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Full text of "Les apocalypses juives: essai de critique littéraire et théologique"

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LES 



)CALYPSES JUIVES 



ESSAI 
DE CRITIOCE LITTÉKAIRE ET TllËOLO{,KniE 

PAR 

EUGÈNE DE FAYE 




PARIS 
■ LtBliAIRÎE FISCHBACHEn 

33, rue de Seine. 33. 

1892 



hmS* 



LES APOCALYPSES JUIVES 



LAUSANNE, - IMP. GEORGES BRIDEL & C«*. 



LES 

APOCALYPSES JUIVES 



ESSAI 
DE CRITIQUE LITTÉRAIRE ET THËOLOGIQUE 

PAR , 

EUGÈNE DE FAYE 

licencié en théologie. 




■ P4RIS 
LIBKAIRIK FISOHBAOHEB 

Sod^lii anonyme. 

33, rwt de Seine, 33. 






;> 



INTRODUCTION 



I Nous nous proposons tréludier dans ce travail les apo- 
;s juives qui onl successivement vu le jour pendant 
les deux siècles que sépare la naissance du Christ. Nous 
pensons y trouver les éléments et les données qui nous 
permettront de reconstruire, en partie du moins, le monde 
d'idées et d'aspirations particulières qui remplissaient 
Pâme d'un Juif de Palestine vivant à l'époque où le cliris- 
tianisme commençait à se propager. 

En effet, les écrits qui feront l'objet de celte étude ren- 
ferment les conceptions les plus earactérisliques du ju- 
daïsme qui s'est développé en Palestine pendant les deux 
siècles qui précèdent la ruine de Jérusalem en l'an 70 de 
notre ère. II s'agit des conceptions diverses qui touchent à 
l'avenir d'Israël. A partir de l'insurrection macchabéenne, 
celles-ci constituent l'âme même du peuple juif. On ne 
connaîtra bien cette âme que lorsqu'on aura saisi la 
nature intime de ses rêves et de ses espérances. De là 
l'importance des écrits qui en sont tout imprégnés. 

Ajoutons que de tous les documents qui ont vu te jour 
pendant la môme période, les apocalypses seules nous 
renseignent sur ce point capital. On comprend dès lors 
qu'une étude qui a pour but de mettre en lumière ce 



k 



I 



qu'il y a de plus sailliiiil dans le judaïsme palestinien i 
renferme dans des limiles très précises et éearlcdesé 
qui semblaient, A première vue, devoir y rentrer. 

Ainsi, il ne pouvait être question, dans ce travail, ( 
apocryphes de l'Ancien Testament. Ces écrits founiis 
des données importantes sur les idées morales qui avaiéll 
cours dans la société juive. A l'examen, cependant, i 
constate que les principales maximes Formulées dans l 
apocryphes ne diffèrent pas sensiblement de celles que S 
écrivains plus anciens inculquaient. On passe ainsi d'é 
âge à un autre sans que rien de bien frappant vous av« 
tisse du passage. Seul un sens historique exercé i 
sensible à ce qui distingue tel moraliste juif, auteur d*d 
apocryphe, de ses prédécesseurs hébreux. Dans ces com 
tions, il est clair que les apocryphes ne peuvent sei 
que dans une faible mesure, pour nous renseigner sur | 
caractère intime du judaïsme postérieur à l'exil, 
remarque s'applique à tous les apocryphes quelle qu'en s 
la provenance. Ceux, comme V Ecclésiastique, dont l'od 
gine palestinienne paraît établie, ne font pas exceptia 
Les uns et les autres nous laissent ignorer ce qui appi 
tient en propre au judaïsme indigène et en constitue l'd 
des traits distinctifs. 

Il est une autre raison qui nous oblige d'exclure 1 
apocryphes de notre travail. C'est le judaïsme palestiniéj 
que nous nous proposons d'étudier. Dès lors nous devoi 
écarter sévèrement tous les écrits qui trahissent 
origine étrangère, en particulier ceux qui ont subi l'iç 
fluence de l'hellénisme. Au temps où ont été écrits 1 
apocryphes et les apocalypses, cette influence était pp^ 
pondérante. Elle se faisait sentir partout. Seul peut-êtB 



le judaïsme indigène ne se laissa pas enlamcr. Il sut 
conserver sou âpre originalité. Nous estimons que t'élude 
de nos apocalypses est de nature à fortifier celte impres- 
sion. Mais pour qu'elle se Casse sentir sans mélange, il 
nous faut rigoureusement éloigner tout écrit suspect, ne 
fut-ce que d'une teinture d'hellénisme. 

Cette raison nous obligerait à elle seule de nous inter- 
dire l'usage des apocryphes dans ce travail car la plupart 
sont d'origine hellénistique. Pour la môme cause, nous 
laissons de côté les chants sibyllins du troisième livre dont 
rorigine juive n'est pas douteuse, quoique, par les idées 
et par le ton, ces poèmes se rapprochent d'une manière 
frappante de nos apocalypses. Il suffit que ce soient des 
judéo-alexandrins qui les aient écrits pour que nous ne 
les utilisions pas. 

Enfin nous ne mentionnons que pour mémoire les frag- 
ments d'apocalypses juives dont M. Schflrer a donné la 
liste et recueilli les débris ', Ils sont trop peu considérables 
pour nous être de quelque utilité. D'ailleurs, leur origine 
juive est, croyons-nous, sujette à caution. Les seuls docu- 
ments dont nous puissions disposer, dans une élude 
comme celle-ci, se trouvent ainsi réduits aux apocalypses. 

II nous reste maintenant à exposer la méthode d'inves- 
tigation que nous pensons devoir leur appliquer. 

Ce qui rend dillKcile, presque impossible, l'usage qu'on 
voudrait faire de ces écrits, c'est la grande incertitude 
qui règne sur leur composition, leur origine, la date à 
laquelle ils ont paru. Aucune de ces apocalypses ne nous 
est parvenue dans la langue dont leurs auteurs se sont 

' E. Schflrer, Geschichie des jâdtschen Volkes irn ZeilalUr Jesa 
Chriali, lie Auflage, 1800. Jb partie, p. 670 à 676. 



i 



servis. En oulrc, il n'est pas iluutcux qu'elles ne soti 
plus dans leur condition première, que les unes ont sol 
des coupures et que presque toutes ont été altérées j 
des compilateurs qui les ont utilisées pour en former li 
écrils que nous possédons. Avant d'en faire l'usage qd 
nous nous proposons, il est donc nécessaire d'éclaircir I 
problème de leur origine littéraire. Ce n'est que depi 
quelques années que ce problème semble avoir quelq< 
chance d'être résolu d'une manière satisfaisante. 

Les travaux les plus récents ont rendu douteuse Vun^ 
littéraire des différentes apocalypses. On soupçonne que II 
noms d'Esdras, de Baruch, de Jean ne sont qno des r 
ques qui servent à tenir ensemble, amalgamés tant bien q 
mal, des écrits ou fragments d'écrits qui n'ont ni la mêi 
origine ni la même date. Déjà M. Uillmann avait frayé la ycA 
dans son savant commentaire sur l'apocalypse d'Enoch^ 
Il soutenait, quoique dans une mesure restreinte, la plis 
lilé des auteurs. M. Schnapp, dans une remarquable é 
sur les Testaments des Xll patriarches, a posé, en ses vél 
tables termes, le problème littéraire qui est commun à 1 
plupart de nos apocalypses. Il a analysé et ramené à g 
sources premières le document qu'il étudiait. Il a éta 
que si le fond en est juif de provenance, des interpolatioi 
importantes d'origine cbrétienne s'y mêlent et en altèw 
la physionomie originelle*. M. Scbilrer apportait bieol^ 
à l'appui des résultats de la critique de M. Schnapp l'autc 
rite de sa compétence en tout ce qui touche au judaïsin 
et à son histoire. 



' A. DillinanD, Dos Bach Henoch tiberselzt and erklârl- Leipzig, 18( 
* F. Schnapp, Die Teslamenle rfer Xll Pairiarchen unterawA 

Huile, J8«i. 




18» M gras mliiBe et 587 
leqwl 3 a tniié h |m iiina soas Knlesaes Ckcs. 

H Dtws pariA avoir fi^, dn motis dai 
%MS. raaoljse Ettéraîrv ife Fapocaljpse de Jean. R jrtie 
une vire Umièn smr F a yocal ^p tîyie jâve. il en explique 
lesyndulisaeell«proeédé&,elrCertaiDeiDeol.nfotl mieux 
comprendre ce qa'êtail Due Térîlable apo^a)^|lse juin*. 
C«sl an senrîre bi«) rçH qn'îl a rendu*. Presque en 
même temps, 31. Kabîscb, s'iospiranl tle M. Sftitla. puMiail 
me e&ceUeale étude sar l'apocalypse d'EMiras. Lui «ussi, 
il y voyait une pluralUt^ d'auteurs et il ramenait cet écrit 
ÎDCohérenl et confus dans sa Torme actuelle à ses éléments 
conslilDlifs \ 

On voit quelle a été la làclio que la criliqm^ s'et^t donnée 
jusqu^iei. Elle s'e$t appliquée à faire l'aniily»' litléraii'e 
tle nos apocalypses. Les résultais que celte méthoile a 
déjà donnés monlrcnl bien que c'est d'elle que nv»» vien- 
dra la solution du problème. D'ailleurs ces n^sullals no 
sont-ils pas conformes à tout ce que la crilique uous a 



' A. Ifarnack Tiw/e and l'nltr»uchuitg«n. 11, llcri, 188(1. 
' F. Spilla, Die riffenbarung des Johnnnrs. Hi.ll.-. IMMU. 
" C. Kabisdi, lias ifiertr Bacli Enrii. Gûlliiif-i!ii, I8S1». 



-lo- 
fait connatlre diîs procî-iK'-s littérairijs qui soDt usuels dam 
la litléralurc hébraïque? Le Juif pas plus que sod aucét/t 
l'Hébreu n'a eu notre notion du livre. Il ne lui vient [ 
à l'esprit que ce soit un tout dont on doive respecte 
l'ordonnance et le contenu. D'ailleurs, la plupart d^ 
livres qu'il avait entre les mains n'étaient point com 
posés sur un plan bien rigoureux. Us se disloquaient pre 
que tout seuls. Aussi ce qui eût été impossible pour < 
ouvrages construits comme ceux des époques classiqufsll 
de la Grèce ou de Rome a été possible, à toutes les ép< 
ques, pour le livre juif. 

Nous avons repris en sous-œuvre la critique de i 
apocalypses; nous avons soumis à un examen a 
nutieux que possible les résultats auxquels on était f 
venu avant nous. Nous les avons modifiés lorsque ■ 
nous a paru nécessaire. Ceux qui sont familiers avec t 
textes trouveront dans les appendices que nous aval 
ajoutés à ce travail la justification des conclusions lit^ 
raires que nous avons adoptées et que nous supposoq 
dans tout !e reste de cette étude. Nous obtenons par l'ad 
plication de la méthode, que nous venons d'indiquer, ai^ 
compilations qui portent les noms d'Esdras, de I 
d'Enoch, etc., une douzaine d'apocalypses ou fragment 
d'apocalypses. Peut-on en Faire le classement? Nous | 
pensons. Le plus grand nombre reflète les passions nali<3 
nales et expriment les rêves qui ont hanté l'âme du peu^ 
juif depuis l'insurrection macchabéenne. Nous les avo^ 
groupées ensemble et nous les désignons sous 1 
d'apocalypses populaires. Il en est d'autres qui, tout 
ayant un certain nombre de traits en commun avec celles 
cij ont ce trait de particulier qu'on y trouve la plupart des 



ï 

r 



— 11 — 

des idées théologiques qui constituent renseignement des 
écoles juives. Nous les appelons apocalypses théologiques ou 
rabbiniques. Enfin il y a encore deux ou trois apocalypses 
qui, quoique évidemment apparentées à celles de la caté- 
gorie précédente, ont un caractère à part. Elles contien- 
nent une conception presque spiritualiste du monde à 
venir. Cette conception frise la métaphysique quoiqu'un 
abîme l'en sépare encore. Faute d'un terme qui pût en 
exprimer le vrai caractère, nous les avons appelées apoca- 
lypses transcendantes. 

Il nous a semblé que le moment était venu de tenter de 
donner une vue d'ensemble de toute cette littérature apo- 
calyptique juive, d'en classer les productions, d'en mar- 
quer la provenance et la date approximative et enfin de la 
caractériser dans ce qu'elle nous paraissait oflrir de plus 
original et de plus instructif. Nous voudrions laisser au 
lecteur une idée claire et vivante de l'apocalyptique juive. 
Voilà le but principal auquel nous avons visé. Alors môme 
qu'on repousserait les résultats critiques que nous expo- 
sons dans ce travail, peut-être ne sera-t-il pas inutile 
pour faire mieux connaître non seulement les apocalypses 
juives, maïs le judaïsme indigène dont elles sont les 
produits authentiques. 



PREMIERE PARTIE 



CHM'ITKE PRRMIEIt 



L AKlCAI-VITmCK POI'UI.AIBE 

La plupart des apocalypses populaires nous transpor- 
tent d'emblée au moment où le drame universel qu'elles 
révèlent se dénoue. On suppose toujours que ce moment 
est très rapproché et que c'est par une lutte formidable et 
un bouleversement général que la tragédie finit. L'imagi- 
nation surchauffée du voyant met en scène les grands 
acteurs, princes ou peuples, qu'il a sous les yeux. D'un 
côté, on voit Israël, et de l'autre^ les puissances qui lui 
sont hostiles. C'est lo Messie, parfois Dieu lui-même, qui 
intervient au moment critique et qui décide de la victoire 
en faveur du peuple élu. 

Nos apocalypses n'ont pas toutes la même façon de re- 
présenter la crise suprême. A cet égard on peut les dis- 
tinguer en deux catégories. Dans la première sont celles 
qui expriment en symboles les péripéties du drame final. 
Cette peinture ou allégorie, souvent fort bizarre, est suivie 
d'une explication. Ni l'allégorie ni son interprétalion ne 



■ 

4 



sont toujours transparentes. Elles l'étaient, sans doute, i 
pour les lecteurs intéressés et initiés. Il a pu être com- 
mode de jeter un voile sur des écrits qui respiraient la J 
haine de l'ordre établi. L'allégorie est un procédé litté- 
raire qui convient parfaitement à ce but. 

Dans d'autres apocalypses, l'avenir est dépeint en 
termes plus directs. Point de détours. Point de voiles. 
Les symboles, si on s'en sert, ne sont plus en saillie et 
ne constituent plus le trait frappant et distinctif de l'apo- ^ 
calypse. Tout se déroule d'après un plan fixé d'avance. 
Les phases principales du drame final ne varient pas-l 
d'une apocalypse à l'autre. On sent que l'auteur avait! 
devant lui un cadre uniforme et traditionnel dont il ne lui 
était pas permis de se départir. Il n'avait qu'à le remplir. 
C'est dans le détail et la peinture de cette chaîne d'événe- 
ments suprêmes, invariable dans ses lignes générales, 
que son imagination pouvait se donner libre carrière. 

En somme il ne s'agit ici que d'une distinction de forme'*) 
littéraire. Pour le fond des idées, elle est sans importance. 
Pour l'ordonnance de l'exposition, elle a une grande uti- 
lité. Qu'on nous permette de nous en servir. 



I 



Dans l'apocalypse dite d'Esdras on trouve deux exem*] 
pies d'allégorie eschalologique. Le premier, c'est la F«s««fl 
de l'Aigle^. 

Voici un grand aigle qui apparaît au Voyant endormi.! 
H vient du côté de la mer. 11 a six paires d'ailes et troisl 



' Liber Esilrcie qaarlus, JCi, 1 à XII, ; 



r Appendice I, 



têtes. L'envergure de ses ailes couvre la lerre. Les vents 
le portent et les nues se rassemblent autour de lui. Quatre 
autres paires d'ailes sortent des premières ; elles se rape- 
tissent et sont moins puissantes que celles-ci. Les têtes 
sont au repos. L'une des têtes, celle du milieu, est plus 
grande que les deux autres. L'aigle exerce la domination 
sur les habitants de la terre : regnaml sujmr terram. Pas 
une seule créature qui s'élève contre lui. 

L'aigle fait entendre le son d'une voix ; celle-ci semble 
sortir du milieu de son corps. Elle ordonne aux ailes et 
aux têtes de régner, chacune à son tour, d'abord les ailes, 
puis les têtes. 

Les règnes d'ailes se succèdent ; celui de la seconde 
dure plus du double des autres. Les douze premières ailes 
et deux de la seconde série disparaissent ainsi. Il reste six 
ailes et les trois têtes. Deux de ces ailes se séparent des 
autres et se placent au-dessous de la tête qui était à droite. 
Les quatre autres tentent de régner. Elles disparaissent. 
La tête du milieu devient plus puissante que ne l'ont été 
les ailes; elle est maîtresse du monde. Les deux autres 
têtes lui succèdent, mais Tune d'elles, celle de droite, dé- 
vore l'autre. Tout à coup, un lion furieux sort d'une forêt. 
Il parle à l'aigle. Il lui reproche les excès de sa domina- 
tion, sa ruse, ses mensonges : « Tu as fait souffrir les 
hommes doux ; tu as fait tort aux pacifiques ; tu as aimé 
les menteurs. Ton outrecuidance est montée jusqu'à Dieu. » 
Pendant que le lion parle, la tête et les deux ailes qui 
restaient disparaissent. Enfin le corps entier de l'aigle 
brûle. El expavescehat terra mlde! 

L'interprétation que Dieu donne au Voyant, qui la lui 
demande, nous apprend que l'aigle représente le dernier 




des quatre empires de Daniel. Doiizo princes rogneront. 
Pendant la durée de cet empire, inler tempm regni illius', 
il y aura des perturbations qui l'amèneront à deux doigts 
de sa perte. Il se raffermira cependant. Les huit autres 
ailes sont huit rois dont le règne sera très court. Enfin, 
surgiront, dans les derniers temps, trois princes, 1res reges, 
qui exerceront un pouvoir universel ^. Le premier, qui 
sera le plus puissant, mourra dans son lit, au milieu de 
cruels tourments. De ses deux successeurs l'un fera mou- 
rir l'autre et périra lui-môme par le glaive. Le iion, c'est 
le Messie dont la seule parole sulfit pour frapper ses ad- 
versaires. Puis vient le règne messianique : jocundabit eos 
quoadusque vmiat finis. Le Voyant reçoit l'ordre d'écrire 
ce qu'il a vu et entendu. 

L'analyse que nous venons de faire nous suggère, tout 
d'abord, quelques observations qui s'appliquent à la plupart 
des écrits dont il sera question dans nos deux premiers 
chapitres. Ce qui frappe le lecteur au premier moment et 
même le déroute, c'est l'étrangeté des images qu'on lui 
présente. II faut se souvenir que le Juif n'est pas artiste. 
Il ne connatt pas le souci de la beauté littéraire. Il a sou- 
vent l'imagination très riche ; jamais il ne se préoccupe 
d'harmoniser les images qu'elle lui suggère. De tout 
temps, le style des prophètes a effarouché les esprits nour- 
ris de l'antiquité grecque et romaine. Mais que dire de 
leurs successeurs des siècles plus récents? Ici, comme en 
toutes choses, le judaïsme a développé, à l'extrême, certains 
traits caractéristiques de l'ancien hébraïsme. L'exagération 
a, enfin, abouti, dans le domaine de l'imagination, à ces 



n syriaque, XII, 



J 



— 17 — 

lories Lizanos et à ces images iticoliiirotites qui rem- 

t nos apocalypses. 

ion en esl que l'idée religieuse l'I poNlique préoc- 

ale nos auteurs. C'est à l'image A se plier aux exi- 

Sde l'idée. Elle n'est qu'un symbole et ne doit avoir 

he autre raison d'être. Il faut donc que le lecteur s'y 

tno, qu'il rompe avec les habitudes littéraires de son 

Et ; qu'il ne s'attache pas aux images qui passeront 

bt lui, qu'il ne tente pas de se représenter le tableau 

Bles évoquent devant lui ; ce serait leur accorder 

mportanoe qu'elles n'ont jamais eue dans la pensée de 

fauteurs ; qu'il cherche uniquement l'idée qu'elles 

snt pour but d'exprimer, qu'il ne voie dam toutes 

maginations apocalyptiques que des allégories au sens 

î du mot, une sorte de notation par images de faits 

} ou imaginaires, propre à les imprimer dans les es- 

Ë Ou commode [lour les voiler à des yeux indiscrets et 

^eillants. 

i l'exception d'une seule, toutes nos apocalypses popu- 

s ont vu le jour sous la domination romaine. Toutes 

s respirent la même haine implacable contre Rome ou 

I empereurs. C'est à ce signe qu'on en reconnaît le plus 

Wment l'origine populaire. Toutes les fraclions du 

pie juif étaient loin de partager les mômes passions. 

Ipartie la plus cultivée de la nation, celle qui subissait 

^uencc des Pharisiens, désira toujours la paix ; elle se 

intrait disposée à se renfermer dans les limites de la 

ication religieuse d'Israël et avait peu de goût pour les 

j^cs de domination politique qui hantaient les. imagina- 

. plus exaltées'. Aussi les écrits qui sortent de ces 

\ Renan, Lrx Krimi/ilex. diaf. W. 



- 18- 
milieux sont-ils dans un tout autre ton que nos apocalypses 
populaires. Nous le verrons, la politique y est reléguée au 
second plan. Dans les autres, au contraire, elle domine ; 
c'est la source principale et souvent exclusive de l'inspi- 
ration. Jamais on ne poussa plus loin la haine. I>e Juif, 
issu des rangs du peuple, envisage, avec une parfaite quié- 
tude, la perspective d'une extermination complète du 
monde païen. Il la souhaite, il l'appelle de ses prières et 
il ne doute pas qu'une partie de sa félicité à venir ne con- 
siste à savourer la volupté de la vengeance satisfaite. 

L'écrasement de lous ses ennemis et sa propre supré- 
matie, voilà, en somme, à quoi se bornent les ambitions 
de ce peuple. Le matérialisme que l'on remarque dans son 
imagination se retrouve dans ses aspirations. C'est à la 
terre que se limitent ses espérances. Encore à l'état de 
germe dans l'ancien hébraïsme, ce matérialisme s'est déve- 
loppé au point de tout envahir. D'autant plus romàrqua- 
' blcs sont les quelques exemples ([ue nous rencontrerons 
de conceptions plus élevées et plus spiritualistes. Ce sont 
là des exceptions. Le matérialisme est la règle et il a trouvé 
sa consécration définitive dans la théologie talmudique. 

Tels sont les traits généraux, communs à toutes nos 
apocaiypses populaires Sur ce fond identique, chacune se 
détache avec sa physionomie particulière. Caractérisons 
celle de la Vision de l'Aigle. 

Il n'est pas douteux que l'auteur n'ait voulu désigner 
l'Empire dans l'allégorie de l'Aigle. Les princes qui sont 
représentés par les ailes et les têtes sont les empereurs. 
Ce sont eux qui personnifient, aux yeux de notre auteur, 
les puissances hostiles à Dieu. Ils emplissent l'horizon de 
leur prestige et rejettent tout le reste dans l'ombre. Les 



(ations ne complenl nas. On sent que laulPiir vit à une 
loque où la goumission des nalionalités est définitive. 

[otre auteur va presque jusqu'à voir dans les sujets de 
Rome des compagnons d'infortune. Sa ruine sera pour 
eux aussi une ère de délivrance : « Tu disparaîtras, » dit 
l'Oint à l'Aigle, « afin que toute la terre obtienne le rafraî- 
chissement, soit délivrée de ta domination et espère en la 
justice et la miséricorde de celui qui Va cTcée*. » Il ne 
faudrait pas, cependant, trop presser lâ-dessus notre 
auteur. Pour l'heure, il ne voit que l'adversaire principal 
et oublie le reste. 

Voilà une première indication qui cadre avec l'opinion 
émise par la plupart des critiques. C'est sous l'Empire 
que cette vision a été écrite. Ajoutons, c'est à une époque 
où la puissance impériale est solidement établie. Elle se 
dresse devant le Voyant dans tout son prestige. S'il laisse 
entrevoir, dans son allégorie, que l'Empire a traversé des 
crises redoutables, qu'il y a eu des usurpateurs rivaux, il 
est certain fpi'au moment où il écrit le gouvernement est 
entre des mains puissantes et fermes *. C'est une dynastie 
qui règne, et celte dynastie, c'est celle des Ftaviens. IjCs 
trois tètes de l'Aigle, qui exercent le pouvoir juste avant 
l'avènement du Messie, représentent Vespasien, Tile et 
Domitien, Il est inutile d'entrer, de nouveau, dans une 
longue discussion que l'on a épuisée^. Nous nous borne- 
rons à relever deux ou trois traits qui en montrent la 
justesse. I# première tête, c'est-à-dire le premier prince 

• Liber Esiirae, qaartn» XI, 4fi. 

* VoyBz V. SO-lï : comeilil liims snlialares ijime cngilnbanl regnare... 
perccmterriiit omnfin terrnm. 

^ Schûi'pr. ouv. cité, *" partie, p. flSO 4 tt3B. Kablsch, Dus iiierle 
Oiw/i £nru, p. IGD-IOB. 



— 20 — 

de la djTiasiie. meurt, csl-il dil. mfn'r krlum et v.um toi 
mentis. Vespasien pn eflet mouriil de mort naturelle, 
reste est peul-étro invenlô [lar la linino des vaincus*, 
seconde lête est dévorée par ta troisième et dernière, 
on ne douta pas que Domilien ne Uamait un compta 
contre son fri^re au momonl où relui-ri mourut et, dai 
le public, on crut que Tile était mort empoisonné*. 

C'est donc, vraîsemblablemenl, sous le règne de Dort 
tien que fut composée cette vision. 

Nous avons dans l'apocalypse d'Rsdras une autre Visio 
qui est ihi m^me type que celle de i'Aif,'le.' mais qui < 
d'une autre époque. L'analyse que nous allons en Tai^ 
montrera qu'elle suppose une tout autre situation polia 
que. Soutenir qu'elle est due ii la main qui a écrit I 
Vision de VAigle et, encore plus, à celle qui a composé \t 
reste de l'apocalypse dite d'Esdras, c'est se condamnepii 
ne pas en comprendre la signilication^. 

L'auteur nous transporte près de la mer*. L'Homm 
ille hotno, apparaît sur les nues. Tout tremble à son aspet 
Le son de sa voix produit un elfet inattendu. Ceux qui l'e 
tendent brûlent et tondent comme la cire au feu. 

Une multitude innombrable s'assemble de toutes part 
pour lui faire la guerre. La lutte s'engage. L'homme s 
taille une montagne énorme et s'envole .sur elle. 11 i 
combat que de la voix et du souffle. Une flamme s'échap] 
de ses lèvres ; c'est une tempête de feu qui fond sur I 



' Suétone, Veipas., XXIV; voy. Rf^nan, Eonnr/iles, p. i 

• Suélone, Tilas, X, etc. Voir Renan, ouv. cit., p. 183. 
' Liber Esdrae quartas, cap. Xlll. 

* Tout indique qu'il s'açit de la Médilerranée. L'homme ic 
» visions de DaDicl. 



— 2-1 — 
miiltiliKli; et la iiMiiit en cendres. Il o'en reste plus qu'une 
odeui' (le fumée, [ami odor. Puis l'homme descend de la 
moulagne. Il appelle à lui une aulre mullitude composée 
d'hommes pacifiques ; les uns sont tristes , les autres 
joyeux ; les uns portent des chaînes, d'autres des dons*. 

Voici maintenant l'interprétation que l'auteur nous 
donne de cette vision. L'homme qui apparaît siu* les nuées, 
c'est le Messie. A son avènement, les nations, n'oublions 
pas ce trait, abandonoetit leurs querelles particulières et 
et les guerres qu'elles se livraient les unes aux autres. 
Elles sortent pour combattre le Messie. Celui-ci se tient 
debout sur la montagne de Sion. Nous voilà fixés sur le 
lieu où tout ceci se passe. C'est en Palestine. La Jérusalem 
nouvelle apparaît toute construite, sicuî vidisti montem 
sculpi si-ne numibus. Puis le Messie accable les nations de 
reproches. Sa parole, qui est la Loi, les consume. La mul- 
titude d'hommes pacifiques qui vient à lui, ce sont les dix 
tribus exilées au temps du roi Josias. Elles s'étaient réfu- 
giées dans une contrée inhabitée et là elles ont gardé les 
commandements qu'elles négligeaient autrefois. Ce pays 
a nom Arzareth. Au temps marqué, elles reviennent en 
Terre sainte. Comme aux jours de l'exode. Dieu suspendie 
cours des lleuves pour les laisser passer. Dieu sauvera 
également ceux de son peuple qui seroal restés dans le 
pays. Ce sera alors l'âge messianique. Et lanc oslendet eis 
multo plurima portmta''. 

La vision que nous venons d'analyser se rapporte, 



' Tout c« qui suit jusqu'au vers. 2S porte la trace évidente de la 
main du compilateur. Voir Kabisch, oaor. cité, p. III, II!. 

' Qu'il nous soit {lermis de déaigoer cette Vision par le litre d'apoco' 

lypsc de l'Homme. 



V 



— 22 — 
Cuiiiino l'tîlle (lu VAigle, à l'avi-iu'itii'iit <lii Messi«. Ce ttonj 
deux peiutures diirt'renUw liu la ciisis ilt^ctiiiTi'. Les 
leurs varient, le stijiît est le mi>mo. Ceux (|ui nut atlrih 
jusqu'ici ces deux visions au iin>mi; auteur devraient s'^ 
touner qu'il ait rerait, dans le même ouvrage, le i 
tableau, sans aucune raison apparente. Lï-tonnemeot au^ 
mente lorsque l'on compare les deux allégories l'une i 
l'autre. On remarque que la première se rapporte à à 
événements déterminés. Elle suppose une situation histQ 
rique précise qui est assez transparente pour que persooD) 
ne s'y trompe plus. Il a sufti d'étudier le texte avec : 
pour que tous les doutes fussent dissipés. On sait de cetfc 
manière que cet écrit peint la situation politique telle ( 
l'avaient faite les Flaviens. 11 devient ainsi facile d'ô 
Qxer la date très approximative. 11 n'en est pas de mêlij 
dans la Vision de VHonmie. La situation politique qui B*j 
dessine n'a rien de précis. On ne peut la reconstituer q 
dans ses grandes lignes. Aucune allusion soit à des évéïi^ 
ments contemporains soit à des personnalités conno^t 
Rien qui permette de retrouver, dans l'histoire des deajâ 
siècles qui précèdent la ruine de Jérusalem, le cadre e 
turel de circonstances dans lequel cette vision pourrai 
s'embotter. Un tableau grandiose, mais obscur, voilà ( 
qu'elle nous offre. Il est dilBcUe de comprendre commfii 
le même auteur, après avoir allégorisé une situation his^ 
torique très précise, aurait trouvé bon de représenter danj 
une nouvelle allégorie, qui devait faire suite à la première, 
une situation également historique, en termes si pet 
circonstanciés qu'on a beaucoup de peine i\ la rcconnaftreJ 
quoiqu'elle se laisse suffisamment entrevoir pour qu'oig 
ne puisse pas la confondre avec la première. 



— 23 ~ 

Quelque obscure ((ue soit la situation liistoiique ijue 
suppose la Vision de l'Homme, il n'est pas impossible d'en 
fixer le caractère général. 

RemarquoQs. d'abord, que toute la secQo se passe en 
Palestine. Dans Ih Vision de l'Aigle le théâtre des exploits 
du Messie est bien plus vaste. C'est le monde romain. Ici 
la lutte est circonscrite et localisée aux environs de la 
ville sainte. Notre auteur en est encore à croire que le 
sort du monde se décidera sur ce théâtre mesquin. C'est 
la commune illusion de tous les faiseurs d'apocalypses qui 
ont écrit avant la catastrophe de l'an 70. Après la destruc- 
tion de Jorusaleoi, on ne pouvait plus concevoir le grand 
duel entre le Messie et le paganisme que sur- une échelle 
plus vaste et transporté sur la scène du monde civilisé ■ 
lui-même. N'eût-on que cette indication, comment ne pas 
conclure qu'en tout cas la Vision de l'Homme est anté- 
rieure à 70 ? 

Il est possible de préciser encore. Dans quel état notre 
auteur se représente-t-il le peuple élu? Il est divisé en deux 
tronçons ; d'un côté, sont ceux qui se trouvent en Pales- 
tine au moment de l'avènement du Messie, de l'autre, sont 
les dix trihus qui, revenues de leur long exil, s'unissent 
de nouveau aux autres. 

N'est-il pas étrange que l'auteur ne parle pas de la Dias- 
pora, si considérable au premier siècle ? Qu'on n'allègue 
pas que, s'il n'en parle pas, s'il feint d'ignorer le monde 
juif qui existait en dehors de la Palestine, c'est, sans doute, 
pour rester fidèle à la donnée première du livre tout en- 
tier dont il faudrait alors supposer l'unité et pour ne pas 
faire commettre A Ësdras un anaclironismo trop criant. 
S'il est vraiment aussi soucieux de conserver la couleur 



tiistoriqiie île sun rum^in, comment ne l'ait-il iju'il nultljfl 
les déporlés <le Kabylone et qu'il nt' parle pas de leurl 
retour? Non, la vérité, c'est qu'il vil â une époque où \et 
colonies juives ne sont pas encore assez importantes ; 
assez éloignées pour qu'il s'en préoccupe. Son horizon nq 
dépasse pas les limites de la Palestine. Il y a donc Heu ( 
penser ()u'il a vécu et écrit probablement dans la premièrt 
moitié du siècle qui précède la naissance de Jésus-Ghrîst.4 

Loin d'infirmer cette supposition, la peinture que notre! 
auteur nous fait du monde païen la rend plus vraisem-j 
blabic encore. 1! nous montre l'ancien monde en pmie i 
l'anarchie. Les nations luttent les unes contre les autres.] 
C'est au milieu.de ces guerres nationales que l'avÙDemenn 
du Messie vient les surprendre. Il n'est pas question dû 
Rome. On ne la voit pas encore maîtresse absolue, incon4 
testée de l'univers. Notre auteur aurait-il pu dépeindra 
l'état du monde civilisé sous ces couleurs après la batailla 
d'Aclium ? 

A partir de ce moment tous les auteurs d'apocalypsed 
voient en Rome Tincarnalion du paganisme et des pn'u^ 
sances hostiles à Dieu. Pourquoi celui-ci aurait-il vu autrej 
ment? Au contraire, vivant au temps oïl la Républiqoi 
pénétrait en Orient, écrasait les peuples, suscitait partoiq 
des guerres, D'était-il pas naturel qu'un habitant de la P*i 
lestine comme lui ne vît dans le monde païen qu'une horjl 
rible mêlée encore confuse à ses regards ? Tous les traita 
que nous avons relevés reportent la Vision de VHomme au: 
derniers temps de la République. Elle a été composée pr( 
bablement sous le règne d'Aristobule II ou d'Hyrcan II 'J 



G analogie 



■X les Psaumes de Sulot 



- 25 ~ 

On truuvc dans l'apucalypse qui porle le nom do Ba- 
rurh une vision qui uflVe une analogie complète avec 
celles que aous venons d'étudier'. Elle se détache, sans 
aucun inconvénient, du livre où elle se trouve. Sa dispari- 
lion laisse, au contraire, mieux apercevoir le plan. Nous 
e\po8ons ailleurs toutes les raisons qui nous obligent 
de considérer celte vision comme n'appartenant pas au 
reste de Papocalypse de Baruch, C'est un écrit ou frag- 
ment d'écrit qii''uD compilateur quelconque a inséré dans 
ce livre '. 

Une immense forêt, entourée de précipices et d'abfmes, 
apparaît. En face d'elle s'élève une vigne ; à son pied 
jaillissent les eaux paisibles d'une source- Celle-ci s'avance 
vers laforôt; elle grossit, devient une mer immense dont 
les flots submergent la fortU, déracinent les arbres et font 
erouler les montagnes alentour. De toute la lurêt il ne 
reste debout qu'un cèdre. Bientôt lui aussi chancelle et 
tombe. Alors la vigne s'avance, accompagnée de la source. 
Elle s'approche du cèdre déraciné qu'on lui apporte: « Et 
voici, cette vigne ouvrit la hfjuche, elle parla et dit au 
cèdre : Seul lu subsistes de la forêt d'iniquité. Tes mains 
ont continué à faire le mal, jamais le bien. Tu as étendu 
ton pouvoir sur ceux qui étaient loin de toi et tu retenais 
ceux qui étaient proche dans les rets de ton impiété. Ton 
heure est venue. Sois poudre, à ton tour, comme l'est 
devenue la forêt. » Là-dessus le cèdre s'enHamme et 
brûle. La vigne grandit. Le lieu où elle se trouve est 

mon au poiol Uc vue de la croyance c 
Nous ne pouvons ilisculer ici soa opinion 
pas comme fondée. 

' ApfM'iilapiiis lioriichi, c, 36-iO. 



> Vwr Apiw...licii II. Nuu» l"ap|wlli.-.r 



[ Vïsïrm de lo Fni'iil 



- « — 

est une (ilaine i-ouverU" île Ht^urs )|iii m* |«îijvent se faner.. 

Qnt^llc! u»t rinlurfirûtatioD que l'iitilrur nous ilunnu i 
ceHv allégorie ? Iji fort't repré!*enle nn empinï <|ui sera 1 
f|iialriômc après celui dos Ctialdéenh. Allusion ùYidcol 
à Daniel. Voici en quoi» termes l'auteur caract^^rise i 
empire : ■ Sa iloDiimiliun sera plus dure que celle dei 
empiiTS qui l'ont préc<!>dé. La vérité sera voilée tanl qu'A 
durera et l'on y donnera asile à tous ceux que l'Iniquité il 
nouilles conune la t'orél recueille les bétes fiuisîbles qui s 
glissent sous ses ramures. » Puis le Messie surgira, 
visne et la source en sont les symboles. Il renversera l«é 
adversaires. Un dernier chef, dux ultimits, restera, 
le traînera devant le Messie qui, après Tavoir accablé d 
reproches et mis au pilori, le fera mourir. Enlin viendrl 
t'ère messianique qui doit durer jusqu'au temps marqut 
Proteget reiiquum populum meum qui reperietar in loco çuffl 
elegi. 

Pas plus ici que dans la Vision de l'Ilnmnie n'y a-t-ïla 
d'allusion à des événements précis. On est réduit A ' 
conjectures si l'on veut fixer la date de notre document^ 
Il faut se contenter de marquer l'époque où il a probablft* 
ment paru. Ce fut, croyons-nous, sous l'Empire et avai 
la destruction de Jérusalem. 

L'auteur, s''inspirant de Daniel, annonce que quatr 
empires se succéderont avant l'avènement du Messie, 
est naturel de supposer qu'il a en vue les empires chai 
déen, médo perse, grec, et la domination romaine, 
un trait qui permette de soupçonner que ces pages daleol 
de l'époque des Séleucides. Au contraire tout ce que l'au- 
teur dit du quatrième empire s'applique fort bien à Romé^ 
et à son gouvernement. Sa domination sera plus dure gŒ 



plus hautaine qui^ loa pr-wédentos. Oti Q'osera jilus dire 
la vérité. Soit qu'on songe à la fourbe, aux ruses, aux 
détournements des deniers publics, aux falsilicatioas de 
toute espèce, qui se pratiquaient dans l'entourage du pro- 
curateur Verres et de ses pareils, soil qu'on se souvienne 
des adulations que les villes provinciales prodiguaient à 
la divinité impériale, le mot de notre auteur, in eo occulta- 
bitur veriias, n'est pas trop Ibrt pour caractériser l'esprit 
de mensonge qui régnait dans les derniers temps de la 
République aussi bien que sous l'Empire. Enfin, dit-ii, le 
quatrième empire sera l'asile de tous les malTaileurs et de 
tous les débauchés de l'univers. Juvénal se plaint précisé- 
ment que Rome est devenue la sentine du monde. 

Ce qui nous fait penser que l'auteur écrit sous l'Em- 
pire et non aous la République, c'est la mention qu'il fait 
d'un dernier chef ou prince, du.T ultimiis, qui régnera 
au moment de l'avènement du Messie. De quel magistrat 
pourrait-il être question si ce n'est de l'empereur? C'est 
donc sous le principal d'un empereur qu'il ne veut pas 
nommer, que notre auteur a vécu et composé son apo- 
calypse. 

Enfin son écrit, nous semble-t-il, doit remonter au delà 
do l'an 70. En effet, aucune allusion à la destruction de 
Jérusalem, aucune mention de la dispersion d'Israël après 
celte date néfaste, aucune prédiction d'un retour des exilés 
en Terre sainte aux approches des jours suprêmes, dans 
cette peinture des derniers temps. Ajoutez que l'auteur 
nous laisse croire que ce qui reste d'Israël se trouve en- 
core en Palestine et ne l'a jamais quittée. Proleget reli- 
qaum populum meiim, qui reperietur in loco quem elegi. 

Telles sont les quelques données que le texte de cette 



a|«x<ily|>s(.' uuus fournil [mur \a lixiUioii de sa ilaUî. 
serail donc ver» le milioti du prciiiicr sih-k', jteul-ôtre att 
temps de Catîgiita, ubjoL ik-s \mnm [tarticuliéreH du peulj 
pie juif, que cet écrit aurait vu le jnur. N'essayons pftf 
de préciser davantage. 

L'apocalypse d'Enoch coiilienl une lonj^ue allégorie qu^ 
prtifleute tous les caractc^res liti genre littéraire que noui 
étadions dans ce chapitre*. On a suppose jusqu'ici qu'elle 
faisait partie intégrante du livre dans lequel on l'a incorn 
porée. Nous; exposons ailleurs les raisons qui nous obligeai 
A mettre en doute cette opinion et à attribuer à cette a 
gorie une origine indépendante du reste, de Tapocatypi 
d'Enoch ', Alors même que ces raisons paraftraiei 
moins décisives que celles que l'on peut alléguer pousjl 
établir l'originalité littéraire des autres fragments qa 
nous avons passés en revue, tout au moins nous ac( 
dera-t-on qu'il y a un grand avantage à étudier sépi 
rément cette allégorie qui serait noyée dans une étui 
générale du livre auquel elle est censée appartenir, 
cette manière il est permis de la classer parmi les prc 
ductions similaires et de l'éclairer par celles-ci. 

Tandis que les fragments apocalyptiques que nous avortl 
analysés ne se rapportent qu'à la catastrophe finale ( 
qui doit précéder l'avènement du Messie, l'allégorie < 
Bêtes embrasse d'une même vue le passé et l'avenir, rhî» 
toire et l'eschatologie. Avant de peindre le dénouement " 
du drame universel, l'auteur fait passer devant nous les 
événements qui le préparent en une longue suite de 

' Bas Bach ffenoch, iiberseUI iind erUliirl voo A. Diilraann 1883, 
cbap. 83 iV m. 

' ApjiBudite rV ; nous lui donnerons le lîlre <i' Allégorie deg Bêles. 



tableaux alli^goriqiics. Il ne connaît que Thistnire d'Is- 
Ifraël. Il ne fait allusion à celle des autres nations qu'en 
'tant qu'elle louche à celle du peuple élu. Des animaux 

représentent les principaux personnages de cette histoire. 

L'animal est, chaque fois, choisi do manière à correspon- 
■ dre au cai'aclèrc du personnage dont il est le symbole. 

Des taureaux, des génisses, aux couleurs variées figu- 
Kirent Adam, Eve, les hommes piimitifs. Des astres qui 

marchent, mangent, procréent symbolisent les anges qui 
tcontractent des unions avec les filles des hommes *. De 
► ces unions oaiaaent des éléphants, des chameaux, des fines. 
E'Ce sont les géants et les hommes impies de ce temps-là. 
flNoé représentant la race des justes, est un taureau blanc. 
Ainsi va cette allégorie froide et ennuyeuse. Le système 
Me l'auteur est bien simple. Pour figurer les nations ido- 
r-lâtrcs, il choisit les bétes les plus cruelles et les phis tm- 
["0iondes : lions, tigres, loups, chacals, chiens, sangliers, 
rrenards, lapins, pourceaux, faucons, vautours et corbeaux. 
I Le bétail à la robe blanche symbolise le peuple élu. Les 
■^patriarches, les juges, les rois, les Amorrhéens, les Philis- 
Itins dédient sous ces masques étranges. 

Voici l'exil. Les lions ont triomphé. A ce moment-li\ PE- 
l-temel désigne soixante et dix bergers qui veilleront sur le 
[' troupeau décimé. Ce~s bergers sont d'origine céleste. Ce sont 
[des sortes d'anges gardiens du peuple élu ^. Les bergers 
\ «ont négligents et peu s'en faut que le troupeau ne périsse. 
Vient ensuite le retour de l'exil. Trois brebis, qui dési- 
Ignent, sans doute, Néhémie, Zérubbabel et Esdras, restau- 



' Vayex aussi Apocal. dp Jean IX, i et ï. 
' Nous nous raoji^DS h l'avis <ie M. Si:lirir 
I p. 683. Cf. DanM X, 13, ïl ; XU, 1. 



- 30 - 
renl rancienni- ileineun' il lolt-vonl la tour. On a iloviné 
que ia demeure, c'est jr^^riisAlpin et la tour, c'est le temple. 
Mais hélas, que la ville et le sanctuaire sont inférieurs à ce 
qu'ils tétaient I Le pain que l'on offre clans le temple res- 
tauré, dit le Voyant, est souillé I 

La domination passe au\ mains des Grecs. L'auteur 
marque ce changemoiil en substituant aux lions, auv 
tigres, etc., des oiseaux de proie. Bientôt apparaissent des 
agneaux que les oiseaux de proie harcèlent sans pouvoir 
les tuer tous. Ces agneaux doivent Hro, les Macchabées. 
Parmi les agneaux il y en a un qui porte sur le front une 
corne gigantesque. Ce doit être un des princes asmonéens, 
peut-être Jean Hyrcan. 

L'histoire ne va pas au delà de ce point. Le reste ap- 
partient à Tescliatologie. Nous voilAdonc fixés sur t'époque 
où notre auteur écrivait. C'était vers la lin du second 
siècle avant Jésus-Christ. 

l^e jugement dernier n lieu ensuite- Les oiseaux de proie 
disparaissent dans les entrailles de la teri-t!. Quant aux au- 
tres gentils, c'ast-A-dire, sans doute, ceux qui n'ont point 
persécuté le peuple de Dieu, il leur est réservé un autre 
sort. Avant de disposer de ceux-ci, l'Eternel fait jeter dans 
un endroit embrasé de Hammes, d'abord les anges gardiens 
qui avaient négligé leurs fonctions, ensuite les astres ou 
anges déchus. Celles des brebis qui n'avaient point été 
fidèles sont également précipitées dans le gouffre de feu. 
Puis l'Eternel fait transporter l'ancien temple et Tancienne 
ville dans les régions qui sont au midi de la Terre sainte. 
Il les remplace par une nouvelle Jérusalem et par un nou- 
veau temple d'une merveilleuse beauté. Les gentils qui 
avaient été épargnés jusqu'ici, oiseaux et bétes, font acte 



de soumission aux brebis. CpIIps-cî sonl réunies tians ta 
nouvelle Jérusalem dont les dimensions embrassent toute 
la Terre sainte. Plus de guerre. Les brebis pratiquent le 
bien. Au milieu d'elles apparaît un taureau blanc. C'est le 
Messie, Bientôt elles se métamorphosent toutes en tau- 
reaux blancs. 

Il siiflit de lire le VIII' chapitre de Daniel pour aper- 
cevoir la parenté des deux ap(jcalypses, qu'une soixan- 
taine d'années à peine séparent. Chez notre auteur, aussi 
bien que chez son atné, on trouve déjà un Irait qui carac- 
térise la plupart de nos apocalypses. C'est le goût des 
symboles les plus hizarres empruntés au monde anima!. 
C'est Ezéchiel qui a donné l'impulsion décisive à ce goût 
étrange. C'est une importation assyrienne qui, avec plu- 
sieurs autres, a laissé une trace profonde dans le génie du 
judaïsme post-exilîen. Los chéroubs et les roues pleines 
d'yeux d'Ezéchicl ne s'expliquent pas sans les monuments 
de l'Assyrie. Ces figures informes, monstrueuses, fantas- 
ques semblent avoir très vivement impressionné les exilés 
d'Israël et de Juda. Le goût national, sans être bien plas- 
tique, avait été jusque-là assez sobre ; après l'exil il s'altère 
et se modifie profondément. Cela est surtout sensible dans 

ria littérature apocalyptique. Voilà encore un trait qui dis- 
lingue le judaïsme de l'ancien hébraïsme. 

Le alternatives et les vicissitudes de la situation politi- 
Itjoe exaltaient ou estompaient tour à tour les sentiments de 
itaos faiseurs d'apocalypses. On peut classer le nôtre parmi 
les plus modérés, quoiqu'il faille entendre cette modération 
\ms un sens bien relatif. D'ordinaire nos voyants rêvent 
l'extermination de tout ce qui n'est pas juif. Le nôtre, 

riout en montrant Dieu frappant la terre avec la a verge 



de sa colère •> el celle-ci se tléchirant ijoiir engloulir le( 
pcrsécuteur.s des justes, laisse au moins la vie sauve au; 
autres païens, il leur accorde même une place dans 1 
Jérusalem nouvelle. Ce qui tempère a^te générosité, 
sont les conditions imposées aux survivants du mooi 
païen : « Ils se prosternent devant les brebis, leur rendei 
hommnge et leur sont obéissants en toutes choses. » I 
servage, c'est l;\ Textréme limite de la générosité juiw 
l*renons la modération de notre auteur pour ce qu'elle e 
et cont^luons qu'il a vécu en un tt^mps où son peuple n'a 
vait pas trop à souffrir. C'est prérîsément ce qui arriv^ 
à l'époque de Jean Hyrcan dont le régne fut, en somit 
prospère '. Celte période forme ainsi le cadre historique II 
mieux approprié à notre apocalypse. Les inductions qQ| 
Ton a tirées du texte même se trouvent ainsi confirmée 
de la façon la plus naturelle. Cinquante ans plus tard i 
haines s'endaramaient de nouveau. On en voit encore \ 
reflet menaçant dans la Vision de rHomme qui date de c 
sombres années. 

Avant de quitter notre auteur, disons quelque chose i 
ses espérances. Qu'attend-il de l'avenir ? Comment se t 
présente-l-il le royaume messianique, sous quelle forr 
dans quel lieu ? Ce sera un royaume tout terrestre. La | 
fingénésîe commencera et finira ici-bas. Le nouvel ordreJ 
choses ne différera de l'ancien qu'en ce qu'il sera parf 
et définitif. Le monde nouveau reproduira tous les trai 
de celui qui aura passé, mais embellis, agrandis, corrigi 
C'est si bien l'ancienne terre, le même sol, le même pays^ 
la même configuration géographique qui subsisteront, à 
ce qu'imagine notre auteur, qu'il nous dit, sans explica- 

' Fl. Jiwephl. Antif/ii. Jiidaic. tibrr XJV. 



tiûn aucune, qui; l'ancieune Jérusalem et l'ancien lemph^ 
trop indignes (l'un monde renouvelé, seront relégués au 
désert dans le sud de Juda. On le voit, c'est le pesant ma- 
térialisme qui caractérise, à un si haut point, Teschalo- 
logie populaire. Rien ne le mitigé. L'horizon du Voyant ne 
dépasse pas celui de la terre. Cependant, il nous dit que 
fEternel apportera avec lui la Jérusalem céleste. Voilà 
UDC échappée sur un monde supra-sensible. Nous la rele- 
vons en passant car nous aurons â y revenir plus tard '. 
Un point capital, c'est le rôle que joue le Messie dans 
l'eschatologie de notre auteur. Dans les visions de V Aigle, 
de VHomme, de la Forél, c'est le Messie qui est le principal 
acteur ; c'est lui qui parle, qui agit, qui extermine les ad- 
versaires. Ici son altitude est toute différente. D'abord 11 
ne paraît pas au moment décisif. Puis il ne prend aucune 
part à Pécrasement des ennemis de Dieu. C'est l'Eternel 
seul qui juge, châtie, anéantit. Lui seul consomme la lin 
de Tancien monde. Quand le Messie apparait-il ? Où le 
voit-on pour la première fois ? dans la Jérusalem nouvelle. 
a Et je vis qu'un taureau blanc naquit ; il avait de gran- 
des cornes ; toutes les bêtes des champs et tous les oiseaux 
du ciel le craignaient et le suppliaient en tout temps s. Ces 
traits suflisent pour caractériser la physionomie particu- 
lière d'un fragment dont- on ne contestera pas la parenté 
avec les apocalypses que nous avons analysées jusqu'ici. 



' Seconde [liirfii', din|i. It 



n 



Dans une autre série d'écrits apfjculyptiques nous trou- 
vons la môme matière trait»'* sous une autre forme. Au j 
lieu de présenter la crise finale en une grandie [«inlure | 
allégorique, on y en retrace les phases en ternies moins I 
voilés, plus explicites. Comme il s'agit de l'avenir, on a J 
beau user d'uD langage plus direct, on n'en reste 
moins dans le vague. Les seuls points vraimeat claire et 1 
qui permettent de découvrir un sens à ces écrits bizarres, I 
ce sont les allusions plus ou moins frappantes qu'on y J 
trouve à des événements connus. En dernière analyse,'! 
l'une et l'autre forme se valent. 

Toutes ces desciiplions eschatologiques sont caUpiéesl 
sur un moule uniforme. Trois actes principauv marquent! 
le drame suprême. Tout d'abord, la dissolution de l'ordre J 
actuel des choses s'annonce par des troubles A la fois 1 
parmi les hommes et au sein de la nature. Puis le Messie J 
apparaît. )l écrase ses adversaires et fonde le royaume I 
messianique. Après cela commence le siècle à venir. C'est I 
alors qu'à lieu, d'après les idées que l'on rencontre !e ( 
plus fréquemment, le jugement dernier. C'est l'ordre défi- h 
nitif et éternel qui se constitue. Tel est le cadre tradi- 
tionnel de l'apocalyptique juive. C'est celui de toutes les^ 
apocalypses qui appartiennent à la série que nous étudions J 
en ce moment. 

Si nos auteurs ne modifiaient pas le plan général ' 
d'après lequel on concevait habituellement la crise su- 
prême, — ils s'en seraient bien gardés, sans doute, car ce 



— 35 — 
plan avait Favanlage de soulenir, d'encadrer leurs rêves, 
— ils en variaient le contenu et les détails au gré de 
leur imagination. G'e^l dans ces détails qu'il faut chercher 
les traits qui caractérisent et expliquent chacun des écrits 
dont il va être question. Telle sera la méthode que nous 
suivrons dans cette partie. 

I Nous avons dôjA détaché de Tapocalypse qui porte le 

nom d'Esdras dcu\ allégories dont un examen plus spé- 

I cial devra établir roriginalité littéraire. Il se trouve encore 

dans cet écrit les fragments, les disjecta tnembra, d'une 

' apocalypse que nous essayerons également de reconstituer 

I ailleurs '. Qu'on nous permette de rassembler ici ces frag- 

I menta épars ; on verra les pièces s'emboîter sans diffi- 

' culte les unes dans les autres ; de leur combinaison sortira 

une apocalypse constl-uile selon toutes les règles du genre. 

