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Full text of "Les écoles, lycées, collèges, bibliothèques; l'enseignement public à Paris"

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THE  LIBRARY 

The  Ontario  Institute 
for  Studies  in  Education 

Toronto,  Canada 


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fOk  SÎUDIES  IN  EDUCATION 

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LES  ECOLES 

LYCÉES,  COLLÈGES 

BIBLIOTHÈQUES 


LES  RICHESSES  D'ART  DE  LA  VILLE  DE  PARIS 

COLLECTION    DE    VOLUMES    IN-8°    ILLUSTRÉS 


DEJA  PARUS  : 

L'HOTEL  DE  VILLE  DE  PARIS,  par  Lucien  Lambeau. 

LA  VOIE  PUBLIQUE  ET  SON  DÉCOR  {Statues,  fontaines,  colonnes,  arcs 
de  triomphe,  barrières),  par  Fernand  Bournon. 

LES  JARDINS  ET  LES  SQUARES,  par  Robert  Hénard. 

LES  ÉDIFICES  RELIGIEUX  [Moyen  Age,  Renaissance),  par  Amédée  Boinet. 

LES  ÉDIFICES  RELIGIEUX  [XVIIe,  XVIIIe  et  XIXe  siècles),  par  Jean  Bayet. 

LES  MUSÉES  MUNICIPAUX,  par  Maurice  Quentin-Bauchart. 

EN   PRÉPARATION  : 

L  Assistance  publique,  par  André  Mesureur. 
Les  Mairies,  par  Lucien  Lambeau. 


LES  RICHESSES  D'ART  DE  LA  VILLE  DE  PARIS 


LES  ÉCOLES 

LYCÉES,    COLLÈGES 

BIBLIOTHÈQUES 


L'ENSEIGNEMENT  PUBLIC  A  PARIS 


G.   DUPONT-FERRIER 

Docteur  es  Lettres. 
Professeur  au  Lycée  Louis-le-Grand  et  à  l'École  Normale  Supéri 
d'Institutrices. 


LIBRAR 


MAR    4196Ï 

THE  ONTARIO  INST 
FOR  STUDIES  IN  EDU< 


Ouvrage  illustré  de  64  Planches  hors  texte 


PARIS 

LIBRAIRIE  RENOUARD,  H.  LAURENS,  ÉDITEUR 

6,    RUE    DE    TOURNON,    6 

I913 
Tous  droits  de  traduction  et  de  reproduction  réservés  pour  tous  pays. 


AVANT-PROPOS 


Nous  poudrions  étudier,  dans  ce  livre,  ce  qu'est  Paris  à 
V  École. 

Notre  dessein  sera  de  chercher  à  quelles  idées  ce  Paris  là  fait 
accueil,  à  quelles  habitudes  il  se  plie,  par  quelles  gymnastiques 
il  s'entraîne  et  quelles  ressources  sont  mises  pour  lui  en 
réserve,  au  cas  où  les  besoins  et  les  loisirs  de  la  vie  lui  permet- 
traient de  fouiller  plus  tard  un  canton  de  la  science  et  de  Part. 

L'enseignement  primaire  à  la  base,  l'enseignement  supé- 
rieur au  sommet,  l'enseignement  secondaire  entre  la  base  et  le 
sommet,  voilà  donc  les  trois  grandes  divisions  de  ce  volume. 
Elles  seront  nécessairement  très  inégales.  C'est  surtout  sur  ren- 
seignement secondaire  que  nous  avons  voulu  insister. 


Ce  livre  étant  un  simple  tome  dune  collection  générale,  il 
n'est  qu'une  partie  d'un  ensemble.  C'est  d'abord  à  ses  aînés,  puis 
à  ses  cadets  qu'il  conviendra  de  lui  demander  ce  qui  lui  manque. 
Autre  remarque  :  il  est  toujours  vain  de  chercher  à  tout 
dire.  L'essentiel  est  d'expliquer  et  de  démontrer  quelques  idées 
suggérées  par  des  faits.  Un  livre  est  un  choix.  Nous  avons 
donc,  de  parti  pris,  élagué  et  beaucoup. 

■  i°  Pour  l'enseignement  primaire  parisien,  nous  cherchons, 
avant  tout,  à  montrer  quels  exemples  Paris  a  constamment 
donnés  à  l'État  et  aux  communes  et  comment  la  grande  Ville  a 


il  AVANT-PROPOS 

su,  là  encore,  justifier  magnifiquement  son  rang  de  capitale.  Sa 
bonne  foi,  ses  initiatives,  son  esprit  de  suite,  son  désintéressement 
sont,  pour  nous,  une  belle  leçon  de  vertu  civique. 

2°  Pour  renseignement  secondaire,  comme  pour  renseigne- 
ment primaire,  nous  avons  dû  nous  borner  à  renseignement 
donné  par  la  Ville  ou  par  F  Etat.  Nous  n'avons  parlé  de  ren- 
seignement libre  que  pour  donner  une  intelligence  plus  précise 
de  Vautre.  Tel  établissement  privé,  le  collège  Sainte-Barbe, 
ou  VÉcole  alsacienne,  par  exemple,  ont  offert,  dans  bien  des 
cas,  à  F  Université  des  exemples  qu'elle  a  suivis;  une  des  raisons 
d'être  de  cet  enseignement  latéral  à  F  Enseignement  d'État,  c'est 
de  lui  tenir  lieu,  à  l'occasion,  de  laboratoire  et  de  champ  d'ex- 
périence. L'Etat  lui  prête,  l'État  lui  prend.  Et  ces  emprunts 
mutuels  profitent  à  tous. 

3°  C'est  surtout  pour  renseignement  supérieur  que  ce  livre 
devait  être  très  incomplet.  Des  monographies  isolées  ajouteront, 
et  fort  copieusement,  à  ce  que  nous  n'avions  pas  à  dire  ici. 
L'Université  de  Paris  et  son  histoire,  grâce  à  la  plume  autorisée 
d'un  homme  tel  que  M.  Louis  Liard,  n'est  plus  une  inconnue 
pour  personne i . 

Mais  les  maîtres  ne  parlent  point  seulement  dans  leurs 
chaires,  ils  parlent  aussi  dans  leurs  livres.  Et,  si  les  cours  en 
Sorbonne  ou  les  leçons  au  Collège  de  France  sont  une  des  formes 
de  l'enseignement,  les  volumes  de  nos  grandes  bibliothèques  ou 
les  manuscrits  de  nos  archives  en  sont  une  autre.  Lci,  par 
Foreille,  et  là,  par  les  yeux,  la  science  et  l'idée  s' acheminent 
jusqu'à  nos  esprits.  Nos  bibliothèques  rendent  encore  tout  son 
éclat  et  toute  sa  jeunesse  à  F  éloquence  d' un  Gui{ot,  d'un  Michelet, 
d'un  Villemain  et  d'un  Cousin.  Elles  sont,  pour  l'enseignement 
supérieur,  une  garantie  d'immortalité. 

Un  chapitre  sur  les  grandes  bibliothèques  avait  donc  droit 

i.  L'Université  de  Paris,  par  Louis  Liard.  Deux  volumes  avec  65  et  63  gravures 
(Laurens,  éditeur). 


AVANT-PROPOS  m 

à  sa  place  dans  ce  volume.  Cette  place  cependant  lui  a  été 
mesurée.  La  Bibliothèque  nationale  avait  déjà  obtenu  les  hon- 
neurs de  deux  livres  particuliers1.  Nous  n  avions  plus  qu'à  la 
saluer.  Il  nous  restait  encore  à  parler  au  lecteur  non  pas  des  seules 
bibliothèques  municipales,  mais  de  toutes  les  autres  et  notamment 
des  bibliothèques  Maçarine,  Sainte-Geneviève  et  de  l Arsenal. 
Ce  sont  aussi  de  très  grandes  dames,  nobles  et  riches,  dans  le 
commerce  desquelles  il  y  a  beaucoup  à  prendre  et  à  apprendre. 


Est-il  bien  nécessaire  d'ajouter  que  nous  chercherons  partout 
à  éclairer  le  présent  aux  lumières  du  passé.  Par  mille  liens 
secrets,  nous  nous  rattachons  à  nos  devanciers.  Nous  ne  leur 
devons  pas  seulement  notre  vie  physique  et  notre  race  ;  nous 
leur  devons, pour  une  bonne  part,  nos  pensées  et  toute  notre  âme. 
La  langue  que  nous  parlons,  ce  sont  eux  qui  Vont  faite.  Et  dans 
Vinstant  où  notre  orgueil  se  persuade  que  nous  sommes  nous- 
mêmes,  ce  sont  encore  bien  souvent  leurs  idées  qui  nous  hantent, 
leurs  mots  que  nous  prononçons  et  leurs  gestes  que  nous  faisons . 

Et  voilà  pourquoi  ce  livre,  —  qui  na  songé  à  être  ni  un  livre 
de  politique  ni  même  un  livre  de  doctrine,  sera  nécessairement, 
et  au  premier  chef,  un  simple  livre  d histoire*- . 

Paris,  juillet  1913. 

1.  La  Bibliothèque  Nationale,  par  Henry  Marcel,  Ernest  Babelon,  Camille 
Couderc,  etc.  Deux  volumes  avec  59  et  79  gravures.  (Laurens,  éditeur). 

2 .  Les  sources  où  nous  avons  puisé  ne  sont  pas  seulement  les  livres  imprimés 
dont  nous  citerons  à  l'occasion  les  principaux  :  ce  sont  aussi  les  dossiers  conservés 
aux  Archives  nationales.  Ce  sont  enfin  les  Archives  particulières  des  collèges  ou 
des  lycées.  Nous  nous  sommes  rendus  dans  la  plupart  d'entre  eux,  pour  les  visites 
sur  place  ;  l'accueil  que  nous  avons  reçu  des  Proviseurs  et  des  Directrices,  du 
Directeur  de  l'Enseignement  primaire  de  la  Seine  et  des  conservateurs  ou  admi- 
nistrateurs de  nos  grandes  Bibliothèques  nous  ont  été  un  encouragement  précieux 
et  notre  livre  en  a  largement  profité.  C'est  pour  nous  un  agréable  devoir  de  leur 
adresser  ici  notre  remercîment. 


L'ENSEIGNEMENT  PUBLIC 

A  PARIS 


LIVRE  PREMIER 

L'ENSEIGNEMENT   PRIMAIRE  A   PARIS 


La  Constituante,  en  proclamant  les  droits  de  l'homme, 
avait  implicitement  reconnu  les  droits  de  l'enfant  :  droit  à  la 
nourriture  du  corps  et  à  la  nourriture  de  l'esprit.  A  quoi  sert 
de  déclarer  un  peuple  libre,  si  le  défaut  d'instruction  le  laisse 
dans  le  servage  ? 

Mais  cette  dette  nationale  du  pays  vis-à-vis  de  l'enfant, 
la  Révolution  ne  fit  guère  autre  chose  que  l'avouer;  il  fallut 
attendre  la  troisième  République  pour  la  payer.  Et,  sur  ce 
point  comme  sur  quelques  autres,  Paris  a  donné,  une  fois  de 
plus,  l'exemple  au  reste  de  la  France.  De  1806  à  181 3,  l'ensei- 
gnement primaire  figurait  au  budget  de  la  capitale  pour 
3o.8oo  francs  ;  de  nos  jours,  il  y  figure  pour  plus  de  35  millions. 

Napoléon  n'avait  plus  eu,  en  181  5,  que  le  temps  d'émettre  ce 
vœu  :  par  l'instruction,  «  élever  à  la  dignité  d'hommes  tous 
les  individus  de  l'espèce  humaine  ».  Guizot,  en  1 833,  Victor 
Duruy  en  i863,  essayèrent,  vers  ce  but  entrevu,  les  premiers 


a  L'ENSEIGNEMENT  PUBLIC  A  PARIS 

pas.  Nos  désastres  de  1870  firent  tomber  de  nos  yeux  les  der- 
nières écailles  et  nous  vîmes  enfin  très  clairement  que  dévelop- 
per l'instruction  primaire  était  parmi  les  plus  impérieux  de  nos 
devoirs. 

Puisqu'une  société  démocratique  relève  d'elle-même  et  que 
tous  ceux  qui  la  composent  ont  une  part  de  la  souveraineté 
nationale,  il  importe  qu'ils  aient  chacun  l'intelligence  de  leur 
rôle,  qu'ils  puissent  lire  un  bulletin  de  vote  et  l'écrire.  Il  leur 
faut  donc  un  minimum  d'instruction  primaire  et  c'est  là  une 
nécessité  politique. 

Puisque  cette  société  démocratique  a  besoin  de  vivre,  puisque 
son  agriculture,  son  industrie,  son  commerce  doivent  la  nourrir 
et  lui  permettre  de  soutenir  la  lutte  des  concurrences  rivales, 
il  importe  de  lui  enseigner  le  maniement  des  armes  pacifiques 
qui  l'aideront  à  vaincre  ;  il  importe  de  donner  à  des  ouvriers 
Y  apprentissage  de  leur  métier  ;  et  c'est  là  une  nécessité  écono- 
mique. 

De  cette  société  démocratique  qu'un  labeur  quotidien  doit 
enrichir,  il  faut  que  Vélite  se  dégage  :  à  l'atelier,  à  l'usine,  à  la 
mine,  aux  maisons  d'achat  et  de  vente,  il  faut  des  chefs  qui  dis- 
ciplinent, enchaînent  et  dirigent  les  efforts  isolés  pour  le  bien 
général  ;  et  c'est  là  une  nécessité  sociale. 

La  ville  de  Paris  a  su  comprendre  tout  cela  et  c'est  son  hon- 
neur. Aux  problèmes  politique,  économique,  social  qu'elle  avait 
à  résoudre,  elle  s'est  efforcée  de  donner  une  solution  triple. 
i°  avant  treize  ans,  que  fait-elle  de  l'enfant,  à  Y  Ecole  mater- 
nelle puis  à  YÉcole  primaire  élémentaire.  —  20  Après  treize 
ans,  comment  dirige-t-elle  l'enfantvers  Y  apprentissage  ouvrier  : 
comment  lui  donne-t-elle  cet  apprentissage  soit  dans  les  cours 
complémentaires  annexés  à  l'École  primaire,  soit  dans  les  cours 
municipaux  du  soir,  soit  dans  des  écoles  professionnelles,  soit 


L'ENSEIGNEMENT   PRIMAIRE  A  PARIS  3 

au  moyen  du  système  que  l'on  nomme  le  pré-apprentissage  et 
le  demi-temps.  — 3°  Après  treize  ans,  que  fait  elle  de  l'élite  de 
ses  écoliers  et  de  tous  ceux  que  les  nécessités  de  la  vie  ne  for- 
cent pas  à  déserter  de  suite  les  bancs  de  l'école  ?  Gomment  les 
groupe-t-elle  dans  les  Ecoles  primaires  supérieures  ou  à  Chap- 
tal?  Comment  les  conduit-elle  au  seuil  de  l'enseignement  secon- 
daire ?  Et  à  quelle  profession  les  destine-t-elle  ? 

Nous  allons  tenter  de  le  dire   dans  les  trois  chapitres  qui 
suivent. 


CHAPITRE  PREMIER 

L'ENSEIGNEMENT   PRIMAIRE   AVANT   TREIZE   ANS 

L'École  maternelle,  puis  l'École  primaire  élémentaire. 

C'est  par  176.000  petits  parisiens  ou  parisiennes  que  sont 
fréquentées  les  écoles  maternelles  et  les  écoles  primaires  élé- 
mentaires delà  capitale1.  Les  premières  reçoivent  un  peuple  de 
bambins,  dont  les  doyens  ont  six  ans  ;  les  secondes,  un  peuple 
de  gavroches,  dont  les  plus  vieux  ont  la  gravité  du  treizième 
printemps. 

De  deux  à  six  ans,  l'école  est  facultative  ;  de  six  à  treize  ans, 
elle  est  obligatoire  (loi  du  28  mars  1882).  Mais,  de  deux  à  treize 
ans,  l'école  est  gratuite  (loi  du  16  juin  1881). 

A  Paris2,  comme  partout  en  France,  l'instruction  primaire 
est  bien,  sans  doute,  une  institution  d'Etat  ;  et  l'Etat  y  garde, 
en  effet,  le  droit  de  contrôle,  il  approuve  les  programmes,  il 
nomme  les  principaux  fonctionnaires.  Mais  l'Etat  a  fait  con- 
fiance à  la  Ville  :  Paris  a  la  charge  d'assurer,  à  tous  les  degrés, 

1.  1880  1900  1912 

Inscrits,     Présents.         Inscrits.       Présents.         Inscrits.       Présents. 

Écoles  maternelles  .  .  .  19.209  12  266  40.317  29.420  43  314  29.664 
p,  .m  .,.  (Garçons.  48.127  43525  76359  71.276  80.187  73.344 
LCl  Pnm-elem-  (Filles.    .       33.625     30370      66.758       60094       81.463       73.181 

Totaux 100  961     8b. 161     183.434     100.790     204.964     176.189 

2.  Les  Écoles  et  les  Œuvres  municipales  d'enseignement  à  Paris,  1871-1900,  par 
L.  Lavergne,  Préface  de  F.  Bedorez,  Paris,  1900-^-4°. 


PI.  1. 


L ECOLE    MATERNELLE.    —    LE    LAVABO. 

(Page  S.) 


L  ECOLE   MATERNELLE.    —    LE   JEU   DANS    LA    COUR. 
(Page  S.) 


PI.  2. 


l'hut.  NeuiJein. 


L ECOLE    PRIMAIRE.    —    LA    LEÇON    DE    DESSIN. 

(Tableau  de  Jean  Geoffroy.) 
(Page  S., 


L  ECOLE    PRIMAIRE.    —    ENSEIGNEMENT    MENAGER    :    LE    REPASSAGE. 

(Pag"  S.) 


L'ENSEIGNEMENT   PRIMAIRE   AVANT  ;TREIZE  ANS  5 

tous  les  services  de  renseignement  primaire  ;  Paris  doit  pour- 
voir, de  ses  deniers  propres,  à  toutes  les  dépenses  ordinaires1. 
La  Ville  y  trouve  son  compte  et  l'État  le  sien  :  elle  a  les  mains 
libres,  elle  étudie  ses  propres  besoins,  elle  tâche  d'y  répondre. 
L'État,  lui,  regarde,  compare,  juge  et  profite.  La  Ville  a  sou- 
vent ouvert  les  voies  où  l'État  s'est  engagé  à  sa  suite. 

Cette  obligation  de  l'instruction  élémentaire  que  l'État  a 
inscrite  dans  la  loi,  la  Ville  a  compris  qu'aucune  tracasserie 
administrative  n'en  pourrait  assurer  efficacement  le  respect. 
La  stricte  observation  de  cette  loi,  dictée  par  un  devoir  d'hu- 
manité, serait,  en  bien  des  cas,  inhumaine  :  quand  le  père  tra- 
vaille hors  du  logis  où  la  mère  est  malade,  si  la  plus  âgée  des 
fillettes  fait  le  ménage  et  soigne  les  tout  petits,  qui  aurait  le 
cœur  d'arracher  cette  fillette  à  sa  tâche  et  de  la  mener  de  force 
à  Fécote  ?  Quand  la  mère  est  veuve  et  va  prendre  ou  rapporter, 
dans  Paris,  l'ouvrage  dont  le  paiement  permettra  d'acheter  le 
pain  de  la  maisonnée,  si  la  grande  sœur  remplace  la  maman 
absente,  est-elle  donc  coupable  de  négliger  la  lecture  et  l'ari- 
thmétique ?  Et  va-t-on  la  traduire  devant  le  juge  de  paix  parce 
qu'elle  n'a  pas  treize  ans  ?  Elle  oublie  ce  qu'une  loi  écrite  lui 
impose  mais  elle  observe  ce  qu'une  autre  loi  dicte  à  sa  cons- 
cience :  à  elle-même,  elle  préfère  ses  frères,  ses  sœurs  et  sa 
mère.  Proclamer  l'instruction  obligatoire,  c'est  bien,  mais  Paris 
a  compris  que  cette  obligation  pour  garder  sa  vertu  éducative, 
ne  devait  pas  être  tyrannique.  Sans  les  mœurs,  les  lois  ne  sont 
rien  :  c'est  du  progrès  des  mœurs,  que  la  Ville  attend  surtout  — 
elle  en  convient  — l'observation  parfaite  de  la  loi.  Elle  n'a  pas 
tort  :  si  dès  le  premier  jour,  tous  les  enfants  tenus  d'être  à 
l'école  y  étaient  accourus,  l'école  n'aurait  pu  les  accueillir  tous. 

1.  Lois  des  19  juillet  1889  et  25  juillet  1893. 


6  L'ENSEIGNEMENT  PUBLIC  A   PARIS 

Paris  compte  plus  de  56o  écoles  maternelles  ou  primaires  ;  il 
en  avait  moins  de  400  en  1877. 

La  gratuité  de  ces  écoles  est,  pour  la  Ville,  une  charge  très 
lourde  et  tous  les  jours  croissante.  Ce  n'est  point  seulement 
parce  que  les  terrains  où  ces  écoles  sont  construites  sont  fort 
chers  ;  parce  que  les  maisons  d'écoles  ont  besoin  d'être  grandes, 
aérées,  saines  et  gaies1  ;  parce  qu'on  y  évite  l'entassement  des 
élèves  et  que  les  instituteurs  y  ont,  comme  il  est  juste,  un  traite- 
ment supérieur  à  celui  de  la  province.  C'est  encore  parce  que 
la  Ville  ne  veut  pas  user  des  latitudes  que  lui  laisse  la  loi,  de 
donner  gratis  renseignement  mais  de  faire  payer  aux  familles 
livres  cahiers  et  fournitures  scolaires.  La  Ville  distribue  libérale- 
ment tout  ce  qui  est  nécessaire  à  l'écolier  pour  profiter  de  l'ensei- 
gnement de  l'école.  Elle  fait  mieux  :  elle  habille  beaucoup  d'en- 
fants ;  à  beaucoup,  elle  donne  gratis  le  repas  de  midi,  que  des 
cantines  scolaires    préparent  ;   elle  soigne,    par  le  moyen  des 
dispensaires,  les  petits   écoliers  malades  ;  elle  les  garde,  gra- 
tuitement, après  la  classe,  ou  le  jeudi  ou  pendant  les  vacances  ; 
l'étude  surveillée  et  la  classe  des  vacances  empêchent  l'enfant 
de  polissonner  dans  la  rue,  jusqu'à  ce  que  les  parents  soient 
revenus  de  l'atelier.  Elle  a,  pour  les  enfants  que  leur  famille 
est  incapable  de  loger  elle-même,  fondé  un  internat  primaire 
dont  elle  assume  elle-même  les   frais  pour  la  meilleure  part. 
Enfin,  pendant  les  vacances,  des  colonies  scolaires  conduisent 
à  la  mer  ou  à  la  montagne  des  caravanes  d'écoliers  dans  les 
Vosges,  le  Jura,  le  Massif  Central,  la  Normandie,  la  Bretagne  ; 
la  santé  des  enfants  se  fortifie  :  en  vingt  jours  seulement,  leur 
poids  augmente  d'un  à  deux  kilos,  leur  taille  pousse  d'un  centi- 
mètre et  leur  circonférence  thoracique   s'élargit.  La  dépense 

t.  Voir  Planches  3,  4,  5. 


PL  3. 


L  ECOLE    PRIMAIRE.   L  ENSEIGNEMENT    MENAGER    :    LA    CUISINE. 

(Page   14.) 


man 


LE    CLOITRE   DES   BILLETTES 

(Ecole  primaire.) 
(Page  6.) 


m     —    - 


L'ENSEIGNEMENT   PRIMAIRE  AVANT   TREIZE   ANS  7 

est  de  3  francs  environ  par  tète  et  par  jour.  Et  les  familles  n'ont 
rien  à  débourser. 

Ainsi,  à  Paris,  l'école  publique  est  bien  devenue  la  maison 
commune  des  enfants,  comme  l'Hôtel  de  Ville  est  la  maison 
commune  des  citoyens.  Ils  y  sont  placés  côte  à  côte,  pour  le 
plus  grand  bien  de  l'égalité.  Ni  rétributions  pour  les  uns,  ni 
aumônes  pour  les  autres.  Tous  sont  instruits  parce  que  la 
France  a  besoin  que  tous  le  soient  \  Et  l'Etat  n'a  pas  à 
regretter  que  la   ville  fasse,  et  au  delà,  tout  son  devoir. 

L'École  Maternelle  est  l'ancienne  salle  d'asile,  qu'avait  adop- 
tée les  pouvoirs  publics,  par  l'ordonnance  royale  du  22  décem- 
bre 1837.  Mais  elle  a  changé  de  nom  (décret  du  2  août  1881), 
parce  qu'elle  a  changé  de  caractère  :  elle  n'est  plus  «  un  éta- 
blissement charitable  »,  elle  est  devenue  un  «  établissement 
d'éducation,  où  les  enfants  des  deux  sexes  reçoivent  les  soins 
qu'exige  leur  développement  physique,  intellectuel  et  moral  ». 
Elle  reçoit  les  enfants  sitôt  qu'ils  commencent  à  parler  ou  à  peu 
près,  à  deux  ans  ;  elle  les  garde  jusqu'au  moment  où  ils  vont 
avoir,  ce  qu'on  appelle  par  habitude,  l'âge  de  raison,  sept  ans. 
Il  s'agit  d'instruire  le  bambin  sans  qu'il  s'en  doute  ;  de  faire 
l'éducation  de  ses  yeux,  de  son  imagination,  de  sa  conscience, 
en  l'amusant  ;  les  classes  sont  très  courtes,  vivantes,  enjouées. 
Elles  enseignent  les  objets  usuels,  les  premiers  éléments  du 
dessin  de  l'écriture  et  de  la  lecture  ;  les  notions  sur  les  plantes, 
les  animaux,  et  la  géographie  ;  elles  racontent,  en  faisant  voir 
des  images,  de  belles  histoires.  Des  boules,  des  cubes  initient 
peu  à  peu  l'enfant  à  l'art  de  composer  ;  des  papiers  qu'il 
découpe,  plie  et  tresse,  des  laines  de  couleurs  qu'il  tisse  et  com- 

1.  La  lutte  scolaire  en  France,  au  XIXe  siècle.  Paris,  Alcan,  1912;  v.  chap.  x  : 
les  lois  de  1881-86  par  F.  Buisson. 


8  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC  A  PARIS 

bine,  l'initient  aux  exercices  manuels  ;  des  chansons  et  des 
chœurs  l'initient  à  la  musique  ;  une  gymnastique  graduée  rend 
ses  membres  plus  souples  (PI.  i). 

L'École  Prlmaire  Élémentaire  reçoit   donc   des  vétérans,    qui 
peuvent  être  chevronnés  après  quatre  ans  d'études,  quand  elle 
les  prend,    à  six  ou   sept    ans,  tout  frais  émoulus  de   l'école 
maternelle.  Beaucoup  cependant  ont  négligé  de  faire  plus  tôt 
leurs  premières  armes  :  ils  ont  sauté  par-dessus  l'école  mater- 
nelle et  l'école  primaire  connaît  les  premières  émotions  de  leurs 
débuts.  Il  y  a  quatre  fois  plus  d'élèves  dans  les  écoles  primaires 
que  dans  les  écoles  maternelles.   Et  puis  les  garçons,  pour  la 
première  fois,  sont  séparés   des  fillettes  et  ils  sont  plus  nom- 
breux   qu'elles.    Les   programmes   prescrivent   «  l'instruction 
morale  et  civique,  la  lecture  et  l'écriture,   la  langue  et  les  élé- 
ments de  la  littérature  française  ;  la  géographie  et  l'histoire, 
particulièrement  celles  de  notre  pays  »  ;  enfin  les  éléments  des 
mathématiques.  A   cela  s'ajoutent  quelques  notions  de   droit 
usuel,  les  éléments  des  sciences  physiques  et  naturelles  et  leur 
application  à  l'agriculture,  aux  arts  industriels,   à   l'hygiène  ; 
des  travaux  manuels  et  le  maniement  des  principaux  outils  ;  les 
éléments  du  dessin,  du  modelage,  de  la  musique;  la  gymnas- 
tique :  pour  les  fillettes,  les  travaux  à  l'aiguille  (PI.  2). 

Avec  grande  raison,  on  a  élargi  la  place  faite  à  la  morale  : 
il  ne  s'agit  pas  d'en  faire  un  enseignement  autonome  et  isolé, 
mais  d'en  pénétrer  tous  les  enseignements,  comme  d'en  pénétrer 
toute  la  vie,  et  d'y  ramener,  par  toutes  les  avenues  de  l'esprit  et 
du  cœur,  la  pensée  de  l'enfant.  On  a  voulu  aussi,  dès  l'école, 
combattre  l'alcoolisme,  dénoncer  à  l'avance  ses  conséquences 
fatales  :  il  y  va  de  l'avenir  de  notre  race  et  l'on  tremble  en  pen- 
sant que  le  fléau,  chaque  année,  augmente   :   si  l'on  prend  le 


PI.  5. 


t.  Commission  'lu  Vieux  Paris. 


HOTEL  SENECTERRE,  RUE  DE  L  UNIVERSITE,  N°  2\ 

(Ecole  primaire.) 

(Page  6. 


K      ■- 
— 

ai       o 


L'ENSEIGNEMENT  PRIMAIRE   AVANT   TREIZE   ANS  9 

chiffre  global  de  la  consommation  taxée  et  si  on  divise  ce  chiffre 
par  le  nombre  des  Français,  on  arrive  à  une  consommation, 
par  tête  d'habitants  :  de  4  litres  06  en  191 1,  contre  3  litres  5g, 
en  1 910  et  3  litres  3i  en  1907.  Là  encore,  il  faudrait  que  Paris 
et  ses  écoles  donnassent  l'exemple  :  la  Seine-Inférieure,  le 
Calvados  et  l'Eure  auraient,  plus  que  tous  les  autres  départe- 
ments, besoin  de  le  suivre  :  chez  eux,  la  consommation  moyenne 
de  l'alcool  est  trois  fois  plus  grande  que  dans  la  moyenne  du 
pays  :  1 2  litres  85  par  tête  d'habitants,  dans  la  Seine-Inférieure. 

Le  certificat  d'études  primaires  est  proposé  à  chaque 
enfant  comme  le  couronnement  de  ses  années  d'école.  Il  com- 
porte, outre  le  dessin,  trois  épreuves  écrites  :  une  dictée,  des 
problèmes,  une  rédaction.  Puis  des  épreuves  orales  portant  sur 
la  lecture  expliquée,  la  géographie,  l'histoire.  On  a  souvent,  à 
Paris,  reproché  à  ce  certificat  de  ressembler  beaucoup  trop 
à  une  formalité  administrative.  Autre  abus  :  directeurs  et  direc- 
trices d'écoles  comptent  trop  uniquement  sur  lui  pour  se 
distinguer;  les  classes,  aux  mois  de  mai  et  de  juin,  font  un  peu 
trop  songer  à  des  écoles  d'entraînement.  Enfin  beaucoup 
d'enfants  se  présentent  trop  jeunes. 

C'est  que  le  certificat  d'études  primaires  confère  à  l'enfant 
le  droit  légal  de  ne  plus  fréquenter  l'école,  dès  douze  ans.  Et 
même,  si  l'examen  a  été  passé  avec  distinction,  le  droit  d'avoir 
un  livret  municipal  de  caisse  d'épargne.  D'autres  livrets  pro- 
viennent de  legs  et  de  dons  particuliers  :  dans  le  seizième 
arrondissement  (Passy),  plus  que  dans  les  dix-neuf  autres,  la 
générosité  des  fondateurs  a  été  libérale. 

Or,  leur  période  de  scolarité  finie,  que  deviennent,  certifiés 
ou  non,  les  élèves  des  écoles  primaires  parisiennes  dont  les 
plus  âgés  ont  treize  ans  ?  Nous  allons  le  voir. 


CHAPITRE    II 

L'ENSEIGNEMENT  PRIMAIRE   APRÈS    TREIZE    ANS 

1°  La  préparation  des  apprentis  et  l'enseignement  professionnel. 

Jusqu'à  présent,  les  écoles  primaires  élémentaires  grou- 
paient l'ensemble  des  écoliers.  Tous  s'y  acheminaient  donc 
quotidiennement,  comme  sur  une  route  unique.  Désormais, 
cette  route  forme  une  fourche  et  se  continue  en  deux  artères 
principales  :  celle  qui  conduit  à  l'apprentissage  et  celle  qui 
conduit  plus  loin  et  plus  haut.  Ce  chapitre  va  nous  dire  ce  qu'est 
exactement  cette  voie  de  l'apprentissage  et  en  combien  de  che- 
mins elle  se  ramifie  à  son  tour. 

C'est  à  l'apprentissage  ouvrier  que  se  destinent  la  plupart 
des  élèves  de  l'Ecole  primaire.  Paris  compte  un  peu  plus  de 
ioo.ooo  industriels  et  à  peu  près  400.000  artisans,  14.000  appren- 
tis garçons  et  6.000  apprenties  filles.  Quels  moyens  ont  ces 
apprentis  de  parvenir  à  leur  but  final  :  s'assimiler  les  secrets  de 
leur  métier?  Et  comment  la  Ville  s'ingénie-t-elle  à  leur  venir 
en  aide  ? 

