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X% 0. XI
~\
^^
^.
LES
CENT NOUVELLES
NOUVELLES
^ I
Paris. Imprimé par Guiraudet bt Jouaust, u8, r. S.-Honoré.
avep les caractères elzeviriens de P. /annvt»
LES CENT
NOUVELLES
NOUVELLES
Publiies d'après le seal manuscrit (oanu
H. THOMAS WRIGHT
KembK corropoodant de rinitimi de Pnnce
A PARIS
Chez P. Jannbt, Libraire
\ * —
"s '
I
LA Lie NOUVELLE.
PAR l'acteur.
' Paris n'a guères vi voit une femme qui
en son temps fiit mariée à ung bon
^simple homme, qui tout son temps
^fut de noz amys, si trèsbien qu'on ne
^pourroit plus. Geste femme, qui bel-
le et gente et gracieuse estoit ou temps qu'elle
fut noeve , car el avoit l'œil au vent, fut requise
d'amours de pluseurs ; et pour la grand courtoi-
sie que nature n'avoit pas oubliée en elle, elle
passa légèrement les rec)uestes de ceulx qui
mieubc luy pleurent, et joyrent d'elle, et eut
en son temps, tant d'eulx que de son mary,
xij ou xiiij enfans. Advint qu'elle fut malade
trèsfort et au lit de la mort acouchée ; si eut
tant de grâce qu'elle eut temps et loisir de se
confesser et penser à ses péchez et disposer
de sa conscience. Elle véoit, durant sa ma-
ladie, ses enfans trotter devant elle, qui luy
bailloient au cueur trèsgrand regret de les
laisser. Si se pensa qu'elle feroit mal de lais-
ser son mary chargé de la pluspart d'eulx,
car il n'en estoit pas le père, combien qu'il le
6 Les Cent Nouvelles nouvelles.
cuidast et que la tenist aussi bonne que nulle
de Paris. Elle fist tant, par le moyen d'une
femme qui la gardoit, que vers elle vindrent
deux hommes qui ou temps passé Pavoient en
amours bien servie. Et vinarent de si bonne
heure que son mary estoit en la ville, et à
cest cop devers les medicins et apothicaires,
ainsi (qu'elle luy avoit ordonné et prié. Quand
elle vit ces deux hommes, elle fit tantost venir
touz ses enfans ; si commence à dire : « Vous,
ung tel, vous savez ce oui a esté entre vous et
mdy du temps passé , aont il me desplaist à
ceste heure amèrement. Et si n'est la miséri-
corde de nostre Seigneur, à qui me recom -
mende, il me sera en l'autre monde bien chè-
rement vendu. Toutesfoiz, j'ay fait une folie,
je le cognois; mais de faire la secunde ce se-
roit trop mal fait. Véezcy telz et telz de mes
enfans; ilz sont vostres, et mon mary cuide
qu'ilz soient siens. Si feroye conscience de les
laisser en sa charge ; si vous prie tant que je
puis au'après ma mort, qui sera brefment,
vous les prenez avecques vous et les entre-
tenez, nourrissez et élevez, et en faictes
comme bon père doit faire , car ilz sont vos-
tres. » Pareillement dist à l'autre, et luy mons-
tra ses aultres enfans : « Telz et telz sont à
vous, je vous en asseure; je les vous recom-
mende, en vous priant que vous en acquic-
tez; et s'ainsi le me voulez promectre, j'en
mourray plus aise. » Et comme elle faisoit ce
partage, son mary va revenir à l'ostel et fut
perceu par ung petit de ses filz qui n'avoit
Nouvelle LI. 7
environ que iiij ou vj ans, qui vistement des-
cendit en bas encontre de luy efFrayement, et
se hasta tant de dévaler la montée qu'il estoit
presque hors d'alayne. Et comme il vit son
père , à quelque meschef que ce fut il dist :
c< Helas ! mon père , avancez vous tost , pour
Dieu ! — Quelle chose y a il de nouveau / dit
le père; ta mère est elle morte? — Nenny,
nenny, dit l'enfant ; mais avancez vous d'aller
en hault, ou il ne vous demourra enfans nesun.
Hz sont venuz deux hommes vers ma mère,
mais elle leur donne tous mes frères et mes
seurs; si vous n'allez bien tost, elle donnera
tout. » Le bon homme ne scet que son filz
veuh dire; si monta en hault et trouve sa
femme bien malade , sa garde, et deux de ses
voisins, et ses enfans ; si demanda que signi-
fie ce que un^ tel de ses filz luy avoit dit du
don qu'elle fait de ses enfans. « Vous le sce-
rez cy après », dit elle. Il n'en enquist plus
avant pour l'heure , car il ne se doubtoit de
rien. Ses voisins s'en allèrent et commendè-
rent la malade à Dieu , et luy promisrent de
faire ce qu'elle leur avoit requis, dont elle les
remercya. Comme elle approucha le pas de la
mort, elle crya mercy à son mary, et luy dist
la faulte qu'elle luy a fait durant qu'elle a esté
allyée avecques luy, et comment telz et telz
de ses enfans sont à ung tel , et telz et telz
sont à ung tel , c'est assavoir à ceulz dont
dessus est touché , et que après sa mort ilz les
prendront et n'en ara jamais charge. Il fut
bien esbahy d'oyr ceste nouvelle; néantmains
8 Les Cent Nouvelles nouvelles, !
il luy pardonna tout, et puis elle mourut; et
il envoya ses enfans à ceulx qu'elle avoit or-
donné , qui les retindrent. Et par ce point il
fut quitte de sa femme et de ses enfans ; et si
eut beaucop mains de regret de la perte de sa
femme que de celle de ses enfans.
LA Llle NOUVELLE.
PAR MONSEIGNEUR DE LA ROCHE.
'a guères que ung grand gentilhom-
me, sage, prudent, et beaucop ver-
'tueux, comme il estoit au lit de la
mort, et eust fait ses ordonnances et
disposé de sa conscience au mieulx qu'onc-
quespeut, il appella ung seul filz qu'il avoit,
auquel il laissoit foison de biens temporelz. Et
après qu'il luy eut recommendé son ame, celle
de sa mère, qui n'a guères estoit allée de vie
par mort, et généralement tout le collège de
purgatoire, il l'advisa trois choses pour la der~
renière doctrine que jamais luy vouloit bail-
lier, en disant : « Mon trèscher filz, je vous
advise tout premier que jamais vous ne hantez
tant en l'ostel de vostre voisin que l'on vous y
serve de pain bis. Secundement , je vous en-
joinctz que vous gardez trèsbien de jamais
courre vostre cheval en la valée. Tiercement,
que vous ne prenez jamais femme d'estrange
nacion. Souvienne vous de ces trois poins, et
Nouvelle LU. 9
je ne double point que bien ne vous en vienne ;
mais si vous faictes au contraire, soiez seur
que vous trouverez quç la doctrine de vostre
père vous vaulsist mieulx avoir tenue. » Le bon
filz mercya son père de son bon advertisse-
ment, et luy promect d'escripre ses enseigne-
mens au plus profiind de son entendement, et
si trèsbien en aura mémoire que jamais n'yra
au contraire. Tantost après son père mourut,
et furent faictes ses funérailles <:omme à son
estât et homme de tel lieu qu'il estoit appar-
tenoit : car son filz s'en voult bien acquitter,
comme celuy qui bien avoit de quoy. Ung
certain temps après, comme l'on a accoin-
tance plus en ung lieu que en l'autre, ce bon
gentilhomme, qui estoit orphenin de père et
de mère et à marier, et ne savoit que c'estoit
de mesnage, s'accointa d'un voisin qu'il avoit,
et de fait la pluspart des jours buvoit et men-
geoit léens. Son voisin, qui maryé estoit et
avoit une trèsbelle femme, se bouta en la
doulce rage de jalousie , et luy vindrent faire
rapport ses yeulx suspeçonneux que nostre
gentilhomme ne venoit en son hostel fors à
l'occasion de sa femme , et que vrayement il
en estoit amoureux, et que à la longue il la
pourroit emporter d'assault. Si n'estoit pas
bien à son aise , et ne savoit penser comment
il se pourroit honnestement de luy desarmer,
car luy dire la chose comme il la pense ne
vauldroit rien; si conclud de luy tenir telz
termes petit à petit qu'il se pourra assez per-
ceyoir^ s'il n'est trop beste^ que sa hantise
LES
CENT NOUVELLES
NOUVELLES
12 Les Cent Nouvelles nouvelles.
donna, lequel il avoit mal retenu. Il se con-
forta toutesfoiz et dist bien en soy mesmes c|ue
la chose n'est pas si avant qu'il n'en saiHe
bien. Au lendemain, le bon chapellain, son
lieutenant pour la nuyt , et son prédécesseur,
se leva de bon matin , et d'adventure il oblya
ses brayes soubz le chevet du lit à l'espousée.
Et nostre bon gentilhomme , sans faire sem-
blant de rien , vint au lit d'elle et la salua gra-
cieusement, comme il savoit bien faire, et
trouva façon de prendre les braies du prestre
sans ce qu'il fust d'ame apperceu. On fist
grand chère tout ce jour ; et quand vint au
soir, le lit à l'espousée fut paré et ordonné
tant richenient que merveilles, et elle y fiit
couchée. Si dist on au sire des nopces aue
meshuy, quand il luy plairast, pourra il aller
coucher avecques sa femme. Il estoii fourny
de sa response , et dist au père et à la mère et
aux parens qui le voulrent oyr : « Vous ne savez
qui ]e suis, et à qui vous avez donné vostre
nlle , et en ce m'avez fait le plus hault hon-
neur qui jamais fut fait à jeune gentilhomme
estrangier, dont je ne vous saroie assez mer-
cier. Neantmains toutesfoiz , j'ay conclud en
moy mesmes , et suis ad ce résolu , de jamais
coucher avec elle si que luy auray monstre et à
vous aussi qui je suis, quelle chose j'ay et
comment je suis logié. » Le père print tantost
la parolle et dist : « Nous savons trèsbien que
vous estes noble homme et de hault lieu , et
n'a pas Dieu mis en vous tant de belles vertuz
sans les accompaigner d'amys et de richesses.
Nouvelle LU. 13
Nous sommes contens de vous, ne laissez jà à
parachever vostre mariage ; tout à temps sce-
rons nous plus avant de vostre estre quand il
vous plaira. » Pour abréger, il voa et jura de
jamais coucher avec elle si n'estoiten son
hostel , et Vj amenèrent son père et sa mère ,
et pluseurs de ses parens et amys. Il fist met-
tre son hostel à point pour les recevoir, et y
vint ung jour devant eulx. Et tantost qu'il fut
descendu , il print les brayes du prestre qu'il
avoit , et les pendit en sa sale auprès du pain
bis et de la peau du cheval. Trèsgrandemçnt
furent receuz et festoiez les .parens et amis de
la bonne espousée ; et furent bien esbahiz de
veoir Tostel d'un tel jeune gentilhomme si
bien foumy de vaisselle , de tapisserie et de
tout aultre meuble ; et se reputôient trèseu-
reux d'avoir si bien allyée leur belle fille.
Comme ilz regardoient par léens, ilz vindrent
en la grand sale, qui estoit pourtenduede belle
tapisserie; si perceurent au milieu le pain bis,
la peau du cheval , et unes brayes qui pen-
doient , dont ilz furent beaucop esbahiz , et en
demandèrent la signifiance à leur hoste, le
sire des nopces. Et il leur dit que voluntiers et
pour cause il leur diroit ce qui en est quand
ilz auroient mangé. Le disner futprest et Dieu
scet qu'ilz furent bien serviz. Hz n'eurent pas
si tost disné qu'ilz ne demandèrent l'interpre-
tacion et le mistère du pain bis, de la peau
du cheval, etc., et le bon gentilhomme leur
compta bien au long, et dist que son père au
lit de la mort, comme dessus est narré, luy
14 Les Cent Nouvelles nouvelles.
avoit baillé trois advisemens. Le premier fut
que jamais ne se trouvast tant en ung lieu
que Ton le servist de pain bis. » Je ne retins
pas bien ceste doctrine : car depuis sa mort je
nantay tant ung mien voisin qu'il se bouta en
jalousie pour sa femme , et , en lieu de pain
blanc que je y eu long temps , on me servit
du bis ; et en mémoire et approbacion de la
vérité de cest enseignement, j'ay là fait mettre
ce pain bis. Le deuxiesme enseignement que
mon père me bailla fut que jamais ne cou-
russe mon cheval à la valée. Je ne le retins
pas bien , ung jour qui passa ; si m'en print
mal : car, en courant une valée après le liè-
vre et mes chiens , mon cheval se rompit le
col , et je fuz trèsbien blecié ; et en mémoire
de ce est là pendue la peau du cheval qu'alors
je perdy. Le troisiesme enseignement que mon
père me bailla si fut que jamais n'espousasse
femme d'estrange région. Or y ay je failly, et
vous diray comment il m'en est prins. Il est
vray que la première nuyt que vous me refu-
sastes le coucher avecques vostre fille, qui cy
est, je fu logié en la chambre au plus près de
ia sienne ; et car la paroy qui estoit entre elle
et moy n'estoit pas trop forte, je la pertuisay
de mon espée , et vy venir coucher avec elle
le chapellain de vostre hostel , qui soubz le
chevet du lit oublya ses braies le matin qu'il
se leva ; lesquelles je recouvray, et sont celles
que veez là pendues , qui tesmoignent et ap-
prouvent la canonicque vérité du troisiesme
enseignement que jadiz feu mon père me bailla.
Nouvelle LUI. 15
lequel je n'ay pas bien retenu ; mais, affin que
plus n'y renchoye en la faulte des deux advis
precedens, ces trois bagues que veez m'en fe-
ront doresenavant sage. Et car, la Dieu mercy,
je ne suis pas tant obligé à vostre fille qu'elle
ne me puisse bien quicter, je vous prie que la
remenez et retournez en vostre marche , car
jour que je vive ne me sera de plus près ; mais
pource que je vous ay fait venir Je loing et
vous ay bien voulu monstrer que je ne suis
pas homme pour avoir le demourant d'un
prestre, je suis content de paier voz despens. »
Les aultres ne sceurent que dire, qui se veoient
conclus et leur tort , voyans aussi qu'ilz sont
loing de leur pays, et que la force n'est pas
leur en ce lieu ; si furent contens de prendre
argent pour leurs despens et s'en retourner
dont ilz vindrent , et qui plus y a mis plus y
a perdu. Et par ce compte avez oy que les
trois advis que le bon père bailla à son filz ne
sont pas à oublier ; si les retienne chascun pour
autant qu'il sentira qu'il luy peut toucher.
LA Lille NOUVELLE.
PAR MONSEIGNEUR L' AMANT DE BRUXELLES.
'a guères que en l'église de saincte
Goule, à Bruxelles, estoient à ung
matin pluseurs hommes et femmes
qui dévoient espouser à la première
messe , qui se dit entre quatre et cmq heu-
i6 Les Cent Nouvelles nouvelles.
res; et entre aultres qui dévoient emprendre
ce doulx et seur estât de mariage , et pro-
mectre en la main du prestre ce que pour rien
ne vouldroient trespasser, il y avoit ung jeune
homme et une jeune fille qui n'estoient pas
des plus riches , mais bonne volunté avoient,
oui estoient l'un près de l'autre , et n'atten-
doient fors que le curé les appellast pour
espouser. Auprès d'eulz aussi y avoit ung
homme ancien et une femme vieille qui grand
chevance et foison de richesses avoient , et
par convoitise et grand désir de plus avoir
avoient promis foy et loyaulté l'un à l'autre ,
et pareillement attendoient à espouser à ceste
première messe. Le curé vint et chanta ceste
messe trèsdesirée ; et en la fin, comme il est de
coustume, devant luy se misrent ceulx qui es-
pouser dévoient, dont y avoit pluseurs , sans les
quatre dont je vous ay compté. Or devez vous
savoir que ce bon curé, qui tout prest estoit de-
vant l'aultier pour faire et accomplir le mis-
tère d'espousailles, estoit borgne, et avoit, par
ne sçay quel meschef, puis pou de temps
Î)erdu ung œil. Et n'y avoit aussi guères grand
uminaire en la chapelle ne sur l'aultier ; il es-
toit aussi en yver, et faisoit fort brun et noir.
Si faillit à choisir : car, quand vint à besoignier
et espouser, il print le vieil homme riche et la
jeune fille pouvre et les joignit par l'aneau
du moustier ensemble. D'aultre costé aussi il
print le jeune homme pouvre et l'espousa à la
vieille femme riche, et ne s'en donnèrent onc-
ques garde en l'église ne les hommes ne les
Nouvelle LUI. 17
femmes, dont ce fut grand merveille, par
especial des hommes, car ilz osent mieux le-
ver les yeux et la teste quand ils sont devant
le curé à ^enouz que les femmes, qui sont à
cest cop simples et coyes et n'ont le regard
fiché qu'en terre. Il est de coustume que, au
saillir des espousailles , les amis de Pespousée
la prennent et mainent. Si fut menée la pou-
vre jeune fille à l'ostel du riche homme , et
pareillement la vieille riche fut menée en la
pouvre maisonnette du jeune compaignon.
Quand la jeune espousée se trouva en la court
et en la grand sale de Postel de l'homme qu'elle
avoit par mesprise espousé , elle fut bien es-
bahie et cogneut bien qu'elle n'estoit pas par-
tie de léens ce jour. Quand elle fut arrière en
la chambre à parer, qui estoit bien tendue de
belle tapisserie, elle vit le beau ^and feu ,
la belle table couverte où le beau desjuner esloit
tout prest ; elle vit le beau buffet bien foumy
de vaisselle : si fut plus esbahie que par avant,
et de ce se donne plus grand merveille qu'elle
ne cognoistame de ceulx qu'elle ot parler. Elle
fut tantost desarmée de sa faille, où elle estoit
bien enfermée et embronchée, et comme son
espousé la vit à descouvert, et les aultres qui
là estoient, créez qu'ilz furent autant soupnns
que si cornes leur venissent. « Comment! dit
respousé, et est cecy ma femme? Nostre
Dame ! je suis bien eureux ! Elle est bien chan* •
gée depuis hier, je croy qu'elle a esté à la >
fontaine de Jouvence. — Nous ne savons,
■^dirent ceulx qui l'avoient amenée, dont elle-
Cent Nouy, — II. 2
-W
i8 Les Cent Nouvelles iiouvelles. .
vient , ne qu'on luy a fait; mais nous savons
certainement que c'est celle que vous avez huy
espousée , et que nous prismes à l'aultier, car
oncques puis ne nous partit des braz. » La com-
paipie fut bien esbanie et longuement sans
mot dire; mais, que que fust simple et esbahy,
la pouvre espousée estoit toute aesconfortée>
et ploroit des yeulx tendrement, et ne savoit
sa contenance; elle amast trop mieulx se trou-
ver avecques son amy, qu'elle cuidoit bien
avoir espousé ce jour, L'èspousé, la voyant se
desconforter, en eut pitié et lui dist : « M'amye,
ne vous desconfortez jà , vous estes arrivée
en bon hostel, si Dieu plaist, et n'ayez double,
on ne vous y fera jà desplaisir; mais dictes
moy, s'il vous plaist , qui vous estes , et à vos-
tre advis dont vous venez cy. » Quand elle
l'oyt si courtoisement parler, elle s'asseura
ung peu et luy nomma son père et sa mère,
et dist qu'elle estoit de Bruxelles , et avoit
fiancé ung tel qu'elle luy nomma , et le eut-
doit bien avoir espousé. L'espousé et tous
ceux qui là estoient commencèrent à rire ,
et dirent çiue le curé leur a fait ce tour. « Or
)oé soit Dieu , dist de rechef l'espousé, de ce
change ! je n'en voulsisse pas tenn* bien grand
diose que Dieu vousa envoyée à moy, et je vous
promet par ma foy de vous tenir bonne corn-
paignie. — Nenny, ce dit-elle en plorant,
vous n'estes pas mon mary. Je veil retourner
devers celuy à qui mon père m'avoit donnée. —
Ainsi ne se fera pas, dit-il; je vous ay es-
pousée en saincte église, vous n'y povez con-
Nouvelle LUI. 19
tredire ; vous estes et demourrez ma femme ,
et soiez contente, vous estes bien eureuse.
J'ay, la Dieu mercy ! de biens assez, dont vous
serez dame et maistresse , et vous feray bien
jolye. » Il la prescha tant, et ceux qui là es-
toient , qu'elle fut contente d'obéir. Si des-
junèrent leçierement et pujs se couchèrent;
et fist le vieil homme du mieux qu'il sceut. Or
retournons à nostre vieille et au jeune com-
paignon. Pour abréger, elle fut menée à l'hos-
tel du père à la fille qui à ceste heure est cou-
chée avecques le vieil homme. Quand elle se
trouva léens, elle cuida bien enrager, et dist
tout haut : « Et que fays je céens ? Que ne me
maine l'on en ma maison , ou à l'ostel de mon
mary ? L'espousé, qui vît ceste vieille et l'oyt
parler, fut bien esbahy ; si furent son père et
sa mère , et tous ceulx de l'assemblée. Si sail-
lit avant le çère et la mère de léens, qui co-
gnent la vieille, et trèsbien savoit à parler
de son mariage, et dit : « On vous a baillé ,
mon fils, la femme d'un tel, et créez qu'il a la
vostre-^ et ceste faulte vient par nostre curé,
qui voit si mal ; et ainsi m'aïstDieu, Jasoît que
je fusse loing de vous quand espousastes, si
me cuiday je percevoir de ce change. — Et
qu'en doy je faire l dit l'espousé. — Par ma
roy , dist son çère , je ne m'y cognois pas
bien , mais je faiz grand doubte que vous ne
Suissez avoir aultre femme. — Saint Jehan !
ist la vieille , je ne le veil point, je n'ay cure
d'un tel chetif ! Je seroye bien eureuse d'avoir
ung tel jeune galant qm n'aroit cure de moy , et
20 Les Cent Nouvelles nouvelles.
me despendroit tout le mien, et , si j'en son-
noye mot, encores aroie je la teste torchée.
Ostez, ostez, mandez vostre femme, et me
laissez aller où je doy estre. — Nostre Dame !
dit Tespousé, si je la puis recouvrer, je l'ayme
trop mieulx que vous , quelque pouvre qu^elle
soit ; mais vous n'en irez pas, si je ne la puis
finer. » Son père et aucuns ses parens vin-
drent à l'ostel où la vieille youlsist bien es-
tre ; et vindrent trouver la compaignie qui des-
jeunoit au plus fort, et qui faisoient le chaudeau
pour porter à l'espousé et à l'espousée . I Iz comp-
tèrent leur cas , et on leur respondit : « Vous
venez trop tard : chacun se tienne à ce qu'il
a; le seigneur de céens est content de la femme
que Dieu luy a donnée , il l'a espousée et n'en
veult point d'aultre. Et ne vous en dolezjà,
vous ne fustes jamais si eureux que d'avoir iiUe
alyée en si hault lieu; vous en serez une foiz tous
riches. » Ce bon père retourne en son hostel,
et vient faire son rapport, dont la vieille cuida
bien enrager, (c Voire, dist elle , suis je en ce
point deceue? Par Dieu! la chose n'en de-
mourra pas ainsi, ou la justice me fauldra. »
Si la vieille estoit bien mal contente, encore
l'estoit bien autant ou plus le jeune espousé,
qui se veoit frustré de ses amours ; et encores
l'eust il légèrement passé s'il eust peu finer de
la vieille à tout son argent ; mais nenny, il la
. faillit laisser aller à sa maison , tant menoit
laide vie. Si fut conseillé de la faire citer par-
devant monseigneur de Cambray, et elle pa-
reillement fist citer le vieil homme qui ha la
Nouvelle LIV. 21
jeune femme ; et ont encommencé ung gros
procès dont le jugement n'est encores rendu ,
si ne vous en sçay que dire plus avant.
LA LIVe NOUVELLE.
PAR MAHIOT d'aNQUASMS.
ng gentil chevalier de la conté de
Flandres, jeune , bruyant , jousteur,
danseur et bien chantant , se trouva
_ point ou pays de Haynault, en la
compaignie d'un aultre gentil chevalier de sa
sorte, et demourant ou dit pays, qui le hantoit
trop plus que la marche de Flandres où il avoit
sa résidence et belle et bonne. Mais, comme
souvent advient , amours estoit cause de sa
retenue , car il estoit feni et attaint bien au vif
d'une damoiselle de Maubeuge, et à ceste
occasion Dieu scet qu'il faisoit. Trèssouvent
foustoit, faisoit mommeries, bancquetz, et
généralement tout ce qu'il pensoit qui peust
plaire à sa dame et à luy possible, il le faisoit. Il
fut assez bien en grâce pour ung temps, mais
non pas si avant qu'il eust bien voulu. Son
compaignon le chevalier de Haynau , qui sa-
voit tout son cas , le servoit au mieulx qu'il
Eovoit , et ne tenoit pas à sa diligence que ses
esoignes ne fussent oien bonnes et meilleures
qu'elles ne furent. Qu'en vauldroit le long
compte ? Le bon chevalier de Flandres ne sceut
22 Les Cent Nouvelles nouvelles.
oncques tant faire, ne son compaignon aussi,
3u'ii peust obtenir de sa dame le gracieux don
e mercy , ainçois la trouva tout temps rigo-
reuse, puis qu'il tenoit langage sur ces ter-
mes. Force luyfiit toutesfoiz, ses besoignes
estans comme vous oez , de retourner en Flan-
dres. Si print ung gracieux congé de sa dame ,
et luy laissa son compaignon , promist aussi ,
s'il ne retoumoit de bref, de luy souvent es-
cripre et mander de son estât. Et elle promist
de sa part luy faire savoir de ses nouvelles*
Advint certain jour après que nostre chevalier
fut retourné en Flandres , que sa dame eut
volunté d'aller en pèlerinage , et disposa ses
besoignes ad ce. Et comme le chariot es-
toit devant son hostel, et le charreton de-
dans, qui estoit ung trèsbeau compaignon,
fort et viste , qui l'adouboit , elle luy gecta
ung coussin sur la teste , et le fîst cheoir à pâ-
tes, et puis commença à rire trèsfort et bien
hault. Le charreton se sourdit et la regarda
rire, et dist: « Par Dieu, madamoiselle, vous
m'avez fait cheoir ; mais créez que je m'en
vengeray bien , car avant qu'il soit nuyt je
vous feray tumber. — Vous n'estes pas si mal
gracieux», dist elle. Et, en ce disant, elle
prend ung aultre coussin, que le charreton ne
s'en donnoit garde, et le fait arrière cheoir
comme devant; et s'elle risit fort au par
avant, elle ne s'en faindit pasàceste heure.
« Et qu'est cecy, dit le charreton, madamoi-
sette ? Vous en voulez à moy, faictes ; par ma
foy , si i'estoie emprès vous , je n'attendroye
Nouvelle LIV. 23
pas de moY venger aux champs, — Et que
feriez vous ? dit elle. — Se j'estoie en hault,
je le vous diroye , dit il. — Vous feriez mer-
veilles, dit elle , à vous oyr ; mais vous ne vous
7 oseriez trouver, — Non, dit il, et vous le
verrez. » Il saulta jus du chariot, entra dedans
l'ostel , et monta en hault , où madamoiselle
estoit en cotte simple, tant joyeuse c^u'on ne
pourroit plus ; il la commence à assaillir, et,
pour abréger le compte, elle fut contente qu'il
luy toUist ce que par honneur donner ne luy
povoit. Cela se passa, et au terme accoustumé
elle fist ung trèsbeau petit charreton, ou pour
mieulx dire ung trèsbeau filz. La 'chose ne
fut pas si seaète que le chevalier de Haynau
ne le sceust tantost , dont il fut bien esbahy ;
il escripvit bien à haste par ung propre mes-
sage à son compaignon en Flandres comment
sa dame avoit fait uns enfant à l'ayde d'un
gnon, et luy pria qu'ilz allassent veoir sa dame,
et qu'il la veult trop bien tancer et luy dire la
laschetéetnéanté ae son cueur. Combien que,
pour son meschief advenu, elle ne se monstra
encores guères à ce temps, si trouvèrent façon
ces deux chevaliers, par moyens, qu'ilz vm-
drent ou lieu où elle estoit. Elle fut bien hon-
teuse et desplaisante de leur venue, comme
celle qui bien scet qu'elle n'orra chose d'eubc
qui luy plaise; au fort elle s'asseura, et les
receut comme sa contenance luy apporta. Hz
24 Les Cent Nouvelles nouvelles.
commencèrent à deviser d'unes et d'aultres
matières ; et nostre bon chevalier de Flandres
va commencer son service et luy dit tant de
villanie qu'on ne pourroit plus : «Or estes vous,
dist il, du monde là femme plus reproucbée et
mains honorée , et avez monstre la grand las-
cheté de vostre cueur, qui vous estes haban*
donnée à uns meschant villain charreton ; tant
de gens de bien vous ont offert leurs services
et vous les avez tous reboutez. Et pour ma
part, vous savez que j'ay fait pour vostre
grâce acquérir; et n'estois-je pas nomme pour
avoir ce butin ou mieulx que ung paillard
charreton qui ne fist oncques rien pour vous.
— Je vous requier, monseigneur, ait elle, ne
m'en parlez plus, ce qui est fait ne peut aultre-
ment estre ; mais je vous dy bien que si vous
fussez venu à l'heure du charreton, que autant
eusse je fait pour vous que je feiz pour luy. —
Est-ce cela ? dit il. Saint Jehan ! il vint à bonne
heure! Le dyable y ait part, que je ne fu si
eureux que âe savoir vostre heure! — Vraye-
ment, oit elle, il vint à Theure qu'il falioit
venir. — Au dyable, dit il, soit l'heure, vous
aussi, et vostre charreton! » Et à tant se part et
son compaignon le suyt, et oncques depuis
n'en tint compte, et à bonne cause.
Nouvelle LV. 25
LA LVe NOUVELLE.
PAR MONSEIGNEUR DE YILUERS.
'année du pardon de Romme n'a
guères passé, estoit ou Daulphiné
la pestilence si grande et si horrible
que la pluspart des gens de bien
habandonnèrent le pais. Durant ceste persé-
cution, une belle fille, gente et jeune, se sentit
férue de la maladie; et tout tantost se vint
rendre à une sienne voisine, femme de bien
et de grand façon, et desjà sur l'eage, et lui
compta son piteux cas. La voisine , qui estoit
femme sage et asseurée, ne s'eiliraya de rien
aue l'autre luy comptast, mesme eut bien tant
e courage et d'asseurance en elle. Qu'elle la
conforta de paroUes et de tant pou ae medi-
cine qu'elle savoit. « Hélas ! ce dist la jeune
fille malade, ma bonne voisine, j'av grand
regret que force m'est auiourd'huy haoandon-
ner ce monde çt les beauls et bons passetemps
que j'ay euz longtemps; mais encores, par
mon serment, à dire entre vous et moy, mon
plus grant regret si est qu'il fault oue (e meure
avant que savoir et sentir des oiens de ce
monde; telz et telz m'ont maintesfoiz priée,
et si les ay refusez tout plainement, dont me
desplaist ; et créez que si j'en peusse finer
d'un k ceste heure^ il ne m'esehapperoit ymm
26 Les Cent Nouvelles nouvelles.
devant qu'il m'eust monstre comment je fiiz
eaignée. L'on me fait entendre que la façon-
du faire est tant plaisante que je plains et
complains mon gent et jeune corps (ju'il fault
pourrir sans avoir eu ce désiré plaisir. Et à
vérité dire, ma bonne voisine, il me semble
si je peusse quelque pou sentir avant ma mort,
ma fin en seroit plus aisée et plus legière à
passer, et à mains de regret. Et que plus est ,
mon cueur est à cela que ce me pourroit estre
medicine et cause de garison. — Pleustà Dieu,
dist la vieille, qu'il ne tenistà autre chose,
vous seriez tost garie, ce me semble; car,
Dieu mercy, nostre ville n'est pas encores si
desgamye de gens qu'on n'y trouvast ung
gentil compaignon pour vous servir à ce be-
soing. — Ma bonne voisine, dit la jeune fille,
je vous requier que vous allez devers ung tel ,
quMle luy nomma, ^ui estoit ung trèsbeau
gentilhomme, et qui aultrefoiz avoit esté
amoureux d'elle, et faictes tant qu'il vienne
icy parler à moy . » La veille se mect au chemin,
et nst tant qu'elle trouva ce gentilhomme,
qu'elle envoya en sa maison. Tantost qu'il
fut léens, la jeune fille malade, et à cause de
sa maladie plus et mieux colorée, luy saillit
au col et le Daisa plus de vingt foiz. Le jeune
filz, plus joyeux qu'oncques mais de veoir
celle que tant avoit amée ainsi vers luy haban-
donnéè, la saysit sans demeure, et luy mon*
stra ce que tant desiroit assavoir. Elle ne fut
pas honteuse de le requerre et prier de conti-
nuer ce qu'il avoit encommencé. Et pour abre*
Nouvelle LV. 27
ger^ tant luy fist elle recommencer qu'il 'n'en
peut plus. Quand elle vit ce , comme celle qui
n'en avoit pas son saoul, el osa bien dire : «Mon
amy^ vous m'avez autresfoiz priée de ce dont
je vous requier aujourd'uy, vous avez fait ce
qu'en vous est, je le sçay bien. Toutesfoiz je
ne sçaj que j'ay ne c^u'il me fault, mais je
cognois que je ne puis vivre se quelque ung
ne me fait compai^ie en la façon que m'avez
fait ; et pourtant, je vous prie c^ue veillez aller
vers ung tel et l'amenez icy, si cher que vous
avez ma vie. — Il est bien vray,m'amye, je le
sçaybien il feracequevous vouldrez.» Ce gentil
homme fut esbahy de ceste requeste ; toutes-
foiz, caril avoit tant labouré que plus nepovoit,
il fiit content d'aller querre son compaignon
et l'amena devers elle, qui tantost le mist en
besongne, et le laissa ainsi que l'autre. Quand
elle l'eut matté comme son compaignon , elle
ne fut pas mains privée de luy dire son cou-
rage, mais luy prya, comme elle avoit fait
l'aultre , d'amener vers elle ung aultre gentil- •
homme, et il le fist. Or sont jà trois qu'elle a
laissez et desconfiz par force d'armes ; mais
vous devez savoir que le premier gentilhomme
se sentit malade et féru de l'epidimie tantost
qu'il eut mys son compaignon en son lieu ; si
s'en alla hastivement vers le curé, et tout le
mieuk qu'il sceut se confessa, et puis mourut
entre les braz du curé. Son compaignon aussi ,
le deuxiesme venu, tantost que au tiers il eut
baillé sa place, se sentit desja trèsmalade, etde-
mandoitpartoutaprès celui qui desjàestoitmort;
28 Les Cent Nouvelles nouvelles.
il vint rencontrer le curé plorant et démenant
grand dueil, qui luy compta la mort de son bon
compaignon. « Ha ! monseigneur le curé , je
suis fera tout comme luy, coraessez moy. » Le
curé en grand crainte se despescha de le con-
fesser. Et quand ce fut fait, ce gentilhomme
malade, à deux heures près de sa fin, s'en
vint à celle qui luy avoit baillé le cop de la
mort, et à son compaignon, aussi, et là trouva
celuy qu'il y avoit amené , et luy dist : « Mau-
dicte femme ! vous m'avez baillé la mort et à
mon compaignon aussi. Vous estes digne de
estre brallée et mise en cendre. Toutesfoiz Je
le vous pardonne , Dieu le vous veille par-
donner. Vous avez l'ep^dimie et l'avez bailiiée
à mon compaignon, qui en est mort entre les
braz du prestre, et je n'en ay pas mains.» Il se
partit à tant et s'en ala mourir une heure
après, en sa maison. Le lue gentilhomme, qui
se voyoit en l'espreuve où^es deux compai-
gnons estoient mors, n'estoit pas des plus as-
seurez. Toutesfoiz il print courage en soy
mesmes et mist et paour et crainte arrière dos ;
et s'asseura que celuy qui en beaucop de pe-
rilz et de mortelz assaulx s'estoit trouvé ; et
vint au père et à la mère de celle qui l'avoit
deceu et fait morir ses deux compaignons,
et leur compta la maladie de leur fille et quon
y prinst garde. Cela fait, il se conduisit telle-
ment qu'il eschappa du péril où ses deux
compaignons estoient mors. Or devez vous
savoir que quand ceste ouvrière de tuer gens
fut ramenée .en l'ostel de son père, tandiz
J
Nouvelle LVI. 29
qu'on luy faisoit ung lit pour reposer et la faire
suer, elle manda secrètement le filz d'un cor-
donnier son voisin , et le fist venir en l'estable
des chevaulx de son père et le mist en euvre
comme les aultres , mais il ne vesquist pas
quatre heures après. Elle Ait couchée en ung
ht, et la fist on beaucop suer. Et tantost luy
vindrent quatre bosses dont elle fiit depuis
trèsbien garie. Et tiens qui en aroit à faire ,
qu'on la trouveroit aujourd'huy ou reng de
noz cousines, en Avignon, à Vienne, à Va-
lence, ou en quelque aultre lieu ou Daulphiné.
Et disent les maistres qu'elle eschappa de
mort à cause d'avoir senty des biens de ce
monde, c^ui est notable et véritable exemple à
pluseurs jeunes filles de point refuser ung bien
quand il leur vient.
LA LVIe NOUVELLE.
PAR MONSEIGNEUR DE VILLIERS.
'a guères que en ung bourg de
ce royaume, en la duché d'Au-
vergne, demouroit ung gentilhom-
me ; et de son maleur avoit une
trèsbelle jeune femme. De sa bonté devisera
mon compte. Geste bonne damoiselle s'ac-
cointa d'un curé qui estoit son voisin de de-
mye lieue , et furent tant voisins et tant pri-
vez l'un de l'autre que le bon curé. tenon le
90 Les Cent Nouvelles nouvelles.
lieu du gentilhomme toutes foiz qu'il estoit
dehors. Et avoit ceste damoiseile une cham-
brière qui estoit secrétaire de leur fait et
portoit souvent nouvelles au curé et l'advisoit
du lieu et de l'heure pour comparoir seure-
ment vers sa maistresse. La chose ne fut pas
en la parfin si bien celée que mestier fut à la
compaisnie ; car un^ gentilhomme prochain
parent oe celuy à qui ce deshonneur se fai-
soit fut adverty du cas, et en advertit celuy
à qui plus touchoit en la façon et manière
qu'oncques mieulx sceut et peut. Pensez que
ce bon gentilhomme, quand il entendit que
à son absence sa femme se aidoît de ce curé,
qu'il n'en fut pas content, et si n'eust esté
son cousin, il en eust prins vengence crimi-
nelle et de main mise, tantost qu'il en fut ad-
verty. Toutesfoiz il fut content de différer sa
volunté jusques à tant qu'il eust prins au fait
et l'un et l'autre. Et conclurent, luy et son
cousin, d'aller en pèlerinage à quatre ou six
lieues de son hostel, et de y mener sa femme
et ce curé pour mieulx se donner garde des
manières qu'ilz tiendront l'un vers l'autre. Au
retourner qu'ilz firent de ce pèlerinage , où
monseigneur le curé servit amours le mieulx
qu'il peut, c'est assavoir de oeillades et d'au-
tres menues entretenances , le mari se fist
ms^nder quérir par un^ messagier affaictié ,
pour aller vers ung seigneur du pais. Il fist
semblant d'en estre mal content et de se par-
tir à regret; neantmoins, puisque le bon sei-
gneur le mande, il n'oseroit désobéir. Si part
J
Nouvelle LVI. 31
et s'en va , et son cousin , l'autre gentilhom-
me, dit qu'il luy fera compaignie, car c'est
assez son chemin pour retourner en son hos-
tel. Monseigneur le curé et mademoiselle ne
furent jamais plus joyeux que d'oyr ceste nou-
velle : si prindrent conseil et conclusion en-
semble que le curé se partira de léens et
prendra son congié affin que nul de léens n'ait
suspicion de luy, et environ la mjmuyt, il re-
tournera et entrera vers sa dame par le lieu
où il a de coustume. Et ne demoura guères
puis ceste conclusion prinse que nostre curé
se part de léens et dit son adieu. Or devez
vous savoir que le mary et le gentilhomme
son parent s^estoient embuschez en un des-
troict par où nostre curé devoit passer; et ne
povoit ne aller ne venir par ailleurs sans so^
trop destoumer de son droit chemin. Il vi-
rent passer nostre curé, et leur jugeoit le cueur
qu'il retourneront la nuyt dont il estoit party ;
et aussi c'estoit son intencion. Hz le laissèrent
passer sans arrester ne dire mot, et s'advisè-
rent de faire ung piège trèsbeau, à l'aide
d'aucuns paisans qui les servirent à ce be-
soing. Ce piège fut en haste bel et bien fait,
et ne demoura guères que ung loup passant
pays ne s'attrappa léens. Tantost après, véezcy
maistre curé qui vient, la robe courte vestue
et portant le bel espieu à son col. Et quand
vint à l'endroit du piège, il tumbe dedans,
avecques le loup, dont il fut bien esbahy. Et
le loup, qui avoit fait l'essay, n'avoit pas mains
paour du curé que le curé avoit de luy. Quand
32 Les Cent Nouvelles nouvelles.
noz deux gentilzhommes voyent que nostre
curé est avecques ie loup logé, ilz en firent
joye merveilleuse; et dist bien celuy à qui le
fait touchoit plus, ^ue jamais n'en partiroit
en vie, et qu'il l'occira léens. L'autre le blas-
moit de ceste volunté et ne se veult accorder
qu'il meure, trop bien est il content qu'on luy
trenche ses genitoires. Le maiy toutesfoiz le
vouloit avoir mort. En cest estnf demourèrent
longuement, en attendant le jour et qu'il feist
cler. Tantdiz que ceste attente se faisoit , ma-
damoiselle, qui attendoit son curé, ne savoit
que penser qu'il tardoit tant ; si se pensa d'y
envoyer sa ctiambrière, affin de le faire avan-
cer. La chambrière, tirant son chemin vers
l'ostel du curé, trouva le piège et tumba
avecques le loup et le curé. Qui fut esbahy,
ce fût la chambrière, de se trouver en la fosse
emprès du loup et du curé. « Ha! dit le curé,
je suis perdu, mon fait est descouvert; quel-
que ung nous a pourchassé ce passage. » Et
le mary et le gentilhomme son cousin, qui
tout entendoient et véoient, estoient tant aises
qu'on ne pounoit plus; et se pensèrent,
comme si le saint esperit leur eust révélé, que
la maistresse pourroit bien suyvir la cham-
brière, ad ce qu'ilz entendirent de la cham-
brière, que sa maistresse l'envoyoit devers le
curé pour savoir qu'il tardoit tant de venir
oultre Pheure prinse entre eulx deux. La mais-
tresse, voyant que le curé et la chambrière
point ne retoumoient, et que le jour commen-
ceoit à approucher, se doubta que la cham-
Nouvelle LVI. jj
brière et le curé ne feissent quelque chose à
son préjudice, et qu'ilz se pourroieni entre-
rencontrer à petit bois q[ui estoit à Tendroit
où le piège estoit fait , si conclud qu'elle ira
veoir s'elle orra nulles nouvelles. Et tire pais
vers l'ostel du curé , et elle venue à l'endroit
du piège, tumbe dedans la fosse avecques les
aultres. Il ne faut pas demander, quand ceste
compaignie se voit ensemble, qui fut le plus
esbahy, et se chacun faisoit sa puissance de
soy tirer hors de la fosse; mais c'est pour
néant ; chacun d'eulx se répute mort et des-
honoré. Et les deux ouvriers, c'est asavoir le
mary de la damoiselle et le gentilhomme son
cousin, vindrent au dessus de la fosse saluer
la compaignie, et leur disoient qu'ilz feissent
bonne chère et qu'ilz aprestoient leur desju-
ner. Le mary, qui mouroit de faire ung cop
• de sa main, trouva façon d'envoyer son cou-
sin veoir que faispient leurs chevaulx, qui es-
toient en ung hostel assez près; et tantdiz
qu'il se trouva descombré de luy, il fist tant,
à quelque meschef que ce fust, qu'il eut de
Testrain largement et l'avala dédans la fosse,
et y mist le feu ; et là brulla la compaignie,
femme, curé, chambrière et loup. Après ce,
il se partit du pais et manda vers le roy qué-
rir sa remission, laquelle il. obtint de legier.
Et disent les aucuns que le roy deut dire
qu'il n'y eut dommage que du pouvre loup qui
fut brullé, qui ne povoit mais du meffait di^s
aultres.
Cent Nottv. — II. x
..^ , . *. V ,
}6 Les Cent Nouvelles nouvelles.
rïvière du Rone, qui battoit à l'ostel où sa dame
demouroit. Et quand le jour venoit , luy fail-
loit arrière repasser le Rone ; et ainsi s'en re-
toumoit à sa oergerie. Et continua ceste ma-
nière de faire une grand espace de temps,
sans qu'il fust descouvert. Pendant ce temps
pluseurs gentilzhommes du pais demandèrent
ceste damoiselle, devenue bergière, à ma-
.riage ; mais nul ne venoit à soit gré, dont son
fière n'estoit pas trop content, et luy disoit
ptuseurs fois. Mais elle estoit tousjours gamye
d'cxcusanses" et responses largement, dont
elle -advertissoit son amy le bergier, auquel ung
soir elle promist que, s'il vouloit, elle n'aroit
jamais auitre mary que luy. Et il dit qu'il ne
demanderoit aultre bieii : « Mais la chose ne se
pourroit , dit il, conduire, pourvostre frère et
aultres voz amys. — Ne vous chaille , dit elle ;
laissez m'en faire, j'en cheviray bien. » Ainsi
promisrent l'un à l'aultre. Neantmains toutes-
foiz il vint ung gentilhomme qui fist arrière
requerre nostre damoiselle bergière , et la
vouloit seulement avoir vestue et habillée
comme à son estât appartenoit, sans aultre
chose. A laquelle chose le frère d'elle eust vo-
luntiers entendu , et cuida mener sa seur ad
ce qu'elle se y consentist , luy remonstrant ce
qu'on scet faire en tel cas ; mais il n'en peut
venir à chef, dont îl fut bien mal content.
Quand 'elle vit son frère indigné contre elle,
eïïe le tira d'une part et luy dist : « Mon frère,
vous m'avez beaucop pressée et preschée de
moy marier à telz et à telz, et je ne m'y suis
» Jr
Nouvelle LVII. 37
voulu consentir; dont vous requier aue n^
m'en sachez mal gré, et me veillez pardonner
le maltalent qu'avez vers moy conceu , et je
vous diraj la raison qui à ce me meut et con-
traint en ce cas , mais que me veillez asseurer
que ne m'en ferez ne vouldrez pis. » Son frère
iuy promist voluntiers. Quand elle se vit as-
seurée , elle Iuy dist qu'elti estoit mariée au-
tant vault , et que jour, de sa vie aultre homme
n'aroit à mary que celuy qu'elle Iuy monstre-
roit ennujrt, s'il veult. «Je le veil oien veoîr,
dit il , mais oui est il ? — Vous le verrez par
temps », dit elle. Quand vint à l'heure acouslu-
mée , véezcy bon oergier qui se vint rendre
en la chambre de sa dame , Dieu scet com-
ment mouillié d'avoir passé la rivière ; et le
frère d'elle regarde et voit que c'est le bergier
de son voisin ; si ne fut pas pou esbahy, et le
bergier encores plus, qui s'en cuida fuyr quand
il le vit. « Demeure, demeure , dist if, tu n'a$
garde. Est-ce , dit il à sa seur, celuy dont vous
m'avez parlé ? — Oy vrayement , mon frère ,
dit elle. — Or Iuy faictes, dit il, bon feu,
pour soy chaufer, car il en a bon mestier; et
en pensez comme du vostre ; et vrayement ,
vous n'avez pas tort si vous Iuy voulez du
bien, car il se mect en grand dangier pour
l'amour de vous. Et puis que voz besoigues
sont en telz termes, et que vostre courage est
à cela que d'en faire vostre mary, à moy nç
tiendra , et maudit soit qui ne s'en despeschel
— Amen, dit elle, à demain c|ui vouldra. —
Je le veii^ dit il. Et vous^ dit il au bergier.
•<-. ^ -•
>A
;8 Les Cent Nouvelles nouvelles.
qu'en dictes vous ? — Tout ce qu'on veult. —
H n'y a remède , dit il , vous estes et serez
mon frère ; aussi suis je pieça de la houlette ,
si doy bien avoir ung bergier à frère. » Pour
abréger le compte du bergier, le gentilhomme
consentit le mariage de sa seur et du bergier,
et fîit fait, et les tint tous deux en son hostel,
combien qu'on en parlast assez par le pais.
Et quand il estoit en lieu que l'on en devisoit
et on disoit que c'estoit merveille qu'il n'avoit
fait batre ou tuer le bergier, il respondoit que
jamais ne pourroit vouloir mal à rien que sa
seur amast , et que trop mieulx vouloit avoir
le bergier à beau-frère, au gré de sa seur, que
ung aultre bien grand maistre au desplaisir
d'elle. Et tout ce disoit par farce et esbate-
ment , car il estoit et a esté toujours trèsgra-
cieux et nouveau et bien plaisant gentilhom-
me ; et le faisoit bon oyr deviser de sa seur,
voire entre ses amys et privez compaignons.
LA LVIIIe NOUVELLE.
PAR monseigneur LE DUC.
e congneuz au temps de ma verte
et plus vertueuse jeunesse deux
gentilzhommes , beaulx compai-
w^^^^ gnons, bien assovis et adressez de
tout ce qu'on doit ou peut loer ung gentil-
homme vertueux. Ces deux cstoient tant amys,
fj/
Nouvelle LVIII. 39
allyez , et donnez l'un à l'autre , que d'habii-
lemens, tant pour leurs corps, leurs gens, leurs
chevaulx, tousjours estoient pareiiz. Advint
qu'ilz devindrent amoureux ae deux belles
jeunes filles, gentes et gracieuses , et le mains
mal qu'ilz sceurent firent tant qu'elles furent
adverties de leur nouvelle empnnse, du bien,
du service , et de cent mille choses que pour
elles faire vouldroient. Ilz furent escoutez,
mais aultre chose ne s'en ensuyvit. Espoir
qu'elles estoient de serviteurs pourveues, ou
que d'amours ne se vouloient entremettre;
car, à la vérité dire , ilz estoient beaulx com-
paignons tous deux, et valoiént bien d'estre
retenuz serviteurs d'aussi femmes de bien
qu'elles estoient. Quoy que fust, toutesfoiz
ilz ne sceurent oncques tant faite qu'ilz fus-
sent en grâce, dont ilz passèrent mamtes nuiz,
Dieu scet à quelle peine, maudisans puis for-
tune , puis amours , et trèssouvent leurs da-
mes qu'ilz trouvoient tant rigoreuses. Eulx
estans en ceste rage et desmesurée langueur,
l'un dit à son compaignon : « Nous voyons à
l'oeil que noz dames ne tiennent compte de
nous , et toutesfoiz nous enrageons après , et
tant plus nous monstrent de nertez et de ri-
gueurs, tant plus les desirons complaire , ser-
vir, et obeyr, qui est, sur ma foy, une haulte
folye. Je vous requier que nous ne tenons
compte d'elles ne qu'elles font de nous , et
vous verrez, s'elles pevent cognoistre que nous
soyons à cela , qu'elles enrageront après nous,
comme nous faisons maintenant après elles.
4t5: Les Cent Nouvelles nouvelles.
— Helas ! dit l'autre, le bon conseil, qui en
pourroit venir à chef! — J'ay trouvé la manière,
dit le premier ; j'ay tousdiz oy dire , et Ovide
le mect en son livre du Remède d'amours, que
beaucop et souvent faire la chose que savez
fait oublyer et pou tenir compte de celle qu'on
ayme, et dont on est fort féru. Si vous diray
Que nous ferons : faisons venir à nostre logis
aeux jeunes jolies de noz cousines , et cou-
chons avec elles, et leurs faisons tant la folye
que nous ne puissons les rains traisner, et
puis venons devant noz dames ; et de nous
au dyable qui en tiendra compte. » L'aultre s'i
accorda, «t comme il fut proposé et délibéré
fut fait et accomply, car ilz eurent chacun une
belle fille. Et après ce, se vindrent trouver
devant leurs dames, en une feste où elles es-
toient, et faisoient bons compaignons la roe,
et se pourmenoient par devant elles , devisans
d'un costé et d'aultre , et faisans cent mille ma- .
nières pour dire : « Nous ne tenons compte de
vous», cuidans, comme ilzavoient proposé, que
leurs dames en deussent éstremal contentes,
et qu'elles les deussent rappeller ores ou aul-
trefoiz ; mais-aultrement alla , car s'ilz mon-
stroient semblant de peu tenir compte d'elles,
elles monstroient tout apertement de rien y
compter, dont ilz se perceurent trèsbien et ne
s'en savoient assez esbahir à l'heure. Si dist
l'un à son compaignon : <( Scez tu comment il
est? Par la mort Dieu i noz dames ont fait la
folie comme nous. Etnevoiztu comment elles
sont fières? Elles tiennent toutes telles maniè-
^.
Nouvelle LIX. 41
res que nous faisons ; si ne me croy jamais
s'elles n'ont fait comme nous. Elles ont prins
chacune ung compaignon et ont fait jusques à
oultrance la folye ; au deable les crapaudes !
laissez les là. — Par ma foy ! dit l'autre , je le
croy comme vous le dictes, je n'ay pas aprins
de les veoir telles. » Ainsi pensèrent les com-
paignons que leurs dames eussent fait comme
eulx, pource qu'il leur sembla à Pheure qu'el-
les n'en tenissent compte , comme ilz ne te-
noient compte d'elles, combien qu'il n'en fust
rien , et est assez legier à croire.
LA LIXe NOUVELLE.
PAR PONCELLET.
n la ville de saint Omer avoit na-
guères ung gentil compaignon ser-
gent de roy, lequel estoit marié à
une bonne et loys^e femme qui aul-
tresfoiz avoit esté mariée, et luy estoit demouré
ung filz qu'elle avoit adressée en mariage.
Ce bon compaignon, jasoit ce qu'il eust bonne
et preude Jtemme, neantmains toutesfoiz il
s'employoit de jour et de nuyt de servir amour
partout où il povoit , et tant qu'il luy estoit
possible. Et pour ce que en temps d'yver
sourdent pluseurs foiz les inconveniens plus
de legier qu'en aultre temps à poursuivir la
queste loing, il s'advisa et délibéra qu'il ne
44 Les Cent Nouvelles nouvelles.
moient si bien qu'ils ne s'esveillèrent pour per-
sonne qui y entrast) ne pour lumière qu'on y
portast. Et de fait, pour la joye qu'elle eut de
ce que son mary n'estoit point si mal ne si
desvoyé qu'elle esperoit, ny que son cueur
luy avoit jugié , elle s'en alla quérir ses en-f
fans et les varletz de l'ostel etles mena veoir
la belle compaignie , et leur enjoignit expres-
sément qu'ilz n'en feissent aucun semblant ;
et puis leur demanda en basset qui c'estoit
ou lit de la chambrière qui là dormoit avec
elle. Et ses enfans respondirent que c'estoit
leur père , et les varletz aue c'estoit leur mais-
tre. Et puis les ramena dehors, etlesfist aller
recoucher, car il estoit trop matin pour euU
lever; et aussi elle s'en alla elle pareillement
rebouter en son lit , mais depuis ne dormit
guères, tant qu'il fut heure de lever. Toutes-
foiz, assez tost après, la compai^ie des vraiz
amans s'esveilla, et se despartirent l'un de
i'aultre amoureusement. Si s'en retourna nos-
tre maistre en son lit^ enprès sa femme, sans
dire mot; et aussi ne ^st elle, et faignoit
qu'elle dormoist , dont il fut moult joyeulx ,
pensant qu'elle ne sceust rien de sa bonne
fortune ; car il la cremoit et doubtoit à mer-
veilles , tant pour sa paix comme pour la fille.!
Et de fait se reprint nostre maistre à dormir
bien fort, et la bonne damoiselle, qui point
ne dormoit, si tost qu'il fut heure de descou-
cher, se leva, et pour festoyer son mary et luy
donner quelque chose confortative après la
medicipe laxative qu'il avoit prinse celle nuyt,!
H , '-^
Nouvelle LIX. 4^
fist ses cens lever et appetla sa chambrière ,
et luy dist qu'elle prinst les deux meilleurs
chapons de la chaponnière de l'ostel , et les
appoinctast trèsbien , et puis qu'elle allast à
la boucherie quérir le meilleur morseau de
beuf qu'elle pourroit trouver, et si cuisist tout
à une bonne eaue pour humer , ainsi qu'elle
le saroit bien faire ; car elle estoit maistresse
et ouvrière de faire bon brouet. Et la bonne
fille , qui de tout son cueur desiroit complaire
à sa damoiselle et encores plus à son maistre,
à l'un par amours, à l'aultre par crainte , dist
Que trèsvoluntiers le feroit. Et tantdiz la bonne
damoiselle alla oyr la messe, et au retour
passa par l'ostel de son filz , dont il a esté
parié, et luy dist que venist disner à l'ostel
avec son mary, et si amenast avec luy trois
ou quatre bons compaîgnons qu'elle luy nom-
ma , et que son mary et elle les prioient qu'ilz
venissent disner avec eulx. Et puis s'en re-
tourne à Tostel pour entendre à la cuisine, que
le humet ne soit espandu comme par maie
garde il avoit esté la nuytée ; mais nenny ,
car nostre bon mary s'en estoit allé à l'église.
Et tantdiz , le filz à la damoiselle alla prier
ceulx qu'elle luy avoit nommez , qui esloient
les plus grands farseurs de toute la ville de
saint Omer. Or revint nostre maistre de la
messe , et fist une grand brassée à sa femme ,
et luy donna le bon jour ; et aussi fist elle à
luy. Mais pour ce ne pensoit point mains ;
toutesfoiz luy dist elle qu'elle estoit bien joyeuse
de sa santé , dont il la mercya et dist : « Vqi-
\/
46 Les Cent Nouvelles nouvelles.
rement suis je assez en bon point , m'am^e ,
auprès de la vesprée , et me semble que j'ay
trèsbon appétit ; si vouldroye bien aller dis-
ner, si vous vouliez. » Et elle luy dist : « J'en
suis bien contente ; mais il fault ung peu at-
tendre ^ue le disner soit prest , et que telz et
telz qui sont priez de disner avecques vous
soient venuz. — Priez , dit il , et à quel pro-
pos ? Je n'en ay cure, et amasse mieulx qu'ilz
demourassent; car ilz sont si grands farseurs
que s'ils scevent que j'aye esté malade, ilz
ne m'en feront q^ue somer. Au mains , belle
dame , je vous pne qu'on ne leur en die rien.
Et si a une aultre chose : que mengeront ilz ?»
Et elle dist qu'il ne se souciast et qu'ilz aroient
assez à mençer, car elle avoit fait appointer
les deux meilleurs chapons de léens , et un
trèsbon mousseau pour l'honneur de luy, dont
il fut bien joieux et dist que c'estoit bien fait.
Et tantost après vindrent ceulx que l'on avoit
priez ^ avecques le filz de la damoiselle. Et
quand tout fust prest, ilz allèrent seoir à table
et firent trèsbonne chère, etparespecial l'oste,
et buvoient souvent , et d'autant l'un à l'au-
tre. Et disoit l'oste à son beau filz : «Jehan,
mon amy, je vous pry que vous buvez à vos-
tre mère , et faictes bonne chère. » Et il dit
que trèsvoluntiers le feroit. Et ainsi qu'il eut
beuà sa mère, la chambrière, qui servoit, sur-
vint à la table. A ce cop et lors la damoi-
selle l'appella et luy dist : « Venez çà , ma
doulce compaigne, buvez à moyetje vous
plegeray. — Compaigne dya, ditnostreamou-
Nouvelle LIX. 47
reux, et dont vient maintenant celle grand
amour ? Que maie paix v puist mettre Dieu,
veezcy grand nouvelleté! — Voire vraiement,
c'est ma compaigne certaine et loyale ; en avez
vous si grand merveille? — Ha aya, Jehanne,
gardez que vous dictes ; jà penser pourroit on
quelque chose entre elle et moy. — Et pour-
quoy ne feroit ? dist elle. Ne vous y ay je
point ennuyt trouvé couché en son lit et dor-
mant braz à braz ? — Couché ! dit il. — Voire,
vraiement, dit elle. — Et par ma foy, beaulx
seigneurs, il n'en est rien , et ne le fait que
pour me faire despit, et à la pouvre fille blasme ;
car oncques ne m'y trouva. — Non dya ? fist
elle ; vous l'orrez dire tantost et le vous feray
dire par tous ceulx de céens. » Adonc appella
ses enfans et les varletz qui estoient devant la
table , et leur demanda s'ilz avoient point veu
leur père couché avec la chambrière , et ilz
dirent que oy. Et leur père respondit : « Vous
mentez, mauvais earçons, vostre mère le vous
fait dire. — Sauf vostre grâce, père, nous
vous y vismes couché ; aussi firent nos var-
letz. — Qu'en dictes vous ? dit la damoiselle.