Plus cette reconstruction paraîtra simple et naturelle, plus 

' on sera porté à concevoir une présomption favorable à 

nos résultats critiques. 
! L'introduction de notre apocalypse paraît nous man- 

quer. On n'en a couservé que le noyau, l'apocalypse pure 
et simple. Ces sortes de coupures qui ne laissent de l'ou- 
vrage entier que la partie que le compilateur voulait uti- 
liser ne doivent pas nous surprendre. Ce procédé n'est 
pttÎDt rare dans la littérature juive. Le discours eschatolo- 
gique de Jésus en fournit un exemple topique (Mat, XXIV, 

' Liber Esdrae qiiartas V, l-13a; VI, H-30; VU, 26-(VI) 17; 
VIII, 03 -IX, 8; édition Fritzsuhe. C'est M. Kabisch qui a rcconBtJlué 
uette source. Nous auceptons la plupart des résultais Je son analyse en 
' ce qu! concerne cette source. Il pense que c'est elle qui Tut l'apocalypse 
d'Esdras primitive et, à ce titre, il la désigne par lu lettre E. Nous l'ap- 
pelleroDS pour jtius de coraniodilé a/KJcalypse d'Esdrtis. 



i 



1 



Marc X MI). Commpnt ne pas îidmettn? qu'il s'y mêle les 
fragments d'une petite apocalypse juive? D'où viennent- 
ils ? Faîsaient-ils partie d'un écrit plus considérable ? Les 
a-t-on empruntés A un leuillet détaché de prophétie apo- 
calyptique qu'on se passait de main en main ? Autant de 
suppositions également vraisemblables, t^u'on ne (axe 
donc pas d'arbitraire la critique qui ne voit dans un grand 
nombre d'écrits juifs que des compilations hétérogènes el 
composites. Admettons la possibilité du fragment. 

Dans celui que nous analysons, on nous énumère, tout 
d'abord, les signes de la fin. L'intelligence humaine s'obs- 
curcit. Le sens moral se pervertit. C'est le règne de la 
folie. Plus de bonne foi. Un effroyable débordement d'ini- 
quité, tel qu'il ne s'en est jamais vu. La désorganisation 
s'étend au monde physique. Soudain le soleil brille de 
nuit; trois fois la lune se montre de jour. Le sang suinte 
à travers le bois. Des sons sortent des pierres. Les peu- 
ples aliandonnent lcur.s antiques demeures et errent sur 
la terre. Un roi qiCon n'allendail pas rhgm. Les oiseaux 
émigrent. La mer Morte rejette ses poissons ; une formi- 
dable voix en sort que tous entendent. Des enfants d'un 
an parlent. Des morts ressuscitent'. Partout dej? prodige 
terrifiants. Il semblera que la justice, fondement de tout 
ordre, a quitté la terre. Chacun demandera à son voisin 
s'il !'a vu passer. Numquid p^r le pertransiit justitia jasfum 
faciens. 

Après les signes vient la catastrophe. Le moment est 
solennel. M n'est pas jusqu'aux paroles qui l'annoncent qui 
n'aient quelque chose de surnaturel. Audies wcem pknis- 

' VI, ïl, 22 déjilaci-s et transportés dans le morceau V, i-13. Voir 
Kabiscli, oiivr. cité, p. Gi, 



simuin sonitus. I^a terre clle-nièm<! synt que la scotence 
suprême va être pronoDcce. Ellts tremble. Ses londcments 
IressiiilleDl. Que dit la voix dont le son est pareil au bruit 
des grandes'eaux ' ? Elle annonce le châtûnent de ceux 
qui ont commis l'injustice. Il ne s'agit pas encore du juge- 
ment dernier. C'est une sorte d 'avant-scène destinée à 
préparer l'avènement du royaume messianique. Les livres 
seront ouverts. La trompette sonnera. Une terreur sacrée 
saisira les habitants de la terre. La nature inunimée elle- 
même n'y échappera pas. Les sources cesseront de jaillir. 
Cela durera trois heures. Grâce à tant de calamités, un 
triage s'est opéré en Israël, Ceux qui échapperont à tant 
de dangers, verront le salut de Dieu. 

Ici commence la peinture des temps messianiques. Les 
habitants de la terre changent de cœur. Plus de mal ; plus 
de fraude ; plus de mensonge. La Jérusalem céleste appa- 
raît. Voici le Messie lui-même *. Son règne doit durer 
quatre cents ans. Voilà une particularité qui n'appartient 
qu'à notre apocalypse. Puis il mourra et avec lui tous les 
hommes qui ont le souffle. Et erit post annos fios et morie- 
tur fiHus meus Christus et omnes qui spiramentum habent 
hommes. Encore un trait qu'on ne retrouve pas ailleurs. 

Pendant sept jours l'univers retombe dans le silence 
primordial. Il ne reste plus personne. Les sept jours écou- 
lés, le siècle à venir apparaît. Les morts ressuscitent. Le 

' D esl dif&cilc de ftre s'il s'a^t de la voix d'un ange ou de celle de 
Dieu. Le leste a pa être remanié par le compilateur de manière à laisser 
entendre que c'est l'ange de l'apocalypse de Satathiel qui parle. 

^ Inutile de faire remarquer que le nom de Jésus a été introduit ici 
par une main chrétienne. Ce n'est pas la seule trace de christianisme qui 
se Irouve ilans le quaLrième livre d'Esdras. Rien d'nitlre, d'ailleurs, ne 
trahit une origine chrétienne dans ce passage. 

\ 1 



L 



Très-llaul s'assitil sur k^ triliuniil. Le jugement derniei 
commence. Plus de miséricorde. L'application inexorable 
de la justice. A chacun selon ses œuvres. Nouvelle et der* 
nière révélation. On voit apparaître la géhenne ardente e 
eo même temps, le paradis. Tout a disparu. Plus de veî 
tige de l'ancien monde. Les phénomènes, les éléments, I 
lumière et les ténèbres, le jour et la nuit, tout cela ( 
passé pour toujours. Une clarté divine, éparse et diUuseJ 
reflet de la gloire du Ti-ès-Haut, plane seule sur toute 
choses. La durée du jugement est do sept années, 

Quand commenceront les temps suprêmes, demande la 
Voyant. 11 lui est recommandé d'observer les signes et t 
marquer le moment où les peuples et leurs princes coma 
menceront à s'agiter et sembleront poussés çà et là 
un vent de tempête. Ce sera le commencement de la ûtÈ 
Temps de troubles et de périls. Seul celui dont les œuvre 
sont bonnes et la foi ferme échappera à la tourmente ( 
verra le salut. L'accomplissement de cette promesse aui 
lieu dans le pays que le Très-Haut s'est consacré à lu^ 
même depuis l'éternité. Videbit salutare meum in terra « 
et in /inibus mets qmniam sanctificavi mihi a sœculo. 

Ce n'est pas seulement par la structure et le pla 
cette apocalypse diffère de celles dont nous avons faq 
l'étude dans ta précédente section, il nous sera facile d 
relever des différences plus essentielles. Nous la classoosj 
cependant, dans la même catégorie d'écrits. On 
croire qu'elle a dû émaner d'un rabbin* d'un théologie» 
quelconque ^ Mais comme on ne rencontre dans cet écrSfl 

' M. Kabiach (Dos vierte Bach Esra p. 15B) croît pouvoir a 
que noire auteur est familier avec l'exégèse rabhinique. Ainsi m 
d'un rbj;nK niussiaiii(|uc qui n'uuriiil duré <]ue ([ual.rc t-enis aas serait )t 



ou du moins dans tes rragmenls que nous en possédons, 
du reste assez complets, aucune de ces doctrines parti- 
culières à la théologie juive qu'on trouve exprimées, 
presque à chaque ligne, dans les apocalypses incontes- 
tablement rabbiniques, nous ne pouvons classer la nôtre 
parmi celles-ci. Elle appartient encore à l'apocalyptique 
populaire. On verra qu'elle en a l'esprit et les traits 
caractéristiques. 

Dans les apocalypses que nous avons étudiées, on a pu re- 
marquer l'absence de la doctrine de la résurrection des corps. 
Elle apparaît ici pour la première fois : terra reddet qui in ea 
donniunt^. L'auteur n'a pas pu l'introduire dans son ta- 
bleau de la crise finale sans en déranger quelque peu le plan 
traditionnel. Dans les autres écrits apocalyptiques où elle 
ne figure pas, le jugement dernier a lieu simultanément 
avec l'avènement du Messie ou le précède*. Dans celui-ci 
l'auteur semble d'abord suivre la tradition. Libri aperim- 
tur, tuba canet, dit-il au moment où doit paraître le Messie. 
C'est le jugement dernier, pense-t-on. Point du tout. Il ne 
s'agit que d'un triage préliminaire des justes et des injus- 
tes qui remplace le jugement dernier de la tradition. Pour- 
quoi cette modification ? Parce que l'auteur, faisant ressus- 
citer les morts, se voit forcé de reculer le dernier juge- 



rcaultut d'une cumbiDiiisuD, oljl<!nuc sclan les procédés de la cabale, de 
Gen. XV, IJ cl Pb. XC, IG. Noqs ne nions pas qu'en efFel notre auteur 
oit pu être un rnbbin. Mais encore une fois, comme il n'exprime aucune 
des grandes docirines qui avaient cours dans les écoles rabbiniques et 
dont on rencontre les formules à chaque page des Écrits que nous clas- 
sons dans la ualégvric d'apocalypses [héologiques ou mbblniques, noua 
n'avoDS pas cru devoir y ranger celle-ci. Sans des distinctions un peu 
tranchées, toute classilicalion devient impossible. 

' Liber Eêdrae qaarlus, VIT, 3Î, 

* Apoc. d'Enoch, vision des Bêtes, 90. 



ï 



menl apri's la résurrotlion. En elïbt ce nV'sl qu'à ce mo- j 
ment-là qu'il a lieu. Ce n'est là qu'un changement de" 
décor. Le fond de son apocalyptique reste le même. Sat'J 
conception générale de l'avenir n'est pas moins matéria'^'l 
liste que celle des autres. La félicité qu'il rêve est toute 
terrestre ; jocandabanturf dit-il des élus. C'est dans ud^ 
Jérusalem renouvelée, gouvernée par un Messie tout terJ 
restre puisqu'il doit mourir, qu'ils couleront ces jours heu>i 
reux où la fraude et le mensonge n'existeront plus. La;l 
résurrection, suivie du jugement, ne viendra ensuite quel 
consacrer et perpétuer un état de choses dont rien n'indi- 1 
que qu'il sera essentiellement différent du précédent. Voilàfl 
un trait qui révèle l'impuissance de l'imagination juive à 
s'élever à une conception plus spirilualiste. On aurait cnti 
que la notion de la résurrection aurait élargi rhorizotl.v 
exclusivement terrestre dans lequel elle s'enfermait. Cela 
n'est arrivé que dans quelques cas rares auxquels noum 
consacrerons, à ce titre, une attention particulière. Dai 
ceux-là même on retrouvera , un peu modifié, le 
fond matérialiste qui caractérise toute l'eschatologie juive. ^ 
On peut affirmer que, dans les idées qu'ils se faisaient de 1 
l'avenir et de la rénovation universelle, les Juifs n'ont] 
jamais réussi à être spiritual istes. 11 leur a Fallu ap- 
prendre ce secret des (Irecs. Ce n'est qu'au contact del 
l'hellénisme que leur pensée s'est affranchie complète-'l 
ment de la tournure essentiellement matérialiste qui I 
caractérise. Rien n'est plus instructif à cet égard que deS 
comparer l'un à l'autre deux écrits comme la Sapiencw ] 
de Salomon et les Psaumes attribués A ce même Salomon. 
L'un est profondément empreint d'hellénisme et l'autre 
exclusivement juif. Ils sont à peu près contemporains, 





— M — 
Autant l'iinmorlalilô de Piltne est nelttimenl allirmée 
dans récrit judéo-liellénistiquo ', autant tout ce que les 
Psaumes de Salomon nous disent de la survivance est 
obscur, incertain et vague. U est sûr qu'on y affirme 
que les justes obtiendront la vie éternelle, c'est-à-dire 
que leur vie se prolongera. Il n'est pas sûr que la ré- 
surrection des morts y soit affirmée ^. Puis comme les 
espérances du psalmistc sont éloignées de tout spiritua- 
lisme ! Qu'on relise le psaume XViP. Voilà ce qu'un Juif 
qui n'est pas sorti de ia Palestine attend de l'avenir : le 
règne du Messie dans une Jérusalem nettoyée et purifiée de 
lentes les souillures qu'y ont laissées les gentils ! Voilà l'ère 
nouvelle qu'il appelle à grands cris et dont il souhaite 
rétemifé ! 

Répétons-le, la notion de la résurrection ne marque pas 
un acheminement du judaïsme vers une conception moins 
étroite de l'avenir. La terre, voilà l'horizon que ne fran- 
chissent ni ceux qui affirment la résurrection ni ceux qui 
semblent l'ignorer. Il faut renoncer à y voir un progrès. 
Au fond, en dépit de cette croyance, l'eschatologie juive 
est plus foncièrement matérialiste que celle des prophètes, 
qui ne parlaient pas de résurrection. Dans celle-ci, au 

' 1, 13; toute la conclusion du second cliapilre H-ii; V, IS sç., IX, 

* En général on suppose que la rÉsurrcction des morts est «^luircmeot 
affirméo dans les psaumes dits de Salomoa. Les textes sur lesquels on 
s'appuie sont III, 16 ; XIV, 3, 7. M. Kabiauh a montré (|uc ces textes ne 
sont pas aussi probants qu'on t'a cru, duvt. cité, p. 167, 168. Il va trop 
loin, k notre sens, lorsqu'il afiïrme que l'auteur ne partageait pas cette 
croyance, qu'elle n'était pas eni;ore répandue de son temps. Si elle u'est 
pas affirmée dans ces psaumes, elle est partout supposée. I.ea ^andes 
espérances qu'il fait briller aux yeux des hommes justes et pieux n'au- 
raient pas de sens si elles ne devaient s'appliquer qu'à ceux qui seront 
vivants au dernier jour. 



— 42 — 

moitié, un sent un grand souRle mural qu'on chercherait 
en vain dans les lèves de nos faiseurs d'apocalypses. 

I^a résurrection les préoccupe si peu que la plupart d'eaJ 
tre eux. ne la mentionnent même pas. Fait capital et sigi 
Qcatif, on remarque ce silence dans des apocalypses qui c 
sont pas parmi les plus anciennes. Il n'en est aucunemeni 
question ni dans la Vision de VHomme ni dans celle de I 
Forêt. On la cherche vainement dans V Assomption de 31<A 
qui date de l'an 5 ou 6 de notre ère ; elle ne se trouve p 
même dans Tapocalypse de VAigte qui appartient à répoqudâ 
Qavienne. 

La vérité est que ce ne fut pas pour répondre ; 
aspiration jusqu'alors inassouvie, au besoin de survivn 
dans une autre existence qu'on imagina la résurrectioi 
des morts. La piété hébraïque, bien plus profonde et plu 
idéaliste que la piété juive, s'est passée de cette croyana 
Celle-ci est née le jour où l'unité d'Israël devînt un doÉ 
grands dogmes du judaïsme. Comment sauvegarder cettq 
unité dans l'avenir si ceux-là seuls étaient destinés à voir li 
« salut de Dieu a qui se trouveraient sur terre au momw 
de l'avènement des temps nouveaux ? La résurrection i 
justes antérieurement morts s'imposait. C'est donc plutôt! 
un sentiment religieux et national qu'à cette sorte d'instin(^ 
philosophique qui fait aspirer à la survivance qu'il faut attri 
buer Toriginc de la doctrine de la résurrection des corps'.] 

Un autre trait qui a dû frapper dans notre apocalypse^ 



' Que l'on veuille bien lire les quelques pages que Ferd. Weber i 
sucrées à ce sujet dans son manuel de la ihéologie juive, p. 37: 
Tout ce qu'il cite de la Mischna et du Talniud tend à confirmer notn 
point de vue. Voyez aussi le rôle attribué, dans cette théologie, aux père*^ 
aux patriarches. Toute la doctrine de la suluthution repose sur la a 
de l'unilé d'Israël, p. .113, elt. 




i 



— 43 — 
c'est le rôle qu'y joue le Messie. Il est aussi eiïacé ici que 
daos Tallégorie des liêtes. Les adversaires sont écrasés 
avaot qu'il apparaisse. Il dc règne que pendant quatre 
ceots ans. Il meurt. On ne sait s'il ressuscite avec les au- 
tres morts. Il n'en est plus question. Nous aurons l'occa- 
sion d'en faire encore la remarque, au fond, rien déplus 
vague, de plus flottant, do plus incolore que la figure du 
Messie. Il fallut la scolastique du judaïsme postérieur pour 
en fixer les traits indécis. 

C'est probablement en Palestine que cette apocalypse a 
été composée. 11 y est dit que, parmi les signes pré- 
curseurs, un son formidable viendra de la mer Morte et 
que tous l'entendront, omms aitdient vocem. Voilà une ima- 
gination qui suppose nécessairement que l'auteur ne se 
trouvait pas trop éloigné de la mer Morte. S'il avait été à 
Rome ou à Alexandrie, i! n'eût pas été assez extravagant 
pour parler d'un son qu'on entendrait jusque-là. L'ûnagi- 
nalion des faiseurs d'apocalypses était bizarre mais pas 
complètement absurde '. C'est en Palestine qu'aura lieu, 
selon notre auteur, l'établissement du royaume messiani- 
que. C'est là que se trouveront les élus. Il est dit de 
l'homme dont les œuvres sont b-mnes : videbit salutare 
meum in terra mea el in finibus meis, quoniam saiictificavi 
miki a sœculo ^. 

Ce dernier trait tendrait à écarter l'idée de la profana- 
tion du sanctuaire et de la ville sainte par Tite. En effet, 
tout donne à penser que notre auteur a écrit avant les 
événements de l'an 70. Cette époque funeste a laissé des 
traces tellement profondes dans l'âme juive qu'on en sent 

' Kabiach, oriu. cité, p. 39. 

* Esdrae lîhm- r/iiiirlus c. IX, 8. 



Iii'illiinto (!ti<:4>riî rimprcssiod chez tous ceux de nos jiulcurs 
(|iii ont ùci'it apri!'.s la catastrophe. En un mol, la ijouleur, 
la hairm, la stupeur que celle-ci ût naftrc dans tout cœur 
juif nc! marquent pas cet écrit do manière à ne pas laisser 
de (linilti sur le moment où il vit le jour ' . 

M. Katiisch |iens(i que notn; apocalypse remonte jus- 
qu'aux environs de l'an 30 avant le Christ. Nous incli- 
nons il penser qu'il a raison, Le monde païen que l'auteur 
nous fait entrevoir est en proie à de grands troubles. 
Toutes les nations sont en mouvement. On entend le pas 
des armi^es qui ébranlent le sol. Puis remanpions ce mot 
énigmatique qui se rapporte évidemment à quelque fait 
connu du temps de l'auteur : regnabit quem non sperant qui 
inliabitanl super krram. Qui est cet homme qui doit s'em- 
parer do l'empire du monde contrairement à l'attente 
générale? Peut-ôlre M. Kabisch a-t-il raison, c'est d'Oc- 
tave qu'il s'agirait. Le mot s'appliquerait bien à lui. Au 
Ittndumain de la bataille d'Actium, la situation était encore 
profondément troublée. Le tableau que l'auteur fait du va- 
l't-vieiit des peuples lui convient parfaitement. En Palestine 
surtout, on ne croyait pas au succès d'Octave. Hérode 
avait é|Hiusé la cause d'Antoine. L'hypothèse de M. Ka- 
bisch expliquerait encore un autre Irait. Josèphe écrit : 
« Au temps où eut lieu la t)ataille d'Actium que César livra 
 ÀDtoine, en lu septième année du règne d'Hérodc, le 
pays des Juifs fui le théiUre d'un tremblement de terre 
plus formidable que |>artout ailleui-s. Il y eut des pertes 

' \j>i setile phra.fe (|ui rap|icll<r Is dcslruclion de Jérusalem esl celle-ci : 
^ttamlo tf/i/ilfta faeril htunitilas Sioa. C'est décidémeal trop faible. 
L'iiu{irrssion d'fnseniblo subsiste. Cesl par elle seule qu'il est possible 
ih sp ^miiHincer vu Télal des Kources. M. Kainsch a donc probablement 
niiiSOQ d'nltribucr cette phrasr au compilateur. 



— 45 - 
considérai lies de bétail. Bcaiicoiip de monde pt'Tit aussi 
par l'effondrement di^s maisons*. » C'est ce tremblement* 
de terre qui aurait causé ces phénomènes qui avaient eu 
lieu à la mer Morte et qui ont si vivement impressionné 
notre auteur. Ce serait donc vers l'an 31 avant Jésus- 
Christ qu'il aurait composé cette apocalypso. 

Le caractère bizarre et outré de la plupart des imagina- 
lions apocalyptiques de nos auteurs ne doit pas nous faire 
méconnaître ce qu'elles ont parfois d'intéressant et même 
de saisissant. La Vision de l'Homme respire une poésie qui 
n'est pas sans grandeur et celle de V Aigle a de beaux en- 
droits. Il est vrai que l'allégorie des Bêles est bien froide 
et sans originalité aucune. Mais c'est dans l'apocalypse 
qui porte le nom de saint Jean que l'on trouve les plus 
beaux échantillons de l'apocalyptique populaire. On con- 
naît l'hypothèse émise, il y a quelques années, par un jeune 
critique allemand. D'après M. Vischer, la Révélation de 
Jean contiendrait des parties d'origine purement juive. 
D'éminents exégètos ont non seulement accueilli cette hy- 
pothèse avec faveur mais ils l'ont précisée et dégagée*. 
Nous essayons de montrer ailleurs que les portions juives 
de la Révélation de Jean se réduisent à deux apocalypses 
similaires qui ont été disloquées, puis jetées dans un cadre 
qui n'a rien de commun avec le plan primitif de ces deux 
écrits. C'est par ce procédé violent qu'on est parvenu à les 
fusionner avec une apocalypse chrétienne et de composer 
avec trois sources difîérentes un seul et même ouvrage. 

' Aniiqait. XV, c. 7. 

' M, Méné^z, Reoue de théologie et de philnsophie. mars 1887; 
Annales de bibliographie Ihéoloijique, mars 1888 ; M. SabaCîer, Les 
origines littéraires de l'Apocalypse de Jean, 1888, — WeilzBcker, 
PQeiderer, SpiUa, elc. 



ï 



Dès qu'on les di^gage et qu'on leur rend leur vraie phy-^ 
Bionoraie, on aperçoit aussitôt la parenté étroite qui les " 
rattache aux autres apocalypses populaires. On en voit 
mieux aussi le caractère propre, La grandeur incontes- 
table de certains tableaux, le dramattsme de certaines 
scènes, la vie intense partout réfiandue en font les plus 
belles, peut-être, des productions apocalyptiques juives. 

Avant d'en aborder l'examen, il importe de marquer 
ce qui constitue la véritable originalité de ces deux écrits 
auxquels on pourrait joindre la vision' de VHnmme, non 
moins remarquable. Elle ne consiste ni dans le langage ni 
dans le style. A cet égard ce ne sont guère que des pasti- 
ches de la littérature hébraïque. On y retrouve le même 
fonds d'expressions et d'images, la même couleur et jus- 
qu'aux mêmes idées. Ezéchiel et Daniel ont le plus influé 
sur la littérature apocalyptique. Il n'y a peut-être pas une 
hardiesse de style, pas une métaphore dans les meilleures 
productions du genre dont on ne retrouve, tout au moins, 
^! l'origine dans l'un ou Vautre de ces deux prophètes. Le 

^K cadre lui-même dans lequel se meuvent nos apocalypses 

^K est stéréotypé. Nous en avons déjà indiqué les grandes 

^t^ lignes. Il ne change pas d'une apocalypse à l'autre. L'ori- 

^B ginalité de ces écrits est ailleurs. Elle est dans la vie in- 

^^ tense qui en déborde et dans la passion qui colore et 

^^L anime tout ce que l'imagination du Voyant évoque de sa 

^^^^H mémoire plutôt qu'elle ne crée. N'est-ce pas là, du reste, 

^^^^H le caractère de toute la littérature postérieure à l'exil ? Elle 

^H^^T reproduit, copie, imite et cependant conserve encore une 

^F originalité incontestable'. 

^M Analysons maintenani, l'une après Taulre, los deux 

^B ' chroniques. Psaumes Je SiilonLiin, Siraciile, etc. 



sources juives que nous croyons pouvoir démêler dans la 
Révélation de Jean. 

Le commencement de la première paraît manquer'. D 
est probable qu'elle ouvrait par l'une de ces grandes 
scènes de consécration au rôle de prophète ou de voyant 
dont Jércmie et Ezéchiel avaient popularisé le goût. L'apo- 
caiypse sœur de celle-ci nous en Tournira pnk-isément un 
exemple. 

Quelles sont les premières révélations accoi'déas au nou- 
veau Voyant ? Tout d'abord , il voit les anges qui ont 
le gouvernement des vents destructeurs. Ces anges reçoi- 
vent Tordre de suspendre le détihafnementdesHéaux dont 
ils disposent *. II faut que les élus soient, d'abord, marqués 
du sceau de Dieu. Les jugements divins sont sur le point 
d'éclater. L'heure décisive approche. 11 ne faut pas que 
dans les désastres les élus soient confondus avec les mé- 
chants. Il faut qu'on puis.se les distinguer^. Dans chaque 

' Voici le teïle de celte source que nous désignerons par la lettre A 
(Spitla J') : Apoc. de Jean VII, 1-B ; VIII, 2-IX, 31 ; X, J», i^-7 ; XI, 
41, 13", 19; XII, XIII; (XIV, 1-5), XIV, 8-U ; XVl, 13-aO; XIX, H- 
16, (7-21 ; XX, 1-3, 7-lS ; XXI, 1-6. 

Nous n'indiquons pas les membres de phrases, assez nombreux, et les 
quelques versets isolés qu'il faudrait retrancbcr des passages ci-dessus 
pour avoir le texte primitif de l'apocalypse A. On verra, sans peine, 
à l'analyse, ce que nous gardons et ce que nous supprimons. Nous ad- 
raeltons l'easembie du texte tel que M. Spitla l'a fixé el qu'il a eu l'ex- 
cellente idée de publier A pari, en appendice à son grand travail sur 
l'apocalypse johannique (Die Offfnharang des Jnhamies uniersucht von 
I Fr. Spilla, Halle 1889). Ou verra dans I élude delaillie que mus ajou- 

tons à notre travail que nous d FFérons de m critique sur des pomts 
imporlaots. 

' L'apocalypse d'Enoch donne des evplicalionB curieuses sur les rap- 
ports des anges avec les vents qui jettent une vive lumière sur apoe de 
Jean, VII, 1. Voyei Enoch chap. 76 etc 

' M. Spitt^ a fort bien montré que c csl \^ le seul sens possible du pas- 
sage VU, 1-8 ; ouv. cité, p. 80 sq. cf. XIII, 16, 17. Eséch. IX,i et 6. 









tribu d'IsraOJ on on compte douze mille. Cent quarante- 
quatre mille saints reçoivent le signe qui doit les protéger. 

Les lléaux vont maintenant se déchaîner. Sept anges, 
armés de trompettes, entrent en scène'. L'imagination de 
l'auteur qui se complatt aux contrastes les plus violents, 
évoque au milieu même de tant de pronostics d'une catas- 
trophe prochaine une scène pleine de douceur et de paix. 
On voit un ange qui offre à TEternel l'encens des prières 
que les élus lui adressent. Mais, tout à coup, il jette 
l'encensoir à terre. Des tonnerres éclatent. C'est le signal 
des fléaux. Aussitôt les anges sonnent, successivement, de 
la trompette. A chaque coup une nouvelle plaie frappe 
la terre et ses habitants. 

On peut classer les sept fléaux dont Fauteur fait ensuite 
la description, en deux catégories. Les uns sont purement 
lîctifs, les autres contiennent des allusions manifestes à des 
faits réels. Les quatre premières plaies sont sorties de l'ima- 
gination de l'auteur. Il est facile d'y démêler des réminis- 
cences des plaies d'Kgypte et des traits qui sont de tradi- 
tion dans toutes les peintures apocalyptiques. L'auteur 
n'a eu qu'à puiser dans sa mémoire*, l^es trois autres 
plaies sont de tout autre nature. On ne doute plus qu'elles 
ne cachent sous leurs symboles une peinture de la situa- 
tion politique que l'auteur avait sous les yeux. Sans doute. 



' Remarquez que la trompcllc joue aa rôle dans la plupart des apoca- 
lypses juives , liber Esdrae qnarlas i;hap. V, i ; VI, 23 ; 1 Cor. XV, 5Î ; 
4 r/iM. IV, 16 ; Mal. XXIV, 31. 

' Pour la première, voyez ExodeTX, 17-21 ; Li'b, Esdrae qaarlas, V, 
S, S ; Sibyl. III, 803. Pour la seconde Eœode VII, 17, sq., surtoul 
Enoch 18, 13 ; 21, 3 ; 85 ; SS. Ces passages donnenl le sens de celle 
curieuse concepllon des asires el de leur rAle que l'on trouve iei VIII, 
10, 11 ; IX, 1 et 2. Pour la quatrième, voyez Assomptiiin de AfoTse 
X, 5, etc. 





dans ces talilcîuix, il faut faire la part dos rtéminiscences 
et môme de la fiction, mais il s'y trouve des traits trop 
particuliers et trop précis pour qu'ils ne s'appliquent pas 
à des faits connus. C'est à l'aide de ces traits que l'on peut 
reconstituer la situation que l'auteur a dissimulée sous ses 
symboles et replacer ainsi notre apocalypse dans son vrai 
jour. 

M. Spitta a émis l'hypothèse que la situation visée par 
notre auteur n'est autre que celle qui inquiéta et troubla 
si profondément les Juifs vers la fin du règne de Caligula. 
Cette hypothèse nous paraît fournir la meilleure explica- 
tion que nous connaissions des allusions contenues dans le 
XIII' chapitre. Esquissons rapidement la physionomie de 
cet empereur et rappelons les rapports qu'il eut avec le 
peuple juif^ 

A peine appelé à l'empire, Caligula eut une maladie très 
grave qui mil ses Jours en danger. Si, dans les débuts, il 
avait paru vouloir se concilier l'afTection des Romains, à 
partir de ce moment il changea complètement d'attitude. 
Il devint chaque jour plus extravagant et plus féroce. Il 
prit très au sérieux ces hommages divins que la flatterie 
décernait aux empereurs. Il se croyait l'égal de Jupiter 
Capitolin. On peut lire dans Suétone une foule d'anecdotes 
qui montrent à quel point cette idée s'était emparée de 
son esprit malade. Cette folie faUlit devenir l'occasion des 
plus grands malheurs pour les Juifs. Partout on élevait des 
statues à la divinité de l'empereur. L'adulation et la bas- 
sesse furent sans bornes. Seuls, dit Philoo, les Juifs résîs- 



L 



' Les sources pour ce qui suit sodL : Philon, de legatione ad Caiam ; 
Josèphe, Antiqnil. XVTI, cap. 13, XVIII, cap. i-^, 8. Bellam jadat- 
" , 7-l(J ; S'iéloiu', su l>inG;raphic Je C Ca'SBr l^ligula. 




— 50 — 
tèrent. Un jour, ceux de Jnmnic on Palestiiift, ville de p 
pulatioD mixte, renversèrent un autel que les païens 
l'endroit avaient élevé en honneur de Caligula. La fbrein 
do l'empereur fut au comble. 11 donna l'ordre à Pétronîusj 
gouverneur de la province de Syrie, de se rendre à Jéru- 
salem et d'installer la statue de l'empereur dans le Saîol 
des Saints, Pour assurer l'exécution de ce projet, Pétrc 
niiis devait détacher deux des légions qui couvraient I 
frontière do TEuphrate et surveillaient les Parthes. Ceci s 
passait au printemps de Tan 40. Dès que les Juifs apprireod 
les intentions de l'empereur, ils quittèrent les travaux ( 
la moisson et se rendirent, en masse, à Plolémaïs où i 
assiégèrent Pétronius de leurs lamentations et de 1 
prières. Ils renouvelèrent les mêmes scènes A Césaréo, e 
automne. 

Pétronius se laissa émouvoir par les plaintes des J 
Il eut le courage de demander à l'empereur un délai. Ca)î-4 
gul;i cacha, tout d'abord , rîrrilation que lui causaient lesJ 
lenteurs du procurateur et se contenta de lui recommander^ 
de hâter l'exécution du projet. C'était à la fin de l'année.j^ 
Pétronius ne parvenait pas à arracher une seule concession J 
aux Juifs qui le poursuivaient partout de leurs supplica*! 
lions, 11 prit enfin le parti d'écrire à l'empereur pour l'en- J 
gager à renoncer à son projet. Fort heureusement pour lui 1 
et pour ses clients, Caligula mourut, assassiné le 24 janvier 1 
de l'an 41. Tels sont les événements, croyons-nous, aux-l 
quels assistait notre auteur lorsqu'il écrivait son apocalypse 
Nalurollement, c'est au point de vue juif qu'il les voit et qu'il. J 
les juge. En outre, comme il fallait s'y attendre chez uni 
fils d'Israël versé dans la littérature prophétique et apoca-l 
lyptique de sou peuple, le spectacle qu'il a sous les yeux 1 



évoque this souvenirs analogues. Pour peindre les pei'soTi- 
Tiages du drame contemporain, il emprunte au passé plus 
d'un trait. En particulier, les imaginations grandioses de 
son prédécesseur Daniel le hanlent sans cesse. La fiction 
et la réalité se mêlent ainsi dans la môme peinture. Il est 
aisé de voir que Tautour met eu scène un empereur ro- 
main dont il était le contemporain et, en même temps, on 
retrouve dans ce personnage les traits distinctifs d'Antio- 
chus Ëpipliane, le profanateur du temple. VoilA les deux 
points essentiels qu'il ne faut pas perdre de vue lorsqu'on 
cherche à dém(''ler dans les tableaux allégoriques de notre 
auteur la situation historique qu'il a voulu peindre tout en 
la masquant. 

Tout le monde accorde que la héfe qui monte de la mer, 
c'est-à-dire qui surgit à l'Occident, ne peut désigner qu'un 
empereur romain. Or tout ce que l'auteur nous en dit rap- 
pelle le caractère de Galigula tel que nous l'ont dépeint 
Philon et Suétone. Quel est le trait qui est commun è la 
fois à la personne impériale que l'auteur dissimule sous tes 
symboles et à cet empereur ? C'est l'impiété poussée aux 
dernières limites ; c'est la prétention d'être un dieu et de 
se faire adorer. Les autres vices du personnage, sa cruauté 
que l'auteur a peut-être voulu symboliser en donnant à la 
Bête un corps de léopard, des pattes d'ours, une bouche 
de lion, son despotisme qui s'exerçait sur toute la terre, 
, c'est à peine s'il les mentionne. La démence qui le pousse 

H à s'égaler à Dieu, voilà le crime qui frappe de stupeur le 

I voyant juif, qui lui cache tout le reste et qu'il ne se 

■ lasse pas de signaler. « Ils ont adoré la Bête, dit-il, et 
I celle-ci ouvrit la bouche et vomit des blasphèmes contre 

■ Dieu, contre son nom et contre son sanctuaire... et tous les 



y 



habilanls de la lerrp, dont les noms n'ont pas été écrits dansj 
le livre de vie depuis la fondation du monde, l'adoreront, i 
Que l'on se souvienne des prétentions de Caligula, de l*i> 
nanîmité de servilisme et d'abjection qui les accueillit, en- 
fin de l'ordre que donna l'empereur de placer sa statiH 
dans le sanctuaire m^me de Jérusalem, comment ne [ 
reconnaître que le langage de notre auteur s'applique, trî 
pour trait, à celui-ci ? Ud Juir vivant en l'an \0 se serait^ 
il exprimé autrement? Toute l'horreur qu'inspira, alorsj 
aux Juifs la tentative de l'empereur remplit l'âme dvi 
voyant et respire dans ses paroles. Colles-ci sont le com-j 
mentaire populaire et poétique de la narration do Phitoi).4 
Aucun autre empereur n'a produit la même impression sin^fl 
les Juifs. Appliqué A tout autre, le langage de notre auteui^ 
ne s'expliquerait pas. On a vu Néron dans la Bête. Sam 
doute, Néron fut aussi extravagant que Caligula. Mais s 
folie était d'une tout autre nature. Elle était d'origine essen- 
tiellement littéraire et artistique'. Jamais il n'inspira air 
Juifs des sentiments comme ceux que leur faisait éprouva 
Caligula. Le portrait de notre voyant ne ressemble qu*^ 
ce dernier. Un fait qui nous paratt décisif en faveur de l'hy*J 
pothèse que nous défendons, c'est que le personnage qu'il! 
vise rappelle à notre auteur Antiochus Epiphane*. Or qud 
autre que Caligula pouvait être comparé au roi sacrilègd 
qui avait érigé un autel dans le sanctuaire juif? 
Peut-être faut-il attacher plus d'importance à certaini 

' Voyei Renan, Antéchrist, p. 1Ï3 et suiv. 

' Les expressions mêmes dotil il se sert pour peindre son héros ri 
pellont le langage de Daniel et des Macchabées lorsque les auteur» A 
ces livres parlent d'Anliochus. Cf. îtahum \mtpii^tatav (irjvUiiTi (I Ma 
I, ïi) el le fftô(ia inioûï }iifùa d'apoc Joh. XIII, 6, cF. iedaber niphelaôtl 
Dan. XT, .16. 




trails partie ulioi's, huliquiis par notre auteur, qui uc peu- 
vent s'appliquer qu'à Caligula. Ils se rapportent tous, du 
reste, aux prétentions qui remplissaient le voyant d'horreur. 
On sait que Caligula, pour se donner des airs de Jupiter 
tonnant, se servait d'une machine qui imitait, paraît-il, le 
tonnerre et les éclairs '. Il est dit dans notre apocalypse 
que l'on faisait descendre le feu du ciel pour convaincre 
les hommes de la divinité de la Bète. Cela ressemble beau- 
coup à une allusion. En voici une autre qui se rapporte à 
une autre manie de Caligula. On lit dans notre apocalypse 
ce détail que l'on attribue d'ordinaire à l'imagination bi- 
zarre de notre auteur, a il lui fut permis do donner le 
souttle à la statue de la Béte, de sorte que la statue par- 
lait, n Une anecdote de Suétone dissipe l'obscurité de cette 
phrase énigmatique. Cet auteur raconte que Caligula avait 
des conversations avec la statue de Jupiter Capitolin. s Tan- 
tôt, dit-il, il parlait à voix basse, il chuchotait, puis it 
prêtait l'oreille à son tour ; tantôt il élevait la voix ; il gour- 
mandait le dieu ; il menaçait de Texiler en Grèce ; enfin 
l'empereur, à ce qu'il disait, se laissa fléchir et sur l'ex- 
presse invitation du dieu de partager le même domicile, 
jeta un pont du Palais au Capitole *. » On raconte que 
Simon le magicien savait faire marcher les statues'. Com- 
ment ne pas voir dans les paroles de notre auteur, qui 
viennent d'être citées, l'écho grossi des histoires et des lé- 
gendes qui couraient sur le commerce de l'empereur avec 
les statues des dieux f Relevons un dernier détail qui n'est 



' DioD Cassîiis, LIX, 38 : 

' Ofi. cit., cap. XXII. 
3 Clem. kom. Il, 34. 



; S^ ppavral; hi piî^jaim; Tivo; nzt^pivra 



k 



I 



— 54 — 
pas sans imporlanco. ^Jutr« autour sail qm; runipiTiîurl 
Caligula a été gravumL'nt maladu, qu'il a lailli mourir e 
qu'il s'est guéri : où È9Epa;tÉ69>) w nhsyfi roû Bavaâou œùroû'H 
Voilà des traits trop précis et trop particuliers pour qu'il 
puissent appartenir à une création pure et simple de l'ini 

' C'est à M. Spilla {oiivr. ciié, p. 362-39S) que. nous empruntons jk 
poinl lie vue que nous venons d'exposer. Cet aoleur a défendu si 
thèse avec toutes les rcesouroes d'une critique aussi Crudité qu'ing^ 
nieuse. Il abonde peut-être un peu trop dans son propre sens. Nous nov 
aommpH borné à exposer les argumente qui nous ont paru probants è 
essentiels de manière â ce que le lecteur puisse juger pour son compleJ 
Noire exposé, cependant, serait incomplet si nous ne discutions briéve 
tnent les deux ou trois objections vraiment sérieuses cjue l'on peut élevé 
contre l'hypotliâse que nous défendons. Elles se réduisent aux deux si 
vantes : 1° Les deux membres de phrase : xcd [i/sn sx tûv xtfo^kûv a 
âml îffyayfisnin àt flâwrioii (v. 3) et ôt îj^ai thi tIij^ï ti( najfcdpnt x 
ÎÇiinti (v. 14) ne semblent pouvoir s'appliquer qu'à Néron. Nous l'at 
dons, Muis nous montrerons ailleurs que ces deux membres de phr 
ont dû être intercalés par le compilateur dims le texte primitlF. Nous m 
trerons aussi les raisons qu'il pouvait avoir d'identifier la Bâte du c. 
avec NéroD. i» Le chiffre de la Bcle i^coâmit é^fixavra bÇ est bien celui A 
Néron pourvu que l'on en admette l'interprétation jfénéralemont accept^J 
Celle-ci soulève, cependant, depuis quelque temps, des objectîoi 
sont pas sans valeur. Voyez Zahn, ApocalyptUcke SCadien, p. 868 S 
L'une des principales, c'est ([ue pour tirer de ce chiffre le nom de Ném 
César, il faut avoir recours à l'alphabet hébreu (Spilla, oav. cité, p. 369)9 
Or il existe une autre leçon qui est celle-ci : i^taàaua Swa îÇ. ~" 
pas aussi bien documentée que l'autre mais la tradition en remonte jilft>H 
qu'à Irénée. Il se trouve justement que cette leçon, qui ii bien pu âtrçfl 
celle du texte primitif de notre apocalypse A, lorsque celle-ci était cncoMfl 
détachée des autres écrits dont elle est maintenant inséparable , laqudl^l 
leçon le compilateur a pu altérer pour des raisons que nous metlon 
leurs en lumière, donne la transcription grecque de Caïus César. 

Avant de clore cette noie, disons quelque chose de la seconde béte q 
vient de la terre , c'est-à-dire de la Palestine. Elle symbolise, saos n 
doute, l'un de ces charlatans juifs qui spéculaient alors sur la crédul' 
superstitieuse des grands personnages romains. Eat--ce Simon Magusn 
M. SpitLa le soutient avec une remarquable abondance d'arguments. Ces 
point qui n'inilue aucunement sur l'interprélraLion générale î 
XlIIe chapitre. Aussi le laissons-nous en suspens. 



gination de l'auteur el ils rappellent les exceutririk-s bur- 
lesques de Galigula d'une manière trop frappante pour que 
l'on songe à aucun autre empereur. 

L'an 40 de notre ère, qui fut si gros de périls pour la 
religion juive, donna lieu à dos appréhensions d'un autre 
genre. On put craindre à la fois une invasion des Parthes 
en Syrie et en Palestine el une famine. Les calamités an- 
noncées par la cinquième el par la sixième trompette font 
probablement allusion à ces deux éventualités. 

Quatre-vingts ans auparavant les Parthes avaient en- 
vahi la Palestine. Partout ils portèrent la terreur et le ra- 
vage. L'impression que firent ces pillards sur la population 
fut profonde et durable. On peut en juger par la descrip- 
tion que notre auteur a faite de ces terribles cavaliers*. II 
y a donné libre carrière à son imagination mais il n'est 
pas douteux qu'il ne veuille désigner les Parthes. Y 
avait-il , au moment où il écrivait , quelque chose dans 
la situation qui les lui rappelât et qui pût lui faire croire à 
une invasion prochaine de leurs hordes? Précisément. 
L'empereur avait eu l'imprudence de donner ordre à Pé- 
tronius, gouverneur de Syrie, de détacher deux des légions 
qui gardaient la frontière orientale et de les diriger sur la 



' IX, 13-20. Ce qui prouve qu'il s'agit bien des ParthcH dans ce pas- 
sage, c'est l'endroit où l'aulcur les localise iirl tû mrafiM EifpAnt. Ce qui 
Je prouve encore, c'est qu'il s'est souvenu de la description qui en est 
faite dans l'Apocalypse d'Enouh (S6, S sq.). La fantaisie et l'exagéra- 
tion qui régnent dans la description de notre auteur ne doivent pas éga- 
rer le lecteur. M. Spîlla propose de lire au v. 44 : lùsoï tôî ùtAeiï tAî 
itSifiiMti îïri Tùi iroTOfiû Tû (iiyâiw Eùippôri). Ije compilaleur aurait changé 
àyiioi en àr/yùatii. Cette correclion, aussi heureuse qu'ingénieuse, éclair- 
cirail singulièrement le Ie.\te tout entier. Ayikii est un terme usité dans 
les LXX et dans le Nouveau Testament. 



- 56 - 



Palestine. TK'Ji loi's ne pouvait-on pas craindre que les Par- 
alliiquer les Romains 



i proliti 



t de c 



î faute t 



liassent à 
et envahir la Syrie? 

Enfin la plaie des sauterelles dont notre auteur em- 
prunte la deseription au prophète Jofil, en renchérissant 
encore sur son mod(>lc, trouverait une explication assez 
naturelle dans les événements qui marquèrent l'été de 
l'an 40. Il y eut alors une très grande sécheresse en Pa- 
lestine. Quoi de plus vraisemblable qu'elle fût suivie d'une 
éclosion de sauterelles? Ce fut là, sans doute, l'origine de 
la prédiction qu'en fait notre auteur. 

A côté de la situation historique qui se reflète dans les 
chapitres IX et X, l'auteur déroule devant nous une série 
d'événements qui n'ont rien de réel. Le drame terrestre 
se complique d'un drame céleste. Une femme apparatt dans 
le-s cieux. Elle est revêtue du soleil; la lune est sous ses 
pieds ; douze étoiles sont sur sa loto. Elle va accoucher. 
En face d'elle, apparaît un grand dragon rouge qui s'ap- 
prête à dévorer l'enfant qui va nattre. Il naît. C'est un 
enfant mâle a qui doit paître les nations avec une verge 
de fer. Aussitôt le nouveau-né est emporté auprès de 
Dieu. 

Le sens de ces symboles no peut être douteux dès que 
l'on admet que c'est un Juif qui les a imaginés. La femme, 
c'est la Jérusalem céleste et l'enfant qu'elle met au monde, 
c'est le Messie qui doit courber les gentils sous son joug. 
II importe de ne pas oublier que tout ceci se passe dans 
un monde supra-sensible. La femme couronnée de douze 
étoiles ne doit pas être confondue avec l'Israël terrestre 
dont il a été question au début. Les élus ne reparaissent 
que plus tard. Los expressions dont l'auteur se sert ne 




— 57 — 
convioniiiînt ([uïi lii Jorusalein à vi!nir, qui est revtHuo do la 
gloire diviae. Tout ici est surnaturel. La suitolc montre bien. 

En effet, après l'enlèvement du Messie une lutte s'engage 
entre les anges et le dragon, Satan est expulsé des sphè- 
res supérieures où habitent les anges. Celles qui sont le 
plus rapprochées de la terre lui restent seules accessibles. 
Il ne lui sera plus permis de se présenter devant Dieu pour 
accuser les élus '. Cet échec le remplit de rage. Il la tourne 
contre la femme. Il voudrait anéantir la Jérusalem céleste 
avant même qu'elle existât sur terre. N'ayant pas été 
enlevée auprès de Dieu, comme le Messie, elle se trouve 
encore dans les étages inférieurs des cieux où elle a donné 
naissance à son fils*. Elle n'y est plus en sûreté. Elle fuit 
sur la terre. Dieu lui donne les ailes de l'aigle. L'Eternel 
la fait échapper, comme autrefois il fit sortir Israël d'Egypte, 
à main levée et à bras étendu. Au désert, il la nourrit de 
pain surnaturel. Le dragon, dans sa fureur, vomit un 
fleuve après elle que la terre engloutit dans son sein. La 
Jérusalem nouvelle échappe aux grandes eaux comme 
jadis Israël aux flots de la mer Rouge. 

On le voit, les réminiscences de l'Ancien Testament, les 
croyances du judaïsme postérieur et les imaginations les 
plus bizarres se mêlent et se confondent dans tout ce que 
l'auteur écrit. Peut-on concevoir un esprit plus foncière- 
ment juif? N'est-il pas absolument de la même famille que 
les autres apocalypticiens? Cela ne devrait-il pas suffire pour 
trancher la question de l'origine au moins de cette partie de 
l'apocalypse de Jean? On y remarque tout ce qui distingue 



' Job I ; Apoc. d'Enoch, 40 ; Zacharie III. 
' Apor. (l'Enoch 14 ; Testam. Xfl Palriarch., Leoi 3 e 
bec, oaur. ciiè, p. 1B8. 



I 



1 



— 58 - 
Tesprit jiiil , nen , absolument rien qui rappelle respiit 
chrétien ' . 

Nous sommes toujours dans le domaine du surniiturel 
et de l'imagination. Nous ne rentrerons plus dans celui de 
la réalité. Le reste du drame se déroule avec les péripéties 
d'usage dans l'apocalyptique populaire. Les nations hos- 
tiles et idolâtres se rassemblent pour tenter un dernier 
effort contre les élus qui se massent autour du bélier sur la 
montagne de Sion '. Elles prennent position dans un heu 
appelé Harmagêdon^ . La lutte suprême débute par un for- 
midable tremblement de terre. Rome, la grande ville, comme 
l'appelle notre auteur, se partage en trois parties ; les cités 
païennes s'effondrent ; les fies disparaissent et les monta- 
gnes aussi. Au milieu de tous ces bouleversements, le théâ- 
tre de la lutte subsiste quoique l'on ait oublié de le dire. 
A ce moment-là le Messie apparaît. 11 a l'aspect d'un guer- 
rier. Il est vêtu d'un manteau trempé dans le sang. L'ar- 
mée céleste, montée sur des chevaux blancs, le suit. Une 
épée sort de sa bouche*. Le carnage des adversaires va 
commencer. Un ange appelle tous les oiseaux du ciel pour 
qu'ils puissent se repaître de chair humaine. Passage d'une 
grande énergie dont l'idée et les eolileurs sont empruntées 

' Des phrases, comme XII, II; XIII, Q, qui ee détacheat sans peine du 
reste ne suffisenl pas pour altérer la teneur générale, essealiclle de ues 
deux chapitres. Un détail ne saurail avoir plus d'importance i|ue l'ensem- 
ble lui-même lorsque le sens de celui-ci esl bien établi. Si le dét^l ne 
cadre absolument pas avec le reste, il devient suspect. C'est justement 
l'excellente raison qui fait que l'on ne peut admettre ces deux versets 
dans le texte primitif. 

' Ce bélier offre quelque difficulté. Est-ce le Messie? C'est peu pro- 
bable puisque celui-ci paraîtra daùs un instant sous un tout autre aspect. 
Est-ce un personnage illustre ? 

^ M. Spilta pense que ce nom désigne Meffi/ido, oaor. cité, p. 40i. 

* La parole du Messie cause la mort, i Esdras XII, 1, 3. 



— 59 — 
à Eztk'hieM. L'am^antissement iIiîs adversaires n'est pas 
aulrement tiépcint ici que dans les apocalypses juives. La 
nôtre olfrc dans cette page un parallèle complet avec la 
vision de VHomriie^. 

Satan est enfermé dans l'abîme^. Le régne de mille ans 
commenœ. L'auteur ne s'est pas attardé aux descriptions 
d'usage de l'âge messianique. Peut-être a-t-on omis ce 
qu'il en disait. La fin de cette période est marquée par 
une dernière tentative des puissances du mal. Sous les 
noms de Gog et de Magog, empruntés à Ezéchiel, elles 
assiègent une dernière fois la ville sainte ^. Le feu du ciel 
les dévore. Le diable est précipité dans le lac de feu. 

Viennent ensuite la résurrection des morts et le juge- 
ment dernier. De nouveaux cieux, une nouvelle terre ap- 
paraissent. Celui qui est assis sur le trône s'écrie : Voici je 
renouvelle toutes choses. 

Telle est cette apocalypse. Elle est complète. Elle a été 
jetée dans le moule traditionnel du genre. Mais de quelle 
vie intense l'auteur anonyme a rempli le cadre que l'usage 
lui prescrivait ! Ce qui appartient en propre à notre voyant 
ce qui distingue son apocalypse des autres productions 
de la même catégorie, c'est ce monde supra-sensible que 
sa puissante imagination a évoqué. Monde étrange, fan- 
tasque, inouï, où les abstraclionsct les ligures concrètes 



apocalypse 

Mar/ây n'esl plus un nom de pays mais de peuple. Dana la Sibijlle (par- 
liea juives) III, 3)9-333, 813 sq., Go^ et Magog désitrnenl tous deux des 
pays. Dans les Targums et la Mîschna, Gog el Magog désignent sou- 
vent lies rois. M. Ferd. Webcr cite un passage de Tnrtj. Jérém. I absolu- 
nienl paralli-le à celui de nuire apuealyjisc, oapr. cité, p. 370. 



se coudoifîDl et so ctiorundcnt ; monde esseatiellement sur- 
naturel ! Quel bizarre état d'esprit que celui d'un homme 
qui croyait à la réalisation prochaine de pareils rêves 1 
Nous aurons l'occasion de les caractériser d'une manière 
plus complète lorsque nous aurons terminé la partie litté- 
raire de ce travail. La Révélation do Jean contient encore 
une apocalypse d'origine juive dont le compilateur a en- 
chevêtré dans la première les fragments épars. Nous alUms 
en l'aire maintenant l'analyse'. 

Elle n'est guère moins remarquable que la première, 
quoique d'une tout autre manière. L'homme qui a écrit 
les pages que nous avons analysées en dernier lieu avait 
un goût prononcé pour les scènes grandioses, aux vastes 
proportions, embrassant tant le monde invisible que le 
monde visible, l'auteur dont nous allons nous occuper a 
l'âme essentiellement lyrique. Le drame occupe peu de 
place dans son apocalypse, tandis que les hymnes y abon- 
dent. Le mouvement de l'action est remplacé par celui de la 
passion. L'âme ardente du voyant passe, d'un instant à 
l'autre, aux sentiments les plus opposés et, dans ses élans 
contraires, elle a parfois des accents admirables. Quelle 
puissante allégresse s'exhale dans l'hymne à Dieu qui 
éclate dans les cicux et qui est le prélude des jugements 



' Les prinizipaux passnges qui composent cette apocalypse que nous 
désignerons par la lettre B sont les suivants : chap. X, 1^, !", S-{ l ; XI, 
1-13, 1SM8; XIV, 14-2& ; XV-XIX, 8 ; XXI, 9-Î7 ; XXII, tS. Dans 
ces passages il faut ometire ceux de la première apocalypse qui s'y 
trouvent inlerculéa, tels qu« XVI, 13-18, 17i>-aO, el les versels ou mem- 
bres de phrases que le compilateur a évidcmmenl introduits dans le texte, 
soit pour lui donner une couleur chrétienne soit pour cheviller ensemble 
des passages disparates, par exemple, X, 8 : n> r^ p^iijoijusqu'âxai Uyu 
(OU au verset suivant ; XI, 7 ; ri Bnpiat jusqu'à fin 8 ; XVI, a"" ; XIX, 9 
et 10 ; In mot SfiMW dans le passage XXI, U-37, 



messianiques'! Que dire du ,iirand passage sur Babylone! 
Quelle large facture ! Quoi de plus saisissant que ces sen- 
tences divines qui se croisent avec les lamentations des 
princes et des marchands pour se mêler ensuite aux chants 
de triomphe des élus ! Toutes les émotions ont leur noie 
dans cette symphonie. VoîlA le ton de cette apocalypse. 
Des haines implacables et des élans sublimes vers Dieu, des 
malédictions et des espérances, partout et toujours les 
violences d'une âme passionnée. 

S'inspirant d'Ezcchiel, l'auteur ouvre la série des visions 
par une théophanie*. Le Voyant reçoit le livre des révéla- 
tions. Il lui est ordonné de le manger. Il est doux dans la 
bouche, amer dans les entrailles. Les visions commencent. 
Le temple et l'autel des sacrifices sont mesurés, c'est-à-<Jire 
mis à part pour échapper à la profanation. Les cours du 
temple et de la ville sont livrées aux gentils. Deux témoins, 
peut-être Moïse et Elie, font des signes destinés à épou- 
vanter les païens^. Ils meurent. Après trois jours et demi 
ils reprennent vie et la terre contemple avec efïroi leur 
assomption. Une formidable secousse du sol accompagne 
ce prodige. Des voix célestes célèbrent l'avènement pro- 
chain du règne de Dieu *. A ce moment-lA apparaît le Mes- 



' XI, 151-18. 