Après  le  problème  de  l'instruction  primaire,  le  problème 
de  l'apprentissage  est  un  des  plus  graves  de  la  capitale1.  Le 


1.  Conseil  municipal  de  Paris,  1904.  Rapport  au  nom  de  la  40  commission,  sur 
les  règlements  des  Ecoles  professionnelles  présenté  par  M.  Louis  Dausset  ;  in-/]0, 
733  pages  ;  —  id,  1906.  Rapport  au  nom  de  la  4e  commission,  sur  l'enseignement 


L'ENSEIGNEMENT   PRIMAIRE   APRES   TREIZE  ANS         n 

résoudre,  ce  serait  faire  cesser  la  crise  de  l'apprentissage.  Il  y 
a  encore  des  apprentis,  mais  il  n'y  a  plus  guère  d'apprentis- 
sage. L'ouvrier  français,  l'ouvrier  parisien,  risque  de  perdre 
les  qualités  d'élégance,  de  goût  et  de  distinction,  qui  donnent 
à  son  travail  une  place  éminente  dans  le  monde.  On  voit  la 
conséquence:  la  suprématie  industrielle  de  Paris  est  menacée. 
—  Mais  où  sont  les  causes  et  où  sont  les  remèdes  ? 

Les  causes  sont  claires,  trop  claires  :  les  conditions  du  tra- 
vail ont  changé;  elles  permettaient,  jadis,  au  temps  des  corpo- 
rations et  des  maîtrises,  la  formation  de  l'apprenti.  Alors,  pas 
de  concurrence  :  le  travail  pouvait  être  lent  et  cher,  l'essentiel 
était  qu'il  fût  sans  défaut  et  la  vente  était  assurée.  L'apprenti 
faisait  partie  de  la  famille  du  patron,  qui  l'initiait  patiemment 
à  tous  les  artifices  du  métier.  Aujourd'hui,  la  liberté  a  déchaîné 
la  concurrence  et  le  machinisme  a  envahi  l'usine  :  l'essentiel  est 
de  faire  vite  et  bon  marché  ;  le  produit  peut  être  inférieur  par 
sa  qualité,  l'importance  est  qu'il  séduise  par  son  apparence  et 
son  bas  prix  :  billig  and  schlecht,  comme  disent  les  Allemands. 
La  division  du  travail  est  chaque  jour  poussée  plus  loin  et  l'ou- 
vrier devient  le  simple  auxiliaire  de  la  machine;  la  machine 
ordonne  et  il  obéit  ;  il  risque  de  n'être  plus  qu'un  engrenage 
ajouté  à  tant  d'autres.  Il  lui  faut  donc  se  spécialiser  à  l'infini  ; 
dans  l'objet  qu'il  contribue  à  fabriquer,  il  est  condamné  au 
détail  et  trop  souvent  le  détail  lui  fait  perdre  de  vue  l'ensemble. 
Les  arbres  lui  masquent  la  forêt.  Autrefois,  pour  faire  une 
montre,  il  suffisait  d'un  seul  ouvrier;  il  en  faut  maintenant  120, 
sinon  davantage  :  les  uns  font  les  ressorts,  les  autres  le  pivot, 

technique  et  professionnel  par  M.  Pierre  Morel,  264  pages  in-40,  8  cartes  ;  —  id. 
1909.  Rapport  sur  la  situation  des  Écoles  municipales  professionnelles,  par 
MM.  Henri  Galli  et  Pierre  Morel,  in-40,  8  pages  ;  —  Conseil  municipal  de  Paris, 
1912,  communication  sur  les  institutions  d'apprentissage  et  d'enseignement  profes- 
sionnel, présenté  par  M.  Joseph  Denais,  in-40,  l%5  pages. 


12  L'ENSEIGNEMENT  PUBLIC   A  PARIS 

les  aiguilles,  le  cadran,  le  boîtier,  les  charnières.  Que  la  montre 
s'arrête  ;  ne  demandez  pas  de  la  remettre  en  mouvement  à 
l'ouvrier  qui  a,  pendant  vingt  ans,  confectionné  les  aiguilles  ou 
à  celui  qui,  depuis  vingt  ans,  dispose  les  charnières.  Il  vous 
répondra:  ce  n'est  pas  mon  métier.  Son  métier,  c'est  de  faire  un 
cent  vingtième  de  montre.  Et,  à  l'atelier,  l'apprenti  risque  de 
faire  un  cent  vingtième  d'apprentissage.  Cet  apprentissage,  il 
se  l'assimile  souvent  en  huit  jours  ;  ses  prédécesseurs  s'assimi- 
laient le  leur  en  huit  ans.  Mais  alors  ils  maniaient  tous  les 
outils  au  lieu  d'être  eux-mêmes  un  outil. 

On  dira  :  le  patron  n'intervient-il  pas  ?  n'impose-t-il  pas  à  ses 
ouvriers  de  former  des  apprentis  et  de  leur  enseigner  le  métier, 
tout  le  métier  ?  —  Hélas,  le  patron  avoue  que  ses  ouvriers  n'ont 
plus  le  temps  de  former  des  apprentis.  Le  patron  voit  surtout 
ceci  :  réduire  ses  frais  et  gagner  du  temps  pour  gagner  de 
l'argent  ;  utiliser  sans  retard  toute  sa  main-d'œuvre.  Il  fait 
afficher  :  «  On  gagne  de  suite  ».  Et  des  enfants  accourent, 
que  leurs  parents  envoient  :  ces  enfants  rapportent  au  logis 
10,  i5,  20  sous  par  jour.  Le  père  s'en  applaudit.  Le  patron 
et  lui,  en  sacrifiant  l'apprentissage,  ont,  au  présent,  sacrifié 
l'avenir. 

Ce  mal  est  ancien  ;  il  est  déjà  séculaire.  Dès  1840,  en  voyant 
son  progrès,  M.  Vilîermé  avait  poussé  le  cri  d'alarme  ;  et,  après 
lui,  M.  Corbon  en  1848,  M.  Léon  Say  et  M.  Gréard,  en  1872. 
La  Ville  de  Paris  s'en  émut.  La  loi  de  i85i  prescrivit  bien 
l'obligation,  pour  le  maître,  «  d'enseigner  à  l'apprenti  progressi- 
vement et  complètement  l'art,  le  métier  ou  la  profession,  qui 
fait  l'objet  du  contrat  »,  passé  verbalement  ou  par  écrit,  entre 
lui  et  le  père  ou  le  tuteur  de  l'apprenti,  mais  cette  loi  était  élu- 
dée. L'enfant  devenait  le  domestique  de  l'atelier  et  n'y  appre- 
nait son  métier  que  par  bribes,  entre  deux  courses.  Dire  qu'il 


PI    7. 


ECOLE    DIDEROT.    —    ATELIER    DE    CHAUDRONNERIE. 
(Page   17.) 


ECOLE    GERMAIN    PILON.    —    ATELIER    DE    MODELAGE. 
(Page    [Q. 


PI.  8. 


ECOLE    BERNARD    PALISSY. 


COURS    DE    COMPOSITION    DECORATIVE. 
Page    I7.) 


ECOLE  BOULLE. 


ATELIER    DE    SCULPTURE   SUR    BOIS. 
Page   [9.) 


L'ENSEIGNEMENT   PRIMAIRE   APRÈS   TREIZE   ANS         13 

n'apprenait  rien  à  l'atelier,  c'était  exagérer  :  son  esprit  et  son 
cœur  s'y  ouvraient  trop  souvent  à  une  dépravation  précoce. 
Ce  mal,  qu'une  première  loi  n'avait  pu  conjurer,  une  seconde 
loi,  celle  du  3o  mars  1900,  vient  de  l'accroître. 

La  loi  de  1900  partait  cependant  d'un  bon  sentiment  :  proté- 
ger, à  l'atelier,  les  enfants,  les  filles  mineures  et  les  femmes:  elle 
décida  donc  que,  à  l'atelier,  le  travail  quotidien  ne  pourrait 
excéder  une  durée  de  dix  heures.  Résultat  :  ou  bien  les  patrons 
emploient  encore  les  enfants  parce  qu'ils  coûtent  moins  cher  ; 
ou  bien  les  patrons  se  refusent  à  les  employer,  pour  travailler, 
au  besoin  et  dans  les  moments  de  presse,  onze  et  douze  heures. 
Car,  à  Paris  surtout,  les  métiers  «  saisonniers  »  ne  manquent 
pas.  Dans  les  deux  cas,  c'est  le  coup  de  grâce  donné  à  l'ap- 
prentissage. Jusqu'ici,  les  industries  françaises  n'ont  pu  con- 
server des  auxiliaires  mal  préparés  qu'en  les  encadrant  au 
milieu  d'anciens  ouvriers  habiles.  Quand  les  ouvriers,  âgés 
aujourd'hui  de  trente  à  quarante-cinq  ans,  auront  disparu, 
c'est-à-dire  dans  une  vingtaine  d'années,  qu'arrivera-t-il  ?  Et 
comment  ne  point  prévoir  l'immigration  toujours  plus  grande 
des  ouvriers  étrangers  ?  les  chaudronniers  et  les  monteurs  ne 
s'en  aperçoivent  que  trop.  La  métallurgie  est,  de  toutes  les 
industries  françaises,  la  plus  menacée. 

Le  remède  ?  —  De  tous  les  côtés  on  le  proclame  et  d'une 
voix  unanime:  rétablir  l'apprentissage.  Donner  à  l'apprenti  la 
connaissance  intégrale  de  tout  son  métier  ;  le  mettre  en  état, 
non  pas  seulement  de  le  posséder,  mais  de  le  perfectionner. 
Reste  à  savoir  comment  et  c'est  là  que  les  initiatives  de  la  Ville 
sont  précieuses. 

La  Ville  place  le  candidat-apprenti  en  un  point,  d'où  partent 
les  quatre  chemins  qui  mènent  à  un  apprentissage  sincèrement 
pratiqué  :  celui  des  cours  complémentaires  à  l'école  ;  —  celui 


i4  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC  A   PARIS 

des  cours  municipaux  du  soir;  —  celui  des  Ecoles  profession- 
nelles ;  —  celui  du  demi-temps. 

i°   Les  Cours  Complémentaires  du  jour,   reçoivent   les    enfants 
certifiés  d'études  qui,  jusqu'à  quatorze  ou  quinze  ans,  veulent 
ajouter  au  bagage  de  leurs  connaissances  scolaires,  avant  d'en- 
trer dans  l'industrie  ou  le  commerce.  La  Ville  a  pensé  (arrêtés 
préfectoraux  des  25  octobre  1884  et  28  août  i885)  qu'il  était  bon 
d'encourager  ce  louable  désir  d'apprendre.  Et  la  Ville  a,  sur  ce 
point,  devancé  l'État.  Un  examen  sélectionne  les    candidats  : 
il  porte  sur  l'orthographe,  l'arithmétique,  un  devoir  français, 
l'histoire  et  la  géographie  de  la  France,  sur  les  éléments    des 
sciences  physiques  et  naturelles,  sur  le  dessin  et,  pour  les  fil- 
lettes, sur  la  couture.  Les  cours  complémentaires  durent  deux 
ans  au  plus  :  depuis  1898  ils  donnent,  dans  la  matinée,  un  ensei- 
gnement général   (langue  française,  calcul,  physique,  chimie, 
éléments  d'économie  politique),  et,  dans  l'après-midi,  un  ensei- 
gnement professionnel    (travail  manuel,  dessin,   technologie), 
mais  leur  programme  est  très  souple  et  varie  selon  les  besoins  de 
chaque  quartier;  les  filles  suivent  des  cours  dont  le  nom  dit  le 
caractère  :  cours  complémentaires  manuels  et  ménagers.  Celles 
qui  se  destinent  au  commerce  apprennent  les  langues  vivantes, 
la  sténographie,  la  comptabilité.  Dès  1898-99,  près  de  5o  écoles 
donnaient  ces  cours  complémentaires  généraux  et  1 2  écoles,  ces 
cours  complémentaires  professionnels;  en  1912,  37  écoles  de 
garçons  et  32  écoles  de  filles  donnent  les  cours  généraux  ;  dans 
12  écoles,   les  garçons  trouvent  des  cours  techniques  et,  dans 
18  écoles,  les  filles  trouvent  les  cours  ménagers1  (PI.  6). 

1.  Voici  quelques  autres  chiffres  documentaires  :  Cours  complémentaires  géné- 
raux :  1888-89  :  garçons,  16  cours  et  706  élèves  ;  1888-89  :  filles,  32  cours  et 
1.144  élèves;  total  48  cours  et  1.850  élèves.  ier  juillet  191 1  :  garçons,  25  cours  et 
1.219  élèves;  filles  31  cours,  et  2.154  élèves;  total  56  cours  et  3373  élèves. 

Cours  complémentaires  professionnels,  au  Ier  juillet  191 1  :  12  cours  de  garçons 


L'ENSEIGNEMENT  PRIMAIRE   APRÈS   TREIZE  ANS         15 

2°  Les  Cours  municipaux  du  soir  (8  h.  3o  à  10  h.),  sont,  par  leur 
ébauche  première,  esquissée  dès  avant  1867,  antérieurs  aux 
cours  complémentaires  du  jour;  mais,  en  ce  qui  touche  à  l'ap- 
prentissage industriel,  ils  leur  sont  postérieurs,  puisqu'ils  n'ont 
pas  reçu  avant  1894-95, l'annexe  technique  qui  nous  intéresse  ici. 
Ces  cours  du  soir  diffèrent  encore  des  précédents  par  l'heure  à 
laquelle  ils  se  font  :  on  les  suit  une  fois  la  journée  finie,  et  après 
le  labeur  quotidien  de  la  maison  de  commerce  ou  l'atelier  '.Troi- 
sième différence  :  leur  clientèle  n'est  pas  faite  seulement  d'ado- 
lescents, mais  d'adultes.  Là,  les  apprentis  sont,  pendant  deux 
ans,  exercés  par  des  maîtres-ouvriers,  sur  des  travaux  d'atelier2, 
tandis  que  des  instituteurs,  certifiés  pour  l'enseignement  du 
travail  manuel,  expliquent  la  géométrie  plane,  la  géométrie 
dans  l'espace,  la  géométrie  descriptive,  la  technologie,  la  phy- 
sique et  les  exécutions  graphiques.  En  outre,  ils  présentent  les 
matières  d'oeuvre  usuelles,  et  ils  exposent  leur  composition, 
leurs  propriétés,  leur  emploi.  L'enseignement  commercial  du 
soir,  essayé  dès  1881,  n'avait  vraiment  réussi  que  depuis  1890  et 
1895-.  on  lui  avait  alors  fort  sagement  donné  une  orientation 
plus  nettement  professionnelle  tout  en  allégeant  les  programmes. 
La  circulaire  rectorale  du  1  1  novembre  1896  disait  excellem- 
ment: «  On  ne  saurait  exiger  des  adultes-ouvriers  ou  apprentis 
l'effort  continu,  personnel,  qu'on  demande  aux  élèves  des  classes 
du  jour,  ni  leur  imposer  une  fatigue,  venant  s'ajouter  au  labeur 


et  501  élèves  ;  16  cours  de  filles  et  788  élèves.  En  outre  4  cours  complémentaires 
d'enseignement  commercial  pour  les  filles  (création  du  ier  octobre  1903), 
439  élèves. 

1.  V.  p-  17  de  la  brochure  de  MM.  A.  Jully  et  E.  Rocheron  :  Enseignement  ma- 
nuel, les  cours  d'apprentis  et  les  cours  techniques  municipaux  de  Paris.  Paris 
1912.  Extrait  du  Bulletin  de  la  Société  de  protection  des  apprentis. 

2.  Électricité  industrielle;  filetage;  serrurerie;  tôlerie  ;  chaudronnerie  ;  mode- 
lage ;  menuiserie  en  voiture  ;  fonderie  ;  machine  à  vapeur.  —  Ces  cours  ont  lieu 
dans  13  écoles. 


10  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC  A  PARIS 

de  toute  une  journée  passée  soit  au  magasin,  soit  à  l'atelier1  ». 
—  En  1909-1910,  plus  de  1.600  apprentis  ont  suivi  ces  cours, 
et,  depuis  lors,  i.3oo  environ  seulement;  les  deux  tiers  avaient 
de  quinze  à  dix-huit  ans  ;  un  tiers,  dix-huit  à  vingt  ans. 

3°  Les  Écoles  professionnelles  semblent,  de  prime  abord,  bien 
autrement  armées,  pour  donner  la  solution  attendue  au  problème 
de  l'apprentissage. 

Dès  1872,  M.  Gréard  avait,  dans  un  rapport  devenu  clas- 
sique, indiqué  ce  que  devait  être  une  école  d'apprentissage.  Il 
conseillait  de  la  consacrer  surtout  aux  industries  du  bois  et  du 
fer.  Et  il  ajoutait  :  «  Point  d'admission  prématurée,  les  forces 
physiques,  non  moins  que  l'intelligence  de  l'enfant  se  refusant, 
avant  un  certain  âge,  à  l'éducation  sérieuse  de  l'apprentissage. 
Point  d'agglomération  trop  considérable  d'adolescents,  rien 
n'étant  plus  contraire  à  l'essai  de  moralisation  que  nous  vou- 
lons tenter.  Point  de  spécialisation  hâtive,  la  main,  comme 
l'esprit,  ne  pouvant  que  gagner  à  la  généralité  des  exercices. 
Point  de  rétribution  scolaire,  l'institution  étant  destinée  aux 
classes  les  plus  pauvres  ;  mais  point  d'internat,  la  famille 
devant  conserver  la  charge  et  l'honneur  de  suivre  l'éducation 
de  l'enfant.  Point  d'exercices  prolongés  jusqu'à  la  fatigue  du 
corps  ou  de  l'intelligence,  la  variété  des  exercices  étant  une 
des  conditions  indispensables  au  développement  bien  équilibré 
des  forces  physiques,  intellectuelles  et  morales  de  l'apprenti. 
Point  d'enseignement  scientifique  proprement  dit,  l'enseigne- 
ment d'une  école  d'apprentis  devant,  pour  porter  ses  fruits, 

1.  Les  cours  d'enseignement  populaire  supérieur  de  l'Hôtel  de  Ville,  créés  en 
vertu  d'une  délibération  du  conseil  municipal  (31  décembre  1888)  sont  aujourd'hui 
supprimés.  Ils  comprenaient  un  cours  d'histoire  universelle;  un  cours  d'histoire 
nationale:  un  cours  d'histoire  de  Paris;  un  cours  d'anthropologie;  d'histoire  des 
sciences  ;  de  biologie.  Le  conseil  a  jugé  que  le  crédit  de  42.600  francs  affecté  à 
ces  cours  n'était  pas  justifié  par  leurs  résultats. 


PI.  9. 


ECOLE    ESTIENNE.    VUE    GENERALE. 


ECOLE   ESTIENNE.    —    ATELIER   DE   LITHOGRAPHIE. 
(Page   19.) 


ri.  îo. 


ECOLE    DORIAN.    —    UN    ATELIER   DU    FER. 
Page   in. 


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i  '  OLE    D   \.:is    il    \iii  [ERS    DE   PARIS 
Pa  re  24.) 


L'ENSEIGNEMENT   PRIMAIRE  APRÈS   TREIZE   ANS         17 

prendre  son  point  de  départ  non  dans  les  théories  mais  dans 
les  faits  et  ne  s'appuyer  que  sur  des  théories  dont  on  peut 
montrer  les  applications  matérialisées  ». 

Cette  même  année,  1872,  la  première  école  professionnelle, 
Diderot,  était  créée,  60,  boulevard  de  la  Villette  '  :  elle  y  est 
toujours.  Pendant  une  dizaine  d'années,  elle  fut  la  seule  :  puis, 
de  1881  à  1890,  ce  fut  une  éclosion  d'écoles  nouvelles  :  Ger- 
main-Pilon'2 en  1882;  Bernard-Palissy3,  la  même  année,  et  aussi 
l'Ecole  de  Physique  et  Chimie1  ;  l'École  Boulle  5  en  1886; 
TEcole  Dorian6en  1887;  l'Ecole  Estienne7  en  1889;  en  atten- 
dant deux  ans  plus  tard,  en  1 891,  la  naissance  ou  l'adoption  de 
l'Ecole  d'Horticulture  et  d'Arboriculture  8  et  enfin,  en  1909,  de 
l'Ecole  d'Horlogerie9. 

Outre  les  écoles  de  garçons,  les  écoles  professionnelles  de 
jeunes  filles  avaient  jailli  du  sol  parisien,  entre  1881  et  1890  : 
celle  de  la  rue  Fondary10,  fut  la  première;  l'École  Jacquard, 
2,  rue  Bouret11  parut  l'année  d'après;  puis,  en  1884,  les  trois 
écoles  de  la  rue  de  Poitou12,  de  la  rue  d'Abbeville13,  de  la  rue 
Ganneron1' et,  en  1890,  celle  de  la  Tombe-Issoirelb.  Et  n'oublions 

1.  Entre  le  Xe  et  le  XIXe  arrondissement. 

2.  Rue  Sainte-Elisabeth,  12,  IIIe. 

3.  Rue  des  Petits-Hôtels,  19,  X°. 

4.  Rue  Lhomond,  42,  Ve. 

5.  Rue  de  Reuilly,  57,  XIIe. 

6.  Avenue  Philippe-Auguste,  74,  XI0. 

7.  Boulevard  Auguste-Blanqui,  18,  XIIIe. 

8.  Avenue  Daumesnil,  1,  à  Saint-Mandé  (à  proximité  du  XIIe  arrondissement), 
g.  Rue  Manin,  30,  XIXe. 

10.  XVe  arrondissement. 

11.  XIXe  arrondissement. 

12.  IIIe  arrondissement. 

13.  Xe  arrondissement. 

14.  XVIII0  arrondissement. 

15.  XIVe  arrondissement. 

2 


i8  L'ENSEIGNEMENT  PUBLIC  A  PARIS 

pas  les  Écoles  Elisa  Lemonnier,  41,  rue  des  Boulets1  et  24,  rue 
Duperré2.  Au  lieu  d'une  école  d'apprentissage,  c'étaient  donc 
17  écoles.  Et  ces  écoles  destinées  aux  apprentis,  étaient  surtout 
dans  les  quartiers  ouvriers  de  l'Est,  du  Nord  et  du  Sud.  Rien 
au  centre,  rien  à  l'Ouest.  Rien  à  Vaugirard  et  rien  à  Grenelle. 
Là,  les  écoles  dues  aux  initiatives  privées,  florissaient  seules. 

Ces  quartiers  périphériques  sont  surtout  ceux  où  s'est  déve- 
loppée l'industrie  du  bois  et  du  fer  et  ceux  où  la  femme  a  le 
plus  besoin,  pour  vivre,  du  travail  de  l'aiguille.  Mais  que  de 
variété  cependant  et  combien  le  plan  de  M.  Gréard  a  pu 
s'agrandir!  Diderot,  Dorian,  Boulle  qui  enseignent  le  travail 
du  bois  et  du  fer  ne  l'enseignent  pas  de  même  manière.  Diderot 
est  divisé  en  deux  groupes  ;  le  premier  comprend  les  profes- 
sions rattachées  à  la  mécanique  :  forge,  tours  sur  métaux,  ajus- 
tage, instruments  de  précision,  électricité,  modèles,  chau- 
dronnerie ;  le  second  comprend  certaines  professions  relatives 
au  bâtiment  :  serrurerie,  menuiserie,  plomberie.  Plusieurs 
classes  d'apprentis  également,  à  l'école  Dorian  :  par  exemple, 
ceux  qui  se  destinent  à  la  menuiserie  courante  et  ceux  qui  se 
destinent  à  la  menuiserie  d'art  ;  ceux  qui  s'initient  à  la  petite 
mécanique,  ceux  qui  s'initient  à  la  serrurerie  d'art,  etc.  L'Ecole 
Boulle  a  une  physionomie  plus  originale  encore  :  son  but  est  de 
former  des  artisans  capables  de  maintenir,  dans  le  mobilier 
d'art,  les  traditions  de  goût  qui  sont  une  des  parures  de  l'indus- 
trie parisienne.  Dans  la  section  du  meuble,  Boulle  enseigne 
donc  l'ébénisterie,  la  tapisserie,  la  menuiserie  en  siège,  la  sculp- 
ture sur  bois  et  sur  pierre;  dans  la  section  du  métal,  la  cise- 
lure, la  monture,  la  gravure  sur  acier,  la  gravure  en  vaisselle, 
en  bijoux,  le  tournage.  (PI.  8  et  10.) 

1 .  XIe  arrondissement. 

2.  IXe,  près  du  XVIIIe. 


L'ENSEIGNEMENT   PRIMAIRE  APRES   TREIZE  ANS         19 

Boulle,  par  une  partie  de  son  enseignement,  mais  par  une 
partie  seulement,  se  rapproche  des  deux  écoles  de  dessin,  Ger- 
main-Pilon et  Bernard-Palissy,  destinées,  Tune  et  l'autre,  à  pré- 
parer des  ouvriers  aux  industries  d'art.  A  Germain-Pilon,  les 
jeunes  gens  étudient  le  dessin  et  le  modelage,  d'après  les  plâtres 
et  le  modèle  vivant;  l'aquarelle,  d'après  les  plantes,  le  modèle 
vivant  et  les  diverses  matières  employées  en  architecture  ;  la 
géométrie  pratique,  les  notions  élémentaires  d'architecture  ;  le 
lavis,  la  théorie  des  ombres,  la  perspective  ;  l'ameublement,  la 
composition  décorative,  l'analyse  des  styles  et  leur  application, 
le  dessin  des  étoffes,  la  broderie  et  la  passementerie.  A  Ber- 
nard-Palissy, l'enseignement  artistique  est  appliqué  pratique- 
ment à  l'industrie,  dans  les  quatre  ateliers  suivants  :  céramique, 
fabrication,  décoration  ;  —  sculpture  sur  bois,  marbre,  pierre 
et  ivoire;  —  peinture  décorative  en  tous  genres;  —  dessins 
pour  étoffes,  tissus  et  papiers  peints.  On  voit  donc  que  ces 
écoles  sont  apparentées  mais  qu'elles  se  complètent  plutôt 
qu'elles  ne  se  doublent.  (PI.  7  et  8.) 

L'enseignement  de  l'École  Estienne,  (PI.  g),  est  destiné  à 
former  des  artisans  instruits  pour  les  arts  et  les  industries  du 
livre.  L'école  a  quinze  ateliers  préparant  à  quinze  professions 
rattachées  à  la  typographie,  à  la  lithographie,  à  la  gravure  et  à 
la  reliure  :  i°  fonderie  en  caractères  ;  20  composition  typogra- 
phique ;  3°  stéréotypie  et  galvanoplastie  (confections  des 
empreintes  et  des  clichés,  composition  des  bains,  métallisa- 
tion)  ;  40  impression  typographique  (tirage  en  noir  et  en  cou- 
leur) ;  5°  dessin  lithographique  ;  6°  écriture  lithographique  ; 
70  gravure  sur  pierre  ;  8°  impression  lithographique  ;  90  gra- 
vure sur  bois  ;  io°  gravure  typographique  et  de  fers  à  dorer  ; 
ii°  gravure  sur  cuivre,  en  creux  (au  burin,  à  l'eau-forte,  à 
Taquateinte,  à  la  pointe  sèche)  ;  120  impression  en  taille  douce  ; 


20  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC   A  PARIS 

i3°  photographie,  photogravure,  héliogravure;  140  reliure; 
1 5°  dorure  sur  cuir,  au  fer  et  au  balancier.  Mosaïque,  reliure 
sur  toile,  sur  basane,  sur  soie,  sur  velours.  Pendant  les  quatre 
premiers  mois,  les  élèves  passent  par  tous  les  ateliers;  après 
quoi  seulement,  on  les  spécialise  dans  celui  que  désignent  leurs 
goûts  ou  leurs  aptitudes. 

L'Ecole  d'Horticulture  et  d'Arboriculture  se  propose  une  fin 
que  son  nom  indique  ;  de  même  l'Ecole  d'Horlogerie  et  l'Ecole 
de  Physique  et  Chimie.  C'est  seulement  au  milieu  de  la 
seconde  année  que  les  physiciens  et  les  chimistes  sont  spécia- 
lisés. Après  trois  ans  de  travail,  on  leur  ouvre  le  laboratoire 
d'études  et  de  recherches.  Par  le  caractère  et  la  valeur  de  son 
enseignement,  cette  école,  on  le  devine  bien,  est  au  tout  pre- 
mier rang  de  nos  écoles  professionnelles  parisiennes. 

Quant  aux  écoles  professionnelles  féminines,  leur  objet  et  leur 
programme  se  ressemblent  beaucoup  :  des  ateliers  de  couture,  de 
lingerie,  de  broderie,  de  fleurs,  se  retrouvent  chez  toutes.  Tout  au 
plus,enseigne-t-on  plus  spécialement  la  peinture  rue  de  Poitou, 
rue  d'Abbeville  et  rue  Ganneron  ;  la  confection  des  chapeaux 
de  paille,  rue  Bouret;  la  comptabilité,  rue  d'Abbeville.  (PI,  1 1.) 

A  dessein  on  a  voulu  éviter  de  sacrifier,  à  côté  de  l'enseigne- 
ment technique,  l'enseignement  général  :  il  est  bon  de  former 
l'œil,  la  main  de  l'apprenti,  mais  il  est  excellent  de  former 
son  esprit  :  les  sciences  physiques  et  naturelles,  la  mécanique, 
l'histoire  élémentaire  de  l'art,  la  géographie  économique,  etc., 
donnent  au  futur  artisan  les  idées  indispensables  à  l'intelligence 
complète  et  ouverte  de  son  métier. 

A  dessein  aussi  et  suivant  le  conseil  de  M.  Gréard,  l'âge 
d'entrée  de  ces  écoles  n'a  pas  été  trop  abaissé  :  treize  ans  au 
minimum,  presque  partout;  seize  ans,  à  l'École  de  Physique  et 
Chimie.  L'âge  maximum  est  de  quinze  à  dix-sept  ans  ;  sauf  à 


L'ENSEIGNEMENT   PRIMAIRE   APRÈS   TREIZE   ANS         21 

TÉcole  de  Physique  et  de  Chimie,  où  il  est  fixé  à  dix-neuf  ans. 
L'âge  de  sortie  est  généralement  dix-huit  ans.  On  est  admis  à 
la  suite  d'un  concours  à  Germain-Pilon,  et  à  Bernard-Palissy,  à 
la  suite  d'un  examen  ;  à  l'Ecole  d'Horlogerie  il  suffit  de  s'ins- 
crire et  de  prouver  qu'on  possède  l'instruction  complète  des 
écoles  primaires.  La  durée  du  séjour  à  l'école  est  de  trois  ans 
pour  les  jeunes  filles  ;  pour  les  jeunes  gens,  trois  ans  à  Diderot, 
Dorian  et  Germain-Pilon;  quatre  ans  à  Bernard-Palissy,  Boulle, 
Estienne  et  jusqu'à  cinq  ans,  à  l'Ecole  de  Physique  et  Chimie. 

L'externat  a  prévalu  presque  partout;  tout  au  plus,  comme 
à  Boulle  et  à  l'École  d'Horlogerie,  le  demi-pensionnat;  cepen- 
dant l'internat,  adopté  dès  le  principe  à  Dorian,  n'en  a  pas  dis- 
paru, mais  l'externat  lui  a  été  juxtaposé.  Partout,  cet  externat 
est  gratuit,  sauf  à  l'Ecole  d'Horlogerie  où  il  est  fixé  à  400  francs. 
La  gratuité  va  plus  loin  :  les  fournitures  scolaires  sont  données 
par  la  Ville.  Les  élèves  apportent  leur  repas  de  midi  ou  bien 
le  prennent  à  la  cantine  scolaire,  moyennant  5o  centimes. 
Quelques-uns  sont,  comme  boursiers,  dispensés  de  ces  frais. 

Le  nombre  des  élèves  admis  est  variable,  sauf  à  l'Ecole  de 
Physique  et  Chimie  et  à  Boulle,  où  il  est  de  3o  et  de  102. 
Ainsi,  à  Bernard-Palissy,  en  1 907  il  a  été  de  73,  de  1 1  o  en  1 909, 
de  100  et  de  1 1  5  en  191 1  et  1912  ;  à  Dorian,  il  était  de  276 
en  1907  et  de  1 65  en  1909,  de  320  en  191 1  et  1912,  dont  120 
internes.  Presque  partout,  ce  nombre  est  faible,  trop  faible 
même  :117a  Germain-Pilon  en  1909,  100  en  191 1  et  191 2,  et, 
en  moyenne,  de  60  à  80  à  Estienne.  Les  élèves  qui  vont  jus- 
qu'au bout  de  leurs  études  sont  bien  moins  nombreux  encore  : 
80  à  Boulle,  à  Diderot,  à  Dorian  et  37  à  Estienne.  Le  déchet 
a  pu  être  ainsi  évalué,  le  6  juin  1905  :  20  p.  100  à  Diderot; 
5op.  100  à  Bernard-Palissy  et  à  Estienne  ;  55  p.  100  à  Germain 
Pilon;  57  p.  100  à  Boulle. 


