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Full text of "Les Annales du théâtre et de la musique .."

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Publication  couronnée  par  l'Académie  française 


Ern^OND    STOULLIGh 


LES   ANNALES 

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du  Théâtre 


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de  la  Musique 


AVEC    UNE      (" 

Préface  par  M.  Jean  RICHEPIN 


^tente-et' unièmes    (Z^nnéey^ 


PARIS 

SOCIÉTÉ  D'ÉDITIONS  LITTÉRAIRES  &  ARTISTIQUES 

LIBRAIRIE   PAUL  OLLENDORFF 

5o,  CHAUSSÉE  d'antin,  5o 

1906 

Tous  droits  réservés 


LES 


ANNALES  DU  THEATRE 

ET  DE   LA  MUSIQUE 


DU   MÊME   AUTEUR 


Les  Annales  du  Théâtre  et  de  la  Musîqvte^  comprennent  30  volumes  » 
les  vingt-et-un  premiers  en  collaboration  avec  M.  Edouard  Noël  : 

1er  volume  (année  1875),  avec  une  préface  de  Francisque  Sarckt  ; 

2«  volume  (année  1876),  avec  une  étude  de  M.  Victorien  Saroou,  tle  rAcadémie  fran- 
çaise :  L'Heure  du  Spectacle  ; 

Se  volume  (année  1877),  avec  une  étude  de*  Edmond  Got,  de  la  Comédie-française 
Le  Théâtre  en  Province  ; 

4e  volume  (année  1878),  avec  une  étude  de  Emile  Zola  :  Le  Naturalisme  au  Théâtre  ; 

5e  volume  (année  1879),  avec  une  préface  de  Henri  de  Lapoumbratk  :  1779-1879  ; 

6e  volume  (année  1880),  avec  uiie  étude  de  Victorin  Joncières  :   La  Question  du 
Théâtre-Lyrique  ; 

7e  volume  (année  1881),  avec  une  préface  de  Henry  TouQvrsR  :  La  Maison  de 
M.  Perrin  ; 

8e  volume  (année  1882),  avec  une  étude  sur  la  Mise  en  Scène,  par  Emile  Perrin,  de 
rinstilut; 

9e  volume  (année  1883),  avec  une  préface  de  Charles  Garhier,  de  rinslilut':   Le  Tout 
Paris  des  Premières  ; 

10e  volume  (année  1884),  avec  une  préface  de  Henri  de  Pêne  :  Le  Journal  et  le  Théâtre  ; 

lie  volume  (année  1885),  avec  une  élude  de  Charles  Gounod,  de  Pinstilut  :  Considé- 
rations sur  le  Théâtre  contemporain  ; 

12e  volume  (année  1886),  avec  une  préface  de  Jules  Barbier  :  Les  Jeunes  ; 

13e  volume  (année  1887),  avec  une  préface  de  M.  Jules  Claretie,  de  TAcadémie 
française  :  Il  y  a  cent  ans  ; 

14e  volume  (année  1888),  avec  une  préface  de  Hector  Pessard  :  Le  Théâtre  Libre  : 

15e  volume  (année  1889),  avec  une  préface  de  Henri  Mcilbac,  de  TAcadémie  fran- 
çaise :  La  Comédie  au  Cercle  ; 

16e  volume  (année  1890),  avec  une  préface  de  M.  Ludovic  Halévt,  de  TAcadémie 
fï*ançaise  :  Une  Directrice  de  la  Comédie-Française  ; 

17e  volume  (année  1891),  avec   une  préface  de  Gustave  Larroumet,  de  rinstilut  : 
Le  Centenaire  de  Scribe  ; 

18e  volume  (année  1892),  avec  une  préface  de  M.  Jules  Lemaitre,  de  TAcadémie 
française  :  Le  Mysticisme  au  Théâtre  ; 

19e  volume  (année  1893),  avec  une  préface  de  M.  F.  Brunetière,  de  PAcadémie  fran- 
çaise :  La  Loi  du  Théâtre  ; 

20e  volume  (année  1894),  avec  une  préface  de  Francisque  Sarcet  ; 

21e  volume  (année  1895),  avec  une  préface  de  M.  Félix  Duquesnel  :  De  l'Evolution 
des  Répertoires  dramatiques  ; 

22e  volume  (année  1896),  avec  une  préface  de  M.  A.  Claveau  :  L'Education  du 
Comédien  ; 

23e  volume  (année  1897),  avec  une  préface  de  M.  Emile  Faguet,  de  l'Académie  fran- 
çaise :  La  Comédie  contemporaine  ; 

24e  volume  (année  1898),  avec  une  préface  de  M.  Augustin  Filon  :  La  Philosophie  du 
Théâtre  ; 

25e  volume  (année  1899),  avec  une  préface  de  M.  Albert  Carra  :  Le  Prix  Monbinne  ; 

26>  volume  (année  1900),  avec  une  préface  de    Lucien  Mohlpeld  :  Le  Malaise  du 
Théâtre  ; 

27e  volume  (année  1901),  avec  une  préface  de  M.  Paul  Hervieu,  de  TAcadémie  fran- 
çaise :  Un  Ancêtre  aux  Annales  du  Théâtre  et  de  la  Musique  ; 

28e  volume  (année  1902),  avec  une  préface  de  M.  Catulle  Mendès  :  Les  Autres  et  Nous; 

29e  volume  (année  1903),  avec  une  préface  de  M.  Alfred  Capus  :  Les  Nouvelles  Diffi- 
cultés du  Théâtre; 

30e  volume  (année  1904),  avec  une  préface  de  M.  C.  Saint-SaËns,  de  l'Institut  :  Cau- 
serie sur  l'Art  du  Théâtre. 


Edmond    STOULLIG 


PUBLICATION  COURONNÉE  PAR  L'ACADÉMIE  FRANÇAISE 


LES    ANNALES 

DU  THÉÂTRE 

ET  DE  LA  MUSIQUE 

AVEC   UNE 

Préface  par  M.  Jean  RICHEPIN 


^tente'Ct' unièmes    Q^nnée^ 

leos 


PARIS 

SOCIÉTÉ  D'ÉDITIONS   LITTÉRAIRES  &  ARTISTIQUES 

LIBRAIRIE  PAUL  OLLENDORFF 

5o,  CHAUSSÉE- d'antin,  5o 

1906 

Tous  droits  réservés 


■^.^ 


302162 


*    *    •  •    • 


*  »  • 


L'AMATEURISME 


Eh  !  oui,  le  mot  est  hideux.  Il  est  même 
d'une  hideur  éminente  et  mirobolante. 

Si  j'ai  le  triste  courage  de  m'en  servir,  ce 
n'est  pas,  néanmoins,  comme  on  pourrait  le 
croire,  par  un  raffinement  d'horreur  devant 
la  chose  qu'il  désigne.  Peut-être  ne  suis-je 
pas  fort  éloigné  de  penser,  au  contraire... 
Mais  n'anticipons  pas!...  Quoi  que  je  pense 
de  la  chose,  au  surplus,  j'ai  employé  Je  mot 
uniquement  parce  qu'il  la  désigne  d'une  fa- 
çon claire  pour  tout  le  monde,  dans  le  patois 
qu'est  le  français  courant  d'aujourd'hui.  Et 
donc  j'ai  la  certitude  de  me  faire  bien  enten- 
dre quand  j'écris  la  proposition  suivante  : 

Dans  les  Uttres  et  les  arts  en  général^  et 
en  particulier  dans  la  littérature  et  Vart 
dramatiques^  V avenir  est  désormais  à  V ama- 
teurisme. 

Autrement  dit,  et  pour  prendre  un  second 
vocable  au  nouveau  vocabulaire  et  le  présen- 
ter selon  les  élégants  raccourcis  de  la  syn- 
taxe à  la  mode  : 

Des  professionnels  y  n^en  faut  plus  ! 


VI  PREFACE 


Que  ce  triomphe  de  l'amateurisme  soit  tout 
proche  au  théâtre^  c'est  ce  qui  est  révélé  par  la 
lecture  même  des  présentes  Annales  où  Ed- 
mond Stoullig  enregistre  sans  parti  pris  les 
premières  représentations,  et  dont  les  pages 
sont  de  plus  en  plus  prises  d'assaut  par  les 
amateurs  victorieux.  Notez  que  je  ne  regimbe 
pas  là-contre.  Je  constate  le  fait,  voilà  tout. 

Et  pourquoi  diable  perdrait-on  son  temps 
et  sa  peine  à  se  gendarmer?  Ce  qui  arrive 
ainsi  au  théâtre  est  la  conséquence  naturelle 
de  ce  qui  se  produit  ailleurs  et  doit  se  pro- 
duire partout,  avec  notre  impérieux  besoin 
d'égalité.  Blâmez  ce  besoin,  si  Je  cœur  vous 
en  dit;  mais  le  philosophe  est  bien  forcé, 
puisque  ce  besoin  existe,  d'admettre  qu'on  y 
doit  satisfaire  dans  les  arts  comme  dans  le 
reste,  et  au  théâtre  comme  dans  les  autres 
arts.  Il  y  a  là  une  loi  fatale,  dont  les  appli- 
cations sont  logiques,  c'est-à-dire  justes. 

Sans  doute  les  esprits  étroits  et  rétrogrades 
ne  se  soumettront  pas  volontiers  à  cette  loi. 
Même  écrasés  sous  la  force  inéluctable  qui 
nous  l'impose,  ils  essaient  de  la  nier.  Ils 
trouvent,  pour  en  combattre  la  logique  et 
pour  en  blasphémer  la  justice,  des  arguments 
spécieux,  qui  ne  laissent  pas  de  paraître 


PREFACE  VIJ 

solides.  Tel  celui-ci,  un  des  meilleurs,  que- 
je  reproduis  impartialement  : 

«  Comment  !  Tous  les  -métiers,  même  les 
plus  simples,  doivent  être  enseignés  ;  et  ces 
métiers  compliqués  et  sublimes,  que  sont  les 
arts,  le  premier  venu  les  pratiquerait  d'em- 
blée, sans  apprentissage!  » 

Ratiociner  en  sens  contraire  serait  digne 
delà  Palice.  Mais  ce  qui  ruine  cet  argument 
mieux  que  tous  les  raisonnements  du  monde,, 
n'est-ce  pas  le  brutal  exposé  des  faits?  Oui^ 
la  supposition  ci-dessus  est  absurde  ;  et 
cependant  les  choses  vont  comme  si  elle  était 
la  sagesse  même. 

Pour  nous  en  tenir  à  l'art  dramatique,  et,, 
dans  cet  art,  à  l'interprétation,  n'est-il  pas 
évident  que  l'on  y  tend  de  plus  en  plus  à 
jouer  la  comédie  au  mépris  de  tout  ce  qui 
constituait  naguère  ce  métier  et  cet  art  très 
difficiles  ?  Et,  encore  une  fois,  je  ne  m'in- 
digne point,  ni  ne  me  plains;  je  constate. 

Naguère,  on  enseignait  aux  comédiens,  ou 
d'eux-mêmes  ils  s'acharnaient  à  apprendre^ 
diverses  choses  dont  ils  n'ont  plus  désormais 
le  moindre  souci.  Il  y  fallait  *du  temps,  de  la 
patience,  de  l'étude,  même  avec  les  plus  heu- 
reux dons  de  nature.  Ces  diverses  choses 


VUJ  PREFACE 

s'appelaient  :  marcher,  gesticuler,  avoir  de 
la  tenue,  du  galbe,  le  physique  de  l'emploi, 
dire  enfin,  surtout  dire,  articuler,  avoir  une 
voix  assouplie,  juste,  forte,  prenante,  exacte 
à  tout  exprimer.  Les  maîtres  dans  ce  métier 
et  cet  art  n'arrivaient  à  la  maîtrise  que  tard 
dans  la  vie. 

Aux  comédiens  nouveaux  aucune  de  ces 
qualités  ne  sera  plus  nécessaire.  Peut-être 
nuisent-elles  déjà.  Une  seule  qualité  tiendra 
et  tient  lieu  de  toutes  nos  vieilleries.  Elle  a 
nom  la  sincérité. 

Ne  cherchez  pas  à  trop  la  définir,  d'ailleurs, 
cette  fameuse  sincérité.  Gela  ne  se  définit  pas. 
Gela  se  sent.  G'est  mystérieux,  mais  indénia- 
ble. On  l'a  ou  bien  on  ne  l'a  point.  Rien  ne  la 
donne.  On  l'a  de  naissance.  Elle  se  reconnaît 
à  je  ne  sais  quelle  gaucherie  sublime.  D'au- 
cuns en  font  le  moderne  tarte-à-la-crême. 

Pourquoi  voudriez-vous  que  celui  ou  celle 
qui'  l'ont,  ou  croient  l'avoir,  cette  qualité  su- 
prême, absolue,  se  préoccupassent  des  autres 
qualités,  désormais  vaines  et  superfétatoires? 
Que  gagneraient-ils  à  les  acquérir  ?  Laissons 
ce  long  travail  sans  but  aux  anciens  ridi- 
cules professionnels  !  Les  amateurs  n'en  ont 
que  faire. 


PREFACE  JX 


Et  comme  ils  ont  raison,  d'être  tels  !  Le 
triomphe  approuve  leur  ignorance  et  contre- 
signe leur  orgueil. 

Regardez,  en  effet,  auprès  des  vétérans 
qui  s'obstinent  à  vaincre  encore  péniblement 
parles*  moyens  de  jadis,  regardez  les  cons- 
crits gagnant  leur  bâton  de  maréchal  en 
quelques  rapides  campagnes,  par  les  moyens 
d'aujourd'hui  !  Vous  en  trouverez  tout  le 
long  du  présent  livre.  Inutile  que  j'en  cite 
les  noms.  Vous  n'avez  qu'à  battre  le  rappel, 
de  vos  souvenirs. 

Il  y  a  là  des  comédiens  et  des  comédiennes 
à  qui  fut  loisible  d'être  laids,  mal  bâtis,  en 
bois  ou  en  baudruche,  de  bredouiller,  de  ba- 
fouiller, de  laisser  choir  leurs  phrases,  de 
gesticuler  en  pantins,  de  dire  sans  articula- 
tion, et  faux,  toujours  faux,  sauf  deux  ou 
trois  fois  dans  chaque  soirée,  et  qui,  nonobs- 
tant, furent  applaudis,  portés  aux  nues,  flat- 
tés, encensés,  adorés,  préférés-  aux  plus 
grandes  gloires  mortes  ou  vivantes. 

Secret  de  ces  salles  en  délire  :  ces  ama- 
teurs étaient,  comme  dit  notre  jargon,  des 
sincères. 

Et  non  seulement  le  public  opinait  de  la 
sorte,  y  compris  les  connaisseurs  ;    mais 


X  PRÉFACE 

pareillement  s'extasiait  la  presse,  qui  pré- 
tend mener  le  public  et  qui  le  suit.  Et,  en 
fin  de  compte,  c'est  toute  la  société  que  nous 
sommes  qui  pensait  et  sentait  ainsi,  de  la 
meilleure  foi  du  monde.  Elle  aussi,  certes, 
est  sincère,  quand  elle  apothéose  de  cette 
façon  les  amateurs,  et  semble  prendre. pour 
cri  de  guerre  que  poussera  l'art.de  demain  : 

—  A  bas  les  professionnels  ! 

Si  j'ai  choisi  comme  matière  à  exemples 
ce  plateau  du  théâtre  et  ce  qui  grouille  des- 
sus, c'est  que  tout  y  est  grossi,  en  lumière, 
en  vedette,  dans  un  éblouissement  qui  vous 
crève  les  yeux  ;  c'est  aussi  parce  que  m'y 
incitait  le  titre  même  du  livre  auquel  est 
destinée  cette  préface.  Mais,  au  lieu  d'une 
préface,  c'est  un  volume  entier  qu'il  me  fau- 
drait, pour  montrer,  fût-ce  sommairement, 
le  triomphe  de  l'amateurisme  et  la  future 
ruine  des  professionnels  dans  tous  les  autres 
arts. 

Songez,  en  effet,  à  tant  de  succès  rempor- 
tés par  des  dessinateurs  ignorant  les  pre- 
miers éléments  dii  dessin,  par  des  peintres 
sans  couleurs,  par  des  écrivains  dénués  de 
style  et  de  grammaire,  par  tous  les  poètes 
et  toutes  les  poétesses  qui  pullulent,  incapa- 


PREFACE  XI 

bles  de  chanter  quatre  vers  de  suite  se 
tenant!  Un  dénombrement  homérique  ne 
suffirait  pas  à  noter  leurs  noms  et  leurs  vic- 
toires. 

Car,  il  ne  faut  pas  se  lasser  de  le  répéter, 
ces  amateurs  sont  des  victorieux  ;  et  leurs 
noms  sont  célèbres,  tous,  un  petit  moment 
chacun  ;  et  ces  gloires  sont  méritées,  en 
somme. 

Tous,  ne  sont-ils  pas  des  sincères  ?  Mépri- 
sant les  métiers  abolis,  c'est-à-dire  les  rou 
tines,  chacun  n'a-t-il  pas  apporté  sa  note  à 
lui,  ingénue,  ignorante,  touchante  par  cela 
même  ?  Sans  doute,  il  arrive  à  plus  d'un, 
presque  à  chacun,  de  prendre  pour  une  trou- 
vaille quelque  antiquaille  dont  les  profession- 
nels faisaient  fi  depuis  longtemps  ;  mais  que 
cette  niaiserie  gauche  et  prétentieuse  a  de 
charme  ! 

Voilà  ce  que  les  professionnels  ne  savent 
plus  faire,  et  ce  que  nous  aimons  par  dessus 
tout. 

Les  professionnels  ont  cru  qu'on  ne  pour- 
rait jamais  se  passer  d'eux,  parce  qu'ils 
étaient  seuls  en  état  d'exprimer  ce  qu'éprou- 
vent les  autres.  Nous  voulons  aujourd'hui 
que  le  plus  humble  des  autres  s'exprime  lui- 


XIJ  PREFACE 

même,  bien  ou  mal,  peu  importe,  mais  avec 
sincérité. 

Et,  du  coup,  l'amateurisme  est  né,  fleurit, 
va  de  plus  en  plus  s'épanouir. 

L'aboutissement  en  sera  ce  qu'il  sera, 
d'ailleurs,  et  nul  n'y  peut  rien.  Aussi,  me 
garderaî-je  de  pronostiquer  en  mieux  ou  en 
pis  pour  l'art  de  demain,  l'art  de  tous  pour 
tous  et  par  tous.  Je  ne  me  permettrai  même 
pas  d'en  rire,  comme  un  professionnel  mé- 
content. Je  préfère  y  songer  en  philosophe 
qui  veut  tout  voir  du  beau  côté,  avec  indul- 
gence et  avec  espoir. 

Qui  sait  si  ce  triomphe  de  l'amateurisme 
n'est  pas  un  retour  à  ce  qui  devrait  être  ?  Au 
fond,  les  professionnels  sont  des  monstres, 
comme  le  furent  les  tyrans,  les  conquérants, 
les  hommes  de  génie.  L'humanité  qui  vient 
sera  peut-être.... 

Au  surplus,  voici  de  quoi  conclure  sage- 
ment et  délicieusement.  Fut-il  un  profes- 
sionnel ou  un  amateur,  le  grand  et  bon  Mis- 
tral qui  écrivit  ce  qu'on  va  lire?  Je  l'ignore, 
en  vérité;  mais  ce  que  je  n'ignore  point,  c'est 
qu'il  écrivit  en  joli  français,  et  savoureux, 
pécaïre,  le  jour  où  il  écrivit  ces  lignes. 

((  Ne  nous  mettons  pas  en  peine,  dit  il. 


PRÉFACE  xiij 

«  d'enseigner  la  vita  nuova  à  ceux  qui  sau- 
«  ront  Tacquérir.  La  cigale  qui  sort  des  pro  • 
«  fondeurs  du  sol,  avant  que  d'en  percer  la 
«  croûte,  s'inquiète-t-elle  de'  la  façon  dont 
«  elle  existera  au  pays  de  la  lumière?...  La- 
ce boureurs  et  semeurs,  labourons  et  semons, 
«  voilà  de  quoi  nous  occuper.  Quand  les  blés 
«  seront  mûrs,  les  faucilles  viendront  bien 
«  d'elles-mêmes.  » 

Suivons  le  brave  conseil,  et  labourons 
donc  et  semons,  amateurs  ou  professionnels. 
Même  s'il  ne  doit  rien  germer  dans  nos 
sillons,  n'est-il  pas  agréable  de  s'y  promener 
en  faisant  un  geste  qui  est  auguste,  puisque 
le  père  Hugo  l'a  dit  ? 

Jean  Richepin. 


V 


'      LES 

ANNALES    DU  THEATRE 

ET  r^E  LA  MUSIQUE 


ACADÉMIE  NATIOKAt^E  DE  MUSIQUE 


UArmide  de  Gluck,  depuis  si  ioQglemps  de- 
mandée et  tant  de  fois  différée,  sera  la'  gtôVè,  de  la 
direction  Gailhard...  Joignez-y  les  belles*  soirées 
de  Tristan  et  Isolde  se  continuant  fort  arti'sfjqjist^. 
ment  avec  M.  Van  Dyck  et  M'^^  Grandjeari,  Tihié-/. 
Fessante  résurrection  du  Freychûtz  de  Weber  et 
la  reprise  du  Gid  de  M.  Massenet,  l'apparition  de 
deux  œuvres  inédites  :  Daria  de  M.  Georges  Marty 
et  le  ballet  de  la  Ronde  des  Saisons  de  M.  Henri 
Bûsser,  délicieusement^dansé  par  M'^^  Zambelli  — 
et  vous  aurez,  avec  le  répertoire  courant,  le  très 
honorable  bilan  de  l'Opéra  en  Tannée  1905. 
Voyons-en  le  détail. 

i3  JANVIER.  —  Siffurd  reparaissait  sur  Taffiche, 
ei  M.  Ernest  Reyer,  qui  assistait  à  là  représenta- 
lion,  pouvait  constater  avec  quelle  chaleur  le  public 
accueillait  son  œuvre  préférée.  M.  Affre  se  faisait 
applaudir  dans  le  rôle  de  Sigurd,  qu'il  chantait 
pour  la  première  fois.  M"^  Bréval  était  une  admi- 

▲KNALBS  ïiV  THÉATKB  1 


2  LES    ANNALES    DU    TH^TRE 

rable  Brunehilde;  M.  A.  GressCi  un  très  remar- 
quable prêtre  d'Odin  ;  M;  Noté,  un  Gunlher  de 
belle  autorité. 

27  JANVIER.  —  Première  repr^ûntation  de  Z>a- 
riciy  drame  lyrique  en  deux  actes  de. MM.  Adolphe 
Aderer  et  Armand  Ephraïm,  'iftusrque  de  M.  Geor- 
ges Marty^  —  C'est  —  s^fiX  î^Husion,  du  reste,  à 
la  terrible  actualité  -^--'VuilK  drame  foncièrement 
russe,  dont  l'action .s,cf*pôs6e  aux  environs  de  1820. 
Modeste  et  pauvr&JfiîJe  de  moujick,  Daria  a  donné 
sa  vie,  son  âme  étàon  cœur  à  Boris,  son  seigneur 
et  maître.  .Maij  les  grands  sont  frivoles  :  Daria 
ne  potiv^\UpKiS  mal  placer  sa  confiance.  Boris  an- 
nonce -àj^à^maîtresse  qu'il  la  quitte  pour  faire  un 
bèaii'înariage  destiné  à  redorer  son  blason.  Et 
^  UWqû'au  lieu  de  se  résigner  à  son  triste  sort, 
'éeJfe-ci  s'insurge  contre  ce  lâche  abandon,  Bbris 
ordonne  férocement  qu'on  lui  donne  le  knout... 
El  certain  Ivan  se  détache  alors  du  groupe  des 
serfs,  se  refusant  à  frapper  une  femme.  —  «  De 
quoi  te  mêles-tu  ?  s'écrie  Boris,  et  pourquoi  tant 
de  pitié  pour  cette  créature?/*.  Ta  l'aimes  donc?...  » 
—  «  Oui^  maître,  répond  Ivan,  depuis  que  je  l'ai 
connue  tout  enfant.  »  —  «  Eh  bien!  je  te  la 
donne  !  »  Et  Ton  appelle  le  pope.  Et  le  prêtre  les 
marie.  L'es  voilà  partis  pour  les  terres  seigneu- 


1.  DisimilWtôN.  —  Dafia,  M"c  Vix  (débuts).  —  Boria,  U.  Rouifselière. 

—  Ivan,  M.  Delmas:  —  Le  pope,  M.  Dinar d.  —  Un  garde,  M.  Cabillot. 

—  Un*  piquéuï",  M.  Donval.  —  Deux  bûcheron!?,  M.  Gallois  et  M.  Slam- 
ler. 

Danse.  —  M'>«»  Barbier,  Meunier,  Billon,.L.  Conaty  Klein,  Rouvier, 
Diiier]  MU.  Sfaats,  Ré(/niér,  Cléret. 

Mi>o  Vix,  que  la  maladie  allait  momentanément  éloigner  de  la  scène, 
devait  bientôt  être  remplacée  dans  le  rôle  de  Daria  par  M*'*  Demongeot, 


ACADEMIE'  NATIONALE    DE    3IUSI^UE  3 

riales,  eu  pleine  forêt  de  l'Ukraine.  C/est  devant 
rizba)  où  Daria  berce  son  enfant  couché  dans  son 
berceau,  que  nous-  nous  retrouverons  aii.  second 
acte.  Ivan  fut  si  tendre  et  si  bon  qu'il  a  conquis 
Tamour  de  sa  femme,  ne  regrettant  désormais 
plus  rien  du-  passé...  Le  passé  n'est'  pas  mort 
pourtant  :  une  sonnerie  de  cor  annonce  la  venue 
du  maître  qui  feint  d'avo'ir  été  égaré  par  la  chasse 
dans  les  halliers  voisins,  et  réclame  d'Ivan  une 
héspitalité  dont  il  s'empresse  d'abuser,  cherchant 
à  le  griser  et  à  profiter  de  sa  lourde  ivresse  pour 
lui'  prendre  sa  femme.  Mais  au  moment  où  il  veut 
la: saisir,  Ivan,  qui  simulait  un  sommeil  de  plomb, 
se  relève,  justicier,  et  Tétrangle  de  ses  robustes 
mains.  Puis  il  met  le  feu  à  J'izba  où  il  laisse  le 
cadavre  de  son  maître,  et  s'enfuit  avec  sa  femme 
et  son  enfant.  Sur.  ce  livret  violent,  plein  d'émotion 
et  d'humanité,  simple,  rapide,  clair  et  scénique, 
M-.  Georges  Marty  a  écrit  les  deux  actes  pour  les- 
qi«els  sa  qualité  de  prix  de  Rome  (de  1882!)  le 
désignait  depuis  longtemps  au  choix  de  l'Institut. 
Daria  est  le  second  oy^vrage  de  VI.  Marty.  Le  Duc 
de  Fer  rare,  où  il  avait  pour  très  adroit  collabora- 
te^ar  M.  Paul  Milliet,  attestait  un  musicien  de 
théâtre,  et  la  manière  dont  il  le  conduisait  lui- 
même  faisait  heureusement  prévoir  le  remarquable 
chef  d'orchestre  aujourd'hui  placé  à  la  tête  de  la 
Société  des  Concerts  du  Conservatoire.  En  Daria^ 
comiii-3'  en  son  œuvre  initiale  déjà  marquée  de 
puissance,  de'  vie,  d'envolée  et  de  talent,  M*.  Marty 
manie  l'instrumentation  de  toute  sûreté  ;  ses  idées 
—  mélodies  populaires  à  part —  ont  de  l'élan j  de 


4  LES    ANNALES    DU    THEATRE 

la  grâce  et  de  la  vigueur  ;  il  sait  faire  chanter  les 
voix  et  traduire  avec  force  les  sentiments  intimes 
de  ses  personnages.  On  a  redemandé  les  airs  de 
danses  de  caractère  dont  le  thème  est  si  joliment 
exposé  par  le  cor  et  la  clarinette  et  dont  le  rjthme 
original  s'accuse  de  précise  façon  ;  on. a*  su  appré- 
cier le  charme  très  réel  de  la  chanson  slave  : 
«  Est-ce  donc  la  fontaine  où  venait  le  ramier?  » 
et  le  doux  agrément  de  la  mélancolique  berceuse  : 
«  Dors,  ô  mon  doux  agneau  »,  que  discrètement 
accompagne  le  violoncelle;  on  a  fait  enfin  le  plus 
légitime  succès  à  la  rude  chanson  cosaque  :  a  Le 
vent  siffle,  le  vent  sanglote  »,  chantée,  mimée  et 
dansée  par  M.  Delmas,  qui,  de  si  souple  talent,  a 
fait  du  rôle  complexe  d'Ivan,  triste,  gai,  farouche, 
terrible,  une  si  curieuse  composition.  A  M.  Rous- 
selière  était  échu  le  personnage  fort  ingrat  de  Boris 
auquel  il  prêtait  sa  chaude  voix  de  ténor.  Le  rôle 
de  Daria  servait  de  début  à  M"*  Geneviève  Vix,  la 
brillante  lauréate  dont,  aux  derniers  concours  du 
Conservatoire,  furent  justement  remarqués  l'évi- 
dente intelligence  et  le  solide  tempérament  dra- 
matique. Nous  avons  retrouvé  à  l'Opéra  ces  mêmes 
qualités  théâtrales,  et  quand  sa  voix,  qui  manque 
encore  de  médium,  aura  acquis  l'émission  néces- 
saire au  vaste  vaisseau  du  monument  Garnier,  nous 
aurons  en  M"®  Vi.x  une  artiste  de  réelle  valeur. 
L'orchestre  était  savamment  et  amicalement  con- 
duit par  M.  Vidal,  qui,  à  une  année  de  distance, 
suivit  à  la  villa  Médicis  son  excellent  camarade 
Georges  Marty.  —  Marly,  Vidal,  Pierné,  Leroux, 
tous  Grand  Prix  de  Rome,  tous  élèves  de  Massenet, 


AGADëMIE^   nationale    de    Ml'SIQUE  5 

faisant,  on  le  voit,  glorieusement  honneur  à  leur 
illustre  maître* 

28  JANVIER.  —  Grande  redoute  parée,  masquée 
et  travestie  *. 

3o  JANVIER.  —  La  ving't-cinquième  représentation 
du  Fils  de  rEtoile  de  MM.  Catulle  Mendès  et 
Camille  Erlanger  était  l'occasion  d'un  vif  succès 
personnel  pour  M'*^  Borgo,  qui  remplaçait  au  pied 
levé,  dans  le  rôle  de  Sephora,  M"*^  Bréval  indis- 
posée. 

i3  FÉVRIER.  —  Un  concours  de  composition  pour 
orchestre,  dont  le  jury,  nommé  par  les  concurrents, 
se  composait  de  MM.  E.  Reyer,  Saint-Saëns^Mas- 
senet,  Théodore  Dubois,  Ch.  Lenepveu,  de  l'Insti- 
tut; Bruneau,  Vincent  d'Indy,  Camille  Erlanger, 
G.  Fauré,  Xavier  Leroux,  C.-M.  Widor,  TafFanel, 
Paul  Vidal,  Mangin  et  P.  Gailhard,  décernait  le 
premier  prix  (i.5oo  fr.)  à  M.  Edmond  Malherbe, 
prix  de  Rome  de  1899;  une  première  mention 
(5oo  fr.)  à  M.  Ch.  Kœchlin  ;  une  deuxième  mention 
(260  fr.)  à  M.  Bachelet,  prix  de  Rome  de  1890. 
L'œuvre  du  vainqueur,  le  Jugement  de  Pâris^  sera  . 
exécutée  à  l'Opéra. 

24  FÉVRIER.  —  L'orchestre  de  l'Opéra  se  trou- 
vait ce  soir  sans  chef...  L'affiche  annonçait  Tristan 


1.  —  M.  Gailhard  avait  eu  l'idée  de  ressusciter  pour  un  jour  les  an- 
ciens bals  de  lOpéra.  La  recette  atteignait  33.700  fr.,  et  la  fAte  était  des 
plus  brillantes.  Un  concours  dit  «  de  la  pantoufle  d'or  pour  le  plus  petit 
pied  de  Paris  »  obtenait  un  gros  succès.  Une  quarantaine  de  pieds, 
plus  jolis  les  uns  que  les  autres,  s'étaient  posés  sur  le  cou«-sin  rouge, 
mais  la  minuscule  pantoufle  était  chaussée  déflnitivement  par  uno 
femme  de  la  société  sud-américaine,  M™*  A.  Ph.  P.,  qui  demandait 
qu'où  re«5pect.U  son  incognito. 


O  LES    ANNALES   DU    THEATRE 

et  /solde.  An  dernier  marnent,  par  s^uitede  1  indis- 
position de  Tun  des  interprètes,  on  dut  modifier  le 
spectacle  et  donner  Tannhàuser.  Or,  d'ordinaire, 
c'est  M.  Mangin  qui  conduit  Tristan  et  M.  Taffanel 
qui  conduit  le  Tannhàiiser.  Aucun,  d'eux  ne  se 
trouvant  au  tliéâtre,  M.  Catherine,  chef  du  chant, 
monta  au  pupitre.  Bien  qu'un. peu  ému,  M.  Cathe- 
rine retrouva  rapidement  la  pleine  possession  de 
lui-même  et  dirigea  Torches tre  avec  autant  d'entrain 
que  de  brio. 

10  MARS.  —  Dans  Lohengrin^  où  M"«  L.  Grand- 
jean  est  une  très  dramatique  Eisa,  M"™®  Caro-Lucas 
débute  officiellement  dans  le  rôle  d'Ortrude,  où  sa 
belle  voix,  conduite  avec  un  art  très  sûr,  et  ses 
remarquables  qualités  scéniques  lui  conquièrent 
tous  les  suffrages  ^. 

10  AVRIL.  —  M.  Ernest  Van  Djck,  dont  la  di- 
rection s'est  assuré  le  concours  pour  une  série  de 
représentations  aux  mois  d'avril  et  de  mai,  prend 
possession  du  rôle  de  Tristan.  Le  célèbre  chanteur 
wagnérien  y  appa;*aît  admirable  de  tout  point. 
Au  dernier  acte,  notamment,  très  sobre  de  gestes 


1.  —  Extrait  du  rapport  de  M,  Déandreis  sur  le  budget  des  Beaux- 
Arts-:  «Pendant  l'année  1904,  il  a  été  donné  à  l'Opéra  188  représenta- 
tions, soit  13  dans  chacun  desjnois  de  juillet;  août  et  septembre,  et  16 
ou  17  dans  les  antres  mois.  Dans  ce  nombre  figurent  5  représentations 
gratuites  :  kida^  le  29  mai;  le  Fils  de  l'Etoile,  fe  14  juillet;  Rigoletto, 
le  15  novembre;  la  Favorite,  le  18  décembre;  les  Huguenots,  le  25  du 
même  mois.  »  Le  rapporteur,  après  quelques  ooiiscdérations  sur  le  de- 
voir qui  incombe  à  l'Opéra  de  faire  connaître  :  .lo  les  compositeurs 
français  contemporains;  2»  les  œuvres  ancieirnes  des  grands  ciassiques, 
se  demande  si  TAcadémie  nationale-  de  rattsic|ue  ne  pourrait  pas  insti- 
tuer, les  jours"  actuels  de  relâche,  des  . auditions  mixtes,  à  un  prix  point 
élevé;  il  y  verrait  le  moyen  de  créer  un  .public  qui  deviendrait  fidèle  à 
l'opéra  et  la  possibilité  «  d'attirer  le  monde  autre  part  que  dans  les 
music-halls  ». 


ACADEMIE    NATIONALE    DE    MUSIQUE  7 

et  d'attitudes>  il  montre'  une  intensité,  une  puis- 
sance d'émotion  vraiment  extraordinaires. 

12  AVRIL  —  Reprise  d'Armide^  tragédie  lyrique 
en  cinq  actes  et  huit  tableaux  de  Quinault,  musique 
de  Gluck  ^  —  La  représentation  obtient  un  succès 
triomphal,  et  Ja  vérité  nous  oblige  à  recoiaaitre  que 
nous  n'avions  pas  vu  depuis  longtemps  à  TOpéra 
un  spectacle  aussi  beau.  M.  Gailhard,  aura  ainsi 
l'indiscutable  gloire  d'avoir  remis  lui-même  à  la- 
scène  la  grande  œuvre  de  Gluck,  oubliée  depuis 
un  «iècle,  .et  nous  devons  le  dire,  il  y  a  apporté 
un  {Soin,  une  peine,  une  pureté  de  goût  dont  les 
très  chaleureux,  applaudissements  des  spectateurs 
de  la  pr<îmière  l'ont  amplement  récompensé.  Ce  fut, 
à  tous  les  points. de  vue,  une  noble  et  magnifique 
soirée  d'art.  Armide  est  en  quelque  sorte  un  ou- 
vrage à  part  dans  l'œuvre  de  Gluck  qui,  après 
avoir  excellé  dans  la  peinture  des  sujets  tragiques 
et  des  sentiments  du  cœur,  voulut  montrer  que 
son  génie  se  prêtait  aussi  aux  caprices  du  genre 
descriptif,  à  la  fantaisie  gracieuse,  aux  tableaux 
voluptueux.  Armide  est  partagée  en  scènes  d'une 
ineffable  douceur,  à  travers  lesquelles  éclatent  des 
accents  d'une  superbe  violence  et  de  puissants 
élans  dramatiques.  C'est  aussi  l'œuvre  par  laquelle 


1.  DisiRlBUTioN.  —  Rettaud,  M.  Affre,—  Hidraot,  M.  Delmas.  —  Le 
chevalier  danois,  M.  Scaramberg.  —  UbalJe,  M.  Gilly.  —  Aronte, 
M.  Riddez,  —  •Artémidore,  M.  Cabillot.  —  Arm-ido,  MUe  Drêval.  —  !.a 
Haine,  M"«  Rose  FéarU  — .Sidonie,  M^c  Lindsat/.  —  Thômico,  M'if  Bu- 
beî.  —  Une  naïade,  MH«  Alice  Verlet.  —  I.iicinde,  MU"  Demougeot.  — 
Mélis&e^  M'ï»  Vix.  —  Un  Plaisir,  '^V^'^.AgussoL  —  Une  ajnanto.  heure  use, 
Mil»  Mendès.  —  Mf^* Mathieu.  MM.  Ragneuu,  Stamler. 

Pour  la  preniie»re  fois  à  l'Opéra  le  nom  du  clîef  ilorchestre  —  ce  ;t, 
cette  lois,  M.  Paul  Xaffanel  —.figure  s-ur  l'atliche. 


8  LES    ANNALES    DU    THEATRE 

Glnok  voulut  répondre  à  ceux  qui  lui  reprochaient 
de  manquer  de  mélodie.  11  leur  répondit,  en  effef^ 
victorieusement,  mais  il  ne  les  convainquit  pas  sur^ 
Fheure,   car  la  représentation  d'Armide  souleva 
d'incroyables    tempêtes,   et   porta    au   plus    haut 
point  la  colère  des  partisans  de  la  musique  italienne- 
qui  opposaient  les  'œuvres  débiles    de   Piccini   à 
celles  du  grand  réformateur  de  notre  scène  lyri- 
que. En  donnant  Armide,  Gluck  eut  même  à  lutter 
primitivement  contre  quelques  admirateurs  de  ses^ 
œuvres  précédentes.  II  écrivait  au  bailli  du  Rollel 
qui  vantait  surtout  Alceste  :  «  L'ensemble  de  VAr^^ 
mide  est  si  différent  de  celui  de  Y  Alceste  que  vous^ 
croiriez  qu'ils  ne  sont  pas  du  même  compositeur  ; 
aussi^  ai-je  employé  le  peu  de  suc  qui  me  restai! 
pour  achever  V Armide;  j'ai  tâché  d'y  être  plus- 
poète  et  plus  peintre  que  musicien  ;  enfin,  vous  en 
jugerez  si  on  veut  l'entendre.    Je  vous  confesse 
qu'avec  cet  opéra  j'aimerais  à  finir  ma  carrière; 
il  est  vrai  que  pour  le  public,  il  lui  faudra  au  moins 
autant  de  temps  pour  le  comprendre  qu'il  lui  en  » 
fallu' pour  comprendre  V Alceste.  Il  y  a  une  espèce 
de  délicatesse  dans  V Armide  qui  n'est  pas  dan» 
V Alceste;  car  j'ai  trouvé  le  moyen  de  faire  parler 
les  personnages  de  manière  que  vous  connaîtrez: 
d'abord  à  leur  façon  de  s'exprimer  quand  ce  sera 
Armide  qui  parlera  ou  une  suivante...  »  Gluck,  à 
Vienne,  après  avoir  donné  trente  opéras  italiens  — 
dont  il  ne  reste,  d'ailleurs,  pas  une  note  —  avait 
jugé  que  la  réforme  théâtrale  qu'il  projetait  ne 
pouvait  s'ajccomplir  qu'à   Paris.  Il  avait  déjà  fait 
jouer  à  notre  Académie  de  musique  fphigénie  en 


ACADEMIE    NATIONALE    DE    MUSIQUE  ^ 

Aulide^  Orphée-,  Alceste;  quand  il  voulut  écrire 
Armide,  il  se  servit  du  poème  de  Quinault  qui, 
cent  ans  auparavant,  avait  été  mis  en  musique  par 
LuUy.  Ces  choix  de  Gluck  sont  tout  à  fait  à  la 
gloire  de  la  scène  française,  et  indiquent  quel  rang^ 
élevé  elle  occupait  déjà  dans  l'ordre  musical..  Gluck, 
qui  avait  importé  en  France  T^saçe  des  répétitions 
géaérales  avec  public,  pour  Or/>^^'^  et  pour  Alceste^ 
donna  la  répétition  g-énérale  d'Armide  le  5  sep- 
tembre 1777.  La  première  représentation  eut  lieu 
le  20  septembre.  11  n^est  pas  douteux  que  l'œuvre 
ne  fut  accueillie  avec  une  froideur  glaciale^,  froideur 
qu'augmenta^  paraît-il,  un  certain  désarroi  dans  la 
machinerie.  Mais  cet  accueil  ne  tint  pas  aux  re- 
présentations suivantes,  et  bientôt,  malgré  les^ 
innombrables  écrits,  les  diatribes,  les  épigrammes, 
Armide  prit  son  essor,  et  l'apparente  indifférence 
du  public  se  changea  peu  à  peu  en  enthousiasme. 
La  dernière  reprise  àWrmide  à  l'Opéra  de  Pari» 
fut  donnée  en  1826.  Et  nous  mentionnerons, 
comme  document  historique,  l'extrait  suivant  d'un 
feuilleton  du  Journal  des  Débats  :  «  Puisque  nous 
sommes  sur  le  chapitre  de  l'ennui,  écrivait  Geof- 
froy, deux  mots  sur  Armide  trouveront  naturelle- 
ment place  dans  ce  feuilleton.  Cet  opé*a,  promise 
depuis  longtemps  aux  amateurs^,  a  reparu  avant- 
hier  à  l'Académie  royale  de  musique  et  a  produit 
son  effet  ordinaire  :  celui  d'intéresser  pendant 
vingt  minutes  et  d'ennuyer  pendant  deux  heures 
et  demie...  »  Tel  ne  sera  pas  le  jugement  de 
l'actuel  successeur  de  Geoffroy  à  la  critique  des 
Déba'Sj  notre  distingué  confrère  Adolphe  Jullien... 


lO  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

Armide  est,  à  notre  avis,  la  plus  belle  des  part 
lions  de  Gluck.  Style,  diction^  idées  mélodiquei 
sentiment  dramatique^,  tout  y  est  grand,  superbe 
ment  coordonné  ;  on  sent  à  chaque  page  Temprein 
du  génie.  Et  nous  devrions  citer  toutes  les  partie 
de  cette  oeuvre  immense,  si  elle  n'était  admin 
déjà  depuis  longtemps  par  tous  les  musiciem 
L'idée  de  monter  Armide  à  l'Opéra  était  aus 
audacieuse  que  généreuse,  si  Ton  considère  Tin 
possibilité  de  représenter,  à  moins  de  frais  in 
menses,  un  ouvrage  de  cette  importance^  le  pe 
sonnel  nombreux  qu'il  fallait  lui  consacrer^ 
matériel  compliqué  qu'il  devait  mettre  en  jei 
D'autres  obstacles  encore  devaient  s'élever  conti 
la  remise  à  la  scène  AWrmide,  entre  autres^ 
défaut  des  traductions  musicales  et  la  difficulté  c 
trouver  une  interprète  apte  à  porter  le  poids  d 
personnage  principal.  Or,  la  partition  à^Armio 
(lisez-Ja  dans  la  belle  édition  Lemôine)  est  donn^ 
à  l'Opéra  telle  que  Gluck  Ta  composée,  c'est-à-dij 
sans  une  transposition,  sans  une  coupure.  Et  1 
dernière  pierre  d'achoppement  a  été  heureusemei 
franchie  :  M'*^  Bréval  a  été,  comme  femme  { 
cornme  cantatrice,  une  Armide  idéale. dans, ce  roi 
colossal  situé  dans  une  tessiture  quasi  inabordf 
ble  ;.  depuis  la  première  scène  jusqu'au  cri  finï 
suprême,  elle  s'est  montrée  la  fidèle  interprète  c) 
Gluck.  Le  rôle  de  Renaud,  écrit  pour  la  voix  d 
haute-contre  de  Legros,  est  tenu  par  M.  Affre,  qi 
le  chante  dans  la  force  de  sa  belle  voix  de  ténor  ( 
s'y  dépense  amplement.  Il  a  dit  avec  charme  l'ai 
..si  difficile  :  «  Plus  j'observe  ces  lieux  et  plus  je  le 


AG.U>EMIE    NATIONALE    DE    MUSIQUE  I  I 

admire  »,  et  n'a  point  faibli  dans  les  parties  che- 
valeresques et  chaleureuses  du  rôle.  M"°  Rose 
Féart,  aux  sculpturales  épaules,  est  superl)e.de 
plastique  et  de  voix  dans^la  Haine,  doat  elle  enlève 
avec  éclat  les  notes  élevées  :  ses  imprécations  sont 
bien  de  nature  à  terrifier  la  pauvre  4rmide.  Dans 
le  rôle  d'.Hidr*aot,  pariait  Wt  M.  Delmas,  dont 
l'organe,  tojujours  si  bi«n  posé,  et  la  diction,  tou- 
jours si  nette,  donnent  de  la  valeur  aux  moindres 
détails  du  phrasé.  Une.  mention  spéciale  à  M'^^  Alice 
Verletjdont  l'air  de  la  Naïade  nous  a  permis  d'ap- 
précier ..la.  très  jolie  voix,  et  le  goût  très  pur.  Et 
comment  attribuer  à  M™^'  Lindsay,  Demougeot, 
Vix,iDubel,  Agussol,  Mendès,  à  MM.  Scaramhar^, 
<jilly,  Riddez  —  ils  sont  trop! —  aux  choeurs  et 
à  Torchestre,  savamment  dirigé' par  M.  Paul  Taf- 
fanel,  la  part  d'éloges  qu'ils  méritent?,  Puis,  si 
l^oreille  «st  charmée,  les  yeux  ne-  le  sont  pas 
moins  —  on  compte,  un  balle^  par  acte  —  et  com- 
ment ne  pas  applaudir  à  r(^sprit  ailé  de*  M'' •  Zam- 
belli,  digne  héritière  de  M^'«  Asselin,  créatrice  de 
la  célèbre  cha<:cane  ;  à  la  grâce  légère  de  M^^^  San- 
driniy  succédant  à  laGuimard  dans  la  non  moins 
fameuse,  gavotte  ;  au-  sûr  talent  de  leurs,  aimables 
camarades  M"«»  Hirsch,  Beauvais,  Barbier, .Louise 
Mante,  etc.?. Et  que  dire  des  admirables  décors, 
eu  particulier,  lesr. Jardins  enchantés,  avec  l'éton- 
i^ut  et  délicieux  ^ealèvement  —  le  trucides  ascen- 
seurs —  d'Arwaide  et  de  Renaud,  l'évocation  des 
démons,'  et  le  tableau  final,  avec  le  dramatique 
écroulement  du  palais  au  milieu  des  flammes  d'un 
sviperbe  incendie  ?  Ce  sont,  tous,   de  pures  .jner- 


12  LES  ANNALES  DU  THEATRE 


veilles,  qui  font  le  plus  grand  honneur  à  MM.  Car^ 
pezat,  Amable,  Jambon  et  Bailly,  véritables  maîtres 
en  leur  art.      ^ 

19  AVRIL.  T—  Dans  Armide,  M.  Muratore  rem^ 
place  M.  Affre,  subitement  indisposé.  Le  début 
du  jeune  ténor  paraît  des  plus  heureux.  Sa  pres- 
tance et  sa  jolie  voix  lui  conquièrent,  après  la 
célèbre  cavatine  du  second  -acte,  la  faveur  du 
public. 

i5  MAI.  —  On  donne  le  Cid  pour  le  début  de 
jyjue  Mérentié  dans  le  rôle  de  Chimène.  De  tous  les 
ouvrages  «  créés  »  à  TOpéra-Garnier  —  je  ne  parle 
pas  de  ceux  qui  lui  vinrent  de  la  province  ou  de 
l'étranger  —  le  Cid  est  le  seul  qui  soit  allé  à  la 
centième.  Il  méritait  donc,  à  tous  égards,  d'être 
remis  au  répertoire,  où  il  n'avait  pas  reparu 
depuis  cinq  ans.  Cette  reprise  a  eu  lieu  dans  les 
plus  favorables  conditions.  M^*®  Mérentié  ne  s'est 
pas  contentée  de  faire  applaudir  la  belle  voix,  joli- 
ment stylée  par  M.  Edmond  Duvernoy,  qui  lui  avait 
valu,  au  Conseivatoire,  le  premier  prix  de  chant; 
elle  a  eu,  sous  les  traits  de  Chimène,  de  remar- 
quables élans  de  tragédienne.  Les  rôles  de  Ro- 
drigue et  de  Don  Diègue  ne  sont-ils  point  parmi 
les  meilleurs  d'Alvarez  et  de  Delmas?  Et  dans  le 
ballet,  charmant  d'un  bout  à  l'autre,  avec  ses  mé- 
lodies câlines,  voluptueuses,  enlaçantes^  M'*®  Zam- 
belli  n'est-elle  pas  exquise,  absolument  exquise  ? 
Dans  une  loge  sur  la  scène,  trois  femmes,  plus 
jeunes  l'une  que  l'autre,  applaudissaient  le  Cid  : 
c'étaient  la  femme,  la  fille -et  la  petite-fille  du 
compositeur  :  heureux  Massenet  ! 


ACADÉMIE    NATIONALE    DE    MUSIQUE  l3 

i8  MAI. —  Gala  organisé  par  l'Association  na- 
(ionale  de  préparation  au  service  militaire  *. 

3i  MAI.  —  Représentation  de  gala  en  l'honneur 
du  Roi  d'Espagne  Alphonse  XIII.  On  donne 
Samson  et  Dalila^  suivi  de  la  Maladetta. 

2  jum.  —  Représentation  offerte  par  le  Comité 
commercial  et  industriel  des  fêtes  franco-espa- 
çnoles  aux  délégués  des  institutions  économiques 
d'Espagne  :  Armide,  avec  M"^^  L.^Bréval,  Alice 
Verlet,  Féart,  Lindsay,  Dubel,  Demougeot^ 
MM.  Affre,   Delmas,   Scaramberg,  Gilly,  Triadou. 

3  JUIN.  —  Nouvelle  représentation  de  gala  en 
l'honneur  du  Roi  d'Espagne  ^. 

19  JUIN.  —  Thaïs  — que  l'Opéra  ne  voudrait  pas 
se  laisser  prendre  par  l'Opéra-Gomique  —  a  reparu 

1.  Au  programme  :  2«  acte  d'Armide  avec  M»»»  Bréval  et  VerLet^ 
MM.  Affre,  Delmas  etCabillot;  2»  et  5*  acte  de  Faust  (MU*  Farrar  dan» 
le  rôle  de  Marguerite,  M»«  L.  Mante  et  Goulancourt,  MM.  Rousseliére  et 
Gresse;  ballet  du  Cid  (M"e  Zambelli  et  M.  Staats). 

Le  musée  de  l'Opéra  vient  de  s'enrichir  d'une  curieuse  miniature  re- 
présentant un  ancien  directeur  dé  l'Académie  de  musique,  F.-J.  de  Mir- 
b€ck,  qui  occupa  ce  poste  important  sous  le  Directoire.  L'œuvre  n  est 
pas  signée,  maïs  elle  est  exécutée  avec  une  grande  finesse.  G  est  une 
amusante  figure,  peu  connue,  que  celle  de  ce  gentilhomme  lorrain, 
tour  à  tour  avocat,  conseiller  du  Roi,  commissaire  aux  armées  et  direc- 
teur de  l'Opéra.  La  miniature,  qui  date  de  la  dernière  année  de  sa  vie, 
le  représente  avec  l'habit  de  cour,  le  chapeau  et  la  perruque  poudrée 
q«i  étaient  de  rigue.ur  à  Versailles  sous  Louis  XVL  Par  une  coquetterie 
qui  ne  fut  pas  sans  courage  à  une  certaine  époque,  l'ancien  conseiller 
du  Roi  avait  tenu  à  conserver  le  costume  de  l'ancien  régime. 

2.  Au  programmme  : 

2«  acte  de  Sigurd  :  M"»  L.  Grandjean,  MM.  Affre,  Noté,  Nivetto 
Kiddet-, 

2»  acte  à'Armide  :  M"»»  L.  Bréval,  Alice  Verlet.  Mathieu,  Mendès, 
>LM.  Affre,  Delmas,  Gabillot; 

Ballet  de  Faust  :  M»»»  Beauvais,  Barbier,  Salle,  L.  Mante. 

Sigurd  était  conduit  par  M.  Paul  Vidal.  C'est  AL  Taffanel  qui  diri- 
f-'eait  le  2«  acte  d'Armide  ;  M.-  Mangin  occupait  le  pupitre  pendant  1© 
liallet  de  Faust. 


l6  LES    ANNALES    DU    THÉÂTRE 

<lémie  des  Beaux-Arts,  à  Fauteur  d'une  œuvre  re- 
marquable en  peinture,  en  sculpture,  ou  en  archi- 
tecture ou  en  composition  musicale.^ 

7  AOUT.  —  M""  Borgo  chantait,  pour  la  première 
fois,  le  rôle  de  Valentine  des  Huguenots.  On  fai- 
sait à  sa  belle  et  vibrante  interprétation,  notammçni 
dans  le  grand  duo  du  quatrième  acte,  avec  M.  Affre, 
le  plus  chaleureux  accueil. 

22  SEPTEMBRE  —  PouT  le  début  dc  M"^  Jane 
Margyl  —  petit  événement  parisien  —  on  donne 
Sam$on  et  Dali  la.  «  La  carrière  de  M"^  Margyl 
—  écrivait  M.  Louis  Schneider  —  pourrait  s'inti- 
tuler :  «  Des  Folies-Bergère  à  l'Opéra  »  —  et  la 
jeune  artiste  n'a  que.  plus  de  mérite  de  s'être  élevée 
jusque-là. . .  Nous  la  vîmes  il  y  a  quelques  années, 
déjà  impérialement  belle,  précédée  de  tibicines  qui 
semblaient  chanter  la,  splendeur  de  ses  cheveux 
blonds,  nous  la  vîmes  s'avancer  dans  Phrynéy  le 
joli  ballet  d'Auguste  Germain,  mis  en  musique  par 
Louis  Ganne.  Puis,  la  jolie  femme  qui,  jouant 
l'Athénienne  Phryné,  avait  sans  doute  appris  que 
l'Athénien  Aristide  fut  exilé  parce  qu'on  l'appelait 
trop  souvent  le  Juste,  ne  voulut  plus,  un  beau 
jour,  qu'on  l'appelât  ((  la  Belle  »,  et  elle  se  mit  à 
étudier  le  chant  sous  la  direction  si  autorisée  de 
M.  Alexandre  Luigini,  le  directeur  actuel  de  la 
musique  à  l'Opéra-Gomique.  Elle  s'essaya,  à  la 
Gaîté,  dans  Hérodiade^  au  moment  où  les  frères 
Isola  avaient  entrepris  le  Théâtre-Lyrique.  Mais 
elle  visait  plus  haut,  et,  ce  soir,  elle  prenait  pos- 
session à  l'Opéra  du  rôle  de  Dalila.  Tout  est  vo- 
lonté chez  M"«  Margyl;   il  n'est  pas  jusqu'à  sa 


ACADEMIE    NATIONALE    DE    MUSIQUE  IT 

voix  de  falcon  qui  ne  veuille  être  une  voix  de 
contralto.  Le  succès  de  la  cantatrice  a  été  réel.  On 
sent  qu'elle  est  musicienne  ;  elle  articule  très  nette- 
ment. Peut-être  le  médium  est-il  sourd,  peut-être 
M"®  Margyl  sombre-t-elle  un  peu  trop  dans  les 
notes  graves;  mais  les  notes  du  haut  sortent  pleines 
et  sonores.  M"®  Margyl  mérite  d'être  encouragée;, 
il  faut  tenir  compte  de  «  l'émotion  inséparable  » 
et  aussi  des  conditions  dans  lesquelles  avait  lieu^ 
sans  répétition  à  l'orchestre,  son  premier  début. 
Gomme  comédienne,  M"^  Margjl  arrivera  à  s'ins- 
taller tout  àfait  dans  le  rôle  de  Dalila,  qu'avec  son 
profil  régulier  et  son  impassible  beauté  elle  peut 
un  jour  jouer  à  la  perfection  :  il  ne  lui  manque 
plus  que  de  se  familiariser  avec  les  planches  de 
l'Opéra.  »  L'œuvre  de  M.  Saint-Saëns  —  le  maître, 
assistait  à  la  représentation  —  est  d'ailleurs,  fort 
bien  interprétée  par  M.  Alvarez,  dont  la  jolie  voix 
sonne  clair  dans  les  notes  hautes,  et  par  M.  Notéy 
q4ii  fait  applaudir,  dans  le  Grand-Prêlre,  son 
robuste  organe  de  baryton  *. 

i4  OCTOBRE.  —  M.  Gailhard  faisait  acte  de  justice 


1.  —  M.  Lapiasida,  qui,  avait  dû  prendre  un  congé,  nécessité  par  une 
1res  grande  fatigue,  vient  de  demander  à  M.  Gailhard  de  bien  vouloir 
accepter  sa  démission  de  régisseur  général.  M.  Lsqpissida,  qui  avait 
dirigé  le  théâtre  de  la  Monnaie  de  Bruxelles  en  compagnie  de  Joseph 
Dupont  et  y  avait  monté  Salammbô,  appartenait  à  notre  (^péra  depuis 
1883.  Il  n'emportera  dans  sa  retraite  volontaire  que  les  regrets  de  tous 
ceux  qui  le  connurent  et  laissera  le  souvenir  d'un  très  excellent  homme 
et  d'un  régisseur  ingénieux  et  actif.  Pour  remplacer  M.  Lapissida,  le 
directeur  a  déûnitivement  choisi  M.  Speck,  qui  avait  déjà  fait  son 
intérim.  Après  avoir  chanté  les  ténors  dans  plusieurs  villes  de  province, 
M.  Speck  est  connu  pour  avoir  rempli  les  fonctions  de  régisseur  sur 
nombre  de  scènes  importantes  de  France  et  de  l'étranger. 

ANNA  LIS  DU  TUBATRE  2 


l8  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

et  de  bonne  administration  en  réengageant,  à  de 
brillantes  conditions,  M^'^  Agnès  Borgo.  C'est  au 
mois  de  juillet  igoS  que  le  jury  du  Conservatoire 
consacrait,  par  un  premier  prix  d'opéra,  les  super- 
bes efforts  de  cette  jeune  et  belle  cantatrice  d'ori- 
gine corse  qui,  douée  d'une  voix  étoffée,  avait  joué 
fort  dramatiquement,  ma  foi  !  la  scène  de  folie  du 
Tribut  de  Zamora  de  Gounod,  où  triompha  jadis 
la  grande  artiste  que  fut  la  Krauss.  M.  Gailbard 
l'attacha  immédiatement  à  son  théâtre,  où  elle 
débutait  avec  éclat  dans  le  rôle  d'Aïda.  Elle  y  fai- 
sait applaudir  un  organe  plein  de*  force  et  de 
charme,  en  même  temps  qu'une  diction  très  pure. 
Puis  elle  remplaçait  à  l'improviste,  dans  le  Fils  de 
r Etoile^  comme  dans  Salammbô,  M"^  Bréval  brus- 
quement indisposée.  Le  plus  vif  et  le  plus  légitime 
succès  la  récompensait  ces  deux  fois  de  sa  rare 
vaillance.  Elle  y  déployait,  en  effet,  les  précieuses 
qualités  qui  lui  assuraient,  dès  lors,  une  place  à 
part  à  rOpéra  et,  de  Tavis  unanime,  on  n'eût 
jamais  dH  qu'elle  chantait  pour  la  première  fois, 
tant  elle  montrait,  en  ces  rôles  écrasants,  d'aisance 
et  de  sûreté.  .  .  Enfin,  il  y  a  quelques  jours,  elle 
réapparaissait  dans  Valentine  des  Huguenots.  Et 
le  rôle  lui  permettait  de  développer  toutes  les  ri- 
chesses de  son  admirable  voix  et  de  son  talent 
dramatique  si  pathétique  et  si  original.  M"*^  Borgo 
est,  ce  nous  semble,  de  la  race  des  vraies 
artistes... 

20  OCTOBRE.  —  Par  suite  d'une  indisposition  de 
M'*«  Bréval,  le  rôle  d'Armide  est  chanté  par 
M'Je  Mérentié,  qui  reçoit  du  public  le  plus  encou- 


acaoëmie  nationale  de  musique  19 

rdgeant  accueil.  —  Quelques  jours  après,  le  rôle 
d^Hidraot  vaut  à  M,  Noté,  un  très  mérité  succès. 
27  OCTOBRE.  —  Reprise  du  Freysohûtz ^  opéra 
e%trois  actes  et  cinq  tableaux  de  Weber,  paroles 
françaises  de  Pacini,  récitatifs  de  Berlioz  *.  — 
Àrmide,  puis  le  Frey9chûtz  :  M.  GaiUiard  mérite 
les  pltts  vifs  éloges  pour  ces  deux,  reprises  qui  ea*- 
richissenl  admirablement  le  répertoire  actuel  de 
notre  Académie  nationale  de  musique.  11  est  seule- 
ment fâcheux  qu'il  ne  nous  ait  pas  rendu  Toeuvre 
de  Weber  telle  que  le  compositeur  lavait  conçue, 
sans  atidition  d'aucune  sorte.  La  pensée  d!un  pareil 
inattre  est  sacrée  et,  je  dirais  volontiers  avec  Théo- 
phile Gautier  «  qu'on  ne  doit  toucher  le  .génie 
quavcc  des  mains  respectueuses  comme  le  prêtre 
quaiid  il  tient  l'hostie  ».  Au  temps  de  Louis-Phi- 
lippe, on  pouvait  être  enchaîné  par  l'interdiction 
du  «  dialogue  parié  »  à  l'Opéra;  aujourd'hui  ces 
régies  n'ont  plus  leur  raison  d'être.  L'Opéra*Comi- 
que  monte  des  drames  lyriques  ;  l'Opéra  peut  biea 
monter  des  opéras  comiques,  et  c'est  cette  forme 
qui  a  éveillé  Tinspiration  de  Weber.  Berlioz  â  beau 
protester  de  son  respect  pour  le  chef-d 'oeuvre,  il 
en  a  modifié  la  structure  et  l'ordonnance,  il  l'a  dé- 
formé, il  l'a  alourdi,  il  l'a  rendu  presque  mécon- 

i.  Distribution.  —  Max,  M.  Rousselière.  —  Gaspard,  M.  Delmas.  — 
Otlokar,  M.  Riddez.  —  Killian,  M.  Gilly.  —  Kouno,  M.  Delpouget.  — 
^'n  ermit»,  M.  JUatey.  -r-  Samiel,  M.  Dénoyé.  —  Agathe,  Mfl«  L.  Orand- 
jean.  —  Annette,  M"c  Hatto. 

Danse.  —  M^i*  Lobatein,  M.  Staats-,  Mmei  Vangœthen,  Viullal,  MM.  Rê- 
9'^ier,  Ch,  JaJcon. 

On  commençait  par  la  première  atidition  du  Jugement  de  Paris, 
tableau  mtisiea}  dte  M.  Edmond  Malherbe,  couronné  ao  concoursi  musical 
d«  lOpéra. 


\ 


20  LES  ANNALES  DU  THÉÂTRE 

naissable  par  des  interpolations  démesurées,  enva- 
hissantes, parasites.  Le  récitatif  qui  relie  une 
scène  à  une  autre  scène  détruit  d'autant  plus 
l'équilibre,  l'économie  de  la  partition  primitive,^^ 
qu'il  est  mieux  fait,  qu'il  pastiche  plus  exactement 
le  style  de  Weber.  Moins  on  sent  la  soudure  ber- 
liozieime,  plus  le  tableau  musical  perd  ses  propor* 
tions  wébériennes.  Ah  !  le  respect  des  œuvres,  je 
ne  le  comprends  qu'absolu,  sans  nulle  restriction! 
Quand  l'obtiendrons-nous  pour  les  conceptions 
musicales,  pour  Don  Juan^  pour  le  Freyschûtz, 
pour  tant  d'autres  !  Que  dirait-on  d'un  architecte 
qui  s'aviserait  de  relier  les  tours  de  Notre-Dame 
par  une  dentelle  de  pierre,  pour  en  faire  un  rétable 
même  magnifique,  sous  le  prétexte  que  ce  fronton 
s'ajuste  mieux  au  cadre  gigantesque  du  panorama 
de  la  Seine?...  En  i84i,  le  rôle  de  Max  était  tenu 
par  Marié,  le  chef  de  la  dynastie  des  Marié,  un 
brillant  chanteur  dont  les  moyens  furent  complè- 
tement paralysés  le  soir  de  la  «  première  ».  Agathe^ 
c'était  M"^^  Stoltz,  une  artiste  de  flamme  dont  les 
chauds  accents,  les  yeux  ardents  et  les^  cheveux 
d'un  noir  andalous  parurent  peu  en  rapport  avec 
le  caractère  de  l'héroïne  allemande.  Néanmoins,  la 
musique  de  Weber,  pathétique,  expressive,  éner- 
gique et  colorée,  fit  une  superbe  impression,  et  les 
critiques  du  temps  rapportent  que  le  chœur  des 
chasseurs  «  fut  redemandé  à  grands  cris  ».  A 
l'Opéra,  cette  fois,  on  n'a  pas  redemandé  à 
grands  cris  ce  chœur  banalisé  par  les  orphéons; 
mais  on  a  fort  goûté  les  parties  w^ébériennes  du 
Franc  Archer^  surtout  le  deuxième  tableau  tout 


ACADEMIE    NATIONALE    DE    MUSIQUE  21 

entier,  interprété  avec  infiniment  de  style  et  de 
talent  par  M"®  Grandjean.  Ml'®  Hatto  a  fait  une 
Annette  très  présentable.  M.  Rousselière  n'a  pas 
paru  à  son  avantage  dans  le  rôle  de  Max  ;  mais 
M.  Delmas  a  prêté  sa  grande  autorité  au  person- 
nage de  Gaspard.  Les  chœurs  n'ont  pas  toujours 
chanté  juste  et  ce  sont  eux  qui  ont  atténué  le  suc- 
cès du  premier  acte.  Le  corps  de  ballet  a  été  fort 
agréable  à  voir  dans  le  célèbre  rondo  de  piano, 
r Invitation  à  la  valse^  devenu  de  par  la  tradition, 
motif  à  pirouettes  et  à  jetés-battus.  Le  décor  de  la 
fonte  des  balles  a  fait,  une  vraie  impression  de 
terreur,  et  M.  Gailhard  en  a  admirablement  réglé 
la  mise  en  scène.  Ah  !  s'il  nous  avait  rendu  tout  le 
Freyschûtz  avec  cette  simplicité  et  cette  grâce, 
cette  concision  et  cette  force,  quel  Service  il  eût 
rendu  à  la  cause  de  l'art!  M.  Taffanel,  enfin  a 
magistralement  dirigé  le  chef-d'œuvre  de  Cari- 
Marie  Weber,  et  le  public  lui  en  a  témoigné  sa 
gratitude  par  de  chaleureux  applaudissements.  La 
soirée  avait  commencé  par  un  petit  morceau  sym- 
phonique  qui  est  proprement  une  négation  de  la 
symphonie,  le  Jugement  de  Paris,  inspiré  par  la 
célèbre  peinture  de  Paul  Baudry ,  qu'on  admire 
au  foyer  du  théâtre.  Cette  composition  de  M.  Ed- 
mond Malherbe  fut  couronnée  au  concours  de 
rOpéra.  Les  concours,  n'ont  jamais  rien  produit 
de  bien  bon.  Cette  dernière  épreuve  n'est  pas  pour 
relever  leur  prestige.  M.  Edmond  Malherbe  est  un 
Prix  de  Rome  qui  sait  son  métier,  mais  il  est  aussi 
dépourvu  d'idées  que  rempli  de  prétention.  Ses 
«  motifs  conducteurs  »  superposés  n'ont  rien  du 


22  LES  AXNALES  DV   THEATRE 

contrepoint,  et  séparément,  ils  ne  sont  érocateurs 
d'aucun  caractère  ni  d'aucune  passio^.  Je  ne  sais 
pas  ce  que  Paris  eût  pensé  de  ce  petit  travail,  mais 
je  suis  bien  sûr  qpie  les  os  de  Paul  Baudry  ont  dû 
claquer  lamentablement  dans  leur  tombe... 

3o  OCTOBRE.  —  Bonne  reprise  de  Salammbô  y 
avec  M'^*  Bréval,  idéale  héroïne  de  l'œuvre,  arec 
M.  Rousselière,  dans  Matho,  et  M.  Noté,  dans 
Hamilcar. 

4  NOVEMBRE.  —  Dans  le  Tannhàuser,  M''«  Lin- 
dsay  aborde  le  rôle  d*Eîisabeth,  où  elle  est  très 
chaleureusement  applaudie. 

a3  NOVEMBRE.  —  Spcctaclc  de  gala  en  l'honneur 
du  Roi  du  Portugal  *. 

4  DKCBMBRE.  —  Entre  M.  Alvarez  et  M.  Noté 
M"«  Yvonne  Dubel  se  fait  applaudir  dans  le  rôle 
d'Eisa,  de  Lohengrin^  qui  convient  à  son  jeune 
talent  *. 


1.  Av  I^toORAMMB.  —  1«  Ouverture  da  Freyschutz. 
2»  L»  FréysckUtz  (2««cte,2e  tableau), MM.-RoMjï^e^ière,  Dehnas,  Dénoyé. 
Orrhostrc  dirigt^  par  M.  TafjTanel, 
3«  DAtiNM  ^rtcque»,  M»»»!  Sandrini,  Viollat.,  G.  Conat. 
Chant  :  M.  BarM. 
Orchoslro  dirigé  par  M.  Paul  Vidal. 

I-  Arméde  0-  acte),  MU«  L.  Breral,  Alice    Veriet,  MAI.  A^w,   Noté, 
OihiHot. 
.•»•  B.'^l^et  (lu  CM,  M^^  Zamhelli  ot  tous  les  artistes  de  la  danse. 
Oroliefltr^  àitiiS!^  par  M.  Ed,  Mangin. 

t  —  Kxirait  du  rapport  sur  Le  budget  des  beaux-arts  de  M.  Hearj 
Mnrot  : 

TouH  cewx  qnt  eoonaisaent  TOpéra  ont  été  frappés  par  la  forme  de 
l*oiupl.'iromout  accordé  à  l'orchestre,  qui  s'enclave  profondément  dans 
Ion  fuutouih...  Aucun  autre  théâtre  ne  présente  de  disposition  pareille^ 
ot  nous  oepeasoa8;pa8  qtte  Garnier,  dans  ses  plans  primordiaux,  eût 
donné  celto  forme,  qu'il  dut  inventer  plus  tard  pour  satisfaire  au  place- 
ment convenable  d*une  centaine  de  musiciens,  nécessaire»  auTt  repré- 
sentations. Il  neos  est  revenu,  de  divers  côtés,  que  Pon  pourrait  gagner 
l'emplacement  que   l'orchestre   emprunte   aux  fauteuils,  en  disposai. t. 


ACADÉMIE    NATIONALE- DE    MUSIQUE  23 

i3  DÉCEMBRE.  —  Début  de  M"*  Chenal  dans  le 
rôle  de  Brunehilde  de  Siffiird.  — Aux  concours  du 
Conservatoire  du  mois  de  juillet  dernier,  M"®  Che- 
nal fut  la  grande  révélation  de  la  journée  du  chant 
des  élèves  femmes.  Nous  nous  rappelons  encore 
avec  quelle  incontestable  autorité  elle  posa  le  réci- 
tatif de  Fair  d'Alceste,  avec  quelle  noble  simplicité 
elle  interpréta  la  vigoureuse  musique  de  Gluck  dont 
elle  sut  nous  faire  comprendre  les  sereines  beautés 
et  comme  elle  nous  apparut  alors  très  théâtrale  et 
merveilleusement  taillée  pour  la  scène.  A  son  pre- 
mier prix  de  chant  elle  ajoutait,  quelques  jours 
après,  un  premier  prix  d'opéra  qui  la  faisait  immé- 
diatement engager  par  M.  Gailhard.  M"*  Chenal 
était  décidément  la  noble  interprète  de  Gluck.  Elle 


comme  à  rOpéra-Comique,  mais  beaucoup  moins,  par  exemple,  une 
partie  des  musiciens  sous  Tavant-scéne. 

Cette  réforme  ferait  gagner  à  l'Opéra  environ  60  fauteuils  à  16fi»nçs, 
ce  qui  doonerait  9G0  francs  par  représentation  et  pour  les  180  représen- 
tations annuelles  172.Ù00  francs.  En  tenant  compte  des  aléas  de 'la<loea- 
tion,  mettons  à  100.000  francs  en  chiffres  ronds  l'apport  annuel  de  ces 
nouveaux  fauteuils,  qui  seraient  parmi  les  meilleures  places  de  l'Opéra. 

Citons  maintenant  d'autres  avantages  :  le  chef  d'orcheslro  ne  chango- 
raîl  pas  de  place,  car  il  est  actuelleûient  au  milieu  de  la  lipno  qui  joiut 
las  denx  sections  du  premier  rang  des  fauteuils;  il  aurait  en  consé- 
quence tous  ses  musiciens  devant  lui,  tandis  que  maintenant  une  ma- 
jeure partie  des  instrumentistes  se  place  derrière  lui.  daus  l'enclave 
des  fauteuiks,  ce  qui  est  parfois  gênant  pour  la  di^ction  et  peni  nuire 
à  la  parfaite  exécution  de  certains  morceaux. 

On  pourrait  satisfaire  au  désir  d'un  grand  nombre  d'amateurs  en  pro- 
fitant de  la  période  des  réparations  pour  construire  un  treillage  qui 
monterait  et  descendrait  à  volonté  et  qu'on  utiliserait  pour  les  pièce$( 
wagBériettB«s.  Pour  la  Tétralogie,  par  exemple,  l'orchestre  serait  i-achÀ 
comme  à  Bayreuth.  Nous  ne  pensons  pas  que  ce  treillage  serait  une 
anomalie  dans  le  chef-d'œuvre  de  Garnier,  car  il  serait  la  ha&e-ducadro 
admirable  formé  par  les  avant-scénes  et  la  voûte  qui  précède  le  rideau. 

Nous  ne  dissimulons  pas  que  ce  projet  doit  être  étudié  avec  un  sein 
parfait  par  des  techniciens,  autant  pour  l'architecture  quo  pour  l'ajeeus' 
tique.  II  serait  à  désirer  qu'une  commission  peu  nombreuse  et  CMBfkosée 
d'h.)mmes  véritablement  compétents  fût  appelée  à  donner  son  avis. 


:24  LES    ANNALES    DU    THEATRE 

avait  triomphé,  nous  venons  de  le  dire,  dans  Tair 
d'Alceste;  c'est  avec  la  même  pureté  de  style,  la 
même  aisance  et  la  même  autorité  que,  tenant  à 
elle  seule  toute  la  scène,  elle  déclamait  le  cinquième 
acte  A'Armide  :  véritable  tour  de  force,  puisque  ce 
rôle  si  tendre  n'était  pas  écrit  dans  la  tessiture  de 
sa  voix.  Et  c'est  avec  plaisir  que  nous  la  retrou- 
vions ensuite  faisant  sonner  ses  belles  notes  de 
mezzo  dans  l'Odette  de  Charles  VI,  où  elle  mon- 
trait toute  l'adresse  et  toute  la  souplese  de  son 
talent  de  comédienne.  M''®  Chenal  a  justifié,  fort 
heureusement,  toutes  les  jolies  espérances  que 
nous  avions  mises  en  elle.  C'est  d'une  belle  voix, 
généreuse  et  dramatique,  qu'elle  a  chanté  le  rôle  de 
Brunehilde  de  Sigurd,  et  la  carrière  de  la  débu- 
tante s'annonce  déjà  comme  extrêmement  brillante. 
Ajoutons  que  l'interprétation  de  Touvraçe  de 
M.  Reyer  était  excellente  avec  MM.  AfFre,  Noté 
«t  Gresse,  et  que  la  soirée  —  qui  doit  être  mar- 
quée d'un  blanc  caillou  —  fut,  de  tout  point, 
digne  de  l'Opéra. 

22  DÉCEMBRE.  —  Première  représentation  de  la 
Ronde  des  Saisons,  ballet  en  trois  actes  et  six  ta- 
bleaux, livret  de  M.  Charles  Lomon,  musique  de 
M.  Henri  Bûsser*.  —  C'est  d'une  légende  de  Com- 
minges  que  M.  Charles  Lomon  nous  dit  avoir  tiré 
le  sujet  de  son  ballet.  Or,  savez-vous  bien  ce 
qu'était  au  juste  le  pays  de  Comminges?  —  L'an- 

I.  Distribution.  —  La  sorcière.  M.  Vanara.  —  L'intendant,  M.  Giro- 
dier.  —  Le  chef  des  vendangeurs,  M.  Raymond.  —  Oriel,  Mlle  Zam- 
helli.  —  Le  sire  de  Barbazan,  M"c  L.  Mante.  —  Le  page,  MU*-  Salle.  — 
Le  Printemps,  M»*  Ricotti.  —  L'^té.  M"»  L,  Piron.  —  L'Automne. 
MUe  Sirède.  —  L'IIi  er,  M!i«  yicloux. 


ACADÉMIE    NATIONALE    DE    MUSIQUE  v^5 

cien  comté  de  France,  en  la  province  de  Gascogne, 
que  limitait  au  nord,  à  Test  et  à  Touest,  TArma- 
gnac,  le  Couserans  et  la  Bigorre,  au  sud,  la  ligne 
de  faîte  de  la  frontière  espagnole.  Et  dans  le  décor 
qui  représente,  sur  la  hauteur,  le  château  de  Bar- 
bazan,  la  rivière  qui  serpente  au  loin  n'est  autre 
que  la  Garonne,  chère  à.  M.  Gailhard.  Pourquoi 
faut-il  qu'un  jour  de  vendanges^  le  malicieux  lutin 
Oriel  prenne  le  panier  et  les  traits  d'une  jeune 
fille  du  village,  à  l'effet  de  troubler  le  cœur  du 
beau  Tancrède,  le  seigneur  de  Tendroil?  Et  Tan- 
crède,  qui  veut  à  tout  prix  retrouver  «  celle  qu'il 
adore  »  s'en  vient  chez  la  Sorcière.  Et  nous  voyons 
la  Sorcière  lui  remettre  trois  fleurs,  symboles  et 
talismans  de$  trois  saisons,  dont  la  dernière  doit 
lui  ramener  la  bien-aimée.  Mais  que  ses  lèvres,  jus- 
qu'à la  fin  de  l'enchantement,  ignorent  le  baiser 
d'une  femme  !  Un  danger  terrible  est  lié  à  l'oubli 
de  cette  recommandation.  Puis  elle  lui  remet  une 
quatrième  fleur,  la  fleur  d'hiver/  symbole  de  la 
saison  impitoyable  ;  qu'il  ne  s'en  sépare  jamais  ! 
Tancrède  évoque  donc,  grâce  aux  talismans,  le 
Printemps  et  l'Eté,  représentés  par  de  ravissantes 
jeunes  filles  ;  mais  il  n'a  de  regards  que  pour  Oriel, 
métamorphosée  en  abeille,  puis  en  coquelicot.  Les 
feuilles  jaunissent  et  c'est  l'arrivée  de  l'automne,  et 
voici  de  nouveau  les  vendangeurs  et  les  vendangeu- 
ses. Tancrède  est  radieux.  Il  a  reconnu  celle  qui  a 
pris  son  cœur  et  lui  fait  l'aveu  de  son  amour.  Cette 
fois  elle  l'accueille  en  souriant,  et  quand  il  lui 
demande  de  danser  pour  lui  seul,  elle  y  consent. 
Alors  il   lui   déclare  qu'il  veut  l'épouser.   Et  elle 


26  LES    ANNALES    DU    THEATRE 

offre,  reconnaissante,  le  front  à  son  premier  bai- 
ser. Mais  elle  veut  la  dernière  fleur,  gag^  d'amour 
d'autant  plus  précieux  qu'il  vient  de  la  refuser  à 
toutes.  Tancrède,  enivré,  ne  voit  que  ses  lèvres 
qui  l'attirent;  il  les  effleure,  pendant  que  d'un  geste 
rapide  elle  lui  arrache  le  fameux  talisman.  Hélas  î 
le  pacte  est  rompu!  Voici  l'Hiver.  Le  ciel  s'obs- 
curcit. L'orage  se  déchaîne.  La  terre  se  glace.  Tous 
fuient  épouvantés.  Tancrède  se  sent  perdu.  Il  con- 
jure Oriel  de  fuir,  de  chercher  un  refuge  au  châ- 
teau. Mais  THiver  leur  barre  la  route.  D'ailleurs 
elle  refuse  de  l'abandonner  :  ne  s'est-elle  pas  prise 
-au  piège  de  l'amour?  Le  lutin  est  devenu  femme  ; 
elle  aime  Tancrède  et  veut  mourir  avec  lui.  La 
neige  tombe,  recouvre  les  amants  enlacés.  Alors, 
de  tous  côtés,  apparaissent  les  noirs  corbeaux  qui, 
guidés  par  l'Hiver^  dansent  au,tour  d'Oriel  et  de 
Tancrède  une  ronde  folle.  Et  le  rideau  tombe  au 
moment  où  la  neige  redouble  et  où  les  flocons 
envahissent  la  scène.  Sur  ce  livret,  que  je  ne  vous 
donne  point  comme  un  chef-d'œuvre  d'originalité 
et  d'imprévu,  M.  Henri  Bûsser  (prix  de  Rome  de 
i8f|3)  il  /-crit,  non,  certes,  sans  verve  dans- les 
rythmes,  et  non  sans  ingéniosité  dans  les  timbres, 
une  musique  sonore,  claire  et  dansante,  très  dan- 
santi:  :  re  qui  est  croyons-nous,  une  qualité  pour 
un  îiallel . , .  Et  ce  fut  plaisir  de  voir  le  jeune  com- 
pusitcur,  naguère  bon  chef  d'orchestre  à  l'Opéra- 
Coniique,  s'asseoir  au  pupitre  de  l'Opéra  pour  con- 
clu îie  lui-même,  avec  amour,  une  aimable  partition, 
di>nt  11*  )>remier  acte  nous  a  paru  particulièrement 
linilarU.  Et  comment  M.  Bûsser  n'eût-il  pas  triom- 


ACADEMIE    NATIONALE   DE  MUSïÇUE  27^ 

phé  av«c  M**®  Zambelli,  qui,  dans  sa  création- 
d'Oriel,  est  une  délicieuse  merveille  de  grâce  et 
de  légèreté,  de  vivacité  et  d'agité,  de  souplesse. 
el  d'esprit?  Disons  qu'autour  de  la  parfaite  et 
exquise  danseuse  évoluent  le  plus  agréablement 
du  ïoonde  :  W^^  Louise  Mante,  un  Tancrède  flo- 
rissant de  betlc  santé  ;  M'^^  Mathilde  Salle,  un  page* 
rempli  de  crân«rie  ;  M'*«s  Ricotti,  Léa  Piron,  Sirède^ 
et  J.  Nicloux,  qui,  si  joliment  personnifient  les> 
Saisons. 

24  DÉCEMBRE.  —  Bal  dcs  Sabots  de  Noël* 
26  DÉCEMBRE.  —  Représentation  de  gala  donnée- 
par  rAutomobile-Cliib^. 

L'année  se  terminait  le  3o  décembre  par  une- 
belle  représentation  de  Tristan  et  /solde,  superbe- 
ment chanté  par  M.  Van  Dyck  et  par  M"®  Louise- 
Grandjean,  et  le  3i   décembre,    avec    Sarnson  et 


1.  —  M.  Gailhard  avait  eu  l'idée  d'organiser,  pour  la  veille  de  Noël,. 
an  bal  d'une  originalité  eharmante.  Toutes  les  dauies  qui  y  assistaient 
étaient  priées  de  déposer  leur  sabot  dans  une  grande  chembiée  à  sur^ 
prises  se  détâcbant  sur  l'ensemble  d'un  magnifiqae  décor.  Les  sabot» 
devaient  être  rendus  à  la  fin  du  bal  et  dQ,n«  chacun  sa  propriétaire' 
devait  trouver  nn  cadeau  de  Nocl.  Puis,  pour  la  plus  grand©^  joi'e-  des 
spectateurs,  sortait  enfin  de  la  cheminée  monumentale,  à  11  heuves  du 
solr^  tout  le  corps  de  ballet,  MUe  Zambelli  en  tète,  et  ce  n'était  pas  la> 
moins  agréable  surprise  de  la  soirée.  Le  corps  de  ballet  dansait  lat 
Sabotière  de  1*  Korrigane. 

2.  —  Au  programme  : 

1er  acte  de  Sarnson  et  Dalila. 

Fragments  du  Bourgeois  Gentilhomme^  suivis  de  la  Cérémonie  donnée- 
par  la  Comédie  Française.  M.  Leloir  interprétait  pour  la  première  fois 
le  rôle  d»  M.  Jourdain.  Le&  avtres  rôles  étaient  tenus  par  MM.  Tru filer 
(le  maître  à  danser^,  Laugier  (le  maître,  de  philosophie),  Georges  Berr- 
(Covielle),  Defcelly  (C2ié<mte>  elRavet  (le  maître  d'arme»). 

Ballet  de  Dan  Juan. 

La  Ronde  des  Saisons. 


5l8 


LES    ANNALES    DU    THEATRE 


Dalila^  suivi  de  Coppélia^  donnés  en  soirée  gra- 
tuite *. 


Faust,  opéra 

Tristan  et  Isolde,  drame  lyrique 

Roméo  et  Juliette,  opéra 

Le  Fils  de  l'Etoile^  drame  musical 

Sigurdj  opéra 

Samson  et  Dalila,  drame  lyrique 

Paillasse,  drame  lyrique. . . ., 

Tannhaviser,  opéra 

*Daria,  drame  lyrique 

Coppélia,  ballet 

RigolettOj  opéra 

Le  Prophète,  opéra 

Les  Huguenots,  opéra , . 

La  Maladetta,  ballet 

Lohengrin,  opéra 

La  Valkyrie,  -drame  lyrique 

^Armide,  tragédie  lyrique 

Le  Cid,  opéra 

Thaïs  y  opéra 

A  ïda,  opéra 

Le  Trouvère,  opéra 

Guillaume  Tell,  opéra 

Le  Freyschiitz,  opéra 

Le  Jugement  de  Paris,  tableau  musical 

Salammbô,  drame  lyrique 

*  La  Ronde  des  Saisons,  ballet 


DATE 

NOMBRE 

delà  . 

Ire  représ. 

d'actes 

ou  de  la 

reprise 

5 

» 

3 

» 

5  a.  8  t. 

» 

5 

» 

4 

13jaiiv. 

3  a.  4 1. 

)) 

2 

» 

4a. 9t. 

» 

2 

27ianv. 

2 

-    » 

4 

» 

5 

» 

5  a.  6  t. 

)) 

2 

» 

3  a.  4  t. 

» 

3 

)) 

5  a.  8  t. 

12  avril 

4 

15  mai 

4a. 7t. 

)) 

4 

)) 

4 

)) 

ià5  t. 

» 

3  a.  5  t. 

27  0ct. 

1 

27  Cet. 

4 

^  » 

3  à6t. 

22  déc. 

NOMBRE 
de 

représenl. 
pendant 
Tannée 


24 
23 
10 
2 
14 
12 
1 

11 

7 

7 

5 

7 

-  8 

12 

5 

8 

27 

iO 

2 

2 

1 

3 

9 

4 

4 

3 


*  Les   astérisques  indiquent,   au  tableau  de  chaque  théâtre,  les  oa- 
■vrages  nouveaux  représentés  pendant  l'année. 


1.  —  M.  Dujardin-Beaumetz,  sous-secrétaire  d'Etat  aux  Beaux-Arts, 
avait  proposé  à  la  signature  du  ministre  de  l'instruction  publique, 
M.  Bienvenu-Martin,  un  arrêté  aux  termes  duquel  le  privilège  de  M.  P. 
Gailhard,  directeur  de  l'Opéra,  était  prolongé  d'une  année,  soit  jusqu'au 
31  décembre  1907. 


COMÉDIE-FRANÇAISE 
iGSo'igoô 


Le  Duel  de  M.  Henri  Lavedan  —  dont  le  bril- 
lant succès  allait  s'éterniser  sur  Taffiche  —  et  le 
Réoeil  de  M.  Paul  Hervieu;  le  Don  Quichotte  de 
M.  Jean  Richepin  et  les  Phéniciennes  de  M.  Ri- 
voUet  seront,  joints  à  deux  actes  charmants,  la 
Conversion  d'Alceste,  de  M.  Georges  Cour teline,  et 
//  était  une  bergère, . .  de  M.  André  Rivoire,  le» 
principales  œuvres  inédites  d'une  année  dont,  selon 
notre  coutume,  nous  allons  rappeler  au  jour  le 
jour  les  différents  faits,  petits  et  grands. 

i5  JANVIER.-  —  L'anniversaire  de  Molière  se  ce- 
lébrait  avec*  les  premières  représentations  de  la 
Conversion  cTAlceste,  comédie  en  un  acte,  en  vers, 
de  M.  Georges  Courteline*  et  d'Hyacinthe  ou  la 
Fille  de  FApothicaire,  à  propos  en  un  acte,  en 
prose,  de  M.  Paul  Gruyer^  et  avec  la  reprise  d'Am- 
phitryon^.  —  C'est  —  je  le  dis  comme  je  le  pense 


1.  Distribution.—  Âlceste,  M.  Henry  Mayer.  —M.  Loyal,  M.  Croué. 
—  Philinte.  M.  Dessonnes.  —  Oroiite,  M.  Brunot.  —  Célimèue,  M»«  Lara. 

2.  Distribution.  —  Maître  Nicolas  Guillaume,  M.  Laugier,  —  Léoni- 
4as,  M.  5»6tor.  —  Laforèt, M»"  Amel.  —  Hyacinthe,  M»«  Y.  Oarrick. 

3.  Distribution.  —  Sosie,  M.  de  Féraudy,  —  Jupiter,  M.  Albert  Lam- 
bert fila,  —  Mercure,  M.  Georges  Berr.  —  Polidas,  M.  Falconnier.  — 
Naucrates,  M.  Hamel.  —  Amphitryon,  M.  Jacques  Fenotix.  —  Pausi- 
clée,  M.  Charles  Esquier.  —  Aryatiphontidas,  M.  Ravet.  —  Alcméne, 
M"«  Bartet.  —  La  Nuit,  M"*  Leconte.  —  Cléanthis,  M««  Thérèse  Kalh, 


3o  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

—  une  manière  de  petit  chef-d'œuvre  que  Tacle  de 
M.   Georges  Courteline,  la  Conversion  d'Alceste^ 
pièce  savoureuse  et  forte,  de  pensée  si  profonde  et 
•si  pure    de  forme,    de  si  exceptionnelle   valeur, 
•enfin,  qu'elle  pourrait,  à  vrai  dire,  être  signée  du 
nom   même  de  Molière.   Dans  cette  suite  du  Mi^ 
santhrope,  Alceste  est  revenu  de  son  humeur  cha- 
grine, et  volt  toutes  choses  en  beau  —  plus  Philiiite 
^e  Philinte.  Il  ne  doute  plus  de  Géiinaène,  puis- 
qu'il l'a  épousée,  et  quand  Oronte  vient  lui  lire  un 
-nouveau  sonnet,  plus  ridicule  encore  que  le  pre- 
mier, il  a  le  front  de  le  trouver  admirable.  L'im- 
prud«nt  !  Oronte  profite  de  cet  cnthoasiasœe  mai- 
^endu^  et  le  prie  d'user  de  son  inflaei»ce  pour  faire 
insérer  ses  vers  au  Mercure  de  France.  Et  comme 
Alceste  refuse,  les  voilà  plus  brouillés  que  jamais  1 
Ce  n'est  pas  tout  :  Alceste  a  intenté  un   second 
procès  qu'il  a  gagné.  M.  Loyal  lui  apporte  la  noie 
^   payer  :   die  est   formidable!   —   «  Je  gagne, 
s'écrie-t-il,   et  je   me   trouve  plus    p'exdre,  ayant 
^agné,  que  si  j'avais  perdu!  »  Puis  —  n'est-ce  pas 
4e  comble  !  —  il  acquiert  la  preuve  que  Célimène  et 
PhiKnte  le  trompent  indignement.  —  «  M^on  seul 
amour  !  Et  ma  seule  amitié  !  »  Alors  il  redevient, 
non  sans  raison,  cette  fois,  le  misanthrope  d'anlan, 
bien  résigné  à  s'enfuir  au  fond  des  bois,  sans  savoir 
<jui,  de  l'homme  ou  du  loup,  remporte  en  cruauté. 
L'exquise  et  classique  comédie  de  M.  Courteline  a 
^té  littéralement  acclamée  :  elle  est,  j'imagine,  en- 
trée pour  longtemps  au  répertoire  où  elle  tiendra 
-une  si  belle  place,  Bile  a  été  fort  bien  interprétée 
par  M,  Mayer,  Alceste  très  sincère  ;  par  M'"®  Lara, 


3r 

Célimène  fiaemenl  cruelle  ;  par  M.  Croué,  Loyal 
fort  comique.  Quant  au  jeune  Brunot,  qui  prêtait 
au  rôle  d'Oronte  sa  voîx  claironnante  et  sa  verve 
bouffonne,  ou  je  me  trompe  fort,  ou  il  y  a 
Ta  un  artiste  du  plus  grand  avenir  :  qui  vivra 
verra. . .  La  Conversion  (TAlceste  était  précédée 
d*un  à-propos  (à-propos  du  288^  anniversaire  de 
la  naissanee  de  Molière),  Hyacinthe  ou  la  Fille  de 
l'Apothicaire^  aimable  petite  comédie  en  prose  de 
M,  Paul  Gruyer,  jouée  avec  conviction  par 
MM.  Laugier,  Siblot,  M™«^  Yvonne  Garrick  et 
Amel.  Elle  était  suivie  de  la  reprise  A' Amphitryon. 
Pourquoi  cette  merveille  de  l'esprit  français?  Pour- 
quoi —  la  question  vaudrait  d  être  étudiée  —  pour- 
quoi Amphitryon^  ce  régal  des  lettrés,  ne  produit- 
il  pas  sur  le  grand  public  un  effet  égal  à  celui  des 
autres  pièces  de  Molière?...  M.  de  Féraudy  repre- 
nait le  rôle  de  Sosie  qui,  au  mois  de  septembre 
1880,  lui  servait  de  début,  —  un  début  qui  pro- 
mettait et  qui  a  tenu  :  vous  savez  comme.  . . 
M.  Georges  Berr  se  faisait  pour  la  première  fois 
applaudir  dans  Mercure,  qu'il  jouait  avec  une  rare 
autorité.  M.  Albert  Lambert  était,  sans  toutefois 
faire  oublier  Mounet-Sully,  le  très  beau  Jupiter  du 
leste  quiproquo  tournant  autour  d'une  alcôve  con- 
jugale, devenu  le  type  accompli  des  trois  quarls 
de  nos  opérettes.  M"«  Bartet  —  la  divine  Bartet, 
jamais  l'expression  ne  fut  plus  juste  —  apportait 
dans  Alcmène  sa  grâce  inexprimable  d'attitudes  et 
la  musique  de  sa  voix  mélodieuse.  Ah  !  la  Nuit  dé- 
licieuse —  trop  courte  comme  une  miit  d'amour  — 
que  fut,   du   haut   de   ses  nuages,  la  charmante 


32  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

M"«  Marie  Leconte,  au  talent  si  souple  et  si 
sûr! 

19  JANVIER.  —  Avec  l'Anglais  ou  le  fou  raison- 
nablcy  où  M.  Coquelin  cadet  est  toujours  étourdis- 
sant de  verve  comique,  et  le  Flibustier,  de  M.  Jean 
Richepin,  où  M.  Leioir  se  montre  si  puissamment 
et  si  tendrement  dramatique,  le  spectacle  de  la 
matinée  se  terminait  par  VAutograplie,  ce  petit 
chef-d'œuvre  d'Henri  Meilhac*,  qui,  depuis  plu- 
sieurs années,  n'avait  pas  reparu  sur  l'affiche. 
M"®  Marie  Leconte  était  adorable  sous  les  traits  du 
personnage  de  Julie,  et  M"«  Mitzy.-Dalti  donnait 
beaucoup  de  piquant  et  d'élégance  au  rôle  de  la 
comtesse. 

29  JANVIER.  —  Dans  Ruy  Blas^  M.  Garry  abor- 
dait pour  la  première  fois  le  rôle  de  don  Salluste, 
qu'il  avait  très  intelligemment  composé  et  qu'il 
rendait  très  habilement,  avec  un  art  réel  de  comé- 
dien. 

la  FÉVRIER.  —  On  fêtait  dans  l'intimité  la  5o"^^ 
représentation  de  Notre  Jeunesse,  -r-  Un  buffet 
avait  été  dressé  au  foyer  des  artistes  et,  entre  le 
troisième  et  le  quatrième  acte,  on  buvait  au  nou- 
veau grçmd  succès  de  M.  Alfred  Capus.  Dans  un 
mot  charmant,  et  tout  en  réclamant  l'abolition  des 
toasts,  l'auteur  remerciait  ses  interprètes,  et 
M.  Jules  Claretie  souhaitait  avec  esprit  une  longue 
vieillesse  à  Notre  Jeunesse. 

12  FÉVRIER.  —  Pour  la  continuation  des  dt?buts 


1.  Distribution»  —  Chastenay,  M.  (Georges  Baillet.  —  Le  comte  Ris 
cara,  M.  Louis  Dêlau.iay.  —  Flavio,  M.  Gribonval,  —  Julie,  M"«  Mar.'e 
fjficonté.  —  La  comtesse,  M^*  Mitzy-DaUi. 


C03IÉDIE-FRANÇAISE  33 

de  M"«  Madeleine  Roch^  Bajazet  réapparaissait 
au  répertoire  dans  un  décor  entièrement  neuf.  — 
Le  rôle  de  Roxane,  dans  la  tragédie  de  Racine, 
était  pour  M"^  Madeleine  Roch  une  nouvelle 
épreuve.  Elle  y  avait  réussi  comme  élève,  au  Con- 
servatoire; elle  y  réussissait  comme  artiste,  à  la 
Comédie-Française.  La  diction  est  belle,  nettement 
stylée,  savamment  conduite.  M"^  Roch  a  composé 
le  personnage  avec  beaucoup  d'art.  Elle  y  S( 
•de  très  beaux  mouvements  tragiques.  Elle  était 
très  applaudie  et  chaleureusement  rappelée. 
M"«  Géniat  abordait  pour  fe  première  fois  le  rôle 
d'Atalide.  Elle  s'y  montrait  belle  diseuse  et  ani- 
mait son  personnage  de  toute  la  vie,  de  toute  la 
passion  que  lui  a  données  le  poète.  Le  public  fai- 
sait a  la  nouvelle  Atalide  un  succès  très  justifié. 
'  26  FÉVRIER.  —  La  Comédie  fête  l'anniversaire 
de  Victor  Hugo  en  donnant  le  soir  Ilernani^  après 
avoir  donné  en  matinée  Ray  Blas.  M.  Mounet- 
Sully  jouait  le  rôle  de  Ruy  Blas,  et  M"^  Bartet  re- 
prenait le  rôle  de  la  Reine.  Le  Couronnement  était 
dit  par  M™^'  Lara  et  M*^^  Roch,  devant  le  buste 
sculpté  par  Falguière. 

28  FÉVRIER.  —  Pour  fêter  la  cinquantième  des» 
représentations  du  Théâtre-Français  à  Gand,  les 
principaux  interprètes  de  Notre  Jeunesse^  W^^  Bar- 
tet en  tête,  jouaient,  au  Grand  Théâtre  de  cette 
ville,  la  jolie  comédie  de  M.  Alfred  Capus.  Trois 
jours  après,  la  Comédie-Française  se  rendait  offi- 
ciellement à  Liège,  où  elle  jouait  la  Fille  de  Ro- 
land,  avec  les  interprètes  habituels  de  cet  ouvrage, 

ANNALES  DU  THBATRB  3 


34  LES  ANJȔALES    DU    THEATRE 

saaf  M.  Silvain  et  M"»®  Sej^ond-Weber,  remplacés 
dans  les  rôles  du  comte  Amaury  et  de  Berthe  par 
M.  Ravet  et  M'»'*  Delvair. 

7  MARS.  —  A  Toccafiion  du  Mardi-Gras  on  re- 
prend M.  de  PouT4i^eaagnac  qui  n'a  pas  été  joué 
depuis  trois  ans.  M.  Coquelin  cadet  tenait  le  nUe 
dubéjaiinepéri^ourdin.Il  n'avaitjamaispara  plusen 
rerve,  et  jamais  il  n'avait  fait  rire  autant.  C'étaient^ 
par  instants,  dans  la  salle,  de  véritables  tempêtes 
de  rire,  particulièrement  lors  de  la  course  des  apo- 
thicaires à  travers  Torchestre.  M.  Coquelin  cadet 
iiait  entouré  de  MM,  Truffier,  Laugier,  Dehèlly, 
Siblot,  Ravet,  de  M'"«»  Kolb,  Lynnès  et  Yvsonne 
Garrick,  qui  prenaient  leur  part  des  appla«disse- 
ments  et  des  deux  ovations  du  public. 

8  MAKs.  —  M'"*^  Lara  joue  au  pied  levé  le  rôle 
d'Hélène  Briant  dans  Notre  Jeunesse^  aux  lieu  "et 
place  de  M*'^  Bartet,  indisposée... 

a 4  MARS.  —  Pour  les  abonnés  du  mardi,  on  re- 
prend-le  Fils  de  Giboi/er^. 

i6  MARS.  —  M.  Grandval —  tel  doit  être,  désor- 
mais, sur  l'affiche,  le  nom  de  M.  Gribouval  — 
faisait  ses  seconds  débuts  dans  Je  rôle  de  Mario 
du  Jeu  de  V amour  et  du  hasard^  où  il  justifiait  les 
espérances  que  son  dernier  concours  au  Conser- 
vatoire et  chacune  de  ses  apparitions  sur  la  scène 


1.  Distribution.  —  fliboyer,  M.  de  Féraudy.  —  Le  comte  D'OutreviUe^ 
M.  Truffier.—  î.e  marquis  d'Auberive,M.  Leloir. —  M.  Maréchal,  M.  Lau- 
gier.  —  Duhjis.  M.  Jolifit.  —  Un  domestique,  M.  Falconnier.  —  Coutu- 
rier de  la  Hauto-Sartho,  M.  Hamel. —  Le  chevalier  de  Gexmoise,  M.  Ra- 
vet. —  Maximilion  Gérard,  M.  Dessonnes.  —  Un  domestique,  M.  Gait- 
dy.  —  Le  oomte  do  la  Vrilliére,  M.  Nousael.  —  M"»  Maréchal. 
y^mepierson.—  La  baronne  Pfeffer9,MUe  Sorel. —  Fernande, M'i»  Piérat. 
M">«'  de  Vieuxtour,  M"»  Lherbay. 


G©MÉDIE-FRANÇAISE  35 

de  la  Comédie  avaient  fait  naître.  M.  Grandval  est 
fort  heureusement  doué  et  il  a  paru,  comme  plu- 
sieurs fois  déjà,  pour  la  Maison  de  MolièKu  tt«e 
recrue  excellente.  Il  était  on  ne  peut  mietix  en- 
touré par  MM.  Georges  Berr,  Baillet,  Pierre  Lau- 
g-ier,  M"®=*  Leconte  et  Mitzy-Dalti. 

27  MARS.  —  En  l'absence  de  M.  Truffier  qui, 
avec  M.  Silvain,  est  allé  à  Athènes  représenter  la 
Comédie-Française  à  une  g-rande  fête  archéologi- 
que organisée  par  le  gouvernement  hellénique, 
M.  Garry  joue  pour  la  première  fois,  dans  le 
Demi-Monde^  le  rôle  d'Hippolyte  Richond. 

28  MARS.  —  La  Comédie  offrait  à  ses  abonnés 
du  mardi  la  reprise  de  Philiberie  d'Emile  Augier* 
qui  n'avait  pas  été  jouée  depuis  le  départ  de 
M"*^  Broisat.  C'est  M"^  Maille,  la  dernière  venue 
parmi  les  ■pensionnaires,  qui  succédait  à  M"®  Broi- 
sat. Elle  y  montrait  beaucoup  d'intelligence  théâ- 
trale, disant  bien  les  verset  délicieuse  sous  la  poudre. 
La  salle  accueillait  favorablement  la  nouvelle  Phi- 
liberte,  et  les  applaudissements  prouvaient  que  le 
public  faisait  cas  de  son  jeune  talent. 

3  AVRIL.  —  M"*"  Géniat  jouait  pour  la  première 
fois  la  Denise  d'Alexandre  Dumas  fils,  où  elle  se 
montrait  excellente  de  dignité,  d'émotion,  de  pas- 


i.  Distribution.  —  Le  chevalier  de  Talmay,  M.  Georges  Baillet.  —  Ij© 
duc  de  Chamaraule.  M.  Pietve  Laugier.  —  Raymond  de  Taiilignan, 
M.  Dfsaonnes.  —  IVOUivon,  M.  Grand-cal.  —  Un  notaire,  M.  Falcon- 
nier.  —  Un  domestique,  M.  Laty.  —  La  marffuise.  M"»»  Persootts.  — 
Julie,  Mn«  Toonne  Qarrick.  —  Philibei'te,  M"»  Maille. 

Extrait  du  rapport  sur  le  budget  des  Beaux- Artw,  de  M.  Déandrei»  : 

L'ensemble  des  pièces  jouées  à  la  Comédie-Française  forme  un  bloc 
de  S,175  acte»,  dont  758  en  vers  et  1,417  en  prose. 

Le  total  des  recettes  a  été  pouti'aanée  l^ai  de  si  millions  808,369  fr.  ;i5. 


36  LES  ANNALKS  DU  THEATRE 

sion  contenue.  Son  jeu  poignant  et  sobre  soule- 
vait à  plusieurs  reprises  de  chaleureux  applaudis- 
sements. La  jeune  artiste  était,  d'ailleurs,  dig-ne- 
ment  encadrée  par  M.  Paul  Mounet,  qui  a  fait  de 
Brissot  une  puissante  silhouette,  par  M.  Raphaël 
Duflos,  fort  élégant  dans  André  de  Bardanne*, 
par  M™«*  Millier,  du  Minil,  Amel,  Persoons  et 
Garrick,  qui  de  tout  leur  talent  contribuaient  à 
Téclat  de  Tinterprétation. 

4  AVRIL.  —  Reprise  du  Petit  Hôtel  qui  n'a  pas 
été  donné  depuis  une  dizaine  d'années.  La  char- 
nnante  comédie  de  Meilhac  et  Halévy  est  jouée, 
cette  fois,  par  MM.  Georges  Berr,  Pierre  Laugier 
et  M^'^  Leconte  qui  tiennent  à  souhait  les  rôles  de 
Boismaftin,  de  la  Marcillière  et  d'Antoinette. 

7  AVRIL.  — Premières  représentations  de  Shylock 
on  le  Marchand  de  Venise^  comédie  en  trois  actes 
et  cinq  tableaux,  en  vers,  d'Alfred  de  Vigny, 
d'après  Shakespeare  2,  et  de  //  était  une  ber^ 
gère,*,  conte  en  un  acte,  en  vers,  de  M.  André 
Rivoire  3.  —  La  Comédie  voulait-elle  être  agréable 
à  l'un  de  ses  meilleurs  sociétaires  en  lui  donnant 
l'occasion  déjouer  un  très  beau  rôle?  Elle  n'avait 
qu'à  reprendre  l'ingénieuse  adaptation  de  M.  Ha- 
raucourt  justement  applaudie  il  y  a  quelques  an- 

i.  —  Le  rôle  d'André  de  Bardanne  sera  bientôt  repris  par  M.  Jacques 
Fenoiix. 

2.  Distribution.  —  Shylock,  M.  Leloir.  —  Bassiano,  M.  Leitner.  —  Lo- 
renzo,  M.  Dehelly. —  Un  officier,  M.  Falconnier.  —  Antonio,  M.  Jacques 
Fenoux.  —  Le  Doge  de  Venise,  M.  Ravet.  —  Tubal,  M.  Siblot.  —  Gra- 
tiano,  M.  André  Brunot.  —  Portia,  M"»»  Lara.  —  Jessica,  Mil»  Yvonne 
Garrich-  —  Nérissa,  Mll«  Dussane. 

3.  Distribution.  —  Le  berger,  M.  Georges  Berr,  —  La  bergère, 
Mii«  Millier.  —  La  princesse,  M»»  Lara. 


COMÉDIE-FRANÇAISE  87 

nées  à  TOdéon,  Ji  jouer  la  traduction,  très  littérale 
et  très  littéraire,  de  François-Victor  Hugo,  ou 
mieux  encore,  à  demander  à  un  jeune  poète  —  il 
yen  a,  j'en  réponds  —  un  nouveau  Shylock  d'a- 
près Shakespeare...  Tout  valait  mieux  vraiment 
que  d'exhumer  ce  plat  et  froid  Marchand  de  Ve- 
nise d'Alfred  de  Vifjny.  Soirée  néfaste,  entre  toutes, 
où^  en  dépit  des  intelligents  efforts  de  M.  Leloir, 
secondé  en  la  circonstance  par  MM.  Leitner,  Fe- 
noux,  Dehellj,  Brunot,  M™^^  Lara,  Garrick  et  Dus- 
saiie,  le  «  grand  Will  »  —  ayons  le  courage  de 
l'avouer  —  nous  a  profondément  ennuyé ...  Le 
spectacle  avait  commencé  de  façon  infiniment  plus 
lieurense  avec  un  joli  acte  en  vers,  subtil  et  lon- 
guet, mais  charmant,  de  M.  André  Rivoire,  un 
jeune  écrivain  déjà  fort  apprécié  des  lecteurs  de  la 
Hernie  de  Paris  de  M.  Ganderax.  //  était  une  ber- 
gère fut  excellemment  joué  par  M.  Georges  Berr, 
par  M"«  Millier  et  par  M"^^  Lara,  qui  s'étaient  ainsi 
chargés  de  sauver,  à  la  Comédie-Française,  l'hon- 
neur du  pavillon: 

9  AVRIL.  —  Dans  Notre  jeunesse^  donnée  en 
matinée,  M.  Henry  Mayer  jouait  pour  la  première 
fois,  et  avec  succès,  le  rôle  de  Lucien  Briant. 

17  AVRIL.  —  Première  représentation  du  Duel, 
pièce  en  trois  actes  de  M.  Henri  Lavedan*.  —  Le 
jour  de  la  répétition  générale  du  Z>tte/,  alors  que 

1-  Distribution.  —  L'abbé  Daniel,  M.  Le  Bargy.  —  Mgr  de  Bolène, 
^^I^aul  Mounet.  —  Le  docteur  Morey.  M.  Raphaël  Duflos.  —  Le  por- 
t'«r,  M.  Joliel.  —  Un  inlirmier,  M.  Hamel.  —  Un  domestique,  M.  Laty. 
—  La  duchesse  de  Chailies,  M"»  Bartet.  —  Yvonno.  Mlle  Lherbay. 

A  partir  du  27  nvriU  le  Dn'^l  était  précédé  d'un  acte  de  M.  Henri  La- 
veJan,  E,i  Vmfe,  joué  par  M.  Brunol  et  M  'e  Dussane. 


38  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

le  premier  acte  venait  de  se  terminer  sur  les  plus 
chaleureux  applaudissements,  un  mot  courait  les 
couloirs  du  théâtre,  aussi  élogieux  pour  M.  Lave- 
dan  qne  dur  —  jusqu'à  Tinjustiee  —  pour  l'un  de 
sel*  confrères  en  succès  :  —  «  Enfin,  s'écriait  quel- 
qu'un, nous  voilà  dét^apiisés  !  »  Pourquoi  celle 
subite  ingratitude  envers  la  pièce  parisienne,  aima- 
ble par  excellence,  exquisement  mousseuse,  un  peu 
superficielles  peut-être,  mais  si  spirituelle  et  si 
pleii>e  de  ^-ràce  et  de  fantaisie,  de  malice  et  d'obser- 
vation, de  verve  et  de  talent  que  nous  avx^ns 
inaintes  fois  applaudie  dans  la  Veine  et  la  Petite 
Fonctionnaire  jusqu'à  Notre  Jeunesse  et  Monsieur 
Piègois^,  Ne  peut-on  pas  trouver  de  l'aigcrément, 
beaucoup  d^agrément,  aux  jolies  comédies  de 
M.  Alfred  Gapus,  sans  pour  cela  méconnaître  la 
belle  vaillance,  la  haute  portée,  le  puissant  intérêt 
d'une  œuvre  —  œuvre,  dans  toute  l'acception  du 
terme  —  somptueusement  littéraire,  noble  et  éle- 
vée, dramatique  et  forte,  superbement  audacieuse 
et  éloquente,  sincère  et  poignante,  comme  celle  de 
M.  Henri  Lavedan,  ce  maître  en  l'art  de  remuer 
les  idées,  déjà  l'auteur  de  cette  pathétique  tragédie 
moderne,  le  Marquis  de  Priola  ?  Est-ce  donc  une 
thèse  que  M.  Lavedan  a  voulu  cette  fois  porter  à 
la  scène?  Non,  certes,  et  c'est  plutôt  un  cas  psy- 
chologique qu'il  nous  montre,  et  quand  je  vous 
aurai  dit  —  ne  le  saviez-vous  pas  déjà?  —  que  le 
duel  dont  sa  pièce  porte  le  titre  est  un  duel  moral 
ent'e  deux  frères,  dont  l'un  est  un  farouche  athée 
et  l'autre  un  prêtre  convaincu,  vous  jugerez  du 
réel  péril  que  présentait  le  délicat  sujet  traité  par  le 


€OJilÉ0IB-FRA.NÇA.ISE  Sq 

hardi  dramaturge,  péril  dont  il  a,  d'àill-eurs,  glo- 
muscfflcnt  triomphjé...  Un  aliéniste  distingué,  en- 
rjgiè  libre  penseur,  le  docteur  Morey  dirig-e  daos 
h  banlieue  de  Paris,  une  maison  de  santé,  au  Von 
soig-iieles  morphinomanes,  eatre  autres,  le  duc  de 
Chailles  —  ce  personnage  restera  à  la  cantonade 
—  dont  les  débauches  ont  fait  un  dégénéré  que 
^'iietle  la  mort.  Dep^jds  trois  mois,  la  duchesse,  v^ 
naat  voir  son  indigne  mari,  s'est  trouvée  en  contact 
avec  le  médecin,  dont  elle  a  pu  apprécier  toutes 
les  brillantes  qualités  de  casur_et  d'esprit.  Pas  plus 
que  son  ami  le  docteur,  M'"®  de  Chailles  n'est 
craraiile,  et  violemment,  en  dépit  de  ses  scrupules 
d'bonnête  femoie,  elle  se  sent  attirée  vers  celui  qui 
pense  que  deux  êtres  jeunes  et  robustes  sont  faits 
pour  s'aimer.  Le  docteur  Morey  a  un  frère  qu'il 
n'a  pas  revu  depuis  dix  ans,  c'est-à*dire  depuis 
que,  las  d'une  vie  de  plaisirs,  il  s'est  senti  touché 
par  la  grâce  et  s'est  fait  prêtre.  Et  voilà  que,  j.us^ 
tenttent  ce  jour-là^,  l'abbé  Daniel  —  c'est  le  nom  du 
frère  en  question  —  vient  prier  le  docteur  Morey 
<1  être  le  médecin  d'un  hôpital  de  jeunes  enfants, 
qu'il  a  fondé  dans  k  populeux  quartier  de  Grenelle, 
avec  le  concours  d'une  société  catholique.  Le  doc^ 
teur  refuse  :  il  ne  veut  pas.  que  les  malades  qu'il 
guérira  puissent  attribuer  teur  guériso»  au  docteur 
Dieu.  —  «  Un  concurrent  dont  tu  as^  ea  effet,  le 
droit  d'être  jaloux  ))^  reprend  l'abbé.  Et  comme^ 
dans  la  conversation,  plutôt  aigre,  qu'ont  ensemble 
^^s  deux  frères^  d'idées  si  dissemblables,  le  doc- 
teur a  reproché  à  l'al&bé  son  inutilité  dans  la  vie, 
1^  prêtre  proteste  :   «   Je  soigne  mes   semblables 


4o  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

'  comme  lu  le  fais  toi-même,  Tu  nevois  pas  quelles 
cures  merveilleuses  s'accomplissent  dans  mon  con- 
fessionnal. Si  je  te  disais  que,  depuis  deux  mois, 
j'empêche  une  malheureuse  d'avouer  à  un  homme 
qu'elle  l'aime  et  de  commettre  ainsi  le  péché  de 
l'adultère.  Et  insensiblement  je  la  ramène  vers  la 
pureté,  n  —  «  C'est  vers  l'amour  qu'elle  ira  malgré 
toi,  répond  le  docteur,  et  la  faute  n'en  sera  que 
plus  douce  entre  ces  deux  êtres  qui>  plus  longtemps, 
auront  attendu  l'instant  du  bonheur. . .  »  N'avez- 
vous  pas  deviné  que  la  pénitente  de  l'abbé  Daniel 
et  la  duchesse  de  Chailles  ne  sont  qu'une  seule  et 
même  personne.  Si  l'abbé  ne  connaît  pas  le  nom 
de  celle  qui  vient  s'asseoir  à  son  confessionnal,  la 
duchesse  ignore  de  même  que  l'abbé  soit  le  frère 
du  docteur  Morey,  à  qui,  gagnée  par  la  passjon, 
elle  vient  de  promettre  un  rendez-vous  pour  le  len- 
demain. Ces.  coïncidences  sont-elles  un  miracle 
divin,  comme  l'affirmera  l'abbé?  Elles  sont  tout 
au  moins  un  moyen  dramatique,  absolument  ad- 
missible du  reste.  .  .  Pourquoi  la  duchesse  que  je 
vous  ai  dit  n'être  pas  pieuse  s'est-elle  adressée  à 
l'abbé  Daniel  ?  Parce  qu'ayant,  comme  bien  des 
femmes,  un  fond  de  religion,  et  passant  un  jour 
par  hasard  dans  le  quartier  populaire  de  Grenelle, 
elle  est  entrée  dans  une  église  toute  grande  ouverte 
et  s'est  assise,  sans  le  savoir,  parmi  les  pénitentes 
qu'appelait  au  tribunal  de  Dieu  le  jeune  vicaire  de 
la  paroisse.  Le  second  acte  nous  introduit  dans  l'ex- 
quise mansarde  de  l'abbé  Daniel  —  un  pur  artiste, 
n'en  doutez  pas.  Au  moment  d'aller  au  rendez- 
vous  accepté,  la  duchesse,  de  plus  en  plus  troublée. 


COMÉDIE-FRANÇAISE  4  » 

,  vient  réclamer  son  appui,  et  nous  verrons  ainsi  le 
jeune  prêtre  obligé  de  la  défendre  c^»tre  lamour  ' 
de  son  frère.  Une  porte  s'ouvre  avec  fracas  :  c'est 
le  docteur  lui-même  qui  l'a  suivie  et  la  veut  arra- 
cher à  TEglise.  Elle  est  belle  et  franchement  humaine, 
en  sa  violence  toute  brutale,  la  cruelle  scène  de  re- 
proches qu'adresse  à  la  duchesse  —  en  l'absence  de 
l'abbé,  brusquement  demandé  par  un  mourant  au- 
quel il  va  porter  lextrême-onction  —  le  docteur 
Morey  qui  va  jusqu'à  l'accuser  d'aimer  le  prêtre^ 
son  frère. . .  comme  tout  à  l'heure,   en  une  admi- 
rable joute  d'éloquence  entre  les  deux  adversaires, 
il  accusera  l'abbé  Daniel  de  ressentir  pour  sa  péni- 
tente une  tendresse  coupable.   Ces    paroles    mau- 
vaises ont  porté  leur  fruit.  L'abbé  Daniel  '- —  c'est 
le  troisième  acte  —  vient   trouver  son  grand  ami 
Mgr  de  Bolène,   un    saint    évéque    des    missions 
étrangères,  naguère  martyrisé  par  les   Chinois  ;  il 
dit  au  noble  prélat  des  Pères  Blancs  les  épouvan- 
tables angoisses  de  son  âme  troublée,  la  résolution 
qu'il  a  prise  de  jeter  aux  orties  la  robe  dont  il  ne 
se  sent  plus  digne.  Mgr  de  Bolène  le  réconforte  et 
consent  à  l'emmener  en   Chine  avec  lui.  Mais  il 
exige  qu'avant  de  partir  il   voie  la   duchesse  de 
Chailles,  et  que,  loin  de  l'engager  à   renoncer  au 
inonde  en  se  faisant  carmélite,  ainsi  qu'elle  l'a  trop 
pompeusement  annoncé,  elle  se    décide   une  fois 
veuve  —  le    duc    vient   d'expirer   à  la  suite  d'un 
accès  de  fièvre  chaude  —  à  se  remarier,  à  épouser 
son  frère  qui  l'aime  et  qu'elle  n'a  jamais  cessé  d'ai- 
mer... L'abbé  Daniel  remplit  son  cruel  devoir  avec 
une  loyauté  parfaite  et  pousse  M'"*^  de  Chailles  vers 


1 


4i  LES    AXNALKS    DU    THÉÂTRE 

«a  véritable  destinée.  —  ((  Les  dix  petits  doigts 
4'Uii  enfant  :  tels  sont  les  grains  du  rosaire  qu'elle 
devra  désormais  baiser  ».  M'"^  de  Chailles  s^e 
laisse  facilement  persuader  :  elle  sera  la  femme  dw 
docteur  Morey,  et  par  eHe  se  réconcilieront  les 
deux  frères  qui  se  haïssaient,.  C'est  sur  leur  long 
«nabrassement  et  dans  une  belle  émotion  théâtrale 
*  que  se  terminera  la  r.Mnarquable  pièce  de  M.  Henri 
Lavedan.  Elle  a  été  mise  en  scène  par  M.  Le  Bargy 
daus  une  note  infiniment  juste.  Et  en  choisissant 
pour  lui  —  après  Priola,  le  contraste  n'était-il  pas 
curieUiX?  —  le  rôle  de  l'abbé  Daniel,.  M.  Le  Bargy 
s'est  ménagé  uite  de  ses  plus  étonnantes  créationsL 
Quelle  âpreté  et  aussi  quelle  chaleur,,  quelle  énao- 
tion  !  Son  triomphe  a  été  complet,  inoubliable... 
M.  Raphaël  Duflos,  lui,  fut  un  partenaire,  je  veux 
dire  un  adversaire  digne  de  lui.  Très  élégant  sons 
les  traits  du  docteur  —  il  a  exprimé  de  façon  très 
vraie  les  tumultueuses  agitations  de  son  amour 
pour  la  duchesse  de  Chailles.  11  n'était  guère  de 
rôle  plus  difficile  à  rendre  que  celui  de  cette  femne 
com[^iqiiée  toujours  en  détresse;  iL fallait  une  ar- 
tiste dje  l'admirable  talent  de  M**^  Bartet  pour  le 
faire  admettre,  et. applaudir.  Le  délicieux  rôle,  au 
contraire,  de  sympathie  si  franche  et  de  sublimité 
si  cordiale,  qi«e  celui  de  l'évêque  martyr,  ce  noble 
héros  plein  d'entrain,  de  bonne  humeur  et  de  spir- 
rituelle  gaî té  !  M.  Paul  Mounet  l'a  rendu  avec  un 
charme  et  une  simplicité  au-dessus  de  tout  éloge. 
Voilà  donc  une  soirée  très  brillante,  à  tous  les 
points  de  vue,  digne  du  bon  renom  de  la  Comédie-» 
Française  :  la  juste  revanche  de  celle  de  Shylockl 


GOJMÉDIB'HPRAJSÇ.USB  43 

28^  AVRIL.  —  Au  lendemain  do  çrand  succès  du 
Lkiel  qui  part-aii  pour  une  lono-ue  et  magnifique 
carrière,  la  Gomédâe  célébrait  la  centième  repré- 
settlatioa  de  l'éiaow^atttTerpièce  de  M.  Henri  Lave-»- 
dan,  le  Marquis  de  Priola, 

3- MAI.  —  La^  Comédie  recevait  dans  Tintimité 
]\{me  Eleonora  D«»e.  A  son- entrée  dans  le  foyer  des 
ar liâtes  —  où  un  lundi  avait  été  préparé  —  des 
fleups  étaient  offertes  à  la  grande  actrice  italienne 
qiii  s'entretenait  amicalement  avec  W^^  Bartet, 
Mmp  PiejTson^  M..  Mounet-Sidlv^  M.  Le  Barçy, 
M.-  Coquelin  eadet. ..  Au  cours  de  la  réception, 
M..  Jules  Claretie  improvisait  une  jolie  allocutio«s 
applaudie  par  tous  les  assistants*. 

7  MAJ.  —  Un  comité  privé,,  présidé  par  M.  Paul 
Dimmer,  célébirait^y  à  la  Sorbonne,  le  troisième  cen- 


1.  —  La  voici  sténographiée  :.<(  Maiiama,.vaus  êtes  ici  en  famille  et  la 
présenre  de  Mine  la  comtesse  Torniëilî,  cpii  m'a  autorisé  à  vous  parler 
avaut  l'arrivée-  d&  l'stmbassadeujii  dfir  volteipays,  voiis  prouve  quo   vou*^. 
êtes  aussi  chez  vous. 

Ce  que  leminent  représentant  de  Tltalie  a  fait  en  homme  politique 
8u-iiûrieur  —  rapprocher  deux,  aatinne^  —  vous  l'avee  fait  en  grande  ar- 
tiste :  faire  fraterniser  deux  littératures. 

Vous  avez  donné  à  Paris  des  fêtes  d'art,  d  émotion,  de  douleur,  de 
po<^»ie;' vous  aves  lini.  par:  un' acte  de  générosité  artistique  en  faveur 
d*u»e  comédienne  I  reAisadtéo,  eet^  eprés  avoir  admiré  votre  talent  nous 
avons  admiré  votxa  cœur. 

Nous  vous  avons  applauxiie  chez  vous;  nous  somme»  heureux  de 
vou»  fêter  dans  ce- foyer  de  J>a^  Maison  de  Molière  où  tant  de  gloires  ont 
pastié. 

Et  vous  y  reviendrez^-  madame,  quand  nous  inaugurerons  la  st;itiie 
d*UD  homme  qui  voub.adimrait.  et.  vous  aimait.  Vous  avez  promis  de  dire 
po«îr  Dumas  file  les  vers  qu'a  écrits  pour  vous  un  poète  français,  le» 
derniers  vers  de  1  hauteur  de.  la  FiUa  d&  Roland, 

Mais  ce  n'est  pas  pour,  vûub  cappeUr  une  pDomc«se,  vous  qui  les  tenex 
toutes,  qtie  nâiis  vious:  avan^fc-  priée  de  venir  ici.  c'est  pour  vous  dire 
notre  sympathie^  n^ilre»  atlmidratian,  notre  reconnaissance. 

Je  boiii,  madame,  à  votvo  paysv  qua  uous  aimons,  et  à  l'art  que  vuus 
illustrez,  —à  l'Italie,  notre  aïeule,  etià^aglorieuseiâUe,  Eleonora  Duso  !  » 


44  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

tenaire  de  Don  (Jaichotte  en  une  fêle  commémo- 
rative  à  laquelle  [)rétaient  leur  concours  MM.  Mou- 
net-Sully,  Jacques  Fenoux,  Dessonnes,  Orandval, 
M"®  Renée  du  Minil.  M.  Mounet-SuUy  y  lisait  une 
conférence  de  M.  Jules  Claretie,  sur  Cervantes*. 

20  MAI.  —  Le  Fils  de  Giboyer,  déjà  repris  pour 
Tabonnement,  reparaissait  en  matinée  sur  l'affiche 
de  la  Comédie-Française,  avec  M.  Paul  Mounet, 
dans  le  rôle  de  Giboyer.  L'éminent  artiste  y  avait 
des  instants  admirables  et  son  interprétation  était 
applaudie  avec  une  chaleur  toute  particulière. 
M.  Baillet,  dans  le  rôle  du  marquis,  M°»®  Persoons, 
dans  celui  de  M'"^  Maréchal,  qu'ils  tenaient  pour  la 
première  fois,  se  faisaient  vivement  apprécier. 
MM.  Truffier,  Laugier,  M"^»  Sorel  et  Piérat  retrou- 
vaient le  grand  succès  des  représentations  précé- 
cédentes. 

24  MAI.  —  La  Comédie  donnait  la  vingtième 
représentation  du  Duel,  et  la  recette  s'élevait  — 
avec  une  location  d'avance  de  plus  de  quarante 
mille  francs  —  à  la  somme  de  9.307  francs. . .  Suc- 


1.  —  Quelques  jours  aispairavant  avait  eu  lieu,  à  la  Comédie-Française, 
dans  la  salle  du  comité,  cl  st^iis  la  présidence  de  l'administrateur  géné- 
ral, l'assemblée  générale  atuuielle  des  sociétaires.  Tous  étaient  présents 
À  l'exception  de  M.  M;iiirice  de  Féraudy,  souffrant;  de  M»'"»  Adeline 
Dudlay  et  Marie  Leconte,  en  congé.  La  parole  était,  aussitôt  la  séance 
ouverte,  donnée  à  M.  Georges  Berr,  rapporteur  de  la  commission  des 
comptes,  pour  la  lecture  de  son  rapport,  très  écouté  et  très  applaudi. 
De  même  le  rapport  de  M.  Jules  Claretie,  qui  était  l'historique  de  l'année 
10<)4,  se  traduisait  par  un  hénêdce  permettant  de  flxer  la  part  de  socié- 
taire'à  25.000  francs.  L'administrateur  général  parlait  de  l'avenir  avec 
une  confiance  partagée  par  l'assemblée  tout  entière  et  que  la  proi^périté 
des  années  précédentes  permettait  d'envisager  sous  un  jour  favorable. 

La  constatation  du  grand  succès  du  Duel,  la  belle  pièce  de  M.  Henri 
Lnvedan,  avait  sa  place  marquée  dans  cet  éloquent  rapport  chaleureu- 
sement applaudi  et  adopté  k  l'unanimité. 


COMÉDIE-FRANÇAISE  4î> 

ces  de  la  belle  œuvre^  toujours  passionnément 
discutée  pendant  les  entr'acles,  et  brillant  succès 
d'interprétation  avec  ce  quatuor  d'artistes  :  M"®  Bar- 
tet,  >iM.  Le  Bargy,  Paul  Mounet,  Raphaël  Duttos. 

3o  MAI.  —  La  Comédie  participait  aux  fêtes  don- 
nées en  l'honneur  du  Roi  d'Espaçne,  Alphonse 
XIIL  A  l'Elysée,  M.  Mounet-Sully  récitait  les  Pau- 
vres Gens  que  suivaient  Un  Caprice^  interprété 
par  M"^  Bartet,  M.  Le  Bargy  et  M"®  Piérat,  et  des 
monologues  de  M.  Coquelin  cadet.  —  Au  Minis- 
tère des  Affaires  Etrangères,  toujours  devant  le 
roi,  M.  Georges  Berr  avait  dit  des  monologues, 
MM.  Baillet  et  Delaunay,  M"®^  Leconte  et  Mitzy- 
Dalti  avaient  joué  V Autographe, 

2  JUIN.  —  Représentation  de  gala  en  l'honneur 
de  S.  M.  Alphonse  XIIL  Le  spectacle  se  compo- 
sait de  V Etincelle^ y  du  premier  acte  des  Roma- 
nesques^^ et  du  Jeu  de  l'Amour  et  du  Hasard^. 

6  JUIN.  —  Le  'igg™®  anniversaire  de  la  naissance 
de  Corneille  était  dignement  célébré.  Un  aimable 
à  propos  en  vers  de  M.  Georges  Docquois,  Rue 
Saint-Thomas  du  Louvre^ ^  était  fort  bien  joué  par 
M.  Jacques  Fenoux,  parfait  dans  le  rôle  de  Pierre 
Corneille,  par  MM.  Ravet,  Garry,  Siblot,  Grandval 
^  Mlle  prancine  Clary.  Suivait  PoUjeucte.   Depuis 


1.  Distribution.  —  Kaoul,  M.  Le  Bargy.  —  M"»»  de  Renat,  M»»  Cécile 
Sorel.  —  Antoinette,  Mii«  Duasane. 

2.  DisTRiBUToiN.  —  Straforel,  M.  J.  Ti^ffier.  —  Bergamin,  M.  Leloir. 

—  Percinet,  M.  Georges  Berr,  —  Pasquinot,  M.  Pierre  Laugier.  —  Syl- 
vette,  M»e  Mûller. 

3.  Distribution.  —  Pasquih,  M.  Coquelin  cadet.  —  Dorante,  M.  Baillet, 

—  Orgon^  M.  Laugier.  —  Mario,  M.  Dehelly.  —  Sylvia,  M"«   Bartet.* — 
Lisette,  M^i*  Leconte. 


l^(\  LKS    ANNALES    DU    THEATRE 

quelque  temps,  la  tragédie  de  Corneille  n'avait  pas 
paru  sur  J'affiche.  Elle  était  excellemment  inter- 
prétée. M.  Monnet-Sully  paraissait  mag^nifique,  sans 
défaillance,  dans  le  rôle  de  Polyeucle.  Le  grand 
ailtiste  a  été  rarenhent  plus  beau  que  dans  la  rscène 
avec  Néarque  et  dans  la  scène  du  4^  acte  avec 
Pauline.  De  la  salle  ^enthousiasmée  partait,  à  ce 
•  moment-là,  une  ovation  interminable  qui  recona- 
mençait  à  «on  entrée  en  scène  au  dernier  acte. 
M"^*^  Seçond-Weber  faisait  admirer  une  Pauline 
louchante  et  de  tous  points  «  délicieuse  »,  comiae 
dit  son  époux.  M.  iSilvain  incarnait  un  Félix  U'ès 
intéressant,  très  proche  de  nous,  quoique  rorwai^i, 
et  non  dépourvu  de  grandeur,  même  dans  ses  pi- 
toyables calculs.  M.  Albert  Lambert  apportait  à 
Sévère  son  élégance  fière,  sa  belle  diction  et  l'ar- 
deur de  son  généreux  talent  ;  M,  Delaunay  enfi«, 
un  Néarque  plein  de  flamme,  complétait  uji  enseua- 
ble  qui  faisait  vraiment  honneur  à  la  Comédie. 

i5  JUIN.  —  Dans  Les  Ajff aires  sont  les  Affdff'^^^ 
où  M.  de  Féraudv  reparaissait  dans  sa  belle  créa- 
tion d'Isidore  Lechat,  M.  Louis  Delauriay  jouait 
pour  la  première  fois  le  r()le  du  marquis  de  Por- 
cellet. 

29  JUIN.  —  M.  Le  Bargy,  le  créateur  de  Tabbé 
Daniel  du  Duel,  ne  se  contente  pas  d'être  un  de 
nos  premiers  artistes,  il  se  révélait  un  de  nos  meil- 
leurs conférenciers.  Il  nous  le  prouvait  à  la  salle 
de  la  Société  de  géographie,  on  il  tenait  sous  le 
charme  de  sa  parole  un  auditoire  enthousiaste,  de 
près  de  mille  personnes.  La  Tradition  au  théâtre  : 
tel  était  le  titre  de  cette  conférence  011  rérudit  so- 


GOMÉDIE-FRANÇAlSt:  ^7 

ciétaire  se  complaisait  à  remuer  une  foule  d'idées- 
in^iiieuses,  exprimées  avec  beaucoup  d'art  et  dans- 
une  forme  si  pure..*  que  sa  causerie  méritait  le  seul 
reproche  d'être  trop  soig'neusement  écrite...  * 


1. —  Notons,  entre  patres  excellents  o  morceaux  »,  ce  remarquable- 
portrait  d'Emile  Perrin,  qui  mérite  d'être  signalé  comme  une  eau-forte- 
de  réelle  valeur  et  dont  vous  savourerez  je  pense,  toute  la  fine-reeserie  : 

«  Je  retrouve  dans  mes  souvenirs  déjà  lointains  sa  mince  et-^ca-ve  sil- 
houette, où  un  air  de  commandement  se  mêle  à  la  plus  accueillante  ur- 
banité. I.e  regarda  une  fermeté  singulière  avec  des  contrastes  de  dureté- 
et  de  bienveillance  attendrie.  Les  mains  sont  spéciales,  laborieuses  et 
fines,  d'une  adresse  visible,  d'une  curiosité  sensuelle  de  collectionneur, 
celtes  de  «  l'homme  A  l'œillet  »,  de  Van  Dnrck.  Il  fut  un  homme  de  gi'and 
labeur  et  de  talent  délicat.  II  eut  tous  les  instincts  nécessaires  à  sa  fonc- 
tion. C'est  par  la  multiplicité  des  dons  pius  que  par  leur  éclat  qu'il  fut  ' 
incomparable.  Mais  il  y  eut  quelque  4;hose  en  lui  de  tout  à  fait  éminent: 
c'est  le  caractère.  Dans  le  difîicile  métier  qu'il  exerça,  où,  parmi  les  jeux 
entrecroisés  de  la  vanité  et  de  l'ambition,  un  excès  de  diplomatie  sem- 
ble une  défense  permise,  il  dédaignait  de  mentir.  Kt  ce  principe  de  gou- 
-vemement  :   «  Diviser  pour  régner  »,  il  le  repoussa  comme  un  jeu  niè- 

prisabie Il  avait  fait  reposer  notre  Maison  sur  lé  seul  principe  de 

l'inégalité,  ou  plutôt  d'une  égalité  supérieure  qui  se  résume  en  ceci  :  à 
chacun  selon  ses  œuvres.  La  Comédie-Française  fut,  avec  lui,  très  bié- 
rarchique  :  situations  momies  et  matérielles  se  trouvaient  établies  et- 
nnancées  avec  un  soin  si  attentif  et  si  exact,  imposées  avec  une  fermeté 
«î  volontaire  et,  en  même  temps,  avec  une  bonne  grâce  si  persuasive, 
que  ceux'là  mêmes  qui  auraient  pu  s'en  trouver  un  peu  blessés  accep- 
taient un  ordre  de  cnosses  où  se  voyaient  tant  de  justesse  et  d'harmo- 
nie-•.  Il  était,  d'ailleurs,  merveilleu!H»nient  approprié  à  son  entourage 
et  à  son  moment.  Il  se  trouva  un  groupe  de  comédiens  de  grand  style. 
Il  leur  emprunta  un  peu  de  leur  aristocratie  et  leur  donna  beaucoup  de 
la  sienne.  Il  dirigea  toutes  les  études  de  l'avant-scéne  ;  il  y  apportait  le 
goût  du  travail  minutieux  et  le  sens  de  la  perfection.  Quand  il  avait  fixé 
nne  forme  d'interprétation,  il  la  surveillait  jalousement.  Il  savait  que 
i'barmonie  d'un  ensemble  estime  réussite  de  l'état  de  grâce,  qu'elle  est 
d'autant  plus  périssable  qu'elle  a  été  plus  délicatement  ordonnée,  et  qu'il 
faut,  {>our  la  maintenir,  une  volonté  ferme  et  la  persistance  du  goût  le 
plus  exigeant. . .  Le  dernier  souvenir  que  j'aie  gardé  de  lui  est  un  sou- 
venir plein  de  mélancolie.  On  était  las  de  ses  services  et  on  le  poussait 
doucement  à  la  retraité.  Un  jour  que  j'étais  allé  le  voir,  il  me  parla  de 
ces  tracasseries  avec  une  triste  et  fine  simplicité.  «  On  veut  que  je  m'en 
aille.  Oo  a  tort. . .  Qu'on  me  garde  1  »  Il  avait  squs  la  main  un  livre  : 
«  Tenez,  écoutez  ceci.  C'est  Flutarque  qui  parle  :  «  "Voila  de  longues  an- 
«  nées  crue  je  suis  archonte  à  Cfaéronée,  et  que  j  y  assure  le  culte  d'ApoI- 
cdon.  Mais  qui  donc  oserait  me  dire  :  <(  Plutarquè,  tu  es  vieux,  tu  as  asses 
«  conduit  les  danses  autour  de  l'autel. . .  »  Là-dessus,  il  referme  le  livre- 
«t,  d'un  ton  tré^las,  nie  redit  encore  :  u  Qu'on  me  garde  !»  On  le  garda, 
et  notre  vieil  administrateur  eut  cette  joie  méritée  de  mourir  pamit 
nom,  en  conduisant,  comme  Plutarquè,  les  danses  autour  de  Tautel.  n 


48  LES  ANNALES  DU  THÉÂTRE 

3o  JUIN.  —  La  T*"^  Chambre  du  tribunal  civil  de 
la  Seine  a  rendu  son  juijement  dans  l'affaire  de  la 
Comédie-Française  contre  M""  Brandès*. 

2  JUILLET.  —  Matinée  çratuite  :  Polyeucte  et  les 
Précieuses  ridicules^  Corneille  et  Molière  !  dans  la 
tragédie  M.  Mounet-Sully  et  M™«  Segond-Weber 
dans  les  rôles  de  Polyeucte  et  de  Pauline;,  MM.  Sil- 


1.  — Le  Tribunal  n'a  point  accordé  à  la*«  Société  des  comédiens  fran- 
çais »  la  totalité  de  sa  demande.  Il  a  retenu  un  certain  nombre  des  griefs 
formulés  par  la  transfuge. 

Le  jugement  constate  tout  d'abord  qu'en  violation  de  son  contrat 
Mlle  Brandès  a  quitté  la  Comédie  pour  aller  jouer  à  la  Renaissance.  Mais 
il  y  a  des  circonstances  atténuantes. 

Attendu,  dit  le  Tribunal,  que  contrairement  aux  dispositions  de  l'arti- 
cle 6  de  l'acte  de  Société  du  27  germinal  an  Xllf,  la  demoiselle  Brandès 
n'a  pas  reçu,  après  deux  années  d'admission  dans  la  Société,  le  8«  de 
part  auquel  elle  avait  droit  et  que  les  dispositions  des  articles  46  et  sui- 
vant du  décret  de  Moscou  n'ont  point  été  exécutés  ;  spécialement  que  le 
Comité,  établi  par  l'article  30,  n'a  pas  été  composé  conformément  aux 
prescriptions  de  l'article  49  et  que  ledit  Comité  n'a  point  pris  les  mesu- 
res nécessaires  pour  que  les  doubles  soient,  conformément  aux  prescrip- 
tions de  l'article  5i  du  décret  de  Moscou,  entendus  par  le  public  dans  les 
principaux  rôles  de  leurs  emplois,  trois  ou  quatre  fois  par  mois  ; 

Attendu  sans  doute  que  cette  inexécution,  à  l'égard  de  la  demoiselle 
Brandès,  de  dispositions  importantes  du  pacte  social  ne  suffit  point  à 
justifier  la  rupture  ci-dessus  constatée  à  sa  charge  des  engagements 
•qu'elle  avait  contractés  envers  la  Société  ;  mais  qu'il  y  a  lieu  d  en  tenir 
<;ompte  dans  la  fixation  des  dommages-intérêts. 

En  conséquence,  le  Tribunal  dit  que  par  application  du  décret  de 
Moscou,  Mlle  Brandès  doit  «  perdre  ses  fonds  sociaux  et  tout  droit  à  une 
pension  de  retraite  »,  et  pour  le  préjudice  qu'elle  a  causé  par  son  dé- 
part, le  Tribunal,  «  tenant  compte  —  d'une  part  —  de  l'importance  des 
services  que  pendant  dix  ans  encore  la  Société  demanderesse  était  en 
adroit  d'attendre  de  la  demanderesse  dont  le  talent  est  incontestable  et, 
—  d'autre  part  —  de  l'inexécution  à  son  profit  d'un  certain  nombre  de 
de  clauses  de  l'acte  ^ocial  »  condamne  MUe  Brandès  à  2.5,000  francs  de 
dommages-intérêts.  * 

Le  jugement  donne  acte  en  outre  à  la  Comédie  : 

De  ses  réserves  à  raison  de  tous  nouveaux  dommages-intérêts  qu'elle 
pourrait  se  trouver  ultérieurement  fondée  à  réclamer  à  la  demoiselle 
Brandès,  pour  le  cas  où  celle-ci  jouerait  de  nouveau  dans  l'avenir,  sur 
un  théâtre  de  Paris  ou  des  départements,  dans  les  conditions  contraires 
aux  conventions  souscrites  par  elle. 

Est-il  besoin  de  faire  observer  que  mêmes  réserves  furent  faites  lors 
des  jugements  dans  les  affaires  Sarah-Bernhardt  et  Coquelin  ? 


GOMËDIE-FRANÇAISE  4& 

vain  et  Albert  Lambert  fils  étaient  l'objet  des  plus 
chaleureuses  ovations.  Les  Précieuses  ridicules 
étaient  un  lon/Qf  éclat  de  rire  avec  M.  Coquelin  ca- 
det, étourdissant  de  comique  en  Mascarille,  avec 
MM.  Truffier,  Pierre  Laugier,  M"^*  Marie  Leconte 
et  Dussane. 

10  JUILLET.  —  Première  représentation  des 
Phéniciennes j  drame  antique  en  quatre  actes,  en 
vers,  de  M.  Georges  Rivollet  *.  —  Un  rêveur 
doublé  d'un  érudit,  M.  Georges  Rivollet,  avait 
coutume  de  se  délasser  de  ses  arides  fonctions  de 
conseiller  référendaire  à  la  Cour  des  comptes  en 
écrivant,  pour  être  jouées  au  cercle,  de  gaies  co- 
médies, alertes  et  spirituelles,  quand  un  jour  il  eut 
l'idée  de  se  lancer  à  corps  perdu  dans  Fétude  du 
grec. 

Quoi  1  monsieur  sait  du  greci  Ah,  permettez  de  grâce 
Que,  pour  l'amour  du  grec,  monsieur,  on  vous  embrasse... 

eût  dit  Phiiaminte...  De  la  lecture,  dans  le  texte, 
d'Euripide  et  de  Sophocle,  à  la  traduction  en 
beaux  vers  de  leurs  célèbres  tragédies,  il  n'y  avait 


1.  Distribution.  —  Œdipe,  M.  Mounet-Sully,  --  Un  pâtre,  M.  Silvain. 
—  Polynice,  M.  Alb.  Lambert  file.  —  Créon,  M.  Paul  Mounei.  —  Un 
chef  thébain,  M.  Falcohnier.  —  Un  vieillard  Ihébain,  M.  Hamel.  — 
Etéocle,  M.  Jacquês  Fenoux.  —  Un  messager,  M.  Ravel.  —  Le  pédago- 
gie, M.  Oarry.  —  Antigène,  M"«  5.  Weber.  —  Jocaste,  Ml'»  Delvair.  — 
Ménœcée,  M««  Louise  Silvain.  —  Une  Phénicienne,  M'i»  Madeleine 
Roeh —  Une  Thébaine,  M»«  Maille.  —  Une  servante,  M»»  Lherbay. 

Une  musique  de  scène  de  la  composition  du  vaillant  chef  d'orchestre 
^«  la  Comédie,  M.  Léon,  s'adaptait,  pittoresque  et  colorée,  aux  diverses 
situations  de  la  pièce. 

M.  Letorey,  ancien  prix  de  Rome,  est  nommé  second  chef  d'orchestre 
<ls  la  Comédie-Française. 

4XNALBS  DU  THÉATRU  4 


5o  LES    ANI^ALifiS:  DU.  THEATRE 

qu^un^pas...  Al kesiis  ouvrit  larmarche!:  d'abord 
acclamée  à  Orau^e,.  l'honoFabk*.  adapiaUon .  de 
M.  Rivollet  fut  g'mcieuâeioent.  accuôillie^r  pav»  la 
C()i»édie^FFançaise<  au  moment  où  elle  avaii  provi-- 
soiremeiit  éluf  domicile  au  théâtre-  Sarah«fieFirhandili^ 
Revenue  dans  ses  murs  et  dans  ses  meul)Les,'  la 
Comédie-Française  s'empressade  délaisser  4 M'^s//* 
et  de  recevoir  du  même  auteur,  un  Œdipe  à  Oo^ 
lone^  qui  devait  être  pour  notre  çlorieux  Mounetr 
Sully  le  pendant  de  son  admirable  succès  d^Œclipe^ 
Uoi.  Et  voilà  que,  pour  aller  plus., vite  en  besogne,. 
en  trompant  les  loisirs  de  cette  saisontestivaile^.elle 
nous  donne  aujourd'kui  les  Phénicienjies^  quinona 
arrivaient  d'Orançe  toutes  montées,  et  que.  quel- 
ques répétitions  devaient  suffire  à  mettre  au.,poiali 
C'est  d'ailleurs  respecter  Tordre  chronologique  qi^ 
de  nous  offrir,  avant  Œdipe  à  Colone,  ces  P/téni- 
ciennes,'  où  l'on  voit  Œdipe'rvaincu-dawssoiii  d'wel^ 
gigantesque  contre  la  fatalité,  achevantde  trahier 
auv  fondideson  palais  iune  vie  de  désespoir. et  de 
deuil,  et  tout,  d'un  coup  rappelé,  au  milieu,  des 
hommes  par  un  nouveau,  malheur,  effriSyablei 
encore  :  la  rivalité  haineuse  de  ses  deux  fils  et  le 
combat,  impie,  où  ils  se  sont  déchirés  et  entre-tués 
de  leurs  mains  fraternelles.  Le  nom-^de  la'"prèce' 
d'fcluripide  vient  de  ce  que  le  ch(îBur  estcomposé-^ie^ 
femmes  pliéniciennès  qui,  se  sont  arrêtées  à  Thèbes, 
en  se  rendant  à  Delphes  pour  y  être  consacrées  au 
culte  d'Apollon.  Et  le  titre  résulté  aussi  .peu.. que 
possible  du  sujet  lui-même  —  le  mènae  queicekii 
des  Sept  contre  Thèbes  d'EschylC;  Ce  sujet*  est 
essentiellement  la  rivalité  d'Etéocle  et  Polynice,  fils  - 


COMfiDlEnFHANÇAI<&E  5l^ 

d'Œdipe^el  de  Jocaste,  se  disputant,  les  armes  à  la 
main,  la  royauté  de  Thèbes^  Cette,  rivalité,  fournit 
au'pdèie  lapeif)tu£e  de  ila  forme  de  haine,  la^plu» 
aobàraie  qm  existe,  la  'fraternelle,  puis  celle  de  ja 
douleur  maieFueMe.  chez  une  femme»-  qi^,  ^  aimaoi 
égale  metii  ses  enfaals,  essaye -vainement  de  lea 
réconcilier  et  les; voit  s'entre-tufir  ;  enfia^  après ;la 
moptdes  deux  frères  et  de  la  mère  qui  n'a  paa  voulu 
leur,  survi vire,  Tappiarition  du  père  qui  le»  avait 
maudits "Ct  don4  la  malédiction  vient  de  se  nâatiÂ^ 
fester  aussi  terriblementi  Les  Phéniciennes  aonû'^ 
nueni  Œdipe-Roi  derSophocle  en  ressuscitant.  Jo^ 
«aste  et  en  différant  J'exil  d'Œdipe^  que  Sophr>cla 
avait  faiiî  mourir,.'  aussitôt  dévoilé  Tinceslev qui 
l'unissait  à  Jocaste,  et  qu'Euripide  fait  rester  à 
Thèbes-,  relégué  au  fond  du  palais  royal,  daas;  les 
doubles. téftèbires  de  sa  cécité  volontaire  etrde.sa 
prison.  Séquestré  par  ses  fils,  Œdipe  leur  a  soift^ 
haiié^dfr  tirer  le  fer  l'un  contre  Fautre.  Pour  :  se 
smi«traire  à  cette  malédiction,  Etéocle  et  Poiynice 
ont  dû  s'éloignen  de  Thèbes^  chacun  à  son:tour,  et 
alterner  chaque  année  le  pouvoir  et  rexil.kEtéôcle^ 
Painé,  arégné  le  premier  ;^  mais,  au  bout.detKannée^ 
il  a  refusé  de  s'ex^écuteret  décéder  la  couronne.  Pol y-* 
nice,  dans  le  but  de  conquérir  le  trône  qui  lui  est 
dû,  assiège  Thèbes  à  la  tète  d'une  armée^  Etic'est  un 
des  plus  fangeux  passages  de  l'œuvre  originale,  et 
aussid'un. des  mieux  traités  dans  l'œuvre  françaiseï 
que  la  scène  où. les  deux. frères,  en  présence  de  leur 
mère,  plaident,  chacun  ,pour-  leur  cause  avec  i  une 
force,  une-logique,:  une  passion. . incompairables^ 
Etéocle  voulant  conserver  le  pouvoir,  Polyniee  exir 


52  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

géant  sa  part  de  royauté.  Les  deux  caractères  se 
développent  :  l'un  tout  humain  et  pénétré  de  ten- 
dresse, celui  de  Polynice  ;  l'autre  féroce  et  desséché 
par  Fégoïsme,  celui  d'Etéocle.  La  scène  est  vrai- 
ment d  une  grande  beauté,  une  pure,  forte  et  simple 
beauté  de  marbre  grec.  Dans  les  Phéniciennes  nous 
retrouvons,  sous  les  traits  d'un  simple  berger  qui 
lit  dans  les  astres  l'avenir  des  mortels,  le  devin 
Tirésias  qui  continue  à  prédire  des  malheurs.  Il 
prédit  à  Créon  que  son  fils  Ménœcée  ,un  enfant  de 
quinze  ans,  doit  mourir  pour  sauver  Thèbes.  Le 
fils  de  Créon  laisse  croire  à  son  père  qu'il  va  fuir 
et  vivre>  mais  bientôt  il  se  frappe  lui-même  comme 
le  veut  l'oracle  et  meurt  pour  son  pays.  Cette 
douce  figure  de  chasteté,  d'abnégation  et  de  patrio- 
tisme se  détache  sur  le  fond  noir  de  la  tragédie 
avec  un  relief  saisissant.  Le  sacrifice  sublime  de 
Ménœcée  ne  tarde  pas  à  porter  ses  fruits  ;  un  mes- 
sage annonce  la  défaite  de  l'ennemi  et  apprend  à 
Jocaste  que  ses  deux  fils  sont  sur  le  point  d'en 
venir  aux  mains.  Le  drame  se  précipite  :  Jocaste 
et  sa  fille  Antigone  volent  sur  le  champ  de  bataille» 
Créon  entre,  pleurant  la  mort  de  son  fils.  Un  autre 
messager  fait  à  l'infortuné  Créon  la  description 
du  combat  singulier,  du  duel  féroce  d'Etéocle  et 
de  Polynice,  duel  fatal  à  tous  les  deux  ;  il  lui  conte 
l'arrivée  tardive  de  Jocaste,  qui  ne  peut  que  recueil- 
lir leurs  dernières  paroles  et  leur  dernier  soupir, 
se  frappe  à  la  gorge  et  expire  entre  ses  deux  fils, 
les  frèi'es  ennemis  —  ceux  de  la  Thébaïde  de 
Racine  —  réconciliés  dans  un  suprême  embrasse- 
ment  et  goûtant  enfin  dans   les  bras  de  leur  mère 


COMÉDIE-FRANÇAISE  53 

expirante  «  le  charme  de  la  mort  ».  Les  corps 
d'Etéocle,  de  Polynice  ct*de  Jocaste  sont  apportés 
sur  le  théâtre.  Œdipe,  à  ce  moment,  sort  du  palais 
et  apprend  les  nouveaux  et  irréparables  deuils  qui 
frappent  sa  malheureuse  famille.  Sa  fille  Antigone 
lui  fait  toucher  les  trois  cadavres,  puisque  ses 
yeux  ne  peuvent  plus  voir^  et  que  s'ils  voyaient 
encore,  il  les  crèverait  pour  la  seconde  fois...  Ici 
l'horreur  arrive  à  son  paroxysme  accru  du  con- 
traste de  la  douce  pitté  fihale  d'Antigone  et  de 
rimpitoyable  bairie  de  Créon  pour  le  maudit.  Et 
lorsque  le  vieillard  emporte,  aidé  de  sa  fille,  qui  va 
devenir  sa  compagne  et  son  guide  en  exil,  le  cada- 
vre de  Polynice  auquel  Créon  a  refusé  la  sépulture, 
une  terreur  plane  sur  Tauditoire  attendri.  Si  Alkes^ 
iis  était  une  douce  élégie,  les  Phéniciennes  sont  un 
drame  noir,  d'un  spectacle  impressionnant.  Assez 
fidèlement  adapté  d'Euripide,  il  est  écrit  en  vers 
clairs  et  simples,  bien  rhytmés  et  bien  rimes  qu'a 
fait  valoir,  avec  son  habituel  talent,  la  troupe  tra- 
fique de  notre  premier  Théâtre-Français.  Comment 
ne  pas  louer  M"^  Segond-Weber,  si  suavement 
chaste  et  touchante  en  pitoyable  Antigone;  les 
admirables  élans  d'Albert  Lambert  en  Polynice  et 
les  fureurs  de  M.  Fenoux  en  Etéocle;  M"®  Delvair, 
une  Jocaste  très  maternelle  et  si  bien  grimée  ;  la 
belle  diction  de  M.  Silvain  sous  les  traits  du  pâtre; 
l'émotion  de  M.  Paul  Mounet,  sous  ceux  de  Créon, 
pleurant  son  fils  Ménœcée,  que  personnifie  M'"®  Sil- 
vain. Puis,  c'est  le  coup  de  théâtre  de  l'arrivée  du 
vieil  Œdipe,  en  cheveux  blancs,  aveugle  et  hébété 
de  douleur,  attiré  par  les  cris  de   désespoir  qui 


54  LES  '  AXKALEÎS'  DU*  THEATRE 

-raoïrtent  du  psriais;  et'venanl  sangloter  sur  le  corps 
kle  Polynice.  Et  cette  seènê  fin^le^  où  'M.^Mouftet- 
SbHy  approche  dé  la  «ublimité  dans  le  pathétique, 
-nous-  eflfiplitd%ngoisse  et 'd'horreur. . . 

i4  JUiLLfET. Au  cours  «de  la*  matinée  gratuite 

où  l'on  donne,  avec4es  'Phéniciennes  ^t  la  Marseil- 
4aisè dàit^^^t  M^^Dodlay,  lQ.'Vraié  Farce* de^tMùttre 
Pat'helin,  d'Edouard  Fourmer,' M°«  Thérèse  Molb 
joue  pour  la  première  fois,  aux  côtés  de?  M/TrîifSer, 
toujours' plein  de  verve  eriPathelin,- le  rôle  déGuil- 
4enïettej  où  elle  montre  une  foiâ  de  plus  cette  force 
kie  comique,  cette  largeur  et  Cfett«  sûreté  de  jeu  si 
fort-appréciées  dans  la^Maisori  de;  M^ère. 

i8  JWLLRT.  —  C'est  devant  une  Salle  comble,  et 
avec'une  recette*  exceptionnellement  belle  en  dépit 
*de  la  chaleur,  que  se  donnait  la  'cinquantième 
représentation  û\x  DueL  Et  au  succès  de  l'émou- 
vante et  éloquente  pièce  de  M.  Henri  Lavedan,  il 
fallait  joindre  cdur  du  quatuor  admirable  d'artis- 
"les,  qui*  la  jouaient  avec  la  même  foi,  Ja  même 
ardeur  qu'au  premier  jour  :*  MM.  Lef  'Bargy  et  Ra- 
•phbèt'Diïflos,  M"«  Bartet,  M;  Paul  Mounet,'ebaleu- 
Hreusement- applaudis,  eux  aussi,  pour  la  cinquan- 
'tièmefois,  et  rappelés-après  chaque  acte» 

21  JUILLET. — ^Réapparition  de  /Sans  /««',  cet  acte 
m  bref^  et  «F'plein,  où  •  M.  Marcel  Girette  avait 
affirmé  un  remarquable  talent  de  dramaturge^  de 
^psychologue  et  d'écrivain.  M"«  Marie  Leconte,  fort 
iutelligemmeiit  secondée  par  M.  <îarry,  •  en- était 
l'exquise  interprète*^. 

1.  -T  On.pUçait  provisoirement,  dans  le  petit  salon  attenant  au  foyer 
des  artistes,  un  buste  de  Maria  Legault,  offert  par  son  fllp.  C  était  le  dé- 


C€)MEDIB-FRA*NÇA»SE  5.) 

23  JPTLLET.  — :-M™^  Segond-Weber,  MM.  Paul 
'McFcmet  et' Albert  Laftibert  filsymterprétanl  iSern^'- 
ramis,  trag-édie  en  quatre^- -acte  •  de  M.  Péladan, 
prêtaient  leur  eoTicourPS  à  l'inauguration  du  Théâ- 
tre antique  <le  la  I*a4ure  installera  '  Champig»ny-la- 
^Bataille  pai^  M.  Albert  Darmont.  L&  personnage  de 
•Sémiramis  valait  fr^M™*  Segond-Weber-wn  magni- 
fique succès  de  beauté  et  de  taleïit. 