^ Ezich. I, Î7, 28; (1,9 aq. 

' Idée que l'on retrouve dans le Iraiti' Debarim iiibba c. 3, elc. Voy. 
Ferd. Wcbcr, Altsijnag. theol., p. 338, 339. 

* Nous ne pouvons admettre l'intcrprétatioD que M. Spilta donne de 
tout ce passage. 11 veul, à tout prix, que les deux témoins aient la mis- 
sion de convertir les gentils. Il soutient que l'auteur a de la bienveillance 
pour ceux-ci. C'est ce que nécessiterait son iaterprélalion. Or, nous ne 
voyons nulle pari la preuve de cette prétendue tolérance de notre auteur 
à l'égard des idolâtres. Que dire par exemple de passades comme XI, 
10, 18, etc.? 



L. 



J 



sie'. 11 fauche les épis mrtrs; il vendange los vignes. C'est 
la destruction des adversaires. Elle s'accomplit aux envi- 
rons de la ville Sainte^. L'auteur a mis à contribution les 
images les plus fortes d'Esaïe et de Zacharie pour peindre 
l'exaltation de sa rage et la joie féroce que lui procure la 
vision du sang^. Les fléaux se succèdent rapidement. Les 
sept plaies traditionnelles frappent la terre et ses habitant. 
Dans le tableau qu'il en fait Tauteur s'est inspiré de l'Exode 
dans une mesure encore plus large que son émule. Puis 
la ruine de la grande Babylono clôt la série des cataclysmes- 
Personne ne conteste qu'il ne s'agisse de Rome *. Aux 
yeux de notre Juif, elle a mis le comble à toutes les spolia- 
tions et à toutes les iniquités. La haine l'a rendu singuliè- 
ment éloquent. Il exulte ; il peint avec une satisfaction 
visible l'effondrement de la grande ville gorgée d'or et de 
sang. 11 piétine avec rage sur les oppresseurs terrassés ; 
il jouit de la consternation et de l'angoisse des victimes ; 
il se délecte à ce spectacle. Puis, presque de la m^me ha- 
leine, il éclate en ce superbe chant de triomphe qu'il met 
dans la bouche des élus. 

Le nouvel ordre de choses succède à l'ancien. La Jéru- 
salem céleste prend la place de l'ancienne^. L'auteur en 
fait une description où domine le matérialisme. C'est une 
profusion de métaux rares et de pierres précieuses. Ici et 
là quelques traits plus relevés. Une lumière difliise émane 
de Dieu et remplace celle du soleil. Seuls les élus sont 
admis dans la cité sainte. 

' Réminiscence de Daniel, Vil, 13. 

'XIV, ÏO. Même idée dans la vision de ['Hnmme, h Eihti-<X\\\,Vi,3^. 

s Esat, LXni, 1 8q. ; Zach. XIV, 1 sq. 

*Sil>i/{le,m, 476-190. 

'r de la fin de la Vision des B^/es, Eiinrh, r. 00. 



loi s'arrôlp notre a|)Ocalyps(\ On y remarque Tabsence 
des idées de résurrection et de jugement dernier. Peut- 
être, en effet, ne s'y trouvaient-elles pas. Il est possible 
aussi que le compilateur ait omis les passages oi'i il en était 
question. Les coupures sont fréquentes dans les écrits qui 
ont servi avec d'autres A composer des ouvrages plus éten- 
dus. IjC Penlateuque en est un exemple mémorable. 

L'analyse que l'on vient de lire a dû rendre évidente la 
parenté de cette apocalypse avec celles que nous avons 
déjà passées en revue. Point de différences essentielles. 
Encore moins y relèvera-t-on un seul signe caractéristique 
du christianisme apostolique. Tout y est prorondcmenl juif, 
sentiments, idées. Forme. 

Toutd'abord. l'idéal de notre auteur ne diiïère aucunement 
de celui des autres faiseurs d'apocalypses. H partage les 
mêmes espérances. Ce qui est plus significatif, il les con- 
çoit de la même manière. Comme eux, il en attend la réali- 
sation ici-bas. On a dû remartjuer, en elfet, l'impuissance 
de nos voyants à concevoir une félicité qui soit indépen- 
dante de la terre. Même lorsqu'ils parlent d'un cataclysme 
suprême qui engloutira le monde visible, il ne leur vient 
pas à l'esprit, un seul instant, que le monde qui lui succé- 
dera sera essentiellement différent. Tout se réduira à une 
palingénésie ou réapparition du monde visible renouvelé. 
Fait digne de remarque, ce n'est pas même dans ce monde 
renouvelé qu^ls placent, te plus volontiers, la félicité su- 
prême, c'est bien plutôt aux temps messianiques, c'est-à- 
dire à une époque où la terre, en particulier la patrie 
juive, existeront encore. Tout ce qui se passera après la 
fin du monde actuel reste dans le vague. Tout cela est 
l'indice d'une répugnance profonde à sortir des horizons 




- 64 - 

terrestres. Les espérances populaires onl été longtenl 
indéracinables du sol de la Judée. Il a fallu la catastrop 
de l'an 70 pour les eo arracher. Dans quelques cas r 
nous le verrons, cette transplantation violente en les affrti 
chissant des vieux liens leur a donné des ailes. Dam 
majorité des cas, les rêves d'avenir n'en devinrent | 
plus spirituHlistes. On ne contestera pas, je le penseJ 
matérialisme de ceux de notre auteur. H ne semble méi| 
pas avoir adopté l'idée d'une résurrection. Alors i 
qu'on n'insisterait pas sur cette lacune qui n'est peut-a 
pas de son Tait, on n^en serait pas moins fondé à lui | 
procher le matérialisme de ses aspirations. Qu'est-ce q 
la Jérusalem céleste qu'il rêve? Un énorme diamaot j 
rubis qui descend du ciel pour remplacer, sans dodl 
comme dans la Vision des Bêles, la Jérusalem ancienne b 
souvent profanée et souillée par les gentils! Par ce c 
là, c'est-à-dire par le fond des choses, notre auteur ne i 
fèro pas de ceux qui ont écrit la Vision de rAigk, celle! 
VHomme ou celle de la Forêt. 

Relevons un autre côté, non moins essentiel, par lec 
il trahit la môme oriipne. L'idée que noire auteur se j 
du Messie est absolument identique à celle que nous avej 
trouvée dans les autras apocalypses juives. Elle a le m^ 
caractère. Au fond, ce Messie est bien pflle, incolore, 1 
poreux. Il n'apparaît qu'un instant. C'est un météore i 
nistre qui signale son rapide passage par d'horribles t 
ries. Il n'existe que pour détruire les idolâtres. C'est p 
cisément la fonction que tous les faiseurs d'apocalyp 
attribuent à leur Messie. Le Messie de l'apocalyptique jiti 
n'est qu'un fantôme sans véritable personnalité ou ploi 
c'est un Iléau sans conscience et sans entrailles. Le Me! 



(le Dotro aiiU'iir est-Il aiilrc clinso ? Il Test si pou qu'on le 
cherche en vain dans la Jérusalem céleste. C'est qu'appa- 
remment son rrtie est fini. 

Vers quelle époque cet écrit a-t-il été composé? Si l'on 
n'avait pas élevé lies doutes, qui ne sont pas sans poids, 
sur la provenance du fameux passage XVII, 7-18, qui 
n'existait peut-être pas, à l'origine, dans notre document, 
nous serions tout à fait fixés. C'est au lendemain de la mort 
de Néron qu'aurait été composée cette apocalypse '. 

' [-iR pflssag^c XVII, 7-lS a toujours eu une gTnjidc imporUDCC pour la 
fixalinn de la date ilc l'Apoealypse de Jean. Lo v. (0 a longtemps acniblé 
implifjuer qu'elle fui composée, sous le principal de Galba, à la fin de l'an 
67. (Voy. Reuss, Bible, l'Apocalypse, p. 135 ; Encyi-.lapédîe des sciences 
religienses, lome I, p. 400; Renan, Antéchrist, p. 41B, i^t A 436.) 
Depuis quelque temps, on conteste c«tle interprétai ion du v. 10 qui est 
devenue courante. (M. Weias, Einleitang iii lias Neae Testament p. 389, 
M. Zahn, élu.) — L'hypothèse de M. Viacher déplac« uècesEairenient la 
question. Le y. IQ, qudie qu'en soit l'interprétalion, ne peul plus déler- 
minei' la date de l'ouvra^ entier, mais seulement celle de la source par- 
lictiliére dans laquelle ce verset se trouve. C'est la source B. 

M. Spilla qui la fait remonter jusque dans le siècle qui précède la nais- 
sance du Christ conteste d'abord que ce passage XVII 7-18 appartienne 
k aeXU; source et soutient ensuite que le 7» prince du v. 10 est ou Domi- 
tien ou Nerva. {Die Offenlmrung des Johonnes, p. 180 A 190, 338 à S3Î.) 
Il arrive à ce résultat en supposant que l'auteur compte en arrière les 
empereurs en commeni^t par celui dont il est contennporain, de sorte 
que Néron serait le dcraier ot le huilième de la série. Celte supposition 
est-eiffi bien vraisemblable? L'usiige s'y oppose. Lorsque Suétone écrit 
ses biographies des douze Césars, il commence par Jules-César, 

D'autre part, M. Spitta a eu raison de relever les incohérences et les 
GOntradicIJonB qui éelalent dans tout le passage 7 à IS. Tantôt les sept 
télcs de lu Bâte sont sept collines et tantôt sept princes. La Béte est tan- 
tôt le siè^ sur lequel Rome est assise, le symbole de sa puissance, et 
tantât c'est une personnalité mystérieuse. Le prince igui a été et qui doit 
être, c'est lanlât l'une des tcles et tantôt la Bêle elle-même. Rappelons 
aussi qu'il y a une correspondance manifeste entre les interpolations que 
nous avons relevées au chap. XIII v, .1 et 14 (voy. la note à ta page 84) 
et les phrases du passage 7 A 18 qui identifient la Bêle avec Néron l'edi- 
oieas. Il nous parait donc probable que le compilateur a introduit de Is 
confusion dans le texte du cbap. XVII. Mais il nous semble impossible 



Quoi qu'il en soit, il est hors île doute que DOtrc auteur 
a écrit ù un moment où le prestige impérial subissait une 
éclipse. Il est instructif de ie comparer, à cet égard, avec 
l'auteur de la Vision de l'Aigle. Celui-ci écrivant au temps 
des Flaviens semble oublier Kome pour ne voir que ses 
princes. Quoi de plus naturel I On peut en dire autant de 
l'auteur de Tapocalypse sœur de celle-ci (A). Vivant 
sous le principat de Caligula, il ne met en scène que le 
seul empereur. Dans l'apocalypse que nous étudions en ce 
moment, quel est le principal personnage, quel est celui 
qui incarne tous les pouvoirs hostiles? C'est Rome, ce 
n'est point nn prince. Par ce côté-là, cette apocalypse se 
rapproche d'une manière frappante de la Vision de l'Homme. 
]A aussi ce n'est point un homme, un empereur qui per- 
sonnifie les adversaires de Dieu et remplit la scène. Qu'a- j 
vons-nous conclu de ce trait? C'est que l'auteur n'avait j 
pas sous les yeux un pouvoir personnel fortement orga- 
nisé, des princes solidement assis. Mais tandis que d'au- 
tres observations nous amcuaient à conclure que la Vision - • 
de l'Homme a été composée sous la république, tout ici nous 
oblige de penser que noire apocalypse a vu le jour sous 
l'Empire. Celui quia écrit les chapitres XVII et XVIII con- 
Tiatt Home de longue date. Il n'y a peut-être jamais été. 
Son aversion pour elle la lui a fait connattre. Son âme brû- 
lante n'a rien oublié de tout ce qui pouvait la rendre 
odieuse. On sent qu'il a souvent frémi d'indignation à 

de dislin^er ce qui lui ap|>arlicnl et ce qui se trouvait dans le Icxle pri- 
mitiF. Le plus sage ficul-élre esl de renoncer à rien cnnclurc du passage 
XVII, 7-18; en ioul cas, il faul ae garder d'échafauder sur une înlei^ i 
préUlion conlestable et contestée tout un sysléme pour la fixation de la 
<)ate du doc.umeal auipiel apparlicnl le passage en question. 




- 67 — 

l'ouïe des dcscriplions qu'on ftiisait de son faste et de ses 
richesses. Un siècle, au moins, de haines s'est amoncelé 
dans son cœur. C'est bien l'impression que Rome proflui- 
sait sur les Juifs, aux environs de Tan 70, que notre au- 
teur a traduite dans son langage enflammé. Ce paroxysme 
de haines et de colt-res, Rome ne l'avait pas encore sou- 
levé du temps où écrivait l'auteur de la Vision de l'Homme. 
VoilA pourquoi nous estimons que noire apocalypse date 
bien du lendemain de la mort de Népon, alors que le 
monde semblait encore une fois chanceler sur sa base 
ou plutôt être alleinl de démence dans sa tête même, maïs 
où planait encore sur lui l'ombre formidable et maudite 
de Rome. 

Pour clore la série des apocalypses populaires, il nous 
reste à parler d'un écrit que M. Ceriani a découvert en 
1861 dans un palimpseste de la bibliothèque ambroisienne 
de Milan, Il s'agit de VAssomption de Mdise dont il n'existe 
plus qu'une version latine dont le texte est en mauvais 
état el défectueux. Qu'on nous permette d'en donner une 
analyse assez détaillée. Cet écrit n'est pas l'un de ceux 
que tout le monde connaît et dont il suffit de résumer le 
contenu. 

Au premier chapitre, Moïse qui est sur le point de mou- , 
rir fait appeler Josué. Il va donner à son sucx?esseur ses 
dernières instructions. Il commence par passer en revue 
l'histoire d'Israël, a Le monde, dit-il, a été créé pour lui '.» 
L'idée de la prédestination de ce peuple pour qui a Moïse 
a été préparé dès l'origine du monde » éclate à travers 



toiiles les obscurités du texte ot donne d'avance le loo de 
l'auteur. C'est ud patriote et un faQatiquc. Josué reçoit 
l'ordre de déposer les livres qu'il recevra dans le a lieu 
que Dieu a préparé à cet effet depuis l'origine des choses. » 
l^e second chapitre résume toute l'histoire d'Israël jus- 
qu'à l'exil. Les juses, les rois, le schisme, l'apostasie des 
dix tribus, l'idoli'itrie du peuple, la profanation du sanc- 
tuaire, puis l'invasion do Nabuchodonosor, la déportatioo, 
t'exil, tout r«la quoique sommairement raconté ne laisse 
pas de porter l'empreinte du judaïsme. L'exil, dit l'auteur, 
produit chez tout le peuple ie repentir. Les dix tribus 
elles-mêmes reviennent à l'Eternel. Dans la pensée de notre 
zélote, elles doivent s'unir de nouveau à leurs frères '. Un 
intercesseur surgit. C'est Daniel sans doute. Dieu se laisse 
toucher. II inspire au Koi l'idée de rendre sa patrie au 
peuple élu. Le retour a lieu. Les deux tribus Qdèles ne se 
consolent pas parce qu'elles ne peuvent pas égaler les sa- 
crifices que leurs pères offraient à Dieu*. 

Ce qu'il y a d'intéressant dans ces premiers chapitres, 
c'est la façon dont l'histoire d'Israël y est conçue. Elle 
s'est déjà profondément modifiée sous l'influence d'un es- 
prit très différent de celui de l'hébraïsme primitif. Les faits 
* ne sont plus présentés de la môme manière. Si l'auteur 
admet l'apostasie momentanée des dix tribus, il n'imagine 
pas que les deux autres aient jamais été infidèles. Au fond 
il a déjà l'idée, courante dans la théologie juive, que le 
peuple élu tout entier "participera à la félicité messianique. 

' IV 9. « Et deccm tribus cresixnl et deneaient apnd nato» in temport 
Iribaam » CHilgenfeid : Iribulationis). 

' Sans doule le Icniple et le culle restaurés paraissent trop mesquins à 
noire auteur. C'eat une idée qu'il a en commun avec i'auteiir de la 
Vision des Bêles (Enoch 89, 73). 



à 



Au chapitre ciaquième, on croit tlémôler, à travers un 
récit assez confus, des allusions aux excès du parti hellé- 
DÏstique, à l'insurrection macchabéenne, aux Asmonéens ', 
aux menées de la caste des Saducéens. Puis l'auteur trace 
le portrait d'un roi qui ne peut être qu'Hérode le Grand. 
■ Un roi orgueilleux leur succédera. Il ne sera pas de la 
caste sacerdotale. Ce sera un homme audacieux cl fourbe. 
Il les gouvernera comme ils le méritent. Il retranchera les 
principaux par le fer. Il mettra d'autres à mort et les fera 
ensevelir * dans des lieux secrets, de sorte que l'on ne 
saura où seront leurs cadavres. Il fera exécuter les jeunes 
gens aussi bien que les vieillards. Il n'épargnera pas. Une 
terreur cruelle s'emparera d'eux dans leur pays. 11 les 
traitera comme les Egyptiens les traitèrent autrefois, » 

Après Hérode viennent sas fils. L'auleur fait allusion 
aux événements qui marquèrent les débuts de leur règne. 
Il ne va pas au delà. C'est d'après ce qu'il dit en cet en- 
droit qu'il est possible de déterminer la date de notre do- 
cument. Reproduisons ce passage important : « Il engen- 
drera des fils qui seront ses successeurs mais qui ne régne- 
ront que peu de temps ^. I.*s cohortes soutiendront leur 
cause. Un puissant roi de l'Occident viendra ; il les réduira 
par la force ; il en emmènera en captivité ; il mettra ie 
feu à une partie de leur demeure ; il en crucifiera un cer- 



' Qaî non sont sacerdoles, sed servi de servis nati. Esl-ce une allu- 
sion à la fable rabbinique d'après laquelle Jeun Hyrcan était flts d'une 
esclave? Voir Schiirer, Gesc/iic/ile des Jiidischen Vol/ces, U' partie, 
p. SIS. 

' Sepeliel, leçon prn|>osî-e [>ar nil(;enMd, 

' Hilgenfeld aulrenicnl ; oî ïrafaUj;).o( pfiayycLpa'iii jipmnvi à^ouini. 



i 



lain nLiinliri.- <iiil(nii' tk' k'tir vilL'. Aptvs œs choses vïél 
(Ira la fin dt's li'mps, fime»tnr kmiKira. » 

Les événciiiuiilis qui survinrent à la tnurt irilérodK n^l 
donnent la véi-itablo explication tic ce passage '. Les JuJ 
s'étant révoltés centre Archélaùs qui avait refusé de let 
livrer certains conseillers d'Hérode le (irand qui le) 
étaient odieux, les Koraains accoururent. Varus, procufî 
teur de Syrie, intervint à deux reprises. 1^ seconde f 
la répression fut terrible. Ou rasa plusieurs villes ; on v(|| 
dit à l'encan les habitants de Scjthopolis ; à Jérusalem { 
mil en croix un certain nombre des insurf,'és ; dans ViA 
des assauts donnés par les soldats romains de la gamis< 
une partie des maisons fut brâlée. C'est en l'an 4 apn 
Jésus-Clirist que ces événements eurent lieu. 

A partir de ce moment nous sortons de l'histoire, 
quo finieniur tempora, a dit l'auteur. Cela signifie claûj 
ment qu'il va maintenant nous peindre les événements ij 
marqueront la lin. On l'a trop souvent oublié. Ce qui] 
trompé, c'est que , pour peindre l'avenir , notre aute 
emprunte à l'histoire certains traits. Il construit de Vh 
connu avec du connu. Mais les couleurs qui sont réelld 
ne doivent pas donner le change sur le dessin qui est l 
tif. Voici tout d'abord le portrait des hommes qui gouve] 
neront le peuple élu dans les derniers temps. Ce serc 
des hommes a funestes et impies, quoiqu'ils se donne] 

pour justes hommes rusés, égoïstes, dissimulateun 

gloutons ; ils dévorent les biens du pauvre tout en 8 
rant qu'ils agissent par des motifs de compassion; lei 
bouche est pleine de jactance. » Voilà un portrait ijui rad 



' Joscphe, Antii/a., lih. XVII %% 30S à 




pelle les Chansiens des Evangiles', Copendaal ils n'étîhap- 
peronl pas au clisUimeot. Nolez que c'est la première 
fois que nous rencootrons dans l'apocalyptique populaire 
ridée que le peuple élu subira une sorte d'épuration aux 
derniers jours *. I>a persécution qui sévira alors, car c'est 
bien ce que l'auteur annonce, sera pour les uns le châti- 
ment, [xiur les autres une épreuve salutaire. Quel sera 
l'organe des jugements de Dieu ? Ce sera n le roi des rois. 
11 mettra en croix les partisans de la circoncision ; il leur 
enlèvera leurs femmes ; il livrera leurs fils aux médecins 
pour que ceux-ci Tassent disparatlre les traces de la circon- 
cision ; on les forcera de porter en public des idoles et de 
prononcer des paroles blasphématoires. » Impossible de 
s'y tromper. C'est le portrait d'Aoliochus Epiphane'. Le 
souvenir du profanateur du temple ne s'est point effacé 
de la mémoire des Juifs. Ici on le retrouve plus vivace que 
jamais. Plus tard le monstre Caligula apparaîtra aux âmes 
pieuses d'Israël comme une incarnation nouvelle du roi 
sacrilège, il est inSnimcnt vraisemblable que le voyant qui 
a écrit la première des deux apocalypses juives de la Révé- 
lation de Jean a mêlé les deux figures, celle d'Epiphane et 
celle do Caligula, pour en composer le portrait de la Bête 
qui surgit de la mer. Jl y aura donc, d'après noire auteur, 
UD persécuteur qui renouvellera les crimes d'Antiochus aux 
derniers jours. Cette fois-ci il ne devait avoir que trop rai- 
son. Trente-six ans plus tard, le persécuteur apparaissait. 

' Schûrer, ouvr. cilé, 2e partie, p. 833. 

' La mènic idée semble impliquée par les ^ii 000 élus de la souree A 
de ta tlérélalion de Jcao. lui elle est Detlemeut aceusée. Ce Irail s'expli- 
que 1res bien ebcz un zélote, enuemi des Pharisiens. • 

ï Voir les sources eonouea, Daniel, Vil, VIU, XI; 1 Mac. I-IV; 
Joséphe, Anliq., lib. XII, 6-8. 




k 



— 72 ~ 

Qoe (levKTidroiit le» iM^éliles fidrles au niilieii île c 
pen»mi(k>u ? Lm souvenirs du passé iuspireol à l'aule 
utHt |iaraUilc; ([ui (teiol le »urt deis otlse^^ aleurs de la I 
en ces jour» de malbtnir. • In bumme de lu Iribu de 1 

nommé *, dit à ses sept fils : Ni nous ai nos parents 1 

nos ancêtres, nous n'avons jamais tenté Dieu de maniël 
& négliger se» ordonnances. Jeûnons trois jours H . 
i|uatrième jour réfugions-nous dans une caverne et i 
rooK plulât que d'enfreindre les statuts du Seigneur ( 
Seigneurs '. > 

Qu'est-ce donc (jue cet homme de Lévi (|ui [tréfère ma 
rir plutôt que d'aliandonner la loi f C'est sans doute 1 
peuple élu lui-même. C'en est le noyau incorruptible- C'ee 
l'élite qui doit constituer les prémices du royaume i 
Dieu. 

Tout est maintenant prêt pour le dénouement du i 
drame. \j! royaume de Dieu s'établit dans toute l'étendue à 
la création. Satan disparait et avec lui l'angoisse et la s 
france. Le M(;ssie venge les élus sur leurs adversaires'. I 
Très-Haut lui-même sort de son habitacle el fait l'îclater s 



' Taxa, (X mot énîgmatiquc qui a fait le lourmenl de lanl de i;rili<]ii 
ne parait pan être la vraie le(;oQ du lexle. Voj'cz Ilil^ofcld, la ante jj 
FritzBche cl les remarqui» de M. Schûrer, aavr. cité 3» partie p. I 

' Cap. IX. M. Suhiirer noiui semble avoi 
ne refuse de voir duns le lerme Taxa une appellalion du Messie. Il f(q[ 
rccouuatlrc en effet que te langage que l'auteui' prèle à son pcrsoni 
ne eonvîenl aueunetnent au Mesiiie. 

" Voici le texte de ce passage : Tanc implebanlar manns nantii, 
eut in lummo conalitalas, qui proUnas vindicabil illos ab inîm 
earum. Qui est ce nnnlius ? Ne serait-ce pas le Messie? Il ressemble, 
tuut eus, à oe\di de l'upocalyptique populaire. Il préexiste : 
constiliiliis ; il arrive au moment prévu ; il csl aussi effacé que )e Med 
ete du nus apocalypticiens. 



col^l■e. Lji imltirc esl bouleversée. C'est une peinlure qui 
reproduit les couleurs traditionnelles de l'apocalyptique 
juive. Enfin a lieu la glorification d'IsraGl. a Alors tu seras 
heureux. Tu monteras sur le col et les ailes de l'aigle..... 

Dieu t'élèvera jusqu'au ciel étoile D'en haut tu verras 

tes ennemis sur la terre, tu te réjouiras et tu loueras ton 
Créateur. » 

Moïse ajoute à ses révélalions quelques exhortations 
pour encourager son successeur qui se méfie de lui-même, 
et le document s'arrête là. Il est probable que l'auteur 
expliquait ensuite comment Moïse fut enlevé au ciel. C'est 
dans cette partie qu'a dû se trouver le récit de ce combat 
entre Michel et Satan dont il est question dans l'épître de 
Jude. 

Cette apocalypse est sortie des entrailles du peuple. C'est 
un des exemples les plus parfaitsdu genre. Les aspirations 
qui s'y font jour sont essentiellement populaires. Elles ne 
dépassent pas l'horizon terrestre. L'auteur n'imagine pas 
une félicité qui n'aurait pas sa patrie pour théâtre. Aucune 
trace de la doctrine de la résurrection des corps dans son 
tableau de l'avenir qui est, cependant, complet. 

k quel milieu notre voyant appartient~it ? On a pensé 
qu'il était zélote. Ce parti commençait alors à se former '. 
On s'expliquerait ainsi l'antipathie contre les Pharisiens, 
qui éclate dans un passage que nous avons cité. Assuré- 
ment notre auteur n'eût pas été parmi les modérés s'il 
avait vécu au temps du siège. 

A quelle date a-t-il composé cet écrit? C'est au lende- 
main des événements qui marquent lan quatre de notre 

I Schurer, uuv. uilé, 2" parlic p, 635. 



— 74 — 

ère. C'cHt an dc-biit liu règoc des fils il'llénKli' le GrandJ 
Cela o'oHre aucun doute lorsqu'on s'en lient à une ex^ 
gèse rigoureuse des chapitres VI et VII. 

Ce que l'on retrouve dans tous les écrits que nous i 
Dons de passer en revue, c'est l'utopie d'une restaumti<4 
nationale. Voilà le trait caracléristique et dominant. Ua| 
théocratie, maîtresse du monde, ayant son siège à JérI 
salcm et s'incarnant daos le peuple élu, élevé ainsi à ad 
prééminence absolue, voilà le rêve qui hante l'imaginatid 
de nos voyants. Leur chimère de grandeur pohtique 1 
absorbe à tel point qu'ils oublient ou dédaignent 
espérance d'un caractère moins terrestre. Il est doutei 
qu'ils aient tous connu la doctrine de la résurrection, 
moins la plupart ne semblent pas y attacher beaua 
d'importance. Presque tous ne paraissent même pas souj 
çonner une l'élicité qui ne serait pas terrestre. Ceux qïf 
comme l'auteur de Vapacaltjpse d'Esdras (E), afSrment i 
bonheur éternel qui doit suivre le règne terrestre du Met 
ne montrent aucun enthousiasme, pour une conceptie 
plus spiritualiste. Soyons sûrs que leur pesant mati(j 
rialisme à tous traduit fidèlement le sentiment populai 
C'est la chimère d'une restauration nationale qui expliqi 
l'histoire juive depuis les Macchabées jusqu'aux dernièi 
catastrophes. L'apocalyptique populaire nous intérc 
parce qu'elle nous révèle les sourdes colères, les haï 
implacables, les espérances de vengeance, les utopi^ 
grandioses qui enflammaient les âmes tant qu'il y eut n 
nation ou un simulacre de nation juive. Lorsque la réprt 
sion sanglante de l'insurrection de Bar-Coziba eut décid^ 
ment étouffe tout espoir, l'apocalyptique populaire s'éte 



-75- 

à son tour. Possible à la fin du premier siècle alors que 
l'on était encore si loin de la résignation en Israël , les 
événements de l'an 135 lui enlevèrent toute raison d'être. 
Les oracles sibyllins d'origine juive ne dépassent certaine- 
ment pas cette date *. Aussi à partir des catastrophes qui 
engloutirent avec elles les chimères politiques d'Israël, 
nous allons voir l'apocalyptique prendre un caractère tout 
différent. 

* Schûrer , Geschichte des jûdischen Volkes im Zeilalter Jesa 
Christi, Zweiter Theil. S. 802, 803. 



LES AI'OCALÏI'SES RABBIMOUES Itll THKOI 



En efTet, la plupart des apocalypses que nuus devoni 
étudier daos ce chapitre semblent émaner d'écrivains toug 
dilTérents de ceux que nous avons Tait connai'tre jusqu^ict:! 
Ceux-ei étaient, sans aucun doute, d'ardents patriotes. J 
ce titre-là, il faut les classer avec les auteurs des portioQi 
juives des livres sibyllins. Ils ont le même ton, les mêm« 
haines, les mêmes utopies. Ceux que nous allons mainte 
nant interroger ont été, selon toute vraisemblance, dec 
rabbins, des théologiens. Nous rencontrons presque à chaJ 
que ligne de leurs écrits les doctrines caractéristiques (i 
judaïsme des écoles. Les concordances d'idées que l'ôd 
peut y relever avec la théologie de la Mischna et du T9I 
mud sont en si grand nombre qu'il n'est guère doutetu 
que ces écrits ne soient issus du même milieu, des mêmei 
écoles. Il est vrai que l'on remarque, même dans 1 
apocalypses populaires, certaines traces de cette théolog^J 
mais elles sont peu nombreuses et plutôt accidentelles 
Dans celles que nous appelons rabbïniques, c'est le fouffl 
même des idées qui appartient à la théologie. A ce potB 
de vue, ces apocalypses sont d'un grand intérêt. EU^ 
nous permettent de constater l'existence et le développi 



ment déjà avancé de cette théologie avant qu'elle ait été 
consignée dans les documents officiels. 

C'est l'apocalypse dite de Baruch qui nous fournira les 
principaux éléments de ce chapitre. L'écrit dont nous allons 
maintenant donner l'analyse se trouve dans la première 
partie de ce document*. 

Vers le temps où les Ghaldéens se préparaient à investir 
la ville Sainte, la parole du Seigneur fut adressée à Baruch, ' 
fils de Nérée. I^e châtiment qui allait frapper Israël lui e.st 
annoncé. II lui est nn même temps ordonné, ainsi qu'à 
Jérémie et aux justes qui lui ressemblent, de quitter sans 
retard la ville coupable « car, dit la voix divine qui lui 
parle, vos œuvres sont comme nne colonne de soutène- 
ment pour la ville et vos prières lui servent de fortes mu- 
railles. 9 Baruch, ayant réuni les justes dans la vallée de 
Cédron, leur communique son message. Tous ils élèvent 
la voix et pleurent. Puis ils jeûnent jusqu'au soir. 

Le lendemain l'armée ennemie campe autour de la ville, 
Baruch en sort et se tient sous un chêne*. Tout à coup, il 
se sent soulevé dans les airs. Il aperçoit quatre anges aux 
quatre coins de la ville. Chacun d'eux tient une torche 



Il chapitre 6 el ne v, 
LirUm t*|ientJctnt que la portion 



' On verra ailleurs quo dps doulc; ' 
l'élcndue de cet écrit II cora 
pas au deU de 3Î 6 Un est pas 
dont Dous venons d indiquer les liniili «i 
dre en plusieui^ sources, toul au moins en deux éléments principaux. 
En outre, il noua est difïcile d'admettre que les cinq premiers chapitres 
soient le véritable Cûmmcncement de celle source. Quoi qu'il en soil, il 
n'y a aucun inconvénient â conNidérer leR 3i premiers chapitres comme 
raisant partie d'un seul et même écrit. Cela ne modifie en rien les résul- 
tats de nos recherches et noire exposé j gagfnera en clarté. Voir ap[ien- 
dice III. 

' Voyez i Eadras XIV, 1 : sedeôam lah qaercu. 



k 



4 



- 78 — 

atlum^. Puis iid cinquit^me ;m;^i.^ apparaît qui confie à I 
terre l'éphod, le propiliatoirc, les tables de la loi et les ad 
très objets sacrés, Ui terre a charge de les conserver jiU 
qu'aux temps messianiques'. Cet ange ordonne, ensuite 
aux quatre autres de mettre le (eu à la ville. Les Chaldét 
y pémMrent et emmènent le roi et le peuple en capUvit^ 

Baruch et Jérémie paraissent sur la sciVne. Ils décbirt 
■ leurs vtHements en signe de deuil et jeûnent pendant s 
jours *. A la fin des sept jours, la voix divine ordonnée 
Jérémie de se rendre auprès des exilés pour les consola 
et à Barucb de rester pour recevoir la révélation ^ 
l'avenir. 

Baruch exhale alors sa dnuteur dans une lamentatkï 
qui est d'une grande beauté. Comme elle exprime le a 
timent qui domine dans toute cette apocalypse, nous 1 
reproduisons en partie : 

<■ Heureux, dit Baruch, (ils de Nérée, celui qui n'est p 

né ou plutôt celui qui étant né est mort Vous, latx 

reurs, ne semez plus, et toi, terre, pourquoi donna 
tes fruits? Toi, vigne, pourquoi donnes-tu encore ton j^ 
puisqu'on n'en fera jihis l'oiïrande en Sion et que l'on l 
présentera plus les prémices ? Vous, cieux, gardez voftc 
rosée, n'ouvrez plus les réservoirs de la pluie. Toi, sole! 
sois avare de tes rayons et loi, lune, éteins ta lumièP( 
Vous, femmes, ne priez pas pour avoir des enfants. PoM 
quoi les hommes auraient-ils encore des fils puisque not^ 

' M. Ferd. Weber cite, dans son manue! de la théologie juive, p. î 
un passage da traita Bammidhar mbbn où se trouve la même ii 

* Remarquons que tandis que les 7 jours de jeûne coupent e 
parties bien déterminées l'apocalypse de Satfithiel (4 Emirat), i 
n'ont aucun rapport avec le plan de l'auteur. Il les introduit au ha 
sans raison apparente. 



mère est dans le deuil et dans la d<5solation En vérité, 

notre douleur est iotinie et nos plaintes saus mesure, puis- 
que, toi, ô Babylone, tu es dans la prospérité tandis que 
Sion est dans le malheur. » 

Ici commence un long dialogue entre la voix d'en haut 
et Baruch, qui s'étend jusqu'à la lin de l'apocalypse. II est 
coupé, de temps à autre, de pauses qui consistent en 
jeûnes, suivis de changements de scène. Il n'est guère 
possible de reproduire cette longue discussion. L'enchaî- 
nement des idées fait défaut. L'auteur revient à chaque 
instant sur la même pensée pour l'exprimer à nouveau. 
Ce n'est que par un mouvement presque insensible que le 
discours avance. Marquons-en les phases principales. C'est 
tout ce que l'on peut faire. 

La grande préoccupation de l'auteur, c'est d'expliquer 
et de justifier la conduite de l'Eternel à l'égard de son 
peuple. Pourquoi a-t-il permis que la ville Sainte fût dé- 
truite, le temple profané, les .sacriQces et le culte abolis ? 
Pourquoi les adversaires triomphent-Us? C'est l'éternelle 
question que la conscience d'IsraCl s'est toujours posée: 
pourquoi le juste est-il malheureux, abreuvé d'outrages, 
tandis que le pécheur prospère? Au lendemain des catas- 
trophes suprêmes elle revient plus poignante et plus tra- 
gique. Elle obsède, comme un cauchemar, l'âme de ceux 
qui restent. C'est pour y répondre que notre auteur a écrit 
son apocalypse. Si sa pensée semble s'en écarter, ce n'est 
que pour un instant. 

Baruch a eu soin de couvrir d'une autorité incontes- 
tée, celle de Dieu même, la solution du grand problème 
qu'il pr^he à ses frères affligés. C'est la voix divine 
qui la lui communique Elle affirme , d'abord, que les 



- 80 — 

païens seront punis, les oppresseurs châtî(^a. Cela ne suffi 
pas à Bariich. Dans une longue lamentation, il exhale toul 
ramertume de son cœur. II conserve des doutes. Quaj 
même le chSliment atteindrait, un jour, les pécheurs, J 
n'en reste pas moins vrai qu'une Toule d'hommes iniqw 
ont réussi ici-bas. Ceux-là éehappent au chfltiment. Quai 
aux méchants qui seront en vie, a» jour de la rétributi« 
ils seront en petit nombre. I^es Iwnnes œuvres des jiisl 
ne devaient-elles procurer à Sion aucun avantage ? Hétsuf 
nous ressemblons ^ l'haleine qui se dissipe I Dieu n'avait^ 
pas, cependant, déclaré à l'origine des choses que le moiu 
a été créé pour l'homme, a Or ce monde, créé pour ntM 
(tes Juifs), je le vois subsister, tandis que nous autr 
nous nous en allons. » 

Aux plaintes du Voyant la voix répond alors que si| 
siècle présent n'apporte aux justes que des souffrances ^ 
des angoisses, le siècle à venir leur réserve une courotu 
glorieuse: corana in (jlnria magna* . C'est dans une autt 
vie que le juste trouvera les compensations qu'il n'a | 
eues ici-bas. I^ problème posé par notre auteur ne cm 
portait pas d'autre réponse. Après la catastrophe i 
l'an 70, qui [jorlait une si rude atteinte à l'utopie d'ai 
revanche du peuple élu, on semble l'avoir mieux compii 
parmi les Juifs. L'auteur, qui a composé l'apocalypse l 

^ Il est très curieux de constater la peine énorme qu'oni eue les Jii^ 
à transporter leurs espéranœa clans l'autre moticlc. Ceux d'entre ei 
ont subi l'influence de la culture grecque sont arrivés beaucoup plu( 
à se défairv du matérialisme inhérent aux asfùrations nationales. La S 
pienee en est une preuve frappante. Ce n'est qu'après 70 que queiqi 
esprits parmi les Juifs qui sont restes étran«^rs h la culture hcllénislHjl 
s'élèvent à une sorte de spiritualisme comparable à celui de l'auteur fl 
ce pseudépigraphe. Nous reviendrons sur ce point dans lu s 
travail. 



Salathiel (4 lîsdras), n'offre pas d'autre ronsoladon à ses 
compatriotes. 

Elle ne suffisait cependant pas à tout le monde. Notre 
auteur semble avoir voulu prévenir les objections qu'il 
prévoyait, peut-être répondre à celles qu'on lui avait déjà 
faites. Tout le reste de son apocalypse n'a pas d'autre 
but que de les dissiper. Dans une longue prière qu'il met 
dans la bouche de Baruch, il montre combien il serait dur 
d'avoir à se limiter à la vie présente et de renoncer à l'es- 
poir d'une autre existence. Ce qui entretenait les doutes, 
c'était l'incertitude quant à l'époque de l'avènement du 
siècle à venir. Notre auteur s'efforce de les atténuer par 
diverses considérations. Il en emprunte plusieurs A la théo- 
logie juive. Il aftirme, par exemple, que le nombre des 
âmes à naître est déterminé d'avance. Le monde durera 
tant que le chiffre n'en aura pas été atteint'. Mais c'est 
sur la prophétie qu'il compte le plus pour raviver les 
espérances. Il dévoile l'avenir et énumère les signes 
qui annoncent le siècle nouveau. C'est l'apocalyptique que 
nous connaissons déjà, mêlée de traits empruntés à la théo- 
logie rabbinique*. Après les signes précurseurs a lieu 
le règne messianique. L'auteur en renouvelle les descrip- 
tions d'usage. Il vante l'abondance des fruits ot des ré- 
coltes qui marquera ces jours heureux. En même temps 
la résurrection des morts aura lieu. I-^s Ames impies s'é- 
tioleront et périront. On le voit, c'est une apocalypse 
complète, faite selon les règles du genre. 

L'auteur doit avoir été un rabbin. Il nous fournit lui- 



' Ferd. Weber, oiwr. cité, p. 818, ÎÎO. 
' Par exemple in [nenlion cle BekemoHi et de /.ef 
précuraeurs iliviséa en douze parties, eLc, cle. 



— 82 — 

même des preuves iiTéctisables de ses nrisincs ol do Tédu- 
cation qu'il a reçue. On ne remarque pas chez lui cette ■ 
ardente passion politique qui est lYime des apocalypsesl 
populaires. S'il est loin d'avoir renoncé à l'espoir d'une-J 
restauration matérielle d'Israël, il ne dit pas qu'elle se fera | 
par l'exterminatioti des païens. Il appartient plutôt à ( 
modérés à qui répugnait le fanatisme des zélotes. Peut-être 1 
est-il sorti des écoles de Jabné ou de Lydda'. Ce qui le 
fait reconnaître encore mieux que sa réserve en politique, ' 
c'est sa connaissance de In théologie juive. Nous en don- 
nons quelques exemples. 

L'une des principales doctrines delà théologie juive, c'est J 
que la justice des patriarches, des prophètes et même des . 
rabbins contemporains, éminents en sainteté, a une vertu il 
particulière. Elle peut être imputée à Israfil tout entier. ■ 
Dans le traité Pesikta on lit que la présence de Jérémie à 
Jérusalem préservait la ville ; lorsqu'il la quitta, elle suc- 
comba^. N'est-il pas dit dans notre apocalypse que les œu- 
vres de Jérémie et de ceux qui lui ressemblent prolègrail 
la ville coupable : opéra vestra sunt urbi huic tamquam co- 
lumna prma, et preces vestrae tamquam murus validtis ? Ail- 
leurs Baruch s'écrie que Sien aurait dû obtenir son par- 
don, à cause des œuvres de ceux qui avaient pratiqué le 
bien : d^itum erat Simi, ut propler opéra Ulorum, gui ope- 
rati fuerant bona, dimitteretur ei ^, Les théologiens juifs 
enseignaient que les bonnes œuvres, en s'accumulant, 
constituent une sorte de trésor ou de capital qui est réservé. 



' Renan, Eimngiles, p. 1 à 36. 

* Ferd. Weber, oaor. cilé, p. 286, 28S. 

* Apoc. Barachi, c. 3, S ; li, 7. 




mis en fl(''|K)l, pour lo jour du ju.c;ement'. Voilà une idée 
qui revient A plusieurs reprises dans les discours de 
Baruch : justt bene iperant finem. . . qui Imljent apud te vim 
operum cusloditam m tkesauris^. 

Dans un autre ordre d'idées, les docteurs juifs voyaient 
dans la mort qui frappe tous les hommes la conséquence 
de la faute d'Adam ^. Ils n'ont pas formulé cette doctrine 
avec plus de précision que ne Ta fait notre auteur: Adam... 
mortem altulil et abscidit anms mrum qui ab eo gmiti fue- 
runl^. On sait que si les théologiens juifs admettaient une 
sorte de souillure de la nature humaine, conséquence de 
la chute, ils n'en affirmaient pas moins énergiquement la 
liberté et la responsabilité des individus. Cette doctrine 
est une des pierres angulaires de tout le système^. L'au- 
teur de notre apocalypse n'a pas manqué de la formuler 
très nettement à plusieurs reprises : quia cum novissel 
fecit, propter Iwc... lorquebilur ^ . Le monde, disait la théo- 
logie juive, a été créé à cause d'Israël ''. Notre Voyant se 
plaint que ce principe, dont il n'avait jamais douté jus- 
qu'ici, a cessé d'être vrai depuis que Dieu a rejeté son 
peuple^. Il n'est guère possible d'expliquer notre apoca- 
lypse sans le secours de la théologie juive. Ainsi les rab- 

' Ferd. Weber, oncr. cité, p. 893, a siq. 

* li, 12. AilleurH on lit cette phrase : ei itérant Iheiaari, in qaibus 
jatlitia eoram qui Jaslijicati sanl in crealara collecta est (34, 1). 

3 Ferd. Weber, oaar. cité, p. 314, 3 nq. 

* Apoc. Baracki, 17, 3. On lit ailleurs cette phrase Don moins si^- 
ficative : qiiando peccavit Adam et décréta fait mon contra eos gai 
ffiffnereiilar. (23, 4 ; cf. Rom. V, 12.) 

s Ferd. Weber, oaor. cité, p. 218, 223. 

^ Apoc. Barachi, 15, 6 et 19, 3. 

' Ferd. Weber, oaor. cité, p. 198, sq. 



" 14; 18 et tS. 



bîns onsfiignaient une conception tn'-s curieuse de la créi 
tion des âmes. Elles ont commencé d'exister en mêm 
temps que le monde. Il en fut alors créé un nombre détw 
miné. Elles séjournent dans le paradis jusqu'au momet^ 
où l'être humnin auquel elles sont destinées est coDçtË 
L'Ame se mêle alors au fœtus ^ La même idée se trouv« 
tout au moins en germe, dans des phrases comme celle-cï3 
« alors la multitude de ceux qui devaient naître fut déf 
nombrée.» Ailleurs Barach se demande si la multitude dei| 
âmes ne rentrera pas dans le néant lorsqu'Israël aura d 
paru : an recipiet se maltitado animarum^ f Dans un passagi 
curieux on rencontre l'idée bizarre que doux monstres,! 
Behemotk et Lemalhan, serviront de nourriture aux juste 
dans les temps messianiques ^. C'est là une imaginatioi 
essentiellement rabbinique*. ËntiD, l'homme qui ne me) 
tait rien au-dessus de l'étude de la Loi ne se trahit-il \ 
lorsqu'il s'écrie : Si tu détruis Jérusalem, où trouvçra-t-taJ 
à qui expliquer ce qui est dans ta Loi ^ ? « Semez danâfl 
vos cœurs les fruits de la Loi ; elle vous protégera, ï 
sa dernière exhortation^. 

On nous objectera peut-être les descriptions eschatolo-«î 
giques de notre auteur que Ton s'étonne de trouver sousl 
la plume d'un rabbin. Celles de l'apocalyptique populaires 



' Voyez dans l'ouvra^ déjà cité de Ferd. Webcr, Altsi/nag. fAeOffl 
p. !17, le passag^c capital du Irailé Tancliama, Pikkade 3 que c«t m 
reproduit tout au long'. 



* 23, J 



3,8. 



3 39, 4. 

* Ferd. Weber, oavr. cité, p. 38i, 195 ; même idre dans 4 Esdras VI, , 
47 sq. (apoc. Salalhîel), passage dans lequel il faut corriger Knoch en I 
Behemath selon une conjecture heureuse de M. Kabiach. 

= Apoc. Barachi. 3, 6. Voyez Ferd. Webcr, oaur. cité. p. 25, g 7. 

« 32, 1 ; Ferd, Welier, p. 28, g 8. 



- 85 - 

De sont pas plus matùniilistes. Quelque étrange que cela 
puisse paraître, notre auteur ue s'est pas écarté sur ce 
point des traditions de l'école. La théologie juive n'a fait 
que systématiser les rêves d'avenir qui hantaient l'ima- 
gination populaire. Elle n'en a éliminé que l'élément 
politique, insoutenable après 70. Elle a conservé et 
consacré le matérialisme grossier, qui caractérise l'escha- 
tologie vulgaire. Les idées de résurrection et de félicité 
céleste qu'elle y a mêlées n'ont pas suffi pour spiritualiser 
l'apocalyptique ' 

Vers quelle époque notre auteur a-t-il écrit ? Sans nul 
doute, après la catastrophe de l'an 70. I.^ prophétie que 
Baruch est censé prononcer et qui est la conclusion de cet 
écrit est décisive, a Dans peu de temps Sion sera renver. 
sée. Puis on la reconstruira. Cela ne durera pas longtemps 
mais la ville sera ruinée de fond en comble. Elle restera 
gisante ainsi et déserte jusqu'à un temps. Après cela, elle 
doit être glorieusement restaurée et couronnée à perpé- 
tuité. » Il est permis de penser que ce fut presque au len- 
demain des événements de 70 que notre apocalypse fut 
composée. On sent, à chaque page, l'amertume des vain- 
cus encore poignante comme au premier jour. La plaie est 
toujours béante. L'auteur, partout ailleurs terne, languis- 
sant, médiocre, a des accents admirables quand il parle 
des malheurs de Sion. Il en a l'obsession. Pourquoi cette 
incompréhensible catastrophe ? Voilà la question qui le 
poursuit sans trêve et sans repos. Dans l'apocalypse de 
Salathiel que nous aurons à étudier, l'auteur exprime avec 
éloquence la même douleur mais il ne s'y enferme pas. 
L'énigme que notre apocalypticien ne se lasse pas de 

' Ford. Webcr, oiivr. cité, p. 347-386. 



sonder devient pour le premier le [loinl de départ i 
méditations plus désintéressées. On sont ([ii'il est déjà pld 
éloigné de la catastrophe et qu'il a, en partie, recouvréJ 
liberté d'esprit ', Le nôtre n'a qu'une pensée, c'est de véi 
ser un peu de consolation dans lYinie ulcérée de ses coŒ 
patriotes. 

La compilation hétérogène qui porte le nom de Barm 
nous fournit encore un document qui émane certainemeâ 
des écoles rabtiiniques *. On y relève la plupart des doi 
trines de la théologie juive dont nous avons trouvé I 
traces et, le plus souvent, les formules dans l'écrit qd 
nous avons analysé en dernier lieu. C'est pour cette p 
son que nous classons ensemble ces deux apocalypses, 
document dont il va être question offre une particulai 
dont on. n'a d'exemple que dans deux autres apocalypsjE 
Un aperçu général de toute l'histoire antérieure y précé 
les descriptions eschatologiques. Ce trait lui est commun 
avec la Vision des Bêtes dans Enoch, et avec VAssmiption 
de Màise. En récapitulant l'histoire, l'auteur nous fait 
connaître, sans le savoir, le point de vue auquel on envi- 
sageait celle-ci dans les écoles d'où lui-même est sorti. 
Son apocalypse aussi bien que la précédente nous permet 
ainsi de constater, en une certaine mesure , le dévelop- 
pement déjà considérable de la théologie juive avant 
qu'elle fût formulée dans la Mischnah et dans le Talmud. 

Notre apocalypse débute par une vision. Le Voyant 
aperçoit une nuée qui monte de la mer. Elle contient des 



' C'esl une remnrque faite par M. Suhorer, Geackichfe des jildischnn 
Volkes. Zweiter Theil, S. 643. 

' Apoc. Barachi, 53-75. Pour plus de commodité nous appelons 
cette apocalypse la Vision de la Nuée. 



^- 



eaux, en partit; claires, en parlic Ibncôes. A son extré- 
mité apparaît une sorte d'immense éclair. La nuée passe, 
couvrant la terre. Les eaux s'en échappent, les claires al- 
ternant avec les foncées jusqu'à douze fois*. Les foncées 
sont plus abondantes que les claires. A la fin, il n'y a plus 
que les foncées qui tombent de la nue. Elles sont deve- 
nues encore plus noires et du feu s'y mêle. Partout où elles 
tombent, elles ravagent et détruisent. Tout à coup l'éclair 
saisit la nue et la précipite en bas. Puis l'éclair illumine 
toute la terre et la renouvelle. Douze fleuves montent de 
la mer, entourent l'éclair, lui sont a.ssujettis. Sa domina- 
tion est universelle. Ayant recouvré ses esprits le Voyant 
adresse à Dieu une fort belle prière pour lui demander 
l'explication de la vision qu'il vient d'avoir. 

L'ange Ramaliel, chargé d'interpréter la vision, ap- 
paraît. 

IjOs eaux claires et les eaux foncées qui tombent en 
alternant représentent les périodes successives de l'bis- 
toire. Les foncées figurent les époques où le mal triompbe 
et où les calamités abondent. Les autres sont les jours 
lumineux, marqués par l'ascendant du bien et les bénédic- 
tions du ciel. Les périodes qui alternent sont au nombre 
de douze. L'une des plus sombres est la première lors- 
qu'Adam transgressa le commandement et attira sur lui et 
sur ses descendants la mort. Puis Abraham surgit ; les 
plus grandes bénédictions s'attachent à son nom : quia illn 
tempore non scripta tex apud eos nominabatur. Ensuite une 
nouvelle période de ténèbres, marquée par la servitude 
d'Israël en Egypte. L'une des plus lumineuses succède à 
celle-ci, c'est l'époque glorieuse où fut promulguée la Loi. 

I Voyez la même idée daus le cha|). 27. 



Puis vient un temps où Isratll rommet beaucoup de [ 
chés et où les Aniorrliéons font leui's œuvres impies, 
sont des magiciens et des sorciers d'après l'auteur. Vd 
les beaux jours de David et de Salomon, suivis de Tapi 
tasie des neuf tribus et demie et de leur exil. Avec ï 
chias, les années de di^'livrancc merveilleuse, do sagesse i 
de vertu reparaissent. Manassé riunène les ténèbres l 
Juda que Josias dissipe ensuite. Survient une des époqui 
les plus sombres et les plus lamentables. Les anges méno 
s'en attristent. Nous avons nommé l'exil, la destructiâ! 
de Jérusalem, le triomphe des idolâtres. Des jours moin 
malheureux succèdent à ceux-ci. C'est toute la périw 
qui va de l'exil jusqu'au temps où vit l'auteur. Dans| 
période suivante nous sortons de l'histoire pour entp 
dans l'eschatologie. 

Le passage où il est parlé de la dernière période histe 
rique a un intérêt capital puisque les données qu'il foun 
fixent nécessairement la date de noire apocalypse. Ai» 
nous en donnons la traduction, u Et les eaux claires i] 
sont venues en douzième lieu ont le sens suivant. 11 vieÀ 
dra un temps après ces choses où ton peuple sera accî 
au point qu'ils seront en danger de périr tous. Cependai 
ils seront délivrés et leurs ennemis tomberont devant euj 
Pendant un certain temps, ils seront dans la joie. Dans c 
jours-là, peu après (l'exil), Sion sera de nouveau recom 
truite ; on restaurera ses sacrifices ; les prêtres repre 
dront leur service; les gentils reviendront pour lui renda 
hommage. Cependant ce ne sera pas complètement comid 
au commencement. Mais, après ces choses, un grand noi 
bre de nations tomberont. » 

Nous sommes sur le seuil de l'avenir. La prophétie red 



i 



place l'histoire. Voici des eaux plus foncées que toutes 
celles qui ont prckiétlé. Elles représeotenl les calamités et 
les catastrophes des derniers jours. L'eschatologie de notre 
auteur ne diffère pas de celle que nous connaissons déjà. 
D'abord l'égarement et lu folie s'emparent des hommes ; 
puis les guerres éclatent ; l'anarchie et la confusion sui- 
vent ; les fléaux de la nature achèvent de tout bouleverser. 
Enfin le Messie apparaît. Les derniers adversaires sont 
livrés entre ses mains, a Toute la terre engloutira ses ha- 
bitants mais la terre Sainte protégera les siens en ce temps- 
là. » Puis le Messie juge les nations. 11 extermine celles 
qui ont opprimé son peuple. 11 laisse la vie à celles qui 
ont péché par ignorance et qui n'ont point connu Israël ; 
elles serviront les élus. Après ces choses commence la féli- 
cité dos temps nouveaux. L'auteur l'a peinte en couleurs 
assez vives et parfois heureuses. C'est la fin de l'ancien 
ordre de choses. Tempus illud finis est illius quod coirumpi- 
lar et initium illius quod non corrumpitur. 