22  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC  A  PARIS 

Nous  touchons  au  point  délicat  :  quel  est,  pour  la  Ville,  le  prix 
de  revient  annuel  de  chaque  élève  ?  Ce  prix  est  parfois  terrible- 
ment haut  :  452  francs  à  Germain-Pilon,  à  Bernard-Palissy,  ne 
sont  rien  à  côté  de  952  francs  à  Estienne  ;  de  1.074  francs, 
à  Boulle  ;  de  1.240  francs  à  Dorian  ;  de  1.758  francs  à  l'Ecole 
d'Horticulture;  de  2.1 10  francs  à  Diderot;  de  2.272  francs  à 
l'école  de  Physiqueet  Chimie.  Pour  les  jeunes  filles,  le  prix  oscille 
entre  1.000  et  1.100  francs  et  il  a  parfois  atteint  1.200  francs. 

Multiplions  ces  prix  par  le  nombre  des  années  de  scolarité, 
trois,  quatre,  cinq,  et  nous  verrons  ce  que  coûte  à  la  Ville  cha- 
que élève  sortant  de  ces  écoles  professionnelles.  L'apprenti 
de  Germain-Pilon  revient  à  1.356  francs  ;  celui  de  Bernard-Pa- 
lissy  revient  à  1.808  francs  ;  celui  de  Dorian,  à  3.720  francs; 
d'Estienne,  à  3. 808  francs  ;  de  Boulle,  à4.2o,6  francs  ;  de  Diderot, 
à  6.33o  francs  ;  de  l'école  de  Physique  et  Chimie  à  9.088  francs 
pour  quatre  ans  et  à  ii.36o  francs  pour  cinq  ans.  Soit  une 
moyenne  de  4.3 1  5  francs  par  élève,  qui  monte  à  4.639  francs  si 
Ton  compte  cinq  années,  et  non  quatre,  à  l'Ecole  de  Physique  et 
Chimie. 

On  ne  manquera  pas  de  dire  :  c'est  de  l'or  en  barre  ou 
presque.  Souvenons-nous  qu'à  Paris  il  y  a  14.000  apprentis  gar- 
çons, et  songeons  que  moins  de  5oo  d'entre  eux,  soit,  un  apprenti 
sur  28,  passent  par  les  écoles  professionnelles.  Ce  sera  la  preuve 
que  ces  écoles,  si  intéressantes  cependant,  ne  résolvent  point  éco- 
nomiquement le  problème  de  l'apprentissage.  Il  a  donc  fallu  cher- 
cher ailleurs.  Ces  écoles  forment  une  élite  ouvrière,  et  c'est 
beaucoup,  mais  il  s'agissait  d'atteindre  la  masse. 

4°  Le  Préapprentissage  et  les  Cours  de  demi-temps  sont  la  tenta- 
tive municipale  la  plus  récente  imaginée  pour  atteindre,  en 
effet,  la  grande  foule  des  apprentis.  Pendant  la  première  et  au 


L'ENSEIGNEMENT   PRIMAIRE  APRÈS   TREIZE  ANS         23 

besoin  la  deuxième  année  qui  suit  la  sortie  de  l'école  primaire, 
les  futurs  artisans,  généralement  âgés  de  treize  à  quinze  ans, 
reçoivent  dans  des  ateliers  spéciaux,  et  aux  heures  scolaires  de 
la  journée,  un  enseignement  technique  que  leur  donnent  les 
maîtres  ouvriers  des  écoles  municipales  primaires  ;  cet  ensei- 
gnement pratique  est  complété  par  un  enseignement  général, 
de  huit  heures  par  semaine  (morale  et  français),  donné  par  des 
instituteurs.  Voilà  le  premier  degré  du  préapprentissage.  Voici 
le  second  :  au  lieu  de  laisser  désormais  l'apprenti,  de  quinze  à 
dix-huit  ans,  livré  à  lui-même,  dans  la  maison  industrielle  ou 
commerciale  où  il  est  placé,  on  l'en  tire  chaque  jour  de  5  à 
7  heures.  Sans  doute,  il  faut  l'autorisation  patronale  mais  on  a 
su  la  lui  gagner i  :  les  chambres  syndicales  patronales  et  les 
sociétés  de  secours  ou  de  protection  aux  apprentis  s'y  sont 
employées.  Avant  la  fin  de  la  journée,  et  sans  trop  de  fatigue, 
cet  apprenti  a  le  loisir  de  compléter  méthodiquement  son  ins- 
truction professionnelle.  Suivant  son  âge,  son  métier,  ses 
aptitudes,  il  est  placé  dans  le  groupe  qui  lui  convient.  L'audi- 
toire, clans  lequel  on  l'encadre,  a  cette  homogénéité  indispen- 
sable à  tout  enseignement  qui  doit  porter  de  bons  fruits.  La 
majeure  partie  de  sa  journée  appartient  à  la  maison  qui  le 
paye  ;  mais  une  partie  lui  est  réservée  à  lui-même,  —  c'est  le 
demi-temps  —  et  consacrée  à  l'achèvement  de  son  éducation 
technique  -. 

Ce  système,  dont  la  Ville  avait  eu  l'idée  il  y  a  quelques 
années  et  dont  le  fonctionnement  est  expérimenté  avec  succès 
en  Angleterre,  vient  d'être  essayé  à  Paris,  depuis  la  fin  de  191 1  : 

1.  Les  patrons  y  consentent  sans  diminution  de  salaire,  à  condition  de  justifier 
de  la  présence  des  apprentis  aux  cours. 

2.  En  1911-1912  le  Préapprentissage  a  été  organisé  pour  les  mécaniciens  dans 
3  écoles  de  garçons  (rue  -du  Pré-Saint-Gervais,  rue  des  Panoyaux,  rue  Lacordaire)  ; 
pour  les  menuisiers,  rue   Charles-Baudelaire.  —  Le  Demi-temps  fonctionne  par 


24  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC   A  PARIS 

il  a  réussi,  au  delà  de  toute  espérance,  dans  les  ateliers  d'ajus- 
tage surtout  et  dans  les  industries  électriques.  Ces  cours  vont 
être,  avant  peu,  complètement  municipalisés.  Et  ce  système 
permet  d'augurer  favorablement  de  l'avenir.  Il  est  moins  coû- 
teux que  les  Ecoles  professionnelles,  il  est  plus  démocratique,  il 
forme  des  praticiens  plutôt  encore  que  des  techniciens  et  des  tech- 
niciens que  des  théoriciens  de  demi-science;  il  est  plus  sérieux, 
plus  méthodique  que  les  cours  du  soir  et  plus  professionnel  que 
les  cours  complémentaires  à  l'école.  Si  cet  enseignement  con- 
jurait vraiment  la  crise  de  l'apprentissage,  Paris  aurait  une 
fois  de  plus  bien  mérité  de  la  France. 

Et  cependant  «  le  tourment  du  mieux  »  a  poussé  la  Ville  et 
TEtat  à  poursuivre  un  dernier  rêve  :  construire,  pour  l'ensei- 
gnement professionnel  et  technique  du  département  de  la 
Seine,  un  couronnement  digne  de  Paris;  avoir,  dans  un  monu- 
ment unique,  la  synthèse  de  toutes  les  écoles  dispersées  de 
l'apprentissage  parisien.  Et,  le  14  octobre  191 2,  Y  Ecole  d'arts 
et  métiers  de  Paris  vient  de  s'ouvrir  (PI.  10). 

Elle  est  située  boulevard  de  l'Hôpital  ;  M.  Roussi,  archi- 
tecte du  département,  en  a  fait  le  modèle  le  plus  séduisant  des 
ruches  laborieuses  :  partout  de  l'air  et  partout  de  la  lumière  ; 
vastes  cours  et  vastes  préaux  ;  belles  salles  d'étude  et  de  dessin. 
La  clarté  pénètre  de  tous  côtés,  à  travers  des  baies  largement 
ouvertes,  et  ni  les  peintures  ni  le  mobilier  n'ont  consenti  à  se 
parer  de  ces  teintes  sombres,  si  en  faveur  jadis. 

L'outillage  des  ateliers  est  celui  d'une  usine  modèle  et,  ce 
qui  est  mieux,  d'une  usine  presque  uniquement  française  :  toute 


exemple  aux  écoles  de  la  rue  Eugène- Varlin  et  rue  des  Boulets.  Une  centaine 
d'enfants  ont  suivi  ces  cours  nouveaux  en  191 2.  C'est  bien  peu  encore.  Mais  cette 
organisation  s'essaye  encore. 


L'ENSEIGNEMENT   PRIMAIRE  APRÈS   TREIZE  ANS         25 

l'expérience  des  écoles  d'arts  et  métiers  de  Lille,  de  Cluny,  de 
Châlons,  d'Angers,  d'Aix,  a  merveilleusement  servi  à  former 
Técole  de  Paris. 

En  province,  l'internat  est  la  loi  de  toutes  les  écoles  ;  à 
Paris,  on  lui  a  préféré  l'externat;  tous  les  élèves  de  la  nou- 
velle école,  anciens  externes  des  écoles  primaires,  sont  domici- 
liés dans  la  grande  Ville  ou  dans  sa  banlieue.  Seulement,  le 
repas  de  midi  est  pris  à  l'école;  c'est  donc  le  régime  de  la  demi- 
pension.  Trois  années  d'études  normales  où  le  programme  sera 
celui  des  autres  écoles  d'arts  et  métiers;  après  quoi,  une  qua- 
trième année  ;  elle  sera  facultative  et  consacrée  aux  spécialisa- 
tions. L'enseignement  général  s'y  harmonisera  avec  l'enseigne- 
ment professionnel.  Lescours  généraux  porterontsur  lachimie  in- 
dustrielle et  la  métallurgie,  sur  la  technologie  de  la  construction 
mécanique,  sur  l'outillage  et  l'organisation  des  ateliers,  sur 
l'économie  industrielle  et  l'organisation  commerciale.  Les  tra- 
vaux manuels  enseigneront  la  construction  automobile,  la  char- 
pente métallique,  la  construction  électrique. 

Par  suite,  aucun  double  emploi  avec  les  écoles  d'arts  et 
métiers  provinciales.  Paris  les  complète  et  les  achève.  Ainsi,  la 
quatrième  année  d'études  y  sera  ouverte  à  l'élite  des  élèves  de 
nos  six  écoles  françaises. 

Puisse  l'école  nouvelle  justifier,  par  ses  œuvres,  les  magni- 
fiques espoirs  qu'on  fonde  sur  elle.  Elle  réalise,  en  1912,  un 
vœu  formulé  avec  tant  d'autres,  hélas,  dès  1871.  Les  difficultés 
de  l'industrie  parisienne  n'ont  fait  que  s'accroître,  depuis  près 
d'un  demi-siècle  :  elle  aidera  peut-être  à  les  résoudre.  Elle  est 
déjà,  pour  tout  l'enseignement  technique  parisien,  une  façade 
très  décorative  :  souhaitons  qu'elle  soit  bien  mieux  encore,  un 
organe  vivant,  et  qu'elle  justifie  les  sacrifices  financiers  de  la 
Ville,  du  Département  et  de  l'Etat. 


CHAPITRE  III 

L'ENSEIGNEMENT  PRIMAIRE  APRÈS  TREIZE  ANS 


2°    L'enseignement    pratique     non     professionnel    : 
Écoles  primaires  supérieures,  Collège  Chaptal. 

Les  enfants  qui  sortent,  vers  treize  ans,  de  l'école  primaire 
ne  songent  pas  tous  à  entrer  en  apprentissage.  Quelques-uns, 
les  mieux  dotés  pour  l'intelligence  ou  pour  la  fortune,  sentent 
que  le  certificat  d'étude  est  un  début  plutôt  qu'une  fin  et 
qu'après  treize  ans  il  est  encore  permis  d'apprendre,  sans  le 
souci  pressant  d'une  profession  déjà  choisie.  De  nouveau,  ils 
veulent  s'asseoir  sur  les  bancs  de  l'école  ;  mais  de  quelle  école  ? 

Les  lycées  leur  paraissent  encore  trop  haut.  Fils  d'ouvriers 
aisés,  de  petits  employés  ou  de  boutiquiers,  ces  enfants  for- 
ment une  catégorie  sociale  aussi  nombreuse  qu'intéressante  et 
utile  :  elle  est  «  placée  entre  la  classe  ouvrière  dont  elle  forme 
l'élite  et  la  classe  bourgeoise  où  elle  aspire  à  prendre  rang;  de 
Tune,  elle  tient  ses  qualités  d'activité,  d'initiative,  et  son 
ardeur  au  travail  ;  à  l'autre,  elle  emprunte  ses  habitudes  de 
prévoyance  et  d'économie,  son  goût  pour  la  vie  paisible  et 
ordonnée1  ».  C'est  pour  elle  que  l'enseignement  primaire  supé- 
rieur a  été  organisé;  la  loi  organique  du  3o  octobre  1886  et 
les  décrets  qui  suivirent  ont  pratiquement  réalisé  le  vœu  for- 

1.  M.  Duplan,  cité  par  M.  F.  Lavergue,  p.  294  :  Ville  de  Paris,  les  Ecoles  et  les 
œuvres  municipales  d enseignement ,  1900,  in-40. 


PI.  11. 


ECOLE    PROFESSIONNELLE    DE    FILLES    :    LES    FLEURISTES 
(Page  20.; 


ECOLE    PRIMAIRE    SUPERIEURE    TURGOT 
(Page  27.) 


PI.  12 


I'Ik.L  Pierre  Petit 


ECOLE    PRIMAIRE    SUPERIEURE    COLBERT 


Pliot.  Pierre  Petit. 


ECOLE   COLBERT.    —    UNE    CLASSE    DE    PHYSIQUE. 
(Page  28.) 


L'ENSEIGNEMENT  PRIMAIRE  APRÈS  TREIZE  ANS         27 

muîé  par  Guizot,  en  i833,  et  par  Victor  Duruy,  en  1867.  Entre 
l'école  primaire  élémentaire  et  renseignement  secondaire, 
moderne  ou  même  classique,  renseignement  primaire  supérieur 
peut  servir  d'échelon  :  il  aide  à  s'élever  de  l'un  à  l'autre. 

Les  Écoles  primaires  supérieures.  —  La  création  des  écoles  pri- 
maires supérieures  s'imposait  si  bien  qu'elle  fut,  à  Paris,  anté- 
rieure à  la  loi  de  1886  :  une  seule  école  lui  est  postérieure.  Là 
encore  Paris  avait  donc  devancé  l'État.  En  effet,  les  cinq  écoles 
de  garçons  datent  :  YÉcole  Turgot1,  de  1839;  YÉcole  Colbert2, 
de  1869;  YÉcole  Lavoisier*,  de  1872;  YÉcole  J.-B.-Say\ 
de  1875  ;  YÉcole  Arago%  de  1880.  Des  deux  écoles  de  jeunes 
filles,  YÉcole  Sophie- Germain6,  date  de  1882  ;  YÉcole  Edgar- 
Quinel  ,  ne  remonte  qu'à  1892. 

On  ne  peut  pas  dire,  pour  ces  écoles,  ce  qu'on  a  si  longtemps 
répété  pour  les  collèges  parisiens  :  si  la  rive  gauche  accapara 
les  collèges  jusqu'en  1802,  la  rive  droite  semble  avoir  accaparé 
les  écoles  primaires  supérieures.  Une  seule,  Lavoisier,  est  sur 
la  rive  gauche. 

Toutes  sont  devenues  gratuites  depuis  1882.  La  Ville  a 
même,  pour  les  enfants  des  familles  peu  aisées  ou  pauvres,  établi 
des  bourses  d'entretien. 

Le  recrutement  est  assuré  par  un  concours  qui,  pour  tous 
les  arrondissements,  s'ouvre  en  juillet,  aux  mêmes  jours  et  aux 
mêmes    heures.    Les   épreuves   portent  sur    l'orthographe  et 

1.  Rue  Turbigo,  69. 

2.  Rue  du  Château-Landon,  27. 

3.  Rue  Denfert-Rochereau,  19. 

4.  Rue  d'Auteuil,   11  bis. 

5.  Place  de  la  Nation,  4. 

6.  Rue  de  Jouy,  9. 

7.  Rue  des  Martyrs,  63. 


28  L'ENSEIGNEMENT  PUBLIC   A   PARIS 

l'analyse  grammaticale,  sur  l'écriture,  sur  la  composition  fran- 
çaise, sur  l'arithmétique  et  les  applications  de  géométrie,  sur 
le  dessin  d'après  le  plâtre.  Pas  d'épreuves  orales. 

La  scolarité  est,  en  principe,  de  trois  ans  ;  en  réalité,  on  y 
joint  une  quatrième  année  qui  prépare  ou  à  l'Ecole  normale, 
ou  à  l'Ecole  de  Physique  et  Chimie,  etc.  ;  il  faut  avoir  de  treize 
à  quinze  ans,  pour  être  admis  en  troisième. 

L'externat  est  le  régime  de  toutes  les  écoles  primaires  supé- 
rieures ;  mais  un  internat  est  organisé  à  J.-B.-Say  :  là,  tout 
élève  interne  non  boursier  paye,  quel  que  soit  son  âge, 
1.000  francs  par  an,  tout  demi-pensionnaire  paye  5oo  francs, 
tout  externe  surveillé,  200  francs. 

Partout,  quatre  années  d'études  et,  partout,  tendance  àuniiier 
les  programmes.  Les  deux  premières  années  sont  réservées  à 
renseignement  général  ;  à  Colbert,  en  troisième  année,  on  a 
créé  une  section  d'enseignement  général,  pour  les  élèves  qui 
veulent  continuer  à  s'instruire,  sans  se  spécialiser  encore.  Dans 
les  deux  dernières  années,  et,  à  Colbert,  dans  la  dernière  seule- 
ment, la  spécialisation  se  fait,  sans  que  l'enseignement  com- 
mercial disparaisse  cependant  :  l'enseignement  spécial  a,  non 
pas  un  caractère  professionnel,  mais  un  caractère  pratique.  Il 
y  a,  côte  à  côte,  une  section  industrielle  et  une  section  com- 
merciale ;  il  y  a  même  une  section  agricole.  (PI.  n  à  i5.) 

Outre  ces  sections,  l'école  J.-B.  Say  en  a  une  autre  pour  la 
dernière  année  :  c'est  la  section  préparatoire  à  l'École  Centrale. 
L'enseignement  à  J.-B.  Say  est  plus  nourri  et  plus  poussé  que 
dans  les  autres  écoles  primaires  supérieures.  Et  tels  de  ses 
élèves  ont  réussi  parfois  à  entrer  aux  écoles  Saint-Cyr,  Poly- 
technique et  Normale  supérieure.  Aussi  le  renom  de  cette 
école  est-il  grand  et  les  places  dont  elle  dispose  sont-elles  fort 
convoitées.  (PI.  14.) 


L'ENSEIGNEMENT   PRIMAIRE   APRÈS   TREIZE   ANS         29 

La  sanction  normale  de  renseignement  donné  dans  toutes 
les  écoles,  est  le  certificat  d'études  primaires  supérieures.  Il  est 
accordé  après  examen  au  mois  de  juillet;  ne  peuvent  se  pré- 
senter que  les  élèves  âgés  de  quinze  ans,  révolus  au  Ier  octobre 
précédent.  Les  épreuves  générales  comprennent  une  compo- 
sition sur  un  sujet  de  morale,  une  composition  française  et  une 
composition  scientifique  (arithmétique  ou  géométrie,  physique 
ou  chimie,  histoire  naturelle  ou  hygiène),  de  plus  une  composi- 
tion de  dessin.  —  Les  épreuves  spéciales  varient  suivant  les 
sections  :  pour  la  section  d'enseignement  général  et  la  section 
commerciale,  c'est  une  version  sur  une  langue  vivante,  au  choix 
du  candidat  ;  pour  la  section  industrielle,  les  garçons  doivent 
mettre  au  net,  à  une  échelle  donnée,  un  croquis  coté  ;  les  filles 
composent  un  sujet  décoratif,  appliqué  à  une  industrie  féminine; 
pour  la  section  agricole,  c'est  une  composition  sur  un  sujet 
agricole,  théorique  et  pratique. 

Les  candidats  déclarés  admissibles  sont  interrogés  orale- 
ment :  les  questions  varient  naturellement  suivant  les  sections; 
leur  durée  ne  dépasse  pas  une  heure.  Les  épreuves  pratiques 
viennent  à  la  fin  :  travail  manuel,  calligraphie,  comptabilité, 
croquis  approprié  à  chaque  section.  Le  chant  et  la  gymnas- 
tique achèvent  l'examen. 

Onze  cents  élèves  sortent  en  moyenne  des  5  écoles  mascu- 
lines, soit  220  par  école.  Plus  de  la  moitié  d'entre  eux  entrent 
dans  le  commerce  ou  l'industrie.  L'architecture,  la  banque, 
l'administration  financière,  les  beaux-arts  en  attirent  à  peu  près 
10  p.  100.  —  25  p.  100  rentrent  dans  leur  famille,  sans  destina- 
tion connue.  Les  autres  se  dirigent  vers  l'enseignement  pri- 
maire ',  quelques-uns  vers  l'enseignement   secondaire    ou    les 

1.  Il  y  a  dans  Paris  deux  écoles  normales  d'instituteurs  et  d'institutrices:  la 
première,  10,  rue  Molitor  ;  la  seconde  (pour  Paris  et  le  département  de  la  Seine), 


3o  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC  A   PARIS 

grandes  écoles.  Mais  une  voie  plus  directe  s'ouvre  devant  eux, 
pour  y  parvenir  :  c'est  le  Collège  Chaptal. 

Le  Collège  Chaptal  est,  en  effet,  par  définition,  le  trait  d'union 
entre  les  écoles  primaires  supérieures  et  les  lycées.  Le  décret 
organique  du  26  juillet  1895  le  dit  en  termes  très  nets  dès  son 
article  premier:  «  le  Collège  Chaptal  est  un  établissement  spé- 
cial d'enseignement  primaire  supérieur,  auquel  est  annexée  une 
section  d'enseignement  secondaire  moderne  ». J 

Il  remonte  à  1844:  il  fut  d'abord,  jusqu'en  1848,  «  l'École 
François  Ier  ».  Depuis  lors,  il  s'est  appelé  du  nom  qu'il  garde 
encore.  Son  fondateur,  Prosper  Goubaux,  était  un  professeur 
de  l'Université  ;  dix-neuf  années  avant  Victor  Duruy,  il  tenta  de 
réaliser  ce  qu'on  essayait  alors,  mais  plus  timidement,  à  Louis- 
le-Grand  et  à  Charlemagne  :  un  enseignement  véritablement 
moderne.  Il  rêvait  de  faire  des  élèves  qui  connussent  leur  temps 
et  comprissent  les  magnifiques  conquêtes  dues  à  la  civilisation 
contemporaine,  mais  qui  cependant  eussent  l'habitude  des 
bonnes  méthodes  intellectuelles  et  un  fonds  d'idées  générales  : 
ces  idées  n'ont-elles  pas  aidé  surtout  à  la  culture  de  l'esprit 
humain  et  ne  lui  gardent-elles  pas  sa  rectitude  et  sa  discipline  ? 
C'était  élever  d'un  degré  l'enseignement  primaire  supérieur, 
qui  groupe  déjà  l'élite  primaire:  Chaptal  s'adresse,  quant  à  lui, 
à  l'élite  de  cette  élite.  (PI.  16.) 

Mais,  en  1844,  quand  Goubaux  parlait  de  faire,  «  en  France, 
un  collège  véritablement  français  »,  le  ministre  refusa  de  l'en- 
tendre. La  Ville  le  comprit,  parce  qu'elle  l'écouta   et  l'Ecole 


56,  boulevard  des  Batignolles.  —  Il  y  a  aux  environs  de  Paris  deux  écoles  normales 
supérieures,  Tune  d'instituteurs  (à  Saint-Cloud);  l'autre  d'institutrices  [à  Fontenay- 
aux-Roses). 

1.  Lavergne,  op.  laud.;  M.  Greard  et  M.  Duplan  cit.,  pp.  296-297.  342. 


PI.  13, 


M-iair  riiiitj 


ECOLE    PRIMAIRE    SUPERIEURE   LAVOISIER.    —    COUR   DE   RECREATION. 

(Page  27.) 


ECOLE    PRIMAIRE    SUPÉRIEURE    ARAGO.    —    COUR   ET   PROMENOIRS. 

ivPage  27,) 


PI.  14 


Phot.  Pierre  Petit. 


ECOLE    PRIMAIRE    SUPERIEURE   JEAN-BAPTISTE    SAY 
DORTOIR   DES    PETITS    AU    RÉVEIL 


Phot.  Pierre    Petit. 
ÉCOLE    JEAN-BAPTISTE   SAY.    —   MANIPULATIONS    EN    PLEIN    AIR. 
Page  28). 


L'ENSEIGNEMENT   PRIMAIRE   APRÈS   TREIZE   ANS        31 

François  Ier  devint  école  municipale.  De  la  rue  Saint-Lazare, 
près  de  la  rue  La  Rochefoucauld,  elle  émigra  d'abord  rue 
Blanche,  puis,  de  1 863  à  1875,  elle  fit  bâtir  les  locaux  qui  font 
l'angle  de  la  rue  de  Rome  et  du  boulevard  des  Batignolles  ;  c'est 
là  qu'elle  s'installa  dans  son  logis  définitif  :  d'un  bon  tiers  plus 
grand  que  l'ancien,  avec  i3.5oo  mètres  de  superficie,  la  lumière 
et  le  gai  soleil  de  Paris  l'enveloppent  et  le  pénètrent.  L'aména- 
gement matériel  donna  aux  lycées  de  Paris,  qu'on  parlait  alors 
de  construire  ou  de  reconstruire,  un  des  premiers  exemples 
d'une  installation  modèle. 

Des  internes,  des  demi-pensionnaires,  des  externes:  au  total, 
une  moyenne  de  i.5oo  à  1.600  élèves,  sur  lesquels  l'externat 
absorbe  plus  d'un  millier1.  A  Chaptal,  comme  nous  le  verrons 
pour  les  lycées,  l'internat  ne  cesse  guère  de  diminuer  :  un 
discrédit  opiniâtre,  sinon  toujours  très  justifié,  le  poursuit. 
De  1875  à  1900,  c'a  été  pour  lui  un  effondrement:  un  sur  deux  des 
«  chaptaliens  »  étaient  internes  en  1875  ;  il  n'y  en  a  pas  aujour- 
d'hui 1  sur  i5  qui  le  soit  encore2. 

Si  la  pensée  du  fondateur  de  Chaptal  n'a  pas  péri,  ce  n'est  pas 
seulement  parce  que  la  Ville  puis  l'Etat  l'ont  recueillie,  c'est  aussi 
parce  que  M.  Goubaux,  mort  à  la  tête  du  collège,  en  1 858,  a 
eu  des  continuateurs  très  dignes  de  sa  mémoire  :  MM.  Mon- 
jean  jusqu'en  1 887,  M.  Coûtant  jusqu'en  1898,  M.  Boucher, 
puis  M.  Weill,  depuis  le  mois  d'octobre  de  cette  même  année. 


I.  ANNEES  INTERNES       1/2    PENSIONAIRES  EXTERNES  TOTAUX 

1875 580  297  326  1.205 

1900 130  370  1.000  1.500 

1904 120  400  1.050  I-57° 

1905 110  375  1174  ï-^59 

1910 83  378  i.iio  1.571 

1911 89  328  1.120  1.537 

1912 91  327  1.067  1-485 

2.  Chaptala  102.000  francs  de  bourses  d'internat.  Si  l'on  défalquait  les  boursiers, 
les  internes  seraient  beaucoup  moins  nombreux. 


32  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC   A  PARIS 

Le  Directeur  est  assisté  d'un  préfet  des  Études  et  de  deux 
surveillants  généraux,  nommés,  comme  lui,  par  le  ministre  de 
l'Instruction  publique.  Le  personnel  enseignant  est  divisé  en 
deux  sections  :  celle  de  l'enseignement  primaire  supérieur,  celle 
de  l'enseignement  secondaire  moderne.  Les  professeurs  de  la 
première  section  doivent  avoir  la  licence  ou  le  certificat  d'apti- 
tude ;  leur  traitement  varie  de  i  .800  francs  à  3. 000.  Il  est  aug- 
menté de  1 .000  francs  quand  le  professeur  est  aussi  directeur 
d'études.  Ceux  de  la  seconde  section  doivent  être  agrégés  et 
sont  assimilés  à  leurs  collègues  des  lycées  de  la  Seine  :  leur 
traitement  varie  donc  de  6.000  francs  à  9.500.  Un  professeur 
classé  dans  la  première  section  peut  être  également  chargé  de 
cours  dans  la  seconde  et  inversement.  Chaque  professeur  doit, 
chaque  semaine,  14  heures  d'enseignement  et  un  maximum 
de  16.  Chaque  heure  supplémentaire  est  payée  3oo  francs  par 
an. 

L'expérience  a  démontré  l'inconvénient  de  professeurs  spé- 
cialistes trop  multipliés  ;  les  élèves  sont  déroutés  par  ce  défile 
ininterrompu  de  maîtres.  Ils  gagnent  à  rester,  le  plus  longtemps 
possible,  placés  sous  une  discipline  unique.  Et  voilà  pourquoi 
on  a  imaginé  à  Chaptal  des  professeurs  directeurs  d'études. 

Il  y  a.  au  Collège  Chaptal,  trois  collèges  :  le  petit,  le  moyen, 
le  grand.  —  Le  petit  collège  se  fractionne  en  classes  élémen- 
taires et  en  division  de  grammaire.  Trois  classes  élémentaires  : 
neuvième,  huitième,  septième.  La  neuvième,  c'est  le  cours  élé- 
mentaire de  l'enseignement  primaire;  la  huitième  en  est  le 
cours  moyen  ;  la  septième,  en  est  le  cours  supérieur.  Trois 
classes  de  grammaire  :  sixième,  cinquième,  quatrième.  La 
sixième,  c'est  la  première  année  de  l'enseignement  secondaire 
moderne;  la  cinquième  en  est  la  seconde  année;  la  quatrième 
en  est  la  troisième  année. 


PI.  15. 


ECOLE  PRIMAIRE  SUPERIEURE  SOPHIE  GERMAIN.  —  COURS  DE  COMPOSITION  DÉCORATIVE. 

(Page  27. 


ECOLE    PRIMAIRE    SUPERIEURE    EDGAR-QLTXET 
LEÇON   DE    MORALE    DANS   LE    GRAND    AMPHITHÉÂTRE 

(Page  27.) 


PI.  16. 


COLLEGE  CHAPTAL.  —  ENTREE. 


i*  >»  .*'  i*  i»  t»  *»  *  *   J  I  t 

I  I  I 


COLLEGE    CHAPTAL.    —    VUE    GÉNÉRALE. 

Pagi 


l'ii..i.  \,,ii,,i~ 


L'ENSEIGNEMENT   PRIMAIRE  APRÈS   TREIZE   ANS        33 

«  Jusqu'en  troisième  année,  les  études  sont  communes  aux 
élèves  qui  doivent  faire  de  renseignement  classique  moderne 
ou  de  renseignement  commercial  et  industriel  ;  à  partir  de  ce 
moment,  les  enfants  ayant  montré  leurs  goûts  et  leurs  apti- 
tudes, on  les  dirige  dans  lune  ou  l'autre  voie.  » 

Après  la  troisième  année,  l'élève  passe  du  petit  collège  dans 
le  moyen  collège  et  de  la  division  de  grammaire  dans  la  divi- 
sion supérieure.  L'élève  qui  aspire  au  baccalauréat  moderne, 
passe,  en  cinquième  année,  les  examens  de  la  première  partie 
et,  en  sixième  année,  les  examens  de  la  seconde.  L'élève  qui  ne 
songe  pas  au  baccalauréat  entre,  dès  la  quatrième  année,  dans 
la  division  commerciale  et  y  complète  en  trois  ans  son  instruc- 
tion :  là,  outre  la  langue  et  la  littérature  française,  les  langues 
vivantes,  les  mathématiques,  la  topographie,  la  mécanique 
appliquée  aux  machines,  les  sciences  physiques,  chimiques  et 
naturelles,  la  géographie,  l'histoire  —  il  apprend  la  compta- 
bilité, le  change,  les  opérations  de  bourse,  la  législation 
commerciale  et  industrielle,  l'économie  politique,  le  dessin 
d'art  d'après  le  relief;  il  s'initie  aux  matières  premières 
employées  dans  l'industrie,  aux  procédés  de  production  et  de 
fabrication,  aux  grandes  usines. 

Quant  au  grand  collège,  il  prépare  (septième  année)  aux 
Ecoles  Saint-Cyr,  Centrale,  Ponts  et  Chaussées,  Mines;  et 
même  (huitième  année)  à  l'École  Polytechnique  et  à  l'Ecole 
Normale  supérieure. 

Au  concours  général  des  lycées  et  aux  grandes  écoles, 
Chaptal  a  fait  ses  preuvee;  il  y  a  conquis,  de  haute  lutte,  ses 
lettres  de  noblesse.  Et  les  mânes  de  Goubaux  ont  tout  lieu  de 
se  réjouir.  Le  «  Collège  français  »  qu'il  rêvait  de  donner  à  la 
France  n'a  pas  seulement  rempli  ses  destinées,  il  les  dépasse. 