— Vrayement il est vray, dirent ilz. » Et lors
il y eut grand risée de ceux qui là estoient,
et le menèrent terriblement aux abaiz, car la
damoiselle leur compta comment il s'estoit
fait malade et toute la manière de faire , ainsi
qu'elle avoit esté, et comment, pour le fes-
toyer, elle avoit fait appareiller le disner et prier
ses amys, qui de plus en plus renforcèrent la
chose, dont il fut si honteux queàpeinesavoit
48 Les Cent Nouvelles nouvelles.
il tenir manière, et ne se sceut aultrement sau-
ver que de dire : « Or avant , puis cjue chacun
est contre moy, il fault bien que je me taise
et que j'accorde tout ce qu'on veult , car je
ne puis tout seul contre vous tous. » Après,
commenda que la table fut ostée , et inconti-
nent grâces rendues, appella son beau fils et
luy dist : « Jehan, mon amy, je vous prie
que si les aultres m'accusent de cecy, que
m'excusez en gardant mon honneur, et allez
veoir à ceste pouvre fille qu'on luy doit , et la
paiez si largement qu'elle n'ayt cause de soy
plaindre, puis la faictes partir; car je sçay
bien que vosire mère ne la souffrera plus de-
mourer céens. » Le beau filz alla faire ce qui
luy estoit commendé , et puis retourna aux
compaignons qu'il avoit amenez, lesquelz il
trouva parlans à sa mère , et la remercyoient
de ses tiens, puis prindrent congié et s'en
allèrent. Et les aultres demourèrent à l'ostel ;
et fait à supposer oue depuis en eurent main-
tes devises ensemble. Et le gentil amoureux
ne beut point tout l'amer de son vaisseau à ce
disner ; et à ce propos peuj on dire de chiens,
d'oiseaux, d'armes, d'amours : Pour ung plai-
sir mille doleurs. Et pour ce nul ne s'i doit
bouter s'il n'en veult à la foiz gouster. Et
ainsi doncques, comment qu'il en advenist,
acheva le gentil compaignon sa queste en
ceste partie, par la manière que dit est.
Nouvelle LX. 49
LA LXe NOUVELLE.
PAR PONCELET.
'a pas guères qu'en la ville de Ma-
Unes avoit trois damoiselles, femmes
de trois bourgois de la ville, riches,
puissans et bien aisiez, lesquelles
furent amoureuses de trois frères mineurs;
et pour plus celéement et couvertement leur
fait conauire, soubz umbre de dévocion se
levoient chacun jour une heure ou deux de-
vant le jour, et quand il leur sembloit heure
d'aller veoir leurs jimoureux, elles disoient à
leurs mariz qu'eUes alloient à matines et à
la première messe. Et par le grand plaisir
qu'elles y prévoient, et les religieux aussi ^
souvent advenoit que le jour les sourprenoit
si largement qu'elles ne savoient comment
saillir de l'ostel que les aultres religieux ne
s'en apperceussent. Pourquoy, doubtans les
grans perilz et inconveniens qui en povoient
sourdre , . fut prinse conclusion par eulz tous
ensemble que chacune d'elles aroit habit de
religieux^ etferoient faire^grands corones sur
leurs testes, comme s'elles'estoient du convent
de léens ; tant que finalement à ung certain
jour qu'elles y retournèrent après, tantdiz
que leurs manz guères n'y pensoient, elles
venues es chambres de leurs amys, ung bar-
Cent NOttV. — H. a
50 Les Cent Nouvelles nouvelles.
bier secret fut mandé , c'est asavoir une des
frères de léens^ qui fist aux damoiselïes à
chacune une corone sur la teste. Et auand
vint au départir, elles vestirent leurs nabiz
qu'on leur avoit appareilliez, et en cest estât
s'en retournèrent devers leurs hostelz et s'en
allèrent devestir, et mettre jus leurs habiz de
devocion sus certaines matrones affaictées,
et puis retournèrent emprès leurs mariz. Et
en ce point continuèrent grand temps sans ce
3ue personne s'en apperceust. Et pource que
ommage eust esté que telle devocion et tra-
veil n'eust esté congneu, fortune promist et
voult que à certain jour que l'une de cesbour-
gciises s'estoit mise au chemin pour aller au
Beu accoustumé, l'embusche fut descouverte,
etide fait fut prinse à tout i'abit dissimulé par
son mary, qui l'avoit poursuye , et luy dist :
« Beau frère, vous soiez le trèsbien trouvé!
je vous'pry que retournez à PôStel, car j'ay
Dien' à parler à vous de conseiL » Et en cest
estât la remena, dont elle ne fist jâ fe^te. Or
advint, quand ilz forent à l'ostel, le mary com-
mença à dire en manière de farse : « Très
doulce compaigne, dictes vous, par vostrefoy^
3ue la vraye devocion dont tout ce temps
'y ver avez esté esprise vous fait endosser
I'abit de saint Frapçôys, et porter coronne
semblable aux bons frères? Dictes moy, je
vous requier, qui a esté vostrç recteur, ou, par
saint François, vous l'amenderez. » Et fist
semblant de tirer sa dague. Adoncques la pou-
vrette se jecta à genoux et s'esciya à haulte
Nouvelle LX. 51
voix, iKsant : « H^élasl mon mary, je vous cry
mercy, aiez pitié de moy, car j'ay esté se-
duicte par mauvaise compaignie. Je sçay bien
que je suis morte, si vous voulez, et que
je n'ay pas fiait comme je deusse; mais je ne
suis pas seule deceue en celle manière, et si
vous me voul^ promettre que ne me ferez
rien , je vous diray tout. » Adonc son mary
s'i accorda. Et adonc elle luy dit comment
pluseurs foiz elle estoit allé au dit monastère
avec deux de sescompaignes, desquelles deux
des religieux s'estoient énamourez; et en les
compaignâns aucunesfoiz à faire coilacion en
)eur$ chambres, h tiers fut d'elle esprins d'a-
moiHrs, tn luy faisant tant d'humbles et doulces
requestes, qu'dle nes'en estoit sceu excuser;
et mesmement par l'insâgacion et enortement
de ses dictes compaignes , disans qu'elles
aroient bon temps ensemble, et si n'en saroit-
on rien. Lors'Oémanda le mary qui estoient
ses cortipai^nes^; et elle les nomma. Adonc
sceut^l qui estoient leurs mariz ^ et dit le
compte qu'ik buvoient souvent ensemble;
puis demanda qui estoit le barbier, et elle luy
dit, et les noms des trois religieux. Le bon
mary, consyderant ces choses, avecques les
doloreuses ammiracions et piteux regretz de
ia femmelette, dh : « Or garde bien que tu ne
dyes à personne que je sache parler de ceste
matère, et je te promectz que ]e ne te feray jà
mal. y> La bonne damoiselle luy promist que
tout à son plaisir elle feroit. Et mcontinent se
part et alla prier au lendemain au 4isner les
52 Les Cent Nouvelles nouvelles.
deux mariz et les deux damoiselles', les trois
cordeiiers et le barbier, et iiz promisrent d'y
veiiir. Lesquelz venuz, et eulx assis à table,
firent bonne chère sans penser à leur n»le
adventure. Et après que les tables furent
ostées, pour conclure de l'escot, firent ptu-
seurs manières de faire mises avant joyeuse-
ment sur quoy l'escot seroit prins et sous-
tenu ; ce toutesfoiz qu'ilz ne sceurent trouver,
n'estre d'accord, tant que l'oste dist : a Puis-
que nous ne savons trouver moien de payer
nostre escot par ce qui est mis en termes, je
vous diray que nous ferons : nous le ferons
paier à ceulx de la compaignîe qui la plus
grande coronne portent sur la teste, reservez
ces bons religieux, car ilz ne paieront rien à
présent» » A quoy ilz s'accordèrent tous, et fu-
rent contens qu'ainsi en fust, et le barbier en
fiit le juge. Et quand tous les hommes eurent
monstre leurs coronnes, l'oste dist qu'il falloit
yeoir si leurs femmes en avoient nulles. Si ne
fault pas demander s'il en y eut en la com-
paignîe qui (eurent leurs cueurs estrains. Et
sans plus attendre, l'oste print sa femme par
la teste et la descouvrit. Et quand il vit cestc
coronne, il fist une grand admiracion, ^in-
dant que rien n'en sceust , et dist : « Il
fault veoir les aultres s'elles sont coronnées
aussi. » Adonc leurs mariz les firent deffu-
bler, qui pareillement furent trouvées coron-^
nées comme la première, de quoy ilz ne fi-
rent jà trop grand feste, nonobstant qu'ilz en
feissent grandes risées, et tout en manière de
Nouvelle LXI. 5}
jouyeuseté dirent que l'escot estoit gaigné, et
que leurs femmes le dévoient. Mais il failloit
savoir à quel propos ces coronnes avoient
esté enchargées, et Poste, qui estoit assez
joyeux du mistére et de leur adventure, leur
compta tout le démené de la chose, sur telle
protestacion qu'ilz le pardonneroient à leurs
femmes pour ceste foiz, parmy la pénitence
que les bons religieux en porteroient en leur
présence; laquelle chose les deux mariz ac-
cordèrent. Et incontinent Poste fist saillir qua-
tre ou cinq roiddes galans hors d'une cham-
bre, tous advertiz oe leur fait, et prindrent
beaulx moynes, et leur donnèrent tant des
biens de leens (ju'ilz en peurent entasser sus
leurs dos, et puis les boutèrent hors de Pos-
tel ; et les aultres demourèrent illec encores
une espace , en laquelle ne favlt doubler qu'il
n'y eust pluseurs devises qui longues seroient
à racompter : si m'en passe pour cause de
brefté.
LA LXIe NOUVELLE.
PAR PONCELET.
ng jour advint que en une bonne
ville dé Haynaut avoit ung bon mar-
chant maryé à une vaillant femme,
lequel trèssouvent alloit en mar-
chandise > qui estoit par adventure occasion à
54 Les Cent Nouvelles nouvelles.
sa femme qu'elle amoit aultre que luy, en la-
quelle chose elle continua assez longuement.
Néantmains toutesfoiz l'embusche fut descou-
verte par ung sien voisin qui parent estoit au
mary, et demouroit à l'opposite de l'ostel du
dit marchant, dont il vit et'apperceut sou-
vent le galant entrer de nuyt, et saillir hors
de l'ostel au marchant. Laquelle chose ve-
nue à la co^oissance de celuy à qui le dom-
n^age se faisoit , par l'advertissement du voi-
sin, fut moult desplaisant; et, en remer-
ciant son parent et voisin, dit que brefvement
y pourvoiroity et qu'il se bouteroit du soir en
sa maison , pour mieulx veoir qui yroit et
viendroit en son hostel. Et finalement fienndit
d'aller dehors et dist à sa femme et à ses gens
qu'il ne savoit quand il reviendrdt ; et iuy,
party au plus matin, ne demoura que jusques
à la vesprée, qu'il bouta son cheval quelque
part , et s'en vint couvertement sus son cou-
sin, et là regarda par une petite treille, at-
tendant s'il verroit ce que guères ne lui plai-
roit. Et tant attendit que environ neuf heures
de nuyt, le galand, à qui la damoiselle avoit
fait savoir aue son mary estoit hors, passa
ung tour ou aeux par devant l'ostel de la belle
et regarda à l'huys pour veoir s'il y pourroit
entrer; mais encores le trouva il fermé. Se
pensa bien qu'il n'estoit pas heure , pour les
doubtes; et ainsi qu'il varioit là entour, le
bon marchant, qui pensoit bien que c'estoit
^n homme , descendit et vint à l'huys et dist :
« Mon amy, nostre damoiselle vous a bien
Nouvelle LXI. ' jj-
Oy, et pource qu'il est encores temps assez ^
et qu'elle a double que nostre maistre ne re-
tourne , elle m'a requis que je vous mette de-
dens, s'il vous plaist. » Le compaignon, Gui-
dant que ce fust le varlet , s'adventura et en-
tra léens avecques luy, et tout doulcement
l'huys fut ouvert, et le mena tout derrière en:
une chambre , où il avoit une moult grand
huche, laquelle il defferma et le fist entrer
ens , que si le marchand revenoit , qu'il ne
le trouvast pas , et que sa maistresse le vien-
droit assez tost mettre hors et parler à luy.
Et tout ce souffrit le gentil calant pour mieubc
avoir, et aussi pour tant ç^u'il pensoit que l'au-
tre dist vérité. Et incontinent se partit le mar-
chand le plus celéement qu'il peut, et s'en
alla à son cousin et à sa femme et leur dist :
(( Je vous promectz que le rat est prins; mais
il nous fault adviser qu'il en est de faire. » Et
lors son cousin , et par especial sa femme ,
ajii n'aimoit point l'autre, furent bien joyeulx
de la venue , et dirent qu'il seroit bon qu'on
le montrast aux parens de la femme, afBn
qu'ils cognoissent son gouvernement. Et celle
conclusion prinse , le marchand alla à l'ostel
du père et de la mère de sa femme et leur, dist
que si jamais ilz vouloient veoir leur fille eh
vie qu'ilz venissent hasûvement en son logis.
Tantost saillirent sus, et tantdiz qu'ilz s'ap-
poinctoient, il alla pareillement quérir deux
des frères et des seurs d'elle, et leur dist
comme il avoit fait au père et à la mère. Et
.puis les mena tous en la maison de son cou-
$6 Les Cent Nouvelles nouvelles.
sin, et illec leur compta toute la chose ainsi
Qu'elle estoit, et la pnnse du rat. Or convient
ss^voir comment le gentil galant, pendant ce
temps, se gouverna en celle huche, de laquelle
il fut gaillardement délivré , attendu l'adven-
ture; et la damoiselle , qui se donnoit grands
merveilles se son amy ne viendroit point, alloit
devant et derrière pour veoir s'elle en orroit
point de nouvelle. Et ne tarda guères que le
gentil compaignon, qui oyt bien (fie l'en pas-
soit assez près de luy, et si le laissoit on là ,
print à hurter du poing à sa huche tant que
la damoiselle l'oyt qui en fut moult espoentée.
Neantmains demanda elle qui c'estoit, et le
compaignon luy respondit : a Helasl trèsdoulce
damoiselle, ce suis je qui me meurs icy de
chault et de doute, et qui me donne grand
merveille de ce que m'y avez fait bouter, et
si n'y allez ne venez. » Çui fort lors fut esmer-
veillée, ce fut elle, et dist : « Ha! vierge Ma-
rie! et pensez vous, mon amy, que je vous
y aye fait mectre ? — Par ma foy, dit il , je
ne scay, au mains est venu vostre varlet à
moy , et m'a dit que luy aviez requis qu'il me
mist en l'ostel , et que j'entrasse en cèste hu-
che , affin que vostre mary ne me trouvast ,
si d'adventure ilretoumoit pour ceste riuyt. —
Ha ! dit elle , sur ma vie ! ce a esté mon mary.
A ce coup suis je une femme perdue , et est
tout nostre fait sceu et descouvert. — Savez
vous qu'il y a? dit-il. Il convient que l'on me
mette dehors , ou je rompray tout, car je n'en
puis plus endurer. — Par ma foy! dit la da-
Nouvelle LXI. 57
moiselle , je n'en ay point la clef, et si vous le
rompez je suis deffaicte , et dira mon maiy
que je l'aray fait pour vous sauver. » Finale-
ment la damoiselle chercha tant qu'elle trouva
des vieilles clefs entre lesquelles en y eut une
qui délivra le pouvre prisonnier. Et quand il
fut hors il troussa sa dame , et luy monstra le
courroux qu'il avoit sur elle , laquelle le print
paciemment. Et à tant se voult partir le gentil
amoureux; mais la damoiselle le print et ac-
cola , et luy dist que s'il s'en aloit ainsi , elle
estoit aussi bien desnonorée que s'il eust rompu
la huche : « Qu'est-il donc de faire f dist le
calant. — Si nous ne mettons quelque chose
dedans et que mon mary le treuve , je ne me
pourray excuser que je ne vous aye mis hors.
— Et quelle chose y mettra l'on ? ait le galant,
affin que je parte , car il est heure. — Nous
avons, dit -elle , en cest estable ung asneque
nous y mettrons , si vous me voulez aider. —
Oy, par ma foy, diril. » Adonc fut cest asne
jecté en la hucne , et puis la refermèrent, et le
galant print congé d'un doulx baiser et se
partit en ce point par une yssue de derrière,
et la damoiselle s'en alla prestement coucher.
Et après ne demoura guères que le mary, oui,
tantdiz que ces choses se faisoient , assempla
ses gens et les amena à l'ostel de son cousin ,
comme dit est, où il leur compta tout l'estat
de ce qu'on lui avoit dit , et aussi comment
il avoit prins le galant à ses barres. « Et à
celle fin, dit il, que vous ne disiez que je
veille imposer à vostre fille blasme sans cause,
58 Les Cent Nouvelles nouvelles.
je vous monstreray à l'œil et au doy le rib^uld
qui ce deshonneur nous a fait ; et prie, avant
âu'il saille hors, qu'il soit tué. » Adonc chacun
it que si seroit il. «Et aussi , dit le marchant,
je vous rendray vostre fille pour telle qu'elle
est. » Et de là se partent les aultres avec^
ques luy, qui estoient moult dolens des nou-*
velles, et avoient torches et flambeaulx pour
mieulx choisir par tout , et que rien ne leur
peust eschapper. Et hurtèrent à l'huys si ru-
dement que la damoiselle y vint premier avant
que nul de léens s'esveillast, et leur ou-
vrit L'huys. Et quand ilz furent entrez, elle
ledangea son mary, son père , sa mère et les
aultres, en monstrant qu'elle estoit bien es-
merveillée quelle chose à celle heure les ame-
noit. Et à ces motz son mary hausse et luy
donne belle buffe , et luy dit : « Tu le sceras
tantost, faulse telle et quelle que tu es. — Ha !
regardez que vous dictes ; amenez vous pour
ce mon père et ma mère ici i — Oy , dist la
mère, faulse garse que tu es, on te monstrera
ton loudier prestement. » Et lors ses seurs di-
rent : « Et par Dieu , seur, vous n'estes pas
venue de lieu pour vous gouverner ainsi. —
Mes seurs, dit elle, par tous les sains de
Romme, je n'ayrien fait que une femme de
bien ne doyve et puisse faire, ne je ne doubte
point qu'on doye le contraire monstrer sur
moy. — Tu as menty , dit son mary, je le
monstraray tout incontinent, et sera le ribauld
tué en ta présence. Sus tost, ouvre moy eeste
huche. — Moy! dit elle ; et en vérité je croy
Nouvelle LXl. 59
que vous resvez, ou que vous estes hors du
sens; car vous savez bien que je n'eaportay
oncques la clef , mais pend à vostre cincture
aveopies les vostres dès le temps que vous y
mettiez voz estres. Et pourtant, si vous la vou-
lez ouvrir, ouvrez la. Mais je prie à Dieu que
ainsi vrayement qu'onc<{ues je n'euz compai-
gnie avecques celuy qui est là dedens enclos,
qu'il m'en délivre à joye et à honneur, et que
la mauvaise envre qu'on a sur moy puisse icy
estre avérée et aemonstrée ; et aussi sera elle,
comme j'ay bon espoir. — Je croy, dit le
maiy, qui la veoit à genoux, plorant et gémis-
sant, qu'elle scét bien faire la chate moiitée,
et, qui la vouldroit croire, elle sceroit bien
abuser gens; et ne doublez, je me suis pieçà
perceu de la traynée. Or sus, je vois ouvrir
la huche; si vous prie, messeigneurs, que
chacun tienne la mam à ce ribauld , qu'il ne
nous eschappe , car il est fort et roidde. —
N'ayez paour, dirent ilz tous ensemble, nous
en scerons bien faire. » Adonc tirent leurs
espées et prindrent leurs mailletz pour assom-
mer le pouvre amoureux , et luy airent : « Or,
te confesse là , car jamais n'aras prestre de
plus près. » La mère et les seurs, qui ne vou-
loient point veoir celle occision, se tirèrent
d'une part ; et , ainsi que le bon homme eut
ouvert la huche , et que cest asne veist la lu-
mière, il commença à recaner si hideusement
qu'il n'y eut là si hardjr qui ne perdist sens
et mémoire. Et quand ilz. virent que c'estoit
ung asne, et qu'il les avoit ainsi abusez, ilz
6o Les Cent Nouvelles nouvelles.
se vouldrent prendre au marchant, et lu}[ di-
rent autant de honte qu'oncques saint Pierre
eut d'honneurs, et mesmes les femmes luy
vouloient courre sus. Et de fait , s'il ne s'en
fust fuy, les frères de la damoiselle l'eussent
là tué^ pour le grand blasme et deshonneur
qu'il luy avoit fait et voulu faire. Et finalement
en eut tant à faire qu'il convint que la paix
et traictié en fussent refaiz par les notables de
la ville , et en furent les accuseurs tousjours
en indignacion du marchant. Et dit le compte
que à celle paix faire y eut grand difficulté et
pluseurs protestacions des amys de la damoi-
selle, et a'aultre part pluseurs promesses bien
estroictes du marchant , qui depuis bien et
gracieusement s'i gouverna, et ne fut oncques
homme meilleur à femme qu'il fut toute sa vie;
et ainsi usèrent leurs jours ensemble.
. LA LXUe NOUVELLE.
PAR MONSEIGNEUR DE QyEVRAIN.
nviron le mois de juillet, alors aue
certaines convencions et assemblée
se tenoit entre la ville de Calais et
Gravelinghes, assez près du chas-
tel d'Oye, à laquelle assemblée estoient plu-
seurs princes et grands seigneurs, tant de la
partie de France comme d'Angleterre, pour
adviser et traictier de la rençon de roonsei^
Nouvelle LXII. 6i
gneur d'Orléans, estant lors prisonnier du
roy d'Angleterre ; entre lesquels de la dicte
partie d'Angleterre estoit le cardinal de Vis-
cestre, oui à ladicte convencion estoit venu
en grana et noble estât, tant de chevaliers,
escuierSy que d'autres gens d'église. Et entre
les autres nobles hommes avoit ung qui se
nommoit Jehan Stocton, escuier troichant, et
Thomas Brampton, eschanson du dit cardinal,
lesquels Jehan et Thomas Brampton se en*
treaymoient autant ou plus que pourroient
faire deux frères germains ensemble ; car de
vestures, hamois et habillemens estoient tous-
jours d'une façon au plus près que ilz pou-
voient ; et la plus part du temps ne faisoient
que ung lict et une chambre, et oncques n'a-
voit on veu que entr'eulx deux que aucune-
ment y eut quelque courroux, noise ou mal*«
talent. Et quand le dit cardinal fut arrivé au
dit lieu de Calais, on bailla pour le logis des
ditz nobles hommes l'hostel de Richard F<
3ui
e Calais; et ont de coustume les grands
lui est le plus grand hostel de la dicte ville
seigneurs, quand ilz arrivent au dit lieu pas-,
sans et revenans, d'y logier. Le dit Ricnard
estoit marié, et estoit sa femme de la nacion
du pays de Hollande, qui estoit belle , gra-
cieuse , et bien luy advenoit à recevoir cens.
Et durant la dite convencion, à laquelle on
fut bien l'espace de deux mois, iceulx Jehan
Stocton et Thomas Brampton, qui estoient si
comme en l'aage de xxvi) à xxviij ans, ayans
leur couleur de cramoisy vive, et en point *de
62 Les Cent Nouvelles nouvelles.
faire armes par nuyt et par jour; durant le-
((uel temps, nonobstant lesprivautez et ami-
tiez qui estoit entre ces deux seconds et
compaignons d'armes, le dit Jehan Stocton,
au deceu du dit Thomas, trouva manière
d'avoir entrée et faire le gracieulx envers leur
dite ho'stesse , et y continuoit souvent en de-
vises et semblables gracieusetiez que on a de
coustume de feire en la queste d'amours ; et
en la fin s'enhardit de demander à sa dicte
hostesse la courtoisie, c'est asavoir, qu'il peust
estre son amy et elle sa dame par amours. A
quoy, comme faindantd'estre esbahie de telle
requeste, lui respondit tout froidement que luy
ne aultre elle ne haioit, ne ne vouldroit hayr,
et qu'elle amoit chacun par bien et par hon-^
neur. Mais il povoit sembler à la manière de
sa dicte requeste, qu'elle ne pourroit ycelle
accomplir que ce ne fiit grandement a son
déshonneur et scandale, et mesmanent de sa
vie, et que pour chose du monde à ce ne
vouldrdt consentir. Adonc le dit Jehan res-
pliqua , disant qu'elle lui povoit trèsbièn ac-
corder : car il estoit celuy qui luy vouloit
garder son hoilneur jusqu'à la mort , et ame-
roit mieulx estve pery et en l'autre siècle toor-
menté que par sa coiilpe elle eust deshonneur ;
et qu'eue ne doubta en rien que de sa part
son honneur ne fut gsffdé, luy suppliant de
rechef que sa requeste luy voulsist accorder,
et à tousjours mais se reputeroit son serviteur
et loyal amy. Et à ce elle respondit, faisant
manière de trembler, disant que de bomie
Nouvelle LXII. 63
foy il iuy faisoit mouvoir le san^ du corps,
de crainte et de paour qu'elle avoit de Iuy ac-
corder sa requeste. Lors s'approucha d'elle,
et luj requist un^ baiser, dont les daines et
damoiselles du dit pays d'Angleterre sont as*
ses libérales de l'accorder; et en la baisant
Iuy pria doulcement qu'elle ne fut paoureuse
et que de ce qui seroit entre eulx deux jamais
nouvelle n'en seroit à personne vivant. Lors
elle lui dist : «Je voys bien que je ne puis de
vous eschapper que je ne face ce que vous
voulez; et puis qu'il fault que je face quelque
chose pour vous, sauf toutesfoiz tousjours
mon bon honneur, vous savez l'orçionnance
qui est faicte de par les seigneurs estans en ceste
ville de Calais, comment il convient que cha-
cun chief d'hostel face une foys la sepmaine^
en personne, le guet par nuyt, sur la muraille
de la dicte ville. Et pour ce que les seigneurs
et nobles hommes ae monseigneur le cardi-
nal, vostre maistre, sont céens logez en grand
nombre, mon maiy a tant fait par le moien
d'aucuns ses amis envers mon dit seigneur le
cardinal, ^u'il ne fera qu'ung demy guet, et
entens qu'il le doit faire jeudy prochain, de-
puis la cloche du temps au soir jusques à la
mynuyt ; et pour ce, tantdiz que mon dit mary
sera au guet, si vous me voulez dire aucunes
choses, les orray trèsvoluntiers, et me trou*
verez en ma chambre, avecques ma cham-
brière » , la quelle estoit en grand vouloir de
conduire et acomplir les volumes et plaisirs
de sa maistresse. Lequel Jehan Stocton fut de
(54 Les Cent Nouvelles nouvelles.
ceste response moult joyeux, et en remerciant
sa dicte hostesse \\xy ait que point n'y aroit
de faulte que au dit jour il ne venist comme
elle luy avoit dit. Or se £aisoient ces devises
le lunay précèdent après disner, mais il ne
&it pas à oublier de dire comment le dit Tho-
mas Brampton avoit ou desceu de son dit
compaignon Jehan Stocton fait pareilles dili-
gences et requestes à leur, dicte hostesse, la-
quelle ne luy. avoit oncques voulu quelque
chose accorder, fors luy bailler l'une foiz
espoir, et l'autre doubte, en luy disant et re*
monstrant qu'il pensoit trop peu à l'honneur
d'elle, car s'elle faisoit ce qu'il requeroit,
elle savoit de vray que son msLVj et ses pa-
rent et amys luy osteroient la vie du corps.
Et ad ce respondit le dit Thomas : <c Ma très-
dpulce damoiselle et hostesse, pensez que je
suis noble homme, et pour chose qui me peust
advenir ne vouldroye faire chose qui toumast
à vostre deshonneur ne blasme ; car ce ne
seroit point usé de noblesse. Mais créez fer-,
m^ement que vostre honneur vouldroye garder
comme le mien ; et ameroye mieulz à morir
qu'il en fust nouvelles, et n'ay amy ne per-
sonne en ce monde, tant soit mon privé, à qui
je vouldroye en nulle manière descQuvrir nos-
tre fait. » Laquelle, voyant la singulière af-.
fection et desir du dit Thomas, luy dit le
mercredy ensuyvant que le dit Jehan avoit
eu la gracieuse response cy dessus de leur
dicte hostesse, que, puis qu'el le véoit en si
grand volunté de luy faire service en tout bien
Nouvelle LXîI. 65
et en tout honneur, qu'elle n'estoit point si
ingrate qu'elle ne le vousist recognoistre. Et
lors luy alla dire comment il convenoit que
son mary, lendemain au soir, allast au guet
comme les aultres cbefz d'ostel de la ville,
en entretenant l'ordonnance qui sur ce estoit
faicte par la seigneurie estant en la ville ; mais^
la Dieu mercy, son mary avoit eu de bons
amis entour monseigneur le cardinal, car ilz
avoient tant fait envers luy qu'il ne feroit que
demy guet, c'est assavoir depuis myiiuyt jus-
aues au matin seulement, et aue si ce pen-
dant il vouloit venir parier à elle, elle orroit
voluntiers ses devises ; mais pour Dieu qu'il
y vint si secrètement Qu'elle n'en peust avoir
blasme. Et le dit Thomas luy sceut bien
respondre que ainsi desiroit il de faire. Et à
tant se partit en prenant congié. Et le lende^
main, qui fut le dit jour de jeudy, au vespre,
après ce que la cloche du guet avoit esté son-
née , le dit Jehan Stocton n'oblya pas à aller
à l'heure que sa dicte hostesse luy avoit mise.
Et ainsi qu'il vint vers la chambre d'elle, il
entra et la trouva toute seulle ; laquelle le receut
et luy fist trèsbonne chère, caria table y estoit
mise. Lequel Jehan requist que avecques elle
il peust soupper, affin de eulx mieulx ensemble
deviser, ce qu'elle ne luy voult de prime face
accorder, disant qu'elle pourroit avoir charge
si on le trouvoit avec elle. Mais il luy requis,
tant qu'elle le luy accorda; et le soupper fait,
qui sembla estre audit Jehan moult long, se
joignit avecques sa dicte hostesse ; et après
Cent Nouv. — II. 5
66 Les Cent Nouvelles nouvelles.
ce s'esbatirent ensemble si comme nu à nu.
Et avant qu'il entrast en la dicte chambre, il
avoit bouté en ung de ses doiz unganeau d'or
garny d'un beau gros dyamant qui bien po-
voit valoir la somme de trente nobles. Et en
eulx devisant ensemble, ledit aneau luy cheut
de son doy dedans le lit, sans ce qu'il s'en
apperceust. Et quand ilz eurent iilec esté en-
semble jusques après la xj. heure de la
nuyt, la dicte damoiselle luy pria moult doul-
cément que en gré il voulsist prendre le plai-
sir qu'elle luy avoit peu faire, et que à tant il
fust content de soy habiller et partir de la
dicte diambre, affin qu'il n'y fust trouvé de
son mary, qu'elle attendoit si tost que la my-
nuyt seroit sonnée, et qu'il luy voulsist gar-
der son honneur, comme il luy avoit promis.
Lequel , ayant doubte aue ledit mary ne re-
toumast incontinent, se leva, habilla et partit
d'icelle chambre ainsi que xij heures estoient
sonnées, sans avoir souvenance de son dit
dyamant qu'il avoit laissé ou lit. Et en ys-
sant hors de la dicte chambre et au plus près
d'icelle^ le dit Jehan Stocton encontra le dit
Thomas Brampton, son compaignon, cuidant
que ce fust son hoste Richard. Et pareille-
ment le dit Thomas, qui venoit à l'heure que
sa dame luy avoit mise, semblablement cuida
que le dit Jehan Stocton fust le dit Richard,
et attendit ung peu pour savoir quel chemin
tiendroit celuy qu'il avoit encontre. Et puis
s'en alla et entra en la chambre de la aicte
hostesse, qu'il trouva comme entrouverte, la-
Nouvelle LXII. 67
quelle tint manière comme toute esperdue et
effrayée, en demandant au dit Thomas, en
manière de grand doubte et paour, s'il avoit
point eneontré son mary qui partoit d'illec
pour aller au guet. Lequel luy dist que trop
bien avoit encontre ung homme , mais il ne
savoit qui il estoit, ou son mary ou aultre, et
qu'il avoit ung peu attendu pour veoir quel
chemin il tiendroit. Et quand elle eut ce oy,
elle print hardiement de le baiser, et luy dist
qu'il fiist le bien venu. Et assez tost après,
sans demander qui l'a perdu ne gaigné, le dit
Thomas trousse la damoiselle sur le lit en fai-
sant cela. Et puis après , auand elle vit que
c'estoit , à certes se despoillèrent et entrèrent
tous deux ou lit , car ilz firent armes en sa-
crifiant au Dieu d'amours et rompirent plu-
seurs lances. Mais en faisant les dictes armes
il advint au dit Thomas une adventure, car il
sentit soubz sa cuisse le dyamant que le dit
Jehan Stocton y avoit laissé ; et comme non
fol ne esbahy, le print et le mist en l'un de
ses doiz. Et quand ilz eurent esté ensemble
jusques à lendemain de matin , que la cloche
du guet estoit prochaine de sonner, à la re-
queste de la dicte damoiselle il se leva, et en
partant s'entreaccolèrent ensemble d'un bai-
sier amoureux. Ne demoura guère que le dit
Richart retourna dû guet, où il avoit esté
toute lanuyt, en son hostel, fortrefroidy ei es-
chargé du fardeau de sommeil, qui trouva sa
femme qui se levoit ; laquelle luy fist faire du
feu, et s'en alla coucher et reposer, car il
68 Les Cent Nouvelles nouvelles.
estoit traveillé de la nuyt. Et fait à croire aue
aussi estoit sa femme : car, pour la douote
qu'elle avoit eue du traveil de son mary, elle
avoit bien peu dormy toute la nuyt. Et envi-
ron deux jours après toutes ces choses faictes,
comme les An^ois ont de coustume après
qu'ilz ont oy la messe de aller desjeuner en
la taverne, au meilleur vin, lesdictz Jehan et
Thomas se trouvèrent en une compaignie
d'aultres gentilzhommes et marchans , et allè-
rent ensemble desjeuner, et se assirent les
dictz Stocton et Brampton Pun devant l'autre.
Et en mengeant, le dict Jehan regarda sur les
mains du ait Thomas, qui avoit en l'ung de
ses doiz le dict dyamant. Et quand il Teut
grandement advisé, illuy sembloitvrayement
que c'estoit celuy qu'il avoit perdu, ne savoit
en quel lieu et quand, et pria au dit Thomas
qu'il luy voulsist monstrer le dit dyamant, le-
quel luy bailla. Et quand il l'eut en sa main,
il recongneut bien que c'estoit le sien, et de-
manda au dit Thomas dont il luy venoit, et
qu'il estoit sien. A quoy le dit Thomas re-
spondit au contraire que non , et que à luy
appartenoit. Et le dit Stocton maintenoit que
depuis peu de temps l'avoit perdu, et que, s'il
l'avoit trouvé en leur chambre où ilz cou-
choient, ou'il ne faisoit pas bien de le retenir,
attendu ramour et fraternité qui tousjours
avoit esté entre euk deux ; tellement que plu-
seurs haultes paroUes s'en ensuyvirent, et
fort se animèrent et courroussèrent l'un con-
tre l'autre. Toutesvoies le dit Thomas vou-
Nouvelle LXII. É9
loit tousjoun ravoir le dit dyamant; mais
n'en peut finer. Et quand les aultres gentils-
hommes et marchans virent la dicte noise,
chacun s'employa à raccordement d'icelle,
I>our trouver manière de les appaiser ; mais
rien n'y valoit , car celuy qui perdu avoit le
dit dyamant ne le voaloii laisser partir de ses
mains, et celuy qui l'avoit trouvé le vouloit
ravoir, et tenoit à la belle adVenture que l'a-
voir eu cest eur et avoir ioy de l'amour de
sa dame; et ainsi estoit la chose difficile i
appoinaer. Finalement l'un desdictz mar-
cnans, voyant que ou démené de la matère
on n'y prouffitoit en rien, si dîst qu'il luy
sembjoit qu'il avoit advisé ung aultre expé-
dient, dont les dictz lehan et Thomas de-
vroient estre contens ; mais il n'en diroit mot
si les dictes parties ne se soubzmettoient, en
peine de dix nobles, que de tenir ce qu'il en
diroit; dont chacun de ceulx estans en la
dicte compaignîe dirent que bien avoit dit
le marchant, et incitèrent les dictz Jehan et
Thomas de bire la dicte soubzmission , et
tant en furent requis qu'ilz s'i accordèrent.
Lequel marchant ordonna que le dit dyamant
seroit mis en ses mains, puis que tous ceulx
Sui du dit différent avoient parié et requis
e l'appaiser n'en n'avoient peu estre creuz,
et que après ce, que, eulx partiz de l'ostel où
ilz estoient, au premier homme, de quelque
estai ou condicion qu'il fust , quilz rencon-
treroient à l'yssue du dit hostel, compteroicnt
toute la manière du dit différent et noise es-
;
70 Les Cent Nouvelles nouvelles.
tant entre les ditz Jehan et Thomas; et ce
qu'il en diroit ou ordonnerait seroit tenu
ferme et stable par les dictes deux parties..
Ne demoura guères que du dit hostel se par-
tit toute la compaignie, et le premier homme
qu'ilz encontrèrent au dehors d'icelluy, ce
fut le dit Richard, hoste des dictes deux par-
ties ; auquel par le dit marchant fut dit et
narré toute la manière du dit différent. Lequel
Richard , après ce qu'il eut tout oy et qu'il
eut demandé à ceulx qui illec estoient pres-
sens si ainsi en estoit allé, et que les dictes
parties ne s'estoient voulu laisser appoincter
et appaisier par tant de notables personnes,
dist par sentence que le dit dyamant luv de-
mourroit comme sien et que l'une ne l'autre
des parties ne Taroit. Et quand le dit Tho-
mas vit qu'il avoit perdu l'adventure de la
treuve du dit dyamant, fut bien desplaisant.
Et fait à croire que autant estoit le ait Jehan
Stocton, qui l'avoit perdu. Et lors requist le
dit Thomas à tous ceulx qui estoient en la
compaignie, réservé leur dit noste, qu'ilz voul-
sissent retourner en l'ostel où ilz avoient des-
jeuné , et qu'ilz leur donneroit à disner, af-
fm qu'ilz fussent advertiz de la manière et
comment le dit diamant estoit venu en ses
mains; tous lesquelx luy accordèrent. Et en
attendant le disner qui s'appareilloit, leur
compta l'entrée et la manière des devises
qu'il avoit eu avecques son hostesse, comment
et à quelle heure elle luy avoit mis heure pour
se trouver avecques elle , tantdiz que son-
Nouvelle LXII. 71
mary serait au guet, et le lieu où le dyamant
avoit esté trouvé. Lors le dit Jehan Stocton,
oyant ce, en fut moult esbahy, soy donnant
grand merveille; et en soy signant, dist que
tout le semblable luy estoit avenu en la pro-
pre nuyt, ainsi que cy devant est déclaré, et
que il tenoit fermement avoir laissé cheoir
son dyamant où le dit Thomas l'avoit trouvé,
et auMl luy devoit faire plus mal de l'avoir
perau qu'il ne faisoit au dit Thomas, lequel
n'y perdoit rien, car il luy avoit chier cousté.
A quoy le dit Thomas respondit qu'il ne le
devoit point plaindre si leur hoste l'avoit ad-
jugé estre sien , attendu ^ue leur hostesse en
avoit eu beaucop à souffrir, et qu'il avoit eu
le pucellaige de la nuytée; et le dit Thomas
avoit esté son page et de son esquyrie et al*
lant après luy. Et ces choses contentèrent
assez bien le dit Jehan Stocton de la perte de
son dyamant, pource que aultre chose n'en
pouvoit avoir. Et de ceste adveniure tous
ceulx qui présens estoient commencèrent à
rire et menèrent grand joye. Et après ce qu'ilz
eurent disné, chacun retourna où bon lui
sembla.
72 Les Cent Nouvelles nouvelles.
r
LA LXIIIe NOUVELLE.
PAR M. MONTBLERU.
ontbleru se trouva, a environ deux
ans, à la foyre d'Envers, en la corn-
paignie de monseigneur d'Estampes,
-qui le defTrayoit, qui est ^ine chose
qu'il prend assez bien en gré. Ung'jour entre
les aultres , d'adventure il rencontra maistre
Ymbert de Plape , maistre Roland Pipe, et
Jehan Le Tourneur, qui luy firent ç:and
chère. Et pour ce qu'il est plaisant et gracieux,
comme chacun scet, ilz désirèrent sa compai-
gnie et luy prièrent de venir loger avec eulx,
et qu'ilz feroient la meilleure chère de jamais.
Montbleru de prinsault s'excusa sur monsei-
gneur d'Estampes, qui l'avoit là amené , et
dist qu'il ne l'oseroit nabandonner : « Et la rai-
son y est bonne, car il me deffraye de tout
point)), dit-il. Néantmainstoutesfoizil fut con-
tent d'abandonner monseigneur d'Estampes,
ou cas que entre eulx le voulsissent deffrayer;
et eulx, qui ne desiroient que sa compaignie,
accordèrent legierement et de bon cueur ce
marcbié. Or escoutez comment il les paya.
Ces trois bon seigneurs, maistre Ymbert ,
maistre Roland, et Jehan Le Tourneur, de-
mourerent à Envers plus qu'ilz ne pensoient
quand ilz partirent de la court, et soubz espe-
Nouvelle LXIII. 7^
rance de bref retourner, n'avoient apporté
chacun qu'une chemise; si devindrent les
leurs, leurs couvrechefz et petiz draps, bien
salçs , et à grand regret leur venoit d'eulx
trouver en ce party, car il faisoit bien chault,
comme en la saison de Penthecoste. Si les
baillèrent à blanchir à la chambrière de leur
logis ung samedy au soir, quand ilz se cou*
chèrent , et les dévoient avoir blanches au
lendemain , à leur lever. Et si eussent ilz, mais
Montbleru les en garda bien. Et pour venir au
fait, la chambrière, quand vint au matin,
qu'elle eut blanchy ces chemises, couvrechefe
et petiz draps, les séchez au feu, et ploiez
bien et gentement, elle fut appellée de sa
maistresse pour aller à la boucherie faire la
provision pour le disner. Elle fist ce que sa
maistresse luy commenda , et laissa en la cui-»
sine, sur une scabelle, tout ce bagage, che*-
mises, couvrechefz, et petiz draps, espérant li
son retour les retrouver; à quoy elle faillit,
car Montbleru , quand il peut veoir du jour,
se lève de son lit et print une robe longue sur
sa chemise, et descendit en bas. Il vint veoir
qu'on disoit en la cuisine , où il ne trouva ame,
fors seuUement ces chemises, couvrechiefz ,
et petiz draps, qui ne demandoient que mar*
chand. Montbleru con^eut tantost que c'es*»
toit sa charge , si y mist la main , et fut en
Srand efhroy où il les pourroit sauver. Une foiz
pensoit de les bouter dedans les phaudièrea
et grands potz de cuyvre qui estoient en la
cuisine^ auWoiz de les bouter en sa manche {
74 Les Cent Nouvelles nouvelles.
bref il les bouta en l'estable de ses chevaulx,
bien enfardelées dedans le fain et ung gros
monceau de fiens ; et cela fait , il s'en revint
coucher dont il estoit party d'emprès de Jehan
Le Tourneur. Or veezcy la chamoriere retour-
née de la boucherie , qui ne trouve pas ces
chemises, qui ne fut pas bien contente, et
commence à demander par tout qui en scet
nouvelles. Chacun à qui elle en demandoit
disoit qu'il n'en savoit rien , et Dieu scet la vie
qu'elle menoit. Et veezcy les serviteurs de ces
bons seigneurs qui attendent après leurs che-
mises, qui n'osent monter vers leurs maistres,
et enragent tous vifz , si font l'oste et Postesse
et la cnambriere. Quand vint environ neuf
heures, ces bons seigneurs appellent leurs
gens, mais nul ne vient, tant cramdent à dire
les nouvelles de ceste perte à leurs maistres.
Toutesfoiz en la fin , qu'il estoit entre xj et
xij , l'oste vint et les serviteurs ; et ^t dit à
ces bons seigneuis comment leurs chemises
estoient desrobées, dont les aucuns perdirent
pacience, comme maistre Ymbert et maistre
Roland. Mais Jehan Le Tourneur tint assez
bonne manière, et n'en faisoit que rire, et ap-
pella Montbleru, qui faisoit la dormeveiile, qui
savoit et oyoit tout, et luy dist : << Montbleru,
veezcy compaignons bien en point : on nous
a desrobé noz chemises. — Saincte Marie !
que dictes vous. r^ dit Montbleru, contrefaisant
l'endormy, veezcy mal venu. » Quand on eut
grand pièce tenu pariement de ces chemises
perdues, dont Montbleru cognoissoit bien le
Nouvelle LXIII. 75
larron, ces bons seigneurs dirent: « Il est jà
tard , nous n'avons encores point oy de messe,
et si est Dimenche ; et si ne povons bonne-
ment aller sans chemises : qu'est il de faire ?
— Par ma foy, dist Poste, je n'y sçay d'aul-
tre remède, (}ue je vous preste chacun une
chemise des miennes, telles qu'elles sont; elles
ne sont pas pareilles aux vostres, mais elles
sont blanches, et si ne povez mieulx faire.» Hz
furent contens de prendre ces chemises de
i'oste, qui estoient courtes et estroictes, et de
dure et aspre toille, et Dieu scet qu'il les fai-
soit bon veoir. Hz furent prestz. Dieu mercy ;
mais il estoit si tard qu'ilz ne savoient où ilz
pourroient oyr messe. Alors dist Montbleru ,
qui tenoit trop bien manière : «Tant que d'oyr
messe , il est meshuy trop tard ; mais je sçay
une église en ceste ville où nous ne fauldrons
point de veoir Dieu. — Encores vault il mieulx
que rien , dirent ces bons seigneurs. Allons ,
allons, et nous avançons vistement , c'est trop
tardé : car perdre noz chemises, et ne oyr
point aujourdhuy de messe, ce seroit mal sur
mal ; et pourtant il est temps d'aler à l'église,
si meshuy nous voulons ouyr la messe. » Mont-
bleru les mena en la grand église d'Envers,
où il y a ung Dieu sur ung asne. Q^uand ilz
eurent chacun dit une patemostre , ïïz dirent
à Montbleru: « Où est ce que nous verrons
Dieu? — Je le vous monstreray », dit il. Alors
il leur monstra ce Dieu sur l'asne , et leur dist :
<c Véezlà Dieu : vous ne fauldrez jamais à quel-
que heure de veoir Dieu , céens. jy Hz se corn-
76 Les Cent Nouvelles nouvelles.
mencèrënt à rire, jasoit ce que la doleur de
Leurs chemises ne fust pas encores appaisée.
Et sur ce point ilz. s'en vindrent disner et fu-
rent depuis ne sçaj quans jour$ à Envers ; et
après se despartirent sans avoir leurs chemises ,
car Montbleru les mist en Lieu sauf, et Les
vendit depuis cinq escuz d'or. Or advint,
comme Dieu le vouh, que en la bonne sep*
maine de quaresme ensuyvaht le mercredy,
Montbleru se trouva au disner avecques ces
trois bons seigneurs dessuz nommez ; et en*
tre aultres paroUes il leur ramenlut leurs che-
mises qu'ilz avoîent perdues à Envers, et dist :
a Hélas ! le pouvre larron oui vous desroba , il
sera bien damné si son menait ne lui est par-
donné de par Dieu , et de par vous ; vous ne
le vouldriez pas ? — Ha ! dit maistre Ymbert,
par dieu , beau sire , il ne m'en souvenoit plus,
je l'ay pieçà oublié. — Au mains, dit Mont-
bleru, vous luy pardonnez , faictes pas? —
Saint Jehan , dist il , je ne vouldroye pas qu'il
fust damné pour moy. — Et par ma foy, c'est
bien dit, oist Montbleru. Et vous, màistre
Roland , ne luy pardonnez vous pas aussi ^ >>
A grand peine disoit-il le mot; toutesfoiz il
dist qu'il luy pardonnoit, mais pour ce qu^il
pert à regret , le mot luy coustoit plus à pro-
noncer. « Et vrayement , vous luy pardonnerez
aussi, maistre Roland, dist Montbleru; qu'a*
vez vous gaigné d'avoir damné ung pouvre
larron pour une mescfaante chemise et ung
couvrechef ? — Et je luy pardonne vrayement,
dist il lors , et l'en clame quiae , puisqu'ainsi
Nouvelle LXIIL ' ^7
est due aultre chose n'en puis avoir. — Et par
ma foy,vous estes bon homme », dist Mont^
bléru. Or vint le tour de Jehan Le Tourneur^
Si luy dist Montbleru : n Or çà, Jehan, vous ne
ferez pas pis que les aultres, tout est pardonné
à ce pouvre larron de chemises , si à vous ne
tient. — A moy ne tiendra pas, dit il, je luy
av pieçà pardonné, et luy en baille de rechef
absolucion. — On ne pourroit mieulx dire, dit
Montbieni, et par ma foy, je vous sçay très*
bon gré de la quictance que vous avez faicte
au larron de voz chemises, et en tant qu^il me
touche, car je suis le larron mesmes qui vous
desrobay voz chemises à Envers; je prens ceste
quictance à mon prouffh, et vous en mercye
toutesfioiz, car jele doyfaire. » Quand Mont-
bleru eut confessé ce larrecin, et qu'il eut
trouvé sa quictance.par le party qu'avez oy, il
ne faute pas demander si maistre Ymbert,
maistre Roland et Jehan Le Tourneur furent
bien esbahizj car ilz ne se fussent jamais
doubtez qui leur eust fait ceste courtoisie. Et
luy fut bien reprouçhé,r voire en esbatant , ce
pouvre larrecin. Mais luy, qui scet son entre-
gens, se desarmoit gracieusement de tout ce
dont charger le vouloient ; et leur disoit bien
que c'estoit sa coustume que de gaigner et de
Ï»rendre ce qu'il troùvoit sans garde, specia-
emènt à telles gens qu'ilz estoient. Hz n'en
firent que rire ; mais trop. bien demandèrent
comment il les desroba. Et il leur déclara tout
au long , et dist aussi qu'il avoit eu de tout ce
78 Les Cent Nouvelles nouvelles.
butin cina escuz , dont Hz n'eurent ne deman-
dèrent auttre chose.
LA LXIVe NOUVELLE.
PAR MESSIRE MICHAULT DE CHANGY.
1 est bien vray que naguères, en ung
lieu de ce pays que je ne puis nom-
mer, et (>our cause; mais au fort, qui
le scet si s'en taise comme je fays,
avoit ung maistre curé qui faisoit raige de con-
fesser ses parrochiennes. Défait, il n'eneschap-
poit pas une qui ne passast par là, voire des
plus )eunes. Au regard des veilles, il n'en te-
noit compte. Quand il eut longuement main-
tenu ceste saincte vie et ce vertueux exercice,
et que la renommée en fut espandue par toute
la marche et es terres voisines, il fut puny en
la façon que vous orrez, et par Pindustne de
l'un ae ses parrochiens, à qui toutesfoiz il nV
voit encores rien meffait touchant sa femme.
Il estoit ung jour au disner, et faisoit bonne
chère en l'ostel de son parrochien que je vous
dy. Et comme il estoient ou meilleur endroit
de leur disner et qu'ilz faisoient le plus grand
het, veezcy leens venir ung homme qui s'ap-
pelle Trenchecoille, lequel se mesle de tailher
gens, d'arracher dens, et d'un grand tas d'aul-
très brouilleries; et avoit ne sçay quoy à be-
Nouvelle' LXIV. 79
soigner à l'oste de léens. L'oste rencueillit
tresbien et le fist seoir, et sans se faire beau-
coup prier, il se fourre avecques noslrecuré et
les aultres; et s'il estoit venu tard, il met
peine d'aconsuyvir ceulx qui le mieulx avoient
viande. Ce maistre curé , qui estoit grand
farseur et fin homme, commence à prendre la
parolle à ce trenchecoille et luy va deman-
der de son mestier et de cent mille choses , et
le trenchecoille luj respondoit au propos le
mieulx (^u'il savoit. A chef de pièce, maistre
curé se vire verz Poste et en Poreilie luy dist :
« Voulons nous bien tromper ce trenche-
coille ? — Oy , je vous en prie, ce dit l'oste ;
mais en queue manière le pourrons-nous faire?
— Par ma foy, dit le curé, nous le tromperons
trop bien , si vous me voulez aider. — Et je
ne demande aultre chose , dit Toste. — Je vous
diray que nous ferons, dit le curé •: je fain-
dray avoir mal au coillon et marchanderay à
lui de le m'oster , et me feray lyer et mettre
sur la table tout en point, comme pour le
trencher. Et quand il viendra près et il voul-
dra veoir que c'est pour ouvrer de son mes-
tier, je me leverav et luy monstreray le der-
rière. — Et que c^est bien dit, dist roste, qui
à coup pensa ce qu'il vouloit faire j vous ne
feistes jamais mieulx; laissez nous faire entre
nous aultres, nous vous aiderons bien à par-
faire la farce. — Je le veil, dit le curé. » Après
ces paroles monseigneur le curé rassaillit nos-
tre trenchecoille d'unes et d'aultres, et en la
parfin luy dist, pardieu, qu'il avoit bien mes-
8o, Les Cent Mouvelles nouvelles*
tier d'un tel homme qu'il estoit , et qu'il avoit
ung coillon tout poUrry et gasté, et vouldroit
qu'il luy eust cousté bonne chose, et qu'il eust
trouvé homme oui bien luy sceust oster. Et si
froidement le aisoit que le le trenchecoille
cuidoit véritablement qii'il deist voir. Lequel
luy respondit : « Monseigneur le curé, je veil
bien que vous sachez, sans nul despriser, ne
moy vanter de rien, qu'il n'y a homme en ce
pays qui mieulx que moi vous sceust aider;
et pour Pamour ae l'oste de ceens, je vous
feray de ma peine telle courtoisie, si vous vous
voulez mettre en mes mains, que par droit vous
en devrez estre content. — Et vrayment, dit
maistre curé, c^estbien dit. » Conclusion, pour
abréger, ilz furent d'accort. Et tost après fut
la table ostée, et commença maistre trenche-
coille à faire ses préparatoires pour besoigner ;
et d'aultre part le bon curé se mettoit à point
pour faire la farse, qui ne lui tourna pas à jeu,
et devisoit à Toste et aux aultres comment il
devoit faire. Et tantdis que ces approuches
d'un costé et d'aultre se faisoient, l'oste de
léens vint au trenchecoille, et luy dist :
« Garde bien, quelque chose que ce prestre te
dye, quand tu le tiendras pour ouvrer à ses
collions, que tu les lui trenches tous deux rasi-
bus , et n'y fay faulte , si cher que tu as ton
corps. — Saint Martin, si feray je, dist le
trenchecoille, puis qu'il vous plaist. J'ai ung
instrument si prest et si bien trenchant, que je
vous feray présent de ses genitoires avant qu'il
ait loisir de moy rien dire. — Or on verra que tu
Nouvelle LXIV. 8i
feras, dist l'oste; si tu faulx, je ne te fauldray
pas. » Tout fut prest , et la table apportée , et
monseigneur le curé en pourpoint, qui bien
contrefaisoit l'adolé, et promectoit bon vin à
ce trenchecoille. L'oste aussi et les serviteurs
de léens, qui dévoient tenir bon curé, qui n'a-
voient garde de le laisser eschapper. Et affin
d'estre plus seur, le lièrent trop bien, et luy
disoient que c'èstoit pour mieux faire la farce,
et quand il vouldroit ilz le laisseroient aller;
et il les creut comme fol. Or vint ce vaillant
trenchecoille gamy à la couverte main de son
petit rasoir, et commença à vouloir mettre les
mains aux coillons de monseigneur le curé :
« A dya ! dit monseigneur le curé, faictes à
traict et tout beau ; tastez les le plus doulcement
()ue vous pourrez, et après je vous diray leauel
je veil avoir osté. — Trop bien », dit il : et lors
tout souef lève la chemise et prend ses mais-
très coillons , gros et quarrez , et sans en plus
enquérir, subitement les luy trencha tous aeux
d'un seulcop. Et bon curé de cryer, et de faire
la plus maie vie que jamais fist homme. « Hola!
hoIa, dist l'oste, pille lapacience, ce qui est fait
est fait; laissez-vous adouber. » Alors le tren-
checoille le mect à point du surplus qui en
tel cas appartient, et part et s'en va, attendant
de Poste il savoit bien quoy. Or ne fault-il pas
demander se monseigneur le curé fut bien
camus de se veoir ainsi desgamy. Et mectoit
sus à l'oste qu'il estoit cause de son meschef ;
mais Dieu scet qu'il s'en excusoit bien, et di-
soit que si le trenchecoille ne se fust si tost
Cent Nouv. — II 6
82 Les Cent Nouvelles nouvelles.
sauvé, qu'il Teust mis en tel estât que jamaià
n'eust fait bien après, a Pensez vous, dit il,
qu'il ne me desplaist bien de vostre ennuy^ et
plus beaucop qu'il est advenu en mon hostel ?».
Ces nouvelles furent tost voilées par toute la
ville ; et ne fault pas dire que aucunes dan^oi-:
selles n'en furent bien marries d'avoir pierduz
les instrumens de monseigneur le coré; mais
aussi d'aultre part les doiens roariz en furent
si jo^euU qu^on ne vous saroit direm'escnpre
la dixiesme partie de leur lyesse. Ainsi que
vous avez oy fut maistre curé puny, qui tant
d'aultres avûit trompez et deceuz ; et oncques
depuis ne se osa veoir entre ^ns , mais reclus
et plain de melencolie fina bien tost après ses
doiens jours.
LA LXVe NOUVELLE.
PAR MONSEIGNEUR LÉ PRÉVOST DÇ WAS-
TENNES.
omme souvent l'on mect eh terme
pluseurs choses dont ep (a fin on se
repent, et à tard, advint n^guères
que ung^entiI'Compaignon,demou-
rant en ung village assez. près du Mont-Saint-
Michel, se devisait à ung soupper, présent sa
femme , et aucuns estrângiers et pluseurs de
ses voisins, d'un hostellain dudit Mont*-Saint-
Nouvelle LXV. 8j
Michel , et disoit , affermoit et juroit sur son
honneur, qu'il portoit le plus beau membre, le
plus gros et le plus qUarré qui fùst en toute
la marche d'environ ; et avecques ce, qui n'em-
pire pas le jeu, il s'en aidoit tellement et si
bien que les quatre, les v, les six foiz ne luy
coustoient non plus que s'on les prinst en
la corne de son chaperon. Tous ceulx de la
table oyrent bien voluntiers le bon bruyt qu'on
donnoit à cet hostellain du Mont^Saint-Mi-
chel, et en parlèrent chacun comme il l'enten-
doit. Mais qui oue y prinst garde, la dame de
leenis, femme au racorapteur de l'ystoire, y
presta trèsbien l'ol^eille, et hy sembla bien
que la femme estoit eureuse et bien fortunée
qui de tel mary estoit douée. Et pensa dèslors
en son cueur que, s^dle povoît trouver hon-
neste voye et subtille, elle se trouvera quel-
que jour audit Saint-Michel, et à Tostel de
l'homme au gros membre se logèrent ; et ne
tiendra que à luy qu'elle n'espreuve si le bon
bruyt qu'on luy donne est vray. Ponr exécu-
ter ce qu'elle avoit proposé et en son courage
délibéré, au chef dfe vj ou viij jours, elle print
congé de son maiy, pour aller en pekrinage
au Mont-Saint-Michel. Et pour colorer l'oc-
casion de son voyage, elle, comme femmes sça-
vent bien faire, trouva ^ine bourde toute af-
faictée. Et son mary ne luy refiisa pas le con-
gé , combien qu'il se doubta tantost de ce qui
estoit. Au partir, son mary luy dist qu'elle
feist son offrande à saint Michel , et iqu'èHe se
logeast à l'ostel dtidit hostellain, et qu'elle le'
84 Les Cent Nouvelles nouvelles.
recommendast à luy cent mille foiz. Elle pro-
mist de tout accomplir, et sur ce prend con-
gé, et s'en va, Dieu scet, désirant beaucop
se trouver au lieu de Saint-Michel. Tantost
qu'elle fut partie , et bon mary de monter à
cheval, et par aultre chemin que sa femme te-
noit picque tant qu'il peut au Mont-Saint-Mi-
chel , et vint descendre tout secrètement avant
aue sa femme à l'ostel de l'ostellain dessus
it, lequel trèslyément le receut , et luy fist
grand chère. Quand il fut en sa chambre, il
dist à l'oste : <c Or ça, mon hoste, vous estes
mon amy de pieçà, et je suis le vostre ; je
vous veii dire qui m'amaine en ceste ville
maintenant. Il est vray qu'environ v ou vj
jours a, nous estions au soupper, en mon hos-
tel, un grant tas de bons compaignons; et
comme Ton entre en devises, je commençay à
compter comment on disoit en ce pays qu'il
n'y avoit homme mieux oustillé de vous » ; et
au surplus luy dist au plus près qu'il peut tou-
tes les parollesqui alors touchant le propos fu-
rent dictes, et comme dessus est touché. « Or
est il ainsi, dit il, que ma femme entre les
aultres recueillit trèsbien mes paroUes, et n'a
jamais arresté tant qu'elle ayt trouvé manière
de impétrer son congé pour venir en ceste
ville. Et par ma foi, je me doubte fort et croy
véritablement que sa principale intencion est
d'esprouver, s'elle peut, si mes paroUes sont
vrayes que j'ay dictes touchant vostre gros
membre. Elle sera tantost ceens, je n'en doubte
point, car il luy tarde de soy y trouver; si
Nouvelle LXV. 85
vous prie, quand elle viendra, que la recueil-
lez lyement et luy faictes bonne chère, et luy
demandez la courtoisie, et faictes tant qu'elle
le vous accorde. Mais toutesfoiz ne me trom-
pez point : gardez bien que vous n'y touchez ;
prenez terme d'aller vers elle quand elle sera
couchée, et je me mettray en vostre lieu, et
vous orrez après bonne chose. — Laissez
moy faire , par ma foy, dist l'ostellain, et je
veil bien et vous promectz que je feraj bien
mon personnage. — A dya, toutesfoiz , dit
l'autre, ne me faictes point de desloyauté; je
sçai bien qu'il ne tiendra pas à elle que ne le
facez. — Par ma foy,<iist l'ostellain, je vous
asseure que jen'y toucheray »; etnon fist il. Il ne
demoura guères que vecy venir nostre gouge
et sa chamberière, bien lassées, Dieu le scet.
