lola
Noyr. *
7. Distribution. — Fermières, M. Sevestre. — Royer de Labrousse,
M. Boucher. — Marguerite, MUe Cassive. — Valentine d'Ormesson,
Mlle Marcelle Deschamps, y
44o LES ANNALES DU THEATRE
en deux actes de M"»® Camille Glermont et M. Sé-
verin Malafayde*; La Mauresca^ de M. Bon-
namy*.
lo AVRIL. — U Honneur des Bigache^ de MM. Bail-
lot et Adam 3; UOncle Berlin, de M. F. Bloch*;
Le Messager, de MM. de Buysieulx et Roger Max ^ ;
Un Homme à femmes, de MM. Max Maurey et
Xavier Roux^ ; La^ Vie de château, revue de
M. Miguel Zamacoïs'.
29 MAI. — Le Retour du bal, de M. Claude
Real; Oui, BenoistI, de M. Rito de Marghy®; Le
Chasseur du Tigre Blanc, de M. Tristan Bernard ^ ;
1. Distribution. — Farnand de Romana, M. Eliévant. — Rénal,
M. Séverin Mars. — Ballard, M. Tauffenberger. — Bourru, M. Andreyor,
— Philippe, M. Lorin. — Marie, Mi'é Cassive. — Elise, M»» Lola Noyr.
— Fanette, MU» Clady.
2. Distribution. — L'actrice, M"* La Toledo. — Le Cambriolear,
M. Volbert.
3. Distribution. — M"»» Lauriston, M"» Jjèbrec. — Zoé Bigache,
Mii« Deschamps. — Lauriston, M. Sevestre. — Bigache, M. Lorin, — Jean,
M. Déville.
4. Distribution. — Caroline, M"« Lola Noyr. — Léa, W^* Deschamps.
Valentin, M. Albert Mayer. — Gribeaudois, M. Victor Boucher.
5. Distribution. -^ Andrette d'Ombreuse, M^» Glady. — Fanay.
Mil» Valmy. — Anthème Badoche, M. Numès. — Lesturgeon, M. Seves-
tre. — Vicomte de Ruelle (lieutenant), M. Deville.
6. Distribution. — Paulette, M>ie Dallet. — Mariette, M""» Valmy. —
Aristide, M. Numès.
7. Distribution. — Perlette, MU« Lyse Berty. — Le Duc de Soissons,
le Colonel, M. Reschal. — Eugénius, Clovis, M. Victor Boucher^
8. Distribution. — Benoist, M. Séverin Mars. — Joseph, M. Boucher
— Mathias, M. Sevestre. — Bernadette, MU« Paule Marsa. — Martsa,
M'i* Lola Noyr.
9. Distribution. — Marcus, M. Boucher. — Loguillon, M. Sevestre. —
Gondebaut, M. Lorin. — Langlevent,.M. Deville. — Jeanne, M»« Tolny.
— Olga, Mil« aiady.
THEATRE DES MATHUKINS 44 1
La Rupture^ de M. Nozière*; Le Pyjama^ de
M. Jules Râteau*.
9 OCTOBRE. — Devant les banquettes^ prologue
envers de M. Hug-uesDelorme^; Fête de famille ^
de M. J. Portai*; La Sonate du clair de lune,
de Ludovig Wollff, traduite de l'allemand par
M. Fischer 5; La Consiffney de MM. Oscar Méténier
et Georges Docquois^ ; J'ai manqué de respect
à la comtesse j de MM. Louis Marsolleau et
P. Menvaz.
5. NOVEMBRE. — Lc Bois Aimé, de M. Genty';
Le Démon, de M. Edmond Fleg^; Collabos, de
M, Xavier Roux, musique de M. Léo Pouget^ ;
Bébé'Roi, de M. Paul Cloquemin*^.
1. Distribution. — André Jarcel, M. Lucien Brûlé. — Guillaume Wol-
mer, M. Séverin Mars, — Louise Duché, M'i» Polaire. — Jeanne,
M»« Valmy.
2. Distribution. -- Jacques, M. Boucher, — Pierre, M. Lucien Brûlé.
Lily, M"« Lola Noyr.
3. Distribution. — L'ouvreuse, MUe Suzanne Oalley. — Le critique,
M. Renoux.
4. Distribution. — Le baron, M. Dorlèa. — Emile, M. Deville. —
Liane, M»« Jane Féray. — M»» Lévêque, M"» Any Béro.
5. Distribution. — Hermann, M. V. Boucher. — Isidore, M. Renoux.
— M«« Grumbach, M"e A. Béro. — Sarah, M»» S. Oalley. — Rébecca,
M»« B. Lehrec. — Marie, M»e Le GaultreU
6. Distribution. — Séverine Pieuret,M"« /. Féray. — Jeanne Lédoux,
M. Renoux. — Louis Marvette, M. Dorlèa. — Le père Pierret,
M. Deville.
7. Distribution. — Fernand Chailly, M. Darlès. —Jean, M. Monea.—'
Madeleine, M»* Suzanne Oallet. — Marthe, M»* de Gaullat.
8. Distribution. — Henri, M. Renoux. — Claire, M»» Jane Féray.
9. Distribution. — Le diplomate, M. Milo de Meyer. — Fourgonet,
M. Victor Boucher. — Nina d'Œillet, M"« Marguerite Brésil.
10. Distribution. — Monsieur, M. Monca, — Madame, MH» Jane Féray,
— Octavie, M»» Berthe Lebric.
442 LES ANNALES DU THEATRE ^
6 DÉCEMBRE. — NoTio^ comédic en trois actes de
M. Sacha Guitry* ; La Fiancée du Scaphandrier, de
M. Franc-Nohain, musique de M. Claude Terrasse 2;
Tic à Tic, de MM. de Féraudy et J. Rouché^.
21 DÉCEMBRE. — La Mort de Tintagiles, drame
en cinq tableaux de M. Maurice Maeterlinck*.
i. Distribution. — Robert Chapelle, M. André Dubosc. — Jacques
Valois, M. Victor Boitcher. — Jules, M. Renoux. — Nono, M»e Blanche
Toutain. — M"« Weiss, M"« Delphine Renot. — Maria, M»« Suzanne
Oalley.
2. Distribution. — Julot, M. Simon-Max. — Le cantonnier Bezard,
M. Milo de Meyer. — Alexis, M. Deville. — Elisa, M»« Claudie de
Sivry. — La baronne, M"» Any Bero. *
3. Distribution. — Joseph Jumelle, M. Victor Boucher. — Sidonie
Chasavent, M^e Suzanne Gaîley.
4. Distribution. — Ygraine, M"« Qeorgette Leblanc. — Bellangère,
Mlle Russell. — l" servante de la Reine, M»« Inès Devriès. — 2* ser-
vante, MH« N. Varésa.— 3^ servante, M"« Marie Deslandes. — Aglovale^
M. Stéph. Austin. — Tintagiles, petit Russell. .
THÉÂTRE DES CAPUCINES *
24 JANVIER. — La Bonne Intention^ comédie ea
deux actes de M. Francis de Croisset^; Le Nu^
méro 33, de MM. Adrien Vély et Léon Mirai 3;
Tout vient à point... de MM. Monet et Delay*;.
Un cas de folie ! de M. Raymond Pascal ^.
i4 AVRIL. — Kwtz^ drame passionnel en un acte
de M. Sacha Guitry «.
i5 MAI. — Paris tout nu ^ opérette en trois ta-
bleaux de M. Michel Carré ^; Mensonges y de
1. Directeur : M. Michel Mortier.
2. Distribution. — Jacques Therland, M. Paul Numa, — Alphonse^
M. Thoulouze. — Maud Gerfeuil) M"» Jeanne Oranier. — M»« Thurean-
Mer ville, M"« Alice Nory, puis M»« Jeanne Bernou, — La gouvernante,
M»e Sonia, puis MH« Violet Fulton. — Julie, M"» Andrée Forine,
3. DiSTRiBUTioif. — Le commissionnaire, M. L. Bélières. — Jean Le-
vernoy, M. Lucien Prad. — François, M. Paul Darcy. — Diane de
Poitiers, M»» Viviane Lavergne, — Eve de Luxembourg, M'i* Harvay.
— Amélie, M"« Jameson.
4. Distribution. — Georges, M. Oarbagny. — Adolphe, M. L. Béliè-
res. — Un maître d'hôtel, M. Paul Darcy. — Lucienne, M»« Wilford.
5. DistRiBUTioN. — Docteur Zapatoff, M. Maurice Valtein. — M. Mo-
che, M. L. Bélières. — Joseph, M. Thoulouze. — M»» X, MiU ' Jameson.
6. Distribution. — Maximilien Crickhoom, M. Félix Galipaux. —
Hans Van de Pioch, M. P. Darcy. — Hildebrande Van de Pioch,.
M"« Charlotte Lysès. — La bonne, M"" Péri.
7. Distribution. —Vicomte d'Elysée-Palace, Armando, le fils, M. An-
dré Dubosc. — Frumence, le concierge, le secrétaire, le mari, M. Le
Gallo. — Père Moineau, professeur de beauté, l'huissier, M. Henry
Houry. — Joseph, M. Thoulouze. — Un monsieur, M. O. Flandre. —
444 ^^S ANNALES DU THEATRE
MM. de Buysîeulx et Roger Max*; L'Honnête
amant y de M. Elie de Bassan^.
20 SEPTEMBRE. — Lcs Honoraires ^ de M. Alfred
Douane 3; U Ardent artilleur ^ de M. Tristan Ber-
nard*; La Camomille^ de MM. Soulié et Daran-
tière^
5 OCTOBRE. — L'Entente cordiale ^ fantaisie d'ac-
tualité de M. P. L. Fiers 6.
20 OCTOBRE. — Didi^ de M. Maurice de Féraudy " ;
Avant-hier matin ^ opérette en trois tableaux, de
M. Tristan Bernard, musique de M. Charles Cuvil-
lier^ ; Une mesure pour rien^ de M. André Bardée
Félicie, dite « la Corneille », la Duse, Lavallière, I épouse moderne,
M"* Louise Balthy. — Parisetto, la manucure, Mn« de Tulle, la bonne.
Mii« Ariette Dorgëre. — M»« Flaffa, une dame, M»« A. Forine.
1. Distribution. — Robert d'Antevielle, M. Le Gallo. — Baron Sainl-
Loup, M. André Duhosc. — Nine, M»« Suzanne Devoyod. — Fanchette.
M»« Ellen Thercal.
2. Distribution. — L'honnête amant, M. Henry Houry. — - Monsieur,
M.- G. Flandre. — Joseph, M. Thoulouze. — Elle, M»* Jameson. —
Marine, M^e Forine.
3. — Joués par MM. Armand Berthez, Charles Morin; Georges Flan-
dre^ de Chancenay; Henry Houry j Sulpice; M»« Renée Félyne, Hé-
lène. •
4. — Joué par M. Armand Berthez^ Gamaré; M"»»» Jeanne Crozei.
veuve Fontaine; Jameson, Sophie.
5. Distribution. — MM. O. Flandre, Saint-Hilaire; Henry Houry,
Thiroin; M«" Oeorgina May, Emma; Andrée Forine, Julie.
6. Distribution. — M. Lorchidée, Misa Crampton. — M" Lefrance,
M"« Maroille.
7. Distribution. — André, M. Pierre Magnier. — Angèle, M»» Louise
Balthy. — Colette, MHe Lantelme.
8. Distribution. — Adam, M. Le Gallo. — Le vieux jardinier,
M. Armand Berthez. — Eve, M^e Alice Bonheur.
9. Distribution. — Laubespin, M. Le Gallo. — Bonniéres, M. Georges
Flandre. — Madeleine, M»» Madeleine Carlier. — Jacqueline, Mil» Lan-
telme.
THEATRE DES CAPUCINES 445
17 NOVEMBRE. — La Sauvegarde^ de M. Charles
des Fontaines * ; Beaucoup de cris pour rien I fan-
taisie chantée, de M. Hugues Delorme*.
9 DÉCEMBRE. — Fin de vertu^ de MM. Tarride
et Vernayre^.
1. Distribution. — Guy des Tourelles, M. Huguenet. — De Grigny,
M. Rozenherg. — Un domestique, M. Georges Flandre. — M«»« de Val-
lorbe, MU» Marcelle Lender. — Julie, Mii« Georgina May.
2. Distribution. — La divette, M»» Bour guette Jifon/ôron. — L'auteur,
M. L. Lacroix.
3. — Distribution. — André Noyelle, M. Rozeriberg. — Philippe de
Terne, M. Armand Berthez. — Gaston d'Armoy, M. Georges Flandre.
— Maurice Bleuze, M. Louis Blanche.. — Lucienne d'Armoy. M»« Mar-
celle Bordo.
THÉÂTRE MOLIÈRE*
i8 JANVIER. — Premières représentations de
l'Instinct^ pièce en trois actes de M. 'Henry
Kistemaeckers * et de la Soutane ^ pièce en trois
actes de M. Arthur Bernède^. — .Un romancier,
beaucoup moins belge qu'on a' bien voulu le
dire, M. Henry Kistemaeckers, dont les deux
seules pièces, Marthe et la Blessure^ n'avaient
pas encore suffisamment affirmé les qualités dra-
matiques, nous donnait aux ex-Bouffes-du-Nord,
devenu le fort élégant Théâtre Molière, une pièce
en trois actes, V Instinct^ à laquelle il manquait fort
peu de chose pour être tout à fait intéressante. Ce
peu de chose est ce que le « cher oncle », notre
regretté maître Francisque Sarcey, appelait tout
bonnement « l'art des préparations ». Ah! si les
trois actes de M. Kistemaeckers n'eussent été si
1. — Directeurs.: MM. Clôt et Dublay.
8. Distribution. — Jean Bernou, M. Candë. — André Bernou,
M. Castelli. — Lantriquet, M. G. Frère. — Pierre, M. Lecomte. —
Cécile Bernou, M«« Cora Laparcerie. — Thérèse Laugier, M"» Hélène
Gondy. — Berthe, MH» Renée Launay»
3. Distribution. — L'abbé Jacques Mirande, M. Monteux» — Msr de
Canardin, M. P. Cresté. — Le comte Brossard, M. P. Régnier. — Le
père Mirande, M. Howey. — Le baron de Rouvray, M. Manneville. —
Henri de Prangis, M. GerhauU. — Docteur Mercier, M. Mathieu. ^ Le
sacristain, M. Lecomte. — La mère Mirande, M»» Hélène Gondy. —
— La baronne de Rouvray, M'i« Claude Ritter. — Marguerite de Rou-
vray, Mil» Fanny Auhell. — Le petit Jean, M»» Vendeling. — La com-
tesse Brossard, MH» Kranil. — M'ie Elise de Monjoie, W^^ Romane.
448 LES ANNALES DU THEATRE
sommaires, vraiment, qu'ils semblaient un simple
scénario, nous aurions eu plus alors et mieux
qu'une situation dramatique, nous nous serions
trouvés en face d'une « œuvre ». M. Adolphe Candé,
dont on avait salué avec un vif plaisir le retour à
Paris — nous l'avons trouvé déjà au chapitre de
rOdéon — avait joué son rôle avec une force, une
autorité et une vigueur sans pareilles : M"*« Cora
Laparcerie eût pu, ce nous semble, donner au sien
un peu plus de relief. M. Frère avait su dessiner
avec une certaine vérité la figure d'un employé
d'agence de renseignements. — Dans Nos deux
consciences, de M. Paul Bourde, l'abbé Piou, que
jouait Coquelin^ avait failli se laisser guillotiner
plutôt que de livrer le secret de la confession.
C'est du même « secret de la confession » que
traite M. Arthur Bernède, et voici le sujet de la
Soutane. Le jeune curé d'un village breton, l'abbé
Mirande, a reçu d'une de ses paroissiennes, la
baronne de Rouvray, l'aveu in extremis que sa
fille, qui porte le nom de Marguerite de Rouvray,
est en réalité la fille de M. de Prangis. Celui-ci est
mort, mais, marié lui-même^ il a lai;ssé un fils qui
demande la main de M"® de Rouvray, dont il est
aimé. Le curé, qui sait tout, laissera-t-il donc le
frère épouser la sœur? La conscience troublée
au delà de toute expression, il demande conseil à
son évêque. Celui-ci répond sans hésitation :
« Vous devez vous taire. Les règlements de
l'Eglise sont formels : un prêtre ne doit jamais,
quoi qu'il advienne, violer le secret de la confes-
sion ... » Le curé ne se tient pas pour battu. Il
THEATRE MOLIÈRE 449
arrache à son évêque Tautorisation d'aller à Rome
consulter le pape lui-même. Mais il n'est pas
reçu par Sa Sainteté, secrètement prévenue d'a-
vance. Et quand il revient au village, son pre-
mier soin est de tout dire au jeune homme, qui
s'expatriera sans revoir celle dont il voulait faire sa
femme. L'abbé a libéré sa conscience, mais il a
mérité les foudres- de l'Eglise, qui frapperait le
révolté, si les paysans, sourdement travaillés contre
leur curé aux idées trop généreuses, ne se char-
geaient de lapider le malheureux, comme autrefois
fut lapidé le Christ. « Ils ont tué le bon Dieu ! ».
s'écrie un petit idiot, moins cruel que la foule.
M. Arthur Bernède avait pris soin de nous préve-
nir qu'il n'avait pas voulu écrire un pamphlet, et
je constate bien volontiers les très sérieuses qua-
lités dramatiques de son œuvre sainement pensée
et logiquement déduite. Tel est l'intérêt de la Sou-
tane que, malgré l'heure avancée de la soirée et
l'éloignement du théâtre légèrement excentrique en
dépit des nouveaux moyens de communication,
nous sommes presque tous restés rivés à notre
fauteuil et très inquiets de savoir comment « cela
finirait. . . » Avec sa belle voix et son évidente in-
telligence, M. Henri Monteux a, de façon très vi-
vante, incarné l'abbé Mirande : pardonnons-lui des
écarts de mémoire qui n'ont souvent fait qu'une
bouillie de l'honnête prose de l'auteur. Et sachons
rendre justice aux efforts vers le naturel qu'ont
tentésj sous les traits du père et de la mère Mirande,
M. How^ey etM"^ Hélène Gondy — bien jeune pour
l'emploi.
ANNALES DU THÉÂTRE 29
45o LES ANNALES DU THEATRE
20 AVRIL. — On donnait, en matinée du jeudi
•saint, la Pécheresse^ drame sacré en trois actes, de
M. R. de Gaëi, musique de scène de M. Farigoul.
M. Léon Second jouait le rôle du Christ; M"® Claude
Ritter, celui de Marie-Magdeleine.
4 MAI. — Aux très fruclueuses soirées de Vins--
tinct et de la Soutane, dont, jusqu'aux derniers
jours d'avril, la vogue ne s'était pour ainsi dire,
jamais démentie, succédait en fin de saison un spec-
tacle coupé, comprenant : V Échéance j pièce en trois
actes de M. Pierre de Sancy*; Monsieur s' amuse y
pièce en un acte de MM. de Bruysieulx et Roger
Max 2 ; On réclame, ! comédie en un acte de
MM. Auguste Germain et R. Trébor^et Nos fai-
blesses, pièce en deux actes de MM. Maurice Du-
plessy et Joseph André *^.
