Les Chef s-d' Œuvre de la Poêtie iyriqiufraniaw. lU
V
/ f n-
LES CHEFS-D'ŒUVRE LYRIQUES
DE
MALHERBE
ET DE L'ÉCOLE CLASSIQUE
I
144
Du même Auteur
Les cent meilleurs poèmes (lyriques) de la langue
FRANÇAISE. I vol. in-i8, broché, 0.75; cartonné
toile, 1.25; relié cuir souple, 2.50.
Les chefs-d'œuvre lyriques de Ronsard et de son
École. i vol. in-i8, broché, 0.75 ; cartonné
toile, 1.25 ; relié cuir souple, 2.50.
Les chefs-d'œuvre lyriques d'André Chénier. i vol.
in-i8, broché, 0.75 ; cartonné toile, 1.25 ; relié
cuir souple, 2.50.
Les chefs-d œuvre lyriques d'Alfred de Musset.
I vol. in-i8, broché, 0.75 ; cartonné toile, 1.25 ;
relié cuir souple, 2.50.
Pierre Corneille. Le Cid. i vol. in- 18, broché,
0.75; cartonné toile, 1.25; relié cuir souple, 2.50.
LES
CHEFS-D'ŒUVRE
LYRIQUES
DE
MALnERBE
ETDEL'CCOLECLÂSSIQim
TOME I
•CHOIX ET nonce
DE
AUGUSTE DORCMAin
JL
|.VAVAVAVAVAVAVÀyjlVAVAVAyjLVXVAVAVAVÀÎ^VAVAVJlVÀ*XVAT;
A F^ERCHE
45 RUE JAC05- PARIS
1908
.1. « ^
LES
CHEFS-D'ŒUVRE LYRIQUES
DE
F. DE MALHERBE
ET DE L'ÉCOLE CLASSIQUE
I
DE MALHERBE A CORNEILLE
Choix et Notice
de
AUGUSTE DORCHAIN
r"
';3^l"
Paris : A. Perche, 45 Rue Jacob
Bruxelles : Spineux & Cie, 3 Rue du Bois Sauvage
Lausanne: Edwin Frankeurter, 12 Grand-Chêne
Berlin : Wilhelm Weicher, Haberlandstr. 4
LoNDON & Glasgow: Gowans & Gray, Ltd.
1909
NOTICE
Comme Ronsard au seizième siècle, Malherbe sera aux
dix-septième et au dix-huitième siècles, le chef de chœurs
de notre poésie. On peut contester la grandeur propre
de son œuvre, mais non pas celle de son influence. S'il
n'a pas créé un nouveau lyrisme, il a imposé une dis-
cipline nouvelle, à laquelle se sont soumis, pendant près
de deux cents ans, presque tous nos poètes; et ceux-là
même qui ne s'y soumirent point, sentirent du moins
qu'il leur en fallait secouer le joug, tant il était impérieux
et fort. Une anthologie de l'École Classique devait donc
être mise, en quelque sorte,*«oui l'invocation de Malherbe.
MALHERBE
Dans une Instruction adressée par Malherbe à son fils,
on lit: "En la chronique de Normandie, il y a un
chapitre exprès des seigneurs français, chefs et barons,
qui accompagnèrent le duc Guillaume à la conquête de
l'Angleterre, entre lesquels est Malherbe, dont nous
sommes sortis, lequel était baron de La Haye, en Coten-
tin ; et parce que l'on pourrait dire que c'est une autre
race de Malherbe qu'on appelle Malherbe de la Meauffle,
cela se résout pour nous, parce que le duc Guillaume
ayant fait peindre toutes les armoiries des maisons illus-
tres qui l'avaient suivi en Angleterre, les nôtres se
trouvent tant en une salle de l'abbaye de Saint Etienne
de Caen qui est de sa fondation, qu'en une de l'abbaye
de Saint Michel au rivage de la mer en Basse Nor-
mandie. Nos armoiries sont d'argent à six roses de
gueules et des hermines de sable sans nombre."
Ces prétentions à une très ancienne noblesse militaire
ont été quelque peu raillées par les contemporains du
poète ; à tort, car des recherches toutes récentes les ont
vi NOTICE
pleinement justifiées. Mais depuis longtemps les Mal-
herbe avaient quitté l'épée pour la robe lorsque, en
1555, François Malherbe, sieur de Digny, simple con-
seiller au présidial de Caen, vit venir au monde son
premier-né, qu'il nomma François comme lui, et qui
devait être le plus illustre rejeton de cette vieille souche
normande.
Le sire de Digny professait la religion protestante,
non sans fanatisme, car une pièce authentique nous le
montre, sept ans après la naissance de son fils, prenant
part au pillage de l'abbaye de Troarn où il fut même
le commandant de "la bande de voleurs perfides et
hérétiques qui, armés de toutes sortes d'armes, entrèrent
de force dans l'église, rompirent les autels, images,
crucifix, bancs, chaises, et autres meubles, brûlèrent
tout dans l'église même, prirent les livres, reliques et
argenterie qui étaient considérables et emportèrent le
tout." Son fils dût donc être élevé d'abord dans la foi
de son père ; mais comme, après la Saint-Barthélémy,
des édits royaux exigèrent de tous les officiers publics
un serment de catholicité, le sire de Digny n'hésita pas
à se convertir; et en 1589, nous le voyons siéger à une
première place dans l'église Saint-Étienne, à laquelle il
fait don : <* de quarante sols tournois de rente hypo-
thèque, pour aider à l'entretien de la dite Eglise et afin
d'avoir, le dit Malherbe, la demoiselle sa femme, et leurs
enfants successeurs, leurs sièges et droits de sépulture à
la chapelle Saint-Jacques..."
Nul doute que, dans l'intervalle, le jeune François ne
se soit converti comme son père, probablement en 1576,
à son retour des universités protestantes de Bâle et de
Heidelberg, où il avait été achever ses études, commen-
cées à Caen et poursuivies d'abord à Paris. Au reste, à
cet homme d'autorité, une religion d'autorité devait plaire :
mais elle ne lui plaira qu'à ce titre, et- parce que, étant
celle du prince, elle est encore une discipline française ;
mais son cœur n'y entre pour rien, et l'on ne trouvera
dans son œuvre aucune trace de piété mystique.
Ce qui domine chez lui, dès la jeunesse, c'est une
certaine humeur batailleuse, avec des fumées de gloire.
On le verra bien quand il prendra la plume. En atten-
dant, cette humeur le détourne de la paisible carrière
NOTICE vii
paternelle. Foin de la magistrature ! Il veut être soldat,
comme son ancêtre le compagnon du duc Guillaume.
Et le voilà quittant la Normandie, à la recherche d'un
protecteur. Il le trouve en la personne de Henri
d'Angoulême, grand prieur de France, fils naturel du
roi Henri II, que son frère Henri lil vient de nommer
amiral des Mers du Levant, et, par surcroît, gouverneur
de la Provence. Mais, satisfait de ces nouveaux titres,
le grand prieur se soucie peu de commander des flottes
ou des armées; et bien que, plus tard, Malherbe se soit
vanté d'avoir accompagné son maître en deux expéditions,
dont on ne trouve aucune trace, et notamment d'avoir
poursuivi pendant trois lieues, l'épée dans les reins, une
compagnie huguenote commandée par Sully, lequel
n'approcha jamais de Provence, ceci seulement est
certain : le protecteur et le protégé, qui se piquaient
l'un et l'autre de poésie, firent ensemble beaucoup de
vers. Les plus anciens vers qu'on connaisse de Malherbe
sont ceux d'un quatrain qu'il envoya au célèbre Etienne
Pasquicr, à propos d'un certain portrait de lui qui
devait inspirer aux beaux esprits d'alors tout un recueil
de poèmes; et à côté de ce quatrain, on en lit un du
grand prieur. Us se valent: ils sont médiocres tous les
deux. Mais notez la date, 1585, c'est celle de la mort
de Ronsard et celle de la première manifestation poétique
cie celui qui va être à la fois son détracteur et son suc-
cesseur.
En 1581, après quelques années d'une vie où le plaisir
tenait plus de place que le travail, Malherbe, que l'amour
ne devait jamais tourmenter qu'en vers, avait fait un
mariage de raison avec une dame, déjà veuve de deux
maris, Madeleine de Coriolis, fille d'un président au
parlement de Provence, dont il devait avoir trois en-
fants ; un fils et deux filles. L'année suivante, comme
des intérêts de famille l'avaient appelé en Normandie,
pour la première fois depuis dix années, il y recevait la
nouvelle de la mort violente du grand prieur, à qui un
gentilhomme provençal, à la suite d'un querelle, venait
de passer son épée au travers du corps. Malherbe,
privé de son protecteur, n'a plus d'intérêt à retourner là-
viii NOTICE
bas ; il fait venir sa femme, et le ménage s'établit à Caen,
assez mal accueilli d'ailleurs par un père qui garde
rancune à son fils d'avoir dédaigné autrefois sa maison
et sa charge, et par un frère qui craint de voir lui
échapper la succession au présidial. Les rentes de
Madeleine sur les lointaines villes de Brignoles et de
Tarascon sont maintenant précaires, et d'ailleurs insuf-
fisantes à l'entretien d'une famille qui s'est accrue ;
Malherbe accepte, à contre-cœur, un poste d'échevin, et
se console en rimant.
C'est en 1587 qu'il publie un poème imité de Luigi
Tansillo : Les Larmes ds Saint Pierre. Lui qui, plus tard,
combattra impitoyablement chez Ronsard et chez Des-
portes, l'affectation, l'enflure, t^^ut le mauvais goût hérité
des italiens de la décadence, en donne ici les exemples
les plus détestables. Mais déjà, en mainte place, quelle
science du rythme, quel art dans la conduite de la
période ! Et tout à coup, sans doute parce que son
modèle italien s'est lui-même approché de la simplicité
latine en paraphrasant le Sal'vete Jlores martyrum de
Prudeace, dix strophes jaillissent, d'un éclat, d'une
fraîcheur, d'une perfection extraordinaires. Ce morceau,
— celui où le poète nous montre Saint Pierre coupable
pleurant sur l'heureuse innocence des enfants massacrés
par Hérode, — était la révélation d'un poète. Personne
pourtant n'y prit garde ; Henri III se contenta de récom-
penser par un don de cinq cents écus une trop flatteuse
dédicace, et l'auteur ne sortit ni de son obscurité, ni
de sa gêne.
Neuf ans plus tard seulement, quand il a perdu ses
deux filles et qu'il voit sa femme languir de demeurer si
longtemps éloignée des siens, il se résout à changer
encore une fois d'existence; il retourne en Provence pour
y vivre, comme il pourra, de ses maigres revenus, mais
au soleil. Heureuse inspiration. A Aix, vieille cité
parlementaire et savante, il trouve mieux, cette fois, que
le frivole Henri d'Angoulême : le noble et grave Du
Vair, premier président du ^ parlement de Provence,
l'auteur de Recherches sur P Eloquence française, orateur
cicéronien, caractère antique. Auprès de lui, plus
jeune, le conseiller Peiresc, grand érudit, grand col-
lectionneur, grand curieux de tableaux et de manuscrits
NOTICE ix
aussi bien que de plantes rares et de fossiles, un des
hommes les plus remarquables de son siècle. Malherbe
a rencontré enfin l'atmosphère qu'il lui faut; ses deux
amis le comprennent et il se sent avec eux des affinités
singulières, qui vont aider au développement de son
génie. Quand Marseille, restée huit ans au pouvoir de
la Ligue, est enfin réduite par les troupes du roi, que
commande le Duc de Guise, le premier président ne
manque pas d'en tirer prétexte à une belle harangue;
mais Malherbe, de son côté, s'échautfe et commence une
ode, par une de ces brusques et superbes attaques aux-
quelles la suite, par malheur, ne répond pas toujours:
Enfin, après tant d'années,
Voici l'heureuse saison
Où nos misères bornées
Vont avoir leur guérison.
Les dieux, longs à se résoudre.
Ont fait un coup de leur foudre,
Qui montre aux ambitieux,
Que les fureurs de la terre
Ne sont que paille et que verre
A la colère des cieux.
Et jugez si Peiresc — l'admirateur, le correspondant de
ce Rubens qui doit peindre, pour le Luxembourg, Marie
de Médicis quittant à Marseille, parmi les Sirènes, sa
galère pavoisée et fleurie — va se réjouir, et applaudir,
en entendant Malherbe s'écrier, dans son ode A la Rein*
jur sa Bienvenue en fronce :
Peuples, qu'on mette sur la tête
Tout ce que la terre a de fleurs ;
Peuples, que cette belle fête
A jamais tarisse nos pleurs ;
Qu'aux deux bouts du monde se voie
Luire le feu de notre joie ;
Et soient dans les coupes noyés
Les soucis de tous ces orages.
Que pour nos rebelles courages
Les dieux nous avaient envoyés...
Aujourd'hui nous est amenée
Cette princesse, que la foi
X NOTICE
D'Amour ensemble et d'Hyménée
Destine au lit de notre roi.
La voici, la belle Marie,
Belle merveille d'Étrurie,
Qui fait confesser au soleil,
Quoi que l'âge passé raconte,
Que du ciel, depuis qu'il y monte,
Ne vint jamais rien de pareil.
Telle n'est point la Cythérée,
Quand, d'un nouveau feu s'allumant,
Elle sort pompeuse et parée
Pour la conquête d'un amant:
Telle ne luit en sa carrière
Des mois l'inégale courrière;
Et telle dessus l'horizon
L'Aurore au matin ne s'étale,
Quand les yeux mêmes de Céphale
En feraient la comparaison.
C'est beaucoup flatter la grosse maritorne que vous
savez ; mais c'est le faire à la façon du grand peintre
d'Anvers lui-même, en se grisant de couleur, de pompe
et de mythologie. Il y a, d'ailleurs, autre chose: Mal-
herbe, dans ces premières odes, s'est découvert lui-même;
il était né, non pour être un poète de l'amour — ses poésies
amoureuses le prouvent surabondamment — ni pour être
un poète de la Nature — qui n'apparaîtra qu'une fois dans
ses vers, en une stance admirable sur la rivière de l'Orne
— mais pour être le chantre superbe de l'unité fran-
çaise et de la stabilité politique, bientôt rétablies par
Henri IV
— ''* Ce sera vous," dit-il à la Reine...
Ce sera vous qui de nos villes
Ferez la beauté refleurir.
Vous qui de nos haines civiles
Ferez la racine mourir ;
Et par vous la paix assurée
N'aura pas la courte durée
Qu'espèrent infidèlement.
Non lassés de notre souffrance,
Ces Français qui n'ont de la France,
Que la langue et l'habillement.
NOTICE xi
Plus d'une fois, en touchant cette corde, Malherbe
s'élèvera au sublime. Pour lui l'inspiration est là, et
pa» ailleurs. Il a bien écrit pourtant, et pendant ce
second séjour en Provence, un morceau beaucoup plus
célèbre que ses odes politiques, la Consolation à AI. du
Périer; mais ce morceau n'a dû sa gloire qu'à la mutila-
tion traditionnelle qu'on lui a fait subir, depuis trois
siècles, dans les anthologies, et que ne lui refusera pas
la nôtre ; car si l'on ne passait pas de la septième stance
à la dix-neuvième, si l'on ne soudait, là, un commence-
ment et une fin admirables, combien serait amoindri
l'effet d'un poème dont le milieu est de la plus froide
et de la plus odieuse sécheresse, où, pour consoler le
malheureux père, Malherbe qui a récemment perdu se»
deux filles, se donne ainsi en exemple:
De moi, déjà deux fois d'une pareille ioudre
Je me suis vu perclus.
Et deux fois la raison m'a si bien fait résoudre
Qu'il ne m'en souvient plus!
Au reste, on ne sait pourquoi, il a la manie des con-
solations. Il les fait à cœur tranquille et à tête reposée.
Celle qu'il voulut adresser à M. de Verdun, sur la mort
de sa femme, lui coûta trois ans de travail; quand elle
fut finie, M. de Verdun était remarié !
Revenons donc au poète civique, il méritait de ren-
contrer Henri IV et Henri IV méritait de le rencontrer.
C'est ce qui advint ; mais non aussi vite qu'il aurait
fallu. Vauquelin des Yveteaux, qui était de Caen, avait
Tante au roi son compatriote; et Duperron, l'évêque
d'Evreux, à qui le souverain demandait s'il faisait
toujours des vers, lui avait répondu qu'il ne fallait
plus que personne s'en mêlât ** après un certain gentil-
homme de Normandie, habitué en Provence et nommé
Malherbe." Le roi songea bien tout de suite à l'appeler,
mais, nous conte le poète Racan, ** il était ménager et
craignait qu'en le faisant venir de si loin, il serait obligé
de lui donner récompense au moins pour la dépense du
voyage." Il attendit donc, trois ans, que Malherbe vînt
à Paris. Alors, ne craignant plus pour sa bourse, à la
vérité fort plate encore, il le fit quérir et lui demanda
aussitôt de composer des vers sur le voyage qu'il entre-
xii NOTICE
prenait pour aller tenir les grands jours en Limousin,
voyage où il risquait sa vie, car Limoges était alors le
centre des intrigues et des complots contre son autorité
nouvelle. Malherbe comprit la gravité des circonstances, la
grandeur du rôle de ce roi dans le cœur de qui bat main-
tenant le cœur de la France, et il écrivit un chef-d'œuvre.
Henri IV a reconnu son poète ; il charge son grand
écuyer, le duc de Bellegarde, de se l'attacher avec mille
francs d'appointements, plus l'entretien d'un homme et
d'un cheval. Ce n'est guère encore ; il fera davantage
un peu plus tard, quand la fortune publique sera mieux
rétablie ; mais voilà Henri IV et Malherbe indissolubk-
ment unis désormais. Entre eux, la familiarité est telle
que, lorsque Henri lui montre, de sa façon, des vers
déplorables, Malherbe peut se permettre de les parodier
séance tenante, à la barbe du bon roi, qui ne fait qu'en
rire. Le malheur est que, au lieu de se contenter des
odes que le poète écrit à propos des grands événements
de son règne, le roi lui en commande pour favoriser ses
amours, pour parler en son nom à ses maîtresses. Et
Malherbe, sans hésitation, exprime comme il peut les
appels, les plaintes, les soupirs du "grand Alcandre "
pour la cruelle " Oranthe," c'est-à-dire de Henri IV
pour la belle Charlotte de Montmorency, princesse de
Condé, qui fuit à l'étranger les poursuites royales.
André Chénier écrira ici un jour, en marge de son
Malherbe: "Je n'aime point à voir la lyre devenir
entremetteuse." Et il ajoutera que ces vers sont bien
froids, mais pas plus que les vers d'amour que Malherbe
fera pour son propre compte, attendu "qu'il n'a jamais
aimé." Ce n'est pas, en effet, qu'il ait manqué à la
coutume d'élire une maîtresse poétique et de célébrer,
avec des flammes à la glace, sous le nom de Rodanthe
Madame de Rambouillet, et Madame d'Aulchy sous le
nom de Caliste; mais pour n'être point jalouse. Madame
de Malherbe n'aurait eu qu'à lire les poèmes adressés
par son époux à ces belles dames.
Au reste, le poète a laissé sa femme en Provence, où il
n'ira lui faire visite, à de longs intervalles, que deux fois
en vingt-trois années. Il a trouvé préférable de lui con-
fier l'éducation de son fils. Et ainsi l'absence préserve de
tout orage l'union entre les membres de cette famille.
NOTICE xîîi
Fixé i Paris, Malherbe va s'appliquer plus vigoureuse-
ment que jamais aux deux tâches qu'il s'est assignées:
poète officiel par la faveur du roi, il célébrera les petits
événements de la Cour et les grands événements de
l'histoire; pédagogue par vocation, il entreprendra de
réformer la poésie et de régenter les poètes.
Voyons le d'abord dans ce dernier rôle. Il le joue en
toute occasion et en tout lieu : dans les galeries du Louvre,
parmi les beaux esprits qu'on y rencontre ; à l'Hôtel du
Pré aux Clercs, où Marguerite de Valois, l'épouse
divorcée du roi, trône encore, familièrement, au milieu
des écrivains et des artistes; un peu plus tard, dans la
fameuse *' chambre bleue " de la Marquise de Rambouillet ;
chez la Vicomtesse d'Aulchy, oii se tient un autre cercle
de *' précieuses ; " chez Madame de Thermes, où le mène
son ami Racan ; chez Madame des Loges enfin, une simple
bourgeoise, mais si fine et si lettrée qu'elle n'en reçoit pas
moins la plus noble et la plus diserte compagnie.
Partout où il entre et où l'on parle de poésie d'une
manière qui ne lui agrée point, il reprend, il rabroue, il
affirme, il tranche, toujours brusque, souvent brutal,
parfois incivil jusqu'à la grossièreté la plus révoltante.
Il faut, pour qu'on lui passe ses boutades, qu'on ait de
complaisants égards pour la force de ses convictions et
pour la droiture de son désagréable caractère. Il faut,
aussi, qu'on n'appartienne pas à la confrérie des poètes ;
mais c'est là, précisément, qu'il se plaît à chercher des
victimes. Un jour, ayant accepté de dîner chez Desportes,
il arrive en retard, quand le potage est déjà sur la table.
Desportes, pour faire honneur à son hôte, n'en veut pas
moins aller d'abord quérir, à son intention, un exemplaire
de ses Poésies chrétiennes, qui viennent de paraître.
** Inutile, s'écrie Malherbe. Je les ai déjà lues; cela ne
vaut pas que vous preniez la peine de remonter: votre
potage vaut mieux que vos psaumes." Et il commence,
tranquillement, à manger le potage. Mathurin Régnier,
neveu du maître de la maison, était présent; il n'oubliera
pas, nous le verrons bientôt, cette injure faite à son oncle.
Enfin, c'est chez lui même que, presque tous les soirs,
Malherbe tient bureau de poésie et de dispute. Il loge
xiv NOTICE
ordinairement en garni, dans une chambre où il n'y a que
sept ou huit chaises de paille; et quand elles sont toutes
remplies, on ne laisse plus entrer personne. Un soir, un
habitant d'Aurillac, ville où Maynard était président,
vient frapper à la porte en demandant: "Monsieur le
Président est-il point ici?" Malherbe se lève furieux :
''Apprenez, Monsieur, qu'il n'y a point ici d'autre
Président que moi." Et il se remet à enseigner à ses
disciples que les poètes grecs ne sont points estimables,
que Pindare est du galimatias, que Virgile est inférieur à
Stace et à Sénèque le Tragique, enfin et surtout que
Ronsard et Desportes ne valent rien. Sur son Desportes,
il a écrit, en marge, un commentaire impitoyable.
Quant à son Ronsard, il en a biffé la moitié; et quand
Racan lui demande s'il en aime ce qu'il n'a point effacé
encore, il biffe le reste. Dans ces dénis de justice, il y a
un peu de paradoxe, beaucoup de conviction, et pas la
moindre trace d'envie. Ne l'oublions pas nous-mêmes
pour juger équitablement ce terrible bonhomme. La
doctrine qu'il prêche, et dont il est possédé, voilà la cause.
Nous verrons plus tard quelle est cette doctrine.
Suivons-le plutôt maintenant, dans son rôle de poète
royal. Si nous négligeons les faibles morceaux qu'il
écrit pour de médiocres circonstances, nous le verrons
s'élever, de poème en poème, à la hauteur des plus grandes,
de celles où la France même est intéressée. Qu'il nous
sufhse de citer l'ode écrite sur l'attentat commis en 1605
contre Henri IV et l'ode sur la reddition de Sedan; le
superbe sonnet au roi, sur la naissance de son second fils,
et les stances, enfin, sur l'assassinat de Henri le Grand
par Ravaillac, en 1610. Cette mort semble replonger un
instant le pays dans les hasards de la guerre civile ; mais
Malherbe reste fidèlement attaché à l'autorité royale en
la personne de la reine régente Marie de Médicis, à^
laquelle il consacre, sur les premiers succès de sa régence,
la plus éclatante de ses compositions lyriques. Elle est
d'un grand citoyen autant que d'un grand poète: et le
cri d'orgueil qui la termine semble, cette fois, pleinement
justifié.
Le pâle avènement de Louis XIII, et son mariage
NOTICE XT
avec Anne d'Autriche, l'inspireront beaucoup moins :
Malherbe, homme d'autorité dans le royaume des lettres,
a besoin de sentir son pays entre des mains fermes et
puissantes ; c'est pourquoi Richelieu va, demain, être son
héros. Ce n'est pas seulement dans ses vers qu'il le
proclamera tel, dès le premier jour, c'est jusque dans ses
lettres intimes, où l'on voit bien que son enthousiasme
n'est point de commande. Il écrit à Racan : *'M. le
Cardinal de Richelieu a été aujourd'hui si mal que j'ai éré
huit ou dix jours que je n'entrais jamais au château
qu'avec l'appréhension d'ouïr cette funeste voix : le grand
Pan est mort. A cette heure, grâce à l'ange protecteur
de la France, il est hors péril, et les gens de bien hors de
crainte. Vous savez que mon humeur n'est ni de flatter,
ni de mentir, mais je vous jure qu'il y a en cet homme
quelque chose qui excède l'humanité, et que si notre
vaisseau doit jamai» vaincre la tempête, ce sera tandis que
cette glorieuse main tiendra le gouvernail. Les autres
pilotes peuvent me diminuer la peur, celui-ci me la fait
ignorer."
C'est vers le temps où, appelé pour la seconde fois an
ministère (1624), Richelieu commence à prendre d'une
façon à peu près absolue le gouvernement de l'État, que
Malherbe, délivré de tout souci matériel par une charge
de Trésorier de Provence, atteint l'apogée de son talent.
Les beaux sonnets à Richelieu et à Louis XIII sont de
cette même année 1624. C'est de 1626 qu'est la Paraphrase
du Psaume CXLV^ dont Sainte-Beuve a pu dire: ''Malherbe
était religieux comme lyrique, sinon comme homme. U
est entré, non sans grandeur, dans l'impétueux essor vers
Dieu et dans l'ardente aspiration du P»almiste : et même,
si l'on compare, on verra qu'il a prêté au texte sacré des
ailes. ..Quelques stropiies de ce ton suffisent pour réparer
une langue et pour monter une lyre."
Malherbe a soixante et onze ans ; il ne lui reste plus
qu'une année à vivre, la plus douloureuse de sa vie, et
qu'un chef-d'œuvre à écrire, qui sera son chef-d'œuvre.
Là-bas, à Aix, Madame de Malherbe a veillé seule à
l'éducation de son fils Marc-Antoine ; et le poète, avec
plus de sollicitude orgueilleuse, sans doute, que de
xvi NOTICE
tendresse paternelle, s'est du moins fait tenir sans
négligence au courant des progrès de l'enfant qui doit
être l'héritier de son nom. Par la mère, par le Président
Du Vair, par le conseiller Peiresc, il apprend ses dis-
positions exceptionnelles, ses brillantes études, ses succès
précoces dans les examens et dans les thèses. Voilà le
jeune homme en âge de choisir une carrière. Malherbe
voudrait qu'il prit l'état militaire, mais Mme de Malherbe
qui a reconnu de bonne heure, chez Marc-Antoine,
l'humeur agressive et batailleuse de sa lignée normande,
et qui craint pour lui la compagnie turbulente des gens
d'épée, s'y oppose. Le poète, après avoir considéré que
l'on avait vu jadis des gentilshommes du plus haut
parage, alliés même à nos rois, abandonner l'épée pour
la robe, céda et obtint pour son fils, une charge de
judicature à Aix.
Il était écrit que les appréhensions de la mère seraient,
quand même, tragiquement justifiées. A peine Marc-
Antoine a-t-il pris possession de son siège, qu'une
première affaire d'honneur, sans mort d'homme, lui vaut
quelques jours d'arrêts. Peu de temps après, incor-
rigible, il provoque un bourgeois d'Aix, le tue, et se
voit condamné à la peine capitale. Mais de pareilles
sentences, en matière de duel, ne sont guère, alors,
prises au pied de la lettre. Malherbe fait appel au
Conseil du roi, et tandis que le jeune homme visite sa
famille en Normandie, il obtient pour lui des lettres de
grâce. Grâce inutile: quelques mois plus tard, Malherbe
apprend par une lettre de Peiresc que, dans une partie
de plaisir, une rixe a éclaté entre deux compagnies de
jeunes gens et que Marc-Antoine est mort, d'un coup
d'épée donné par un officier du nom de Paul de Fortia,
seigneur de Piles.
Cette fois, le vieux poète se sent, lui aussi, frappé au
cœur ; il ne se résigne pas, comme il a fait jadis pour ses
deux filles et comme il voulait que son ami du Périer se
résignât à son exemple. Bien que miné dans sa santé
même par le désespoir et la colère, au point d'en être
méconnaissable à ses amis, il jura de venger son fils et de
remuer, pour cela, ciel et terre. Le ciel même, en effet,
lui semble intéressé à sa querelle : n'a-t-il pas trouvé, en
remontant de quelques générations en arrière, que le
NOTICE xvii
«ieur de Piles a du sang juif dans les veines? Il pourra
donc dire au Ciirist, dans un sonnet célèbre, que
Les auteurs du crime
Sont fils de ces bourreaux qui l'ont crucifié!
Oui, mais pour intéresser aussi les juges terrestres,
non pas seulement à la condamnation, mais au châtiment
réel du coupable, il faut, — qui le sait mieux que lui ? —
qu'il y ait eu autre chose qu'un simple duel: un guet-
apens. C'est précisément le cas, le beau-frère du meurtrier,
Gaspar, baron de Bormes, lui ayant prêté main- forte.
Leur affaire est donc mauvaise ; mais il se trouve que
l'un est le fils, l'autre le gendre d'un conseiller au Parle-
ment d'Aix. Ce magistrat leur conseille de prendre la
fuite ; ils sont condamnés par défaut à avoir la tête
tranchée, et, comme Malherbe naguère, ils fout appel au
Conseil du Roi. Malherbe, lui, va trouver le Roi en
personne, le quitte avec l'assurance d'un châtiment sans
rémission pour les coupables, et, quelques mois plus
tard, les promesses royales n'ayant pas eu d'effet encore,
le relance, au moment où il va quitter Paris, par une
lettre éloquente à laquelle il joint la fameuse ode Pour le
Roi allant châtier la rébellion des Rothellois et chasser les
Anglais qui, en leur faveur, étaient descendus dans Vtle de Ré.
La pièce est splendide ; jamais Malherbe ne s'est élevé
si haut dans l'inspiration civique et patriotique; et il
prononce, vers la fin, par un retour sur lui-même, des
paroles en quelque sorte testamentaires, pleines de
cette héroïque et orgueilleuse mélancolie que retrouvera
le vieux Corneille lorsqu'il écrira ses derniers vers à
Louis XIV. On souff^re seulement de rencontrer là, au
lieu d'un de ces appels à la clémence et à la concorde
comme Ronsard en jeta tant de fois, une adjuration au
massacre, à l'extermination impitoyable et totale de ces
rebelles qui sont coupables, certes, mais qui sont français:
Marche, va les détruire, éteins-en la semence.
Et suis jusqu'à leur fin ton courroux généreux
Sans jamais écouter ni pitié, ni clémence,
Qui te parle pour eux I
On dirait que Malherbe, tout à ses propres idées de
vengeance, ait confondu ici, un instant, les calvinistes de
145
xviii NOTICE
La Rochelle avec les assassins de son fils. L'état d'esprit
où il se trouve est peut-être l'explication, sinon l'excuse,
de cette strophe inhumaine.
Le poète avait envoyé une copie de son ode à Richelieu
qui, depuis un mois, sous les boulets de la flotte anglaise
et ceux des remparts de la ville rebelle, dirigeait en
personne les opérations du siège. C'est de la tranchée
même qu'il répondit au poète, dans une lettre c^u'on peut
lire encore aux Archives des Affaires Etrangères.
'«Monsieur, j'ai vu vos vers qui font voir que M. de
Malherbe sera toujours le même tant qu'il plaira à Dieu
de le conserver. Je ne dirai pas que je les ai trouvés
excellents, mais bien que personne de jugement ne les
lira qui ne les reconnaisse pour tels... Je prie Dieu que
d'ici à trente ans, vous nous puissiez donner de semblables
témoignages de votre esprit, que les années n'ont pu faire
vieillir qu'autant qu'il fallait pour les épurer entièrement
de ce qui se trouve quelquefois à redire en ceux qui ont
peu d'expérience, aux jeunes. ..Assurez-vous que j'em-
brasserai tous vos intérêts comme les miens propres."
Pour hâter l'effet de ces paroles, après avoir repoussé
l'offre d'une compensation financière que lui offraient les
assassins de son fils, Malherbe se rend à La Rochelle,
sans songer que le Roi et le Cardinal ont bien autre chose
à faire que de l'écouter. Là, il crie tout haut que, si on
ne l'entend point, il ira provoquer lui-même le sieur de
Piles. Et Racan lui faisant observer que les officiers se
gaussent de ce bonhomme de soixante-treize ans qui veut
se battre contre un homme de vingt-cinq, il lui réplique
brusquement : '' C'est bien pour cela, parbleu, que je le
fais ; je hasarde un sou contre une pistole."