Et bon hoste de saillir avant, et de recevoir la
compaignie comme il luy estoit enjoinct , et
qu'il avoit promis. Il fist mener madamoiselie
en une trèsbelie chambre , et luy faire du bon
feu et apporter tout du meilleur vin de leens,
et alla quérir de belles cerises toutes fresches,
et vint bancqueter avec elle, en attendant le
soupper. Il commence de faire ses approuches
quand il vit son point; mais Dieu scet com-
ment on le ^ecta loing de prinsault. En la par-
fin toutesfoiz, pour abréger, marché fut fait
qu'il viendroit coucher avec elle environ la
mynuyt tout secrètement. Et ce contract ac-
cordé, il s'en vint devers le mary de la gouge
et luy compta le cas , lequel à l'heure prinse
entre elle et l'ostellain, il se vint bouter en
86 Les Cent Nouvelles nouvelles.
son lieu et besongna le mieulx qu'il peult, et
se leva devant le jour, et se vint remettre en
son lit. Quand le jour fut venu, nostre ^ouge,
toute melencolieuse, pensive et despiteuse ,
car point n'avoit trouvé ce qu'elle cuidoit,
appella sa chambrière, et se levèrent, et le
plus hastivemçni qu'elles peurent s'abillèrent,
et voulrentpaier Toste et leur escot ; mais Poste
dist qu'il ne prjendroit rien d'elle. Et sur ce»
adieu, et se part madamoiselle, sans aller ne
oyr messe ne véoir saint Michel, ne desjeu-
ner aussi ; et sans ung seul mot dire, s'en vint
en sa maison. Mais il vous fault savoir que
son maiT y estoit desjà, ()ui luy demanda qu'on
dlspit de Don à saint Michel. Elle, tant mar-
rye qu'on ne pourroit plus, à peine s'elle dai-
gnoit respondre. « Et quelle chère, dit le ma-
ry, vous a fait vostre hoste ! Par Dieu, il est
bon compaignon. — Bon compaignon! dit-
elle ; il n'y a rien d'oultrage : je ne m'en sa-
roie louer que tout à point. — Non , dame,
dist il; et par saint Jehan, je pensoye que
pour l'amour de moy il vous eust deu festoyer
et faire bonne chère. — Il ne me chault, dist-
elle, de sa chère : je ne vois paç en pèlerinage
pour la bonne chère de luy ne d'aultre ; je ne
pense qu'à ma devocion. — Devocion I da-
me, dit il, nostre Dame, vous y avez failly ;
je sçay trop bien pourquoy vous estes tant
raffroignée, et que le cueur avez tant enflé*
Vous n'avez pas trouvé ce que vous cuidiez;
il y a bien à dire une once, largement. Dya ,
dya, madame» j'ay bien sceu la cause de vos-
Nouvelle LXVî. 87
tre pelierinage: vous cuidiez taster et esprou-
ver le ^rand brtchouan de nostre hoste de
saint Michel ; mais, par saint Jehan, je vous
en ay bien gardée, et garderay, si je puis. Et
af^n que vous ne pensiez pas que je vous men*
tisse quand je vous disoje qu^il l'avoit si
grand, par Dieu, je n'ay dit chose qui ne soit
vraye ; mais il n'est jà mestier que vous en
sachez plus avant que par oyr dire, combien
que, s'il vous eust voulu croire, et je n'y eusse
contredit, vous aviez^ bonne devodon d'es-
sayer sa puissance. Regardez comment je
sçay les choses. Et pour vous mettre hors de
suspection , sachez de voir qtie je vins ennu3rt
à l'heure que iuy aviez mise, et ay tenu son
lieu ; si prenez en gré ce que j'ay sceu faire, et
vous passez doresenavant de ce que vous avez.
Four ceste foiz il vous est pardonné, mais de
recheoir gardez vous en, pour autant qu'il
vous touche.» La damoiselle, toute confuse et
esbahie, voyant son tort évident, (^uand elle
peut parler, crya mercy, et promist de non
plus faire. Et je tiens que non fist elle de sa
teste.
LA LXVIe NOUVELLE.
PAR PHILIFE DE LOAN.
'a guères que j'estoie à Saint-Omer
avec ung grand tas de gentilz com-
paignons , tant de céens comme de
Bouloigne et d'ailleurs, et après le
jeu de paulme nous allasmes soupper en l'os-
88 Les Cent Nouvelles nouvelles.
tel d'un tavemier qui est homme de bien et
beaucop joyeux ; et a une trèsbeiie femme,
et en grand point , dont il a un trèsbeau filz,
environ de l'eage de six à sept ans. Comme
nous estions tous assis au soupper, le taver-
nier, sa femme, et leur filz d'emprès elle,
avecques nous , les aucuns commencèrent à
deviser, les aultres à chanter, et faisions la
plus grand chère de jamais; et nostre hoste,
pour l'amour de nous, ne s'i faindoit pas. Or
avoit esté sa femme ce jour aux estuves , et
son petit filz avecques elle. Si bien s'advisa
nostre hoste , pour faire rire la compaignie ,
qu'il demanderoit à son filz de l'estat et gou-
vernement de celles qui estoient aux estuves
avecques sa mère. Si luy va dire : « Vien çà ,
mon filz ; par ta foy, dy moy laquelle de tou-
tes celles qui estoient aux estuves avecques
ta mère avoit le plus beau con et le plus
gros. » L'enfant, qui se oyoit questionner de-
vant sa mère , qu'il craindoit comme enfans
font de coustume, vers elle regardoit et ne
disoit mot. Et le père, qui n'avoit pas aprins
de le veoir si muet , luy dist de rechef : « Or
me dy, mon filz , qui avoit le plus gros con ?
dy hardiment. — Je ne sçay, mon père, dit
l'enfant, toujours virant le regart vers sa
mère. — Et par dieu , tu as menty , ce dist
son père; or le me dy, je le veil savoir. — Je
n'oseroye, dit l'enfant, pour ma mère; elle
me batteroit. — Non fera, non, dit le père,
tu n'as garde, je t'asseure. » Et nostre hos-
tesse sa mère, non pensant que son fils deust
Nouvelle LXVI. 89
dire ce qu'il dist, luy dit : « Dy, dy hardiment
ce que ton père te demande. — Vous me bàlte-
riez , dit il. — Non feray, non. » Et le père ,
qui vit que son filz eut congé de souldre sa
question, luy demanda de rechef: « Or ça,
mon filz , par ta foy, as tu bien regardé tous les
cons de ces femmes qui estoient aux estuves f —
Saint Jehan, oy, mon père. — Et y en avoit il
largement ? dy, ne mens point. — Je n'en vy
oncques tant : ce sembloit une droicte garenne
de cons. — Or çà , dy nous maintenant qui
avoit le plus bel et le plus gros. — Vravment,
ce dist l'enfant, ma mère avoit tout le plus
bel et le plus gros, mais il avoit un si grand
nez. — Si grand nez ? dit le père : va, va,
tu es bon filz. )> Et nous comménceasmes tous
à rire et à boire d'autant, et parler de cest
enfant qui caquetoit si bien. Mais sa mère
n'ensavoit sa contenance, tant estoit hon-
teuse , pource que son filz avoit parlé du nez;
et croy bien depuis il en fut trèsbien torché,
car il avoit encusé le secret de l'escole. Nos-
tre hoste fist du bon compaienon ; mais il se
repentit assez depuis d'avoir fait la question ,
dont la solucion le fist rougir. C'est tout pour
le présent.
9a Les Cent Nouvelles nouvelles.
LA LXVIIe NOUVELLE.
PAR PHILIPE de LOAN.
res a trois ans ou environ ^ue une
assez bonne adventure advint à ung
chaperon fourré de parlement de
Pans. Et affin qu'il en soit mémoire,
j'en fourniray ceste nouvelle, non pas que je
veille toutesfoiz dire que tous les chaperons
fourrez ne soient bons et véritables ; mais car
il y eut non pas ung peu de desloyaulté en
cestuy cy, mais largement, qui est chose es-
trange et non accoustumée, comme chacun
scet. Or, popr venir au fait, ce chaperon fourré,
en lieu de dire ce seigneur de parlement, de-
vint amoureux à Paris de la femme d'un cor-
doannier qui estoit belle et gente, et enlanga-
gée à l'advenant et selon le terrôuer. Ce mais-»
tre chaperon fourré fist tant, par moyens d'ar-
gent et aiiltrement , qu'il parla à la Selle cor-
doannière dessoubz sa robe et à part , et s'il
avoit d'elle esté bien amoureux avant la jqis^
sance , encores en fut il trop plus féru depuis ,
dont elle se parcevoit et donnoit trèsbien
garde, s'en tenoit trop plus fière, et se faisoit
acheter. Luy estant en ceste rage, pour man-
dement, pnère, promesse, don, ne requestp
qu'il sceust faire , elle s'appensa de non plus
Nouvelle LXVII. 91
comparoir, affin encores de luy rengreger et
plus accroistre sa maladie. Et veezcy. nostre
chaperon fourré oui envoyé ses ambaxadeurs
devers sa dame la cordoannière ; mais c'est
pour néant, elle n'y viendroit pour morir. Fi-
nalement , pour abréger, affin qu'elle voulsist
venir vers luy comme aultresfoiz , il hiy pro*
mist en la présence de trois ou de iiij qui es-
toient de son conseil quant à telles besoignes,
qu'il la prendroit à femme si son raary termi-
noit vie par mort. Quand elle eut ceste pro-
messe , elle se laissaïerrer et vint, comme elle
souloit, au lever et aux aultres heures qu'elle
povoit eschapper , devers le chaperon fourré,
qui n'estoit pas mains féru que l'autre jadiz
d'amours. Et elle, sentant son mary desjà vieil
et ancien, et ayant la promesse desusdicte^
se reputoit desjà comme sa femme. Pou dé
temps après, la mort trèsdesirée de ce cor--
doannierfut sceue et publiée; et bonne cor-
doannière se vient bouter de plain saulf en
l'ostel du chaperon fourré, qui la receut joyeu*
sèment , promist aussi de rechef qu'il la pren-^
droit à femme. Or sont maintenant ensemble
ces deux bonnes gens, le chaperon fourré et
sa dame la cordoannière. Mais , comme sou*«
vent chose eue en dangier est trop plus cher
tenue que celle qu'on a à bandon, ainsi advint
ycy; car nostre chaperon fourré se commença
à ennuyer et lasser de la cordoannière, et soy
refroider de l'amour d'elle* Et elle le pressoit
tousjours de paraccomplir le mariage dont il
avoit fait la promesse, mais il iûy àki: « M'a-
92 Les Cent Nouvelles nouvelles.
raye, par ma foy, je ne me puis jamais ma-
rier, car je suis homme d'eglise et tiens béné-
fices telz et teiz , comme vous savez ; la pro-
messe que je vous faiz jadis est nulle , et ce
que j'en feis lors estoit pour la grand amour
que je vous portoye, espérant aussi par ce
moyen vous attraire plus legièrement. « Elle,
cuidant qu'il fust lyé à l'église, et soy voyant
aussi bien maistresse de léens que s'elle fust
sa femme espousée , ne parla plus de ce ma-
riage et alla son chemin accoustumé. Mais
nostre chaperon fourré fist tant par belles pa-
rolles et pluseurs remonstrances , qu'elle fut
contente de se partir de luy et espouser ung
barbier, leur voisin, auquel il donna iij c.
escuz d'or contens ; et Dieu scet s'elle partit
bien baguée. Or, vous devez savoir que nos-
tre chaperon fourré ne fist pas legièrement
ceste despartie ne ce mariage , et n'en fiist
point venu à bout si n'eust esté qu'il disoit à
sa dame qu'il vouloitdoresenavant servir Dieu
et vivre de ces bénéfices et soy du tout ren-
dre à l'église. Or fist il tout le contraire,
quand il se vit desarmé d'elle et allyée au
barbier ; car il fist secrètement traicter, environ
ung an après , pour avoir en mariage la fille
d'un notable et riche bourgois de Paris. Et
fut la chose faicte et passée, et fut jour prins
et assigné pour les nopces; disposa aussi de
ses bénéfices, qui ne sont cjue à simple tonsure.
Ces choses sceues aval Pans et venues à la cog-
noissance de la cordoannière, maintenant bar-
bière, créez qu'elle fut bien esbahie : « Voire,
Nouvelle LXyiI. 9j
dist elle, le traistre, m'a il en ce point deceue ?
il m'a laissée soubz umbre d'aller servir Dieu
et m'a baillée à ung aultre. Et par nostre Dame
de Clery, la chose nedemourra pas ainsi.» Non
fist elle , car elle fist comparoir nostre chape-
ron fourré devant Tevesque, et illec son pro-
cureur remonstra bien et gentement sa cause ,
disant comment le chaperon fourré avoit pro-
mis à la cordoannière, en présence de plu-
seurs, que si son mary mouroit qu'il la pren-
droit à temme. Son mari mort, il l'a tousjours
tenue jusques environ à ung an qu'il l'a baillée
à ung barbier. Pour abregeV, les tesmoings
ouy, et la chose bien debatue, l'evesque ad-
nichilla et jugea estre nul ledit mariage de la-
dicte cordoannière au barbier, et enjoindit et
commenda au chaperon fourré qu'il la prinst
comme sa femme ; car elle estoit sienne, et de
droit, puisau'il avoit eu compaignie chamelle
avec(}ues elle après la promesse dessus dicte.
Ainsi fut nostre chaperon fourré ramené des
meures ; il faillit d'avoir la belle fille du bour-
gois , et si perdit ses iij c. escus d'or que le
barbier eut , et si luy maintint sa femme plus
d'un an. Et s'il estoit bien mal content d'a-
voir sa cordoannière, le barbier estoit aussi
joyeux d'en estre despesché. En la façon qu'a-,
vez oy s'est depuis naguères gouverné l'un
des chaperons fourré du parlement de Paris.
I
N
94 L.ES Cent Nouvelles nouvelles.
LA LXVIIIe NOUVELLE..
PAR MESSIRE CHRESTIAN DE DYGOYNE,
CHEVALIER.
1 n'est pas chose pou acoustumée
ne de nouvel mise sus que femmes
ont fait leurs mariz jaloux, voire,
par Dieu, et coux aussi. Si advint
naguères, en la ville d'Envers, ce propos, aoe
une femme mariée, qui n'estoit pas des plus
seures du monde, fut requise a'un tresgen-
til compaignon de faire la chose que savez.
Et elle , comme courtoise et telle qu'elle es-
toit , ne refusa pas le service qu'on luy pre-
sentoit , mais debonnaireraent se laissa ferrer,
et maintint ceste vie assez et longuement. En
la parfin, comme fortune voult, qui ennemye
et desplaisante estoit de leur bonne chevance,
fist tant que le mary trouva la brigade en pré-
sent menait, dont eçj eut de bien esbaniz.
Ne sçay toutesfoiz lequel , ou l'amant, ou Pa-
raye, ou le mary; toutesfoiz, l'amant, à l'aide
d'une bonne espée à deux mains dont il estoit
saisy , se sauva sans nul mal avoir , et ne fut
de ame poursuy. Or demourèrent le mary et
la femme ; de quoy leurs propos furent, il se
peut assez penser. Après toutesfoiz aucunes
paroUes dictes, et d'un costé et d'aultre, le ma-
ry, pensant ensoy mesmes, puis qu'elle avoit
^a^^aa^
Nouvelle LXVIII. ' 95
encommencé à faire la folye, que fort seroit de
l'en retirer, et quand plus elle n'en feroit, si
estoit tel le cas, que, venu à la cognoissance du
monde , il en estoit noté comme deshonnoré;
consydera aussi de la batre ou injurier de pa-
roUes que c'estoit peine perdue; si s'advisa
à chef de pièce qu'il la^chassera paistre ensus
de luy, et ne sera jamais d'elle ordoyée sa
maison au mains qu'il puisse. Si dist à sa femme
assez doulcement ; « Or cà , je voy bien que
vous ne m'estes pas t^lle que vous deussiez
estre par raison; toùtesvoies, espérant que ja-
mais ne vous adviendra , de ce qui est fait ne
soit il plus parlé; mais devisoins d'un aultre.
J'ay ung aftaire qui me touche beaucop, et à
vous aussi; si vous fault engager tous noz
joyaulx , et si vous avez quelque minot d'ar^
gent à part , il le Vous faolt mettre avant ;
car le cas le requiert. — »• Par ma foy , dit la
gouge, je leieray voluntiers et de bon cueur;
mais queivous me pardonnez vostre maltalent.
— N'en parlez plus, dit il, hen plus que moy.»
Elle, cuiidant estre absolue et avoir rentission
de tous ses péchez, pojar complaire à son
mary, aprè^ la noise dessus dicte, bailla ce
qu'elle avoit d'argent, ses verges, ses tixus,
aucunes bourses estoffées bien richement, ung
grand tas de couvrechèfs bien fins , pluseui^
pennes entières et de tresbonne valeur ; bref,
tout ce qu'elle avoit , et^que son mary voulut
demander, elle luy bailla pour en faire son bon
plaisir* « En dya , dist il , encores n'ay je pas
assez.)) Quana il eut ^ut jusques à la robe et
96 Les Cent Nouvelles nouvelles.
la cotte simple qu'elle avoit sur elle, « Il me
f ault avoir ceste robe , dit il. — Voire , dit-elle,
et je n'ay aultre chose à vestir ; voulez vous
que je voise toute nue ? — Force est , dit il ,
que vous la me baillez, et Ja cotte simple aussi,
et vous avancez; car, soit par amours ou par
force , il la me fault avoir. » Elle, voyant que
la force n'estoit pas sienne , se desarma de sa
robe et de sa cotte simple , et demoura en
chemise : <( Tenez , dit elle , fays je bien ce
qu'il vous plaist? — Vous ne l'avez pas tous-
jours fait, dit il ; si à ceste heure vous m'obeis-
sez, Dieu scet si c'est de bon cueur; mais
laissons cela, parlons d'ung aultre. Quand je
vous prins à mariage à la maie heure , vous
ne apportastes guères avecques vous , et en-
core le tant peu que ce fut, si l'avez vous et
forfait et confisqué ; il n'est jà mestier que j^e
vous redye vostre gouvernement : vous sça-
vez mieulx quelle vous estes que nul aultre ;
et pour telle que vous estes à ceste heure , je
vous baille le êrand congé et vous dy le grand
adieu; veezla l'huys, prenez garin, et si vous
faictes que sage, ne vous trouvez jamais de-
vant mojT. » La pouvre gouge, plus esbahie
que jamais, n'osa plus demourer après ces
horribles paroUes, après cest horrible ban,
ains se partit et s'en vint rendre, ce croy je,
à l'ostel de son amy par amours , pour ceste
première nuyt, et nst mettre sus beaucop
d'ambaxadeurs pour ravoir ses bagues et ha-
billemens de corps ; mais ce fut pour néant ,
car son mary, obstiné et endurcy en son pro-
Nouvelle LXIX. 97
pos , n'en voult oncaues oyr parler, et encores
mains de la reprenare ; si en fut il beaucop
pressé , tant des amis de son costé comme de
ceulx de la femme ; si fut sa bonne femme
contrainte de gaigner au mieulx (qu'elle peut
des aultres habillemens , et en lieu de mary
user d'amy, attendant le rappaisement de son
dit mary, oui à l'heure de ce compte estoit
encores mat content de sa dicte femme , et
aucunement ne la vouloit veoir.
LA LXIXe NOUVELLE.
PAR MONSEIGNEUR.
r n'est pas seuUement cogneu de
ceulx de la ville de Gand , où le cas
que j'ay à vous descripre n'a pas
long temps advint , mais de la plus
part de ceulx de Flandres^ et de vous qui es-
tes cy presens, cj[ue à la bataille qui fut entre
le roy de Honagne.et monseigneur le duc Je-
han, que Dieu absoille, d'une part, et le grand
Turc en son pais de Turquie d'aultre, plu-
sieurs chevaliers et escuiers françois, tlamens,
alemans et picards furent prisonniers, dont les
aucuns furent mors et exécutez, présent le
dit Turc , les aultres en chartre à perpétuité ,
les aultres condemnez à estre et faire office
d'esclave , du nombre des quelx fut ung gen-
til chevalier du dit pais de Flandres, nommé
Cent Nouv, — II. 7
98 Les Cent Nouvelles nouvelles.
messire Ciayz Utenhoven. Et par pluseurs ans
exercea ledit office, qui ne luy estoit pas petit
labeur, mais martire intoUerabie , attendu les
délices où il avoit esté nourry et l'estat dont
il estoit. Or devez vous savoir qu'il estoit ma-
rié pardeçà à Gand, et avoit espousé une
trèsbelle et bonne dame qui de tout son cueur
Tamoit et tenoit cher, laquelle prioit Dieu
journellement que bref le peust ravoir etreveoir
par deçà, si encores il estoit vif; s'il estoit
mort, que par sa grâce luy voulsistses péchez
pardonner et le mettre au nombre des glo-
rieux martirs qui pour le reboutement des mfi-
dèles et l'exaltacion de sa saincte foy catholic-
aue se sont voluntairement offers et haban-
donnez à la mort temporelle. Geste bonne
dame, qui riche, belle et bonne estçit, et de
grans amys continuellement pressée estoit et
assaillye de ces amys qu'elle se voulsist rema-
rier; lesquelx disoient et asseurement affer-
moyent que son mary estoit mort, et que s'il
fust vif il fut retourné comme les aultres; s'il
fiist aussi prisonnier, on eust eu nouvelle de
luy pour faire sa.frnance. Quelque chose qu'on
dist à ceste bonne dame , ne raison qu'on luy
sceust amener de apparence en cestuy fait,
, elle ne vouloit condescendre à ce mariage ,
et au mieulx qu'elle savoit s'en excusoit. Mais
que luy valut ceste excusance , certes pou ou
rien ; car elle fut ad ce menée de ses parens et
amys qu'elle fut contente d'obéir. Mais Dieu
scet que ce ne fut pas à pou de regret, et es-
toient environ neuf ans passez qu'elle estoit
Nouvelle LXIX. 99
privée de la présence de son bon et loyal mary,
lequel elle reputoit pieça mort ; et si faisoient
la plus part, et presque tous ceulx qui le co-
gnoissoient. Mais Dieu , qui ses serviteurs et
champions garde et préserve , Tavoit aultre-
ment disposé ; car encores vivoit , faisant son
ennuyeux office d'esclave. Pour rentrer en
matère , ceste bonne dame fut mariée à ung
aultre chevalier, et fut environ demi an en sa
compaignie, sans aultres nouvelles oyr de
son bon mary que les précédentes , c'est asa-
voir qu'il étoit mort. D'adventure , comme
Dieu le voult, ce bon et loyal chevalier mes-
sire Clays estant encore en Turquie à l'heure
que madame sa femme s'est ailleurs allyée ,
faisant le beau mestier d'esclave , fist tant par
le moien d'aucuns crestians gentilzhommes et
marchans qu'il fut délivré, et se mist en leur
galée, et s'en retourna par deçà. Et comme il
estoit sur son retour, il rencontra et trouva ,
passant pays , pluseurs de sa congnoissance
qui trèsjoyeux furent de sa délivrance : car à
la vérité dire il estoit trèsvaillant homme,
bien renommé et vertueux. Et tant s'espandit
le trèsjoyeux bruit de sa désirée délivrance
qu'il parvint en France , en Artoys et en Pi-
cardie, où ses vertuz n'estoient pas mains
cogneues que en Flandres , dont il estoit na-
tif. Et de ces marches ne tarda guères qu'elles
vindrent en Flandres et jusques aux oreilles
de satrèsbelle et bonne dame et espouse, qu
fut bien esbahie , et de tous ses sens tant al-*
100 Les Cent Nouvelles nouvelles.
terée et soupprinse qu'elle ne savoit sa con-
tenance, (c Ha ! dist elle , à chef de pièce y
quand elle sceut parler, mon cœur ne fut onc-
ques d'accord de faire ce que mes parens et
amys m'ont à force contrainte de faire. Hélas!
et qu'en dira mon trèsloyal seigneur et mary,
auquel je n'ay pas garaé loyaulté comme je
deusse , mais comme femme fresle , légère et
muable de courage, ay baillé part etporcion
à aultruy de ce dont il estoit et devoit estre
le seul seigneur et maistre ? Je ne suis pas
celle qui doit ou ose attendre sa présence ; je
ne suys pas aussi digne qu'il me doye ou
veille regarder, ne jamais veoir en sa compai-
gnie.» Et ces paroles dictes, accompaignées de
grands larmes, son trèshoneste, trèsvertueux
et loyal cueur s'évanuyt , et cheut paulmée.
Elle nit prinse et portée sur ung lit , et luy
revint le cueur; mais depuis ne fut en puis-
sance d'homme ne de femme de la faire man-
ger ne dormir, ainçois fut trois jours conti-
nuelz tousjours plorant, en la plys grand tris-
tesse de cueur que jamais femme fut. Pen-
dant lequel temps elle se confessa et ordonna
comme bonne chrestienne, priant mercy à
tout le monde , spécialement à monseigneur
son mary. Et tost après elle mourut, dont
ce fut trèsgrand dommage; et n'est point à
dire le desplaisir qu'en pnnt mon dit seigneur
son mary, quand il en sceut la nouvelle ; et
à cause de son dueil fut en trèsgrand dan-
ger de suyvir par semblable accident sa très-
Nouvelle LXX. ioi
loyale espouse ; mais Dieu , qui l'avoit sauvé
d'aultres grands perilz, le préserva de ce
dangier.
LA LXXe NOUVELLE.
PAR MONSEIGNEUR.
n gentil chevalier d'Alemaigne ,
grand voyageur, aux armes preux ,
cortois , et de toutes bonnes ver-
tuz largement doué, au retourner
d'un loingtain voiage, luy estant en ung
sien chasteau , fut requis d'une son subject
demourant en sa ville mesme d'estre parrain
de tenir sur fons son enfant, dont la mère
s'estoit délivrée droit à la coup du retour du
dit chevalier. Laquelle reaueste fut au dit
bourgois libéralement accoraée, et jasoit que
le dit chevalier eust en sa vie pluseurs enfans
tenuz sur fons, si n'avoit il jamais donné son
entente aux sainctes parolles par le prestre pro-
férées ou mistère de ce saint et digne sacre-
ment, comme il fist à ceste heure ; et luy sem-
blèrent, comme elles sont à la vérité, plaines
de haulx et divins mistères. Ce baptesme
achevé, comme il estoit libéral et courtois,
affin d'estre veu de ses hommes, demoura à
disner en la ville, sans monter au chasteau,
et luy tindrent compaignie le curé, son com-
pèrci et aucuns aultres des plus gens de bien.
102 Les Cent Nouvelles nouvelles.
■
lesquels, après pluseurs devises, montèrent en
jeu d'unes et d'aultres matères, tant que mon-
seigneur commença à loer beaucop le digne
sacrement de baptesme, et dist hault et cler,
oyans tous : « Si je savoye véritablement que
à mon baptesme eussent esté pronuncées les di-
gnes et sainctes paroUes que j'ay oyes à ceste
heure au baptesme de mon nouveau filleul , je
ne craindroye en rien le dyable qu'il eust sur
moy puissance ne autorité, sinon seulement
de moy tempter, et me passeroye de foire le
signe de la croix; non pas, afTin que bien vous
m'entendez , que je ne sache trèsbien que ce
signe est suffisant à rebouter le diable ; mais
ma foy est telle que les paroles dictes .au
baptesme d'un chascun cnstien , s'elles sont
telles que aujourd'uy j'ay oyes, sont valables
à rebouter tous les dyaoles d'enfer, s'il en y
avoit encores autant. — Çn vérité, respondit
alors le curé , monseigneur, je vous asseure ,
in verbo sacerdotis^ que les mesmes paroles
oui ont esté dictes aujourd'uy au baptesme
ae vostre filleul furent dictes et célébrées à
vostre baptesme; je le sçay bien, car je mes-
mes vous baptisay, et en ay aussi fresche mé-
moire comme si ce eust hier esté. Dieu fasse
mercy à monseigneur vostre père ; il me de-
manda le lendemain de votre baptesme qu'il
me sembloit de son nouveau fils; telz et telz
furent vos parrains^ et telz et telz y estoient. »
Et racompta toute la manière du baptisement,
et le fist bien certain que root avant ne mot
arrière n'eut en son baptisement de celuy à
Nouvelle LXX. io;
son filleul. « Et puisqu'ainsi est , dist alors ce
gentil chevalier, je promectz à Dieu mon créa-
teur tant honorer de ferme foy le saint sacre-
ront de baptesme que jamais, pour auelque
péril, encontre ou assault aue le dyaole me
race, je ne feray le signe de la croix , mais par
la seule mémoire du sacrement de baptesme
l'en chasseray ensus de moy, tant ay ferme
foy en ce divin mistère ; et ne me semblera
jamais possible que le dyable puisse nuyre à
homme armé de tel escu ; car il est tel et si
ferme que seul y vault sans aultre aide, voire
acompaigné de vraye foy. » Ce disner se pas-
sa, et ne sçay quants ans après, «e bon cheva-
lier se trouva en une bonne ville enAlemaigne,
pour aucuns affaires qui Py tirèrent, et fut logé
en Phostéllerie. Comme il estoit ung soir avec
ses gens, après soupper, devisant et esbatant
avec eulx, tain luy print d'aller au retrait; et
car ses gens s'esbatoient , n'en voult nulz
oster de l'esbat ; si print une chandelle et tout
seul s'en va au retrait. Comme il entroit de-
dans, il vit devant luy ung grand monstre
horrible et terrible, ayant grandes et longues
cornes , les yeux plus alumés que flambe de
fomaise, les braz gros et longs, les griffes
aguez et trenchans, et bref c'estoit ung mons-
tre trèsespoventable , et ung dyable , comme
je croy. Et pour tel le tenoit le bon chevalier,
leauei de prinsault fut assez esbahi d'avoir
telle rencontre. Néantmains toutesfoiz print
cueur, hardement et vouloir de soy défendre
s'il estoit assailly ; et luy souvint du veu qu'il
104 Les Ceht Nouvelles nouvelles.
avoit fait, et du saint et divin mistère de bap-
tesme. Et en ceste foy marche vers ce mons-
tre, que j'appelle dyable, et luy demanda qur
il estoit, et qu'il demandoit. Ce dyable, sans
mot dire, le commença à compter, et bon che-
valier de se défendre , qui n'avoit toutefifoiz
pour toutes armeures que ses mains, car il
estoit en pourpoint comme pour aller coucher,
et son bon escu de ferme foy au saint mistère
de baptesme. La lucte dura longuement, et
fut ce bon chevalier tant las que merveilles de
soutenir ce dur assault. Mais il estoit tant fort
armé de son escu de foy que pou luy nuysoient
les coups de fon ennemy. En la parfm que ceste
bataille eut bien dure une bonne heure, ce
bon chevalier se print aux cornes de ce dya-
ble, et luy en esracha une dont il le bacula
trop bien et malgré luy. Comme victorieux se
partit de luy, et le laissa là comme recréant,
et vint trouver ses gens qui s'esbatoient, com-
me ilz faisoient par avant son parlement, qui
furent bien efPraiez de veoirleur maistreence
point eschauffé qu'il estoit tant esgratigné le
visage, le pourpoint, chemises, chausses et
tout desrompu et deschiré , et comme tout hors
d'alaine. « Ha! monseigneur, dirent-ilz, dont
venez vous, et qui vous a ainsi habillé ? —
Qui P dit il ; ce a esté le deable, à qui je me
SUIS tant combatu que j'en suis tout hors
d'alaine et en tel point que vous veez; et
vous asseure par ma foy que je tien véritable-
ment qu'il m'eust estranglé et dévoré , se à
ceste heure ne me fust souvenu de mon bap-
Nouvelle LXX. ^q.
tesme et du hault mistère de ce saint sacre-
ment, et démon veu que jefeis ores a ne sçai
quants ans ; et créez que je ne l ai pas faulsé :
car, quelque danger que ] aye eu, oncques ne
feis le signe de la croix, mais souvenant du
saint sacrement dessus drt , me suis hardy-
ment défendu et franchement eschappé, dont
je loe et mercye nostre seigneur, qui par ce
bonescu de saincte foy m a si sauvement pré-
servé. Viennent tous les aultres qui en enfer
sont, tant que ceste enseigne demeure, je ne
les crains ; vive, vive nostre benoist Dieu, qui
ses chevaliers de telles armes scet adouber ' »
Les gens de cel)on seigneur, oyans leur mais-
tre ce cas racompter, lurent bien joyeux de le
veoir en bon point, mais esbahis de la corne
qu'il leur monstrort, qu'il avoit à ce dyable
de la teste esrachée. Et ne savoient juger ,
non fist oncques personne qui depuis la vlist
de quoi elle estoit, si c'estoit os ou corne,
comme aultres comw sont , ou que c'estoit.
Alors une des gens de ce chevaher dist qu'il
vouloit aller veoir se ce dyable estoit encores
où son maistre 1 avoit laissé, et s'il le trouvoit
il se combatroit à luy etluy arracheroit l'aul-
tre corne. Son maistre luy dist qu'il n'y allast
point ; il dist que si feroit. « N'en fay rien,
dist son maistre , le penl y est trop grand. —
Ne m'en chault, dit l'autre, je y veil aller.
_ Si tu me croiz d,t s^n tamtn, tu n'yras
pas. » Quoy q".» rast. il y voult aller, et dés-
obéir à son maistre. Il prjnt en sa main une
torche et une grande hache, et vint au lieu où
io8 Les CENt Nouvelles nouvelles.
dont d'eulx il iiit ie plus esbahy de trop , et en
reculant subitement, doubtant les empescher
et destourber de la douice oeuvre qu'ilz fai-
soient, leur dist, pour toutes menaces et ten-
çons : « Et par la mort bieu , vous estes bien
meschantes gens , et à vostre fait mal regar-
dans, qui n'avez eu tant de sens, quand vous
voulez faire telz choses, que de serrer et tirer
les huys après vous. Or pensez que c'eust esté
si ung aultre que moy vous eust trouvez ! Et ,
par Dieu, vous estiez gastés et perduz, et eust
esté vostre fait décelé, et tantost sceu par
toute la ville. Faictes aultrement une aultre
foiz , de par le dyable ! » Et saiïs plus dire tire
Phuys et s'en va ; et bonnes gens de raccorder
leurs musettes, et de parfaire la note encom-
mencée. Et quand ce fut fait, chacun s'en alla
à sa chacune, sans faire semblant de rien ; et
n'eust esté, espoir, leur cas jamais descouvert
ou au mains si publicque que de venir à l'o-
reille de vous ne de tant d'aulttes gens , si
n'eust esté le mary , qui ne se doubtoit pas tant
de ce qu'on l'avoit tait coupaut que de l'huis
qu'il trouva desserré.
Nouvelle LXXII. 109
LA LXXIIe NOUVELLE.
PAR MONSEIGNEUR DE QUIEVRAIN.
propos de la nouvelle précédente,
es marches de Picardie avoit na-
guères ung gentilhomme , et - tien
que encores y soit il à ceste heure ,
qui tant amoureux estoit de la femme d'un
chevalier son voisin, qu'il n'avoit ne bon jour
ne bonne heure s'il n'estoit auprès d'elle , ou
à tout le mains qu'il en eust nouvelle, et il
n'estoit pas mains cher tenu d'elle, qui n'est
pas pou de chose. Mais la doleur estoit qu'ilz
ne savoient trouver fasson ne manière d'estre
à part et en lieu secret, pour à loisir dire et
déceler ce qu'ilz avoient sur le cueur que, pour
rien en la présence de nul, tant fust leur amy,
n'eussent voulu descouvrir. Au fort, après tan-
tes maies nuitz et jours doloureux, amour, qui
ses serviteurs loyaulx aide et secoure quand
bien luyplaist, leurappresta ung jourtrès-
desiré, ou quelle doloreux mary, plus jaloux
aue nul homme vivant, contrainct fut d'aban-
donner le mesnaige et aller aux affaires qui
tant luy touchoient, que sans y estre en per-
sonne il perdoit une grosse somme de deniers,
et par sa présence il la povoit conquérir, ce
qu'il fist; en laquelle gaignant, il conquist
bien meilleur butin , comme d'estre nommé
iio Les Cent Nouvelles nouvelles.
coux, avec jaloux qu'il avoit nom auparavant ;
car il ne fut pas si tost sailly de Tostel, que le
gentilhomme, qui ne glatissoit après aultre
beste, vint pour se fourrer dedans, et, sans
faire long séjour, incontinent exécuta ce pour
quoy il venoit, et print de sa dame tout ce
qfie ung serviteur en ose ou peut demander,
si plaisantement et à si bon loisir qu'on ne
pourroit mieulx souhaitter. Et ne se donnèrent
Sarde que le mary les surprint ; dont ne se
onnèrent nul mal temps , esperans la nuyt
parachever ce que le jour trèsjoieulx, et
pour eulx trop court, avoyent encommencé,
pensant à la vérité que le dyable de mary ne
deust retourner jusques au lendemain au dis-
ner, voire au plus tost. Mais aultrement alla,
car les deables le rapportèrent à l'ostel , ne
scay et aussi ne me chault de savoir comment
il sceut tant abréger ses besoingnes ; assez
souffist dire qu'il revint le soir, dont la com-
paignie , c'est assavoir des deux amans , fut
bien esbahie ; et furent si surprins , car point
ne se doubtoient de ce dolent retourner, que
le pouvre gentilhomme n'eut aultre advis que
de se bouter ou retraict de la chambre, espé-
rant en saillir par quelque voye que sa dame
trouveroit avant que le chevalier y mist le pié ;
dont il advint tout aultrement, car nostre
chevalier, qui pour ce jour avoit chevauché
XV ou xvj grosses lieues, estoit tant las qu'il
ne povoit les rains trayner ; et voulut souper
en sa chambre où il s'estoit deshousé , et il
fist couvrir, sans aller en la sale. Pensez que le
Nouvelle LXXII. m
bon gentilhomme rendoit bien gorge du bon
temps qu'il avoit eu ce jour, car il mouroit de
faim, de froit et de paour. Et encores, pour
plus enrager et engreger son mal, une toux le
va prendre si grand et horrible que merveille,
et ne failloit guères que chacun coup qu'il
toussoit qu'il ne fust oy de la chambre où
estoit l'assemblée du chevallier, de la dame et
des aultres gens de léens. La dame, qui avoit
l'oeil et l'oreille tousjours à son amy, l'en-
treoyt d'adventure, dont elle eut granafrayeur
au cueur, doubtant que son mary ne l'oyst
aussi. Si trouva manière, tantost après soup-
per, de se bouter seulette en ce retraict, et
dist à son amy pour Dieu qu'il se gardast^
d'ainsi tousser. « Helas! dit il, m'am]^e, je
n'en puis mais ; Dieu scet comment je suis pu-
ny ; et , pour Dieu, pensez de moy tirer d'icy.
— Si feray je » , dit elle. Et à tant se part , et^
bon escuyer de recommencer sa chanson de'
tousser, voire si trèshault qu'on l'eust bien
peu oyr de la chambre, si n'eussent esté les
devises que la dame faisoit mettre en termes.
Quand ce bon escuyer se vit ainsi assailly de
la toux, il ne sceut aultre remède , affiÂ' de
non estre oy, que de bouter sa teste <tti per-
tuis du retrait , où il fut bien encensé ,^'Dîeu le
scet , de la conficture de léens ; mais encores
amoit il ce mieulx que d'estre oy. Pour abré-
ger, il fut long temps la teste en ce retraict ,
crachant, mouchant et toussant, et sembloit
que jamais ne deust faire aultre chose. Neant-
mains, après ce bon coup^ sa toux le laissa,
I \2 Les Cent Nouvelles nouvelles.
et se cuida tirer dehors ; mais il n'estoit en sa
puissance de soy ravoir, tant parestoit avant
et fort bouté ieens. Pensez qu'il estoit bien à
son aise. Bref il ne savoit trouver fasson d'en
saillir, quelque peine qu'il y mist. Il avoit tout
le col escorché et les oreilles detrenchées. En
laparfin, comme Dieu le voulut , il s'efforça
tant qu'il eracha Pays percé du retrait , et le
rapporta à son col ; mdis en sa puissance
n'eust esté de l'en oster, et quoy qu'il luy fust
«nnuyeux, si amoit il mieux estre ainsi que
comme il estoit par avant. Sa dame le vint
trouver en ce point, dont elle fut bien esba-
hie, et ne luy sceut secourir, mais luy dist,
pour tous potages, qu'elle ne sàroit trouver
fasson-du monoe de le traire de Ieens. « Est-
ce cela? dist il; hola, hola! par la mort bieu,
je suis assez armé pour en combatre ung aul-
tre , mais que j'aye une espée en ma main » ,
dont il fut tantost saisy d'une trèsbonne. La
dame le voyant en tel point, quoy qu'elle eust
trèsgrand doubte , ne se pouvoit tenir de rire,
ne l'escujer aussi. <c Or çà, à Dieu me côm-
roend , dist il lors, je m'en voys essayer com-
ment je passeray par céans ; mais premier
brouillez moy le visage bien noir.» Sifist elle, et
le commenda à Dieu. Et bon compaignon, à tout
l'ajrs du retraict en son col , l'espée nue en sa
main, lafaceplus noire que charbon, commence
à saillir en la chambre, et de bonne adventure
le premier qu'il encontra ce fut le dolent mary,
qui eut de le veoir si grand paour, cuidant que
ce fust ung dyable, qu'il se laissa tumber du
Nouvelle LXXII. ii}
hault de luy à terre aue à pou qu'il ne se rom-
pit le col, et fut longuement comme tout
paulmé. Sa femme, l'oyant en ce point, saillit
avant, monstrant plus de semblant d'effroy
qu'elle ne sentoit beaucop, et le print aux
braz, luy demandant qu'il avoit. A chef de
pièce (ju'il fut revenu à luy, il dist à voix
casse bien piteuse : <( Et n'avez vous veu ce
dyable que j'ay encontre ? -*- Certes si ay, dit
elle ; à peu que je n'en suis morte, de la grand
frayeur que j'ay eue à le veoir. — Et dont
peut il venir ceens , dit il , ne qui le nous a
envoyé ? Je ne seray de cest an ne de l'autre
rasseuré , tant ay esté espoventé. — Par Dieu,
ne moy aussi , dist la dévote dame ; créez que
c'est signifiance d'apcune chose. Dieu nous
veille garder et défendre de toute maie ad-
venture ! Le cueur ne me gist pas bien de
ceste vision. » Alors tous çeulx de l'ostel di-
rent chacun sa rastçlée de ce dyable, cuidans
à la vérité que la chose fust vraye. Mais la
bonne dame savoit bien la trainnée , qui fut
bien joyeuse de les veoir tous en ceste opi-
nion ; et depuis continua avec le dyable des-
sus dit le mestier que chacun fait volentîers,
^u desceu du mary et de tous aultres , fors
d'une chambrière secrétaire de leurs affaires.
Cent Nouv. — II. 8
114 Les Cent Nouvelles nouvelles.
LA LXXIIIe NOUVELLE.
PAR MAISTRE JEHAN LAUVIN.
n la bonne et douice conté de saint
Pol, naguères, en ung gros village
assez prochain de la ville de saint
Pol , avoit ung bon simple labou-
reur marié avec une femme belle et en grand
point; de laquelle le curé du dit village estoit
tant amoureux que l'on ne pourroit plus. Et
pour ce qu'il se sentoit si esprins du feu d^a-
mours et que difficile luy estoit de servir sa
dame sans estre sceu ou atout le mains sus-
picionné, ^ pensa qu'il ne povoit bonnement
parvenirà la joissance d'elle sans premier avoir
celle du mary, mesmement que nécessaire luy
estoit ainsi faire. Cest advis descouvrit à sa
dame pour en avoir son oppinion, qui luy
conseilla souverainement estre propice et très
bonne pour mener à fin leurs amoureuses in-
tencions. Nostre curé donc, en ensuyvant le
conseil tant de sa dame comme le sien propre,
se fist par gracieux et subtilz moyens accoincte
de celuy dont il vouloit estre compaignon ou
lieutenant , et tant bien se conduisit avec le
bon homme qu'il ne buvoit ne mangoit quel-
que jour, meismement quand aultre euvre
faisoit, que tousjours ne parlast de son bon
curé ; chacun jour de la sepmaine le vouloit
Nouvelle LXXIH. ii;j
avoir à disner, ou à souper; bref riens n'estoit
bien fait à Postel du bon homme si le curé
n'estoit présent. Et à ce moien , toutesfoiz qu'il
vouloit , il venoit à l'ostel et à telle heure que
bon luy sembloit. Mais quand les voisins de
ce simple laboureur, voyant par adventure ce
qu'il ne povoit veoir, oostant la credence et
faebleté qui luy avoient bandé et caché les
yeulx , luy dirent qu'il ne luy estoit honeste
d'avoir ainsi journellement le repaire du curé,
et que ce ne se povoit ainsi continuer sans le
grand deshonneur de sa femme , mesmement
que les aultres voisins et ses amis l'en notoient
et parloient en son absence. Quand le bon
homme se sentit ainsi aigrement reprins de
ses voisins, et qo'ilz luy blasmoient le repaire
de son curé en son hostel , force luy fut de
dire au curé qu'il se deportast de hanter en sa
maison ; et de fait, luy défendit par motz e;L-
près et menasses que jamais ne s'i trouvast
s'il ne luy mandoit , affermant par grands ser-
mens que s'il l'y trouvoit , il compteroit avec-
ques luy et le feroit receveur ouhre son plaisir,
et sans luy en savoir gré. La défense despleut
au curé plus que ne vous saroie dire ; mais
nonobstant qu'elle fust aigre , pourtant ne fu-
rent les amourettes rompues, car elles estoient
si parfond enracinées es cueurs des autres deux
parties par les exploiz qui s'en estoient en-
suyz, que impossible estoit les desrompre
ne desjoindre, quelque menace qui sourdre
prist. Or, oez comment nostre curé se gou-
verna après que la defence luy fut faiçte.
1 16 Les Cent Nouvelles nouvelles.
Par l'ordonnance de sa dame, il print règle et
coustume de ta venir visiter toutes les foiz
qu'il sentoit le mary estre absent. Mais assez
louniement sM conduisit, car il ne sceut faire
sa visitacion sans le sceu des voisins qui
avoient esté cause que la défense avoit esté
faicte , ausquelx le fait autant desplaisoit que
• s'il leur eust touché singulièrement. Le bon
homme fut de rechef adverty par eulx , qui luy
dirent que le curé avoit prins accoustumance
• d'aller estaindre le feu en son hostel comme
paravant la défense. Nostre simple mary,
oyant ces nouvelles, fut bien esbahy et encou-
res plus courroucé la moitié , lequel , pour y
trouver expédient et convenable remède, pensa
tel moyen que je vousdiray. Il dist à sa femme,
sans monstrer aultre semblant que tel qu'il
avoit accoustumé, qu'il vouloit aller, ung jour tel
qu'il nomma , mener à saint Omer une char-
rettéé de blé , et que pour mieulx besoigner,
il y vouloit mesmes aler. Quand le jour nom-
me qu'il vouloit partir fut venu, il fist, ainsi
qu'on a de coustume en Picardie , et spécia-
lement entour saint Omer , charger son cha-
riot de blé à mynuyt, et à celle mesme heure
voulut partir, et quand tout fut appareillé et
prest , print congé à sa femme , et vuida avec-
ques son chariot. Et si tost qu'il fut hors de
sa porte , elle la ferma et tous les huys de sa
maison. Or vous devez entendre que. nostre
marchant de blé fist son saint Omer de l'ostel
d'un de ses amys qui démouroit au bout de
la ville, où il alla arriver, et mist son chariot
Nouvelle LXXIII. 117
en la cour du dit amy, qui savoit toute la
traynnée , et leqpiel il envoya pour faire le
guet et escouter à l'entour de sa maison pour
veoir si quelque larron y viendroit. Ce bon
voisin et amy, quand il fut à Fendroit où il
devoit asseoir son guet, il se tapit au coing
d'une forte haye espesse , duquel lieu luy ap- *
paroient toutes les entrées de la maison au
dit marchant, dont il estoit serviteur et grand
amy en ceste partie. Guères n'eut escouté que
veezcy maistre curé qui vient pour alumer sa
chandelle , ou pour mieulx dire pour l'estain-
dre , et tout coyement et doulcement hurte à
Phuys . de la court ; lequel fut tantost oy de
celle qui n'avoit pas talent de dormir eil'celle
attente: c'estoit sa dame , laquelle sortit ha-
bilement en chemise , et vint mettre ens son
confesseur, et puis ferme l'huys, le menant au
lieu où son mary deust avoir esté. Or reve-
nons à nostre guet, qui, auand il parceut tout
ce qui fut fait, se leva ae son guet, et s'en
alla sonner sa trompette et déclara tout au
bon mary. Sur quoy incontinent conseil fut
prins et ordonné en ceste manière : le mar-
chand de blé faindit retourner de son.voyaige
avecques son chariot de blé , pour certaines
adventures qu'il doubtoit luy aa venir ou estre
advenues ; si vint hurter à sa porte et hucher
sa femme, qui se trouva bien esbàhie auand
elle oyt sa voix ; et tant ne le fut qu'elle ne
{)rint bien le loisir de mucer son amoureux
e curé en ung casier qui estoit en la chambre.
Et pour vous donner à entendre quelle chose
1 18 Les Cent Nouvelles nouvelles.
c'est ung casier , c'est ung garde-mangier en
la façon d'une huche , long et estroict par rai*
son et assez profund. Après que le curé fut
musse où l'on musse les œufz^ le beurre, le
fourmaçe et aultres telles vitailles, la vaillante
mesnagière, comme moitié dormant, moitié
'veillant, se présenta devant son maiy, et luy
dist : « Helas ! mon bon mary , quelle adven*
ture pouvez vous avoir, que si hastivement re-
tournez ? certainement il y a aucune chose et
meschef qui ne vous laisse faire vostre voyage ?
Helas! pour Dieu, dictes le moy tost.» Le bon
homme, qui ne povoit plus s'il n'enrageoit,
combien que semblant ne fist, voulut aller
en sa chambre , et illec dire les causes de son
hastif retour. Quand il fut où il cuidoit trou-
ver son curé , c'est assavoir en sa chambre ,
commença à compter les raisons de la romp-
ture de sonvoyaige. Premier dit que pour la
suspicion qu'il avoit de la desloyaulté d'elle ,
cramdoit trèsfort estre du reng de bleuz ves-
tuz , qu'on appelle communément noz amis ,
et que au moien de ceste suspicion estoit il
ainsi tost retourné. Item, que ceste suspicion
avoit si trèsfort frappé et hurté à son ymagi-
nacion^ que, quand il s'estoit trouvé hors de sa
maison, aultre chose ne luy venoit au devant^
que le curé estoit son lieutenant tantdiz qu'il
alloit marchander. Item, pour expérimenter
son ymaginacion, dit qu'il estoit ainsi retourné,
et à celle heure voulut avoir la chandelle et
regarder si sa femme osoit bien couscher sans
compaignie en son absence. Quand il eut
Nouvelle LXXIII. 119
achevé les causes de son retour, ia bonne
dame s'escrya, disant : « Ha ! mon bon mary,
dont vous vient maintenant ceste vaine jalou-
sie ? Avez vous perceu en moy aultre chose
qu'on ne doit veoir ne juger d'une bonne,
loyale et preude femme r Helas 1 que mau-
dicte soit l'heure qu'oncques je vous cogneu ,
et que Talyance fut de moy avec vous, pour
ainsi à tort estre suspicionnée de ce que mon
cueur ne sceut oncques penser. Ha ! vous me
cognoissez encores mal , et ne savez combien
net et entier mon cueur veult estre et démou-
ler. » Le bon marchant eust peu estre contraint
de croire ses bourdes^ s'il n'eust rompu sa
paroUe; si dist qu'il vouloit avérer son yma-
ginacion. Incontinent , et sans plus la laisser
.sermonner, vint sercher et visiter les angletz
de sa chambre à tous lez au mieulx qu'il luy
fut possible ; esquelx lieux, quand il les eut
visitez et qu'il n'y trouvoit pomt ce qu'il que-
roit, il se donna garde du casier, et jugea
qu'il convenoit que son compaignon y fust, et
sans en monstrer semblant, hucha sa femme
et luy dist: « M'amye, combien que sans
cause et à grand tort je vous suspicionne
d'estre vers moy desloyale, et que telle ne
soiez que ma faulse ymaginacion m'apporte,
toutesfoiz je suis si ahurté et enclin à croire et
m'arrester en mon opinion, que impossible
m'est d'estre jamais plaisamment avecques
vous. Et pour ce je vous prie que soiez con-
tente que la divorce et separacion soit faicte
de nous deux, et que amoureusement partis-
120 Les Cent Nouvelles nouvelles.
sons noz biens communs j^regale plorciori.n
La gouge, qui desiroit assez ce marché, affin
que plus aiséement se trouvast avec son curé ^
accorda sans guères dissimuler à la requeste
de son mary, par telle condicion toutesToifs
qu'elle faisant la part des meubles, elle com^
menceroit et feroit le premier choix, a Et
pour quelle raison , dit le mary, voulez vous
choisir la première? c'est contre tout droit et
justice. » Hz furent longtemps en diffèrent pour
choisir premier ; mais en la fin le mary vainct
quit , qui print le premier et print le casier, où
il n'y avoit que flans, tartes et fourmages, et
aultres menues vitaîlles, entre lesquels nostre
curé estoit ensevely, et lequel oyoit ces bons
devis qui à sa cause se faisoient. Ouand le
mary eut choisy le casier, la dame cKbisit la.
chaudière, puis le mary unç aultfe meuble ,
puis elle ung aultre , et ainsi consequemment
lusques ad ce que tout fut party et porcionné .
Après laquelle parchon faicte le bon mary dist :
« Je suis content que vous demourez en ma
maison jusques ad ce que aurez trouvé logis
pour vous ; mais de ceste heure je veil empor-
ter ma part, et latnectre à l'ostel d'un de
mes voisins. -^ Faictes en, dist elle,.vostre
bon pUisir. » Et il demanda une bonne longue
corde, et en lya et ^idouba son casier, puis
fist venir son charreu>n, à qui fist atteler son
casier d'un cheval, et hiy chargea qa'il le
menast à Postel d'un td son vdshi. La bonne
dame, oyant ceste deliberacion, laissoittout
convenir, car de donner conseil aa centiaire
Nouvelle LXXIII. 121
ne s'osoit avancer, doublant que ie casier ne
fust ouvert ; ainsi abandonna tout à telle ad-
venture que advenir povoit. Le casier, ainsi
que dit est, fut attelé au cheval , et mené par
la rue , pour aller où le bon homme l'avoit
ordonné. Mais cuères n'ala loing que le mais-
tre curé , à qui les œufz et le beurre crevoient
les yeulx, cria pour Dieu mercy. Le charre-
ton, oyant ceste voix piteuse resonnant de ce
casier, descendit tout esbahy, et hucha les
gens et son maistre, qui ouvrirent le casier, où
z trouvèrent le pouvre prisonnier, doré et
empapiné d'œufz, de fromaige, de laict et
aultres choses plus de cent. Ce pouvre amou-
reux estoit tant piteusement appoincté qu'on
ne savoit du quel il avoit le plus. Et quand le
bon mary le vit en ce point , il ne se peut
tenir de rire , combien que courroussé deust
èstre. Si le laissa courre, et vint à sa femme
monstrer comment il n'avoit eu trop grand
tort d'estre suspicionneux de sa fauise des-
loyauté. Elle, qui se vit par exemple vaincue,
cna mercy, et il luy fut pardonné par telle
condicion que si jamais le cas luy advenoit,
elle fust mîeulx advisée de mettre son homme
aultre part que ou casier, car le curé en avoit
eu sa robe en péril d'estre à tousjours gastée.
Et après ce, ilz demourèrent ensemble long
temps, et rapporta l'omme son casier, et ne
sçay point que son curé s'i trouvast depuis, le-
quel, aumoien de ceste adventure, fut, comme
encores est, appelle sire Baudin casier.
122 Les Cent Nouvelles nouvelles.
LA LXXIVe NOUVELLE.
PAR PHILIPPE DE LOAN.
insi que naguères monseigneur le se-
neschal de Boulennois chevauchoit
parmy le pays d'une ville à l'aul-
ire, en passant par ung hame-
let l'on y sonnoit au sacrement, et pource
qu'il avoit doublé de non povoir venir à la
vile où il contendoit en temps pour oyr
messe, car l'heure estoit près de midy, il s'ad-
visa qu'il descendroit audit hamelet pour veoir
Dieu en passant. Il descendit à l'huis de l'é-
glise , et puis s'en alla rendre assez près de
l'aultier où l'on chantoit la grand messe, et si
Î prochain se mist du prestre qui celebroit , qu'il
e povoit en célébrant de costé percevoir.
Quand il eut levé Dieu et calice, et fait ainsi
comme il appartient , pensant à part luy, après
Qu'il eut veu monseigneur le seneschal estre
aerrière luy, et non sachant si à bonne heure
estoit venu pour veoir Dieu lever; ayant tou-
tesfoiz opinion qu'il estoit venu tara , il ap-
pella son clerc et luy fist alumer arrière la
torche, puis en gardant les cerimonies qu'il
fault faire et garder, leva encores une foiz
Dieu , disant que c'estoit pour monsei^eur le
seneschal. Et puis ce fait, procéda oultre jus-
ques ad ce qu'il fust parvenu à son agnusDeii
Nouvelle LXXV. 125
lequel quant il l'eut dit trois foiz, et que son
clerc luy bailla la paix pour baiser, la refusa ,
et, en rabrouant trèsbien son clerc, disant
qu'il ne savoit ne bien ne honneur, la fist bail-
ler à monseigneur le seneschal, qui la refusa
de tous poins deux ou trois foiz. Et quand le
prestre vit que monseigneur le seneschal ne
vouloit prendre la paix devant luy, il laissa
Dieu qu'il tenoit en ses mains , et print la paix
et la porta à monseigneur le seneschal , et luy
dist que s'il ne la prenoit devant luy il ne la
prendroit jà luy mesmes : « Ce n'est raison,
dist le prestre, que j'aye la paix devant vous. j>
Adonc, monseigneur le seneschal, voyant
que sagesse n'avoit illec lieu, s'accorda au
curé et print la paix, puis le curé après; et ce
fait, s'en retourna panaire sa messe de ce qui
restoit à parfaire.
LA LXXVe NOUVELLE.
PAR MONSEIGNEUR DE THALEMAS.
u temps de la guerre des deux par-
tiz, les ungs nommez Bourgoignons,
les aultres Ermignacz, advint à
Troyes, en Champai^e , une assez
gracieuse adventure, qui trèsbien vault la ra-
compter et mectreen compte, qui fut telle.
Ceulx de Troies,.pour lors que par avant ilz
eussent esté Bourgoignons, s'estoient tournez
124. Les Cent Nouvelles nouvelles.
Ermigoacz, et entre eulx avoit conversé ung
corapaigQon à demy fol, non pas qu'il eust
perdue Tentière copoissance de raison, mais
à la vérité il tenoit plus du costé de dame
folie que de raison, quoy que aucunesfoiz il
executast, et de la main et de la bouche, plu-
seurs besoingnes que plus sage de luy n'eust
sceu achever. Pour venir doncques au propos
encommencé,. le galant sus dit estant en
garnison avec les Bourguignons à sainte Ma-
nehot, mist une journée eQ termes avec ses
compai^ons, et dist que s'ilz le vouloient
croire, il leur badlleroit Donne doctrine pour
attrapper une grand ost des loudiers de Troyes,
lesquelx', à la vérité, il haioit mortellement,
et ilz ne l'amoient guères, mais le menas-,
soient tousjours de pendre s'ilz le povoient
tenir. Veezcy qu'il dist : « Je m'en yrai vers
Troyes et m'approucheray des fauxbourgs, et
feray semblant d'espier la ville, et de tenter
de ma lance les fossez, et si près de la ville
m'approucheray que je seray prins. Je suis
seur que si tost que le bon bailly me tiendra, il
me condemnera à pendre, et nul de la ville ne
s'i opposera pour moy, car ilz me hayent très-
tous. Ainsi seray*je oien matin mené au gi--
bet, et vous serez embuschez au bosquet qui
est au plus près. Et tantost que vous orrez
venir mov et ma compaienie, vous sauldrez sur
L'assemblée, et en prendrez et tiendrez à vos-
tre volunté, et me délivrerez de leurs mains. »
Tous les compaignons de la garnison s'i accor-
dèrent, et dirent^ puis qu'il osoit bien entre-
I
Nouvelle LXXV. . 125
Ï>rendre ceste adventure, ilz luy aideroient à
a fournir. Et pour abréger, le gentil folastre
s'approucha de Troyes, comme il avoit devant
dit, et, comme il desiroit, fut prins, dont le
bruyt s'espandit tost parmy toute la ville; et
n'y eut celuy oui ne le condemnast à pendre ;
mesme le bailly, si tost qu'il le vist, dist et
jura par ses bons dieux qu'il seroit pendu par
a gorge. « Hélas! monseigneur, disoit-il, je
vous requier mercy, je ne vous ay rien meffait.