»!î7' JUILLET.  -^Ghez  l'Avocat  accompagnait  les 
-/^w/cfV?/i/?es..La  jolie  comédie ^de 'Ml  Paul  Ferrier 
iie'date'pas  d%ier/Elle''futkie  le  ii  ^juillet  t-SyS 
-an -Comité  de  lecture;  reçue  à  l'unawimîté  et-avoc 
les  compliments  du  Comité,  elle  était  mise'Ktès  le 
lendemain  (en 'né pétition,  et  dix  jours  après  les  jour- 
naux ea  annonçaient  la  prefîaière  rrepRéseatation  et 
en  constataient   le  succès.   Les   deux  principaux 


sir  de  la  regrettée  comédienne  que  ce  buste  .âguràt  dans  la  belle  collec- 
tion du  Théâtre-Français.  Avec  l'assentiment  du  Comité,  M.  Jules  Gla- 
eetie  a  accepté  le  don«  et-  L'image  évoquera^  au  milieu  des. artistes  de  la 
maison,  le  souvenir  mélancolique  de  la  comédienne.  On  se  rappelle  son 
premier  prix  de  comédie  (à  quinze  ans)  ;  M^e  Maria  Legault  avait  préféré 
le  G^'annase  à  la.  Maison. da Molière.. On  L'attendait,  on  la  rôjclamait  au 
Théâtre-Français,  et  l'administration  fut  un  instant  en  difficultés  avec  la 
rgmcieuse  transfuge.  Quand,  après  avoir  brillé rauGymna.4o  et  au  •Vau- 
deville-,'elle  voulut,  rentrer  à  la  Comédie,  en  pleine  possession  d'un  ta- 
lent auquel  tous  rendaient  hommage,  les  circonstances  ne  se  trouvèrent 
plus  pour  elle  aussi  favorables;  Aussi,,  malgré'  de'  vifs:auccèe  dans  le 
répertoire  et  quelques  créations  fort  intéressantes,  se  découragea-t-elle, 
-T^  trop  (Vite.- au  Tester  *BHe '.partit;  Mais,  tout  en  se  faisaBt;^[)ph)udir 
ailleurs,  en  créant,  au  milieu  de  la  sympathie  générale,- la  délicieuse  çt 
précieuse  Koxane  de  Cyrano  de  Bergerac,  la  Marie-Louise  de  TAî^^on, 
elle  restait  attachée,  par  des  liens  d'affection,  à  cette  Gomédie-Françaigo 
dont  un  destin  contraire  l'avait  éloignée.  El  il  est  touchant  de  penser 
que  ce  legs  de  son  buste  à  là  A^ison  de  Molière  —  le  statuaire  d'Kpinay 
avait  exécuté  ce  buste  pendant  qu'elle  y  était  pensionnaire  — '  était, 
sans  doute,  dans  la  pensée  de  la  charmante  artiste,  comme  unei façon  de 
•rentrer  définitivement  cette  fois,  —  et  d'appartenirponr  toujours  à- cett-e 
maison  où  on  appréciait  non  talent  et  sa  grâce,  où  on  l'aimait,  où  on  la 
regrettait  et  où  sa  carrière  eût  dû  se  faire  tout  entière. .. 


56  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

rôles  de  la  pièce  étaient  tenus  par  Coquelin  aîné  et 
M™®  Sarah  Bernhardt.  Ils  y  furent  pleins  de  verve 
et  d'humour,  au  témoignage  de  la  critique.  Le  rôle 
de  l'avocat  était  joué  par  M.  Joliet  —  qui  repa- 
raissait dans  la  silhouette  si  plaisamment  esquissée 
par  lui  il  y  a  trente-deux  ans.  Le  rôle  des  époux 
Hector  est  tenu  cette  fois  par  M.  Brunot  et 
M"^  Francine  Clary. 

28  JUILLET.  —  M"®  Bartet  est  nommée  par  dé- 
cret du  Président  de  la  République,  sur  la  propo- 
sition du  Ministre  de  l'Instruction  publique  et  des 
Beaux-Arts,  au  grade  de  chevalier  de  la  Légion 
d'honneur. 

5  AOUT.  —  M.  Delaunay  joue  ce  soir  pour  la 
première  fois,  dans  Y  Ecole  des  Femmes^  ^  le  rôle  de 
Chrysalde. 

7  AOUT.  —  M.  Croué  aborde  le  rôle  de  Figaro  du 
Barbier  de  Séville^  où  il  se  montre  plein  de  verve 
et  de  gaieté.  M.  André  Brunot  est  un  excellent 
Léveillé. 

9  AOUT.  —  Dans  les  Femmes  savantes^  M.  Des- 
sonnes  interprète  pour  la  première  fois  le  rôle  de 
Clitandre,  où  il  montre  de  la  chaleur  et  de  l'émo- 
tion. M.  Croué  est  un  très  plaisant  Vadius. 

26  AOUT.  —  M'*®  Yvonne  Garrick  abordait  dans 
Y  Aventurière  le  rôle  de  Célie,  où  son  aimable  talent 


1.  —  Voici  quelle  était  d'ailleurs  l'exacte  distribution  de  la  comédie  de 
Molière  ; 

Arnolphe,  M  Laugier.  —  Horace,  M.  Dehelly.  —  Chrysalde,  M.  £)<?- 
launay.  —  Le  notaire,  M.  Joliet.  —  Ilenrique,  M.  Falconnier.  —  Oronte, 
M.  Ravet.  —  Alain,  M.  Croué.  —  Agnès,  MU»  Garrick.  —  Georgette, 
M"«  Dussane. 


COMÉDIE-FRANÇAISE  67 

trouvait  brillamment  son  emploi.  M.  Grandval  in- 
carnait avec  succès   le  personnage  d'Horace,  jus- 
-qu'ici  confié  à  M.  Dehelly. 

28  AOUT.  —  M.  Grandval  joue  pour  la  première 
fois,  dans  Denise^  le  rôle  de  Fernand  de  Thauzette. 
4   SEPTEMBRE.    —    Reprise    de    Blanchette,    de 
M.  Brieux*. 

1 1  SEPTEMBRE.  —  A  Toccasiou  du  congrès  pour 
TExlension  et  la  Culture  de  la  langue  française,  la 
Comédie  donnait,  à  Liège,  une  représentation  du 
Fils  de  Giboyer.  Remarquablement  interprétée 
par  M™^s  Cécile  Sorel,  Piérat,  Persoons,  et  MM.  Bail- 
lel,  Truffier,  Paul  Mounet,  Laugier,  Joliet  et  Des- 
sonnes, la  pièce  d'Emile  Augier  soulevait  de  cha- 
leureux applaudissements.  Le  troisième  acte  des 
Femmes  savantes^  qui  figurait  également  au  pro- 
gramme, n'était  pas  moins  applaudi  :  M.  Laugier 
jouait  Chrysale;  M.  Dessonnrîs,  Clitandre;  M.  Joliet, 
Vadius  ;  M"^^  Persoons  interprétait  Philaminte  ; 
M"«  Piérat  jouait  Armande,  et  M**^  Berge,  Henriette. 
C'était  la  première  fois  que  M^'«  Berge,  nouvelle- 
ment engagée,  jouait  avec  ses  camarades,  dont  elle 
partageait^  d'ailleurs,  le  succès. 

17  SEPTEMBRE.  —  Le  spcctaclc  de  la  première 
matinée  se  compose  du  C/rf,  où  M"^  Maille  prend 
possession  du  rôle  de  FInfante,  et  du  Mercure 
galant j  l'un  des  triomphes  de  M.  Coquelin  cadet. 


1.  Distribution.  —  Rousset,  M.  de  Féraudy.  —  Auguste  Morillon, 
M.  Jacques  Fenoux.  —  Georges  Galoux,  M.  Charles  Esquier.  —  Le 
cantonnier,  M.  Ra-ûet.  — M.  Galoux,  M.  Garry.  —  Morillon,  M.  Sihlot. 
—  Le  voilurier,  M.  Laty.  —  Le  facteur,  M.  Roussel.  —  M»*  Rousset, 
M"«  Thérèse  Kolb.  —  Elise  Rousset,  Ml'e  Piérat.  —  Lucie  Galoux, 
MHe  Yvonne  Oarrick.  —  M«no  Jules,  MU»  Lherjay. 


^8  LES    ANNALES  BU   THEAIHE 

-^  Le  soir,  on  donne  le  Légataire  universel,' pour 
la  continuation  fies  débuts  de  M^'^  Dussane  'et  de 
M.  André  Brunot,  tout  à  fait  remarquable  dans  le 
rôl«  de  Grispin,  qu'il  joue  avec  une  «verve, ^^ne 
gaieté  et  une  fantaisie  éclatantes.^'M.  Siblot^inter- 
prète  pour  la  première  fois  le  rôle  de  Géronte,  où 
il  se  montre  excellent. 

^8  sEPTEftrBRE.  —  Le  FiU  naturel  ''d'Alexstndve 
Dumas  fîls  *  reparaît  sur  l'affiche  de  la  Cr)Tnédie, 
où  il  est  eritré  le  2  décembre  1S78,  vingt  ans  après 
avoir  été  joué  pour  lapreniière  fois  au  Gymnase. 

4  OCTOBRE.  —  La  représentation  de  liiiy  Blas 
donnait  lieu  à  un  incident  regrettable.'  M.  Garry, 
affiché  pour  jouer  Do lï  Guritan,  ne  se  préseutîtit 
pas  au  théâtre  :  le  rôle  était  tenu  pai*  M.  Laugier. 
Vue  lettre  de  l'administrateur  général,  adressée  le 
lendemain  à  M.  Garry,  faisait  savoir  au  jeune  co- 
médien, convaincu  de  «  refus  de  service  »,  qu'il 
né  faisait  plus  partie  de  la  Comédie-Française. 

II  OCTOBRE.  —  C'était  la  première  fois  que 
M*'^  Bartet  reparaissait  devant  le  public  depuis  sa 
nomination  au  grade  de  chevalier  de  la  Légion 
d'honneur.  Une .  foule  d'admirateurs  et  d'amis 
s'étaient  rendus  au  théâtre,  .et^  quand  le  rideau  se 
levait  sur  la  Nuit  d'octobre  et  que' M'*®  Bartet 
s'avançait  en  scène,  une  ovation  grandiose  lui  était 
faite.  A  la  fin  de  la  Nuit  d'octobre,  l'ovation  rè- 


1.  Distribution.  —  Aristide  Fressard,  M.  Coquelin  cadet.  —  Lo  mar- 
quis d'Orgebac,  M.  Pierre  Lau-gier.  —  Charles  Sternay,  M.  Raphacl 
Duflos.  —  Lucien,  M.  Dehelly.  —  Le  docteur,  M.  Joliet.  —  Jacques, 
M.  Dessonnes.  —  Henriette  8ternay,  MUe  Renée  du,'  Minil.  —  Clara 
Vignot,  Mme  S.  Weber.  — r  La  marquise,  M"»e  Amel.  —  Hermiua. 
M'^p  Yvonne  Ga?Tick.  —  M^c  Gervais,  Mil«  Lherbay. 


COMÉDIE-FRANÇA'ISE  5^ 

commençfiiit,  interminable.  Et' M*'^' Bartet,  après 
avoir  salué,  se  préparait  à  regagner  sa  loge,  que 
*des acclamations  s'entendaient  encore  dans  la  salle. 
»En  'soilant  ide'  scène,  une  surprise  lattendait^ 
L»«ira«iiBtr8rteur!général  se  trouvait  sur  le  théâtre; 
il  Ja  .conduisait -ao  foyer  ^es  artistes,  où  tous  les 
BGsciéliatres,  ■  tous,  les  pensionnaires  de  la  nraison 
iFattondatent,  mèiés  au  personnel.-  Des  bravos  sa- 
illaient l'entrée  de  la  doyenne,  à  qu?  M.- Jules  Cla— 
-nelie,  dans  une  improvisation  charmante,  remet— 
4ait,  au  nam.de'  ses  camarades,  une  délicieuse- 
croix  en.'diaiii3(nts  avec  lanneau  en  émeraude  et 
une- garniture  >de  rubis  en  forme /de  "ruban.  iEn 
offrant  ce  soavenir  à  M"®  Bartet,'  M.'Jules  Claretie 
irappelait  Jajoie^de  la  Comédie  à<la  nouvelle 'de  la 
distinction  accordée  à  la'grandef  artiste,  à  laçsocié- 
^ire  modèle,  et  il  terminait  en  l'embrassant  au 
«ora  de  tous.  M"^  Bartet^très  émue,  disait  com- 
bien elle  était  touchée  :  «  J'avais  toujours  cru- que 
le  plus  grand  bonheur,  quand  on  appartient  à  cette 
unaison,  c'était  de  se  dévouer  pour  elle  ;  on  a  voulu 
ajouter  encore,  pour  moi,  à  cette  joie.  Je -suis 
profondément  heureuse..;  profondément  heureuse 
aussi  de  votre  affection  :  vous  êtes,  ma  famille  !  » 
Gette  manifestation  touchante  avait,  comme  bien 
on  pense^  aHongé  considérablement  Tentr'acte  ; 
mais  le  public  qui  se  doutait  qu'au  foyer  des  artistes^ 
-on  fêtait  M"^JBiar:tet,  îcomme  elle  avait  été  fêlée  sur 
le  théâtre,  le  public  ne  s'impatientait  pas.  Au  lever 
du*  rideau,  une  longue  salve  d'applaudissements. 
mêlés  de  vivats  à  nouveau  saluait  M*'*'  Bartet,  et 
pendant  les  trois  actes  du  Jeu  de  l'amour  et  dit 


6o'  LES    ANNALES    DU    THEATRE 

hasard  des  bravos  enthousiastes  retentissaient  à 
l'adresse  de  l'admirable  actrice. 

i6  OCTOBRE.  —  Première  représentation  de  Don 
Quichotte^  drame  héroïque  en  a  ers,  en  trois  parties 
€t  huit  tableaux  ^  —  Depuis  trop  longtemps  éloi- 
gné du  théâtre,  M.  Jean  Richepin  faisait  une 
rentrée  qui  était  la  joie  des  lettrés  et  que  saluaient 
les  applaudissements  de  tous  les  admirateurs  du 
grand  poète.  Mettre  en  scène  le  héros  de  Cervantes 
^tait  une  tâche  difficile  où  ont  échoué  les  plus  ha- 
biles. Il  faut  savoir  gré  au  fier  et  vigoureux  artiste 
qu'est  M.  Jean  Richepin  du  respect  qu'il  a  gardé 
vis-à-vis  du  livre  fameux,  et  du  tact  avec  lequel  il 
y  a  touché.  Mais  les  aventures  personnelles  de  Don 
Quichotte  ne  pouvaient  à  elles  seules  fournir  un 
drame,  étant  trop  simples  et  trop  monotones. 
M.  Richepin  a  donc  imaginé,  avec  quelques-uns 
<les  personnages  du  roman  de  Cervantes,  une  co- 
médie espagnole  à  la  Lope  de  Véga,  -à  laquelle  se 
trouvent  activement  mêlés  Don  Quichotte  et  Sancho. 
L'intrigue  est  celle-ci  :  Dorothéa,  la  nièce  de  Don 


1.  Distribution.  — Don  Quichotte,  M.  Le/oir.  — Ginès  de  Passamonte, 
M.  Georges  Berr.  —  Don  Fernand,  M.  Dehelly.  —  Don  Luis,  duc  d'Os- 
suna,  M.  Louis  Delaunay.  —  Le  curé,  M.  Joliet.  —  Martinez,  M.  Fal- 
connier.  —  Le  majordome,  M.  Hamel.  —  Samson  Carrasco,  le  bachelier. 
M.  Jacques  F'enoux.  —  Pépé,  M.  Charles  Esquier,  —  L'archer,  AL  ^'*' 
vet.  —  Palomèque,  M.  Croué.  —  Cardenio,  M.  Dessonnes.  —  MaîtriS 
Nicolas,  le  barbier,  M.  Siblot.  —  Sancho  Pança,  M.  André  Brunot.  — 
Un  galérien,  M.  Grandval.  —  Un  voisin,  M.  Gaudy.  —  Un  voisin, 
M.  Laty.  —  Un  voisin,  M.  Roussel.  —  Un  galérien,  M.  Mendaille.  — 
Dorothéa,  Mii«  Leconte.  —  Thérèse  Pança,  Mme  Thérèse  Kolb.  —  Léo- 
narda,  M"»  Amel.  —  Dulcinée,  Aldonza  Lorenzo,  MUe  Rachel  Boyer.^ 
Maritorne,  MH»  Lynnès.  —  Juana,  MUc  Dussane.  —  Doua  Maria, 
Mlle  Mits y- Datti.  —  Miguelotto,  U^lfi  Fay lis.  —  Vhq  voisine,  M"»  Lherbay. 

Le  rôle  de  Dorothéa  sera  repris,  à  la  lin  du  mois  de  novembre,  par 
Mlle  Yvonne  Garrick. 


COMÉ  DI E-FRANÇAISE  6  f 

Quichotte,  aimée  du  jeune  Cardenio,  a  été  remar- 
quée par  le  seigneur  Don  Fernand.  Pendant  que 
Don  Quichotte  s^en  va  conquérir  la  fameuse  Dul- 
cinée, Don  Fernand,  à  1  aide  d*un  fiefiFé  coquin, 
Ginès  de  Passamonte,  enlève  nuitamment  Dorothéa. 
II  ne  faut  rien  moins  que  l'intervention  de  Don 
Luis  d'Ossuna  pour  arracher  la  jeune  fille  à  son 
ravisseur  'et  la  rendre  à  son  amoureux.  Dorothéa 
revient  chez  son  oncle  au  moment  où  il  va  mourir 
épuisé  de  fatigue  et  déçu  de  ses  illusions.  La  pièce 
abondait  en  effets  sûrs.  Après  la  curieuse  appari- 
tion de  Don  Quichotte  absorbé  par  la  lecture  de  ses 
livres  de  chevalerie  —  cette  vision  était  à  elle  seule 
un  véritable  tableau  de  maître  —  après  le  départ 
du  Chevalier  et  de  son  écuyer,  si  ingénieusement 
silhouettés  en  ombres  chinoises  par  un  radieux 
clair  de  lune,  voici  —  le  geste  est  classique  —  Don 
Quichotte  allant  combattre  les  moulins  à  vent; 
triste  expédition  doù  il  revient  fâcheusement 
éclopé.  C'est  ensuite  l'arrivée  dans  l'hôtellerie  qu'il 
prend  pour  un  château  féodal,  et  la  Maritorne, 
cette  vulgaire  porchère,  qu'il  vénère  comme  une 
princesse.  En  de  superbes  vers,  solides  et  sonores, 
M.  Jean  Richepin  a  magistralement  traité  le  célèbre 
épisode  des  galériens  du  roi,  que  va  délivrer  cet 
apôtre  de  bonté.  «  Je  punirai...  »  a  dit  Tarcher 
qui  durement  conduit  la  chaîne  des  forçats.  Et 
Don  Quichotte  de  répondre,  imposant  et  sévère  : 

Qui  donc  a  ce  droit-là  :  punir? 
Quel  être,  se  plaçant  au-dessus  d*un  autre  être, 
Peut  oser  devant  soi  le  faire  comparaître  ? 
Quel  pécheur  est  armé  d'un  privilège  tel  ? 


©2  L!:S    ANNALE&   DU.  THÉÂTRE 

Du  fond  de. quel. paiais  ?  Du  haut  de  quel:auiel  ? 
Quel  cœur  est  assez  pur  pour  qu'oie  l*en  investisse  ? 
Quer Juste  est  assez  Dieu  pour  rendreia  Jùsiice  ? 

Et^  lyriquemerit:,  parlant  à  son  épée  : 

Toi  par  qui,  face  à  face  avec  Dieu,  j'ai  juré, 
Envers  et  contre  tous,  fer,  je  te  brandirai. 
Mon  serment  nousoblige'à  ne -pouvoir  san»  crime 
Laisser  sans  déienseur  des.  pauvres  qu'on  opprinre;  • 
Et, quoi  q usaient  fail.ces,geas  que  )e  vois  maliieureux,. 
Puisqu'ils  sont  opprimés,  viens  no.us  battre  pour  eux'l 

Puis;  lors^que- levs  ingrats  lapidbnt' celui  qui-vient 
4de  les  délivrer  :  «  Qu'importe,  leur  crie-t-il  : 

O  malheureux-,  ô  racaille  stupide, 

Dussiezr-Tou&vEneîtuer,  abominables  fous, 
Je  ne  regratte  pas  ce  que  j'ai  fait  pour  vous. 

Htrriez'l  Frappez  1  Soyez  infâmes  ! 

Je  vous  ai  dit  des- mots  sonnant  l'éveil  des  âmes  ; 
Et'jemourrafi  joyeuxsous  vos  coups  outrageants 
Pourqufun  seul  d'entre  vous  renaisse,: 

0( pauvres  gen-sl 

La. lecture.. de'ces  quelques  vers  vous  fera  appré^ 
cier -la  .hauteur  de  vues  et  la  noblesse- d'âme  de 
l'ardent  poète.  Et  vous  devinez;.sur,qujellesr  acdai- 
mations  s'était  baissé  le  rideau  à  Tissue  de  celte 
seconde  partie  du.drame  essentiellement  artistique, 
qui, se  terminait «n^pure  beauté.  Nous .^ne . connais* 
sons  rien  au  théâtre  de  plus  g-rand  et  de  plus 
poignant,  en  son  axlmirable  simplicité,  que  la  mort 
<ie  Don  Quichotte,  çuéri  de  son  rêve,  mais  heu- 
reux d'avoir  semé  la  bonne,  graine  en.  Tâme  de 


COMËDIfirf'RANÇALSË  03^ 

son  fidèle  Sancho>.  L'api^tre  n'a-4-il  pas* laissé  à 
sou  disciple  le  soia  der  répandre,  par  le  monde:  ses- 
idées  d'équité  et  de  boaté?...  Une  scène -de  cette- 
paissante  envergure  suffirait  à  la  renommée  •  de 
ÂI-.  Jean.Richepin,  si  .ta»t  d'œuvres  ^-éniales/.ot 
glûrieusest  ne  ravaientdepiais:  lonçtemp«  établie. 
Nous  Gompi;enons  la  hantise- qu'avail  M.  Leloiride 
joueir  Don  Quichotte.;,  il  «était  Don  Quicbottevlui-î 
même,  et  nul  artiste  à. Paris  n'eûl  pu.donwer  «ne: 
physionomie  si  caractéristique  au  chevalier?  de-  la 
Triste  figure.  Maigre,  long,  les  mo-ustaiches.  héris-. 
séesy.  les  joues  cneusées.  par  la  méditaXian  ou-,  la 
folie,  des  :y eux» .  q ui .  sem  blent  to u j  o u rs.  s ui vr«  > u ne 
idéeifujant  dans<  l'espace, :  de  grands  gestes  saGca*^* 
déset  nerveux^quiisentenl.à  la  foisile  noble hidal;iço. 
et  rhalluGÎ^Lét^  des  jambes  droil^es  et  raides.  comme 
des  pijacettes  .:  on^  l'eût. dit-détaché  d  un.  dessin  de 
Gustave  Doré*»  Son.  apparition  fufc  sensationnelle^. 
et  jusqu'àJa' scène^.  finale  qu'il  rendait.avec  unôt 
rare  imattrise, :ilétai't. l'idéal  initerprète  deM..  Jean. 
Richepin^  C'est  JVI.  And'Pé  Brunot.  qui^idans  Sai3-i>^ 
chO'Pança,,  étailî  appelé. à  rhonnear  .de:  donner  la- 
réplique  à  M.  Leloir.,Ce.fut  là  une  bonner  fortune 
pour  le  jeune. .artiste  au  talent  déjè  remarqué^  il 
setiraix.de  sa.ttâcheiVavec  beaucoup  d'intelligeuce 
el  .mettait  à  lairgro&ae>.et.gr.asseM figure  de  l.'écuyeF 
veirtru  .la  rondeur  «et. la.  bonhomie)  qu-il  fallait-;  il 
savait  nous* f émouvoir  au  dernier  acte^quaud,.  .au 
chevet  de  son  maitre  mauxant,  les  larmes  jaillis^ 
saient  de  sesriyeux  au  traverse  de.  son  rire  forcé» 
M.  Brunot  'faisait,  ainsit  une  délicate  création  qui^ 
pensons4-noas,  ..lui  comptera  dans  1'av.enir.  A  côté 


64  LES    ANNALES    DU    THEATRE 

de  ces  deux  types  légendaires,  M.  Jean  Richepin 
avait  introduit  dans  son  affabulation  une  sorte  de 
Scapin  sérieux  qui  touchait  au  premier  rôle. 
M.  Georges  Berr,  dans  Ginès  de  Passamonte,  dé- 
ployait une  verve,  une  fantaisie,  une  autorité  qui, 
jointes  à  son  impeccable  diction^  faisaient  de  cette 
composition  une  pure  merveille.  Il  avait  comme 
adversaire  M.  Jacques  Fenoux   qui,  de  très  belle 

■  allure,  menait  avec  un  chaleureux  entrain  la  cam- 
pagne au  profit  des  amoureux.  La  douce  Dorothéa, 
c'était  M"®  Leconte  à  la  voix  chaude  et  prenante, 
au  charme  enveloppant^  aux  attitudes  juvéniles  et 
poétiques.  Ah  !  la  délicieuse  ingénue  !  Les  rôlet»^ 
étaient  infinis  dans  la  distribution  de  Don  Qui* 
chotte.  Ils  furent  tous  fort  bien  tenus,  comme  cela 
doit  être  à  la  Comédie-Française,  et  sans  pouvoir 
nous  appesantir  sur  chacun  d'eux,  nous  détache- 
rons W^'^  Rachel  Boyer,  si  appétissante  Dulcinée; 
M"«  Lynnès,  Maritorne  si  sincère;  M"»®  Kolb,  la 
robuste  épouse  de  Sancho  Pança  ;  M'^®  Mitzy-Dalti, 

"d'élégante  finesse  en  duchesse  d'Ossuna.  De  belles 
toiles  brossées  avec  art  par  MM.  Jambon,  Amable 
et  Jusseaume  encadraient  dignement  l'œuvre  ma- 
gnifiquement littéraire  de  M.  Jean  Richepin. 

22  OCTOBRE.  —  La  Comé^ic  fêtait,  dans  une 
cérémonie  d'une  grâce  familiale,  le  vingtième  anni- 
versaire de  l'entrée  en  fonction  de  M.  Jules  Cla- 
retie,  son  administrateur  général.  A  l'issue  de  la 
matinée,  les  artistes,  l'administrateur  et  le  person- 
nel s'étaient  réunis  au  grand  foyer  du  public.  De- 
vant la  cheminée  monumentale,  une  table,  chargée 
de  fleurs,  avait  été  préparée  pour  recevoir  les  sou- 


COMÉDIE-FRANÇAISE  65 

venirs  offerts  à  M.  Jules  Claretie  :  par  les  artistes, 
une  belle  édition,  de  i684,  des  œuvres  de  Molière, 
et  par  le  personnel,  une^  superbe  réduction  en 
bronze,  sur  socle  de  marbre,  de  la  Pensée  de 
Chapu.  A  cinq  heures,  quand  M.  Jules  Claretie 
entre  dans  le  foyer,  de  vifs  applaudissements  re- 
tentissent. Amusant  discours  de  M.  Coquelin  ca- 
det, vice-doyen,..  Sonnet  composé  pour  la  circons- 
tance par  M.  Silvain...  M.  Jules  Claretie  parle  à 
son  tour  et  trouve  des  paroles  qui  vont  au  cœur 
de  tous.  Il  rappelle  les  diverses  phases  de  son 
administration  y  la  prospérité  de  la  Maison  - — 
prospérité  qui,  constatons-le  ici,  ne  fut  à  une  au- 
cune époque  aussi  éclatante  qu'aujourd'hui,  —  il 
en  reporte  tout  l'honneur  au  talent,  au  dévoue- 
ment de  tous,  sociétaires  et  pensionnaires,  et  à 
l'heureuse  solidarité,  faite  d'union,  de  concorde  et 
*  du  perpétuel  effort  vers  le  mieux  qui  est  une  des 
plus  belles  traditions  de  la  Maison.  Dit  avec  beau- 
coup d'émotion  et  infiniment  d'esprit,  ce  petit  dis- 
cours est  salué  de  véritables  acclamations. 

26  OCTOBRE.  —  Matinée  donnée  au  bénéfice  de 
l'Association  *des  artistes  dramatiques.  Dans  les 
fables  de  La  Fontaine,  qui  étaient  surtout  le  grand 
régal  artistique  de  cette  séance  exceptionnelle; 
dans  les  poésies  de  Victor  Hugo,  d'Alfred  de 
Musset,  de  Leconte  de  Lisle,  de  José-Maria  de 
Heredia,  on  applaudissait,  entre  autres  merveil- 
leux interprètes.  M"®  Bartet,  qui  disait  un  morceau 
«xquis  d'Alfred  de  Musset,  et  M.  Coquelin  cadet, 
qui  excitait  des  fous  rires  dans  toute  la  salle  avec 

àNNALBS  DU  TBBATBB  5 


W  LES    ANNALES    DU    THEATRE 

y 

<<  une  fable  de  La  F'ontaine  dil«  par  un  étranger  »• 
Ddins  VJdylhy  d'Alfred  de  Musset,  lés  travesti» 
j^^  de  M"«*  Piérat  et  Madeleine  Roch  obtenaient 
un  plein  succès.  Le.  cinquième  acte  de  la  Vîe  de 
Bohème  terminait  le  spectacle-.  M"«  Cécile  Sorei, 
qui  jouait  pour  la  circonstance  le  rôle  de  Musette, 
se  montrait  exquise  de  gaieté  attendrie;  M"®  Marie 
Leconte  était  toujours  la  Mimi  de  ses  débuts,  sou*^ 
riante  dans  la  vie  comme  dans  la  mort  de  la  tendre 
héroïne  de  Murger.  M^*«  Mitzy-Dalti  personnifiait 
avec  beaucoup  d'autorité  le  personnage  deM^^  de 
Rouvres.  Et  pour  oondurej  la  recette  dépassait 
8.000  francs.  Une  jolie  .aubaine  pour  la  caisse  de 
TAssociation  des  artistes  dramatiques.  Le  soir,  on 
donnait,  devant  une  fort  belle  salle^  le  Monde  où 
Von  s'ennuie^, 

9.  DÉCEMBRE^  —  La  Comédic  inauguTait  ses  ma- 
tinées classiques  du  jeudi  par:  un  spectacle  du 
r-pertoire  :  Andromaque  de  Racine^  avec  M'*®  Bar- 
tôt  dans  Andromaque  et  M.  Mou  net-Sully-  dana 
Oreste,  et  les  Folies  Amoureuses  àe  l^e^nKitàj 
avec    M^'^    Marie    Leconte,    Agathe    tout    à   fait 


1.  —  Pour  mesJircr  lo  succès  d'un  ouvrage  de  théfttre,  il  n'est  encore! 
quv?  les  chiffres.  Adopté  par  toutes  les  scènes  de  France  et  de  l'étranger^ 
trérduHdans  toutes  les  langues,  le  Monde  où  i'on^s ennuie  a  rapporté  à 
la  iteur/in  million.  La  première  représentation  est  du  J85  avril  1881.  La 
pi  ce  est,  d.'puis,  demeurée  constamment  au  répertoire- de  la  Comédie- 
Française^  et  elle  a  atteint  la  six-cenMéme,  alorsr  que.- pour' prendve 
c^mme  points  de  comparaison  les  œuvres  les  plus  favorisées  du  mème> 
réïiertoire,  Hernani  a  mis  soixante-quinze  ans  à  parvenir  à  peu-  prés  au 
même  chiffre,  le  <jendre  de  M.  Poirier ^  en  quarante  et  un  aas,  n'a  qu'A 
p  ine  dépassé  la  cinq-contième,  Il  ne  faut  Jurer  de  rien,  qui  est  de 
18>i8,-  n'avait  que  quatre  cent  trente-sept  représentations  *  la  fin  de  1901» 
Adrienne  Lecouvreur  (1819)  n'en  avait  à  la  même  date  que  trois  cent 
quarante  et  une,  et  le  Demi  Monde,  qui^stla  pièce  la  plus  jouée  d* 
Dumas  iils,  rue  Richelieu,  deux  cent  soixante-dix... 


COMÉDIE-FRANÇAISE  67 

clia=pmaii4e^  et  M**'^  Dussane,  abordant  le  rôle  de 
Lisette.' 

16  NovBMBRB* — -Dafts- le-  Duel^  M"^  Piérat  joue 
pour  la  première  fois»  le  rôle  de  la  duchesse  de 
Gharllesy.  créé  pat  M*^  Bariet.  Comédieniie  très 
sâre  d'elle^méafeey  elle  sait  y  accuser:  sa  jeuoe  et 
in1érBssani«(  pensoaoalité,-  s  y  montreu  à\  la  fois, 
leiidre,  émue,  chaste  et  sincèrement  aiaaoureuse. 
Sou  succès  est  très  vif  à. côté  de  ses  trois  excel- 
leaisi  caoïâradesy  toujours  justement  applaudis. 

29  NôvcMBRB.  —  M;  Fenoux  jou«  pour  la  pre- 
mière fois  le  rôle  de  Rôy  Blas,,  où  ses -dons  de 
chaleur,  dé  fougue  et  d'émotion,  son  jeu  tour  à 
tour  pa«»ionné,  vibrant  et  d'une  ardente  méfan-^- 

colie*  romantique  soulèvent  de  m«érités  bravos. 

Dans  la'  même  représentation,  le  rôle  de  CasiWa 
est,  par  suite  d'une  indisposition  de  M'*«  Géniat, 
lena»  au  pied  levé,  de  façon  charmante,  par 
M»*^"Ga'rrick. 

i®*"  DÉCEMBRE.  —  Dàus  Ic  FUs  de  Giboyer] 
M^^«  Géniat  aborde  le  rôle  de  Fernande,  créé  par 
M™«  Favart  et  repris  depuis  par  M'"^  Barretta  et 
W¥  PiéFat.  Très  simple-,  de  moyens  et  parfaite  de 
tenue,.  M"^  Géniat  a  su  donner  au  personnage  une 
fort  *  touchante  physionomie.  On  Ta  chaléupeuse- 
ment.  applaudie  et  rappelée  avec  les  excellents,  in- 
terprètes de  la  célèbre  pièce  d'^Emile  Augier. 

2  D£€£Afii&B. M..  Jacques  Fenoux  remplace, 

dans,  le'   docteur   Môrey   du    Duel,   M.    Raphaël 
ftiflds,  malade,    et  joue   le   rôle   avec   beaucoup- 
d'autorité. 


68  LBS  ANNALES  DU  THEATRE 

5  DECEMBRE.  —  La  Coinédie  inaugure  ses  soirées 
d'abonnement  par  le  Don  Quichotte  de  M.  Jean 
Richepin,  donné  deux  dimanches  de  suite  en  ma-' 
tinée  devant  des  salles  combles. 

17  DÉCEMBRE.  —  C^est  par  un  spectacle  composé 
de  V Avare  et  du  Malade  imaginaire^  suivi  de  la 
Cérémonie,  que  commence  la  série  du  nouvel  abon- 
nement du  répertoire  classique  du  dimanche  *. 

18  DÉCEMBRE.  —  Première  représentation  du 
/?e'y^//,  pièce  en  trois  actes,  en  prose^  de  M.  Paul 
Hervieu  2.  —  M"**^  Thérèse  de  Mégée  est  une  ado- 
rable femme  de  quarante  ans,  ou  guère  moins,  à  la 
veille  de  marier  sa  fille  unique.  Rose,  à  un  jeune 
homme  qu'elle  aime  et  dont  elle  est  sincèrement 
aimée.  Les  fiançailles  ne  vont  pourtant  pas  sans 
quelques  difficultés  :  les  sévères  parents  du  futur 
soupçonnent  quelque  intrigue  entre  M"™^  de  Mégée 
et  le  jeune  prince  Jean  de  Sylvanie.  Demeuré  à 
Paris  pendant  que,  chassé  par  ses  sujets,  son  père, 
le  prince  Grégoire,  tente  de  reconquérir  le  trône 
dont  il  a  été  dépossédé,  Jean  a  retrouvé  en  M.  de 


1.  —  L'empre«sement  du  public  aux  matinées  <lu  jeudi  forçait  l'admi- 
nistration, qui  n'avait  pu  satisfaire  à  toutes  les  demandes,  à  créer, 
en  mm*»  ciTtnpenyation,  une  nouvelle  série  d'abonnement.  La  Comédie 
LT):njgiirFiit  »l!.»nie  une  série  de  «  Dimanches  classiques»,  soirées  de  quin- 
js^ine  i]ur.  ttn  Jiimii  de  décembre  au  mois  de  mai,  devaient  offrir  aux 
ulioïiné^  Annzv  représentations  de  choix,  composées  de  pièces  du  réper- 
joiro  chiitÉ.iû.':  parmi  les  plus  célèbres,  et  pour  lesquelles  les  prix  étaient 
ceitx  un  hnroai].  fians  frais  de  location. 

2,  DisTttini  TioN,  —  Prince  Hrégoire,  M.  Mounet-Sully. —  Prince  Jean, 
^1.  £,1?  liurfjy.  —  Piméon  Keff,  M.  Paul  Mounet.  —  Farmont,  M.  Louis 
JltilaHnafu  —  Fiâûul  de  Mégée,  M.  Henri  Mayer.  —  Un  domestique, 
^f.  Lfthj.  —  Tliér^se  de  .Vfégée,  M"»  Bartet.  —  Comtesse  de  Mégée, 
M»c  PiersDtt  —  M"»*  de  Farmont,  M«e  Persoons.  —  Rose  de  Mégéè, 
M"«  BerffP  (dèhiil)  —  Une  fe  nme  de  chambre,  M'i»  Faylis,  —  Maria, 
Mil*  Lherbatj, 


J 


GOMÉDIE-FRANÇAISB  69 

Mégée,  un  camarade  d'autrefois^  il  a  fait  —  c'est 
dans  l'ordre  —  la  cour  à  sa  femme  et  pense  bientôt 
vaincre  ses  derniers  scrupules  et  obtenir  d'elle  le 
rendez-vous  tant  de  fois  sollicité.  Les  événements 
le  servent.  Voici,  surgissant  inopinément  à  Paris, 
le  prince  Grégoire  :  un  soulèvement  se  prépare  en 
Syîvanie;  à  la  demande  de  ses  partisans,  il  vient 
d'abdiquer,  lui,  le  prince  Rouge,  en  faveur  de  son 
fils,  dont  le  nom  est  déjà  populaire;  on  n'attend 
plus  que  son  arrivée.  Mais  Jean  refuse  de  partir.  Le 
prince  Grégoire  croit  savoir  la  cause  de  cet  incon- 
cevable refus  et  laisse  à  Jean  vingt-quatre  heures 
pour  réfléchir.  Thérèse  de  Mégée  connaît  le  terrible 
ultimatum,  elle  ne  veut  pas  qu'il  s'en  aille  courir 
les  sanglantes  aventures,  et  pour  qu'il  ne  parte  pas, 
elle  consent  enfin  à  se  donner  à  lui,  à  accepter  le 
rendez-vous  qu'il  attend  d'elle.  Le  malheur  est  que 
le  prince  Jean  ait  choisi,  pour  recevoir  Thérèse,  la 
maison  de  Passy  isolée,  à  la  lisière  du  bois  où, 
quand  il  est  à  Paris,  le  prince  Grégoire  a  coutume 
de  convoquer  ses  émissaires.  Le  voilà  donc  en  ce 
rez-de-chaussée,  tout  parfumé  de  roses,  s'entrete- 
nant  avec  son  fidèle  Siméon  KefF  et  combinant  avec 
le  farouche  conjuré^  le  guet-apens  qui  débarras- 
sera le  prince  Jean  de  ses  intempestives  amours  et 
le  rendra  à  «  la  cause  »,  au  moment  où  pour  agir, 
on  n'attend  plus  que  lui.  Jean  et  Thérèse  auront 
à  peine  eu  le  temps  de  se  dire  qu'ils  s'adorent, 
qu'attiré  par  le  bruit  dans  une  chambre  à  côté,  le 
jeune  prince  sera  immédiatement  garotté  et  bâil- 
lonné. La  porte  fermée  sur  lui,  Keff  annoncera  à 
M"**  de  Mégée  qu'il  a  été  assassiné.  Vous  jugez^dans 


yO  LES .  A»NALKS»-DU  THEATRE 

ifBie\  •Hai^'def'  tercîMe  -  àfif^Iement  4a  'jeune  .feiiïHie 
^«telera/  fmur*  i%to«mier  «chez  »eHe,  la  iwaisan^  du 
crbne.  Elle  S'dst  évanouie 'err'^hemin. 'On  PaTâfmas- 
«é&^^donâ  4e  teis,-  p^Q^rtéer.à^•«on'4k)lBieile  où;- d»Hce- 
mcat  îfccueilire;  UMit  d^atel*d,  par  un  marp  qur  n'a 
-j amwsTTien^  voulu  savoir j'-eiJe  vdit^  sa  Aile  se  jeter 
éams  ses  bras^icmt  en- larmes:  Sen^mariag^e 'est  ten 
'train-desecasser . .. .'  Poaï»»lenaGeoii««i0^rv'-q»aiid 
il  -en-^est  temps  eucorej  itifoudmit- qu'eile^par^t^  au 
grand- 'dtner  où  'assisteronit  ce«oir«ième,  les  «us- 
ières:  parents  jdu^fiaficéi'Et  quoi  l^e  préseMer  da«s 
ieïœwnde^dansFv^tat' moral  et^physique^où  elle  est, 
«naara-t-elle  jumâis  la  force?  Eftle  l'-atrra...  poor 
saillie  :: c'est  le  réveil  !  Et  quaiid  pénét^rant  chez 
r^e  — «-  ainsi  '  qu^'o^n  entrée  dans^  on^  moulin  :'t  n-^msis- 
ions  pas  —  le  prince  J^an  verra  'en  robe  de;- bal 
décôttctée  celle  qu'il  croyait  ^trouver  pleurant- sa 
mort,  ih  comprendra  que  tout  est  ftni.  «  @n  a  jc^é 
du  poison  dans  les  sources  de* notre -amour- »^  a  dit 
Tibérèse,  et  c'est  par  une  muette  pression  de  mains, 
comme^dans^une  chanil>re' 'mortuaire,  q«e  se  disent 
^ieu'ces  deux  êtres  qui  jamais  ne  se  reverpont. 
Jean  n'a  plus,  dès  lors,  qu'à  tomber ^da-ns^ les  bras 
de  Json  père  î  "qui  salue  '  'en  -  lui  «-  son  '  petit  »  roi  '  »  : 
pour'  lui^ufisi,  c'est  le  réveil  !'  Tel^esl  bien  rapide- 
ment; bien  brièvement  racorfté,'  «le  sujet  de  l'^awgois- 
saiitdrame  (j'allais  même  écrire  mélodmime),  qui, 
dans  Toeuvre  de  M.  Paul»  Herrieu,  se  ©tassera 
pai^Hédement  avec  l'Enigme  :  histoire  -«nombre, 
volontairement  dénuée  de  toute  psyoholog'ie  et  dont 
l'effet-sur  le  gros  du  public  peut  être  très- vif. -Une 
de»  ewiiosités  de  cette  pièce  —  assurément  plus 


COMEDtE-FRANÇiUgE  7 1 

ronftfttique  que  réaliste éUii  ^c  nous  montrer 

«Ott^laredia^ole-el  le  chapeau  bau4  àe  forme  notre 
génial  tragédien  Monnet^Sully^-donAant  une  allure 
étonnamment  noble-  et  une  grandeur  absolument 
épî(fae  au  personnage  duprinee  Grégoire.  Leglo- 
rieax  doyen,  qu'on  craignait  tant 'de  voir  dépaysé 
dans  une  œuvre  moderne,  a  eu  littéralement  les 
honneurs  d!une  soirée  au  succès  de  laquelle  a  lar- 
gement Goutribué  une  .interpréiatiour  de  tout  pre- 
mier ordre.  Il  était  impossible  de  rendre  avec  plus 
^intelligence  et  detact  que-ne  Ta' fait  M.  Le  Bar gy 
le'irôle  du- jeune  prince^Jcan,  sentimental  et- rêveur, 
ehaleurcttx  et  '  pastsionné. -'  Que  dire  'de  M**®  Barlet , 
«iacm  qi^'ieHe  fi  été,  une  fois  de  plus,  la  grande 
^tiste  -que  nous  connaissons  :  son  départ  de  la 
^«wàson  maudite  et  son  -  r^our  au  troisième*  acte,  en 
proie  à  une  si  émouvante  détresse,  sont  d'admira- 
bles trouvailles  de  vérité  et  de  simplicité.  Quelle 
bonne  fortune  pour  un  auteur  que»  d'avoir  de  tels 
P>)^ago»kte^!  Et  comment  ne  pas  louer  l'autorité 
de  M.  ;Paùl  Mouaet,  sous  les  traits  du  terrible 
Sîaiéon''^Kieff  ;  fa  grâce  touchante  de  M*»®  Piersoii, 
«ous  c^jox  de  la.  bonne  M™^  de  Mégée,  la  .mère  du 
pauvre-fetre  inoffensîf cquereprésenté,  non  sans  uite 
attendrifi^ante  . mélancolie,  M.  Henry  Mayer. 
M**«  Berge  qui' faisait! ses  débuts,  dans  la  pièce  de 
M.  Hervieu  a  été,  elle  aussi,  fort  applaudie,  eiicoi^ 
^etson  émotion  nou&.ait  paru  quelque  peu  arti- 
*«ieHe. 

2i.DS€GaiaaE«  —  Pour. le  aGô'^^anmversaire  de 
■Racine, .on^donne.ea-matinée'PA<?rfr«  et  les  P/t//- 
^^urs,pté€édisàwBajser  ^de.  Phèdre, ik^piopo»  en 


72  LES   ANNALES    DU    THEATRE 

vers  de  M.  Gabriel  Montoya  *.  —  L'action  se 
déroule  chez  Racine  en  1677,  quelques  mois  après 
la  représentation  à^Iphigéniè.  Racine  est  décidé  à 
ne  plus  écrire  pour  le. théâtre;  il  en  fait  la  confi- 
dence à  Boileau,  qui  essaye,  en  vain,  de  le  détour- 
ner de  ce  projet,  mais  sa  résolution  est  prise  : 

Sachez  donc  qu'il  me  vient  à  moi-même  un  mépris 

Pour  cet  art  qu'autrefois  j'aimais  en  idolâtre 

Et  que  mon  siège  est  fait  de  quitter  le  théâtre. . . 

Boileau  a  beau  insister,  lui  montrer  la  belle  car- 
rière qu'il  peut  encore  remplir.  Racine  demeure 
inflexible.  Mais  l'ombre  de  Phèdre  lui  apparaît  sou- 
dain ;  elle  réclame  de  lui  un  nouveau  chef-d'œuvre 
et  dépose  un  baiser  sur  son  front.  Racine  est 
troublé,  et,  lorsque  Boileau  revient  et  qu'il  l'inter- 
roge : 


1.  Distribution.—  Boileau^  M.  Ifame^  —  Racine,  M.  Fenoux,— 
L'ombre  de  Phèdre,  M»*  Roch. 

L'année  se  terminait  par  une  séance  du  Comité  d'administration, 
réuni  sous  la  présidence  de  M.  Jules  Claretie.  Le  Comité  enregistrait  la 
démission,  renouvelée,  de  Mil*Kalb,  qui,  malade  depuis  plusieurs  mois 
déjà,  avait  exprimé  Tintention  de  se  retirer.  M»*  Kalb,  qui  comptait  plus 
de  vingt  années  de  service  dans  la  maison  de  Molière,  était  retraitée  à 
partir  du  l«r  janvier  1906.  Puis,  on  procédait  séance  tenantp  aux  aug- 
mentations habituelles  de  an  d'année  pour  les  sociétaires  qui  n'ont  pas 
atteint  la  part  entière.  MM.  Georges  Berr,  Pierre  Laurier,  Raphaël 
Duflos,  Dehelly,  et  M»'»  S.  Weber  étaient  augmentés  chacun  d'un  demi- 
douzième;  MM.  Louis  Delaunay  et  Henry  Mayer,  M™"  Renée  Du  Minil, 
Lara,  Marie  Leconte,  Cécile  Sorel,  Thérèse  Kolb  et  Piérat,  chacun  d'un 
douzième. 

Suivait  une  assemblée  générale  des  sociétaires,  —  toujours  sous  la  pré- 
sidence de  M.  Jules  Clarotie  —  où  était  annoncé  l'engagement  de  M^i*  Ber- 
the  Cerny,  une  comédienne  de  talent  que  venaient  de  mettre  en  vue  plu- 
sieurs remarquables  créations  faites  sur  la  scène  du  Vaudeville,  et  la 
prochaine  entrée  dans  la  maison  de  Molière  de  M.  Grand,  qui  se  faisait 
alors  applaudir  au  Théâtre  Antoine.  M.  Numa,  naguère,  aux  Capucines, 
l'heureux  partenaire  de  M»»  Jeanne  Granier  dans  la  Bonne  Intention  de 
M.  Francis  de  Croisset,  entrait  également  au  Thé&tre-Français. 


COMÉDIE-FRANÇAISE  7$ 

Auriez- VOUS  des  remords...  une  telle  stupeur 

Vous  prend  à  me  sentir  près  de  votre  cathèdre. . . 

le  poète  lui  répond  : 

Ami,  je  suis  côapable,  en  effet. , .  j'écris  Phèdre, 

Le  Baiser  de  Phèdre^^  qui  remportait  un  vif 
succès,  était  très  bien  joué  par  MM.  Fenoux,  Ha- 
mel  et  M"«  Madeleine  Roch. 


iA 


LES«.2ltNNAL£S    DU    THEATRE 


• 

.    DATE 

NOMBRE 

-NOMBRE 

-deU 

de 

irc  représ. 

représenl. 

d'actes 

ou  da  la 

.  peodani 

•reprise 

l>a«née 

REPERTOIRE   MODERNE 

'  £Edip^IiQi^:àremïe  ea  vers , 

x^atre  J[eun£S9e,  comédie.. 

Ruy-BlaSj  drame  en  vers 

Le  Paofij  comédie  en  vers 

La  Dernière  Idole,  drame 

Claudie,  pièce 

Trilby,  conte  en  vers 

♦La  Conversion  d'A^c<?s/ê,  comédie  envers 

^Hyacinthe  ou  la   Fille  de  l  apothicaire 

à-propos 

Le  Flibustier,  comédie  en  vers 

L'A  utographej  comédie 

Le  Père  Lebonnard,  comédie  en  vers..". 

Jean-Marie,  drame  en  vers 

Le  Renoncement,  à-propos. 

Les  Affaires  sont  les  Affaires,  pièce 

1807,  comédie .- 

Le  Monde  oii  l'on  s'ennuie,  comédie 

Racine  chez  Arnauld,  pièce 

Mademoiselle  de  la  Seiglière,  comédie.. 

L^  Bonhomme  Jadis,  comédie 

Le  Marquis  de  Priola,  pièce 

On  n'oublie  pas,  pièce 

La  Revanche  d'Iris,  comédie  en  vers  . . . 

Hernani,  drame  en  vers. 

Le  Demi-Monde,  comédie 

La  Joie  fait  peur,  comédie 

La  Nuit  d'Octobre,  scène 

Molière  et  Scaramouche.  comédie  en  vers 

Oringoire,  comédie 

L'Anglais  ou  le  Fou  raisonnable,  corn. . 

Le  Fils  de  Giboyer,  comédie 

L  Etrangère,  comédie 

Denise,  pièce 

Le  Mari  de  la  veuve,  comédie 

Philiberte,  comédie  en  vers 

L'Irrésolu,  comédie 

Le  Petit  Hôtel,  comédie • 

*//  était  une  bergère,  conte  en  vers 

Shyloch  ou  le  Marchand  de  Venise,    co- 
JHtjàie  en  vers 


5 

» 

4 

» 

5 

» 

3 

» 

1 

» 

3  . 

» 

1 

» 

1 

15  janv. 

1 

15  janv. 

3 

» 

1 

19  janv. 

i 

» 

1 

» 

1 

» 

3 

» 

1 

» 

3 

» 

1 

» 

4 

» 

1 

» 

3 

» 

1 

» 

1 

» 

5 

» 

5 

» 

1 

» 

» 

» 

1 

» 

1 

» 

1 

» 

5 

14  mars 

5 

M 

4 

» 

1 

» 

3 

28  mars 

4 

» 

1 

9  avril 

3  a.  5  t. 

7  avril 

3  a.  5  t. 

7  avril 

7 
50 
16 

5 

2 

2 

8 
21 

6 

3 
11 
14 

4 

2 
15 

5 
13 

4 

6 
'  6 

8 

2 

1 

9 
13 

3 

5 

1 

7 

1 
IS 

1 

7 

1  ' 

8 

1 

5 
17 


^iCOHEDlB-ffBA^îÇJ^IfiE 


75 




DATE 

NOMBRB 

NOMBRE 

delà 

de 

IM  représ. 

représenL 

(i'aclea 

ou  de  la 

pendant 

reprise 

l'année 

/RÉPERTOIRE   MODERNE   (SuiU) 

LeCœur  a  ses  nuisons^  comédie..,. 

Le^Gendre  de  Md^ieur  Poirier,  comédie 

L'Etincelle,  comédie 

*L^Duel,  ^tièce 

*Eh'  Vùsile,  comédie 

Bataillé  de  dames,  comédie 

La  Loi  de  l'ftomme,  pièce. 

Horace  et  Lydie,  comédie  en  vers 

Les  Burgraves,  drame 

Au  Printemps,  comédie  en  vers « . 

Il  ne  faut  Jurer  de  rien,  comédie 

La  Vraie  farce  de- Maître  Pathelin,  corn. 

*  Rue  Si-Thomas  du  Louvrej  à-pro;os.  en' 

yers 

h'ktenturière,  comédie  en  vers 

Le^onheur  qui  passe,-  comédie -. . . . 

Laoplus  faible,  comédie 

Lie  Phéniciennes,  drame  «Btii|ua  en  vers 

Sans  lui^  comédie 

Chez  l'Avocat,  comédie  en  vers  libres... 

La  Cigale  chez  les  fourmis,  comédie. . . . 

Blanchette,  comédie 

Les  Romanesques,  comédie  en  vers 

I^  Fils  Naturel,  comédie. 

*Don  QuichoUe,  drame  héroïque  en  vers. . 
*Le  Réveil,  pièce 

Le  Mercure  galant,  comédie  en  vers. . . . 
*Le  Baiser  de  Phèdre,  à-propos  en  vers . . 

RÉPERTOIRE    CLASSIQUE 


L«  Malade  imaginaire,  comédie 

Les  Femmes  savantes,  comédie  en  vers. 
Le  Jeu  de  l'amour  et  du  hasard,  coméd. 

Iphigénie  en  A  ulide,  tragédie 

L'Etourdi,  comédie  en  vers 

Phèdre,  tragédie 

Amphitryon,  comédie  en  vers 

l^'Atare,  comédie 

L«  Lega,  comédie 

Bojazet,  tragédie 


.  1 

» 

i 

.   M 

1 

» 

3 

•17-avril 

1 

27  avril 

3 

» 

3 

» 

1 

» 

3  parties 

» 

1 

» 

3 

» 

3 

» 

» 

6  juin 

4 

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1 

» 

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» 

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10  juillet 

1 

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1 

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1 

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3 

» 

3 

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4  a.  1  pr. 

28  sept. 

3  p.    8  t. 

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3 

18  déc. 

1 

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21  déc. 

3 

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5 

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16  janv. 

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12  fév. 

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8 
1 
4 
5 
6 

12 
2 
3 


76 


LES    ANNALES    DU    THEATRE 


DATE 

NOMBRE 

NOMBRE 

delà 

de 

ire  représ. 

représent. 

d*actes 

ou  de  la 

pendant 

reprise 

l'année 

RÉPERTOIRE   CLASSIQUE   (suttc) 


Monsieur  de  Pourceaugnac,  comédie.. . . 

Tartuffe^  comédie  en  vers 

Le  Misanthrope  y  comédie  en  vers 

Le  Mariage  forcée  comédie 

Le  Dépit  amoureux,  comédie  eu  vers.... 

Polyeuctey  tragédie 

L'Ecole  des  femmes,  comédie  en  vers.. . . 

Lts  Fourberies  de  Scapin^  comédie 

Les  Préeiet*ses  ridicules,  comédie 

Le  Médecin  malgré  lui,  comédie 

Les  Plaideurs t  comédie  en  vers 

Le  Barbier  de  Séville^  comédie 

L'Ecole  des  Maris,  comédie  en  vers 

Andromaqu«i  tragédie 

Horace^  tragédie 

Le  Cid,  tragédie 

Le  Légataire  universel,  comédie  en  vers. 
Les  Folies  amoureuses^  corne  die  en  vers. 


3 

7  mars 

5 

» 

5 

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1 

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2 

M 

5 

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4 
7 
4 
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3 
1 
4 
1 
2 
3 
2 


THÉÂTRE  NATIONAL 
DE    L'OPÉRA-GOMIQUE 


Sept  œuvres  inédites  :  V Enfant  roi  de  M.  Alfred 
Bruneau,  Chérubin  de  M.  Massenet,  Miarka  de 
M.  Alexandre  Georges,  les  Pêcheurs  de  Saint-Jean 
de  M.  Widor,  Hélène  de  M.  Saint-Saëns,  la  Ca- 
brera  de  M.  Gabriel  Dupont  et  la  Coupe  enchantée 
de  M.  Pierné,  forment,  avec  la  reprise  de  Xaoière 
de  M.  Théodore  Dubois  et  la  remise  au  répertoire 
de  YOrphée  de  Gluck,  l'important  bilan  musical  de 
'année  igoB. 

i3  JANVIER.  —  Le  théâtre  fêtait  la  cinq-centième 
de  Manon.  M'"^  Marguerite  Carré,  MM.  Edmond 
Clément,  Fugère  et  Delvoye  se  faisaient  applaudir 
dans  les  rôles  autrefois  créés  par  M^'®  Heilbron, 
Talazac,  Gobalet  et  Taskin.  A  la  sortie,  une  belle 
ovation  était  faite  à  M.  Massenet  qui  avait  assisté, 
en  compagnie  de  M'"^  Massenet,  à  la  représentation 
de  son  œuvre  triomphante. 

i8  JANVIER.  —  Première  représentation  à' Hélène^ 
poènie  lyrique  en  quatre  tableaux  de  M.  Camille 
Saint-Saëns  *j  et  reprise  de  Xavière^  idylle  drama- 

*  ï^iSTRiBOTioN.  —  Hélène,  W^*  Mary  Garden.  —  Vénus,  M'ia  Saitva- 
^«:  -  Pallas,  Mlle  Rival.  —  Paris,  M.  Ed.  Clément. 

''«rôle  d'Hélène /at  repris  aa  lendemain  de  la  première  représentation 
Pw  M-  Guionie. 


78  LES    ANNALES    DU    THEATRE 

tique  en  trois  actes,  d'après  le  roman  de  Ferdinand 
Fabre,  poème  de  Louis  Galle t,  musique  de  M.  Théo- 
dore Dubois*.  —  Le  théâtre*  de  TOpéra-Comique 
ne  pouvait  que  s'honcwrer  en  représentant  le  nouvel 
ouvrage  de  M.  Camille  Saint-Saëns  — 'Tune  des 
plus  hautes  gloires  de  la  musique  moderne  —  dont 
M.  Raoul  Gunsbourg  nous  avait,  l'année  précé- 
dente, offert  la  primeur  sur  la  scène  de  Monte- 
Carlo.  On  sait  que  le  maîlre,  qui  écrit  en  si  belle 
prose,  verjsifie  aussi  fort  agréablement.  Atissi  a-t-il 
composé  lui-même,  et  comme  en  se  jouant,  le 
poème  d'Hélène,  C*ést  TH'élène  antique  —  la 
«  belle  Hélène  »  du  trio  Meilhac-HaléVy-Offénbach, 
la  «  bonne  Hélène  »  de'  M.' Jules  Lemaître  —  Hélène 
ne  pouvant  échapper  à  sa  destinée  qui  est,,  fatale- 
ment, celle  de  tromper  le  doux  Ménélas  et  de  dé- 
chaîner là  terrible  guerre  de  Troie.  Maudissant  sa 
funeste  beauté  et  se  sentant  brûler  d'une  ardeur 
dont  elle  a  honte,  elle  s'enfuit,  épouvantée,  der 
mandant  à  la  mer,  où  elle  va  se  prédipiter,  de  la 
délivrer  d'E'ros...  Vénus  apparaît  au-dessus  deis 
flots  pour  lui  dire  que  c'est  folie  de  vouloir  résister 
à  Cypris  ;  elle  vivra  pour,  l'amour,  exempt  de  re- 
mords, et  les  femmes  rediront  toujours  le  nom 
d'Hélène;  elle  aimera  Paris,  en  dépit  qu'elle  en  ait. 
Et  quand  vient  le  Priamidé,  elle  se  sent  déjà  toute 
à  lui.    C'est  en  vain  qu'elle  implore  Jdpitër,   et 


1.  Distribution.  —  Falcran,  M.  Fùgère.  —  Gàubert/Mi  JeUn  Péfier. 
—  Landry,  M.  David  Devriès.  —  Landrinier,  M.  Huberdeau.  —  Xa^riére, 
M»«  Marie- Thiéry.  —  Benoîte,  MUe  Marié  de  iwte.,  — M«liô,  MU»  Ti- 
phaine.  —  Prudence,  Mj»v«  MuthiideCocyte. 

Au  deuxième  acie^-idiveriisseitteiirt  rég\é  paPiMo&MUrùjfuiUi^  daasé  par 
M"m  Richeaume,  G.  Dugué  et  les  dame«  du  corps  de  balle*.- 


THÉATRK.XA'EnOKAl*   DE-   L^OPéRArCOMIQUE  79 

quieflvoyée  panlematife  desdieftix,  Pallas,  écartant 
1(5  mystère  de  TaiTftmr,  manlne' à.  Paris  tansT-leSi 
maux  qui'  foodirent-  sur  sa  pairie,'  les  dixrans  de^ 
luttes  sans  merci,  Tiiforri'Ue' carnage j  el.T^oie  in-- 
ceitdJée.  «  Périsse*^  IHou'  en  flamm«s,  répond  le:- 
noble  fil»  dd  Priam^  périssent  les  mienst,  et  que  je' 
meure  moi-même  !  Mon  amour  me  suivra  ?  dans- 
l'éternel  sommeil  !  »  Hélène  tombe  alors  dans:  les. 
bras  de  son  vainqueur,  et  tous  deux  chantent, 
éperdus:  «  Ne- nous  éveillons- pas^  du  rêve,  et  ne^ 
vivons  que  pour  aimer!...  »  Ah{  le  joli  tableau 
qne  celui  de  la  pleine  mer  où  passe  le  navire  em- 
pî)rlant  Hélène  et  Paris  -  tendrement  enlacés!... 
Quatre  décors,  quatre  nouveaux  chefs-d -œuvre  de 
Jusseaume.  Ah  !  l'adorable  mise  en  scène  (réglée 
par  M.  Albert  Carré,  c'est  tout  dire)  encadrant 
une  pure  et  poétique  musiquequi  s'acliève  en  un- 
vibrant  arioso  du  ténor  et  en  un  duo  d'amour  éton- 
namotent  passionné!  On  sait  que  personne^  mieux, 
que  Sàint-Saëns,  ne  fait  dire  aux  instruments  tout 
ce  qu'ils  «ont  A  dire;  Mais  pour  lui  le- drame  .doit 
rester  sur  la  scène,  et  l'orchestre  ne  saurait  pré+ 
tendre  à  un  plusr  beau  rôle  que  d'exprimer,  le» 
sous-entendus,  les  dessous  innombrables  de  l'action;- 
C'est  un  accompaginateur,  d  abord»,  c'est  ensniteun: 
c >mmetitateur.  La  voix,  instrument  divin,  inimi- 
table, doit  toujours  garder  la  première  place.  Êtref 
vivant  et  musical,  sympbonique  et  vocal,,  voilà  «&- 
que  l'auteur  cherche  à  réaliser  au  théâtre,  et  jaraaisy 
disons-le,  il  n'y  réussit  mieux  que^dans  cette  char-^ 
lûante,  mais  trop  courte  partition  :  une  heure  de 
muftiqi|e  délicieuse,  rendue  en  toute  perfection  par* 


So  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

l'orchestre  que  conduit  excellemment  M.  Alexandre 
Luigini.  «  J'ai  été  tenté,  —  a  dit  M,  Saint-Saëns, 
adroitement  interviewé  —  par  le  drame  intime  : 
la  tragédie  dans  la  conscience  d'Hélène,  épouse 
vertueuse  et  reine  honorée  que  la  fatalité  a  con- 
damnée à  aimer  Paris.  Tout  le  débat  humain  qui 
peut  se  produire  entre  l'amour,  aisément  exubérant, 
d'un  homme  très  beau  à  qui  Vénus  a  promis  Hé- 
lène, et  la  vertu  héroïque,  puis  chancelante,  d'une 
femme  qui  s'efforce  vainement  de  se  dérober  au 
destin  —  toute  cette  lutte,  cette  résistance  de  la 
-créature  contre  les  dieux  m'ont  paru  fournir  le 
•conflit  des  passions,  grâce  auquel  on  pouvait  réali- 
ser un  poème  musical,  tout  d'amour,  de  douleur 
-et  de  joie...  »  Hélène^  en  un  seul  acte  — mais  un 
acte  de  cinquante-cinq  minutes  —  comporte  quatre 
tableaux  joués  progressivement  sans  entr'acte, 
avec  la  classique  unité  du  lieu,  modifiée  seulement 
par  des  transformations  dé  décors,  nécessitées  par 
rinlervention  dans  l'action  de  Vénus,  puis  de  Pallas. 
Et  l'illustre  auteur  de  Samson  et  Dalila  rêva  d'une 
tragédie  selon  la  formule  grecque  —  tout  au 
moins  d'une  pièce  construite  selon  la  règle  antique 
avec  toute  la  participation  féerique  du  merveilleux 
païen.  Ce  n'est  pas  une  tragédie,  puisqu'il  n'y  a 
pas  de  catastrophe;  c'est  un  simple  épisode  d'amour, 
traité  sans  souci  des  conventions  modernes,  et  le 
grand  compositeur  a  cherché  surtoiït  la  parfaite 
harmonisation  de  l'action,  de  la  musique  et  des 
décors,  ces  merveilles.  C]est  tout  d'abord  la  vue 
•extérieure  du  palais  dé  Ménélas,  au  dedans  éclairé 
pour  une  fête.  On  célèbre  la  gloire  du  roi,  de  la 


THÉÂTRE    NATIONAL    DE    l'opÉRA-COMIQUE         8i 

jeune  reine,  Hélène  au  bras  blanc...  Bientôt  le 
décor  change  ;  c'est  maintenant  une  falaise,  sur- 
plombant la  mer,  où,  fuyant  Tamour  coupable, 
Hélène  lutte  dans  la  nuit  noire.  C'est  alors  que 
surgit  Vénus,  apparaissant  délicieusement  parmi 
les  ro^es,  entourée  de  nymphes.  Puis,  après  la 
superbe  scène  de  lutte  amoureuse  entre  Hélène  et 
Paris,  le  décor  se  transforme  de  nouveau.  C'est  la 
déesse  Pallas  prophétisant  à  Paris  les  malheurs 
qui  vont  fondre  sur  ssf  patrie.  Un  mirage  de  scène 
nous  montre  Troie  incendiée,  cependant  que  de 
tragiques  clameurs  de  guerre  et  de  carnage  désolent 
l'immensité.  La  vision  vaine  s'évanouit.  Hélène  et 
Paris  s'abandonnent  à  leur  amour  que  chante  glo- 
rieusement l'orchestre  déchaîné.  Et,  nous  l'avons 
dit,  un  tablea:i  final  nous  les  montre  enlacés  sur  la 
galère  qui  les  emporte  vers  Ilion.  Sept  scènes. 
Quatre  personnages.  C'est  la  blonde  Hélène,  si 
heureusement  représentée  par  M'^^  Mary  Garden,  la- 
sympathique  cantatrice  à  la  voix  si  pure.  C'est  le 
beau  Paris,  dont  le  rôle  est  confié  à  M.'  Clément, 
rexcellent  ténor  au  vibrant  organe.  C'est  Vénus  à 
qui  M"*  Sauvage!  prèle  sa  beauté  plantureuse. 
C'est  enfin  Pallas  sous  le  casque  et  la  cuirasse 
d'or,  dont  le  rôle  a  été  confié  à  une  débutante  de 
valeur,  M**®  Rival.  Et  M.  Albert  Carré  nous  a 
donné  là  une  exquise  fête  d'art.  —  La  soirée  com- 
mençait par  la  reprise  de  Xavière,  Le  curieux 
roman  de  Ferdinand  Fabre  d'où,  sous  la  forme 
d'un  livret*  mi-prose,  mi-vers,  feu  Gallel  tira  cet 
aimable  et  délicat  ouvrage,  est  une  idylle  cénévole 
d'une  grâce  pénétrante,  où  l'auteur  de  VAbbé  Ti^ 

ANNALBS  DU  TBI^ATRB  6 


82  LES  ANNALES  DU  THÉÂTRE 

grane  et  de  Barnabe  attestait  une  fois  de  plus  la 
franchise  et  la  sincérité  de  son  art,  la  puissance  de 
peintre  rustique  qui  était  en  lui.  L'œuvre  de  Fer- 
dinand Fabre  et  Louis  Gallet  —  rerue,  dit-on,  en 
ces  derniers  temps  et  considérablement  adoucie 
par  le  maître  Victorien  Sardou  —  a  été  musica^ 
lement  commentée  par  M.  Théodore  Dubois,  dont 
ce  fut,  après  le  ballet  de  la  Farandole,  les  joliis 
petits  opéras-comiques  de  Pain  bis  et  de  la  Gnzla 
de  r  émir  y  et  l'opéra  Aben  Hamet^  le  cinquième 
ouvrage  théâtral.  Musique  bien  faite,  sans  doute, 
mais  un  peu  froide.  Les  ingéniosités  harmoniques 
qui  s'y  rencontrent  sont  plutôt  d'uTi  savant  que 
d'un  coloriste.  Les  idées  sont  parfois  un  peu 
courtes,  et  de  plus  de  recherche  ingénieuse  que  de 
saillie.  Enfin,  l'instrumentation  n'a  pas  toujours  le 
relief  décoratif  que  demande  la  scène.  Il  y  a  quand 
môme  beaucoup  de  très  jolies  choses  dans  cette 
partition  de  Xavière^  que  son  auteur  a  pris,  la 
peine  de  remettre  sur  le  métier  —  au  point  d'avoir 
donné  un  dernier  acte  entièrement  neuf.  Nous  ci- 
terons l'entrée  de  l'abbé  Fulcran,  avec  le  Sit  nomen 
Domini  benedictiim^  repris  avec  ampleur  par  Ga- 
libert;  la  légende  de  Saint-François^  d'une  candeur 
intense  et  d'une  naïveté  délicieuse,  chantée  d^exquise 
façon  par  M.  Fugère,  reprenant,  pour  le  plaisir  de 
tous,  le  rôle  qu'il  avait  créé  il  y  a  quelque  dix  ans. 
Vous  avez  lu  Xaviére  —  je  l'espère  pour  vous  — 
et  vous  vous  rappelez  ce  beau  tableau  de  la  fcte 
des  châtaigniers,  avec  les  «  batteurs  »  arrivaiit  en 
foule,  un  brin  de  verdure  à  la  main,  pour  se 
louer  durant  le  temps  de  la   récolte  et  entonnant 


THÉAtRE    NATIONAL    D-E    L^0PÉRA-€0MIQUE  83 

ia  vieille  complainte,  d'une  poésie  à  la  fois  gaie  et 
triste,  comme  la  plupart  des  chants  populaires, 
où  la  peine-,  l'effort,  la  sueur  ont  poussé  leurs 
^•éfliisisements  à  travers  la  dure  faim  satisfaite, 
l'âpre  travail  accompli. .  Le  compositeur  a  traduit 
cette  scèiae,  d^une  philosophie  mélancolique,  en 
un  chant  plutôt  gai  et  en  danses  joyeuses  q,ui 
«  tirent  »  sur  les  bourrées  d'Auvergne.  Notons 
enfin,  comme  une  oasis  pleiûe  de  fraîcheur  au. 
milieu  de  cette  mélopée  continue,  la  gracieuse 
chanson  «  Grive,  grivette,  grivoisette  »,  d'abord 
dite  en  duo,  puis  reprise  en  quatuor.  Les  acteurs 
chargés  de  reprendre  l'œuvre  de  M.  Théodore 
Dubois  et  de  Louis  Gallet  sont  d'ailleurs  excellents. 
Vous  savez  si  Fugère  est  l'idole  du  public,  et  vous 
connaissez  le  talent  de  MM.  Jean  Périer  et  Huber- 
deau,  de  M™®»  Marié  de  l'isle  et  Tiphaine.  11  nous, 
ceste  à  louer  M.  David  Devriès,  le  jeune  ténor  sorti 
naguère  de  la  grande  école  que  gouvernait  ajlops 
M.  Théodore  Dubois,  et  à  rendre  un  juste  hom- 
mage à  la  délicieuse  M"*^  Mai;ie  Thiéry,  montrant 
daoïs  le  rôle  de  Xavièrt  le  glorieux  pendant  de  sa 
charmante  création  de  Muguette. 

7  FEVRIER^ —  Dans  Cavalleria  rusticana,  M'""  de 
Marsans  jioue  pour  la  première  fois  le  rôle  de 
Santuzza,  où  elle  s'était  déjà  fait  applaudir  dansv 
les  représentations  populaires  organisées  par 
rOpéra-Comique  au  théâtre  Montparnasse  ^ 

1.  —  Ces  représentations  populaires  dans  les  théâtres  de  la  périphérie 
«e  continueront  avec  un  vit  succès.  C'est  ainsi  qu'au  cours  de  la  saison 
oD  donnera  au  théâtre  des  Gobelins  la  Vivandière  de  Benjamin  Godard, 
avec  M"»  de  Marsans,  M"*  Lnoy  Vautlirin,  Af.VT.  Devriès,  Gbalmin, 
Dulilloy. 


84  LES    ANNALES   DU    THEATRE 

8  FÉVRIER.  —  Dans  le  Vaisseau  fantôme, M.  Du- 
franne  chantait  pour  la  première  fois  le  rôle  du 
Hollandais,  dont,  après  M.  Renaud,  il  donne  une 
très  remarquable  et  très  personnelle  interpréta- 
tion. 

9  FÉVRIER.  —  Reprise  d'Orphée  de  Gluck,  pour 
une  série  de  représentations  de  M"^*  Rose  Caron, 
qui  interprétait  le  rôle  d'Orphée  avec  un  sentiment 
profond  de  la  musique  classique,  avec  une  ampleur 
et  une  majesté  qui  lui  valaient  un  accueil  triom- 
phal. M™^s  Vallandri,  Dumesnil  et  Vauthrin  se 
montraient  excellentes  dans  les  rôles  d'Eurydice, 
d'une  Ombre  heureuse  et  de  TAmour,  et  recueil- 
laient, aux  côtés  de  l'admirable  artiste,  leur  part 
de  succès. 

25  FÉVRIER.  —  M.  Albert  Carré,  subitement  at- 
teint d'une  attaque  d'appendicite,  qui  nécessitait 
une  opération  immédiate,  était  brusquement  et 
forcément  arraché  à  la  direction  du  théâtre.  Pen- 
dant son  absence,  qui  durait  deux  mois,  le  parfait 
fonctionnement  de*  tous  les  services  était  assuré 
avec  une  incontestable  compétence  et  une  réelle 
autorité  par  M.  Albert  Vizentini. 

3  MARS.  -—  Première  représentation  de  V Enfant 
roi,  comédie  lyrique  en  cinq  actes  d'Emile  Zola, 
musique  de  M.  Alfred  Bru neau^  —  L'action  se 


1.  Distribution.  —  François,  M.  Du  franne.  —  Auguste,  M,  Jean- 
Périer.  —  Toussaint,  M.  Vieuille.  —  Georget,  M»»'  Marie  Thiéry.  — 
Madeleine,  M'i«  Claire  Friche.  —  Pauline,  MU»  Tiphaine.  —  La  grand'- 
mère,  M^e  Cocyte.  —  Une  mendiante,  Mii«  Duchène.  —  Une  dame^ 
Mlle  Henriquez.  —  Marchandes  de  fleurs,  MH«»  Dumesnil ^  Costès,  Vuil- 
lefroy,  P.  Vaillant,  Ughelte,  Fairy,  Pîa. 

L'orchestre  était  dirigé  par  M.  Luigini. 


THÉATHE    NATIONAL    DE    l'opÉRA-COMIQUE  85 

passe  de  nos  jours  —  je  vous  crois  !  —  en  une 
grande  boulangerie-pâtisserie  d'un  riche  quartier 
de  Paris  :  comme  qui  dirait  la  Boulangerie  Vien- 
noise de  la  Chaussée  d'Antin,  à  la  porte  du  Vau- 
deville... C'est  un  soir  de  juillet,  et  dans  la  bouti- 
que brillamment  éclairée  à  la  lumière  électrique, 
nous  apercevons  les  grands  pains  tout  debout,  les 
croissants,  les  brioches,  les  gâteaux  secs  dans  des 
corbeilles,  le  comptoir  en  marbre  blanc  ^où,  sur 
des  assiettes,  se  trouvent  les  gâteaux  à  la  crème  et 
aux  confitures  :  on  en  mangerait  !  a  Minuit,  dit 
François,  c'est  la  sortie  des  théâtres  et  Paris  rentre 
par  les  rues  si  vivantes  encore,  et  Paris  se  couche, 
las  de  sa  journée  de  travail,  fiévreux  de  sa  soirée 
de  plaisir  et  d'amour  ».  Et  pendant  que  le  patron 
descend  au  fournil  où  on  lui  demande  des  ordres, 
nous  assistons  à  la  conversation  de  deux  sous- 
ordres  qui  ne  rêvent  que  plaies  et  bosses.  C'est  le 
<(  brigadier  »  Auguste,  don  Juan  de  la  boulangerie, 
dont  le  chic  de  beau  garçon  est  d'avoir  partout  les 
patronnes,  se  plaignant  à  Pauline,  la  jolie  ven- 
deuse, une  fine  mouche,  elle  aussi,  de  l'incroyable 
déveine  qui  l'a  fait  tomber  sur  une  Madame  ado- 
rant son  mari.  «  Son  mari  ou  un  autre  I  fait  Pau- 
line. Je  sais  ce  que  je  sais  :  si  tous  les  mardis  elle 
sort  sous  le  prétexte  d'aller  voir  une  nièce  infirme, 
la  vérité  ; —  je  l'ai  suivie  —  c'est  qu'elle  va  retrou- 
ver un  tout  jeune  homme  qui  la  guette  aux  Tuile- 
ries :  je  les  ai  vus  dans  la  boutique  des  jouets  ». 
Auguste  n'en  demande  pas  plus  ;  il  prend  un  papier 
et  un  crayon  :"  «  Mardi  prochain,  allez  voir  ce  que 
fait  votre  femme  aux  Tuileries  dans  la  boutique 


86  LES    ANNALES    DU    THKATRE 

des  jouets  ».  Il  met  le  billet  dans  le  registre  des 
commandes^  où  le  trouvera  tout  à  l'heure  lepaftron, 
jetant  traîtreusement  le  trouble  dans  k  ménage  le 
plus  heureux,  le  plus  uni.  Nous  voici  maintenant 
dans  le  jardin  des  Tuileries,  dont  le  fond  resplen- 
dit, plein  de  la  turbulence  d'un  petit  peuple  d'en- 
fants qui  jouent  et  qui  chantent  : 

Entrez  dans  la  danse, 
Voyez  comme  on  danse  : 
Sautez,  dansez,  embrassez 
Celle  qae  vous  voudrez. 

C'est  mardi  ;  dans  la  boutiqu^e  des  jouets,  un 
j«une  garçon  de  seize  ans  attend  sa  mère  <jui, 
mj^stérieusemenit,  vient  l'y  retrouver  tous  les  huit 
jours.  «  Mère  !  enfin  c'est  toi  !  —  Mon  Georget  !  » 
Mais  un  homme  survient  :  c'est  François  qui,  tour- 
menté par  l'abominable  soupçon,  a  voulu  savoir  : 
«  Tu  m'as  menti^  Madeleine,  tu  as  un  amant  !  — 
Un  amant,  moiL...  François,  c'est  mon  fils.,  c'est 
mon  enfant  !  »  L'heure  est  venue  de  la  terrible 
conafesfiion  :  à  dix-^ept  ans,  Madeleine  s'est  laissé 
séduire  par  an  cousin  de  vingt  ans  qui  partit  au 
régiment  et  mourut,  niême  avant  que  l'enfant  vîat 
au  (monde.  Deux  ans  après,  elle  épousait  Fraaçois, 
forcée  à  ce  mariage  par  son  père,  qui  l'eût  tuée  si 
elle  avait  parlé,  «  Pardon,  François,  de  «e  f^^ 
avoir  eu  la  force  de  te  crier  la  vérité  avant  le 
mariage,  pardon  de  t'avoir  ensuite  volé  ton  amour, 
tant  mon  amour  pour  toi  me  rendait  lâche...  » 
François  pardonnera,  à  condition  qu'elle  lui  re- 
vienne .tout  entière,  qu'elle  choisisse  entre  son  fils 


THEATRE    NATIONAL    DE    L^OPÉRA-GOMIQUE  87 

et  Jui,  qu'elle  lui  jure  de  ne  jamais  revoir  son 
enfant  :  «  L'enfaal  d'un  autre  ne  peut  avoir  de 
place  dans  mon  ménage^  il  est  l'étranger  qui 
m'outrage  ».  Et  vaincue  dans  cette  lutte  sacrilège 
entre  ses  deux  amours,  Madeleine  n'a  pas  la  force 
d'abandonner  son  fils  ;  elle  reste  avec  Georget. 
C'est  à  son  bras  que  nous  la  voyons,  à  l'acte  sui- 
vant, au  marché  de  la  Madeleine,  où  Georget  vient 
acheter  à  sa  mère  un  bouquet  de  fêle,  tandis  que 
Français,  qui  in'a  pas  oublié  non  plus  la  sainte 
Madeleine^  ne  demande  que  des  fleurs  de  deuil  : 
celles  qu'on  met  sur  une  tombe  puisque  c'est  pour 
une  morte.  Une  imm^enae  douleur  s'est  emparée 
de  ces  deux  êtres  séparés  depuis  dix  jours,  et 
désormais  aussi  malheureux  l'un  que  l'autre  : 
celle-ci  loin  du  mari  qu'elle  a  délaissé;  ct4ui-là 
dans  la  maison  vide  où  il  la  pleure.  Et  dans  le 
fournil  de  la  boulangerie  Delagrange  —  le  fournil 
en  plein  travail  du  soir  —  nous  touchons  au  dé- 
nouement de  l'histoire.  Madeleine  est  revenue  parce 
qu'elle  aime  son  mari  et  ne  saurait  se  passer  de 
lai.  «  Je  reviens  me  confier  à  toi.  Prends-moi, 
tâche  de  me  garder,  en  faisant  que  je  souffre 
moins., .moi  qui  souffre  tant,  et  tâche  d'emplir  tout 
mon  coaur  pour  qu'il  n'ait  plus  besoin  d'autre 
tendresse.  Oui,  fais  de  moi  une  épouse  si  heureuse 
qu'elle  vive  à  ton  cou  dans  l'oubli  du  reste  du 
monde  »..  A  quoi  François  répond  en  l'étreignant  :. 
«  Eh  bien  !  oui,  ma  chère  femme,  ma  loyale  et 
bnave  femme,  je  veux  bien,  je  vais  tâcher  de  te 
reprendre  tout  entière  et  de  te  garder.  Je  suis 
l'honmie,  le  mari,  je  t'aimerai  assez  pour  que  tu 


^ 


88  LE,S    ANNALES    DU    THEATRE 

ne  cesses  pas  une  heure  de  m'aimer  et  de  me 
vouloir...  Oui,  puisque  tu  me  reviens  si  franche, 
isi  confiante,  essayons  encore  le  bonheur,  et  nous 
oublierons  le  reste  du  monde...  »  J'ai  cité  ces 
phrases  in  extenso  parce  qu'elles  sont  Tune  des 
plus  hautes  envolées  de  la  belle  partition  de  M.  Al- 
fred Bruneau.  Le  bonheur  pourra-t-il  donc  renaître 
entre  ces  deux  êtres  au  cœur  meurtri  ?  Oui  certes, 
mais  seulement  grâce  à  l'enfant.  Par  un  billet 
anonyme  —  c'est  encore  un  trait  du  perfide  Au- 
guste —  Gcorget  a  été  mis  au  courant  de  la  situa- 
tion.  Il  a  résolu  de  s'exiler  pour  toujours,  au-delà 
de  l'Océan,  mais  avant  de  partir  il  a  voulu  em- 
brasser sa  mère  qu'il  ne  reverra  plus.  Il  n'y  a  pas 
place  pour  lui  au  foyer,  pense-t-il,  l'enfant  du 
hasard  ne  compte  pas.  «  Non,  répond  le  bon 
François.  Il  n'y  a  pas  d'enfant  du  hasard;  l'enfant 
n'est  pas  l'accident,  il  est  tout,  le  fruit,  la  vie 
elle-même...  L'enfant  emporterait  tous  les  cœurs, 
il  laisserait  un  tel  vide,  une  blessure  si  profonde 
que  nous  en  souffririons  tous  à  jamais.  Chassé 
d'ici,  il  serait  là  sans  cesse  à  nous  séparera  Qu'il 
reste  et  qu'il  nous^réunisse! . . .  Prends-le,  Made- 
leine, et  garde-le,  qu'il  soit  notre  fils  à  tous  les 
deux  1  »  L'enfant  triomphe  ;  vous  comprenez  main- 
tenant ce  titre  symbolique  :  VEnfant  roL  —  On 
sait  le  fidèle  et  inaltérable  attachement  qu'avait 
voué  à  Zola  le  probe  et  sincère  compositeur  qu'est 
Alfred  Bruneau.  Après  le  Rêve  et  V Attaque  du 
Moulin^  dont  Louis  Gallet  fut  le  très  habile  libret- 
tiste, après  Messidor  et  VOiiragan^  VEnfant  roi, 
écrit  en  prose  courante  et  même  assez  vulgaire, 


THEATRE    NATIONAL    DE    l'oPÉR A-COMIQUE  89 

est  le  cinquième  ouvrage  du  maître  qu'il  ait  musi- 
calement traduit;  Ce  n'est  pas  le  dernier,  paraîtril, 
et  sans  parler  de  la  Faute  de  Vabbé  Mouret,  que 
nous  donnera  M.  Antoine  au  théâtre  de  TOdéon, 
illustrée  d'une  curieuse  partition  d'orchestre,  déjà 
composée,  M.  Bruneau  a  trouvé  dans  l'héritage  de 
son  grand  ami  trois  autres  poèmes  complètement 
achevés  :  nul  doute  qu'avec  son  affectueuse  admi- 
ration pour  leur  auteur  il  ne  s'y  attèle  loyalement 
et  obstinément.  Tant  pis  !  Nous  aurions  voulu  voir 
son  vigoureux  talent  aux  prises  avec  des  œuvres 
aussi  remplies  d'humanité,  mais  d'un  terre  à  terre 
moins  exaspéré,  d'une  écriture  un  peu  plus  châtiée. 
Exemples,  cette  phrase  d'Auguste,  le  «  traître  de 
la  pièce  »  :  «  Puisque  Madame  n'a  pas  été  gentille, 
zut,  elle  filera,  et  nous  verrons  à  faire  notre  popote 
avec  le  patron  »  ;  cette  question  de  l'honnête  bou- 
langer qui  n'a  sans  doute  pas  eu  le  temps  d'ap- 
prendre à  parler  français  :  «  Et  plus  tard,  quand  il 
a  été  mort?  »;  ce  dialogue  en  conjugaison  :  «  Dis, 
Madeleine,  tu  me  reviens?  —  Oui,  je  te  reviens. 
—  Pourquoi  me  reviens-tu  ?  —  Je  te  reviens  parce 
que. .  .  »  Et  sans  manquer.de  respect  au  génie  de 
Zola,  cent  autres  perles,  tout  aussi  peu  musicales... 
Avec  l'habile  développement  de  ses  thèmes  carac- 
téristiques des  personnages  et  des  idées,  comme 
celui  de  rin\50cation  à  Paris  —  ô  Louise!  —  et 
celui  du  Pain  qu'on  jette  par  pànerées,  par  char- 
retées à  rinsatiable  faim  de  Paris  ;  sur  des  paroles 
qu'on  souhaiterait,  je  l'ai  dit,  moins  banales  et 
\T^iment  plus  inspiratrices,  la  partition  de  M^  Al- 
fred  Bruneau  reste   singulièrement   intéressante, 


QO  LES    ANNALES    DU    THEA'I>RE 

j-oliflftent  mélodique,  de  style  noble  et  pur,  toujours 
sobre,  distinguée,  d'une  poésie  très  prenante, 
d'une  belle  et  puissante  émotion.  Le  rôle  de  Made- 
leine, épouse  aimante  et  mère  angoissée,  se  soutient 
d'un  bout  à  l'autre  dans  des  sphères  absolument 
élevées.  L'esprit  y  trouve  sa  place,  notam^ment 
dans  la  partie  de  cette  fine  monche  de  Pauline,  et 
c'est  une  merveiile  de  gcâce  et  de  fraîcheur  que 
le  final  du  troisième  act^,  celui  du  marché  aux 
fleurs  de  la  Madeleine,  avec  l'épisode  du  baptême 
et  la  phrase  de  la  jeune  mère  :  «  Fleurissez  l'en- 
fant, fleurissez  le  père . . .  »  Puis  —  ;le  brillaat 
auteur  de  WEnfant  roi  mérite  encore  d'être  sur  ce 
point  \ûv^ement  félicité — l'orchestration  de  M.Bru- 
neau,  à  laquelle  on  pouvait  reprocher  naguère 
quelque  lourdeur  et  quelque  dureté,  nous  apparaît^ 
cette  fois,  extrêmement  claire  et  légère,  ample  eA 
sonore,  sans  jamais  cesser  d'être  discrète.  L'inter- 
prétation est  au-dessus  de  tout  éloge.  Comme 
chanteuse  et  comme  comédienne,  .M^*®  Friche 
s'est  acquittée  en  artiste  de  race  du  rôle  de  Made- 
leine,  primitivement  écrit  pour  M"®  Delna  ;  il  jorous 
semble  impossible  de  s'y  montrer  plus  simple, 
plus  vraie,  plus  émouvante.  Sous  le  complet  gris 
du  maître  boulanger,  M.  Dufranne  ia  .été  le  digne 
paritenaire  de  M''^  Friche,  et  le  public  les  a  tous 
deux  réunis  dans  un  même  succès.  C'est  à  M*"^  Ma- 
rie Thiéry  qu'a  été  dévolu  le  travesti  de  Georget  ; 
le  rôle  quoique  court  n'en  fait  pas  moins  valoir  la 
cantatrice,  dont  nous  avons  applaudi  la  voix  si 
pure,  accompagnée  par  le  violoncelle,  au  dernier 
acte.  Du  légendaire  Pelléas  au  réaliste  voyou  qu'est 


THEATRE    NATIONAL    DE    LOFERA-COMIQUE  QT 

le  mitron  Auguste^  la  distance  était  énorme  :  il 
nV  avait  qu'iun  Jean  Périer  pour  la  combler  avec- 
toute  la  souplesse  et  toute  la  finesse  de  son  talent. 
de  composÂtiona.  L'adresse  et  la  sûreté  sont  les> 
habituelles  qualités  de  M'^^  Tiphàiae,  elle  en  a  fait 
preuve  une  fois  de  plus  dans  ses  mordantes  répli- 
quas de  Pauline.  Notons  M.  Vdeuille,  parfait  sou» 
les  traits  d'un  vieux  serviteur  fidèle,  et  M^'®  Vau- 
thrin,  infiniment  gracieuse  en  sa  courte  apparition 
da  marché  aux  fleurs,  dont  Je  ravissant  d^cbr  est 
une  nouvelle  merveille  de  Jusseaume.  Que  dire 
encore  «de  M.  Lnig-ini  menant  l'orchestre?  Nous- 
n  avioBS  plus  d'épithèle  à  notre  service  pour  louer 
sa  maîtrise. 

•  26  HiwRs.  — «Uroe  jeune  première  danseuse,  nou- 
velkment  engagée,  M!'«  Régina  Badet,  débute  a«vec 
beaucoup  deg-râce  et  de  charme  dans  le  Ballet.de 
Lakmé, 

3o  MARS.  —  M*^'^  Bessie  Abott  chante  pour  la 
première  fois  —  en  matinée  —  le  rôle  de  Violetta 
de  la  Traviata,  ot  elle  fait  preuve  d'une  exquise 
virtuosité. 

5  AVRIL.  —  Pelléas  et  Mélisande  reparaissait 
sur  l'affiche.  L'œuvre  de  M.  Débus.sy  était  in- 
terprétée par  M*'''  Garden,  MM.  Dufranne,  Jean 
Périer  et  Vieuille,  dans  les  rôles  qu'ils  ont  créés, 
et  par  M™®^  Passama,  Dumesnil  et  M.  Guîllamat 
dans  les  autres  rôles.  M.  Alexandre  Luigîni  diri- 
geait l'orchestre  avec  sa  magistrale  autorité. 

5  MAI.  — Première  rt'^présentation  de  la  Cabrera  y 
drame  lyricpie  en  deux  parties  de  MM.  Henri  Gain 


92  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

et  Gabriel  Dupont*.  —  M.  Edoardo  Sonzogiio  était 
l'homme  du  jour...  A  peine  venait-il  de  nous  faire 
connaître  en  Siberia  —  qui  suffisait  à  elle  seule  à 
l'honneur  de  sa  saison  italienne  au  Théâtre  Sarah- 
Bernhardt  —  un  compositeur  de  haute  marque, 
M.  Griordano,  que  TOpéra-Comique  nous  offrait  la 
représentation  de  la  Cabrera  de  M.  Gabriel  Dupont. 
On  ne  dira  plus,  je  pense,  que  les  concours  ne 
servent  à  rien.  Désormais,  leur  cause  est  gagnée. 
Le  tournoi  international  de  musique,  dû  à  la  gé- 
néreuse et  intelligente  initiative  de  M.  Sonzogno, 
nous  paraît  avoir  éloquemment  démontré  l'utilité 
d'une  institution  si  souvent  et  si  injustement  décriée. 
^  Il  nous  a  révélé  un  véritable  tempérament  musical, 
un  talent  jeune  et  déjà  mûr  que  nous  ne  soupçon- 
nions pas  :  l'œuvre  que  nous  attendions  et  que 
nous  n'osions  pas  espérer.  La  partition  de  la  Ca- 
brera^ à  laquelle  le  jury  attribuait.  Tan  dernier,  le 
prix  Sonzogno,  personnifie,  en  effet,  la  plus  heu- 
reuse expression  du  drame  lyrique,  tel  que  nous  le 
concevons  aujourd'hui.  Une  histoire  simple  et 
douloureuse,  toute  de  frémissante  humanité,  un 
fait  divers  brutal  qui  découvre  la  cruauté  de  la 
vie,  qui  nous  montre  les  angoisses  intenses  d'un 
cœur  meurtri,  les  tortures  atroces  d'une  malheu- 
reuse femme,  une  ^gardienne  de  chèvres  séduite, 
insultée,  abandonnée,  obligée  de  fuir,  de  cacher  sa 
honte,  et  qui^  un  beau  jour,  revient  à -son  village, 


1.  Distribution.  —  Pedrito,  M.  Clément.  —  Juan  Gheppa,  M.  Simard. 

—  Riosso,  M.  Huberdeau.  —  Joaquin,  M.  de  Poumayrac.  —  L'hôtelier, 
M.  Imbet^t.  —  Amalia,  M«e  Gemma  Bellincioni  —  Teresita,  M"»«  Cocyte* 

—  Juana,  MH«  Vauthrin.  —  Rosario,  M"e  Costès. 


THEATRE    NATIONAL    DE    l'opÉRA-COMIQUE  gS 

retrouve  celui  qu'elle  a  invôlontaireiAent  trahi,  le 
reconquiert  par  la  pitié  qu'elle  lui  inspire,  et  meurt 
dans  ses  bras  au  moment  où  la  vie  allait  lui  sou- 
rire... Tel  est  le  sujet,  très  scénique,  de  la  Cabrera,. 
un  des  meilleurs  livrets  de  l'adroit  librettiste  qu'est 
Henri  Gain;  il  devait  inspirer  à  M.  Gabriel  Dupont^ 
ce  compositeur  de  vingt-deux  ans,  une  partition, 
débordante  de  passion,  une  musique  violente  et 
tendre  à  la  fois,  qui  crie  la  douleur  et  qui  chante 
l'amour  avec  une  extraordinaire  intensité.  Une 
artiste  de  premier  ordre,  la  Bellincioni,  créait,  à 
Paris  comme  à  Milan,  le  rôle  de  la  Gabrera.  Elle 
y  remportait  le  grand  succès  que  méritait  son  inter- 
prétation toute  pleine  de  vie,  succès  qu'a  d'ailleurs 
partagé  M.  Glément,  un  Pedrito  à  la  voix  si  solide 
et  si  chaude,  au  jeu  si  chaleureux  et  si  vibrant. 

23  MAI.  —  Première  représentation  de  Chérubin^ 
comédie  chantée  en  trois  actes  de  MM.  Francis  de- 
Croisset  et  Henri  Gain,  musique  de  M.  Massenet*^ 
—  Le  voici  —  et  même  un  peu  plus  tôt  que  nous 
ne  l'espérions  —  le  voici  à  l'Opéra-Gomique  où,  si 
heureusement  revenu  à  la  santé,  M.  Albert  Garré 
a  su  nous  le  brillamment  présenter,   cet  allègre 


1.  Distribution.  —  Le  philosophe^  M.  Fugère.  —  Le  comte,  ^.  A  Al- 
lard.  —  Le  duc,  M.  Cazeneuve.  —  Le  baron,  M.  Chalmin.  —  Ricardo, 
M.  de  Poumayrac.  —  L'hôtelier,  M.  Huherdeau.  —  Chérubin,  M»*  Mary 
Garien.  —  Nina,  M"»»  Marguerite  Carré.  —  L'Ensoleillad,  M"»»  Vallan- 
dri.  —  La  comtesse,  M««  J.  Gtiionie.  -    La  baronne,  M"»»  M.  Cocyte. 

Manolas  :  M"««  Costès,  Vuillefroy,  Ughetto^  d'Oligé,  Muratet,  Pla  et- 
Juliot. 

OâSciers  :  MM.  Imhert,  Lévison,  Eloi,  Sausini,  Vanloo  et  Julien. 

Au  premier  et  au  deuxième  actes  :  Divertissements  réglés  par  Mme  Ma- 
Hquila  et  dansés  par  M""  Regina  Badet,  première  danseuse  ;  Ri- 
cheaume,  O.  Dugué,  Luparia  et  Mary. 

L'orchestre  était  dirigé  par  M.  Luigini, 


96  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

avec  mandolines  et  jusqu'à  la  phrase  finale  avec 
ses  ironiques  pizzicati  de  violons  rappelant  le 
thème  de  la  sérénade  de  Don  Juan^  Torches tre  de 
M.  Massenet  est,  à  son  ordinaire,  constamment  et 
purement  délicieux?  Sous  la  magistrale  direction 
de  M.  Luigini,  nous  en  avoîis  savouré  toutes  les 
nuances  si  fines  et  si  délicates.  Et  Chérubin  fut, 
de  toutes  les  façons^  un  incontestable  succès. 

24  MAI.  —  Dans  le  Jongleur  de  Notre-Dame^ 
M.  André  Allard  chantait  pour  la  première  fois  le 
rôle  de  Boniface,  où  il  remportait  le  plus  franc 
succès.  Après  la  romance  de  la  Sauge,  qu'il  devait 
redire,  le  public  lui  faisait  une  véritable  ovation. 

28  MAI.  —  Dans  le   Vaisseau  fantôme^  le  rôle 
de  Senta  servait  de  début  à  une  toute  jeune  canta- 
trice douée  d'une  jolie  voix,  M"^  Velder,  qui  se  \ 
faisait  applaudir  et  rappeler  par  toute  la  salle  avec          ' 
M.  Renaud, 

3  JUIN.  —  Matinée  de  gala  au  bénéfice  de  la 
caisse  de  retraite  des  artistes  de  l'orchestre,  des 
chœurs  et  du  personnel  de  la  scène*. 


1.  —  Voici  quel  en  était  exactement  le  programme  : 
Le  Vaisseau  fantôme  (R.  Wagner),  ouverture,  chœur  des  Pileuses, 
ballade,  airs,  chanté  par  MH»  Cl.  Friche,  M«ne  Gocyte,  M,  L.  Beyle. 
"Le  Cœur  a  ses  raisons^  de   MM.  G. -A.  de  Caillavet  et  R.  de  Fier», 
joué  par  MUe  Marie  Leconte,  MM.  Henry  Mayer  et  Garry,  de  la  Comédie- 
Française. 

Deuxième  acte  d'Alceste  (Gluck),  chanté  par  Mme  Félia  Liitvinne, 
MM.  Dufranne  et  Guillamat. 

PREMIER   INTERMÈDE 

Bornéo  et  Juliette  (Gounod),  5o  tableau,  duo  de  lAlouette,  par  M™*  Ma- 
rie'Thiêry,  M.  Rousselière,  de  l'Opéra. 

Œuvres  pour  piano,  de  Chopin,  par  M.  Arthur  Rubinstein. 

h' Hypnotiseur^  de  M.  A.  Guyon,  dit  par  M.  Coquelin  cadet,  de  la 
Comédie-Française. 


THEATRE   NATIONAL   DE    L  OPERA-COMIQUE         97 

8  JUIN.  —  M?®  Sigrid-Arnoldson,  «  en  représen- 
tations )),  reparaissait  avec  son  habituel  succès  dans. 
Mignon.  Ce  succès  se  renouvelait,  deux  jours 
après,  avec  Lakmé^  qui  lui  valait  de  bruyantes 
ovations.  —  Puis,  le  aS  et  le  27  juin,  M"*^  Sigrid- 
Arnoldson  chantera  deux  fois  Carmen^  avec 
MM.  Clément,  Dufranne  et  M*^^  Pornot,  ses  dignes 
partenaires. 

26  JUIN.  —  La  ville  de  Caen  avait  organisé  en 
rhonneur  de  M.  Gabriel  Dupont  —  un  de  ses  enfants 
—  une  représentation  de  la  Cabrera.  M"^«  Margue- 
rite Carré  s'y  faisait  chaleureusement  applaudir 
dans  le  rôle  créé  par  la  Bellincioni.  Celui  de  Pedrito 
était  tenu,  comme  à  Paris^  par  M.  Clément.  M.  Lui- 
gini  conduisait  Torchestre. 

3o  JUIN.  —  Au  lendemain  d'une  belle  représen- 
tation d'Alceste,  avec  M™®  Félia  Litvinne,  la  saison 
se  clôturait  avec  une  superbe  recette  obtenue  par 
Chérubin  —  grand  succès  pour  tous  les  inter- 
prètes —  et  par  Cavalleria  Rusticana. 

5  SEPTEMBRE.   —  Réouvcrturc  du  théâtre   avec 


Troisième  acte  d'Orphée  (Gluck),  chanté  par  M«n"  Rose  Caron,  Val- 
landri  et  Vauthrin. 

DEUXIÈME  INTERMÈDE 

Valse  de  Mireille  (Gounod),  chantée  par  M«»e»  Tiphaine,  A.  Pornot, 
Ouionie,  Vallandri,  R.  Launay. 

Air  de  Samton  et  Dalila  (Saint-Saens),  chanté  par  M™8  Ch.  Wyns. 

Trio  des  Frileux  (LuUi),  reconstitué  et  dirigé  par  M.  Reynaldo  Hahn, 
chanté  par  MM.  Fragson,  Jean  Périer  et  A.  Aliard. 

Air  des  Noeea  de  Figaro  (Mozart),  chanté  par  MH»  Marié  de  i'Isle.' 

Air  du  3«  acte  de  la  Tosca  (Puccini),  chanté  par  M.  Garbin. 

Ballet  de  Thamyria  (Jean  Nouguès),  pas  de  Tldole  et  de  l'Esclave, 
réglé  par  Mn*  Mariquita  et  dansé  par  Mii«s  Régina  Badet  et  Richeaume. 

M.  Fragson  dans  son  répertoire. 

Ouverture  des  Vêpres  siciliennes  (Verdi),  dirigée  par  M.  Campanini. 

Ouverture  de  Chérubin  (Massenet),  dirigée  par  M.  Luigini. 

ANNALES  DU  THEATRE  7 


98  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

Manon^,  —  Le  lendemain,  la  représentation  de 
Carmen^  chantée  par  M"^^  Friche  et  Vallandri, 
MM.  Clément  et  Dufranne,  servait  d'heureux  dé- 
but à  un  nouveau  chef  d'oréhestre,  M.  Ruhlmann, 
qui  conduisait  avec  aisance  et  sûreté  le  chef-d'œu- 
vre de  Bizet. 

10  SEPTEMBRE.  —  Début,  daus  Mireille,  d'une 
jeune  artiste  ehcore  inconnue,  M"®  La  Palme,  dont 
rinexpérience  juvénile  et  la  voix  jolie  reçoivent  un 
aimable  accueil. 

12  SEPTEMBRE.  —  Dans  le  Roi  d'Ys,  qui  repa- 
raît sur  l'affiche  à  la  197^  représentation,  inter- 
prété par  M"^  Marguerite  Carré,  MM.  Ed.  Clément, 
Dufranne,  Vieuille,  Huberdeau  et  Guillamat, 
M'"^Cocyte  prend  possession  du  rôle  de  Margared, 
et  y  fait  preuve  d'un  très  sûr  instinct  dramatique, 

i3  SEPTEMBRE.  —  M*^^  Brozia,  qui  vient  du 
théâtre  de  la  Monnaie  de  Bruxelles,  débute  dans 
Violetta  de  la  Traviata,  qu'elle  chante  et  joue 
non  sans  adresse  et  sans  grâce. 

i5  SEPTEMBRE.  —  Rentrée  de  M"^^  Charlotte 
Wyns  dans  Werther,  où  par  sa  voix,  son  jeu, 
les  mouvements  de  sa  sensibilité,  elle  paraissait 
tout  à  fait  hors  de  pair.  Le  public  l'applaudissait 
longuement. 

20  SEPTEMBRE.  —  Nous  avous  assisté  dans  une 
salle  bondée  d'étrangers.  Allemands,  Russes,  Amé- 


1.  Distribution.  —  Des  Grieux,  M.  Léon  Beyle.  —  Lescaut,  M.  Jean 
Périer.  —  Le  comte,  M.  AUard.  -^  Brétigny,  M.  Cazeneuve.  —  Guillot 
de  Morfontaine,  M.  Gour don.  —  Manon,  M>n«  Marguerite  Carré. — 
Poussette,  Mi'e  Rachel  Launay.  —  Javotte,  M^e  a.  Costès.  —  Rosette, 
Mlle  Dumesnil. 

L'orchestre  était  conduit  par  M.  Luigini. 


THEATRE    NATIONAL    DE    L  OPERA-COMIQUE  99 

ricains,  et  de  toutes  les  petites  «  Servatoire  »,  à 
rapparition  dans  le  Barbier  de  Séville^  de  M**«  Ma- 
thieu-Lutz,  dont  le  second  prix  —  alors  que  le 
public  lui  en  donnait  un  premier  —  avait  soulevé 
aux  c(5n«««wde  .juillet,  des  tempêtes  inoubliables. 
Succès  bruyant  cette  fois  encore  pour  la  charmante 
débutante,  qui  a  déjà  quelques  qualités,  mais  qui 
n'est  pas,  c'est  tout  naturel,  une  artiste  accomplie. 
Elle  introduit  toutes  sortes  de  «  cocottes  »  dans  le 
premier  air  de  Rosine,  et  réussit  à  faire  applaudir 
rinsupportable  chanson  du  Misoli,  qui  mériterait 
d'être  à  jamais  remisée  tant  elle  a.  vieilli.  W^^  Ma- 
thieu-Lutz  joue  avec  intelligence,  et  elle  ira  loin  si 
elle  veut  travailler  et  ne  pas  se  croire  arrivée  dès 
le  départ.  La  représentation  des  plus  honorables 
nous  permet  d'applaudir  Fugère  et  Clément  tou- 
jours les  mêmes,  c'est-à-dire  excellents:  l'un,  avec 
sa  méthode  large  et  belle,  l'autre,  avec  ses  miè- 
vreries, excusables  chez  un  aussi  bon  musicien; 
Dejvoye,  puissant  Figaro,  qui  «  la  connaît  dans 
les  coins  »,  et  enfin  le  nouveau  Basile,  M.  Azéma 
—  Isnardon /ec/^  —  parfait  comme  voix,  comme 
style  et  comme  jeu.  Nous  lui  promettons  un  su- 
perbe avenir;  son  triomphe  a  été  aussi  brillant 
que  mérité. 

21  SEPTEMBRE.  —  M"^®  Bréjeau-Silvcr  reparaît 
avec  ses  brillantes  qualités  vocales  dans  le  rôle  de 
Manon  qu'elle  avait  repris  lors  de  l'ouverture  de 
la  nouvelle  salle. 

23  SEPTEMBRE.  —  GriséUdis  retrouve  les  ap- 
plaudissements qui  saluèrent,  à  sa  première  appa- 
rition, la  belle  œuvre  de  M.  Massenet.  Le  rôle  de 


tr/....N  r 


I-    L. 


"     1^  fîi  rcprésenU(îJ!frJ 

Fnrhé  et  Valkod 

iiriû  et  Oufniime,  servait  d'heureux 

■  -tvfaD  chef  dWdjcstre,  M,  Ruhlrnail 

:  -ivec  aisanre  cl  sOrefc  le  c(ieM'{ 

tfir  dr  licitçt. 

-         fmimt,  —Début,  dans  J///r/7/r.  d'u 

vie  encore  iucannïie,  M^^^  La  Palme,  dd 

nce  juvénile  et  la  voLt  jolie  reçoivent] 

r.  —  Dans  le  ftoi  d'Ys,  qui 
ir*  à  la  I(J7^  représerilali<»n,  \ù^ 
'•  -j^rritc  Carrti,  MM.  U.  Clériie 
Ifuberdeau     et     Guillam^ 
ssession  du  roIc  de  Mar^ar 
.  ^r...u.v  -1  .*♦*  Irén  stîr  inslinct  dramatique 
^LFrulllt«.  —  3f'^''   Brozia,    tjui   vienf 
J^  h  Mc^nnaie  de  Bruxelles,  dcbute  duq 
^-  iê   Tnwiaffif  qu  elle  chaule  et  joa 
!re53«  et  sans  çrâc^. 
fn:«iftc.  —  Rentrée  de   M"'«   Cliarlt)t 
«    i^  «ian^   H>r/A^A  où  par  sa  voix,  son  je 
^  ^-^^ffncuU  àe  isa  ^nsibdllé,  elle  parâiss 
^^  *nde  pair.  Le  public  TapplaucUssa 

9#  5jfTf:»wir*  —  -^cMis  arwns  assisté  dans  m 
^t  K«Av  JVlniig«r»,  Al/eiJiandsy  Russes,  Ami 

II.  Jti^HL  —  Brtfli^.v.  M.  Castnêwe,  -^  GtiiJlî 

It  tf#«w^t.  —  \faJ3PU»  A/««  Margueiilë   Carré,  * 

^  Urme,  m*  À.  Cmè*.  —  Rosetl^ 


THEATRE   NATIONAL    DE   L  OPERA-COMIQUE  99 

ricains,  et  de  toutes  les  petites  «  Servatoire  »,  à 
l'apparition  dans  le  Barbier  de  Séville,  de  W^^  Ma- 
thieu-Lutz,  dont   le   second  prix  —  alors  que  le 
public  lui  en  donnait  un  premier  —  avait  soulevé 
aux  c(5îi«mf«r  de  juillet,  des  tempêtes  inoubliables. 
Succès  bruyant  cette  fois  encore  pour  la  charmante 
débutante,  qui  a  déjà  quelques  qualités,  mais  qui 
n'est  pas,  c'est  tout  naturel,  une  artiste  accomplie. 
Elle  introduit  toutes  sortes  de  «  cocottes  »  dans  le 
premier  air  de  Rosine,  et  réussit  à  faire  applaudir 
l'insupportable  chanson  du  Misoli,  qui  mériterait 
d'être  à  jamais  remisée  tant  elle  a  vieilli.  M'^«  Ma- 
Ihieu-Lutz  joue  avec  intelligence,  et  elle  ira  loin  si 
elle  veut  travailler  et  ne  pas  se  croire  arrivée  dès 
le  départ.  La  représentation  des  plus  honorables 
nous  permet  d'applaudir  Fugère  et  Clément  tou- 
jours les  mêmes,  c'est-à-dire  excellents:  l'un,  avec 
sa  méthode  large  et  belle,  l'autre,  avec  ses  miè- 
vreries, excusables  chez  un  aussi  bon  musicien; 
Delvoye,  puissant  Figaro,  qui  «  la  connaît   dans 
les  coins  »,  et  enfin  le  nouveau  Basile,  M.  Azéma 
-- hndiVàon  fecit —  parfait  comme   voix,  comme 
style  et  comme  jeu.  Nous  lui  promettons  un  su- 
perbe avenir;   son  triomphe    a  été  aussi  brillant 
que  mérité. 

21  SEPTEMBRE.  —  M°^®  Bréjcau-Silver  reparaît 
avec  ses  brillantes  qualités  vocales  dans  le  rôle  de 
Manon  qu'elle  avait  repris  lors  de  l'ouverture  de 
la  nouvelle  salle. 

23  SEPTEMBRE.  —  GriséUdîs  retrouve  les  ap- 
plaudissements qui  saluèrent,  à  sa  première  appa- 
rition, la  belle  œuvre  de  M.  Massenet.  Le  rôle  de 


lOO  LES    ANNALES    DU    THEATRE 

Grisélidis  est  interprété  par  M™®  Charlotte  Wyns. 
M.  Lucazeau,  premier  prix  d'opéra-comique  aux 
derniers  concours  du  Conservatoire,  débute  dans 
le  rôle  d'Alain,  où  il  fait  preuve  de  très  réelles 
qualités.  La  distribution  se  complétait  avec  M.  Fu- 
gère  et  M^'^  Tiphaine,  parfaits  dans- les  rôles  qu'ils 
avaient  si  brillamment  créés,  avec  M"®  Vauthrin, 
MM.  Huberdeau  et  Guillamat. 

2l\  SEPTEMBRE.  —  Nous  apprcnions  la  mort  d'une 
artiste  depuis  louj^temps  disparue  du  théâtre,  et 
dont  le  nom  avait  survécu,  la  créatrice  .de  Mignon 
et  de  Carmen  —  qu'on  donnait  précisément  en 
matinée  ce  jour-là  —  '  M™®  Galli-Marié,  décédée 
dans  le  Midi,  où  elle  vivait  depuis  une  vingtaine 
d'années.  Elle  était  âgée  de  soixante-cinq  ans*. 

26  SEPTEMBRE.  —  C'était  une  véritable  apothéose 
—  si  Ton  peut  appeler  ainsi  les  honneurs  enthou- 


1.  —  Fille  du  ténor  Marié,  M^^  Galli-Marié  avait  débuté  à  Rouen  dans 
la  Favorite^  en  1861,  puis  était  venue,  l'année  suivante,  à  Paris  et  .était 
entrée  à  l'Opéra-Comique,  où  elle  resta,  jusqu'en  1872.  Elle  y  créa  Mi- 
gnon, en  novembre  1866.  Elle  passa  ensuite  deux  années  en.  Belgique, 
puis  revint  à  l'Opéra-Comique  en  1875,  où  elle  créa,  le  3  mars,  le  rôle  de 
Carmen,  le  plus  fameux  de  sa  carrière.  En  1877,  Mme  Galli-Marié  quittait 
de  nouveau  rOpéra-Comique,  où  elle  reparut  en  1884  et  en  1885.  Puis  elle 
abandonna  définitivement  le  théâtre  et  s'en  alla  vi\Te  dans  le  Midi.  La 
dernière  fois  qu'on  l'entendit  en  public,  ce  fut  au  théâtre  Sarah-Bemhardt. 
il  y  a  douze  ans.  Elle  vint  prendre  part  à  la  représentation  donnée  pour 
le  monument  Bizet.  Elle  joua  Carmen  aux  côtés  de  M.  Jean  de  Reszké 
qui  chantait  Don  José,  de  M.  Lassalle  qui  chantait  Escamillo  et  de 
M««  Melba  qui  chantait  Micaëla.  Merveilleuse  musicienne,  M"»  Galli- 
Marié  était  la  vie  même  au  théâtre  et  elle  aimait  avoir  des  partenaires 
animés  de  la  même  conviction  qu'elle.  Elle  racontait  avec  joie  que  trois 
de  seli  Don  José  l'avaient  réellement  frappée  d'un  coup  de  couteau  au 
dernier  acte  de  Carmen.  M'a*  Galli-Marié  avait  deux  sœurs,  M>»«*  Paola 
et  Irma  Marié,  qui  ont  également  laissé  un  nom  à  la  scène.  Une  de  ses 
petites  cousines  a  fait,  dans  l'art  lyrique,  une  belle  carrière  et  chanté 
notamment  Carmen  avec  talent.  C'est  Mite  Marié  de  L'Isle,  qui  porte, 
non  sans  éclat,  ce  grand  nom. 


THEATRE    NATIONAL    DE    L  OPERA-COMIQUE        10 1 

siastes  rendus  à  un  vivant  bien  vivant  —  que  la 
centième  représentarcion  de  Werther.  Le  public 
était  venu  en  foule,'. assiégeant  toutes  les  places,  et 
acceptant  même  de  •fe^eip  debout  dans  les  cou- 
loirs pour  témoigner,  par  ^a^-çrésence,  qu'il  était 
de  cœur  et  d'esprit  avec  la 'di«iection  du  théâtre  et 
avec  les  artistes,  dans  les  honnpui-? .décernes  à  Té- 
minent  compositeur  ;  et  il  acclaméit'.l'œuvre,  heu- 
reux de  réparer  la  sottise  de  la  critfqife  et*  l'indif- 
férence des  premiers  spectateurs.  Aussi  M.  JVIàsse- 
net,  qui  a  assisté  à  bien  des  soirées  triom'pllaiÊfS,  a 
dû  rarement  éprouver  de  plus  douces  émotîojïS. 
Chaque  page  de  Werther  a  eu  des  applaudissais/ 
ments,  mais  ce  sont  la  scène  du  clair  de  lune  au  - 
premier  acte,  l'invocation  au  suicide  au  deuxième, 
le  retour  de  Werther  au  troisième,  et  l'admirable 
ao^onie  du  héros,  au  quatrième,  qui  ont  été  particu- 
lièrement soulignés  par  des  bravos  enthousiastes. 
«  Toute  .mon  âme  est  là  »,  dit  le  héros  de 
MM.  Paul  Milliet,  Edouard  Blau  et  Massenet. 
Poètes  et  musicien  peuvent  en  dire  autant.  Et 
Werther,  dès  à  présent,  est  tenu  pour  un  chef- 
d'œuvre  digne  de  rester  au  répertoire.  Il  y  res- 
tera d'ailleurs,  de  par  le  désir  du  public  et  de 
par  la  volonté  directoriale.  Après  le  premier 
acte,  au  foyer  des  artistes,  où  M.  Albert  Carré 
recevait  avec  une  extrême  bonne  grâce  les  amis  de 
la  maison  et  les  admirateurs  de  l'ouvrage,  des 
toasts  chaleureux  ont  été  échangés.  Le  directeur  de 
rOpéra-Gomique  a  levé  son  verre  et  dit  toute  la 
tendresse,  tout  le  pathétique,  toute  la  passion, 
tout  le    charme,   tout  le  génie  que    Massenet   a 


102      ,    LES  ANNALES  DU  THEATRE 

répandus  dans  Werther^  et  le  compositeur  a 
reporté  sur  l'éminent  directeur  de  notre  seconde 
scène  lyrique  le  succès  ess^tîc^I  de  la  soirée,  car 
c'est  lui  qui  reprit  le  '«kief-d'œuvre  abandonné, 
enfoui,  l'exhuma,  le  ^èlai^tTscita,  le  fit  triomphant. 
Rien  de  plus  lé^itinnè-.^ê  cet  hommag-e  du  maître 
au  directeur-ar^i&JLè.  dont  c'est  la  g'Ioire  de  faire 
appel  de  jugftplêftls  hâtifs,  de  braver  les  opinions 
rebelles -aux 'lôf'mules  neuves,  et  d'imposer  à  l'ad- 
miratieii  dç  la  foule  des  œuvres  de  beauté.  On  n'a 
oubK^*i{?efsonne  dans  cette  solennité,  ni  M.  Beyle, 
.uil  ;Wèrthçr  ardent,  sincère,  ni  M.  Allard,  un  Albert 
tîé'  grande  tenue  lyrique;  ni  MM.  Vieuille  (le 
••Bailli)  et  Huberdeau  (Johann)  ;  ni  M™®  Charlotte 
Wyns,  une  Charlotte  aux  sentiments  émus;  ni 
]\Iii3  Vauthrin,  une  délicieuse  et  poétique  Sophie; 
ni  M.  Luigini,  un  chef  d'orchestre  incomparable, 
communiquant  à  ses  musiciens  les  propres  mouve- 
ments de  son  âme  et  leur  faisant  exprimer  tout  le 
langage  des  amours  qui  firent  de  Goethe  un  des 
plus  grands  poètes  de  son  siècle. 

4  OCTOBRE.  —  Le  ténor  Salignac  fait  une  bril- 
lante rentrée  à  l'Opéra-Comique,  qui  fut,  il  y  a 
quelques  arguées,  la  scène  de  ses  premiers  débuts. 
Élève  d'Edmond  Duvernoy,  il  sortait  alors  du  Con- 
servatoire, où,  précisément,  la  grande  scène  du 
troisième  acte  de  Carmen  lui  avait  valu  son  pre- 
mier prix  d'opéra-comique.  Depuis,  il  promena  le 
rôle  de  Don  José  dans  les  deux  mondes,  variant 
en  virtuose  les  nuances  de  son  jeu  suivant  le  carac- 
tère, la  stature,  en  un  mot  l'action  et  la  réaction 
de  multiples  Carmens.  Il  devint  bientôt  en  quelque 


THEATRE   NATIONAL   DE    l'oPÉRA-COMIQUE        I03 

sorte  un  spécialiste  du  rôle,  à  telle  enseigne  qu'en 
1896-97  il  était  engagé  à  TOpéra  dé  New- York 
tout  particulièrement  pour  y  donner  la  réplique  à 
M"«  Calvé.  On  se  souvenait  des  ovations  que  lui 
avait  prodiguées  pendant  ce  dernier  hiver  le  public 
de  Nice,  très  emballé  par  la  véhémence  inusitée, 
rinlensité  d'accent  de  son  jeu  avec  sa  remarquable 
partenaire  M"*^  Wyns.  Ce  soir,  devant  une  salle 
comble,  où  l'élément  américain  étalait  toutes  ses 
élégances,  le  ténor  Salignac,  épris  avant  tout  de 
vérité  dans  l'expression  et  servi  par  une  voix 
docile  et  bien  timbrée,  —  qui  sut  se  faire  exquise- 
ment  vaporeuse  dans  la  romance  du  second  acte, 
—  a  retrouvé  les  mêmes  bravos.  Les  quatre  phases 
de  son  rôle,  acte  par  acte,  tiendraient  dans  ces 
quatre  mots:  simplicité,  passion,  colère,  déses- 
poir. Voilà  un  véritable  tempérament  dramatique, 
le  type  du  tenore  lirico^  du  ténor  d'opéra-comique. 
Une  excellente  interprétation  secondait  ce  début 
intéressant.  Nommons  RP*®  Friche,  Carmen  adroite, 
du  plus  vif  intérêt  ;  M"»®  Marie  Thiéry,  délicieuse 
Micaëla  ;  M.  Dufranne,  puissant  Escamillo. 

i4  OCTOBRE.  —  Les  lauréates  des  derniers  con- 
cours du  Conservatoire  défilent  sur  la  scène  de 
l'Opéra-Comique.  Après  M"^  Mathieu-Lutz  dans  le 
Barbier,  c'était  M**^  Mirai,  une  Mignon  très  tou- 
chante et  très  sincère,  à  la  voix  fraîche  et  bien 
posée  ;  digne  fille  de  son  père,  elle  semble  réunir 
les  solides  qualités  qui  font  une  véritable  artiste . 
M**e  Angèle  Pornot  qui,  elle,  ne  vient  pas  du 
Conservatoire,  mais  qui  fait  honneur  à  la  belle 
Ecole  de  Chant  de  M"«  Rosine  Laborde,  dont  elle 


I04  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

est  une  des  plus  brillantes  élèves,  jouait  pour  la 
première  fois  Philine.  Elle  y  obtenait  le  succès  qjje 
lui  avait  déjà  valu  sa  délicieuse  interprétation  de 
Lakmé.  Il  est  impossible  de  lancer  le  trait  avec 
plus  de  sûreté  et  d'égrener  avec  un  art  plus  délicat 
les  vocalises  un  peu  surannées  de  ce  rôle  de  grande 
coquette.  M"®  Pornot  est  une  des  jeunes  pension- 
naires de  rOpéra-Comique  le  plus  justement  aimées 
du  public  ;  il  ne  lui  manque  plus  désormais  qu'une 
importante  création  pour  être  consacrée  étoile. 

6  NOVEMBRE,  —  Première  représentation  de 
Miarka,  comédie  musicale  en  quatre  actes  et  cinq 
tableaux,  poème  de  M.  Jean  Richepin^  musique 
de  M.  Alexandre  Georges  ^  —  Rarement  une  œuvre 
de  celte  importance  aura  pris  contact  avec  le  public 
dans  des  conditions  plus  heureuses  de  confiance  et 
de  sécurité.  Chacun  sait  en  effet  que  du  très  ori- 
ginal et  très  savoureux  roman  de  Jean  Richepin  : 
Miarka,  la  Jille  à  l'Ourse^  le  compositeur  Alexan- 
dre Georges  détachait  naguère,  pour  les  mettre  en 
musique,  toute  une  série  de  petits  poèmes  curieuse- 
ment et  délicieusement  écrits.  Exécutées  partout  el 
applaudies,  dans  les  salons  comme  dans  nos 
grands  concerts,  les  heureuses  Chansons  de  Miarka 


1.  Distribution.  —  Gleude,  M.  Jean  Périer.  —  Le  Roi,  M.  Lttcazeau. 
—  Le  maire,  M.  Caieneupe.  —  Le  maître  d'école,  M.  Jluberdeau.  —  Un 
jeune  romane,  M.  Simard.  —  Un  vannier,  M.  Imbert.  —  La  Vougne, 
M«n«  Région.  —  Miarka,  Mme  Marguerite  Carré.  —  M™*  Tavie,  M»»»  Pier- 
ron.  —  Une  laveuse,  Mn»e  Mwatet.  —  Une  vieille  romane,  M^^  Perret' 

Au  troisième  tableau,  divertissement  réglé  par  M^^  Mariquita,  dansé  { 

par  Mlle  Régina  Badet,  première   danseuse,  M.  Price,  M»"  Richeaume,  || 

G.  Dugué,  Luparia,  Mary,  Chambon.  L'orchestre  était  dirigé  par  M.  Lui 
gini.  —  Le  rôle  du  Roi-  sera  repris,  dès  le  lendemain  de  la  première 
représentation,  par  M.  Devriès. 


THEATRE    NATIONAL    DE    l'oPÉRA-COMIQUE       Io5 

devaient  fatalement,  sous  la  poussée  lente  de  leur 
succès  même,  aboutir  au  théâtre.  Poète  et  musicien 
se  sont  bravement  remis  à  l'œuvre,  cette  fois 
ensemble  ;  et  c'est  pourquoi  nous  acclamions  ce 
soir  le  pittoresque  drame  lyrique  de  Miarka. 
Drame  lyrique,  et  non  pas  uniquement  prétexte  à 
faire  défiler  devant  le  public  des  airs  connus  et 
éprouvés.  L'action  quoique  très  simple  a  ceci  pour 
elle  d'aussi  important  que  rare  :  à  savoir  que  la 
source  en  est  intérieure,  les  faits  découlent  logi- 
quement de  l'état  d'âme  farouche  et  noble  que  le 
grand  poète  attribue  à  ses  chers  Romanichels.  S'il 
vous  arrive,  rencontrant  une  roulotte  à  l'entrée 
d'un  village,  de  hausser  les  épaules  ou  de  presser 
le  pas  devant  ces  raccomodeurs  de  paniers,  ces 
rétameurs  de  casseroles  qui,  volontiers  se  trans- 
forment en  voleurs  de  poulets  ou  même  de  petits 
enfants,  sachez  que  vos  peurs  ou  vos  dédains  pro- 
voqueront leur  parfait  mépris.  Ces  nomades  sont 
les  ennemis  hautains  des  sédentaires  que  nous 
sommes  ;  ces  asiatiques  nous  jettent  la  fameuse 
invective  de  Lamartine  : 

O  vous,  peuples  assis  de  rOccident  stupide. 

Ce  qu'ils  aiment,  ce  n'est  ni  la  nature,  ni  là  soli- 
tude; et  le  chant  d'amour  de  Carmen,  «  Là  bas, 
là  bas,  dans  la  montagne  »,  travestit  le  rêve  d'une 
vraie  «  gitana  ».  Les  Bohémiens  tiennent  à  errer 
parmi  les  hommes  qu'ils  raillent  de  se  fixer,  de 
prendre  racine.  Leur  gloire^  c'est  de  marcher  tou- 
jours, leur  patrie  c'est  la  grande  route,  et  M.  Jean 


Ï06  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

Richepin  fait  dire  à  sa  viçille  bohémienne  agoni- 
sante : 

Ne  pleure  pas,  puisqu'il  m'est  donné 
De  mourir  sur  la  grande  route, 
Comme  une  bonne  Romane. 

Le  livret  nous  apprend  que  nous  sommes  en 
Thiérache.  Où  ça,  la  Thiérache?  L'atlas  vous  répon- 
dra :  «  dans  le  département  de  TAisne  ».  Mais 
comme  ces  sortes  de  précisions  font  envoler  la 
poésie,  notons  seulement  que  la  scène  se  passe  en 
France,  et  j'hésiterais  même  à  vous  informer  qu'elle 
se  passe  de  nos  jours,  si  les  costumes  du  prolog-ue 
et  les  poteiaux  télégraphiques  du  décor  final  ne 
m'obligeaient  à  me  constater  le  contemporain  de  la 
Vougne  et  de  Miarka.  Donc  la  Vougne,  a  la  vieille 
louve  aux  yeux  méfiants  »  que  sa  tribu  chassa 
jadis  parce  que  son  fils  avait  dérogé  en  épousant 
une  paysanne,  erre  sans  cesse  à  travers  la  Thié- 
rache, «  dans  sa  rubidal  noife  au  toit  goudronné  ». 
guettant  sans  doute  quelque  autre  tribu  romane. 
Or  voici  qu'un  enfant,  le  petit  Gleude,  «  l'innocent  », 
dans  un  cri  d'appel  désespéré,  nous  prodigue  les 
renseignements  utiles  :  «  Pauvre  Vougne  !  toute 
seule  contre  tous  !  mort,  son  fils  !  morte  sa  bru  1 
mort,  son  cheval  !  Elle  traîne  toute  seule  sa  rubi- 
dal ».  Et  la  Vougne  survenant  crie  à  son  tour  : 
«  La  rubidal  est  sacrée  :  il  vient  d'y  naître  un 
enfant! 

Et  dans  l'eau  qui  court,  sous  le  soleil  qui  ctée, 
Il  faut  que  l'enfant  soit  consacrée 

Par  moi,  l'aïeule,  qui  la  bénis 

Selon  le  rite  des  romanis. 


THEATRE   NATIONAL    DE    L  OPERA-COMIQUE   .    IO7 

Au  bord  de  la  rivière,  devant  la  foule  plutôt 
hostile  des  laveuses,  des  vanniers,  des  enfants^  des 
curieux,  que  contient  un  brave  homme  de  maire, 
la  vieille  grand'mère,  penchée  sur  le  panier  qui 
sert  de  berceau  à  la  petite  Miarka  et  que  lui  tend 
Gleude,  l'innocent^  dans  un  geste  ravi,  chante  ses 
hymnes  à  l'Eau  et  au  Soleil. .  .  Quand  les  deux  cé- 
lèbres mélodies,  cette  fois  entourées  d'orchestre, 
ont  résonné  dans  la  voix  de  M™®  Héglon,  j'ai 
entendu,  puis-je  dire,  passer  sur  l'auditoire  le  si- 
lence religieux  des  grandes  émotions.  Dix-huit  ans 
se  sont  écoulés.  Dans  la  campagne  glacée,  à  la  lueur 
d'un  maigre  feu,  Miarka  devenue  jeune  fille,  dort 
sous  la  protection  de  la  Vougne  et  de  son  grand 
ami  Gleude,  qui  l'aime  d'amour,  mais  qui  ne  songe 
pas  encore  à  oser  le  lui  dire.  Le  brave  homme  de 
maire  avait  offert  sa  maison.  Mais  comme  il  con- 
voite, par  curiosité  de  collectionneur,  les  «  magiques 
livres  »  que  détient  la  Vougne,  celle-ci,  toujours 
hargneuse,  n'accepte  pas  d'autre  hospitalité,  que 
celle  ((  de  la  remise  »  en  plein  air.  Pourquoi  ce 
s(^jour  où  se  dément  l'âme  bohémienne  «  en  ce  coin 
toujours  le  même?  ».  Parce  que  les  tarots  (les  car- 
tes) ont  dit  :  «  Là  où  Miarka  naît,  si  Miarka 
grandit,  apprenant  aux  magiques  livres  tout  ce 
qu'il  faut  qu'elle  apprenne,  Miarka  sera  reine  ». 
Comme  il  est  exact  que  chaque  tribu  de  Bohémiens 
obéit  à  un  chef  despote,  à  un  roi,  comme  il  nous 
paraît  simple  qu'un  roi  de  Bohème  —  où  même 
d'ailleurs  —  apprécie  la  délicieuse  Miarka  que 
réalise  M°*^  Marguerite  Carré,  nous  admettons,  la 
musique  aidant,  que,  par  une  liqueur  et  des  mots 


I08  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

magiques,  la  vieille  grand'mère  procure  à  son  en- 
fant le  rêve  de  son  amour  et  de  sa  royauté  future» 
Et  nous  assistons  à  ce  rêve.  A  peine  pouvons- 
ûous  d'abord  discerner,  dans  les  ténèbres  du 
paysage  d'hiver,  un  grouillement  d'ombres  lointai- 
nes ;  mais  peu  à  peu  les  formes  se  rapprochent  et 
s'éclairent,  et  bientôt,  dans  le  cadre  joyeux  d'un 
paysage  de  printemps,  à  travers  les  danses  et  les 
rondes  d'amoureux  jetant  à  ses  pieds  des  brassées 
de  fleurs,  le  Roi  paraît,  évoquant  la  fiancée  pro- 
mise par  le  Destin^;  «  J'entends,  dit-il,  son  cœur 
qui  m'appelle  dans  les  horizons  lointains  ;  je  la  vois 
qui  pleure  en  rêve  puisque  son  Roi  ne  vient  pas. 
Courage,  Miarka,  sois  forte.  »  Le  Roi,  lui,  ne  fai- 
blit pas.  Je  crois  que  les  deux  talentueux  auteurs 
seraient  les  premiers  à  protester  si  l'admiration 
qu'a  soulevée  cette  fin  d'acte  ne  faisait  pas  la  juste 
part  à  l'art  prodigieux  du  metteur  en  scène.  A 
l'acte  suivant,  Miarka,  malade,  habite  enfin  la  mai- 
son du  maire.  Le  fidèle  Gleude  qui  n'est  plus 
((  l'Innocent  »  tant  sou  amour  en  le  torturant  a 
fini  par  le  déniaiser,  s'exalte  et  s'enhardit  jusqu'à 
se  déclarer  et  se  mal  déclarer  :  «  Tant  pis,  si  mon 
mal  tourne  en  folie  ! ...  je  léchais,  je  mordrai. . . 
A  la  fille  de  louve,  ce  qu'il  faut,  c'est  un  loup  ! . , . 
Je  te  veux,  je  t'aurai  ».  Miarka,  que  ne  laisse 
plus  libre  son  rêve  de  royauté,  le  repousse  violem- 
ment et  le  dompte  :  «  Du  loup  mis  en  laisse,  je 
vais  faire  un  chien  ».  Et  sur  l'heure,  elle. renvoie  le 
pauvre  Gleude  soumis  et  repentant;  mais  cela,  non 
sans  un  peu  de  mélancolie,  que  devine  aussitôt  la 
Vougne.  Et  l'aïeule,  farouche,  lui  intime  l'ordre  de 


THEATRE   NATIONAL    DE    L  OPERA-COMIQ.UE        IO9 

partir.  «  Je  sais  qu'on  veut  nous  voler  nos  livres 
et  le  voler  ton  Roi  ».  El,  voyant  Miarka  résistante, 
elle  a  une  façon  à  elle  de  brûler  ses  vaisseaux  qui 
consiste  à  incendier  la  maison  du  maire.  Dernier 
tableau  :  les  deux  femmes  ont  fui,  et,  avec  elles, 
Gleude  le  résigné,  après  que,  dans  Torage  et  sous 
Taverse,  Miarka  nous  a  chanté  (avec  quel  charme  !) 
les  mélodies  aimées  et  attendues  des  Nuages  et  de 
la  Pliiie^  après  que  la  Vougne  épuisée,  près  de  sa 
fin,  vient  d'élever  Gleiide  «  au  rang  des  romanis  », 
là-bas,  au  carrefour  voisin,  un  rythme  croît  et 
s'approche,  celui  d'une  marche  romanie,  n'est-ce 
pas  le  rêve  de  Miarka  qui  va  prendre  corps?  Et 
n'est-<;e  pas  de  la  tribu  qui  s'avance  que  Miarka 
deviendra  la  reine  ?  Mais  le  rythme  décroît  ! . . . 
Si  l'amour  et  le  Roi  se  trompaient  de  route.  S'ils 
passaient  à  côté  de  Miarka  sans  la  voir  ! . . .  Gleude 
n'a  qu'à  se  taire  et  bientôt  là  troupe  sera  loin. 
Mais  l'héroïque  garçon  se  met  à  crier  ;  il  appelle 
ceux  et  celui  qui  vont  lui  prendre  sa  Miarka.  La 
scène  est  étrange  et  majestueuse.  Lorsque  le  Roi 
dit  à  sa  jeune  reine  enfin  rencontrée  :  «  C'est  toi, 
je  t*ai  reconnue  »  sur  une.  phrase  vraiment  su- 
perbe, les  amis  de  l'ouvrage  ont  eu  la  joie  de  le  voir 
finir  en  un  moment  de  profonde  beauté.  Des  deux 
sortes  de  mérite  que  nous  aimons  à  trouver  réunies 
dans  les  chefs-d'œuvre  du  drame  lyrique,  à  savoir 
la  valeur  musicale  en  soi  et  la  faculté  d'exprimer 
le  sens  et  les  sentiments  du  texte,  c'est  peut-être 
bien  la  seconde  qui  prévaut  dans  le  grand  talent 
de  M.  Alexandre  Georges.  Elle  y  est  si  intense, 
elle  excelle  si  étonnamment  à  tripler  l'action  sur 


irO     •     LES  ANNALES  DU  THEATRE 

notre  sensibilité  d'un  poème  qui,  par  lui-même, 
est  particulièrement  suggestif,  que  ce  don  d'illus- 
tration nous  apparaît  tout  à  fait  supérieur  et  en- 
viable. Certaines  mélodies  de  Miarka,  fredonnées 
sans  paroles,  peuvent  nous  laisser  indifférents, 
qui  déjà,  chantées  au  piano,  deviennent  si  impres- 
sionnantes, prennent  en  scène^  avec  le  prestige 
des  timbres,  de  la  figuration  et  du  lumineux  décor 
—  où  Jusseaume  est  passé  maître  —  une  acuité  de 
pénétration  véritablement  extraordinaire.  L'inter- 
prétation apparaissait  hors  ligne.  M™®  Héglon  nous 
a  consciencieusement  caché  sa  beauté  sous  les  che* 
veux  gris,  les  rides  et  le  bistre  de  la  vieille 
Vougne.  Il  n'y  eut  jamais  de  voix  plus  profonde, 
ni  de  chant  plus  noble.  Et  tout  le  rôle,  surtout  la 
mort,  très  sobre  de  moyens,  faisait  le  plus  grand 
honneur  à  son  talent  de  tragédienne.  M™®  Margue- 
rite Carré,  costumée  à  ravir,  toute  brillante  de  jeu- 
nesse et  de  souplesse,  sous  la  lourde  masse  de  sa 
blonde  perruque,  faisait  délicieusement  valoir,  par 
ses  notes  tendres  et  prenantes,  celles  des  chansons 
de  Miarka  échues  à  son  très  joli  rôle.  M.  Jean 
Périer  se  taillait  le  succès  personnel  le  plus  flat- 
teur dans  cette  figure  ingénue  et  farouche  de 
Gleude  ;  la  finesse  de  sa  diction  et  la  délicatesse 
de  ses  attitudes  lui  valaient  à  plusieurs  reprises, 
et  notamment  au  milieu  du  troisième  acte,  de  lon- 
gues salves  d'applaudissements.  M.  Lucazeau^  l'un 
des  brillants  lauréats  des  derniers  concours  du 
Conservatoire,  prêtait  sa  voix  de  ténor  solide  au 
personnage  un  peu  immobile  du  Roi  des  Bohé- 
miens —  des  *  Merlifiches    et    des    Merligodgiers, 


THEATRE    NATIONAL    DE    L  OPERA-COMIQUE       I  1 1 

comme  on  les  appelle  en  patois  de  la  Thiérache. 
Et  tous  les  petits  rôles  étaient  honorablement  te- 
nus par  MM.  Cazeneuve,  Huberdeau  et  M"^^  Pier- 
ron.  L'orchestre,  dont  la  tâche  était  rude  (car 
celte  partition  est  étrangement  chargée)  prouvait, 
une  fois  de  plus,  sa  maîtrise  et  la  direction  si  sa- 
vante de  M.  Alexandre  Luigini.  Nous  avions  noté 
au  passage  quelques  prodiges  de  la  mise  en  scène. 
Elle  était,  dans  Miarka^  ce  qu'elle  a  coutume  d'être 
à  rOpéra-Comîque,  supérieure  par  la  variété  de  ses 
ressources  et  le  goût,  —  le  goût  de  M.  Albert 
Carré.  —  Aussi  Hsions-nous  avec  plaisir,  sur  la 
première  page  de  la  partition  superbement  éditée 
par  Enoch,  cette  juste  dédicace  :  «  A  notre  colla- 
borateur Albert  Carré  reconnaissants  et  affec- 
tueux hommages,  Jean  Richepin  et  Alexandre 
Georges.  » 

17  NOVEMBRE.  —  Au  lendemain  de  la  savou- 
reuse et  pittoresque  Miarka  de  MM.  Jean  Richepin 
et  Alexandre  Georges,  qui  réalisait,  avec  son  re- 
marquable trio  :  M°^^s  Marguerite  Carré,  Héglon 
et  M.  Jean  Périer,  des  recettes  de  plus  de  neuf 
mille  francs,  l'Opérà-Comique  nous  offrait  un 
intéressant  début  :  celui  de  M^'®  Hélène  Demellier, 
une  jeune  et  intelligente  cantatrice  à  la  voix  cha- 
leureuse et  délicieusement  homogène,  qui  se  faisait 
entendre  pour  la  première  fois,  l'an  dernier,  au 
Châtelet,  en  interprétant  avec  un  rare  talent  Hulda 
de  César  Franck.  Mais  autre  chose  est  de  se  pro- 
duire sur  une  estrade  de  concert,  et  de  composer 
sur  la  scène  un  rôle  aussi  important  que  celui  de 
la  Louise  de  M.  Gustave  Charpentier,  où  se  sont 


112  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

illustrées  déjà  plusieurs  artistes  de  valeur.  M"®  De- 
mellier  n'a  trompé  aucune  des  jolies  espérances 
qu'on  avait  fondées  sur  elle.  Nous  avons  retrouvé 
la  chanteuse  au  timbre  charmant,  à  rémission 
sûre,  à  la  diction  claire  et  précise  que  nous  pro- 
mettait sa  première  apparition,  et  elle  fait  vrai- 
ment grand  honneur  au  brillant  enseignement  de 
«on  éminent  professeur.  M"*®  Ed.  Colonne.  Elle  a 
dit  son  premier  duo  avec  une  infinie  tendresse,  et 
a  vu  s'accroître  encore  l'autorité  qu'elle  prenait 
sur  le  public  à  l'acte  de  Montmartre,  où  elle  nous 
a  tous  conquis  par  la  sincérité  d'expression  de  son 
bonheur  triomphant.  On  sait  que  M.  Albert  Carré 
a  l'art  de  mettre  au  point  les  sujets  qu'il  a  dans 
la  main  :  aussi  la  comédienne  est-elle  déjà,  chez 
M"^  Demellier,  à  la  hauteur  de  la  cantatrice,  et 
<;'est  avec  beaucoup  de  grâce  et  de  simplicité,  sans 
nulle  gaucherie,  qu'elle  a  rendu  cette  touchante 
figure  de  jeune  fille,  dont  l'amour  chaste  a  de 
si  passionnés  élans.  La  jeune  débutante  était 
d'ailleurs  dignement  entourée  et  soutenue  par 
MM.  Beyle,  Dufranne,  M™^  Cocyte,  vaillants  pro- 
tagonistes de  la  belle  œuvre  de  M.  G.  Charpen- 
tier. 

23  NOVEMBRE.  —  M™^  Charlotte  Wyns  chante  le 
rôle  de  Carmen,  où  elle  se  fait  bisser  et  fréquem- 
ment rappeler. 

i6  DÉCEMBRE.  -^  Rentrée  de  M"^  Marié  de 
risle  dans  le  rôle  de  Charlotte  de  Werther,  où  les 
abonnés  l'accueillent  par  des  applaudissements 
qu'elle  partage  avec  M.  Léon  Beyle,  parfait  dans 
Werther. 


THEATRE   NATIONAL    DE    l'oPÉKA-COMIQUE       Ii3 

24  DÉCEMBRE.  —  Rentrée  très  applaudie  de 
M.  Maréchal  dans  le  Jongleur  de  Notre-Dame. 

26  DÉCEMBRE.  —  Première  représentation  de  la 
Coupe  enchantée^  comédie  musicale  en  un  acte 
(d'après  Lafontaine),  poème  de  M.  Matrat,  mu- 
sique de  M.  Gabriel  Pierné  *,  et  des  Pêcheur^  de 
Saint-Jean,  scènes  de  la  vie  maritime  en  quatre 
actes  de  M.  Henri  Gain,  musique  de  M  Gh.-M.  Wi- 
dor^.  —  En  l'honneur  de  M.  Gabriel  Pierné, 
M.  Matrat  avait  fait  très  respectueusement  et  très 
adroitement,  dd  la  célèbre  Coupe  enchantée  de  La 
Fontaine,  un  livret  d'opéra-comique.  Avant  d'être 
représenté  à  Paris,  Touvrage  fut  donné  au  Casino 
de  Roy  an  avec  un  succès  qu'il  retrouvait  ici.  Ne 
savons-nous  pas  que  Fauteur  de  la  Fille  de  Taba- 
rin  est  un  musicien  excellent,  intelligent  et  avisé, 
n'ignorant  rien  de  son  art,  et  que  tout  ce  qui  sort  de 
sa  plume  experte  et  singulièrement  agile  est  tou- 
jours charmant,  élégant  et  pimpant?  L'orchestre 
de  M.  Pierné  fourmille  de  ravissants  détails,  d'a- 
droites associations  de  timbres,  de  jolis  effets  de 
sonorité,  d'heureuses  trouvailles  ;  partout  ce  ne 
sont  que  babioles  .chatoyantes,  amusettes  frin- 
gantes,   rencontres    piquantes  et,  ingénieux    pas- 


1.  Distribution.  —  Josselin,  M.  A /^ard.— Thibaut,  M.  Cazeneuve.  — 
Bertrand,  M.  Delvoye.  —  Griffon,  M.  Gourdon.  —  Tobie,  M.  Mes- 
^naecker.  —  Anselme,  M.  Aséma.  —  Lucinde,  MU»  Rachel  Launay.  — 
Lélie,  M»«  Fairy.  —  Perrette,  M»»"  Dangès. 

L'orchestre  était  dirigé  par  M.  E.  Picheran". 

2.  Distribution.  -—  Jacques,  M.  Salignac.  —  Jean-Pierre,  M.  Vieuille. 
Marc,  M.  Carbonne.  — Landi,  M.  Billot.  —  L'hôtelier,  M.  Azéma.  — 
Marie-Anne,  M^*«  Claire  Friche.  —  Madeleine,  M™»  Cocyte.  —  Jeanne, 
Miu  Comè8. 

I/orchestre  était  dirigé  par  M.  Ruhlmann. 

ANNALES  DU  THEATRE  S 


Il4  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

tiches.  Dans  Tinlerprétalion  —  beaucoup  plus 
brillante  du  côté  du  sexe  fort  que  du  côté  féminin 

—  il  fallait  mettre  absolument  hors  pair  M.  Âllard, 
aussi  bon  chanteur  que  bon  comédien  —  il  enle- 
vait vaillamment  Fair  de  la  Coupe  —  et  adresser 
force  éloges  à  MM.  Delvoye  et  Cazeneuve,  ce  der- 
nier sous  les  traits  du  rusé  paysan  Thibaut,  ce 
mari  malin  qui  refuse  d'être  trop  exactement  ren- 
seigné sur  son  sort.  —  C'est  à  Saint-Jean-de-Luz 
que  se  passent  les  quatre  actes  —  en  prose  —  que 
M.  Henri  Gain  a  intitulés  <(  scènes  de  la  vie  mari- 
time ».  Le  rideau  se  lève  sur  un  baptême  :  celui 
de  la  nouvelle  barque  de  Jean-Pierre,  dont  Jacques 

—  le  pilote  désigné  —  est  le  parrain,  dont  la 
marraine  n'est  autre  que  Marie-Jeanne,  la  fille  du 
patron  :  —  «  Regardez  donc  comme  ils  sont  gen- 
tils tous  les  deux  !  Quel  joli  couple  ça  ferait!  »  dit 
à  Jean-Pierre  Madeleine,  la  mère  de  Jacques.  Et 
le  sévère  patron  de  répondre  :  «  Deviens-tu  folle  ? 
donner  ma  fille  à  un  gars  sans  le  sou  !  »  Toute  la 
pièce  est  là...  Les  deux  jeunes  gens  s'adorent; 
ils  se  sont  juré  d'être  l'un  à  l'autre...  Mais, 
croyant  qu'il  n'en  voulait  qu'à  son  argent,  Jean- 
Pierre  a  durement  chassé  Jacques  de  chez  lui. 
Désespéré,  celui-ci  s'est  mis  à  boire  pour  oublier 
son  chagrin,  et  a  refusé  de  prendre  du  service 
atitre  part.  Il  erre  sur  le  port  quand,  de  la  jetée, 
après  une  terrible  nuit  d'orage,  on  aperçoit  un 
bateau  en  détresse  :  c'est  la  barque  à  Jean-Pierre. 

—  «  L'Océan  me  venge!  »,  s'écrie  Jacques.  — 
«  C'est  mon  père  qui  se  meurt!  »  implore  Marie- 
Anne.  Et  pour  elle,  l'habile  pilote  vole  au  secours 


THEATRE    NATIONAL    DE    l'oPÉRA-COMIQUE       Ii5 

des  naufragés;  avec  quelques  braves  matelots 
comme  lui,  il  met  un  canot  à  la  mer.  Courage  ! 
Ils  sont  sauvés  !  Comment  Jean-Pierre  refuserait-il 
désormais  sa  fille  à  celui-là  même  auquel  il  doit  la 
vie?...  N'est-il  pas  étonnant  qu'avec  un  sujet 
aussi  mince  —  vous  avez  vu  qu'il  tenait  en 
quelques  lignes  de  récit  —  les  auteurs  aient 
réussi  à  intéresser  le  public  pendant  quatre  actes  ? 
C'est  qu'aussi  le  librettiste,  en  des  situations  très 
simples,  sans  doute,  mais  très  humaines,  a  su 
donner  la  vie  à  ses  personnages  et  que  le  compo- 
siteur leur  a  fait  chanter  la  musique  qu'il  fallait. 
Depuis  Maître  Ambros  à  l'Opéra-Comique  —  cela 
ne  date  pas  d'hier  !  —  et  depuis  la  musique  de 
scène  de  Conte  d'Avril  à  l'Odéon,  l'auteur  de  la 
Korrigane  n'avait,  croyons-nous,  rien  donné  au 
ihéâtre.  Sa  nouvelle  partition  est  d'un  ordre  très 
élevé,  œuvre  d'art  franche  et  sincère^  vraiment 
française,  en  dépit  de  la  profonde  connaissance  qu'a 
certainement  M.  Widor  de  l'admirable  manière  de 
Richard  Wagner.  Nous  aimons  ce  long  duo  d'a- 
mour qui  remplit,  pour  ainsi  dire,  toute  la  pièce, 
sans  réussir  jamais  à  devenir  monotone,  tant  il 
reste  vrai,  vibrant  et  passionné;  nous  aimons  ces 
chœurs  qui  sonnent  toujours  merveilleusement, 
ces  savantes  pages  symphoniques  qui,  superbe- 
ment, ouvrent  chacun  des  actes,  pour  arriver  au 
dernier,  où  sont  si  dramatiquement  décrites  les 
furies  de  la  tempête;  nous  aimons  encore  ces  épi- 
sodes variés  et  pittoresques,  entre  autres  la  béné- 
diction du  bateau,  où,  dans  le  vaillant  composi- 
teur  des   Pêcheurs   de  Saint-^ean,    nous   avons 


Il6  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

retrouvé  le  puissant  maître  organiste  de  Saint- 
Sulpice. . .  Et  sauf  le  ballet  des  Sardinières,  d'une 
invraisemblance  peut-être  un  peu  forte  au  milieu 
de  ces  tableaux  réalistes,  nous  n'avons  rien  à  re- 
trancher d'un  ouvrage  de  si  heureuse  venue  et 
de  si  noble  tenue.  M.  Widor  a  eu  la  bonne  fortune 
de  rencontrer  des  interprètes  convaincus  qui  ont 
su  se  grandir  à  sa  taille  :  M**^  Friche,  à  la  voix 
généreuse,  aux  accents  émouvants  ;  le  ténor  Sa- 
lignac,  comédien  plein  d'ardeur  et  de  feu  ; 
M.  Vieuille,  un  vrai  artiste  au  talent  toujours 
sûr;  M.  Carbonne,  qui  ne  laisse  pas  tomber  le 
rôle  le  plus  infime  ;  M™^  Cocyte,  une  mère  infi- 
niment pathétique. . .  Le  compositeur  a  trouvé 
aussi,  en  la  personne  de  M.  Ruhlmann,  un  chef 
d'orchestre  accompli,  à  qui,  dès  l'ouverture^  si 
verveusement  conduite,  le  public  faisait  une  légi- 
time ovation.  Puis  M.  Albert  Carré  a  entouré 
l'œuvre  d'une  mise  en  scène  admirablement  soi- 
gnée, comme  toujours  en  son  théâtre  :  quelle  jolie 
nouveauté  que  la  mer  démontée  du  dernier  acte, 
avec  ses  paquets  d'écume  bondissant  sur  la  jetée  : 
on  n'a  jamais  rien  fait  de  mieux  dans  le  genre 
«  tempête  »... 

3 1  DÉCEMBRE.  —  Daus  Miavka^  donnée  en  ma- 
tinée, M"'^  Héglouj  en  représentations,  chantait 
encore  une  fois  le  rôle  de  la  Vougne,  dont  elle 
avait  fait  une  si  admirable  création. 


THEATRE   NATIONAL   DE    l'oPÉRA-COMIQUE       II7 


Le  Chalet f  opéra-comique 

La  Traviata,  opéra 

Lakvfié,  opéra-comique 

Les  Noces  de  Jeannette j  opéra-comique . 

Manony  drame  lyrique 

La  Fille  du  Régiment,  opéra-comique  . . 

Le  Jongleur  de  Notre-Dame,  miracle 

Carmen,  opéra-comique 

Le  Vaisseau  fantôme,  opéra 

Cavalleria  Rusticana,  drame  lyrique  . . . 

Les  Dragons  de  Villars,  opéra-comique. 

La  Vie  de  Bohème,  comédie  lyrique 

Louise^  roman  musical 

'^Xavière,  idylle  dramatique 

^Hélène,  poème  lyrique 

Mireille,  opéra-comique 

Mignon,  opéra-comique 

Werther,  drame  lyrique 

Les  Rendez-vous  bourgeois,  opéra-comiq. 

Le  Domino  noir,  opéra-comique 

Orphée,  drame  lyrique 

*  L'Enfant  Roi,  comédie  lyrique 

Le  Légataire  universel,  opéra  bouffe 

JPelléas  et  Mélisande,  drame  lyrique 

Le  Barbier  de  Séville,  opéra-bouffe 

Le  Cor  fleuri,  féerie  lyrique 

Alceste,  tragédie  opéra 

Le  Roi  d'Ys,  opéra 

*La  Cabrera,  drame  lyrique.^ 

JPhilémon  et  Baucis,  opéra-comique 

^Chért4bin,  comédie  chantée 

Grisélidis,  conte  lyrique 

Le  Maître  de  Chapelle,  opéra-comique.. 
*2kfiarka,  comédie  musicale 

Le  Caïd,  opéra-comique 

*Les  Pêcheurs  de  Saint-Jean,  scènes  de 

la  vie  maritime 

-^La  Coupe  enchantée,  comédie  musicale.. 

V 


DATE 

NOMBRE 

NOMBRE 

delà 

de 

iM  représ. 

représent. 

d'actes 

ou  de  la 

pendant 

reprise 

Tannée 

1 

» 

7 

4 

» 

13 

3 

» 

23 

1 

» 

8 

3 

» 

22* 

2 

)) 

12 

3 

M 

30 

4 

» 

38 

3 

•      )) 

19 

2 

» 

33 

3 

)) 

8 

4 

» 

17 

4  a.  5  t. 

» 

16 

3 

18  janv. 

8 

4  tabl. 

ISjanv. 

7 

5  a.  7  t. 

)) 

10 

3a.4t. 

» 

16 

4  a.  5  t. 

» 

21 

1 

» 

7 

3 

)) 

é 

3 

)) 

11 

5 

3  mars 

12 

3 

» 

4 

5 

» 

6 

4 

» 

17 

1 

» 

3 

3  a.  6  t. 

» 

3 

3  a.  5  t. 

)) 

4 

2  part. 

5  mai 

13 

2 

» 

5 

3 

23  mai 

14 

3 

» 

4 

1 

» 

2 

4a.5t, 

7   nov. 

17 

2 

» 

4 

4 

28  déc. 

3 

1 

26  déc. 

3 

THÉÂTRE  NATIONAL  DE  L'ODÉON 

(second    THEATRE    FRANÇAIS)* 


Les  Venir  es  dorés  de  M.  Emile  Fabre,  Jeunesse 
de  M.  André  Picard,  le  Cœur  et  la  Loi  des  frères 
Margueritte,  la  Variation  de  M.  Pierre  Soulaine 
et  le  Patrimoine  d'Ambroise  Janvier  sont,  avec 
Hippolyte  couronné^  le  drame  antique  de  M.  Jules 
Bois,  les  six  ouvrages  inédits  représentés  à  l'Odéon 
pendant  une  année,  que  remplissent  encore,  avec 
le  répertoire  courant,  des  reprises,  comme  celles  de 
Thérèse  Raquin  d'Emile  Zola  et  de  la  Souris 
d'Edouard  Pailleron. 

1 2  JANVIER.  —  Première  représentation  du  Pa- 
trimoine, comédie  en  trois  actes  de  M.  Ambroise 
Janvier*,  précédée  de  Le  Petit,  drame  en  un  acte 
de  M.  Alban  de  Pohles  *.  —  Avec  les  Appeleurs^ 
dont  le  sort  fut  d'ailleurs  assez  médiocre,  M.  Am- 
broise Janvier  avait  esquissé  une  tentative  quasi- 


1.  DiSTBiBUTioN.  —  Lhominois,  M.  Gémier.  —  De  Mérivel,  M.  Coste. 
—  Jean  Berthier,  M.  Louis  Marié.  —  Baptiste,  M.  Berger.—  M»»  Wil- 
liams, M««  Andrée  Mégard.  —  M"»*  Lhominois,  Mme  Emma  Bonnet.  — 
M*>*  de  Mérivel,  M"«  Z>e^on.  —  Andrée,  W^*' A.  Dérives.  —  Pauline, 
M»?  Spindler.  —  Maud,  M"»  DoU.^ 

2.  DiSTRiBunoîT.  —  François,  M.  Darras.  —  Le  Père,  M.  Daumerie. — 
Henri,  M.  B.  Terrier.—  La  Mère,  M"»*  de  Dosmes.—  Victoire,  M»»  Des- 
vergers. 