Sur ces entrefaites, le poète ressentit les premières
atteintes d'un mal qu'il n'était plus d'âge à supporter:
la fièvre paludéenne, très -répandue dans ce pays de
marécages. Il dut se résigner à retourner à Paris où,
rapidement, son état empira. Quand on vit que sa mort
était proche, comme on le savait assez tiède sur le point
de la religion, il fallut pour le décider à se confesser sans
attendre, selon sa coutume, les fêtes de Pâques, qu'on
lui rappelât que c'était aussi << l'usage" de recevoir les
sacrements à l'article de la mort. Ce mot lui parut sans
réplique et il fit venir un prêtre. "J'ai vécu comme le»
NOTICE xiK
autres, je veux mourir comme les autres, et aller où vont
les autres" disait-il souvent, quand on lui parlait du
paradis et de l'enfer.
<•' Une heure avant de mourir," — lisons nous dans
Racan, — << après avoir été deux heures à l'agonie, il se
réveilla comme en sursaut pour reprendre son liôtesse,
qui lui servait de garde, d'un mot qui n'était pas bien
français à son gré ; et comme son confesseur lui en fit
réprimande, il lui dit qu'il ne pouvait s'en empêcher et
qu'il voulait, jusques à la mort, maintenir la pureté de la
langue française."
l'out l'homme est dans ces deux traits de sa fin. Il
expira le i6 Octobre 1628.
•♦♦
Malherbe n'est pas ^n inspiré génial ; c'est un grand
QrM•e^». vnl^^f^tairf» dont Ta longue patience a, quelquefois^
abouti laborieusement à l'inspiration et au génie. Hors
ces bonnes fortunes, méritées par une obstination héroïque
et par une conception^ très-haute de V^jL d&i^xjuis, on ne
sent point chez lui lê'jaïllissement "spontané du verbe qui
chante. On sait que, souvent, il gâtait toute une rame
de papier pour faire une strophe; et il disait à ses
disciples que, lorsqu'on avait fait cent vers, on avait le
droit de se reposer dix années. Che* lui, Vltmiitalion,
presque toujours, est coune; lorsque par "Kasard, c'est
au commencement quelle a jailli, elle tarit vite, et l'ode,
qui était partie d'un élan triomphal, se traîne, trois fois
trop étendue, et s'arrête sur quelque louange emphatique
et banale, que la stérilité d'imagination du poète ne sait
pas même renouveler selon les personnages : après avoir
prédit à Henri IV qu'il fera trembler Memphis, il
prédira à Marie de Médicis qu'elle renversera Turin, et
à Louis XIII qu'il rasera l'Escurial. Voilà toute la
différence! Ou alors, de dix façons, c'est à lui-même
qu'il décerne la louange finale :
Les ouvrages communs vivent quelques années,
Ce que Malherbe écrit dure éternellement.
11 ne connaît guère d'autres conclusions que ces deux- l»
là. Son imagination est stérije j)arce. que son cœur est Hv
sec : il ne vibre ni en présence de la nature, ni à la
XX NOTICE
^■
rencoi^tre de \a^ fefpme^ Quelques jolies chansons qui
sentent les fleurs et où semble passer un peu de grâce
tendre, sont écrites, pour être mises en musique, sur de
vieux thèmes de ce Ronsard dont il a, toute sa vie, subi
l'influence sans vouloir se l'avouer, sans vouloir surtout,
l'avouer à personne. Il prétend l'avoir détruit, et bâtir
sur des fondations nouvelles: en réalité, c'est sur ses
fortes assises, dont il a un peu simplifié le plan et gratté
la luxuriante façade, qu'il édifie. Si nous avons trop
longtemps cru le contraire, la faute en est à Boileau,
lequel nous a trompés, après Malherbe, qu'il avait lui
même cru sur parole, en écrivant ces vers aussi erronés,
aussi injustes et aussi plats qu'ils sont célèbres :
Enfin Malherbe vint, et, le premier en France,
Fit sentir dans les vers une juste cadence.
D'un mot mis en sa place enseigna le pouvoir
Et réduisit la muse aux règles du devoir.
Par ce sage écrivain la langue réparée
N'offrit plus rien de rude à l'oreille épurée ;
Les stances avec grâce apprirent à tomber
Et le vers sur le vers n'osa plus enjamber.
Il n'y a de vrai, dans tout cela, que le dernier alexan-
drin, Malherbe ayant en effet, bien à tort du reste,
proscrit les enjambements. Mais dire — quand on vient
de prononcer le nom de Ronsard, l'auteur de l'Ode a la
Rose et de celle sur f Élection de son Sépulcre, le plus grand
inventeur de rythmes de toute la poésie française — dire
que Malherbe a, ''le premier," fait sentir la juste
cadence des vers et appris aux strophes à tomber avec
grâce, c'est une telle énormité qu'elle n'a presque point
d'excuse. Il faut se rappeler quel parfait honnête
homme était Boileau pour ne point l'accuser ici de
mauvaise foi, pour le taxer seulement d'ignorance ou
d'une si cruelle infirmité d'oreilles qu'elle aurait dû lui
interdire à jamais de parler des poètes lyriques. Et l'on
comprend que Théodore de Banville, fils pieux et lointain
de Ronsard, ait, sous le titre de : Enfin, JS/Lalherbe vint...
décoché au << législateur de notre Parnasse" le dizain
suivant :
C'est l'orgie au Parnasse: La Muse
Qui par raison se plaît à courir vers
NOTICE xxi
Tout ce qui brille et tout ce qui l'amuse,
Éparpillait les rubis dans ses vers.
Elle mettait son bonnet de travers ;
Les bons rythmeurs, pris d'une frénésie,
Comme des Dieux gaspillaient l'ambroisie,
Si bien qu'enfin, pour mettre le holà
Malherbe vint, et que la Poésie,
En le voyant arriver, s'en alla.
Ce n'est, bien entendu, qu'une spirituelle boutade.
Si on la prenait au sérieux, l'injustice de Banville ne
serait guère moindre que celle de Boileau. Non, la
poésie ne s'en alla point, mais elle changea de caractère;
elle se modela sur l'âme nouvelle du siècle qui commen-
çait, comme elle s'était modelée, au temps de la Pléiade,
sur l'âme du siècle qui finissait quand Malherbe
écrivait ses premiers vers. La grandeur de Malherbe
est d'avoir été, avant tous autres, l'homme représentatif
d'un esprit nouveau, non-seulement dans les lettres, mais
dans l'état.
Dans l^flidlC-JUilitique, il nous çst apparu commele
£oète de la stabilité* de l'unité, ^e^lXutorîté. "Ronsard
l'avaîrét^lîvant lui, mais non dans l'orJFe littéraire, en
théorie du moins. C'est dans l'ordre littéraire ayssi que
Malherbe va l'être par ses idées sur la compp^itipni sur
la versification et sur la tangue.
La composition, Ronsarcfavait bien montré, dans beau-
coup de ses sonnets ou de ses odelettes, qu'il en connais-
sait les secrets les plus délicats ; mais on doit convenir que
le sens de la perfection, de l'équilibre, de la mesure,
l'abandonnait dès qu'il entreprenait d'écrire de longs
poèmes ou de vastes odes à la Pindare. Alors il est
facilement diffus et vagabond : nous sentons qu'il a
improvisé sans discipline ; nous le voyons à chaque
instant s'écarter de son dessein, se perdre en divaga-
tions ou en redites : et, l'œuvre ne nous donnant pas
l'impression qu'elle est réalisée, nous comprenons l'oubli
qui l'a couverte. Malherbe, lui, entend qu'un morceau
lyrique soit composé comme un discours, comme une
démonstration, comme un syllogisme. Cette marche
raisonnable, démonstrative et logique, cette ordonnance
visible, pourrait-on dire, au regard même, sont-ce là le»
xxii NOTICE
grandes vertus lyriques? Non, le lyrisme préfère même
une ordonnance, non pas moins parfaite en soi, certes,
mais évidente à la sensibilité plutôt qu'à la raison.
L'autre est surtout l'armature nécessaire de l'éloquence
et du théâtre. C'est donc l'art de Bossuet et celui de
Corneille que Malherbe annonce et prépare, plutôt que
celui de Victor Hugo ou celui de Lamartine.
La versification. S'il s'est montré trop sévère pour
l'enjambement, pour l'hiatus, et s'il a eu tort d'exiger
que la rime satisfît l'œil autant que l'oreille, il a été, sur
ce chapitre de la rime, le maître qu'il faut écouter encore
presque sans réserve. Il a eu raison lorsqu'il a proscrit
de faire rimer ensemble les mots dérivés d'une même
racine, ceux qui sont trop proches parents comme: moi,
toi, père, mère; les noms propres; les mots à désinence
longue rapprochés de ceux à désinence brève, etc en
somme, toutes les rimes inexactes ou trop faciles, celles
qui diminuent la jouissance auditive, ou qui, banales,
mènent aux pensées banales, faute d'avoir tendu l'esprit
du rimeur vers l'expression neuve, rare et forte de sa
pensée.
De plus, en matière de rythmes, s'il ne profitera guère,
pour son compte, des innombrables formules strophiques
innovées par Ronsard, à son tour il en inventera trois ou
quatre, plus belles et plus larges encore, celles que
Victor Hugo et Lamartine reprendront en leurs plus
illustres poèmes. Notamment il constituera, le premier,
la strophe lyrique par excellence, celle de dix vers octo-
syllabiques, agencés, quant à la succession des rimes,
d'une si merveilleuse manière que personne, depuis, ne
l'ordonnera plus autrement.
La_lan^e. Ah 1 ici, Ronsard et du Bellay avait
beaucoup erré, du moins quant à la doctrine. Ils
croyaient que pour élever notre langue poétique à la
hauteur de la grecque et de la latine, les poètes ne
devaient pas se contenter du langage vulgaire, mais créer
systématiquement un vocabulaire plus riche, en y adjoi-
gnant des mots grecs et latins francisés, des vocables
repris aux vieux siècles ou empruntés au patois des
diverses provinces, et même des mots créés " par provi-
gnement," par exemple en faisant, d'un verbe, dériver
un adjectif et un substantif non existants encore. Erreur
NOTICE xxiu
grare, car une langue si artificielle, dont, d'ailleurs, il
n'y a jamais eu aucun exemple, serait sans vertu d'expan-
sion et isolerait les poètes de la foule. Elle serait, de
plus, dans un perpétuel devenir, et, d'un siècle à un
autre, les plus belles œuvres deviendraient inintelligibles.
Ronsard, fort heureusement, n'avait appliqué ce système
qu'avec une grande modération, en un très-petit nombre
de pièces, les seules pourtant, croirait-on, que Malherbe
et Boileau aient voulu voir. Toutefois, il y aurait eu là un
péril, et Mallierbe l'a deviné avec une haute sagesse. Il
proclame donc cjue Ijjjage, et non le poète, c_sîJbe-miUire
de la langue : il renvoie, pourl'apprenclre, "aux croclie-
teurs du Port-au-foin" plutôt qu'aux gentilshommes de
la Cour oiJ les italianismes, importés de Florence à la
suite de Marie de Médicis, et les tournures gasconnes,
venues de Navarre avec le roi Henri, ont gâté le vrai
parler de France. .
Il s'agit de le rendre conforme â son véritable génie, \
non par des additions savantes, mais par des éliminations I
sagaces, et de le fixer par des cliefs-d'œuvre. C'est ce que
Malherbe commence de faire lui-même. Corneille con-
tinuera. Richelieu enfin, en fondant l'Académie Française
et en la chargeant de composer ce Dictionnaire de rUsa^eon
ne seront admis, à de longs intervalles, que les mots ren-
dus nécessaires par des besoins nouveaux et déjà entré»
dans le commerce ordinaire de la vie, Richelieu adopte,
corrobore et consacre, tout «implement, la maîtresse
pensée de Malherbe.
II
L'ÉCOLE CLASSIQUE
Nous n'essaierons point de définir l'Ecole Classique;
aucune définition ne serait asse^ large pour qu'on la pût
appliquer aux tempéraments, beaucoup plus variés qu'on
a coutumede le croire, des poètesqui ontchanté pendant les
deux siècles appelés classiques, mais que, pour cette raison
de chronologie, nous devons quand même rapprocher
ici, encore que plus d'un se rattache, par la nature de son
xxiv NOTICE
génie, aux maîtres de l'âge précédent, ou semble, au con-
traire, annoncer déjà la lointaine venue du romantisme.
Disons seulement que, pendant ces deux siècles, la leçon
de Malherbe a prédominé.
Nous ne saurions, sous peine d'écrire une notice hors
de proportion avec le corps de ce petit ouvrage, nous
étendre sur la vie et sur les livres des quarante auteurs
qui en ont fourni la matière. Les uns n'ont été qu'acces-
soirement des lyriques, et ce sont presque toujours les
écrivains les plus illustres, un Corneille, un Racine, un
Lafontaine, un Voltaire; les autres ne doivent, la plupart
du temps, l'immortalité des anthologies qu'à un petit
nombre de morceaux parfaits sauvés du naufrage de leurs
œuvres complètes ; et aucun n'a eu, comme Malherbe,
une influence étendue et durable. Passons-en donc —
moins par oFdre de naissance que selon les affinités litté-
raires— une revue rapide, en nous arrêtant un peu, toute-
fois, devant quelques méconnus qui furent à certaines
heures, autant et d'une autre manière que Malherbe, de
grands poètes.
Et d'abord, Malherbe a-t-il eu des disciples proprement
dits? Consultons là-dessus sa Vie, écrite par Racan,
Nous y lisons :
«« Il avouait pour ses écoliers les sieurs de Touvant,
Colomby, Maynard et Racan. Il en jugeait diversement
et disait en termes généraux que Touvant faisait fort
bien les vers, sans dire en quoi il excellait; que Colomby
avait fort bon esprit, mais qu'il n'avait point de génie à
la poésie ; que Maynard était celui de tous qui faisait le
mieux les vers, mais qu'il n'avait point de force et qu'il
s'était adonné à un genre de poésie auquel il n'était pas
propre, voulant dire ses épigrammes, et qu'il n'y réus-
sirait pas, parce qu'il n'avait pas assez de pointe; pour
Racan, qu'il avait de la force, mais qu'il ne travaillait
pas assez ses vers,"
Colomby, ce poète «' qui n'avait pas de génie pour la
poésie," ni Touvant, dont Malherbe ne pouvait pas dire
<«en quoi il excellait" n'ont laissé la moindre trace dans
la mémoire des hommes. Racan est célèbre; Maynard
devrait l'être davantage.
NOTICE XXV
Honorât de Bueil, marquis de Racan, né en 1589 au
Château de la Roche-Racan, à l'extrémité de la Touraine,
était le fils, tard venu, d'un vieux gentilhomme-soldat
qui, après de brillants services, s'était retiré dans ses
terres. Il perdit de bonne heure son père et sa mère, et,
sans fortune, eût pu être fort embarrassé pour vivre, si
Anne de Bueil, sa cousine germaine, n'avait épousé le
grand écuyer de Henri IV, M de Bellegarde, qui devint
le tuteur de l'enfant et le fit admettre, en 1606, parmi les
pages de la chambre du roi. C'est là que, très jeune, il
rencontra Malherbe, lui lut ses premiers vers et devint
"son écolier."
Malherbe d'un héros peut chanter les exploits;
Racan chanter Philis, les bergers et les bois,
a dit Boileau ; et cela est juste. Il a tort de dire ailleurs
que, pour la poésie épique,
Racan pourrait chanter, à défaut d'un Homère,
car cela est grotesque. Racan fut soldat, comme son père;
s'il n'assista pas aux derniers moments de Malherbe,
c'est qu'il dut rester à la tranchée quand son vieux maître
quitta La Rochelle pour aller mourir à Paris: mais s'il
était capable de vivre une épopée, il n'avait aucun des
dons qu'il eût fallu pour l'écrire. D'ailleurs, il n'y
songea point. Soit à la cour, pendant la paix, soit en
campagne, pendant la guerre, ce furent des vers pastoraux,
galants ou pieux qu'il se plut à rimer.
Un jour, il s'entretenait avec Matherbe "de leurs
amours, c'est-à-dire du dessein qu'ils avaient de choisir
quelque dame de mérite et de qualité, pour être le sujet
de leurs vers." Racan choisit Madame de Thermes; et
comme alors, à l'instar de V Aminta du Tasse, du Pastor
Fido de Guarini, de la Diana de Montemayor, et de la
française Astrée d'Honoré d'Urfé, tout le monde, en vers
ou en prose, écrivait des Pastorales, il écrivit et fit
représenter ses Bergeries, achevées en 1625, dont Mme
de Thermes est l'héroïne sous le nom de la vertueuse
bergère Arthémise. Il y est figuré lui-même par l'infor-
tuné berger Lucidas, tandis que M. de Thermes y est
l'heureux Alcidor, berger comme les autres, bien en-
tendu. Dans la réalité, au contraire de la pièce, Alcidor
xxvi NOTICE
mourra le premier, et Lucidas demandera la main
d'Arthémise ; mais elle lui sera refusée : Mme de
Thermes ne se soucie point de remplacer son brillant
mari par ce soldat de bonne race, certes, et poète,
mais gauche, provincial, et qui sait mal se déclarer
autrement que la plume à la main. En effet, il est bègue
et ne peut arriver à prononcer ni les r, ni les c; si bien
que plusieurs fois, dit Tallement des Réaux, '' il a été
contraint d'écrire son nom pour le faire entendre." Il
se consolera en épousant, un peu plus tard, une jolie
tourangelle, sa voisine de campagne, auprès de qui,
retiré du service, il passera de longs et heureux jours, en
son château de La Roche-Racan. Là, il réalise tout ce
qu'il rêvait autrefois lorsqu'il écrivait ses admirables
stances Sur la rdraïU; il jouit, chaque avril, de cette
Venue du printemps qui lui a inspiré jadis des vers si frais
et si mélodieux ; il se remet à la poésie en rimant les
psaumes, sans vouloir toutefois paraphraser à son tour
les deux que Malherbe a paraphrasés, ce qui est un bien
joli trait de délicatesse; il ne quitte guère la Touraine
que pour prendre part, de temps en temps, aux séances
de l'Académie Française; enfin, comme le sage de ses
stances, il meurt ''dans le lit où ses pères sont morts,"
à quatre-vingts ans.
* *
*
François de Maynard était né à Toulouse, en 1582,
d'une vieille famille de robe. Il étudia le droit à son
tour, dans la ville dont les Jeux Floraux avaient fait la
métropole poétique du Midi de la France; et il avait
écrit déjà beaucoup de vers lorsque, durant un voyage
que Henri IV fit dans le Quercy (1605), on le présenta
au roi, qui le nomma ««secrétaire des Commandements et
de la Musique" de la reine Marguerite de Valois, sa
première femme. Chez elle, oii Malherbe ne se montrera
que beaucoup plus tard, l'influence de Desgortes prédo-
mine encore, et elle s'exer-ce^ d*â^r(î7* au détriment _de
roriginalité, sur le jeune poète qui, plus tar J, cdndam-
nêrales~élégies et les sonnets de sa première manière,
bien qu'ils aient obtenu un succès considérable, A la
.mort de Marguerite, il passe à la cour de Henri, se lie
avec Malherbe, apprend de lui à " écrire difficil_ement des
NOTICE xxvii
▼ers faciles" et Hevïpnt «i açir^^puleu» «yr la forme
qu'après la publication de son Fhilandre (16x3), encore
entaché d'italianisme, il faudra l'instance de son ami
Gomberville pour lui arracher, vingt-trois ans plus tard,
un nouveau livre, Les Œuvret de Maynard (1646), qui
contient tout ce qu'il croit digne de lui-même. A peine
y a-t-il introduit, en les corrigeant, quelques-uns da
poèmes de «a jeunesse; le reste est nouveau. Tout y est
à lire : aucun poète de ce temps n'atteint une perfection
pareille; la langue est robuste; les rimes sont pleines;
les images, abondantes, ne sont point plaquées sur la
pensée mais font corps avec elle. Pour soutenir tout
cela, un esprit plein de verve et de fantaisie, qui lui fera
écrire des stances où l'on croit déjà entendre les Chanjons
des Rues et des Bois de Victor Hugo; une conscience
héroïque et religieuse sonnant comme du Corneille;
enfin ce cœur mélancolique et passionné qui lui dictera
l'ode de La Belle Vieille, un surprenant chef-d'œuvre qu'on
dirait d'un Lamartine évoquant, au seuil de la vieillesse,
le souvenir de ses années d'amour et d'Italie.
Il ne faudrait pas nous pousser beaucoup pour nou»
faire dire que, si Maynard est un moins puissant rhétori-
cien que Malherbe, il est plus pro/onclèmeri! BB fftPfg
que lui, par l'imagination, par la sensibij
qui constitue. essenheilement7 les dons th.
bans sa longur retraite â Aurillac, où il e:ai: iresiwcnr
au Présidial, et dans sa vieille maison de Saint-Séré en
Quercy, sans la demi-disgrâce, surtout, où le maintint
Richelieu parce qu'il était resté fidèle à des adversaires
du tout-puissant ministre, peut-être aurait-il joué, en son
temps, un grand rôle dans le monde des lettres, et peut-
être Boileau l'eût-il au moins nommé à côté de Racan,
qu'il dépasse de cent coudées. Mais ses contemporains
ne lui rendirent pas entière justice, non plus que la
génération suivante. Le lyrisme, alors, n'était plus guère
en honneur; le théâtre avait pris sa place dans la faveur
du public, et la France était toute à Racine après avoir
été toute à Corneille. Nous voudrions contribuer ici à
rendre à François de Maynard le rang qu'il mérite et
que, depuis quelques années, il commence de prendre
dans l'histoire de notre poésie.
xxviii NOTICE
Malherbe, Racan, Maynard, par leur commun amour
de l'ordre, de la raison, de la soumission à une règle,
annoncent et préparent l'état d'esprit qui dominera sous
Louis XIV; mais il s'en faut de be^aucoup que, de leur
temps, il soient obéis et suivis. Tant que règne Louis
XIII, la sagesse classique est éclipsée par une savoureuse
folie faite de verve gauloise, de maniérisme italien, de
bouffonnerie et de grandiloquence espagnoles. Jamais
le royaume des lettres n'a été peuplé de plus de singuliers
personnages, gaspillant, faute d'un peu de cette discipline
que Malherbe enseignait, plus de ces magnifiques dons
naturels qui manquaient à Malherbe.
Saluons d'abord Mathurin Régnier, né à Chartres, fils
d'un échevin de cette ville et d'une sœur de Philippe
Desportes, en 1573. Pauvre, destiné à l'Eglise, il
s'attache au Cardinal de Joyeuse qui le garde huit ans à
Rome. Au retour, il est pourvu d'un canonicat à
l'Eglise Notre-Dame de Chartres et n'en continue pas
moins la vie peu exemplaire qu'il a commencé de mener
dans la Ville Éternelle. A quarante ans (1613) il mourra
dans une auberge de Rouen, de la suite de ses débauches.
On sait qu'il est le premier des satyriques français,
l'immortel auteur de Macette, mais que Boileau a pu
justement ajouter à l'éloge de ses satires :
Heureux si ses discours, craints des chastes lecteurs,
Ne se sentaient des lieux que fréquentait l'auteur 1
Son œuvre lyrique, la seule dont nous ayons à nous
occuper ici, est beaucoup moins importante, et elle charrie
aussi beaucoup de boue mêlée à son sable d'or. Nous ne
saurions donner même les titres de telle ou telle ode
gaillarde; mais, quelquefois, un_retour à_la vie. jatiri-
^eure.â. dicté au poète des stances où ^s sonnets vrai-
iXiêiit -nobles, qui font songer surtout aux poèmes q'ue
Desportes repentant rimait sous les cloîtres de ses
abbayes. Aucune influence de Malherbe, à qui Régnier
ne pardonna jamais l'injure faite à son oncle. Toute la
satire A Monsieur i?a^/« est dirigée contre lui. Ajoutons
bien vite qne ce n'est pas là, de sa part, une simple
vengeance: il y a incompatibilité absolue de doctrine, et
d'abord de tempérament, entre lui qui " prend les vers à
la pipée," et celui que leur contemporain Guez de Balzac
NOTICE xxix
appelait <' le tyran des mots et des syllabes." Régni
estjoijjLle caprice contre la règkj pour.JU OfiDchalançe
contre le travaîTi ' ' '"^
Ses nonchalances sont ses plus grands artifices,
dit-il de lui même. Quant à Malherbe et à ses sectateurs,
▼oici comment il les prend à partie :
Pensent-ils, des plus vieux effaçant la mémoire,
Par le mépris d'autrui s'acquérir quelque gloire,
Et pour quelque vieux mot étrange ou de travers
Prouver qu'ils ont raison de censurer leurs vers ?
Alors qu'une œuvre brille et d'art et de science,
La verve quehiuefois s'égaye en la licence...
Cependant leur savoir ne s'étend seulement
Qu'à regratter un mot douteux au jugement.
Prendre garde qu'un qui ne heurte une diphthongue,
Épier si des vers la rime est brève ou longue.
Ou bien si la voyelle, à l'autre s'unissant,
Ne rend point à l'oreille un vers trop languissant.
Et laissant sur le vert le noble de l'ouvrage.
Nul aiguillon divin n'élève leur courage ;
Ils rampent bassement, faibles d'inventions,
Et n'osent, peu hardis, tenter les fictions.
Froids à l'imaginer : car s'ils font quelque chose.
C'est proser de la rime et rimer de la prose.
On sent tout ce qu'il y a d'injustices, à côté des juste»
reproches, dans ces vers qui ont raison de revendiquer
la part de l'inspiration géniale, et tort de réclamer le
droit à la licence, aussi bien que de dénier à Malherbe et
aux siens la noblesse du vol lyrique. Le derniers ver»
n'atteint que les faiblesses de leur œuvre; et c'est plutôt
Boileau, avec toute sa suite de poètes purement raison-
nables et raisonneurs, que Régnier semble ici prévoir.
Ils sont encore loin. .
Voici en effet, autour d'une table, au cabaret du
Cormier ou à celui de la Pomme de Pin, un groupe désor-
donné, pittoresque et sonore que domine, haut en
couleur, moustache en croc, feutre sur l'oreille, le
XXX NOTICE
"gros" Marc-Antoine de Gérard, sieur de Saint-Amand,
*' roi des goinfres."
Il est né en 1594, près de Rouen. Fils d'un armateur
qui a commandé jadis, sous Elisabeth, une escadre
anglaise, et qui finira maître-verrier, Marc-Antoine fera
beaucoup plus de métiers encore que son père, et saura
beaucoup plus de choses. Il reste verrier, mais il est
aussi poète, et peintre, et excellent joueur de luth, et
soldat, et diplomate. Grand voyageur enfin, dans sa
jeunesse, il a poussé jusqu'en Amérique. A vingt-cinq
ans, par la protection du duc de Retz, qu'il a suivi dans
son gouvernement de Belle-Isle en Mer, il a été nommé
Commissaire de l'Artillerie. Un peu plus tard, il accom-
pagne à Rome le Maréchal de Créqui. En 1636, le
Comte d'Harcourt, — celui que dans les tripots et les
cabarets on appelle '' Cadet-la-Perle " mais en qui
Richelieu a deviné un brave — ayant été mis à la tête
d'une escadre, Saint-Amand s'embarque avec lui en
qualité de Commandant d'un vaisseau du roi ; et voilà nos
deux anciens compagnons de jeu et de beuveries qui se
couvrent de gloire en s'emparant des îles de Lérins, puis
de la Ville d'Orestani en Sardaigne. Après, il font
ensemble la campagne de Piémont, se battent sous Cazal
et livrent bataille à Ivrée, où le Cardinal de Savoie est
vaincu (1641). Deux ans plus tard, notre poète est en
Angleterre, car le Comte d'Harcourt y a été envoyé pour
proposer la médiation de la France entre Charles I«' et le
Parlement. De 1649 à 1651, au risque de devenir "le
gros Saintamantski," le voilà gentilhomme de la Chambre
auprès de Marie de Gonzague, reine de Pologne, à
laquelle il dédie son idylle héroïque de Moïse Sau-ue. Une
autre fois, c'est chez la reine Christine de Suède, à
Stockolm, qu'il ira passer un hiver, toujours choyé,
toujours applaudi, toujours aimé. Entre -temps, il
revient à Paris, où il se partage de nouveau entre les
tavernes, les brelans et l'Académie. Car l'Académie ne
lui a pas tenu rigueur de sa vie débraillée: on l'y a
même dispensé du discours d'usage, à condition qu'il
voulut bien, dans la confection du dictionnaire, se
charger des mots burlesques. Il meurt en 1661, âgé de
soixante-sept ans.
Son œuvre est très mêlée ; il s'y trouve du meilleur et
NOTICE xxxi
du pire, de l'exquia et deji'ignoble ; peu de pièces par-
faites et une inhnîté de "passages éICl"aordin aires d'éclat,
de force ou de grâce. Nul peut-être n'avait eu, depuis
Rabelais, cett;e richesse verbale. Il poigàde, presque
seul en son siècle, le sens de la montagne et de la ir.er,
des climat* et des saisons, et de la vîe p)3pt]îaîre àùtafît
que de la vie de» cours. C"'tsr un poore incomnler mais
un poète original. Ce qu .If£
c'est du génie.
A côté du '• roi des goinfres." l'héophile de Viau,
" roi des libertins," c'est-à-dire alors, ne l'oublions pas,
des libres-penseurs. Il est né à Clarac, dans l'Agenais,
et il a grandi auprès de soa père, un avocat huguenot
que les guerres religieuses ont forcé de se retirer dan»
son petit manoir de Boussières-Sainte-Radégonde, au
bord du Lot. " Que n'y ai-je passé toute ma vie 1 "
•'écriera un jour le poète :
Dans ces vallons obscurs, où la mère nature
A pourvu nos troupeaux d'éternelle pâture,
J'aurais eu le plaisir de boire à petits traits
D'un vin clair, pétillant, et délicat, et frais.
Qu'un terroir assez maigre et tout coupé de roche»
Produit heureusement sur les montagnes proche»..
Mais il était de la race des gascon» aventureux qui, tous,
comptaient sur Henri IV pour faire fortune ; et le voilà en
route vers Paris. Il y arrive au commencement de 1610 ;
six mois après le roi est assassiné, sans avoir rien pu faire
encore pour notre Cadet de Gascogne. Théophile cherche
donc un autre maître, le trouve en la personne d'un tilleul
du roi, Henri II, duc de Montmorency, grand seigneur
aussi libéral que vaillant, époux adoré de cette Marie-Felicc
des Ursins, que le poète, reconnaissant de leurs com-
muns bienfaits, chantera un jour sou» le nom de Sylvie.
A la Cour, non moins qu'à l'hôtel Montmorency, se»
vers sont accueillis avec faveur; et à juste titre, car
jusque dans les entrées de ballet, qu'il rime pour le»
fêtes du Louvre, il se montre un rare et délicieux poète.
Cette foi» encore, il n'eût tenu qu'à lui d'être heureux ;
mais, à la ville, oubliant que le temps de la tolérance
xxxii NOTICE
religieuse est passé, que l'esprit farouchement bigot de
l'Espagne a de nouveau franchi les Pyrénées, il ne cache
pas assc/c sa philosophie épicurienne. Il ne choisit pas
non plus ses amis avec assez de prudence. Son ami le
plus cher n'est-il pas ce jeune Jacques Vallée des Barreaux
(i 599-1673) plus épicurien que lui encore, premier amant
de la belle Marion de Lorme, et qui passe pour le plus
audacieux des athées, en attendant qu'il rime, converti
sur le tard, le fameux sonnet sur le Christ auquel il devra
de survivre?
Pour une pièce de vers plus suspecte que les autres,
notre poète est banni du royaume ; il passe en Angle-
terre, essaie en vain d'émouvoir le roi Jacques I , mais,
par une ode belle et touchante adressée à Louis XIII,
obtient de rentrer en France. Pourtant ses malheurs ne
sont pas près de finir. Bien qu'il se soit très sincère-
ment converti au catholicisme, la Compagnie de Jésus,
alors toute puissante, n'a pas désarmé. Il pourra écrire
un jour que, contre lui :
On avait bandé les ressorts
De la noire et forte machine
Dont le souple et le vaste corps
Etend ses bras jusqu'à la Chine.