— Vous mentez, ribauld, dist le bailly, vous
avez guydé les Bourgoignons en ceste marche,
et avez encusé les bon bourgois et marchans
de ceste ville; vous en aurez vostre payement,
car vous en serez au gibet pendu. — Ha ! pour
Dieu, monseigneur, dit nostre bon compai-
gnon , puis qu'il fault que je meure , au moins
qu'il !vous plaise que ce soit bien matin , et
que en la ville où j'ay eu tant de cognois-
sance et d'accointance , je ne reçoyve trop
publicque punicion. — Bien, bien, dist le
bailly, on y pensera. » Le lendemain, dès le
point du jour, le bourreau avec sa charette
fut devant la prison , où il n'eust guères esté
que veezcy venir le bailly à cheval et ses
sergens et grand nombre de gens pour l'a-
compaigner, et fut nostre homme mis, troussé
et lyé sur la charette, et, tenant sa musette,
dont il jouoit continuellement, on le maine
devers la Justice, où il fut plus acompai-
gné, quoy qu'il fust matin, que beaucoup
d'aulires n'eussent esté, tant estoit hay en
la ville. Or devez vous savoir que les com-
126 Les Cent Nouvelles nouvelles.
paignons de la garnison de saincte Manehot
n'oblièrent pas de eulx embuscher au bois
auprès de la dicte Justice, dès la mynuyt, tant
pour sauver leur homme, quoy qu'il ne fiist
pas des plus sages , tant aussi pour gaigner
prisonniers et aultres choses s'ilz povoient.
Eulz là dohcques venuz et arrivez, disposèrent
de leur fait comme de guerre et ordonnèrent
une gaitte sur un arbre, qui leur devoit dire
quand ceulx de Troyes seroient à la Justice.
Celle gaitte ainsi mise et logée dist qu'elle
feroit bon devoir. Or sont venuz et descenduz
ceulx de la Justice devant le gibet, et le plus
abrègement que faire se peut, le bailly corn-
menae qu'on despesche nostre povre co^uard ,
qui estoit bien esbahy où ses compaignons
estoient, qu'ilz ne venoient ferir dedans ces
ribaulx Erminacz. Il n'estoit pas bien à son
aise, mais regardoit devant et derrière, et le
plus le boys ; mais il n'oyoit ne veoit rien. Il
se confessa le plus longuement qu'il peut,
toutesfoiz il fut osté du prestre, et, pour abré-
ger, monte sur l'eschelle, et luy là venu fut
bien esbahy. Dieu le scet, et regarde et veye
tousjours vers ce bois; mais c'estoit pour
néant, car la gaitte ordonnée pour faire saillir
ceulx qui rescourre le dévoient étoit sur cest
arbre endormye ; si ne savoit que dire ne que
faire ce pouvre homme, sinon qu'il pensoit
estre à son derrain jour. Le bourreau , à chef
de pièce, fist ses preparacions pour luy bouter
la hart au col pour le despescher. Et ouand il
vit ce, il s'advisa d'un tour qui luy fut bien
Nouvelle LXXV. ' 127
proufitable , et dist : « Monseigneur le bailly,
je vous prie pour Dieu que avant que on
mette plus avant la main en moy, que je puisse
jouer une chanson de ma musette , et je ne
vous demande plus ; je suis après content de
morir, et vous pardonne ma mort et à tout le
monde. » Geste requeste luy fut passée, et sa
musette luy fut en hault portée. Et quand il la
tint, le plus à loysir qu'il peut, il la commence
à sonner, et joua une chanson que les compai-
gnons de l'embusche dessus dicte cognois-
soient trèsbien, et y avoit : «Tu demeures trop,
Robinet, tu demeures trop. » Et au son de la
musette la gaitte s'esveilla, et de paour qu'elle
eut se laissa cheoir du hault en bas de l'arbre
où elle estoit, et dist : « On pend nostre
homme ! Avant, avant, hastezvous tost.» Et
les compaignons estoient tous preâtz ; et au
son d'une trompette saillirent du bois, et se
vindrent fourrer sur le bailly et sur tout le
mesnage qui devant le gibet estoit. Et à cest
effroy, le bourreau fut tant esperdu et esbahy
qu'il ne savoit et n'eut oncques l'advis de luy
bouter la hart au col, et le bouter jus, mais
luy pria qu'il luy sauvast la vie, ce qu'il eust
fait trèsvoluntiers ; mais il ne fut pas en sa
puissance ; trop bien fist ilaultre chose et meil-
leur, car luy, qui sur l'eschelle estoit , cryoit
à ses compaignons : <' Prenez chula cà, prenez
cestuy ; ung tel est riche, ung tel est mauvais
garnement.» Bref, les Bourgoignons tuèrent un
grand tas en venue de ceubc de Troyes, et
prindrent des prisonniers ung grand nombre^
\zi Les Cent Nouvelles nouvelles.
et ^auvàrent leur homme en la façon que vous
oés, oui bien leur dist que jour de sa vie n'eut
si belles affres qu'il avoit à ceste heure eu.
LA LXXVIe NOUVELLE.
PAR PHILIPE de LOAN.
'on m'a pluseurs foiz dit et compté
par gens dignes de foy ungbien gra-
cieux cas dont je foumiray une pe-
tite nouvelle , sans y descroistre ne
adjouster aultre chose que servant au propos.
Entre les auitres chevaliers de Bourgoigne
ung en y avoit naguères, lequel, contre la
coustume et usage du pais, tenoit à pain et
à pot une donzelle belle et gente , en son
chasteau que point ne veil nommer. Son cha-
Eellain , qui estoit jeune et frez , voyant ceste
elle fille, n'estoit pas si constant que ne fust
par elle souvent tenté, et en devint trop bien
amoureux. Et auand il vit mieulx son point ,
compta sa rastelée àmadamoiselle, qui estoit
plus fine que moustarde ; car la mercy Dieu
elle avoit rend^ et couru pais tant que du
monde ne savoit que trop. Elle pensoit bien
en soy mesmes que si elle accoraoit au près-
tre sa requeste, son maistre, qui veoit cler,
quelque^moien qu'elle trouvast , s'en donne-
roit bien garde . et ainsi perdroit le plus pour
Nouvelle LXXVI. 129
k mains. Si délibéra de descouvrir l'embus-
che à son maistre , qui n'en fist que rire , car
assez s'en doubtoit, attendu les regards, de-
vises et esbatemens qu'il avoît veu entre eulx
deux ; ordonna neantmains à sa gouge qu'elle
entretenist le prestre, voire sans faire la cour-
toisie , et si fist elle si bien que nostre sire en
avoit tout au long du braz. Et nostre bon
chevalier souvetit luy disoit : « Par dieu ! par
dieu ! nostre sire , vous estes trop privé de
ma chambrière ; je ne sçay qu'il y a entre vous
deux , mais si je savoye que vous y pourchas-
sissiez rien à mon desavantage , nostre Dame !
je vous punyroie bien. — En vérité , monsei-
gneur, respondit maistre domine , je n'y ca-
lenge ne demande rien ; je me devise à elle ,
et passe temps , comme les aultres de céans ;
jour de ma vie ne luy requis d'amours ne
d'aultre chose. — Pour tant le vous dy je,
dist le seigneur ; si aultrement en estoit, je n'en
seroie pas content. » Si nostre domine avoit
bien poursuy au paravantde ces parolles, plus
aigrement et à toute force continua sa pour-
suite, car où qu'il rencontrast la gouge, de tant
près la tenoit que contraincte estoit , voulsist
ou non , donner Poreille à sa douice requeste ;
et elle duicte et faicte à l'esperon et à la lance,
endormoit nostre prestre et l'assommoit, et
en son amour tant fort le boutoit qu'il eust
pour elle ung Ogier combatu. Si tost aue de
luy s'estoit sauvée , tout le plaidoyé d'entre
eulx deux estoit au maistre par elle racompté,
qui grand plaisir en avoit. Et pour faire la
Cent Nouv. — II. 9
i;o Les Cent Nouvelles nouvelles.
farse au vif, et bien tromper son chapeliain ,
il commenda à sa gouge qu'elle luy assighast
journée d'estre en la ruelle du lit où ilz cou-
choient , et luy dist : « Si tost que monsei-
gneur sera endormy, je feray tout ce que vous
vouldrez ; rendez vous donc en la ruelle tout
doulcement.» Et fault,dit il, que tu le laisses
faire , et moy aussi : je suis seur que quand
il cuidera que je dorme, qu'il ne demourra
guères à t'enferrer, et j'aray appresté à Pen-
viron de ton devant le las jolis où il sera
attrappé. » La gouge en fut contente, et
fist son rapport à nostre sire, qui jour de sa
vie ne fut plus joieux, et sans penser ne yma-
giner péril ne danger où il se boutoit, comme
en la chambre de son maistre , ou lit et à la
gouge de son maistre , toute raison estoit de
luy à cest cop arrière mise ; seuUement luy
chailloit d'accomplir sa folle volunté , com-
bien que naturelle et de pluseurs accoustumée.
Pour faire fm à long procès , maistre prestre
vint à l'heure assignée bien doulcement en la
ruelle , Dieu le scet ; et sa maistresse luy dist
tout bas : « Ne sonnez mot; quand monsei-
gneur dormira , je vous toucheray de la main
et venez emprès moy. — En la bonne heure»,
ce dit il. Le bon chevalier, qui à ceste heure
ne dormoit mie , se tenoit à grand peine de
rire ; toutesfoiz, pour faire la farse, il s'en garda,
et, comme il avoit proposé et dit , il tendit
son filé ou son las, lequel qu'on veult, tout à
l'endroit de la partie où maistre prestre avoit
plus grand désir de hurter. Or est tout prest.
1
Nouvelle LXXVI. iji
et nostre sire appelle , et au plus doulcement
qu'il peut entre dedans le lit , et sans guères
barguigner il monte dessus le tas pour veoir plus
loing. Si tost qu'il fut logé, bon chevalier tire
bien fort son las , et dit tout hault : u Ha ! ri-
bauld prestre, estes vous tel? » Et bon pres-
tre de soy retirer. Mais il n'ala guères loing,
car l'instrument qu'il vouloit accorder au be-
don de la gouge estoit si bien du las encepé ,
qu'il n'avoit garde de deslonger, dont si très-
esbahy se trouva qu'il ne savoit sa contenance
ne que advenu il luy estoit. Et de plus fort
en plus fort tiroit son maistrele las, qui grand
douleur luy eust esté , si paour et esbahisse-
ment ne luy eussent tollu tout sentement. A
chef de pièce il revint à luy, et sentit trèsbien
ces douleurs , et bien piteusement pria mercy
à son maistre, qui tant grand faim avoit de rire
que à peine il savoit parler. Si luy dist il
neantmains après qu'il eust trèsbien aval la
chambre paroondy : « Allez vous en , nos-
tre sire, et ne vous advienne plus; ceste
foiz vous sera pardonnée, mais la seconde
seroit irrémissible. — Hélas! monseigneur,
ce respond il , jamais ne m'aviendra ; elle fut
cause de ce que j'ay fait. » A ce coup , il
s'en alla, et monseigneur se recoucha, qui
espoir acheva ce que l'autre encommença.
Mais sachez bien qu'oncques puis ne s'i trouva
le prestre au sceu du maistre. Bien peut estre
qu'en recompense de ses maulx la çouge en
eut depuis pitié, et, pour sa conscience ac-
quicter, luy presta son bedon, et tellement s'ac-
132 Les Cent Nouvelles nouvelles.
cordèrent que le maistre en valut pis tant en
t(iens comme en honneurs. Et du surplus je
me tais et à tant.
LA LXXVIIe NOUVELLE.
PAR ALARDIN.
ng gentilhomme des marches de
Flandres , ayant sa mère bien an-
cienne et trèsfort débilitée de mala-
die, plus languissant et vivant à
malaise que nulle aultre femme de son eage,
espérant d'elle mieulx valoir et amender, com-
bien que es marches de France il feist sa ré-
sidence , la visitoit souvent ; et à chacune foiz
que vers elle venoit, tousjours estoit tant de
mal oppressée , qu'on cuidast bien que l'ame
en deust partir. Et une foiz entre les aultres,
comme il Testoit venu veoir, elle au partir luy
dist : « Adieu , mon filz , je suis seure et me
semble que jamais vous ne me verrez ; car je
m'en vois morir. — Ha dya, ma mère, res-
pondit il , vous m'avez tant ceste leczon re-
cordée que j'en suis saoul et ennuyé; deux
ans , trois ans sont jà passés et expirez que
tousjours ainsi m'avez dit, mais vous n'en
avez rien fait ; prenez bon jour, je vous en
prie , si n'y faillez point. » La bonne damoi-
selle, oyant de son filz la response, quoyque
Nouvelle LXXVII. ij^
malade et vieille fust , en soubriant lay dist
adieu. Or se passèrent puis ung an, deux
ans , tousjours en languissant. Geste femme si
fut arrière de son filz visitée, et ung soir,
comme en son lit en l'ostel d'elle estoit cou-
chée, tant fort oppressée de mal qu'on cuidoit
bien qu'elle allast à Mortaigne, si fut ce bon
filz appelé de ceulx qui gardoient sa mère ,
et luy dirent que bien à haste à sa mère ve-
nist , car seurement elle s'en alloit. « Dictes
vous donc, dit il, qu'elle s'en va ? Par ma foy,
je ne l'ose croire; tousjours dit elle ainsi, mais
rien n'en fait. — Nenny, nenny, dirent ses gar-
des, c'est à bon escient ; venez vous en, car on
voit bien qu'elle s'en va. — Je vous diray,
dist il : allez devant et je vous suyz ; et dic-
tes bien à ma mère, puis qu'elle s'en veult
aller, que par Douay point ne s'en aille , car
le chemin est trop mauvais ; à peu que davant
hier moy et mes chevaulx n'y demourasmes.»
Il se leva neantmains , et housse sa robe lon-
gue et se mect en train pour aller veoir si sa
mère feroit la derrenière et finable grimace.
Luy là venu, la trouva fort malade et que passé
avoit une subite faulte qui la cuidoit bien
emporter; mais, Dieu mercy, elle avoit ung
petit mieulx. « N'est ce pas ce que je vous
dy ? commence à dire ce bon filz ; l'on dit
tousjouis ceens, et si fait elle mesme, qu'elle
s'en va et qu'elle se meurt, et rien n'en fait.
Prenne bon terme , de pardieu, comme tant
de foiz luy ay dit, et si ne faille point. Je m'en
retourne dont je vien ; et si vous advise pour
1^4 ^^^ ^^N'T Nouvelles nouvelles.
toutesfoiz que vous ne m'appeliez plus , s'elle
s'en devoit aller toute seulle, si ne lui feray
je pas à ceste heure compaignie. )) Or appartient
que je vous compte la fin de mon emprinse.
Geste damoiselle ainsi malade que dit est re-
vint de ceste extrême maladie, et comme au-
paravant depuis vesquit en languissant l'es-
pace de trois ans, pendant lesquelx ce bon
tilz une foiz d'adventure la vint veoir, et à ce
coup qu'elle rendit l'esperit. Mais le bon fiit
3uant on le vint c^uerir pour estre au trespas
'elle , qu'il vestoit une robe neuve , et n'y
vouloit aller. Message sur aultre venoit vers
luy, car sa bonne mère, qui tiroit à la fin, le
vouloit veoir et recommencer aussi son ame.
Mais tousjours aux messagiers respondoit :
«Je sçay bien cj^u'elle n'a point ae haste,
qu'elle attendra bien que ma robe soit mise à
point. En la parfin tant luy fut dit et remons-
tré qu'il s'en alla devers sa mère , sa robe
neuve vestue sans les manches, lequel quand
en ce point fut d'elle regardé , luy demanda
où estoient les manches de sa robe , et il dist :
<( Elles sont là dedens, qui n'attendent estre
Êarfaictes sinon que vous nous descombrez
I place. — Si seront donc tantost achevéez,
ce dist la bonne damoiselle : car je m'en vois
à Dieu, au quel humblement mon ame recom-
mende, et à toy, mon filz. » Et lorsxy prins
cy mis, la croix entre ses braz bien serréement
reposant, rendit l'ame à Dieu, sans plus mot
dire ; laquelle chose voyant son bon nls, com-
mença tant fort à plorer et soy desconforter
Nouvelle LXXVIÏI. 155
que jamais ne fut veu le pareil , et n'estoit nul
qui conforter le sceust; tant fort mesmes le print
il au cueur que devant n'en tenoit compte par
semblant, que au bout de quinze jours de
dueil il mourut.
LA LXXVIIIe NOUVELLE.
PAR JEHAN MARTIN.
u pais de Brabant , qui est bonne
marche et plaisante , foumye à droit
et bien gamye de belles filles, et
biea sages coustumièrement , et le
plus et des hommes on soult dire , et se trouve
assez véritable, quêtant plus vivent et plus
sont sotz, naguères advint que ung gentil-
homme en ce point né et destené s'avolenta
d'aller voyager oultrè mer en divers lieux ,
comme eh Cypre , en Rhodes , et es marches
d'environ ; et au derrenier fut en Hierusalem,
oh il receut l'ordre de chevalerie. Pendant
lequel temps de son voyage, sa bonne femme
ne fut pas si oiseuse qu'elle ne presta son
quoniam à trois compaignons ses voisins, les-
quelx, comme à court plusieurs servent par
temps et termes, eurent leur audience. Et tout
premier ung gentil escuier (risque, frez et
triant en bon point, qui tant rembourra son
bas à son chier coust, tant en substance de
ij6 Les Cent Nouvelles nouvelles.
son corps que en despence de pecune , car à
la vérité elle tant bien le pluma qu'il n'y fail-
loit point renvoier, qu'il s'ennuya et retira ,
et de tous poins l'abandonna. L'aultre après
vint, qui chevalier estoit et homme de grand
bruyt , qui bien joyeux fut d'avoir gaigné la
place , et besoi^a au mieulx qu'il peut en la
façon comme dessus, moyennant ae quibus,
que la gouge tant bien savoit avoir que nul
aultre ne l'en passoit. Et bref, se l'escuierqui
paravant avoit la place avoit esté rongé et
plumé, damp chevalier n'en eut pas mains.
Si tourne bride et print garin, et aux aultres la
questé abandonna. Pour faire bonne bouche ,
la damoiselle d'un maistre prestre s'accointa,
et , quoy qu'il fust subtil et ingénieux et sur
argent bien fort luxurieux, si fut il rançonné
de robes, de vaisselles, et d'aultres bagues
largement. Or advint. Dieu mercy, que le
vaillant mary de ceste gouge fist savoir sa
venue , et comment en Hierusalem avoit esté
fait chevalier ; si fist sa bonne femme i'ostel
apprester, tendre, parer, nectoyer et orner au
mieulx qu'il fut possible. Bref, tout estoit bien
net et plaisant, fors elle seulement, qui en
I'ostel estoit , car du plue et butin qu'elle avoit
à la force de ses reins conquesté avoit acquis
vaisselle et tapisserie , linge et aultres meu-
bles en bonne quantité. A l'arriver que fist le
doulx mary, Dieu scet la joye et gjrand feste
qu'on luy fist, celle en especial qui mains en
tenoit de compte, c'est asavoir sa vaillant
femme. Je passe tous ses bienviengnans, et
MMÉÉI
Nouvelle LXXVIII. ijy
vien ad ce que monseigneur son mary, quoy
oue coquard fust et estoit , se donna garde
ae foison de meubles, courant aval son hos-
tel, qui avant son voyage n'estoit léens.
Vint aux coffres, aux buttetz, et en assez
d'aultres lieux, et trouve tout multiplié , dont
l'avertin luy monta en la teste, et de prinsault
devyna ce qui estoit ; si s'en vint tost bien
escnaufé et trèsmal meu devers sa bonne
femme, et demanda dont sourdoient tant
de biens comme ceulx que j'ay dessus nom-
mez. « Saint Jehan, ce dist ma dame, mon-
seigneur , ce n'est pas mal demandé ; vous
avez bien cause d'en tenir telle manière,
et il semble que vous soies courroussé, qui
vous voit. — Je ne suis pas trop à mon
aise , dit il , car je ne vous laissay pas tant
d'argent à mon partir, et si n'en povez tant
avoir espergné que pour avoir acquis tant de
vaisselle, tant de tapisserie, et le surplus des
bagues que je trouve céens; il fault, et je
n'en douote, car j'ay cause, que quel-
qu'ung se soit de vous accointé qui nostre
mesnaçe ait ainsi renforcé ? — Et pardieu,
monseigneur, respond la simple femme, vous
avez tort, qui pour bien faire me mettez sus
telle vilannie ; )e veil bien que vous le sachez
que je ne suis pas telle, mais meilleur en tous
endroiz que à vous n'appartient ; et n'est-ce
pas bien raison qu'avec tout le mal que j'ay
eu d'amasser et espergner, pour accroistre et
embellir vostre hostel et le mien , j'en soye
reprochée, iesdengée et tencéeP C'est bien
1)8 Les Cent Nouvelles nouvelles.
loing de recognoistre ma peine comme ung
bon mary doit faire à sa bonne preude femme.
Telle l'avez-vous, meschant maleureux, dont
c'est dommage. » Ce procès, quoy qu'il fust plus
long, pour ung temps se cessa, et s'avisa
maistre mary, pourestre de Testarde sa femme
asseuré, qu'il feroit tant avec son curé, qui son
trèsgrana amy estoit, que d'elle orroit la aevote
confession, ce ({u'il fist au moien du curé^ qui
son fait conduisit ; car ung bien matin , en la
bonne sepmaine que de son curé pour soy
confesser s'approucha, en une chapelle se-
crète devant il l'envoya, et à son mary vint,
qu'il adouba de son habit , et pour estre son
keutenant l'envoya devers sa femme. Si nostre
mary fut joyeux , il ne le fault jà demander.
Quand en ce point il se trouva, il vint en la
cnappelle^etou siège du prestre sans mot dire
entra ; et sa femme d'approcher, qui à genoux
se mist devant ses piez , cuidant pour vray
estre son curé, et sans tarder commença sa
confession et dist Benedicite, Et nostre sire son
mary respondit Dominus, et au mieulx qu'il
sceut , comme le curé l'avoit aprins , assovit
de dire ce qui affiert. Après que la bonne
femme eut dit la confession générale , de-
scendit au particulier, et vint paner comment,
durant le temps que son mary avoit esté de-
hors, ung escuier avoit esté son lieutenant,
dont elle avoit en or, en argent et en bagues
beaucop amendé. Et Dieu scet que en oyant
ceste confession , le mary estoit bien à son
aise; s'il eust osé, voluntiers Teust tuée à
Nouvelle LXXVIII. 159
ceste heure ; toutesfoiz, aflfin d'oyr encores le
surplus, s'il y est , aura il pacience. Quand elle
eut dit tout au long de cest escuier, du che-
valier s'est accusée, qui comme l'autre l'avoit
bien baguée. Et bon mary, qui de dueil se
crève et fend , ne scet que faire de soy des-
couvrir et bailler l'absolucion sans plus atten-
dre ; il n'en iist rien néantmains , et print
loysir et pacience d'escouter ce qu'il orra.
Après le tour du chevalier, le prestre vint en
jeu, dont elle s'accusa bien humblement;
mais, par nostre dame , à cest coup, bon mary
perdit pacience et n'en peut plus oyp, si jecta
]us chape et surplis, et se monstrant , luy dist :
« Faulse et desloyale , or voiz je et cognois
bien vostre grana trahison ! et ne vous suffi-
soit-il de l'escuier et puis du chevalier, sans
à ung prestre vous donner, qui par Dieu plus
me desplaist et courrousse que tout ce que fait
avez. » Vous devez savoir que de pnnsault
ceste vaillant femme fut esbahie et soupprinse ;
mais le loysir qu'elle eut de respondre si très-
bien l'asseura et sa contenance de manière si
bien ordonna, que, à l'oyr, sa response estoit
plus asseurée que la plus juste de ce monde ;
îaisoit à Dieu son oroison ; si respondit à chef
de pièce comme le saint esperit l'inspira, et
dist bien froidement : « Pouvre coquard , qui
ainsi vous tourmentez, savez-vous bien au
mains pour quoy ? Or, oyez-moy, s'il vous
Elaist ; et pensez-vous que je ne sceusse trè*-
ien que c'estiez vous à qui me confessoie ?
Si vous ay servy comme le cas le requiert, et
140 Les Cent Nouvelles nouvelles.
sans mentir de mot vous ay confessé tout mon
cas ; véezcy comment : De Tescuier me suis
accusée , et c'estes vous , mon doulx amy ;
quand vous m'eustes en mariage, vous estiez
escuier, et lors feistes de moy ce qu'il vous
pleut , et me foumistes, vous le savez , Dieu
scet comment. Le chevalier aussi dont j'ay
touché et m'en suis encoulpit, par ma foy,
vous estes celuy, car à vostre retour vous
m'avez fait dame. Et vous estes aussi le pres-
tre , car nul , si prestre n'est , ne peut oyr con-
fession. — Par ma foy, m'amye, dist lors le
chevalier, or m'avez vous vaincu et bien
monstre que sage, et trèsbonne vous estes, et
que sans cause et à tort et trèsmal adverty
vous ay chargée et dit du mal assez, dont il
me desplaist, et m'en repens, et vous en crye
mercy, vous promettant de l'amender à vostre
dit. — Legièrement il vous est pardonné , ce
dit la vaillant femme , puis que le cas vous
cognoissez. » Ainsi qu'avez oy fut le bon che-r
vauer deceu par le subtil et percevant engin
de sa desloyalle femme.
Nouvelle LXXIX. 141
LA LXXIXc NOUVELLE.
PAR MESSIRE MICHAULT DE CHANGY.
u bon pays de Bourbonnoys, où vo-
luntiers les bonnes besoignesse font,
avoit i'aultre hierung medicin, Dieu
scet quel ; oncques Ypocras ne Gai-
lien ne practicquèrent ainsi la science comme il
faisoit : car en lieu de cyrops, de buvraiges ,
de doses, d'electuaires et de cent mille auïtres
besoignes que medicins soient ordonner tant
à conserver la santé de l'homme que pour la
recouvrer s'elle est perdue , il ne usoit seul-
ement ûue d'une manière de faire , c'est as-
savoir, de bailler clistères. Quelque maladie
qu'on luy àpportast ou denunçast, tousjours
faisoit bailler clistères , et toutesfoiz si bien
luy venoit en ses besoignes et affères que cha-
cun estoit content de luy, et garisoit chacun,
dont son bruyt creut et augmenta qu'on l'ap^
peloit par tout , tant es maisons des princes et
seigneurs comme en grosses abbayes et bon-
nes villes. Et ne fut oncques Aristote ne Gai-
lien ainsi autorisé , par especial du commun
peuple , que ce bon maistre dessus dit. Et
tant monta sa renommée que pour toute chose
l'on demandoit son conseil ; et estoit tant en-
tonné incessamment qu'il ne savoit au quel
142 Les Cent Nouvelles nouvelles.
entendre. Se une femme avoit rude mary , fel
et mauvais, elle vcnoit au remède à ce bon
maistre. Bref, de tout ce dont on peust de-
mander conseil d'homme , nostre bon maistre
avoit la huée. Advint ung jour que ung bon
simple homme champestre avoit perdu son
asne; et après la longue (jueste d'icelluy,
s'advisa de tirer vers ce maistre qui si très-
sage estoit ; et à la coup de sa venue il estoit
tant avironné de peuple qu'il ne savoit au quel
entendre. Ce bon homme néantmains rompit
la presse, et, quoy que le maistre parlast et re-
spondistàpluseurs, luy compta son cas, c'est
asavoir de son asne qu'il avoit perdu , priant
t)Our Dieu qu'il luy voulsist radressier et bail-
er chose dont il le peust recouvrer. Ce mais-
tre, qui plus aux aultres que à luy entendoit,
quand le bruyt et son de son langage, dont rien
il n'avoit entendu, fut finy, se vira devers luy,
cuidant qu'il eust aucune enfermeté ; et amn
d'en estre despesché , dist à ses gens : « Bail-
lez luy clistère. » Et ce dit , devers les aul-
tres se tourna. Et le bon simple homme qui
l'asne avoit perdu, non sachant que le mais-
tre avoit dit , fut prins des gens du maistre,
qui tantost , comme il leur estoit chargé , luy
baillèrent ung clistère , dont il fut bien esba-
hy, car il ne savoit que c'estoit. Quand il eut
ce clistère , dès qu'il fut dedans son ventre ,
il picque et s'en va, sans plus demander de
son asne, cuidant certainement par ce le re-
trouver. Il n'eut guères esté avant que le
ventre luy brouilla et grouilla tellement qu'il
Nouvelle IIII". 14;
fiit contraint de soy bouter en une vieille ma-
sure inhabitable, pour faire ouverture au clis-
tère, qui demandoit la clef des champs. Et au
partir qu'il fist, il mena si grant bruyt que
rasne du pouvre homme, qui passoit assez
près, comme esgaré et venu d'adventure,
commence à racaner et cryer ;. et bon homme
de s'avancer et lever sus et chanter Te Deum,
et venir à son asne, qu'il cuidoit avoir recou-
vert ou trouvé par le clistère que luy fist bail-
ler le maistre, qui eut encores plus de renom-
mée sans comparaison que paravant. Car des
choses perdues on le tenoit vray enseigneur,
et de toute science aussi le trèsparfait docteur,
quoy que d'un seul clistère toute ceste renom-
mée venist. Ainsi avez oy comment l'asne fut
trouvé par ung clistère, qui est chose bien
apparente et qui souvent advient.
LA IlII^ïe NOUVELLE.
PAR MESSIRE MICHAULT DE CHANGY, GENTIL-
HOMME DE LA CHAMBRE DE MON-
SEIGNEUR.
S marches d'Alemaigne, comme pour
vray oy naguères compter à deux
gentilz seigneurs dignes de croire ,
advint que une fille, de l'eage d'en-
viron de xv.à xvj. ans, fut donnée en mariage
iâ/
144 L.ES Cent Nouvelles nouvelles.
à unçbon gentil compaignon, qui tout devoir
faisoit de paier le deu que voluntiers deman-
dent femmes sans mot dire, quand en cest
eage et tel estât sont. Mais, quoy que le pou-
vre homme feist bien la besoigne et s'efTorsast
espoir plus souvent au'il ne deust, si n'estoit
euvre qu'il fist agréablement receu , et ne fai*
soit incessamment sa femme que rechigner, et
souvent ploroit bien tendrement comme si
tous ses amys fussent mors. Son mary, la
voyant ainsi lamenter, ne se savoit assez es-
banir quelle chose luy povoit falloir, et luy
demandoit doulcement: <( Helas! m'amye,
et qu'avez vous ? Et n'estes vous pas bien
vesiue, bien logée, bien servye, et de tout ce
3ue gens de nostre estât pevent par raison
esirer bien convenablement partie ? — Ce
n'est pas là qu'il me tient, respondit elle. —
Et qu'est ce donc ? dictes le moy, ce dit il ,
et si je y puis remède mettre , pensez que je
le feray pour y mettre et corps et biens. » Les
plus des foiz elle ne respondoit mot, mais
tousjours rechignoit et de plus en plus triste
chère et matte elle faisoit, que le mary ne
portoit pas bien paciemment, quand savoir
ne povoit la cause de ceste doléance. Tant en
enquist que partie il en sceut , car elle luy
dist qu'elle estoit trop desplaisante qu'il estoit
si petitement fourny de cela que vous savez ,
c'est asavoir du baston de quoy on plante les
hommes, comme dit Bocace. «Voire! dist
il , et est ce cela dont tant vous dolez ? Et
par mon serment, vous avez bien cause. Tou-
Nouvelle IIII". 145
tesfoiz il ne peut estre aultre, et fault que
vous en passez tel qu'il est, voire si vous ne
voulez aller au change. » Geste vie se continua
ung grand temps , tant que le roary, voyant
l'extimacion d'elle^ assembla ung jour à ung
disnerung grant tas des amys d'elle, et leur
remonstra le cas comme il est icy dessus tou-
ché , et disoit qu'il luy sembloit qu'elle n'avoit
cause de se douloir de luy en ce cas, car il
cuidoit aussi bien estre party de l'instrument
naturel que voisin qu'il eust : « Et afifin , dist
il, que j'en soye mieulx creu, etvous voiez
son tort évident , je vous monstreray tout. » Il
mist sa denrée avant sur la table , devant tous
et toutes, et dist : « Veezci de quoy. » Et sa
femme de plorer de plus belle : a. Et par saint
Jehan , dirent sa mère, sa seur, sa tante, sa
cousine, sa voisine, m'amye, vous avez tort;
et que demandez vous i voulez vous plus de-
mander ? et qui est celle qui ne devroit estre
contente d'ung mary ainsi estoffé.? Ainsy m'ayde
Dieu, je me tiendroye bien eureuse d'en avoir
autant, voire beaucop mains ; appaisez vous,
appaisez vous, etfaictes bonne cnère doresen-
avant. Par dieu ! vous estes la mieulx partie
de nous toutes, ce croy-je.» Et la jeune espou-
sée, oyant le collège des femmes ainsi parler,
leur dist , bien fort plorant : « Véezcy le petit
asnon de céans, qui n'a guères d'aage avec
demy an , et si a l'instrument grand et gros
de la longueur d'un bras. » Et en ce disant,
tenoit son braz destre par le coûte , et si le
branloit trop bien. « Et mon mary, qui a bien
Cent Nouv, — II 10
146 Les Cent Nouvelles nouvelles.
xxiiij ans, n'en a que ce tant peu qu'il a mon-
stre ; vous semble-t-il que j'en doyve estre
contente P » Chacun commença à rire > et elle
de plus plorer, tant que l'assemblée longue-
ment fut sans mot dire. Alors la mère print la
parolle, et à part dist à sa fille tant d'unes et
d'aultres que aucunement se contenta ; mais
ce fut ^ grand peine. Véezcy la cause des filles
d'Alemaigne; si Dieu plaist, bien tost seront
ainsi en France.
LA nil«le NOUVELLE.
PAR monseigneur DE VAURIN.
uis que les comptes et histoires des
asnes sont acevez , je vous feray en
bref et à la vérité ung bien gracieux
compte d'un chevalier que la plus
part de vous, mes bons seigneurs, congnois-
sez de pieçà. Il fiit bien vray que le dit che-
valier s'adventura trèsfort , comme il est assez
de coustume aux jeunes gens, d'une trèsbelle,
gente et jeune dame, et du quartier du pays
où elle se tenoit la plus bruyant et la plus re-
nommée. Mais toutesfoiz, quelque pourchaz,
quelque semblant, quelque devoir qu'il sceust
faire pour obtenir $a grâce, jamais il ne peut
parvenir d'estre serviteur retenu ; dont il es-
toit mains que bien content , attendu que tant
ardemment 9 tant loyallement et tant entière-
Nouvelle IIII«I. 147
ment l'amoyt que jamaiz femme ne le fut
mieulx. Et n'est pas à oblier que autant faisoit
pour elle qu'oncques serviteur fist pour sa
dame, comme de joustes, d'habiliemens ; et
néantmains, comme dit est , tousjours trouvoit
sa dame rude et mal tractable, et luy mons-
trant mains de semblant d'amour que par rai-
son ne deust : car elle savoit, et de vray, que
loyallement et chèrement de luy estoit bien
fort aymée. Et à dire la vérité , elle luy estoit
trop dure, et fait assez à penser qu'il procedoit
de fierté, dont elle estoit plus que bon ne luy
iîist , comme on disoit , remplye. Les choses
estans comme dit est, une aultre dame voisine
et amye de la dessus dicte, voyant la queste
du dit chevalier, fut tant esprise de son amour
oue plus on ne pourroit, et, par trop bonne
fasson qui trop longue seroit à descripre, fist
tant que ce bon chevalier s'en apperceut;
dont il ne se meut que bien à point, tant fort
s'estoit donné à sa rebelle et rigoreuse mais-
tresse. Trop bien, comme gracieux qu'il estoit,
tout sagement entretenoit celle de luy esprinse,
affin que si à la cognoissance de l'autre fust
parvenu, cause n'eust eu d'en rien blasmer
son serviteur. Or escoutez quelle chose advint
de ces amours, et quelle en fut la conclusion.
Ce bon chevalier amoureux , qui pour la di-
stance du lieu ne povoit estre si souvent em*
près sa dame que son loyal cueur et trop
amoureux desiroit, s'advisa ung jour de prier
aucuns chevaliers et escuiers, ses bons amvs,
qui toutesfois de son cas rien ne savoient, d^sd-
148 Les Cent Nouvelles nouvelles.
1er esbattre, voler et auerir les lièvres en la
marche du pais où sa dame se tenoit, sachant
de vray par ses espies que le mary d'elle n'y
estoit pomt, maisestoit venu à court, où sou-
vent se tenoit, comme celluy de qui se fait ce
compte. Comme il fut pro[)Osé de ce chevalier
amoureux et de ses compaignons, se partirent
le lendemain, bien matm, de la bonne ville
où la court se tenoit, et, tout querans les liè-
vres passèrent temps jusques à basse nonne,
sans boire ne sans menger. Et en grand haste
vindrent repaistre en ung petit village; et
après le disner,qui fut court et sec, montèrent
à cheval et de plus belles s'en vont querans
les lièvres. Et le bon chevalier, qui ne tiroit
qu'à une , menoit tousjours la brigade le plus
qu'il povoit arrière de la bonne ville , où ses
compaignons avoient grand vouloir de retirer,
et souvent luy disoient : « La vespre approu^
che, il est heure de retirer à la ville; si nous
n'y advisons , nous serons enfermez dehors,
et nous fauldra ^esir en ung meschant vil-
lage et tous morir de faim. — Vous n'avez
garde, disoit nostre amoureux, il est encore
heure assez ; et au fort je sçay ung lieu en ce
quartier où l'on nous fera trèsbonne chère ;
et pour vous dire, si à vous ne tient, les da-
mes nous festieront. Comme gens de court se
trouvent voluntiers avec les oames, ilz furent
contens de soy gouverner à l'appétit de celuy
qui les avoit mis en train, et passèrent le temps
({uerans les lièvres et les perdris tant aue le
)our dura. Or vint l'heure de venir au logis.
Nouvelle IIII"I. 149
si dist le chevalier à ses compaignons : « Ti-
rons, tirons pais, je vous mainray bien. » En*
viron une heure ou deux de nuyt, ce bon che-
valier et sa compaignie arrivèrent à la place
où se tenoit la dame dessus dicte , de c^ui tant
fort estoit féru la guide de la compaignie , qui
mainte nuyt en avoit laissé le dormir. On hurta
à la porte du chasteau , et varletz assez tost
vindrent avant , qui demandoient qu'on vou-
loit. Et celuy à qui le fait touchoit print la
parolle et leur dist : « Messeigneurs , mon*
sei^eur et madame sont ilz céans ? — En
venté , respondit l'un pour tous, monseigneur
n'y est pas, mais madame y est. — Vous luy
direz , s'il vous plaist , que telz et telz cheva*
liers et escuiers de la court, et moy ung tel,
venons d'esbatre et querre les lièvres en ceste
marche, et noussommes esgarez jusquesà ceste
heure, qui est trop tard de retourner à la ville.
Si luy prions qu'il luy plaise nous recevoir
pour ses hostespour meshuy. — Voluntiers»,
dist il. Il vint faire ce message à sa maistresse,
laquelle cy prins cy mis fist faire la response
sans venir vers eulx, qui fut telle : « Monsei-
gneur, dit le variet, madame vous fait savoir
que monseigneur son mary n'est pas icy, dont
il luy despiaist, car, s'il y fust, il vousfeist
bonne chère ; et en son absence elle n'oseroit
recevoir personne; si vous prie que luy par-
donnez. » Le chevalier meneur de l'assemblée,
pensez qu'il fut bien esbahy et trèshonteux
d'oyr ceste response, car il cuidoit bien veoir
à loisir sa maistresse et deviser tout son cueur
I5Ô Les Cent Nouvelles nouvelles.
saoul, dont il se treuve arrière et bien loing;
et encores beaucop iuy grève d'avoir amené
ses compaignons en lieu où il s'estoit vanté
de les bien faire festoyer. Comme sachant et
gentil chevalier, il ne monstra pas ce que son
pouvre cueur portoit; si dist de plain visage à
ses compaignons : « Messeigneurs, pardonnez
moy ^ue je vous ay fait paier la bée ; je ne
cuidoie pas ^ue les dames de ce pais fussent
si peu courtoises que de refuser ung giste aux
chevaliers errans ; prenés en pacience. Je vous
promectz par ma foy de vous mener ailleurs,
ung peu ensus de céans , où Ton nous fera
toute aultre chère. — Or avant donc , dirent
les aultres, picquez avant : bonne adventure
nous doint Dieu. » Hz se mettent au chemin ; et
estoit rintencion de leur euide de les mener
à l'hostel de la dame dont iïestoit le cher tenu,
et dont mains de compte il tenoit que par rai-
son il ne deust ; et conclud à ceste heure de
soy oster de tous poins de l'amour de celle
qui si lourdement avoit refusé la compaignie ,
et dont si peu de bien Iuy estoit venu estant
en son service ; et se délibéra d'amer, servir et
obéir tant que possible Iuy seroit celle qui
tant de bien Iuy vouloit , et où, se Dieu plaist ,
se trouvera tantost. Pour abréger, après la
grosse pluye que la compaignie eut plus d'une
grosse neure et demye sur le dos, ont arrivé
à l'hostel de la dame dont naguères parloye ;
et hurta l'on de bon het à la porte , car il jsstoit
bien tard, environ neuf ou dix heures de nuyt,
et doubtoient fort qu'on ne fiist couché. Variez
Nouvelle IIII»I. iji
et meschinessaiilirent dehors, qui s'en vouloient
aller coucher, et demandent qu'est ce là ? Et on
leurdist. IIe vîndrem à leur maistresse, qui
estoit jà en cotte simple, et avoit mis couvre-
chef de nuyt ; et luy dirent : « Madame , à la
porte est monseigneur de tel lieu, qui veult
entrer, et avec luy aucuns aultres chevaliers
et escuiers de la court, jusqoes au nombre de
trois. — Hz soient les trèsbien venuz, dist
elle; avant, avant, vous teiz et telz, allez
tuer chappons et poullailles, et ce que nous
avons de Don, et mectez en haste.» Bref, elle
disposa comme femme de bien et de grant
façon, comme elle estoit et encores est, tout
suoit les besoignes comme vous orrez tantost.
Et print bien à haste sa robe' de nuyt, et ainsi
attoumée qu'elle estoit, le plus gentement
Qu'elle peut vint au devant des seigneurs
essusdis, deux torches devant elle et une
seulle femme avecques elle, trèsbelle fille;
les aultres mettoient tes chambres à point. Elle
vint rencontrer ses hostes sur le pont du chas-
teau, et le gentil chevalier qui tant estoit en
sa grâce, comme des aultres la guide et le
meneur, se mist en front devant, et en faisant
les recognoissances, il la baisa, et puis après
tous les aultres la baisèrent pareillement. Alors,
comme femme bien enseignée, dist aux sei*
Seurs dessus ditz : « Messeigneurs, vous soiez
i trèsbien venuz; monseigneur tel, c'est
assavoir leur guide, je le cognois de pieçà,
il est, de sa grâce, tout de céens ; s'il luy plaist,
il feia mes accointances devers vous^ » Pour
152 Les Cent Nouvelles nouvelles.
abréger, accointances furent faictes , le soup-
per assez test appresté, et chacun d'eulxiogié
en belle et bonne chambre bien gamye de
tapisserie et de toute aultre chose nécessaire.
Si vous fault dire que tantdiz que le soupper
s'apprestoit, la dame et le bon chevalier se
devisèrent tant et si longuement, et se porta
conclusion entre eulx que pour la nuyt iiz ne
feroient.que ung lit, car de bonne adventure
le maiy n'estoit point léens, mais plus de qua-
rante lieues loing. Or est heure, tantdiz que
ce soupper s'appreste, que ces devises se font,
et que l'on souppe le plus joyeusement que
Pon pourroit. Après les adventures du jour,
Jue je vous dye de la dame qui son hostel re-
isa à la brigade dessus dicte, mesmes à celuv
que bien savoit qui plus l'amoit que tout le
monde, et fut si mal courtoise qu'onjcques
vers eulx ne se monstra. Elle demanda à ses
i^ens, quand ilz furent vers elle retournez de
aire leur message , quelle chose avoit rt-*
spohdu le chevalier. L'un luy dist : « Mada-
me, il le fist bien court : trop bien dist il
qui menoit ses gens en ung lieu en sus d'icy
où l'on leur feroit tout recueil et meilleure
chère. >> Elle pensa tantost ce qui estoit et
dist en soy mesmes: « Ha ! il s'en est allé à
l'ostel d'une telle, qui, conune bien sçaj, ne le
voit pas envis. Leens se tractera, je n'en
doubte point, quelque chose à mon préjudi-
ce. >> Et elle estant en ceste ymagmacion et
pensée, subitement le dur courage que tant
rigoreux avoit envers son serviteur porté
Nouvelle IIII*«1. 15 j
fut tout changé et altéré, et en trèscordial
pX bon vouloir transmué, dont envye pour
ceste heure fut cause et motif; conclusion
oncques ne fut tant rigoreuse que à ceste
heure trop plus ne soit doulce et désireuse
d'accorder à son serviteur tout ce qu'il voul-
droit requérir. Ainsi va la besoigne. Et doub-
lant que la dame où la brigade estoit ne
joyst de celuy que tant avoit traicté durement,
escripvit unes lettres de sa main à son servi-
teur, dont la plus part des lignes estoient de
son précieux sang escriptes^ qui contenoit en
effect que, tantost ces lettres veues, toutes
aultres choses mises arrière, il venist vers
elle avecques le porteur tout seul, et il seroit
si agréablement receu que oncques serviteur
ne tut plus content de sa dame qu'il seroit.
Et, en signe de plus grand vérité, mist dedans
la lettre ung djamant que bien cognoissoit.
Ce porteur, qui estoit seur, print la lettre et
vint trouver au lieu dessus dit le chevalier
auprès de son hostesse au souper et toute
l'assemblée. Tantost après grâces, le tira d'un
costé, et, en luy baillant la lettre, dist qu'il
ne feist semblant de rien , mais qu'il accom-
plist le contenu. Ces lettres veues, le bon
chevalier fut bien esbahy et encores plus
joyeux ; car combm qu'il eust conclu et aeli-
oeré de soy retirer de l'amour et accointance
de celle qui luy escripvoit, si n'estoit il pas si
converty que la chose que plus il desiroit ne
luy fust par ceste lettre permise. Il tira son
hostesse à part, et luy dist comment son mais-
154 ^^ Ce^t Nouvelles nouvelles.
tre le mandoit hastivement, et que force hij
estoit de partir tout à ceste heure , et monstroit
bien semblant que bien luy desplaisoit. Celle
3ui estoit auparavant la plus joyeuse , atten-
ant ce que tant avoit désiré, devint triste et
ennuyeuse , à peu de monstre. Il monte à che-
val et laisse ses compaignons léens, et avec
le porteur des lettres vient et arrive tantost
après mynu]rt à l'ostel de sa dame, de laquelle
le mary estoit naguères retourné de court et
s'apprestoit pour s'en aller coucher, dont
Dieu scet en quel point en estoit celle qui son
serviteur avoit mandé quérir par ces lettres.
Ce bon chevalier, qui tout le jour avoit culetté
la selle , tant en la queste des lièvres comme
pour auerir lo^s, sceut à la porte que le mary
de sa aame estoit arrivé, dont il fvx aussi joyeux
que vous povez penser. Si demanda à sa guide
qu'il estoit de faire ? Si advisèrent ensemble
qu'il feroit semblant de soy estre esgaré de ses
compaignons, et que de i>onne adventure il
avoit trouvé ceste guide qui léens l'avoit
adressé. Comme il fut dit il fut fait, en la
maie heure , et vint trouver monseigneur et
madame , et fist son personnage ainsi qu'il
sceut. Après boire une foiz , qui pou de bien
luy fist, on le mena en sa chambre pour cou-
cher, où guères ne dormit la nuyt, et lende-
main au matin avec son hoste à la court re-
tourna sans riens accomplir du contenu de la
lettre dessus dicte. Et vous dy que là ne à
l'aultre oncques puis ne retourna, car tost après
la court se partit du pais, et il suyvit le train ,
I
i
Nouvelle IIII«II. 155
et tout ht mis en non challoir et oubly, comme
souvent advient.
LA IIII«IIe NOUVELLE.
PAR MONSEIGNEUR DE LAUNOY.
r escoutez, s'il vous plaist, qu'il
advint en nostre chastellenie de
Lisie, d'un bergier des champs et
_ d'une jeune pastorelle qui ensemble
ou assez près l'un de l'autre gardoient leurs
brebiz. Marché se porta entre eulx deux, une
foif entre les aultres, à la semonce de nature,
qui desjà les avoit élevez en eage de cognois-
tre que c'est de ce monde , que le bergier
monteroit sur la bergière pour veoir plus loing,
pourveu toutesfoiz qu'il ne l'embrocheroit néant
plus avant que le signe qu'elle mesme fist sur
son instrument naturel du bercier de sa main,
qui estoit environ deux doiz, la teste franche^
et estoit le signe fait d'une more noire qui
croist sur les hajes. Cela fait, ilz se mettent à
l'ouvrage de par Dieu, et bon bergier se fourre
dedens, comme s'il ne coutast rien , sans re-
garder mercque, ne signe, ne promesse qu'il
eust faicte à sa bergière, car tout ce qu'il avoit
ensevelit jusques au manche; et si plus en
«ust eu, il trouva lieu assez pour le loger. Et
la belle bergière, qui jamais ne Ait à telles
nopces, tant aise se trouva que jamais ne
ij6 Les Cent Nouvelles nouvelles.
youlsist faire aultre euvre. Les armes furent
achevées, et se tira tantost chacun vers ses
brebis, qui desjà s'estoient d'eulx fort esioi-
gnées, à cause de leur absence. Tout fut ras-
semblé et mis en bon train , et bon bergier,
pour passer temps comme il avoit de cous-
tume , se mist en contrepoix entre deux haloz
sur une.balochouère, et là s'esbatoit et estoit
plus aise que ung roy. La bergière se mist à
faire ung chapelet de florettes sur la rive d'un
fossé assez loicnet de la balochoère au ber-
gier, et regarooit tousjours , disant la chan-
sonnette jolye, pour veoir s'il reviendroit point
à la morse; mais c'estoit la maindre de ses
pensées. Et quand elle vit qu'il ne venoit point,
elle commence à hucher tant qu'elle peut :
« Hau ! Hacquin ! Hacquin 1 » Et il respond :
« Que veulx tu ? que veulx tu ? — ^Vien çà, vien
çà, dit elle, si feras. » Mais elle disoit tout
oultre; et Hacquin, qui en avoit son saoul,
luy respondit : « En nom Dieu, j'ay aussi cher
que je ne face néant que je face; je m'esbas
bien ainsi. » Et toute jour oalochoit. Et dame
bergière rehuche de plus belle : «Vien çà,
Hacquin, je te laisseray tout bouter plus avant,
sans faire mercque n'enseigne , ainsi que tu
vouldras. — Saint Jehan ! dit Hacquin , j'ay
passé le seing de la more, et bouté tout ens
|usques aux pennes; mais vous n'en arez plus
aussi maintenant. » Si se reprint Hacqum à
balocher, et laissa la berbère faire son cha-
pellet, à qui bien desplaisoit de ce qu'il la
laissoit oyseuse.
«■iWBH^P^^P^HHIli
Nouvelle IIII«III. ij7
♦
LA IIII«IIIe NOUVELLE.
PAR MONSEIGNEUR DE VAURIN.
omme il est de coustume par tous
pals que par les villes et villages
souvent s'espartent les religieux
mendians, tant de l'ordre des Ja-
cobins, Cordeliers, Carmes, et AugUstins,
pour prescher les vices, les vertuz exaulser et
loer, advint que, à Libers, bonne petite ville
en la conté d'Artoys, arriva ung carme du
couvent d'Arras, par ung dimenche matin,
ayant intencion d'y prescher, comme il fist
bien et dévotement et haultement ; car il es-
toit bon clerc et trèsbeau langagier. Tantdiz
que le curé disoit la grand messe, maistre
carme se pourmenoit , attendant que quel-
qu'ung le feist chanter pour gaigner deux pa-
tars ou trois gros; mais nul ne s'en avançoit.
Et ce voyant une ancienne damoiselle vefve,
à qui print pitié du pduvre religieux , luy fist
dire messe, et par son varlet bailler deux pa-
tars, et encores prier de disner. Et maistre
moyne happa cest argent, promectant de ve*
nir au disner, comme il fist tantost qu'il eut
Sresché et que la ^and messe de la parroiche
it finie. La damoiselle qui l'avoit fait chanter
et semondre au disner se partit de l'église ^
elle et sa chambrière, et vindrent à rostel
158 Les Cent Nouvelles nouvelles.
faire tout prest pour recevoir le prescheur, qui
en la conauicte d'un serviteur de la dicte da-
moiselle vint arriver à l'ostel , où il fut receu
bien honnestement; et, après les mains la-
vées, la damoiselle luy assigna sa place, et
elle se tint auprès de luy, et le varlet et la
chambrière se misrent à servir, et de prinsault
apportèrent la belle porée avecques beau lard,
et belles trippes de porc, et une langue de
beuf rostie. Dieu scet comment , tantost que
damp moyne vit la viande , il tire ung beau,
lonç et large cousteau, bien |renchant, (^u'il
avoit à sa cincture, tout en disant Benedicite,
et puis se mect en besoigne à la porée. Tout
premièrement qu'il eut despeschée, et le lard
aussi, sy prins cy mis, de là il se tire à ces
trippes belles et grasses, et fiert dedans com-
me ung loup dedans les brebis. Et avant que
la bonne, damoiselle son hostesse eust à moitié
mengé sa porée , il n'y avoit ne trippe ne trip-
pette dedans le plat. Si se prend à ceste lan-
gue de beuf , et de son coulteau bien trenchant
en deiifist tant de pièces qu'il n'en demoura
oncques lopin. La bonne damoiselle, qui tout
ce sans mot dire regardoit, souvent regardoit
l'oeil sur son varlet et sa chambrière, et eulx,
en soubzriant tout doulcement, pareillement la
regardoient. Elle fist apporter une pièce de bon
beuf salé et une belle pièce de mouton de bon
endroit, et mettre sur la table. Et bon moine,
qui n'avoit appétit nesq'un chien, s'apiertà la
pièce de beuf, et s'il avoit eu peu de pitié des
trippes et de la langue de beuf , encores çn
Nouvelle IIII"III. 159
eut il mains de mercy de ce beau beuf entre-
lardé. Son hostesse , qui erand plaisir prenoit
à le veoir menger, trop plus que le varlet et
la meschine , qui entre leurs dens le maudi-
soient, luy faisoit tousjours emplir sa tasse si
tost qu'elle estoit vuide. Et pensez qu'il des-
couvroit bien viande, et point n'espargnoit le
boire. Il avoit si grand naste de fournir son
pourpoint qu'il ne disoit mot, si pou non.
Quand la pièce de beuf fut comme toute men-
gée et despeschée , et plus part de celle de
mouton , de laauelle l'ostesse avoit ung tan-
tinet mengé , elle voyant que son hoste n'es-
toit encores saoul, nst signe à sa chambrière
((u'elie apportast ung gros jambon cuict du
jour devant pour la garnison de l'ostel. La
chambrière, tout maudisant le prestre qui tant
gourmandoit, fist le commendement de sa
maistresse, et mist le jambon sur la table. Et
bon moyne, sans demander qui vive, frappe
sus et le navra et affola ; car de prinsault il luy
trencha le jaret, et, ensuyvant le terminé pro-
pos, de tous pojns le desmembra, et n'y laissa
que les os. Qui adonc veist rire le varlet et la
meschine, il n'eust jamais eu les fièvres, car
il avoit desgarny tout l'ostel, et avoient grand
doubte qu'il ne les mangeast aussi. Pour abré-
ger, après tous les mets dessusdiz, la dame
nst mectre à la table ung très beau fromage
gras, et ung plat bien foumy de tartes, de
pommes, et de fromage, avecques la belle
pièce de beune frez, dont on ne rapporta si
petit non. Le disner fut fait ainsi qu'avez oy,
i6o Les Cent Nouvelles nouvelles.
et vint à dire grâces, que maistre prescheur
pronunça enflé comme ung ticquet , et en là
nn'il distà son hostesse: « Damoiselle, je
vous mercve de voz biens ; vous m'avez tenu
bien aise, la vostre mercy. Je prie à celuy qui
repeut cinq mille hommes de pains d'orge et
de deux poissons, dont après qu'ilz furent
saoulez de menger, demoura de relief xij. cor-
beilles, ^u'il le vous veille rendre. — Saint
Jehan, dist la meschine, ^ui s'avança de par-
ler, sire , vous en povez bien tant dire ; je croy
que, si vous eussez esté l'un de ceulx qui là
furent repeuz, qu'on n'en eust point rapporté
de relief, car vous eussez bien tout mangé , et
moy aussi se je y eusse esté. — Vrayement,
m'amye, dit le moyne, qui estoit ung garin
tout fait, je ne vous eusse point mengée,
mais je vous eusse bien embrochée et mise en
ros^, ainsi que vous pensez qu'on fait. » La
dame commença à rire , et si firent le varlet et
la chambrière , malgré au'ilz en eussent. Et
nostre moyne, qui avoit ta panse farcye, mer-
cya de rechef son hostesse, qui si bien l'avoit
repeu , et s'en alla en quelque aultre village
gaigner son soupper ; je ne scay s'il fut tel que
le disner.
^ÊÊ^m^
ii
I
Nouvelle IIII^IIII. i6i
LAIIII«IIIIe NOUVELLE.
PAR MONSEIGNEUR LE MARQUIS DE ROTHELIN.
andiz que quelqu'ung s'avancera de
dire quelque bon compte, j'en feray
ung petit qui ne vous tiendra guè-
res , mais il eft véritable et de nou-
vel advenu. J'avoie ung mareschal qui bien et
longuement m'avoit servy de son mestier; il
luy print volunté de soy marier; si le fut, et à
la plus devoiée femme qui fust, comme on di-
soit, en tout le pals. Et auand il cogneut que
par beau ne par lait il ne la povoit oster de sa
mauvaistié, il l'abandonna, et ne se tint plus
avec elle, mais la fuyoit comme tempeste;
car, s'il l'eust sceue en une place , jan>ais n'y
eusttiré, mais tousjours au contrafre. Quand
elle vit qu'il la fuyoit ainsi, et qu'elle n'avoit à
qui tencer ne monstrer sa devoiée manière, elle
se mist en la queste de luy et partout le suy-
voit. Dieu scet disant quelx motz ; et l'aultre
se taisoit et picquoit son chemin. Et elle tant
plusmontoit sur son chevalet, et disoit de
maulx et de malédictions à son pouvre mary,
plus que ung deable ne saroit faire à une ame
damnée. Un jour entre les aultres, voyant que
son mary ne respondoit mot à chose qu^elle pro-
posast , le suyvant par la rue, devant tout le
monde cryoit tant qu'elle povoit : « Vien-çà,
Cent Nouv, — 11. il
i62 Les Cent Nouvelles nouvelles.
traîstrel parle à moy; je suis à toy, je suis à
toy.)> Et mon mareschal, oui estoit devant, di-
soit à chacun mot qu'elle disoit : « J'en donne
ma part au deable , j'en donne ma part au
deable. » Et ainsi la mena tout du long de la
ville de Lille toujours cryant : «Je suis à
toy» ; et l'autre respondoit : « J'en donne ma
part au deable. » Tantost après, comme Dieu
voulut , ceste bonne femme mourut, et l'on de-
mandoit à mon marescbal s'il estoit fort cour-
roucié de la mort de sa femme^ et il disoit
(^ue jamais si grand eur ne luy vint, et que
SI Dieu luy eust donné ung souhait à choisir,
il eust demandé la mort de sa femme, « la-
quelle, disoit il, estoit tant maie et obstinée en
malice que, si je la savoye en paradis , je n'y
vouldroye jamais aller tant qu'elle y fust, car
impossible seroit que paix fust en nulle assem-
blée où elle fust. Mais je suis seur qu'elle est
en enfer, car oncques choses créée n'approucfaa
plus à faire la manière des deables qu'elle fai-
soit. )) Et puis on luy disoit : « Et vrayement il
vous fauit remarier et en querre une bonne,
paisible etpreude femme. — Maryer! disoit
U ; j'aymeroye mieulx me aller pendre au gibet
que jamais me rebouter ou dangier de trouver
enfer, que j'ay, la Dieu mercy, à ceste heure
passé. » Ainsi demoura et est encores; ne
sçay je qu'il fera.
Nouvelle m I«V. 16}
LA IIII«Ve NOUVELLE.