L'auteur ne dit rien de la résurrection'. Son apocalypse 
ne va pas au delà du règne messianique. Il ne faut pas se 
hâter, cependant, de conclure de ce silence que notre rab- 
bin ne partageait pas ou ne connaissait pas cette doctrine. 
Avec ces apocalypses dont on a fait un si libre usage 
pour en intercaler des fragments dans les compilations que 
nous possédons ou pour les y l'aire entrer lout entières, il 
ne faut jamais être trop affirmatif. Il est toujours possible 
que l'on ait retranché justement la partie de l'écrit où se 
trouvait l'idée dont nous remarquons l'absence, parce 
qu'elle se trouvait exprimée aifleurs dans quelque autre 

' Lii phrase ej: eis iiiuijicabll sig'DÏfic nun jkis n il les ressuscitera » 
lis comme le coDiexte l'exige u il leur laissera la vie; » chap. 72, 3. 



p 



fragment que l'on a iiisrrô dans le reL'imil. Il est Imit à 
fait invraisemblable qu'un écrivain donl Torii^ine pha- 
risaïque et rabbioique est aussi évidente n'ait pas cru à la 
résurrection. On peut encore soutenir que la partie escba- 
tologique n'est pas de la même main que le reste de Papo- 
calypsc. Quoi qu'il en soit, il est clair que l'on ne doit se 
servir qu'avec une extrême circonspection de Vargutnen- 
lum ex silmlio quand il s'agit des apocalypses juives. 

11 serait aisé de relever dans ce que notre auteur nous a 
laissé de nombreuses concordances d'idées, sur les points 
essentiels, avec les doctrines de la théologie rabbiniquc. Ce 
qui prouvera également bien qu'il a été rabbin, c'est sa 
façon de concevoir et d'interpréter Thistoire. 

Autant que les théologiens juifs, il sacrifie l'histoire à 
l'idée. Il impose aux faits un'cadre ou un « schématisme » 
tout artificiel, 11 les groupe en douze périodes arbitraires. 
En cela, du reste, il n'a fait qu'exagérer un procédé qui 
a déjà été appliqué dans l'historiographie hébraïque elle- 
même. Dans les livres de Josué, des Juges, des Rois, le 
point de vue théocratique exerc« une influence déjà mar- 
quée dans le groupement et l'appréciation des événements. 
De bonne heure, on perdit en Israël ce goût de conter 
pour le plaisir de conter qui fait le charme des chroni- 
queurs de race. Ce peuple n'a jamais produit un Hérodote. 
Hâtons-nous d'ajouter que, dans l'historiographie hébraï- 
que, la tendance à sacrifier l'histoire à l'idée religieuse 
ne fait, en somme, que s'annoncer. L'idée projette, sans 
doute, son ombre sur les faits ; elle ne les dénature pas, 
du moins d'une façon systématique'. Chez notre auteur, 

' Dana les Chroniques et Jans Esdras, la tendance est déjà beaucoup 
plus marquée. On est eu plein judaïsme. 




J 



comiTiu dans la tliéologie juive, le mépris des faits csl 
poussé à l'extrême. Ils se transforment complètemcal 
sous rinfluence des idées dominantes de celte théologie. 

Ce n'est pas seulement par Pespril et la méthode 
qu'il applique à l'histoire que notre auteur rappelle la 
théologie juive, c'est aussi par des concordances frap- 
pantes dans la narration de certains événements. En 
voici quelques exemples. 

Ckjmment conçoit-il la faute d'Adam et ses consé- 
quences ? Absolument comme les théologiens juifs. Par 
sa désobéissance, Adam accumule non seulement sur sa 
tête mais aussi sur celle de ses descendants une longue 
suite de maux dont la mort est le dernier. Est-ce donc le 
péché qui se transmet de génération en génération ? Non 
point. Notre auteur sait affirmer avec autant de netteté 
que le plus correct des théologiens juifs que chacun est 
responsable de ses actes ; Non est ergo Adam causa, nisi 
animm suae lantam ,- nos vero unusquisqae fuil animae suas 
Adam *. 

Dans ce qu'il dit d'Abraham, un mot, que nous avons 
cité dans notre analyse, a dû frapper, a La Loi, qui 
n'était pas encore écrite, était déjà nommée parmi eux, » 
c'est-à-dire Abraham et ses fils. On suppose que le pa- 
triarche connaissait la Loi. Idée souvent formulée dans la 
théologie rabbinique. R. Lévi disait que le père des 

' Apoc. Banichi, 54, 19 ; cf. Si, IS ; 56, 6-li. Les théologiens juifs 
ODt très nettement maintenu le libre arbitre. Voyez le chapitre très 
important que M. Ferd. Webcr consacre îi ce sujet dans son Manuel 
p. SÏ3. Je n'insiste pas sur des points que j'espère avoir suffisamment 
mis en lumière dans l'analyse de l'apocalypse précédente. La vérité est 
que notre auteur montre une plus grande précision qu'aucun autre dans 
ses formules t.hcologiques. Voyez les quehjues remarques si justes de 
M. Schiirer, uuvr. cité, seconde partie, p. ftiâ. 



croyants avait appris de lui-même la Thora. K. Schimâî 
disait de son côté que ses reius étaient deux sources d'ià 
jaillissait la Loi. Dans les écoles on a fini par se représ 
ter Abraham sous les traits d'un vénéi'able rabbin* 

Rien de plus signiiicatirque le passage où il est q 
tion (le la promulgation de la Loi au Sinaï. Tout y ï 
pelle d'une manière frappante les conceptions de la tb< 
logie juive sur la même matière. II est à peine uécosse 
do dire que te rrôit biblique est entièrement transforffl 
Voici cette page curieuse : t En ce temps-là, la lampe i 
la Loi éternelle brilla devant tous ceux, qui étaient a 
dans les ténèbres. Elle devait .innoncor aux fidèles lap 
messe de leur récompense. Aux méchants était rése 
le tourment du feu*. En ce temps-là, les deux se retipj 
rent de leur lieu et ceux qui étaient sous le trône s'é 
rent lorsque MoTse pénétra parmi eux ^. Car Dieu , 
révéla les ordonnances de la Loi, la fin des temps, i 
foule de choses. Il lui montra la ressemblance de SioQ.,^ 
ses mesures qui devaient servir de modèle pour le saq 
tuaire de ce temps-là. Il lui fit voir les dimensions du i 
les profondeurs de l'abîme, le poids des vents, 
des gouttes de pluie, la force de la colère, Tabondaflce ^ 
la compassion, la fermeté du jugement, la racine defl 

■ F. Weber, Altsyn. theol., p. Ï53, 257, 358. 

* Rien n'éclairch, mieux la texte que nous traduisons que les p 
des Irailj^ Pesikta, Meckilta, etc., indiqués par M. Weber, i 
p. Sfl à 59. L'écriture ensei^e que le Saint a jirésentii la Loi à tousfl 
peuples. Us ne l'acceptèrent pas jnsqu'â ce qu'Israël viul qui l'ai 
etc. Les credentes du texte, sout les Israélites qui out accueilli la L 
les ineredali soûl les païens qui l'ont reixtussée. 

^ Voici le véritable commentaire de cette phrase que le récit de la u 
nâse ne saurait expliquer : lorsque Moïse monta sur la montagne, 
an^es, jaloux d'Israël, se précipilèrent sur lui.... Schemolh rabba, ù. 
citÉ par M. Fcrd. Weber, aaur. cité, p. 350. 



, les richesses de l'intelligence, li^s sources de la 
science, la hauteur de l'air, l'immensité du paradis, la 
fin des siècles, le commencement du jour du jugement, le 
nombre des offrandes, les contrées qui n'existaient pas 
encore, l'entrée de l'enfer, le séjour des damnés, le lieu 
de la fidélité, l'endroit de l'espérance, l'image des tour- 
ments à venir, la multitude innombrable des anges, la 
force du feu, la lueur des éclairs, le bruit du tonnerre, la 
hiérarchie des anges, les dépôts de la lumière, les change- 
ments des saisons et les interprétations de la Loi^ » 

Les règnes de David et de Salomon que fa tradition rab- 
binique ne séparait pas passaient pour une sorte d'âge d'or 
que les temps messianiques renouvelleraient^. C'est abso- 
lument de cette façon que notre auteur envisage ces deux 
règnes qu'il ne distingue pas davantage. Il faudrait citer 
tout le chapitre LXP, • Comme ses habitants ne commet- 
taient point de péchés, la terre Sainte surpassait en gloire 
tous les autres pays. » 

Tout ce que notre apocalypse dit d'Ezéchias et de la 
défaite de Sanchérib rappelle, trait pour trait, la tradition 
rabbinique. Celle-ci exaltait ce roi au point de dire qu'il 
« avait compté tous ses membres et montré qu'il n'avait 
péché avec aucun. » Que dit notre auteur? Tune confisus 
est Ezechias in operibus suis et speravil m justilia sua'^. 

Impossible de rien comprendre i ce que notre Vision 



' On peul rapprocher ce passage curieux, où l'on a remarqué le mé- 
lange (le notions abstrailes et d'objets concrets, des portions de l'apoca- 
lypse d'Enoch où le monde supra-sensible est dépeint. 

' Ferd. Weber, oavr. cité, p. 368, 367, 

» Ferd. Weber, oaur. cité, p. 224 ; traité Beracholh, aSb, cîlé par 
M. Weber, p. 341. Le récit de la destruction miraculeuse de Sanchérib 
a des aiiijilificiitions qui sentent leur rabbinïsme. 



k 



dit de ManassG si Ton no lionl pas compte des traditioi 
rabbioiques relatives à ce roi. Les théologieDs juifs ne s'a 
cordaient pas sur le sort que Dieu réservait à Manasa 
Les uns disaient qu'il (inirait par obtenir la félicité étet 
nelle. Les autres le faisaient impiloyaltlement damner. Notn 
auteur semLle avoir voulu concilier les deux opinions e 
supposant que Dieu délivra le roi impie d'une mort afTreu^ 
mais seulement pour un temps nafin qu'il .sût désorm 
par qui il devait être tourmente à la fin '. a 

Ces exemples suffisent, sans doute, pour montrer à q 
point notre apocalypse est saturée de la théologie rabbiniqi 
On la reconnaît aussi bien dans les détails que dans Te 
prît général. En cela la Vision de la Nuée se dislingue net 
tement des apocalypses populaires. C'est pourquoi noaj 
croyons pouvoir affirmer, en toute sécurité, que notre an 
leur a fréquenté les écoles des docteurs de la Loi. 

A quelle date notre apocalypse a-t-elle été composéfel 
Au cours de notre analyse nous avons donné la tradui 
tion du seul passage qui fournisse des clartés sur < 
point. Après avoir mentionné la restauration du saura 
tuaire et le regain de gloire partielle qui s'y ratlachi 
l'auteur résume toute la période suivante jusqu'aux temj|| 
messianiques en une seule phrase : sed erit posl hœe, 
ruina gentlutn multarum. A quoi fait-il allusion ? I 
doute à la conquête romaine. C'est encore bien vagad 
Une indication plus précise semble ressortir de ce doul 
fait ; d'abord l'auteur ne mentionne aucunement la des 
truction de la ville Sainte en 70, ensuite il suppose que l 
terre Sainte protégera ses habitants. Il n'eût pas dit ceU 



1 Ferd. Webcr, o 



cité. p. ; 




s'il avait assisté aux événempnls do l'annôo funeste, 
nous paraît donc probable que notre auteur a vécu avant 
la catastrophe de Tan 70. Nous ne pouvons rien affirmer 
de plus précis. Ce qui importe davantage, c'est qu'on ne 
peut pas lui contester sa qualité de rabbtn. A ce titre il 
sert à nous faire connaître les doctrines que l'on profes- 
sait déjA au premier siècle de notre ère dans les écoles 
juives de la Palestine. 




CHAPITRE ni 

l'aPOGALÏPTUJUK XnANSCENDANTE, 

1! nous reste à étudier deux apocalypses qui se distin- 
guent de toutes les autres par le môme trait fondameo- 
tal. Le monde invisible y joue un rôle prépondérant. A 
côté des grands événements qui constituent l'eschatologie 
traditionnelle, les auteurs de ces deux écrits ont la vision 
d'un ordre de choses qui, quoiqu'il tienne encore au nôtre 
par certains côtés, est cependant d'une autre nature. H 
est essentiellement transcendant. Il s'agira d'en lixer les 
limites et l'étendue, car, nous le verrons, il ne se confine 
pas dans l'avenir ; il envahit le présent ; il sera et il est 
tout ensemble. Cette conception d'un monde supra-sensi- 
ble, si éloignée de l'ancien hébraïsme, commune aux deux 
écrits dont il va être question dans ce chapitre, n'est pas 
complètement étrangère à la théologie juive. On en re- 
trouve même les traces et les germes jusque dans l'apoca- 
lyptique populaire. 

Nous n'insistons pas davantage sur l'importance de nos 
deux écrits. Elle justifie l'élude détaillée que nous allons 
essayer d'en faire. 

C'est encore la compilation qui porte le nom do Baruch 




(jui nous tniirDira l'uno do ces apocalypses'. Nous lui don- 
noDS le titre d'Assomption de Baruch que nous justifions 
ailleurs. Elle commence par uue prière. Les idées de la 
grandeur inflnie, de la sagesse incommensurable et de la 
toute-puissance de Dieu la rempli-sscnt et s'expriment dans 
un langage qui n'est pas sans élévation. L'aveu de la peti- 
tesse, de la bassesse, du néant de l'homme rehausse en- 
core le prix de l'adoration. Baruch supplie Dieu d'avoir 
compassion de son peuple. Il a bon espoir d'être exaucé. 
« Ne possédons-nous pas ta Loi ? Nous ne pouvons man- 
quer d'être toujours heureux , puisque nous ne nous 
sommes pas mêlés aux gentils. La Loi qui est parmi 
nous, nous viendra en aide. » 

N'est-ce pas là le ton cl le langage des rabbins après la 
catastrophe de 70? Leur seul espoir fut désormais la Loi, 
lex quae est inter nos et sapiehtia excellms qme est in nobis. 

C'est Dieu qui répond à Baruch*. On aperçoit aisément, 
dès les premiers mots, qu'il y a uoe lacune ou une confu- 
sion dans le texte. Baruch avait demandé à Dieu d'avoir 
compassion de son peuple. Dieu, tout en disant qu'il va 
lui répondre, l'entretient d'abord du sort des impies et 
passe ensuite à l'eschatologie^. Dans ce qui en est dit ici, 
l'auteur ne s'écarte pas encore de la tradition. La voix 



I Apnc. Barachi, chap. iS à Bï, 7; il à 43, 2; 76, t-i. 

' Dieu ou une voix téleste. Ceci n'est pas spécifié dans nos fragiuenls, 
soit qu'il en ail été ainsi dans le texte primitif, soit que le passage où le 
personnage céleste était nommé, ait été supprimé. 

' On est tenté d'intercaler ici le fraginenl il, 3 sq. soit en entier 
soil en partie. Il contient justement les idées qui motivent la réponse qui 
est donnée dans 48, 97 à 39 et qui ne s'applique pas k ce qui pré- 
cède dans le lexle. Il y aurait, nnlurclieinenl, à éliminer les retouches 
dont le compilateur ou tel lecteur inconnu est roanifestcment respon- 
sable. 



L 




divini? ômimère les signes préciirsciirs do la fin des Icmps J 
On sera pris à l 'improviste. Nescient quia appropinquavit jt^ 
dicium meum. Les rumeurs étranges, les apparitions, léj 
impostures, les prédictions vraies ou fausses foisonna 
ront. Ce sera un temps d'anarchie, de décadence et c 
folie. Puis les guerres, les hostililés surviendront. EuQd I 
(lamme dévorera les méchants qui ont méprisé les statuts 
de Dieu. Veniet enim judex et non Imdabît. Pas d'excuse^J^ 
car tous les habitants de la terre savaient qu'ils faisaient 
le mal et s'ils ont ignor-é la Loi, c'est leur*orgueil qui 
en a éloignés'. Baruch s'émeut à la pensée de taot ( 
pécheurs condamnés à périr : quid fecisli Adam omnitn 
qui a te geniti sunt ! Il se console, cependant, en songeeinfl 
à la gloire qui est réservée aux justes. Une autre questi<« 
le préoccupe. Quelle sera la forme. la figure, l'aspect d 
ceux qui verront le jour de l'Eternel ? 

Ici l'auteur développe une conception que nous n'avon; 
pas encore rencontrée. 

La résurrection des morts doit précéder immédiatement 
le dernier jugement. Les morts ressuscitent tels qu'îlâ 
étaient. Rien n'est encore changé en eux. De cette manièM 
les vivants reconnaftront ceux qu'ils ont vu mourir. On nel 
doutera plus de la résurrection. 

Ce premier état, cependant, n'est que provisoire. Aussî-^ 
tôt après le jugement, un merveilleux changement se faàU 
chez les ressuscites. Les méchants deviennent de plus ea 
plus laids, affreux, repoussants. Les justes, au contrairt 
s'emliellissenl. Une gloire dont i'éclat augmente sans cess 
les enveloppe, « L'aspect de leur face se changera en uatf^ 



e allusion A l'idée que la promuIgHlioD de la Loi a A 
ausKi liie» qu''à Israël. Voyez p. 91, nulu 2. 



— 9!) — 
lumincijso lioaiid'- afin qu'ils puissent posséder Ip monde 
qui De meurt pas. » Ceux-ci revêtiront la splendeur des 
anges, les autres deviendront des Tantomcs hideux ; ils 
s'étioleront et se consumeront au point de ne plus être 
que des apparences, des spectres, des images : commuta- 
bunCur isli et illi, isti în splendorem angelormn et illi ad slu- 
porem visionum el ad visum imaginum tnaxîme tabescent. 

Il s'agit donc, dans la pensée de notre théologien, d'une 
transformation de l'être lui-mt^me. Le corps se dépouille, 
en quelque sorte, de son opacité. Il devient lumineux. Sa 
substance se métamorphose en lumière. II devient ainsi 
pareil à celui des anges. D'après la théologie juive, les 
anges ont un corps de llamme. C'est de la lumière qu'ils 
tirent leur origine et qu'ils se sustentent'. En somme, 
d'après notre auteur, le corps céleste c'est toujours l'an- 
cien corps mais épuré, débarrassé de ce qui l'alourdit et 
l'épaissit. La matière qui le compose est la plus légère, 
volatile, impalpable qui se puisse concevoir. 

Dépouillés ainsi des parties périssables de leur corps, 
le^ justes deviennent sensibles à un ordre de choses qui 
leur était inconnu. « Car ils verront le monde qui leur est 
maintenant invisible ; ils verront le siècle qui leur est main- 
tenant celé. Le temps ne leur apportera plus la vieillesse. 
Car ils habiteront sur les sommets de ce monde-là. II se- 
ront pareils aux anges; ils auront l'éclat des astres ; ils 
prendront toutes les formes qu'ils voudront. Leur beauté 
deviendra plus exquise ; la lumière qui est leur être se 
rapprochera de la gloire divine. Car toute l'étendue du 
paradis se déploiera devant eux. Ils verront l'imposante 



I Ftrd. \\'i;i)er, .IZ/syn. Tlifl)/., j). ) 



i 



I 

J 



beaulé des ôfros qui sont sous lo Irône'. Toutes les armées 
des anges que ma parole contient maintenant et qui sont 
forcés, par mon commandement, de rester en leur place 
jusqu'à ce que l'heure de leur avi^nement vienne, leur 
apparaîtront, etc. *. o 

Notre apocalypse se terminait, sans doute, par Tassomp- 
tion de Baruch. Le compilateur, voulant insérer un autre 
fragment d'apocalypse dans son recueil. Ta rejetée jus- 
qu'au 76* chapitre. C'est là du moins ce que nous suppo- 
sons. Baruch reçoit l'ordre de gravir une montagne, d'em- 
brasser d'un regard la terre. Il lui est annoncé que son 
assomption aura lieu dans quarante jours. 

On le voit, cette apocalypse nous introduit dans un ordre 
de conceptions très différentes de celles que l'on rencontre 
dans l'apocalyptique populaire. Colle-ci a une tendance mar- 
quée à matérialiser l'eschatologie. L'imagination liébraïque 
elle-même ne sort guère des horizons terrestres. La plu- 
pari de nos auteurs ne semblent rien imaginer au delà du 
triomphe et du régne du Messie à Jérusalem, On dirait 
qu'instinctivement ils répugnent à toute spéculation qui les 
porterait en dehors du monde concret. Ceux qui parlent 
de la résurrection et d'une félicité céleste autre que les 
joies du règne messianique n'y insistent guère. Ils sont 
loin d'y attacher l'importance que ces sortes de doctrines 
ont toujours eue au sein des races aryennes. Voilà re que 
nous avons dtyà constaté, à plus d'une reprise, ;tu cours 
de ce travail. 



' Les Chajjoth, idem, p. 164. 

' Comment ne pas araiger nux oâiptra èjroupâïia île SninI Psiil, 1 Cor. 
XVj 40 î La SoÇa n'en constilue-t-elle pas l'élément easeotiel, Ih suba- 




— 101 — 

Il y avait donc une lacuoc énorme dans les conœplions 
juives do t'au delà. Une luxuriante eschatologie ne doit 
|ias Taire illusion ni dissimuler ce qui leur manquait. Doux 
ou trois affirmations telles que le règne messianique, la 
résurrection, le jugement dernier étaient admises par tout 
le monde. On n'était pas arrivé à les coordonner dans un 
ordre bien déterminé. Encore moins était-on parvenu à 
en tirer une conception quelconque de cet inconnu qui de- 
vait nécessairement succéder aux temps messianiques. 

Voilà la lacune que notre auteur devait aider à combler. 

Dans le fragment qu'il nous a laissé, il ne spécule que 
sur la nature du corps ressuscité. Mais quel est le fond 
de sa pensée ? Quelle est l'idée qui le pousse, à son insu, 
à élaborer la conception du corps ressuscité que nous 
avons exposée? C'est qu'il pense que le corps céleste doit 
être approprié à sa nouvelle demeure. Il est bien clair qne 
noire théologien a déjà dans l'esprit une notion quelcon- 
que de cet au delà inconnu dont l'imagination populaire se 
préoccupait si peu. Il ne serait peut-être pas difUcile ile 
tirer de certaines de ses expressions une ébauche de cette 
notion qui ne serait pas sans intérêt. Qu'il suffise de dire 
que par sa conception du corps ressuscité, notre auteur in- 
troduit un nouvel élément dans l'apocalyptique. C'est dans 
Papocalypse de Sulathiel que nous verrons cet élément 
prendre une importance capitale. 

On comprend aisément que, lorsque la destruction de 
Jérusalem en 70 et les dernières convulsions qui eurent 
lieu sous Trajan eurent anéanti les rêves du messianisme 
populaire et politique, l'eschatologie ait pu se spiritualiser. 
On conçoit que certaines âmes aient cherché les compen- 
sations du présent dans des conceptions plus raffinées et 



r 



— iO'J -- 

plus itk'ales de l'avenir. iNous le verrons, elles n'ont caM 
qu'à développer cerlaina germes d'idées qui se trouvaienfl 
enfouis dans la théologie juive et qu'elles ont été s 
à faire fructifier. 

Ce que nous venons de dire préjuge la question de l^ 
date de noire apocalypse, L'Assomption de Baruch vit Iff 
jour, sans doute, vers la fin du premier siècle, en tout cas^ 
après l'an 70. Hâtons-nous d'ajouter qu'en dehors d^ 
présomptions générales que nous venons de formuler, 1 
texte lui-même ne nous fournit aucune indication sur Vé 
poque de sa composition. Les paroles qui terminent l'oraî^ 
son de Baruch au chapitre 48^ supposent la destructioffi 
de Jérusalem et lamine des espérances du parti national;] 
Lorsque le Voyant affirme que taol que la Loi resterai 
Israël ne tombera pas, n'exprime-t-il pas la pensée mêm 
qui devint l'âme du judaïsme rabbinique et la sauvegardât 
d'Israël A travers tant d'orages? Ne tentons pas de pr^l 
ciser davantage. 

La seule doctrine «o peu nette qui se dégage de i'éci^l 
que nous venons d'étudier est celle de la résurrectiottl 
des corps. Par une sorte de métamorphose mystérieutseï 
ceux-ci s'adaptent et s'assimilent aux conditions i 
tielles du monde céleste. On sent que cette doctriin 
implique une conception particulière du monde supra.-^ 
sensible'. Par bonheur nous possédons une apocalypse-1 



' Que le ledeur veuille bien oe pns idcnliSer, d'eiiibl(;e, les deu±,l 
mondes dont il est question ici avec le xfKTjioc mohnài et le majia; vmns 
de la philosophie plalonicienne ou philooienDc. On verra plus loin qu'il 
ne s'agit que d'une analogie apparente plutôt que réelle, de forme et 
non de fond. Les termes dont nous nous servons trompent. U faut se 
souvenir que nous exposons des notions esse ni ie lie ment sémitiques, 
1res difficiles à exprimer dans nos langues d'origine gréco-r 




— 103 — 
juive où les notions qui; Ton ne fait qu'ealrcvoir dans 
l'Assomption de Uaruck se treuvent développées, précisées, 
approfondies. Elles en constituent le fond même. De là 
rintérôt particulier qui s'attacbe à cette apocalypse '. 

Dans la trentième année après la ruine de Jérusalem 
Salatiiîel qui est en exil à Uabylone raconte qu'il a eu des 
songes qui l'ont profondément troublé. Un ange lui est 
apparu qui lui a donné l'ordre de jeûner pendant sept 
jours*. Ce temps écoulé, Salatliiel est en proie à une grande 
agitation. 1^ pensée des malheurs de Sion et de la pros- 
périté de Babylone Tobsède. Un doute crue! le saisit. Il 
l'exhale en une prière. Depuis qu'il est à Babylone, a-t-il 
vu que les vainqueurs fussent moins pervers que les 



' Liber Esdr. IV. Cette apocalypse se compose des quaire premièrca 
viniona sauf les passaiçeB qui conslifuenl l'écrit qui porlail le nom d'Ea- 
dras avant d'avoir élé combiné avec ceLe-ci. Voyez p. 38 noie. Nous 
pensons que notre upocalyj)Si5 portail en tête le nom de SalnthîH et (|ue 
c'est le compilateur qui lui a donné comme à la compilation entière le 
litre d'apocalypse d'Esdras. M. Kabisch (oaur. cilé, p. 7 à 10) nous parait 
l'avoir démontré. Il fait observer avec justesse que, si le nom d'Esdms 
s'était trouvé dans le texte primitif (III, i), l'auteur aurait éci-it Esdras qui 
et Salathiel, s'il avait tenu k [nentionncr le nom de Salalhiel, et non 
Salaihiel qui et Esdras. Pourquoi désigner un homme aussi connu 
qu'Esdras par un nom toul à fait obscur? Qai et Esdras c'est une de 
c«s retouches que l'on reconnail sans peine. Remarquez aussi la contra- 
diction i]ue f^t naître dans le texte cette malheureuse phrase explicative. 
Ck)mmcnt Esdras aurait-il pu être k Babylone 30 ans après la ruine de 
Jérusalem ? L'auleur se serait trompé de cent ans. Enfin rien dans la 
situation qu'il suppose, rien de ce qu'il dit de son héros ne convient k 
Esdras. C'est pourquoi nous appellerons celte apocalypse, apocalypse 
de Salathiel. 

* M. Kabisch pense qu'il y a ici une lacune dans le texte. L'auleur 
mentionnait en cet endroit an premier jeûne de sept jours ordonné par 
l'an^. En elfel, on lit au commencement de la troisième vision cette 
phrase; n et similiter jejunavi septem diebus ut supplcam 1res kebdo- 
madas quae dicUe sunt mihi. n Or, d'après le texte en sa forme actuelle, 
Salathiel n'a jeûné jusqu'ici que deux fois. La conjecture de M. Kabisch 
parait donc l'ondée. 



— 104 — 

vaincus ? Bien au roniraire. [K-.s lors pourquoi les impid 
ofipr'imonl-ils Israël? Quel est (loue le peuple qui a observa 
les préceptes de Dieu comme Jacob ! 

« Tu as cru compreoilre la voie du Très-Haul, n lui di^ 
Vaage et il lui prouve qu'il lui est impossible de coucevoii^ 
UQ ordre de choses qui le dépasse. Citons des paroles qi^ 
méritent d'être attentivement examinrés. « Comment;^ 
dit l'ange Uriel, ton vaisseau ptmrrait-il contenir la i 
du Très-Haut car celle-ci a pour sphère un domaine i 
sissable et celui qui, étant corruptible, appartient à ui^ 
siècle corruptible est hors d'état de connaftre la voie c 
rincprruptible. » Quomodo potent ms tuumcapere Altissim 
niam? Un peu plus loin l'ange ajoute, « ceux qui habiteoj 
sur la terre no peuvent comprendre que les choses qt^ 
sont sur la terre, de même que les habitants des cieujd 
ne conçoivent que les choses qui sont sur les bauteun 
célestes*. » 

Ainsi, dans la pensée de notre auteur, il existe A%ya^ 
domaines opposés, deux sphères contraires des chose 
deux mondes. L'un est celui oii se meut le Voyant, l'autre 
lui échappe ; il ne peut ni le connaître ni le concevoir- 
monde céleste n'est pas seulement supérieur au monda 
terrestre, il est d'autre substance. Il y a antinomie. 

Dans quels rapports sont ces deux mondes ? On ne dM 
pas se les représenter comme, en quelque sorte, sup* 
posés l'un à l'autre. Ils se suivent dans le temps pIuK) 
qu'ils ne se superposent dans l'espace. L'un c'est le moodi 
visible et présent, l'autre c'est le monde à venir. L'ù 



' IV, tl, SI. Cf. ch. rV, Î3: înlerrotfare de saperioribas o 
rappelle le langage de Paul aux Colossiens (111, i) rà ôvu fpoviitt {di n 



— ior, — 
c'est l'ai'M oÛTos, l'autre c'i-.sl VaiMv hutvaç. Tuul k^ monde 
distinguait entre le Olàm htihbâ et le Olâm bazeh. Noire 
auteur a accentué cette distinction. Les deux siècles ne 
sont pas séparés par l'ordre de leur succession seulement ; 
ils le sont encore par four nature. 

Notre analyse de la notion du monde invisible qui est 
au fond de toute cette apocalypse n'est pas encore complète. 
Pour notre auteur, comme pour tout juif, le siècle qu'il 
rêvait fut d'abord dans l'avenir. Il en arriva à le concevoir 
autrement que la plupart de ses compatriotes. Il lui 
apparut comme étant d'une nature particulière. Aussitôt 
cette nouvelle notion du monde céleste s'étendit et s'élargit. 
Insensiblement le monde invisible envahit le présent. Le 
siècle qui ne sera définitif que dans un avenir déterminé 
est censé déjà exister. Entrevu, d'abord, comme réalité 
prochaine, il a projeté en arrière, jusque dans le passé, 
sa lumière, de sorte qu'il n'est pas seulement en avant 
d'Israël mais que déjà il plane sur sa tête quoiqu'il lui soit 
caché. C'est ainsi que le Voyant en obtiendra une vue 
anticipée quoiqu'il soit encore éloigné du moment où doit 
apparaître aux yeux de tous le monde céleste. 

Telle est la' genèse d'une conception dont V Assomption 
de liaruch nous a déjà donné le germe. On le voit, elle 
procède de la notion populaire qui distinguait entre le 
siècle présent et le siècle à venir. Elle aboutit à la con- 
ception d'un monde supra-sensible qui existe déjà mais 
qui ne sera révélé qu'au temps marqué de Dieu '. 



' Nous n'avons exposé de celle notion que ce qui 
telli^nt^c de nuire ajioculypsc. Nous discuterons dans une autre partie 
de ce travail lu nature /larficuliriv de ce monde supra-sensible înia^né 



— 100 — 

]| nous reste encoru nu puml iiinioi-liinl à mettre en 
lumière avant de reprendre l'analyse de notre apocalypse. 

Qttomodo vas tuam capere pokrit viam Altissimi, a dit 
l'ange à Salathiel. Dans la pensée de notre auteur rhomme 
mortel est impuissant à saisir les choses célestes. Sa nature 
même l'en empêche. En son état actuel, il n'arrivera 
jamais à connaître le monde invisible. Quelle est donc 
la nature de cette impuissance qui, d'après notre auteur, 
borne la vue de Thomme aux horizons terrestres ? Un 
passage très curielix de notre apocalypse nous l'apprendra. 
a Ce siècle-ci ne peut supporter les choses qui ont été 
promises car il est plein de tristesse et d'infirmités. Si 
donc ce qui a été semé n'est pas arraché et si le lieu 
même où le mal a été semé ne disparaît pas, celui où le 
bien a été semé ne viendra pas. Car un grain de mauvaise 
semence a été implanté dans le cœur d'Adam et que d'im- 
piété il a fait germer et fera germer jusqu'à la moisson ' I » 
Il est clair que ce n'est pas d'une incapacité intellectuelle 
qu'il s'agit dans la pensée de notre auteur. Ce n'est pas 
parce que son intelligence n'est pas assez exercée à la vue 
des entités éternelles que l'homme ne les saisit pas. La 
cause de son impuissance est d'un tout autre ordre. Si 
l'homme ne peut comprendre les mystères du monde 
céleste, c'est parce qu'il est sujet à la corruption. Non 
potest corruptibilis , dit l'ange , in saeculo corruptihUi 
cognoscere viam incorruplibilis. Faut-il nous contenter de 
cette affirmation un peu vague ? Nous ne le pensons pas. 
Le passage dont nous venons de donner la traduction va 
nous livrer le vrai sens de celte affirmation. Mais que 

' Lib. Esdr. quarlas IV, 27-31. Consultez l'cxcollenlc traduction 
grecque de M. Hilgcnfeld et les variantes syriaques, etc. 




\ 



— 107 - 
d'éiiigmos dans ce passage? Qu'est-co ((ue cette mauvaise 
semence qui a germé itaus le cœur d'Adam ? Voilà l'obs- 
tacle qui s'oppose à la révélation du siècle à venir. C'est 
cette mauvaise semence, en outre, qui empoche l'homme 
de concevoir les choses supérieures. 

Fort heureusement la théologie juive nous procure 
la lumière sans laquelle ce passage resterait parfaitement 
inintelligible. Elle enseignait que l'homme naît avec une 
inclination qui le porte au mal. Ce qu'il y a de particulier, 
c'est que cette inclination est essentiellement physique. 
Elle a son sièpe dans la chair. Sans se confondre avec 
l'instinct de procréation, elle lui est étroitement appa- 
rentée. Les rabbins l'appelaient jeser kara. C'est la source 
de tout le mal qui se produit chez l'homme, pensées et 
sentiments mauvais aussi bien que vices physiques. Jamais 
le jezer hara ne perd sa nature première. C'est un instinct 
charnel dont l'irradiation va jusque dans l'âme. Impuis- 
sant, encore virtuel, avant la chute, cet instinct s'est 
alors éveillé ; il est devenu, par la suite, la cause de tous 
les débordements auxquels les hommes se livrent. Voilà 
ce que noire auteur entend lorsqu'il parle du granum 
seminis tnali seminatum in corde Adam. Ailleurs le Voyant 
s'écrie : « Adam qui portait un cœur mauvais fut le pre- 
mier transgresseur *. » 

Ces éclaircissements, semble-t-il, nous donnent la clé 
de notre apocalypse. Salathiel est impatient de sonder 
les voies de Dieu qui lui paraissent contradictoires. L'ange 
lui fait entendre que ce sont-là des mystères qui appar- 
ticonent à un domaine qui lui échappe. Qu'est-ce donc qui 

' Voyez les thapkn 



L 



arrête Tossor des désirs do Salalliiel ? Lui-mùme, sCifl 
nature tjui [)orte en elle-même le germe corrujjliWe et 
corrompaot, sa chair qui est le siège d'une incHoation 
qui le rend impropre à concevoir les choses divines. Pour 
qu'il en ait seulement uue vue lointaine, il faudra qu'il 
passe par une série d'épreuves et qu'il se dépouille en 
quelque sorte des éléments charnels qui l'enchutnent à la 
terre. Voilà la pensée dont nous allons suivre le dévelop- 
pement à travers cette apocalypse. C'est elle qui feit 
l'unité de ce livre. Les digressions ne manquent pas. Le 
fil de la pensée mère suhit bien des courhes et se replie 
souvent sur lui-même ; elle atteint, cependant, le but et 
alors se déploie tout entière. 

A deux reprises, l'ange a déclaré à Salathiel que son 
impuissance à comprendre les voies de Dieu lui en rendait 
la révélation inutile ; en même temps tout ce qu'il a dit du 
siècle à venir n'a fait qu'augmenter le désir du Voyant de 
soulever le voile. Quand aura lieu l'avènement du siècle in- 
corruptible? L'intervalle qui nous en sépare sera-l-il plus 
court que le temps écoulé depuis le commencement des 
choses ? Les péchés des habitants de la terre empêchent- 
ils peut-être la consommation des temps ? Telles sont les 
questions que Salathiel agite dans la dernière partie de ce 
premier entretien avec l'ange Urîel. Celui-ci lui répète, 
sans cesse, que les temps sont fixés par des lois immuables. 
Il lui dit, par exemple, que le nombre des âmes qui sont 
destinées à naître étant déterminé, la fin des temps ne 
peut avoir lieu que lorsqu'elles auront toutes vécu ici-bas. 

L'ange suspend ici l'entretien et de nouveau ordonne à 
Salathiel de jeûner pendant sept jours. Le retour régulier, 

trois reprises, de ces jeûnes d'égale longueur indique, à 




lui seul, que Pauteur ne les a pas imaginés sans raison. 
Ils symbolisent la pensée dominante de son apocalypse. 
Ce sont des épreuves successives destinées à épurer la 
chair même du Voyant, à la dépouiller de Finclination 
mauvaise, du cor tmilignum, du jezer liara, et à amortir les 
éléments corruptibles qui le rendent inapte aux visions 
célestes'. 

La seconde vision a été conçue sur le môme plan que la 
première. A la fin des sept jours de jeûne, Salathiel « ayant 
reçu de nouveau un esprit d'intelligence » élève la voix et 
se répand en plaintes qui ne dilFèrenl pas des premières. 
Pourquoi Dieu n'a-t-il pas chfllié lui-même son peuple plu- 
tôt que de le livrer aux mains des idolâtres? L'ange lui 
répond en lui redisant qu'il est incapable de pénétrer des 
mystères qui appartiennent à un ordre de choses qui le 
dépasse. Salathiel semble avoir compris, car il s'écrie : « Qui 
peut connaftre ces choses, excepté celui qui n'habite pas 
parmi tes hommes ? Nisi qui cum hominibus haSntatimiem 
non kabet. Ego autem insipiens. Remarquez que chaque nou- 
vel entretien est suivi des mêmes questions et des mêmes 
réponses. L'auteur n'a-t-il pas voulu marquer par là que 
Salathiel n'est pas encore prêt pour les révélations qu'ij 
recevra plus tard ? Les communications de l'ange, en même 
temps que les jeûnes, ont pour but de le préparer à un 
état, tant physique que moral, qui lui permettra de con- 
templer les choses célestes. 

Puis, encore une fois, apparaissent toutes ces questions 
qu'un Juif qui croyait à l'avènement du siècle à venir, 
pouvait se poser et dont plusieurs avaient été déjà soule- 






ileur de la prRmière aixicaljpse de Baruch fail ausB 
à plusieurs reprises. Mais de ipiellc fa^on arhîlraire ! 




— HO — 

vées daos le préccdcnE entretien. Heureux ceux qui vivnmt 
vers la fin du siècle présent, mais qu'adviendra-t-il de ceux 
qui ont vécu avant nous ou de nous-mêmes ? Le siècle 
penche-t-il vers soo déclin ? Par qui Dieu visltera-t-il ses 
créatures ? En d'autres termes, qui sera l'organe dont IJieu 
sft servira pour accomplir la consommation des temps? 
Relevons, en passant, la réponse qui est donnée à cette 
question. C'est Dieu seul qui interviendra dans le drame 
final : finis per me et non per aliuin. Dès lors point de 
Messie. 

Nouvelle suspension de Tentretien. Uriel ordonne pour 
la troisième fois un jeûne de sept jours. Après le jeâne, 
Salathiel éprouve, comme les autres fois, une grande aorl 
goisse. Il prie, il réitère ses plaintes, Dieu n'avait-il pas'' 
créé le siècle pour Israël ? Pourquoi son peuple ne jouit-il 
pas de son héritage dans le siècle ? Uriel apparaît une troi- 
sième fois. Un nouvel entretien commence qui n'c^t pas 
conçu sur un autre plan que les précédents. « Penses-tu. 
dit l'ange, que l'on puisse atteindre au siècle définitif sans 
vaincre de grands obstacles et sans passer par des épreu- 
ves redoutables? Le siècle futur peut se comparer à une 
cité qui ne serait accessible que par un sentier très étroit, 
juste assez large pour le pied d'un homme. Il côtoie d'un 
côté des flammes, de l'autre des eaux profondes, n On a 
reconnu l'idée principale de notre auteur. L'homme ne 
parviendra jamais à contempler, encore moins à posséder, 
le monde céleste sans subir une véritable transformation. 
Le siècle à venir ne se dévoile qu'à celui qui s'éprouve. 

Vient ensuite, comme dans les deux premiers entretiens, 
une série de questions subsidiaires. L'une des j,Tandes 
préoccupations de Salathiel avait été de savoir l'époque de 




- ^\^ — 

l'av^npment des Iftmps nouveaux. Ici il se denuiTiHc quels 
seront ceux qui seront jugés dignes de participer à la féli- 
cité à venir. Il faut avouer qu'en cet endroit l'entretien 
devient extrêmement confus. La suite et Fenchatuement 
des idées ne sont pas bien clairs. Il est vrai que la pensée 
juive ne se distingue pas par la logique. Elle aime à reve- 
nir sur une idée déjà exprimée. Le mouvement qu'elle lui 
imprime, c'est ce balancement rythmique qui constitue le 
parallélisme de la poésie hébraïque. Chaque pas en avant 
suppose un retour partiel en arrière. Ce qui complique en- 
core ce long dialogue qui n'avance pas, c'est qu'il s'y mêle 
très probablement des éléments qui ne sont pas dûs à la 
plume de notre auteur'. 



' Ni M. Schiirer ni M. Kabisch n'admettent (l'interpola lions chrétiennes 
dans la Iroîaième Vision. Il noua est impossible de parla^r complète- 
ment leur senliment. Il nous semble que les remarques de M. Hilg«n- 
feld, qui a jadis défendu l'hypothèse des ioterpolalions chrélienne», coa- 
lienneot encore une certaine part île vérllé {lUessias Judaeorum, prole- 
gomena, p. S2 k Gi). La difficulté consiste en ce qu'il est b. peu près 
i(npossi})Ie de faire le partage entre ce qui e«t authentique el ce qui ne 
l'est pas, par la raison que c«s deux éléments sont si bien enchevêtrés, 
amalg-amés qu'ils sont inséparables. Il est c«rlaîn qu'à toutes les pages 
et au milieu même des passages les plus suspects, on trouve des traces 
d'idées juives. Voyez des phrases comme celles-ci : habes enim Ihesaa- 
ram operum reposiliim apud Alfissiimim [(VI) 50] ou encore: at vin- 
cerenl sensam malam qui fictas fait in eis [(VI) 65; cf. VII, 48; VIII, 
33, etc.]. C'est le jeeer fiara. H y a cependant un trait qui étonne chez 
un Juif. Comment se fail-il qu'il montre tant de sollicitude pour le sort 
non seulement des pécheurs en Israël mais des pécheurs en général? Le 
petit nombre des élus l'épouvanlc. Avouons que c'est là une préoccupa- 
tion absolument étrangère aux écrivains juifs que nous avons étudiés 
jusqu'ici et tout k fait en contradiction avec les sentiments de haine et de 
mépris pour le monde non israélïle qu'ils respirent partout dans leurs 
écrits. Nous pensons donc qu'un chrétien quelconque a reloucbé les 
passages où notre auteur parlait du sort qui attend les transgresseurs 
de la Loi en Israël et qu'il a élargi la question et l'a étendue à tous les 
pécheurs. Nous considérons les passages à tendance universaliste comme 
d'origine chrétienne et nous les éliminons de notre analyse. Ce qui nous 



J 



^H2^ 

Débarrassé des éléments étrangers qui contriljuent 
l'obscurcir, que dit notre texte ? Il qous montre SaJatbiel 
préoccupé du sort des transgresseurs de la Loi en Israël. 
11 les plaint. Après avoir souiïert, avec leurs compatriotes, 
tous les maux du siècle présent, ils ne goûteront pas les 
joies du siècle à venir ! L'ange réplique que Dieu les avait 
éclairés sur les conséquences de leurs actes et qu^ils n'ont 
pas voulu Técouter. Salathiel ne pouvant nier la justice de 
la sentence divine, ose, cependant, pousser plus loin la 
curiosité. I! voudrait savoir ce qu'il adviendra des âmes 
dans l'Intervalle qui doit s'écouler entre la mort et le juge- 
ment dernier. L'ange lui dit que les justes jouiront d'une 
félicité qui se manifestera de sept manières différentes tan- 
dis que les impies seront tourmentés également de sept 
manières. H serait intéressant d'entrer dans le détail de ce 
passage. On relèverait, à chaque ligne, des concordances 
frappantes avec les doctrines de la théologie juive. 

Cependant Salathiel ne peut pas se consoler de la 

L perte d'une partie de son peuple. Il éprouvait le même 
sentiment que ta plupart des rabbins à qui l'on doit la 
Miscknah et le Tatmiid. Ceux-ci s'ingéniaient à imaginer 
des moyens plausibles pour faire rentrer en grâce tous les 
membres de la famille d'IsraéP. Salathiel, à bout d'argu- 
ments, déplore la faute d'Adam, cause et origine de tant 
de maux. 11 n'ose espérer qu'il sera parmi les bienheu- 
reux dont la face aura un éclat qui surpassera celui des 
etc 
aill. 



confirme dans ces conclusions., c'est la constalalion que noua avons faite 
et que chacun peut refaire, que les passages netlenienl uni versa listes ne 
pas les formules Ihéoiogïqucs juives qui abondent partout 
ailleurs. Voir l<" appendice. 

Ferd. Weber, onvr. rite, p. Î80, etc. Toute la Ihéoric rabbioiquc 
a justificalion et de l'e^pialion repose sur cctic idée. 



I 



- H3 — 

étoiles. Sps craintes et sa douleur lui tirent une des plus 
belles prières du livre entier. Que Dieu ait pitié de son 
peuple ! Qu'il ail égard plutôt aux œuvres et aux mérites 
des justes qu'aux transgressions des impies ! Qu'il ait com- 
passion de ceux qui mh haltenl substantiam botwnim operum. 
L'ange le tranquillise en lui rappelant qu'il ne peut sur- 
passer l'amour du Créateur pour sa créature et termine 
l'entretien on lui annonçant qu'il s'est concilié la faveur 
divine par son humilité. Il s'est mis au rang des transgres- 
seurs. Sa place est parmi les élus. De simililius tuis înquire 
ghriam, voilà ce qui lui reste à faire. 

Trois fois Salathiel a subi l'épreuve du jeûne. Un der- 
nier exercice le rendra tout il fait apte à recevoir la 
glorieuse révélation qui doit dissiper les derniers vestiges 
de sa douleur et sceller ses espérances. L'ange lui ordonne 
d'aller dans un champ plein de fleurs où jamais habitation 
humaine n'a été édifiée ; il ne touchera ni vin ni viande ; 
pendant sept jours il se nourrira de fleurs et ne cessera 
de prier. 

Salathiel se rend dans la plaine qui a nom Ârphad. IV 
s'y nourrit de fleurs. 11 se couche sur l'herbe. Sa douleur 
profonde le ressaisit. Il prie. 

Au milieu de ses lamentations, il aperçoit une femme 
tout éplorée. Questionnée par lui, celle-ci répond qu'après 
avoir été trente ans stérile elle a eu un fils et que, le 
jour de ses noces, ce fils est mort. Elle s'est enfuie de la 
ville, elle est venue là pour y mourir. Salathiel, indigné 
que cette femme se laisse absorber par sa douleur plutôt 
que par les malheurs de Sion, la tance sévèrement. 11 lui 
parlait encore lorsqu'il la vit se métamorphoser d'une façon 
merveilleuse. Sa face resplendit, tout à coup, d'un grand 



éclat : ecce faciès ejus fulgebal valde subilo et specie coruscus 
^ebat mus ejus. Ce ne fut plus une femme qu'il eut sous 
les yeux, ce fut une ville. 

Uriel arrive bientôt pour nous donner l'interprétation 
d^une vision aussi étrange. Cette ville qui surgit dans un 
lieu qui lui-même n'a rien de naturel, c'est la Jérusalem 
céleste qui préexiste depuis l'origine des choses. Pendant 
trois mille ans, qui correspondent aux trente ans de la 
vision, elle a été stérile. Cela veut dire que pendant cette 
période aucun signe extérieur n'indiquait l'existence de la 
Jérusalem invisible. Point de sacriûces *. A la fin des trois 
mille ans, Jérusalem est construite et les sacrifices établis. 
La femme n'est plus stérile. Elle a élevé son fils avec une 
peine infinie. Cela rappelle le temps que dura la Jérusalem 
terrestre : kaec erat habitalio in Jsrusakin. Le fils meurt. 
C'est la destruction de la ville Sainte. Mais la Jérusalem 
invisible subsiste toujours. C'est elle que le Très-Haut 
voulait révéler à Salatbiel. « Entre, lui dit l'ange, et 
contemple la splendeur et les vastes dimensions de la 
ville. Vois tout ce que ton regard peut embrasser, écoute 
tout œ que peuvent ouïr tes oreilles. Tu es heureux plus 
que beaucoup d'hommes ; il en est peu que le Très-Haut 
ait favorisés comme toi. » Salatbiel va maintenant contem- 



* On lit dans le texie de Frîlzsche ; b et quoniam dîxit tibi, quia 
sterilîs fuit triginta annia, propler quod craat nnnî eaeculo MMM ([uando 
non eral ia ea adbuc oblatio oblala » {X, &G). Celle lei;on dorme un sens 
absurde. 11 n'a pu être question jusqu'ici que de la Jérusalem céleste, 
l'autre n'ayant été construite qu'après les [rois mille ans. Le pronom eo 
se rapportant donc k la Jérusalem célesle, l'auleur aurait dit ([ue des 
sacrifices n'y avaient pas encore été offeris ! M. Kabisch nous paraît 
avoir très heureusement corrigé le texic en remplaçant le féminin par le 
neutre el en lisant eo au lieu de ea. Le pronom se rapportant alors à 
laeculo, le sens devient parfaitement clair. 



pler lo specfacli? ineffable aurjuel sa longue initiation l'a 
préparé. Logiquement le livie devait finir ici. 

Telle est cette apocalypse qui est, en somme. Tune des 
plus belles que nous ayons étudiées. Nul doute qu'elle 
n'ait été composée après ia destruction de Jérusalem par 
Titus. La donnée fondamentale du livre le suppose. Les 
faiseurs d'apocalypses cherchaient volontiers des analogies 
entre la catastrophe contemporaine et celle qui avait 
englouti la ville Sainte six siècles auparavant. Rien n'ex- 
plique mieux la genèse, le plan et la matière de notre 
apocalypse que la situation des Juifs au lendemain de 70. 
Peut-être môme faut-il supposer qu'elle ne vit le jour 
qu'après la défaite de Bar-Coziba qui anéantit définitive- 
ment les espérances nationales juives. Quoi qu'il en soit, 
cet écrit suppose des lecteurs qui ont perdu l'espoir jus- 
qu'à douter do l'avenir même du peuple élu. L'auteur a 
voulu les consoler et leur donner de solides raisons d'es- 
pérer quand même. 

Comment s'y prend-il ? En transportant la substance 
des rêves qui leur étaient chers dans le monde invisible. 
A la Jérusalem humiliée, abaissée, profanée il oppose la 
Jérusalem céleste. Il exalte celle-ci d'autant plus que celle-là 
est tombée plus bas. Pour bien marquer que la Jérusalem 
à venir échappe aux vicissitudes du siècle présent, il a 
soin de creuser bien profond l'abîmé entre le monde auquel 
elle appartient et celui qui a vu la ruine de la Jérusalem 
terrestre. A cet égard, rien ne pouvait frapper plus vive- 
ment .ses lecteurs que cette longue initiation à laquelle 
il oblige son héros de se soumettre avant qu'il lui soit 
permis de contempler, même en extase, la Jérusalem 
céleste. Tovit est calculé dans ce livre de manière à ins- 



pircr aux compatriotes de l'auteur la conviction que les 
espérances d'Israël reposent sur des fondements désormais 
inébranlables. 

Je ne prétends pas que notre auteur ait conçu son 
dessein d'une manière aussi consciente. Il n'a pas imaginé 
sa Jérusalem transcendante tout exprès pour donner une 
nouvelle assiette aux espérances de sa race comme Platon 
a élaboré sa théorie des idées pour fournir à ses principes 
une base inattaquable. Nous le verrons, les notions d'une 
Jérusalem préexistante et d'un monde invisible et trans- 
cendant ne dataient pas de lui. Il les a prises à son compte 
et les a développées. Où il est original, c'est dans l'appli- 
cation qu'il a faite de ces conceptions. Personne ne s'était 
avisé, du moins d'après ce que l'on sait, d'en tirer un 
argument en faveur de l'espérance juive. 

L'auteur pouvait-il se flatter d'avoir répondu à toutes 
les questions et satisfait tout le monde? il n'avait fait 
qu'éveiller la curiosité. Quand aura lieu l'avènement du 
siècle à venir ? Qu'advîendra-t-il de ceux qui mourront 
avant ce jour ? Sera-ce le Messie qui accomplira ces 
choses? Quel sera le sort des transgresseurs de la Loi? 
Que feront les justes dans ces demeures provisoires qui 
abriteront leurs âmes jusqu'au jour suprême ? Autant 
do questions subsidiaires qui viennent se grouper autour 
de la question capitale qui est au fond de tout cet écrit : 
pourquoi la destruction de la ville Sainte et la ruine du 
peuple élu ? Ne sont-ce pas là les questions que les exilés 
devaient se poser sans cesse et notre apocalypse ne 
s'expliquo-t-elle pas par la situation des Juifs vers la fin 
du premier siècle de notre ère ou le commencement du 
deuxième ? 



— 117 — 

' La not<^ dominante île toute Cfltte apuciilypse se fait en- 
tendre non sans éloquence dans le passage suivant : « Tti 
vois, dit Salattiiel à la femme qui pleure son fils, que 
notre sanctuaire est désert, noti'e autel renversé, notre tem- 
ple détruit. On n'entend plus ni les psaumes ni les hymnes. 
Nous n'avons plus de quoi nous glorifier. La lumière de 
notre lustre est éteinte. On nous a enlevé l'arche du 
témoignage. Il s'en est fallu de peu que le saint nom qu'il 
nous est permis de nommer et qui nous a été confié ne 
fût profané'. Nos hommes libres ont subi l'ignominie; 
nos prêtres ont été livrés au feu ; nos lévites sont allés en 
captivité ; nos vierges ont été violées ; nos femmes ont 
subi les derniers outrages ; nos justes ont été enlevés ; 
nos petits enfants ont péri ; nos jeunes gens ont été 
réduits en esclavage et nos hommes forts à l'impuissance. 
Le comble de nos malheurs, c'est que le sceau de Sion, 
maintenant qu'elle a été privée de sa gloire, a été remis 
aux mains de ceux qui nous haïssent. » Notre apocalypse 
condense et traduit avec force toutes les douleurs, tout le 
désespoir, toutes les craintes, toutes les défaillances de 
cœur qu'un Israélite instruit et versé dans l'élude de la 
Loi, pouvait ressentir lorsque l'humiliation de son peuple 
fut définitivement consommée. Il se détourne des chimères 
lourdement matérialistes qui avaient prévalu jusqu'à ce 
moment et s'élève à des espérances plus spiritualistes. En 
un mot, son apocalypse est une sorte de manifeste d'une 
élite religieuse d'Israël. 

Ceci nous amène à insister sur un dernier point qui est 
d'une grande conséquence. Nous pensons que l'auteur de 
l'apocalypse de Salathiel a dû être, un rabbin. Il est tout 

' Cf. Sirac, M, !7 ; Ps. Sal^ IX, 18. 



i 



J 



118- 

impri'yné du théologie juive. PriîscjiK- à cluiiiitc liyne ( 
son écrit, l'on (lourrail relever des allusions aux doctrioej 
rabbiniques. Quelques traits sultirunt pour marquer cetti 
parentt! d'esprit et d'idées. Elle frappera tous ceux qifl 
liront cette apocalypse. 