26 MAI. — Première représentation de la Lé-
(fende du Ménétrier, donnée par les Cadets de
France, pièce en quatre actes et en vers de M. Jac-
(jues Roullet, musique de scène de M. H. Eymieu^.
1. Distribution. — Le comte de Verlan, M. Henry Perrin. — Jean
Verlan, M. Jean Coste* — Germain, M.Howey. — Une Sœur de charité,
Mil» Romane. — Thérèse Chartrain, MW« Lola Noyr. — Yvonne,
MU« Dorny,— Jeanne, M"« Magda. — Comtesse de Verlan, Mi»« Kranil.
$. Distribution. — Le baron, M. Garay. — Le comte de Kerguer,
M. K. Ferny. — Emile, M. Page. — M"»» de Burnham, M"» Lola Noyr.
— Vne petite femme, MH'Dorwy. — Luce, M"» Magda. — Une femme
de chambre, MH» Romane.
3. Distribution. — M. Ducaty, M. Howey. — Le directeur, M. E.
Forny. — Un garçon de bureau. M. Page.
i. Distribution. — Georges Brissot, M. Henry Perrin. — André Ser-
gines, M. Jean Coste. — Le docteur, M. Garay. — Un domestique,
M. Page. — Suzanne Brissot, MH« Camille Preyle. — La garde-malade,
Mil» Magda.
5. Distribution.— Ludwig, M. Albert Mayer.— Frédéric, M. Camille
Borde. — Ibrahim, M. Denoijc. — Un homme du peuple, M. Hoxcey» '•—
THEATRE MOLIERE 45 1
4 OCTOBRE. — Première représentation de la
Concurrente^ pièce en trois actes de M. Jean Roy*.
— Sous le pseudonyme assez transparent de Jean
Roy, l'auteur de la Concurrente, disons-le tout de
suite, est la veuve du regretté Albert Le Roy, na-
guère député de TArdèche, qui professa î\ la Sor-
bonne un cours libre sur la littérature sentimen-
tale et exerça avec honneur, dans une feuille
parisienne, les fonctions de critique dramatique.
Qu'eût dit notre distingué confrère d'une pièce
dont le héros, qui est homme de lettres, est le type
le plus complet du « parfait mufle » ? Romancier,
dramaturge et journaliste en vogue, Maxime Cor-
mière ménage si peu ses forces physiques qu'insen-
siblement son cerveau se vide, au point qu'on
peut, hélas ! prévoir le moment où, en dépit des
traités qu'il a signés de tous côtés avec les éditeurs
et directeurs, il ne pourra plus ni trouver une idée,
ni écrire une ligne. Et plus tôt qu'on ne le pensait
arrive l'instant fatal : Maxime devient subitement
L'archiprêtre, M. Berieaux. — Le vicaire, M. Fallens. — Un héraut,
M. Préval. — Kadijah^ MHe Olga Demidoff. — . Une Sœur tourière,
M»» Laure Mouret. — Âïcha, M"« Mommand. — Eliazise, M^e Ver-
nières.
On commençait par Fidèle au poste, un acte de MM. Moriss et Marcus
Bernard, joué par MM. Howey, Préval et Jalabert.
1. Distribution. — Georges Delver, M. Alb. Lambert. — Maxime G^r-
mière, M. Pouctal. — Férias, M. Mévisto. — Paul Reinau, M. Castetli.—
Magies, M. Angély. — Montanet, M. Paul Daubry. — Ispravich,
M. Fleury-Fontès. — Pierre Krémor, M. Duchemin. — Henri, M. Hé-
rault*— Eva Cormière, M»» Suzanne Devoyod. — Rose Numa, M'ie Alice
Béry. — Michelle, Mlle de Dehen. — Marga Ispravich, M"» Dargenton.
— Flore, MH« Claudie de Sivry. — M""» Chadeuil, MH« Montout. —
Marie, MH« Jung. — Marthe, M"* Romane.
V Audition èidM jouée par MM. Fleury-Fontès ^ Jalabert, Gérault,
Mil" de Sivry.
452 LES ANNALES DU THEATRE
fou ! . . . Fou guérissable, assure le professeur
Delver qui le prend en la maison de santé où il
traite des neurasthéniques, pendant qu'au bon
public on cachera soigneusement sa véritable
maladie. On la dissimule si habilement que, pen-
dant les mois qu'il passe chez le docteur Delver,
sa très remarquable et toute dévouée femme — se
révélant femme de lettres — pourra signer du
nom de Cormière le roman, la pièce de théâtre et
l'article de journal qu'on attendait impatiemment
de l'illustre écrivain. Mais quand, entrant en pleine
convalescence, il réintégrera le domicile conjugal,
croyez-vous qu'il se montrera heureux d'avoir été
si adroitement remplacé ? Pas le moins du monde :
il s'avouera purement jaloux de la « concurrente »
qui l'imitait trop bien, et nous le verrons pousser
la noire ingratitude envers celle qui avait eu l'art
de sauver sa fortune et sa gloire jusqu'à lui faire
gratuitement l'injure d'aller manger en Russie, en
compagnie d'une capiteuse comédienne, la forte
somme que lui avait si noblement gagnée sa vail-
lante femme. Avais-je pas raison de vous dire tout
à l'heure que ce Maxime Cormière était un mufle —
je répète le mot — d'espèce assez rare ? Cette his-
toire — vécue, dit-on — ne remplissait pas à elle
seule une pièce bizarre et un peu touffue, dont les
meilleures intentions ne furent pas toujours très
bien comprises par les auditeurs du premier soir. 11
y avait un peu de tout dans cette comédie mal
bâtie : une certaine audace, du verbiage, beaucoup
de verbiage, et même de l'esprit par-ci, par-là. Elle
ne fut pas du tout mal interprétée par une troupe
THEATRE MOLIÈRE 453
recrutée de bric et de broc. C'était M. Albert Lam-
bert (le docteur Delver), qui, vraiment, ne méritait
pas de quitter TOdéon où il avait rendu tant de si
loyaux services. C'était M. Pouctal (Maxime Cor-
mière) que nous avions applaudi autrefois dans les
héros plus ou moins honnêtes des mélodrames de
l'Ambigu. C'était M. Mévisto, se tirant avec aisance
d'une tâche indigne de sa valeur. C'était M"^ Suzanne
Devoyod, l'une des meilleures « Parisiennes » de
Becque^ qui, de façon très touchante, remplissait
le rôle de la noble « concurrente ». C'était enfin
M"« Alice Béry qui, pleine de vrai talent, rendait
à miracle avec une voix superbe et une diction
toute classique les scènes passablement hardies où
Rose Numa, la gentille actrice disant à Cormière
le béguin qu'elle avait pour lui, et son vif désir
d'être enlevée. Comment résister à un si joyeux
entrain? La soirée — toute au féminisme — avait
gaiement commencé par une petite pièce qui affichait
assurément beaucoup moins de prétention que la
grande. U Audition est signée de M"« Marie Lapar-
cerie, sœur de Cora... C^est l'histoire, banale à
force d'être vraie, de la jenne artiste, complaisam-
ment recommandée par le directeur des Beaux-
Arts, qui débite une scène de Phèdre — le garçon
d'accessoires lui donne grotesquement la réplique
— et qu'on engage « à l'œil » pour sa première
année. Il est vrai qu'elle sera autorisée à payer ses
toilettes, et que, si elle est gentille avec son direc-
teur — vous savez ce que parler veut dire — elle
a l'espoir de voir doubler ses appointements.
Notons le bon accueil fait à l'acte franchement
454 LES ANNALES DU THÉÂTRE
amusant de M"« Marie Laparceri.e, et les applaudis-
sements justement mérités par sa verveuse inter-
prète, M"'' Claudie de Sivry.
3i OCTOBRE. — Première représentation de /^rerf,
comédie en trois actes de MM. Auguste Germain
et R. Trébor*. — Fred est une fort gentille comé-
die parisienne et du meilleur ton. On y côtoie des
honnêtes gens et de braves gens. L'action est
agréable et d'une simplicité souriante, et juste
assez pimentée pour ne pas tomber dans le pro-
verbe. Les personnages ne cassent pas les vitres,
mais sont suffisamment gais pour rompre la glace
et bénéficier de la vive sympathie des spectateurs.
C'est du joU Scribe, du Scribe modernisé qui re-
pose des rosseries auxquelles les théâtres du bou-
levard nous ont récemment accoutumés. Frédéri-
que ou plutôt Fred, célèbre doctoresse en méde-
cine, est la maîtresse de, Georges Legrand, un fils
à papa très doux, très faible, déplorablement indé-
cis. C'est un gentil garçon, pas méchant pour un
sou, mais qui n'ose rien faire, ni résister ouverte-
ment à son père, lequel veut lui faire épouser Aline
Ribourg, jeune fille timide, un peu bécasse et
«.trop bien élevée », ni rompre nettement avec
1. Distribution. — Saint-Ernest, M. André Dubosc. — Monsieur Le-
grand, M. Pouctal. — Georges Legrand, M. Henry Lamohg. — M. Lom-
bard, M. Angély. — Un ouvrier, M. Jalabert. — Alexandre. M. Gérault.
— Une institutrice, M"» Jung. — Frédérique, Mil» Marguerite Caron. —
Aline RibOurg, M»» Mireille Corbé. — M»»» Lombard, M»* de Dehen. —
Miss Marguerite, M"« Romane. — Catherine, MH« Vernières. — M"« de
Courmartin, M"» Millière. — M»« de Lynneuil, M»» Valdès.
On commençait par les Parias, pièce en un acte, de MM. Robert Van-
couvert et Ch. Duflo, jouée par MM. Angély, Gerbault, Fleury-Fontès,
Charpin et MH» Claude Ritter.
THEATRE* MOLIERE 455
Fred. Il se résout pourtant à faire la noce, affiche
une liaison de music-hall, se ruine au jeu, et re-
vient implorer le pardon de sa maîtresse : celle-ci
le lui accorde à « bouche que veux-tu » trop heu-
reuse de reconquérir son amant chéri, son enfant
gâté, son « joujou ». Entre temps, Alice Ribourg,
bouleversée de Tindifférence, on peut dire du lâ-
chage de son fiancé, est venue consulter IsL fa-
meuse doctoresse sur son état d'âme, — état plu-
tôt nerveux qui Tamène a se confesser, à demander
« qu'on la guérisse du mal d'amour ». Fred, en
bonne personne, inconsciente d'ailleurs de sa bonne
action, conseille à sa jeune cliente, au lieu de bro-
mure, moins de timidité, au lieu de douches, plus
de coquetterie. La leçon porte ses fruits. Georges
qui vient de nouveau de se disputer avec Fred,
rencontre au bon moment son ex-fiancée absolu-
ment transformée. C'est presque maintenant une
miss américaine indépendante, hardie, parlant un
tantinet argot. Jeune fille modern-style, elle séduit
définitivement notre indécis qui l'épouse un peu
pour elle, beaucoup pour faire plaisir à sa famille.
Rassurez-vous : Fred ne languira pas dans un cruel
abandon. Elle deviendra la femme d'un spirituel
garçon appelé Saint-Ernest, qui fut consul vingt-
quatre heures et consacra le reste de son temps à
faire la cour à la jolie doctoresse. M. André Du-
bosc créa ce personnage d'une touche fine, amu-
sante et légère : il fut une des gaîtés de cette pièce
aimable. M. Pouctal fut un père bon enfant, et
M. Henry Lamothe un agréable jeune premier,
presque trop jeune, presque trop joli. On ne peut
456 LES ANNALES DU THEATRE
que complimenter M"® Marguerite Caron d'une
création qui fait honneur à son talent conscien-
cieux : nous applaudîmes en elle une Fred tour à
tour émue et tendre, sérieusç parfois, charmante
toujours. M"® Mireille Corbé, intelligente et jolie,
nous a paru exagérer quelque peu la bécasserie et
la hardiesse d'Aline Ricourt, ce qui nuit à la vrai-
semblance du personnage : le public s'en amusait
pourtant. Les autres interprètes, M°*^« de Deken,
Romane, Millière, MM. Angély, Gérault et Jala-
bert, complétaient un bon ensemble.
i5 DÉCEMBRE. — Première représentation à* Une
Nuit, pièce en un acte de MM. André de Fouquiè-
res et Charles Casella*.
1. — Distribution. — Jean, M. Mayer. — Raymond, M. Boyer. — Le
cambrioleur, M. Fleury-Fontès. — Un agent, M. Charpin. — Germaine,
M»« Claude Ritter. — La concierge, MH« Jung,
2. — Des matinées «classiques et modernes» furent données avec
succès, le jeudi, au Théâtre Molière. M. Galipaux s'y montra d'extra-
ordinaire fantaisie dans les Précieuses ridicules; M. Duard y joua
brillamment le Médecin malgré lui] M>"« Descorval déploya, en divers
rôles de son emploi, l'exubérante verve qu'on lui connaît; Ml)* Alice
Béry retrouva, dans Dorine de Tartufe^ le beau succès qu'elle avait na-
guère obtenu à l'Odéon ; Mlle Claude Ritter se fit chaleureusement applau-
dir, en compagnie de MM. Garay et Henry Perrin, dans Horace et dans
Andromaque, puis avec M. Léon Segond, dans Britannicus; M»» Lucie
Brille fut, dans Phèdre, la très digne interprète de Racine. Enfin, le 16
novembre, k l'une de ces matinées populaires, on donnai Severo Torelli
. de M. François Cuppée.
THEATRE MOLIÈRE.
457
Sainte-Roulette i pièce.
L' Allumeur , pièce/
^L' Instinct j pièce S
""La Soutane, pièce
*La Pécheresse j drame sacré
""Nos Faiblesses, pièce
* L'Echéance, pièce
""On réclame, comédie
* Monsieur s'amuse, pièce
*La Légende du Ménétrier, pièce en vers
*Fid€le auposte, pièce
*La Concurrente, pièce
* L'Audition, comédie
*Fred, comédie
*Les Parias, pièce ■.
* Une Nuit, pièce
DATE
NOMBRE
delà
IM représ.
d'actes
ou de la
reprise
4
))
1
»
3
18 janv.
3
18 janv.
3
20 avril
2
4 mai
3
4 mai
1
4 mai
1
4 mai
4
26 mai
1
26 mai
3
4 octob.
1
4 OGtob.
3
31 octob.
1
31 octob.
• 1
15 déc.
NOMBRE
de
représent;
pendant
Tannée
8
8
101
101
2
18
"18
19
18
9
. 9
31
31
74
51
22
LES TRENTE ANS DE THÉÂTRE
Sous la toujours entraînante et fort intelligente
direction de leur président-fondateur, Adrien Ber-
nheim^ les Trente ans de Théâtre ont continué
avec le plus vif succès leur œuvre bienfaisante et
populaire. En igo5, ils donnaient dans les fau-
bourgs trois représentations de Tartuffe^ trois re-
présentations de V Avare, trois représentations du
Barbier de Séville, et quatre représentations du
Malade imaginaire. Ils jouaient une fois VEtourdi,
les Femmes savantes j le Misanthrope , les Précieuses
ridicules et le Médecin malgré lui^ une fois aussi
PhèdrCj Andromaque^ les Plaideurs et le Jeu de
l'amour et du hasard. Ajoutons à ces œuvres du
répertoire classique la curieuse résurrection de la
Corde sensible, le vieux vaudeville de Clairville et
Lambert Thiboust; la reprise de Fil en aiguillcy
la piquante comédie de M. Léon Gandillot; une
brillante « Soirée Massenet »; une délicieuse
<( Heure de Mozart » ; les gais « Refrains d'Offen-
bach », que précédaient des fragments du Barbier
de Séville et du Mariage de Figaro de Beaumar-
chais, de Rossini et de Mozart, joués et chantés
par les meilleurs artistes de la Comédie-Française
et de rOpéra-Comique, et l'amusante représenta-
46o LES ANNALES DU THEATRE
tion du Misanthrope et l'Auvergnat de Labiche.
Joij^nons encore les matinées (hors série) du Tr«>-
cadéro, où, avec les Fourberies de Scapin et les
« Chansons d'Alfred' de Musset », se donnèrent
Samson et Dalila de M. Saint-Saëns, la Damna-
tion de Faust de Berlioz, et le Manfred de Schu-
mann, conduits par M. Camille Chevillard.
Mais laissons la parole à M. Henry Marel, rap-
porteur des Beaux-Arts :
Il y a quelques jours, écrivait-il, la sous-commission
consultative des théâtres, cherchant par quels moyens on
pourrait multipliera Paris les représentations populaires,
émettait le vœu suivant :
« Considérant que Tœuvre des Trente ans de Théâtre
répond exactement au hut poursuivi, se déclare favorable
à toutes les mesures qui pourraient en assurer le déve-
loppement. »
On ne pouvait consacrer, en termes plus décisifs, le
succès de ces belles représentations de faubourg-s orga-
nisées par les Trente ans de Théâtre et qui, avant la fin
de Tannée, atteindront leur centième. Et n'est-ce pas le
cas de répéter avec un des initiateurs de cette œuvre,
Gustave Larroumet (27 octobre 1902, le Temps) :
« Il y a là quelque chose de'très considérable et la
portée de cette épreuve va beaucoup plus loin que le but
immédiatement visé. Il ne s'agit plus seulement d'une
soirée fructueuse pour une œuvre de bienfaisance. 11 est
démontré, il est acquis que les œuvres les plus hautes
sont à la portée du peuple et que le peuple ne demande
qu'à s'y intéresser passionnément. Il a prouvé qu'il était
capable de prendre sa part, sa large part dans ce patri-
moine dramatique où notre génie national a mis le
meilleur de lui-même et dont, jusqu'à présent, il était
LES TRENTE ANS DE THEATRE 46 1
privé, lui, peuple, je dirai presque frustré, puisque nous
sommes une* démocratie. Voilà, si Ton veut, la véritable
formule du théâtre populaire : le grand répertoire allant
chercher le peuple chez lui. La société riche irait le voir
rue Richelieu, comme par le passé ; mais, de temps en
temps, le plus souvent possible, il irait, lui, dans les
faubourgs se mettre en contact avec Tâme du peuple. »
De son côté, Catulle Mendès, si passionné pour tôute^s
ces questions de vulgarisation d'art, s'exprime ainsi :
« Vous savez le juste triomphe de tant d'admirables
artistes dans cette éclatante matinée de gala qui a fêté la
première cinquantaine des Trente ans de Théâtre. Pas
d'oeuvre plus discrètement, plus utilement charitable
que celle-ci. Mais ce n'est pas seulement à cause de la
bonté qu'elle se recommande à l'universelle sympathie ;
c'est aussi, c'est surtout à cause de la beauté. M. Adrien
Bernheim ne borne pas son ambition à secourir des
souffrances, à relever des fatigués, à guérir des malades;
par ses belles représentations, où figurent des ouvrages
presque toujours irréprochables, il met les chefs-d'œuvre
à la portée des moins riches, il offre le génie au peuple.