PAR MONSEIGNEUR DE SANTILLY.
epuis cent ans en çà ou environ,
es marches de France est advenu^
en une bonne paroisse , une joyeuse
adventure que je metlray ycy pour
croistre mon nombre , et pource qu'elle est
digne d'estre ou ren^ des aultres. En la-
dicte bonne ville avoit ung maryé, de qui
la femme estoit belle, doulce et gracieuse,
et avec tout ce trésamoureuse d'un seigneur
d'église, son propre curé et prochain voisin,
qui ne l'aimoit rien mains qu'elle iuy ; mais
de trouver la manière comment ilz se pour-
roient conjoindre bien amoureusement ensem-
ble &it difficile, combien qu'en la fin fîist trou-
vée, et par l'engin de la dame, en la fasson
que je vous diray. Le bon mary orfèvre es-
toit, tant allumé et ardent en convoitise qu'il
ne dormoit heure ne bon somme pour labou-
rer. Chacun jour sejlevoit une heure ou deux
devant jour, et laissoit sa femme prendre la
longue crastine jusques à viij. ou à ix. heu-
res, ou si longuement qu'il Iuy piaisoit. Ceiste
bonne et entière amoureuse, voyant son mary
chacun jour continuer la diUgence et entente
de soy lever pour ouvrer et marteler, s'advisa
qu'elle employroit avecques son curé le temps
164 Les Cent Nouvelles nouvelles.
qu'elle estoit habandonnée de son mary , et (jue
à telle heure son dît amoureux la pourroit visi-
ter sans le sceu de son dit mary, car la maison
du curé tenoit à la sienne sans moyen. 'La
bonne manière fut descouverte et mise en ter-
mes à nostre curé, qui la prisa trèsbien, et luy
sembla bien que trèsaisément le feroit et secrè-
tement. Ainsi doncques que la façon fut trou-
vée et mise en termes, tout ainsi fut elle exé-
cutée, et le plustost que les amans purent, et
la continuèrent par aucun temps qui dura assez
longuement. Mais comme fortune, envyeuse
peut estre de leur bien et doubc passetemps ,
le vouloit, leur cas fut descouvert maleureuse-
ment en la manière que vous orrez. Cest or-
fèvre avoit ung serviteur, qui estoit amoureux
et jaloux trèsgrandement de sa dame ; et pource
que trèssubtilement avoit perceu nostre mais-
tre curé parler à sa dame, il se doubtoit très-
fort de ce qui estoit. Mais la manière comment
ce povoit faire, il ne le pou voit ymaginer, si
n'estoit que le curé viensist à Pheure qu'il for-
geoit au plus fort avec son maistre. Geste
ymaginacion luihurtatant à la teste qu'il fist lé
guet et se mist aux escoutes pour savoir la
vérité de ce qu'il ignoroit. Il rist si bon guet
qu'il perceut et eut vraye expérience du fait;
car, une matinée , il vit le curé venir tantost
après que l'orfèvre fut vuidé de sa chambre,
et y entrer, puis fermer l'huys. Quand il fut
bien asseur que sa suspicion estoit vraye, il
se descouvrit à son maistre, et luy dist en ceste
manière : « Mon maistre, je vous sers, de vostre
dÊm
. Nouvelle IIïI«V. 165
grâce, non pas seulement pour gainer vostre
argent, menger vostre pam , et faire bien et
loyalement vostre besoigne, mais aussi pour
garder vostre honneur et vostre dommage em-
pescher ; et si aultrement faisoie, digne ne se-
roye d'estre vostre serviteur. J'ayeudèspiejà
suspicion que nostre curé vousfeist desplaisir,
et le vous ay celé jusques ore que j'en ay eu
la vraye expérience ; et affin que vous ne cui-
dez que je vous veille en vain tromper, je
vous prie que nous allions en vostre chambre,
et sçay que l'on l'y trouvera maintenant.
Quand le bon homme oyt ces nouvelles, il se
tint trèsbien de rire, et fiit content de visiter
sa chambre en la compaignie de son varlet,
qui luy fist promectre qu'il ne tueroit point le
curé, car aultrement ne luy vouloitpomt tenir
compaignie, mais trop bien vouloit qu'il fust
bien puny. Hz montèrent en la chambre, qui
fut tantost ouverte ; et le mary entra le pre-
mier, et vit que monseigneur le curé tenoit sa
femme entre ses braz et forgeoit ainsi qu'il
povoit ; si s'escrya disant : « A mort , à mort ,
ribauld ! Qui vous a cy bouté ? » Qui fut adonc-
ques bien esbahy , ce fut maistre curé , et de-
manda mercy . « Ne sonnez mot , ribauld pres-
tre , ou je vous tueray maintenant. — Ha !
mon voisin , pour Dieu mercy , dit le curé ,
faiçte de moi vostre bon plaisir. — Par l'a-
me de mon père , avant que vous m'eschap-
pez, je vous mettray en tel estât que ja-
mais n'arez volume de marteler sur enclume
femenine. Sus^ laissez vous manyer, si vous ne
ih.
i66 Les Cent Nouvelles nouvelles. ""
voulez morir. » Le pouvre maleureux se laissa
lyer par ses deux ennemis sur ung bancq , le
ventre dessus , et les deux jambes esraillées en
dehors du bancq. Si bien fut lyé qu'il ne povoit
rien mouvoir que la teste ; ]3uis fut porté ainsi
marescaucié en une petite maisonnette qui est oit
derrière Postel de rorfèvre , et estoit la place
où il fondoit.son argent. Quand il fut ou lieu
où Pon le vouloit avoir, l'orïlèvre envoya qué-
rir deux grands clouz à large teste, des quebc
il attacha au bancq les deux marteaulx qui
avoient en son absence forgé sur l'enclume de
sa femme, et puis le deslya de tous poins. Si
print après une poignée d'estrain, et en bouta
le feu en la maisonnette, et habandonna nos-
tre curé, et s'enfuyt en la rue crier au feu.
Quand le prestre se vit environné de feu, et
que remèaen'y avoit qu'il ne luy faillist perdre
les genitoires ou estre brullé , se lève et s'en-
court, et laisse sa bourse cloée. L'efFroj du
feu fut tantost élevé par toute la rue ; si ve-
noient les voisins pour l'estaindre. Mais nos-
tre curé les faisoit retourner, disant qu'il en
venoit, et que tout le dommage qui en povoit
advenir estoit jà advenu , et que aider plus
n'y pouvoient ; mais il ne leur disoit pas que
le dommage luy competoit. Ainsi fut le pouvre
amoureux curé salarié du service qu'il fist à
amours, par le moien de la faulse et traistresse
alousie du varlet, comme vous avez oy.
Nouvelle IIIÏ^VI.
167
LA IIIl«VIe NOUVELLE.
PAR MONSEIGNEUR PHILIPE VIGNIER, ESCUIER
DE LA CHAMBRE DE MONSEIGNEUR.
n la bonne ville de Rouen , puis peu
de temps en qk, ung jeune homme
print à mariage une tendre jeune
fille , aagée de xv ans ou environ.
Le jour de leur grand feste , c'est assavoir des
nopces, la mère de ceste fille, pour garder et
entretenir les cerimonies accoustumées en tel
jour, escoUa et introduisit la dame des nopces,
et luy aprint comment elle se devoit gouver-
ner pour la première nuyt avec son maiy. La
belle fille , à qui tardoit l'attente de la nuyt
dont elle recevoit la doctrine, mist grosse
peine et grand diligence de retenir la leczon
de sa bonne mère ; et luy sembloit bien que
quand l'heure seroit venue où elle devroit
mettre à exécution celle leczon, qu'elle en
feroit si bon devoir que son mary se loeroit
d'elle, et en seroit trèscontent. Les nopces.
furent honorablement faictes en grand solen-
nité, et vint la désirée nuyt; et tantost après
la feste faillye, que les jeunes gens furent re-
traiz et qu'ilz eurent pnns congié du sire des
nopces et de sa dame, la bonne mère, les
cousines , voisines et aultres privées femmes
prindrent nostre dame des nopces et la me-
i68 Les Cent Nouvelles nouvelles.
nèrent en la chambre où elle devoit .coucher
pour la nuyt avec son espousé, où elles la des-
armèrent de ses atours , joyaux , et la firent
coucher ainsi qu'il estoit de raison; puis luy
donnèrent bonne nuyt , l'une disant : « M'a-
mye, Dieu vous doint joye et plaisir de vostre
mary, et tellement vous gouverner avecques
luy que ce soit au salut de voz deux âmes. »
L'autre disoit: « M'amye, Dieu vous doint telle
paix et concordance avec vostre mary que
puissez faire euvre dont les sains cieulx soient
remplis. » Et ainsi chacune faisant sa prière
se partit. La mère, quidemoura laderrenière,
reduist à mémoire son escoliere sur la doc-
trine et leczon que aprinse luy avoit, luy
priant que penser y voulsist. Et la bonne fille,
qui, comme l'on dit communément, n'avoit
pas son cueur en sa chausse . respondit que
trésbonne souvenance avoit de tout , et que
bien l'a voit, Dieu mercy, retenu. « C'est bien
fait, dîst la mère; or je vous laisse et vous
recommende à la grâce de Dieu , luy priant
qu'il vous donne bonne adventure. Adieu,
belle fille. — Adieu , bonne et sage mère. »
Si tost que la maistresse de l'escole fut vuidée,
nostre mary, qui à l'huys n'attendoit aultre
chose, entra ens ; et la mère l'enferma et tira
l'huys, et luy pria qu'il se gouvemast sagement
avec sa fille. Il promist que aussi feroitil; et
si tost que l'huys fiit fermé, il, qui n'avoit que
son pourpoint en son dos, le rue jus et monte
sur le Ut, et se joina au plus près de sa dame
la lance au poing, et luy présente la bataille.
Nouvelle IIII«VI. 169
A Papproucher de la barrière oCi l'escarmouche
se de voit faire ^ la dame prend et empoigne
ceste lance droicte comme ung cornet de va-
chier; et tantost qu'elle la sent aussi dure et
de grosseur trèsbonne , s'escrye, disant que
son escu n'estoit assez puissant pour recevoir
les horions de si gros fust. Quelque devoir que
nostre mary peust faire , ne peut trouver la
manière d'estre receu à cest escu ne ceste
jouste ; la nuyt se passa sans rien besoigner,
qui despleut moult à nostre sire des nopces.
Mais au fort il print pacience , espérant recou-
vrer tout lanu^t prochaine, où il fut autant oy
que à la première^et ainsi à la troisiesme, qua-
triesme, et jusques à la quinziesme, où les ar-
mes furent accomplies, comme je vous diray.
Puandles xiij. jours furent passez que nozdeux
Jeunes gens sont mariez, combien qu'ilz n'eus-
sent encores ensemble tenu mesnage , la mère
vint visiter son escolière, et, après cent mille
devises qu'elles eurent ensemble, luy demanda
l'on de ce mary quel homme il estoit , et s'il
faisoit bien son devoir. Et la fille disoit qu'il
estoit trèsbon homme, doulx et paisiole.
« Voire mais, disoit la mère, fait ilbien ce
que l'on doit faire ? — Oy , disoit la fille ,
mais. . . — Quelz mais ? Il y a à dire en son fait,
dit la mère, je l'entends bien ; dictes le moy
et ne le me celez point. Est-il homme pour
accomplir le deu à quoy il est obligé par ma-
riage et dont je vous ay baillé la leczoh? »
La bonne fille fut tant pressée c^u'il luy convint
dire qve l'on n'avoit encores nen besoigné en
L.
ù-ia .. ..J./ -^
lyo Les Cent Nouvelles nouvelles.
son ouvrouer; mais elle taisoit qu'elle fust
cause de la dilacion , et que tousjours eust re-
Aisé la jouste. Quand la mère entendit ces
doloreuses nouveUes, Dieu scet quelle vie
elle mena , disant que par ses bons dieux elle
y mettroit remède et bref, et que tant avoit
ae bonne accointance de monseigneur l'ofR-
cial de Roen qu'il luy seroit amy et qu'il favo-
riseroit à son bon droit. « Or çà , ma fille ,
dist elle , il vous convient desmarier ; je ne
fais nulle doubte que je n'en trouve bien la
fasson ; et soiez seure que vous le serez ain-
çois qu'il soit deux jours de ceste heure , et
vous feray avoir aultre homme qui si paisible
ne vous lairra ; laissez moy faire. » Ceste bonne
femme , à demy hors du sens , vint compter
ce grand meschef à son mary, père de la fille
dont je fais mon compte, et luy dist bien
comment ilz avoient perdu leur fille , amenant
les raisons pour quoy et comment , et con-
cluant aux nns de la desmarier. Tant bien
compta sa cause que son mary tira de son
costé , et fut content que l'on feist citer nostre
nouveau maryé, qui ne savoitrien de ce qu'ainsi
on se plaignoit de luy sans cause. Toutesfoiz
il fut cité à personnellement comparoir à l'en-
contre de monseigneur le promoteur, à la re-
queste de sa femme , et par devant monsei-
gneur ^'officiai , pour quitter sa femme et luy
donner licence d'aultre part soy marier, ou
alléguer les causes et raisons pour quoy, en tant
de jours qu'il avoit esté avecelle, n'avoit mon-
stre qu'il estoit homme comme les aultres, et
^ lÀ ^i
m^^
Nouvelle nn«VI. 171
fait ce qu'il appartient aux mariez. Quand le
jour fut venu , les parties se présentèrent en
temps et lieu ; ils furent huchez à dire et plai-
doyer leur cause. La mère à la nouvelle ma-
riée commença à compter la cause de sa fille ,
et Dieu scet comment elle alleguoit les loiz
que Ton doit maintenir en mariage, lesquelles
.son gendre n'avoit accomplies ne d'elles usé;
pour quoy requeroit qu'il fust desjoinct de sa
fille, et de ceste heure mesme, sans faire long
procès. Le bon jeune homme fut bien esbahy
quand ainsi oyt blasmer ses armes; euères
n'attendit à respondre aux allégations de son
adversaire, et trèsfroidement et de manière
rassise compter son cas, et comment la femme
luy avoit tousjours fait refus quand il avoit
voulu faire le devoir. La mère, oyant ces res-
ponses, plus marrye que devant, combien
que à peine le vouloit elle croire , demanda à
sa fille s'il estoit vray ce que son mary avoit
respondu ; et elle dist : « Vrayement , mère ,
oy. — Ha ! maleureuse , dist la mère , com-
ment l'avez vous refusé? Que vous avojre
dit et monstre pluseurs foiz? Vous avoys je
baillé celle leczon ? » Lapouvre fille ne savoit
que dire , tant estoit honteuse et desplaisante.
« Toutesfoiz , dist la mère, je yeil savoir la
cause pour quoy vous avez fait le refus si
vous ne me voulez courousser mortellement ,
car je n'aray jamais bien , ou si saray pour
quoy et quelle raison vous n'avez voulu con-
sentir à vostre maiy. » La fille confessa tout,
et dist ouvertement en jugement que pource
172 Les Cent Nouvelles nouvelles.
(qu'elle avoit trouvée U lance de son champion
81 grosse, ne luy avoit osé bailler l'escu, doub-
tant qu'il ne. la tuast , comme elle encores en
doubtoit y et ne se vouloit desmouvoir de ceste
doubte, combien que sa mère luy disoit que
doubler ne craindre n'en devoit. Et après ce,
adressa sa parolle au juge en disant : « Mon-
seigneur Tofficial , vous avez oy la confession
de ma fille et les defences de mon gendre; je
vous prie , appoinctez sur le différent et ren**
dez vostre sentence diffinitive. » Monsei^eur
l'ofîficial, pour appoinctement, fist couvrir un
lit en sa maison , et ordonna par arrest aue
les deux mariez yroient coucher ensemble,
enjoignant à la mariée qu'elle empoignast
baudement le bourdon joustouer et le mist
ou lieu où il estoit ordonné. Et quand celle
sentence fut rendue > la mère dist: « Grand
mercy, monseigneur l'offîcial , vous avez très-
bien jugé. Or avant, ma fille , faictes ce que
vous devez faire, et gardez de venir à l'en-
contre de l'appoinctement de monseigneur
Fofficial; mettez la lance ou lieu où elle doit
estre. — Et je suis au fort contente, dist la
fille, de la mettre et bouter où il faut, mais
si elle y devoit pourrir, je ne l'en retireray
jà. » Ainsi se partirent de jugement, et allè-
rent mettre à exécution sans sergent la sen-
tence de monseigneur l'ofiicial, careulx me^mes
firent l'exécution. Et par ce moyen nostris
gendre vint à chef de sa jousterie, dont il
lut plutost tanné que celle qui n^y avoit voulu
entendre.
^"
Nouvelle Iin»VII. 17J
LA IIII«VIIe NOUVELLE.
PAR MONSIEUR LE VOYER.
u gent et plantureux pais de Hol->
lande avoit , n'a pas cent ans , ung
gentil chevalier logé en ung bel et
bon hostel où il y avoit une très-
belle jeune chambrière servant, de laquelle
trèsamoureux estoity et pour l'amour d'elle
tant avoit fait au fourrier du duc de Bourgoi-
gne, que cest hostel luy avoit délivré, affm de
mieulx pourchasser et conduire sa queste , et
venir aux fins et intencions où 11 entendoit et
où amours le faisoient enctiner. Quand il eut
esté environ cinq ou vj. jours en ceste hos-
telerie, luy survint par accident une maleu-
reuse adventure , car une maladie le print en
l'œil si grieve, qu'il ne le povoit tenir ouvert,
tant en estoit aspre la doleur. Et pour ce que
trèsfort doubtoit de le perdre, mesmement
que c'estoit le membre où il devoit plus de
guet et de soing, manda le cyrurgien ce mon*
seigneur le duc, qui pour ce temps en la ville
estoit. Et devez savoir que leait cyrurgien
estoit ung trèsgemil compaignon, le plus re-
nommé du pais , et le fist venir parier à luy.
Et sitost que maistre cyrurgien vit cest œil il
le jugea comme perdu , ainsi par adventure
174 Ls^ ^^^'T Nouvelles nouvelles.
Qu'ils sont coustumiers de juger des mala-
dies, affm que quand ilz les ont sanéez, ils en
emportent plus de prouffit et de loenge. Le
bon chevalier, à qui desplaisoit d'oyr telles
nouvelles, demandoit s'il y avoit nul remède
pour le garir ; et l'autre dfist que trèsdifficile
seroit, neantmoins il oseroit bien entreprendre
à garir avec l'ayde de Dieu , mais qu'on le
voulsist croire. « Si vous me voulez garir et
délivrer de ce mal sans la perte de mon œil ,
je vous donneray Bon vin , dit le chevalier. »
Le marché fut fait, et entreprint garir net
cest œil, Dieu avant, et ordonna les heures cju'il
viendroit chacun jour pour le mettre à point.
Or entendez que chacune foiz que nostre cy-
rurgien venoit visiter son malade , la belle
chambrière le compaignoit et tenoit tousjours
ou boitte ou palette , et aidoit à remuer le
pouvre patient , qui oublyoit la moitié de son
mal quand il sentoit la présence de sa dame.
Si ce bon chevalier estoit bien féru et avant
de ceste chambrière, si fut le cyrurgien, qui,
toutes les foiz qu'il venoit faire sa visitacion,
fichoit ses douk regards sur ce beau poly
viaire de ceste chambrière , et tant s'i ahurta
au'illuy déclara son cas, et eut trèsbonne au-
ience, car de prinsaut on \uj accorda et
passa ses doulces requestes; mais la manière
comment on pourroit actuellement et par eifect
mettre à exécution ses ardans désirs, l'on ne
la savoit comment trouver. Ortoutesfoiz, à
quelque peine qiie ce fut, la façon fut trouvée
par la prudence et subtilité du cyrurgien, qui,
g^^^^^l,
Nouvelle IIII«vn. 175
fut telle : oc Je donneray, dist il , à entendre à
monseigneur mon patient que son œil ne se
peut garir si n'est que son aultre œil soit ca-
ché, car l'usage qu'il a à regarder empesche
la garison de l'autre malade. S'il est content ,
dit il, qu'il soit Caché et bendé, ce nous sera
la plus convenable voye du monde pour pren-
dre nos déliez et plaisances, et mesmement
en sa chambre, anm que Ton y prenne mains
de suspicion. » La fille, qui avoit aussi grant
désir que le cyrurgien , prisa trèsbien ce con-
seil, ou cas que ainsi ce pourroit faire.» Nous
l'essayerons », dit le cyrurgien. Il vint à
l'heure accoustumée voir cest œil malade, et
quand il l'eut descouvert fist bien de l'esbahy :
« Comment ! dit il , je ne vis oncques tel mal ;
cest œil cy est plus lait qu'il y a xv. jours. Cer-
tainement , monseigneur, il sera bon mestier
que vous ayez pacience. — Comment ? dit le
chevalier. — Il fault que vostre bon œil soit
couvert et caché tellement qu'il n'ayt point de
lumière une heure ou environ après que je
aray assis l'emplastre et ordonné Vautre ; car
en venté il l'empesche à garir sans double.
Demandez , disoit il, à ceste belle fille qui l'a
veu chacun jour, comment il amende. » Et la
fille disoit qu'il estoit plus lait que paravant :
(( Qr çà , dit le chevalier, je vous haoandonne
tout ; faictes de moy tout ce qu'il vous plaist ;
je suis content de cligner tant que l'on voul-
dra , mais que garison s'ensuive. » Les deux
amans furent adonc bien Joyeux, quand ilz
virent que le chevalier tut content d'avoir
176 Les Cent Nouvelles nouvelles.
l'oeil caché. Quand il fut âppoincté et (ju'il
eut les yeulx bandez , maistre cymiigîen fainct
de partir comme il avoit de coustume , pro»
mectant de tantost revenir pour descouvrir
cest oeil. Il n'ala guères loing , car assez près
de son pacient, sur une couchei jecta sa dame,
et d'auitre planecte cju'il n'avoit remué son
chevalier visita les cloistres secrez de la cham-
beriere. Trois, quatre, cinq, six foiz maintint
ceste manière de faire envers ceste belle fille ,
sans ce que le chevalier s'en donnast garde ,
combien qu'il en oyst la tempeste, mais non
sachant que ce vouloit estfe, jusquesà six foiz
qu'il se doubta pour la continuacion; à la-
Quelle foiz, quand il oyt le tamburch et noise
aes combattans, esracha bandeaulx et emplas*
très, et rua tout au loin^, et vit les deux
amoureux qui se demenoient tellement l'un
contre l'autre qu'il sembloit qu'ilz deusseut
menger l'un l'autre, tant mettoient et join*
doient leurs dens ensemble. « Et qu'est ce là,
distil, maistre cyrurgien ? m'avez vous fait
jouer à la cligne musse pour me faire ce
desplaisir ? Doit estre mon oeil gary par ce
moîen ? Dictes, m'avez vous baillé de ce jeu ?
Et; par saint Jehan! je m'en doubtoie bien
oue j'estoie plus souvent visité pour l'amour
ae ma chambrière que pour mes beaulx yeubc.
Or, bien, bien, je suis en vostre dangier,
sii'e, et ne me pui& encore venger ; mais ung
jour viendra que je vous feray souvenir. » Le
cyrufgieti , qui estoit le plus gentil compai-
gnon et des aultres le meilleur homme, com-
j^fe^ÉMMaa^AalUÉiMM^^i^
Nouvelle IIII»VIII. 177
mença à rire , et firent la paix , et croy bien
aue tous deux , quand l'oeil fut gary, s'accor-
dèrent à besoigner par terme.
LA IlII^VIIIe NOUVELLE.
PAR ALARDIN. .
n une gente petite ville cy entour,
que je ne veil pas nommer , est n'a
guères advenu adventure dont je
vous foumiray une petite nouvelle.
Il y avoit ung bon, simple, rude paisant,
marié à une plaisant et assez gente femme ,
laquelle laissoit le boire et le menger pour
amer par amours. Le bon mary d'usage de-
mouroit trèssouvent aux champs, en une mai-
son qu'il y avoit, aucunesfoiz trois jours, au-
cunesfoiz quatre jours, aucunesfoiz plus, au-
cunesfoiz mains , ainsi qu'il luy venoit à plai-
sir, et laissoit sa femme prendre du bon temps
à la bonne ville, comme elle faisoit ; car afhn
qu'elle ne s'espantast, elle avoit toujours ung
homme qui gardoit la place du bon homme et
entretenoit son ouvrouer de paour que le rouil
ne s'i prenist. La règle de ceste bonne bour-
^oise estoit de attendre toutesfoiz son mary
jusques ad ce qu'on ne vojoit guères, et jus-
ques ad ce qu'elle se tenoit seure de son mary
q^'il ne retoumeroit point ne laissoit venir le
Cent Nouf, — II. 12
178 Les Cent Nouvelles nouvelles.
lieutenant, de paour que trompé ne feust. Elle
ne sceut mettre si bonne ordonnance en sa
veille ou règle accoustumée que trompée ne
fust ; car une foiz, ainsi que son mary avoit
demouré deux ou trois jours routiers, et pour
le quatriesme avoit attendu aussi tard qu'il
estoit possible avant la porte clorre de la
ville, cuidant que pour ce jour ne deust
point retourner, ferma l'huys et les fenestres
comme les aultres jours, et mist son amoureux
au logis, et commencèrent à boire d'autant et
faire grand chère. Guères n'avoient assis à
la table que nostre mary vint hucquer à l'huvs,
tout esbahi qu'il le trouva fermé. Et quana la
bonne dame l'oyt, fist sauver son amoureux
et le fist bouter soubz le lict , pour le plus
abréger, puis vint demander à Thuys qui avoit
hurté : «Ouvrez, ouvrez, distlemary. — Ha
mon mary, dit-elle, estes vous là? Je vous
devoye demain bien matin envoier ung mes-
sage et faire savoir que ne retoumissiez point.
— Comment ! auelle chose y a il .? dit le bon
mary. — Quelle chose? vrai Dieu de pa-
radis 1 dit elle ; helas ! les sergens ont esté
céans plus de deux heures et demye, pour
vous mener en prison. — En prison ! dit il ;
grand volume de mal faire ; ilz sembloit qu'ilz
voulsissent tuer quaresme. — Voire mais,
dîsoit nostre ami, ne vous ont ilz point dit
quelle chose ilz me vouloient? — Nenny, dit
Nouvelle IIII«Vin. 179
elle, fors que s'ilz vous tenoient, vous n'es-
chapperiez delà prison devant long temps. —
Ils ne me tiennent pas, Dieu mercy, encores!
A dieu , je m'en retourne. — Où yrez vous ?
dit elle, qui ne demandoit aultre chose. —
Dont je viens, dit il. — Je yray doncques
avec vous, dit -elle. — Non ferez; gardez
bien et gracieusement la maison, et ne dictes
point que j*ay icy esté. — Puisque vous vou-
lez retourner aux champs, hastez vous, dit
elle, avant que l'on. ferme la porte; il est jà
tard. — Quand elle seroit fermée, si feroit tant
le portier pour moy qu'il reouvriroit trèsvo-
luntiers. » A ces motz il se part, et quand il vint
à la porte, il la trouva fermée, et pour prière
qu'il sceust faire, le portiçrne lavoult ouvrir.
Il fut bien mal content de ce qu'il convenoit
qu'il retournast à sa maison, doubtant les ser-
gents; toutesfôiz falloit il qu'il y retournast,
s'il ne se vouloit coucher sur les rues. Il vint
arrière hurter à son huys, et la dame, qui
s'estoit reatellée avecques son amoureux, tut
plus esbahie que devant; elle sault sus, et
vint à l'huys toute esperdue , disant : « Mon
mary n'est point revenu, vous perdez temps.
— Ouvrez, ouvrez, m'amye, dit le bonhom-
me, ce suis-je. — Hellas! hélas! vous n'avez
point trouvé Ja porte ouverte. Je m'en doub-
toye bien, dit elle ; véritablement, je ne voy
remède en vostre fait c^ue ne soiez prins, car
les sergens me dirent, il m'en souvient main-
tenant, qu'ilz retoumeroientsurlanuyt. — Or
çày dist-ily il n'est mestier de long sermon;
i8o Les Cent Nouvelles nouvelles.
advisons qu'il est de faire. — Il vous faut mus-
ser quelque part ceans, dit elle, et si ne sçay
lieu ne retraict où vous puissez estre bien as-
seur. — Seroye je point bien , dit l'autre , en
nostre colombier ? qui me chasseroit là ? )> Et
elle^ qui fut moult joyeuse de ceste invencion
et expédient trouvé, feindant toutesfoiz, dist :
« Le iieu n'est grain honneste ; il y fait trop puant.
— Il ne me chault, dit-il; j'ayme mieulx me bou-
ter là pour une heure ou deux et estre sauvé,
que en aultre honeste lieu et estre trouvé. — Or
ça, dit elle, puis que vous avez ce ferme et bon
courage, je suis de vostre opinion que vous y
mussiez. »Ce vaillant homme monta en ce co-
lombier, qui sefermoit par dehors à clef, et se
fist illec enfermer, et pna sa femme que si les
sergens ne venoient tantost après, qu'elle le
mist dehors. Nostre bonne bourgoise haban-
donna son mary, et le laissa toute la nuyt ren-
couller avec les colons, à qui ne plaisoit guères,
et n'estoit de mot sonné ne huche ; tousjours
doubtoit ces sergens. Au point du jour, qui
estoit l'heure que l'amoureux se partoit du lo-
gis, ceste bonne femme vint hucner son mary
et luy ouvrit Thuys , qui demanda comment
on l'avoit là laissé si longuement tenir compa-
gnie aux colons. Et elle, qui estoit faicte à
reuvre, luy dist comment les sergens avoient
toute nuyt veillé autour de leur maison, et
que [)luseurs foiz avoit à eubc devisé, et qu'ilz
ne faisoient que partir , mais ilz avoient dit
qu'ilz viendroient à telle heure qu'ils le trou-
veroient. Le bon homme, bien esbahy quelle
Nouvelle IIII^^IX. i8i
chose ces sergens luy povoient vouloir, se
partit incontinent et retourne aux champs, pro-
mettant bien que de long temps ne reviendroit.
Et Dieu scet que la gouge le print bien en
gré, combien qu'elle s'en monstrast dolo-
reuse. Et par tel moien elle se donna meilleur
temps que devant, car elle n'avoit quelque
soing du retour de son mary.
LA IIII«IXe NOUVELLE.
PAR PONCELET.
n ung petit hamelet ou village de ce
monde, assez loing de la bonne ville,
est advenue une petite histoire qui
est digne de venir en l'audience de
vous, mes bons seigneurs. Ce village ou hamel-
let, ce m'est tout ung, estoit habité d'un mon-
celet de bons , rudes et simples paysans qui
ne savoient comment ilz dévoient vivre. Et si
bien rudes et non sachans estoient, leur curé
ne l'estoit pas une once mains, car luy mesme
failloit à cognoistre ce qui est nécessaire à
tous généralement, comme je vous en mons-
treray par l'expérience, par ce qui luy advint.
Vous devez savoir que ce prestre curé , com-
me je vous ay dit, avoit sa teste affulée de
simplesse siparfecte, qu'il ne savoit point an-
nuncer les festes des sains, qui viennent cha-
i82 Les Cent Nouvelles nouvelles.
cun an et à jour déterminé, la plus part,
comme chacun scet. Et quand ses parroissiens
demandoient quand la teste seroit, il fail-
loit à la coup de le dire. Entre aultres telles
faultes qui souvent ad venoient , en fist une qui ne
fut pas petite, car il laissa passer cinq sepmai-
nes du quaresme sans pomt Pannuncer à ses
parroissiens. Mais entendez comment il per-
ceut qu'il avoit failly. Le samedy qui çstoit la
nuyt de la blanche Pasque, que l'on dist Pas-
ques flories, luy vint volume d'aller à la bon-
ne ville pour aucune chose qu'il y besoignoit.
Quand il entra en la bonne ville , et qu'il che-
vauchoit parmi les rues, ilperceut que les pres-
tres faisoient provision de palmes et aultres
verdures , et veoit que au marché on les ven-
doit pour servir à la procession pour lende-
main. Qui fut bien esbahy, ce futmaistre curé,
combien que semblant n'en fist. Il vint aux
femmes qui vendoient ces palmes ouboyz , fai-
gnant que ce fust pour aultre chose n'estoit ve-
nu à la bonne ville, et puis hastivement monte
à cheval chargé de sa marchandise, et picque
en son village , et le plustost que possible luy
fut s'y trouva, et avant qu'il fust descendu de
son cheval rencontra aucuns de sesparroissiens
auxquelx il commenda que l'on aliast sonner
les cloches, et que chacun de ceste heure ve-
nist à l'église, oùilleur vouloit dire aucunes
choses nécessaires pour le salut de leurs âmes.
L'assemblée fut tantost faicte, et se trouva
chacun en l'église, où monseigneur le curé,
tout housé et esperonné, vint bien embesoi*-
Nouvelle IIII^IX. 185
Sné, Dieu le scet, et monta devant l'aultier, et
isr les motz qui s'ensuyvent : « Mes bonnes
gens, je vous signifie et vous faiz assavoir que
aujourd^uy a esté la veille de la feste et solem-
nité de Pasques flories , et de ce jour en huit
prochain vous arez la veille de la erand Pas-
que que Ton dit Pasques communiauTx. » Quand
ces bonnes gens oyrent ces nouvelles, com-
mencèrent à murmurer, et eulx esbahir très-
fort comment se povoit ce faire. « Ho , dist le
curé, je vous appaiseray tantost, et vous dirajr
vraies raisons pour quoy vous n'avez que viij
jours de quaresme à faire voz pénitences pour
ceste année ; et ne vous esmaiez jà de ce que
je vous diray, que le quaresme est ainsi venu
tard. Je tien qu'il n'y a celuy de vous qui ne
sache bien et soit recors comme ceste année
les froidures ont esté longues et aspres, mer-
veilleusement plus que oncques mais ; et long
temps a qu'il ne fist aussi périlleux et dange-
reux chevaucher comme il a fait tout l'yver,
pour les verglaz et neges qui ont longuement
duré. Chacun de vous scet ceci estre vray
comme l'euvangile , pour quoy ne vous don-
nez merveilles de la longue demeure de qua-
resme , mais émerveillez vous encores com-
ment il est peu venir, mesmement que le che-
min est si long jusques à sa maison. Si vous
prie que le veillez excuser, et luy mesme vous
en prie , car aujourdhuy j'ay disné avecgues
iuy. » Et leur nomma le heu, c'est assavoir la
ville où il avoist esté. « Et pourtant, dist-il,
disposez vous de venir ceste sepmaine à con-
i84 Les Cent Nouvelles nouvelles.
fesse, et de comparoir demain à la procession
comme il est de coustume céens. Et ayez pa^
cience ceste foiz ; l'année qui vient, si Dieu
plaist, sera plus doulce, par quoy il viendra
ainsi qu'il a chacun an d'usage. » Ainsi mon-
seigneur le curé trouva le moien d'excuser sa
simplesse et ignorance, et, en donnantla bene*
isson , descendit de sa predicacion, disant :
<f Priez Dieu pour moy et je le prieray pour
vous. » Et s'en alla à sa maison appoincter son
hojs et ses palmes, pour les faire le lende-
main servir à la procession.
LA XCe NOUVELLE.
PAR MONSEIGNEUR DE BEAUMONT.
our accroistre et amplier mon nom-
bre des nouvelles que j'ay promis
compter et descripre, j'en mon-
streray cy une dont la venue est
fresche. Ou gentil pays de Brabant, qui est
celuy du monde où les bonnes adventures
adviennent souvent , avoit ung bon et loyal
marchant duquel la femme estoit trèsfort ma-
lade^ en gisant, pour l'aigreur de son mal, con-
tinuellement sans habandonner son lit. Ce bon
homme, voyantsa bonne femme ainsi attaincte
et languissant , menoit la plus doloreuse vie
du monde , tant marry et desplaisant estoit
Nouvelle XC. 18$
qu'il ne povoit plus , et avoit grand doubte
que la mort ne l'en fist quicte» En ceste do^
leance persévérant, et doublant la per-dre, se
vint rendre aux piez d'elle et luy donnoit esr
perance de garison, et la reconfortoit au
mieulx qu'il povoit , l'amonnestant de penser
au sauvement de son ame. Et aprè& qu'il eut
aucun petit de temps devisé avec elle et fmé
ses amonnestemens et exortacions, luy cria
mercy, luy requérant que si aucune chose luy
avoit menait, qu'il luy fust pardonné par elle.
Entre les cas où il se sentoit l'avoir courrous-
sée, luy déclara comment il estoit bien recors
qu'il l'avoit troublée pluseurs foiz , et très-
souvent, de ce qu'il n'avoit besoigné sur son
hamois, que l'on peut appeller cuirasses,
toutes les foiz qu'elle eust bien voulu ; et
mesmes que bien le savoit , dont trèshumble-
ment luy requeroit cardon et mercy. Et la
couvre malade, ainsi qu'elle povoit parler,
luy pardonnoit les petiz cas et legiers ; mais
ce derrain ne pardonnoit-elle point voluntiers
sans savoir les raisons qui avoient meu et in-
duict son mary à non fourbir son hamois,
quand mesmes il savoit bien que c'estoit le
plaisir d'elle , et que aultre chose ne deman-
doit. « Comment! dit-il, voulez vous morir
sans pardonner à ceulx qui vous ont meffait ?
— Je suis contente , dist elle , de le pardon-
ner, mais je veil savoir qui vous a meu ; aul-
trement ne le pardonneray je jà. » Le bon
mary, pour trouver moien d'avoir pardon,
cuidant bien faire la besoigné, dist : « M'a-
i86 Les Cent Nouvelles nouvelles.
m je, vous savez que pluseurs foiz avez esté
malade et deshaitée, combien que non pas
tant que maintenant je vous voy ; et durant
la maladie je n'ay jamais osé présumer de
vous requerre de bataille , doubtant que pis
vous en fust ; et soyez toute seure que ce que
j'en ay fait , amour le m'a fait faire. — Taisez
vous, menteur que vous estes ; oncques ne fus
si malade ne si deshaitée pour quoy j'eusse
fait refus de combatre ; querez moy aultre
moien, si voulez avoir pardon , car cestuy cy
ne vous aidera ; et puis qu'il vous convient
tout dire , meschant et lasche bonhomme que
vous estes, et aultre ne fustes oncques, pen-
sez vous qu'en ce monde cy soit medicine qui
plus puisse aider ne susciter la maladie d'en-
tre nous femmes que la doulce et amoureuse
compaignie des hommes ? Me voiez vous bien
deffaicte et sechC par grefté de mal ? Aultre
chose ne m'est mestier que compaignie de
vous. — Ho! dit l'aultre, je vous gariray
prestement.» Il sault sur le lit, et besoigna le
mieulx qii'îl peut , et tantost qu'il eut rompu
deux lances , elle se lève et se mist sur ses
piez. Puis demye heure après alla par les
rues , et ses voismes , qui la cuidoient comme
morte, furent trèsesmerveillées jusques ad ce
qu'elle leur dist par quelle voie elle estoit ra-
vivée, qui dirent tantost qu'il n'y avoit c^ue
ce seul remède. Ainsi le bon marchant aprmt
à garir sa femme , qui luy tourna à grand pré-
judice , car souvent se faindoit malade pour
recevoir la medicine.
■M
^
Nouvelle XCI.
^?87
•«T
LA XCIe NOUVELLE.
PAR L'ACTEUR.
insi que j'estoye n'a guères en la
conté de Flandres, en P'urie des
plus grosses villes du pays, ung
gentil compaignon me fist ung
joyeux compte d'un homme maryé , de qui la
femme estoit tant luxurieuse et chaulde sur
potage et tant publicque , que à paine estôit
elle contente qu'on la cuignast en plaines rues
avant qu'elle ne le fust. Son mary savoit bien
que de telle condicion estoit, mais de subtilier
ne quérir remède pour luy donner empesche-
ment, il ne le savoit trouver, tant estoit à ce
joly mestier rusée. Il la menassoit de la batre,
de la laisser seule ou de la tuer ; mais querez
qui le face ! autant eust il proufété de menas-
ser ung chien enragé ou aultre beste. Elle se
pourchassoit à tous lez et ne demandoit que
nutin ; il y avoit peu d'hommes en toute la
contrée où elle repairoit pour estaindre une
petite estincelle de son grand feu ; et quicon-
ques la barguignoit , il l'avoit aussi bien à
créance que à argent sec , fiist l'homme vieil,
layt, bossu, contrefait ou d'aultre quelque
deffigurànce; bref, nui ne s'en alloit sans
denrée reporter. Le pouvre mary, voyant
i
t88 Les Cent Nouvelles nouvelles.
ceste vie continuer, et que grosses menasses
rien n'y prouffitoient , il s'advisa qu'il l'espan-
teroit par une voye et manière qu'il trouva.
Quand il la peut avoir seulle en sa maison , il
luy dist: « Or çà, Jehanne ou Betriz, ainsi
qu'il l'appelloit , je voy bien que vous estes
obstinée en vostre meschante vie , et que , à
quelque menasse ou punicion que je vous face,
vous n'en comptez non plus que si je me taisoie.
— Helâis ! mon mary, dit elle, en vérité, j'en
suis plus courroussée que vous n'estes, et trop
plus me desplaist ; mais je n'y puis remède
mettre, car je suis tellement née soubz telle
estoille pour estre preste et servant aux hom-
mes. — Voire dya , dist le mary, y estes vous
destinée ? Sur ma foy, j'ay bon remède et has-
tif. — Vous me tuerez , dit elle , aultre n'y a.
— Laissez moy faire, dist il, je sçay mieulx
beaucop. — Et quel , dit elle, que je le sache ?
— Par la mort bieu , dist il, je vous hocheray
tant ung jour que je vous bouteray ung quar-
teron d'enfans ou ventre , et puis je vous ha-
bandonneray, et les vous lairray seulle nour-
rir. — Vous! dit elle; mais où prins? Vous
n'avez pour commencer ; telles menasses m'es-
pantent pou, je ne vous crain. Touchez cela ;
si j'en dèsmarche, je veil qu'on me tonde en
croix ; et s'il vous semble que vous ayez puis-
sance, avancez vous, et commencez tout
maintenant ; je suis preste pour livrer lemoulle.
— Au deable telle femme , dist le mary, qu'on
ne peut par quelque voye corriger. » Il fut con-
tramt de la laisser passer sa destinée ; trop
r
Nouvelle XCII. i8$
plustost se fust ecervelé et rompu la teste
pour la reprendre que iuj[ faire tenir le der-
rière coy, pour quoy la laissa courre comme
une lisse entre deux douzaines de chiens, et
accomplir tous ses vouloirs et desordonnez
désirs.
LA XCIIe NOUVELLE.
PAR l'acteur.
n la bonne cité de Mix, en Lor-
raine, avoit puis certain temps en
çà une bonne bourgoise maryée
qui estoit tout oultre de la confrarie
de la houlette ; et rien ne faisoit plus voluntiers
que ce joly esbatement que chacun scet ; et où
elle povoit desploier ses armes, elle se mons-
troit vaillant et pou redoubtant horions. Or,
entendez quelle chose luy advint en exercent
son mestier : elle estoit fort amoureuse d'un
gros chanoine qui avoit plus d'argent que ung
vjpil chien n'a de puces ; mais pour ce qu'il
dèmouroit en lieu où les gensestoient à toutes
heures, comme on diroît à une gueule baée ou
place publicque, elle ne savoit comment se
trouver avec son chanoine. Tant subtilia et
pensa à sa besoigne , qu'elle s'avisa qu'elle
se descouvreroit à une sienne voisine q^ui es-
toit sa seur d'armes touchant le mestier et
k
i5K> Les Cent Nouvelles nouvelles.
usançe de la houlette ; et luy sembla qu'elle
pourroit aller veoir son chanoine accompai-
gnée de sa voisine, sans qu'on y pensast nui
mal ou suspeçonnast. Ainsi qu'elle advisa, ainsi
fist elle ; et comme si pour une grosse matère
fiist allée devers monseigneur le chanoine ,
ainsi honorablement et gravement y alla elle
accompaignée comme dit est. Pour estre bref,
incontment que noz bourgoises furent arri-
vées, après toutes salutacions, ce fut la prin-
cipale qui s'encloit avec son amoureux le cha-
noine, et fist tant qu'il luy bailla une mon-
teure, ainsi qu'il peut. La voisine, voyantl'au-
tre avoir l'audience et gouvernement du mais-
tre de léens, n'en eut pas peu d'envye, et luy
desplaisoit que l'on ne luy faisoit ainsi comme
à l'autre. Au vuider de la chambre, celle qui
avoit sa pitance dist : « Ça , voisine , en yrons-
nous i — Voire , dit l'autre , s'en va l'on ainsi ?
Si l'on ne me fait la courtoisie comme à vous,
par dieu, j'accusëray la compaignie et le mes-
nage ; je ne suis pas icy venue pour chaufer
la cire. » Quand l'on perceut sa bonne vo-
lume, on luy offrit le clerc de ce chanoine,
qui estoit ung fort et roidde galant, et homme
pour la trèsbien fournir; de quoy elle ne tin^^
compte , mais le refusa de tous poins , disant
que aussi bien vouloit-elle avoir le maistre que
l'autre, aultrement ne seroit-elle contente. Le
chanoine fut contraint, pour sauver son hon-
neur, de s'accorder. Quand ce fut fait, elle
voulut bien adonc dire à Dieu et se partir.
Mais l'autre ne le voulut pas, ains dist toute
É^iiÉi^flm^Mà
Nouvelle XCII. 191
courroussée que elle qui Tavoit amenée et ea-
toit celle pour qui rassemblée estoit faicte
devoit estre mieulx partie que l'autre, etqu'elle.
ne se partiroit point qu'elle n'eust ençores ung
picotin. Le chanoine fut bien esbahy quand il
entendit les nouvelles, et combien qu'il priast,
celle qui vouloit avoir le surcroiz , toutesfoiz.
ne se voult rendre contente. « Or ça, de par
Dieu, dist il, puisqu'il fault que ainsi seit, je
suis content , mais plus n'y revenez pour tel.
pris. » Quand les armes furent accomplies^, celle
damoiselle au surcroiz à dire adieu dist à son
chanoine qu'il leur falloit donner aucune chose
gracfeuse pour souvenance. Et sans se faire
trop importuner ne traveiller de requçstes, et
aussi pour estre délivré d'elles , il avoit ung
demourant de couvrechefz qu'il leur donna, et
la principale receut le don, et en remercyant
dirent adieu. « C'est, dist-il, ce que je vous
puis maintenant donner ; prenez chacune en
gré, je vous en prie. » Elles ne furent guères
loing allées, qu'en plaine rue la voisine qui
avoit eu sans plus un^ picotin dist à sa com-
paigne qu'elle vouloit avoir sa part de leur
don. « Et bien, dit l'autre, je suis contente ;
combien en voulez vous avoir ? — Fault-il
demander cela ? dit elle ; j'en doy avoir la moi-
tié et vous autant. — Comment osez vous
demander, dist l'autre, plus que vous n'avez
deservy ? Avez vous point de honte i Vous
savez que vous n'avez esté qu'une foiz avec-
Ques le chanoine, et moy deux foiz; et par-
aieu, ce n'est mie raison que vous soiez par-
192 Les Cent Nouvelles nouvelles.
tie aussi avant que moy. — Par dieu, j'en
aray autant que vous, dit l'autre; ay je pas
fait 'moff^ devoir aussi avant que vous? —
Comment l'entendez vous ? — N'est ce pas
autant d'une foiz que de deux f Et affjn que
vous coghoissez ma volume , sans tenir cy
halle de néant, je vous conseille c^ue me bail-
lez jna^ part justement de la moitié, ou vous
arez'îffcontinent hutin; me voulez vous ainsi
gouverner ? — Voire dya, dist sâ compaigne,
y> voule2«-vous procéder d'euvre de fait r Et
parla naissance Dieu, vous n'en arez fors ce
qui sera de raison, c'est assavoir des trois pars
l'une, et j'ârày le rémanent ; ay je pas eu plus
dé peine^'que vous ? )> Adonc l'auitre hausse
et ae bon poing charge sur le visage de sa
voisine, qui ne le tint pas longuement sans le
rendre , apellans l'une l'autre ribaulde. Bref,
elles s'entre bâtirent tant et de si bonne ma-
nière que à bien petit qu'elles ne s'entre-tuè-
rent ; et l'une appelloit l'autre ribaulde. Quand
les gens de la rue virent la bataille de ces
deux coitipaignes , qui peu de temps devant
avoient passé par la rue ensemble amoureu-
sement, furent tous esbahiz, et les vindrent
tenir et deffaire l'une de l'autre. Puis leurs
mariz furent huchez, qui vindrent tantost, et
chacun d'eux demandoit à sa femme la ma-
tère de leur différent. Chacune comptoit à son
plus beau ; et tant par leur faulx donner à en-
tendre, sans toutesfoiz toucher de ce pour
quoy la question estoit meue , les animèrent et
esmeurent l'ung contre l'autre, tellement qu'ilz
\
Nouvelle XCII. 19 j
se vouloient entretuer , si les sergens ne fus-
sent survenuz, qui les menèrent tous deux
refroider en belle prison. La justice fut à toute
diligence sollicitée de leurs amys pour leur
délivrance ; mais pour ce que le cas estoit venu
pour le débat des femmes , premier le conseil
voult savoir dont avoit procédé le fondement
de la question entre les deux femmes ; elles
furent mandées et contrainaes de confesser
que ce avoit esté pour faire parchon d'une
pièce de couvrechefs, et cetera. Les gens du
conseil, qui estoient bons et sages, voyans
que la cognoissance de ceste cause apparte-
noit au roy de bourdelois, tant pour les mé-
rites de la cause que pour ce que les femmes
estoient de ses subjectes, la renvoyèrent par-
devant luy. Et pendant le procès , les bons
mariz demourèrent en la pnson, attendans la
sentence diffinitive qui devoit estre rendue sur
l'avis des subjectsdu roy, qui, pour le nombre
infiny d'eubc, est taillée de demourer pendue
au clou.
Cent Nouv. — Il m
194 ^^ ^^^'^ Nouvelles nouvelles.
LA XCMIe NOUVELLE,
PAR MESSIRE TIMOLEON VIGNIER, GENTILHOMME
DE LA CHAMBRE DE MONSEIGNEUR.
antdiz que j'ay bonne audience, je
veîl compter ung gracieux compte
advenu au bon et gracieux pals de
Haynau. En ung gros village du pais
q^e j'ay nommé avoit une gente femme ma-
riée qui àmoit plus beaucop te clerc ou
coustre de Peglise parochial dont elle estoit
paroissienne que son mary ; et pour trouver
moîen de soy trouver avec son coustre , faîn-
dit à son mary qu'elle devoit ung pèlerinage
à quelque saint qui n'estoit pas loing d'illec,
comme d'une lieue ou environ, et que promis
luy avoit quant elle avoit esté en traveil, luy
pnant qu'il fiist content qu'elle y^ allast ung
)0ur qu'elle nomma, avec une sienne voisine
qui ce mesme jour y alloit. Le bon simple
toumeray je au disner, ainsi que le temps nous
aprendra; mais premièrement, dit elle, il
convient que j'aye une paire de bons sou-
liers. » Tout luy fut libéralement accordé; et
pource que le mary demouroit seul, il luy
Nouvelle XCIII. 195
dist qu'elle appoinctast son disner et soupper
tout ensemble, avant qu'elle se partist, aultre-
ment il yroit menger à la taverne. Elle fist
son commendement, car le jour de son parte-
ment se leva bien matin pour aller à la bou-
cherie, et appoincta unç bon poussin et une
pièce de mouton, et puis manda le cordoen-
nier qui luy chaussa ses souliers. Et quand
toutes ses preparacions furent faictes, dist à
son mary que tout estoit çrest, et qu'elle al-
loit quenr de l'eaue beneiste pour soy partir
après. Elle entre en l'église, et le premier
homme qu'elle trouva, ce fut celuy qu'elle
queroit, c'est assavoir son coustre, à qui elle
com{)ta ces nouvelles, comment elle avoit
congié 3'aller en pèlerinage, et cetera, pour
toute la journée. « Mais il y a àng cas, dit elle ;
je suis seure que si tost qu'il sentira que je
seray hors de l'ostel il s'en ira à la taverne,
et n'en retournera jusques au vespre bien
tard ; je le cognois tel : et pourtant j'ayme
mieulx demourer à l'ostel tantdiz qu'il n'y
sera point que aller hors. Et doncques vous
vous rendrez une demye heure entour de
nostre hostel, affin cjue je vous mecte ens
par derrière, s'il advient que mon mary n'y
soit point ; et s'il y est nous yrons faire nostre
pèlerinage.)) Elle vint à l'ostel, où elle trouva
encores son mary , dont elle ne fut pas trop
contente, qui luy dist : «Comment estes vous
cy encores r — Je m'en vois, dit elle, chausser
mes souUiers, et puis je ne tarderay guères que
je partiray.» Elle alla au cordoennier, et tant-
196 Les Cent Nouvelles nouvelles.
diz qu'elle faisoit chausser ses souliers, son
mary passe par devant l'ostel au cordoennier
avec ung auitre son voisin (jui alloit de cous-
tume à la taverne. Et combien qu'elle suppo-
sast q^ue, pource qu'il estoit acompaigné du
dit voisin , il s'en allast sur le bancq, toutes-
foiz si n'en avoit il nulle volunté , mais s'en
alloit sur le marché,. pour trouver encores ung
ou devat bons compaignons et les amener
disner avecques luy au commencement qu'il
avoit davantage,, c est assavoir ce poussin et
la pièce de mouton. Or nous lairrons ycy
nostre mary sécher compaignie, et retourne-
rons à celle qui chaussoit ses souliers, qui, si
tost que. chaussez furent, revint à l'ostel le
1>lu8 hastivement qu'elle peut, où ellt trouva
e gentil coustre qui faisoit la procession en-
tour de l'ostel, à oui elle dist : « Mon amy,
nous sommes les plus eureux du monde, car
i'ay veu mon mary qui va à la taverne \ j'en
SUIS seure, car il a ung sien goisson qu'il
maine par le bras, leauerne le lairra pas re-
tourner, quand il voulura; et pourtant don-
nons nous bon temps jusc}ue$ à la nuyt. J'ay
appoincté uns bon poussin et une beÛe pièce
de mouton, dont nous ferons goghettes. » Et
sans plus rien dire le mist ens, et laissa l'huis
de devant entrouvert, affin que les voisins ne
se doubtassent. Or retournons maintenant à
nostre mary^ qui a trouvé deux bons compai-
gnons, avec le premier dont j*ay parlé, les-
quelz il amaine pour desfaire ce poussin en
la compaignie de beau vin de Beaulne, ou
,^^j
Nouvelle XCIV. 197
aultre meilleur, s'il est possible d'en finer. A
l'arriver à sa maison, il entra le premier, où
incontinent qu'il fut entré il perceut noz
deux amans, quifaisoientungpou d'ouvrage.
Et quand il vit sa femme qui avoit les jambes
levées, il luy dist qu'elle n'avoit garde de
user ses souliers, et opie sans raison avoit tra-
veillé le cordoennier, puis qu'elle vouloit faire
son pèlerinage par telle manière. Il hucha ses
compaignons et dist : a Messeigneurs, regardes
commôit ma femme ayme mon prouiint ; de
p'aour qu'elle ne use ses beaulx neufs souliers,
elle chevauche sur son doz ; il ne l'a pas telle
qui veult. » U prend ung petit demourant de ce
poussin, et hij dist qu'elle parfist son pèleri-
nage; puis ferma l'huys et la laissa avec 60r
coustre, sans luy aultre chose dire; et s'^n
alla à la taverne, dont il ne fut pas tensé au
retourner, ne les aukres foiz quand il y alloit,
pource qu'il n'avoit rien ou pou parié de ce
pèlerinage que sa femme avoit fait à l'ostel.
LA XCIVe NOUVELLE.
5 marches de Picardie, ou diocèse
de Teroenne, avoit puis an et de-
my en çà, ou environ, ung gentil
curé demourant à la bonne ville,
qui faisoit du gorgias tout oultre. Il portoit
la robe courte, chausses tirées, à la fasson
de court ; tant gaillard estoit que l'on ne po-
198 Les Cent Nouvelles nouvelles.
voit plus, qui n'estoit pas pou d'esclandre
aux gens d'église. Le promoteur de Te-
roenne, qui telles manières de gens appel-
lent dyable, fut informé du gouvernement de
nostre gentil curé, et le fist citer pour le corri-
ger et luy faire muer ses meurs. Il comparut à
tout ses nabitz courts, comme s'il n'eust tenu
compte du promoteur, cuidant par aventure
que pour ses beaulx yeux on le deust délivrer;
mais ainsi n'advint. Quand il fut devant
monseigneur l'official, sa partie, le promo-
teur, lui compta salegende au long^ demanda,
par ses conclusions, que ses habiUemens et
aultres menues manières de faire luy fussent
défendues ; et avec ce, c^u'il fùst condemné en
certaine emende. Monseigneur l'official, voyant
à ses yeux que tel estoit nostre curé qu'on luy
baptisoit, luy fist les deffenses, sur les peines
du canon > que plus ne se desguisast en telle
manière qu'il avoit fait, et qu'il portast longues
robes et courts cheveux ; et avec ce, le con-
demna à paier une bonne somme d'argent. It
promist que ainsi feroit il, et que plus ne se-
roit cité pour telles choses. Il print congié au
promoteur et retourna à sa cure; si tost qu'il
tut venu, il fist hucher le drapier et le parmen-
tier, si fist tailler une robe qui luy traisnoit
f)lus de trois quartiers, disant au parmentier
es nouvelles de Teroenne , comment c'est
assavoir avoit esté reprins de porter courte
robe, et qu'on luy avoit chargé de la por-
ter longue. Il vestit ceste robbe longue et
laissa croistre sescheveulx de sa teste et de sa
\ ; 1.
Nouvelle XCîV. 199
barbe , et en cest estât servoh sa parroicbe ,
chantoit messe et faisoit les autres choses ap-
partenant à curé. Le promoteur fut arrière
adverty comment son curé se gouvemoit oultre
la régie et bonne et honeste conversacion des
personnes d'église, qui le fist citer comme
devant , et il y comparut es mesmes habitz
longs. « Qu'est cecy ? dist monseigneur l'offi-
cial quanoT il fut aevant luy ; il semble que
vous vous mocquez des statuz et ordonnances
de l'église ; voiez vous point comme les aul-
très prestres s'abillent ^ Si ne fiist pour l'hon-
neur de voz bons amys, je vous feroie afFu-
1er la prison de céans. — Comment, monsei-
gneur, distnostre curé, ne m'avez vous pas
chargé de porter longue robe et longs che-
veulx? Ne rays je pas ainsi que m'avez com-
mendé! N'est pas ceste robe assez longue,
mes cheveux sont ilz point longs ? Que vou-
lez vous que je face? — Je veil, dist monsei-
gneur l'oincial , que portez robe et cheveulx à
demy longs, ne trop ne pou; et pour ceste
Çrand faulte, je vous condemne à paier dix
hvres au promoteur, vingt blancs à la fabrice
de céans , et autant à monseigneur de Te-
roenne , à convertir à son aumosne » Nostre
curé fut bien esbahy , mais toutefois il faillit
qu'il passast par là. Il prend congé et revient
à sa maison, et pensa comment n s'àbilleroit
pour garder la sentence de monseigneur l'offi-
cial. Il manda le parmentier, à qui il fist tail-
ler une robe longue d'un costé, comme celle
200 Les Cent Nouvelles nouvelles.
dont nous avons. parlée et courte comme la
première de l'autre costé, puis se fist barbaier
du costé où la robe estoit courte ; et en ce
point alloit par les rues et faisoit son divin
office. Et combien qu'on lui dist que c'estoit
mal fait, . si n'en tenoit il toutesfoiz compte.
Le promoteur en fiitencorésadverty, et le fist
citer comme devant, (^and il comparut, Dieu
scet comment monseigneur l'official fut mal-
content; à peine qu'il ne saillit de son siège
hors du sens, quand il regardoitson curé estre
habillé en guise de mommeur. Si les aultres
deux foiz avoit esté bien rachassé, il le fut
encores mieuU à ççste foiz, et condemné en
belles et grosses amendes. Lors nostre bon
curé^ se voy^t ainsi déplumé d'amendes et
de condemnacions, dist ; « Monseigneur l'of-
ficial, il me semble, sauve vostre révérence,
3ue i'ay fait vostre commendement ; et enten-
ez moy, je vousdiray la raison. » Adoncques
il couvrit sa barbe Ipnguè de sa main qu'il es-
tandit suSj et dist : « Si vous voulez , je n'ay
point de barbe. » Puis mist sa main de l'aultre
costé, couvrant la partie tondue ou rase , et
dist : « Si vous voulez, longue barbe. Est ce
pas ce Que m'ayez commendé f » M.opseigneur
l'official, voyant que c'estbit ung virai trom-
Eeur^ et qu'il se trpn^jlt de luy, fist venir le
arbier et 1b par^entieri et devant tous les
assistons luy nst jfaire sa barbe et cheveulx,
et puis cou|)[>e;r sa Tobe de la longueur qu'il
estoit de besoingel.de r^son ; puis le renvoya
Nouvelle XCV. .. aai
^ sa cure, <^ it se nujnttnt et conduit haulte^
ment) gardant ceste dernière manière qu'il
avoit aprinse à la sueur de sa bourse^ j
LA XCVe NOUVELLE.
PAR PHILIPS DE LOAN.
amme il est assez de coustume.
Dieu mercy, aue en pluseurs reli-
gions y a de oons compaignons à
la pie et au jeu des bas instrumèns ,
à ce propos, naguères avoit en ung couvent
de Paris ung bon frère prescheur, qui entre
les autres ses voisines choisit une trèsbelle
femmelette jeune et en bon point, et mariée
assez nouvellement à ung bon compaifi;non.
Et devint maistre moyne amoureux d'elle , et
ne cessoit de penser et subtiiier voies et moiens
pour parvenir à ses attainctes, qui , à dire en
gros et en bref, estoient pour faire cela que
vous savez. Ores disoit : « Je feray ainsi », ores
çonciuoit aultrement. Tant de propos luv ve*
noient en la teste qu'il ne savoit sur lequel
s'arrester; trop bien disoit il que de langage
n'esloit point de abatre, « car elle est trop bonne
et tropseure; force est que , si je yeil parvenir
î qires fins, que par cautele et déception je U
^gne. )» Or escoqtez de quoy le larron s^ad*
visa, et comment fiauduleusement la pouvrci
202 Les Cent Nouvelles nouvelles.
beste il attrapa , et son desir trèsdeshonneste
3u'il proposa accomplir. li faindit ung jour
'avoir trèsgrand doleur en ung doy, celluy
d'emprès le poulce qui est le premier des qua-
tre en la main dextre ; et de fait le banda et
envelopa de draps linges, et le dora d'aucun
oignement trèsfort sentent. Et en ce point se
tint ung jour ou deux , tousjours se monstrant
aval son enlise devant la dessus dicte, et Dieu
scet s'il faisoit bien la dole. La simplette le
regardoit en pitié , et voyoit bien à sa conte-
nance Que çrand doleur le martiroit ; et pour
la grana pitié qu'elle en eut, luj demanda son
cas ; et le subtil regnard luy compta si très-
piteusement qu'il sembloit mieulx hors de son
sens que aultrement, tant sentoit grand doleur.