Sous de vagues et calomnieux prétextes, le voilà en
butte aux attaques les plus violentes. Le père Garasse
écrit, pour le perdre — et dans quel style! — tout un
in -4° de six cents pages: la Doctrine curieuse des beaux
esprits de ce temps. Et le Père Voisin enchérit encore sur
Garasse: <' Maudit sois-tu, Théophile !... C'est toi qui es
cause que la peste est dans Paris. Je dirais, après le
révérend père Garassus, que tu es un bélître, que tu es
un poètastre, vilain, pouacre, écornifleur, ivrogne, de
Feau plutôt que de Viau , — que dis-je un Veau? D'un
veau, la chair en est bonne, bouillie, rôtie ; de sa peau
on couvre les livres : mais la tienne, méchant, n'est
bonne qu'à être grillée, aussi le seras-tu demain."
Ce ne sont point là, comme on pourrait le croire, de
simple aménités métaphoriques: il n'y a pas quatre ans
que, sur des accusations pareilles, Lucilio Vanini a été
brûlé vif à Toulouse, après avoir eu la langue coupée par
le bourreau. Et bientôt le pauvre Théophile, décrété de
NOTICE xxxiii
prise de corps, est à son tour condamné au bûcher,
heureusement par contumace: il a pris la fuite et il ne
sera exécuté qu'en effigie, sur la place de Grève. Le
voilà donc errant à travers le Languedoc, puis les
Landes, se cachant dans les lieux déserts, car devant lui
se ferment les portes de ses amis d'autrefois. Le bon
duc et la bonne duchesse lui offrent encore une cachette
à Chantilly ; mais il ne s'y arrête qu'un moment, de
peur de compromettre ses hôtes et, enfin, il est appré-
hendé à Saint Quentin, ramené, chargé de chaînes, à
Paris, et enfermé à la Conciergerie, dans l'ancien cachot
de Ravaillac.
Arrêtons ici le récit de ses traverses, qui serait long
encore. Disons seulement que l'âme du poète grandit
d'épreuve en épreuve; que, durant deux années de prison,
il se consola des Garasse et des Voisin avec Saint Augustin
et avec Platon, et qu'il écrivit, pour se défendre, une
Aùologie au Roi, qui est de la plus émouvante beauté. On
n osa l'absoudre, mais il fut seulement banni de France,
et, lorsqu'il se retira chez les Montmorency, à Chantilly
d'abord, puis à Paris même dans leur hôtel, on ferma les
yeux. Miné par tant de souffrances, il mourut peu de
temps après, à trente-six ans. L'affreux père Garasse
venait justement d'être censuré comme *• hérétique " et
comme '* bouffon " par la Faculté de Théologie. Théo-
phile aurait pu triompher d'un ennemi vaincu, le noircir
à son tour, d'une encre vigoureuse; non, les ombrage»
de Chantilly^^aient conseille i ce cœur charmant de»
chantons plCis douces :
Mais ici mes vers, glorieux
D'un objet plus beau que les ange»,
Laissent ce soin injurieux
Pour s'occuper à de» louanges.
Puisque l'horreur de la prison
Nous laisse encore la raison,
Muses, laissons passer l'orage ;
Donnons plutôt notre entretien
A louer qui nous fait du bien
Qu'à maudire qui nous outrage.
Et se» derniers vers furent pour sa bienfaitrice, pour
Sylvie.
148
xxxiv NOTICE
Théophile n'a pas la force, le relief, la couleur de
Saint-Amand ; sa langue es^tp.lus_.moUe, sa_ verve jie
jaillit point: elle s'épand, plutôt, avec une abondancelJn
peu lente et diffuse. Maïs g[uel charme, à de certaines
minutes ! Comparez, par exemple, sa Solitude à la pièce
de Saint-Amand qui porte le même titre: celle-ci est une
vision heurtée et fantastique; celle-là est une musique
rêveuse et enveloppante. L'une parle à l'esprit et aux
yeux, l'autre parle à l'oreille et au cœur.
Théophile avait trop de sensibilité pour aimer beau-
coup Malherbe, encore qu'il s'eForçàt de lui rendre
justice:
Imite qui voudra les merveilles d'autrui,
Malherbe a très bien fait, mais il a fait pour lui.
Mille petits voleurs l'écorchent tout en vie.
Quant à moi, ces larcins ne me font point d'envie;
J'approuve que chacun écrive à sa façon :
J'aime sa renommée et non pas sa leçon.
Les esprits mendiants, d'une veine infertile,
Prennent à tous propos ou sa rime ou son style.
Et de tant d'ornements qu'on trouve en lui si beaux
Joignent l'or et la soie à de vilains lambeaux,
Pour paraître aujourd'hui d'aussi mauvaise grâce
Que parut autrefois la Corneille d'Horace.
Ils travaillent un mois à chercher comme à fils
Pourrait s'apparier la rime de Memphis...
Mon âme, imaginant, n'a pas la patience
De bien polir les vers et ranger la science...
Je veux faire des vers qui ne soient pas contraints,
Promener mon esprit par de petits desseins,
Chercher des lieux secrets où rien ne me déplaise,
Méditer à loisir, rêver tout à mon aise.
Employer toute une heure à me mirer dans l'eau,
Ouir, comme en songeant, la course d'un ruisseau.
Écrire dans le bois, m'interrompre, me taire,
Composer un quatrain sans songer à le faire.
Théophile se définit ici délicieusement. En lisant ces
vers on se souvient encore de Ronsard et déjà l'on songe
à La Fontaine.
NOTICE XXXV
C'est encore un fils pieux de Ronsard que le parisien
Guillaume Colletet (1598-1659). Il avait même, à l'un
des rares moments de son existence où l'argent ne lui fit
pas faute, acheté, Jans le Faubourg Saint-Marceau, la
propre maison du grand poète. Mais bien qu'il tut l'un
des «'cinq auteurs" protégés par Richelieu, et l'un des
premiers académiciens, il vécut fort pauvrement, travail-
lant tout le jour à " l'utile prose " et rimant le soir pour
«on plaisir ; toujours joyeux, d'ailleurs, car, comme
l'écrivait Chapelain, "il a passé sa vie dans l'innocence,
entre Apollon et Bacchu», sans souci du lendemain,
parmi les plus fâcheuses affaires."
Il ne restera peut-être de lui que quelques sonnets
excellents; mais il bâcle, pour vivre, des tragédies,
des odes, des traductions, des discours et cent trente
biographies de poètes. Comme il a peu de temps à
perdre, il aime au plus près, et il épouse trois de ses
servantes. La dernière, Claudine, est fort gracieuse et
jolie; mai» ce n'est pas assez pour son amoureux époux :
il veut que, par surcroît, elle soit considérée comme une
femme d'esprit et même comme un poète; et, lorsqu'il
reçoit ses amis, il lui fait lire, au dessert, des vers qu'elle
est censée avoir composés le matin. Bien plus, se sentant
mourir, il poussera la précaution jusqu'à rimer la pièce
où, après sa mort, Claudine déclarera qu'elle renonce,
par désespoir, à la poésie:
Pour ne plus rien aimer ni rien louer au monde.
J'ensevelis mon cœur et ma plume avec vous !
Personne d'ailleurs, ne s'y trompa; et La Fontaine fit
cette épigramme :
Les oracles ont cessé,
Colletet est trépassé.
Dès qu'il eut la bouche close,
Sa femme ne dit plus rien :
Elle enterra vers et prose
Avec le pauvre chrétien.
Saint-Amand, Théophile et Colletet ont eu la bonne
fortune d'être réhabilités par Théophile Gautier; mais
xxxvi NOTICE
dans sa galerie des " grotesques " manque le portrait de
l'un des plus étonnants personnages et de l'un des plus
vrais poètes de cette époque de Louis XIII si féconde en
tempéraments originaux: Tristan l'Hermite (1601-1655).
Né' dans la Marche, au vieux château de Soliers, où
ses ancêtres, bravant la justice du roi, avaient mené une
vie de gentilhommes rançonneurs et pillards, il eut lui-
même une vie pleine d'aventures, dont son roman auto-
biographique, /-- Fage disgracia, nous conte les premières
années. A six ans, Henri IV le donne pour page à son
bâtard Henri de Bourbon. A quinze ans, ayant dû fuir,
à la suite d'une rixe où il y a eu mort d'homme, il est
précepteur en Angleterre, se fait aimer de sa jeune élève,
est mis en prison, s'évade, passe en Ecosse, puis en
Norvège, où il vend "des martres zibelines, des hermines
et autres belles fourrures," revient à Londres, rentre en
France, perd au jeu l'argent qu'il a rapporté, songe à se
rendre à pied en Espagne pour chercher fortune, ren-
contre en route, à Loudun, le vieux poète Scévole de
Sainte-Marthe, un survivant de la Pléiade, qui le prend
pour lecteur, enfin, après bien d'autres traverses, il est
présenté à Louis XIII et rentre en grâce.
En 1636, quelques mois avant le CiJ, il donne sa
tragédie de Marianne, qui balancera le succès du Cid, et
qui sera suivie de plusieurs autres, les seules dignes,
avec celles de Rotrou, d'être lues et admirées parmi
l'immense production dramatique des contemporains de
Corneille. Le poète lyrique n'est pas inférieur au poète
de théâtre. Dans ses Amours et dans Vers Héroïques, il y a
autant à retenir que dans l'œuvre de Saint-Amand ou de
Théophile ; et la Solitude de ce dernier est surpassée
encore par ce Promenoir des deux Amants où Tristan a
repris le thème éternel: l'invitation à l'Amour dans le
mystère des bois et du silence. Si Ton en retranche,
comme nous le ferons, les dernières strophes, gâtées par
des traits d'une maniérisme déplorable, il reste un poème
enchanté, doué de ce magique pouvoir de suggestion qui
est l'essence même du génie lyrique.
Quand Tristan l'Hermite sera mort, — pauvre et phti-
sique mais consolé par la religion, et après avoir écrit
des sonnets chrétiens non moins beaux que ses chansons
amoureuses, — il ne restera plus guère à Paris de ces
NOTICE xxxvii
bohèmes du Parnasse dont nous venons d'esquisser quel-
ques silhouettes. Eux disparus, adieu le rêve et la
fantaisie! Il ne faudra plus demander aux poètes, à de
rares exceptions près, que de l'ingéniosité, de l'esprit, de
l'éloquence, de la raison chantée, des émotions purement
intellectuelles.
« *
*
A cette évolution de la poésie, la '* Société précieuse,"
contribuera beaucoup. On sait comment, à partir de 1608,
elle se groupa autour de la Marquise de Rambouillet, en
«on hôtel de la rue Saint-Thomas du Louvre, entre le
Carrousel et le Palais Cardinal, et qu'on y fit, selon la
parole d'un contemporain, *< profession solennelle de
sagesse, de science, de vers et de vertu." Nous y avons
vu paraître Malherbe et Racan ; c'est là qu'après eux
s'achèvera, en quelque sorte, leur œuvre doctrinale ;
que se purifiera la langue, en s'appauvrissant un peu;
que s'élaboreront — dans la conversation enjouée ou
sérieuse, mais toujours décente, d'une assemblée de
grands seigneurs, d'honnêtes femmes et d'écrivains de
mérite— les idées littéraires qui doivent triompher vers
le milieu du siècle.
Un Colletet traversera bien le •* Salon bien d'Arthé-
nice," mais il s'y sentira mal à l'aise et retournera vite à
son vide-bouteille et à se» servantes. Le grand Corneille
y lira ses chefs-d'œuvre, du CiJ jusqu'à Rodogune, mais il
ne sera là qu'en passant, lorsqu'il viendra de Normandie
pour donner aux comédiens une pièce nouvelle. Ceux
qui s'y trouvent à l'aise, ce sont des poètes de meilleure
compagnie que Colletet et de moins de génie que
Corneille: Georges de Scudéry, Godeau, Ménage,
Chapelain, Ogier de Gombaud, Benserade, Montreuil,
Maleville, Sarrasin, Segrais, Vincent Voiture. De pres-
que tous ces poètes on trouvera, ci-après, quelques
pièces, mais ce sont en général de trop minces person-
nages, et qui ne survivent que par trop peu de vers, pour
que nous nous étendions beaucoup sur leur vie.
Jean Chapelain (1595-1674), fort savant homme et
poète peu doué, fut pendant trente années, non-seule-
ment l'oracle de l'Hôtel de Rambouillet, mais celui de
xxxvlii NOTICE
toute la littérature. On ne connaissait presque rien de
lui, mais on savait que, dans ses veilles laborieuses, il
préparait à la France un poème épique sur la PucelU, qui
devait éclipser à la fois Viliade, V Enéide et la Jérusalem
Délivrée. En attendant qu'il parût, on confiait à
l'auteur, sur ce crédit, les missions les plus éminentes,
notamment celle de rédiger les fameux Sentiments de
r Académie sur le Cid.
Enfin, en 1656, parurent le douze premiers chants de son
épopée. ..et depuis, le nom de Chapelain n'est plus connu
que comme celui du plus ennuyeux, du plus rocailleux,
du plus illisible des poètes. Lui-même n'a jamais osé
publier les douze derniers chants, encore qu'ils fussent
composés. Il crut, d'ailleurs, à une monstrueuse injus-
tice des contemporains et continua de se déclarer ** le
premier poète pour l'héroïque," si bien que, à ce titre,
il s'inscrivit lui-même, avec une pension de 3.000 livres,
sur la liste des poètes à pensionner que Colbert l'avait
chargé de dresser en 1663. Et, après, il y inscrivit
Corneille, avec 2.000 livres seulement! Ajoutons bien
vite qu'il y a quand même, dans la Pucelle, deux ou trois
belles pages, et que V Ode au Cardinal de Richelieu, l'un des
rares morceaux lyriques de Chapelain, n'est pas indigne
de Malherbe.
* *
Ogier de Gombaud, gentilhomme saintongeois de
haute mine, de belles manières et de noble langage,
grandit, vécut et mourut, à près de cent ans (1666),
avec l'illusion que, dans sa jeunesse, il avait été mystéri-
eusement et silencieusement adoré par la reine Marie de
Médicis. Vieux, il gardera, auprès des dames, l'attitude
ridicule et touchante du Don Guritan de Ruy Blas
On le raillera mais on le respectera. Il y a quelque chose
de solennel et de charmant tout à la fois dans sa galanterie
Quand M. de Montausier pour plaire à la belle Julie
d'Angennes, fille de la Marquis de Rambouilllet, invitera
tous les beaux esprits de l'Hôtel à tresser avec lui la
célèbre Guirlande de Julie, c'est Gombaud qui rimera ainsi
le madrigal de V Amarante :
Je suis la fleur d'amour qu' Amarante on appelle
Et qui vient de Julie adorer les beaux yeux.
NOTICE xxxix
Rose, retirez-vous, j'ai le nom d'immortelle:
Il n'appartient qu'à moi de couronner les Dieux I
Martin le Roy, Sieur de Gomberville (1600-1674) est
surtout goûté des Précieuses comme auteur du roman de
PoUxandre, dont la faveur égale ceux même de Mlle de
Scudéry; mais, pieux janséniste, il écrira aussi quelques
sonnets pleins d'élévation héroïque et religieuse.
Mathieu de Montreuil ^1620-1691) est plus pétulant
et plus léger. Mme de Sevigné le déclare "douze fois
plus étourdi qu'un hanneton." Il papillonne autour des
dames, les harcèle de petits vers où il y a beaucoup de
courtoisie et de grâce, même de la tendresse quelquefois,
ou un peu de passion vive et pressante. Sous les stances
que nous donnerons, on croira entendre les pizzicati de
la Sérénade de Don Juan, dans Mozart.
Claude de Maleville (1597-1647), secrétaire du Maré-
chal de Bassompierre, puis du Cardinal de Bérulle, et
enfin du Roi, passe quelquefois ** du grave au doux" et
"du plaisant au sévère," mais c'est dans le doux et le
plaisant qu'il excelle; et quand un tournoi mettra aux
prises les auteurs des sonnets célébrant la belle Alatineuse,
il remportera le prix sur Voiture lui-même, dont le sonnet
suit le sien dans notre recueil.
Vincent Voiture (1598-1648), fils d'un riche marchand
de vins d'Amiens, se poussa si bien dans le monde, grâce
à ses anciens camarades du Collège de Boncour et de
l'Université d'Orléans, qu'il y fit oublier sa roture. Il
remplira des missions diplomatiques en Espagne, en
Angleterre, à Florence; il sera comblé de faveurs, de
sinécures, et de pensions qu'il perdra facilement au jeu.
Surtout, il sera, auprès de la Marquise de Rambouillet,
puis de Julie d'Angennes, le poète par excellence de
l'Hôtel, cest-àdire le plus infatigable et le plus
ingénieux des faiseurs de rondeaux, de chansons et de
xl NOTICE
ballades. On ne lit plus guère que ses lettres, bien
artificielles aussi, mais très supérieures à ses vers. Et si
l'on cite encore son sonnet à'Uranie, c'est qu'il déchaîna,
dans les salons et les ruelles d'alors, la frivole et fameuse
guerre des Uranins et des Jobelins. Les Jobelins étaient
ceux qui préféraient le sonnet sur Job, que venait d'écrire
Benserade, et que voici :
Job de mille tourments atteint
Vous rendra sa douleur connue ;
Et raisonnablement il craint
Que vous n'en soyez point émue.
Vous verrez sa misère nue;
Il s'est lui-même ici dépeint:
Accoutumez-vous à la vue
D'un homme qui souffre et se plaint.
Bien qu'il eût d'extrêmes souffrances.
On voit aller des patiences
Plus loin que la sienne n'alla.
Il souffrit des maux incroyables,
Il s'en plaignit, il en parla;
J'en connais de plus misérables.
Oh I la médiocre pointe, à propos du plus sublime des
livres ! Au moins VUranie de Voiture a-t-elle de vraies
grâces, encore qu'un peu surannées. Le monde litté-
raire hésita ; et ce fut une avalanche de dissertations, de
parallèles et de gloses dans les deux camps. Corneille,
consulté, fit la plus spirituelle des épigrammes, dans
cette conclusion à la Normande:
Deux sonnets partagent la Ville,
Deux sonnets partagent la Cour,
Et semblent vouloir tour à tour
Rallumer la guerre civile.
Le plus sot et le plus habile
En mettent leur avis au jour,
Et ce qu'on a pour eux d'amour
A plus d'un échauffe la bile.
Chacun en parle hautement
Suivant son petit jugement.
Et s'il y faut mêler le nôtre,
NOTICE xli
L'un est sans doute mieux rêvé,
Mieux conduit, et mieux achevé,
Mais je voudrais avoir fait l'autre.
Il ne faudrait pas juger Isaac de Benserade (1612-1691)
sur ce fâcheux sonnet de Job. Le poète était encore à
ses débuts, et c'est plus tard, lorsqu'il composera des
mascarades et des ballets, représentés à Versailles avec
les plus grands seigneurs, les plus grandes dames et le
Roi-Soleil lui-même pour acteurs, c'est alors seulement
que l'on devra chercher le véritable Benserade, Et l'on
trouvera un poète dont Théodore de Banville a pu dire
que ses inventions de mythologie et de chevalerie «ont
souvent "des miracles d'esprit et de noblesse" et qu'il a
«u, comme nul avant lui, " amalgamer dans un type idéal
le personnage représenté et son interprête." Le sonnet
Pour U roi représentant Roger est même quelque chose de
plus qu'une spirituelle et noble louange: c'est l'âme
historique de la France que Benserade y montre incarnée
dans la personne de son roi.
Jean-François Sarrasin, pourtant, est un artiste
supérieur encore à Benserade et à Voiture. Né en 1603,
près de Caen, il fait ses études à l'université de cette ville,
vend sa terre familiale et vient à Paris, où il est pré-
senté à l'hôtel de Rambouillet par Mlle Paulet <* la belle
lionne." Plus tard, il brillera de même aux Samedis
de Mlle de Scudéry. Le voilà secrétaire de Paul de
Gondi, le futur Cardinal de Retz. Il le deviendra du
Prince de Conti, chez lequel il pourra fréquenter, à
Chantilly, le Duc d'Enghien, c'est-à-dire le grand Condé,
frère aine du prince, et, à Pézenas, le grand Molière,
quand celui-ci, obscur encore, ira y jouer avec sa troupe,
pendant la tenue des Etats du Languedoc. C'est à
Pézenas qu'il mourra, en 1654, empoisonné, dit-on, par
un mari jaloux. On lui doit, outre de belles pages
d'histoire à la Salluste, les strophes assurément les plus
élégantes, les mieux rimées, les mieux écrites de toute»
celles que prodiguèrent les poètes de la "Société polie."
xlii NOTICE
Il a «'malherbisé" une fois, dans une ode sur la bataille
de Lens, où il est médiocre. Partout ailleurs, il est
original et il est exquis.
C'est surtout au temps de Julie d'Angennes, que
Segrais (1625-1701) hantera l'Hôtel de Rambouillet, au
cours des années qu'il passera à Paris comme gentil-
homme ordinaire de Mademoiselle de Montpensier, puis
comme ami et collaborateur de Madame de La Fayette.
Mais, en 1669, ayant pris femme dans son pays natal, à
Caen, il s'y fixera, y deviendra premier échevin, y prési-
dera l'Académie du lieu, y élèvera une statue à Malherbe,
et y mourra, en bon normand et en vrai sage.
Que Segrais dans l'églogue enchante les forêts I
a dit Boilcau. C'est en effet, avant tout, un poète
bucolique, encore qu'il ait écrit, <' Sur un dégagement,"
des stances qui font penser à Alfred de Musset.
Il n'a pas seulement aimé et traduit Virgile, il a une âme
naturellement virgilienne. Le petit poème à'Amire pour-
rait être rencontré, sans qu'il y détonnât, dans les
Élégies d'André Chénier. Victor Hugo aimait les vers
de Segrais, auxquels il a emprunté deux fois des épi-
graphes ; et, dans le Groupe des Idylles de la seconde Légende
des Siècles, il lui fait dire :
Muse, je chante, et j'ai près de moi Stésichore,
Plante, Horace et Ronsard, d'autres bergers encore.
J'aime 1 et je suis Segrais, qu'on nomme aussi Tircis ;
Nous sommes sous un hêtre avec Virgile assis ;
Et cette chanson s'est de ma flûte envolée
Pendant que mes troupeaux paissent dans la vallée,
Et que du haut des cieux l'astre éclaire et conduit
La descente sacrée et sombre de la nuit.
La poésie idyllique, après Segrais, deviendra de plus
en plus froide et conventionnelle, et rien n'en restera
que, grâce à la joliesse du rythme, V Allégorie pastorale
de Madame Deshoulières (1633-1694), une "précieuse"
attardée qui, lorsque l'Hôtel de Rambouillet ferma ses
portes, tint à son tour »'•' Bureau d'esprit î " On y
NOTICE xliii
cabala, hélas! contre la Phidre de Racine, par une fidélité
mal entendue au vieux Corneille
Pierre Corneille! (1606-1684). Ici, nous rentrons
dans la région des génies, dont il est le premier en date.
Après viendront La Fontaine (1621-1695), Molière
(1622-1673), Racine (1639-1699); et l'on ne saurait
séparer d'eux, si inférieur qu'il leur soit, Nicolas Boileau-
Despréaux (1636-1711), l'impérieux théoricien de l'art
classique. D'aucun de ces hommes illustres nous
n'esquisserons même la biographie, présente à toutes
les mémoires; nous nous contenterons d'indiquer, en
peu de mots, à quelles occasions ces poètes du théâtre,
de la fable ou de la satire, furent aussi, accessoirement,
des poètes lyriques.
Accessoirement? On ose à peine appliquer ce mot à
Corneille, tant son œuvre lyrique est considérable. Ses
tragédies eussent-elles disparu que, par ses autres vers,
il resterait encore un grand poète. Dans ses œuvres
diverses, trop peu lues, on trouverait, non-seulement des
galanteries et des fantaisies délicieuses, écrites dès sa
jeunesse, mais plusieurs sonnets admirables de sa
maturité, des vers superbes adressés au Koi, enfin toute
la suite des poèmes inspirés, sur le tard, au cœur sensible
du vieux Maître, par la belle comédienne Marquise-
Thérèse de Gorla, femme du comédien Du Parc, lors-
qu'elle vint, en 1688, jouer à Rouen avec la troupe de
Molière. On y passe du madrigal spirituel à l'élégie
presque douloureuse; et le chef-d'œuvre en est, dans sa
fière désinvolture, le morceau intitulé Stances à la
Marquise, par un confusion volontaire de l'un des noms
de l'actrice avec un titre de noblesse auquel elle ne
prétendait point.
Mais voici l'œuvre capitale: L'Imitation de Jésus-Christ
traduite et paraphrasée en vers français, achevée en 1654, et
qui est, à notre avis, l'un des livres essentiels de la poésie
française, non pour l'invention des pensées, bien entendu,
mais pour la splendide ampleur des rythmes, presque
tous innovés par Corneille, et pour l'incomparable
pouvoir de cette langue à exprimer, en raccourci, les
jes idées plus subtiles et les plus profondes. Jamais, ni
f
xliv NOTICE
avant, ni depuis, des vers n'ont été plus pleins de sub-
stance morale. Et si l'on se rappelle qu'alors Corneille
avait déjà écrit les stances du Cid et celles de Polyeude, on
conviendra que le premier poète lyrique du XVlIe siècle,
ce n'est pas Malherbe, c'est lui.
Il serait injuste de ne pas rapprocher de V Imitation le
livre trop oublié: Lts Entretiens solitaires, de Guillaume
de Brébeuf (1618-1661) un normand encore, célèbre en
son temps par une traduction en vers de la Pharsale,
mais dont les vers religieux, supérieurs encore à ses
beaux vers épiques, atteignent parfois la sublimité de
ceux de Corneille. Pour en entendre encore de cet
accent et de cette largeur, au cours du siècle, il faudra
ramener au jour quelques strophes presque inconnues
du plus lyrique des prosateurs, de Jacques-Bénigne
Bossuet lui même, (1627-1704) qui avait, à seize ans,
prêché par jeu son premier sermon à l'Hôtel de Ram-
bouillet, devant Voiture, en attendant qu'il prononçât à
Notre-Dame, devant Louis XIV, l'oraison funèbre du
Prince de Condé, cette ode en prose où "l'aigle de
Meaux " a des coups d'ailes et des planements à la
Pindare.
Quelques chansons, dans les divertissements de ses
comédies, montrent que Molière faisait une part au
lyrisme sur le théâtre. Hors de la scène, il ne nous ap-
partient que par le sonnet émouvant écrit en 1664 à son
ami La Mothe Le Vayer, qui venait de perdre son fils.
Jean Racine a sacrifié bien davantage à la Muse
lyrique, et^ cela dès sa seizième année. Élève des
«•'petites Écoles" jansénistes, il décrit le Paysage de
Port-Royal en sept odes où se fait sentir l'influence de
Théophile. Deux ans plus tard, à Chevreuse, où son
cousin Vibert, intendant du Duc de Luynes, l'a envoyé
pour surveiller les réparations du château, il rumine une
pièce de théâtre et, lorsqu'il s'échappe jusqu'à Paris,
en promet le rôle principal, tantôt à Mlle Roste, de
NOTICE xlv
la troupe du Marais, tantôt à Mlle Beauchâteau, de
l'Hôtel de Bourgogne. Laquelle des deux, à moins
que ce ne soit quelque jolie personne de l'entourage
des Vitart, a-t-il chantée sous le nom de Parth'enice ?
N'importe: il l'a fait avec une fraîcheur et une grâce
tendres qui annoncent déjà l'incomparable poète de
l'amour qu'il sera dans la tragédie. A vingt ans c'est
une ode écrite à l'occasion du mariage du roi, La
Nymphe de la Seine, qui lui vaut la protection de Chape-
lain et celle de Colbert. Si le lyrisme est absent de ses
premières pièces, il y reparaîtra, dans l'accent, avec
Phèdre; il y sera réintroduit, dans la forme, avec les
chœurs (ï Esther, et il y triomphera, au centre de l'action
même, avec la sublime extase de Joad, au troisième acte
à^ Athaite (169 1). Après une mélodieuse interprétation
des Hymnes du Bréviaire romain, Racine chantera enfin son
chant du cygne, les Cantiques spirituels, qui semblent avoir
donné à Lamartine le ton de ses Méditations religieuses.
Est-il vrai que ce soit en lisant une ode de Malherbe
que Jean de La Fontaine se soit senti tout à coup poète?
Je n'en puis rien croire. Bien que, ingéniiment, sur la
foi de Malherbe, il ait dit du mal de Ronsard, c'est à
Ronsard qu'il se rattache, beaucoup plus qu'à son con-
tempteur. Pour la langue, il s'écarte résolument de
celui-ci, reprenant chez les poète» de la Pléiade, et plus
haut encore, chez Marot, chez Rabelais, chez Bonaventure
des Periers, jusque chez les vieux trouvères du moyen-
âge, tous les mots dont il a besoin, y joignant les termes
de métiers et les expressions les plus savoureuses des
patois de France, faisant, en somme, tout juste ce que
Malherbe avait interdit. Pour l'inspiration, même
contraste, La Fontaine étant, lui, toute imagination,
toute sensibilité, toute liberté, tout caprice : à sa Muse,
comme à la Vénus de son poème à'' Adonis, il ne manque :
Ni le mélange exquis des plus aimables choses,
Ni le charme secret dont l'œil est enchanté,
Ni la grâce, plus belle encor que la beauté.
Et pourtant, ajoute Vénus :
xlvi NOTICE
La beauté, dont les traits, même aux dieux, sont si doux,
Est quelque chose encor de plus divin que nous.
Le poète en eût pu dire autant de la bonté. Elle
l'inspira souvent, et jamais mieux que lorsqu'elle lui dicta,
pour demander au roi la^ grâce du surintendant Fouquec
son bienfaiteur, cette Elégie aux Nymphes de Vaux où
l'orgueilleux monarque put lire le vers le plus tendre-
ment humain qui ait été écrit depuis le fameux " Homo
sum..." de Térence ;
Et c'est être innocent que d'être malheureux I
Mais quand nous arrêterions nous, si nous entre-
prenions de parier du "bonhomme?" Tous, nous
savons ses Fables par cœur; en revanche, bien peu ont lu
ses poésies diverses; odes ou chansons, épitres ou élégies,
rondeaux ou ballades. Pourtant, c'est là tout un trésor
d'épis qu'il a négligemment laissé tomber en liant ses
gerbes, et qui suffiraient à la fortune d'un poète. Nous
en recueillerons ici quelques-uns.
Nicolas Boileau-Despréaux, fils d'un greffier du Palais,
greffier lui-même sur le Parnasse et auteur de/' -<4r//'Oif//5'Wi?,
doit passer, sans contredit, pour l'homme de son siècle à
qui la notion même de la poésie lyrique aura été la plus
étrangère. En matière de théâtre, il a donné à Racine et
à Molière d'excellents conseils, dont ils n'avaient pas un
pressant besoin ; dans la Satire, il a lui-même excellé,
étant de complexion raisonnable, réaliste et caustique;
mais que de la musique et des images, au lieu de discours
et de raisonnements, viennent à passer dans les vers qu'on
lui lit ou qu'on lui montre, et aussitôt il devient sourd, il
devient aveugle. Insensible aux incantations de Ronsard,
il le vilipende et il ose lui préférer, sans non plus les aimer,
du reste, Desportes et Bertaut. Il ignore Maynard et
Tristan. Il méprise Saint-Amand et Théophile, comme il
méprisera Philippe Quinault (1635-1688), ce mélodieux
librettiste des opéras de Lulii. Quant à La Fontaine, il ne
daignera point même le mentionner, ni parler de ses
Fables, comptant pour peu ce rimeur et ces bagatelles.
Parfait honnête homme, du reste, plein d'honneur et
NOTICE xlvii
de courage, et si bon ouvrier de vers qu'il est capable de
composer, par indignation, l'épitaphe vraiment lapidaire
du célèbre janséniste Antoine Arnaud persécuté, chassé,
mort en exil. Et il a mérité d'écrire, sans crainte qu'on
le lui rappelle jamais dans un blâme, cet alexandrin qui
peut servir encore de pierre de touche pour éprouver la
! i table et la fausse monnaie de poésie:
Le vers se sent toujours des bassesses du cœur.
Malheureusement, ce n'est pas seulement de la bassesse,
mais aussi de la sécheresse du cœur que le vers se ressent
toujours ; et tel est le cas des vers de Boileau. Il a encore
moins de sensibilité devant la nature que son iiéros
Malherbe: dans un seul de ses vers on voit apparaître
un arbre, le noyer de son jardin d'Auteuil; mais c'est
pour nous dire qu'il est '' du passant insulté," autrement
dit, que les gamins y jettent des cailloux : sentiment non
de poète mais de propriétaire. Quant aux femmes, sauf
deux gracieux couplets '< pour mettre en chant," elles ne
lui ont jamais inspiré que la Satire X, merveille de style
mais féroce réquisitoire contre le sexe, ertroyable galerie
de portraits où il n'y a que des Mégères et des Xantippes,
des Brinvilliers et des Messalines.