LIVRE  II 

L'ENSEIGNEMENT  SECONDAIRE 


CHAPITRE  PREMIER 

HISTOIRE    GÉNÉRALE 
DES   LYCÉES   PARISIENS   DE    GARÇONS 

Les  lycées  de  Paris  ont  une  histoire  commune  et  une  his- 
toire particulière.  Ils  sont  les  fils  d'une  même  mère  ;  et,  si  les 
circonstances  se  sont  chargées  de  leur  donner  une  allure,  une 
fortune  et  une  personnalité  diverses,  ils  doivent  à  leur  origine 
un  air  de  ressemblance  très  fraternelle.  C'est  ce  que  nous  allons 
étudier  d'abord,  avant  de  passer  à  la  monographie  de  chacun 
d'eux. 

Leur  nom,  leur  cadre,  leur  personnel,  leur  vie  matérielle, 
intellectuelle  et  morale  les  rapprochent  sans  les  confondre  :  ce 
qui  est  vrai  pour  les  uns  reste  aussi,  avec  les  nuances  appro- 
priées, également  vrai  pour  les  autres.  Notons  ces  faits  géné- 
raux et  ces  nuances. 

Quand,  parla  loi  du  Ier  mai  1802,  (on  disait  alors  1 1  floréal 
an  X),  Bonaparte  créa  les  premiers  lycées,  il  emprunta,  en 
parfait  courtisan  de  la  mode,  leur  nom,  comme  le  sien,  à  l'an- 
tiquité.  Il  s'appelait   Consul,  comme  au  temps   de   la  Repu- 


HISTOIRE   DES   LYCÉES   PARISIENS   DE   GARÇONS  35 

blique  romaine  ;  il  les  appela  lycées,  comme  au  temps  de  la 
république  Athénienne.  Sur  les  bords  de  rillissos,  près  du 
temple  dédié,  sur  le  dernier  contrefort  de  THymette,  à  Apollon 
Lycoctone,  un  gymnase  avait  été  construit  pour  l'éducation  de 
la  jeunesse,  le  Lycée  ;  et  Ton  se  souvenait  qu'Aristote  y  avait 
enseigné  sa  doctrine.  Impossible  de  mettre  sous  un  patronage 
plus  illustre  les  établissements  nouveaux  destinés  à  remplacer 
les  écoles  centrales. 

Ce  nom  de  Lycée,  ce  n'était  pas  Bonaparte  qui  le  ressusci- 
tait puisqu'il  y  avait,  depuis  1782,  un  Lycée  de  Paris  situé,  rue 
de  Valois,  et,  depuis  1792,  un  Lycée  des  Arts,  installé  jadis 
dans  le  cirque  du  Palais  royal1.  Fourcroy,  qui  rédigea,  pour 
Bonaparte,  la  charte  constitutive  des  lycées,  avait  enseigné  au 
Lycée  de  Paris  et  c'est  lui  peut-être  qui  lui  emprunta  son  nom. 
N'objectons  pas  que  les  lycées  de  Paris  et  des  Arts  étaient  sur- 
tout consacrés  à  l'enseignement  supérieur  et  les  lycées  de  1802 
consacrés  à  l'enseignement  secondaire  ;  car,  nous  le  verrons,  les 
Lycées  en  1802  et  encore  longtemps  après,  furent,  à  Paris  sur- 
tout, de  véritables  Lycées-Facultés.  Et,  quand  fut  rétabli  le 
baccalauréat,  certains  lycées  furent  chargés  de  le  donner. 

Sous  la  Pvestauration  et  jusqu'en  1848,  il  n'y  eut  plus,  à 
Paris  et  en  province,  que  des  collèges  :  le  nom  de  lycée  fut 
proscrit.  Il  a  reparu  depuis  les  journées  de  février  et  s'est  main- 
tenu désormais. 

Les  Révolutions  firent  aux  noms  de  nos  premiers  lycées 
parisiens  l'honneur  de  s'acharner  sur  eux;  Louis-le-Grand, 
Henri  IV,  Condorcet  n'ont  pas  gardé  sans  luttes  leur  état  civil. 
De  1804  à  18 14,  Thomme  de  Brumaire  ne  consentit  à  traiter 

1.  Sur  eux,  v.  Ch.  Dejob,  De  l'établissement  connu  sous  le  nom  de  Lycée  et 
d'Athénée  et  de  quelques  établissements  analogues.  Paris,  Colin,  188g  in-8°.  B.  nat. 
8  R  13.574;  —  Y  Instruction  publique  en  France  et  en  Italie,  Paris  1894,  in-8°, 
B.  nat.  8  R  12.021. 


36  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC   A  PARIS 

en  confrère  que  le  fils  de  Pépin  le  Bref;  Charlemagne  eut  un 
lycée,  mais  son  ce  successeur  »  en  eut  trois  :  lycée  Impérial 
(Louis-le-Grand),  lycée  Napoléon  (Henri  IV),  lycée  Bonaparte 
(Condorcet).  De  i8i5  à  1848,  Louis-le-Grand  et  Henri  IV  con- 
quirent leur  collège;  Saint-Louis  acquit  le  sien;  mais  le  lycée 
qui  n'était  plus  Bonaparte  et  pas  encore  Condorcet  fut  le  lycée 
Bourbon.  En  1848  et  en  1870,  Louis-le-Grand  devint  Descartes 
et  Henri  IV  devint  Corneille.  Saint-Louis  même,  un  moment,  se 
laissa  déposséder  par  Monge.  Bourbon  redevenait  Bonaparte 
en  1848,  Condorcet  en  1870,  Fontanes  en  1874,  Condorcet  en 
i883.  Quant  au  lycée  du  Prince  impérial,  baptisé  en  1864,  il  fut 
appelé  lycée  de  Vanves,  en  1870,  avant  de  devenir,  depuis  1888, 
lycée  Michelet.  Lakanal  et  Montaigne,  Janson  de  Sailly,  Buffon, 
Voltaire  et  Carnot,  sont  trop  jeunes  pour  avoir  connu  les  rudes 
épreuves  de  leurs  anciens.  Et  de  même,  les  lycées  féminins  : 
Fénelon,  Molière,  Lamartine,  Racine,  Victor  Hugo,  Victor 
Duruy. 

La  place  et  le  cadre,  donnés  à  ces  lycées,  nous  aident  déjà 
quelque  peu  à  lire  dans  leur  âme.  Louis-le-Grand,  Henri  IV, 
Saint-Louis  sont  encore  aujourd'hui  à  quelques  pas  les  uns  des 
autres  et  Sainte-Barbe  est  toujours  au  milieu  d'eux;  sans 
même  parler  de  «  Sainte-Barbe-Rollin  »  qui  fut,  jusqu'en  1876, 
dans  leur  voisinage,  rue  des  Postes.  Que  l'on  regarde  une 
carte  des  collèges  parisiens  à  la  fin  de  l'ancien  régime,  on  les 
verra  tous  ou  presque  tous  entassés  sur  les  flancs  et  sur  le 
sommet  de  la  vieille  colline  de  Sainte-Geneviève  :  tous,  sauf  le 
collège  des  Bons-Enfants1,  étaient  sur  la  rive  gauche  de  la 
Seine  et,  sur  cette  rive,  un  seul,  le  collège  des  Quatre-Nations 

1.  Voir,  sur  ce  collège,  aux  Archives  nation.  M.  105-106  et  S  6373. 


HISTOIRE   DES   LYCÉES   PARISIENS   DE   GARÇONS  37 

(à  Tlnstitut)  était  autorisé  à  faire  bande  à  part.  Hors  du  pays 
latin,  un  collège  parisien  se  serait  cru  chez  les  barbares. 

En  vain  Paris  avait  fait  éclater  ses  enceintes  primitives  ;  il 
s'étendait,  sans  que  les  collèges  comprimés  à  l'extrême  s'éten- 
dissent avec  lui.  Ces  collèges  étaient  à  l'étroit  et  se  gênaient 
mutuellement,  qu'importe  !  il  s'agissait  de  rester  fidèles  au  sol 
ancestral  où  les  pierres  elles-mêmes  passaient  jadis  pour  parler 
latin.  Quand  les  Jésuites  furent  chassés,  on  s'aperçut  bien  que 
la  plupart  des  collèges  universitaires  agonisaient,  et  qu'il 
fallait,  pour  sauver  ce  qui  leur  restait  de  vie,  les  distribuer  autre- 
ment dans  la  capitale.  On  parla  d'en  loger  au  moins  un,  le  col- 
lège de  Lisieux,  sur  la  rive  droite,  près  de  l'église  Saint-Louis- 
Saint-Paul,  rue  Saint-Antoine,  dans  l'ancienne  maison  professe 
des  Pères.  Les  familles  de  ce  quartier  réclamaient  depuis 
longtemps  un  collège. 

Or,  on  démontra  que  ces  familles  avaient  tort  et  que  leurs 
intérêts  étaient  méprisables  :  l'enceinte  de  l'Université,  lepomœ- 
rium  Universitatis  i  s'opposait,  paraît-il,  à  ce  qu'on  laissât  les 
collèges  essaimer  à  travers  la  capitale.  Aucun  d'entre  eux  ne 
fut  donc  autorisé  à  franchir  les  ponts.  Et  Ton  se  contenta 
d'amonceler  vingt-sept  collèges  dans  les  murailles  croulantes  de 
Louis-le-Grand.  Pour  briser  enfin  le  sacro-saint  pomœrium,  il 
fallut,  ni  plus  ni  moins,  que  la  Révolution  française  s'en  mêlât. 
Après  cette  formalité  indispensable,  il  fut  permis  aux  lycées  de 
se  disperser  là  où  les  quartiers  nouveaux  se  dispersaient.  Leur 
essor  fut  enfin  mesuré  sur  celui  de  la  capitale  :  à  l'Ouest,  à  l'Est, 
au  Nord  :  Janson,  Buffon,  Rollin,  Voltaire,  Garnot  sortirent 
de  terre.  L'esprit  était  autorisé  à  souffler  où  il  voulait. 

Mais  l'empreinte  du  passé  n'est  pas  de  celles  que  l'on  efface 

1.  H.-L.  Bouquet,  L'ancien  collège  cTHarcourt  et  le  Lycée  Saint-Louis,  Paris, 
Delalain,  in-8°,  1891,  p.  412. 


38  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC   A  PARIS 

vite  !  Le  Paris  Gallo-romain  se  retrouve  encore  sous  les  murs 
de  Saint-Louis  et  de  Louis-le-Grand  :  les  cuisines  du  lycée 
Saint-Louis  sont  en  partie  logées  dans  un  amphithéâtre,  dont 
les  toges  ont  jadis  balayé  les  gradins.  Boulevard  Saint-Michel, 
rue  Racine,  rue  Saint-Jacques,  devant  la  façade  de  Saint- 
Louis,  dans  les  cours  intérieures  et  dans  le  vestibule  vitré  de 
Louis-le-Grand,  ont  passé  des  voies  romaines  et,  sur  leurs 
dalles  de  pierre  oblongues,  a  retenti  ce  qu'entendait  encore 
de  Hérédia, 

Le  lourd  piétinement  des  légions  en  marche. 

Une  partie  de  Louis-le-Grand  est  suspendue  au-dessus  des 
catacombes  et  Ton  s'en  aperçut  à  plus  d'une  reprise,  avant  la 
fin  du  xvme  siècle. 

Quant  au  Paris  de  Philippe-Auguste,  les  lycées  Saint-Louis, 
Henri  IV,  Charlemagne  nous  aideraient  au  besoin  à  le  faire 
revivre  :  tous  trois  sont  adossés  à  ce  qui  fut,  flanquée  de 
tours  demi-rondes,  la  muraille  d'enceinte  de  la  capitale,  au 
début  du  xme  siècle.  Songeons  que  cette  muraille  ne  cessa  pas 
jusqu'à  Louis  XIV  de  marquer,  pour  la  rive  gauche,  les  limites 
de  Paris  et  nous  comprendrons  qu'Henri  IV,  logé  dans  l'abbaye 
de  Sainte-Geneviève,  et  Saint-Louis,  logé  au  collège  d'Har- 
court,  étaient  à  l'extrême  périphérie  parisienne,  tandis  que 
Louis-le-Grand  lui-même  n'en  était  séparé  que  par  quelques 
toises.  Ils  eussent  été  alors  sur  la  frontière  de  Paris,  face  à  la 
banlieue. 

Les  quatre  plus  vieux  lycées  de  Paris  portent  encore  cette 
autre  marque  du  passé  :  ils  eurent  pour  premier  logis  d'anciens 
couvents1.  Louis-le-Grand  et  Charlemagne,  chez  les  Jésuites; 

i.  De  même  en  province.  Voici  quelques  lycées  ayant  succédé  à  d'anciens  col- 


HISTOIRE   DES   LYCÉES   PARISIENS   DE   GARÇONS  39 

Henri  IV,  chez  les  Genovéfains;  Condorcet  chez  les  Capucins. 
Quand  Saint-Louis  fut  ressuscité  (  1 8 1 2- 1 820) ,  ce  fut  chez  les  Cor- 
deliers  qu'on  eut  d'abord  le  dessein  de  le  mettre  à  Taise. 

Une  des  conséquences  de  ce  fait,  on  la  devine  :  ces  lycées, 
pendant  leurs  premières  années  tout  au  moins,  eurent  la  bonne 
fortune  de  n"ètre  pas  faits  seulement  de  moellons  et  de  ciments 
mais  de  prairies,  de  vergers,  de  beaux  arbres  et  de  jardins. 
Pourtant  ces  lycées  prospérèrent,  et  leur  succès  sonna  le  glas 
des  pauvres  jardins.  A  Louis-le-Grand,  l'Infirmerie  mit  en 
vain  les  derniers  arbres  sous  la  protection  des  malades.  Con- 
dorcet, Charlemagne,  Henri  IV  en  firent  le  domaine  réservé  du 
proviseur  :  peu  avant  1848,  la  rue  du  Havre  puis,  en  1864,  les 
nouveaux  bâtiments  du  collège  achevèrent  de  dévorer  à  Con- 
dorcet-Bourbon  les  derniers  restes  du  verger  des  Capucins  ;  à 
Charlemagne,  le  proviseur  Poirson,  qui  se  retira,  en  1 853,  était 
si  jaloux  de  son  enclos  réservé  qu'il  en  refusait  l'entrée  aux 
professeurs  et  au  censeur1.  Son  successeur,  Nouzeilles  (1 853- 
1872)  dut  sacrifier,  sinon  les  dernières  vignes,  les  dernières 
fleurs  de  ce  petit  domaine.  Plus  heureux,  le  proviseur  d'Henri  IV 
a  conservé,  jusqu'à  nous  et  pour  son  usage,  un  charmant  coin 
de  verdure2, épave  suprême  des  magnifiques  jardins  de  l'abbaye 
de  Sainte-Geneviève,  qui  couvraient  encore,  au  xvme  siècle,  la 


lèges  de  Jésuites  :  Agen.  Albi.  Alençon,  Amiens,  Angoulême,  Auch,  Aurillac, 
Avignon,  Bar-le-Duc,  Rastia,  Besançon,  Bourg,  Bourges,  Cahors,  Carcassonne, 
Charleville,  Chaumont,  Clermont,  Dijon,  Douai,  Grenoble,  Lyon,  Màcon,  Marseille, 
Montauban,  Montpellier,  Moulins,  Nancy,  Nevers,  Nice,  Nîmes,  Orléans,  Pau, 
Périgueux,  Poitiers,  le  Puy,  Quimper,  Reims,  Rennes,  Roanne,  la  Rochelle,  Rodez, 
Rouen,  Saint-Omer,  Sens,  Toulouse,  Tournon,  Tours,  Tulle,  Valenciennes.  —  En 
voici  d'autres,  logés  dans  des  couvents  n'ayant  pas  appartenu  à  des  Jésuites  :  Aix, 
Bordeaux,  (jusqu'en  1877-80),  Caen,  Chambéry,  Carcassonne  (petit  lycée),  Chartres, 
Guéret,  Mont-de-Marsan,  Saint-Étienne,  Versailles. 

1.  Voir  p.  144.  Une  famille  parisienne  universitaire,  par  Mme  Charles  Garnier, 
Paris,  Hachette,  in-8°,  191 1. 
2.  Voir  nos  planches  21   et  24. 


40  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC   A   PARIS 

place  du  Panthéon  et  la  débordaient.  Mais  en  191 2,  le  prolon- 
gement de  la  rue  de  Vaugirard  a  été  fatal  aux  quelques  arbres 
qui  s'obstinaient  à  rappeler  les  jardins  d'Harcourt.  Les  jardins 
des  Cordeliers  avaient  depuis  longtemps  achevé  de  mourir 
(PI.   19,  21,  24,   25). 

Dès  sa  naissance,  et  même  avant,  le  lycée  Montaigne  était 
appelé  à  grandir  sur  une  place  nette,  obtenue  aux  dépens  de 
la  Pépinière  du  Luxembourg,  exécutée  en  1867.  Les  mauvaises 
langues  tentèrent  de  se  venger  en  raillant  je  ne  sais  quel  minis- 
tère delà  Destruction  publique  et  des  Beaux-Arbres. 

Déjà  cependant  les  jardins  avaient  leur  revanche:  à  Vanves, 
c'est  l'ancien  jardin  des  princes  de  Condé  qui  fit  le  succès  du 
lycée,  fondé  en  1864.  Plus  tard,  en  i885,  à  Sceaux,  ce  fut  l'an- 
cien parc  de  la  duchesse  du  Maine  qui  milita  en  faveur  du  lycée 
Lakanal.  Et  le  voisinage  du  Bois  de  Boulogne  n'a  pas  été, 
depuis  1 885,  étranger  au  prestige  du  lycée  Janson. 

On  voit  le  revirement  :  les  arbres  semblaient  désormais  plus 
précieux  que  les  pierres.  On  comptait  sur  eux  pour  réhabiliter 
l'internat.  L'opinion  réclamait,  pour  les  pensionnaires,  des 
lycées,  à  la  campagne.  Le  grand  air,  le  soleil,  la  lumière,  l'es- 
pace ont,  depuis  lors,  les  honneurs  de  la  pédagogie. 

Ce  progrès  est  surtout  à  la  louange  de  notre  époque.  Je  sais 
bien  qu'il  faut  aux  Français  beaucoup  de  courage  pour  ne  pas 
se  calomnier.  Comment,  néanmoins,  ne  pas  reconnaître  l'admi- 
rable effort  qui  a  suscité  si  généreusement  depuis  un  demi- 
siècle,  depuis  une  trentaine  d'années,  surtout,  des  lycées  comme 
Michelet,  Montaigne  et  Lakanal,  comme  Janson,  BufFon,  Car- 
not  et  Voltaire  ?  Qu'on  les  compare  pour  le  cadre  et  pour  le 
décor  avec  les  lycées  d'autrefois  et  l'on  renoncera  peut-être,  si 
possible,  à  dire  trop  de  mal  de  notre  temps. 


HISTOIRE   DES   LYCÉES   PARISIENS   DE   GARÇONS  41 

Dans  ce  cadre  et  dans  ce  décor  si  heureusement  renouvelés, 
qu'a  été  le  personnel  ?  —  Ce  personnel  était  groupé  en  trois 
grandes  catégories  :  les  administrateurs,  les  professeurs  et  les 
maîtres.  Ces  catégories  ne  naissaient  pas  les  unes  des  autres  : 
les  administrateurs  ne  choisissaient  ni  les  professeurs  ni  les 
maîtres  ;  ils  ne  les  nommaient  pas.  Administrateurs,  professeurs 
et  maîtres  avaient  une  origine  commune  :  ils  dépendaient  du 
pouvoir  central,  c'est  le  chef  de  l'Université  qui  les  nommait, 
c'est  lui  qui  les  révoquait.  Ce  chef  ce  fut  d'abord,  en  principe, 
sous  le  bon  plaisir  de  Bonaparte  ou  de  Napoléon,  le  Ministre  de 
l'Intérieur  ;  c'était  en  réalité  le  Directeur  général  de  l'Instruc- 
tion publique,  Fourcroy1.  Fourcroy  fut  le  vrai  créateur  des 
lycées.  Cependant,  lorsque  l'Université  impériale  fut  organisée, 
par  décret  du  17  mars  1808,  et  qu'elle  eut  à  sa  tête  un  grand 
maître,  entouré  d'un  conseil,  Fourcroy  fut  écarté  et  Fontanes  fut 
choisi.  Son  traitement  fut  fixé  à  100.000  francs.  Fontanes,  qui 
semble  avoir  à  demi  trahi  Napoléon,  fut  d'abord  conservé  par  la 
Restauration,  mais  bientôt  Louis  XVIII  supprima  Fontanes,  en 
supprimant  le  grand  maître,  et  le  grand  maître  en  essayant  de 
supprimer  l'Université  (17  février  181  5).  Après  les  Cent-Jours, 
le  grand  maître  ne  fut  pas  rétabli  et  un  Directoire  de  cinq  per- 
sonnes, la  Commission  de  l'Instruction  publique,  le  remplaça. 
Toutes  les  nominations  des  lycées  émanaient  d'elle  ;  son  prési- 
dent qui,  jusqu'en  1820,  fut  Royer-Collard,  était  le  vrai  succes- 
seur du  grand  maître. 

Quand  ce  président  fut  l'abbé  Frayssinous,  bientôt  évêque 
d'Hermopolis,  la  dignité  de  grand  maître  fut  ressuscitée 
et  l'Université  reprit  son  nom  (1822)  ;  six  ans  plus  tard,  le 
grand  maître,  affranchi   jusque-là  de  toutes  les  responsabilités 

1.  Voir  A.  Aulard,  Napoléon  Ier  et  le  monopole  universitaire,  Paris,  A.  Colin, 
1911,  in-8°,  p.  141,  170,  203  etc. 


42  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC   A  PARIS 

gouvernementales,  reçut  un  titre  nouveau  qu'il  a  depuis  gardé  : 
le  ministère  de  l'Instruction  publique  étant  créé,  il  en  fut  le 
ministre. 

Déjà  l'ancienne  Commission  de  l'Instruction  publique  s'appe- 
lait le  Conseil  royal  de  l'Instruction  publique.  Ce  Conseil,  plu- 
tôt encore  que  le  ministre,  fit  jusqu'en  1845  les  nominations 
de  tout  le  personnel  des  lycées.  Cousin,  Villemain,  Thénard, 
Poinsot,  Jouffroy,  Saint-Marc  Girardin,  Dubois  en  firent  partie 
et  c'est  entre  leurs  mains  que  l'Université  remit  ses  destinées. 
Le  ministre  Salvandy,  de  1845  jusqu'en  1848,  s'efforça  de  rendre 
au  ministre  l'autorité  que  le  Conseil  lui  paraissait  avoir  usurpée  : 
mais  cette  usurpation  avait  été  bienfaisante  et  le  personnel  des 
collèges  avait  à  s'en  applaudir  bien  plutôt  qu'à  s'en  plaindre. 

La   Révolution  de   1848  fut  aussi   une  révolution  universi- 
taire :  la  liberté  de  l'enseignement  fit  place  au  monopole  d'Etat 
créé  par  Napoléon  Ier.  La  loi  Falloux,  en  i85o,  aida,  pour  sa  part, 
à  la  transformation  de  l'ancien  Conseil,  qui  cessa  d'être  perma- 
nent et  dut  se  réunir  seulement  quatre  fois  l'an.  Il  prit  le  nom, 
qu'il  garde  encore,  de  Conseil  supérieur  de  l'Instruction  publi- 
que. Son  autorité  passée  ne  lui  fut  plus  rendue,  les  bureaux  en 
héritèrent.  Sous  l'Empire,  le  personnel  des  lycées  fut  à  leur 
discrétion  et  à  celle  du  ministre.  En  i85'2,  (décret  du  9  mars), 
sous  prétexte  de  «  relever  la  hiérarchie  »,  l'autorité  centrale,  sans 
plus  s'embarrasser  dans  les  lenteurs  de  l'ancienne  procédure, 
ressaisit  le  droit  de  nommer  et  de  révoquer  directement  tous 
les  professeurs.  Ce  fut  le  régime  dictatorial  jusqu'au  jour  où, 
grâce   à  M.    Duruy,   quelques  garanties  furent  rendues   à   ce- 
personnel  :  un  comité  de  cinq  membres,  choisi  dans  le  sein  du 
Conseil,    fut  appelé  à   donner  son  avis  et  à  le  motiver,  avant 
qu'un   professeur  menacé  de  révocation  pût  être  frappé.    On 
accordait  désormais  à  l'inculpé  le  droit  de  se  défendre  :  il  avait 


HISTOIRE   DES   LYCÉES   PARISIENS   DE   GARÇONS  43 

fallu  un  ministre  libéral  pour  accorder  ce  droit,  par  grande 
grâce.  Méditons  cette  générosité  :  elle  en  dit  long. 

De  1871  à  1873,1e  ministre  fut  sans  Conseil  et  sans  contrôle. 
Depuis  1873,  le  Conseil  fut  reconstitué;  lès  inspecteurs  géné- 
raux, que  Napoléon  Ior  avait  créés,  étaient,  depuis  1808,  presque 
toujours  pressentis  pour  les  nominations  du  personnel  ;  ce  qui 
était  jusque-là  un  fait  eut  tout  l'air  de  se  transformer  à  l'avenir 
en  droit  :  le  Comité  consultatif  fut  créé.  Mais  auprès  du  minis- 
tre, qui  passait,  les  bureaux,  qui  demeuraient,  parurent  bien 
des  fois  investis  de  la  toute-puissance.  C'est  à  leur  expérience 
que  le  ministre  se  confiait.  Aussi,  comme  ses  collègues  de  l'en- 
seignement supérieur  et  de  l'enseignement  primaire,  le  chef 
de  division  de  l'enseignement  secondaire  fut  élevé  au  rang  de 
Directeur. 

Veut-on  comprendre  quelle  indépendance  laissèrent  au  per- 
sonnel des  lycées  les  régimes  passés  ?  Un  petit  nombre  de  faits 
nous  édifieront  peut-être.  Sous  le  premier  Empire,  les  deux 
principaux  administrateurs  d'un  lycée  n'avaient  pas  le  droit  de 
déserter  les  bannières  du  célibat  et  leur  face  devait  être  exac- 
tement rasée.  Les  fonctionnaires  étaient  passibles  des  arrêts. 
Sous  la  Restauration,  les  professeurs  demandaient  à  leurs  supé- 
rieurs l'autorisation  de  se  marier.  Dans  les  premières  années 
du  second  Empire,  ce  fut  d'abord  à  l'obligation  du  serment 
(28  avril  1 852)  que  tout  le  personnel  fut  soumis  :  dans  les  lycées 
de  Paris  et  à  Louis-le-Grand  par  exemple,  des  démissions 
retentissantes  furent  données  :  Emile  Deschanel  et  E.  Despois 
préférèrent  leur  conscience  à  leur  fortune  et  à  leur  carrière.  Ce 
fut  ensuite  la  défense  de  voyager  sans  autorisation  spéciale.  Ce 
fut  aussi  l'ukase  interdisant  le  port  de  la  barbe  «  attendu  qu'il 
importe,  disait  la  circulaire  du  20  mars  18 52,  que  les  dernières 
traces  de  l'anarchie  disparaissent  ».  Tels  proviseurs,  à  Charle- 


44  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC   A  PARIS 

magne,  par  exemple,  M.  Nouzeilles,  signalaient  leur  zèle  en  se 
faisant  auxiliaires  des  meilleurs  rasoirs.  Ailleurs,  on  hésitait, 
ici,  les  favoris  étaient  sauvés,  là  c'était  le  collier,  ou  la  mouche, 
ou  Timpériale.  Mais  Sarcey  se  perdit,  ayant  osé  demander  à 
son  recteur  de  garder  la  barbe  espérant  qu'on  verrait  «  mous- 
taches au  delà  de  la  Loire,  barbiche  en  deçà  ». 

Outre  les  règlements  généraux,  relatifs  à  tout  le  personnel 
des  lycées,  il  y  avait,  on  le  devine  bien,  des  règlements  parti- 
culiers aux  administrateurs,  ou  aux  professeurs  ou  aux  maîtres. 

A  Paris,  les  lycées,  puis  les  collèges  de  l'État,  furent  dirigés 
par  un  Proviseur,  assisté  d'un  Censeur  et  d'un  Procureur-gérant 
ou  Econome.  Ce  nom  de  Proviseur  fut  emprunté  par  Fourcroy 
ou  Napoléon  à  quelques  collèges  de  la  vieille  Université  :  ainsi 
la  Sorbonne  et  d'Harcourt.  Et  on  l'appelait  de  la  sorte  parce 
qu'il  devait  être  la  providence  du  collège  et  pourvoir  à  toutes  les 
nécessités  temporelles  ou  spirituelles  de  la  maison.  La  centra- 
lisation que  Napoléon  réorganisa  en  France  avec  la  force  que 
l'on  sait  ne  laissa  pas  au  proviseur  le  choix  de  ses  subordonnés  : 
censeur,  économe,  aumônier,  professeurs  et  maîtres.  Elle  lui 
ôta  pareillement  le  droit  de  les  révoquer.  Elle  ne  lui  laissa  que 
le  choix  des  maîtres  d'agrément,  des  maîtres  d'escrime  et  des 
médecins.  Le  proviseur  n'eut  même  pas  le  droit  de  correspondre 
directement  avec  le  grand  maître,  la  Commission  d'Instruction 
publique,  le  Conseil  royal  ou  le  ministre.  Il  lui  fallut  passer 
par  l'intermédiaire  du  recteur  ou  vice-recteur,  et,  à  l'occasion, 
de  l'Inspection  académique  de  Paris.  Chaque  année,  il  lui  fallut 
dresser,  quelques  semaines  avant  les  vacances,  un  rapport  géné- 
ral sur  son  établissement,  sa  situation  matérielle,  intellectuelle 
et  morale  et  apprécier  chaque  fonctionnaire.  Nous  avons  con- 
sulté aux  Archives  nationales  un  grand  nombre  de  ces  rapports, 
dont  l'intérêt  nous  a  paru  très  vif.  C'est  que  l'autorité  du  proviseur 


HISTOIRE   DES   LYCÉES   PARISIENS   DE   GARÇONS  45 

s'étend  au  lycée  tout  entier,  à  l'infirmerie,  aux  cuisines,  aux  réfec- 
toires, comme  aux  études.  Il  est  l'âme  du  Lycée. 

Le  choix  des  proviseurs  de  Paris  a  trahi,  depuis  un  siècle 
et  plus,  les  préoccupations  successives  du  pouvoir.  Napoléon  Ier 
emprunta,  pour  diriger  ses  lycées,  les  universitaires  d'ancien 
régime,  Champagne,  Wailly,  Guéroult,  Binet,  etc.,  mais  il 
laissa  presque  toujours  les  ecclésiastiques  à  la  province  J  ;  à 
Paris,  il  se  contenta  presque  de  ci-devant  abbés.  La  plupart  des 
professeurs  avant  1789  étaient  engagés  dans  les  ordres  ;  chercher 
d'anciens  professeurs,  c'était  donc  chercher  d'anciens  prêtres. 
Laïciser  complètement  l'Université  et  les  lycées  était  alors,  en 
pratique,  presque  irréalisable  et  Napoléon  le  savait  bien.  Il  ne 
négligeait  pas  du  reste,  et  avec  grande  raison,  ce  qui  pouvait 
rehausser  le  prestige  d'un  proviseur  de  Paris  :  la  Légion  d'hon- 
neur, par  exemple,  et  l'Institut". 

La  Restauration,  qui  avait  fait  cependant  de  l'abbé  Nicolle 
le  recteur  de  l'Académie  de  Paris  et  de  Mgr  Frayssinous  le 
premier  ministre  de  l'Instruction  publique,  n'osa  pas,  à  Paris, 
sauf  pour  Saint-Louis,  choisir  des  proviseurs  franchement 
ecclésiastiques.  C'est  peut-être  à  Bourbon  surtout  qu'elle  eut, 
puisqu'elle  se  résignait  à  ne  pas  mettre  partout  des  prêtres,  le 
proviseur  qu'elle  rêvait,  Legrand.  Elle  laissa  Auguste  de  Wailly 
à  Henri  IV,  mais  à  Louis-le-Grand  elle  ne  considéra  jamais 

1.  Ainsi,  à  Amiens,  1810-4;  Bordeaux,  de  1803  à  1814,  trois  proviseurs,  tous  trois 
abbés.  Bourges,  1812-5  ;  Caen,  1812-19;  à  Cahors,  comme  à  Bordeaux  ;  à  Grenoble 
depuis  181 1  ;  à  Limoges,  1809-1813;  à  Marseille,  22  décembre  1802-19  septembre 
1804  ;  à  Montpellier,  depuis  181 1  ;  à  Moulins  de  1810  à  1813  ;  à  Nancy,  depuis  1813; 
à  Nantes,  1807-12;  1814-6;  à  Nîmes,  1806-9;  à  Orléans,  1803-15;  à  Pau,  depuis 
1809  ;  à  Poitiers,  depuis  181 1  ;  à  Pontivy,  depuis  1808  ;  à  Reims,  1808-11  ;  à  Rennes, 
1813-5;  à  Rodez,  depuis  1812  ;  à  Rouen,  depuis  1810,  —  à  Paris,  de  Sermand  et 
Taillefer  (lycée  impérial)  étaientabbés  ou  l'avaient  été. 