Ce jour se passa; et à lendemain, environ
l'Heure de véspres, que la bonne femme es-
toit à l'ostel seulette , ce patient la vient trou-
ver, ouvrant de soye, et emprès d'elle se met,
faisant si trèsbien le malade que nul ne l'eust
veu à ceste heure qui ne l'eust jugé en très-
grand danger. Or se viroit vers la fenestre,
maintenant vers la femme ; tant d'estranges
contenances il faisoit que vous fussez esbahy
et abusé à le veoir. Et la simplette, qui toute
pitié en avoit, à peine que les larmes ne luy
sailloient des yeulx , le confortoit au mieulx
qu'elle savoit : « Helas! frère Aubry, disoîl
elle, avez vous parlé aux medicins telz et
telz ? — Oy certes, m'amyc , disoit il , il n'y a
medkin ne cyrurgien en Paris qui n'ait veu
mon cas. — ^Et qu'en disent ils Psoutfirefez vous
k.MidtH
Nouvelle XCV< ao)
longuement ceste doleur ? — Helas ! oy, voire
encores plus la mort , si Dieu ne m'aide ; car
en mon tait n'a que ung remède, et j'aymeroie
à peine autant mourir que le déceler ; car il
est mains que bien honeste et tout estrangede
ma profession. — Comment ! dist la pouvrette,
et n'est ce pas mal fait et péché à vous d'ainsi
vous laisser passionner? Vous vous mettez en
dangier de perdre sens et entendement, ad ce
3ue je voy vostre doleur tant aspre. — Par
ieu, bien aspre et terrible est elle, dist frère
Aubry; mais quoy! Dieu le m'a envoie, loé
soit-il ; je aray pacience , et suis tout conforté
d'attendre la mort, car c'est le vray remède
de mon mal , voire excepté ung dont je vous
ay parlé, qui me gariroit tantost; mais quoy !
comme je vous ay dit , je n'oseroie dire quel
il est ; et quand ainsi seroit que je serois
forcé à déceler ce que c'est , je n'aroie le har*
dément ne le vouloir de le mectre à exécu-
tion. — Et par ma foy, dist la bonne femme,
frère Aubry, il me semble que vous avez tort
de tenir telz termes; et pour Dieu, dictes moy
qu'il faut pour vostre garison , et je vous as-
seure que je mettray peine et diligence à trou-
ver ce qui y sefvira. Pour Dieu, ne soiez cause
de vostre perdicion ; laissez vous aider et se-
courir. Or dictes moy que c'est, et vous ver-
rez se je vous aideray ; si feray par Dieu , et
me deust il couster plus que vous ne pensez.»
Damp moine, voyant la bonne volunté de sa
voisine, après ung grand tas d'excusances et
de refus que pour estre bref je trespasse, dist
i
204 ^^ Ckn'^ Nouvelles nouvelles.
à basse voix : « Puis qu'il vous plaist que je
le dye » je vous obeiray. Les medicins , tous
d'un accord, m'ont dit qu'en mon fait n'a
3ue ung seul remède y c'est de bouter mon
oy malade dedans le lieu secret d'une femne
nette et honeste, et le tenir là une bonne
pièce de temps, et après l'omgdre d'un oigne^
ment dont ilz m'ont baillé la reoepte. Vous
oez que c'est , et pource que je suis de ma
nature et propre coustume honteux, j'ay mieulx
amé endurer et seuffrir jusques cy les maubc
que j'ay porté ou'en rien dire à personne vi-
vant; vous seule savés mon cas, et malgré
moy. — Hola 1 hola 1 dist la bonne femme ^ je
ne vouis ay dit chose que je ne face ; je vous
veil aider à garir: je suis contente et jne plaist
bien pour vostre garison et santé , et vous os-
ter de la terrible angoisse qui vous tourmente.
Que je vous preste le lieu pour bouter vostre
ûojr malade. — Et Dieu le vous rende , da-
moiselle ! Je n'en eusse osé requérir vous ne
aultre ; mais puis qu'il vous plaist me secourir,
je ne seray jà cause de ma mort. Or nous
mettons donc, s'il vous plaist, en quelque
lieu secret que nul ne nous voye. — Il me
plaist bien » , dist eUe. Si le mena en une très-»
belle garderobe>et serra l'huys, et sur le lit se
mist ; et maistre moyne luy lève ses draps, et
en lieu du doy de la main bouta son perchant)
dur et roidde. Et à l'entrer qu'il fist , elle qui
le sentit si. trèsgros : «Comment ! dist elle, et
vostre doyi comment peut il estre si gros? je
n'Oy jamais parler du pardi.— En vérité, fist u^
Nouvelle XCVI. * io)
ce fait la maladie qui en ce point le m'a mis. —
Vous me comptez merveilles » , dit elle. Et
durant ces langages , maistre moyne accom*
plit ce pour quoy si bien avoit fait le malade.
Et celle qui sentit et cetera , demanda que
c'estoit ; et il respondit : « C'est le clou de
mon doy qui est effondré ; je suis comme gary,
ce me semble , Dieu mercy et la vostre. —
Et par ma foy, ce me plaist moult , ce dit la
dame, qui lors se leva ; $i vous n'estes bien
gary, si retournez toutesfoiz qu'il vous plaist :
Car pour vous oster de doleur, il n'est rien
que je ne face ; et ne soiez plus si honteux
que vous avez esté pour vostre santé recou-
vrer. »
LA XCVIe NOUVELLE.
r escoutez, s'il vous plaist, Qu'il ad-
vint l'aultrhier à ung simple riche
curé de village, qui par simplesse
fut à l'emende devers son evesque
en la somme de cinquante bons escuz d'or.
Ce bon curé avoit ung chien qu'il avoit nourry
de jeunesse et gardé, qui tous les aultres
chiens du païspassoit d'aller en l'eaue quérir le
vireton, ung chappeau si son maistre l'oblyoit
ou de fait apensé le laissoit quelque part.
Bref ,^ tout ce que bon et sage chien doit et scet
faire il estoit le passe route ; et à l'occasion
/
2o6 Les Cent Nouvelles nouvelles.
de ce, son maistre l'amoit tant, qu'il ne seroh
pas legier à compter combien il en estoit as-
solé. Advint toutesfoiz, je ne sçay par quel
cas , ou s'il eut trop chault ou trop troit , ou
s'ilmengea quelque chose qui mal luy fist, qu'il
devint trèsmalade, et de ce mal mourut, et de ce
siècle tout droit au paradis des chiens alla. Que
fist ce bon curé P II qui sa maison , c'est assa-
voir le presbitaire, dessus le cimitère avoit,
Suand il vit son chien de ce monde trespassé,
se pensa que une si sage et bonne beste ne
demourast sans sépulture; etpourtantilfistune
fosse assez près de l'huys de sa maison , qui
dessus l'aitre, comme dit est, respondoit, et là
l'enfouyt et sepultura. Je ne sçay pas s'il luy
fist ung marbre et par dessus engraver une
epythaphe, si m'entais. Ne demoura guères
que la mort du bon chien au curé fut par le
village et les lieux voisins annuncé , et tant
s'espandit Ique aux oreilles de l'evesque du
lieu parvint , ensemble de la sépulture saincte
que son maistre luy bailla ; si le manda vers
luy venir par une citation que ung cicaneur luy
apporta. « Helas ! dist le curé au cicaneur, et
que ay je fait , et qui m'a fait citer d'office i 2e
ne me sçay trop esbahir que la court me de-
mande. — Quand à moy, dit l'autre, je ne
sçay qu'il y a , si ce n'est pour tant que vous
avez enfouy vostre chien dedans lieu saint où
l'on mect les corps des chrestians. — Haf*ce
pensa le curé, c'est cela f » Or à primes luy vint
en teste qu'il avoit mal fait, et dist bien en.
soy mesmes qu'il passeroit par là , et que s'il
Nouvelle XCVI. 207
se laisse emprisonner qu'il sera escorché , car
monseigneur l'evesque, la Dieu mercy, est
le plus convoiteux prélat de ce royaume , et
si a gens entour de iu3r qui scevent faire ve-
nir Teaue au moulin, Dieu scet comment. « Or
bien force est que je la perde ; si vault mieulx
tost que tard.» Il vint à sa journée, et de plain
bout s'en alla devers monseigneur Tevesque,
qui tantost comme il le vit luy fist un^ grand
prologue pour la sépulture samcte cju'il avoit
fait bailler à son chien , et luy baptisa son cas
si merveilleusement qu'il sembloit que le curé
eust fait pis que regnier Dieu. Et après tout
son dire, il commenda que le curé fust mené
en la prison. Quand le curé vit qu'on le vou-
loit bouter en laboeste aux caillouz , il requist
qu'il fust oy, et monseigneur l'evesque luy
accorda. Et devez savoir que à ceste calonge
estoient foison de gens de grand fasson,
comme l'official, les promoteurs, les scribe,
notaires, advocatz et procureurs, qui tous
ensemble grand joye avoient du non accous-
tumé cas du pouvre curé, qui à son chien
avoit donné la terre saincte. Le curé en sa
défense et excuse parla en bref et dist : « En
vérité , monseigneur, si vous eussez autant
congneu mon bon chien, à qui Dieu pardoint,
comme j'ay, vous ne seriez pas tant esbahy
de la sépulture que je luy ai ordonnée comme
vous estes , car son pareil ne fut ne jamais
sera. » Et lors racompta balme de son fait :
u Et s'il fut bien bon et sage en son vivant ,
encores le fiit il autant ou plus à sa mort,
2o8 Les Cent Nouvelles nouvelles.
car il fist un trèsbe^u testament, et pour
ce qu'il savoit vostre nécessité et indigence,
il vous ordonna cinc|uante escuz d'or^ que
je vous apporte. >» Si les tira de son sein et
à l'evesque les bailla, qui les receutvolun*
tiers, et lors loa et approuva le sens du vail-
lant chien , ensemble son testament et la sé-
pulture qu'il luy bailla.
LA XCVIIe NOUVELLE.
PAR MONSEIGNEUR DE LAUNOY.
Iz estoient n'a guères une assem-
blée de bons compaignons faisans
bonne chère en la taverne , et bu-
vant d'autant et d'autel. Et quand
ilz eurent beu et roan^é, et fait si bonne chère
que jusques à loer Dieu et aussi usque ad hè-^
breos la plus part^ et qu'ilz eurent compté et
paie leur escot, les aucuns commencèrent à
dire : « Comment nous serons festoyés de noz
femmes, quand nous retournerons à l'ostell
Dieu scet que nous ne serons pas excommu-
niez : on parlera bien à noz barbes. — Nostre
dame ! dist l'un , je craing bien de m'y trou-
ver. — Ainsi m'aist Dieu , dit l'autre , aussi
fays je moy ; je suis tout seur d'oyr la passion.
Pleust à Dieu que ma femme fiist muette ! je
buroye trop plus hardiment que je ne faiz. n
«■■
Nouvelle XGVII. 209
Ainsi disoient trestous , fors l'un d'eulx qui
estait bon compaignon , qui leur alla dire :
« Et comment , beaulx seigneurs , vous estes
donc bien fort maleureux, qui avez chacun
femme qui ainsi vous reprend d'aller à la ta-
verne , et est tant mal contente que vous bu-
vez ? Par ma foy , Dieu mercy, la mienne n'est
pas telle ; car de boire que je face vous n'avez
garde qu'elle en parle ; mesmes, qui plus est ,
si je buvoie dix, voire cent foiz le jour, si n'est
ce pas assez à son gré ; bref, oncques je ne
beu qu'elle n'eust voulu que j'eusse plus beu
la moitié. Car quand je reviens de la taverne,
elle me souhaitte tousjours le demourant du
tonneau dedans le ventre , et le tonneau avec-
ques ; si n'esse pas signe que je boive assez
à son gré ? » Quand ses compaignons oyrent
ceste conclusion, ilz se prindrentà rire et loè-
rem beaucop son compte, et sur ce s'en al-
lèrent tous , chacun à sa chacune. Nostre bon
compai^on qui le compte avoit fait s'en
vint à rhostel , où il trouva Pou Paisible sa
femme toute preste à tanser, qui de si loing
qu'elle le vit commença la souffrance accous-
tumée; et de fait, comme elle souloit, luy
souhaitta le demourant du vin du tonneau de*
dans le ventre. « La vostre mercy , m'amye ,
dist il ; encores avez vous meilleure coustume
que les aultres femmes de ceste ville : elles
enragent de ce que leurs mariz boivent ne
tant ne quant , et vous , Dieu le vous rende ,
vouldriez bien que je beusse tousjours ou une
bonne foiz qui tousjours durast. — Je ne sçay,
Cent Nouv. — II. 14
210 Le3 Cent Nouvelles nouvelles.
dit elle , que je vouldroie , sinon que je prie
à Dieu que tant vous buvez ung jour que vous
puissez crever. » Comme ilz se devisoient
ainsi doulcement comme vous oez , le pot à
laporée, qui sur le feu estoit^ commence à
s'enfuyr par dessus, pource que trop aspre
feu avoit ; et le bon homme , voyant que sa
femme n'y mettoit point la main , luy dist :
« Et ne veez vous , dame , ce pot qui s'en
fuit ? n Et elle, qui encores rappaisée n'estoit,
luy respondit : « Sifaiz,sire, je le voy bien. —
Or le haulsez donc , Dieu vous mecte en mal
an ! — Si feray je, dist elle , je le haulseray,
je le mectz à xij. deniers. — Voire, dist il,
dame , est ce la response ? Haulsez ce pot, de
par Dieu ! — Et bien , dit elle , je le mectz à
vij. sols; est ce assez hault? — HenI hen!
dist il, et par saint Jehan! ce marché ne se
passera pas sans trois coups de baston. » Et
il choisit ung gros baston et en descharge de
toute sa force sur le doz de madamoiselle , en
disant : « Ce marché vous demoure. » Et elle
commence à cryer alarme , tant que les voi-
sins s'i assemblèrent , qui demandèrent que
c'estoit ; et le bon homme racompta Pystoire
comme elle alloit , dont ilz rirent trèsbien de
celle à qui le marché demoura.
Nouvelle XCVIII. 211
LA XCVIIIe NOUVELLE.
PAR l'acteur.
S metes et marches de France avoit
ung riche et puissant chevalier, no-
ble tant par l'ancienne noblesse de
ses prédécesseurs comme par pro-
pres nobles et vertueux faiz. De sa femme es-
pousée avoit une seule fille , trèsbelle et très-
adressée puceile, eagée de xvj. à xvij. ans ou
environ. Ce bon et noble chevalier, voyant
sa dicte fille avoir attaint à Péage habile et
ydoine pour estre allyée et conjoincte par ma-
riage , eut trèsgrande volunté de la donner à
ung chevalier son voysin, trèsriche, non tou-
tesfoiz noble de parentage comme de grosses
richesses et puissances temporelles ; avec ce
aussi, eagé de Ix. à quatre vingts ans ou envi-
ron. Ce vouloir rongea tant autour de la teste
du père dont j'ay parlé , que jamais ne cessa
jusques ad ce que les allyances et promesses
furent faictes entre luy et sa femme , mère de
la dicte pucelle , et le dit chevalier, touchant
le mariage de luy avec la dicte fille, qui des
assemblées , promesses et traicliez ne savoit
rien , et n'y pensoit aucunement. Assez pro-
chain de l'ostel d'iceluy chevalier père ae la
pucelle, avoit ung aultre jeune chevalier vail-
212 Les Cent Nouvelles nouvelles.
lant et riche moyennement , non pas tant de
beaucoç cojnme Vautre ancien dont j'ay parlé,
qui estoit trèsardent et fort embrasé de ramour
a'icelle pucelle. Et pareillement elle, pour la
vertueuse et noble renommée de luy, en estoit
trèsfort enlassée, et combien que à dangier
parlassent l'un à Pautre, car le père s'en doub-
toit et leur ostoit et rompoit le$ moyens et
voies qu'il povoit , toutesfoiz si ne les povoit
il forclorre de l'entière et trèsloyale amour
dont leurs deux cueurs estoient mutuellement
entreliez et embrasez. Et quand fortune leur
favorisoit tant que ensemble les faisoit devi-
ser, d'aultre chose ne tenoient leurs devises
que de pourpenser et adviser le moien par le-
quel leur souverain désir pourroit estre ac*
comply par légitime mariage* Or s'approucha
le temps que icelle pucelle deut estre donnée
à ce seigneur ancien , et le marché et traictié
luy fut par son père descouvert et assigné le
jour qu'elle devoit espouser, dont ne fut pas
pou courroussée ; mais elle se pensa qu'elle y
•mectroit remède. Elle envoya vers son très-^
chier amy le jeune chevalier; et luy manda
qu'il venist celéement le plus qu'il pourroit.
Et quand il fut venu, elle luy compta les al-
lyances faictes d'elle et de l'autre ancien che-
valier, demandant sur ce conseil de tout rom-
pre ^, car d'autre que de luy ne vouloit estre
espouse. Le chevalier luy respondit : « M'a-
mye trèschère, puisque vostre bonté se veult
tant humilier que de moy offrir ce que je n'o-
seroie requérir sans, trèsgrand vergoigne, je
Nouvelle XCVIII. 213
vous remercie; et, si vous voulez persévérer
en ceste bonne volume, je sçay que nous de-
vons faire. Nous prendrons et assignerons ung
jour en ceste ville bien acompaigné de mes
amys et serviteurs, et à certaine heure vous
rendrez en quelque lieu que me direz mainte-
nant où je vous troveray seule. Vous monte-
rez sur mon cheval et vous mainray en mon
chasteau; et puis, si nous povons appaiser
monseigneur vostre père et ma dame vostre
mère , nous procéderons à la consummacion
de noz promesses. » La pucelle dist que c'es-
toit bien advisé, et qu'elle savoit comment s'i
povoit convenablement conduire. Si luy dist
que tel jour et telle heure venist en tel heu où
il la trouveroit, et puis feroit tout bien ainsi
qu'il avoit advisé. Le jour de Passignacion
vint : si comparut ce bon jeune chevalier au
lieu où l'on luy avoit dit , et où il trouva sa
dame, qui monta derrière luy sur son cheval,
fmis picquèrent fort tant qu'ilz eurent éloigné
a place. Quand ilz se trouvèrent aucun petit
éloignez , ce bon chevalier, craignant qu'il ne
traveillast sa trèschière amye , rompit son le-
gier pas et fist espandre tous ses gens par di-
vers chemins pour veoir se quelque ung tes
suyvoit, et chevauchoit à travers cnamps sans
tenir voies ne sentiers le plus doulcement et
debonnairement qu'il povoit, et chargea à ses
gens qu'ilz se trouvassent ensemble tous à ung
gros village qu'il leur nomma , où il avoit in-
tencion de repaistre. Ce village estoit assez
estrangé de la voye commune des chevau-
214 Les Cent Nouvelles nouvelles.
cheurs et chemineurs; et tant chevauchèrent
les dits amans qu'ilz vindrent seuletz au dit
village, où la feste générale se faisoit, à la-
quelle y avoit gens de toutes sortes et grand
foison. Ilz entrèrent en la meilleur taverne de
tout le lieu , et incontinent; demandèrent à
boire et à menger, car il estoil tard après dis-
ner, et la pucelle estoit trèsfort traveillée. Hz
firent faire bon feu et trèsbien appoincter à
menger pour les gens du dit chevalier, qui
n'estoient encores venuz. Guères n'eurent esté
en leur hostellerie que veezcy venir quatre
gros charruyers ou bouviers plus villains en-
cores , et entrèrent baudement en cest hostel,
demandans rigoreusement où estoit la ribaul-
deile que ung ruffien naguères avoit amenée
derrière luy sur ung cheval, et qu'il failloit
qu'ilz bussent avec elle et à leur tour la gou-
verner. L'oste, qui estoit homme bien co-
gnoissant le dit chevalier, bien sachant que
ainsi n'estoit que les ribauldz disoient, leur
respondit gracieusement que telle n'estoit elle
(qu'ilz cuiooient. « Par cy, par là, dirent ilz,
SI vous ne la nous livrés incontinent, nous
abattrons les huys et l'enmerrons par force et
malgré vous deus. » ^uand le bon hoste en-
tendit et cogneut leur n^ueur, et que sa doulce
f)arolle ne luy prouffitoit point, il leur nomma
e nom du chevalier, lequel estoit trèsrenommé
es marches, mais pou co^eu des gens, à l'oc-
casion que tousjours avoit esté hors du pais,
acquérant honneur et renommée glorieuse es
guerres et voyages loingtains. Leur dist aussi
Nouvelle XCVIII. 21$
que la femme estoit une jeune pucelle parente
au dit chevalier, laquelle estoit née et yssue
de grand maison et noble parentage. « Helas!
messeigneurs, vous povez, dist il, sans dan*
gier de vous ne d'aultruy, estaindre et passer
voz chaleurs desordonnées avecques plusieurs
aultres qui, à l'occasion de la feste de ce vil7
lage , sont venues et arrivées, et pour aultre
chose non que pour vous et voz semblables.
Pour Dieu , laissez en paix ceste noble fille ,
et mettez devant voz yeulx les grands dan-
giers où vous boutez, et ne soiez jà si pre^
sumptueux de cuider que le chevalier la vous
laisse mener sans la défendre. Pensez, pensez
voz vouloirs desraisonnables et le grand mal
que vous voulez commectre à petite occasion.
— Cessez vostre sermon , dirent les loudiers,
tous alumez du feu de concupiscence char-
nelle, et donnez nous voye que la puissions
avoir; aultrement vous ferons honte et blasme,
car en publicque ycy nous Tamerrons, et cha-
cun de nous quatre en fera son bon plaisir. »
Les paroUes nnées, le bon hoste monta en la
chambre où le chevalier et la bonne pucelle
estoient, puis hucha à part le chevalier, à qui
il compta la volunté des quatre villains enra-
gez, lequel, quand il eut tout bien et con-
stamment entendu sans estre guères troublé,
descendit, gamy de son espée, parler aux quatre
ribaulx, leur demandant trèsdoulcement quelle
chose il leur plaisoit. Et ainsi , rudes et mal->
$ades qu'ilz estoient, respondirent qu'ilz vou-
loient avoir la ribauldelle qu'il tenoit fermée
2i6 Les Cent Nouvelles nouvelles.
en sa chambre , et cjue, si doulcement ne leur
bailloit , ilz luy tolliroient et raviroient à son
grand dommage. « Beaulx seigneurs, dist le
chevalier, si vous me cognoissiez bien , vous
ne me tiendriez pour tel qui maine par les
champs les femmes telles que vous nommez
ceste ; oncques ne feiz telle folie , la Dieu
mercy ; et quand la volume me seroit telle',
que Dieu ne veille ! jamais je ne le feroye es
marches dont je suis et tous les miens. Ma
noblesse et la netteté de mon courage ne
pourroient souffrir que ainsi me gouvernasse.
Ceste femme est une jeune pucelle, ma cou-
sine prochaine, yssue de noble maison; et je
vois pour esbatre et passer temps doulcement,
la menant avec moy, acompaigné de mes gens,
lesquelx, jasoit qu'ilzne soient cy presens, tou-
tesfois viendront ilz tantost, et je les attens;
et ne soiez jà si abusez en voz courages que
je me repute si lasche que je la laisse villan-
ner ne souffrir luy faire injure tant ne quant,
mais la defendray aussi avant et aussi longue-
ment que la vigueur de mon corps pourra du-
rer et jusques à la mort. » Avant que le che-
valier eust fine sa parolle, les vîllains plastriers
luy entrerompirent en nyant premier qu'il fust
celuy qu'il avoit nommé , pource qu'il estoit
seul , et le dit chevalier ne chevauchoit jamais
que en grand compaignie de gens. Pour quoy
luy conseillèrent qu'ilbaillast la dicte femme,
s'il estoit sage, ou aultrement luy tolliroient
par force, quelque chose qui s'en puist ensuyr.
Helas! quand le vaillant et courageux cheva*
wr
Nouvelle XCVIIL 217
lier perceut que doulceur n'avoit point lieu en
ses responces , et <jue rigueur et naulteur oc-
cupoient la place , il se ferma en son courage,
et résolut que les villains n'aroient jà la jois-
sance de la pucelle, ou il y mourroit en la de-
fendant. Pour faire fin, l'un de ces quatre
s'avança de ferir de son baston à l'huis de la
chambre , et les aultres le suyrent, qui furent
vaillamment reboutez du chevalier. Et ainsi se
commença la bataille, qui dura assez longue-
ment. Combien que les deux parties fussent
dispareilles, ce bon chevalier vainccjuit et re-
bouta les quatre ribaulx, et, ainsi qu'il les
poursuyvoit chassant pour en estre au dessus,
l'un d'iceubc, qui avoit ung glaive, se vira
subit et le darda en l'estomac du chevalier et
le percha de part en part, du quel cop incon-
tinent cheut tout mort, dont ilz furent très-
joieux. Ce fait, l'oste fut par eulx contraint
de l'enfouir et mettre en terre ou au jardin de
l'ostel, sans esclandre ne noise; aultrement
ilz le menassoient tuer. Quand le chevalier fut
mort, ilz vindrent hurter à la chambre où es-
toit la pucelle, à qui desplaisoit moult que son
amoureux tant demouroit , et boutèrent l'huis
oultre. Et si tost qu'elle vit les bourgois en-
trer, elle jugea tantost que le chevalier estoît
mort, disant : « Helas ! où est ma garde ? où est
mon seul refuge ^ Qu'est il devenu ? Dont vient
que ainsi me laisse seullette? )> Les ribaulx,
voyans qu'elle estoit ainsi troublée, la cuidè-
rent faulsement décevoir par doulces parolles,
en disant que le chevalier estoit en une mai-
2i8 Les Cent Nouvelles nouvelles.
son , et qu'il luy mandoit qu'elle y allast avec
eulx, et que plus seurement s'i pourroit garder;
mais riens n'en voult croire, car le cueur tous-
jours luy jugeoit qu'ilz l'avoient tué et mur-
dry. Si commença à soy dementer et crier plus
amèrement que devant. « Qu'est ce cy, dirent
ilz y, que tu nous faiz estran^e manière? Guides
tu que nous ne te cognoissions .^^ Si tu as sus-
peçon sur ton ruffien qu'il ne soit mort, tu n'es
pas abusée : nous en avons délivré le pais.
Pour quoy soies toute asseurée que nous qua-
tre arons chacun ta compaignie. » Et, à ces
motz, l'un d'eulx s'avance, qui la prent le
plus rudement du monde, disant qu'il aura sa
compaignie avant qu'elle luy eschappe , veille
ne daigne. Quand la pouvre pucelle se voit
ainsi efforcée ., et que la doulceur de son lan-
gage ne luy portoit point de prouffit, leur dist :
(( Helas! messêigneurs, puis que vostre mau-
vaise volume est ainsi tournée, et que humble
prière ne la peut adoulcir ne ploier, au mains
aiez en vous ceste honesteté que , puis qu'il
fault que à vous je soie abandonnée , ce soit
premièrement à l'un sans la présence de l'au-
tre. » Hz luy accordèrent, jasoit ce que très-
envys, et puis luy firent choisir pour eslire
celuy d'eulx quatre qui devoit demourer avec
elle. L'un d'eulx, leauel elle cuidoit estre le
plus begnin et doulx.de tous, elle eleut; mais
de tous estoit il le pire. La chambre fut fer-
mée, et tantost après la bonne pucelle se gecta
aux piez du ribaulx, en luy taisant pluseurs
piteuses remonstrances, luy priant qu'il eust
■^v
Nouvelle XCIX. 219
Î>itié d'elle. Mais tousjours persévérant en ma-
ignité, dist c^u'il feroit sa volume d'elle. Quand
elle le vit si dur et obstiné, et que sa prière
trèshumble ne vouloit exaulser, luy dist : « Or
çà, puis qu'il convient qu'il soit, je suis con-
tente ; mais je vous supply que cloiez les fe-
nestres, affin que nous soyons plus secrète-
ment. )) Il l'accorda bien envys, et, tantdiz
qu'il les cloyoit, la pucelle sacqa ung petit
Cousteau qu'elle avdit pendu à sa cincture , se
trencha la gorge et rendit l'ame. Et quand le
ribauld la vit couchée à terre morte , il s'en
fiiyt avecques ses compaignons. Et est à sup-
poser qu'ilz ont esté puniz selon l'exigence du
cas piteux. Ainsi finèrent leurs jours les deux
loyaux amoureux tantost l'un après l'autre,
sans percevoir rien du joieux plaisir où ilz
cuidoient ensemble vivre et durer tout leur
temps.
LA XCIXe NOUVELLE.
PAR l'acteur.
'il vous plaist, vous orrez, avant qu'il
soit plus tard, tout à ceste heure
ma petite râtelée et compte abrégé
d'un vaillant evesque d'Espaigne,
qui pour aucuns afferes du roy de Castille,
son maistre, ou temps de ceste histoire, s'en
alloit en court de Romme. Ce vaillant prélat,
\
220 Les Cent Nouvelles nouvelles.
dont j'entens fournir ceste derreniere nou-
velle, vint ung soir en une petite villette de
Lombardie ; et luy estant arrivé par ung ven-
dredy assez de bonne heure, vers le soir, or-
donna son maistre d'ostel le faire souper de
bonne heure, et le tenir le plus aise que faire
ce pourroit, de ce dont on pourroit recouvrer
en la ville ; car la mercy Dieu, quoy qu'il fust et
gros et gras, et ne se donnoit de traveil que
bien à point, si n'en jeunoit il journée. Son
maistre d'ostel, pour luy obéir, s'en alla au
marché^ et par toutes les poissonneries de la
ville pour trouver du poisson. Mais pour faire
le compte bref, il n'en peut oncques recou-
vrer d'un seul lopin, quelque diligence que
luy et son hoste en sceussent faire. D'adven-
ture, eubc s'en retournans à l'ostel sans pois-
son, trouvèrent ung bon homme des champs
oui avoit deux bonnes perdriz et ne deman-
doit que marchant. Si s'en pensa le maistre
d'ostel Que s'il en povoit avoir bon compte,
elles ne luy eschapperoient pas, et que bonnes
seroient pour dimenche, et que son maistre en
feroit grand feste. Il les acheta et en eut bon
pris. Il vint vers son maistre ses deux perdriz
en sa main, toutes vives, crasses, et bien re-
faiçtes, et luy compta l'echpse de poisson qui
estoit en la ville, dont il n'estoit pas trop
joyeulx. Et luy, dist : « Et que pourrons nous
soupper? — Monseigneur, respondit il, je
vous feray faire des oeufs en plus de cent mille
manières; vous aurez aussi des pommes et
des poires. Nostre hoste a aussi de bon fro-
j
Nouvelle XCIX. 221
mage et bien gras : nous vous tiendrons bien
aise. Ayez pacience pour meshuy, ung soup-
per est tantost passé ; vous serez demain plus
aise, si Dieu plaist. Nous yrons en la ville,
qui est trop mieulx empoissonnée cjue ceste
cy ; et Dimenche vous ne povez faillir d'estre
bien disné, car veezcy deux perdriz que j'ay
pourveues , qui sont à bon escient bonnes et
bien nourries. » Ce maistre evesque se fist bail-
ler ces perdriz, et les trouva telles qu'elles
estoient bonnes à bon escient ; si se pensa
qu'elles tiendroient à soupper la place du
poisson qu'il cuidoit avoir, dont il n'avoit
point ; car il n'en peut oncques trouver. Si les
fist tuer bien en haste , plumer , larder et
mettre en broche. Lors le maistre d'ostel,
voyant qu'il les vouloit rostir, fut esbahy et
dist à son maistre : <( Monseigneur, elles sont
bonnes tuées, mais les rostir maintenant pour
le Dimanche, il ne me semble pas bon. » Ledit
maistre d'ostel perdoit son temps, car, quel-
que diose qu'il sceut remonstrer, si ne la vou-
lut il croire : elles furent mises en broche et
rosties. Le bon prélat estoit la plus part du
temps qu'elles mirent à cuire tousjours pré-
sent, dont son maistre d'ostel ne se sçavoit
assez esbahir, et ne savoit pas bien l'appétit
desordonné de son maistre qu'il eust à ceste
heure de dévorer ces perdrix , ainçois cui-
doit qu'il le fist pour Dimenche les avoir plus
prestes au disner. Lors les fist ainsi habiller,
et quand elles furent prestes et rosties, la table
couverte et le vin aporté, oeufz en diverses
222 Les Cent Nouvelles nouvelles.
façons habillez et mis à point, si s'assit le pré-
lat, et le benedicite dit, demanda les perdris
avec de la moustarde. Son maistre d'ostel ,^
désirant savoir que son maistre vouloit faire
de ces perdriz, si les luy mist devant luy
toutes venantes de la broche, rendantes une
fumée aromaticque assez pour faire venir
l'eaue à la bouche d'ung friant. Et bon éves-
aue d'assaillir ces perdrix et desmembrer
d'entrée la meilleure qui y fust ; et commence
à trencher et menger , car tant avoit haste,
aue oncques ne donna loisir à son escuier qui
aevant luy tranchoit ^u'il eust mis son pain
ne ses cousteaux à point. Quand ce maistre
d'ostel vit son maistre s'attraper à ces per-
dris, il fust bien esbahy et ne se peut taire ne
tenir de luy dire : « Ha, monseigneur, que faic-
tes vous? Estes vous Juif ou Sarrazin, qui ne
gardez aultrement le vendredy ? Par ma foy,
je me donne grand merveille de vostre faict.
— Tais toy, tais toy, dist le bon prélat, qui
avoit toutes les mains grasses et la barbe aussi
de ces perdris ; tu es beste, et ne sçais que tu
dis. Je ne fays point de mal. Tu §çais etcon-
gnois bien que par parolles moy et tous les
aultres prestres faisons d'une hostie, qui n'est
que de bled et d'eaue , le précieux corps de
Jhesu-Crist; et ne puis je donc pas, par plus
forte raison, moy qui tant ay veu de choses
en court de Romme, et en tant de divers
lieux , savoir par paroles faire convertir ces
perdriz, qui est chair, en poisson, jasoit ce
qu'elles retiennent la forme de perdriz ? Si fais^
-e^^^mmr i 1 ■ ^ il UL
Nouvelle C. 22^
dya ; maintes journées sont passées que j'en
scay bien la pratiaue. Elles ne furent pas si
tost mises à la brocne que, par les parolles que
je sçay, je les charmé tellement que en sud-
stance de poisson se convertirent ; et en pour-
riez trestousqui estes icy menger, comme moy,
sans péché. Mais pour rymagination que vous
en pouriez prendre, elles ne vous feroient
jà bien; si en feray tout seul le meschief.» Le
maistre d'ostel et tous les autres de ses gens
commencèrent à rire, et firent semblant de
adjouster foy à la bourde de leur maistre, trop
subtilement fardée et colorée ; et en tindrent
depuis manière du bien de luy, et aussy main-
tesfoiz en divers lieux joyeusement le racomp-
tèrent.
LA Ce ET DERRENIÈRE NOUVELLE.
PAR PHILIPE DE LOAN.
n la bonne , puissant et bien peu-
plée cité de Jannes, puis certain
temps en çà, demouroit ung ^ros
marchant plain et comblé de biens
et de richesses , duquel l'industrie et manière
de vivre estoit de mener et conduire grosses
marchandises par la mer es estranges pais , et
spécialement en Alixandrie. Tant vacca et en-
tendit au gouvernement des navires, à entas-
ser thesaur et amonceler grandes richesses^
]
l
224 Les Cent Nouvelles nouvelles.
ue durant tout le temps, jusques à l'eage
e cincjuante ans , qu'il s'y adonna depuis sa
tendre jeunesse, ne luy vint volunté ne souve-
nance d'aultre chose faire. Et comme il fut
parvenu à l'eage dessus dicte , ainsi c^ue une
foiz pensoit sur son estât , voyant (ju'il avoit
despendu tous ses jours et ans à rien ^ aultre
chose faire que cuillir et accroislre sa richesse,
sans jamais avoir eu ung seul moment ou mi-
nute de temps ouquel sa nature luy eust
donné inclinacion pour penser ou induire à soy
marier, affm d'avoir generacion qui aux grans
biens qu'il avoit à grand diligence et grand
labour amassez et acquis luy succedast, et luy
après luy les possedast, conceut en son cou-
rage une aigre et trèspoingnant doleur ; et luy
despleut à merveilles que ainsi avoit exposé
et aespendu ses jeunes jours. En celle aigre
doleance et regretz demoura aucuns jours, pen-
dant lesquelx advint que en la cité dessus
nommée , les jeunes et petiz enfans , après
qu'ilz avoient solennizé aucune feste accous-
tumée entr'eulx par chacun an , habillez et
desguisez diversement et assez estran&ement ,
les ungs d'une manière , les aultres/ d'aultre,
se vindrent rendre en grant nombre en ung
lieu où les publicques et accoustumez esba-*
temens de la cité se faisoient communément ,
pour jouer en la présence de leurs pères, mè-
res et amys, affin d'en reporter gloire , renom-
mée et loange. A ceste assemblée comparât et
se trouva ce bon marchant, remply de fanta-
sies et de souciz ; et voyant les pères et les-
m/^mmmmmmmÊm^^mm^^^^^
Nouvelle C. 22s
' mères prendre grand plaisir à veoir enfans
jouer et .faire souplesses et apertises, aggrava
sa doleur qu'il par avant avoit de soy mesmes
conceu ; et en ce point , sans les povoir plus
adviser ne regarder, triste et pensif retourna
en sa maison , et seulet se rendit en sa cham-
bre, où il fut aucun temps faisant complainte
eh ceste manière: « Ha! pouvre'maleufeux"
veillart , tel que je suis et tousjours ay esté ,
de qui la fortune et destinée sont dures, amè-
res et mal goustables ! chetif homme /plus
que tous aultres recréant et las, par les veilles,
peines, labours et ententes que tu as prins et
porté tant par mer que par terre! Ta gran-
de richesse et tes comblés thesors sont bien
vains , lesquelx soubz périlleuses adventutes ,
en peines dures et sueurs, tu as amassé et
amoncelé, et pour lesquelx tout ton temps as .
despendu et usé , sans avoir oncques une petite
et passant souvenance de penser qui seracelùy
qui, toy mort etparty dece siècle, les possédera,,.
et à <\m par loy humaine les deyray la/^ser ej^ ,
mémoire de toy et de ton nom. Ha f meschant
courage , comment as tu - mis en non challoîr ]
ceà quoytu devois donner entente singu-
lière? Jamais ne t'a pieu mariage, fuyj'as
tousjours, craint et refusé , mesmement hîay et
mesprisé les bons et justes cpnseilz de ceulx !
cjui t'y ont voulu joindre affin que lu eusses
hgnée qui perpetuast ton nom , ta loai^e et
renommée. oien heureux sont les pères qui .
laissent à leurs successeurs bons, et sages en-
faîns ! Combien ay Je aujourd'huy regardé *et *
Cent Nom. — IL i S
226 Les Cent Nouvelles nouvelles.
perceu de pères estans aux jeuz de leurs en-
fans çiui se disoient trèseureux, et jugeroient
trèsbien avoir employé leurs ans si après
leurs décès leurs povoint laisser une petite
partie des grans biens que je possède. Mais
quel plaisir, quel soûlas puis je jamais avoir ?
i^uel nom , quelle renommée aray je après la
mort P Où est maintenant le filz qui maintien-
dra et fera mémoire de moy, après mon très-
pas P Beney soit ce saint mariayge par quoy la
mémoire et souvenance des pères est entre-
tenue, et dont leurs possessions et héritages
ont par leurs doulx enfans à étemelle perma-
nence et durée!» Quand ce bon marchant eust
longue espace à soy mesmes argué, subit
donna remède et solucion à ses argumens,
disant ces motz : « Or çà, il ne m'est désor-
mais mestier, obstant le nombre de mes ans,
tourmenter ne troubler de doleurs, d'angois-
ses ne de pensemens. Au fort, ce que j'ay fait
par cy devant prenne semblance et comparai-
son aux oyselletz qui font leurs nidz et prépa-
rent avant qu'ilz y pondent leurs œufz. J'ay,
la mercy Dieu, richesses suffisantes pour
moy, pour une femme et pour pluseurs en •
fans, s'il advient que j'en ye, et ne suis si
ancien, ne tant denoumy de puissance natu-
relle, aiie je me doye soucier ne perdre espé-
rance ae non pouvoir jamais avoir generacion.
Si me convieijt arrester et donner toute en-
tente, veiller et traveillier, advisant où je
troveray femme propice et convenable à moy. »
Ainsi son long procès finant^ vuidahors de sa
I*
Nouvelle C. 227
chambre , et fist vers luy venir deux de ses
bons soichons, mariniacs ccnnme luy, aus queix
il descouvrit son cas tout au plain , les priant
trèsaffectueusement qu^Mz luy vouisissent ai-
der à quérir et trouver femme pour luy , c^t
estoit la chose du monde que plus desiroit.
Les deux marchans , entendu le bon propos
de leur compaignon, le prisèrent et ioèrent
beaucop, et prindrent la charge de faire toute
diligence et inquisicion possible pour luy trou*-
ver femme. Et tantdiz que la diligence et
enqueste se faisoit, nostre marchant , tant es-
chaude de marier que plus ne povoit, faisoit
de l'amoureux, cherchant par toute la cité
entre les plus, belles la plus jeune , et d'aultres
netenoit compte. Tant chercha qu'il en troava
une telle qu'il la demandoit ; car de bonnes-
tes parens née, belle à merveilles , jeune de
XV ans ou environ > gente , doulce et trèsbien
adrecée estoit. Après qu'il eut congneu les
vertuz et doulces condicions d'elle, il eut telle
affection et désir qu'elle fiist dame de ses biens
par juste mariage , qu'il la demanda à ses pa-
rens et amys , lesquelx, après aucunes petites
difficultez qui guères ne durèrent , luy don-
nèrent et accordèrent. Et en la mesme heure
luy firent fiancer et donner caution et seureté
du douaire dont il la vouloit doer. Et si ce
bon marchant avoit prins grand plaisir en sa
marchandise, pendant le temps qu'il la me«
noit, encores Peut il plus grand quand il se
vit asseuré d'estre marié, et mesmement avec
feoNne telle que d'en povoir avoir de beaulx
228 Les Cent Nouvelles nouvelles.
et doulx enfans. La feste et solennité des
nopces fut honorablement en grand sumptuo-
shé faicte et célébrée ; la Quelle feste faillie ,
il, mettant en obly et non chaloir sa première
manière de vivre, c'est assavoir sur la mer,
fist trèsbonne chère et prenoit grand plaisir
avec sa belle et doulce femme. Mais le temps
ne luy dura guères que saoul et tanné en fût,
car la première année, avant qu'elle fut expi-
rée, pnnt desplaisance de demourer à l'ostelen
oysiveté et d'y tenir mesnage en la manière qu'il
convient à ceulx qui y sont liez, se oda et tanna,
ayant si grand regret à son aultre mestiér de
navyeur qu'il luy sembloit plus aysié et le^er
à maintenir que celuy qu'il avoit si voluntiers
entreprins à gouverner nuyt et jour. Aultre
chose ne faisoit que subtilier et penser com-
ment il se pourroit en Alixandrie trouver eh la
façon qu'il avoit accoustumée, et luy sembloit
bien qui n'estoit pas seulement difficiUe de soy
tenir ae navier, non hanter la mer, et l'aban-
donner de tous poins , mais aussi chose la plus
impossible de ce monde. Et combien aue sa
volunté fust plainement délibérée et résolue de
soy retraire et revenir à son dit premier mes-
tiér, toutesfoisle challoit il à sa femme, doub-
tant qu'el ne le print à desplaisir; avoit aussi
une crainte et doubte qui le destourboit et
donnoit empeschemeut à exécuter son désir,
car il cognoissoit la jeunesse du courage de
sa femme, et luy estoit bien advis que s'il s'ab-
sentoit, elle ne se pourroit contenir; consy*
deroit aussi la maabieté et variableté de cou-
wtm
Nouvelle C. '229
race femenin , et mesmement que les jeunes
gaians, luy présent , estoient coustumiers de
passer souvent devant son huys pour la veoir,
dont il supposoît qu'en son absence ilz la
pourroient de plus près visiter et par adven-
ture tenir son lieu. Et comme il eut esté par
longue espace poinct et aguillonné de ces dif-
ficultez et diverses ymaginacions , sans en
sonner mot , et qu'il congneut qu'il avoit jà
achevé et passé la plus part de ses ans, il
mist à non challoir et femme et mariage et
tout le demourant qu'il affiert au mesna^e ,
et aux argumenset disputacions qui luyavoient
troublé la teste donna brefve solucion , disant
en ceste manière : « Il m'est trop plus conve-
nable vivre que morir, et se je ne laisse et
abandonne mon mesnage en brefz jours , il
est tout certain que je ne puis longuement vi-
vre ne durer. Lairray je donc ceste belle et
doulce femme P Oy , je la lairray ; elle ait dores^
navant la cure et soing d'elle mesme, s'il
luy plaist, je n'en veil plus avoir la charge.
Helas! que feray je! Quel deshonneur, quel
desplaisir sera ce pour moy s'elle ne se con-
tient et garde chasteté. Ho ! il me yault mieulx
vivre que morir pour prendre soing pour la
§arder ; jà Dieu ne veille que pour le ventre
'une femme je prende si estroicte cure ne
soing ; aultre loyer ne salaire ne recevroye que
torment de corps et d'ame. Ostez moy ces ri-
gueurs et angoisses que pluseurs seuffrent
pour demourer avec leurs femmes ; il n'est
chose en ce monde plus cruelle ne plus gre-
2)o Les Cent Nouvelles nouvelles.
vant les personnes. Jà Dieu ne me laisse tant
vivre que pour quelque adventure qu'en mon
mariage puist sourdre , je m'&i courrousse ne
monstre triste. Je veil avoir maintenant liberté
et franchise de faire tout ce qui me vient k
plaisir. » Quand ce bon marchand eut donné
nn à ces trèslongues devises , il se trouva
avec ses compaignons navieurs, et leur dist
Qu'il vouloit encore une foiz visiter Alixan-
drie et charger marchandises, comme aul-
trefoiz et souvent avoient fait en sa compai-
gnie ; mais il ne leur déclara pas les trouoles
qu'il prenoit à l'occasion de son mariage. Hz
furent tantost d'accord et luy dirent qu'il se
feist prest, au premier bon vent qui sourven-
droit. Les navires et bateaulx furent chargez
et préparez pour partir et mis es lieux où il
failloit attendre vent propice et oportun pour
navyer. Ce bon marchant doncques, ferme et
tout arresté en son propos, comme le jour
précèdent, se trouva seul après souper avec
sa femine en sa chambre ; il luy descouvrit
son intencion et manière de son prochain
voyage, et faindant que trèsjoyeux lust, luy
dist ces parolles : « Ma trèschère espouse, que
j'ayme mieubc que ma vie, faictes, je vous
requier, bonne chère, et vous monstrez joyeuse,
et ne prenez ne desplaisance ne tristece en ce
que je vous veil déclarer. J'ay proposé de vi-
siter, se c'est le plaisir de Dieu, une foiz en-
core le pais d'Alixandrie, en la fasson que j'ay
de long temps accoustumée, et me semble
bien que n'en devez estre marrye, attendu
Nouvelle C. Vji
3ue vous congnoîssez que c'est ma manière
e vivre, mon art et mon mestîer, auquel
moien j'ay acquis Tîchesses, maisons, nom',
renommée, et trouvé grand nombre d'amys
et de familiarité. Les beaulx et riches veste-
ments, aneaulx, omemens,-et toutes les aultres
précieuses bagues dont vous este parée et or-
née plus que nulle auître de ceste cité, comme
bien savez , ai je achatez du gaing et avantage
3ue j'ayfait en mes marchandises. Ce voyage,
oncques, ne vous doit guères trinuyer, et ne
prenez jà desconfort , car le retour en sera
oref. Et je vous promectz que si à ceste foiz,
comme j^espoire, la fortune me donne eur,
plus jamais n'y veil aller, je y veil prendre
congé à ceste foiz. Il convient donc que pre-
nez maintenant courage bon et ferme; car je
vous laisse la disposidoh, administracion et
gouvernement de tous les biens que je possè-
de ; mais avant que je parte, je vous veil foire
aucunes requestes. Pour la première, je vous
prie que soiez joyeuse , tàntdiz que je feray
mon voyage, et vivez plaisamment, et si j'ay
quelque pou d'ymaginaciort que ainsi le facez,
j'en chemineray plus lyement. Pour la secon-
de, vous savez qu'entre nous deux rien ne doit
cstre tenu couvert ne celé, car honneur, prouf-
fit et renommée doivent estre, comme je tiens
qu'ilz sont, communs entre nous deux, et la
loange et honneur de l'un ne peut estre sans la
gloire de l'autre, néant plus que le deshoniieuî
de l'un ne peut estre sans la honte de tous
deux. Or je veil bien que vous entendez que je
2X2 Les Cent Nouvelles nouvelles.
ne suis si desfoumi ni despourveu de sens que
je ne pense bien comment je vous laisse jeune,
belle, douice , fresche et tendre , sans sôulas
d'homme, et que de plusieurs en mon absence
serez désirée. Combien que je cuide ferme-
ment .que ave^ maintenant nette pensée, çou-
.rage cbaste et honeste, toutesfoiz , oûand je
.cognois quelz sont vostre eage et l'inclinacion
de la secrète et mussée chaleur en quoi vous
abundez, il ne me semble pas possible qu'il
ne vous faille, par pure nécessité et con-
traincte, ou temps de mon absence avoir com-
paignie d'homme, dont je ne suis, la Dieu
mercy, en rien troublé. C'est bien mon plaisir
que vous vous accordez où vostre nature vous
forcera et contraindra ; car je sçay qu'il ne
vous est possible d'y résister. Veezcydoncques
le point où je vous veil tresaffectueusement
prier, c'est que gardez nostre mariage le plus
longuement en son entiereté que vous pour-
rez. Inténcioi;! n'ay ne vojunté aucune de vous
mettre en gardé d'aultruy pour vous conte-
nir ; mais veil que de vous mesmes aiez la
cure et lesoing et soiez gardienne. Vérita-
blement î il n'est si estroicte garde au monde
qui peut destourber n'empescher la femme
oultre sa volume à faire son plaisir. Quand
donç4ues vostre chaleur naturelle vous aguil-
lonnera et poindra par telle manière que pour
yous contenir aurez perdu puissance , je vous
prie, ma chère espouze^ que à l'exécution de
vostre désir vous vous conduisiez prudente-
ment et subtiUement , et tellement qu'il n'en
—~— "Wi
Nouvelle C. 8)J
puist estre publicque renommée ; 0t que:, si
aultrement le faictes , vous , moy et tous noz
amys sommes infâmes et déshonora. Si: en
fait doncques et par effect vous ne povez gar-
der chasteté, au mains mettez peine de la gar«
der tant qu'il touche famé et commufie rer
nommée. Mais je vous veil apprendre et ensei-
gner la manière que vous devrez tenir en celle
matère, s'elle survient. Vous savez qu'eniceste
bonne cité a foison de beaulx jeunes hommes;
entre eulx tous , vous .en choisirez ung seul ,
et vous en tiendrez, contente et assovye powf
faire ce où vostre nature vous inclinera. Tqu*
tesfoiz , ye veil que, en faiisant l'élection et te
chois, vous aiez singulier regard qu^il ne soit
homme vague, deshonneste et pou vertueux;
car de tel ne vous devez accointer, pourlfr
grand péril oui vous en pourroit sourdre. Car y
sans nul doubte, il descouvreroit et publicque*
roit à la volée vostre secret. Rien n^est tenu
couvert, clos ne celé par telz gens ne leurs
seitiblables. Doncques , vous élirez celuy que
cognoistrez fermement estre sage et prudent^
afnnque, si le meschiefvous advient, il mecte
aussi grand peine à le^celer comme vous. De
çeste article vous requier je tresaffectueuse^
ment, et que me promectez en bonne et fer-
me leaulté que sarclerez ceste lecçon et retien-
drez. Si vous advise que ne me respondez sur
ceste matière en la forme et façon que soû-
lent et ont de coustume les aultres femmes
quand on leur parle telz propos comme Je
yous dy maint^aRt-; je sçay leurs' respônsés
2)4 LiES ^E^''* ^OUVKLLeS NOUVELLES.
et de <fit\z motz sçevent user, qui sont tête
ou semblables : « Hé ! hé ! mon mary, dont
vôurviait ceste tristèce, ce cbùwige troublé?
Oui vous a ainsi meu à ire ? Où avez vous
cliîargé ceste opinion cruelle plaine de tem-
peste ? Par qu'elle manière fié comment me
pourroit advenir ung si abhominable delict ?
Nenny ! iienny ! jà Dieu ne veiUe que je vous
face telles promesses , à qui je prie qu'il per**
mette la terre ouvrir qui me engloutisse et
dévore toute vive, au jour et heure que
fe n'y pas commettray , mais auray une
seule et légère pensée à la commettre ? »
Ma chère espouse, je vous ay ouvert ces ma-
nières de respondre affin que vers moy n'en
usez aucunement. En bonne foy, je croy et
tiens fermement que vous avez pour ceste
heure tresbon et entier propos^ ou quel je vous
prie que demourez autant que vostre nature
en pourraf souffrir. Et point n'entendez que je
veille que me promettez faire et entretenir ce
que je vous ay monstre et aprins, fors seule-
ment ou cas que ne poumez donner resis-
tence ne batailiier contre i'appetit de vostre
fraîle et doulce jouvence* >^ Quand ce bon
mary eut fine sa paroUe, la belti , doulce et
débonnaire sa femme, la face rosée , se print
à trembler quand deut donner responses aux
requestes que son espoux iuy avoit faictes.
Nedemoura guères, toutesfoiz, que la rougeur
s^cfvanuyt, et print asseurance, en fermant et
appuyant son courage de constance ; et en
ceste manière causa sa gracieuse response^
"^^mmtm&mm
WB*
Nouvelle C. 235
combien que voix tremblant la pronnnçast :
« Mon doulx et tresamé mary, je vous asseure
qu'onques ne fùz si espoventée , si troublée
et evanuye de mon entendement , que j'ay
esté présentement par voz parolles, quand
elles m'ont donné la congoissance die ce
que oncques je n'oiz ne aprins, voirement
qu'oncques n'euz telle presumption que d'y
penser. Et aultre opinion ou supposition ne
puis de vous avoir fors que me querez et con-
tendez traveiller et tenser, car vous cognois*
sez ma simplesse, jeunesse et innocence , ^ui
est pour vous , ce me semble , non pas moms
delict^ mais tresgrand : certainement il n'est
point possible à mon eage de faire ou pour-
penser un tel meschîef ou defaulte. Vous m'a-
vez dit que vous estes seur et savez vraiment
que, vous absent, je ne me pourroye contenir
ne garder l'entiereté de nostre mariage. Geste
parolle me tormente fort le courage, et me fait
trembler toute, et ne sçay quelle chose je doye
maintenant dire, respondre, ne proposera voz
raisons , ainsi m'avez toUu et pnvé l'usage de
parler. Je vous diray toutesroiz ung mot qui
viendra delà profonaesse de mon cueur, et en
telle manière qu'il gist vuidera il de ma bouche :
Je requiertreshumblement à Dieu et à joinctes
mains luy prie qu'il face et commende ung
abysme ouvrir où je soye gectée, les membres
tous erachez, et tourmentée de mort cruelle ,
si jamais le jour vient où je doye non seuiie*
ment coramectre desloyauté en nostre maria-
ge^ mais sans plus en avoir une brève pensée
ûi6 Les Cent Nouvelles nouvelles;
de le commettre ; et comment ne pariquelle
manière ung tel delict me pourroit aSdvenir, je
ne le sçardye entendre. Et pource que m'a-
vez forclos et seclus de telles manières de re»-
pondre, disant que les femmes sont coustur
fliières d'en user pour trouver leurs eschappa-
toires et alibiz forains , affin de vous. £âire
plaisir et donner repos à vostre ymaginacion,
et que voiez (]ue à voz commenaemens je suis
preste d'obéir, garder et maintenir, je vous
promectz de ceste heure , de courage ferme,
arresté et estable opinion ; d'attendre le jour
de vostre revenue en vraie , pure et entière
chasteté de mon corps; et si que Dieu ne
veille il advient le contraire , tenez vous tout
asseur^ et je le votis promectz , je tiendray la
règle et doctrine que m'avez donnée en tout
ce que je feray, sans la trespasser aucunement.
S'il y a aultre chose dont, vostre courage soit
chargé, je vous prie, descouvrez tout et me
commendez faire et accomplir vostre bon de*
sir ; aultre rien ne désire que de conjoindrenoz
deux vouloirs en ung , et de faire le vostre >
non pas le mien. » Nostre marchant , oye la
response de ^a femme, fut tant joyeux qu'il
ne se p^ouvoit contenir de plorer, disant :
« Ma cnère espouse , puisque vostre doulce
bonté m'a voulu faire la promesse que j'ay
requis , je vous prie que l'entretenez. » Le
lendemam bien matin , le bon marchant fut
mandé de ses compaignons pour entrer
en la mer; si.piint ccmffé de sa femme,
et elle le commenda à Ta garde de Dieu,
j
Nouvelle C. ^ÎT
puis monta en la mer. Lors se misrent à diè-^'
miner et navyer vers Alixandrie , où ilzpar-*
vindrent en brefe jours, tant leur fut le vent
propice et convenable, ou quel lieu s-arrtstè-
rent longue espace de temps, tant pour déli-
vrer leurs marchandises comme pour en char-^ •
ger de nouvelles. Pendant et durant lequel >
temps, la trèsgente et gracieuse damoiseile donl^'
j'ai parlé demoura garde de l'ostely^t^pour
pour quoy, si aucune fauke fist, il semble qu'on
ne le doit pas tant imputer à malice comme à
la fragilité de son jeune eage. Comme donc-
ques Te marchant eust jà pluseurs jours esté
absent des doulx yeulx d'elle , pou à pou il fut
mys en obly. Et pour ce que sa doulceur,
beaulté et gracieuseté singuliers estoient co-
gneues par toute la cité de longtemps, si tost
3ue les jeunes gens sceurent du département
e son mary, ilz la vindrent visiter, laquelle
au premier ne vouloit vuyde;^^de sa maison ne
soy monstrer; mais toutesfoiz^ par force de
continuacion et frequentacion ({uotidienne ,
pour le grand plaisir qu'elle çrint aux doulx
et mélodieux chans et armonie d'instrumens
dont Ton jouoit à son huys , elle s'avança de
venir veoir et regarder par les crevaces des
fenestres et secretz treilliz d'icelles, parlés-
quelles povoit trèsbien veoir ceulx qui L'eus- '
^ent plui voluntiers veue. En^^scoutant les •
chansons et dances, prenoit it b foiz si grand *
2^8. Les Cent Nouvelles nouvelles.
plaû&r que arnoucs esmouvoit son courage tel-
lement que chaleur naturelle souvent i^indui*-
soit à briser sa continence. Tant souvent fut
visitée en la manière dessus dicte, qu'en la fin ^
sa concupiscence et désir charnel la vaincqui-
rent, et fiit du dart amoureux bien avant tour*
chée ; et comme elle pensast souvent comment
eVe am(, » à elle ne tenoit, si bonne habitude
et opportunité de temps et de lieu , car nul ne
la gardoit, nul ne luy donnoit empeschement
pour mectre à exécution son.desir, conclut; et
dist que son maiy estoit tressage quand si bien
luy avoit acertené que. garder ne se pourroit
en continence et cbasDeté , de q|ui toutesfoiz
elle vouloit garderet tenir la doctnne, et avec-
ques ce la promesse que faicte luy avoit» « Or
me convient-il , dist elle , user du conseil de
mon mary ; en quoy faisant, je ne puis encou- ]
rir crime aucun ne déshonneur, puis^ qu'il
m^en a baillé la licence , mais que je n'excède
les termes de la promesse que j'ay fait. Il m'e&t
advis et il est vray qu'il me chargea, quand
le cas adviendroit que rompre me conviendroit
ma chasteté, que je eleusse homme qtii fust
sage, bien renommé et de gnmd vertu, et
non aultre. Eq bonne foy, ainsi feray-je,
mais que je puisse y en non trespasser le con-
seil de mon mary il me soufTist largement. Et
je tiens qu'il n'entendoit point que l'homme
deustestre ancien, ains, comme il me semble,.