C'est la vraie façon de hausser les esprits de la foule et
de les épurer. La moralisation par le spectacle du beau
n'est pas du tout une chimère. Et M. Adrien Bernheim
a l'honneur de montrer combien est réalisable le vrai
théâtre populaire que le premier j'ai proposé, selon un
plan simple et point dispendieux auquel n'a été faite
aucune objection sérieuse, ce théâtre qui est le rêve de
tous les poètes et qui devrait être le souci des législa-
teurs. »
11 serait injuste de ne pas associer dans cet hommage
les directeurs et les artistes de là Comédiç-Française et
de rOpéra qui ont compris le but des Trente ans de
Théâtre : « Faire le bien à l'aide du beau » et ont porté
aux petits Parisiens -chez eux, dans leurs théâtres, sans
402 LES ANNALES DU THEATRE
aug-meotation du prix des places, sans leur donner !a
peine de se déranger, les chefs-d'œuvre de la tragédie,
de la comédie et de la musique. Ils ont compris que ces
Trente ans de Théâtre réalisaient un triple but : i® se-
cours directs immédiats aux malheureux ; 2^ une forme
pratique du théâtre populaire; 3® un supplément de
traitement appréciable pour tout le personnel contri-
buant au succès de ces soirées des faubourgs.
Et c'est ainsi que, poursuivant leur tâche, « la morali-
sation du peuple par le spectacle du beau », les Trente
ans de Théà».re ont, depuis le i**" janvier 1900, continué
le cycle de leurs soirées faubouriennes et desservi tour à
tour, suivant la règle qu'ils se sont imposée, la plupart
des arrondissements suburbains. C'est ainsi que, se
préoccupant de varier toujours leurs spectacles et de ne
jamais offrir les mêmes œuvres aux mêmes publics, ils
donnaient successivement en janvier, au théâtre Moncey,
V Avare, joué par la Comédie-Française ; un acte de
Faust et un acte de Sam son et Dalilaj par l'Opéra ; qu a
l'Alhambra, on jouait les Plaideurs, un acte des Hu-
guenots et des intermèdes de danse, et en avril, Andro-
maque et un acte de Samson et Dalila; au théâtre
Ménilmontant, V Avare, des fragments de Vlphigénîe
de Gluck ; une seconde fois; le Malade imaginaire et
un acte de la Favorite; une troisième fois, les Précieuses
ridicules, la Nuit d'octobre.
Chaque fois, un conférencier s'était chargé de présen-
ter, dans une causerie familière, le but des Trente ans et
aussi de préparer le public à la représentation qui allait
lui être donnée. Ce furent Félix Decori, Louis Barthou,
Gramont, Klotz, Georges Bureau, Jeanne Brémontier, des
écrivains, des avocats et même des hommes politiques.
Le conseil municipal, séduit par ces spectacles-cein-
ture, a encouragé les Trente ans de Théâtre. Il les a
indemnisés des frais de location de salle. Le conseil a
LES TRENTE ANS DE THEATRE 463
voté aux Trente ans une subvention de io.5oo francs, il
l'a portée cette année à 12.000 francs, exprimant le désir
que, comme les années précédentes, le recueil des cause-
ries sténographiées soit publié et distribué dans les
écoles, car les écoles, il ne faut pas l'oublier, reçoivent
pour chacune de ces soirées populaires un certain nom-
bre de places gratuites distribuées par l'intermédiaire
du directeur de l'enseignement à la préfecture.
A ces soirées classiques populaires des faubourgs sont
venues s'ajouter quelques matinées que les Trente ans
organisent au Trocadéro quatre ou cinq fois par an.
On se souvient du retentissant triomphe à' Œdipe roi
joué par la Comédie- Française, Mounet-Sully en tête,
de Samson et Dalila chanté par l'Opéra, de Bérénice
avec Ml^fi Bartet, de la Damnation de Faust avec l'or-
chestre de Ghevillard. Ces matinées, bien que le tarif ne
soit plus celui des soirées faubouriennes (la place maxima
y est portée à 5 francs), ont eu une répercussion énorme
par la seule raison que toujours — comme à Belleville,
à Ménilmpntant ou à BatignoUes — ce sont les chefs-
d'œuvre qui font l'affiche.
Que si l'on nous demande pourquoi l'Etat n'a pas
subventionné une œuvre qui a trouvé la formule du
théâtre populaire, nous dirons que, en obtenant le con-
cours régulier, permanent de la Comédie-Française, de
rOpéra, du concert Chevillard à ces représentations,
l'Etat a apporté la plus pratique des subventions.
A propos de la centième représentation des
Trente ans de Théâtre, M. Victorien Sardou rap-
pelait, dans un piquant article, comment était née
cette belle et bonne œuvre, comment elle avait
grandi, comment elle triomphait, et pourquoi elle
tenait actuellement le premier rang parmi nos
sociétés théâtrales.
464 LES ANNALES DU THEATRE
Il y a quatre ans, écrivait-t-il, je recevais la visite
d'Adrien Bernheim. Nous venions d'organiser, à l'Opéra,
la représentation de retraite d'une des plus admirables
artistes de ce temps. Quelle ne fut pas notre surprise
lorsqu'on nous prévint que la recette, qui s'annonçait
comme superbe, était g-uettée par les huissiers !
Nous avions travaillé ep pure perte^ Bernheim, qui
représentait, à notre comité, le ministre des Beaux-Arts,
cherchait le moyen pratique de mettre à l'avenir les
bénéficiaires à l'abri de semblables réclamations.
Mais comment ?
Il ne voulait, à aucun prix, entendre parler de dons
ni de quêtes à domicile, en quoi il avait bien raison ; il
rêvait de. constituer une société qui pût venir en aide à
tous les déshérités du théâtre, à quelque titre profes-
sionnel qu'ils lui appartinssent, par des secours aussi
urgents que pouvaient l'être leurs besoins.
Nous nous mîmes à étudier la question. — Et, après
l'avoir examinée sous toutes ses faces, nous nous arrê-
tâmes à la solution suivante :
Demander aux artistes malheureux un certificat de
trente années de théâtre, leur donnant droit à des secours
immédiats.
Bernheim communiqua sa belle ardeur à quelques
camarades : les Trente ans de Théâtre étaient créés.
M. Waldeck-Rousseau, alors président du Conseil,
donna des instructions pour que la Société obtînt toutes
les autorisations nécessaires. Et, grâce à lui, elle fut
constituée en quelques jours.
Tout citoyen français peut fonder une œuvre de bien-
faisance : l'important, c'est qu'elle soit pratique et
viable.
Il s'agissait de créer les ressources nécessaires à I!ali-
mentation de cette caiâse de secours, dont le fonctionne-
ment n'admettait aucun retard. Il nous parut que, du
LES TRENTE ANS DE THEATRE 465
moment que les pauvres seuls avaient droit de frapper à
la porte des Trente ans de Théâtre, c'était aux petits
Parisiens, autrement dit au public de nos petites places,
qua devait s'adresser l'œuvre naissante. Des spectacles,
où toutes les formes de l'art dramatique, depuis là cau-
serie familière jusqu'à la danse et la chanson, avaient
leur place, furent immédiatement org-anisés. Tous les
artistes de nos théâtres, g'rands et petits, répondirent à
l'appel : on alla à La Viilette, on alla à Belleville, à
Grenelle, à Ménilmontant, dans tous les faubourgs de
notre vieux Paris, et ces représentations furent triom-
phales.
Mais il fallait aussi les régulariser. Gustave Larrou-
met, tout acquis à notre cause, encourageait chaque
dimanche, dans son feuilleton, le fondateur, les artistes
et ses lecteurs. Un beau soir, un soir dont la date doit
être inscrite en lettres d'or dans les annales des Trente
ans de Théâtre, on joua Andromaque à Ba-ta-clan,
avec tous les artistes de la Comédie-Française, Mounet-
Sullj en tête : on eut la preuve éclatante que là était la
vraie formule du théâtre populaire : le théâtre allant
chercher le peuple chez lui, à sa porte, dans ses quar-
tiers, sans augmentation du prix des places. Après
Andromaque^ ce fut le tour du Misanthrope^ et de
tous les chefs-d'œuvre classiques. Les artistes étaient
heureux d'émouvoir un public inconnu qui leur faisait
fête, et mon ami, M. Jules Glaretie, avec sa bienveillance
coutumière, incitait ses artistes à participer à cette
œuvre de solidarité et de vulgarisation artistique.
MM. Gailhard et Albert Carré suivirent l'exemple.
A côté des chefs-d'œuvre de Corneille, de Racine et de
Molière, des actes du répertoire de l'Opéra et de l'Opéra-
Comique furent donnés, en costumes, dans ces mêmes
théâtres de faubourgs ; les représentations se multipliè-
rent, toutes plus brillantes les unes que les autres, et
ANNALES DU THÉATRB 30
466 LES ANNALES DU THEATRE
rieu ne pouvait arrêter la marche ascendante des Trente
ans de Théâtre.
On s'imaginait alors que Tœuvre de Bernheim pou-
rait porter tort aux sociétés de secours similaires . . .
Quelle erreur ! Loin de leur nuire, elle venait en aide à
notre Société des Auteurs dramatiques, à l'Association
des Artistes, à TAssociatibn des Artistes musiciens, et
les malheureux avaient deux portes où frapper au lieu
d'une.
Les Trente ans de Théâtre atteindront, dans quelques
jours, leur centième représentation, et entreront dans
leur cinquième année d'existence. Les Pouvoirs publics,
par l'organe de leurs ministres, de leurs sous-secrétaires
d'Etat, de- leurs rapporteurs du budget des Beaux-Arts,
en ont célébré les bienfaits qui sont d'ordre différent.
Distribuer, comme l'an dernier, 78.000 francs de secours,
c'est déjà bien. . . Ce qui est mieux, c'est d'avoir donné
une forme pratique et définitive au Théâtre populaire :
car je le dis avec Larroumet, avec Poincaré, avec Roujon.
un théâtre populaire, rivé à la même place — attendant
son public, au lieu de l'aller chercher chez lui — e>t
condamné d'avance ! Il ne doit être ni ici, ni là, il doit
être dans tous les quartiers, et se contenter de la repré-
sentation des œuvres classiques. Mais les Trente ans de
Théâtre ont fait mieux : tous les petits personnels des
théâtres qui participent à ces spectacles de faubourgs y
trouvent leur compte, et chacun touche, pour ces repré-
sentations, des indemnités qui, à la fin du mois, parfont
leur traitement régulier. Et cela est encore de la très
bonne besogne !
Voici maintenant, pour terminer ce chapîtrCj le
joli discours que prononçait M. Jules Claretie, le
3o décembre 1905, au banquet des Trente ans de
Théâtre — présidé par M. Bienvenu-Martin, alors
LES TRENTE ANS DE THEATRE 467
ministre de rinslruction publique et des Beaux-
Arts — où Ton célébrait, en même temps que la
cinquième année d'existence de la Société, les vingt
ans d'administration de M. Claretie :
Monsieur le ministre,
Monsieur le président du conseil municipal,
Je remercie Téminent représentant de la Ville de
Paris des paroles charmantes qu'il vient de prononcer :
c'est au ministre, dont la bonne g'râce a égalé la haute
bienveillance, lorsqu'avec M. le sous-secrétaire d'Etat
aux Beaux-Arts il voulut bien rendre à la première co-
médienne (^e la Maison de Molière la justice et donner la
gloire d*être la première comédienne française décorée
de la Légion d'honneur, qu'il appartient, avec une au-
torité et une éloquence que je n'ai pas, de dire combien
un théâtre d'Etat a été heureux de participer de son
mieux — en faisant de ce devoir un plaisir — à ces
représentations des Trente ans de Théâtre dont la Ville
de Paris a bien voulu, avec raison, faire une œuvre
municipale.
Nous sommes le théâtre du peuple français ! Nous
devions être tout naturellement — et nous étions déjà —
les comédiens du peuple parisien.
J'ai pu, comme a bien voulu le reconnaître en ses
aimables paroles M. le président du conseil municipal,
coopérer à l'œuvre dont nous fêtons aujourd'hui l'anni-
versaire. Mais ce n'est pas à moi, c'est à mes collabora-
teurs de tous les jours, aux artistes de cette Comédie-
Française si enviée, si attaquée parfois et par ceux qui
y vont entrer et quelquefois par ceux qui y sont entrés,
qu'il faut reporter ces remerciements.
J'ai plaisir, puisqu'aussi bien nous parlons aujour-
d'hui d'une œuvre de solidarité artistique, j'ai grand
plaisir à constater combien ces comédiens, harassés par
468 LES ANNALES DU THEATRE
tant de travaux, mettent tant d'empressement et de
vaillance à concourir à toute manifestation de propa-
gande artistique on fraternelle. Ils sont toujours prêts,
jamais las, multipliant iSirs efforts, appelés partout,
demandés partout. On leur reproche parfois leurs tour-
nées personnelles ! On oublie alors leurs tournées de
dévouement et de charité ! Je ne crois pas qu'au bout
d'une année un millionnaire ait autant donné qu'un
artiste. Encore le millionnaire ne donne-t-il que son su-
perflu. Le comédien, le chanteur, le peintre, le statuaire,
qui apporte son concours à une œuvre de charité, donne
à la fois de son talent, de son cœur et de sa vie.
Si je faisais le total de toutes les représentations où la
Comédie^Française apporte son concours, vous en seriez
étonnés et j'en serais fier. Et si je parle de. la Comédie,
c'est que j'ai l'honneur de la diriger ; mais tous les
théâtres, tous les artistes, depuis l'Opéra, le Grand-
Opéra comme on dit encore et justement, depuis TOpéra-
Comique jusqu'au café-concert, sont là pour se dévouer
en se faisant applaudir.
Du reste, il ne s'ag-it pas seulement ici de charité, il
s'agit aussi de beauté.
Quand mon ami M. Bernheim me parla pour la pre-
mière fois de cette œuvre des Trente ans de Théâtre, il
n'était question que de fonder une caisse de secours
pour les pauvres gens de théâtre qui, après avoir donné
trente ans de leur existence à la scène, se réveillaient un
triste matin avec des rides au visage et le cœur gros
d'angoisse avec la bourse vide. Il s'agissait de donner
quelque morceau de mouche ou de vermisseau à la cigale
dont le destin avait cassé les ailes. Tous les combattants
de la vie n*arrivent pas à la victoire. Nous avons vu,
autre part qu a la scène, d'injustes défaites et des misères
imméritées. M. Bernheim entendait se faire le consola-
teur des cigales. La ruche et les abeilles de Molière lui
LES TRENTE ANS DE THEATRE 469
apportèrent leur miel. Mais comme il se trouve que le
bien est le frère ou le cousin du beau, voilà que ces
voyages de bonté à travers Paris, ces représentations d#
bienfaisance devinrent tout naturellement des manifes-
tations d'art. On ne mobilise pas vainement Racine et
Corneille. Le public, qui les applaudissait chez eux, les
acclama chez lui. Et le fameux théâtre populaire, dont
on parle tant, se trouva en partie fondé par voie de
roulement et ^âce à la bonne volonté générale des ar-
tistes secondant l'activité cordiale d'Adrien Bernheim.
Il avait d'ailleurs trouvé dans ses vice-présidents et
son comité des collaborateurs dévoués, et je tiens à en
remercier u^ entre tous : c'est celui qui m'a évité souvent
bien des ennuis en obviant, quand il le fallait, aux em-
barras que peut causer la nécessité de jouer à la fois sur
la scène de la rue de Richelieu et sur la scène de Belle-
ville ou de plus loin — c'est le sociétaire fidèle de la
Maison de Molière, l'artiste qui compte, comédien, artiste
ou collaborateur administratif du logis, non pas trente
ans, mais quarante-deux ans de théâtre — c'est le loyal
serviteur dont le nom nous vient à tous aux lèvres, mon
ami M. Prudhon.
Grâce à lui, j'ai pu, sans avoir l'inquiétude d'un
changement d'affiche, donner à l'œuvre des Trente ans
de Théâtre le concours promis à son fondateur. Et il y
aura une heure, j'espère, où les services rendus à l'œuvre
d'aujourd'hui compteront pour M. Prudhon comme ceux
qu'il a, depuis sa sortie du Conservatoire, rendus à la
Comédie-Française.
Messieurs, en félicitant Bernheim de son œuvre, je
vais peut-être bien le surprendre en lui disant qu'il a eu
cependant un prédécesseur — et ^que ce prédécesseur,
qui est assez connu, est l'homme qui signa ce décret de
Moscou dont une partie régit encore la Société des Comé-
diens français. J'ai dans mes papiers — et je regrette de
4 70 LES ANNALES DU THEATRE
ne pas l'avoir retrouvé tout à l'heure — un document
où, sur la proposition de M. de Rémusat, Napoléon,
votre prédécesseur, mon cher ami, accorde au directeur
du théâtre de Metz, en 1810, une pension de 1.800 livres
pour remercier le directeur modèle de notre chère cité
messine d'avoir, pendant trente ans, dirige le théâtre de
la ville lorraine. Et la pièce officielle, le décret signé par
Napoléon, porte en propres termes ces mots : « Pour le
féliciter et le récompenser de ses « Trente ansde Théâtre » !
Monsieur le ministre, Monsieur le président du conseil
municipal. Messieurs, M. Bernheim ne demande pour
son dévouement d'autre récompense que les sympathies
qui l'entourent, les justes et cordiaux hommages que
vous rendez à son incessante activité, à son ardeur de
bonté, à son cœur.
Mais c'est à nous de lui dire qu'il a eu une idée géné-
reuse, une de ces pensées qui viennent du cœur. Les re-
merciements de ceux qu'il a consolés, les applaudisse-
ments de ceux qu'il a déridés lui suffisent. Ils ne nous
suffisent pas. Je remercie le fondateur de cette œuvre
populaire d'avoir, avec nous, avec nos comédiens, avec
nos chanteurs, avec nos machinistes mêmes — ces ou-
vriers anonymes du succès dont j'aperçois le chef parmi
nous — répandu à travers la foule un peu plus d'art, de
drame, d'émotion, de poésie!
Et, au nom de mes vingt ans de théâtre — qui pour-
raient presque compter double —je bois aux Trente ans
de Théâtre et à la prospérité de cette œuvre très française,
puisqu'elle est très parisienne, et qui est parfois, cer-
tains soirs, le prolongement de notre cher Théâtre-
Français !
CONCERTS DU CONSERVATOIRE
Le Saûl de Haendel, les Béatitudes de César Franck,
le XIII^ Psaume de Liszt, ua Chant funèbre d'Ernest
Chausson, le « Noël » de Piccolino d'Ernest Guiraud,
furent avec le Slabat mater de M. Emile Paladilhe,
Penthésilée de M. Alfred Bruneau, Y Après-Midi d'un
Jaune de M. Claude Debusssy, Madrig'al et Pavane avec
chœurs de M. Gabriel Fauré, Touverture de Frithioff àe
M. Théodore Dubois, un fragment de Jeanne d'Arc, de
M. Charles Lenepveu, une fantaisie en ré majeur de
M. Guy Ropartz, deux préludes pour Axel de M. Alexan-
dre Georges, les pages nouvellement introduites, en
1905, au répertoire des concerts du Conservatoire, que
dirigeait avec son habituel talent M. Georges Marty, et
dont M™esLitvinne, Kustscherra, MM. Alfred Cortot, Hol-
mann, H. Marteau, Jules Boucherit et Emile Cazeneuve
étaient, au cours de la même année, les principaux
solistes.