2.  Étaient  chevaliers  de  la  Légion  d'honneur,  Champagne,  proviseur  du  lycée 
Impérial;  de  Wailly,  proviseur  du  lycée  Napoléon. 

Crouzet,  proviseur  de  Charlemagne,  était  correspondant  de  l'Institut;  Champagne 
était  membre  de  l'Institut. 


46  L'ENSEIGNEMENT  PUBLIC  A  PARIS 

comme  vraiment  définitive  l'installation  de  Mallevai  :  elle  lui 
reprochait  d'avoir  grandi  sous  la  Révolution  !  Du  moins,  pour 
choisir  ses  proviseurs,  aucune  fonction  universitaire  antérieure 
ne  lui  paraissait  trop  haute  :  ni  celle  de  doyen  de  Faculté,  ni 
celle  d'Inspecteur  général,  ni  celle  de  Recteur1. 

Si  les  collèges  parisiens,  sous  le  Gouvernement  de  juillet,  ont 
eu  un  personnel  d'élite,  les  proviseurs  de  ce  temps  semblent 
pour  la  plupart  avoir  été  l'élite  de  l'élite  :  Pierrot-Desseilligny, 
puis  Rinn,  à  Louis-le-Grand  ;  Poirson,  à  Saint-Louis  puis  à 
Charlemagne  ;  Alfred  de  Wailly,  à  Henri  IV  ;  Alexandre  et 
Bouillet,  à  Bourbon,  sans  même  parler  de  l'admirable  Defau- 
conpret,  directeur  de  Rollin.  Et  comment  ne  pas  remarquer  que 
les  plus  notables,  parmi  ces  hommes  choisis,  étaient  recrutés 
dans  les  chaires  de  nos  lycées  et  spécialement  dans  les  chaires 
de  Rhétorique  :  c'était  le  professeur  qui  avait  commencé  le 
renom  de  l'administrateur. 

L'Empire  trouva  la  méthode  excellente  et  la  continua  :  il 
eut,  au  début  surtout,  la  main  lourde  et  à  Charlemagne  il  dis- 
gracia Poirson.  Un  des  proviseurs  les  plus  notables,  ce  fut  incon- 
testablement, à  Louis-le-Grand  puis  au  Prince-Impérial,  M.  Jul- 
lien.  Et  la  politique  ne  contribua  pas  seulement  à  nouer  à  son 
cou  la  cravate  de  commandeur  ;  ce  beau  geste  n'a  guère  été 
renouvelé  depuis,  sinon  en  faveur  de  M.  Nouzeilles,  proviseur 
à  Charlemagne. 

La  troisième  République  a  persisté  à  demander  ses  provi- 
seurs aux  chaires  principales  des  lycés  parisiens  :  MM.  Girard, 
Gidel,  Fallex,  Grenier,  Blanchet,  Dhombres,  Suérus,  Gazeau  et 
Ferté  ont  pu,  grâce  à  cette  sélection,  passer  aux  premières 
places.    La   vieille  tradition   s'est  cependant  précisée   sur   un 

i.  Voir  plus  bas,  Coll.  Louis-le-Grand,  p.  93  et  suiv. 


HISTOIRE   DES   LYCÉES   PARISIENS   DE   GARÇONS  47 

point  ;  il  n'est  plus  d'usage  de  prendre  un  professeur  à  sa 
chaire  pour  le  nommer  directement  à  Paris  proviseur,  ce  qu'on 
avait  fait  jadis  avec  Malleval,  Pierrot,  Rinn,  Girard,  etc.  ;  on  lui 
impose  un  stage  dans  le  censorat  parisien  ou  le  provisorat  pro- 
vincial. Enfin  si  tous  les  lycées  parisiens  sont  égaux,  il  semble 
d'abord  que  ceux  de  la  banlieue  rurale  soient  considérés  comme 
l'avant-dernière  étape  pour  atteindre  les  grands  lycées  urbains. 
Et  puis  certains  lycées  d'externes,  Montaigne  et  Condorcet 
sont  particulièrement  recherchés  :  depuis  un  demi-siècle,  tous 
les  proviseurs  de  Condorcet  sont,  sauf  une  seule  exception, 
venus  de  Louis-le-Grand. 

Les  censeurs1  de  Paris  ont  toujours  été  grands  favoris 
parmi  les  candidats  aux  provisorats  de  la  capitale.  Et  l'on  con- 
viendra que  c'est  justice  :  peu  de  fonctions  sont  plus  ingrates, 
plus  utiles  et  plus  dignes  de  récompenses. 

Ce  ne  sont  pas  seulement  les  proviseurs  de  province  mais 
les  professeurs  de  Paris,  beaucoup  plus  que  les  surveillants 
généraux,  qui  assurent  le  recrutement  du  censorat.  Ces  pro- 
fesseurs eurent  longtemps  une  hiérarchie  très  distincte  des 
«  classes  »  actuelles  ;  l'agrégé,  le  professeur-adjoint,  le  titulaire. 

Les  grades  ou  les  titres,  l'ancienneté  ou  le  traitement  étaient 
la  cause  ou  l'effet  de  cette  hiérarchie-là.  Rien  de  nouveau,  ni 
dans  les  grades,  puisque  c'étaient  le  baccalauréat,  la  licence, 
le  doctorat,  ni  dans  le  titre  puisque  c'était  surtout  l'agréga- 
tion ;  l'ancien  régime  les  avait  créés  et  nous  les  avons  encore. 
La  nouveauté  résidait  ailleurs,  dans  la  façon  dont  grades  et 
titres  furent  quelque  temps  conférés.  Aujourd'hui  on  ne  les 
obtient  qu'à  la  suite  d'examens  et  de  concours.  Dans  les  pre- 
mières années  de  l'Université,  le  stage  professionnel  dispen- 

i.  Napoléon  Ier  exigea  d'eux  la  licence  et  des  Proviseurs  le  Doctorat,  mais  il  le 
donna  au  besoin  à  ceux  qui  ne  l'avaient  pas.  Voir  p.  48. 


48  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC   A   PARIS 

sait  de  l'examen  et  du  concours.  Et  ce  stage  était  mieux  qu'une 
équivalence  :  il  conférait  le  diplôme  de  bachelier  ou  de  doc- 
teur ou  d'agrégé.  Sous  Louis  XVIII  encore  et  point  seulement 
sous  Napoléon  Ier,  nous  en  avons  trouvé  maint  exemple1. 

En  principe,  l'Empereur  avait  édicté  que  le  baccalauréat 
serait  nécessaire  pour  les  professeurs  de  sixième,  de  cinquième, 
de  quatrième  et  de  troisième  ;  la  licence,  pour  les  professeurs  de 
seconde  et  de  première  ;  le  doctorat  es  lettres  ou  es  sciences, 
pour  les  professeurs  de  belles-lettres  ou  de  mathématiques 
transcendantes.  En  pratique,  il  fut  convenu  qu'on  n'exigerait 
ces  grades  qu'à  partir  de  i8i5  et  la  faveur,  en  certains  cas, 
a  pu  prolonger  ce  délai  plus  tard. 

C'est  surtout  l'ancienneté  des  services  et  le  talent  qui  sem- 
blaient respectables  :  grades  et  titres  ne  venaient  qu'ensuite. 
Aux  environs  de  i83o,  les  examens  et  les  concours  provoquaient 
moins  d'enthousiasme  que  depuis.  Dans  les  lycées  de  Paris,  le 
nombre  des  professeurs  titulaires  était  donc  beaucoup  moindre 
qu'aujourd'hui.  Napoléon  aurait  même  voulu  en  arrêter  le 
chiffre  maximum.  Il  y  a  40  immortels  à  l'Académie  ;  il  y  aurait 
eu  tant  de  professeurs  par  lycée.  Nous  verrons  qu"à  Rollin  le 
chiffre  de  10  ne  pouvait  être  dépassé. 

Cette  limitation  nous  semble  chimérique  puisqu'elle  semble 
condamner  d'avance  l'essor  d'un  lycée  :  si  le  nombre  des  élèves 
double,  nous  jugeons  que  le  nombre  des  professeurs  doit 
augmenter  en  proportion.  Sans  doute.  Mais  notre  raisonnement 
oublie  que  pour  Napoléon,  comme  pour  l'abbé  Nicolle,  la  popu- 
lation scolaire  d'un  lycée  ou  d'un  collège  devait  être  arrêtée 
d'avance  à  un  chiffre  invariable.  Passé  ce  chiffre,  l'éducation 
en  commun  devient  trop  difficile;  cette  idée  n'a  rien  d'absurde, 

I.  Voir  notre  Histoire  du  lycée  Louis-le-Grand,  en  préparation. 


HISTOIRE   DES   LYCÉES   PARISIENS    DE   GARÇONS  49 

en  elle-même,  il  s'en  faut.  On  crut  bon  cependant  d'y  renon- 
cer :  une  classe  fut  divisée  en  plusieurs  sections.  Mais  la  classe 
ne  perdit  pas,  pour  si  peu,  son  unité.  Il  y  eut  un  seul  profes- 
seur titulaire,  aidé  d'un  ou  plusieurs  professeurs  adjoints.  Et, 
parmi  les  professeurs  adjoints,  il  y  avait  le  premier,  le  second, 
le  troisième  adjoint.  Victor  Duruy,  en  1848,  était  premier  pro- 
fesseur adjoint  à  Saint-Louis.  Nos  lycées  parisiens  avaient  leurs 
professeurs  adjoints,  comme  notre  enseignement  supérieur  a  les 
siens.  On  devine  bien  que  les  professeurs  adjoints  jalousaient 
fort  souvent  le  professeur  titulaire.  M.  de  Salvandy,  dans  les 
dernières  années  de  Louis-Philippe,  commença  le  relèvement  du 
professorat  adjoint.  Mais  la  subordination  de  l'adjoint  au  titu- 
laire ne  cessa  vraiment  qu'en  1873,  quand  les  professeurs 
adjoints  disparurent,  sous  cette  première  forme1.  Et  il  put  y 
avoir,  pour  une  seule  classe,  plusieurs  titulaires.  La  consé- 
quence, ce  fut  l'augmentation  du  nombre  des  professeurs  dans 
les  lycées  parisiens. 

Au-dessous  des  professeurs  adjoints,  eux-mêmes  subor- 
donnés aux  professeurs  titulaires,  étaient  les  simples  agrégés. 
C'étaient  des  suppléants.  Si  aucun  titulaire  ni  aucun  adjoint  ne 
s'absentait  durant  Tannée  entière,  les  agrégés  restaient,  cette 
année-là,  sans  emploi.  Suppléants,  ils  n'avaient  eu  personne  à 
suppléer.  Napoléon  Ier  avait  décidé  que  les  agrégés,  de  la  sixième 
à  la  troisième,  devraient  avoir  le  baccalauréat  ;  que  les  agrégés 
de  seconde  auraient  la  licence  et  que  les  agrégés  de  belles- 
lettres  ou  de  mathématiques  transcendantes  auraient  le  doc- 
torat. Arriver  à  l'agrégation  c'est  aujourd'hui  pour  un  candidat 
au  professorat,  franchir  l'étape  décisive  ;  s'évader  de  l'agréga- 
tion ce  fut  jadis  pour  lui  l'ambition  suprême. 

1.  lis  ont  reparu  récemment  sous  une  seconde  forme,  dont  nous  parlerons  plus 
loin,  p.  55-6. 


5o  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC   A  PARIS 

Les  agrégés  se  recrutaient  presque  uniquement  parmi  les 
élèves  de  l'École  normale  supérieure,  et  les  agrégés  depuis  1822 
ne  furent  plus  choisis  qu'au  concours.  En  i852,  on  annonça  que 
ce  concours  serait  supprimé  pendant  deux  ans  ;  que  nul  ne 
pourrait  s'y  présenter  avant  l'âge  de  vingt-cinq  ans  ni  avant 
d'avoir  enseigné  trois  ans  ;  enfin  que  les  agrégations  spéciales 
de  philosophie  ou  d'histoire,  n'existeraient  plus  ;  on  les  con- 
damnait, sous  le  prétexte  qu'elles  relèvent  seulement  de  la 
dispute,  de  la  curiosité  et  de  l'érudition.  Elles  avaient  conduit 
trop  vite,  disait-on,  au  dédain  de  la  haute  culture  littéraire1.  Il 
fallut  attendre  le  ministère  Duruy  pour  ressusciter  les  agréga- 
tions sacrifiées. 

On  sait  ce  que  sont  de  nos  jours  devenus  les  agrégés  ;  nul  à 
Paris  et  même  en  province  n'est  professeur  de  lycée  s'il  n'est 
agrégé.  Mais  depuis  le  relèvement  de  la  Sorbonne  et  des  Uni- 
versités, l'Ecole  normale  supérieure  doit  affronter  des  concur- 
rences de  plus  en  plus  rudes.  Aujourd'hui,  dans  les  lycées  de  Paris, 
il  n'y  a  plus  que  des  professeurs  et  des  chargés  de  cours.  Toutes 
les  chaires  de  professeurs  sont  égales  et  ce  sont  de  beaucoup 
les  plus  nombreuses.  Au-dessous  d'elles  sont  les  chaires  réservées 
aux  chargés  de  cours,  licenciés  et  non  agrégés,  que  leur 
mérite  et  leurs  services  ont  eu  grand'peine  à  sauvegarder  jus- 
qu'à nous.  Leur  nombre  va  diminuant. 

Les  doctorats  dans  les  lycées  de  Paris,  ne  cessent  pas  d'aug- 
menter :  mais  jusqu'ici,  le  doctorat  ne  recommande  un  profes- 
seur que  s'il  a  été  conquis  à  la  suite  d'une  thèse  vraiment 
remarquée. 

Depuis    la    Restauration,   l'ancienneté    des   services   avait 


1.  Voir.  Bibliothèque  générale  des  sciences  sociales,  tome  XLII  (Librairie  Félix 
Alcan)  La  lutte  scolaire  en  France  au  XIX0  siècle.  Le  ministère  Fortoul,  par 
Ch.  Seignobos,  p.  183  (iqi2,  in-8°). 


HISTOIRE   DES   LYCÉES   PARISIENS   DE  GARÇONS  51 

besoin,  pour  être  comptée,  d'un  stage  dans  les  lycées  de  Pro- 
vince. La  longueur  de  ce  stage  n'a  cessé  de  varier  suivant  les 
époques,  les  personnes  et  les  besoins  de  l'enseignement. 
Aujourd'hui,  une  dizaine  d'années  sont  requises  pour  les  mathé- 
matiques, les  sciences  physiques,  la  philosophie,  l'histoire,  les 
lettres  et  la  grammaire.  Dans  les  langues  vivantes,  de  1902  à 
19 10,  l'avancement  a  été  beaucoup  plus  rapide.  De  i885  à 
1895,  la  création  de  nombreux  lycées  parisiens  avait  considé- 
rablement abrégé  la  durée  du  stage  provincial  :  mais  les 
années  grasses  sont  passées  et  l'avancement  est  aujourd'hui 
retardé.  D'autant  plus  que  les  retraites  demandées  à  soixante 
ans  se  font  rares  :  et  plus  rares  encore,  les  retraites  accordées 
à  cet  âge.  Certains  professeurs  de  lycée  ont  plus  de  soixante- 
cinq  ans  et,  comme  leurs  élèves  ne  s'en  doutent  guère,  l'admi- 
nistration supérieure  a  le  tact  de  paraître  l'ignorer,  elle  aussi. 

Les  suppléances  ont  bien  pu  parfois  mettre  en  relief  de 
jeunes  talents  ;  mais  peut-être  ont-elles  valu  aux  lycées  pari- 
siens de  181 5  à  1870,  plus  de  dommages  que  d'avantages. 
C'est  du  moins  ce  que  l'étude  très  attentive  du  lycée  Louis-le- 
Grand  nous  a  révélé  :  souhaitons  qu'il  en  ait  été  autrement 
ailleurs.  En  tout  cas,  il  semble  bien  que,  depuis  quarante  ans, 
les  suppléances  semestrielles  ou  annuelles  et  dues  à  d'autres 
causes  qu'à  des  raisons  de  santé  soient,  pour  peu  qu'on  les 
compare  à  celles  de  i83o  à  1848,  en  voie  de  décroissance. 

Le  traitement  des  professeurs  des  lycées  de  Paris  était 
de  3.000  francs  en  1802!  il  sera  en  1914,  pour  la  ire  classe,  de 
8.000  francs  et  de  5.5oo  pour  la  dernière.  N'en  concluons  pas 
trop  vite  que  ce  traitement  a  augmenté  :  d'abord  parce  que 
3.ooo  francs  en  1802  valaient  probablement  —  la  précision  est 
imposssible  en  ces  matières  —  près  de  9.000  francs  en  191 3 
(ne  venons -nous  pas  depuis  moins  de  dix  ans  d'assister  à   un 


52  L'ENSEIGNEMENT  PUBLIC  A   PARIS 

renchérissement  de  la  vie  que  les  économistes  estiment  à  plus  de 
33  p.  ioo?).  D'autre  part,  outre  leur  traitement  fixe1,  les  profes- 
seurs titulaires,  puis  les  professeurs  adjoints  recevaient  un  traite- 
ment à  chiffre  variable  et  assez  justement  nommé  V éventuel.  Cet 
éventuel  qu'ils  avaient  déjà  en  1802,  ils  l'eurent  jusqu'au  décret 
du  25  septembre  1872.  Pour  le  former,  on  ajoutait,  au  dixième  de 
la  pension  de  chaque  élève  payant,  les  deux  tiers  de  la  rétribu- 
tion fournie  par  les  externes  \  En  i83i,  on  estimait  au  collège 
Rollin  que  l'éventuel  des  collèges  royaux  de  Paris  était  de 
90  francs  par  élève,  sans  compter  le  dividende  des  bénéfices 
annuels3.  Pour  Louis-le-Grand,  nous  avons  constaté,  aux  Ar- 
chives nationales,  le  chiffre  de  l'éventuel  :  il  atteignait 
3.ooo  francs  et  pouvait  ainsi  doubler  et  au  delà  le  traitement 
des  professeurs.  L'éventuel  était  calculé  non  pas  classe  par 
classe,  mais  pour  l'ensemble  du  lycée.  On  divisait  le  total  par 
le  nombre  des  ayants  droit  :  la  part  de  chacun  était  égale.  Les 
professeurs  de  chaque  lycée  attendaient,  chaque  année,  l'éven- 
tuel avec  émotion  ;  ils  comptaient  sur  lui  pour  exécuter  leurs 
projets  de  vacance  et  de  famille.  Au  lycée  Charlemagne, 
Mme  Bary,  femme  du  professeur  de  physique,  écrivait4,  le  12  no- 
vembre 1 853,  à  son  fils,  professeur  débutant  au  lycée  de  Saint- 
Omer  :  «  quant  aux  finances,  ton  père  dit  que  notre  éventuel 
étant  meilleur,  cette  année,  nous  pourrons  un  peu  réparer  les 
malheurs  du  tien.  Nous  paierons  ton  voyage  de  janvier,  mon 
bon  chéri,  et  nous  nous  donnerons  ainsi  nos  meilleures 
étrennes.  » 


1.  Ajoutons-y  encore  le  logement  accordé  à  plusieurs  professeurs,  voir  ci-des- 
sous, p.  58-5g. 

2.  Aulard,  Napoléon  Ior  et  le  monopole  universitaire,  p.  87,  Fierville,  archives 
des  Lycées. 

3.  Voir  plus  bas,  p.  164. 

a.  Mmo  Ch.  Garnier,  Une  famille  parisienne  universitaire,  cité,  p.  158. 


HISTOIRE   DES   LYCÉES   PARISIENS   DE   GARÇONS  53 

L'éventuel  intéressait  chaque  professeur  à  l'accroissement 
de  son  lycée  ;  et  puis  il  avait  l'air  de  récompenser  l'effort  plus 
grand  que  donnent  les  classes  plus  nombreuses.  Cette  récom- 
pense n'était  pas  toujours  très  équitable  :  chaque  professeur 
ayant  une  part  égale  à  celle  de  ses  collègues,  le  professeur  dont 
la  classe  avait  20  élèves  avait  un  éventuel  égal  à  celui  de  son 
collègue  dont  la  classe  avait  100,  110,  120  élèves.  Les  hono- 
raires n'étaient  pas  proportionnels  au  labeur.  Et  puis  les  lycées 
les  plus  peuplés  ayant  un  éventuel  supérieur,  les  professeurs, 
une  fois  nommés  dans  ces  lycées,  n'avaient  d'autre  ambition 
que  d'y  gagner  tout  doucement  leurs  invalides.  Enfin  les  spé- 
cialisations de  renseignement  faisant  croître  les  professeurs 
spécialistes,  l'éventuel  devait  fatalement  décroître  :  le  gâteau 
restait  le  même,  mais  les  copartageants  augmentaient.  Il  y 
avait  là  de  quoi  décourager  les  professeurs,  de  quoi  leur  faire 
bouder  les  chaires  nouvelles  et  leurs  nouveaux  titulaires;  ces 
misérables  questions  pécuniaires  les  rattachaient  au  passé 
plutôt  qu'au  progrès  et  aux  idées  modernes. 

Depuis  le  décret  du  16  juillet  1887,  le  traitement  des  pro- 
fesseurs à  Paris  fut  uniforme,  dans  tous  les  lycées,  pour  chaque 
classe.  On  passa  d'une  classe  à  l'autre  au  moyen  de  promotions 
et  les  promotions  étaient  surtout  accordées  au  choix.  Depuis 
1 903-1907  (décret  du  28  décembre  1903,  et  loi  du  7  avril  1907) 
les  promotions  sont  surtout  accordées  à  l'ancienneté  ;  1  5  p.  100 
seulement  sont  laissées  au  choix.  Beaucoup  de  bons  esprits 
estiment  que,  dans  cette  réaction,  en  partie  légitime,  on  est 
allé  trop  loin  :  la  juste  influence  des  proviseurs,  des  inspecteurs 
et  du  recteur  est  aujourd'hui  trop  limitée.  L'Université,  à  Paris 
du  moins,  regrette  les  concessions  que  la  politique  a  su  lui 
arracher.  L'avancement  automatique  ne  sera  jamais  l'avance- 
ment idéal.  La  meilleure  égalité  n'est  pas  là. 


54  L'ENSEIGNEMENT  PUBLIC   A  PARIS 

Certains  ont  pareillement  beaucoup  de  peine  à  admettre  un 
tarif  uniforme  pour  les  heures  supplémentaires  ;  ils  souhaitent 
que  ce  tarif  soit  variable  suivant  la  classe  à  laquelle  chaque 
professeur  appartient.  Puisque  la  valeur  intellectuelle  de  son 
enseignement  est  la  même  dans  les  heures  supplémentaires  et 
dans  les  autres,  pourquoi  leur  valeur  pécuniaire  serait-elle  dif- 
férente ? 

Il  y  a  un  autre  problème  qui  n'est  pas  seulement  d'ordre 
budgétaire  :  c'est  celui  des  maîtres  répétiteurs.  Il  est  si  com- 
plexe et  si  délicat  que  nous  pouvons  à  peine  l'indiquer  ici. 
Napoléon  Ier,  pour  qui  le  lycée  tenait  de  la  caserne,  croyait 
l'avoir  résolu  :  il  recrutait  les  maîtres  parmi  les  sous-officiers 
de  ses  régiments.  La  Restauration  garda  quelques-uns  de  ces 
anciens  guerriers,  au  collège  Bourbon,  par  exemple1,  sinon  à 
Charlemagne  qui  avait  pu  se  passer  de  maîtres  au  moins  jus- 
qu'en 1814. 

Dès  Louis  XVIII  cependant,  les  bonapartistes  paraissant 
odieux  presque  à  l'égal  des  prêtres  mariés,  on  eut  pour  premier 
souci  ce  qu'on  appela  «  l'épuration  »  des  maîtres.  A  ceux  qui 
résistèrent  à  cette  mesure,  on  montra  comme  avenir  le  profes- 
sorat des  classes  élémentaires,  ou  la  licence  ou  l'agrégation  : 
beaucoup  réussirent,  ainsi  à  Louis-le-Grand,  Malleval,  futur 
proviseur,  Emond  futur  censeur,  Marcou,  Didier  (Jules-Fré- 
déric-Edmond) futurs  professeurs  de  ce  collège. 

De  i83o  à  1848,  depuis  1845  surtout,  les  maîtres  répétiteurs 
furent  le  désespoir  de  plus  d'un  proviseur  :  presque  tous  avaient 
l'esprit  frondeur,  beaucoup  l'esprit  républicain,  quelques-uns 
l'esprit  révolutionnaire  :  Armand  Marrast,  avant  de  faire  les 
journées  de  1848,  les  avait  préparées  à  Louis-le-Grand.   Plus 

1.  Voir  ci-dessous,  p.  [41. 


HISTOIRE   DES   LYCÉES   PARISIENS   DE   GARÇONS  55 

d'un  étaient  licenciés  et  avaient  conscience  de  leur  valeur. 
En  1848-49,  ils  eurent  un  club  et  un  journal,  qui  donna  au  pro- 
viseur Rinn  bien  des  nuits  d'insomnie.  Le  répétitorat  risquait 
de  devenir  une  pépinière  de  déclassés  ou  d'émeutiers.  Mais 
était-ce  toujours  la  faute  des  seuls  répétiteurs  ? 

Sous  l'empire,  l'évêque  de  Montauban  proposa,  le  23  mars 
1 858,  au  ministre  Rouland  la  solution  suivante,  dont  nous  nous 
reprocherions  de  souligner  la  candeur  :  «  On  devrait  s'adresser 
à  quelques  congrégations  religieuses,  pour  en  obtenir  des  sur- 
veillants et  en  faire  l'essai,  d'abord  dans  un  lycée  ou  deux. 
Après  expérience,  on  verrait  s'il  y  a  lieu  de  l'étendre  à  d'autres. 
Je  ne  doute  pas  qu'avec  de  bons  proviseurs  et  de  bons  censeurs, 
ce  moyen  ne  produisît  d'excellents  effets.  »  —  Aucun  prélat  ne 
songea  sans  doute  à  proposer  rien  d'analogue  à  Victor  Duruy. 
A  la  fin  de  l'Empire,  on  revenait  à  ce  plan  :  faciliter,  par  tous 
les  moyens,  aux  surveillants,  les  occasions  de  s'instruire  ;  insti- 
tuer, pour  eux,  des  conférences  de  licence  et  d'agrégation,  bien 
moins  encore  à  la  Sorbonne  (où  il  n'y  avait  guère  alors  que 
des  cours  oratoires)  que  dans  les  lycées  :  les  conférences  de 
Louis-le-Grand  étaient  particulièrement  goûtées. 

Il  appartenait  à  la  troisième  République  d'aborder,  bien  en 
face  et  sous  toutes  ses  faces,  la  difficulté  :  elle  releva  la  situa- 
tion matérielle,  intellectuelle  et  sociale  des  maîtres  répétiteurs. 
Leur  traitement  à  Paris  passa,  en  1892,  de  2.000  à  2. 3oo  francs 
pour  la  dernière  classe  ;  il  augmenta  progressivement  depuis 
lors,  passant  de  2.800  francs  à  4.900  pour  la  première  classe. 
Ce  chiffre  sera  pour  les  licenciés,  atteint  le  icr  janvier  191  5.  Le 
nombre  des  licenciés  s'accrut  chez  eux  ;  quelques-uns  conqui- 
rent même  une  double  licence  et  un  doctorat.  Tout  récem- 
ment, dans  chaque  lycée,  plusieurs  d'entre  eux  furent  officielle- 
ment chargés  d'une  classe   et  reçurent  le  titre  de  professeurs 


56  L'ENSEIGNEMENT  PUBLIC  A  PARIS 

adjoints.  Il  en  résulta  que  la  considération  dont  ils  jouissaient 
fut  accrue.  Le  nombre  de  ceux  qui  logeaient  toute  l'année  au 
lycée  diminua  et  même  le  nombre  de  ceux  qui  mangeaient  au 
réfectoire  :  dans  la  mesure  du  possible,  leur  externat  fut  réa- 
lisé. Rollin  avait  donné  l'exemple,  les  autres  lycées  de  Paris  le 
suivirent.  Presque  partout  (et  notre  expérience  personnelle  l'a 
constaté  à  Buffon  et  à  Louis-le-Grand) ,  les  relations  entre  pro- 
fesseurs et  maîtres  sont  non  seulement  courtoises  mais  con- 
fiantes et  cordiales.  Elles  sont  faites  d'estime  réciproque  et  de 
services  mutuels. 

Faut-il  ajouter  que  les  institutions  sont  un  peu  ou  beaucoup 
ce  que  les  hommes  les  font?  C'est  au  tact,  à  la  tenue  morale,  à 
l'éducation  de  chacun  d'achever  ce  que  les  décrets  et  les  règle- 
ments ont  commencé.  L'harmonie  qui  règne,  dans  un  lycée 
parisien,  entre  tous  les  groupes  de  son  personnel,  donne  à  la 
maison  comme  un  air  de  bonne  grâce  souriante  et  distinguée 
et  c'est  la  plus  séduisante  de  ses  parures. 

Les  progrès  réalisés  dans  l'histoire  du  personnel  ont-ils  pu 
se  faire  sans  l'amélioration  de  la  vie  matérielle  intellectuelle  et 
morale  des  lycées  parisiens  ?  Nous  ne  le  croyons  pas  et  il  nous 
reste  à  montrer  pourquoi. 

Et,  tout  d'abord,  nos  lycées  sont  plus  aérés  que  jamais  : 
moins  d'internes  et  mieux  soignés  que  jadis,  beaucoup  plus 
d'externes,  le  goût  croissant  de  l'hygiène,  des  sports,  des  sorties 
et  des  vacances,  aussi  généreuses  que  possible. 

Ne  disons  pas  que  nous  venons,  dans  le  dernier  siècle,  de 
découvrir  l'externat  et  que  les  vieux  collèges  l'ignoraient  :  ce 
serait  oublier  qu'au  moment  où  le  collège  de  Clermont  s'ap- 
pela Louis-le-Grand,  en  1682,  il  avait  plus  de  2.000  externes 
sur  3.ooo  élèves.   Ne  disons  pas  davantage  que  les  écoles  cen- 


HISTOIRE   DES   LYCÉES   PARISIENS   DE   GARÇONS  57 

traies  de  la  Révolution  n'admettaient  pas  l'internat  :  il  y  en 
avait  dans  les  écoles  centrales  de  Fontainebleau,  d'Evreux,  de 
Châteauroux,  de  Périgueux,  de  Bordeaux  ou  auprès  d'elles.  La 
vérité  est  que  ces  internats  furent  alors  l'exception  et  qu'aux 
trois  écoles  centrales  de  Paris  il  n'y  eut  pas  d'internes.  Le  seul 
internat  d'État  fut  d'abord  celui  de  l'ancien  collège  Louis-le- 
Grand  appelé  Prytanée  français  sous  le  Directoire1. 

Ce  Prytanée  et  son  internat  servirent  de  modèle  aux  lycées. 
L'opinion  réclamait  alors  l'internat,  que  tant  de  parents 
jugeaient  commode,  et  l'internat  fut  établi.  Deux  lycées  sur 
quatre  :  Charlemagne  et  Condorcet  n'eurent  que  des  externes, 
mais  l'arrêté  consulaire  du  23  fructidor  an  XI  stipulait  que 
l'exclusion  des  internes  était  provisoire.  Ce  provisoire  est 
aujourd'hui  séculaire.  C'est  par  économie  qu'on  l'avait  adopté, 
non  par  principe.  A  Saint-Louis,  inauguré  en  1820,  l'internat 
fut  installé  dès  1823.  Quand  on  créa  Buffon,  en  1889,  et  Vol- 
taire, en  1890,  on  en  fit,  de  parti  pris,  deux  lycées  d'externes. 

L'internat  fut  prospère,  une  soixantaine  d'années.  Les 
i3  lycées  de  Paris  ont  depuis  quelques  années,  sur  plus  de 
1 3.ooo  élèves,  4.000  pensionnaires  environ.  L'illusion  qu'on 
pourrait  relever  l'internat  en  lui  construisant,  soit  à  Paris,  soit 
à  la  campagne  des  lycées  de  grand  air,  lumineux,  ensoleillés  et 
gais,  subsistait  encore  en  i885  :  l'année  précédente,  on  avait 
inauguré  Janson  et,  cette  année-là,  on  achevait  Lakanal,  on 
reconstruisait  Louis-le-Grand  et  on  bâtissait  Montaigne,  sur- 
tout en  vue  de  l'internat.  On  faisait  trop  de  dortoirs,  trop  d'études 
et  pas  assez  de  classes. 