Pouvait-on demander à un pareil homme de comprendre
Ronsard et La Fontaine, et surtout de faire des vers
lyriques? Il en fit pourtant, une fois, et ce fut pour la
revanche des Muses offensées, car il écrivit alors cette
OJe sur la Prise de Namur qui serait la chose la plus
ridicule du monde si l'auteur ne l'avait point fait précéder
d'un Discours dont le comique involontaire est encore
supérieur à celui de VOJe.
On y lit: "Comme il n'est pas possible de leur faire
voir (aux lecteurs ignorant le grec^ Pindare dans Pindare
même, j'ai cru que je ne pourrais justifier ce grand poète
qu'en tâchant de faire une ode en français à sa manière,
c'est-à-dire pleine de mouvements et de transports, où
l'esprit parût plus entraîné du démon de la poésie que
guidé par la raison. ..J'y ai jeté, autant que j'ai pu, la
magnificence des mots ; et à l'exemple des anciens poètes
dithyrambiques, j'y ai employé les figures les plus audaci-
euses,..Je ne sais si le public, accoutume aux sages em-
portements de Malherbe, s'accommodera de ces saillies et
xlviiî NOTICE
de ces excès pindariques..." Ahl le démon qui entraîne
Boileau! Ah! les magnificences, les audaces, les saillies,
les excès pindariques de Boileau I
Quelle docte et sainte ivresse
Aujourd'hui me fait la loi ?
Chastes Nymphes du Permesse,
N'est-ce pas vous que je voi?...
Est-ce Apollon et Neptune
Qui, sur ces rocs sourcilleux,
Ont, compagnons de fortune,
Bâti ces murs orgueilleux?
De leur enceinte fameuse
La Sambre, unie à la Meuse,
Défend le fatal abord ;
Et, par cent bouches horribles,
L'airain sur ces monts terribles
Vomit le fer et la mort.
Dix mille vaillants Alcides
Les bordant de toutes parts,
D'éclairs au loin homicides
Font pétiller les remparts, etc..
Il s'agit ici des canons et des fusils, des artilleurs et
des mousquetaires ! Et quand, plus haut, le poète se
demande si ce sont Apollon et Neptune qui, compagnons
de fortune, ont bâti ces murs orgueilleux sur ces rocs
sourcilleux, c'est que, paraît-il, ces deux Olympiens
s'étaient jadis loués ensemble à Laomédon pour rebâtir
les murs de Troie. Du moins, Boileau nous l'assure,
dans une note, au bas de la page.
Invocations, exclamations, apostrophes et prosopopées;
termes impropres et périphrases ; allégories et mytholo-
gie ; rimes en épithètes, écœurantes à force d'être faciles,
interchangeables tant elles sont banales; le tout dans un
délire de commande et dans un désordre concerté : voilà
rOde sur la Prise de Namur, et voilà, pour cent années,
toute l'ode française, dont le «'Législateur de notre
Parnasse " aura donné le modèle définitif. Quoi qu'il en
pense, rien ne ressemble moins à du Pindare ; c'est du
Malherbe inconsciemment parodié, gauchement imité,
par un homme qui n'a gôuté, qui n'a admiré chez ce
NOTICE xlix
maître de la rime précieuse, de la forte langue et de la
haute éloquence, que ses artifices, que ses faiblesses et que
ses froideurs. Mais alors, pensera-t-on, Boileau n'aurait
pas plus compris Malherbe que Ronsard ? Assurément
non, Malherbe étant, comme Ronsard, un poète lyrique.
Boileau, après cet unique '«excès," se trouva si fatigué
qu'il n'osa plus jamais évoquer le terrible démon de
l'Ode ; mais il eut du moins la consolation de former, avant
de mourir, un élève qui devait réaliser complètement son
idéal de lyrisme: Jean-Baptiste Rousseau.
Rousseau était né à Paris en 1671. Féis d'un cordon-
nier qui fit les plus grands sacrifices pour lui donner une
éducation brillante, il commença par rougir de ce père et
par vouloir changer son nom, de peur que ce témoignage
d'une humble origine lui portât préjudice aux yeux des
grands seigneurs dont il voulait devenir, plus humble-
ment encore pourtant, le valet. Qu'après cela il ait été
capable, ayant échoué au théâtre, de choisir sans voca-
tion, et simplement parce qu'il y avait là une place à
prendre, la carrière de poète lyrique; qu'il se soit con-
solé d'être obligé d'écrire des odes sacrées en composant
des épigrammes obscènes, dont il disait cyniquement
qu'elles étaient les " gloria patri " de ses psaumes; qu'il
ait été accusé, avec trop de vraisemblance, d'avoir rimé
contre plusieurs de ses confrères des couplets infâmes, et
pour cela banni à perpétuité du royaume par un arrêt
du Parlement, on ne s'en étonnera point outre mesure.
Il avait prévenu l'arrêt en s'exilant volontairement, dès
1712, en Suisse. Accueilli là par notre ambassadeur, le
comte de Luc, il le suivit bientôt à Vienne, lorsque lui
fut donnée l'ambassade d'Autriche, et il y trouva, dans le
prince Eugène, le plus illustre des protecteurs. A tous
deux, il dédiera d'abord des odes reconnaissantes ; mais il
ne tardera pas à leur préférer, dès la première rencontre, cet
étrange aventurier limousin, le comte de Bonneval, qui
devait finir pacha à Constantinople. Sans vergogne, il
prendra parti pour lui contre le prince Eugène, écrira
même des chansons injurieuses sur une femme aimée du
prince qui, généreux, se contentera d'éloigner de lui
le misérable poète en l'envoyant à Bruxelles, avec la
147
1 NOTICE
promesse d'un emploi lucratif. C'est là que Rousseau
mourra, en 1741.
Jusqu'au bout, il avait gardé en France des amis
fidèles, qui le tenaient pour un calomnié ; et c'étaient
Louis Racine, le père Brumoy, Rollin, Lcfranc de
Pompignan. Ces nobles cœurs ne pouvaient soupçonner
la bassesse d'âme de celui qu'ils prenaient pour un poète.
Et ils le croyaient tel, parce qu'il traitait de grands sujets
avec cette élévation factice et cette habileté rhétoricienne
qui devait tromper plusieurs générations, le maintenir
même au rang de premier poète lyrique français jusqu'au
jour où les Méditations de Lamartine dissipèrent en une
minute cette illusion, en réapprenant la poésie à la France.
Aujourd'hui, c'est presque au dernier rang que nous
serions tentés de le mettre, tant son œuvre nous paraît
vide et glacée. Ne tombons point dans ce déni de justice.
Contentons-nous de_ dire que Rousseau est le type même
du simili-poète, comme il y en a eu, pendant les périodes
de transition, dans toutes les littératures; et que celles
de ses odes et de ses cantates qui furent autrefois les plus
célèbres restent les types mêmes de ce qu'on pourrait
appeler les pseudo-chefs-d'œuvre. C'est à ce titre que
nous leur donnerons encore l'hospitalité de notre recueil,
et parce qu'il faut savoir gré à ce rimeur d'avoir main-
tenu, faute de mieux, les apparences de la grande poésie,
de n'avoir point laissé s'effriter, faute d'usage, les superbes
moules de strophes où Victor Hugo coulera un jour du
bronze, où il aura versé, en attendant, du plâtre.
Après lui, Jean-Jacques Lefranc, marquis de Pompignan
(1709-1784) nous rendra le même office, avec moins de
savoir-faire, mais, une fois, avec plus d'inspiration ; le
jour où il écrira une Ode sur la mort de J.-B. Rousseau, son
maître et son ami. Ce seul jour-là, parce qu'il aura mis
son art au service d'une émotion sincère, ce que Rousseau
ne fit jamais, il aura été poète.
Pour atteindre la fin du dix-huitième siècle, il faut
traverser un véritable désert de stérilité poétique ou
plutôt un immense jardin de fleurs artificielles, parmi
NOTICE li
lesquelles on est tout surpris de rencontrer, de loin en
loin, le coloris et le parfum de quelques fleurs véritables.
Du moins y a-t-il encore un peu de poésie dans cette
<< petite poésie," tandis que de la " grande " il ne rest»
plus, nous le savons, que des simulacres.
Pendant les mêmes dernières années du règne de Louis
XIV et pendant les premières de la Régence, à l'aimable
Cour de Sceaux, chez la duchesse du Maine, ou aux
soupers du Temple, en compagnie plus libertine, chez le
grand-prieur de Vendôme, écoutons les jolies strophes
anacréontiques de Guillaume Anfrye, abbé de Chaulieu
(1639-1720), "le premier des poètes négligés," selon
Voltaire. Ou bien, notons certaine chanson sémillante
et galante, d'un rythme si hardi que chaque couplet
commence même par un vers inusité de treize syllabes:
elle est, ne vous en déplaise, d'un Irlandais de vieille
souche, compagnon de Jacques II exilé, Antoine, comte
d'Hamilton (1646-1720), devenu, pour avoir écrit les
Mémoires de Grammant, l'un de nos prosateurs classiques.
Charles Rivière Dufresny (1648-1724), parisien, petit-
fils de Henry IV et de la belle jardinière du château d'Anet,
fut poète, soldat, journaliste, musicien, agioteur, auteur
de très spirituelles comédies, excellent jardinier enfin,
par atavisme. A ce titre il faillit même tracer, dans le
goût pittoresque et irrégulier des jardins anglais, le parc
de Versailles ; mais son cousin Louis XIV, dont il était
valet de chambre, donna la préférence au plan solennel de
Lenotre. Entre ses Amusements sérieux ou comiques on pour-
fait choisir plus d'une jolie chanson, celle des Lendemains^
par exemple, une toute petite chose, mais parfaite.
Stanislas-Jean, Marquis de Boufflers (1737-1815),
l'auteur, en prose, de la délicieuse et légère Aime, Reine
de Golconde, tour à tour abbé, chevalier de Malte, hussard,
maréchal de camp, diplomate en Allemagne, gouverneur
du Sénégal, député aux États-Généraux, émigré, agricul-
teur, enfin administrateur de la Bibliothèque Mazarine, a
laissé, parmi beaucoup de petits poèmes lestes et spirituels,
dix vers émus sur les cheveux blancs d'une femme aimée:
témoignage, sans doute, de la longue et fidèle tendresse
qui le lia, puis l'unit par le mariage, à la comtesse de
Sabran, son exquise amie.
Mais voici le roi de la poésie fugitive, le roi Voltaire
m NOTICE
(1694-1778), Ce n'est plus par sa Henrïade ou sa Loi
naturelle, sa Sémiramis ou son Mahomet, ni surtout par se»
grandes odes, qu'il reste pour nous un poète : c'est par
la grâce émue des Stances à Madame du Châtelet, de ce
délicieux et impertinent badinage, les Vous et les Tu, ou
des vers a Madame Lullin, d'une si souriante mélancolie.
Jamais, quoiqu'il s'y guindé, Virgile ni Lucrèce, Corneille
ni Pindare: quelquefois, sans qu'il y songe, Horace ou
Anacréon.
C'est sous son patronage que Nicolas-Joseph-Laurent
Gilbert, (1751-1788) s'est d'abord placé en lui envoyant,
du fond de la Lorraine, ses premiers vers ; mais le
philosophe de Ferncy n'a sans doute point salué assez bas
ce jeune homme de dix-huit ans qui, bientôt, enflé par
des succès de province, aigri par le froid accueil qu'on lui
fait dans la capitale, deviendra le farouche ennemi de
celui qu'il appellera "vole à terre," et de toute la secte
encyclopédique. On n'a retenu de lui qu'une satire:
Le Dix-Huitième Siècle, et les quelques strophes qu'il
écrivit, quelques jours avant de mourir à l'Hôtel-Dieu,
non de misère comme le voudrait la légende, mais d'un
simple accident. Bien que ces strophes soient imitées de
plusieurs psaumes, il faut y reconnaître un accent moderne
qui surprend encore, à pareille date.
Combien vaut mieux que Gilbert celui qui remplacera
Voltaire à l'Académie Française, le bon Jean-François
Ducis (1733-1816)1 Honorons-le d'abord pour avoir le
premier mis à la scène, avec de très-beaux vers quelquefois,
des imitations timides, et cependant audacieuses pour
l'époque, de Macbeth, d'Hamlet, d'Othello, du Roi Lear, de
Roméo et Juliette. Puis, retiré du théâtre et du monde,
dans sa petite maison de campagne, entre un crucifix
devant lequel il prie chaque matin, et un buste de Shake-
speare qu'il couronne de fleurs, chaque année, lorsque
revient l'anniversaire du grand Will, aimons-le de savoir
écrire, avec simplicité, des stances ingénues comme son
esprit, tendres comme son cœur, pures comme sa vie.
Évariste Parny (1753-18 14), est né à l'Ile Bourbon
NOTICE liii
Celui qu'on appelait «*le Tibulle français" ftit illustre.
D'une âme plus voluptueuse que tendre, dans une langue
bien conventionnelle et bien molle, il écrivit des vers
amoureux qu'admirait encore Chateaubriand et qui
faillirent gâter le génie naissant de Lamartine. Mais
Elvire fit oublier en un instant la vague Éléonore, et
Parny n'est plus maintenant lui-même qu'une ombre
vague. Son simulacre d'élégie a été rejoindre le simulacre
d'ode de Rousseau et le simulacre d'épopée de Voltaire.
L'illusion dissipée ne renaîtra plus, et ce n'est guère
qu'en souvenir d'une grande renommée qu'on citera en-
core, pour leur chute gracieuse, et pour un peu d'émotion
qu'ils gardent, quelques vers Sur la Mort J\ru Jeune
Fille.
Louis de Fontanes (1757-1821) a passé, lui aussi, mais
sans avoir eu autant d'éclat comme poète, si l'éclat des
honneurs ne lui manqua point, qu'il recherchait par-
dessus toutes choses. Grand-maître de l'Université en
1808, sénateur en 18 10, il n'hésita pas, pour garder sa
place, à voter, en 1814, la déchéance de l'empereur, ce
qui lui valut d'être nommé pair de France. Sachons-lui
gré d'avoir encouragé Chateaubriand à «es débuts, et
regrettons que trop d'emplois et de dignités ne lui aient
pas permis de polir quelquefois, dans la paix de son
cabinet de travail, des odelettes égales à son unique
chef-d'œuvre : Sur un Buste de Vénus.
A l'heure où débutait Fontanes, le France croyait avoir
trouvé de nouveau un grand poète lyrique; et ce n'était
encore qu'un rhéteur en vers, plus puissant toutefois que
Jean Baptiste Rousseau : Ponce-Denis Escouchard-Lcbrun,
né à Paris en 1729, celui que scj contemporains appelèrent
volontiers Lebrun-Pindare. L'homme est féroce et bas:
la Fanni qu'il a chantée, à peine est-elle devenue sa femme
qu'il l'accable d'ignobles soupçons, de grossières injures
et de traitements barbares ; et après la séparation, il
s'acharne encor» à la salir, en vers. Tiré de la misère par
Louis XVI, ayant célébré r Amour des Français pour leurs
Rois, il demandera, un peu plus tard, que les tombes
royales de St Denis soient violées, que Louis XVI et
Marie-Antoinette soient guillotinés. Une pension de
liv NOTICE
6.000 livres suffira pour qu'il loue Bonaparte, du même
cœur qu'il avait loué Robespierre.
Eh bien, ce caractère vil, ce cœur atroce, a dans
l'imagination, rien que dans l'imagination, une espèce de
grandeur singulière. Il est capable de s'exalter, non
pour des sentiments, mais pour des idées et des livres,
pour l'Esprit de Lois de Montesquieu, par exemple, ou
pour les Epoques de la Nature de Buffon, son héros favori,
qui lui inspirera deux odes dont quelques passages
approchent du sublime. Il y atteindra une fois, malgré
l'emphase du début, dans \ Ode sur le Vaisseau le Vengeur;
et pour ne pas être trop choqué de ce début même,
remarquons qu'il est en harmonie avec le goût néo-
romain qui règne partout alors, aussi bien dans un tableau
de Louis David que dans un meuble de Percier on dans un
discours de Robespierre: c'est presque du style.
Lebrun est le plus inégal des poètes : tel fragment de
son ode sur r Enthousiasme, par son emportement lyrique
et ses audaces verbales, annonce les Mages de Victor Hugo:
Il t'embrasait, ô Galilée,
Quand la terre entendit ta voix,
Et que, loin du centre exilée,
Elle parut suivre tes lois.
Newton, roi des sphères célestes,
Tu le respires, tu l'attestes
Dans tes calculs audacieux ;
Franklin maîtrise le tonnerre,
Et Montgolfier, fuyant la terre,
Se précipite dans les cieux.
Les âmes, de gloire effrénées,
Par un essor inattendu,
Se plongent dans leurs destinées
A travers l'obstacle éperdu :
Un enthousiasme héroïque,
S'ouvrant les ondes du Granique,
D'Alexandre enflamme l'espoir,
Soumet la terre à sa fortune,
Et le montre au dernier Neptune,
Tous deux étonnés de se voir.
Mais déjà faiblit la fin de la stropiie. Et si nous
NOTICE !▼
tournions quelques feuillets, jusqu'à l'ode où Lebrun
célèbre Z« Paysages des Environs de Paris, nous trouverions
des vers tels que ceux-ci, dont chaque mot a besoin d'une
traduction, tant la folie de la périphrase et du <'mot
noble " y est à son comble :
La colline qui, vers le pôle
(le Butte Montmartre, qui, au Nord)
Borne nos fertiles marais,
(nos cultures maraîchères)
Occupe les enfants d'Éole
(les vents)
A broyer les dons de Cérès.
(à faire tourner les moulins â farine)
Vanves, qu'habite Galatée,
(oCi il y a des gardeuses de bestiaux)
Sait du lait d'Io, d'Amalthée
(du lait de vache et de chèvre)
Épaissir les flots écumeux ;
(faire du fromage)
Et Sèvres, d'une pure argile
(avec du kaolin)
Compose l'albâtre fragile
(la porcelaine)
Où Moka nous verse ses feux.
(dont on fait les tasses à café ! ! !)
Si Lebrun-Pindare se montre quelquefois le plu»
détestable des poètes lyriques, disons bien vite qu'il est
toujours le maître incontesté des faiseurs d'épigrammes.
Citons-en au moins une, superbe, sur La Harpe, qui
venait de parler du grand Corneille avec irrévérence:
Ce petit |-.omme à son petit compas
Veut sans pudeur asservir le génie;
Au bas du Pinde il trotte à petits pas.
Et croit franchir les sommets d'Aonie.
Au grand Corneille il a fait avanie ;
Mais, à vrai dire, on riait aux éclats
De voir ce nain mesurer un Atlas ;
Et, redoublant ses efforts de Pygmée,
Burlesquement raidir ses petits bras
Pour étouffer si haute renommée!
Ivi NOTICE
Souvenons-nous enfin que Lebrun, avant tout le
monde, a deviné, a salué le génie d'André Chénierl Ce
sera justement le frère d'André, Marie-Joseph, qui, le
3 Septembre 1807, prononcera, au nom de l'Institut, un
discours sur la tombe du vieux poète. Il y laissera
entendre, discrètement, toutes les restrictions qu'il ferait
sur l'homme; mais il y louera justement celui qui,
"souvent élevé, quelquefois ambitieux dans son style,
cherchant la hardiesse et ne fuyant pas l'audace, célébra
tout ce qui donne les hautes pensées: Dieu, la Nature,
la Liberté, le Génie et la Victoire I "
Deux poètes avaient fait mieux que de célébrer la
Victoire: vers le même temps, ils y avaient entraîné les
cœurs et conduit les pas des jeunes armées de la
République. L'un d'eux était précisément Alarie-Joseph
Chénier, et l'autre, avant lui, Joseph Rouget de Lisle
(1760- 1836).
Le capitaine Rouget de Lisle, dans la nuit du 25 au
26 Avril 1792, peu de jours après la déclaration de
guerre à la Prusse et à l'Autriche, improvisait, paroles et
musique, le chant immortel qui, appelé d'abord Chant Je
Guerre de P Armée du Rhitu devait bientôt prendre son nom
de gloire, quand le bataillon des volontaires de Marseille
fut entré à Paris en le chantant. Écoutez maintenant
une page de Michelet, hymne commentant un hymne:
'•'Par-dessus l'élan de la guerre, sa fureur, la pensée
vraiment sainte de la Révolution fut toujours l'affran-
chissement du monde. En récompense, il lui fut donné,
dans un moment désintéressé et sacré, de trouver le chant
qui, répété de bouche en bouche, a gagné toute la terre.
Cela est divin et rare, d'ajouter un chant éternel à la voix
des nations.
"Il fut trouvé à Strasbourg, à deux pas de l'ennemi,
non, comme on l'a dit, dans un repas de famille, ce fut
dans une foule émue Les volontaires partaient le lende-
main; on était en avril, au premier moment de la guerre.
Plus d'un, dans la joie du banquet, rêvait sous l'impression
de vagues pressentiments, comme quand on est assis, au
moment de s'embarquer, au bord de la grande mer.
Mais les cœurs étaient bien haut, pleins d'élan et de
NOTICE Ivii
«acrifices, et tous acceptaient l'orage. Cet élan commun
qui soulevait toute poitrine d'un ég-al mouvement aurait
eu besoin d'un rythme, d'un ciiant qui soulageât les
cœurs, fit écho à la douce et fraternelle émotion qui
animait les convives. L'un d'eux le traduisit : "Allons!"
Et ce mot dit, tout fut trouvé: "Allons, enfants de la
patrie I" Ce fut comme un éclair du ciel. Tout le
monde fut saisi, ravi, tous reconnurent ce chant entendu
pour la première fois. Tous le savaient, tous le chan-
tèrent, tout Strasbourg, toute la France.; On l'appelle
la Marseillaite. Le monde, tant qu'il y aura un monde,
la chantera à jamais."
Et Michelct ajoute: "Si ce n'était qu'un chant de
guerre, il n'aurait pas été adopté par les nations. C'est
un chant de fraternité; ce sont des bataillons de frères
qui, pour la sainte défense du foyer, de la patrie, vont
ensemble d'un même cœur. C'est un chant qui dans la
guerre conserve un esprit de paix. Qui ne connaît U
strophe sainte :
"Épargnez ces triste» victimes!..."
Le dernier couplet de la Marseillaise, celui àa Enfants,
n'est pas de Rouget de Lisle : il fut écrit quelques moi»
plus tard, peut-être par un obscur écrivain nommé Loui»
du Bois. On n'en est pas sûr. Ni l'un ni l'autre de ce»
auteurs ne se retrouvèrent une seconde fois des poètes; ils
avaient été un seul jour, les mystérieux instruments d'une
inspiration collective; on comprend, par leur exemple,
cette formule de Richard Wagner: "Le Peuple, force
efficiente de l'œuvre d'art ; " et c'est par une telle origine,
non par une perfection formelle qu'il n'y faut point
chercher, que s'expliquent le» héroïques vertus de notre
chant national.
• ♦
L'autre poète de la Liberté et de la Victoire, c'est, nous
l'avons dit, Marie-Joseph Chénier, l'auteur de ce Chant
du Départ qui, sur la grandiose musique de Méhul, fut
chanté pour la première fois dans une fête de l'an II
décrétée par la Convention à la nouvelle de la glorieuse
bataille de Fleurus, et pour la dernière fois en 1804, au
Iviii NOTICE
camp de Boulogne, quand le Premier Consul distribua des
étoiles de la Légion d'Honneur aux braves de la Grande
Armée.
Marie-Joseph, dernier enfant de Louis Chénier et de la
belle grecque Santi Lhomaca sa femme, était né en 1764,
deux ans après son frère André. Nous n'avons point à
parler ici du poète tragique, dont les œuvres déclamatoires,
plus pleines des passions du moment que des passions
éternelles, devaient, pour cette raison, être applaudies
alors et, ensuite, oubliées. Sur l'homme politique,
jusqu'en 1794, nous avons dit l'essentiel dans la Notice
du volume consacré aux Chefs-iïŒu'vre lyriques d'André
Chénier.) de la présente collection ; l'on voudra bien s'y
reporter pour juger impartialement sa conduite, dont les
fautes furent compensées par plus d'une preuve d'un
dangereux courage, et trop cruellement expiées par
l'abominable calomnie qui l'accusa d'avoir causé la mort
de son frère, calomnie à laquelle, en si nobles vers, il
saura répondre.
Le poète lyrique, seul, nous appartient ici, et son rôle,
pendant toute la Révolution, fut considérable. Si le
mouvement qui commence en 1789, à l'ouverture des
États-Généraux, a tous les caractères d'un mouvement
religieux, dans le sens le plus large du mot, par sa
soudaineté, son universalité, son enthousiasme, son délire
de foi et d'espérance, — en attendant qu'il ait son fanatisme
de ses crimes, — on peut dire que Marie-Joseph Chénier
sera le poète liturgique de cette religion nouvelle. Car
cette religion — patriotique, civique, et déiste, selon le
Contrat Social et la Profession de Foi du Vicaire Savoyard, — •
comme elle aura ses temples et ses fêtes, aura sa liturgie.
Chénier, sans parler du Chant du Départ, y contribuera
d'abord par son Chant du 14 Juillet, composé pour la
première fête de la Fédération, puis par des hymnes à
Y Egalité, à la Liberté, à la Raison, le plus souvent abstraits
et froids comme leur titre, composés dans cette langue
décolorée que lui ont transmise tant de générations
de poètes anti-lyriques. Parfois aussi, l'inspiration le
soulève, et il monte avec une majesté un peu tendue,
émouvante quand même. Ainsi en est-il dans V Hymne à
V Etre Suprême, qu'il n'a pu refuser à Robespierre, mais
où la divinité, '«témoin du crime heureux, besoin de
NOTICE lix
l'innocence," est invoquée avec un à-propos »i terrible
que l'homme de la guillotine, ne voulant point qu'on
chantât de tels vers, en commanda d'autres, sur le même
rythme, à un certain Théodore Desorgnes, afin qu'on put
utiliser la musique, déjà écrite par Gossec.
Il y a pourtant quelque chose de plus beau dans l'œuvre
de Marie- Joseph, c'est V Hymne du 9 1 hermidor, chanté à la
Convention, le zy Juillet 1795, pour l'anniversaire du
jour où la chute de Robespierre avait arrêté la Terreur,
deux jours trop tard, hélas! pour qu'André ne portât
pas sur l'échafaud sa noble tête. Ici encore, sans doute,
un peu trop de pompe à la romaine ; mais quelle émotion
nous saisit quand, à l'évocation des ombres sanglantes,
nous voyons apparaître, sans que Marie-Joseph nous l'ait
désigné autrement que par ces deux mots, "talents,
vertus," le fantôme de ce frère, et quand, au nom même
des victimes, le poète demande à la République d'être
clémente à leurs assassins!
Il ne quitta les Assemblées qu'en 1802. L'astre de
Bonaparte montait de plus en plus haut sur l'horizon.
Chénier avait d'abord salué le général victorieux,
approuvé même le coup d'État du 18 Brumaire; puis
comprenant que, ce jour-là, dans l'Orangerie de Saint-
Cloud, la République avait commencé de mourir, il se
détourna du Consul et, au lendemain du couronnement
de l'Empereur, il écrivit la belle élégie de La Promenade qui
est, en même temps que son chef-d'œuvre, son testament
de citoyen et de poète. Il y apparaît tout entier, fidèle,
étroitement mais noblement, à son double idéal classique
et républicain, avec une nuance de mélancolie, comme
s'il souffrait de survivre au siècle qui vient de finir, et de
ne pouvoir, comme les derniers venus, aspirer dans la
joie les souffles du siècle qui commence, acquiescer à la
grandeur des événements et des idées qui ont de nouveau
bouleversé le monde.
Nous sommes en 1805; voilà quatre ans bientôt
qu'.^/a/a et le Génie du Christianisme ont paru, renouvelant
la sensibilité française ; et il n'a trouvé, pour les accueillir,
que des ironies voltairiennes, sans rien pressentir de tout
ce qui s'y trouvait en germe. Il demeurera dans cette
incompréhension j usqu'à sa mort. Mais en 1 8 1 1 , comme
pour une symbolique entrée de la poétique nouvelle,
Ix NOTICE
victorieuse de l'ancienne, Chateaubriand, père du Roman-
tisme, remplacera à l'Académie Française Marie-Josepii
Chénier, dernier des Classiques.
AUGUSTE DORCHAIN
TABLE
PAGES
FRANÇOIS DE MALHERBE (1555-1628)
^^Les Larmes de Saint Pierre . . . - . x
>^ Consolation à M. du Périer - .... ^
Aux Ombres de Daman ...... i^
'^^Pt tire pour le Roi Henri le Grand . - . . 6
Sur V Attentat commis en. ..Henri le GranA - - - lO
Au Roi Henri le Grand - - - - - * * 7
Pour la Vicomtesse d^ Auchy - - - - ï 7
Sur l"* Absence de la Même - • - - - - l8
^ A la Reine, Mère du Roi - l8
/// s* en vont ces rois de ma vie - - - " 23
Pour une Fontaine --.---- 24.
Sus, debout, la merveille des belles - - - - • 1\
A Monseigneur le Cardinal de Richelieu - - - 26
v^i/ Roi Louis XIII 26
Pour M. le Cardinal de Richelieu - - - 27
Paraphrase du Psaume CXL V ' - - - -28
^*^ur la Mort de son Fils - - • - • - 29
Au Roi Louis XIII allant châtier etc. - - • * ^9
MATHURIN RÉGNIER (1573-1613)
Quand sur moi je jette les yeux - - - - "35
0 Dieu, si mes péchés irritent ta fureur • - - -38
Cependant qu en la croix, plein d^ amour infinie- - "39
JEAN OGIER DE GOMBAUO (1576-1666)
Durant la belle nuit, dent mon ame ravie - - "39
Le péché me surmonte, et ma peine est si grande - - 4^
Ixii TABLE
FRANÇOIS MAYNARD (15 82-1 646)
La IdU Vieille
A Alcippe
Hélène, Oriane, Angélique - - - - -
Ces antres et ces rochers _ - - - -
Pégase n^a point de mérite - - - - -
Rome qui sous tes pieds as vu toute la terre
Adieu f Paris, adieu pour la dernière fois
Je touche de mon pied le bord de l^ autre monde -
Déserts où fat vécu dans un calme si doux
JMon âme, il faut partir, Aîa vigueur est passée -
MARQUIS DE RACAN (1589-1670)
La Venue de Printemps - - - - -
Ode bachique -------
Stances sur la Retraite . - - - -
THÉOPHILE DE VI AU (i 590-1626)
Le Matin ---.-"-
La Solitude _•-----
Quand tu me vois baiser tes bras » - - «
Les Nautonniers ------
Apollon Champion ------
MARC-ANTOINE DE SAINT- AMAND (1594-
La Solitude -----"•-
Le Soleil levant -------
La Nuit --------
La Pipe --------
Le Paresseux -------
Les Goinfres - .^ - - - - -
V Été de Rome -------
L^ Automne des Canaries -----
TABLE Ixiii
PAGES
JEAN CHAPELAIN (i 595-1674)
Ode au Cardinal de Richelieu - - - - " ^ 3
CLAUDE DE MALEVILLE (1597-1647)
La belle Matineuse - - - - - - ~^5
VINCENT VOITURE (1598-1648)
Dei portes du matin V amante de Céphale - - - 86
Il faut finir met jours en r amour a^ Ura/iie - - - 87
GUILLAUME COLLETET (1598-1659)
La Maison de Ronsard - - - - - "^7
Hommage à Ronsard - - - - - - -8S
^vis à un Poète buveur d^ Eau - - - - - 88
Rodomontade amoureuse - - - - - ~^9
Sur la Naissance de Notre-Seigneur - - - - 89
JACQUES VALLÉE DES BARREAUX (1599-1673)
Grand Dieu, tes Jugements sont remplis d^ équité - - 90
MARIN LEROY DE GOMBERVILLE (1600-1674)
Au Cardinal du Richelieu - - - - - "9*
Sur r Exposition du Saint-Sacrement - - - - 91
TRISTAN L'HERMITE (1601-1655)
La Comédie des Fleurs ~ - - - - -92
Le Promenoir des deux Amants - - - - - 94
Consolation à Idalie, sur la Alort d'un Parent - - - 96
Les Baisers de Dorinde - - - - - -98
Celle dont la dépouille en ce marbre est enclose - - - 100
Ixiv TABLE
PAGES
JMon âme, éveille-toi du dangereux sommeil - - - loo
Venir à la clarté sans /orce et sans adresse - - - loi
JEAN FRANÇOIS SARRASIN (1603-1654)
Ode à Monseigneur le Duc d^ Enghien ~ - - lOl
FRANÇOIS DE MALHERBE
Les Larmes de Saint Pierre
** QUE je porte d'envie à la troupe innocente
De ceux qui, massacrés d'une main violente,
Virent dès le matin leur beau jojir accourci !
Le fer qui les tua leur donna cette grâce,
Que si de faire bien ils n'eurent pas l'espace,
Ils n'eurent pas le temps de faire mal aussi.