120  LES    ANNALES    DU    THEATRE 

Ibsénienne,  et  voulu  élever  son  genre.  Cette  fois,  il 
revient  à  ses  premières  amours  :  à  la  comédie  légère, 
pour  ne*  pas  dire  au  pur  vaudeville.  Le  Patrimoine 
eût-il  mieux  réussi  autre  part  qu'à  TOdéon?  Nous  ne 
saurions  Taffirmer.  Toujours  est-il  que,  sur  notre 
seconde  scène  littéraire,  le  sujet  en  a  semblé  légère- 
ment déplacé  et  qu'en  ces  trois  actes  qui  se  répè- 
tent, la  pièce,  de  gaie  qu'elle  apparaissait  au  pre- 
mier acte,  devait  forcément  aboutira  la  monotonie. 
M'"®  de  Mérivel,  qui  voit  s'en  aller  à  vau-l'eau  sa 
fortune  sans  cesse  dissipée  par  un  mari  galantin, 
vient  d'apprendre,  par  les  renseignements  d'une 
agence  bien  informée,  qu'une  nouvelle  frasque  va 
mettre  le  comble  à  sa  ruine.  Que  faire  pour  arrêter 
le  désastre,  alors  qu'il  en  est  encore  temps?  Elle 
consulte,  à  cet  effet,  son  notaire,  M.  Lhominois, 
qui,  cherchant  inutilement  dans  le  code  des  combi- 
naisons préservatrices,  ne  trouve  qu'un  moyen  de 
sauver  la  situation  :  «  Pourquoi  M.  de  Mérivel  ne 
prend-il  pas  pour  maîtresse  une  honnête  femme?  » 
Et  voici  que  justement  se  présente  une  élégante 
Américaine,  M™«  Williams,  que  M.  de  Mérivel  a 
déjà  quelque  peu  courtisée  durant  un  séjour  en 
Italie.'  De  passage  à  Paris,  elle  répond  à  l'invita- 
tion que  lui  ont  faite  ses  aimables  compagnons  de 
voyage,  et  M™®  de  Mérivel  qui  avait  voulu  l'éviter 
autrefois  par  un  départ  précipité,  se  plaît  aujour- 
d'hui à  l'installer  chez  elle,  puisqu'elle  doit  servir 
ses  projets.  Mais  il  est  dit  que  la  pauvre  femme 
vivra  dans  des  transes  perpétuelles  :  cette  Améri- 
caine, qu'elle  croyait  trop  fière  pour  se  livrer  à  de 
basses  convoitises,  n'a,  au  contraire,  qu'un- but  : 


THEATRE    NATIONAL    DE    L  ODEON  1 2 1 

celui  de  faire  dépenser  le  plus  d'argent  possible  à 
ces  Français,  si  soucieux  de  conserver  leur  patri- 
moine. Elle  commence  par  se  faire  offrir  par  M.  de 
Mérivel  un  bracelet  de  trente  mille  francs,  et  con- 
tinue en  déclarant  qu'elle  attend  de  lui  Tachât  d'une 
propriété  digne  d'elle.  C'est  à  ce  prix  que  ses  fa- 
veurs lui  seront  acquises.  M^^  Lhominois,  femme 
de  glace  pour  son  mari^  le  brave  notaire,  et  femme 
de  feu  pour  M.  de  Mérivel  qu'elle  poursuit  de  ses 
ardentes  assiduités,  est  constamment  aux  écoutée. 
Elle  vient  donc  de  surprendre  la  nouvelle  qui  met 
encore  une  fois  le  désarroi  dans  cette  famille  affo- 
lée. «  Pourquoi  s'adresser  à  une  étrangère?  » 
s'écrie-t-elle,  pensant  que  ces  gens  étaient  bien  peu 
avisés  d'aller  chercher  si  loin  ce  qu'ils  avaient  là, 
si  près  d'eux.  M^^  Williams  n'a  pas  l'âme  aussi 
noire  qu'on  aurait  pu  le  croire  ;  elle  a  reçu  les  con- 
fidences de  sa  petite  amie  Andrée  de  Mérivel ,  dont  le 
mariage  se  ferait  sans  les  dissipations  paternelles  ; 
elle  entrevoit  le  mal  qu'elle  a  pu  faire  et  s'ingénie 
à  le  réparer.  Elle  cédera  donc  la  place,  en  mettant 
dans  la  corbeille  de  la  fiancée  le  bracelet  offert  par 
le  père.  Et  celui-ci  se  vengera  des  insupportables 
semonces  du  notaire^  en  exigeant  de  M^^  Lhomi- 
nois un  luxe  de  toilette  et  une  somptuosité  de  des- 
sous, qui  mettront  bientôt  à  sec  la  caisse  du  tabel- 
lion justement  trompé.  M"^«  Andrée  Mégard  est 
une  Américaine  pur  sang  dont  l'accent  a  autant  de 
charme  que  d'exactitude.  Le  rôle  de  M™®  Williams 
est  une  fort  jolie  composition  à  l'actif  de  l'adroite 
et  intelligente  artiste.  Sous  les  cheveux  grisonnants 
de  M.  de  Mérivel,  M.  Coste  laisse  deviner  toute 


122  LES    ANNALES    DU    THEATRE 

l'ardeur  juvénile  de  l'infatigable  marcheur  qui  fait, 
de  gaieté  de  cœur,  la  désolation  de  toute  sa  famille. 
M"*®  Emma  Bonnet  a  de  la  verve  en  l'incandescente 
M"^  Lhominois  dont  elle  porte  avec  élégance  les  ca- 
tapultueuses  toilettes.  M"*®  Dehon  est  une  belle 
matrone  —  ainsi  Tappelle  TAméricaine  —  qui  sup- 
porte avec  dignité  les  tracas  conjugaux.  M"®  Spindler 
est  une  jeune  femme  de  chambre,  séduisante  et 
futée,  dont  l'avenir  n'a  rien  qui  nous  inquijète. 
Comment  M.  Gémier,  au  talent  d'ordinaire  si  sûr, 
n'a-t-il  pas  mis  plus  de  vérité  dans  le  rôle  de  Lho- 
minois,  et  pourquoi,  en  le  voyant  s'agiter,  dans 
des  gestes  saccadés  à  la  façon  d'un  fantoche, 
étions-nous  hanté  par  le  souvenir  de  sa  création 
d'Ubu  Roi?... 

i4  JANVIER.  —  C'est,  au  samedi  cinq  heures, 
la  seconde  causerie  de  M.  Franc -Nohain  «  le 
Voyage  »*. 

i5  JANVIER.  —  Pour  l'anniversaire  de  la  nais- 
sance de  Molière,  on  donne,  avec  le  Malade  ima^ 
ginaire  et  Georges  Dandin,  la  Farce  du  Médecirij 
à-propos  en  un  acte,  en  vers,  de  M.  Pierre  Lafe- 
nestre2. 

20  JANVIER.  —  Représentation  classique  popu- 
laire; on  donne  Britannicus  avec  M.  de  Max  et 


1.  Voici  quel  en  était  le  programme  :  1.  Fuyons  Paris...  (Rollinat)r 
M.  Séverin;  2.  La  Ballade  de  l'hirondelle  (J.  Richepin),  M"»  Taillade? 
3.  Si  tu  veux  faisons  un  rêve  (V.  Hugo),  M"»»  Félyne;  4.  Panthéon- 
Courcelles  (Courteline),  M.  R.  Liser  ;  5.  Voyage  d'agrément  (C.  Dickens)^ 
M.  Cazalis;  9.  Aventure  de  voyage  (P.-L.  Courier),  M.  Violet;  7.  Vei't- 
Vert  (Gresset),  MH«  Doil  ;  8.  Bonjour  Suzon  (chanson  de  Léo  Delibes), 
Mlle  Rosnier  ;  9.  Le.  Voyage  (Baudelaire),  M.  Janvier. 

2.  Distribution.  —  Molière,  M.  Violet.  —  Georges  Pinel,  M.  Liser.  — 
Poquelin,  M.  Godeau.  —  Madeleine  Béjart,  M^i"  C.  Duran, 


THËATRB    NATIONAL   DE    L^ODÉON  12  J 

M*«  Tessandier  ^  et  le  Médecin  malgré  lui,  pour 
la  rentrée  de  M.  Duard  *. 

28  JANVIER.  —  L'Odéon  devait  à  VArlésienne^, 
qui  si  souvent  fut  sa  planche  de  salut,  de  célébrer 
sa  cinquantième  représentation.  C'est  le  5  mai 
i885  que,  sous  la  direction  Porel,  était  triompha- 
lement entrée  au  répertoire  du  second  Théâtre- 
Français  la  célèbre  pièce  de  Daudet,  si  froidement 
accueillie  treize  ans  auparavant  au  Vaudeville,  où 
l'avait  montée  Carvalho.  Est-il  besoin  de  rappeler 
ici  les  émouvants  épisodes  d'un  drame  que  tout  le 
monde  connaît  :  la  touchante  histoire  de  la  chèvre 
de  M.  Seguin,  la  si  belle  scène  du  conseil  de  fa- 
mille, et  surtout  l'entrevue  des  deux  vieillards  qui, 
s'étant  aimés  chastement  dans  leur  jeunesse,  échan- 
gent, après  une  séparation  d'un  demi-siècle,  leur 
premier  baiser.  Rien  de  plus  charmant  et  de  plus 
vrai  :  un  chef-d'œuvre^  cette  scène  délicieuse  dont 
M™«  Favart  —  l'éminente  artiste  que  vous  savez 
—  a  fait  admirablement  comprendre  l'originale 
saveur.  Elle  l'a  jouée,  en  compagnie  de  M.  de  Max, 
majestueux  et  digne  dans  le  vieux  berger  philoso- 
phe, avec  une  émotion  attendrie  qui  est  allée  au 


1.  Distribution.  —  Néron,  M.  de  Max.  —  Burrhus,  M.  A.  Lambert.— 
Narcisse,  M.  Daumerie.—  Britannicus,  VL.  Roger.—  Agrippine,M««»«  Tes- 
tandier,  -—  Al]»ine,  M"»  /.  Even.  —  Junie,  M"»  Taillade. 

8.  Distribution.  —  Sganarelle,  M.  Duard.  —  Géronte,  M.  Cornaglia. 
—  Lucas,  M.  Cazalis:  —  Valére,  M.  Duparc.  —  Léandre,  M.  Louis-Ma- 
rie.—'BLobert,  M.  Taldy.—  Martine,  M"»  Léo  Renn.—  Jacqueline,  Mii«J^. 
Promant.  —  I^ucinde,  M»»  Rosni-Deryê. 

3.  Le  prom'amme  du  u  cinq  heures  »  se  composait  d'une  causerie  de 
M.  Léo  Claretie  :  «  La  Danse  »,  avec  le  concours  de  M""»  Zambelli. 
^athilde  Salie,  Meunier,  de  l'Opéra,  de  Wt*  Delcourt  ei  de  M.  William 
Marie. 


124  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

cœur  de  tous.  Que  dire  encore  de  M"*^  Tessandier, 
sinon  que  son  talent  n'a  peut-être  jamais  paru  plus 
beau,  plus  complet,  plus  soutenu  que  dans  ce  rôle 
•de  mère,  dont  elle  indique  les  nuances,  les  dou- 
leurs, les  anxiétés  et  la  sensibilité  nerveuse  avec 
une  incomparable  vérité  !  Elle  fait  frémir  toute  la 
salle  en  redescendant  Tescalier,  Tescalier  de  Chat- 
terton —  et  a,  au  moment  de  la  chute  de  son  fils, 
un  de  ces  cris  tragiques  qui  sont  tout  simplement 
des  trouvailles  de  génie.  M.  Dorival  joue  Frédéri 
avec  une  rare  vigueur  d'expression  :  Taillade  n'eût 
pas  mieux  rendu  autrefois  la  scène  finale.  VArlé- 
sienne  nous  avait  jadis  révélé  W^^  Bartet,  dont  le 
succès,  dans  Vivette,  était  un  charme.  Nous  y 
louerons,  aujourd'hui,  la  douce  voix  et  la  claire  • 
diction  de  M*'«  Sylvie,  qui  rend  le  rôle  d'une  façon 
très  touchante.  N'oublions  ni  M.  Gornaglia,  tou- 
jours excellent  dans  le  rôle  de  Francet  Mamaï 
qu'il  créa  sur  cette  même  scène;  ni  M.  Darras, 
dans  le  patron  Marc,  marinier  du  Rhône  et  capi- 
taine de  la  Belle-Arsène^  qui  essaie  de  jeter  une 
note  gaie  au  milieu  des  sombres  péripéties  de  ce 
drame  d'amour  ;  ni  M"^  Taillade,  fort  gentille  sous 
les  traits  du  petit  Innocent.  On  sait  quelle  est  la 
valeur  de  la  musique  écrite  par  Bizet  pour  le  drame 
de  V Artésienne^  quel  régal  c'est  pour  l'auditeur 
que  ces  harmonies  si  fines,  au  si  élégant  contour. 
Le  prélude,  le  final  du  premier  acte,  la  pastorale, 
l'appel  des  bergers,  l'entr'acte  du  troisième  tableau 
avec  la  belle  phrase  que  le  saxophone  et  le  cor 
jouent  à  l'octave,  la  valse-menuet,  le  carillon,  le 
duettino  pour  deux  flûtes  auquel  l'auteur  de  Carmen 


THÉÂTRE    NATIONAL    DE    l'oDÉON  125 

a  SU  donner  la  couleur  rétrospective  exigée  par  la 
situation,  Fandante  qui  y  fait  suite,  la  farandole,. 
Tentr'acte  du  cinquième  tableau,  le  lever  du  rideau 
et  le  final  :  autant  de  pages  de  maître.  Savamment 
conduits  par  M.  Edouard  Colonne,' les  musiciens- 
de  TOdéon  rendent  avec  un  sentiment  exquis  la 
délicieuse  partition.  Gloire  à  Bizet!  Honneur  à 
M.  Colonne  !  On  eût  tout  bissé  !  Une  des  particu- 
larités de  la  pièce  est  que  TArlésienne  reste  à 
Arles  :  la  scène  se  passe  en  Camargue,  au  mas  de 
Castelet...  Le  spectateur  naïf  sonne,  d'acte  en  acte^ 
à  la  cantonade,  et  réclame  vivement  TArlésienne, 
toujours  sortie  et  jamais  rentrée,  comme  était 
autrefois  M™®  Benoîton  de  Sardou...  Eh  bien! 
n'eût-elle  fait  que  traverser  le  fond  du  théâtre, 
j'aurais  aimé  voir,  dans  son  sévère  costume  de  soie 
et  de  velours,  cette  fière  beauté  que  deux  galants 
se  disputent  et  pour  laquelle  meurt  d'amour  le 
plus  fou  des  deux...  M.  André  Rivoire  nous  Ta 
fait  très  ingénieusement  apparaître,  en  l'honneur 
de  la  cinq-centième  représentation,  en  de  très^ 
nobles  vers  que  nous  a  dits  très  harmonieusement 
M"e  Sergine.  Le  poète  et  son  interprète  ont  obtenu 
les  justes  applaudissements  qu'ils  méritaient... 

2  FÉVRIER.  —  Mérope  de  Voltaire,  avec  M"^^  Tes- 
sandier,  reparaît  au  programme  de  la  matinée 
classique  du  jeudi. 

4 FÉVRIER.  —  Au  «  cinq  heures  »,  causerie  de 
M.  Jules  Bois  :  «  le  Miracle  moderne  ))^ 

i-  Au  programme  :  Claire  (Victor  Hugo),  MUe  Marcilly.  Stérile  (Th. 
Gautier),  M»*  Taillade.  Morella  (Edgar  Poë),  M.  Janvier.  Somnamhu- 
^wme  (Balzac),  M.  Marié  de  L'Isle,  M»"  Gladys-Maxhance  et  Spindler.  - 


120  LES  ANNALES  DU  THEATRE  ' 

6  FÉVRIER.  —  Avec  le  Légataire  universel^  on 
donne  Horace,  pour  la  continuation  des  débuts  de 
M'ie  Sergine  et  de  M,  Maxudian. 

8  FÉVRIER.  —  L^Odéon  introduisait  à  son  réper- 
toire la  célèbre  pièce  qui  fut^  il  y  a  trente-deux 
ans,  le  début  au  théâtre  d'Emile  Zola.  Depuis  sa 
première  représentation  à  la  Renaissance  où  elle 
n'obtint  qu'un  succès  médiocre,  Thérèse  Raquin  * 
n'avait —  quoi  qu'on  dise  —  jamais  été  reprise 
que  pour  une  seule  soirée  donnée  au  Vaudeville, 
au  bénéfice  de  l'Œuvre  de  la  société  maternelle 
parisienne,  la  Pouponnière,  fondée  par  M"*^  Geor- 
ges Charpentier.  Les  principaux  interprètes  de  ce 
drame,  lors  de  cette  représentation  sans  lendemain, 
étaient  M"*«  Jane  Hading  dans  le  rôle  de  Thérèse, 
Antoine  dans  celui  de  Laurent,  Saint-Germain  dans 
Grivet,  Marie  Laurent,  dans  le  rôle  de  M"*®  Raquin, 
qu'elle  avait  précédemment  créé.  Tout  le  monde 
<;onnaîtle  sujet  de  Thérèse  Raquin:  deux  amants 
qui  suppriment  le  mari  pour  se  rendre  heureux, 
«t  qui  ont  compté  sans  le  remords  de  leur  crime. 
En  devenant  des  meurtriers,  ils  ont  «  tué  l'amour». 
De  même  Macbeth,  en  égorgeant  le  roi,  avait  «  tué 
le  sommeil  ».  Le  principal  défaut  de  Thérèse  Ra- 
quin, c'est  qu'elle  impose  au  spectateur  une  tension 
d'esprit  trop  longue  et  trop  uniforme.  L'horreur 
en  est  l'unique  ressort  ;  le  milieu  où  elle  est  placée 
ne  la  rehaussé  point.  Toujours  devant  l'œil  cette 


1.  Distribution.  —  Laurent,  M.  Dorival.  —  Grivet,  M.  Janvier.  — 
•Camille,  M.  Marié  de  L'Isle.  —  Michaud,  M.  Darras.  —  M««  Raquin? 
M"e  Tessandier.  —  Thérèse  Raquin,  M"»e  Mégard.  —  Suzanne,  M»"  R<^^' 
ni-Derys. 


THEATRE  NATIONAL  DB  L  ODEON       I27 

• 

chambre  où  Ton  respire  une  si  écœurante  atmos- 
pbère,  toujours  ce  lit,  ce  mobilier  bourgeois,  tou- 
jours ces  bonshommes  étriqués  ou  ces  criminels 
repoussants  ;  on  étoufFe  là-dedans,  on  aurait  besoin 
d'une  bouffée  d'air  vif  et  pur.  Hippolyte  Hoslein, 
le  directeur  du  théâtre  de  la  Renaissance,  où,  pour 
la  première  fois,  fut  jouée    Thérèse  Raquin^  en 
1873,   avait,    paraît-il,    éprouvé  celte    sensation  : 
pour  faire  diversion,  il  avait  demandé  un  acte  de 
plus  se  déroulant  à  Saint-Ouen,  sui*  les  bords  de 
la  Seine  :  un  peu  d'eau  et  de  verdure  eussent  rafraî- 
chi les  sens  !  Au  dernier  moment,  cet  acte  fut  cou- 
pé. Il  n'était  point  réussi  sans  doute.   Tant  pis  ! 
car  il  était  bien  utile.  Moins  intense  est,  à  notre 
avis,  l'effet  produit  par  la  pièce  que  n'était  celui 
du  sensationnel  roman  d'où  elle  est  tirée.   Les  la- 
cunes y  sont  nombreuses.  On  ne  comprend  point, 
par  exemple,  que  l'amant  de  Thérèse  Raquin  de- 
vienne subitement,  de  complicité  avec  sa  maîtresse, 
sans  lutte,  sans  gradation,  l'assassin  du  mari.  Le 
premier  acte  ne  suffit  pas  pour  initier  le  public  au 
lempéraiTienl    de  cet  homme  et  de  cette  femme. 
Mais  en  entendant  ce  soir  à  l'Odéon  les  belles  envo- 
lées tragiques  de  Thérèse  Raquin   —  ah  !   cette 
épouvantable  nuit  de  noces  !  —  nous  ne  pouvions 
nous  empêcher  de  penser  combien  ceux  qui^   en 
«873,  après  l'audition  de  la  pièce,  décrétèrent  que 
le  romancier  n'était    pas  un  homme  de  théâtre, 
firent  preuve  d'aveuglement  sectaire  et  de  parti  pris. 
Pas  homme  de  théâtre,  l'inventeur  du  rôle  muet 
de  la  mère  paralysée  au  quatrième  acte  !  Que  leur 
fallait-il  donc?  Une  femme  sensuelle  et  méchante 


128  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

• 

s'est  emparée  du  cœur  d'un  bon  gros  garçon  ;  elle 
le  possède  si  bien,  qu'elle  décide  cette  âme  simple 
à  tuer  le  pauvre  individu  malingre  et  chétif  qu'elle 
a  épousé.  Tous  deux  le  jettent  à  l'eau  un 
beau  jour;  mais  comme  ce  ne  sont  que  des^ 
((  occasionnels  »,  qu'ils  ne  sont  pas  criminels  de 
profession,  bientôt  le  remords  s'attache  à  eux  et 
s'empare  de  leur  vie.  Ce  remords,  c'est  lui  le  prin- 
cipal personnage  du  drame,  c'est  lui  qui  sépare  et 
enchaîne  les  complices  de  la  même  faute  ;  c'est  lui 
qui  les  empêche,  nouveaux  mariés,  de  s'embrasser 
et  de  s'aimer,  lui  quf,  par  ses  hallucinations,  les- 
afFole,  les  exaspère  et  transforme  l'alcôve  nuptiale 
en  une  chambre  d'horreur  ;  c'est  lui  enfin  qui  lei^ 
tuera.  Mais,  auparavant,  l'auteur  a  tenu  à  le  per- 
sonnifier, ce  remords^à  le  montrer  vivant  sur  Ja 
scène.  C'est  la  mère  paralysée,  accusatrice,  voyante 
et  muette,  qui  se  dressera  sans  cesse  devant  eux,  la 
mère  qui  aura  découvert  le  crime  et  ne  pourra 
parler,  la  mère  qui  tiendra  les  coupables  haletants 
sous  ses  regards  d'acier,  la  mère  vengeresse,  dont 
les  regards  tueront.  Cela  n'est-il  pas  d'une  gran- 
deur  superbement  épique,  d'une  puissance  que 
l'on  ne  retrouverait  guère  que  chez  les.  Grecs  ou 
dans  Shakespeare?  C'est  bien  l'effroi  tragique  dans, 
toute  son  horreur,  et  cette  scène  géante,  où  se 
passe-t-elle  ?  Ce  n'est  point  parmi  les  héros  de  la 
guerre  de  Troie,  ni  dans  un  burg  de  barons  féo- 
daux, ni  dans  le  palais  des  rois  d'Aragon,  mais 
dans  l'arrJère-boutique  d'une  mercière,  passage  du 
Pont-Neuf...  C'est  très  beau,  très  poignant,  parce 
qu'on  sent  l'humanité  éclater  dans  ces  personnages 


THÉÂTRE    NATIONAL    DE    l'oDÉON  I29 

de  théâtre,  on  sent  leurs  luttes  intérieures,  on  voit 
de  vrais  coupables,  se  débattant  contre  de  vrais 
remords,  se  déchirer  entre  eux  et  déchirer  leur 
propre  cœur.  Ce  n'est  plus  une  aventure  quelcon- 
que qui  cherche  à  nous  émouvoir,  c'est  la  doulou- 
reuse et  méchante  vie  avec  ses  sensations  et  ses 
sentiments  qui  palpite  devant  nous,  vibrante  et 
pantelante...  M*"*  Andrée  Mégard,  si  belle  sous  sa 
chevelure  rouge,  a  joué  Thérèse  Raquin  avec  une 
énergie  farouche,  une  âpreté,  une  conviction  dont 
on  a  été  saisi.  Elle  a  dit,  notamment,  telle  scène 
du  quatrième  avec  un  accent  de  vérité  qui  a  fait 
éclater  les  applaudissements.  C'ette  composition  lui 
fait  véritablement  honneur.  M.  Dorival  a  de  beaux 
moments  de  rage  et  de  vigueur  sous  les  traits  de 
I^urent.  M.  Janvier  donne  une  physionomie  très 
plaisante  au  vieux  garçon  et  vieux  maniaque  Gri- 
vel.  M.  Darras  est  excellent  dans  Tancien  commis- 
saire Michaud.  Et  M.  Marié  de  L'Isle  tire  tout  le 
parti  possible  du  rôle,  forcément  écourté,  de 
Camille.  Quant  à  M""^  Tessandier,  elle  est  de  tout 
point  admirable.  On  ne  saurait  pousser  plus  loin 
l'art  d'exprimer  les  sentiments  par  le  regard.  Et 
comme  elle  indique  les  nuances  !  Dans  le  premier 
acte,  comme  elle  est  bien  la  représentation  exacte 
de  la  mère  simple  et  dévouée  ;  au  second  acte, 
ses  traits  prennent  l'empreinte  de  la  plus  pro- 
fonde douleur;  comme  elle  rend  bien  le  combat 
dans  Tâme  de  cette  femme  qui,  un  peu  par 
sacrifice,  un  peu  par  égoïsme,  va  elle-même  pro- 
poser à  Thérèse  de  remplacer  Camille,  et  enfin 
qu'elle  est  vraie   lorsqu'elle  simule  les  effets   de* 

&NNALBS   DU  THBATBB  9 


l30  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

la  paralysie,  et  qu'elle  est  effrayante  en  furie 
vengeresse  ! 

j8  FÉVRIER.  —  Au  «  cinq  heures  »,  causerie  de 
M™*  Séverine,  «  La  Chanson  de  Paris  »,  avec  le 
concours  de  M"^  Marguerite  Deval. 

25  FÉVRIER.  —  Pour  Tannivcrsaire  de  Victor 
Hugo,  causerie  de  M.  Auguste  Dorchain,.  «  Victor 
Hugo  et  Paris  ».  Récitations  par  MM.  Janvier^ 
Coste,  M™es  Sergine,  Taillade,  de  Fehl,  Marcilly, 
Rosni. 

4  MARS.  —  Première  représentation  des  Ventres 
dorés,  pièce  en  cinq  actes  de  M.  Emile  Fabre*.  — 
Le  titre  seul  de  la  pièce  représentée  ce  soir  avec  un 
très  vif  succès  indique  qu'elle  se  développe  dans  le 
monde  de  la  finance.  M.  Emile  Fabre  Ta  choisi 
après  celui  du  Grand  Baron  quand  il  a  su  que 
Ton  désignait  autrefois  ainsi  à  la  Bourse  une  grosse 
personnalité^  le  baron  de  Soubeyran.  C'est  surtout 
une  étude  de  caractères  qu'a  voulu  nous  donner  le 


1.  Distribution.—  Baron  de  Thau,  M.  Oémier.  —  Vernières,  M.  Can- 
dé.  —  Baron  d'Urth,  M.  Dorival.  —  Ghauvelot,  M.  Janvier.  —  Brianne, 
M.  Coste.  —  Hermann  KIobb,  M.  Maxudian.  —  D'Angerville,  M.  Gas- 
ton Séverin.  —  Chavard,  M.  Darras.  —  Robert  Vernières,  M.  Marié  de 
L'isle.  —  Carrier,  M.  Godeau.  —  Jadin,  M.  Daumerie.  —  Rando,  M.  E. 
F^■o^e^  —  Veurettes,  M.  Cazalis.  —  L'homme  crédule,  M.  Robert  Lisér. 

—  Sullivan,  M.  Louis-Marie.  —  Le  curé,  M.  Duparc.  —  Léon,  M.  Dé- 
card.  —  Vigoureux,  M.  Roger.  —  Un  actionnaire,  M.  Sterny,  —  El 
Mansour,  M.  Taldy.  —  Cousin,  M.  Cari  Bac.  —   Grimblot,  M.  Cornély. 

—  Un  Arabe,  M.  Terrier.  —  Un  commerçant,  M.  Berger.  —  Le  Roi, 
M.  Didier.  —  Jean,  M.  Delang le.  —-Princesse  de  Holsbeck,  M"*  Felicia 
Mallet.  —  Mme  Vernières,  Mii«  Sergine.  —  Mme  KIobb,  MUe  o.  de  Fehl. 

—  Mme  Michal,  M™»  Dehon.  —  M"»*  de  Ludre,  M"»  Madeleine  Carlier.— 
Mme  de  Houdé,  M^i»  L.  de  Pouzols.  —  M™»  Brianne,  M»*  Miramon.  — 
Mme  Farnier,  MHe  Ch.  Duran.  —  Pauline,  MHe  Doll.  —  Une  jeune  Dame,. 
M»e  A.  Dérives.  —  La  petite  dame.  M"»  Spindler.  —  Une  vieille  dame,, 
Mlle  j)e  Dosme.  —  Une  actionnaire,  Mlle  Gaby, 

Le  rôle  de  Vernières  fut  repris  à  la  fin  du  mois  de  juin  par  M.  Colas. 


THEATRE    NATIONAL    DE    l'odÉON  i3i 

talentueux  auteur  de  la  Vie  publique.  Son  baron 
de  Thau  est  un  homme  d'affaires^  extrêmement 
fort,  aussi  dilettante  qu'érudit  financier,  froidement 
énergique,  n'ayant  ni  famille,  ni  amis,  méprisant 
les  hommes  et  se  moquant  des  femmes.  Ce  n'est 
pas  le  Lechat  de  la  forte  et  belle  œuvre  d'Octave 
Mirbeau.  Il  est,  pour  le  moment,  le  président  du 
Conseil  d'administration  de  la  Société  de  la  Nou- 
velle-Afrique, constituée  par  actions  au  capital  de 
3oo  millions,  pour  la  construction  de  chemins  de 
fer,  de  roules,  de  canaux,  de  ports  en  Mauritanie 
(pour  ne  pas  dire  le  Maroc),  un  pays  encore  bar- 
bare qu'il  s'agit  de  mettre  en  valeur.  Le  baron  de 
Thau  a  un  rival  en  la  personne  du  baron  d'Urth, 
féroce  vautour  qui  planera  sur  les  cinq  actes  et 
qu'on  ne  verra  guère  qu'à  la  fin.  Et  ses  collabora- 
teurs sont  Chauvelot,  vieillard  de  quatre-vingt-cinq 
ans  à  qui  «  on  ne  la  fait  pas  »,  qui  a  traversé 
toutes  les  affaires  possibles  et  impossibles  et  s'est 
tiré  de  tous  les  Panamas...  presque  intact;  Her- 
mann  Klobb,  un  israëlite  (aucune  polémique  reli- 
gieuse, du  reste,  dans  la  pièce),  qui  se  chargera  de 
corrompre  les  parlementaires;  le  journaliste  Car- 
rier (la  presse  trinque  quelque  peu)  ;  le  marquis 
d'Angerville,  gentilhomme  décavé  ;  enfin  l'admi- 
nistrateur délégué,  Vernières,  ancien  sous-secré- 
taire d'Etat,  l'honnête  homme  de  la  bande,  que  la 
nécessité  de  subvenir  aux  dépenses  de  sa  femme, 
jeune  et  coquette,  a  lancé  dans  la  galère,  au  milieu 
de  ces  financiers  sans  vergogne  et  qui  sera  pris 
dans  l'engrenage.  Voilà  les  types,  et  voici  en  quel- 
ques   mots  ce   qu'est  la   pièce   :   une    affaire    au 


l34  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

Ventres  dorés,  ne  suffit  évidemment  pas  à  vous 
montrer  tout  ce  qu'il  y  a  de  fort,  de  solide,  de  ro- 
buste et  de  puissant  dans  cette  pièce  —  forcément 
ingrate,  comme  toutes  celles  qui  ont  trait  à  l'ar- 
gent —  mais  dont  trois  actes,  sur  cinq,  entourés 
d'une  vivante  et  angoissante  mise  en  scène,  attei- 
gnent à  la  vraie  grandeur  théâtrale.  M.  Gémier  fut 
un  baron  de  Thau  de  belle  allure,  plein  de  flamme 
et  de  passion,  et  en  l'excellent  artiste  qui,  sur  le 
théâtre  de  la  Renaissance,  avait  conduit  avec  tant 
d'habileté  les  mouvements  de  foule  de  la  Vie  pu- 
blique, M.  Emile  Fabre  a  retrouvé  mieux  qu'un 
interprète,  un  véritable  collaborateur.  Comme  l'au- 
teur des  Ventres  dorés  savait  bien  ce  qu'il  faisait 
en  confiant  à  M.  Candé  l'importante  création  de 
Vernières  !  Il  était  impossible  de  composer  le  rôle 
avec  plus  de  tact  et  de  sobriété,  d'y  mettre  plus  de 
simplicité  et  d'émotion  :  ça,  disons-le,  c'est  du 
grand  art!...  Citons  les  silhouettes  variées,  obser- 
vées d'après  nature,  qu'ont  très  spirituellement 
rendues  MM.  Janvier,  Dorival,  Maxudian,  Godeau, 
Gaston  Séverin.  Et  dans  une  pièce  où  les  femmes 
ne  paraissent  pour  ainsi  dire  pas,  notons  la  timide, 
mais  intelligente  rentrée  de  l'incomparable  mime, 
M''«  Félicia  Mallet,  aventurière  assez  énigmatique, 
et  la  très  heureuse  continuation  des  débuts,  pleins 
d'espérance,  de  M**®  Sergine,  jeune  veuve  bien  vite 
consolée. 

9  MARS. —  M™6  Suzanne  Després  reparaissait  dans 
Phèdre;  M.  de. Max  jouait  le  rôle  d'Hippolyte. 

i8  MARS.  —  Au  «  samedi  cinq  heures  »  causerie 
de  M.  Gaston  Rageot,  sur  «  les  Poètes  d'aujour- 


THEATRE    NATIONAL   DE    l'oDÉON  i35 

d'hui   »,   avec  le    concours  de   M"®*   Simone  Le 
Bargy,  Marthe  Régnier,  Mellot. 

23  MARS.  —  En  matinée,  première  représenta- 
tion d^Hippolyte  couronné^  drame  antique  en  qua- 
tre actes,  en  vers,  de  M.  Jules  Bois,  précédée 
dune  magistrale  conférence  de  M.  Henry  Roujon*. 
—  L^Odéon  s'honorait  grandement  en  mettant  à 
son  répertoire  l'œuvre  remarquable  que  dix  mille 
spectateurs  avaient  acclamée  au  mois  de  juillet  pré- 
cédent au  théâtre  d'Orange.  En  la  brillante  pré- 
face qu'il  a  écrite  pour  Hîppolyte  couronné, 
M.  Emile  Faguet  expose  comment  M.  Jules  Bois, 
sans  chercher  ni  une  traduction,  ni  même  une  ini- 
mitation,  s'est  simplement  inspiré  d'Euripide  ;  il  a 
raconté  sous  une  forme  dialoguée  qui  donne  à  la 
scène  une  impression  vraiment  imprévue  «  l'inou- 
bliable histoire,  touchante,  chaste,  magnifique, 
grande  et  pure,  quelque  chose  comme  du  Phidias 
théâtral  ».  Et  voici  comment  conclut  notre  éminent 
confrère  :  «  Le  poème  de  M.  Jules  Bois  est,  pour 
ainsi  parler,  plus  cru,  plus  hardi  et  ardent,  plus 
sauvage  que  celui  d'Euripide.  Il  se  rapproche  plus 
d'une  sorte  de  barbarie  ingénue  où  il  y  a  à  la  fois 
plus  d'inconscience  naïve  et  plus  de  naïve  exalta- 
tion vertueuse  et  religieuse.  L'effet  est  singulier  et 
troublant,  somme  toute  très  émouvant.  D'aucuns 


1.  Distribution.  —  Hippolutos,  M.  Marquet.  —  Théseus,  M.  Dorival. 

—  Pittéos,  M.  Daumerie.  —  Le  jeune  chasseur,  M.  Roger.  —  1er  chas- 
seur, M.  Stemy»  —  2«  chasseur,  M.  Terrier.  —3e  chasseur,  M.  Cornély. 

—  4»  chasseur,  M.  Charmy.  —  5e  chasseur,  M.  Berger.  —  6»  chasseur, 
M.  Louis-Marie.—  Le  messager,  M.  Maxudian. —  Un  soldat,  M.  Taldy. 

—  Phedra,  M"«  Sergine.  —  La  nourrice,  M^o  Even.  —  Chœur  des  fem- 
mes, Mlle  De  Fehl.  —  Chœur  des  vieilles  femmes,  M"»»  Dehon.  —  La 
jeune  fllle,  M"»  Oladys-Maxhance.  —  L'esclave  noire,  Mlle  Calvill. 


l36  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

diraient  que,  comme  Ja  Phèdre  de  Racine  est  de 
l'Euripide  travesti  en  Racine,  YHippolyte  de 
M.  Jules  Bois  est  de  l'Euripide  déguisé  en  Eschyle. 
Pourquoi  non,  et  de  quoi  se  plaindre  ?  11  serait  in- 
téressant (Ju'Eschyle  eût  traité  le  sujet  d'Hippo- 
lyte.  Donner  au  moins  quelques  traits,  quelques 
indications  rapides  et  fuyantes,  de  la  manière  dont 
Eschyle  eût  pris  celte  terrible  histoire,  c'est  un 
succès,  ou  du  moins,  c'est  quelque  chose  qui  solli- 
cite curieusement  et  très  agréablement  l'attention 
du  lettré,  du  critique  ou  du  simple  specta- 
teur amoureux  des  choses  de  théâtre.  Après  tant 
de  livres  curieux,  intéressants,  vivants,  pleins 
d'émotion  en  face  du  mystère  ou  de  la  passion,  en 
face  du  visage  éternellement  changeant  de  la  nature, 
cette  excursion  vers  les  choses  antiques,  ce  voyage 
aux  pays  de  l'ancienne  Grèce,  encore  sauvage» 
déjà  inquiète  des  grands  problèmes  de  Tesprit  et 
de  Tâme,  sera  compté  comme  un  épisode  très  ca- 
ractéristique, très  significatif  et  singulièrement  ho- 
norable de  la  belle  carrière  littéraire  de  M.  Jules 
Bois  ».  On  sait  que,  dans  Hippolyte porte-couronne 
d'Euripide,  Hippolyte  résiste  à  l'amour  incestueux 
de  Phèdre  et  meurt  victime  des  imprécations  de 
son  père.  Hippolyte  est  le  principal  personnage  de 
la  tragédie  grecque.  C'est  là.  ce  qui  fait  la  diffé- 
rence essentielle  de  V Hippolyte  d'Euripide  et  de 
la  Phèdre  de  Racine,  puisque  chez  le  poète  fran- 
çais tout  l'intérêt  est  concentré  sur  l'épouse  .de 
Thésée  ;  il  est  même  permis  de  trouver  qu'Hippo- 
lyte,  dans  notre  Phèdre,  est  devenu  un  peu  plus 
pâle  que  de  raison...  Nous  ne  vous  conterons  point 


THEATRE    NATIONAL    DE    l'oDÉON  iSj 

en  détail  Tépisode  développé  par  M.  Jules  Bois  ; 
nous  nous  bornerons  à  constater  l'effet  produit  à 
la  scène  par  cette  belle  œuvre.  Le  vers  de  M.  Jules 
Bois  qui  paraît  quelquefois  heurté  à  la  lecture  est, 
au  théâtre,  d'une  énergie,  d'une  puissance  qui  ont, 
en.  maints  endroits,  remué  l'assistance  odéonienne 
et  lui  ont  donné  le  frisson  des  grandes  choses 
d'art.  Nous  avons  affaire  à  un  drame  mouve- 
menté, à  la  fois  très  ancien  et  très  moderne,  et 
c'est  justice  de  rendre  hommage  au  noble  poète 
qui  apporte  au  public  une  pièce  aussi  poignante  et 
aussi  solidement  charpentée.  Et,  sans  parler  du 
troisième  acte  qui  est  le  plus  «  théâtral  »  des  qua- 
tre, on  peut  dire  que  l'intérêt  ne  faiblit  guère  en 
cette  œuvre  curieuse  où  s'accumulent  des  scènes 
d'amour  d'une  hardiesse  et  d'une  vérité  surpre- 
nantes, des  hymnes,  des  batailles,  de  l'ivresse,  de 
la  rancune  et  de  la  fureur.  L'élévation  des  senti- 
ments chez  Hippolutos,  les  instincts  débridés  chez 
Phèdre,  les  intrigues  formidables  de  la  nourrice 
magicienne,  les  purs  élans  de  la  jeune  fille,  les 
colères  de  Théseus,  les  accents  du  sage  Pittéos  ont 
captivé  l'auditoire.  On  nous  a  dit  —  et  nous  le 
croyons  sans  peine  —  qu'à  Orange  M™^  Segond- 
Weber  et  M.  Albert  Lambert  fils  furent  admirables. 
M"®  Sergine,  la  gentille  tragédienne  de  TOdéon, 
n'est*  évidemment  pas  la  femme  du  rôle  ;  mais  quel 
feu,  quelle  chaleur,  quels  jolis  élans  de  tendresse, 
de  fougue  et  de  sincérité  chez  cette  toute  jeune  ac- 
trice pleine  d'avenir  !  Comme  elle  est  de  beaucoup 
supérieure  à  l'Hippolyte  ronronnant  ou  hurlant 
que  nous  a  donné  M.  Marquet  1    Chez  M*'^  Jane 


l38  LES  ANNALES  DU  THÉÂTRE 

Even,  qui  manque  de  force,  nous  louerons  de  belles 
attitudes,  et  chez  M"^  Gladys-Maxhance  un  charme 
tout  virginal.  M.  Dorival  a  gardé  le  rôle  de  Thé- 
seus  qu'il  créa  Tété  4)récédent,  et  s'y  montre  très 
vibrant.  Les  autres...  Les  autres  ne  font  guère 
preuve  que  de  bonne  volonté. 

24  MARS.  —  Au  ((  samedi  cinq  heures  »,  cause- 
rie de  M.  Gaston  Rageôt  «  les  Poètes  d'aujour- 
d'hui, les  Humoristes  »  *. 

8  AVRIL.  —  Au  «  cinq  heures  »,  causerie  de 
M.  Franc- Nohain  :  «  Floréal  »,  avec  Tattrait  de 
mélodies  de  Schumann,  de  Schubert  et  de  Masse- 
net,  interprétées  par  M™®  Charlotte  Lormont. 

1 5  AVRIL.  —  Au  «  cinq  heures  »,  causerie  de 
M.  Ernest  Charles  :  «  la  Coquetterie  »  2. 

17  AVRIL.  —  C'était  la  première  de  quatre  repré- 
sentations de  la  Passion  de  M.  Edmond  Harau- 
court,  musique  de  Bach,  adaptée  par  MM.  Hille- 
macher,  données  à  l'occasion  de  la  semaine  sainte, 
avec  le  concours  de  M.  Marquet.  Orchestre  sous  la 
direction  de  M.  Théodore  Mathieu. 


1.  — Au  programme  :  Gennevilliers,  dimanche  d'été  (M..  Jean  Ajalbert), 
M.  Coste.  —  Chiens  errants  (Hugues  Lapaire),  M.  Janvier.  —  Le  Jeune 
homme  triste,  Moïse  sauvé  des  eaux  (Maurice  DoHnay),  M.  G.  Violet.  — 
La  Sarigue  {TristaLU  Bernard),  M.  R.  Liser.  —  Les  ïtupont,  Çaî  (Paul 
Bilhaud),  M^o  Marthe  Régnier.  —  Histoire  naturelle  (Jules  Renard), 
Mlle  Marthe  Mellot.  —  Lampisterie,  simple  légende  (Franc-Nohain), 
Mm«  Simone  Le  Bargy. 

2. —  Au  programme  :  1.  Conseils  à  une  Parisienne  (Musset),  M.  Séve- 
rin.  —  2.  Le  Manchon  de  Francine  (Murger),  M"e  Taillade.  —  3.  Sylvie, 
(G.  de  Nerval),  M.  Violet.  —  4.  Ce  n'est  plus  Lisette  (Béranger), 
M.  Coste. —  5.  Sous  ta  capiche  (Hugues  Lapaire),  M.  Janvier.  —  6.  Duel 
en  juin  (Victor  Huço),  M.  Marié  de  l'Isle.  7.  Le  Misanthrope  (acte  3, 
scène  V),  Mmei  Marcilly  et  Even.  —  8.  Le  Mainchy  (Leconte  de  Lisle), 
Mii«  Sergine.  —  Chansons  populaires  :  (a.  La  ronde  des  filles  de  Quim- 
perlé  —  b.  Cecilia  —  c.  Nous  étions  dix  filles  à  marier  —  d.  La  Délais- 
sée), chantées  par  Mile  Raphaële  de  Villers. 


THÉÂTRE   NATIONAL    DE    l'odÉON  iSq 

27  AVRIL.  —  On  redonnait  en  matinée  Phèdre^ 
avec  M™®  Suzanne  Després  et  M.  Marquet. 

2  MAI.  —  Matinée  au  bénéfice  de  W^^  Crosnier, 
où  M°^«  Eléonore  Duse,  venant  jouer  avec  sa  troupe 
la  Seconda  Moglie  (la  seconde  M"*^  Tanqueray), 
obtenait  un  succès  triomphal. 

17  MAI.  —  Première  représentation  de  la  Varia- 
tion^ comédie  en  quatre  actes,  de  M.  Pierre  Sou- 
laine  *,  précédée  de  Y  Agrafe^  comédie  en  un  acte 
de  MM.  Grenet-Dancourt  et  Jean  Destrem^.  —  A  la 
vigoureuse  satire  des  Ventres  dorés  qui  jusqu'à 
ses  dernières  représentations  réalisait  encore  de 
fort  hoiH3rables  recettes  odéoniennes,  M.  Ginisty 
faisait  succéder,  peut-être  un  peu  brusquement, 
\ine  fine  et  délicate  comédie,  aussi  douceâtre  qu'é- 
tait naguère  Y  Héritier  du  même  auteur,  M.  Pierre 
Soulaine.  La  «  variation  »  —  im  titre  quelque 
peu  symbolique  —  c'est  le  solo  des  danseuses... 
M"«  Germaine  Caplain,  de  l'Opéra,  avait,  dans  le 
marquis  de  Précy-Boran,  un  protecteur  sérieux, 
que,  pratiquement,  elle  a  le  tort  de  lâcher  pour  se 
donner  toute  à  un  jeune  et  modeste  employé  du 
Crédit  Lyonnais,  André  Gérard,  qu'elle  aime  au 
point  de  renoncer  au  théâtre,  pour  l'épouser.  Et 
voilà  que,  pour  tenter  de  donner  à  Germaine   le 

!•  Distribution.  —  Marquis  de  Précy-Boran,  M.  Janvier.  —  André, 
M-  Gaston  Séverin.  —  Godeau,  M.  Darras.  —  Le  Harel,  M.  Robert 
Lizer,  —  Javron,  M.  Maxudian.  —  Germaine  Caplain,  Mii«  Blanche 
"Poulain.  —  Francine,  M»»  Taillade.  —  Odette  Gléry,  M^o  Madeleine 
Cfirlier.  —  Noémie,  M»»  J.  Fromant. 

2*  DiSTjiiBUTiON.  —  Boislaurent,  M.  Coste.  —  Isidore  Montaudin, 
M.  Darras.  —  Philippe  Verneuil,  M.  E.  Violet.  —  Léa  Montaudin, 
Miu  Marie  Marcilly.  —  Geneviève  Mil*  A.  Dérives. 


i4q  les  annales  du  théâtre 

luxe  auqiiel  elle  était  habituée,  André  quitte^  lui 
aussi,  son  humble  place  et  se  lance,  à  la  Bourse^ 
sî  malheureusement,  qu'il  ne  réussit  guère  qu'à  se 
cribler  de  dettes.  Quand  il  n'y  a  pas  de  foin  au 
râtelier,  vous  savez  le  proverbe . . .  Les  reproches 
injustes  amènent  d'incessantes  querelles.  A  la  suite 
de  la  dernière  dispute  où  elle  s'est  sentie  plus 
particulièrement  blessée,  Germaine  a  quitté  son 
mari.  Et  déjà  l'on  prévoit  sa  rentrée  à  l'Opéra  et 
le  retour  du  riche  protecteur...  Mais  André  la 
rejoint  chez  Tamie  qui  lui  a  donné  asile  en  sa 
villa  du  bord  de  la  mer;  l'amour  est  le  plus  fort  : 
nos  deux  jeunes  gens  tombent  dans  les  bras  l'un 
de  l'autre,  tout  prêts  à  reprendre  leur  collier  de 
misère.  «  Grand  bien  leur  fasse  !  »  pense  Odette 
Cléry,  la  camarade  de  Germaine  qui,  elle,  com- 
prend la  vie  tout  autrement,  et  s'est  chargée  —  en 
moins  de  temps  qu'il  ne  m'en  faut  pour  vous  le 
dire  —  d'attacher  à  sa  personne  un  hobereau  de 
province,  créé  et  mis  au  monde  pour  lui  servir 
d'heureux  banquier.  A  pièce  honnête,  interpréta- 
tion honnête  —  sans  plus.  Si  M"^  Blanche  Toutain 
nous  a  paru  vraiment  trop  «  popote  »  sous  les  traits 
de  Germaine,  M"^  Madeleine  Carlier,  avec  des  gestes 
et  des  intonations  qui  nous  ont  rappelé  M"^  Léonie 
Dallet,  a  mis  de  l'élégance  et  du  mordant  dans  le 
rôle  plus  évaporé  d'Odette  Cléry.  M"®  Jane  Fro- 
mant  est,  avec  l'autorité  de  la  soubrette  clas- 
sique, une  femme  de  chambre  essentiellement  vraie 
et  joliment  moderne.  M.  Janvier  est  digne,  et 
M.  Gaston  Séverin  un  peu  froid.  —  YJAgrafe^ 
de  MM.'Grenet-Dancourt  et  Destrem,  complétait 


THEATRE    NATIONAL    DE    l'odÉON  i4i 

le  spectacle.  «  C'est  un  proverbe,  »  écrivait  M.  Adol- 
phe Brisson,  qui  fera  les  délices  des  casinos  et  des 
\  salons.  M.  Grenet-Dancourt  (je  ne  parle  pas  de 
j  M.  Destrem,  nouveau  venu  au  théâtre)  est  passé 
j  maître  en  ce  genre.  Outre  les  Trois  femmes  pour 
un  mari  —  son  principal  titre  de  gloire  —  il  a 
produit  un  nombre  fabuleux  de  monologues,  de 
saynètes  à  deux,  trois,  quatre  personnages.  Il  y  en 
a  pour  tous  les  goûts,  du  bouffon,  du  gai,  du  dra- 
matique, du  sentimental.  Et  ne  médisons  point  de 
ces  légers  badinages.  Ils  ne  sont  pas  toujours 
indifférents.  Alfred  de  Musset  s'est  diverti  à  en 
composer,  après  Scribe,  Carmontelle  et  Marivaux, 
î  car  Marivaux  est  l'aïeul  de  qui  descend  toute  la 
lignée.  Exécuter  une  pirouette  sur  une  pointe  d'ai- 
guille, opérer  en  trente  minutes  un  revirement  de 
caractère  et  faire  en  sorte  que  l'ingénue,  qui 
n'éprouvait  à  huit  heures  que  de  la  froideur  pour 
Ernest  ou  Raoul,  l'épouse  à  huit  heures  et  demie  : 
c'est  presque  aussi  difficile  que  d'échafauder  un 
mélodrame  en  cinq  actes,  11  ne  suffit  pas  d'aligner 
des  mots,  il  faut  trouver  l'incident  ou  l'accident  — 
le  «  clou  »  —  qui  amène  avec  ingéniosité  la  péri- 
pétie finale.  C'est  tout  le  sel  du  proverbe.  MM.  Gre- 
net-Dancourt et  Destrem  ont  gentiment  planté  leur 
clou,  et  ce  clou,  est  une  «  agrafe  ».  Ne  m'en 
demandez  pas  davantage.  Une  pièce  aussi  légère, 
cela  ne  se  raconte  pas,  cela  se  croque  comme  un 
gâteau  —  je  ne  dis  pas  comme  un  petit-four  — 
entre  deux  tasses  de  thé.  » 

^6  JUIN.  —  Pour  l'anniversaire  de  Corneille,  avec 
le  I®'  et  le  2«  acte  du  Menteur  et  VAnniuersaire, 


l42  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

à-propos  en  vers  de  M.  Raymoud  Genty,  on  donne 
Horace^  où  M"®  Rebecca  Félix,  dépFoie  dans  le  rôle 
de  Sabine,  qu'elle  jouait  pour  la  première  fois,  de 
belles  qualités  de  tragédienne*. 

9  JUIN.  —  Premières  représentations,  à  ce  théâtre, 
du  Portefeuille^  pièce  en  un  acte,  de  M.  Octave 
Mirbeau^;  des  Miettes^  comédie  en  deux  actes, 
de  M.  Edmond  Sée^,  et  à' Une  Blanche^  pièce  en 
deux  actes  de  M.  Lucien  Gleize*.  —  L'Odéon  qui  a 
envoyé  une  partie  de  sa  troupe  porter  la  bonne 
parole  dans  les  provinces,  eût  pu  être  minisiérieK 
ïement  autorisé  à  fermer  ses  portes.  Mais  M.  Paul 
Ginisty  en  veine  de  zèle  s'est  piqué  d'honneur;  il 
a  voulu  les  tenir  ouvertes  tout  en  ayant,  à  l'instar 
de  la  Comédie-Française,  bien  des  artistes  dehors. 
C'est  une  coquetterie  qui  en  vaut  une  autre.  Le 
spectacle  coupé,  destiné  à  alterner  jusqu'à  la  fin 


1.  —  Avec  l'assentiment  du  sous-secrétaire  d'Etat  aux  beaux-arts,  une 
partie  de  la  troupe  de  l'Odéon  entreprenait. le  1er  juin  une  tournée  dana 
les  départements.  Les  spectacles  se  composaient  de  :  Britannicus,  le 
Cid,  le  Médecin  malgré  lui,  les  Folies  amoureuses,  l'Arlésienne.  M"«* 
Tessandier,  Even,  Sergine,  Taillade,  Farna,  Desvergers,  MM.  Alb.  Lam- 
bert, Dorival,  Janvier,  Darras,  Séverin,  Orodeau,  Cazalis,  Maxudian, 
Bac  faisaient  partie  de  cette  tournée,  qui  comprenait  Dijon,  Châloiir 
Mâcon,  Aix-les-Bains,  Grenoble,  Lyon,  Marseille,  Toulon,  Aix-en-Pro- 
vence,  Arles,  etc.  C'était  la  première  fois  qu'un  théâtre  national  se 
déplaçait  officiellement. 

2.  Distribution.  —  Jean  Guenille,  M.  Crémier.  —  Le  commissaire, 
M.  Coste.  —  Jérôme  Maltenu,  M.  Décard.  —  1er  agent,  M.  Taldy.  — 
2»  agent,  M.  Cornély.  —  Flora  Tambour,  Mlle  Dérives. 

3.  Distribution.  —  Frédéric  Boize,  M.  Gémier.  —  Mérissel,  M.  H. 
Burguet,  —  Pierre  Jontine,  M.  Marié  de  L'Isle.  —  Henri  de  Xilas, 
M.  Louis-Marie.  —  Marcelle  Boize,  MUe  B.  Toutain.  —  Une  bonne, 
Mlle  Laine. 

4.  Distribution.  —  Palin,  M.  Coste.  —  Hurtel,  M.  Daumerie.  — 
Le  gouverneur,  M.  Violet.  —  Sauvageot,  M.  R.  Liser.  —  Noret, 
M.  Terrier.  —  De  Kernel,  M.  Roger.  —  Sicot,  M.  Décard.  —  Mao-V4>n- 
try,  M.  Sterny.  —  Cora,  MHe  Dérives. 


THEATRE    NATIONAL    DE    l'oDÉON  i43 

de  la  saison  avec  les  Ventres  dorés,  se  compose 
de  trois  pièces _dont  aucune  n'est  inédite.  Le  Por- 
tefeuUle  est  un  petit  tableau  de  mœurs  que  nous 
vîmes  pour  la  première  fois  à  la  Renaissance. 
M,  Octave  Mirbeau  y  attaque,  avec  Tintention 
morale  et  la  véhémente  éloquence  qui  lui  sont 
coutumières,  le  Code  qui  décide  un  châtiment 
pour  le  miséreux  vagabond  et  qui  ne  prévoit  pas 
de  récompense  pour  l'honnêteté  héroïque  du  pauvre. 
Un  ouvreur  de  portières,  que  terrassent  la  vieil- 
lesse précoce  et  la  faim  quotidienne,  trouve  un 
portefeuille  contenant  dix  mille  francs.  Il  le  porte 
chez  le  commissaire  de  police  qui  s'émeut  d'abord 
et  qui  admire.  Puis,  à  l'interrogatoire  sommaire  : 
«  Vos  noms  ?  Votre  profession  ?  »  un  revirement 
se  produit  dans  les  sentiments  du  commissaire. 
L'homme  n'a  ni  domicile,  ni  profession.  11  n'a  pas 
le  sou  sur  lui.  C'est  donc  un  vagabond  !  Au  poste, 
cette  nuit,  et  demain  au  Dépôt  !  Et  les  flics  em- 
mènent le  pauvre  diable.  M.  Octave  Mirbeau  aurait 
pu  ne  nous  donner  que  ce  lamentable  drame,  et 
l'effet  eA  est  saisissant.  Mais  il  a  éclairé  cela  d'une 
lumière  artificielle,  qui,  disons-le,  dénature  quel- 
que peu  les  personnages.  Son  commissaire  noceur 
existe,  ou  doit  exister.  Mais  je  refuse  à  croire  à  la 
vraisemblance  de  ce  magistrat  envoyant  au  Dépôt 
le  triste  hère  qui  lui  apporte  loyalement  et  brave- 
ment une  fortune.  Le  brillant  auteur  des  Affaires 
sont  les  affaires  est  parti  d'un  sentiment  généreux, 
et  avec  lui  nous  avons  détesté  l'iniquité  procédu- 
rière et  policière  ;  mais,  à  la  fin,  il  a  chargé  les 
couleurs,  et  il  a  exagéré  la   dose   pamphlétaire. 


l44  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

M.  Gémier  est  admirable  dans  le  vagabond  :  grime, 
guenilles,  attitude,  organe,  tout  cela  est  parfait. 
On  Ta  chaleureusement  applaudi,  et  ce  fut  justice. 
Dans  les  Miettes  de  M.  Edmond  Sée  nous  trou- 
vons les  mêmes  précieuses  qualités  qui  devaient 
nous  frapper  plus  tard  dans  VIndiscret  du  même 
auteur  :  une  rare  finesse  de  pénétrante  et  intense 
observation,  une  grâce  Subtile  et  quelque  peu 
tendue,  jointes  à  la  joliesse  et  au  maniérisme  de 
langage  :  le  jeune  écrivain  est  un  Marivaux  de  nos 
jours,  —  oh!  oui,  de  nos  jours,  de  demain  plutôt 
que  d'hier,  d'après-demain  plutôt  que  de  demain. 
Et  Ton  peut  dire  des  Miettes  que  c'est  Tcèuvre 
d'un  homme  de  théâtre  et  d'un  philosophe  triste 
au  fond,  gai  dans  la  forme,  semée  de  traits  char- 
mants et  où  abondent  les  mots  soudains  exprimant 
tout  un  état  d'âme  ou  de  cœur.  Les  «  miettes  », 
ce  sont  les  miettes  du  festin  de  l'amour  que 
croyait  si  bien  ramasser  ce  bon  Mérîssel,  et  dont 
inopinément  profitera  le  petit  de  Xjlas,  un  pur 
gosse.  Mérissel  fut  en  tiers  dans  la  liaison  de  Mar- 
celle et  de  Jontine,  et  lorsque  Jontine  a  quitté 
Marcelle,  il  se  regarde  comme  son  successeur 
désigné:  ne  s'est-il  pas  fait  déjà  l'ami  du  mari?... 
Ah  !  la  jolie  scène  que  celle  de  ce  mari  refusant  les 
explications  que  veut  à  toute  force  lui  donner  sa 
femme  et  demandant  à  être  simplement  «  le  mon- 
sieur qui  passe  ».  Marcelle  —  que  ce  cœur  de 
femme  est  donc  délicieusement  étudié  I  —  prendra 
alors  un  second  amant,  qui  sera  le  jeune  de  Xylas. 
Mérissel  attendra.  M'est  avis  qu'il  attendra  long- 
temps encore. . .    Le  sujet  n'est  rien;  le  charme. 


THEATRE    NATIONAL    DE    l'oDÉON  i45 

très  réel,  de  la  pièce  consiste  dans  la  façon  dont, 
avec  une  infinie  délicatesse  et  une  étonnante  adresse 
de  doigté,  il  a  été  traité  par  le  jeune  auteur. 
iP'®  Blanche  Toutain  a  repris  le  rôle  de  Marcelle, 
qu'avec  tant  de  grâce  et  d'originalité  elle  avait 
créé  à  l'Athénée.  M.  Burguet  rend  excellemment 
la  comique  désespérance  de  l'homme  qui  ne  sait  se 
faire  aimer.  . .  qu'en  ami. . .  M.  Gémier  a  délicieu- 
sement joué  l'exquise  scène  du  mari,  et  M.  Louis- 
Marie  s'est  montré  plaisant  dans  le  gentil  gosse  de 
vingt  ans  qui  connaît  la  vie,  et  dans  le  fond,  et 
dans  les  coins!  —  0  le  joli  et  original  premier 
acte  que  celui  à' Une  Blanche  de  M.  Lucien  Gleizel 
0  la  mordante  et  spirituelle  satire  de  notre  admi- 
nistration coloniale,  sur  laquelle  il  y  aurait,  paraît- 
il,  tant  et  tant  à  direi ...  A  Yamanku,  le  gouver- 
neur, le  lieutenant  de  vaisseau  de  Kerval,  le 
capitaine  de  spahis  Sauvageot,  le  i^ecrétaire  du  gou- 
verneur Noret  et  l'administrateur  Sicot  passent 
leurs  saintes  journées  à  se  lamenter  fâcheusement, 
loin,  bien  loin,  de  la  mère  patrie,  dans  une  morne 
existence,  d'autant  plus  plate  et  d'autant  plus 
assommante  que,  depuis  plusieurs  mois,  ils  man- 
quent absolument  de  femmes...  Pas  la  moindre 
petite  blanche  à  se  mettre  sous  la  dent  !  11  faut 
voir  la  façon  dont  ils  rabrouent  le  seul  colon  de 
Tendroit,  Jules  Palin,  qui,  sans  capitaux,  sollicite 
vainement  une  concession . . .  C'est  sur  ces  entre- 
faites que  débarque  de  Paris,  M"«  Cora,  la  petite 
amie  de  Jules,  toute  désemparée  depuis  la  mort  de 
Victor,  son  amant  en  titre.  Et  les  voilà  subitement 
allumés  à  la  vue  de  cette  blanche  piquante  qui  se 

ANNALES   DU   THKATr.E  10 


l46  LES    ANNALES    DU    THEATRE 

*  donne  pour  la  femme  de  Palin.  Celui-ci  est,  dès 
lors,  choyé  par  tous  comme  un  vrai  mari,  dont  le 
sort  fatal  est  d'être  trompé.  Mais  c'est  en  vain 
qu'ils  poussent  leur  pointe  :  Cora  est  fidèle, 
incroyablement  fidèle,  et  nos  quatre  amoureux 
n'ont  qu'une  ressource  :  celle  de  supplanter  légiti- 
mement le  trop  heureux  mari.  Cela  leur  sera  d'au- 
tant plus  facile  que,  n'étant  pas  mariée,  elle  n'aura 
pas  besoin  de  divorcer.  Cora  propose  alors  à  cha- 
cun —  à  commencer  par  Palin  —  de  l'épouser. . . 
Et  tous  se  dérobent  à  qui  mieux  mieux.  En  déses- 
poir de  cause,  elle  est  sur  le  point  d'accepter  la 
proposition  du  roi  du  pays  Fu,  Mao  Van  tri,,  dont 
les  gestes  démontrent  la  folle  envie  que  lui  inspire 
la  gentille  blanche.  Reine  du  pays,  Cora  le  devien- 
drait, si  le  roi  n'était  brusquement  dépossédé  de 
son  trône  et  si,  nommé  ''  fonctionnaire  de  sixième 
classe  »,  —  son  rêve  — :  Palin  ne  lui  offrait  enfin 
le  conjungo  que  lui  permet  une  si  avantageuse 
position.  Il  y  a  de  la  verve  et  de  l'esprit  dans  cette 
pièce  que  son  auteur  a  eu  raison  de  réduira  à  deux 
actes,  au  lieu  de  trois  qu'elle  avait  primitivement  ; 
mais  —  est-ce  le  cadre  plus  vaste  qui  a  nui  à  ses 
effets  ?  —  elle  nous  a  paru  beaucoup  moins  bien 
jouée  à  rOdéon,  théâtre  subventionné,  qu'elle  ne 
l'était  à  la  Renaissance,  direction  Gémier . . . 

Le  théâtre  avait  fermé  ses  portes  le  24  jui^^' 
Il  les  rouvrait  le  28  septembre  avec  Don  J^an 
d'Autriche^,  donné  en  représentation   populaire. 


1.  Disi-RiBunoN.  —  Philippe  II,  M.  Dorival,  —  Don  Juan,  M.  Escof- 
fier.  —  Frère  Arsène,  M.  M<ixudian.  —  Don  Quesada,  M.  Darrai-  — 
Don  Ruy  Gomez,  M.  Perret.  —  Le  prieur,  M.  Pillot.  —  Frère  Pacdme, 


THEATRE    NATIONAL    DE    l'odÉON  ll^J 

Plusieurs  débutants  se  produisaient  dans  la  célè- 
bre.pièce  de  Casimir  Delavigne.  Voici  comment  les 
appréciait  M.  Adolphe  Brisson.  «  M.  Escoffier  qui 
faisait  don  Juan,  est  leste,  assez  bien  tourné.  Phy- 
sique plutôt  agréable,  voix  suffisante  ;  mais  de  la 
gaucherie,  une  chaleur  factice,  une  mimique  con- 
ventionnelle. Il  va  falloir  se  débarbouiller  de  tout 
cela.  M.  Pillot  dessine  intelligemment  le  person- 
nage du  prieur.  M**®  Gladys-Maxhance  (qui  n'est 
point  une  inconnue)  ne  nous  a  pas  beaucoup  remués 
dans  dona  Florinde.  Mais  le  rôle  est  d'allure  si 
vieillotte  que  je  me  demande  s'il  eût  été  possible 
d'en  tirer  un  meilleur  parti.  M"®  Hélène  Dorville  a 
très  gentiment  gazouillé  les  bavardages  de  Pablo. 
De  tous  ces  «  nouveaux  »,  il  n'en  est  qu'un  qui 
m'ait  paru  doué  de  façon  exceptionnelle.  11  se 
nomme  L.  Perret.  Le  rôle  dont  on  l'avait  chargé 
n'est  pas  des  plus  brillants  :  c'est  Ruy  Gomès,  le 
confident,  le  bas  conseiller  de  Philippe  II.  A  ce 
traître,  qui  pouvait  être  si  banal,  M.  Perret  a  su 
imprimer  une  physionomie  doucereusement  féroce, 
mélange  de  cruauté,  de  politesse,  d'onction  ecclé- 
siastique, tout  à  fait  dans  la  couleur  de  l'époque 
et  de  l'ouvrage.  Cet  effort  de  composition  sort  de 
l'ordinaire  médiocrité.  L'ancienne  troupe  de  l'Odéon 
encadrait  les  néophytes.  M.  Dorival  est  un  Phi- 
lippe Il  vigoureux  et  sobre  ;  M.  Maxudian,  un 
Charles-Quint  estimable;  M"®  Even,  une  digne  et 


M.  Duparc.  —  Frère  Timothée,  M.  Taldy.  —  Giûès,  M.  Décard.  —  Do- 
mingo, M.  Weber.  —  Raphaël,  M.  Ferrier.  —  Un  officier,  M.  Delangle. 
—  Doua  Florinde,  MU»  Oladys-Maxhance.  —  Dorothée,  M^»  Even.  — 
Pablo,  MU»  Dorville, 


l48  LES  ANNALES  DU 'THEATRE 

correcte  Dorothée  ;  M.  Darras  n'est  ni  assez  comi- 
que, ni  assez  tragique  dans  don  Quesada:.  » 

29  SEPTEMBRE.  —  Les  soifées  populaires  se  conti- 
nuent avec  les  Folies  amoureuses  *,  et  M,  de  Pour^ 
ceaugnac'^. 

9  OCTOBRE.  —  Première  représentation  de  Le 
Cœur  et  la  Loi ^  pièce  en  trois  actes  de  MM.  Paul 
et  Victor  Margueritte^,  précédée  de  la  première 
représentation  de  VAmi  du  ménage^  comédie  en  un 
acte  de  M.  André  Rivoire*.  —  Le  divorce  par  le 


1.  Distribution.  --  Grispin,  M.  Duard.  —  Eraste,  M.  Séverin.  — 
Albert,  M.  Darras.  —  Agathe,  MHe  Taillade.  —  Lisette,  MUe  Farna. 

2.  Distribution.  —  M.  de  Pourceaugnac,  M.  Cazalis.  —  Oronte, 
M.  Janvier.  —  Eraste,  M.  Michel.  —  Sbf  igani,  M.  Jean  Dax.  —  Premier 
médecin,  M.  Robert  Liser.  —  Second  médecin,  M.  Violet.  —  Un  apothi- 
caire, M.  Décard.  —  Un  paysan,  M.  Weber.  —  Premier  suisse,  M.  Du- 
parc.  —  Deuxième  suisse,  M.  Rézal.  —  Un  exempt.  M.  Taldy.  —  Un 
avocat,  M.  Terrier.  —  Un  avocat,  M.  Ferrier.  —  Julie,  M'ie  Dérives.  — 
Nérine,  Mlle  Zr^o  ^«nn.  —  Lucette,  Mii«  de  Behi*.  —  Une  paysanne , 
Mlle  Livry. 

3.  Distribution.  —  M.  Le  Hagre,  M.  Janvier.  —  Eparviéj  M.  Cheva- 
let. —  Marchai,  M.  Darras.  —  Maurot  Le  Hagre,  M.  Maxudian.—  Her- 
belot,  M.  Robert  Liser.  —  Tartre,  M.  Pillot.  —  Traffier,  M.  Duparc.  — 
L'avoué  de  Mme  Maubrée,  M.  Taldy.  —  Premier  avocat,  M.  Peyritre.  — 
Deuxième  avocat,  M.-  Terrier.  —  Un  monsieur,  M.  Léonce  Perret.  — 
L'avoué  de  M.  Maubrée,  M.  Henri  Valbel.  —  Un  avoué,  M.  Ferrier.  — 
Troisième  avocat.  M.  Cami.  —  L'huissier,  M.  Delangle.  —  Un  client, 
M.  Berger.  —  Mme  Favié,  Mme  Emilienne  Dux.  —  Francine  Le  Hagre,. 
Miie  Sergine.  —  Mme  Maubrée,  Mlle  Farna.  —  Nanon,  Mlle  Lunéville, 
—  Josette,  la  petite  Bessy 

4.  Distribution.  —  Dormoy,  M.  Robert  Liser.  —  Verlain,  M.  Brou.  — 
Henriette,  MUe  Marie  Marcilly.  —  Sophie,  MUe  Fromant.  . 

MM.  Margueritte  avaient  touché,  dans  le  Cceur  et  la  Loi,  à  un  sujet 
poignant.  Yoici,  entre  autres  preuves,  la  lettre  que  leur  adressait  Tun» 
des  plus  hautes  personnalités  de  la  magistrature,  le  procureur  général 
Bulot  : 

«  Messieurs, 

«  J'ai  retrouvé  dans  le  Cœur  et  la  Loi,  présentées  sous  une  forme  plus= 
saisissante,  des  idées  dont  nous  nous  sommes  souvent  entretenus,  et  qut 
font  leur  chemin,  grâce  à  vos  efforts. 


THEATRE   NATIONAL    DE   l'ODÉON  i49 

consentement  d'un  seul  :  telle  est  la  thèse  que 
poursuivent  en  apôtres  généreux  et  convaincus  les 
nobles  et  vaillants  écrivains  qui  s'appellent  Paul  et 
Victor  Margueritte.  Les  législateurs  de  i884  ont, 
sans  doute,  entrevu  de  si  graves  conséquences  à 
l'élargissement  demandé  qu'ils  n'ont  pas  cru  devoir 
introduire  dans  le  code  cette  porte  de  sortie.  Mais 
il  est  certain  que,  dans  le  cas  particulier  que  nous 
présentent  les  distingués  auteurs  de  l'Odéon,  la 
loi  semble  inique  qui  enserre  en  ses  dures  tenailles 
l'infortunée  M™®  Le  Hagre.  Francine  est  aussi  mal 
mariée  que  possible.  Son  seigneur  et  maître  est  un 
triste  individu  qui  ne  l'a  épousée  que  pour  son  ar- 
gent et  n'a  pas  craint  de  la  tromper  avec  une  de 
ses  femmes  de  chambre.  Elle  aurait  dû  obtenir  le 
divorce  :  il  lui  a  pourtant  été  refusé  par  deux  fois, 
en  instance  et  en  appel.  Son  indigne  mari,  que 
préoccupe  la  question  pécuniaire,  s'est  en  effet 
servi  d'un  subterfuge  qui  lui  a  admirablement 
réussi.  Pendant  l'instance  en  divorce,  elle  est  venue 
soigner  sa  petite  fille  tombée  malade  au  cours 
d'une  visite  qu'elle  faisait  à  son  père,  et  les  donies- 
tiques,  payés  en  conséquence,  ont  faussement  té- 
moigné d'un  acte  de  «  réconciliation  ».  M«^«  Le 

«  En  attendant  une  réforme  plus  compléta,  si  vous  obteniez  la  sup- 
pression du  2e  paragraphe  de  l'article  244  du  Gode  civil,  qui  permet  au 
JQgede  décider  qu'il  y  a  eu  pardon  et  réconciliation,  malgré  les  récla- 
mations de  répoux  demandeur  —  alors  que  celui-ci  doit  le  savoir  mieux 
^e  le  magistrat  le  plus  éclairé  e#  le  plus  prudent,  —  la  suppression  des 
coquètes  écrites  et  de  la  publicité  des  audiences,  et  le  rétablissement 
du  divorce  par  consentement  mutuel,  vous  auriez  rendu  à  la  cause  de 
l'humanité  un  signalé  service.  «  Bulot.  » 

Dans  le  courant  du  mois  de  novembre,  les  interprètes  du  Cœur  et  la 
^i  allaient  jouer  à  Tours,  puis  à  Troyes,  l'intéressante  pièce  de 
^IM.  Margueritte. 


l5o  LES   ANNALES   DU    THEATRE 

Hagre  a,  dès  lors,  perdu  son  procès.  Elle  est  forcée 
de  réintégrer  le  domicile  conjugal  —  pour  rien  au 
monde  elle  ne  s'y  résoudrait!  —  et  la  voici  privée 
de  son  enfant  qu'au  nom  de  la  loi  on  va  lui  enle- 
ver.. .  Que  fait-elle  alors?  Elle  s'enfuit  avec  sa 
fille  et  aussi  avec  l'homme  qui,  depuis  longtemps, 
a  su  toucher  son  cœur  :  elle  se  met    hors    la  loi. 
Qui  oserait  lui  jeter  la  pierre?   Telle  est  la  pièce 
extraordinairement  simple  sur  laquelle  MM.  Paul 
et  Victor  Margueritte  ont  bâti  leur  plaidoyer,  clair 
et  précis.  Peu  d'action  théâtrale  :  mais  une  suite 
de  tirades  qui  tournent  à  la  conférence  souvent  in- 
téressante et  à    la  copie,   abondante  sans  doute, 
mais  toujours  si  bien  écrite.  Un  très    divertissant 
premier  acte  qui  nous  montre  le  couloir  du  palais 
de  justice  avec  son  monde,  pris  sur  le  vif,  de  gens 
de  robe  de  toute  espèce  ;  on  sent  dans  cette  mise 
en  scène  l'habile  homme  qu'est  Abel  Tarride.  Un 
poignant  moment  d'angoisse,  quand,  si  impatiem- 
ment, on  attend  cet  arrêt   de  la  Cour  auquel  ont 
travaillé  des  juges  de  peu  de  conscience.  Enfin,  au 
dernier  acte,  un  éloquent  duo —  un  peu  long  pour- 
tant à  cette  fin  de  pièce  —  entre  la  mère  qui,  in)- 
bue  des  idées  d'autrefois,  tient  pour  la  résignation 
de  la  femme,  et  Francine,  qui  plaide  chaleureuse- 
ment pour  la  nouvelle  morale,  celle  du  mariage 
libre.  Et  ce  fut  plaisir  d'entendre,  en  ce  duo  magni- 
fique, une  comédienne  de  premier  ordre,  M°*®  Dux, 
qui  unit  à  une  voix  superbe  et  à  une  diction  impec- 
cable le  don,  si  précieux,  de  l'émotion  communi- 
cative,  et  M"®  Sergine,  cette  jeune  artiste,  que  l'ar- 
deur emporte  quelquefois  un  peu  trop  loin,  mais 


THEATRE    NATIONAL    DE    L^ODBON  l5l 

qui  nous  plaît  par  sa  sincérité  et.  sa  conviction. 
Avant  la  grave  comédie  de  MM.  Margueritte,  nous 
avions  entendu  une  agréable  piécette,  en  vers  cette 
fois,  de  M.  André  Ri  voire,  le  délicieux  poète  dY/ 
était  une  bergère.  M.  Rivoire  a  refait  là,  en  un 
acte,  VAnge  du  foyer  de  MM.  Robert  de  Fiers  et 
Caillavetj  naguère  applaudi  aux  Nouveautés.  Notons 
le  début  un  peu  quelconque  de  M.  Brou,  Tun  des 
derniers  lauréats  du  Conservatoire. 

i8  ocrroBRE.  —  Nouvelle  représentation  popu- 
laire composée  du  Mariage  forcé  et  des  Fourberies 
de  S  cap  in  y  pour  la  rentrée  de  MM.  Duard  et  Lau- 
monier  et  la  continuation  des  débuts  de  MM.  Jean 
Dax,  Peyrière,  Pillot,  Michel,  de  M^^»  Léo  Renn 
et  Labady. 

19  OCTOBRE.  —  On  donne  en  matinée  le  Bajaset 
de  Racine,  où  M"®  Sergine  est  une  vibrante  et  sin- 
cère Roxane  ;  où  se  font  applaudir  M"^  de  Pouzols- 
Saint-Phar,  une  Atalide  de  charme  langoureux  ; 
M^^e  Suzanne  de  Behr,  pleine  de  grâce  et  de  chaleur 
sous  les  traits  de  Zatime  ;  MM.  Normand,  en  Ba- 
jazet;  Perrier,  en  Acomat.  La  représentation  est 
précédée  d'une  subtile  et  suggestive  conférence  de 
M.  Nozière. 

21  OCTOBRE.  —  C'était  le  premier  samedi  cinq 
heures  de  la  saison  ;  la  causerie  intitulée  «  Petites 
Joies  »  étsrit  faite  par  M.  Franc-Nohain*. 

4.—  Voici  quel  en  était  le  programme  :  La  Bouquetière  [de  Paul  Arène), 
M-  Escoffier  ;  Les  Cerises  (de  J.-J.  Rousseau),  M^e  Taillade;  L'Amateur 
d«  tambour  (de  Jean  Richepin),  M.  Robert  Liser;  Le  Rêve  (de  Massenet), 
chanté  par  M.  Ferrier  ;  BucoliqueSj  la  Cascade,  le  Portrait  (de  Renard), 
JJ]i«Léo  Renn;  La  Ballade  du  petit  bébé,  les  Mômes  (d'Ed.  Rostand), 
Mlle  Gladys-Maxhance  ;  La  Mousse  (de  Gustave  Droz),  Mlle,  Farna  ;  En 
voyage  (de  Sully-Prudhomme),  M.  Séverin. 


l52  LES    ANNALES    DU    THEATRE 

25  OCTOBRE.  —  On  reprend,  sans  tambour  ni 
trompette,  la  Souris  d'Edouard  Pailleron*,  qui  n'a 
pas  trop  vieilli  et  fait  encore  bonne  figure.  «  C'est 
—  laissons  encore  parler  notre  confrère  Adolphe 
Brisson  —  c'est  le  type  de  la  comédie  «  littéraire  », 
fignolée,  ciselée,  très  écrite,  avec  morceaux  brillants, 
duos  d'amour  et  cavatines.  Mais  elle  renferme  un 
rôle  délicieux  de  jeune  fille.  Les  ingénues  du  Con- 
servatoire le  connaissent  bien  et  le  découpent  en 
tranches  chaque  année,  au  moment  des  concours. 
Ce  fut  un  des  triomphes  de  Suzanne  Reichenberg. 
W^^  Lély  l'a  joué  avec  une  fraîcheur,  une  grâce  qui 
nous  ont  ravis.  A  cette  douce  enfant  s'oppose  l'en- 
fant terrible,  Pepa,  qui,  en  1887,  avait  presque 
scandalisé  le  public.  Mais  si  le  personnage  ne  nous 
offense  plus,  il  nous  agace  un  peu  par  sa  fausse 
insolence  et  sa  fausse  belle  humeur.  Il  fallait  la 
verve  débridée  de  Jeanne  Samary  pour  faire  avaler 
cela.  M^*^  Léo  Renn  n'y  est  que  vulgaire,  hélas  I 
on  ne  peut  le  lui  cacher.  M.  Séverin  atténue  par  sa 
bonne  grâce  la  fatuité  de  Max  de  Simiers,  l'homme 
à  femmes  impénitent,  le  séduisant  et  cavalcadant 
quadragénaire.  M™^»  Janè  Even,  Miramon,  Ver- 
neuil  complètent  agréablement  l'interprétation  de 


1.  Distribution.  —  Max  de  Simiers,  M.  Gaston  Séverin.  —  Marthe  de 
Moisand,  MU»  Madeleine  Lély.  —  Glotilde  Woïska,  M"»»  Madeleine  Ver- 
neuil.  —  Mme  de  Moisand,  M^e  j.  Even.  —  Pépa  Raimbault,  M»«  Léo 
Renn.  —  Hermine  de  Sagancey,  Mil»  Miramon. 

Le  23  novembre,  MHe  Lély,  malade,  était  remplacée  par  MH*  Blanche 
Toutain,  tout  à  fait  maîtresse  du  rôle  de  Marthe,  Dans  celui  de  M™»  de 
Moisand,  qu'elle  jouera  aux  lieu  et  place  de  Mn«  Even,  Mii«  Angéle  Re- 
nard se  fera,  de  même,  chaleureusement  applaudir. 

La  Souris  devait  être  bientôt  précédée  d]^ne  pièce  en  un  acte,  en  vers, 
Madelon,  de  M.  Edmond  Guiraud,  interprétée  par  MM.  Escoffier,  Décard, 
Sterny  et  M"»  Acézat. 


THEATRE    NATIONAL    DE    l'oDÉON  '      l53 

ce  célèbre  ouvrage  qui  constitue,  par  excellence,  un 
spectacle  de  famille,  la  pièce  que  tout  le  monde  peut 
voir.  Et  vous  savez  que  le  romanesque  a  toujours 
plu  et  plaira  toujours  au  «  spectateur  françois  ». 

2  NOVEMBRE.  —  Matinée  classique  :  Cinna^. 

i6  NOVEMBRE.  —  Ou  donuc  en  matinée  le  Ma- 
riage de  Fiffaro'^y  avec,  au  quatrième  acte,  le  diver- 
tissement chorégraphique  indiqué  par  Beaumar- 
chais, réglé  par  M^*®  Stichel.  La  célèbre  pièce  est 
précédée  d'une  causerie  de  M.  Bewiardin. 

i8  NOVEMBRE.  —  Daus  VArlésienne,  M.  Beau- 
lieu  joue  le  rôle  de  Frédéri,  et  M.  Dorival,  qui 
incarnait  Frédéri,  joue  celui  de  Balthazar.  M^^Dux 
tient  pour  la  première  fois  le  personnage  de  Rose 
Mamaï.  M.  Maxudian  fait  Francet  Mamaï,  La  Re- 
naude,  Vivette  et  l'Innocent  sont  interprétés  par 
Mlles  Even,  Dérives  et  Didier.  —  Au  «  cinq  heures  » 
<lu  même  jour  la  causerie  était  faite  par  M.  Lau- 
rent Taillade  ^. 


1.  Distribution.  —  Ginna,  M.  Paul  Chevalet.  —  Auguste,  M.  Maxu- 
4ian.  —  Evandre,  M.  Pillot.  —  Maxime,  M.  Henri  Valbel.  —  Euphorbe, 
M.  Rezal.  —  Polyclète.  M.  Delangle,  —  Emilie,  M»»  Réhecca  Félix.  — 
Fulvie,  M"«  Suzanne  de  Behr. 

2.  Distribution.  —  Figaro,  M.  Beaulieu.  —  Le  comte,  M.  Normand. 
—  Antonio,  M.  Darras.  —  Brid'oison,  M.  Robert  Lizer.  —  Bazile, 
M.  Duparc.  —  Pédrille,  M.  Terrier.  —  Bartholo,  M.  Ferrier.  —  Grippe- 
Solerl,  M.  Veber.  —  Doublemain,  M.  Cami.  —  Suzanne,  M"«  Hélène 
Domille.  —  La  comtesse,  M"»  Marguerite  Ldbady.  —  Marceline, 
M«e  Lunéville.  —  Chérubin,  MU«  Dérives.  —  Fanchette,  MW«  Biguer.  — 
^^ae  paysanne,  W^*  Livry. 

3.  —  Voici  quel  était  le  programme  :  les  Petits  Chiens  de  M.  Pierre 
Loti  :  M.  Séverin.  —  La  Mort  du  singe  de  M.  Anatole  France  :  M»»  Pou- 
Mlt  Saint-Phar.  —  Le  Bœuf,  M.  Mérinos  :  M.  Robert  Lizer.  —  Le 
Hanneton,  Charles  Monselet  :  M"»  Léo  RéUn.  —  Rikki-Tiki-Tavi,  Ru- 
dyard Kipling  :  Mi>«  Taillade.  —  Les  Chats,  Baudelaire  ;  Cortèae  de 
Verlaine;  les  Vieux  Chats  de  R.  Gineste  :  M"«  Marcilly.  —  Le  Chat  et 
le  Perroquet  de  Théophile  Gautier  :  M'i»  Farna.  —  Les  Hirondelles  du 
prisonnier  de  Béranger.  —  Toutou  de  Bruant,  chantés  par  M»«  Tarquini 
d'Or. 


l54  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

3o  NOVEMBRE.  —  En  matinée,  on  donne  le  Jeu  de 
V Amour  et  du  Hdsardy  précédé  d'une  spirituelle 
conférence  de  M.  George  Vanor.  —  Le  soir,  pre- 
mière représentation  d'un  acte  en  vers  de  M.  Paul 
Vergnet,  Guillaumin  va^t^en  guerre^  une  farce 
amusante,  et  pourtant  littéraire,  que  font  applaudir 
M"«  Léo  Renn,  MM.  Cazalis,  Violet  et  Pillot. 

i«'  DÉCEMBRE.  —  Hcurcux  début  de  M**®  Ventura 
dans  Bérénice.  MM.  Dorival  (Titus),  Escoffier 
(Antiochus),  Perret  (Paulin)  et  M"«  Carmen  Acézal 
(Phénice)  sont  les  partenaires  de  la  jeune  tragé- 
dienne. 

2  DÉCEMBRE.  —  «  La  Petite  Ville  »,  causerie  de 
M.  Gaston  Rageot,  est  au  programme  de  ce  «  sa- 
medi cinq  heures  »*. 

12  DÉCEMBRE.  —  Première  représentation  de 
Jeunesse^  comédie  en  trois  actes  de  M.  André 
Picard^,  précédée  d'un  acte  en  vers  de  M.  Sacha 
Guitry,  Le  mari  qui  faillit  tout  gâter  i.  —  Le  jeune 
auteur  Aq  Bonne  fortune  et  de  Monsieur  Malézieux 
risquait   cette  fois  une  grosse    partie.    A  l'issue 

1.  —  La  Petite  Ville  (Gustave  Flaubert),  M.  H.  Duard;  le  Marché 
(A.  Samain),  M.  Perret;  les  Quilles,  les  Almanachs  (Paul  Leclerc), 
Mil»  Didier;  les-  Chapeaux  du  Jour  de  l'An  (Franc-Nohain),  M.  Décard; 
la  Petite  Rue  (M.  André  Rivoire),  Mlle  Bellanger;  la  Pipe  (Georges 
Courteline),  M.  Violet;  les  Vieux  (Alphonse  Daudet),  Mii«  Taillade;  la 
Voyante  (Anatole  France),  M.  Beaulieu;  Carcassonne  (M.  Nadaud), 
M.  Robert  Lizer;  Y  Invitation  au  voyage,  le  Rideau  de  ma  voisiney 
chantés  par  M"«o  Fournier  de  Noce,  de  l'Opéra;  Comédiens  de  Province 
(MH«  Flore),  M»«  Lavergne. 

8.  Distribution.  —  Roger  Dautran,  M.  Tarride.  —  Rivray,  M.  Barras. 
—  Phibort,  M.  Jean  Dax  —  Jean,  M.  Février.  —  Charles  Aubert, 
M.  Janvier.  —  Chavry,  M.  G.  Séverin.  —  Désiré,  M.  Duparc.  —  Grois- 
•ard,  M.  Peyrière.  —  Mauricette,  M»»  Marthe  Régnier-  —  Andrée  Dau- 
tran, M™»  Dux.  —  Françoise,  M™»  Marcelle  Jullien.  —  M"»»  Chavry, 
W*  Miramon.  —  M»»  Rivray,  M»»  Spindler.  —  Marie,  MUe  Lambert. 


THEATRE    NATIONAL    DE    l'odÉON  i55 

d'un  premier  acte  ravissant,  nous  pensions  tous 
qu'il  Tavâit  gagnée  haut  la  main,  Pourquoi  la  suite 
et  la  fin  de  la  jolie  comédie  n'ont-elles  pas  répondu 
tout  à  fait  à  ce  début  prometteur?  Sur  la  scène 
de  rOdéon,  où,  dûment  autorisé  par  le  ministre, 
M.  Mounet-Sully  viendra  jouer  quelque  jour  sa 
Vieillesse  de  Don  Jiian^  M.  André  Picard  nous 
montre  un  amoureux  de  cinquante  ans  :  le  Vieil 
Hommey  est  justement  le  titre  de  la  pièce,  impa- 
tiemment attendue,  de  M.  Georges  de  Porto-Riche. 
Roger  Dautran  vient,. suivant  la  mode  actuelle,  de 
troquer  en  un  reposant  fauteuil  de  sénateur  un  bril- 
lant siège  de  député.  Il  est  le  type  de  V  «  homme 
à  femmes  »  ;  sans  avoir  jamais  éprouvé  la  grande 
passion,  sans  avoir  été  jamais  ce  qu  on  appelle 
«  un  amant  »,  il  n'a  pas  cessé  d'apciinmler  les 
bonnes  fortunes  qu'il  ne  compte  plus ...  Sa  femme, 
qu'il  déclare  lui-même  «  incomparable  »  —  sans 
doute  parce  qu'il  a  beaucoup  comparé  —  s'est 
constamment  résignée,  pardonnant  toujours  à 
l'homme  qu'elle  aime  et  qu'elle  serait  désolée  de 
perdre  tout  à  fait.  Comme  la  Françoise  de  Georges 
de  Porto-Riche  (toujours  lui  !),  Andrée  cache  la 
douleur  de  son  âme  ulcérée.  Et  puis  Roger  vieillit 
—  voyez  la  blancheur  de  ses  tempes  —  qui  sait 
s'il  n'est  pas  à  la  veille  de  lui  revenir  de  façon 
définitive,  quand  les  femmes  ne  feront  plus  atten- 
tion à  lui  ?   En  attendant,   il  s'ennuie   tant  chez 


i.  —  Joué  par  MM.  Barras  ^  Paul  Chevalet  y  M"»  Taillade. 

Jeunesse  sera  ensuite  accompagnée  de  la  Promise  de  M.  Paul  Steck, 
interprétée  par  Mm««  Even,  Delange,  Lunévilley  MM.  Barras  et  Ter* 
rier. 


l56  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

lui  —  auprès  de  sa  femme  incomparable  —  qu^l 
ne  songe  qu'à  passer  au  dehors  la  plupart  de  ses 
soirées.  Aujourd'hui  encore,  prétextant  je  ne  sais 
quel  banquet  de  commission  parlementaire,  il  s'est 
promis  de  dîner  au  restaurant. . .  Mais  voilà  qu'au 
moment  où  il  va  partir,  Andrée  lui  présente  une 
jeune  fille  qu'on  lui  a  recommandée  comme  lec- 
trice, et  qu'elle  a  l'idée  de  garder,  plus  que  comme 
demoiselle  de  compagnie,  comme  Tenfant  de  la 
maison,  destinée  à  apporter  la  gaîté  qui  lui  man- 
quait et  à  retenir  at  home  son  mari  toujours  dis- 
posé à  sortir.  Mauricette  est  le  nom  de  la  jeune 
Montmartroise,  fille  naturelle  d'un  brave  graveur 
qui  est  mort  sans  lui  laisser  de  quoi  vivre,  et  libre- 
ment élevée  au  milieu  d'artistes,  camarades  de  son 
père.  Le  type,  amusant,  encore  qu'un  peu  connu, 
plaît  infiniment  à  Roger  Dautran,  immédiatement 
séduit  par  la  beauté  de  Mauricette,  qui,  dans  la 
circonstance  —  étant  donnée  la  personne  de 
M"®  Marthe  Régnier  —  est  certes  plus .  que  la 
beauté  du  diable.  Et  voilà  —  ô  imprudence  de 
M™«  Dautran  !  —  la  jeune  fille  introduite  au  domi- 
<;ile  conjugal  :  Mauricette  sera  la  grande  passion 
que  n'a  jamais  eue,  jusqu'ici,  l'éternel  amoureux. 
Roger  ne  s'en  rendra  compte  lui-même  qu'au  mo- 
menr  où  un  familier  de  la  maison,  le  jeune  doc- 
leur  Charles  Aubert,  dont  il  fut  pour  ainsi  dire  le 
tuteur,  demandera  la  main  de  Mafliricette  qui  Ta 
charmé.  Roger  s'oppose  alors  formellement  à  ce 
mariage,  et  il  faut  entendre  les  raisons  —  si  peu 
raisonnables  !  —  qu'il  donne  à  son  refus  de  la 
laisser  partir . . .  Elle  part  pourtant,  non  sans  lui 


THÉÂTRE    NATIONAL    DE    l'oDÉON  167 

avoir  avoué  qu'elle  aussi,  elle  l'aimait;  mais  elle 
doit  trop  à  M"*®  Dautran  pour  vouloir  troubler  son 
ménage,  et  tranchant  dans  le  vif,  elle  accepte  la 
proposition  du  docteur. . .  Nous  la  retropvons, 
quelques  mois  après,  devenue  M"*®  Charles  Aubert, 
très  mélancolique  et,  pensant  toujours  à  Dautran, 
qui,  lui,  n'a  jamais  cessé  de  penser  à  elle.  Il  va 
même  jusqu'à  lui  écrire  en  cachette,  lui  demandant 
un  rendez-vous.  Très  loyalement,  Mauricette  donne 
la  lettre  à  son  mari.  Celui-ci  ne  craint  pas  de  les 
mettre  tous  deux  en  présence  :  qu'ils  s'expliquent 
seul  à  seule  !  L'entretien  sera  court  :  à  peine  Mau- 
ricette a-t-elle  revu,  vieilli  et  quelque  peu  ravagé 
par  la  maladie  et  le  chagrin  de  la  séparation,  le 
beau  séducteur  d'autrefois,  qu'elle  reconnaît  son 
erreur  :  la  jeunesse  ne  va-t-elle  pas  vers  la  jeu- 
nesse? Dautran  n'a  qu'à  s'incliner  en  dépit  qu'il 
en  ait,  et  à  s'en  retourner  tristement  au  bras  de  sa 
femme  qui,  bonne  et  tendre  comme  elle  est,  saura 
sans  doute  le  consoler  de  n'avoir  plus  l'âge  des 
passions.  Ainsi  se  termine  sur  une  note  d'émotion 
un  peu  banale  cette  comédie,  dont  le  premier  acte 
s'était  enlevé  en  un  si  joli  mouvement  d'esprit  et 
de  gaieté.  Est-ce  à  dire  qu'il  n'y  ait  pas,  dans  la 
nouvelle  œuvre  de. M.  André  Picard,  toujours  très 
littérairement  dialoguée,  grande  dépense  de  talent? 
Jeunesse  annonce  un  véritable  auteur  dramatique 
que  nous  devrons  à  M.  Tarride^  —  le  glorieux  par- 
rain de  M.  André  Picard,  avant  d'en  être  le  prin- 
cipal interprète,  de  si  parfait  naturel  et  de  si  belle 
autorité.  M*'®  Marthe  Régnier,  la  délicieuse  Mar- 
celine de   Petite  Peste  et  bientôt  l'idéale  Florise 


l58  LES   ANNALES    DU    THEATRE 

Bonheur  de  M.  Adolphe  Brisson,  est,  dans  Mauri- 
cette,  une  merveille  de  jeunesse,  de  grâce  et  de 
beauté  :  le  charme  de  la  pièce.  Nous  ne  saurions 
trop  louer  M°^«  Dux,  cette  comédienne  si  sûre  qui 
joue  avec  tant  de  tact  le  rôle  de  M"*®  Dautran.  Mais 
quelle  erreur  d'avoir  distribué  celui  du  docteur 
Aubert  à  M.  Janvier  qui  manque  totalement  de 
jeunesse  et  de  distinction  et  a  rendu  absolument 
invraisemblable  la  préférence  de  Mauricette  !  La 
pièce  a  été  mise  en  scène  avec  beaucoup  de  luxe 
et  de  goût  :  il  nous  faut  ici  encore  rendre  hommage 
à  M.  Tarride.  Elle  est  précédée  d'un  acte  en  vers, 
Le  Mari  qui  faillît  tout  gâter,  dont  Fauteur  de 
vingt  ans  —  cet  âge  est  sans  pitié  —  M.  Sacha 
Guitry,  triomphe  actuellement  aux  Mathurins  avec 
trois  actes  en  prose  intitulés  Nono...  Nous  ne  sau- 
rions rien  dire  de  plus  d'une  grossière  petite  élucu- 
bration  destinée  sans  doute  aussi  à  être  acclamée 
sur  «  une  scène  à  côté  »,  mais  vraiment  quelque  peu 
indigne  de  TOdéon,  second  Théâtre-Français... 

i6  DÉCEMBRE.  —  Au  Samedi  cinq  heures,  «  les 
Pays  de  Rêves  »,  causerie  faite  par  M.  Raymond 
Recouly  *. 

2ï  DÉCEMBRE.  —  Matinée  de  bienfaisance  au 
profit  de  la  caisse  de  secours  des  veuves  et  des 
orphelins  des  Associations  des  Journalistes  répu- 


1.  —  Au  programme  :  Les  Tours  du  silence  (Chevrillon)  :  M.  Cheva- 
let; Près  du  puits  (Victor  Margueritte)  :  M\\*  Sergine;  Balamoni 
<Pierre  Loti)  :  M.  Séverln;  Nous  et  un  de  pli*s  (Rudyard  KipHï'fif)  • 
MUo  Taillade  ;  Conte  chinois  (Paul  Arène)  Ballade  japonaise  :  M"«  àe 
Pouzols  ;  Le  Sultan  (Nadaud)  :  M.  Duard.  On  entendait  M»«  Vallandri, 
de  rOpéra-Comique,  dam  l'air  de  la  Statue^  de  Rejer,  et  les  Adieux  de 
l'hôtesse  arabe,  de  Bizet. 


THEATRE    NATIONAL   DE    l'oDBON  iBq 

blicains  et  des  Journalistes  parisiens  :  première 
représentation  sans  lendemain  —  à  Paris  —  de 
Brichanteau  ou  la  Vie  d'un  comédien^  la  pièce  en 
quatre  actes  et  cinq  tableaux  si  adroitement  tirée 
par  M.  Maurice  de  Féraudy  du  livre  mémorable 
de  M.  Jules  Claretie*.  —  Le  soir,  on  fêtait  l'anni- 
versaire de  la  naissance  de  Racine  avec  Bajazet^ 
les  Plaideurs  et  la  représentation  d'un  à-propos  en 
vers  et  en  prose  de  M.  Georges  Dama,  Aux  pieds 
deliacine.  —  C'était,  chez  des  humbles,  l'aventure 
de  Titus  et  de  Bérénice.  L'amour  et  là  douleur  sont 
de  tous  les  temps  et  de  toutes  les  existences.  Cet 
acte  d'émotion  et  de  grâce  simple  était  fort  bien 
joué  par  M"«  Brassy,  MM.  Ferrier  et  Valbel. 

3o   DÉCEMBRE.  —  Au  Samedi  cinq  heures,   les 
EtrenneSy  causerie  de  M.  Franc-Nohain  2. 


1.  Distribution.  —  Sébastien  Brichanteau,  M.  de  Féraudy.  —  Gaston 
Mural,  M.  Dauvilliers.  —  Durevert,  M.  Mondet.  —  Lord  Hartson, 
^l.  Henry  Uoury.  —  Muntescure,  M.  Berthelier.  —  Roland,  M.  E  .Four- 
nier.  —  Docteur  Séverin,  M.  O.  Laine.  —  Daniel,  M.  Defretne.  —  Lan- 
<lret,  M.  Larin., —  Un  homme  de  la  gare,  M.  Jacques  de  Féraudy.  — 
Jeanne  Horly,  MHe  Marie  Leconte.  —  Mb»  Doris,  M"»»  th.  Kolb.  — 
Manchette  Claret,  M»»  Cor  a  Laparcerie.  —  Lady  Maud,  M"»  Denise 
Morena.  —  M»»  Valadon,  M#»  Marie-Laure. 

Musique  de  la  garde  républicaine,  sous  la  direction  de  M.  G.  Parés  : 
Ouverture  des  Girondins  (Litolîf).  —  Roméo  et  Juliette^  fête  chez 
Capulet.  (Berlioz).  — -  Danse  vénitienne  (G.  Parés).  —  Entr'acte  de 
Messidor  (Bruneau).  —  Marche  militaire  (Schubert). 

2.  —  Au  programme  :  Ballade  de  la  Nouvelle  Année,  de  M.  Edmond 
Rostand  (M»«  Glad^  s-Maxhance)  ;  V Année  en  s  enfuyant,  Victor  Hugo 
<M.  Janvier);  Au  pays  des  Joujoux,  Paul  Arène  (M.  Robert  Lizer)  ;  le 
Jour  de  l'An  d'un  franc-tireur,  Alphonse  Daudet  (M.  Séverin)  ;  Jour  de 
''An,  Théodore  de  Banville  (M»»  Cécile  Didier);  le  Facteur,  Glatignj 
(MUe  Dorville)  ;  Pauvres  Etrennes,  Jean  Richepin  (M"»  Taillade)  ;  En 
famille,  Gustave  Droa  (MU"  Farna).  (a)  Nocturne  (Gros),  (b)  Rêverie 
iSchumann),  (c)  Zaman«cca(White),pfirMll"JulietteDantin,  violoniste. 


i6o 


LES   ANNALES   DU    THEATRE 


Athalie,  tragédie 

ArmiAe  et  Gildis,  drame  en  vers 

Tartuffe,  comédie  en  vers '. 

Le  Florentin^  pièce  en  vers 

L'Ecole  des  mères,  comédie 

L'Arlésienne,  pièce 

Le  Grillon,  comédie ^ 

Le  Jeu  du  Diable,  pièce 

L'Heure  Espagnole,  pièce  en  vers... 

Le  Légataire  universel,  comédie  en  vers 

L'Ecole  des  Maris,  comédie  en  vers . . 

Les  Précieuses  ridicules,  comédie. . . . 

Andromaque,  tragédie 

Le  Jeu  de  V amour  et  du  hasard,  comédie 

*Le  Patrimoine,  comédie 

*Le  Petit,  drame 

Le  Malade  imaginaire,  comédie 

Georges  Dandin,  comédie. 

*La  Farce  du  Médecin,  à-propos  en  vers. 
*La  Gloire  de  Molière,  à-propos  en  vers. 

Britannicus,  tragédie 

Le  Médecin  malgré  lui,  comédie 

Le  Roi  galant,  comédie  dramat.  en  vers. 

La  Cage,  comédie. . , 

Horace,,  tragédie 

^Thérèse  Raquin,  drame 

L'Epreuve,  comédie 

L'Absent-  pièce 

Mérope,  tragédie 

*Les  Ventres  dorés,  pièce 

*Hippolyte  couronné,  drame  ant.  en  vers 

La  Passion,  drame  sacré 

Phèdre,  tragédie 

*La  Variation,  comédie 

*L  Agrafe,  comédie 

Le  Menteur,  comédie  en  vers 

*L Anniversaire,  à-propos  en  vers. 

*Les  Miettes,  comédie 

*Une  Blanche,  pièce 

*Le  Portefeuille,  pièce 

Une  Trahison,  pièce 

■  Les  Folies  amoureuses,  comédie  en  vers 

Don  Juan  d'Autriche,  comédie 


DATE 

NOMBRE 

NOMBRE 

delà 

de 

1~  représ. 

représent. 

d'actes 

ou  de  la 

pendant 

reprise 

Tannée 

5 

» 

2 

5  a.  6  t. 

» 

1 

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2 

1 

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3 

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5 

n 

20 

2  tabl. 

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5 

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3 

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2: 

3 

12  janv. 

27 

1 

12janv. 

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3 

3 

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1 

15  janv. 

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2 

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4 

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1 

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1 

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1 

5 

» 

1 

5 

4  mars 

102 

4 

23  mars 

3 

5  a.  6  t. 

17  avril 

a 

5 

» 

3 

4 

17  mai 

9 

1 

17  mai 

9 

5 

)) 

1 

» 

6  juin 

1 

2 

9  juin 

10 

2 

9  juin 

10 

1 

9  juin 

10 

1 

» 

8 

3 

n 

7 

5 

28  sept. 

7 

THEATRE    NATIONAL    DE    h  ODEON 


l6l 


Monsieur  de  Pourceaugnac,  comédie  . . . 

*Le  Cœur  et  la  Loi,  pièce 

*  L'Ami  du  ménage,  comédie 

Marton  et  Frontinj  comédie ? 

Les  Fourberies  de  Scapin^  comédie 

Le  Mariage  forcé,  comédie 

Bajazetj  tragédie 

La  Souris,  comédie 

Cinna,  tragédie 

*Madelon,  pièce  en  verfc 

Le  Mariage  de  Figaro,  comédie 

*Guillaumin  va-t-en  guerre,  pièce  en  vers 

Bérénice,  tragédie ; . 

^Jeunesse,  comédie 

*Le  Mari  qui  faillit  tout  gâter,  p.  eu  vers 
Le  Dépit  amoureux,  comédie  en  vers — 

*A.ux  pieds  de  Racine,  à-pr.  en  pr.  et  en  v. 

*Brichanteau,  pièce 

Les  Plaideurs,  comédie  en  vers 

La  Promise,  comédie 


DATE 

NOMBRE 

NOMBRE 

delà 

de 

!'•  représ. 

représent. 

d*actes 

ou  de  la 

pendant 

reprise 

Tannée 

3 

» 

6 

3 

9  octob. 

27 

1 

9  octob. 

45 

1 

» 

26 

3 

» 

4 

1 

» 

4 

5 

» 

2 

3 

25  octob. 

35 

5 

» 

1 

1 

14  nov. 

19 

5 

» 

3 

1 

30  nov. 

5 

5 

» 

4 

3 

18  déc. 

22 

1 

12  déc. 

10 

2 

» 

1 

1 

81  déc. 

1 

4  a.  5 1. 

21  déc. 

1 

3 

» 

1 

1 

29  déc. 

2 

ANNALBS  DU  THÉÂTRE 


11 


THEATRE  DU  GYMNASE  * 


Trois  pièces  nouvelles  :  VA^e  d'aimer  de 
M.  Pierre  WoIflF,  Ces  Messieurs  de  M.  Georges 
Ancey  et  la  Rafale  de  M.  Henry  Bernstein  cons- 
lilueronl  l'histoire  du  Gymnase  en  Tannée  1906, 
remplie  d'ailleurs  par  la  fin  des  représentations  du 
Bercail'^ ^  par  les  reprises  du  Retour  de  Jérusalem 
et  du  Secret  de  Polichinelle^  et  aussi  les  quelques 
soirées  que  dura  le  Jeune  Ménage  de  MM.  Sylvane 
et  Froyez,  originaire  de  TOdéon, 

20  FÉVRIER.  —  Après  quatre-vingt-huit  repré- 
sentations, le  Bercail  de  M.  Henry  Bernstein  cédait 
l'affiche  à  une* reprise  du  Retour  dé  Jérusalem^, 
dont   l'intérêt   consistait   principalement   dans   le 


i.  —  Directeur  :  M.  Alphonse  Franck. 

2.  —  Mïï»  Burly,  indisposée,  avait  dû  abandonner,  dans  la  pièce  de 
M.  Bernstein,  le  rôle  de  Louli  où  elle  était  remplacée  par  M^e  Liceney. 

3.  Distribution.  —  Michel  Aubier,  M.  Dumény.  —  L'oncle  Emile, 
M.  Numès.  —  Lazare  Hœndelsohn,  M.  Maurice  Luguet.  —  Tréviéres, 
M.  André  Hall.  —  Docteur  Lurdau,  M.  Arvel.  —  Vowenberg,  M.  Jean 
iJoa;.  —  Georges  Daincourt,  M.  Vial.  —  M.  Aubier  père,  M.  Collen.  -— 
Moissac,  M.  Rameil.  —  Docteur  Afkler,  M.  Paul-Edmond.  —  Capitaine 
Aubier,  M.  Oarnier.  —  M.  Sonchamp,  M.  Vidal.  —  Un  domestique, 
M.  Chauveau.  —  Raymond,  la  petite  Ouyot.  —  Un  tapissier,  M.  Bou- 
dât. —  Un  électricien.  M.  Kosser.  —  Judith,  M™«  Simone  Le  Bargy.  — 
Suzanne  Aubier,  M»«  Gabrielle  Dorziat.  —  M»»  Aubier,  M»»  Henriot.  — 
Andrée  Daincourt,  MU»  Camille  Liceney.  —  M««  Sonchamp,  M"»»  Clau- 
rfia.  —  M*c  Afkler,  M"«  Chantenay,  —  Une  femme  de  chambre,  M»»  Cé- 
cile Didier.  —  Marguerite,  là  petite  Boivin. 


l64  LES    ANNALES    DU    THEATRE 

rétablissement  de  la  grande  scène  du  troisième 
acte  entre  Judith  et  Lazare,  coupée  avant  la  pre- 
mière représentation  *. 

i^^'  AVRIL.  —  Première  représentation  de  VAge 
(Taimery  comédie  en  quatre  actes  de  M.  Pierre 
Wolff^.  —  \]n  véritable  «  coup  de  théâtre  »  avait 
été,  quelques  semaines  auparavant,  la  nouvelle 
donnée  par  les  courriéristes  bien  informés  de  la 
prochaine  arrivée  de  Réjane,  retour  d'Amérique, 
et  de  son  sensationnel  engagement  au  Gymnase, 
conclu  par  câble.  Quelle  allait  être  la  pièce  de 
rentrée,  dans  sa  bonne  ville  de  Paris,  de  l'actrice 
parisienne  par   excellence?   Celle  que  M.   Pierre 


1.  —  M.  Maurice  Donnay  iexpliquait  ainsi  cette  suppression  :  «  J'ai 
supprimé  aussi  la  scène  qui  termine  le  troisième  acte,  et  dans  laquelle 
les  caractères  de  Judith  et  de  Lazare  sont  développés  selon  leur  race, 
mais  en  beauté,  parce  qu'elle  a  été  jugée  dangereuse  par  ceux  et  pour 
ceux  qu'elle  devait  le  mieux  servir.  Dans  l'aveu  de  son  amour  profond 
et  pur  que  Judith  fait  à  Lazare,  quelques  dames  israélites  n'ont  pu  voir 
qu'une  femme  hystérique  offrant  son  corps,  alors  que  c'était  une  créature 
de  douleur  et  de  détresse  qui  proposait  son  âme,  et  dans  le  refus  hon-i 
nête  et  fraternel  de  Lazare  des  coreligionnaires  n'ont  pu  voir  que  gêne 
et  niaiserie.  Bref,  pour  toutes  ces  causes,  on  m'a  supplié  de  supprimer 
cette  scène,  et  j'ai  cédé.  Mais,  cette  décision  prise,  entre  la  répétition 
géîiérale  et  la  première  représentation,  j'ai  traversé  une  journée  d'an- 
goisse. Puisqu'il  y  avait  lutte,  j'étais  le  lutteur  qui  se  coupe  un  bras, 
mutilation  qui  ne  va  pas  sans  souffrance  et  sans  risques  ». 

'  2.  Distribution.  —  Bellencontre,  M.  Félix  Huguenet.  —  Longecourl, 
M.  Dumény.  —  Maurice  Gérard,  M.  Pierre  Magnier.  —  Taverney, 
M.  André  Calmettes.  —  Louis,  M.  Jean  Dax.  —  Le  père  François, 
M.  Paul-Edmond.  —Jean,  M.  Chauveau.  —  Geneviève  Clarens,  M"»  i??'- 
jane.  —  Isabelle  Lescar,  M»»  Gahrielle  Dorziat.  —  Mi'e  Jeanne,  M'ie  Fé-' 
lyne.  —  Andrée  Bouquet,  M""  Lantelme.  —  Colette  Davron,  MU»  Lice- 
ney.  —  Hélène  Briey,  MH»  Th.  Chantenay.  —  Annette,  M'»«  Claudia. 

Gros  émoi,  le  15  avril,  au  théâtre  :  un  enrouement  subit  de  M"'"  Ré- 
jane a  empêché  la  représentation  de  \ Age  d'aimer  et  on  a  dû  rembour- 
ser une  recette  de  6.000  francs.  Par  mesure  de  précaution  et  pour  donner 
à  M"»»  Réjane  tout  le  temps  de  se  rétablir,  M.  Franck  décidait  de  faire 
relâche  :  les  représentations  de  VAge  d'aimer  ne  reprenaient  que  le  22 
avril. 


THEATRE    DU    GYMNASE  l65 

Wolff  avait  remise  à.M"'^  Saràli  Bernhardl  et  que 
fort  adroitement  il  avait  retirée  du  théâtre  où, 
peut-être,  elle  n'eût  jamais  été  jouée,  pour  la  porter 
à  M,  Fraiick,  prêt  à  la  mettre  immédiatement  en 
répétitions.  'L'Affe  (Taimer  :  tel  était  le  titre,  un 
peu  énigmatique^,  de  la  nouvelle  œuvre  de  l'heureux 
auteur  du  Secret  de  Polichinelle.  Elle  n'est  pas 
sans  analogie  —  pures  coïncidences  d'ailleurs  — 
avec  Amants,  avec  le  Passé  et  avec  Maman  Coli- 
bri. Comme  la  Dominique  de  M.  de  Porto-Riche, 
la  Geneviève  Clarens  de  M.  Pierre  WolfF  touche  à 
la  quarantaine.  Elle  a  eu  deux  amants  :  le  premier 
qui  est  mort  en  lui  laissant  toute  sa  fortune  ;  le 
second  qui  Ta  fait  horriblement  souffrir,  à  tel  point 
qu'elle  a  résolu  de  ne  plus  aimer.  Jamais,  jamais  ! 
Aussi,  dès  qu'elle  a  vu  le  séduisant  Maurice  Gérard, 
de  dix  ans  plus  jeune  qu'elle,  s'est-elle  éprise  de 
lui,  jusqu'à  tomber  dans  ses  bras,  à  la  suite  d'une 
scène  très  fine^  sinon  très  nouvelle,  où,  sans  lui 
adresser  de  déclaration,  le  prétendant  s'est  posé 
en  ami.  Plusieurs  mois  s'écoulent.  Geneviève  vit 
heureuse  :  elle  croit  à  la  fidélité  de  Maurice,  et 
pourtant  celui-ci  n'a  pas  laissé  de  donner  quelques 
coups  de  canif  dans  le  contrat  d'amour  qui  le  lie  à 
l'adorable  femme.  C'est  ainsi  qu'en  sa  coquette 
garçonnière  il  a  reçu  un  joli  «  mannequin  >>  de  la 
rue  de  la  Paix,  dont  saura  le  débarrasser,  fort  à 
propos,  un  de  ses  bons  amis,  le  fringant  Longe- 
court.  Geneviève  trouve  ouverte  sur  une  table  — 
n'est-ce  pas  bien  invraisemblable  ?  —  une  lettre  de 
Longecourt  qui  lui  apprend  toute  l'aventure.  Pau- 
vre Geneviève  !   Elle   refoule*  ses  larmes  et   feint 


l66  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

d'ignorer...  Bien  pis,  en  Touraine  —  ok^!  la  belle 
vue  de  la  Loire  un  soir  d'été  !  —  en  Touraine,  où 
elle  a  invité  tous  ses  amis,  elle  acquiert  de  ses 
propres  yeux  la  preuve  que  Maurice  fait  plus  que 
flirter  avec  Colette,  la  maîtresse  d'un  homme  plus 
âgé  qu'elle.  Cette  fois  encore,  plutôt  que  de  s'ex- 
poser à  perdre  son  dernier  amour,  Geneviève  se 
taira  jusqu'à  ce  que,  sa  résignation  étant  mise  à 
une  nouvelle  et  plus  cruelle  épreuve,  elle  éclate  en 
reproches  et  en  sanglots.  Vains  reproches;  sanglots 
-inutiles  d'ailleurs.  Aux  premières  parolçs  tendres 
et  suppliantes  de  Maurice  lui  jurant  de  ne  plus  la 
trahir,  elle  s'apaise  et  pardonne,   puisqu'elle  ne 
peut  cesser  d'aimer  :  «  Je  te  permets,  lui  dit-elle, 
de  me  faire  encore  souffrir  longtemps  ».  Voilà, 
infiniment  simple,   comme   ^ous  voyez,   l'intrigue 
principale,    mais    c'est   dans    les    épisodes   acces- 
soires, ingénieusement  rassemblés  autour  de  .cette 
histoire  douloureuse  et  mélancolique,  que  réside 
tout  l'attrait  de  Tœuvre  de  M.  Pierre  Wolff  :  œuvre 
agréable  en  somme,  et  qui  réjouira  les  contempo- 
rains,  sans  encombrer  la   postérité!   Le   premier 
acte,  plein  d'esprit  et  de  gaieté,  a  produit  un  effet 
irrésistible.  Et  n'est-ce  pas,  au  cours  de  la  pièce, 
une  bien  amusante  trouvaille,  d'observation  très 
fine  et  très  juste,  que  le  duo  Bellencontre  et  Andrée 
Bouquet  :  celui-là,  vantard  et  grognon,  mais  bon 
enfant  au  demeurant,  mené  en  laisse,  sans  qu'il 
s'en  doute,  par  la  petite  grue  naïve  et  malicieuse- 
ment inconsciente  à  laquelle  il  a  uni  son  destin 
de  vieux  garçon.  Bellencontre,   merveilleusement 
rendu  par  Huguenet,  est  la  joie  de  la  soirée,  tout 


THEATRE    DU    GYMNASE  167 

comme  sa  partenaire,  si  délicieusement  représentée 
par  M"®  Lantelme,  en  reste  le  cïiarme  vainqueur. 
En  l'honneur  de  M.   WolfF,  auteur  à  succès,  le 
directeur  du  Gymnase  a  royalement  fait  les  choses, 
et  confié  les  moindres  rôles  à  des  artistes  de  pre- 
mier ordre.  Ainsi,  M.  Duihény  n'a  qu'une  scène  : 
celle  où  Longecourt  rend  très  galamment  à  son 
ami  Maurice  le  service  de  le  délivrer,  à  son  propre 
profit,   du  joli  «  mannequin  »   que  personnifie  a 
ravir  l'élégante  M"®  Félyne.  M.  Calmettes  est  en- 
core moins  bien  partagé  que  son  camarade  Du- 
mény  :  il  donne  du  moins  quelque  relief  à  Taverney, 
le  vieil  homme  aux  cheveux  gris,  condamné  à  être 
trompé  par  la  Colette  de  vingt  ans  dont,  pour  son 
malheur,  il  s'est  épris  —  tout  comme  Geneviève 
Clarens  sera  trahie  par  son  jeune  amant  Maurice. 
■  Maurice,  c'est  M.  Pierre  Magnier,  doué  d'une  voix 
mâle  et  caressante  bien  faite  pour  lui  conquérir 
tous  les  cœurs.  M**®  Gabrielle  Dorziat  a  rendu  avec 
beaucoup  d'adresse  l'amie  si  serviable,   en  appa- 
rence, qu'elle  doit  être,  en  vérité  très  malveillante  : 
une  vraie  vipère...  Pour  sa  rentrée  fort  attendue, 
que  dis-je  !  pour  son  début  au  Gymnase,  où  elle 
n'avait  encore  jamais  paru,  M'"^  Réjane  a  choisi, 
non  sans  quelque  courage,  le  rôle  d'une  femme  au 
visage  déjà  meurtri  qui,  à  l'âge  qu'elle  a,  se  rac- 
croche, quoi  qu'il  doive  lui  en  coûter,  au  dernier 
amour  de  sa  vie.  Elle  l'a  joué  au  naturel,    avec 
l'incomparable  talent  que  vous  lui  connaissez  tous 
— •  ayant  de  plus  à  vaincre,  le  premier  soir,  un 
fâcheux  enrouement  qui  l'étreignait  à  la  gorge.  Le 
public  parisien,  toujours  sympathique  à  ses  chères 


l68  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

idoles,  Ta  récompensée,  par  des  bravos  très  cha- 
leureux, de  tant  de  vaillance  et  de  crânerie. 

2  JUIN.  —  Première  représentation  de  Ces  Mes^ 
sieurs,  pièce  en  cinq  actes  de  M.  -Georges  Ancey*. 
«  J'ai  essayé^  sans  subterfuges  et  sai\s  faux-fuyants, 
mais  en  termes  propres,  en  accents  sincères,  de 
dénoncer  dans  ma  pièce  une  des  nombreuses 
maladies  sociales  qui  nous  abêtit  et  dont  nous 
mourons  ;  j'ai  voulu  simplement  et  sans  parti  pris, 
n'accusant  personne,  où  tout  au  moins  accusant 
en  face,  j'ai  voulu  montrer  la  terrible  influence  que 
peut  prendre  le  prêtre  sur  la  femme,  pour  le  plus 
grand  péril  de  tous  deux,  et  cela  inconsciemment, 
sans  préméditation  d'aucune  sorte,  par  ce  seul  fait 
qu'il  porte  un  splendide  uniforme  et  qu'il  a  de  beaux 
gestes.  Histoire  presque  universelle  qui  pourrait 
s'appliquer  à  tous  les  prêtres  de  toutes  les  religions  ! 
L'idée  est  juste,  je  crois;  le  danger  permanent.  Il 
mérite  qu'on  y  pense.  Aussi  qu'est-il  arrivé  ?  On  m'a 
interdit...  Il  est  vraiment  insoutenable  qu'à  l'heure 
où  les  meetings  ont  pleine  licence  de  sq  réunir^ 
où  les  cabotins  ^de  tous  les  genres  ont  le  droit  de 
se  jeter  à  la  face  les  plus  hautes  injures,  que  Jes 
gens  qui  vivent  dans  leur  coin  et  qui  peinent  soient 
les  derniers  à  ne  pouvoir  exercer  leur  métier  ». 


1.  Distribution.  —  Mgr  Gaufre,  M.  André  Calmettes.  —  Pierre  Cen- 
sier,  M.  Dumény.  —  L'abbé  Thibaut,  M.  André-Hall.  —  Gustave  Censier, 
M.  Maurice  Luguet.  —  L'abbé  Morvan,  M.  Arvel.  —  L  abbé  Nourrisson, 
M.  Jean  Dax.  —  Le  colonel  du  Martin,  M.  Collen.  —  Adolphe  Gensier, 
M.  Paul-Edmond.  —  Léon,  Le  petit  Schmitt.  —  Maurice,  Le  petit  Phi- 
lippe. —  Henriette,  M»»»  Andrée  Mégard.  —  M»»»  Fauchery,  M«»«  Hen- 
riot.  —  Mme  du  Martin,  M»»  Gilberte  Sergy.  —  M»"*  Bernât,  M»'*  Ellen 
Andrée.  —  M™«  Pépin,  M™»  Irma  Perrot.  —  Une  jeune  fille,  M"»  Camille 
Licetiey.  —  Hélène,  La  petite  Dolbeau.  »» 


THÉÂTRE    DU    GYMNASE  169 

C  est  en  ces  termes  vibrants  et  dignes  que  M.  Georges 
Ancey,  Tauteur  de  Ces  Messieurs^  si  longtemps 
interdits  par  la  censure,  caractérisait  son  œuvre 
et  la  mesure  dont  elle  avait  été  Tobjet.  Nous  pou- 
vons maintenant  juger  la  pièce.  Elle  est  probe  et 
courageuse,  d'intention  vigoureuse  et  franche 
d'exécution.  La  sincérité  de  l'auteur  est  aussi 
incont^table  que  son  talent.  Et  voici  comment 
M.  Georges  Ancey  développe  sa  thèse.  11  nous  pré- 
sente un  prêtre  pas  mauvais  de  sa  nature,  mais 
fatalement  gâté  par  le  sacerdoce,  troublant  au 
profit  de  son  ambition,  l'esprit,  le  cœur  et  les  sens 
d'une  femme  ;  un  autre  prêtre,  rongé  d'envie  et 
de  haine,  trahissant  le  secret  de  la  confession  au 
profit  de  cette  haine  et  de  cette  envie  ;  un  évêque 
à  qui  cette  faute  grave  n'inspire  qu'une  indulgence 
doucement  méprisante.  11  y  a  pourtant  un  bon 
prêtre  dans  la  pièce,  un  prêtre  vraiment  chrétien, 
plein  de  mansuétude,  d'abnégation  et  de  courage, 
mais  ces  qualités  mêmes  l'ont  fait  tomber  en  dis- 
grâce près  de  ses  chefs.  M.  Ancey  nous  montre  les 
mauvais  prêtres,  conduisant  une  femme  honnête^ 
mais  de  religiosité  ardente,  tout  au  bord  de  la  faute 
el  jusqu'aux  confins  de  la  foire  par  exaltation  reli- 
gieuse. Cette  femme,  à  son  tour,  trouble  la  raison 
et  la  santé  d'une  toute  jeune  fille  à  qui  elle  com- 
munique sa  propre  maladie  mystico-sensuelle.  Au 
demeurant,  quels  que  soient  les  reproches  de  vio- 
lence et  de  partialité  qu'on  puisse  leur  adresser 
—  on  pouvait  prévoir  quelques  orages  dans  la  salle — 
Ces  Messieurs  sont  une  œuvre  non  seulement  forte 
dans  son  ensemble,  mais  de  premier  ordre  dans 


lyO  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

plusieurs  scènes.  Conduite  avec  fermeté  et  logique, 
la  pièce  aborde  les  situations  avec  un  sens  drama- 
tique très  sûr  et  les  traite  avec  une  robuste  fran- 
chise. Deux  grandes  scènes  —  entre  le  prêtre  et 
sa  pénitente  —  donnent  à  l'œuvre  sa  valeur  et  sa 
portée,  et  Ton  a  pu  dire  que,  reprenant  une  situa- 
tion marquée  par  la  gviSe  de  Molière  —  car  l'ana- 
logie est  complète  —  M.  Ancey  n'a  pas  été  inférieur 
^  l'ambition  de  se  mesurer  avec  le  glorieux  auteur 
de  Tartuffe.  Aveo  d'étonnants  rappels  de  Sarah 
Bernhardt  dans  la  voix,  dans  les  attitudes  et  même 
dans  la  physionomie,  M^^  Andrée  Mégard  a  été  la 
très  émouvante  et  très  intéressante  héroïne  de  la 
pièce  dont  elle  rend  avec  une  intense  vérité  tous 
les  aspects.  Elle  est  S  la  fois  dévote  et  coquette, 
chaste  et  amoureuse,  implacable  dans  la  colère, 
restant  toujours  sympathique  et  jolie...  Dans 
M.  André  Hall,  qui  s'est  chargé  de  personnifier 
Tabbé  Thibaut,  elle  a  trouvé  un  partenaire  dont  le 
talent  de  composition  ne  s'est  pas  un  instant 
démenti.  C'est  bien  le  jeune  prêtre,  conduit  par 
l'ambition  plus  forte  que  la  foi,  et  qui,  pour  arriver 
à  son  but,  ne  s'embarrassera  pas  des  moyens.  Le 
doux  évêque  mondain,  distingué  et  fin,  sachant  à 
propojs  trouver  la  réplique  et  remettre  gentiment 
chacun  à  sa  place  :  c'est  M.  André  Calmettes  qui 
n'a  peut-être  jamais  rencontré  de  rôle  où  il  fut 
plus  unanimement  et  plus  justement  apprécié. 
M.  Dumény  est  le  porte-paroles  de  l'auteur  ;  c'est 
avec  sa  bonne  humeur  et  son  aisance  habituelles 
qu'il  rend  le  gai  mangeur  de  prêtres  qu'a  voulu 
M,  Ancey  :  le  seul  qui,  selon  lui,  ait  l'esprit  sain 


THEATRE    DU    GYMNASE  I7I 

et  le  jugement  rassis.  Citons  encore  M.  Arvel,  qui 
a  fait  applaudir  la  belle  franchise  de  Tabbé  Mor- 
van,  un  prêtre  vrainaent  digne  de  sa  haute  mission, 
et  M.  Jean  Dax  qui  rend  bien  Thypocrisie  de  Ten- 
vieux  abbé  Nourisson,  le  traître  de  la  pièce. 
U^%  Ellen  Andrée  est  tout  à  fait  bien  dans  la 
bonne  de  l'abbé  Thibaut  qui  mène  la  cure  dans 
rintérêt  de  son  maître,  et  sous  les  traits  de  la  chai- 
sière, M™®  Irma  Perrot  est  une  commère  qui  a  bec 
et  ongles.  N'oublions  ni  M*'®  Camille  Liceney  qui 
si  comiquement  a  récité  son  compliment  à  Tévéque 
—  un  chef-d'œuvre  de  poésie  mirlitonesque  —  ni 
la  jeune  Hélène  (M'*®  Dolbeau)  dont  un  innocent 
mensonge  trouble  gravement  la  petite  âme. 

3  JUILLET.  —  Première  représentation  à  ce  théâtre 
de  Second  Ménage^  comédie  en  trois  actes,  de 
MM.  Sylvane  et  Froyez*.  —  Une  gentille  pièce 
d'été,  aimable  et  bien  faite,  un  peu  douce  seule- 
ment, qu'eût  certainement  signée  l'un  des  maîtres 
du  théâtre  d'autrefois  —  si  sévèrement  jugée  par 
les  petits  auteurs  d'aujourd'hui  —  Eugène  Scribe. 
Elle  fut  représentée  à  l'Odéon  à  un  mauvais  mo- 
ment :  lors  du  fâcheux  essai  de  suppression  des 
répétitions  générales,  M.  Ginisty  —  qui  s'en  sou- 
vient? —  avait  imaginé,  à  l'occasion  de  Second 
Ménage,  un  funèbre  huis-clos  que  personne  ne  lui 
demandait  :  la  charmante  œuvre tte  de  MM.  Sylvane 
et  Froyez  en  reçut  le. coup  mortel.  Elle  ressuscite 


1.  Distribution.  —  Bringuet,  M.  Arvel.  —  Robert  Marchai,  M.  Paul 
Derval.  —  Laverton,  M.  Collen.  —  Labigeois,  M.  Benedict.  —  Hector, 
M.  Darcy.  —  Adrienne,  MUc  Aimée  Samuel.  —  Florentine,  M''»  Camille 
Liceney.  —  Françoise,  M»«  Daugé. 


17.2  LES    ANNALES   DU    THEATRE 

pour  quelques  jours  seulement  au  Gymnase  où, 
infiniment  mieux  dans  son  cadre^  elle  eût  mérité 
un  meilleur  succès  et  où  M"®  Aimée  Samuel,  obli- 
geamment prêtée  par  le  Palais-Royal,  interprétait 
avec  la  grâce  et  le  ton  qu'il  fallait  le  joli  rôle 
d'Adrienne. 

4  SEPTEMBRE.  ^  Réouverturc  du  théâtre  par  la 
43*^  représentation  de  Ces  Messieurs  ^  où  M"®  Eu- 
génie Nau  reprend  le  rôle  d'Henriette,  précédem- 
ment tenu  par  M°^^  Andrée  Mogard2._ 

26  SEPTEMBRE.  —  Reprise  du  Secret  de  Polichi-- 
nelle.  —  Le  public  se  montrait  ravi  de  revoir  cette 
«  berquinade  »  voulue  et  si  parfaitement  réussie  : 
de  nouveau  on  a  ri  et  on  a  pleuré...  Ou  a  aussi 
beaucoup  applaudi.  L'aimable  pièce,  simple  et  tou- 
chante, n'était-elle  pas  interprétée  par  des  artistes 
de  premier  ordre,  comme  l'incomparable  Hugue- 
net,  qui  avait  trouvé  dans  Jouvenel  un  des  meil- 
leurs rôles  de  sa  carrière,  et  sa  partenaire  Judic, 
si  exquise  en  son  personnage  de  mère  qu'on  n'eût 
pas  dit  qu'elle  jouait  la  comédie?. . .  Et  puis,  et 
puis,  c'était  la  curiosité  de  la  soirée,  M™^  Simon- 
Girard  —  s'échappant  momentanément  de  l'opé- 
rette —  faisait  sa  partie,  avec  beaucoup  d'aisance 
et  d'esprit,  en  compagnie  de  l'adroit  Dumény, 
dans  le  joli  duo  épisodique  qui  n'était  pas  l'un  des 


2.  M™«  Andrée  Mégard  avait,  sous  la  direction  Moncharmont,  emporté 
la  pièce  en  tournée  dans  toutes  les  grandes  villes  de  France. 

Ces  Messieurs  étaient  précédés  chaque  soir,  au  Gymnase,  d'une  cau- 
serie successivement  faite  par  MM.  Henry  Bérenger,  Armand  Charpen- 
tier, Flotron  et  Mn>c  Brémontier. 

M.  Henry  Burguet  remplaçait  M.  André  Calmettes  comme  directeur  de 
la  scène. 


THÉTARE    DU    GYMNASE  178 

moindres   attraits   de   la   charmante   comédie   de 
M.  Pierre  Wolff. 

20  OCTOBRE.  —  Première  représentation  de  la 
Rafale,  pièce  en  trois  actes  de  M.  Henry  Bernstein * . 
—  C'est  une  pièce  simple,  forte  et  violente,  toute 
en  action,  sans  verbiage  inutile.  En  ce  drame  im- 
pétueux se  déroule  une  vie,  une  passion,  une  fougue 
extrême.  C'est  la  «  rafale  »  qui  passe,  emportant 
tout  sur  son  passage  !  L'intérêt  est  intense,  rémo- 
tion parfois  poignante.  Hélène,  voici  quelques  an- 
nées, fut  contrainte  d'épouser  un  certain  comte  de 
Bréchebel,  homme  médiocre,  un  rustre,  avare  et 
mal  élevé.  Pourquoi  contrainte  ?  Pour  satisfaire  au 
caprice  de  son  père,  le  baron  Lebourg,  un  riche 
parvenu,  dont  la  seule  ambition  est  de  frayer  avec 
Taristocratie.  Financier,  dix  fois  millionnaire,  s'é- 
lant.  octroyé  lui-même  le  titre  de  baron,  il  s'arrange 
pour  recevoir  à  sa  table  les  plus  grands  noms  de 
la  noblesse  française  et  veut  faire  partie  du  cercle, 
très  fermé,  de  la  rue  Royale.  Hélène,  sacrifiée  sans 
pitié,  fut,  par  ce  mariage,  très  malheureuse,  jus- 


i.  Distribution.  —  Lo  baron  Lobourg,  M.  Gémier.  —  Robert  de  Cha- 
céroy,  M.  Dumény.  —  Amédée  Lebourg,  M.  Henry  Burguet.  —  Armand 
de  Bréchebel,  M.  Pierre  Achard.  —  Bragelin,  M.  Arvel.  —  Le  général 
duc  de  Brial,  M.  Chartol.  —  La  Vieillarde,  M.  Alerme.  —  Hélène, 
M»«  Simone  Le  Bargy.  —  La  baronne  Lebourg,  M™»  Henriot,  —  La 
marquise  de  DouUence,  M^e  Ellen  Andrée. —  M'"»  de  Thisieux,  M"o  Lau- 
zière. 

La  Rnfale  était  bientôt  précédée  d'un  fort  joli  acte  de  M.  André 
Picard,  intitulé  Franchise,  et  déjà  joué  à  l'Athénée.  Au  Gymnase,  la 
pièce  avait  pour  interprètes  M.  Pierre  Achard  (dans  le  rôle  autrefois 
créé  par  lui),  M.  Alerme  et  M»»  Camille  Preyle. 

De  même  qu  elle  avait  déjà  joué  à  Londres  u  en  anglais  »,  VAdver- 
saire  de  M.  Alfred  Capus,  M««  Simone  Le  Bargy  devait,  au  printemps 
suivant,  jouer  u  en  allemand  »  au  Volks-Theater  de  Vienne,  la  Rafale 
de  M.  Henry  Bern8t»iin. . . 


174  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

qu'au  jour  où  elle  se  prit  à  aimer  Robert  Chacé- 
roy.  Personne  ne  soupçonne  le  grand  amour  qui 
Tunit  depuis  trois  ans  à  Robert.  Nul  ne  se  doute 
de  cette  ardente  liaison,  son  seul  bonheur,  sa  seule 
raison  de  vivre.  Robert  Taime  passionnément  aussi, 
mais  c'est  un  joueur  effréné,  joueur  par  nécessité, 
par  métier.  Sans  fortune  suffisante  pour  tenir  hono- 
rablement son  rang,  il  a  réussi,  grâce  au  baccara  et 
aux  courses,  à  mener  la  vie  à  grandes  guides.  Cela 
n'a  pas  été  sans  lutte,  mais  à  force  de  patience  et 
de  bonne  volonté,  il  a  pu  jusqu'ici  dompter  la 
chance.  Hélas  I  celle-ci  a  tourné  !  Depuis  plusieurs 
mois,  il  perd  continuellement,  et  même  une  nuit, 
au  cercle,  dans  un  moment  d'aberration  et  de  folie, 
porteur  d'une  somme  de  six  cent  cinquante  mille 
francs  appartenant  aux  commanditaires  de  son 
écurie  de  courses,  il  a  joué  cette  somme  et  Ta  per- 
due. Le  voilà,  lui,  gentilhomme  hautain  et  fier, 
descendu  —  s'il  ne  peut  rembourser  —  au  rang 
d'escroc  banal,  passible  de  la  Cour  d'assises.  Le 
voilà  acculé  sans  issue  au  déshonneur  et  à  la  mort. 
Hélène  lit  dans  son  regard  sa  volonté  d'en  finir, 
elle  l'interroge  et  reçoit  la  confession  de  son  vol. 
Cette  fin  du  premier  acte  est  très  belle  où  forcés 
qu'ils  sontj  à  cause  des  invités,  des  domestiques, 
de  maîtriser  leurs  cris  et  leurs  éclats  de  voix,  il 
lui  avoue  la  fatale  débâcle  et  sa  criminelle  action. 
Hélène  est  riche,  et  bien  résolue  à  sauver  son  amant. 
Mais  comme  la  dignité  de  Robert  se  révolte  à  la 
seule  proposition  de  lui  procurer  la  somme,  elle 
s'efforcera  de  lui  laisser  croire  qu'il  est  sauvé  par 
l'intermédiaire  du   bijoutier   Bragelin.   Elle  vend 


THEATRE  DU  GYMNASE  I75 

donc  ses  bijoux,  mais  Bragelin  demande  plusieurs 
jours  pour  les  négociations.  Robert  doit  rembour- 
ser en  quarante-huit  heures,  le  sacrifice  devient 
inutile.  Elle  s'adressera  alors  à  un  sien  cousin, 
Amédée  Lebourg,  et  le  suppliera  de  lui  prêter  l'ar- 
gent. Amédée  fut  autrefois  son  fiancé  et  Taimait 
follement,  lorsquç  le  baron  Lebourg  rompit  brus- 
quement le  mariage  pour  donner  sa  fille  au  comte 
de  Bréchebel.  Il  n'a  pasr  cessé  de  l'aimer  et  surtout 
de  la  désirer  ardemment.  Il  profitera  —  grossier 
personnage  —  du  service  à  rendre  pour  lui  propo- 
ser un  marché  honteux.  Hélène  blessée  le  chasse. 
Elle  aura  recours  à  son  père.  Dans  une  scène 
odieuse  et  violente,  elle  le  conjure  de  la  sauver. 
Lui,  habilement,  lui  arrache  son  secret,  apprend 
avec  stupeur  qu'elle  a  un  amante  Robert,  et  que 
celui-ci  vient  de  commettre  un  vol.  Il  paraît  d'au- 
tant moins  décidé  à  lâcher  les  six  cent  mille  francs. 
Hélène  à  tout  prix  veut  éviter  le  malheur.  Elle  quitte 
son  mari,  passe  la  nuit  auprès  de  Robert,  bien  dé- 
cidée à  fuir  avec  lui  lorsque  ses  créanciers  seront 
payés.  Et  elle  se  vend,  odieu^  sacrifice,  à  son 
cousin  Amédée,  cependant  que  le  baron  Lebourg, 
par  crainte  du  scandale,  vient  offrir  à  Robert  de  le 
sauver  s'il  consent  à  lui  rendre  sa  fille  et  à  quitter 
immédiatement  la  France.  De  telles  conditions  sont 
inacceptables.  Robert  se  donnera  la  mort,  ce  sera 
pour  lui  la  plus  digne  des  solutions.  Il  charge 
donc  le  baron  de  veiller  sur  Hélène,  et  celui-ci 
parti,  s'enferme  dans  sa  chambre.  Lorsqu'elle  sur- 
viendra radieuse,  avec  l'argent,  elle  arrivera  juste 
à  temps  pour  entendre  le  coup  de  revolver  que 


176  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

vient  de  se  tirer  son  amant.  Elle  tombe  à  terre  eii 
proie  au  plus  terrible  deé* désespoirs.  —  M.  Berns- 
tein  porte  bonheur  à  M'^^Le  Bargy.  Après  celles  du 
Détour  et  du  Bercail,  elle  a  fait  d'Hélène  une  créa- 
tion d^s  plus  remarquables.  Elle  est  superbement 
tendre,  nerveuse,  amère,  passionnée.  M.  Dumény  a 
composé,  en  artiste  consommé,  le  personnage  de 
Robert  de  Chacéroy.  Beau  joueur,  malgré  la  dé- 
veine, il  montre  une  fierté,  une  élégance,  une  dou- 
leur contenue  vraiment  admirables-  Tous  les  deux, 
M'"®  Le  Bargy  et  M.  Dumény,  ont  été  parfaits. 
M.  Gémier  accuse  avec  talent  les  défauts  du  baron 
Lebourg,  financier  vaniteux  et  père  abominable- 
ment égoïste.  M.  Burguet  apparaît  suffisamment 
bourru  et  mal  élevé  en  le  cousin  Amédée,  et 
MM.  Arvel  et  Pierre  Achard  ont  tenu  avec  adresse 
les  rôles  effacés  de  Bragelin  et  de  Bréchebél,  le 
triste  mari  d'Hélène.  Les  applaudissements  qu'avait 
récoltés,  dès  le  jour  de  la  répétition  générale,  le 
nom,  proclamé  par  M"*^  I^e  Bargy,  de  M.  Henry 
Bernstein,  accueillaient,  pendaat  de  nombreuses 
soirées,  l'œuvre  énergique  et  vigoureuse  qui  faisait 
honneur  à  la  maîtrise  du  jeune  et  hardi  drama- 
turge. 

Voici,  résumée  dans  le  tableau,  qui  suit,  l'année 
du  Gymnase  en  1906  : 


THEATRE    DU    GYMNASE 


177 


NOMBRE 
d'actes 


Le  Bercail,  comédie 

Les  Vacances  d' Antoinette j  comédie. 

Le  Retour  de  Jérusalem,  pièce 

*LAge  d  aimer,  comédie 

*Ces  Messieurs,  pièce 

^Second  ménage,  comédie '. 

*Le  Secret  de  Polichinelle 

*  Terrible  affaire,  comédie 

*La  Rafale,  pièce 

*Franchise,  pièce 


DATE 

de  la 

l'«  représ. 

ou  de  la 

reprise 


NOMBRE 

de 

représent. 

pendant 

l'année 


20  févr. 
17  avril 
2  juin 
3  juillet 
20  sept. 

»   . 
20  octob. 
20  octob. 


58 
62 
33 


14 
21 

24 

87 
85- 


ANNALES  DU  THEATRE 


12 


THÉÂTRE  DU  VAUDEVILLE* 


Six  pièces  nouvelles  :  Petite  Peste!  de  M.  Ro- 
main Goolus;  la  Retraite ,  traduite  de  Tallemand  par 
MM.  Maurice  Rémon  et  N.  Valentin  ;  YArmaturey 
tirée  du  roman  de  M.  Paul  Hervieu  par  M.  Brieux; 
la  Belle  M^^  Héber^  de  M.  Abel  Hermant;  la  Mar- 
che nuptiale^  de  M.  Henry  Bataille  et  la  Cousine 
Bette ^  tirée  de  Balzac  par  MM.  Pierre  Decourcelle 
et  Granet,  constitueront — avec  la  reprise  des  Demi- 
Vierges^  les  quelques  représentations  des  Rois 
américains  de  M.  Séverin  Malafayde  et  de  M°^®  Ga- 
mille  Glermont  et  les  comédies  en  un  acte  de 
M.  Jean  Thorel,  Son  Excellence  Dominique^  et  de 
M.  André  Barde,  le  Bon  Numéro  —  l'histoire  du 
Vaudeville  en  19O5. 

i3  JANVIER.  —  Premières  représentations  de  Pe- 
tite Peste  I  comédie  en  trois  actes  de  M.  Romain 
Coolus  ^,  et  de  Son  Excellence  Dominique  I  comé- 


1.  Directeur  :  M.  Porel  ;  Administrateur  :  M.  Peutat  ;  Secrétaire  géné- 
ral :  M.  Malacan. 

2.  Distribution.  —  Louis  Chameron,  M.  Lérand.  —  Chantelouve, 
M.  Oaslon  Duboac,  ~  Roussay»  M.  Colombey.  —  Chancelet,  M.  Louis 
Onuihier.  —  Dempuis,  M.  Baron  fils.  —  Lambret,  M.  JofTre.  —  Camille, 
M.  AiMSOurd.  —  Jean,  M.  Bertrand.  —  Paule,  M"'  Jeanne  Thomassin. 
—  Marceline,  M»«  Marthe  Régnier.  —  Gina,  Mil«  Harlay.  —  Georgette, 
MU«  De  Bray.  —  Une  femm«  de  chambre,  MUe  Bêcher. 

Mi>«  Marthe  Régnier,  momentanément  indisposée,  fut  remplacée  au 
pied  levé  dans  le  Tôle  de  Marceline  par  la  très  charmante  M^i*  Yvonne 
de  Bray. 


l82  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

avait  commencé  par  Son  Excellence  Dominique  ! 

—  une  très  agréable  et  très  alerte  petite  comédie 
en  un  acte  de  M.  Jean  Thorel  d'après  la  nouvelle 
de  M.  Bergeret.  Cette  fort  gentille  pièce,  très  bien 
jouée,  était  vivement  applaudie. 

i5  FÉVRIER.  —  Première  représentation  de  la 
Retraite^  comédie  dramatique  en  quatre  actes  de 
M.  Franz- Adam  Beyerlein,  traduite  de  Tallemand 
par  MM.  Maurice  Rémon  et  N.  Valentin  *.  —  Ce 
n'est  pas  une  pièce  française  que  nous  donne,  cette 
fois,  le  Vaudeville,  c'est  une  comédie  dramatique 
allemande,  de  M.  Adam  Beyerlein,  jouée  déjà  dans 
le  monde  entier.  Le  drame,  fort  bien  fait,  est  con- 
duit avec  une  indéniable  maîtrise  ;  il  est  clair,  net, 
bref,  précis.  L'intérêt  croît  d'acte  en  acte  et  l'émo- 
.tion,  qui  dès  le  début  s'en  dégage,  devient  tout  à 
coup  d'une  intensité  extrême,  bien  que  l'intrigue 
ne  soit  ni  très  nouvelle,  ni  très  éloignée  d'un  simple 
mélodrame.  La  Retraite  était  pour  le  pays  voisin 
d'une  extrême  hardiesse  ;  c'était  la  lutte  ouverte 
contre  une  caste  et  contre  la  puissance  du  milita- 
risme en  Allemagne.  Elle  n'a  pas  pour  nous  le 
même  attrait.  Un  maréchal  des  logis  chef  sert  de- 

1.  Distribution.  —  Volkhardt,  maréchal  des  logis  chef,  M.  Lérand.  — 
Comte  tic  Lohdenburg,  capitaine  do  cuirassiers,  M.  Gaston  Dubosc.  — 
De  Baanewitz,  capitaine  commandant,  M.  Colomhey.  —  Helbig,  maré- 
chal des  logis.  M.  Louis  Gauthier.  —  Michaleck,  uhlan,  M.  Baron  fils. 

—  De  Ilœwen,  lieutenant  de  uhlans,  M.  Roger  Monteaitx.  —  Premier 
conseiller,  M.  Joffre.  —  De  Lauffen,  lieutenant  de  uhlans,  M.  Roger 
Vincent.  —  Hagemeister,  lieutenant  d'infanterie,  M.  Dautillier.  — 
Spiess,  uhlan,  M.  Vandenne. —  Queiss,  maréchal  des  logis,  M.  Aussourd. 

—  Paschke,  major  d'artillerie,  M.  Bertrand.  —  Volontaire  d'un  an,  aide 

major,  M.  Grésy.   —    Greffier  du  conseil  de    guerre,  M.  Lalbarède.  —  {^ 

Deuxième  conseiller,  M.  Vertin.  —   Troisième  conseiller,  M.  Ferré.  —  ^ 

Appariteur  du  conseil  de  guerre,  M.  Baud.  —  Glaire  Volkhardt, 
Mlle  Marthe  Mellol. 


THEATRE    DU    VAUDEVILLE  l83 

puis  plus  de  trente  ans  avec  honneur  dans  un  ré- 
giment de  cavalerie  de  la  frontière.  Il   a  conquis, 
f  par  sa  droiture,  Testime  de  ses  chefs  et  de  ses  ca- 

i  marades.  Toute  sa  vie  irréprochable  fut  faite  de 

I  probité,  de  dignité  et  de  fierté.  Volkhardt  a  une 

fille,  Claire,  qui  semble  réunir  toutes  les  qualités. 
Aimante,  gaie,  charmante  et  intelligente,  elle  fait 
Tadoration  dé  son  père.  Claire  a  vingt  anis,  il  faut 
songer  déjà  à  la  marier.  Justement  son  frère 
adoptif,  le  brave  Helbig,  recueilli  tout  jeune  par 
Volkardt  revient  ce  jour  même  après  un  stage  de 
deux  années  passées  dans  une  école  de  cavalerie  à 
I  Hanovre.   Les  enfants,  avant  le  départ  d'Helbig, 

I  s'aimaient  tendrement,  ils  s'étaient  presque  fiancés 

r  et  leur  union  serait  pour  le  père  —  bientôt  atteint 

!  par  la  limite  d'âge  et  désolé  de  quitter  le  service 

?  — une  consolation  et  une  joie  pour  ses  vieux  jours. 

Claire  ne  semble  pas  autrement  satisfaite  du 
retour  d'Helbig.  Et  pourquoi  donc?  Parce  que 
Claire  es!  la  maîtresse  du  jeune  aristocrate  hautain 
et  fier  lieutenant  de  Lauffen.  Elle»  se.  sentit  prise 
pour  lui  d'une  invincible  passion,  et  malgré  les 
terribles  conséquences  que  pouvait  avoir  son 
acte,  elle  s'est  donnée  à  lui,  irrésistiblement  attirée  ! 
Et  voilà  que  surgit  le  drame.  Helbig  revient,  tout 
au  bonheur  de  retrouver  sa  jeune,  douce  et  jolie 
fiancée.  Seul,  son  souvenir  pendant  le  dur  séjour 
de  là-bas  Ta  soutenu  et  encouragé.  Il  va  pouvoir 
enfin  réaliser  son  rêve  !  Nullement,  car  l'accueil  de 
sa  petite  Claire  ne  lui  laisse  aucun  espoir.  Elle 
l'aime'  tendrembnt,  mais  comme  un  frère  et  non 
d'amour;  il  faudra  renoncer  à  l'espoir  d'en  faire 


l84     *     LES  ANNALES  DU  THEATRE 

sa  compagne  et  oublier  désormais  l'innocente  pro- 
messe d'autrefois.  La.  désillusion  est  amère.  D'où 
provient  ce  changement  ?  En  aimerait-elle  un 
autre  ?  Le  vieux  capitaine  de  Bannewitz  peut-être, 
qui  tantôt  lui  offrait  des  fleurs,  ou  plutôt  le  jeune 
lieutenant  de  Laufl^en,  qu'elle  défend  avec  tant  de 
chaleur?  Il  surveillera  et  saura.  Dix  heures  et 
demie  !  Voici  que  résonne  en  la  caserne  le  son  des 
clairons  jouant  la  retraite.  Dans  sa  chambre,  le 
lieutenant  de  Lauffen,  aux  derniers  accents  de  la 
sonnerie,  remplace  avec  précaution  Tabat-jour 
blanc  de  sa  lampe  par  un  abat-jour  vert,  s'assure 
que  son  ordonnance  est  couché  et...  attend.  C'est 
un  signal!  Claire,  tout  rfoucement  dans  le  cou- 
loir se  glisse,  entre,  referme  la  porte  et  se  jette  à 
son  cou.  «  Mon  cher  petit,  comme  j'^i  peur  et 
combien  grande  est  notre  imprudence  !  »  Helbig  se 
méfie  I  On  frappe  :  c'est  lui  !  Dans  la  chambre  à 
côté,  Claire  se  cache,  Helbig  entre,  la  discussion 
éclate.  Plein  de  rage,  il  se  contient  d'abord  et  dou- 
cement, respecUieusement,  donne  des  explications. 
De  Lauffen,  arrogant,  lui  ordonne  de  se  retirer. 
Claire  est  ici  !  Helbig  repousse  l'officier,  la  lutte 
s'engage,  il  lève  la  main  sur  son  supérieur,  reçoit 
un  coup  de  sabre  qui  lui  balafre  la  figuré,  atteint 
la  porte  de  la  chambre,  l'ouvre,  aperçoit  Claire! 
De  Lauffen  appelle,  des  soldats  accourent,  on  em- 
mène Helbig  en  prison  !  C'est  rapide,  bref,  brutal 
et  poignant...  Nous  assistons,  au  troisième  acte,  à 
la  séance  du  conseil  de  guerre  réuni  pour  juger  le 
pauvre  ,Helbig.  L'émotion  augmente.  C'est  -d'une 
mise  en  scène  absolument  admirable  :  solennité  du 


THEATRE    DU    VAUDEVILLE  l85 

conseil,  simplicité  des  débals,  tout  concourt  à  nous 
empoigner.  Les  juges  ne  s'expliquent  pas  la  sau- 
vage agression.  Helbigse  refuse  à  parler,  Volkhardt 
devant  toujours  ignorer  le  déshonneur  de  sa  fille. 
De  Lauffen,  pgur  cette  raison,  observe  le  même 
silence,  assure  qu'Helbig  était  pris  de  boisson, 
demande  pour  lui  les  circonstances  atténuantes. 
On  fait  venir  les  témoins,  Volkhardt  d'abord,  à 
cent  lieues  de. supposer  la  terrible  vérité;  Quiess 
ensuite,  sous-officier  de  service  qui  laisse  poindre 
quelques  soupçons.  Une  femme  se  tenait  cachée 
dans  la  chambre  du  lieutenant,  la  querelle  vient 
de  là.  Peut-être  pourrait  on  interroger  M^'®  Vol- 
khardt, mais  Claire,  d'elle-même,  demande  à  être 
introduite.  Sans  fausse  honte,  simplement,  fran- 
chement, elle  raconte  la  querelle,  avoue  sa  pré- 
sence dans  la  chambre,  son  amour  pour  le  lieutenant, 
sa  liaison  coupable.  La  scène  est  d'une  incontes- 
table grandeur.  Le  père  a  failli  sauter  à  la  gorge  du 
lieuteuant^  être  jugé  à  son  tour.  L'étonnement,  la 
terreur,  la  rage  se  peignent  sur  son  visage.  Navrante 
est  la  douleur  d'Helbig.  Le  quatrième  acte  termine 
rapidement  le  drame.  L'auteur  a  fait  du  lieute- 
nant de  Lauffen  un  hautain  gentilhomme  —  cela 
se  passerait  ainsi,  paraît-il,  en  Allemagne  —  qui  ne 
croit  pas  pouvoir  épouser,  sans  commettre  une  in- 
digne mésalliance,  une  jeune  fille  d'aussi  modeste 
condition.  Il  aime  €lairé  cependant  et  désirerait 
volontiers  réparer  le  mal  qu'il  a  fait,  mais  il  reste 
indécis  lorsque  Volkhardt  vient  lui  demander  rai- 
son de  sa  conduite.  Il  refuse  même  de  se  battre 
avec  son  inférieur,  si  bien  que  le  brave  homme, 


l86  LES    ANNALES    DU    THEATRE 

déshonoré,  après  avoir  braqué  sur  lui  son  revolver 
sans  trouver  le  courage  de  tirer  —  il  est  arrêté  par 
une  vieille  habitude  de  discipline  et  de  respect 
envers  ses  chefs  —  abat  dans  un  mouvement  de 
colère,  sa  fille  Claire,  venue  là  pour  défendre  son 
bien-aimé.  Les  caractères  de  chacun  des  person- 
nasres  militaires  de  cette  comédie  sont  observés  et 
étudiés  avec  une  sûre  perspicacité.  L'interpréta- 
tation,  comme  toujours,  au  Vaudeville,  est  par- 
faite. M.  Lérand  a  composé  le  maréchal-des-logis 
avec  un  art  infini.  Type  accompli  du  sous-officier 
zélé  et  dévoué,  il  a  su  montrer  sans  faiblesse  son 
adoration  pour  sa  fille  et  détailler  les  sentiments  si 
divers  qui  secouent  et  bouleversent  le  malheureux 
Volkhardt.  M.  Louis  Gauthier  fait  de  Helbig  un 
bravé  garçon,  touchant  et  sensible;  il  a  ému  toute 
la  salle  par  la  sincérité  de  sa  douleur.  M.  Gaston 
Dubosc  donne  à  un  capitaine  de  cuirassiers  scep- 
tique, aimable  et  bon  enfant,  toute  l'élégance  et  la 
désinvolture  de  Tofficier  mondain.  M.  Baron  fils 
caricature  d'amusante  façon  un  ordonnance  à  l'es- 
prit obtus  et  borné.  M.  Roger  Vincent  a  fait  de 
très  heureux  débuts  en  le  lieutenant  de  Lauffen.  Il 
aurait  réussi  à  rendre  presque  sympathique  ce  per- 
sonnage hautain,  arrogant  et  inconscient.  MM.  Co- 
lombey,  Joffre,  Aussourd,  Roger  Monteâux  sont 
irréprochables  en  tous  points.  M^^^  Marthe  Mçllot, 
enfin,  a  déployé  dans  Claire  Volkhardt,  ses  rares 
qualités  de  volonté,  de  franchise,  de  force  et  de 
passion.  C'est  un  nouveau  succès  à  ajouter  à  celui 
qu'elle  remporta  dernièrement  dans  Oiseaux  de 
passage. 


THEATRE    DU    VAUDEVILLE  187 

18  FÉVRIER.  —  Le  Bon  numéro^  comédie  en  un 
acte  de  M.  André  Barde*,  complète  Taffiche  de  la 
Retraite^  et  le  succès  de  la  petite  pièce  n'est  pas 
moindre  que  celui  de  la  grande.  Ce  Bon  numéro^ 
ça  n'est  pas  précisément  une  comédie,  au  sens 
strict  du  mot,  c'est  un  peu  ce  que  les  Allemands 
appellent  une  «  sotie  »,  les  Espagnols  une  «  zar^ 
suela  »,  c'est-à-dire  un  cadre  où  s'agitent  des 
silhouettes  pittoresques,  amusantes,  dans  un  con-. 
tinuel  va-et-vient.  Ici,  le  cadre,  c'est  yne  vente  de 
charité,  dans  le  jardin  de  l'hôtel  de  la  baroîine  de 
Vaucresson^  où  les  petites  boutiques  sont  tenues 
par  des  femmes  du  monde,  et  aussi  par  des  comé- 
diennes. Et  ce  sont  les  petites  rivalités  de  femmes 
qui  sont  le  fond  de  l'aventure  pimpante  et  frivole 
comme  il  convient^  Sur  ce  canevas,  brodé  d'ara- 
besques mondaines,  se  détache  une  légère  action, 
l'histoire  du  jeune  Lucien  Moustier,  le  .fils  du  riche 
entrepreneur  qui,  muni  de  deux  millions  de  dot, 
se  dit  qu'en  arithmétique  matrimoniale,  il  doit 
trouver  une  femme  qui  lui  en  apporte  quatre.  II 
est  venu  chez  la  baronne,  pour  voir  la  fiancée  aux 
millions,  qui  est  dame-vendeuse  ;  or,  il  se  trompe 
de  comptoir,  il  a  regardé  le  numéro  indiqué  à  l'en- 


1.  DiSTRiBUTioN.  —  Comte  de  Bessac  du  Goulet,  M.  Gaston  Ditbosc.  — 
Lucien  Moustier,  M.  Louis  Gauthier.  —  Paul  Robinet,  M,  Baron  fils.  — 
Le  général  Frochard,  M.  Joffre.  —  Tessier,  M.  Daumllier.  —  Cahuzac, 
M.  Camille  Bert.  —  Gérôme,  M.  Suarès.  —  Le  chef  des  tziganes, 
M.  Ferré.  —  La  baronne  de  Vaucresson,  Mme  Daynes-Grassot.  —  Clara 
Forty,  M'ie  Marthe  Régnier.  —  M"o  Rqzière,  M"»»  Cécile  Caron.  — 
Suzanne  Deslandes,  M^o  Harlay.  —  Germaine  Robinet,  MH«  de  Bray.  — 
Marthe  de  Chabannes,  Mlle  Verlain.  —  Zézette,  M"e  de  Mornand.  — 
M"  Aubert,  M»e  Netza.  —  Louise  Mellard,  MUo  de  Frézia,  —  Gilberte 
Rousseau,  M"e  Francy.  —  Berthe  Limeux,  MUe  Leduc.  —  Geneviève  . 
Montés,  Mlle  de  Verlaine.  —  Jenny,  M'i*  Becker. 


l88  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

vers,  le  9  retourné  esl^devenu  6,  et  quand  il  s'en  est 
épris  à  fond,  le  coup  de  foudre,  il  apprend  que  celle- 
ci  n'a  pas  le  sou,  c'est  une  «  sans  dot  »,  mais  le  sort 
en  est  jeté,  il  épousera^  l'exquise  jeune  fille,  qui  n'a 
pas  de  fortune,  de  préférence  au  monstre,  qui  a 
trois  millions  !  Encadrée  d'un  décor  exquis  de  ver- 
dure printanière,  jouée  par  une  réunion  de  comé- 
diens qu'on  ne  saurait  trouver  dans  un  autre  théâtre, 
cette  petite  comédie  fait  grand  efifet  :  Dubosc,  en  vi- 
veur désabusé  ;  Louis  Gauthier,  en  jeune  homme  à 
marier;  Joffre,  en  vieux  général;  M"*®^  Daynes-Gras- 
sot,  la  baronne  de  Vaucresson  ;  Marthe  Régnier,  la 
divette  de  music-hall  ;  Cécile  Caron,  Harlay ,  de  Bray, 
de  Frézia,  de  Moriiand  forment  un  ensemble  rare. 
Les  jolies  femmes,  en  toilettes  élégantes,  égaient 
cette  fantaisie,  qui  donne  sa  note  claire  devant  le 
tableau  plus  sombre  du  beau  drame  de  M.  Beyerlein. 