Un  autre  fait  avait  encouragé  l'erreur  ;  les  anciennes  pen- 
sions qui,  depuis  Napoléon  I81',  avaient  conduit  leurs  élèves  aux 

1.  Aulard,  Napoléon  Ier  et  le  monopole  universitaire,  cité,  p.  33. 


58  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC  A  PARIS 

lycées  Charlemagne,  Louis-le-Grand,  Condorcet,  Saint-Louis, 
continuaient  presque  toutes  leur  décadence  et  achevaient  de 
mourir1.  Leur  apogée  avait  à  peine  survécu  à  la  monarchie  de 
juillet  et  la  loi  Falloux  (i85o)  leur  avait  été  fatale.  Depuis  lors, 
les  écoles  ecclésiastiques  se  multiplièrent.  Aujourd'hui,  quelques 
institutions  mènent  bien  encore  leurs  élèves  aux  lycées  ;  mais  ce 
sontpresque  toutes  des  institutions  religieuses  :  Bossuet  à  Louis- 
le-Grand  ;  Gerson  et  Lacordaire  à  Janson;  Massillon  à  Char- 
lemagne, Saint-Louis  et  Henri  IV  ;  Fénelon,  R.  Saint-Léon, 
Lhomond,  S.  Joseph  des  Tuileries,  à  Condorcet. 

Au  reste,  on  verrait  mal  les  choses  en  ne  considérant  que 
Tinternat  des  élèves.  Pendant  qu'il  diminuait,  l'internat  des 
maîtres  répétiteurs  disparaissait  presque  et  celui  des  profes- 
seurs disparaissait  totalement.  Nous  venons  de  voir  2  que  les 
maîtres  répétiteurs  avaient  su  conquérir  leur  «  externement  » 
et  que  l'Université  avait  peu  à  peu  imité  ce  que  le  collège  Rollin 
avait  essayé.  Aujourd'hui  ne  logent  plus  dans  les  lycées  pari- 
siens que  les  surveillants  généraux,  les  commis  d'économat  et 
les  maîtres  d'internat. 

Quant  aux  professeurs,  leur  exode  hors  de  leur  domicile  au 
lycée  est  resté  plus  inaperçu.  Loger  les  professeurs  au  collège  était 
tout  naturel  avant  la  Révolution,  c'est-à-dire  à  une  époque  où 
ils  n'étaient  pas  seulement,  presque  toujours  célibataires,  mais 
ecclésiastiques.  Ils  y  trouvaient  le  gîte  et  le  couvert.  Quand  les 
lycées  furent  fondés,  les  appartements  qui  suffisaient  jadis  à 
un  professeur  étaient  trop  étroits  pour  son  ménage.  Il  en 
résulta  pour  Louis-le-Grand  une  série  de  difficultés  et  de  con- 
flits, dont  nous  parlerons  ailleurs  plus  en  détail.  Dès  la  Restau- 

i.  Voir  ci-dessous,  ce  que  nous  en  disons,  notamment  p.  126  et  130,  au  sujet  de 
Charlemagne. 

2.  Voir  plus  haut,  p.  56. 


HISTOIRE   DES  LYCÉES   PARISIENS   DE   GARÇONS  59 

ration,  les  professeurs  logés  au  collège  étaient  devenus  l'excep- 
tion. Il  y  en  avait  encore  cependant  à  Louis-le-Grand,  sous  Louis- 
Philippe  et  il  y  en  eut  à  Charlemagne  jusqu'à  la  fin  du  second 
Empire.  C'est  M.  Nouzeilles,  qui,  proviseur  jusqu'en  1872, 
acheva  d'externer  le  corps  professoral.  Il  le  fit  peu  à  peu,  pro- 
cédant par  extinction  :  c'est-à-dire  qu'il  attendit  la  mort  d'un 
professeur,  pour  reprendre  l'appartement  qu'il  occupait1.  Avant 
lui,  le  logement  occupé  par  un  professeur  avait  pu  être  à  son 
décès  laissé  à  sa  famille  :  ainsi,  les  «vieilles  demoiselles  Targe, 
filles  d'un  professeur  que  personne  n'avait  connu,  habitaient 
par  tolérance  en  1 853  a  un  petit  logement  à  Charlemagne,  sur 
la  cour  des  classes...  » 

Quand  le  dernier  professeur  logé  dans  les  lycées  parisiens 
quitta  son  domicile  universaire,  quelque  chose  fut  changé  dans 
la  vieille  Université.  L'individualisme  remportait  une  dernière 
victoire  sur  l'esprit  cénobitique  des  collèges  d'antan. 

Il  fallait  donc  placer  ce  fait  isolé  dans  son  ensemble  :  l'ex- 
ternement  des  professeurs  devait  être  rapproché  de  l'externe- 
ment  des  surveillants  et  de  l'externement  des  élèves.  Le  lycée 
était  décidément,  de  moins  en  moins,  la  maison  claustrale  de 
jadis,  où  tous  mangeaient  à  la  même  table,  dormaient  sous 
le  même  toit  comme  ils  travaillaient  ensemble,  aux  mêmes 
études.  La  vie  commune  d'autrefois  avait  fait  place  à  la  vie 
moderne. 

Gardons-nous  de  croire  à  la  stérilité  de  tous  les  efforts  tentés 
pour  le  salut  de  l'internat.  Jusqu'ici,  sans  doute,  le  but  n'a  pas 
été  atteint  ;  mais  les  moyens  mis  en  oeuvre  ont  conduit  à  ce 
résultat  considérable  :  les  lycées  parisiens  ne  ressemblent  plus 

1.  Sur  ce  point,  voir  Mme  Garnier,  Une  famille  universitaire  parisienne,  p.  144, 
note  2,  et  p.  365. 

2.  Ibid.,  p.  144,  note  1. 


6o  L'ENSEIGNEMENT  PUBLIC  A  PARIS 

à  des  geôles;  les  écoliers  n'y  ressemblent  plus  à  des  forçats. 
M.  Lanson1  disait  en  1902  la  différence  de  nos  lycées  mo- 
dernes à  ceux  d'autrefois.  Dès  l'entrée  «  du  vestibule,  des  pal- 
miers et  les  plantes  d'un  jardin  d'hiver...  Ce  jardin,  il  y  a 
quarante  ans,  eût  paru  un  scandale  et  la  largeur  du  vestibule, 
un  danger  pour  le  bon  ordre  ».  Alors  on  leur  préférait  «  une 
entrée  étroite,  une  loge  de  concierge  barrant  les  issues,  avec 
un  guichet,  d'où  se  braquait  une  surveillance  farouche...  On 
avait  bâti  les  vieux  lycées,  comme  si  Tunique  souci  des  enfants 
appelés  à  y  vivre  devait  être  de  s'enfuir  ».  Et  M.  Lanson  expri- 
mait un  regret  :  on  aurait  dû  conserver,  dans  un  coin  du  lycée, 
«  un  vieux  bâtiment  où  l'on  aurait  scrupuleusement  rétabli  les 
installations  d'il  y  a  cinquante  et  quatre-vingts  ans  :  dortoirs, 
réfectoires,  cuisines,  classes  et  matériels  scolaires.  Ce  serait 
un  monument  du  passé  qui  nous  dirait  comment  nos  pères  et 
nos  grands-pères  étaient  élevés.  » 

On  aurait  pu,  dans  ce  Musée  scolaire,  placer  et  les  assiettes 
d'étain  que,  vers  1802,  les  écoliers  perçaient  pour  en  répandre 
les  sauces,  et  les  classes  sans  table,  et  les  quinquets  servant  à 
Féclairage,  et  les  lits  de  bois,  infectés  de  parasites,  et  les  poêles 
de  fonte,  destinés  au  chauffage,  et  les  blocs  de  glace  servant 
l'hiver  à  la  toilette  du  matin,  et  les  uniformes  interchangeables, 
qui  apprenaient  à  chaque  petit  citoyen  la  fraternité  :  bicorne, 
gros  souliers,  bas  bleus,  habit  vert  et  culotte  bleue,  collet  et 
parements  bleu  céleste  sous  Napoléon  ;  chapeau  monté  à  la 
française  et  habit  à  queue  de  morue,  sous  la  Restauration  ;  képi 
et  tunique  militaire  depuis  1848,  et  depuis  1890,  casquette  et 
tunique  rappelant  vaguement  l'uniforme  de  nos  officiers  de 
marine  (PI.  17).  Et  nous  ne  parlons  pas  des  fusils  à  pierre  et  des 

1.  Distribution  des  Prix  du  lycée  Montaigne. 


HISTOIRE    DES   LYCÉES   PARISIENS   DE   GARÇONS  61 

canons,  confiés  aux  écoliers  en  1814  et  181  5,  ni  des  armes  de 
i83o,  de  1848  et  de  1875,  dont  le  maniement  les  enchantait 
encore  il  y  a  moins  de  trente  ans. 

Quand  fut  posée  le  16  octobre  1881,  la  première  pierre  du 
lycée  Janson,  le  ministre  de  l'Instruction  publique,  qui  était 
alors  Jules  Ferry,  expliqua  ce  qu'il  entendait  par  «  le  lycée  des 
temps  nouveaux  ».  Il  déclara  que  l'Université  voulait,  pour  les 
lycéens,  des  maisons  d'études  où  ils  ne  seraient  plus  comme  des 
prisonniers,  mais  qu'ils  pourraient  aimer  comme  le  prolonge- 
ment de  la  maison  paternelle. 

Nul  doute  :  si  les  générations  antérieures  avaient  connu 
l'internat  dans  des  lycées  semblables  aux  lycées  parisiens  de 
nos  jours,  nous  n'assisterions  pas,  depuis  quarante  ans  et  plus, 
à  la  campagne  dirigée  contre  lui,  par  tous  ceux  qui  en  ont  souf- 
fert et  qui,  dans  leurs  souvenirs  d'enfants,  en  gardent  encore 
la  blessure. 

Une  autre  transformation  a  rendu,  depuis  tantôt  un  quart  de 
siècle,  nos  lycées  parisiens  méconnaissables  :  les  sports  s'y  sont 
acclimatés.  Il  n'y  a  pas  encore  cent  ans,  Louis-le-Grand  avait  le 
premier  de  nos  collèges,  donné  dans  ses  vieux  murs,  son  premier 
asile  universitaire  à  la  gymnastique.  La  gymnastique,  depuis 
une  trentaine  d'années,  est  devenue  obligatoire  dans  les  lycées  : 
mais  une  demi-heure  chaque  semaine,  c'est  toute  la  part  qui  lui 
est  faite  et  cette  part  est  insuffisante.  Et  encore,  sous  prétexte 
de  surmenage,  les  parents  font-ils  trop  volontiers  dispenser  leurs 
enfants  de  cette  séance  hebdomadaire  qui  est  leur  meilleure 
assurance  contre  le  surmenage  lui-même.  Ils  oublient  que 
la  culture  physique  est  aussi  indispensable  à  un  enfant  que 
la  culture  intellectuelle.  Il  s'agit  de  lui  donner  «  sa  place  dans 
la  vie  du  lycée,  comme  à  la  version  latine  ou  aux  mathéma- 
tiques ». 


62  L'ENSEIGNEMENT  PUBLIC  A  PARIS 

On  trouvera  plus  bas  ce  que  chacun  des  lycées  parisiens  a 
fait  pour  développer  la  vie  sportive  ;  chez  tous,  le  tennis  est  à 
la  mode,  et  le  football  ou  le  yachting  ont  leurs  champions.  Laka- 
nal,  Michelet,  Louis-le-Grand,  Saint-Louis,  Janson,  d'autres 
encore  se  distinguent  :  pendant  que  le  concours  général  était 
supprimé,  les  luttes  sportives  interscolaires  faisaient  mine  de 
le  remplacer  ' .  A  Janson,  les  athlètes  vainqueurs  ont  leurs  portraits 
placés  dans  le  parloir,  à  côté  des  prix  d'honneur  de  mathéma- 
tiques spéciales  ou  de  philosophie  et  des  «  majors  »  des  grandes 
Ecoles. 

Il  reste  encore  quelques  préjugés  à  combattre,  mais  les  lycées 
parisiens  sont  en  bonne  voie.  Ils  auront  bien  mérité  du  pays 
quand  ils  auront  achevé  cette  démonstration  :  un  sportif  peut 
avoir  autant  d'intelligence  que  de  muscle;  la  renaissance  du 
muscle  conduit  à  la  renaissance  des  sports.  Et  ces  deux  renais- 
sances feront  mieux  que  nous  préparer  des  athlètes  :  elles  con- 
tribueront puissamment,  chez  nous,  à  l'amélioration  de  la  race 
tout  entière. 

Le  développement  du  muscle  ne  va  pas  sans  quelques  loi- 
sirs :  et  ces  loisirs,  les  sorties,  les  congés  et  les  vacances  les 
donnent.  On  se  demande  souvent  si  leur  somme  ne  l'emporte 
pas  sur  celle  de  la  vieille  Université  .  La  question  valait  d'être 
examinée  avec  quelque  détail  et  nous  l'avons  récemment 
traitée  dans  la  Revue  hebdomadaire2.  Avant  1789,  les  écoliers 
qui  chômaient  un  très  grand  nombre  de  fêtes  semblent  avoir 
eu,  au  total,  autant  de  loisirs  que  leurs  successeurs  d'aujour- 
d'hui. Mais,  de  1802  à  la  fin  du  second  Empire,  ces  loisirs  ont 
été   beaucoup  plus    mesurés  :   ce  fut  une    période    héroïque. 

1.  M.  Guist'hau,  ministre  de  l'Instruction  publique  a.  le  20  juillet  191 2,  très 
joliment  développé  cette  idée  à  la  distribution  des  prix  de  Louis-le-Grand. 

2.  Du  6  juillet  1912. 


HISTOIRE   DES   LYCÉES   PARISIENS   DE   GARÇONS  63 

Depuis  une  quarantaine  d'années,  la  mode  des  vacances  s'est 
généralisée;  les  hygiénistes,  le  touring-club,  les  compagnies 
de  transport,  la  mode  et  peut-être  aussi  le  relâchement  des 
caractères  y  ont  contribué,  pour  leur  part.  Les  écoliers  en  ont 
profité.  Et  comme,  depuis  sept  ans,  les  lycées  parisiens  étaient 
vides  depuis  le  14  juillet,  le  ministre  s'est  décidé  à  consacrer 
ce  que  l'opinion  publique  réclamait.  Les  grandes  vacances, 
depuis  19 13,  s'étendent  sur  deux  mois  et  demi,  depuis  la  fête 
nationale  jusqu'au  Ier  octobre. 

Jusqu'à  la  fin  du  xvme  siècle,  les  vacances  commençaient  à 
la  fin  d'août  ou  au  début  de  septembre,  pour  s'achever  dans  la 
seconde  moitié  d'octobre  ou  même  en  novembre.  On  préférait 
les  vacances  d'automne  aux  vacances  d'été.  De  nos  jours,  nous 
préférons  les  vacances  d'été  aux  vacances  d'automne.  La  sortie, 
depuis  1802,  a  eu  lieu  après  le  i5  août  jusqu'en  1843.  Après 
quoi,  elles  ont,  (de  1844  à  1875),  entamé  la  première  quinzaine 
d'août  puis,  (de  1876  à  1894),  la  première  semaine.  Depuis  1888, 
elles  avaient  attaqué  la  dernière  quinzaine  de  juillet.  Elles  vien- 
nent d'en  avoir  raison.  Mais  leurs  appétits  sont  satisfaits  et  la 
sagesse  leur  conseille  de  s'en  tenir  là.  Il  y  va  de  l'intérêt  des 
études. 

Dans  la  vie  intellectuelle  de  l'Université,  les  lycées  parisiens 
ont  toujours  été  placés,  depuis  l'origine,  à  un  poste  d'avant- 
garde. 

C'est  le  principal  de  l'ancien  collège  Louis-le-Grand,  alors 
appelé  Prytanée,  que  Bonaparte  consulta  pour  l'élaboration  du 
plan  des  lycées  et  de  leur  premier  règlement.  Il  fut  décidé  que 
les  élèves  ne  seraient  plus  autorisés  à  choisir,  comme  dans  une 
Faculté,  les  cours  à  leur  convenance  :  ils  avaient  cette  liberté 
dans  les  Ecoles  centrales,  ils  ne  l'eurent  plus  dans  les  lycées. 


64  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC   A  PARIS 

L'enseignement  y  fut   progressif;    les   classes  y    furent   gra- 
duées. 

Aucune  condition  d'âge  minimum  ne  fut  imposée  pour  l'ad- 
mission dans  chaque  classe  :  au  début  du  xixc  siècle,  alors  que 
les  élèves  étaient,  dans  leur  ensemble,  beaucoup  moins  jeunes 
qu'aujourd'hui,  le  dommage  était  mince  et  les  mœurs  corri- 
gèrent ce  que  les  règlements  ne  disaient  point.  Depuis  une  qua- 
rantaine d'années,  il  n'en  est  plus  de  même.  L'orgueilleuse 
ambition  des  mères,  leur  rêve  de  préparer  leur  progéniture 
aux  grandes  écoles,  l'ambiance  parisienne  et  ses  excitations 
cérébrales,  voilà  autant  de  causes  déplorables  qui  poussent  à 
demander  au  cerveau  de  l'enfant  plus  qu'il  ne  peut  donner.  Les 
classes  de  sixième  sont  peuplées  d'élèves  de  neuf  à  dix  ans  qui 
arrivent  en  philosophie  à  quinze  ou  seize  ans  ;  cela  nous  donne 
des  bacheliers  de  dix-sept  ans  à  peine.  Les  professeurs  de  phi- 
losophie, à  Paris,  sont  unanimes  à  constater  la  médiocrité  de 
leurs  élèves.  Est-ce  incapacité  intellectuelle  ?  Nous  ne  le  croyons 
pas.  Est-ce  défaut  de  maturité  ?  oui.  Les  mêmes  élèves  étaient 
brillants  jusqu'en  troisième  ;  ils  ont  commencé  à  décliner  en 
seconde,  ils  arrivent  fourbus  en  philosophie.  Tant  que  la 
mémoire  avait,  dans  leurs  études,  le  rôle  éminent,  c'était  par- 
fait; sitôt  que  la  réflexion,  la  raison  et  le  goût  revendiquent  ce 
rôle,  rien  ne  va  plus.  Il  y  a  là  un  péril  national,  que  notre  devoir 
est  de  signaler. 

Les  remèdes  ?  —  Relever  d'un  an,  au  moins,  la  limite  d'âge 
à  l'entrée  des  grandes  écoles.  N'accorder  de  dispenses  au  bac- 
calauréat qu'avec  une  parcimonie  sévère  et  un  judicieux  discer- 
nement: les  dispenses  devraient  être  de  trois  mois,  au  plus,  et 
réservées  à  ceux  qui,  en  dépit  de  leur  âge,  sont  vraiment  dis- 
tingués, c'est-à-dire  aux  seules  natures  exceptionnelles.  Enfin 
et  surtout,  instituer,  à  l'entrée  de  chaque  classe,  des  examens  de 


HISTOIRE  DES   LYCÉES   PARISIENS   DE   GARÇONS  65 

passage  vraiment  sérieux.  Tous  les  professeurs  s'accordent  à 
les  demander  et  les  proviseurs  ne  demandent  qu'à  soutenir  le 
vœu  du  corps  enseignant.  Le  jour  où  l'administration  des  lycées 
sera,  sur  ce  point  essentiel,  défendue  efficacement  contre  les 
intrigues  extérieures,  les  études  auront  parcouru  l'étape  déci- 
sive. 

Sans  loi  nouvelle  et  sans  dépense  budgétaire,  un  immense 
progrès  sera  réalisé,  précurseur  d'une  renaissance  générale  pro- 
chaine. 

Les  lycées  seront  ainsi  rendus  à  leur  véritable  tâche  qui  est 
d'éveiller  peu  à  peu  l'esprit  et  de  l'ouvrir  aux  idées  générales 
par  une  culture  appropriée,  entre  sept  et  vingt  ans,  aux  besoins 
et  aux  ressources  de  chaque  âge.  Le  professeur  se  doit  à  tous. 
Il  faut  que  son  enseignement  ne  soit  pas  réservé  à  une  élite  ni 
à  une  petite  classe  dans  la  classe  ;  qu'il  y  ait  une  tête  de  classe, 
rien  de  mieux,  à  condition  que  cette  tête  commande  à  tout  le 
reste  et  l'entraîne.  Il  ne  s'agit  pas  de  supprimer  les  derniers; 
plusieurs  d'entre  eux  protesteraient...  Il  s'agit  que  les  derniers 
soient  autre  chose  que  des  cancres  et  que  leurs  notes  vaillent 
mieux  que  leurs  places.  Voilà  une  vingtaine  d'années  que  les 
circulaires  ministérielles  insistent  sur  cette  nécessité;  elles  ont 
raison,  mille  fois  raison.  Mais,  pour  supprimer  ce  poids  mort, 
qui  alourdit  une  classe  et  la  suit  physiquement,  tout  au  plus, 
surveiller  l'âge  des  écoliers  et  leurs  examens  de  passage  ne 
suffit  pas.  Il  faut  autre  chose. 

Il  faut  des  classes  où  le  nombre  des  écoliers  soit  raisonnable. 
Sous  la  Restauration,  sous  Louis-Philippe,  sous  Napoléon  III, 
plus  tard  encore,  les  lycées  de  Paris  avaient,  notamment  en  rhé- 
torique et  en  mathématiques  spéciales,  des  classes  de  80,  100, 
120  élèves.  Il  était  nécessaire  que  le  professeur  eût  beaucoup 
d'autorité,  de  talent  et  de  zèle.  Et  toutes  ces  qualités  se  rencon- 

5 


66  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC  A  PARIS 

traient  parfois,  en  effet,  chez  le  même  homme.  Mais  leur  réunion 
était,  malgré  tout,  assez  rare.  Et  nous  pourrions  citer  tel  profes- 
seur dont  le  renom  fut  très  grand,  en  1845,  et  qui  ne  pouvait 
s'accorder  moins  de  trois  mois  pour  corriger  les  compositions  de 
ses  élèves.  Nousavons  trouvé  aux  Archives,  la  preuve  que,  sur  des 
classes  de  120  élèves,  moins  de  10  écoliers  remettaient  leurs  com- 
positions. Les  inspecteurs  généraux  de  i83oà  1870  ne  cessaient 
guère  de  déplorer,  dans  les  classes  trop  nombreuses,  les  queues 
de  classes  interminables.  Autre  inconvénient  majeur  des  classes 
trop  nombreuses  :  impossibilité  pour  le  professeur  de  connaître 
tous  ses  élèves. 

Il  a  donc  été  très  sage  de  décider  qu'en  théorie  une  classe  ne 
devrait  pas  désormais  dépasser  35  élèves  :  nous  voudrions  pou- 
voir dire  que  les  nécessités  pécuniaires  ont  toujours  permis  à  la 
pratique  d'être  respectueuse  du  principe. 

Pour  ces  classes,  nombreuses  ou  non,  l'Université  avait  son 
idéal  que  formulait  une  circulaire,  dès  le  5  novembre  1810  :  «  Le 
but  de  l'Université  est  l'uniformité  de  l'enseignement  ».  Et  cer- 
tains, poussant  plus  tard  cette  uniformité  à  ses  limites  extrêmes, 
applaudissaient  au  geste  légendaire  prêté  au  ministre  de  l'Ins- 
truction publique  ;  M.  Fortoul  tirant  sa  montre,  se  serait  cru, 
certain  jour,  fondé  à  dire  :  «  En  ce  moment,  dans  tous  les 
lycées,  on  corrige  un  thème  latin  ».  Mais,  au-dessous  de  cette 
uniformité  extérieure  et  toute  puérile,  il  y  en  a  une  autre  que 
les  programmes  ont  consacrée.  Ces  programmes,  Napoléon  les 
a  fait  élaborer  dans  leur  ensemble,  la  Restauration  les  a  retou- 
chés dès  181  5  et,  depuis  lors,  chaque  gouvernement  leur  a  donné 
la  marque  de  son  esprit.  Nous  avons  retrouvé  la  première 
ébauche  de  quelques-uns  :  c'est  aux  professeurs  de  Paris  qu'elle 
fut  demandée.  Les  gouvernements  absolus  eux-mêmes,  en  1820, 
par  exemple,  et  dans  les  années  suivantes,  ont  toujours  estimé 


HISTOIRE   DES   LYCÉES   PARISIENS   DE    GARÇONS  67 

de  leur  intérêt  de  faire  appel  à  la  compétence  des  professeurs 
titulaires  ou  des  agrégés. 

Il  est  trop  clair  que,  dans  les  lycées  de  Paris  surtout,  plus 
riches  d'expérience,  les  programmes  sont  moins  nécessaires 
que  dans  certains  lycées  ou  collèges  de  province.  La  lettre  de 
ces  programmes  importe  beaucoup  moins  que  leur  esprit.  Ils 
peuvent  être  des  auxiliaires  utiles  et  des  conseillers;  ils  n'ont 
jamais  gêné  les  initiatives  ni  les  personnalités.  Déclamer  contre 
le  détail  des  programmes  nous  a  donc  toujours  paru  chose 
assez  vaine.  L'instrument  est  peu  de  chose,  la  manière  de  s'en 
servir  est  beaucoup. 

Bien  loin  de  voir  la  condamnation  des  programmes  dans 
leur  perpétuelle  transformation,  nous  y  voyons  la  meilleure 
preuve  que  renseignement  secondaire  est  poussé  par  le  tourment 
du  mieux.  Peu  d'époques  ont  vu  plus  de  changements  et  de  plus 
grands  que  nous  en  avons  vu  depuis  1789  et  même  depuis  1802  ; 
il  en  est  résulté  des  façons  nouvelles  de  regarder  la  vie  et  de  la 
comprendre.  Et  Ton  voudrait  que  le  lycée,  qui  doit  dresser 
l'enfanta  cette  vie,  lui  en  donner  l'apprentissage  et  l'armer  pour 
elle,  s'obstinât  à  lui  tourner  le  dos  !  Puisque  la  vie  évolue,  il  faut 
donc  qu'évoluent  aussi  les  lycées  et  leur  enseignement.  Le  tout 
est  de  calquer  l'évolution  de  cet  enseignement  sur  l'évolution 
de  notre  temps,  de  distinguer  ce  qui  est  caduc  et  ce  qui  est 
durable,  d'harmoniser  l'esprit  de  tradition  avec  l'esprit  de  pro- 
grès. 

La  grande  nouveauté  de  l'enseignement,  depuis  1802,  c'est  la 
part  très  large  faite  aux  sciences  d'abord,  aux  diverses  spécia- 
lités ensuite. 

Par  réaction  contre  l'Ancien  Régime,  les  écoles  centrales  de 
la  Révolution  avaient  donné  la  préférence  aux  mathématiques 
sur  les  humanités.  Quand  furent  organisés  les  lycées  parisiens, 


68  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC  A   PARIS 

l'ooinion  réclamait  déjà  en  faveur  des  études  classiques  d'autre- 
fois et  Bonaparte  tint  compte  de  ce  retour  de  l'esprit  public. 
La  Restauration  laissa  naturellement  le  pas  aux  lettres  sur  les 
sciences,  et,  avant  d'obtenir  au  concours  général  un  prix  d'hon- 
neur, les  sciences  durent  attendre  jusqu'au  5  juin  1 835,  pendant 
le  ministère  Guizot.  C'est  seulement  en  1 866  qu'une  autre  déci- 
sion ministérielle  a  fait  du  lycée  Saint-Louis  ce  qu'il  est  resté 
depuis  :  une  maison  plus  spécialement  consacrée  aux  sciences. 
Jusque-là,  Louis-le-Grand  lui  avait  disputé  victorieusement  la 
prééminence  par  12  prix  d'honneur,  contre  8  à  Saint-Louis. 
Leur  concurrent  le  plus  favorisé,  Charlemagne,  n'avait  rem- 
porté que  quatre  fois  la  palme.  Depuis  soixante  ans.  c'est  la 
vieille  rivalité  des  sciences  et  des  lettres  qui  a  suscité  les  princi- 
pales réformes  de  l'enseignement  :  c'est  elle  qui  a  suggéré  à 
M.  Fortoul,  en  i852,  l'idée  de  sa  bifurcation  et  cette  idée,  dit 
M.  Ch.  Seignobos1,  ressemble  à  celle  qui  a  inspiré  le  système 
des  cycles,  en  1902.  Le  décret  du  10  avril  i852  se  réclamait  de 
Napoléon  Ie'.  Après  les  études  primaires,  il  ouvrait  aux  jeunes 
gens  «  deux  voies  distinctes,  l'une  dirigée  vers  les  lettres,  l'autre 
vers  les  sciences...  Les  enfants...  entre  quatorze  et  quinze  ans, 
aidés  des  lumières  de  leurs  parents  et  de  leurs  maîtres,  devront, 
disait  le  décret,  faire  leur  choix  ».  Mais,  la  dernière  année,  les 
élèves  des  deux  sections  seront  réunis  dans  une  même  classe 
appelée  Logique  «  pour  vérifier  ensemble  les  procédés  qu'ils 
ont  suivis  séparément  ». 

Quand  M.  Victor  Duruy  devint  ministre,  en  1 863,  la  bifur- 
cation était  déjà  condamnée  dans  l'opinion  ;  il  la  supprima.  îl 
lui  reprochait  d'arrêter,  pour  beaucoup,  les  études  classiques  à 
la  quatrième,  et  de  couper  en  deux  l'esprit  des   élèves  par  la 

1.  La  latte  scolaire  en  France,  cit.,  1912,  p.  184. 


HISTOIRE  DES   LYCÉES   PARISIENS   DE   GARÇONS  69 

séparation  complète  de  la  littérature  et  des  sciences.  Il  avait  pu 
voir  essayer  au  lycée  Charlemagne  un  enseignement  nouveau, 
dont  on  lui  attribue  à  tort  l'idée  première.  On  a  trop  oublié  qu'en 
août  i863,  à  la  distribution  des  prix  de  Charlemagne,  M.Dumas 
avait  pu  dire  *  :  «  C'est  ici  même...  que  la  pensée  d'un  ensei- 
gnement secondaire  spécial  à  l'agriculture,  au  commerce,  à 
rindustrie  et  aux  arts,  prit  un  corps  durable...  Il  a  prospéré 
parmi  vous  et  s'est  propagé  dans  presque  tous  nos  lycées.  Au 
moment  où  la  sanction  légale  lui  est  enfin  promise,  j'aime  à  le 
proclamer  ». 

M.  Duruy  n'a  donc  imaginé  ni  le  mot  ni  la  chose.  Un  lycée 
parisien  avait,  depuis  vingt  ans,  ouvert  la  voie  où  s'engagea  le 
ministre.  M.  Duruy  ne  fut  même  pas  le  premier  à  généraliser 
ce  qu'on  avait  fondé  à  Charlemagne.  Il  reste  qu'il  le  systéma- 
tisa, le  défendit  avec  éclat,  et  l'étendit  à  toute  la  France  ;  enfin, 
en  dépit  du  Parlement  qui  refusa  les  crédits,  en  dépit  des 
ministres  du  Commerce,  des  Travaux  Publics,  qui  accusaient  ce 
projet  d'empiéter  sur  leur  propre  département,  il  sut  lui  donner 
la  victoire. 

M.  Duruy  sut,  mieux  que  personne,  adapter  l'enseignement 
aux  besoins  de  notre  époque,  ce  Entre  l'enseignement  primaire, 
disait-il,  —  qui  donne  à  cinq  millions  d'enfants  les  premiers 
éléments  de  l'écriture,  de  la  lecture  et  du  calcul  —  et  l'ensei- 
gnement classique,  —  qui,  ne  s'adressant  qu'à  un  petit  nombre 
est  nécessairement  aristocratique,  —  il  se  trouvait  un  abîme. 
Sur  ce  fossé  infranchissable,  l'enseignement  secondaire  spécial 
jetait  un  pont.  » 

«  Je  ne  prétends  pas,  continuait-il,  mettre  l'atelier  dans 
l'école,    ni    supprimer   l'apprentissage    »  ;  je    veux  seulement 

1.  Les  Jésuites  de  la  rue  Saint-Antoine  et  le  lycée  Charlemagne,  parE.deMe- 
norval,  1872,  p.  226. 


7o  L'ENSEIGNEMENT  PUBLIC   A  PARIS 

«  aux  futurs  officiers  de  l'industrie  et  du  commerce  faire 
apprendre  les  principales  applications  de  la  science,  en  même 
temps  que  l'histoire  de  leur  pays  et  les  langues  étrangères  ». 
«  L'ignorance  de  ces  idiomes  oblige  nos  industriels  et  nos  négo- 
ciants à  prendre  pour  commis  des  Suisses  et  des  Allemands  ». 
N'était-ce  pas  mettre  en  des  mains  étrangères  les  secrets  de  notre 
richesse  nationale  ? 

Et  M.  Duruy  concluait1  :  Il  faut  «  deux  ordres  d'études  dif- 
férents, pour  deux  catégories  distinctes  d'élèves  :  aux  uns,  les 
humanités  et  un  commerce  prolongé,  durant  sept  ou  huit  ans, 
avec  les  plus  belles  intelligences  de  la  Grèce,  de  Rome  et  de 
la  France,  aux  autres,  pressés  d'entrer  dans  la  vie  active  »,  une 
scolarité  plus  courte  et  un  enseignement  dont  leur  profession 
profitera.  Car  M.  Duruy  s'expliquait  :  à  Chartres,  centre  agri- 
cole, on  enseignerait  plus  spécialement  aux  élèves  les  applica- 
tions de  la  chimie  et  de  la  physique  ;  à  Saint-Etienne,  la  métal- 
lurgie et  l'exploitation  des  mines  ;  à  Lyon,  les  soieries.  Il 
s'appelait  donc  spécial  parce  qu'il  devait  varier  suivant  le 
caractère  de  la  région  où  chaque  lycée  était  situé. 