** De ces jeunes guerriers la flotte vagabonde
Allait courre fortune aux orages du monde.
Et déjà pour voguer abandonnait le bord,
Quand l'aguet d'un pirate arrêta leur voyage ;
Mais leur sort fut si bon que d'un même naufrage
lis se virent sous l'onde et se virent au port.
" Ce furent de beaux lis, qui mieux que la nature
Mêlant à leur blancheur l'incarnate peinture
Que tira de leur sein le couteau criminel,
Devant que d'un hiver la tempête et l'orage
A leur teint délicat pussent faire dommage,
S'en allèrent fleurir au printemps éternel...
" Le peu qu'ils ont vécu leur fut grand avantage.
Et le trop que je vis ne me fait que dommage.
Cruelle occasion du souci qui me nuit !
Quand j'avais de ma foi l'innocence première.
Si la nuit de la mort m'eût privé de lumière,
Je n'aurais pas la peur d'une immortelle nuit.
148 I
FRANÇOIS DE MALHERBE
*' Ce fut en ce troupeau que, venant à la guerre
Pour combattre l'enfer et défendre la terre,
Le Sauveur inconnu sa grandeur abaissa ;
Par eux il commença la première mêlée,
Et furent eux aussi que la rage aveuglée
Du contraire parti les premiers offensa.
** Qui voudra se vanter avec eux se compare.
D'avoir reçu la mort par un glaive barbare,
Et d'être allé soi-même au martyre s'offrir ;
L'honneur leur appartient d'avoir ouvert la porte
A quiconque osera, d'une âme belle et forte.
Pour vivre dans le ciel, en la terre mourir.
" O désirable fin de leurs peines passées !
Leurs pieds, qui n'ont jamais les ordures pressées.
Un superbe plancher des étoiles se font ;
Leur salaire payé les services précède ;
Premier que d'avoir mal ils trouvent le remède.
Et devant le combat ont les palmes au front.
" Que d'applaudissements, de rumeur et de presses
Que de feux, que de jeux, que de traits de caresses
Quand là-haut en ce point on les vit arriver !
Et quel plaisir encore à leur courage tendre.
Voyant Dieu devant eux en ses bras les attendre,
Et pour leur faire honneur les anges se lever !
" Et vous, femmes, trois fois, quatre fois bienheureuses.
De ces jeunes amours les mères amoureuses,
Que faites-vous pour eux, si vous les regrettez ?
Vous fâchez leur repos, et vous rendez coupables,
Ou de n'estimer pas leurs trépas honorables.
Ou de porter envie à leurs félicités.
*' Le soir fut avancé de leurs belles journées ;
Mais qu'eussent-ils gagné par un siècle d'années ?
FRANÇOIS DE MALHERBE
Ou que leur advint-il en ce vite départ.
Que laisser promptement une basse demeure,
Qui n'a rien que du mal, pour avoir de bonne heure
Aux plaisirs éternels une éternelle part ?
** Si vos yeux pénétrant jusqu'aux choses futures
Vous pouvaient enseigner leurs belles aventures.
Vous auriez tant de bien en si peu de malheurs,
Que vous ne voudriez pas pour l'empire du monde
N'avoir eu dans le sein la racine féconde
D'où naquit entre nous ce miracle de fleurs..."
Consolation à M, du Pérter
TA douleur, du Périer, sera donc éternelle ?
Et les tristes discours.
Que te met en l'esprit l'amitié paternelle,
L'augmenteront toujours?
Le malheur de ta fille au tombeau descendue,
Par un commun trépas,
Est-ce quelque dédale, où ta raison perdue
Ne se retrouve pas ?
Je sais de quels appas son enfance était pleine.
Et n'ai pas entrepris,
Injurieux ami, de soulager ta peine
Avecque son mépris.
Mais elle était du monde, où les plus belles choses
Ont le pire destin ;
Et rose elle a vécu ce que vivent les roses.
L'espace d'un matin.
Puis quand ainsi serait que, selon ta prière,
Elle aurait obtenu
FRANÇOIS DE MALHERBE
D'avoir en cheveux blancs terminé sa carrière,
Qu'en fût-il advenu ?
Penses-tu que, plus vieille, en la maison céleste
Elle eût eu plus d'accueil ?
Ou qu'elle eût moins senti la poussière funeste
Et les vers du cercueil ?
Non, non, mon du Périer, aussitôt que la Parque
Ote l'âme du corps,
L'âge s'évanouit au deçà de la barque,
Et ne suit point les morts...
La mort a des rigueurs à nulle autre pareilles.
On a beau la prier,
La cruelle qu'elle est se bouche les oreilles
Et nous laisse crier.
Le pauvre en sa cabane, où le chaume le couvre.
Est sujet à ses lois ;
Et la garde qui veille aux barrières du Louvre
N'en défend point nos rois.
De murmurer contre elle et perdre patience.
Il est mal a propos ;
Vouloir ce que Dieu veut est la seule science
Qui nous met en repos.
Aux Ombres de Damon
L'ORNE comme autrefois nous reverrait encore.
Ravis de ces pensers que le vulgaire ignore.
Egarer à l'écart nos pas et nos discours ;
Et couchés sur les fleurs comme étoiles semées.
Rendre en si doux ébat les heures consumées,
Que les soleils nous seraient courts.
4
FRANÇOIS DE MALHERBli
Mais, ô loi rigoureuse à la race des hommes!
C'est un point arrêté, que tout ce que nous sommes,
Issus de pères rois et de pères bergers,
La Parque également sous la tombe nous serre ;
Et les mieux établis au repos de la terre
N'y sont qu'hôtes et passagers.
Tout ce que la grandeur a de vains équipages,
D'habillements de pourpre et de suite de pages.
Quand le terme est échu, n'allonge point nos jours ;
Il faut aller tout nus où le destin commande ;
Et de toutes douleurs la douleur la plus grande.
C'est qu'il faut laisser nos amours :
Amours qui, la plupart infidèles et feintes.
Font gloire de manquer a nos cendres éteintes.
Et qui, plus que l'honneur estimant les plaisirs.
Sous le masque trompeur de leurs visages blêmes.
Acte digne du foudre ! en nos obsèques mêmes
Conçoivent de nouveaux désirs.
Elles savent assez alléguer Artémise,
Disputer du devoir et de la foi promise :
Mais tout ce beau langage est de si peu d'effet,
Qu'a peine en leur grand nombre une seule se treuvc
De qui la foi survive, et qui fasse la preuve
Que ta Carinice te fait.
Depuis que tu n'es plus, la campagne déserte
A dessous deux hivers perdu sa robe verte.
Et deux fois le printemps l'a repeinte de fleurs.
Sans que d'aucuns discours sa douleur se console,
Et que ni la raison ni le temps qui s'envole
Puisse faire tarir ses pleurs...
S
FRANÇOIS DE MALHERBE
Prière pour le Roi Henri le Grand
O DIEU, dont les bontés de nos larmes touchées
Ont aux vaines fureurs les armes arrachées,
Et rangé l'insolence aux pieds de la raison,
Puisque à rien d'imparfait ta louange n'aspire,
Achève ton ouvrage au bien de cet empire,
Et nous rends l'embonpoint comme la guérison.
Nous sommes sous un roi si vaillant et si sage,
Et qui si dignement a fait l'apprentissage
De toutes les vertus propres à commander.
Qu'il semble que cet heur nous impose silence.
Et qu'assurés par lui de toute violence.
Nous n'avons plus sujet de te rien demander.
Certes quiconque a vu pleuvoir dessus nos têtes
Les funestes éclats des plus grandes tempêtes
Qu'excitèrent jamais deux contraires partis,
Et n'en voit aujourd'hui nulle marque paraître,
En ce miracle seul il peut assez connaître
Quelle force a la main qui nous a garantis.
Mais quoi ! De quelque soin qu'incessamment il veille.
Quelque gloire qu'il ait à nulle autre pareille.
Et quelque excès d'amour qu'il porte à notre bien,
Comme échapperons-nous en des nuits si profondes.
Parmi tant de rochers que lui cachent les ondes.
Si ton entendement ne gouverne le sien ?
Un malheur inconnu glisse parmi les hommes,
Qui les rend ennemis du repos où nous sommes :
La plupart de leurs vœux tendent au changement ;
Et comme s'ils vivaient des misères publiques.
Pour les renouveler ils font tant de pratiques.
Que qui n'a point de peur n'a point de jugement.
6
FRANÇOIS DE MALHERBE
En ce fâcheux état ce qui nous réconforte,
C'est que la bonne cause est toujours la plus forte,
Et qu'un bras si puissant t'ayant pour son appui,
Quand la rébellion plus qu'une hydre féconde
Aurait pour le combattre assemblé tout le monde,
Tout le monde assemblé s'enfuirait devant lui.
Conforme donc, Seigneur, ta grâce à nos pensées ;
Ote-nous ces objets qui des choses passées
Ramènent a nos yeux le triste souvenir ;
Et comme sa valeur, maîtresse de l'orage,
A nous donner la paix a montré son courage.
Fais luire sa prudence à nous l'entretenir.
Il n'a point son espoir au nombre des armées,
Etant bien assuré que ces vaines fumées
N'ajoutent que de l'ombre à nos obscurités.
L'aide qu'il veut avoir, c'est que tu le conseilles ;
Si tu le fais. Seigneur, il fera des merveilles.
Et vaincra nos souhaits par nos prospérités.
Les fuites des méchants, tant soient-elles secrètes,
Quand il les poursuivra, n'auront point de cachettes
Aux lieux les plus profonds ils seront éclairés ;
Il verra sans effet leur honte se produire,
Et rendra les desseins qu'ils feront pour lui nuire
Aussitôt confondus comme délibérés.
La rigueur de ses lois, après tant de licence,
Redonnera le cœur à la faible innocence.
Que dedans la misère on faisait envieillir.
A ceux qui l'oppressaient il ôtera l'audace ;
Et sans distinction de richesse ou de race.
Tous de peur de la peine auront peur de faillir.
La terreur de son nom rendra nos villes fortes.
On n'en gardera plus ni les murs ni les portes,
7
FRANÇOIS DE MALHERBE
Les veilles cesseront au sommet de nos tours ;
Le fer mieux employé cultivera la terre,
Et le peuple qui tremble aux frayeurs de la guerre,
Si ce n'est pour danser, n'aura plus de tambours.
Loin des mœurs de son siècle il bannira les vices,
L'oisive nonchalance et les molles délices.
Qui nous avaient portés jusqu'aux derniers hasards;
Les vertus reviendront de palmes couronnées,
Et ses justes faveurs, aux mérites données,
Feront ressusciter l'excellence des arts.
La foi de ses aïeux, ton amour et ta crainte,
Dont il porte dans l'âme une éternelle empreinte.
D'actes de piété ne pourront l'assouvir ;
Il étendra ta gloire autant que sa puissance.
Et n'ayant rien si cher que ton obéissance.
Où tu le fais régner, il te fera servir.
Tu nous rendras alors nos douces destinées ;
Nous ne reverrons plus ces fâcheuses années.
Qui pour les plus heureux n'ont produit que des pleurs.
Toute sorte de biens comblera nos familles,
'La moisson de nos champs lassera les faucilles.
Et les fruits passeront la promesse des fleurs.
I/a fin de tant d'ennuis dont nous fûmes la proie
Nous ravira les sens de merveille et de joie ;
Et d'autant que le monde est ainsi composé,
Qu'une bonne fortune en craint une mauvaise.
Ton pouvoir absolu, pour conserver notre aise.
Conservera celui qui nous l'aura causé.
Quand un roi fainéant, la vergogne des princes.
Laissant a ses flatteurs le soin de ses provinces,
Entre les voluptés indignement s'endort.
Quoique l'on dissimule, on n'en fait point d'estime ;
8
FRANÇOIS DE MALHERBE
Et si la vérité se peut dire sans crime,
C'est avecque plaisir qu'on survit à sa mort.
Mais ce roi, des bons rois l'éternel exemplaire.
Qui de notre salut est l'ange tutélaire,
L'infaillible refuge et l'assuré secours,
Son extrême douceur ayant dompté l'envie.
De quels jours assez longs peut-il borner sa vie,
Que notre affection ne les juge trop courts? J
Nous voyons les esprits nés à la tyrannie.
Ennuyés de couver leur cruelle manie.
Tourner tous leurs conseils à notre affliction ;
Et lisons clairement dedans leur conscience.
Que s'ils tiennent la bride "a leur impatience.
Nous n'en sommes tenus qu'à sa protection.
Qu'il vive donc, Seigneur, et qu'il nous fasse vivre l
Que de toutes ces peurs nos âmes il délivre ;
Et rendant l'univers de son heur étonné.
Ajoute chaque jour quelque nouvelle marque
Au nom qu'il s'est acquis du plus rare monarque
Que ta bonté propice ait jamais couronné !
Cependant son dauphin, d'une vitesse prompte.
Des ans de sa jeunesse accomplira le compte ;
Et suivant de l'honneur les aimables appas,
De faits si renommés ourdira son histoire,
Que ceux qui dedans l'ombre éternellement noire
Ignorent le soleil, ne l'ignoreront pas.
Par sa fatale main qui vengera nos pertes,
L'Espagne pleurera ses provinces désertes.
Ses châteaux abattus et ses camps déconfits ;
Et si de nos discords l'infâme vitupère
A pu la dérober aux victoires du père.
Nous la verrons captive aux triomphes du fils.
9
FRANÇOIS DE MALHERBE
Sur r Attentat
commis en la Personne de Henri le Grand
/<? 19 Décember 1605
QUE direz- VOUS, races futures,
Si quelquefois un vrai discours
Vous récite les aventures
De nos abominables jours ?
Lirez-vous, sans rougir de honte,
Que notre impiété surmonte
Les faits les plus audacieux
Et les plus dignes du tonnerre.
Qui firent jamais à la terre
Sentir la colère des cieux ?
O que nos fortunes prospères
Ont un change bien apparent !
O que du siècle de nos pères
Le nôtre s'est fait différent !
La France, devant ces orages,
Pleine de mœurs et de courages
Qu'on ne pouvait assez louer,
S'est faite aujourd'hui si tragique.
Qu'elle produit ce que l'Afrique
Aurait vergogne d'avouer.
Quelles preuves incomparables
Peut donner un prince de soi,
Que les rois les plus adorables
N'en quittent l'honneur à mon roi ?
Quelle terre n'est parfumée
Des odeurs de sa renommée ?
Et qui peut nier qu'après Dieu,
Sa gloire, qui n'a point d'exemples.
FRANÇOIS DE MALHERBE
N'ait mérité que dans nos temples
On lui donne le second lieu ?
Qui ne sait point qu*a sa vaillance
Il ne se peut rien ajouter ?
Qu'on reçoit de sa bienveillance
Tout ce qu'on en doit souhaiter ?
Et que si de cette couronne,
Que sa tige illustre lui donne,
Les lois ne l'eussent revêtu,
Nos peuples d'un juste suffrage
Ne pouvaient, sans faire naufrage,
Ne l'offrir point a sa vertu ?
Toutefois, ingrats que nous sommes,
Barbares et dénaturés.
Plus qu'en ce climat où les hommes
Par les hommes sont dévorés.
Toujours nous assaillons sa tête
De quelque nouvelle tempête ;
Et d'un courage forcené.
Rejetant son obéissance.
Lui défendons la jouissance
Du repos qu'il nous a donné.
La main de cet esprit farouche.
Qui, sorti des ombres d'enfer.
D'un coup sanglant frappa sa bouche,
A peine avait laissé le fer ;
Et voici qu'un autre perfide,
Oïl la même audace réside,
Comme si détruire l'Etat
Tenait lieu de juste conquête,
De pareilles armes s'apprête
A faire un pareil attentat.
XI
FRANÇOIS DE MALHERBE
O soleil, ô grand luminaire !
Si jadis l'horreur d'un festin
Fit que de ta route ordinaire
Tu reculas vers le matin,
Et d'un émerveillable change
Te couchas aux rives du Gange,
D'où vient que ta sévérité,
Moindre qu'en la faute d'Atrée,
Ne punit point cette contrée
D'une éternelle obscurité ?
Non, non, tu luis sur le coupable,
Comme tu fais sur l'innocent ;
Ta nature n'est point capable
Du trouble qu'une âme ressent ;
Tu dois ta flamme à tout le monde ;
Et ton allure vagabonde
Comme une servile action
Qui dépend d'une autre puissance,
N'ayant aucune connaissance.
N'a point aussi d'affection.
Mais, ô planète belle et claire.
Je ne parle pas sagement ;
Le juste excès de la colère
M'a fait perdre le jugement ;
Ce traître, quelque frénésie
Qui travaillât sa fantaisie,
Eut encore assez de raison
Pour ne vouloir rien entreprendre,
Bel astre, qu'il n'eût vu descendre
Ta lumière sous l'horizon.
Au point qu'il écuma sa rage.
Le dieu de Seine était dehors
13
FRANÇOIS DE MALHERBE
A regarder croître l'ouvrage
Dont ce prince embellit ses bords.
Il se resserra tout à l'heure
Au plus bas lieu de sa demeure ;
Et ses nymphes dessous les eaux,
Toutes sans voix et sans haleine,
Pour se cacher furent en {)eine
De trouver assez de roseaux.
La terreur des choses passées
A leurs yeux se ramentevant
Faisait prévoir a leurs pensées
Plus de malheurs qu'auparavant ;
Et leur était si peu croyable
Qu'en cet accident effroyable
Personne les pût secourir,
Que, pour en être dégagées
Le ciel les aurait obligées,
S'il leur eût permis de mourir.
Revenez, belles fugitives ;
De quoi versez-vous tant de pleurs ?
Assurez vos âmes craintives.
Remettez vos chapeaux de fleurs.
Le roi vit, et ce misérable.
Ce monstre vraiment déplorable,
Qui n'avait jamais éprouvé
Que peut un visage d'Alcide,
A commencé le parricide,
>^ "s il ne l'a pas achevé.
Pucelles, qu'on se réjouisse ;
Mettez-vous l'esprit en repos ;
Que cette peur s'évanouisse.
Vous la prenez mal a propos ;
î3
FRANÇOIS DE MALHERBE
Le roi vit, et les destinées
Lui gardent un nombre d'années
Qui fera maudire le sort
A ceux dont l'aveugle manie
Dresse des plans de tyrannie
Pour bâtir quand il sera mort.
O bienheureuse intelligence,
Puissance, quiconque tu sois,
Dont la fatale diligence
Préside k l'empire françois !
Toutes ces visibles merveilles
De soins, de peines et de veilles,
Qui jamais ne t'ont pu lasser,
N'ont-elles pas fait une histoire
Qu'en la plus ingrate mémoire
L'oubli ne saurait effacer ?
Ces archers aux casaques peintes
Ne peuvent pas n'être surpris,
Ayant k combattre les feintes
De tant d'infidèles esprits.
Leur présence n'est qu'une pompe :
Avecque peu d'art on les trompe.
Mais de quelle dextérité
Se peut déguiser une audace.
Qu'en l'âme aussitôt qu'en la face
Tu n'en lises la vérité ?
Grand démon d'éternelle marque.
Fais qu'il te souvienne toujours
Que tous nos maux en ce monarque
Ont leur refuge et leur secours ;
Et qu'arrivant l'heure prescrite,
Que le trépas, qui tout limite,
M
FRANÇOIS DE MALHERBE
Nous privera de sa valeur,
Nous n'avons jamais eu d'alarmes
Où nous ayons versé des larmes
Pour une semblable douleur.
Je sais bien que par la justice,
Dont la paix accroît le pouvoir,
II fait demeurer la malice
Aux bornes de quelque devoir,
Et que son invincible épée
Sous telle influence est trempée,
Qu'elle met la frayeur partout
Aussitôt qu'on la voit reluire :
Mais quand le malheur veut nous nuire,
De quoi ne vient-il point à bout ?
Soit que l'ardeur de la prière
Le tienne devant un autel.
Soit que l'honneur à la barrière
L'appelle a débattre un cartel.
Soit que dans la chambre il médite,
Soit qu'aux bois la chasse l'invite,
Jamais ne t'écarte si loin,
Qu'aux embûches qu'on lui peut tendre
Tu ne sois prêt à le défendre,
Sitôt qu'il en aura besoin.
Garde sa compagne fidèle,
Cette reine, dont les bontés
De notre faiblesse mortelle
Tous les défauts ont surmontés.
Fais que jamais rien ne l'ennuie ;
Que toute infortune la fuie ;
Et qu'aux roses de sa beauté
L'âge, par qui tout se consume,
FRANÇOIS DE MALHERBE
Redonne contre sa coutume
La grâce de la nouveauté.
Serre d'une étreinte si ferme
Le nœud de leurs chastes amours,
Que la seule mort soit le terme
Qui puisse en arrêter le cours.
Bénis les plaisirs de leur couche,
Et fais renaître de leur souche
Des scions si beaux et si verts,
Que de leur feuillage sans nombre
A jamais ils puissent faire ombre
Aux peuples de tout l'univers.
Surtout pour leur commune joie
Dévide aux ans de leur dauphin,
A longs filets d'or et de soie.
Un bonheur qui n'ait point de fin ;
Quelques vœux que fasse l'envie.
Conserve-leur sa chère vie ;
Et tiens par elle ensevelis
D'une bonace continue
Les aquilons, dont sa venue
A garanti les fleurs de lis.
Conduis-le sous leur assurance
Promptement jusques au sommet
De l'inévitable espérance
Que son enfance leur promet.
Et pour achever leurs journées,
Que les oracles ont bornées
Dedans le trône impérial.
Avant que le ciel les appelle.
Fais-leur ouïr cette nouvelle,
Qu'il a rasé l'Escurial.
i6
FRANÇOIS DE MALHERBE
yfu Roi Henri le Grand
JE le connais, Destins, vous avez arrêté
Qu'aux deux fils de mon roi se partage la terre,
Et qu'après le trépas ce miracle de guerre
Soit encore effroyable en sa postérité.
Leur courage aussi grand que leur prospérité
Tous les forts orgueilleux brisera comme verre ;
Et qui de leurs combats attendra le tonnerre
Aura le châtiment de sa témérité.
Le cercle imaginé qui de même intervalle
Du Nord et du Midi les distances égale.
De pareille grandeur bornera leur pouvoir :
Mais étant fils d'un père où tant de gloire abonde,
Pardonnez-moi, Destins, quoi qu'ils puissent avoir,
Vous ne leur donnez rien s'ils n'ont chacun un monde.
Pour la Vicomtesse d^ Auchy
IL n'est rien de si beau comme Caliste est belle ;
C'est une œuvre où nature a fait tous ses efforts ;
Et notre âge est ingrat qui voit tant de trésors.
S'il n'élève à sa gloire une marque éternelle.
La clarté de son teint n'est pas chose mortelle :
Le baume est dans sa bouche, et les roses dehors ;
Sa parole et sa voix ressuscitent les morts.
Et l'art n'égale point sa douceur naturelle.
La blancheur de sa gorge éblouit les regards ;
Amour est en ses yeux, il y trempe ses dards.
Et la fait reconnaître un miracle visible.
149 17
FRANÇOIS DE MALHERBE
En ce nombre infini de grâces et d'appas,
Qu'en dis-tu, ma raison ? crois-tu qu'il soit possible
D'avoir du jugement et ne l'adorer pas ?
Sur Fjibsence de la Même
BEAUX et grands bâtiments d'éternelle structure,
Superbes de matière et d'ouvrages divers,
Où le plus digne roi qui soit en l'univers
Aux miracles de l'art fait céder la nature ;
Beau parc et beaux jardins, qui, dans votre clôture,
Avez toujours des fleurs et des ombrages verts,
Non sans quelque démon qui défend aux hivers
D'en effacer jamais l'agréable peinture ;
Lieux qui donnez aux coeurs tant d'aimables désirs,
Bois, fontaines, canaux, si, parmi vos plaisirs,
Mon humeur est chagrine et mon visage triste.
Ce n'est point qu'en efïet vous n'ayez des appas ;
Mais quoi que vous ayez, vous n'avez point Caliste,
Et moi je ne vois rien quand je ne la vois pas.
 la Reine f Mère du Roi
sur les heureux Succès de sa Régence
NYMPHE qui jamais ne sommeilles,
Et dont les messages divers
En un moment sont aux oreilles
Des peuples de tout l'univers,
Vole vite, et de la contrée
Par où le jour fait son entrée
18
\
FRANÇOIS DE MALHERBE
Jusqu'au rivage de Calis,
Conte, sur la terre et sur l'onde.
Que l'honneur unique du monde,
C'est la reine des fleurs de lis.
Quand son Henri, de qui la gloire
Fut une merveille à nos yeux,
Loin des hommes s'en alla boire
Le nectar avccque les dieux,
En cette aventure effroyable,
A qui ne semblait-il croyable,
Qu'on allait voir une saison
Où nos brutales perfidies
Feraient naître des maladies
Qui n'auraient jamais guérison ?
Qui ne pensait que les Furies
Viendraient des abîmes d'enfer.
En de nouvelles barbaries,
Employer la flamme et le fer ?
Qu'un débordement de licence
Ferait souffrir à l'innocence
Toute sorte de cruautés.
Et que nos malheurs seraient pires
Que naguère sous les Busires
Que cet Hercule avait domptés ?
Toutefois, depuis l'infortune
De cet abominable jour,
A peine la quatrième lune
Achève de faire son tour ;
Et la France a les destinées
Pour elles tellement tournées
Contre les vents séditieux.
Qu'au lieu de craindre la tempête,
19
FRANÇOIS DE MALHERBE
Il semble que jamais sa tête
Ne fut plus voisine des cieux.
Au delà des bords de la Meuse,
L'Allemagne a vu nos guerriers,
Par une conquête fameuse,
Se couvrir le front de lauriers.
Tout a fléchi sous leur menace ;
L'Aigle même leur a fait place,
Et, les regardant approcher.
Comme lions à qui tout cède,
N'a point eu de meilleur remède
Que de fuir et se cacher.
O reine, qui pleine de charmes
Pour toute sorte d'accidents,
As borné le flux de nos larmes
En ces miracles évidents.
Que peut la fortune publique
Te vouer d'assez magnifique,
Si, mise au rang des immortels
Dont ta vertu suit les exemples.
Tu n'as avec eux, dans nos temples,
Des images et des autels ?
Que saurait enseigner aux princes
Le grand démon qui les instruit,
Dont ta sagesse en nos provinces
Chaque jour n'épande le fruit ?
Et qui justement ne peut dire,
A te voir régir cet empire.
Que, si ton heur était pareil
A tes admirables mérites.
Tu ferais dedans ses limites
Lever et coucher le soleil ?
FRANÇOIS DE MALHERBE
Le soin qui reste a nos pensées,
O bel astre ! c'est que toujours
Nos félicités commencées
Puissent continuer leur cours.
Tout nous rit, et notre navire
A la bonace qu'il désire ;
Mais si quelque injure du Sort
Provoquait l'ire de Neptune,
Quel excès d'heureuse fortune
Nous garantirait de la mort ?
Assez de funestes batailles
Et de carnages inhumains
Ont fait en nos propres entrailles
Rougir nos déloyales mains ;
Donne ordre que sous ton génie
Se termine cette manie,
Et que, las de perpétuer
Une si longue malveillance,
Nous employions notre vaillance
Ailleurs qu'a nous entre-tuer.
La Discorde aux crins de couleuvres,
Peste fatale aux potentats,
Ne finit ses tragiques œuvres
Qu'en la fin même des Etats.
D'elle naquit la frénésie
De la Grèce contre l'Asie,
Et d'elle prirent le flambeau
Dont ils désolèrent leur terre.
Les deux frères de qui la guerre
Ne cessa point dans le tombeau.
C'est en la paix que toutes choses
Succèdent selon nos désirs j
az
FRANÇOIS DE MALHERBE
Comme au printemps naissent les roses,
En la paix .naissent les plaisirs ;
Elle met les pompes aux villes,
Donne aux champs les moissons fertiles,
Et de la majesté des lois
Appuyant les pouvoirs suprêmes,
Fait demeurer les diadèmes
Fermes sur la tête des rois.
Ce sera dessous cette égide
Qu'invincible de tous côtés
Tu verras ces peuples sans bride
Obéir à tes volontés ;
Et, surmontant leur espérance,
Remettras en telle assurance
Leur salut qui fut déploré,
Que vivre au siècle de Marie,
Sans mensonge et sans flatterie,
Sera vivre au siècle doré.
Les Muses, les neuf belles fées.
Dont les bois suivent les chansons.
Rempliront de nouveaux Orphées
La troupe de leurs nourrissons ;
Tous leurs vœux seront de te plaire ;
Et, si ta faveur tutélaire
Fait signe de les avouer.
Jamais ne partit de leurs veilles
Rien qui se compare aux merveilles
Qu'elles feront pour te louer.
En cette hautaine entreprise.
Commune à tous les beaux esprits,
Plus ardent qu'un athlète à Pise,
Je me ferai quitter le prix ;
FRANÇOIS DE MALHERBE
Et quand j'aurai peint ton image,
Quiconque verra mon ouvrage
Avoûra que Fontainebleau,
Le Louvre, ni les Tuileries,
En leurs superbes galeries.
N'ont point un si riche tableau.
Apollon k portes ouvertes
Laisse indifféremment cueillir
Les belles feuilles toujours vertes
Qui gardent les noms de vieillir ;
Mais l'art d'en faire des couronnes \
N'est pas su de toutes personnes ; '
Et trois ou quatre seulement.
Au nombre desquels on me range,
Peuvent donner une louange
Qui demeure éternellement.
Chanson
ILS s'en vont ces rois de ma vie,
Ces yeux, ces beaux yeuxA
Dont Téclat fait pâlir d'envie
Ceux même des cieux. _^
Dieux, amis de l'innocence,
Qu'ai-je fait pour mériter
Les ennuis où cette absence
Me va précipiter ?
Elle s'en va cette merveille,
Pour qui nuit et jour.
Quoi que la raison me conseille,
Je brûle d'amour.
Dieux, amis de l'innocence,
FRANÇOIS DE MALHERBE
Qu'ai-je fait pour mériter
Les ennuis où cette absence
Me va précipiter ?
En quel effroi de solitude
Assez écarté
Mettrai-je mn inquiétude
En sa liberté ?
Dieux, amis de l'innocence,
Qu'ai-je fait pour mériter
Les ennuis où cette absence
Me va précipiter ?
Les affligés ont eu leurs peines
Recours a pleurer :
Mais quand mes yeux seraient fontaines,
Que puis-je espérer ?
Dieux, amis de l'innocence,
Qu'ai-je fait pour mériter
Les ennuis où cette absence
Me va précipiter ?
Pour une Fontaine
VOIS-TU, passant, couler cette onde.
Et s'écouler incontinent ?
Ainsi fuit la gloire du monde ;
Et rien que l3ieu n'est permanent.
Chc
SUS, debout, la merveille des belles ;
Allons voir sur les herbes nouvelles
24
FRANÇOIS DE MALHERBE
Luire un émail dont la vive peinture
Défend a Tart d'imiter la nature.
L'air est plein d'une haleine de roses,
Tous les vents tiennent leurs bouches closes,
Et le soleil semble sortir de l'onde
Pour quelque amour plus que pour luire au monde.
On dirait, à lui voir sur la tête
Ses rayons comme un chapeau de fête,
Qu'il s'en va suivre en si belle journée
Encore un coup la fille de Pénée.
Toute chose aux délices conspire,
Mettez-vous en votre humeur de rire ;
Les soins profonds d'où les rides nous viennent
A d'autres ans qu'aux vôtres appartiennent.
Il fait chaud, mais un feuillage sombre
Loin du bruit nous fournira quelque ombre,
Où nous ferons, parmi les violettes,
Mépris de l'ambre et de ses cassolettes.
Près de nous, sur les branches voisines
Des genêts, des houx et des épines,
Le rossignol, déjiloyant ses merveilles.
Jusqu'aux rochers donnera des oreilles.
Et peut-être, à travers les fougères.
Verrons-nous de bergers à bergères.
Sein contre sein tw bouche contre bouche.
Naître et finir quelque douce escarmouche.
C'est chez eux qu'Amour est à son aise ;
Il y saute, il y danse, il y baise.
Et foule aux pieds les contraintes serviles
De tant de lois qui le gênent aux villes.
as
FRANÇOIS DE MALHERBE
O qu'un jour mon âme aurait de gloire
D'obtenir cette heureuse victoire,
Si la pitié de mes peines passées
Vous disposait à semblables pensées !
Votre honneur, le plus vain des idoles,
Vous remplit de mensonges frivoles ;
Mais quel esprit que la raison conseille.
S'il est aimé, ne rend point la pareille ?
A Monseigneur le Cardinal de Richelieu
A CE coup nos frayeurs n'auront plus de raison.
Grande âme aux grands travaux sans repos adonnée;
Puisque par vos conseils la France est gouvernée.
Tout ce qui la travaille aura sa guérison.