Si'il fust jeune, ayant autant de renommée en J
ergie et science qu'ung veil ; telle fut la lec^ *
çon,.ce m'est advis.?) Es mesmes jours que se
J
•9^m
*
Nouvelle C. 2^9
faisoient ces argumentacions pour la partie de
nostre belle damoiselle, et qu'elle queroit ung
sage jeune homme pour luy refroider les en-
trailles y ung tressage jeune clerc arriva de son
eur en la cité, qui venoit freschement de Tuni"
versité de Bouloigne la crasse, où il 9voit esté,
plusieurs ans sans retourner. Tant avcHt vac**
que et donné son entente à Testude, que en
tout le pays n'y avoit clerc de plus grant re-
nommée ; tous les magistratz et gouverneurs de
lacitéluy assistoient continuellement, et avec^
ques aultres gens que grans clercs ne se trou-
voit. Il avoit de coustume depuis sa venue, et
jamais ne failloit, d'aller chacun jour sur le
marché, à l'ostel de la ville, et au lieu où le
parlement se faisoit, pour plaider les causas
de pluseurs, se rendoit ; or estoit sa droicte
voie de son hostel au dit marché la rue où la
maison de celé damoiselle estoit située et as-
sise, et jamais ne povoit passer que par de-
vant rhuys d'icelle maison , puis qu'il prenait,
son chemin par la dicte rue. Il n'y avoit point ,
passé cent foiz qu'il hii choisy et noté, etpteut
trèsbien sa doulce manière et gravité à la da-
moiselle. Et combien (qu'elle ne l'eust onc- .
ques veu exercer les faiz de cler^ie, toutes-
toiz jugea elle tantost qu'il estoit trèsgrand
clerc, mesmement qu'elle l'oyoit priser et re-
nommer pour le plus sage dfe 'toute la cité.
Auxquels n^oyens elle le commença à désirer
et ficha toute son amour en luy, disant qu'il
seroit celuy, si à luy ne tenoit, qui luy feroit,
garder la lecçon de son mary; mais par quelle
240 Les Cent Nouvelles nouvelles.
façon elle luy poarroit monstrer son grand et
ardent amour et ouvrir le secret désir de son
coupage , elle ne savoit , dont elle estoit très- -
des[^aisante. Elle s'advisa neantmains que,
pource que chacun jour ne falloit point de
passer devant son huys, allant au marché,
eflë^e mettroit au perron , parée le plus gen- .
tehierit <iu^elle pôurroit, affin que au passer,
qu.and il gecteroit son regard sur sa beaulté,
il la convoitast et- requist de ce dont on ne
luyferoit refus. Pluseurs fois îa-damoiselle se
raôTîstra ; combien que ce ne fust au paravant
sa coustume, et jasoit cç que trèsplaisante
fust et telle pour ^ui ung jefune courage devoit .
tantost estre esprins et alumé d'amours, tou-
tesfoiz le sage clerc jamms ne l'apperceut, car
il marchoït si gracieusement qu'il ne gectoit
sa veue he çà ne là. Et par ce moien la
bonne damoiselle ne prouffita rien en la façon
Qu'elle avoit pourpensée et advisé. Scelle fut
aôîemeet desplâisante , jà n'est mestier d'en faire
enqueste,'etplus*pensoità son clerc, et plus
akmwii iet esprenoit son feu. A fin dé pièce,
après ung tas d'ymaginacions que pour abre- •
ger fè passe, conclut et détermina' d'envoier
sa petite meschinette devers luy. Si la hûcha
et commenda qu'elle s'en àllast demander la
maison d'un tel , c^est assavoir de ce grand
clerc; et quand elle Taroit trouvé, où qu'il
fust, luy dfst que le plus en haste qu^l pôur-
roit venist à l'oistel d'une telle daràoisélle, es-
pouse d'un tel ; et que s'il demândoit quelle
chose il plairoit à la damoiselle, elle luy res-.
Nouvelle C. ^4^
pondist que rien n'en savoit , mais tant seule-
ment (qu'elle lui avoit dit qu'il estoit grand,
nécessité qu'il venist. La miette mist en sa
mémoire les motz de sa charge, et se partit
pour quérir celuy qu'elle trouva ; ne demoura
guères que l'en luy enseigna la maison où il
mengeoit au disner^ en une grande compaignie
de ses amys et aultres gens de grant façon.
Geste fillette entra ens , et en saluant la com-
paignie s'adressa au clerc qu'elle queroit;
et oyans tous ceulx de la table , luy nst son
message bien et sagement , ainsi que sa chargç
le portoit. Le bon seigneur, quicognojssoitae
sa jeunesse le marchant dont la fillette luy
parloit, et sa maison, mais ignorant qu'il fust
marié ne qui fust sa femme, pensa tantost que, ,
pour l'absence du ditmarchant, sa dicte femme
le demandoit pour estre conseillée en aucur^e
grosse cause, comme elle vouloit ; mais ne l'enr
tendoit-il comme elle. Il respondit à la fillet-
te : (( M'amye, allez dire à vostre maistresse que
incontinent que nostre disner sera achevé , je
iray vers elle. » La messagère fist la response
telle qu'il failloit et qu'on luy avoit dit, et
Dieu sçait s'elle fut joyeusement recueillie de
la marchande , que pour sa grand joye et
ardent désir, qu'elle avoit de tenir son clerc
en sa maison , trembloit et ne savoit tenir
manière. Elle fist baloiz courre par tput, es-
pandre la belle herbe vert partout en sa cham*
ore, couvrir le lit et la couchette, des-
ployer riches couvertes, tappiz et courtines,
et se para et atourna des meilleurs atours et
Cent Nouv. II. i6
34^ Les Cent Nouvelles nouvelles.
plus précieux qu'elle eust. En, ce point Pat-
tendit aucun petit de temps, qui lujr sembla
lonç à merveiues , pour le grant désir qu'elle
avoit. Tant fut désiré et attendu ({u'il vmt ; et
ainsi que elle Pappercevoit venir de loing,
montoit et descendoit de sa chambre, alofit et
venoit maintenant cy, maintenant là , tant es-
toit esmeue qu'il sembloit qu'elle ftist ravye de
son sens. En fin monta en sa chambre , et
illec prépara et ordonna les bagues et joyaulx
qu'elle avoit attains et mis dehors pour fes-
toier et recevoir son amoureux. Si fist demou-
rer en bas la fillette chambrière pour l'intro-
duire et le mener où estoit sa maistresse. Quant
il fiit arrivé, la fillette le receut çracieusement,
le mist ens et ferma l'huys> laissant tous ses
serviteurs dehors, aux quelz il fut dit qu'ilz
attendissent illec leur maistre. La damoiselle,
oyant son amoureux estre arrivé , ne se peut
tenir de venir en bas à l'encontre de luy , qu'elle
salua doucement , le print par la main et le
mena en la chambre qui luy estoit appareillée,
et où il fin bien esbahy quand il s'i trouva,
tant pour la diversité des çaremens , belles et
précieuses ordonnances qui y estoient, comme
aussi pour la trèsgrande beaulté de celle qui
le menoit. Si tost qu'il fut en la chambre en-
tré, elle se seyt sur une scabelle , auprès de
la couchette, puis le feist asseoir sur une aul-
tre joignant d'elle, où ilz furent aucune espace
tous deux sans mot dire, car chascun attendoit
tousjours la parole de son compaignon, l'un en
une manière, l'autre en l'autre : car le clerc, cul-
Nouvelle C. 14^
dant que elle lu^ deust ouvrir quelque matière
grosse et diffiale , la vouloit laisser commen-
cer ; et elle, d'aultre costé , pensant qu'il ftist
si sage que^ sans luy déclarer ne monstrer plus
avant, il dust entendre pour quoy elle Pavoit
mandé. Quand elle vit que manière ne faisoit
pour parler, elle commença et dist : « Mon
trèscher parfait amy et uèssage homme, je
vous diray présentement quoy et la cause qui
m'a meue à vous mander. Je cuide que vous
avez bonne cognoissance et familiarité avec
mon mary ; en l'estat que vous me voyez icy m'a
il laissée et abandonnée pour mener ses mar-
chandises es parties d'Alixandrie , ainsi qu'il
a de long temps accoustumé. Avant son par-
lement me dist que quand il seroit absent , il
se tenoit tout seur que ma nature me contrain-
droit à briser ma continence , et que par né-
cessité me conviendroit à converser avec
homme. En bonne foy, je le repute ung très-
sage homme, car de ce qu'il me sembloit
adonc impossible advenir, j'en voy l'expé-
rience véritable, car mon jeune eage, ma
beaulté, mes tendresans, ne pevent souffrir que
le temps despende et consume ainsi mes jours
en vain ; ma nature aussi ne se pourroit con-
tenter. Et affin que vous m'entendez bien à
plain.mon sage et bien advisé mary, qui avoit
regart à mon cas, quand il se partit, en plus
grande diligence que moy mesmes, voyant
que comme les jeunes et tendres fleurettes se
seichent et amatissent quand aucun petit ac-
cident leur survient , et contre l'ordonnance
244 ï-Es Cent Nouvelles nouvelles.
et inciînacion naturelle, par telle manière
consideroit il ce qu'il m'estoità advenir. Et
vojrant clèrement que se macomplexion et con-
dicion n'estoient gouvernées selon Pexigence
de leurs naturelz principes, guères ne luy pour-
roye durer, si me fist jurer et promettre que
quand il adviendroit ainsi que ma nature me
forceroit à rompre et briser mon entièreté , je
ejeusse ung homme sa^e et de haulte auc-
torité, qui couvert et subtil fust à garder nos-
tre secret. Si est il que en toute la cité je n'ay
sceu penser homme qui soit plus ydoine que
vous , car vous estes jeune et sage. Or m'est
il ad vis que ne me reffuserez pas ne reboute-
rez. Vous voiez Quelle je suis, et si povez
l'absence de mon Don mary supplier, car nul
n^en sara parier ; le lieu , le temps , toute op-
portunité nous favorisent. » Le bon seigneur,
prévenu et anticipé , ftit tout esbahy en son
courage, combien que semblant n'en feist. Il
prit la main dextre à.la damoiselle, et de joyeux
viaire et {>laisante chère dist ces parolles :
« Je doy bien donner et rendre grâces infinies
à madame Fortune, qui aujourd'uy me donne
tant d'eur et me fait percevoir le miit du plus
^and désir que je povoye au monde avoir;
jamais infortuné ne me veil reputer ne clamer
quand en elle treuve si large bonté. Je puis
séurement dire que je suis aujourd'uy le plus
eureux de tous les aultres, car quand je con-
çoy en moy, ma trèsbelle et doulce amye ,
comment ensemble passerons nos jeunes jours
joyeusement sans que personne s'en puist
Nouvelle C. ' 2^45
donner garde , je sençloutiz de joye. Où est
maintenant homme qui est plus amy de For-
tune que moy ? Se ne fust une seule chose qui
me donne ung petit et iegier empeschement à
mectre à excecucion ce dont la dilacion aigre-
ment me poise et desplaist , je seroye le plus
et mieulx fortuné de ce monde. » Quand la
damoiselle oyt qu'il y avoit aulcun empes-
chement qui ne lui laissoit desployer ses ar-
mes, elle trèsdolente lui pria qu'il le de-
clairast, pour y remédier s'elle povoit. « L'em-
peschement, dist il, n'est point si grand qu'en
petit de temps n'en soie délivré ; et, puis qu'il
plaist à vostre doulceur le sçavoir, je le vous
diray. Ou temps que j'estoieà l'estude à l'uni-
versité de Boulongne la crasse, le peuple de
la dté fut séduit et meu tellement que par
mutemacque se leva encontre le seigneur; si
fuz accusé avec les aultres, mes compaignons,
d'avoir esté cause et moyen de la sedicion ,
pour c)uoy je fus mis en prison estroicte , ou
3uel lieu, quant je m'y trouvay, craignant per-
re la vie, pource que je me sentoye innocent
du cas, je me donnay et voué à Dieu, lui pro-
mettant que , s'il me delivroit des prisons et
rendoit icy entre mes parens et amys, je jeus-
neroye pour l'amour de lui ung an entier,
chascun jour au pain et à l'eaue, et durant
ceste abstinence ne feroye péché de mon corps.
Or ay je par son ayde fait la plus part de l'an-
née, et ne m'en reste guères. Je vous prie et
requier toutesfoiz, puis que vostre plaisir a esté
moy élire pour vostre, que ne me changez pour
146 Les Cent Nouvelles nouvelles.
autre , et ne vous veiiie ennuyer le petit delay
que }e vous donneray pour paracompHr mon
abstinence, qui sera bref faicte, et qui pîeçà
eust esté faicte se je me eusse ozé fyer en
aultry qui m'en eust peu donner aide, car je
suis quitte de chacune jeusne que ung autre
feroit pour moy comme se je le faisoye. Et
ponrce que je perçoy vostre grande amour et
confiance que vous avez fiché en moy, je met-
tray, s'il vous plaist, la fiance en vous que ja*
mais n'ay ozé mettre en fi-ères ne amis que
j'aye, dôubtant que faulte ne me feissent tou-
chant la jeusne; et vous prieray que m'aidez à
jeusner une partie des jours qui restent à l'a-
complissement de mon an, amn que plus bref
je vous puisse secourir en la gracieuse requeste
que m'avez faicte. M'amye doulce et entière,
je n'ay mais que soixante jours, lesquelz , se
c'est vostre plaisir, je partiray en deux parties.
Vous en aurez l'une et moy l'aultre, par telle
condicion que sans fraude me promettrez m'en
acquitter justement; et quant ilz seront acom-
plis, nous passerons plaisamment noz jours.
Doncques, si vous avez la volume de moy
aider en la manière que j'ay dessus dit, dictes
le moy maintenant, d II est à supposer que la
grande et longue espace de temps ne luy pleut
guères; mais, pource qu'elle estoit si doulce-
ment requise et qu'elle desiroit le jeusne estre
parfaict et fine, pensant aussi que trente jours
n'aresteroient guères, elle promist de les faire
et acomplir sans fraulde ne sans déception ne
mal engin. Le bon seigneur, voyant qu'il avoit
■ ■ ■ ■ ^^^
Nouvelle C. 247
eaigné sa cause, prinl congié de la daffloiseUe>
my disant que, puis que sa voie et chemyn es-
toit, envenantde sa maison au marché, de pas-
ser devant son huys, il la viendroit souvent visi*
ter. Ainsi se partit ; et la belle dame commença
le lendemain à faire son al>stinence,en prenant
règle et ordonnance que durant le temps de
son jeune ne men^eroit son pain et son eaue
jusques après soleil couché. Quand, elle eut
jeune trois jours, le sage clerc, ainsi qu^il al*
ioit au marché à l'heure qu'il avoit acoustu-
mé, vint veoir sa dame, à qui se devisa lon-
guement; puis, au dire adieu, lui demanda si
le jeune estoit encommencé; et elle rebon-
dit aue 07. « Entretenez vous ainsi, dist il, et
garaez la promesse que m'avez faicte. — Tout
entièrement, dit elle; ne vous en doublez. »
Il print congé et se partit, et elle, poursuyvant
de jour en jour en son jeune, gardoit l'ooser*
vance en la façon que promis ravoit, tant es-
toit de loyale et bonne nature. Elle n'avoit pas
jeune huit jours que sa chaleur naturelle com-
mença fort à refroider, et tellement que force
iuy fut de changer habiUemens, car les mieulx
fourrés et empanés, qui ne servoient qu'en
yver, vindrent servir au lieu des sangles et
tendres qu'elle portoit avant l'abstinence en^
treprinse. Au quinziesme jour fut arrière visi-
tée de son amoureux le clerc, qui la trouva si
foible que à srand paine povoit elle aUer parla
maison; et la bonne simplette ne se savoit
donner garde de la tromperie, tant s'estoit
donnée à amours et mis son entente à perse-
248 Les Cent Nouvelles nouvelles.
vererà cel jeune, pourle joyeux et plaisant de-
lict qu'elle attendoit seurement avoir avec son
grand clerc, lequel, quand à l'entrer en la mai-
son la vit ainsi foible,- luy dist : w Quel viaire
est ce là et comment marchez vous r Mainte-
nant j'aperçoy que avez besoigné l'abstinence
et comment. Ma trèsdoulce et seule amye,
aiez ferme et constant courage ; nous avons
aujourd'huy achevé la moitié de nostre jeusne.
Si vostre nature est foible , vaincquez la par
roiddeur et constance de cueur, et ne rompez
vostre loyale promesse. » Il l'ammonesta si
doulcement qu'il luy fist prendre courage par
telle façon qu'il luy. sembloit bien que les au!-
très qumze jours qui restoient ne luy dure-
roient guères. Le xxve vint, auquel la sim-
plette avoit perdue toute couleur et sèmbloît
à demi morte , et ne luy estoit plus le désir si
f5rand qu'il avoit esté. Il luy convint prendre
e lict et y continuellement demourer, où elle
se donna aucunement garde que son clerc luy
faisoit faire l'abstinence pour chastier son de-
sir charnel; si jugea que manière et façon de
faire estoient sagement ad visées, et ne po-
voient venir que d'homme bien sage. Toutes-
foîz , ce ne la demeut point ne destourna
qu'elle ne fiist délibérée et arrestée d'entrete-
nir sa promesse. Au penultime jour, elle en-
voya quérir son clerc, qui, quand il la vit cou-
chée au lict, demanda si pour uns seul jour qui
restoit avoit perdu courage j et elle, înterrum-
pent sa parole, luy respondit : « Ha! mon bon
aray, vous m'avez parfectement et de bonne
^^^■P<i
Nouvelle C. 249
amour amée, non pas deshonnestement, com>
me i'avoie présumé de vous amer ; pour quoy
je vous tien et tiendray, tant que Dieu me
donnera vie, mon trèschier et trèssingulier
amy, qui avez gardé et moy aprins et ensei-
gné à garder mon entière chasteté et ma chaste
entièreté , l'onneur et la bonne renommée de
moy, mon mary, mes parens et amys. Beneist
soit mon cher espoux, de qui j'ay gardé et
entretenu la leçon qui donne grand appaise-
ment à mon cueur! Or çà, mon vray amy, je
vous rends telles grâces et remercie comme je
puis du grand honneur et bien que m'avez
faiz , 'pour lesquelx je ne vous saroie rendre
ne donner suffisantes grâces , non feroit mon
mary, mes parens, ne tous mes amys.» Le bon
et sage seigneur, voyant son entreprinse estre
bien achevée, print congé de la bonne da-
moiselle, et doulcement l'amonnesta qu'il luy
souvint desoremais de chastier sa nature par
abstinence et toutes les foiz qu'elle s'en sen-
tiroit aguillonnée, par le quel raoien elle dé-
moura entière jusques au retour de son mary,
qui ne sceut rien de l'adventure , car elle luy
cela ; si fist le clerc pareillement.
V J
1
NOTES.
y
Tome I.
P. xx). Dans le manuscrit, la dédicace suit
la table ; mais j'ai adopté de préférence l'ordre
des éditions imprimées.
P. xxij. Dt Dijon y etc. Cette date, qui me
paroit une erreur évidente , est reproduite très
exactement d'après le manuscrit ; mais elle est
d'une écriture un peu plus récente que celle
du manuscrit lui-même, et d'une encre phis
pâle. L'édition de Verard ne donne pas de
date, mais l'éditeur (sans doute) a ajouté à la
dédicace les mots : Ex notez que par toutes
les nouvelles où il est dit par monseigneur, il est
entendu par monseigneur le Daulphin, lequel de*
puis a succédé à la couronne, et est le roy Loys
unsiesme, car il estoit lors es pays du duc de
Bourgoingne. Vojez ce que j'ai dit à ce sujet
dans l'Introduction.
P. xxvj. La dousiesme nouvelle. Il manque
ici au manuscrit un cahier de quatre feuillets
qui contenoit les titres des nouvelles 1 2^ à
96^ inclusivement ; j'ai suppléé cette lacune
d'après l'édition de Verard.
252 Notes.
•p. r, La première nouvelle. Ce conte se
trouve dans un fabliau probablement du treî-
aème 'siècle, intitulé Des deux changeors, et
imprimé dans la collection de Barbazan ,t. III,
p. 254, et aussi dans le Pecorone, nov. 1 1.
Brantôme , dans ses Dames galantes , le racon-
te comme une aventure qui étoit véritabje-
ment arrivée à Louis , duc d'Orléans , et à sa
maltresse Mariette d'Enghien, mère du bâtard
comte de Dunois.
P. 6, 1. 3. Serure, Le manuscrit lit ceruse,
qui n'est probablement qu'une erreur de l'é-
crivain.
P. 8, 1. 12. Meiser. Penser, Verard.
P. 9. La secunde nouvelle. On ne trouve ce
conte dans aucun ouvrage plus ancien que Les
Cent Nouvelles nouvelles; mais Malespini l'a
imité dans les Ducento Novelle, nov. 37.
P. 16. La troysUsme nouvelle. Imitée des
Facéties de Pogge, p. 64, édit. de 1798. Ce
conte a été reproduit souvent sous différentes
formes par les conteurs des seizième et dix-
septième siècles. — Monseigneur de la Roche.
Philippe Pot , seigneur de la Roche de Nolay,
un des plus intimes et plus fidèles conseillers
de Philippe le Bon et de son fils Charles le
Téméraire, ducs de Bourgogne. En 1449, on
le trouve nommé comme un des échansons
du duc Philippe. Plus tard , il avoit l'office
de chambellan dans la maison de Bourgogne ,
sous lequel titre il est mentionné dans un
compte de Tannée 1457, et il le tenoit en-
core en 1474. En 1460, Charles le Témé-
wr^i"
Notes. 253
raire lui a donné l'office de capitaine de lille,
et il tenoit en même temps la capitainerie de
Douai et d'Orchies. En liyo, le seigneur de la
Roche reçut du duc Charles la charge de
grand maître d'hôtel et chambellan de Bour-
gogne. Après la mort de son bienfaiteur,
Il entra dans la faveur de Louis XI , qui le
nomma grand sénéchal de Bourgogne en 1477.
Il est mort vers l'année 1408.
P. 26. La quarte nouvelle. Ce conte et les
trois suivants se trouvent pour la première
fois dans Les Cent Nouvelles nouvelles.
P. 29, 1. 1 5 . Sainct Trignan. Sainct Engnan,
Verard.
P. }2.PhilipedeLoan. Cet indiv|diie^ men-
tionné sous le titre d'écuyer d'écurie du . duc
Philippe le Bon, en 1461 , dans un manuscrit
de la Bibliôthèaue impériale, ancien fonds,
n. 6702. Verara a toujours changé ce nom en
Philippe de Laon.
P. 52, 1. I. Monseigneur Taleloî, Thalebot,
Verard. C'étoit le célèbre guerriçr, sir John
Talbot, créé comte de Shrewsbury en 144 1 .
Ses beaux faits d'armes faisoient la merveille
du cjuinzième siècle. Il fut défait et fait pri-
sonnier par Jeanne d'Arc à Patai en 1429, et
tué à Châtillon le 20 juillet 14^3 , à l'âge de
quatre-vingts ans.
P. 32, 1. 2. Si preux, si vaillant, et aux
armes. Ces mots sont omis dans le texte de
Verard, qui n'approuvoit pas, sans doute,
l'éloge qu'un Bourguignon taisoit de l'ennemi
de la France.
2)4 Notes.
P. Ht '• I* Couroye. A sa ceinture, Ve-
rard. «
P. x6f IL i6 et 28. Ciboire, Tabernacle,
Verarcl. Le dernier mot est tout simplement
une traduction de l'autre. On seroit porté à
croire que le mot ciboire n'étoit plus en usage
général à Paris.
P. )8. Par monseigneur deLaunoy. Le nom
de Jean de Launoy (ou Lannoy) est assez
connu dans l'histoire de Bourgogne. En 1 45 1 ,
il fut créé chevalier de la toison d'or , et
nous le trouvons plus tard gouverneur de
Lille. Il parott avoir secrètement servi les in-
térêts de Louis XI, et sa trahison étoit deve-
nue si évidente y qu'en 1464 il fut obligé
de se sauver en France , tandis que le comte
de Charolois s'empara de son château. Durant
le rèsne de Charles le Téméraire , il étoit en
complète disgrâce à la cour de Bourgogne ;
mais après la mort de ce prince il reprit une
grande influence en Bourgogne. Il n'est mort
qu'en 1481.
P. ^9,1. 3. Maistre curé. Ici et dans la
suite , le texte de Verard a toujours substitué le
mot prieur au mot curé.
P. 41 y 1. 7. Mesmes. Au mains, Verard.
P. 4j, 1. 4. Feste. Foire, Verard.
P. 4)» 1. 4. Feste de Lendit et d'Envers. La
célèbre foire tenue à Saint-Denis dans le mois
de juin.
P. 46. La huitiesme nouvelle. Cette nou-
velle, qui est l'origine des Aveux indiscrets,
Notes. 255
de la Fontaine, est imitée des Facéties de
Pogge,p. 165 de l'édition de 1798.
P. 50. La neufiesme nouvette. Ce conte étoit
assez populaire dans le moyen âge , et se
trouve dans des ouvrages bien antérieurs à la
date des Cent Nouvelles nouvelles, comme le
fabliau du Meunier d'Aleu par le trouvère
En^errand d'Oisi , le Décameron de Boccace ,
où il forme la 4^ nouvelle de la 8< journée , et
les Facéties de Pogge, p. 248. Les imita-
tions modernes en sont nombreuses. C'est Les
Quiproquos de la Fontaine.
P. ^6. La dixiesme nouvelle. Imitée par la
Fontaine et par d'autres conteurs ; mais on
ne la trouve dans aucun recueil antérieur
aux Cent Nouvelles nouvelles. Verard a chansé
beaucoup le texte de cette nouvelle et de la
suivante.
P. 61. Laonziesme nouvelle. Imitée d'après
Pogge, Facéties, p. 141. C'est le conte bien
connu de L^ Anneau d'Hans Carvel, de Rabe-
lais.
P. 61, 1. 21. Des fantaisies ^pensées. C'est
la leçon de Verard. Le manuscrit ne donne
qu'un mot, ({ue je n'ai pas pu déchiffrer d'une
manière satisfaisante^ mais qui ressemble à
ermons.
P. 63. La douziesme nouvelle. Ce conte se
trouve dans les Cento Novelle antiche et dans
Pogge. Les imitations modernes sont très
nombreuses.
P. 67. Monseigneur de Castregat. Par mon-
seigneur l'amant de Brucelles, Verard. Jean
2j6 Notes.
d'Enghien', sieur de Kessergat, étoit tnahre-
d'hôtel de duc de Bourgogne en 1461. Il te-
noit en même temps l'office de chambellan i
Il étoit <amann (une charge municipale) de
Bruxelles.
P. 67, 1. 8. Procureur en Parlement, L'au-.
teur des Cent Nouvelles^ nouvelles supposoit
que le Parlement de Londres étoit une insti-
tution semblable à celui de Paris.
P. 68,' k 14. Malebouche.., Dangier. Per-
sonnages du Roman de la Rose.
P. 73. La quatorzième nouvelle, La 2* nou-
velle de la 4* journée du Décameron de Boc-
cace. C'est le conte de VErntite de la Fon-
taine.
P. 7|. Monseigneur de Créquy, Jean, sei-
gneur de Crécjuy , de Canaples et de Tressin ,
fut élu chevalier de la Toison d'or lors de la
fondation de cet ordre en janvier 1431. A
la mort de Philippe le Bon, Jean de Créquy
étoit un des douze seigneurs choisis pour por-
ter son corps. Ce fut lui oui, en 1469, in-
troduisit auprès du duc Cnarles le Téméraire
les ambassadeurs de Louis XL
P. 74, 11. 9et*i3. Vng soir,,, se trouva.
Ung soir, environ la m^nûyt y^ qu'il faùoit fort et
rude temps f il descendit de sa montaigne et vint
à ce village, et tant passa de voyes et sentiers quê
à l'environ de la mère et la fille sans estre oiseux
se trouva, Verard. Un bon exemple des cor-
ruptions que Verard introduisit dans le texte
de son édition.
^■^
Notes. 257
P. 7j, 1. 11. Reclusage. Hermitaige, Ve-
rard.
P. 76, 1. ij. Et pitié. Le texte de Verard
ajoute: Et la povre fille aussi plouroit, quand
elle véoit ce bon et sainct hermite en si grande
dévocion prier et ne sçavoit pourquoy. En com-
parant les deux textes , on trouvera plusieurs
additions semblables, qu'on y a mises proba-
blement dans l'idée de rendre le récit plus
piquant.
P. 77, 1. 15. Crochette. Pôtense, Verard.
P. 84. La seiziesme nouvelle. Un des contes
les plus populaires du vieux temps, et qui a
eu le plus grand nombre d'imitateurs. On le
trouve dans la Disciplina clericalis de Pierre
Alfonse, dans les Gesta Romanoruniy dans
les FabuU i4^o/pAi publiées par Leyser, et dans
Boccace. Les imitations modernes sont innom-
brables.
P. 85, 1. 15. Perusse. Prusse, Verard. Les
Chevaliers de l'ordre Teutonique. en Prusse,
étoient toujours en guerre co/itre les infidèles.
P. 92, 1. I}. Thamisoit delà fleur. Buletoit-
de la farine, Vetsad.
P. loi. La dix-neuviesmi nouvelle. Ce conte
se trouve assez souvent répété dans les ma-
nuscrits du moyen âge. Il lorme le sujet d'un
fabliau publié par Barbazan, tom. III, p. 215,
De V enfant qui fu remis au soleil.
P. loi. Philipe Vignier. Philippe Vignier
est nommé parmi les valets de chambre de
Philippe le Bon sous la date de 145 1 . Voyez
cm JVooy. II. 17
k
2)8 NOTES^
les Mémoires pour servir à l'Histoire de France
et de Bourgogne, p. 22$.
P. 106. La vmgtiesme nouvelle. Ce conte
ressemble un peu à une des Facéties de Pogge ,
Priapi vis, p. 1 18 de l'édition de 1798.
P. 11^. La vin^-uniesme nouvelle Le conte
de L'Abiesse guérie de la Fontaine , liv. iv,
conte 2.
P. 120. Caron. G. Chastelaîn, dans ses
Chroniques de Bouraogne , 5* partie, ch. 7^,
appelle Caron « le clerc dechappelle » de Phi-
lippe le Bon.
P. 121,1. 17. Sourdantes. C'est la leçon
de Verard. Le manuscrit lit soudaines, une
erreur évidente.
P. 125. La vingt'iroisiesme nouvelle. Imita-
tion du fabliau De celui qui vota la pierre,
imprimé dans la collection de Méon, t. I,
p. 307. Ce conte a été souvent reproduit par
les conteurs des seizième et dix-septième
siècles.
P. 125. Monseigneur de Quievrain. Monsei-
gneur deCommesuram, Verard.
P. I2{,1. 19. Le servir de landes. Dieu
scety largement. Le servir d'aubades assez lar-
gement, Verard.
P. 127, 11. 23-25. E de ce cas,.,deléans.
Or est'il vray que là présent) estoit ung jeune
enfant de environ deux ans, filz de léans,
Verard. J'aurois peut-être dû admettre daiis le
texte la leçon de Verard.
P. 128, 1. 2. Apfroucha. C'est la leçon de
^mmgmmmmmmmm^^f^
Notes. 259
Verard. Le manuscrit lit^ // apperceu de la
raye,
P. 128, 1. 2. Monseigneur de Fiennes. Thi-
baut de Luxembourg , seigneur de Fiennes,
étoit un des chevaliers qui accompagnoient le
comte de Charolois à Lille en 1^66. Vers la
fin de sa vie, il devint ecclésiastique, et
mourut, en 1477, évèque du Mans.
P. 1^4. Philipe de Saint Yon. Peut- être le
fils de Gamot de Saint-Yon, qui étoit un
des officiers de la maison du duc Jean Sanr-
Peur.
P. 135,1. 13. Larrier. Lévrier ^ Verard.
P. 136, 11. 10, 12, 22. Duyere. Terrier,
Verard.
P. 137. Monseigneur de Foquessoles. G.
Chastelain parle d'un bailli de FouqueroUes ,
en 141 9, qui étoit peut-être le père de notre
conteur.
P. 140, 1. 24. L'abbajt, Sans passer grans
langaiges, Verard.
P. 151, 1. 9. Mestriery leçon de Verard;
mestre, dans le manuscrit. «
P. 1 5ii, 1. 7. Tendreur. J'ai adopté la leçon
de Verara ; le manuscrit lit teneur.
P. 1 57. Monseigneur de Beauvoir. Jean de
Montespedon, seigneur de Beauvoir, écuyer,
conseiller, et premier valet de chambre de
Louis XI, dont il étoit partisan avant son ac-
cession au trône.
P. 160, 1. 20. Queues. Traynées, Verard.
P. 166. Messire Michauît de Changy, Mî-
chault de Changy étoit conseiller du grand
i6o Notes.
conseil, chambellan, premier écuyer tran-
chant , puis premier maître d'hôtel des ducs
Philippe le Bon et Charles le Téméraire.
P. i66, 1. 22. Boccace. L'ouvrage de Boc-
cace auquel il est fait allusion ici est le livre la-
tin De Casibus virorum illusîrium, dont il exis-
toit déjà des traductions françoises.
P. 175, 1. 17. BoulevarSy bailles. BellèvreSy
baublièresy Verard.
P. 177, 1. 12. La ville de Chambery. Le
nom de la ville manque dans le texte ae Ve-
rard.
P. 183. Monseigneur de la Barre. Une faute
d'impression. Lisez Barde. Jean d'Estecer,
seigneur de la Barde, étoit compagnon d'exil
du Dauphin de France, et conserva sa faveur
lorsqu'il fut roi. En 1462, il fut envoyé par
Louis XI comme son ambassadeur à la cour
d'Angleterre.
P. 184, 1. 29. Courre. Coucher y Verard.
P. 192. La trente 'deuxiesme nouvelle. Ce
conte se trouve dans Pogge (^Facetia, p. 16} ,
decim£)y et dans La Fontaine, liv. 11, conte 5.
L'auteur des Cent Nouvelles nouvelles l'a pris
sans doute du premier de ces conteurs.
P. 192. Monseigneur de VUliers. Ce doit
être Antoine de Villiers, premier écuyer du
duc de Bourgogne, cjui fut, à ce qu'on dit,
un des seigneurs qui formoient la cour du
Dauphin à Genappe. En i475,iliiit un des
courtisans de Louis XI chargés de traiter les
Anglois au camp devant Amiens.
Hl^alAHlÉÉ
Notes. 261
P. 192, 1. 9. La v'dîe d'Ostellerie en Caste-
loigne. Hostelerie, Verard.
P. 205, 1. 29. Trop mieulx soulier à son pié.
Trop mieulx garny au pongnet, Verard.
P. 218. La trenîe-quatriesme nouvelle. Ce
conte est le sujet d'un fabliau par un trouvère
nommé Jean de Condé, publié dans la col-
lection de Méon,tom. I, p. 165 , sous le litre:
Du Clerc qui fut repus deriere Vescrin. On en
trouve plusieurs imitations aux XVI® et XVII®
siècles.
P. 22 1 , 1. 8. Le survenu. C'est la leçon de
Verard que j'ai adoptée , en place de celle du
manuscrit, souvenir.
P. 232. La trente-septiesme nouvelle. Imitée
par La Fontaine (liv. II, conte 10), et repro-
duite assez souvent par les conteurs des
seizième et dix-septième siècles.
P. 232, 1. 25. Lw Quinze Joyes de mariage.
Ouvrage célèbre d'Antoine de la Sale ; voyez
mon Introduction.
P. 233, 1. 6. Qu'un follasîre de sa massue.
Que ungfol de sa marote, Verard.
P. 238. La trente-huitiesme nouvelle. On
trouve ce conte dans Boccace {Décam.y jour-
née VII®, nov. 8), et dans un/abliau(yoy. Le-
grand d'Aussy, Fabl.,tom. II, p. 340). L'ori-
gine se trouve dans les collections de contes
indiens.
P. 238. Monseigneur de Loan. Monseigneur
de LaUy Verard.
P. 24J. Monseigneur de Saint Pol. Louis de
Luxembourg, comte de Saint-Pol, fut créé
262 Notes.
connétable de France en 1465 , et décapité
par ordre de Louis XI en 1475.
P. 2<4, 1. 2. Dedans la dicte cheminée. De-
dens le oouhot de la dicte cheminée y Verard.
P. 256, 1. 20. Jaserant. Hauhergon, Ve-
rard. Cette variante, répétée dans le courant
de la nouvelle, nous feroit croire qu'entre
la date de la rédaction des Cent Nouvelles nou-
velles et celle de l'édition de Verard , le jase-
rant, qui étoit une pièce d'armure plus légère
que Vhaubergeon , avoit cessé d'être en usage.
P. 261. Racomptée par Mériadech. Les do-
cuments contemporains parient de Hervé de
Mériadec au nombre des officiers de la maison
de Bourgogne. Selon la chronique de Jacc^ues
de La Lamg, il avoit accompagné l'expédition
en Ecosse , et s'y étoit fait remarquer par ses
exploits. En 1461, Louis XI lui donnoit le
gouvernement de Tournai.
P. 283. Monseigneur de Thieuges, lisez
Thienges. Thian^es étoit la seigneurie de
Chrestien de Digoine , conseiller et cham-
bellan de Philippe le Bon. On le retrouvera
dans les Cent Nouvelles nouvelles, cité commf
le conteur de la nouvelle lxviii.
P. 286, 1. 7. Sa goune. Son manteau, Ve-
rard.
P. 287. La quarante-septiesme nouvelle. On
a prétendu que cette aventure étoit arrivée à
Grenoble, à Chaffrey Caries, président du
parlement, au commencement du seizième
siècle ; mais la date de la nouvelle est évi-
Notes. 26j
demment trop ancienne pour ^ue l'aventure
de Chaflfrey ait pu en être l'origine.
P. 295. Pierre David. Cet individu n'est
connu que par un compte de la maison de
Bourgogne, daté du 30 mai 144S, qui le porte
aux appointements de 1 2 sols par mois.
P. 301 . La cinquantiesme nouvelle. On trouve
l'origine de cette nouvelle dans les Facéties
de Pogge et dans l'ancienne collection ita-
lienne de Sacchetti , nov. xiv.
P. 301 . Monseigneur de la Salle. Lisez , d'a-
près le manuscrit, la Sale; ce n'est qu'une
niute d'impression. Voyez sur Antoine de la
Sale notre Introduction.
P. 301 , 1. 7. Au pays de Lannoys. Lannois,
<Ni Lannoy, dans le Beauvoisis.
Tome IL
P. 1 . L'acteur. Probablement Antoine de
la Sale. Voyez notre Introduction.
. P. %. La cinquante-deuxiesme nouvelle. Se
trouve dans la collection de Sacchetti , nov.
XVI , et dans les Contes tartares.
P. 14, 1. 32. Câ/iomcju«. Ace mot ^ as-
sez expressif, Verard a substitué cronique.
P. 15, l. 2. Deyix adris. Trois advis, Ve-
rard.
P. 1 5 . Monseigneur l'Amant de Bruxelles.
Voyez la note à la treizième nouvelle, p. 25 « .
P. 15, 1. 24. Véglise de Saincte Goule.
I
264 Notes.
L'église principale de Bruxelles est dédiée à
sainte Gudule.
P. 17, 1. 7. Les amis de l'espouséela pren-
nent et mainent. Sic, manuscrit. La leçon de
Verard parott préférable et plus en accord
avec ce qui suit : Les amis de l'espousé prennent
Vespoasée et l'emmainent.
P. 17, 1. 24. Sa faille. Ses atournemènts,
Verard. Il paroit que les imprimeurs de Paris
ne comprenoient pas le mot faille, cjui se
trouve néanmoins dans le Dictionnaire de
Cotgrave.
P. 21. ParMahiotd^Anquasms.D'Auqnesnej
Verard. On trouve les noms de Mahiot Re-
gnault et Mahiot Noël dans les comptes delà
maison de Bourgogne , dont le premier étoit
argentier.
P. 35, 1. 5. Tapissées. Changé par Verard
en pavées.
P. 41 . Par Poncellet. Ce nom de Poncellet
etPoncelet, mis en tète de cette nouvelle
et des deux suivantes, ne se trouve dans
aucun des documents contemporains.
•P. 46,1. 12. Sorner. Farcer, Verard.
P. 46, 1. li. Mousseau. Une très bonne pièce
de beufy Verard.
P. 49. La soixantiesme nouvelle. Un conte à
peu près semblable forme le sujet de : Li dit
de frère Denise, cordelier, de Rutebeuf. Voyez
les Œuvres de Rutebeuf, publ. par Jubinal^
tom. II, p. 260.
P. 49, 1. I. Matines. Troyes^ Verard.
P. 5 3 . La soixante-uniesme nouvelle. C'est
r
Notes. 265
le fabliau Des TresceSy par le trouvère Guérin,
publié par Babazan, tom. IV, p. 393.
P. 00. Monseigneur de GUeuvain. Voyez la
soixante-deuxième nouvelle.
P. 60, 1. 2). A laquelle assemblée. Cette
assemblée fut tenue au château d'Oye, entre
Calais et Gravelines, au mois de juillet 1440^
pour négocier la délivrance de Charles, duc
d'Orléans, prisonnier en Angleterre depuis la
bataille d'Azincourt. Notre nouvelle donne
des renseignements intéressants sur les circon-
stances de cette conférence.
P. 6ifL }. Le cardinal de Viscestre. Vé-
vèque de Wmchester, Henri Beaufort, fils de
Jean de Gand , duc de Lancastre , un prélat
qui a joué un rôle très remarquable en Angle-
^ terre sous le. règne d'Henri VI.
P. 71. Le texte de Verard ajoute à la fin
de cette nouvelle : Et ainsi fut tout le maltalent
pardonné, et la paixfaicte entre les parties, c'est
assavoir entre le ait Jehan Stotton et le dit
Thomas Brampton, et furent bons amys en-
semble.
P. 72. Par monsieur Montbleru. Guillaume
de Montbléru fut bailli d'Auxerre de 1467 à
1469, et dans un compte de la maison du
comte de Charolois, de l'année 1459, î' ^^^
qualifié écuyer d'écurie. Il étoit le neveu de
Jean Régnier , bailli d'Auxerre , t[ui a laissé un
volume de poésies. Pierre de Montbléru,
écuyer-échanson du duc Philippe en 1420/
fut probablement le père de Guillaume.
P. 72, 1. 14. Monseigneur d^ Estampes. Jean
266 Notés.
de Nevers, comte d'Etampes, cousin du
duc Philippe.
P. 78. La soixante'auatriesme nouvelle. Le
sujet de ce conte est iaentique avec celui du
fabliau du Prestre crucifié , publié dans la col-
lection de Barbazan, tom. III, p. 14. On le
trouve aussi dans une des nouvelles de Sac-
chetti.
P. 82. La soixante-sixiesme nouvelle. Cette
nouvelle se trouve, dans une forme un peu
moins développée, dans le fabliau Du Fevre de
Creeil, publié dans Barbazan, tom. IV,
p. 265.
P. 82. Le prévoit de Wastennes. Le chro-
niqueur Jacques du Clercq parle de ce person-
nage comme d'un de ceux qui étoient attachés
au comte de Charolois , mais il ne nous donne
pas son nom.
P. 94. Messire Chresîian deDygonye. Voyez
la note à la quarante-sixième nouvelle, p. 262.
P. 97, i. 17. Le royde Honagrie et monsei-
gneur le duc Jehan. Sigismond , roi d'Hongrie ,
et Jean Sans- Peur, duc de Bourgogne. On
parle ici de la bataille de Nicopolis, livrée en
1395, dans laquelle l'armée chrétienne, com-
mandée par ces deux princes, fut détruite par
les Turcs, sous Bajazet I^^
P. 106, 1. 19. Philippe. On a voulu effacer
ce mot dans le manuscrit, mais à quel des-
sein?
P. 109, l. 21. Mesnage. J'ai adopté ici la
leçon de Verard ; le manuscrit lit mariage.
P. 114. Par maistre Jehan Lauvin. Jehan
rilHlM^ilÉAJ
Notes. 267
Lambin^ Verard ; nom qui ne se trouve pas
dans les comptes de la maison de Bourgogne,
bien qu'on cite un Berthelot Lambin au nom-
bre des valets de chambre de Philippe le Bon.
P. 123. Monseigneur de Thdemas, Gui,
sei^eur de Thalemas, mort en 1463, sans
en^nts.
P. 128. La soixanîe-seiziesme nouvelle. L'o-
rigine de ce conte se trouve dans Pogge ,
sous le titre de Priapus in laqueo,
P. 132. Par Alardin, On trouve dans les
comptes de la maison de Bourgogne deux in-
diviaus de ce nom, le premier, Alardin la
Griselle, écuyer-échanson du duc Philippe
en 1436; l'autre, Alardin Bournel^ un des
officiers de cette maison de Bourgogne qui
passèrent au service de Louis XL
P. 133, 1. 7. i4 Mortaigne, Sans doute c'est
-la ville de Mortagne, près de Tournai, dont on
veut parler. Nos ancêtres , au Moyen Age, ai-
moient beaucoup à faire des jeux de mots sur les
noms des personnes et des places , et s'en aller à
Mortaigne est devenu une phrase populaire
pour dire mourir.
P. 135. La soixante-dix'huitiesme nouvelle.
Ce conte , très populaire et bien connu , se
trouve dans un fabliau publié dans la collec-
tion de Barbazan, tom. III, p. 229 {Du Che-
valier quiûsî sa famé confesse) , et dans le Dé-
cameron de Boccace, journée vii«, conte 5, et
a été imité par la Fontaine, Le Mari confes-
seur ^ liv. I, conte 4.
P. 135. Par Jehan Martin. Jean Martin,
i
t
i
f
268 Notes.
seigneur de Bretonnières^ mort en 1475 > fut
en 1467 valet de chambre et premier somme-
lier de corps du duc de Bourgogne.
P. i^i. La soixante-dix-neuviesme nouvelle.
Voyez Poggii 'Facetia,p. 89 (éd. 1798), C/r-
culatoTy pour l'origine de ce conte. Les con-
teurs modernes l'ont souvent répété.
P. 141 , 1. 17. Qu'on l'appeloit par tout. Que
on Pappeloit maistre Jehan par tout, Verard.
P. 14J. La quatre-vingtiesme nouvelle. Pog-
gii Facetta, vol. I , p. 52, AselliPriapus.
P. 144. Dernière ligne. Par mon serment.
Par sainct Martin, Verard.
P. 146. Monseigneur de Vaurin. Monseigneur
de Waulvrin, Verard. Jean Waurin est connu
comme l'auteur d'une grande chronique d'An-
fleterre, dont les manuscrits sont assez nom-
reux. Il étoit, comme son père, qui fut tué
à la bataille d'Azincourt, attaché à la maison
des ducs de Bourgogne, et il étoit un des sei-
gneurs qui accompagnèrent le duc Philippe à
Paris en 1 461. Voyez sur lui M. Paulin Pa-
ris, les Manuscrits françois de la Bibliothèque
du roi, tom. I,p. 26.
P. 150. Dernière ligne. Ne fust couché , le-
çon de Verard. Le manuscrit porte : ne fist
comme, ou connue, ce qui n'est pas un sens
intelligible.
P. 155, 1. 4. Nostre chastellenie de LisU.
Jean de Lannoy étoit en effet gouverneur de
Lille en Flandre. Voyez la note à la sixième
nouvelle, p. 254.
Notes. 269
P. 1 56, 1. 5 . Et bon bergier. Verard ajoute :
que on appeloit Hacquier.
P. 157. Monseigneur de Vaurin. Waulvrin,
Verard.
P. 157, 1. 7. Libers. Lisez, avec le manu-
scrit, Lilers (c'est une faute d'impression).
Liiiers est une petite ville en Artois.
P. 161, Le marquis deRothelin. Ce person-
nage , Philippe , marcjuis de Rocheberg , comte
de Neufchàtel, et seigneur de Rothelin et de
Badenoiller, est assez connu dans l'histoire
de son temps. Il fut maréchal de Bourgogne ,
et plus tara grand chambellan de France.
P. 163. Par monseigneur de Santilly. Le nom
du conteur manque dans l'édition de Verard.
P. 167. Par monseigneur Philipe Vignier^
etc. Le nom du conteur manque dans l'édi-
tion de Verard.
P. 173. Par monsieur le Voyer, Ce nom
manque aussi dans l'édition de Verard.
P. 173, 1. 7. Z)u duc de Bourgoigne. Ces
mots, qui manquent au manuscrit, sont ajou-
tés d'après le texte de Verard.
P. 177. La quatre-vingt'huitiesme nouvelle. On
trouve ce conte , avec des circonstances un peu
différentes, dans le fabliau delà Bourgeoise
d'Orléans y Barbazan, tom. III, p. 161 ; dans
Boccace, Décameron, journée viii, nouv. 7, et
dans Poçge, Facéties, p. 20, Fraus mulieris.
C'est l'ongine du conte de La Fontaine, Le Cocu
battu et content, et les autres écrivains de ce
genre l'on souvent imité.
L
270 Notes.
P. 177. Par Alardin. Le texte de Verard
ne donne pas le nom du conteur.
P. 181 . Par Poncelet, Ici encore le nom du
conteur manque dans le texte de Verard. Pon-
celet est déjà connu comme le conteur de
trois autres nouvelles, les cinquante-neu-
vième, soixantième et soixante-unième.
P. 182 , 1. 10. La blanche Pasque. C'est,
comme Pasques flories, le dimanche des Ra-
meaux.
P. 183, 1. 5. Pasques flories. Le sixième
dimanche du carême.
P. 18}, 1. 7, Que l'on dit Pasques commu-
niaulx, Qae l'en dit la Résurrection nostre Sei-
gneur, Verard. Le jour de Pâques fut appelé
souvent la Pâque communiant.
P. 184. La quatre-vingt-dixiesme nouvelle.
On trouve Porigme de ce conte dans Pogge ,
Facetia,p. 51 : Veniarite negata.
P. 184. Monseigneur de Beaumont. Le texte
de Verard ne donne pas le nom du conteur.
P. 187. La quatre-vingt-onziesme nouvelle.
Ce conte se trouve aussi dans Pogge : Novum
supplicii genus.
P. 1 87. Par l'acteur y c'est-à dire par l'au-
teur.
Cette nouvelle et la suivante sont sans nom
de conteur dans l'édition de Verard.
P. 189, 1. 7. Mix, Met enLoraine, Verard.
P. 194. La quatre-vingt'treiiiesme nouvelle.
PoggiiFacetia.p. 73: Quomodocalceisparcatur.
P. 1 9A. Par messire Timoleon Vignier, etc.
Le nom au conteur manque dans l'édition de
mmmmmmwmt^^^^^r^^f^'^^'^'^^'^^^'''^'^^'^^^^
Notes. . 271
Verard. Peut-être ce Timoléon Vignier étoit
le frère de Philippe Vignier, à qui la dix-neu-
vième nouvelle est donnée.
P. 196,1. 6. Sur le bancq. A la taverne,
Vçrard.
P. 201. La quatre-vingt-quinziesme nouvelle.
L'origine de ce conte se trouve dans Pogge,
Facetta, t. I, p. 205 : Digiti tumor.
P. 201. Par Phiiipe de Loan. Par monsei-
gneur de Villiers, Verard. .
P. 202, 1. 29. Frère Aubry. Frère Henry,
Verard.
P. 20^, La quatre-vingt-seiziesme nouvelle.
On trouve l'origine de cette nouvelle dans le
fabliau du Testament de l'âne, par Rutebeuf
(Œuvres, par Jubinal, I, 273), et dans les
Facetid de Pogge, p. 45 : Canis testamentum.
C'est sans doute de cette dernière collection
que notre auteur l'a tirée.
P. 208; Par monseigneur de Launoy. Le
nom du conteur manque dans le texte cle Ve-
rard.
P. 211. Par Pacteur. Par Lebreton, Verard.
P. 217, 1. 26. Les bourgois. Les brigans,
Verard.
P. 219. La quatre-vingt-dix -neuviesme
nouvelle. L'origine se trouve dans Poggii Fa-
ceti<e, p. 222 : Sacerdotiivirtus,
P. 219. Par l'acteur. Dans le texte de Ve-
rard, cette nouvelle reste sans nom de conteur.
P. 223. Par Phiiipe de Loan, Le nom du
conteur manque dans Verard.
272 Notes.
P. 227, 1. 2. Bons soldions. Compaignons,
Verard.
P. 2^9, 1. 6. Botdoigne la Grasse. Bologne
en Italie. Sa terre est si fertile que^ dans le
moyen âge, on lui a donné le nom de Bolo^
gna la Crassa.
L
,'» . .
GLOS SAIRB.
A avec.
A TOUT, atout y avec.
ABAiZj abois. II, 47.
Abbayt, commérages. I, 140.
ABREGEMENT, brièveipent. II, 126.
Absôille, absolve. 11,97.
Absolu, absous. II, 95.
Abusion, déception. Ii2jJ»
Abustiné, distribué, partagé. î. 29J. '
ÀccoiNCTE, familier. « Se fist par gratièux
et subtilz moyens accoincte de celuy dont 11
vouloit estre compaignon. » 11^ 114. t >
AccoiNTANCE , tfdhnbi^$ance, relations; fa-
miliarité. I, 8; II, <52.
AccoRDEMENT, çonciliâtion. II, i%.
AccousTUMANCE, habitudç.; lî, M 6.
AcEVÉ, achevé; II, 146.
AcHOisoN, occasion, Cause. I; 18).
AcHOPÉ, surpris,' pri^.r, 268. ."
AcoNSUYViR, rattraper. U,'79.'
AccmcHER, acoucher malade., se coucher,
se mettre au lit pour cause de maladie. 1, 114;
AcQuiiRRE , acquérir. I, 267. -
Cent Nouvelles, II, 18
274. • Glossaire.
ÀiHCTE, interdite, accablée. « Elle se 'trou-
vera en pou d'espace si adicte et de mal sou-
prinse. » I, 1 1 $ . Vojez Du Cange, Glossarium
medid et injjimA latmitatb, VU , lo, vo Adis.
Adnichiler, annuler. II, 9^.
Adolé, triste^ chagrin. II, 202.
Adonc, alors. II, 243.
Adosser, mettre arrière. I, 154
Adouber, armer. « Dieu, qui ses cheva-
liers de telles armes scet adouber. » II, 105.
Adouber (S'), s'armer. I, 154.
Adrecié, mstruit, dressé. I, 204.
Advenir, à venir, futur. I, 80.
Advisement, avis, conseil. II, 10.
Advoé , adressé , instruit : a La damoiselle
de sa maistresse est escollée et advoée que
mieulx on ne pourroit. » I, 52.
Affaictié, simulé, dressé. « Le marjr se
fist mander quérir par ung messsigier affaictié. »
II, 30. — a Certaines matrones affaictiées. »
II, 50.
Afperré, effrayé. I, 9}.
Affiert, appartient, concerne. II, 138.
Affoler, blesser. II, 1^9.
Affres, peur, effroi. II, 128.
Affulé, coiffé. II, 181. Se dit au figuré :
a Je vous feroie affûter h prison. » II, 199.
Aggresser, attaquer. I, 1 1 , 40.
Agu, aigu. I, 7.
Aguet QD'), de dessein prémédité. I, 163.
Aguillette, aiguillette. Courre l'aiguillette.
(1,52), courir après les filles.
Agyos, façons y cérémonies. I, 77.
Glossaire. 275
Ahurter (S'), s'arrêter obstinément à une
détermination. I, 95 ; II, 174. Voy. Enhurter.
AiNçois , avant, plutôt. I, 67, 224.
AiNS, mais au contraire. I, 209.
AiTRE, cimetière. II, 206.
Alibiz forains, mauvaises excuses. II , 236.
Amant. Voy. t. II, ç. 255, 1. 55.
Amatir, flétrir, ternir, devenir languissant.
Amender, réparer, expier une faute. II,
50.
Amis. Etre de nos amis, est dit souventpour
désigner un mari trompé. Voy. I, 103, 200.
Ammiracions, exclamations. II, ji.
Ammonestemens, réprimandes. II, 185.
Angaigne^ chagrin, peine. « Et Dangier, sa
meschine, qui enrageoit d'angaigne...» I,
257.
Anuyt, aujourd'hui, ou plutôt «cette
nuit. » I, 83. Voy. Ennuyt.
Aparoir, paroitre. I, 100, 1^14; II, 117.
Apertement, ouvertement, clairement. I,
Apertises^ tours d'adresse. « Faire souples-
ses et apertises. » 11,225.
Apiert (S'), s'attaque. II, 1 58.
Appati , abandonné par suite d'un arran-
S rement, d'un pacte : « Ainsi furent toutes les
emmes de la ville appaties à ces vaillans moy-
nes. » I, 194.
Appeau, appel. I, 179.
Appenser (S'), s'imaginer, se figurer^ se
mettre en tète. I, 122; 11^ 90. ^
^yi Glossairc.
. Araisonnbr, parler à quelqu'un^ lui expli-
quer ses raisons, l; 9f. :
ARAYy aurai, If, I7j.
ArbalestE/ Proverb. : « Ne tenir serre
non plus qu'une vieillt ûrbalesU. »(I, 296.)
Faire peu de résistance , être d'un caractère
foible.
Ardre , brûler.
ASPRY, âpre , aigri. 1 , 8.
AssEULà, isolé. I, 1)0.
AssEUR, assuré, certain. II, 164.
Assiste. Proverb. : « Et pour assiete en
lieu de cresson , elle hii dist. . . » 1 , 2 1 2 .
AssiMPLY, affoibli , chancelant. « Tout es-
poenté et assimply, » I, 40.
AssoviR, accomplir, achever. II, 1^8.
Assovi, pourvu, ayant assez. II, ;8, 23 j.
Atelée, attelage, union naturelle de l'hom^
me et de la femme. II , 107.
Atour, coiffufe. I, 216.
Atrempé, ferme, solide, bien trempé.
« Atrempé coeur et vertueux courage. » 1 , 101.
Attainctes , visées , but. « Parvenir à ses
attainctes^.yyU, 201:
Attinté, arrangé, disposé. I, 1 54.
Attrotter, ainver en trottant. I, 285.
AuLTiER , autel. II, 16, 122.
AuLTRHiER (V), l'autre jour^ dernièrement.
II> 205.
AuMosNiER, libéral, faisant de riches au*
m6nes. I, 74.
Aurfavbresse, femme d'un orfèvre. 1,44.
Autant. « Boire d'autant et d'autel » (l.
Glossaire. 177
4h >75) > f^ii*^ raison à tout le monde; le
verre à la main.
Autel. « Boire d'autant et d^^iit^. » Voy.
Autant.
AuTRETANT, autant, encore autant. . I,
271.
Aval, parmi, en long et en large de : (c Aval
la chambre. » II, 151. -^« Aval Paris. »
11,92.
Avaler, descendre, aller ou mettre à val,
en bas. I, 254.
Avérer, vérifier. H, 119.
AvERTiN^ vertige , accès de mauvaise hu-
meur. II, 137.
AvoLENTER (S'), prendre la détermination.
II, IJ5.
AvoYÉ, en voie, en train. I, 249.
BACULER, bàtonner, II, 104.
Baguer, pourvoir de bijoux, linge, meu-
bles^ II, 139.
Bagué y garni de bijoux, de linge, etc.
11,92.
Bagues, bijoux^ hardes, bagages. I, 10,
202. '
Bailler, donner.
Baille , lieu fermé de palissades^ première
défense d'une ville. « Force luv fut de gai-
gner et emporter bouleyars, bailles , etaultre3
plusieurs fors dont la place estoit bien garnie. ^
Balme, baume ; au figuré , merveilles. II ,
207.
Aval, paH, a loag (t «■ la^c de : <
ladtaaàxt. ■ 11, i{i. — ■ J^mI Pi
■ ■.91.
Ataizr, àtxatkK, jOa m mam
^bas. I, 2)4-
Atuk, vôifis. Il, 119.
AvntTDi, -nmgt , accis de maanm
AvoLExm (S*), pnAchdéia^
II, iji-
Avi>Tl,a vaîe,eatEaM. I, 249.
BMXLSit, btkaaa. 11.104-
BACUEit,paHmkdelqaax, Sage, a
bks. Il, i}9.
a«-f. mm <fe 14», de fair.
278 GL0SSAIR8.
Balochoit, se balançoit. II, 1 56.
Balochouere, balançoire. II, 156.
Baloiz, balais. « Elle fîst baloiz courre par-
tout. » Elle fit nettoyer avec soin. Il, 241.
Bancq. « S'en aller sur le bancq » , aller
au cabaret, Mer banqueter, II, 196.
Bancquiers, coussins, housses pour met-
tre sur les bancs. I, 202.
Ban DON (A) , à discrétion. II, 91.
Baptisement, baptême. IL 102.
Barbaier, raser, faire la oarbe. II, 200.
Barguigner, marchander. « Et quiconque
la barguignait^ il l'avoit aussi bien à créance
que à argent sec. » II , 187.
Barres. « Comment il avoit prins le galant
à ses barres. »II, 57.
Bas, parties naturelles de la femme. 11,135.
Bas instrumens^ parties naturelles. II, 201.
Basset (E/i) à voix basse, secrètement. I ,
«55-
B ASTON. « Le baston de quoy on plante les
hommes » , le membre viril. II, 144.
Baterie, action de battre. I, 245.
Bature, action d'être battu.*!. 181.
Baudement, gaiement, hardiment. II, 172,
214.
Bec, bouche. « Jouer bien du bec » (1, 96),
faire des discours captieux.
Bedon, instrument de musique. Ce mot
est employé pour désigner les parties natu-
relles de la femme. II, i ; i •
B£e, passage, route, voie. I, 146. «Payer
a bée » (II, 150).
Glossaire. 279
Belle. « Trouver en belle » (I, 282),
avoir l'occasion favorable.
Beneisson, bénédiction. II, 184.
Besoigner, travailler, s'occuper de... I,
48.
Beste. (( Le mestier de la beste à deux
dos» (I, 107), l'amour.
Beurre. Frov. : a Ravoir beurre pour œufe n
(I, 21), être payé avec usure d'un tour qu^on
a joué à quelqu'un.
BiENViENGNER , donner la bienvenue, re-
cevoir joyeusement. II, 106.
BiHÈs, ^y/iJ5, biais. I, 132.
Blasonner, blâmer, critiquer, décrier.
« Vous blasonnez très bien mes armes. » I,
188,218.