Notre auteur a le culte de la Loi. Il a pour elle cette 
vénération, pour ne pas dire cette superstition qui confl^ 
titue l'essence du pharisaïsme, Lex non periit, dit-il, 
permamil m sm honore *. 

Etre docteur de la Loi, c'est être saint, juste, pr( 
parfait. Salathiel prie Dieu de pardonner aux transgrf 
seurs de la Loi en considération de ceux qui spleadid 
legetn docuerunt *. 

On trouverait facilement la plujiart des doctrines i 
rabbinisme formulées ou supposées dans notre apocalypf 
Comme le théologien juif, notre auteur ne voit que 1 
justification par les œuvres, a Les justes, dit-il, qui poi 
sèdent auprès de toi un trésor d'œuvres accumulées, ret 
vront la récompense de leurs propres mérites ^. » 

Toute conception légaliste implique une théorie de I 
liberté humaine, d'autant plus absolue que le principi 
fondamental est appliqué avec plus de rigueur et 
logique. Gomme ses maîtres, notre auteur affirme le libi 
arbitre. C'est par lui qu'il justitie, contre son propre cœufï 
la sentence qui doit frapper ceux de ses compatriotes qi;^ 
auront dédaigné la loi, qui legem fastidieriinl ^ 

Faut-il relever encore d'autres traits qui trahissent, dm 

' IX, 37. 

■ VIII, Î9. 

» Vm, 33, 36, VII, SO ù Î5. 

' vm, sa i/tsi accipientes liberiatem; IX, 



- 119 - 

premier coup, l'origine rabbinique de notre auteur? II 
connaît et formule avec une remarquable précision cette 
notion du jezer hara dont il a été question. On se souvient 
qu'il parle d'un sensm malm qui fictus fuit in eis *. II ne 
peut raconter la création sans donner à son récit une cou- 
leur qui rappelle le judaïsme le plus pur. Il ne peut toucher 
ni à l'anthropologie ni à la sotériologie ni à quelque 
autre ordre d'idées que ce soit sans se rencontrer avec 
les théologiens juifs. Il n*est qu'un seul point où Ton 
serait tenté de croire que l'auteur ait subi une influence 
étrangère. C'est dans ce qui touche aux idées de préexis- 
tence. Nous avons la conviction qu'un examen approfondi 
dissipe entièrement cette première impression et qu'il en 
ressort que notre auteur, ici, autant qu'ailleurs, est resté 
profondément et exclusivement juif. C'est ce que nous 
désirons établir dans les chapitres suivants. 

« (VI), 65 ; m, 21 ; IV, 30. 



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1! 

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DEUXIEME PARTIE 



Lu coiiceptiuii juive dti monde supru-sciisilile. 



La littérature dont nous avons essayé de reconstituer 
l'histoire ne laisse pas d'avoir une importance considéra- 
ble. Il est vrai que les débris qui la composent et qu'il est 
si malaise d'extraire des documents pleins de confusion et 
de désordre dans lesquels on les a noyés, n'ofirent pas de 
grands mérites littéraires. Ils ne témoignent pas moins 
des sentiments et des aspirations du judaïsme intransi- 
geant qui a toujours repoussé les influences étrangères. 
Les rêves et les chimères qui ont hanté l'imagination 
des Juifs ûdèles et qui les ont soutenus, consolés aux 
jours néfastes, s'y expriment avec force et parfois avec 
éloquence. C'est par ce côté-là que les apocalypses nous 
frappent en général. On y voit les documents par excel- 
lence de l'eschatologie juive. 

Il est, cependant, tout un autre côté par lequel elles 
sont peut-être encore plus intéressantes et plus instructi- 
ves. Grâce à elles, nous apprenons à connaître tout un 



i 



1 



- 122 — 
monde de conceptions, paiticulières au judaïsme, qui ont 
pour objet le monde invisible. 

L'hébraTsme a laissé le ciel vide. Jamais il n'a peuplé le 
monde supra-sensible, lahvé seul remplit les sphères su- 
périeures. L'Israélite bfjrnait volontiers sa vue aux hori- 
zons terrestres. L'au delà sans contours arrêtés, tangibles, 
matériels ne disait rien à son imagination. Son génie aussi 
bien que sa religion l'éloignaient de toute conception 
transcendante. 

Voilà le domaine, celui que s'arrogent babituellement le 
rêve et la spéculation métaphysique, où le judaïsme pos- 
térieur à l'exil devait innover le plus profondément et 
trancher le plus fortement sur Thébraïsme des prophètes. 
Ce monde invisible que l'Hébreu avait laissé vide, on de- 
vait le remplir non seulement d'anges que l'on emprunta 
à d'autres religions durant l'exil, mais aussi des figures et 
des imaginations dont il va être question et dont nous nous 
occuperons à l'exclusion des anges. On les voit poin- 
dre, ces fantômes, à moitié abstraits, à moitié concrets, 
dans l'apocalyptique populaire ; on les voit arriver, en 
quelque sorte, à leur maturité et à leur plein épanouisse- 
ment dans les apocalypses du type transcendant. Ces der- 
nières nous montrent le monde invisible ayant pris corps 
dans l'imagination de leurs auteurs ; il est complet; ses 
habitants se prêtent à l'examen ; on en peut saisir la 
nature intime et revivre ainsi au sein des conceptions qui 
alimentaient, à des degrés variables, tes imaginations jui- 
ves au premier siècle de notre ère. Les besoins de l'ana- 
lyse nous obligent de marquer avec précision les phases 
successives de l'évolution mentale que nous venons d'es- 
quisser et que nous allons décrire. Que cette précision ne 






trompe pas le lecteur. Qu'il ne pense pas que nous voulions 
lui donner ici l'imaye de la rcalilé. Les conceptions ne 
se développent pas avec la logique et l'uniformité qu'elles 
revêtent nécessairement dans l'exposé historique que l'on 
en fait. Il est sûr que dans certains milieux l'évolution 
mentale a parcouru toutes ses phases ; dans d'autres elle 
est à peine ébauchée ; ailleurs enfin elle s'est arrêtée tout 
court, à tel ou tel stade de son développement. C'est le 
type parfait, idéal si l'on veut, dont il existait des dévia- 
tions et des variations sans nombre, que nous avons à 
exposer. 



CHAPITRE PREMiEK 



L£S IDKES DE PIIÉRXISTE^CE 



La œnceplion juive du monde supra-seosible est t 
en germe dans l'ajxx'alyptique populaire. Il y a dans cdM 
ci des notions qui l'appellent déjà, implicitement ta ( 
tiennent, logiquement y conduisent. Ce sont les notions i 
préexistence. On attribue à certains personnages une exi 
lence antérieure à leur existence terrestre. On en a f 
autant pour certains objets particulièrement précieux. 

L'une des plus répandues et des plus anciennes, c'est | 
notion de la préexistence du Messie. 11 est hors de dw 
qu'à partirde l'insurrection macchabéenne l'idéed'unMe* 
personnel devint générale. On peut discuter sur le moi 
précis oii cette idée prit corps. On peut se partager sur i 
que l'auteur du livre de Daniel a voulu entendre par 1'^ 
parition a de celui qui était comme un tîls d'homme, i 
ne peut nier que dès le commencement du premier siè( 
avant Jiîsus-Chnst l'idée d'un Messie personnel et unî(}tl 
ne fût déjà formée'. Toutes nos apocalypses en font ( 

De bonne heure, on attribua à ce Messie la préexistena 
Les termes dans lesquels nos auteurs parlent de son appi 

' SchÛrer, ouvr. cité, 3^ partie, pagï 444. Voyez Chant» sibtjl. \ 
' B6i-05G ; Psalin. Salom. .Wll, U 9i\. 



— i25 — 
rition ne laissent pas de doute à cet (-gaifi. Dans l'apoca- 
lypse qui portait le nom d'Esilras avant d'avoir donné son 
titre à tout un recueil, l'auteur, écrivant aux environs de 
l'an 30 avant Jésus-Christ, dit : mon fils sera révélé, reve- 
labitur. Dans l'apocalypse de la Forél qui est un peu plus 
récente, contemporaine peut-être de Caligula, on lit : alors 
sera révélée la royauté de mon Messie, revetabttur. Le 
même terme reparaît dans la première apocalypse qui fait 
partie du recueil de Baruch : lune incipkl revetari Messtas. 
Revelari, voilà le terme consacré. L'usage que l'on en fait 
couramment pour désigner l'avènement du Messie montre 
que c'est là le terme propre et que ce terme a un sens 
particulier qui ne permet pas qu'on lui substitue un syno- 
nyme d'un sens général. Il ne faut pas entendre par là une 
simple manifestation ou présentation du Messie au peuple, 
il s'agit de son passage d'une sphère à l'autre. Revelatur, 
c'est-à-dire, il sort du monde invisible pour entrer dans 
l'existence terrestre'. Peut-être l'auteur de l'^^ssompdoKtfe 
Mme pensait-il à la préexistence du Messie dans les lieux 
célestes lorsqu'il parlait de ce messager qui est in summo 
constitutus ^ . Dans celle des deux apocalypses juives con- 
tenues dans la Hénélation de Jean, qui paraît avoir été com- 
posée vers l'an 68 de notre ère (B), on voit tout à coup 
apparaître le Messie sur une nuée, couronné d'une tiare 
d'or et une faux à la main. Il vient des cieux. C'est l'Homme 
- céleste. Dans l'apocalypse .sœur (A) écrite en l'an 40 de 
notre ère, on nous fait assister, d'abord, à la na'Lssance du 

' Dans le passaçc cité do Vapoc. de Barafh c. 29, la suite établit le 
sens indubitable de revelari. Ce terme esl ici appliqué aux êtres fictifs, 
Behemolh et Lcvîalhan, qui, eux, préenislent cerlainement d'après DOtre 



V 



à 



— 126 — 

Mes^e dans les deux . Puis il csl emporté auprès de E 
iai-mémc. Enfin, au temps marqué, il apparaît. C'est I 
le Messie Iraditionnel dont la parole est une épée in 
chante qui doit exterminer les nations*. 

Voilà des [wssages qui. nous semble-I-il, établissent (\ 
nos auleupii ont cru à la préexistence du Mi>ssic. Le t 
qu'il a passé dans les régions célestes avant de se rév^ 
ici-bas, n'est pas déterminé d'une façon absolue. Chact 
le Hxall au gré de son imagination. Il est probable, ciip 
danl, qu'on en vint bientôt à recaler la naissance 
l'Homme céleste au delà de la création du monde. Plus <| 
faisait de cas de la personne ou de l'objet à qui l'on atti 
buaiL la préexistence, plus on était tenté de lui suppc 
des origines lointaines. 

L'essentiel, c'est que le Messie appartient au moi 
supra-sensible, qu'il y naft et qu'il y séjourne pendant ^ 
temps plus ou moins long. C'est ce que deux autres p 
sages nous disent en termes dont la clarté ne laisse riei 
désirer. Dans l'apocalypse de VHomme qui date de la [ 
mière moitié du siècle qui précède la naissance du Chrid 
on lit : le Messie c'est celui que le Très-Haut conserve Q 
réserve depuis un temps considérable : quem com 
Aitissimus multis temporibus. Dans l'apocalypse de \'Aîgi 
on trouve des expressions analogues : hic est Unclus q 
reservavit AHissimus in finem ad eos ^. 



< Vo^cz les remarques de M. Spitta, oaor. cité, p. 3S3 h 3Si. ! 
nuus permettons de recommander vivement la lecture de ce 
pajE^ <^ui sont un modèle àe saine intcrprélalion et de bonne critiqu 

* 4 Etilrau XIII, 36 , Xll, 3!, vojez la leçon syriaque el la tradaci 
greogue de M Hil^nfeid Elles sont encore plus e^phiile 
également qneslion de la préexistence du Messie dans les Targitm 
dans la Mt^rhntih Vojez le^ passmfes ciliés par M Ferd Weberj ooîl 



Remarquons que ce Messie, quelque pAle el incolore 
qu'il soit, est un personnage réel aussi Lien lorsqu'il pré- 
existe que lorsqu'il apparaît sur la terre. Pas un seul in- 
dice qu'on y ait vu une figure idéaliîqui n'existait que dans 
la pensée divine. Dès qu'il paraît ici-bas, il agit ; c'est un 
terrible exterminateur. Les voyants qui nous font assis- 
ter, en imagination, aux hideux massacres qui signalent 
l'avènement du Messie et qui, en même temps, nous mon- 
trent ce grand exécuteur des hautes œuvres de Dieu che- 
vauchant sur les nues avec l'armée céleste, à coup sûr ne 
distinguaient pas entre le Messie dans le ciel et le Messie 
sur la terre. II ne leur venait pas à l'esprit que l'un fût le 
Messie idéal et l'autre son incarnation. A leurs yeux c'était 
bien le même Messie, et, s'ils croyaient à l'existence réelle 
de l'un, ils ne doutaient pas davantage de la réalité de 
l'autre. Nulle part, en effet, ni dans nos apocalypses po- 
pulaires ni dans celles qui sont issues des écoles phari- 
saïques, nous ne voyons que nos auteurs aient éprouvé la 
moindre difficulté à concevoir le passage du Messie d'une 
existence antérieure dans les cieux à l'existence terrestre. 
La question ne se pose môme pas. Elle leur est parfaite- 
ment étrangère. N'est-ce pas là la preuve qu'ils n'ont 
jamais supposé que le Messie ait eu deux modes d'exis- 
tence absolument opposés, l'une tout abstraite, l'autre 
toute concrète? L'eussent-ils fait, quelque peu philosophes 



cité, p. 339. M. Wcbcr pense qu'il ne s'ajE^it dans ces passag-es que d'une 
préexislence toul idéale. Nous ne croyons pas qu'il l'ail prouvé. Nous 
ne saurions Lrop le répéler, les Juifs qui aonl restés élrangers i\ la disci- 
pline inlellectuelle des écoles grecques n'ont jamais compris la distinc- 
tion du concret et de l'abstrait. Ih ne savent pns ce que c'est qu'une idée 
pure à la Façon des platoniciens. Une préexistence qui ne serait qu'idéale, 
jamais ils n'eussent compris, encore moins imagine cela I 



qu'ils soient, comment n'a» raient-ils pas senti la diCficuIlé 
et comment, pour y échapper, n'auraient-ils pas imaginé 
une incarnation quelconque ? 

Le Messie n'a pas seul le privilège de préexister. L'apo- 
calyptique populaire elle-même attribue une existence 
antérieure à d'autres objets. Ici encore l'examen nous 
conduit aux mêmes résultats. 

Dans la Vision des Bêtes qui est la plus ancienne de nos 
apocalypses, il est dit que la Jérusalem terrestre et son 
temple disparaissent lorsque les temps sont consommés'. 
On nous les montre miraculeusement transportés ailleurs 
et à leur place viennent le temple et ia Jérusalem célestes. 
Il est bien difficile d'expliquer les termes dont se sert 
l'auteur si l'on n'admet pas qu'il ait cru à la préexistence 
de la Jérusalem céleste et si l'on suppose qu'il ail pensé, 
un seul instant, qu'elle n'est entrée dans la réalité concrète 
qu'au moment où elle toucha terre. 

Dans la Vision de l'Homme, la Jérusalem céleste est com- 
parée à une montagne dont on ne peut savoir le lieu d'où 
elle a été taillée. L'auteur explique lui-même sa pensée en 
disant : « Sion viendra et sera manifestée à tous complète 
et construite ; » parala et aedificala'^ . Comment expliquer 
ce passage sans y voir la notion d'une préexistence non 
idéale mais bien réelle ? 

Les apocalypses juives de la Révélation de Jean ne sont 
pas moins explicites. Dans la première (A) la Jérusalem 
céleste est d'abord représentée sous les traits d'une femme. 
Il ne faut pas s'appesantir sur les détails accessoires dont 
l'auteur a chargé sa description. L'essentirl, c'est que la 

' Enoch (S3, 6); 00, ao. 
ï i Esdr. XUr, 7, 36. 



femme préexiste avant trapparaElre sur la terre. Elle sé- 
journe en un lieu déterminé, quelque part entre le ciel et 
la terre. Des anges la nourrissent du pain du ciel. Puis, à 
rheure marquée, elle apparaît, dépouillée de sa forme 
symbolique et elle descend sur la terre, il est certain que, 
dans la pensée de l'auteur, la Jérusalem céleste préexiste 
aussi bien que le Messie. Rien n'indique qu'il n'ait pas cru 
à la réalité, à la matérialité de cette préexistence dans l'un 
et l'autre cas, quelque étrange que cela nous paraisse. 

L'apocalypse sœur (B) est plus explicite encore. Le 
Voyant assiste à la descente sur terre de la Jérusalem 
céleste. C'est une ville toute bâtie, à qui rien ne manque. 
Il est bien clair que l'auteur ne doute pas que les choses 
ne se passent exactement comme il l'imagine, quand 
l'heure sera venue. Quelque part dans les cieux, pense- 
t-il, se trouve la Jérusalem céleste, étincelante d'une 
lumière divine, parée, incrustée d'énormes joyaux. Un 
jour elle remplacera la Jérusalem terrestre'. 

Dans les apocalypses plus savantes dues à des écrivains 
d'école, ces imaginations d'une Jérusalem céleste qui pré- 
existe sont exprimées en termes moins poétiques. Les sym- 
boles disparaissent mais l'idée est la même ; elle ressort 
peut-être d'autant plus clairement. Dans la vision de la 
Nuée, il y a un curieux passage dans lequel on nous mon- 
tre Moïse initié aux secrets de l'univers ^. Parmi tant d'ob- 
jets divers, il voit Sion et ses dimensions. Rien n'indique 
dans le texte que l'auteur veuille dire que Moïse ne con- 



' Voyez encore dans Yapoc. E (i Esdr. VIT, Î6) ces mots: apparebit 
sponsn et npparescens cioitas. 

'* Apoc. Bariichi, 50, 4. Voyez la Iraduclion que nous avons donnée 
de loul ce passflg-c p. "èi. 



temple pas des réalités mais seulement les idées des ch< 
ses qui seront. La Sion qui lui est révélée est tout ai 
réelle que les amas de feu et de pluie qu'il aperçoit, 
la première apocalypse de Baruch, qui est également di 
à un ratibin, l'auteur fait dire au Seigneur que la Jéro! 
lem terrestre n'ost pas celle dont il a dit qu'il l'avait 
vée sur les paumes de ses mains. Celle-ci sera révélée 
jour ; elle a été préparée auprès de Dieu au moment mi 
où il fit le paradis ; il Ta montrée à Adam, à Abraham, 
Moïse. El nunc custodila est aptid me sicut paradisus*. 

L'idée de la préexistence céleste répondait si bien ai 
besoins de la piété juive qu'on l'attribuait volontiers à ti 
les objets qui inspiraient de la vénération. Le paradis 
censé avoir été créé avant même que la terre sortH 
mains du Créateur. On lit dans l'apocalypse de SoJafJ 
cette phrase significative : et induxisti mm inparadiso, qt 
piantaverat dextera tua, an^quam terra adventaret ^. Dai 

le passage de la Vision de la Nuée que nous avons" 

^^I^H en dernier lieu. Moïse voit le paradis, magnitudinem 

^^^^L radisi ^. Notre auteur vraisemblablement se Qgurait 

^^^H le monde invisible est le lieu d'origine du paradis d'où 

^^^B est descendu sur terre pour rentrer ensuite dans l< 

^^^^ft sphères supérieures. 

^^^^1 L'une des imaginations apocalyptiques les plus bizari 

^^^^y c'était que deux monstres, Bchcmoth et Lcviatban, seraii 

l 



Apoc. Baruchi, 4 chap. La conception de la JèrusHlem céleste éi 
courante, Galal. W, S6 ; Hébi'mix. XII, 32 ; Récélaiion de Jean, Api 
chrét. XXII, U. Pour la liltéralure lalmuilique, vDycz Ferd. WebepJ 

r. cilé, p. 386. 

i Apoc. Esdrae, III, fl. 

Apoc. Barachi, H9, 8. D'après le traité Pesacliim Si et Ncdarini^ 
39, le paradis a été créé avant le monde. W'cber, oavi; cité, p. 331). 



— 131 — 
donnés, aux temps messianiques, en nourriture aux élus. 
On Dc manqua pas de leur attribuer la préexistence. On lit 
dans la première apocalypse de Baruch au sujet de ces 
deux monstres : dm celé magna quae creavi die quinto crea- 
lionis et reservavi eos usqae ad illud tempus ', 

On a été jusqu'à attribuer la préexistence aux patriar- 
ches. C'est ce qu'entend, sans doute, Tauleur de VÀs- 
somption de Môise lorsqu'il fait dire à celui-ci : « moi qui 
ai été préparé dès le commencement du monde *. » 

Nous ne saurions trop répéter qu'à notre sens on se 
tromperait entièrement si l'on soutenait que nos auteurs 
n'ont vu que des abstractions dans les êtres ou les objets 
auxquels ils prêtaient la préexistence. Il en est de cette 
notion de la préexistence comme de celle du péché dans 
les épîtres pauliniennes. On a beau vouloir les quintessen- 
cier, les rapprocher de nos conceptions tout abstraites, 
toutes rationnelles, on n'y arrive qu'en les fau.ssant. Au 
fond de toutes ces imaginations juives il y a, si j'ose ainsi 
m'exprimer, un reste dc matérialité qu'il ne faut pas éli- 
miner. Gardons-nous, cependant, ici des formules trop 
nettes et trop précises. Ces notions de préexistence sont 
essentiellement souples, et, pour ainsi dire, contractiles. 
Chaque esprit les distendait ou tes rétrécissait, les matéria- 
lisait ou les spiritualisait selon sa propre nature. Les uns 
concevaient une Jérusalem faite d'une matière plus céleste, 
plus épurée, plus éthérisée, les autres se contentaient d'une 
matière plus grossière. L'essentiel, c'est que l'on se sou- 

' Apoc. Baruchi, 39, 4. Cf. 4 Apac. Esdrae VI, 40 sq., passage 
où il faut lire Behemoth au lieu cie Enoch ; voir p. 84. Voyez aussi les 
passages cilés par Fcrd. Weber, auor. cité, p. SSi. 



L 



p^ 



vienne que ces notions tic prt?exislenci^ supposent toujours 
un fond de matière daos leur objet, quelque sublimée 
qu'ail été cette matière. 

Comment ces conceptions de préexistence se sont-elles 
formées? En d'autres termes, à quelle préoccupation a-l-on 
obéi en attribuant à certains personnages ou à certains 
objets une phase surnaturelle d'existence? A «ne préoccu- J 
pation d'ordre exclusivement religieux. C'est la piété quî] 
a voulu se satisfaire elle-même en élevant les objets qittil 
lui étaient les plus chers, tels que le Messie, la JérusaienJ 
à venir, le Paradis, au-dessus des vicissitudes de Texî 
lence terrestre et en les introduisant dans le monde invin 1 
sible où les rêves peuvent se donner libre carrière et que.j 
l'ancien hébraïsme avait laisse vide. En elTet, pas un s 
de ces objets qui ne relève du domaine de ta religion narl 
tioQAle. Il est des époques où l'esprit humain éprouve le^ 
besoin de construire des abris sûrs et éternels pour le^J 
objets de ses plus chères espérances. Ces abris, chaqae'l 
race les construit selon les lois profondes de son génie. J 
Platon obéissait à àes instincts conservateurs lorsqw 
voyant les notions du juste, du beau, du vrai, mena- 
cées et rendues incertaines par les discussions des sopliis- J 
tes, il les éleva, par une hardiesse de spéculation san^ 1 
précédent, au-dessus de la variabilité des choses et en filJ 
des idées absolues, immuables, éternelles. Mais il était grec, ,< 
Fidèle au génie de sa race, c'est de certitude intellectuelle | 
qu'il était avide. Ce sont des abstraction.s qu'il a voulu ] 
garantir contre tout ce qui pouvait Ie„s ébranler. Encore J 
une fois, ce fut pour garantir des objets d'une toute autre? 
nature que nos Juifs en vinrent à imaginer la notioolj 



— -133 — 
de préexistenci;. C'est l'intérêt religieux qui les y pous- 
sait '. 

Les reman|ues que Ton vient île lire suffisent, peut-être, 
pour expliquer qu'on ait attribué au Messie ou à la nou- 
velle Jérusalem une nature céleste. Mais pourquoi leur 
prêter la préexistence? Nous pensons que c'est dans l'an- 
cien hébraïsme qu'il faut chercher l'origine de celte 
idée, et, si je puis ainsi dire, sa première ébauche. On sait 
quelle est l'importance de l'idée d'élection divine dans 
l'Ancien Testament, Les prophètes ne cessaient de répéter 
qu'Israël est un peuple élu. Quoi de plus naturel que l'on 
étendît l'idée d'élection à tous les objets que l'on vénérait 
et qui paraissaient particulièrement précieux aux yeux du 
Très-Haut ! On sait l'usage que saint Paul a fait de la pré- 
destination. Moïse, avons-nous lu dans le Jivre de son As- 
somption, avait été préparé dès l'origine du monde. Or ne 
l'oublions pas, l'imagination juive répugnait à l'abstraction. 
Quoi de plus naturel qu'elle en vînt à attribuer une pré- 
existence réelle aux êtres que la piété considérait comme 
prédestinés dès l'origine des choses? Ici comme partout le 
judaïsme a exagéré et matérialisé une des plus grandes 
idées religieuses du prophétisme. 

Remarquons, enfin, que ces notions de préexistence ont 
dû être assez répandues. Nous l'avons vu, on les trouve 
dans les apocalypses populaires et non dans les moins an- 



' Schiirer, ouvr. citt, 3» par lit, p. 440. Le chapitre que M. Schùrer 
a consacre, dans son beau livre, au messianisme esl à lire lout 
entier. Qn y trouvera cette justesse et celle sobriété dans les appré- 
ciations qui douncDl une si haul« autorité â tout ce que cet historien a 



J 



cienoes. Ajoutons que partout on en [)ac\i\ comme de 1 
choses connues et familières aux lecteurs. 

On s'étonne sans doute de rencontrer des conceptions i 
qui frisent la métaphysique côte à c^ avec l'eschatologie I 
la plus matérialiste. Ce sont des germes qui ne se sonti 
jamais développés dans l'apocalyptique populaire, mai&J 
nous allons voir, en poursuivant cette étude, le parti quel 
certains de nos écrivains issus des écoles rabbiniquesJ 
surent en tirer. 



LA DEMEL'HE DE DIEC ET LA LUMIERE IIIVINE. 



l 



A côté des idées de préexistence il est un autre groupe 
- de conceptions qui ont également trait au monde supra- 
sensible. Elles ont pour objet Dieu lui-même, sa demeure, 
les êtres dont il s'environne dans les cieux. Ces concep- 
tions nous font pénétrer plus avant dans le monde 
supérieur. Elles nous révèlent l'élément ou la substance 
qui constituait, d'après nos théologiens juifs, à la fois les 
demeures célestes et leurs habitants. Ajoutons qu'elles se 
sont probablement développées à peu près en même 
temps que les idées de préexistence et ont suivi un mou- 
vement parallèle. 

Dans l'hébraïsme. primitif, lahvé avait sa résidence 
habituelle sur les sommets du Sinaï *. Dans le judaïsme 
postérieur à l'exil, tout cela devait se moditier profondé- 
ment. Le ciel devint la demeure du Très-Haut, et on ne 
tarda pas à se faire de celle-ci une notion très précise. 

Dans la principale des apocalypses qu'on a rassemblées 
sous le nom d'Enoch, l'auteur se représente le monde 
invisible comme divisé par des voûtes immenses super- 

' VojcK les premiérea strophes du cantique de Débora, Jii^cs V, I sq. 
puis la théophanie qu'EIie eut en Horeb, I Rois XIX, l-lï. 



^ 

] 




- 130 — 
posées les unes aux autres el formanl ainsi une série'^ 
d'étages'. A l'étage inférieur, c'est-à-dire le plus rappro- 
ché de la terre, sont ces régions si bizarres que parcourt 
le Voyant, accompagné d'un ange. Quoi que ce soit là 
qu'Enoch se tienne pendant le temps qu'il est dans les 
cieux, il lui arrive, cependant, de s'élever aux étages 
supérieurs. Il y va porter, devant Dieu, les prières des 
anges déchus. Il pénètre jusqu'à l'endroit mystérieux où 
siège le Très-Haut. 

Voilà le ciel juif ; des cçrcles concentriques dont Dieu 
occupe et remplit le plus central ou, si l'on veut, une 
gigantesque demeure dont Dieu siège à l'étage le plus ■ 
élevé ou bien encore ud espace immense divisé, découpé, 
délimité par des clôtures qui se succèdent, et derrière la 
dernière et la plus lointaine, est l'Elernel. 

Saint Paul ne concevait pas autrement les demeures 
célestes lorsqu'il parlait de son ravissement eV rpirou 

Dans les Testaments des XII patriarches, se trouve un 
fragment curieux, qui est incontestablement juif et qui 
date de la fin du premier siècle, où les cieux qui se super- 
posent sont dépeints et leur nombre fixé au ebiflre sept^. 

Nous touchons à la littérature rabbinique proprement 
dite. L'une de ses doctrines les plus anciennes et les plus 
formelles, ^t celle des sept cieux dont le plus élevé 
constitue la demeure de Dieu *. Voilà l'habitation céleste 



' Quoique sous ne per 

déjà teinlé d'hellénisme, 

citons csl bien juif. 

' S Gorinth. XII, ï sq 

3 Leoi, cap. 11 cl III. - 



i pas que CRI nc.nl h 
l'meni juif j préiloni 







telle que se la repnisciitail un jniT du lemps de Jésu»- 
Cliriîtl ou de snint Paul. Quelle eu est mainlenanl la 
nature ? De quelle essence en sont faits les babitaats ? 

Disons-le d'avance, rélément constitutif du monde 
supérieur et de tout ce qu'il contîont, c'est de la lumière 
ou plutôt de la matière lumineuse. C'est le rayonnement 
de cette matière sublimée, pour ainsi dire, en lumière qui 
remplit les sphères célestes et en constitue, en quelque 
sorte, la sutstance. Ceci est très sensible dans le passage 
de l'apocalypse d'Enoch que nous avons mentionné en 
dernier lieu'. C'est dans une sphère de llammes que 
pénètre le Voyant lorsqu'il s'approche de Dieu, l^es murs 
et les parois du sanctuaire sont de feu. Le plafond de la 
demeure divine ressemble à la vole lactée. Tout ruisselle 
de lumière. On a la sensation d'être enveloppé d'une 
immense clarté. Ne nous y trompons pas, ce ne sont pas 
là des métaphores ni des symboles. Ce serait se méprendre 
sur la pensée de Fauteur que de voir dans ses descriptions 
un pur jeu de son imagination. C'est de bonne foi qu'il 
croit nous dépeindre les abords de l'endroit inaccessible 
où se trouve Dieu. Sans doute cette lumière surnaturelle 
qui resplendit sur les sommets de l'Univers n'est pas la 
faible clarté du soleil. Seul Enoch a le privilège de la 
percevoir. Mais quelque épurée qu'elle soit, cette lumière 
divine renferme toujours un nescio quid qu'elle a en 
commun avec la lumière que nos yeux contemplent. 

Les mêmes remarques s'appliquent au passage du Tes- 

iament de Lévi auquel nous avons déjà fait allusion. On 

^ nous y montre le patriarche s'élevant comme saint Paul 

jusqu'au troisième ciel. « Il était plus lumineux, dit-il, 

' Apac. Enoch, cap. 14 ; S à 25. 



que les lîoux autres, » L'ani,'e lui dil qirau-t 
co Iroisième ciel a'étagent quatre autres d'aspect enc( 
plus élilouissaut. L'antithèse de la lumière et des ténèlH 
domine la pensée de l'auteur à tel point qu'il dit du ( 
le plus rapproché de la terre « qu''il est plus sombre i 
plus ohscur parce qu'il est plus près des iniquités i 
honunes. s Devenir plus saint, c'est devenir plus tumineun 
Retenons cette idée, elle nous aidera à expliquer quelque* 
unes des conceptions qu'il reste à exposer. Ce qui prouii 
combien l'auteur est éloigné de prendre pour un symbi 
ou une abstraction cette lumière céleste dont il dit qu'® 
augmente et devient plus intense dans le voisinage ■ 
. Dieu, c'est sa description même des cieux. Dans i 
deuxième ciel sont les amas de feu, de neige, de geléf 
dans le troisième, les armées célestes qui ont mission ^ 
châtier, au jour marqué, les esprits qui égarent les âmef 
dans le quatrième se trouvent les saints ; puis au-dessus 
s'élèvent d'autres cieux ou compartiments occupés par les 
différentes catégories de la hiérarchie des anges ; tout en 
haut, hors de vue, resplendit la gloire divine. Sont-ce là 
des abstractions ou des symboles ? Peut-on citer un seul 
mot qui donne à penser que l'auteur ait cru peindre des 
images sans réalité? Pourquoi nous montrc-t-il les amas 
de neige, etc. dans les cieux, si ceux-ci n'avaient rien de 
plus concret que les beaux mythes dont Platon agrémen- 
tait les dernières pages de sa République f Convenons 
plutôt que l'imagination juive reste matérialiste au (und, 
même dans ses envolées les plus hardies. 

Les Targums et la JUischna conûrment pleinement ce , 
qui vient d'être affirmé ' . 

' Wtbtr, Allsijn. IkeoL p, ISlt à lûî. 



On y apprend i[[u; la Siloc 9eoû, la i^luiry de Dieu est, par 
essence, de la lumièrtî. Cette expression sert à désigner 
Dieu lui-même. De son trône les ondes lumineuses s'cpan- 
dent ; elles constituent, en quelque sorte, la substance du 
monde supérieur. Cette lumière divine n'est pas une pure 
abstraction. C'est d'elle que sont composés les corps des 
anges. Parmi ceux-ci il y en avait qui naissaient, chaque 
jour, des effluves lumineux qui jaillissaient de dessous 
le trône de Dieu, pour célébrer, un instant, les louanges 
du Très-Haut et disparaître ensuite. Enfin les anges, 
disaient les théologiens juifs, se sustentaient de la clarté 
céleste qui émane de Dieu. Comment prétendre que cette 
clarté céleste soit immatérielle, une abstraction ' ? 






' Comparez le passage ! Cor. III, 7 à IV, fl. Prenez le terme de 
SdÇa Jans le sens juif que nous venons d'exposer ; vojez-y une splen- 
deur divine qui n'est pas une pure abstraclion mais qui contient un 
résidu de matière épurée, la pensée. et le langage de l'apiïtrc n'ont- 
Ils pas plus de force? Remarauez avec quelle insistance il revient aux 
ternies divers qui ont trait à la lumière : ffUTiT^à;, iftnipdtait, yiixahjy.ftsvm,. 
TX xpuirrâf irùfi/ascj, uiyiijat, <fâ; lipjiaï, lïa(iiji(ï, tout cela en sis 
versets. 



LE monde: supra-sensible. 



L'éludo (i'ocrits aussi aKsolumenl juifs que nos apoca- 
lypses fait naître la conviction que la pensée juive, laissée 
à elle-même, est à peu près indiftcrente à celte opposition 
du concret et de Tabstrait, du corps et de Tâme, de 
l'esprit et de la matière qui domine la nôtre. Nous lisons 
presque à chaque page des phrases comme celle-ci : « Ta 
as établi. auprès de toi toute source de lumière (matérielle) 
et tu as préparé et mis en réserfe un trésor de sagesse 
sous ton trône'. » On se souvient d'un très curieux pas- 
sage de la Vision de la Nuée dont nous avons donné la 
traduction et où se mêlent et se confondent dans la même 
éntimératîon les objets et les notions les plus disparates*. 
D'un côté, il s'agit du feu, des profondeurs de l'abfme, des 
vents, des anges, des éclairs, des amas de lumière et de 
l'autre. Fauteur nous dit que Moïse, en même temps qu'il 
eut la vision de ces choses, eut celle des effets du courroux, 
de la multitude des compassions, des trésors de rintelli- 
gence, etc. Qu'un homme accouple ainsi ce qui nous paratt 
s'exclure, qu'il traite des abstractions absolument comme 



' Apac, Barachi 5i, 13. 

* Voyez pages 9î, 93 et !a noie 1. 



À 



- 141 - 
s'il les prenait pour dos objets coQcrols, qu'il mélange 
avec celle facilité des choses qui appartiennent à des 
domaines opposés, n'y a-t-il pas dans cette confusion 
même qui n'a pas l'air de le choquer, la preuve que cet 
homme a un mode particulier de penser qui n'est pas le 
nôtre ? 

Ceci nous explique que l'on puisse rencontrer dans 
l'apocalyptique populaire à cOté d'imaginations lourdement 
matérialistes des conceptions comme celles de la préexis- 
tence et de la lumière céleste qui frisent l'abstraction 
transcendante et, en outre, que ces notions si disparates 
aient pu coexister sans s'exclure ou se modifier les unes 
les autres. Qu'il eût été naturel, par exemple, que la 
conception de la lumière divine eût transformé peu à peu 
l'apocalyptique populaire et l'eût dépouillée de son maté- 
rialisme I Qu'il n'en ail pas été ainsi, n'est-ce pas la preuve 
encore une fois que l'intérêt intellectuel et philosophique, 
à la façon des Grecs, était foncièrement étranger au génie 
juif? 

Cependant cette modilicalion de Peschafologic populaire 
qui, à notre point de vue, nous eût semblé si naturelle et 
si logique, s'est faite. Les conceptions plus épurées qui y 
semblaient fourvoyées en ont rendu la spiritualisation 
possible. Il est, sans doute, inutile d'ajouter que l'intérêt 
purement intellectuel ne fut pour rien dans cette évolution. 
Nous avons exposé dans notre étude sur l'apocalypse de 
Salalhiel les circonstances qui l'expliquent. Cette évolution 
fut une nécessité de la foi, point du tout de l'intelligence. 

Il nous reste maintenant A en montrer le véritable 
caractère. 

Il importe de faire remarquer, tout d'abord, que la 



— 142 — 

spiritual isalion tie l'cKclialologie populaire par des juife 
qu'on no peut pas soupçonner d'avoir subi une infiuenctfl 
étrangère quelconque est un phénomène probablemenw^ 
rare et exceptionnel. Nous no disons pas qu'il soit anormal J 
Au contraire, il s'est produit en parfaite harmonie avet 
les tendances natives de l'cspril national '. Mais le couran! 
général des aspirations et même de la pensée théologiqura 
juive ne devait pas sortir du matérialisme de Tes 
logie populaire. On se souvient que c'est dans ce fragmeoi 
que nous avons intitule VAssomption de Baruck que Vou, 
trouve une conception qui décidément dépasse re3cba< 
tologie courante. Non seulement il y est affirmé que lel 
corps ressuscitent mais la façon dont la résurrection y e 
conçue est déjà trop spiritualisle pour qu'elle pût s'accom- 
moder de l'apocalyptique populaire. Le corps ressuscité 
reparaît, tout d'abord, avec ses traits d'autrefois. Puis, 
il .se transforme, devenant pareil aux ténèbres s'il 
appartient à un méchant, revêtant, au contraire, un éclat 
qui surpasse celui des astres s'il a été le corps d'un 
homme juste. 

Iji genèse de cette notion de la résurrection ne se 
laisse-t-elle pas entrevoir ici? La lumière, voilà l'élément 
essentiel qui constitue le corps céleste. 

Comment ne pas rapprocher cette lumière, élément 
constitutif du corps ressuscité, de cette autre lumière dont 
il a été question clans le chapitre précédent ? En quoi 

' IjCh id6es eBsentielles du paulinisme sODt-elles en contradiction avec 
les Icndances inhérenlcs â l'esprit juif ou bien ne sonl-ellcs pas plutôt 
l'épanouissement de cerlains germes d'iil6es que l'esprit légaliste aurait 
Ëni par élouH*er ? Je me permets de renvoyer le lecteur k un article 
publié dans la Rtoae de Ifiéolog. et de philos. Lausauiie, septembre 
1891. 




— iiS — 
diffère la lumière qui conslitiift, d'après nnlre auteur, les 
corps ressuscites de colto dont est formé, selon la théologie 
juive, le corps d'un ange, dont sont faites, selon Enoch, 
les parois du sanctuaire où Dieu se cache et qui, selon 
certains rabbins, aet une sorte d'émanation de la gloire 
de Dieu ? Pourquoi chercher ailleurs l'origine des corps 
ressuscites de l'auteur de V Assomption de Baruck ? Qu'a-t-il 
fait si ce n'est d'étendre une notion, qui avait droit de 
bourgeoisie, depuis plus d'un siècle au moins, dans 
l'apocalyptique juive, de manière â ce qu'elle embrassât 
non seulement la gloire de Dieu, son habitacle, ses 
ministres, mais aussi les élus qui ressusciteront à la fin 
des temps? 

D'où lui est venue l'idée de donner à cette notion une 
signiCcation à laquelle, pour autant que nous le sachions, 
personne n'avait encore songé"? C'est aux circonstances 
dans lesquelles l'auteur a vécu qu'il faut demander la 
réponse à cette question. Après les catastrophes suprêmes 
les âmes pieuses furent portées à chercher, dans des espé- 
rances moins matérialistes, la compensation et la consola- 
tion des déceptions présentes. Est-il surprenant que l'une 
de ces âmes, en méditant sur l'avenir, se soit posé cette 
question : in qaanam forma vivent vivmtes die ttto ', et 
sentant plus que d'autres l'insuffisance de la conception 
ordinaire, en soit arrivée à celle du corps dont l'éclat 
surpasse celui des astres *? 

' Barachi, Apoc, 49, 2. 

* Il y a certainemenl parente entre les torps ressusiifés de noli'c 
auleur et ceux doot il est qucstioo dans I Corinth XV II ne faut pas, 
cependant, niéeonnaltre la difterencc esscplicllc eDtrc (.es deux concep- 
tioos analogues de la reBurreclion. Dans le corps ressusoil^ dont parle 
l'apûtre, il entre un principe inconnu à In théologie juiie cl à notre 



l 



i 



Nous avons déjà fait remarqiior que Fapocalypse de 
Salalkiel achève et complète ce qui n'est qu'ébauché dans 
VAssomption de Baruck'. C'était beaucoup d'avoir élargi 
la conception de la lumière céleste au point de l'étendre 
jusqu'aux corps ressuscites ; nous allons maintenant la 
voir appliquée dans toute la mesure dont elle était sus- 
ceptible*. 

On se souvient que l'auteur de l'apocalypse de Salalkiel 
est fort éloigné de l'eschatologie populaire. Il a complète- 
ment renoncé aux chimériques espérances et aux rêves 
grandioses qui exaltaient ses compatriotes. Au fond sa 
piété est plus ambitieuse que la leur. Il attend davantage 
de l'avenir. Il se représente le ntonde qui sera, sous des 
aspects plus brillants que ceux que promettait l'apocalyp- 



auteur. C'est le nvcûpt, si bieD <{uc Paul parle du a&fi.a mcu^artinv. Le 
misûjux est (iouc ie prinuipe vilal qui imime le corps ressuscité. A ee 
poiaL de vue il faut maintenir la diïTércncc entre les Jeux notions de la 
rcsurrecllon dont il est question. Mais, d'autre part, si Paul dit claire- 
ment que le principe qui donne la vie au corps qui ressuscitera esl le 
irviûfut ÇuDTraMÛn, il ne dil pas clairemenl quelle sera la substance ou la 
matière de ce corps. Eb bien, serait-il très étrange que l'ex-rabbin Paul 
ait eu là-dessus une notion à peu près pareille à celle de notre auteur? 
La matière dont sera composé le corps ressuscité ne serait-elle pas, selon 
lui, précisément cette lumière céleste dont l'idée se trouvait Jusque dans 
lu littérature populaire? Remarquez que le terme de té^a, qui implique 
l'idée de l'éclat céleste, revient k chaque iaslant dans ce passage de 
Paul : iyilpitai » Sà^ — fùpiaena lal tjiv eixinia roû i're'ipadav. EnBn 
l'idée d'un éclat surnaturel n'était-elle pas inséparable du corps ressus- 
cité dans la pensée de c«lui qui avait vu le Ressuscité sur le chemin de 
Damas? Ainsi donc, selon nous, saint Paul a conçu les corps ressuscites, 
quant à leur composition, â peu près comme notre autour. H n'j insiste 
pas, car l'essentiel, à ses yeux, c'est le jnrûjia qui anime et c'est de Christ 



s perdre de vue les roinarqut 



que 


vient 


le m.E 


(*«■ 




P. lOÏ, 103 






Nous 


prion 


le lecteur de 


àl 


page 


123. 





— ■14'i — 
tiquo populiiiiN'. il en vient à iillirmei' que le monde invi- 
sible est tel que Thomme corruptible dc peut pas le con- 
cevoir. Entre le siècle qui est et le siùcle qui sera il y a 
une opposition de nature '. 

Comment cet auteur est-il arrivé A une conception 
pareille ? Tout simplement en donnant à la notion de la 
lumière céleste toute la portée dont elle était capable. Peut- 
être l'auteur de \' Assomption de Flaruch l'avait-il déjà fait. 
"L'état /ragmentaire et incomplet dc son écrit ne noua per- 
met ni de l'affirmer ni dç le nier. Quoi qu'il en soit, l'au- 
teur de l'apocalypse de Salathielne se contenta pas de faire 
participer les ressuscites à la lumière céleste, il la répan- 
dit, en quelque sorte, dans le monde invisible tout entier. 
Tous les objets dont Timagination populaire avait déjà 
peuplé celui-ci eurent part à la substanœ lumineuse. La 
-Jérusalem à venir n'eut pas d'autre nature. Ainsi, par une 
application plus complète de la notion, déjà ancienne, de 
la lumière céleste, notre auteur transformait celle du monde 
à venir lui-môme. Celui-ci appartenait désormais à un 
ordre de choses essentiellement différent d» nôtre. L'abîme 
qui séparait le siècle présent du siècle à venir s'élargis- 
sait démesurément. L'un était les ténèbres et la mort, l'au- 
tre la lumière et la résurrection. 

Comme cet bomme dut se sentir intérieurement apaisé 
lorsque cette idée se fit jour en lui! Ne répondait-elle pas 
à ce que réclamait le plus impérieusement sa piété ? Après 
tant de mâ^omptes en ce siècle, cet Israélite avait besoin 
de pouvoir croire en un siècle à venir qui ne serait pas 
sujet aux anciennes vicissitudes. Sa foi profonde ne pou- 
vait se passer de celle consolation. Tout son livre respire 



J 



— 146 — 

la satisfaction do l'avoir obtenue. Sans doute fout le mondes 
n'éprouva pas les mêmes besoins avec la même vivacitéJ 
Mais est-il ioadmissible que quelques âmes d'élite aient e 
des sentiments qui paraissent si naturels après l'anéantis^ 
sèment définitir des espérances nationales ? Ne vit-on [ 
presque dans le même temps, le christianisme naissait 
ort'rir un spectacle tout semblable ? Saint Paul n'en a-t-^ 
pas extrait le spiritualisme religieux du Maître que d'atf 
"très y auraient laissé enfoui ? De même il s'est trouvé à If| 
fin du premier siècle de notre ère, avant que ne c 
mença le règne du judaïsme talmudique, deux ou trc 
rabbins qui surent faire fructifier certains germes d'idée) 
plus spiritualistes perdus soit dans la théologie traditîba- 
nelle soit dans les conceptions populaires et qui, à l'aidi 
de ces quelques notions, se construisirent un monde invi 
sible et à venir qui prtt les dédommager de toutes lof 
déceptions du présent. 

Ainsi donc le monde invisible que rêve notre autemrfl 
n'est pas une abstraction ; il est parfaitement réel ; soBm 
principe ou son élément constitutif, c'est la lumière céleste^W 
Entendons par là cette lumière épurée, éthérisée, insaisisi 
sable à la chair corruptible, dont la notion, je le répèteJ 
était relativement ancienne au sein du judaïsi 

Deux ou trois citations suffiront pour montrer que notre 
auteur n'a nullement modifié cette notion et qu'elle do- 
mine toute sa conception du monde supérieur. En parlam 
de l'avenir, le Voyant Salathiel s'écrie : « La face de ceus^ 
qui ont pratiqué la tempérance aura plus d'éclat que les! 
astres', b L'ange lui avait dit, quelques instants aupara-J 

' IV Liber Esdrae, Vil, B5, Nous prions ceux qui ne veulent voirfl 
dans Ifs apocalypses que des métaphores o( des images de relire le] 
passage de l'apocalypse de Baruch qui offre on parallèle complet 1 
ceiui-ci, cbap. 51, 3, 6. 



- 147 — 
vant, que le visage des justes resplendit comme le soleil de 
sorte qu'ils deviennent pareils à la lumière des astres et 
incorruptibles, futurum est ul assimilentur luci stellarum 
neque iterum corrumpenlur '. Qu'est-ce qui distingue la Jéru- 
salem céleste de ^Apocalypse de Salatkiel ? N'est-ce pas 
l'éclat surnaturel, la lumière céleste dont elle brille ? Lors- 
que la femme qui symbolise la Jérusalem à venir se trans- 
forme en ville'aux yeux du Voyant, il est dit, « Voici son 
visage brilla très fort tout à coup et son aspect devint 
éclatant. » L'ange, en recommandant à Salatbîel d'entrer 
dans la ville céleste, lui dit : Altissimus oslendil tihi clari- 
tatem gloriae ejas *. 

Tout ce qui précède suffit peut-être pour montrer que 
le monde supérieur que noire auteur attend de l'avenir 
mais qui, dans sa pensée, existe déjà, n'a jamais été, à 
ses yeux, une abstraction, un monde intelligible comme 
dirait un platonicien, mais un monde bien réel, d'essence 
lumineuse'. Quoi qu'il en soit, il nous en fournit lui-même 
la preuve décisive dans ce qu'il dit des obstacles qui empê- 
chent l'homme de concevoir et de saisir l'ordre supérieur 
des choses. En quoi consistent-ils? Dans une impuissance 
intellectuelle quelconque? Point du tout. Ce qui ferme au 
plus fidèle des Israélites l'accès au siècle incorruptible, c'est 
une cause à la fois physique et morale, c'est le cor maii- 
gimrn, c'est le jezer kara^. Quelques expressions ou des 
analogies plausibles que nous pourrions remarquer chez 
notre auteur ne doivent pas nous égarer. Le fait capital qui 

' Idem : (VI, 71.) Nous ne citona qiip les iiassages Joi/s. 
« rV Esdrae Liber X, ÏS, 50. 
' Voyez p. 105, 106. 
* Pages H8 et 109. 



- 148 - 
s'impose, c'est que cet intérêt inlollocluel, si cher aux Gn 
et que les judéo-hellénistes qui fréquentaient leurs ( 
apprenaient sans peine à partager, n'existe absolument i! 
pour notre auteur. Il a spiritualisé l'apocalyptique i 
non en empruntant ses idées à une pensée étrangère e 
en donnant la prépondérance à certaines notions que ViM 
différence philosophique de ses compatriotes avait Taid 
subsister côte à côte avec des conceptions d'un tout auM 
caractère. Ces tentatives diverses que firent quelques an 
élevées pour spiritualiser. l'apocalyptique populaire et que 
la situation du peuple juif au commencement du second 
siècle de notre ère rendait si naturelles n'ont pas eu de 
succès. L'apocalyptique qui devait prévaloir au sein du 
judaïsme rabbinique lui-même n'est que la systématisation 
de tous les rêves eschatologiques antérieurs et n'est pas 
moins matérialiste. 



De lout temps l'imagination juive a été malérialiste. 
L'abstraction dûcûdément lui répugne. On remarque déjà 
ce trait chez les plus anciens écrivains hébreux. Les pein- 
tures de l'avenir que traçait la plume éloquente des pro- 
phètes sont chargées des couleurs les plus réalistes. Ce qui 
les rehausse et en constitue la grandeur et réiévation, 
c'est le puissant souffle moral qui les traverse. Quoiqu'ils 
ne rêvent qu'une félicité toute terrestre, les prophètes 
n'imaginent pas qu'elle puisse exister sans la justice et la 
sainteté. Nos faiseurs d'apocalypses, pour la plupart, bor- 
nent également leurs aspirations à la terre. Mais combien 
leurs ambitions sont moins pures et moins élevées, com- 
bien leur rêve de félicité est plus grossier que celui des 
prophètes ! A tous lea points de vue, ce sont des épigones. 
11 n'en reste pas moins que les uns et les autres accusent 
les mêmes tendances mentales. Les Juifs aussi bien que les 
Hébreux étaient incapables de concevoir l'idée pure. Au 
fond de toutes leurs conceptions, l'analyse découvre, si l'on 
peut ainsi dire, un résidu irréductible de matière. Voilà le 
signe auquel on reconnatt le Juif qui n'a pas subiriofluence 
de l'étranger. 

C'est la conclusion de ce travail. Nous espérons avoir 
démontré que, si quelques âmes d'élite pressées par les 
besoins d'une piété plus profonde sont parvenues à spiri- 



H 



tualiser l'apocalyptique populaire, il esl, cependant, un 
point que d'ellt's-nn^mcs elles n'ont jamais dépassé. Quoi- 
qu'elles aient épuré, raffiné, sublimé ce résidu de matière 
qu'il faut toujours supposer au fond des conceptions juives, 
elles ne l'ont pas supprimé. Pas plus que le vulgaire, ces 
théologiens, qui pouvaient être si subtils, n'ont conçu la 
pure abstraction. Leurs idées les plus éthérisées ne sont, 
en dernière analyse, que des conceptions mixtes, à la fois 
concrètes et abstraites. Cette particularité de l'esprit juif 
est bien faite pour étonner ceux qu'une discipline intellec- 
tuelle toute différente a familiarisés avec les abstractions. 
Faut-il, cependant, la méconnaître ? L'historien ne doit-il 
pas se dépouiller de ses propres habitudes d'esprit pour 
comprendre celles des hommes dont il expose les pensées 
ou les espérances ? 

C'est l'étranger qui a- initié le génie juif aux conceptions 
abstraites et à la métaphysique. Platon n'a pas seulement 
donné à sa race la pleine conscience de cet intellectua- 
lisme rigoureux qui constitue le trait dominant de l'esprit 
grec, il devait, par les disciplines philosophiques qui déri- 
vent de lui, ouvrir au judaïsme extra-judéen de nouveaux 
horizons et surtout lui apprendre à manier les idées pures. 
Grâce à l'éducation hellénistique l'esprit juif parvenait à se 
dépouiller enfin de ce matérialisme qui lui était inhérent. 
Il n'éprouvait alors aucune peine à substituer à des no- 
tions comme celles de la résurrection des corps et du règue 
messianique, celles de l'immortalité de l'âme et de la vie 
éternelle. Pour mesurer le pas de géant que la culture hel- 
lénistique était seule capable de faire faire à l'esprit juif, il 
suffit de comparer la Sapience de Salomon à l'apocalypse 
de Salallml. Deux siècles les séparent. Mais au point de 




vue tim la mcthudo et des formes de la pensàe, combien 
l'ouvrage plus ancien esl supérieur au plus récent 1 

Le trait fondamental du génie juif que nous avons 
essayé de mettre en lumière ne doit pas être méconnu. 
Qu'on se garde surtout de penser qu'il ait suffi du simple 
contact de la civilisation hellénistique pour l'effacer. Je le 
répète, seule la discipline intellectuelle des écoles grec- 
ques pouvait modifier ce trait. Lorsqu'on a constaté que 
l'hellénisme s'est installé, au lendemain des conquêtes 
d'Alexandi'e le Grand, dans un certain nombre de villes en 
Palestine, o» n'a pas encore prouvé que le judaïsme indi- 
gène ait été entamé jusque dans ses racines'. Nous n'avons 
aucune preuve que les efforts que fit Antrochus pour hellé- 
niser la Judée aient réussi au point de transformer le génie 
même de la race la plus réfractaire aux influences du de- 
hors qui ait jamais existé. Une chose est sûre, c'est que 
le judaïsme palestinien sortit vainqueur de la crise formi- 
dable qu'il traversa alors. S'il ne parvint pas à rejeter 
complètement les partisans des mœurs et des idées étran- 
gères, il resta, du moins, dans son immense majorité, 
fidèle aux partis conservateurs des coutumes et de l'esprit 
traditionnels. La catastrophe de Tan 70 eut pour consé- 
quence le triomphe complet du pharisaîsme. Que devien- 
nent alors les éléments qui avaient pactisé avec l'hellé- 
nisme? Où sont les Saddqcéens et les disciples de Philon 
au deuxième siècle ? Seul le judaïsme strict surnage et sub- 
siste. Désormais il va se renfermer en lui-même. Il va dé- 
vorer ses haines implacables dans le silence et dépenser 
l'étonnante force dont il dispose en des subtilités bizarres 
dont le Talmud sera le monument et le cénotaphe t 

' H. Bois, Origines de la /j/iiloso/j/iie judèo-alexandrine, p. 3l>-38. 



k 






Ne nous empresaons donc pas de supposer dos infiltre 
tiens d'idées hellénistiques au sein du judaïsme, du moioiF 
à partir du jour où il est définitivement constitué. On nu 
doit pas se contenter de quelques rapprochements ingé- 
nieux de textes pour conclure que l'auteur d'un écrit fon- 
cièrement juif de forme et de fond ait subi l'inlluence des 
idées philosophiques de l'hellénisme. Sans doute on remar- 
quera une certaine analogie entre ces dernières idées et 
quelques-unes des conceptions que nous avons étudiées 
dans des écrits comme VAssomption de Baruch et VApoca- 
lypse de Salatkiel. Qu'est-ce à dire si ce n'est^u 'alors, de 
tous les côtés de l'horizon, les pensées et les aspirations 
convergeaient vers le même point? Seulement chacun les 
exprimait selon les formes mentales qui étaient propres 
à sa race. Voilà ce que nous avons voulu rappeler à ceux 
qui risquent peut-être de ne pas rendre justice à l'origina- 
lité du judaïsme palestinien. 




n 

APPENDICES 



1 



APPENDICE I 
L'apocalypse dite d'Esdras. 