œNGERTS COLONNE
C'était, le i5 janvier au Ghâtelet, la rentrée de
M. Edouard Colonne, de retour d'Amérique, de retour
aussi d*AiIgleterre et d*Ecosse. Et le public saluait Theu-
reux événement par une chaude manifestation de sympa-
thie. C'était toute une série d'ovations pour le magnifique
programme^ composé de la Symphonie, fantastique de
Berlioz et du Manfred de Schumann qui, déjà trois fois
donné au début de la saison, avait laissé aux auditeurs
un goût décidé de le réentendre. L'œuvre de Berlioz, tou-
jours puissante et curieuse, même lorsqu'elle semble
plus étrange que belle, a fait briller l'orchestre par une
harmonie constamment réalisée dans la multiplicité de
ses timbres. Les cors anglais ont délicieusement donné
dans la « Scène aux champs » de la Fantastique^
comme dans le « Ranz des vaches » de Manfred, Les
cordes en sourdine à l'aigu ont dû bisser une fois de plus
la célèbre a Apparition de la fée des Alpes ». Et les deux
frères, Mounet-Sullj et Paul Mounet, beaux tous deux de
beauté différente et très attaqués par les lorgnettes fémi-
nines, ont fait sonner, d'accord avec l'orchestre, leur
deux voix magnifiquement musicales. Tout ce qu'il y a
de romantique échevelé dans le dialogue de Manfred avec
Arimane et Astarté fut, pour Mounet-SuUy, l'occasion
de nous étonner par l'étendue de ses ressources voca-
les, par tout un assortiment de plaintes et de cris à la
fois bizarres et fort émouvants. Ce fut, en somme,
476 l'Es ANNALES DU THÉÂTRE
lion de la Mer^ poème symphonique de. M. Greorges Sou-
dry, élève de Massenet et de Widor. Voici quels sont les
divers épisodes du tableau musical qu'avait voulu tra-
duire le jeuue compositeur : C'est d'abord le chant pro-
fond et troublant de la mer. — Puis la splendeur et la
magie du Soleil couchant. — Le Soleil, 'après avoir incen-
dié le Ciel et la Mer, disparaît mystérieusement. — La
Nuit vient, sereine et calme. La lune se lève dans un ciel
pur. Les Etoiles scintillent et la Mer continue son chant
profond, troublant, éternel... Un bon morceau de mu-
sique descriptive où domine le bruit... Or le bruit n'est
pas toujours la puissance, et Torchestre de M. Soudry
nous a semblé d'une sonorité un peu massive. Ses idées
sont encore confuses et sa personnalité ne se dégage pas
suffisammejt. Mais qui aurait deviné le Wagner de
Tristan et de Parsifal dans la scène de la Folie des
Fées^ le premier opéra qu'il composa à l'âge de vingt
ans? M. Louis Arens, de l'Opéra royaV4fi Covent-Garden,
l'a rendue avec une voix si expressive qu'en dépit de la
langue allemande dans laquelle il chantait, l'auditoire
suivait facilement toutes les péripéties de ce drame et
comprenait qu'il avait devant lui un véritable artiste.
Une 1res belle exécution de la Symphonie héroïque et
le brillant succès de M. Firmin Touche dans le Rondo
capricioso de Saint-Saëns caractérisaient cette séance.
M. Colonne a décidément la main heureuse pour le choix
de ses premiers violons. Après les Rémy, les Jacques
Thibaud, les Oliveira, voici M. Touche, au mécanisme
impeccable^ au son charmeur, au style pur, aussi dis-
tingué dans son jeu que dans sa personne, qui va deve-
nir la coqueluche des habituées du Châtelet.
La Vie du Poète ^ de Gustave Charpentier, n'avait
pas été exécutée depuis plus de cinq années. M. Edouard
Colonne, qui seul de tous les chefs d'orchestre avait déjà
* fait figurer cet ouvrage une demi-douzaine de fois au
CONCERTS COLONNE ^77
programme de ses concerts, nous en redonnait, le 12
février, une audition splendide à tous égards, tant parla
qualité de l'interprétation vocale où se disting'uèrent
M^i® Suzanne Richebourg, M"^« Boyer de Lafory,
MM. Emile Gazeneuve et Jan Reder, que par Texcellence
de l'orchestre et des choeurs où M. Colonne répandit une
vie intense. « Me suis-je trompé ? » disait notre regretté
confrère Charles Joly. Il m'a semblé que la singularité
de la conception poétique et certaines excentricités vou-
lues n'avaient plus aucune prise sur le public^ tandis, au
contraire, que les auditeurs me parurent avoir gardé
leur enthousiasme des premières auditions pour les par-
ties de cette symphonie-drame où la musique règne en
souveraine. Sous la phraséologie boursouflée d'un com-
mentaire inspiré par un romantisme exacerbé, on s'est
peu à peu habitué à voir quatre tableaux d'une musica-
lité admirable, renfermant je ne sais quelle force, quelle
puissance d'émotion à laquelle on ne saurait rester in-
sensible. Qu'importe qu'ici eWi, dans cette œuvre pour-
tant si personnelle, nous rencontrions certaines réminis-
cences wragnériennes, comme ce thème apparenté à celui
de l'entrée de Sieglinde au deuxième acte de la Vai-
kyrie, telle autre partie d'une phrase des Maîtres Chan-
leurs f tel procédé d'instrumentation issu de Siegfried ;
ce sont là des rencontres fortuites qui ont dû être un
étonnement pour l'auteur lui-même, et qui disparaissent
dans le mouvement et la vie dont déborde la Vie du
Poète. Au demeurant, cette œuvre reste, par ses seules
qualités musicales, une des plus originales et des plus
puissantes de l'école française. » Un chaleureux accueil
fut fait au Prologue symphonique de Circé, musique de
scène que M. Raoul Brunel avait écrite pour le drame de
M. Charles Richet. Ce prologue est un véritable tableau
descriptif, et M. Raoul Brunel nous y a révélé une re-
marquable intuition des facultés expressives des timbres
478 LES ANNALES DU THÉÂTRE
en faisant passer ses motifs d'un instrument à un autre,
toujours avec bonheur^ et en les enveloppant d'un contre-
point à la fois savant et disting'ué. Moins bien accueilli
fut le Concerto en ré mineur, de Brahms, et à la vérité,
nous ne savons pas d'œuvre plus ennuyeuse pour l'audi-
teur, plus ingrate pour le pianiste, car bien que la partie
de piano y soit d'une difficulté extraordinaire, le virtuose
peut à peine y trouver le moyen d'y faire briller ses qua-
lités, écrasées qu'elles sont par un orchestre tapageur.
Le talent de M. Mark Hambourg n'est pas en cause.
Mais quelle idée d'avoir choisi une œuvre qui est loin de
compter parmi les meilleures de Brahms ! Après une si
cruelle épreuve, on avait hâte d'entendre la Vie du
Poète, de la fêter et de l'applaudir, et d'applaudir aussi
le chef éminent qui en dirigea magnifiquement l'exécu-
tion.
L'exquis Clair de lune de M. Gabriel Fauré faisait,
le dimanche suivant au concert du Ghâtelet une appari-
tion des plus heureuses. On eût voulu réentendre cette
mélodie délicate et gracieuse, orchestrée avec la discré-
tion habituelle à l'auteur de Prométhée, M. Colonne n'y
consentait pas et c'était grand dommage,' car un charme
profond se dégage de ces quelques pages trop brèves,
mises alors en valeur par la jolie voix de M"« Leclerc.
Un fragment du Timbre d^argent, de M. Saint-Saëns,
également chanté par M"« Leclerc, succédait à Clair de
lune ; il fut bissé. M. Durot, un tout jeune violoniste, fit
une excellente impression dans la partie d'accompagne-
ment. Le nom de M. Durot est à retenir ; nous le retrou-
verons certainement en belle place avant longtemps.
On peut dire de M. Colonne qu'il a Berlioz « dans le
sang » : sous sa baguette magique nous avons eu, le 2G
février, comme la t; révélation » de l'ouverture du Car*
naval romain^ enlevée avec une telle ardeur qu elle a
éié bissée d'enthousiasme. Bissée, une ouverture : voilà
CONCERTS COLONNE • 47&
qui n'est point banal ! . . . Berlioz a-t-il fait du tort au
morceau suivant ? Pourquoi la majorité dfu public s'est-
elle montrée si rétive envers le très intéressant et très
varié concerto pour piano de M. Widor, interprété avec
talent par M. Philipp, et dont la partie d'orchestre nous
a paru d'une incontestable vafeur ? A M*^^ Jeanne Leclerc,
chanteuse à la voix souple et pure, on a redemandé l'ex-
quis Clair de lune de M. Gabriel Fauré, un chef-
d'œuvre de g-râce et de délicatesse, qu'elle a cette fois redit
aux applaudissements de toute la salle, comme aussi la
tendre romance ce Le bonheur est chose légère », tirée du
Timbre d'argent^ l'un des premiers ouvrages de M. Ca-
mille Saint-Saëns. M. Firmin Touche obtenait, dans
l'accompagnement, le lïlême succès que, huit jours aupa-
ravant, son jeune camarade M. Durot. N'avais-je pas
raison de vous dire que M. Colonne a, pour choisir ses
premiers violons, la main particulièrement heureuse?
L'émouvante et pittoresque Vie du Poète de M. Gustave
Charpentier, qui avait fait les frais des deux précédents
programmes, était, cette fois, remplacée par la Rédemp-
tion de César Franck, aujourd'hui devenue œuvre classi-
que, et dont l'exécution a été de toute beauté. Il s'en
fallut de peu que Tentr'acte symphonique fût bissé. Di-
sons que M. Colonne était, si possible, au-dessus de lui-
même, et donnons une mention toute particulière à
M™« Auguez de Montalant qui chantait de façon absolu-
ment parfaite — en grande artiste, oui — le rôle de
l'Archange.
On nous offrait, au Châtelet, le 12 mars, la première
édition d'une Elégie symphonique de M. Armand Mar-
sick, neveu du célèbre violoniste et élève de M. Charles
Lenepveu. Sans plan bien arrêté, sans personnalité mar-
quée, sans style bien défini, le morceau n'est pourtant
pas dénué de toute valeur, et nous a semblé, instrumen-
talement parlant, pavé des meilleures inteations du
48o LES ANNALES DU THEATRE
monde. Succès d'estime. . . Grand succès, au contraire,
pour l'ouverture du Carnaval romain encore une fois
bissée (cela devient une tradition), et pour Rédemp-
tion ^ dont fut admirable l'interprétation orchestrale et
chorale.
Nous avions ensuite, au Ghâtelet, deux auditions suc-
cessives du Requiem de Berlioz ... Il est bien certain
qu'une messe des morts est plus à sa place dans une
église que dans un théâtre ou dans une salle de concert ;
mais ne vaut-il pas mieux entendre le Requiem de Ber-
lioz au concert ou au théâtre que de ne pas l'entendre du
tout? Ce Requiem est vraiment une œuvre considérable
et superbe, dont l'impression est toujours très profonde
sur la plus grande partie du public. Lorsque les fanfares
du Tuba mirum aboutissent au formidable tutti sur
lequel éclatent les trémolos de six timbales et de deux
grosses caisses, après le foudroyant appel des trompettes
du Jugement dernier, l'effet ne laisse pas d'être saissis-
sant. C'est au début de la sonnerie des cuivres qu'Habe-
neck, — on connaît l'anecdote, — prit cette fameuse
prise de tabac qui faillit amener une effroyable cacopho-
nie entre les quatre orchestres placés aux quatre points
cardinaux de l'église des Invalides. Mais Berlioz veillait;
il s'élança vers le pupitre du chef d'orchestre en distrac^
tion, indiqua avec son bras le mouvement aux instrumen-
tistes, et conduisit le morceau jusqu'à la fin. Grâce à sa
présence d'esprit, le danger fut conjuré. « Quand, aux
derniers mots du chœur, Habeneck vit le Tuba mirum
sauvé, raconte Berlioz dans ses Mémoires : — Quelle
sueur froide j'ai eue, me dit-il ; sans vous nous étions
perdus ! — Oui, je le sais bien, répondis-je en le regar-
dant fixement... Je n'ajoutai pas un mot... L'a-t-ii
fait exprès?. . . Serait-il possible que cet homme, d'ac-
cord avec M. XX. qui me détestait, et les amis de Ghé-
rubini, ait osé méditer et tenter de commettre une aussi
CONCERTS COLONNE 48 1
basse scélératesse?. . . Je n'y veux pas songer... . Mais
je n-en doute pas. Dieu me pardonne si ^e lui fais in-
jure. » Jamais plus grave accusation n'a été portée contre
un chef d'orchestre. Laissons-en à Berlioz toute la res-
ponsabilité. L'histoire de ce Requiem n'est, d'ailleurs,
qu'une longue suite d'incidents qu'il faut lirç, racontés
par la plume irritée du maître. Gherubiui y joue, à côté
d'Habeneck, un rôle qui n'est pas non pliis bien flatteur
ipour lui. La nouvelle de la prochaine exécution du Re-
quiem lui donne la fièvre. C'était une atteinte portée à
ce qu'il regardait comme un droit lui appartenant : celui
de faire exécuter une de ces messes funèbres à l'occasion
d'une cérémonie grandiose et officielle. Allait-on l'en dé-
posséder en faveur d'un jeune homme « à peine au début
de sa carrière, et qui passait pour avoir introduit l'hérésie
dans l'école » ? La haute influence de M. Bertin et l'ami-
tié que le directeur du Journal des Débats et son fils
Armand témoignaient à Berlioz préservèrent celui-ci
d'une intrigue dont il eût bien pu être victime : on apaisa
la fièvre de Cherubini en lui promettant la croix de com-
mandeur de la légion d'honneur. Berlioz composa sa
messe des morts avec une grande rapidité. « Ma tête,
nous dit-il, semblait prête à crever sous l'effort de ma
pensée bouillonnante. Le plan d'un morceau n'était J)as
esquissé que celui d'un autre se présentait ; dans l'im-
possibilité d'écrire vite, j'avais adopté des signes sténo-
graphiques qui, pour le Lacrymosa surtout, me furent
d'un grand secours. Les compositeurs connaissent le sup-
plice et le désespoir causés par la perte de certaines idées
qu'on n'a pas eu le temps d'écrire et qui vous échappent
ainsi à tout jamais. » C'est bien .là le drame de la mort
que Berlioz a voulu peindre, et il n'y a ménagé, ni les
effets puissants, ni les brusques oppositions, ni les
étranges accouplements de timbres qui donnent un
caractère si personnel à ses compositions symphoniques.
ANNALKS DU THÉÂTRE 31
I
482 . LES ANNALES DU THEATRE
Des beautés de premier ordre, une puissance d'exécution
et une élévation d'idées, qu'aucun maXtre ne surpassa
jamais, foat du Requiem de Berlioz une œuvre mag-isr
traie, dont le caractère grandiose, s'il ne commande pas
toujours le recueillement, s'impose du moins à l'admira-
tion de tous. Avons-nous besom de dire qu'avec l'ardente
et belle conviction qui l'anime à l'égard de Berlioz,
M. Colonne donnait une nouvelle preuve de son incontes-
table et coutumière habileté dans la façon dont il diri-
geait une œuvre aussi complexe et d'une exécution aussi
difficile. Devons-nous ajouter. que les chanteurs et les
instrumentistes placés sous ses ordres secondaient vail-
lamment leur éminent chef dans sa belle tâche ? Cons-
tatons aussi le chaleureux accueil réservé, avant le Re-
quiem^ au violoncelliste Baretti, interprète excellent du
concerto en ré d'Edouard Lalo, et à M™« Lola Rally,
de l'Opéra de Berlin, qui d'une voix de soprano fort
agréable, sinon très puissante, chantait un Ave Maria
de M. Max Bruch, bien singulièrement dramatique et
tumultueux. ♦
A la date du 26 mars, le public du Châtelet applaudis-
sait particulièrement une nouveauté dé M. Emile Trépard
— le fin compositeur à^ Martin et Martine — intitulée
le Cantique de Bethphaqéj sorte de poème chanté,
écrit sur des vers de Victor Hugo et que sait faire valoir
la voix très prenante de M^^® Mary Garden, de l'Opèra-
Comique.
Après deux auditions successives, absolument triom-
phales (la 145^ et la i46®), de la Damnation de Faust,
M. Colonne nous ofiFrait le vendredi-saint 21 avril, (c'était
son dernier concert du Châtelet), un festival Wagner
qui n'avait peut-être rien de très « spirituel », mais qui
prt^sentait une bien intéressante sélection des œuvres du
maître de Bayreuth, admirablement interprétées. Puis^
il ûijus faisait entendre le jeune Mischa Elmann, qui
k
CONCERTS COLONNE 483
D*est point un enfant prodige, mais d'ores et déjà, — en
dépit de toutes les réclames à tant la ligne qui lui ont
plus aui qu'elles ne Tout servi ■ — un très remarquable
violoniste.
Le i5 octobre, M. Edouard Colonne inaugurait avec
un entrain et une jeunesse admirables,- la trente-troisième
année d'un apostolat qu*a toujours conduit la foi la plus
'ardente. Pour son concert de réouverture, iF avait conçu
un programme exclusivement com'posé de fragments
d'oeuvres wagnériennes — fragments fort judicieusement
choisis dans le but de représenter les différentes manières
du ihaître. Deux artistes d'une valeur tout exception-
nelle prenaient part à ce concert : M^^^ Félia Litvinne et
M. An tin Van Rooy. L'un et l'autre sont accoutumés de
chanter l'œuvre de Wagner. Mn»^ Litvinne est une Yseult
et une Briinnhilde universellement admirée, et M. Van
Rooy est un des plus fajneux interprètes de Bayreuth. Il
n'y a plus rien à dire de la voix de M™« Litvinne ; cette
voix est d'une pureté, d'une splendeur sans égale. Quant
à M. Van Rooy, il chantait la romance de l'Etoile avec
une tendresse et une poésie, qui formaient un contraste
saisissant avec l'interprétation poignante de douleur con*
tenue q.u'il donnait des adieux de Wotan. M«»« Litvinne
traduisait « la Mort d'Yseult » avec une conviction et un
lyrisme intenses et n'était ^pas moins émouvante clans
Brûnnhilde que dans Yseult.