19  AVRIL.  —  Première  représentation  de  VArma- 
mature,  pièce  en  cinq  actes,  de  M.  Brieux,  d'après 
le  roman  de  M.  Paul  Hervieu*.  —  Qu'est-ce  que 
V  Armature^. . .  Vous  connaissez  depuis  longtemps, 
j'imagine,  la  signification  de  ce  titre.  Dans  le 
célèbre  roman  d'où  M.  Brieux  a  tiré  les  cinq  actes 
représentés  au  Vaudeville,  M.  Paul  Hervieu  affirme 

1.  Distribution.  —  Jacques  dExireuil,  M.  Georges  Grand.  —  Baron 
Saffre,  M.  Chelles.  —  Marquis  de  Fé,  M.  Lerand.  —  Comte  de  Gromme- 
lain,  M.  Gaston  Dubosc,  —  Olivier  Bréhant,  M.  Baron  fils.  —  Roger 
d'Iancey,  M.  Roger  Monteaux.  —  M.  Pioche,  M.  Joffre.  —  MarquiB  de 
Henève,  M.  Roger  Vincent.  —  Meuil,  M,  Dauvillier.  —  La  Broussaille, 
M.  Vandenne.  —  Fricandeau.  M.  Aussourd.  —  Ghalacey,  M.  Bertrand. 
—  Le  régisseur,  M.  Vertin.  -^  Nargencey,  M.  Ferré.  —  Saint-Bel, 
M.  Baud.  —  Giselle,  MUe  Berthe  Cerny,  —  Baronne  Saftre,  M""  Cécile 
Caron.  —  Catherine  Saffre,  M»»  DrUnzer .  —  Princesse  Nagear, 
.  Mlle  Paule  Andral.  —  Blanche  de  Grommelin,  M"»  Harlay.  —  Aline, 
M»«  Netza. 


THEATRE    DU    VAUDEVILLE  189 

que,  dans  la  société  élégante  de  Paris,  telle  qu'elle 
est  actuellement  organisée,  tout  est  subordonné 
aux  questions  d'argent. . .  Les  préjugés,  les  con- 
venances, les  mœurs,  l'édifice  entier  des  hypo- 
crisies qui  constituent  la  vie  sociale  ne  se  tiennent 
en  équilibre  que  grâce  à  un  support  intérieur, 
invisible  aux  regards  distraits  et  superficiels,  et 
qui  est  l'argent.  Que  le  support  de  l'armature 
vienne  à  manquer  :  tout  s'écroule.  Et  l'on  aper- 
çoit les  vilenies,  les  bassesses  que  cachent  les  splen- 
deurs de  la  façade ...  Le  baron  Saffre  est  un 
homme  très  puissant.  Ils  brasse  des  affaires  colos- 
sales; on  ne  connaît  pas  au  juste  le  chiffre  de  sa 
fortune  ;  il  mène  un  train  de  prince  ;  il  donne  en 
sa  splendide  demeure  des  fêtes  auxquelles  les  gens 
les  plus  huppés  sollicitent  l'honneur  d'être^conviés... 
Ce  diable  de  baron  tient  tout  le  monde,  car  tout 
•  le  monde  a  besoin  de  lui.  On  le  traite  peut-être  de 
filou  quand  il  a  le  dos  tourné,  mais  dès  qu'il  arrive 
on  lui  fait  des  révérences.  Il  a  marié  son  fils  Arthur 
(il  ne  paraît,  d'ailleurs  pas  dans  la  pièce),  à  l'héri- 
tière sans  dot  d'une  famille  historique  ;  sa  fille 
cadette,  Marie-Blanche,  à  un  certain  comte  de 
Grommelain,  noble  comme  Bragance  et  gueux 
comme  Job  ;  quant  à  l'aînée^  Julienne,  pauvre 
créature  disgraciée  —  on  ne  la  voit  pas  davantage 
au  Vaudeville  —  il  lui  a  permis  d'épouser  un  rotu- 
rier beau  garçon  qui  lui  a  tourné  la  tête  par  sa 
barbe  blonde.  Julienne  adore  bêtement  son  mari 
qui  ne  Ta  prise  que  pour  ses  écus.  Ces  frères,  ces 
sœurs,  ces  belles-sœurs,  ces  beaux-frères  se  haïssent, 
et  s^ils  font  bonne  figure  au    baron    Saffre,  c'est 


igO        '  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

qu'ils  croient  avoir  intérêt  à  le  ménager.  En  réalité, 
ils  ont  le  cœur  sec  comme  du  bois.  Marie-Blanche 
€st  morphinomane  et  s'abandonne  aux  plus  hon- 
teuses débauches  sous  l'œil  indulgent  de  son  époux. . . 
Olivier  voudrait  bien  courir  le  guilledou  ;  mais  il 
redoute  le  divorce,  qui  le  guette  et  le  replongerait 
au  néant  d'où  il  est  sorti...  Et  lui?...  le  terrible 
baron?...  n'a-t-il  pas  quelques  galants  caprices  à 
satisfaire?...  Nous  touchons  au  point  culminant 
du  drame...  Le  baron  s'est  épris  d'une  jeune  femme 
qui,  en  dépit  des  aventures  où  elle  est  précipitée, 
reste  moralement  pure  et  constamment  sympa- 
thique. Giselle  d'Exireuil  ne  se  laisse  pas  gagner 
par  la  dépravation  ambiante,  elle  n'est  point 
vicieuse,,  elle  est  profondément  attachée  à  son 
,  mari,  Jacques,  et  c'est  la  sincérité  même  de  cette 
tendresse  qui  va  la  perdre.  Le  ménage  d'Exireuil 
se  livre  depuis  longtemps  à  des  dépenses  qui 
excèdent  sa  fortune.  Jacques,  pour  augmenter  ses 
revenus,  s'est  engagé  dans  des  spéculations  malheu- 
reuses, y  a  englouti  son  patrimoine...  Les  créan- 
ciers deviennent  pressants,  les  dettes  se  multiplient. 
Il  arrive  un  moment  où  Jacques  est,  comme  on 
dit,  «  à  la  côte  ».  A  moins  d'un  miracle  c'est  la 
catastrophe  inévitable.  Déjà  Jacques  agite  en  son 
esprit  des  projets  extrêmes.  Il  ira  en  Amérique,  il 
'  se  fera  chercheur  d'or,  pionnier,  il  affrontera  les 
fièvres...  Sa  pauvre  petite  femme  tremble  de  tous 
ses  membres  en  l'écoutant.  Se  séparer,  vivre  loin 
l'un  de  l'autre,  et  peut-être  ne  jamais  se  revoir... 
Quelle  horreur  !...  Jacques  reprend  :  «  Et  pourtant, 
si  quelqu'un  voulait  m'aider  !...  J'ai  dans  les  mains 


THtAÏRE  DU  VAUDEVILLE  I9I 

une  affaire  superbe  :  il  faudrait  qu'un  grand  finan- 
cier la"  patronat.  Ah  !-  si  le  baron  Saffre  daignait 
s'y  intéresser!...  Mais  le  voudrait-il?  »  —  Et 
Giselle,  à  demi-morte  de  frayeur,  n'ose  rien  répon- 
dre ;  elle  entrevoit  dans  l'avenir  d'horribles  com- 
plications... Depuis  plusieurs  semaines,  Saffre 
tourne  autour  d'elle,  lui  adresse  des  hommages 
qu  elle  n'a  pas  eu  l'air  de  remarquer.  Et  c'est  à  cet 
homme  que  son  mari!...  Elle  ouvre  les  lèvres  pour 
tout  dire...  Mais  elle  voit  Jacques  si  pâle,  si  inquiet, 
si  abattu,  qu'elle  n'a  pas  le  courage  de  parler. 
A-t-elle  le  droit  de  lui  enlever  son  dernier  espoir  ?. . . 
«  Ma  foi,  reprend  Jacques,  je  vais  trouver  le 
baron...  »  Saffre,  qui  connaît  la  situation  des  d'Exi- 
reuil,  a  arrêté  son  plan.  Il  n'obligera  le  mari  que 
si  la  femme  le  lui  demande  expressément  et  lui  en 
est  reconnaissante.  Et  tandis  que  Jacques  frappe,  à 
la  porte  de  ses  bureaux,  le  voilà  qui  livre  à  Giselle 
un  assaut  suprême.  La  scène  est  développée  avec 
tact,  avec  sûreté,  avec  un  sens  des  nuances  et  une 
Fare  compréhension  des  dessous  psychologiques. 
Le  baron  joue  avec  Giselle  comme  fait  un  oiseau 
de  proie  avec  un  oiselet  ;  il  l'affole,  il  la  fascine  ;  il 
feint  d'abord  d'ignorer  les  ennuis  d'argent  où 
Jacques  se  débat;  il  force  Giselle  à  lui  en  faire 
l'aveu; il  lui  offre  son  amitié  dévouée  avec  des 
regards  ardents  et  des  mots  respectueux  ;  il  lui  trace 
un  effroyable  tableau  des  humiliations  et  des 
déchéances  auxquelles  est  exposé  l'homme  du 
monde  ruiné,  la  gêne,  les  expédients  lamentables, 
quelquefois  la  honte  des  poursuites  judiciaires... 
Et  Giselle  frémit...  »  Mieux  vaut,  poursuit-il,  une 


192  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

bonne  place,  et  un  intérêt  dans  des  affaires  pros- 
pères ;  j'ai  justement  besoin  d'un  secrétaire  géné- 
ral... M.  d'Exireuil  serait  apte  à  remplir  ces  déli- 
cates fonctions...  »  Giselle  troublée,  bouleversée, 
écœurée,  chasse  d^abord  le  baron...  On  sent  que 
bientôt,  hélas  !  elle  succombera..  Elle  ne  se  ressai- 
sira qu'après  sa  chute  —  trop  tard.  Et  tout  en 
détestant  son  infamie,  nous  en  avons  pitié.  Giselle 
est  prise  dans  un  engrenage  où  son  corps  passe 
tout,  entier  dès  qu'elle  a  eu  l'imprudence  d'y  poser 
les  doigts  ;  elle  déshonore  son  mari  pour  trop 
l'aimer,  pour  l'aimer  trop  lâchement,  pour  assurer 
son  repos,  pour  ne  pas  lé  quitter.,.  Singulier  cas 
de  conscience  !  Le  baron  lui  inspire  une  horreur 
insurmontable,  mais  il  la  domine  par  la  formidable 
force  de  volonté  qui  est  en  lui  et  qui  s'impose  aux 
faibles  et  brise  leurs  résistances...  Les  événements 
se  précipitent...  La  situation  du  baron  est  moins 
solide  qu'elle  ne  le  paraît.  Le  colosse  s'est  engagé 
dans  des  opérations  gigantesques  qui  soulèvent 
contre  lui  une  coalition  de  tous  les  marchés  d'Eu- 
rope. Il  est  vaincu  ;  il  est  abandonné  de  ses  propres 
enfants  qui  le  trahissent  pour  sauver  quelques 
débris  de  patrimoine  et  achèveront  de  ruiner  son 
crédit.  Sa  raison  ne  résiste  pas  à  ces  déceptions 
diverses.  Il  devient  fou,  mûr  pour  la  congestion. 
Et  quand,  après  la  superbe  scène  de  Taveu,  Jacques 
ira  pour  tuer  le  baron  Saffre,  il  ne  trouvera  plus 
qu'une  loque,  un  cadavre  râlant,  qu'il  ne  pourra 
que  jeter  à  terre  en  s'écriant  :  «  Tu  n'as  pas  encore 
soutîert  !  »  —  Elle  est  terrible  et  superbe  la  scène 
de  l'aveu,  elle  eût  dû  vraiment  décider  du  succès  de 


THEATRE  DV   VAUDEVILLE  IqS 

la  pièce,  si,  jusque-là,  Tintérêt  n'était  pas  si  malheu- 
reusement éparpillé...  Jacques  d'Exireuil  a  voulu 
savoir  si  Giselle  est  la  maîtresse  du  baron.  Il  l'in- 
terroge adroitement.  Giselle -se  trouble  d'abord, 
puis  elle  avoue,  elle  crie  la  vérité...  C'est  pour  le 
sauver,  pour  le  garder,  pour  qu'il  ne  parte  pas  aux 
pays  meurtriers  qu'elle  a  accepté  le  secours  du 
baron.  —  «  Je  n'ai  pas  été  sa  maîtresse,  mais  sa 
victime  !  »  sanglote  Giselle.  Elle  dit  les  violences 
qu'elle  a  dû  subir,  son  dégoût,  sa  honte...  Jacques 
Ta  brutalisée.  Elle  frissonne  de  fièvre.  Elle  a  soif. 
Son  mari  s'émeut  ;  il  lui  prépare  de  quoi  boire  et 
nent  lui  soutenir  le  verre  entre  ses  dents,  car  elle 
grelotte  d'angoisse  et  de  froid.  Il  la  recouvre  de 
son  manteau.  Puis  il  gagne  la  porte.  —  «  Où  vas- 
tu?  »  interroge  Giselle.  —  «  Je  vais  tuer  le  baron 
SafFre,  lui  sauter  à  la  gorge,  lui  arracher  la  langue, 
lui  crever  les  yeux,  lui  écraser  la  tête  sous  mes 
talons!...  »  —  «  Ah!  oui,  Jacques,  tue-le!...  ». 
M"«  Cerny  a  trouvé  là  un  cri  admirable.  Avec 
M.  Grand,  que  réclame  si  justement  le  Théâtre- Fran- 
çais, elle  a  joué  toute  la  scène,  tout  son  rôle  d'ail- 
leurs avec  un  talent  aussi  absolument  digne  de  la 
Comédie-Française.  Le  grand  défaut  de  la  pièce, 
c'est,  nous  devons  le  dire,  la  division  de  l'intérêt. 
En  dehors  du  comte  d'Exireuil,  tous  ces  gens, 
minutieusement  décrits  dans  le  roman  de  M.  Paul 
Hervieu,  nous  sont  indifférents  à  la  scène  où  leurs 
papotages  nous  agacent  au  suprême  degré.  Puis, 
l'interprétation,  —  où  nous  avons  noté,  dans  de 
moindres  rôles,  les  efforts  de  MM.  Gaston  Dubçsc, 
Baron  fils,  les  deux  gendres  du  grand  baron,  ^ de 

A.NNALBS  DU  THÉÂTBR  13 


194  le:s  annales  du  théâtre 

M.  Joffre,  qui  a  nettement  dessiné  une  silhouette 
d'usurier  mondain,  a  péché  par  une  erreur  fâcheuse, 
erreur  de  distribution.  M.  Ghelles,  le  remarquable 
Grégoriew  d'Oiseauax  de  passage j  était  Thomme  le 
moins  fait  qu'on  pût  trouver  pour  rendre  le  person- 
nare  du  baron  Saffre,  qu'il  a  manqué  du  tout  au  tout. 
•5  MAI.  —  L'Armature  n'ayant  pas  donné  ce 
qu'on  en  espérait,  la  Retraite  reparaissait  sur 
l'affiche,  et  cette  reprise  inattendue  offrait  un 
particulier  intérêt  :  le  rôle  de  Claire  Volkhardt, 
que  M"«  Marthe  Mellot  avait  marqué  de  l'autorité 
de  son  talent,  était  repris  par  M"«  Yvonne  de  Bray^ 
une  jeune  et  fine  comédienne  qui  apporte  à  tout  ce 
qu'elle  joue,  non  seulement  une  rare  application, 
mais  encore  une  véritable  intelligence;  Elle  était, 
cette  fois,  parfaite  de  sincérité  et  de  charme. 

20  MAI.  —  A  dix  ans  de  distance,  M.  Porel 
reprenait  au  Vaudeville  ces  fameuses  Demi^Vierges^ 
qu'avec  le  retentissant  succès  que  l'on  sait,  il  avait 
primitivement  représentées  au  Gymnase  au  moment 
ou,  de  concert  avec  M.  Albert  Carré,  il  dirigeait 
les  destinées  dr  théâtre  du  boulevard  Bonne-Nou- 
velle. La  cinglante  et  curieuse  comédie  de  M.  Marcel 
Prévost  —  dont  l'exposition  du  premier  acte  nous 


1 .  Distribution.  —  Hector  Le  Teissier,  M.  Gaston  Duhosc.  —  Maxime 
de  Ghantel^  M.  Louis  Gauthier.  —  Paul  Le  Teissier,  M.  Baron  fils.  — 
Ilarden,  M.  Jo^re.  —  Julien  de  Suberceaux,  M.  Roger  Vincent.  —  Luc 
de  Lestrange,  M.  Dauvillier.  —  Docteur  Krauss,  M.  Aussourd.  —  Val- 
belle,  M;  J9ffrïrand.  —  Joseph,  M.  Vertin.  —  Espiens,  M.  Battd.  — 
Maud  de  Vouvre,  M»*  Berthe  Cerny.  —  Jacqueline,  M»»  Marthe  Régnier. 

—  Mme  de  Vouvre,  M"»»  Cécile  Caron.  —  M»»  Ucelli,  M»«  Paule  Andral 
Etiennette  Duroy,  MU*  Harlay.  —  Jeanne  de  Chantel,  M"«  De  Bray.  — 
Mme  de  Reversier,  M"«  Netza.  —  M^e  de  Chantel,  M»*  Henriette  Andral. 

—  Betty,  M"«  De  Mornand.  —  Cécile  Ambre,  MUe  De  Frezia.  —  Marthe 
de  Reversier,  Mlle  Colonna.  —  Madeleine  de  Reversier,  M"«  De  Ver- 
laine. —  Dora  Calvell,  M»«  Bêcher.  —  Juliette,  M»«  Brizac. 


THEATRE  DU  TAUDEVILLE  I  96 

a  semblé,  cette  fois,  singulièrement  longue  en  son 
éparpillement  de  scènes  épisodiques  —  offrait, 
alors,  une  interprétation  de  tout  premier  ordre 
qui  —  faut-il  l'avouer  ?  —  n'a  pas  aujourd'hui  été 
entièrement  retrouvée.  Notons  les  consciencieux 
efiForts  de  M'*®  Berthe  Cerny,  abordant,  non  sans 
crânerie,  le  rôle  de  Maud,  qu'établit  si  brillamment 
M"«  Jane  Hading  ;  la  grâce  de  M"^  Yvonne  de  Bray, 
succédant  à  la  délicieuse  ingénue  qu'était  Marie 
Leçon  te  ;  l'aisance  de  M.  Gaston  Dubosc  en  Hector 
Le  Tessier,  où  nous  applaudissions  M.  Dumény; 
la  saisissante  émotion  de  M.  Louis  Gauthier  sous 
les  traits  de  Maxime  de  Chantel  créé  par  M.  H. 
Mayer  ;  le  succès  de  beauté  de  M"«  Marthe  Régnier, 
la  Jacqueline  outrancière  dont  M"®  Léonie  Yahne 
disait  avec  tant  d'impayable  drôlerie  les  amusantes 
répliques.  Mais  où  est  M.  Léra.nd,  qui  dessina  d'un 
Irait  si  juste  le  type  du  puissant  banquier  Harden  ? 
En  dépit  d'un  accent  indéfinissable,  M.  JofFre  y 
reste  singulièrement  quelconque. . .  Où  est  surtout 
M.  Grand,  qui  personnifiait  avec  tant  d'élégance 
et  d'autorité  le  beau  Julien  de  Suberceaux  ?  Tombé 
aux  mains  de  M.  Roger  Vincent,  d'aspect  si  chétif 
et  si  vulgaire,  le  rôle  est  devenu  d'une  invraisem- 
blance criante  et  ne  laisse  pas  de  jeter  sur  l'affa- 
bulation de  l'auteur  un  discrédit  plutôt  fâcheux .  . . 
i4  JUIN.  —  Première  représentation  des  Rois 
américains  y  pièce  en  quatre  actes  de  MM.  Séverin 
Malafayde  et  de  M"*«  Camille  Clermont*.  —  La 


1.  Distribution.  —  Karnadger,  M.  Lérand.  —  Maximilien,  M.  Capel- 
tani.  — Chicking,  M.  Séverin  Mars.  —  Simpson-Addy,  M.  Dauvillier. 
—  Farouk,  M.  Rahlet.  —  Barkasson,  M.  Vaslin.  —  Charlie,  M.  Pradaly, 


196  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

saison  officielle  a  été  close  avec  les  Demi^Vierges. 
C'est  pour  une  saison  d'été  de  quinze  jours  à  peine 
que  M™®  Camille  Clermont  —  celle  qui  fut  il  y 
a...  ans,  la  Fanfan  Benoiton  de  Sardou  —  a  loué  à 
M.  Porel  la  salle  de  la  Chaussée-d'Antin,  afin  d'y 
faire  représenter  une  comédie  de  mœurs,  de  mœurs 
américaines,  où  elle  a  pour  collaborateur  l'un  des 
principaux   interprètes   de   la   pièce,   M.    Séverin 
Mars  —  ou  Séverin  Malafayde.  M™^  Clermont  pa- 
raît avoir  voué  aux  financiers  américains  une  toute 
particulière  haine;  contre  eux,  elle  avait  déjà  écrit 
un  livre  cinglant;  contre  eux  encore,  elle  met  à  la 
scène  une  satire  dramatique  dont,  par  malheur,  la 
nouveauté  n'est  pas  le  mérite  le  plus  éclatant.  Ve- 
nant après  les  Affaires  sont  les  Affaires  et  les 
Ventres    dorés,   ces  Rois    américains    ont   même 
fait  l'effet  d'une  redite  plutôt  inutile.  Dans  un  pays 
où    nos    milliardaires   sont  tous  rois  de  quelque 
chose  :  du  pétrole  ou  du  cochon,  du  sucre  ou  du 
café,  Karnadger  est  le  plus  intelligent   et  le  plus 
puissant  de  toute  la  bande.  Peu  lui  chaut,  du  reste, 
d'avoir  établi  son  énorme  fortune  sur  la  ruine  de 
familles  entières,  il  est  riche,  immensément  riche, 
et  peu  disposé  à  rendre  gorge.  C'est  alors  que  se 
présente  son  fils,  Maximîlien,  à  qui  un  poète  de 
ses  amis  a  ouvert  les  yeux  sur  la  moralité  de  son 
père.  Maximilien  s'est  mis  à  la  tête  du  parti  socia- 


—  Baleymoon,  M.  Baud.  —  Spyder,  M.  Daniel.  —  Hans  Smilling, 
M.  Ydrac.  —  Radberg,  M.  Darger.  —  Ravarold,  M.  Dousset.  —  Le 
marquis  de  Courtray,  M.  Doney.  —  Béatrice,  M»»  Milo  d'Arcylle.  — 
Mistress  May,  Mii«  Paule  Marsa.  —  Miss  Betty  Belby,  M"»  Madeleine 
OuiUy.  —  Miss  Polop,  MU*  Harnold.  —  Miss  Katson,  M"»  Defradas.  — 
Mistress  Yunley,  Mil»  LéoLinh. 


THEATRE    DU    VAUDEVILLE  I97 

liste  :  il  exige  que  Karnadger  rende  un  milliard 
sur  les  deux  milliards  qu'il  a  trop  facilement  acquis. 
On  conçoit  que  le  financier  se  fasse  quelque  peu 
tirer  Foreille...  Il  y  consent  pourtant  et  ce  beau 
geste  lui  rend  Testime  des  honnêtes  gens.  Pardonné 
par  son  fils,  il  pardonne  lui-même  à  sa  fille,  qui 
s'était  enfuie  avec  le  jeune  homme  pauvre  dont  il 
avait  fait  son  secrétaire.  La  pièce  abonde  en  idées 
généreuses,  et  aussi,  avouons-le,  en  naïvetés  grosses 
comme  des  maisons.  N'insistons  pas,  et  souhai- 
tons-lui de  grand  cœur  une  fructueuse  carrière... 
en  Amérique.  Il  nous  reste  à  féliciter  M.  Lérand, 
qui  fut  un  Karnadger  aussi  puissant  que  le  per- 
mettait le  rôle,  et  M.  Capellani  qui  montra,  vrai- 
ment, une  belle  chaleur  en  Maximilien.  M"®  Milo 
d'Arcylle  était  tout  à  fait  charmante  sous  les  traits 
de  Béatrice,  la  jeune  fille  riche  enlevée  par  le  se- 
crétaire pauvre.  Notons  la  pittoresque  silhouette 
du  milliardaire  ataxique  dessinée  par  M.  Rablet 
et  les  louables  efforts  vers  Toriginalité  de  M.  Sé- 
verin  Mars,  dont  la  diction  restait  tout  de  même 
bien  extraordinaire*. 

i5  SEPTEMBRE.  —  Réouvcrturc  avec  la  première 
représentation  de  La  Belle  Madame  Iléber^  comé- 
die en  quatre  actes  de  M.  Abél  Hermant^.  —  C'est 


1.  — Plus  extraordinaire  encore...  Le  21  juin,  le  Vaudeville  donnait 
une  représentation  avec  le  concours  de  M»»  Otero  ;  le  spectacle  se  com- 
posait des  Rois  américains  et  M»»  Otero  interprétait  une  pantomime. 
Rêve  d'opium. 

Le  25  juin,  le  théâtre  fermait  définitivement  ses  portes  pour  Tété. 

2.  Distribution.  —  Théophile  Marchai,  M.  Lérand.  —  Firmin-Héber, 
M.  Gaston  Dubosc.  —  Le  baron  Rabbe^  M.  Jo/j^re,  —  Claude  Orcemont, 
M.  Rouyer.  —  Le  comte  de  Crissé,  M.  Roger  Vincent.  —  Joseph, 
M.  Vertin.  —  Raymond  Briollet,  M.  Georges  Baud.  —  Max  Neuvillette, 


igS         LES  ANNALES  DU  THEATRE 

en  vérité  une  lâche  bien  difficile  que*  d'analyser  ici 
cette  pièce  en  quelques  lignes  seulement.  Comment 
mettre  un  peu  d'ordre,  un  peu  dfi,  clarté  dans  une 
telle  confusion  d'idées,  d'opinions,  de  sentiments 
différents?  Comment  étudier  au  passage  une  si 
infinie  diversité  de  caractères,  de  personnages  et 
de  mœurs  ?  Comment  fixer  aussi  hâtivement  toutes 
les  douleurs,  toutes  les  pensées  —  embrouillées  — 
de  Claude  Orcemont,  malgré  le  soin  qu'il  prend  — 
trop  souvent  —  à  nous  en  expliquer,  au  fur  et  à 
mesure,  la  psychologie?  Ce  n'est  pas  que  son 
roman  nous  paraisse  d'une  bien  extraordinaire 
particularité  —  il  rappelle  de  trop  près,  pour  cela, 
celui  de  son  aîné,  Armand  Duval  —  mais  ce  jeune 
homme,  violent  et  faible,  s'ingénie  à  paraître 
compliqué.  Il  nous  oblige  à  une  telle  attention,  il 
nécessite,  pour  le  comprendre  et  le  suivre,  une 
telle  tension  d'esprit,  que  la  pièce  reste  pour  nous 
longue  et  fatigante.  Il  y  a  place,  dans  ces  quatre 
actes,  pour  un  roman  tout  entier,  et  M.  Abel 
Hermant  eut  l'incontestable  tort  d'y  vouloir  entas- 
ser une  œuvre  aussi  multiple,  diffuse,  colossale. 
C'est  dommage,  vraiment,  car  les  belles  scènes  qui 
s'y  trouvent,  les  situations  théâtrales  et  fortes 
semblent,  malgré  la  qualité  du  dialogue  mordant 
et  incisif,  noyées  dans  un  flot  d'inutilités  qui  ra- 
lentissent l'intérêt  et  embarrassent  l'action.  C'est 


M.  Draqùin.  —  Nicçle  Firmin-Héber,  Mil»  Henriette  Rogger».  —  Fer- 
nande Riverol,  MH»  Gabrielle  Dorziat.  —  M"»«  RiveroI-îSaligny,  M™»  Cé- 
cile Caron.  —  Ninette  Le  Cosquer,  MH«  Harlay.  —  Claire  Briollet, 
MU«  Yvonne  de  Bray.  —  La  baronne  Rabbe,  M»»  de  Momand.  — 
MU«  de  Corps-Nuds,  M»*  Netza.  —  Denise  Louverné,  M»«  Franey.  — 
Rosalie,  M"»  Jeanne  Marie- Laurent. 


THEATRE    DU    VAUDEVILLE  I99 

plus,  en  somme^  de  la  littérature  que  du  théâtre, 
et  cette  littérature  apparaît  à  la  scène  beaucoup 
trop  touffue,  subtile  et  travaillée.  Examinons  tout 
d'abord  le  milieu  dans  lequel  nous  conduit  l'auteur. 
C'est  celui  —  bien  qu'assez  vague  —  de  la  classe 
riche,  de  la  haute  société  —  oh  !  il  n'en  est  pas 
plus  joli  pour  cela,  et  je  souhaite  que  M.  Abel 
Hermant  ait  apporté  à  sa  peinture  quelque  exa- 
gération !  — !  où  toute  femme  est  dans  l'obligation 
de  prendre  un  amant,  tout  mari  une  maîtresse  ;  où 
la  vie  n'est  que  duperie,  tromperie  et  mensonge  ; 
la  conversation  que  médisance  et  calomnie;  où 
toutes  les  actions  ne  sont  enfin  que  monstrueuses 
vilenies.  Ici  un  mari  complaisant  qui  profite  des 
liaisons  de  sa  femme,  là  un  amant  taré  qui  triche 
dans  les  cercles.  Ici  une  femme  du  monde  qui  vole 
à  son  amant  les  perles  qui  ornent  son  plastron. 
Là  une  sorte  d'eatremetteuse,  M"*®  Riverol-Saligny, 
surnommée  par  ses  amis  l'Appareilleuse,  pour  le 
soin  qu'elle  apporte  à  faciliter  leurs  unions,  à  les 
faire  naître,  à  les  protéger;  pour  sa  sollicitude  à 
caser  avec  intelligence,  en  des  chambres  mitoyen- 
nes ou  suffisamment  rapprochées,  dans  son  château 
des  environs  de  Paris,  amants  et  maîtresses.  Joli 
monde  !  Mais  venons  à  la  pièce.  Théophile  Mar- 
chai, l'écrivain  célèbre,  l'hôte  assidu  de  M°»«  Rive- 
roi,  amusant  et  juste  portrait  de  l'auteur  dramati- 
que choyé,  complaisammenf  écouté,  émet,  parmi 
d'autres  belles  tirades,  sa  théorie  sur  l'amour. 
«  L'amour,  dit-il,  le  même  depuis  le  commence- 
ment des  siècles,  est  également  le  même  dans 
toutes  les  classes  de  la  société.  Il  se  réduit  à  un 


200  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

homme  et  une  femme  qui  se.  cherchent,  se  trouvent 
et  s'unissent.  Harem  et  haras  !  Là-dessus  est  fondé 
le  monde.  Aussi  y  aura-t-il  toujours  des  amants 
de  cœur  et  des  filles,  des  mâles  et  des  coquettes... 
L'être  humain,  pareil  à  celui  d'autrefois,  est  tou- 
jours possédé  des  mêmes  vices  et  des  mêmes  pas- 
sions, déchaînés  avec  la  même  force.  Regardez- 
vous,  regardez  autour  de  vous.  Voyez  Nicole  Héber  : 
la  Belle  M™®  Héber,  la  Femme  fatale,  n'est-elle  pas 
le  plus  bel  exemple  de  coquette  et  de  fille  que  l'on 
puisse  rencontrer?  Un  homme  ne  s'est-il  pas  ruiné 
pour  elle,  un  autre  ne  s'est-il  pas  tué,  un  troisième 
encore,  le  comte  de  Crissé,  ne  vient-il  pas,  pour 
elle  encore,  de  tricher  au  jeu,  provoquant  au  cercle 
un  abominable  scandale?  N'est-il  pas,  lui.  Crissé, 
la  personnification  absolue  de  l'ami  de  cœur, 
((  l'apache  »  prêt  à  jouer  du  poing  ou  du  couteau? 
Ne  lui  obéil-elle  pas,  elle,  soumise^  dominée,  maî- 
trisée, malgré  l'apparente  lassitude  qu'elle  éprouve 
de  cette  liaison?  »  Et  chacun  d'ajouter  sur  le 
compte  de  Nicole  sa  pçtite  infamie.  Seul,  Claude 
Orcemont,  nouveau  venu  dans  la  société  de  l'Ap- 
pareilleuse,  prend  énergiquement  sa  défense.  Il 
sait  qui  elle  est,  quelle  fut  sa  vie,  mais  se  garde 
bien  de  la  condamner.  Il  l'excuse,  au  contraire,  et 
nie  d'ailleurs  l'existence  de  la  Femme  fatale.  Su- 
bitement la  conversation  s'arrête  :  la  belle  M™®  Hé- 
ber fait  une  sensationnelle  entrée.  Tout  de  suite, 
alors  qu'on  présente  à  Nicole  son  brillant  défenseur, 
une  admiration,  une  sympathie,  une  attirance  pousse 
Claude  vers  elle.  Une  curiosité  aussi  et  un  peu  de 
jalousie  pour  tous  les  amis  d'autrefois,  pour  tous 


THEATRE    DU    VAUDEVILLE  20I 

les  racontars  qu'on  se  chuchote  a  tour  d'elle.  Nicole 
se  montre  amusée,  intéressée  par  les  idées  franches, 
hardies,  toutes  neuves  pour  elle,  de  ce  loyal  jeune 
homme.  Elle  acceptera  la  liaison  de  quelques  jours, 
le.  caprice  de  quelques  heures  qu'il  quémande  si 
chaleureusement,  déjà  tout  secoué  par  l'étrange 
beauté  de  cette  femme.  Juste  à  point  débarrassé 
de  Crissé,  forcé  de  disparaître  tout  au  moins  pen- 
dant plusieurs  mois  pour  faire  taire  le  scandale, 
il  partira,  malgré  ses  terribles  menaces  ;  car,  avant 
de  s'éloigner,  il  4ui  a  rappelé  qu'elle  était  sa  chose, 
son  bien,  et  qu'il  entendait  rester,  dût-il  pour  cela 
jouer  du  couteau,  de  loin  comme  de  près,  son  seul 
maître.  Elle  partira  pour  TAngleterre  où  Claude  va 
la  rejoindre.  Là,  leur  caprice  se  change  bien  vite 
en  un  véritable  amour^  violent,  inéluctable.  Si 
bien  que  lorsqu'un  impérieux  télégramme  de  Crissé 
rappelle  Nicole  à  Paris,  ce  sera  pour  tous  deux, 
après  le  plus  parfait  bonheur,  le  commencement 
de  la  souffrance.  La  jalousie  fleurit  au  cœur  de 
Claude,  jalousie  du  passé  —  qu'il  connaissait  ce- 
pendant —  jalousie  du  présent,  soigneusement 
avivée  par  les  perfides  insinuations  des  bons  amis. 
Il  soupçonne  Nicole  de  subir  encore,  malgré  son 
amour  pour  lui,  le  joug  de  Crissé.  Il  aura  donc 
avec  elle,  ou  lui,  une  décisive  explication.  Soutenu 
dans  sa  résolution  par  la  charmante  Fernande, 
■  fille  de  l'Appareilleuse  —  sa  fiancée  éventuelle  s'il 
triomphe  de  ce  dangereux  amour  —  il  oblige  Ni- 
cole à  choisir  entre  un  départ  avec  lui,  aux  yeux  de 
tous,  et  Igi  séparation  irrémédiable.  Il  aura  l'éner- 
gie, devant  l'hésitation  de  Nicole,  de  rompre  défi- 


202  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

nitivement  et  de  s'enfuir,  lâche  et  fort,  malgré  ses 
supplications,  ses  prières,  ses  cris,  la  laissant  par 
terre  étendue,  douloureusement  meurtrie,  en  proie 
à  une  effrayante  crise  de  douleur  et  de  larmes. 
Crissé  survient,  menaçant,  et  la  relève,  brutale- 
ment, mais  subitement  pris  de  pitié  devant  tant  de 
chagrin,  il  emmène  doucement,  tout  doucement, 
sa  pauvre  Nicole...  La  scène  est  superbement  tra- 
gique. Quelques  jours  ont  passé.  Après  bien  des 
pleurs  la  douleur  s'est  calmée,  Nicole  s'est  ressai- 
sicj  l'oubli  a  presque  complètement  effacé  l'affreuse 
crise,  et  lorsque  Claude  revient  -—  trop  tard  !  — 
inguérissable,  ne  pouvant  plus  se  passer  d'elle,  elle 
lui  avoue  simplement  qu'elle  ne  l'aime  plus,  que  la 
vie  pour  elle  a  repris  son  cours  normal,  entre 
Crissé  et  Firmin  Héber,  son  complaisant  mari.  Il 
ne  reste  plus  pour  Claude  qu'une  solution  possible  : 
celle  de  se  jeter  sous  les  roues  d'un  omnibus,  de- 
vant les  fenêtres  de  celle  qu'il  aime...  Deux  débu- 
tants assumaient  la  charge  des  rôles  énormes  de 
Nicole  Héber  et  de  Claude  OrcemonU  :  M*^®  Hen- 
riette Roggers  et  M.  Rouyer.  Ils  se  sont  montrés 
tous  deux  à  la  hauteur  d'une  telle  entreprise.  Il  y 
a  dans  M"^  Roggers  un  vrai  tempérament  d'artiste, 
où  ne  manquent  ni  la  force  ni  la  grâce.  Elle  a 
joué  tout  au  long  en  comédienne  accomplie,  et  la 
scène  où  elle  tombe  abîmée  de  désespoir  a  été 
rendue  avec  une  admirable  réalité.  Plus  aride 
encore,  et  bien  ennuyeux,  le  personnage  de  Claude, 
où  M.  Rouyer  risquait  fort  de  sombrer.  Il  a  fait 
preuve,  un  peu  mélodramatiquement  peut-être, 
d'une   passion  sincère,  d'une   douleur   profonde. 


THEATRE    DU    VAUDEVILLE  2o3 

Autres  débuts  encore  :  celui  de  M^^®  Gabrielle 
Dorziat,  appréciée  déjà  au  Gymnase  et  à  la  Re- 
naissance, et  dont  nous  aimions,  dans  Fernande 
Riverol,  le  jeu  sobre,  simple  et  intelligent;  celui 
de  M"®  Jeanne  Marie-Laurent  —  un  nom  qui 
oblige  —  qui  fut  d'émotion  très  dramatique  dans 
la  femme  de  chambre  Rosalie;  enfin  celui  de 
M.  Draquin,  finement  plaisant  en  Max  Neuvillette. 
Voilà  déjeunes  recrues  qui  tiennent  déjà  la  ^céne 
comme  des  vétérans^!  Nous  devions  louer  la  spiri- 
tuelle composition  de  M.  Lérand  en  Théophile 
Marchai,  le  «  maître  »  fameux,  si  fat  et  si  préten- 
tieux ;  la  distinction  de  M.  Dubosc  dans  l'infâme 
personnage  du  mari  complaisant,  qui  va  jusqu'à  se 
charger  de  transmettre  à  sa  femme  les  cadeaux  de 
Famant  ;  la  joviale  bonhomie  de  M.  Joffre  (le  baron 
Rabbe)  ;  l'énergie  intense,  la  brutalité  aristocra- 
tique de  M.  Roger  Vincent  (le  comte  de  Crissé). 
Et  nous  devions  adresser  nos  meilleurs  compli- 
ments à  M™®  Cécile  Caron  qui  employa  tout  son 
tact  et  toute  son  adresse  à  ne  pas  rendre  odieuse 
la  vilaine  fonction  de  la  trop  aimable  Appareil- 
leuse. 

27  OCTOBRE.  —  Première  représentation  de  la 
Marche  nuptiale,  pièce  en  quatre  actes  de 
M.  Henry  Bataille  i.  —  M.  Henry  Bataille  met  sa 

"  1.  Distribution.  —  Roger  Lechâtelier,  M.  Gaston  Dubosc.  —  Claude 
Morillot,  M.  Janvier.  —  Eugène,  M.  Baron  fils.  —  Vicomte  de  Soussy, 
M.  Roger  Manteaux.  —  Clozières,  M.  Joffre.  —  Général  Duplessis- 
Latour,  M.  C.  Bert.  —  Joseph,  M.  Vertin.  —  D'Andely,  M.  Baud,  —  Le 
chef  d'orchestre,  M.  Draquin.  —  François,  M.  Lalbarède.  —  Un  porteur 
de  piano,  M.  Ferrés.—  Grâce  de  Plessans,  Mi^^Berthe  Bady.—  Suzanne 
Lechâtelier,  M»»  Gabrielle  Dorziat.  —  M«»«  de  Plessans,  M«>>«  Cécith 
Caron.    —    M">«    Clozières,    M»»   Paule   Andral.    —    M"«    d'Andely, 


2o4  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

coquetterie  à  s'attaquer  aux  sujets  difficiles,  et 
Ton  n'a  pas  à  craindre  avec  lui  la  banalité.  Son 
talent,  vraiment  personnel,  sait  adapter  aux  exi- 
gences du  théâtre  les  problèmes  de  psychologie  les 
plus  ardus,  ou  plutôt  de  physiologie,  car  il  se 
plaît  à  analyser  chez  la  femme  les  formes  de 
l'amour.  Or,  l'amour  est  un  sentiment  instinctif 
qui  souvent  proscrit  les  règles  d'équilibre  de  la 
pure  et  saine  raison.  Il  lui  plaît  d'étudier  la  passion 
inconsciente,  fatale.  Ses  héroïnes,  quelques  folies 
qu'elles  commettent,  restent  sympathiques,  car  elles 
sont  la  proie  où  Vénus  s'attache,  et  il  ne  peut  pas 
se  faire  qu'il  en  soit  autrement.  Il  prend  l'humanité 
à  l'heure  des  crises  obscures  et  cherche,  par  une 
patiente  analyse,  à  répandre  sur  elle  la  lumière  : 
il  nous  apprend  aussi  qui  nous  sommes^  mais  il  ne 
nous  cache  point  que  nous  demeurons  impuissants 
à  apporter  en  nous  les  modifications  nécessaires 
à  notre  bonheur.  Notre  but,  notre  «  finale  »  est 
la  désillusion  bu  la  mort.  L'auteur  d'amère  philo- 
sophie, qu'une  fois  de  plus  nous  avons  applaudi, 
a  donné  un  pendant  à  sa  Maman  Colibri.  Sa  Grâce 
de  Plessans  continue  la  série  des  pitoyables  amou- 
reuses. Nature  tendre  et  volontaire,  l'amour  qui, 
sourd  au  fond  d'elle,  lui  apparaît  comme  Timage 
du  sacrifice.  Et  c'est  d'abord  à  la  religion  qu'elle 
pense,  dans   les   bras  de  laquelle  elle  compte  se 


Mlle  Harlay,  —  Maguet,  Mlle  Yvonne  de  Bray.  —  Mii«  Aimée,  MUe  Ber- 
tile  Leblanc.  —  Hortense  de  Plessans,  MH»  /.  Marie-Laurent.  —  M"»*  de 
Verneuil,  MH»  Netza.  —  M"»»  Grillât,  M»»  Henriette  Andral.  —  Mariette 
de  Plessans,  MH*  Macnyle.  —  La  baronne  Valtat,  M"»  Murât.  — 
Julienne,  M"»  Haussmann.  —  Miette,  M"»  Massari.  —  Nelly  Leohâtelier, 
petite  Henry.  —  Eugénie,  Mil«  Jane  Abel. 


THEATRE    DU    VAUDEVILLE  205 

jeter  en  son  besoin  de  mysticisme  qui  n'est  qu'une 
forme  déguisée,  avouable  de  la  passion. . .  quand 
survient  auprès  de  la  jeune  fille  tourmentée  d'idéal, 
le  professeur  de  piano,  être  effacé,  timide,  pauvre, 
être  bon,  de  bonté  bébéte  et  terre  à  terre,  et  par 
cette  bonté  même  elle  est  conquise.  Ses  parents, 
de  vieille  noblesse,  s'indignent  à  l'idée  d'avoir  un 
tel  gendre  et  refusent  leur  consentement  à  ce 
mariage.  Alors,  Berthe,  qui  «  pour  la  première 
fois  de  sa  vie  a  une  volonté  nette  »,  s'enfuit  avec 
le  pianiste  qui,  professeur  d'harmonie,  lui  paraît 
avoir  une  âme  harmonieuse.  Elle  devient  sa  maî- 
tresse sans  honte,  sans  faiblesse,  avec  fierté.  Ne 
vous  y  trompez  pas,  ce  n'est  pas  Claude  Morillot 
qu'elle  aime  :  c'est  son  propre  dévouement,  c'est  le 
geste  héroïque  accompli  en  faveur  d'un  être  dis- 
gracié sur  lequel  elle  s'illusionne  parce  qu'il  est 
sans  fortune  et  presque  sans  défense.  Mais  on  ne 
vit  pas  en  courant  le  cachet.  Grâce  de  Plessans  va 
implorer  l'aide  de  Suzanne  Lechâtelier,  une  amie 
de  couvent,  mariée  à  un  riche  directeur  d'usine. 
Roger  Lechâtelier  nomme  M.  Morillot  comptable, 
mais  en  profite  pour  se  présenter  chez  Grâce  en 
Tabsence  du  mari  et  lui  faire  l'aveu  d'une  flamme 
brutale.  Mal  lui  en' prend,  car  la  jeune  femme,  en 
une  scène  de  premier  ordre,  une  scène  d'une 
finesse  exquise,  lui  fait  comprendre  à  quel  point 
il  s*est  trompé.  —  «  Je  vous  remercie,  Madame, 
de  m'avoir  donné  une  leçon,  je  n'emporterai  de 
cette  visite  que  le  souvenir  de  la  haute  estime 
où  je  vous  tiens.  »  Mais  le  coup  est  porté.  Malgré 
les  joies  de  la  mansarde,  la  «  Marche  nuptiale  » 


206  LES  ANNALES  DU  THEATRE  , 

à  quatre  mains  exécutée  avec  Claude,  la  poésie 
d'une  existence  de  grisette  où  se  mêle  toujours 
vaguement  l'idée  de  Tidéal  sacrifice,  Grâce  de 
Plessans  gardera  en  elle  l'image  de^l'élégant 
cavalier  qui  personnifie  sa  vie  passée.  Et  quand 
Morillot  rentre,  écroulé,  ayant  volé  pour  elle  deux 
cents  francs  dans  la  caisse  de  son  patron,  elle 
a  beau  plaindre  celui  pour  qui  elle  s'est  à  jamais 
compromise,  et  lui  dire  :  «  Je  reste  !  »  on  sent 
qu'en  ce  nouvel  acte  de  dévouement  elle  pense 
à  l'autre.  Elle  y  pense  bien  plus  quelques  semaines 
plus  tard  quand,  invitée  à  passer  quelques  jours 
au  château  de  Lechâtelier,  elle  s'aperçoit  que 
Roger  l'aime  profondément  et. . .  silencieusement. 
C'est  alors  la  lutte  de  la  femme  qui  se  sent  prête 
à  faiblir  et  se  cramponne  à  son  honnêteté.  Elle 
résiste  aux  prières,  aux  supplications,  aux  larmes, 
mais  avec  quel  courage  !  Je  pourrais  dire  quel 
héroïsme  1  Elle  sent  en  effet  s'installer  en  elle  non 
plus  l'amour  mystique,  non  plus  l'amour  du  sacri- 
fice, mais  l'amour  vrai,  l'amour  humain,  l'Amour. 
Suzanne  Lechâtelier  s'est  aperçue  de  quelque 
chose,  soit  par  les  imprudences  de  son  mari,  soit 
par  les  demi-mots  de  ses  bonnes  petites  amies. 
Elle  interroge  Grâce,  elle  lui  demande  :  —  «  Si  tu 
découvrais  que  tu  aimes  Roger,  que  ferais-tu? 
—  Regarde-moi  bien  en  face  »,  répond  Grâce.  Et 
les  yeux  dans  les  yeux,  elle  reprend  :  —  «  Je  me 
punirais  1  »  C'est  égal,  elle  est  sans  force  ;  elle  est 
au  bout  de  sa  résistance.  Roger  passe.  Ils  sont 
seuls.  Ils  tombent  dans  les  bras  l'un  de  l'autre  et 
s'embrassent  éperdument.   —   «  Nous  n'en  pou- 


THÉÂTRE    DU   VAUDEVILLE  2O7 

vions  plus  !  »  murmure  Roger.  Et  Grâce  de  Ples- 
sans,  épouvantée  de  ce  qu'elle  vient  de  faire, 
d'une  telle  trahison  «  qu'elle  ne  prévoyait  pas  », 
s'enfuit  du  château,  nu-tête,  dans  la  nuit.  La  voilà 
revenue  à  Paris,  chez  elle.  EUe  a  encore  sur  les 
lèvres  l'empreinte  de  la  caresse  définitive.  Son 
amant,  le  pauvre  pianiste  timide  et  ridicule, 
n'existe  plus  pour  elle  :  il  ne  lui  inspire  plus 
qu'une  immense  pitié.  Mais  elle  n'est  pas  la  femme 
qui  se  donne  à  l'un,  puis  à  l'autre.  Elle  aime 
Roger  avec  ferveur,  si  exclusivement  que  l'enfant 
de  «  l'autre  »  qu'elle  porte  dans  son  sein  ne 
compte  pour  rien,  et  pourtant  elle  ne  lui  appar- 
tiendra p  s.  Elle  a  dit  :  — -  «  Chacun  porte  la 
peine  de  son  idéal.  »  Et  plus  tard  :  —  «  Les 
honnêtes .  femmes  n'appartiennent  qu'à  un  seul 
homme  ;  c'est  le  seul  châtiment  dont  elles  dispo- 
sent contre  elles-mêmes.  »  Aussi  n'hésite-t-elle 
pas.  Puisque  le  bonheur  pour  elle  n'est  plus  pos- 
sible^ puisqu'elle  ne.  peut  aimer  du  seul  amour  qui 
puisse  satisfaire  une  nature  humaine,  elle  prie 
Claude  Morillot  de  la  griser  d'une  valse  enivrante 
(musique,  reste  d'amour  mystique!)  passe  dans 
une  pièce  à  côté  et  se  lue.  Telle  est  cette  œuvre 
curieuse,  étrange,  réelle.  M.  Bataille  s'y  place  au 
premier  rang  des  psychologues.  Il  doit  associer 
à  son  triomphe  M™®  Berthe  Bady  qui  excelle 
à  faire  vivre  ces  personnages  compliqués.  Malgré 
le  timbre  défectueux  de  sa  voix,  M™«  Bady  impose 
sa  personnalité  par  une  composition  savante  et 
délicate,  des  intonations  tragiques,  des  gestes  bi,en 
à  elle.  C'est   une   actrice    de   grande  originalité. 


208  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

Elle  jouerait  admirablement  «  Sainte  Thérèse  ». 
M.  Dubosc  a  eu  de  bons  moments,  d'excellents 
passages,  mais  il  a  souvent  parlé  trop  vite  :  il  fut 
de  chaleur. . ,  froide.  M.  Janvier  fut  un  peu  trop 
modeste,  d'une  timidité  parfois  exagérée;  malgré 
tout  son  talent,  je  pense  qu'on  lui  a  mal  indiqué 
son  rôle.  En  revanche,  M'*®  Gabrielle  Dorziat  fut 
parfaite  de  grâce,  de  naturel.  Les  personnages 
secondaires  étaient  bien  tenus  en  la  personne  de 
M"^«^  Cécile  Caron,  Paule  Andral,  Harlay,  de  Bray 
et  de  MM.  Joffre,  toujours  solide.  Baron  fils, 
toujours  consciencieux. 

5  DÉCEMBRE.  —  Première  représentation  de  la 
Cousine  Bette,  pièce  en  quatre  actes  et  sept 
tableaux,  tirée  d'Honoré  de  Balzac  par  MM.  Pierre 
Decourcelle  et  Granet  *.  —  M.  Porel  nous  a  oflFert 
avec  la  Cousine  Bette  un  spectacle  de  reconsti- 
tution rare.  L'époque  tout  entière  de  Louis-Phi- 
lippe nous  fut  évoquée  avec  ses  gardes  nationaux, 
ses  marchandes  à  la  toilette,  ses  brillants  uni- 
formes, ses  habits  à  parements  de  velours,  ses 
robes  à  volants,  ses  cachemires,  ses  coiffures  à  la 


1.  Distribution.  —  Marneffe,  M.  Lérand.  —  Le  prince  de  Wissem- 
bourg,  M.  Gaston  Dubosc.  —  Le  baron  Hulot,  M.  Duquesne.  —  Le 
commissaire  de  police,  M,  Baron  fils.  —  Le  docteur  Blanchon,  H.  Roger 
Monteaux.  —  Crevel,  M.  Joffre.  —  Victorin  Hulot,  M.  I^oityer.  — 
Wenceslas  Steinbock,  M.  Roger  Vincent.  —  Thirion, 'M.  Vandenne. 
—  Johann  Fischer,  M.  Aussourd.  —  Le  maréchal  Hulot,  M.  Camille 
Bert.  —  Mistouflel,  M.  Vertin.  —  Le  juge  de  paix,  M.  Baud.  —  Le  ser- 
gent-fourrier, M.  Draquin,  —  Stidmann,  M.  Camille  Gorde.  —  L'a 
domestique,  M.  Lalbarède.  —  M«»«  Marneffe,  M"»  Berthe  Ccrny  — 
Adeline  Hulot,  M»»  Henriette  Roggers.  —  Lisbeth  Fischer,  M«n«  Cécile 
Caron.  —  Célestine,  M"»  Hdrlay.  —  Hortense,  M»»  Yvonnne  de  Bray. 
M»>e  Nourrisson,  M"»*  Ellen  Andrée.'^ , —  M"»  Judici,  M«n«  Hem'ielte 
Andral.  —  Reine,  Mii«/.  Marie-Laurenl.  —Maria,  Mii«  Netza.  —  Une 
femme  de  chambre,  MUe  Macnyll.  —  Atala,  M"»  Fabienne, 


THEATRE    DU   VAUDEVILLE  200 

girafe. . .  époque  si  rapprochée  et  déjà  loin  de 
nous  !  Le  célèbre  roman  du  plus  grand,  du  plus 
puissant  de  nos  écrivains  français  est  encore  trop 
présent  à  la  mémoire  dé  nos  lecteurs  pour  que  je 
leur  fasse  Tinjure  de  le  leur  conter  par  le  menu. 
Gomme  le  Gavroche  de  Victor  Hugo,  le  Monsieur 
Alphonse  d'Alexandre  Dumas  fils,  on  dit  :  un 
baron  Hulot,  une  madame  Marneffe.  Le  nom  de 
Balzac  pourra  disparaître,  ses  créations  ne  seront 
pas  oubliées.  Rien  de  plus  osé  dans  notre  moderne 
théâtre  libre  que  ce  mari  complaisant,  s'entendant 
avec  sa  femme  pour  mettre  la  société  en  coupe 
réglée,  causant  ouvertement  avec  elle  de  la  qua- 
lité et  de  la  quantité  de  ses  amants,  tous  deux 
onganisant  un  flagrant  délit  de  chantage.  Et  ce 
baron  Hulot,  conseiller  d'Etat,  grand  officier  de  la 
Légion  d'hQnneur,  qui  vole  pour  des  catins,  recule, 
déshonoré,  devant  le  suicide,  tombe,  misérable 
écrivain  public^  entre  les  mains  d'une  quasi- 
mineure  !  Meilhac  et  Halévy  possédaient  à  fond 
cette  figure  sinistre  en  créant  dans  la  Boule  le 
déhcieux  fantoche  si  humain  de  La  Musardière. 
Seul,  le  personnage  de  la  cousine  Lisbeth, 
«  parenté  pauvre  »,  hypocrite,  haineuse,  associée 
pour  la  vengeance  à  la  Marnetfe,  a  perdu  quelque 
peu  du  roman  à  la  scène.  Elle  n'a  plus  sa  gran- 
deur inquiétante,  peut-être  parce  que  les  exigences 
du  théâtre  ont  forcé  les  auteurs  à  la  restreindre, 
—  ce  qui  en  fait  une  silhouette  vague,  pas  assez 
expliquée;  elle  ne  prend  plus  sa  valeur  que  par 
quelques  côtés  mélodramatiques  qui  laissent  ainsi 
à  l'œuvre,   pourtant    si    étonnamment  jeune,    un 

ilNNALES  DD  THEATBE  H 


2IO  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

caractère  vieillot.  Telle  qu'elle  est  cependant,  cette 
pièce  reste  curieuse,  pittoresque  et  énergique. 
Plaîra-t-elle  au  public  ?  *  Certes,  à  condition  qu'en 
dehors  du  couple  d'amoureux  Hortense  et  Wen-r 
ceslas  Steinbock,  du  maréchal  Hulot,  si  noble  et 
si  pitoyable,  et  surtout  d'Adeline  Hulot,  amante 
résignée  et  éternellement  indulgente  d'un  mari 
incorrigible  et  odieux,  à  condition,  dis-je,  qu'un 
auditoire  de  théâtre  n'exige  point  de  caractères 
sympathiques.  Avec  son  amertume  désabusée, 
Balzac  fit  la  première  place'  aux  canailles,  — 
malgré  la  mort  saisissante  de  M™®  MarnefFe,  punie 
de  ses  crimes  par  «  l'avarie  »  qui,  sous  un  autre 
nom,  existait  déjà  à  cette  époque.  La  troupe  du 
Vaudeville  s'est  montrée  digne  de  l'œuvre.  Mar- 
nefFe, c'est  Lérand,  dont  l'entrée  a  été  «ensatioir^ 
nelle,  et  qui  est  effrayant  de  souplesse  xauteleu&e, 
de  réalisme  aigu.  M''^  Berthe  Cerny,  jolie  femme 
et  fine  comédienne,  est  une  M™^  Marnéffe  ensorce- 
lante et  vicieuse  à  souhait.  Le  baron  Hulot,  c'est 
Duquesne,  superbe,  irritant  en  son  entêtement 
à  la  débauche,  son  inconsciente  cruauté,  sa 
lâcheté  finale.  M.  Joffre  a  solidement  dessiné  le 
rôle  difficile  de  Crevel,  le  parfumeur  parvenu,  et 
M.  Gaston  Dubosc  fait  grande  figure  en  prince 
de  Wissembourg,  ministre  de  la  guerre,  en  l'âme 
duquel  flambe  encore  la  flamme  napoléonienne. 
M''^  Henriette  Roggers  a  joué  avec  un  art  infini  la 


1.  Les  représentations  de  la  Cousine  Bette  ne  devaient  guère 
dépasser  le  mois  de  décembre  de  l'année  qui  nous  occupe.  Dés  le 
8  janvier  de  la  suivante^  elle  cédera  la  place  à  une  nouvelle  reprise  de 
la  Retraite,  bientôt  suivie  d'une  pièce  nouvelle. 


THEATRE    DU    VAUDEVILLE 


211 


scène  délicate  où  elle  s'offre  tardivement  à  Crevel 
et  a  rendu  avec  une  émotion  touchante  les 
angoisses  de  Tépouse  trahie.  M"*®  Cécile  Caron 
a  tiré  parti  du  mieux  qu'elle  a  pu  de  la  figure 
sèche,  envieuse,  rancunière  de  Lisbeth,  la  cou- 
sine pauvre.  Dans  le  personnage  épisodique  de 
Mme  Nourrisson,  la  revendeuse  à  la  toilette,  on 
a  fait  une  ovation  à  M"*®  Ellen  Andrée,  si  drôle- 
ment moustachue.  N'oublions  pas  M"^  Yvonne 
de  Bray,  charmante  sous  les  traits  de  la  blonde 
Hortense,  et  M"®  Fabienne,  pleine  de  vie  et  d'en- 
train dans  la  jeune  Atala,  la  dernière  passion  du 
vieil  Hulot. 

Avec    la    Cousine  Bette   se    terminera   l'année 
1905,  résumée  dans  le  tableau  suivant  : 


Maman  Colibri^  comédie 

*Pelite  Peste,  comédie 

*S(m  Excellence  Dominique,  comédie — 

*La  Retraitey  comédie  dramatique 

*ie  Bon  Numéro,  comédie 

*L'Armaturey  pièce 

La  Chambre  Empire,  comédie  » 

Les  Demi-  Vierges^  comédie 

*Le8  Rois  américains,  pièce 

*Rêv0  d'Opium,  pantomime 

*La  Belle  madame  Héber,  comédie 

*La  Marche  nuptiale,  pièce 

*La  Cousine  Bette,  pièce 


DATE 

NOMBRE 

NOMBRE 

delà 

de 

Iro  représ. 

représent. 

d'actes 

ou  de  la 

pendant 

reprise 

l'année 

4 

» 

15 

3 

13janv. 

38 

1 

13janv. 

40 

4 

15  févr. 

92  ' 

1 

18  févr. 

71 

5 

19  avril 

19 

1 

» 

41 

3 

2a  mai 

23 

4 

14  juin 

12 

1 

21  juin 

5 

4 

15  sept. 

47 

4 

27  octob. 

43 

4  a.  7  t. 

5déc. 

32 

THEATRE   DES  VARIÉTÉS* 


Trois  opérettes  nouvelles  ildi  Petite  Bohème ^  de 
MM.  Paul  Ferrier  et  Henri  Hirchmann;  les  Dra- 
ffons  de  l'Impératrice,  de  MM.  Georges  Duval,  Al- 
bert Varjoo  et  André  Messager;  VAffe  d'or,  de 
MM.  Georges  Feydeaji,  Maurice  Desvallières  et 
Louis  Varney,  termineront,  avec  une  repriî^e  de  Miss 
Hélyett,  la  saison  d'exclusive  opérette  téméraire- 
ment tentée  par  M.  Samuel.  Puis^  avec  le  Bonheur, 
Mesdames,  de  M.  Francis  de  Croisset,  la  comédie 
reprendra  possession  du  théâtre  boulevardier  où 
désormais  nous  verrons,  comme  auparavant,  éclec- 
tiquement  alterner  les  deux  genres. . . 

20  JANVIER.  —  Première  représentation  de  la 
Petite  Bohème,  opérette  en  trois  actes  de  M.  Paul 
Ferrier,    musique  de   M.    Henri  Hirchmann^.  — 

1.  —  Directeur  :  M,  Fernand  Samuel  ;  Secrétaire  général  :  M.  Jules 
Brasseur. 

2.  Distribution.  —  Barbemuche^  M.  Paul  Fugère.  —  Vicomte  de  La 
Bretèche,  M.  Prince.  —   Colline,  M.  Claudius.  —  Arsène,  M.  Vauthier. 

—  Marcel,  M.  Alberthal.  —  Monetti,  M.  André  Simon.  —  Baptiste, 
M.  Petit.  —  Vicomte  de  La  Fouchardiére,  M.  Bernard.  —  Schaunard, 
M.  Casella.  —  Rodolphe.  M.  Carpentier.  —  Jacques,  M.  Bergerat.  — 
Tardivel,  M.  Batréau.  —  Le  notaire,  M.  Duclerc.  —  Un  masque, 
M.  Lambert.  —  Mimi,  M"e  Eve  Lavallière.  —  Musette,  M"*  Jeanne  Sau- 
lier.  —  La  comtesse,  M»»  Léonie  Laporte.  —  Phémie,  M»»  Marguerite 
Fournier.  —  Francine,  MHe  Oinette.  —  Sidonie,  Mil»  Nita  Rolla.  —  De- 
nise, Mil»  Anida  Costa.—  Angèle,  M»*  Debrives.  — Jenny,  M«i«i2^mo.— 
Suzanne,  MU«  Naurey.  —  Glaire,  MH«  Eymard.  —  Virginie,  M»»  Vanda. 

—  Irène,  M"«  Lina  Gill.  —  Léonie,  M"«  Pujol. 


2l4  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

Cest  en  i85i  que  Théodore  Barrière  faisait  repré- 
senter aux  Variétés  la  comédie  qu'il  avait  tirée  des 
Scènes  de  la  vie  de  Bohème  d'Henry  Murger,  et 
que' nous  avons  vu  reprendre  à  TOdéon,  puis  au 
Théâtre-Français.  Et  voilà  que,  plus  d'un  demi- 
siècle  après,  ces  mêmes  Variétés  nous  donnent  une 
seconde  mouture  du  même  livre,  d'où  M.  Paul 
Ferrier  a  extrait  de  bouffons  épisodes,  encore  restés 
inédits,  auxquels  il  a  ajouté  d'adroites  variations 
de  son  cru.  L'action,  si  menue  qu'elle  soit,  a  suffi 
pour  inspirer  un  jeune  musicien  devéritablp  valeur, 
M.  Henri  Hirchmann  qui,  sans  se  laisser  intimider 
parles  récents  succès  des  Puccini  et  des  Léonca- 
vallo,  n'a  pas  craint  de  s'attaquer,  lui  aussi,  à  la 
Bohème.  Sa  partition,  qu'a  fort  allègrement  Con- 
duite le  maître  Lagoanère,  est  alerte  et  vivante, 
gaie  sans  vulgarité,  avec  une  pointe  de  sentiment 
et  une  note  personnelle  bien  accentuée.  Elle  est 
remplie  de  jolies  choses.  Nous  citerons,  entre 
autres,  le  duo,  si  gentiment  scandé  de  baisers,  de 
Rodolphe  et  de  Mimi  ;  le  final  du  premier  acte  où 
le  Dignus  est  intrare,  en  canon,  est  suivi  d'un 
charmant  motif  :  (<  Amour  vole  »  et  de  l'entraî- 
nante marche  triomphale  de  la  Bohème  ;  les  cou- 
plets de  Mimi  :  «  J'ai  dans  la  tête  d'être  lorette 
au  quartier  Bréda  »,  que  débite  si  comiquement 
l'exquise,  la  toujours  exquise  Lavallière  ;  l'entrée 
drolatique  des  Quatre  Mousquetaires,  et  dans  ce 
même  genre  parodique,  l'air  de  Musette  :  «  Je 
n'ouvrirai  ma  porte  que  la  bague  au  doigt  »  ;  la 
fête,  très  brillante,  où  M.  Paul  Fugère  est  si  déso- 
pilant sous  le  travestissement  de  la  grande  Cathe- 


THEATRE    DES    VARIETES  2l5 

rine  de  Médicis,  et  où  le  rideau  tombe  sur  un  ef- 
fréné cancan  digne  des  maîtres  de  Topérette  ;  enfin, 
la  romance  de  Marcel  regrettant  Musette,  délicieu- 
sement soupirée  par  l'aimable  baryton  Alberthal. 
On  Ta  bissée,  comme,  du  reste,  la  plupart  des 
numéros  que  nous  venons  de  citer  :  c'est  vous 
dire  le  chaud  accueil  fait  à  la  pimpante  musique  de 
M.  Hirchmann  par  le  public  ravi.  Ajoutons  que 
M.  Prince  a  fait  du  vicomte  de  la  Bretèchç  un 
niais  absolument  exhilarant;  que  M"^  Saulier  est 
la  plus  séduisante  des  grisettes  de  i84o;  que 
Glaudius,  long  comme  un  jour  sans  pain,  réalise  à 
merveille  le  type  de  Colline  ;  qu'avec  un  simple 
sourire  et^  quatre  mots  à  dire,  M.  Vauthier  atteste 
le  comédien  de  la  vieille  et  bonne  école;  que 
M.  Carpentier,  nouveau  venu  aux  Variétés,  est, 
sous  les  traits  de  Rodolphe,  un  joli  garçon  jouant 
avec  aisance;  que  les  auteurs  doivent  savoir  gré  à 
M"«  Laporte  d'avoir  consenti^  quoique  aphone,  à 
tenir  son  rôle  ;  que  M.  Bertin  a  brossé  pour  le 
premier  acte  un  pittoresque  panorama  de  Paris,  et 
qu'enfin  les  costumes  sont  une  piquante  reconsti- 
tution de  répo*que. . . 

i3  FÉVRIER. —  Première  représentation  des  Z)ra- 
gons  de  V Impératrice ^  opéra-comique  en  trois 
actes  de  MM.  Georges  Duval  et  Albert  Vanloo, 
musique  de  M.  André  Messager*.   —  C'est  une 


1.  Distribution.  —  Saint-Gildas,  M.  Alberthal.  —  Agénor,  M.  Prince. 
—  Prince  de  Carinthie,  M.  Claudius.  ~  Le  colonel,  M.  A .  Simon.  — 
Plantinois,  M.  Bergerat.  —  Bois-Landry,  M.  Maréchal.  —  Bridou, 
M.  Rocher.  —  Pontmeillan,  M.  Duclerc.  —  La  Clayette,  M.  Guérin.  — 
Survilliers,  M.  Darcourt.  —  Lucrèce,  M»»  Germaine  Gallois,  —  Cy- 
prienne,  M»*  Mariette  Sully.  —  Rigolboche,  M^e  Marguerite  Fournie?-, 


2l6  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

opérette  coulée  dans  le  bon  vieux  moule  d'autre- 
fois, dont  la  musique  touffue  fait  un  joli  opéra- 
comique;  gaie,  fine,  pleine  de  bonne  humeur  et 
d'entrain  en  son  livret  de  MM.  Georges  Duval  et 
Albert  Vanloo,  gens  de  théâtre  consommés  ;  habile, 
charmante,  distinguée,  d'orchestration  soignée  en 
sa  musique  de  M.  André  Messager,  ce  maître  bien 
français  qui  nous  donna  là  Basoche  et  celle 
M^^  Chrysanthème  que  n'a  pas  osé  reprendre 
rOpéra-Comique.  Il  y  a,  dans  la  nouvelle  partition 
de  M.  Messager,  des  airs  de  charme  et  de  grâce, 
.  des  mélodies  douces  et  enveloppantes,  des  chan- 
sons à  boire  martiales  et  entraînantes,  des  valses 
tourbillonnantes  et  berçantes,  des  chœurs  enfin 
qui  dénotent  toute  la  science  de  ce  savant  compo- 
siteur. Voici,  en  quelques  mots,  le  gentil  scénario. 
Cela  se  passe  vers  1866;  le  corps  des  Cent-Gardes 
est,  depuis  peu,  en  constante  rivalité  amoureuse 
avec  celui  des  Dragons  de  Tlmpératrice,  un  capi- 
taine des  Cent-Gardes,  le  séduisant  Agénor,  ayant 
eu  la  malencontreuse  idée  de  prendre  au  capitaine 
des  Dragons,  le  beau  Saint-Gilda§,  une  de  ses 
conquêtes.  L'heure  de  la  vengeance  à  donc  sonné 
et,  successivement,  le  onze  petites  amies  du  capi- 
taine Agénor  ont  été  enlevées  par  le  capitaine 
Saint-Gildas.  Mais  voilà,  il  y  en  a  une  douzième  ! 
Dans  le  parc  de  Saint-Cloud,  une  nuit  de  clair  de 
lune,  au  milieu  de  l'allée  de  la  Félicité,  le  capitaine 

—  Princesse  de  Carinthie,  M»«  Oinette,^  M»»*  Paeôme,  Mlle  Lavernière. 

—  Marquise  Desternich,  M""  Nita  Rolla.  —  Duchesse  d'Auriffet, 
Mlle  Dalha.  —  Virginie,  Mlle  Eymard.  —  Caroline,  Mlle  ilfarn»*.—  Prin- 
cesse Radiskoï,  MUe  Valfort,  —  Lady  Armington,  Mile  Valmory.  — 
Mn>e  Risniann,  Mlle  Valdiny. 


THÉÂTRE  DES  VARIÉTÉS  217 

Agénor  fit  la  rencontre  d'une  beauté  peu  farouche 
—  quelque  grande  dame  probablement  —  qui 
céda  vite  à  ses  transports,  amoureux.  Hélas  !  la 
belle,  apeurée  par  l'arrivée  d'un  fâcheux,  s'est 
enfuie  sans  se  faire  connaître,  laissant  tomber, 
par  mégarde,  un  éventail  dénonciateur.  Il  faut 
donc,  à  tout  prix,  retrouver  l'inconnue  pour  que 
triomphe  l'honneur  des  Dragons.  Apprenez  tout 
de  suite  que  la  volage  grande  dame  en  question 
n'est  autre  que  la  jolie  Lucrèce,  femme  du  colonel 
des  dragons,  que  l'éventail  perdu  va  permettre  à 
une  de  ses  amies,  la  mignonne  Cyprienne,  nou- 
vellement mariée  au  capitaine  Saint-Gildas,  de 
se  faire  aimer  de  l'indifférent  officier,  car  Cy- 
prienne se  fera  passer  pour  la  propriétaire  de 
l'éventail  et  viendra,  masquée,  le  réclamer  en  plein 
bal  Mabille,  au  fat  Agénor.  Saint-Gildas  l'aperce- 
vra, s'empressera  de  lui  faire  la  cour  et  n'obtiendra 
le  rendez-vous  tant  souhaité  que  s'il  consent  à  lui 
laisser  garder  son  incognito.  Naturellement  la 
jeune  épousée  réussit,  en  cette  .  nuit  d'ivresse,  à 
conquérir  l'amour  de  son  mari,  et  c'est  avec  joie 
que  Saint-Gildas  découvrira,  en  la  femme  à  l'éven- 
tail, sa  charmante  petite  Cyprienne.  L'histoire 
s'embrouillerait  à  nouveau^  sans  le  dévouement 
d'une  femme  de  chambre  qui  s'avoue  coupable  aux 
lieu  et  place  de  M™«  la  Colonelle.  L'action  est  ha- 
bilement conduite  durant  ces  trois  actes.  MM.  Du- 
val  et  Vanloo  se  sont  fort  adroitement  tirés  d'un 
quiproquo  qui  eût  pu  facilement  tomber  dans  la 
banalité.  Ils  ont  permis  à  M.  Messager  de  déployer, 
sans  restriction,  tout  son  talent.  Ils  sont  Servis  par 


2l8  LES  ANNALES  DU  THEAtRE 

un  parfait  ensemble  d'exécution.  M.  Prince  donne 
libre  cours  à  sa  fantaisie  et  fait,  du  capitaine  Agé- 
nor,  une  caricature  impayable  de  fatuité,  de  suffi- 
sance et  de  drôlerie.  M.  Alberthal,  son  heureux 
rival  en  le  capitaine  Saint-Gildas,  est  un  agréable 
baryton  qui  chante  avec  sûreté.  M.  Claudius  est 
un  fin  diplomate,  prince,  de  Carinthie,  amusant 
cuisinier  à  ses  heures.  M.  Simon  a  la  belle  pres- 
tance qui  convient  à  un  colonel  de  dragons.  Quant 
à  M''6  Mariette  Sully,  c'est  une  Cyprienne  faite  de 
grâce,  de  charme  et  de  finesse.  Elle  a  su  conqué- 
rir, par  son  jeu  simple  et  adroit,  et  par  sa  jolie 
voix  conduite  avec  art,  d'unanimes  applaudisse- 
ments. Le  succès  de  M"®  Germaine  Gallois^  en  la 
superbe  et  séduisante  Lucrèce,  n'a  pas  été  moindre. 
Enfin,  M"^  Marguerite  Fournier,  sous  le  costume  de 
Rigolboche^  danse  et  cliante  avec  la  folle  gaieté 
qu'exige  le  personnage.  Les  bis  et  les  rappels  nom- 
breux ont  prouvé,  d'ailleurs,  l'entière  satisfaction 
du  public^  qui  a  goûté  la  musique  et  apprécié 
l'élégante  reconstitution  des  costumes  du  temps  : 
crinolines,  coiffures  basses,  capelines  de  paille 
d'Italie,  petites  ombrelles  et  robes  de  bal  décou- 
vrant si  joliment  les  épaules... 

i4  MARS.  —  Première  représentation  à  ce  théâtre 
de  Miss  Hélyett^  opérette  en  trois  actes  de  Maxime 
Boucheron,  musique  d'Edmond  Audran*.  —  C'est 


1.  Distribution.  —  James  Richter,  M.  Brasseur.  —  Smithson,  M.  Fu- 
gère.  —  Paul  Landrin,  M.  Alberthal.  —  Puycardas,  M.  Dambrine.  — 
Bacarel,  M.  Carpentier.  —  La  senora  Fernandez,  Mm»  Marie  Mapnier. 
—  Miss  HélyettjMUe  Eve  Lavallière.— Msumela.  Fernandez,  M»»  Tariol- 
Baugé.  —  Premier  guide,  M^e  Dangès.  —  Deuxième  guide,  M^»  Tylda. 
Haphaelle. 


THEATRE    DES   VARIETES  219 

encore  et  toujours  une  excellente  opérette,  c'est- 
à-dire  une  très  gentille  comédie,  car  je  n'ai  jamais 
cru  que  Tune  pût  aller  sans  l'autre. . .  Il  est,  je 
pense,  inutile  de  vous  rappeler  ici  le  sujet  d'une 
œuvrette  qui,  tout  comme  Carmen^  a  eu  sa  milliè- 
me... Et  je  n'ai  point  à  vous  dire  comment,  sachant 
mettre  de  l'esprit,  de  l'ingéniosité,  un  grain  d'ob- 
servation et  surtout  une  discrétion  charmante  dans 
le  développement  d'une  action  qui  pouvait  aisé- 
ment tourner  à  la  grivoiserie,  Maxime  Boucheron 
trouva  le  moyen  de  faire  du  Paul  de  Kock  pour  les 
familles.  Et  vous  savez  aussi  comment  Audran 
versa  sur  cette  pièce  légère  de  braves  petites  mé- 
lodies sans  prétention,  agréables  à  entendre,  faciles 
à  retenir;  en  somme,  une  partition  fine  et  délicate, 
avec  de  jolis  airs  de  ses  bons  jours.  Passpns  à 
l'interprétation.  C'est  —  dans  le  rôle  de  Miss 
Hélyett  où  s'illustra  Biana  Duhamel  —  M"^  Eve 
Lavallière,  à  croquer,  vraiment,  avec  son  élégante 
et  verte  maigreur,  en  son  étroite  robe  bleue,  sous 
son  chapeau  tunnel  où  éclatent  ses  dents  et  ses 
yeux  de  jeune  coquine  :  un  Kate  Greenaw^ay  avec 
plus  de  piquant...  C'est  M™^  Tariol,  — Tariol- 
Baugé  à  ses  jours  —  brûlant  littéralement  les 
planches  en  la  belle  Manuela  espagnole  des  stations 
balnéaires.  C'est  M"«  Marie  Magnier  —  une  Marie 
Magnier  nouvelle  manière  —  absolument  épique 
dans  le  personnage  de  l'incandescente  senora, 
brune  comme  le  noir  ébène,  chantant  aussi,  même 
des  morceaux  dramatiques,  et  Tune  des  vives  joies 
de  la  soirée.  C'est  M.  Alberthal,  un  beau  garçon 
avec  une  voix  de  baryton  sympathique,  un  style 


220  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

élégant,  une  diction  séduisante.  C'est  M.  Dambrine, 
ténor  habile,  acteur  intelligent,  plein  d'entrain  et 
de  fantaisie,  qui  a  énormément  amusé  dans  le  rôle 
du  toréador  pour  vaches  landaises.  C'est  M.  Paul 
Fugère  qui  s'est  montré  comédien  excellent  dans 
le  personnage  très  comiquement  tracé  du  clergy- 
man.  C'est  —  nous  l'avons  tout  exprès  gardé  pour  . 
la  bonne  bouche  —  Albert  Brasseur,  si  drôle  et  si 
vrai  pourtant,  si  sobre  et  d'autant  plus  bouffon 
dans  James,  le  flegmatique  amoureux  de  Chicago, 
d'une  cocasserie  sûrement  irrésistible  dans  la  scène 
—  fameuse  1  —  où  le  bon  pasteur  le  fait  passer 

pour  ((  l'homme  de  la  montagne  » C'est,  enfin, 

M.  de  Lagoanère  conduisant  toujours  au  succès 
cette  Miss  Hélyettj  qu'il  monta  jadis  avec  amour, 
et  que,  des  centaines  et  des  centaines  de  fois,  il 
dirigea  paternellement  et  magistralement... 

Cependant,  les  représentations  du  «  cycle  de 
l'opérette  »  suivaient  leur  cours  avec  la  Vie  Pari- 
sienne et  rCEil  crevé,  avec  le  Petit  Duc  et  la  Fille 
de  M^^  Angot^  avec  M.  de  la  Palisse,  où  Brasseur 
était  tout  bonnement  admirable,  et  Barbe-Bleue, 
où  se  révélait  Dambrine,  le  meilleur  Barbe-Bleue 
que  l'on  eût  entendu  depuis  José  Dupuis... 

i^^  MAI.  —  Première  représentation  de  VAge 
d'or,  pièce  féerique  à  grand  spectacle  eh  trois 
actes  et  douze  tableaux  de  MM.  Georges  Feydeau 
et  Maurice  Desvallières,  musique  de  M.  Louis 
Varney*.  —  Après  deux  mois  de  patientes  études 


Distribution.  -^  Follentin,  M.  Brasseur  —  Gabriel,  Grégoire,  le  bour- 
reau, un  lieutenant,  le  serrurier  et  le  jeune  homme,  M.  Prince.  — 
Louis  XV,  M.  Fugère.  —   Henri  de  Navarre,  prisonnier,  marchand  de 


THEATRE    DES   VARIÉTÉS  221 

préparatoires  et  une  longue  semaine  de  relâches  où 
les  répétitions  ne  se  terminaient  jamais  avant  trois 
heures  et  demie  du  matin,  le  très  actif  directeur  des 
Variétés  nous  offrait  Tamusant  et  superbe  ouvrage 
par  lequel  il  entendait  couronner  sa  laborieuse  sai- 
son. C'est  une  véritable  féerie  ayant  jîour  point 
de  départ  une  idée  de  comédie,  à  la  fois  plaisante 
et  philosophique.  Plaisante  en  ce  que  la  pièce  cons- 
titue comme  une  sorte  de  voyage  à  travers  les  âges, 
qui  transporte  tour  à  tour  les  spectateurs  dans 
les  siècles  passés  et  dans  Tavenir,  en  Tan  2000; 
philosophique  parce  que  la  conclusion,  l'inévitable 
conclusion,  c'est  que  l'âge  d'or,  c'est  nous  qui  le 
faisons  autour  de  nous,  à  force  de  volonté,  d'im- 
perturbable confiance  et  de  persistante  belle  hu- 
meur. Pendant  douze  tableaux,  curieux,  splendides, 
pittoresques,  les  héros  de  MM.  Georges  Feydeau 
et  Maurice  Desvallières  courent  après  l'Eden  ter- 
restre dans  les  temps  les  plus  divers,  jusqu'à  ce 
que,  revenus  à  Paris,  parmi  la  douceur  du  retour 
et  la  paix  du  chez  soi,  ils  finissent  par  dire  : 
«  Tout  de  même^  c'est  encore  ici  qu'on  est  le 
mieux  !  »   L'idée  était  ingénieuse  et  nouvelle  :  il 


fleurs,  M.  Cîaudius.  —  Coconas,  M.  Damhrine.  —  Cartouche,  M.  Vau- 
IhUr.  —  Ebrahim,  le  Temps,  M.  Petit.  —  Bienancourt,  Maurevel,  le  pos- 
tillon, le  geôlier,  Lebel,  un  vieux  monsieur,  M.  Simon.  —  Charles  IX, 
Mandrin,  Franklin,  M.  Carpentier.  —  Un  amateur,  M.  Raiter. —  La  Hu- 
riére,  M.  Batréau.—  Un  trottin,  M.  Bergerat.^  Mme  FoUentin,  Mme  Ma- 
rie Magnier.  -—  La  reine  Margot,  M»°«  Tariol-Baugé.—  hdi  collégienne, 
M"e  Lavallière.  —  La  paysanne,  M»»  Jeanne  Satdier.  —  Catherine  de 
Médicis,  M"»  Jane  Evans.  —  Marquis  de  Pompadour,  M'i«  Marguerite 
Fournier.  —  Marthe  Follentin,  MH«  Ginette.—  Gillone,  gardienne  de  la 
paix,  MUe  CroiX'Meyer.  —  Duchesse  de  Chateauroux,  M"*  Dorlac.  — 
Marquise  de  Boufiflers,  MUe  JVita  Rolla.  —  Duchesse  de  Choiseul, 
Mnc  Eymard. 


.22  2  LES    ANNALES    DU    THEATRE  ~ 

appartenait  à  de  véritables  hommes  de  théâtre 
comme  le  sont  les  deux  auteurs  de  VAffe  d'or  d'en 
tirer  parti  avec  la  ^râcô  et  l'esprit,  l'adresse  et  la 
fantaisie,  la  richesse  d'inventicm  et  la  puissance  de 
comique  qui  caractérisent  leur  tsdeat.  Modeste 
sous-chef  de  bureau  au  Ministère  des  Affaires 
étrangères,  Follentin,  qui  a  certes  une  bonne  femme 
et  une  fille  charmante,  n'a  pas  lieu  d'être  satis- 
fait de  son  sort.  Uu  oncle  qui  vient  de  mourir  lui 
a  pourtant  laissé  trois  cent  mille  francs,  mais  l'hé- 
ritage —  qu'il  n'a  d'ailleurs  pas  encore  touché  — 
semble  lui  être  plus  nuisible  que  profitable  :  il  lui 
vaut  les  pressantes  réclamantions  des  créanciers, 
les  terribles  menaces  des  anarchistes  et,  à  la  veille 
d'être  nommé  chef  de  bureau,  il  vient  de  se  voir 
préférer  la  candidature  de  son  collègue  Bienan- 
court,  dont  la  situation  a  paru  plus  intéressante 
au  ministre  que  la  sienne.  Follentin  se  révolte 
contre  la  destinée,  et  quand  il  s'endort,  à  la  lecture 
que  lui  fait  sa  fille  d'ua  roman  dé  Dumas,  il  re- 
grette de  n'être  pas  né  à  une  autre  époque,  où  les 
choses  s'arrangeaient  sans  doute  de  meilleure 
façon.  Le  Temps  exauce  son  désir,  et  le  voilà  dans 
un  rêve  —  ce  rêve  est  toute  la  pièce  —  sous  l'habit 
de  nos  jours,  transporté  au  seizième  siècle.  C'est  la 
nuit  même  de  la  Saint-Barthélémy  :  Follentin  n'a 
pas  de  chance,  et  après  une  heureuse  rencontre 
avec  le  seigneur  Coconas  —  auquel  il  parle  de 
Dumas  —  le  voilà  forcé  de  fuir  comme  un  vil  pro- 
testant et  de  chercher  un  abri  contre  les  arquebu- 
sades...  Sans  le  savoir,  il  entre  au  Louvre  et 
pénètre  tout  de  gô  dans  la  chambre  de  la  reine 


THEATRE    DES    VARIETES  323 

Margot  où^  échappant  aux  recherches  de  la  redou- 
table Catherine  de  Médicis  et  du  roi  Charles  IX,  il 
est  fâcheusement  découvert  par  Henri  de  Navarre, 
qu^il  tue  en  duel ...  «  Et  Ravaillac,  alors  1  » 
s'écrie-t-il  au  milieu  d'un  éclat  de  rire  général . 
Follentin  en  a  vite  assez  du  seizième  siècle  et  de 
ses  affreux  massacres,  et  puisque,  dans  un  beau 
décor  à  transformations  superbement  brossé  par 
le  maître  Amablè,  le  Temps,  assis  sur  les  ruines 
de  son  palais,  évoque  les  grandes  époques  de  l'his- 
toire qui,  toutes,  glorieuses,  triomphantes  ou  gran- 
dioses, comparaissent  devant  lui,  notre  héros 
demande  à  vivre  sous  Louis  XV.  Voici  donc,  peints 
par  Lemeunier,  le  parc  de  Versailles,  ses  fraîches 
charmilles,  ses  verts  quinconces  et  ses  gazons  ali- 
gnés ;  voici  la  marquise  de  Pompadour  et  Jeanne 
Bécu,  bientôt  la  Dubarry  ;  voici  un  petit  bonhomme 
en  qui  —  Tidée  est  vraiment  drôle  —  Follentin 
retrouve  son  propre  arrière-grand-père...  Mais  en 
dépit  des  splendeurs  de  la  cour  du  Bien-Aimé  et 
des  musiques  de  Rameau,  notre  brave  homme  ne 
peut  s*empécher  de  trouver  que  c'est  vraiment  une 
«  sale  époque  »  que  celle  où,  sans  autre  forme  de 
procès,  sa  fille  est  requise  pour  le  Parc  aux  Cerfs... 
Il  a  fait  fausse  route  en  voulant  retourner  dans  le 
passé.  L'âge  d'or  est  sans  doute  l'avenir,  et  le 
décor  suivant  nous  le  montre  projeté  en  Tan  2000, 
où  Paris  est  relié  à  la  mer  parle  canal  Malesherbes, 
où  les  fils  électriques  sont  si  nombreux  que  l'on 
n'aperçoit  plus  le  ciel,  où  Ton  est  écrasé  par  des 
automobiles  qui  vont  si  vite  qu'on  ne  les  voit  même 
pas,  où  le  féminisme  a  pris  de  telles  proportions 


224  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

que  toutes  les  corvées,  publiques  ou  privées,  sont 
désormais  le  lot  des  hommes,  où  sa  femme  s^ébat 
à  ses  yeux  entre  deux  petits  jeunes  gens.  Aussi, 
quand  il  s'éveille  de  son  vilain  rêve,  et  surtout 
quand  il  apprend  que  son  collègue  Bienancoiirt 
lui  cède  sa  place  de  chef  du  bureau  et  que  son 
futur  gendre  Gabriel  lui  a  fait  vendre  douze  cent 
mille  francs  sa  «  pendule  dé  Barras  »,  trouve-t-il 
que  tout  est  pour  le  mieux  aujourd'hui. . .  La  pro- 
menade est,  comme  vous  le  devinez,  singulière- 
ment mouvementée,  et  dans  un  cadre  pittoresque, 
élégant  et  splendide,  Tironie,  historique  ou  philo- 
sophique, est  parfois  mordante,  toujours  spirituelle 
et  gaie.  Et  comment  ne  se  fût-on  pas  esclaffé  avec 
Albert  Brasseur,  d'un  si  haut  comique,  d'une  si 
délicieuse  finesse  en  ce  long  rôle  de  Follentin,  qui 
ne  quittait  point  la  scène  !  Il  fallait  le  voir, 
impayable,  sous  son  tromblon  trop  large  qui  lui 
emboîtait  la  tête  jusqu'aux  oreilles,  dans  sa  redin- 
gote trop  étroite  qui  faisait  vrille  et  sous  son  iné- 
narrable pardessus  beige,  se  promener  à  travers 
les  siècles  :  l'effet  était  irrésistible. . ,  Comment  ne 
pas  applaudir  aussi  M^^  Tariol-Baugé,  si  belle 
chanteuse  et  si  bonne  comédienne  en  l'incandes- 
cente reine  Margot  qui,  en  voyant  Follentin,  rece- 
vait le  coup  de  foudre  au  point  de  lui  offrir  le 
refuge  de  sa  couche  princière  ;  M}^^  Jeanne  Saulier, 
très  jolie  Dubarry  à  l'aurore  de  son  règne  ;  M^^^  Eve 
Lavallière  qui  mettait  à  son  rôle  de  collégien  de 
l'an  2000  toute  la  fantaisie  que  vous  pouviez  ima- 
giner! Comment  ne  pas  rendre  justice  à  M.  Dam- 
brine,  qui  «   posait  »    en  vrai  ténor,   une  entrée 


THEATRE    DES    VARIÉTÉS  2  25 

de  Coconas  digne  de  feu  Dupuis  ;  à  MM.  Prince 
et  Fugère,  toujours  amusants  ;  à  M°*®  Marie  Ma- 
gnier,  de  verve  si  naturelle  en  M"™^  Follentin;  à 
MM.  Simon  et  Garpentier,  un  Maurevel,  entre 
autres  travestissements,  et  un  Charles  IX,  parfai- 
tement réussis.  UAffe  d'or  se  complétait  d^une 
luxueuse  et  artistique  mise  en  scène  où  des  nudités 
académiques  imposaient  Tadmiration.  Il  comportait 
une  très  scénique  partition  de  M.  Varney,  dont  il 
fallait  retenir  lés  divers  couplets  de  la  reine  Margot 
si  bien  chantés,  avec  une  incomparable  maîtrise, 
par  M™^  Tariol-Baugé,  et  les  valses  entraînantes 
conduites  par  M.  Lagoanère. 

26  MAI.  —  Représentation  de  retraite  et  au  béné- 
fice de  M.  Vauthier*.  La  recette  dépassait  douze 


1.  —  Au  programme  : 

1»  La  Sonnette  d'alarme^  un  acte  du  répertoire  des  Variétés  ; 

2»  Première  représentation  d'CTne  Grande  Consultation^  comédie  en 
un  acte,  de  M.  P.  Thinet  ; 

30  Première  représentation  des  Poupées  de  M.  Dupont^  à-propos  en  un 
acte,  de  M.  Paul  Gavault  ; 

4»  Intermède  par  les  artistes  de  l'Opéra,  de  la  Comédie-Française,  de 
rOpéra-Comique,  de  l'Opéra  italien,  des  Variétés,  de  la  Renaissance,  du 
Palais-Royal,  de  l'Athénée  et  des  grands  concerts  de  Paris  ; 

5»  Brouillés  depuis  Wagram,  joué  par  M.  Vauthier  ; 

60  Les  Deux  Ecoles  (2*  acte)  :  MM.  Baron,  Brasseur,  Guy,  Mme»  Jeanne 
Oranier.  Marie  Magnier,  Cécile  Lacombe. 

Et  voici  les  artistes  qui  prêtaient  leur  concours  à  cette  magnifique 
représentation  : 

Mn«  Région,  de  l'Opéra  ; 

M««  Segond-Weber,  MM.  Mounet-Sully,  Silvain,  de  la  Comédie- 
Française  ; 

MiJw  Mary  Garden,  Marié  de  L'Isle,  MM.  Lucien  Fugère,  Maréchal,  de 
l'Opéra-Gomique  ; 

APi«  Lina  Cavalieri,  M.  Bassi,  de  l'Opéra  italien  ; 

M*«  Jeanne  Granier,  Marie-Magnier,  Tariol-Baugé^  Germaine  Gallois, 
Jeanne  Saulier,  Yvonne  Kerlord,  Cécile  Lacombe,  Ginette,  Dorlac,  Èdméo 
Favarl,  MM.  Brasseur,  Prince,  Dèmey,  etc.,  des  Variétés  ; 

Mlle  Mily-Meyer,  M.  Guy,  de  la  Renaissance  ; 

ANNALES  DU  THÉÂTRE  15 


220  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

mille  francs  :  M'^^  Jeanne  Granier,  qui  avait,  pour 
sa  part,  placé  pour  plus  de  six  mille  francs  de  loges 
et  de  fauteuils,  était  acclamée  dans  les  Deux  Ecoles 
avec  ses  camarades  Baron,  Brasseur,  Guy  et 
jyjme  Marie  Magnier.  Et  M.  Vauthier,  le  héros  de 
la  fête  était,  dans  Brouillés  depuis  Wagram, 
l'objet  d'une  interminable  ovation  ^. . 

3i  MAI.  —  Clôture  annuelle  par  la  dernière 
représentation  de  VAge  d'or. 

i3  OCTOBRE.  —  Réouverture  :  c'est  par  une  fine 
et  spirituelle  comédie  en  quatre  actes  de  M.  Francis 
de  Croisset,  Le  Bonheur ^  Mesdames  l  ^^  infiniment 
ment  adroite  et  supérieurement  gaie,  que,  renon- 
çant désormais  à  l'opérette,  à  laquelle,  non  sans 
quelque  témérité,  il  s'était  voué  tout  entier,  M.  Sa- 
muel inaugurait  vaillamment  sa  saison.  Le  très 
grand  succès  remporté,  l'hiver  précédent,  sur  une 
toute  petite  scène,  par  la  Bonne  Intention^  avait 
placé  bien  haut  dans  l'estime  de  la  critiqué  et  du 


MM.  Cooper,  Guyon-et  Crozan,  du  Palais-Royal  ; 

Mlle  Marguerite  Deval,  MM.  Fursy  et  Henry  Defreyn,  de  la  Boite  à 
Fursy  ; 

M'"«»  Anna  Thibaud,  Fina  Montjoie,  MM.  Polin,  Dranem.  Mercadier, 
Vaunel,  des  grands  concerts  de  Paris  ; 

MM.  A.  Maton,  Emile  Bourgeois,  Mathé  et  Vasseur,  pianistes  accom- 
pagnateurs. 

4.  Distribution.  —  Des  Arromanches,  M.  Baron.  —  Georges  Cartier, 
M.  Brasseur.  —  René  Marchand,  M.  Prince.  ■—  Jacques  de  Férieux, 
M.  A.Simon.  —  Derbault.  M.  Carpentier.  — Paulette Cartier,  M'i»  Jeanne 
Granier.  —  M«ne  Dikar,  M™»  Marie  Magnier.  —  Marquise  des  Arroman- 
ches, Mlle  Eve  Lavallière.  —  Marthe  de  Férieux,  Mn«  Lyse  Berty.  — 
Thérèse,  M^e  Louise  Dorlac. 

On  commençait  par  Pierrot  à  la  plage,  comédie  en  un  acte,  en  vers, 
de  M.  Jacques  Ballieu  : 

Pierrot,  M.  Carpentier.  —  Le  directeur,  M.  Casella.—  Colombine, 
Mlle  A.  Barelly. 


THEATRE    DES    VARIETES  227 

public  élégant  le  jeune  et  sympathique  écrivain  de 
la  Passerelle- ei  du  Paorij  de  Y  Homme  à  V  oreille 
coupée  et  de  Chérubin.  Grâces  soient  aujourd'hui 
rendues  à  l'incomparable  Jeanne  Granier  qui,  des 
Capucines^  eut  l'art  de  nous  amener  au  boulevard 
Montmartre,  où  il  se  trouve  si  naturellement  à  sa 
place,  le  plus  parisien  de  nos  auteurs  dramatiques. 
Georges  Cartier  est  un  homme  heureux,  marié 
depuis  tantôt  quinze  ans  à  tine  délicieuse  femme, 
Paulette,  qui  s'ingénie  à  lui  laisser  croire  qu'il  est 
un  sculpteur  de  génie  —  alors  qu'il  n'a,  tout  au 
plus,  qu'un  fort  petit  talent  —  et'  qui  lui  ménage 
un  intérieur  si  charmant  que  jamais,  au  grand 
jamais,  il  n'a  eu  la  plus  petite  idée  de  la  moindre 
infidélité  conjugale.  Mari  impeccable^ — le  fait  est 
rarissime  —  peut-être  incapable  de  tromper  sa 
femme.  «  Incapable  »,  le  mot  finit  par  Tagacer 
pourtant  quand,  comme  une  injure,  il  lui  est  jeté  à 
la  face  par  son  ironique  et  imprudente  belle-mère... 
Et  comme  à  sa  portée  —  il  n'a,  pour  ainsi  dire, 
qu'à  tendre  la  main  —  se  trouve,  au  nombre  des 
amies  de  Paulette,  une  petite  femme,  Fernande  — 
mariée  toute  jeune  au  vieux  marquis  des  Arroman- 
ches  —  dont  l'esprit  est  ainsi  fait  qu'elle  ne  con- 
naît pas  de  plus  vive  joie  que  de  prendre  juste- 
ment «  le  bonheur  des  autres  »,  il  sera  l'amant  de 
la  petite  marquise,  nerveusement  affolée  du  désir 
de  trou'bler  son  ménage.  C'est  alors  que  se  révèle 
toute  l'intelligence  et  que  se  déploie  toute  la  ma- 
lice de  Paulette,  aussi  habile  à  reprendre  son  bien 
qu'elle  fut  si  longtemps  adroite  pour  le  garder.  Un 
hasard  —   dont    l'invention  est,    d'ailleurs^  très 


228  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

amusante  —  lui  a  appris,  sans  qu'elle  puisse 
émettre  là-dessus  le  moindre  doute,  l'état  des  rela- 
tions de  son  mari  et  de  son  amie  Fernande.  Elle 
devine  qu'ils  doivent  se  réunir  dans  la  garçonnière 
du  jeune  René  Marchand  —  un  petit  fat  imbécile 
qui  lui  fait  à  elle-même  stupidement  la  cour.  Elle 
y  vole,  et  quand  y  vient  la  marquise,  elle  sait  lui 
faire  croire  qu'elle  est  la  maîtresse  du  petit  Mar- 
chand. Lui  prendre  son  amant  est  aussitôt  la  han- 
tise de  Fernande.  Et  tout  est  si  bien  machiné  par 
Paulette,  que  non  seulement  elle  se  débarrasse 
d  une  rivale,  mais  que  la  petite  marquise,  juste- 
ment désabusée  en  apprenant  que  son  amie  est  res- 
tée la  plus  pure  des  femmes,  se  décide  —  cela  est 
tout  de  même  un  peu  invraisemblable  —  à  revenir 
à  son  vieil  époux,  comme  elle-même  a  facilement 
reconquis  son  cher  mari.  «  Non,  lui  dit  Georges, 
utilement  pardonné,  je  ne  t'ai  pas  trompée,  je  me 
suis  trompé  ».  Tel  est  un  des  jolis  mots  de  l'ex- 
quise pièce  se  terminant  heureusement  dans  la  plus 
saine  morale  :  c'est  dans  le  ménage  que  réside  le 
bonheur,  mesdames!...  La  légère  anecdote,  dont 
je  n'ai  d'ailleurs  fait  qu'esquisser  le  scénario,  est 
contée  le  plus  délicatement  du  monde  dans  un  dia- 
logue de  grâce  et  d'esprit.  Et  comme  Jeanne  Gra- 
nier  —  nous  l'avons  dit  —  nous  a  amené  aux  Va- 
riétés l'auteur  idéal,  la  très  jolie  pièce  de  M.  de 
Groisset  y  ramenait,  en  la  personne  de  sa  grande 
interprète,  la  parfaite  comédienne  dont  le  précieux 
talent,  fait  de  belle  simplicité,  donne  l'impression 
si  exacte  de  la  réalité  et  l'image  même  de  la  vie. 
Voyez  agir  et  parler  Paulette  ;  regardez-la  quand 


ê 


THEATRE   DES    VARIÉTÉS  229 

elle  écoute  et  qu'elle  comprend  tout  :  n'est-ce  point 
la  nature  même  ?  Après  avoir  salué  comme  il  con- 
venait rheureuse  rentrée  de  l'admirable  Granier, 
nous  applaudissions,,  non  seulement  des  deux 
mains,  mais  de  tout  cœur  au  retour  de  la  délicieuse 
Eve  Lavavallière,  que  nous  avons  craint  un  instant 
de  voir  trop  longtemps  éloignée  de  la  scène  :  hon- 
neur au  professeur  Pozzi,  qui  nous  Ta  rendue 
assez  solide  pour  créer  cette  petite  marquise, 
curieuse  et  presque  odieuse,  si  perversement  enti- 
chée du  bonheur  des  autres.  Le  rôle  était  difficile 

*  à  compose*  :  une  autre  y  eût  peut-être  échoue. 
M"®  Lavallière  y  a  mis  autant  de  tact  que  de  finesse  : 
c'est  une  artiste  de  tout  premier  ordre,  et  .toujours 
si  personnelle  !  La  comédie  de  M.  de  Croisset  est, 
d'ailleurs,  jouée  en  toute  perfection.  C'est  Albert 
Brasseur,  de  bonhomie  si  radieuse  et  d'ingénuité  si 

•  touchante  dans  le  personnage  du  mari  trop,  heu- 
reux. C'est  l'excellent  Baron,  si  joyeusement  comi- 
que sous  les  traits  du  marquis  Adhéaume  des 
Arromanches.  C'est  le  jeune  Prince,  excessivement 
drôle  sous  ceux  du  petit  fat  —  si  bien  pris  sur  le 
vif  —  de  René  Marchand.  C'est  la  splendide 
Marie  Magnier,  d  exhubérant  entrain  et  de  fantai- 
sie charmante  en  belle-maman.  C'est  enfin  M''®Lyse 
Berty,  qui  a  su  donner  adroitement  la  valeur 
qu'il  fallait  à  un  rôle  épisodique,  celui  de  la 
piquante  nièce  d'une  vieille  chanoinesse  dont  le 
décès  subit  fait  l'amusante  intrigue  de  cette  jolie 
pièce. 

25  NOVEMBRE.  —  Ou   fêtait  dans    Tintimité  la 
cinquantième    représentation    du   Bonheur^    mes^ 


23o 


LES   ANNALES    DU    THEATRE 


dames  t  dont  la  recette  atteignait  le  chiffre  exact 
de  8.269  francs*. 

i5  DÉCEMBRE.  —  A  Thôtel  des  Sociétés  savantes 
avait  lieu  le  premier  «  Banquet  d'honneur  »  offert 
par  l'Association  générale  des  étudiants  :  l'écrivain 
choisi  était  M.  Francis  de  Croisset,  l'heureux  au- 
teur du  Bonheur,  mesdames! 

Voici  Tannée  des  Variétés  —  opérette  et  comé- 
die —  résumée  dans  le  tableau  suivant  : 


La  Vie  parisienne,  pièce 

La  Fille  de  iW"»»  Angot,  opérette 

Le  Petit  Bue,  opéra-comique 

La  Sonnette  d'alarme,  comédie 

Monsieur  de  La  Palisse,  opérette 

L'Œil  crevé,  opéra-bouffe 

Le  Choix  d'une  carrière,  comédie 

*La  Petite  Bohème,  opérette 

*Duval  père  et  fils,  comédie 

*Les  Dragons  de  l'Impératrice,  op.-com.. 

Miss  Hélyett,  opérette 

Barbe-Bleue,  opérette 

*L'kge  d'Or,  pièce  féerique 

*Le  Bonheur,  Mesdames,  comédie 

*  Pierrot  à  la  plage,  comédie 


DATE 

NOMBRE 

NOMBRE 
d'actes 

delà 

lT«  représ. 

ou  de  la 

reprise 

de 

représenl. 

pendant 

l'année 

4 

)) 

13 

3 

» 

7 

3 

» 

6 

1 

» 

45 

3 

» 

17 

3 

» 

11 

1 

»- 

5 

3 
1 
3 

20  janv. 

21  janv. 
13  févr. 

16 

105 

40 

3 

14  mars 

16 

3  a.  4 1. 

» 

2 

3  a.  12  t. 

1"  mai 

33 

4 

13  octob. 

91 

1 

13  octob. 

91 

1.  —  C'était,  aux  Variétés,  un  véritable  défilé  des  rois.  Après  le  roi  de 
Grèce,  était  venu  le  roi  d'Espagne.  C'était,  enfin,  le  tour  du  roi  de 
Portugal,  qui  assistait  à  la  représentation  du  Bonheur,  mesdames  1 
dans  une  des  grandes  avant-scènes  otficielles,  ornées  de  fleurs  et  de 
tapisseries  d'Aubusson,  et  assurait  M.  Samuel  qu'il  était  beureuz  de 
consacrer  k  la  jolie  pièce  de  M.  Francis  de  Groisset  sa  première  soirée 
de  liberté. 


TÉHATRE  DU  PALAIS-ROYAL* 


dinq  pièces  nouvelles  :  le  Chopin  et  la  Toison 
d'or  de  MM.  Kéroul  et  Barré;  la  Marche  forcée 
de  MM.  Georges  Berr  et  Marc  Serval  ;  Chambre  à 
part  de  M.  Pierre  Veber,  et  Une  Revue  au  Palais- 
Royal  Aq  MM.  Pierre  Veber  et  Adrien  Vély  cons- 
titueront, avec  des  fortunes  diverses,  le  bilan  de 
ce  théâtre  en  igoB. 

On  avait  affiché,  le  3  janvier,  la  cinquantième 
représentation  d'Une  ,  affaire  scandaleuse  de 
MM.  Paul  Gavault  et  Maurice  Ordonneau.  Le  20 
du  même  mois,  on  donnait  le  Chopin  de  MM.  Ké- 
roul et  Barré ^.  Certains  bruits  coururent  sur  la 
pièce  :  M.  Raimond  avait,  dit-on,  refusé  d^y  tenir 
le  principal  rôle,  sous  le  vain  prétexte  qu'elle  était 
trop  «  leste  ».  Leste,  elle  Test  certes,  non  dans 
des  termes  qui  ne  bravent  pas  trop  effrontément 


1.  —  Directeur  :  M.  Maurice  Chariot  ;  administrateur  général  :  M.  Ar- 
mand Lévy  ;  secrétaire  général  :  M.  André  Chariot. 

2.  Distribution.  —  Dartignac,  M.  Qalipaux.  —  Roger  Boulac,  M.  Hur- 
teaux,  —  Robillard,  M.  Guy  on  fils.  —  Le  prince  Pétroloff,  M.  Tréville. 
—  CoUardot,  M.  Hamilton.  —  Anatole  Durand,  M.  Duplay.  —  Baptiste, 
M.  Bellucci.  —  M"n«  Marignan,  Mœo  Berthe  Legrand.  —  Josette,  M'i«  Ai- 
mée  Samuel.  —  Suzanne,  M»e  Sarah  Piernold.  —  Diana,  MU»  Jane 
Faber.  —  Estelle,  M»»  Berîand, 

M"«  Aimée  Samuel,  indisposée,  fut  remplacée  pendant  quelques  jours 
par  M»«  Lucie  Nobert,  qui  tint  avec  beaucoup  d'adresse  et  de  charme  le 
rôle  de  Josette. 

Le  Chopin  était  précédé  d'un  acte  amusant  de  M.  Eugène  Héros  :  Don 
Juan  moderne. 


232  LES    ANNALES    DU    THEATRE 

L'honnêteté,  mais  dans  Taction,  qui  n'est,  à  vrai 
dire,  qu'une  «  coucherie  »  en  trois  actes.  Peut-être 
un  jour  mettra-t-on  le  mot  sur  l'affiche...  En  tout 
cas,  et  sans  aller  jusqu'à  cette  franche  appellation, 
bien  faite  pour  attirer  les  foules  goguenardes,  le 
vaudeville  de  MM.  Kéroul  et  Barré  a  fait  rire  abon- 
damment, et  les  spectateurs  nous  ont  paru  plus 
fortement  amusés  que  réellement  offusqués.  Bref, 
si  M.  Raimond  n'avait  point  prévu  le  gros  succès 
du  Chopin^  c'est  que  l'excellent  comique  du  Palais- 
Royal  avait,  pour  une  fois,  contrairement  à  son 
physique,  manqué  de  nez...  Cela  commence  bien  du 
reste  :  le  rideau  est  à  peine  levé  que  nous  voyons 
—  le  spectacle  n'a  rien  pour  déplaire  —  M"«  Faber 
en  troublant  déshabillé^  venant  d'utiliser  avec  Dar- 
tignac  (M.  Galipaux  n'eut  pas,  paraît-il,  les  mêmes 
scrupules  que  son  camarade  Raimond)  deux  bonnes 
heures  dérobées  à  son  mari.  Quand  celui-ci  sur- 
vient, l'oiseau  a  eu  le  temps  de  s'enfuir,  mais  il  a 
des  soupçons,  de  graves  soupçons.  «  Prouvez-moi 
que  vous  avez  une  maîtresse,  dit-il  à  Dartignac, 
et  je  renonce  à  toute  vengeance.  »  Le  second  acte, 
l'inénarrable  second  acte,  auf  a  pour  but  de  prou- 
ver «  la  chose  »  à  ce  terrible  voyeur.  Il  se  passe 
dans  une  maison  qui...  dans  une  maison  que... 
dans  une  maison  dont  le  type  vous  fut  déjà  donné 
dans  le  légendaire  Billet  de  loffement  du  même 
Henri  Kéroul.  M'"«  Marignan  —  que  de  fois 
M™®  Berthe  Legrand  n'a-t-elle  pas  joué  le  rôle  !  — 
est  la  tenancière  dudit  hôtel  meublé,  meublé  et 
truqué  de  telle  sorte  que,  lorsque  toutes  les  cham- 
bres sont  prises,  il  suffit  d'appuyer  sur  un  bouton 


I -^ 


THEATRE    DU    PALAIS-ROYAL  233 


—  voyez  Coralie  et  O^  —  pour  que,  de  la  cheminée 
du  salon,  sorte  un  lit  de  deux  personnes.  C'est  le 
lit  où  Dartignac  se  montrera  avec  Josette,  son 
ancienne  maîtresse,  le  soir  même  où  Josette  doit 
octroyer  à  son  mari,  naïf  notaire  de  province,  la 
permission  de  détacher  sa  fleur  d'oranger.  C'est 
ce  même  lit  qui  fut  promis  par  M"™®  Marignan  aux 
ébats  du  substitut  CoUardot  et  d'une  certaine  Su- 
zanne, bien  résolue  à  tromper  son  mari.  Et  vous 
voyez  le  mélimélo,  aggravé  par  ceci  que,  dans  une 
chambre  voisine,  où  il  s'est  enfermé  avec  M™®  Bou- 
lac  (c'est  encore  et  toujours  la  belle  M'^^  Faber)  le 
prince  Pétroloff  attend  de  la  musique  de  Chopin, 
son  illustre  compatriote,  l'excitant  dont  il  a  besoin. . . 
Mais  inutile  d'insister  :  je  vous  ai  dit  que  tout  cela 
était  inénarrable,  et  cela  doit  vous  suffire. 

17  MARS.  —  Première  représentation  de  la  Mar^ 
che  forcée  de  MM.  Georges  Berr  et  Marc  Servais 

—  Majoret  a  trompé  Champagnac,  alors  qu'il  était 
l'amant  d'une  certaine  Madeleine  de  Commercy. 
Champagnac  a  pardonné,  mais  à  la  condition  que 
le  jour  où  il  réclamerait  de  lui  un  service  quelcon- 
que, Majoret  quitterait  tout  pour  le  lui  rendre. 
Cela  se  passait  il  y  a  dix  ans.  Aujourd'hui  Cham- 


1.  Distribution.  —  Majoret,  M.  Raimond.  —  Le  marquis  Galaor, 
M.  Ch.  Lamy.  —  Champagnac,  M.  Galipaux.  —  Jonathan  Pim,  M.  Hur- 
teaux.  —  Le  cocher,  M.  A.  Guyon.  —  Des  Pommettes,  M.  Tréville.  — 
Gaétan,  M.  Hamilton.  —  Le  docteur,  M.  Bellucci.  —  Psittakos,  M.  Jul- 
lien.  —  Trèflatout,  M.  Orsy.  —  Gouddakirsch,  M.  Scipion.  —  Le  com- 
missaire, A.  Pache.  —  Joseph,  M.  Gueudin.  —  M"»^  Majoret,  M^o  Berthe 
Legrand.  —  Jeanne  des  Pommettes,  M^o  Aimée  Samuel.  —  Pauline, 
MU»  Suzanne  Demay.  -  Poupoule,  M»»  Jane  Faber.  —  La  princesse, 
MUe  Mynnie. 

Le  rôle  de  Majoret  était  la  soixantedix-huitiéme  création,  sur  la 
scène  de  l'ancien  théâtre  de  la  Montansier,  de  l'excellent  Raimond. 


234  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

pagnac  a  besoin  d'un  motif  sérieux  pour  rompre  avec 
Madeleine  de  Commercy  —  je  veux  dire  avec  Pou- 
poule  —  car  il  cherche  à  se  faire  aimer  de  M"*^  des 
Pommettes  en  lui  montrant  qu^il  est  libre  de  toute 
autre  chaîne.  Alors  il  vient  relancer  Majoret  et  lui 
fait  promettre,  le  revolver  au  poing,  de  se  faire 
pincer  en  flagrant  délit  avec  Poupoule.  Majoret  a 
promis;  c'est  «  la  marche  forcée  »...  Ghampagnac 
emploie  donc  le  prétexte  classique  :  il  feint  de 
partir  pour  Glermont  (Oise).  Majoret  se  rend  chez 
Poupoule,  21,  rue  Mozart,  où  il  est,  en  eff'et,  sur- 
pris, non  pas  par  Champagnac,  mais  par  sa  propre 
femme...  C'est  tant  pis  pour_M.  des  Pommettes, 
qui,  un  jour  d'erreur  —  il  y  a  de  cela  quinze  belles 
années  —  fut  l'amant  de  M'»®  M-ajoret,  et  celle-ci 
a  juré  de  le  reprendre,  ou  de  tout  dire  à  son 
mari,  si  jamais  elle  apprenait  elle-même  qu'elle 
était  trompée.  Pauvre  des  Pommettes  !  Quinze  ans 
se  sont  écoulés,  je  viens  de  vous  le  dire  :  M"^®  Ma- 
joret est  devenue,  à  proprement  parler,  absolu- 
ment... inhabitable.  Nous  en  voyons  bien  d'autres 
21,  rue  Mozart;  c'est  le  traditionnel  second  acte, 
chez  la  cocotte...  Nous  y  voyons,  par  exemple,  un 
Brésilien  d'opérette  —  il  y  en  a  donc  toujours  ?  — 
arrivant  tout  exprès  pour  «  s'appuyer  Poupoule  », 
dont  plusieurs  de  ses  compatriotes  venus  avant  lui 
à  Paris  lui  ont  dit  tant  et  tant  de  bien.  Galaor  — 
c'est  le  nom  du  Brésilien  —  tient  à  rester  toujours 
à  la  hauteur  de  la  situation.  Aussi  ne  voyage-t-il 
jamais  sans  un  brûle-parfums,  dont  la  bienfaisante 
odeur  a  les  puissantes  propriétés  qu'avaient  na-  , 
guère,    dans  le    répertoire,    certaines   «    dragées 


THEATRE    DU    PALAIS-ROYAL  235 

d'Hercule  ».  C'est  au  point  que,  pour  l'avoir  res- 
pîrée  ensemble,  M™^  des  Pommettes  et  Majoret, 
qui,  un  instant  auparavant^  ne'  se  connaissaient 
même  pas,  deviennent  subitement  et  irrésistible- 
ment amoureux  l'un  de  l'autre  :  l'idée  est  vraiment 
drôle,  et  produit  les  plus  divertissants  effets.  Mais 
un  second  acte,  si  réussi  qu'il  soit,  ne  saurait  suf- 
fire au  succès  de  toute  une  pièce,  et  je  crains  que, 
pour  être  rempli  d'épisodes  assez  inutiles,  le  troi- 
sième ne  paraisse  un  peu  bien  vide.  Disons  que 
Champagnac  finit  par  rejoindre  Majoret  fuyant  en 
automobile  avec  M™®  des  Pommettes,  que  des 
Pommettes  parvient  enfin  à  se  débarrasser  de 
Mme  Majoret,  sans  que  Majoret  puisse  comprendre 
qu'il  s'est  trouvé  un  homme  assez  fou  pour  enlever 
sa  femme...  Majoret,  c'est  Raimond  ;  Champagnac 
c'est  Galipaux,  et  des  Pommettes,  Tréville  :  tous 
trois  sont  très  amusants,  et  ce  n'est  certes  pas  la 
faute  de  M.  Charles  Lamy,  s'il  ne  peut  tirer  meil- 
leur parti  d'un  personnage  aussi  usé  que  l'est  son 
Brésilien.  Bien  ingrate,  voire  même  un  peu  pénible, 
est  la  tâche  de  M™®  Berthe  Legrand  (qui  ne  cesse, 
pendant  ces  trois  actes,  de  s'entendre  dire  qu'elle 
est  vieille  et  laide),  et  plutôt  quelconque,  cette  fois, 
celle  de  M''«  Aimée  Samuel.  Citons  encore  M"«  Su- 
zanne Demay,  assez  gentille  en  un  rôle  de  moderne 
femme  de  chambre,  auquel  M"«  Eveline  Janney, 
au  talent  trop  peu  utilisé,  eût  certainement  donné 
un  particulier  relief,  puis  M*^«  Faber,  d'une  «  grue- 
tie  »  bien  nature,  et  regrettons  de  voir  M.  Guy  on 
s'employer  en  une  «  panne  »  de  deux  lignes,  ab- 
solument indigne  de  ce  bon  comédien. 


236  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

Le  6  avril,  on  avait  repris  la  Cagnotte^ ^  dont 
quelques  jours  après,  le  i3  avril,  on  fêtait  la 
millième  représentation. 

22  AVRIL.  —  Première  représentation  de  Cham- 
bre à  part^  pièce  en  trois  actes  de  M.  Pierre 
Veber2  et  du  Gant^  pièce  en  un  acte  de  MM.  Paul 
Bilhaud  et  Maurice  Hennequin3.  —  A  la  fleur  dô 
ses  vingt  ans,  Nicolette  a  rapporté  de  Pau,  où  elle 
s'est  élevée  un  peu  librement,  des  idées  très  arrêtées 
sur  le  mariage.  Elle  veut  tout  de  suite  —  autant 
tout  de  suite  que  plus  tard,  pense-t-elle  —  faire 


1.  La  Cagnotte  était  jouée  par  MM.  Lamy,  Hurteaux,  Guyon,  Hamilton, 
M"»  Berthe  Legrand...  Se  souvient-on  que  le  légendaire  vaudeville  de 
Labiche  et  Delacour  fut  représenté  pour  la  première  fois  au  théâtre  de 
la  rue  Montpensier,  le  lundi  23  février  186 i,  avec  une  interprétation 
de  tout  premier  ordre  qui  comprenait  Geoffroy,  Brasseur,.  Lhéritier, 
Luguet,  Lassouche,  Pellerin,  Kalekaire  et  M"»»  Thierret?  Ces  artistes 
tenaient  les  pricipaux  rôles  et  créaient  les  «  traditions  »  d'amusaate 
cocasserie  qui  nous  amusent  aujourd'hui  autant  qu'au  premier  jour.  Tous 
les  acteurs  dont  le  nom  est  devenu  célèbre  dans  les  annales  du  Palais- 
Royal  ont  joué  la  Cagnotte.  Pellerin,  Numa,  Sanson,  Fizelier,  Montbars, 
Duval  ont  repris  avec  succès  les  rôles  marqués  d'une  inoubliable  em- 
preinte par  leurs  prédécesseurs.  Calvin  débutait  en  1872  dans  le  rôle  de 
Golladan  créé  par  Brasseur  ;  mais  seul  M.  Lamy,  qui  tient  le  personnage 
aujourd'hui,  a  pu  par  sentaient  si  fin  et  sa  verve  plaisamment  bouffonne 
approcher  de  la  perfection  comique  atteinte  par  ce  bon  comédien.  Il 
est  intéressant  de  retrouver  dans  les  distributions  successives  de  la 
Cagnotte^  depuis  quelques  années,  le  nom  des  artistes  qui  font  partie  de 
la  troupe  actuelle.  C'est  ainsi  que  M.  Galipaux  joua  le  jeune  clerc  de 
notaire.  En  1877,  M.  Raimond  se  vit  attribuer  le  rôle  du  garçon  de  café, 
puis  celui  de  Sylvain,  créé  par  Lassouche.  M.  Hurteaux  détient  un  record. 
Nul  autant  que  lui  n'a  contribué  au  succès  de  la  Cagnotte  -r-  puisqu'il  a  - 
tenu,  tour  à  tour,  les  personnages  de  Tricoche,  de  Benjamin,  de  Sylvain, 
avant  d'apporter  sa  rondeur  si  joviale  à  celui  de  Gordenbois. 

2.  Distribution.  —  André,  M.  Raimond.  —  Montrachet,  M.  Hurteaux. 

—  La  Ghambotte,  M.  Tréville.  —  Des  Vignolles,  M.  Jullien.  —  Germain, 
M.  Crozan.  —  Mme  Monbissac,  Mme  Berthe  Legrand.  — •  Nicolette, 
MUo  Suzanne  Demay.  —  Marceline,  M^e  Nobert.  —  Florize,  MUc  Faber. 

—  Alice,  MUo  Mynnie, 

3.  Distribution.  —  Boisjoli,  M.  Tréville.  —  Gotanson,  M.  Duplay.  — 
Blanche,  MUe  Aimée  Samuel.  —  Mathilde,  M'ie  Piernold.  —  Gatherine, 
M>ic  Berlind. 


THEATRE    DU    PALAIS-ROYAL  287 

«  chambre  à  part  »,  et  entend  rester  avec   celui 
qui  aura  Thonneur  d'être  son  mari  sur  le  pied 
d'une  simple  et  bonne  camaraderie.  Et  déjà  elle  a 
jeté  son  dévolu  sur  son  cousin,  André  Montrachet, 
qui   ne  s'est    signalé,   jusqu'ici,    que    comme  un 
enragé  fêtard,  et  à  qui  elle  accorde  d'autant  plus 
volontiers  sa  main  qu'il  la  lui  demandait  pour  un 
ami,  le  timide  La  Chambotte.  La  tante  Monbissac 
est   ravie:  voilà  une   union  qui   promet...    Elle 
ne  promet  qu'un  bon  divorce,  un  divorce  d'incli- 
nation. Car  au  bout  de  six  mois,  nos  deux  «  cama- 
rades »  vivent  comme  chien  et  chat,  au  milieu  de 
disputes  continuelles,  à  propos  de  tout  et  de  rien, 
sans  vouloir  s'abaisser  l'un  et  l'autre,  à  la  moiadre 
des  concessions.  C'est  tout  au  plus  si,  pour  être 
agréable  à  la  tante  Monbissac,  toujours  très  con- 
tente d'avoir  fait  le  mariage,  et  pour  faciliter  une 
a.flFaire  qu'elle  est  en  train  de  conclure  avec  papa 
Montrachet,  André  et  Nicolette  consentent  à  une 
trêve  de  deux  heures  au  milieu  de  leur  lutte  intes- 
tine.   Bien   qu'ils   se   détestent,    ils   s'appelleront 
«  mon  chéri,  »  et  «  mon  adoré  »   et  s'embrasse- 
ront devant  la  tante  quand,  en  réalité,  ils  ne  son- 
gent qu'à  se  mordre.  Un  instant,  pourtant  —  la 
bonne  tante  ayant  malicieusement  déclaré  qu'elle 
se  trouvait  si  bien  chez  eux  qu'elle  allait  y  rester 
trois  semaines  —  un  instant,  dis-je,  on  a  pu  croire 
à  un  rapprochement  entre  nos  deux  époux  réunis 
— •  pour  la  forme   seulement  —  dans  là   même 
chambre.  Mais  alors  qu'il  allait  se  faire  écouter  de 
sa  femme,  à  laquelle  il  n'avait  jamais  encore  si  gen- 
timent parlé,  André  a  été  rappelé  à  l'ordre  par  un 


238  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

signal  donné  :  c'est  Marceline,  une  aimable  veuve, 
qui  a  résolu  de  faire  de  lui  son  troisième  mari, 
tandis  que  sous  la  fenêtre  de  Nicolette  soupire 
amoureusement  l'opiniâtre  La  Chambotte.  Décidé- 
ment on  divorcera .. .  On  divorcera,  non  pour 
cause  d'incompatibilité  d^humeur  —  le  motif  n'est 
pas  admis  —  mais  on  se  servira  d'un  moyen  qui 
ne  rate  jamais  :  la  constatation  de  l'entretien  d'une 
maîtresse  sous  le  toit  conjugal.  Il  n'y  a  pour  cela 
qu'à  téléphoner  à  M"®  Florise  de  Mézidon  qui 
s'amène  avec  .son  matériel.  Un  type  que  cette  Flo- 
rise  qui,  pour  rester  avec  l'amant  de  son  choix, 

'  gagne  sa  vie  —  les  temps  sont  si  durs  !  —  en  se 
faisant  des  cachets  comme  concubine.  Cette  fois 
pourtant,  en  bonne  fille  qu'elle  est,  elle  hésite  à 
désunir  ces  jeunes  mariés  de  six  mois,  adresse  à 
Nicolette  de  sages  conseils  et  s'arrange  pour  être 
surprise  en  flagrant  délit,  non  point  avec  André, 
mais  avec  La  Chambotte.  Adieu  le  divorce  :  nos 
époux  s'aiment  et  se  le  disent  :  plus  de  chambre  à 
part  !  Tel  est  dans  un  joli  dialogue  bourré  de  mots, 
dont  quelques-uns  sont  tout  neufs  et  quelques 
autres  un  peu  plus  connus,  le  maigre  sujet  (c'était 
le  samedi  saint)  de  l'aimable  et  fine  comédie  de 
M.  Pierre  Veber,  fort  bien  jouée  par  M.  Raimond 
et  M'*^  Suzanne  Demay  —  dans  André  et  dans 
Nicolette    —  par    M.    Tréville   (La    Chambotte), 

l^raes  Berthe  Legrand,  Nobert  et  Faber.  —  Avec 
le  Gant^  un  acte  très  ingénieusement  agencé  par 
MM.  Paul  Bilhaud  et  Maurice  Hennequin,  très 
vivement  présenté  par  MM.  Tréville  et  Duplay, 
Mmes  Andrée  Samuel  et  Piernold,  le  Palais-Royal 


THEATRE    DU    PALAIS-ROYAL  289 

nous  avait  donné  là  un  spectacle  moral  qui  eût 
obtenu  un  succès  fou  à  l'ancien  Gymnase,  celui 
qu'on  appelait  le  théâtre  de  Madame. 

Le  i5  mai,  on  reprenait  V Affaire  Mathieu  de 
M.  Tristan  Bernard*  :  un  joli  succès  de  gaieté  et 
de  bonne  humeur  qui,  selon  nous,  se  justifie  sur- 
tout par  la  fantaisie  et  les  trouvailles  du  dialogue. 
Ce  n'est  ni  la  comédie  d'observation,  ni  la  pièce 
rosse,  ni  la  pièce  grivoise  ;  c'est^  sans  d'autre  pré- 
tention que  celle  d'exciter  franchement  notre  hila- 
rité, l'ingénieux  vaudeville  à  quiproquo  qui  peut 
être  vu  par  tout  le  monde  et  faire  le  bonheur  des 
familles.  Hennequin  fourrait  ses  personnages  dans 
les  placards  ;  M.  Tristan  Bernard  les  met  carré- 
ment dans  une  malle  et  de  cette  malle  habitée  par 
des  êtres  vivants,  partent  des  fusées  de  bons  rires. 
M.  Raimond  était,  naguère,  un  impitoyable  Folar- 
mand.  Nous  mentirions  en  disant  que  M.  Tréville 
nous  l'a  fait  oublier. . .  Mais  nous  noterons  l'amu- 
sante composition  de  Biaise,  l'ex-serrurier  abruti 
et  amoureux  qu'a  tentée  avec  bonheur  M.  Hamilton, 
succédant  à  M.  Charles  Lamy. . .  Et  puis,  n'est-ce 
pas  vraiment  un  poème  de  joie  que   la   tête   de 


1.  Distribution.  —  Godelle,  M.  Guyon.  —  Folarmand,  M.  Tréville.  — 
Biaise,  M.  Hamilton.  —  Mathieu,  M.  Armand  Marie.  —  Borlier,  M.  Orsy. 

—  Flappeau,  M.  Jullien.  —  Lormoy,  M.  Grêlé.  —  Chalmu,  M.  Scipion. 

—  Un  domestique,  M.  G.  Durafour.  —  Totor,  M.  Giteudin.  —  Eugène, 
M.  Crozan.  —  Trapoux,  M.  Fretel.  —  Jeanne  Godelle,  M"o  yobert.  — 
Rosalie,  MU«  Berland.  —  Félicie,  M""  Mynnie.  —  Augustine,  MH«  Lam- 
bray,  —  Berthilde,  Mii«  Germaine  Ry. 

\/ Affaire  Mathieu  était  précédée  du  Seul  bandit  du  village^  vaude- 
ville en  un  actede  M.  Tristan  Bernard,  ainsi  distribué  ;  Arsène,  M.  Guyon. 

—  Le  baron.  M.  Grandjean.  —  Le  gentleman-farmer,  M.  Jullien.  —  Un 
commissaire,  M.  Grêlé.  —  La  baronne,  M»«  Jeanne  Chesnel.  —  Julie, 
M»i«  Detrême. 


24o  LES  ANNALES  DU  THÉÂTRE 

M.  Guyon  dans  Arsène  le  «  seul  Bandit  du  village  » 
qu'il  avait  déjà  joué  avec  succès  aux  Capucines  ? 
C'est  avec  ce  spectacle  que  la  saison  se  clôturait  le 
3i  mai.  Le  théâtre  rouvrait  ses  portes  le  2  sep- 
tembre en  réprQpiant,  dans  une  salle  entièrement 
remise  à  neuf,  le  Chopin  dont  nous  avons  parlé 
plus  haut*. 

II  OCTOBRE.  —  Première  représenetation  delà 
Toison  d'or,  vaudeville  en  trois  actes  de  MM.  Ké- 
roul  et  Barré  ^.  —  Les  grands  esprits  se  rencon- 
trent, dit-on  ;  les  vaudevijillistes  aussi.  C'est  ainsi 
que  MM.  Kéroul  et  Barré  ont  repris  une  idée 
qu'avaient  eue  avant  eux  MM.  Maurice  Desvallières 
et  Antony  Mars,  les  auteurs  de  Maître  Nitouche, 
puis  MM.  Eugène  Larcher  et  Jacques  Monnier,  les 
auteurs  du  Jumeau.  Seulement,  il  s'agit  cette  fois 
d'une  femme .  . .  habitant  une  maison  à*  double 
issue ...  Et  vous  vous  doutez  des  quiproquos  drô- 


1.  Distribution.  —  Roger Boulac,  M.  Hurteaux.  —  Robillard,  M.  Guyon 
fils.  —  Le  prince,  M.  Tréville.  —  Dartignac,  M.  Jullien.  —  Anatole 
Durand,  M.  Diamand.  —  Gollardot,  M.  Georges  Say.  —  Baptiste,  M.  H. 
Baur.  —  M"»»  Marignan,  Mme  Berthe  Legrand.  —  Josette  M'i»  Aimée 
Samuel.  —  Suzanne,  Mi'«  Eveline  Janney.  —  Diana,  M»«  Jane  Faber. 

—  Estelle,  M»«  Lambray. 

Le  Chopin  était  précédé  d'un  vaudevilleenunactedeM.  Jacques  Yvel, 
intitulé  Le  Coiffeur  de  Madame. 

2.  Distribution.  —  Sigismond,  M.  Raimond.  —  Ghabal^  M.  Hurteaux. 

—  Ledamier,  M.  Guyon  fils.  —  Des  Ablettes,  M.  Tréville.  —  Roger  Fré- 
ville,  M.  Jullien.  —  Dumoulin,  M.  Diamant.  — •  Bricard,  M.  Scipion.  — 
Plumasson,  M.  Henri  Baur,  —  Mm»  Ghabal,  M^e  Berthe  Legrand.  — 
Eva  de  Miromesnil,  Glotilde  Muzard,  MU»  Viviane  Lavergne.—  Suzanne, 
M»o  Suzanne  Demay.  —  Manette,  M>1«  Eveline  Janney.  —  Lolotte, 
MUe  Borland.  —  Stella,  Aî^e  Madeleine  Siamé.  —  Julie,  M»»  Lambray. 

—  Lydie,  M"»  Gurcia.  —  Zoé  Vwrdier,  îS^^-Ltrcette.  —  Iiouise  Verdier, 
Mlle  Germaine  Ry.  —  Jane  Verdier,  M^i»  Cleo. 

La  Toison  d'or  sera  bientôt  accompagnée  d'un  amusant  vaudeville  en 
un  acte  de  M.  Ernest  Blum,  intitulé  Un  Drame  dans  un  fiacre. 


THEATRE    DU    PALAIS-ROYAL  24 1 

latiques  découlant  d'une  situation  qui  est  celle  des 
antiques  Ménechmes  en  une  seule  et  même  per- 
sonne. Nos  modernes  Plante  —  Plante  était  déjà 
imitateur  de  Ménandre  —  en  ont  fait  une  pièce 
amusante  qui,  grâce  au  talent  de  Raimond,  dont 
l'action  sur  le  public  est  toujours  énorme,  et  à  la 
bonne  grâce  de  M**^  Viviane  Lavergne,  secondée 
avec  entrain  par  MM.  Hurteaux,  Guyon,  Tréville, 
M^'®  Éveline  Jann«y,  etc.,  a  fort  amusé  un  audi- 
toire déjà  disposé  à  la  gaîté  par  le  cadre  d'une 
pimpante  salle,  restaurée  avec  beaucoup  de  goût, 
sous  le  règne  —  les  historiens  du  Palais-Royal 
seront  tenus  d'en  faire  mention  —  de  l'aimable  di- 
recteur Maurice  Chariot. 

i^^  DÉCEMBRE.  —  Première  représentation  d'Une 
Revue  au  Palais-Royal^  en  dix  tableaux,  dont  un 
prologUe,  de  MM.  Pierre  Veber  et  Adrien  Vély*. 

—  Des  spectateurs  heureux,  souriants,  dans  une 
salle  pimpante;  sur  la  scène,  parmi  les  décors  pit- 
toresques et  les  costumes  chatoyants,  un   papillo- 

1.  Distribution.  —  Guy  XIV,  M.  Cooper.  —  M.  Machin,  le  caporal, 
M.  Hurteaux.  —  Le  facteur,  le  commissaire,  M.  Martinet,  M.  Guyon 
fils.  —  Camille  Desmoulins,  José,  la  milliardaire,  l'abbé  Daniel,  M.  Tré- 
ville. —  L'inspecteui:  des  P.  T.  T.,  Patouille,  Cabrion,  le  soldat, 
M.  Hamilton.  —  Le  président,  M.  Pipelet,  M.  Jef,  M.  Bellucci.  —  Pépé, 
Demi-Soupir,  premier  Nib,  M.  Jullien.  —  Le  directeur,  l'avocat, 
M.  Prudhomme,  le  rédacteur  en  chef,  l'évêque,  M.  Diamand.  —  Le 
J.  N.  s.  R.,  M"»  Machin,  M'i«  Aimée  Samuel.  —  La  cantinière,  la  Rue 
Bréda,  l'Opérette  française.  M»®  Jeanne  Petit.  —  La  dame,  Pépa,  la 
Puce,  l'élève  du  Conservatoire,  M"»  Derminy.  —  La  Fête,  M"e  Jane 
Faber.  —  L'Omnibus  automobile,  première  Midinette,  Jeriny  l'Ouvrière, 
M»«  Eveline  Janney.  —  Mme  Lagrive,  duchesse  de  Ghiales,  MH*»  L.  No- 
bert.  —  L'Espagnole,  premier  mouchard,  deuxième  Nib,  M^e  Franville. 

—  Portugaise,  M^e  Pipelet,  sixième  Nib,  M»»  Debary.  —  La  Crème, 
MUe  Berland. 

Une  Bévue  au  Palais-Royal  était  précédée  d'un  aimable  vaudeville  de 
M.  Ernest  Depré,  intitulé  :  Ce  bon  Titien. 

ANNALES  DU  THEATRE  16 


242  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

tage  de  beaux  yeux,  de  bouches  roses,  de  chairs 
blanches;  de  délicieuses  reconstitutions,  des  actua- 
lités à  fleur. . .  de  peau,  de  la  satire  mordante,  et 
des  couplets,  et  des  rondeaux,  et  de  la  danse,  — 
et  pas  de  scènes  dans  la  salle,  sauf  celles  qu'inter- 
prètes et  auteurs  y  font  naître  par  leur  esprit  :  la 
Revue  du  Palais^Royal  évoque  toutes  ces  choses 
fort  joliment.  Enfin,  nous  avons  applaudi  une  revue 
qui,  bien  que  superbement  montée,  n'était  pas 
écrite  en  vue  de  la  seule  mise  en  scène  :  une  revue 
jouée  par  de  vrais  comédiens.  Il  faut  avouer  que 
le  fait  du  jour  prend  un  bien  autre  relief,  présenté 
par  des  artistes  renommés  comme  M'"®*  Aimée 
Samuel,  Eveline  Janney,  Faber  et  MM.  Tréville, 
Cooper,  Guyon  fils,  Hurteaux,  Jullien,  Hamilton, 
etc.  Depuis  la  Briguedondaine^  de  Ferrier,  Depré 
et  Clairville,  représentée  plus  de  cent  fois,  il  y  a 
quelque  quinze  ans,  nous  n'avions  assisté  en  ce 
genre,  au  Palais-Royal,  qu'à  des  tentatives  éphé- 
mères. Edmond  Gondinet  lui-même  s'y  était  autre- 
fois brûlé  les  ailes.  Aujourd'hui,  les  beaux  jours 
sont  revenus  dans  cette  coquette  petite  salle  où 
depuis  tant  d'années  le  rire  est  le  propre  de  l'homme 
et  iiù  les  spectateurs  vont  être  charmés  durant  de 
longs  soirs.  Peut-on  raconter  une  revue?  Elle 
n'emprunte  son  charme  qu'à  la  forme  de  ses  scènes. 
Tout  au  plus  convient-il  de  s'attarder  à  l'ingénio- 
sité du  point  de  départ.  Ici  c'est  un  roi  d'Illyrie, 
ou  de  quelque  autre  pays  de  rêve,  l'élégant  Guy 
XIV  qui,  de  passage  à  Paris  incognito,  revient 
voir  le  théâtre  de  ses  anciennes  conquêtes.  Mais,  ^ 
comme  il  goûte  la  joie  de  passer  inaperçu,  en  bon 


THEATRE    DU    PÀLAis-ROYAL .  243 

bourgeois,  il  est  reconnu  de  la  préposée  au  bureau 
de  location  (ô  loge  22,  que  de  frissons  royaux 
lu  collectionnais  jadis  I),  puis  du  directeur,  du 
régisseur,  du  marchand  de  programmes,  du  garde 
municipal  lui-même.  «  Vive  le  roi  !  ».  et  le  voilà 
forcé  d'entendre  la  Marseillaise.  Guy  XIV,  au 
'  moment  de  pénétrer  dans  la  salle,  apprend  qu'on 
joue  la  Cagnotte  qu'il  a  vue  plus  de  cent-dix-sept 
fois.  Epouvanté,  il  appelle  à  son  aide  la  Fête,  au 
bras  de  laquelle  il  va  faire  le  tour  de  Paris.  Sucr 
cessivement  alors,  il  se  trouve  au  jardin  du  Palais- 
Royal,  transformé  par  une  société  américaine  en 
succursale  du  nouveau  monde,  puis,  dans  le  hall 
d'un  hôtel  fantaisiste,  le  Cosmopolis.  Chez  le  cou- 
turier, nous  admirons  de  jolis  déshabillés  de  fem- 
mes; sur  les  fortifs,  nous  partageons  les  regrets 
de  la  bande  à  Costeau,  désolée  que  la  Ville,  détrui- 
sant les  talus  gazonnés,  supprime  ainsi  leur  chaise 
longue  ;  au  tribunal,  c'est  l'identité  constatée  de  la 
femme  au  masque  et  la  plaidoirie  en  faveur  de 
l'amour  obligatoire  dans  le  mariage,  prôné  par 
M.  Paul  Hervieu.  Enfin,  voici  la  rue  Bréda  avec  ses 
anciennes  grisettes,  ses  gardes  nationaux,  M.  et 
M'"®  Pipelet,  victimes  de  Cabrion,  et  Jenny  l'Ou- 
vrière, si  gracieuse,  si  fine,  avec  une  pointe  d'iro- 
nie moderne,  Jenny  l'Ouvrière  célébrant  modeste- 
ment ce  qui  lui  vient  d'un  «  vieux  ».  Après  le  bal 
entraînant  de  la  Grande  Chaumière,  l'acte  des 
théâtres  nous  a  réservé  quelques  bien  amusantes 
roçseries,  parmi  lesquelles  les  couplets  du  Volcan 
malade  où,  parlant  de  l'auteur  de  cette  pièce  tris- 
tement célèbre,  on  chante  : 


244  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

Est-il  carré,  rond,  pointu  ? 
A-t-il  plus  d'talent  qu'son  père  ? 
On  n'en  a  jamais  rien  su  1 

Et  la   scène  du   Belge  dont   le  premier   soin  est 
'd'aller  voir  Paris  : 

...  La  pièce  de  Croisset  fils, 
Aussi  célèbr'  que  i'Manneken-pis. 

A  travers  tout  cela,  passe  le  défilé  des  couturières 
du  premier  empire,  les  femmes  de  Gavarni,  les 
fêtes  espagnoles  et  portugaises,  des  jambes,  des 
épaules,  des  femmes  «  pile  »  et  d'autres  «  face  », 
toutes  louables  et  confortables,  en  des  costumes 
signés  LandolfF,  ou  pas  de  costumes  du  tout.  In- 
terprétation excellente.  Une  spirituelle  parodie  du 
«  Je  ne  sais  rien  !  »  a  valu  à  M^*^  Aimée  Samuel 
une  ovation  méritée.  Deux  nouvelles  recrues, 
]\fraes  Derminy  et  Campton,  toutes  deux  transfuges 
de  music-halls,  apportèrent  l'agréable  note  de  leurs 
talents  différents.  La  première,  pittoresque  Puce 
de  la  bande  à  Costeau,  imita  à  la  perfection,  en 
élève  du  Conservatoire,  Lavallière  et  Polaire,  et  se 
tailla  un  succès  légitime.  Miss  Campton,  elle,  enleva 
la  salle  par  sa  grâce,  sa  mutinerie.,  son  entrain  : 
elle  incarna  une  miss  Alice  Roosevelt  délicieuse  et 
un  marin  endiablé,  —  de  ceux  qui  reçurent  les 
marins  français  à  Portsmouth.  Quelle  gaîté,  quel 
esprit  dans  les  moindres  répliques,  dans  les  moin- 
dres gestes  de  M'^^  Eveline  Janney  !  II  faut  l'en- 
tendre dans  son  «  omnibus  automobile  »  dire  de 
son  ton  de  joyeuse  gouaillerie  :  «  J'ai  pas  peur'. . . 
c'est  l'amant  de  ma  sœur  ».  Et  en  Jenny  l'Ouvrière, 


I 

THEATRE    DU    PALAIS-ROYAL  245 

elle  semble  une  gravure  de  Gavarni,  si  gracieuse 
et  si  bien  chantante.  Citons  enfin  Jane  Faber,  ap- 
pétissante commère,  L.  Norbert  à  la  ligne  impec- 
cable, aux  larmes  gaies  en  duchesse  de  Chiales,  et 
Fernanville,  grasse  Espagnole,  et  Debary,  Portu- 
gaise affriolante,  et  Siamé,  et  Lambray,  et  Garcia 
en  Phryné  nature.  Côté  des  hommes  :  Cooper  en 
Guy  XIV,  vieux  marcheur,  roi  de  la  distinction  et 
de  Télégance,  interprète  éternellement  jeune  de  la 
vieille  chanson  ;  Tréville,  précieux  acteur  de  com- 
position qui,  de  Tabbé  Daniel  du  Duel  et  de  la 
statue  de  Camille  Desmoulins,  tira  deux  figures 
inoubliables  et  fit  applaudir  la  mïiëstria  de  sa  danse 
espagnole;  Guyon  fils,  facteur  désopilant;  Hamil- 
ton,  étonnant  en  pioupiou  qui  répète  Cyrano  de 
Bergerac  sous  les  ordres  de  son  sergent  ;  Hur- 
teaux,  qui  débita  avec  tact  la  scène  plutôt  leste  du 
tribunal;  Jullien,  acteur  solide  et  sûr;  Diamand, 
épique  en  évêque  de  la  parodie  du  Diiel\  Bellucci, 
Belge  parfait  et  Pipelet  sensible  ;  Henri  Baur,  iné- 
narrable en  juge  gâteux  ;  Georges  Scey,  toujours 
pittoresque;  Grêlé  et  Scipion,  toujours  conscien- 
cieux. J'ai  gardé  pour  la  bonne  bouche,  si  j'ose  dire, 
ou  plutôt  pour  sa  bonne  voix,  M'^^  Jeanne  Petit, 
dont  nous  avons  eu  plaisir  à  réentendre  le  timbre  si 
juste.  Ses  airs  de  la  Belle  Hélène,  de  la  Cantinière 
et  du  Petit  Duc  (l'opérette  française)  furent  écoutés 
avec  un  grand  agrément,  et  Ton  bissa  ses  couplets  de 
Colinette  de  la  rue  Bréda  délicieusement  murmurés 
avec  Cooper...  LaReune  du  Palais-Royal  termine 
l'année  igoB,  résumée  dans  le  tableau  suivant: 


246 


LES  ANNALES  DU  THEATRE 


Une  A/faire  scandaleuse,  vaudeville  ... 

Une  idée  de  Barineau,  vaudeville 

*Le  Chopin,  vaudeville 

*Don  Juan  modei'ne^  comédie 

*La  Marche  forcée,  vaudeville 

La  Cagnotte,  vaudeville 

*  Chambre  à  part,  pièce 

"  *Le  Gant,  pièce 

*  Monsieur  Baptiste,  vaudeville 

L'Affaire  Mathieu,  pièce 

*Le  Seul  Bandit  du  Village,  vaudeville. 
*Le  Coiffeur  de  Madame,  vaudeville. . . . 

*La  Toison  d'or,  vaudeville 

*Un  drame  dans  un  fiacre,  vaudeville.. 

*Une  Revue  au  Palais-Royal 

*Ce  bon  Titien,  vaudeville 


NOMBRE 
.  d'actes 


4 
1 
3 
1 
3 
5 
3 
1 
1 
3 
1 
1 
3 
i 
10 1.  1  pr. 
1 


DATE 

de  la 

Ire  représ, 

ou  de  la 

.   reprise 


20  janv. 
25  janv. 
17  mars 

» 
22  avril 

22  avril 

23  avril 
15  mai 
15  mai 
2  sept. 

11  octob. 
24  octob. 

1er  déc. 

5  déc. 


NOMBRE 

de 

représent. 

pendant 

Tannée 


23 
27 
106 
118 
22 
16 
26 
26 
23 
17 
17 
55 
54 
43 
38 
33 


THÉÂTRE  SARAH  BERNHARDT^ 


L'année  s'était  ouverte  avec  les  pièces  du  réper- 
toire :  la  Sorcière  et  V Aiglon ^  la  Dame  aux 
camélias  et  la  Tosca ... 

7  FÉVRIER.  —  Première  représentation  d'An- 
ffelo,  tyran  de  Padoue,  drame  en  cinq  actes  de 
Victor  Hugo,  pavane  et  inadrigal  de  M.  Reynaldo 
Hahn  2.  —  C'est  à  la  Comédie-Française  que  Victor 
Hugo  donna  Angelo.  M"^  Mars  avait  entendu  chez 
elle  une  lecture  du  drame,  et,  entre  les  deux  rôles 
de  femme,  elle  choisit  celui  de  la  Tisbé.  M™®  Dor- 
val  fut  engagée  à  la  demande  de  l'auteur  pour 
représenter  l'autre  personnage,  celui  de  Gatarina 
Bragadini,  la  femme  du  podestat.  Ce  choix  par 
]\Iiie  Mars  de  la  courtisane,  quand  le  rôle  de 
l'honnête  femme  convenait  beaucoup,  mieux  à  la 
distinction  de  sa  personne  et  de  son  talent,  n'avait 
d'autre  raison  que  la  crainte  de  laisser  trop  d'avan- 
tages à  l'actrice  populaire  de  la  Porte-Saint-Martin, 


1.  —  Directrice  :  M"»*  Sarah  Bernhardt  ;  secrétaire  général  :  M.  Juë. 

2.  Distribution»  —  Homodei,  M.  de  Max.  —  Angelo,  M.  Desjardins. 

—  Rodolpho,  M.  Deneubourg.  —  Anafesto,  M.  Guidé.  —  Gaboardo, 
M.  Cauroy.  —  Orféo,  M.  Cartereau.  —  Ordelafo,  M.  Bary.  —  Le  doyen, 
M.  Mùntvallier.  —  L'archiprêtre,  M.  Espinasse.  —  Un  page  noir, 
M.  /.  Angelo.  —  Un  huissier,  M.  Habay.  —  La  Tisbé,  Mme  Sarah 
Bernhardt.—  Gatarina,  M^o  Blanche  Dufrène.  —  Reginella,  W^^Seylor. 

—  Dafné,  M»«  Kerwich. 


2^8  LES    ANNALES    DU    THEATRE 

en  lui  permettant  de  développer  à  Taise  la  fougue 
et  le  naturel  de  ses  qualités  instinctives.  On  devine 
ce  qui  se  dut  passer  aux  répétitions  entre  ces  deux 
rivales.  Célimène  fut  écrasante  d'impertinence,  et 
la  pauvre  Marie  Dorval  supporta  tout  pour  ne  pas 
créer  d'obstacles  à  la  représentation  ^e  l'ouvrage. 
M*^^  Mars  dit  un  jour  à  l'un  de  ses  camarades  un 
mot  terrible  :  «  Quand  on  répète  auprès  de  cette 
femme  on  a  toujours  envie  de  se  gratter. . .  »  Ce 
fut  une  véritable  campagne  dramatique  que  l'ob- 
tention de  la  mise  en  vedette  sur  l'affiche  du  nom 
de  M'"^  Dorval  après  celui  de  M"^  Mars,  qui 
arguait  de  son  droit  pour  y  figurer  seule.  Victor 
Hugo  alla  jusqu'à  menacer  l'administration  du 
retrait  de  la  pièce  si  l'on  persistait  dans  ce  déni 
de  justice.  Après  bien  des  bondissements  de  ce 
genre,  le  navire  entra  enfin  dans  le  port  :  la  repré- 
sentation eut  lieu  le  28  avril  i835.  Les  deux 
actrices  furent  admirables,  chacune  dans  son 
genre,  chacune  avec  ses  qualités  et  ses  imper- 
fections. Quand  l'une  faiblissait,  l'autre  relevait  la 
scène  avec  une  autorité  et  un  effet  incomparables. 
Beauvallet  donna  une  empreinte  merveilleuse  au 
rôle  du  podestat  de  Padoue.  Les  ricaneurs  désap- 
pointés ne  trouvèrent  pas  où  mordre,  et  le  drame 
obtint  un  triomphe  complet.  La  pensée  du  maître 
était  d'opposer  deux  types  de  femme  :  la  femme 
dans  la  société,  la  femme  hors  la  société,  toutes 
deux  se  défendant.  Tune  contre  la  tyrannie  d'un 
mari  sans  amour  et  sans  générosité,  l'autre  contre 
le  mépris.  Il  voulut,  dit-il,  «  enseigner  à  quelles 
épreuves  résiste  la  vertu  de  l'une,  à  quelles  larmes 


m^ATRE    SARAH    BERNHARDT  249 

se  lave  la  souillure  de  l'autre  :  faire  vaincre,  dans 
ces  deux  âmes  choisies,  les  ressentiments  de  la 
femme  par  la  piété  de  la  fille,  l'amour  d'un  amant 
par  l'amour  d'une  mère,  la  haine  par  le  dévoue- 
ment, la  passion  par  le  devoir.  »  L'émotion  des 
spectateurs  qui  a  toujours  accompagné  ce  drame 
à  ses  diverses  reprises  —  en  province  on  le  joue 
souvent  —  prouve  que  l'auteur  à'Angelo  avait 
admirablement  réussi  à  incarner  sa  pensée  dans 
les  deux  grands  rôles  de  la  pièce.  La  Tisbé  et  la 
femme  d'Angelo  Malipiéri  n'émurent  pas  moins 
l'auditoire  quand  leurs  douleurs  furent  traduites 
par  Rachel  et  par  sa  sœur  Rebecca.  La  pauvre 
Rebecca,  morte  très  jeune,  annonçait  une  actrice 
de  premier  ordre  ;  elle  enleva  à  plusieurs  reprises 
les  enthousiasmes  de  la  salle,  même  à  côté  de  sa 
sœur,  qui  fut  merveilleusement  belle  cependant. 
Des  critiques  moroses  —  il  y  en  a  toujours  — 
essayèrent  de  prouver  que  Phèdre  et  Athalie  déro- 
geaient en  pactisant  avec  la  muse  moderne.  On 
peut  croire  (q[ue  si  Victor  Hugo  avait  voulu  écrire 
un  rôle  pour  Rachel,  c'eûi  été  un  triomphe  pour 
l'auteur  et  pour  l'actrice.  Ah  !  comme  notre  incom- 
parable Sarah  Bernhardt  a  joué  cette  scène  du 
second  acte,  lorsque  la  Tisbé,  toute  pâle,  entre 
daus  la  chambre  de  la  femme  du  podestat.  — 
«  Qu'est-ce  que  ceci  ?»  —  Je  vais  vous  le  dire  : 
«  C'est  la  maîtresse  du  podestat  qui  tient  dans  ses 
mains  la  femme  du  podestat. . .  C'est  une  comé- 
dienne, une  fille  de  théâtre,  une  baladine  qui  tient 
dans  ses  mains  uue  femme  mariée,  une  vertu  !  » 
Catarina  nie  d'abord  toute  relation  avec  Rodolfo, 


25o  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

puis  elle  avoue  qu'elle  a  peut-être  Gommis  quelque 
imprudence,  mais  voilà  tout.  La  Tisbé  ne  veut 
rien  entendre  ;  elle  appelle  à  haute  voix  le  mari 
qui  dort  dans  la  chambre  voisine.  Tout  à  coup  la 
vue  d'un  crucifix  pendu  au  mur  révèle,  à  la  comé- 
dienne que  ce  gage  de  pardon  fut  jadis  donné  par 
sa  mère  à  une  femme  qui  la  sauvée"  de  la  mort, 
('ette  femme,  c'est  Catarina  Bragadini,  la  femme 
du  podestat  qu'elle  allait  perdre  et  qu'elle  veut 
sauver  :  le  crucifix  de  sa  mère  !...  Lorsque,  éveillé 
par  les  cris  de  la  Tisbé,  survient  le  terrible  tyran 
de  Padoue,  «  tyran  pias  doux  »,  comme  disait  la 
parodie  de  Duvert,  la  comédienne  protège  à  son. 
tour  sa  rivale.  La  dernière  scène  de  ce  drame, 
celle  où  Rodolfo  tue  la  Tisbé^  qu'il  croit  coupable 
du  meurtre  de  la  Catarina,  est  sans  doute  d'un  bel 
effet  scénique,  et  elle  offre  à  une  artiste  de  la 
Valeur  de  M™®  Sarah  Bernhardt  l'occasion .  de 
magnifiques  élans  ;  mais  cette  scène  n'a-t-elle  pas 
le  tort  de  rappeler  le  dénouement  de  Roméo  et 
Juliette^  déjà  remis  au  théâtre  par  tant  d'auteurs 
et  sous  tant  de  formes.  ,11  y  a  dans  Angelo  trop 
de  mystères,  de  clefs,  de  narcotiques,  de  chemins 
dans  les  murs,  trop  de  ficelles  et  de  formules,  ce 
qui  n'empêche  pas  l'effet  d'être  considérable,  grâce 
au  génie  d'une  «  Sarah  »  qui  fait  tout  passer, 
rajeunit  les  phrases  les  plus'  vieilles  et  rend 
sublime  ce  qui  pourrait  paraître,  aujourd'hui, 
légèrement  ridicule.  Quel  dommage,  quel  grand 
dommage  que,  même  après  les  changements  de 
distribution  de  la  dernière  heure,  M'"^  Sarah 
Bernhardt  ait  été   si  médiocrement  entourée  ! . . . 


-< 


THEATRE    SARAH    BERNHARDT  ti5l 

Et  ce  fut  une  mauvaise  soirée  que  celle  où  nous 
vîmes  à  la  fois  M.  Desjardins  manquer  de  diction, 
M.  Deneubourg  manquer  de  panache  et  M"^  Blan- 
che Dufrène  manquer  de  sincérité...  Seul,  M.  de 
Max  avait  droit  à  tous  nos  éloges  :  il  fut,  avec  le 
talent  que  vous  lui  connaissez,  un  impressionnant 
Homodei.  On  sait  que  la  pièce,  d'abord  en  cinq 
actes,  avait  été  amputée  de  l'épisode  prétendu  dan- 
gereux de  l'assassinat  d'Homodei  qui,  au  lieu  de 
passeren  action,  ne' devint  plus  qu'un  récit.  Victor 
Hugo  avait  fait  cette  concession  aux  scrupules  de 
la  Comédie-Française,  qui  se  rappelait  avec  terreur 
les  luttes  du  22  novembre  1882,  à  propos  du  bouge 
de  Maguelonne,  à  l'unique  représentation  du  Roi 
s'amuse.  L'acte,  imprimé  dans  les  dernières  édi- 
tions de  Victor  Hugo,  n'avait  encore  jamais  été 
représenté.  Il  appartenait  au  théâtre  de  M^®  Sarah 
Bernhardt  de  nous  donner  Angelo  en  son  entier, 
tel  qu'il  fut  conçu  par  le  poète.  Tous  les  Hugolâ- 
tres  s'en  réjouirent ... 

26  FÉVRIER.  —  L'annivexsaire  de  la  naissance  de 
Victor  Hugo  était  dignement  célébré  au  théâtre 
Sarah  Bernhardt.  Ayant  Angelo^  et  devant  une 
salle  comble,  M.  de  Max  disait  de  sa  voix  grave  et 
prenante  les  vers  superbes  que  M.  Jean  Richepin 
avait  composés  tout  exprès  pour  la  solennelle  cir- 
constance, et  que  le  brillant  poète  eût  pu  dire  lui- 
même  —  la  fête  eût  alors  été  complète  —  si  l'on 
n'avait  pas  craint  le  fâcheux  contraste  du  laid  et 
triste  habit  noir  de  nos  jours  au  milieu  des  gais  et 
somptueux  costumes  du  seizième  siècle  et  de  la 
Renaissance  italienne.  M.  de  Max  a  d'ailleurs  fait 


252  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

résonner  comme  il  le  fallait  Tode  magnifique  aux 
images  admirables  et  aux  rimes  impeccables,  que 
M.  Jean  Richepin  a  ciselée  en  maître  ouvrier  qu'il 
est,  pour  rhonneur  du  dieu  : 

O  père  bon,  ô  père  juste, 
Permets-nous  de  fleurir  ton  buste, 
Et  souris,  dans  ta  face. auguste, 
A  la  palme  que  va  poser 
Celle  qui  reste  ta  prêtresse 
Et  dont  la  main  d'enchanteresse 
Garde  en  immortelle  caresse 
Le  diamant  de  ton  baiser! 

Et  après  avoir  confondu  dans  les  mêmes  salves 
de  chaudes  ovations  les  noms  d'Hugo,  de  Riche- 
pin  et  de  Sarah  Bernhardt,  nous  eûmes  la  joie  de 
revoir  l'idéale  interprète  de  la  Tisbé,  adorablemènt 
jeune  et  infiniment  élégante,  spirituelle,  moqueuse, 
d'ironie  caressante,  exqùisement  fine  et  enjouée, 
de  hautaines  envolées  et  de  saisissante  émotion, 
dans  une  intensité  de  jeu  grandissant  d'acte  en 
acte,  jusqu'au  dénouement  de  ce  curieux  et  «  amu- 
sant »  drame  d'Ariffelo,  qui  valait  à  notre  grande 
artiste  l'un  des  plus  légitimes  triomphes  de  sa  glo- 
rieuse carrière. . . 