L 



Dans la ptirtie principale de ce travail nous avons supposé que 
les documents qui portent les noms d'Esdras, de Bamcti ou 
d'Enoch ne proviennent pas, séparément, d'un seul auteur, mais 
qu'ils contiennent des sources d'origine et d'époque diverses ras- 
semblées suus une rubrique commune par un compilateur quel- 
conque. En cela nous nous sommes inspiré des résultats de la 
critique la plus récente en celle matière. H nous reste donc à 
justifier en détail le point de vue littéraire que nous avons adopté. 

Nous n'ignorons pas les objections que soulève notre méthode, 
ni les inconvénients qu'on peut signaler dans la façon dont nous 
avons disposé notre matière. Ceux qui n'ont pas encore lu les 
solides études de MM. Spitta, Kabisch, Schnapp, etc., trouveront 
prématurée la tentative que nous avons faite de reconstituer, 
dans son ensemble, l'histoire littéraire de ces disjecta membra 
auxquels la critique a réduit les principaux documents de l'apo- 
calyptique juive. Mais l'inconvénientauquel nous sommes le plus 
sensible, c'est que la disposition que nous avons donnée à notre 
matière nous interdit de faire une élude critique de chacun 
des principaux documents qui soit complète et qui puisse pré- 
senter, à la fois, tous les ai^umenls qu'on peut faire valoir en 
faveur de notre point de vue. Une partie de cette étude critique 
est déjà faite dans le corps de notre travail. Nous n'avons plus 
qu'à la compléter. 

Cependant, il y avait un inconvénient bien plus grand à ne 
présenter qu'une aério de monographies qui n'eussent pas con- 



- 156 - 

stllii6 un livre. Cliose plus grave eucore, nuus n'eussians pas 
alteinL le biil principal que nous avions en vue, à savoir, de faire 
connaître l'apocalyptique en elle-même et, par elle, le fonJs 
d'idées et de eonceptimiB répandues dans le monde juif resté 
fermé aux iuiluences du dehors, à une époque qui vit se prépa- 
rer, naître et grandir le christianisme. 

Nous devions à nos lecteurs ces quelques explications. 

Ceux qui désirent une étude de l'apocalypse d'Esdras faite se-_ 
Ion toutes les règles de 1ei critique allemande la trouveront dans 
le travail de M. Kabiseh que noua avons si souvent cité. Ce cri- 
tique ne laisse rien passer sans en avoir donné une explication 
quelconque. H ne se contente pas de découper dans l'apocalypse 
d'Esdras deux ou trois sources principales ; il entre dans les dé- 
tails les plus minutieux ; pas une plirase du livre dont il ne nous 
dise à laquelle de ses sources elle appartient. C'est un art de 
mosaïque consommé. Nous admettons ce procédé, qui a cepen- 
dant SCS inconvénients auxquels certains excellents critiques, 
même en Allemagne, se sont montrés sensibles, lorsqu'il s'agit 
de l'Hexaleuque, mais on sent qu'il est parfaitement déplacé 
et inutile lorsqu'il s'agit de documents comme les nùtres'. Nous- 
nous bornerunâ donc à exposer les principales raisons, celles qui 
nous paraissent moins ingénieuses que probantes, qui nous ont 
amené à décomposer le quatrième livre d'Esdras en ces quatre 
sources que nous avons déjà analysées et présentées au lecteur. 

Nous ne pensons pas nous tromper en croyant qu'une lecture 
attentive des analyses que nous avons données a dii le prédis- 
poser en faveur de la pluralité d'auteurs que nous supposons 
dans l'apocalypse d'Esdras et dans les autres. Ou a dû avoir 
l'impression que chacune des portions de ces documents que 
nous détachions pour la considérer comme une source indépen- 
dante, constitue, en effet, un écrit qui a un commencement et 
une fin, qui a son caractère propre, qui reflète bien les émotions 
et les aspirations qu'on a ressenties, à un moment déterminé. 



* Voir la préface d'une rc-narquable troduction critique de ia Genàso par 
HM. Kaut29ch et Socin : Die Gcneiii, mil aiisserer UnUrsekeldHng dtr Quellen- 
tchrlften. 1838. 



- i57 - 

dnns le moniie juif, enfin qui osl ri^gulièrcmrnt conslrnil, selon 
les règles tradittuiinelles du genre auquel il apparlicnt. Est-il 
vraisemblable qu'on put (fécoiiper ninsi dans un livre composé 
par un seul liommc sous le coup de certaines préoccupations 
1res visibles, pour tout dire, dans un livre de drconslaniMJ comme 
l'était nécessairement une apocalypse juive, deux ou trois écrits 
qui, dégagés les uns des antres, prissent une physionomie litté- 
raire distincte et parussent composés à des époques dilTérenles ? 
Gomment une pareille opération pourrait-elle se Taire avec quel- 
que succès ou môme avec plausibilité, si elle n'avait absolument 
rien de Toîitlé dans l'état du document lui-même ? Voilà des ré- 
flexions qu'on ne peut pas manquer de se faire. Elles nous sem- 
blent propres à dissiper l'impression défavorable qu'on pourrait 
concevoir d'une critique aux apparences arbitraires. 

Entrons maintenant dans le détail. Les quatre premières 
visions contenues dans l'apocalypse dite d'Esdras en composent 
la source In plus importante. Il n'y a pas d'inconvénient à ne 
point tenir compte, pour le moment, des quelques passages que 
nous en détachons pour les attribuer à la source E. Ces quatre 
visions nous offrent, sûrement, une base sérieuse et solide. On ne 
nous accusera pas d'isoler une petite partie de l'ouvrage total ou 
d'en rapprocher, arbitrairement, des portions qui jurent d'ôtrç 
ensemble de manière a tirer d'une source ainsi composée des 
conceptions qui s'évanouissent dès qu'on replace le prétendu 
écrit ou les pièces de rapport qui le composent dans leur cadre 
naturel. Nos quatre visions constituent la plus forte portion du 
livre. On peut donc parler d'une conception qui lui est propre et 
qu'on doit retrouver dans tout le reste du livre s'il provient vrai- 
ment du même auteur. 

Nous avons déjà exposé l'idée-mère de l'apocalypse de Sala- 
thiel. On a vu qu'elle ressort à toutes les pages, et qu'elle a été 
formulée par l'auteur en termes si clairs et à tant de reprises 
qu'il est impossible de la mécijnnaltre. On se rappelle, en outre, 
que cette conception fondamentale, nettement dégagée, explique 
toute la structure de celte apocalypse et en a été manifestement 
la raison d'être. On a remarqué, enfin, qu'elle répond parFai- 



k 



— 458 — 

tentent à ce qu'on pouvait attendre d'une âme religieuse doublée 
d'un rabbin ans temps que suppose l'écrit lui-même, c'est-à-dire 
après les catastrophes qui marquent la Tin du premier siècle. 

Or, voici le point essentiel qu'il ne faut point perdre de vue, 
c'est que l'idée fondamentale qui traverse toute cette apocalypse, 
sans laquelle elle serait inexplicable tant au point Je vue du plan 
sur lequel elle a été conçue que pour le fond de la pensée de son 
auteur, ne permet pas qu'on suppose que cette apocalypse ait 
dépassé la quatrième vision. En effet, dans tout cet écrit de Sala- 
(Aiei, qu'est-ce qne l'anleiir attend de l'avenir, quelle est la vision 
surlaquelle s'attachent ses regards et qu'il propose à ses compa- 
triotes pour les consoler des amertumes du présent? Celle du 
monde invisible et incorruptible. Il a pris son parti de celui-ci ; 
il n'en attend plus rien. Un passage comme celui iln chapitre iV, 
27 et suivants est absolument décisif à cet égard. Inutile, du 
reste, de répéter ce qui a été déjà dit. Notre auteur se réjouit de 
la proximité de la fin. Ce sera la disparition du siècle d'Esaii. Il 
ne peut y avoir aucun doute sur la pensée fondamentale de toute 
cette partie de- l'apocalypse dite d'Esdras. 

Dès lors, une fois que notre Voyant a entrevu la Jénistilem cé- 
leste dans sa quatrième vision, qu'on lui a entre-bâillé la porte du 
monde invisible, que lui reste-t-il à voir ou â désirer ? Ne le voilà- 
t-il pas rassuré, consolé? Il attendra patiemment. Quoi? La fin 
du siècle présent. Il est donc clair que notre auteur a renoncé 
à l'attente d'un règne messiauique sur cette terre. Il a abandonné 
le rêve du triomphe et de la domination politique d'Israël. Les 
espérances de son peuple se sont écroulées dans son âme pour 
faire place à un spiritualisme très réel. On conçoit aisément que 
l'auteur de la première apocalypse de Baruck, qui se rapproche 
de notre auteur par les mêmes tendances, mais qui est bien loin 
d'en avoir eu aussi nettement conscience et encore plus d'avoir 
fait de la même pensée fondamentale, expression de ces l«n- 
dances mêmes, le nerf et l'idée-mère de son apocalypse, ait 
pu être assez inconséquent pour admettre avec toule l'école 
rabbiniquc l'eschatologie traditionnelle cOte â cfite avec des affir- 
mations qui l'excluent. Mais c'est là une inconséquence abso- 



r 




w 




lument invraiaomblalile chez routeur de l'.'ipin'alypse de Sala- 
thiel. Il est décidément trop conscient de sa pensée. Il en s fait 
trop visiblement le pivot de tontes ses exhortations, fl en attend, 
avec trop de certitude, la consolation qu'il n'a pas trouvée ail- 
leurs. Dans un passage que nous avons polové, à plusieurs re- 
prises, il repousse trop catégoriquement Hdée même d'un Messie 
pouF qu'on puisse croire qu'il n'ait pas consciemmenl répudié 
toute l'eschatologie populaire. Nous t'avons déjà dit, il en a senti 
l'impuissance et son livre n'a pas d'autre but que de substituer 'i 

aux grossières espérances populaires d'autres plus certaines. Il 
ne nous parait donc pas possible qu'il ail terminé son livre par , 

des descriptions eschalologiques dans le goût traditionnel. 

Que penser, alors, des deux visions de l'Aigle el de l'Homme I 

qui viennent s'ajouter aux visions de Sniatkînl. Comment les faire 
cadrer avec celles-ci ? Elles sont manifestement dominées par 
l'idée messianique sous sa forme populaire. La contradiction est ^ 

flagrante. Pourquoi, dès lors, les attribuer au même auteur? 
Quelle raison plausible peutnan alléguer î On le voit, nous nous i 

fondons sur la nature absolument opposée de ces écrits, de l'apo- 
calypse de Salalhiel d'une part et des deux visions de VAigle et 
de l'Homme d'autre part, pour affirmer qu'ils ne sont pas de la 
même main. On nous permettra de penser que cette raison est ! 

suffisamment péremptoire pour que nous ne prolongions pas la ■ 

discussion en exposant toutes les raisons accessoires qu'une com- j 

paraison détaillée des textes en question ferait ressortir. j 

Les analyses des visions de VAigle et de l'Homme et les consi- ] 

dérations dont nous les avons fait suivre ont dû montrer que si I 

ces deux fragments appartiennent également à l'apocalyptique 
populaire la plus caractérisée, ils dilTèrent, cependant, par des 
points trop essentiels pour qu'on les attribue au même auteur. ' 

Remarquons, en premier lieu, que tous deux se rapportent abso- J 

lument au même sujet. Tous deux dépeignent la grande bataille 
Qnale du Messie avec les adversaires de Dieu. A ce point de vue, j 

ces deux visions font double emploi. L'apocalypse elle-même 1 

n'avance pas d'un seul pas avec la vision de VHomme. Avant 
comme après, nous en sommes au règne messianique en Pales- ] 



— IGO — 

Une. En soi cela est déjii surprenant. Pourquoi le même auteur' 
aurail-îl introduit dans le même écrit une double description des 
mêmes événements? Mais cadrent-elles l'une avec l'autre? Sont- 
elles identiques ponr le fond des choses ? On le .prouverait bien 
diiTiciiement. La situation politique qu'elles supposent l'une et 
l'autre n'est pas la même. Dans la vision de YAigle, le Messie 
se trouve eu présence de la Rome impériale. Peul-on en dire au- 
tant de la vision do l'Homme f Est-ce la Rome impériale que le 
Messie combat dans celle-ci î Nous avons exjjosé ailleurs les rai- 
sons que nous avons de ne pas le penser. Quand même ces rai- 
sons ne seraient pas fondées, qu'on nous explique pourquoi rien 
dans la vision de l'Homme ne rappelle la situation si clairement 
-indiquée dans celle de l'Aiiile. Pourquoi tant de vague et d'obscu- 
rité après tant de clarté? 

Jusqu'ici il nous a été relativement facile de séparer nos 
sources et de les rendre à elles-mêmes. Il n'a pas été néces.saipe 
d'épuiser toutes les raisons de détail qu'on pourrait alléguer pour 
justifier la division que nous avons adoptée. La tâche est moins 
aisée en ce qui concerne la source que nous avons désignée par 
la lettre E. M. Xabiscti, que nous suivons ici, du moins dans les 
grandes lignes, a très bien dégagé les passages qui constituent 
cette source, de l'apocalypse de Salathiel dans laquelle ils se 
trouvent enchâssés. Toute cette partie de son analyse nous parait 
excellente. Il est nécessaire d'entrer avec lui dans un examen 
plus minutieux des texte». Le premier passage qui appartienne à 
la source E est le suivant : IV, H2-V, 13^. Dos lo verset 32 du 
chapitre IV on sent que le texte a subi quelque altération. Que 
signifient ces mots : De signis de guibus me inlerrogas, ex parte 
possum tibi dicere? il n'a pas été question des signes des derniers 
temps dans tout ce qui précède. Cette phrase interrompt com- 
plètement la suite de la pensée. La vraie réponse à la question 
de Salatkift est celle-ci : De vita tua non sum misstis dicere tibi. 

La phrase qui nous parait avoir été introduite semble bien 
l'avoir été précisément dans le but de rattacher à la lin de !a 
première vision un passage d'autre provenance qui roule sur les 
signes avant-coureurs de la Un dont il n'a nullement été question 




— -161 — 

dans ce qui précède. Un autre indice, c'est le changement de 
scène que ce fragment suppose. Tandis que le Voyant est censé 
être à Babylone d'où il ne sort pas tant que durent ses extases, 
on nous parle ici d'une voix qui doit venir de la mer Morte et que 
tous entendront : Omnes audient vocem ejiis. Il faut bien supposer 
que l'auteur qui a écrit cette phrase vivait à Jérusalem et pen- 
sait aux hahitants des régions avoisinantes de la mer Morte. Sû- 
rement il n'a pas voulu dire qu'on entendrait à Babylone une 
voix venue de la mer Morte. Comment saurail-on qu'elle venait de 
là Y (I ne faut pas lui faire dire des absurdités trop fortes. 

Le second fragment que nous attribuons au même auteur, 
c'est-à-dire, VI, 11-30, se donne lui-même comme la suite du 
passage dont il vient d'être question. (1 reprend l'tUiumératiwi 
des signes au point où l'avait laissée l'autre passage. C'est assez 
dire qu'il n'y a aucune liaison entre notre fragment et ce qui 
précède dans le texte. L'ange venait de parler des deux siècles, 
celui d'Ësaii et celui de Jacob ; le siècle incorruptible doit succé- 
der sans intervalle au premier. Cette déclaration 8ui)primaitloule 
perspective d'un règne messianique. Or, voici tout un passage où 
n'est question que des préliminaires dn règne messianique, puis 
de ce rogne lui-môme; tout cela conçu dans un Ion bien diffé- 
rent de ce qui précède et de ce qui suit. Il y a, en réalité, opposi- 
tion funclËre entre ce fragment et le texte dans lequel on l'a 
intercalé. 

Un autre indice de la violence qu'on a exercée sur le texte de 
notre passage pour l'introduire dans celui des visions de Salathiel, 
c'est le désordre manifeste qu'on peut y constater. On a énuméré 
dans le fragment du V^ chapitre les signes avant-coureurs. !ci, 
dès les premiers mots, on voit qu'il va être question de la crise 
Qnale. Que viennent faire, en cet endroit, les versets 21 et 22 où 
il s'agit de signes? Il eslinruiimenl probable qu'on les a déplacés 
et qu'ils devraient se trouver dans le premier fragment, Autre 
remarque : au verset 18, c'est bien la voix des grandes eaux qui 
parle ; puis au verset 30, c'est de nouveau l'ange qui parle. 
A quel moment a-t-il repris la parole? R\m de tout cela n'tjst 
indiqué. 

11 



Ce qui est essenliel, c'osl que notre passage est la suite natu- 
relle du premier Criigment. Après les signes, voici le règne mes- 
sianique qui s'annonce et commence à s'établir. Cet enchaîne- 
ment naturel qui reproduit les phases traditionnelles du drame 
apocalyptique est la meilleure preuve que nos conclusions n'ont 
rien il'arbitraire. 

Dans cet ordre d'idées, qnelle est In péripétie dn drame que nous 
devons attendre maintenant? Evidemment l'avènement du Messie 
lui-même. C'est justement ce qui est dépeint dans le troisième frag- 
ment, Vtl, 26 â (VI, 17), que nous attribuons su même auteur. Dès 
les premiers mots, une allusion nous rappelle les passages pré- 
cédents : Signa guae praedixi tibi. Inutile d'insister longuement 
sur l'opposilion foncière qu'il y a entre la conception d'un règne 
messianique tout terrestre et celle que l'auteur de l'apocalypse 
deSalatkiel exprime si souvent. Nous l'avons déjà dit, l'incom- 
patibilité est absolue entre ces deux ordres d'idées. En outre, on 
ne peut imputer à un esprit aussi conscient du point de vue 
auquel il se place une inconséquence de cette force-là. 

Dès le commencement du IX" chapitre (1-8) on remarque une 
allusion aux passages que nous venons de détacher de l'apoca- 
lypse de Salathicl : Pars quaedam signorum quae predîcla sunt. 
Tout dans les quelques versets suivants indique que nous avons 
ici un passage de même nature que les précédents. C'en est la 
conclusion naturelle. C'est l'exhortation pratique qui en découle. 
Il y est dit à quelle condition on participera « au salut de Dieu. » 
Remarquez ee point essentiel, c'est que ce salut ou cette félicité 
à venir est conçu d'une manière toute matérialiste. Il aura lieu 
ici-bas, dans la Terre-Sainte que Dieu a préservée de la souil- 
lure du siècle. Notez enlln que la situation politique que l'auleur 
indique, eu quelques mots, parait être pleine de trouble, d'agi- 
talions, d'incertitudes. C'est là un état du monde que l'auteur de 
l'apocalypse de Salalhiel ne semble pas avoir eu sous les yeux. 
Diins une note, à la page Hl, nous avons exprimé l'opinion 
que la troisième vision de l'apocalypse dite d'Esdras contient des 
interpolations chrétiennes. Dans cette note, nous n'avons dit que 
ce qui était nécessaire pour rintelligenco de l'analyse de celte 



vision. Qu'on nous permello maiiiLeiiaiU de justifier rapidement 
l'opinion que nous avons émise. 

Nous rappelons que deux questions connexes se mêlent et se 
confondent dnns eelte troisième vision. 1" celle qui traite du sort 
des transgresseurs de la Lui en Israël ; c'est la question purement 
juive, 2" celle qui traite du sort des méchants en général. Ques- 
tion chrétienne qui est venue se greffer sur la première. 

Essayons de faire le départ entre les passages juifs qui se rap- 
portent à la question qui intéressait la conscience juive et les 
passages chrétiens d'une signification décidément uni versa liste. 
Lq caractère général des différents passages n'est pas le seul 
critère que nous ayons pour nous guider dans ce partage délicat 
ot hasardeux. Il nous permet de faire un premier choix. Puis un 
examen plus détaillé de chacune des deux séries qu'on a ainsi 
obtenues fait constater dans l'une les traces réelles des doctrines 
particulières du judaïsme et dans l'autre celles du point de vue 
chrétien. 

Jusqu'au Ib* verset du chapitre YII rien d'insolite. L'entretien 

s'est déroulé d'après un plan absolument semblable à celui des 

visions précédentes. L'ange a déclaré, une fois de plus, que le 

siècle définitif ne peut être possédé par l'homme tant qu'il sera 

ce qu'il est, corruptible. Puis encore une fois, l'entretien roule 

sur l'une de ces questions subsidiaires que l'auteur a introduites 

et discutées, à côté de celle qui tenait le plus de place dans son 

■fiœur. La question accessoire, ici, concerne le sort des transgres- 

■■jSeurs de la Loi, L'auteur ne songe qu'à ses compatriotes et il n'est 

V<Iucstion que de ceux-ci dans le passage VU, 17'Sb. 

Mais dès (VI) 18 à 48 c'est des pécheurs en général qu'il s'agit. 

Ktiu'on veuille bien relire tout ce passage, on n'y remarquera 

RftQCune des idées spécifiquement juives ou rabbiniques qu'on 

ppeut relever presque partout ailleurs. Ici, au contraire, on sent 

irculer une atmosphère toute différente. Voyez, par exemple, 

wmment il est parlé ici du cor malum. C'est tout autrement que 

footre auteur s'exprime lorsqu'il parle du cor malignum. Tandis 

î le cor malignum désigne, sans aucun doute, \e jezer hara 

%Ûe la théologie juive, le cor malum de notre passage est pris 



— 1&4 - 

dfins lin sens plus étendu et plus S|)iriLu<)listc. Aucune trace^ 
matérialisme inhérent à Iti noliou Juive. 

1^ passage suivant (Vf), 4ft à 76, esl eertaincmenl jaif. Il t^ 
par le ton et par les idées. Il y est quesliun du sort des justggf 
des injustes après la mort. L'ange apprend au Voyant ce qui leur 
sdvicnilra a«\ uns et aux antres penilant l'intervalle qui s'écoule 
entre la mort et le jugement dernier. Ceci fait suite de la façon 
la plus naturelle, à e« qui avait été dit dans VII. 17 â iS. Ajoutez 
que les idées juives loisonnent ilans ce passage. Voir les versets 
50, 37, 65 ; comparez versets 63 â iV, H ; voir la conception des 
pTùmptuaria, 68. 

Au verset 77 reparaît In question du sort des méchants en 
général. Dans tijut ce pacage (VI), 77 à VI], Wî, nous no voyons 
rien qui trahisse le juif. Au contraire, l'idée rabbJnique de la 
justiQcatiun par les mérites des palriarehes et des saints y est 
nettement combattue. 

Dans le passage VII, 46 â 56, le nos indique déjà qu'il s'agit 
des Juifs seulement. On comprend, qu'après la peinture du sort 
des Iransgressenrs, Salathiel s'écrie : « Il eût été mieux qu'Adam 
n'eût pas été créé ou qu'il eût été forcé de ne pas pécher. * 

Le Ion du passage VU, B7 à VIII, iS, où l'on ne relève aucun 
trait qui rappelle soit notre auteur soit la Ihéolo^e juive nous 
parait décidément chrétien. C'est toujours in question du petit 
nombre des élus. Les versets 16 à 19 font l'effet d'une suture 
assez gauchement faite. 

IjC passage VIII, 20 â 62, dont toutes les pailles s'enchaînent 
parfaitement, clôt dignement le dialogue de l'ange avec Sala- 
tliiel. Celui-ci s'incline devant Dieu cl le supplie de se souvenir 
de ceux qui legem tuam splendide domierunt. Leur justice sup- 
pléera à celle qui fait défaut aux Iransgresseurs. 

Le passage IX, 14 à 22, qui est dans le ton des passages chré- 
tiens, nous parait en être aussi. 

O.T reconnaîtra que la troisième vision gagne beaucoup à être 
débarrassée de passages qui sont étrangers à toul le contenu de 
l'apocalypse de Salatliiel, qui étonnent sous la plume d'un Juif 
■et qui embrouillent complètement la pensée de notre auteur. 



— 165 — 

Notre tâche qui consistait à décomposer l'apocalypse dite û'Es- 
dras en ses sources primitives est terminée. Il ne nous reste qu'à 
dire quelques mots du compilateur. C'est sans doute lui qui a 
écrit la septième et dernière vision. Il avait tous les documents 
sous les yeux. Voir Tallusion du verset 17, chapitre XIV. C'est 
lui aussi qui a rassemblé les pièces sous la même rubrique. Le 
nom d'Esdras a probablement appartenu d'abord à l'apocalypse 
que nous avons désignée par la lettre E. Il l'a attribué à la col- 
lection entière'. Il y a, ici et là, comme on devait s'y attendre, des 
retouches dont il est responsable. Nous n'insistons pas davantage 
sur la part qui lui revient dans l'œuvre totale. L'essentiel, c'est, 
que nous ayons établi qu'elle contient quatre sources principales 
et que l'usage que nous en avons fait paraisse justifié. 



Les apocalypses juives contenues dans la Révélation 
de saint Jean. 



1 



Depuis qu'on a émis l'idée qu'il y a dans la Révélation de saiq 
Jean des portions qui ont une iirt^ine juive, un débat très anim 
s'est engagé. Nous n'en retracerons pas ici les phases suce 
sives. Par l'importance et l'étendue de son travail sur l'ap 
lypse de Jean, M. Spitta nous parait avoir clos ia discussion. I 
est désarmais impossible de traiter la question des origines litté- 
raires du dernier des livres du Nouveau Testanienl sans tenir 
compte, en première ligne, de l'ouvrage de ce savant critique *. 

Nous voudrions essayer de formuler ici les résultais qui nous 
paraissent acquis au débat. Les grandes lignes de la structure 
littéraire de l'apocalypse de Jean peuvent être considérées comme 
fixées, 

Nous nous appliquerons, en premier lieu, à établir, sommai- 
rement, la présence de certains éléments distinctement juifs 
dans notre apocalypse. 

C'est surtout à partir du chapitre X» qu'on a le sentiment 
qu'on entre dans un monde d'idées et d'aspirations étrangères 
au ctirislianisme. Ce fut l'impression qui guida les initiateurs de 
l'hypothèse qu'un si grand nombre de critiques acceptent aujour- 
d'hui. Elle est jusle*. 

' BU Offfiibarung dm Johanmt untermchi, von F. Siiitm. Halle. IB89, 

< 11 ol bun de rappeler le jugement {juc Lutiier a perlé sur l'Apucnlypsc ilo 



— 167 — 

On l'éprouve au plus haut degré dans U)ut ce qui esl dit Ju 
Messie et de son riMc. Rappelons le-S principales affirmations qui 
concernent celui-ci : 

Dans trois passages essentiels, le Messie est représenté comme 
l'exécuteur des hautes œuvres de Dieu. Ce sont XII, 5; XIX, 11 
à 16; XJV, 14 à 20. Une phrase comme celle-ci : » Elle mit au 
monde un Dis mule qui doit régir toutes les nattons avec une 
verge de fer, » ne laisse subsister aucun doute sur le Pôle du 
Messie. Il est essentiellement l'exterminateur des adversaires de 
Dieu. Tel il paraît avec éclat dans le passage XIX, 1 à 16, où l'on 
sent toute la convenance qu'il y a à effacer les mots : «ai xtxlnrKi 
TD âtifia KÙToû à Vifùi; Tsû Sisû et à Ics attribuer au compilateur. Le 
Logos n'a vraiment rien à voir avec le chef des armées célestes. 
Hemarquons aussi l'arme dont il se sert pour exterminer les 
adversaires. « De sa bouche sort une épée aiguisée pour frapper 
les nations '. » Vient ensuite une description brutale de l'horrible 
massacre que fait cotte épée. On a bien fait de nous dire que ce 
Messie est vêtu d'une tunique trempée dans le sang. On le re- 
trouve sous les mêmes trnits dans le passage XIV, 14 à 20. C'est 
le moissonneur livide, assis sur les nues. Il fauche la terre. Si 
l'on admet les suppressions que M. Spitta fait dans le texte et 
qui imraissent assez ju-stifiikis, le verset 17 et le moiSr/yùm au 
verset 19, la peinture est encore plus frappante. Kn môme temps 
que le Messie fauche, il vendange aussi. Ce vendangeur écrase 
les grappes humaines ; une mer de sang se foriiie et grossit jus" 
qu'à atteindre les freins des chevaux. 

Telle est la seule el exclusive fonction attribuée au Messie dans 
toute cette partie du livre. On n'a peut-être pas assez remarqué 



in sentimenl.... Je 
;« ; je ns crois pas 

qu'il suit aposlalique ni prophétique.... J'ealimo ce livre à peu près à l'éK^l du 
quatrième livre tTEidras cl je oe puja y découvrir ri nspiralion du Snïiil.EBprit.... u 
(Œvnâ dt Luther, âdition d'Erlangen, LKtIl, 169.) 

* H. SpiUa bilTe ces muts et les attribue i R, p. ÎOi. Nuus ne pnriageurii pas 
son senliment sur ce point. Dans laotea les apocaljpses populaires la parole du 
Hesxie jiine un rûlc spécial. Elle d^lrult. C'est son anne. L'image del'épée appliquée 
à la parole itu Meisie est donc parrailemeat conforme i la traditian. 



que le Messie joue, dans le drame des derniers jours, unrûlM 
qui, quelque effrayant qu'il soit, est de courte durée ; 
somme, il est sulxirdonné, secondaire, presque effacé. Le Mee 
sic n'nppnralt qu'un instant pour écraser les adversaires. Il i 
Tait, en Un de compte, qu'achever l'œuvre de destruction conn^ 
mencée par divers élémenls décliaiués, vents, guerres, trcm- 1 
blements de terre, etc. Même quand il est question du règne de 
mille ans en Terre-Sainte, il n'est pas mentionne*. C'est lui qnl | 
rtgno, sons doute, puisqu'il a le titre de « Hoi des rois, » mais , 
on ne nous dit rien de son rùgne. Toute sa vie antérieure se passe 
loin de la terre. Dès sa naissance il a été enlevé auprès de Dieu, 
11 ne reparaît, encore une fois, que pour détruire et tuer. Puis 
cette oeuvre de sang et de vengeance accomplie, il s'éclipse. Il 
n'est plus question de lui. Il ne prend aucune part au jugemeiH 
dernier. On ne remarque pas sa présence dans la Jérusalem 
céleste*. 

Tous ces traits rappellent aussitôt le Messie de nos apocalypse* 
juives. Ce qui Trappe dans les peintures qu'on en fait, ■ 
rOle aussi tîphémèreque terrifiant que lui allribuait l'imagination'l 
populaire. Oti se souvient que dans la Vision de l'Aigle le Messie 1 
n'apparall qu'un instant pour accabler l'Aigle de ses paroleij 
vengeresses. Celui-ci se consume aussitôt. Puis le Messie dispa-* 
ralCel ne joue plus aucun rôle dans le drame final. Dans la Viaiqt 
de l'Rmnme, l'apparition du Messie n'est pas moins passagèra,! 
Dans l'apocalypse E, le Messie meurt après un règne de quatre 
cents ans, tant son rOle est limité à une fonction pnrticulièrejl 
En tout ceci le judaïsme montre bien qu'il reste (idèle au mon» 
théisme. Tout en attribuant la préexistence au Messie et tout ^M 
peignant de si fortes couleurs son intervention passagère dans IfiT 
drame des derniers jours, il le subordonnait au Trccrtmfiânip. 

' Nous pensons arec M. Spitla que les versets 1 à 6, chapitre XX, euiit d'une n 
chrélïenne. On y relruuve une allusion aux martyrs clirélicns, l'idûc de la raji 
réleite des lidèJes, une nution toute chrëliennc du sort cica mâchants qui ne 
vent pta ressusciter jusqu'à la itn des milla bqe. 

»Sli, 1-8; Xt, 11-15; XSl, 0-27. Inutile de fnire remarquer qu'il faut bi 
dans tous CCS passages, le mot âpi'Jov. Parlant il est si gaucliemeut soudË au t 
qu'il sullît, ciirilme on l'a dit', de secouer celui-ci pour que ces retouches (uinl 



— 160 — 

Faiit-il rappeler que cet autre trait, que mius avons relevé dans 
la pli>^ti)iiorriic du Messie, dans les portions juives de la Kévélslion 
de Jean, celui d'exlermînaleur, osl précisément ce qui distingue !e 
plus le Messie de nos apocalypses? Partout, soit dans In Vision de 
l'Aigle suit dans celle de l'Homme, il apparaît comme l'exécuteur 
des hautes usuvrcs de Dieu. Son rJle est de détruire. Ici, comme 
dans les passages johanniques dont il est question, il a devant 
lui les adversaires des élus et de Dieu. Tantôt il les écrase sans 
qu'ils oITrent de résistance, Inntilt ceux-ci se rassemblent contre 
lui et périssent dans ta lutte. Le parallèle est complet. 

Comme ce Messie diffère du Clirist des chrétiens du premier 
siècle I Leur chrifitoltigie se développe dans un sens absolument 
opposé au courant des conceptions messianiques. L'importance du 
Christ, surtout dans les milieux pagano-cliré tiens, tendait à grandir 
tous les Jours. On lui attribue un rftle prépondérant non seulement 
dans le drame de la rédemption mais dans celui de la création et 
dans le gouvernement du monde. Partout, au premier siècle, on 
parle de lui, wt «tpi Siw*. C'est là l'expression de la Toi commune 
dans tous les milieux chrétiens qui comptent^. Le Messie juif ne 
joue aucun n'ile ni dans l'ordre moral ni dons l'ordre cosmique. 
C'est dire qu'il n'a rien de commun uveo le Christ des chrétiens. 

Ce n'est pas seulement dans ce qui louche le Messie que se révèle 
le caractère essentiellement juiFde toute une partie de l'apoca- 
lypse de Jean, c'est encore par d'autres traits, non moins signi- 
II ca tifs. 

Le sentiment national du peuple juif s'y manifeste dans toute 
sou opreté. Rien de plus opposé à l'universatisme cbrétien que 
l'exclusivisme qui éclate à chaque page depuis le VII^ chapitre 
jusqu'à XXII, 63. Il n'y a, dirait-on, que les Juifs au monde. 
C'est à leur profil que le drame universel se dénoue. C'est pour 
satisfaire leurs haines et leurs rancunes que le Messie frappe et 
tue. Les visionnaires qui nous montrent d'un cCité le monde païen 
criblé, lapidé par les Iléaux du ciel, décimé par tous les maux 

> II Clem. romani epitlol., cap. I, 1 aq. 
I Hamack, DugmtngesekiMe, vol. I, p. 131 à liO. 

» Bien lîQleiidu, i l'ciiceplion de VU, B ù 17 et de ccrtninea expressions isuiccs 
qui sonl des interpolatiuiia manifestes. 



— 170 — 

ima^'inublcs roiiouvelés des- plaies d'E(^ypte, noyé dans une mer'«| 
(le 8811g, et de l'autre cCité, rassemblée sur la montagne de Siono 
l'élite d'Israël, les 144 000, sont posiliveinent ivres de vengeance;! 
Absolument comme les auteurs de nos apocalypses juives, ils^ 
éprouvent une véritable allégresse à la pensée de l'extermina-j 
lion complète du monde païen. La seule concession qu'on fasse'l 
à l'humanité, c'est de supposer que les idolâtres seront les sujetfti* 
d'Israël dans les temps nouveaux I Les auleui's de l'apocalypseV 
des Bétes ou de celle de l'ilomvie pensent-iis, parlent-ils aulre^a 
ment? Que dire enfin de la baine contre Rome qui éclate dHDSrJ| 
toute la partie de la Révélation johannique dont nous alTInnon^ 
l'origine juive ? Ne retrouve-t-on pas dans les chapitres SVII etfl 
XVIll et ailleurs toutes les colères et toutes les rancunes de i'âme'^ 
juive contre la Rome impériale ou républicaine*? Y sont-e 
exprimées avec moins d'éloquence que dans le troisième chant'l 
des oracles sibyllins? 

Tout celajure complètement avec les tendances qui prévalaient J 
de plus en plus parmi les paisibles disciples du Cbrist. Le grandli 
courant était à l'universalisme. Toute la littérature chrétienne'.] 
des deux premiers siècles en est pénétrée. Le nombre des disciples.! 
qui restaient attachés à l'exclusivisme juif était très restreint. | 
Cette Torme du christianisme, la seule qui mérite le titre de 
judéo-christianisme, n'a exercé aucune influence sérieuse soitij 
sur le développement historique soil sur la formation des idées ^ 
au sein de la primitive Eglise'. Quant aux sentiments des chré- 
tiens à l'égard de Rome et. de son gouvernement, ils sont trop, i 
connus pour que nous y insistions. 

Voilà, si nous ne nous trompons pas, un ensemble de traits qui ^ 
donnent aux passages en question une physionomie bien juivej'*! 
On peut admettre que le christianisme du premier âge, méme'3 
devenu universaliste, a retenu non seulement de l'Ancien Testa- J 
ment, mais même du judaïsme postérieur, tout ce qui n'était pas - 
absolumfint incompatible avec son principe, ses tendances, son.' 
orientation générale, quitte plus tard à éliminer ou à remplacer j 
les éléments devenus génaïUs pour la foi chrétienne grâce à leur J 

' Harnack, ouï, cM, vuI. t, p. 215. 



— 171 — 

ciir.'ictcreiuif, mnis il ne peut y avoir d'hésitaliuii lorsqu'on ren- 
contre quelque part un écrit ou des fragments d'écrit qui oou- 
lieiiuent des élémonls absolument irréconciliables avec les ten- 
dances les plus prononcées du christianisme priniilir. Il faut en 
reconnaître l'origine juive. C'est le cas de toute cette portion de 
l'apocalypse de Jean dont il a été question. On conçoit qu'une 
notion comme celle de la préexistence puisse trouver place dans 
un écrit chrétien. On ne comprend pas que la conception d'un 
Messie-bourreau s'y trouve. Voilà ce qui fait que toute cette par- 
tie de la Etévélation de Jean n'a pas pu émaner d'un chrétien. 
Ajoutez que les traits vraiment caractéristiques du christianisme 
y l'ont défaut. On n'y trouve pas les notions essentielles du péché 
et du salut. On avait senti tout cela depuis longtemps. On s'en 
lirait en mettant notre apocalypse sur le compte d'un judéo-chris- 
tianisme apocryphe. 11 faut revenir à la vérité historique el 
rendre à César ce qui appartient à César. Les portions de l'apo- 
calypse de Jean dont il a été question sont juives el rien que 
juives. 



II 



Dans ces pages, dont nous considérons l'origine juive comme 
itora de dout«, règne un désordre évident, il est difficile de voir 
. une suite dans les tableaux qui se succèdent. Il n'est pas surpre- 
nant qu'on y ait vu une série d'oracles juifs reliés par un sché- 
matisme artificiel. 

Un rapide examen préalable de cette partie de notre apoca- 
lypse nous révélera peut-être la cause du désordre qu'on y re- 
marque el nous fournira les éléments de lu solution que nous 
avons adoptée. 



' A. Sabatier, les 0''iginfS lilléralres ci la CompvsUiou de. V/ipocaliipsi' de 
tainl Jean, IBHB. 

Duns un rcmarqualila article qu'il a dunnâ dana le: Annalet de bibliogra- 
phie théohglqtte (mara 1SB8), H. «ÉnÊgoz, après avoir &il reasorlir la jusleiie 
iloa amendements que H. Sabatiur prupossil alura do Taire à l'hypolhèse de M. 
VÏBclier, montre cepeiidiint que celle-ci, mène amendée, ne l'eal pas encore suf- 
Qaaiiimeul. Il fail remarquer en pari icu lier que les « visions symétriques nu ren- 



- 172 - 

C'esl au chapitre V(I ([u'iui senl, jiour lu prpiriière liiis, la |>r6- 
senwi d'un élément élmiif^cr dans le toxle. Jusque-là tout s'en- 
chnlne et se suit. Aprt>8 les messages aux Eglises, les révélations 
onl commencé. On nous transporte au ciel. On nous montre 
Dieu. On noos l'ait assister aux liturgies sacrées. Puis l'ouver- 
ture des sceaux a lieu. C'est le drame terrestre qui commence. 
Tuus les si^'ues précurseurs se succèdent. Puis vient la cslas- 
tropbe suprême. C'est bien la (lu. Rien n'y manque. Le soleil 
s'obscurcit. La lune se cliange en sang. Les astres tomtient. Le 
firmament s'en va comme l'on roule un parchemin. Moutagnes 
et lies se déplacent. Les puissants et les riches se lamentent, car 
le grand jour de la colère île Celui qui est assis sur le tn^ne est 
arrivé. Après le jugement des méchants, il n'y a plus à attendre 
que la révélation de la félicité des élus. C'est ici qu'on constate 
une solution de continuité dans la suite de ces tableaux qui s'en- 
chaînent sans difficulté. 

Que signifie cette élite de 144000 élus pris au sein des tribus 
d'israël dont il est question dans la première moitié du VII* cha- 
pitre? Pourquoi l'auteur les mentionne- l-il en cet endroit? On 
les a marqués du sceau de Dieu, c'est-à-dire on leur a donné le 
signe qui doit les préserver au milieu des fléaux qui vont se dé- 
chaîner. C'est donc avant ce déchaînement qu'il eût fallu en par- 
ler. D'ailleurs qui sont-ils, d'où viennent-ils ces 144000? On sait 
qu'i Is ont toujours embarrassé les exégètes. On a voulu, à tout prix, 
y voir des chrétiens. Ce sont des Israélites au sens spiiituel. Tout 
ceci est une allégorie. Fort bien, mais alors que faites-vous de 
l'innombrable multitude du passage qui suit? Les premiers sont 
des judétvchréliens, ceux-ci des pagano-chrétiensi Alors, dans 
cette hypothèse, comment expliquer pourquoi les uns sont dô- 



rennent pas d'élémenU spécEliquemenl chrélieDs, o D'aprèa lui, la parties 
chféliennea do l'apncalypsc cle Jean sunl lei chap. l-l[I el ctiap. XXII. 6-21. On 
ïuil jusqu'à quel puinl M. Ménigo» anticipe Sur l'hïpolhàso do M. Spitla que 
nous crojous devoir accepter dans ses gratidos lignes. M. Hânégot! n'aurait qu'à 
nous accorder que les cbap. rv, V, VI conatitucnt prËcisËmeiit le corps d'une 
apocalypse chrétienno, pour que l'accord Kl complet. Il nous semble que la seule 
cunsidératiun qui l'ail arrêté dans la voie qu'il suivait, c'est l'idée que les trois 
séries de plaies appartiennent au même schématitme. 



" 473 ~ 
nombres et les autres ne le sont pas? Tout ra!a est très arbitraire. 
Le fait est que ces 144000 élus ne sont et ne peuvout être que 
ries Juifs. Ils repr<^senlent la communsiiLé juive qui existera aux 
derniers jours. Dieu les protège et les met à l'abri. Pourquoi l'au- 
tenr spéeine-t-il que chaque tribu fournira un douzième du 
chiffre total des «^lus? Quel sens cela aurait-il s'il s'agissait de 
chrétiens? Nous estimons {fone que ce passage VU, 1 à 8 n'ap- 
partient en aucune façon aux chapitres qui le précèdent et qu'il 
y a ici une coupure éviilente. 

Le passage VII, 9 à VIII, t.nous l'avons fait entrevoir, n'a rien 
de commuu avec celui que nous venons d'examiner. Nous en dis- 
cuterons plus loin la provenance. En omettant VII, 9 à VIII, i, 
on obtient de VII, 1 à IX, il une suite naturelle qu'aucun élé- 
ment étranger ne vient apparemment interrompre. On se souvient 
que nous sommes, en ce moment, dans la partie essentiellement 
juive de notre apocalypse. Si nous y constatons la présence d'un 
nouvel élément, ce sera un élément de provenance juive. 

Or, on remarque au chapitre X une perturbation dans le texte 
qui indique qu'on y a probablement inti'uduit une source nou- 
velle. 

La sixième trompette a sonné. Les (léaiix ont accompli leur 
œuvre de destruction. On conçoit qu'à ce moment-là, avant la 
septième trompette, it y ait un intermède. Uu ange proclame, 
avec un serment solennel, que le temps ne sera plus et que le 
mystère de Dieu est consommé. Puis la septième trompette 
sonne. Voilà une suite qui est naturelle. Dans le texte actuel, 
elle n'existe pas. Des tableaux d'un caractère tout différent de 
ceux qu'on attendrait en cet endroit, prolongent démesurément 
l'intermède entre la sixième et la septième trompette. 

En effet, il est question dans le X* chapitre d'une scène qui 
dénature cet intermède et lui domie une signiQcation qu'il ne 
peut pas avoir. On nous montre un ange qni donne au Voyant 
un livre qu'il doit dévorer. C'est d'Eucchiel que celle scène est 
prise et c'est dans ce prophèle (cap. III) qu'il faut en cberoher 
l'explication. Pourquoi le prophète reçoit-il un livre qu'il doit 
dévorer? Pour qu'il .s'inspire de la pensée divine. Qu'est-ce que 



É 



— 174 — 

ce livre? Le recueil des prophelies qu'il duit pnn lamer. En un I 
mot, toute la scène est une scène de consécration C'est une o«-J 
verture solennelle Sa place est au début du livre. Or, quelJ 
autre sens la même scène, reproduite jusque dans les détails, i 
peut-elle avoir danti notre apocalypse? Elle est ici comme chez i^Ê 
propli6te l'ouverture solennelle d'une série de prophéties. On new 
peut en expliquer la présence en cet endroit qu'on y voyant ]em 
début d'une nouvelle apocalypse juive qu'on a greffée sur lai 
première dont nous avons constaté l'apparition au VII" chapitre- j 
Sans doute cet endroit a paru le plus favorable pour celte opérarl 
tion. 

L'examen du texte confirme pleinement l'impression généraiel 
que nous venons d'indiquer. I.,a première phrase du premier ver- ■ 
set : xed.... xara^votTx a toO oùpoïoù S sa Suite naturelle dans la I 
seconde partie du deuxième verset : xni Bumv tou jraSa , etc. Voilà une-l 
image qui se conçoit sans peine. Les mots qui s'intercalent entpêl 
ces deux phrases nuisent à la clarté de l'image et, au Qoint de I 
vue de la grammaire, se comprendraient mieux immédiatement 1 
après HTyjpm plutôt qu'après xarapaAnr/™. Remarquons, en outre, i 
que dans Ezéchiel. à qui tous les traits de cotte description sont j 
empruntés, il s'agit de Dieu lui-même. Il est certain que toutéj 
cette peinture suppose une figure au repos et qu'on a quelquetl 
peine fi la concevoir en mouvement comme le veut le texte ac-.l 
tuel. En tout cas, il ne s'agit pas d'un ange. Pourquoi supposer-j 
que l'auteur qui a suivi son modèle de si près dans les détailll,| 
ait donné un tout autre sens soit à la scène entière, soit à une J 
partie aussi essenlielle que celle-ci? C'est cependant â quoi îll 
faut en arriver si l'on refuse d'admettre la juxtaposition ou plo-f 
tôt la fusion de deux éléments différents dans le texte actuel. Ce] 
sont là les principales raisons qui nous font penser que tout oéû 
qui est diroclemont imité d'Ezécbiel dans ce chapitre appartient^ 
à une nouvelle source juive qui apparaît ici pour la premièr&d 
fois. C'en est l'ouverture, ijd reste (1», 2'' à 7) constitue l'iuter-^ 
mode naturel entre la sixième et la septième trompette. 

Voilà donc deux sources différentes dont nous constatons la'V 
présence dans la partie juive de notre apocalypse. A partir de ce 1 



— 175 — 

moment elles s'cnchevèlreiit à tel point qu'il devient tr&s diffi- 
cile d'en démêler réchevemi. Nulle part, dans tout ce qui suit 
jusqu'à la fin de la parlie juive, n'a perce vons-nons »ne troisième 
source juive. Nous pensons qu'on peut ramener toute celte pop- 
Lie aux deux sources dont il a été question et reconstlLuer aiusi 
ces deux apocalypses juives dont nons avons donné l'analyse 
dans la première partie de ce travail. C'est ce que nous allons 
essayer de faire. 



m 



Nous avons adopté, du moins dans ses grandes lignes, la solu- 
tion du problème de la composition de l'apocalypse de Jean, pro- 
posée par M. Spitta. Nous pensons avec lui qu'elle peut se dé- 
composer en trois sources principales, nne source chrétienne qui 
encadre les deux autres, puis deux sources juives enchevêtrées 
l'une dans l'autre. Le compilateur qui a réuni et fusionné ces 
trois dMoments était chrétien. 

Il s'agit maintenant de délimiter plus nettement nos trois 
sources, en insistant davantage, conformément au dessein de ce 
travail, sur l'examen littéraire des parties juives. 

A. L'apocfllypse chrétienne. 

Le premier point que nous ayons à examiner est celui-ci : les 
chapitres IV, V, VI font-ils suite aux trois premiers, appartien- 
nent-ils au même document? De la solution de cette première 
question dépend l'existence présumée d'une apocalypse chré- 
tienne. Sans reprendre en détail une discussion que MM. Weiz- 
aacker, Sobatier, Spitta et d'autres ont épuisée, énumérons briè- 
vement les principales raisons qui nous déterminent â penser 
avec eus que ces trois chapitres ne doivent pas être séparés des 
trois précédents, mais font corps avec eux. 

Les premiers mots du IV* chapitre supposent, sans contredit, 
une vision antérieure : pri m^Ta eîSm. I] faul donc supposer ou 
bien que cette vision est celle du l*"" chapitre on bien que la vi- 
sion qui a réellement précédé celle du chapitre IV a été éliminée 
et remplacée par celle du I^"" chapitre. En tout cas, le W cha- 



- 176 - 
pilru ne peut pas ëlre le début d'une apoculypse. Nuus esLimuas 
qu'il n'y 8 vraiment pas de raisons pour ne pas considérer la vi- 
sion du I" cliapitrc comme celle qui h dû procéder le IV* cha- 
pitre. Il serait Tacile de relever certains traits particuliers dans 
IV â VI qui supposent II et III. Ainsi dès les premiers versets du 
IV" cliapitre, mention est faite de la ftnh a£kinyy<,i de I, 10. Ici 
comme an I" chapitre le Voyant est « en esprit, t Partout dans 
ces sis premiers diapitres on remarque le rôle important que 
le chiffre sept y joue, sept étoiles, sept lampes, sept Eglises, les 
sept cornes et sept yeux de l'aj^neau, les sept sceaux. 

Ce qui est plus dt^cisif, c'est que ces six premiers chapitres ont 
absolument le même caractère. Tons ils émanent d'une plume 
chrétienne et à ce point de vue se distinj^uent nettement du corps 
lie l'ouvrage. C'est en vain que M, Vischer a essayé d'éliminer 
des six premiers chapitres tout ce qui paraissait chrétien. Tandis 
que dans les portions juives de notre apocalypse, on n'a qu'à se- 
couer le texte pour que les interpolations chrétiennes s'en déta- 
chent, ici il faudrait faire violence au texte pour arriver au 
même résultat. Le trait capital qu'on ne peut pas éliminer, c'est 
la christologie de ces six chapitres. Qu'il s'agisse de la vision du 
Christ au l^^ chapitre on de l'Agneau dans les trois derniers, 
c'est la même chose. Le Christ joue ici un r/ile capital. Il est 
élevé â une dignité qui est bien supérieure aux fonctions passa- 
gères que l'apocalyptique juive attribuait à son Messie. Il partage 
ici les hommages qu'on adresse ù Dieu lui-môme. Impossible de 
ne pas reconnaître la christologie qui régnait dans les Eglises 
dès la fin du premier siècle. 

11 est bien d'autres traits qui révèlent le christianisme de ces 
six chapitres. Remarquez, par exemple, l'universalisme qui est 
commun à tous. Aucune trace des aspirations nationales juives. 
Une comparaison détaillée des trois premiers chapitres aux trois 
suivants aurait pour résultat de montrer que les uns et les autres 
sont également pénétrés de l'esprit chrétien. Dès lors pourquoi 
les séparer? Le but particulier de notre travail ne nous permet 
pas de faire cette comparaison. Il est un autre point qui sollicite 
notre atlenlioii et nécessite quelques éclaircissements. Leij 



l 



- d77 — 
sage sur les sept Irorapeites et celui sur les sept coupes Tont-ilB 
également partie île l'apocalypse chrétienne dont les six premiers 
chapitres constiliierit le fond ? On l'a soutenu. Sur ce point mius 
sommes contraint de donner raison à M. Spitta qui soutient la 
négative. Ici encore qu'on nous permette d'exposer brièvement 
nos raisons sans entrer dans une discussion détaillée. 

Les sept trompettes qui donnent le signal d'une nouvelle série 
de tléaux ne sauraient, en aucune façon, faire suite aux sept 
sceaux, d'abord parce que, à l'ouverture du septième sceau, le 
cataclysme final vient d'avoir lieu. I.a nature est déjà boulever- 
sée; les astres soiit tombés; le ciel a disparu ; les lies et les 
niontagnes ont été déplacées. C'est la Tin. Les mécbanis n'atten- 
dent plus que le jugement. Il ne reste plus à l'auteur qu'à dé- 
peindre la rélicité des 61ns. Or, lorsque les trompettes commen- 
cent à sonner, rien de tout cela n'a eu lieu. La terre subsiste 
encore. Au trois premiers coups de trompette, les premiers 
fiéaux frappent la terre. Ce n'est qu'au quatrième coup que les 
grandes perturbations commencent, du moins dans le ciel. En- 
core est-on loin de la fin. Les événements dont les autres coups 
de trompette sont le signal se passent en bonne partie sur la 
terre. Les mêmes observations s'appliquent aux coupes. Si donc 
les trompettes et les coupes Tont partie du môme drame que les 
sceaux, il n'y a pas gradation dans les dernières catastrophes, il 
y a, tout simplement, répétition. Ce sont trois séries de fléaux 
avant-coureurs de la fin, calquées à peu près sur le même mo- 
dèle. Le cadre étant donné par la tradition apocalyptique, chacun 
le remplissait à son gré. A notre sens, ce sont donc trois séries 
parallèles émanant de trois sources différentes. Ce ne sont pas 
trois tJiblcaux successifs et gradués. Dans ces conditions, est-il 
vraisemblable qu'ils émanent du même auteur? 