Le 22 octobre, programme important, exécution su-
perbe, salle enthousiaste. La séance commençait par
Touvcrture, devenue classique, du Roi (TYs de Lalo,
où le célèbre duo des deux femmes prête son thème prin-
cipal au solo de violoncelle. On a écouté avec déférence
la symphonie en ré majeur de Johannès Brahms. Le
commentaire officiel distribué au public nous rappelle
qu'Hans de Bulow comparait Brahms à Beethoven. Il
semble bien que l'auditoire n'eût pas pensé de lui-même
484 LES ANNALES DU THEATRE
à cette comparaison. Le morceau de résistance était une
sélection des Troyens à Carthage. Berlioz est tellement
aimé au Châtelet que tout a porté, même ce qui peut,
dans cette musique, paraître moins durable. A plus forte
raison, Tadmirable septuor a-t-il transporté la salle; et,
après le duo de Drdon et d'Enée échangeant leurs déli-
cieuses répliques de couleur antique et d'inspiration vir-
gilienne, des applaudissements qui refusaient de finir
ont fait fête à l'éminent chef d'orchestre et à ses excellents
interprètes. La voix de M™® Litvinne est toujours sans
pareille, parce qu'elle réalise la puissance dans la fraî-
cheur et la pureté, parce qu'elle reste, même en sa plus
grande force, une voix déjeune fille. La cantatrice avait
voulu nous donner au concert l'illusion de la scène : en
sa qualité de Tyrienne qui aime un Grec, elle s'était coif-
fée à la grecque, et le ton dé sa robe imitait celui qu'à
pEopos d'Andromaquej on a appelé le gris Bartet ; ses
mains, sauf pendant de courtes minutes, se sont tenues
libres de toute brochure ou partition, et quelques beaux
gestes et mouvements de théâtre nous ont aidé à croire
que Didon môme était sous nos yeux. La très belle voix
de M. Saléza ne se ressent plus. Dieu merci ! de la longue
maladie qui l'a menacée jadis; et quant aux notes un peu
féminimes, mais si tendres et si souples de M. Plamon-
don, elles ont valu double salve de bravos au joli « chant
d'Iopas y>.
Avec la sélection complète des Troyens, déjà donnée
le dimanche précédent, le concert du 29 octobre se com-
plétait par le « Chant d'amour » de la Valkyrie,
ciselé, par M. Burgstaller, avec un art supérieur, dans le
mouvement juste, sans langueur exagérée, avec légèreté
et souplesse, on* le bissa unanimement : c'était exquis.
Dans le Chant de la Forge, le même artiste fit applaudir
sa voix superbe. Le long, très long duo de Siegfried^
dont la fin, heureusement, est toute étincelante de la
CONCERTS COLONNE 485
plus brillante, de la plus enthousiaste musique qui
soit, a été chanté sans défaillances, avec une ardeur
et une fougue merveilleuses, par «les deux gratids
artistes, M. Burgstaller et M™« Litvinne. On leur fit
une ovation triomphale^ à laquelle fut justement associé
M. Colonne.
Le programme du 5 novembre était extrêmement
copieux : il comprenait deux symphonies presque Tune
sur Tautre. Il s'ouvrait par la chevaleresque ouverture
de Sigurd de Reyer que M. Colonne conduit avec une
ardeur toute juvénile. Le prélude de V Enfant roi de
M. Alfred Bruneau, arrangé pour concert, c'est-à-dire
développé vers la fin et se terminant dans le ton initial,
est très chaleureusement accueilli par le public. Puis le
Cycle Beethoven s'ouvre par une bonne exécution de la
symphonie en ut majeur. Un spectateur du « paradis »
réclame un peu plus d'ensemble et de mesure... Sur
cette interruption, M. Colonne fait lever ses musiciens
qui saluent avec un ensemble parfait. Ces messieurs et
ces dames avaient des sourires au coin des lèvres qui
semblaient prendre en pitié le malheureux protesta-
taire. . . Superbe interprétation de la symphonie en ré.
Le larghetto en la a été joué admirablement.
Le 12 novembre, la séance s'ouvrait par une brillante
exécution, très vigoureusement applaudie, du Carnaval
romain de Berlioz. Puis le Roaet (fOmphale de
M. Saint-SaCns était joué avec une délicieuse finesse par
les cordes, rendant le final si pianissimo que ce n'était
plus qu'un susurrement d'ailes. . . Le public réserve un
favorable accueil à la première audition d'une œuvre de
M. Périlhou, qui n'a pourtant rien de transcendant. Le
flûtiste Blanquart interprète fort bien cette petite fan-
taisie qu'accompagnent la harpe et l'orchestre, mais il
ne fait pas oublier son prédécesseur, M. Barrére, en
train de courir l'Amérique. Le Cycle Beethoven nous
486 LES ANNALES DU THEATRE
vaut une impeccable exécution du quatrième concerto
pour piano par M. Diémer, acclamé par la salle entière.
Aucune protestation ne se fait entendre, mais Tenlè-
vement du piano déchaîne quelques ironiques bravos
parmi les auditeurs des places supérieures (sixième
étag-e). Une excellente étude de notre érudit confrère
Henri de Curzon, publiée par le Guide musical , donnait
dernièrement A M. Colonne l'idée de comprendre dans le
Cycle de Beethoveo les. lieder du maître. Le programme
de ce jour comportait six lieder orchestrés par M. Ra-
baud. Joli travail, bien inutile à notre avis. Si Beethoven
eût voulu les orchestrer, il eût, ce nous semble, été
capable de le faire lui-même. Quoi qu'il en soit, ces
chants relig'ieux sont d'une g-rande beauté et M. Jan
Rederjes interpréta d'une belle voix de baryton avec
un style parfait. Le numéro 4 « Dieu dans la nature »
était même bissé d'intention par l'auditoire... Admirable
exécution de la Symphonie héroïque.
Entre M. Colonne et son public, il y a décidément
querelle d'amoureux. « Vous arrivez un quart d'heure
en retard! » fut-il crié d'en haut, le dimanche 28 no-
vembre, sur un ton de tendre rudesse. Et justement le
retard avait une cause fâcheuse : « M. Burg-staller ne
peut chanter : il est malade». Quelques « oh !... oh !... »
de désappointement. — « Mais nous avons télég'raphié à
Mme Litviune, qui revient de Bruxelles tout exprès pour
nous tirer d'embarras. » Et, comme à l'ordinaire, l'in-
cident se trouva liquidé par un applaudissement g-é-
néral. J'ai à vous annoncer la nouvelle que M^^^ Litvinne. . .
a maigri ! L'événement importe à l'art contemporain. Il
convient que Brunnehilde soit aussi bonne à voir qu'à
entendre, et c'est à quoi s'applique et va réussir bril-
lamment la belle cantatrice. Sa merveilleuse voix,
mélang-e unique de force et de fraîcheur, a puissamment
conduit et soutenu la scène finale du Crépuscule des
CONCERTS COLONNE 487
dieux, La marche funèbre de Siegfried^ que Tor-
chestre a dû jôuer deux fois, et cette fin d'acte qui la
continue et la dépasse, sont, vous le savez, des morceaux
sublimes qui découragent, littéralement, la louange : la
mienne ne tentera pas de s'égaler à tant de beauté. La
seconde ' moitié du concert appartenait, comme les
dimanches précédents, au Cytîîe Beethoven. L'air de
Léonore {Fidelio)^ bien chanté par M°»® Kutscherra,
s'encadrait entre l'ouverture en mi majeur (médiocre,
il faut être franc) et Touverture de Léonore n® 3, qui .
est classique dans nos concerts. Le morcéku de résis-
tance était la Pastorale^ la délicieuse^ la divine, la
toute puissante Pastorale^ dont l'action sur le public
restera éternellement la même. La séance débutait par le
savant et noble prélude de FervaaL M"»« Litvinne
chanta, de plus, avec une grande ampleur de style, l'air
célèbre de Gluck : Divinités du Styx. Une seule pre-
mière audition : Dans la Cathédrale^ pièce d'orchestre,
avec chœurs, d'un jeune compositeur dont le mérite
s'affirme, M. Max d'OUonne. Seulement Wagner et
Beethoven sont des voisins terribles. On faisait, comme
toujours, maintes ovations aux artistes, à l'orchestre et
à son chef.
L'incident hebdomadaire* du Concert Colonne s'est
produit au début, après le prélude de Parsifal. Entre
nous, la seule opération normale qu'un public ait à faire
après une telle musique, c'est d'essuyer ses larmes et de
se retirer silencieusement. Mais comme l'affiche ne vou-
lait pas qu'on s'en allât, les galeries se sont soulagées en
criant 61*5, et le bis a eu vite gagné les loges et. l'or-
chestre. Histoire d'amener le patron à faire son petit
speech : « Nous sommes très touchés de votre char-
mante insistance ; mais nous avons encore à voys jouer...
deux symphonies de Beethoven ! » Applaudissements,
long coup de sifflet, protestations unanimes, apaisement
488 LES ANNALES DU THEATRE
consécutif et reprise tranquille de la séance. M™« Auguez
de Montalant ajant retrouvé dans la Procession de
César Franck son vif succès de l'autre dimanche^ ce
fut le tour d'une première audition : « Deuxième poème
lyrique sur le Livre de Job », par «M. Henri Rabaud.
Pièce d'orchestre importante, où la musique 'se fait
volontairement dépendante, et même serve, mais 1res
savamment et puissamment expressive du texte (une
très belle traduction d'Ernest Renan, qui, d'ailleurs, ne
s'attendant pas à être chantée, n'a pas pris soin d'éviter
les mots hostiles à toute musique). M. Dufranne, l'ad-
mirable Golaud de Pélléas et Mélisande, a clamé et
déclamé les imprécations de Job avec sa g-rande voix
g^énéreuse que l'orchestre déchaîné n'arrive pas à cou-
vrir. Et nous revenons au Cycle Beethoven. D'abord, la
Septième^ la symphonie en la, peut-être la plus belle,
celle qui inspirait à Weber (quelle misère I) ce jug'ement
historique : « Désormais Beethoven est mûr pour une
maison d'aliénés ». Entre les quatre morceaux d'inspira-
tion souveraine notre admiration n'oserait guère choisir;
mais le cœur de tous est immédiatement conquis par
Vandante, Quatre mesures ! Il n'en faut pas plus; et les
plus distraits donnaient tous les signes d'une atten-
tion passionnée. Vous "savez que les faiseurs d'opé-
rettes ne dédaignent pas d'emprunter leurs idées aux
œuvres classiques, de déguiser sous des paroles drola-
tiques telles mélodies célèbres que l'auditoire ne peut
plus reconnaître. Restituons à Beethoven, au finale de
la Symphonie en /a, le thème de la phrase connue :
(( J'aime les militaires. » C'est pillé note pour note. Le
concerto en ut mineur a fait briller l'adresse et la
netteté du pianiste Lucien Wurmser, qui, d'ailleurs, ne
perd pas... le Nord, si j'en crois le prospectus inter-
calé dans le programme, pour nous rappeler qu'il
donne des leçons et, n'est-ce pas?... qu'il les fait payer.
CONCEjrrS COLONNE 48^
Adélaïde L,, Passons, voulez-vous? Non sans applaudir
une fois de plus le chant impeccable de M™® Aug-uez de
Montalant. Et voici que la ffuitième symphonie en fa^
si justement fameuse par son délicieux andante scher-
zando^ par son prestigieux ^na/e, nous amène au seuil
de la grande et terrible Neuvième^ qui ne peut pas ne
pas faire Tcbjet d'un concert solennel. L'exécution, tou-
jours sûre et brillante, a été dix fois acclamée.
Le concert du 17 décembre était la dernière des sept
séances qui furent si glorieusement consacrée*s à Beetho-
ven. On y redonnait, avec le môme succès que huit
jours auparavant, la Neuvième Symphonie, précédée dur
fameux concerto de vjplon — le seul que Beethoven ait
jamais écrit — où Sarasate, en proie à un invincible
« trac », ne se montrait point — une fois n'est pas
coutume — l'égal de lui-même... Dans la première
partie de la séance, un .simple air de Bach pour les
cordes était exécuté, soùs la fine (Jirection de M. Colonne,
avec une si délicieuse perfection que le public le rede-
mandait d'acclamation et ne faisait plus aucun cas des
jolis fragments de Contes d'avril de M. Widor qui
venaient ensuite : tant il est vrai que le vieux maître
« tue » toujours tout ce qui l'entoure.
Ce fut une longue suite de bis, le dimanche
24 décembre, au Ghâtelet, où se donnait le der-
nier concert de l'année. C'est ainsi qu'on redemanda
le joli trio de l'oratorio de Noël^ de M. Saint-Saëns,
délicieusement interprété par M'*® Jeanne Leclerc,
MM. Plamondon et Daraux ; qu'on voulut entendre
deux fois Varia de la suite de Bach pour intruments
à cordes, désormais entré au répertoire et que le ténor
Plamondon dut redire devant un auditoire charmé le
Repos de la Sainte Famille de V Enfance du Christ,
Puis le Requiem de Gabriel Fauré, œuvre très noble^
fut chanté noblement par M"« Jeanne Leclerc, le baryton
490 LES ANNALES DU THEATRE
Paul Daraux et les chœurs. Le morceau sjmphonique
de Rédemption^ l'un des grands triomphes de l'orchestre
Colonne, avait ouvert la séance que terminait majes-
tueusement le bel Alléluia du Messie d'Haendel. Succès
d'estime — d'estime seulement pour le « Chant des
Bergers à la Crèche ». extrait de Toratorio Christus
de Liszt. '^ ^ ^
CONCERTS LAMOUREUX
Le i«f janvier, M. Chevillard nous conviait à entendre,
au Nouveau- Théâtre, un programme exclusivement con-
sacré à Beethoven. On ne pouvait placer sous une invo-
cation plus haute l'année qui commençait. Le programme
comportait, d'abord, TOuvertureen ut majeur (op. 124)
que Beethoven composa, en 1822, à l'occasion de l'inau-
guration du théâtre Joseph, de Vienne. Œuvre de cir-
constance, cette ouverture n'offre guère, par rapport à ia
généralité des œuvres de Beethoven, que l'intérêt d'un
renseignement. Elle était suivie de la Symphonie héroï-
que, dont V exécution fut de tous points admirable. Après
quoi M. Sechiari, avec la romance en sol majeur pour
violon, puis M. Frolich, avec les mélodies religieuses,
d'un si grave et si beau caractère, se faisaient longue-
ment applaudir l'un et l'autre. Enfin, une brillante exé-
cution de la célèbre « Sérénade » pour trois instruments
à corde, et l'ouverture de Léonore, — la troisième des
quatre ouvertures que Beethoven composa pour Fïdelio
— terminait ce programme d'un intérêt mélangé, mais
fort acceptable pour uji jour de fête.
, Après unelumineuse exécution de la Pastorale, M., Che-
villard nous donnait, le 8 janvier, la première audition
d'une étude symphonique de M. Florent Schmitt. Il faut
avouer que nos jeunes musiciens vont chercher bien loin
matière à leur inspiration. Le conte de Poë, traduit par
Mallarmé, qui a fourni la donnée musicale de cette œu-
vre, est loin d'être clair. La réalisation musicale, à plus
492 LES ANNALES DU THEATRE
forte raison, ne Test point du tout. En dépit d'une exé-
cution très soigpnée, malgré les efforts d'un excellent
chef d'orchestre pour mettre en valeur les thèmes et
• leurs transformations, on reste surprisse cette incohé-
rence. Si Ton arrive parfois à percevoir quelque notion
du détail de cette instrumentation très nourrie et souvent
curieuse, l'impression d'ensemble fait complètement
défaut. Le poème de M. Richard Strauss, Mortel Trans-
figuration^ exécuté pour la première fois au, concert
Lamoureux, obtenait un lég-itime succès. L'œuvre est,
comme toutes celles du. capellmeister allemand, assez
touffue et complexe, mais le plan en est clair, .et l'en-
semble, du début douloureusement accablé à l'hymne
triomphal de la fin, est d'une fort belle tenue. Entre
temps, M. Harold Bauer interprète le concerto en la mi-
neur de Schumann. Son jeu est net, sa sonorité fran-
che, un peu sèche parfois, et sa virtuosité excellente.
Toutefois, l'interprétation, souvent mièvre, manque de
de largeur, d'accent et de personnalité. Pour terminer,
les musiciens de M. Ghevillard faisaient merveille dans
l'exécution de l'ouverture à^Obéron.
L'Association des Concerts Lamoureux a à cœur de se
mettre en règle avec la circulaire de M. Marcel, direc-
teur des Beaux- Arts, enjoignant à nos sociétés sjmpho-
niques subventionnées de jouer un nombre d'œuvres
nouvelles assez suffisant pour représenter une durée de
trois heures de musique. Le i5 janvier, c'était un tableau
symphonique de M. Edmond Mall\erbe, l'Amour sacre
et r Amour prof ane ^ qui avait les honneurs de la pre-
mière audition. Inspirée du célèbre tableau du Titien, si
nous en croyons le programme, cette composition, touf-
fue à l'excès, dénote de la part de son auteur un talent
indéniable ; l'harmonie et l'orchestration n'ont plus de
secrets pour lui. Un peu plus de clarté et quelques beaux
thèmes bien expressifs auraient sûrement conquis le
CONCERTS LAMOUREUX 49^
public qui réserva ses faveurs à Schéhérazadey de
Rimsky - Korsakow, œuvre où la mélodie abonde, ua
peu banale il est vrai, mais toujours relevée aussi par
d'intarissables trouvailles d'instrumentation. Cependant,
tout bien pesé, cette Schéhérazade^ avec ses flots de
résonnances teintées de toutes les couleurs et ses irradia-
tions vibrantes jaillissant de l'orchestre, semble le pro-
duit d'un art sans profondeur, tout de surface, et l'emploi
parfois abusif des instruments de percussion en souligpne
encore l'extériorité. L'exécution en fut naturellement
tout à fait remarquable. Enregistrons, pour terminer, le
grand succès remporté par le violoncelliste Pablo Casais ;
il faut vraiment jouer comme joue ce grand artiste,
c'est-à-dire avec la plus belle qualité de son qui soit, la
plus parfaite technique et Je goût le plus pur, pour faire
presque aimer l'ennuyeux Concerto de Schumann.
M. Pietro Mascagni conduisant l'orchestre des Concerts
Lamoureux, voilà qui n'était point banal. On sait que
l'auteur de Cavalleria Rustlcana s'était, d'ailleurs, lon-
guement exercé au métier de cappelmeister, et l'Amé-
rique a déjà bruyamment retenti du bruit de ses ex-
ploits. Son début à Paris, où il remplaçait, le 22 janvier,
M. Camille Chevillard, n'était pas complètement heureux.
En voici le succint, mais exact procès-verbal. M. Masca-
gni a, d'abord, dirigé avec goût l'ouverture de Coriolan
et la Symphonie pathétique de Tschaïkowski. Mais,
après nous avoir fait entendre d'insignifiants morceaux
comme l'ouverture de la Fiancée vendue, et certain
Nocturne de Catalani, il s'est montré médiocre — di-
sons le mot — dans le Rouet d'Omphale, qu'il a con-
duit mollem'ènt, et presque sans rythme, ce qui est un
comble. Pour l'ouverture des Maîtres Chanteurs, il s'est
laissé mener par l'orchestre, qui allait tout seul, et il
avait littéralement chaud à suivre avec les bras les mou-
vements, plus brillants et plus nerveux dix fois, de
494 LES ANNALES DU THEATRE
notre Chevillard national... En somme, nos grands
chefs d'orchestre peuvent dormir tranquilles : M. Masca-
gnï reste — cela ne doit-il pas suffire à sa gloire ? — le
triomphant auteur de Cavalleria Rusticana , . .