8  AVRIL.  —  Première  représentation  de  la  recons- 
titution d'une  représentation  d'Esther,  donnée  par 
les  élèves  de  Saint-Cyr  en  leur  pensionnat  en  1689, 
devant  le  roi  Louis  XIV.  Prologue  en  vers  de 
M.  Jean  Sardou*.  —  M°»e  Sarah  Bernhardt  a  eu 


1.  —  Distribution  d'Esther  :  Le  Roi  Assuérus,  Mme  SaroJi  Bernhardt. 
—  Aman,  premier  ministre,  Miio2)M/*rène.  —  Le  juif  Mardochée,  W^^Jane 
Méa.  —  Esther,  la  Reine,  MUe  Ventura,  —  Zarès,  Mlle  Kerwich.  — 


THEATRE    SARAH    BERNHARDT  253 

ridée  peu  banale  de  représenter  sur  la  scène  de 
son  théâtre  —  Spectacle  de  semaine  sainte  et  de 
semaine  de  Pâques  —  Esther^  la  célèbre  tragédie 
de  Racine,  telle  qu'elle  fut  jouée  par  les  demoiselles 
de  Saint-Cyr  devant  Louis  XIV  et  M"^^  de  Main- 
tenon.  La  mise  en  scène,  réglée  par  le  maître 
Victorien  Sardou,  nous  montre  le  Roi  assistant  à 
la  représentation  avec  sa  Cour.  Un  ingénieux 
à-propos  en  vers  de  M.  Jean  Sardou  nous  a  d'abord 
préparés  au  spectacle  en  nous  faisant  pénétrer  dans 
rintimité  du  Roi  causant  avant  Je  lever  du  rideau 
avec  Racine  et  Boileau  et  se  disposant  à  recevoir 
ses  invités.  Esther  fut  représentée  un  an  après  la 
résolution  que  M™«  de  Maintenon  avait  prise  de  ne 
plus  laisser  jouer  de  pièces  profanes  à  Saint-Cyr. 
Elle  eut  un  si  grand  succès  qu'on  la  joua  tout 
l'hiver,  et  cette  pièce  qui  devait  être  renfermée 
dans  Saint-Cyr  fut  vue  plusieurs  fois  du  Roi  et  de 
sa  Cour,  toujours  avec  les  mêmes  applaudisse- 
ments. Les  demandes  d'invitation  affluaient  et  de 
façon  telle  que  M™^  de  Maintenon  dressait  pour 
chaque  fois  une  liste  de  ceux  qui  devaient  entrer, 
et  que  le  roi  faisait  en  personne  la  police  de  la 
salle.  Le  roi  arrivait,  se  mettait  à  la  porte  inté- 
rieure et  «  tenant  sa  canne  haute  pour  servir  de 
barrière  »  demeurait  ainsi  jusqu'à  ce  que  toutes 
les  personnes   conviées   fussent  entrées;    alors  il 


Elise,  M"«  Seyîor.  —  Hydaspe  (officier)  M>i«  Simonson.  —  Asaph  (offi- 
cier, MH«  Rosy. 

Distribution  du  prologue  :  Le  Roi,  M.  de  Max.  —  Despréaux,  M.  Cha- 
meroy.  —  Racine,  M.  Gerval.  —  Le  Grand  Dauphin,  M.  Deneubourg.  — 
Monsieur,  M.  Durée.  —  M«>«  de  Loubert,  Mii«  Grandet.  —  M"»  de  Vei 
Ihéme,  M»»  Ventura.  —  Madame,  M»»  Boulanger. 


254  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

faisait  fermer  la  porte.  Et  le  spectacle  commençait. .. 
Toute  cette  mise  en  scène  a  été  délicieusement 
reconstituée  au  théâtre  Sarah  Bernhardt.  Et  on 
s'en  est  fort  amusé.  Quant  à  la  représentation 
même  de  la  tragédie  de  Racine,  où^  comme  de 
juste  tous  les  rôles  étaient  tenus  par  des  femmes, 
osons  dire  qu'elle  fut  singulièrement  froide  et 
affreusement  monotone.  Et  si,  dans  son  fauteuil 
sur  la  scène,  Sa  Majesté  Louis  XIV,  personnifié 
par  M.  de  Max,  paraissait  s'ennuyer  ferme,  bien 
des  spectateurs  dans  la  salle  avaient  g'rand'peine  à 
réprimer  discrètement  leurs  bâillements  incivils. 
Oh!  le  protocole!  M"^  Sarah  Bernhardt  a,  fort 
heureusement,  dans  son  admirable  répertoire,  d'au- 
tres créations  plus  glorieuses  que  celle  d'Assuérus, 
qu'elle  se  contenta  de  richement  habiller  et  dont, 
mélancoliquement^  elle  dit  les  vers  mélodieux... 
Mais  peut-être  M'^^  Blanche  Dufrène,  étonnamment 
virile  dans  le  rôle  d'Aman,  eut-elle  tort  de  ne  pas 
le  posséder  très  bien  au  point  de  vue  de  la  mé- 
moire; peut-être  encore  W^^  Ventura  abusa-t-elle, 
dans  Esther. —  après  l'Etoile  de  Scarron,  c'est  une 
récidive!  —  de  la  permission  d'être  médiocre, 
comme  aussi  M''®  Seylor  du  droit  d'une  timide 
élè^^e  de  Saint-Cyr  de  zézayer  et  de  jouer  en  petite 
écolière  insignifiante  et  maladroite.  Tous  nos  éloges, 
en  revanche,  à  M.  Reynaldo  Hahn,  dont  la  parti- 
tion attestait  autant  d'adresse  moderne  que  de 
science  archaïque,  et  dont  les  principaux  soli  furent 
chantés  avec  beaucoup  de  goût  par  M"^«  Auguez 
de  Montalant. 

Après   Esther,  après   Y  Aiglon  où  M.  de  Max 


THEATRE    SARAH    BERNHARDT  .    255 

jouait  pour  la  première  fois  le  rô!e  de  Melteniich, 
Mme  Sarah  Bernhardt  terminait  le  25  avril  sa  sai- 
son d'hiver  par  une  belle  représentation  delà  Dame 
aux  camélias ,..  M.  Edouard  Sonzogno  prenait 
alors  possession  du  théâtre,  pour  y  donner  pen- 
dant un  mois  et  demi,  ^ous  le  patronage  de  la 
Société  des  grandes  auditions  musicales  présidée 
par  M"^6  la  comtesse  Greffulhe,  une  série  d'oeu- 
vres italiennes  contemporaines  dont  nous  allgns 
faire  la  nomenclature. 

2- MAI.  —  Première  représentation  d'Adriana 
Lecouvreur,  comédie-drame  en  quatre  actes  de 
Scribe  et  Legouvé,  adaptée  pour  la  scène  lyrique 
par  M.  À.  Colautti,  musique  de  M.  Francesco 
Cilea^  —  Le  programme  de  la  saison  italienne 
organisée  par  M.  Edouard  Sonzogho  comporte 
l'interprétation  de  sept  ouvrages  de  production 
récente  et,  comme  retour  unique  vers  le  passé, 
celle  du  Barbiere  di  ISiviglia,  On  a  choisi,  pour 
interprètes,  quelques-uns  des  meilleurs  chanteurs 
de  ritalie.  L'orchestre  et  les  chœurs  viennent  de 
Milan.  Le  maestro  Campanini,  maître  de  chapelle 
des  mieux  renommés  parmi  ses  compatriotes, 
dirige  les  représentations.  Afin  que  tout  soit  mar- 
qué du  caractère  national,  M.  Sbnzogno  a  fait 
brosser  les  décors  dans  son  pays  et,  pareillement, 
fait  confectionner  les  costumes.  L'entreprise,  con- 


1.  Distribution.  —  Maurice,  comte  de  Saxe,  M.  E.  Carbin.  —  Prince 
de  Bouillon,  M.  E.  Sottoîano.  —  Abbé  de  Chazeuil,  M.  E.  Pitii-Corsi.  — 
Michonnet,  M.  Sammarco.  —  Quinault,  M.  E.  Wigley.  —  Poisson, 
M.  A.  Venturini.  —  Adriana  Lecouvreur,  M""  A.  S/eTi^e.  —  Princesse 
de  Bouillon,  M»»»  Fassini-Peyra.  —  M"«  Jouvenot,  M"»»  Camporelli.  — 
Mlle  Dangeville,  M"»»  Giuasani. 


tl56  LES    ANNALES    DU   THEATRE 

iluite  à  grands  frais,  avec  des  soins  minutieux, 
prend  donc,  en  son  genre,  la  valeur  d'une  expé- 
rience très  loyale,  très  complète. 

^  31^1.  —  Première  représentation  de  Siberia^ 
drame  lyrique  en  trois  actes,  poème  de  M.  L.  lUica, 
musique.de  M.  Umberto  Giordano*.  —  Voilà  une 
belle  œuvre,  humaine  et  forte,  hautement  signifi- 
cative et  nettement  décisive  qui  met  hors  de  pair 
son  compositeur  et  place  la  nouvelle  école  milanaise 
au  rang  le  plus  élevé.  Le  sujet,  simple,  frappant 
et  poignant,  peut  se  résumer  en  quelques  lignes. 
Globy,  un  voleur  et  un  souteneur,  a  débauché, 
puis  vendu  à  qui  voulait  l'acheter  une  pauvre  fille 
de  Saint-Pétersbourg,  nommée  Stephana.  Celle-ci, 
montée  d'échelon  en  échelon,  grâce  à  lui,  jusqu'au 
suprême  degré  de  la  galanterie,  n'aime,  parmi  tant 
d'amants,  qu'un  jeune  sergent,  Vassili.  Le  sous- 
officier  ignore  qui  elle  est.  Quand  il  l'apprend,  il 
vient  chez  elle,  l'insulte  au  milieu  d'une  de  ses 
fêtes,  et  là,  se  querellant  avec  un  lieutenant^  le 
tue  d'un  coup  de  sabre.  Il  est  jugé,  condamné  et 
envoyé  en  Sibérie.  A  la  frontière,  lorsque  passent 
et  s'arrêtent  un  instant  les  prisonniers,  Stephana 
se  jette  au  cou  de  Vassili  et  obtient  de  partager 
son  sort.  Dans  les  mines  où  ils  sont  enfermés,  ils 
retrouvent,  forçat  lui-même,  Globy,  qui  se  vante 
d'avoir  possédé  le  premier  la  malheureuse  femme. 


1.  Distribution.  —  Vassili,  M.  A.  Bassi.—  Globy,  M.  Titta  Ruffo.  — 
Walitzin,  M.  O.  Luppi.  —  Alexis,  M.  L.  Oenzardi.  —  Il  cosacco,  Tin- 
valido,  M.  Wigley.  —  Il  banchiere,  lo  starosta,  M.  Rescheglian.  — 
Ivan,  l'insprovnik,  M.  Venturini.  —  Il  capitano,  l'ispettore,  M.  Fahbro. 
—  Stephana,  M"»«  A.  Pinto.  —  Nikona,  M™»  Giussani.  —  La  fanciulla, 
Mme  L,  Simeoli. 


^ 


THEATRE    SARAH    BERNHARDT  267 

Vengeresse,  elle  révèle  Tinfamie  de  son  bourreau 
a  tous  les  galériens  indignés.  Le  misérable  la 
guette  et,  au  moment  où,  accompagnée  de  Vassili, 
elle  va  s'évader,  il  la  désigne  aux  soldats  de  garde 
qui  tirent  sur  elle.  En  mourant  dans  les  bras  de 
son  compagnon  de  chaîne,  elle  bénit  la  Sibérie, 
sainte  terre  régénératrice  de  douleur  et  d'amour. 
Les  situations  claires  et  vigoureuses  du  livret  de 
M.  Illica,  le  sentiment  de  profonde  pitié  qui  s'en 
dégage  ont  inspiré  à  M.  Giordano  une  maîtresse 
partition  où,  sans  rien  renier  des  exubérances  de 
sa  race,  il  a  su  se  montrer  à  la  fois  vériste  et 
artiste.  «  Que  de  vérité,  écrivait  M.  Alfred  Bruneau, 
clans  cette  musique  d'angoisses  et  de  larmes,  et  que 
d'art  —  séparez  du  mot,  je  vous  prie,  l'idée  de 
métier  —  dans  sa  conception  et  dans  sa  réalisation  ! 
Elle  est  non  point  improvisée^  jetée  sur  le  papier, 
au  petit  bonheur  des  circonstances,  comme  tant 
d'autres  que  nous  connaissons,  mais  pensée,  réflé- 
chie et  vécuei  Oui,  l'auteur  a  souffert,  pleuré, 
aimé  avec  ses  personnages.  Il  l'a  fait  en  poète^  et 
voilà  le  secret  de  la  beauté  de  Siberia,  Au  début 
le  style  m'avait  semblé  manquer  de  cohérence.  La 
diversité  des  scènes  formant  l'exposition  du  drame 
en  est  probablement  cause.  Ces  scènes,  d'ailleurs, 
ne  me  plaisent  pas  toutes  d'égale  manière.  Mais  le 
tableau  de  la  halte  des  prisonniers  garde,  du  com- 
mencement à  la  fin,  une  superbe  tenue.  Dans  le 
prélude,  tragique  et  frissonnant  ;  dans  les  conversa- 
tions des  cosaques  occupant  le  poste  et  des  parents 
venus  pour  embrasser  une  dernière  fois  les  con- 
damnés; dans  le  chant  des  bateliers  du  Volga. 

ANNALES  DU  THEATRE  17 


258  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

que  clament,  en  avançant,  les  forçats,  et  qui,  en- 
tendu d'abord  ainsi  qu'un  murmure  lointain,  peu 
à  peu  se  précise,  grandit  et  éclate  formidable  ; 
dans  le  cri  déchirant  précédant  la  rencontre  pas- 
sionnée de  Stephana  et  de-Vassili  ;  dans  l'expres- 
sive symphonie  suivant  le  départ  et  la  disparition 
du  convoi,  hurle,  sanglote  et  frémit,  mieux  encore 
que  Tatroce  infortune  d'un  peuple,  l'universelle  et 
éternelle  torture  humaine.  Et  le  dénouement  est 
aussi  très  impressionnant,  en  sa  terrible  sauvagerie 
opposée  à  la  douceur  adorable  et  fraternelle  des 
carillons  de  Pâques.  Je  le  répète,  une  telle  œuvre, 
si  différente,  par  ses  tendances  sévères  et  hautaines, 
de  celles  que  les  compositeurs  milanais  nous  avaient 
offertes  jusqu'à  présent,  suffit  à  l'honneur  de  la 
jeune  musique  italienne.  Ses  interprète:^  ont  par- 
tagé rimmense  et  mérité  succès  qu'elle  vient  d'ob- 
tenir. Il  faut  louer  sans  réserves  M.  Bassi,  un  ténor 
dont  la  voix  ample,  souple,  généreuse  et  magnifique 
donne  au  rôle  de  Vassili  son  réel  caractère. 
M"^^  Pinto  joue  et  chante  celui  de  Stephana  avec 
une  admirable  ardeur,  un  ferme  talent.  En  Globy, 
M.  RufFo  est  satanique  à  souhait.  Je  cite  encore 
jyimes  Giussani,  Simeoli,  MM.  Luppi,  Genzardi,  et 
je  félicite  les  artistes  de  l'orchestre,  que  M.  Cam- 
panini  dirige  en  chef  excellent,  de  la  façon  supé- 
rieure dont  ils  exécutent  la  partition  de  M.  Gior- 
dano,  si  bien  écrite,  du  reste,  pour  eux,  si  ingé- 
nieusement, si  largement,  si  somptueusement 
instrumentée.  » 

9    MAI.    —   Première    représentation    d'Amico 
Fritz,  comédie  lyrique  en  trois  actes  de  M.  Suar- 


THEATRE    SARAH    BERNHARDT  25q 

don,  d'après  Erckmann-Chatrian,  musique  de 
M.  Maseagni*.  —  Qui  lie  connaît  Tœuvre  d'Érck- 
mann-Chalrian  où  Got,  Frédéric  Febvre  et  Suzanne 
Reichenberg  ont  laissé,  à  la  Comédie-Française,  de 
si  vivants  souvenirs?  Sur  un  libretto  italien,  qui 
suit  d'assez  près  la  pièce  originale.  M,  Mascagni 
écrivit^  il  y  a  quinze  ans,  une  partition  bruyante 
et  vulgaire,  aussi  dépourvue  de  couleur  locale, 
aussi  peu  savoureuse  que  possible.  L'effet  en  fut 
médiocre  au  Théâtre  Sarah  Bernhardt...  On  a 
pourtant  fait  fête  au  a  duo  des  cerises  »,  dit  avec 
charme  par  le  créateur,  à  Rome,  de  Fritz  Kobus, 
M.  de  Lucia  —  le  Jean  de  Reszké  de  Tltalie  — 
et  par  son  aimable  camarade,  M"®  Berlendi,  suc* 
cédant  à  M"^  Emma  Calvé,  qui  fut,  à  l'origine  de 
l'ouvrage,  une  exquise  Suzel.  Puis,  on  acclama  et 
redemanda  le  prélude  du  troisième  acte,  que  con- 
duisit avec  autant  de  précision  que  de  souplesse 
M.  Rodolfo  Ferrari,  le  réputé  chef  d'orchestre  du 
Théâtre  lyrique  Sonzogno  à  Milan.  Donnons  une 
mention  à  M.  Kaschmann,  le  très  soigneux  inter- 
prète du  rabbin  David,  et  glissons  sur  une  œuvre 
banale  qui,  à  Paris  du  moins,  n'ajoutera  rien  à  la 
gloire  du  compositeur  de  Cavalleria  Rusticana, 

i3  MAI.  —  Première  représentation  de  Fedora^ 
drame  de  JM.  Victorien  Sardou,  réduit  en  trois 
actes  pour  la  scène  lyrique  par  M.  A.  Calautti, 


i.  Distribution.  —  Fritz  Kobus,  M.  F.  de  Lucia.  —  David,  M.  G. 
Kaschmann.  —  Planezo,  M.  L.  Reschiglian.  —  Frederico,  M.  Paroli. 
—  Suzel,  M'i»  L.  Berlendi.  —  Beppe,  M">o  p,  Fassini  Peyra.  —  Cate- 
rina,  M««  Genesini. 

L'orchestre  était  dirigé  par  M.  Rodolfo  Ferra"i. 


200  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

musique  de  M.  Umberto  Giordano^  —  La  célèbre 
pièce  de  Victorien  Sardou  était-elle  un  sujet  vrai- 
ment lyrique  ?  Nous  ne  le  croyons  pas.  Et  bien  que 
la  musique  en  soit  toujours  habilement  écrite  par 
un  homme  qui  a  véritablement  le  sens  du  théâtre^ 
nous  n'avons  malheureusement  pas  retrouvé,  dans 
la  Fedora  de  M.  Umberto  Giordano,  la  belle  émo- 
tion que  nous  avait  procurée  le  poignant  second 
acte  de  Siberîa,  un  pur  chef-d'œuvre  dont  la  révé- 
lation suffirait  à  elle  seule  à  Thonneur  de  la  saison 
italienne  si  heureusement  organisée  par  M.  Son- 
zogno.  Mais  quel  triomphe  pour  les  deux  interprètes, 
aussi  bien  pour  la  Cavalieri,  à  la  voix  -si  pure,  si 
souple  et  si  charmante,  surtout  dans  le  registre 
élevé  de  son  délicieux  soprano,  que  pour  M.  Caruso, 
le  ténor  admirable,  dont  le  chant,  doux  et  puissant, 
est  un  si  magnifique  don  de  la  généreuse  nature  ! 
22  MAI.  —  Première*  représentation  de  Zaza^, 
comédie  lyrique  en  quatre  actes,  tirée  de  la  comé- 
die de  MM.  Pierre  Berton*  et  Charles  SinTon,  par 
M.  Léoncavallo.  —  L'anecdote  constitutive  de  cet 
opéra  ne  nous  a  point  paru  un  excellent  thème 
musical,  la  pièce,  accommodée  en  opéra,  perd  évi- 
demment   de    son    esprit    et    de    son    émotion. 


1.  Distribution.  --  Comte  Loris  Ipanov,  M.  Caruso.  —  De  Sirieix, 
M.  Titta  Ruffo.  —  Désiré,  M.  Bada.  -—  Baron  Rouvel,  M.  Paroli.  —  Gi- 
rille,  M.  Luppi.  —  Borov,  M.  Wigley.  —  Grech,  M.Wulmann.  —  Lorek, 
M.  Reschiglian.  —  Princesse-  Fedora  Roraazov,  Mlle  Lina  Cavalieri. 
—  Comtesse  Olga  Sukarey,  M»»  Barone.  —  Diraitri,  M»»»  Giussani. 

2.  Distribution.  —  Emile  Dufresne,  M.  Oarbin.  —  Gascart,  M.  Sam- 
marco.  —  Bussy,  M.  Sottolana.  —  Malardot,  M.  Bada.  —  Lartigon, 
M.  Fabbro.  —  Duclou,  M.  Wigley.  —  Michelin,  M.  Paroli.  —  Zaza, 
Mil»  Berlendi.  —  Anaïs,  M""»  Salgado.  —  Floriane,  M'»»c  Simeoli.  — 
Nathalie,  M"><»  Giussani,  —  M"»»  Dufresne,  Mme  Barone. 


THÉAtRE    SARAH    BERNHARDT  26 1 

«  M.  Léoncavallo,  disait  M.  Gauthier- Villars,  qui 
a  écrit  cette  partition  de  4o2  pages,  est  un  auteur 
fécond.  J'incline  à  le  classeu  parmi  les  improvisa- 
teurs plutôt  que  dans  les  rangs  des  raffinés  cher- 
cheurs de  combinaisons  mélodiques.  Ses  harmonies, 
du  genre  spontané,  ne  portent  pas  la  trace  d'un 
labeur  excessif.  Quant  à  ses  mélodies,  ceux  mêmes 
qui  en  critiquent  la  contexture  les  oublient  malai- 
sément; si  elles  ne  se  tiennent  pas,  elles  se  retien- 
nent. »  Le  succès  a  été  vif  :  le  compositeur  a  dû 
paraître  plusieurs  fois  sur  la  scène  avec  ses  inter- 
prètes ... 

3o  M^i.  —  Première  représentation,  à  ce  théâtre, 
de  //  Barbiere  di  Siviglia,  opéra-comique  en  trois 
actes,  d'après  la  comédie  de  Beaumarchais,  musi- 
que de  Rossini*. —  «  Il  restera  de  moi  le  deuxième 
acte  de  Guillaume  Tell^  peut-être  le  dernier  acte 
di  Othello  et  tout  le  Barbier  »,  a  dit  Rossini.  Le 
Barbier  est,  en  effet,  resté  au  répertoire  permanent 
de  toutes  les  scènes  lyriques  du  monde  ;  il  suffit  à 
immortaliser  son  auteur  et  honore  toute  l'école  à 
laquelle  il  se  rattache.  D'où  vient  l'interprétation 
lente,  monotone  et  grise  — -  oh  !  combien  !  —  don- 
née par  la  troupe  du  Théâtre  Italien  à  cette  comé- 
die musicale  toute  de  verve,  de  couleur  et  d'esprit  ? 
C'est  que  M.  Angelo  Masini,  qui  eut  l'honneur  <Je 
créer  à  Paris  Aïda  et  aussi  la  Messe  de  Requiem 
de  Verdi,  a  désormais  passé  l'âge  de  jouer   les 

1.  Distribution.  —  Comte  Almaviva,  M.  Angelo  Masini.  —  Figaro, 
•  M.  Titta  Ruffo.  —  Don  Bartolo,  M.  Antonio  Baldelli.  —  Don  Basilio, 
M.  Oreste  Luppi.  —  Fiorello,  M.  Angelo  Bada.  —  Rosina,  Mme  Regina 
Pacini.  —  Berta,  M"»»  G.  Giussani. 

L'orchestre  était  dirigé  par  M.  Rodolfo  Ferrari. 


262  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

Almaviva;  que  M.  Baldelli,  Bartholo  plein  de 
bonne  volonté,  est  un  baryton  qui  a  sans  doute 
fort  bien  chanté,  mais. qui  ne  chante  plus  du  tout; 
que  M™«  Pacini,  très  habile  vocaliste  au  timbre  ex- 
trêmement joli,  manque  de  grâce  et  de  vivacité... 
Seul  M.  Titta  Ruffo  a  soutenu  l'honneur  de  la 
représentation  en  faisant  applaudir,  sous  la  veste  de 
Figaro,  son  véritable  talent  de  comédien  et  sa  belle 
voix  admirablement  généreuse... 

3  JUIN.  —  Première  représentation  d'André 
Chénier,  drame  lyrique  en  quatre  actes  de 
M.  Luigi  Illica,  musique  de  M.  Umberta  Gior- 
dano*.  —  Sur  ce  drame  d'Illica  (M.  Paul  Milliel 
Ta,  d'ailleurs,  adroitement  traduit  en  bonne  langue 
française)  qui  a  le  rare  mérite  d'être  très  scé- 
nique,  rapide  et  fertile  en  incidents  pathétiques,  le 
futur  compositeur  de  Siheria,  M.  Umberto  Gior- 
dano,  a  écrit  une  partition  très  musicale,  très 
sincère,  remarquablement  orchestrée  et  fort  habi- 
lement traitée  au  point  de  vue  dramatique.  La 
clarté,  la  chaleur,  la  sève  mélodique,  la  justesse 
de  l'expression,  la  vigueur  de  l'accent,  la  variété 
et  le  mouvement  :  telles  sont  les  qualités  maî- 
tresses de  cette  œuvre  jeune  et  vivante.  Chacun 
des  tableaux  apparaît  net  en  ses  contours  mélodi- 
ques, avec  son  coloris  instrumental,   ses  exactes 

1.  Distribution.  —  Madeleine  de  Goigny,  M«>>«  E.  Tetrazzini. — 
Comtesse  de  Coigny,  Madelon,  M"»»  Fassini-Peyra.  —  Bersi,  la  mulâ- 
tresse, Mm^P.  Qiussani.  —  André  Chénier,  M.  A.  Bassi,  —  Charles 
Gérard,  M.  Sammareo.  —  Roucher,  M.  O.  Luppi.  —  Mathieu,  dit  m  Po- 
pulus  »,  sans-culotte,  M.  Wigley.  —  Un  incroyable,  M.  Pini-Corsi.  — 
Pierre  Fléville,  M.  Paroli.  —  L'abbé,  M.  Venturini.  —  Schmidt  (geô- 
lier de  Saint-Lazare),  Dumas  (président  du  tribunal  révolutionnaire), 
M.  Fabbro.  —  Fouguier-Tinville,  accusateur  public,  M.  Wulmann. 


THEATRE    SARAH    BERNHARDT  203 

proportions,  accusant,  avec  celui  qui  le  suit  ou  le 
précède  les  oppositions  les  plus  marquées  :  le 
premier,  délicat  et  pimpant,  finement  et  discrè- 
tement orchestré  ;  le  second,  mouvementé  et  pit- 
toresque, traversé  par  les  refrains  populaires  du 
<(  Ça  ira  »  et  de  la  «  Carmagnole  »  ;  celui  du  tri- 
bunal révolutionnaire,  rapide  et  tragique,  offrant 
un  contraste  frappant  avec  le  tableau  final,  qui 
s'épanouit  en  larges  phrases  d'un  lyrisme  inspiré, 
et  s'achève  en  une  belle  apothéose  d'amour.  M.  Son- 
zogno  avait  monté  André  Chénier  avec  le  souci 
artistique  dont  il  a  déjà  donné  maintes  prçuves  en 
cette  courte  saison  italienne,  et  Pinterprétation 
n'eut  aucun  rapport  avec  celle  du  Barbier  qu'on 
avait,  non  sans  malice  et  sans  justesse,  appelé  le 
«  Crépuscule  des  vieîii  ».  M"^^  Tretrazzini  chantait 
en  artiste  le  rôle  de  Madeleine.  M.  Bassi  fut  un 
très  chaleureux  André  Chénier.  M.  Sammarco 
prétait  au  personnage  de  Gérard  l'appoint  de  sa 
superbe  voix  de  baryton.  Les  chœurs  étaient 
pleins  d'entrain  et,  sous  la  baguette  de  M.  Cam- 
panini,  l'orchestre  se  montra  excellent. 

i3  JUIN.  —  Première  représentation  de  Chopin ^ 
drame  lyrique  en  quatre  actes  de  M.  Angelo 
Orvieto,  musique  composée  sur  les  mélodies  de 
Chopin  par  M.  Giacomo  Orefice  *. 

i5  JUIN.  —  Soirée  de  gala  donnée  au  bénéfice  de 
la  Société  italienne  de  bienfaisance  de  Paris  2. 


1.  Distribution.  —  Frédéric  Chopin,  M.  A.  Bassi.  —  Klio,M.  Costa.  — 
I   Frate,  M.  Wulmann.  —  Flora,  M">»  Stehle.—  Stella,  M"«"  L.  Simeoli. 

L'orchestre  était  dirigé  par  M.  Hodolfo  Ferrari. 

2.  —  Au  pro^^ramme  : 

3«  acte  de  Zaza^  de  M.  R.  Léoncavallo  :  M»»  Berlendi,  M.  E.  Oarbin. 


264  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

10  OCTOBRE.  —  Pendant  l'absence  très  pro- 
longée de  M™®  Sarah  Bernhardt,  le  théâtre  était 
passé  aux  mains  de  M.  André  Calmettes,  le  dis- 
tingué comédien  souvent  applaudi  au  Vaudeville 
et  au  Gymnase.  M.  Calmettes  inaugurait  sa  direc- 
tion par  la  première  représentation  du  Masque 
d'amour^  pièce  en  cinq  actes  et  huit  tableaux  de 
jyjme  Daniel  Lesueur  *.  —  C'est  sur  le  nom  de 
M™®-  Daniel  Lesueur  que  M.  Georges  Leygues, 
ministre  de  l'instruction  publique,  créa  naguère  le 
précédent  qui  ouvrait  aux  femmas  de  lettres  les 
cadres  de  la  Légion  d'honneur  :  il  la  décora 
comme  romancière  et  comme  poète.  En  décernant 
plus  tard  à  cette  artiste  de  talent  une  de  ses  plus 
hautes  récompenses,  le  prix  Vitet,  l'Académie 
française  consacra  une  carrière  féconde  et  brillante. 
M™^  Daniel  Lesueur  a  voulu  ajouter  un  nouveau 
fleuron  à  sa  coufonne  de  lauriers  et  se  faire 
applaudir  aussi  comme  dramaturge.  Nous  sommes 


4e  acte  à'Adriana  Leeouvreur,  de  M.  Francesco  Cilea  :  M"»»  Adeiina 
Stehle,  MM.  E.  Garhin  et  M  Sammarco. 

Intermède.  —  Gavatine  de  Figaro,  Il  Barbiere,  1"  acte  :  M.  Titta- 
Ruffo.  —  Variations  de  Proch,  leçon  de  chant  de  II  Barbiere,  3c  acte  : 
M">«  R.  Pacini. 

3*  acte  d'André  Chénier,  de  M.  Umberto  Giordano  :  M"»"  Tetrazzini, 
Fassini-Perya,  MM.  A.  Bassi  et  M.  Sammarco. 

4e  acte  de  Siberia,  de  M.  Umberto  Giordano  :  M"»"  Clara  Joanna^ 
L.  Simeoli  et  M,  A.  Bassi. 

1.  Distribution.  —Le  marquis  de  Valeor,  M.  André  Calmettes.  -^ 
José  Escaldas,  M.  Henry  Krauss.  —  Oscar  Sornières,  M.  Mauriàe 
Claudius.  —  Le  curé  du  Conquet,  M.  Cornaglia.  —  Mathias  Gaël, 
M.  Chameroy.  —  Le  prince  de  Villingen,  M.  Bouchez.  —  Marc  de' 
Plesguen,  M.  Grammont.  —  Mathurine  Gaël,  M«e  Aimée  Tessandier. 
—  Gaëtane  de  Ferneuse,  MHe  Anne  Ratcliff.  —  Micheline  de  Valeor, 
Mlle  Nelly  Cormon.  —  La  môme  Cervelas,  M^e  jf.  Moret.  —  Rosaiinde, 
Mi^«  de  Lagny.  —  Françoise  de  Plesguen,  M'ie  Bl.  Body.  —  Clair» 
Vareuse,  M'ie  Lestai. 


THEATRE  SARAH  BERNHARDT         265 

trop  galant  pour  avouer  que  dans  cette  nouvelle 
entreprise  elle  a  formidablement  échoué,  mais^ 
nous  sommes  aussi  trop  sincère  pour  déclarer 
qu'elle  y  a  complètement  réussi...  Une  habile 
collaboration  eût  peut-être  fait  un  bon  mélodrame 
d'Ambigu  de  cette  œuvre  obscure  et  confuse,  où 
les  longs  récits  succèdent  aux  longs  récits,  et  où 
chacun  des  tableaux,  jusqu'au  huitième  et  dernier, 
comporte  une  exposition  de  personnages.  M.  André 
Calme ttes,  s'improyisant  momentanément  direc- 
teur du  théâtre  Sarah  Bernhardt,  a  eu  le  tort  de 
«  tiquer  »  sur  le  rôle  du  faux  marquis  de  Valcor, 
qu'il  croyait  excellent,  et  sur  une  pièce  qui  lui 
semblait  intéressante.  N'insistons  pas  ici  sur  cette 
double  erreur,  et  bornons-nons  à  sauver  du  nau- 
frage le  puissant  talent  tragique  de  M"^^  Tessan- 
dier,  le  pittoresque  hardi  de  M.  Krauss  et  la 
fantaisie  divertissante  de  M.  Claudius. 

6  NOVEMBRE.  —  Première  représentation,  à  ce 
théâtre,  de  Pour  la  Couronne^  drame  en  cinq  actes 
de  M.  François  Coppée  *.  —  Un  public  ami  des 
émotions  saines,  sympathique  à  l'œuvre  de  François 
Coppée  qui,  toute  sa  vie,  cultiva  la  muse  avec  res- 
pect et  suivant  la  mesure  de  ses  forces,  prit  plaisir 
à  entendre  exprimer  de  hautes  pensées.  Cependant 
les  vers  tragiques  parurent  cette  fois  exercer  sur  la 


1.  Distribution.  —  Michel  Brancomir,  M.  Philippe  Oarnier,  — 
Constantin  Brancomir,  M.  Albert  Darmont.  —  Banko,  M.  André  Cal- 
rnettes.  —  L'Evèque-Roi,  M.  Grammont,  —  Ourosh,  M.  G.  Colin.  — 
Lazare,  M.  Luzan.  —  Un  prisonnier  turc,  M.  Favières.  —  Un  guetteur, 
M.  Richard.  —  Un  chevrier,  M.  Stengel.  —  Un  officier,  M.  Angelo.  — 
Bazilide,  M«n«  Aimpe  Tessandier.  —  Militza,  M"»  Nelly  Cormon.  —  Anna, 
M"«  Litty  Bossa.  -.  Sophia,  M»»  Jane  Morlet.  —  Un  page,  Mlle  Bl.  Bodrj. 


206  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

foule  une  influence  moindre.  Est-ce  la  part  plus 
grande  de  psychologie  introduite  depuis  quelque 
temps  dans  la  comédie  moderne,  plus  prenante, 
plus  vivante  ?  Est-ce  en  ce  temple  habituel  de  la 
«  princesse  du  geste  »  Tabsence  de  Celle  qui  gal- 
vanise ?  Mais  les  spectateurs  écoutèrent  cette  his- 
toire de  dévouement  sublime  sans  le  grain  d'en- 
thousiasme nécessafre  pour  la  consécration  des 
chefs-d'œuvre,  et  l'impression  douce  qu'on  en  res- 
sentit pourrait  presque  se  traiter  d'affectueuse 
bienveillance.  Et  puis  l'intérêt  de  Pour  la  Couronne 
s'augmentait  en  1896,  lors  de  sa  triomphante  car- 
rière à  rOdéon,  de  ce  qu'il  fut  joué  précisément  au 
lendemain  de  l'affaire  Dreyfus  et  que  de  cette  coïn- 
cidence, il  tirait  un  soudain  caractère  d'actualité. 
Aujourd'hui  nous  avons  entendu  sans  passion  le 
récit  de  cette  trahison  militaire  qui,  par  dévoue- 
ment à  la  patrie,  conduit  un  fils  au  parricide.  Que 
les  temps  sont  changés  !  Malgré  tout,  la  soirée  fut 
noble.  La  grandeur  du  sujet,  la  pureté  des  vers 
procura  une  fort  convenable  émotion  et  donna  à 
cette  soirée  un  doux  éclat.  On  se  plut  à  reconnaître 
au  passage  le. poète  du  Passant  dans  le  délicieux 
couplet  des  roses,  qui  fut  acclamé.  L'action  est 
trop  connue  pour  être  rappelée  en  détail.  C'était  un 
beau  thème  tragique  que  ce  fils  de  roi  prenant  son 
père,  trop  servile  esclave  d'une  épouse  ambitieuse, 
en  flagrant  délit  de  trahison;,  et  forcé  de  le  tuer 
pour  sauver  son  pays  de  l'invasion  ;  puis  accusé 
lui-même  de  ce  crime  qu'il  a  su  empêcher,  se  tai- 
sant pour  que  la  mémoire  paternelle  ne  soit  pas 
entachée.  Le  voici  condamné,  non  po/nt  à  mourir. 


THÉÂTRE    SARAH    BERNHARDT  267 

mais  à  vivre,  et  à  vivre  enchaîné  au  socle  de  la 
statue  de  gloire  élevée  au  père  infâme,  exposé  pour 
toujours  anx  insultes «t  aux  crachats  de  la  foule. 
Mais  une  jeune  fille  veille,  la  touchante  Milîtza,  une 
simple  aimée  qu'il  a  recueillie  pour  sa  part  de 
butin  et  faite  libre,  et  qui  Taime  d'un  amour  à  la 
fois  chaste  et  ardent.  Elle  le  poignarde,  puis  se  tue 
dans  ses  bras;,  cette  mort  est  une  délivrance. 
Dénouement  hautain,  mais  injuste,  qui  laisse  le 
public  sous  le  coup  d'une  impression  pénible. 
Cette  belle  pièce  avait  été  brillamment  créée  à 
rOdéon  par  MM.  Fenoux,  Pierre  Magnier,  Albert 
Lambert  et  Rameau,  M™**^  Tessandier  et  Wanda  de 
Boncza.  Seule  M"*®  Tessandier  a  conservé  son  rôle. 
Elle  a  retrouvé  ses  superbes  accents  de  jalousie 
et  de  vengeance.  M"®  Nelly  Cormon  fut  le  rayon 
lumineux  de  cet  orage  tragique.  Elle  a  de  la  grâce 
et  du  fcharme,  et  le  vers  chante  bien  sur  sa  voix 
musicale.  M.  Philippe  Garnier  remplissait  le  rôle 
ingrat  du  traître  ;  il  y  fut  puissant  et  autoritaire. 
M.  Calmettes  joua  l'espion  Benko  avec  son  habi- 
leté coutumière,  et  M.  Grammont  rappelait  (ça  n*est 
pas  une  critique)  la  diction  large  et  vibrante  de 
M.  de  Max.  Quant  à  M.  Darmont,  le  parricide 
patrfote,  il  se  montra  tour  à  tour  violent,  tendre  et 
chrétien  en  des  attitudes  harmonieuses,  en  des  into- 
nations d'une  justesse  prenante  ;  il  fut  élégant  et 
pitoyable,  et  très  applaudi.  —  C^est  sur  cette 
reprise  faite  pour  attirer  au  Théâtre  Sarah^Bern- 
hardt  les  amants  de  la  beauté  que  se  terminait  l'an- 
née 1905,  résumée  dans  le  tableau  suivant  : 


268 


LES    ANNALES    DU    THEATRE 


La  Sorcière f  drame 

L'A  ifflon,  drame  en  vers 

La  Dame  aux  camélias,  pièce 

La  Tosca,  drame 

^Angélo,  tyran  de  Padoue,  drame 

*Eslherj  tragédie 

Adriana  Lecouvreur,  comédie-drame.. 

Siberia,  drame  lyrique 

Atnico  Fritz  y  comédie  lyrique 

Fedora,  drame 

Zaza,  comédie  lyrique 

Il  Barbier e  di  Siviglia,  opéra-comique 

A  ndré  Chénierj  drame  lyrique 

Chopin,  drame  lyrique 

*Le  Masque  d'amour,  pièce 

Pour  la  Couronne,  drame 


DATE 

NOMBRE 
d'actes 

delJL 

!»•  représ. 

oa  de  la 

reprise 

5 

» 

6 

» 

5 

)) 

5 
5 

19  janv. 
7  février 

3' 

8  avril 

4 

2  mai 

3 

4  mai 

3 

9  mai 

3 

13  mai 

4 

22  mai 

3 

30  mai 

4 

4 

3  juin 
13  juin 

5  a.  8  t. 

10  oct. 

5 

6  nov. 

NOMBRE 

de 

représent. 

pendant 

ruinée 


4 
22 
21 

3 
68 
10 

8 
2 
7 
4 
3 
4 
2 

31 

65 


THEATRE   DE  LA  RENAISSANCE* 


Quatre  pièces  :  la  Massière  et  Bertrade,  de 
M.  Jules  Lemaître  ;  Monsieur  Piégois^  de  M.  Alfred 
Capus,  et  V Espionne^  de  M.  Victorien  Sardou, 
ferment  le  bilan  d'une  année,  moins  heureuse  que 
les  précédentes,  qui  s'était  ouverte  avec  les  der- 
nières représentations  deVEscalade,  de  M.  Maurice 
Donnay. 

II  JANVIER.  —  Première  représentation  de  la 
Massière,  comédie  en  quatre  actes  de  M.  Jules 
Lemaître  2,  précédée  de  la  Bonne  Hélène,  comédie 
en  un  acte  et  deux  tableaux  du  même  auteur  3. 
Trêve  à  la  politique,  à  la  fâcheuse   et  décevante 


1.  —  Directeur  :  M.  Lucien  Guitry  ;  administrateur  :  M.  Mussay. 

t.  Distribution.  —  Marôze,  M.  L.  Guitry.  —  Garnoteau,  M.  Boisselot. 
—  Jacques  Marèze.  M.  Maury.—  Burette,  M.  fi/meW. —  Juliette  Dupuy, 
Mil»  Marthe  Brandès.  —  M»»  Marèze,  M"»»  Anna  Judic.  —  M"»»  Durand, 
M"»  Marie  Samary.  —  Suzanne,  M"»  Jane  Heller.  —  Marthe,  M»«  Marthe 
Ryter.  —  Renée,  M»»  M.  Lavigne.  —  Solange,  M"»  Litty  Bossa.  —  Olga, 
Mii«  L.  Marka.  —  Lili,  M"»  Jeanne  Henry.  —  Andrée,  M»»  J.  FtiSier.  — 
Madeleine,  M»"  J.  Marlys.  —  Simone,  MH«  C.  Barneville.  —  l'»  jeune 
fllle,  M»«  ilEf.  Charny.  —  2«  jeune  fille,  M"»  B.  Fusier.  —  3e  jeune  fille, 
Mi»«  L.  Ouinoel.  —  4«  jeune  fille,  M»*  M.  Dalny. 

Le  rôle  de  Juliette  Dupuy  fut  repris,  non  sans  succès,  par  MU*  Jane 
Heller  succédant  à  Mii«  Brandès,  malade. 

3.  Distribution.  —  Priam,  M.  Coquet.  —  Hector,  M.  Arquillière.  — 
Le  grand  prêtre,  M.  Noizeux.  —  Paris,  M.  Lorcey.  —  Gléophile,  MU*  Jane 
Heller.  —  Hélène,  M"»  Marthe  Ryter.  —  Vénus,  M»i«  Nelly  Cormon.  — 
La  nourrice.  M"»  C.  Barneville. 


270  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

politique  !  M.  Jules  Lemaître  n'avait  rien  donné 
depuis  V Aînée,  c'est-à-dire  depuis  sept  ans,  et  c'est 
pour  la  joie  de  tous  qu'il  rentrait  au  théâtre. . .  Le 
monde  des  ateliers  l'a  tenté  comme  il  hante  depuis 
longtemps  notre  distingué  confrère  Adolphe  Brisson, 
qui  nous  promet  un  heureux  pendant  à  son  joli 
roman  de  Florise  Bonheur.  Juliette  Dupuy  est  la 
«  massière  »  —  vous  savez  ce  que  ce  mot  veut  dire 
—  de  l'atelier  de  femmes  que  dirige  Marèze,  un 
peintre  de  probe  talent  à  la  veille  d'entrer  à  l'Ins- 
titut. Marèze  a  la  barbe  grise,  et  paraît  un  peu 
plus  que  son  âge  :  cinquante-cirtq  ans.  Il  a  pris 
sous  sa  protection  cette  honnête  et  vaillante  petite 
Juliette,  qui  «  sous  dirige  »  intelligemment  son 
atelier  et  travaille  pour  elle-même,  afin  de  faire 
vivre  sa  famille.  Qu'y  a-t-il  au  juste  dans  l'affection 
si  vive  qu'il  lui  a  vouée:  de  l'amitié,  de  l'amour 
peut-être,  n'est-ce  pas  sa  dernière  chanson?  Il  ne 
se  rend  pas  compte  lui-même  du  sentiment  qui 
l'attache  à  la  jeune  fille,  mais  la  vérité,  c'e^t  qu'il 
ne  peut  vivre  sans  elle,  et  qu'il  se  regarde  comme 
très  malheureux  quand  sa  femme,  sa  brave  femme, 
naturellement  jalouse,  interdit  à  la  massière  l'ac- 
cès du  domicile  personnel  de  son  vieux  maître.  Que 
sera-ce  quand  il  apprendra  que  son  fils  s'est  lui- 
même  épris  de  Juliette,  au  point  de  vouloir 
l'épouser.  De  quel  droit  la  lui  prend-il  ?  De  celui 
de  son  âge,  hélas  !  Il  faudra  bien  qu'il  se  résigne  à 
l'amère  destinée  et  donne  son  consentement  à  cette 
union  qgi'il  traitait  tout  d'abord  d'infâme  trahison  : 
il  ne  pouvait  y  avoir  rivalité  entre  ce  père  et  ce  fils 
qui  s'adorent,  et  le  mariage  de  Jacques  Marèze  et 


THEATRE    DE    LA    RENAISSANCE  27! 

de  Juliette  Dupuy  était  le  dénouement  attendu, 
peut  être  même  un  peu  trop  prévu  de  Témouvante 
histoire  que  nous  a  contée  avec  tant  de  charme  et 
de  délicatesse  Texquis  écrivain  de  la  Massière.  Il 
était  impossible  d'analyser  avec  plus  de  profon- 
deur, avec  une  plus  juste  et  une  plus  fine  obser- 
vation, le  caractère  si  curieusement  nuancé  de 
Marèze,  dont  le  cœur  est  en. proie  à  la  crise  .fatale 
de  rhomme  arrivé  à  l'heure  douloureuse  du  renon- 
cement à  Tamour.  Et  de  quelle  main  légère,  en 
quelle  langue  à  la  fois  spirituelle  et  naturelle  est 
traitée  cette  nouvelle  comédie  de  M.  Jules  Lemattre, 
dont  les  trois  premiers  actes  sont  un  pur  ravisse- 
ment !  J'ai  dit  les  «  trois  premiers  »  parce  qu'il 
faut  bien,  même  à  propos  d'un  maître  en  cet  art 
tel  que  le  fut  M.  Jules  Lemaître,  faire  modeste- 
ment œuvre  de  critique  en  constatant  que  le  qua- 
trième nous  a  paru  quelque  peu  long  *et  «  traî- 
nant »,  légèrement  inexpérimenté  aussi,  mais 
l'auteur  de  la  Massière  ne  connaît-il  pas  beaucoup 
mieux  que  nous  le  fort  et  le  faible  de  sa  touchante 
comédie?  L'interprétation  était  merveilleuse  avec 
Guitry,  si  étonnamment  naturel  que  ce  n'était  plus 
Guitry,  c'était  Marèze  lui-même,  avec  les  tics  du 
bon  peintre,  que'  nous  avions  sous  les  yeux; 
M"«  Brandès  qui  avait  su  se  renouveler  pour  per- 
sonnifier avec  une  légèreté  délicieuse,  avec  une 
mélancolie  pleine  d'émotion,  la  sympathique  Juliette 
Dupuy  ;  M"^  Judic  —  encore  une  heureuse  rentrée 
—  excellente  sous  les  traits  de  «  l'embêtante  »  et 
bonne  M™®  Marèze  ;  M.  Maury,.  très  jeune  et  très 
chaleureux  dans  Jacques  Marèze;  M"*Heller^  don- 


-2"] 2  LES    ANNALES    DU    THEATRE 

nant  une  «  physionomie  »  à  Tune  des  élèves  les 
plus  délurées  de  Tatelier  ;  et  Boisselot,  dans  sa  très 
juste  silhouette  du  collègue  hypocrite  —  la  seule 
figure  antipathique  de  cette  galerie  où  tous  les  per- 
sonnages étaient  vraiment  meilleurs  que  nature  : 
M.  Jules  Lemaître,  le  mordant  ironiste  de  naguère 
était  devenu,  qui  Teût  cru?  un  délicieux  optimiste. 
Meilhac  et  Halévy  avaient  jadis  écrit  cette  débridée 
parodie  de  l'antiquité  qui  s'appelle  la  Belle  Hélène. 
M.  Jules  Eemaîlre  donna  un  pendant  à  la  célèbre 
farce  avec  la  Bonne  Hélène  \  mais  les  spectateurs 
de  la  •  Renaissance  s'y  régalèrent-t-ils  tout  à  fait 
autant  qu'il  y  a  quelques  années  au  Vaudeville  les 
abonnés  de  M.  Porel?  Notons  pourtant  parmi  les 
nouveaux  interprètes  :  Noizeux,  extrêmement  plai- 
sant dans  le  grand  prêtre,  et  Coquet,  et  la  mali- 
cieuse Marthe  Ryter  et  M"^  Nelly  Cormon,  la  belle 
dea  ex  machina  venant  donner  la  «  morale  »  de 
l'histoire.  "" 

23  FÉVRIER.  —  Cinquantième  représentation,  de  "^ 
la  Massière. 

5  AVRIL. —  Première  représentation  de  Monsieur 
Piéffois,  comédie  en  trois  actes  de  M.  Alfred  Ca- 
pus*.  — Ce  n'est  pas  la  première  fois  que  M.  Al- 


1.  Distribution.  —  Monsieur  Piégois,  M.  Lucien  Guitry. —  Lebrasier^ 
M.  Guy.  —  Herbelin,  M.  Boisselot.  —  Jautel,  M.  Arquillière.  — '  Lestrot, 
M.  Xoizeux.  —  Baron  Alberti,  M.  Coquet.  —  Cerneuil,  M.  Berthier.  — 
Jean,  M.  Blissett.  —  Boisgenôt,  M.  Valentin.  —  Henriette  Aubry, 
M»«  Marthe  Brandèa.  —  Emma,  M»»  J.  Cheirel.  —  M"»  Jantel,  M"»  J. 
Darcourt.  —  Carmen,  M"*  J.  Heller.  —  M"»»  Lestrot,  M"e  M.  Ryter.  — 
Léa,  M'i«  Renée  Desprez.  —  Suzanne,  M"«  J.  Barleys.  —  Marguerite, 
Mlle  Y.  Harnold.  —  Une  dame,  Mlle  M.  Lavigne. 

Le  5  mai,  Monsieur  Piégois  était  précédé,  sur  l'affiche, de  Silvérie  ou 
les  Fonds  hollandais,  comédie  en  un  acte  de  MM.  Tristan  Bernard  et 
Alphonse  Allais. 


THÉÂTRE  DE  LA  RENAISSANCE         278 

fredCapus  nous  présente  M.  Piégois  :  au  Gymnase, 
nous  avions  déjà  vu,  le  chapeau  ren^^ersé  en  ar- 
rière, M.  Numès  esquissant  à  ravir  le  type  d'un 
tenancier  de  cercle,  devenu  millionnaire,  et  bras- 
seur d'affaires  plus  ou  moins  véreuses ...  Le 
M.  Piégois  de  la  Renaissance  est  directeur  du  ca- 
sino d'une  station  thermale  pyrénéenne,  Bagnères- 
d'Oron  qu'il  a,  on  peut  le  dire,  créée  de  toutes 
pièces,  achetant  des  terrains,  construisant  des 
villas,  enrichissant  le  pays  et  faisant  ainsi  une 
grosse,  une  très  grosse  fortune.  Au  Casino  de  Ba- 
gnères-d'Oron,  Piégois  rencontre  un  ancien  cama- 
rade de  collège,  Lebrasier,  qu'il  a  quitté,  il  y  a  sept 
ans,  sous-chef  de  bureau,  et  qu'il  retrouve  chef  de 
bureau,  toujours  sans  fortune.  —  «  Ah  !  dame, 
moi,  dit  mélancoliquement  Lebrasier,  je  n'ai  pas 
compris  mon  époque.  Au  lieu  de  lâcher  mes  études 
et  de  mener  une  existence  de  vagabond,  j'ai  suivi 
ma  carrière  régulièrement.  Ma  famille  a  voulu  faire 
de  moi  un  fonctionnaire.  Et  je  mourrai*  avec  une 
retraite  de  trois  mille  francs.  Voilà  où  mènent  au- 
jourd'hui les  professions  régulières. . .  Toi,  tu  l'as 
comprise,  ton  époque...  Tu  t'es  dit  que  ce  qu'il 
fallait  avant  tout,  c'est  de  s'enrichir  par  tous  les 
moyens  possibles.  Et  tu  t'es  enricîhi,  je  ne  tiens  pas 
à  savoir  comment. . .  »  —  «  Tu  en  parles  à  ton 
aise,  lui  répond  Piégois.  "Tu  te  plains  d'être  chef  de 
bureau  et  de  gagner  six  mille  francs  par  an . . . 
Mais  à  une  certaine  heure  de  ma  vie...  je  me  serais 
.contenté  de  la  moitié.  Penses-tu  que  j'aie  aban- 
donné ma  médecine  pour  la  joie  de  me  trouver 
seul  sans  sou  ni  maille,  sur  le  pavé  de  Paris  ?  Si 

ANNALES  DU  THÉÂTRE  18 


274  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

mon  père  en  mourant,  après  mes  deux  premières 
années  d'école,  m'avait  laissé  autre  chose  que  le 
restant  d'une  mince  fortune  bourgeoise,  je  n'aurais 
pas  mieux  tiemandé  que  de  devenir  un  grand  mé- 
decin. Le  malheur  est  que  nos  familles  nous  lan- 
cent parfois  dans  des  professions  où,  pojir  gagner 
sa  vie,  il  faut  commencer  par  avoir  trente  mille 
francs  de  rente. . .  Après  avoir  couru  pendant  dix 
ans  de  place  en  place  et  fondé  dans  Tintervalle 
deux  ou  trois  journaux  de  sport,  je  me  demandais 
ce  que  j'allais  faire  de  l'espèce  d'énergie  et  de 
volonté  que  je  sentais  en  moi,  quand  est  intervenu 
le  hasard,  qui  n'est  peut-être  que  la  volonté  des 
autres.  Et  un  soir,  au  fond  d'un  tripot,  j'ai  ren- 
contré un  bonhomme  dont  le  nom  ne  t'apprendrait 
rien  et  qui  avait  fait  une  fortune  prodigieuse  dans 
les  affaires  de  casinos  et  de  cercles.  C'est  lui  qui 
me  donna  l'idée  de  fonder  un  casino  ici,  qui  me 
procura  les  fonds  et  l'autorisation  du  gouverne- 
ment avec  qui  il  était  très  bien ...  »  —  «  Tout 
cela  c'est  très  gentil,  répond  Lebrasier,  mais  j'aime 
encore  mieux  ma  situation  que  la  tienne,  car  malgré 
ton  argent  et  ton  luxe,  tu  n'es  tout  de  même  qu'un 
déclassé.  »  —  «  Les  déclassés  sont  tellement  nom- 
breux qu'ils  commencent  à  former  une  classe  qui  a, 
comme  toutes  les  autres,  ses  riches  et  ses  pauvres, 
ses  vainqueurs  et  ses  vaincus.  Mettons  que  je  sois 
le  déclassé  riche  et  arrivé ...»  —  <(  Tu  n'exerces 
pas  une  profession  avouable.  Tu  exploites  les  imbé- 
ciles. »  —  ((  Si  on  n'exploitait  pas  un  peu  les  imbé- 
ciles, il  y  en  aurait  trop.  »  —  «  Un  homme  de  ton 
instruction  pouvait  aspirer  à  autre  chose.  Ça  te  re- 


THEATRE  DE  LA  RENAISSANCE         276 

garde,  chacun  son  goût.  Moi,  si  je  mène  une  exis- 
tence médiocre,  j'ai  au  moins  la  consolation  de 
n'être  sorti  ni  de  mon  rang,  ni  de  mon  milieu.  Toi, 
tu  es  condamné  à  vivre  avec  des  gens  suspects  et 
interlopes.  Tu  diras  ce  que  tu  voudras  :  il  y  a  un 
monde  maintenant  où  tu  ne  pénétreras  plus ...  » 
C'est  précisément  dans  ce  monde  —  toute  la  pièce 
est  là  —  que  Piégois  tentera  de  pénétrer.  Il  aime 
une  jeune  veuve  exquise,  Henriette  Audry,  la  sœur 
du  banquier  Jantel.  Pourra-t-il  jamais  l'épou- 
ser ?...  Qui  sait?  Le  banquier  Jantel  est  juste- 
ment à  la  veille  de  la  ruine.  Il  lui  faudrait  pour 
l'éviter  plusieurs  centaines  de  mille  francs.  Pié- 
gois est  prêt  à  les  fournir,  non  certes  en  les  met- 
tant jians  les  affaires  stupides  que  lui  propose  le 
banquier,  et  qui  comme  on  dit,  ne  valent  pas  un 
clou,  mais  en  tenant  carrément  à  sa  disposition  les 
sommes  dont  il  a  besoin  pour  rétablir  son  crédit. 
Cependant  Henriette  s'est  sentie  séduite  par  la 
belle  intelligence  de  Piégois  qui  lui  est  extrême- 
ment sympathique.  Mais  elle  a  saintement  horreur 
de  ceux  qui,  pour  gagner  de  l'argent^,  ont  com- 
mis des  actes  comme  ceux  qu'on  a  reprochés  au 
directeur  du  casino  de  Bagnères-d'Oron,  jadis 
traîné  en  police  correctionnelle  et  deux  fois  ac- 
quitté ;  or,  deux  acquittements  ne  valent-ils  pas 
une  condamnation  ? .  . .  Pour  mieux  éloigner  Pié- 
gois, pour  l'empêcher  de  songer  à  prendre  une 
place  dans  sa  vie,  elle  l'insulte,  lui  jette  son  passé 
à  la  face,  car  n  a  dans  sa  famille  que  des  hom- 
mes d'honneur.  ..  Piégois  ne  peut  alors  contenir 
sa  colère.  11  lui  sied  bien,  vraiment,  de  faire  la 


276       ,   LES  ANNALES  DU  THEATRE 

dédaigneuse,  elle  qui  ne  sait  pas  ce  que  c'est  que 
la  lutte  pour  l'existence,  elle  ji  qui  il  a  suffi  de 
naître  pour  être  riche  ! . . .  Il  lui  convient  bien  de 
parler  de  la  sorte  :  si  Piégois  n'avait  été  ce  qu'il 
fut,  c'en  serait  fait  de  l'honneur  de  son  frère  ! .  .  . 
Mais,  puisqu'il  en  est  ainsi,  il  renonce  à  la  sauver, 
Jantel  peut  chercher  un  autre  commanditaire .  .  . 
C'est  alors  que  rentre  Piégois,  honteux  de  s'être 
laissé  emporter  et  présentant  ses  excuses  :  «  Ce 
n'est  pas  très  chic,  ce  que  j'ai  fait  là  !  »  Il  a  promis 
de  sauver  Jantel  :  il  n'a  qu'une  parole...  Le  second 
acte,  en  son  entier,  était  de  tout  premier  ordre,  et 
ce  sont  des  acclamations  qui  en  avaient  accueilli  le 
baisser  du  rideau.  Nous  aimions  moins  le  dernier 
acte,  plus  «  flou  »,  et  qui  eût  demandé  à  être 
«  serré  ».  11  fallait  qu'Henriette  connût  le  désinté- 
ressement de  Piégois,  qui  va  jusqu'à  faire  (ton  à 
Bagnères-d'Oron  de  son  casino;  il  fallait  qu'elle  vît 
clair  dans  son  propre  cœur  ;  il  fallait  qu'Emma, 
qui  avait  été  depuis  les  mauvais  jours  la  maîtresse 
dévouée  de  Piégois,  reconnût,  elle  aussi,  qu'elle 
n'était  pas  faite  pour  devenir  sa  femme  ;  il  fallait 
enfin  que  Lebrasier,  l'envieux  Lebrasier,  applanît 
toutes  les  difficultés  en  se  chargeant  du  sort 
d'Emma.  Prise  en  soi,  chacune  de  ces  scènes  était 
agréable  et  jolie.  Pourquoi  l'ensemble  en  parais- 
sait-il un  peu  long  et  traînant?  L'œuvre  a  été  jouée 
en  toute  perfection.  Que  dire  encore  de  Guitry, 
sinon  qu'il  se  surpasse  vraiment  à  chacune  de  ses 
créations,  qu'il  est  peut-être  le  plus  grand  acteur 
de  l'heure  actuelle?  Quelle  sereine  maîtrise  dans 
sa  composition  du  rôle  de  Piégois  !  Quel  naturel  et 


THEATRE  DE  LA  RENAISSANCE         277 

quelle  puissance  dans  la  simplicité!  Avec  quel  talent 
M"®  Brandès  a  su  faire  valoir  les  nuances  les  plus 
délicates  du  rôle  de  la  sensible  Henriette,  dont 
s'effondrent^  en  dépit  qu'elle  en  ait,  les  sévères 
principes  !  Louons  encore  le  jeu  tout  en  dehors  de 
M"®  Cheirel,  très  touchante  Emma;  la  justesse 
d'accents  de  M*^^  Juliette  Darcourt,  la  clairvoyante 
belle-sœur  d'Henriette  Audry;  la  vérité  comique  à 
la  Thiron  de  M.  Guy,  si  amusant  Lebrasier;  la 
dignité  si  plaisante  de  M.  Boisselot,  l'heureux 
maire  de  Bagnères-d'Oron  ;  l'angoisse  du  financier 
désemparé,  fort  bien  rendue  par  M.  Arquillière. 

La  saison  s'était  close  à  la  fin  du  mois  de  mai, 
avec  la  pièce  de  M.  Alfred  Capus  :  Monsieur  Pié- 
ffois,  reparaissait  sur  l'affiche  le  3  octobre,  pour 
la  réouverture  du  théâtre. 

4  NOVEMBRE.  —  Première  représentation  de  Ber- 
irade,  comédie  en  quatre  actes  de  M.  Jules  Lemaî- 
tre*.  —  Comédie,  selon  l'affiche  ;  c'est  drame  qu'il 
fallait  dire,  car  la  pièce  comportait  mort  d'homme, 
et  suicide  bien  entendu,  pour  se  conformer  à  l'usage 
du  moment.  On  connaît  la  conscience  de  M.  Jules 
Lemaître,  et  aussi  qu'il  ne  se  complaît  pointa  l'ana- 
lyse de  sentiments  quintessenciés.  Il  attache  géné- 
ralement l'effort  de  son  étude  psychologique  sur  le 
héros  qu'il  entoure  de   personnages   simples,    de 

Distribution.  —  Le  duc  de  Mauferrand,  M.  L.  Guitry.  —  M»  Aubert, 
M.  Guy,  —  Le  comte  de  Vaneuse,  M.  Dieudonné.  —  Chaillard,  M.  Ar- 
quillière, —  De  Taranne,  M.  Maury.  —  Hector  de  Ligny,  M»  Coquet. 
—  Joseph,  M.  Berthier.  —  Bertrade  de  Mauferrand,  M"«  Brandès.  — 
La  comtesse  de  Laurière,  M»»  A.  Judic.  —  La  baronne  de  Rommelsbach, 
Mil»  /.  Dareourt.  —■  Huguette  de  Ligny,  Mii«  M.  Ryter.  —  Célestine, 
MU«  /.  Fusier.  —  Solange,  M»»  Barneville. 


278  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

braves  gens  aptes  aux  raisonnements  honnêtes.  II 
choisit   de  préférence   le    drame  intime,  le   choc 
des  passions  familiales,    T homme  qui   est  né,   je 
ne  dirai  pas  bon,  mais  point  méchant,    et  qui    a 
sombré  par  l'amour  de  l'argent.  La  Massière^  qui 
fut  le  plus  grand  succès  de  la  précédente  saison, 
nous  montrait  un  père  en  lutte  avec  son  fils  pour 
la  même  femme,   la  même  jeune  fille,  un  père, 
équilibré  jusque-là,  que  détraquait  un  souffle   de 
rajeunissement.  Bertrade  nous  initie  à  une  tragédie 
similaire.  Le  duc  de  Mauferrand  est  ruiné,  il  vit 
sur  son  nom,  sur  ses  ancêtres,  hautain  avec  ses 
créanciers,  intransigeant  sur  le  point  d'honneur. 
Mais  il  ne  s'est  pas  aperçu  que  ses  grands  gestes 
fiers   ne  font  que  couvrir  une  surface  fragile.   — 
Peu  à  peu,  déguisant  sous  des  prétextes  altiers  son 
absence  de  scrupules,  il  a  dégringolé  dans  Testime 
du  monde.  —  Pas  encore  dans  la  sienne   propre, 
car  il  est  inconscient  de  sa  déchéance  morale ...  II 
accepte,  sans  trop  s'en  rendre  compte,  la  possibi- 
lité de  certaines  compromissions.  La  fille  de  Mau- 
ferrand,  Bertrade,  orpheline  depuis  dix-sept  ans, 
a  été  confiée  aux  soins  de  la  comtesse  de  Laurière, 
sa  tante,  qui  s'est  chargée  de  son  éducation.  Ber- 
trade est  une  nature  droite  et  saine  ;  elle  a  vu  très 
peu  son  père  (quinze  fois  en  dix-sept  aiis)  ;  elle  le 
respecte  plus  qu'elle  ne  l'aime  et  sent  très  bien  la 
distance  qui  les  sépare,  en  leurs  deux  existences  si 
distinctes  de  vieux  viveur  et  déjeune  recluse.  M.  de 
Taranne,   jeune   gentilhomme   campagnard,   sans 
fortune,  a  demandé  la  main  de  Bertrade,  sans  suc- 
cès, car  Mauferrand  médite  d'avoir  pour  gendre 


THEATRE  DE  LA  RENAISSANCE         279 

un  nommé  Chaillard,  entrepreneur  véreux,  entiché 
de  noblesse,  qui,  pour  prix  d'une  alliance  si  flat- 
teuse, paiera  les  trois  millions  de  dettes  du  duc  et 
lui  assui^ra,  sa  vie  durant,  120.000  livres  de 
rente.  Bertrade  s'étonne  du  refus  de  son  père,  in- 
siste et  finit  par  lui  arracher  sa  confession.  Pour 
sauver  son  père  indigne,  elle  devra  non  pas  être  la 
jeune  fille  qui  se  marie  par  amour,  mais  la  mar- 
chandise qu'on  vend.  Menacé  de  la  saisie,  et  ju- 
geant la  yolonté  de  Bertrade  inébranlable,  Mau- 
ferrand  finit  par  envisager  «  pour  se  refaire  »  la 
possibilité  d'un  mariage  avec  une  ancienne  à  lui, 
la  baronne  de  Rommelsbach,  veuve  d'un  baron 
autrichien  dont  elle  a  hérité  de  riches  mines  de 
cuivre.  Cette  baronne  avait  connu  le  duc,  petite 
actrice  à  Çobi^o,  vers  la  fin  du  second  Empire  ; 
c'est  une  fine  mouche  très  amorale  et  très  tentante 
qui  a  su  racheter  toutes  les  créances  de  son  ancien 
amant  et  croit  ainsi  le  tenir  et  l'amener  à  une 
union  doublement  utile,  pour  lui  et  pour  elle.  Lui, 
en  qui  fermente  encore  un  reste  d'honneur,  hésite, 
interroge,  et  se  laisserait  aller  à  cet  acte  qui  le 
brûlerait  définitivement,  si  Bertrade,  qui  a  lu  dans, 
un  journal  la  nouvelle  de  ce  mariage  déshonorant, 
ne  venait  le  supplier  de  n'en  rien  faire.  Elle  évoque 
tous  les  exemples  des  aïeux  lointains,  les  princi- 
pes héréditaires  que  le  père  a  oubliés,  mais  qui  se 
sont  transmis  chez  la  fille  et  ont  fait  son  âme 
haute  et  forte,  et  Mauferrand  voit  enfin  clair  en 
lui-même.  Pour  la  première  fois,  il  comprend  qu'il 
a  été  un  mauvais  père,  et  qutî  son  mépris  de  l'ar- 
gent.». .  des  autres  n'a  eu  d'égal  que  son  âpre  désir 


28o  LES    ANNALES    DU    THEATRE 

d'en  ressaisir  par  des  moyens  inavouables  :  ou 
vendre  sa  fiUe  à  Chaillard,  ou  se  vendre,  lui,  à 
Tancienne. cabotine,  son  ex-maîtresse  devenue  (et 
comment!)  millionnaire.  Et  le  duc  resté  seul,  pour- 
suivi de  cette  idée  fausse  que  le  suicide  pour  un 
homme  c  qui  se  respecte  »,  est  préférable  à  une 
lutte  grave  et  pénible,  trop  lâche,  d'autre  part, 
pour  se  résigner  à  vivre  sans  luxe,  esquisse  un 
grand  signe  de  croix  et  se  fait  sauter  la  cervelle . 
La  pièce  écrite  d'un  style  sobre  et  net,  avec  des 
coins  d'un  esprit  délicieux  (certain  tableau  du 
second  Empire  était  d'une  bien  ironique  évocation) 
péchait  par  le  sujet  qui  manquait  d'originalité.  Le 
personnage  de  Mauferrand  était  d'une  analyse  cu- 
rieuse ;  mais  il  avait  le  tort  d'être  antipathique,  et 
les  entités  qui  l'entouraient  n'offraient  pas  la 
saveur  de  celles  auxquelles,  dans  ses  autres  pièces, 
M.  Jules  Lemaître  nous  avait  accoutumés.  Sauf, 
pourtant,  la  silhouette  vraiment  savoureuse  de  la 
baronne  de  Rommelsbach  qui  fut  pour  M™^  Juliette 
Darcourt  un  véritable  triomphe  :  il  n'était  pas 
possible  de  composer  un  rôle  et  de  l'interpréter 
avec  plus  de  maestria,  de  finesse  et  d'esprit. 
M.  Guitry  était  d'une  vérité  saisissante  en  duc  de 
Mauferrand  :  il  en  avait  merveilleusement  rendu 
la  noble  veulerie,  l'inconscience  je  m'enfoutiste, 
l'absence  toute  naturelle  de  préjugés.  —  «  Jadis  le 
Roy  aurait  payé  mes  dettes  ».  Cette  phrase  expli- 
que tout  le  personnage,  qui  évidemment  ne  peut 
pas  se  croire  débiteur  d'une  république.  Et  puis  il 
disait  des  choses  sur  l'argent  qu'on  pense  souvent, 
mais  qu'on  aimerait  mieux  ne   pas  entendre. . . 


THEATRE  DE  LA  RENAISSANCE         281 

Peut-être  parce  que  c'est  trop  humain.  M"^  Bran- 
dès  était  une  Bertrade  chaste  et  hautaine  ;  elle 
souffrait  et  nous  partagions  sa  souffrance  :  sa 
douleur  nous  émut,  car  c'était  de  la  vraie  douleur; 
ses  larmes  étaient  vraiment  pleurées.  Nous  avons 
applaudi  furieusement  M"*®  Judic  en  de  meilleurs 
rôles  :  ce  n'était  point  sa  faute  si  nous  ne  pouvions 
cette  fois  l'applaudir  que  sympathiquement. 
M.  Arquillière  fut  un  Chaillard  parvenu  à  souhait, 
et  M.  Dieudonné  prêtait  à  un  vieux  viveur  dans  la 
purée  son  élégance  naturelle.  M.  Maury  était  un 
amoureux  ardent.  M.  Coquet  un  nobliau  adroite- 
ment ridicule.  Il  ne  nous  restait  plus  qu'à  déplo- 
rer que  M.  Guy  n'eût  pas  été  mieux  servi  en  un 
rôle  de  notaire  qui  ne  dé.passait  pas  les  limites 
d'une  ((  utilité  »,  d'autant  plus  difficile  à  jouer 
qu'il  ne  rapportait  guère  :  à  cet  excellent  artiste, 
on  devait  une  revanche. 

6  DÉCEMBRE.  —  '  Première  représentation  de 
V Espionne,  comédie  en  quatre  actes  de  M.  Victo- 
rien Sardou*.  —  Nous  ne  connaissons  pas 
d'exemple  aussi  frappant  de  la  continuité  dans  le 
succès  que  l'existence  si  prodigieusement  remplie 
de  l'auteur  de  Divorçons  et  de  la  Haine.  Et  main- 
tenant même,  le  maître  Sardou  répond  victorieu- 
sement à  ceux  qui  clamaient  ses  pièces  vieillies, 

1.  Distribution.  —  André  de  Maurillac,  M.  L.  Guitry.  —  FavroUe, 
M.  (h*y.  —  Baron  Van  der  Kraft,  M.  Arquillière.  —  Tekli,  M.  Henry 
Rouaselle.  —  Toupin,  M.  Coquet.  —  Godefroy,  M.  Delorme.  —  Gustave, 
M.  Berthier.  —  Le  capitaine,  M.  P.  Laforest.  —  Un  domestique,  M.  Va- 
lantin.  —  Dora,  M^^"  Marthe  Brandès.  —  La  marquise  de  Rio-Zarès, 
M"«  Daynes-Orassot.  —  Zicka,  M»«  Blanche  Dufrène.  —  La  princesse  • 
Bariatine,  Mlle  Juliette  Darcourt.  —  Mion,  M»»  Marthe  Ryter,  —  Eva, 
]||Ut  Barneville. 


28o 

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THEATRE  DE  LA  RENAISSANCE        283 

lieux,  qu'aVait  rendu  avec  tant  de  bonheur, 
prit  et  de  beauté  cette  pauvre  Céline  Montaland. 
1  dit  et  regretté,  il  ne  reste  plus  qu'à  constater 
jgueur  et  l'intérêt  de  ces  quatre  actes  qui  ont 
.1  en  haleine  un  public   heureux   d'applaudir 
.11  du  théâtre  bien  charpenté,  du  vrai  théâtre- 
premier  acte  se  passe  à  Nice,  comme  autrefois 
c'est  le  deuxième,  chez  la  princesse  Bariatine, 
li  a  disparu  —  à  Nice,  refuge  d'épaves,  siège  de 
Ue  société  cosmopolite  où  l'on  risque  de  rencon- 
er  autant   de   filous   que   d'honnêtes   gens.    La 
larquise  de  Rio-Zarès  et  sa  fille  Dora,  à  l'époque 
à  tout  le  monde  quitte  la  côte  d'azur  parce  qu'il 
l'est  plus  chic  d'y  rester,  demeurent  prisonnières 
i  Fhôtel,  dans  l'impossibilité  où  elles  sont  de  payer 
'eurs  notes  accumulées.  C'est  de  cette  position  que 
veut  profiter  le  baron  Van  der  Kraft,  spéculateur 
intrigant  et  voleur,  qui  entretient  à  Paris  une  ar- 
née  d'espionnes  de  tous  les  pays^.  dans  laquelle  il 
inrôle,   sans  qu'elle    s'en  doute,  la  marquise  de 
lio-Zarès  :  mille  francs  par  mois  pour  écrire  une 
îttre  de  temps  en  temps. . .  «  Et  puis  vous  nous 
iconterez  les  potins  de  Paris.  »  Ignorant  tous  ces 
ruits  fâcheux,  André  de  Maurillac  .prend  la  de- 
nse de  la  jeune  fille  parce  qu'il  l'aime  au  point 
î  demander  sa  main.  Il  l'épouse^,  et  le  soir  même 
;s   noces  il  s'aperçoit  qu'on  lui  a  volé  dans  son 
crétaire   un  papier  politique  de  la   plus    haute 
portance  ^  eX  que  le  voleur..*  c  esl  sa  propre 
nme  I  Ici  se  place  utilement  le  pcraoruiam-,  pivot, 
la  piècCj  de  la  princesse  Zika.         4mà  ueusum 
res    du   baron  Van  der  Kdf  ^B|ka  • 


284  LES    ANNALES    DU    THEATRE 

menée  par  la  jalousie,  car,  elle  aussi,  aimait  André 
de  Maurillac,  et,  le  voyant  lui  échapper,  jura    de 
se  venger.  Elle  se  venge,  en  effet,  avec  une  habileté 
de...  prestidigitateur,  subtilisant  des  clefs,  enfer- 
mant le  document  volé  dans  des  lettres  particu- 
lières,  «  passez,  muscade  »,  et  amenaht  ainsi    la 
séparation  définitive  entre  Maurillac  et  sa  femme, 
soupçonnée,  que  dis-je,  convaincue  d'un  espionnag-e 
odieux.  Deux  scènes  sont  traitées  de  main  de  maî- 
tre :  celle  entre  les  deux  époux,  où  M"®  Brandès  a 
trouvé    des    accents    d'une    sincérité    déchirante, 
M.  Guitry,  des  cris,  des  attitudes  tragiques  dans 
leur  simplicité.  Et  surtout  la  fameuse  scène  «  des 
trois  hommes  »,  qui  a  retrouvé  l'accueil  triomphal 
qu'elle  avait  eu  jadis  avec  MM.   Pierre   Berton, 
Dieudonné  et  Train.  Aujourd'hui  la  discussion  ou 
plutôt  Fenquéte  a  lieu  entre  MM.  Guitry,  Guy  et 
Henry  Rousselle,  un  nouveau  venu  (il  fut  autrefois 
à  rOdéon)  dont  on  a  apprécié  la  chaleur  et  le  jeu 
sobre,  et  rien  de  plus  émouvant  que  le  problème 
qui  se  pose  :  un  homme  qui  a  accusé  une  femme 
devant  son  mari,  sans  savoir  qu'elle  était  sa  femme, 
a-t-il  le  droit  de.se  taire,  ou  le  devoir  de  chercher 
avec  le  mari  même  la  vérité  qui  peut  ou  perdre 
cette  femme  si  coupable,  ou  la  sauver  innocente  ? 
Le  dénouement  est  ingénieux,  mais  faible  :  il  re- 
pose sur  la  découverte  de  la  véritable  espionne  par 
l'indiscrétion  d'un  parfum.  Le  public  a  paru   ce- 
pendant y  trouver  un  plaisir.  Il  m'a  semblé  d'ailleurs 
qu'on  éprouva  à  Taudition  d'une  pièce  de  «  métier  » 
une  sorte  de  soulagement,  de  repos.  Un  specta- 
teur disait  :  «  Cela  repose  des  coupeurs  de  fil  en 


-A 


THEATRE    DE   LA    RENAISSANCE  285 

quatre  I  »  Il  entendait  par  là  les  auteurs  psycho- 
logues et  les  partisans  de  l'école  symbolique. 
Victorien  Sardou  a  vaincu  par  son  habileté,  je 
dirais  presque  par  ses  défauts  mêmes.  Ajoutons 
Tagrémënt  d'une  interprétation  où,  en  dehors  de 
M.  Guitry  qui  est  la  perfection  même.  M"®  Brandès 
s'est  placée  incontestablement  au  premier  rang.  Il# 
fallait  Tentendre  s'écrier  avec  une  joie  d'une  émo- 
tion intense  et  si  chaste  :  «  Mon  mari  !  Vous  mon 
mari  à  moi  !  à  moi  !  Ah  !  comment  vous  rendre  en 
bonheur  celui  que  vous  me  procurez  aujourd'hui!  » 
Elle  avait  vraiment  tiré  de  ce  passage  le  «  petit 
frissdil  ».  M.  Guy  a  eu  des  gestes  délicieux  de 
finesse,  des  attitudes  éloquentes  :  c'est  un  artiste 
sûr.  M.  Arquillière,  en  baron  Van  der  Kraft,  était 
d'une  silhouette  plus  inquiétante  que  ne  le  fut 
jadis  Parade,  et  M.  Coquet  avait  dessiné  gaiement 
un  rôle  épisodique  d'un  député  invalidé.  M°^®  Day- 
nes-Grassot  excelle  à  fixer  les  t'oies  de  composi- 
tion :  dans  la  marquise  de  Rio-Zarès,  elle  montrait 
une  saveur  comparable  à  celle  de  l'étonnante  créa- 
trice M°*®  Alexis.  Mais  nous  n'aimions  pas-M'^^Du- 
frène  dans  le  rôle  de  l'espionne  Zika  ;  elle  était 
froide,  et  son  jeu  banal  ne  donnait  pas  à  cette 
curieuse  figure  le  relief  nécessaire.  Se  rappelle-t-on 
M^'^  Bartet?...  Avec  l'Espionne^  se  terminait  l'an- 
née résumée  dans  le  tableau  suivant  : 


-.'^ 


zjLà  ATT_fcix-  1*1   T^g^raj 


m  ir  A  '• 


•  '  >  •  (  ^<  j 


'  uu.  '  'Ht*-!. 


4  4  i  T. 

4         f    •:  toc- 


33 


THÉÂTRE   ANTOINE* 


Le  3  février,  après  le  noble  effort  du  Roi 
Lear^  où  il  semblait  préluder  magnifiquement  à  la 
direction  de  TOdéon,  M.  Antoine  nous  offrait,  plus 
modestement,  un  spectacle  coupé,  digne  de  l'ancien 
<(  Théâtre  Madame  »,  qui  s'appelle  aujourd'hui 
le  Gymnase.  Deux  de  nos  plus  galants  confrères, 
M.  Alfred  Nalanson,  qui  signe  Alfred  Athis  les  très 
avisées  critiques  dramatiques  de  VHumanitéy  et 
M.  Pierre  Veber,  le  correspondant  spirituellement 
«  rosse  »  du  New-York  Herald^  occupent  Taffiche 
du  Théâtre-Antoine.  Le  premier  "a  déjà  donné  sur 
cette  même  scène  une  gaie  comédie,  Grasse  Maii- 
néey  toujours  inscrite  au  répertoire.  Le  second  est 
beaucoup  trop  connu  comme  romancier  et  comme 
auteur  dramatique  pour  que  nous  ayons  besoin 
d'énumérer  ici  ses  succès  de  théâtre  et  de  librairie. 
Parlons  tout  d'abord  des  Manigances^  comédie  en 
un  acte  dô  M.  Alfred  Athis  ^.  Victor  et  Charlotte 
font  le  plus  charmant  et  le  plus  uni  des  faux 
ménages.  Pourquoi  Victor,  qui,  tous  les  mercredis 
—  c'est  le  seul  jour  qu'ils  se  quittent  —  va  faire 


1.  —  Directeur  :   M.  André  Antoine;    Administrateur  :    M.  Adrien 
Jacque. 

2.  Distribution.  —  Victor,  M.  Signoret.  —  Marcel,  M.  Bonarel.  — 
Charlotte,  M»*  Jeanne  Lion. 


288  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

son  poker  chez  de  braves  bourgeois  de  sa  connais- 
sance, y  puise-t-il  Tidée  de  se  marier  ?  Il  y  a  là  une 
((  demoiselle  »  riche  dont  il  ferait  volontiers  sa 
femme.  Mais  pour  cela,  il  faudrait  rompre  propre- 
ment avec  Charlotte^  non  pas  selon  Tusage,  en  lui 
"attribuant  une  somme  d'argent  —  fi  !  que  c'est 
mesquin  !  —  mais  en  se  faisant  ingénieusement 
lâcher  par  elle  :  son  ami  Marcel  n'est-il  pas  là  tout 
prêt  à  recueillir  sa  succession  ?  Marcel  l'aime 
depuis  longtemps  :  il  ne  la  prendrait  pas  à  son 
ami,  il  la  prendra  d'un  ami.  Il  se  charge  donc  de 
prévenir  Charlotte.  Celle-ci,  tout  attristée,  ne  pro- 
teste pas,  ne  récrimine  pas  :  elle  semble  se  laisser 
faire.  Mais  à  quoi  servent  toutes  ces  «  mani- 
gances »  ?  Et  comme  avec  un  peu  de  tendresse 
sincère  elle  reconquiert  vite  Têtre  faible  et  irrésolu 
qu'est  Victor,  déjà  confus  et  repentant  I  Et  c'est 
elle,  alors,  qui  le  consolera  de  la  peine  qu'il  lui  a 
causée...  La  scène  est  joliment  filée  .Sur  un  thème 
connu,  l'acte  de  M.  Athis  est  d'une  bien  piquante 
observation.  Mais,  en  ses  brèves  dimensions,  il  a 
paru  quand  même  un  peu  long.  Ajoutons  qu'il 
nous  réservait  cette  surprise  de  nous  montrer 
médiocre,  sous  le  veston  de  Victor,  M.  Signoret, 
qui  a  tant  de  talent...  Passons  à  V Amourette, 
comédie  en  trois  actes  de  M.  Pierre  Veber*.  Un 
riche  commerçant,  M.  I^averton,  est  père  de  deux 
filles,  Jeannine  et  Marthe,  qu'il  mariera  —  c'est 


1.  Distribution.  —  Maingant,  M.  Antoine.  —  Mazure,  M.  Francès.  — 
Laverton,  M.  Mosnier.  —  Tapageur,  M.  Degeorge,  —  Emile,  M.  Vargcts, 
—  Claude,  M.  Capellani.  —  Jeannine  Mii«  Andrée  Méry.  —  Marthe, 
M"«  De  Villers.  —  W^^  Pensériaux,  Mme  Ellen  Andrée.  —  M»»»  Laverton, 
M""»  Marie  Délia.  —  M""  Boizel,  M™»  Miller, 


^       THEATRE    ANtOINE  289 

prévu  —  un  jour  ou  Tautre.  Deux  jeunes  gens, 
Emile  et  Claude,  sont,  tous  les'  dimanches,  invités 
à  passer  la  journée  à  sa  maison  de  campagne.  Le 
premier,  qui  aime  Jeannine,  est  bien  trop  timide 
pour  se  déclarer.  Le  second,  infiniment  plus  hardi, 
se  fait  aimer  d'ellie...  au  point  qu'elle  consent  à  se 
laisser  enlever  en  automobile  —  ô  le  fait-divers  ! 
—  quand  le  papa  a  trouvé  Claude  trop  pauvre 
pour  l'accepter  comme  gendre.  Et  voilà  nos  deux 
amoureux  gagnant,  à  une  vitesse  de  soixante  à 
rheure,  la  frontière  bruxelloise.  Ils  échouent  —  la 
fâcheuse  panne  !  à  quelques  lieues  de  là,  en  Seine- 
et-Oise,  dans  une  mauvaise  auberge  où  Jeannine 
commence  à  trouver  que  Taventure  rêvée  est  bien 
mal  organisée,  qu'égoïste  et  maladroit,  son  amou- 
reux idéal  est  bien  peu  digne  de  faire  un  mari. 
Bénie  soit  l'arrivée  de  son  père  qui,  fort  à  propos, 
les  rapatrie,  mais  qui  décide  d'accorder  à  Claude 
la  main  de  celle  qu'il  a  gravement  compromise .  . . 
Alors  la  situation  se  retourne  :  Jimile  ose  parler  et 
demander  officiellement  la  main  de  Jeannine; 
Claude  sera  le  mari  de  sa  sœur  Marthe,  qui  l'ai- 
mait sans  le  dire.  Et,  légèrement  abasourdi,  tout 
d'abord,  par  cet  invraisemblable  chassé-croisé,  le 
papa  Laverton  s'estimera  sans  doute  heureux  de 
les  avoir  casées  toutes  les  deux.  Sujet  un  peu 
menu,  me  direz-vous.  Oui...  certes,  mais  le  dialogue 
est  si  gai,  si  léger,  qu'il  emporte  le  succès.  Celui-ci 
avait  été  très  vif  au  premier  acte.  Il  fut  un  peu 
moindre  au  second,  malgré  la  puissance  comique 
du  bon  Francès,  majestueusement  bouffon  dans 
son  gendarme  sans  pitié  pour  les  automobiles.  11 

ANNALES  DU  THÉÂTRE  19 


290  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

fut  un  peu  moindre  encore  au  dernier  acte,  malgré 
le  naturel  charmant,  Tentrain  joyeux  et  Témotion 
délicate  de  M^^^  Andrée  Méry,  sous  les  traits  de  la 
spirituelle  Jeannine.  M.  Vargas  lui  donnait  une 
réplique  attendrie.  M.  Antoine  fut  le  raisonneur 
applaudi  de  l'agréable  vaudeville.  —  M.  Bénière, 
à  qui  ses  importantes  fonctions  d'entrepreneur  du 
Métropolitain  laissent  apparemment  quelques  loir 
sirs,  nous  avait  déjà  donné  une  mordante  satire,  in- 
titulée les  Tabliers  blancs.  Cette  fois,  à  la  façon  de 
Courteline,  de  Mirbeau  peut-être,  dans  une  comédie 
en  un  acte  intitulée  *,  Les  Experts^  il  part  en  guerre, 
vaillamment  et  drôlement,  contre  les  experts  igno- 
rants, canailles^  et  de  plus  inconscients.  M.  Joubert 
a  congédié,  à  trois  heures  de  l'après-midi,  son 
ouvrier  Cérolles,  à  qui  il  a  réglé  son  compte  tout 
comme  s'il  avait  travaillé  jusqu'à  six  heures.  Et 
voilà  qu'à  quatre  heures,  en  flânant  rue  Tique- 
tonne,  celui-ci  a  glissé  sur  une  pelure  d'orange  et 
s'çst  cassé  la  jambe.  Le  patron  est-il  responsable  de 
cet  accident  !  Est-ce  un  accident  de  travail  ?  C'est  ce 
que  veut  soutenir  Cérolles,  qui  réclame  une  indem- 
nité de  10.000  francs.  Les  quatre  experts  discutent 
si  sottement  que,  pour  en  finir,  pour  ne  plus  avoir 
rien  de  commun  avec  eux,  Joubert  lâche  2.5oo  fr. 
Que  recevra  Cérolles  ?  Un  billet  de  cent  francs,  en 
tout  et  pour  tout.  Les  2.400  francs  sont  mangés 
par  les  frais  et  partagés  par  les  quatre  experts .  Et 
l'on  dit  que  la  justice  est  gratuite.  La  justice,  c'est 


1,  Distribution.  —  Tipeton,  M.  Degeorge,  —  Pantelin,  M.  Desfori' 
laines.  —  Anglure,  M.  Bonareh  —  Cérolles,  M.  Saverne.  —  Joubert, 
M.  Léon  Bernard.  —  Sivart,  M.  Defresnes.  —  Marie,  Mi'«  Marley. 


THEATRE    ANTOINE  29 I 

possible.  Mais  il  n'en  est  pas  de  même  des  juge- 
ments. On  a  beaucoup  ri  de  la  boutade  et  parti- 
culièrement applaudi  la  ronde  bonhomie  de  M.  De- 
george,  le  «  loyal  »  président  d'expertise. 

22  FÉVRIER. —  Première  représentation  des  Ava- 
riés, pièce  en  trois  actes  de  M.  Brieux  *.  —  L'in- 
terdiction des  Avariés  par  la  censure  nous  valut, 
il  y  a  quelques  années,  une  soirée  des  plus  curieuses. 
C'était  exactement  le  ii  novembre  1901.  Dans  la 
pimpante  salle  du  Théâtre  Antoine  on  voyait,  entre 
autres,  personnalités  invitées,  le  procureur  général 
Bulot,  voisin  de  loge  de  M.  Arthur  Meyer,  et  sur 
la  scène,  rangés  en  demi-cercle  autour  de  la  table 
de  M.  Brieux,  lisant  lui-même  sa  pièce,  une  bril- 
lante assemblée  de  jeunes  internes,  dont  la  jaquette 
de  ville  eût  pu  en  la  circonstance  être  remplacée 
par  une  blanche  serpillière  d'hôpital. . .  Le  succès 
fut  immense.  Cette  fois,  la  pièce  a  été  représentée 
après  que  M.  Antoine,  en  habit  noir,  se  fut  avancé 
dès  le  lever  du  rideau,  pour  prévenir  le  public  des 
intentions  de  l'auteur  :  «  Cette  pièce  a  pour  sujet 
l'étude  de  la  syphilis  dans  ses  rapports  avec  le 
mariage.  Elle  ne  contient  aucun  sujet  de  scandale, 
aucun  mot  obscène.  Est-il  donc  nécessaire  que  les 
femmes  soient  sottes  et  ignorantes  pour  être  ver- 


1.  Distribution.  —  Le  directeur  du  théâtre,  M.  Antoine.  —Le  docteur, 
M.  Mosnier.  —  L'Avarié,  M.  Léon  Bernard.  —  Le  beau-père,  M.  Des- 
fontaines.  —  Un  père,  M.Degeorge.  —  Un  élève,  M.  Verse.  —  L'épouse, 
MHe  Van  Dçren.  —  La  mère,  M'ie  Grumbach.  —  La  nourrice,  M»»*  Mil- 
ler. —  Une  fllle,  M'l«  Jeanne  Z»»on.  —  Une  domestique,  MH« -Barsan<7e. 
—  Une  ouvrière,  Mii«  Marley. 

Ce  même  soir,  avait  lieu  le  remarquable  début  de  M^e  Jeanne  Lion 
dans  le  rôle  de  Poil  de  Carotte,  la  comédie  en  un  acte  de  M.  Jules 
Renard. 


29*^  LES    ANNALES    DU    THEATRE 

tueuses  ?»  On  a  acclamé  ces  quelques  mots  de  pré- 
face et,  par  l'audition  des  trois  actes  des  Avariés, 
on  a  acquis  la  preuve  que  Tauteur,  imbu  d'idées 
si  généreuses  et  si  morales,  n'était  rien  moins  qu'un 
pornographe.  Quant  à  affirmer  que  sa  pièce  est  une 
bonne  pièce,  et  que,  très  convenablement  jouée 
d'ailleurs  comme  elle  Ta  été,  elle  doive  avoir  un 
succès  durable,  ça,  c'est  une  autre  affaire.  Le  pre-  ^ 

mier  acte  ne  se  compose  que  d'une  seule,  mais  une 
longue  scène  entre  le  jeune  homme,  «  l'avarié  »  — 
le  mot  est  resté  —  qui  vient  consulter  un  spécia- 
liste au  sujet  de  son  mariage  prochain,  et  le 
médecin,  qui  l'engage  fort  à  le  retarder  de  trois  ou  i 

quatre  ans.  «  Il  me  faut  ça  pour  vous  guérir  !»  a 
dit  le  médecin,  faisant  entrevoir  au  malade  tous  les 
malheurs  qui  résulteraient  d'une  union  cotitractée  I 

avant  ce  délai  :  la  femme,  les  enfants. . .  «  Vous 
ne  commettrez  pas  ce  crime  !  »  ajoute  le  bon  doc- 
teur. Nul  ne  doute  qu'il  le  commettra . . .  Au  second 
acte,  il  l'a  commis.  Marié,  très  heureux  en  ménage, 
il  est  supris  —  surpris  !  —  par  un  coup  de  foudre. 
Son  bébé  est  atteint,  et  le  spécialiste  —  le  même 
qu'au  premier  acte  —  déclare  qu'il  faut  lui  retirer 
la  nourrice,  en  danger  elle  aussi,  et  la  nourrice, 
bientôt  mise  au  courant,  déclare  qu'elle  aime  mieux 
perdre  sa  place  que  de  continuer  à  allaiter  un 
enfant  pourri  —  comme  son  père . . .  Alors  la 
femme  sait  tout  :  c'est  un  cas  de  divorce.  Ainsi  du 
moins  le  croit  son  père,  avant  d'avoir  vu  le  méde- 
cin —  toujours  le  même  spécialiste  —  qui  refuse 
d'abord  de  lui  délivrer  le  certificat  attestant 
<(  Ta  varie  »,  puis,  qui  —   le  troisième  acte  n'est 


THEATRE    ANTOINE  298 

qu'une  conférence  médicale  à  deux  personnages  — 
.finit  par  lui  prouver,  avec  quelques  exemples  à 
l'appui,  et  d'une  façon  vraiment  par  trop  optimiste, 
(^  tout  est  bien  comme  ça,  que  sa  fille  et  son 
gendre  feront,  par  la  suite,  le  meilleur  et  le  plus 
sain  des  ménages ...  Vous  attendiez-vous  à  cette 
étrange  conclusion?...  Aujourd'hui,  avant  de 
contracter  un  mariage,  on  réunit  les  notaires  des 
deux  familles ...  Il  serait  au  moins  aussi  utile  de 
rjéunir  leurs  deux  médecins . . .  Tel  est  le  «  deside- 
ratum »  de  M.  Brieux,  dont  le  «  sermon  laïque  », 
—  ainsi  l'appela,  le  soir  de  la  lecture,  M.  Camille 
PeUetan,  montant  sur  la  scène  entre  le  chansonnier 
Couyba  et  le  socialiste  Fournière  —  ne  manque, 
certes,  ni  de  bon  sens,  ni  d'à-propos,  —  sans  rien 
ajouter  d'ailleurs  à  la  gloire  de  l'auteur  du  Bon 
Juge  et  de  Blanchette ...  En  dépit  de  quelques 
écarts  de  mémoire,  M.  Mosnier  a  interprété  avec 
beaucoup  d'intelligence  et  de  conviction  le  rôle  du 
médecin.  M.  Léon  Bernard  a  très  justement  rendu 
la  triste  veulerie  de  «  l'Avarié  ».  M™®  Miller  a  mis 
du  naturel  au  rôle  de  la  nourrice  où  elle  nous  a 
seulement  semblé  un  peu  marquée,  un  peu  trop 
inélégante  :  ses  patrons  sont  des  gens  riches,  fort 
capables  de  payer  les  rubans  de  ses  bonnets. 

3i  MARS.  —  Première  représentation  du  Meilleur 
partie  pièce  en  trois  actes,  de  M.  Maurice  Main- 
dron*.  —  Après  avoir  collectionné  avec  un  soin 


1.  Distribution.  —  Comte  de  Keraudran-Kermaria  (La  Rapine)  M.  Du- 
quesne.  —  Baron  de  Héribour,  M.  Marquet.  —  Comte  de  Chambouchard, 
M.  Signoret.  —  Urbain  Raynaud,  M.  Mosnier.  —  De  Moncayaux, 
M.  Léon  Bernard.  —  Du  Bartois,  M.  Degeorge.  —  Sergent  Gossec, 
M.  Saverne.  —  Yvain  de  Kerlor,  M.  Lauff'.  —  Un  soldat,  M.  Malherbe. 


294  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

jaloux,  pour  lui-même  et  au  compte  de  l'Etat,  les 
insectes  les  plus  rares,  M.  Maurice  Maindron  s'est 
voué  à  Tétude  raisonnée  des  belles  armures  et  des 
riches  costumes  d'autrefois  —  le  seizième  siMe 
est  son  époque  favorite  —  et,  passé  maître  en  la 
science,  le  doux  entomologiste  d'antan  s'est  mis  à 
écrire^  de  violents  romans  historiques,  pleins  de 
rudesse  et  de  carnage.  C'est  à  la  guerre  civile  — 
la  seule  guerre  selon  lui,  cmi  soit  logique,  parce 
que  les  adversaires  savent  pourquoi  ils  se  battent 
. —  c'est  au  temps  singulièrement  troublé  de  la 
Ligue  que  l'auteur  de  Saint-Cendre  a  emprunté  les 
quatre  tableaux,  dont  l'exacte  et  curieuse  mise  en 
scène  devait  tenter  M.  Antoine,  toujours  en  quête 
de  nouveau  et  de  hardi.  —  «  Ce  n'est  point  ici, 
boulevard  de  Strasbourg,  c'est  là-bas,  à  l'Odéon, 
que  je  jouerai- votre  pièce!  »  avait  prédit  à 
M.  Maindron  l'ancien  directeur  du  Théâtre  Libre. 
Puis,  comme  —  M.  Ginisty  ne  se  pressant  pas  de 
laisser  la  place  —  le  Meilleur  parti  courait  le 
risque  d'attendre  un  peu  trop  longtemps  encore, 
M.  Antoine  s'est  décidé  à  nous  montrer,  au  bruit  des 
arquebusades  et  des  galopades  de  chevaux  si  bien 
imitées  dans  la  coulisse,  l'amusant  et  pittoresque 
spectacle  de  la  savoureuse  reconstitution  rêvée  par 
l'auteur  —  auquel  il  n'a  guère  manqué  que  d'in- 
venter une  action  dramatique . . .   Pour  oublier  la 


—  Soldat  italien,  M.  Jeandrieu.  —  i"  soldat  espagnol,  M.  Verse.  — 
g«  soldat  espagnol,  M.  Carlet.  —  Soldat  breton,  M.  Blondeau.  —  Made- 
leine de  Juranson,  Mlle  Rolly.  —  Valentine  de  Keraudran,  Mli«  Van 
Doren.  —  M">e  de  Lavilleruault-KerbuUic,  M">«  EUen  Andrée.  —  Mar- 
guerite de  Rieuz,  M»»  Denège.  —  Jeannette,  M"»  Barsange.  —  Yvonne 
de  Kerbullic,  M"»  Marley.  —  Jacqueline,  M""  Kalff.  —  Douairière  de 
Lavilleruaull,  M"»  Darsenne. 


THEATRE    ANTOINE  2^5 

coquette  qu'il  aime,  le  baron  Héribour  s'est  établi 
alchimiste.  Madeleine  de  Juranson  se  donnera- 
t-elle  au  rêveur  ? . . .  Pas  le  moins  du  monde  !  Alors, 
pour  la  séduiie,  il  se  fait  homme  de  guerre,  et 
entre  dans  la  Ligue.  Les  Ligueurs  se  sont  emparés 
de  la  ville.  Ils  barbottent  les  sacs  d'or  et  prennent 
d'assaut  les  femmes.  Un  capitaine  de  bandes, 
La  Rapine,  est  maître  de  la  maison  qu'habite 
Madeleinje  :  la  belle  lui  appartiendra  donc  tambour 
battant . . .  Tant  pis  pour  le  baron  de  Héribour 
s'il  arrive  trop  tard  !  Celui-ci  réussira  pourtant  à 
l'enlever  par  ruse  au  reître  qui  la  bat,  bien  décidé 
désormais  à  lui  faire  violence.  Pour  plaire  aux 
femmes,  mieux  vaut  parfois  violence  que  douceur... 
Et  c'est  là  peut-être,  avec  certaines  d'entre  elles,  le 
«  meilleur  parti  ».  M.  Duquesne  —  dont  c'était  le 
début  au  Théâtre  Antoine,  —  s'est  montré  un 
superbe  et  puissant  soudard.  M.  Signoret  a  moins 
bien  réussi  dans  un  rôle  qui,  disons-le  à  sa  décharge, 
ne  lui  convenait  d'aucune  sorte  :  il  manque  de 
panache.  Si  le  lourd  costume  du  seizième  siècle 
sied  peu  à  son  genre  de  beauté,  M'^^  Jeanne  Rolly 
rend  assez  plaisamment  les  angoisses  de  la  coquette 
réduite  à  se  laisser  violer...  à  la  cantonade;  d'ail- 
leurs nous  ne  sommes  pas  chez  M.  Chairac. 
^iie  Van  Doren,  qui  «  marche  »  avec  plus  de  com- 
plaisance, au  gré  de  son  vainqueur,  est  surtout 
charmante  sous  le  travesti  d'un  jeune  Breton  dont 
elle  se  sert  pour  délivrer  son  amie  Madeleine  des 
griffes  de  son  maître  infiniment  grossier.  Mais  le 
Meilleur  parti  n'a  fait  que  passer  :  trois  repré- 
sentations, pas  une  de  plus  !... 


296  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

i3  AVRIL.  —  Reprise  de  Tante  Léontine^  comé- 
die en  trois  actes  de  MM.  Maurice  BoniTace 
et  Edouard  Bodin  *.  —  Ce  fut,  jadis,  Tun  des 
meilleurs  succès  du  Théâtre  Libre.  Deux  jeunes 
auteurs  y  exposaient  la  question  d'argent,  de 
l'argent  «  impur  »,  dont  M.  Capus  devait,  plus 
tard,  faire  naître  Monsieur  Piégois,  Et  il  nous  y 
montrait  les  scrupules  d'une  vertueuse  famille 
de  Tourcoing  à  recevoir  60,000  livres  de  rente 
acquis  par  «  tante  Léontine  »,  en  menant,  à 
Paris,  le  métier  pénible  et  décrié,  mais  quelquefois 
lucratif,  de  «  cocotte  »...  Cette  pièce  semblait^ 
autrefois,  fort  audacieuse.  Elle  paraît,  ce  soir, 
supérieurement  jouée  par  Antoine  et  Signoret,  par 
jyimès  Rosa  Bruck,  Miller  et  Jeanne  Lion^  amusante 
et  vivante  au  possible. 

12  MAI.  —  Premières  représentations  deja  Racey 
comédie  en  trois  actes  de  M.  Jean  Thorel^  et  de 
Monsieur  Lambert^  marchand  de  tableaux,  comé- 
die en  deux  actes  de  M.  Max  Maurey  3.  —  M.  Jean 
Thorel,  que  nous  tenions  jusqu'à  présent  pour  un 
habile  adaptateur  d'oeuvres  étrangères,  s'est  fait. 


1.  Distribution.  —  Dumont,  M.  Antoine.  —  Paul  Méry,  M.  Signoret. — 
Hardouin,  M.  Mosnier.  —  Léontine,  M"»»  Rosa  Bruck.  —  M™«  Dumont, 
Mme  Miller.  —  Eugénie,  MHe  Jeanne  Lion.  —  Maria,  M»»  Barsange. 

2.  Distribution.  —  Marquis  Bernard  de  Thémiste,  M.  Duqtiesn'i.  — 
Philippe  Gauthier,  M.  Capellani.  —  Comte  Gontran  de  Thémiste,  M.  MoS' 
nier.  —  Maître  Antonin,  M.  Degeorge.  —  Hély  d'Ulbert,  M.  Vargas.  — 
Charlotte  de  Thémiste,  M»»  Van  Doren.  —  Juliette  de  Thémiste, 
MJi«  de  Villiers.  —  Marguerite  de  La  Rouvière,  M"«  Denège.  —  Noëlle, 
Mlle  Marley.  —  Marie,  Mii«  Darsëne. 

3.  Distribution.  — Le  Docteur,  M.  Antoine.^  Lambert, M. Sipnor«/. — 
Le  prince,  M.  Def> fontaines.  —  L'Idiot,  M.  Léon  Bernard.  —  Robert, 
M.  Lauff.  —  Mme  de  Saint-Alain,  M»e  Grumbach.  —  M^e  Lambert, 
W^*  Jeanne  Lion. 


THEATRE   ANTOINE  297 

cette  fois,  Timitateur  d'une  pièce  française,  célèbre 
tout  d'abord  chez  Antoine,  jouée  ensuite,  maia 
avec  moins  de  succès,  au  Théâtre-Français,  au 
moment  où  il  élut  provisoirement  domicile  à 
rOdéon.  Notre  excellent  confrère  a  repris  —  d'in- 
téressante et  originale  façon,  du  reste  —  Tidée 
des  Fossiles,  de  M.  François  de  Gurel...  Le  mar- 
quis Bernard  de  Thémiste,  qui  professe  le  culte 
de  la  race,  n'a  vraiment  pas  de  chance.  Le  «  bon 
Diçu  »  ne  lui  a  donné  que  des  filles.  Or^  il  sait,  à 
n'en  point  douter,  que  l'aînée,  Charlotte,  n'est  pas 
de  lui,  et  à  peine  a-t-il  marié  la  cadette  qu'il  ap- 
prend qu'elle  ne  sera  jamais  mère  :  un  accouche- 
ment la  tuerait...  Que  faire  en  cette  fâcheuse  occur- 
rence? Accepter,  en  dépit  qu'il  en  ait,  le  poupon 
de  Charlotte  ayant  fauté  —  voyez-vous  Fatavis- 
me  !  —  avec  un  jeune  aventurier,  ex-élève  de 
l'Ecole  des  Chartes^  qu'il  occupait  chez  lui  à  re- 
constituer son  arbre  généalogique.  Le  niarquis 
avait  formellement  refusé  son  consentement  au 
mariage  de  Charlotte  avec  ce  plébéien  de  Philippe 
Gauthier  :  il  s'estimera  heureux  de  transmettre  son 
héritage  au  fils  de  Gauthier,  qui  n'a,  d'ailleurs, 
dans  ses  veines  aucune  goutte  de  son  sang.  Et 
sans  dérager  —  oncques  ne  vit  pareil  type  de 
constante  mauvaise  humeur  —  le  brave  homme 
pousse  l'illogisme  jusqu'à  laisser  espérer  qu'à 
cause  du  bébé,  il  aimera  peut-être  un  jour  cette 
Charlotte  qu'il  détestait  au  point  de  lui  défendre 
de  l'appeler  son  père.  Quelle  drôle  de  famille  ! 
Dur  et  cassant  comme  le  voulait  l'auteur,  M.  Du- 
quesne  a    remarquablement  composé  le  rôle  du 


298  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

marquis  entiché  de  sa  noblesse.  II  Ta  même  com- 
pris «  avec  des  bottes  w^  car  il  ne  s'est  pa^  plus 
déchaussé  qu'il  n'a  décoléré  au  cours  de  ces  trois 
actes  que  n'illumine  pas  davantage  le  sourire  de 
sa  digne  adversaire,  curieusement  et  sèchement 
personnifiée  par  M"®  Van  Doren.  Et  ce  n'est  pas  la 
faute  de  M.  Capellani  si,  de  sa  belle  voix  claire  et 
mordante,  il  n'a  pas  rendu  plus  limpide  le  rôle  de 
Philippe  Gauthier,  le  passager  amant  de  M'*®  Char- 
lotte de  Thémiste.  —  La  soirée  se  termine  le  plus 
plaisamment  du  monde  par  une  heureuse  fantaisie 
du  jeune  directeur  du  Grand-Guignol,  M.  Max 
Maurey,  à  qui  nous  devons  déjà  tant  d'œuvrettes 
de  bonne  et  franche  gaieté  :  Un  début  dans  le 
monde  et  Rosalie  ;  V Aventure ^  la  Recommanda- 
tion^ et  dernièrement  encore,  l'irrésistible  Asile 
de  nuit.  C'est  une  histoire  vraie,  tirée  d'un  fait- 
divers  connu  et  déjà  mis  à  la  scène  —  entre  autres 
Un  cas  de  folie ^  donné  aux  Capucines  —  que  celle 
que  nous  conte  Monsieur  Lambert^  marchand  de 
tableaux.  Le  sujet  ne  présentait  sans  doute  rien 
de  bien  nouveau  ;  mais  il  y  avait  «  la  manière  », 
et  M.  Max  Maurey  l'a  traité  avec  tant  de  verve 
dans  l'observation,  tant  de  finesse  dans  le  trait 
comique,  que  le  second  acte  s'est  joué  au  milieu 
des  rires  très  sincères  d'une  salle  énormément 
amusée.  La  scène  se  passe  —  encore  que  la  mer 
ne  soit  pas  très  bleue  —  sur  la  Côte  d'azur.  Que 
faire  à  Monte-Carlo,  à  moins  que  l'on  n'y  joue  ? 
A  la  persistante  recherche  des  numéros  pleins, 
M.  Lambert  s'est  si  parfaitement  décavé  qu'il  ne 
lui  reste  plus  d'autre  ressource  que  de  faire  argent 


THEATRE    ANTOINE  299 

du  diadème  de  sa  femme.  El  comme  il  a  trouvé 
acquéreur  à  dix-huit  mille  francs,  il  s'empresse  de 
porter  l'objet  à  l'adresse  que  lui  a  indiqifée  la 
comtesse  de  Saint-Alain  :  chez  le  D'  Garain,  di- 
recteur d'une  maison  d'aliénés  sur  la  route  de 
Menton.  Mais  la  prétendue  comtesse  a  pris  soin 
de  s'y  présenter  avant  lui  et  d'avertir  le  docteur 
que  son  frère,  le  vicomte  de  Saint-André,  est  at- 
teint de  la  douce  manie  de  se  faire  appeler  Lam- 
bert et  de  réclamer  le  prix  de  bijoux  qu'il  s'ima- 
gine avoir  vendus.  Le  D^  Garain  attend  son  homme 
de  pied  ferme  et  voit  en  lui  —  ces  aliénistes  sont 
si  malins  !  —  le  fou  que  l'on  vient  de  recomman- 
der à  ses  bons  soins.  Il  l'interroge  sommairement, 
et  l'envoie  d'autant  plus  vite  «  à  la  douche  »  que 
notre  pauvre  Lambert,  croyant,  lui  aussi,  avoir 
affaire  à  un  fou,  a  jugé  prudent  d'abonder  dans 
le  sens  de  son  interlocuteur.  Le  quiproquo  —  pas 
très  neuf,  sans  doute,  mais  toujours  très  divertis- 
sant —  ne  s'explique  qu'à  la  rentrée  de  M"«  Lam- 
bert, venant  réclamer  son  mari.  Un  infirmier  — 
celui  qu'on  appelle  l'Idiot  —  a  tout  compris,  ce 
qui  permet  au  docteur  de  reconnaître  sa  méprise, 
aux  Lambert  de  flairer  le  vol  dont  ils  ont  été  vic- 
times. Pas  trop  à  plaindre,  du  reste  :  le  diadème 
était  faux  ;  afin  de  se  refaire  une  bourse  de  jeu, 
M^^  Lambert  en  avait  vendu  les  vraies  pierres,  et 
bien  lui  en  avait  pris,  car  elle  avait,  dépuis  lors, 
toujours  gagné.  La  toile  baisse  sur  les  Lambert  at^ 
tablés  avec  le  docteur  autour  d'une  roulette  de 
chambre  —  Rouge,  impair  çt  passe  !  —  histoire 
d'essayer  une   nouvelle  martingale...  M.  Antoine 


300  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

représente  au  naturel  le  docteur  ignare  et  rou- 
blard. M.  Signoret  est  aussi  effaré  que  le  veut  le 
rôle  de  Lambert.  M"®  Grumbach  est  une  voleuse 
de  grande  allure.  M"®  Jeanne  Lion  est  gracieuse  à 
souhait  sous  les  traits  de  M"^®  Lambert.  M.  Paul 
Bernard,  enfin,  a  bien  le  sourire  de....  l'Idiot  qui 
devine  tout. 

Le  théâtre  avait  fermé  ses  portes  le  3  juin.  Il 
les  rouvrait  le  i4*  septembre  avec  la  Race  et 
la  Parisienne  *.  Puis,  le  i8  septembre,  le  Roi 
Lear  reprenait  pour  quelques  soirs  possession 
de  Taffiche.  Et  l'œuvre  de  MM.  Pierre  Loti  et 
Emile  Vedel^  se  déroulait  avec  son  pittoresque, 
ses  brutalités  et  ses  naïvetés,  aussi  bien  interpré- 
tée qu'auparavant,  au  milieu  des  beaux  décors 
qui,  la  saison  précédente,  avaient  soulevé  dans 
Paris  une  enthousiaste  admiration. 

10  OCTOBRE.  —  Première  représentation  de 
Vers  l'amour j  comédie  en  cinq  actes  de  M.  Léon 
Gandillot^.  —   Un  grand,  un  très  grand  succès. 


1.  Distribution.  —  Lafont,  M.  Antoine.  —  Simpson,  M.  Signoret.  — 
Dumesnil,  M.  Mosnier.  —  Clotilde,  MHe  j.  Roîly.  —  Adèle,  M»e  Bar- 
sange. 

2.  Distribution.  —  Lear,  M.  Antoine.  —  Un  fou,  M.  Signoret.  —  Le 
duc  d'Albany,  M.  Phil.  d'Amorès.  —  Le  comte  de  Kent,  M.  Des  fontai- 
nes. —  Le  comte  de  Gloster,  M.  Mosnier.  —  Edmond,  M.  Vargas.  — 
Edgar,  M.  Capellani  —  Le  duc  de  Cornouailles,  M.  Saverne.  —  Ré- 
giane,  M"«  Van  Doren.  —  Cordélia,  Ml'e  Martineau.  —  GoneriJ, 
Mlle  Jeanne  Lion. 

3.  Distribution.  —  Blanche,  M'ie  Jeanne  Rolly.  —  Jacques  Martel, 
M.  Grand.  —  De  Grandpierre,  M.  Duquesne.  —  Sam  Smithson,  M.  Si- 
gnoret. —  Un  gardien  du  Bois,  M.  Antoine.  —  Le  magistrat,  M.  Des- 
fontaines.  —  Louis  Gauthier,  M.  Capellani.  —  Ramus,  M.  Mosnier.  — 
L'Immortel,  M.  Degeorge.  —  Largentière,  M.  Vargas.  —  Noël  Bounet, 
M.  Léon  Bernard.  —  Yvonne,  MU*  Jeanne  Lion.  —  Léopoldine, 
Mm«  Miller.  —  Ghopette,  M"»  Renée  Maupin.  —  Miss,  M^e  Barsange. 
—  M»«  Rose,  M'ie  de  Villers.  —  Thérèse,  M^e  Denège. 


THEATRE   ANTOINE  3or 

»  aussi  mérité  qu'il  fut  éclatant.  C'est,  en  effet,  pu- 
rement el  simplement,  une  chose  exquise  que  cette 
fraîche  et  mélancolique  histoire  d'amour,  si  tendre 
et  si  douloureuse,  si  charmante  et  si  poignante^  si 
gaie  et  si  touchante,  si  humaine  et  si  sincère,  si 
légère  et  pourtant  si  tragique  —  comme  la  vie 
même.  Dans  un  petit  restaurant  de  Montmartre, 
à  l'enseigne  de  la  Poule  verte,  et  qui  pourrait  bien 
être  l'ancien  café  blanc  de  la  rue  La  Rochefoucauld, 
le  peintre  Jacques  Martel,  qui  se  vante  un  peu 
trop  d'aimer  «  toutes  les  femmes  »,  a  fait  la  con- 
naissance d'un  joli  mannequin^  Blanche,  dont  il 
s'est  follement  épris...  pour  quelques  mois.  Bientôt, 
en  effet,  il  songe  à  se  marier,  et  la  nouvelle  en 
cause  à  Blanche  tant  de  peine  que  Jacques,  se 
demandant  s'il  fait  bien  de  quitter  une  maîtresse 
qui  lui  est  si  sincèrement  attachée,  rend  sa  parole 
à  son  autoritaire  fiancée.  Trop  tard,  hélas  I... 
Quand  nos  deux  amants  se  retrouvent,  c'est  Blan- 
che qui  est.  mariée!...  Par  dépit,  par  raison  peut- 
être,  elle  a  épousé  le  protecteur  qui  lui  offrait  une 
position  des  plus  sérieuses  et  même  des  plus 
luxueuses.  Et  si,  mariée  désormais,  elle  consent  à 
revoir  ce  Jacques  qu'elle  aimait  et  qui  maintenant 
l'aime  d'autant  plus  qu'elle  lui  échappe  davantage, 
ce  revenez-y  n'a  qu'un  temps.  D'abord,  elle  espace 
ses  visites  ;  puis,  elle  les  cesse  tout  à  fait.  Jacques 


Vers"  Vamour  était  précédé  de  Au  coin  d'un  bois,  comédie  en  un  acte 
et  en  vers  de  M.  Hugues  Delorme,  d'après  un  conte  de  M.  Ibels-Jeof- 
frin,  ainsi  distribué  : 

Lavolige,  M.  Signoret  ;  Sylvaire,  M.  Des  font  aines  ;  Frère  Paterne, 
M.  Degeorge;  Vivetto,  M"»  de  Villiers;  la  petite  Pomme  d'Api,  M»»  Pa- 
risel. 


302  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

se  désespère  et  souffre  de  cet  abandon,  au  point 
de  ne  plus  pouvoir  sans  elle  supporter  la  vie. 
Quand  il  apprend  qu'elle  part  pour  toujours,  il  se 
tue...  C'est  le  canevas,  sans  plus,  de  Ja  comédie, 
étonnamment  vécue,  de  M.  Léon  Gandillot.  Nous 
étions  de  ceux  qui  voyions  en  lui  un  des  écrivains 
dramatiques  sur  lesquels  on  devait  le  plus  compter, 
et  nous  n'avions  jamais  douté  d'une  rentrée  sen- 
sationnelle du  sympathique  auteur.  C'est  avec  une 
vraie  joie  que  nous  saluâmes  le  triomphal  succès 
de  l'œuvre  charmante  qui  s'appelait  Vers  ramour. 
Interprétation  absolument  remarquable  en  la  per- 
sonne de  M.  Grand  —  il  n'est  pas  un  de  nous  qui 
n'ait  souffert  avec  lui  !  —  de  M^'^  Rolly,  élégante  et 
souple,  si  tendrement  amoureuse  et  si  inconsciem- 
ment cruelle;  de  M.  Duquesne,  parfait  en  le  bout 
de  rôle  du  mari  qui  ne  veut  pas  «  Tètre  »;  de 
M.  Antoine  qui,  sans  doute  pour  donner  l'exem- 
ple, en  ce  théâtre  où  les  moindres  personnages 
sont  excellemment  tenus,  s'est  amusé  à  dessiner 
la  modeste  silhouette  d'un  gardien  du  Bois,  philo- 
sophe à  ses  heures.  Et  puis,  quelle  merveilleuse 
mise  en  scène  !  Le  petit  café  de  Montmartre  où 
commence  l'action;  le  lac  du  bois  de  Boulogne, 
où  se  termine  douloureusement  l'historiette,  reste- 
ront, chacun  en  leur  genre,  d'inoubliables  modèles. 
Les  cinq  actes,  si  bien  remplis,  de  M.  Gandillot 
étaient  accompagnés  d'un  acte,  un  peu  vide,  de 
M.  Hugues  Delorme  :  Au  coin  d'un  bois.  Aimable 
fantaisie  dont  M.  Signoret  a  fait  très  joyeusement 
valoir  les  rimes  riches  et  les  vers  spirituellement 
ironiques. 


THEATRE    ANTOINE  3o3 

i6  NOVEMBRE.  —  Inauguration  des  matinées  du 
jeudi,  avec  les  Revenants^  et  Asile  de  nuit. 

23  NOVEMBRE.  —  Le  spectacle  de  la  seconde  mati- 
née du  jeudi  se  composait  des  Avariés  et  de  Dis- 
cipline.  —  Le  jeudi  3o,  on  donnait  V Enquête'^  et 
la  Parisienne. 

7  DÉCEMBRE.  —  Quatrième  matinée  du  jeudi  : 
Le  Voiturier  HenscheP  et  Grasse  matinée''.  — 
U Honneur  de  Sudermann^  était  donné  le  jeudi 


1.  Distribution.  —  Oswald,  M.  Antoine.  —  Engstrand,  M.  SignoreU 

—  Pasteur  Manders,  M.  Mosnier.  —  M«n«  Alving,  M^»  Grumbach.  — 
Régine,  M^e  Jeanne  Lion. 

% 

2.  Distribution.  —  Le  juge  d'instruction,  M.  Antoine.  —  L'avocat, 
M.  Signoret.  —  L'inculpé,  M.  Mosnier.  —  Le  greffier,  M.  Desfontaines. 

—  Le  procureur,  M.  Degeorge. —  Le  médecin,  M.  Bernard. —  La  femme 
de  l'inculpé,  M^i»  Grumbach. 

3.  Distribution.  —  Le  voiturier  Henschel,  M.  Antoine.  —  Le  maqui- 
gnon Walther,  M.  Vargas. —  Siebenhaat,  M.  Signoret. —  "Wermelskirch, 
M.  Léon  Bernard.  —  Georges,  M.  Dês fontaines.  —  Fabig,  M.  CalmeL— 
Frantz,  M.  Mosnier. —  Hauffe,  M.  Saverne.—  Hildebrand,  M.  Michelez. 

—  Grunert,  M.  Marot.  —  M™»  Henschel,  M^»  Grumbach.  —  Hannè, 
MU*  Fleury.  —  M««  Wermelskirch,  M««  H.  Miller.  —  Francisca, 
M»»  Marley.  —  Chariot,  M»»  Parisel.  —  Bertha,  la  petite  Louisette. 

i.  Distribution.  —  Emile  Gouturot,  M.  Desfontaines.  —  Gustave 
Aubert,  M.  Signoret.  —  Juliette  Gouturot,  M»«  Jeanne  Lion.  —  Eme- 
rantine^  M"»  Barsange. 

5.  Distribution.  —  Le  baron  de  Traast-Saarberg,  M.  Antoine.  —  Ro- 
bert Heinecke,  M.  Grand.  —  Conrad,  M.  Signoret.  —  Lothaire  Brandt, 
M.  Mosnier.  —  Hugo  Stengel,  M.  Desfontaines.  —  Umhlingk,  M.  De- 
george.—  Le  père  Heinecke,  M.  L.  Bernard. —  Michalsky,  M.  Saverne. 

—  .Wilhelm,  M.  Calmel.—  Ragharita,  M.  Hatot.^  Jean,  M.  Landouzy. 

—  Amélie,  M"*  Grumbach.  —  M*«  Heinecke,  M"»»  Miller.  —  Lenore^ 
M»«  Van  Doren.  —  Augusta,  M"«  G.  Fleury.  —  Aima,  M»»  Martineau. 

—  M»»  Hebenstreit,  M'i«  Darsenne. 


3o4  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

suivant;  puis  V Indiscret^  et  Au  Teléphone'^y  (21 
décembre)^  et  enfin  (28  décembre)  Oiseaux  de 
passage  3. 


1.  Distribution. —  Marivon,  M.  Antoine.—  Lucien  Rivolet,  M.  Grand. 

—  Valautin,  M.  Mosnier.  —  Farizet,  M.  Desfontaines.  —  Morgan, 
M.  Vargas.  —  Un  domestique.  M.  Calmel.  —  Thérèse,  W^^  Jeanne  Rol- 
ly.  —  Louise  Ovize,  M^e  Jeanne  Lion.  —  M«n«  Baige,  Mii«  Luce  Colas. — 
Françoise  Marivon,  MUe  Barsange.  —  Henriette,  Mil*  Martineau.  — 
M"«  Laure,  Ml'«  Aubry. 

2.  Distribution.   —  Marex,  M.  Antoine.  —   Rivoire,  M.  Mosnier.  —  " 
Biaise,  M.  Saverne.  —  Justin,  M.  Calmel.—  Marthe,  M"»  Van  Doren.— 
Nanette,  Mme  Miller. —  Lucienne  Rivoire,  M»«  Barsange.  —  Un  gamin, 
Mi'«  Marley.  —  Le  petit  Marex,  la  petite  Schmitt. 

3.  Distribution.  —  Gregoriew,  M.  Chelles. —  Guillaume,  M.  Antoine. 

—  4iiIien,M.  Grand. —  Zakharine,  M.  Signoret.—  Charles,  M.  Degeorge. 

—  Joseph,  M.  Calmel. —  Le  facteur,  M.  Marot. —  Tatiana^  M^^*Mellot. — 
Véra,  Mil*  Van  Doren. —  M"»  Lafargue,  M"*  Grumbach. —  M»»  Dufour, 
Mil»  Miller.  —  Georgette,  M^e  Barsange.  —  Louise,  M^»  de  Villiers.  — 
Julie,  M»»  Marley. 


^ 


THEATRE   ANTOINE 


3o5 


Le  Roi  Learf  traduction 

Oiseaux  de  passage,  pièce 

La  Mariotte,  comédie 

La  Main  de  Singe,  conte  dramatique. .. 

Discipline,  pièce 

Asile  de  nuit^  comédie 

Maternité,  pièce 

Petite  femme,  comédie 

La  Puissaneejies  Ténèbres j  drame 

Les  Revenants,  drame  . . .  ^ 

Les  Honnêtes  femmes,  comédie 

*L'Amourettef  comédie 

*Les  Experts,  comédie 

*Les  Manigances,  comédie 

Grasse  matinée,  comédie 

*Les  Avariés,  pièce 

Poil  de  Carotte,  comédie 

Mariage  d'Argent,  pièce 

*Le  Meilleur  Parti,  pièce 

La  Parisienne,  comédie 

Tante  Léontine,  comédie 

*La  Race,  comédie 

*  Monsieur  Lambert,marchand  de  tableaux 

comédie 

*Vers  l'Amour,  comédie 

*Au  coin  d'un  bois,  comédie  en  vers 

Le  Voiturier  Henschel,  pièce 

L'Honneur,  comédie 

L'Indiscret,  comédie 

Au  Téléphone,  drame 


DATE 

N'OMBRE 

delà 

d'actes 

ou  de  la 

reprise 

28  scènes 

» 

4 

» 

2 

» 

2 

» 

2 

» 

1 

» 

3 

» 

1 

» 

5  a.  6  t. 

» 

3 

» 

1 

» 

3 

3  février 

1 

3  février 

1 

3  février 

1 

» 

3 

22  févr. 

1 

» 

1 

» 

3 

31  mars 

3 

» 

3 

13  avril 

3 

12  mai 

2 

12  mai 

5 

10  octob. 

1 

10  octob. 

5 

» 

4 

» 

3 

» 

2 

» 

32 
2 

6 

7 

9 

12 

3 

32 

3 

8 

3i 

20 

105 

20 

27 

56 

7 

23 
3 
10 
38 
42 

39 
96 
96 

i 
1 
1 

1 


ANNALES  DU  THEATRE 


20 


THÉÂTRE  DE  LA  PORTE-SAINT-MARTIN 


Au  Napoléon  de  Martin-Laya  succédait,  le  25 
janvier,  Résurrection^  de  M.  Henry  Bataille*. 
MM.  Clèves  et  Clerget  n'avaient  certes  pas  prévu, 
au  moment-  où  ils  décidaient  cette  reprise,  la  ter- 
rible actualité  que  viendraient  lui  donner  les  tra- 
giques événements  de  Saint-Pétersbourg.  On  sait 
comment,  en^ortant  à  la  scène  l'admirable  roman 
de  Tolstoï,  M.  Henry  Bataille  a  fait  non  seulement 
la  pièce  qui  «  a  réussi  »,  mais  même  une  œuvre 
d'art  qui  méritait  le  suffrage  des  lettrés,  une  œuvre 
dramatique  qui  devait  secouer  d'émotion  la  masse 
des  spectateurs.  Le  drame  qu'a  tiré  du  célèbre 
roman  l'auteur,  naguère  applaudi,  de  Maman 
Colibri,  est  d'ailleurs  digne  du  succès  qu'il  a 
obtenu.    Est-ce  à  dire  pour  cela  que  nous  avons 


1.  Distribution.  —  Nekludoff,  M.  André  Calmettes.  —  Siraonson, 
M.  Maxence.  —  Le  marchand,  M.  Poggi.  —  Oastinow,  M.  Liabel.  — 
Krilitzoff,  M.  Valney-Charlet.  —  Le  capitaine,  M.  Denerty.  —  Ignaty 
Nikiplorovitch,  M.-Ferrier,  —  Nikhine,  M.  Lebrun.  —  Kolosow,  M.  Paul 
Laurent.  -^  Tikow,  M.  Cambey.  —  L'officier,  M.  Delvil.  —  Le  profes- 
seur, M.  Charly.  —  Le  commis,  M.  Demarsy.  —  L'interne,  M.  Daatiery., 
—  La  Masiowa,  M"«  Berlhe  Bady,  —  Fedosia,  M»«  Flore  Mignot.  — 
Princesse  Kortchaguine,  Mii«  Jeanne  Malvau.  —  Missy,  Mil*  Rebacca 
Félix.  —  Tante  Laura,  Mïi«  I>or«a.  —  Tante  Sonia,  MU*  Ft7/«c.  —  Nata- 
cho,  MW«  Paule  Nancray.  —  Marie  Pawlowa,  MH»  Depeintier.  —  La 
grande  Rousse,  M»«  Brenneville.  —  L'infirmière,  Mi'e  Pradier.  —  Une 
^arde-malade,  Mn«  Dantèze.  —  Une  servante^  M»«  Bérangère.  —  La  fille 
du  diacre.  M»*  O'mont.  —  La  Beauté,  M^»  Rapp.  —  Matrobla, 
MW»  Aumont, 


3o8  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

retrouvé  dans  l'adaptation,  si  habile  soit-elle,  le 
génie  de  Tolstoï?  Non  certes,  et  de  l'analyse  du 
caractère  de  NekludofiF,  un  modèle  dé  pénétration 
psychologique,  il  ne  reste,  en  somme,  que  trop  peu 
dans  les  six  tableaux  dont  se  compose  le  drame 
de  M.  Henry  Bataille.  Le  premier,  où  nous  assis- 
tons à  la  séduction  de  Katucha  ne  sort  guère  de 
l'ordinaire  banalité.  Le  second,  qui  représente  la 
salle  du  jury  en  pleine  délibération,  a  la  valeur 
d'une  amusante  caricature.  Plus  faible,  à  notre 
avis,  est  le  troisième  tableau  où  Tauteur  nous  intro- 
duit dans  la  famille  de  Nekludoff,  rompant  avec 
sa  fiancée  mondaine  et  disant  son  fait  à  la  magis- 
trature. Mais  superbe  en  son  réalisme  saisissant, 
celui  de  l'intérieur  de  la  prison  de  Moscou,  où  la 
Maslovs^a,  abrutie  par  l'ivresse,  crache  sa  haine 
à  celui  qui,  pris  de  pitié,  lui  a  demandé  pardon... 
D'une  navrante  vérité,  celui  de  l'infirmerie,  où  la 
fille  perdue  a  tant  de  peine  à  se  «  relever  ».  Et 
très  intéresante  encore,  quoique  très  «  romance  » 
le  tableau  qui  conclut  en  histoire  d'amour  :  ce  sont 
les  adieux  à  Nekludoff  de  la  pauvre  Katucha,  heu- 
reusement «  ressuscitée  »  et  résolue  à^^épouser  un 
de  ses  compagnons  de  chaîne  qui  semble  tomber 
,de  la  lune,  tant  nous  le  connaissons  peu... 
M™®  Berthe  Bady  a  gardé  tout  naturellement  son 
inoubliable  création  de  la  Maslowa,  où,  faisant 
applaudir,  sous  les  plus  divers  aspects,  son  très 
remarquable  talent,  elle  trouva  l'occasion  de  se 
classer  définitivement  étoile  au  firmament  dramati- 
que. Elle  a  joué  le  rôle  avec  la  même  intensité 
d'expression    qu'autrefois,    avec    plus    de    sûreté 


THEATRE    DE    LA    PORTE-SAINT-MARTIN  SOQ 

encore,  si  c'est  possible.  A  Torigine,  M.  Dumény 
tenait  avec  beaucoup  d'élégance  et  d'autorité  le 
personnage  du  prince  Dimitri  NekludofF.  M.  Cal- 
mettes  a  moins  d'aisance  et  de  distinction  que  son 
prédécesseur;  il  est  moins  grand  seigneur  et  a. 
montré  moins  d'émotion  sincère.  Mais  il  a  fait 
preuve  de  vigueur  et  d'âpreté,  et  n'a,  en  somme, 
aucunement  failli  à  sa  tâche  d'humanitaire.  Autour 
de  ces  deux  protagonistes  s'empresse  une  troupe 
où  chacun  «  donne  »  avec  ardeur  en  son  rôle 
modeste.  C'est  ainsi  que,  dans  une  trop  courte 
apparition,  la  scène,  malheureusement  unique,  de 
Missy,  rendant  sa  parole  et  sa  bague  à  NekludofF, 
M^*®  Rebecca  Félix  fait  apprécier  ses  qualités  de 
grâce  et  de  simplicité;  M"®  Jeanne  Malvau  sous 
les  traits  de  la  princesse  Kortchaguine  ;  M"®  Flora 
Mignot,  jolie  Fédosia;  M.  Maxence,  impression- 
nant Simonson  ;  M.  Poggi,  amusant  en  marchand 
juré  :  tous  font  montre  de  talent  en  leur  tâche  res- 
pective... NapoUoriy  où  M.  Maxence  prend  posses- 
sion du  rôle  de  Napoléon,  le  Courrier  de  Lyon^ 
puis  le  BossUy  avec  M.  Dulac,  dans  Lagardère, 
M.  Maxence,  dans  Gonzagùe,  MM.  Saidreau  et 
Poggi,  dans  Passepoil  et  Gocardasse,  ont  succédé 
à  Résurrection. 

19  MAI.  —  Première  représentation  de  Pauvre 
Fille,  pièce  en  cinq  tableaux  de  M.  GerhardtHaupt- 
mann,  adaptation  de  M.  Jean  Thorel*,  suivie  de 


/ 


2.  Distribution.  —  Le  père  Bern,  M.  Léon  Noél.  —  Flamm,  M.  Du- 
lae.  —  Auguste,  M.  Maxence,  —  Streckmann,  M.  Valney-Charlet.  — 
Le  vieux  Frite,  M.  Denerty.  —  Kahn,  M.  Aumont.  —  Le  garde,  M.  L. 
Raoul.  —  Kleinert,.  M.  Canubey.  —  Heinzel,  M.  Dastiéry.—  M»»  Flamm, 


3 10  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

Lidoire^  scène  de  la  vie  militaire,  de  M.  Georges 
Courleline*.  —  A  Gerhardt  Hauptmann,  Fauteur 
de  cet  émouvant  drame  des  Tisserands^  que  nous 
révéla  M.  Antoine,  le  théâtre  de  la  Porte-Saint« 
Martin  empruntait  —  pour  quelques  soirs  seule- 
ment —  une  pièce  célèbre  en  Allemagne,   Rose 
Bern^  qu'avait  très  habilement  adaptée,  sous  le 
nom  de  Pauvre  Fille^  M.  Jean  Thorel.  C'est  l'his- 
toire, très  simple,  d'une  jeune  paysanne  qui,  tra- 
vaillant vaillamment  pour  nourrir  son  père,  s'est 
laissé  séduire  par  le  bourgmestre  M.  Flamm,  chez 
qui  elle  était  en  service.  Sa  faute  a  été  découverte 
'  par  le  mécanicien  Streckmann  ;   celui-ci  menace  de 
tout  dire  si  Rose  ne  consent  pas  à  lui  appartenir. 
Et  voilà  que  pour  acheter  son  silence,  la  pauvre 
fille  se  donne  à  ce  Don  Juan  de  village.  Pourquoi 
Streckmann  —  c'est  vraiment  le  traître  du  mélo- 
drame —  l'insulte-t-il  devant  tous  un  jour  de  mois- 
son? Le  vieux  Bern  le  cite  alors  en  justice,  et 
apprend  que  les  accusations  portées  contre  sa  fille 
n'étaient    pas,    hélas!    une    calomnie.    Rose    est 
déshonorée,  elle  va  être  mère.  Et  de  honte,  la  mal- 
heureuse se  tue.  Elle  avait  pourtant  rencontré  des 
êtres  pitoyables  à  sa  misère  :  son  fiancé  Auguste, 
tout  prêt  à  lui  pardonner,  et  la  femme  du  bourg- 
mestre, . .  Ah  !  la  belle  scène,  véritablement  poi- 
,gnante,  que  celle  où,  sans  dire  quel  fut  le  séduc- 


M'ie  Jeanne  Malvau.  —  Rose  Bern,  M»»  Blanche  Barat.  —.Marthe, 
Mil»  Bérangère.  —  La  vieille  Fritz,  M»»  Villac.  —  Minna,  M"«  Rapp.  — 
La  petite.  M»»  R.   Valien. 

2.  Distribution.  —  La  Biscotte,  M.  Poggi.  —  Lidoire,  M.  Saidreau,  — 
Le  maréchal  des  logis,  M.  Paul  Laurent.  —  Maraboul,  M.  Dastiéry.  — 
Le  brigadier,  M.  L.  Raoul,  —  Vergisson.  M.  Demarcy, 


THEATRE   DE   LA   PORTE-SAINT-MARTIN  3 II 

leur,  elle  avoue  à  M™«  Flamm  sa  maternité  ! 
M'^®  Jeanne  Malvau,  abordant  un  emploi  dont  elle 
n'a,  certes,  pas  encore  Tâge,  a  joué  de  façon  ab- 
solument remarquable  le  rôle  de  M™«  Flamm.  Et 
sous  les  traits  du  père  Bern,  on  a  également  fort 
applaudi,  pour  son  naturel  parfait,  le  solide  comé- 
dien qu'est  Léon  Noël.  Ces  deux  artistes  de  valeur 
ont  été  le  charme  de  cette  trop  pâle  copie  de  notre 
Claudie  et  de  notre  Closerie  des  genêts.  M"«  Barat 
—  toute  fraîche  émoulue  du  Conservatoire  —  nous 
a  paru  manquer  de  véritable  émotion  dans  le  rôle 
de  Rose,  tenu  par  elle  dans  une  gamme  constam- 
ment larmoyante  et  forcément  monotone.  La  direc- 
tion de  la  Porte-Saint-Martin  avait  donné  au  drame 
allemand  une  généreuse  hospitalité  —  le  décor  de 
la  moisson  était  superbe  —  et  complété  le  spec- 
tacle par  un  éclat  de  rire  bien  français.  Lidoire^  ce 
petit  chef-d'œuvre  comique  de  Gjeorges  Courteline, 
joyeusement  enlevé  par  MM.  Saidreau  et  Poggi, 
produisait,  comme  de  coutume,  un  effet  énorme. 

Après  quelques   représentations  d'Electra^y  on 
reprenait  successivement  la  Grâce    de  Dieu'^y  le 


1.  —  La  pièce  de  M.  Paul  Milliet  avait  alors  pour  interprètes  MM.  Du- 
lac,  Valney-Charlet,  Léon  Noël,  Lîabel,  M»"  F.  Mignot,  Jeanne  Malvau^ 
Dantèze.  * 

2.  —  M.  Léon  Noël  jouait  «  le  père  Loustalot  »;  le  rôle  de  Marie  était 
confié  à  M"«  Flore  Mignot. 

^  Un  changement  s'était  produit  le  26  juin  dans  la  direction  du  thé&tre 
de  la  Porte-Saint-Martin.  M.  Paul  Larochelle  remplaçait,  comme  asso- 
cié, M.  Clerget  auprès  de  M.  Paul  Clèves.  Détails  curieux  pour  les 
amateurs  de  coïncidences  :  comme  le  fait  aujourd'hui  son  fils,  M.  Laro- 
chelle père  avait  quitté  la  direction  des  théâtres  populaires  de  la  rive 
gauche  pour  la  Porte-Saint-Martin,  alors  détruite  par  la  Commune  et 
cpi*il  fit  reconstruire.  Et  M.  Paul  Clèves,'  qui  avait  succédé  au  père, 
devenait  l'associé  du  fils. 


3l2  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

Courrier  de  Lyon  et  le  Bossu  ^.  Puis,  en  plein  été^ 
le  19  août,  la  direction  lançait  une  pièce  nouvelle  : 
les  Exploits  de  MontenVair^  cinq  actes  et  huit  ta- 
bleaux de  MM.  E.  Herbel  et  Bouvet 2.  —  M.  et 
M"*®  Lamy  ont  fait  fortune  à  Noi^méa  et  vont 
rentrer  en  France  donner  la  main  de  leur  fille 
Hermance  au  brave  lieutenant  Ferna^'d.  Comme 
ils  craignent  d'être  volés  et  soulages  des  six  cent 
mille  francs  qui  composent  leur  fortune,M°*®  Lamy, 
en  une  heureuse  opération,  troque  cet  argent  contre 
un  choix  de  perles  rares,  qu'elle  portera  toujours 
dans  son  corsage.  Ainsi,  le  fameux  MontenFair, 
le  terrible  forçat  qui  vient  de  s'évader,  celui-là 
même  qui  jura  d'avoir  la  galette  et  la  peau  de 
M.  Lamy  ne  pourra  aisément  s'en  emparer.  Les 
Lamy  ont  donc  loué,  de  retour  en  France,  une 
gentille  villa  aux  environs  de  Fontainebleau,  où  est 
caserne  le  régiment  du  lieutenant  Bernard,  devenu 
capitaine,  et  Ton  doit,  aussitôt  après  les  grandes 
manœuvres,  célébrer  le  mariage  des  fiancés.  Tout 
irait,  vous  le  voyez,  pour  le  mieux,  si  le  sombre 
Carriès,  amoureux  fou  d'Hermance,  ne  l'avait  sui- 


1.  —  C'était,  le  12  août,  la  centième  de  la  reprise  du  Bossu.  Le  célèbre 
drame  d'Anicet-Bourgeois  et  Paul  Féval,  aura  été,  depuis  sa  création, 
représenté .2. 197  fois  sur  nos  quatre  grandes  scènes  populaires. 

2.  Distribution.  —  Ma  Rose,  M.  Poggi.  —  Lamy,  M.  Bartel.  —  Ber- 
nard, M.  Liabel.  —  Jeannel,  M.  Lorrain.  —  Carriès,  M.  Hautefeuille.— 
Malestrot,  M.  Denerty.  —  Ribouis,  M.  Mulhery.  —  L'adjudant,  M.  Paul 
Laurent.  —  Le  brigadier,  M.  Albert.  —  Mégot,  M.  Calmel.  —  L'agent, 
M.  Clerville.  —  Le  troquet,  M.  Cambey.  —  Fossoir,  M.  Raoul.  —  Duc 
de  Cherval,  M.  Catrieu.  —  La  Patate,  M.  Dastiiry.  —  Le  gendarme. 
M.  Aumont.  —  Le  caporal,  M.  Ouibert.  —  Gironde,  M»«  Ch.  Durand.— 
Hermance,  M»«  Depeinter.  —  M"»*  Lamy,  Mil»  Le  Grand.  —  Nika, 
M"«  Bérangère.  —  M"»»  Malestrot,  M"«  Villac.  —  Pinsonnette,  Miï«  Ada 
Delide.  —  La  Tôle,  M»»  Rapp.  —  Emilienne,  M»«  Paulette  Lory.  —  Chi- 
chette,  Miu  De  Marbo. 


THEATRE  DE    LA    PORTE-SAINT-MARTIN  3l3 

vie  depuis  Nouméa,  bien  résolu  à  posséder  de  gré 
ou  de  force,  la  jolie  jeune  fille,  qui  maintes  fois 
repoussa  avec  mérpris  ses  déclarations  et  ses  offres. 
Car  ries,*  déguisé  tantôt  en  mendiant,  tantôt  en  col- 
porteur, s'entend  avec  quelques  apaches  pour 
cambrioler  la  villa  des  Lamy  et  s'emparer  de  la 
jeune  fille^  qu'on  lui  amènera  jusqu'à  son  auto- 
mobile postée  non  loin  de  là.  Heureusement  Jea'nnel 
veille.  Qu'est-ce  donc  que  Jeannel?  Un  bon  gar- 
çon,  ordonnance  du  capitaine  Bernard,  ancien 
forçat  condamné  par  erreur  judiciaire  et  dont  l'in- 
nocence fut  reconnue,  grâce  à  l'intervention  dudit 
Bernard,  à  qui  il  est  aujourd'hui,  bien  naturelle- 
ment, dévoué  corps  et  âme.  Jeannel,  vêtu  en  ou- 
vrier, surveille  sans  relâche  Carriès,  et,  simulant 
l'ivrognerie,  évente  le  cambriolage  de  la  villa  et 
met  en  fuite  les  bandits  avant  que  ceux-ci  aient  pu 
trouver  la  fameuse  cachette  des  six  cent  mille  francs, 
M"*«  Lamy  ayant  revendu  avec  un  joli  petit  bénéfice 
ses  perles  rares.  Mais  les  péripéties  du  ménage 
Lamy  ne  sont  pas,  hélas  !  terminées.  Les  voilà,  en 
suivant  les  manœuvres,  perdus  dans  les  Vosges  et 
réfugiés  en  une  misérable  chaumière,  dont  les  pro- 
priétaires, sans  le  vouloir,  leur  font  une  peur 
affreuse  ;  puis  M.^  Lamy  est  pris  par  les  gendarmes 
pour  le  célèbre  iftontenlair,  —  dont  on  parle  tou- 
jours, et  qu'on  ne  voit  jamais,  —  arrêté  et  conduit 
enfin  au  capitaine  Bernard,  qui,  lui,  a  échappé 
par  miracle  à  la  mort  que  lui  destinait  Carriès. 
Un  réserviste  du  nom  de  Ma  Rose,  avait  la  mis- 
sion, moyennant  forte  récompense,  de  lui  loger  au 
cour  des  manœuvres  une  balle  dans  la  tête.  Carriès, 


3l4  LISS    ANNALES    DU    THEATRE 

dénoncé,  est  arrêté  séance  tenante;  Montenl'air 
lui-même  se  fait  pincer,  et  rien  ne  s'oppose  désor- 
mais aux  mariages  de  Bernard  avec  Hermance,  et 
de  Jeannel  avec  Nika,  la  gentille  servante.  Notons 
M."  Poggi,  gai  et  bon  enfant  dans  Ma  Rose; 
M.  Bartel,  plein  de  rondeur  en  Lamy.Et  passons... 

19  OCTOBRE.  —  Reprise  de  la  Jeunesse  des  Mous^ 
quetaires^  drame  en  cinq  actes  et  douze  tableaux 
d'Alexandre  Dumas  et  Auguste  Maquet*. 

9  NOVEMBRE.  —  M.  Zcllcr  importe  "au  théâtre  de 
la  Porte-Saint-Martin  une  série  de  matinées  classi- 
ques, qu'il  a  précédemment  organisées  dans  la 
salle  du  Trocadéro.  Elles  commencent  par  Athalie, 
avec  la  musique  de  J.-B.  Moreau  et  les  chanteurs 
de  Saint-Gervais  sous  la  direction  de  M.  Ch.  Bordes. 
Avant  la  tragédie  de  Racine,  M.  George  Vanor 
donne  une  ardente  conférence  sur  le  traditionna- 
lisme  religieux  au  théâtre;  il  exalte  l'éloquence 
sacrée  allant  de  la  chaire  à  la  scène  et  de  Bossuet 
à  Racine;  il  célèbre  la  majesté  prophétique  des 
strophes  d'Esther  et  d'Athalie,  et  il  trouve  de 
nobles  accents  pour  moderniser  en  la  transformant 
l'action  des  drames  raciniens.  Le  public,  enthou- 
siasmé, applaudit  longuement  le  distingué  confé- 
rencier. 


i.  Distribution.  —  D'Artagnan,  M.  Marié  de  Liste.  —  Athos,  M.  Du- 
lac.  —  Porthos,  M.  Zeller.  —  Aramis^  M.  Paul  Laurent.  —  Richelieu, 
M.  Perny.  —  Buckingham,  M.  Lidbel.  —  Bonacieux,  M.  Léon  Noél,  — 
Louis  XIII,  M.  Roger  Cari.  —  Tréville,  M.  Valney-Charlet.  —  Planchet» 
M.  Poggi.  —  Rochefort,  M.  Denerty.  —  De  Winter,  M.  Lorrain.  — 
Felton,  M.  Haute  feuille.  —  Milady,  Mii«  Brille.  —  M"»*  Bonacieux^ 
Mlle  Flore  Mignot.  —  Anne  d'Autriche,  M"«  Demidoff.  —  La  supérieure, 
MU«  Villac.  —  Eatefana,  un  page,  MUe  Paulette  Lorcy, 


THEATRE    DE   LA    PORTE-SAINT-MARTIN  3l5 

i6  NOVEMBRE.  —  Au  programme  de  la  matinée 
classique  du  jeudi  :  Œdipe  à  Colorie^  tragédie  en 
trois  actes  de  Sophocle  (adaptation  de  M.  J.  Gas- 
tambide,  musique  de  scène  et  chœurs  de  M.  Fran- 
cis Thomé),  avec  M.  Philippe  Garnier,  M"^  Jane 
Thomsert,  MM.  Ferry,  G.  Zeller,  Henry  Perrin,  et 
première  représentation  de  V  Athénienne  y  comédie 
antique  en  trois  actes,  de  M.  Albert  Marquet 
(adaptation  du  Miles  gloriosus  de  Plante)  *.  Ecrite 
en  une  jolie  langue,  semée  de  traits,  présentant 
avec  une  habileté  consommée  les  situations  comi- 
ques du  vieil  auteur  latin  et  y  ajoutant  par  d'amu- 
santes transpositions  de  mots,  l'œuvre  de  M.  Albert 
Marquet  a  soulevé  des  fusées  de  rires. 

23  NOVEMBRE.  —  On  douuc  en  matinée  (matinées 
Zeller)  le  Cid^  où  M''®  Lucie  Brille  est  une  re- 
marquable Chimène,  et  les  Plaideurs  qui  excitent 
une  gaieté  folle.  Très  brillante  conférence  de 
M.  George  Vanor  qui  fait,  à  propos  du  Cid^  un 
éloge  enthousiaste  de  la  chevalerie  castillane,  de 
l'honneur  français. 

7  DÉCEMBRE.  —  Lcs  Femmes  savantes  et  le  Ma-- 
lade  imaginaire^  avec  M.  Barrai,  excellent  de 
verve  et  de  drôlerie  dans  le  rôle  d'Argan,  composent 
le  spectacle  de  la  matinée,  que  précède  une  causerie 
de  M.  George  Vanor.  A  propos  de  Trissotin  et  de 
Vadius,  le  conférencier  réhabilitait  Cotin  et  Ménage, 


1.  Distribution.  —  Pyrgopolinice,  M.  Henry  Perrin.  —  Palestrion, 
M.  Stacquet.  —  Périplectomène,  M.  Bahier.  —  Scélèdre,  M.  G,  Flandre, 
—  Pleuside^  M.  A.  Lauff.  —  Artotrogue,  M.  Calriens.  —  Luerion, 
M.  Trévovuc,  —  Garion,  M.  Lerou.  —  Philocomasie,  MU«  Delmay.  — 
Acrotéleutie,  M»*  Mérindol.  —  Milphidippe,  M^*  Louise  Koch.  — 
Cléoiiice,  Mil*  Meyran. 


3l6  LES   ANNALES    DU   THÉÂTRE 

et  il  libérait  Philaminte  et  Armande  de  leur  répu- 
tation de  ridicule.  La  tâche  était  ardue;  maïs 
chaque  paragraphe  s'étayait  d'un  document,  et  à 
chaque  instant  un  mot  d'esprit  triomphait  de  la 
résistance  des  spectateurs  les  plus  prévenus.  Dans 
les  Femmes  savantes^  M°^^*  Dehon,  Derigny,  Flore 
Mignot,  Demidoff,  MM.  Perny,  Perrin  et  Berthe- 
lier  étaient  fort  applaudis.  M.  Zeller  jouait  Chry- 
sale  :  il  y  remportait  un  succès  personnel. 

i4  DÉCEMBRE.  —  Au  programme  de  la  matinée 
classique  :  le  Dépit  amoureux  et  Y  Avare  ;  cause- 
rie de  M.  George  Vanor. 

21  DÉCEMBRE.  —  Précédée  d'une  conférence  de 
M.  Laurent  Tailhade,  Andromaque  se  donnait 
devant  une  salle  ravie.  Tous  les  excellents  inter- 
prètes de  l'œuvre  de  Racine,  M.  Segond  dans 
Oreste,  M.  Teste  dans  Pyrrhus,  M™^  Louise  Prévor 
dans  Hermione  étaient  longuement  applaudis. 
Mais  le  gros  succès  de  la  journée  allait  sans  con- 
tredit à  M"®  Lucie  Brille,  qui  jouait  le  rôle  d'An- 
dromaque  avec  une  originalité,  une  beauté  d'atti- 
tudes et  une  maîtrise  véritable  qui  la  mettaient  tout 
à  fait  hors  de  pair. 


THEATRE    DE    LA    PORTE-SAINT-MARTIN 


3i7 


Napoléon,  épopée 

Résurrectiony  drame * . . 

Le  JBossUf  drame 

*Pauvre  Fille,  pièce, 

Lidoire,  pièce 

Electra,  pièce 

La  Oràce  de  Dieu,  drame 

*Les  Exploita  de  Montent  air,  pièce 

La  Jettnesse  des  Mousquetaires,  drame.. 

Athalie,  tragédie 

Le  Mariage  forcé,  comédie 

Œdipe  à  Colone,  tragédie 

*  L'Athénienne,  comédie  antique 

Le  Cid,  tragédie 

Les  Plaideurs,  comédie  en  vers 

Les  Femmes  savantes,  comédie  en  vers. 

Z/«  Malade  imaginaire,  comédie 

Le  Dépit  nmoureux,  comédie  en  vers. . . 

L'Avare,  comédie 

Andromaque,  tragédie 

Le  Médecin  malgré  lui,  comédie 

Phèdre,  tragédie 

Les  Précieuses  ridicules,  comédie 


DATE 

NOMBRE 

NOMBRE 

delà 

de 

1"  représ. 

représent. 

d*actes 

ou  de  la 

pendant 

reprise 

Tannée 

3p.6a.40t. 

» 

30 

5  a.  1  pr. 

25  janv. 

72 

5  a.  10  t. 

31  mars 

106 

5  tabl. 

19  mai 

6 

1 

19  mai 

15 

5 

24  mai 

5 

1"  juin 

31 

5  a.  8t. 

19  août 

69 

5  a.  18 1. 

9  nov. 

87 

5 

» 

1 

» 

3 

» 

3 

)) 

5 

» 

8 

» 

5 

» 

3 

» 

2 

» 

5 

» 

5 

» 

3 

» 

5 

» 

1 

1) 

THÉÂTRE   DE  LA  GAITÉ 


L'année  avait  commencé  par  une  série  de 
<f  matinées  classiques  ».  Le  5  janvier,  Coquelin- 
nous  offrait  le  très  vif  plaisir  de  Tapplaudir  dans 
Tartuffe^  qu'il  n'avait  joué  encore  à  Paris  que  lors 
de  sa  représentation  de  retraite  au  Théâtre-Fran- 
çais. Il  nous  présentait,  en  la  personne  de  M"«  Gilda 
Darthy,  une  superbe  Elmire,^et  sous  les  traits  de 
Dorine,  la  soubrette  forte  en  gueule  (le  rôle  ne 
pouvait  guère  lui  convenir)  M°*®  Céline  Chaumont, 
l'aimable  Cyprienne  de  Divorçons.  La  représenta- 
tion se  terminait  par  les  Précieuses  ridicules^,  où 
Coquelin  était  le  Mascarille  incomparable  que 
devait  aller  voir  toute  la  génération  nouvelle. 
C'était,  disons-le,  une  admirable  merveille. 

i3  JANVIER.  —  Première  représentation,  à  ce 
théâtre  de  VAbbé  Constantin^.  —Elle  est  amusante 
— r  quoique  honnête  —  la  comédie  que  tirèrent  si 


1.  Distribution.  —  Tartuffe,  M.  Coquelin  aîné.  —  Orgon,  M.  J,  Coque- 
lin. —  Valère,  M.  Volny.  —  Gléante^  M.  Marqttet,  —  Damis,  M.  Rozen- 
berg.  —  Loyal,  M.  Chabert.  —  L'exempt,  M.  Monteux.  —  Dorine, 
M»«  Céline  Chaumont.  -^  Elmire,  M"*  Oilda  Darthy.  —  Marianne, 
M»«  Mylo  d'Arcyle.  —  M»*  Pernelle,  M»»  Délia. 

2.  Distribution.  —  Mascarille,  M.  Coquelin  aîné.  —  Gorgibus,  M.  Ho- 
zenberg.  —  Jodelet,  M.  Chabert.  —  La  Grange,  M.  Volny.  —  Du  Groisy, 
M.  Monteux.  —  Un  porteur,  M.  Adam,  —  2«  porteur,  M.  Déan.  — 
1«  violon,  M.  Ogereau.  —  Gathos,  M»»  Moreno.  —  Madelon,  W^«  Bou- 
€hetal.  —  Marotte,  MU«  Voulzie. 

3.  Distribution.  —  L'abbé  Constantin,  M.  Coquelin  aîné.  —  Paul  de 
Lavardens,  M.  Rozenberg.  —  Jean  Reynand,  M.  Lamothe.  —  Bernard, 


320  LES  ANNALES  DU  THÉÂTRE 

habilement  du  joli  récit  de  M.  Ludovic  Halévy, 
feu  Crémieux  et  son  jeune  et  avisé  collaborateur 
d'alors,  M.  Pierre  Decourçelle.  Ah  !  ce  bon  abbé 
Constantin,  si  doux,  si  souriant,  et  ces  ravissantes 
Américaines  qui  traversent  la  pièce  avec  leur  hon- 
nêteté et  leur  beauté^  ils  vont  encore  (c'est  de 
l'abbé  et  de  son  filleul  que  je  parle)  faire  verser 
plus  d'une  larme  et  faire  plus  d'un  caprice  (je 
songe  aux  jolies  Yankees).  Et  tout  cela  pourquoi? 
Parce  que  cela  a  le  charme  d'une  vertu  sans  ennui. 
Faire  une  pièce  d'un  roman  où  il  n'y  avait  pas  de 
pièce,  la  tâche  était  ingrate,  et  nous  avons  dit  jadis 
comme  Hector  Crémieux  et  M.  Pierre  Decourçelle 
s'acquittèrent  le  mieux  du  monde  de  la  délicate 
besogne  qu'ils  avaient  assumée.  Le  premier  acte 
est  une  exposition  supérieurement  adroite,  dont 
les  détails  sont  de  purs  bijoux.  Il  faut  voir  le  bon 
curé  se  rallier  aux  belles  Américaines  quand  il  les 
sait  aussi  catholiques  que  charitables.  «  Mais  alors^ 
dit-il,  le  bruit  se  répandant  dans  les  communes 
voisines,  on  va  venir  s'établir  pauvre  àSauvigny  ». 
Charmant  est  le  dîner  dans  le  jardin,  rempli  de 
roses,  du  presbytère  de  campagne  ;  délicieuse  est 
la  scène  où,  l'abbé  s'étant  endormi,  les  deux  Amé- 
ricaines chantent...  toujours  un  peu  plus  fort, 
pour   l'éveiller  sans  lui  laisser  croire  qu'on  s'est 

M.  Péricaud.  —  De  Larnac,  M.  Mondos.  —  M»"  de  Lavardens,  M"»»  Marie 
Magnier.  —  Mm«  Scott,  M»»  Marcelle  Lender.  —  Bettina,  MW«  Blanche 
Toutain,  —  Pauline,  M««  Angèle. 

Le  rôle  du  jardinier  Bernard  était  repris  par  un  jeune  comédien, 
M.  Chabert,  remplaçant  au  pied  levé  M.  Péricaud,  indis^sé,  et  jouant 
avec  beaucoup  de  pitioresque  et  de  bonhomie. 

Le  22  février,  aura  lieu  la  50«  représentation  de  la  reprise  de  l'Abbé 
Constantin. 


THEATRE    DE    LA    GAITÉ  321 

aperçu  qu'il  dormait. . .  Grand  succès,  de  même, 
pour  le  second  acte,  avec  le  duel  des  deux  amis, 
Jean  Reynaud  et  Paul  de  Lavardens  —  une  inven- 
tion, et  même  une  trouvaille  des  dramaturges  — 
avec  Téquipée  de  Bettina,  courant  sous  la  pluie 
aux  nouvelles  de  Jean  qui,  bien  entendu,  est  sain 
et  sauf.  On  entend  la  fanfare  :  le  régiment  passe  ;  il 
est  passé  !  Je  vous  recommande  le  grand  parapluie 
retourné  par  l'orage  :  ce  sont  de  ces  précieux 
effets  de  mise  çn  scène  qui  valent  de  longues  tirades. 
C'est  au  troisième  acte,  chez  le  curé,  qu'est,  à 
vrai  dire,  la.  scène  à  grand  effet  :  Bettina  venant 
s'offrir,  elle  et  ses  millions,  au  pauvre,  mais  honnête 
lieutenant.  Rien  de  moins  imprévu,  mais  rien  de 
charmant  comme  ce  troisième  acte,  bourré  de 
petites,  de  toutes  petites  choses,  amusantes, 
vivantes  et  remplies  de  délicieux  traits  d'observa- 
tion. . .  Encore  une  fois,  on  a  fort  applaudi  la  pièce, 
quoique  honnête,  et  peut-être,  parce  que  honnête... 
Et  Vôn  a  fait  fête  à  ses  interprètes  actuels.  Coque- 
lin,  le  Tartuffe  d'hier,  est  exquis  dans  la  douce 
figure  de  Tabbé  Constantin  :  impossible  d'y  mettre 
plus  de  tact,  plus  de  mesure,  plus  de  bonhomie, 
plus  de  grandeur  simple.  M^^  Marie  Magnier,  qui 
fut  autrefois  une  si  élégante  M"*^  Scott,  est  une 
fort  amusante  M'»®  de  Lavardens.  Ce  sont  de  sédui- 
santes Américaines  que  M™^^  Marcelle  Lender  et 
Blanche  Toutain,  et  il  n'est  pas  jusqu'à  M"^^Angèle 
—  une  sympathique  rentrée  au  théâtre  —  qui 
n'ait  obtenu  un  gros  succès  sous  le  bonnet  à  coiffe 
de  la  servante  du  curé.  Les  recettes  de  l'Abbé 
Constantin  —  l'idéale  pièce  de  famille  —  devaient 

ANNALES  DU  T-IÉAlRi^  21 


322  LES    AIsNALES    DV    THEATRE 

permettre  à  la  direction  de  la  Gaité  d'aUendre 
patiemment,  non  pas  Foeuvre  de  M.  Rostand  qui 
ne  viendra  pas,  mais  le  Scarron  de  M.  Catulle 
Mendès,  qu'allait  nous  jouer  Coquelin. 