Si  le  lycée  Charlemagne  n'avait  pas  été  placé  dans  un  quartier 
d'industrie  et  de  commerce,  l'enseignement  spécial  n'y  aurait 
pas  pris  naissance.  Pour  un  quartier  dans  Paris,  on  avait  com- 
mencé à  faire  ce  que  le  ministre  voulait  achever  pour  toutes  les 
régions  françaises. 

L'idée  de  cet  enseignement  spécial  correspondait  si  bien  aux 
exigences  de  la  vie  actuelle  qu'il  s'est  précisément  appelé,  en 
1895,  enseignement  moderne.  On  le  retrouve  depuis  1902  dans 
nos  sections  B  du  premier  cycle,  qui  n'apprennent  aucune 
langue  morte,  et  dans  nos  sections  D   ou  Sciences-langues  du 

1.   Voir   La  lutte  scolaire.,  citée,  p.  210-212,  le  ministère  Victor  Duruy,  par 
A.  Lebey. 


HISTOIRE   DES   LYCÉES   PARISIENS   DE   GARÇONS  71 

second  cycle.  Sous  différents  vêtements,  c'est  toujours  lui  qu'on 
découvre;  on  a  beau  changer  son  état  civil,  sa  personnalité 
demeure. 

Tous  nos  lycées  parisiens,  sauf  Louis-le-Grand,  ont  dû  faire 
accueil  à  l'enseignement  préconisé  par  M.  Duruy  :  mais  Char- 
lemagne,  Saint-Louis,  Voltaire  et  Rollin  plus  que  les  autres. 
Henri  IV  lui-même  s'est  laissé  partiellement  gagner. 

Louis-le-Grand,  lui,  est  resté  la  métropole  des  études  litté- 
raires :  dans  le  premier  cycle,  il  n'a  pas  de  section  B  ;  dans  le 
second  cycle,  pas  de  section  D.  Le  latin  est  toujours  là,  dans 
son  domicile  d'élection,  dans  son  home. 

Mais  le  grec  n'y  est  pas  sacrifié  :  et,  sur  ce  point  encore, 
les  traditions  de  la  maison  se  rencontrent  avec  les  idées  chères 
à  M.  Duruy  :  encourager  les  humanités.  Sous  le  Directoire,  en 
l'an  VII,  le  grec  eut  au  Prytanée  (le  ci-devant  Louis-le-Grand) 
les  honneurs  de  l'enseignement.  Il  les  partageait  dès  lors  avec 
l'École  centrale  du  Panthéon,  berceau  de  notre  lycée  Henri  IV. 
Et,  de  nos  jours,  Henri  IV  et  Louis-le-Grand  sont  les  deux 
principales  pépinières  de  notre  Ecole  normale  supérieure.  C'est 
en  1894  que  Louis-le-Grand  inaugurait  à  Paris  les  Rhétoriques 
supérieures.  Henri  IV  suivit  bientôt  cet  exemple,  puis  Michelet 
et  depuis  octobre  1903,  Lakanal1,  Condorcet  et  Janson  eurent 
leur  tour. 

M.  Duruy  avait-il  prévu  ce  danger  de  pousser  trop  loin  les 
études  «  modernes  »  :  décapiter  les  études  classiques  ?  Il  se 
peut,  car  il  a  écrit  :  «  A  tout  prix,  il  faut  sauver  renseignement 
classique  qui,  entre  les  divers  moyens  d'étude,  est  celui  qui  peut 
le  mieux  préparer  cette  aristocratie  de  l'intelligence,  dont  nos 
démocraties  modernes  ont  plus  besoin  que  toute  autre  société  ». 

1.  Rhétoriques  supérieures  et  vêtêrance,  par  Henri  Bernés,  p.  9-13  des  Actaet 
Gesta  du  lycée  Lakanal,  1902-1903. 


72  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC  A  PARIS 

Tout  récemment,  un  ancien  président  du  conseil,  M.  Ribot, 
et,  avec  lui,  les  grands  maîtres  de  l'Université,  M.  Steeg  et 
M.  Guist'hau,  n'ont  pas  dit  autre  chose.  Le  jour  où  la  culture 
latine  se  perdrait  chez  nous,  la  première  de  toutes  les  nations 
latines  serait  menacée  dans  son  prestige,  et  son  rôle  dans  le 
monde  cesserait  d'être  digne  de  son  histoire. 

Rassurons-nous  :  depuis  1802,  nos  grands  lycées  parisiens 
qui  ont  été  plus  que  tous  les  autres,  les  meilleurs  ouvriers  de 
cette  culture,  sentent  tout  le  prix  de  notre  patrimoine  natio- 
nal. Mais,  ils  le  savent  aussi,  ce  patrimoine  a  été  magnifique, 
surtout  aux  époques  où  notre  génie  propre  a  su  exprimer  avec 
une  éloquente  clarté  ce  que  le  reste  de  l'humanité  n'éprouvait 
que  confusément.  Chaque  jour  étend  davantage  le  champ  de  la 
connaissance,  parce  que,  chaque  jour,  les  spécialistes  préparent 
les  découvertes  ou  les  accomplissent.  Les  lycées  parisiens  pou- 
vaient-ils longtemps  laisser  à  un  même  professeur  le  soin  d'en- 
seigner tout  ce  que  les  élèves  de  sa  classe  ont  le  droit  d'apprendre  ? 
L'histoire,  la  géographie,  les  sciences  physiques  et  naturelles, 
les  langues  vivantes. 

L'histoire,  avant  1818,  était  considérée  comme  un  hors- 
d'œuvre.  Chaque  professeur  était  invité  à  lui  accorder,  l'été, 
une  demi-heure  après  la  classe  du  soir.  Depuis  181 8,  elle  obtint 
un  professeur  particulier,  qui  eut  deux  heures  par  semaine,  de  la 
quatrième  à  la  Rhétorique,  pour  enseigner  les  annales  du  monde, 
en  quatre  ans.  Chaque  fois  que  le  libéralisme  recula,  la  part 
faite  à  l'histoire  dans  l'éducation  de  l'esprit  fut  diminuée  : 
ainsi,  en  1821,  l'histoire  de  France  disparut  de  la  Rhétorique  ; 
jusqu'en  1848,  l'histoire  s'arrêtait  au  seuil  de  la  Révolution;  en 
i853,  nous  avons  vu  que  l'agrégation  d'histoire  avait  disparu. 
Le  professeur  parlait,  les  élèves  prenaient  des  notes  et  en 
composaient  une  rédaction.  On  finit,  vers  1880,  par  s'apercevoir 


HISTOIRE   DES   LYCÉES   PARISIENS   DE   GARÇONS  73 

que  ces  rédactions  ne  valaient  pas  le  temps  excessif  qu'elles 
dévoraient  et  Ton  eut  la  sagesse  de  les  abolir.  A  cette  même 
époque,  on  s'accorda  pour  flétrir  «  l'histoire-bataille  »  et  les  sté- 
riles accumulations  de  faits.  Sous  l'influence  de  Fustel  de  Cou- 
langes,  la  mode  passa  à  l'histoire  des  institutions. 

Depuis  vingt  ans,  c'est  l'histoire  des  mœurs  et  de  la  civili- 
sation qui  l'emporte,  et  l'histoire  de  l'art  commence  enfin  à  con- 
quérir, dans  le  dernier  cycle,  la  place  qu'on  avait  oublié  jadis 
de  lui  garder.  Les  professeurs  d'histoire  les  plus  fameux  des 
lycées  de  Paris  furent,  pour  ne  parler  que  des  anciens  :  Gaillar- 
din  à  Louis-le-Grand,  Toussenel  et  Brissaud  à  Charlemagne, 
Anquez,  Fustel  de  Goulanges  et  Victor  Duruy  à  Saint-Louis, 
MM.  Gazeau,  Vast  et  Jalliffier  à  Condorcet,  M.  Lavisse  à 
Henri  IV. 

La  géographie  ne  fut  longtemps  considérée  que  comme  une 
servante  très  humble  de  l'histoire,  on  ne  voulait  voir  en  elle 
que  la  géographie  historique;  elle  était  de  l'histoire  en  sur- 
face. «  Je  n'ai  fait  de  la  géographie  à  Charlemagne,  nous  disait 
M.  Lavisse,  qu'une  seule  fois  ;  le  jour  où,  derrière  M.  Boissier, 
une  carte  se  détachant,  je  fus  chargé  de  la  raccrocher  ».  La 
nomenclature  prenait  la  place  des  idées  ;  on  ne  disait  pas  un 
mot  de  la  nature  des  terrains,  de  la  direction  des  vents,  de  la 
quantité  des  pluies  ni  de  leur  saison.  Tout  ce  qui  explique  les 
faits  et  enchaîne  les  phénomènes  était  lettre  close.  Ce  fut, 
entre  1870  et  1 885,  une  grande  surprise  :  on  découvrit  peu  à 
peu  que  le  relief  n'est  pas  nécessairement  une  série  de  chaînes 
montagneuses,  que  tous  les  fleuves  ne  coulent  pas  nécessaire- 
ment au  fond  de  bassins,  comme  l'avait  imaginé  Buache  au 
xvme  siècle  et  comme  on  n'avait  pas  manqué  de  l'enseigner 
depuis.  Et  on  finit  par  se  douter  que  la  géographie  avait  pour 
tâche  d'expliquer  l'action  du  sol  sur  l'homme  et  la  réaction  de 


74  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC  A   PARIS 

l'homme  sur  le  sol.  Les  élèves  et  les  publications  de  M.  Vidal 
de  La  Blache  ont  réussi  à  donner  à  la  géographie  dans  rensei- 
gnement supérieur  d'abord,  dans  l'enseignement  secondaire 
ensuite,  une  méthode  et  une  allure  qui  finiront  par  la  faire  res- 
sortir à  l'enseignement  des  sciences  naturelles  bien  plus  encore 
qu'à  l'enseignement  de  l'histoire. 

C'est  à  Louis-le-Grand  que  le  premier  professeur  de  sciences 
naturelles,  M.  Arvers,aété  installé,  dès  1827,  et  c'est  à  ce  maître 
que  le  lycée  fut  longtemps  redevable  des  beaux  succès  que  lui 
valut,  au  concours  général,  cette  spécialité  nouvelle.  On  ne  tarda 
pas  à  comprendre  qu'un  maître  de  l'enseignement  secondaire 
était,  pour  initier  les  élèves  à  l'anatomie  et  à  tels  de  ses  mys- 
tères d'explication  délicate,  préférable  à  un  médecin  si  distingué 
fût-il.  Un  auditoire  de  collégiens  ne  peut  être  confondu,  sans 
inconvénients  graves,  avec  un  auditoire  d'étudiants. 

Peu  à  peu,  l'enseignement  des  sciences  physiques  et  chi- 
miques conquit,  lui  aussi,  son  autonomie;  auprès  du  cabinet 
d'histoire  naturelle,  se  créa  et  s'enrichit,  à  Louis-le-Grand  et 
dans  tous  les  lycées,  un  cabinet  où  les  machines  électriques,  les 
instruments  d'acoustique  et  d'optique  voisinèrent  avec  le  peuple, 
auxflacons  multicolores,  de  la  plupart  des  corps  connus.  C'était, 
presque  chaque  année,  des  dépenses  supplémentaires  au  budget 
des  lycées  :  et  si,  de  nos  jours,  Janson  de  Sailly,  Michelet, 
Lakanal,  Carnot  et  surtout  Saint-Louis  ont,  à  cet  égard,  des 
installations  modèles,  c'est  que  les  efforts  de  leurs  devanciers 
Louis-le-Grand,  Henri  IV,  Condorcet  et  Charlemagne  n'ont 
pas  été  perdus. 

Les  langues  vivantes  ont  eu  beaucoup  plus  de  difficultés  à 
conquérir  leurs  lettres  de  bourgeoisie  et  il  a  fallu  nos  désastres 
de  1870  pour  les  leur  donner.  C'est  seulement  depuis  lors  que 
leur   enseignement   est    devenu  obligatoire   et  universel.   Ces 


HISTOIRE   DES   LYCÉES   PARISIENS   DE   GARÇONS  75 

langues  n'étaient  encore  que  l'allemand  et  l'anglais  ;  ce  n'étaient 
ni  l'italien,  qu'on  enseigne  aujourd'hui  à  Louis-le  Grand,  Carnot, 
Michelet,  Henri  IV,  ni  l'espagnol  qu'on  enseigne  à  Rollin  depuis 
la  troisième,  à  Louis-le-Grand,  à  Condorcet,  Michelet,  à  Janson, 
Henri  IV,  Charlemagne,  Carnot,  ni  le  russe  qu'on  a  tenté  un 
moment  d'enseigner  à  Louis-le-Grand  et  à  Rollin1.  On  admet- 
tait bien,  depuis  i863  surtout,  l'utilité  des  langues  modernes 
pour  l'enseignement  spécial,  mais  des  universitaires  très  haut 
placés2  estimaient  que  les  langues  anciennes  forment  l'esprit,  le 
jugement,  le  goût,  alors  que  les  langues  vivantes  forment  sur- 
tout la  mémoire  ;  qu'elles  apprennent  à  parler  ou  à  lire  et  fort 
peu  à  penser.  Ils  les  avouaient  bonnes  pour  des  savants,  des 
professeurs,  des  officiers,  certains  ingénieurs,  certains  indus- 
triels, certains  commerçants  mais  non  pour  le  commun  des 
mortels.  Et  les  lycéens  de  Paris  flétrissaient,  en  le  nommant  le 
prix  des  bonnes,  un  prix  de  langues  vivantes  au  Concours  général. 
Aujourd'hui,  le  procès  des  langues  vivantes  est  gagné  chez 
nous.  Ce  que  demandaient  depuis  la  Restauration  les  proviseurs 
de  Louis-le-Grand,  faire  apprendre  aux  enfants,  dès  la  huitième 
et  la  septième,  le  vocabulaire  de  ces  langues,  est  une  chose  que  les 
programmes  de  1880  ont  décidée;  on  est  parvenu,  depuis  plus 
de  dix  ans,  à  faire,  en  allemand,  la  classe  d'allemand,  et,  en 
anglais,  la  classe  d'anglais.  Les  bons  élèves  sortent  du  lycée 
sachant  au  moins  une  langue  étrangère.  Nous  ne  déciderons 
pas  si  l'étude  pratique  des  mots  et  l'ambition  de  former  les 
élèves   à    la    conversation   courante    n'a  pas   conduit    certains 


1.  A.  Rousselot,  Vav.cienne  communauté  de  Sainte-Barbe  et  le  collège  munici- 
pal Rollin,  Paris,  1900,  p.  164. 

2.  Francisque  Bouillier,  membre  de  l'Institut,  ancien  inspecteur  général,  ancien 
directeur  de  l'École  normale  supérieure,  l'Université  sous  M.  Ferry,  Paris  in-8° 
1880  ;  p.  317  et  ss.  Deuxième  appendice  :  Contre  l'enseignement  universel  et  obli- 
gatoire des  langues  vivantes. 


;6  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC  A  PARIS 

maîtres  à  négliger  un  peu  trop  la  grammaire  et  la  littérature  : 
ce  sont  là  des  questions  qui  divisent  encore,  à  l'heure  présente, 
les  spécialistes.  La  «  méthode  directe  »  a  ses  adversaires,  elle 
a  ses  partisans.  Mais  on  peut  bien  dire  que,  depuis  trente  ans, 
les  langues  vivantes  on  fait,  chez  nous,  plus  de  progrès  qu'en 
trois  cents  ans.  Et  Ton  vient  de  juger  sans  danger,  maintenant 
qu'elles  sont  à  la  mode,  de  diminuer  un  peu,  à  partir  de  191 2- 
191 3,  le  nombre  d'heures  qu'on  leur  réservait.  Nos  lycéens  n'ont- 
ils  pas  appris  que  le  chemin  de  l'étranger  pouvait  être,  pendant 
les  vacances,  le  chemin  de  l'étude  ;  l'Allemagne  et  l'Angleterre 
ne  se  chargent-elles  pas,  chacune,  de  leur  enseigner  leur  langue 
propre.  Et  l'on  a  constaté,  non  sans  fierté,  que  l'étude  des  langues 
étrangères  en  France  n'avait  pas  fatalement  diminué  les  sym- 
pathies séculaires  de  la  langue  française  dans  le  monde. 

Les  expériences  pédagogiques,  poursuivies  depuis  1802,  fini- 
ront bien,  sans  dommage  pour  les  humanités,  par  faire,  tout 
auprès  d'elles,  leur  place  exacte  aux  sciences,  à  l'enseignement 
moderne,  aux  langues  vivantes  et  aux  autres  spécialités.  L'Uni- 
versité a  eu  l'intelligence  de  démêler  certaines  vérités,  le  cou- 
rage de  les  proclamer,  la  volonté  de  les  soutenir  :  elle  saura 
trouver,  à  force  de  tact  et  de  mesure,  l'harmonie  nécessaire 
entre  l'enseignement  d'autrefois  et  l'enseignement  d'aujour- 
d'hui, entre  l'esprit  de  tradition  et  l'esprit  de  progrès. 

L'œuvre  éducative  des  lycées  parisiens  est  très  digne  de  leur 
transformation  matérielle  et  de  leur  évolution  intellectuelle. 
Ils  n'ont  cessé  de  s'éloigner  de  leur  idéal  primitif:  ressembler 
à  un  couvent  et  à  une  caserne,  pour  s'approcher  de  leur  idéal 
nouveau  :  ressembler  à  la  famille  et  la  prolonger  en  dehors 
d'elle-même. 

Associer  une  caserne  et  un  couvent  était  d'une  audace  assez 


HISTOIRE   DES   LYCEES   PARISIENS   DE   GARÇONS  77 

plaisante  et  un  mariage  politique  de  cet  ordre,  fût-il  béni  par 
Napoléon,  ne  pouvait  rassurer  très  longtemps  la  vie  conjugale 
commune.  La  caserne  sous  l'Empire,  se  reconnaissait  à  l'uni- 
forme imposé  aux  administrateurs,  aux  professeurs,  aux 
maîtres,  aux  élèves,  elle  se  reconnaissait  aux  sous-officiers  frot- 
tés de  latin  qui  composaient,  pour  une  bonne  part,  l'armée  des 
maîtres  d'études,  et  au  groupement  des  élèves  par  compagnies 
de  vingt-cinq.  Dans  chaque  compagnie,  il  y  avait  un  sergent  et 
quatre  caporaux,  choisis  dans  l'élite  des  élèves.  Parmi  les  élèves 
les  plus  âgés,  les  mieux  bâtis  et  les  mieux  notés,  le  sergent- 
major  était  nommé  et  il  commandait  à  toutes  les  compagnies. 
On  mangeait  par  compagnies,  on  s'amusait  par  compagnies, 
on  dormait  par  compagnies.  Tous  les  jours,  de  onze  heures  à 
midi  et  demi,  c'étaient  des  exercices  militaires.  Le  signal  de 
tous  les  exercices  était  donné  par  le  tambour  et  non  par  la 
cloche.  Enfin  les  élèves  punis  étaient  condamnés  à  la  prison,  à 
la  salle  de  police,  aux  arrêts,  et,  depuis  1809,  à  la  privation  de 
l'uniforme1. 

Le  couvent  se  laissait  voir  à  l'obligation  du  célibat  imposée 
au  proviseur  et  au  censeur;  à  la  prière  faite  publiquement 
matin  et  soir  ;  aux  offices  obligatoires,  chaque  dimanche  ;  aux 
aumôniers  attachés  à  chaque  lycée  et  chargés,  sous  la  sur- 
veillance des  proviseurs,  de  tout  ce  qui  avait  rapport  à  la  reli- 
gion ;  depuis  septembre  181 1,  à  la  récitation  quotidienne,  dans 
toute  les  classes,  de  deux  ou  trois  versets  du  Nouveau  Testa- 
ment. 

Napoléon  aurait  voulu  mettre  l'Église,  en  partie  au  moins, 
dans  l'Université.  La  Restauration,  faute  de  pouvoir  supprimer 
l'Université,  tenta  de  la  mettre  dans  l'Église.  Quand  Louis  XVIÏI 

1.  Aulard,  Napoléon  Ier  et  le  monopole  universitaire,  p.  93-94,  269-270.  282-3. 


78  L'ENSEIGNEMENT  PUBLIC  A   PARIS 

créa  le  collège  Saint-Louis  à  Paris,  il  lui  donna,  nous  le  savons, 
un  abbé  comme  proviseur,  puis  un  autre  abbé  succéda  au  pre- 
mier1. Les  proviseurs  taxés  de  libéralisme  furent  inquiétés  et 
même,  comme  Daireaux  à  Charlemagne,  ou,  comme  Malleval  à 
Louis-le-Grand,  destitués.  Les  professeurs  et  les  maîtres  sus- 
pects d'irréligion  furent  écartés;  les  anciens  prêtres  mariés, 
flétris  par  les  deux  lettres  P.  M.,  furent  évincés.  Des  abbés 
furent  placés  dans  des  chaires  importantes.  L'abbé  Nicolle 
était  nommé  recteur  de  Paris,  et  Mgr  de  Frayssinous,  appelé 
aux  fonctions  de  Grand  maître,  écrivit  :  «  Celui  qui  aurait  le  mal- 
heur de  vivre  sans  religion  ou  de  ne  pas  être  dévoué  à  la  famille 
régnante  devrait  bien  sentir  qu'il  lui  manque  quelque  chose 
pour  être  un  digne  instituteur  de  la  jeunesse.  Il  est  à  plaindre; 
même,  il  est  coupable.  Je  n'ai  pas  le  droit  d'interroger  les 
consciences  ;  mais  certes  j'ai  bien  celui  de  surveiller  rensei- 
gnement2. »  L'uniforme  militaire  avait  fait  place,  pour  les 
élèves,  à  un  uniforme  civil  ;  la  cloche  avait  fait  taire  le  tam- 
bour (PI.  17). 

Mais  les  convictions  ne  se  décrètent  pas  et  la  jeunesse  des 
collèges  parisiens  résista  :  elle  se  jeta  dans  l'opposition.  Elle 
croyait  voir  partout  l'œil  de  la  Congrégation  et  la  main  des 
Pères  de  la  Foi.  Les  derniers  frissons  de  la  fièvre  qui  l'avaient 
agitée  pendant  les  Cent-Jours  la  secouaient  encore  par  accès 
périodiques.  Elle  rêvait  de  batailles  ;  elle  regrettait  que  les  col- 
lèges eussent  remplacé  les  lycées  ;  elle  ne  voulait  plus  obéir  à 
la  cloche,  mais  au  tambour  ;  elle  trouvait  ridicule,  pour  elle, 
tout  uniforme  non  militaire.  Des  désordres  graves,  en  août  181 5, 
avaient  troublé  Charlemagne.  Deux  révoltes  éclatèrent  à  Louis- 
le-Grand,  en  18 19  et  en  1824  ;  une  autre  à  Henri  IV. 

1.  Voir  plus  haut,  p.  45  et  plus  bas,  p.  151. 

2.  La  lutte  scolaire,  citée,  p.  67. 


HISTOIRE   DES   LYCÉES   PARISIENS   DE   GARÇONS  79 

Lacordaire,  nommé  second  aumônier  du  lycée  Henri  IV, 
rédigea,  en  i83o,  un  mémoire  secret,  signé  par  les  huit  aumô- 
niers des  collèges  de  Paris,  pour  dénoncer  l'incrédulité  qui 
s'emparait  de  presque  tous  les  élèves,  vers  la  quinzième  année  : 
«  quand  le  cours  de  leurs  études  est  achevé,  parmi  ceux  qui 
sortent  de  Rhétorique  ou  de  Philosophie,  faut-il  dire  combien  il 
en  est  dont  la  foi  se  soit  conservée  et  qui  la  mettent  en  pra- 
tique ?  Il  en  est  environ,  chaque  année,  un  par  collège1.  » 

Mais  il  semble  bien,  d'après  les  rapports  encore  inédits  de 
l'Inspection  générale  et  d'après  les  appréciations  annuelles  des 
proviseurs,  que  ce  pessimisme  soit  exagéré.  Il  était  de  mode, 
depuis  181 5,  de  représenter  a  priori  les  collèges  royaux  de 
Paris,  comme  autant  de  foyers  d'athéisme2.  Cependant  Mon- 
talembert,  entré  à  seize  ans,  en  1826,  à  Sainte-Barbe-Rollin 
où  il  fit  sa  Rhétorique  et  sa  Philosophie,  rendait  plus  tard 
très  loyalement  cet  hommage  à  son  ancien  professeur  de  Rhé- 
torique :  «  Je  vous  dois  la  justice  de  déclarer  que  jamais  je  ne 
vous  ai  entendu  dire  un  seul  mot,  dans  le  cours  de  vos  leçons, 
qui  pût  encourager  l'incrédulité3.  »  Il  serait  intéressant  de 
savoir  combien,  dans  les  rangs  du  parti  catholique  et  parmi 
les  soutiens  de  Y  Avenir,  se  trouvaient  d'anciens  élèves  des  col- 
lèges royaux  de  Paris  :  mais  n'oublions  pas  que  si  Montalem- 
bert  fut  élève  de  l'Université,  Lacordaire  ancien  boursier  du 
lycée  de  Dijon,  ne  l'était  pas  moins  lui-même. 

Les  journées  de  juillet  i83o  apparurent  à  la  bourgeoisie 
libérale  des  lycées  parisiens  comme  la  revanche  nécessaire. 
Dans  tel  collège,  à  Bourbon,  par  exemple,  on  vit  tel  professeur 


1.  La  lutte  scolaire,  citée,  p.  110. 

2.  Voir  Gilb.   Stenger.  La  Société   française  pendant    le   Consulat,  6°  série, 
p.  407,  Paris,  Perrin  1908. 

3.  Voir  ci-dessous,  p.  161-172. 


8o  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC  A   PARIS 

aider  à  la  construction  des  barricades  *.  Les  collégiens  de  Louis- 
le-Grand  tout  au  moins  adressèrent  aux  ministres  des  pétitions 
qui  sont  conservées  au  Palais  Soubise,  pour  recouvrer  leur  uni- 
forme militaire  et  leurs  armes  de  la  période  impériale.  Au  bout 
de  peu  de  temps,  le  gouvernement  sembla  rétrograde  et,  dans  la 
jeunesse  des  collèges,  l'opposition  fit  des  recrues  nouvelles.  En 
mars  1834,  des  élèves  de  Bonaparte,  de  Louis-le-Grand  et  de 
Charlemagne  résolurent  d'avoir  un  journal  pour  y  défendre,  en 
bons  hugolâtres,  le  romantisme  contre  l'éducation  trop  sévère- 
ment classique  et  pour  y  flétrir,  d'une  plume  indignée,  les  abus 
des  collèges  et  le  régime  des  pensions.  La  Presse  des  Ecoles 
vécut  jusqu'aux  vacances. 

La  politique,  aux  derniers  mois  du  Gouvernement  de  Juillet, 
agitait,  à  Louis-le-Grand,  toutes  les  cervelles.  En  juillet  1847, 
les  scandales  Teste,  Cubières  et  Praslin  y  étaient  vivementcom- 
mentés  :  «  on  en  parle  beaucoup  au  collège,  écrivait  un  élève 
de  rhétorique2;  on  attaque  le  roi.  Des  amis  m'ont  dit  qu'il 
n'y  était  pour  rien  ;  qu'il  avait  bon  dos.  »  Le  8  février  1848, 
nouvelle  lettre  du  même,  passé  en  philosophie  :  «  Chers  Parents, 
Tout  est  en  émoi  dans  le  quartier  Latin;  quoiqu'en  cage,  nous 
savons  tout;  nous  sommes  tenus  au  courant  par  les  externes... 
Des  hommes  en  blouse  ont  passé  sous  nos  fenêtres,  en  criant  :  A 
basGuizot...  Si  on  fait  tous  les  banquets  dont  on  parle,  les 
Français  seront  capables  de  mourir  d'indigestion... Au  collège, 
nous  ne  sommes  point  menacés  de  mourir  de  cette  façon.  » 

La  religion  se  pratiquait  librement  dans  les  collèges3,  mais 
la  tolérance  y  avait  pris  la  place  de  l'ancienne  bigoterie.  Les 

1.  Voir  ci-dessous,  p.  141. 

2.  Henri  Dabot,  Lettres  d'un  lycéen  et  d'un  étudiant  de  1847  à  1854,  Péronne, 
Paris,  pet.  in-120  (1891).  p.  2-5. 

3    lbid.,  p.  2-4,  et  cf.  notre  Histoire  de  Louis-le-Grand  (en  préparation). 


HISTOIRE   DES   LYCÉES   PARISIENS   DE   GARÇONS  81 

internes  protestants  d'Henri  IV,  de  Saint-Louis  et  de  Louis-le- 
Grand  avaient  obtenu,  à  Louis-le-Grand,  une  chapelle  et  un 
pasteur.  Les  élèves  Israélites,  un  rabbin.  La  neutralité  reli- 
gieuse pénétrait  dans  les  collèges  où  les  divergences  confes- 
sionnelles reflétaient  les  divergences  confessionnelles  du  pays. 
Un  protestant,  Guizot,  avait  été  ministre  de  l'Instruction 
publique,  avant  d'être  président  du  Conseil.  On  était  donc  bien 
loin  de  Mgr  Frayssinous  et,  le  22  mai  1841,  Le  Temps  propo- 
sait de  déclarer  incompatibles  les  fonctions  de  prêtre  avec  celles 
de  professeur. 

Les  journées  de  février  et  surtout  les  journées  de  juin  1848 
vidèrent  les  lycées  de  Paris  :  les  élèves  d'Henri  IV  et  de  Saint- 
Louis  se  sauvèrent  et  roulèrent  dans  la  rue  avec  des  fusils  ; 
Charlemagne  et  Louis-le-Grand  furent  mitraillés.  Administra- 
teurs, professeurs  et  maîtres  furent  embrigadés  clans  la  garde 
nationale  où  les  élèves  les  plus  âgés  les  suivirent.  Ils  furent 
dans  l'insurrection  de  juin  du  côté  des  barricades  où  l'on  défen- 
dait Tordre  et  les  lois. 

L'échauffourée  calmée,  l'Empire  se  chargea  de  rétablir  dans 
les  lycées  la  discipline  militaire,  inaugurée,  jadis,  par  le  vain- 
queur de  Marengo;  les  exercices  du  fusil,  les  compagnies,  les 
sergents  et  le  tambour  reparurent!  Un  moment,  l'Université 
sembla  livrée  à  l'Eglise  ;  des  ecclésiastiques  furent  nommés 
inspecteurs  généraux  et  les  voltairiens  furent  suspects.  Mais, 
malgré  tout,  la  discipline  claustrale  de  jadis  ne  fut  pas  reprise. 
Si  le  lycée  rappela  encore  la  caserne,  il  ne  rappela  plus  le  cou- 
vent. La  demi-rupture  de  Napoléon  avec  le  clergé,  à  propos 
de  la  guerre  d'Italie,  et  la  nomination  en  i863  de  M.  Duruy 
à  l'Instruction  publique  montra  que,  dans  la  réaction,  il  y 
avait  des  degrés  et  que  l'on  avait  la  sagesse  de  s'arrêter  en 
deçà  des  derniers. 

6 


82  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC  A  PARIS 

Depuis  la  chute  de  l'Empire,  ce  fut  justement  la  protestation 
contre  la  discipline  trop  régimentaire  de  jadis  qui  accéléra  la 
décadence  de  l'internat.  Mais  cette  protestation  datait  de  loin  : 
nous  montrerons  dans  notre  histoire  de  Louis-le-Grand,  qu'elle 
prit  forme  et  vigueur  dès  la  seconde  moitié  du  Gouvernement 
de  Juillet.  Les  progrès  de  l'externat  amenèrent  un  double  résul- 
tat :  i°  Les  parents  se  dérobèrent  de  moins  en  moins  à  leurs 
devoirs  d'éducateurs;  ils  s'occupèrent  davantage  de  leurs  enfants 
à  mesure  qu'ils  demandèrent  au  lycée  de  s'en  occuper  moins  long- 
temps; 2°  le  lycée  se  considéra  de  plus  en  plus  comme  le  repré- 
sentant de  la  famille.  Dans  les  lycées  de  jadis,  les  droits  de 
l'Etat  s'étendaient  parfois  aux  dépens  des  droits  des  parents  ; 
dans  les  lycées  d'aujourd'hui,  c'est  le  contraire.  Et  l'on  a  vu 
à  Paris,  dans  ces  dernières  années,  une  association  des  pères 
de  famille  se  fonder  auprès  de  certains  lycées,  pour  y  collabo- 
rer efficacement  à  toutes  les  améliorations  désirables.  Par 
voie  de  conséquence,  le  lycée,  qui  se  substitue  un  moment  aux 
parents,  a  de  plus  en  plus  le  souci  de  développer  le  sens  de  l'ini- 
tiative et  de  la  responsabilité  chez  les  enfants  ;  de  les  dresser 
aux  bonnes  manières,  à  la  politesse,  et  de  leur  donner  ces  habi- 
tudes d'esprit  et  de  caractère  qui  feront  d'eux  des  gens  de 
bonne  compagnie.  Le  professeur  qui,  presque  seul  au  lycée, 
prend  contact  avec  les  externes,  se  doit  donc,  et  de  plus  en  plus, 
d'être  mieux  qu'un  littérateur,  un  grammairien,  un  mathémati- 
cien, un  historien,  ou  un  linguiste  ;  il  doit  être  un  père  de 
famille,  un  éducateur.  Et  comme,  pour  enseigner  la  bonne  édu- 
cation, il  est  indispensable  de  la  connaître,  il  doit,  ce  me  semble, 
donner  l'impression  qu'il  serait  à  sa  place  dans  un  salon  comme 
dans  une  chaire.  Jadis  la  robe  professorale  pouvait  masquer 
certaines  tenues  fantaisistes,  dont  les  sexagénaires  aujourd'hui 
se  souviennent  ;   la  robe  désormais  a  cessé  d'être  secourable. 