Tel que fut rajeuni le vieil âge d'Eson,
Telle cette princesse, en vos mains résignée,
Vaincra de ses destins la rigueur obstinée.
Et reprendra le teint de sa verte saison.
Le bon sens de mon roi m'a toujours fait prédire
Que les fruits de la paix combleraient son empire.
Et comme un demi-dieu le feraient adorer ;
Mais voyant que le vôtre aujourd'hui le seconde,
Je ne lui promets pas ce qu'il doit espérer.
Si je ne lui promets la conquête du monde.
Au Roi Louis XIII
QU'AVEC une valeur à nulle autre seconde.
Et qui seule est fatale à notre guérison,
26
FRANÇOIS DE MALHERBE
Votre courage, mûr en sa verte saison,
Nous ait acquis la paix sur la terre et sur Tonde ;
Que Thydre de la France, en révoltes féconde,
Par vous soit du tout morte ou n'ait plus de poison.
Certes, c'est un bonheur dont la juste raison
Promet à votre front la couronne du monde.
Mais qu'en de si beaux faits vous m'ayez pour témoin.
Connaissez-le, mon roi, c'est le comble du soin
Que de vous obliger ont eu les Destinées.
Tous vous savent louer, mais non également ;
Les ouvrages communs vivent quelques années, ~
Ce que Malherbe écrit dure éternellement.
Pour M. le Cardinal de RicheReu
PEUPLES,çà,derencens; peuples, çà, des victimes
A ce grand Cardinal, grand chef-d'œuvre des deux.
Qui n'a but que la gloire, et n'est ambitieux
Que de faire mourir l'insolence des crimes.
A quoi sont employés tant de soins magnanimes
Où son esprit travaille et fait veiller ses yeux.
Qu'à tromper les complots de nos séditieux.
Et soumettre leur rage aux pouvoirs légitimes ?
Le mérite d'un homme, ou savant, ou guerrier,
Trouve sa récompense aux chapeaux de laurier,
Dont la vanité grecque a donné les exemples.
Le sien, je l'ose dire, est si grand et si haut.
Que si, comme nos dieux, il n'a place en nos temples.
Tout ce qu'on lui peut faire est moins qu'il ne lui faut.
27
FRANÇOIS DE MALHERBE
Paraphrase du Psaume CXLV
N'ESPÉRONS plus, mon âme, aux promesses du
monde ;
Sa lumière est un verre, et sa faveur une onde
Que toujours quelque vent empêche de calmer.
Quittons ces vanités, lassons-nous de les suivre :
C'est Dieu qui nous fait vivre,
C'est Dieu qu'il faut aimer.
En vain, pour satisfaire à nos lâches envies,
Nous passons près des rois tout le temps de nos vies
A souffrir des mépris et ployer les genoux :
Ce qu'ils peuvent n'est rien ; ils sont, comme nous
sommes.
Véritablement hommes,
Et meurent comme nous.
Ont-ils rendu Tesprit, ce n'est plus que poussière
Que cette majesté si pompeuse et si fière
Dont l'éclat orgueilleux étonnait l'univers ;
Et dans ces grands tombeaux, où leurs âmes hautaines
Font encore les vaines.
Ils sont mangés des vers.
Là se perdent ces noms de maîtres de la terre,
D'arbitres de la paix, de foudres de la guerre ;
Comme ils n'ont plus de sceptre, ils n'ont plus de
flatteurs ;
Et tombent avec eux, d'une chute commune,
Tous ceux que leur fortune
Faisait leurs serviteurs.
28
FRANÇOIS DE MALHERBE
Sur la Mort de son Fils
QUE mon fils ait perdu sa dépouille mortelle,
Ce fils qui fut si brave, et que j'aimai si fort,
Je ne l'impute point a l'injure du sort,
Puisque finir à Thomme est chose naturelle.
Mais que de deux marauds la surprise infidèle
Ait terminé ses jours d'une tragique mort,
En cela ma douleur n'a point de réconfort.
Et tous mes sentiments sont d'accord avec elle.
O mon Dieu, mon Sauveur, puisque, par la raison.
Le trouble de mon âme étant sans guérison.
Le vœu de la vengeance est un vœu légitime,
Fais que de ton appui je sois fortifié ;
Ta justice tVn prie, et les auteurs du crime
Sont fils de ces bourreaux qui t'ont crucifié.
Au Roi Louis XIII
allant châtier la Rcbtlliom des Rochelais,
et choiser let AngWu,
qui, en leur Faveur^ étaient descendus dans Pile de Ri
DONC un nouveau labeur k tes armes s'apprête :
Prends ta foudre, Louis, et va, comme un lion,
Donner le dernier coup à la dernière tête
De la rébellion.
Fais choir en sacrifice au démon de la France
Les fronts trop élevés de ces âmes d'enfer.
Et n'épargne contre eux, pour notre délivrance,
Ni le feu ni le fer.
FRANÇOIS DE MALHERBE
Assez de leurs complots l'infidèle malice
A nourri le désordre et la sédition ;
Quitte le nom de Juste, ou fais voir ta justice
En leur punition.
Le centième décembre a les plaines ternies,
Et le centième avril les a peintes de fleurs,
Depuis que parmi nous leurs brutales manies
Ne causent que des pleurs.
Dans toutes les fureurs des siècles de nos pères,
Les monstres les plus noirs firent-ils jamais rien
Que l'inhumanité de ces cœurs de vipères
Ne renouvelle au tien ?
Par qui sont aujourd'hui tant de villes désertes.
Tant de grands bâtiments en masures changés.
Et de tant de chardons les campagnes couvertes,
Que par ces enragés ?
Les sceptres devant eux n'ont point de privilèges,
Les immortels eux-meme en sont persécutés ;
Et c'est aux plus saints lieux que leurs mains sacrilèges
Font plus d'impiétés.
Marche, va les détruire, éteins-en la semence.
Et suis jusqu'à leur fin ton courroux généreux,
Sans jamais écouter ni pitié ni clémence
Qui te parle pour eux.-
Ils ont beau vers le ciel leurs murailles accroître.
Beau d'un soin assidu travailler à leurs forts,
Et creuser leurs fossés jusqu'à faire paroître
Le jour entre les morts :
Laisse-les espérer, laisse-les entreprendre.
Il suffit que ta cause est la cause de Dieu,
30
FRANÇOIS DE MALHERBE
Et qu'avecque ton bras elle a pour la défendre
Les soins de Richelieu :
Richelieu, ce prélat de qui toute l'envie
Est de voir ta grandeur aux Indes se borner,
Et qui visiblement ne fait cas de sa vie
Que pour te la donner.
Rien que ton intérêt n'occupe sa pensée,
Nuls divertissements ne l'appellent ailleurs ;
Et de quelques bons yeux qu'on ait vanté Lyncée,
11 en a de meilleurs.
Son âme toute grande est une âme hardie.
Qui pratique si bien l'art de nous secourir,
Que, pourvu qu'il soit cru, nous n'avons maladie
Qu'il ne sache guérir.
Le ciel, qui doit le bien selon qu'on le mérite.
Si de ce grand oracle il ne t'eût assisté,
Par un autre présent n'eût jamais été quitte
Envers ta piété.
Va, ne diflf^re plus tes bonnes destinées ;
Mon Apollon t'assure et t'engage sa foi
Qu'employant ce Typhis, Syrtes et Cyanées
Seront havres pour toi.
Certes, ou je me trompe, ou déjà la Victoire,
Qui son plus grand honneur de tes palmes attend.
Est a'ix bords de Charente en son habit de gloire,
Pour te rendre content.
Je la vois qui t'appelle, et qui semble te dire :
Roi, le plus grand des rois et qui m'es le plus cher,
Si tu veux que je t'aide à sauver ton empire,
Il est temps de marcher.
3X
FRANÇOIS DE MALHERBE
Que sa façon est brave et sa mine assurée !
Qu'elle a fait richement son armure étoffer !
Et qu'il se connaît bien a la voir si parée,
Que tu vas triompher !
Telle, en ce grand assaut où des fils de la Terre
La rage ambitieuse à leur honte parut.
Elle sauva le ciel, et rua le tonnerre
Dont Briare mourut.
Déjà de tous côtés s'avançaient les approches ;
Ici courait Mimas, là Tiphon se battait,
Et là suait Euryte à détacher les roches
Qu'Encelade jetait.
A peine cette vierge eut l'affaire embrassée,
Qu'aussitôt Jupiter, en son trône remis,
Vit, selon son désir, la tempête cessée.
Et n'eut plus d'ennemis.
Ces colosses d'orgueil furent tous mis en poudre,
Et tous couverts des monts qu'ils avaient arrachés ;
Phlègre, qui les reçut, pue encore la foudre
Dont ils furent touchés.
L'exemple de leur race, à jamais abolie.
Devait sous ta merci tes rebelles ployer ;
Mai» serait-ce raison qu'une même folie
N'eût pas même loyer ?
Déjà l'étonnement leur fait la couleur blême ;
Et ce lâche voisin qu'ils sont allés quérir.
Misérable qu'il est, se condamne lui-même
À fuir ou mourir.
Sa faute le remord : Mégère le regarde,
Et lui porte l'esprit à ce vrai sentiment,
32
FRANÇOIS DE MALHERBE
Que d'une injuste offense il aura, quoiqu'il tarde,
Le juste châtiment.
Bien semble être la nier une barre assez forte
Pour nous ôter l'espoir qu'il puisse être battu ;
Mais est-il rien de clos dont ne t*ouvre la porte
Ton heur et ta vertu ?
Neptune, importuné de ses voiles infâmes.
Comme tu paraîtras au passage des flots,
Voudra que ses Tritons mettent la main aux rames,
Et soient tes matelots.
La rendront tes guerriers tant de sortes de preuves,
Et d'une telle ardeur pousseront leurs efforts.
Que le sang étranger fera monter nos fleuves
Au-dessus de leurs bords.
Par cet exploit fatal en tous lieux va renaître
La bonne opinion des courages françois ;
Et le monde croira, s'il doit avoir un maître,
Qu'il faut que tu le sois.
O que, pour avoir part en si belle aventure,
Je me souhaiterais la fortune d'Éson,
Qui, vieil comme je suis, revint contre nature
En sa jeune saison !
De quel péril extrême est la guerre suivie.
Où je ne fisse voir que tout l'or du Levant
N'a rien que je compare aux honneurs d'une vie
Perdue en te servant ?
Toutes les autres morts n'ont mérite ni marque ;
Celle-ci porte seule un éclat radieux.
Qui fait revivre l'homme et le met de la barque
A la table des dieux.
150
°" 33
FRANÇOIS DE MALHERBE
Mais quoi ! tous les pensers dont les âmes bien nées
Excitent leur valeur et flattent leur devoir,
Que sont-ce que regrets, quand le nombre d'années
Leur ôte le pouvoir?
Ceux a qui la chaleur ne bout plus dans les veines
En vain dans les combats ont des soins diligents ;
Mars est comme l'Amour : ses travaux et ses peines
Veulent de jeunes gens.
Je suis vaincu du temps, je cède à ses outrages ;
Mon esprit seulement, exempt de sa rigueur,
A de quoi témoigner en ses derniers ouvrages
Sa première vigueur.
Les puissantes faveurs dont Parnasse m'honore
Non loin de mon berceau commencèrent leur cours ;
Je les possédai jeune, et les possède encore,
A la fin de mes jours.
Ce que j'en ai reçu, je veux te le produire ;
Tu verras mon adresse ; et ton front cette fois
Sera ceint de rayons qu'on ne vit jamais luire
Sur la tête des rois.
Soit que de tes lauriers ma lyre s'entretienne,
Soit que de tes bontés je la fasse parler.
Quel rival assez vain prétendra que la sienne
Ait de quoi m'égaler ?
Le fameux Amphion, dont la voix nonpareille.
Bâtissant une ville, étonna l'univers.
Quelque bruit qu'il ait eu, n'a point fait de merveille
Que ne fassent mes vers.
Par eux de tes beaux faits la terre sera pleine ;
Et les peuples du Nil, qui les auront ouïs.
Donneront de l'encens, comme ceux de la Seine,
Aux autels de Louis.
34
LES POETES DE L^ECOLE
CLASSIQUE
MATHURIN RÉGNIER
Stances
QUAND sur moi je jette les yeux,
A trente ans me voyant tout vieux,
Mon cœur de frayeur diminue ;
Étant vieilli dans un moment,
Je ne puis dire seulement
Que ma jeunesse est devenue.
Du berceau courant au cercueil,
Le jour se dérobe à mon œil,
Mes sens troublés s'évanouissent.
Les hommes sont comme des fleurs,
Qui naissent et vivent en pleurs
Et d'heure en heure se fanissent.
Leur âge, à l'instant écoulé.
Comme un trait qui s'est envolé,
Ne laisse après soi nulle marque ;
Et leur nom, si fameux ici,
Sitôt qu'ils sont morts, meurt aussi,
Du pauvre autant que du monarque.
Naguères, vert, sain et puissant
Comme un aubépin florissant.
Mon printemps était délectable ;
35
L'ÉCOLE CLASSIQUE
Les plaisirs logeaient en mon sein ;
Et lors était tout mon destin
Du jeu d'amour et de la table.
Mais, las ! mon sort est bien tourné,
Mon âge en un rien s'est borné ;
Faible languit mon espérance.
En une nuit, à mon malheur.
De la joie et de la douleur
J'ai bien appris la différence.
La douleur aux traits vénéneux.
Comme d'un habit épineux,
Me ceint d'une horrible torture ;
Mes beaux jours sont changés en nuits.
Et mon cœur, tout flétri d'ennuis,
N'attend plus que la sépulture.
Enivré de cent maux divers.
Je chancelle, et vais de travers,
Tant mon âme en regorge pleine ;
J'en ai l'esprit tout hébété.
Et si peu qui m'en est resté,
Encor me fait-il de la peine.
La mémoire du temps passé.
Que j'ai follement dépensé,
Epand du fiel en mes ulcères ;
Si peu que j'ai de jugement
Semble animer mon sentiment
Me rendant plus vif mes misères.
Ha ! pitoyable souvenir !
Enfin, que dois-je devenir ?
Où se réduira ma constance ?
Étant jà défailli de cœur,
36
MATHURIN RÉGNIER
Qui me don'ra de la vigueur
Pour durer en la pénitence ?
Qu'est-ce de moi ? faible est ma main ;
Mon courage, hélas ! est humain ;
Je ne suis de fer ni de pierre.
En mes maux montre-toi plus doux,
Seigneur ; aux traits de ton courroux,
Je suis plus fragile que verre.
Je ne suis a tes yeux, sinon
Qu'un fétu sans force et sans nom,
Qu'un hibou qui n'ose paraître,
Qu'un fantôme ici-bas errant,
Qu'une orde écume de torrent.
Qui semble fondre avant que naître :
Où toi, tu peux faire trembler
L'univers, et désassembler
Du firmament le riche ouvrage,
Tarir les flots audacieux.
Ou, les élevant jusqu'aux cieux.
Faire de la terre un naufrage.
Le soleil fléchit devant toi ;
De toi les astres prennent loi ;
Tout fait joug dessous ta parole ;
Et cependant tu vas dardant
Dessus moi ton courroux ardent,
Qui ne suis qu'un bourrier qui vole.
Mais quoi ! si je suis imparfait,
Pour me défaire m'as-tu fait ?
Ne sois aux pécheurs si sévère :
Je suis homme, et toi Dieu clément !
Sois donc plus doux au châtiment.
Et punis les tiens comme père.
37
L'ÉCOLE CLASSIQUE
J'ai l'œil scellé d'un sceau de fer ;
Et déjà les portes d'enfer
Semblent s'entr'ouvrir pour me prendre ;
Mais encore, par ta bonté,
Si tu m'as ôté la santé,
O Seigneur ! tu me la peux rendre.
Le tronc de branches dévêtu,
Par une secrète vertu
Se rendant fertile en sa perte,
De rejetons espère un jour
Ombrager les lieux d'alentour
Reprenant sa perruque verte :
Où l'homme, en la fosse couché,
Après que la mort l'a touché.
Le cœur est mort comme l'écorce.
Encor l'eau reverdit le bois ;
Mais l'homme étant mort une fois.
Les pleurs, pour lui, n'ont plus de force.
Sonnets
O DIEU, si mes péchés irritent ta fureur,
Contrit, morne et dolent, j'espère en ta clémence.
Si mon deuil ne suffit à purger mon offense.
Que ta grâce y supplée et serve à mon erreur.
Mes esprits éperdus frissonnent de terreur,
Et, ne voyant salut que par la pénitence,
Mon cœur, comme mes yeux, s'ouvre à la repentance,
Et me hais tellement que je m'en fais horreur.
Je pleure le présent, le passé je regrette ;
Je crains à l'avenir la faute que j'ai faite ;
Dans mes rébellions je lis mon jugement.
38
MATHURIN RÉGNIER
Seigneur, dont la bonté nos injures surpasse,
Comme de père à fils, uses-en doucement.
Si j'avais moins failli, moindre serait ta grâce.
CEPENDANT qu'en la croix, plein d'amour
infinie.
Dieu pour notre salut tant de maux supporta,
Que par son juste sang notre âme il racheta
Des prisons où la mort la tenait asservie ;
Altéré du désir de nous rendre la vie,
J'ai soif, dit-il aux Juifs. Quelqu'un lors apporta
Du vinaigre et du fiel, et le lui présenta ;
Ce que voyant, sa mère en la sorte s'écrie :
Quoi ! n'est-ce pas assez de donner le trépas
A celui qui nourrit les hommes ici-bas.
Sans frauder son désir d'un si piteux breuvage?
Venez tirer mon sang de ses rouges canaux.
Ou bien prenez ces pleurs qui noyent mon visage;
Vous serez moins cruels, et j'aurai moins de maux.
JEAN OGIER DE GOMBAUD
Sonnets
DURANT la belle nuit, dont mon âme ravie
Préférait les clartés à celles d'un beau jour.
J'écoutais murmurer, au milieu de la Cour,
Mille voix de louange et mille autres d'envie.
Je ne sais quelles morts plus douces que la vie,
Faisaient sentir aux cœurs les charmes de l'amour ;
Et de mille beautés qui brûlaient à l'entour.
L'un tenait pour C.ilistc, et l'autre pour Sylvie.
39
L'ÉCOLE CLASSIQUE
Quand Philis vint montrer ses yeux armés de dards,
De tous les assistants attira les regards,
Et des autres objets effaça la mémoire.
Sa présence à l'instant fit sentir sa vertu,
Et mon cœur fut saisi d'une secrète gloire
De la voir triompher sans avoir combattu.
LE péché me surmonte, et ma peine est si grande,
Lorsque, malgré moi-même, il triomphe de moi.
Que, pour me retirer du gouffre où je me voi.
Je ne sais quel hommage il faut que je te rende.
Je voudrais bien t' offrir ce que ta loi commande.
Des prières, de vœux et des fruits de ma foi ;
Mais voyant que mon cœur n'est pas digne de toi,
Je fais de mon Sauveur mon éternelle offrande.
Reçois ton fils, ô Père ! et regarde la croix
Où, prêt de satisfaire à tout ce que je dois,
Il te fait de lui-même un sanglant sacrifice ;
Et puisqu'il a pour moi cet excès d'amitié,
Que d'être incessamment l'objet de ta justice,
Je serai, s'il te plaît, l'objet de ta pitié.
FRANÇOIS MAYNARD
La belle Vieille
CLORIS, que dans mon cœur j'ai si longtemps
servie.
Et que ma passion montre à tout l'univers.
Ne veux-tu pas changer le destin de ma vie.
Et donner de beaux jours à mes derniers hivers ?
40
FRANÇOIS MAYNARD
N'oppose plus ton deuil au bonheur où j'aspire,
Ton visage est-il fait pour demeurer voilé ?
Sors de ta nuit funèbre, et permets que j'admire
Les divines clartés des yeux qui m'ont brûlé...
Ce n'est pas d'aujourd'hui que je suis ta conquête ;
Huit lustres ont suivi le jour que tu me pris ;
Et j'ai fidèlement aimé ta belle tête
Sous des cheveux châtains et sous des cheveux gris.
C'est de tes jeunes yeux que mon ardeur est née,
C'est de leurs premiers traits que je fus abattu ;
Mais, tant que tu brûlas du ilambeau d'hyménée.
Mon amour se cacha pour plaire a ta vertu.
Je sais de quel respect il faut que je t'honore,
Et mes ressentiments ne l'ont pas violé ;
Si quelquefois j'ai dit le soin qui me dévore.
C'est à des confidents qui n'ont jamais parlé.
Pour adoucir l'aigreur des peines que j'endure,
Je me plains aux rochers, et demande conseil
A ces vieilles forêts, dont l'épaisse verdure
Fait de si belles nuits en dépit du soleil.
L'âme pleine d'amour et de mélancolie.
Et couché sur des fleurs et sous des orangers.
J'ai montré ma blessure aux deux mers d'Italie,
Et fait dire ton nom aux échos étrangers...
Cloris, la passion que mon cœur t'a jurée
Ne trouve point d'exemple aux siècles les plus vieux.
Amour et la Nature admirent la durée
Du feu de mes désirs, et du feu de tes yeux.
La beauté qui te suit depuis ton premier âge.
Au déclin de tes jours ne veut pas te laisser ;
41
L^ÉCOLE CLASSIQUE
Et le temps, orgueilleux d'avoir fait ton visage,
En conserve l'éclat, et craint de l'effacer.
Regarde sans frayeur la fin de toutes choses ;
Consulte le miroir avec des yeux contents :
On ne voit point tomber ni tes lis ni tes roses,
Et l'hiver de ta vie est ton second printemps.
Pour moi, je cède aux ans, et ma tête chenue
M'apprend qu'il faut quitter les hommes et le jour ;
Mon sang se refroidit ; ma force diminue ;
Et je serais sans feu, si j'étais sans amour,, ,
A Alc'ippe
ALCIPPE, reviens dans nos bois,
Tu n'as que trop suivi nos rois
Et l'infidèle espoir dont tu fais ton idole :
Quelque bonheur qui seconde tes vœux.
Ils n'arrêteront pas le temps qui toujours vole,
Et qui d'un triste blanc va peindre tes cheveux.
La cour méprise ton encens.
Ton rival monte et tu descends.
Et dans le cabinet le favori te joue.
Que t'a servi de fléchir les genoux
Devant un Dieu fragile et fait d'un peu de boue.
Qui souffre et qui vieillit pour mourir comme nous ?
Romps tes fers, bien qu'ils soient dorés.
Fuis les injustes adorés.
Et descends dans toi-même à l'exemple du sage.
Tu vois de près ta dernière saison :
Tout le monde connaît ton nom et ton visage,
Et tu n'es pas connu de ta propre raison.
42
FRANÇOIS MAYNARD
Ne forme que des saints désirs,
Et te sépare des plaisirs
Dont la molle douceur te fait aimer la vie.
11 faut quitter le séjour des mortels,
Il faut quitter Philis, Amarante et Silvie,
A qui ta folle amour élève des autels.
Il faut quitter l'ameublement
Qui nous cache pompeusement
Sous de la toile d'or le plâtre de ta chambre.
Il faut quitter ces jardins toujours verts.
Que l'haleine des fleurs parfume de son ambre,
Et qui font des printemps au milieu des hivers.
C'est en vain que loin des hasards
Oïl courent les enfants de Mars,
Nous laissons reposer nos mains et nos courages
Et c'est en vain que la fureur des eaux.
Et l'insolent Borée, artisan des naufrages,
Font à l'abri du port retirer nos vaisseaux.
Nous avons beau nous ménager,
Et beau prévenir le danger,
La mort n'est pas un mal que le prudent évite ;
Il n'est raison, adresse, ni conseil.
Qui nous puisse exempter d'aller oïl le Cocyte
Arrose des pays inconnus au soleil.
Le cours de nos ans est borné ;
Et quand notre heure aura sonné,
Cloton ne voudra plus grossir notre fusée.
C'est une loi, non pas un châtiment.
Que la nécessité qui nous est imposée
De servir de pâture aux vers du monument.
Résous-toi d'aller chez les morts ;
Ni la race, ni les trésors,
43
L'ÉCOLE CLASSIQUE
Ne sauraient t'enipêcher d'en augmenter le nombre.
Le potentat Je plus grand de nos jours,
Ne sera rien qu'un nom, ne sera rien qu'une ombre.
Avant qu'un demi-siècle ait achevé son cours.
On n'est guère loin du matin
Qui doit terminer le destin
Des superbes tyrans du Danube et du Tage.
Ils font les dieux dans le monde chrétien ;
Mais ils n'auront sur toi que le triste avantage
D'infecter un tombeau plus riche que le tien.
Et comment pourrions-nous durer ?
Le temps, qui doit tout dévorer.
Sur le fer et la pierre exerce son empire ;
Il abattra ces fermes bâtiments
Qui n'offrent a nos yeux que marbre et que porphyre,
Et qui jusqu'aux enfers portent leurs fondements.
On cherche en vain les belles tours
Où Paris cacha ses amours.
Et d'où ce fainéant vit tant de funérailles.
Rome n'a rien de son antique orgueil.
Et le vide enfermé de ses vieilles murailles
N'est qu'un affreux objet et qu'un vaste cercueil.
Mais tu dois avecque mépris
Regarder ces petits débris :
Le temps amènera la fin de toutes choses ;
Et ce beau ciel, ce lambris azuré,
Ce théâtre, où l'aurore épanche tant de roses.
Sera brûlé des feux dont il est éclairé.
Le grand astre qui l'embellit
Fera sa tombe de son lit ;
L'air ne formera plus ni grêles, ni tonnerres ;
Et l'univers qui, dans son large tour,
44
FRANÇOIS MAYNARD
Voit courir tant de mers et fleurir tant de terres,
Sans savoir où tomber, tombera quelque jour.
Ode
HÉLÈNE, Oriane, Angélique,
Je ne suis plus de vos amants.
Loin de moi l'éclat magnifique
Des noms puisés dans les romans.
Ma passion, quoi qu'amour fasse,
Ne fera plus son paradis
Des beautés qui mettent leur race
Plus haut que celle d'Amadis.
Pour baiser la robe ou la jupe
Des femmes de bonne maison,
Il faut qu'une amoureuse dupe
Perde son bien et sa raison.
Il faut que toujours il se couvre
De superbes habillements.
Et qu'il aille chercher au Louvre
De la grâce et des compliments.
Vive Barbe, Alix et Nicolle,
Dont les simples naïvetés
Ne furent jamais à l'école
Des ruses et des vanités !
Une santé fraîche et robuste
Fait que toujours leur teint est net ;
Et lorsque leur beauté s'ajuste,
La campagne est leur cabinet.
45
L'ÉCOLE CLASSIQUE
Sans donner ni bal, ni musique,
Sans emprunter chez les marchands,
Et sans débiter rhétorique,
Je plais aux Calistes des champs.
Leur âme n'est pas inhumaine
Pour tirer mes vœux en longueur ;
Jamais je n'ai perdu l'haleine
En courant après leur rigueur.
Adieu, pompeuses damoiselles
Que le fard cache aux yeux de tous,
Et qui ne fûtes jamais belles
Que d'un beau qui n'est pas à vous !
J'en veux aux femmes de village,
Je n'aime plus en autre part ;
La nature, en leur beau visage,
Fait la fi^ue aux secrets de l'art.
Ode
CES antres et ces rochers,
Jeanne, qui te virent naitre,
Me sont plus beaux et plus chers
Que le palais de mon maître.
J'égale au plus beau des lieux
La province reculée
Que l'orient de tes yeux
A si doucement brûlée.
Tes vertus sont des trésors
Qui te remplissent de gloire.
On les chante sur les bords
Du Rhin, du Tibre et de Loire.
46
ï
FRANÇOIS MAYNARD
Ton esprit est merveilleux,
Le mien en fait son oracle,
Et notre âge est orgueilleux
D'avoir produit ce miracle.
Le soleil est un Hambeau
Où moins de lumière abonde :
C'est le présent le plus beau
Que le ciel ait fait au monde.
Jeanne, tu parles si bien.
Que mon âme en est ravie :
Deux jours de ton entretien
Valent deux siècles de vie.
Tu m'as pris, et ton discours
Est le piège qui m'engage.
Le printemps n'a pas des jours
Si fleuris que ton langage...
Je pardonne â tes beautés
L'orgueil qui les rend si vaincs ;
Tes regards font nos étés,
Tes pieds font fleurir nos plaines.
Tu fais que dans nos vallons
On voit naître toutes choses,
Et défends aux aquilons
D'y faire tomber les roses.
Quoi que fassent les hivers,
Jamais la neige n'y dure,
Et les arbres y sont verts
D'une éternelle verdure...
Souvent, pour se délasser,
La Cour me lit, et je pense
47
L'ÉCOLE CLASSIQUE
Qu'on ne voudra pas laisser
Ma vertu sans récompense ;
Mais je t'ai donné les vœux
D'une amour si peu commune,
Que pour un de tes cheveux
Je quitterais ma fortune.
Si la foi dont je te sers
Ne craignait d'être abusée,
J'userais dans ces déserts
Tout le fil de ma fusée...
Quand est-ce que tu prétends
De finis tes injustices ?
Il me semble qu'il est temps
De couronner mes services.
Ne crains pas que la raison
Désormais t'impute à blâme
De hâter la guérison
Des blessures de mon âme.
Ma vie a déjà passé
Ses plus belles matinées,
Et ton front est menacé
De l'injure des années.
Ne considère plus rien ;
Le devoir t'en sollicite.
Un feu grand comme le mien
N'est pas un petit mérite.
Laisse-toi vaincre à mes pleurs,
Et te ploie à mes demandes :
Tandis que l'on a des fleurs.
On doit faire des guirlandes.
48
FRANÇOIS MAYNARD
Chanson
PÉGASE n'a point de mérite
Qui, dans les vers que je médite,
M'oblige à l'appeler divin,
Sinon que l'on me persuade
Que de sa fameuse ruade
Il naquit des sources de vin.
Mes désirs ne sont point esclaves
Des fontaines comme des caves ;
L'eau m'incommode et me déplait.
Il lui faut déclarer la guerre.
Elle assassine dans le verre
Le bon Denys, tout dieu qu'il est.
Cà, qu'on me donne une bouteille
Pleine de ce vin qui réveille
Les esprits les plus languissants !
Le nectar lui cède la gloire.
Et les dieux pour en venir boire
Se travestissent en passants.
Je demande sur toutes choses,
Garçon, que les portes soient closes
A qui voudra parler à moi.
Loin d'ici factions et brigues !
Si la couronne a des intrigues,
Laissons-les au conseil du roi.
Mon ambitieuse espérance.
D'un des premiers honneurs de France
Ne demande pas le brevet.
Ma barque aura le vent en poupe,
Tant que le flacon et la coupe
Scrcî/c mes armes de chevet.
161 „
L'ÉCOLE CLASSIQUE
Quand un curieux me découvre
Les importants secrets du Louvre,
Je condamne son entretien.
De quelque façon qu'on gouverne,
Pourvu que j'aille k la taverne,
Il me semble que tout va bien...
Qui boit bien nargue la fortune,
Et des soins d'une âme commune
Jamais ne se trouve saisi.
Il rit au fort de sa disgrâce
Et son nez rouge fait qu'il passe
Pour philosophe en cramoisi...
Mon cœur est un cœur de femelle ;
Mais dès que le fils de Sémèle
M'a suffisamment abreuvé.
Je crois qu'à mes faits héroïques
Le plus hardi preux des chroniques
Doit céder le haut du pavé.
Mon orgueil bruit comme un tonnerre,
Et n'est point de roi sur la terre
A qui je ne fasse un défi.
A la fierté de mon langage,
Il semble que j'ai mis en cage
Le Prêtre-Jean et le Sophi.
Devant les gens dont la censure
Veut qu'on boive avecque mesure
Je disparais comme un lutin.
J'aime à trinquer, la tasse pleine.
Et voudrais pouvoir, d'une haleine,
Humer Octobre et Saint Martin...
Dès que la mort impitoyable
Aura de sa main effroyable
FRANÇOIS MAYNARD
Saisi ma vieillesse au collet,
Je veux qu'une vive peinture
Embellisse ma sépulture
De l'image d'un gobelet.
Sonnets
ROME qui sous tes pieds as vu toute la terre,
Ces deux fameux héros, ces deux grands conquérants
Qui dans la l'hessalie achevèrent leur guerre
Doivent être noircis du titre de tyrans.
Tu croyais que Pompée armait pour te défendre,
Et qu'il était l'appui de ta félicité :
Un même esprit poussait le beau-père et le gendre ;
Tous deux avaient armé contre ta liberté.
Si Jules fut tombé, Tautre, après sa victoire.
Par un nouveau triomphe eût abaissé ta gloire,
Et forcé tes consuls d'accompagner son char.
Je les blâme tous deux d'avoir tiré T'^pée,
Bien que le Ciel ait pris le parti de César,
Et que Caton soit mort dans celui de Pompée.
ADIEU, Paris, adieu pour la dernière fois!