Bleu. « Craindoit trèsfort estredureng des
bleuzvestuz, qu'on appelle communément noz
amis. » II, 118. Voy. Amis.
Boeste aux cailloux y prison. II, 207.
Bouchons (A), sens dessus dessous, à l'en-
vers. « Fut à bouchons couchée et son derrière
descouvert. »-I, 13.
Boul, bouleau. I^ 241.
BouRDELOis(^Le roi de), souverain imagi-
naire des mauvais lieux. 11,193.
Bourdes, mensonges.
Bourdon, bourdon joustouer, membre
viril. I, 84; II, 172.
BouRSER, enfler, s'arrondir comme une
bourse pleine. « Le ventre luy commença à
bourser, » I, 80.
Bout (^Bâiller le) (?). 1, 25 3,
2io. .GlOSSAIKB.
BmjT^H I «nettre.
Brayes , culotte, II , i a .
B^BFMENT, btentto, brièyement. II, 6.
BREPTÉ,brièTèté. II, s|.
Brichouart, membre viril. II, 87.
Broches, hémorroïdes. I, 10.
Brouet, soupe, sauce. 11/ 45*
Broyt , renommée. 1,103*
Bruyt V victoire , triomphe. 1 , 2 1 ) .
BuFFE, soufflet. II, 58.
BuLETBAU, blutoir, c Tenez ce buleteausur
vostre teste. » I, 94. >
Bureau , bure , étoffe grossière. I, 299^.
Buroye, boirois. II, 208.
Bu VRAICES, breuvages. II, 141.
Byhès. Voy. Bihès.
CALENGERj demander, recUmer, contes-,
ter. II, 129.
ÇXlonge (.?). H, 207.
Camus, désappointé. II, 81.
Capitulé, grondé, chapitré. I, 217.
Car, presque toujours employé dans le
sens de parce que : « Ou car Dieu le permist ,
ou car Fortune le voult et commenda.» I, 10.
Casse, cassé.
Castille, querelle, lutte. I, 126. • '
CÀutELLES, ruses. I, 77.
Ce , se. r '
Céans , citas ^ ici dedans;
CEL,ce,eet.I, 291; 11,248..
Celéement , en cachette. I /92.
Celer, cacher', dissimuler. 1, 69.
i
GLossAiRe. 281
CBS^ses.'
Cest , ce.
Gestes (P). « Mais le jugerfiit difleré jusques
à la fassbn de cestes, » I, 16..
CHAiLLdiT, soucioh. Il, 1^0.
GhalLut, soucioit. I, 268.
Ghamberière, servante, femme de charn^
bre. II, 85.
Gh AMBRE A PARER, chambre de toilette. I,
227.
Chandelle. « Allumer sa chandelle a, pré-
texte honnête pour s'introduire chez quelou'un.
Nous n'ayons pas besoin de signaler l'allusion
qui se trouve dans ce passage : « Veezcy
maistre curé qui vient pour allumer sa chan-
delle, ou pour mieux aire pour Pestaindre. >>
11^117.
Ghapperon , sorte de coiffure que portoient
les femmes. I, 216.
Ghaperon fourré, officier de justice. U^
90.
Ghar, chair. Voy. Poisson.
Ghareton, charretony charretier, voiturier.
1,43; II, 120.
Gharruyer, laboureur, bouvier. Il, 214.
Ghartre, prison. II, 97.
Ghastoy, direction , gouvernement. I, i ;6.
Ghauffer la ciVtf, attendre longuement une
chose qu'on désire ; on dit aujourd'hui dans le
même sens : « Se voir pïisser quelque chose
devant le nez. » II, 190»
Ghauld sur potage y enclin à l'amour. I,
108; II, 187.
282 Glossaire.
Chault, soucie. « Une vous cAaiibguàres
demoy. » I, 4Q.
Chéance , cnute. I, 159.
Chef, tète. A chef de pèche j au bout de
quelque temps, de puce de temps. I, 2.
Chef, bout. « Venir à chef »), venir à
bout. 1,21.
Chère, visaee. I, 7; II, 244.
Chevance, biens, fortune. I, loi^ 267.
Chevaulcher, faire l'amour. I, 276.
Chevir, venir à bout de. I, 74.
Chicheté. avarice. I, 97.
Chiège, cnoie, tombe. I, 17.
Choisir, regarder^ voir, apercevoir. I^ i}«
(( Et avoient torches et flambeauix pour mieulx
choisir partout. » II, 58.
Chrestienner, baptiser. I, 123.
Chula, celui-là. II, 127.
CiCANEUR, homme de chicane, sergent.
II, 206.
CiMBALES (Jouer des)^ faire l'acte amoureux.
II, 107.
Cire (Chauffer la). II, 190. Voy. Chauf-
fer.
Clamer, déclarer, proclamer. II , 76.
Clergie, science. II, 2;8.
Cligne-musse , sorte de jeu où l'un ferme
les yeux pendant que l'autre se cache. Cligne-
musette. II, 176.
CocQUARD. Voy. Coquard.
CoGNOissANCE, reconnoissance. I, 272.
. CoLLAGioN, discours. I, 200.
Colons, pigeons. II, 180. .
Glossaire. 28}
Comblement, amplement, à mesure com-
ble. I, II.
CoMMENDER, recommander. II, 7.
Comparer, payer. I, 222.
Compter , battre , charger de coups. « Ce
dyable, sans mot dire, le commença à comp^
ter^ et bon chevalier de se défendre. » Il ,
104.
CoMPTOUER, étude , lieu de travail. I, 1 27.
Conclu , convaincu , vaincu. « Mais en son
tort évident fut le mary conclu, » I , ) 1^ Voy.
I, 212.
CoNFERMER, Confirmer. I, 106.
CoNGYER, congédier.
CoNQU ESTER, conquérir, acquérir, gagner.
CoNSEQUEMMENT , Consécutivement. « Et
ainsi conséquemment jusques ad ce que tout
fut party et portionné. » II , 1 20.
CoNTENDRE, tendre, chercher, II, 122.
Content, comptant. I, 97.
Convenir, être nécessaire. « La bonne
damelaissoit tout convenir ^catr de donner con-
seil au contraire ne s'osoit avancer. » II, 121.
CoQUARD, coquart^ sot, imbécile. «Que
faites vous, meschant coquartf n I, 45. —
« Ceubc qui le cuident sont parfaiz coquars, »
I, 152.
C0RDOANNIER, cordonnier. II, 90.
Corner, jouer des instruments. « Fist cor--
net les menestrielz. » I, 157.
Cou LPE, faute. II, 62.
Coup (A la\ au moment. « Tenir sur fons
son enfant, aont la mère s'estoit délivrée
284 Glossaire.
droit à la coup du retour dudit chevalier. » II,
lOI.
CoupAULTy mari trompé. I, 288; 11^ 108.
Courre, courir.
Cousine. Euede noz cousines, être au
rang des courtisanes. « Et tiens , qui en aroit
à faire, qu'on la trouveroit aujourd'huy ou
reng de noz cousines, en Avignon , à Vienne ,
à Valence » on en quelque aultre lieu en Dau-
phiné. » II, 29. Voy. II, 40.
CousTiLLE, couteau j épée. I, ^9.
CousTRE, gardien, sacristain. II, 194.
CousTRERiE, ^rde, surveillance, I, 261.
CouviNE , invitation. « Et comme ilz re-
tournoient de ce couvine. » 1 , 1 94.
Ceux, mari trompé. I, 29, 2}8; II, 1 10.
Crasse, grasse. «Bouloigne la crasse.»
11,239.
Crastinb, lendemain, matinée. « Et lais-
soit sa femme prendre la longue crasûne jus-
ques à viij ou à ix heures. i> II, 6}.
Cravanter, renverser. I, 245.
Créant. I, 54. Voy. Recréant.
Credence, créance, confiance. II, 115.
Créez, croyer. I, 77.
Crbmoit, craignoit. II, 44.
Cresson. Voy. Assiète.
Crestian y chrétien^ a Luy, qui oncques
sur bestle crestiane n'avoit monté. » I, 107.
Cristien, chrétien.' II, 102.
Crochette, petite crosse. I^ 77.
Croquer,' prendre, saisir, accrocher , I ,
22.
/i.
Glossaire. 1S5
Croix. Prov.: «Je n'en fineroye néant plus
que de la vraye croix. » I, 294.
Crueux, cruel. I, 142.
CuEUR, cœur. Prov.: a N'avoit pas son
cueur en sa chausse. » II, 168.
Guider, croire.
Guigner, connoitre chameUement. II, 1 87.
GuLETTÉ la selle, couru à cheval. II, 154.
DANGiER, défaut, manque. « Et s'il y
avoit dangier de lictz , la belle paillasse
est en saison. » I, 182.
Dangier, dépendance, domination. «Or
bien, je suis en vostre dangier. » II , 176.
Dangier, difficulté. « Mais comme souvent
chose eue en dangier est trop plus cher tenue
que celle qu'on a à bandoti... » II, 91 .
Dangier, personnage allégorique du Ro-
man de la Rose. L'auteur des Cent Nouvelles
paroit avoir en mince estime l'oeuvre célèbre
de Guillaume de Lorris et de Jean de Meung.
Voy. I, 68, 158.
Dangier, garde. Nom donné à une duègne.
1,2^6.
De, que. I, 294; II, 84.
Deable^ diable. II, 104.
DÉBOUTÉ^ rebuté, renvoyé. I, 192.
Deceute, trompée. I, 100.
Decevable, trompeur. I, 212.
Déduit. « Luy qui estoit homme de dé-
duit » (II , 10), c'est-à-dire qui aimoit à s'a-
muser.
Defaulte , faute. U > 2 3 ; .
286 Glossaire.
Defpigurance, difformité. II, 187.
Deffubler, décoiffer. II, 52.
DEGOiSy disposé. I, 6$.
Dehet, gai, dispos. I, 294.
Démené , le détail d'une affaire , la manière
dont elle s'est passée. I , jx. « Et il luy en
compta largement et bien au long le démené.»
I, 210. Voy. II, 69.
Demeut, détourna de son projet. II, 248.
Denrées, instruments génitaux. I, 109.
DÉPENDANT (?). « Et estoit sur son corps dé-
pendant. » I, 251.
Déporter (Se) d'une chose , y renoncer.
1,251.
Derrain, dernier.
Desarmer, défaire, n Et ne savoit que pen-
ser comment il se pourroit de luy desarmer, »
II, 9.
Desatourné, décoiffé. I, 216.
Desceu (Au)j à l'insu. Il, 113.
Descombré, débarrassé, désencombré, II,
Desconforté, afifligé. II, 18.
Descouché, levé. I, 86.
Deservir, mériter. I^ i8t, 273.
Desfourni, privé. II, 232.
Desfrayé, peureux, ombrageux, sauvage.
I, 290.
Deshaité , malade. I, 1 1 1 .
Deshouser, débotter. II, 110.
Deslonger, détacher de sa longe. II, 131.
Desplaisant, fâché. II, 42.
Despoilli, dévêtu, dépouillé. I, 220. _
Glossaire. 287
Desprisonner^ mettre hors de prison, dé-
livrer. I, 162.
Desroy, désarroi. I, 3.
Desrompre, séparer.. II, 115.
Desserrer, ouvrir. « La posteme fut des-
serrée. » I, j.
Desserte, ce qu'on a mérité. I, 223.
Destené, destiné, prédestiné. II, 135.
Destourbier, trouole, embarras. I, 68,
126.
Destresseux, plein de détresse, qui met
en détresse. 1,12.
Devant. « Dieu devant », Dieu aidant. I,
200.
Devises, discours. I, 42.
Dextre, droite.
DiLACiON , retard. Il, 170, 245.
Dolez , affligez. II , 20.
Domine, surnom donné à un curé, v Res-
pondit maistre Domine. » II , 1 29.
Dommage, terme de droit. « Et si très bien
à point la rabatit qu'en dommage et en sa
garenne le poulain au chareton trouva. » I ,
Dont, d'où. I, 32.
Dont, donc. I, 18.
DoNZELLE, fille facile. II , 1 28.
D0RMEVEILLE (Faire la), faire semblant de
dormir; dormir d'un œil. I, 244.
DouBTE, doute, crainte. I, 128, 267; II,
54, 56.
DouBTER, craindre. I, 100.
DouBTiF, dubitatif, incertain. I, 78.
388 Glossairb.
DouLOiR (Se)y se plaindre,, gémir. 1 , 64.
DouytKE j duyère , porte, entrée. T, 135.
DoY^ doigt.
DuREAU. (( Marcha la dureau, marcha har-
diment. » 1 , 127.
DuYÈRE. I, i }6.Woj, Douyere. .
Dya, diable» I, 17.
EAGE, âge. Etresureage, être déjà vieux.
1,90, 172.
Efprayembnt, avec efiroi, tout ef&ayé.
11,7.
EFFROY,bruit. « La dame monte ensacham-
bre sans faire effroy. » I, 29.
Effroyt, bruit I, Î78.
Embronché, enveloppé. entoi;tiilé..«.£lle
fut tantost desarmée de sa taille, oùjelle estoit
bien enfermée et embronchée. » Il , 17,
Emende , amende. II, 198.
Empané , garni de drap , d'étoffe. II , 247.
Empapiné, barbouillé. « Doré et tmpapiné
d'œufz, de fromage, delaict, etc. » H', 121.
Emprendre, prendre, entreprendre. « Et
entre aultres oui dévoient emprendre ce doulx
et seur estât ae mariage. » II, 16.
Emprès(D'), auprès de. I, 188, 272.
Emprinse , entreprise, pfqet. I , .^ i ; II ,
Î9. •
Emprinse .d'armes. I, 224.
Emprint, prit, entreprit. I, 68.
Emy! exclamation. I, 244.
Encepé, enchaîné. H, 131.^
Enchargé, commandé, imposé. II, 5).
Glossaire. 289
Enchâsser, chasser, repousser. I, 81.
Encliner, incliner, pencher. II, 173.
Encloit(S'), s'enferma. Il, 190.
Encontre, au-devant. II, 7.
Encoulpit, accusé, confessé. II, 140.
Encourtiné, garni, fermé de rideaux. I, 4.
Encueillir, accueillir. II, 79.
Encuser, déclarer, dévoiler, accuser. I,
134; II, 89, 125.
Enditté, éloquent, mformé de ce qu'il doit
dire. I, 33.
Enfermière , infirmière. I, 118.
Enferrer, verbe actif, connoltre une fem-
me. II, 130.
Engin, esprit, imagination. I, 21.
Engin, ruse, mojen ingénieux. I, 12.
« Mais ilz n'y sçavoient engin trouver. » I ,
284.
Engin (Mat), ruse. II, 246. J'ignore gui
sont « ceulx du mal engin » , qui sont voisins
des Champenois. Voy. I, 106.
Engins, détours. <c L'ostel n'estoît pas si
grand , ne si pou de lui hanté en toute de-
vocion, qu'il ne sceust bien les engins,» 1 , 74.
Engreger , aggraver. II , 1 1 1 .
Enhurté, obstiné, butté. I, {8. Même
sens que ahurté.
Enlangagé , beau parleur, prompt à la ri-
poste. II , 90.
Enmy, au milieu de. I, 75.
Ennuyeuse, accablée d'ennui, de chagrin.
11,154.
Ennuyt , aujourd'hui; mais dans ce livre
Cent Nouvelles, II. 19
290 Glossaire.
le mot est constamment pris dans le sens de
cette nuit, « Et si par miséricorde il nous dé-
monstre ennuyt comme les autres précéden-
tes... » I, 78. Voy. I, 52, 159, 180,241;
Enceiller, lorgner. I, 271.
Enortement , exhortation. II , 51.
Enorter, exciter, exhorter. I, oj.
Enqperre, enquérir, rechercher, s'infor-
mer, 1 , 66.
Ens , dedans. 1 , 173; II, 241.
Enseur, loin. « Quand le vaillant homme
d'armes sceut l'Escossois enseur de luy.» I, 29.
Ensus, loin, I, 29}. « Va-t'en en sus de
moy. » I, 47.
Ensuyz, suivis. II, 115,
Ententivement, attentivement. I, 14.
Entière, restée fidèle à son mari. II , 249.
Entiereté, chasteté, fidélité conjugale.
11,235,244, 249.
Entreoyt, entendoit. II , 1 1 1 .
Entrerompre, interrompre, I, 183.
Entretant (E/i), pendant le temps. I, 22,
89.
Entretenances , entretiens, devis fami-
liers. I, 154; II, 30.
Entretiennement, relations coupables en-
tre homme et femme. 1 , 209.
Envers, Anvers. « Une feste de Lendit et
d'Envers. » I, 43.
En VIS, enyySy à contre -cœur, malgré soi.
II, 152, 218.
Eries (.?).!, 136.
Glossaire. 291
Errer , se tromper, II, 10.
Erres, indices. « Le gentil homme tantost
congneut que toutes ces excusacions estoient
erres pour besoigner. » I, 96.
EscHARSEMENT, petitement, chichement,
avec parcimonie. I, 17.
EscHASSÉ, chassé. I, 192.
EscHEVER, achever. I, 126.
EscLABOTURES , éclaboussures. 1 , 151.
EscLANDRi, déshonoré par un esclandre.
I, 100.
EscoLLER, instruire, faire la leçon. 1,52;
II, 167.
EscouRRE, secouer. I, 166.
EsLOiGNiER, éloignement. I, 141.
ESPANTER, épouvanter. 1,98, 220.
EsPARTENT (S'), se répandent. II, 1 j7^
EspiES, espions. I, 130.
EspoENTER, épouvanter, effrayer.
Espoir, peut être. I, $7, 128.
EspoiRE, peut-être. I, 262.
EsRACHER, arracher. II, 176.
EsRAiLLÉ , ouvert. « Et les deux jambes es-
raillées en dehors du bancq. » II, 166.
EssERRÉ, effrayé. I, 3.
EsTABLE, stable. II, 236.
EsTAiNS , etain ; ce métal venoit d'Angle-
terre dès l'antiquité. I, lOI.
EsTERNU , décidé. « Je ne vy jamais, moy,
homme de si hault esternu si tost rassis. » I,
175-
Estire(?). « Mais de plus belle rend e^t/re.»
I, 126.
292 Glossaire.
Estollé(?). I, 237.
ESTOUPPES. Avoir « des estouppes en sa
quenouille », être embarrassé^ avoir une mau*
vaise affaire sur les bras. Voy. I, 2 1 ) ; II, 1 1 .
EsTRAiN, paille. II, j}, 166.
EsTRAiNS, serrés. II, 52.
ESTRANGE, étranger. I, 102.
EsTRANGE, réservé, sur le quant à soy.
« Je vous seray aussi pou privé que vous m'es-
ttsestrahge, » I, 184.
EsTRANGÉ , éloigné , isolé. Il, 21;.
EsTRES, choses, objets quelconques. «Je
n'en portay oncques la clef, mais pend à vos-
trecincture avec le^vostres, dès le temps que
vous y mettiez vos estres. » II, 59.
EuR, heur. II, 162.
EuvANGiLE, Evangile. Prov.: « Une assez
bonne histoire qui n'est moins vraye que VEu-
vangile.y> II, 106.
EuvRE (A U première)^ dès le matin. 1, 1 22 .
Examiné, tourmenté. « Nos voisins ont esté
terriblement persécutez et de pestilence et de
famine. Quand les aultres en ont esté exami-
nez, nous avons peu dire que Dieu nous en a
préservez. » I, 200.
ExcusACiONS, excuses, défaites. I, 96.
ExcusANCES, excuses. II, 36.
FABRICE, fabrique d^une église. II, 199.
Faebleté, foiblesse, simplicité. II,
105.
Faille, sorte de mante flamande, II,
17-
Glossaire. 29^
Failly, fini. « Et tantost après la feste fail-
lye.,.yi II, 167.
Fain, faim, désir, envie, besoin.
Faindit, feignit. II, 1 17.
Faire, faire l'acte amoureux. I, 81.
Famé, réputation. II, 233.
Farser, moquer. I, 97.
Faulseté^ méchanceté, trahison. I, 153.
Fel, méchant, traître, félon. II, 142.
Fer. « Tenir quelqu'un à fer et à clou » ,
l'entretenir. I, 123.
Ferir, frapper. I, 302.
Ferrer, aompter. « La pouvre fille se
laissa /(jrrer. » I, 12. Voy. II, 91, 94.
FiABLEMENT, avec confiance. I, 273.
Fiché, mis, fixé. II, 246.
FiERT, frappe.
Fin. Prov.: « Plus yfne que moutarde.» H,
128.
Finance , rançon. « On eust eu nouvelle de
luy pour faire sa finance. » II, 98. — Mettre
un prisonnier à finance , c'étoit exiger de lui
une rançon. Voy. I, 32.
Finer, finir. « Sa queste en amour doit
estre bknfinée.y> I, 57. Voy. I, 132, 237;
II, 246.
Finer , obtenir. « Mais vous ne vous en
irez pas si je ne la puis finer, » II, 20.
Flambe, flamme. II, 103.
FoLYE (L^), l'acte amoureux. II, 40.
Fors, hormis, excepté. II, 9.
Fort (i4u), au fond, à la fin. I, 1 1 3 , 1 2 1 ;
II, 172.
294 Glossaire.
Fourches (^Basses). Pendre aux basses four-
ches d'une femme, la connoltre. I, ijy.
FRAiLEy frêle, délicat. II, 234.
Frain , frein. « Ronger son frain. » I, 156.
Frict, perdu , détruit. I, 215.
Frisque, frais, gai, fringant. II, 13;.
Froissie, traces. «Suivant le froissie des
chevaulx. » I, 157.
Fumer, I, 259.
FuRON , furet ; membre viril, l, 135.
GAiTTE, soldat qui fait le guet. II, 126.
Galée, galère^ navire. II, 99.
Galée, amusement, fête, plaisanterie. I,
2)1.
Galioffe, grossier personnage, vaurien.
<c Regardez quel gaUojfe! il a couché plus de
vingt nuiz avecques ma femme. » I, 282.
Garin , homme déterminé , qui a réponse
atout. « Vrayment, ma.mye, dist le moyne,
qui estoit ung garin tout fait... » II, 160.
Garin (J^rendre^y s'enfuir. « Veez là Thuys :
prenez garin y et si vous faites que sage, ne
vous trouvez jamais devant moy. » II, 96.
Voy. II, i}6.
Garnier, grenier. I, 220.
Gay. Prov.: « Plus j^y que une mitaine.»
1,265.
Geheyne, gène, torture. I, 134.
Genteté, gentillesse. I, 10.
Geron, giron, sein. I, 44.
Gesine, couches. I, 123.
Glatissoit, aboyoit, chassoit. II, 1 10.
Glossaire. 295
GOGETTES, goghettes, goguettes, réjouis-
sances, fête, l, 85, 294; II, 196.
Goghettes. Voy. Gogettes,
GpGUES (^Etre de), être en gaieté. I, 175.
Goguettes. Voy. Gogettes,
GoissoN, compagnon. II, 196.
GoRGiAS, gorgyas, élégant. « Faisoit du
gorgias. » II , 1 97. — « Deux ou trois gorgyas
qui la dévoient accompaigner. » I^ 290.
Gouge, fille, femme portée à l'amour. I^ 2.
G0UNE9 manteau. I, 286.
GouRMANDERy exercer sa gourmandise. II,
159.
GousTABLE (Ma/), de mauvais goût. II, 22 5 .
Grain, pas du tout. <c Le lieu n'est grain
honneste. » II, 180.
Gramment, grandement.
Graux, gré. I, 92.
Gref, grave. I, 18.
Grifz, griffes, mains. I, 127.
Grigneur, plus grand, plus grande. 1, 72.
Gros, sorte demonnoie. II, 157.
Grouiller , gronder^ grogner à la manière
des chiens. I, 188.
Groutter, comme grouiller, I, 189.
GuEROON^ récompense. I, 246.
GuERDONNER, récompenser. I, 156.
Guingant, Guingamp, célèbre par ses ra-
soirs. Voy. I, 7.
ALLE, marché. Prov.: « Sans tenir cy
halle de néant » (II, 192) , sans nous
occuper de choses vaines.
H
2^6 Glossaire.
Haloz . branches ou troncs d'arbres. On a
le mot hculier. 11^ 1 56.
Hamelet, petit hameau. II, 122.
Haktise , mquentation. II, c>.
Harier , fatiguer^ assaillir. Pris dans le sens
de saillir. I^ 4$.
Haulte heure (de), de bonne heure. I, 18^.
Hebreos. « Usque ad hebreos » (II, 208),
équivoque d^hébrea à ebriosus; — jusqu'à être
ivre.
Het, réjouissance, entrain. 11^ 7S. «Et
hurta l'on ae bon het à la porte. » II, 1 50.
Hoc (?). « Tenant le hoc en Veau pour devi-
ser.» \y6.
Hocher , connoftre charnellement. II, 1 88.
HoDÉ, lassé, fatigué. S'écrivoit aussi odé.
« Par la mortbieu! dist-il, j'en suis si trèsho-
dé que plus n'en puis : il me semble que je
ne voy que pastez. » I, 59. Voy. I, 87; II,
228.
HoiGNARD, grondeur. I, 62.
HoMS, homme. I, 275. Vieille forme du
nominatif singulier, que La Sale employoit
volontiers. On la trouve souvent dans les
Quinze joyes de mariage.
HosTELLAiN, hôtelier. II, 82.
Houlette, confrérie des femmes débau-
chées, des dames du Huleu, et, par extension,
des maris trompés. « Aussi suis-je pieça de la
Houlette. » I, 180; II, ;8.
Houllier, déoauché, coureur de filles. 1,4.
Un mari trompé reproche à sa femme sonAou/-
lier. I, 221.
^mtmmmmmmmmmmmftm^mmmmmmmmmmmmmrm^m
^
'
Glossaire. 297
HouRDER , fournir , pourvoir , charger,
ce Mais de sens assez escharsement Aouri^e. »
I, 17. Voy. 1,74. « Se hourde de Pescuyer
et à son col le charge. » 1 , 100.
HouRTER, heurter. I, M9.
HousÉ, botté, chaussé ae houseaux. 1, 87;
II, 182.
Houseaux , bottes.
HousER, botter, et, par extension, vêtir.
1,298.
HousERiE , habillement , action de vêtir.
HoussER, vêtir. II, 133.
Housse, fourni, vêtu. « Le plus hault ar-
bre et mieux housse du bois. » 1 , 64. C'est^-
dire le mieux garni de feuilles.
HucHER, appeler à haute voix, en criant.
I, 41 , 180.
HucQUER , frapper. II, 178.
Huée, réputation, notoriété. II, 142.
HuMET, sauce, ragoût. II, 45.
HuppiLLER, houspiller. I, 128.
HuRT , action de heurter. 1 , 1 6 1 .
HuTiN, bruit, querelle, dispute, combat
amoureux. « Et ne demandoit que hutin. )>
II, 187.
HuTiNER, tracasser, lutiner. I, 126.
HuYS, porte:
ILLEC, là. II, 242.
Impareil, non pareil, incomparable. I,
68.
Improveu , dépourvu. I, 229.
298 Glossaire.
Induce , délai , loisir, (f Si ne leur bailla
pas induce de respondre. » 1 , 181.
Infortune, malheureuse, infortunée. I,
28g.
Introduire, instruire. II, 167.
INVENTOIRE, inventaire. I, 66.
Ire, colère. II, 234.
JANNES , Gènes , II, 223.
Jaserant, cotte de mailles. I, 256.
Jasoit , bien que, quoique. II , 11.
}o\}EK des cimbales ^ faire l'acte amoureux.
II, 107.
Journée, affaire, combat, ce Et s'il accepte
h journée^ dit Madame, je viendray tenir vos-
tre place. » 1 , 5 1 .
JousTEUR, qui aime les joutes, les luttes.
11,21.
JousTOUER, destinée la joute. II, 172.
Jouvence , jeunesse. 11,234.
JuGiÉ, condamné. I, 70.'
Jus, à bas. II, 43, 138.
Justice, lieu où se faisoientles exécutions.
II, 126.
LAIRRAY, laisserai. I, 191.
Laisser, lasser. II, 27.
Landes (?). I, 125.
Langagier (Beau), beau parleur. « Car il
estoit bon clerc et très beau langagier. » II ,
"57-
Larrier, mot tiré sans doute de krris,
lande , terre en friche. 1,135*
mm
Glossaire. 299
Las, lac , lacet, piège. 1 . 372.
Lassé , lacé. 1 , 6.
Léans, là dedans.
Léaulté, foi, loyauté. H, 2j}.
Ledanger, injuner. II, 58.
Légende dorée, ouvrage célèbre de Jac-
ques de Voragine, contenant les Vies des
saints. La femme qui recommence sa grande
légende dorée, t. I , p. 8, dit à son mari une
kyrielle d'injures.
Lendit, foire qui se tenoit à Saint-Denis.
« Une feste de Lendit et d'Envers. » 1 , 43 .
Lez, c6tés. « Visiter les anglet^ de sa
chambre à tous lez au mieulx qu'il luy fut pos-
sible. » II , 119. « Elle se pourchassoit à tous
lez. » II, 187.
Lieutenant, celui qui remplace le mari
auprès de sa femme. 1 , 267 ; II , 118.
Lignage , famille. 1 , 271.
Linge, fin, délié. «Draps linges.» I, 181 ;
II, 202.
LoER, louer. II, 105.
LoiST, est loisible, permis. I, 1 18.
- Los, renommée. I, 193.
LouDiER, débauché, coureur de filles. 1,4.
— Employé en mauvaise part dans le sens
damant. 11^ 58. — Se prenoit aussi dans la
signification plus étendue de mauvais sujet,
vaurien. Voy. II, 124.
LouRDOYS (E/j), lourdement, à la façon
d'un lourdaud. I, 112.
LuYCTE , lutte. Prov. « A la tierce foiz va
la luycie. » 1 , 78.
300 Glossaire.
Lye, joyeux. I, 72.
Lyé, joyeux. I, ic).
Lyesse , gaieté, joie. 1 , 1 2.
Lysit, lut. 1, 34.
MAiGNYE, famille, les gens de la mai-
son. «Maignye d'enfans, parens,ami8,
héritages.» I, loi.
Main mise (?). « Il en eust prins vengence
criminelle et de main mise. » II , 30.
Mains, moins. I, 9.
Mal, mauvais.
Mal venir (De), par malheur. 1 , 268.
Malebouche, personnage allégorique du
Roman de la Rose. 1 , 68.
Maltalant, colère, mauvaise disposition
d'esprit. 1,8.
Manière , colère , mauvaise humeur. « Elle
est merveilleuse depuis qu'elle entre en sa ma-
nière, yy 1,4).
Marchander, faire le métier de marchanda
II, 118.
Marchant, marchand . « En lieu marchant » ,
dans une situation favorable. 1 , 92.
Marche , contrée , frontière. 1 , 72.
Marchïssant , attenant. 1 , 64.
Marescaucié, traité comme les individus ar-
rêtés par les soldats delamaréchaussée?!!, 166.
Matère , matière. 1 , 69.
Matheolet. Le livre de Matheolus, poème
de Jean Le Febvre dirigé contre les femmes.
1 , 232. La Sale en parle dans les Quinze foy es
de mariage.
Glossaire. 301
Matte, triste. « Une sure tlmatte chère. »
I, 208.
Mauvaistié, méchanceté, condition d'une
chose mauvaise. II , 161.
Mefpait présent, flagrant délit. I, 268;
II , 94-
Meiser, penser, réfléchir. I, 8.
Membre à perche ^ membre viril. 1,70.
Menestrielz, musiciens, ménétriers. I,
157.
Merci. « Obtenir le don de merci d'une da-
me », obtenir ses dernières faveurs. II, 22.
Mercier , remercier. I, 19.
Mercque, marque. II, 155.
Mercy, grâce. II, 121.
Mériter, récompenser. 1,71.
Merveilleux , méchant. I, 220.
Merveilleuse, méchante, acariâtre. I, 45.
Meschef, accident, malheur. I, 18. « A
quelque meschef que ce fust. » I , i j6 ; II , 7.
Meschief, faute. « Si en feray tout seul le
meschief. » 11,223.
Meschine, servante. I, 91.
Meschinette, petite servante. II, 240.
Mescroire, soupçonner. I, 23.
Meshuy, jamais. I, 8, 161.
Meshuy. Aujourd'hui. « Si vous prie qwe
ayez patience meshuy, et demain je besoigne-
ray à vous. » 1, 48. Voy. II, 149.
Mesmes, soi-même. i< Et que pour mieulx
besoigner, il y vouloit mesmesaller. » II, 1 16.
Mesnager, s'occuper du ménage. I, 6.
Mestier, besoin. I, 21, 140.
302 Glossaire.
Mestrier, maîtriser, gouverner. I, 151.
Metes, limites. 1,63.
Meures, mûres. « Etre rechassé des meu-
res » , être repoussé avec perte. 1 , 95 ; II , 93.
Mignon, oeau, agréable. « Et entre les
aultres nostre gentilhomme, qui mignon se
povoit bien nommer. » I, 57.
MiNOT, cachette, petit trésor, petite mine
d'argent. « Et si vous avez quelque minot d'ar-
gent à part... » II, 95.
Mitaine. Prov. : « Plus gay que une mi-
taine. » I. 265.
MOLiN , moulin.
MoMMERiES, mascarades. II, 21.
MoMMEUR, homme masqué, qui fait des
mommeries. II, 200.
MoNCELET, petit monceau. II, 181.
Monstre, montre, revue. « Etre à mons-
tre », être passé en revue. (I, 84).
Monter. <( Monter sur son chevalet » , se
mettre en colère. II, 161.
MoNTOUER, montoir, borne qui servoit
pour monter à cheval. I, 290.
More, mûre. II, i;^.
MoRSE, amorce. « Pour voir s'il ne revien-
droit point à la morse. » II , 1 56. Peut-être
falloit-il imprimer l'amorse.
MoRTAiGNE. <( Aller à Mortaigne » , mourir.
II, 13}.
Moult, beaucoup. II, 169.
Mourir sur bout^ sécher sur pied. I, 151.
MouscHE , mouche. Prov. : « Luy qui co-
gnoissoit mousche en laict. » I, 95.
Glossaire. 303
MoussEAU, ragoût, sauce. II, 46.
MousTARDE. Prov. i <( Plus fiflc que mous-
tarde. » II, 128.
MousTiER. couvent. I, 36.
Moyen, ctiose située entre deux autres,
a La maison du curé tenoit à la sienne sans
moyen. » II, 164.
MuABLETÉ, inconstance, disposition au
changement. II, 228.
MucEK^ masser, cacher. 11^ 117.
MusNiER, .meunier.
MussER, cacher. II, 180.
MuTEMACQUE, mutinerie, rébellion. II,
245.
Mye, nullement. I, 273.
N', ni. II, 232.
Nataulx, jours solennels. « Quatre
foiz l'an , c'est assavoir, à quatre nataulx, vous
devez confesser. » I, 201 . Voy. Du Gange , vo
Natalis.
Nave, navire. I, 105.
Navrer, blesser. II, i $9.
Navyeur, marin, navigateur. II, 228.
Ne, non plus. « Je vous requier que nous
ne tenons compte d'elles ne qu'elles font de
nous. » II, 39.
NÉANTÉ, néant. « Il la veult trop bien tancer
et luy dire la lascheté et niante de son cœur. »
II, 23.
Nen, non. II, 9).
Nenny, non.
NesqIun, non plus qu'un. II, i )8.
Nesun, nesung, aucun. I, 214.
304 Glossaire.
NiCHiL , rien, a Nichil au doz » , vieux terme
de procédure : néant au dossier. 1 , 107.
NoEVE (?), « Belle et gente et gracieuse es-
toit au temps ({u'elle fut noeve» » II, j .
Noise, bruit, tapage. I, 92.
NoiSEUX, querelleur, entreprenant. I, 131.
NoNCHALLOiR, négligence, indififérence. II,
Nonne (^Basse), trois heures après midi. II,
148.
Notaire. Être le notaire d'une chose ^ y
assister, en être témoin. I, 127, .154.
Nou, naee. II, 35.
Nouvel (D^), nouvellement. II, 161.
NouvELLETÉ, nouveauté. II, 47.
Nuncier, annoncer. I, 115.
OBSTANT, nonobstant. II, 115.
Oder, faticuer. « Se oda et tanna. »
II, 228. Voy. Hodé.
Œufs. Prov. Voy. Beurre.
Oez, entendez. II, nj.
Offerende, offrande. « Il alloit devant
eulx à Tofferende. » Il étoitle préféré. 1, 144.
OiGNEMENS, onguents. I, 12.
Oncques, jamais.
Orde, sale, grossière. « Uneordeexcu-
sance. » I, 157*
Ordoyer, salir, souiller. II, 95.
Ores, maintenant. II, 40.
Orinal , vase à uriner. I. 1 1 1 .
Orphenin, orphelin. I, 106.
ORRA,entendra. II, 5J-
Orrez, entendrez. II, 164.
IP
Glossaire. 305
OsTEL, maison.
OsTELLERiE, nom de lieu. I, 192, 252.
Ou , avec.
OusTiLLÉ, garni d'instrumentnaturel.II, 84.
Ouvrant, travaillant. II, 202.
Ouvrer, travailler.
OuvROUER, laboratoire. Est dit de la partie
naturelle d'une femme. II, 117.
Oye, ouïe. I, 128.
PAIN. « Tenoit à pain et à pot une don-
zelle belle et gente », Pentretenoit. II,
128.
Parachever, terminer, accomplir. II, i j.
On rencontre souvent dans ce livre cette syl-
lable explètive par^ qui indique l'achèvement ,
la perfection. Voy. les mots ci-après.
Paraccomplir, accomplir. II, 91.
Paraffoler, affoler, martyriser complète-
ment. 1, 1 10.
Parbondy, bondi,. sauté. II, 131.
Parceurent, aperçurent. I, 114.
Parchon, partage. II, 120, 193.
Pardedans (En son) y intérieurement, à
part soi. I, 242, 25^.
Pardehors, extérieur, mine, apparence. I,
258.
Paremens, vêtements, parures. II, 242.
Parentage, parenté. II, 211.
Parestoit, étoit complètement. II, 112.
Parface, accomplisse. I, 24c).
Parfait, achèvement. « Mais du parfait ^
nichil! » I, 170.
CentNouv. II. 20
l
)o6 Glossaire.
PARFiN(Ert /<a), à la fin. II, 94.
Parfond, profond. I, 121.
Parforcer, forcer complètement. I, 40.
Parfournir, compléter. II, 34.
Parlement, discours, conversation. 1, 234,
Parmentier, passementier. II, 198.
Paroultrer, passer outre complètement ,
accomplir. I, ip.
Partement , départ. I, 86.
Parti ssoNS , partagions. II , 119.
Partuer , tuer tout à fait. 1 , 112.
Pàrty, partagé, pourvu. I, 228; II, 145.
Pasque (Blanche)^ le jour des Rameaux. II,
182.
Pasqpes communiaux^ le jour de Pâques.
II, 183.
P ASQU es ^oriw, les Rameaux. II, 182.
Passe route, expert, routier. « Tout ce
que bon et sage chien doit et scet faire il es-
toit le passe route, » II , 20 5 .
Passionner, souffrir. II, 203.
Paste, prov. « Porter la paste au four. »
1,288.
Pastoujie, conductrice d^un troupeau. Est
dit d'une abbesse. 1 , 119.
Patars , sorte de monnoie. II , 157.
Patoys, langage de paysan. « Et les servit
grandement en son paioyskcç disner.» 1, 1 1 2.
PAULMÉ,pâmé. II, 100, 113.
Paumoison , pâmoison. 1 , 108.
Pèche, pièce. 1,2.
PÉCHÉ. Etre mis avec les /7^c/ï^5 ottW/V5 (I,
148), être complètement oublié.
- - - ■ j»aaa».
J
Glossaire. ;o7
Peleterie, mauvaise situation. « Il ronge
son frain aux dans et tout vif enrage quand il
se voit en celle peleterie. » I , i j6.
Pennes, pièces de drap. « Pluseurs pennes
entières et de très bonne valeur.» 11,95.
Pensemens, pensées, soucis. II, 226.
Penultime, avant-dernier. II , 248.
Percevant, adroit, pénétrant. II, 140.
Percevoir, apercevoir. II, 9.
Perchant, bâton, perche; pris pour mem-
bre viril. II, 204.
Percha, perça. II, 217.
Périlleux, dangereux. 1 , 131.
Pertuiser, percer. II, 14.
Pertus, trous. I, 178.
Phisicien, médecin. I, 1 1.
Pie, boisson. « En pluseurs religions y a
de bons compaignonsà lapieet au jeu des Sas
instrumens. )> II, 201. On disoit aussi pier^
boire; piot, vin; croquer la pie, boire.
PiEÇA, il y a longtemps, il y- a pièce de
temps. 1,3.
Piez, pieds. «Vous ne saulteres^ jamais
d'icy sinon les piez devant. » C'est-à-dire :
Vous ne sortirez que mort. 1 , 197.
Pigne, peigne. « Trousser pignes, ex m-
roirs )) (I, 123), faire ses paquets.
Piller, prendre. II , 81.
Plaisance, volonté, fantaisie. I, 65.
Plastrier, homme grossier, malpropre.
i( Les v'ûhms plastriers, » II, 21 6,
Pléger , tenir tète à quelqu'un qui boit à
notre santé. I, 176.
■M^Hta
3o8 Glossaire.
Plorerie, action de pleurer. ï , 1 16.
Pluc, ce qu'on a recueilli. Cueillir se dît
en allemand pflûcken. En gascon, manger un
raisin grain à grain se dit plaça, Cotgrave
donne le mot plucquoter,, « Car du pluc et bu-
tin qu'elle avoit à la force de ses reins con-
questé avoit acquis vaisselle et tapisserie. »
II,i}6.
Poisson. « S'en revint devers son maistre
à tout ce qu'il avoit de poisson , car à char
avoit-il failli » , est dit d'un entremetteur. I ,
130.
PoRCiONNER, faire des parts, partager. II,
120.
PosTERNE, poterne. I , i .
Pot (a pain et à), Voy. Pain,
Pou , peu.
PouRCHAZ , recherche , diligence. 1 , 133,
267.
PouRSUiR, poursuivre. I, 96.
Prémisse , discours, prologue , exorde. I ,
129,274.
Prenist , prit. II, 177.
Preschement, sermon, remonstrance. I,
Preu, profit, avantage. « Bon preu vous
fasse! »I, 189.
Prins, prov. « Cyprins cymh, » II, 1^4,
149. On dit aujourd'hui : « Sitôt pris, sitôt
pendu. »
Prinsault, prime abord. 1,3.
Procurer, plaider, intercéder, servir de
procureur. I, 166.
Glossaire. 309
PuBLicQUEROiT , divulguerott , publieroit.
II, 2^.
Puis, après. I, 178.
Puis, dès. I, 195.
Pute, méchant, pervers. Des deux genres.
I>235.
PuTERiE, mauvaise vie, débauche. I,
288.
PuTiER, débauché. 1 , 4.
r\ UARESME. Prov. « Il sembloît qu'ils
^^^voulsissenttuer Quaresme. » II , 178.
C'est-à-dire : Ce sont des gens déterminez,
qui ^eroient tout, même Carême, tout mai-
gre qu'il est.
QuARESMEAULX, jours maigres. I, 212.
QuANS, combien de. I, 92.
Que, comme. « Et s'asseura que celuy qui
en beaucop de periiz s'estoit trouvé. » II,
28.
Querelle , recherche , demande , préten-
tion. I, 233,258.
Quérir, vouloir, chercher. « Je ne vous
le ^uzer jà celer. » I, 186. Voy. I, 222; II,
1 1.
QuESNOY (Le). 1 , 134.
Quetaille(?). i< Setenoitcomme une droite
statue ouydole en quetaille, » 1 , 175 .
QuiBUS, argent. II, 136.
Quis, cherché. I, 163.
Q^uiTTER, abandonner, céder. I, 68.
QuoNiAM, parties naturelles de la femme. II,
'Î5-
9IO Glossaire.
RaCahër, braire. II, 143.
Racoler, faire l'acte amoureux. I, 113.
Radde, vif, alerte. (( Radde du pyé » , agi-
le. I, 302.
Radoubter , radoter. 1 , 181.
Raffroigné, refrogné. II, 86.
Rafrbscher, rappeler, renouveler, ra-
fraîchir. I, 289.
Raherce (?). I, 183.
Raidz, rayons. I, 105.
Ramentevoir , rappeler. 1 , 121.
Ramonné. Prov. « Se trouver en place ra-
monnée » (1 , 67), en liea propre, favorable.
Ramponner, quereller, gronder. 1 , 176.
Raroit , auroit de nouveau. 1,21.
Rasiere, mesure de blé. I, 270.
Rastelée, râtelée y ce qu'on sait , ce qu'on
pense d'une chose. « Compta sa rastelée à
madamoiselle. » II , 1 28.
Rasure, mesure de blé. I, 268.
Rataindit, ratteignit. 1 , 1 57.
Rate , un peu. Espagnol , rato. « A rate de
temps. » I, 180.
Râtelée. Voy. Rastelée.
Ratoille, réattelle. I, 54.
Reboutement , action de rebuter, repous-
ser. 1,251 ; II, 98.
Rebouter, remettre. I, 292.
Rebouter, rebuter, repousser. 1 , 70.
Recaner, braire. II, 59.
Receveur, celui qui reçoit des coups, ull
CDmpteroit avecques luy et le feroit receveur
oultre son plaisir. » II, 115.
Glossaire. 311
Rechap , action de réchapper d'un danger.
« Elle est morte, et n'y a pas de rechap. » I ,
III.
Reclusage, ermitage. I, 75.
Recors (Etre), se souvenir. II, 183.
Recréant, las, lâche. « Plus que tous
aultres recréant et las.» 1, 7, 6 1 ; II, 1 04 , 22 5 .
Refroidement, refroidissement. II, 42.
Rehouser, remettre les bottes. I, 133.
Religion, couvent. II, 201.
Rémanent, restant, demeurant. II, 192.
Rembatre , revenir sur ses anciens erre-
ments(?) I, 127.
Renard, fin., rusé. I, 70.
RENCHOiR, retomber. II, ij.
Rencouler, roucouler. II, 180.
Rendy (f). (( Car la mercy Dieu elle avoit
rendyel couru pais plus tant que du monde ne
savoit que trop. » II, 128
Rengreger, aggraver. II, 91.
Renuré, profondément gravé. I, 231.
Repaire , visite , fréquentation. II , 115.
Repatrier. I, 262.
Reprinsb, repréhension. « Pour bien se
venger de luy à son aise et sans reprinse, »
1,27.
Reproché, reprouché, blâmé, décrié, dif-
famé. I, 31, 118, 300.
Requerre, requérir. I, 118.
Requestes. « Passer les reauestes de quel-
qu'un » , lui accorder ce qu'il aemande. « Elle
passa légèrement les requestes de ceulx qui
mieulx luy pleurent. » II, j.
}I2 Glossaire.
Resgourre, secourir. I, 291.
Rescripsit, écrivit en réponse. I, 144.
Reserrer, refermer. I, 186.
Resne, rêne. Employé dans le sens de
membre viril. I, 230.
Retollir, reprendre ce qu'on avoit donné.
Retour, retraite, habitude, amourette.
<( J'ay ung retour en ceste ville dont je suis
beaucop assoté. » I, 184.
Retourner, retour. II, 1 10.
Revirer, retourner. I, 178.
Reut, eut de nouveau. I, 14.
RiBAULD, homme de mauvaise vie. I, 4.
Ribauldelle, ribaude, femme de mauvaise
vie. 11,215.
Rien, chose. « La rien en ce monde dont
la présence plus luy plaist. » I, 121.
Rigoler, railler. Verbe actif. I, 176.
Rire. Prov.: « Qui à ceste heure l'eust veu
rire, jamais n'eust eu les fièvres. » I, 133.
RisiT, rit. II, 22.
Riz, indiqué comme une marchandise dont
l'Angleterre îoumissoit les autres pays. I, loi .
RoE, roue. I, 134.
RoMPTURE, rupture. I, 77.
RoNTEURE, rupture. I, 181.
Rote, troupe. 1, 34.
RoucYNER, rousyner, faire l'acte amoureux.
I, 111,280.
RouiL, rouille. II, 177.
RouTi ER (?) . i( Son mary avoit demouré deux
ou trois jours rouff^r^. » II, 178.
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Glossaire. 313
Ruer, ieter. II, 176.
Ruse (?). « Car il estoit ferme en la rw^que
d'estre confessé. » I, 39.
SACQUA, tira. II, 219.
Saillir, sortir. II, 12.
Saillir sus, se lever vivement. II, 43.
Saillir avant, s'avancer vivement. I, 117.
Sains, saints. «La devocion que monsei-
gneur avoit aux sains de sa meschine de jour
en jour croissoit. » I, 91 .
Saint Anthoine. « Saint Anthoine arde la
louve! » I, 231.
Saint Nicolas de Warengeville. I, 141 .
Saint Pol (comte de). Voy. Walerani. ï,
128.
Saint Remy, époque d'échéance. I, 269.
Saint Trignan. I, 29.
Sainte Goule, sainte Gudule. II, ij.
Salade, sorte de casque. I, 28.
Sanchié (?) i< Son mary retourna de la ville
comme sanchié de son courroux , pource qu'il
s'en estoit vengé. » I, 243.
Sané, guéri. II, 174.
Sangles, simples. II, 247.
Sara, saura, II, 244.
Sauldrez, sortirez, sauterez. II, 124.
Sault, sort. I, 92.
Saulterez, sortirez. I, 107.
Saulx, saule. « Charbon ae saulx. )> I, 43.
Sauvement, salutairement. c<Si sauvement
préservé.» II, 105.
Sayoit, scioit. I, 130.
314 Glossaire.
SçARAS, sauras.
ScERA, saura. I, 60.
Se, ce.
Séans, céans, ici. I, 6.
Seaumes, psaumes. I, 105.
Seclus, exclu. I, 192; II, 236.
Semonce, invitation. I, 169.
Semonnez, invitez, engagez. I, 176.
Semons, invité. II, ^4.
Senestre, gauche.
Sengloutir, jeter des sanglots, II, 245.
Sente, route, sentier. I, 139.
Sentement, sentiment. II, 131.
Séquestre. « Et si emporte la verge qu'elle
Iny donna, qu'il avoit aesja mise en main
séquestre.)) I, 155.
Serain, soir. I, 38.
Sercher, chercher. I, 23.
Serre. Prov.: «Elle ne tenoit^erre non plus
qu'une vieille arbaleste. » I, 295.
Ses , ces.
Seuffrir, souffrir. I, 226.
Si , oui , oui certes. « Le musnier demanda
à madame se elle l'avoit à l'entrée du baing,
et elle dit c)ue si. » I, 24.
Si que, jusqu'à ce que. I, 131.
SiET, est assis, situé. I, 1 14.
SiGNiFiANCE, signification. II, 13.
SiMPLESSE, simplicité , bêtise. II, 181.
Singe. Prov.: « Pour qui elle ne feroit néant
plus que le singe pour les mauvais. » I, 1 30.
Soef, doucement. I, 100.
SoiCHONS, compagnons. H, 227.
Glossaire. 315
SoLAZy plaisir, réjouissance. I, i $9.
SoLiER, soulier. Prov.: «Doublant qu'il
ne soit pas bien solier à son pié. » I, 83 . •
Sonnet, pet. I, 14, 100.
SoRNER, se moquer. II, 46.
SouEF, doucement. I, 178.
SouFFiSAUMENT, Suffisamment. I, 19.
SouFFLE-EN-cuL, nom donné à l'acte amou-
reux. I, 279.
Souffrance, patience. Employé ironique-
ment, II, 209.
SouLAS, plaisir, réjouissance. II, 232.
SouLOiR, avoir coutume. I, 284.
SouPRiNS, surpris. I, 75.
S0URD01ENT, provenoient. II, 137.
Sourdre, naissance, origine, a Quelque
menace qui sourdre prist. » II, 115.
S0URVENISTES, survîntes. I, 209. .
SouvYNE, sur le dos. I, 1 3 1 .
SuBTiuER, chercher des détours. II, 187.
Sure, aigre. « Une sure et matte chère. »
I, 208.
Sus, chez. II, 50, 54.
Sus (Eri), loin. I, 126.
Susciter, réveiller, ranimer, II, 186.
SusPEÇONNER, soupçonner. I, 8.
Suspeçonneux, soupçonneux.
Suspicion, soupçon, I, 267; II, 118.
SuspiciONNÉ, soupçonné. II, 114.
SuYR, suivre. II, io6.
}i6 Glossaire.
TAILLÉ de, fait, disposé pour..., apte
à..., en passe de... I, 125, II, 19;.
Talebot, Taibot. I, 32.
Tamburch, bruit. II, 176.
Tancer, gronder, ouereller, parler.» Et je
m'en iray en ma chamorette là derrière tancer
à Dieu.» I, 249.
Tanné, lassé, fatigué. II, 228.
Tantes, tant de. II, 109.
Tapinage {En) , en cachette , en tapinois.
I, 130.
Tas. <f Monter sur le tas pourvoir plus loin »,
est dit d'un homme qui caresse une femme.
11,131.
Tasseau, pièce. I, 299.
Tauxé, taxé. I, 269.
Taye, grand'mère, ayeule. I, 302.
Teins, veillé. I, 206. Voy. Tenir.
Tendreur, tendresse. I, 1J4.
Tenir sur quelqu'un , le surveiller. « Car
je tendray sur luy. » I, 212.
Tenser, tancer, quereller. 1, 30.
Tente, instrument de chirurgie, appareil.
« Et d'un tel oustil fit il la tente pour quérir et
pescher le dyamant. » I, 25.
Termes {Mis en), proposé, convenu. II,
Terminé (?). « Ensuyvantle terminé pro-
pos.» II, 159.
Terrien, terrestre. I, 194.
Tiers, Tierce, troisième.
ToLLU, enlevé. II, 131.
TousT, ôte. I, 211.
Glossaire. 317
Train. «Tirer au train de derrière » (I,
1 26) , être enclin à l'amour.
Trainnéb, traynée, traynnée, intrigue, se-
cret. Allusion à la traînée de poudre d'une
mine. II , ^9^ 11;^ 117. On dit aujourd'hui :
« Eventer la mine. »
Transmuer, changer. I> 138.
Tra VEILLER;, fatiguer. « Il n'est jà mestier
que vous /r^mi/ez plus monseigneur. » I, 21.
Traînée, traynnée. Voy. Trainnée.
Trespasser, passer outre. I, 137.
Trestous, tous. II, 124.
Triumphe , joie, allégresse. 1 , 1 1 .
Tromper (Se) de quelqu'un, s'en moquer.
I, 207.
Tyne, tonneau. I, 2}8.
Unes, une paire de. « (7/ï« brayes qui
pendoient. » II, 13.
UNO (A l'), également, d'une manière unie.
215.
VA-LUY-DiRE, messager d'amour. I,
130.
Vaissel, vaisseau, vase. I, 14.
Variableté, condition de ce qui change
facilement. II, 228.
VÉEZCY, voici.
Véezla, voilà.
Veil, volonté, vouloir. I, 145.
Veille, veux. I, 136.
Veillé, éveillé, vif, rusé. «Son varlet,
qui estoit ung galant tout veillé. » I, 96.
Ji8 Glossaire.
Veillote, petite vieille. I, 76.
Vensist, vînt. I, 296.
Verge, bague, anneau. I, 25.
Veyer(?). II, 126.
ViAiRE, visage. II, 174.
Viander, manger. H, 79.
ViLLANNER, injurier, décrier, offenser griè-
vement de paroles. I, p.
ViLLANiE (/)ir«), dire des injures. ï, 16},
245 ; II, 24.
Virer, tourner. I, 225.
ViRETON, bâton. II, 205.
ViTAiLLES, victuailles. II, 118.
ViVEUX, vif, éveillé. I, 67.
VoER, jurer, faire vœu. II, 15.
VoiRRÉ, garni de vitraux, de verrières. II,
VoiRRiÈRES, verrières y vitrages. 1^*7.^
VouLSiST, voulût.
VuiDER, quitter le lieu où l'on est. II, 1 16.
WALERANT (Comte). I, 128.
Wrelbnchem, près de Lille. I, 128.
Y DOiNE, propre, approprié, convenable,
suffisant. S'écrit ordinairement idoine.
II, 244.
319
TABLE DES MATIÈRES.
AVEC LES TITRES DES NOUVELLES ÉDl^TIONS
DE COLOGNE ET DE LA HAYE.
TOME I.
Pages.
Introduction ; • . . . v
DÉDICACE , . . xxj
Table des sommaires xxiij
Nouvelle I. La médaille à revers > . i
II. Le cordelier médecin 9
III. La pêche de l'anneau i6
IV, Le cocu armé 26
V. Le duel d'aiguillettes 32
VI. L'ivrogne aa paradis 38
VII. Le charreton a Parrière-gaide 43
VIII. Garce pour garce 46
IX. Le mari maquereau de sa femme. ... 50
X. Les pastés d'anguille 56
XI. L'encens au diable 61
XII. Le veau 63
XIII. Le clerc châtré 67
XIV. Le faiseur de papes, ou l'homme de Dieu 73
XV. La nonne savante 81
XVI. Le borgne aveugle 84
XVII. Le conseiller au bluteau 90
XVIII. La porteuse du ventre et du dos ... . 9$^
^20 Table des Matières
Pages.
XIX. L'enfant de neige loi
XX. Le mari médecin 107
XXI. L'abbesse guérie 114
XXII. L'enfant à deux pères 120
XXIII. La procureuse passe la raye 125
XXIV. La botte à demi 128
XXV. Forcée degré 134
XXVt. La demoiselle cavalière 1 37
XXVII. Le seigneur au bahut 157
XXVIII. Le galant morfondu 166
XXIX. La vache et le veau 17)
XXX. Les trois cordeliers 177
XXXI. La dame à deux 185
XXXII. Les dames dtmées 192
XXXIII. Madame tondue 204
XXXIV. Seigneur dessus , seigneur dessous. . . 218
XXXV. L'échange 22J
XXXVI. A la besogne 229
XXXVII. Le bénitier d'ordure 232
XXXVIII. Une verge pour l'autre 238
XXXIX. L'un et l'autre payé 245
XL. La bouchère lutin dans la cheminée. . 251
XLI. L'amour et l'aubergon en armes. ... 256
XLII. Le mari curé 261
XLIII. Les cornes marchandes 267
XLIV. Le curé courtier 270
XLV. L'Ecossois lavendière 280
XLVI. Les poires payées 283
XLVII. Les aeux mules noyées 287
XLVIII. La bouche honnête 292
XLIX. Le cul d'écarlate 29 s
L. Change pour change 301
TOME II.
LI. Les vrais pères 4
LU. Les trois monuments 8
LUI. Le quiproquo des épousailles 15
LI V. L'heure du berger 21
J
Tabbb des Matières. 321
Pages.
LV. L'antidot« de la peste 25
LVI . La femme , le cure , la servante , le loup. 29
LVII. Le frère traitable 34
LVIII. Fier contre fier j8
LIX. - Le malade amoureux 41
LX. Les nouveaux frères mineurs 49
LXI. Le cocu dupé 53
LXIL L'anneau perdu 60
LXIII. Montbléru , ou le larron 72
LXIV, Le curé rasé 78
LXV. L'indiscrétion mortifiée et non punie. . 82
LXVI. La femme au bain 87
LXVII. La dame à trois maris 90
LXVIII. La garce dépouillée 94
LXIX. L'honnête femme à deux maris 97
LXX. La corne du diable 101
LXXL Le comard débonnaire 106
LXX1L La nécessité est ingénieuse 109
LXXIII. L'oiseau en la cage 114
LXXIV. Le curé trop respectueux 122
LXXV. La musette 123
LXXVI. Le laqs d'amour 128
LXXVn. La robe sans manches 132
LXXVIII. Le mari confesseur 13$
LXXIX. L'âne retrouvé 141
LXXX. La bonne mesure 143
LXXXI. Le malheureux 146
LXXXII. La marque 155
LXXXIII. Le carme glouton 157
LXXXIV. La part au diable 161
LXXXV. Le curé cloué 163
LXXXVL La terreur panique, ou l'offîcial juge. 167
LXXXYII. Le curé des deux 175
LXXXVIII. Le cocu sauvé 177
LXXXIX. Le curé distrait 181
XC. La bonne malade 184
XCL La femme obéissante 187
XCII. Le charivari 189
XCIH. La postillonne sur le dos 194
XCIV. Le curé double 197
XCV. Le doigt du moine guéri 201
CtntNotty,}]. 21
]32 TABLB des HATliRES.
XCVI. Le laumot du chien
XCVII. Le» lunMean
XCVIII. Letxmini* iafortanit
XCIX. LJ infURior[^ose
C. Le 9«ge Nkaise, ou l'aituni yttti
tWTt»
1
}2î
ERRATA.
TOHI I.
Pag. Ligne.
14 x\ ^ au lieu de ient
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84 5
—
pré set
— près et.
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<—
Etainçois
— Et amçois.
175 10
—
a chef
— à chef.
17} 19
— .
baillés
— bailles.
18) u
—
La Bane
— La Barde.
229 26
—
quelque
— quel que.
23) 3
—
advenues. Nostre
— advenues, nostre.
252 27
—
veoit
— véoit.
275 7
—
Quen
— Qu'en.
283 2
Thieuges
— Thienges.
283 21
—
Pabbesse qui veoit
— Tabbesse, qui véoit
301 2
La Salle
Tous 11.
— La Sale.
28 28
—
quoR
— qu'on.
65 30
requis,
— requist.
99 31
"—
qu
— qui.
109 15
—
cueur que
— cueur, que.
157 9
—
Libers
— Lillers.
166 })
—
alousie
— jalousie.
202 10
la dole
— l'adolé.
226
23»
26
7
este
— aye.
— estes.