Le 29 janvier, M. Mascagpai, qui cette fois encore di-
rigpeait Torchestre, faisait entendre, en première audi-
tion, deux pièces intéressantes, essentiellement musicales
et d'excellente tenue : T « Adag-io » et le « Scherzo » de
la Suite en si mineur de M. Roffrodo Caetani . La
phrase principale de TAdag-io — qui fait un peu song-er
à une voix dans la nuit, sous les étoifes, — ample, ex-
pressive, se déroule et se prolonge de façon toute natu-
relle et dans une belle et chaude sonorité. Quant au
Scherzo, très sjmphoniquement traité, il est construit,
écrit et orchestré avec un soin, un art et une dexiérité
qui s'élèvent singulièrement au-dessus du «laisser aller»
qu'affecte parfois la nouvelle école italienne. Ces deux
compositions de M. Caetani étaient très favorablement
accueillies. Les principales œuvres inscrites au pro-
gramme — et que M. Mascagni dirigeait par cœur —
étaient la Symphonie en ré mineur de Brahms, l'ouver-
ture de Léonore (n» 3) et celle de Tannhauser ; et c'est
particulièrement dans l'interprétation de cette page illus-
tre, dont chaque note, pour ainsi dire, nous est fami-
lière, que M. Mascagni montrait ses plus chaleureuses
qualités de chef d'orchestre. Il en enlevait, notamment,
la dernière partie avec une sûreté et un brio qui lui va-
laient, ainsi qu'à l'orchestre, une longue ovation. Très
applaudis, également, le Prélude du Déluge de Saint-
Sa(fns, et l'excellente interprétation du beau solo de
violon par M. Sechipri.
Au programme du 5 février reparaissait le 3® Sym-
phonie, déjà farceuse, de M. Albéric Magnard. Est-ce 1h
faute de l'auteur? Est-ce — comme le disent les amis du
jeune compositeur — la faute de M. Chevillard?... Tou-
CONCERTS LAMOUREUX 49&
jours est-il que TefiFet fut médiocre, infiniment moins
grand que le jour de la première audition . . . C'est de la
musique correcte, un devoir bien fait^ une « dilution »
de César Franck et de Vincent d'Indy, une ceuvre de ma-
thématique musicale excellente, d'orthographe irrépro-
chable, mais de couleur grise et monotone, dont Torches-
tration est presque exclusivement maintenue dans les
cordes-. Les danses sont d'un joli caractère sans véritable
entrain, et la Pastorale est si triste qu'on peut croire
qu'elle symbolise la mort, du berger et l'abandon de la
bergère. Le fi:nal^ est plus brillant, plus puissant aussi ^
mais le tout bien inférieur à la grande Symphonie de
M. d'Indy. Venant après cette fresque délicate et pâle, la
7%a/nar de Balakirevsr, toute débordante de rythme, de
sensualité chantante et berceuse, de timbres variés et
sonores, produisait la plus vive impression. Bonne exé-
. cution de la quatrième symphonie de Schumann et de
l'éternellement joyeuse Espana de Ghabrier.
La Symphonie avec chœurs exerce toujours un attrait
irrésistible sur le public ; on le vit bien le 12 février, où
elle avait attiré grande affluence. « Des quatre parties de '
Beethoven, écrivait notre regretté confrère Charles Joly,
la seconde (le Scherzo) fut de beaucoup la mieux exécu-
tée, sans doute parce qu'elle ne demande que de la verve
et de la virtuosité; — l'orchestre Lamoureux y fut la
perfection même. Mais le premier morceau manqua de
majesté et même de force là où la force ét^t nécessaire ;
les deux thèmes de l'Adagio furent tout d'abord exposés
comme ils doivent l'être, le premier avec un gravité toute
religieuse, le second avec une douceur expressive ; cepen-
dant ils perdirent peu à pen cette religiosité rêveuse et
cette tendresse mélancolique, d'abord par une sorte de
sécheresse imprimée au rythme, ensuite par l'importance
trop prépondérante donnée aux ornements contraponti-
ques qui, parfois, allaient jusqu'à couvrir la mélodie ;
496 LES ANNALES DU THEATRE
enfin la quatrième partie se ressentit beaucoup de Tin-
suffisance de plusieurs unités du quatuor vocale de sorte
que ce chant sublime, parti du fond du c^ur pour ré-
pandre la joie divine parmi les larmes de la terre, nous
apparut comme dépouillé de la part d'éternité que lui
assura le génie. Nous ne dirons qu'un mot des Varia-
tions sur un Thème original, de M. Edward Elgar,
jouées pour la première fois : elles sont Tœuvre d*un
musicien à coup sûr fort remarquable, excellant à déve-
lopper un thème, à le transformer et à le revêtir des
mille et une grâces de la polyphonie moderne. J'ai cru
sentir dans sa façon d'écrire pour l'orchestre Tiafluence
directe des Maîtres Chanteurs ; mais je suis sûr que la
dernière variation, un peu longue et parfois môme un
peu vulgaire, a gâté l'heureuse impression qu'avaient
produite les précédentes, »
Deux œuvres de Beethoven, au lieu d'une, le 19 fé-
vrier. Avant la symphonie avec chœurs, où l'on ne
ménageait les applaudissements ni à l'orchestre de
M. Ghevillard, ni aux chanteurs : M"« Charlotte Lor-
mont, M"e Melno, MM! Gibert et Frolich, M. Emil
Sauer jouait le 5« concerto en mi bémol de Beethoven
avec une simplicité, une netteté et une virtuosité vrai-
ment remarquables, soulignant ses nuances tour à tour
avec une vigueur et un charme tout à fait dignes d'é-
loges. On lui faisait une ovation de tout point méritée.
Le Tasse ÏMi donné avec grand succès dans une saison
précédeiQte au théâtre de Monte-Carlo. Néanmoins, la
presse musicale en constatant la réussite de l'œuvre
avait formulé quelques indications dont l'auteur M. Eu-
gène d'Harcourt a tenu compte en remaniant certiioes
parties de sa partition. C'est l'ouverture de cette compo-
sition, rendue plus parfaite, que M. Chevillard nous
faisait entendre. Les motifs y abondent, chantants et
clairs, agencés de façon tout à fait ingénieuse. L'or-
CONCERTS LAMOUREUX 497
chestration nous démontrerait, si l'on ne le savait déjà,
que le compositeur a pratiqué dès long'temps tous les
g-rands maîtres et qu'il a su s'inspirer de leurs qualités
les plus précieuses pour s'en faire une note absolument
personnelle. L'œuvre, fort bien interprétée par Tor^
chestre, était accueillie de la façon la plus chaleureuse.
Le 26 février, on applaudissait la voix brillante et
pure et l'interprétation simple, intellig-ente et musicale
de Mme Faliero-Dalcroze dans trois lieder de M, Gus-
tave Malber, dont le second, tableau matinal d'une im-
pression fraîche et parfumée, avait particulièrement plu.
La réputation de^JM. Gustave Malher, comme chef d'or-
chestre, est mieux établie ici que crfle de compositeur
très intéressant qu'il mérite pourtant. Ses remarquables
symphonies font leur chemin en Allemagne. M. Colonne
et M. Ghevillard prendraient une heureuse initiative en
leur ouvrant le chemin de Paris. M°*® Faliero-Dalcroze a
délicieusement chanté aussi un air de Rossi, qu'on jure-
rait avoir été écrit par Mozart et que Rossi, né en 1620,
écrivit, cependant, un siècle avant la naissance de Mozart.
Et elle se fit encore très chaleureusement applaudir pour
son interprétation légère, spirituelle, d'un air an Défi de
PhébttS et Pariy de J.-S. Bach. Antar, de Rimsky-
Korsakow et le prestigieux poème symphonique de
Listz, Mazeppa, admirablement exécutés, formaient la
partie la plus importante d'un beau programme que ter-
minait un fragment de la musique de scène de V Absent,
« Fête populaire », de M. Femand Le Borne, déjà fré-
quemment entendu à i'Odéon,
Le 5 mars, très belle séance, au programme varié, qui.
commençait par .la Symphonie en fa de Beethoven,
jouée avec beaucoup de charme. M"® Marguerite Picard
chantait ensuite d'une voix de mezzo solide et juste l'air
de Fidelio et une mélodie de M. Pierre Hermant (frère
d'Abel) intitulée Sagesse. Ce titre lui convenait à tous
ANNALES DU THÉÂTRE 32
498 LES ANNALES DU THÉÂTRE
égards : la musique eu était sage, équilibrée, fort esti-
mable en somme, en dépit d'une imitation de Wagner
trop marquée dans la partie d'orchestre. Après une très
parfaite exécution de l'ouverture du Tannhauser^ de
V Après-midi d'an faune, de M. Debussy et du prélude
de Parsifaly le concert se terminait par Trois valses
romantiques de Ghabrier, élégamment orchestrées par
M. Félix Mottl : œuvres heurtées, hachées, inégales,
mais pleines d'intérêt ; le contraire du banal et du plat,
un vrai régal pour les amateurs. M*"« Teresa Carreno —
ne l'oublions pas — avait enlevé avec une énergie ter-
rible, « herculéenne », la Fantaisie hongroise de Liszt.
Trois rappels justices par une virtuosité impeccable ;
mais peu de sentiment et de nuances. . .
Le dimanche suivant, le concert était consacré à la
Damnation de Faust^ dont on ne compte plus les audi-
tions. Si l'orchestre a dû redire la Marche hongroise,
bissée d'acclamation, et M. Fournets, la célèbre séré-
nade, redemandée avec non moins d'enthousiasme, la
part du succès a été également très considérable pour
M™« Jeanne Raunay, qui interprétait pour la première
fois le rôle de Marguerite, pour M. Laffitte, pour M.Sig-
walt et pour les chœurs formés déjeunes, fraîches et
solides voix.
Au programme du 26 mars, reparaissait Mort et
Transfiguration que beaucoup de bons esprits consi-
dèrent comme le meilleur poème symphonîque de Richard
Strauss. « Si nous devons rechercher les raisons de cette
préférence, écrivait Charles Joly, nous les trouverons
dans ce fait que de toutes les œuvres du jeune maître
allemand. Mort et Transfiguration est celle qui pré-
sente la forme musicale la plus parfaite et le développe-
ment le plus logique. En effet, dans les compositions où
Richard Strauss s'inspira de Leneau, de Nietzche, de
Cervantes, etc., les variations des mouvements et les
CONCERTS LAMOUREUX 499
combinaisons de motifs sont commandées par la fan-
taisie d'un programme dont tous les détails échappent
forcément à l'auditeur qui ne peut en percevoir que le
sens général, et il en résulte que ces compositions res-
semblent à ce que Ton pourrait nommer de prodigieuses
et géniales improvisations. Mais le petit poème qui sert
d'argument à Mort et Transfiguration a été écrit par
Richard Strauss lui-môme ; et à l'audition il apparaît
clairement que ce poème a été conçu en musique^ car il
j a une union si intime entre la pensée conductrice et la
forme méthodique, une pénétration si complète de la mu-
sique dans le poème et du poème dans la musique qu'on
ne peut imaginer un seul instant que les moyens
d'expression, les rythmes, les mélodies, les développe-
ments thématiques et la couleur instrumentale puissent
être autres que ceux adoptés par le compositeur. C'est là
le signe caractéristique d'une. œuvre de génie. Je me
fais un devoir de proclamer que sous la direction de
M. Ghevillard, l'exécution de Mort et Transfiguration
fut très remarquable, et peut-être plus belle encore fut
celle du Prélude du troisième acte des Maîtres Chan-
teurs^ psigc que je place au-dessus de tout ce qu'a écrit
Richard Wagner, et dont M. Ghevillard exprima toute
la profondeur, toute la gravité et toute la mélancolie.
Mais j'ai beaucoup moins aimé le premier morceau de la
Symphonie italienne^ de Mendelssohn, joué dans un
mouvement d'une rapidité excessive; il semblait que
l'orchestre prît part à un concours de virtuosité, et lui
eût-on rendu trente mesures d'avance, il serait sûrement
arrivé bon premier sur tous les orchestres du monde.
Cette œuvre élégante, de bonnes manières, toute fleurie,
si distinguée d'écriture, si belle de construction, sem-
blait avoir perdu son caractère charmant, parfois aussi
sa délicatesse. Mentionnons encore le succès rem-
porté par W^^ Mary Garnier dans deux airs très
bOO LE8 ANNALES DU THEATRE
difficiles de Haendel et de Mozart. Nous entendions,
ce même jour, une ouverture de M. Alarj pour
le drame de M. Sardou, la Haine ^ et nous devons
louer la sincérité de cette œuvre correctement et cons-
ciencieusement écrite. Plus personnels sont les deux
morceaux de la Suite symphonique de M. Léon Moreau ;
mais à TAllegro — dont le plan me parut un peu confus
et où pourtant nous avons relevé plus d'un coin char-
mant — je préfère de beaucoup le Scherzando, sorte d'air
de ballet aux rythmes et aux mélodies exotiques, faisant
donner par sa couleur, ses qurieuses harmonies et la
variété de ses timbres, aux meilleures choses orientales de
Rimsky-Korsakoff . Cette page est peut-être la plus remar-
quable que M. Léon Moreau — qui en compte nombre
d'autres fort belles — nous ait donnée jusqu'à ce jour. »
Pour son dernier concert de la saison, M. Chevillard
avait eu l'heureuse pensée d'adopter le 2 avril une œuvre
de M. Théodore Dubois, qu'on joue un peu partout et qui
est généralement bien accueillie : Adonis^ poème sym-
phonique en trois parties. La première audition en avait
été donnée au Châtelet, le 24 novembre 1 90 1 , et le pu-
blic, ce jour-là* très nerveux sans raison, s'était montré
irascible comme une jolie femme, comihe une laide
aussi. Cette colère injustifiée n'a pas nui à la fortune
A* Adonis, elle l'a avancée au contraire : quelques sifflets
lancés au moment opportun font rebondir une œuvre
comme un coup de cravache fouette l'ardeur d'un pur-
sang. « Au Nouveau-Théâtre, écrivait M. Julien Tor-
chet, ne s'est produit aucun incident, et l'on a applaudi
avec cette sympathie mêlée de respect que mérite à tant
d'égards le directeur du Conservatoire. Adonis est une
élégie douce, mélancolique sans trop de tristesse, une
sorte de demi-deuil. La douleur d'Aphrodite^ traduite
1)ar un motif confié à la clarinette, n'est pas poignante :
a déesse savait bien que son amant n'était pas mort à
CONCERTS LAMOUREUX 5oi
jamais et que bientôt il renaîtrait en une vivante ané-
mone. La Déploration des Nymphes, chantée par deux
flûtes qu'accompag-nent les cordes en sourdine, est ai-
mable avec des sonorités tendres et discrètes. La Méta-
morphose d'Adonis n'est pas moins aimable ; elle signale
le renouveau de la vie, et la musique qui le décrit, avec
son joli bruissement instrumental, fait penser à la dou-
ceur d'une fraîche matinée de printemps. M"*^ Mjsz-
Gmeiner a chanté — en allemand — d'une voix jeune et
charmante, les Rêves ^ de Wagner, une mélodie à peine
esquissée dont le maître a dû se servir dans Tristan et
/solde, et dit, plutôt que chanté, les Trois Tziganes, de
Liszt. Il s'agit, d'après la traduction, de pauvres héros,
loqueteux mais libres, qui se consolent de leur misère,
l'un en jouant du violon, l'autre en fumant sa pipe, le
troisième en dormant. La musique ne manque pas de
pittoresque ; j'ai entendu, au début, d'insignifiants traits
de violon fort bien faits par M. Séchiari, un motif très
commun vers le milieu, et à la fin, j'ai cessé d'écouter.
C'est tout ce que j'ai à dire des Trois Tziganes, Un air
de Don Carlos, de Verdi, eût valu d'être chuté, s'il eût
été interprété par une autre cantatrice que M°»® Mjsz-
Gmeiner, dont le talent est si apprécié par le public.
Comme elle le chantait en italien, j'ai cru comprendre
qu'une femme maudit sa beauté et qu'à cause de cela
elle va s'ensevelir dans un couvent. Don Carlos, suivant
l'opinion des musicographes, inaugurait la deuxième
« manière » de Verdi ; je n'y contredis nullement, mais
ce dont je suis sûr, c'est que ce n'était pas la bonne. »
Le i5 octobre, M. Ghevillard fêtait un anniversaire
cher aux musiciens : celui de la fondation, il y a vingt-
cinq ans, des Concerts-Lamoureux. On sait tout ce que
la musique doit à Charles Lamoureux, et en particulier
le gigantesque effort qu'il fit pour répandre l'œuvre
^ wagnérienne. Les ovations qui saluaient ce jour-là
502 LES ANNALES DU THÉÂTRE
M. Camille Chevillard s'adressaient non seulement à
celui qui perpétue les nobles traditions de l'artiste dis-
paru, mais à celui qui les a créées. Une pieuse et tou-
chante intention avait fait inscrire au programme la
Symphonie en /a, de Beethoven^ et l'ouverture du Car^
naval romain^ de Berlioz, qui figuraient le 21 oc-
tobre 1881 au premier concert Lamoureux. « L'une et
l'autre, écrivait au Figaro M. Robert Brussel, ont été
exécutées avec ce souci du détail, cette perfection de la
forme, qui font de cet orchestre un des plus parfaits qui
soient, et Tun des plus aptes à rendre saisissants et
clairs les dessins instrumentaux les moins limpides. La
quatrième Béatitude, chantée par M. Gazeneuve, figu-
rait également au programme. C'est une de celles «où
Franck a mis le meilleur et le plus profond de sa foi ;
^ c'est peut-être celle où chantent avec le plus de noblesse
et de grandeur ces idées mélodiques riches de sève musi-
sicale dont la forme n'appartient qu'à lui seul. Ce pur
chef-d'œuvre, où la splendeur sonore s'allie à la plus
touchante expression, a été traduit avec toute la chaleur
désirable par M. Chevillard. Quant à la première Sym-
phonie de M. Vincent d'Indy, malgré qu'elle soit déjà
parmi les anciennes productions de l'auteur de Fervàal,
elle a merveilleusement résisté à l'assaut du temps et
reste une des plus belles œuvres de la musique moderne
française. Elle est imprégnée d'une poésie toute particu-
lière ; ses combinaisons rythmiques et instrumentales et
la beauté de son écriture en font un des ouvrages les
plus savoureux d'un maître, qui semble devoir occuper
une place très importante dans l'histoire de l'évolution
de la musique. L'orchestre en a rendu avec infiniment
de grâce, quoique avec un peu de lenteur, les deux pre-
miers morceaux et a mis au service du finale toute la
véhémence requise. M. Edouard Risler a exécuté en
grand artiste la partie de piano, qui ne joue dans
CONCERTS LAMOUREUX 563
i*œuvre qu'un rôle de poésie instrumentale. Il est un de
ceux qui font le plus grand honneur à leur art, et le
public Ta salué de chaleureux applaudissements. Le
concert comportait également la première audition de la
Mer (trois esquisses symphoniques) de M. Claude De-
bussy. Elle procède du môme esprit qui nous a valu les
poétiques Nocturnes. L'expression en est plus sensuelle
que réellement descriptive et le pittoresque en est fait
non d'une idée mélodique caractéristique, mais de touches
successives, dont tout l'effet est harmonique ou instru-
mental. Le premier morceau, « De l'aube à midi sur la
mer», est d'une couleur volontairement grise et impré-
gnée d'une atmosphère de mélancolie ; le second mor-
ceau, « Jeu de vagues », est du plus chatoyant effet,
avec ses combinaisons rythmiques ingénieuses, et ses
accouplements instrumentaux si personnels; le troisième
morceau, « Dialogue du vent et de la mer », est d'un
superbe éclat sonore et d'une véhémence' par endroits
pleine de grandeur. Cette œuvre si complexe et de réali-
sation si difficile a trouvé en M. Chevillard un interprète
de choix qui en a traduit la poésie toute particulière
avec une souplesse et une pénétration artistique dont
font récompensé d'unanimes applaudissements ».