19  JANVÎER.  —  Matinée  classique  avec  le  Malade 
imaginaire^  et  le  Médecin  malgré  lui^, 

3o  MARS.  —  Première  représentation  de  Scarron^ 
comédie  tragique  en  trois  actes,  en  vers,  de 
M.  Catulle  Mendès,  musique  de  M.  Reynaldo  Ra- 
bin 3.  —  Il  sied  aux  vrais  artistes  de  «  jouer  la  dif- 
ficulté ».  Faire  du  célèbre  et  affreux  cul-de-jatte  — 
traîné  d'acte  en  acte  dans  un  fauteuil  à  roulettes  — 
le  héros  d'une  pièce  de  théâtre,  n'était-ce  point  là 


1.  Distribution.  —  Diafoirus,  M.  Coquelin  aîné.  —  Argan,  M.  Jean 
Coquelin.  —  Purgon,  M.  Rozenberg.  —  Béralde,  M.  Monteux.  —  Gléante, 
M.  Coiteau.  —  M.  Diafoirus,  M.  Garay.  —  PleuraTit,  M.  Chmbert.  — 
BoDiiefoi,  M.  Adam.  —  Toinette,  M»«  Marguerite  Ugalde.  —  Angélique, 
M»«  Maggie  Gauthier.  —  Belise,  M"»  Bouchetal.  —  Louison,  La  petite 
Hefntiette  Douwe. 

2.  DiSTRiBOTiON. .—  Sganarello,  M.  Coquelin  aîné .  —  GéTonte,  M.Jiozen- 
berg*  —  Léandre,  M.  Dauchy.  —  Valère,  M.  Garay.  —  Lucas,  M.  Gha- 
bert.  —  M.  Robert,  M.  Adam.  —  Martine,  M"»  Bouchetal.  —  Lucinde, 
M"«  Mylo  d'Arcyle.  —  Jacqueline,  M««  Renée  Bussy. 

3.  DraxRiBtTiON.  —  Soarron,  M.  Coquelin  aîné.  —  Destin,  M.  Volny, 
—  Touesaint-Quinet,  M.  Laroohe.  —  De  Villarceaux,  M.  Capellanù  — 
La  Rancune,  M.  Péricaud.  —  La  Meanardiére,  M.  Gravier.  —  Fouca- 
pal,  M.  Rozenberg.  —  Rotrou,  M.  Sohutz.  —  Ménage,  M.  Chabert.  — 
Armentières,  M.  Grammont.  —  Comte  de  Bélin,  M.  Albert.  —  Miton, 
M.  Dauchy,  —  Mars,  M.  Person  —  L'abbé  Celli,  M.  Gandera.  —  Ninon 
de  Lenrloe,  M»e  Gilda  Darthy.  —  Françoise  d'Aubigné,  MM*  Si/ivie.  — 
Etoile,  Mlle  Ventura.  —  M"»»  do  La  Bazinières,  W^»  Voulzie,  — 
M«»  d'Aubigné,  M»e  Massie.  —  Une  bourgeoise,  Mn«  Btanchet.  —  La 
Tripotière,  M»«  G.  Rose.  —  MU«  Diodée,  M"«  Piekell.  —  Mœt  de  Ribau- 
doû,  MH»  Dixel.  —  Marquise  de  Lestissac,  MUe  Baylat.  —  Comtesee  de 
Fiesque,  M"»  Verdier.  —  Venue,  MH«  Guétry.  —  Marion  Déforme, 
M^>»  Bernard.  —  Psyché,  M»»  d*Armor.  —  Pallas,  M»»  Roeine.  —  Hébé, 
M"«  Ovise»  —  Bellone,  M^e  Leno.  —  Françoise  d'Aubigné,  petite  Angèle 
Henry. 


THEATRE   DE    LA    GAITJÉ  323 

une  conception  si  étonnamment  hardie  qu'elle  fri- 
sait la  témérité  ?  Par  la  prestigieuse  magie  de  sa 
vaste  et  solide  érudition  d'écrivain  et  de  sa  souve- 
raine maîtrise  de  poète,  le  probe  auteur  de  Scar^ 
ron  a  triomphé  autant  qu'il  le  pouvait  de  la  tant 
périlleuse  entreprise.  Et  le  rideau  s'est  baissé  sur 
des  ovations  qui  s'adressaient  à  l'admirable  vir- 
tuose qu'est  M.  Catulle  Mendès,  à  l'incomparable 
comédien  que  s'est  montré  une  fois  de  plus  M.  Go- 
quelin  aîné.  En  sa  comédie  tragique  qui  suit  pa«  à 
pas  l'histoire  du  poète  burlesque,  M.  Catulle  Men- 
dès nous  montre  Scarron  rencontrant  pour  la  pre- 
mière fois  au  Mans  Françoise  d'Aubigné,  alors 
toute  petite  fille,  au  moment  où  il  vient  de  débiter 
une  lyrique  et  sacrilège  tirade  à  la  gloire  du  singa, 
qui  lui  vaudra  d'être  précipité  dans  les  bones  gla^ 
cées  de  la  Sarthe.  Nous  le  retrouvons  le  soir 
même  de  son  étrange  union  avec  M^'^  d'Aubigné  ; 
rien  de  plus  pénible,  mais  rien  de  plus  saisissant 
aussi  que  le  tableau  suivant  ;  Taffiche  l'appelle  iro- 
niquement le  «  Coucher  du  maxié  »  :  Xriste  marié 
qu'on  verse  de  sa  chaise  roulante  à  son  lit  de  dou- 
leur... ((  Oh  !  Scarron,  soyez  juste,  a  dit  en  son 
franc  parler  Ninon  de  Lenclos  :  qui  donc  serait 
cocu  si  vous  ne  l'étiez  pas  ?  »  Scarron  pourtant  ne 
veut  point  «  l'être  »  :  il  consent  à  ce  que  la  jeune 
femme  qu'il  adore  ne  soit  jamais  pour  lui  qu'une 
sœur,  mais  il  prétend  qu'un  autre  ne  lui  vole  pas 
son  trésor...  11  a  compté  sans  Villarceaux,  qui 
semble,  vraiment,  avoir  tout  ce  qu'il  faut  pour 
conquérir  le  cœur  de  la  «  belle  Indienne  »,  et  mo-^ 
tiver  le  sixain  de  Gilles  Boileau  : 


324  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

Vois  sur  quoi  ion  erreur  se  fonde, 
Scarrort,  de  croire  que  le  monde 
Te  va  voir  pour  ton  entretien  ; 
Quoi,  ne  vois-tu  pas,  grosse  bête, 
Si  tu  grattais  un  peu  ta  tête, 
Que  tu  le  devinerais  bien  ? 

Il  faut  voir  Scarron,  dans  un  accès  de  fureur 
jalouse  retrouver  assez  de  force  pour  briser  les 
deux  bras  de  sa  chaise,  s'échapper  de  son  demi- 
cercueil  et  marcher  Tépée  à  la  main  sur  les  amou- 
reux réunis  en  la  chambre  jaune  —  nuance  sym- 
bolique —  de  la  complaisante  Ninon.  Puis  comment 
ne  pas  frémir  à  Tacte  de  la  mort  si  cruellemjent 
railleur,  si  profondément  pathétique!  Et  j'imagine 
quelle  doit  être  la  suprême  joie  d'un  maître  tel 
que  Catulle  Mendès  de  se  voir  compris  et  inter- 
prété comme  il  l'a  été  par  Coquelin,  absolument 
admirable  —  il  n'y  a  pas  d'autre  mot  —  dans  le 
rôle  si  complexe  et  si  difficile  de  Scarron.  Ah  !  le 
mérité  triomphe  de  notre  grand  comédien  !  Après 
et  avec  Coquelin,  nous  voulons  nommer  M"^-  Syl- 
vie, qui,  ne  «  mangeant  »  point  les  vers  comme 
ses  trop  gourmandes  camarades,  M^^^Gilda  Darthy 
et  Ventura,  a  mis  infiniment  d'intelligence  et  de 
mordant  dans  le  personnage  de  Françoise,  ou 
Francine  Scarron,  songeuse,  prudente,  ambitieuse 
et  dévote  :  une  remarquable  composition  qui  fait 
le  plus  grand  honneur  à  la  jeune  artiste  de  l'Odéon, 
si  heureusement  prêtée  au  théâtre  de  la  Gatté.  — 
De  jolis  décors  —  le  frais  jardin  du  troisième  acte, 
où  s'épanouit  le  printemps,  est  une  merveilleuse 
toile  de  M.  Bertin  —  encadrent  dignement  l'œuvre 


THEATRE    DE    LA    GAITE  325 

de  M.  Catulle  Mendès,  l'un  des  plus  nobles  types 
d'hommes  de  lettres  de  ce  temps. 

Dès  le  20  avril  on  reprenait  VAbbé  Constantin, 
dont  on  fêtait  bientôt  à  ce  théâtre  la  loo^  repré- 
sentation. Et  le  28  avril  on  nous  rendait  le  Maître 
de  forges^,  qui,  dignement^  terminait  à  la  Gaîté 
la  saison  des  comédies.  Nous  avons  donc  revu  le 
célèbre  ouvrage  de  M.  Georges  Ohnet  qui  obtint,  il 
y  a  vingt-deux  ans,  un  si  énorme  succès,  et  nous 
avons  trouvé  que  c'était  là  une  excellente  pièce,  et 
que  Ton  ne  s'était  pas  trompé  sur  son  compte.  Le 
drame  est  touchant  parce  qu'il  est  vrai  et  que  la 
situation  est  forte.  Le  premier  acte  du  Maître  de 
forges  est  tout  simplement  de  premier  ordre.  Il 
fait  attendre  de  très  grandes  choses,  ce  qui  est 
précisément  le  métier  d'un  premier  acte.  Il  pose, 
et  avec  une  netteté,  une  clarté  et  un  relief  extraor- 
dinaires, une  situation  infiniment  intéressante. 
Claire  de  Beaulièu  aime  son  cousin,  qu'extérieure- 
ment elle  trouve  charmant.  Elle  est  aimée  en  si- 
lence par  un  homme  sérieux  qu'elle  n'aime  pas. 
Le  cousin  l'abandonne  froidement  pour  faire  un 
mariage  riche.  De  dépit,  d'orgueil  froissé,  elle 
épouse  brusquement  l'homme  sérieux,  sans  oublier 
le  séduisapt  cousin.  Que  va-t-il  sortir  de  là  ?  De 


i.  Distribution.  —Moulinet,  M.  Coquelin  aîné.  —  Philippe  Derblay, 
M.  Desjardins,  —  Bachelin,  M.  Laroche.  —  Duc  de  Bligny,  M.  Volny.— 
Baron  de  Préfont,  M.  Rozenberg.  —  Octave,  M.  Dauchy,  —  Le  général, 
M.  Person.  —  Gobert,  M.  Chabert.  —  Le  docteur  Servan,  M.  Ogereau»— 
Le  préfet,  M.  Orammont.  —  De  Pontac,  M.  Dannequin.  —  Jean, 
M.  Adam.  —  Claire  de  Beaulièu,  M«»e  Jane  Hading.  —  Athénaïs, 
MU«  Oilda  Darthy.  —  Marquise  de  Beaulièu,  M"»  Pauline  Patry.  — 
Baronne  de  Préfont,  M"»  Kerwich.  —  Suzanne,  M"»  Mylo  d'Arcylle.  — 
Brigitte,  M»»  Merle. 


326  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

grands  malheurs,  et  puis,  nous  en  avons  Tespoir, 
un  redressement  de  toutes  choses  qui  sera  produit 
par  Tamour.  Le  soir  des  noces,  la  femme  se  refuse 
à  son  mari  dans  une  scène  qui  n'était  pas,  certes, 
facile  à  faire  et  qui  est  admirablement  faite.  Le 
mari,  très  épris,  mais  très  ferme  et  très  digne,  si- 
gnifie à  sa  femme  qu'il  ne  faut  pas  qu'elle  s'avise 
de  revenir  et  que  jamais  il  ne  sera  son  mari  qu'aux 
ycHX  du  monde,  et  la  pièce,  très  savourense,  sera 
la  lutte  de  deux  orgueils,  et  l'orgueil  vaincu  par 
l'amour.  C'est  très  intéressant  et  très  bien  inter- 
prété, non  pas  par  M.  Desjardins  qui,  resté  «  en 
bois  »,  n'a  pas  su  mettre  dans  le  rôle  de  Philij>pe 
Derblay  toute  l'humanité  qu'il  comporte,  mais  i>ar 
M"^®  Jane  Hading  qui  est  toujours,  avec  la  grâce 
altière  et  fine  qui  la  caractérise,  une  Claire  admi- 
rable et  vraiment  originale...  Elle  sent,  elle  com- 
prend ;  elle  fait  sentir  et  elle  fait  comprendre.  Elle 
est  vibrante,  passionnée  et  nerveuse.  Peut-être  y 
prend-elle  aujourd'hui  un  petit  peu  trop  de 
«  temps  »,  mais  elle  a  de  si  beaux  éclats,  de  si 
beaux  silences  farouches  !  C'est  une  grande  et  belle 
actrice  que  doit  regretter,  que  devrait  redemander 
le  ThéâtreJFrançais...  M™®  Hading  y  a  sa  place 
toute  marquée  et  parmi  tant  de  rôles,  si  bien  dans 
ses  cordes,  elle  n'aurait  que  l'embarras  du  choix. 
Un  personnage  vipérin  et  venimeux  comme  celui 
d'Âthénaïs  convient  peu  à  l'aimable  visage  de 
M"®  Gilda  Darthy.  Dans  le  petit  rôle  de  Moulinet, 
dont  il  a  bien  voulu  se  charger  pour  la  circons- 
tance, Coquelin  aîné  a  mis  littéralement  la  salle  en 
joie.   Et   comme    nous  lui  demandions   pourquoi 


THÉÂTRE    DE    LA   GAfTÉ  .  J27 

il  n'avait  pas  joué  Philippe  comme  il  le  compre- 
nait, avec  l'infinie  bonté  qui  est  bien  dans  Tâmç  du 
personnage  :  —  «  Non,  nous  a-t-il  répondu,  je 
suis  maintenant  trop  vieux  pour  le  rôle  ;  mais  je 
le  jouerai  tout  de  même  un  jour, .  car  je  compte 
bien  reprendre  Petruccio  de  la  Mégère  apprivoi^ 
sée, . .  »  Voilà  qui  nous  pronïet  dans  l'avenir  une 
intéressante  soirée. 

3  JUIN.  —  Première  représentation,  à  ce  théâtre, 
de  Champignol  malgré  lui.  Uri  vaudeville  plein  de 
verve,  d'invention  et  d'habileté,  étonnamment  gai 
et  admirablement  bâti,  que  conçurent  dans  la  joie 
MM.  Georges  Feydeau  et  Maurice  Desvallières.  La 
pièce  s'est  jouée  des  centaines  de  fois...  En  un 
temps  où  nous  sommes  tous  soldats,  où  tous  doi- 
vent à  la  patrie  leurs  treize  jours  ou  leurs  deux 
ans,  ces  scènes  de  là  vie  militaire  ne  pouvaient 
manquer  d'avoir  le  gros  succès  qu'elles  ont  obtenu. 
J  ajoute  —  et  c'est  là  un  merveilleux  argument 
pour  les  apôtres  de  la  vérité  dramatique  —  que 
ces  scènes  sont  d'autant  plus  amusantes  qu'elles 
sont  presque  toujours  observées  d'après  nature. 
Les  lignards  de  Champignol  malgré  lui  existent 
réellement,  et  beaucoup,  parmi  nous,  ont  vii  ces 
types  d'officiers,  de  sous-officiers,  de  simples  réser- 


i.  Distribution.  —  Champignol,  M.  Germain.  —  Saint-Plorimond, 
M.  Qalip<»Hx,  — Gamarat,  M.  NoizBux.  —  Charnel,  M.  Jvtger.  -^  Foa- 
rageot,  M.  Chameroy.  —  Singleton,  M..  Vallières.  —  Ledoux.M.  iSivers. 
—  CéleâUa,  Af.  Dauchp. —  Grosban,  M.  Calvin,^-  Le  prince  de  Valence, 
M.  Ch.  Beriheaux.  —  Belouette,  M,  Dannequin.  —  LavalanchO: 
M.  Berly.  —  LaFauchette,  M.  Laroque.  —  Badin,  M.  Carterean.  —  Bri 
gantier  de  gwnd«rBierie,  M.  Ogeréau.  -^  Oérôme,  M.  Georges.  —  Josepb 
M.  Veriant,  —  Angéle,  M'ie  Viviane  Lavergne.  —  Charlotte,  M"«  àtar- 
guérite  Lavigne.  —  Mauricetle,  M^e  Senfter.  —  Adriemie,  M^l»  Vouiiîe. 


328  LES  ANNALES  DU  THÉÂTRE 

vistes.  Un  instant  nous  avons  craint  qu'en  son 
nouveau  et  plus  vaste  cadre,  la  joyeuse  bouffonne- 
rie de  MM.  Feydeau  et  Desvallières  ne  semblât 
quelque  peu  vieillie,  quelque  peu  dépaysée.  Mais, 
dès  le  premier  acte,  nous  étions  complètement  ras- 
suré :  la  pièce  a  paru  aussi  follement  gaie  qu'au- 
trefois. C'est  naturellement  aux  hommes  q  l'ap- 
partient le  triomphe  de  l'interprétation.  Le  vrai 
Champignol  est  le  toujours  divertissant  Germain, 
et  le  fou  rire  vous  prend,  pour  ne  vous  plus  lâcher, 
dès  qu'apparaît,  en  simiesque  pioupiou,  celui  qui 
représente  «  un  de  nos  premiers  peintres  de  l'épo- 
que »,  comme  dit  sa  femme.  «  Champignol  malgré 
lui  »,  c'est  dans  le  rôle  de  Guy,  Galipaux,  plein  de 
fantaisie.  Tarride  avait  dessiné  en  artiste  original 
d'un  trait  piquant  et  spirituel,  le  rôle  du  conven- 
tionnel capitaine.  M.  Noizeux,  qui  a  beaucoup  de 
talent  —  nous  l'avons  souvent  remarqué  —  ne 
s'est  nullement  montré  indigne  de  lui  succéder. 
M"®  Viviane  Lavergne  joue  de  façon  agréable  et 
adroite  le  rôle  de  M«»«  Champignol.  Et  M"«  Mar- 
guerite Lavigne  —  en  vraie  fille  d'Alice  Lavigne  — 
rend  avec  beaucoup  de  drôlerie  celui  de  la  petite 
bonne  qui  arrive  de  son  pays,  mais  qui  ira  loin, 
lorsqu'elle  aura  trouvé  le  banquier  rêvé  par  sa 
tante.  A  eij  juger  par  le  gros  effet  de  cette  reprise, 
qui  s'est  faite,  le  premier  soir,  devant  une  salle 
fort  élégante,  Champignol  malgré  lui  n'aura  nul- 
lement à  se  repentir  d'avoir  changé  de  garnison. 
Et  si  tous  ceux  qui  l'ont  vu  aux  Nouveautés  vien- 
nent le  revoir  à  la  Gaîté,  c'est  un  spectacle  qui 
n'est  pas  près  de  quitter  l'affiche;  en  voilà  pour 


THEATRE    DE    LA    GAITÉ  i^^ 

tout  Tété.  Heureux  Feydeau,  heureux  Desval- 
lières  ! . . .  En  réalité,  le  théâtre  fermait  ses  portes 
le  17  juillet  avec  Champignol  malgré  lui.  Il  les 
rouvrait  avec  lui  le  12  août.  L'âme  de  la  pièce, 
c'est  toujours  Germain,  incomparable  de  brio  et 
de  fantaisie  dans  le  rôle  de  Champignol.  Regnard 
lui  donne  la  réplique  avec  sa  bonhomie  habituelle 
et  sa  rondeur  amusante;  puis  c'est  Jaeger,  Noizeux, 
Vallières,  Chanieroy,  etc.,  dont  l'entrain  mène  heu- 
reusement la  pièce.  Du  côté  féminin,  M"^  (î'iorence 
Gromier  est  absolument  charmante;  M"® Marguerite 
Lavigne,  étourdissante  d'ahurissement  ;  M*'®  Senher, 
pleine  de  charme,  etM"®Pickell,  très  piquante.  Suc- 
cès de  fou  rire  comme  précédemment. 

12  SEPTEMBRE.  —  Première  représentation,  à  ce 
théâtre,  du  Roman  d'un  jeune  homme  pauvre^ 
pièce  en  cinq  actes  et  sept  tableaux  d'Octave 
Feuillet*.  —  L'été  étant  fini,  la  direction  du 
théâtre  de  la  Gaîté  a  remisé  le  vaudeville  et  laissé 
là  Champignol^  pour  revenir  à  la  comédie  roma-^ 
nesque  qui  lui  avait  déjà  fort  heureusement  réussi 
avec  les  reprises  de  VAbbé  Constantin  et  du 
Maître  de  Forges.  Après  MM.  Ludovic  Halévy  et 
Georges  Ohnet,  c'est  le  tour  d'Octave  Feuillet  avec 
le  Roman  d'un  jeune  homme  pauvre.  Je  ne  vous 
dirai  pas  les  amours  de  Maxime  Odiot,  marquis  de 

1.  DiSTRiBUTioN.^iJfc-  Maxime  Odiot,  M.  Marquet.  —  Laroque.  M.  Péti- 
caud.  —  De  Bévallan,  M.  Coste:  r-  Laubépia.  M.  Laroche.  —  Alain, 
M.  Céalis.  —  Docteur  Desmarets,  M.  Gravier.  —  Gaston  de  Lussac, 
M.  Dauchy.  —  Vauberger,  M.  Ogereau.  —  Champlein,  M.  Danequin.  — 
Yvonnet,  M.  Venant.  —  Marguerite,  M"»' /Suzanne  Munte.  —  M»*  La- 
roque, M"»»  Pauline  Patry.  —  M»»  Hélouin,  Mi'«  H.  Demongey.  — 
M»»  Aubry,  M»»  Dehon.  —  Christine,  MU»  H.  Doll.  —  M™«  Vau*>e'^er 
M«»«  Graxier-Magnier, 


33o  LES  ANNALES  DU  THÉÂTRE 

Campeey,  gentilhomme  généreusement  ruiné,  le 
martyr  de  l'honneur,  avec  Marguerite  Laroque, 
rhéritière  des  millions  d'un  vieux  corsaire,  et  les 
péripéties  dramatiques  qu'engendrent  entre  ces 
•  deux  âmes  faites  l'une  pour  l'autre  la  susceptibi- 
lité même  de  leur  désintéressement  et  la  pudeur 
également  chatouilleuse  de  leur  délicatesse.  Le  saut 
périlleux  qu'exécute  Maxime  en  se  précipitant  du 
sommet  de  la  tour  d'Elren  est  une  des  scènes  les 
plus  connues  du  roman  et  du  drame  contempo- 
rains. Revenir  sur  ces  pages  célèbres,  ce  serait  par 
trop  arriver  de  son  village.  Le  Roman  d'un  jeune 
homme  pauvre  est  un  de  ces  drames  qui  plaisent 
toujours.  Il  flatte  ce  goût,  qui  est  très  vif  chez  un 
public  français^  d'échapper  un  soir  à  la  maussade 
réalité  et  de  s'élancer  dans  l'aimable  pays  des 
rêves.  Le  drame  de  Feuillet,  à  examiner  la  chose  de 
prèsj  n'est  qu'une  édition  nouvelle  des  Famées 
Confidences  de  Marivaux.  —  «  Quel  est  ce  jeune 
homme  qui  vient  de  passer?  demande  Araminthe 
à  Lisette,  il  est  vraiment  bien  fait,  et  salue  de  fort 
bonne  grâce.  »  —  «  C'est  un  jeune  homme  né  de 
parents  honnêtes  et  qui  n'avaient  pas  de  biens  ». 
—  ((  Ah  !  la  fortune  est  injuste  I  »  Et  voilà  toute 
la  pièce.  Dorante  devient  l'intendant  d'Araminthe, 
s'insinue  peu  à  peu  dans  son  cœur  et  finit  par 
triompher  de  ses  scrupules.  Tout  cela  se  passe 
dans  un  milieu  fantaisiste,  entre  ciel  et  terre,  et 
l'on  a  plaisir  à  suivre  les  progrès  de  cette  passion 
qui  ne  trouve  d'obstacle  qu'en  elle-même  et  quetout 
favorise  au  dehors;  on  est  sûr  du  succès;  on  en 
jouit  d'avance  et  l'on  en  est  heureux  encewe  après. 


THEATRE   DE    LA   GAIlÉ  33 1 

Et  ces  fixations  délicieuses  —  le  conte  de  fée  de 
Vàge  mûr — vous  font  passer  doucement  une  heure 
ou  deux  en  compag-nie  de  personnes  charmantes 
éi  d'événements  toujours  heureux,  tandis  qu'au- 
tour Tair  est  embaumé,  le  vent  frais,  le  ciel  dou- 
cement rosé,  et  que  tout  sourit  dans  la  nature. . . 
Ge  qui  nous  pkît  encore  dans  ce  Roman  d'un 
jeune  homme  pauvre,  c'est  que  la  pièce  est  faite 
avec  beaucoup  de  naïveté.  L'absence  de  toute 
rouerie  est  agréable  dans  ce  genre  de  drames.  Les 
personnels  entrent,  vont  et  viennent  sans  qu'on 
sache  pourquoi,  ni  qu^ils  puissent  dire  comment. 
Ce  manque  d'habileté,  qui  est  presque  toujours  un 
défaut  très  sensible  au  théâtre,  se  tourne  ici  en 
qualité.  On  se  pkît  à-  ces  inexpériences  qui  n'ôtent 
rien  à  la  délicatesse  des  sentiments  et  à  la  grâce 
un  peu  molle  du  style,  souvent  charmant.  C'était 
Lafontaine  et  Jane  Èssler  qui  jouaient  autrefois,  au 
Vaudeville  de  la  place  de  la  Bourse  où  la  pièce  fut 
créée  il  y  a  quelque  chose  comme  quarante  ans, 
^les  rôles  de  Maxime  Odiot  et  de  Marguerite  La- 
roque,  et  les  anciens^  se  rappellent  avec  quel  feu, 
quel  emportement  de  passion  !  Duquesne  venant 
de  Bruxelles  à  Paris  débuta  au  Gvmnase  dans  le 
«  jeune  homme  pauvre  »;  il  avait  alors  pour  parte- 
naire M"«  Jeanne  Malvau.  Ce  furent,  plus  tard,  à 
l'Odéon,  la  pauvre  Wanda  de  Boncza  et  M,  Pierre 
Magnier;  puis  M"*«  Seg-oni-Weber  et  M.  Marquet 
qui  est  justement  aujourd'hui,  à  la  Gaîté,  titukiredu 
rôle  de  Maxime  Odiot.  Il  y  a  de  nouveau  mérité 
les  bravos  du  public,  encore  que  son  jeu  nous  pa- 
raisse emphatique   et  monotone    et  qu'il  manque 


332  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

d'élan.  M"«  Suzanne  Munte,  légèrement  marquée 
pour  le  rôle  de  Marguerite,  est  froide,  sans  émo- 
tion véritable,  sans  sincérité.  M.  Péricaud,  excel- 
lent comme  toujours  (c'est  lui  qui  joue  cette  vieille 
canaille  de  Laroque),  a  rendu  de  la  plus  remar- 
quable façon  sa  scène  d'hallucination  et  de  délire 
à  la  vue  du  visage  de  Maxime  éclairé  par  la  lampe, 
on  le  croirait  vraiment  à  «  l'article  de  la  mort  »  ; 
il  donne  l'illusion  parfaite  du  vieillard  de  quatre- 
vingts  ans.  M.  Coste,'  qui  fut  le  Le  Bargy  de  la  rive 
gauche,  montre  dans  Bévallan  une  élégante  désin- 
volture teintée  d'un  peu  de  charge.  M.  Laroche 
est  un  très  sympathique  L'Aubépin  et  M.  Céalis  a 
très  adroitement  composé  le  petit  rôle  du  fidèle 
Alain.  Mp®  Patry  a  du  charme  et  du  naturel  en 
^me  Laroque;  M"®Dehonest  amusante  enM™«Au- 
bry.  Jamais,  sous  les  traits  de  la  jolie  M^*®  Démon- 
gey,  on  ne  pourrait  soupçonner  une  âme  aussi 
noire  que  celle  de  l'institutrice  Héloin.  N'oublions 
pas  M"^  DoU  dans  le  petit  rôle  de  la  paysanne 
qu'embrasse  le  jeune  homme  pauvre;  elle  complète 
de  mignonne  façon  l'interprétation  de  ce  spectacle 
vénérable  et  lénifiant,  tout  à  l'adresse  des  familles. 
12  OCTOBRE.  —  Nouvelle  reprise  de  Cyrano  de 
Bergerac  *. 


1.  Distribution.—  Cyrano,  M.  Coquelin  aîné.—  Ragueneau, M.  Jean 
Coquelin.  —  De  Guiche,  M.  Desjardins.  —  Christian,  M.  Volny.  —  Pre- 
mier cadet,  M.  Péricaud. —  Lebret,  M.  Laroche. —  Ligniéres,  M.  Coste. 

—  Carbon,  M.  Gravier.  —  Val  vert,  M.  Monteux.  —  Premier  marquis, 
M.  Chabert.  —  Bellerose,  M.  Céalis.  —  Cuigny,  M.  Dai^chy.  —  Le  bour- 
geois, M.  Person.  —  Jodelet,  M.  Carteron.  —  D'Artagnan,  M.  Maxime 
Capoul.  —  Brissailles,  M.  Dannequin.  —  Roxane,  MHe  Yahne.  —  Lise, 
Ml"  Bl.  Miroir.  —  La  duègue,  M»«  Bouchetal.  —  Sœur  Marthe, 
Mil»  Kefwich.  —  Sœur  Glaire,  MHe  Voulzie.  —  Premier  page.  M»*  DoU, 

—  Une  précieuse,  M'i*  Beilat.  —  Une  bouquetière,  W^^Dannequin. 


THEATRE    DE    LA    GAITÉ  333 

23  OCTOBRE.  —  Spectacle  de  gala  au  profit  des 
Voyageurs  du  commerce  et  de  l'industrie.  On 
reprend  Iç  Maître  de  Forges  *,  qui  alternera  avec 
Cyrano, 

17  NOVEMBRE.  —  Première  représentation  de 
Les  Oberléj  pièce  en  cinq  actes  de  M.  Edmond 
Haraucourt,  tirée  du  roman  de  M.  René  Bazin  ^. 
Le  livre  de  M,  Bazin,  l'académicien  sensible  et 
patriote,  avait  eu,  en  raison  du  cadre  de  Factuelle 
Alsace  allemande,  un  succès  de  curiosité  un  peu 
grave  mêlée  d'attendrissement.  La  censure  avait 
cru  devoir  opposer  son  veto  au  spectacle  des  sol- 
dats du  kaiser  faisant,  en  éternels  vainqueurs,  peser 
sur  leur  conquête  le  talon  de  leurs  lourdes  bottes. 
Elle  eut  peur  de  permettre  qu'on  prononçât  au 
feu  de  la  rampe  des  phrases  de  regrets  et  de  co- 
lère concentrée.  C4omme  toutes  les  pièces  préala- 
blement interdites,  celle-ci  ne  parut  pas  comporter 
la  nécessité  de  mesures  si  sévères.  On  écouta  les 
Oberlé  sans  passion,  et  aussi,  selon  la  formule  du 
serment  judiciaire,  «  sans  haine  et  sans  crainte  ». 


1.  —  Intermède  entre  les  deuxième  et  troisième  actes  :  Quatuor  de 
Rigoletto,  par  MM.  Noté,  Dubois,  M^e»  Soyer  et  Demougeot,  de  l'Opéra  j 
Trio  de  Jérusalem,  par  MM.  Nivette,  Dubois  etMH«  Agussol,  de  l'Opéra; 
MM.  Coquelin  cadet,  de  la  Comédie-Française  et  Jean  Goquelin. 

2.  Distribution.  —  L*oncle  Ulrich,  M.  Coquelin  aîné.  —  Philippe  Oberlé, 
M.  Péricaud.  —  Joseph  Oberlé.  M.  Desjardins.  —  Von  Farnow,  M.  Vcl- 
ny.  —  Jean  Oberlé,  M.  Monteux.  —  M.  Bastian,  M.  Laroche.—  Le  comte 
de  Kassewitz,  M.  Coste.  —  Le  conseiller  B|||png,  M.  Céalis.  —  Un  bri- 
gadier de  douane,  M.  Chabert.  —  Le  professeur  Knopplle,  M.  Adam.  — 
Un  douanier,  M.  Person.  —  Le  professeur  von  Finkon,  M.  Lineval.  — 
Iw  paysan,  M.  Ogereau.  —  2«  paysan,  M.  Dannequin.  —  Un  jeune 
paysan,  M.  Venant.  —  Un  vieillard,  M.  Totah.  —  Lucienne  Oberlé, 
Mil»  Léonie  Yahne.  —  Monique  Oberlé,  MH«  Bouchetal.  —  Odile  Bastian, 
M"«  Miéris.  —  M"»»  Knopple,  M"»  Kerxcich.  —  M"»*  Bransing,  Mii«  B$j 
tat.  —  Une  vieille  femme,  MHe  Merle.  —  M"»»  Rosental,  M"»  Bussiére. 


334  LEâ  ANNALES  DU  THEATRE 

Les  tttnps  6ont*iIs  changés.  En  tout  cas,  les  pré- 
occupations ne  sont  plus  pareilles,  ei,  même  après 
les  incidents  derniers  qui  nous  firent  un  instaitt 
courir  le  sang  plus  vite  dans  les  veines^  nous 
n'avons  pas  la  même  façon  que  jadis  d'envisager 
Tau  delà  de  la  frontière.  Quelques  spectateurs  ap- 
portèrent à  leur  approbation  une  certaine  réserva, 
jugeant  dangereuse  cette  tendance  à  de  probléma- 
tiques revendications  ;  d'autres  regrettèrent  que 
Tauteur  n'apportât  pas  glus  d'éclat  à  ces  airs  de 
fanfares  et  qu'on  se  cantonnât  dans  une  poétique 
de  timide  revanche.  Peut-être  le  tact  de  M.  Harau- 
court,  indispensable  en  une  question  aussi  brû- 
lante-, contribua-t-il  à  affaiblir  l'enthousiasme  d'un 
public  habitué  à  voir  traiter  les  sujets  d'actualité 
à  coups  de  poing.  Mais  il  ne  s'agit  là^  devant  un 
auditoire  blasé,  que  d'une  appréciation  restreinte. 
L'opinion  générale  rendait  justice  aux  qualités  de 
l'œuvre,  d'une  simplicité  noble,  féconde  en  effets 
de  scène,  d'une  saisissante  sobriété.  Du  choc  des 
caractères  se  dégage  un  haut  enseignement^  et 
Fimpression  eût  été  plus  vive  encore  si  le  stjle  ne 
s'était  pas  fleuri  de  rhétorique  prétentieuse  qui 
enlève  à  l'ensemble  sa  saveur  réelle.  Les  person- 
nages, pénétrés  un  peu  trop  de  l'importance  de 
leur  mission,  parlent  comme  au  prêche  :  ik  ponti- 
fient. Les  mêmes  propos,  en  une  conversation  sin- 
cèrement vécue,  enssent  certainement  enlevé  la 
salle  aux  passages  de  force  ou  d'émotion  qui  ne 
furent  écoutés  qu'avec  sympathie.  Malgré  ces  ré- 
serves d'un  ordre  spécial,  les  Oberié^  magnifique- 
ment montés,  interprétés  de  façon  magistrale  (trop 


tHËÀTRË   DE   LA   GAITÉ  S3^ 

magistrale  !)  produiront  xSur  Terril  des  specta* 
teure  ordinaires  de  la  Gaîté  une  impression  pro- 
fende. Devant  cette  tragédie  domestique,  au-des- 
sus de  laquelle  plane  le  spectre  de  la  patrie  i^uti- 
lée,  ils  réfléchiront  avec  gravité.  Ils  ne  se  diront 
pas  :  a  Trente-cinq  ans  se  sont -écoulés,  l'aventure 
n'est  plus  mienne.  »  Mais  ils  penseront  :  «  Qui 
sait  si  ces  souvenirs,  déjà  vieux,  ne  menacent  pas 
de  céder  la  place  à  d'autres,  plus  cuisants  en- 
core ?  »  Et  l'on  songera  à  la  possibilité  d'un  pro- 
chain réveil.  En  cela,  les  Oberlé  sont  une  œuvre 
saine  qu'il  convient  de  juger  avec  respect.  L'action 
n'est  qu'un  prétexte  pour  évoquer  à  chaque  mot, 
à  chaque  geste,  l'ombre  de.  la  France  d'hier,  sai- 
gnante et  désolée.  C'est  elle  qui,  en  chaque  ré- 
plique, poétique  et  vibrante,  joue  le  rôle  du  chœur 
dans  les  drames  de  l'antiquité.  Au-dessus  de  l'on- 
cle Ulrich,  de  Philippe  Oberlé,  de  Jean  Oberlé  et 
de  Monsieur  Bastian,  la  France  toujours  est  la 
grande  héroïne.  Ce  drame  est  avant  toute  chose 
une  évocation.  L'histoire  est  simple.  La  voici  : 
trente  années  de  soumission  ont  fait  l'Alsace 
craintive  ;  sa  force  de  résistance  s'en  est  trouvée, 
diminuée.  Bien  qu'en  certaines  âmes  le  souvenir 
de  la  défaite  soit  aussi  vivace  qu'au  premier  jour, 
d'autres,  retenus  par  leurs  affaires  et  le  soin  de 
leur  famille,  se  sont  peu  à  peu  habitués,  puis  assi- 
milés au  vainqueur  :  tel  Joseph  Oberlé,  directeur 
d'une  importante  usine,  qui  pousse  à  un  tel  point 
l'oubli  des  injures  qu'il  consent  au  mariage  de  sa 
fille  Lucienne  avec  le  lieutenant  allemand  Von  Far- 
now,  familier  de  la  cour  de  Berlin.  Son  fils  Jean^ 


336  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

qui  revient  de  Munich,  après  quatre  ans  de  hautes 
études,  a  échappé  à  Tinfluence  allemande.  Resté 
Français  de  cœur,  il  respire  avec  délices  Tair  de 
TAlsace,  qui  est  un  peu  celui  de  la  France.  Aussi 
reste-t-il  atterré  quand  sa  sœur  lui  apprend  son 
alliance  prochaines.  La  bataille  morale  s'engage, 
d'une  part,  entre  Joseph  Oberlé,  sa  fille.  Lucienne 
et  l'officier  Von  Farnow^,  de  l'autre,  entre  Jean, 
tout  à  la  fougue  de  sa  patriotique  jeunesse,  Mon- 
sieur Bastian,  alsacien  intransigeant,  l'oncle  Ulrich, 
que  la  France  attire  comme  une  maîtresse  chérie, 
et  Philippe  Oberlé,  le  grand-père,  hautaine  figure 
(i'octogénaire,  dont  la  volonté  n'a  pas  faibli,  même 
sous  les  attaques  de  la  paralysie,  oi  qui  recouvre 
la  parole  aux  grandes  occasions  pour  prononcer  le 
mot  définitif,  en  grand  Français  de  France  qui  ne 
désarme  pas.  Jean  Oberlé  aime  Odile  Bastian, 
mais  se  heurte  au  refus  obstiné  de  son  père.  Celui- 
ci  rêve  en  effet  de  se  présenter  comme  député  aux 
futures  élections,  et  si  son  fils  épousait  la  fille  d'un 
ennemi  juré  du  vainqueur,  c'en  était  fait  pour  lui 
du  Reichstag.  Cette  décision  augmente  l'aversion 
de  Jean  pour  le  fiancé  de  sa  sœur  Lucienne,  si 
bien  que,  pour  échapper  aussi  bien  à  la  tyrannie 
paternelle  qu'à  la  puissance  des  lois  du  conqué- 
rant, la  veille  de  son  volontariat,  il  se  décide  à  dé- 
serter. Enfermé  par  son  père  qui  le  conduira  lui- 
même  demain  à  la  caserne,  et  au  besoin  réclamera 
contre  lui  Taide  des  gendarmes.  Jean  est  délivré 
par  le  grand-père  qui^  d'un  geste  large,  désignant 
la  frontière  de  France,  lui  dit  :  «Va  ».  Et  nous  voici 
au  dernier  acte,  près  d'un  poste  de  douane,  au 


THEATRE    DE    LA   GAITÉ  337 

seuil  de  la  frûgtière.  Il  fait  nuit  encore.  On  entend 
le  bruit  d'une  poursuite.  Un  homme  paraît  fuyant  : 
frappé  d'un  coup  de  fusil,  il  tombe  dans  un  fossé. 
Cet  homme,  c'est  l'oncle  Ulrich  qui*  s'est  dévoué 
pour  dépister  les  soldats  allemands  à  la  poursuite 
de  Jean  qui,  maintenant,  est  en  sûreté  sur  la  terre 
de  France  :  soldat  français,  il  épousera  la  fille  de 
l'intègre  Bastian.  Le  rôle  de  l'oncle  Ulrich,  relati- 
vement peu  étendu,  a  été  rendu  par  Coquelin  aîné 
avec  une  scienc^des  nuances  tout  à  fait  remar- 
quable ;  sans  un  geste  emphatique,  sans  un  éclat 
de  voix,  par  les  seules  ressources  de  son  cœur  fé- 
cond en  tendresse  émotive,  il  a  fait  passer  dans  la 
salle  le  précieux  petit  frisson.  De  quel  amour,  du 
haut  du  tertre  de  Sainte-Odile,  il  tend  les  bras 
vers  la  patrie  dont  la  brise  presque  vierge  vient  lui 
caresser  le  visage,  et  de  quels  accents  pénétrants  il 
lui  adresse,  au  milieu  du  peuple  à  genoux,  la  prière 
de  l'exilé  I  A  côté  de  lui,  Péricaud,  dans  un  rôle 
presque  muet,  a  magistralement  traduit  l'inflexi- 
bilité du  grand-père  et  son  entêtement  héroïque. 
Cette  création  lui  sera  comptée  parmi  les  meilleures 
de  sa  longue  carrière.  Monteux  fut  élégant,  très 
touchant  aussi  et  d'une  grande  vaillance.  Qu'il  se 
garde  seulement  d'imiter  son  maître  en  des  accents 
coquelinesques  dont  il  peut,  dont  il  doit  se  passer. 
Le  lieutenant  Von  Farnow  a  trouvé  en  Volny  un 
interprète  de  silhouette  impressionnante,  et  Des- 
jardins et  Laroche  furent,  l'un  un  Oberlé  père  ar- 
tistiquement antipathique,  l'autre  un  irréductible 
suffisamment  convaincu.  A  M"®  Léonie  Yahjije  était 
échu  le  rôle  de  Lucienne,  physionomie  sèche  de 

ANNALES  DU  THÉATIlE  22 


338  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

je^ine  fille  ambitieuse,  qui  confond  Pambition  avec 
Tamoar  ;  elle  sut  en  rendre  a  soubail  le  côté  frotd, 
^établissant  ainsi  un  habile  contraste  avec  la  ligure 
chaste  d*Odile,  à  qui  M**«  Miéris  prêtait  le  <*ian«e 
de  son  angélique  sourire  et  de  ses  grands  yeux  m- 
nocewts.  Citons  enfin  M*^«  Bouchetal,  qui  se  mon- 
tra des  plus  touchantes  dans  le  Mie  de  la  mère, 
Monique  Obftrlé.  Les  décors  sont  délicieux  :  la 
forêt  de  sapins,  la  colline  de  Sainte-Odite  et  la 
frontière  sont  autant  de  tableaux  de^ maître.  Et 
quand  le  vent  apporte  le  carillon  des  proches  clo- 
chers de  France,  je  défie  le  plus  endurci  de  ne 
pas  sentir  une  larme  perler  sous  sa  paupière.  Avec 
les  Oberfé^  où,  dès  le  20  novembre,  M.  Jean  Co- 
quelin  a^tiit  assumé  la  lourde  tâche  de  reprendre 
le  rôle  de  son  père,  gravement  souffrant,  où 
M.  Maxime  Capoui  succédait  à  M.  Monteux  dans 
celui  de  Jean  Oberlé,  se  terminait  Tannée,  résumée 
dans  le  tableau  suivant  : 


THEATRE    DE    LA    GAITE 


339 


La  Cigale  et  la  Fourmi^    opéra-comique 

Le  Bourgeois  Gentilhomme f  pièce 

Tartuffe^  comédie  ea  vers 

Les  Précieuses  ridicules,  comédie 

L'Abbé  Constantin^  -comédie 

*La  Danseuse  au  Couvent  y  pièce 

*  L'Héritage  d' Yvette,  pièce 

Le  Malade  imaginaire,  comédie. ....... 

Le  Médecin  malgré  lui,  comédie 

*Scarron,  comédie  tragique  en  vers 

Le  Maître  de  Forges,  pièce 

Champignol  malgré  lui,  pièce 

*  Une  Correspondance,  pièce 

Le  Roman  d'un  jeune  homme  pauvre,  piic«. 
Cyrano  de  Bergerac,  comédie  héroïque.. 
Les  Oberlé,  pièce 




DATE 

NOMBRE 

delà 

d'actes 

ou  de  la 

reprise 

3  a.  10  t. 

» 

5 

» 

5 

» 

1 

» 

3 

13janv. 

1 

16  janv. 

1 

19janv. 

3 

» 

3 

» 

5 

30  mars 

5 

28  avril 

3 

5  juin 

1 

» 

5  a.  7  t. 

12  sept. 

5 

» 

5 

17  nov. 

NOMBER 
de 

représent, 
pendant 
Tannée 


11 
2 
1 
1 

lia 
4 

92 
2 
2 
22 
55 
82 
47 
35 
23 
53 


THÉÂTRE  DU  GHATELET^ 


Deux  pièces  nouvelles,  toutes  les  deux  de 
MM.  Victor  de  Cottens  et  Victor  Darlay,  Tom 
Pitty  le  roi  des  Pickpockets^  et,  dans  les  derniers 
jours  du  mois  de  décembre,  les  4oo  Coups  du 
Diable  constituèrent  le  bilan  de  l'année.  Elle  avait 
commencé  avec  l'éternel  Tour  du  mondes  dont  les 
représentations  s'étaient  continuées  jusqu'au  19 
février. 

2  MARS.  —  Première  représentation  de  Tom 
Pitty  le  roi  des  Pickpockets^  pièce  à  grand  spec- 
tacle en  quatre  actes  et  dix-huit  tableaux,  de 
MM.  Victor  de  Cottens  et  Victor  Darlay,  musique 
nouvelle  el  arrangée  par  M.  Marins  Baggers^.  — 
Promettre  des  merveilles,  et  tenir  au-delà  des  pro- 


1.  —  Directeur  .'  M.  Fontanes  ;  Secrétaire  général  :  M.  Georges  Bégua- 
eeau. 

2.  Distribution.  —  Tom  Pitt,  M.  Max  Dearly.  —  Cricri,  M.  Pougaud, 

—  Lapoire,  M.  Vilbert,  —  Séraphin,  M.  Paul  Ardot.  —  Boby,  M.  Favey. 

—  Picrates,  M.  Danvera*  —  Lionel,  M.  JR.  Maire.  —  Polonius,  M.  Hol- 
den.  —  Le  juge,  M.  Houssaye.  —  Le  capitaine  de  gendarmerie, 
M.  /.  Renez.  —  Le  manager,  M.  Magnard.  —  Pirouette,  M»»  Béraldy. 

—  Edna,  MU«  Myrah  —  Arabella,  M»«  Virginie  Rolland,  —  L'auber- 
giste, Mlïe  Feugère.  —  Pépita,  M"»  Lizy. 

Ballets  réglés  par  M»«  Stichel,  dansés  par  M"»*  Lucie  Maire,  danseuse 
étoile,  et  par  tout  le  corps  de  ballet. 
Ijes  Ping-Pong's,  danseuses  anglaises. 
Les  Harrisson,  troupe  américaine  composée  de  20  clowns. 
Les  Nino-Nino,  petits  danseurs  excentriques. 


34 2  LES   ANNALES    DU    THEATRE 

messes  :  c'est  ce  que  réalisait  Thabile  et  prodig-ue 
directeur  du  Châtelet,  M^  Fontanes,   tirant  parti 
avec  un  rare  boojieur  des  notifs»  de  m^  en  scène 
originale  et  somptueuse  que  lui  fournissait  la  pièce 
à  grand  spectacle  —  à  très  grand  spectacle,  croyez- 
le  —  de  MM.  Victor  de  €ottens  et  Victor  Darlay, 
écrite  sur  le  modèle  nouveau  —  n'est-ce  pas  Flo- 
rodora  qui  mit  ici  le  genre  à  la  mode?  —  où  le 
texte  est  si  curieusement  entremêlé  de  danses  (jue 
chaque  root  de  l'artiste  principal  est  suivi  d'un  joli 
pas  de  gigue  ou  de  cake-w^alk.  Ajoutons   qu'en 
donnant  à  l'immense  salle  du  Châtelet  la  vie  et  la 
gaîté  dont  elle  a  besoin,  ce  mouvement  perpétuel, 
pFutôt  étrange  ailleurs,  n'a  nulle  part  mieux  qu*en 
ce  vaste  cadre  sa  place  et  sa  raison  d'être.  La  chasse 
aux  millions  est,  vous  le  savez,  le  thème  habituel 
de»  ces  pièces^.  En  pouvaît-il  èfere  autremeri'l,  cette 
fcris-,   avec  le  Roi  des  Ptekpœkeès  f  Xiv^   certain 
M.   JBJuff,   q»ï  a  eu  le   mall>e«r  de   voir  sou  fils 
enlevé  par  des  sahimbanqucs,  est  parti  po^-r  l'Amé- 
que,  où  il  a  i-éaBsé,  d'ans  le  com«>efce  àes  p^mes, 
une  fortune  coiossale.  Il  la  laissera  tout  entière, 
puisqu'il  n'a*  pu  retrouver  son  héritier  direct  à  ses 
neveu    et    nièce,    Liond  et   Edita,    eondamnésr   à 
s'épouser.  Il  charge  du  soiji  d'exécuter  sejs  volontés 
soo  correspondant  de  MarsdilJre,  le   biefi  uoinmé 
Lapx>ire.  Celui-ciV  arrivait  à  Laiwlres  ea  gare  de 
Ch»ri«!g-Cro®s,  fort  en  peine,  puisqu'il  ae  ssrit  pas 
un  mot  d'anglais,  trouve  ua  iBoasieux  foct. aiiaBble 
qui  se  charge  de  le  renseigner  :  c'est  Tom  Pifl, 
qui  vient  d'être  réélu  par  sa  bftad«^  roi  deSi  psdk^ 
pockets.   Lapoîre  a  commis  rîmprucfeiïce  d«  lui 


THËATfi£   DU    GHAXEJbET  34>î 

faire  lire  la  kUjre  qui  contient  les-  iiistFiicliQn&  ée. 
M.  BluiF  ;  et  \ ou^.  pensez  que  Tom  PiU  esm  £ak  soa 
profit  :  il  se  dcmnerst  pcmr  Lionel  allai^t  épeusex' 
au  cliiàieâLU  de  Cleidon  la  petite  nièce  aux  cinq  centA 
millions.  U  arriverait  eâectivement  à  s€hi  bui  sî 
son  coocurrerat  blackbourlé  à  la  royauté  des  pick- 
pocketS'  ne  se  mettait  ea  tête  de  Luâ  faire  rater 
soa  plan,,  et  ne  le  démasq>uai4  définitiveiaeiit  en 
présence  de  M.  BJaiff  lui-même^  reirouvanrt  à  la 
fois  soA  fik  et  Tonle  qu'il  avait  |>erdyi  depiûfi  vida^i 
ans.  Mai»  que  de  péripéties  avant.  d/en.arri^r  à  ee 
dénouement  keureux  et  moral  !  Par  exemple^  des 
substituitions  de  persoiuieâ  comme  celles^  de 
Pirouette,  lajeuoe  saltimbanque^  prefloM,  auchâ* 
teau  dci^'  Roses-Mo«sses^,  la  plac»i  de  sa  petite 
bieoi&kitriee  Ëdna  ;  des  travestôssemients  de  toute 
sorte  comme  cebii  de  Tom  Pitt  en»  cuisinière  de 
VAI&aà/^Qa,,  doOft  la  chaudière  éelate  et  dont  les 
passagers  n'échappeat  au  naufrage  que  pour  pas* 
ser  dans  le  ventre,  d'une  gigante»q4je  baleine  d'oi 
ils  ress<D^teiit  ptusi  gai»  que  jadmaift....  Ohl  c^te 
baleine,  ce  que;  pendianrt  de^  mois  et  de&  mois-  elle 
feiîa  la  joae  des  jeunes^  spectateurs  du  Chételet  1 
Quan4  aii»  clous,,  aussi  respec^table»  qtu/iiiBiomfbRaf* 
blés,,  il  n'y  a  qjue  L'emfeapras.  du:  choix  :.-G'esl  h,  iéhet 
paxpulaire  de:  Cleidoft  avec  son  délifiieux  manège  de. 
chevaux  de  »bois  montas  par  de»  coij^il^e»  de  baJJef» 
ri«ies^  diUSL  poses  infinimenit  graeieuse^  G'est^.  dana 
le  s^ndide  déeoi:  d'Amâèlts,  i^étonnoAt  bal  mas^ 
que  de  l'Opéra.  deSantorAllégro),.  avec  soniéblouia»- 
sant  lufitrte:  àet  eriatair^  sea  lagpsi  animées,  doni:  les: 
speàtateutfs  travestiûs^  se.  muent  suibitement  eiii  wie; 


344  I^ES   ANNALKS   DU    THÉÂTRE 

armée  de  gendarmes,  et  ses  danseases  dont   les 
pimpants  et  scintillants  costumes  sont  de  nouveaux 
chefs-d'œuvre  de  Landolff.  C'est  enfin  la  Volière 
de  M.  Bluff,  dont  les  oiseaux,  d'espèces  variées  au 
plumage  multicolore,  se  balançant  mollement  sur 
leurs  perchoirs,   ont  des  visages  de  femmes  plus 
jolis  les  uns  que  les  autres.  Joignez  à  tout  cela  les 
Ping  Pong's,  ces  mignonnes  danseuses  et  chanteu- 
ses anglaises  auxquelles   un  léger  accent  ajoute 
encore  une  pointe  de  piquant  ;  joignez  les  exploits 
des  clowns  américains,  les  Harrisson,    dont   les 
gambades  se  profilent  à  travers  la  pièce  ;  puis  un 
quatuor  d'artistes  dont  l'effet  sur  le  public  ne  peut 
manquer  d'être  énorme.  En  roi  des  pickpockets, 
M.   Max   Dearly,    nouveau   Frégoli,    donne   libre 
cours  à  sa  haute  fantaisie.  Il  faut  le  voir  en  cuisi- 
nière de  V Albatros,  en  président  de  la  République, 
il  faut  l'admirer  en  ses  diverses   transformations, 
toujours   fin,  toujourjs  exhilarant.  Et,  sans  que, 
devant  ce  nouveau   météore,  son   étoile  ait  pâli, 
M.  Pougaud  reste  l'idole  du  Châtelet.  Il  n'a  qu'à 
ouvrir  la  bouche,  à  montrer  le  bout  de  son  nez 
pour  que  la  salle  lui  fasse  fête.  M.  Vilbert,  si  sou- 
vent applaudi   à  Parisiana,  a  fait  au  théâtre  un 
excellent  début  :  sa  verve  joviale   et    sa   ronde 
bonhomie    lui   ont    conquis,    sous    les   traits    de 
Lapoire,  de  Marseille,  tous  les  suffrages.  C'est  du 
Conservatoire  et  de  la  classe  de  M.  Georges  Berr 
que  nous  arrive  M.  Paul  Ardot.  Sa  scène  de  l'idiot 
n'a  été  qu'un    éclat  de  rire   général.  A   côté  de 
jIiiKî  Virginie  Rolland,  duègne  toujours  amusante, 
deux  aimables  débuts  :  M"^  Béraldy,  qui  brûle  les 


THÉÂTRE   DU    CHATELET  345 

planches^  et  M"«  Myral,  qui  se  sert  gentiment 
d'une  petite  voix.  Partition  faite  de  pièces  et  de 
morœaux  très  verveusement  conduite  par  M.  Bag- 
gers. 

25  MARS.  —  Matinée  au  bénéfice  de  la  Société 
de  secours  mutuels  des  artistes  et  employés  des 
théâtres  et  concerts  de  Paris*. 

Le  théâtre  avait  fermé  le  lo  juin  pour  rouvrir 
le  10  août,  avec  Tom  Pitt,  le  roi  des  Pickpockets ^ 
dont  la  dernière  représentation  se  donnait  le  25 
août.  Le  lendemain  26,  on  reprenait  le  Tour  du 
monde  en  80  jours  *. 

i4  NOVEMBRE.  —  Matinée  au  bénéfice  de  l'Asso- 
ciation des  artistes  dramatiques  ^. 


1.  —  Au  programme  :  Oringoire,  avec  MM.  Silvain^  Georges  Berr, 
Joiiet,  Hamel  et  M»»  Mùller  et  Lynnés,  de  la  Comédie-Française  ; 
Chonehette,  avec  M.  Max  Dearly  et  Mil*  Alice  Bonheur;  au  piano, 
M.  Claude  Terrasse  ;  intermèdes  par  :  M.  Goquelin  aîné  ;  M">«  Noria;  de 
l'Opéra;  M.  Louis  Diémer;  MM.  Jean  Périer  et  David  Devriès,  Mlle  An- 
géle  Pornot,  de  l'Opéra-Comique  ;  M»»"  Simon-Girard,  Paulette  Darty, 
Esther  Lekain,  MM.  Dranem,  Vilbert,  Jean  Battaille,  Hyspa,  Frey,  Les 
Ping-Pong's,  danseuses  anglaises. 

2.  Distribution.  —  Passepariout,  M.  Pougaud.  —  Archibald  Gorsican, 
M.  PortaU  —  Philéas  Fogg,  M.  Maire.  —  Fix,  M.  Rivers.  —  Le  gou- 
verneur de  Suez,  M.  F.  Renez.  —  Le  chef  des  Pawnies,  M.  Holden.  — 
Un  magistrat  anglais,  M.  Favey.  —  Gromarty,  M.  Vinler.  —  Sullivan, 
M.  Collet.  —  Le  tavernier,  M.  Drangam.  —  Ralph,  M.  Faivre.  —  Un 
parsi,  M.  Oilles.  —  Flanagan,  M.  Lenoir.  —  Aouda,  Mii«  Satvadora.^-' 
Margaret,  M»»  Crisafulli.  —  Néméa,  M»»  Myral.  —  Nakahira,  M»»  Lot- 
caves.  —  La  Malaise,  MH*  Suzel. 

8.  —  Voici  quel  en  était  le  programme  :  Ouverture  du  Tannhœuser 
(Wagner);  Rêverie  (Scbumann);  Marche  hongroise,  par  l'orchestre 
Colonne;  air  de  Thaïs  (Massenet),  par  M.  Dufranne;  MU*  J.  Leclerc, 
air;  Spalding,  mélodie  pour  violon;  Il  neige  (Bemherg),  et  aubade  du 
Roi  d*Ys  (Lalo),  par  M.  Clément;  Prière ^  a)  Follets»  b)  sous  la  direc- 
tion de  M.  Alph.  Hasselmans,  pour  harpes,  par  ses  élèves  ;  prélude  de 
YEnfant  Roi  (Bruneau),  dirigé  par  l'auteur  ;  a)  A  ma  fiancée  (Schu- 
mann);  b)  iVo^^  (Augusta  Holmes),  par  M"*  Ch..  Wyoj;  air  de  i*atrie 
(Paladilhe),  par  M.  Delmas;  morceaux  k  quatre  mains  par  MM.  Diémer 


i 


340  LES  ANNALES    OU    TAUSAXRE 

23  D«cfiMBtfiE.  —  Première  repréâeatatiûQ  des 
/if}0  coapH  du  Diable^  pièce  en  quatre  actes  et 
Lierilf>siY  tableaux^ de  MM.  Ykloi:  de  Cotieus  et 
Vît'liïf  [>arlay,  musique  de  scène  de  M.  Baçgers-*. 
—  iJepuis  quinze  jours,  les  affiches  du  Châtdèt 
r^-^st'inl liaient  à  un  bulletin  de  victoire^  avec  cette 
tlillVrenrt'  qu'un  bulletin  de  victoire  enregistre  un 
fait  acciMiipli  et  que  les  affiches  du  Ghâtelet  annoa- 
Çàietd  (les  merveilles  futures^  «  Vous  allez  voir  ce 
que  uMiB  allez  voir!...  Des  prodiges  de  mise  en 
hvvwv  ;  iliîs  éblouissemenls  de  feux  électri(|ues  ;  des 
jiiur;iilli's  d'eau  naturelle;  des  cyclones  déchaînés 
cuire  lieux  apothéoses;  des  revues,  dont  la  splen- 
duui-  di'passera  celle  de  Bétheny;  et  des  balïets. 
dîtdjMliqiies;  et  des  kilomètres  de  panoramas... 
Jl('juiu^^ez-vous,  jeunes  et  vieux!  Voici  la  féerie 
ùrHLueJle  dont  nul,  petit  oui  grand,,  n^  peut  se  fake 
inii*  il hSj  l' Accourez!  le  bureau  de  location  et  Ik 
ciiissi'  ilu'  thé^re  sont  ouverts  à  trenienrfji  ba*- 
tatils!,..  »  Ehi  biftn^  nous^  devons  à  la  vérité 
fe(MMqn  il  L'use  de  reconnaître  q««  le»  bo»iîïieat  n/a 
rii-n  prtmiis  qui  ne  ftlt  vrai.  La  féerie  annwette  a 
Hk>  Jniiaéede^vaa^  uji^e  salle  co£E{)£e,  qm  a  trépigné 
d'eylfiousiasrne,  q,ui  a  acclamé  les  dîécors,  îes  trocs, 


f  ,.ii7i!'  ti,\rtii  (Widor),  exécuté  sous  sa  dicwtiom;  M>a«  Ax&tiaa- Patti 
çUmiiUU  iiu  aindfii  iVoces.de.Figixiro  et  la  valse  d'U  Bacio. 

l,  Ih»JiiJuiJTi<iM*  — •MaciusyAL  PnugantL  — Le  bon  géaiA,,  M.   Ci«w* 
d(u^.  ^  lt*ilhti(rfii,,  M^   t^Qrt.aL  —  Le-péro  iiSjéphjiir,  M»  Fave^x  —Le/  gèi» 

M»  It"!  lu  nul,  5(Iw  Fa»t>r«k.  —  Sauitt-Frusquia,  IVL  Drcungam.  — Le  rar  d^s 
géalr'**  ^1*  ttiiiM,. — ^Eatbioâl),  M.  Lenotir..  — Satan,.  M«»  5fc»t«n-C?t>;ar(k 
—  Ilil4f  gn  LTn  ti^,  M"»-  Sii^n  Bax&nia:. —  Fiiiô-M<Muchû,,  M'>  Mcmifti-Lauim 
M&iftm*  —  Le  princa'  Ft-idiiUn,  Mii«  HioeUe^  de  Loàid^  -^  €reiitcuda„ 
W^^Nfim;/,  ^Tliib*è»,  M't^  Su<^l',  ^  Bma»t,  iWi*  ameridcu 


THEATRE    DU    GHATELET  34^ 

les-  carionnages,,.  les  accessôifres,  le»  costumes,  lesk 
perruques,  les  cbarussures^  les  acrobatiesi,  et  même 
les  artistes,  et  mênae  ks  auteurs.  Et  c'a  é*é  )«&tke* 
Si  je  mêle  un  peu  tout  cela,  les  chaussures  et  les 
trucs,  les  cartoanfihges  et  les  a.uteiws,.  c'est  que? 
tout  cela  a  été  cité  à  la  fin  de  la  représentalkwî  :  oa 
ne  nous  a  épargné  le  nom  d'aucun  des  fourftisseuirsi 
du  spectacle,,  et  l'o»  sk  bien  fait,  car  MM.  Pinauli, 
Hagedorn^  Lorette,  Grait,  Loisel,  Gok)rBttbier,  Lan- 
dotff,  Amable,  Jam-bo^n  et  Bailly  oat  bel  et  bie» 
collaboré  avec  le  diirecteuar,  M.  Fontanies*,  et  avec 
les  charpentiers  du  scénario,  MM.  Victor  de  Gottena 
et  Victor  Darlay.  Victor,  Victores!  J'ajo^rterai 
même  à  la  liste  déjà  -Wag ue  les  noms^  des  Pin^ 
Pong's,  danseuses  anglaises,  et  ceux  des  Harrissoa, 
clowas  émérites.  La  féerie  quia  be«t;é  aos  premiéï& 
réres  et  donné  dies  aiks  à  nos  idées  naissantes,  (poi 
a,,  comme  disait  Saint-Victor,,  fait  voler  l'oiseau. 
bleu  sous  le  ciel  de  notre  berceau  —  cette  féeric^là 
existe  encore,  elle  existera  toujours.  On  la  rajeur 
nira  arec  u«  peu  de  ciniéfiaMto^^raphie,  cm  Iwi  infu- 
sera un  grain  de  té4éphi(i)«e  et  d'aviatit)!»  aérie^oi^e^ 
maïs  ce  sera  toujours  le  charme  des  vieilles  faibles; 
qtti  e»  agrémentera  la  tram«e.  Prodiges  et  pires tigesw 
Il  Éattdft-a  touj-ours  pour  nous  divertir  que  les»  arbres 
chantent^  quie  Veau  parle,  q;i*e-  les,  pieirres  précieuses 
fas^nt  l'amour,,  qwe  les  fleurs  piroposent  des; 
énigmes  ;  il  fawkdira  q;ue  des  ©ciseaux  fantastique» 
e»porteifct  dans  leur  bec.  les  taJisiiaans  sai*v««ips  et 
les  tittrbans  des-  dervichies,  et  qu'un  pauvire  diaUie 
troiwe  des  diâmajsits^  dans  lespois»ona  é^:i(eifttrés<;  il 
faudra  qu'u»  évoca^wr  qwdcomfue,  Safeaji  o»  B(Mt 


348  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

Génie,  justicier  suprême  ou  Commandeur  des 
Croyants,  qu'un  Haroun-al-Raschid  enfin,  nous 
conduise  dans  le  palais  d'émeraudes  et  de  rubis 
où  Chaîne-des-Cœurs  rêve  nonchalamment  couchée 
sur  un  sopha  d'ambre,  devant  une  table  «  garnie 
de  cédrats,  de  vins  de  Schiraz  et  de  tartelettes  au 
gingembre  »...  C'est  la  loi  de  nature.  Les  4oo  coups 
du  Diable  ne  font  pas  exception  à  cette  loi  bien- 
heureuse. Vous  en  pouvez  juger  par  cette  analyse 
assez  exacte  que  le  prévoyant  directeur  du  Châtelet 
a  remise  à  l'auditoire  :  «  Le  Roi  des  Génies,  qui 
gouverne  le  monde  du  haut  du  Septième  Ciel,  vient 
d'apprendre  que  le  Mal  triomphe  sur  la  Terre,  et 
cela,  par  la  faute  du  Bon  Génie.  Celui-ci,  d'un 
caractère  indolent  et  léger,  a  laissé  le  Prince  Satan 
faire  les  quatre  cents  coups  parmi  les  humains.  Il 
faut  que  cela  finisse,  et  que  l'équilibre  soit  rétabli 
entre  le  Bien  et  le  Mal.  C'est  pourquoi  le  Bon 
Génie  est  envoyé  sur  notre  planète  avec  mission 
d'y  réparer  le  mal  qu'il  a  laissé  commettre.  Mais, 
pour  ce  voyage,  le  Bon  Génie  est  désarmé  :  il  n'a 
plus  les  talismans  qui  le  rendaient  inviolable  I  Ce- 
pendant, un  hasard  lui  fait  connaître  qu'il  y  a  en 
Suisse  un  sorcier  nommé  Alcofribas,  possesseur 
d'un  trèfle  à  quatre  feuilles,  talisman  bien  supérieur 
à  tous  les  talismans  connus.  Le  Bon  Génie  part 
donc  pour  la  grotte  d' Alcofribas,  et^  comme  il  est 
craintif,  il  prend  un  compagnon  de  voyage^  le 
Marseillais  Marius  Bombardas.  »  Comment  et 
pourquoi  le  Bon  Génie  ne  doit  ni  manger,  ni  dor- 
mir en  cours  de  route  ;  comment  et  pourquoi  Ma- 
rius ne  doit,  lui,  embrasser  aucune  femme,  pas 


THEATRE    DU    CHATELET  349 

même  sa  fiancée,  sous  peine  d'être  changés  tous 
les  deux  en  statues  de  pierre,  ce  sont  là  les  péri- 
péties qui  constituent  les  trente- six  tableaux  des 
4qo  coups  du  Diable,  y diYO\xQ  que  j'ai  pris  le  plus 
grand  plaisir  à  ces  péripéties;  que  j'ai  ri  aux 
mésaventures  de  Claudius  et  de  Pougaud,  tous 
deux  si  amusants  ;  de  Tétonnante  M"*®  Simon-Girard, 
et  de  l'adorable  Baxone;  que  j'ai  écarquillé  les 
yeux  en  voyant  des  «  places  se  promener  »  ;  des( 
«  chats  »  mettre  sens  dessus  dessous  l'auberge  du 
Lapin  sauté;  et  les  pharmacies  se  transformer  en 
pâtisseries^  et  vice  versa;  que  j'ai  applaudi  aux 
cortèges  et  aux  ballets  qui  se  succèdent  sans  se 
ressembler.  Oh!  les  bonnes,  les  aimables  pièces 
qui  incarnent  le  mensonge  et  la  gourmandise,  qui 
persuadent  l'impossible,  qui  apprivoisent  les  chi- 
mères et  les  hippogriffes  I  Oh  !  les  beaux  dénoue-r 
ments  qui  musèlent  les  ogres  et  les  monstres,  et 
qui  font  triompher  la  candeur  sur  les  créatures 
difformes  du  chaos  des  mythes  !  Au  fil  du  souve- 
nir, j'ai  mentionné  quelques  «  clous  »;  if  m'en 
revient  que  je  m'en  voudrais  de  ne  pas  citer  :  les 
eaux  diaboliques^  si  joliment  éclairées  ;  les  «  Am- 
bassades »  où  la  France,  l'Italie,  la  Russie,  l'An- 
gleterre, l'Espagne  et  les  Pays-Bas  se  livrent  à  une 
série  de  jetés-battus  réglés  avec  art  ;  le  siège  du 
Château  des  Carpathes,  où  les  manœuvres  mili- 
taires sont  confiées  aux  dames  du  corps  de  ballet. 
Et  au  milieu  de  tout  cela,  les  artistes  en  vedette 
que  j'ai  déjà  nommés  exercent  leur  fantaisie  cou- 
tumière,  secondés  par  des  bataillons  de  jolies 
femmes.    A  signaler   encore   un  début   des   plus 


35o 


LES    AN5ÎAÏ.ES    DV    THEATRE 


heureux,  celui  de  M"®  Marie-Louise  Riô^,  la  filie 
de  notre  regretté  confrère  Victor  Roger,  une  mi- 
gnonne  artiste  qui  a  de  Tass^rance,  une  voix 
claire,  une  diction  nette,  et  de  l'espièglerie  à  Te- 
v^idre,  en  un  mot,  tout  oequ'esige  son  personnage 
de  Fine-Mouche;  et  le  Taillant  chef  d'^orchestre 
Boggers  qui  a  choisi  les  rytfimes  joyeux  et  ies 
wiusiçicns  disciplinés.  En  voiïà  plus  qu'il  n'en 
fa«ut  pour  assurer  —  pendant  ks  premiers  mois  de 
Tannée  survante  —  des  recettes  magnifiques  à  la 
nouvetk  féerie  du  Qiâtelet. 


.   M^onsieur  i^liàimeîU,  pièce , 

Le  Tour  du  Monde  en  80  jours,  pièce>. . . 
'*'Tom  PiU,  le  roi  des  Pichpock&ts^  pièce. . 
*Lès  400  £9uft  Au  Diable,  ^i^ 


AOMBKE 


4  a.  28  *. 

5  a,  22  t. 
4  a.  18  t. 
4  a.  36  M 


DATE 
delà 

Iro  représ. 
vm  Ae  'la 
reprise 


3  jaajwer 
2  mars 

sadéici 


NOfiBBX 

de 

représent. 

pendfeoil 

TannèB 


I3d 

149 

11 


THÉÂTRE  DE  L' AMBIOU  i 


Q«atre  pièces  fl?o\ivelks  :  La  Belie  Marseillaise 
de  M .  Pierre  Berlxwa  ^t  ta  Grande  FcrniiUe  de 
M.  Arquillière;  la  €<mqmête  de  l'air  de  MM,  Ca- 
Hailk  Audigier  et  Paul  Géry,  «t  le  Crime  d'un  /lis 
de  M.  Maurice  Lefèvre  oonstitueàit,  avec  les  div^rijes 
retprises  que  no%is  allons  mentionner  à  leur  date,  te 
répertoire  de  l'Ambigu  pendant  Tannée  i^5;  elle 
avait  comnaencé  avec  le  Crime  d'Aix,  de  M.  Al- 
bert Pttjol,  représenté  pour  la  dernière  fois  le  i5 
janvier, 

16  jjus*viiau  —  Première  représentation  de  la 
Cûi/tquête  de  i*air,  pièce  csn  quatre  acteii;  et  cinq 
iabksaix,  de  MM.  Caaiaîlle  Audigier  et  Paul  Géry*. 
—  HeaTÎ  Frâncard,  travailleur  infatigable  et  inve»- 
teur  heureux,  a  tr©«vé,  oa  cru  trouver,  l'aviatemr 


d .  ^3)iraot«ar  :  M.  lekorgês  Grisiear  ;  SecrdUine  :  M.  FeraiaBd  H«lphem. 

.%  BisiBiBfECiaM.  —  Keati  FraBcard,  M.  Sév9rin-X[<€rs .  —  Dqc  de 
Oesvrea,  M.  Dieudo»né.  —  Portai,  M.  Gaillard.  —  Hôrne  MauvraO} 
"W.  Stiétmnt.  —  BarucuiMt,  M.  Vilia.  —  "WaH*!,  M.  lAiztr.  —  Moser, 
M.  M^remu.  —  Dajpont,  M.  MorvL  —  N^vil,  M.  Spnès.  ^  Du  V«2I(», 
M.  Ususy.  —  Maniouwski,  M.  Qréhan.  —  Des  Charmettes,  JM.  Vaslim, 
— Sfaxquis  ^e  Lion,  M,  I>enizoL  —  Uéaéral  Taaor^de,  M.  Ukxuwpdor.'^ 
•  JSanAa  FA,  M.  Lindêr^  —  Crsvaux,  M.  Dulcûns,  —  IKoraac,  M.  Bénard.^- 
X.©  Boucher,  M.  Jacquier,  —  Louise  Prancard,  M"«  pubuisson.  — 
I)«iii«i«e  de  ClMPvret^  M^  CarOL  —  M»*  Jivacr^  Mit*  9wmviUe.  — 
Baronne  des  Charmettes,  Mil*  DherbloAf.  —  Miss  Paston«  Mii*  Lambert. 
-»—  WaiTiuiae  fl^Bapeuill©,  Mﻫ  Yrinne.  —  M^»  Hermann,  W»«iZWVDrtn«. 


352  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

parfait,  Tinstrument  idéal  qui  évoluera  dans  Tes- 
pace  avec  la  plus  entière  docilité.  Les  fonds  seuls 
lui  manquent  pour  construire  Tappareil,  tel  qu'il 
Ta  conçu  et  le  voilà,  génial  mais  pauvre  inventeur, 
en  quête  de  commanditaires.  Ce  sera  pour  Pierre 
Mauvrac,  monsieur  peu  recommandable,  —  le 
traître  !  —  l'occasion  excellente  de  ^e  rapprocher 
de  celle  qu'il  poursuit  de  ses  assiduités,  de  celle 
qu'il  veut  à  tout  prix,  de  Louise  Francard,  la 
femme  de  l'inventeur  !  Il  commanditera  donc  Fran- 
card pour  lui  voler  son  bonheur.  Mais  Louise  est 
une  honnête  et  vertueuse  personne  qui  adore  son 
mari  et  repoussera  les  avances  de  Mauvrac  avec 
une  telle  fierté,  une  telle  énergie  que  celui-ci 
jurera  de  se  venger.  De  connivence  avec  un  riche 
et  peu  délicat  financier,  Mauser,  il  fait  signer  à 
Francard  une  traite  de  cinquante  mille  francs  qui 
le  mettra  à  sa  merci,  puis  le  dépouillera  tranquille- 
ment de  sa  gloire  et  des  bénéfices  futurs  à  réaliser, 
en  s'emparant  des  plans  de  l'aviateur  et  en  s'insti- 
tuant  l'inventeur  unique.  Mais  une  expérience  déci^ 
sive  remettra  peut-être  Francard  en  meilleure  pos- 
ture :  il  s'agit  de  faire  en  public  une  ascension  aux 
environs  de  la  Tour  Eiffel,  et  de  prouver  ainsi  Tex- 
cellence  de  l'instrument.  Malheureusement  au 
banquet  qui  précédait  l'expérience,  l'aide  de  Fran- 
card, l'ouvrier  Barucaud,  a  bu  plus  que  de  cou- 
tume. Il  fait  par  une  fausse  manœuvré  s'effondrer 
l'aéroplane  dans  le  vide,  et  Francard,  se  blesse 
mortellement.  Il  ne  mourra  pas  cependant  avant  de 
se  venger.  Mauvrac  revenu  dans  la  maison  du  mo- 
ribond pour  voler  ses  dessins  et  tenter  une  dernière 


THEATRE    DE    l'aMBIGU  353 

démarche  auprès  de  Louise,  est  surpris  par  le 
malade  qui  reitrouve  juste  assez  de  forces  pour  lui 
loger  une  balle  en  pleine  poitrine  avant  de  tomber 
mort  lui-même.  L'interprétation  —  côté  hommes 

—  est  digne  d'éloges.  M.  Séverin-Mars  a  fait  une 
création  intéressante  en  l'inventeur  Francard.  11 
s'est  montré  tour  à  tour  naïf,  violent  et  dramatique. 
M.  Etiévant  à  qui  revenait,  naturellement,  le  rôle 
du  traître,  a  été  excellent  d'hypocrisie  en  Pierre 
Mauvrac.  M.  Dieudonné  n'a  certes  pas  manqué 
d'élégance  en  duc  des  Gesvres,  un  vieux  gentil- 
homme, viveur  et  bon  enfant.  M.  Villa  est  resté  le 
gai  compère  que  nous  connaissions,  et  M.  Gaillard 
a  su  conserver*  beaucoup  de  tact  et  de  sobriété. 
M"*®  Dubuisson  s'est  contentée  de  montrer  quelque 
charme  dans  le  rôle  de  Louise  Francard,  et 
jyfmes  Canti  et  Derblay  l'ont  secondée  de  leur  mieux. 

—  Et  quatre  jours  après,  on  reprenait  les  Deux 
Orphelines.  M- y il\^,  le  grand  favori  du  public  au 
boulevard  Saint-Martin,  égayait  les  situations  at- 
tendrissantes du  célèbre  drame  de  D'Ennery  et 
Cormoa,  et  M.  Etiévant,  humble  tour  à  tour,  rési- 
gné et  pathétique  dans  le  rôle  de  Pierre,  MM.  Lié- 
zer,  Denizot,  Moreau  soulevaient  des  bravos  fort 
légitimes.  M™^  Canti  dessinait  une  remarquable 
Frochard,  pittoresquement  ignoble  et  lâche  ; 
M'^®  Dauville,  dans  lé  rôle  de  la  comtesse  de  Li- 
nières,  montrait  de  précieuses  qualités  d'émotion 
et  de  dignité.  Les  deux  orphelines,  M'^®»  Chapelas 
et  Lambert,  faisaient  couler  beaucoup  de  larmes  ; 
elles  étaient  touchantes  et  jolies  à  souhait,  et  toute 
la. salle  avait  pour  elles  les  yeux  de  Pierre. 

ANNALES  DU  THÉATEE  23 


354  LES  ANNALES  DU    THEATRE 

i4  FÉVRIER.  —  Reprise  de  Paillasse^  drame  en 
cinq  actes  d'Adolphe  d'Ennery  et  Marc  Fournier*^ 
où  se  faisait  plusieurs  fois  acclamer  M.  Krauss,  ex- 
cellent dans  Paillasse,  le  seul  rôle,  à  vra\i  dire,  de 
la  pièce. 

3  MARS.  —  Première  représentation  de  la  Belle 
Marseillaise^  pièce  en  quatre  actes  et  cinq  tableaux 
de  M.  Pierre  Berton^.  —  C'est  yne  comédie  histo- 
rique —  genre  Scribe  et  Sardou  —  de  théâtre 
excellent,  très  bien  faite,  fort  ingénieusement  cons- 
truite, avec  quelques  passages,  de  ci  de  là,  char- 
mants et  délicats.  Tout  au  plus  pourrions-nous 
reprocher  à  M.  Berton  une  fâcheuse  lenteur,  une 
longueur  un  peu  excessive,  même  dans  ses  scènes 
les  mieux  filées.  Mais  la  Belle  Marseillaise  méritait 
les  chauds  applaudissements  qui  l'accueillaient  le 
premier  soir,  et  Ton  pouvait  espérer  qu'elle  plairait 
au  public  de  l'Ambigu  habitué  sans  doute  à  des 
mélos  plus  corsés.  L'action  se  passe  sous  le  Con- 
sulat et  voilà  de  nouveau  au  théâtre  le  personnage 
de  Napoléon.  Il  est  douteux  que  la  psychologie  du 


1.  Distribution.  —  Paillasse,  M.  Krauss.  —  LjB  chevalier  de  Roliac, 
M.  Etiévant.  —*  Le  vicojTite  Hercule,  M.  Villa.  —  Duc  de  Montbazon, 
M.  Liézer.  —  Grelu,  M.  Moret.  —  Bailli  de  Gourgemont,  M.  Brunet.  ^ 
(rraia  d'Amour,  M.  Champdor.  —  De  Gastel-Blangy,  M.  Bresiner.  —  Vi- 
dame  d'Arpignol,  M.  Vaslin.  —  Le  médecin,  M.  Grehan.  —  Beaumesnil, 
M.  Linder.  —  Commandeur  de  PuÔiérps,  M.  Bénard.  —  Duperron, 
M.  Dubois,  -r-  Jean  Joson,  M.  Daumouche.  —    Madeleine,  lyi""  Barbier, 

—  M'i«  de  Vermandbis,  M™»  Canti.  —  Jacquinet,  Mlle  H.  Lamy-  —  Cathe- 
rine, Mlle  Dauville.  —  Nini  Flora,  MU»  Chapelas.  —  AnastaBie,  MUc  Di- 
vonne.  —  Jeanne,  la  petite  Boivin. 

2.  Distribution.  —  Bonaparte.  M;  Gastillan.—  Marquis  de  Tallemont, 
'  M.  Dieudonné.  —  Crisenoy,  M.  André  Brûlé. —  Cambacérés,  M.  Liézer, 

—  Régnier,  M.  Moreau.  —  Fouché,  M.  Synès.  —  Happ,  M.  Denizot.  — 
Jeanne  de  Briantes,  MU»  JWaud  Amy.  —  Joséphine,  MU*  J.  Béryl.  — 
Hortcnse,  MH»  Preyle.  —  Pauline,  Mi'«  Vallier. 


THEATRE    DE    l'aMBIGU  355 

grand  homme  soit  ici  d'une  rigoureuse  exactitude, 
mais  qu'importe,  puisqu'il  a  remporté  cette  fois 
encore  une  nouvelle  victoire.  11  s'agit  de  déjjouer 
les  complots  ourdis  par  le  marquis  dp  Tallemont, 
royaliste  endurci,  contre  Id  premier  Consul.  Le 
vieux  marquis  tient, sous  le  nom  de  Lacaussade,  le 
restaurant  fameux  de  la  «  Belle  Marseillaise  »  ;  il 
y  prépare  là,  en  toute  sécurité,  fa  terrible  machine 
infernale.  Tallemoat  a  installé  à  la  caisse  du  res- 
taurant sa  jeune  femme,  Jeanne  de  Briaiites,  qui, 
sans  connaître  au  juste  la  nature  de  fa  conspira- 
tion, joue  consciencieusement  son  rôle  de  «  Belle 
Marseillaise  ».  Elle  fut  épousée  toute  enfant  par  le 
marquis  qui  respecta  son  innocence  et  ne  fut  jamais 
pour  elle  qu'un  père.  Nombreux  sont  les  adora- 
teurs de  la  Belle  Marseillaise.  Parmi  les  brillants 
officiers  qui  1^  courtisent,  le  colonel  Crisenoy  ne 
lui  est  pas  indifférent.  Même,  avertie  par  le  mar- 
quis qu'un  danger  le  menace  s'il  accompagne  à 
l'Opéra  Bonaparte,  elle  prolonge  gentiment  son 
dîner,  jusqu'à  ce  qu'éclate^  —  formidable  explo- 
sion !  —  la  machine  infernale.  On  secourt  les  blessés, 
on  relève  les  morts,  et  Ion  apporte  au  restaurant 
le  cadavre  de  Lacaussade,  ou  plutôt  de  celui  qu'on 
croit  "être  Lacaussade.  Il  avait  prêté  ses  vêtements 
à  un  ami;  c'est  cet  ami  qu'on  retrouve  mort,  et 
Tallemont,  sain  et  sauf,  apparaît  à  sa  femme 
éplorée.  11  lui  faitjurer.de  ne  jamais,  en  aucuî^e 
circonstance,  avouer  qu'il  est  en  vie,  serment  qu'elle 
s'offorcera  de  tenir  coûte  que  coûte.  Quatre  ans 
après,  au  second  acte,  au  Palais  des  Tuileries, 
Bonaparte  veut  marier  Crisenoy.   Celui-ci  refuse . 


356  LES    ANNALES    DU    THEATRE 

Il  aime  la  Belle  Marseillaise  et  n'épousera  qu'elle . 
Qu'est-ce  donc  au  juste  que  la  Belle  Marseillaise  ? 
Bonaparte,  par  Fouché,  l'apprendra  bientôt.  C'est 
la  femme  de  Tallemont,  l'auteur  de  l'attentat  de 
la  rue  Saint-Nicaise,  cq  Tallemont  qu'on  croit  mort 
et  qui,  de  retour  en  France,  conspire  plus  que 
jamais.  Bonaparte  veut  savoir  où  il  se  cache,  il  fait 
venir  sa  veuve  et  l'obligera  à  épouser,  séance 
tenante,  le  colonel  Crisenoy,  espérant  ainsi  la  forcer 
à  révéler  l'existence  de  son  premier  mari.  Jeanne, 
héroïquement,  accepte  le  mariage,  mais  ne  veut  à 
aucun  prix,  dans  la  chambre  nuptiale^  se  donner  à 
Crisenoy.  Harcelée  de  questions,  elle  lui  dévoile 
enfin  le  secret  qui  l'étouffe.  Crisenoy,  tout  dévoué 
à  Bonaparte,  ne  peut  accepter  la  complicité  de 
l'assassin  Tallemont.  Il  dira  tout  au  premier 
Consul,  mais  lorsqu'apparaît  celui-ci,,  il  reste  muet, 
lié  parle  serment  qu'il  a  fait  à  sa  femme.  Bonaparte 
devine  le  drame  intime,  il  fait  mettre  en  prison 
Crisenoy,  pour  soji  silence  obstiné.  Jeanne,  cepen- 
dant, est  restée  à  la  cour,  dame  d'honneur  de  José- 
phine. Bonaparte,  séduit  par  sa  grâce  et  sa  jeunesse, 
s'est  mis  à  l'aimer.  Cet  amour  permettra  à  Jeanne 
de  lui  sauver  la  vie.  Ayant  surpris  son  ancien  mari, 
déguisé  en  vieux  militaire,  homme  de  confiance  de 
Régnier,  ministre  de  la  police,  changeant  la  taba- 
tière du  premier  Consul,  contre  une  tabatière  iden- 
tique remplie  d'un  poison  foudroyant,  elle  parvient 
dans  une  scène  de  coquetterie  délicieuse,  à  faire 
le  troc  utile.  Le  premier  Consul  mis  au  courant, 
toujours  par  Fouché,  de  ce  nouvel  attentat,  soup- 
(;onne  un  instant  Jeanne  d'en  être  la.  complice.  Elle 


THEATRE    DE    l'aMBIGU  357 

;se  justifie  aussitôt  en  prenant  force  prises  et  en 
éternuant  de  bon  cœur.  En  raison  de  son  dévoue- 
ment, elle  obtiendra  le  pardon  de  Crisenoy,  qu'elle 
épouse  pour  tout  de  bon,  débarrassée  enfin  de 
Talleinont,  mort  dans  un  duel.  Bonaparte,  le  sojr 
même,  deviendra  Napoléon  et  prendra  le  titre 
d'empereur  des  Français,  ainsi  que  le  réclame  son 
peuple  admirateur.  M"^  Maud  Amy,  jolie  à  ravir,  a 
été  simplement  exquise  en  la  Belle  Marseillaise. 
Elle  manque  peut-être  un  peu  de  force  dans  le 
drame,  mais  elle  est  souple  et  gracieuse  dans  la 
comédie.  M.  Castillan  a  composé  avec  une  réelle 
intelligence  le  rôle  écrasant  de  Bonaparte,  réussis- 
sant toujours  à  lui  conserver  son  ampleur  et  son 
autorité.  M.  Dieudonné  a  été  parfait  sous  les  traits 
du  marquis  de  Tallemont,  un  bien  enragé  conspira- 
teur. M.  André, Brûlé  a  de  Télégance  et  de  la  jeu- 
nesse, il  a  montré  de  plus  une  émotion,  une  chaleur 
d'adoration  bien  convaincue  pour  son  idole.  Il 
fallait  citer  encore  M^*^  Béryl,  qui  disait  juste,  et 
constater-que  toute  la  troupe  avait  droit  aux  plus 
justes  éloges.  Une  belle  soirée  d'art  dont  on 
pouvait  féliciter  M.  Grisier.  —  La  Belle  Marseil^ 
laise  atteindra,  le  17  mai,  sa  centième  jeprésen- 
tation. 

19  MAI.  —  Reprise  des  Aventures  de  Thomas 
Plumepatte,  pièce  à  spectacle  en  cinq  actes  et 
douze  tableaux,  de  M.  Gaston  Marot*. 


1.  Distribution.  —  Thomas  Plumepatte,  M.  Villa.  —  Poster,  M.  Lié- 
zer.  —  «Georges  Stappleton,  M.  Reusy.  —  James  Powel,  M.  Maurice 
Flamire.  —  Jenny,  M"»»  Xciana.  —  Anna,  Mi'«  Chapelas.  —  Henriette 
MU»  Marcelle  Her-vyl.  —  Catherine,  M'ï"  Moury. 


358  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

i5  JiiN.  —  Reprise  de  la  Fleuriste  des  Halles  y 
drame  en  six  actes,  de  M.  Henri  Demesse  *. 

1 1  JUILLET.  —  Reprise  de  la  Bande  à  Fifi^ 
drame  en  cinq  actes  et  huit  tableaux,  tiré  du  roman 
de  Constant  Guéroult  par  MM.  Gardel-Hervé  et 
Maurice  Varret  2. 

8  SEPTEMBRE.  —  Première  représentation  du 
Crime  d'un  fils^  drame  en  cinq  actes  de  M.  Mau- 
rice Lefèvre^.  —  Un  ami  très  digne  de  foi  nous  a 
raconté  que  M.  Maurice  Lefè^Te  avait  eu  jadis 
pour  sa  pièce  —  il  est  bien  entendu  qu'il  la  signe 
seul  aujourd'hui,  ainsi  que  c'est  d'ailleurs  son  droit 


1.  DiSTBiBUTioN.  —  Pierre  Pascal,  M.  Caiîlard.  —  Xavier  Mauduit, 
M.   Vilta. —  Antoine  Villette,  M.  Liézer. —  Frédéric  Pascal^  M.  Volnys. 

—  Nicolas,  M.  Champdor.  —  Le  docteur,  M.  Picard.  —  Me  Barré, 
M.  Brenner.  —  Joseph,  M.  Linder.  —  L'abbé,  M.  Gréhan.  —  Capitaine 
Voiron,  M.  Bénard.  —  Un  agent,  M.  Sylvain.  —  Françoise  Pascal, 
Mf^f  Dubuisson.  —  Delphine  Villette,  M^^»  Chapeîas.  —  Hortense  Mau- 
duit, Mlle  yoris.  —  Lucile  de  Marcillac,  M'i»  Derblay.  —  Noémie  Mau- 
duit, M"»  Yriane.  —  Fanchette,  Iti^^*  Divonne.—  Marthe,  W^^Maylianes, 

2.  Distribution.  —  Fifi  Vollard,  M.  Villa.  —  Soufflard,  M.  Caiîlard. 

—  Milord,  M.  Grégoire.  —  Micaud,  M.  Liézer.  —  Lesage,  M.  Gréhan.— 
Bisson,  M.  Champdor.  —  Georges,  M.  Reusy.  —  Le  père  Toussaint, 
M.  De7'vet.  —  lldefonse,  M.  Linder.  —  Le  marchand  «î'habits,  M.  Jac- 
quier. —  M.  Dubois,  M.  Garbagny.  —  Moulin,  M.  Bénard.  — <■  Garçon  de 
café,  M.  Shjlvain.  —  Castro,  M.  Bernard.  —  Alliette,  M"»»  Delphine 
Renot.  —  La  Vollard,  M»"  Victorin.  —  Elisa,  M""  Chapelas. —  M»»  Re- 
nault, Mll«  Banville.  —  Geneviève,  M^»  Derblay.  —  La  marquise, 
Mil»  Maury.  —  La  mère  Toussaint,  M^»  Villon.  —  Agiaé,  MU»  Rain- 
ville.  —  Ursule,  M"»  Yriane.  —  MUe  Germaine,  Mil*  Divcmne.  — 
Mme  Pitouard,  M"*  Georgette. 

3.  Distribution.  —  Docteur  îfasson,  M.  Gaillard.  —  Marquis  de 
Mandres,  M.  Etiévant.  —  Pistolet,  M.  Villa.  —  Paul  Herbeaux,  M.  Vol- 
nys.—  Champoreau,  M.  Liézer.  —  Jolicœur,  M.  Blanchard.  —  Lalouette, 
M.  Gréhan.  —  Don  Escobal,  M.  Champdor.  —  Barbillon,  M.  Denizot.  — 
ïom  Bluff,  M.  Linder.  —  M^e  Herbeaux,  MHe  Grumbach.  —  Hélène, 
Mil»  Qhapelas.  —  Ida  de  Sarcy,  MHe  Horel.  —  Mominette,  MH»  H.  Lamy. 

—  Honorine,  >Ime  Victorin.—  Colonelle  de  Villeneuve,  Mi'-DçireaAa.  — 
Justine.  M"»  Derblay.  —  M^e  de  Plessis-L'Estang,  MUe  Yriane.  — 
Victoire.  M"e  Divonne, 


THEATRE    DE    l' AMBIGU  SSg 

—  des  visées  beaucoup  plus  hautes  —  quo  non 
<iscendam  —  il  la  destinait,  paraît-il,  au  Gymnase... 
Yoilà  qui  est  étrang^e.  L'ambigu  est  le  théâtre  qui 
convenait  par  excellence  à  ce  bon  mélo,  très  cor- 
rectement écrit  selon  la  formule  du.  genre  ;  il  y  est 
à  sa  vraie  place  ;  il  avait  tout  ce  qu'il  fallait  pour 
y  réussir.  La  scène  se  passe  «  de  nos  jours  ». 
Herbeaux  et  le  marquis,  ex^colonel  de  Mandres, 
étaient  deux  frères  d'armes.  Herbeaux  est  mort  en 
laissant  une  veuve  dont  le  marquis  devient  Tami 
le  plus  sûr,  et  un  fils,  Paul,  qu'il  aimera  comme 
s'il  était  sien.  C'est  avec  plaisir  qu'il  lui  destine  en 
mariage  sa  gentille  filleule  Hélène  ;  c'est  avec  peine 
qu'il  voit  le  jeune  homme,  perdu  par  de  mauvaises 
fréquentations,  s'éprendre  follement  d'une  abomi- 
nable fille  et  chercher  dans  d'infâmes  tripots  de 
Montmartre  l'argent  qu'elle  lui  demande.  Mais  le 
baccarat  n'ayant  pas  «  rendu  »,  voilà  qu'un  soir  — 
j'ai  honte  de  vous  le  dire  —  le  misérable  Paul  est 
surpris  —  tel  un  ignoble  cambrioleur —  crochetant 
un  secrétaire  et  volant  sa  payvre  mère.  Celle-ci 
devient  folle...  Tellement  folle  qu'elle  s'est  enfuie 
de  chez  elle  et  que  nous  la  voyons  errer  en  men- 
diante, affreusement  pitoyable,  sur  les  berges  de 
la  Marne,  vainement  recherchée  depuis  trois  jours 
par  ce  bon  M.  de  Mandres,  aidé  de  son  ordonnance, 
et  enfin  reconnue  par...  son  propre  fils  qui,  muni 
de  l'argent  volé,  faisait  justement  la  fêle  en  ces 
parages...  La  scène  est-elle  invraisemblable?  Non, 
certes,  car  elle  a  été,  nous  assure-t-on,  tirée  de  la 
réalité  d'un  brutal  fait-divers.  Elle  est,  en  tout  cas, 
supérieurement  émouvante,   et   devait    tenter   un 


36o  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

dramaturge  habile.  Sur  les  berges  de  la  Marne, 
Paul  n'a  pas  seulement  retrouvé  sa  mère,  il  a,  pour 
l'avoir  voulu  venger  des   insultes  d'irrespectueux 
bandits,  reçu  un  très  mauvais  coup.  Il  y  eût  même 
laissé  sa  peau  s'il  n'avait  été  sauvé  à  temps,  juste 
à  temps,  par  la  fidèle  ordonnance  de  M.  de  Man- 
dres.  Et  le  voilà  bientôt  revenu  à  la  vie,  et  aussi  à 
de  meilleurs  sentiments...  Il  ne  s'agit  plus  que  de 
rendre  la   raison  à  sa    malheureuse    mère.    C'est 
l'affaire  d'un  avisé  docteur  qui  a  l'idée  sublrme  de 
reconstituer  à  rebours  la  scène  du  vol  en  donnant 
à  Paul  Herbeaux  le  beau  rôle  et  en  distribuant  à 
des  aminches  dont  c'est  l'habituel  métier  celui  de 
cambrioleurs  surpris  en  flagrant  délit.  M'"®  Her- 
beaux se  persuade  qu'elle  a  fait  «  un  mauvais  rêve  » 
et    tout   finira    bien,   comme  c'est   la  coutume   à 
l'Ambigu-Comique.   Obligatoire  en  ces   sortes   de 
pièces  —  rappelez-vous  les  légendaires  Passepoil 
et  Cocardasse  du  Bossu  —  le  duo  bouffe  des  hon- 
nêtes filous  est  toujours  d'un  effet  irrésistible.  Cette 
fois  encore,  il  fut  acclamé  en  la  personne  de  Pis- 
tolet et  de  Lalouette,  rendus  de  très  plaisante  façon 
par  MM.  Villa  et  Gréhan.  M"^  Grumbach  prêtait 
son  solide  talent  au   rôle  de  M'"®  Herbeaux.   Et 
sous  les  traits    de  M.  de  Mandres,   M.   Etiévant 
s'était  montré  absolument  «  hors  pair  ».  «  Même 
au   Théâtre-Français  —  avons-nous  entendu  dire 
dans  les  couloirs  —  le  rôle  n'eût  pas  été  joué  avec 
plus  d'émotion  et  de  vérité.  »  M.  Etiévant  pouvait,^ 
ce  me  semble,  se  contenter  d'un  pareil  éloge. 

6  OCTOBRE.  —  Reprise  du  Régiment^  drame  en 
cinq  actes  et  huit  tableaux  de  MM.  Jules  Mary  et 


THEATRE    DE    L* AMBIGU  '     36 T 

Georges  Grisier*.  —  M.  Grisier  a  sans  doute  pensé 
qu'on  n'était  jamais  si  bien  servi  que  par  soi- 
même...  Et,  puisqu'il  s'agissait  de  remplacer  le 
Crime  d'un  Jils,  il  a  décidé  la  reprise  d'un  mélo- 
drame qu'avec  la  collaboration  de  M.  Jules  Mary^ 
il  donna,  voici  vingt  ans,  au  théâtre  de  l'Ambigu, 
que  dirigeait  alors  Emile  Rochard.  Le  Régiment 
n'est  pas  un  drame  guerrier,  c'est  un  drame  mili- 
taire. Point  d'alertes,  d'assauts,  ni  d'attaques» 
Point  de  coup  de  fusil.  Pas  le  moindre  petit  obus. 
Le  Régiment  a  lieu  en  pleine  paix,  et  n'est  qu'un 
mélodrame  ordinaire,  se  passant  dans  le  monde 
des  bonnes  casernes  gaillardes  et  réjouissantes. 
C'est  l'histoire  d'un  enfant  perdu,  puis  retrouvé^ 
malgré  les  raachinajtions  ténébreuses  d'un  quidam 
qui  a  voulu  se  faire  passer  pour  lui,  et  qui,  quelque 
temps,  y  a  réussi.  Le  quidam  finit  pac  être  tué  en 
duel  par  l'enfant  perdu,  et  l'enfant  retrouve  sa 
mère,  qui  est  femme  de  colonel.  Mais,  pour  avoir 
tué  le  quidam,  l'enfant  perdu  et  retrouvé  passe  eu 
conseil  de  guerre,  ce  qui  prolonge  un  peu  la  chose. 
Vous  pensez  bien  que,  comme  il  a  tué  un  chena- 
pan, et  qu'il  est  fils,  non  seulement  de  la  colonelle, 
mais,  ainsi  que  cela  se  révèle  au  dernier  moment, 
du  colonel  tout  autant,  il  échappe  aux  sévérités  de 
la  loi  militaire.  Cette  histoire,  avec  tous  les  inci- 
dents qu'elle*  soulève,  dépasse  bien  un  peu  les 
limites  de  la  vraisemblance.-  Cependant,  le  Régi- 


1.  Distribution.  —  Colonel  de  Gheverny,  JM.  Gaillard.  —  Pierre  Gi- 
ronde, M.  Etiévant. —  Belhomme,  M.  Villa.  —  Jacques,  M.  J.  Volnys. — 
Patoche,  M.  Liézer.  —  M"«  de  Gheverny,  M«n«  Dubuisson.  —  Catherine^ 
M«n«  Gense.  —  Marjolaine,  M'i«.  Chapelas.  —  Margot,  MUe  Derblay. 


362  LES    ANNALES    DU    THEATRE 

ment  fut  un  gros  succès,  surtout  à  cause  des  scènes 
de  la  vie  militaire  (la  chambrée;  la  troupe  en 
marche  ;  le  sommeil  de  la  troupe  à  la  belle  étoile) 
qui  y  sont  très  adroitement  enchâssées,  et  qui  res- 
tent 4rès  vives,  amusantes  et  touchantes.  Les  décors 
sont  fort  beaux.  La  reproduction  du  tableau  de 
Détaille,  le  Bêve^  est  toujours  d'un  effet  imman- 
quable, même  sur  les  blasés.  La  pièce  (jue  créèrent 
très  brillamment  Péricaud,  Desjardins,  Pouctal, 
Gravier,  Pougaud,  M™^»  Marie  Laure  et  Descorval, 
est  aujourd'hui  fort  bien  jouée  par  MM.  Etiévant, 
Villa,  Gaillard,  M""^  Gense...  Et  M.  Grisier  pouvait 
quelque  temps  encore  faire  les  honneurs  de  son 
affiche  à  MM.  Jules  Mary  et  Grisier. 

3i  OCTOBRE.  —  Nouvelle  reprise  des  Deux  Or- 
phelines^. 

22  NOVEMBRE.  —  Preuiière  représentation  de  la 
Grande  Famille^  pièce  en  six  actes  de  M.  Arquil- 
lière  ^.  —  Après  le  souvenir  ému  adressé  à  l'Alsace 
par  la  voix,  ou  plutôt  par  la  plume  de  MM.  René 
Bazin  et  Haraucourt,  après  les  fanfares  patriotiques 
que,  un  peu  inconsidérément  peut-être,  la  voix  de 


1.  Distribution.  — Pierre,  M.  Etiévant.  -r  Picard,  M.  Villa.  —  De  Vau- 
vrey,  M.  J.  Volnys,  —  Le  docteur,  M.  Liézer.  —  Jacques,  M."  Denizot. 

—  De  Linières,  M.  Grey.  —  Marest,  M.  Synës.  —  De  Presles,  M.  Linder. 

—  Lafleur,  M.  Champdor.  —  La  Frochard,  M^e  Victorin.  —  Henriette, 
M'ic  Chapelas.  —  La  comte'sse,  M»»  Doriane.  —  Louise,  M^»  Paulette 
Gralia.  —  Sœur  Geneviève,  Ml'e  de  Cerny.  —  Marianne,  M"»  Vallier.  — 
Florette,  M»»  Derblay.  —  Julie,  M»"  Divonne. 

2.  Distribution.  —  Bertrand,  M.  Louis  Gauthier.  —  Brune,  M.  Etié- 
vant. —  Le  capitaine,  M.  Adrien  Caillard.—  Caporal  Gabert,  M.  Villa. 

—  Le  sergent-major,  M.  Liézer.  —  Le  comique,  M.  Moret.  —  Rondet, 
M.  Linder.  —  Gaillard,  M.  Brenner.  —  Louis,  M.  Denizot.  —  Louise, 
Mlle  Suzanne  Munte.  —  Lili,  M"e  Chapelas.  —  Mariossa,  M'i«  Doriane. 

—  Mère  Baptiste,  M"»  Victorin.  —  M"»»  Grindot,  M^'e  Deley. 


THEATRE    DE  l'aMBIGU  363 

Coqaelin  fit  sonner  à  nos  oreilles,  voici  qu'on  nous 
introduit  dans  l'intimité  de  notre  armée,  à  la 
caserne.  Est-ce  pour  diminuer  en  nous  l'idée  d'une 
revanche  possible?  Je  le  croirais  volontiers.  Et 
l'Alsace  une  fois  encore  jettera  un  regard  moins 
confiant  vers  son  ancienne  patrie.  Ce  n'est  point  que 
la  pièce  de  .M.  Arquillière  ne  soit  pas  pleine  de 
talent  et  d'émotion,  et  de  vig'ueur.  Elle  fera  sur  le 
public,  sur  tous  les  publics,  un  effet  considérable; 
il  convient  de  féliciter  le  directeur,  M.  Grisier, 
d'avoir  modifié  son  habituelle  formule.  Seulement, 
cette  pièce,  remarquable  étude  de  la  vie  militaire, 
nous  fait  toucher  du  doigt,  en  les  avivant,  des 
plaies  qu'il  vaudrait  mieux  guérir.  Je  ne  parle  pas 
des  carottiers,  qui  sont  amusants  et  sans  consé- 
quence, mais  de  la  lutte  violente  éclatant  entre 
deux  soldats  de  is;"rade  différent,  d'officier  à  sous- 
officier,  et  faisant  planer  sur  le  lieutenant  qui,  pour 
insulter  le  sergent,  s'abrite  de  la  discipline,  comme 
une  ombre  de  lâcheté.  Cette  scène  à  peine  toléra- 
ble  dans  un  théâtre  de  comédie  pure,  où  d'ail- 
leurs elle  eût  été  présentée  moins  lourdement, 
devient  odieuse  à  TAmbigu,  théâtre  populaire  où 
les  intentions  de  l'auteur  sont  exagérées,  défor- 
mées même  par  les  spectateurs  socialistes  des 
hautes  galeries,  de  sorte  que  ce  peuple,  ignorant 
d'une  psychologie  plus  artistique  que  tendancieuse, 
s'en  va  convaincu  qu'il  a  assisté  à  une  pièce  anti- 
militariste, et  (je  l'ai  entendu  à  la  sortie)  qu'on 
leur  a  dit,  leur  fait  à  ces  «  cochons-là!  »  Les 
<(  cochons  »,  ôe  sont  les  officiers.  Cela  explique  les 
protestations  qui  se  sont  élevées  au  cours  de  ce 


364  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

cinquième  acte  long  et  pénible,  protestations  stri- 
dentes que  n'eurent  pas  le  courage  d'étouffer  les 
ordinaires  applaudissements.  Et  certes,  on  n^ap* 
prouve  point  également  le  personnage  épisodique 
du  sous-ofF  encourageant  son  carharade  à  déserter 
et  opposant  aux  observations  de  son  supérieur  des 
répliques  de  révolte  et  de  mauvaise-  tête.  Est-il 
bon,  dans  une  œuvre  forte  et  sensible,  de  montrer 
tout  ce  qui  existe,  surtout  quand  il  ne  peut  en 
ressortir  que  des  exemples  malsains?  Oui,  je  sais, 
M.  Arquillière,  ex-pensionnaire  du  théâtre  Antoine, 
élevé  à  l'école  du  maître,  répondra  :  «  Je  n'ai  pas 
voulu  faire  de  l'antimilitarisme  :  j'ai  simplement 
écrit  ce  que  j'ai  vu  ».  N'empêche  que  d'entendre 
pendant  s^x  actes  des  soldats  s'écrier  :  «  Sale  mé- 
tier!...' Ah!  oui,  sale  métier!  »  n'encourage 
guère  à  faire  partie  de  la  Grande  Famille.  Le  ser- 
gent Bertrand  dit  :  «  La  caserne,  ce  n'est  pas  la 
patrie  »  ;  pourtant,  sans  la  caserne,  comment  la 
patrie  serait-elle  défendue  ?  On  ne  peut  pourtant 
pas  la  remplacer  par  le  café.  Vous  m'objecterez  : 
«  Le  capitaine  est  une  silhouette  de  justice  et  de 
bonté  —  comme  celui  que  dessina  si  magistrale- 
ment Courteline  dans  les  Gaietés  de  F  Escadron  ». 
Mais  il  vient  trop  tard,  et  sa  plaidoirie  émue  du 
sixième  acte  n'ôtera  pas  de  Tidée  des  fameux  spec- 
tateurs d'en  haut  que  tous  les  officiers  sont ...  ce 
que  je  répétais  tout  à  l'heure.  La  fable  est  simple 
et  pittoresque,  comme  il  convient  aux  esprits  nets^ 
familiers  du  Théâtre  libre.  Le  sergent  Bertrand, 
réengagé,  aime  une  fille  de  café-concert.  Il  Ta  dans 
la  peau.  Et  aussi  il   trouve  à  satisfaire  par  elle  ce 


THÉÂTRE    DE    l'aMBIGU  365 

besoin  de  tendresse  qu'a  développé  en  lui  la  vie 
grise,  déprimante  de  province.  Il  a  connu  Louise 
au  Beuglant,  où  soldats  et  officiers  vont  tuer  leur 
temps.  Mais  le  lieutenant  Brune  est  également  épris 
de  la  chanteuse,  au  point  d'être  aveuglé  par  la 
jalousie^  et  de  menacer  ceux  qui  rapprochent  ;  car 
il  prétend  l'avoir  à  lui  seul  et  la  garder.  Louise 
adore  Bertrand  ;  elle  repousse  les  avances  de  Brune, 
mais  commet  l'imprudence  d'aller  voir  son  amant 
cinq  minutes,  le  temps  d'un  baiser,  à  onze  heures 
du  soir  dans  la  cour  de  la  caserne.  Elle  est  surprise 
par  le  lieutenant  qui  soupçonne  le  caporal  Gabert 
d'avoir  Louise  pour  maîtresse.  Mais  Bertrand  se 
découvre  dans  un  mouvement  d'impatience  jalouse, 
et  Brune,  aveuglé. par  la  rage,  ne  se  contente  pas 
de  le  menacer  des  pires  répressions,  il  l'insulte 
d'abord,  lîii;  puis,  devant  son  calme  apparent,  il 
va  jusqu'à  injurier  la  femme  elle-même.  Le  sergent 
bondit,  lève  la  main  sur  son  Supérieur.  «  Ber- 
trand !  »,  s'écrie  le  caporal  Gabert  épouvanté.  Le 
geste,  par  bonheur,,  n'a  été  qu'çsquissé  ;  mais 
Brune,  fort  de  son  grade,  continue  à  exciter  celui 
qui  ne  peut  pas  lui  répondre  en  des  termes  tels 
que,  par  toute  la  salle,  des  cris  s'échappèrent  : 
«  Assez  !  Assez  !  »  Quel  est  l'officier  qui  parlerait 
ainsi?  Celui-là  n'existe  pas  qui,  durant  une  demi- 
heure,  odieusement  et  interminablement,  même, 
aveuglé  par  la  jalousie,  cracherait  au  visage  d'un 
inférieur  de  ces  phrases  irréparables.*  Un  officier 
cela?  Non.  Un  malade  ou  un  fou...  Dès  lors,  Ber- 
trand, veut  déserter.  Il  se  prépare  à  fuir  avec  sa 
maîtresse  qui  doit  l'attendre  près  de  la  gare  avec 


366  LES  ANNALES  DC  THÉÂTRE 

des  vêtements  civils  et  de  là  passer  la  firoatière. 
Mais  voici  le  capitaine.  Il  a  tout  appris  par  Louise 
qui,  au  dernier  moment,  épouvantée  d'un  pareil 
acte,  est  venue  le  trouver,  lui,  le  père  de  la  Grande 
F'amille.  Elle  lui  a  donné  une  lettre  pour  Bertrand, 
«  son  petit  »,  son  amant  adoîré,  lettre  où  elle  lui 
annonce  qu'elle  se  Sacrifie  pour  lui  et  part  pour 
toujours.  Bertrand,  que  les  conseils  et  la  haute 
morale  du  capitaine  ont  déjà  ébranlé,  tombe  assis, 
secoué  de  sanglots.  —  «  Ah  !  mon  capitaine,  j'ai 
bien  du  chagrin  !»  —  «  Pleurez  !  »  lui  dit  douce- 
ment le  brave  homme.  Et  dans  ses  propres  yeux 
on  devine  des  larmes.  Ce  drame  «  nouveau  jeu  », 
exempt  de  mélo,  sans  mort  finale,  ni  punition  du 
traître,  a,  je  le  répète,  brillamment  réussi.  Il  est 
joué  à  la  perfection,  avec  une  justesse  de  nuances 
et  un  mouvement  remarquables.  On  prétend  qu'An- 
toine, qui  avait  reçu  la  pièce,  s'intéressa  active- 
ment aux  répétitions.  En  tout  cas,  on  y  reconnaît 
son  mouvement  préféré  de  dialogue  et  la  minutie 
de  sa  mise  en  scène.  Très  curieux,  le  premier  acte. 
L'établissement  de  la  mère  Baptiste,  avec  un  public 
de  soldats  chahuteurs,  ses  chansons  accompagnées 
au  refrain  sur  les  verres  et  les  tables  de  marbre, 
ses  «  reconduites  »  d'artistes  parmi  les  cris  d'ani- 
maux, offre  une  ^saveur  spéciale  de  Beuglant  de 
province.  Au  troisième  acte,  le  corps  de  garde  a 
obtenu  un  gros  succès  de  pittoresque  et  de  vérité... 
sauf  la  sentînelle  de  garde  qui  reste  la  même  de 
huit  heures  à  minuit.  Les  factions jie  sont-elles  pas 
de  deux  heures  seulement  :  pauvre  sentinelle!  elle 
fait  du  rabiot. . .   M.  Louis  Gauthier,   que   nous 


THJÉAXftB  I>B  l'aMBIG0  867 

avioR»  sincèrement  applaudi  au  Vaudeville  dans  la 
Retraite j  a  été  un  sergent  Bertrand  jeune,  vibrant, 
amoureux;  après  nous  avoir  charmés,  il  nous  a 
profondément  émus  par  la  sincérité  de  sa  souffrance 
et  de  sa  révolte.  A  côté  de  lui,  Je  caporal  Gabart^ 
rencontré  en  Villa  un  interprète  délicieux.  On  ne 
peut  être  plus  fin  que  ce  jeune  artiste,  dont  les. 
qualités  de  naturel  exquis  ont  heureusement  trouvé,, 
en  ce  temple  des  conventions,  un  rôle  de  vraie  hu- 
manité. M.  Adrien  Gaillard,  le  beau  capitaine,  a 
joué  avec  une  grande  émotion,  et  aussi  M.  Liézer, 
un  sergent-major  sensé  et  sensible.  Le  poids  de  la 
pièce  reposait  sur  M.  Etiévant.  Get  acteur,  qui 
incarne  depuis  longtemps  à  l'Ambigu  les  traîtres 
de  drame,  abordait  un  personnage  malaisé.  Le  lieu- 
tenant Brune  pouvait,  par  son  exagération  même, 
devenir  ridicule  :  il  ne  fut  que  dangereux,  et  il 
faut  complimenter  M.  Etiévant  d'avoir  par  sa 
netteté  d'allure  et  la  sobriété  de  ses  moyens,  empê- 
ché, dans  la  grande  scène  du  cinquième  acte, 
Torage  de  s'accentuer  :  au  cours  de  cette  partie 
difficile,  il  fut  un  partenaire  précieux.  Gonstatons, 
enfin,  le  succès,  ce  n'est  pas  assez,  le  triomphe  de 
W^^  Suzanne  Munte,  dont  le  rôle  de  Louise  est 
certes  la  plus  belle  création.  Elle  a  joué  avec  une 
maîtrise  incomparable  et  pris  du  coup  sa  place 
parmi  nos  premières  comédiennes.  Elle  fut  en  ce 
rôle  de  fille,  grande  amoureuse.  Et  nous  n'avons- 
que  des  éloges  à  adresser  à  M™^^^  Ghapelas  (Lili)  et 
Dorianè  (Mariossa),  et  aussi  aux  vingt-six  autres 
.  artistes,  tous  excellents,  mais  dont  je  regrette  de 
ne  pouvoir  citer  les  noms,  ils   sont   trop...    Le 


368 


LES   ANNALES    DU    THEATRE 


théâtre  allait  enfin  connaître  des  jours  heureux,  et 
nous  retrouverons,  Tan  prochain,  sur  l'affiche  de 
FAmbigu  la  Grande  Famille^  dont  la  cinquantième 
représentation  s'était  donnée  le  3o  décembre. 


Le  Crime  d'Aix,  pièce ■ 

'*'La  Conquête  de  l'air ^  pièce 

Les  Deux  f)rpheîines,  drame 

Paillasse,  drame 

'"La  Belle  Marseillaise^  pièce 

Les  Aventures  de  Thomas  Plumepatte, 
pièce 

La  Fleuriste  des  Halles,  drame 

La  Bande  à  Fifi,  drame 

*Le  Crime  d'un  Fils,  drame 

Le  Régiment,  drame *. 

*La  Grande  Famille,  pièce 


NOMBRE 

d'actes 


5  a.  8  t. 

4  a.  5  t. 

5  a.  8  t. 

5 

4  a.  5  t. 

5  a.  12  t. 
6 

5  a.  8  t. 

5 

5  a.  8  t. 

6 


DATE 

de  la 

Ire  représ. 

ou  de  la 

reprise 


16  janv. 
24  janv. 
20  févr. 
3  mars 

19  mai 

15  juin 
11  juillet 

8  sept. 
6  octobre 

22  nov. 


NOMBRE 

de 

reprèsent. 

pendcant 

Tannre 


19 
4 
53 
21 
91 

29 
29 
65 
32 
29 
46 


THÉÂTRE  DES  NOUVEAUTÉS* 


Quatre  pièces  nouvelles  :  le  Gicjolo  de  M.  Miguel 
Zamacoîs,  VAnge  du  foyer  de  MM.  G.-A.  de  Cail- 
lavet  et  Robert  de  Fiers,  Dix  minutes  d'arrêt  de 
M.  Georges  Duval,  Florette  et  Patapon  de  M.  Mau- 
rice Hennequin  constitueront  le  répertoire  de  Tan- 
née 1905,  commencée  avec  la  Gueule  du  loup  de 
MM.  Maurice  Hennequin  et  Paul  Bilhaud. 

24  JANVIER.  —  Première .  représentation  de  Le 
Gigolo^  pièce  en  trois  actes  de  M.  Miguel  Zamacoîs  2. 
—  M.  Serjeux  a  un  fils,  Jacques,  étudiant  en  droit, 
qui  s'amuse...  trop  et  qu'il  veut  protéger  contre  le 
«  collage  »,  si  dangereux  :  voyez  la  fâcheuse  his- 
toire de  Manon  Lescaut  et  du  chevalier  Des  Grieux... 
Or,  il  y  a  dix-huit  mois  que  Jacques  est  le  «  gigolo  » 
de  NiniBellair,  et  cela  ne  peut  durer.  Aussi  mande- 
t-il  de  Baycux  toute  la  famille  pour  tenir  conseil, 


1.  —  Directeur  :  M.  Henri  Micheau  ;  Secrétaire  général  :  M.  Lionel 
Meyer. 

'  2.  Distribution.  —  Hippolyte  Serjeux,  M.  Germain.  —  Jacques  Ser- 
jeux. M.  Torin.  —  Antonin  Tribleau,  M.  Landrin.  —  Le  concierge, 
M.  Laurel.  —  Edmottd,  M.  GatV/ard. —  Honoré  Serjeux,  M.  Keppens.— 
Vu  facteur,  M.  Prosper.  —  Nini  Bellair,  M'i»  Suzanne  Carlix.  —  Lucie 
Serjeux,  'iA\^*Maud  Amy.  —  M"»»  Bellair,  M™»  Rosine  Maurel.  —  La 
tante  Delphine,  M»»  Guitty.  —  Louise  Serjeux,  M"««  Jenny  Rose.  — 
Clémence  Tribleau,  M"»»  Gense.  —  Suzanne,  Mii«  Jenny  Morgan.  — 
Lilia,  M'>«  Magda  Simon.  —  Jeanne,  M"»  Dartigue.  —  Maria,  MH»  J. 
Buarini. 

ANNALES  DU  THÉÂTRE  24 


370  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

lui  annoncer  cette  grande  nouvelle  :  «  Jacques  a 
.une  maîtresse  »,  et  aviser  au  moyen  de  tirer  le 
garçon  des  jolies  griffes  de  Nini.  —  «  J'ai  une 
idée  !  s'écrie  tante  Delphine  :  qu'on  le  lance  sur 
une  autre  femme  !  »  Et  M^^  Louise  Serjeux,  qui 
est  jeune*et  jolie,  semble  posséder  toutes  les  con- 
ditions requises  pour  opérer  cette  utile  diversion. 
Puis  on  décide  que  Serjeux  père  et  l'oncle  Antonin 
Tribleau  iront  tous  deux,  mais  l'un  après  l'autre, 
et  sous  un  nom  supposé,  trouver  la  séduisante 
Nini,  et  se  donneront  comme  protecteurs  sérieux, 
exigeant  d'elle  qu'avant  tout  elle  lâche  son  gigolo. 
Et  vraiment  ils  arrivent  au  bon  moment  chez  Nini... 
Ne  vient-elle  pas  —  les  cartes,  qui  ne  trompent 
jamais,  l'avaient,  hélas  !  bien  prédit  à  son  hono- 
rable mère  —  d'être  froidement  plaquée  par  sou 
vieux,  et  n'a-t-elle  pas  justement  fait  dire  à  la 
concierge  de  laisser  monter  tout  le  monde...  Nini 
réservera  donc  un  aussi  excellent  accueil  à  Dupont, 
sentimental  pratique,  qu'à  Duval,  sentiqniental  rê- 
veur, lui  débitant  successivement  leur  boniment  : 
«  Je  vous  aime  et  je  suis  riche,  excessivement 
riche.  »  Et  nos  deux  vieux  sont  si  cordialement 
reçus  que  les  voilà  bientôt  très  enflammés  l'un  et 
l'autre  et  réciproquement  jaloux.  Nini  a  d'ailleurs 
promis  de  renvoyer  son  gigolo  :  Jacques  ne  l'a-t-il 
pas  prévenue  que  son  père  lui  ayant  coupé  les 
vivres  il  lui  était  désormais  impossible  de  la  rece- 
voir en  sa  garçonnière.  C'est  pourtant  dans  cette 
garçonnière,  d'où  il  a  su  écarter  Nini,  que  se 
passe  le  très  piquant  troisième  acte  de  la  comédie 
de  M.  Zamacoïs.  Jacques  y  a  donné  rendez-vous  à 


THEATRE    DES    NOUVEAUTES  87 I 

.sa  jeune  tante,  Lucie  Serjeux,  cette  jolie  femme 
que  le  conseil  de  famille  avait  tout  d'abord  pro- 
posée comme  diversion.  La  gentille  provinciale  y 
est  venue,  quoique  timidement,  et  timidement  aussi 
elle  se  laisse  enlever  son  corsag^e  et  défaire  ses 
bottines...  C'est  en  ce  déshabillé  prometteur  que, 
délégué  par  la  famille,  toujours  liguée  contre  Ninî, 
la  surprend  son  mari,».  Pardonnera-t-il?...  Jésus 
a  bien  pardonné  à  la  femme  adultère  :  il  est  vrai 
que  ce  n^était  pas  la  sienne...  Et  Jacques,  renon- 
çant désormais  aux  femmes  du  monde,  même  de 
Bayeux,  continuera  à  être  le  gigolo  qu'il  était 
naguère  :  son  père  s'est  montré  assez  sensiblement 
épris  lui-même  de  la  séduisante  Nini  pour  avoir 
perdu  le  droit  de  lui  faire  de  la  morale.  En  ces 
lignes  trop  brèves,  vous  avez  «  la  lettre  »  de  l'amu- 
sante pièce  applaudie  aux  Nouveautés;  vous  n'en 
avez  pas  «  l'esprit  ».  Etx'est  dommage  :  M.  Miguel 
Zamacoïs  l'a  bourrée  de  mots  pétillants  tels  qu'on 
en  pouvait  attendre  de  l'auteur  de  Bohèmos,  ce 
petit  chef-d'œuvre  railleur  que  nous  révéla  M'"®  Sa- 
rah  Bernhardt,  de  l'écrivain  si  pimpant  et  si  avisé, 
qui  signe,  au  Figaro^  du  célèbre  pseudonyme  du 
«  Monsieur  de  l'orchestre  »  les  charmantes  Soirées 
parisiennes  que  vous  savez.  Le  «  gigolo.  »  c'est 
M.  Torin,  idole  du  public  ;  ses  deux  «  repê- 
cheurs »  sont  MM.  Germain  et  Landrin,  tous  deux 
excellents.  M"^  Suzanne  Carlix  est  d'entrain  déli- 
cieux et  de  naturel  étonnant  sous  les  traits  de  Nini 
Bellair.  M"®  Maud  Amy"  est  beaucoup  trop  jolie 
pour  être  délaissée  par  son  mari  :  c'est  absolument 
invraisemblable...  M"*®  Maurel  a  dessiné  une  belle- 


372         ^^  LES    ANNALES    DU    THEATRE 

mère  telle  que  l'aurait  croquée  le  talentueux  Abel 
Faivre. 

19  MARS.  —  Première  représentation  de  VAnge 
du  foyer  ^  pièce  en  trois  actes  de  MM.  G.-A.  deCail- 
lavet  et  Robert  de  Fiers  *.  —  C'est  pour  ces  deux 
jeunes  auteurs  le  joli  pendant  de  leur  très  mérité 
succès  des  Sentiers  de  la  Vertu.  Excusez-moi  de 
ne  vous  point  dire  par  le  menu  l'intrigue  de  VAnge 
du  foyer.  Mais,  d'abord,  y  a-t-il  une  intrigue  dans 
cette  aimable  comédie  qui  a  été  applaudie  à  tout 
rompre  par  l'auditoire  le  plus  enthousiaste  que 
puissent  rêver  deux  ingénieux  auteurs,  sympathi- 
ques entre  tous?  Je  ne  l'affirmerai  pas.  L'intrigue, 
la  forte  intrigue,  n'est  ici  nullement  nécessaire. 
Les  scènes  se  succèdent  spirituelles,  pétillantes, 
mousseuses,  gaies,  entraînantes  et  fines,  et  c'est 
charmant.  L'ange  du  jeune  foyer  de  Jacques  et 
Marianne  Chardin  est  un  bon  et  gros  garçon  — 
pourquoi  ne  pas  vous  le  dire  tout  de  suite  :  le  rôle 
est  joué  par  Torin  —  qui,  sur  laffiche,  s'appelle 
le  baron  Sigismond  des  Oublies.  C'est  lui,  l'amant 

—  il  ne  l'est  pas  encore,  mais  il  le  sera,  c'est  fatal, 

—  qui  veille  sur  le  bonheur  conjugal  du  ménage, 
détournant   Jacques  de  toute  liaison   sérieuse    et 


1.  Distribution.  — Jacques  Chardin,  M.  Noblet.  —  Sigismoncl  des  Ou- 
blies, M.  Torin.  —  Stettin,  M.  Numa.  —  Golard,  M.  Landrin.  — 
Me  Charlotte,  M.  Mondos.  — Pousta,  M.  Bélières.  —  Pierre,  M.  Laurel. 

—  Le  concierge,  M.  Gailîard.  —  Des  Friquettes,  M.  Lo7^ain.  —  La 
Ilire,  M.  Marche.  —  Un  commissionnaire,  M.  Prosper.  —  Marianne 
Chardin,  M»»  Marcelle  Lender.  —  Ghouquette,  M»«  Suzanne  Carlijc.  — 
M"»»  Vareilles,  M»*  Rosine  Maurel.^-  Jacqueline  Mareuil,  W^*  Sandry, 

—  M«e  Troussel,  M"»*  Jenny  Rose.  —  Augustine,  M»»  Gense.  — 
M«>«  de  Salbris,  MH«  Magda  Simon,  —  Guillemette  Trousse!,  MHe  Lu- 
cienne Saunier.  —  M"»  Saint-Martin,  M'i*  Delacourt.  —  Le  trottin, 
Mlle  Buarini.  —  Thérèse  Troussel,  M»«  Dylna.  —  Louise,  M"e  Lorane, 


THEATRE  DES  NOUVEAUTÉS  SyS 

s'arrangcant  poqr  que  Marianne  qui  ne  voit  guère 
son  mari  qu'aux  heures  des  repas,  ne  s'ennuie  pas 
trop  d'être  ainsi  délaissée.  C'est  ainsi  qu'il  lui 
amène  M"''  Chouquette  Bouvreuil,  qui  doit  chanter 
à  sa  prochaine  soirée.  Laissez-moi  vous. recom- 
mander comme  une  des  choses  les  plus  exquises 
de  la  pièce  cette  première  scène  entre  la  petite  ac- 
trice au  cœur  ingénu  et  M™®  Marianne  Chardin, 
une  élégante  Parisienne,  très  lancée,  voire  même 
un  peu  folle. .  .  —  «  Je  vous  assure  que  ma  vie  à 
moi  n'est  pas  dnMe,  dit  Chouquette.  —  Pourtant, 
vous  devez  avoir  des  moments  agréables  ?  —  Mais 
non,  madame,  je  n'ai  jamais  aimé.  —  Comment? 
fait  Marianne  étonnée.  —  Evidemment,  avec  Tédu- 
calion  que  j'ai  reçue. . .  ma  mère  m'a  toujours  ré- 
pété :  «  Quand  l'amour  est  une  carrière,  il  doit 
cesser  d'être  un  sentiment.  »  Si  bien  que  je  ive 
sais  pas  ce  qu'il  faut  faire  pour  plaire  aux  hommes. .. 
aux  hommes  qui  me  plaisent.  Enfin,  je  suis  cocotte, 
mais  pas  coquette.  —  Eh  bien!  moi,  je  suis  coquette, 
et  pas  cocotte  !  »  Et  comme  M'"^  Chardin  lui  a  en- 
seigné la  manière  de  prendre  les  hommes,  la  petite 
Chouquette  est  au  comble  de  l'admiration  :  a  II 
n'y  a  qu'une  femme  honnête  pour  en  savoir  si 
long  !  »  Elle  profite,  d'ailleurs,  on  ne  peut  mieux 
de  la  bonne  leçon  :  Q'est  sur  Jacques  Chardin 
qu'elle  opère. . .  Jacques  s'éprend  vile  de  la  petite 
chanteuse,  et  la  voilà  elle-même  vraiment  amou- 
reuse, inscrivant  son  bonheur  a,u  dos  de  la  photo- 
graphie qu'elle  apporte  à  Jacques  en  la  garçon- 
nière qu'a  dû,  contraint  et  forcé,  lui  prêter  son 
ami  Sigismond,  et  que  Sigismond  lui  redemande  à 


3^4  Ï-KS    ANNALES    DU    THEATRE 

rimproviste,  car  il  a  obtenu  de  Marianne  le  rendez- 
vous  attendu  depuis  si  longtemps.  II  obtiendrait 
même  davantage,  si  Marianne,  qui,  déjà,  s'est  laissé 
défaire  son  corsage,  ne  trouvait  sur  la  table  la 
photoçrraphie  qui  lui  révèle  l'infidélité  de  son  mari. 
Le  divorce  est  dans  l'air.  N'ayez  crainte,  et  fiez- 
vous  en  à  MM.  Robert  de  Fiers  et  Caillavet,  il 
n'aboutira  point...  Jacques  n'ai rae-t-il  pas  toujours 
sa  femme?  Chouquette  le  sait  bien,  et  comme  c'est, 
après  tout,  une  brave  petite  personne,  elle  entre- 
prend de  réconcilier  charitablement  les  deux 
époux.  Elle  est  charmante,  absolument  charmante, 
cette  nouvelle  scène  entre  les  deux  femmes,  la 
contre-partie  de  celle  du  premier  acte.  C'est  le  tour 
de  la  malicieuse  petite  cocotte  d'éduquer  la  mon- 
daine très  frivole  :  —  <(  C'est  tout  de  même  un  peu 
votre  faute  si  tout  ce  qui  est  arrivé  est  arrivé.  Vous 
n'avez  peut-être  pas  assez  retenu  votre  mari  auprès 
de  vous.  Vous  ne  lui  avez  peut-être  pas  fait  la  vie 
qu'il  fallait  lui  faire,  les  plats  et  les  coquetteries 
qu'il  aurait  aimés...  Vous  n'avez  peut-être  pas 
su  vous  occuper  de  lui.  .  .  C'est  drôle,  toutes  les 
dames  mariées  sont  comme  ça.  Elles  s'imag-inent 
qu'il  n'y  a  pas  besoin  de  faire  des  frais  pour  gar- 
der un  homme.  Faut  se  donner  du  mal.  Nous,  on 
s'en  donne.  Voyez-vous,  vous  autres,  les  honnêtes 
femmes,  vous  n'êtes  pas  sérieuses.  —  Mais  enfin 
j'aime.  .  .  c'est-à-dire  j'aimais  beaucoup  mon  mari. 
—  Oui,  mais  il  y  a  la  manière. .  .  Vous  l'aimiez 
beaucoup,  mais  peut-être  pas  bien.  Ainsi,  lui  avez- 
vous  jamais  fait  des  scènes  injustes,  à  propos  de 
rien?.  . .  L'avez-vous  rendu  jaloux?  Avez-vous  été 


THEATRE    DES    NOUVEAUTÉS  d']5 

exigeante,   capricieuse,  intolérable?  —  Mais  non. 

—  Alors  vous  ne  Tavez  jamais  rendu  malheureux? 

—  Jamais.  —  Et  vous  voulez  qu'il  vous  aime. .  . 
Oh!  voyons,  madame...  »  Avons-nous  besoin 
d'ajouter  que  la  leçon  porte  ses  fruits?  Marianne 
se  réconciliera  avec  son  mari,  et  sachant  désormais 
les  choses  nécessaires  pour  rester  une  bonne  petite 
femme  honnête,  elle  ne  permettra  plus  à  «  Tange 
du  foyer  »  de  s'occuper  de  son  bonheur.  Ah  !  que  ' 
M''®  Marcelle  Lender,  si  élégante,  a  mis  de  grâce 
et  d'adresse  en  son  personnage  de  Marianne  Char- 
din !  Avec  quel  naturel  et  quelle  verve  spirituelle 
M"®  Suzanne  Carlix  a  composé  le  joli  rôle  de 
Chouquette  ! . . .  A  M.  Noblet,  plein  d'aisance  et 
d'autorité,  étaient  dévolus  les  jolis  «  couplets  » 
sur  les  «  bonnes  petites  cocottes  »,  sur  la  messe 
de  la  Madeleine,  etc.,  que  les  auteurs  ont  heureu- 
sement plaqués  dans  leur  amusante  comédie  ; 
M.  Noblet  les  a  dits  merveilleusement.  M.  Torin 
est,  sans  charge  aucune,  un  Sigismond  plein  de 
rondeur  et  de  bonhomie.  M.  Moqdos  a  plaisamment 
rendu  la  caricature  d'un  avoué,  très  parisien,  dont 
le  nom  volait  sur  les  lèvres  de  bien  des  habitués 
des  premières.  Et  M.  Numa,  l'excellent  partenaire 
de  Jeanne  Granier  dans  la  Bonne  Intention  de 
M.  Francis  de  Croîsset,  traversera  plus  d'une  fois 
le  boulevard  en  auto  pour  venir  de  la  salle  des 
Capucines  aux  Nouveautés,  jouer  le  bout  de  rôle 
de  son  «  homme  de  cheval  »^  l'un  des  amusants 
épisodes  de  la  triomphante  et  morale  comédie.  La 
cinquantième  représentation  de  VAnffe  du  foyer ^^ 
se  donnera  en  matinée,  le  3o  avril,  avec  une  su- 


SyO  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

perbe  recelte.  La  charmante  pièce  où  la  comédie 
fine  et  légère  s'allie  si  bien  à  la  farce  la  plus 
joyeuse,  sera  représentée  jusqu'à  la  clôture  annuelle 
le  3i  juillet. 

i4  SEPTEMBRE.  —  Réouverture  du  théâtre  avec 
la  première  représentation  de  Dix  miaules  d'arrêt^ 
pièce  en  trois  actes  de  M.  Georges  Duval*.  —  (Vest 
une  œuvre  aimable,  qui  ne  brille  pas  positivement 
par  une  originalité  excessive,  mais  où  il  y  a  de  la 
gaieté  vive  et  pimpante.  Bref,  ces  trois  actes,  habi- 
lement «  arrangés  »  s'écoulent  agréablement  sans 
longueur  et  sans  effort.  Frisant  ça  et  là  le  vaude- 
ville, la  pièce  se  reprend  juste  à  temps  par  une 
très  jolie  scène  de  comédie  au  second  acte,  où 
I  état  d'âme  de  Suzanne  Le  Perrier,  son  excitation 
nerveuse  émoustillée  encore  par  le  Champagne,  ses 
dix-huit  mois  de  veuvage  et  l'exemple  enfin  d'un 
hôtel  de  province  aux  nombreux  cabinets  particu- 
liers, où  dix  couples,  vingt  couples  sortent  en  s'em- 
brassant,  finissent  par  avoir  raison  de  sa  vertu  et 
la  laissent  sans  forces  dans  lesbrasdcLa,  Croisette. 
C'est  la  scène  capitale.  L'anecdote  peut  d'ailleurs 
se  conter  en  deux  mots.  Suzanne  est  la  veuve  char- 
mante d'un  vieux  savant  assommant  et  insuppor- 

1.  Distribution.  —  Gaston,  M  G.  Noblet.  —  Le  Huchois,  M.  Germain. 

—  La  Croisette,  M.  Colotnbey.  —  Lizardieux,  M.  Bétières.  —  Barillard, 
M.. Laurel  —  Prosper,  M.  P.  Ardot.  —  Joseph,  M.  Gaillard.  —  L  ofli- 
cier,  M.  Lefèvre.  —  Le  substitut,  M.  Brunot.  —  Le  contrôleur,  M.  P- 
Berty.  —  Mîviuico,  M.  Marche.  —  Charles,  M.  Nyhel.  —  Suzanne, 
WW'^  MunaUff  Lëndér.  —  Glodilde,  MUe  Sandry.  —   Zoé,  M"e  Piernold. 

—  La  dajne  vuil^o,  Mlle  Sandraz.  —  Claire,  MUe  j.  Buarini.  —  La 
cuf'otle,  MHi!  Siiinfù,—  Agathe,  MUe  Dalézia.—  La  grisefte,  Mi'o  Pauly. 

DLr  miftutiia  dMrrêt  était  accompagné  d'un  acte  intitulé,  le  Coup  du 
tf'féf/ratnrn^,  tle  M.  Lucien  puval,  le  fils  de  M.  TTeorgos  Duval  ;  le  père 
el  le  iM^  L'h-ijonl:  iiinsien  même  temps  sur  la  même  alliche. 


THEATRE  DES  NOUVEAUTÉS  877 

table  qu'elle  a  enduré  pendant  sept  longues  années, 
le  célèbre  Le  Perrier,  qui  n'a  su  ni  pu  lui  donner 
aucune  des  joies  qu'elle  était  en  droit  d'attendre  du 
mariage.  Son  père,  M.  Le  Huchois,  de  TAcadémie, 
—  qui  ne  serait  pas  fâché^  entre  nous,  de  s'occu- 
per plus  librement  de  la  piquante  et  rusée  Zoé, 
une  jeune  personne  qui  donne  dans  l'Institut,  — 
songe  à  la  remarier.  Suzanne,  en  principe,  n'y  est 
point  opposée,  à  la  condition  toutefois  que  le  mari 
soit  de  son  goût,  jeune,  gai,  séduisant.  Elle  a  fait, 
songez  donc,  une  telle  provision  de  tendresse,  d'af- 
fection, d'illusions!  Le  Huchois  a  pour  collègue  et 
ami  ce  bon  La  Croisette,  qui  voudrait  bien,  lui, 
marier  son  neveu,  le  vicomte  Gaston  de  La  Croi- 
sette. Gaston  se  montre  assez  disposé  à  mettre  fin 
une  bonne  fois  à  l'existence  de  noceur  qu'il  a 
menée  jusque-là,  si  la  femme  qu'on  veut  lui  donner 
est  suffisamment  aimable,  jolie,  élégante.  Les  deux 
jeunes  gens  sont  donc  faits  pour  s'entendre.  Mal- 
heureusement Joseph,  le  vieux  domestique  resté 
fidèle  à  l'ancien  maître,  trace  à  Suzanne  un  portrait 
de  Gaston  extra-fantaisiste  :  savant  austère  et  opi- 
niâtre, toujours  attelé  à  d'énormes  travaux,  et  à 
Gaston  il  présente  Suzanne  comme  une  horrible 
mégère,  veuve  éplorée  et  inconsolable.  Il  n'en  faut 
pas  davantage  pour  les  décider  l'un  et  l'autre  à 
repousser  pareille  union.  Néanmoins,  pour  ménager 
père  et  oncle,  ils  acceptent  l'entrevue  à  Saint- 
Claude,  à  la  campagne,  où  ils  doivent  passer  tous 
deux  quelques  jours,  pour  se  mieux  juger,  dans  la 
propriété  de  Le  Huchois..  Vous  devinez  le  reste. 
Gaston  monte  dans  le  compartiment  de  Suzanne^ 


378  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

qui  lui  paraît  délicieuse,  il  lui  fait  la  cour;  Suzanne 
trouve  le  monsieur  charmant  et  se  la  laisse  faire... 
Château-Randon,  dix  minutes  d'arrêt  1...  On  des- 
cend prendre  un  consommé.  Patatras  !  le  déraille- 
ment d'un  convoi  de  marchandises  recule  de 
plusieurs  heures  le  départ  du  train  pour  Saint- 
Claude.  Que  vont-ils  faire  ?  Souper,  parbleu  !  Gas- 
ton se  montre  plus  aimable,  plus  prévenant  ;  elle, 
plus  fébrile,  plus  nerveuse.  On  échange  des  confi- 
dences. —  «  Je  partais,  navré,  vers  un  mariage  ! 
—  Moi  aussi  !  C'est  curieux  !  —  Non,  c'est  stu- 
pide,  révoltant  !  »  Et  Suzanne  affolée,  vaincue, 
cède  aux  instances  plus  pressantes  de  Gaston. 
Jugez  de  leur  tête,  à  tous  deux,  lorsqu'au  troisième 
acte  ils  se  retrouvent  à  Saint-Claude.  Il  ne  saurait 
plus  être  question  entre  eux  de  mariage.  Suzanne 
ne  peut  devenir  la  femme  de  Cflui  à  qui  elle  s'est 
si  facilement  donnée.  —  Singulière  garantie  pour 
l'avenir  !  —  Honnêtement,  loyalement,  elle  avertit 
Gaston  de  ses  intentions.  Lui  neJ'entend  pas  ainsi, 
il  excuse  la  faute,  —  un  moment  d'oubli,  de  folie, 
dont  il  doit  d'ailleurs  partager  les  torts,  ayant 
abusé  grossièrement  de  la  situation.  Et  puis,  et 
puis...  il  l'aime  et  la  convainct  facilement.  La 
pièce  a  sutout  pour  elle,  à  défaut  de  valeureuses 
qualités,  l'incomparable  mérite  d'être  admirable- 
ment interprétée  par  M^*®  Marcelle  Lender  et  par 
M.  Noblet.  Ils  ont  été  parfaits  l'un  et  l'autre  dans 
deux  rôles  entièrement  à  leur  convenance.  M.  No- 
blet est  un  La  Croisette  toujours  élégant,  léger  et 
spirituel;  M^*^  Marcelle  Lender^  une  délicieuse 
veuve  —   on  ne   peut   êti'e  plus   naturelle,  plus 


THÉÂTRE  DES  NOUVEAUTÉS  879 

«  femme  »,  plus  séduisante.  MM.  Germain  et  Co- 
lombey^,  M"*®^  Piernold  et  Sandry,  s'agitent  à  leurs 
côtés,  prodiguent  leur  entrain  habituel  et  enca- 
drent joyeusement  ces  deux  distingués  comédiens. 
21  OCTOBRE.  —  Première  représentation  de  Flo- 
rette  et  Patapon^  pièce  en  trois  actes  de  MM.  Mau- 
rice Hennequin  et  Pierre  ^  Veber*.  —  Pourquoi 
«  pièce  »  et  non  pas  «  vaudeville  »?  C'est  bien,  en 
effet,  le  vaudeville,  gai,  fou,  ahurissant,  qui  porte 
à  la  rate  et  supprime  la  réflexion  en  faisant  éclater 
ie  rire.  Ici,  le  quiproquo  règne,  en  maître,  avec  ses 
portes  classiques,  ses  substitutions  de  personnes, 
ses  déshabillages,  ses  déguisements,  ses  rôles 
moins  logiques  qiie  trépidants.  Et  de  ce  méli-mélo 
presque  inconcevable  se  dégage  une  grande  joie 
pour  tous  ceux  (et  j'espère  qu'ils  sont  légion)  qui 
aiment  à  être  violemment  chatouillés.  De  ce  vau- 
deville, enfant  gâté  de  la  réussite,  je  vais  pourtant 
essayer  de  conter  l'aventure.  Florette  et  Patapon 
sont,  non  pas  deux  femmes,  comme  on  pourrait  le 
croire,  mais  deux  associés  dans  une  entreprise 
d'engrais  chimiques.  Florette  est  marié  à  la  blonde 
Riquette,  d'allure  indépendante  et  légère,  qui  jongle 
innocemment  avec  tout  ce  qui  peut  compromettre 
une 'réputation.  Elle  plaisante  librement  avec  les 
hommes,  s'amuse  à  se  faire  suivre  dans  la  rue,  se 


1.  Distribution.  —  Florette,  M.   Germain,  —  Barbet,  M.   Torin.  — 
Patapon,  M.  Co/om&di/.  —  Jambard,  M.  Landrin.  —  Auguste,  M.  Lauret. 

—  Monbissac,  M.  Paul  Ardot.  —  Pontoy,  M.  Oaillard.  —  Armand, 
M.  Barnier.  —  Péchot,  M.  Lefèvré.  —  La  Barbe,  M.  Marche.  —  Cornu, 
M.  Brunot.  —  Anthime,  M.  Prosper.  —  Un  chauffeur,  M.  Nybel.  —  Ri- 
quette, M"«  Cassive.  —  Blanche,  MHe  Piernold.  —  Chéchette,  M"»  M. 
Lavigne.  —  M"»»  Mézaubran,  M»»*  Jenny  Rose.  —  Claire,  M"«  /.  Henry. 

—  Marie,  M'-»  Jeanne  Buarini. 


38o  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

fait  embrasser  pour  la  blague  par  le  secrétaire  de 
son  mari,  Julien  Barbet,  dont  elle  chavire  ainsi 
platoniquement  le  cœur.  Patapon  est  Tépoux  de 
Blanche,  femme  austère,  timide,  horriblement  hon- 
nête :  aussi  est-elle  à  tout  bout  de  champ   citée 
comme  exemple  par  son  mari,  lequel,  confiant  en 
une  telle  vertu,  passe  son  temps  à  faire  prévoir  à 
Florette,  en  termes  ironiques,  un  avenir  fécond  en 
infortunes  conjugales.  Une  dépêche  commerciale 
force  les  deux   associés    à  partir  pour  Londres. 
Patapon   s'en  va   bien    tranquille,   persuadé    que 
Blanche  l'attendra  en  filant  la  laine.  Mais  Florette 
un  peu  inquiet,  confie  Riquette  au  fidèle  Barbet. 
((  —  Tu  surveilleras  ma  femme.  —  Non.  —  Pour- 
quoi? —  Je  Taime.  —  Je  le  savais,   mais   tu  es 
incapable  de  tromper  un   ami.   »  Aussitôt   seule. 
Blanche,  au  comble  de  la  joie,  avoue  à  Riquette 
qu'elle  a  un  amant.  «  —  Toi,  un  amant!  —  Et  ce 
n'est  pas  le  premier.  C'est  le  douzième.  Il  m'attend 
à  Cotte-sur-Mer.  J'ai  vingt-quatre  heures  de  liberté. 
Je  pars  :  viens  avec  moi.  —  Eh  bien,  j'accepte  l  On 
va  faire  la  bombe...  Ça  m'amuse.  »  Et  toutes  deux 
s'échappent  au   nez  et  à   la  barbe  de  l'infortuné 
Barbet,  qui,   effaré,   court  les  rejoindre,   précédé 
par  le  comte  de  Monbissac,  un  vieux  marcheur  qui, 
ayant  rencontré  Riquette  dans  la   rue,  s'est  juré 
qu'elle  serait  à  lui.  Nous  voici  transportés  dans  le 
hall    de    Thôtel    de    Cotte-sur-Mer.    L'amant    de 
Blanche  vient  de  recevoir  par  télégramme  la  nou- 
velle de  son  arrivée  :  «  Commande  en  gare  deux 
heures    :   livraison  à  domicile.   »  Ce   qui  signifie 
qu'il  doit  attendre  sa  bien-aimée  à  l'hôtel  même. 


THÉÂTRE    DES    NOUVEAUTES  38 I 

t 

Or,  deux  voyageurs  entrent  :  c'est  Florette  et  Pa- 
tapon.  Au  liçu  de  partir  par  Boulogne,  Florette  a 
voulu  partir  par  Calais,  *et  ils  ont  raté  le  bateau 
de  cinq  minutes.  Patapon,  qu'un  remède  contre  le 
mal  de  mer  a  rendu  malade  sur  terre,  en  profite 
pour  demander  une  chambre,  tandis  que  Florette 
qu'une  jeune  grue  rencontrée  par  hasard,  M'*®  Ché- 
chette,  a  fortement  allumé,  mijote  un  rendez-vous 
de  passagères  amours.  Puis  voici  Blanche  et  Bi- 
quette. Réunion  dfes  deux  amants  :  amour,  délices 
et  orgues,  à  la  grande  joie  de  Riquette  que  ce 
spectacle  enchante...  Alors  survient  Julien  Barbet, 
fidèle  à  son  rôje  de  geôlier.  Il  a  frété  un  train 
spécial  (3.000  francs,  toutes  ses  économies)  pour 
rejoindre  celle  qu'il  doit  garder  jalousement  et  la 
ramener  à  PàriSi  A  partir  de  ce  moment,  il  devient 
impossible  de  narrer  toute  la  série  de  joyeux  inci- 
dents qui  jettent  le  reste  de  la  pièce  dans  des 
complications  inextricables  :  Barbet  est  pris  pour 
Florette,  Florette  pour  Barbet;  Patapon  assiste 
derrière  une  cloison  aux  amours  de  Blanche  et  de 
son  amant,  sans  savoir  qu'il  s'agit  de  sa  femme; 
Florette  déguisé  en  femme,  est  pris  par  Barbet 
pour  Riquette,  et  enlevé  en  automobile  ;  et  finale- 
ment Barbet,  dont  tous  les  actes  de  dévouement 
n'ont  réussi  qu'à  lui  attirer  des  coups  de  pied  au... 
bas  du  dos  et  à.  le  faire  prendre  pour  un  satyre, 
est  arrêté  et  conduit  en  prison.  Le  dernier  acte  se 
passe  dans  un  décor  double,  mi-partie  dans  la 
chambre  de  Barbet,  mi-partie  sur  le  palier  d'un 
escalier.  Imaginez  des  gens  qui  ont  perdu  leur 
clef,  qui   se   réfugient   précipitamment   dans  des 


382  LES  ANNALES  DU    THÉATHE 

■* 

loçements    qui   ne   leur   appartiennent   pas,   puis 
faites  que  tout  se  découvre  à  la  grande  gloire  de 
l'adultère,  pour  finir  dans  une  apothéose  d'igno- 
rance maritale  ou  de  pardon.  Cette  folie  est  admi- 
rablement jouée    dans  un  mouvement   que   nous 
offrons  en  exemple  à  certaines  scènes  vouées  au 
pur  vaudeville  :  ainsi  le  spectateur  n^a  point  le 
temps  de  la  réflexion.  Germain  a  trouvé  en  Florette 
un  de  ses  bons   rôles   de   fantaisie   simiesque,   et 
C]olombey  —  Patapon  —  mérite  d'être  loué  pour 
son  entrain  de  bon  aloi.  Le  public  a  fait  fête  à  la 
rentrée  de  M"*^  Cassivé,  plus  jeune  et  plus  exubé- 
rante que  jamais  ;  c'est  une  artiste  précieuse  pour 
ce  genre  de  pièces  où  sa  gaieté  est  communicative. 
A  colé  de  la  jolie  Riquette,  la   non   moins  jolie 
Pieriiold  fut  charmante  en  cette  Blanche  qui  per- 
sonnifie   élégamment    ce    que    nous    appellerons 
«  l'adultère  honnête  ».  Mais  le  héros  de  la  soirée 
fut   Torin,   le  gros   Torin,    l'épique  Torin.   Avec 
sa  face  large  de  bébé  réjoui,  il  rappelle  étonam- 
ment  José  Dupuis  :  chacune  de  ses  répliques  met 
la   salle  en  joie.    Il    fallait   l'entendre   dire    avec 
son  admirable  accent  de  conviction  naïve  :  «  —  Si 
j'avais  su    enlever  sa    femme,  j'aurais  aussi  em- 
porté la  caisse  !    »    Ne    vous   y    trompez   pas   : 
avec  Raimond  et  Brasseur,  Torin  est  un  de  nos 
trois  premiers   comiques.   Lui    seul    suffit  à  por- 
ter Florette  et  Patapon  sur  ses  bonnes  grosses 
épaules.  Les  autres  artistes,  MM.  Landrin,   Paul 
Ardot,    excellent    en    vieux    marcheur,    Lauret, 
Gaillard;    M"'««   Lavigne,   Chéchette  fantaisiste   et 
digne  fille  de  sa  mère  (elle  en  a  l'amusante  voix 


THEATRE    DES    NOUVEAUTES 


383 


de  basse),  Jenny  Rose,  duègne  familiale,  et 
J.  Henry  avaient  contribué  au  succès  de  ce  vau- 
deville, qui  longtemps  par  delà  Tannée  igoS 
devait  faire  les  beaux  soirs  du  joli  théâtre  des 
Nouveautés. 


La  Gueule  du  Loup,  pièce 

A  cache-cache,  pièce 

*Le  Gigolo,  pièce 

*La  Diva  en  tournée,  comédie 

*  L'Ange  du  foyer,  pièce 

*Dûc  minutes  d'arrêt,  pièce 

*Le  Coup  du  télégramme,  vaudeville 
*Florette  et  Patapon,  pièce 

*  Monsieur  l'Adjoint,  pièce 


NOMBRE 
d'actes 


DATE 

de  la 

l'*  représ. 

ou  de  la 

reprise 


24  janv. 

» 
19  mars 

14  sept. 

15  sept. 
21   oct. 


NOMBRE 

de 

représent. 

pendant 

Tannée 


26 
26 
61 
209 
149 
42 
76 
83 
•  47 


I 


THEATRE  DE  L'ATHÉNÉE  * 


L'année  avait  commencé  fort  heureusement  avec 
la  jolie  Chiffon  de  MM.  René  Péter  et  RoF>ert  Dan- 
ceny,  dont  les  représentations  se  prolongeaient  jus- 
qu'au 22  février.  La  centième  s'était  donnée  le  28 
janvier*. 

24  FÉVRIER.  —  Première  représentation  de  la 
Petite  Milliardaire,  comédie  fantaisiste  en  trois 
actes  de  MM.  Henri  Dumay  et  Louis  VoresiK —  La 
voici  enfin  cette  Petite  Milliardaire  dont  on  par- 
lait  depuis  si  lon^lemps.  depuis  trop  lonslempH 

peut-être Et.    sans  nous   arrêter  aux  tiraill*;- 

ments  auxquels  elle  avait  d'»nné  lieu  entre  le  direc- 
teur et  les  auteurs,  entre  les  deux  ant^jrs  eux- 
mêmes,  entre  U  direction  et  sa  principale  iuler- 
prète,  M-*^  Yahoe,  div:»ri5  ici,  ce  qu'est  la  c//ri,*:dje 
et  ce  que  fut  la  représentation.  Les  trois  actes  *-eî 


j£  £...r***Z>ïn' 


Secrétaire  r^iy-?».  .  M-  ino-  larrr, 

le  tôle  «i-a  narcv^  c  lurjes^L.   vi.  ^  *rji$T.  •*,*.<:    L'-t-    r*Ti  tt^ta.:  r*n:  ^  *v* 
par  UD  de  i««  «^it^^ra  jçi^f» ^«i.«jia i*  ret    X   T-Ji  v n..  i  >*-, 

SUhWt-Ro».  M.  £î.     >^-.  —   ÎMTitoA'L    JL    *    ^Krf.  -«.    —    :>t  ;-i'^ 


^.V 


THÉÂTRE  DE  L'ATHÉNÉE  * 


L'année  avait  commencé  fort  heureusement  avec 
la  jolie  Chiffon  de. MM.  René  Péter  et  Robert  Dan- 
ceny,  dont  les  représentations  se  prolongeaient  jus- 
qu'au 2  2  février.  La  centième  s'était  donnée  le  28 
janvier  ^ 

i!\  FÉVRIER.  —  Première  représentation  de  la 
Petite  Milliardaire^  comédie  fantaisiste  en  trois 
actes  de  MM.  Henri  Dumay  et  Louis  Forest^.  —  La 
voici  enfin  cette  Petite  Milliardaire  dont  on  par- 
lait depuis  si  longtemps,  depuis  trop  longtemps 
peut-être . . .  Et,  sans  nous  arrêter  aux  tiraille- 
ments auxquels  elle  avait  donné  lieu  entre  le  direc- 
teur et  les  auteurs,  entre  les  deux  auteurs  eux- 
mêmes,  entre  la  direction  et  sa  principale  inter- 
prèle, M"^  Yahne,  disons  ici,  ce  qu'est  la  comédie 
et  ce  que  fut  la  représentation.  Les  trois  actes  se 


1.  —  Directeur  :  M.  Abel  Deval;  Administrateur  :  M.  Eugène  Damoye  ; 
Secrétaire  général  :  M.  Paul  Largy. 

2.  —  M.  Deval,  indisposé,  avait  dû  abandonner  pendant  quelques  jours 
le  rôle  du  marquis  d'Ësterel,  où  il  était  fort  intelligemment  remplacé 
par  un  de  ses  sympathiques  pensionnaires,  M.  Laumonier. 

3.  DiSTRiBunoiî.  —  Kikewitch,  M.  Lévesque.  —  Ckrûneman,  M.  Miln.— 
Stanley-RoBS,  M.  BuÙier.  —  Barbazan,  M.  A.  Baudoin.  —  Le  prince 
Ladislas,  M.  Leubas.  —  Morain,  M.  Laumonier. —  Le  père,  M.  Servais. 
—  Boleslas,  M.  Marius  Barlay.  —  Betsy,  M"«  Diéterle.  —  Juanlta, 
M»«  Caveîl.  —  Cléo,  M»»  Templey.  —  Rozio,  M»»  Caumont. 