Je suis las d'encenser l'autel de la fortune,
Et brûle de revoir mes rochers et mes bois,
Où tout me satisfait, où rien ne m'importune.
Je n'y suis point touché de l'amour des trésors,
Je n'y demande pas d'augmenter mon partage :
Le bien qui m'est venu des pères dont je sors
Est petit pour la cour, mais grand pour le village.
SI
L'ECOLE CLASSIQUE
Depuis que je connais que le siècle est gâté,
Et que le haut mérite est souvent maltraité,
Je ne trouve ma paix que dans la solitude.
Les heures de ma vie y sont toutes à moi.
Qu'il est doux d'être libre, et que la servitude
Est honteuse à celui qui peut être son roi !
JE touche de mon pied le bord de l'autre monde ;
L'âge m'ôte le goût, la force et le sommeil ;
Et Ton verra bientôt naître du sein de l'onde
La première clarté de mon dernier soleil.
Muses, je m'en vais dire au fantôme d'Auguste
Que sa rare bonté n'a plus d'imitateurs ;
Et que l'esprit des grands fait gloire d'être injuste
Aux belles passions de vos adorateurs.
Voulez-vous bien traiter ces fameux solitaires
A qui vos déités découvrent leurs mystères ?
Ne leur promettez plus des biens ni des emplois.
On met votre Science au rang des choses vaines ;
Et ceux qui veulent plaire aux favoris des rois
Arrachent vos lauriers et troublent vos fontaines.
DÉSERTS où j'ai vécu dans un calme si doux.
Pins qui d'un si beau vert couvrez mon ermitage,
La cour, depuis un an, me sépare de vous,
Mais elle ne saurait m' arrêter davantage.
La vertu la plus nette y fait des ennemis ;
Les palais y sont pleins d'orgueil et d'ignorance ;
Je suis las d'y souffrir, et honteux d'avoir mis
Dans ma tête chenue une vaine espérance.
52
FRANÇOIS MAYNARD
Ridicule abusé, je cherche du soutien
Au pays de la fraude, où Ton ne trouve rien
Que des pièges dorés et des malheurs célèbres.
Je me veux dérober aux injures du sort
Et, sous l'aimable horreur de vos belles ténèbres,
Donner toute mon âme aux pensers de la mort.
MON âme, il faut partir. Ma vigueur est passée.
Mon dernier jour est dessus l'horizon.
Tu crains ta liberté. Quoi ? n'es-tu pas lassée
D'avoir souffert soixante ans de prison ?
Tes désordres sont grands ; tes vertus sont petites,
Parmi tes maux on trouve peu de bien ;
Mais si le bon Jésus te donne ses mérites.
Espère tout et n'appréhende rien.
Mon âme, repens-toi d'avoir aimé le monde,
Et de mes yeux fais la source d'une onde
Qui touche de pitié le monarque des rois.
Que tu serais courageuse et ravie
Si j'avais soupiré, durant toute ma vie.
Dans le désert, sous l'ombre de la croix !
MARQUIS DE RACAN
La Venue du Printemps
ENFIN, Termes, les ombrages
Reverdissent dans les bois ;
L'hiver et tous ses orages
Sont en prison pour neuf mois ;
Enfin la neige et la glace
53
L'ÉCOLE CLASSIQUE
Font a la verdure place ;
Enfin le beau temps reluit
Et Philomèle, assurée
De la fureur de Térée,
Chante aux forêts jour et nuit.
Déjà les fleurs qui bourgeonnent
Rajeunissent les vergers ;
Tous les échos ne résonnent
Que de chansons de bergers ;
Les jeux, les ris et la danse
Sont partout en abondance ;
Les délices ont leur tour,
La tristesse se retire.
Et personne ne soupire.
S'il ne soupire d'amour.
Les moissons dorent les plaines,
Le ciel est tout de saphyrs.
Le murmure des fontaines
S'accorde au bruit des zéphyrs,
Les foudres et les tempêtes
Ne grondent plus sur nos têtes.
Ni des vents séditieux
Les insolentes colères
Ne poussent plus les galères
Des abîmes dans les cieux.
Ces belles fleurs que nature
Dans les campagnes produit
Brillent parmi la verdure,
Comme des astres la nuit ;
L'Aurore, qui dans son âme
Brûle d'une douce flamme,
Laissant au lit endormi
Son vieux mari, froid et pâle,
54
MARQUIS DE RACAN
Désormais est matinale
Pour aller voir son ami.
Termes, de qui le mérite
Ne se peut trop estimer,
La belle saison invite
Chacun au plaisir d'aimer ;
La jeunesse de Tannée
Soudain se voit terminée ;
Après le chaud véhément
Revient l'extrême froidure,
Et rien au monde ne dure
Qu'un éternel changement.
Leurs courses entre-suivies
Vont comme un flux et reflux ;
Mais le printemps de nos vies
Passe et ne retourne plus.
Tout le soin des destinées
Est de guider nos journées
Pas a pas vers le tombeau !
Le Temps de sa faux moissonne.
Et sans respecter personne,
Ce que Thomme a de plus beau.
Tes louanges immortelles.
Ni tes aimables appas
Qui te font chérir des belles,
Ne t'en garantiront pas.
Crois-moi, tant que Dieu t'octroie
Cet âge comblé de joie
Qui s'enfuit de jour en jour,
Jouis du temps qu'il te donne
Et ne crois pas en automne
Cueillir les fruits de l'amour.
i
55
L'ÉCOLE CLASSIQUE
Ode bachique
MAINTENANT que du Capricorne
Le temps mélancolique et morne
Tient au feu le monde assiégé,
Noyons notre ennui dans le verre,
Sans nous tourmenter de la guerre
Du tiers état et du clergé.
Je sais, Maynard, que les merveilles
Qui naissent de tes longues veilles
Vivront autant que l'univers ;
Mais que te sert-il que ta gloire
Se lise au temple de Mémoire
Quand tu seras mangé des vers \
Quitte cette inutile peine,
Buvons plutôt à longue haleine
De ce nectar délicieux,
Qui pour l'excellence précède
Celui même que Ganymède
Verse dans la coupe des dieux.
C'est lui qui fait que les années
Nous durent moins que des journées ;
C'est lui qui nous fait rajeunir,
Et qui bannit de nos pensées
Le regret des choses passées
Et la crainte de l'avenir.
Buvons, Maynard, à pleine tasse ;
L'âge insensiblement se passe.
Et nous mène à nos derniers jours ;
L'on a beau faire des prières,
Les ans non plus que les rivières
Jamais ne rebroussent leur cours.
56
MARQUIS DE RACAN
Le printemps vêtu de verdure
Chassera bientôt la froidure,
La mer a son flux et reflux ;
Mais depuis que notre jeunesse
Quitte la place à la vieillesse,
Le temps ne la ramène plus.
Les lois de la mort sont fatales
Aussi bien aux maisons royales
Qu'aux taudis couverts de roseaux.
Tous nos jours sont sujets aux Parques ;
Ceux des bergers et des monarques
Sont coupés des mêmes ciseaux.
Leurs rigueurs, par qui tout s'efl^acc,
Ravissent en bien peu d'espace
Ce qu'on a de mieux établi,
Et bientôt nous mèneront boire.
Au-delà de la rive noire.
Dans les eaux du fleuve d'oubli.
Stances sur la Retraite
TIRCIS, il faut penser à faire la retraite ;
La course de nos jours est plus qu'à demi faite ;
L'âge insensiblement nous conduit à la mort ;
Nous avons assez vu sur la mer de ce monde
Errer au gré des flots notre nef vagabonde ;
Il est temps de jouir des délices du port.
Le bien de la fortune est un bien périssable ;
Quand on bâtit sur elle, on bâtit sur le sable ;
Plus on est élevé, plus on court de dangers ;
Les grands pins sont en butte aux coups de la
tempête,
57
I/ÉCOLE CLASSIQUE
Et la rage des vents brise plutôt le faîte
Des maisons de nos rois que les toits des bergers.
O bienheureux celui qui peut de sa mémoire
Effacer pour jamais ce vain espoir de gloire,
Dont l'inutile soin traverse nos plaisirs,
Et qui, loin retiré de la foule importune,
Vivant dans sa maison, content de sa fortune,
A, selon son pouvoir, mesuré ses désirs !
II laboure le champ que labourait son père ;
Il ne s'informe point de ce qu'on délibère
Dans ces graves conseils d'affaires accablés ;
Il voit sans intérêt la mer grosse d'orages,
Et n'observe des vents les sinistres présages.
Que pour le soin qu'il a du salut de ses blés...
Il voit de toutes parts combler d'heur sa famille,
La javelle à plein poing tomber sous sa faucille.
Le vendangeur ployer sous le faix des paniers.
Et semble qu'à l'envi les fertiles montagnes.
Les humides vallons et les grasses campagnes
S'efforcent à remplir sa cave et ses greniers.
Il suit aucune fois un cerf par les foulées,
Dans ces vieilles forêts du peuple reculées
Et qui même du jour ignorent le flambeau ;
Aucune fois des chiens il suit les voix confuses.
Et voit enfin le lièvre, après toutes ses ruses.
Du lieu de sa naissance en faire son tombeau.
Tantôt il se promène au long de ses fontaines.
De qui les petits flots font luire dans les plaines
L'argent de leurs ruisseaux parmi l'or des moissons ;
Tantôt il se repose, avecque les bergères.
Sur des lits naturels de mousse et de fougères.
Qui n'ont autres rideaux que l'ombre des buissons.
58
MARQUIS DE RACAN
Il soupire en repos l'ennui de sa vieillesse.
Dans ce même foyer o\\ sa tendre jeunesse
A vu dans le berceau ses bras emmaillottés :
Il tient par les moissons registre des années,
Et voit de temps en temps leurs courses enchaînées
Vieillir avecque lui les bois qu'il a plantés.
Il ne va point fouiller aux terres inconnues,
A la merci des vents et des ondes chenues,
Ce que nature avare a caché de trésors.
Et ne recherche point, pour honorer sa vie,
De plus illustre mort, ni plus digne d'envie.
Que de mourir au lit où ses pères sont morts...
S'il ne possède point ces maisons magnifiques.
Ces tours, ces chapiteaux, ces superbes portiques
Où la magnificence étale ses attraits.
Il jouit des beautés qu'ont les saisons nouvelles.
Il voit de la veidure et des fleurs naturelles.
Qu'en ces riches lambris l'on ne voit qu'en portraits.
Crois-moi, retirons-nous hors de la multitude,
Et vivons désormais loin de la servitude
De ces palais dorés où tout le monde accourt :
Sous un chcne élevé les arbrisseaux s'ennuient.
Et devant le soleil tous les astres s'enfuient,
De peur d'être obligés de lui faire la cour.
Après qu'on a suivi sans aucune assurance
Cette vaine faveur qui nous pait d'espérance,
L'envie en un moment tous nos desseins détruit ;
Ce n'est qu'une fumée ; il n'est rien de si frêle ;
Sa plus belle moisson est sujette à la grêle.
Et souvent elle n'a que des fleurs pour du fruit.
Agréables déserts, séjour de l'innocence.
Où loin des vanités, de la magnificence,
59
L'ÉCOLE CLASSIQUE
Commence mon repos et finit mon tourment,
Vallons, fleuves, rochers, plaisante solitude,
Si vous fûtes témoins de mon inquiétude,
Soyez-le désormais de mon contentement !
THÉOPHILE DE VIAU
Le Matin
L'AURORE sur le front du jour
Sème Tazur, Tor et l'ivoire,
Et le soleil, lassé de boire,
Commence son oblique tour.
Ses chevaux, au sortir de l'onde.
De flamme et de clarté couverts,
La bouche et les naseaux ouverts,
Ronflent la lumière du monde.
La lune fuit devant nos yeux ;
La nuit a retiré ses voiles ;
Peu à peu le front des étoiles
S'unit à la couleur des cieux.
Déjà la diligente avette
Boit la marjolaine et le thym,
Et revient, riche du butin
Qu'elle a pris sur le mont Hymette,
Je vois les agneaux bondissants
Sur ces blés qui ne font que naitre ;
Cloris, chantant, les mène paître
Parmi ces coteaux verdissants.
Les oiseaux, d'un joyeux ramage,
En chantant semblent adorer
60
THÉOPHILE DE VIAU
La lumière qui vient dorer
Leur cabinet et leur plumage.
La charrue écorche la plaine ;
Le bouvier, qui suit les sillons,
Presse de voix et d'aiguillons
Le couple de bœufs qui Tcntraîne.
Alix apprête son fuseau ;
Sa mère, qui lui fait la tâche,
Presse le chanvre qu'elle attache
A sa quenouille de roseau.
Une confuse violence
Trouble le calme de la nuit,
Et la lumière, avec le bruit.
Dissipe l'ombre et le silence...
Les bêtes sont dans leur tanière.
Qui tremblent de voir le soleil.
L'homme, remis par le sommeil,
Reprend son œuvre coutumière.
Le forgeron est au fourneau ;
Vois comme le charbon s'allume 1
Le fer rouge, dessus l'enclume,
Étincelle sous le marteau.
Cette chandelle semble morte.
Le jour la fait s'évanouir ;
Le soleil vient nous éblouir :
Vois qu'il passe au travers la porte !
Il est jour : levons-nous, Philis ;
AOons k notre jardinage.
Voir s'il est, comme ton visage.
Semé de roses et de lis.
6i
L^ÉCOLE CLASSIQUE
La Solitude
DANS ce val solitaire et sombre,
Le cerf qui brame au bruit de l'eau,
Penchant ses yeux dans un ruisseau,
S'amuse à regarder son ombre.
De cette source une Naïade,
Tous les soirs, ouvre le portai
De sa demeure de cristal.
Et nous chante une sérénade.
Les Nymphes, que la chasse attire
A l'ombrage de ces forêts.
Cherchent les cabinets secrets.
Loin de l'embûche du satyre...
Un froid et ténébreux silence
Dort à l'ombre de ces ormeaux,
Et les vents battent les rameaux
D'une amoureuse violence...
Ici, l'Amour fait ses études ;
Vénus y dresse des autels ;
Et les visites des mortels
Ne troublent point ces solitudes...
Corinne, je te prie, approche ;
Couchons-nous sur ce tapis vert,
Et, pour être mieux à couvert.
Entrons au creux de cette roche...
Mon Dieu ! que tes cheveux me plaisent !
Ils s'ébattent dessus ton front,
Et, les voyant beaux comme ils sont.
Je suis jaloux quand ils te baisent...
62
THÉOPHILE DE VIAU
Si tu mouilles tes doigts d'ivoire
Dans le cristal de ce ruisseau,
Le Dieu, qui loge dans cette eau,
Aimera, s'il en ose boire...
Vois-tu ce tronc et cette pierre ?
Je crois qu'ils prennent garde a nous ;
Et mon amour devient jaloux
De ce myrte et de ce lierre.
Sus, ma Corinne ! que je cueille
Tes baisers, du matin au soir !
Vois comment, pour nous faire asseoir,
Ce myrte a laissé choir sa feuille !...
Approche, approche, ma Dryade!
Ici, murmureront les eaux ;
Ici, les amoureux oiseaux
Chanteront une sérénade.
Prête-moi ton sein pour y boire
Des odeurs qui m'embaumeront ;
Ainsi mes sens se pâmeront
Dans les lacs de tes bras d'ivoire.
Je baignerai mes mains folâtres
Dans les ondes de tes cheveux.
Et ta beauté prendra les vœux
De mes œillades idolâtres.
Ne crains rien, Cupidon nous garde.
Mon petit ange, es-tu pas mien ?
Ah ! je vois que tu m'aimes bien :
Tu rougis quand je te regarde...
Ma Corinne, que je t'embrasse !
Personne ne nous voit qu'Amour;
63
L'ÉCOLE CLASSIQUE
Vois que même les yeux du jour
Ne trouvent point ici de place.
Les vents, qui ne se peuvent taire,
Ne peuvent écouter aussi ;
Et ce que nous ferons ici
Leur est un inconnu mystère.
Stances
QUAND tu me vois baiser tes bras,
Que tu poses nus sur tes draps.
Bien plus blancs que le linge même ;
Quand tu sens ma brûlante main
Se promener dessus ton sein.
Tu sens bien, Cloris, que je t'aime.
Comme un dévot devers les cieux,
Mes yeux tournés devers tes yeux,
A genoux auprès de ta couche,
Pressé de mille ardents désirs,
Je laisse, sans ouvrir ma bouche,
Avec toi dormir mes plaisirs.
Le sommeil, aise de t'avoir.
Empêche tes yeux de me voir
Et te retient dans son empire
Avec si peu de liberté.
Que ton esprit, tout arrêté.
Ne murmure ni ne respire.
La rose en rendant son odeur,
Le soleil donnant son ardeur,
Diane et le char qui la traîne.
Une naïade dedans l'eau,
64
THÉOPHILE DE VIAU
Et les Grâces dans un tableau,
Font plus de bruit que ton haleine.
Là, je soupire auprès de toi,
Et, considérant comme quoi
Ton œil si doucement repose,
Je m'écrie : O ciel ! peux-tu bien
Tirer d'une si belle chose
Un si cruel mal que le mien !
Les Nautonniers
Entrée Je Ballet
LES Amours plus mignards à nos rames se lient ;
Les Tritons à l'envi nous viennent caresser ;
Les vents sont modérés, les vagues s'humilient
Par tous les lieux de l'onde où nous voulons passer.
Avec notre dessein va le cours des étoiles ;
L'orage ne fait point blêmir nos matelots ;
Et jamais alcyon sans regarder nos voiles
Ne commit sa nichée à la merci des flots.
Notre Océan est doux comme les eaux d'Euphratc;
Le Pactole, le Tagc, est moins riche que lui ;
Ici, jamais nocher ne craignit le pirate.
Ni d'un calme trop long ne ressentit l'ennui.
Sous un climat heureux, loin du bruit du tonnerre,
Nous passons a loisir nos jours délicieux.
Et, la, jamais notre œil ne désira la terre.
Ni sans quelque dédain ne regarda les cieux.
Agréables beautés, pour qui l'amour soupire.
Eprouvez avec nous un si joyeux destin,
152 65
L'ÉCOLE CLASSIQUE
Et nous dirons partout qu'un si rare navire
Ne fut jamais chargé d'un si rare butin.
Apollon Champion
MOI de qui les rayons font les traits du tonnerre
Et de qui l'univers adore les autels,
Moi dont les plus grands dieux redouteraient la
guerre,
Puis-je, sans déshonneur, me prendre à des mortels ?
J'attaque malgré moi leur orgueilleuse envie ;
Leur audace a vaincu ma nature et le sort ;
Car ma vertu, qui n'est que de donner la vie.
Est aujourd'hui forcée à leur donner la mort.
J'affranchis mes autels de ces fâcheux obstacles,
Et, foulant ces brigands que mes traits vont punir.
Chacun dorénavant viendra vers mes oracles,
Et préviendra le mal qui lui peut advenir.
C'est moi qui, pénétrant la dureté des arbres,
Arrache de leur cœur une savante voix.
Qui fais taire les vents, qui fais parler les marbres.
Et qui trace au destin la conduite des rois.
C'est moi dont la chaleur donne la vie aux roses
Et fait ressusciter les fruits ensevelis ;
Je donne la durée et la couleur aux choses.
Et fais vivre l'éclat de la blancheur des lis.
Si peu que je m'absente, un manteau de ténèbres
Tient d'une froide horreur ciel et terre couverts ;
Les vergers les plus beaux sont des objets funèbres ;
Et quand mon œil est clos, tout meurt en l'univers.
66
MARC-ANTOINE DE SAINT-AMAND
La Solitude
O QUE j'aime la solitude!
Que ces lieux sacrés h la nuit.
Eloignés du monde et du bruit,
Plaisent à mon inquiétude !
Mon Dieu ! que mes yeux sont content»
De voir ces bois, qui se trouvèrent
A la nativité du temps,
Et que tous les siècles révèrent,
Etre encore aussi beaux et verts
Qu'aux premiers jours de l'univers !
Un gai zéphire les caresse
D'un mouvement doux et flatteur.
Rien que leur extrême hauteur
Ne fait remarquer leur vieillesse.
Jadis Pan et ses demi-dieux
Y vinrent chercher du refuge.
Quand Jupiter ouvrit les cieux
Pour nous envoyer le déluge,
Et, se sauvant sur leurs rameaux,
A peine virent-ils les eaux.
Que sur cette épine fleurie,
Dont le printemps est amoureux,
Philonièle, au chant langoureux.
Entretient bien ma rêverie !
Que je prends de plaisir à voir
Ces monts pendants en précipices.
Qui, pour les coups du désespoir.
Sont aux malheureux si propices.
Quand la cruauté de leur sort.
Les force h rechercher la mort.
67
L'ÉCOLE CLASSIQUE
Que je trouve doux le ravage
. De ces fiers torrents vagabonds,
Qui se précipitent par bonds
Dans ce vallon vert et sauvage !
Puis, glissant sous les arbrisseaux,
Ainsi que des serpents sur l'herbe.
Se changent en plaisants ruisseaux,
Où quelque naïade superbe
Règne comme en son lit natal.
Dessus un trône de cristal !
Que j'aime ce marais paisible !
Il est tout bordé d'aliziers,
D'aunes, de saules et d'osiers
A qui le fer n'est point nuisible.
Les nymphes, y cherchant le frais,
S'y viennent fournir de quenouilles.
De pipeaux, de joncs et de glais ;
Où l'on voit sauter les grenouilles
Qui de frayeur s'y vont cacher,
Sitôt qu'on veut s'en approcher...
Que j'aime à voir la décadence
De ces vieux châteaux ruinés.
Contre qui les ans mutinés
Ont déployé leur insolence !
Les sorciers y font leur sabbat ;
Les démons follets s'y retirent.
Qui d'un malicieux ébat
Trompent nos sens et nous martirent ;
Là se nichent en mille trous
Les couleuvres et les hibous.
L'orfraie, avec ses cris funèbres.
Mortels augures des destins,
68
MARC-ANTOINE DE SAINT-AMAND
Fait rire et danser les lutins
Dans ces lieux remplis de ténèbres.
Sous un chevron de bois maudit
Y branle le squelette horrible
D'un pauvre amant qui se pendit
Pour une bergère insensible
Qui, d'un seul regard de pitié,
Ne daigna voir son amitié.
Aussi le ciel, juge équitable
Qui maintient les lois en vigueur,
Prononça contre sa rigueur
Une sentence épouvantable :
Autour de ces vieux ossements.
Son ombre, aux peines condamnée,
Lamente en longs gémissements
Sa malheureuse destinée,
Ayant, pour croître son effroi.
Toujours son crime devant soi.
Là se trouvent, sur quelques marbres,
Des devises du temps passé ;
Ici l'âge a presque etîacé
Des chiffres taillés sur les arbres ;
Le plancher du lieu le plus haut
Est tombé jusques dans la cave.
Que la limace et le crapaud
Souillent de venin et de bave ;
Le lierre y croit au foyer
A l'ombrage d'un grand noyer.
Là-dessous s'étend une voûte
Si sombre en un certain endroit.
Que, quand Phébus y descendroit,
Je pense qu'il n'y verrait goutte ;
69
L'ECOLE CLASSIQUE
Le Sommeil aux pesants sourcils,
Enchanté d'un morne silence,
Y dort, bien loin de tous soucis,
Dans les bras de la Nonchalance,
Lâchement courbé sur le dos,
Dessus des gerbes de pavots.
Au creux de cette grotte fraîche
OCl l'Amour se pourrait geler.
Écho ne cesse de brûler
Pour son amant froid et revêche.
Je m'y coule sans faire bruit,
Et par la céleste harmonie
D'un doux luth, aux charmes instruit,
Je flatte sa triste manie.
Faisant répéter mes accords
A la voix qui lui sert de corps.
Tantôt, sortant de ces ruines.
Je monte au haut de ce rocher.
Dont le sommet semble chercher
En quel lieu se font les bruines ;
Puis, je descends tout H loisir
Sous une falaise escarpée.
D'où je regarde avec plaisir
L'onde qui l'a presque sapée
Jusqu'au siège de Palémon,
Fait d'épongés et de limon.
Que c'est une chose agréable,
D'être sur le bord de la mer,
Quand elle vient à se calmer
Après quelque orage effroyable.
Et que les chevelus tritons,
Hauts sur les vaoues secouées,
70
MARC-ANTOINE DE SAINT-AMAND
Frappent les airs d'étranges tons
Avec leurs trompes enrouées,
Dont l'éclat rend respectueux
Les vents les plus impétueux !
Tantôt l'onde, brouillant Tarênc,
Murmure et frémit de courroux.
Se roulant dessus les cailloux
Qu'elle apporte et qu'elle rcntraîne.
Tantôt, elle étale en ses bords,
Que l'ire de Neptune outrage.
Des gens noyés, des monstres morts,
Des vaisseaux brisés du naufrage,
Des diamants, de Tambre gris.
Et mille autres choses de prix.
Tantôt, la pluK claire du monde.
Elle semble un miroir flottant.
Et nous représente à l'instant
Encore d'autres cicux sous l'onde ;
Le soleil s'y fait si bien voir,
Y contemplant son beau visage.
Qu'on est quelque temps à savoir,
Si c'est lui-même ou son image ;
Et d'abord il semble à nos yeux.
Qu'il s'est laissé tomber des cieux.
Bernières, pour qui je me vante
De ne rien faire que de beau.
Reçois ce fantasque tableau
Fait d'une peinture vivante.
Je ne cherche que les déserts
Oïl, rêvant tout seul, je m'amuse
A des discours assez diserts
De mon génie avec la muse ;
71
L'ÉCOLE CLASSIQUE
Mais mon plus aimable entretien
C'est le ressouvenir du tien.
Tu vois dans cette poésie,
Pleine de licence et d'ardeur,
Les beaux rayons de la splendeur
Qui m'éclaire la fantaisie ;
Tantôt chagrin, tantôt joyeux.
Selon que la fureur m'enflamme
Et que l'objet s'ofïre à mes yeux,
Les propos me naissent en l'âme
Sans contraindre la liberté
Du démon qui m'a transporté.
Oh ! que j'aime la solitude !
C'est l'élément des bons esprits,
C'est par elle que j'ai compris
L'art d'Apollon sans nulle étude.
Je l'aime pour l'amour de toi,
Connaissant que ton humeur l'aime ;
Mais quand je pense bien à moi.
Je la hais pour la raison môme :
Car elle pourrait me ravir
L'heur de te voir et te servir.
Le Soleil levant
JEUNE déesse au teint vermeil
Que l'Orient révère,
Aurore, fille du Soleil,
Qui nais devant ton père.
Viens soudain me rendre le jour,
Pour voir l'objet de mon amour.
72
MARC-ANTOINE DE SAINT-AMAND
Certes, la nuit a trop duré.
Déjà les coqs t'appellent ;
Remonte sur ton char doré.
Que les Heures attellent,
Et viens montrer a. tous les yeux
De quel émail tu peins les cicux.
Laisse ronfler ton vieux mari,
Dessus l'oisive plume.
Et, pour plaire à ton favori.
Tes plus beaux feux rallume;
Il t'en conjure à haute voix.
En menant son limier au bois.
Mouille promptement les guérets
D'une fraîche rosée.
Afin que la soit de Cérès
En puisse être apaisée,
Et fais qu'on voie, en cent façons,
Pendre les perles aux buissons.
Ah ! je te vois, douce clarté !
Sois-tu la bien venue !
Je te vois, céleste beauté.
Paraître sur la nue.
Et ton étoile en arrivant.
Blanchit les coteaux du levant.
Le silence et le morne roi
Des visions funèbres
Prennent la fuite devant toi
Avecque les ténèbres.
Et les hiboux qu'on oit gémir
S'en vont chercher place a dormir.
73
L'ECOLE CLASSIQUE
Mais, au contraire, les oiseaux
Qui charment les oreilles
Accordent au doux bruit des eaux
Leurs gorges non pareilles,
Célébrant les divins appas
Du grand astre qui suit tes pas.
La Lune, qui le voit venir,
En est toute confuse ;
Sa lueur, prête a se ternir,
A nos yeux se refuse.
Et son visage, à cet abord
Sent comme une espèce de mort.
Le voilà sur notre horizon,
En sa pointe première.
O que l'Ethiope a raison
D'adorer sa lumière!
Et qu'il doit priser la couleur
Qui lui vient de cette chaleur !
C'est le dieu sensible aux humains,
C'est l'œil de la nature ;
Sans lui les œuvres de ses mains
Naîtraient à l'aventure.
Ou plutôt on verrait périr,
Tout ce qu'on voit croître et fleurir.
Aussi pleine d'un saint respect.
Quand le jour se rallume,
La Terre, a ce divin aspect,
N'est qu'un autel qui fume,
Et qui pousse en haut comme encens,
Ses sacrifices innocents.
74
MARC-ANTOINE DE SAINT-AMAND
Au vif éclat de ses rayons,
Flattés d'un gai zéphire,
Ces monts sur qui nous les voyons
Se changent en porphyre,
Mi sa splendeur fait de tout l'air
Un long et gracieux éclair.
Bref, la nuit devant ses efforts.
En ombres sé])arée.
Se cache derrière les corps,
De peur d'être éclairée.
Et diminue ou va croissant,
Selon qu'il monte ou qu'il descend.
Le berger, l'ayant révéré
A sa façon champêtre,
En un lieu frais et retiré
Ses brebis mène pnitrc,
Et se plaît à voir ce llambeau
Si clair, si serein, et si beau.
L'ai;4lc, dans une aire à l'écart,
Etendant son plumage.
L'observe d'un fixe regard
Et lui rend humble hommage,
Comme au feu le plus animé
Dont son œil puisse être charmé.
Le chevreuil solitaire et doux
Voyant sa clarté pure,
Briller sur les feuilles de houx
Et dorer leur verdure,
Sans nulle crainte de veneur
Tâche à lui faire quelque honneur.
75
L'ÉCOLE CLASSIQUE
Le cygne, joyeux de revoir
Sa renaissante flamme,
De qui tout semble recevoir
Chaque jour nouvelle âme,
Voudrait, pour chanter ce plaisir.
Que la Parque le vint saisir.
Le saumon, dont au renouveau,
Thétis est dépourvue.
Nage doucement à fleur d'eau
Pour jouir de sa vue,
Et montre au pêcheur indigent,
Ses riches écailles d'argent.
L'abeille, pour boire des pleurs,
Sort de sa ruche aimée,
Et va sucer l'âme des fleurs
Dont la plaine est semée ;
Puis de cet aliment du ciel.
Elle fait la cire et le miel.
Le gentil papillon la suit
D'une aile trémoussante.
Et, voyant le soleil qui luit.
Vole de plante en plante,
Pour les avertir que le jour
En ce climat est de retour.
Là, dans nos jardins embellis
De mainte rare chose.
Il porte, de la part du lis,
Un baiser à la rose.
Et semble, en messager discret,
Lui dire un amoureux secret.
76
MARC-ANTOINE DE SAINT-AMAND
Au même temps, il semble a voir
Qu'en éveillant ses charmes,
Cette belle lui fait savoir,
Le teint baigne de larmes,
Quel ennui la va consumant
D'être si loin de son amant...
Reine des fleurs, apaise-toi ;
Voici venir Sylvie,
Qui t'apporte en elle de quoi
Contenter cette envie.
Car sa main de lys a dessein
De te lo^ier en son beau sein.
La Nuit
PAISIBLE et solitaire nuit.
Sans lune et sans étoiles.
Renferme le jour qui me nuit
Dans tes plus sombres voiles ;
Hâte tes pas, déesse, exauce-moi.
J'aime une brune comme toi.
J'aime une brune dont les yeux
Font dire a tout le monde
Que, quand Phébus quitte les cieux
Pour se cacher sous l'onde,
C'est de regret de se voir surmonté
Du vif éclat de leur beauté.
Mon luth, mon humeur et mes vers,
Ont enchanté son âme;
Tous ses sentiments sont ouverts
A l'amoureuse flanmie ;
77
L'ÉCOLE CLASSIQUE
Elle m'adore, et dit que ses désirs
Ne vivent que pour mes plaisirs.
Quel jugement y dois-je asseoir ?
Veut-elle me complaire ?
Mon cœur s'en promet a ce soir,
Une preuve plus claire.
Viens donc, ô nuit, que ton obscurité
M'en découvre la vérité !
Sommeil, répands à pleines mains
Tes pavots sur la terre.
Assoupis les yeux des humains
D'un gracieux caterre,
Laissant veiller en tout cet élément
Ma maîtresse et moi seulement., ,
Ah ! voilà le jour achevé.
Il faut que je m'apprête ;
L'astre de Vénus est levé
Propice a ma requête ;
Si bien qu'il semble, en se montrant si beau,
Me vouloir servir de flambeau...
Les chats, presque enragés d'amour,
Grondent dans les gouttières ;
Les loups-garous, fuyant le jour.