VEté pastoraU de M. Pierre Kunc, dont le 29 oc-
tobre M. Chevillard donnait la première audition n'est
pas un ouvrage de vastes proportions ; il ne se réclame
ni d'abstractions métaphysiques ni de prétentions à une
nébuleuse originalité ; mais, mieux que cela, il est d'une
musicalité charmante. Le premier morceau. Au matin ^
décrit d'un style agréablement pittoresque les grâces
fleuries de l'aurore; le second. Dansé aux lanternes^ est
d'un rythme franc et net, et le tout est d'une écriture
très soignée et d'une instrumentation colorée et vivante.
L'orchestre interprétait ces morceaux avec verve et le
public les accueillait avec infiniment de sympathie.
5o4 LES ANNALES DU THÉÂTRE
Deux ouvrag-es inédits fig-uraient au programme du
5 novembre : la Chevauchée de la Chimère, de M. Gas-
ton Carraud, un de nos critiques musicaux les plus dis-
ting-ués, et le Cygne de Tuonela, de J. Sibelius.
L'œuvre de M. Garraud, conçue sur une donnée poétique
qui se prétait admirablement à la musique, est fort
intéressante. Bâtie sur un rythme impérieux qui,
d'abord imprécis, s'affirme ensuite dans toute sa force,
elle vaut surtout par un orchestre merveilleusement
sonore ; les timbres de l'orchestre sont g-roupés avec une
habileté et une science consommées^ et par instants
Tœuvre acquiert par la seule vertu de son instrumenta-
tion une intensité poétique des plus rares. Le public fai-
sait d'ailleurs à l'œuvre de M. Garraud un accueil très
sympathique. Si la couleur et la véhémence ne sont pas
les moindres qualités de la Chevauchée de la Chimère^
c'est par des qualités d'un tout autre ordre que se recom-
mande le Cygne de Tuonela, M. Sibelius y dépeint le
fleuve noir de l'Enfer finnois, sur lequel un cygne majes-
tueux et triste s'avance en chantant. Là, toute la poésie
repose sur un chant expressif confié au hautbois, tandis
qu'à peine sensible murmure le quatuor. La teinte volon-
tairement grise, la lenteur éplorée de l'idée mélodique
donnent à l'œuvre un caractère tout particulier, et qui
n'est pas, malgré sa long-ueur, sans posséder un charme
très réel. Le programme de ce même jour comprenait,
en outre, l'admirable Symphonie inachevée , de Schu-
bert, dont M. Ghevillard a remarquablement traduit la
poésie mélancolique, l'ouverture du Tannhauser, le
Concerto en ré mineur de Hiendel, dont les beautés n'ef-
facent pas toujours la longueur, le Capricio espagnol j
de Rimsky-Korsakow^, riche de fantaisie et de pittoresque
instrumental, enfin la verveuse Bourrée Jantasquey
' orchestrée par M. Félix Mottl, comme Ghabrier eût pu le
faire, ce qui n'est pas le moindre des compliments.
CONCERTS LAMOUREUX 5o5
Le 12 novembre, au Nouveau-Théâtre, — disons les
choses comme elles 5ont — l'ouverture de Manfred^ et
la Symphonie en ré de César Franck étaient rendues
avec correction, avec style, mais sans chaleur et sans
poésie. Rien ne vibrait, ni Torchestre, ni le public.
M. Colonne joue le Franck avec un élan, un romantisme
qui auraient étonné sans doute ce sage et honorable con-
trepointiste, mais l'effet est produit, l'auditoire s'emballe
et ne réfléchit qu'après; s'il réfléchit. . . Par contre, le
ravissant Capricio espagnol, de Rimsky-Korsakow,
retrouvait chez M^hevillard, son succès du dimanche
précédent. C'est un délice pour l'oreille que cette trans-
cription si riche et si colorée des motifs courants du
fandango et du boléro, et dans cette œuvre exquise, les
plus grandes excentricités — il y en a — ne cessent
jamais d'être de la musique. Glissons sur le Soleil cou-
chant, de M. Lefèvre-Derodé, qui, nous le craignons, ne
se lèvera pas de si tôt . . . Ce compositeur nous a fait
penser à certains hommes politiques d'où l'on croit tou-
jours qu'il va sortir quelque chose, et d'où il ne sort
jamais rien, rien !
Le dimanche suivant, nous entendions chez M. Che-
villard, une cantate de Rameau, Diane et Actéon, dont
le charme et l'exquise musicalité faisaient grande impres-
sion sur le public. Mme Mellot-Joubert l'avait d'ailleurs
interprétée avec une voix très joliment timbrée et une
remarquable compréhension du style de Rameau.
jVIme Mellot avait également chanté le Nocturne de
César Franck. Malgré tout son talent et la poétique ins-
trumentation qu'en a faite M. Guy-Ropartz", un dès plus
remarquables disciples du maître, le Nocturne ne
compte pas parmi les plus impressionnantes œuvres de
Franck. La Sauge fleurie, de M. Vincent d'Indy est une
composition déjà ancienne de l'auteur de Fervaal; c'est
une de ses plus heureuses inspirations. Sauge fleurie n'a
5o6 LES ANNALES DU THEATRE
rien perdu de son charme et de sa fraîcheur ; les idées en
soot ravissantes et Torchestre d'une saveur unique. M. Che-
villard en traduisait merveilleusement Texquise poésie.
La Kermesse de M. Jacques Dalcroze est franche de
rythmes, agréable d'inspiration et pittoresque d'orchestre.
Les idées de source populaire s'y mêlent dans un heureux
entrelacement rythmique et harmonique. Elle perd sûre-
ment à être ainsi exécutée seule, privée des autres
« Tableaux Romands » dont elle n'est que le complément.
Elle eût surtout gagné à n'être point jouée après le ver-
veux Apprenti sorcier, de M. Paul Dukas, dont le pittor
resque instrumental est trop éblouissant pour qu'une
œuvre du genre de la Kermesse n'ait point eu à souflFrir
d'un tel voisinage. La Troisième Symphonie, de Schu-
mann et l'ouverture des Maîtres Chanteurs complé-
taient le programme de ce jour et obtenaient leur habi-
tuel succès.
Signalons, à la date du 26 novembre, la première
audition de trois mélodies avec accompagnement d'or-
chestre, de M. Jean Gay. Le cas de M. Gay, chef de
musique d'un régiment de ligne, nous semble assez rare
et intéressant. 11 ne veut point s'immobiliser, ni se spé-
cialiser en des fonctions cependant très absorbantes et
très particulières, et il tâche de s'élever au-dessus de la
plupart de ses collègues en consacrant à la composition
sérieuse les quelques moments de loisir qui lui restent.
Nous ne saurions que l'encourager et le féliciter sincè-
rement. Ses lieder : Fleurs de saison. Jardin et Chan-
son de guerre (le second, très finement instrumenté)»
sont distingués et séduisants. On les accueillait sympa-
thiquement ainsi que leur interprète, Mlle Emma Gré-
goire qui, plus tard, disait fort bien 1 air de P aride edEle-
na,àe Gluck. Au programme figuraient également la sym-
phonie en sol mineur, de Mozart, si jeune et si forte, si
étonnante et si émouvante par ses continuelles trou-
CONCERTS LAMOUREUX Boy
vailles de génie; Russiay le pittoresque et vigoureux
poème da M. Balakireff; la souveraine et splendide
ouverture de Léonore ; le subtil et exquis Après-midi
d'un Faune, de M. Claude Debussy, et le prélude de
Messidor de M. Alfred Bruneau.
Le poème symphonique de M. Fr. Casadesus, dont
M. Chevillard nous donnait le 3 décembre la première
audition, est assez déconcertant. Comme il porte un titre :
QuasimodOj et qu'il est accompagné, d'une légende, on
est en droit de rechercher quelles ont été les intentions
de Tauteur. Son héros est physiquement laid, mais
Victor Hugo Ta ennobli d'une pure beauté morale. C'est
le propre de la musique d'exprimer ce genre de beauté.
Or c'est précisément la plastique défectueuse de Quasi-
mono que M. Casadesus semble avoir dépeinte. Seule une
phrase un peu conventionnelle d'allure exalte la splen-
deur spirituelle du gnome. Ce n'est pas de Quasimodo
qu'il est question, mais de Clopin ; ce n'est pas du cœur
aimant de Quasimodo que s'échappent ces rumeurs gron-
dantes, c'est de la cour des Miracles ; ce n'est pas l'amour
d'Esmeralda que chante la musique, mais l'horrible tor-
rent qui entraîne les filles et les filous à l'assaut de la
cathédrale. Violente, sans équilibre, volontiers curieuse
des efiFets de timbres inaccoutumés, l'œuvre de M. Casa-
desus vaut par la fougue qui l'anime. Ce n'est point par
la valeur des idées qu'elle se recommande, ni par son
instrumentation, alourdie souvent par d'inutiles
recherches de sonorités ; c'est par son outrance et son
excès, par sa jeunesse et son exubérance. Il ne faut y
rechercher ni l'harmonieuse proportion des formes, ni le
judicieux équilibre des sonorités. Ce sont là des qualités
qui s'acquièrent. M. Chevillard nous faisait entendre, au
même concert, la /ieformation-lSymphon^, une des
œuvres de Mendelssohn sur lesquelles le temps a le plus
cruellement laissé sa trace, les adorables Eolides de
5o8 LES ANNALES DU THEATRE
César Franck, le prélude de Tristan et les Préludes de
Liszt. Dans le concerto en ut dièse mineur de Rimsky-
Korsakow, M. Ricardo Vines, un des plus remarquables
pianistes de Theure présente, remportait un très vif
succès. Nul comme lui n'interprète cette sorte de musique,
pittoresque et à la fois expressive, où les traits eux-
mêmes ont une valeur musicale, où le piano et Tor-
chestre s'enchevêtrent en élégantes arabesques, et où la
saveur de l'instrumentation ne fait que rendre plus sen-
sible la grâce extrême de l'idée mélodique.
Les deux mélodies de M. Sylvio Lazzari, entendues le
10 décembre, affirment un symphoniste qne nous con-
naissions depuis long-temps et que, récemment, le succès
à'Armor à Lyon, avait mis à son rang véritable. Elles
furent pour Mme Marie Mayrand l'occasion d'un succès
justifié par la fraîcheur et l'étendue de sa voix. Le second
poème, où l'influence de M. Claude Debussy est notable,
sans compromettre pourtant l'originalité de l'auteur, a
plu infiniment.
Le 17 décembre, M. Chevillard cédait son comman-
dement à M. Safonoff, chef d'orchestre de la Société im-
périale et directeur du Conservatoire de Moscou. Nous ne
connaissions encore que de réputation ce capellmeister.
On l'a chaleureusement accueilli et justement apprécié.
Chose assez singulière, il conduit sans baguette, des
deux bras, des deux poings, et ressemble ainsi parfois
à un professeur de boxe. Mais il n'en possède pas înoins
une réelle autorité, il sait très bien ce qu'il veut et témoi-
gne d'un talent robuste et précis. Pour représenter les
compositeurs slaves, si nombreux, si valeureux,- si origi-
naux, M. SafonoflF avait choisi M. Alexandre Glazounoff
et Tschaïkowsky. « Le premier, écrivait M. Alfred Bru-
maud, mérite-t-il donc un tel honneur? Les magni-
fiques espérances qu'il faisait concevoir au début de sa
carrière ne se sont pas réalisées. Une production înces-
CONCERTS LAMOUREUX 609
santé, effrénée, a malheureusement appauvri trop tôt son
jeune et ambitieux génie. Je doute qu^il puisse recon-
quérir le terrain perdu. Sa sixième symphonie, déjà jouée
au Châtelet, d'ailleurs, il y a quelques années, et que
nous venons de réentendre, est extrêmement faible. Elle
manque d'unité, de personnalité, de souffle et d'éclat. Et
l'autre, Tschaïkowski !... Faut-il redire que le fétichisme
dont son nom est l'objet en Russie nous étonne prodi-
gieusement ? L'ouverture de Roméo et Juliette ^ malgré
l'ardeur et la conviction de M. Safonoff , continue à nous
paraître banale, prétentieuse, mélodramatique, inutile»
et nous persistons à penser qu'un art tellement dépourvu
de caractère et de noblesse aura la vie courte. Je regrette
— et ce sera ma seule critique sévère — que M.ilimsky-
Korsakoff, le maître digne de nos admirations ferventes ;
que MM.BalakirefiTetBorodine n'aient pas eu, dans cette
séance, la place qui leur était due. » Entre temps, on
avait eu plaisir à écouter la charmante Sérénade pour
instruments à cordes de Mozart, où M. Safonoff cher-
chait et trouvait d'incessants « efiFets », et l'on avait
applaudi, en dépit de la terrible lenteur des mouvements,
le concerto pour violon de Beethoven, que W^^ Lubos-
chitz interprétait non sans grâce .
Puis, le 24 décembre, l'année se terminait au concert
Lamoureux par un « Festival Wagner », qui nous per-
mettait d'applaudir une fois de plus M. Ernest Van Dyck.
Le grand artiste, si profondément inspiré du génie du
maître, provoquait l'enthousiasme unanime, en interpré-
tant le récit de Loge, le Chant d'amour, de la Valkyrie^
et les Chants de la forge, de Siegfried.
CONSERVATOIRE
DE MUSIQUE ET DE DÉCLAMATION
)
Composition musicale. — Premier grand prix :
M. Gallois, élève de M. Leoepveu. Deuxième grand prix :
M. Rousseau, élève de M. Lenepveu. Premier second
j^rand prix : M. Gaubert, élève de M. Lenepveu.
Deuxième second grand prix;: M. Dumas, élève de
M. Lenepveu.
Contrepoint et Fugue. — Premiers prix : MM. Dumas
et Bazelaire, élèves de M. Lenepveu. Seconds prix :
MM. Gailhard, élève de M. Lenepveu ; Nibelle et
Mlle Grumbach, élèves de M. Fauré ; Premier accessit :
MM. Gools et Pollet, élèves de M. Fauré ; Borchard, élève
de M. Lenepveu. Seconds accessits : MM. Flamant et Ber-
trand, élèves de M. M. Lenepveu.
Harmonie. — Classe des élèves hommes. — Pre-
miers prix : MM. Chevallier et Kriéger, élèves de
M. Lavignac ; Wolff, élève de M. Xavier Leroux. Seconds
prix : M. Bourdon, élève de M. Lavignac. Premier acces-
sit : M. Defay, élève de M. Taudou ; Seconds accessits :
MM. Roussel, élève de M. Xavier Leroux ; Lévy, élève
de M. Taudou.
Classe des élèves femmes. — Pas de premier prix :
Second prix ; W^^ Ganeval, élève de M. Chapuis. Premier
accessit : M*'® Dauly, élève de M. Georges Martj. Seconds
accessits : W^^^ Milliaud,Morhange et Bussières, élèves de
M. Martj.
5l2 LES ANNALES DU THEATRE
Chant. — Elèves hommes. — Premier prix : M- Car-
bellj, élève de M. Martini. Seconds prix: MM.Lucazeaa,
élève de M. Masson ; Petit, élève de M. DabuUe. Pre-
miers accessits : MM. Corpait, élève de M. Warot ; Fran-
cell, élève de M^*^ Rose Caron. Seconds accessits :
MM. Domnier, élève de M. Manourj ; Sarraillè, élève de
M. Dubulle.
Elèves /emmes. — PremÎCTS prix : M**** Chenal,
élève de M. Martini; Mancini, élève de M. Massou ;
Mirai, élève de M. Warot. Seconds prix : M'*«* Lamarcy
élève de M. Warot ; Lapejrette, élève de M. Masson.
Premiers accessits : M"« Comes^ élève de M. Masson ;
Delimoges, élève de M. Dubulle. Seconds accessits :
jVfiics AUard, élèves de M. Edmond Duvernoy ; Tasso,
élève de M. Lassaile.
Opéra. — Elèves hommes. — Premiers prix :
MM. Petit, élève de M. Lhérie ; Corpait, élève de M. Mel-
chissédec. Second prix M. Carbelly, élève de M. Melchis-
sédec. Premiers accessits : MM. Meurisse et Lucazeau,
élèves de M. Melchissédec. Seconds accessits : MM. Pérol,
Dupouy, Ziégler, élèves de M. Lhérie.
Elèves femmes. — Premiers prix : M**«* Chenal et
Mancini, élèves de M. Melchissédec. Seconds prix :
M*ï«8 Lapeyrette et Lamare, élèves de M . Lhérie. Pre-
mier accessit : M^*® Bailac, élève de M. 'Lhérie. Deuxième
accessit : M"® Delarozière, élève de M. Melchissédec.
Opéra-comique. — Elèves hommes. — Premier prix :
M. Lucazeau, élève de M. Isnardon. Pas de second prix.
Premiers accessits : MM. Domnier, élève de M. Bertin ;
Francell, élève de M. Isnardon. Deuxième accessit :
M. Sarraillé, élève de M. Bertin.
Elèves femmes. — M^^s Tasso, Lassaile, Mathieu-
Lutz, élèves de M. Bertin ; Mirai, élève de M. Is-
nardon. Premier accessit : M™® Emerie, élève de
CONSERVATOIRE 5l3
M. Bertin. Deuxième accessit : M^^® Cornes, élève de
JM. Isnardon.
Tragédie. — Hommes. — Pas de premier prix :
Second prix : M. Bacqué, élève de M. Le Bargy. Pre-
mier accessit : MM. Grétillat, élève de M. Lenbir; Denis,
-élève de M. Lé Barg-y.
; Femmes, — Premier prix : M^i« Ventura, élève de
M. Silvain. Second prix : M**® Barjac, élève de M.. Sil-
vain ; M*^« Bogros, élève de M. Lenoir. Premiers acces-
sits : M"®8 Ludger, élève de M. Berr ; Myriel, élève de
M. Paul Mounet.
Comédie. — Hommes. — Premier prix : M, Brou,
élève de M. de Féraudy. Pas de second prix. Premier
accessit, M. Lluis, élève de M. Leloir. Deuxième acces-
accessit : M. Juvenet, élève de M. Leloir.
Femmes. — Premier prix : M'!® Berg-é, élève de
de Féraudy. Seconds prix : M**®» Corlys, élève de
de M. Leloir; Ventura, élève de M. Silvain. Pre-
mier accessit : M**û8 Lûkas et Lutzi, élèves de M. Berr ;
Barjac, élève de M. Silvain ; Mai;|^da, élève de M. Paul
Mounet. Deuxième accessit : M**®» Provost, élève de
M. Lenoir ; Ludger et Lécuyer, élèves de M. Berr.
Piano. — Elèves hommes, — . Premiers prix :
MM. de Frapcmesnil et Du pré, élèves de M. Dîémer ;
Dumesnil, élève de M, Philipp. Second prix : M, Dorival,
élève de M. Philipp. Premier accessit : M. Gayraux,
•élève de M. Philipp. ; Lattes et Verd, élèves de M. Diémer.