ANNALES  DU  THBATRE  25 


386  LES    ANNALES    DU    THEATRE 

passent  aux  environs  de  Chicago,  où  M.  Ross,  le 
puissant  milliardaire,  a  fait  construire  un  château 
où  il  n'y  a  pas  une  pièce,  pas  une  fenêtre,  pas  uu 
escalier,  pas  une  pierre  qui  ne  rappelle  un  fait  his- 
torique :  à  coups  de  bank-notes,  il  en  a  fait  venir 
d'Europe  les  matériaux  pris  à  bonne  source.  Il  est 
père  d'une  jeune  miss,  Betsy,  aussi  charmante 
qu'excentrique,  et  dont  il  tolère  toutes  les  fantai- 
sies les  plus  coûteuses,  pourvu  qu'elles  soient  ori- 
/o^inales.  C'est  ainsi  que,  faisant  sur  son  yacht  une 
promena4e  en  mer,  elle  a  rencontré  un  navire  bri- 
tannique qui  filait  à  toute  vitesse  :  il  lui  pousse 
immédiatement  l'idée  de  le  dépasser,  et,  faisant 
chauffer  la  machine  au  risque  d'éclater,  elle  bat 
messieurs  les  Ang-Iais  et  arrive  bonne  première  ; 
mais  elle  n'a  oublié  qu'une  toute  petite  chose  en 
cette  course  folle,  c'est  de  reprendre  soiTjpère  qui, 
depuis  plusieurs  jours,  l'attend  à  Gibraltar.  Nous 
J^  voyons  ensuite,  cette  petite  Betsy  pleine  d'incon- 
séquence, ramener  un  Turc,  superbe  lutteur  qui 
la  suit  partout,  et  avec  lequel,  en  public,  elle  fait 
des  haltères.  Puis -elle  organise  des  courses  en 
plein  Chicago  et,  s'habillant  en  jockey,  elle  enfour- 
che le  pur-sang  qui  doit  obtenir  le  prix.  Marier 
Betsy  est,  comme  on  pense,  le  plus  vif  désir  de 
M.  Ross.  Et  comme  l'Amérique  se  fait  une  gloire 
de  redorer  les  blasons,  il  cherche  un  gendre  noble, 
qui  plaise  à  sa  fille.  Deux  bons  juifs,  Kikevitch  et 
Grûneman,  qui  l'ont  déjà  volé  tant  et  plus  sur  ses 
tableaux  et  autres  objets  d'art,  ont  flairé  une 
grosse  commission,  et  présentent  :  celui-ci,  un 
prince  polonais  authentique,    Ladislas...    ce  que 


THEATRE    DE    L  ATIlÉXÉr.  887 

VOUS  voudrez  :  celui-là,  le  baroa  de  Barbazan, 
marseillais  aussi  pur  que  possible.  Entre  ces  deux 
prétendants,  Betsy  n'hésite  pas  :  elle  préfère. . . 
Morain,  le  secrétaire  de  son  père,-  un  jeune  et  élé- 
gant parisien  qui  Tadore  sans  le  dire,  de  peur 
qu'on  puisse  supposer  qu'il  convoite  ses  cinquante 
millions  de  dot.  Ceci  ne  fait  plus  l'affaire  de  nos 
deux  aigrefins,  qui  voient  s'en  aller  en  fumée  leurs 
belles  espérances^  et,  pour  faire  manquer  un 
mariage  qui  ne  leur  rapporte  rien,  ils  lancent  en 
pleine  fête  donnée  par  M.  Ross,  la  fâcheuse  Cleo, 
la  maîtresse  dont  Morain  se  croyait  à  tout  jamais 
débarrassé.  Cette  exhibition  produit  l'effet  attendu  : 
Betsy,  furieuse,  annonce  qu'elle  prend  pour  mari 
le  prince  Ladislas.  Mais  devant  la  balourdise  de  ce 
fiancé  ridicule,  affublé  d'une  famille  plus  grotesque 
que  nature,  son  dépit  ne  tient  pas  :  c'est  Morain 
seul  qu'elle  aime,  c'est  lui  qu'elle  épouse...  Sur 
cette  donnée  peu  nouvelle  en  elle-même,  les  auteurs 
de  la  Petite  Milliardaire  ont  brodé  une  fantaisie 
échevelée,  dont  la  finesse  n'est,  certes,  pas  la  prin- 
cipale qualité,  et  dont  n'ont  point  paru  très  drôles 
des  inventions  qui  consistent  à  faire  danser  par  la 
troupe  de  l'Athénée  un  cake-walk  déjà  suranné^ 
ou  à  faire  écouter,  non  aux  portes,  mais  grimpés 
en  haut  d'un  portique  de  gymnastique,  deux  per- 
sonnages —  ce  sont  les  deux  juifs  de  l'histoire  — 
qui  ont  intérêt  à  entendre  discuter  les  clauses  d'un 
contrat  de  mariage.  Qu'est-ce  que  cette  pièce  car- 
navalesque ?  M.  Deval  nous  avait  habitués  à  des 
comédies  ordinairement  plus  délicates  et  plus  spi- 
rituellement amusantes.  Et  puis  —  sont-ce  donc  là 


388  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

les  fruits  de  la  campagne  heureusement  menée  par 
notre  ami  Adolphe  Brisson  contre  l'emploi  des  gros 
mots  au  théâtre?  Jamais  auteurs  ne  furent  plus 
prodigues  d'expressions  grossières. . .  MU^  Diéterle 
—  qui  pour  cette  fois  ne  chante  pas  —  est   une 
Bctsy  sémillante,  et  turbulente^  pleine  d'adresse  et 
de  gentillesse,  de  verve  et  d'entrain,  qui  a  tout  ce 
qu'il  faut  pour  devenir  l'enfant  gâtée   du   public 
comme  elle  est  celle  de  son  honorable  père  M.  Ross. 
A  M"®  Cavell,  mexicaine;  au  tempérament  excessif, 
est  départie  l'une  des  meilleures  scènes  de  la  pièce  : 
celle  où  l'on  voit  Juanita,  qui  vient  de  jurer  qu'elle 
renonçait  définitivement  à  l'amour,    s'enflammer 
subitement  au  contact  du  vibrant  marseillais  Bar- 
bazan,  dans  lequel  M.  Baudoin  s'est  révélé  si  digne 
fils  de  la  Cannebière.   Moins  exact  peut-être  est 
M.  Bullier^   dont  l'accent  américain  nous   a  paru 
quelque  peu  intermittent   :    ce  qui  ne  l'empêche 
pas  de  tenir  avec  aisance  son  rôle  de  richissime 
Yankee.    M.    Laumonier   (Morain)   est    un   jeune 
amoureux    sympathique,    aimable    et    désinvolte. 
M.  Leubas  a  su  s'assimiler  la  lourdeur  et  la  stu- 
pidité du  prince  Ladislas.   Pour  figurer  l'un  des 
deux  juifs,  M.  Deval  a  emprunté  à  son  associé, 
M.  Richemond,  le  comique  le  plus  aimé  des  Folies- 
Dramatiques,  M.  Milo,  qui  fut  un  parfait  Grûne- 
man.   Pourquoi  M.   Lévesque  a-t-il   tenu  à   s'en- 
laidir outre  mesure   pour  représenter  Kikevitch  ? 
Cette  caricature  nous  a  semblé  aussi  repoussante 
qu'inutile. 

27  AVRIL.  —  Première  représentation  de  Nellie 
Moray^  comédie  dramatique  en  quatre  actes,   de 


THEATRE    DE    l'aTHÉNÉE  SSg 

M.  Henri  Dumay*.  —  Comme  dans  la  Petite  Mil^ 
liardaire^  dont  il  était  justement  l'un  des  auteurs, 
M.  Henri  Dumay  nous  emmène  en  Amérique.  Il 
nous  y  pfésente  le  sénatieur  Withney  qui,  de  gaieté 
de  cœur,  a  jadis  abandonné  pour  faire  un  bon 
mariage  d'argent,  une  maîtresse  qu'il  avait  rendue 
mère.  De  ce  mariage  il  lui  est  né  une  fille  —  char- 
mante puisqu'elle  est  personnifiée  par  M'*®  Bignon 
: —  qui  dans  deux  mois  doit  épouser  le  lieutenant 
Paul  Batchelder.  Mais,  sur  ces  entrefaites,  Batchel- 
der  s'éprend  follement  de  Nellie  Moray  qui  est, 
non  seulement  au  théâtre  «  la  plus  grande  chan- 
teuse du  siècle  »,  —  excusez  du  peu!  —  mais 
aussi  à  la  Bourse  la  plus  intelligente  femme  d'af- 
faires qui  soit.  C'est  entre  Paul  et  Nellie  le  plus 
grand  amour. . .  subitement  troublé  par  l'annonce 
du  mariage  projeté  et  par  la  lettre  d'appel  à 
l'armée  que  le  sénateur  a  fait  adresser  au  lieute- 
nant. Et  comme  Nellie  Moray  lui  reproche  de  lui 
enlever  ainsi  cruellement  son  Paul,  Withney 
riposte  en  disant  qu'elle  n'en  est  certes  pas  à  un 
amant  près. . .  Nellie  bondit  sous  l'injure,  et  va  se 
jeter  sur  Tinsulleur,  quand  quelqu'un  s'écrie  :  — 
•  «  Malheureuse  :  c'est  votre  père  !  »  —  «  Eh  bien, 
c'est  du  propre  !  »  répond  Nellie.  Fin  du  second 
acte  :  il  y  en  a  quatre . . .    Nellie  Moray  se  venge 

1.  Distribution.  —  Général  William  Canfiel,  M.  Bulîier.  —  Olivier 
van  Duzer,  M.  Lévesque.  .—  Duncan  Withney,  M.  Camis.  —  Docteur 
Mortimer.  M.  Leubas.  —  Paul  Batchelder,  M.  Laumonier.  —  Peter, 
M.  de  Ségus,  —  Frank  Sterling,  M.  Lefaur.  ~  B.  van  Durer.  M.  Marins 
Barlay.  —  Lester,  M.  Ramy.  —  Herr  Wcismann,  M.  Fabert.  —  L'or- 
donnance, M.  Barrelet.  —  Pomeray,  M.  Lebroton.  —  Pierre,  M.  Louis 
Sance,  —  Nellie  Moray,  M^i»  Eugénie  Xau.  —  Clora  Withney,  M»*  Bignon. 
—  Loulou,  M"«  Templey. 


3(J0  LES    ANNALKS    DU     IHKATHE 

par  un  coup  de  bourse  qui  pour  Wilhney  sera  la 
ruine  totale.  C'est  en  vain  qu'il  vient  solliciter  un 
délai  qui  lui  permettra  de  payer  ses  différences. 
Nellie  ne  veut  rien  entendre.  Puis,  quand  elle 
apprend  que  Withney  est. allé  se  tuer,  elle  se  hâte 
de  prendre  le  train  pour  Ten  empêcher.  Elle  arrive 
à  temps  et  hii  accorde,  avec  toutes  les  facilités 
désirables,  le  pardon  de  sa  conduite  passée.  Le 
rideau  baisse  sur  l'étreinte  du  père  et  de  la  fille,  le 
mariage  de,  M*'^  Clara  Withney  avec  un  de  ses 
cousins,  et  probablement  aussi  celui  de  Nellie 
Moray  avec  son  bienaimé  lieutenant.  Ce  n'est,  ni 
par  la  nouveauté  du  sujet,  ni  par  Tesprit  du  dia- 
logue, ni  par  Tingéniosilé  des  détails  que  brille  la 
pièce  de  M.  Dumay  —  dissident  de  la  Société  des 
Auteurs  —  et  nous  nous  demandions  comment,  au 
lieu  de  s'obstiner  à  la  représentation  d'une  œuvre 
mal  venue,  dont  l'insuccès  ne  pouvait  profiter  à 
personne,  auteur  et  directeur  n'avaient  pas  songé 
à  trancher  par  une  belle  et  bonne  indemnité  leur 
fâcheux  différend.  Ajoutons  que  la  pièce  était  péni- 
blement défendue  par  deux  «  débutants  »  qui 
étaient,  pour  ainsi  dire  deux  «  revenants  »  : 
•M.  Camis,  d'une  solennité  un  peu  «  vieux  jeu  » 
dans  le  rôle  de  Whitney  ;  M^^*^  Eugénie  Nau,  qui, 
dans  celui  de  Nellie,  convenant  si  peu  à  sa  nature, 
était  restée  comme  elle  restera  toujours,  Tidéale 
«  Fille  Elisa  id.  Nous  notions  l'effort  de  M.  Fabert 
sous  les  traits  d'un  banquier  physiquement  aveu- 
gle, mais  si  clairvoyant  qu'il  menait  à  lui  seul  le 
marché  de  la  Bourse  de  New-York,  et  nous  atten- 
dions de  la  direction  de  TAthénée,  ordinairement 


THÉÂTRE    DE    l'aTHÉNÉE  SqI 

plus  heureuse  en  ses  choix,  une  nouvelle  convoca- 
tion qui  ne  pouvait  être  que  très  prochaine. 

5  MAI.  —  Première  représentation  de  Cœur  de 
moineau^  comédie  en  quatre  actes  de  M.  Louis 
Artus*.  —  M.  Abel  Deval  avait  la  douce  habitude 
de  ne  convier  la  critique  qu'une  fois  par  saison  à 
des  pièces  qui  duraient  toute  Tannée.  Allait-il 
maintenant  se  mettre  sur  le  pied  de  la  convoquer 
toutes  les  semaines?,..  Huit  jours  après  Nellie 
Moray  —  Nellie  Mort-nëe,  comme  dit  Tauti^e  — 
nous  revenions  à  l'Athénée  pour  Cœur  de  moi- 
neau...  Nous  n'y  reviendrons  plus  avant  la  fin  de 
novembre.  Elle  est  de  finesse  exquise,  pleine  de 
charme  poétique  et  toute  remplie  d'esprit,  celte 
comédie  de  M.  Louis  Artus,  assurément  très  digne 
de  plaire  à  notre  ami  Georges  de  Porto-Riche  qui 
—  si  nous  nous  en  souvenons  bien  —  la  recom- 
manda jadis  à  M.  Franck,  directeur  du  Gymnase. 
Le  héros  de  M.  Artus  est  un  Don  Juan  réduction 
Collas.  Son  Claude  aime  toutes  les  femmes,  «  moi- 
neau pétillant,  sautillant,  voletant,  moineau  clian- 
geant  qui  joue  du  bec  et  de  la  plume  vers   toutes 

1.  Distribution.  —  Claude,  M.  Brulë.  —  Lemercier,  M.  BuUipr.  — 
Martignac,  M.  A.  Baudoin.  —  John,  M.  L.  Sance.  —  Pontivon,  M.  L.  Frë- 
mont.  —  Louis,  M.  Laforêt.  —  Iluguette,  Mlle  Dièlerle.  —  Margot, 
M''»  Duluc.  —  Nadia,  MHe  Louise  Bignon.  —  Sophie  Lemercier, 
Mii«  Alice  AôL  —  Ariette,  MH«  Marguerite  Templey.  —  M>»«  de  Ponti- 
vott,  M>l«  Norris.  —  Théréze,  MHe  Marguerite  Didier.  —  Maud, 
Mlle  Prince. 

On  commençait  par  La  Consultation,  comédie  en  un  acte,  de  M.  Léon 
Dleppois. 

Mlle  Duluc  était,  dans  le  courant  du  mois  de  juin,  remplacée  par  une 
jeune  comédienne  MUo  Reynal,  qui  jouait  avec  beaucoup  d'intelligence 
le  rôle  de  Margot  de  Cœur  de  moineau. 

Mlle  Diéterle  sera  vers  la  lin  d'octobre,  suppléée,  dans  le  rôle  d'Huguette, 
parM'ie  Clairville,  déjà  souvent  applaudie  aux  Fulies  Dramatiques. 


392  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

les  moinelles  qui  passent,  prompt  à  les  poursuivre 
comme  à  les  quitter...  Ce  n'est,  d'ailleurs  pas  un 
méchant  moineau,  mais  un  moineau  inconscient  qui 
a  la  plume  sensible...  »  Claude  est  l'amant  d'une 
gentille  actrice  des  Variétés  qui  l'adore,  malgré 
son  inconstance,  et  sait  qu'il  lui  revient  toujours. 
Et  pourtant  voilà  que,  pendant  une  soirée  mon- 
daine à  laquelle  Margot  prête  son  concours,  il  a 
revu  une  jeune  fille  de  province,  Huguette,  avec 
qui,  l'été  précédent,  à  Cabourg,  il  a  quelque  peu 
flirté.  Huguette  n'a  dès  lors  jamais  cessé  de  penser 
à  lui,  et  c'est  elle  qui  ramène  à  Paris  ses  parents, 
M.  et  M»"^  de  Ponti^on.  Claiide  est  très  flatté  de  se 
savoir  aimé,  mais  il  tient  à  déclarer  lui-même  aux 
parents  qu'il  n'est  pas  libre,  qu'il  n'a  aucunement 
l'intention  de  se  marier,  n'empêche  que  de  plus  en 
plus  touché  par  les  paroles  de  M.  et  de  M"*®  de 
Pontivon  qui  lui  découvrent  les  sentiments  de  leur 
fille,  il  leur  demande  —  inconsciemment  — la  main 
de  M"*'  Huguette  !  Pauvre  Margot  !  Elle  ne  songe 
même  pas  à  lutter;  elle  tient  à  laisser  à  Claude  un 
gentil  souvenir  de  leur  liaison,  et  bravement,  elle 
se  sacrifie.  —  «  Sois-lui  au  moins  fidèle!  »  se 
contente-t-elle  de  lui  dire,  et  lui  de  répondre  en 
sanglotant  :  «  Jamais  je  ne  pourrai  !  »  Le  mol 
n'est-il  pas  joli?  Nous  retrouvons  le  jeune  ménage 
en  pleine  lune  de  miel  sur  la  Côte  d'Azur.  Est-ce  à 
dire  pourtant  que  ne  s'éveille  point  parfois  le  moi- 
neau que  Claude  a  dans  le  cœur  ?  Ah  !  que  si  !.. . 
Mais  s'il  s'est  laissé  aller  à  dire  de  trop  douces 
paroles  à  M'"®  Lemercier,  la  femme  de  son  ami  ; 
s'il  a  permis  à  la  soubrette  Ariette  de  glisser  dans 


THEATRE    DE    l\tHENÉE  SqS 

sa  poche  la  clef  de  sa  chambre  ;  s'il  a  serré  la  main 
de  Nadia,  Tincandescente  femme  du  bretteur  Mar- 
tignac,  cela  ne  tire  pas  à  conséquence  :  il  n'aime 
que  son  Huguette,  et  la  preuve  en  est  qu'il  la 
presse  tendrement  contre  son  cœur,  tandis  que 
sous  le  ciel  étoile,  un  chanteur  napolitain  dégoise 
d'entraînantes  sérénades...  Ah!  la  belle  nuit 
d'amour  !  Ah  !  le  charmant  baisser  de  rideau  du 
second  acte  qui  décida  du  très  vif  succès  de  la  spi- 
rituelle comédie  de  M.  Artus  !  Claude  aime  sa 
femme,  je  vous  dis...  Pourquoi  faut-il  que  très 
tenace,  Nadia  vienne  le  relancer  jusque  chez  lui, 
pendant  une  absence  d'Huguette  ?  Pourquoi  faut-il 
aussi  qu'il  ait  revu  Margot?  Celle-là  est  dans  sa 
chambre,  qui  l'attend;  celle-ci  est  dans  ses  bras, 
quand  survient  Huguette.  Celte  fois,  c'en  est  trop: 
un  bon  divorcé  sera  la  juste  punition  du  mari 
volage.  Un  divorce?  Allons  donc!  Est-ce  que 
Claude  ne  saura  pas  prouver  à  Huguette,  non  par 
des  paroles,  mais  par  un  silence  infiniment  plus 
éloquent,  qu'il  n'a  jamais  cessé  de  l'aimer  ?  Huguette 
pardonne.  Et  les  voilà  remis  ensemble,  pour  le 
moment  du  moins^  car  qui  pourrait  prévoir  l'avenir 
avec  un  pareil  «  cœur  de  moineau  »?  M.  Louis 
Artus  nous  a  donné  là  une  savoureuse  élude  de 
caractère,  traitée  avec  une  infinie  délicatesse,  et  je 
ne  saurais  trop  insister  sur  la  formé  originale  et 
personnelle  de  son  dialogue.  Sa  très  jolie  comédie 
n'a  rien  perdu  pour  avoir  quelque  peu  attendu. 
Elle  a  trouvé  dans  M.  Brûlé  —  ce  Claude  à  l'âme 
de  moineau  qui  s'éprend  de  toutes  les  femmes  et 
dont  toutes  les  femmes  s'éprennent  —  un  interprète 


394  LES  ANNALES  DO  THEATRE 

du  plus  rare  talent.  Pourquoi  la  Comédie-Fran- 
çaise ne  s'attache-t-elle  pas  immédiatement  ce  ravis- 
sant jeune  premier  :  un  délicieux  Valentin  A' Il  ne 
faut  jurer  de  rien?  M.  Brûlé  était,  d'ailleurs,  on 
ne  peut  mieux  secondé  par  M^'®  Duluc,  très  tou- 
chanteMargot  ;  par  M"«  Diéterle,  très  adroite  et  très 
gentille  Huguette;  par  M"®  Bignon,  séduisante 
Nadia;  par  M.  Bullier,  de  naturel  parfait  dans 
remploi  de  raisonneur. 

12  MAI.  —  Matinée  organisée  en  Thonneur  de 
Gustave  Flaubert  pour  le  rachat  du  pavillon  de 
€roisset*. 

17  ET  23  MAI.  —  Deux  concerts  dirigés  par 
M.  Reynaldo  Hahn.  Œuvres  de  Lulli2  et  de  Ra- 
meau 3. 

3o  JUILLET.  —  Centième  représentation  de  Cœur 
de  moineau, 

20  SEPTEMBRE.  —  M.  Abcl  Dcval  fêtait  fort  heu- 
reusement la  rentrée  des  créateurs  •  de  Cœur  de 
moineau^  la  très  jolie  pièce  de  M.   Louis  Artus, 


1.  —  Une  causerie  de  M.  Hugues  Le  Roux  précédait  des  lectures 
faites  par  MM.  Mounet-SuUy,  Silvain,  Coquelin  aîné,  Grand,  et  par 
M'""  I^ouise  Silvain,  Rose  Syma,  Lucienne  Dorsy.  Un  air  de  Salarambô 
était  chanté  par  M«»>«  Jeanne  Raunay,  et  une  poésie  inédite  de  M.  Fau- 
chois  était  dite  par  M"»  Jeanne  Delvair. 

2.  —  Thésée  (prologue  des  vieillards  et  des  nymphes);  Athys  (scène 
du  sommeil,  air,  scène  de  la  métamorphose);  Isis  (scène  des  enfers,  trio 
des  frileux)  ;  Cadmus  (scène  guerrière,  scène  champêtre)  ;  Proserpine 
(chœur  de  l'écho);  Armtde,  air  de  Renaud).  Mme»  Raunay,  Mathieu 
d'Ancy,  Brohly;  MM.  Périer,  Daraux,  Plaraondon,  Fragson  et  Bernard. 

3.  —  Castor  et  Pollux,  fragments  du  prologue  et  du  deuxième  acte. 
Les  Indes  galantes^  trois  pièces  pour  clavecin  ;  Hippolyte  et  Aricie, 
grande  scène  de  Thésée,  fragments  des  fêtes  d'Hébé  (airs,  chœurs,  airs 
de  ballet).  MH"  Lindsay,  de  l'Opéra,  et  Jeanne  Leclerc;  M.VI.  Louis 
Diémer,  Delmas,  de  l'Opéra;  Daraux,  Plamondon. 


THÉÂTRE    DE    l'aTHÉNÉE  Sgb 

dont  la  vogue  avait  bravement  traversé  tout  Tété. 
Et  c'était  pour  la  critique  une  joie  de  réapplaudir 
au  succès  de  M''^  Diéterle  —  Huguette  si  fine 
qu'elle  le  paraissait  presque  trop  ;  —  de  M"^  Du- 
luc,  charmante  et  touchante  délaissée;  du  jeune 
Brûlé,  l'exquis  amoureux  que  la  Comédie-Française 
se  décidera  peut-être  à  appeler  à  elle,  quand,  ayant 
déjà  mûri,  il  ne  sera  plus  l'idéal  Fantasio  que 
nous  donnerait  aujourd'hui  une  piquante  reprise 
du  Chandelier  de  Musset. 

3o  NOVEMBRE.  —  Première  représentation  dç 
Triplepatte,  comédie  en  cinq  actes  de  MM.  Tris- 
tan Bernard  et  André  Godfernaux*.  —  Nous  at- 
tendions avec  curiosité  la  première  «  comédie  »  de 
M.  Tristan  Bernard,  que  ses  qualités  d'observa- 
tion, de  finesse  et  d'humour  avaient  depuis  long- 
temps placé  au  premier  rang  des  auteurs  gais. 
Jusqu'alors  il  n'avait  commis  que  des  vaudevilles, 
tels  que  l'Affaire  Mathieu  et  la  Famille  du  bros- 
seur^  plus  un  petit  chef-d'œuvre  de  joie,  Y  Anglais 
tel  quon  le  parle.  Mais  cet  extraordinaire  fantai- 
siste, ce  génial  pincc-sans-rire,  se  devait  —  nous 
devait  —  d'écrire  une  œuvre  théâtrale  dans  la 
formule  de  son  Mari  pacifique   où   de    ses    Mé- 


1.  Distribution.  —Vicomte  de  Houdan,  M.  Lévesque.  —  M.  Herbelier^ 
M.  BnUier.  —  Boucherot,  M.  Leubas.  —  Le  docteur,  M.  Baudoin.  — 
Comte  d'Avron,  M.  Lefaur.  —  Baude-Boby,  M.  de  Ségus.  —  Le  maire, 
M.  Ramy  —  Carolus,  M.  Bressol. —  Baronne  Pépin,  MH«Am<7.  Leriche. — 
Yvonue,  Al"»  Diéterle.  —  M»»»  Herbelier,  M»»  Caumont.  —  Comtesse  de 
Trèvecœur,  M'ie  Aél.  —  Dolly,  Ml'»  Templey.  —  Giberte,  M"»  Prince.  — 
M"»o  Gaudin,  M»'»  Norris. 

A  la  fin  du  mois  de  décembre,  Triplepatte  était  précédé  du  Captif, 
un  délicieux  petit  acte  de  M.  Tristan  Bernard,  primitivement  joué  aux 
Mathurlns,  et  remplaçant  sur  l'atiiche  de  l'Athénée  le  Négociant  de  Be- 
sançon, du  même  auteur. 


396  LES    ANNALES    DU   THEATRE 

moires  (T un  jeune  homme  rangé.  La  tentative  a  été 
faite  :  elle  a  brillamment  réussi.  J'en  constate  ici 
le  succès,  malgré  quelques  longueurs  qui  ont,  par- 
ticulièrement au  quatrième  acte,  arrêté  le  public 
dans  son  élan  joyeux.  Mais  ces  défauts  pourront 
être  rapidement  corrigés,  et  cette  comédie  «  sé- 
rieusement bouffonne  »,  rendue  plus  alerte,  sera 
longtemps  applaudie  de  tous  ceux  qui  apprécient 
le  talent,  et  surtout  le  talent  personnel.  Si  nous 
considérons  cette  pièce  au  point  de  vue  <(  métier  », 
elle  nous  apparaîtra,  sinon  toute  nue,  du  moins 
habillée  d'étoffes  rares  et  légères.  II  y  a  un  sujet 
tout  petit,  tout  petit,  et  il  semble  que  dans  le  cou- 
rant de  ces  cinq  actes,  l'auteur  se  soit  refusé  de 
parti  pris  à  y  introduire  la  plus  minuscule  com- 
plication. Cela  ne  vit  que  par  le  détail,  l'épisode, 
l'imprévu,  —  et  parmi  cette  orgie  d'imaginations 
d'à-côté,  il  est  des  fantaisies  vraiment  folles,  irré- 
sistibles :  entre  autres  une  inénarrable  partie  de 
poker  au  cours  d'une  soirée,  pendant  que  du  sa- 
lon voisin  on  entend  les...  rugissements  d'une 
chanteuse  mondaine.  Il  y  a  bien  là  une  très  jolie 
satire  de  la  vie  parisienne,  égratignure  sans  mé- 
chanceté, à  fleur  de  peau  qui  donne  la  marque 
juste  de  Tristan  Bernard  :  il  consent  à  faire  rire, — 
il  serait  désolé  de  faire  de  la  peine  à  quelqu'un. 
Ah  !  mon  Dieu,  l'histoire  est  des  plus  simples  :  le 
vicomte  de  Houdan  est  un  oisif  de  bonne  famille 
qui  a  mangé  sa  fortune  avec  les  femmes,  au  jeu 
aussi,  en  faisant  courir  :  il  a  même  eu  un  cheval 
qui  Ta  rendu  célèbre,  un  canasson  qui  arrivait  ré- 
gulièrement bon  dernier,  à  la  cravache  I  Ce  che- 


THEATRE    DE    l'aTHÉNÉE  897 

val  s'appelait  Triplepatte  :  ce  nom  devint  un  sur- 
nom et  passa  de  la  bête  au  propriétaire.  Triple- 
patte  est  un  indécis,  un  faible.  Prendre  une  déci- 
sion lui  est  plus  que  pénible  :  de  sorte  que,  comme 
il  suit  l'avis  de  tous,  obéit  aii  dernier  qui  parle,  il 
appartient  à  tout  le  monde.  C'est  une  forme  d'irré- 
solu. Or,  la  baronne  Pépin  veut  le  marier,  enragée 
marieuse  ;  Tusurier  Boucherot  veut  le  marier, 
créancier  désireux  de  rentrer  dans  ses  fonds  ; 
]y{me  Herbelier,  aimable  parvenue,  veut  le  marier^ 
mère  prévoyante  et  désireuse  d'avoir  un  gendre 
qui  descend  des  croisés.  Malheureusement  Triple- 
patte  a  une  maîtresse,  la  jolie  DoUy,  dont  il  ne 
peut  se  résigner  à  se  détacher  ;  de  plus,  il  s'est 
engagé  envers  l'américaine  famille  des  Trèvecœur 
à  épouser  leur  fille...  qui  n'a  que  six  ans.  11  a  en- 
core douze  ans  à  attendre  !  Et  voilà  notre  vicomte 
tiraillé  entre  ses  désirs  et  ses  craintes,  d'une  part 
retenu  par  ses  attaches  ou  ses  serments,  de  l'autre 
encouragé  par  l'enragée  marieuse  ou  l'usurier  qui, 
pour  être  remboursé  un  jour,  vise  la  dot  des  Her- 
belier. Se  mariera-t-il  ?  Ne  se  mariera-t-il  pas  ? 
C'est  le  «  baiserai-je,  papa  ?  »  de  Molière.  Cette 
irrésolution  se  dessine  à  l'acte  de  la  présentation 
au  bal,  se  précise  dans  la  garçonnière  du  vicomte, 
où  il  est  relancé  par  sa  fiancée  de  six  ans  dont 
la  mère,  pour  empêcher  un  mariage  scandaleux, 
fait  enlever  les  habits  du  marié  par  son.  valet  de 
chambre,  —  atteint  son  paroxysme  à  l'acte  de  la 
mairie  où,  après  avoir  fait  «  poireauter  »  le  maire, 
ses  témoins,  ses  invités,  Triplepatte,  que  ramè- 
nent l'usurier  et  la  baronne,  arrive  en  pyjama  et 


SgS  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

en  pantoufles,  mais...  ne  se  décide  pas  à  pro- 
noncer le  «  oui  »  sacramentel.  Grand  scandale  qui 
se  termine  à  l'acte  suivant,  plus  banal,  où,  en  une 
scène  prévue,  le  fiancé  récalcitrant  s'aperçoit  que 
la  jeune  Yvonne  Herbelier  fera  une  femme  exquise. 
Le  personnage  très  important  de  Triplepatte  a  élé 
confié,  un  peu  inconsidérément,  à  M.  Lévesque, 
qui  fut  un  excellent  «  curateur  au  ventre  »  dans 
V Enfant  du  miracle^  mais  qui  n'a  point  paru  avoir 
ni  le  physique,  ni  les  moyens  de  supporter  un 
rôle  aussi  écrasant.  11  y  a  néanmoins  fait  preuve 
de  quelques  qualités  qui  eussent  été  mieux  en  va- 
leur dans  des  compositions  plus  pittoresques  v{ 
de  second  plan.  Que  Noblet  eût  été  charmant  en 
Triplepatte  !  M.  Bullier  a  dessiné  une  bien  amu- 
sante silhouette  de  maître  de  maison  qui,  mourant 
de  sommeil,  essaie  de  persuader  à  ses  invités 
d'aller  se  coucher.  Et  j'aime  beaucoup  le  dialogue 
incisif  de  M.  Lefaur,  au  jeu  spirituel.  MM.  Bau- 
doin, en  médecin  mondain,  Leubas,  en  usurier 
inquiet,  sont  de  belle  tenue.  Nous  avons  admiré 
de  nouveau  l'aisance  et  la  perfection  de  physiono- 
mie, de  gestes,  de  la  très  intelligente  Augustine  . 
Leriche,  qui  se  prodigue  en  impayables  efl^are- 
ments  ;  M"®  Diélerle  est  très  jeune  fille,  mignonne 
et  timide  à  souhait  :  c'est  vraiment  une  ravissante 
comédienne.  Et  M"'®  Caumont,  plaisante,  bien 
qu'un  peu  grimacière,  a  contribué  au  plaisir  de  la 
soirée.  Le  reste  de  la  troupe,  composée  pour  la 
plupart  d'inconnus,  constitue  un  ensemble  des 
meilleurs  obtenu  par  des  efforts  bien  compris 
et   un    travail    assidu...    Le    succès    de    Triple- 


THEATRE    DE    l'aTHÉNÉE  899 

patte  passera  par-dessus  Tannc^e,  résumée  dans 
le  tableau  suivant^  pour  faire  les  beaux  jours  de 
ran  1906. . . 


Chiffon^  comédie 

Vn  Négociant  de  Besançon,  comédie. . . . 
*La  Petite  Milliardaire ^  comédie  fantais. 

""Nelhe  Moray,  comédie  dramatique 

*La  Consultation,  comédie 

*Cœur  de  Moineau,  comédie 

*  Séduction,  comédie 

*Triplepatte,  comédie 

*Le  Captif,  comédie 


NOMBRE 
d'actes 


DATE 

delà 

lr«  représ. 

ou  de  la 

repcis» 


24  févr. 
27  avril 
27  avril 
5  mal 
5  juillet 
30  nov. 
26  déc. 


NOMBRE 

de 

représent. 

pendant 

Tannée 


62 
147 

73 
5 

79 
232 
172 

38 


THÉÂTRE  DES  FOLIES-DRAMATIQUES^ 


L'année  avait  commencé  avec  le  gros  succès  de 
Madame  VOrdonnance  de  M.  Jules  Chance!,  dont, 
le  i3  mars,  on  fêtait  la  centième  représentation. 
Le  17  mai,  on  donnait  les  Millions  de  Zizi  ^,  folie- 
opérette  en  trois  actes  et  quatre  tableaux,  sans 
nom  d'auteur,  —  qui  était  encore  plus  une  folie 
qu'une  opérette.  Les  Millions  de  Zizi  apparte- 
naient à  la  vieille  famille  de  ces  pièces  où  des  gens, 
partis  à  la  recherche  d'un  trésor,  vous  entraînent 
à  travers  les  régions  les  plus  bizarres  et  dans  les 
aventures  les  plus  extravagantes.  Il  y  avait  de  tout 
là  dedans,  et  il  vous  suffira  de  savoir  que  l'un  des 
|)rincipaux  tableaux  de  cette  folie  était  joué  par 
des  singes  ou  des  clow^ns.  C'était  la  pièce  d'été 
dans  toute  sa  beauté  ou  dans  toute  son  horreur. 
L'interprétation  était  très  homogène,  en  ce  sens 
qu'il  ne  s'y  trouvait  pas  d'étoile.  Citons  M.  Mario 
Deblair,  qui  était'  drôle,  et  W^^  E.  Gauthier,  qui 
était  gentille. 


1.  —  Directeur  :   M.  Richemond;  administrateur-secrétaire  général 
M.  Roger  Debrenne. 

2.  Distribution.  —  Mn>«  Polochon,  M.  Mario  Deblair.  —  Paincuit, 
M.  Prévost,  —  Docteur  Blog,  M.  De  Ségus.  —  Crockitt,  M.  Roulant.  — 
Bertin,  M.  Albouy.  — Cassebuche,  M.  Rousseau.  —  Lardier,  M.  Six.  — 
Un  visiteur,  M.  Raoul.  —Zizi,  MU»  B.  Gauthier.  —  Miss  Mary,  W^» Del- 
may.  —  Pip  singe,  Tom,  Sam,  John,  Garçons  livreurs,  Policemen, 
Gardes,  Singes,  Maçons,  Les  Omers. 

ANNALKS  DU  THÉÂTRE  2G 


402  LES    ANNALES    DU    THEATRE 

Dès  le  3i  mai,  Madame  VOrdonnance  avait 
déjà  reparu  sur  Taffiche,  en  attendant  la  reprise, 
à  la  date  du  lo  juin>.d'f//ig  nuit  de  noces  y  inter- 
prétée par  les  artistes  qui,  Tannée  précédente, 
avaient  créé  les  principaux  rôles  de  la  joyeuse 
folie  de  MM.  Henri  Kéroul  et  Albert  Barré*. 
C'est  avec  Une  nuit  de  noces  que  le  théâtre  fer- 
mait au  commencement  de  juillet  ;  c'est  encore 
avec  Une  nuit  de  noces  qu'il  rouvrait  le  i®'  sep- 
tembre. 

2  2  SEPTEMBRE.  —  Reprise  du  Billet  de  loge- 
ment,  vaudeville  en  trois  actes  de  MM.  Antony 
Mars  et  Henri  Kéroul  2,  dont  le  6  novembre,  on 
donnera  la  6oo«*  et  dernière  représentation. 

9  NOVEMBRE.  —  Première  représentation  de 
Volcan  d'amour,  vaudeville  en  trois  actes ^.  —  Le 


1.  —  MM.  Milo,  Bouchard,  Modot,  M'^** Marcelle  Yrven,  Caumoni. 

2.  Distribution.  —  Labourdette,  M.  Matrat.  —  Moulard,  M.  Milo.  — 
Ghampeau,  M.  Bouchard.  —  Commandant  de  Mongiron,  M.  Derval.  — 
Dingois,  M.  Modot.  —  Lieutenant  Fré ville,  M.  Albouy.  —  Maloisel. 
M.  Prévost.  —  Lardinois,  M.  Bernard.  —  Fillerin,  M.  O.  Hous&eau.  — 
M»«  Hèloïse,  M»e  Aug.  Leriche.  —  Paulette,  M»«  Mylo  d'Arcyle.  — 
Mme  Dingois,  M»»  Marcelle  Vrven.  —  Pauline,  M"«  Clairville.  — 
Veuve  Martin,  M»»  Delagrange.  —  M»»»  Savoureau,  M"»  Divonne.  —  Ro- 
salie, Mlle  Delmay.  —  M«»e  Godet,  M»»  Lefrançois. 

3.  Distribution.  -  Mathurin,  M.  Matrat.  —  Mulot,  M.  Milo. —  Pierre, 
M.  Rouvière.  —  Coutelas,  M.  Prévost,  —  Poche,  M*  Bouchard.  —  Lepao- 
tois,  M.  Modot.  —  Frumence,  M.  Gravier.  —  Hector,  M.  Albouy. —  Cer- 
voise,  M.  Borval.  —  Eloi  Copin,  M.  Alary.  —  Barnum,  M.  Léonce.  — 
Samboul,  M.  Rousseau.  —  La  Sophie,  M"«  Ouitty.  —  Simone,  MHe  Mar- 
celle Yrven.  —  Joliette,  M^e  Clairville.  —  Aouda,  M»»  Demay.  —  Blan- 
che, M"»  i^aynaZ.  — Catherine,  M"»  Delagrange.—  Cé\es\e^  W^^  Divonne. 
—  Clarisse,  M'i»  Lefrançois.  —  M"»»  Triquet,  M'ie  Delorme. 

M.  Richemond  avait,  quelques  jours  avant  la  représentation,  adressé 
à  la  presse  ce  communiqué  un  peu  inattendu  :  «  La  pièce  qui  succédera 
au  Billet  de  logement  est  un  vaudeville  en  trois  actes,  intitulé  Volcan 
d'amour,  dont  l'auteur  est. . .  Le  Matin.  »  Que  signitiait  cette  plaisan- 
terie?... Voici  :  le  directeur  des  Folies-Dramatiques  n'ayant  pu  renou- 


THEATRE    DES    FOLIES-DRAMATIQUES  4o3 

bruit  exagéré  qui  avait  été  mené  autour  de  la  pièce 
nous  faisait  présager  une  soirée  féconde  en  agréa- 
bles surprises.  Il  y  eut  bien  surprise,  mais  elle  ne 
fut  pas  agréable.  . .  Madeleine  Guitty  se  promène 
à  travers  ces  trois  actes  en  disant  :  «  Je  suis  une 
erreur  judiciaire  »•  Mettons  que  ceci  est  une  erreur 
tliéâtrale,  et  n'en  parlons  plus.  Ou  plutôt,  si,  par- 
lons-en, puisque  notre  devoir  est  de  le  faire.  Mais 

vêler  son  traité  avec  la  Société  des  auteurs,  rétive  au  trust  des  théâtres, 
«vait  été  mis  en  interdit  par  celle-ci,  —  les  membres  de  la  Société  des 
auteurs  ne  pouvant  désormais  faire  représenter  leurs  œuvres  sur  cette 
scène.  Le  Âfatin  rouvrait  la  question  en  se  substituant  aux  auteurs  mis 
«n  interdit.  L'auteur  du  Volcan  n'était  pas  le  Matin;  mais  le  Matin, 
en  se  substituant  à  M.  Michel  Carré,  l'auteur  véritable,  d'accord  avec  lui, 
avait  l'intention  d'ouvrir  un  nouveau  procès  concernant  cette  question 
des  trusts.  Il  publiait  d'abord  une  lettre  de  M.  Richemond  racontant 
l'impossibilité  dans  laquelle  il  se  trouvait  déjouer  la  pièce  de  M.  Michel 
Carré,  membre  de  la  Société  des  auteurs  ;  puis  il  ajoutait  :  u  Puisque 
M.  Michel  Carré  est  rayé  du  nombre  dés  auteurs  pouvant  se  faire  jouer 
«t  que  sa  pièce  n'existe  plus  par  ordre  du  trust  des  auteurs,  nous  pre- 
nons son  titre,  nous  autorisons  M.  Richemond  et  le  théâtre  des  Folies- 
Dramatiques  à  représenter  la  pièce  du  Matin  intitulée  Volcan  d'amour. 
Cette  pièce  sera  l'œuvre  de  la  section  théâtrale  que  crée  aujourd'hui  le 
Matin  et  qui  continuera  dans  l'avenir  à  donner  des  pièces  auî^  théâtres 
en  lutte  avec  le  trust.  La  section  théâtrale  du  Matin,  sera,  comme  toute 
sa  collaboration,  anonyme.  Inutile  de  dire  que  le  Matin  ne  percevra 
aucun  droit  d'auteur  pour  lui  ;  ce  sera  simplement  un  nouveau  service 
qu'il  cherche  modestement  à  rendre  â  la  cause  de  la  liberté  du  théâtre.  » 
Volcan  d'amour  fut,  d'ailleurs,  la  première  et  dernière  pièce  signée  par 
le  ^If^an'n,  dont  l'initiative  n'eut  aucune  espèce  de  suite...  Ajoutons, 
qu'à  propos  de  la  représentation  de  Volcan  d' Amour ^  au  théâtre  des 
Folies-dramatiques,  et  des  regrets  exprimés  par  M.  Michel  Carré,  l'au- 
teur de  cette  pièce,  la  commission  de  la  Société  des  auteurs  et  composi- 
teurs dramatiques,  écartant  la  pénalité  de  l'exclusion,  décida  de  sou- 
mettre son  cas  à  un  arbitrage.  M.  Michel  Carré  désigna  M.  Paul  Bilhaud 
pour  son  arbitre,  et  la  commission  M.  Paul  Oavault.  Tous  désignèrent 
ensuite  M.  Marcel  Prévost  pour  tiers  arbitre.  Tous  trois  tombèrent 
d'accord  pour  que  l'auteur  délinquant  versât  à  la  caisse  de  la  Société  le 
total  de  ses  droits  d'auteur  de  Volcan  d'Amour  calculés  sur  le  pied  de 
douze  pour  cent,  qui  avaient  été  déposés,  par  les  soins  de  M.  Riche- 
mond, A  la  Caisse  des  dépôts  et  consignations,  en  attendant  la  solution 
du  conflit,  et  en  outre  qu'il  payât,  â  titre  d'amende,  la  somme  de 
0.000  francs,  maximum  de  la  pénalité  prévue  par  l'article  il  des  statuts. 
Ainsi  se  réglait  cette  affaire  qui  avait  fait  grand  tapage. 


4o4  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

étonnons-nous  d'une  inexpérience  qui  ne  peut  s'ex- 
pliquer que  par  une  collaboration  anonyme  et  irres- 
ponsable. .11  nous  semblait  que  les  scènes  avaient 
été  mélangées  dans  un  chapeau  et  tirées  au  hasard 
par  la  main  de  l'innocence.  L'action  se  déroule 
aux  environs  de  Caen,  exclusivement  entre  paysans 
normands,  dont  nous  dûmes  subir  le  patois  de 
neuf  heures  à  minuit.  Histoire  lamentable  que  celle 
de  ce  paysan,  volcan  d'amour,  qui  cherche  en  vain 
à  érupter,  et  qui,  pour  faciliter  ses  fredaines  ne 
trouve  rien  de  mieux  que  de  prier  son  ami  intime 
de  le  faire  cocu.  Et  puis  ?  Mon  Dieu,  c'est  à  peu  près 
tout...  Ajoutez  un  amoureux  naïf  qu'on  surnomme 
M.  Puceau,  un  épicier  amant  d'une  femme  à  barbe, 
une  aimée,  une  danse  du  ventre,  un  âne,  un  co- 
chon vivant  qui  crie,  et  vous  avez  une  idée  de  la 
sauce  qui  n'a  pas  pu  nous  faire  avaler  le  poisson. 
Décidément,  comme  dit  M.  René  Bures,  du  Matiriy 
le  métier  d'auteur  dramatique  est  «  un  abominable 
métier  »,  surtout  quand  la  somme  de  tant  d'efforts 
aboutit  à  un  si  piètre  résultat.  La  vaillante  troupe 
des  Folies  a  donné  avec  autant  d'ardeur  que  si 
elle  combattait  pour  une  bonne  cause.  Sans  la 
conscience  admirable  de  MM.  Matrat,  Milo,  tou- 
jours pittoresque,  Bouchard,  Bouvière,  Prévost, 
Gravier,  Modot,  et  de  M™®^  Madeleine  Guitty,  épi- 
que femme  à  barbe;  Yrven,  admirable  Rubans, 
Clairville  et  Delmay,  l'éruption  de  ce  Volcan 
d'amour^  qui  confinait  au  grandiose  d'un  mont 
Pelé,  n'aurait  peut-être  pas  été  jusqu'au  bout. 

21  DÉCEMBRE.  —  Première  représentation  à' Une 
Veine  de, , ,  vaudeville  en  trois  actes  de  MM.   IL 


THEATRE    DES    FOUES-DRAMATIQUES  4o5 

Kéroul  et  A.  Barré*.  Après  Taventure  tristement 
célèbre  de  Volcan  d'amour ^  le  trust  prenait  sa  re- 
vanche. La  nouvelle  folie  des  auteurs  de  la  Nuit 
de  noces  et  du  Chopin  réussissait  au  delà  même 
de  ce  qu'en  avaient  espéré  les  amis  de  MM.  De  val 
et  Richemond.  Il  ne  nous  appartient  pas  de  discu- 
ter à  quel  point,  après  ce  franc  succès,  l'expulsion 
de  MM.  Kéroul  et  Barré  hors  de  la  Société  des  au- 
teurs dramatiques  demeurait  opportune.  Notre  de- 
voirs^ se  borne  à  constater  que  le  public  éprouvait 
le  plus  grand  plaisir  au  spectacle  de  cette  bouffon- 
nerie,. L'aventure  avait  pourtant  des  Coins  de  co- 
médie légère  qui  en  rehaussaient  la  saveur.  Le 
point  de  départ  avant  tout  était  charmant.  Bacho- 
îet,  architecte^  et  son  ami,  Fernand,  chef  de  bu- 
reau au  ministère,  sont  mariés  à  deux  femmes 
exquises,  Alice  et  Raymonde.  Ces  deux  épouses 
modèles  adorent  leurs  maris,  lesquels  luttent  vai- 
nement contre  une  guigne  noire.  Rien  ne  leur 
réussit!  Durant  une  villégiature  à  Cabourg,  ils  ap- 
prennent l'un  que  la  place  de  conseiller  d'Etat 
qu'il  guettait  va  lui  échapper  au  profit  d'une  sim- 
ple nullité,  l'autre  qu'il  manque  sur  une  vente  de 
terrain  un  bénéfice  de  quarante  mille  francs.  En 
vérité,  c'est  le  comble  de  la  déveine.  Sur  ce,  Alice 

1.  Distribution.  —  Cavaillon,  M.  Matrat.  —  Bacholet,  M.  Milo.  — 
Gaston,  M.  Deschamps.  —  Fernand,  M.  Roupière.  —  Nadir,  M.  Prévost. 

—  Van  Brick,  M.  Moçlot.  —  Léon,  M.  Gravier.  —  Laverdière,  M.  Derval. 

—  Paul,  M.  Alhouy.  —  Badinet,  M.  Rousseau.  —  Antonin,  M.  Fretel.  — 
Françcfis,  M.  Judicis.  —  Le  muet,  M.  Michaux.  —  Le  vicomte,  le  petit 
Philippe.  —  Raymonde,  M"»  Louise  Bignon.  —  Lelia,  M*'»  Yrven.  — 
M"«  Auguste,  M"«  Guitty.  —  Alice,  M'i»  Raynal.  —  Léontine,  MUe  Del- 
may.  —  M»»  Capoulade,  Mlle  Divonne.  —  Gudule,  MU»  Cavaletti.  — 
Mn>«  pommier,  Mii«  Delagrange.  — Julienne.  Mii«  Jackminn. —  La  nour- 
rice, M»    Leroy. 


4o6  LES  ANNALES  DU    THEATRE 

apprend  que  celui  qui  sera  conseiller  d'Etat  à  la 
place  de  son  cher  mari  est  trompé  par  sa  femme 
à  bouche  que  veux- tu.  Le  proverbe  «  avoir  une 
veine  de. . .  cocu  w  n'est  donc  pas  un  vain  dicton. 
Si  elle  essayait  —  par  amour  !  —  de  tromper  Ba- 
cholet,  pendant  qu'Alice  de  son  côté  trompera 
Fernand?  —  Oh!  non!  A  quoi  penses-tu  là?  Je 
suis  une  honnête  femme  !  —  Possible,  mais  aimons- 
nous  nos  maris,  oui  ou  non?  —  Oui.  —  Eh  bien, 
voilà  assez  longtemps  qu'ils  se  donnent  du  mal  en 
travaillant  pour  nous  offrir  le  luxe  et  le  confort.  A 
nous  de  leur  prouver  maintenant  notre  reconnais- 
sance.. —  En  les  trompant  !  —  Puisque  ça  leur 
sera  utile  !  Et  puis  nous  ne  ferons  cela  qu'avec  le 
premier  venu.  —  Quelle  horreur  !  —  Il  faut  que  le 
hasard  préside  à  cette  aventure,  sans  quoi  le  pro- 
verbe n'aurait  pas  raison.  Toi,  tu  tromperas  Fer- 
nawd  avec  le  premier  passant  qui  demandera  du 
feu  à  ton  mari,  —  moi,  avec  le  premier  passant 
qui  laissera  tomber  sa  canne.  »  Or,  celui  qui  de- 
mande à  Fernand  d'allumer  son  cigare  est  un 
athlète  de  cirque,  nommé  Cavaillon,  qui  soulève, 
d'une  seule  main,  comme  on  ferait  d'une  plume  de 
paon,  des  poids  de  cent  cinquante  kilos.  Celui  qui 
laisse  tomber  sa  canne  s'appelle  Nadir  :•  c'est  un 
Turc,  secrétaire  particulier  de  Mouffetar-pacha.  Et 
voilà  nos  deux  imprudentes  fort  empêchées  ;  bien 
qu'elles  espérassent  mieux  de  leur  première  rencon- 
tre, par  amour  pour  leur  mari  elles  iront  jusqu'au 
bout.  Le  second  acte  nous  transporte  à  Caen,  où 
sous  divers  prétextes,  tous  les  personnages  se  ren- 
dent incognito,  dans  une  chambre,  ou  plutôt  dans. 


THEATRE    DES    FOLIES-DRAMATIQUES  l^O'] 

deux  chambres  d'hôtel  séparées  par  un  vestibule 
que  dessert  au  fond  un  escalier  montant  et  descen- 
dant. C'est  exactement  la  même  plantation  que  le 
décor  du  deuxième  acte  de  V Hôtel  du  Libre^ 
Echange,  Seulement,  au  lieu  de  deux  lits,  cette  fois 
nous  en  avions  trois.  En  vertu  de  ce  principe  qu'un 
vaudeville  avec  un  lit  va  deux  cents  fois,  Fauteur 
né  malin  qui  en  met  deux  ira  quatre  cents  re- 
présentations. Avec  ses  trois  lits.  Une  veine  de, . , 
ne  quittera  donc  pas  vraisemblablement  Taffiche 
avant  dix-huit  mois.  N'attendez  pas  par  exemple 
que  je  vous  conte  par  le  menu  ce  qui  se  passe  dans 
ce  second  acte  qui  excita  le  rire  d'une  foule  en  dé- 
lire, car  j'estime  que  ces  spectateurs  joyeux  ne 
raisonnèrent  point  leur  joie.  .Qu'il  suffise  de  savoir 
que  Raymonde,  malgré  sa  bonne  volonté,  ne  peut 
se  résigi»er  aux. baisers  de  l'athlète,  dont  l'exagé- 
ration des  muscles  l'effraie,  et  qu'Alice  s'aperçoit 
que  Nadir  n'est  qu'un  vulgaire  gardien  du  sérail. 
Dans  cet  hôtel  les  maris  font  la  noce  sans  voir  leur 
femme,  les  femmes  s'efforcent  à  la  faire  sans  con- 
naître la  présence  de  leur  mari. . .  Et  elles  la  font 
en  effet,  la  noce  tant  désirée,  pas  avec  le  lutteur 
et  le  Turc,  mais  avec  deux  jeunes  gens  que  le  ha- 
sard mit  sur  leurs  pas  et  sous  leur  main  :  les  sé- 
duisants Laverdière  et  Gaston.  Oh!  pendant  le  jeu 
de  bouffonneries  qui  se  passe  au  centre  de  la  scène, 
les  jolis  et  gracieux  tableaux,  dans  les  chambres  à 
droite  et  à  gauche,  d'épaules  décolletées,  de  bras 
nus,  de  chevelures  dénouées  !  Le' vaudeville  yit  de 
carambolages  :  celui-ci,  un  peu  leste,  nous  en  ofïVe 
de  toutes  catégories.  Et  le  troisième  acte  se  défoule 


4o8  LES  AXXALES  DU  THEATRE 

dans  les  flots  d'une  çaieté  incohérente  qui  n'a  rien 
de  désagréable.  Bien  entendu,  les  deux  jeunes 
amoureux  sont  tous  deux  en  situation  d'obtenir,  Tun 
la  place  de  conseiller  d'Etat,  l'autre  la  vente  des 
fameux  terrains,  et  cela  comble  de  joie  les  maris 
trompés,  concluant  d'un  air  triomphal  :  —  «  Déci- 
dément, pour  avoir  de  la  veine,  on  n'a  pas  besoin 
d'être  cocu!  »  Là  troupe  des  Folies-Dramatiques 
avait  vaillamment  contribué  au  succès  en  un  excel- 
lent ensemble.  Ce  genre  de  folie  doit  être  joué  en 
fous,  dans  un  mouvement  qui  suppriine  la  réflexion. 
Nul  n'avait  le  loisir  de  réfléchir,  et  l'on  applaudissait 
Matrat,  épique  Cavaillon,  Milo  (Bacholet)  habile  à 
varier  la  composition  de  ses  rôles,  Modot,  Rou- 
\ière,  Prévost.  Une  mention  spéciale  pour  les  deux 
jeunes  amoureux,  Derval  (Laverdière)  très  en  pro- 
grès, et  un  quasi-débutant.  Deschamps  (rôle  de 
Gaston)  très  adroit,  gentil  comédien,  élève,  paraît- 
il,  de  M.  Le  Bargy,  élève  «  personnel  »,  ce  qui  est 
rare.  M™®*  Louise  Bignon  et  Raynal  étaient  char- 
mantes en  épouses  coupables.  Nous  avions  admiré 
en  costume  de  bain  les. . .  cuisses  de  RP'®  Yrven, 
et  regretté  que  Texcellente  Guitty  n'ait  qu'à  dessi- 
ner un  personnage  épisodique. 


THEATRE    DES    FOLIES-DRAMATIQUES 


409 


Madame  l'Ordonnance,  vaudeville. 

Monsieur  Musard,  comédie 

*L«s  Millions  de  Zizi,  folie-opérette 
*L'Ame  sœur,  vaudeville 

Une  Nuit  de  noces,  vaudeville 

Expresse- Union,  vaudeville 

Le  Billet  de  logement,  vaudeville  . . 

*  L'Hôtel  Godet,  vaudeville 

*  Volcan  d'amour,  vaudeville 

,  *  Un  Fiacre  -S.  V.  P.,  vaudeville 

*Une  Veine.de...,  vaudeville 

*  Un  Constat,  vaudeville 


DATE 

NOMBRE 

NOMBRE 

delà 

de 

!'•  représ. 

représent. 

d'actes 

ou  de  la 

pendant 

reprise 

l'année 

3 

» 

157 

1 

» 

150 

3  a.  4  t. 

17  mai 

14 

1 

19  mai 

29 

3 

10  juin 

50 

1 

18  juin 

43 

3 

22  sept. 

55 

1 

22  sept. 

55 

3 

9  nov. 

45 

1 

10  nov. 

45 

3 

21  déc. 

4 

1 

26déc. 

4 

THÉÂTRE  DES  BOUFFES-PARISIENS 


De  puissants  appels  avaient  été  adressés  aux 
poètes,  et  de  grandes  réunions  avaient  eu  pour 
but  —  le  cas  était,  hélas  !  urgent  —  de  soutenir,, 
de  sauver  au  moyen  de  bienfaisantes  souscriptions 
le  ((  théâtre  des  poètes  »  :  c'est  des  Bouffes-Pari- 
siens qu'il  s'agissait. . .  A  quoi  avaient  abouti  ces 
nombreux  pourparlers,  ces  solennelles  assemblées 
où  furent  prononcés  tant  de  discours  inutiles  ?  A 
la  représentation  —  je  n'ose  dire  d'un  vaudeville^ 
—  mais  d'une  comédie  en  bonne  et  saine  prose, 
dont  le  succès  eût  dû  tirer  définitivement  d'af- 
faire le  sympathique  Armand  Bour,  peut-être  im- 
prudemment embarqué  sur  la  galère  de  M.  Catulle 
Mendès.  Qu'est-ce  que  les  Mer  1er  eau  de  M.  Geor- 
ges Berr*,  donnés  le  19  janvier?  Une  pièce  gaie. 


1.  Distribution.  —  Ernest  Merlereau,  M.  Huguenel.  —  Pascal  Merle- 
reau,  M.  André  Brûlé.  —  Gourgançon,  M.  Barrai.  —  M.  de  Graissac, 
M.  Collin.  —  Un  clerc  de  notaire,  M.  Ville /ils.  —  Morvillette,  M.  Béné- 
dict.  —  Benjamin,  M.  Hivers.  —  Gréalou.  M.  Six.  —  Blequencourt, 
M.  Pradaly.  —  M.  Brousse,  M.  Edmond.  —  PrairoIIes,  M.  Schaeffer.  — 
M"»»  Merlereau,  M»»  Dux.  —  Jeannine  de  Brécy,  MH»  Demarsy.  —  FJî- 
pote,  Mn«  Léonie  Dallet.  —  Simone,  M^e  Bertile  Leblanc.  —  Louies^ 
MU*  Maud  Harvet.  —  Ninon,  M»»  Darling.  —  Tante  Elisabeth,  M»*  Ar- 
nous-Rii'ière. —  Zoé,  Ml'c  Giosz, 

Les  Merlereau  étaient  précédés  iVAnne  la  Simple,  farce  en  un  acte, 
en  vers,  de  M.  Maurice  Âllou,  ainsi  distribuée  : 

Thibault,  M.  Bénédict.  —  Jehan  Blondel,  M.  Schaeffer.  —  Théophile, 
M.  ynié  fils.  —  Bernard,  M.  Keyssler.  —  Frère  Rose,  M.  Bertrand.  — 
Anne,  MH«  Bertile  Leblanc. 


i 


4l2  LES    ANNALES    DU    THEATRE 

sentimentale  par  endroits,  voire  même  attendris- 
sante, qui  n'est  pas  dénuée  d'analogie  avec  la 
triomphante  Madame  Flirt  (M.  Georges  Berr 
avait  alors  pour  collaborateur  son  ami  Paul  Ga- 
.vault),  qui  faillit  s'éterniser  sur  l'affiche  de  l'Athé- 
née. M.  Merlereau,  le  riche  propriétaire  d'un  châ- 
teau historique  aux  environs  de  Nantes,  vit  heu- 
reux entre  sa  femme  et  son  fils  Pascal,  bientôt  en 
âge  d'être  marié.  Lé  bonheur  de  Merlereau  serait 
tout  à  fait  complet,  si  Pascal,  qui  ne  songe  qu'à 
l'étude,  voulait  bien  consentir  à  être  un  peu  moins 
sérieux.  Pour  le  moment,  la  grande  préoccupation 
de  Pascal  est  d  apprendre  aux  enfants  du  pays 
l'histoire  de  France  et  la  géographie  au  moyen  de 
leçons  chantées,  et  rien  n'est  plus  drôle  que  de  les 
entendre  réciter  leurs  chefs-lieux  de  départements 
sur  un  timbre  du  Caveau  et  de  voir  une  de  cesr  pe- 
tites filles  attaquer  le  règne  de  Louis  XV en  dansant 
le  plus  comiquement  du  monde  une  pavane  du 
temps.  Vraiment  cela  ne  peut  durer  ainsi,  et  Mer- 
lureau  décide  que  Pascal  ira  faire  la  fête  à  Paris, 
où  le  pilotera  dans  les  plus  joyeux  endroits  le  vieil 
ami  Gourgançon,  viveur  endurci.  On  va  jusqu'à 
emmener  la  bonne,  Flipote,  qui,  elle,  ne  demande 
qu'à  marcher.  Pascal  se  laisse  faire  :  sa  douce 
fiancée  Simone  de  Graissac  n'a-t-elle  point  trouvé 
elle-même  qu'il  était  un  peu  grave  ! . . .  Tout  le 
monde  veut  qu'il  fasse  la  noce  :  il  la  fera  dans  les 
grands  prix.  N'apprenons-nous  pas,  en  eflfet,  qu'en 
deux  mois  de  temps  les  factures  envoyées  à  papa 
Merlereau  se  montent  à  la  somme  respectable  de 
37.660  francs  76  centimes...  11  va  bien  le  petit 


THEATRE    DES    BOUFFES-PARISIENS  4l5 

Pascal,  et  Merlereau,  jugeant  que  le  moment  est 
peut-être  venu  de  mettre  le  holà,  accourt  à  Paris, 
où  il  en  apjprend  de  belles  :  son  fils  est  resté  le 
jeune  homme  chaste  et  studieux  qu'il  était  na- 
guère, et  sa  vie  se  passe  entre  les  bibliothèques  et 
les  cours  de  la  Sorbonne.  C'est  Gourgançon,  le 
fêtard,  qui  tirait  à  vue  sur  la  caisse  de  Merlereau  : 
la  preuv-e  en  est  dans  les  bijoux  dont  il  a  gratifié 
Flipote,  devenue  comtesse  des  Glycines.  Merlereau 
n'ose  d'ailleurs  pas  les  lui  reprendre  :  Flipote  est 
si  capiteuse  !  Et  le  voilà  pris  lui-même  dans  l'en- 
grenage, fortement  aguiché  par  la  toute  charmante 
Jeannine  de  Brécy,  sottement  dédaignée  par  son 
fils.  Il  ne  songe  guère  à  retourner  à  Nantes  :  ne 
vient-il  pas  d'offrir  à  Jeannine  un  hôtel  de  deux 
cent  mille  francs,  et  il  a  tout  à  fait  oublié  sa 
femme,  quand  celle-ci,  inquiète  de  son  fils,  inquiète 
de  son  mari,  s'amène  à  Paris,  flanquée  de  M.  de 
Graissac  et  de  sa  fille  Simone.  Pascal  prend  alors 
pour  lui  les  frasques  de  son  père;  Graissac  les 
trouve  si  fortes  qu'il  rompt  avec  son  futur  gendre  ; 
^jme  Merlereau  ne  s'y  trompe  pas  :  elle  a  l'air  de 
croire,  mais  elle  sait  à  quoi  s'en  tenir.  Elle  par- 
donne à  son  fils  ;  en  réalité,  elle  le  remercie  :  ne 
s'est-il  pas  chargé,  au  nom  de  JMerlereau,  de  rom- 
pre avec  Jeannine,  à  qui,  comme  compensation^ 
on  laissera  le  petit  hôtel.  Elle  est  tien  jolie  vrai- 
ment, la  scène  entre  le  père  et  le  fils  où  Merlereau 
s'exprime  ainsi*:  «  11  faut  que  jeunesse  se  passe... 
On  n'échappe  pas  à  la  loi  du  plaisir.  Elle  est  im- 
placable. Voilà  pourquoi  Graissac  a  tort  de  traiter 
d'esprit    léger    un    père   qui    veut    que   son    fils. 


r.f  ""-  "^ 


4l4  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

«'amuse...  Je  ne  me  suis  pas  amusé,  moi,  Pascal. 
A  vingt  ans,  j'avais  tes  idées...  Prends  garde,  à 
'Cinquante,  d'être  prisipar  les  miennes. . .  Amuse-toi. . . 
Sinon,  un  jour,  dans  très  longtemps,  tu  rencontre- 
ras une  Jeannine...  Elle  te  fera  mettre  un  costume 
•de  polichinelle,  et  tu  feras  la  noce,  cette  noce 
tyrannique  à  laquelle  nous  ne  pouvons  nous  sous- 
traire... Tout  comme  moi,  tu  te  feras  pincer,  tu  te 
réveilleras  entre  une  Simone  vieillie  et  un  grand 
fils  bien  sage,  et  tu  ne  sauras  plus  du  tout  quelle 
contenance  prendre.  Tu  seras  mortifié  d'avoir 
trompé  la  femme  que  tu  aimes,  et  déçu  d'avoir 
quitté  trop  tôt  celle  que  tu  désires.  Tu  te  seras 
diverti  trois  semaines  en  faisant  de  la  peine  à  tout 
le  monde,  alors  que  tu  pouvais  t'amuser  dix  ans 
sans  faire  de  mal  à  personne.  Tu  ne  connaîtras  du 
printemps  et  de  l'été  que  Tarrière-saison,  et  le 
rappel  de  ta  jeunesse  ne  te  laissera  au  cœur  que  le 
désespoir  de  ne  l'avoir  pas  vécue.  Amuse-toi,  mon 
.garçon  !  »  Non  seulement  Pascal  ne  s'amuse  pas 
avant  son  mariage,  mais  nous  craignons  qu'il 
n'amuse  guère  sa  femme  et  qu'alors. . .  Mais  cela 
le  regarde,  n'est-ce  pas  ?  Et  puis,  si  Merlereau 
^'échappe  piarfois  de  Nantes  pour  venir  à  Paris, 
sonner  à  la  porte  de  l'hôtel  offert  à  Jeannine,  nul 
doute  qu'il  n'y  soit*gentiment  reçu...  Sur  une  idée 
paradoxale,  M.  Georges  Berr  avait  écrit  une  comé- 
die fine  et  délicate  qui  plaisait  au  public.  En  l'ap- 
portant au  directeur  des  Bouffes,  M.  Huguenet  lui 
faisait  un  cadeau  dont  il  espérait  bien  être  le  pre- 
mier à  profiter.  Le  rôle  de  Merlereau  avait  tenté 
l'excellent  artiste  en  quête  d'un  pendant  à  sa  déli- 


THEATRE    DES    BOUFFES-PARISIENS  4^5 

cieuse  création  du  Secret  de  Polichinelle  ;  il  s'y 
montrait  exquis  de  naturel  et  de  bonhomie  char- 
mante. Il  fallait  tout  le  talent  de  M.  André  Brûlé 

—  il  en  a  beaucoup  —  pour  que  le  rôle  du  jeune 
Pascal  ne  fût  pas  trop  ridicule.  Il  le  faisait  accep- 
ter tout  entier,  et  jouait  le  troisième  acte  en  vrai 
comédien.  M™®  Dux  avait,  dans  le  personnage  de 
jyjme  Merlereau,  des  trouvailles  d'émotion  contenue 
et  de  douce  mélancolie  :  cela  était  tout  à  fait  bien . 
M.  Barrai  était  drôle  en  Gourgançon  ;.  M"®  Demarsy 
était  une  élégante  et  captivante  Jeannine  de  Précy  ; 
M"®  Léonie  Dallet,  amusante  pince-sans-rire,  une 
Flipote  de  fantaisie  originale... 

10  FÉVRIER.  —  Première  représentation  à  ce 
théâtre  de  Cadet,  Roussel^  comédie  en  trois  actes, 
en  vers,  de  M,  Jacques  Richepin*,  primitivçment 
donnée  par  M.  Armand  Boùr  au  théâtre  Victor 
Hugo  (Trianon),  reprise  ensuite  à  la  Porte-Saint- 
Martin  par  la  direction  Clèves  et  Clerget. 

21  MARS.  —  Première  représentation  du  Talis- 
man (d'après  Fulda),  pièce  en  quatre  actes,  en 
vers,,  de  M.  Louis  Marsolleau^.  —  Vous  connais- 
sez —  qui  ne  connaît?  —  ce  joli  conte  d'Andersen, 

1.  Distribution.  —  Cadet  Roussel,  M.  Armand  Bour.  —  Roussel 
aîné,  M.  Bénédict.  —  Aude,  M.  Ville  fils.  —  Le  père  Roussel,  M.  Six. 

—  Mathias,  M.  Charles  Edmond.  —  1er  commis,  M.  Erné.  —  2«  commis, 
M.  Keyssler.  —  Delvaporine,  M"*  Suzanne  Devoyod.  —  La  Maillard, 
Mlle  Gina  Barbieri.  —  Moriette,  M»»  Bertile  Leblanc.  —  La  mère  flous- 
sel,  M'Je  Gaillard. 

2.  Distribution.  —  Le  roi  Astolph,  M.  de  Max.  —  Orfiz,  M.  Henry 
Krauss.  —  Habakuk,  M.  Armand  Bour.  —  Dioméde,  M.  Mitrecey.  — 
Maddalena,  M»«  Gina  Barbieri.  —  Rita,  MUe  Bertile  Leblanc.  — 
l*"*  femme  du  peuple,  Mi'«  Foresta.  —  2«  femme  du  peuple,  Mi'«  Gaillard. 

Le  Talisman  était  précédé  de  Le  Dernier  rêve  du  duc  d'Enghien, 
pièce  en  un  acte  et  en  vers  de  M.  A.  de  Gardilanne,  ainsi  distribuée  : 


4l6  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

intitulé  le  Manteau  de  V Archiduc  ?  Un  auteur 
allemand,  Fulda,  en  a  fait  une  pièce,  et  d'après 
lui,  M.  Louis  Marsolleau  a  écrit  en  vers  souples  et 
sonores  les  quatre  actes  applaudis  aux  Bouffes 
sous  le  titre  du  Talisman.  En  voici  brièvement  le 
sujet.  —  Il  y  avait  une  fois,  dans  Tfle  de  Chypre, 
un  roi  nommé  Astolph,  qui  méritait  vraiment 
d'être  puni  de  son  fâcheux  orgueil  de  vilain  tyràîl. 
Dans  ce  but  il  vient,  censément  de  la  Ghaldée,  un 
nommé  Orfiz  qui,  se  disant  tailleur,  offre  de  con- 
fectionner pour  son  souverain  maître  un  habit 
superbe  que/  seuls,  ne  pourront  voir  les  méchants 
ou  les  sots.  Or,  cet  Orfiz  montre  aux  courtisans 
un  mannequin  d'ébène  .sur  lequel  il  n'y  a  rien,  ce 
qui  s'appelle  rien.  Et  tous,  de  peur  de  passer  pour 
des  sots  ou  des  méchants,  assurent  qu'ils  voient  le 
splendide  vêtement  qui,  en  réalité,  n'existe  point. 
Le  roi  fait  de  même,  déclarant  qu'il  paraîtra  en 
public  habillé  du  riche  costume.  Il  s'avance,  en 
effet,  vêtu  d'une  simple  chemise,  et  la  foule  de 
pousser  des  cris  enthousiastes,  admirant  la  beauté 
du  costume  tant  vanté,  les  uns  le  trouvant  du  plus 
beau  rouge,  les  autres  d'un  délicieux  bleu  d'azur... 
jusqu'au  moment  où  une  jeune  fille  s'écrie  naïve- 
ment qu'elle  ne  voit  rien,  qu'il  n'y  a  rien...  Le 
doute  ébranle  le  peuple  qui  désormais  va  discuter... 
Le  roi  fait  arrêter  la  misérable,  coupable  d'avoir 
donné  l'éveil,  et  fait  charger  le  peuple  qui  ne  veut 


Henri,  duc  d'Enghien,  M.  Colin.  —  L'Aiglon,  M.  Pradaîy. —  Marquis 
de  Thumery,  M.  Six.  —  Baron  de  Grunstein,  M.  Edmond.  —  Schnaidt, 
M.  Kessler.  —  Le  colonel  Chariot,  M.  Schœjfer.  —  Le  serviteur,  M.  Le- 
roux. —  Charlotte,  princesse  de  Rohan,  M'i«  Bertile  Leblanc.  —  Prin- 
cesse de  Carignan,  M"«  Darling.  ' 


THEATRE    DES    BOUFFES*PARISIENS  l\l^ 

plus  voir  ce  qui  n'est  pas^  En  rentrant  seul  en  son 
palais,  le  roi  Astolph  se  heurte  à  des  cadavres... 
Les  mécontents  ont  un  chef  :  c'est  le  favori  même 
du  roi,  et  sans  le  dévouement  d'une  femme  envers 
laquelle  il  se  montra  pourtant,  bien  cruel,  Astolph 
serait  lâchement  assassiné  !  Alors  il  écoute  celle 
qui  l'a  sauvé  et  rend  la  liberté  à  la  jeune  fille  que, 
pour  sa  franchise,  il  avait  condamnée  à  mort. 
Désormais,  il  sera  plus  qu'un  roi,  il  sera  un  homme. 
Y  avait-il  en  ce  conte,  bon  à  insérer  dans  les  Lec- 
tures pour  touSj  le  sujet  d'une  pièce  capable  d'at- 
tirer les  foules  en  un  théâtre  qui  avait  tant  besoin 
d'un  véritable  succès?  Nous  n'osions  l'affirmer. . . 
Toujours  est-il  que  M.  de  Max  se  montra  puissant 
et  terrible  dans  le  rôle  du  roi,  que  M.  Henry 
Krauss  fit  une  figure  originale  de  celle  d'Orfiz,  que 
M"®Bertile  Leblanc  eut  de  la  grâce  en  la  jeune  fille 
trop  franche,  et  M"®  Gina  Barbieri  de  la  force  en 
la  femme  dévouée  ;  qu'enfin,  non  content  de  créer 
avec  beaucoup  de  pittoresque  un  rôle  de  vannier 
brusquement  élevé  à  la  dignité  de  duc  par  la  vo- 
lonté royale,  M.  Bour  avait  remarquablement  mis 
en  scène  la  poétique  fantaisie  de  M.  Marsolleau. 

Après  avoir  donné  avec  le  concours  d'artistes  de 
choix  quarante-cinq  matinées  de  poésie  et  de  mu- 
sique, M.  Armand  Bour  essayait  des  répétitions 
publiques  d'oeuvres  inédites.  C'était,  le  17  avril, 
Phyllisj  tragédie  en  cinq  actes  de  M.  Paul  Sou- 
chon,  musique  de  scène  de  M.  Emile  Vuillermoz*. 


1.  Distribution.  --  Démophon,  M.  Hervé,—  Thoas,  M.  Henry  Perrin, 
—  Cléonte,  M.  Colin.—  Phyllis,  M«i«  Jane  Famés.—  Ghariclée,  M"»  Fo- 
retta.  —  Une  suivante,  MUa  Qallot. 

ANNALES  DU  THEATRE  ^7 


4l8  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

Puis,  le  21  avril,  le  public  du  vendredi  saint  as- 
sistait à  la  représentation  avec  décors  et  costumes 
de  JésuS'Christ,  sélection  de  poésies  de  Victor 
Hugo,  interprétées  par  M"®  Berthe  Bady ,  MM.  Henry 
Kraus,  Armand  Bour,  Rameil  et  Hervé  —  précédés 
d'une  éloquente  conférence  de  M.  Robert  de  Mon- 
tesquiou.  Notons,  avant  d'enregistrer  ici  la  fin  de 
la  direction  Armand  Bour*,  la  série  de  représen- 
tations que  vint  donner,  dans  la  salle  des  Bouffes- 
Parisiens,  M™^  Yvette  Guilbert.  La  célèbre  chan- 
teuse «  fin  de  siècle  »  adoptant  le  style  Pompadour 
et  coiffant  la  perruque  poudrée  à  la  maréchale, 
pour  nous  dire,  exquise  marquise  de  Lancret,  ac- 
compagnée au  clavecin,  des  chansons  du  dix-hui- 
tième siècle,  voilà  qui  aurait  dû  piquer  au  plus  haut 
point  la  curiosité  parisienne . . .  Depuis  plusieurs 
années  déjà,  Tintelligente  artiste  s'était  faite  coU 
lectionneuse  d'antiquailles  inédites;  il  était  juste 
qu'elle  nous  invitât  à  goûter  les  fruits  savoureux  de 
ses  patientes  et  laborieuses  recherches  ;  c'était  un 
bien  curieux  répertoire,  délicieusement  unique, 
qu'elle  s'était  ainsi  constitué.  Vous  ne  sauriez  croire 
avec  quelle  merveilleuse  souplesse  l'incomparable 
diseuse  avait  opéré  la  très  hardie  métamorphose  de 
son  vigoureux  talent  ;  avec  quelle  grâce  spirituelle 
elle  détaillait  ces  ravissants  couplets  d'autrefois  ; 
avec  quelle  pureté  de  goût  elle  avait  adroitement 
encadré  sa  jolie  tentative,  et  s'était  choisi  comme 


1.  —  Des  mains  de  M.  Armand  Bour  le  théâtre  devait  passer  en  celles 
de  MM.  Monza  et  Darcourt.  Puis,  on  annonçait  qu'une  Société  anonyme, 
qui  s'était  constituée  pendant  une  période  de  quinze  années,  devait 
prendre  possession  du  théâtre  le  1«'  juillet  suivant. 


THEATRE    DES    BOUFFES-PAJIISIENS  4l9 

collaborateurs  d'aussi  précieux  virtuoses  que 
]\Iiie  Marguerite  Delcourt^  reine  du  clavecin,  que 
M.  Nanny,  un  contrebassiste  comme  il  n'en  existe 
guère,  que  les  trois  Gasadesus  jouant  avec  une  rare 
perfection  du  quinton,  de  la  viole  d'amour  et  de  la 
viole  de  gambe  :  tout  un  ensemble  d'instruments 
anciens,  à  qui  la  diva,  fine  comme  Tambre,  avait  su 
réserver  une  part  de  son  glorieux  succès. 

29  NOVEMBRE.  —  Première  représentation  des 
Filles  Jackson  et  C^®,  fantaisie  bouffe  en  trois  actes 
de  M.  Maurice  Ordonneau,  musique  de  M.  Jules 
Clérice  *.  —  Fermé  depuis  longtemps  aux  flonflons 
de  l'opérette,  le  joli  théâtre  de  la  rue  Monsigny 
rouvrait  par  un  gentil  succès.  Devant  un  livret 
clair,  bon  enfant,  aux  situations  comiques,  parfois 
légèrement  sentimentales,  devant  une  jolie  parti- 
tion, tour  à  tour  spirituelle  et  vibrante,  le  public 
a  paru  heureux  de  s'affranchir  des  préoccupations 
ultra-psychologiques  qui,  à  l'heure  des  distractions 
théâtrales,  l'attendent  au  détour  d'une  scène  comme 
au  coin  d'un  bois.  Il  semble  bon  d'encourager  la 
renaissance  de  l'opérette  que  chacun  désirait,  mais 
que,  sous  l'influence  de  quelques  critiques  sec- 
taires, nul  n'osait  souhaiter  tout  haut.  Obligée  de 
se  réfugier  au  café-concert,  l'opérette  laissait 
au  seuil  des  music-halls  sa  finesse  et  sa  bonne 
tenue  nécessaires.  Pour  l'honneur  de  notre  goût 


1.  Distribution.  —  Janicot,  M.  Paul  Fugère.  —  Jonathan  Jackson, 
M.  Dekernel.  ~  Frédéric,  M.  Devaux.  —  Jackson,  M.  Raiter.  —  Le 
commandant,  M.  Bartel.  —  Félicien,  M.  Defrenne.  —  M»»  Angèle  La- 
miral,  MHe  Jane  Pernyn.  —  Arabelle  Jackson,  Mli«  De  Craponne.  — 
M«»«  Lamiral,  M»»  Léonie  Laporte.  —  Florence  Jackson,  M»»  JDe  Kier- 
cour.  —  MH«  Ghamorin,  M«»«  Virginie  Rolland.  —  Justine,  Mii«  Loury. 


420  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

national,  applaudissons  donc  à  sa  rentrée  dans 
les  théâtres  de  genre.  Certes,  l'aventure  des 
filles  Jackson  s'échappant  de  pension  pour  aller 
retrouver  leurs  pères  en  Amérique,  puis  se  faisant 
passer  auprès  d'eux  pour  deux  servantes  afin 
d'éviter,  amoureuses  toutes  deux  de  deux  jeunes 
officiers,  d'épouser  deux  horribles  princes  chinois, 
—  celte  histoire  aimable,  féconde  en  quiproquos 
classiques,  mais  de  bon  aloi,  n'éveillera  pas  en 
nous  des  pensées  profondes.  Qu'importe,  si  nous 
nous  sommes  franchement  divertis  aux  facéties  de 
l'excellent  Paul  Fugère  qui,  sous  sa  robe  de  pen- 
sionnaire, «  la  plus  grosse  des  grandes  »,  a  mis 
en  joie  toute  la  salle!  Pourquoi  ce  matelot  arrive- 
t-il  à  passer  pour  la  «  cousine  »  de  son  lieutenant, 
et  devient-il,  en  même  temps  qu'une  actrice  de 
café-concert  en  quête  d'engagement,  une  des  filles 
Jackson  et  C'®?  Qu'il  vous  suffise  de  savoir  que 
c'est  pour  protéger  la  fuite  des  deux  Jackson  véri- 
tables et  contribuer  finalement  à  leur  bonheur. 
Pour  ce  faire,  M.  Maurice  Ordonneau  nous  trans- 
porte de  la  pension  des  Mésanges  sur  le  pont  d'un 
navire,  puis  à  Saigon,  où  nous  assistons  aux 
«  splendeurs  »  d'un  ballet  en  miniature  ;  après  quoi 
les  filles  retrouvent  leurs  pères,  les  pères  leurs 
enfants,  et  tout  finit  par  deux  mariages...  que 
dis-je?  trois  mariages,  ou  quatre,  je  ne  sais  plus  au 
juste.  L'auteur  est  bon  :  il  veut  que  tout  le  monde 
soit  content,  même  le  public  qui  ne  se  fit  pas  faute 
d'applaudir  librettiste,  musicien  et  interprètes. 
Sur  ce  livret  aimable  et  suffisamment  fantaisiste, 
M.  Clérice  a  brodé  une  de  ses  plus  pimpantes  par- 


THEATRE    DES    BOUFFES-PARISIENS  421 

titions.  On  connaissait  Thabileté  de  ce  jeune  com- 
positeur dans  Par  ordre  de  l'Empereur^  dans  les 
Petites  Vestales.  Aujourd'hui,  dans  les  Filles 
Jackson^  il  s'affirme  spirituel  dans  le  détail  et  puis- 
sant dans  Torches tration.  Citons  particulièrement 
le  quatuor  de  la  danse,  qui  est  un  petit  bijou,  les 
couplets  de  M'"®  Pernyn  au  capitaine,  qui'  furent 
bissés  d'acclamation,  le  finale  du  deux  bissé  éga- 
lement et  qu'on  réentendra  dans  toutes  les  revues 
de  fin  d'année,  et  la  scène  musicale  des  quatre 
Jackson,  terminée  par  la  jolie  et  délicate  prière  des 
deux  jeunes  filles.  Si,  comme  je  l'espère^  l'opérette 
renaît,  M.  Justin  Clérice  est,  parmi  les  composi- 
teurs modernes,  destiné  à  l'une  des  premières  places. 
J'ai  déjà  dit  le  bien  que  je  pensais  de  Paul  Fugère, 
qui  fut  la  joie  de  la  soirée.  On  n'est  pas  plus  natu- 
rellement comique,  et  la  leçon  de  danse  du  premier 
acte,  avec  M^»®^  Pernyn  et  Virginie  Rolland,  fut 
d'un  effet  irrésistible,  MM.  Derkernel,  digne  reflet 
de  feu  Berthelier,  Bartel,  tout  en  ronde  jovialité, 
Raiter  et  Devaux,  ténor  agréable,  donnèrent  l'illu- 
sion d'uoe  troupe  homogène.  Ainsi  que  M"*^^  Pernyn, 
malicieuse  et  bien  chantante,  de  Craponne,  trans- 
fuge de  rOpéra-Gomique,  à  la  voix  fraîche  et  sûre, 
et  de  Kiercour,  sympathique'ingénue,  M'^e  Virginie 
Rolland  dessina,  en  maîtresse  de  danse,  une 
silhouette  rococo  tout  à  fait  artistique  et  jolie,  et 
M"«  Léonie  Laporte  fit,  pour  être  drôle,  des  efforts 
que  nous  nous  plaisons  à  constater... 


422 


LES  ANNALES  DU  THÉÂTRE 


Rabelais,  comédie  en  vers ...  : 

L' Inévitable,  comédie 

Un  Honnête  Homme,  comédie 

*Les  Pires  aveugles,  comédie 

*Les  Merlereau,  comédie 

*Anne  la  Simple,  comédie  en  vers 

Cadet  Roussel,  comédie  en  vers 

*Le  Talisman,  pièce  en  vers 

*Le   Dernier  rêve   du    duc   d'Enghien 

comédie  en  vers 

*Les  Filles  Jacksen  et  C»«,  fant.-bouffe. . 
*  L'Etude  Falempiny  comédie 


DATE 

NOMBRE 

NOMBR£ 

delà 

de 

Ire  représ. 

représent. 

d'actes 

on  de  la 

pendant 

reprise 

Tannée 

3 

» 

20 

1 

» 

10 

1 

» 

8 

1 

9 janv. 

7 

-3 

19janv. 

24 

1 

19  janv. 

60 

4 

10  févr. 

36 

4 

21  mars 

8 

1 

21  mars 

8 

3 

29  nov. 

39 

1 

11  déc. 

25 

THÉÂTRE  GLUNY* 


Au  succès  du  True  du  Brésilien  y  de  MM.  Nan- 
cey  et  Armonl,  que  lui  avait  galamment  lég^ué  la 
précédente  année,  le  Théâtre  Cluny  faisait  suc- 
céder, le  20  janvier,  une  reprise  toujours  heureuse 
de  Trois  femmes  pour  un  mari^  la  célèbre  farce 
de  M.  Grenet-Dancourt^. 

23  FÉVRIER.  —  Première  représentation  de  la 
Femme  au  masque^  comédie-bouffe  en' trois  actes, 
de  MM.  Daniel  Riche  et  Léo*  Marchés  3.  —  Vous 
dirai-je  —  oh  !  non,  je  ne  vous  le  dirai  pas  —  com- 
ment certaine  épreuve  de  la  «  Femme  au  Masque  », 


1.  —  Directeurs  :  MM.  Ponoet  frères. 

2.  Distribution.  —  André,  M.  J.  Poncet.  —  Carindol,  M.  Dorgat.  — 
Raoul ,  M.  E.  Durafour.  —  Dardembois,  M.  Lureau.  —  Boxoon,  M.  Arnould. 

—  Dubochard,  M.  Wagmann,  —  Baptiste,  M.  Marins.  —  L'adjoint, 
M.  Lecomte.  —  M»»  Bassinet,  M"»»  Franck-Mel.  —  Pigeotte.  M"»»  AndraL 

—  Juliette,  M"«  Renée  Leduc.  —  Miss  Victoria,  Mi'«  Brunel.  — 
M«n«  Carindol,  Mlle  Loisier.  —  Euphémie,  Mli«  Amori.  —  Françoise, 
Mlle  Sarlier. 

On  commençait  par  On  prend  des  pensionnaires,  vaudeville  en  un 
acte  de  M.  Albert  Perrinet. 

3.  Distribution.  —  Roland,  M.  J.  Poncet.  — Le  commandeur,  M.  Dorgat, 

—  Jacques,  M.  Dupont.  —  Némorin,  M.  Arnould.  —  Fonville,  M.  Lureau 

—  Amour,  M.  Wagmann.  — Gaëtan,  M.  Marius.  —  Maurice,  M.  Gaverny, 

—  Raymonde,  Mii«  Favelli.  —  Amélie,  MH^  Bertry.  —  Lucienne,  M»»  Bru- 
nel. —  Mne  Langlois,  M"»«  Franck-Mel.  —  M"»*  de  Gastelnajac,  MH»  Se- 
bert.  —  Yvonne,  M»»  Amori.  —  Catherine,  Mll«  Vernou. 

On  commençait  par  la  Comtesse  Séraphin,  comédie  en  un  acte,  de 
M.  Georges  Naval. 


4  24  LES    ANNALES    DU    THEATRE 

ag'uichante  nudité  à  la  Gervex  qui  passe  tout 
d'abord  des  mains  d'une  femme  mariée  dans  celles 
de...  la  maîtresse  de  son  amant,  fait  Tobjet  d'une 
invraisemblable  poursuite,  aboutissant  à  une  nou- 
velle pose  chez  le  photographe  qui  consiste  à  nous 
dévoiler  les  jolies  épaules  de  M^'^^  Favelli  et  Brunel. 
Ajouterai-je  que  M.  J.  Poncet  avait  créé  là  un  type 
«  dans  le  genre  »  de  nos  meilleurs  comiques,  que 
sous  les  traits  du  commandeur  de  Boulopapalescu, 
M.  Dorgat  montrait  comme  toujours  beaucoup  de 
naturel,  que  M"®  Bertry  avait  de  Tentrain,  et  que 
tous  s'efforçaient  de  rendre  amusante  une  folie  si 
compliquée  qu'elle  en  devenait  parfois  un  peu  obs- 
cure.. On  riait  sans  doute,  mais  savait-on  bien  au 
juste  pourquoi  on  riait?... 

i4  AVRIL.  — Glissons  sur  un  piètre  vaudeville  de 
M.  Marc  Sonal,  La  Chambre  des  baisers  *,  qui 
bientôt  cédait  la  place  à  une  nouvelle  reprise  de 
Trois  femmes  pour  un  mari^  mais  notons  la  repré- 
sentation de  Poussier  de  motte  ^^  fait-divers  en 
deux  tableaux.  Cette  œuvrette  de  M.  Jean  Canora 
—  un  début  au  théâtre  ce  nous  semble  —  a  du 
pittoresque  et  du  mouvement.  «  Poussier  de  motte  » 


1.  Distribution.  —  Trinquette,  M.  Champagne.  —  Papillard.  M.  Dupont, 
*—  Plantinet,  M.  Mercier.  —  Bournache,  M.  Lureau.  —  Lebeau-Dusoin^ 

M.  Wagmann.  —  Octave,  M.  Arnould.  —  Mathieu,  M.  Marins.  —  Un 
clerc,  M.  Vissière.  —  Francine,  M"»»  Andra^  — Natalio,  M»* /'rancA- 
Mel.  —  Suzanne  d'Arcachon,  MHe  Brunel.  —  Irma,  M"»  Sebert.  — 
Adrienne,  M"c  Amori. 

2.  Distribution.  —  Le  commissaire,  M.  Dorgat.  —  Janicet,  M.  Dupont. 
Rata,  M.  Amould.  —  Loupias,  M.  Wagmann.  —  Bibi  La  Purée,  M.  Ber- 
thier.  —  Un  agent,  M.  Vissière.  —  Rosalie  Pichon,  M"«  Bertry.  — 
Jacques  Pichon,  M'i»  Barré. 

On  commençait  par  Ce  bon  Cyprien,  vaudeville  en  un  acte,  de  M.  Marc 
Sonal. 


THEATRE    CLUNY  425 

est  un  petit  charbonnier  qui  a  commis  la  faute  de 
dérober  à  son  patron  une  pièce  de  vingt  francs  qu'il 
est  allé  jouer  aux  courses^  La  chose  s'arrangerait, 
car  sa  famille  a  remboursé.  Mais  un  reporter  a  eu 
vent  de  Taffaire  —  oh  !  ces  journalistes  !  —  et  Ta 
contée  à  ses  lecteurs.  Notre  gamin,  déshonoré,  se 
tue  de  honte  et  de  désespoir... Retenez  le  nom  de 
M.  Jean  Canora,  et  aussi  celui  de  M"®  Cécile  Barré 
-—  c'est,  je  crois  bien,  la  petite-fille  du  célèbre 
Boufifé  —  qui  a  joué  avec  beaucoup  d'émotion  le 
rôle  travesti  de  Poussier  de  motte. 

i3  MAI.  —  Première  représentation  de  la  Bande 
Pick'Pocky  eccentric  american  vaudeville  en  quatre 
actes  de  M.  Daniel  Jourda*.  —  Naguère  on  nous 
avait  annoncé  la  transformation  de  Cluny  en 
music-hall.  La  nouvelle  était  vraie.  Mais  1  affaire 
ayant  manqué,  le  vaudeville  reprit  bientôt  posses- 
sion du  théâtre.  Et  voilà  qu'aujourd'hui,  hantés, 
sans  doute  par  l'idée  qu'ils  avaient  dû  abandonner, 
MM.  Poucet  nous  donnent  — ^  avant  l'Amérique, 
avant  la  province  et  l'étranger,  auxquels  elle  serait, 
dit-on,  ultérieurement  destinée,  —  une  pièce  à 
tiroirs  qui  n'a,  en  réalité,  d'autre  prétention  que 
de  servir  à  encadrer  un  certain  nombre  de  numéros 
de  café-concert.  Le  scénario  a  été  tracé,  non  sans 
adresse,  par  M.  Daniel  Jourda  —  l'auteur  de  cer- 
taine Josette^  dont  nous  avons  dit,  autrefois,  tout 


1.  Distribution.  —  Ilolsonn,  M.  Holsonn.  —  Trust  et  Pick-Pock, 
M.  Mercier.  —  Leblasé,  M.  Champagne.  —  Harris,  M.  Lureau.  — 
Louis,  M.  Parait.  —  Un  gendarme.  M.  Aîkok.  —  Nab,  M.  Pilhs.  — 
M»«  Darvines,  M">«  Andral.  —  Criquette,  W^«- Berthe  Gay^  —  M"»*  Bri- 
geoia,  Mme  Franch-Mel.  —  Jane,  M»«  Cécile  Barré.  —  Margot, 
M"e  Sebert.  —  Lisette,  M»»  Amori.  —  Toinon,  M"o  Reine. 


426  LES   ANNALES    DU    THEATRE 

le  mérite  —  mais  ce  n'est  pas  à  l'intrigue  que  le 
spectateur  s'intéresse  en  ces  œuvres  hybrides, 
c'est  aux  clowns  et  à  leurs  clowneries.  Nous  ne 
vous  raconterons  donc  pas  comment  deux  agents 
d'assurances,  Trust  et  Harris,  voulant  à  tout  prix 
prévenir  le  suicide  d'un  neurasthénique' (Leblasé  est 
son  nom)  dont  la  mort  leur  coûterait  très  cher,  se 
sont  mis  en  tête  de  le  distraire  à  l'aide  des  attrac- 
tions les  plus  intenses  et  les  plus  variées;  com- 
ment Harris  est  tout  d'abord  enfermé  dans  son 
propre  cofFre-fort,  qu'on  a  préalablement  pris 
soin  de  débarrasser  de  ses  valeurs,  et  comment  le 
célèbre  Pick-Pock  prend  audacieusement  la  place 
de  Trust,  et  mène  dare-dare  la  bande  des  agiles 
cambrioleurs  ;  comment  on  s'aperçoit  que  Leblasé 
n'était  réellement  malade  que  d'amour  pour  une 
piquante  M™^  Darvines,*et  comment  tout  finît  par 
un  mariage,  dans  une  amnistie  générale. . .  Inutile 
d'insister  sur  la  pièce...  L'essentiel  est,  nous 
l'avons  dit,  que  les  clowns  soient  'plaisants. 
Holsonn,  le  héros  de  Cluny,  ne  manque,  certes,  ni 
de  drôlerie,  ni  de  fantaisie.  Il  faut  le  voir  effectuer 
son  entrée  en  dirigeable,  à  cheval  sur  son  petit 
Santos-Dumont  uP  i,  qu'il  mène  à  sa  guise, 
comme  vous  le  faites  de  votre  bicyclette.  II  faut 
encore  le  voir,  avec  la  facilité  que  vous  mettriez  à 
avaler  un  simple  éclair,  engloutir  toute  une  bou- 
tique de  gâteaux  auxquels  il  joint,  pour  s'amuser, 
quelques  bougies  allumées.  Il  faut  assister,  une 
fois  de  plus,  à  la  poursuite  presque  classique 
«  sur  les  toits  »,.  où  la  bande  Pick-Pock  traîne  à 
ses    trousses  une  escouade  de  gendarmes,  natu- 


THEATRE    CLUNY  427 

rellemenl  maladroits.  Leblasé  s'est  déclaré  satisfait 
du  spectable  dérivatif  que  lui  offraient  les  «  excen- 
triques »  de  Cluny.  Pourquoi  le  public  se  serait-il 
montré'  plus  difficile  ?  Bornons-nous  à  constater  la 
joie  qu'il  n'a  guère  cessé  de  manifester  au  cours 
de  cette  soirée  plutôt  étrange,  et  à  mentionner 
parmi  les  efforts  tentés  pour  nous  divertir,  sans 
jamais  fatiguer  nos  méninges,  ceux  d'une  nouvelle 
venue  au  boulevard  Saint-Germain,  M"®  Berthe 
Gay  —  qui  a  de  la  gaieté  comme  l'indique  son 
nom  —  et  aussi  la  bonne  volonté  de  M^^  Franck- 
Mel,  une  duègne  solide  fourvoyée  en  des  situations 
de  plaisanterie  un  peu  grosse  et  tout  au  plus 
bonne  pour  l'exportation. 

i4  JUILLET,  —  Sans  souci  de  la  chaleur,  le 
théâtre,  (fui  avait  fermé  ses  portes  afin  d'exécuter 
quelques  travaux  de  peinture  et  d'embellissements , 
les  rouvrait  bravement,  donnant  au  public  de  la 
fête  nationale  la  première  représentation  d'un  vau- 
deville militaire  de  M.  Herbel,  le  Pacha  du 
bataillon^.  L'idée  première  n'en  est  pas  très  neuve 
et  nous  connaissons   l'histoire   de  cet   amoureux 


1.  Distribution.  —  Le  vicomte  Adhémar,  M.  Champagne.  —  L'adju- 
dant, M.  Mercier'.  —  Le  capitaine  Lebastard,  M.  Keppens.  —  Pattu, 
M.  Martus.  —  Boulingar,  M.  Wagmann.  —  Le  général,  .M.  Dargeville. 
—  Le  sergent  de  garde,  M.  Berthier.  —  Filoche,  M.  Vissière.  —  Le 
caporal  de  garde,  M.  Brissaud.  —  Le  sergent-major,  M.  Paruit.  — 
Rifolin,  M.  Antony.  —  Le  cocher,  M.  Derieux.  —  Le  colonel,  M.  Rodez. 
Lehaussois,  M.  Salomon.  —  Virginie,  M"»*  Andral.  —  M»»  Raboulin, 
M«n«  Franck-Mel.  •—  Colette,  MU*  Cécile  Barré.  —  Victorine,  Mii«  Mar- 
celle Du  Bled. 

On  commençait  par  Chez  le  Critique^  comédie  en  un  acte  de  M.  Paul 
Janot,  ainsi  distribuée  : 

Anselme  Patin,  M.  Dangeville.  —  Dominique,  M.  Martus.  —  Sujette 
Fleuron,  M»e  Marcelle  Du  Bled. 


428  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

qui,  surpris  aux  pieds  de  la  femme  d'un  officier, 
n'a  d'autre  ressource  que  de  passer  pour  le  nou- 
vel ordonnance.  Mais .  il  convient  de  reconnaître 
que  l'auteur  avait  su  rajeunir  agréablefnent  ce 
sujet  déjà  ancien  par  une  sàrie  d'épisodes  tous 
fort  gais  et  qui  n'ennuyaient  pas  un  instant.  Pour 
une  pièce  d'été,  c'était  l'essentiel.  Cette  amusante 
folie  était  enlevée  par  une  troupe  pleine  d'entrain  : 
MM.  Champagne,  Mercier,  Keppens,  Marins, 
Wagmann,  Mn^es  Andral,  Franck-Mel  et  Cécile 
Barré  —  celle-ci  particulièrement  charmante. 

2  SEPTEMBRE.  —  Reprisc  du  Truc  du  Br£silien^ 
dont  on  fêtait,  quelques  jours  après^  la  i5o^  repré- 
sentation. 

22  SEPTEMBRE.  —  Première  représentation  de 
Francs-Maçons  !  vaudeville  en  trois  actes  de 
MM.  Claude  Roland  et  G.  Leprince^  —  Un  gai 
vaudevilhî,  dont  la  farce,  un  peu  lourde,  a  néan- 
moins beaucoup  amusé.  Il  provoquera  longtemps, 
ainsi  rondement  mené,  la  douce  hilarité  d'un  pu- 
blic bienveillant.  On  y  retrouve,  cela  va  sans  dire, 
tous  leS' trucs  habituels  à  ce  genre  de  pièces.  Voyez 
plutôt...  Leverdier  a  imaginé  l'ingénieux  moyen  de 


1.  Distribution.  —  André  Chevilly,  M.  J.  Poncet.  —  Leverdier, 
M.  Dorgat.  —  Saint-Archange,  M.  Mercier.  —  Paul  Dubreuil,  M.  Cham- 
pagne. —  Brunois,  M.  Jacquier.  —  Léon  Vilcourt,  M.  Marius.  —  Un 
agent,  M.  Vissière.  —  M™»  Leverdier,  M«e  Franck-Mel.  —  Marthe, 
Mlle  Villeroy.  —  Claire^  M'ie  C.  Barré,  —  M"»»  Brunois,  M"»  Bertry,  — 
Colombe,  Mlle  Sorel.  —  Angèle,  MU*  M.  du  Bled.  —  Simone,  MH«  Le- 
comte.  —  Lili,  MH»  Sébert. 

On  commençait  par  Hermance  a  de  la  vertu  1  comédie  en  deux  actes 
de  MM.  Claude  Roland  et  André  de  Lorde. 

MM.  Claude  Roland  et  G.  Leprince  avaient  tiré  Francs-Maçons  d'un 
grand  succès  allemand,  Logen  Bruder,  de  MM.  Karl  Laufs  et  Karl 
Kratz,  deux  auteurs  fort  connus  de  l'autre  côté  du  Rhin. 


THEATRE    CLUNY  429 

tromper  la  surveillance  de  sa  femme  et  de  faire  en 
toute  tranquillité  ses  petites  fredaines.  Il  se  dit 
franc-maçon,  et  même  Vénérable  de  la  Loge  de 
Bourges,  et,  depuis  vingt-trois  ans  que  cela  dure, 
il  jouit  paisiblement,  au  nez  de  sa  femme  et  de  ses 
quatre  filles,  de  toute  sa  liberté.  Sa  douce  quié- 
tude est  seulement  troublée  par  le  cruel  souvenir 
d'une  ancienne  amie  qui,  désolée  de  son  abandon, 
se  serait  suicidée...  Leverdier  vient  à  Paris,  ac- 
compagné de  toute  sa  famille,  retrouver  André,  le 
mari  de  Marthe,  sa  fille  aînée^  absente  depuis  trois 
semaines.  Il  s'agira,  alors,  pour  André,  de  cacher 
à  sa  femme  et  aux  beaux-parents  la  noce  effrénée 
qu'il  n'a  pas  manqué  de  faire  durant  ces  courtes 
vacances.  Les  cinquante  mille  francs,  complément 
de  la  dot  de  Marthe,  ne  lui  reviendront  qu'à  ce 
prix.  Alors  il  inventera  tout  simplement  qu'il  s'est 
fait  recevoir,  lui  aussi,  dans  la  franc-maçonnerie 
et  qu'il  consacrait  toutes  ses  nuits  aux  dures 
épreuves  de  son  entrée  en  loge.  Et  voilà  le  Véné- 
rable de  Bourges  et  le  frère  .v  André  s'étudiant 
aux  mêmes  gestes,  singeant  les  mêmes  signes 
conventionnels  pour  ne  pas  se  trahir  mutuellement  ; 
voilà  cet  enragé  de  Brunois,  provincial  abruti,  qui 
veut  à  toute  force  faire  partie,  lui  aussi,  de  la 
fameuse  association,  se  soumettant  avec  un  farou- 
che entêtement  aux  épreuves  les  plus  saugrenues 
qu'imagine,  à  bout  d'arguments,  le  Vénérable 
Leverdier;  voilà  le  cabot  Saint-Archange,  inspec- 
teur des  loges  de  Parisiana,  où  se  passaient  le 
plus  souvent  les  petites  orgies  d'André,  pris,  grâce 
à  son    titre  pompeux,   pour   un  véritable   franc- 


I 


43o  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

oiaçon  ;  voilà  les  deux  demi-mondaines,  Simone  et 
Lili,   toutes  deux  fidèles  habituées  des  loges   — 
toujours  de  Parisiana  —  prises  pour  des  francs- 
maçonnes  par  la  famille  ébourifiFée.  Suivrons-nous 
donc  les  aventures  abracadabrantes  de  Paul  Du- 
breuil   qui,   pour  sauver  son  ami,  se  déguise   en 
couturière,  fille  de  la  suicidée  Héloïse  —  à  noter 
ici  un  suggestif  déshabillé  de  la  jolie  Marthe  se 
faisant  essayer  un  corsage  par  ladite  couturière... 
Nous  vous  éviterons  les  cris  de  ce  crétin  de  Brunois 
braillant  à  tue-tête  f  «  C'est  ma  fille,   ma  bonne 
fille  !  »  Nous  vous  passerons  sous  silence  Tarrivée 
d'un  gardien  de  la  paix,  porteur  d'un  procès-verbal 
contre  André  pour   tapage  nocturne  et  nous  ne 
ferons  qu'effleurer  la  leçon  du  cabot  Saint-Archange 
qui  réussit  habilement  à  se  faire  servir  à  déjeuner 
et  offrir  maints  cigares...  Apprenez  tout  bonne- 
ment  que   Léon   Vilcourt,    un   vrai   franc-maçon 
celui-là,  sauve  la  situation,  et  que  tout  se  termine, 
vous  le  pensez  bien,  par  un'  nombre  illimité  de 
très  heureux  mariages  et  aussi  par  la  découverte 
de  M"^^  Brunois,  en  la  vivante  Héloïse,  la  suicidée 
d'antan.  Toute  la  troupe  de  Cluny,  sans  exception, 
a  joué  avec  une  vaillante  conviction  et  un  parfait 
entrain  cette  farce  excessive.  Citons  particulière- 
ment M.  Dorgat,  de  joyeuse  bonhomie  en  Lever- 
dier;  M.  Champagne^  amusant  sous  le  jupon  de  la 
couturière  ;  M.  Mercier,  cabotin  assez  vécu  sous 
les  traits  de  Saint-Archange,  et  M.  Jacquier,  de 
masque    impayable     dans     le    stupide    Brunois, 
Mnies  Franck-Mel,  Villeroy,  Bertry  et  Sorel  pre- 
naient leur  bonne  part,  elles  aussi,  du  succès  gé*: 


THEATRE    GLUNY 


43 1 


r 
ie- 


néral  :  un  succès  qui  se  prolongera  par  delà  i  goS 
pour  continuer,  toujours  très  vivace,  pendant 
l'année  suivante. 


Le  Truc  du  Brésilien,  vaudeville 

Joseph,  comédie 

Trois  Femmes  pour  un  Mari. 

*0n  prend  des  prisonniers,  vaudeville... 
*La  Femme  au  masque,  comédie-bouffe . . 

*La  Comtesse  Séraphin 

*Le  Jour  des  Violettes,  vaudeville 

*La  Chambre  des  baisers,  vaudeville 

*  Poussier  de  Motte,  fait-divers 

*Ce  bon  Cyprien,  vaudeville 

*La  Bande  Pick  Pock,  exent.  amer.  vaud. 
*Le  Pacha  du  Bataillon^  vaudeville  milit. 
*Chez  le  Critique,  comédie 

*  Francs-Maçons  I  vaudeville 

*I{ermance  a  de  la  vertu,  comédie 


NOMBRE 
d'actes 

DATE 

delà 

1»  représ. 

ou  de  la 

NOMBRE 

de 
représetn. 
pendant 

reprise 

l'année 

4 

» 

44 

1 

» 

23 

3 

1 

20jaiiv. 

61 
34 

3 

23  févr. 

58 

1 

23  févr. 

49 

1 

6  avril 

33 

1 

li  avril 

7 

2  tabl. 

14  avril 

3i 

1 

14  avril 

6 

4 

13  mai 

24 

» 
1 
3 
2 

14  juillet 
14  juillet 

22  sept. 

22  sept. 

58 
79 
118 
118 

t^ 


THÉÂTRE  DÉJAZETi 


Quelques  lignes  suffisent  à  Theureuse  histoire 
du  Théâtre  Déjazet  en  i9o5  :  on  y  aura  joué  du- 
rant toute  Tannée  la  triomphante  pochade  mili- 
taire de  MM.  André  Sylvane  et  Mouézy-Eon,  Tire 
au  Flanc  !  dont  la  4oo®  représentation  se  donnait 
le  10  octobre  et  dont  on  fêtait,  un  mois  après,  à 
la  date  du  lo  novembre,  le  joyeux  anniversaire. 
Le  jeudi  21  décembre,  M.  Georges  Rolle  avait 
affiché  sa  i33®  matinée  de  famille  :  vous  en  trou- 
verez le  répertoire  indiqué  au  tableau  suivant  : 


i.  —  Directeur  :  M.  Georges  Rolle. 


ANNALES  DU  THEATRE  28 


434 


LES   ANNALES    DU    THEATRE 


Tire  au  flanc  !  comédie 

Célérité-Diaerétion,  pièce 

// i. . .  ou  Elle  ?. . .,  comédie 

Le  Gamin  de  Paris,  comédie 

La  Dame  au  petit  chien,  comédie 

Une  Aventure  de  la  Clairon ,  vaudeville. 

Premier  prix  de  piano,  comédie 

Indiana  et  Charlemagne,  vaudeville .... 

Château  Yquem,  vaudeville 

La  Fille  de  l'Avare,  comédie 

Avant  la  noce,  opérette 

L'es  Jurons  de  Cadillac,  comédie 

La  Famille  de  l'Horloger,  comédie 

Le  Mariage  extravagant,  opérette 

La  Classe,  vaudeville 

Horace  et  Liline,  vaudeville 

La  peur  d'être  Grand'mère,  comédie 

L'Anglais  ou  le  Fou  raisonnable,  coméd. 

Philippe,  comédie 

La  Main  leste,  comédie 

Pauvre  Jacques,  comédie 

Lischen  et  Fristchen,  opérette 

Le  Dîner  de  Madelon,  vaudeville 

Le  Chapeau  d'un  Horloger,  comédie.... 

Estelle,  comédie 

Les  Brebis  de  Panurge,  comédie 

Le  Gentilhomme  pauvre,  comédie 

Le  Moulin  joli,  vaudeville 


DATE 

NOMBRE 

NOMBRE 

delà 

d« 

représeot. 

d'actes 

oa  de  la 

pendant 

reprise 

l'année 

3 

» 

425 

M 

167 

23  mai 

258 

12  janv. 

7 

I2jaûv. 

2 

12janv. 

1 

19  janv. 

5     » 

26  janv. 

4 

16  fév. 

4 

2  mars 

4 

2  mars 

1 

16  mars 

5 

16  mars 

5 

13  avril 

5 

27  avril 

3 

27  avril 

3 

4  mai 

5 

18  mai 

7 

8  juin 

1 

26  octob. 

4 

26  octob. 

4 

2  nov. 

3 

23  nov. 

3 

23  nov. 

3 

23  nov. 

^ 

23  nov. 

4 

2 

21  déc. 

2 

1 

21  déc. 

2 

GRAND  GUIGNOL  * 


27  JANVIER^  —  L'Affaire  Pascuit,  tableau  judi- 
ciaire de  MM.  George  Courteline  et  Pierre  Veber, 
tiré  des  «  Tribunaux  comiques  »,  de  Jules  Moineau^  ; 
La  Mémoire  des  dates ,  de  MM.  Félix  Galipaux 
et  Edmond  Guiraud^  ;  Le  Point  d'honneur  y  de 
M.  Bonis  Charancle^  ;  La  Maisonnette,  de  MM.  Wil- 
liam Busnach  et  Ferdinand  Bloch^  ;  Un  début  dans 
le  Monde,  de  MM.  Max  Maurey  et  Paul  Mathiex^. 

8  MARS.  —  Ariette,  de  MM.  Marcel  Manchez  '^^ 
Une  Erreur  judiciaire,  de  MM.  Charles  Esquier  et . 


1.  —  Directeur  :  M.  Max  Maurey. 

2.  Distribution.  —  Le  président,  M.  Oouget.  —  Bézuche,  M.  Dufrenne^ 

—  Canuche,  M.  Bussy,  —  Pascuit,  M.  Baur.  —  Le  substitut,  M.  Launay. 

—  L'huissier,  M.  Ratineau.  —  L'avocat,  M.  Flandre.  —  Désirée, 
Mn<«  Méryem.  —  Hortense,  M»»  R.  Daubiguy. 

3.  Distribution.  —  Le  docteur,  M.  Dufrenne.  —  M.  Latouche^ 
M.  Busay.  —  Jean,  M.  Raîineau.  —  Antoinette,  M»»  Lydie  Doria. 

4.  Distribution.  —  Chambaran,  M.  Gouget.  —  BonndLrdy  M.  Dufrenne. 

—  Coutancey,  M.  -R.  Bussy.  —  Lapige,  M.  Flandre.  —  Thoré,  M.  Lau- 
nay. —  Muiler,  M.  Baur.  —  La  veuve  Marraud,  M^e  Bailly.  —  Gabrielle, 
Mîio  Méryem,  —  Suzette,  Mil*  Barry. 

5.  Distribution.  —  Jean  Brichet,  M.  Ratineau.  —  Alfred,  M.  Launay. 

—  Caroline  Brichet,  M»«  Clarens. 

6.  —  Joué  par  M"»»»  Emilienne  Darty,  Clarens,  Bailly,  Lydie  Doria  et 
M.  Dufrenne. 

7.  Distribution.  —  Jacques  de  Réville,  M.  O.  Dufrenne.  —  Le  Petit 
Bouchard,  M.  Bussy.  —  De  Cambes,  M.  Launay.  —  Ariette,  M"»  Daubi- 
gny.  —  Fanny,  MUe  D.  Fleury. 


436  LES   ANNALES    DU    THEATRE 

Pharnel*;  Gardiens  de  phare,  de  MM.  Paul  Au- 
lier  et  Paul  Cloquemin*;  Cyprienne,  de  M.  Jeaa 
Drault^;  Trop  tard,  en  vers,  de  M.  Xavier  Roux*. 

22  AVRIL.  —  Pâquerette,  de  MM.  Eugène  Héros 
et  Léon  Abric^;  Cher  Maître,  de  M.  Elie  de  Bas- 
sani; La  Terreur  de  Sébasto^. 

17  MAI.  —  L'Obsession,  pièce  en  deux  actes,  de 
MM.  André  de  Lorde  et  Alfred  Binet^;  Papa,  de 
MM.  Abel  Tarride  et  Henri  Piazza^;  L'Occasion, 
de  M.  Robert  Dieudonné*^. 


1.  Distribution.  —  Adolphe  LangloU,  M.  O.  Dufrenne.  —  Le  commis- 
saire, M.  Ratineatt.  —  Un  agent,  M.  Btissy,  —  M"«  Langlois,  M"«  Mar- 
celle Bailli/.  —  Elise,  M»«  Daubigny.  —  M»»  Lalande,  M"»  Lauriane. 

2.  Distribution.  —  Yvon,  M.  Oouget.  —  Brehan,  M.  Bressol]  puis 
M.  Brizard. 

3.  Distribution.  —  Chamerlan,  M.  O.  Dufrenne.  —  Badoulot,  M.  Baur. 

—  Robertin,  M.  Bussy.  —  Cyprienne,  M"e  Giîberte  Deretz. 

.4.  Distribution.  —  Pierrot,  M.  Chevillât,  —  Suzette,  M»»  Renée  Cla- 
rens. 

5.  Distribution.  —  Le  Monsieur,  M.  Dufrenne.  —  L'agent,  M.  Bussy. 

—  Ugène,  M.  La^nay.  —  Edouard,  M.  Baur.  —  Pài^uerette,  M»»  Genty. 

—  M»»  Robillard,  M»»  Marcelle  Bailly.  —  La  teinturière,  M*'«  Reint: 
Daubigny.  —  La  modiste,  MUe  B.arry. 

6.  Distribution.  —  Paul  Jouvin,  M.  Oscar  Dufrenne.  —  Le  Costau, 
M.  Baur.  —  Le  père  Lucas,  M.  Ratineau.  —  La  Panthère,  M.  Brizard. 

—  Le  Poilu,  M.  Chevillât .  —  Le  garçon,  M.  Launay.  —  Titine,  MH«Pter- 
val.  —  Suzanne,  M»»  Daubigny.  —  Alice,  MH«  Fleury. 

7.  —  Jouée  par  MM.  Oscar  Dufrenne^  Baur,  Ratineau.  Brizard, 
Chevillât,  Launay  et  M"«»  Pierval,  Reine  Daubigny  et  Denize  Fleury. 

8.  Distribution..  —  Jean,  M.  Gouget.  —  Docteur  Ménard,  jR.  Bussy. 

—  Leroy,    M.   Royel.   —    Bernard,    M.    Brizard.  —   M»»  Desmarets, 
Mlle  Marcelle  f?ot7/y.  —  Marthe,  M»»  O,  Devyl.  —  Françoise,  M"«  Barry. 

—  Le  Petit  Pierre,  Raymond  Crétot.  —  La  petite  Madeleine,  M»»  Mcide- 
leine  Crétot. 

9.  Distribution.  —  Germaine,  M"*  M.  Barry.  — .  Jeanne  M"»  Pierval. 

—  Florence,  M'i»  Daubigny. 

10.  Distribution.  —  Roger  Benoist,  M.'  Brizard.  —  Léon,  M.  Launay. 
Marianne,  M"»  Daubigny.  —  Clémence,  M'l«  Pieroal. 


GRAND   GUIGNOL  437 

17  JUIN.  —  La  Mascarade  interrompue^  de  la 
baronne  Hélène  de  Zuylen  de  Nievelt*;  U École 
des  jeunes  filles,  de  M.  Jean  Lorrain  2. 

26  SEPTEMBRE.  —  Adèle  est  grosse,  de^M.  H. 
Beaujot^. 

23  OCTOBRE.  —  Le  Chirurgien  de  service,  de 
MM.  Johannès  Gravier  et  A.  Libert*  ;  Ce  cochon  de 
Morin,  de  MM.  G.  Montoya  et  G.  d'Aguzan,  d'après 
une  nouvelle  de  Guy  de  Maupassant^  ;  La  Folie 
blanche,  de  M.  R.  Lenormand^;  Un  peu  de  musi- 
que, de  M.  Crosnier^  tirée  d'une  nouvelle  d'Eugène 
Fourrier^;  Mongenod,  de  M.  Marcel  Herbidon». 


1.  Distribution.  —  Le  prince  Prospère,  M.  Gouget.  —  Le  comte  Leo- 
nardo,  M.  Brizard.  —  Premier  seigneur,  M.  Buasy.  —  Deuxième  sei- 
gneur, M.  Ratineau.  —  Troisième  seigneur,  M.  Launay.  —  La  marquise 
Violante,  M»«  Clarel.  —  La  duchesse  Fortunata»  M"»  Pierval.  —  La 
comtesse  Gemma,  M"«  Wuilfford.  —  Premier  courtisan,  Mi'^  Devyî.  — 
Deuxième  courtisan,  MU*  Jeanne  Chesnel.  —  Une  dame  de  U  Cour, 
Mil»  Barry. 

2.  Distribution.  —  M.  Baudran,  M.  Ratineau.  —  Gougniat,  M.  Baur^ 
—  Honorine,  M"«  Bailly.  —  M»»  Bolumet,  M"«  Mériem.  —  Ophélie, 
M»«  Pierval. 

3.  Distribution.  —  M.  Dupont,  M.  Tune.  —  Paul,  M.  Jobert.  — 
M"»»  Dupont,  M««  Marcelle  Bailly.  —  Adèle,  M»*  Mértem. 

4.  Distribution.  —  Premier  interne,  M.  Tune»  —  Deuxième  interne, 
M.  Brizard,  —  Troisième  interne,  M.  Jobert.  —  Quatrième  interne, 
M.  Werney.  —  Le  chirurgien  de  service,  M.  R.  Bussy.  -^  Le  directeur, 
M.  Chevillot. 

5.  Distribution.  —  Labarbe,  M.  R.  Bussy.  —  Morin,  M.  Ratineau.  — 
Tonnelet,  M.  Chevillot.  —  Rivet,  M.  Jobert.  —  M««  Morin,  M»»  Marcelle 
Bailty.  —  Henriette,  M»«  Pierval, 

6.  Distribution.  —  Le  guide,  M.  Brizard.  —  Valsorey,  M.  Tune.  — 
Palézieux,  M.  Ratineau.  —  Marc,  M.  Jobert.  —  M">«  Palèzieux,  M»»  Mar- 
celle Bailly.  —  Eveline  Valsorey,  M»»  Pierval.  —  Elfrida  Darvson, 
M»«  Alfé»  —  Alberta,  M»«  Elise  Perret.  —  Kate  Darvson,  M»«  Favières. 

7.  —  Jouée  par  MM.  R.  Bussy,  Tune,  Brizard,  Werney,  Jobert. 

8.  Jouée  par  M.  Werney;  M*»»  Marcelle  Bailly,  Bérangëre,  Elise 
Perret. 


THÉÂTRE  DES  MATHURINS^ 


lô  JANVIER.  —  La  Femme  de  César ^  de  MM.  Hu- 
gues Delorme  et  G.  Gaillard,  musique  de  M.  Rodol- 
phe Berger*;  U Eperon^  de  MM.  Louis  Schneider 
et  André  Delcamp^  ;  La  Revue  des  Mathurins^  de 
M.  Lucien  Boyer*. 

2  MARS.  —  Le  Bon  Exemple^  de  M.  Maxime 
Formont^  ;  La  Dot  de  Virginie,  de  MM.  Yves 
Mérande  et  René  Guy®.;  Monsieur  Complote^  de 
M.  André  Barde  ^  ;  Le  Marchand  d' Amour ^  pièce 


1.  ~-  Directeurs  :  M.  Jules  Berny  ;  puis,  M.  Achille  Quellier. 

2.  Distribution.  —  Triceps,  M.  Tauffenberger.  —  Jules  César,  M.  Fer- 
nand  Frey.  —  Tircis,  M.  Victor  Boucher.  —  Vaganus,  M.  Henry 
Houry.  —  Pompeia,  M»'»  Suzanne  de  Bèhr,  —  Hortensia,  Mlle  Vanô 
Heina. 

3.  Distribution. —  Gatigny,  M.  Victor  Boucher.  —  Delormel,  M.  Henry 
Houry.  —  M"»»  Delormel,  MH»  Alice  Nory.  —  Justine,  MUe  Léo  Linh. 

4.  —  Jouée  par  M"«m  Thérèse  Cemay,  Jane  Rosny,  Léo  Linh  et  par 
MM.  Fernand  Frey,  Victor  Boucher,  Houry  et  Sevestre. 

5.  Distribution.  —  Stany,  M.  Boucher.  —  Marcelle,  M»*  Alice  Nory. 
Julie,  Mil*  Marcelle  Deschamps. 

6.  Distribution.  —  Rabourdin,  M.  Tauffenberger.  —  Maître  Plique, 
M.  Boucher.  —  Un  Clerc,  M.  Sevestre.  —  M»»»  Rabourdin,  Mlle  Lola 
Noyr.  * 

7.  Distribution.  —  Fermières,  M.  Sevestre.  —  Royer  de  Labrousse, 
M.   Boucher.  —  Marguerite,    MUe  Cassive.  —    Valentine  d'Ormesson, 

Mlle  Marcelle  Deschamps,  y 


44o  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

en  deux  actes  de  M"»®  Camille  Glermont  et  M.  Sé- 
verin  Malafayde*;  La  Mauresca^  de  M.  Bon- 
namy*. 

lo  AVRIL. — U Honneur  des  Bigache^  de  MM.  Bail- 
lot  et  Adam  3;  UOncle  Berlin,  de  M.  F.  Bloch*; 
Le  Messager,  de  MM.  de  Buysieulx  et  Roger  Max  ^  ; 
Un  Homme  à  femmes,  de  MM.  Max  Maurey  et 
Xavier  Roux^  ;  La^  Vie  de  château,  revue  de 
M.  Miguel  Zamacoïs'. 

29  MAI.  —  Le  Retour  du  bal,  de  M.  Claude 
Real;  Oui,  BenoistI,  de  M.  Rito  de  Marghy®;  Le 
Chasseur  du  Tigre  Blanc,  de  M.  Tristan  Bernard  ^  ; 


1.  Distribution.  —  Farnand  de  Romana,  M.  Eliévant.  —  Rénal, 
M.  Séverin  Mars.  —  Ballard,  M.  Tauffenberger.  —  Bourru,  M.  Andreyor, 

—  Philippe,  M.  Lorin.  —  Marie,  Mi'é  Cassive.  —  Elise,  M»»  Lola  Noyr. 

—  Fanette,  MU»  Clady. 

2.  Distribution.  —  L'actrice,  M"*  La  Toledo.  —  Le  Cambriolear, 
M.  Volbert. 

3.  Distribution.  —  M"»»  Lauriston,  M"»  Jjèbrec.  —  Zoé  Bigache, 
Mii«  Deschamps.  —  Lauriston,  M.  Sevestre.  —  Bigache,  M.  Lorin,  — Jean, 
M.  Déville. 

4.  Distribution.  —  Caroline,  M"«  Lola  Noyr.  —  Léa,  W^*  Deschamps. 
Valentin,  M.  Albert  Mayer.  —  Gribeaudois,  M.  Victor  Boucher. 

5.  Distribution.  -^  Andrette  d'Ombreuse,  M^»  Glady.  —  Fanay. 
Mil»  Valmy.  —  Anthème  Badoche,  M.  Numès.  —  Lesturgeon,  M.  Seves- 
tre. —  Vicomte  de  Ruelle  (lieutenant),  M.  Deville. 

6.  Distribution.  —  Paulette,  M>ie  Dallet.  —  Mariette,  M""»  Valmy.  — 
Aristide,  M.  Numès. 

7.  Distribution.  —  Perlette,  MU«  Lyse  Berty.  —  Le  Duc  de  Soissons, 
le  Colonel,  M.  Reschal.  —  Eugénius,  Clovis,  M.  Victor  Boucher^ 

8.  Distribution.  —  Benoist,  M.  Séverin  Mars.  —  Joseph,  M.  Boucher 

—  Mathias,  M.  Sevestre.  —  Bernadette,  MU«  Paule  Marsa.  —  Martsa, 
M'i*  Lola  Noyr. 

9.  Distribution.  —  Marcus,  M.  Boucher.  —  Loguillon,  M.  Sevestre.  — 
Gondebaut,  M.  Lorin.  —  Langlevent,.M.  Deville.  —  Jeanne,  M»«  Tolny. 

—  Olga,  Mil«  aiady. 


THEATRE    DES    MATHUKINS  44 1 

La  Rupture^   de   M.  Nozière*;  Le  Pyjama^  de 
M.  Jules  Râteau*. 

9  OCTOBRE.  —  Devant  les  banquettes^  prologue 
envers  de  M.  Hug-uesDelorme^;  Fête  de  famille  ^ 
de  M.  J.  Portai*;  La  Sonate  du  clair  de  lune, 
de  Ludovig  Wollff,  traduite  de  l'allemand  par 
M.  Fischer  5;  La  Consiffney  de  MM.  Oscar  Méténier 
et  Georges  Docquois^  ;  J'ai  manqué  de  respect 
à  la  comtesse j  de  MM.  Louis  Marsolleau  et 
P.  Menvaz. 

5.  NOVEMBRE.  —  Lc  Bois  Aimé,  de  M.  Genty'; 
Le  Démon,  de  M.  Edmond  Fleg^;  Collabos,  de 
M,  Xavier  Roux,  musique  de  M.  Léo  Pouget^  ; 
Bébé'Roi,  de  M.  Paul  Cloquemin*^. 


1.  Distribution.  —  André  Jarcel,  M.  Lucien  Brûlé.  —  Guillaume  Wol- 
mer,  M.  Séverin  Mars,  —  Louise  Duché,  M'i»  Polaire.  —  Jeanne, 
M»«  Valmy. 

2.  Distribution.  --  Jacques,  M.  Boucher,  —  Pierre,  M.  Lucien  Brûlé. 
Lily,  M"«  Lola  Noyr. 

3.  Distribution.  —  L'ouvreuse,  MUe  Suzanne  Oalley.  —  Le  critique, 
M.  Renoux. 

4.  Distribution.  —  Le  baron,  M.  Dorlèa.  —  Emile,  M.  Deville.  — 
Liane,  M»«  Jane  Féray.  —  M»»  Lévêque,  M"»  Any  Béro. 

5.  Distribution.  —  Hermann,  M.  V.  Boucher.  —  Isidore,  M.  Renoux. 

—  M««  Grumbach,  M"e  A.  Béro.  —  Sarah,  M»»  S.  Oalley.  —  Rébecca, 
M»«  B.  Lehrec.  —  Marie,  M»e  Le  GaultreU 

6.  Distribution.  —  Séverine  Pieuret,M"«  /.  Féray.  —  Jeanne  Lédoux, 
M.  Renoux.  —  Louis  Marvette,  M.  Dorlèa.  —  Le  père  Pierret, 
M.  Deville. 

7.  Distribution.  —  Fernand  Chailly,  M.  Darlès.  —Jean,  M.  Monea.—' 
Madeleine,  M»*  Suzanne  Oallet.  —  Marthe,  M»*  de  Gaullat. 

8.  Distribution.  —  Henri,  M.  Renoux.  —  Claire,  M»»  Jane  Féray. 

9.  Distribution.  —  Le  diplomate,  M.  Milo  de  Meyer.  —  Fourgonet, 
M.  Victor  Boucher.  —  Nina  d'Œillet,  M"«  Marguerite  Brésil. 

10.  Distribution.  —  Monsieur,  M.  Monca,  —  Madame,  MH»  Jane  Féray, 

—  Octavie,  M»»  Berthe  Lebric. 


442  LES  ANNALES   DU   THEATRE     ^ 

6  DÉCEMBRE.  —  NoTio^  comédic  en  trois  actes  de 
M.  Sacha  Guitry*  ;  La  Fiancée  du  Scaphandrier,  de 
M.  Franc-Nohain,  musique  de  M.  Claude  Terrasse  2; 
Tic  à  Tic,  de  MM.  de  Féraudy  et  J.  Rouché^. 

21  DÉCEMBRE.  —  La  Mort  de  Tintagiles,  drame 
en  cinq  tableaux  de  M.  Maurice  Maeterlinck*. 


i.  Distribution.  —  Robert  Chapelle,  M.  André  Dubosc.  —  Jacques 
Valois,  M.  Victor  Boitcher.  —  Jules,  M.  Renoux.  —  Nono,  M»e  Blanche 
Toutain.  —  M"«  Weiss,  M"«  Delphine  Renot.  —  Maria,  M»«  Suzanne 
Oalley. 

2.  Distribution.  —  Julot,  M.  Simon-Max.  —  Le  cantonnier  Bezard, 
M.  Milo  de  Meyer.  —  Alexis,  M.  Deville.  —  Elisa,  M»«  Claudie  de 
Sivry.  —  La  baronne,  M"»  Any  Bero.  * 

3.  Distribution.  —  Joseph  Jumelle,  M.  Victor  Boucher.  —  Sidonie 
Chasavent,  M^e  Suzanne  Gaîley. 

4.  Distribution.  —  Ygraine,  M"«  Qeorgette  Leblanc.  —  Bellangère, 
Mlle  Russell.  —  l"  servante  de  la  Reine,  M»«  Inès  Devriès.  —  2*  ser- 
vante, MH«  N.  Varésa.—  3^  servante,  M"«  Marie  Deslandes. —  Aglovale^ 
M.  Stéph.  Austin.  —  Tintagiles,  petit  Russell.  . 


THÉÂTRE  DES  CAPUCINES  * 


24  JANVIER.  —  La  Bonne  Intention^  comédie  ea 
deux  actes  de  M.  Francis  de  Croisset^;  Le  Nu^ 
méro  33,  de  MM.  Adrien  Vély  et  Léon  Mirai  3; 
Tout  vient  à  point...  de  MM.  Monet  et  Delay*;. 
Un  cas  de  folie  !  de  M.  Raymond  Pascal  ^. 

i4  AVRIL.  —  Kwtz^  drame  passionnel  en  un  acte 
de  M.  Sacha  Guitry  «. 

i5  MAI.  —  Paris  tout  nu ^  opérette  en  trois  ta- 
bleaux   de    M.    Michel    Carré  ^;    Mensonges  y    de 


1.  Directeur  :  M.  Michel  Mortier. 

2.  Distribution.  —  Jacques  Therland,  M.  Paul  Numa,  —  Alphonse^ 
M.  Thoulouze.  —  Maud  Gerfeuil)  M"»  Jeanne  Oranier.  —  M»«  Thurean- 
Mer  ville,  M"«  Alice  Nory,  puis  M»«  Jeanne  Bernou,  —  La  gouvernante, 
M»e  Sonia,  puis  MH«  Violet  Fulton.  —  Julie,  M"»  Andrée  Forine, 

3.  DiSTRiBUTioif.  —  Le  commissionnaire,  M.  L.  Bélières.  —  Jean  Le- 
vernoy,  M.  Lucien  Prad.  —  François,  M.  Paul  Darcy.  —  Diane  de 
Poitiers,  M»»  Viviane  Lavergne,  —  Eve  de  Luxembourg,  M'i*  Harvay. 
—  Amélie,  M"«  Jameson. 

4.  Distribution.  —  Georges,  M.  Oarbagny.  —  Adolphe,  M.  L.  Béliè- 
res. —  Un  maître  d'hôtel,  M.  Paul  Darcy.  —  Lucienne,  M»«  Wilford. 

5.  DistRiBUTioN.  —  Docteur  Zapatoff,  M.  Maurice  Valtein.  —  M.  Mo- 
che, M.  L.  Bélières.  —  Joseph,  M.  Thoulouze.  —  M»»  X,  MiU  ' Jameson. 

6.  Distribution.  —  Maximilien  Crickhoom,  M.  Félix  Galipaux.  — 
Hans  Van  de  Pioch,  M.  P.  Darcy.  —  Hildebrande  Van  de  Pioch,. 
M"«  Charlotte  Lysès.  —  La  bonne,  M""  Péri. 

7.  Distribution.  —Vicomte  d'Elysée-Palace,  Armando,  le  fils,  M.  An- 
dré Dubosc.  —  Frumence,  le  concierge,  le  secrétaire,  le  mari,  M.  Le 
Gallo.  —  Père  Moineau,  professeur  de  beauté,  l'huissier,  M.  Henry 
Houry.  —  Joseph,  M.  Thoulouze.  —  Un  monsieur,  M.  O.  Flandre.  — 


444  ^^S   ANNALES   DU    THEATRE 

MM.  de  Buysîeulx  et  Roger  Max*;  L'Honnête 
amant  y  de  M.  Elie  de  Bassan^. 

20  SEPTEMBRE.  —  Lcs  Honoraires ^  de  M.  Alfred 
Douane  3;  U Ardent  artilleur ^  de  M.  Tristan  Ber- 
nard*; La  Camomille^  de  MM.  Soulié  et  Daran- 
tière^ 

5  OCTOBRE.  —  L'Entente  cordiale ^  fantaisie  d'ac- 
tualité de  M.  P.  L.  Fiers  6. 

20  OCTOBRE.  —  Didi^  de  M.  Maurice  de  Féraudy  " ; 
Avant-hier  matin ^  opérette  en  trois  tableaux,  de 
M.  Tristan  Bernard,  musique  de  M.  Charles  Cuvil- 
lier^  ;  Une  mesure  pour  rien^  de  M.  André  Bardée 


Félicie,  dite  «  la  Corneille  »,  la  Duse,  Lavallière,  I  épouse  moderne, 
M"*  Louise  Balthy.  —  Parisetto,  la  manucure,  Mn«  de  Tulle,  la  bonne. 
Mii«  Ariette  Dorgëre.  —  M»«  Flaffa,  une  dame,  M»«  A.  Forine. 

1.  Distribution.  —  Robert  d'Antevielle,  M.  Le  Gallo.  —  Baron  Sainl- 
Loup,  M.  André  Duhosc.  —  Nine,  M»«  Suzanne  Devoyod.  —  Fanchette. 
M»«  Ellen  Thercal. 

2.  Distribution.  —  L'honnête  amant,  M.  Henry  Houry.  — -  Monsieur, 
M.- G.  Flandre.  —  Joseph,  M.  Thoulouze.  —  Elle,  M»*  Jameson.  — 
Marine,  M^e  Forine. 

3.  — Joués  par  MM.  Armand  Berthez,  Charles  Morin;  Georges  Flan- 
dre^ de  Chancenay;  Henry  Houry j  Sulpice;  M»«  Renée  Félyne,  Hé- 
lène. • 

4.  —  Joué  par  M.  Armand  Berthez^  Gamaré;  M"»»»  Jeanne  Crozei. 
veuve  Fontaine;  Jameson,  Sophie. 

5.  Distribution.  —  MM.  O.  Flandre,  Saint-Hilaire;  Henry  Houry, 
Thiroin;  M«"  Oeorgina  May,  Emma;  Andrée  Forine,  Julie. 

6.  Distribution.  —  M.  Lorchidée,  Misa  Crampton.  —  M"  Lefrance, 
M"«  Maroille. 

7.  Distribution.  —  André,  M.  Pierre  Magnier.  —  Angèle,  M»»  Louise 
Balthy.  —  Colette,  MHe  Lantelme. 

8.  Distribution.  —  Adam,  M.  Le  Gallo.  —  Le  vieux  jardinier, 
M.  Armand  Berthez.  —  Eve,  M^e  Alice  Bonheur. 

9.  Distribution.  —  Laubespin,  M.  Le  Gallo.  —  Bonniéres,  M.  Georges 
Flandre.  —  Madeleine,  M»»  Madeleine  Carlier.  —  Jacqueline,  Mil»  Lan- 
telme. 


THEATRE  DES  CAPUCINES  445 

17  NOVEMBRE.  —  La  Sauvegarde^  de  M.  Charles 
des  Fontaines  *  ;  Beaucoup  de  cris  pour  rien  I  fan- 
taisie chantée,  de  M.  Hugues  Delorme*. 

9  DÉCEMBRE.  —  Fin  de  vertu^  de  MM.  Tarride 
et  Vernayre^. 


1.  Distribution.  —  Guy  des  Tourelles,  M.  Huguenet.  —  De  Grigny, 
M.  Rozenherg.  —  Un  domestique,  M.  Georges  Flandre.  —  M«»«  de  Val- 
lorbe,  MU»  Marcelle  Lender.  —  Julie,  Mii«  Georgina  May. 

2.  Distribution.  —  La  divette,  M»»  Bour guette  Jifon/ôron.  —  L'auteur, 
M.  L.  Lacroix. 

3.  —  Distribution.  —  André  Noyelle,  M.  Rozeriberg.  —  Philippe  de 
Terne,  M.  Armand  Berthez.  —  Gaston  d'Armoy,  M.  Georges  Flandre. 
—  Maurice  Bleuze,  M.  Louis  Blanche..  —  Lucienne  d'Armoy.  M»«  Mar- 
celle Bordo. 


THÉÂTRE  MOLIÈRE* 


i8  JANVIER.  —  Premières  représentations  de 
l'Instinct^  pièce  en  trois  actes  de  M.  'Henry 
Kistemaeckers  *  et  de  la  Soutane ^  pièce  en  trois 
actes  de  M.  Arthur  Bernède^.  — .Un  romancier, 
beaucoup  moins  belge  qu'on  a'  bien  voulu  le 
dire,  M.  Henry  Kistemaeckers,  dont  les  deux 
seules  pièces,  Marthe  et  la  Blessure^  n'avaient 
pas  encore  suffisamment  affirmé  les  qualités  dra- 
matiques, nous  donnait  aux  ex-Bouffes-du-Nord, 
devenu  le  fort  élégant  Théâtre  Molière,  une  pièce 
en  trois  actes,  V Instinct^  à  laquelle  il  manquait  fort 
peu  de  chose  pour  être  tout  à  fait  intéressante.  Ce 
peu  de  chose  est  ce  que  le  «  cher  oncle  »,  notre 
regretté  maître  Francisque  Sarcey,  appelait  tout 
bonnement  «  l'art  des  préparations  ».  Ah!  si  les 
trois  actes  de  M.  Kistemaeckers  n'eussent  été  si 


1.  —  Directeurs.:  MM.  Clôt  et  Dublay. 

8.  Distribution.  —  Jean  Bernou,  M.  Candë.  —  André  Bernou, 
M.  Castelli.  —  Lantriquet,  M.  G.  Frère.  —  Pierre,  M.  Lecomte.  — 
Cécile  Bernou,  M««  Cora  Laparcerie.  —  Thérèse  Laugier,  M"»  Hélène 
Gondy.  —  Berthe,  MH»  Renée  Launay» 

3.  Distribution.  —  L'abbé  Jacques  Mirande,  M.  Monteux»  —  Msr  de 
Canardin,  M.  P.  Cresté.  —  Le  comte  Brossard,  M.  P.  Régnier.  —  Le 
père  Mirande,  M.  Howey.  —  Le  baron  de  Rouvray,  M.  Manneville.  — 
Henri  de  Prangis,  M.  GerhauU.  —  Docteur  Mercier,  M.  Mathieu.  ^  Le 
sacristain,  M.  Lecomte.  —  La  mère  Mirande,  M»»  Hélène  Gondy.  — 
—  La  baronne  de  Rouvray,  M'i«  Claude  Ritter.  —  Marguerite  de  Rou- 
vray, Mil»  Fanny  Auhell.  —  Le  petit  Jean,  M»»  Vendeling.  —  La  com- 
tesse Brossard,  MH»  Kranil.  —  M'ie  Elise  de  Monjoie,  W^^  Romane. 


448  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

sommaires,  vraiment,  qu'ils  semblaient  un  simple 
scénario,  nous  aurions  eu  plus  alors  et  mieux 
qu'une  situation  dramatique,  nous  nous  serions 
trouvés  en  face  d'une  «  œuvre  ».  M.  Adolphe  Candé, 
dont  on  avait  salué  avec  un  vif  plaisir  le  retour  à 
Paris  —  nous  l'avons  trouvé  déjà  au  chapitre  de 
rOdéon  —  avait  joué  son  rôle  avec  une  force,  une 
autorité  et  une  vigueur  sans  pareilles  :  M"*«  Cora 
Laparcerie  eût  pu,  ce  nous  semble,  donner  au  sien 
un  peu  plus  de  relief.  M.  Frère  avait  su  dessiner 
avec  une  certaine  vérité  la  figure  d'un  employé 
d'agence  de  renseignements.  —  Dans  Nos  deux 
consciences,  de  M.  Paul  Bourde,  l'abbé  Piou,  que 
jouait  Coquelin^  avait  failli  se  laisser  guillotiner 
plutôt  que  de  livrer  le  secret  de  la  confession. 
C'est  du  même  «  secret  de  la  confession  »  que 
traite  M.  Arthur  Bernède,  et  voici  le  sujet  de  la 
Soutane.  Le  jeune  curé  d'un  village  breton,  l'abbé 
Mirande,  a  reçu  d'une  de  ses  paroissiennes,  la 
baronne  de  Rouvray,  l'aveu  in  extremis  que  sa 
fille,  qui  porte  le  nom  de  Marguerite  de  Rouvray, 
est  en  réalité  la  fille  de  M.  de  Prangis.  Celui-ci  est 
mort,  mais,  marié  lui-même^  il  a  lai;ssé  un  fils  qui 
demande  la  main  de  M"®  de  Rouvray,  dont  il  est 
aimé.  Le  curé,  qui  sait  tout,  laissera-t-il  donc  le 
frère  épouser  la  sœur?  La  conscience  troublée 
au  delà  de  toute  expression,  il  demande  conseil  à 
son  évêque.  Celui-ci  répond  sans  hésitation  : 
«  Vous  devez  vous  taire.  Les  règlements  de 
l'Eglise  sont  formels  :  un  prêtre  ne  doit  jamais, 
quoi  qu'il  advienne,  violer  le  secret  de  la  confes- 
sion ...  »  Le  curé  ne  se  tient  pas  pour  battu.  Il 


THEATRE    MOLIÈRE  449 

arrache  à  son  évêque  Tautorisation  d'aller  à  Rome 
consulter  le  pape  lui-même.  Mais  il  n'est  pas 
reçu  par  Sa  Sainteté,  secrètement  prévenue  d'a- 
vance. Et  quand  il  revient  au  village,  son  pre- 
mier soin  est  de  tout  dire  au  jeune  homme,  qui 
s'expatriera  sans  revoir  celle  dont  il  voulait  faire  sa 
femme.  L'abbé  a  libéré  sa  conscience,  mais  il  a 
mérité  les  foudres-  de  l'Eglise,  qui  frapperait  le 
révolté,  si  les  paysans,  sourdement  travaillés  contre 
leur  curé  aux  idées  trop  généreuses,  ne  se  char- 
geaient de  lapider  le  malheureux,  comme  autrefois 
fut  lapidé  le  Christ.  «  Ils  ont  tué  le  bon  Dieu  !  ». 
s'écrie  un  petit  idiot,  moins  cruel  que  la  foule. 
M.  Arthur  Bernède  avait  pris  soin  de  nous  préve- 
nir qu'il  n'avait  pas  voulu  écrire  un  pamphlet,  et 
je  constate  bien  volontiers  les  très  sérieuses  qua- 
lités dramatiques  de  son  œuvre  sainement  pensée 
et  logiquement  déduite.  Tel  est  l'intérêt  de  la  Sou- 
tane  que,  malgré  l'heure  avancée  de  la  soirée  et 
l'éloignement  du  théâtre  légèrement  excentrique  en 
dépit  des  nouveaux  moyens  de  communication, 
nous  sommes  presque  tous  restés  rivés  à  notre 
fauteuil  et  très  inquiets  de  savoir  comment  «  cela 
finirait. . .  »  Avec  sa  belle  voix  et  son  évidente  in- 
telligence, M.  Henri  Monteux  a,  de  façon  très  vi- 
vante, incarné  l'abbé  Mirande  :  pardonnons-lui  des 
écarts  de  mémoire  qui  n'ont  souvent  fait  qu'une 
bouillie  de  l'honnête  prose  de  l'auteur.  Et  sachons 
rendre  justice  aux  efforts  vers  le  naturel  qu'ont 
tentésj  sous  les  traits  du  père  et  de  la  mère  Mirande, 
M.  How^ey  etM"^  Hélène  Gondy — bien  jeune  pour 
l'emploi. 

ANNALES  DU  THÉÂTRE  29 


45o  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

20  AVRIL.  —  On  donnait,  en  matinée  du  jeudi 
•saint,  la  Pécheresse^  drame  sacré  en  trois  actes,  de 
M.  R.  de  Gaëi,  musique  de  scène  de  M.  Farigoul. 
M.  Léon  Second  jouait  le  rôle  du  Christ;  M"®  Claude 
Ritter,  celui  de  Marie-Magdeleine. 

4  MAI.  —  Aux  très  fruclueuses  soirées  de  Vins-- 
tinct  et  de  la  Soutane,  dont,  jusqu'aux  derniers 
jours  d'avril,  la  vogue  ne  s'était  pour  ainsi  dire, 
jamais  démentie,  succédait  en  fin  de  saison  un  spec- 
tacle coupé,  comprenant  :  V Échéance j  pièce  en  trois 
actes  de  M.  Pierre  de  Sancy*;  Monsieur  s' amuse  y 
pièce  en  un  acte  de  MM.  de  Bruysieulx  et  Roger 
Max  2  ;  On  réclame,  !  comédie  en  un  acte  de 
MM.  Auguste  Germain  et  R.  Trébor^et  Nos  fai- 
blesses, pièce  en  deux  actes  de  MM.  Maurice  Du- 
plessy  et  Joseph  André  *^. 

26  MAI.  —  Première  représentation  de  la  Lé- 
(fende  du  Ménétrier,  donnée  par  les  Cadets  de 
France,  pièce  en  quatre  actes  et  en  vers  de  M.  Jac- 
(jues  Roullet,  musique  de  scène  de  M.  H.  Eymieu^. 

1.  Distribution.  —  Le  comte  de  Verlan,  M.  Henry  Perrin.  —  Jean 
Verlan,  M.  Jean  Coste* —  Germain,  M.Howey.  —  Une  Sœur  de  charité, 
Mil»  Romane.  —  Thérèse  Chartrain,  MW«  Lola  Noyr.  —  Yvonne, 
MU«  Dorny,—  Jeanne,  M"«  Magda. —  Comtesse  de  Verlan,  Mi»«  Kranil. 

$.  Distribution.  —  Le  baron,  M.  Garay.  —  Le  comte  de  Kerguer, 
M.  K.  Ferny.  —  Emile,  M.  Page.  —  M"»»  de  Burnham,  M"»  Lola  Noyr. 
—  Vne  petite  femme,  MH'Dorwy.  —  Luce,  M"»  Magda.  —  Une  femme 
de  chambre,  MH»  Romane. 

3.  Distribution.  —  M.  Ducaty,  M.  Howey.  —  Le  directeur,  M.  E. 
Forny.  —  Un  garçon  de  bureau.  M.  Page. 

i.  Distribution.  —  Georges  Brissot,  M.  Henry  Perrin.  — André  Ser- 
gines,  M.  Jean  Coste.  —  Le  docteur,  M.  Garay.  —  Un  domestique, 
M.  Page.  —  Suzanne  Brissot,  MH«  Camille  Preyle.  —  La  garde-malade, 
Mil»  Magda. 

5.  Distribution.—  Ludwig,  M.  Albert  Mayer.—  Frédéric,  M.  Camille 
Borde.  —  Ibrahim,  M.  Denoijc.  —  Un  homme  du  peuple,  M.  Hoxcey»  '•— 


THEATRE    MOLIERE  45 1 

4  OCTOBRE.  —  Première  représentation  de  la 
Concurrente^  pièce  en  trois  actes  de  M.  Jean  Roy*. 
—  Sous  le  pseudonyme  assez  transparent  de  Jean 
Roy,  l'auteur  de  la  Concurrente,  disons-le  tout  de 
suite,  est  la  veuve  du  regretté  Albert  Le  Roy,  na- 
guère député  de  TArdèche,  qui  professa  î\  la  Sor- 
bonne  un  cours  libre  sur  la  littérature  sentimen- 
tale et  exerça  avec  honneur,  dans  une  feuille 
parisienne,  les  fonctions  de  critique  dramatique. 
Qu'eût  dit  notre  distingué  confrère  d'une  pièce 
dont  le  héros,  qui  est  homme  de  lettres,  est  le  type 
le  plus  complet  du  «  parfait  mufle  »  ?  Romancier, 
dramaturge  et  journaliste  en  vogue,  Maxime  Cor- 
mière  ménage  si  peu  ses  forces  physiques  qu'insen- 
siblement son  cerveau  se  vide,  au  point  qu'on 
peut,  hélas  !  prévoir  le  moment  où,  en  dépit  des 
traités  qu'il  a  signés  de  tous  côtés  avec  les  éditeurs 
et  directeurs,  il  ne  pourra  plus  ni  trouver  une  idée, 
ni  écrire  une  ligne.  Et  plus  tôt  qu'on  ne  le  pensait 
arrive  l'instant  fatal  :  Maxime  devient  subitement 


L'archiprêtre,  M.  Berieaux.  —  Le  vicaire,  M.  Fallens.  —  Un  héraut, 
M.  Préval.  —  Kadijah^  MHe  Olga  Demidoff.  — .  Une  Sœur  tourière, 
M»»  Laure  Mouret.  —  Âïcha,  M"«  Mommand.  —  Eliazise,  M^e  Ver- 
nières. 

On  commençait  par  Fidèle  au  poste,  un  acte  de  MM.  Moriss  et  Marcus 
Bernard,  joué  par  MM.  Howey,  Préval  et  Jalabert. 

1.  Distribution.  —  Georges  Delver,  M.  Alb.  Lambert.  —  Maxime  G^r- 
mière,  M.  Pouctal.  —  Férias,  M.  Mévisto.  —  Paul  Reinau,  M.  Castetli.— 
Magies,  M.  Angély.  —  Montanet,  M.  Paul  Daubry.  —  Ispravich, 
M.  Fleury-Fontès.  —  Pierre  Krémor,  M.  Duchemin.  —  Henri,  M.  Hé- 
rault*—  Eva  Cormière,  M»»  Suzanne  Devoyod. —  Rose  Numa,  M'ie  Alice 
Béry.  —  Michelle,  Mlle  de  Dehen.  —  Marga  Ispravich,  M"»  Dargenton. 
—  Flore,  MH«  Claudie  de  Sivry.  —  M""»  Chadeuil,  MH«  Montout.  — 
Marie,  MH«  Jung.  —  Marthe,  M"*  Romane. 

V Audition  èidM  jouée  par  MM.  Fleury-Fontès ^  Jalabert,  Gérault, 
Mil"  de  Sivry. 


452  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

fou  ! . . .  Fou  guérissable,  assure  le  professeur 
Delver  qui  le  prend  en  la  maison  de  santé  où  il 
traite  des  neurasthéniques,  pendant  qu'au  bon 
public  on  cachera  soigneusement  sa  véritable 
maladie.  On  la  dissimule  si  habilement  que,  pen- 
dant les  mois  qu'il  passe  chez  le  docteur  Delver, 
sa  très  remarquable  et  toute  dévouée  femme  —  se 
révélant  femme  de  lettres  —  pourra  signer  du 
nom  de  Cormière  le  roman,  la  pièce  de  théâtre  et 
l'article  de  journal  qu'on  attendait  impatiemment 
de  l'illustre  écrivain.  Mais  quand,  entrant  en  pleine 
convalescence,  il  réintégrera  le  domicile  conjugal, 
croyez-vous  qu'il  se  montrera  heureux  d'avoir  été 
si  adroitement  remplacé  ?  Pas  le  moins  du  monde  : 
il  s'avouera  purement  jaloux  de  la  «  concurrente  » 
qui  l'imitait  trop  bien,  et  nous  le  verrons  pousser 
la  noire  ingratitude  envers  celle  qui  avait  eu  l'art 
de  sauver  sa  fortune  et  sa  gloire  jusqu'à  lui  faire 
gratuitement  l'injure  d'aller  manger  en  Russie,  en 
compagnie  d'une  capiteuse  comédienne,  la  forte 
somme  que  lui  avait  si  noblement  gagnée  sa  vail- 
lante femme.  Avais-je  pas  raison  de  vous  dire  tout 
à  l'heure  que  ce  Maxime  Cormière  était  un  mufle  — 
je  répète  le  mot  —  d'espèce  assez  rare  ?  Cette  his- 
toire —  vécue,  dit-on  —  ne  remplissait  pas  à  elle 
seule  une  pièce  bizarre  et  un  peu  touffue,  dont  les 
meilleures  intentions  ne  furent  pas  toujours  très 
bien  comprises  par  les  auditeurs  du  premier  soir.  11 
y  avait  un  peu  de  tout  dans  cette  comédie  mal 
bâtie  :  une  certaine  audace,  du  verbiage,  beaucoup 
de  verbiage,  et  même  de  l'esprit  par-ci,  par-là.  Elle 
ne  fut  pas  du  tout  mal  interprétée  par  une  troupe 


THEATRE    MOLIÈRE  453 

recrutée  de  bric  et  de  broc.  C'était  M.  Albert  Lam- 
bert (le  docteur  Delver),  qui,  vraiment,  ne  méritait 
pas  de  quitter  TOdéon  où  il  avait  rendu  tant  de  si 
loyaux  services.  C'était  M.  Pouctal  (Maxime  Cor- 
mière)  que  nous  avions  applaudi  autrefois  dans  les 
héros  plus  ou  moins  honnêtes  des  mélodrames  de 
l'Ambigu.  C'était  M.  Mévisto,  se  tirant  avec  aisance 
d'une  tâche  indigne  de  sa  valeur.  C'était  M"^  Suzanne 
Devoyod,  l'une  des  meilleures  «  Parisiennes  »  de 
Becque^  qui,  de  façon  très  touchante,  remplissait 
le  rôle  de  la  noble  «  concurrente  ».  C'était  enfin 
M"«  Alice  Béry  qui,  pleine  de  vrai  talent,  rendait 
à  miracle  avec  une  voix  superbe  et  une  diction 
toute  classique  les  scènes  passablement  hardies  où 
Rose  Numa,  la  gentille  actrice  disant  à  Cormière 
le  béguin  qu'elle  avait  pour  lui,  et  son  vif  désir 
d'être  enlevée.  Comment  résister  à  un  si  joyeux 
entrain?  La  soirée  —  toute  au  féminisme  —  avait 
gaiement  commencé  par  une  petite  pièce  qui  affichait 
assurément  beaucoup  moins  de  prétention  que  la 
grande.  U Audition  est  signée  de  M"«  Marie  Lapar- 
cerie,  sœur  de  Cora...  C^est  l'histoire,  banale  à 
force  d'être  vraie,  de  la  jenne  artiste,  complaisam- 
ment  recommandée  par  le  directeur  des  Beaux- 
Arts,  qui  débite  une  scène  de  Phèdre  —  le  garçon 
d'accessoires  lui  donne  grotesquement  la  réplique 
—  et  qu'on  engage  «  à  l'œil  »  pour  sa  première 
année.  Il  est  vrai  qu'elle  sera  autorisée  à  payer  ses 
toilettes,  et  que,  si  elle  est  gentille  avec  son  direc- 
teur —  vous  savez  ce  que  parler  veut  dire  —  elle 
a  l'espoir  de  voir  doubler  ses  appointements. 
Notons  le  bon  accueil  fait  à  l'acte  franchement 


454  LES    ANNALES    DU    THÉÂTRE 

amusant  de  M"«  Marie  Laparceri.e,  et  les  applaudis- 
sements justement  mérités  par  sa  verveuse  inter- 
prète, M"''  Claudie  de  Sivry. 

3i  OCTOBRE.  —  Première  représentation  de /^rerf, 
comédie  en  trois  actes  de  MM.  Auguste  Germain 
et  R.  Trébor*.  —  Fred  est  une  fort  gentille  comé- 
die parisienne  et  du  meilleur  ton.  On  y  côtoie  des 
honnêtes  gens  et  de  braves  gens.  L'action  est 
agréable  et  d'une  simplicité  souriante,  et  juste 
assez  pimentée  pour  ne  pas  tomber  dans  le  pro- 
verbe. Les  personnages  ne  cassent  pas  les  vitres, 
mais  sont  suffisamment  gais  pour  rompre  la  glace 
et  bénéficier  de  la  vive  sympathie  des  spectateurs. 
C'est  du  joU  Scribe,  du  Scribe  modernisé  qui  re- 
pose des  rosseries  auxquelles  les  théâtres  du  bou- 
levard nous  ont  récemment  accoutumés.  Frédéri- 
que  ou  plutôt  Fred,  célèbre  doctoresse  en  méde- 
cine, est  la  maîtresse  de, Georges  Legrand,  un  fils 
à  papa  très  doux,  très  faible,  déplorablement  indé- 
cis. C'est  un  gentil  garçon,  pas  méchant  pour  un 
sou,  mais  qui  n'ose  rien  faire,  ni  résister  ouverte- 
ment à  son  père,  lequel  veut  lui  faire  épouser  Aline 
Ribourg,  jeune  fille  timide,  un  peu  bécasse  et 
«.trop  bien  élevée  »,  ni  rompre    nettement  avec 


1.  Distribution.  —  Saint-Ernest,  M.  André  Dubosc.  —  Monsieur  Le- 
grand, M.  Pouctal.  —  Georges  Legrand,  M.  Henry  Lamohg.  —  M.  Lom- 
bard, M.  Angély.  —  Un  ouvrier,  M.  Jalabert.  —  Alexandre.  M.  Gérault. 
—  Une  institutrice,  M"»  Jung.  —  Frédérique,  Mil»  Marguerite  Caron.  — 
Aline  RibOurg,  M»»  Mireille  Corbé.  —  M»»»  Lombard,  M»*  de  Dehen.  — 
Miss  Marguerite,  M"«  Romane.  —  Catherine,  MH«  Vernières.  —  M"«  de 
Courmartin,  M"»  Millière.  —  M»«  de  Lynneuil,  M»»  Valdès. 

On  commençait  par  les  Parias,  pièce  en  un  acte,  de  MM.  Robert  Van- 
couvert  et  Ch.  Duflo,  jouée  par  MM.  Angély,  Gerbault,  Fleury-Fontès, 
Charpin  et  MH»  Claude  Ritter. 