Ensuite, à y regarder de près, le contenu de chacune des trois 
séries témoigne de leur origine opposée. Les deux dernières, que 
nous attribuons à une plume juive, rappellent les plaies d'Egypte. 
I^ première semble plutôt inspirée du discours eschatolugique 
de Jésus. Les quatre premiers sceaux nous donnent i'àji)^ ùSbuv ; 
le cinquième, c'est la t'>T^'« ^Mt 'lU' épi'ouve les fidèles eux- 



~ 178 — 

mêmes ; le sixième, e'ost le tûoî. Ainsi, de toutes les manières, I 
nous parait-il difficile d'attribuer au infime auteur ces trois séries J 
de tableaux. On ne voit aucune raison qu'il ait pu avoir de se I 
répéter ainsi lui-même. La seule raison qu'on puisse alléguer 1 
pour soutenir que les trois séries font partie de la même apoca- ' 
lypse, c'est qu'oli aurait là le cadre môme, consistant en sept 
fléaux avec trois reprises au moment où lout semblait terminé, 
qui forme la cliarponte de l'apocalypse primitive. Ce serait lu un 
schématisme très organique et très saisissant. Cependant, nous 
ne croyons pas qu'on doive sacrifier à celte considération, quel- | 
que séduisante qu'elle soit, les raisons de fond qui militent \ 
contre l'attribution au même auteur de ces trois séries ie | 
tableaux. Nous l'avons déjà fait sentir dans les analyses des 
deux apocalypses auxquelles les deux dernières séries appartien- 
nent et nous y reviendrons dons un instant, les passages relatifs 
aux trompettes et aux coupes sont de provenance juive. Dès lors, 
il ne peut pas être question de les attribuer à l'auteur de l'apo- ' 
calypse cbrétienne. Quant au schématisme, il est probable que 
c'est le compilateur à qui l'on doit la Révélation de Jean dans sa 
forme actuelle qui l'a imaginé. 

Il reste un dernier point à élucider avant de quitter l'apoca- 
lypse chrétienne. Si les sept coupes ne donnent pas le contenu 
du septième sceau, où se trouve-t-il? M. Spilla nous semble 
avoir fort heureusement réussi à donner la vraie solution du pro- 
blème. Il fait remarquer qu'aprôs le bouleversement du monde 
terrestre dont le sixième sceau a été le signal, il n'y a plus à at- 
tendre que le triomphe des justes et des martyrs. Or, tout le 
monde accorde que le passage Vil, i) à 17 no cadre pas du tout 
avec celui qui précède. Il semble déplacé. Il est sûrement d'ori- 
gine chrétienne. On y retrouve l'universalisme des premiers cha- 
pitres. Comparez V, 9 et VII, 9. L'agneau qui donne la vie repa- 
raît ici. (Vers. 17.) On remarque aussi les animaux, les anciens, 
la liturgie céleste des premiers chapitres. Il s'y trouve une 
allusion très caractérisée aux calamités du cinquième sceau. 
(Vers. 14.) Tout cela ne laisse aucun doute sur l'étroite parenté 
(iilif (0 ifptr^o et les chapitres I à VI. Or, de quoi est-il ques- 



N 



- 179 — 
tîoii itnns tout ce passnge? Préciséineiit de la béatitude des 
fidèles. Combien plus spirituelle que la félicité dépeinte par les 
auteurs des apocalypses juives I N'aurioos-nous pas ici ie con- 
tenu du sepliômc sceau ? Mettez le verset l du chapitre VIII en 
tète de ce morceau, avec ce grand silence qui s'interpose entre 
la lin de l'ancien ordre de choses et l'avènement des temps nou- 
veaux, tout s'enchaîne et s'explique. 

Puis vient le corps de notre apocalypse qui, à part les interpo- 
lations, est juif. Enfin le même ton et la même plume reparais- 
sent au XXII" chapitre, verset 6, C'est la conclusion de l'apoca- 
lypse chrétienne. Celle-ci est donc une lettre'. Cet écrit a la 
forme épislolaire commune aux productions chrétiennes de l'épo- 
que. Cette lettre contient une apocalypse ou révélation de l'avenir 
qui est complète. L'attente de la fin prochaine remplit cet écrit. 
Cette préoccupation explique, sans doute, la succession rapide 
des tableaux de l'auteur. Chacun remarquera l'esprit admirable, 
l'élévation toute chrétienne et, à travers les symboles, la haute 
spiritualité qui rognent dans ce petit livre. Quel contraste avec, 
tout ie reste de notre apocalypse I 

B. Les deux apocalypses juives. 

Dès qu'on incorpore les passages relatifs aux trompettes et 
aux coupes dans l'apocalypse chrétienne, il devient très difll- 
ci1e,sinon impossible, de découvrir un ordre et une suite quel- 
conque dans les parties qu'on croit d'origine juive. L'hypothèse 
d'une série d'oracles juifs enclavés ici et là dans l'apocalypse 
chrétienne devient alors la plus vraisemblable. Dès qu'on recon- 
naît le vrai caractère des deux passages en question, il devient 
possible, croyons-nous, de démêler dans la partie juive de l'apo- 
calypse de Jean deux sources actuellement disloquées et dont les 
disjecla membra s'enchevêtrent les uns dans les autres. 

Nous avons déjà montré le caractère essentiellement juif du 
passage VII, 1 à 8. On se souvient que la scène qui y est dépeinte 
ne peut avoir qu'un seul sens. Les 144 000 élus re(;oivent le sceau 
divin afin que ce signe les protège au milieu des calamités qui 
vont frapper les hommes et le monde. Gomme au temps où Israël 

> A. Sabalicr, ouv. cité, p. 10 el suiv. 



[ 



'J 



— 180 — 
rocevnit, en Egj'pte, le signe qui flevrtit éloifiner l'ange deslruc- 
leur, ici les élus sont n l'abri. Il est clair que si lel est le sens 
de cette scène, elle ne peut être qo'nii prélude au (Jéchaïuement 
des calamités dernières. Dès Jors quoi de plus naturel que devoir 
dans le passngie VHI, 2 et suivants la suite de cette scène dont 
il n'est séparé que par «n passage {VII, 9 à VUl. i) qui n'a rien 
à voir ni avec VU, l à 8, ni avec Vill, 2 et suivants. L'analyse 
que nous avons faite de l'apocalypse A a eu pour but de relever 
le caractère essentiellement juif des parties qui la composeut. Ici 
nous marquons pluliit la liaison de ces parties. Rappelons, cepen- 
dant, que dans le passage sur les trompettes, il n'y a pas nn trait 
qui ne rappelle les autres a|>ocalypses juives. Les Irompettea, les 
étoiles considérées comme des êtres vivants, les montagnes de 
feu, etc., tout cela se trouve dans tes apocalypses connues sons 
les noms d'Esdras, Banich, Enoch. 

Ainsi donc en rapprochant VII, 1 à 8 de Vin, 2 et suivants 
nons obtenons un commencement d'apoivilypse. Tout s'enchaine 
parfaitement jusqu'au \' chapitre. C'est déjà un fragment im- 
portant qu'on ue nous accusera pas d'avoir obtenu perdes moyens 
arbitraires. 

C'i'st A partir de ce X" chapitre que commencent les vmies 
difflcullés. On se soutient que c'est en cet endroit qu'auparsK 
une nouvelle source juive. Il est à présumer que tout le reste se 
ri)mpo6e des parties désagrégées de ces deux sources, à moins 
qu'il ne surgisse une troisième. Tout le problème consiste à dé- 
mêler et à séparer ces deux courants qui confondent leurs eaux, 
et cela sans violence el d'une manière naturelle. Nons l'avons 
déjà vu, il y a, dans ce chapitre X. d'abord un intermède qui a 
sa place toute trouvée entre ia sixième et la septième Irompetle, 
pois il y a l'ouverture d'une nouvelle apocalvjptse juive. 

A laquelle de ces deux sources appartient le passage saivant 
XI. 1 à 13? Le contenu doit décider. Le Voyant reçoit rordre 
de mesurer le temple et l'autel, puis les deax lénwins apfM- 
raîssenl. Nous avwis fait ressortir ailleurs le farartère juif de 
luut ce morceau. A quel moment du drame aporah'pliqae ce 
passage nous r^wrte^-il t N'est-ce pas à un raumeot antérieur à 



- 181 - 
celui où Iti siNièiiie Immpelte iiuiis a laissés? Le Icmple est me- 
suré pour êlre préservé de la profanation, les prophètes prê- 
chent. Ne sont-ce pas là des événements qui appartiennent â la 
période qui précède les catastrophes dernières? Dans ce cas, il 
est pins naturel de supposer que le passage XI, 1 à {:i est la 
suite du passage qui conlient le début de la nouvelle source dans 
le chapitre précédent. Voilà doncle commencement de la source B. 

Le verset i4 et ie commencement du vsrset 15 nous ramènent 
à la source A. 11 s'agit de trouver le récit des lléaux déchaînés 
au son de la septième trompette. Nous pouvons, sans aucun in- 
convénient. Taire abstraction du passage XI, 16'' à 18. Venons-en 
tout de suite à un long fragment qui commence à XI, 19 et va 
jusqu'à la fin ilu XUI^ chapitre .sans aucune cassure. Nous ne 
parlons pas des quelques interpolations chrétiennes qui s'y trou- 
vent et qui tombent d'elles-mêmes. 

Ce morceau relate la naissance du Messie, le combat dans les 
cieux, les tentatives du dragon, l'apparition des deux botes. Nous 
sommes au beau milieu des derniers fléaux. Quelle raison s'op- 
pose à ce qu'on y voie les calamités dont la septième trompette 
devait être le signal ? Dans un court intermède entre le quatrième 
et le cinquième coup de trompette, un aigle avait annoncé trois 
«ùoi plus terribles que les fléaux précédents. En effet, depuis ce 
moment, il y a une gradation marquée. Les fléaux des chapitres 
Xil et XIII sont bien te couronnement tragique de tous les pré- 
cédents. 

La suite des chapitres XII et XIII se retrouve d'elle-même dans 
le passage XIV, (î à 13. On aura soin d'omettre les mots : xrI 
iwiiTioï Toû àfnicrt au verscl 10 et les versets 12 et 13 qui sont des 
interpolations chrétiennes évidentes. On fera peut-être bien 
d'omettre aussi le verset 8 qui fait allusion à un événement dont 
il n'a pas été question jusqu'ici dans A. Sans parler dos allusions 
des versets 9 à 11, ce passage est la suite naturelle de XIII en ce 
qu'il annonce la fin. Il nous prépare au dernier acte du drame, 

Nous ne dirons pas grand'chose du morceau XIV, 1 à B. Les 
difficultés sont à peu près égales, soit qu'on l'attribue à une 
main chrétienne, soit qu'on essaie de le rattacher à l'une ou à 



[ 



— 182 — 
l'autre de nos doux sources juives. Les l'iiOOO (5lus rappellent 
les 144000 Israéiiles qui avaient reçu le signe de Dieu. En outre 
l'idée de représenter le Messie sous l'image d'un bélier semble 
assez naturelle otiez l'auteur de l'apocalypse A. Dans XIII, il, la 
seconde bêle ressemble é nu bélier. C'est, peut-être, comme le 
veut l'ingénieux M, Spilla, pour avertir le lecteur que cette se- 
conde bête est une caricature du Messie. D'autre part, les traits 
chrétiens abondent dans ce fragment, notamment dans les ver- 
sets âà 4. Il n'est donc pas étonnant que les avis soient partagés 
sur la provenance de ce passage. Il faut ou bien opérer des cou- 
pures violentes, comme l'a fait M. Spitta, ou bien renoncer à 
trancher la question. Ce passage n'est pas assez considérable ni 
assez important pour qu'il influe sur la solution du problème de 
I» composition de l'apocalypse de Jean. Aussi préférons-nous 
laisser en suspens la question de sa provenance. 

Ainsi donc la source A nous a amenés au dernier acte. La pé- 
riode des fléaux, des ùSîmc, est finie. Reste la catastrophe su- 
prême, la Un dont A n'a pas encore fait le récit. D'autre part, B 
est loin d'en être au même point. Nous n'avons vu de celte source 
que le prélude. S'il se trouve dans ce qui reste des fragments qui 
appartiennent à B, ils ne peuvent nous donner que le récit des 
fléaux précurseurs. Il est heureux que la tradition apocalyptique 
ait fixé le cadre des révélations avec tant de rigueur I 

Nous soupçonnons que le passage XIV, 14 à 20 a été déplacé. 
Aussi en réservons-nous la discussion pour le moment. 

De nouveau nous arrivons à un long morceau dont toutes lea 
parties se tiennent. Ce sont les chapitres XV et XVL Dès XV, 1, 
il est question des fléaux, qui précèdent la fln. Dans XVI nous en 
avons la description. En outre, on aperçoit, sans peine, que de 
leur côté les chapitres XVII, XVIII, Jusqu'à XIX, 8 constituent 
un fragment également coulé d'un seul jet. Tout s'y déroule avec 
une suite parfaite. La grande prostituée, le jugement qui la me- 
nace, les lamentations des rois et des marchands, la destruction 
de la ville maudite, le chant de triomphe des élus qui applaudis- 
sent à sa chute, voilà autant de tableaux qui s'appellent les uns 
les autres. 



— 183 - 
Eh bien, ces Jeux grands morceaux, XV cl XVI d'une parL et 
XVII à XIX, 8 d'autre part, se font-ils suite? Nous le pensons. 
Les raisons qu'on peut alléger pour soutenir l'opinion contraire 
se réduisent à celles-ci. Remarquons, au préalable, que si l'on 
suppose â chacun de ces deux morceaux une origine différente 
et qu'on les sépare, c'est surtout parce que, préoccupé du sché- 
malisme qui constitue, croit-on, le cadre de l'apocalypse chré- 
tienne, on attribue à celle-ci le passage sur les coupes. Comme 
d'autre part on lient XVII et XVIII pour foncièrement juifs, il est 
clair qu'il ne peut y avoir rien de commun entre ces deux mor- 
ceaux. Or, que peut-on mettre en avant pour prouver que ces 
deux morceaux ne se font pas suite î C'est que, d'après XVI, 19, 
Rome, i furj^ jcolic, est déjà détruite. Comment donc l'auteur 
referail-il, aussitôt après, !a peinture de la destruction de Rome? 
Cette remarque est parfaitement juste. Ce qui est dit au verset 19 
do chapitre XVI ne s'accorde pas avec la peinture du XVIII« cha- 
pitre. C'est justement l'une des raisons qui nous font penser qu'il 
y a dans le passage relatif à la septième coupe comme dans celui 
oii il est question de la sixième, un élément étranger au texte 
primitif du chapitre XVI ; nous verrons, dans un instant, qu'on a 
introduit dans cet endroit un fragment important de l'autre 
source. Si cela est, l'argument sur lequel on se fonde pour nier 
la connexion entre nos deux morceaux tombe de lui-même. En 
tout état de cause, on peut le considérer comme précaire. D'autre 
part, en dehors des considérations tirées du plan qu'a dû avoir 
l'apocalypse à laquelle nous attribuons ces deux morceaux, les- 
quelles ne sont pas les moins importantes, nous ferons remar- 
quer que XVII, 1 fait directement allusion au passage des coupes. 
J'avoue, cependant, qu'en somme ce qui me décide à ne pas 
séparer l'un de l'autre nçs deux morceaux, c'est que, comme 
nous allons le voir, ils forment ensemble une suite naturelle et 
logique aux parties de la source B que nous avons déjà fixées. 
En une matière où l'incertitude est grande et la confusion facile, 
sont-ce, après tout, les raisons de détail ou les considérations 
d'ensemble qui doivent guider? II est facile de contester les pre- 
mières, les autres ont, au moins, une base plus large. Voilà donc 



— 184 — 
un fragment considérable, XV, 1 a XIX, 8 iloiit nous estimons 
l'unité assurée. Il est du même auteur. Bien cnlcndu, les diffi- 
cullés de détail ne manquent pas. Le compilaleur, nous le ver- 
rons en son lieu et place, a passablement rcluuehé ses docu- 
ments. Tenons-nous-en aux grande lignes de ce fragment. 

A laquelle de nos deux sources peut-on attribuer ce morceau 
avec vraisemblance? Nuus en étions arrivés dans la source À 
au point où devait avoir lieu le dénouement du t^rond drame, 
c'est-à-dire, la fin. Or, comme notre fragment dépeint les-, 
grands fléaux qui précédent ce moment, il ne peut pas être la ' 
suite attendue, naturelle de A. D'autre part nous n'avons eu 
de la source B que la partie préliminaire (X et XI) ; d'après 
les règles du genre, c'est la peinture des iléuux précurseurs qui 
devrait succéder au prélude. Pourquoi notre morceau ne serait-il 
pas précisément cette peinture t N'est-il pas tout indique? Ne 
s'emboIte-t-11 pas parfaitement dans une lacune que lui seul ou 
un morceau absolument de même nature pourrait remplir?Gelte 
adaptation de passages qui, pris' dans leur ensemble, ont l'air 
d'être faits l'un pour l'autre, a-t-elle rien de forcé ou d'arbitraire ? 

11 est une autre considération qu'on peut faire valoir eu faveur 
du point de vue que nous défendons. Notre fragment, XV,1 à XIX, 
8, ne peut pas appartenir à lo source A parce qu'il y ferait double 
emploi. Cela est clair pour le passage sur les fléaux. Mais XVII 
et XVIIl feraient également double emploi s'ils se trouvaient 
flans A. Ces pages éloquentes prophétisent et célèbrent la ruine 
de Rome et l'anéantissement de sa puissance. Dans la source A 
n'esl'il pas aussi question de Rome, aux chapitres Xll, etc. ? Mais 
de quelle Rome ? Nous l'avons montré ailleurs, de la Rome impé- 
riale. Quoique l'auteur de A n'y insiste pas, il n'oublie pas d'an- 
noncer à son tour la destruction de la grande ville, flrécisémenl 
dans ce passage XVI, 17 à 20 dont il a été question et qui doit 
être attribué, comme nous le montrerons dans un instant, à A. 
Impossible de faire accorder ces deux peintures. Elles contien- 
nent des traits qui ne peuvent se concilier. Dès lors elles n'ont 
pu émaner du même écrivain. 

Le passage XIX, H à 21 est parallèle à celui dont nous avons 



- 185 — 
réservé la disiîiisBiun, XIV, li à 20. Tous Ucux raconteiil l'nvê- 
ncfiieiil du Messie. C'est une répétiiioii qu'il faut ajouter à toutes 
celles cjue nous nvons déjà relevées, deux séries de fléaux, deux 
destpuctiups de Rome, et nous ne sommes pas au bout des pas- 
sages à double emploi. Ceci montre bien qu'il y a deur sources 
distinctes iluns la partie juive de l'apocalypse de Jean. Nous dis- 
cuterons eu même temps les deux passages relatifs au Messie. Ce 
ijui reste à analyser, XX, 1 à XXil, S se divise tout naturelle- 
ment en deux parties, U y a d'abord le fragment XX, \ à XXI, 
6 qui continue et cKit la source A. Le contenu de ce passage in- 
dique clairement sa provenance. Voici la première défaite com- 
plète du dragon, puis le règne de mille ans, puis un suprême 
effort des puissances hostiles, le jugement, la Jérusalem céleste, 
le nouvel ordre de choses établi pour toujours, enfin le mot so- 
lennel qui termine l'apocalypse, yt^emi. C'est complet. 

Quant au passage XXI, 9 à XXII, 6 qui est aussi une fin, — 
encore une répétition 1 — dès les premiers mots on est fixé sur 
sa provenance. Il dépend dn passage sur les coupes. Il appartient 
â B dont il constitue une fin tout à fait normale. Dans XIX, 1 à 
8 nous avons eu l'hymne de triomphe des élus. Voici mainte- 
nant la description de la Jérusalem céleste qui doit être leur de- 
meure. C'est le nouvel ordre de choses. Ici l'apocalypse s'arrête. 

Pour être complet, il nous reste à dire notre sentiment sur les 
quelques passages dont nous avons ajourné l'examen. 

Les passages XVI, 13 à 16' et dans le même cbapîlre 17h à 
20 portent en eux-mêmes leur marque d'origine. Ils tranchent 
nettement sur le contexte dans lequel ils se trouvent. Ils se ratta- 
chent aux passages où il est question du dragon et des deux 
bêtes. A y regarder de près, ils constituent le cbaln(m qui relie 
XII-XIV, u au chapitre XX et snivant. D'après XIV, 10, H, 
on s'attend à un dernier connu dans lequel les adversaires suc- 
comberont. C'est de ce conflit qu'il s'agit dans XVI, 13 è 16. 
I Après cela viendra le règne de mille ans. Dans cette lutte 
ft suprême, l'ancien ordre de (flioses s'écroule et disparait. C'est ce 



laine meot d'ui 



— 18() — 

i\\ii est raconté dans ITtJ à âO. Dans XX, 11, il y a une allusioi 
claire à ce passage. 

Enfin, que ftuit-il penser dos deux passages parallèles qui t. 
content tous deux l'avènement du Messie, XIV, 14 à 20 et XIS 
11 à 21 î Ils n'ont pas pu émaner du même auteur, car ils reprq 
duisent le même événement. Le dernier, XIX, 11 à 21, sembli 
bien appartenir à A. Les allusions à la bête et au faux propbèt 
ne laissent guère de doute à cet égard. Dans ce cas, XIV, 14: j 
20 reviendrait à B. Il y a, cependant, une difficulté. Ce p 
n'a-t-il pas été déplacé? D'habitude l'extermination des advt 
saires par le Messie a lieu après les fléaux précurseurs. L'exét 
leur des houles œuvres n'apparaît que pour donner le coup i 
grâce. C'est ce qui se fait dans A. Quoi qu'il en soit, cette irrégul 
ritéj si elle est du fuit de l'auteur de B et si le compilateur 
est pas plutôt responsable, ne sulîit pas pour ébranler les résu^ 
tais auxquels l'analyse nous a conduits. 

Deux choses nous paraissent ressortir de notre étude de 1 
partie juive de l'apocalypse de Jean. D'abord nous n'y avons p 
constaté la présence d'un troisième élément à cûté des deux autre 
qui s'y trouvent. Rien ne nous a obligé de le supposer. Ensuite H 
est possible de tirer de cette masse confuse, qui constitue le corp^ 
de notre apocalypse actuelle, deux apocalypses distinctes, i 
posées selon les règles traditionnelles du genre. M. Spitta non 
parait avoir obtenu ce résultat sans avoir eu recours à des pro 
cédés arbitraires. C'est ce qui nous a décidé à adopter, du raoinî 
dans ce qu'elle a d'essentiel, son hypothèse sur la composition d 
l'apocalypse de Jean. 

C. Remaniement des documents primitifs par un rédacteur c 
compilateur chrétien. 

La compilation et le remaniement d'anciens documents oad 
abondamment lleuri dans 3es littératures juive et cbréttenna { 
est très peu d'ouvrages portant un nom juif ou chrétien, avant h 
deuxième siècle, qu'on ne puisse pas soupçonner d'avoir subi dê^ 
coupures, des retouches, des augdien ta tiens parasites. Cett^ 
liberté dont on usait à l'égard des anciens livres date de loili.1 
L'Hexateuque, les Juges, les Rois, les recueils de prophéties aussi! 





— 187 — 
bi(3ii rjue les apocalypses juives, les évangiles synoptiques inmi- 
qiieiil d'unilé littériiire. Ce n'est que liirdivement que ces écrits 
ont reçu leur Torme actuelle. Pendant qu'ils étaient à l'état rie 
formation, que de feuillets ont été déplacés, combien d'autres 
se sont perdus tandis que des feuillets étrangers s'y glissaient ! 
Enfin est venu le dernier rédacteur qui a disposé, arrangé, re- 
manié tous ces matériaux un peu au hasard et souvent au gré de 
ses idées. 

Il importe de savoir dans quelle mesure le dernier rédacteur 
de l'apocalypse de Jean a remanié, refondu, interpolé les docu- 
ments dont il a formé un livre. C'était un chrétien. On peut l'affir- 
mer d'avance, car il n'y a qu'un clirélien qui ait pu avoir l'ideé 
de fusionner une épitrc chrétienne et deux apocalypses juives. 
L'inverse est inadmissible. Un lecteur habitué aux idées et aux 
conceptions de l'apocalyptique juive ne saurait se soustraire au 
sentiment très net que le corps de l'apocalypse de Jean est d'ori- 
gine juive. Il aura, néanmoins, ici et là des surprises. Au moment 
où il se retrouvera le plus complètement dans le monde des ima- 
ginations juives, où il sera redevenu juif avec les juifs, voici, 
tout â coup, un mot, une phrase, un verset qui le dérouteront. 
En un clin d'œil le voilà transporté dans un tout autre monde. 
Les sentiments, les aspirations, les convictions ne sont plus les 
mêmes. Il lui semblera recueillir une parole tombée de lèvres 
chrétiennes et même johanniques. Ce sera pour son sens histo- 
rique une discordance très nettement perçue. 

Voilà le sentiment que nous allons justifier par quelques exem- 
ples. Bien entendu il n'y a pas que le sentiment intuitif qui nons 
guide. Il faut que des signes extérieurs le confirment avant qu'on 
s'y ûe. L'état du texte tout autour de l'interpolation qu'on soup- 
çonne, la nature de la déchirure qui a dû se produire pour qu'une 
place fût faite à cette interpolation dans le texte, le caractère 
de la couture qui devait faire disparaître les traces de la plaie, 
voilà autant de critères qui permettent de contrôler les intuitions 
du sentiment. 

Voici un certain nombre de passages que nous choisissons 
parmi beaucoup d'autres. Ils émanent d'une plume chrétienne : 




k 



XII, 11; \lll. S); XIV, 12 et I^; XVI, 15; XX, 'i à 6 ; XXI;'' 
6" à 8. 

Les sentiments et les idées que ces versels expriment jurent 
uvec ce qui se trouve (inns le contexte. Partout dans les passnges 
iacontestablement juiTs de notre apocalypse, les élus, c'est-à-dire 
les Israélites fidèles, sont mis à part. Un abime les sépere des 
autres peuples dont ils sont les ennemis implacables. Tandis que 
eeux-ci succombent sous les fléaux, les élus, massés sur la mon- 
tagne Sainte, cbanlont des bytnnes de triomphe. Le sceau divin les 
protège. Lorsqu'enfln les impies cernent la cité Sainte, le Messie 
apparaît pour les noyer dans leur sang. Les élus d'Israël miracu- 
leusement protégés, voilà bien l'idée qui perce partout dans les 
passages juifs de notre apocalypse. C'est exactement ce que pen- 
sent ctatlirment les différents auteurs des apocalypses qui pas- 
sent suus le nom d'Esdras, Baruch, etc. Or, dans les passages 
détachés que nous venons de désigner, domine une conception 
du sort des élus absolument différente. Ceux qui ont écrit ces 
phrases n'imaginent pas que les fidèles puissent traverser les 
derniers jours sans souffrir eux-mêmes et sans subir de formi- 
dables persécutions. Ils sont à cent lieues de se figurer que lo 
Messie va guerroyer contre les impies. En fait de combattants, 
ils ne parlent que des martyrs. Les seules armes dont ils conseil- 
lent l'usage, sont la patience et la fidélité. Chacun peut lui-même 
constater la contradiction qui règne sur ce point entre le con- 
texte et ces passages qui font tache sous d'autres rapports. 
D'autre part, la concordance entre les sentiments que les textes 
cités expriment et ceux qui régnent dans toute l'apocalyse chré- 
tienne est frappante. 

Ajoutons que le contraste est non moins grand sur un autre 
point. Tandis qu'on retrouve dans les passages en question toutes 
les grandes aspirations morales du christianisme : sentiment 
profond du péché, ardent effort pour atteindre un degré supé- 
rieur de moralité, tandis qu'il y est question de l'expiation par le 
sang de l'agneau, de la nécessité de vaincre par le martyre et 
par la fidélité, des deux morts, etc., il n'y a aucune trace de ces 
sentiments dans le contexte juif. Sans parler du matérialisme 




' des conceptions que nous avons relevi^ aillenrs, partout 
on y constate le sentiment très enraciné de la supérjoritC' de reli- 
gion, du privilège de race, de la justice propre, de la quiétude la 
plus parfaite dans la perspective du jugement de Dieu, 

Si ces considéra lions, qui nous paraissent décisives, ne suffi- 
sent pas, voyons deux ou trois exemples et examinons-les dans le 
détail. 

Dans le passage XII, 11 il s'agit de la victoire spirituelle des 
lidèles sur le Malin. D"nutre port, dans le contexte, il n'y a pas 
un mot d'une lutte quelconqnc des (idéies contre les puissances 
du mal. Plus tard il sera question de cette lutte. Le seul com- 
bat dont il s'agisse dans le contexte est celui de Michel cl du 
dragon. Tout se passe encore dans le ciel. Voilà pourquoi il est 
dit au verset 12 qile le ciel doit se réjouir et la terre se lamen- 
ter. Le théâtre de la iulte va être transporté sur celle-ci. De là, 
la joie en haut et la tristesse en bas. Voilà le sens clair et naturel 
du contexte. Le verset li y jetle le plus grand trouble. Non seu- 
lement il y introduit l'idée d'une lutte des fidèles contre le Malin, 
mais, enclavé entre les versets 10 et 12, il donne à ce dernier 
un tout autre sens. Les cieux se réjouissent parce que les fidèles 
ont triomphé. Ce n'est plus le sens qui correspond à tout ce qui 
précède dans le contexte. 

Dans le passage XIV, 12 et 13, quel rapport y a-l-il entre l'idée 
qu'il exprime et le contexte? Dans celui-ci il est question de la 
prochaine défaite de la bête et de ses adorateurs. Pas un mol des 
(Idèles, de leurs souffrances. Les élus sont à l'abri depuis long- 
temps et attendent la fin en spectateurs. 

On voit tout de suite que XVI, IS a été amené par l'idée du 
grand jour de Dieu, On a pris l'expression, i [uyéHy] inèpa, dans le 
sens chrétien du dernier jugement où tous doivent compjraitre. 
L'interpola leur n'a pas vu que dans le texte il s'agit du jour 
messianique. C'est tout autre chose. 

Il faut se souvenir que les chrétiens des deux ou trois premières 
générations se croyaient le droit de s'approprier les écrits qui 
constituaient le patrimoine littéraire du judaïsme; un les inter- 
prétait selon les idées chrétiennes; on retrouvait tout l'évangile 



ï 



— 190 — 

dans l'Ancien Testament. M, Harnatik a parfaitemont mis cela ea 1 
lumière. {Dogmengeschickte , vol. 1, p. 38 el 39.) Dès lors n'est-ilJ 
pas possible qu'un lecteur chrétien, lisant nos apocalypses juivegJ 
à travers le prisme de ses idées chrétiennes, ait glissé ici el h 
dans le texte des gloses qui faisaient mieux ressortir le se 
croyait voir dans le texte? II n'aurait fait que ce qui se pratiqualï 
couramment dans le monde juif. Tant de paroles d'une si grandi 
beauté et d'une si haute spiritualité, avant d'avoir été insérées] 
tant bien que mal dans ces écrits juifs, ont pu se répéter long-r 
temps dans les entretiens des fidèles. Un jour, on les a saisies adf 
vol et on les a fixées dans les feuillets de nos apocalypses juives 
Peut-être même émanent-elles du foyer puissant dont la | 
sonne de Jean est inséparable. N'ont-elles pas un véritable par- ' 
fum johnunique? Ce sont là des conjectures. Nous n'y insistons 



Plusieurs admettront des interpolations du genre de celles 
que nous venons d'indiquer. Faut-il aller plus loin? Faut-il 
admettre un remaniejnent plus complet et plus conscient par le 
dernier rédacteur? Nous le pensons, il y a d'abord le plan de 
notre apocalypse actuelle qui est dû, nécessairement, au dernier 
rédacteur. Ce plan a été peut-être conçu avec moins d'art qu'on 
ne l'a cru. La tradition apocalyptique fournissait à notre compi- 
lateur un cadre général tout trouvé et dont il ne pouvait pas 
s'écarter sous peine de ne plus avoir d'apocalypse. Les fléaux, la 
fin ou le dénouement, le nouvel état de choses, telles étaient les 
grandes divisions dont il ne pouvait se passer. Qu'a-t-il fait? Il a 
tout simplement tiré de ses trois documents, d'abord, trois séries 
de sept fléaux qu'il a groupées à la suite les unes des autres. 
Les pas.sages qui précédaient et annonçaient les fléaux ont servi 
d'intermèdes entre ces trois actes principaux. Quoiqu'il n'y eût 
pas gradation dans l'intérêt dramatique et que l'action en restât 
au même point, il y avait cependant une certaine suite dans ce 
groupement. De même notre compilateur a groupé ensemble les 
passages relatifs à la fin d'un côté et ceux qui composaient la pein- 
ture du nouvel ordre de choses de l'autre. C'est ainsi que notre 
apocalypse actuelle s'est consti tuée par un groupement nécessaire 



J 



- 191 - 

des miilériiiux qui provenniciit de Irais lioeoments différents. On 
pourra discuter sur le plus ou moins d'art que le compilateur a 
déployé dans l'arrangement des éléments dont il disposait. L'es- 
sentiel, c'est qu'on n'oublie pas la méthode générale qu'il a dû 
appliquer parce que la tradition la lui imposait. 

Nous pensons, en outre, qu'il faut admettre que ce rédacteur 
a cherché à harmoniser le plus possible les passages disparates 
dont il a composé son apocalypse. Il n'est pas allé, sans doute, 
jusqu'au fond des choses. H n'a pas vu qu'il tentait d'associer non 
seulement des matériaux étrangers les uns aux autres mais aussi 
des conceptions et des seniiments qui s'excluaient. Son harmo- 
nistiquc est tout extérieure. En voici un exemple qui permet de 
juger le procédé de notre rédacteur. Il était question d'une béte 
apocalyptique dans la source B aussi bien que dans la source A. 
Dans la source B la bête désignait assez clairement Néron. (XVH, 
II.) Dans la source A la bête figurait Galigula. (Xtii, 1 à 10.) 
(Ju'a fait le rédacteur? Il a introduit dans le passage de A, oii il 
était question de la béte, des retouches qui ont eu pour résultat, 
d'identifier la bête de A avec celle de B et d'y substituer Néron à 
Caligula. (Vers. 3, 14, 18.) 

Plus on examine la part d'initiative qui revient à ces compila- 
teurs qui nous ont donné nos apocalypses dans leur forme actuelle 
plus on constate qu'elle varie beaucoup d'un compilateur à l'autre. 
Celle dont le dernier rédacteur de l'apocalypse de Jean a fait 
preuve est considérable. Je crois cependant que M. Spitta l'a exa- 
gérée. Nous avons essayé de ne pas aller au delà des données du 
texte lui-même et de ce qui parait vraisemblable. Il ne faut pas 
être trop affirmatif en un sujet où Ja conjecture a nécessairement 
une large part. La porte doit pester ouverte aux rectifications qui 
n'entament pas le fond même des résultats critiques qu'on croit 
assurés. 



XPfESMCK III 



L'apocalypse dite de Baroeh. 



I.'étiiri<> iJeft opocalypseB d'EBdras et de Jean dods a sans dnute 
pn^[)iiréK il silmetlre que l'apocalypse rte Bamch est paiement 
Mpnurvwi (l'unité lilléra'tre. En effet, l'analyse de cet écrit nous 
riW/îlc In pi^Hcncc de plusieurs docnmenls de date et de prove- 
nnnec diverses. Qu'on essaie de tirer des qnatre- vingt-sept cha- 
pilreK (\m composent ce livre un plan quelconque, on apercevra 
Aiifisiti'it qu'il y a non seulement du désordre, mais qu'il s'y trouve 
don Kulutiims de eontiniiilé telles qu'il est diftlcile de ne pas sup- 
[HiMcr qim, par endroits, on passe d'une source â une autre. 

Avant li'ahorder l'exnmcn critique de noire apocalypse donnons 
qiiL'IquCH exemples des lacunes dont nous parlons. Nous justiDe- 
riiUK ninsi d'nvanre le dessein de cette étude. Jusque vers le 
milieu du .lli» chapitre le plan du livre se déroule assez bien, 
quoique les inégalités ne manquent pas. On peut ni^anmoins 
NUppnser qu'un seul et même auteur a écrit toute cette partie. 
A partir do ce chapitre le désordre commence. Voici d'abord un 
TriiKi"""'. 3** û 40, qui diffère du tout au tout de ce qui pré- 
r,Me. L'examen détaillé do ce morceau achèvera de montrer ce 
que l'analyse a déjà dO Taire entrevoir, qu'il est impossible 
d'allrilnter ces (luiilques chapitres à l'auteur des trente-deux 
preiniorH<. Ia'.h mémos observations s'appliquent au morceau 
qui conmiencK au 48» chapitre et qui va jusiiuâ 52, 7. Vient, 
ensuite, tout un IVagineul qui embrasse les chapitres 53 à 76, 

< Voir |i. l^ H iiiiv. 




— im — 

très lioniogèno mois iIoiU on chomlie eu vain le lien avec ce qui 
précède. Je ne dis rien de la prétendue lettre de Baruch aux 
exilés si ce n'est qu'elle n'a rien de commun avec le corps du 
livre. Du reste, elle en a élé longtemps séparée. Ainsi donc, s'il 
est possible de trouver un plan dans les trente-deux premiers 
chapitres, il faut y renoncer dès qu'on nborde la seconde moitié 
du livre. Tout ce qu'un aperçoit dans ce chaos, c'est ici et là une 
série de chapitres qui s'enchaînent et se suivent, mais on ne voit 
aucun lien entre les différentes séries. 

Cette remarque générale, que chacun peut vérifier, justifie 
assez notre dessein. L'examen détaillé de notre apocalypse en 
établira l'exactitude. Nous nous permettrons d'exposer sommai- 
rement les résultats auxquels nous sommes parvenu sans obliger 
le lecteur de refaire, à son tour, le chemin, long et ardu, qui 
nous y a conduit. Du reste, il faut se méfier de ces analyses qui 
ont la prétention de ne rien laisser d'incertaiu et de tout expli- 
quer, comme certains critiques allemands se croient obligés de 
les Caire. Il faut se contenter de marquer quelques points de 
repère qui soient sûrs. 

Nous ne referons pas l'analyse des trente-deux premiers cha- 
pitres de noire apocalypse. Nous les avons considérés comme 
constituant un écrit complet. Happelons-en ce qui est nécessaire 
aux remarques criliques que nous allons présenter. 

Les cinq premiers chapitres constituent l'introduction du livre. 
Dieu console le Voyant qui déplore la ruine prochaine de la ville 
Sainte en lui révélant l'existence de la Jérusalem céleste. Après 
un récit de la prise de Jérusalem vient un premier entretien de 
Dieu avec Baritcb. Il a pour sujet les problèmes que posait â la 
conscience juive la ruine de la ville Sainte. Un changement de 
scène entraîne un nouvel entretien qui roule sur la fin des temps. 
Ces deux entretiens peuvent, nous semble-l^il, avoir fait partie 
du même écrit. Nous n'avons remarqué aucune contradiction 
réelle entre les données de l'une et de l'autre conversation. Puis 
il est naturel qu'une méditation sur les calamités qui ont accablé 
Jénisnlem porte la pensée vers l'avenir et arrête le regard sur les 
perspectives qu'il semble offrir. Où donc un Juif aurait-il cherché 



— AU — 
la consolation au leiidemiiin de In r-alnslroplie do 70 si ce d 
dans l'avenir? 11 nous semble dune tout naturel, nécessaire tnâme' 
que la propliétie s'ajoute au dialogue qui reflète et exprime les: 
préoccupations douloureuses de l'auteur. Cette prophétie, nous 
l'avons vu, est complète. C'est une apocalypse faite selon loR. 
règles. Ainsi donc rien ne s'oppose à ce que nous considérions 
les chapitres 6 â 32, 7 comme un écrit complet. Les deux por- 
lies principales, qui le composent, s'appellent et se supposent. 
rérip roque ment. Une double question nous reste, cependant, à 
résoudre. Où commence et où Qnit exactement cet écrit? Eo 
d'autres termes, les cinq premiers chapitres en sont-ils l'iulro- 
duction, et notre écrit ne va-t-il pas au delà de 32, 7? 

A première vue, les cinq premiers chapitres constituent una 
excellente introduction à l'écrit en question. C'est une scène 
comme celle qui y est dépeinte qui en a probablement été la 
première page. Il était naturel de présenter d'abord le béros des 
révélations, dont on allait faire le récit, comme étant en extase et 
en communion avec Dieu avant la catastrophe. Il est, cependant, 
un certain nombre de traits qui nous foui douter que le lien entrC' 
ces cinq chapitres et notre première apocalypse soit aussi intime 
qu'il le parait nu premier abord. Ces cinq chapitres sont une 
première conversation de Dieu "avec Baruch. Quoique moins 
longue que les deux entretiens qui constituent le corps de la 
première apocalypse, elle contient tout ce qu'il y a d'essentiel 
dans ceux-ci. D'avance elle épuise la discussion. On pourrait 
insister encore et montrer qu'elle dit les mêmes choses que l'apo- 
calypse elle-même mais avec plus de netteté et de force. Disons, 
cependant, que, nos auteurs d'apocalypses ne se piquant pas de 
logique et ne craignant pas de se répéter à satiété, le nfitre n'a , 
pas vu la contradiction ou n'en a eu cure. Mais voici d'autres 
traits, que chacun peut constater, qui nous paraissent plus diffi- 
ciles à écarter : 

1" Au chapitre 2* l'ordre est donné à Baruch d'aller dire à 
Jérémie et aux autres justes de s'éloigner de la ville. Pourquoi ? 
Parce qu'ils en écartent le châtiment par leur seule présence : 
quia opéra restra sunt urbi buic tanquam columna firmit. etc. 




— 195 — 

L'ordre doit s'appliquer à Baruch lui-même puisqu'en sa qualité 
de saint persiinnage il est, aussi bien que Jéréraie et les autres, 
un obstacle à la consommation de la ruine de la ville. Au 5« cha- 
pitre l'ordre est transmis aux intéressés. Tournez ensuite la page. 
Qui apercevez-vous après la prise de la ville? Bamcli, Jéréniie et 
les autres qui n'ont pas quitté Jërusalem et devaient y être au 
moment même où la ville fut prise puisqu'il est dit de Jérémie : 
qui captus non fmrat m occupatione urliis. De deux choses l'une, 
ou bien l'auteur a oublié l'ordre qu'il a fait donner par Dieu à 
»Baruch et à Jérémie ou bien, c'est un nouvel auteur qui tient la 
[blume à partir du fi^ chapitre. 

2° On lit cette phrase significative dans 6, 9 : « L'heure est 

' venue où Jérusalem sera livrée pour un temps jusqu'à ce qu'il 

aoit ordonné qu'elle soit de nouveau restaurée pour l'éternité. » 

n est clair que l'auteur se place au point de vue de son propre 

Ttemps; il est au lendemain de 70 et prédit une restauration â 

pfenir de la ville Sainte; cette restauration sera définitive. Il 

absolument la même chose, à la fin de son livre, 33, 3 

l 4. Après avoir prédit la destruction de la seconde Jérusalem, 

I' ajoute comme dans 6, 9 : £( poslea oportet renovari in gloria 

S coronabitur in p&rpetuum. On remarque qu'il s'agit dans ces 

Bdeux passages d'une restauration de la ville. Pas un mot de la 

Jérusalem céleste qui doit remplacer l'ancienne, comme cela est 

fclairement dit dans l'apocalypse des Bétes. Si l'auteur y avait 

Knsé, ne l'auraît-il pas dit aussi clairement que l'auteur de 

Bette apocalypse? C'est donc à une restauration de Jérusalem 

iQu'il pense. 11 est absolument matérialiste dans ses espérances. 

alors que dire de 4, 2 et 3? C'est de la Jérusalem céleste 

Bqu'il s'agit là et non d'une restauration de l'ancienne. Com- 

Iment concilier des déclarations aussi contradictoires ? Est-ce bien 

[Je même auteur qui en est responsable? 

)ans 1, l l'auteur commet une erreur très grossière. Il 

parle de la vingt-cinquième année de Jëcbonias ou Jojakin. Or, 

celui-ci avait dix-buit ans quand il devint roi et ne régna que 

trois mois. Ensuite, si les cliapitres 1 à S font partie de notre 

I apocalypse, comme la prise de la ville a eu lieu le lendemain du 



- I9r. - 

jour où l'Eternel rannoiice à lianith, c'est sons Jojakin que notre 
auteur a dû placer la destruction de Jérusalem. Et cependant cet 
autour, qui commet de telles confusions, revient à la vérité histo- 
rique à deux pages de distance. (8, S.) De pareilles contradic- 
tions ne s'opposent-elles pas à ce qu'on attribue les chapitres 1 à 
S à l'auteur de la première apocalypse? 

Nous pensons que notre apocalypse ne va pas an delà de 
3â, 7. Cela ressortira de la discussion du morceau 36 à 40 que 
nous 8V0US appelé l'apocalypse de la Fort't. Le passage qui sé- 
pare ces deux morceaux, 32, 7 à 35, S, nous parait dû à la plume 
du dernier rédacteur. Nous exposerons les raisons qui nous le 
font penser lorsque nous discuterons l'ensemble des passages 
que nous attribuons à ce dernier. 

Le compilateur fait dire à Baruch qu'il espère recevoir de nou- 
velles illuminations : si forte illuminer aliquid magis. (34.) C'est 
une manière heureuse de ménager la transition entre deux mor- 
ceaux qui ne se ressemblent guère. li entend, sans doute, par 
ces nouvelles illuminations, qui doivent surpasser les précé- 
dentes, la Vision de la Forêt. On se demande cependant quelles 
pourraient bien être ces révélations. On nous a déjà l'ait connaître 
l'avenir avec tous les détails' que l'apocalyptique usuelle peut 
fournir. Que pourra-t-on bien ajouter à ce qui a été révélé? 

La lecture de ce morceau, 36 à 40, ne fait que confirmer nos 
soupçons. On ne nous y révèle absolument rien de nouveau. 
Qu'on veuille bien se reporter à l'analyse que nous avons donnée 
de la Vision de la Forêt et l'on verra aussitôt qu'elle ne nous fait 
point avancer d'un seul pas •. A la Rn du 40* chapitre nous en 
sommes au même point qu'à la fin du 32«. On pourrait aller 
plus loin et montrer que la première apocalypse est plus complète 
que celle-ci, qu'elle nous dépeint la félicité du royaume messia- 
nique et qu'elle parie du jugement dernier et de la résurrection 
tandis que la Vision de la Forêt ne va pas au delà du Messie et 
de sa victoire. Sont-ce là les nouvelles illuminations qu'on nous 
avait promises? Je le demande, ne nous a-t-on pas révélé dans 
24 à 30 tout ce qui est dit dans l'allégorie de 36 à 40 ? N'est- 



I 



— l'J7 — 
il pas clair que ce suiil là dcuK apocalypses indépeniJaiites? 
Dès lors ne seraiHI pas étrange iiue le même auteur les eût 
fait suivre ainsi dans le même uuvrage, dans un livre qui lui- 
même devait être une apocalypse? On conçoit qu'un compilateur 
Dit pu se tromper au point de croire que la Vision de la Forêt 
apportait quelque clarté nouvelle sur l'avenir et constituait une 
révélation supérieure à la précédente. Les hommes de ce temps- 
là lisaient autrement que nous ; ils lisaient à travers leurs idées 
préconçues et voyaient dans les textes des choses auxquelles les 
auteurs n'avaient point songé. Mais encore une fois, une pareille 
méprise est-elle concevable de la part de l'auteur lui-même ? Du 
moment qu'on reconnaît que la Vision de la ForH est une apoca- 
lypse du genre de celle de ÏHomme ou de celle de V Aigle, il ne 
peut venir à l'esprit de personne que l'auteur soit celui des 
chapitres I à 32, 7. 

L'incompatibilité de ces deux morceaux éclate avec encore plus 
d'évidence lorsqu'on examine le caractère pi-opre de nos deux 
morceaux et la situation générale qu'ils supposent l'un et l'autre. 

Nous risquons de nous répéter ici. Rappelons seulement que 
la Vision de la Forft a un caractère essentiellement populaire, 
qu'elle est non seulement matérialiste dans ses peintures de 
l'Avenir, mais que toutes les passions nationales et toutes les 
chimères politiques des Juifs du premier siècle s'y expriment, 
tandis que, si le matérialisme apocalyptique subsiste dans l'apo- 
calypse 1 à 32, 7, comme il a persisté dans la théologie rabbi- 
nique elle-même, la passion purement politique en a disparu ou 
se laisse très peu entrevoir et qu'enfin son auteur nous donne 
des preuves abondantes de son instruction rabbinique et théolo- 
gique. Faut-il rappeler enfin que, tandis qu'il est hors de doute 
que 1 à 32, 7 a été composé après les événements de 70 et a 
jailli des amertumes etdu désespoir qui en résultèrent, il est non 
moins indubitable que la Vision de la Forêt a été écrite avant 
70. Le texte du 39« chapitre ne permet aucun doute à cet égard. 
Qu'on veuille bien peser ces quelques considérations et l'on se 
convaincra que la Vision de la Forêt n'a pas pu émaner de ia 
ménie main que la première apocalypse de Baruch. 



Nous n'avons pas à faire ici une étude critique et littéraire com- 
plète de l'apocalypse de Baruch. Nousdevons nous borner à jostt- ■ 
fier l'usage que nous en avons fait dans le corps de noire travail,] 
Dans une étude plus cotnpiële, les chapitres 41 à 47 mériteraient \mm 
examen très attentif. Nous avons le sentiment bien net non seule-l 
ment que c'est le dernier rédacteur qui les a écrits mais qu'une'l 
autre main a retouclié, interpolé l'œuvre telle qu'il l'avait faite. -J 
Il ne s'agit pas d'un nouveau remaniement qu'on aurait fait subir 1 
à une première compilation des documents primitifs qui compo- J 
sent notre apocalypse. Il ne s'agit que de simples retouches, del 
gloses qu'on a introduites dans le texte. C'est un chrétien qui J 
nous en paraît responsable. Qu'on relise les chapitres 41 ; 42; | 
44, 9 à 15, on aura le sentiment que l'on n'est plus dans le monde:] 
des idées purement juives. Dans 46, 7 nous voyons une glosefl 
faite après coup par un lecteur qui a remarqué la contradicti(Hi| 
entre 43, 2 et 44, â et qui a voulu la faire disparaître en I 
pliquant. Nous verrons plus loin qu'il faut attribuer tout le 
reste au dernier rédacteur, à l'exception de 43, 1 et 2 qui nous 
parait appartenir au morceau que nous avons intitulé ^ssomjîlion 
de Baruch. 

C'est celte dernière apocalypse ainsi que la Vision de la Nuée 
qu'il nous reste à étudier. 

L'analyse que nous avons donnée du morceau 48 à 52, 7 a déjà 
fait ressortir la différence foncière, qu'il est impossible de dis- 
simuler, entre celui-ci et les autres fragments qui se détachent 
d'eux-mêmes de notre apocalypse actuelle et que nous envisa- 
geons comme des écrits indépendants. Nous n'avons guère qu'à 
tirer les conséquences implicitement contenues dans nos précé- 



L 



11 n'est pas besoin d'insister sur l'abirae qui sépare le mor- 
ceau 48 à 32, 7 de la Vision de la Forêt. Sans parler de la 
différence de fond, qui repose sur une différence dans les aspira- 
tions, dans les espérances et dans les conceptions mêmes, il en 
est une qui s'oppose absolument à ce qu'on attribue ces deux 
fragments au même auteur. Nous l'avons montré ailleurs, la 






— 19!) - 
Vision de la Fon'l date d'avant l'un 70, Y Assomption 
a cerlainemenl été composée après cet événement. 

Les mêmes remarques s'oppliqiient à ['Assomption et à la Vision 
de la Nuée comparées l'une à l'actre. Par le fond et par la date 
de la composition, ces deux écrits témoignent avec évidence de 
leur indépendance réciproque. Aucune trace, dans la Vision de la 
Nuée, des conceptions particulières de VAssoviption. 

Enfin VAssomption est-elle indépendante de l'apocalypse 1 à 
32, 7? Remarquons, d'abord, que si cette dernière constitue 
vraiment nue apocalypse complète, comme nous avons essayé- 
de le montrer, la question est tranchée, L'Assomption n'a i 
de commun avec elle, à moins qu'on ne lui trouve un endroit 
dans la première apocalypse où un puis.se l'intercaler. Ce serait 
déjà difficile. Mais y a-t-il compatibilité réelle entre ces deux 
fragments? Nous ne le pensons pas. Voici d'abord une incompa- 
tibilité tout extérieure. Dans l'Assomption, Baruch doit être enlevé 
vivnnt dans le ciel. De là le nom que nous avons donné à ce frag- 
ment. Dans la première apocalypse, il doit continuer à vivre jus- 
qu'à la fin ï en signe de ce que le Très-Haut fera aux habitants 
de la terre. » (25, I.) Ensuite ces deux fragments témoignent, 
chez leurs auteurs, de préoccupations très différentes. Je le rap- 
pelle, l'auteur de la première apocalypse est obsédé par les ques- 
tions qui se posaient au lendemain de 70. Ce n'est pas un spécu- 
latif quoiqu'il soit rabbin. Faut-il désespérer? Dieu nous a-t-ii 
abandonnés? Pourquoi celte effroyable catastrophe? Quel espoir 
reste-t-il? Voilà le problème poignant, cruel et urgent, qui l'obsède 
sans relâche. L'auteur de VAssomption vit dans une situation tout 
autre. Sans doute, elle réagit sur sa pensée et la pousse dans une 
certaine direction, mais, au moins, vit-il en des temps assez 
calmes pour se livrer à des spéculations très curieuses sur les 
corps ressuscites. 

il suIRt de parcourir les chapitres 48 à 52, 7 pour se con- 
vaincre que nous n'avons pas ici un écrit complet. C'est un frag- 
ment. Se trouve-tril, par hasard, dans la compilation qui porte le 
nom de Baruch, d'autres fragments du même écrit et les disjecta 



I 



J 



— 200 — 

membra i-asseiublês loMiifiit-ils un écrit rjni mérite le litre A'Aêi 
somption de Baruclt ? 

On nous accordera qne, partout oii mention est faite de t'ss- 
Bomption du Voyant, nous avons le droit de nous considérer sur 
la piste d'un fragment de notre écrit. 

C'est bien de l'assoniplion de Baruch qu'il s'agit, dans notre frag- 
ment lui-même : Propter hoc assumptus assumeris (48, 30.) Or, 
dans 43, 2, on lit : Abibis enim de loco isto, et tramibis de regio- 
nibus quae apparent tibi nv/nc, et obUvisceris quiquid corrumpilur 
, negue recordaberis Uerum eorum quae inter mortales sunt. H est 
clair que ce n'est pas de la mort qu'il s'agit dans cette phrase, 
mais bien d'une assomption. Enfin, dans 76, % on lit : quia 
discedms dUcedes ab hac terra, verumtamen non ad mortem sed 
ad reservationem temporum. Quoi de plus explicite? Dans ces 
conditions est-i! possible tie séparer de notre fragment les deux 
morceaux où se trouvent les passages cités? 

Ce qui noua oblige à les rattacher à 48 et suivants, c'est que 
partout ailleurs, où il est question de la fin de Banieh, soit dans 
la première apocalypse, soit dans les passages qui émanent du 
dernier rédacteur, elle est envisagée d'une tout autre façon. 