Hurlent aux cimetières ;
Et les enfants, transis d'être tout seuls,
Couvrent leurs têtes de linceuls.
Le clocheteur des trépassés,
Sonnant de rue en rue.
De frayeur rend leurs cœurs glacés,
Bien que leur corps en sue ;
Et mille chiens, oyant sa triste voix,
Lui répondent à longs abois.
78
MARC-ANTOINE DE SAINT-AMAND
Ces tons, ensemble confondus,
Font des accords funèbres,
Dont les accents sont épandus,
En l'horreur des ténèbres,
Que le silence abandonne a ce bruit
Qui l'épouvante et le détruit.
Lugubre courrier du Destin,
Effroi des âmes lâches,
Qui si souvent, soir et matin.
M'éveilles et me fâches,
Va faire ailleurs, engeance de démon,
Ton vain et tragique sermon.
Tu ne me saurais empêcher
D'aller voir ma Sylvie,
Dussé-je, pour un bien si cher,
Perdre aujourd'hui la vie.
L'heure me presse, il est temps de partir.
Et rien ne m'en peut divertir.
Tous ces vents, qui soufflaient si fort.
Retiennent leurs haleines,
Il ne pleut plus, la foudre dort.
On n'oit que les fontaines
Et le doux son de quelques luths cliarmants,
Qui parlent au lieu des amants.
Je ne puis être découvert,
La nuit m'est trop fidèle ;
Entrons, je sens l'huis entr'ouvert.
J'aperçois la chandelle,
Dieux ! Qu'est-ce ci ? Je tremble à chaque pas,
Comme si j'allais au trépas.
79
L'ÉCOLE CLASSIQUE
O toi, dont l'œil est mon vainqueur,
Sylvie, eh ! que t'en semble ?
Un homme qui n'a point de cœur,
Ne faut-il pas qu'il tremble ?
Je n'en ai point, tu possèdes le mien...
Me veux-tu pas donner le tien ?
La Pipe
ASSIS sur un fagot, une pipe à la main,
Tristement accoudé contre une cheminée,
Les yeux fixés vers terre, et l'âme mutinée.
Je songe aux cruautés de mon sort inhumain.
L'espoir, qui me remet du jour au lendemain,
Essaye à gagner temps sur ma peine obstinée.
Et, me venant promettre une autre destinée,
Me fait monter plus haut qu'un empereur romain.
Mais à peine cette herbe est-elle mise en cendre,
Qu'en mon premier état il me convient descendre
Et passer mes ennuis à redire souvent :
Non, je ne trouve point beaucoup de différence
De prendre du tabac a vivre d'espérance.
Car l'un n'est que fumée et l'autre n'est que vent.
Le Paresseux
ACCABLE de paresse et de mélancolie.
Je rêve dans un lit où je suis fagotté
Comme un lièvre sans os qui dort dans un pâté,
Ou comme un Don Quichotte en sa morne folie.
8o
MARC-ANTOINE DE SAINT-AMAND
Là, sans me soucier des guerres d'Italie,
Du comte Palatin ni de sa royauté,
Je consacre un bel hymne à cette oisiveté
Oii mon âme en langueur est comme ensevelie.
Je trou\c ce plaisir si doux et si charmant,
Que je crois que les biens me viendront en dormant,
Puisque je vois déjà s'en enfler ma bedaine.
Et hais tant le travail, que, les yeux entr'ouverts.
Une main hors des draps, cher Baudoïn, à peine
Ai-je pu me résoudre à t'écrire et» ,ers.
Les Goinfres
COUCHER trois dans un drap, sans feu ni sans
chandelle.
Au profond de l'hiver, dans la salle aux fagots,
Où les chats, ruminant le langage des Goths,
Nous éclairent sans cesse en roulant la prunelle ;
Hausser notre chevet avec une escabelle,
Etre deux ans à jeun comme les escargots,
Rêver en grimaçant ainsi que les magots
Qui, baillant au soleil, se grattent sous l'aisselle ;
Mettre au lieu d'un bonnet la coiffe d'un chapeau,
Prendre pour se couvrir la frise d'un manteau
Dont le dessus servit a nous doubler la panse ;
Puis souffrir cent brocards d'un vieux hôte irrité.
Qui peut fournir \\ peine à la moindre dépense.
C'est ce qu'engendre enfin la prodigalité.
163 Sx
L'ECOLE CLASSIQUE
U Eté de Rome
QUELLE étrange chaleur nous vient ici brûler?
Sommes-nous transportés sous la zone torride ?
Ou quelque antre imprudent a t'-il lâché la bride
Aux lumineux chevaux qu'on voit étinceler ?
La terre, en ce climat, contrainte à panteler,
Sous l'ardeur des rayons s'entre-fend et se ride ;
Et tout le champ romain n'est plus qu'un sable aride
D'où nulle fraîche humeur ne se peut exhaler.
Les furieux regards de l'âpre canicule
Forcent même le Tibre à périr comme Hercule,
Dessous l'ombrage sec des joncs et des roseaux.
Sa qualité de dieu ne l'en saurait défendre,
Et le vase natal d'où s'écoulent ses eaux
Sera l'urne fatale où l'on mettra sa cendie.
L' Automne des Canaries
VOICI les seuls coteaux, voici les seuls vallons
Où Bacchus et Pomone ont établi leur gloire ;
Jamais le riche honneur de ce beau territoire
Ne ressentit l'effort des rudes aquilons.
Les figues, les muscats, les pêches, les melons
Y couronnent ce dieu qui se délecte à boire ;
Et les nobles palmiers, sacrés à la victoire.
S'y courbent sous des fruits qu'au miel nous égalons.
Les cannes au doux suc, non dans les marécages.
Mais sur les flancs de roche, y forment des bocages
Dont l'or plein d'ambroisie éclate et monte aux cieux.
82
MARC- ANTOINE DE SAINT-AMAND
L'orange en même jour y mûrit et boutonne,
Et durant tous les mois ou peut voir en ces lieux
Le printemps et l'été confondus en l'automne.
JEAN CHAPELAIN
Ode au Cardinal de Rkhelieu
GRAND Richelieu, de qui la gloire,
Par tant de rayons éclatants,
De la nuit de ces derniers temps
Kclaircit l'ombre la plus noire ;
Puissant esprit, dont les travaux
Ont borné le cours de nos maux,
Accom])li nos souhaits, passé notre espérance,
Tes célestes vertus, tes faits prodigieux,
Font revoir en nos jours, pour le bien de la France,
La force des héros et la bonté des dieux.
Le long des rives du Permesse,
La troupe de ses nourrissons
Médite pour toi des chansons
Dignes de l'ardeur qui les presse ;
Ils sentent ranimer leurs voix
A l'aspect de tes grands exploits,
Et font de ta louange un concert magnifique ;
La gravité s'y mule avecque les douceurs,
Apollon y préside, et, d'un ton héroïque.
Fait soutenir leur chant par celui des Neuf Sœurs.
Ils chantent quel fut ton mérite.
Quand, au gré de nos matelots,
Tu vainquis les vents et les flots.
Et domptas l'orgueil d'Amphitrite ;
83
L'ÉCOLE CLASSIQUE
Quand notre commerce affaibli,
Par toi puissamment rétabli,
Dans nos havres déserts ramena l'abondance ;
Et que, sur cent vaisseaux maîtrisant les dangers,
Ton nom seul aux Français redonna l'assurance
Et fit naître la crainte au cœur des étrangers.
Ils chantent l'effroyable foudre
Qui, d'un mouvement si soudain,
Partit de ta puissante main
Pour mettre Pignerol en poudre ;
Ils disent que tes bataillons,
Comme autant d'épais tourbillons.
Ébranlèrent ce roc jusque dans ses racines.
Que même le vaincu t'eut pour libérateur,
Et que tu lui bâtis, sur ses propres ruines,
Un rempart éternel contre l'usurpateur.
Ils chantent nos courses guerrières,
Qui, plus rapides que le vent.
Nous ont acquis, en te suivant,
La Meuse et le Rhin pour frontières ;
Ils disent qu'au bruit de tes faits.
Le Danube crut désormais
N'être pas, en son antre, assuré de nos armes ;
Qu'il redouta le joug, frémit dans ses roseaux.
Pleura de nos succès, et, grossi de ses larmes,
Plus vite vers l'Euxin précipita ses eaux.
Ils chantent tes conseils utiles.
Par qui, malgré l'art des méchants,
La paix refleurit dans nos champs.
Et la justice dans nos villes ;
Ils disent que les Immortels
De leur culte et de leurs autels
84
JEAN CHAPELAIN
Ne doivent qu'à tes soins la pompe renaissante ;
Et que ta prévoyance et ton autorité
Sont les deux forts appuis dont l'Europe tremblante
Soutient et raffermit sa faible liberté.
Je pourrais parler de ta race
Et de ce long ordre d'aïeux
De qui les beaux noms, dans les cieux,
Tiennent une si belle place ;
Dire les rares qualités
Par qui ces guerriers indomptés
Ajoutent tant de lustre "a nos vieilles histoires,
Et montrer aux mortels, de leur gloire étonnés.
Quel nombre de combats, d'assauts et de victoires
Les rend dignes des rois qui nous les ont donnés.
De quelque insupportable injure
Que ton renom soit attaqué.
Il ne saurait être offusqué :
La lumière en est toujours pure.
Dans un paisible mouvement,
Tu t'élèves au firmament.
Et laisses contre toi murmurer sur la terre.
Ainsi, le haut Olympe, à son pied sablonneux
Laisse fumer la foudre et gronder le tonnerre,
Et garde son sommet tranquille et lumineux.
CLAUDE DE MALEVILLE
La belle Matïneuse
LE silence régnait sur la terre et sur Tonde,
L'air devenait serein et l'Olympe vermeil.
Et l'amoureux Zéphyr, affranchi du sommeil,
Ressuscitait les fleurs d'une haleine féconde ;
85
L'ÉCOLE CLASSIQUE
L'Aurore déployait l'or de sa tresse blonde
Et semait de rubis le chemin du soleil ;
Enfin ce dieu venait, au plus grand appareil
Qu'il soit jamais venu pour éclairer le monde ;
Quand la jeune Philis, au visage riant,
Sortant de son palais plus clair que l'Orient,
Fit voir une lumière et plus vive et plus belle.
Sacré flambeau du jour, n'en soyez pas jaloux ;
Vous parûtes alors aussi peu devant elle,
Que les feux de la nuit avaient fait devant vous.
VINCENT VOITURE
Sonnets
DES portes du matin l'amante de Céphale
Ses roses épandait dans le milieu des airs.
Et jetait sur les cieux nouvellement ouverts
Ces traits d'or et d'azur qu'en naissant elle étale ;
Quand la nymphe divine, à mon repos fatale,
Apparut, et brilla de tant d'attraits divers
Qu'il semblait qu'elle seule éclairait l'univers,
Et remplissait de feux la rive orientale.
Le soleil, se hâtant pour la gloire des cieux.
Vint opposer sa flamme à l'éclat de ses yeux,
Et i)rit tous les rayons dont l'Olympe se dore ;
L'onde, la terre, et l'ai]- s'allumaient alentour:
Mais auprès de Philis on le prit pour l'aurore,
Et l'on crut que Philis était l'astre du jour.
86
VINCENT VOITURE
IL faut finir mes jours en l'amour d'Uranie ;
L'absence ni le temps ne m'en sauraient guérir,
Et je ne vois plus rien qui me pût secourir,
Ni qui pût rappeler ma liberté bannie.
Dès longtemps je connais sa rigueur infinie ;
Mais, pensant aux beautés pour qui je dois périr.
Je bénis mon martyre, et, content de mourir.
Je n'ose murmurer contre sa tyrannie.
Quelquefois ma raison, par de faibles discours.
M'invite a la révolte et me promet secours ;
Mais, lorsqu'à mon besoin je veux me servir d'elle,
Apres beaucoup de peine et d'efforts impuissants,
Elle dit qu'L^ranic est seule aimable et belle,
Et m'y rengage plus que ne font tous mes sens.
GUILLAUME COLLETET
Ijtt Maison de Ronsard
JE ne vois rien ici qui ne flatte mes yeux :
Cette cour du balustre est gaie et magnifique ;
Ces superbes lions qui gardent ce portique,
Adoucissent pour moi leurs regards furieux.
Le feuillage, animé d'un vent délicieux.
Joint au chant des oiseaux sa tremblante musique;
Ce parterre de Heurs, par un secret magique,
Semble avoir dérobé les étoiles des cieux.
L'aimable j)ronienoir de ces doubles allées.
Qui de ])rotanes pas n'ont point été foulées
Garde encore, ô Ronsard, les vestiges des tiens.
87
L'ÉCOLE CLASSIQUE
Désir ambitieux d'une gloire infinie !
Je trouve bien ici mes pas avec les siens,
Mais non pas, dans mes vers, sa force et son génie.
Hommage à Ronsard
AFIN de témoigner à la postérité
Que je fus en mon temps partisan de ta gloire.
Malgré ces ignorants de qui la bouche noire
Blasphème parmi nous contre ta déité ;
Je viens rendre h ton nom ce qu'il a mérité,
Belle âme de Ronsard, dont la sainte mémoire
Remportera du temps une heureuse victoire
Et ne se bornera que de l'éternité.
Attendant que le ciel mon désir favorise,
Que je te puisse voir dans les plaines d'Elyse,
Ne t'ayant jamais vu qu'en tes doctes écrits ;
Belle âme, qu'Apollon ses grâces me refuse,
Si je n'adore en toi le roi des grands esprits,
Le père des beaux vers et l'enfant de la Muse.
^vis à un Poète bu-veur d^ Eau
EN vain, pauvre Tircis, tu te romps le cerveau
Pour changer en beaux vers tes rimes imparfaites ;
Tu n'auras point l'ardeur des illustres poètes,
Si ton esprit d'oison se refroidit dans l'eau.
Va trinquer à longs traits de ce nectar nouveau
Que Lecormié recèle en ses caves secrètes.
Si tu veux effacer ces antiques prophètes
Dont le nom brille encor dans la nuit du tombeau.
GUILLAUME COLLETET
Bien que les neuf beautés des rives d'Hippocrène
Exaltent la vertu des eaux de leur fontaine,
Les fines qu'elles sont ne s'en abreuvent pas ;
La, sous des lauriers verts, ou plutôt sous des treilles,
Les tonneaux de vin grec échauifent leurs repas,
Et l'eau n'y rafraîchit que le cul des bouteilles.
Rodomontade amoureuse
CLAUDINE, avec le temps tes grâces passeront,
Ton jeune teint perdra sa ])Ourpre et son ivoire ;
Le ciel, qui te fit blonde, un jour te verra noire,
Et, comme je languis, tes beaux yeux languiront.
Ceux que tu traites mal te persécuteront.
Ils riront de l'orgueil qui t'en fait tant accroire ;
Ils n'auront plus d'amour, tu n'auras plus de gloire
Tu mourras, et mes vers jamais ne périront.
<^ cruelle à mes vœux, ou plutôt à toi-même,
ix-tu forcer des ans la puissance suprême,
i:.t te survivre encore au delà du tombeau ?
Que ta douceur m'oblige à faire ton image.
Et les ans douteront qui parut le plus beau.
Ou mon esprit, ou ton visage.
Sur la Naissance de Notre-Se't^neur
QUI vit jamais au monde un miracle pareil ?
Un Dieu s'assujettit aux lois de la Nature,
Le Créateur de tout nait de sa créature.
Et la lumière sort des ombres du sommeil !
89
L'ÉCOLE CLASSIQUE
Bien qu'il vienne sur terre en un pauvre appareil,
Qu'un antre ténébreux lui serve de clôture.
C'est lui qui fit du ciel la belle architecture,
Et qui fonda son trône au milieu du Soleil !
O célestes Esprits, Saintes Intelligences,
Qui vous glorifiiez de vos pures essences
Et rendiez de votre heur tous les hommes jaloux.
Enviez aujourd'hui, par un contraire échange.
Le bonheur que le Ciel vient répandre sur nous,
Puisque Dieu s'est fait homme, et ne s'est pas fait
ange.
JACQUES VALLÉE DES BARREAUX
Sonnet
GRAND Dieu, tes jugements sont remplis d'équité;
Toujours tu prends plaisir à nous être propice ;
Mais j'ai tant fait de mal, que jamais ta bonté
Ne me peut pardonner sans choquer ta justice.
Oui, mon Dieu, la grandeur de mon impiété
Ne laisse à ton pouvoir que le choix du supplice ;
Ton intérêt s'oppose à ma félicité.
Et ta clémence même attend que je périsse.
Contente ton désir, puisqu'il t'est glorieux ;
Offense-toi des pleurs qui coulent de mes yeux ;
Tonne, frappe, il est temps ; rends-moi guerre pour
guerre.
J'adore, en périssant, la raison qui t'aigrit.
Mais dessus quel endroit tombera ton tonnerre.
Oui ne soit tout couvert du sang de Jésus-Christ ?
90
MARIN LEROY DE GOMBERVILLE
Au Cardinal de Richelteu
PAR tes hautes vertus et tes faits héroïques
Tu changes le destin, Jes hommes et le temps ;
Et, malgré la rigueur des astres inconstants,
Tu détournes le cours des misères publiques.
Tu détruis resi)érance et les desseins tragiques
Dont l'Espagne nourrit ses orgueilleux Titans,
Tu fais par tes conseils vaincre nos combattants.
Et porte notre empire à ses bornes antiques.
Je l'avais bien j)ensé, que ces fameux mortels,
A qui le siècle d'or consacra des autels.
Dans nos siècles de fer n'auraient point de semblables ;
Mais, ô l'œil de la France et l'âme de ton roi,
Comparant à leurs faits tes faits inimitables,
Je vois que le temps seul les a mis devant toi.
Sur C Exposition du Saint- Sacrement
TEL qu'aux jours de ta chair tu parus sur la terre,
Tel montre-toi, grand Dieu, dans ce siècle effronté,
Oîi des honmies, armés contre ta vérité.
Osent impunément te déclarer la guerre.
"^Fu t'ouvris un chemin au travers de la pierre.
Pour porter dans les cieux ton corps ressuscité ;
Romps cet autre tombeau, reprends ta majesté,
Et sors comme un soleil de cette urne de verre.
Illumine la terre aussi bien que les cieux.
En m'échauffant le cœur éclaire-moi les yeux ;
l'~t ne séi)are j>lus ta clarté de ta flamme.
L'ÉCOLE CLASSIQUE
Mais que dis-je? Seigneur, pardonne à mes
transports !
C'est assez que la Foi montre aux yeux de mon âme
Ce qu'un peu de blancheur cache aux yeux de mon
corps.
TRISTAN L'HERMITE
La Comédie des Fleurs
PUISQU'IL vous plaît que je vous die
Le sujet de la comédie
Que je médite pour vos sœurs,
Les images m'en sont présentes :
Les personnages sont des fleurs.
Et vous êtes des fleurs naissantes.
Un Lis, reconnu pour un prince.
Arrive dans une province ;
Mais, comme un prince de son sang,
Il est beau sur toute autre chose.
Et vient, vêtu de satin blanc
Pour faire l'amour k la Rose.
Pour dire quelle est sa noblesse,
A cette charmante maîtresse
Qui s'habille de vermillon.
Le Lis, avec des présents d'ambre,
Délègue un jeune papillon,
Son gentilhomme de la chambre.
Ensuite, le prince s'avance
Pour lui faire la révérence ;
Ils se troublent k leur aspect ;
Le sang leur descend et leur monte ;
93
TRISTAN L»HERMITE
L'un pâlit de trop de respect.
L'autre rougit d'honnête honte.
Mais cette infante de mérite,
Dès cette première visite,
Lui lance des regards trop doux ;
Le Souci, qui brûle pour elle.
En même temps, en est jaloux ;
Ce qui fait naître une querelle.
On arme pour les deux cabales ;
On n'entend plus rien que timbales,
Que trompettes et que clairons ;
Car, avec tambour et trompette,
Les bourdons et les moucherons,
Sonnent la charge et la retraite.
Enfin, le Lis a la victoire;
Il revient, couronné de gloire,
Attirant sur lui tous les yeux.
La Rose, qui s'en pâme d'aise.
Embrasse le victorieux.
Et le victorieux la baise.
De cette agréable entrevue,
L'Absinthe fait, avec la Rue,
Un discours de mauvaise odeur ;
Et la jeune Epine-vinette,
Qui prend parti pour la pudeur,
Y montre son humeur aigrette.
D'autre côté. Madame Ortie,
Qui veut être de la partie,
Avec son cousin le Chardon,
Vient citer une médisance
D'une jeune tleur de Melon
A qui l'on voit enfler la panse.
93
L'ÉCOLE CLASSIQUE
Mais la Rose enfin la fait taire
Par un secret bien salutaire,
Approuvé de tout l'univers,
Et, dissipant tout cet ombrage,
La Buglose met les couverts
Pour le festin du mariage.
Tout contribue à cette fête.
Et le soir, un ballet s'apprête
Où l'on oit des airs plus qu'humains
On y danse, on s'y met à rire.
Le Pavot vient, on se retire.
Bonsoir, je vous baise les mains.
Le Promenoir des deux Amants
AUPRÈS de cette grotte sombre
Où Ton respire un air si doux
L'onde lutte avec les cailloux
Et la lumière avecque l'ombre.
Ces flots, lassés de l'exercice
Qu'ils ont fait dessus ce gravier,
Se reposent dans ce vivier.
Où mourut autrefois Narcisse.
L'ombre de cette fleur vermeille
Et celle de ces joncs pendants,
Paraissent être, là dedans.
Les songes de l'eau qui sommeille.
Les plus aimables influences
Qui rajeunissent l'univers
Ont relevé ces tapis verts
De fleurs de toutes les nuances.
94
TRISTAN L'HERMITE
Dans ce bois ni dans ces montagnes
Jamais chasseur ne vint encor ;
Si quelqu'un y sonne du cor,
C'est Diane avec ses compagnes.
Ce vieux chêne a des marques saintes ;
Sans doute qui le couperait
Le sang chaud en découlerait,
Et l'arbre pousserait des plaintes.
Ce rossignol, mélancolique
Du souvenir de son malheur,
Tâche de charmer sa douleur.
Mettant son histoire en musique.
Il reprend sa note première,
Pour chanter, d'un art sans pareil.
Sous ce rameau que le soleil
A doré d'un trait de lumière.
Sur ce frêne deux tourterelles
S'entretiennent de leurs tourments,
Et font les doux appointements
De leurs amoureuses quereller.
Un jour, Vénus avec Anchise
Parmi ces forts s'allait perdant.
Et deux Amours, en l'attendant.
Disputaient pour une cerise.
Dans toutes ces routes divines
Les nymphes dansent aux chansons.
Et donnent la grâce aux buissons
De porter des lleurs sans épines.
Jamais les vents ni le tonnerre.
N'ont troublé la paix de ces lieux,
95
I/ÉCOLE CLASSIQUE
Et la complaisance des dieux.
Y sourit toujours à la terre.
Crois mon conseil, chère Climène,
Pour laisser arriver le soir,
Je te prie, allons nous asseoir
Sur le bord de cette fontaine.
N'ois-tu pas soupirer Zcphire
De merveille et d'amour atteint,
Voyant des roses sur ton teint,
Qui ne sont pas de son empire ?
Sa bouche, d'odeur toute pleine,
A soufflé sur notre chemin,
Mêlant un esprit de jasmin
A l'ambre de ta douce haleine.
Penche la tête sur cette onde
Dont le cristal paraît si noir :
Je t'y veux faire apercevoir
L'objet le plus charmant du monde.
Tu ne dois pas être étonnée.
Si vivant sous tes douces lois.
J'appelle ces beaux yeux mes rois
Mes astres et ma destinée...
Veux-tu, par un doux privilège.
Me mettre au dessus des humains ?
Fais-moi boire au creux de tes mains,
Si l'eau n'en dissout point la neige.
Consolation à Idalie, sur la Mort d'un Parent
PUISQUE votre parent ne s'est pu dispenser
De servir de victime au Démon de la guerre,
96
TRISTAN L'HERMITE
C'est, ô l'>elle Idalic, une erreur de penser
Que les plus beaux lauriers soient exempts du tonnerre.
Si la Mort connaissait le prix de la valeur
Ou se laissait surprendre aux plus aimables charmes,
Sans doute que Daphnis, garanti du malheur,
En conservant la vie eut épargné vos larmes.
Mais la Parque sujette à la fatalité.
Ayant les yeux bandés et l'oreille fermée,
Ne sait pas discerner les traits de la beauté.
Et n'entend point le bruit que fait la renommée.
Alexandre n'est plus, lui dont Mars fut jaloux,
César est dans la tombe aussi bien qu'un infâme.
Et la noble Camille, aimable comme vous,
Est au fond du cercueil ainsi qu'une autre femme.
Bien que vous méritiez des devoirs si constants.
Et que vous paraissiez si charmante et si sage.
On ne vous verra plus, avant qu'il soit cent ans.
Si ce n'est dans mes vers, qui vivront davantage.
Par un ordre éternel qu'on voit en l'Univers,
Les plus dignes objets sont frêles comme verre,
Et le Ciel, eml>elli de tant d'astres divers,
Dérobe tous les jours des astres à la Terre.
Sitôt que notre esprit raisonne tant soit peu.
En l'avril de nos ans, en l'âge le plus tendre.
Nous rencontrons l'Amour qui met nos cœurs en feu,
Puis nous trouvons la Mort qui met nos corps en
cendre.
Le Temps qui, sans repos, va d'un pas si léger,
Emporte avecque lui toutes les belles choses :
C'est pour nous avertir de le bien ménager
Et faire des bouquets en la saison des roses.
154 ^
L'ÉCOLE CLASSIQUE
Les Baisers de Dor'tnde
LA douce haleine des zéphirs
Et ces eaux qui se précipitent,
Par leur murmure nous invitent
A prendre d'innocents plaisirs.
Dorinde, on dirait que les flammes
Dont nous sentons brûler nos âmes,
Brûlent les herbes et les fleurs ;
Goûtons mille douceurs à la faveur de l'ombre,
Donnons-nous des baisers sans nombre,
Et joignons à la fois nos lèvres et nos cœurs.
Quand deux objets également
Soupirent d'une même envie.
Comme l'amour en est la vie,
Les baisers en sont l'élément.
Il faut donc en faire des chaînes
Qui durent autant que les peines
Que je souffre loin de tes yeux.
Amour, qui les baisers aimes sur toutes choses.
Fais une couronne de roses,
Pour donner à celui qui baisera le mieux.
O que tes baisers sont charmants !
Dorinde, tous ceux que tu donnes,
Pourraient mériter des couronnes
De perles et de diamants.
Cette douceur où je me noie
Force, par un excès de joie,
Tous mes esprits à s'envoler ;
Mon cœur est palpitant d'une amoureuse fièvre,
Et mon âme vient sur ma lèvre.
Alors que tes baisers l'y veulent appeler.
98
TRISTAN L'HERMITE
Si l'Amour allait au tombeau
Par un noir effet de l'envie,
Tes baisers lui rendraient la vie
Et rallumeraient son flambeau.
Leur aimable délicatesse
A banni toute la tristesse
Qui rendait mon sens confondu ;
Mais un roi détrôné par le malheur des armes,
A la faveur des mêmes charmes
Se pourrait consoler d'un empire perdu.
La manne fraîche d'un matin
N'a point une douceur pareille,
Ni l'esprit que cherche l'abeille
Sur la buglose et sur le thym.
Le meilleur sucre qui s'amasse
Et que l'Art sait réduire en glace
N'a point ces appâts ravissants ;
Et même le nectar semblerait insipide.
Au prix de ce baiser humide
Dont tu viens de troubler l'office de mes sens.
Aussi les plus riches trésors,
Qu'on tire du sein de la terre,
Et que, pour engendrer la guerre,
L'Océan sème sur ses bords.
L'or et toutes les pierreries,
Dont nous provoquent les Furies,
Pour envenimer nos esprits ;
Bref tout ce que l'aurore a de beau dans sa couche.
Au prix des baisers de ta bouche
Sont a mes sentiments des objets de mépris.
99
L'ECOLE CLASSIQUE
Sonnets
CELLE dont la dépouille en ce marbre est enclose
Fut le digne sujet de mes saintes amours.
Las ! depuis qu'elle y dort, jamais je ne repose,
Puisqu'il faut en veillant que j'y songe toujours.
Celui qui des mortels à son pouvoir dispose
Eteignit ce soleil au milieu de son cours ;
La charmante Philis passa comme une rose.
Et sa beauté, plus vive, eut des termes plus courts.
La Mort qui par mes pleurs ne fut pas divertie
Enleva de mes bras cette chère partie
D'un agréable tout qu'avait fait l'amitié.
Mais, 6 divin esprit qui gouvernais mon âme,
La Parque n'a coupé notre lil qu'a moitié.
Car je meurs en ta cendre et tu vis dans ma flamme.
MON âme, éveille-toi du dangereux sommeil
Qui te pourrait conduire en des nuits éternelles,
Et chassant la vapeur qui couvre tes prunelles.
Ne prends plus désormais l'ombre pour le soleil. -
Ne crois plus de tes sens le perfide conseil ;
C'est assez adorer des objets infidèles ;
Servons à l'avenir des beautés immortelles
Que l'on trouve toujours en un état pareil.
Aimons l'Auteur du monde : il est sans inconstance ;
La bonté pour nos vœux n'a point de résistance,
Nous pouvons en secret lui parler nuit et jour ;
Il connait notre ardeur et notre inquiétude.
Et ne reçoit jamais de traits de notre amour
Pour les récompenser de traits d'ingratitude.
TRISTAN L'HERMITE
VENIR a la clarté sans force et sans adresse
Et, n'ayant fait longtemps que dormir et manger,
■^Souffrir mille rigueurs d'un secours étranger
Pour quitter ^ignorance en quittant la faiblebse.
Après, servir longtemps une ingrate maîtresse
Qu'on ne peut acquérir, qu'on ne |)eut obliger,
Ou qui, d'un naturel inconstant et léger.
Donne fort peu de joie et beaucoup de tristesse.
Cabaier à la cour, puis, devenu grison,
Loin du monde et du bruit attendre, en sa maisin,
Ce qu'ont ses derniers ans de maux inévitables.
Tel est Je sort de l'homme. O misérable sort !
Tous ces attachements sont-ils considérables,
Pour aimer tant la vie et craindre tant la mort ?
JEAN FRANÇOIS SARRASIN
Ode à Monseigneur le Duc d^ Enghïen
GRAND duc, qui d'Amour et de Mars
Portes le cœur et le visage.
Digne qu'au trône des Césars
T*élèvc ton noble courage ;
Enghien, délices de la cour.
Sur ton chet éclatant de gloire
Viens mêler le myrte d'amour
A la })alme de la victoire.
Ayant fait triompher les Lis
Et dompté l'orgueil d'Allemagne,
Viens commencer, pour ta Phiiis,
Une autre sorte de campagne.
L'ÉCOLE CLASSIQUE
Ne crains point de montrer au jour
L'excès de l'ardeur qui te brûle ;
Ne sais-tu pas bien que l'amour
A fait un des travaux d'Hercule ?
Toujours les héros et les dieux
Ont eu quelques amours en tête ;
Et Jupiter, en mille lieux,
En a fait plaisamment la bête.
Achille, beau comme le jour,
Et vaillant comme son épée,
Pleura neuf mois pour son amour,
Comme un enfant pour sa poupée.
O Dieux ! que Renaud me plaisait !
Dieux ! qu' Armide avait bonne grâce !
Le Tasse s'en scandalisait,
Mais je suis serviteur au Tasse.
Et nos seigneurs les Amadis,
Dont la cour fut si triomphante
Et qui tant joutèrent jadis.
Furent-ils jamais sans infante?
Grand duc, il n'y va rien du leur,
Et, je le dis sans flatterie,
Tu les surpasses en valeur.
Passe-les en galanterie.
Viens donc hardiment attaquer
Philis, comme tu fis Bavière ;
Tu la prendras sans y manquer.
Fût-elle mille fois plus fière.
Nous t'en verrons le possesseur,
Pour le moins selon l'apparence,
102
JEAN FRANÇOIS SARRASIN
Car je crois que ton confesseur
Sera seul de ta confidence.
Cependant fais qu'en de beaux vers
La plus galante renommée
Débite, par tout l'univers,
Les grâces de ta bien-aimée.
Choisis quelque excellente main
Pour une si belle aventure :
Prends la lyre de Chapelain
Oa la guitare de Voiture.
A chanter ces fameux exploits,
J'emj)loierais volontiers ma vie ;
Mais je n'ai qu'un filet de voix,
Et ne chante que pour Sylvie.
Fin du Tome premier
XC3
WINTED IN «LASGOW.
<9
ttliDiNG secr. feb 1 3 \M
PLEASE DO NOT REMOVE
CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET
UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY
PQ
1175
D6
t.l
Dorchain, Auguste
Les chefs-* oeuvre lyriques
de F. de Malherbe
â-S