Elèves femmes. — Premiers prix : M**®* CaflFaret,
Arnaud et Lamy, élèves de M. Alphonse Duvernoy ;
Veluard et Kastler, élèves de M. Marmontel. Seconds
prix : M**es Vizentini et Debrie, élèves de M. Marmontel;
Morillon et Aussenac, élèves de M. Alphonse Duvernoy.
Premiers accessits : M^^^s Weil, élève de M. Alphonse
Duvernoy ; Lefebvre, et Portéhaut, élèves de M. Mar-
ANNALKS DU THÉÂTRE 33
5l4 LES ANNALES DU THEATRE
montel ; Willemin, élève de M. Delaborde. Deuxièmes
accessits: M^^s Clapisson, élèves de M.Alphonse Duver-
noy; Jacquard, Fagel, Thé venet, élèves de M. Delaborde.
Orgue, t- Professeur : M. Guilmant. Premier prix :
M. BouIdoîs. Second prix : M. Bonnet. Premier ac-
cessit : M. Fauchet. Deuxième accessit : M. Barié.
Harpe. — Professeur : M. Hasselmans. Premiers
prix : M. Grand-Janj; M"®» Mauger, Inghelbrecht et
MoUîca. Second prix : M"« l^askine. Premier accessit :
M^ie Janet.
Harpe chromatique. — Professeur : M™« Tassu-
Spencer. Premier prix : M"« Lenars. Seconds prix:
Mlles JojBFroy et Blot. Pas de premier «iccessit. Deuxièmes
accessits : M"®* Goudeket et Chalot.
Violon. — Premiers prix : MM. Saurj et Bastide»
élèves de M. Lefort ; Gantrelle, élève de M. Rémy ; Bit-
tar, élève de M. Berthelier. Seconds prix : M**» Bil-
lard, élève de M. Lefort ; M. Matignon et M^^® Morhange»
élèves de M. Nadaud ; M. Nauwinck, élève de M. Rémy.
Premiers accessits : M"^ Sauvaistre et M. Etchecopar»
élèves de M. Lefort; M}^^ Augiéras, élève de M. Rémy ;
Deuxièmes accessits : M^^WolfF et M. Soudant, élèves
de M. Lefort; MM. De vaux et Sufise, élèves de M. Na-
daud ; MM. Caries et Michelon, élèves de M. Berthelier.
Alto. ^— Professeur : M. Laforge. Premier prix :
M. Maçon. Seconds prix : M. Lefranc et Coudart. Pre-
miers accessits : MM. Ricardou et Jurgersen. Deuxième
accessit : MM. Monfeuillard et Vizentini.
Violoncelle. — Premiers prix : MM. Doucet et
Jamin, élèves de M. Loeb. Second prix : M. Cruque»
élève de M. Loeb. Premiers accessits : MM. Verguet,
élève de M. Loeb; Olivier et Delgrange, élèves de
M. Gros Saint-Ange. Deuxièmes accessits : MM. Lachu-
rié et Benedetti, élèves de M. Gros Saint- Ange.
CONSERVATOIRE 5l5
Contrebasse. -*- Professeur : M. Charpentier. Pre-
mier prix : M. Subtil. Seconds prix : MM.ZibelI et Bous-
sagoï. Premier accessit : M. Hardy.
Flûte. — Professeur : M. TafFanel. Premiers prix :
MM. JofiProy et Laurent. Pas de second prix. Premiers
accessits, MM. Hérissé et Bergeon. Deuxièmes accessits :
MM. Camus et Cléton.
Hautbois. — Professeur : M. Gillet. Premier prix :
M. Pontier. Seconds prix : MM. Serville et Rouzeré.
Pas de premier accessit. Deuxièmes accessits : MM. Tour-
nier, Longatte et Riva. ^
Clarinette. — Professeur : M. Mimart. Premiers
prix : MM. Capelle, Moulin et Dubois. SeconJ prix :
M. Loterie. Pas de premier accessit. Deuxième accessit :
M. Lortion.
Basson. — Professeur : M. Bourdeau. Pas de premier
prix. Seconds prix : MM. Pré et Rogeau. Premier acces-
sit : M. Raimbourg.
Cor. — Professeur : M. Brémond. Premiers prix:
MM. Coquelet et Hernôult. Second prix : MM. Tournier
et Lepilre. Pas de premier accessit. Deuxième accessit :
M. Thibault.
Cornet-a pistons. — Professeur ; M. Mellet. Pas de
premier prix. Second prix : M. Mager. Premiers acces-
sits : MM. Foveau et Nadal. Deuxième accessit : M. Bodj.
Trompette. — Professeur : M. Franquin. Premier
prix : M. Bernard. Second prix : M, Blanquefort. Pre-
miers accessits : MM. Laurent et Ség'uélas. Deuxième
accessit : M. Gig^ot.
Trombone. — Professeur : M. Allard. Premier prix :
M. Rochut. Seconds prix MM. Hennebelle, Vermynck et
Mendels. Premier accessit : M. Dumoulin. Deuxième
accessit : M. Pioger.
NÉCROLOGIE
Hommes de lettres et Auteurs dramatiques
•Jules Baric, Ambroise Janvier, Charles Joly, Albert
Le Roy, Louise Michel, Jules Verne.
Compositeurs et Artistes musiciens
Jules Danbé, Albert GrodvoUe, Emile Jonas, Jacques
Laffitte, Charles Turban.
Artistes dramatiques et lyriques
Léon Achard, Charles Balanqué, Berthelot, Boisselot,
Boudouresque, Léonie Dallet, Henri Deschamps, Ëva
Dufrane, M«»« Galli-Marié, Alexandre Gujon, Irving-,
Anna de La Grange, Caroline Lefebvre, Maria Leg'ault,
Minvielle, Marie Monchanin, Prad, M™® Prelly, Price
père, Emile Raymond, Caroline Rosati, Soulacroix, Sou-
mis-Duchampt, Tamagno.
Divers
Ernest Bertrand (ex-directeur du Vaudeville), Bian*
chini (dessinateur de théâtre), Camille Fillion (adminis-
trateur de la Scala et de TEldorado), Edouard Marchand
(directeur de music-halls), Jean Pontaillé (des Trente
Ans de théâtre), Saint-Aignan (régisseur du Palais-
Royal).
L
LA PRESSE THÉÂTRALE EN 1905*
Agence Havas. — M. Georges Visinet.
Action, — M"® Jane Misme, critique dramatique.
Annales politiques et littéraires, — M. Adolphe
Brisson (Jean Thouvenin), critique dramatique ; M. Al-
bert Dayrolles, critique musical.
L'Art et la Mode. — M. Edmond Stoullig.
Aurore. — M. Charles Demestre (Charles Martel),
critique dramatique ; M. Paul Lévy, Courrier des théâ-
tres.
Autorité. — M. Eugène Gugenheim.
Critique. — M. Albert Soubies. ^
Echo de Paris. — M. Françols de Nion, critique
dramatique; M. Henry Gauthier- Villars (L*Ouvreuse),
critique musical ; M. Auguste Germain (Le Capitaine
Fracasse), Soirée théâtrale et Courrier des théâtres;
M. R. Trébor, avant-preiiiières.
Eclair. — M. Paul Souday ; concerts, M. Edmond
Diet. ^
1. — Les critiques dont le nom n'est suivi d'aucune mention, sont en
même temps chargés du compte rendu dramatique et du compte rendu
musical.
En 1905, l'Association professionnelle de la critique dramatique et
musicale avait pour président : M. Camille Le Senne, et pour vice-pré-
sidents : MM. Adolphe Brisson et Albert Soubies. MM. Maxime Auguste-
V.itu, Théodore Henry et Edmond Stoullig continuaient à remplir les
fonctions de secrétaire, de trésorier et d'archiviste. NfM. Armand d'Ar-
tois, Alfred Bruneau, Anatole Claveau, Ernest Grenet-Dancourt, Mau-
rice Lefévre, Charles Martel, François de Nion, Georges Pfeiffer, Mau-
rice Quentin-Bauchart et Georges Visinet étaient membres du Comité.
520 LES ANNALES DU THEATRE
Evénement. — M. Henri Second, critique dramati-
que ; M. Arthur Pougin, critique musical ; M. Julien
ToRCHET, critique des concerts.
Figaro, — M. Emmanuel Arène, critique dramatique;;
M. Gabriel Fauré, critique musical ; M. RoBSRr
Brussel, critique des concerts; M. Miguel Zama*
coïs (Un Monsieur de l'orchestre) Soirée parisienne;
M. Serge Basset, Courrier des théâtres; M. Alfrei>
Delilia, Courrier des concerts.
France du Sud-Ouest, — M. Fernand Bourgeat.
Gaulois. — M. Félix Duquesnel, critique drama-
tique ; M. L. DE Fourcaud, critique musical ; M. Georges
Gapelle (G. Pelca), critique des concerts ; M. Adrien
Vély, Soirée parisienne ; MM. Edouard Noël et Lionel
Meyer (Nicolet), Courrier des spectacles.
Gazette de France. — M. Georges Malet, critique
dramatique; M. H. de Curzon, critique musical.
Gil Blas, — M. Fernand Weil (Nozière) ; M. Louis
Schneider, critique des concerts ; M. Raoul Aubry,
Soirée parisienne; M. Pierre Mortier, Courrier des
théâtres.
Guide musical. — M. Henri de Curzon.
Humanité. — M. Alfred Natanson (Athys), critique
dramatique.
Intransigeant. — M. Foureau (Don Blasius) ;
M. IcHAC, Courrier des théâtres.
Journal. — M. Catulle Mendês ; M. André Gresse,
Critique des concerts ; MM. Mobisson et Paul Largy,
Courrier des théâtres.
Journal des Débats. — M. Emile Faguet, critique
dramatique ; M. Adolphe Jullien, critique musical ;
M. Edouard Sarradin, Compte rendu du lendemain et
Courrier des théâtres.
LA PRESSE THEATRALE EN IQoS • ,521
Justice, — M. Maxime Auguste-Vitu.
Lanterne, — M. Eugène Héros, critique dramatique;
M. BeaughampS) critique musical.
Liberté. — M. Robert de Flers, critique dramatique ;
M. Gaston Carraud, critique musical; M. Th. Avonde,
Soirée parisienne et Courrier des théâtres*
Libre Parole. — M. Jean Drault.
Magasin pittoresque, — M. Quentin-Bauchart,
critique dramatique; M. E. Fouquet, critique musical.
Matin. — M. Fernand Weill (Guy Launay)^ critique
dramatique ; M. Alfred Brune au j critique musical ;
M. J.-L. Croze, Courrier des théâtres.
Ménestrel. — MM. Henri Heugel (Moreno) et Arthur
PouGiN, critiques musicaux ; M. Paul-Emile Chevalier,
critique dramatique.
Mercure de France. — M. Ferdinand Hérold^
critique dramatique; M. P. de Breville, critique
musical.
Messager de Paris. — M. Philippe Hervé.
Monde Artiste. — M. Paul Milliet, critique musi-
cal ; M. Edmond Stoullig, critique dramatique.
Monde illustré. — M. Hippolyte Lemaire, critique
dramatique ; M. Auguste Boisard, critique musical.
Monde musical. — MM. Mangeot et Dandelot.
Moniteur diplomatique. — M. Jacques Ballieu.
National. — M. Edmond Stoullig.
New York Herald. — M. Pierre Veber.
Paix. — M. Louis Schneider.
Patrie. — MM. H. de Gorsse et Paul Lordon, ci4-
tiques dramatiques ; M.Albert Renaud, critique mu-
sical ; M. Max Viterbo, Courrier des théâtres.
Petit Caporal. — M. Albert Dayrolles.
522 LES ANNALES DU THEATRE
Petit Journal. — M. Léon Kerst; M. Georges Boyer
(La Rampe), Courrier des théâtres.
Petit Moniteur. — M. Chassaigne de Néronde.
Petit Parisien. — M. Adolphe Aderer (Montcornet).
Petite République. — M. Camille de Sainte-Croix ;
M. Théodore Massiag, Courrier des théâtres.
Politique coloniale. — M. René Benoist.
Presse. — M"*» Catulle Mendès, critique drama-
tique; M. Gustave Bret, critique musical ; M. Léon
NuNÈs, Soirée parisienne.
Progrès artistique. — M. Albert Noël.
Quinzaine. — M. E. de Saint- Auban, critique dra-
matique ; M. Arthur Coquard, critique musical.
Radical. — M. Maujan.
Rappel. — M. Fernand Lefèvre, critique dramatique ;
M. Albert Montel, critique musical ; M. Jules Lecocq,
Courrier des théâtres.
République française. — M. Albert Blavinhag ;
M. Gustave Samazeuilh, Critique des concerts.
Revue britannique. — M. Ferdinand Beissier.
Revue des Deux Mondes. — M. René Doumig,
critique dramatique; M. Camille Bellaigue, critique
musical.
Revue hebdomadaire. — M. R.-M. Ferry, critique
dramatique ; M. Paul Duras, critique musical.
Revue illustrée. — M. Louis Sghneider.
Revue universelle. — M. Paul Souday, critique dra-
matique; M. G. Servières, critique musical.
Ruy Rlas. — M. Righard O* Monroy; M. Léon Nu-
MÈs, Courrier des Théâtres.
Siècle. — M. Camille Le Senne.
LA PRESSE THEATRALE EN IQOB 523
Soir. — M. Jacques Raymond, critique dramatique ;
M. Albert Soubies (B. de Lomagcne), critique musical;
Soleil. — M. E. DE Saint- AuBAN.
Temps. — M. Adolphe Brisson, critique dramati-
que; M. Pierre Lalo, critique musical; M. Adolphe
Aderer, Compte rendu du lendemain et Courrier des
théâtres.
Vie illustrée, — M. Léon Xanrof.
Voltaire, — M. Armand d'Artois, critique drama-
tique; M. Georges Pfeiffer, critique musical; M. René
Benoist, Soirée théâtrale.
TABLE DES MATIÈRES
PAQIS
Préface v
Académie nationale de musique 1
Comédie-Française 29
Théâtre national de TOpéra-Gomique 77
Théâtre national de l'Odéon 119
Théâtre du Gymnase 163
Théâtre du Vaudeville 179
Théâtre des Variétés 213
Théâtre du Palais-Royal 381
Théâtre Sarah Bemhardt 247
Théâtre de la Renaissance 269
Théâtre Antoine 281
Théâtre de la Porte-Saint-Martin. 307
Théâtre de la Gaîté 319
Théâtre du Ghâtelet. . , 341
Théâtre de TAmbigu 351
Théâtre des Nouveautés 369
Théâtre de TAthénée 385
Théâtre des Folies-Dramatiques 401
Théâtre des Bouflfes-Parisiens 411
Théâtre Gluny ' 423
Théâtre Déjazet 433
♦Théâtre du Grand Guignol 435
Théâtre des Mathurins : 439
Théâtre^des Gapucines 443
Théâtre Molière 447
Les Trente ans de Théâtre 459
Goncerts du Conservatoire 471
Concerts Golonne 473
Concerts Lamoureux 491
Conservatoire de musique et de déclamation 511
Nécrologie 517
La presse théâtrale en 1905 519
GRANOC IMPRIMCRIC OC TROYCS, 126, RUC THIER8
LIBRAIRIE PAUL OLLENDORIFF
50, Chaussée d'Antin, PARIS
Edmond STOULLIG
Les Annales du Tfi(^âtre et de la Musique, comprennent 30 volumes,
les vingt-et-un premiers en collaboration avec M. Edouard Noël :
1er yolume (année 1873), avec une préface de Francisque Sarcby;
2« voluinf (année 187t)), avec une étude de M. Victorien Sardoi;, de l'Académie fran
yaise : L'Heure du Spectacle;
3" volume (année 1877), avec une élude de Edmond Got, de la Comédie-Française :
Le Théâtre en Province;
Ao volume (année 1878), avec une étude de Emile Zola : Le Naturalisme au Théâtre;
5» volume (année 1879), avec une préface de Henri de Lapumxeraye< 1779-1879;
6<: volume (année 1880), avec une étude de Victorin Joncières : La Question du
TMAtre-Lyrique ;
1" volume (année 1881), avec une préface de Henry Fouquier : La Maison de
M. Pertin;
8*} volume (année 1882). avec une étude sur li Mise en Scène, par Emile Perrin, d**
rinstftut; .
9>> volume {année 1883), avec une préface de Charles Garnier, de Tlnstltut : Le Tout
Paris des Première» ;
10« volume (année 1884), avec une préface de Henri de Pêne : Le Journal et le Théâtre:
ii«> volume (année 1885), avec unô étude de Charles Gounod, de rinstitut : Centide-
rations sur le Théâtre contemporain ;
12« volume (année 1886)^ avec une préface de Jules Barbier : Les Jeunes;
IS'ï volume (année 1887), avec une préface de M. Jules Claretie, de TAcadémie fran-
çaise : // y a cent ans;
U« volume (année 1888), avec une préface de Hector Pessard : Le Théâtre Libre;
15« volume (année 1889), avec une préface de Henri Meilhac, de TAcadémie francai>e:
La Comédie au (Cercle;
16« volume (année 1890), avec une préfacé de M. Ludovic Hal^vt, de TAcadémi»'
française : Une Directrice de la Com édie- Française ;
17» volume (année 1891), avec une préface du Gustave Larroumet, de rin^titcl :
Le Centenaire de Scribe;
18" volume (année 1892) avec une préface de M. Jules Lekaitrb, de rAcadémie fraji-
çaisc : Le Mysticisme au Théâtre;
19u volume (année 1893), avec une préface de M. F. Brunetière, de l'Académie fran
çaise : La Loi du Théâtre;
20« volume (année 1894), avec une préface de Francisque Sarcet;
2N volume (année 1895), avec une préface de M. Félix Ddqdesnel : De r Evolution des
Répertoires dramatiques;
22" volume (année 1896), avec une préface de M. A. Claveau : L'Education du Comé-
dien ;
23» volume (année 1897), avec une pi^iface de M. Emile Faguet, de TAcadémie fran-
çaise : Lu Comédie contemporaine;
24-' volume (année 1898), avec une préface de M. Augustin Filon : La Philosophie du
Théâtre :
25« volume (année 1899), avec une préface de M. Albert Carré : Le Prix Monbinne:
26« volume (année 1900), avec une préface de Lucien MuHLFctD : Le Malaise du
Théâtre;
27» volume (année 1901), avec une préface de M. Paul Hervieu, de l'Académie fran-
çaise i Un Ancêtre aux Annaltts du Théâtre et de la Musique;
28" volume (année 1902),'avec une préface de M. Catulle Mendès : Les Autres et No»*'
29c volume (année 1903), avec une préface de M. Alfred Capus : Les Nouvelles Diffi-
cultés du Théâtre ;
30o volume (année 1904), avec une préface de M. C. Saikt-Saens, de rinstitut : Can-
serie sur l'Art du Théâtre.
IDE IMPRIMERIE DE TROYES, IM, RUE THIERS
%v.
STANFORD UNIVERSITY LIBRARY
To avoid fine, this book should be returned on
or before the date last stamped below.
m-CmCULATQiG
STANFORD UNIVERSITY UBRAR:
Stanford, Califomia