D'après la première apocalypse, nous l'avons déjà remarqué, 
Baruch doit rester sur la terre jusqu'à la fin des temps. (25, 1.) 
Où cela ? Peu importe. C'est sur terre qu'il se cache pour paraître 
au moment opportun. Notion bizarre, mais loin d'être étrangère 
à nos faiseurs d'apocalypses. En tout cas, pas un mot d'une 
assomption dans ce passage. Dans 13, 3 on retrouve exactement 
la même idée : propter hoc servatus sereaberis m ^neni temporum, 
ut »U in testimonium. La présence de la même idée relative à la 
fin de Baruch dans les deux parties de la première apocalypse, 
c'est-à-dire à la fois dans la partie consacrée aux entretiens de 
Dieu avec Baruch et dans celle où est développée l'eschatologie, 
montre bien que ces deux parties ne doivent pas être séparées 
mais appartiennent au même auteur. D'autre part, dans tous les 
fragments que nous attribuons au dernier rédacteur, Baruch doit 
mourir. Le compilateur n"a-t-il pas remarqué qu'il était question 
dans un de ces documents d'une assomption ? C'est possible. J'in- 



— 201 — 
clhie à le cruiru, puîsijuc c'est lui <|ui est rcsponsablo de lu coii- 
tDidiction entre 43, 2 et 44, 2, qu'un lecteur (luelconque a très bien 
vue et corrigée par la glose de 46, 7. (Juoi qu'il en soit, le com- 
pilateur rait muurir Baructi. Voici les passages où cela est netle- 
tneiil indiqué : 44, 2 ; 78, 5 ; 84, 1 ; 77, 12. 

On avouera que ces affirmations contradietoires au sujet de la 
fiu de Baruch viennenl fort à propos à l'appui de noire thèse de 
la diversité d'auteurs dans l'apocalypse de Baruch et, en mémo 
temps, concordent d'une manière assez frappante avec la division 
des sources que nous avons adoptée. 

Nous arrivons maintenant au dernier point que nous ayons à 
examiner dans cette élude. Que faut-il penser de la prétendue 
lettre de Baructi qui clôt notre apocalypse? Nous l'attriLuons au 
dernier rédacteur. 

Examinons-la, d'abord, en elle-même et montrons qu'elle est 
entièrement indépendante des sources primitives qui constituent 
notre apocalypse. Nous n'insistons pas sur le fait que cette lettre 
a été longtemps détachée du corps du livre et connue deux siècles 
avant la découverte de l'apocalypse elle-même. Nous avons déjà 
fait remarquer que, d'après son auteur, Baruch meurt. Indice 
non sans importance que cette lettre n'a rien à voir avec les do- 
cuments constitutifs de notre apocalypse. Les raisons de fond qui 
militent en faveur de noire point de vue nous paraissent encore 
plus décisives. 

Une lecture attentive de cette partie de notre apocalypse laisse 
l'impression très nette qu'elle a été composée non seulement 
après 70, mais à une époque bien postérieure, époque où les Juifs 
étaient installés définitivement en pays païen. Ils y avaient leurs 
synagogues tout organisées, leurs jeûnes réguliers, leurs solenni- 
tés, leurs sabbats. (86, 1; 84, 8.) Peut-être même risquaient- 
ils d'oublier la Terre-Sainte. Sion n'était plus qu'un grand sou- 
venir et personne ne songeait plus à sa restauration : Recordantes 
*i(w Sionem, terram quogue sanctam. (84, 8..) Sans doute, l'au- 
teur est censé écrire aux tribus perdues d'Israël. Mais nos au- 
teurs oublient tous la fiction pour peindre la réalité qu'ils ont 
sous les yeux. Pourquoi celui-ci n'en aurait-il pas fait autant? 



Èà 



— 202 — 

En toul cas, cet hoiimic n'a plus qu'un seul espoir. C'est 11 
Nuque quidquam, habemus nunc praeter Forlem, et legen. 
(85, 3.) C'est ia Loi qui désormais remplacera la prophétie, ce 
sont les docteurs de la Loi qui succèdent aux propliètes. (8S, 3.) 

Remarquons que cette idée est particulièrement accentuée 
dans les autres passages que nous attribuons au compilateur. 
Verumlamen non deficiet Israël sapims neque filius legis generi 
lacob, dit Baruch au peuple. (46, 4.) Ailleurs le peuple s'écrie : 
Defecerunt pastores Isrml et extinctae sunt lucemae. (77, 12.) 
Que répond Baruch ? Pastores et lucemae et fontes a lege erunt ; 
et si nos abeamus, attamen (ex stat. La Loi est debout ; elle 
demeure; elle est la lumière; n'est-ce pas tout le programme 
du judaïsme postérieur? Ce n'est pas au lendemain de la catas- 
trophe de 70 qu'il a pu être conçu d'une manière si claire. On le 
sent bien s'ébaucher dans la première apocalypse (1 à 32, 7), 
composée peu après la catastrophe, mais ce qu'on aperçoit en- 
core mieux dans ce dernier écrit, c'est le désarroi des idées et 
le bouleversement intérieur qui ont certainement accablé la 
conscience juive après l'anéantissement tragique de toutes les 
illusions. Ici, dans une lettre qui doit être lue dans les synago- 
gues, éclate la pensée, qui portera ce peuple étrange à travers 
les siècles, avec une force et une clarté qui me paraissent l'indice 
d'un temps où ce peuple avait repris possession de lui-môme. 

Nous venons d'indiquer l'une des principales raisons qui nous 
font attribuer à l'auteur de cette lettre les passages que nous 
avons écartés jusqu'ici, à savoir 32, 7 à 33, 5 ; 41 à 47, 2 ; 76, 5 à 
78. Il suffit de les lire pour s'assurer qu'ils ont été écrits pour 
relier, souvent assez gauchement, les sources premières. Nous ■ 
avons déjà relevé plus d'une contradiction entre celles-ci et ces 
passages, et d'autre part des concordances importantes entre 
ces mêmes passages et la lettre de Baruch. Il en est d'autres 
qu'on pourrait ajouter. Mais je le répète, la raison principale, 
c'est la concordance de fond. L'esprit, les idées, les affirmations 
sont les mêmes dans les passages dont il s'agit et dans la lettre 
de Baruch. 



N.-tl. Lcliidd (ju'un vïpnl de lire lilail lermincc lursqii'a ])aru ilnns le 
□uméru du mois de décembre 1891 des Jakrbiîcher fiir proteatantïsclie 
Théologie, un article de M. Kabisch sur l'apocalypse de Baruch. 

Nous avons constaté avec plaisir ifue, dans l'analyse critique de ce 
document, M. Kabiscb aboutit, sur plusieurs potniâ importants, aux 
mêmes résultats que nous-même. Comme nous, il y dislin^e une Vision 
lie la Forêt et une Vision de la Nuée. Nous différons, cependant, sur 
deux points essentiels. M. Kabisch délimite autrement que noua ne 
l'avons fait la première apocalypse de Baruch. II en retranche toute 
la partie eschaloloçique (S4 à 30) et, d'autre part, il y fait rentrer 
la presque totalité des passages que nous attribuons soit à l'auteur de 
l'Assumplion, soit au dernier rédacteur. Selon lui, il y aurait trois 
sources principales dans l'apocalypse de Baruch au lieu de quatre. 

La principale raison que M. Kabbch donne pour refuser à l'auleor 
de 1b première apocalypse l'eschatologie des chapitres !i et suivants, 
c'est qu'elle est incompatible avec le fond même des conceptions de cet 
nuteur. Celui-ci, comme l'auteur de l'apocalypse de Sala/hiel, serait 
une sorte de spirïtualiste juif qui sacrifie le siècle présent aux perspec- 
tives d'un monde à venir essentiellement différent de celui-ci. Celte 
appréciation de la première apocalypse de Baruch nous parait erronée. 
Nous avons précisément montré que, iHndia que l'auteur de l'apocalypse 
de Salathiel exclut très consciemment le matérialisme de l'eschatologie 
populaire, on ne peut pas en dire aulaot de celui de la première apoca- 
lypse de Baruch. On trouve bien chez lui de vagues échos de concep- 
lions analogues à celles de l'auleur de Salathiel, mais rien de précis. 
Je ne saurais trop le répéter, l'auleur de la première apocalypse, comme 
l'a (rès bien vu M. Schûrer, est dominé par la calastrophe de l'an 70 et 
cherche à s'en consoler. En somme, c'est encore l'eschatologie populaire 
qui lui fournil la meilleure consolation. Nous savons, du resle, par la 
théologie juive qu'on pouvait être très subtil rabbin et admettre les vues 
sur l'avenir les plus matérialistes. Quant à attribuer à l'auteur de la pre- 
mière apocalypse la lettre de Baruch, cela nous parait bien difficile. 
Noua osons croire que la réfutation d'une pareille appréciation se trouve 
dans les pages précédentes dans lesquelles nous essayons de dégager le 
véritable caractère de cette partie de notre document. Il est un autre 
point sur lequel nous diEFérona de M. Kabisch. Il voit dans le 51« cha- 



à 



- 204 — 

pitre un élément chrétien. Il n'indique que vaguement les raisons de ce 
sentiment. Quant à nous, nous persistons à y voir une page écrite par un 
Juif. Il ne serait pas difficile d'y relever des conceptions purement 
juives. La notion même de la résurrection des corps, si elle rappelle celle 
de saint Paul, ne lui est pas identique. Que fait-on de 50, i à 3 * ? 

Il n'en reste pas moins que l'excellent article de M. Kabisch démontre 
parfaitement que l'apocalypse de Baruch n'émane pas d'un seul auteur. 
Voilà l'essentiel. Après quelques tâtonnements, le critique arrivera à se 
mettre d'accord sur l'étendue et le caractère des différentes sources qui 
constituent cet intéressant document* 

* Voir p. U3, note 2. 



APPENDICE tV 
L'apocalypse d'Enoch. 

Oq s'étonne, peut-être, qne, dans une étnde sur l'Apocalyptique 
juive, nous ayons presque complètement laissé de coté l'apoca- 
lypse d'Enoch. Nous n'en avons analysé que les quelques pages 
qui renferment la Vision des B^tes. 

Qu'on veuille bien se souvenir de ce que nous avons dit dans 
notre Introduction* : « C'est le judaïsme palestinien que nous 
nous proposons d'étudier. Nous devons, en conséquence, éciirler 
tout écrit suspect, ne fût-ce que d'une teinture d'hellénisme. » 
Or, comme nous le montrerons dans un instant, l'apocalypse 
d'Buoch, dans sa partie la plus importante, porte des traces non 
équivoques d'hellénisme. Si cette raison ne nous permet pas de 
classer, dans notre tableau de la littérature apocalyptique juive, 
les difTérents documents ou fragments, qui constituent l'apoca- 
lypso d'Enoch, à l'exception de la Vision des Bittes, elle ne nous 
dispense pas d'en faire ici un rapide eiiamen critique, d'autant 
plus que nous avons fait usage, dans notre seconde partie, de 
certains passages de l'un de ces documents. 

L'apocalypse d'Enoch, dont nous ne possédons plus qu'une 
traduction éthiopienne et quelques fragments en grec, diffère 
profondément des productions apocalyptiques qui ont fait l'objet 
de notre étude *, Tandis que celles-ci emhrasseut toujours l'ave- 
nir dont elles sont la prophétie et, parfois, le passé dont elles 




coO(l«o«.*nt rhr8U>irc en un rapidt* Inhlrnu, l'apocalypse d'Enoch 
roale. principalomenl, iioit sur des légi-ndes bisarres. soit sur 
di» explications enfantiites de cerluins phénomènes de la nature. 
Quelques pages sur la demeure de Dieu, le séjour des jusies, la 
cuuditioM des morts, voilà tout ce qui préseule nu intérêl réel 
dans eel écrit. Quinl oax pessuges messianiques des AUégorie», 
si frappants à tant d'égnnls, nous essaierons de montrer qa'il 
faut en rstiattre, dans une large mesure. 

Par suite de diiïërenles circonstances, l'apocalypse d'Enoch 
a été beaucoup étudiée el est, par conséquent, plus cunnuf' ([ue 
les nutres. Des critiques comme MM. Dilimsnn, Koslliii, Hilgen- 
feld, Volkmar, Hulévi, Reuss, Vernes, Schiirer, s'y sont appli- 
qués. Aussi on peut arfirmer que les grandes lignes rie l'analyse 
lilléraîrc de ce livre sont maintenant fixées. H. Schûrer a tiré 
les cunclusions définitives, ou, peu s'en faut, du débat lillémire 
qui s'est continué depuis que Laurence publia pour la première 
fois, en 1821, une traduction du texte éthiopien du livre d'Enoch 
qu'il avait exhumé de la bibliothèque bodléienne d'Oxford où on 
l'avait apporté d'Abyssinie, à la Dn du dernier siècle. 

Comme M. Schiirer, nous distinguerons, dans ce livre, d'abord 
un écrit principal qui en constitue la partie la plus considérable. 
Nous nous sé|uirons de M. Schiirer eu ce que nous détachons de 
cet écrit la Visian des Bftes. Puis nous classons â part les Allé- 
gories et enfin les fragments dans lesquels le nom de Noé joue 
un rôle prépondérant. Nous avons donc dans ce livre d'Enoch 
quatre sources principales que nous allons maintenant passer 
successivement en revue. 

1" Apocalypse d'Enoch proprement dite. (Chap. 1 à 36; 72 à 
82; 91 à 105.) 

On peut considérer les cinq premiers chapitres comme l'intro- 
duction au livre. C'est Enoch lui-même qui parle. Il dit qu'il a 
reçu ta révélation de l'avenir. Dieu jugera et punira les mé* j 
chanis ; il bénira les justes et les élus. Le patriarche justjfle lei 
ju(;ements de Dieu en montrant que, tandis que l'ordre règn^ 
partout ailleurs, les hommes se livrent au désordre et â l'iniquiléJ 

Au chapitre 0. l'auteur nous reporte â l'époque où les mau^ 



— 207 - 
vais (inges s'unirent aux Rllos des hommes, où naquirent les 
géants, où les l'uiidemcnts de la civilisation lurent Jetés, ou le 
mal s'accrut dans des proportions inouïes. Dieu ordonne le châ- 
timent des coupables et la puriQcatiou de la terre. On a, dans 
ces cliapitres, un exemple très cnrieux de la façon doul on alté- 
rait et ampUTiait les récils de la Genèse, dans certains milieux 
juifs. Ce qui est dit des anges et des géants rappelle le début du 
troisième livre des Chants sibyllins qui est, comme on le sait, 
d'origine juive. (Vers. i05 à 1S5.) Les chapitres 10 et 11 tiennent 
de la prophétie. Au chapitre 12, l'auteur revient à Enoch. Les 
anges coupables l'ont prié d'intercéder pour eux auprès de Dieu. 
Il a pénétré jusque dans la demeure du Très-Haut. Il a reçu 
l'ordre de retourner auprès des anges coupables et il leur a signi- 
fié.la sentence irrévocable de Dieu. A partir de ce moment il uest 
plus question que d'Enoch lui-même. Il est transporté dans les 
lieux célestes. 

Toute la partie du livre qui va du 17« chapitre jusqu'à la fln 
du 36" est consacrée au récit de ce que le patriarche voit, prin- 
cipalement, dans les cienx. N'avons-nous ici rien que le texte 
primilit'? On peut eu douter. 11 y a des répétitions qui étonnent; 
par exemple, le passage 18, 12 à 16 se retrouve au 21" chapitre. 

Rien n'est plus curieux que la façon dont l'auteur conçoit les 
cieux. Ils lui apparaissent comme autant de voûtes immenses 
superposées les unes aux autres. Dans l'étage le plus élevé de 
ce singulier édillcc siège l'Eternel. Enoch est redescendu des 
étages supérieurs ; il se trouve maintenant sur celui qui est le 
plus rapproché de la terre. Tantôt il semble marcher sur la voûte 
de notre ciel, de l'autre cfité de ce gigantesque plafond et tantôt 
il voyage sur la terre elle-même. Il voit des montagnes de feu, 
des gouffres béants, les lieux d'où viennent les vents, ceux où la 
lumière des astres est emmagasinée, les vastes eaux qui enve- 
loppent les extrémités de la terre, l'endroit oti les rebelles, anges 
et astres, sont emprisonnés, l'emplacement de la future Jérusa- 
lem, etc. Tout ce singulier passage rappelle celui de la Vision de 
la Nvée {Apoc. Barucki, chap. 51>) où les mystères que Moïse a 
contemplés sur le Sinaï sont énumérés. 



L'atileiir, qui est Ipôr prfocciipé d'exposer les mysti^res de a 
sagesse, ne se cunteiite pns de fnipe voyager Enoeh dans les B 
giona soit célestes, soit terrestres, il nous donne, eosu 
sorte de traité d'astronomie. (72 à 82.) fl décrit, d'abord, 
( cours des luminaires du ciel. > Il formule la loi qui détermine, 
respectivement, la marche du soleil, de la lune et des astres. H 
explique, ensuite, l'origine des vents. Il ënumère les noms des 
luminaires. Il insiste sur l'importance de la science des astres ; il 
prédit un bouleversement de l'ordre naturel des clioses dans 
l'avenir. Telle est la substance de ce long discours que l'ange 
liriel adresse à Enoch. Les explications des phénomènes physi- 
ques, que donne l'auteur, sont enfantines. La métaphore, les 
réminiscences bibliques, l'imagination, quelques observations 
des plus ordinaires en font les frais principaux. Que tout co y(!r- 
biage est puéril, même à coté des cosmogonies grecques ! On n'y 
dêconvre pas la plus légère trace de cette curiosité toute ration- 
nelle, déjà philosophique, qui caractérise les premiers balbutie- 
ments des Thaïes et des Anaximandre. Pour une fois que le génie 
juif a tenté d'aborder la physique et l'explication du monde, on 
peut dire qu'il a piteusement échoué. 

H est presque superflu d'ajouter que l'exposition n'est pas su- 
périeure aux idées. Les répétitions abondent; les redites pullu- 
lent; la confusion est partout. 1^ livre astronomique, comme un 
a appelé cette partie de l'apocalypse d'Enoch, forme un tf)ut com- 
plet. Ou pourrait le détacher, sans beaucoup d'inconvénient, du 
corps de l'ouvrage. En somme, c'est nno longue digression. On 
pourrait se demander si cette partie n'émane pas d'une autre 
main. 

Si l'auteur suivait un plan tant soit peu logique, il serait à 
présumer qu'en effet ce livre astronomique ne lui appartient 
pas. D'autre part, les matières qui y sont traitées occupent une 
grande place dans les portions du livre d'Enoch qui sont certai- 
nement dues à la plume de cet auteur. Partout c'est le même 
goût des explications physiques. Il n'y a point de différence pour 
le fond des idées. Il est donc probable que l'auteur a voulu expo- 
ser, dans cet endroit de son livre, l'ensemble de ses vues sur la 



— 209 - 

nature. Diiiis sa pensée, elles ont une importance eapilale. Elles 
constituent une révélation indispensable au salul des hommes. 
« Ceux qui la comprendront n'endormiront plus, tant sera grand 
leur désir d'apprendre cette sagesse. »(82,3; voir surtout 80, 7.) 
Concluons que l'auteur écrit sans ordre et qu'il ne recule pas 
devant les digressions les plus étrangères à son sujet. Du reste, 
c'est ce qu'on remarque même dans les parties les plus homo- 
gènes de son livre. 

Il est un troisième fragment d'une certaine étendue, les chapi- 
tres 91 à !0b inclusivement, qui paraît également appartenir à 
la principale des sources du livre d'Enoch. Elle semble constituer 
une conclusion assez naturelle des passages que nous venons 
d'analyser. D'une manière générale, elle consiste en une longue 
exhortation mêlée de prédictions sur le sort des bons et des mé- 
chants, d'un caractère assez vague. Tout n'est pas en ordre dans 
le texte. Ainsi il est très évident que le passage 9!, 12 à 19 a été 
déplacé et a dû se trouver après 93, 14. 11 n'est pas sur qu'il n'y 
ait pas dans ce long fragment des morceaux de provenance 
diverse, cousus ensemble. A partir du chapitre 94, cependant, le 
discours suit un cours plus régulier. Le prophète s'adresse alter- 
nativement aux pécheurs et aux Justes. Il est inépuisable dans 
l'imprécation. 11 n'est pas de malheur qu'il n'invoque sur la tête 
des méchants qu'il confond avec les ennemis de son peuple. Il y 
a de la rage dans son acharnement. Les passages ou il célèbre 
la félicité qui attend les justes font un contraste saisissant avec 
les autres. On pourrait y glaner de belles sentences sur le triomphe 
de la justice et de la droiture. Telle est bien l'âme juive, passion- 
née et extrême en tout, ne sachant ni haïr ni espérer à moitié. 

11 ne serait pas sans intérêt de soumettre à un exament attentif 
les alTirmations de notre auteur qui concernent l'avenir. Elles 
sont, en somme, assez vagues. Conçues en des termes généraux 
elles contrastent avec la précision des prophéties eschatologiques, 
des autres apocalypticiens. L'auteur semble bien ici et là affirmer 
la résurrection, 91, 10 ; 92, 3 ; 100, 5. « Les Justes, dit-il sorti- 
ront du sommeil b (de la mort.) Il est à remarquer, cependant 
que lauleur ne dit pas expressément que les corps ressuscite- 



roal. Les termes qu'il emploie impliqueiil la sumvsnce d 
Hais quelle sera leur conditiuD? Au chapitre 3^, dans ui 
très intéressant, il est dit que « les esprits des Justes \i\TOtit tan- 
dis quej l'esprit des méclianls disparaîtra dans les ténèbres et 
dans les flammes. > Tout ce que l'auteur dit du sort des Jusies, de 
l'abaissemenl dunt ils souffrent ici-bas et des compensations 
merveilleuses que l'avenir leur réserve, rappelle très nettement 
les afBrmations analo^es de l'auteur de la Sapience (111, là!); 
IV, 7, sq.) 

Eu résumé, l'impression que nous ressentons, pour notre part, 
à la lecture de toute cette portion du livre d'Enoch est double. 
Nous y sentons l'empreinte à la fuis de l'esprit juif et de l'esprit 
hellénistique. A chaque page, à chaque ligne, le Juif se trahit. 
C'est le ton, les aspirations, la passion véhémente, c'est le goût 
des prédications morales, c'est le besoin de justice, c'est la fui 
indomptable au triomphe de son idéal, enfln ce qui caractérise 
l'Israélite. D'autre part, il y a des lacunes considérables qui éton- 
nent chez un Juif. Où sont ces ardentes aspirations nationales 
qui caractérisent l'apocalyptique populaire? L'auteur ne les 
ignore pas cumplètemenl (91, 12), mais il n'y insiste pas ; elles 
sont reléguées au second plan. Trouve-t-on, au moins chez notre 
auteur, — ici nous embrassons son œuvre tout entière telle que 
nous l'avons analysée, — ces conceptions propres au juJaïsme 
dont nous avons constaté la présence même et surtout dans les 
apocalypses juives qui s'éloignent le plus du type populaire? La 
loi, la justification par les œuvres, le libre arbitre, ces notions 
qui reviennent sans cesse, dans la Vision de la N\iêe ou dans 
Vapocalypse de Salathiel, font ici justement défaut. C'est i'àme 
même du judaïsme pharisaïque qui est absente de ce livre. On y 
trouve. bien certaines notions qui ont trait à la gloire de Dieu, à 
la lumière éparse dans le monde supérieur, aux cieux, lesquelles: 
notions sont du plus pur judaïsme. Mais, nous insistons sur ce 
point, ce qui constitue la substance même du judaïsme palesti- 
nien manque absolument à notre auteur. 

■ Ce qui le préoccupe le plus n'a rien de commun avec ce qui 
passionnait tout juif palestinien. N'est-il pas curieux que, dans un 



— 2il — 

livre qui est et qui veut être une apocalypse, il soit, en somme, 
si peu question d'eschatologie? C'est toujours en termes vagues 
et presque en passant que l'auteur fait allusion aux événements 
qai marqueront Tapparition du Messie, La vérité est qu'il est 
préoccupé de tout autre cliose. Nous en avons déjà fait la re- 
marque, notre auteur se croit en possession d'une science mer- 
veilleuse dont la connaissance pourra sauver le monde. Cette 
science consiste en ces explications des phénomènes physiques 
qu'il a prodiguées dans toutes les parties de son livre. A ses 
yeux, elle est la sagesse même. Très naïvement il plaint les pé- 
cheurs de ne pas la connaître et voit dans cette ignorance la 
cause de leur perte. (80, 7.) Ailleurs, dans une sorte d'apoca- 
lypse très condensée, il déclare que le grand événement de l'ave- 
nir, ce sera la manifestation de !'« instruction au sujet de la 
création. » (93, 10 à 14.) 

On avouera que l'intérêt que l'auteur montre pour la physique 
est rare chez un juif. Où donc a-t-il puisé le goût de l'astronomie? 
Ce n'est certainement pas au sein du judaïsme indigène. Ce goût 
lui vient, sans doute, du dehors. Notre auteur est probahieraent 
quelque judéo-alexandrin qui a voulu opposer à ta sagesse 
païenne, une sagesse dont il a essayé de tirer les éléments des 
livres sacrés de son peuple. C'est un Juif qui veut combattre des 
adversaires sur leur propre terrain, qui essaie de leur emprunter 
leurs armes et qui, à son insu, se pénètre de leur esprit et s'im- 
prègne de leur génie. C'est précisément ce qui est arrivé à tous 
les apologètes du judaïsme que leur milieu et leur éducation ont 
poussés à combattre le paganisme sur son propre terrain'. 

Nous n'en sommes pas réduits à la remarque générale qui vient 
d'être faite. Fort heureusement nous avons des indications pré- 
cises qui ne laissent pas de doute sur l'origine judéo-hellénis- 
tique de notre écrit. 

Notre auteur connaît la mythologie grecque. Comme l'auteur 
du .3* livre de la Sibylle qui est juif aussi, il a rapproché la 
légende des Titans du récit de la Genèse, où il est question des 
géants. Les fleuves classiques, le Ptilégéthon, le Styx, VÂchéron 

' E, SchiJrer, ouï. cité ; 2' parUi:, p. 382 à 807. 



— 212 — 

figurent dans sa carte de ITnecinnu. Il ci>nnait l'Oceanm qui envi 
loppe la terre. D'accord avec ta mythologie grecque, il place h 
Stheol aa delà de VOceantts, dans la région des ténèbres. (Consul 
tez le commentaire de M. Dillmann, p. !!6, 118, 124.) 

Concluons. Les trois grands fragments que nous venons d'aï 
lyser nous paraissent appartenir à la même source. S'ils ne s 
suivent ni ne s'enchaînent bien, c'est que le plan de l'auteur e 
très dérectueux. Il ne sait pas composer et, du reste, il n'a curil 
d'un art que ses compatriotes ont toujours négligé ou dédaigi 
Ces fragments ont la même origine parce que les matières et UÊ 
fonds d'idées qui s'y trouvent sont absolument identiques. Ensuite 
il nous semble acquis que cet écrit n'est pas d'origine puremeid 
juive. Dès lors, nous ne pouvions pas le classer parmi les apoea^ 
lypses qui ont fait l'objet de cette étude. 

Dans notre analyse de la principale source du livre d'Enoch (dul 
Grundichrifi) nous avons omis la Vision des Bétes. (8S à 90.]| 
M. Schiirer et la plupart des critiques ne séparent pas cette alléf 
gorie du corps de l'ouvrage. Il est difficile de se décider dans l'aq^ 
ou dans l'autre sens. Nous ne nions pas qu'on pourrait relcvï 
certaines affinités entre l'allégorie et la source principale, i 
qu'elles soient plus apparentes que réelles. Il faut convenir qtti 
les différences sont bien plus sérieuses. La plus importante ei 
que l'auteur de la Vision montre un souci des choses finales, i 
l'eschatologie proprement dite, qui est fort éloigné des préo 
palions de l'auteur de la source principale. C'est précisément p 
ce cOlé-là que l'auteur de la Vision se rapproche des autP 
apocolypticiens. La Vision des Bétes s'est encadrée au milieu defl 
apocalypses juives avec une facilité et une aisance qui sont uni 
preuve qu'elle ne leur est pas étrangère. Des écrits qui s'éclaiJ 
rent par le rapprochement doivent avoir une parenté réelle. 

Quoi qu'il en soit, nous préférons laisser la question en 
pens. L'élément qui aurait tranché le débat nous manque. CeA 
le texte primitif. Ce n'est que par l'examen minutieux de celul-c 
que nous aurions pu vérifier notre conjecture. 

Les critiques accordent tous que cette portion du livi 
d'Enoch qui s'intitule les Allégories (37 à 72) est indépendante 



— 2t3 — 
du reste de l'ouvrage. Depuis Kôstlin (Uber die Enstehung des 
Buchs Henoch, Theolog. Jahrbiicker, 1836, p. 240 à 279, 370 à 
386) on est unanime sur ce puint. M. Diilmann lui-même (Herzog, 
Real-Enc. 2^ édit. X[i, p. 3H0 à 352) reconnaît la justesse d'une 
opinion à laquelle M. Schiirer a apporté la consécration de son 
autorité {ouv. cité, 2« partie, p. 625). Il est facile, en effet, de 
voir que les Allégories diffèrent sur une foule de points des autres 
parties du livre. L'eschatologie et la conception du Messie en sont 
les plus essentiels. Il ne faut pas, cependant, méconnaître la pa- 
renté réelle qui existe, au moins sur un point, entre les Allé- 
gories et la source principale. On y retrouve le môme goût des 
explications physiques qui constitue le caractère le plus frappant 
de ce dernier écrit. Voyez les chapitres 41, 43, 52, 59, 60. 

Concluons que nous avons dans les A/%oms et dans la source 
principale deux documents indépendants mais probablement 
issus du même milieu. 

Notre intention n'est pas de présenter une étude complète du 
livre d'Enocli, qui serait un hors-d'œuvre dans notre travail. 
Aussi nous bornerons-nous à examiner les Allégories au seul 
point de vue qui nous intéresse réellement. Que faut-il penser de 
tout ce que l'auteur de cet écrit nous dit du Messie? Tandis que, 
dans la source principale, le Messie brille par son absence, ici il 
occupe et remplit toute la scène. Tout s'efface devant lui. L'atten- 
tion se partage entre le Très-Haut et l'Elu. Qu'on veuille bien 
relire quelques-uns des passages nombreux où il est question du 
Messie. En voici quelques exemples. 

Dans la première Allégorie, le Messie est appelé, non seule- 
ment le Juste, mais la Lumière (38, 1 et 2 ; 40, 5 ; remarquez le 
passage sur la Sagesse, cliap. 4â). 

C'est dans la seconde Allégorie qu'il est le plus souvent ques- 
tion du Messie. 

Nous lisons (45, 3) : « En ce jour-là, l'Elu s'assoira sur le IrCma 
de la gloire,... je ferai qu'il soit une bénédiction éternelle et une 
lumière. » 

Ailleurs, l'ange dit du Messie qu'il est « le fils de l'homme qui 
possède la justice, auprès de qui habite la justice et qui révèle 



— 214 - 
tous les trésors cachés, » etc. (46, 3 et suiv., voyez auRsi 46, 1.) 

Dans un autre endroit, dous lisons qu'en c cette heure ce tils 
de l'homme fut nommé devant le Seigneur des esprits.... Avant 
que le soleil et les signes fussent créés... son nom fut nommé 
devant le Seigneur des esprits. Il sera le bâton sur lequel s'ap- 
puieront Icsjustes.... il sera la lumière des peuples et l'espoir de 
ceux qui ont le cœur aflligé. Tous ceux qui habitent sur la terre 
se prosterneront devant lui et l'adoreront. (48, 1 à 6.) • En lui 
demeure l'esprit de la sagesse... il jugera les choses secrètes, etc. • 
(49, 2 et 3.) Tout le chapitre S2 célèbre la puissance et le pou- 
voir surnaturel de l'Elu (51, 3 ; 52, 9, elcj. Ailleurs Dieu dit que 
l'Elu doit s'asseoir sur le trône de sa gloire. (53, 4.) 

Dans la troisième Allégorie on trouve des passages relatifs au 
Messie, non moins remarquables que ceux que nous venons de 
citer. (Voir 61, 4.) « Et le Seigneur des esprits fil monter l'Elu 
sur le tri>ne de sa gloire et il jugera toutes les œuvres des saints 
dans le ciel, a (61 , 8.) Les rois de la terre trembleront « lorsqu'ils 
verront ce (ils de la femme s'asseoir sur le trône de la gloire. » 
(62, 5, voir 62, l ; 7 ; 9.) a Les Justes demeureront avec ce fils 
de l'homme d'éternité en éternité. ■ (62, 14.) EnGn, voici la con- 
clusion de la troisième allégorie, « désormais il n'y aura plus 
rien de périssable car, lui, le fils de l'homme est apparu ; il est 
assis sur le trdne de sa gloire. Tout mal disparaîtra de devant 
lui. » (69, 29, 27.) 

Sans vouloir exposer en détail la notion du Messie que tous ces 
passages impliquent, relevons-en les points essentiels. On nous 
dit : i" que le Messie préexiste depuis l'origine des choses, 
Z" qu'il est infiniment supérieur aux anges, > que tous les pou- 
voirs lui sont remis, 4" qu'il s'assied sur le trOne de Dieu lui- 
même, b" qu'il jugera toute la terre, châtiant les pécheurs et 
récompensant les justes, 6° qu'il possède toute sagesse, toute 
science, toute justice. En un mot, il est le centre du monde, tant 
moral que physique, 11 n'esl subordonné qu'à Dieu seul. 

Telle est la conception messianique qui nous paraît contenue 
dans les Allégories et découler des passages que nous avons 
cités. Sans doute, chacun de ces passages pris à part est loin 



— 215 — 
d'impliquer à la fuis tous les élf^mcnts do la notion. Tel passage 
acccnlue tel côté de la conception totale, tel autre passage en met 
en lumière tel autre aspect. 

Eh bien, nous le demandons, est-ce là la notion juive, disons 
palestinienne du Messie ? Rccunnaissons-nous ici le Messie de nos 
apocalypses? Remarquez qu'alors même qu'on nous objecterait 
que nous n'obtenons l'impression totale que nous avons dégagée 
des passages messianiques des Allégories, que par un rapproclie- 
ment artificiel de ces passages, nous aurions encore la ressource 
de signaler des passages isolés, ceux, par exemple, qui appar- 
tiennent aux séries 4° et 6", qui donnent, à eux seuls, une notion 
du Messie absolument incompatible avec celle qui découle de 
nos apocalypses. Mais de quel droit amoindrir, en rémietlant 
ainsi, l'impression totale qui se dégage des passages messia- 
niques des Allégories ? Pour la ressentir, il n'est pas nécessaire 
de rapprocher ces passages, il suffit de lire avec soin les Allé- 
gories elles-mêmes. On sortira de cette lecture avec l'image 
d'un Messie grandiose qu'on ne connaissait pas. Tandis que 
le Messie de l'apocalyptique juive est en définitive pâle, inco- 
lore, effacé, quoiqu'il soit le bourreau de Dieu, — c'est une sorte 
de spectre sinistre et rien de plus, — le Messie des Allégories est 
un personnage très vivant, qui a de la chair, du sang, de la cou- 
leur. Il n'y a réellement aucune proportion entre ces deux Mes- 
sies, aucune parenté. Voilà ce qui frappe, voilà l'impression à 
laquelle on ne peut se soustraire dès qu'on examine attenti- 
vement les textes. 

Dansées conditions, il nous semble difficile de ne pas supposer 
qu'un élément chrétien s'est introduit dans le texte primitif des 
Allégories. Les passages que nous avons cités ont une saveur 
marquée de cbristologie. Qu'y a-t-il d'invraisemblable à ce qu'un 
lecteur chrétien ait mis en marge de son exemplaire, aux endroits 
où il était question du Messie, des gloses explicatives ou de petits 
commemaires qui se sont glissés dans le texte et y sont devenus 
des interpolations? Gomme nous ne possédons pas le texte pri- 
mitif, nous n'avons aucun moyen de constater les sutures et les 
raccords qui trahiraient l'interpolation. On sait que le procédé 



— -216 - 

que aous supposons a été en grand nsage dans l'ëglise priiDitlve< 
La Hévëlation di^ Jean, les TenlanumU des douze patriarches, elcj! 
en fournissenl des exemples Trappants. Il ne faut jamais oublier " 
que les premiers chrétiens se croyaieut le droit de s'approprier 
les livres juifs et, par conséquent, de les adapter à leurs besoins. 
Ce qui avait appartenu â l'ancien Israël, devait passer aux mains 
de l'israël nouveau ! 

Nous sommes loin de soutenir, comme on la Fait, que les 
Allégories elles-mêmes émanent d'un cbréticn. Les objections que 
M. Schlirer et d'autres ont élevées contre cette hypothèse sont 
insurmontables. Sous cette forme, elle doit être abandonnée, 
mais dûment délimitée, elle nous parait parfaitement acceptable. 
L'bypotbëse contraire, qui suppose que les Allégories ont une 
origine purement juive, se heurtera toujours à l'énorme difficulté 
que nous avons signalée. 

Il ne nous reste qu'à mentionner les parties du livre d'Enocb 
où le nom de Noé figure. Ce sont les passages 54. 7 à 5a, 2 ; 60 ; 
65, 1 à 69, 15. Les chapitres 105 et 107, peut-être S\, semblent 
faire partie de la même source. Il n'y a rien à tirer de ces frag- 
ments dont la date est incertaine. L'histoire du déluge défraie 
ces pages ternes et pleines de répétitions. 

Redisons-le, nous n'avons pas voulu faire ici une étude com- 
plète du livre d'Enoch. Notre but a été d'expliquer pourquoi nous 
n'avons pas pu en classer la source principale parmi nos apoca- 
lypses et pourquoi nous n'avons pas pu utiliser les passages 
messianiques des Allégories. Nous espérons avoir montré que 
cette source est trop suspecte d'hellénisme pour pouvoir figurer 
dans un tableau de l'apocalyptique purement juive et, en outre, 
que les passages messianiques des Allégories sont trop suspects 
d'avoir été retouchés par une main chrétienne pour pouvoir rea- 
Bortir à une analyse de la notion purement juive du S 



APPENDICE V , 
Les Testaments des douze patriarches. 

Rien n'est plus instructif que les longues hésitations de la cri- 
tique au sujet du document dont on a le titre sous les jeux. Elles 
nous l'ont kiucher du doigt la cause qui a si longtemps empêché 
qu'on ne vit clair dans les origines des apocalypses juives. Aussi, 
quoique nous ne puissions pas utiliser directement les Testaments 
dans une étude comme la nôtre, nous estimons qu'un examen 
sommaire de la question des origines littéraires de ce document 
peut servir, en une large mesure, à justifier la méthode critique 
que nous avons appliquée à nos apocalypses. C'est à ce titre que 
nous ajoutons à notre étude ce nouvel appendice'. 

On a longtemps cru que les Testaments étaient d'origine chré- 
tienne. Dans cette supposition, il s'agissait de déterminer s'ils 
émanaient d'un judéo-chrétien ou d'un paga no-chrétien. Le docu- 
ment lui-même fournissait des ai^uments également plausibles 
aux défenseurs de l'une et de l'autre hypothèse. Par certains 
côtés, les Testaments sentaient fortement leur judaïsme ; d'autre 
part, ils avaient une saveur nettement chrétienne, surtout pa- 
gano-chrélienne. Les Testaments présentaient un cas absolument 
analogue à celui de l'apocalypse de Jean. La question de la prove- 
nance de l'un et de l'autre document se posait dans les mêmes 
termes. Pour tous deux la vraie solution devait venir du même 
cOlé et par l'application de la même méthode. 

' Voir le texte publié par M. R. Siuker, Teitamenta Xfl Palnarcharvm, ad 
fidem Eodicii Ctinlalyiigienait eiUta : laxedant lecliones cod. Oaonieniii, 1860, 
M. Sînker a {lubliù plus tard des collatioas faites sur deux e 
Rome et l'autre de Patmus, IS7â. 



— 218 — 

La lumière se Dt d'abord sur les Teslamenls. (Test M. F. Schnaft 
qui iiuUK n rendu ce service. En 1881 il publiait une analyse li 
magnée des Te»tament)i. {Die Testamente dtr zv^f Patriarci 
anlersQchl von Lie. Friedrich Schnapp, Halle, l8Si.) S'inspira 
de quelques indications île Grabe, le premier éditeur du texl 
grec iSpitritetjium Patrum, vol. I, Ojron. 1698), M. S<:hDapp s 
pose que cet écrit est, pour le fond, d'origiue juive et que, plsj 
lard, au xecond siècle, il a été interpolé par un chrétien, 
outre, ce critique di&lingue dans la partie juive des Testamei 
deux sources différentes, également juives mais non du mém 
âge. [I ramenait ainsi ce document à trois éléments principaa^ 
A part quelques réserves qui sont plutôt des doutes, M. âchîîi 
adopte les uunclusions de M. Schnapp. (Geschichte de» Jîidisci 
Votkes. 2« partie, p. 666.) 

Les Testaments consistent en des discours que les palrîarchi 
sont censés avoir prononcés au moment de mourir. Tantôt c'e 
une confession et lanUit c'est un panégyrique. Le patriarc 
insiste sur un trait marquant de sa vie, défaut ou qualité, et e 
tire de pressantes exhortations qu'il est supposé adresser a s 
(Ils et petils-flls. En somme, ces Testaments sont des sermoqj 
Juife. Le récit biblique, aj^rémenlé d'amplifications du genre d 
légendes rabbiniqucs, sert de texte et de point de départ aD| 
applications morales et édifiantes. Tels sont, semble-t-il. le cadpi^ 
et le type primitifs des Testaments. L'exemple le plus parfait d 
genre, c'est le Testament de Gad. Il ne s'y mêle presque aua 
élément étranger. M. Schnapp pense que les Testaments, dam 
leur forme primitive, ont àù être composés avant la (in du sièc^ 
qui précède l'ère chrétienne, 

M. Schnapp a démêlé dans le texte actuel des Testaments uw 
série de passages également d'origine juive mais probablemei 
dils à une autre plume que celte qui a rédigé les Testaments pi^ 
mitifs. Il a démontré, en particulier pour ce qui concerne b 
Testaments de Lévi, Juda, Joseph, Napktkali, que les passag) 
qu'il signale fout violence au contexte, brisent le fii d 
tion ou du discours, enlin trahissent de toutes les manières leid 
caractère d'interpolations. Par exemple, le long passage, dans H 



— 219 — 
teslament de LM, qui cummence par ces mots du 2^ (>|,a. 
pitre : i^ 31 imitftatvojtfv, etc., et qui va jusqu'au commencement 
(lu fis chapitre, xai avteTiptrjv mvi 'iiyaui toutou;, etc., présente des 
incompatibilités palpables avec le reste du conlexle, les unes 
purement externes, les autres plus prorondes. Il faut en dire 
autant du chapitre 7 tout entier. Or, ce qu'il y a de remarquable, 
c'est que l'on constate une ressemblance réelle de ce dernier pas- 
sage avec celui du 2*, 3« chapitres, etc. On est ainsi amené, d'une 
part, à constater que ces passages sont des interpolations mani- 
festes et, d'autre part, qu'ils ont la même provenance. Or, on peut 
relever dans presque tous les Testaments, excepté dans celui de 
Gad, des passages absolument de même nature que ceux que 
nous venons de signaler. Ils ont tous des traits communs aux- 
quels on les reconnaît sans peine. Ce sont tous de petites apo- 
calypses très vagues et très embryonnaires. Les patriarches 
prévoient un temps d'apostasie générale en Israël. Le châliment 
ne tardera pas. Le peuple élu reviendra à son Dieu. Ce sera 
alors la fin des siècles. Les païens seront anéantis. {Siméon, 6.) 
Jérusalem ne sera plus incendiée. Ce dernier trait semble impli- 
quer que ces interpolations ont été écrites après 70. {Juda, 13.) 
Ce sera l'ère messianique, qui est dépeinte en certains passages, 
avec d'assez vives couleurs. Tel est le caractère habituel de ces 
fragments qui viennent se placer, tant bien que mat, vers la fui 
du discours de chaque patriarche. On remarque également que, 
dans ces passages, Lévi et Juda ont des rôles prépondérants. Lévi 
en particulier est l'homme de Dieu, impeccable et consacré pour 
l'éternité. C'est aussi, dans ces passages, que le livre d'Enoch est 
cité quoiqu'on ne retrouve pas les allusions ou citations dans 
cette apocalypse, du moins telle que nous la possédons. Il n'est 
pas nécessaire de supposer que les passages en question aient 
constitué une source indépendnnte qu'on a fusionnée avec les 
Testaments primitifs. Ils ont phit^jt le caractère de simples inter- 
polations. Il n'est même pas sur qu'ils soient tous dûs à la même 
main ou qu'ils datent de la même époque. Quoi qu'il en soit, ces 
interpolations sont du plus haut intérêt en ce qu'elles illustrent 
un procédé littéraire, usuel chez les Juifs, dont l'application 



changeait parfois cumpièlement le caractère des documenls ori- 
ginaux. 

II ne peut y avoir aucun duiitc sur l'uriginc juive à lu fais des 
Testaments primitifs et des interpolations dont il vient d'être 
question. Celles-ci surtout frappent par leur ressemblance avec 
nos apocalypses. 11 suffirait de rapproclier les unes et les autres 
pour que leur parenté éclatât avec une évidence irréfragable. 

D'autre part, il n'est pas moins certain qu'il y a des interpola- 
tions d'origine chrétienne dans les Testaments. Elles se révèlent 
par des sutures très apparentes. Dans la plupart des cas, la dé- 
chirure faite dans le texte s'aperçoit du premier coup d'oeil. Voir 
Lévi 4, Isachar 7, Dan 6, Napthali 1, Joseph 19, etc. 

Dans Siméon 6, par exemple, la phrase : a Car le Seigueur, le 
grand Dieu d'Israël, apparaissant sur terre comme homme et 
sauvant par lui-même Adam, » n'a absolument aucun rapport 
avec le contexte. Dans Dan 9, la phrase xai oi{nrti Sim « a^^vfiaxt 
ràepciirou est bien l'une des retouches les plus caractérisées qu'on 
puisse voir. 

Ce ne sont pas seulement des marques extérieures qui trahis- 
sent la présence des interpolations chrétiennes. C'est leur con- 
tenu, 11 y est question de la mort, de la résurrection, de l'ascen- 
sion du Christ; il y est fait mention de l'Agneau, de la Vierge, etc. 
Voir Lévi 4, Benjamin 9, 10, il, Joseph 19, etc. 

Remarquons que ces interpolations chrétiennes ont été intro- 
duites dans les parties les moins cohérentes et les plus récentes 
du texte, c'est-à-dire cOte à côte avec les interpolations juives. 
Les prédictions, en particulier celles qui touchaient au Messie, 
étaient de nature à paraître incomplètes aux yeux d'un chrétien. 
Il devait lui être difficile de ne pas ajouter au texte quelques 
phrases qui répondissent mieux à son sentiment chrétien . Ce qu'on 
est réduit à conjecturer au sujet des passages messianiques des 
A Uégories A'Enoch se trouve vérifié ici de la manière la plus frap- 
pante. N'a-t-on pas constaté le même procédé dans les portions 
certainement juives de l'apocalypse de Jean ? M. Harnaek a mon- 
tré, avec une grande justesse, que l'Eglise primitive s'est appro- 
prié les livres sacrés des Juifs et, au moyen de l'exégèse allégo- 



-. 224 - 

risante, les a adaptés aux besoins de la piété nouvelle. Elle se 
croyait Théritière légitime de l'Israël déchu. Ses trésors spirituels 
lui appartenaient. M. Harnack aurait pu étendre cette remarque 
et l'appliquer à toute la littérature juive qui est tombée entre les 
mains des chrétiens. Ils l'ont adoptée et, le plus souvent, trans- 
formée*. C'est là un fait qui explique plus d'un point obscur dans 
les documents dont les Juifs et les chrétiens ont fait un égal 
usage. 

* Harnack, Dogmengeschichte, erster Band, p. 37 à 40 ; 120 à 125. 



APPENDICE VI 
l'Assomption de Hoise. 

L'analyse de VAssomptim de Motse que nous avons donnée 
(p. 67 à 74) repose sur un point de vue critique qui a besoin 
dôtre justifié. A notre connaissance, M. Schiîrer est le premier 
qui l'ait nettement affirmé. (Oiiv. cité, 2« partie, p. fi30 et suiv.) 
Ce point de vue est que, pour déterminer la date de notre docu- 
ment, il faut s'en tenir exclusivement aux données du VI" cha- 
pitre, M. Colani a autrefois publié, dans la Berue de théologie de 
Strasbourg (1868, 2« livraison), sur V Assomption de Moïse un ar- 
ticle qui mérite encore d'être lu. Il exprime avec force les \Ties 
que la critique a dâ abandonner dans la suite. Discuter celles-ci, 
ce sera justifier le point de Mie que nous avons adopté. 

M, Colani préconise la solution du problème littéraire soulevé 
par VAssomption de Moïse que Volkmar proposait alors. Ces deux 
critiques soutiennent que ce document a été composé vers 137 
ou 138 de notre ère, au lendemain de l'insurrection de Bar-Co- 
ziba. L'auteur serait un Juif pieux que la mollesse et lindiffé- 
renoe des Pharisiens du parti d'Aquiba auraient forcé de protes- 
ter. Partant de cette donnée. M. Colani reconstitue, un peu à 
l'aide de son imagination, les circonstances dans lesquelles son 
héros a \éc\j et écrit. D'après lui, ces quelques pages marque- 
raient le moment capital où le judaïsme, < renonçant à voir re- 
naître le temple, se constitua en religion de la Loi. i Moriawau; 
dit l'auteur au nom de ceux qui partagent ses seuliments, polius 
qHam praetereamiu mandata Domini Dominorum. 

Yôilâ en quelques mois, qui ne rendent pas jnslice à ï. Colani, 



i 



l'hypothèse qu'il propose. Elle se heurte contre deux ou trois dif- 
ficultés qui nous paraissent insurmontables. D'abord, elle accorde 
trop de confiance à un texte profondément défectueux et incer- 
tjiin. L'un des principaux arguments de M. Colani et de presque 
tous les critiques est tiré de l'interprétation du mot Taxa (IX), 
laquelle varie d'un critique à l'autre. Or, la leçon qui donne le 
mol Taxo est incertaine et la signification de ce terme nous 
échappe absolument. 

M. Colani, comme presque tous les critiques, fait reposer toute 
sou argumentation, lorsqu'il essaie de fixer la date de notre do- 
cument, sur l'interprétation des chapitres VIII et IX. On s'elïoree 
d'y trouver des allusions à des événements historiques. Les 
essais qu'on a faits dans ce sens prouvent bien qu'en tout état 
de cause il n'y a rien de certain à tirer de l'obscurité de ces deux 
chapitres. 

On s'est également appuyé sur la fin du chapitre VII qui est 
absolument mutilé. M. Golaui a même essayé de reconstituer le 
texte primitif à cet endroit I 

Combien plus sages sont les critiques qui, comme M. Schiirer, 
cherchent à établir leurs conjectures sur les données les plus 
sures que nous offre le texte si incertain de notre document! Où 
les trouve-t-on? Au VI» chapitre et nulle part ailleurs. En effet, 
il n'est pas douteux, tout d'abord, que le rex petulans, dont les 
faits et gestes sont dépeints dans ce chapitre, ne soit Hérode le 
Grand. On sait que ses fils, Arcbelaiis, Antipas et Philippe lui 
succédèrent. C'est à eux que l'auteur de V Assomption fait allu- 
sion lorsqu'il dit : El producet natos qui succedentes sibi breviora 
tempora domtnarent. Ici l'auteur s'est trompé. S'il avait écrit 
non au lendemain de la mort d'Hérode le Grand, mais vingt ans 
plus tard, il n'eût pas prédit que ses fils auraient un règne de 
courte durée. On lit ensuite daus le texte : In partes eorum co- 
hortes renient. C'est l'armée romaine qui entre en scène. Et oc- 
cidentis rex potens. A la mort d'Hérode, ce rex ne pouvait être 
qu'un général romain. Et partent aedis ipsorum igni iticendet, 
atiquos crucifiget cirea coloniam eorum. C'est précisément ce que 
fit Varus, gouverneur de la province de Syrie, accouru à Jérusa- 



— 224 - 

lem pour réprimer l'insurrection qui éclata au lendemain de la 
mort d'Hérode, en Tan 4 de notre ère. (Josephi, Antiq., XVII, 
295, etc.) 

Après avoir fait allusion aux événements, qui se passèrent en 
Tan 4 à Jérusalem, en ces termes qui paraissent assez clairs, 
l'auteur ajoute cette phrase significative : Ex quo facto finientur 
tempora. Ce qui veut dire que l'auteur quitte le terrain de l'his- 
toire et qu'il va parler des derniers temps. Tout ce qui suit ap- 
partient donc à la prophétie. Que faut-il conclure du fait que 
l'auteur arrête son récit historique aux événements de Tan 4 et 
commence aussitôt ses prédictions apocalyptiques ? C'est qu'il a 
écrit justement à ce moment-là. 

On le voit, les chapitres VI et VII nous fournissent les seules 
données un peu sûres qui permettent de fixer la date de V As- 
somption. C'est bien là et non ailleurs qu'il faut les chercher. 



■^♦^ 



TABLE DES MATIÈRES 



Pages 

Introduction 5 

PREMIÈRE PARTIE 

Chapitre premier. U apocalyptique poptilaire 13 

1. La vision de l'Aigle 14 

La vision de l'Homme 20 

La vision de la Forêt 25 

La vision des Bêtes 28 

2. L'apocalypse E ^35 

L'apocalypse A. (Révélation de saint Jean) 47 

L'apocalypse B. (Révélation de saint Jean) 60 

L'Assomption de Moïse ... 67 

Chapitre II. Les apocalypses rabblniques 7() 

Première apocalypse de Barnch 77 

La vision de la Nuée >?>Q 

Chapitre III. IJ apocalyptique transcendante 06 

L'Assomption de Barucli . . 97 

[^'apocalypse de Salnthiel 103 

DEUXIÈME PARTIE 
La conception juive du monde supra-sensible. 

Chapitre: premip^r. Les idées de préexistence 124 

Le Messie l-^ô 

La Jérusalem céleste 128 

Le Paradis l;)0 

Behemoth et Leviathan . . 131 

Caract<Hv et origino de^ idées de préexistence .... i:>2 

U 



La lumière se fll d'abord sur les Testaments. C'est M. F. Schna|j 
qui nous a rendu ce service. En 1884 il publiait une analyse tr^ 
soignée des Testaments. {Die Teslamenle iler swSlf Patriarchi 
untersucht von Lie. Friedrich Schnapp, Halle, 1884.) S'inspirai 
de quelques indications de Grobe, le premier éditeur du leK( 
grec (Spicilegium Palrum, vol. I, O.Ton. 1698), M, Schnapp siq 
pose que cet écrit est, pour le fond, d'origine juive et que, plidj 
lard, au second siècle, il a été interpolé par un chrétien, 
outre, ce critique distingue dans la partie juive des Testam 
deux sources différentes, également juives mais non du méà 
âge. n ramenait ainsi ce document à trois éléments principal!] 
A pari quelques réserves qui sont plutôt des doutes, M. Schiirj 
adopte les conclusions de M. Schnapp. {Geschichte des Jûdisch 
Volkes, 2» partie, p. 666.) 

Les Testaments consistent en des discours que les patriarctM 
sont censés avoir prononcés au moment de mourir. Tantôt c'a 
une confession et tantôt c'est un pnnégjTique. Le patriarc 
insiste sur un trait marquant de sa vie, défaut ou qualité, e 
tire de pressantes exhortations qu'il est supposé adresser à 
Ris et petits-fils. En somme, ces Testaments sont des sern 
juifs. Le récit biblique, agrémenté d'amplifications du genre d 
légendes rabbiniques, sert de texte et de point de départ ajà 
applications morales et édifiantes. Tels sont, semble-t-il. le cadl 
et le type primitifs des Testaments. L'exemple le plus parfait d 
genre, c'est le Testament de Gad. II ne s'y mêle presque auei 
élément étranger. M. Schnapp pense que les Testaments, da^ 
leur forme primitive, ont dû être composés avant ta fin du sièi;!! 
qui précède l'ère chrétienne. 

M. Schnapp a démêlé dans le texte actuel des Testaments uM 
série de passages également d'origine juive mais probablem^ 
dits à une autre plume que celle qui a rédigé les Testaments pl| 
mitifs. il a démontré, en particulier pour ce qui concerne l 
Testaments de Lévi, Juda, Joseph, Naphthati, que les passai 
qu'il signale font violence au contexte, brisent le fil de la n 
tion ou du discours, enfin trahissent de toutes les manières letl 
caractère d'interpolations. Par exemple, le long passage, dans j 



PB-42235.SB 
5 «05 

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iii 



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