THEATRE*  MOLIERE  455 

Fred.  Il  se  résout  pourtant  à  faire  la  noce,  affiche 
une  liaison  de  music-hall,  se  ruine  au  jeu,  et  re- 
vient implorer  le  pardon  de  sa  maîtresse  :  celle-ci 
le  lui  accorde  à  «  bouche  que  veux-tu  »  trop  heu- 
reuse de  reconquérir  son  amant  chéri,  son  enfant 
gâté,  son  «  joujou  ».  Entre  temps,  Alice  Ribourg, 
bouleversée  de  Tindifférence,  on  peut  dire  du  lâ- 
chage de  son  fiancé,  est  venue  consulter  IsL  fa- 
meuse doctoresse  sur  son  état  d'âme,  —  état  plu- 
tôt nerveux  qui  Tamène  a  se  confesser,  à  demander 
«  qu'on  la  guérisse  du  mal  d'amour  ».  Fred,  en 
bonne  personne,  inconsciente  d'ailleurs  de  sa  bonne 
action,  conseille  à  sa  jeune  cliente,  au  lieu  de  bro- 
mure, moins  de  timidité,  au  lieu  de  douches,  plus 
de  coquetterie.  La  leçon  porte  ses  fruits.  Georges 
qui  vient  de  nouveau  de  se  disputer  avec  Fred, 
rencontre  au  bon  moment  son  ex-fiancée  absolu- 
ment transformée.  C'est  presque  maintenant  une 
miss  américaine  indépendante,  hardie,  parlant  un 
tantinet  argot.  Jeune  fille  modern-style,  elle  séduit 
définitivement  notre  indécis  qui  l'épouse  un  peu 
pour  elle,  beaucoup  pour  faire  plaisir  à  sa  famille. 
Rassurez-vous  :  Fred  ne  languira  pas  dans  un  cruel 
abandon.  Elle  deviendra  la  femme  d'un  spirituel 
garçon  appelé  Saint-Ernest,  qui  fut  consul  vingt- 
quatre  heures  et  consacra  le  reste  de  son  temps  à 
faire  la  cour  à  la  jolie  doctoresse.  M.  André  Du- 
bosc  créa  ce  personnage  d'une  touche  fine,  amu- 
sante et  légère  :  il  fut  une  des  gaîtés  de  cette  pièce 
aimable.  M.  Pouctal  fut  un  père  bon  enfant,  et 
M.  Henry  Lamothe  un  agréable  jeune  premier, 
presque  trop  jeune,  presque  trop  joli.  On  ne  peut 


456         LES  ANNALES  DU  THEATRE 

que  complimenter  M"®  Marguerite  Caron  d'une 
création  qui  fait  honneur  à  son  talent  conscien- 
cieux :  nous  applaudîmes  en  elle  une  Fred  tour  à 
tour  émue  et  tendre,  sérieusç  parfois,  charmante 
toujours.  M"®  Mireille  Corbé,  intelligente  et  jolie, 
nous  a  paru  exagérer  quelque  peu  la  bécasserie  et 
la  hardiesse  d'Aline  Ricourt,  ce  qui  nuit  à  la  vrai- 
semblance du  personnage  :  le  public  s'en  amusait 
pourtant.  Les  autres  interprètes,  M°*^«  de  Deken, 
Romane,  Millière,  MM.  Angély,  Gérault  et  Jala- 
bert,  complétaient  un  bon  ensemble. 

i5  DÉCEMBRE.  —  Première  représentation  à* Une 
Nuit,  pièce  en  un  acte  de  MM.  André  de  Fouquiè- 
res  et  Charles  Casella*. 


1.  —  Distribution.  —  Jean,  M.  Mayer.  —  Raymond,  M.  Boyer.  —  Le 
cambrioleur,  M.  Fleury-Fontès.  —  Un  agent,  M.  Charpin.  —  Germaine, 
M»«  Claude  Ritter.  —  La  concierge,  MH«  Jung, 

2.  —  Des  matinées  «classiques  et  modernes»  furent  données  avec 
succès,  le  jeudi,  au  Théâtre  Molière.  M.  Galipaux  s'y  montra  d'extra- 
ordinaire fantaisie  dans  les  Précieuses  ridicules;  M.  Duard  y  joua 
brillamment  le  Médecin  malgré  lui]  M>"«  Descorval  déploya,  en  divers 
rôles  de  son  emploi,  l'exubérante  verve  qu'on  lui  connaît;  Ml)*  Alice 
Béry  retrouva,  dans  Dorine  de  Tartufe^  le  beau  succès  qu'elle  avait  na- 
guère obtenu  à  l'Odéon  ;  Mlle  Claude  Ritter  se  fit  chaleureusement  applau- 
dir, en  compagnie  de  MM.  Garay  et  Henry  Perrin,  dans  Horace  et  dans 
Andromaque,  puis  avec  M.  Léon  Segond,  dans  Britannicus;  M»» Lucie 
Brille  fut,  dans  Phèdre,  la  très  digne  interprète  de  Racine.  Enfin,  le  16 
novembre,  k  l'une  de  ces  matinées  populaires,  on  donnai  Severo  Torelli 

.  de  M.  François  Cuppée. 


THEATRE    MOLIÈRE. 


457 


Sainte-Roulette i  pièce. 

L' Allumeur ,  pièce/ 

^L' Instinct j  pièce S 

""La  Soutane,  pièce 

*La  Pécheresse j  drame  sacré 

""Nos  Faiblesses,  pièce 

*  L'Echéance,  pièce 

""On  réclame,  comédie 

*  Monsieur  s'amuse,  pièce 

*La  Légende  du  Ménétrier,  pièce  en  vers 

*Fid€le  auposte,  pièce 

*La  Concurrente,  pièce 

*  L'Audition,  comédie 

*Fred,  comédie 

*Les  Parias,  pièce ■. 

*  Une  Nuit,  pièce 


DATE 

NOMBRE 

delà 

IM  représ. 

d'actes 

ou  de  la 

reprise 

4 

)) 

1 

» 

3 

18  janv. 

3 

18  janv. 

3 

20  avril 

2 

4  mai 

3 

4  mai 

1 

4  mai 

1 

4  mai 

4 

26  mai 

1 

26  mai 

3 

4  octob. 

1 

4  OGtob. 

3 

31  octob. 

1 

31  octob. 

•    1 

15  déc. 

NOMBRE 

de 

représent; 

pendant 

Tannée 


8 

8 

101 

101 

2 

18 

"18 

19 

18 

9 

.  9 

31 

31 

74 

51 

22 


LES  TRENTE  ANS  DE  THÉÂTRE 


Sous  la  toujours  entraînante  et  fort  intelligente 
direction  de  leur  président-fondateur,  Adrien  Ber- 
nheim^  les  Trente  ans  de  Théâtre  ont  continué 
avec  le  plus  vif  succès  leur  œuvre  bienfaisante  et 
populaire.  En  igo5,  ils  donnaient  dans  les  fau- 
bourgs trois  représentations  de  Tartuffe^  trois  re- 
présentations de  V Avare,  trois  représentations  du 
Barbier  de  Séville,  et  quatre  représentations  du 
Malade  imaginaire.  Ils  jouaient  une  fois  VEtourdi, 
les  Femmes  savantes j  le  Misanthrope ,  les  Précieuses 
ridicules  et  le  Médecin  malgré  lui^  une  fois  aussi 
PhèdrCj  Andromaque^  les  Plaideurs  et  le  Jeu  de 
l'amour  et  du  hasard.  Ajoutons  à  ces  œuvres  du 
répertoire  classique  la  curieuse  résurrection  de  la 
Corde  sensible,  le  vieux  vaudeville  de  Clairville  et 
Lambert  Thiboust;  la  reprise  de  Fil  en  aiguillcy 
la  piquante  comédie  de  M.  Léon  Gandillot;  une 
brillante  «  Soirée  Massenet  »;  une  délicieuse 
<(  Heure  de  Mozart  »  ;  les  gais  «  Refrains  d'Offen- 
bach  »,  que  précédaient  des  fragments  du  Barbier 
de  Séville  et  du  Mariage  de  Figaro  de  Beaumar- 
chais, de  Rossini  et  de  Mozart,  joués  et  chantés 
par  les  meilleurs  artistes  de  la  Comédie-Française 
et  de  rOpéra-Comique,  et  l'amusante  représenta- 


46o  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

tion  du  Misanthrope  et  l'Auvergnat  de  Labiche. 
Joij^nons  encore  les  matinées  (hors  série)  du  Tr«>- 
cadéro,  où,  avec  les  Fourberies  de  Scapin  et  les 
«  Chansons  d'Alfred'  de  Musset  »,  se  donnèrent 
Samson  et  Dalila  de  M.  Saint-Saëns,  la  Damna- 
tion de  Faust  de  Berlioz,  et  le  Manfred  de  Schu- 
mann,  conduits  par  M.  Camille  Chevillard. 

Mais  laissons  la  parole  à  M.  Henry  Marel,  rap- 
porteur des  Beaux-Arts  : 

Il  y  a  quelques  jours,  écrivait-il,  la  sous-commission 
consultative  des  théâtres,  cherchant  par  quels  moyens  on 
pourrait  multipliera  Paris  les  représentations  populaires, 
émettait  le  vœu  suivant  : 

«  Considérant  que  Tœuvre  des  Trente  ans  de  Théâtre 
répond  exactement  au  hut  poursuivi,  se  déclare  favorable 
à  toutes  les  mesures  qui  pourraient  en  assurer  le  déve- 
loppement. » 

On  ne  pouvait  consacrer,  en  termes  plus  décisifs,  le 
succès  de  ces  belles  représentations  de  faubourg-s  orga- 
nisées par  les  Trente  ans  de  Théâtre  et  qui,  avant  la  fin 
de  Tannée,  atteindront  leur  centième.  Et  n'est-ce  pas  le 
cas  de  répéter  avec  un  des  initiateurs  de  cette  œuvre, 
Gustave  Larroumet  (27  octobre  1902,  le  Temps)  : 

«  Il  y  a  là  quelque  chose  de'très  considérable  et  la 
portée  de  cette  épreuve  va  beaucoup  plus  loin  que  le  but 
immédiatement  visé.  Il  ne  s'agit  plus  seulement  d'une 
soirée  fructueuse  pour  une  œuvre  de  bienfaisance.  11  est 
démontré,  il  est  acquis  que  les  œuvres  les  plus  hautes 
sont  à  la  portée  du  peuple  et  que  le  peuple  ne  demande 
qu'à  s'y  intéresser  passionnément.  Il  a  prouvé  qu'il  était 
capable  de  prendre  sa  part,  sa  large  part  dans  ce  patri- 
moine dramatique  où  notre  génie  national  a  mis  le 
meilleur  de  lui-même  et  dont,  jusqu'à  présent,  il  était 


LES  TRENTE  ANS  DE  THEATRE        46 1 

privé,  lui,  peuple,  je  dirai  presque  frustré,  puisque  nous 
sommes  une*  démocratie.  Voilà,  si  Ton  veut,  la  véritable 
formule  du  théâtre  populaire  :  le  grand  répertoire  allant 
chercher  le  peuple  chez  lui.  La  société  riche  irait  le  voir 
rue  Richelieu,  comme  par  le  passé  ;  mais,  de  temps  en 
temps,  le  plus  souvent  possible,  il  irait,  lui,  dans  les 
faubourgs  se  mettre  en  contact  avec  Tâme  du  peuple.  » 

De  son  côté,  Catulle  Mendès,  si  passionné  pour  tôute^s 
ces  questions  de  vulgarisation  d'art,  s'exprime  ainsi  : 

«  Vous  savez  le  juste  triomphe  de  tant  d'admirables 
artistes  dans  cette  éclatante  matinée  de  gala  qui  a  fêté  la 
première  cinquantaine  des  Trente  ans  de  Théâtre.  Pas 
d'oeuvre  plus  discrètement,  plus  utilement  charitable 
que  celle-ci.  Mais  ce  n'est  pas  seulement  à  cause  de  la 
bonté  qu'elle  se  recommande  à  l'universelle  sympathie  ; 
c'est  aussi,  c'est  surtout  à  cause  de  la  beauté.  M.  Adrien 
Bernheim  ne  borne  pas  son  ambition  à  secourir  des 
souffrances,  à  relever  des  fatigués,  à  guérir  des  malades; 
par  ses  belles  représentations,  où  figurent  des  ouvrages 
presque  toujours  irréprochables,  il  met  les  chefs-d'œuvre 
à  la  portée  des  moins  riches,  il  offre  le  génie  au  peuple. 
C'est  la  vraie  façon  de  hausser  les  esprits  de  la  foule  et 
de  les  épurer.  La  moralisation  par  le  spectacle  du  beau 
n'est  pas  du  tout  une  chimère.  Et  M.  Adrien  Bernheim 
a  l'honneur  de  montrer  combien  est  réalisable  le  vrai 
théâtre  populaire  que  le  premier  j'ai  proposé,  selon  un 
plan  simple  et  point  dispendieux  auquel  n'a  été  faite 
aucune  objection  sérieuse,  ce  théâtre  qui  est  le  rêve  de 
tous  les  poètes  et  qui  devrait  être  le  souci  des  législa- 
teurs. » 

11  serait  injuste  de  ne  pas  associer  dans  cet  hommage 
les  directeurs  et  les  artistes  de  là  Comédiç-Française  et 
de  rOpéra  qui  ont  compris  le  but  des  Trente  ans  de 
Théâtre  :  «  Faire  le  bien  à  l'aide  du  beau  »  et  ont  porté 
aux  petits  Parisiens -chez  eux,  dans  leurs  théâtres,  sans 


402  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

aug-meotation  du  prix  des  places,  sans  leur  donner  !a 
peine  de  se  déranger,  les  chefs-d'œuvre  de  la  tragédie, 
de  la  comédie  et  de  la  musique.  Ils  ont  compris  que  ces 
Trente  ans  de  Théâtre  réalisaient  un  triple  but  :  i®  se- 
cours directs  immédiats  aux  malheureux  ;  2^  une  forme 
pratique  du  théâtre  populaire;  3®  un  supplément  de 
traitement  appréciable  pour  tout  le  personnel  contri- 
buant au  succès  de  ces  soirées  des  faubourgs. 

Et  c'est  ainsi  que,  poursuivant  leur  tâche,  «  la  morali- 
sation  du  peuple  par  le  spectacle  du  beau  »,  les  Trente 
ans  de  Théà».re  ont,  depuis  le  i**"  janvier  1900,  continué 
le  cycle  de  leurs  soirées  faubouriennes  et  desservi  tour  à 
tour,  suivant  la  règle  qu'ils  se  sont  imposée,  la  plupart 
des  arrondissements  suburbains.  C'est  ainsi  que,  se 
préoccupant  de  varier  toujours  leurs  spectacles  et  de  ne 
jamais  offrir  les  mêmes  œuvres  aux  mêmes  publics,  ils 
donnaient  successivement  en  janvier,  au  théâtre  Moncey, 
V Avare,  joué  par  la  Comédie-Française  ;  un  acte  de 
Faust  et  un  acte  de  Sam  son  et  Dalilaj  par  l'Opéra  ;  qu  a 
l'Alhambra,  on  jouait  les  Plaideurs,  un  acte  des  Hu- 
guenots et  des  intermèdes  de  danse,  et  en  avril,  Andro- 
maque  et  un  acte  de  Samson  et  Dalila;  au  théâtre 
Ménilmontant,  V Avare,  des  fragments  de  Vlphigénîe 
de  Gluck  ;  une  seconde  fois;  le  Malade  imaginaire  et 
un  acte  de  la  Favorite;  une  troisième  fois,  les  Précieuses 
ridicules,  la  Nuit  d'octobre. 

Chaque  fois,  un  conférencier  s'était  chargé  de  présen- 
ter, dans  une  causerie  familière,  le  but  des  Trente  ans  et 
aussi  de  préparer  le  public  à  la  représentation  qui  allait 
lui  être  donnée.  Ce  furent  Félix  Decori,  Louis  Barthou, 
Gramont,  Klotz,  Georges  Bureau,  Jeanne  Brémontier,  des 
écrivains,  des  avocats  et  même  des  hommes  politiques. 

Le  conseil  municipal,  séduit  par  ces  spectacles-cein- 
ture, a  encouragé  les  Trente  ans  de  Théâtre.  Il  les  a 
indemnisés  des  frais  de  location  de  salle.  Le  conseil  a 


LES  TRENTE  ANS  DE  THEATRE        463 

voté  aux  Trente  ans  une  subvention  de  io.5oo  francs,  il 
l'a  portée  cette  année  à  12.000  francs,  exprimant  le  désir 
que,  comme  les  années  précédentes,  le  recueil  des  cause- 
ries sténographiées  soit  publié  et  distribué  dans  les 
écoles,  car  les  écoles,  il  ne  faut  pas  l'oublier,  reçoivent 
pour  chacune  de  ces  soirées  populaires  un  certain  nom- 
bre de  places  gratuites  distribuées  par  l'intermédiaire 
du  directeur  de  l'enseignement  à  la  préfecture. 

A  ces  soirées  classiques  populaires  des  faubourgs  sont 
venues  s'ajouter  quelques  matinées  que  les  Trente  ans 
organisent  au  Trocadéro  quatre  ou  cinq  fois  par  an. 
On  se  souvient  du  retentissant  triomphe  à' Œdipe  roi 
joué  par  la  Comédie- Française,  Mounet-Sully  en  tête, 
de  Samson  et  Dalila  chanté  par  l'Opéra,  de  Bérénice 
avec  Ml^fi  Bartet,  de  la  Damnation  de  Faust  avec  l'or- 
chestre de  Ghevillard.  Ces  matinées,  bien  que  le  tarif  ne 
soit  plus  celui  des  soirées  faubouriennes  (la  place  maxima 
y  est  portée  à  5  francs),  ont  eu  une  répercussion  énorme 
par  la  seule  raison  que  toujours  —  comme  à  Belleville, 
à  Ménilmpntant  ou  à  BatignoUes  —  ce  sont  les  chefs- 
d'œuvre  qui  font  l'affiche. 

Que  si  l'on  nous  demande  pourquoi  l'Etat  n'a  pas 
subventionné  une  œuvre  qui  a  trouvé  la  formule  du 
théâtre  populaire,  nous  dirons  que,  en  obtenant  le  con- 
cours régulier,  permanent  de  la  Comédie-Française,  de 
rOpéra,  du  concert  Chevillard  à  ces  représentations, 
l'Etat  a  apporté  la  plus  pratique  des  subventions. 

A  propos  de  la  centième  représentation  des 
Trente  ans  de  Théâtre,  M.  Victorien  Sardou  rap- 
pelait, dans  un  piquant  article,  comment  était  née 
cette  belle  et  bonne  œuvre,  comment  elle  avait 
grandi,  comment  elle  triomphait,  et  pourquoi  elle 
tenait  actuellement  le  premier  rang  parmi  nos 
sociétés  théâtrales. 


464  LES   ANNALES   DU    THEATRE 

Il  y  a  quatre  ans,  écrivait-t-il,  je  recevais  la  visite 
d'Adrien  Bernheim.  Nous  venions  d'organiser,  à  l'Opéra, 
la  représentation  de  retraite  d'une  des  plus  admirables 
artistes  de  ce  temps.  Quelle  ne  fut  pas  notre  surprise 
lorsqu'on  nous  prévint  que  la  recette,  qui  s'annonçait 
comme  superbe,  était  g-uettée  par  les  huissiers  ! 

Nous  avions  travaillé  ep  pure  perte^  Bernheim,  qui 
représentait,  à  notre  comité,  le  ministre  des  Beaux-Arts, 
cherchait  le  moyen  pratique  de  mettre  à  l'avenir  les 
bénéficiaires  à  l'abri  de  semblables  réclamations. 

Mais  comment  ? 

Il  ne  voulait,  à  aucun  prix,  entendre  parler  de  dons 
ni  de  quêtes  à  domicile,  en  quoi  il  avait  bien  raison  ;  il 
rêvait  de.  constituer  une  société  qui  pût  venir  en  aide  à 
tous  les  déshérités  du  théâtre,  à  quelque  titre  profes- 
sionnel qu'ils  lui  appartinssent,  par  des  secours  aussi 
urgents  que  pouvaient  l'être  leurs  besoins. 

Nous  nous  mîmes  à  étudier  la  question.  —  Et,  après 
l'avoir  examinée  sous  toutes  ses  faces,  nous  nous  arrê- 
tâmes à  la  solution  suivante  : 

Demander  aux  artistes  malheureux  un  certificat  de 
trente  années  de  théâtre,  leur  donnant  droit  à  des  secours 
immédiats. 

Bernheim  communiqua  sa  belle  ardeur  à  quelques 
camarades  :  les  Trente  ans  de  Théâtre  étaient  créés. 
M.  Waldeck-Rousseau,  alors  président  du  Conseil, 
donna  des  instructions  pour  que  la  Société  obtînt  toutes 
les  autorisations  nécessaires.  Et,  grâce  à  lui,  elle  fut 
constituée  en  quelques  jours. 

Tout  citoyen  français  peut  fonder  une  œuvre  de  bien- 
faisance :  l'important,  c'est  qu'elle  soit  pratique  et 
viable. 

Il  s'agissait  de  créer  les  ressources  nécessaires  à  I!ali- 
mentation  de  cette  caiâse  de  secours,  dont  le  fonctionne- 
ment n'admettait  aucun  retard.  Il  nous  parut  que,  du 


LES  TRENTE  ANS  DE  THEATRE        465 

moment  que  les  pauvres  seuls  avaient  droit  de  frapper  à 
la  porte  des  Trente  ans  de  Théâtre,  c'était  aux  petits 
Parisiens,  autrement  dit  au  public  de  nos  petites  places, 
qua  devait  s'adresser  l'œuvre  naissante.  Des  spectacles, 
où  toutes  les  formes  de  l'art  dramatique,  depuis  là  cau- 
serie familière  jusqu'à  la  danse  et  la  chanson,  avaient 
leur  place,  furent  immédiatement  org-anisés.  Tous  les 
artistes  de  nos  théâtres,  g'rands  et  petits,  répondirent  à 
l'appel  :  on  alla  à  La  Viilette,  on  alla  à  Belleville,  à 
Grenelle,  à  Ménilmontant,  dans  tous  les  faubourgs  de 
notre  vieux  Paris,  et  ces  représentations  furent  triom- 
phales. 

Mais  il  fallait  aussi  les  régulariser.  Gustave  Larrou- 
met,  tout  acquis  à  notre  cause,  encourageait  chaque 
dimanche,  dans  son  feuilleton,  le  fondateur,  les  artistes 
et  ses  lecteurs.  Un  beau  soir,  un  soir  dont  la  date  doit 
être  inscrite  en  lettres  d'or  dans  les  annales  des  Trente 
ans  de  Théâtre,  on  joua  Andromaque  à  Ba-ta-clan, 
avec  tous  les  artistes  de  la  Comédie-Française,  Mounet- 
Sullj  en  tête  :  on  eut  la  preuve  éclatante  que  là  était  la 
vraie  formule  du  théâtre  populaire  :  le  théâtre  allant 
chercher  le  peuple  chez  lui,  à  sa  porte,  dans  ses  quar- 
tiers, sans  augmentation  du  prix  des  places.  Après 
Andromaque^  ce  fut  le  tour  du  Misanthrope^  et  de 
tous  les  chefs-d'œuvre  classiques.  Les  artistes  étaient 
heureux  d'émouvoir  un  public  inconnu  qui  leur  faisait 
fête,  et  mon  ami,  M.  Jules  Glaretie,  avec  sa  bienveillance 
coutumière,  incitait  ses  artistes  à  participer  à  cette 
œuvre  de  solidarité  et  de  vulgarisation  artistique. 
MM.  Gailhard  et  Albert  Carré  suivirent  l'exemple. 
A  côté  des  chefs-d'œuvre  de  Corneille,  de  Racine  et  de 
Molière,  des  actes  du  répertoire  de  l'Opéra  et  de  l'Opéra- 
Comique  furent  donnés,  en  costumes,  dans  ces  mêmes 
théâtres  de  faubourgs  ;  les  représentations  se  multipliè- 
rent, toutes  plus  brillantes  les  unes  que  les  autres,  et 

ANNALES  DU  THÉATRB  30 


466  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

rieu  ne  pouvait  arrêter  la  marche  ascendante  des  Trente 
ans  de  Théâtre. 

On  s'imaginait  alors  que  Tœuvre  de  Bernheim  pou- 
rait  porter  tort  aux  sociétés  de  secours  similaires . . . 
Quelle  erreur  !  Loin  de  leur  nuire,  elle  venait  en  aide  à 
notre  Société  des  Auteurs  dramatiques,  à  l'Association 
des  Artistes,  à  TAssociatibn  des  Artistes  musiciens,  et 
les  malheureux  avaient  deux  portes  où  frapper  au  lieu 
d'une. 

Les  Trente  ans  de  Théâtre  atteindront,  dans  quelques 
jours,  leur  centième  représentation,  et  entreront  dans 
leur  cinquième  année  d'existence.  Les  Pouvoirs  publics, 
par  l'organe  de  leurs  ministres,  de  leurs  sous-secrétaires 
d'Etat,  de- leurs  rapporteurs  du  budget  des  Beaux-Arts, 
en  ont  célébré  les  bienfaits  qui  sont  d'ordre  différent. 
Distribuer,  comme  l'an  dernier,  78.000  francs  de  secours, 
c'est  déjà  bien. . .  Ce  qui  est  mieux,  c'est  d'avoir  donné 
une  forme  pratique  et  définitive  au  Théâtre  populaire  : 
car  je  le  dis  avec  Larroumet,  avec  Poincaré,  avec  Roujon. 
un  théâtre  populaire,  rivé  à  la  même  place  —  attendant 
son  public,  au  lieu  de  l'aller  chercher  chez  lui  —  e>t 
condamné  d'avance  !  Il  ne  doit  être  ni  ici,  ni  là,  il  doit 
être  dans  tous  les  quartiers,  et  se  contenter  de  la  repré- 
sentation des  œuvres  classiques.  Mais  les  Trente  ans  de 
Théâtre  ont  fait  mieux  :  tous  les  petits  personnels  des 
théâtres  qui  participent  à  ces  spectacles  de  faubourgs  y 
trouvent  leur  compte,  et  chacun  touche,  pour  ces  repré- 
sentations, des  indemnités  qui,  à  la  fin  du  mois,  parfont 
leur  traitement  régulier.  Et  cela  est  encore  de  la  très 
bonne  besogne  ! 

Voici  maintenant,  pour  terminer  ce  chapîtrCj  le 
joli  discours  que  prononçait  M.  Jules  Claretie,  le 
3o  décembre  1905,  au  banquet  des  Trente  ans  de 
Théâtre  —  présidé  par  M.  Bienvenu-Martin,  alors 


LES  TRENTE  ANS  DE  THEATRE        467 

ministre  de  rinslruction  publique  et  des  Beaux- 
Arts  —  où  Ton  célébrait,  en  même  temps  que  la 
cinquième  année  d'existence  de  la  Société,  les  vingt 
ans  d'administration  de  M.  Claretie  : 

Monsieur  le  ministre, 

Monsieur  le  président  du  conseil  municipal, 

Je  remercie  Téminent  représentant  de  la  Ville  de 
Paris  des  paroles  charmantes  qu'il  vient  de  prononcer  : 
c'est  au  ministre,  dont  la  bonne  g'râce  a  égalé  la  haute 
bienveillance,  lorsqu'avec  M.  le  sous-secrétaire  d'Etat 
aux  Beaux-Arts  il  voulut  bien  rendre  à  la  première  co- 
médienne (^e  la  Maison  de  Molière  la  justice  et  donner  la 
gloire  d*être  la  première  comédienne  française  décorée 
de  la  Légion  d'honneur,  qu'il  appartient,  avec  une  au- 
torité et  une  éloquence  que  je  n'ai  pas,  de  dire  combien 
un  théâtre  d'Etat  a  été  heureux  de  participer  de  son 
mieux  —  en  faisant  de  ce  devoir  un  plaisir  —  à  ces 
représentations  des  Trente  ans  de  Théâtre  dont  la  Ville 
de  Paris  a  bien  voulu,  avec  raison,  faire  une  œuvre 
municipale. 

Nous  sommes  le  théâtre  du  peuple  français  !  Nous 
devions  être  tout  naturellement  —  et  nous  étions  déjà  — 
les  comédiens  du  peuple  parisien. 

J'ai  pu,  comme  a  bien  voulu  le  reconnaître  en  ses 
aimables  paroles  M.  le  président  du  conseil  municipal, 
coopérer  à  l'œuvre  dont  nous  fêtons  aujourd'hui  l'anni- 
versaire. Mais  ce  n'est  pas  à  moi,  c'est  à  mes  collabora- 
teurs de  tous  les  jours,  aux  artistes  de  cette  Comédie- 
Française  si  enviée,  si  attaquée  parfois  et  par  ceux  qui 
y  vont  entrer  et  quelquefois  par  ceux  qui  y  sont  entrés, 
qu'il  faut  reporter  ces  remerciements. 

J'ai  plaisir,  puisqu'aussi  bien  nous  parlons  aujour- 
d'hui d'une  œuvre  de  solidarité  artistique,  j'ai  grand 
plaisir  à  constater  combien  ces  comédiens,  harassés  par 


468  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

tant  de  travaux,  mettent  tant  d'empressement  et  de 
vaillance  à  concourir  à  toute  manifestation  de  propa- 
gande artistique  on  fraternelle.  Ils  sont  toujours  prêts, 
jamais  las,  multipliant  iSirs  efforts,  appelés  partout, 
demandés  partout.  On  leur  reproche  parfois  leurs  tour- 
nées personnelles  !  On  oublie  alors  leurs  tournées  de 
dévouement  et  de  charité  !  Je  ne  crois  pas  qu'au  bout 
d'une  année  un  millionnaire  ait  autant  donné  qu'un 
artiste.  Encore  le  millionnaire  ne  donne-t-il  que  son  su- 
perflu. Le  comédien,  le  chanteur,  le  peintre,  le  statuaire, 
qui  apporte  son  concours  à  une  œuvre  de  charité,  donne 
à  la  fois  de  son  talent,  de  son  cœur  et  de  sa  vie. 

Si  je  faisais  le  total  de  toutes  les  représentations  où  la 
Comédie^Française  apporte  son  concours,  vous  en  seriez 
étonnés  et  j'en  serais  fier.  Et  si  je  parle  de.  la  Comédie, 
c'est  que  j'ai  l'honneur  de  la  diriger  ;  mais  tous  les 
théâtres,  tous  les  artistes,  depuis  l'Opéra,  le  Grand- 
Opéra  comme  on  dit  encore  et  justement,  depuis  TOpéra- 
Comique  jusqu'au  café-concert,  sont  là  pour  se  dévouer 
en  se  faisant  applaudir. 

Du  reste,  il  ne  s'ag-it  pas  seulement  ici  de  charité,  il 
s'agit  aussi  de  beauté. 

Quand  mon  ami  M.  Bernheim  me  parla  pour  la  pre- 
mière fois  de  cette  œuvre  des  Trente  ans  de  Théâtre,  il 
n'était  question  que  de  fonder  une  caisse  de  secours 
pour  les  pauvres  gens  de  théâtre  qui,  après  avoir  donné 
trente  ans  de  leur  existence  à  la  scène,  se  réveillaient  un 
triste  matin  avec  des  rides  au  visage  et  le  cœur  gros 
d'angoisse  avec  la  bourse  vide.  Il  s'agissait  de  donner 
quelque  morceau  de  mouche  ou  de  vermisseau  à  la  cigale 
dont  le  destin  avait  cassé  les  ailes.  Tous  les  combattants 
de  la  vie  n*arrivent  pas  à  la  victoire.  Nous  avons  vu, 
autre  part  qu  a  la  scène,  d'injustes  défaites  et  des  misères 
imméritées.  M.  Bernheim  entendait  se  faire  le  consola- 
teur des  cigales.  La  ruche  et  les  abeilles  de  Molière  lui 


LES  TRENTE  ANS  DE  THEATRE        469 

apportèrent  leur  miel.  Mais  comme  il  se  trouve  que  le 
bien  est  le  frère  ou  le  cousin  du  beau,  voilà  que  ces 
voyages  de  bonté  à  travers  Paris,  ces  représentations  d# 
bienfaisance  devinrent  tout  naturellement  des  manifes- 
tations d'art.  On  ne  mobilise  pas  vainement  Racine  et 
Corneille.  Le  public,  qui  les  applaudissait  chez  eux,  les 
acclama  chez  lui.  Et  le  fameux  théâtre  populaire,  dont 
on  parle  tant,  se  trouva  en  partie  fondé  par  voie  de 
roulement  et  ^âce  à  la  bonne  volonté  générale  des  ar- 
tistes secondant  l'activité  cordiale  d'Adrien  Bernheim. 

Il  avait  d'ailleurs  trouvé  dans  ses  vice-présidents  et 
son  comité  des  collaborateurs  dévoués,  et  je  tiens  à  en 
remercier  u^  entre  tous  :  c'est  celui  qui  m'a  évité  souvent 
bien  des  ennuis  en  obviant,  quand  il  le  fallait,  aux  em- 
barras que  peut  causer  la  nécessité  de  jouer  à  la  fois  sur 
la  scène  de  la  rue  de  Richelieu  et  sur  la  scène  de  Belle- 
ville  ou  de  plus  loin  —  c'est  le  sociétaire  fidèle  de  la 
Maison  de  Molière,  l'artiste  qui  compte,  comédien,  artiste 
ou  collaborateur  administratif  du  logis,  non  pas  trente 
ans,  mais  quarante-deux  ans  de  théâtre  —  c'est  le  loyal 
serviteur  dont  le  nom  nous  vient  à  tous  aux  lèvres,  mon 
ami  M.  Prudhon. 

Grâce  à  lui,  j'ai  pu,  sans  avoir  l'inquiétude  d'un 
changement  d'affiche,  donner  à  l'œuvre  des  Trente  ans 
de  Théâtre  le  concours  promis  à  son  fondateur.  Et  il  y 
aura  une  heure,  j'espère,  où  les  services  rendus  à  l'œuvre 
d'aujourd'hui  compteront  pour  M.  Prudhon  comme  ceux 
qu'il  a,  depuis  sa  sortie  du  Conservatoire,  rendus  à  la 
Comédie-Française. 

Messieurs,  en  félicitant  Bernheim  de  son  œuvre,  je 
vais  peut-être  bien  le  surprendre  en  lui  disant  qu'il  a  eu 
cependant  un  prédécesseur  —  et  ^que  ce  prédécesseur, 
qui  est  assez  connu,  est  l'homme  qui  signa  ce  décret  de 
Moscou  dont  une  partie  régit  encore  la  Société  des  Comé- 
diens français.  J'ai  dans  mes  papiers  —  et  je  regrette  de 


4 70  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

ne  pas  l'avoir  retrouvé  tout  à  l'heure  —  un  document 
où,  sur  la  proposition  de  M.  de  Rémusat,  Napoléon, 
votre  prédécesseur,  mon  cher  ami,  accorde  au  directeur 
du  théâtre  de  Metz,  en  1810,  une  pension  de  1.800  livres 
pour  remercier  le  directeur  modèle  de  notre  chère  cité 
messine  d'avoir,  pendant  trente  ans,  dirige  le  théâtre  de 
la  ville  lorraine.  Et  la  pièce  officielle,  le  décret  signé  par 
Napoléon,  porte  en  propres  termes  ces  mots  :  «  Pour  le 
féliciter  et  le  récompenser  de  ses  «  Trente  ansde  Théâtre  »  ! 

Monsieur  le  ministre,  Monsieur  le  président  du  conseil 
municipal.  Messieurs,  M.  Bernheim  ne  demande  pour 
son  dévouement  d'autre  récompense  que  les  sympathies 
qui  l'entourent,  les  justes  et  cordiaux  hommages  que 
vous  rendez  à  son  incessante  activité,  à  son  ardeur  de 
bonté,  à  son  cœur. 

Mais  c'est  à  nous  de  lui  dire  qu'il  a  eu  une  idée  géné- 
reuse, une  de  ces  pensées  qui  viennent  du  cœur.  Les  re- 
merciements de  ceux  qu'il  a  consolés,  les  applaudisse- 
ments de  ceux  qu'il  a  déridés  lui  suffisent.  Ils  ne  nous 
suffisent  pas.  Je  remercie  le  fondateur  de  cette  œuvre 
populaire  d'avoir,  avec  nous,  avec  nos  comédiens,  avec 
nos  chanteurs,  avec  nos  machinistes  mêmes  —  ces  ou- 
vriers anonymes  du  succès  dont  j'aperçois  le  chef  parmi 
nous  —  répandu  à  travers  la  foule  un  peu  plus  d'art,  de 
drame,  d'émotion,  de  poésie! 

Et,  au  nom  de  mes  vingt  ans  de  théâtre  —  qui  pour- 
raient presque  compter  double  —je  bois  aux  Trente  ans 
de  Théâtre  et  à  la  prospérité  de  cette  œuvre  très  française, 
puisqu'elle  est  très  parisienne,  et  qui  est  parfois,  cer- 
tains soirs,  le  prolongement  de  notre  cher  Théâtre- 
Français  ! 


CONCERTS  DU  CONSERVATOIRE 


Le  Saûl  de  Haendel,  les  Béatitudes  de  César  Franck, 
le  XIII^  Psaume  de  Liszt,  ua  Chant  funèbre  d'Ernest 
Chausson,  le  «  Noël  »  de  Piccolino  d'Ernest  Guiraud, 
furent  avec  le  Slabat  mater  de  M.  Emile  Paladilhe, 
Penthésilée  de  M.  Alfred  Bruneau,  Y  Après-Midi  d'un 
Jaune  de  M.  Claude  Debusssy,  Madrig'al  et  Pavane  avec 
chœurs  de  M.  Gabriel  Fauré,  Touverture  de  Frithioff  àe 
M.  Théodore  Dubois,  un  fragment  de  Jeanne  d'Arc,  de 
M.  Charles  Lenepveu,  une  fantaisie  en  ré  majeur  de 
M.  Guy  Ropartz,  deux  préludes  pour  Axel  de  M.  Alexan- 
dre Georges,  les  pages  nouvellement  introduites,  en 
1905,  au  répertoire  des  concerts  du  Conservatoire,  que 
dirigeait  avec  son  habituel  talent  M.  Georges  Marty,  et 
dont  M™esLitvinne,  Kustscherra,  MM.  Alfred  Cortot,  Hol- 
mann,  H.  Marteau,  Jules  Boucherit  et  Emile  Cazeneuve 
étaient,  au  cours  de  la  même  année,  les  principaux 
solistes. 


œNGERTS  COLONNE 


C'était,  le  i5  janvier  au  Ghâtelet,  la  rentrée  de 
M.  Edouard  Colonne,  de  retour  d'Amérique,  de  retour 
aussi  d*AiIgleterre  et  d*Ecosse.  Et  le  public  saluait  Theu- 
reux  événement  par  une  chaude  manifestation  de  sympa- 
thie. C'était  toute  une  série  d'ovations  pour  le  magnifique 
programme^  composé  de  la  Symphonie,  fantastique  de 
Berlioz  et  du  Manfred  de  Schumann  qui,  déjà  trois  fois 
donné  au  début  de  la  saison,  avait  laissé  aux  auditeurs 
un  goût  décidé  de  le  réentendre.  L'œuvre  de  Berlioz,  tou- 
jours puissante  et  curieuse,  même  lorsqu'elle  semble 
plus  étrange  que  belle,  a  fait  briller  l'orchestre  par  une 
harmonie  constamment  réalisée  dans  la  multiplicité  de 
ses  timbres.  Les  cors  anglais  ont  délicieusement  donné 
dans  la  «  Scène  aux  champs  »  de  la  Fantastique^ 
comme  dans  le  «  Ranz  des  vaches  »  de  Manfred,  Les 
cordes  en  sourdine  à  l'aigu  ont  dû  bisser  une  fois  de  plus 
la  célèbre  a  Apparition  de  la  fée  des  Alpes  ».  Et  les  deux 
frères,  Mounet-Sullj  et  Paul  Mounet,  beaux  tous  deux  de 
beauté  différente  et  très  attaqués  par  les  lorgnettes  fémi- 
nines, ont  fait  sonner,  d'accord  avec  l'orchestre,  leur 
deux  voix  magnifiquement  musicales.  Tout  ce  qu'il  y  a 
de  romantique  échevelé  dans  le  dialogue  de  Manfred  avec 
Arimane  et  Astarté  fut,  pour  Mounet-SuUy,  l'occasion 
de  nous  étonner  par  l'étendue  de  ses  ressources  voca- 
les, par  tout  un  assortiment  de  plaintes  et  de  cris  à  la 
fois  bizarres  et  fort  émouvants.  Ce    fut,  en  somme, 


476  l'Es   ANNALES   DU   THÉÂTRE 

lion  de  la  Mer^  poème  symphonique  de.  M.  Greorges  Sou- 
dry,  élève  de  Massenet  et  de  Widor.  Voici  quels  sont  les 
divers  épisodes  du  tableau  musical  qu'avait  voulu  tra- 
duire le  jeuue  compositeur  :  C'est  d'abord  le  chant  pro- 
fond et  troublant  de  la  mer.  —  Puis  la  splendeur  et  la 
magie  du  Soleil  couchant.  —  Le  Soleil, 'après  avoir  incen- 
dié le  Ciel  et  la  Mer,  disparaît  mystérieusement.  —  La 
Nuit  vient,  sereine  et  calme.  La  lune  se  lève  dans  un  ciel 
pur.  Les  Etoiles  scintillent  et  la  Mer  continue  son  chant 
profond,  troublant,  éternel...  Un  bon  morceau  de  mu- 
sique descriptive  où  domine  le  bruit...  Or  le  bruit  n'est 
pas  toujours  la  puissance,  et  Torchestre  de  M.  Soudry 
nous  a  semblé  d'une  sonorité  un  peu  massive.  Ses  idées 
sont  encore  confuses  et  sa  personnalité  ne  se  dégage  pas 
suffisammejt.   Mais  qui  aurait  deviné  le  Wagner  de 
Tristan  et  de  Parsifal  dans  la  scène  de  la  Folie  des 
Fées^  le  premier  opéra  qu'il  composa  à  l'âge  de  vingt 
ans?  M.  Louis  Arens,  de  l'Opéra  royaV4fi  Covent-Garden, 
l'a  rendue  avec  une  voix  si  expressive  qu'en  dépit  de  la 
langue  allemande  dans  laquelle  il  chantait,  l'auditoire 
suivait  facilement  toutes  les  péripéties  de  ce  drame  et 
comprenait  qu'il  avait  devant  lui  un  véritable  artiste. 
Une  1res  belle  exécution  de  la  Symphonie  héroïque  et 
le  brillant  succès  de  M.  Firmin  Touche  dans  le  Rondo 
capricioso  de  Saint-Saëns  caractérisaient  cette  séance. 
M.  Colonne  a  décidément  la  main  heureuse  pour  le  choix 
de  ses  premiers  violons.  Après  les  Rémy,  les  Jacques 
Thibaud,  les  Oliveira,  voici  M.  Touche,  au  mécanisme 
impeccable^  au  son  charmeur,  au  style  pur,   aussi  dis- 
tingué dans  son  jeu  que  dans  sa  personne,  qui  va  deve- 
nir la  coqueluche  des  habituées  du  Châtelet. 

La  Vie  du  Poète ^  de  Gustave  Charpentier,  n'avait 
pas  été  exécutée  depuis  plus  de  cinq  années.  M.  Edouard 
Colonne,  qui  seul  de  tous  les  chefs  d'orchestre  avait  déjà 
*  fait  figurer  cet  ouvrage  une  demi-douzaine  de   fois  au 


CONCERTS   COLONNE  ^77 

programme  de  ses  concerts,  nous  en  redonnait,  le  12 
février,  une  audition  splendide  à  tous  égards, tant  parla 
qualité  de  l'interprétation  vocale  où  se  disting'uèrent 
M^i®  Suzanne  Richebourg,  M"^«  Boyer  de  Lafory, 
MM.  Emile  Gazeneuve  et  Jan  Reder,  que  par  Texcellence 
de  l'orchestre  et  des  choeurs  où  M.  Colonne  répandit  une 
vie  intense.  «  Me  suis-je  trompé  ?  »  disait  notre  regretté 
confrère  Charles  Joly.  Il  m'a  semblé  que  la  singularité 
de  la  conception  poétique  et  certaines  excentricités  vou- 
lues n'avaient  plus  aucune  prise  sur  le  public^  tandis,  au 
contraire,  que  les  auditeurs  me  parurent  avoir  gardé 
leur  enthousiasme  des  premières  auditions  pour  les  par- 
ties de  cette  symphonie-drame  où  la  musique  règne  en 
souveraine.  Sous  la  phraséologie  boursouflée  d'un  com- 
mentaire inspiré  par  un  romantisme  exacerbé,  on  s'est 
peu  à  peu  habitué  à  voir  quatre  tableaux  d'une  musica- 
lité admirable,  renfermant  je  ne  sais  quelle  force,  quelle 
puissance  d'émotion  à  laquelle  on  ne  saurait  rester  in- 
sensible. Qu'importe  qu'ici  eWi,  dans  cette  œuvre  pour- 
tant si  personnelle,  nous  rencontrions  certaines  réminis- 
cences wragnériennes,  comme  ce  thème  apparenté  à  celui 
de  l'entrée  de  Sieglinde  au  deuxième  acte  de  la  Vai- 
kyrie,  telle  autre  partie  d'une  phrase  des  Maîtres  Chan- 
leurs f  tel  procédé  d'instrumentation  issu  de  Siegfried  ; 
ce  sont  là  des  rencontres  fortuites  qui  ont  dû  être  un 
étonnement  pour  l'auteur  lui-même,  et  qui  disparaissent 
dans  le  mouvement  et  la  vie  dont  déborde  la  Vie  du 
Poète.  Au  demeurant,  cette  œuvre  reste,  par  ses  seules 
qualités  musicales,  une  des  plus  originales  et  des  plus 
puissantes  de  l'école  française.  »  Un  chaleureux  accueil 
fut  fait  au  Prologue  symphonique  de  Circé,  musique  de 
scène  que  M.  Raoul  Brunel  avait  écrite  pour  le  drame  de 
M.  Charles  Richet.  Ce  prologue  est  un  véritable  tableau 
descriptif,  et  M.  Raoul  Brunel  nous  y  a  révélé  une  re- 
marquable intuition  des  facultés  expressives  des  timbres 


478  LES  ANNALES  DU  THÉÂTRE 

en  faisant  passer  ses  motifs  d'un  instrument  à  un  autre, 
toujours  avec  bonheur^  et  en  les  enveloppant  d'un  contre- 
point à  la  fois  savant  et  disting'ué.  Moins  bien  accueilli 
fut  le  Concerto  en  ré  mineur,  de  Brahms,  et  à  la  vérité, 
nous  ne  savons  pas  d'œuvre  plus  ennuyeuse  pour  l'audi- 
teur, plus  ingrate  pour  le  pianiste,  car  bien  que  la  partie 
de  piano  y  soit  d'une  difficulté  extraordinaire,  le  virtuose 
peut  à  peine  y  trouver  le  moyen  d'y  faire  briller  ses  qua- 
lités, écrasées  qu'elles  sont  par  un  orchestre  tapageur. 
Le  talent  de  M.  Mark  Hambourg  n'est  pas  en  cause. 
Mais  quelle  idée  d'avoir  choisi  une  œuvre  qui  est  loin  de 
compter  parmi  les  meilleures  de  Brahms  !  Après  une  si 
cruelle  épreuve,  on  avait  hâte  d'entendre  la  Vie  du 
Poète,  de  la  fêter  et  de  l'applaudir,  et  d'applaudir  aussi 
le  chef  éminent  qui  en  dirigea  magnifiquement  l'exécu- 
tion. 

L'exquis  Clair  de  lune  de  M.  Gabriel  Fauré  faisait, 
le  dimanche  suivant  au  concert  du  Ghâtelet  une  appari- 
tion des  plus  heureuses.  On  eût  voulu  réentendre  cette 
mélodie  délicate  et  gracieuse,  orchestrée  avec  la  discré- 
tion habituelle  à  l'auteur  de  Prométhée,  M.  Colonne  n'y 
consentait  pas  et  c'était  grand  dommage,'  car  un  charme 
profond  se  dégage  de  ces  quelques  pages  trop  brèves, 
mises  alors  en  valeur  par  la  jolie  voix  de  M"«  Leclerc. 
Un  fragment  du  Timbre  d^argent,  de  M.  Saint-Saëns, 
également  chanté  par  M"«  Leclerc,  succédait  à  Clair  de 
lune  ;  il  fut  bissé.  M.  Durot,  un  tout  jeune  violoniste,  fit 
une  excellente  impression  dans  la  partie  d'accompagne- 
ment. Le  nom  de  M.  Durot  est  à  retenir  ;  nous  le  retrou- 
verons certainement  en  belle  place  avant  longtemps. 

On  peut  dire  de  M.  Colonne  qu'il  a  Berlioz  «  dans  le 
sang  »  :  sous  sa  baguette  magique  nous  avons  eu,  le  2G 
février,  comme  la  t;  révélation  »  de  l'ouverture  du  Car* 
naval  romain^  enlevée  avec  une  telle  ardeur  qu  elle  a 
éié  bissée  d'enthousiasme.  Bissée,  une  ouverture  :  voilà 


CONCERTS    COLONNE  •         47& 

qui  n'est  point  banal  ! . . .  Berlioz  a-t-il  fait  du  tort  au 
morceau  suivant  ?  Pourquoi  la  majorité  dfu  public  s'est- 
elle  montrée  si  rétive  envers  le  très  intéressant  et  très 
varié  concerto  pour  piano  de  M.  Widor,  interprété  avec 
talent  par  M.  Philipp,  et  dont  la  partie  d'orchestre  nous 
a  paru  d'une  incontestable  vafeur  ?  A  M*^^  Jeanne  Leclerc, 
chanteuse  à  la  voix  souple  et  pure,  on  a  redemandé  l'ex- 
quis Clair  de  lune  de  M.  Gabriel  Fauré,  un  chef- 
d'œuvre  de  g-râce  et  de  délicatesse,  qu'elle  a  cette  fois  redit 
aux  applaudissements  de  toute  la  salle,  comme  aussi  la 
tendre  romance  ce  Le  bonheur  est  chose  légère  »,  tirée  du 
Timbre  d'argent^  l'un  des  premiers  ouvrages  de  M.  Ca- 
mille Saint-Saëns.  M.  Firmin  Touche  obtenait,  dans 
l'accompagnement,  le  lïlême  succès  que,  huit  jours  aupa- 
ravant, son  jeune  camarade  M.  Durot.  N'avais-je  pas 
raison  de  vous  dire  que  M.  Colonne  a,  pour  choisir  ses 
premiers  violons,  la  main  particulièrement  heureuse? 
L'émouvante  et  pittoresque  Vie  du  Poète  de  M.  Gustave 
Charpentier,  qui  avait  fait  les  frais  des  deux  précédents 
programmes,  était,  cette  fois,  remplacée  par  la  Rédemp- 
tion de  César  Franck,  aujourd'hui  devenue  œuvre  classi- 
que, et  dont  l'exécution  a  été  de  toute  beauté.  Il  s'en 
fallut  de  peu  que  Tentr'acte  symphonique  fût  bissé.  Di- 
sons que  M.  Colonne  était,  si  possible,  au-dessus  de  lui- 
même,  et  donnons  une  mention  toute  particulière  à 
M™«  Auguez  de  Montalant  qui  chantait  de  façon  absolu- 
ment parfaite  —  en  grande  artiste,  oui  —  le  rôle  de 
l'Archange. 

On  nous  offrait,  au  Châtelet,  le  12  mars,  la  première 
édition  d'une  Elégie  symphonique  de  M.  Armand  Mar- 
sick,  neveu  du  célèbre  violoniste  et  élève  de  M.  Charles 
Lenepveu.  Sans  plan  bien  arrêté,  sans  personnalité  mar- 
quée, sans  style  bien  défini,  le  morceau  n'est  pourtant 
pas  dénué  de  toute  valeur,  et  nous  a  semblé,  instrumen- 
talement  parlant,   pavé  des  meilleures    inteations    du 


48o         LES  ANNALES  DU  THEATRE 

monde.  Succès  d'estime. . .  Grand  succès,  au  contraire, 
pour  l'ouverture  du  Carnaval  romain  encore  une  fois 
bissée  (cela  devient  une  tradition),  et  pour  Rédemp- 
tion ^  dont  fut  admirable  l'interprétation  orchestrale  et 
chorale. 

Nous  avions  ensuite,  au  Ghâtelet,  deux  auditions  suc- 
cessives du  Requiem  de  Berlioz ...  Il  est  bien  certain 
qu'une  messe  des  morts  est  plus  à  sa  place  dans  une 
église  que  dans  un  théâtre  ou  dans  une  salle  de  concert  ; 
mais  ne  vaut-il  pas  mieux  entendre  le  Requiem  de  Ber- 
lioz au  concert  ou  au  théâtre  que  de  ne  pas  l'entendre  du 
tout?  Ce  Requiem  est  vraiment  une  œuvre  considérable 
et  superbe,  dont  l'impression  est  toujours  très  profonde 
sur  la  plus  grande  partie  du  public.  Lorsque  les  fanfares 
du  Tuba  mirum  aboutissent  au  formidable  tutti  sur 
lequel  éclatent  les  trémolos  de  six  timbales  et  de  deux 
grosses  caisses,  après  le  foudroyant  appel  des  trompettes 
du  Jugement  dernier,  l'effet  ne  laisse  pas  d'être  saissis- 
sant.  C'est  au  début  de  la  sonnerie  des  cuivres  qu'Habe- 
neck,  —  on  connaît  l'anecdote,  —  prit  cette  fameuse 
prise  de  tabac  qui  faillit  amener  une  effroyable  cacopho- 
nie entre  les  quatre  orchestres  placés  aux  quatre  points 
cardinaux  de  l'église  des  Invalides.  Mais  Berlioz  veillait; 
il  s'élança  vers  le  pupitre  du  chef  d'orchestre  en  distrac^ 
tion,  indiqua  avec  son  bras  le  mouvement  aux  instrumen- 
tistes, et  conduisit  le  morceau  jusqu'à  la  fin.  Grâce  à  sa 
présence  d'esprit,  le  danger  fut  conjuré.  «  Quand,  aux 
derniers  mots  du  chœur,  Habeneck  vit  le  Tuba  mirum 
sauvé,  raconte  Berlioz  dans  ses  Mémoires  :  —  Quelle 
sueur  froide  j'ai  eue,  me  dit-il  ;  sans  vous  nous  étions 
perdus  !  —  Oui,  je  le  sais  bien,  répondis-je  en  le  regar- 
dant fixement...  Je  n'ajoutai  pas  un  mot...  L'a-t-ii 
fait  exprès?. . .  Serait-il  possible  que  cet  homme,  d'ac- 
cord avec  M.  XX.  qui  me  détestait,  et  les  amis  de  Ghé- 
rubini,  ait  osé  méditer  et  tenter  de  commettre  une  aussi 


CONCERTS    COLONNE  48 1 

basse  scélératesse?. . .  Je  n'y  veux  pas  songer... .  Mais 
je  n-en  doute  pas.  Dieu  me  pardonne  si  ^e  lui  fais  in- 
jure. »  Jamais  plus  grave  accusation  n'a  été  portée  contre 
un  chef  d'orchestre.  Laissons-en  à  Berlioz  toute  la  res- 
ponsabilité. L'histoire  de  ce  Requiem  n'est,  d'ailleurs, 
qu'une  longue  suite  d'incidents  qu'il  faut  lirç,  racontés 
par  la  plume  irritée  du  maître.  Gherubiui  y  joue,  à  côté 
d'Habeneck,  un  rôle  qui  n'est  pas  non  pliis  bien  flatteur 
ipour  lui.  La  nouvelle  de  la  prochaine  exécution  du  Re- 
quiem  lui  donne  la  fièvre.  C'était  une  atteinte  portée  à 
ce  qu'il  regardait  comme  un  droit  lui  appartenant  :  celui 
de  faire  exécuter  une  de  ces  messes  funèbres  à  l'occasion 
d'une  cérémonie  grandiose  et  officielle.  Allait-on  l'en  dé- 
posséder en  faveur  d'un  jeune  homme  «  à  peine  au  début 
de  sa  carrière,  et  qui  passait  pour  avoir  introduit  l'hérésie 
dans  l'école  »  ?  La  haute  influence  de  M.  Bertin  et  l'ami- 
tié que  le  directeur  du  Journal  des  Débats  et  son  fils 
Armand  témoignaient  à  Berlioz  préservèrent  celui-ci 
d'une  intrigue  dont  il  eût  bien  pu  être  victime  :  on  apaisa 
la  fièvre  de  Cherubini  en  lui  promettant  la  croix  de  com- 
mandeur de  la  légion  d'honneur.  Berlioz  composa  sa 
messe  des  morts  avec  une  grande  rapidité.  «  Ma  tête, 
nous  dit-il,  semblait  prête  à  crever  sous  l'effort  de  ma 
pensée  bouillonnante.  Le  plan  d'un  morceau  n'était  J)as 
esquissé  que  celui  d'un  autre  se  présentait  ;  dans  l'im- 
possibilité d'écrire  vite,  j'avais  adopté  des  signes  sténo- 
graphiques  qui,  pour  le  Lacrymosa  surtout,  me  furent 
d'un  grand  secours.  Les  compositeurs  connaissent  le  sup- 
plice et  le  désespoir  causés  par  la  perte  de  certaines  idées 
qu'on  n'a  pas  eu  le  temps  d'écrire  et  qui  vous  échappent 
ainsi  à  tout  jamais.  »  C'est  bien  .là  le  drame  de  la  mort 
que  Berlioz  a  voulu  peindre,  et  il  n'y  a  ménagé,  ni  les 
effets  puissants,  ni  les  brusques  oppositions,  ni  les 
étranges  accouplements  de  timbres  qui  donnent  un 
caractère  si  personnel  à  ses  compositions  symphoniques. 

ANNALKS  DU  THÉÂTRE  31 


I 


482  .      LES   ANNALES    DU    THEATRE 

Des  beautés  de  premier  ordre,  une  puissance  d'exécution 
et  une  élévation  d'idées,  qu'aucun  maXtre  ne  surpassa 
jamais,  foat  du  Requiem  de  Berlioz  une  œuvre  mag-isr 
traie,  dont  le  caractère  grandiose,  s'il  ne  commande  pas 
toujours  le  recueillement,  s'impose  du  moins  à  l'admira- 
tion de  tous.  Avons-nous  besom  de  dire  qu'avec  l'ardente 
et  belle  conviction  qui  l'anime  à  l'égard  de  Berlioz, 
M.  Colonne  donnait  une  nouvelle  preuve  de  son  incontes- 
table et  coutumière  habileté  dans  la  façon  dont  il  diri- 
geait une  œuvre  aussi  complexe  et  d'une  exécution  aussi 
difficile.  Devons-nous  ajouter. que  les  chanteurs  et  les 
instrumentistes  placés  sous  ses  ordres  secondaient  vail- 
lamment leur  éminent  chef  dans  sa  belle  tâche  ?  Cons- 
tatons aussi  le  chaleureux  accueil  réservé,  avant  le  Re- 
quiem^ au  violoncelliste  Baretti,  interprète  excellent  du 
concerto  en  ré  d'Edouard  Lalo,  et  à  M™«  Lola  Rally, 
de  l'Opéra  de  Berlin,  qui  d'une  voix  de  soprano  fort 
agréable,  sinon  très  puissante,  chantait  un  Ave  Maria 
de  M.  Max  Bruch,  bien  singulièrement  dramatique  et 
tumultueux.  ♦ 

A  la  date  du  26  mars,  le  public  du  Châtelet  applaudis- 
sait particulièrement  une  nouveauté  dé  M.  Emile  Trépard 
—  le  fin  compositeur  à^ Martin  et  Martine  —  intitulée 
le  Cantique  de  Bethphaqéj  sorte  de  poème  chanté, 
écrit  sur  des  vers  de  Victor  Hugo  et  que  sait  faire  valoir 
la  voix  très  prenante  de  M^^®  Mary  Garden,  de  l'Opèra- 
Comique. 

Après  deux  auditions  successives,  absolument  triom- 
phales (la  145^  et  la  i46®),  de  la  Damnation  de  Faust, 
M.  Colonne  nous  ofiFrait  le  vendredi-saint  21  avril,  (c'était 
son  dernier  concert  du  Châtelet),  un  festival  Wagner 
qui  n'avait  peut-être  rien  de  très  «  spirituel  »,  mais  qui 
prt^sentait  une  bien  intéressante  sélection  des  œuvres  du 
maître  de  Bayreuth,  admirablement  interprétées.  Puis^ 
il  ûijus  faisait  entendre  le  jeune  Mischa  Elmann,    qui 


k 


CONCERTS    COLONNE  483 

D*est  point  un  enfant  prodige,  mais  d'ores  et  déjà,  —  en 
dépit  de  toutes  les  réclames  à  tant  la  ligne  qui  lui  ont 
plus  aui  qu'elles  ne  Tout  servi  ■ —  un  très  remarquable 
violoniste. 

Le  i5  octobre,  M.  Edouard  Colonne  inaugurait  avec 
un  entrain  et  une  jeunesse  admirables,- la  trente-troisième 
année  d'un  apostolat  qu*a  toujours  conduit  la  foi  la  plus 
'ardente.  Pour  son  concert  de  réouverture,  iF avait  conçu 
un  programme  exclusivement  com'posé  de  fragments 
d'oeuvres  wagnériennes  —  fragments  fort  judicieusement 
choisis  dans  le  but  de  représenter  les  différentes  manières 
du  ihaître.  Deux  artistes  d'une  valeur  tout  exception- 
nelle prenaient  part  à  ce  concert  :  M^^^  Félia  Litvinne  et 
M.  An  tin  Van  Rooy.  L'un  et  l'autre  sont  accoutumés  de 
chanter  l'œuvre  de  Wagner.  Mn»^  Litvinne  est  une  Yseult 
et  une  Briinnhilde  universellement  admirée,  et  M.  Van 
Rooy  est  un  des  plus  fajneux  interprètes  de  Bayreuth.  Il 
n'y  a  plus  rien  à  dire  de  la  voix  de  M™«  Litvinne  ;  cette 
voix  est  d'une  pureté,  d'une  splendeur  sans  égale.  Quant 
à  M.  Van  Rooy,  il  chantait  la  romance  de  l'Etoile  avec 
une  tendresse  et  une  poésie,  qui  formaient  un  contraste 
saisissant  avec  l'interprétation  poignante  de  douleur  con* 
tenue  q.u'il  donnait  des  adieux  de  Wotan.  M«»«  Litvinne 
traduisait  «  la  Mort  d'Yseult  »  avec  une  conviction  et  un 
lyrisme  intenses  et  n'était  ^pas  moins  émouvante  clans 
Brûnnhilde  que  dans  Yseult. 

Le  22  octobre,  programme  important,  exécution  su- 
perbe, salle  enthousiaste.  La  séance  commençait  par 
Touvcrture,  devenue  classique,  du  Roi  (TYs  de  Lalo, 
où  le  célèbre  duo  des  deux  femmes  prête  son  thème  prin- 
cipal au  solo  de  violoncelle.  On  a  écouté  avec  déférence 
la  symphonie  en  ré  majeur  de  Johannès  Brahms.  Le 
commentaire  officiel  distribué  au  public  nous  rappelle 
qu'Hans  de  Bulow  comparait  Brahms  à  Beethoven.  Il 
semble  bien  que  l'auditoire  n'eût  pas  pensé  de  lui-même 


484  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

à  cette  comparaison.  Le  morceau  de  résistance  était  une 
sélection  des  Troyens  à  Carthage.  Berlioz  est  tellement 
aimé  au  Châtelet  que  tout  a  porté,  même  ce  qui  peut, 
dans  cette  musique,  paraître  moins  durable.  A  plus  forte 
raison,  Tadmirable  septuor  a-t-il  transporté  la  salle;  et, 
après  le  duo  de  Drdon  et  d'Enée  échangeant  leurs  déli- 
cieuses répliques  de  couleur  antique  et  d'inspiration  vir- 
gilienne,  des  applaudissements  qui  refusaient  de  finir 
ont  fait  fête  à  l'éminent  chef  d'orchestre  et  à  ses  excellents 
interprètes.  La  voix  de  M™®  Litvinne  est  toujours  sans 
pareille,  parce  qu'elle  réalise  la  puissance  dans  la  fraî- 
cheur et  la  pureté,  parce  qu'elle  reste,  même  en  sa  plus 
grande  force,  une  voix  déjeune  fille.  La  cantatrice  avait 
voulu  nous  donner  au  concert  l'illusion  de  la  scène  :  en 
sa  qualité  de  Tyrienne  qui  aime  un  Grec,  elle  s'était  coif- 
fée à  la  grecque,  et  le  ton  dé  sa  robe  imitait  celui  qu'à 
pEopos  d'Andromaquej  on  a  appelé  le  gris  Bartet  ;  ses 
mains,  sauf  pendant  de  courtes  minutes,  se  sont  tenues 
libres  de  toute  brochure  ou  partition,  et  quelques  beaux 
gestes  et  mouvements  de  théâtre  nous  ont  aidé  à  croire 
que  Didon  môme  était  sous  nos  yeux.  La  très  belle  voix 
de  M.  Saléza  ne  se  ressent  plus.  Dieu  merci  !  de  la  longue 
maladie  qui  l'a  menacée  jadis;  et  quant  aux  notes  un  peu 
féminimes,  mais  si  tendres  et  si  souples  de  M.  Plamon- 
don,  elles  ont  valu  double  salve  de  bravos  au  joli  «  chant 
d'Iopas  y>. 

Avec  la  sélection  complète  des  Troyens,  déjà  donnée 
le  dimanche  précédent,  le  concert  du  29  octobre  se  com- 
plétait par  le  «  Chant  d'amour  »  de  la  Valkyrie, 
ciselé,  par  M.  Burgstaller,  avec  un  art  supérieur,  dans  le 
mouvement  juste,  sans  langueur  exagérée,  avec  légèreté 
et  souplesse,  on* le  bissa  unanimement  :  c'était  exquis. 
Dans  le  Chant  de  la  Forge,  le  même  artiste  fit  applaudir 
sa  voix  superbe.  Le  long,  très  long  duo  de  Siegfried^ 
dont  la  fin,  heureusement,  est  toute  étincelante  de    la 


CONCERTS    COLONNE  485 

plus  brillante,  de  la  plus  enthousiaste  musique  qui 
soit,  a  été  chanté  sans  défaillances,  avec  une  ardeur 
et  une  fougue  merveilleuses,  par  «les  deux  gratids 
artistes,  M.  Burgstaller  et  M™«  Litvinne.  On  leur  fit 
une  ovation  triomphale^  à  laquelle  fut  justement  associé 
M.  Colonne. 

Le  programme  du  5  novembre  était  extrêmement 
copieux  :  il  comprenait  deux  symphonies  presque  Tune 
sur  Tautre.  Il  s'ouvrait  par  la  chevaleresque  ouverture 
de  Sigurd  de  Reyer  que  M.  Colonne  conduit  avec  une 
ardeur  toute  juvénile.  Le  prélude  de  V Enfant  roi  de 
M.  Alfred  Bruneau,  arrangé  pour  concert,  c'est-à-dire 
développé  vers  la  fin  et  se  terminant  dans  le  ton  initial, 
est  très  chaleureusement  accueilli  par  le  public.  Puis  le 
Cycle  Beethoven  s'ouvre  par  une  bonne  exécution  de  la 
symphonie  en  ut  majeur.  Un  spectateur  du  «  paradis  » 
réclame  un  peu  plus  d'ensemble  et  de  mesure...  Sur 
cette  interruption,  M.  Colonne  fait  lever  ses  musiciens 
qui  saluent  avec  un  ensemble  parfait.  Ces  messieurs  et 
ces  dames  avaient  des  sourires  au  coin  des  lèvres  qui 
semblaient  prendre  en  pitié  le  malheureux  protesta- 
taire. . .  Superbe  interprétation  de  la  symphonie  en  ré. 
Le  larghetto  en  la  a  été  joué  admirablement. 

Le  12  novembre,  la  séance  s'ouvrait  par  une  brillante 
exécution,  très  vigoureusement  applaudie,  du  Carnaval 
romain  de  Berlioz.  Puis  le  Roaet  (fOmphale  de 
M.  Saint-SaCns  était  joué  avec  une  délicieuse  finesse  par 
les  cordes,  rendant  le  final  si  pianissimo  que  ce  n'était 
plus  qu'un  susurrement  d'ailes. . .  Le  public  réserve  un 
favorable  accueil  à  la  première  audition  d'une  œuvre  de 
M.  Périlhou,  qui  n'a  pourtant  rien  de  transcendant.  Le 
flûtiste  Blanquart  interprète  fort  bien  cette  petite  fan- 
taisie qu'accompagnent  la  harpe  et  l'orchestre,  mais  il 
ne  fait  pas  oublier  son  prédécesseur,  M.  Barrére,  en 
train  de  courir  l'Amérique.  Le  Cycle  Beethoven  nous 


486  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

vaut  une  impeccable  exécution  du  quatrième  concerto 
pour  piano  par  M.  Diémer,  acclamé  par  la  salle  entière. 
Aucune  protestation  ne  se  fait  entendre,  mais  Tenlè- 
vement  du  piano  déchaîne  quelques  ironiques  bravos 
parmi  les  auditeurs  des  places  supérieures  (sixième 
étag-e).  Une  excellente  étude  de  notre  érudit  confrère 
Henri  de  Curzon,  publiée  par  le  Guide  musical ,  donnait 
dernièrement  A  M.  Colonne  l'idée  de  comprendre  dans  le 
Cycle  de  Beethoveo  les.  lieder  du  maître.  Le  programme 
de  ce  jour  comportait  six  lieder  orchestrés  par  M.  Ra- 
baud.  Joli  travail,  bien  inutile  à  notre  avis.  Si  Beethoven 
eût  voulu  les  orchestrer,  il  eût,  ce  nous  semble,  été 
capable  de  le  faire  lui-même.  Quoi  qu'il  en  soit,  ces 
chants  relig'ieux  sont  d'une  g-rande  beauté  et  M.  Jan 
Rederjes  interpréta  d'une  belle  voix  de  baryton  avec 
un  style  parfait.  Le  numéro  4  «  Dieu  dans  la  nature  » 
était  même  bissé  d'intention  par  l'auditoire...  Admirable 
exécution  de  la  Symphonie  héroïque. 

Entre  M.  Colonne  et  son  public,  il  y  a  décidément 
querelle  d'amoureux.  «  Vous  arrivez  un  quart  d'heure 
en  retard!  »  fut-il  crié  d'en  haut,  le  dimanche  28  no- 
vembre, sur  un  ton  de  tendre  rudesse.  Et  justement  le 
retard  avait  une  cause  fâcheuse  :  «  M.  Burg-staller  ne 
peut  chanter  :  il  est  malade».  Quelques  «  oh  !...  oh  !...  » 
de  désappointement.  —  «  Mais  nous  avons  télég'raphié  à 
Mme  Litviune,  qui  revient  de  Bruxelles  tout  exprès  pour 
nous  tirer  d'embarras.  »  Et,  comme  à  l'ordinaire,  l'in- 
cident se  trouva  liquidé  par  un  applaudissement  g-é- 
néral.  J'ai  à  vous  annoncer  la  nouvelle  que  M^^^  Litvinne. . . 
a  maigri  !  L'événement  importe  à  l'art  contemporain.  Il 
convient  que  Brunnehilde  soit  aussi  bonne  à  voir  qu'à 
entendre,  et  c'est  à  quoi  s'applique  et  va  réussir  bril- 
lamment la  belle  cantatrice.  Sa  merveilleuse  voix, 
mélang-e  unique  de  force  et  de  fraîcheur,  a  puissamment 
conduit  et  soutenu  la  scène  finale  du  Crépuscule  des 


CONCERTS   COLONNE  487 

dieux,  La  marche  funèbre  de  Siegfried^  que  Tor- 
chestre  a  dû  jôuer  deux  fois,  et  cette  fin  d'acte  qui  la 
continue  et  la  dépasse,  sont,  vous  le  savez,  des  morceaux 
sublimes  qui  découragent,  littéralement,  la  louange  :  la 
mienne  ne  tentera  pas  de  s'égaler  à  tant  de  beauté.  La 
seconde  '  moitié  du  concert  appartenait,  comme  les 
dimanches  précédents,  au  Cytîîe  Beethoven.  L'air  de 
Léonore  {Fidelio)^  bien  chanté  par  M°»®  Kutscherra, 
s'encadrait  entre  l'ouverture  en  mi  majeur  (médiocre, 
il  faut  être  franc)  et  Touverture  de  Léonore  n®  3,  qui . 
est  classique  dans  nos  concerts.  Le  morcéku  de  résis- 
tance était  la  Pastorale^  la  délicieuse^  la  divine,  la 
toute  puissante  Pastorale^  dont  l'action  sur  le  public 
restera  éternellement  la  même.  La  séance  débutait  par  le 
savant  et  noble  prélude  de  FervaaL  M"»«  Litvinne 
chanta,  de  plus,  avec  une  grande  ampleur  de  style,  l'air 
célèbre  de  Gluck  :  Divinités  du  Styx.  Une  seule  pre- 
mière audition  :  Dans  la  Cathédrale^  pièce  d'orchestre, 
avec  chœurs,  d'un  jeune  compositeur  dont  le  mérite 
s'affirme,  M.  Max  d'OUonne.  Seulement  Wagner  et 
Beethoven  sont  des  voisins  terribles.  On  faisait,  comme 
toujours,  maintes  ovations  aux  artistes,  à  l'orchestre  et 
à  son  chef. 

L'incident  hebdomadaire* du  Concert  Colonne  s'est 
produit  au  début,  après  le  prélude  de  Parsifal.  Entre 
nous,  la  seule  opération  normale  qu'un  public  ait  à  faire 
après  une  telle  musique,  c'est  d'essuyer  ses  larmes  et  de 
se  retirer  silencieusement.  Mais  comme  l'affiche  ne  vou- 
lait pas  qu'on  s'en  allât,  les  galeries  se  sont  soulagées  en 
criant  61*5,  et  le  bis  a  eu  vite  gagné  les  loges  et.  l'or- 
chestre. Histoire  d'amener  le  patron  à  faire  son  petit 
speech  :  «  Nous  sommes  très  touchés  de  votre  char- 
mante insistance  ;  mais  nous  avons  encore  à  voys  jouer... 
deux  symphonies  de  Beethoven  !  »  Applaudissements, 
long  coup  de  sifflet,  protestations  unanimes,  apaisement 


488  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

consécutif  et  reprise  tranquille  de  la  séance.  M™«  Auguez 
de  Montalant  ajant  retrouvé  dans  la  Procession  de 
César  Franck  son  vif  succès  de  l'autre  dimanche^  ce 
fut  le  tour  d'une  première  audition  :  «  Deuxième  poème 
lyrique  sur  le  Livre  de  Job  »,  par  «M.  Henri  Rabaud. 
Pièce  d'orchestre  importante,  où  la  musique 'se  fait 
volontairement  dépendante,  et  même  serve,  mais  1res 
savamment  et  puissamment  expressive  du  texte  (une 
très  belle  traduction  d'Ernest  Renan,  qui,  d'ailleurs,  ne 
s'attendant  pas  à  être  chantée,  n'a  pas  pris  soin  d'éviter 
les  mots  hostiles  à  toute  musique).  M.  Dufranne,  l'ad- 
mirable Golaud  de  Pélléas  et  Mélisande,  a  clamé  et 
déclamé  les  imprécations  de  Job  avec  sa  g-rande  voix 
g^énéreuse  que  l'orchestre  déchaîné  n'arrive  pas  à  cou- 
vrir. Et  nous  revenons  au  Cycle  Beethoven.  D'abord,  la 
Septième^  la  symphonie  en  la,  peut-être  la  plus  belle, 
celle  qui  inspirait  à  Weber  (quelle  misère  I)  ce  jug'ement 
historique  :  «  Désormais  Beethoven  est  mûr  pour  une 
maison  d'aliénés  ».  Entre  les  quatre  morceaux  d'inspira- 
tion souveraine  notre  admiration  n'oserait  guère  choisir; 
mais  le  cœur  de  tous  est  immédiatement  conquis  par 
Vandante,  Quatre  mesures  !  Il  n'en  faut  pas  plus;  et  les 
plus  distraits  donnaient  tous  les  signes  d'une  atten- 
tion passionnée.  Vous  "savez  que  les  faiseurs  d'opé- 
rettes ne  dédaignent  pas  d'emprunter  leurs  idées  aux 
œuvres  classiques,  de  déguiser  sous  des  paroles  drola- 
tiques telles  mélodies  célèbres  que  l'auditoire  ne  peut 
plus  reconnaître.  Restituons  à  Beethoven,  au  finale  de 
la  Symphonie  en  /a,  le  thème  de  la  phrase  connue  : 
((  J'aime  les  militaires.  »  C'est  pillé  note  pour  note.  Le 
concerto  en  ut  mineur  a  fait  briller  l'adresse  et  la 
netteté  du  pianiste  Lucien  Wurmser,  qui,  d'ailleurs,  ne 
perd  pas...  le  Nord,  si  j'en  crois  le  prospectus  inter- 
calé dans  le  programme,  pour  nous  rappeler  qu'il 
donne  des  leçons  et,  n'est-ce  pas?...  qu'il  les  fait  payer. 


CONCEjrrS    COLONNE  48^ 

Adélaïde L,,  Passons,  voulez-vous?  Non  sans  applaudir 
une  fois  de  plus  le  chant  impeccable  de  M™®  Aug-uez  de 
Montalant.  Et  voici  que  la  ffuitième  symphonie  en  fa^ 
si  justement  fameuse  par  son  délicieux  andante  scher- 
zando^  par  son  prestigieux ^na/e,  nous  amène  au  seuil 
de  la  grande  et  terrible  Neuvième^  qui  ne  peut  pas  ne 
pas  faire  Tcbjet  d'un  concert  solennel.  L'exécution,  tou- 
jours sûre  et  brillante,  a  été  dix  fois  acclamée. 

Le  concert  du  17  décembre  était  la  dernière  des  sept 
séances  qui  furent  si  glorieusement  consacrée*s  à  Beetho- 
ven. On  y  redonnait,  avec  le  môme  succès  que  huit 
jours  auparavant,  la  Neuvième  Symphonie,  précédée  dur 
fameux  concerto  de  vjplon  —  le  seul  que  Beethoven  ait 
jamais  écrit  —  où  Sarasate,  en  proie  à  un  invincible 
«  trac  »,  ne  se  montrait  point  —  une  fois  n'est  pas 
coutume  —  l'égal  de  lui-même...  Dans  la  première 
partie  de  la  séance,  un  .simple  air  de  Bach  pour  les 
cordes  était  exécuté,  soùs  la  fine  (Jirection  de  M.  Colonne, 
avec  une  si  délicieuse  perfection  que  le  public  le  rede- 
mandait d'acclamation  et  ne  faisait  plus  aucun  cas  des 
jolis  fragments  de  Contes  d'avril  de  M.  Widor  qui 
venaient  ensuite  :  tant  il  est  vrai  que  le  vieux  maître 
«  tue  »  toujours  tout  ce  qui  l'entoure. 

Ce  fut  une  longue  suite  de  bis,  le  dimanche 
24  décembre,  au  Ghâtelet,  où  se  donnait  le  der- 
nier concert  de  l'année.  C'est  ainsi  qu'on  redemanda 
le  joli  trio  de  l'oratorio  de  Noël^  de  M.  Saint-Saëns, 
délicieusement  interprété  par  M'*®  Jeanne  Leclerc, 
MM.  Plamondon  et  Daraux  ;  qu'on  voulut  entendre 
deux  fois  Varia  de  la  suite  de  Bach  pour  intruments 
à  cordes,  désormais  entré  au  répertoire  et  que  le  ténor 
Plamondon  dut  redire  devant  un  auditoire  charmé  le 
Repos  de  la  Sainte  Famille  de  V Enfance  du  Christ, 
Puis  le  Requiem  de  Gabriel  Fauré,  œuvre  très  noble^ 
fut  chanté  noblement  par  M"«  Jeanne  Leclerc,  le  baryton 


490         LES  ANNALES  DU  THEATRE 

Paul  Daraux  et  les  chœurs.  Le  morceau  sjmphonique 
de  Rédemption^  l'un  des  grands  triomphes  de  l'orchestre 
Colonne,  avait  ouvert  la  séance  que  terminait  majes- 
tueusement le  bel  Alléluia  du  Messie  d'Haendel.  Succès 
d'estime  —  d'estime  seulement  pour  le  «  Chant  des 
Bergers  à  la  Crèche  ».  extrait  de  Toratorio  Christus 
de  Liszt.  '^  ^  ^ 


CONCERTS  LAMOUREUX 


Le  i«f  janvier,  M.  Chevillard  nous  conviait  à  entendre, 
au  Nouveau- Théâtre,  un  programme  exclusivement  con- 
sacré à  Beethoven.  On  ne  pouvait  placer  sous  une  invo- 
cation plus  haute  l'année  qui  commençait.  Le  programme 
comportait,  d'abord,  TOuvertureen  ut  majeur  (op.  124) 
que  Beethoven  composa,  en  1822,  à  l'occasion  de  l'inau- 
guration du  théâtre  Joseph,  de  Vienne.  Œuvre  de  cir- 
constance, cette  ouverture  n'offre  guère,  par  rapport  à  ia 
généralité  des  œuvres  de  Beethoven,  que  l'intérêt  d'un 
renseignement.  Elle  était  suivie  de  la  Symphonie  héroï- 
que, dont  V  exécution  fut  de  tous  points  admirable. Après 
quoi  M.  Sechiari,  avec  la  romance  en  sol  majeur  pour 
violon,  puis  M.  Frolich,  avec  les  mélodies  religieuses, 
d'un  si  grave  et  si  beau  caractère,  se  faisaient  longue- 
ment applaudir  l'un  et  l'autre.  Enfin,  une  brillante  exé- 
cution de  la  célèbre  «  Sérénade  »  pour  trois  instruments 
à  corde,  et  l'ouverture  de  Léonore,  —  la  troisième  des 
quatre  ouvertures  que  Beethoven  composa  pour  Fïdelio 
—  terminait  ce  programme  d'un  intérêt  mélangé,  mais 
fort  acceptable  pour  uji  jour  de  fête. 
,  Après  unelumineuse  exécution  de  la  Pastorale,  M.,  Che- 
villard nous  donnait,  le  8  janvier,  la  première  audition 
d'une  étude  symphonique  de  M.  Florent  Schmitt.  Il  faut 
avouer  que  nos  jeunes  musiciens  vont  chercher  bien  loin 
matière  à  leur  inspiration.  Le  conte  de  Poë,  traduit  par 
Mallarmé,  qui  a  fourni  la  donnée  musicale  de  cette  œu- 
vre, est  loin  d'être  clair.  La  réalisation  musicale,  à  plus 


492  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

forte  raison,  ne  Test  point  du  tout.  En  dépit  d'une  exé- 
cution très  soigpnée,  malgré  les  efforts  d'un  excellent 
chef  d'orchestre  pour  mettre  en  valeur  les  thèmes  et 
•  leurs  transformations,  on  reste  surprisse  cette  incohé- 
rence. Si  Ton  arrive  parfois  à  percevoir  quelque  notion 
du  détail  de  cette  instrumentation  très  nourrie  et  souvent 
curieuse,  l'impression  d'ensemble  fait  complètement 
défaut.  Le  poème  de  M.  Richard  Strauss,  Mortel  Trans- 
figuration^ exécuté  pour  la  première  fois  au,  concert 
Lamoureux,  obtenait  un  lég-itime  succès.  L'œuvre  est, 
comme  toutes  celles  du.  capellmeister  allemand,  assez 
touffue  et  complexe,  mais  le  plan  en  est  clair,  .et  l'en- 
semble, du  début  douloureusement  accablé  à  l'hymne 
triomphal  de  la  fin,  est  d'une  fort  belle  tenue.  Entre 
temps,  M.  Harold  Bauer  interprète  le  concerto  en  la  mi- 
neur de  Schumann.  Son  jeu  est  net,  sa  sonorité  fran- 
che, un  peu  sèche  parfois,  et  sa  virtuosité  excellente. 
Toutefois,  l'interprétation,  souvent  mièvre,  manque  de 
de  largeur,  d'accent  et  de  personnalité.  Pour  terminer, 
les  musiciens  de  M.  Ghevillard  faisaient  merveille  dans 
l'exécution  de  l'ouverture  à^Obéron. 

L'Association  des  Concerts  Lamoureux  a  à  cœur  de  se 
mettre  en  règle  avec  la  circulaire  de  M.  Marcel,  direc- 
teur des  Beaux- Arts,  enjoignant  à  nos  sociétés  sjmpho- 
niques  subventionnées  de  jouer  un  nombre  d'œuvres 
nouvelles  assez  suffisant  pour  représenter  une  durée  de 
trois  heures  de  musique.  Le  i5  janvier,  c'était  un  tableau 
symphonique  de  M.  Edmond  Mall\erbe,  l'Amour  sacre 
et  r Amour  prof ane ^  qui  avait  les  honneurs  de  la  pre- 
mière audition.  Inspirée  du  célèbre  tableau  du  Titien,  si 
nous  en  croyons  le  programme,  cette  composition,  touf- 
fue à  l'excès,  dénote  de  la  part  de  son  auteur  un  talent 
indéniable  ;  l'harmonie  et  l'orchestration  n'ont  plus  de 
secrets  pour  lui.  Un  peu  plus  de  clarté  et  quelques  beaux 
thèmes  bien   expressifs  auraient   sûrement   conquis  le 


CONCERTS    LAMOUREUX  49^ 

public  qui  réserva  ses  faveurs  à  Schéhérazadey  de 
Rimsky  -  Korsakow,  œuvre  où  la  mélodie  abonde,  ua 
peu  banale  il  est  vrai,  mais  toujours  relevée  aussi  par 
d'intarissables  trouvailles  d'instrumentation.  Cependant, 
tout  bien  pesé,  cette  Schéhérazade^  avec  ses  flots  de 
résonnances  teintées  de  toutes  les  couleurs  et  ses  irradia- 
tions vibrantes  jaillissant  de  l'orchestre,  semble  le  pro- 
duit d'un  art  sans  profondeur,  tout  de  surface,  et  l'emploi 
parfois  abusif  des  instruments  de  percussion  en  souligpne 
encore  l'extériorité.  L'exécution  en  fut  naturellement 
tout  à  fait  remarquable.  Enregistrons,  pour  terminer,  le 
grand  succès  remporté  par  le  violoncelliste  Pablo  Casais  ; 
il  faut  vraiment  jouer  comme  joue  ce  grand  artiste, 
c'est-à-dire  avec  la  plus  belle  qualité  de  son  qui  soit,  la 
plus  parfaite  technique  et  Je  goût  le  plus  pur,  pour  faire 
presque  aimer  l'ennuyeux  Concerto  de  Schumann. 

M.  Pietro  Mascagni  conduisant  l'orchestre  des  Concerts 
Lamoureux,  voilà  qui  n'était  point  banal.  On  sait  que 
l'auteur  de  Cavalleria  Rustlcana  s'était,  d'ailleurs,  lon- 
guement exercé  au  métier  de  cappelmeister,  et  l'Amé- 
rique a  déjà  bruyamment  retenti  du  bruit  de  ses  ex- 
ploits. Son  début  à  Paris,  où  il  remplaçait,  le  22  janvier, 
M.  Camille  Chevillard,  n'était  pas  complètement  heureux. 
En  voici  le  succint,  mais  exact  procès-verbal.  M.  Masca- 
gni a,  d'abord,  dirigé  avec  goût  l'ouverture  de  Coriolan 
et  la  Symphonie  pathétique  de  Tschaïkowski.  Mais, 
après  nous  avoir  fait  entendre  d'insignifiants  morceaux 
comme  l'ouverture  de  la  Fiancée  vendue,  et  certain 
Nocturne  de  Catalani,  il  s'est  montré  médiocre  —  di- 
sons le  mot  —  dans  le  Rouet  d'Omphale,  qu'il  a  con- 
duit mollem'ènt,  et  presque  sans  rythme,  ce  qui  est  un 
comble.  Pour  l'ouverture  des  Maîtres  Chanteurs,  il  s'est 
laissé  mener  par  l'orchestre,  qui  allait  tout  seul,  et  il 
avait  littéralement  chaud  à  suivre  avec  les  bras  les  mou- 
vements,  plus  brillants  et  plus  nerveux   dix  fois,  de 


494  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

notre  Chevillard  national...  En  somme,  nos  grands 
chefs  d'orchestre  peuvent  dormir  tranquilles  :  M.  Masca- 
gnï  reste  —  cela  ne  doit-il  pas  suffire  à  sa  gloire  ?  —  le 
triomphant  auteur  de  Cavalleria  Rusticana , . . 

Le  29  janvier,  M.  Mascagpai,  qui  cette  fois  encore  di- 
rigpeait  Torchestre,  faisait  entendre,  en  première  audi- 
tion, deux  pièces  intéressantes,  essentiellement  musicales 
et  d'excellente  tenue  :  T  «  Adag-io  »  et  le  «  Scherzo  »  de 
la  Suite  en  si  mineur  de  M.  Roffrodo  Caetani .  La 
phrase  principale  de  TAdag-io  —  qui  fait  un  peu  song-er 
à  une  voix  dans  la  nuit,  sous  les  étoifes,  —  ample,  ex- 
pressive, se  déroule  et  se  prolonge  de  façon  toute  natu- 
relle et  dans  une  belle  et  chaude  sonorité.  Quant  au 
Scherzo,  très  sjmphoniquement  traité,  il  est  construit, 
écrit  et  orchestré  avec  un  soin,  un  art  et  une  dexiérité 
qui  s'élèvent  singulièrement  au-dessus  du  «laisser  aller» 
qu'affecte  parfois  la  nouvelle  école  italienne.  Ces  deux 
compositions  de  M.  Caetani  étaient  très  favorablement 
accueillies.  Les  principales  œuvres  inscrites  au  pro- 
gramme —  et  que  M.  Mascagni  dirigeait  par  cœur  — 
étaient  la  Symphonie  en  ré  mineur  de  Brahms,  l'ouver- 
ture de  Léonore  (n»  3)  et  celle  de  Tannhauser  ;  et  c'est 
particulièrement  dans  l'interprétation  de  cette  page  illus- 
tre, dont  chaque  note,  pour  ainsi  dire,  nous  est  fami- 
lière, que  M.  Mascagni  montrait  ses  plus  chaleureuses 
qualités  de  chef  d'orchestre.  Il  en  enlevait,  notamment, 
la  dernière  partie  avec  une  sûreté  et  un  brio  qui  lui  va- 
laient, ainsi  qu'à  l'orchestre,  une  longue  ovation.  Très 
applaudis,  également,  le  Prélude  du  Déluge  de  Saint- 
Sa(fns,  et  l'excellente  interprétation  du  beau  solo  de 
violon  par  M.  Sechipri. 

Au  programme  du  5  février  reparaissait  le  3®  Sym- 
phonie, déjà  farceuse,  de  M.  Albéric  Magnard.  Est-ce  1h 
faute  de  l'auteur?  Est-ce  —  comme  le  disent  les  amis  du 
jeune  compositeur  —  la  faute  de  M.  Chevillard?...  Tou- 


CONCERTS  LAMOUREUX  49& 

jours  est-il  que  TefiFet  fut  médiocre,  infiniment  moins 
grand  que  le  jour  de  la  première  audition . . .  C'est  de  la 
musique  correcte,  un  devoir  bien  fait^  une  «  dilution  » 
de  César  Franck  et  de  Vincent  d'Indy,  une  ceuvre  de  ma- 
thématique musicale  excellente,  d'orthographe  irrépro- 
chable, mais  de  couleur  grise  et  monotone,  dont  Torches- 
tration  est  presque  exclusivement  maintenue  dans  les 
cordes-.  Les  danses  sont  d'un  joli  caractère  sans  véritable 
entrain,  et  la  Pastorale  est  si  triste  qu'on  peut  croire 
qu'elle  symbolise  la  mort,  du  berger  et  l'abandon  de  la 
bergère.  Le  fi:nal^  est  plus  brillant,  plus  puissant  aussi ^ 
mais  le  tout  bien  inférieur  à  la  grande  Symphonie  de 
M.  d'Indy.  Venant  après  cette  fresque  délicate  et  pâle,  la 
7%a/nar  de  Balakirevsr,  toute  débordante  de  rythme,  de 
sensualité  chantante  et  berceuse,  de  timbres  variés  et 
sonores,  produisait  la  plus  vive  impression.  Bonne  exé- 
.  cution  de  la  quatrième  symphonie  de  Schumann  et  de 
l'éternellement  joyeuse  Espana  de  Ghabrier. 

La  Symphonie  avec  chœurs  exerce  toujours  un  attrait 
irrésistible  sur  le  public  ;  on  le  vit  bien  le  12  février,  où 
elle  avait  attiré  grande  affluence.  «  Des  quatre  parties  de  ' 
Beethoven,  écrivait  notre  regretté  confrère  Charles  Joly, 
la  seconde  (le  Scherzo)  fut  de  beaucoup  la  mieux  exécu- 
tée, sans  doute  parce  qu'elle  ne  demande  que  de  la  verve 
et  de  la  virtuosité; —  l'orchestre  Lamoureux  y  fut  la 
perfection  même.  Mais  le  premier  morceau  manqua  de 
majesté  et  même  de  force  là  où  la  force  ét^t  nécessaire  ; 
les  deux  thèmes  de  l'Adagio  furent  tout  d'abord  exposés 
comme  ils  doivent  l'être,  le  premier  avec  un  gravité  toute 
religieuse,  le  second  avec  une  douceur  expressive  ;  cepen- 
dant ils  perdirent  peu  à  pen  cette  religiosité  rêveuse  et 
cette  tendresse  mélancolique,  d'abord  par  une  sorte  de 
sécheresse  imprimée  au  rythme,  ensuite  par  l'importance 
trop  prépondérante  donnée  aux  ornements  contraponti- 
ques  qui,  parfois,  allaient  jusqu'à  couvrir  la  mélodie  ; 


496  LES  ANNALES  DU  THEATRE 

enfin  la  quatrième  partie  se  ressentit  beaucoup  de  Tin- 
suffisance  de  plusieurs  unités  du  quatuor  vocale  de  sorte 
que  ce  chant  sublime,  parti  du  fond  du  c^ur  pour  ré- 
pandre la  joie  divine  parmi  les  larmes  de  la  terre,  nous 
apparut  comme  dépouillé  de  la  part  d'éternité  que  lui 
assura  le  génie.  Nous  ne  dirons  qu'un  mot  des  Varia- 
tions sur  un  Thème  original,  de  M.  Edward  Elgar, 
jouées  pour  la  première  fois  :  elles  sont  Tœuvre  d*un 
musicien  à  coup  sûr  fort  remarquable,  excellant  à  déve- 
lopper un  thème,  à  le  transformer  et  à  le  revêtir  des 
mille  et  une  grâces  de  la  polyphonie  moderne.  J'ai  cru 
sentir  dans  sa  façon  d'écrire  pour  l'orchestre  Tiafluence 
directe  des  Maîtres  Chanteurs  ;  mais  je  suis  sûr  que  la 
dernière  variation,  un  peu  longue  et  parfois  môme  un 
peu  vulgaire,  a  gâté  l'heureuse  impression  qu'avaient 
produite  les  précédentes,  » 

Deux  œuvres  de  Beethoven,  au  lieu  d'une,  le  19  fé- 
vrier. Avant  la  symphonie  avec  chœurs,  où  l'on  ne 
ménageait  les  applaudissements  ni  à  l'orchestre  de 
M.  Ghevillard,  ni  aux  chanteurs  :  M"«  Charlotte  Lor- 
mont,  M"e  Melno,  MM!  Gibert  et  Frolich,  M.  Emil 
Sauer  jouait  le  5«  concerto  en  mi  bémol  de  Beethoven 
avec  une  simplicité,  une  netteté  et  une  virtuosité  vrai- 
ment remarquables,  soulignant  ses  nuances  tour  à  tour 
avec  une  vigueur  et  un  charme  tout  à  fait  dignes  d'é- 
loges. On  lui  faisait  une  ovation  de  tout  point  méritée. 
Le  Tasse  ÏMi  donné  avec  grand  succès  dans  une  saison 
précédeiQte  au  théâtre  de  Monte-Carlo.  Néanmoins,  la 
presse  musicale  en  constatant  la  réussite  de  l'œuvre 
avait  formulé  quelques  indications  dont  l'auteur  M.  Eu- 
gène d'Harcourt  a  tenu  compte  en  remaniant  certiioes 
parties  de  sa  partition.  C'est  l'ouverture  de  cette  compo- 
sition, rendue  plus  parfaite,  que  M.  Chevillard  nous 
faisait  entendre.  Les  motifs  y  abondent,  chantants  et 
clairs,   agencés  de  façon  tout  à  fait  ingénieuse.  L'or- 


CONCERTS    LAMOUREUX  497 

chestration  nous  démontrerait,  si  l'on  ne  le  savait  déjà, 
que  le  compositeur  a  pratiqué  dès  long'temps  tous  les 
g-rands  maîtres  et  qu'il  a  su  s'inspirer  de  leurs  qualités 
les  plus  précieuses  pour  s'en  faire  une  note  absolument 
personnelle.  L'œuvre,  fort  bien  interprétée  par  Tor^ 
chestre,  était  accueillie  de  la  façon  la  plus  chaleureuse. 

Le  26  février,  on  applaudissait  la  voix  brillante  et 
pure  et  l'interprétation  simple,  intellig-ente  et  musicale 
de  Mme  Faliero-Dalcroze  dans  trois  lieder  de  M,  Gus- 
tave Malber,  dont  le  second,  tableau  matinal  d'une  im- 
pression fraîche  et  parfumée, avait  particulièrement  plu. 
La  réputation  de^JM.  Gustave  Malher,  comme  chef  d'or- 
chestre, est  mieux  établie  ici  que  crfle  de  compositeur 
très  intéressant  qu'il  mérite  pourtant.  Ses  remarquables 
symphonies  font  leur  chemin  en  Allemagne.  M.  Colonne 
et  M.  Ghevillard  prendraient  une  heureuse  initiative  en 
leur  ouvrant  le  chemin  de  Paris.  M°*®  Faliero-Dalcroze  a 
délicieusement  chanté  aussi  un  air  de  Rossi,  qu'on  jure- 
rait avoir  été  écrit  par  Mozart  et  que  Rossi,  né  en  1620, 
écrivit,  cependant,  un  siècle  avant  la  naissance  de  Mozart. 
Et  elle  se  fit  encore  très  chaleureusement  applaudir  pour 
son  interprétation  légère,  spirituelle,  d'un  air  an  Défi  de 
PhébttS  et  Pariy  de  J.-S.  Bach.  Antar,  de  Rimsky- 
Korsakow  et  le  prestigieux  poème  symphonique  de 
Listz,  Mazeppa,  admirablement  exécutés,  formaient  la 
partie  la  plus  importante  d'un  beau  programme  que  ter- 
minait un  fragment  de  la  musique  de  scène  de  V Absent, 
«  Fête  populaire  »,  de  M.  Femand  Le  Borne,  déjà  fré- 
quemment entendu  à  i'Odéon, 

Le  5  mars,  très  belle  séance,  au  programme  varié,  qui. 
commençait  par  .la  Symphonie  en  fa  de  Beethoven, 
jouée  avec  beaucoup  de  charme.  M"®  Marguerite  Picard 
chantait  ensuite  d'une  voix  de  mezzo  solide  et  juste  l'air 
de  Fidelio  et  une  mélodie  de  M.  Pierre  Hermant  (frère 
d'Abel)  intitulée  Sagesse.  Ce  titre  lui  convenait  à  tous 

ANNALES  DU  THÉÂTRE  32 


498  LES  ANNALES  DU  THÉÂTRE 

égards  :  la  musique  eu  était  sage,  équilibrée,  fort  esti- 
mable en  somme,  en  dépit  d'une  imitation  de  Wagner 
trop  marquée  dans  la  partie  d'orchestre.  Après  une  très 
parfaite  exécution  de  l'ouverture  du  Tannhauser^  de 
V Après-midi  d'an  faune,  de  M.  Debussy  et  du  prélude 
de  Parsifaly  le  concert  se  terminait  par  Trois  valses 
romantiques  de  Ghabrier,  élégamment  orchestrées  par 
M.  Félix  Mottl  :  œuvres  heurtées,  hachées,  inégales, 
mais  pleines  d'intérêt  ;  le  contraire  du  banal  et  du  plat, 
un  vrai  régal  pour  les  amateurs.  M*"«  Teresa  Carreno  — 
ne  l'oublions  pas  —  avait  enlevé  avec  une  énergie  ter- 
rible, «  herculéenne  »,  la  Fantaisie  hongroise  de  Liszt. 
Trois  rappels  justices  par  une  virtuosité  impeccable  ; 
mais  peu  de  sentiment  et  de  nuances. . . 

Le  dimanche  suivant,  le  concert  était  consacré  à  la 
Damnation  de  Faust^  dont  on  ne  compte  plus  les  audi- 
tions. Si  l'orchestre  a  dû  redire  la  Marche  hongroise, 
bissée  d'acclamation,  et  M.  Fournets,  la  célèbre  séré- 
nade, redemandée  avec  non  moins  d'enthousiasme,  la 
part  du  succès  a  été  également  très  considérable  pour 
M™«  Jeanne  Raunay,  qui  interprétait  pour  la  première 
fois  le  rôle  de  Marguerite,  pour  M.  Laffitte,  pour  M.Sig- 
walt  et  pour  les  chœurs  formés  déjeunes,  fraîches  et 
solides  voix. 

Au  programme  du  26  mars,  reparaissait  Mort  et 
Transfiguration  que  beaucoup  de  bons  esprits  consi- 
dèrent comme  le  meilleur  poème  symphonîque  de  Richard 
Strauss.  «  Si  nous  devons  rechercher  les  raisons  de  cette 
préférence,  écrivait  Charles  Joly,  nous  les  trouverons 
dans  ce  fait  que  de  toutes  les  œuvres  du  jeune  maître 
allemand.  Mort  et  Transfiguration  est  celle  qui  pré- 
sente la  forme  musicale  la  plus  parfaite  et  le  développe- 
ment le  plus  logique.  En  effet,  dans  les  compositions  où 
Richard  Strauss  s'inspira  de  Leneau,  de  Nietzche,  de 
Cervantes,  etc.,  les  variations  des  mouvements  et  les 


CONCERTS    LAMOUREUX  499 

combinaisons  de  motifs  sont  commandées  par  la  fan- 
taisie d'un  programme  dont  tous  les  détails  échappent 
forcément  à  l'auditeur  qui  ne  peut  en  percevoir  que  le 
sens  général,  et  il  en  résulte  que  ces  compositions  res- 
semblent à  ce  que  Ton  pourrait  nommer  de  prodigieuses 
et  géniales  improvisations.  Mais  le  petit  poème  qui  sert 
d'argument  à  Mort  et  Transfiguration  a  été  écrit  par 
Richard  Strauss  lui-môme  ;  et  à  l'audition  il  apparaît 
clairement  que  ce  poème  a  été  conçu  en  musique^  car  il 
j  a  une  union  si  intime  entre  la  pensée  conductrice  et  la 
forme  méthodique,  une  pénétration  si  complète  de  la  mu- 
sique dans  le  poème  et  du  poème  dans  la  musique  qu'on 
ne  peut  imaginer  un  seul  instant  que  les  moyens 
d'expression,  les  rythmes,  les  mélodies,  les  développe- 
ments thématiques  et  la  couleur  instrumentale  puissent 
être  autres  que  ceux  adoptés  par  le  compositeur.  C'est  là 
le  signe  caractéristique  d'une. œuvre  de  génie.  Je  me 
fais  un  devoir  de  proclamer  que  sous  la  direction  de 
M.  Ghevillard,  l'exécution  de  Mort  et  Transfiguration 
fut  très  remarquable,  et  peut-être  plus  belle  encore  fut 
celle  du  Prélude  du  troisième  acte  des  Maîtres  Chan- 
teurs^ psigc  que  je  place  au-dessus  de  tout  ce  qu'a  écrit 
Richard  Wagner,  et  dont  M.  Ghevillard  exprima  toute 
la  profondeur,  toute  la  gravité  et  toute  la  mélancolie. 
Mais  j'ai  beaucoup  moins  aimé  le  premier  morceau  de  la 
Symphonie  italienne^  de  Mendelssohn,  joué  dans  un 
mouvement  d'une  rapidité  excessive;  il  semblait  que 
l'orchestre  prît  part  à  un  concours  de  virtuosité,  et  lui 
eût-on  rendu  trente  mesures  d'avance,  il  serait  sûrement 
arrivé  bon  premier  sur  tous  les  orchestres  du  monde. 
Cette  œuvre  élégante,  de  bonnes  manières,  toute  fleurie, 
si  distinguée  d'écriture,  si  belle  de  construction,  sem- 
blait avoir  perdu  son  caractère  charmant,  parfois  aussi 
sa  délicatesse.  Mentionnons  encore  le  succès  rem- 
porté   par  W^^  Mary  Garnier    dans    deux    airs    très 


bOO  LE8  ANNALES  DU  THEATRE 

difficiles  de  Haendel  et  de  Mozart.  Nous  entendions, 
ce  même  jour,  une  ouverture  de  M.  Alarj  pour 
le  drame  de  M.  Sardou,  la  Haine ^  et  nous  devons 
louer  la  sincérité  de  cette  œuvre  correctement  et  cons- 
ciencieusement écrite.  Plus  personnels  sont  les  deux 
morceaux  de  la  Suite  symphonique  de  M.  Léon  Moreau  ; 
mais  à  TAllegro  —  dont  le  plan  me  parut  un  peu  confus 
et  où  pourtant  nous  avons  relevé  plus  d'un  coin  char- 
mant —  je  préfère  de  beaucoup  le  Scherzando,  sorte  d'air 
de  ballet  aux  rythmes  et  aux  mélodies  exotiques,  faisant 
donner  par  sa  couleur,  ses  qurieuses  harmonies  et  la 
variété  de  ses  timbres,  aux  meilleures  choses  orientales  de 
Rimsky-Korsakoff .  Cette  page  est  peut-être  la  plus  remar- 
quable que  M.  Léon  Moreau  —  qui  en  compte  nombre 
d'autres  fort  belles  —  nous  ait  donnée  jusqu'à  ce  jour.  » 
Pour  son  dernier  concert  de  la  saison,  M.  Chevillard 
avait  eu  l'heureuse  pensée  d'adopter  le  2  avril  une  œuvre 
de  M.  Théodore  Dubois,  qu'on  joue  un  peu  partout  et  qui 
est  généralement  bien  accueillie  :  Adonis^  poème  sym- 
phonique en  trois  parties.  La  première  audition  en  avait 
été  donnée  au  Châtelet,  le  24  novembre  1 90 1 ,  et  le  pu- 
blic, ce  jour-là*  très  nerveux  sans  raison,  s'était  montré 
irascible  comme  une  jolie  femme,  comihe  une  laide 
aussi.  Cette  colère  injustifiée  n'a  pas  nui  à  la  fortune 
A* Adonis,  elle  l'a  avancée  au  contraire  :  quelques  sifflets 
lancés  au  moment  opportun  font  rebondir  une  œuvre 
comme  un  coup  de  cravache  fouette  l'ardeur  d'un  pur- 
sang.  «  Au  Nouveau-Théâtre,  écrivait  M.  Julien  Tor- 
chet,  ne  s'est  produit  aucun  incident,  et  l'on  a  applaudi 
avec  cette  sympathie  mêlée  de  respect  que  mérite  à  tant 
d'égards  le  directeur  du  Conservatoire.  Adonis  est  une 
élégie  douce,  mélancolique  sans  trop  de  tristesse,  une 
sorte  de  demi-deuil.  La  douleur  d'Aphrodite^   traduite 

1)ar  un  motif  confié  à  la  clarinette,  n'est  pas  poignante  : 
a  déesse  savait  bien  que  son  amant  n'était  pas  mort  à 


CONCERTS    LAMOUREUX  5oi 

jamais  et  que  bientôt  il  renaîtrait  en  une  vivante  ané- 
mone. La  Déploration  des  Nymphes,  chantée  par  deux 
flûtes  qu'accompag-nent  les  cordes  en  sourdine,  est  ai- 
mable avec  des  sonorités  tendres  et  discrètes.  La  Méta- 
morphose d'Adonis  n'est  pas  moins  aimable  ;  elle  signale 
le  renouveau  de  la  vie,  et  la  musique  qui  le  décrit,  avec 
son  joli  bruissement  instrumental,  fait  penser  à  la  dou- 
ceur d'une  fraîche  matinée  de  printemps.  M"*^  Mjsz- 
Gmeiner  a  chanté  —  en  allemand  —  d'une  voix  jeune  et 
charmante,  les  Rêves ^  de  Wagner,  une  mélodie  à  peine 
esquissée  dont  le  maître  a  dû  se  servir  dans  Tristan  et 
/solde,  et  dit,  plutôt  que  chanté,  les  Trois  Tziganes,  de 
Liszt.  Il  s'agit,  d'après  la  traduction,  de  pauvres  héros, 
loqueteux  mais  libres,  qui  se  consolent  de  leur  misère, 
l'un  en  jouant  du  violon,  l'autre  en  fumant  sa  pipe,  le 
troisième  en  dormant.  La  musique  ne  manque  pas  de 
pittoresque  ;  j'ai  entendu,  au  début,  d'insignifiants  traits 
de  violon  fort  bien  faits  par  M.  Séchiari,  un  motif  très 
commun  vers  le  milieu,  et  à  la  fin,  j'ai  cessé  d'écouter. 
C'est  tout  ce  que  j'ai  à  dire  des  Trois  Tziganes,  Un  air 
de  Don  Carlos,  de  Verdi,  eût  valu  d'être  chuté,  s'il  eût 
été  interprété  par  une  autre  cantatrice  que  M°»®  Mjsz- 
Gmeiner,  dont  le  talent  est  si  apprécié  par  le  public. 
Comme  elle  le  chantait  en  italien,  j'ai  cru  comprendre 
qu'une  femme  maudit  sa  beauté  et  qu'à  cause  de  cela 
elle  va  s'ensevelir  dans  un  couvent.  Don  Carlos,  suivant 
l'opinion  des  musicographes,  inaugurait  la  deuxième 
«  manière  »  de  Verdi  ;  je  n'y  contredis  nullement,  mais 
ce  dont  je  suis  sûr,  c'est  que  ce  n'était  pas  la  bonne.  » 

Le  i5  octobre,  M.  Ghevillard  fêtait  un  anniversaire 
cher  aux  musiciens  :  celui  de  la  fondation,  il  y  a  vingt- 
cinq  ans,  des  Concerts-Lamoureux.  On  sait  tout  ce  que 
la  musique  doit  à  Charles  Lamoureux,  et  en  particulier 
le  gigantesque  effort  qu'il  fit  pour  répandre  l'œuvre 
^  wagnérienne.   Les  ovations  qui    saluaient    ce   jour-là 


502  LES  ANNALES  DU  THÉÂTRE 

M.  Camille  Chevillard  s'adressaient  non  seulement  à 
celui  qui  perpétue  les  nobles  traditions  de  l'artiste  dis- 
paru, mais  à  celui  qui  les  a  créées.  Une  pieuse  et  tou- 
chante intention  avait  fait  inscrire  au  programme  la 
Symphonie  en  /a,  de  Beethoven^  et  l'ouverture  du  Car^ 
naval  romain^  de  Berlioz,  qui  figuraient  le  21  oc- 
tobre 1881  au  premier  concert  Lamoureux.  «  L'une  et 
l'autre,  écrivait  au  Figaro  M.  Robert  Brussel,  ont  été 
exécutées  avec  ce  souci  du  détail,  cette  perfection  de  la 
forme,  qui  font  de  cet  orchestre  un  des  plus  parfaits  qui 
soient,  et  Tun  des  plus  aptes  à  rendre  saisissants  et 
clairs  les  dessins  instrumentaux  les  moins  limpides.  La 
quatrième  Béatitude,  chantée  par  M.  Gazeneuve,  figu- 
rait également  au  programme.  C'est  une  de  celles  «où 
Franck  a  mis  le  meilleur  et  le  plus  profond  de  sa  foi  ; 
^  c'est  peut-être  celle  où  chantent  avec  le  plus  de  noblesse 
et  de  grandeur  ces  idées  mélodiques  riches  de  sève  musi- 
sicale  dont  la  forme  n'appartient  qu'à  lui  seul.  Ce  pur 
chef-d'œuvre,  où  la  splendeur  sonore  s'allie  à  la  plus 
touchante  expression,  a  été  traduit  avec  toute  la  chaleur 
désirable  par  M.  Chevillard.  Quant  à  la  première  Sym- 
phonie de  M.  Vincent  d'Indy,  malgré  qu'elle  soit  déjà 
parmi  les  anciennes  productions  de  l'auteur  de  Fervàal, 
elle  a  merveilleusement  résisté  à  l'assaut  du  temps  et 
reste  une  des  plus  belles  œuvres  de  la  musique  moderne 
française.  Elle  est  imprégnée  d'une  poésie  toute  particu- 
lière ;  ses  combinaisons  rythmiques  et  instrumentales  et 
la  beauté  de  son  écriture  en  font  un  des  ouvrages  les 
plus  savoureux  d'un  maître,  qui  semble  devoir  occuper 
une  place  très  importante  dans  l'histoire  de  l'évolution 
de  la  musique.  L'orchestre  en  a  rendu  avec  infiniment 
de  grâce,  quoique  avec  un  peu  de  lenteur,  les  deux  pre- 
miers morceaux  et  a  mis  au  service  du  finale  toute  la 
véhémence  requise.  M.  Edouard  Risler  a  exécuté  en 
grand   artiste    la   partie   de   piano,   qui   ne  joue  dans 


CONCERTS   LAMOUREUX  563 

i*œuvre  qu'un  rôle  de  poésie  instrumentale.  Il  est  un  de 
ceux  qui  font  le  plus  grand  honneur  à  leur  art,  et  le 
public  Ta  salué  de  chaleureux  applaudissements.  Le 
concert  comportait  également  la  première  audition  de  la 
Mer  (trois  esquisses  symphoniques)  de  M.  Claude  De- 
bussy. Elle  procède  du  môme  esprit  qui  nous  a  valu  les 
poétiques  Nocturnes.  L'expression  en  est  plus  sensuelle 
que  réellement  descriptive  et  le  pittoresque  en  est  fait 
non  d'une  idée  mélodique  caractéristique,  mais  de  touches 
successives,  dont  tout  l'effet  est  harmonique  ou  instru- 
mental. Le  premier  morceau,  «  De  l'aube  à  midi  sur  la 
mer»,  est  d'une  couleur  volontairement  grise  et  impré- 
gnée d'une  atmosphère  de  mélancolie  ;  le  second  mor- 
ceau, «  Jeu  de  vagues  »,  est  du  plus  chatoyant  effet, 
avec  ses  combinaisons  rythmiques  ingénieuses,  et  ses 
accouplements  instrumentaux  si  personnels;  le  troisième 
morceau,  «  Dialogue  du  vent  et  de  la  mer  »,  est  d'un 
superbe  éclat  sonore  et  d'une  véhémence'  par  endroits 
pleine  de  grandeur.  Cette  œuvre  si  complexe  et  de  réali- 
sation si  difficile  a  trouvé  en  M.  Chevillard  un  interprète 
de  choix  qui  en  a  traduit  la  poésie  toute  particulière 
avec  une  souplesse  et  une  pénétration  artistique  dont 
font  récompensé  d'unanimes  applaudissements  ». 

VEté  pastoraU  de  M.  Pierre  Kunc,  dont  le  29  oc- 
tobre M.  Chevillard  donnait  la  première  audition  n'est 
pas  un  ouvrage  de  vastes  proportions  ;  il  ne  se  réclame 
ni  d'abstractions  métaphysiques  ni  de  prétentions  à  une 
nébuleuse  originalité  ;  mais,  mieux  que  cela,  il  est  d'une 
musicalité  charmante.  Le  premier  morceau.  Au  matin ^ 
décrit  d'un  style  agréablement  pittoresque  les  grâces 
fleuries  de  l'aurore;  le  second.  Dansé  aux  lanternes^  est 
d'un  rythme  franc  et  net,  et  le  tout  est  d'une  écriture 
très  soignée  et  d'une  instrumentation  colorée  et  vivante. 
L'orchestre  interprétait  ces  morceaux  avec  verve  et  le 
public  les  accueillait  avec  infiniment  de  sympathie. 


5o4  LES  ANNALES  DU  THÉÂTRE 

Deux  ouvrag-es  inédits  fig-uraient  au  programme  du 
5  novembre  :  la  Chevauchée  de  la  Chimère,  de  M.  Gas- 
ton Carraud,  un  de  nos  critiques  musicaux  les  plus  dis- 
ting-ués,  et  le  Cygne  de  Tuonela,  de  J.  Sibelius. 
L'œuvre  de  M.  Garraud,  conçue  sur  une  donnée  poétique 
qui  se  prétait  admirablement  à  la  musique,  est  fort 
intéressante.  Bâtie  sur  un  rythme  impérieux  qui, 
d'abord  imprécis,  s'affirme  ensuite  dans  toute  sa  force, 
elle  vaut  surtout  par  un  orchestre  merveilleusement 
sonore  ;  les  timbres  de  l'orchestre  sont  g-roupés  avec  une 
habileté  et  une  science  consommées^  et  par  instants 
Tœuvre  acquiert  par  la  seule  vertu  de  son  instrumenta- 
tion une  intensité  poétique  des  plus  rares.  Le  public  fai- 
sait d'ailleurs  à  l'œuvre  de  M.  Garraud  un  accueil  très 
sympathique.  Si  la  couleur  et  la  véhémence  ne  sont  pas 
les  moindres  qualités  de  la  Chevauchée  de  la  Chimère^ 
c'est  par  des  qualités  d'un  tout  autre  ordre  que  se  recom- 
mande le  Cygne  de  Tuonela,  M.  Sibelius  y  dépeint  le 
fleuve  noir  de  l'Enfer  finnois,  sur  lequel  un  cygne  majes- 
tueux et  triste  s'avance  en  chantant.  Là,  toute  la  poésie 
repose  sur  un  chant  expressif  confié  au  hautbois,  tandis 
qu'à  peine  sensible  murmure  le  quatuor.  La  teinte  volon- 
tairement grise,  la  lenteur  éplorée  de  l'idée  mélodique 
donnent  à  l'œuvre  un  caractère  tout  particulier,  et  qui 
n'est  pas,  malgré  sa  long-ueur,  sans  posséder  un  charme 
très  réel.  Le  programme  de  ce  même  jour  comprenait, 
en  outre,  l'admirable  Symphonie  inachevée ,  de  Schu- 
bert, dont  M.  Ghevillard  a  remarquablement  traduit  la 
poésie  mélancolique,  l'ouverture  du  Tannhauser,  le 
Concerto  en  ré  mineur  de  Hiendel,  dont  les  beautés  n'ef- 
facent pas  toujours  la  longueur,  le  Capricio  espagnol j 
de  Rimsky-Korsakow^,  riche  de  fantaisie  et  de  pittoresque 
instrumental,  enfin  la  verveuse  Bourrée  Jantasquey 
'  orchestrée  par  M.  Félix  Mottl,  comme  Ghabrier  eût  pu  le 
faire,  ce  qui  n'est  pas  le  moindre  des  compliments. 


CONCERTS    LAMOUREUX  5o5 

Le  12  novembre,  au  Nouveau-Théâtre,  —  disons  les 
choses  comme  elles  5ont  —  l'ouverture  de  Manfred^  et 
la  Symphonie  en  ré  de  César  Franck  étaient  rendues 
avec  correction,  avec  style,  mais  sans  chaleur  et  sans 
poésie.  Rien  ne  vibrait,  ni  Torchestre,  ni  le  public. 
M.  Colonne  joue  le  Franck  avec  un  élan,  un  romantisme 
qui  auraient  étonné  sans  doute  ce  sage  et  honorable  con- 
trepointiste,  mais  l'effet  est  produit,  l'auditoire  s'emballe 
et  ne  réfléchit  qu'après;  s'il  réfléchit. . .  Par  contre,  le 
ravissant  Capricio  espagnol,  de  Rimsky-Korsakow, 
retrouvait  chez  M^hevillard,  son  succès  du  dimanche 
précédent.  C'est  un  délice  pour  l'oreille  que  cette  trans- 
cription si  riche  et  si  colorée  des  motifs  courants  du 
fandango  et  du  boléro,  et  dans  cette  œuvre  exquise,  les 
plus  grandes  excentricités  —  il  y  en  a  —  ne  cessent 
jamais  d'être  de  la  musique.  Glissons  sur  le  Soleil  cou- 
chant, de  M.  Lefèvre-Derodé,  qui,  nous  le  craignons,  ne 
se  lèvera  pas  de  si  tôt . . .  Ce  compositeur  nous  a  fait 
penser  à  certains  hommes  politiques  d'où  l'on  croit  tou- 
jours qu'il  va  sortir  quelque  chose,  et  d'où  il  ne  sort 
jamais  rien,  rien  ! 

Le  dimanche  suivant,  nous  entendions  chez  M.  Che- 
villard,  une  cantate  de  Rameau,  Diane  et  Actéon,  dont 
le  charme  et  l'exquise  musicalité  faisaient  grande  impres- 
sion sur  le  public.  Mme  Mellot-Joubert  l'avait  d'ailleurs 
interprétée  avec  une  voix  très  joliment  timbrée  et  une 
remarquable  compréhension  du  style  de  Rameau. 
jVIme  Mellot  avait  également  chanté  le  Nocturne  de 
César  Franck.  Malgré  tout  son  talent  et  la  poétique  ins- 
trumentation qu'en  a  faite  M.  Guy-Ropartz",  un  dès  plus 
remarquables  disciples  du  maître,  le  Nocturne  ne 
compte  pas  parmi  les  plus  impressionnantes  œuvres  de 
Franck.  La  Sauge  fleurie,  de  M.  Vincent  d'Indy  est  une 
composition  déjà  ancienne  de  l'auteur  de  Fervaal;  c'est 
une  de  ses  plus  heureuses  inspirations.  Sauge  fleurie  n'a 


5o6         LES  ANNALES  DU  THEATRE 

rien  perdu  de  son  charme  et  de  sa  fraîcheur  ;  les  idées  en 
soot  ravissantes  et  Torchestre  d'une  saveur  unique.  M.  Che- 
villard  en  traduisait  merveilleusement  Texquise  poésie. 
La  Kermesse  de  M.  Jacques  Dalcroze  est  franche  de 
rythmes,  agréable  d'inspiration  et  pittoresque  d'orchestre. 
Les  idées  de  source  populaire  s'y  mêlent  dans  un  heureux 
entrelacement  rythmique  et  harmonique.  Elle  perd  sûre- 
ment à  être  ainsi  exécutée  seule,  privée  des  autres 
«  Tableaux  Romands  »  dont  elle  n'est  que  le  complément. 
Elle  eût  surtout  gagné  à  n'être  point  jouée  après  le  ver- 
veux  Apprenti  sorcier,  de  M.  Paul  Dukas,  dont  le  pittor 
resque  instrumental  est  trop  éblouissant  pour  qu'une 
œuvre  du  genre  de  la  Kermesse  n'ait  point  eu  à  souflFrir 
d'un  tel  voisinage.  La  Troisième  Symphonie,  de  Schu- 
mann  et  l'ouverture  des  Maîtres  Chanteurs  complé- 
taient le  programme  de  ce  jour  et  obtenaient  leur  habi- 
tuel succès. 

Signalons,  à  la  date  du  26  novembre,  la  première 
audition  de  trois  mélodies  avec  accompagnement  d'or- 
chestre, de  M.  Jean  Gay.  Le  cas  de  M.  Gay,  chef  de 
musique  d'un  régiment  de  ligne,  nous  semble  assez  rare 
et  intéressant.  11  ne  veut  point  s'immobiliser,  ni  se  spé- 
cialiser en  des  fonctions  cependant  très  absorbantes  et 
très  particulières,  et  il  tâche  de  s'élever  au-dessus  de  la 
plupart  de  ses  collègues  en  consacrant  à  la  composition 
sérieuse  les  quelques  moments  de  loisir  qui  lui  restent. 
Nous  ne  saurions  que  l'encourager  et  le  féliciter  sincè- 
rement. Ses  lieder  :  Fleurs  de  saison.  Jardin  et  Chan- 
son de  guerre  (le  second,  très  finement  instrumenté)» 
sont  distingués  et  séduisants.  On  les  accueillait  sympa- 
thiquement  ainsi  que  leur  interprète,  Mlle  Emma  Gré- 
goire qui,  plus  tard,  disait  fort  bien  1  air  de  P aride  edEle- 
na,àe  Gluck.  Au  programme  figuraient  également  la  sym- 
phonie en  sol  mineur,  de  Mozart,  si  jeune  et  si  forte,  si 
étonnante  et  si   émouvante  par  ses  continuelles  trou- 


CONCERTS   LAMOUREUX  Boy 

vailles  de  génie;  Russiay  le  pittoresque  et  vigoureux 
poème  da  M.  Balakireff;  la  souveraine  et  splendide 
ouverture  de  Léonore  ;  le  subtil  et  exquis  Après-midi 
d'un  Faune,  de  M.  Claude  Debussy,  et  le  prélude  de 
Messidor  de  M.  Alfred  Bruneau. 

Le  poème  symphonique  de  M.  Fr.  Casadesus,  dont 
M.  Chevillard  nous  donnait  le  3  décembre  la  première 
audition,  est  assez  déconcertant.  Comme  il  porte  un  titre  : 
QuasimodOj  et  qu'il  est  accompagné,  d'une  légende,  on 
est  en  droit  de  rechercher  quelles  ont  été  les  intentions 
de  Tauteur.  Son  héros  est  physiquement  laid,  mais 
Victor  Hugo  Ta  ennobli  d'une  pure  beauté  morale.  C'est 
le  propre  de  la  musique  d'exprimer  ce  genre  de  beauté. 
Or  c'est  précisément  la  plastique  défectueuse  de  Quasi- 
mono  que  M.  Casadesus  semble  avoir  dépeinte.  Seule  une 
phrase  un  peu  conventionnelle  d'allure  exalte  la  splen- 
deur spirituelle  du  gnome.  Ce  n'est  pas  de  Quasimodo 
qu'il  est  question,  mais  de  Clopin  ;  ce  n'est  pas  du  cœur 
aimant  de  Quasimodo  que  s'échappent  ces  rumeurs  gron- 
dantes, c'est  de  la  cour  des  Miracles  ;  ce  n'est  pas  l'amour 
d'Esmeralda  que  chante  la  musique,  mais  l'horrible  tor- 
rent qui  entraîne  les  filles  et  les  filous  à  l'assaut  de  la 
cathédrale.  Violente,  sans  équilibre,  volontiers  curieuse 
des  efiFets  de  timbres  inaccoutumés,  l'œuvre  de  M.  Casa- 
desus vaut  par  la  fougue  qui  l'anime.  Ce  n'est  point  par 
la  valeur  des  idées  qu'elle  se  recommande,  ni  par  son 
instrumentation,  alourdie  souvent  par  d'inutiles 
recherches  de  sonorités  ;  c'est  par  son  outrance  et  son 
excès,  par  sa  jeunesse  et  son  exubérance.  Il  ne  faut  y 
rechercher  ni  l'harmonieuse  proportion  des  formes,  ni  le 
judicieux  équilibre  des  sonorités.  Ce  sont  là  des  qualités 
qui  s'acquièrent.  M.  Chevillard  nous  faisait  entendre,  au 
même  concert,  la  /ieformation-lSymphon^,  une  des 
œuvres  de  Mendelssohn  sur  lesquelles  le  temps  a  le  plus 
cruellement  laissé  sa  trace,  les   adorables  Eolides  de 


5o8         LES  ANNALES  DU  THEATRE 

César  Franck,  le  prélude  de  Tristan  et  les  Préludes  de 
Liszt.  Dans  le  concerto  en  ut  dièse  mineur  de  Rimsky- 
Korsakow,  M.  Ricardo  Vines,  un  des  plus  remarquables 
pianistes  de  Theure  présente,  remportait  un  très  vif 
succès.  Nul  comme  lui  n'interprète  cette  sorte  de  musique, 
pittoresque  et  à  la  fois  expressive,  où  les  traits  eux- 
mêmes  ont  une  valeur  musicale,  où  le  piano  et  Tor- 
chestre  s'enchevêtrent  en  élégantes  arabesques,  et  où  la 
saveur  de  l'instrumentation  ne  fait  que  rendre  plus  sen- 
sible la  grâce  extrême  de  l'idée  mélodique. 

Les  deux  mélodies  de  M.  Sylvio  Lazzari,  entendues  le 
10  décembre,  affirment  un  symphoniste  qne  nous  con- 
naissions depuis  long-temps  et  que,  récemment,  le  succès 
à'Armor  à  Lyon,  avait  mis  à  son  rang  véritable.  Elles 
furent  pour  Mme  Marie  Mayrand  l'occasion  d'un  succès 
justifié  par  la  fraîcheur  et  l'étendue  de  sa  voix.  Le  second 
poème,  où  l'influence  de  M.  Claude  Debussy  est  notable, 
sans  compromettre  pourtant  l'originalité  de  l'auteur,  a 
plu  infiniment. 

Le  17  décembre,  M.  Chevillard  cédait  son  comman- 
dement à  M.  Safonoff,  chef  d'orchestre  de  la  Société  im- 
périale et  directeur  du  Conservatoire  de  Moscou.  Nous  ne 
connaissions  encore  que  de  réputation  ce  capellmeister. 
On  l'a  chaleureusement  accueilli  et  justement  apprécié. 
Chose  assez  singulière,  il  conduit  sans  baguette,  des 
deux  bras,  des  deux  poings,  et  ressemble  ainsi  parfois 
à  un  professeur  de  boxe.  Mais  il  n'en  possède  pas  înoins 
une  réelle  autorité,  il  sait  très  bien  ce  qu'il  veut  et  témoi- 
gne d'un  talent  robuste  et  précis.  Pour  représenter  les 
compositeurs  slaves,  si  nombreux,  si  valeureux,-  si  origi- 
naux, M.  SafonoflF  avait  choisi  M.  Alexandre  Glazounoff 
et  Tschaïkowsky.  «  Le  premier,  écrivait  M.  Alfred  Bru- 
maud,  mérite-t-il  donc  un  tel  honneur?  Les  magni- 
fiques espérances  qu'il  faisait  concevoir  au  début  de  sa 
carrière  ne  se  sont  pas  réalisées.  Une  production  înces- 


CONCERTS    LAMOUREUX  609 

santé,  effrénée,  a  malheureusement  appauvri  trop  tôt  son 
jeune  et  ambitieux  génie.  Je  doute  qu^il  puisse  recon- 
quérir le  terrain  perdu.  Sa  sixième  symphonie,  déjà  jouée 
au  Châtelet,  d'ailleurs,  il  y  a  quelques  années,  et  que 
nous  venons  de  réentendre,  est  extrêmement  faible.  Elle 
manque  d'unité,  de  personnalité,  de  souffle  et  d'éclat.  Et 
l'autre,  Tschaïkowski  !...  Faut-il  redire  que  le  fétichisme 
dont  son  nom  est  l'objet  en  Russie  nous  étonne  prodi- 
gieusement ?  L'ouverture  de  Roméo  et  Juliette ^  malgré 
l'ardeur  et  la  conviction  de  M.  Safonoff ,  continue  à  nous 
paraître  banale,  prétentieuse,  mélodramatique,  inutile» 
et  nous  persistons  à  penser  qu'un  art  tellement  dépourvu 
de  caractère  et  de  noblesse  aura  la  vie  courte.  Je  regrette 
—  et  ce  sera  ma  seule  critique  sévère  —  que  M.ilimsky- 
Korsakoff,  le  maître  digne  de  nos  admirations  ferventes  ; 
que  MM.BalakirefiTetBorodine  n'aient  pas  eu,  dans  cette 
séance,  la  place  qui  leur  était  due.  »  Entre  temps,  on 
avait  eu  plaisir  à  écouter  la  charmante  Sérénade  pour 
instruments  à  cordes  de  Mozart,  où  M.  Safonoff  cher- 
chait et  trouvait  d'incessants  «  efiFets  »,  et  l'on  avait 
applaudi,  en  dépit  de  la  terrible  lenteur  des  mouvements, 
le  concerto  pour  violon  de  Beethoven,  que  W^^  Lubos- 
chitz  interprétait  non  sans  grâce . 

Puis,  le  24  décembre,  l'année  se  terminait  au  concert 
Lamoureux  par  un  «  Festival  Wagner  »,  qui  nous  per- 
mettait d'applaudir  une  fois  de  plus  M.  Ernest  Van  Dyck. 
Le  grand  artiste,  si  profondément  inspiré  du  génie  du 
maître,  provoquait  l'enthousiasme  unanime,  en  interpré- 
tant le  récit  de  Loge,  le  Chant  d'amour,  de  la  Valkyrie^ 
et  les  Chants  de  la  forge,  de  Siegfried. 


CONSERVATOIRE 
DE  MUSIQUE  ET  DE  DÉCLAMATION 

) 


Composition  musicale.  —  Premier  grand  prix  : 
M.  Gallois,  élève  de  M.  Leoepveu.  Deuxième  grand  prix  : 
M.  Rousseau,  élève  de  M.  Lenepveu.  Premier  second 
j^rand  prix  :  M.  Gaubert,  élève  de  M.  Lenepveu. 
Deuxième  second  grand  prix;:  M.  Dumas,  élève  de 
M.  Lenepveu. 

Contrepoint  et  Fugue.  —  Premiers  prix  :  MM.  Dumas 
et  Bazelaire,  élèves  de  M.  Lenepveu.  Seconds  prix  : 
MM.  Gailhard,  élève  de  M.  Lenepveu  ;  Nibelle  et 
Mlle  Grumbach,  élèves  de  M.  Fauré  ;  Premier  accessit  : 
MM.  Gools  et  Pollet,  élèves  de  M.  Fauré  ;  Borchard,  élève 
de  M.  Lenepveu.  Seconds  accessits  :  MM.  Flamant  et  Ber- 
trand, élèves  de  M.  M.  Lenepveu. 

Harmonie.  —  Classe  des  élèves  hommes.  —  Pre- 
miers prix  :  MM.  Chevallier  et  Kriéger,  élèves  de 
M.  Lavignac  ;  Wolff,  élève  de  M.  Xavier  Leroux.  Seconds 
prix  :  M.  Bourdon,  élève  de  M.  Lavignac.  Premier  acces- 
sit :  M.  Defay,  élève  de  M.  Taudou  ;  Seconds  accessits  : 
MM.  Roussel,  élève  de  M.  Xavier  Leroux  ;  Lévy,  élève 
de  M.  Taudou. 

Classe  des  élèves  femmes.  —  Pas  de  premier  prix  : 
Second  prix  ;  W^^  Ganeval,  élève  de  M.  Chapuis.  Premier 
accessit  :  M*'®  Dauly,  élève  de  M.  Georges  Martj.  Seconds 
accessits  :  W^^^  Milliaud,Morhange  et  Bussières,  élèves  de 
M.  Martj. 


5l2  LES   ANNALES    DU   THEATRE 

Chant.  —  Elèves  hommes.  —  Premier  prix  :  M-  Car- 
bellj,  élève  de  M.  Martini.  Seconds  prix:  MM.Lucazeaa, 
élève  de  M.  Masson  ;  Petit,  élève  de  M.  DabuUe.  Pre- 
miers accessits  :  MM.  Corpait,  élève  de  M.  Warot  ;  Fran- 
cell,  élève  de  M^*^  Rose  Caron.  Seconds  accessits  : 
MM.  Domnier,  élève  de  M.  Manourj  ;  Sarraillè,  élève  de 
M.  Dubulle. 

Elèves  /emmes.  —  PremÎCTS  prix  :  M****  Chenal, 
élève  de  M.  Martini;  Mancini,  élève  de  M.  Massou  ; 
Mirai,  élève  de  M.  Warot.  Seconds  prix  :  M'*«*  Lamarcy 
élève  de  M.  Warot  ;  Lapejrette,  élève  de  M.  Masson. 
Premiers  accessits  :  M"«  Comes^  élève  de  M.  Masson  ; 
Delimoges,  élève  de  M.  Dubulle.  Seconds  accessits  : 
jVfiics  AUard,  élèves  de  M.  Edmond  Duvernoy  ;  Tasso, 
élève  de  M.  Lassaile. 

Opéra.  —  Elèves  hommes.  —  Premiers  prix  : 
MM.  Petit,  élève  de  M.  Lhérie  ;  Corpait,  élève  de  M.  Mel- 
chissédec.  Second  prix  M.  Carbelly,  élève  de  M.  Melchis- 
sédec.  Premiers  accessits  :  MM.  Meurisse  et  Lucazeau, 
élèves  de  M.  Melchissédec.  Seconds  accessits  :  MM.  Pérol, 
Dupouy,  Ziégler,  élèves  de  M.  Lhérie. 

Elèves  femmes.  —  Premiers  prix  :  M**«*  Chenal  et 
Mancini,  élèves  de  M.  Melchissédec.  Seconds  prix  : 
M*ï«8  Lapeyrette  et  Lamare,  élèves  de  M .  Lhérie.  Pre- 
mier accessit  :  M^*®  Bailac,  élève  de  M.  'Lhérie.  Deuxième 
accessit  :  M"®  Delarozière,  élève  de  M.  Melchissédec. 

Opéra-comique.  —  Elèves  hommes.  —  Premier  prix  : 
M.  Lucazeau,  élève  de  M.  Isnardon.  Pas  de  second  prix. 
Premiers  accessits  :  MM.  Domnier,  élève  de  M.  Bertin  ; 
Francell,  élève  de  M.  Isnardon.  Deuxième  accessit  : 
M.  Sarraillé,  élève  de  M.  Bertin. 

Elèves  femmes.  —  M^^s  Tasso,  Lassaile,  Mathieu- 
Lutz,  élèves  de  M.  Bertin  ;  Mirai,  élève  de  M.  Is- 
nardon.   Premier    accessit    :    M™®    Emerie,   élève    de 


CONSERVATOIRE  5l3 

M.  Bertin.  Deuxième  accessit  :  M^^®  Cornes,   élève  de 
JM.  Isnardon. 

Tragédie.  —  Hommes.  —  Pas  de  premier  prix  : 
Second  prix  :  M.  Bacqué,  élève  de  M.  Le  Bargy.  Pre- 
mier accessit  :  MM.  Grétillat,  élève  de  M.  Lenbir;  Denis, 
-élève  de  M.  Lé  Barg-y. 
;  Femmes,  —  Premier  prix  :  M^i«  Ventura,  élève  de 
M.  Silvain.  Second  prix  :  M**®  Barjac,  élève  de  M..  Sil- 
vain  ;  M*^«  Bogros,  élève  de  M.  Lenoir.  Premiers  acces- 
sits :  M"®8  Ludger,  élève  de  M.  Berr  ;  Myriel,  élève  de 
M.  Paul  Mounet. 

Comédie.  —  Hommes.  —  Premier  prix  :  M,  Brou, 
élève  de  M.  de  Féraudy.  Pas  de  second  prix.  Premier 
accessit,  M.  Lluis,  élève  de  M.  Leloir.  Deuxième  acces- 
accessit  :  M.  Juvenet,  élève  de  M.  Leloir. 

Femmes.  —  Premier  prix  :  M'!®  Berg-é,  élève  de 
de  Féraudy.  Seconds  prix  :  M**®»  Corlys,  élève  de 
de  M.  Leloir;  Ventura,  élève  de  M.  Silvain.  Pre- 
mier accessit  :  M**û8  Lûkas  et  Lutzi,  élèves  de  M.  Berr  ; 
Barjac,  élève  de  M.  Silvain  ;  Mai;|^da,  élève  de  M.  Paul 
Mounet.  Deuxième  accessit  :  M**®»  Provost,  élève  de 
M.  Lenoir  ;  Ludger  et  Lécuyer,  élèves  de  M.  Berr. 

Piano.  —  Elèves  hommes,  — .  Premiers  prix  : 
MM.  de  Frapcmesnil  et  Du  pré,  élèves  de  M.  Dîémer  ; 
Dumesnil,  élève  de  M,  Philipp.  Second  prix  :  M,  Dorival, 
élève  de  M.  Philipp.  Premier  accessit  :  M.  Gayraux, 
•élève  de  M.  Philipp.  ;  Lattes  et  Verd,  élèves  de  M.  Diémer. 

Elèves  femmes.  —  Premiers  prix  :  M**®*  CaflFaret, 
Arnaud  et  Lamy,  élèves  de  M.  Alphonse  Duvernoy  ; 
Veluard  et  Kastler,  élèves  de  M.  Marmontel.  Seconds 
prix  :  M**es  Vizentini  et  Debrie,  élèves  de  M.  Marmontel; 
Morillon  et  Aussenac,  élèves  de  M.  Alphonse  Duvernoy. 
Premiers  accessits  :  M^^^s  Weil,  élève  de  M.  Alphonse 
Duvernoy  ;   Lefebvre,  et  Portéhaut,  élèves  de  M.   Mar- 

ANNALKS  DU  THÉÂTRE  33 


5l4         LES  ANNALES  DU  THEATRE 

montel  ;  Willemin,  élève  de  M.  Delaborde.  Deuxièmes 
accessits:  M^^s  Clapisson,  élèves  de  M.Alphonse  Duver- 
noy;  Jacquard,  Fagel,  Thé venet,  élèves  de  M.  Delaborde. 

Orgue,  t-  Professeur  :  M.  Guilmant.  Premier  prix  : 
M.  BouIdoîs.  Second  prix  :  M.  Bonnet.  Premier  ac- 
cessit :  M.  Fauchet.  Deuxième  accessit  :  M.  Barié. 

Harpe.  —  Professeur  :  M.  Hasselmans.  Premiers 
prix  :  M.  Grand-Janj;  M"®»  Mauger,  Inghelbrecht  et 
MoUîca.  Second  prix  :  M"«  l^askine.  Premier  accessit  : 
M^ie  Janet. 

Harpe  chromatique.  —  Professeur  :  M™«  Tassu- 
Spencer.  Premier  prix  :  M"«  Lenars.  Seconds  prix: 
Mlles  JojBFroy  et  Blot.  Pas  de  premier  «iccessit.  Deuxièmes 
accessits  :  M"®*  Goudeket  et  Chalot. 

Violon.  —  Premiers  prix  :  MM.  Saurj  et  Bastide» 
élèves  de  M.  Lefort  ;  Gantrelle,  élève  de  M.  Rémy  ;  Bit- 
tar,  élève  de  M.  Berthelier.  Seconds  prix  :  M**»  Bil- 
lard, élève  de  M.  Lefort  ;  M.  Matignon  et  M^^®  Morhange» 
élèves  de  M.  Nadaud  ;  M.  Nauwinck,  élève  de  M.  Rémy. 
Premiers  accessits  :  M"^  Sauvaistre  et  M.  Etchecopar» 
élèves  de  M.  Lefort;  M}^^  Augiéras,  élève  de  M.  Rémy  ; 
Deuxièmes  accessits  :  M^^WolfF  et  M.  Soudant,  élèves 
de  M.  Lefort;  MM.  De  vaux  et  Sufise,  élèves  de  M.  Na- 
daud ;  MM.  Caries  et  Michelon,  élèves  de  M.  Berthelier. 

Alto.  ^—  Professeur  :  M.  Laforge.  Premier  prix  : 
M.  Maçon.  Seconds  prix  :  M.  Lefranc  et  Coudart.  Pre- 
miers accessits  :  MM.  Ricardou  et  Jurgersen.  Deuxième 
accessit  :  MM.  Monfeuillard  et  Vizentini. 

Violoncelle.  —  Premiers  prix  :  MM.  Doucet  et 
Jamin,  élèves  de  M.  Loeb.  Second  prix  :  M.  Cruque» 
élève  de  M.  Loeb.  Premiers  accessits  :  MM.  Verguet, 
élève  de  M.  Loeb;  Olivier  et  Delgrange,  élèves  de 
M.  Gros  Saint-Ange.  Deuxièmes  accessits  :  MM.  Lachu- 
rié  et  Benedetti,  élèves  de  M.  Gros  Saint- Ange. 


CONSERVATOIRE  5l5 

Contrebasse.  -*-  Professeur  :  M.  Charpentier.  Pre- 
mier prix  :  M.  Subtil.  Seconds  prix  :  MM.ZibelI  et  Bous- 
sagoï.  Premier  accessit  :  M.  Hardy. 

Flûte.  —  Professeur  :  M.  TafFanel.  Premiers  prix  : 
MM.  JofiProy  et  Laurent.  Pas  de  second  prix.  Premiers 
accessits,  MM.  Hérissé  et  Bergeon.  Deuxièmes  accessits  : 
MM.  Camus  et  Cléton. 

Hautbois.  —  Professeur  :  M.  Gillet.  Premier  prix  : 
M.  Pontier.  Seconds  prix  :  MM.  Serville  et  Rouzeré. 
Pas  de  premier  accessit.  Deuxièmes  accessits  :  MM.  Tour- 
nier,  Longatte  et  Riva.     ^ 

Clarinette.  —  Professeur  :  M.  Mimart.  Premiers 
prix  :  MM.  Capelle,  Moulin  et  Dubois.  SeconJ  prix  : 
M.  Loterie.  Pas  de  premier  accessit.  Deuxième  accessit  : 
M.  Lortion. 

Basson.  —  Professeur  :  M.  Bourdeau.  Pas  de  premier 
prix.  Seconds  prix  :  MM.  Pré  et  Rogeau.  Premier  acces- 
sit :  M.  Raimbourg. 

Cor.  —  Professeur  :  M.  Brémond.  Premiers  prix: 
MM.  Coquelet  et  Hernôult.  Second  prix  :  MM.  Tournier 
et  Lepilre.  Pas  de  premier  accessit.  Deuxième  accessit  : 
M.  Thibault. 

Cornet-a  pistons.  —  Professeur  ;  M.  Mellet.  Pas  de 
premier  prix.  Second  prix  :  M.  Mager.  Premiers  acces- 
sits :  MM.  Foveau  et  Nadal.  Deuxième  accessit  :  M.  Bodj. 

Trompette.  —  Professeur  :  M.  Franquin.  Premier 
prix  :  M.  Bernard.  Second  prix  :  M,  Blanquefort.  Pre- 
miers accessits  :  MM.  Laurent  et  Ség'uélas.  Deuxième 
accessit  :  M.  Gig^ot. 

Trombone.  —  Professeur  :  M.  Allard.  Premier  prix  : 
M.  Rochut.  Seconds  prix  MM.  Hennebelle,  Vermynck  et 
Mendels.  Premier  accessit  :  M.  Dumoulin.  Deuxième 
accessit  :  M.  Pioger. 


NÉCROLOGIE 


Hommes  de  lettres  et  Auteurs  dramatiques 

•Jules  Baric,  Ambroise  Janvier,  Charles  Joly,  Albert 
Le  Roy,  Louise  Michel,  Jules  Verne. 

Compositeurs  et  Artistes  musiciens 

Jules  Danbé,  Albert  GrodvoUe,  Emile  Jonas,  Jacques 
Laffitte,  Charles  Turban. 

Artistes  dramatiques  et  lyriques 

Léon  Achard,  Charles  Balanqué,  Berthelot,  Boisselot, 
Boudouresque,  Léonie  Dallet,  Henri  Deschamps,  Ëva 
Dufrane,  M«»«  Galli-Marié,  Alexandre  Gujon,  Irving-, 
Anna  de  La  Grange,  Caroline  Lefebvre,  Maria  Leg'ault, 
Minvielle,  Marie  Monchanin,  Prad,  M™®  Prelly,  Price 
père,  Emile  Raymond,  Caroline  Rosati,  Soulacroix,  Sou- 
mis-Duchampt,  Tamagno. 

Divers 

Ernest  Bertrand  (ex-directeur  du  Vaudeville),  Bian* 
chini  (dessinateur  de  théâtre),  Camille  Fillion  (adminis- 
trateur de  la  Scala  et  de  TEldorado),  Edouard  Marchand 
(directeur  de  music-halls),  Jean  Pontaillé  (des  Trente 
Ans  de  théâtre),  Saint-Aignan  (régisseur  du  Palais- 
Royal). 


L 


LA  PRESSE  THÉÂTRALE  EN  1905* 


Agence  Havas.  —  M.  Georges  Visinet. 

Action,  —  M"®  Jane  Misme,  critique  dramatique. 

Annales  politiques  et  littéraires,  —  M.  Adolphe 
Brisson  (Jean  Thouvenin),  critique  dramatique  ;  M.  Al- 
bert Dayrolles,  critique  musical. 

L'Art  et  la  Mode.  —  M.  Edmond  Stoullig. 

Aurore.  —  M.  Charles  Demestre  (Charles  Martel), 
critique  dramatique  ;  M.  Paul  Lévy,  Courrier  des  théâ- 
tres. 

Autorité.   —  M.    Eugène  Gugenheim. 

Critique.  —  M.  Albert  Soubies.        ^ 

Echo  de  Paris.  —  M.  Françols  de  Nion,  critique 
dramatique;  M.  Henry  Gauthier- Villars  (L*Ouvreuse), 
critique  musical  ;  M.  Auguste  Germain  (Le  Capitaine 
Fracasse),  Soirée  théâtrale  et  Courrier  des  théâtres; 
M.  R.  Trébor,  avant-preiiiières. 

Eclair.  —  M.  Paul  Souday  ;  concerts,  M.  Edmond 
Diet.  ^ 


1.  —  Les  critiques  dont  le  nom  n'est  suivi  d'aucune  mention,  sont  en 
même  temps  chargés  du  compte  rendu  dramatique  et  du  compte  rendu 
musical. 

En  1905,  l'Association  professionnelle  de  la  critique  dramatique  et 
musicale  avait  pour  président  :  M.  Camille  Le  Senne,  et  pour  vice-pré- 
sidents :  MM.  Adolphe  Brisson  et  Albert  Soubies.  MM.  Maxime  Auguste- 
V.itu,  Théodore  Henry  et  Edmond  Stoullig  continuaient  à  remplir  les 
fonctions  de  secrétaire,  de  trésorier  et  d'archiviste.  NfM.  Armand  d'Ar- 
tois, Alfred  Bruneau,  Anatole  Claveau,  Ernest  Grenet-Dancourt,  Mau- 
rice Lefévre,  Charles  Martel,  François  de  Nion,  Georges  Pfeiffer,  Mau- 
rice Quentin-Bauchart  et  Georges  Visinet  étaient  membres  du  Comité. 


520         LES  ANNALES  DU  THEATRE 

Evénement.  —  M.  Henri  Second,  critique  dramati- 
que ;  M.  Arthur  Pougin,  critique  musical  ;  M.  Julien 
ToRCHET,  critique  des  concerts. 

Figaro,  —  M.  Emmanuel  Arène,  critique  dramatique;; 
M.  Gabriel  Fauré,  critique  musical  ;  M.  RoBSRr 
Brussel,  critique  des  concerts;  M.  Miguel  Zama* 
coïs  (Un  Monsieur  de  l'orchestre)  Soirée  parisienne; 
M.  Serge  Basset,  Courrier  des  théâtres;  M.  Alfrei> 
Delilia,  Courrier  des  concerts. 

France  du  Sud-Ouest,  —  M.  Fernand  Bourgeat. 

Gaulois.  —  M.  Félix  Duquesnel,  critique  drama- 
tique ;  M.  L.  DE  Fourcaud,  critique  musical  ;  M.  Georges 
Gapelle  (G.  Pelca),  critique  des  concerts  ;  M.  Adrien 
Vély,  Soirée  parisienne  ;  MM.  Edouard  Noël  et  Lionel 
Meyer  (Nicolet),  Courrier  des  spectacles. 

Gazette  de  France.  —  M.  Georges  Malet,  critique 
dramatique;  M.  H.  de  Curzon,  critique  musical. 

Gil  Blas,  —  M.  Fernand  Weil  (Nozière)  ;  M.  Louis 
Schneider,  critique  des  concerts  ;  M.  Raoul  Aubry, 
Soirée  parisienne;  M.  Pierre  Mortier,  Courrier  des 
théâtres. 

Guide  musical.  —  M.  Henri  de  Curzon. 

Humanité.  —  M.  Alfred  Natanson  (Athys),  critique 
dramatique. 

Intransigeant.  —  M.  Foureau  (Don  Blasius)  ; 
M.  IcHAC,  Courrier  des  théâtres. 

Journal.  —  M.  Catulle  Mendês  ;  M.  André  Gresse, 
Critique  des  concerts  ;  MM.  Mobisson  et  Paul  Largy, 
Courrier  des  théâtres. 

Journal  des  Débats.  —  M.  Emile  Faguet,  critique 
dramatique  ;  M.  Adolphe  Jullien,  critique  musical  ; 
M.  Edouard  Sarradin,  Compte  rendu  du  lendemain  et 
Courrier  des  théâtres. 


LA  PRESSE  THEATRALE  EN  IQoS   •    ,521 

Justice,  —  M.  Maxime  Auguste-Vitu. 

Lanterne,  —  M.  Eugène  Héros,  critique  dramatique; 
M.  BeaughampS)  critique  musical. 

Liberté. —  M.  Robert  de  Flers,  critique  dramatique  ; 
M.  Gaston Carraud,  critique  musical;  M.  Th.  Avonde, 
Soirée   parisienne  et  Courrier  des  théâtres* 

Libre  Parole.  —  M.  Jean  Drault. 

Magasin  pittoresque,  —  M.  Quentin-Bauchart, 
critique  dramatique;  M.  E.  Fouquet,  critique  musical. 

Matin.  —  M.  Fernand  Weill  (Guy  Launay)^  critique 
dramatique  ;  M.  Alfred  Brune  au  j  critique  musical  ; 
M.  J.-L.  Croze,  Courrier  des  théâtres. 

Ménestrel. —  MM.  Henri  Heugel  (Moreno)  et  Arthur 
PouGiN,  critiques  musicaux  ;  M.  Paul-Emile  Chevalier, 
critique  dramatique. 

Mercure  de  France.  —  M.  Ferdinand  Hérold^ 
critique  dramatique;  M.  P.  de  Breville,  critique 
musical. 

Messager  de  Paris.  —  M.  Philippe  Hervé. 

Monde  Artiste.  —  M.  Paul  Milliet,  critique  musi- 
cal ;  M.  Edmond  Stoullig,  critique  dramatique. 

Monde  illustré.  —  M.  Hippolyte  Lemaire,  critique 
dramatique  ;  M.  Auguste  Boisard,  critique  musical. 

Monde  musical.  —  MM.  Mangeot  et  Dandelot. 

Moniteur  diplomatique.  —  M.  Jacques  Ballieu. 

National.  —  M.  Edmond  Stoullig. 

New  York  Herald.  —  M.  Pierre  Veber. 

Paix.  —  M.  Louis  Schneider. 

Patrie.  —  MM.  H.  de  Gorsse  et  Paul  Lordon,  ci4- 
tiques  dramatiques  ;  M.Albert  Renaud,  critique  mu- 
sical ;  M.  Max  Viterbo,  Courrier  des  théâtres. 

Petit  Caporal.  —  M.  Albert  Dayrolles. 


522  LES   ANNALES    DU   THEATRE 

Petit  Journal.  —  M.  Léon  Kerst;  M.  Georges  Boyer 
(La  Rampe),  Courrier  des  théâtres. 

Petit  Moniteur.  —  M.  Chassaigne  de  Néronde. 
Petit  Parisien.  —  M.  Adolphe  Aderer  (Montcornet). 

Petite  République.  —  M.  Camille  de  Sainte-Croix  ; 
M.  Théodore  Massiag,  Courrier  des  théâtres. 

Politique  coloniale.  —  M.  René  Benoist. 

Presse.  —  M"*»  Catulle  Mendès,  critique  drama- 
tique; M.  Gustave  Bret,  critique  musical  ;  M.  Léon 
NuNÈs,  Soirée  parisienne. 

Progrès  artistique.  —  M.  Albert  Noël. 
Quinzaine.  —  M.  E.  de  Saint- Auban,  critique  dra- 
matique ;  M.  Arthur  Coquard,  critique  musical. 

Radical.  —  M.  Maujan. 

Rappel.  —  M.  Fernand  Lefèvre,  critique  dramatique  ; 
M.  Albert  Montel,  critique  musical  ;  M.  Jules  Lecocq, 
Courrier  des  théâtres. 

République  française.  —  M.  Albert  Blavinhag  ; 
M.   Gustave  Samazeuilh,  Critique  des  concerts. 
Revue  britannique. —  M.  Ferdinand  Beissier. 

Revue  des  Deux  Mondes.  —  M.  René  Doumig, 
critique  dramatique;  M.  Camille  Bellaigue,  critique 
musical. 

Revue  hebdomadaire.  —  M.  R.-M.  Ferry,  critique 
dramatique  ;  M.  Paul  Duras,  critique  musical. 

Revue  illustrée.  —  M.  Louis  Sghneider. 

Revue  universelle.  —  M.  Paul  Souday,  critique  dra- 
matique; M.  G.  Servières,  critique  musical. 

Ruy  Rlas.  —  M.  Righard  O*  Monroy;  M.  Léon  Nu- 
MÈs,  Courrier  des  Théâtres. 

Siècle.  —  M.  Camille  Le  Senne. 


LA  PRESSE  THEATRALE  EN  IQOB       523 

Soir.  —  M.  Jacques  Raymond,  critique  dramatique  ; 
M.  Albert  Soubies  (B.  de  Lomagcne),  critique  musical; 
Soleil.  —  M.  E.  DE  Saint- AuBAN. 

Temps.  —  M.  Adolphe  Brisson,  critique  dramati- 
que; M.  Pierre  Lalo,  critique  musical;  M.  Adolphe 
Aderer,  Compte  rendu  du  lendemain  et  Courrier  des 
théâtres. 

Vie  illustrée,  —  M.  Léon  Xanrof. 

Voltaire,  —  M.  Armand  d'Artois,  critique  drama- 
tique; M.  Georges  Pfeiffer,  critique  musical;  M.  René 
Benoist,  Soirée  théâtrale. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


PAQIS 

Préface v 

Académie  nationale  de  musique 1 

Comédie-Française 29 

Théâtre  national  de  TOpéra-Gomique 77 

Théâtre  national  de  l'Odéon 119 

Théâtre  du  Gymnase 163 

Théâtre  du  Vaudeville 179 

Théâtre  des  Variétés 213 

Théâtre  du  Palais-Royal 381 

Théâtre  Sarah  Bemhardt 247 

Théâtre  de  la  Renaissance 269 

Théâtre  Antoine 281 

Théâtre  de  la  Porte-Saint-Martin. 307 

Théâtre  de  la  Gaîté 319 

Théâtre  du  Ghâtelet. . , 341 

Théâtre  de  TAmbigu 351 

Théâtre  des  Nouveautés 369 

Théâtre  de  TAthénée 385 

Théâtre  des  Folies-Dramatiques 401 

Théâtre  des  Bouflfes-Parisiens 411 

Théâtre  Gluny ' 423 

Théâtre  Déjazet 433 

♦Théâtre  du  Grand  Guignol 435 

Théâtre  des  Mathurins : 439 

Théâtre^des  Gapucines 443 

Théâtre  Molière 447 

Les  Trente  ans  de  Théâtre 459 

Goncerts  du  Conservatoire 471 

Concerts  Golonne 473 

Concerts  Lamoureux 491 

Conservatoire  de  musique  et  de  déclamation 511 

Nécrologie 517 

La  presse  théâtrale  en  1905 519 


GRANOC  IMPRIMCRIC  OC  TROYCS,  126,  RUC  THIER8 


LIBRAIRIE    PAUL    OLLENDORIFF 
50,  Chaussée  d'Antin,  PARIS 

Edmond   STOULLIG 

Les  Annales  du  Tfi(^âtre  et  de  la  Musique,  comprennent  30   volumes, 
les  vingt-et-un  premiers  en  collaboration  avec  M.  Edouard  Noël  : 

1er  yolume  (année  1873),  avec  une  préface  de  Francisque  Sarcby; 

2«  voluinf  (année  187t)),  avec  une  étude  de  M.  Victorien  Sardoi;,  de  l'Académie  fran 
yaise  :  L'Heure  du  Spectacle; 

3"  volume  (année  1877),  avec  une  élude  de  Edmond  Got,  de  la  Comédie-Française  : 
Le  Théâtre  en  Province; 

Ao  volume  (année  1878),  avec  une  étude  de  Emile  Zola  :  Le  Naturalisme  au  Théâtre; 

5»  volume  (année  1879),  avec  une  préface  de  Henri  de  Lapumxeraye<  1779-1879; 

6<:  volume  (année  1880),  avec  une  étude   de  Victorin  Joncières  :   La   Question  du 
TMAtre-Lyrique  ; 

1"  volume  (année  1881),  avec   une   préface   de    Henry   Fouquier  :   La    Maison  de 
M.  Pertin; 

8*}  volume  (année  1882).  avec  une  étude  sur  li  Mise  en  Scène,  par  Emile  Perrin,  d** 
rinstftut;    . 

9>>  volume  {année  1883),  avec  une  préface  de  Charles  Garnier,  de  Tlnstltut  :  Le  Tout 
Paris  des  Première»  ; 

10«  volume  (année  1884),  avec  une  préface  de  Henri  de  Pêne  :  Le  Journal  et  le  Théâtre: 

ii«>  volume  (année  1885),  avec  unô  étude  de  Charles  Gounod,  de  rinstitut  :  Centide- 
rations  sur  le  Théâtre  contemporain  ; 

12«  volume  (année  1886)^  avec  une  préface  de  Jules  Barbier  :  Les  Jeunes; 

IS'ï  volume  (année  1887),  avec  une  préface  de  M.  Jules  Claretie,  de  TAcadémie  fran- 
çaise :  //  y  a  cent  ans; 

U«  volume  (année  1888),  avec  une  préface  de  Hector  Pessard  :  Le  Théâtre  Libre; 

15«  volume  (année  1889),  avec  une  préface  de  Henri  Meilhac,  de  TAcadémie  francai>e: 
La  Comédie  au  (Cercle; 

16«  volume  (année  1890),  avec  une  préfacé  de  M.   Ludovic  Hal^vt,   de  TAcadémi»' 
française  :  Une  Directrice  de  la  Com édie- Française  ; 

17»  volume  (année  1891),   avec   une   préface   du    Gustave  Larroumet,   de  rin^titcl  : 
Le  Centenaire  de  Scribe; 

18"  volume  (année  1892)  avec  une  préface  de  M.  Jules  Lekaitrb,  de  rAcadémie  fraji- 
çaisc  :  Le  Mysticisme  au  Théâtre; 

19u  volume  (année  1893),  avec  une  préface  de  M.  F.  Brunetière,  de  l'Académie  fran 
çaise  :  La  Loi  du  Théâtre; 

20«  volume  (année  1894),  avec  une  préface  de  Francisque  Sarcet; 

2N  volume  (année  1895),  avec  une  préface  de  M.  Félix  Ddqdesnel  :  De  r Evolution  des 
Répertoires  dramatiques; 

22"  volume  (année  1896),  avec  une  préface  de  M.  A.  Claveau  :  L'Education  du  Comé- 
dien ; 

23»  volume  (année  1897),  avec  une  pi^iface  de  M.  Emile  Faguet,  de  TAcadémie  fran- 
çaise :  Lu  Comédie  contemporaine; 

24-'  volume  (année  1898),  avec  une  préface  de  M.  Augustin  Filon  :  La  Philosophie  du 
Théâtre  : 

25«  volume  (année  1899),  avec  une  préface  de  M.  Albert  Carré  :  Le  Prix  Monbinne: 

26«  volume  (année  1900),  avec   une  préface  de    Lucien  MuHLFctD  :  Le  Malaise  du 
Théâtre; 

27»  volume  (année  1901),  avec  une  préface  de  M.  Paul  Hervieu,  de  l'Académie  fran- 
çaise i  Un  Ancêtre  aux  Annaltts  du  Théâtre  et  de  la  Musique; 

28"  volume  (année  1902),'avec  une  préface  de  M.  Catulle  Mendès  :  Les  Autres  et  No»*' 

29c  volume  (année  1903),  avec  une  préface  de  M.  Alfred  Capus  :  Les  Nouvelles  Diffi- 
cultés du  Théâtre  ; 

30o  volume  (année  1904),  avec  une  préface  de  M.  C.  Saikt-Saens,  de  rinstitut  :  Can- 
serie  sur  l'Art  du  Théâtre. 

IDE    IMPRIMERIE    DE    TROYES,    IM,    RUE   THIERS 


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