HISTOIRE   DES   LYCÉES   PARISIENS   DE   GARÇONS  83 

Les  lycées  parisiens  en  sont  donc  venus  à  rapprocher  le  plus 
possible  la  vie  d'internat  de  la  vie  de  famille.  Les  conversations 
sont  autorisées  au  réfectoire  et  dans  les  corridors  :  c'est  Janson 
qui  a  donné  l'exemple.  Les  sorties  sont  multipliées  et,  pour  peu 
qu'ils  y  soient  autorisés  par  leurs  familles,  les  élèves  des  classes 
supérieures  sortent  seuls.  Ce  que  le  lycée  Henri  IV  avait,  le  pre- 
mier, osé  sous  Louis-Philippe  est  devenu  désormais,  après  un 
mouvement  de  surprise,  la  règle  générale.  Les  sanctions  disci- 
plinaires sont  si  réduites  qu'il  serait  imprudent  de  les  diminuer 
encore.  La  discipline  est  préventive  plutôt  que  répressive. 
Si  le  lycée  emprunte  beaucoup  d'elle-même  à  la  vie  familiale, 
il  lui  donne  beaucoup  de  lui-même  :  le  frottement  des  carac- 
tères y  émousse  les  angles;  les  faiblesses,  dont  abusent  les 
enfants  gâtés,  n'y  ont  point  cours  ;  le  sentiment  de  l'égalité 
s'y  développe  et  aussi  le  respect  du  travail  et  du  talent,  le  goût 
de  l'amitié  et  de  la  bonne  camaraderie.  C'est  depuis  cinquante 
ans  que  les  associations  d'anciens  élèves  se  sont  fondées  dans 
les  lycées  ;  elles  renouent  les  liens  formés  sur  les  bancs,  elles  pro- 
longent la  vie  d'autrefois,  elles  rajeunissent  les  vieux  souvenirs, 
elles  enseignent  le  bienfait  de  la  solidarité  humaine.  Elles  sont 
une  preuve,  entre  beaucoup  d'autres,  que  l'œuvre  éducative  des 
lycées  parisiens  est  de  moins  en  moins  stérile  ;  que  chacun  de 
ces  lycées  est  une  personne  morale,  dont  le  cœur  vibre  et  dont 
l'âme  survit  aux  années  mortes. 


CHAPITRE  II 

HISTOIRE   MONOGRAPHIQUE 
DES   LYCÉES   PARISIENS 

Les  lycées  parisiens  ont  beau  se  ressembler  comme  des 
frères,  ils  n'en  gardent  pas  moins  leur  physionomie  propre  et 
ils  ont  une  âme  distincte.  Nous  venons  de  dire  ce  qu'était  leur 
histoire  commune,  il  convient  maintenant  de  rechercher  leur  vie 
particulière  et  de  souligner  leurs  tendances  diverses. 

La  date  de  leur  naissance  est  d'abord  la  marque  première 
de  leur  originalité  et  de  leur  caractère.  L'Université,  leur  mère 
à  tous,  semble  avoir  le  secret  d'une  éternelle  jeunesse  :  son  glo- 
rieux renom  à' Aima  parens  reçoit  des  années  une  justification 
toujours  plus  profonde.  Vénérable  par  son  âge,  et  toujours  prin- 
tanière  par  ses  œuvres  :  elle  ne  se  lasse  jamais  de  donner  au 
monde  des  rejetons  nouveaux.  Ses  fils  s'échelonnent,  tout  le 
long  du  précédent  siècle,  et,  en  ce  moment  même,  son  dernier 
mot  n'est  pas  dit  encore. 

Le  premier  de  ses  fils  est  le  Lycée  Louis-le-Grand  :  c'est  en 
le  formant  qu'elle  s'est  entraînée  à  modeler  les  autres.  Après 
lui,  trois  magnifiques  jumeaux,  annoncés  à  l'Europe  le  10  sep- 
tembre i8o3  (23  fructidor  an  XI).  Nous  les  appelons  aujour- 
d'hui les  Lycées  Henri  LV,  Charlemagne,  Condorcet. 

Pendant  les  années  qui  suivirent,  la  province  accapara  les 
soins  de  l'Université:  Paris  ne  pouvait  être  jaloux.  La  France 


PI.  17. 


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UNIFORMES    DE   LYCÉENS    AUX   XIXe   ET   XXe    SIECLES 
(Page  60.) 


PI.  18 


JmSm 


V- 


L  ANCIEN    LYCEE    LOUIS-LE-GRAXD,    D  APRES    LE    PLAN    DE   TURGÛT.    1739. 


LYCEE    1.1  tUIS-LE-GRAND 

L'ANCIENNE    FAÇADE    SUR    LA    RUE    SAINT-JACQUES,    EN    1884 

Page  87.) 


HISTOIRE    MONOGRAPHIQUE   DES   LYCÉES   PARISIENS     85 

valait  que  Ton  songeât  à  elle.  Promise  dès  le  14  mai  181 3,  la 
résurrection  du  vieux  Collège  d'Harcourt  ne  fut  réalisée  que  le 
23  octobre  1820  :  ce  fut  le  collège  puis  Lycée  Saint-Louis. 

Une  autre  promesse,  faite  le  21  mars  1812,  fut  suivie  d'une 
autre  résurrection,  le  6  octobre  i83o:  le  collège  municipal  Rollin 
renaquit,  rue  des  Postes,  des  cendres  de  l'antique  Sainte-Barbe, 
sans  obtenir  le  privilège  envié  par  un  rival  heureux,  M.  de  Lan- 
neau,  de  garder  le  nom  de  la  «  Minerve  chrétienne;  »  ce  nom 
resta  désormais  la  propriété  des  murs  et  du  sol  où  Sainte-Barbe 
avait  habité  jadis. 

Avec  les  Lycées  Charlemagne  et  Condorcet,  l'Université 
avait,  deux  fois  déjà  essaimé,  hors  du  pays  latin.  Elle  sentait  le 
besoin,  de  se  donner  de  l'air,  sous  peine  de  perdre  le  contact  avec 
les  réalités  du  siècle  :  il  lui  fallait  à  Paris  ne  point  fermer  les 
yeux  à  la  vie  de  la  capitale.  Paris  vantait  le  bienfait  de  l'espace, 
des  grands  parcs,  des  ombrages.  Et  Ton  eut,  aux  portes  de  Paris, 
deux  lycées  à  la  campagne  :  de  1 853  à  1864  et  à  1886  ce  fut,  à 
Vanves,  une  filiale  du  vieux  Louis-le-Grand,  la  maison  que  nous 
appelons  aujourd'hui  le  Lycée  Michelet.  On  le  construisit 
dans  une  partie  des  domaines  des  princes  de  Condé.  A  Sceaux, 
où  d'autres  Condé  vécurent  autour  de  la  duchesse  du  Maine, 
petite-fille  du  vainqueur  de  Rocroy,  le  Lycée  Lakanal  fut  bâti 
de  1882  à  188 5.  Ces  deux  lycées  ruraux  répondaient  à  l'idéal  que 
la  pédagogie  célébrait  alors:  créer  des  jardins  d'enfants. 

Puis  ce  fut,  pour  les  «  minimes  »  de  Louis-le-Grand,  le  Lycée 
Montaigne  (i885).  On  voulut  concilier,  en  mettant  en  face  de 
leurs  fenêtres  les  arbres  du  Luxembourg,  les  exigences  du  grand 
air  et  la  tentation  de  rester  fidèle  aux  séductions  de  la  grande  ville . 

Mais  Paris  s'étendait  de  plus  en  plus  et  l'Université  fit 
comme  Paris  :  dans  les  quartiers  nouveaux,  de  nouveaux  lycées 
poussèrent  et  grandirent.  Vers  l'ouest,  où  une  loi  mystérieuse 


86  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC   A   PARIS 

pousse  le  développement  des  grandes  villes,  on  vit  dès  1884  le 
Lycée  Janson  de  Sailly  ouvrir  ses  portes  et,  dès  1889,1e  Lycée 
Buffon  ;  à  Test,  ce  fut,  dès  1890,  le  Lycée  Voltaire;  au  nord,  le 
Lycée  Carnot  fut  donné  en  étrennes  au  quartier  Monceaux,  le 
Ier  janvier  1895. 

Et  Ton  parle  en  ce  moment  même  d'élever  bientôt,  à  Torée 
du  bois  de  Boulogne,  le  Lycée  de  Neuilly. 

Ainsi,  le  tronc  vénérable  de  l'Université  parisienne  avait, 
un  moment,  sous  la  Terreur,  perdu  presque  toutes  ses  bran- 
ches; une  seule  avait  résisté  :  celle  du  vieux  Louis-le-Grand. 
Elle  fut  la  preuve  que  la  sève  sommeillait  mais  vivait  toujours. 
Et  en  effet,  le  printemps  revenu,  on  vit,  sous  la  rude  écorce, 
pointer  et  jaillir  les  rameaux  verdoyants  :  Henri  IV,  Char- 
lemagne  et  Condorcet,  d'abord,  puis  Saint-Louis,  puis  Rollin, 
en  attendant  Michelet  et  Lakanal  ;  enfin  Janson  de  Sailly  et 
Buffon,  Voltaire  et  Carnot.  Paris  pouvait  doubler  son  étendue 
et  quadrupler  sa  population  ;  les  derniers  rejetons  universitaires 
rejoignaient  la  grande  ville  dans  ses  conquêtes  nouvelles. 

En  étudiant,  par  rang  d'âge,  les  lycées  de  Paris,  nous  sui- 
vrons donc  un  ordre  chronologique  qui  est  aussi  un  ordre 
logique.  Leur  date  et  leur  place  nous  aideront  à  préciser  leur 
caractère  et  leurs  tendances.  Et  nous  verrons  que  les  lycées  de 
Paris,  en  dépit  de  leur  ressemblance  très  germaine,  sont  autre 
chose  qu'un  lycée  type,  tiré  à  douze  ou  treize  exemplaires. 

Puisque  les  lycées  doivent  être  une  préparation  à  la  vie,  ils 
eussent  manqué  à  leur  mission  en  ne  s'adressant  qu'à  des 
enfants  ou  à  des  éphèbes  masculins  :  notre  temps  a  donc  vu  éclore 
les  lycées  de  jeunes  filles  :  lycées  Fénelon,  Lamartine,  Molière 
et  Victor  Hugo.  Mais  ces  lycées  sont  encore  parés  de  toute  la 
grâce  de  la  jeunesse.  Leurs  doyens  dépassent  à  peine  un  quart 


LE   LYCÉE   LOUIS-LE-GRAND  87 

de  siècle.  Le  charme  et  le  prestige  du  passé  ne  nous  attarde- 
ront donc  pas  dans  les  murs  de  ces  maisons  un  peu  neuves.  Nous 
nous  bornerons  à  dire,  en  quelques  pages,  comment  ces  derniers 
venus  se  sont  montrés  dignes  de  la  place  d'honneur  que  l'Uni- 
versité leur  réservait.  Cette  jeune  garde  de  la  Grande  Armée  a 
déjà  mérité  mainte  couronne  de  lauriers. 


PREMIÈRE  SECTION 
LES  LYCÉES  DE  GARÇONS 

I 
LE  LYCÉE  LOUIS-LE-GRAND1 

Il  a  un  peu,  au  regard  des  autres  lycées  de  Paris  ou  de  pro- 
vince, des  airs  d'ancêtre.  Il  lui  reste  quelque  chose  de  ce  pres- 
tige qui,  pour  n'être  pas  inscrit  dans  le  texte  de  nos  lois  égali- 
taires,  a  cependant  pour  lui  la  consécration  du  passé  et  de 
l'histoire.  C'est  qu'il  a  eu  la  gloire,  à  maintes  reprises,  d'être 
ce  le  chef-lieu  de  l'Université  ».  Aujourd'hui  encore,  il  est  le  siège 
social  de  presque  toutes  les  associations  universitaires;  c'est 
dans  ses  salles  que  les  congrès  de  professeurs  tiennent  leurs 
assises.  Il  est,  comme  M.  Ferté  l'a  très  heureusement  rappelé, 
«  le  berceau  et  le  foyer  des  Associations  mutuelles  d'Enseigne- 
ment secondaire.  »  (PI.  18,    19,  20). 

Au  temps  des  Pères  Jésuites2,  il  était  déjà  le  plus  célèbre  col- 
lège du  monde.  Après  1762,  son  illustre  renom  lui  resta;  c'est 

1.  123,  rue  Saint-Jacques  (pi.  18,  19,  20). 

2.  Nous  nous  permettons  de  renvoyer  ici  à  notre  volume,  qui  paraîtra  prochaine- 
ment, sur  la  monographie  détaillée,  de  Louis-le-Grand  (1563-1913)  ;  tout  ce  qui  suit  est 
emprunté  aux  documents  d'archives  et  nous  en  donnerons  les  cotes  dans  notre  livre. 


88  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC   A  PARIS 

chez  lui  que  furent  alors  transférés  et  les  archives  de  tous  les 
collèges,  et  la  bibliothèque  universitaire,  et  la  halle  au  parche- 
min et  le  tribunal  académique.  C'est  en  lui  que  furent  absorbés 
29  collèges  parisiens.  Le  9  fructidor  an  V,  Quatremère  de 
Quincy  disait  de  lui  :  «  Il  est  le  collège  de  toute  la  France  ». 
Tant  que  dura  le  concours  général,  le  premier  des  élèves  appe- 
lés à  prendre  place  fut  toujours  un  élève  de  Louis-le-Grand  ; 
tant  que  le  personnel  des  lycées  de  Paris  fut  admis,  lors  du 
Ier  janvier,  à  présenter  ses  vœux  au  Ministre,  ce  fut  le  provi- 
seur de  Louis-le-Grand  qui  eut  la  charge  de  prendre  la  parole, 
et,  dans  l'annuaire  de  l'instruction  publique,  le  premier  ins- 
crit de  tous  les  lycées  de  Paris  et  de  France,  c'est  toujours 
Louis-le-Grand.  Après  lui,  viennent  Henri  IV  puis  Charle- 
magne,  Condorcet  et  Saint-Louis.  Il  y  a,  tout  de  même,  autre 
chose  que  l'ordre  alphabétique  :  Tordre  des  préséances  est  celui 
de  l'histoire  et  il  est  séculaire. 

A  travers  les  siècles,  Louis-le-Grand  usa,  plus  largement 
sans  doute  qu'il  n'eût  voulu,  de  l'autorisation  de  changer  son 
nom.  Il  commença  ce  jeu  dès  l'ancien  régime;  connu  d'abord, 
et  depuis  1  563,  sous  la  qualité  de  Collège  de  Clermont.  il  fut 
baptisé  Louis-le-Grand  en  1682.  Puis  il  s'affubla,  en  janvier  1793, 
d'un  masque  révolutionnaire  :  au  moment  où  tous  ses  toits 
arboraient,  en  manière  de  girouettes,  le  bonnet  phrygien,  il 
s'appela  V Institut  des  Boursiers  Egalité.  François  de  Neufcha- 
teau  jugea,  en  pleine  réaction  thermidorienne,  plus  décent  de  le 
nommer  Pry  tance  français  (1798)  :  le  ci-devant  Louis-le-Grand 
fut  ensuite,  jusqu'au  10  juin  i8o3,  le  Collège  de  Paris  puis,  un 
an  durant,  le  Lycée  de  Paris  :  il  précédait  ainsi,  de  trois  mois, 
la  création  des  trois  autres  lycées  parisiens  et  qui  sont  aujour- 
d'hui Henri  IV,  Condorcet,  Charlemagne. 

Napoléon  le  promut  Lycée  impérial;  l'empire  à  peine  tombé, 


PI.  19. 


L'ANCIEN    LYCÉE    LOUIS-LE-GRAND.    —    VUE    PANORAMIQUE. 


LYCÉE   LOUIS-LE-GRAXD 
COUR    D'ENTRÉE    (XVIIe   SIÈCLE; 

(Page  >; 


P.  20. 


Phot.  Valloii 
LYCÉE    LOUIS-LE-GRAND.    —   FAÇADE    ACTUELLE,    SUR    LA    RUE    SAINT-JACQUES. 


m ..  , 


Il     u     ::     H      I     18     ■     ■     ■  !  I 


Phot.  Vallois. 


LYCEE    LOUIS-LE-GRAND.    —   VUE    D'UNE   COUR   INTÉRIEURE. 

(AU   FOND,    I.A    TOUR    DE    I.A    SORBONNE) 

(Page  87). 


LE   LYCÉE    LOUIS-LE-GRAND  89 

Fontanes,  qui,  lui,  ne  tombait  point  encore,  arrêtait,  dès  le 
8  avril  18 14,  en  qualité  de  grand  maître  :  «  Le  lycée  Impérial 
à  Paris  prendra  désormais  le  nom  de  Lycée  Louis-le-Grand  ». 
Après  les  Cent-J  ours,  Louis-Le-Gr  and  fat  maintenu,  mais,  comme 
il  n'y  eut  plus  de  lycée,  il  redevint  collège  et  collège  royal.  Au 
début  de  mars  1848,  il  reconquit  son  titre  de  lycée  et  il  ne  Ta 
plus  perdu  depuis.  Mais  il  dut  s'appeler  Descartes  pour  une 
quinzaine  de  mois.  Dès  avant  la  rentrée  scolaire  de  1849,  il 
était  de  nouveau  Louis-le-Grand,  et  il  l'est  demeuré  jusqu'à 
nos  jours,  sauf  un  intervalle  de  deux  ans  et  demi  (6  sept.  1870, 
mars  1873)  pendant  lequel  le  nom  de  Descartes  lui  était  de 
nouveau  imposé.  Au  total,  douze  changements  de  noms  en  trois 
cent  cinquante  ans.  C'est  le  plus  anabaptiste  des  lycées. 

Les  locaux  auraient  sans  doute  gagné  à  se  modifier  à  l'ave- 
nant. Mais  on  hésita,  pendant  plus  de  quatre-vingts  ans,  avant 
de  trouver  le  courage  de  guérir  enfin  le  mal  séculaire  dont  ils 
souffraient.  C'était  là,  pour  le  lycée,  le  revers  de  sa  gloire.  Le 
temps  qui  s'était  chargé  de  grandir  au  loin  son  renom  n'avait 
rien  fait  pour  consolider  ses  vieux  murs  et  pour  les  parer. 

Le  lycée  d'aujourd'hui  reconstruit  depuis  1 885,  n'a  pu  con- 
quérir qu'à  force  d'opiniâtre  énergie  son  emplacement,  ses 
locaux,  sa  part  de  lumière  et  de  soleil.  Il  occupe,  à  peu  près,  la 
superficie  de  cinq  collèges  contigus  :  au  centre,  Clermont  et 
Marmoutiers,  sur  la  rue  Saint-Jacques  ;  le  Mans  vis-à-vis  de 
Sainte-Barbe.  Sur  les  deux  ailes  :  les  Cholets,  au  sud,  vers  la 
rue  Cujas  ;  le  Plessis  au  Nord,  sur  la  rue  du  cimetière  Saint- 
Benoît.  Mais,  d'une  part,  la  rue  Saint-Jacques  a  rogné 
147  mètres  carrés  sur  l'ancien  lycée;  d'autre  part,  le  collège  de 
France  et  la  rue  du  cimetière  Saint-Benoît  élargie  ont  mangé 
la  moitié  de  ses  bâtiments  ou  de  ses  cours  à  l'ancien  Plessis. 

Sous  le  Consulat,  la  ruine  menaçait  le  collège  ou  le  lycée,  de 


9o  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC  A   PARIS 

tous  les  côtés  :  le  sol  se  dérobait  et  les  catacombes  faisaient 
mine  d'engloutir  vers  l'angle  Nord-Ouest  tout  le  logis  des  pro- 
fesseurs :  dans  la  nuit  du  23  au  24  floréal  an  IX,  il  avait 
fallu,  à  onze  heures  du  soir,  en  étayer  les  murs.  Vers  l'angle 
Nord-Est  opposé,  c'était,  en  pluviôse  an  X,  un  mur  entier  qui 
s'écroulait.  En  i8o3,  c'était  le  logis  de  l'économe  qui  se  lézar- 
dait et  il  fallait  abattre  un  pignon  de  huit  mètres.  A  l'est,  sur 
la  rue  Chartière,  dans  la  partie  la  plus  saine  et  la  mieux  cons- 
truite du  collège,  une  prison  révolutionnaire  avait  été  installée  ; 
quand  elle  avait  émigré  ailleurs,  elle  avait  laissé  les  locaux  dans 
un  tel  état  qu'ils  furent  inhabitables  pendant  plus  de  six  ans. 

Ajoutons  à  cela  des  lits  dévorés  de  punaises  ;  une  seule  table 
de  nuit  par  dortoirs  ;  l'absence  ou  l'insuffisance  de  ce  qu'on 
nommait  pudiquement  «  les  commodités  »  ;  l'inexistence  d'un 
parloir  ;  des  trous  béants  et  marécageux  dans  les  cours  ;  la 
pluie  et  la  neige  envahissant  la  bibliothèque,  moisissant  les 
livres  et  pourrissant  les  planchers  ;  enfin  les  fosses  d'aisance 
débordant  périodiquement. 

Napoléon  avait,  à  la  fin  de  181 3,  résolu  les  améliorations 
indispensables,  quand  vint  la  campagne  de  France  qui  donna 
un  autre  cours  à  ses  pensées.  L'empereur  avait  cependant  eu 
le  temps  de  loger,  dans  les  bâtiments  du  Plessis,  l'École  Nor- 
male :  elle  ne  les  abandonna  enfin  à  Louis-le-Grand  qu'en 
1847.  Elle  avait  bien  été  supprimée  pour  quelque  temps,  en 
1823,  mais  le  collège  n'y  avait  rien  gagné  :  la  Faculté  des  lettres 
s'était  emparée  de  la  place  vacante. 

Le  collège  n'était  pas  exactement  clos  ;  il  n'était  pas  chez 
lui.  Une  vingtaine  de  boutiques  l'envahissaient  et  multipliaient, 
pour  lui,  les  chances  d'incendies.  En  1840,  l'Inspection  géné- 
rale était  presque  optimiste.  Elle  écrivait  :  «  lia  été  fait  beaucoup 
d'améliorations  matérielles  au  collège  Louis-le-Grand,  depuis 


LE   LYCÉE   LOUIS-LE-GRAND  gi 

quelques  années  »  ;  après  quoi  elle  constatait  :  «  les  bâtiments 
du  moyen  collège  sont  partout  crevassés  :  les  poutres  et  les 
solives  ont  fléchi  de  toutes  parts,  d'une  manière  effrayante  et 
qui  pourrait  inspirer  de  fortes  craintes  aux  parents  si  l'on 
n'évitait  pas  soigneusement  (précaution  charmante,  en  effet) 
de  les  introduire  dans  cette  partie  de  rétablissement.   » 

Et  ne  croyons  pas  que  l'Inspection  exagérât.  Deux  ans  plus 
tard  une  lettre  du  Proviseur  donne  la  preuve  contraire  :  «  Les 
bandeaux  du  bâtiment  situé  entre  la  première  et  la  seconde  cour 
sont  tellement  dégradés  qu'il  s'en  détache  assez  souvent  des 
fragments  de  pierre  et  de  plâtre;  j'ai  eu  à  craindre,  plus  d'une 
fois,  les  accidents  qui  pouvaient  résulter  de  cet  état  de  choses 
et  il  a  fallu  la  surveillance  la  plus  active  pour  les  prévenir  ». 

On  fit  donc  des  plans  pour  la  reconstruction  du  collège  ;  le 
ministère,  en  1846,  les  approuva;  on  les  déposa  dans  le  bureau 
du  Proviseur  ;  et  on  attendit.  L'École  Normale  allait  être  enfin 
transférée  rue  d'Ulm  :  serait-ce  donc  le  salut? 

Ce  fut  la  Révolution  de  1848.  Et  l'on  vit  d'abord  l'École 
d'Administration  logée,  au  Plessis,  à  la  place  de  l'École  Nor- 
male ;  on  vit  ensuite,  après  que  les  journées  de  Juin  eurent  pris 
pour  cible  la  façade  de  la  rue  Saint-Jacques,  on  vit  des  réunions 
électorales  se  tenir,  par  autorisation  ministérielle,  dans  les 
salles  du  lycée  ;  mais  ce  qu'on  ne  vit  pas,  ce  fut  la  démolition 
des  murailles  lépreuses  et  branlantes.  On  se  contenta  d'élever 
quelques  portiques,  pour  protéger  les  récréations  écolières 
contre  la  pluie.  Et  les  périls  d'autrefois  reparurent.  «  Der- 
nièrement, écrivait,  en  mars  1861,  l'Inspection  générale, 
un  couronnement  s'est  détaché  de  la  partie  supérieure  d'une 
longue  façade  :  1  5  mètres  de  murs  sont  tombés.  Si  l'événe- 
ment fût  arrivé  quelques  instants  auparavant,  il  eût  produit 
d'affreux  malheurs  ».  Puis,  cette  petite  ligne,  en  conclusion  : 


92  L'ENSEIGNEMENT  PUBLIC  A   PARIS 

«  Le  même  danger  est  en  permanence,  sur  d'autres  points  ». 
Dans  les  dernières  années  de  l'Empire  on  crut,  à  ce  grand 
mal  dont  souffrait  le  lycée,  avoir  découvert  un  grand  remède  : 
transporter  Louis-le-Grand  à  deux  kilomètres  plus  loin,  en 
pleine  rue  de  Sèvres,  sur  remplacement  actuel  de  l'hôpital 
Laënnec.  Ce  fut,  dans  le  lycée  et  hors  du  lycée,  une  grosse  émo- 
tion :  l'impiété  d'un  pareil  projet  parut  un  scandale.  Car  l'his- 
toire est  autre  chose  qu'un  mot.  Le  19  avril  1866,  l'inquiétude 
des  élèves  empruntait,  pour  protester  contre  ce  vandalisme,  le 
langage  des  dieux  : 

Est-il  vrai  que,  bientôt,  d'ici  l'on  nous  exile, 
Qu'il  nous  faudra,  proscrits,  chercher  un  autre  asile, 
Dans  des  murs  inconnus? 

L'opinion,  sur  laquelle  tentait  de  s'appuyer  l'Empire  trébu- 
chant, gagna  le  procès  du  vieux  lycée.  Au  lendemain  de  la 
guerre  franco-allemande,  l'Inspection  générale  constatait  tris- 
tement qu'à  Louis-le-Grand  «l'espace, l'air,  la  lumière,  l'ombre, 
tout  manquait  »  ;  mais  elle  tentait  en  vain  d'insinuer  que  le 
lycée  dût  être  transporté  ailleurs  :  ce  qu'elle  appelait  dédai- 
gneusement «  des  raisons  d'archéologie  universitaire  »  ou  «  je  ne 
sais  quel  attachement  superstitieux  à  des  lieux  et  à  des  pierres  », 
tout  cela  finit  par  assurer  le  triomphe  de  la  seule  idée  accep- 
table :  la  reconstruction  de  Louis-le-Grand  à  Louis-le-Grand 
(PI.  18  et  19). 

M.  Lecceur  a  été,  de  1 885  à  1892,  l'architecte  de  cette 
grande  œuvre.  La  servitude  séculaire  des  boutiques  foraines  a 
été  secouée.  La  magnifique  salle  des  pas  perdus  et  le  coquet 
jardin,  que  laissent  voir  les  cinq  baies  vitrées  de  la  façade, 
occupent  aujourd'hui  presque  tout  l'emplacement  de  l'Hôtel  de 
Langres,  où  s'abrita,  pour  ses  débuts,  le  collège  de  Clermont. 


LE   LYCÉE   LOUIS-LE-GRAND  93 

La  salle  des  professeurs,  le  cabinet  du  proviseur  et  le  couloir  qui 
conduit  à  l'économat  sont  situés  sur  les  anciens  murs  du  collège 
de  Marmoutiers.  Les  classes  et  les  études  du  grand  lycée  se 
dressent  sur  les  locaux  ou  les  cours  du  collège  du  Plessis  ;  les 
classes  et  les  études  de  quatrième,  troisième  et  seconde  sont 
logées  sur  l'ancien  domaine  des  Chollets  ;  quant  aux  bâtiments 
en  façade  sur  la  rue  Chartière  et  sur  Sainte-Barbe,  ils  couvrent 
l'ancien  territoire  du  collège  du  Mans1  (PI.  18  et  19). 

Seize  proviseurs  ont  eu,  depuis  l'origine  du  lycée,  la 
charge,  glorieuse  et  lourde,  de  diriger  la  destinée  de  Louis-le- 
Grand,  dans  le  cadre,  aux  séductions  inégales,  que  nous  venons 
d'apercevoir. 

Le  premier  d'entre  eux,  Jean-François  Champagne  avait  été 
à  Louis-le-Grand  boursier  et  maître,  avant  d'y  devenir  profes- 
seur, en  1778,  et  directeur  en  1790".  Il  fut  chargé,  avant  la 
création  des  lycées,  d'y  organiser  les  programmes  de  langue 
latine;  sa  spécialité,  c'était  cependant  la  langue  grecque.  Il  fut 
membre  de  l'Institut  et,  en  1809,  un  an  avant  sa  retraite  il  pou- 
vait rappeler  que  cinq  mille  jeunes  gens  lui  devaient  leur  édu- 
cation. Pendant  un  demi-siècle,  sa  vie  fut  celle  du  collège  ou 
du  lycée  ;  mais,  quand  il  le  quitta,  on  faisait  l'éloge  de  son 
esprit  et  de  son  cœur,  plus  encore  que  de  sa  fermeté.  Il  n'eut 

1.  Voirplusbas,  p.  173-175,  comment  le  lycée  Michelet,  construit  d'abord  dans 
l'ancienne  maison  de  campagne  de  Louis-le-Grand  finit,  par  devenir  un  lycée  indé- 
pendant ;  cf.  aussi  plus  haut,  p.  40. 

2.  Proviseurs  de  Louis-le-Grand  : 

MM.  Champagne,  21  décembre  1801-29-juin  1810,  mort  en  1813  ;  De  Sermand, 
25  juin  1810-2  septembre  1815;  Taillefer,  Ier  juin  1815-29  janvier  1819;  Malleval, 
ior  février  1819-30  septembre  1823;  Berthot,  30  septembre  i823-ior avril  1824  ;  Labo- 
rie,  ier  avril  1824-9  août  1830;  Pierrot-Desseilligny.  10  août  1830-5  février  1845  ; 
Rinn,  7  février  1845-11  janvier  1853;  Forneron,  12  janvier  1853-21  août  1856; 
Jullien,  21  août  1856-6  août  1864;  Didier,  6  août  1864-août  1868;  J.  Girard, 
6  août  1868-21  septembre  1878;  Gidel,  21  septembre  i378-ier  août  1892;  Blan- 
chet,  3  août  1892-juillet  1895  ;  Gazeau,  juillet  1895-septembre  1909;  Ferté,  sep- 
tembre 1909. 


Q4  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC  A  PARIS 

pas  le  courage  de  survivre  trois  ans  à  ses  anciennes  fonctions. 

Napoléon  ne  crut  pas  inutile  de  nommer  successivement 
deux  ecclésiastiques  à  la  tête  du  lycée  :  l'ancien  professeur  de 
théologie  et  ancien  émigré,  de  Sermand,  qui  rétablit  la  disci- 
pline, puis  l'abbé  Taillefer,  qui  avait  été  censeur  à  Charle- 
magne  et  que  l'Empereur,  pendant  lesCent-Jours,  prit  au  provi- 
sorat  de  Versailles,  comme  il  avait  pris  de  Sermand  au  provi- 
sorat  de  Rodez. 

Taillefer  fut  nommé  inspecteur  de  l'Académie  de  Paris,  après 
la  révolte  de  1819.  La  Restauration  avait  été  bien  inspirée  en 
choisissant,  pour  le  remplacer,  un  libéral  qui,  comme  Cham- 
pagne, son  premier  protecteur,  semblait  presque  l'enfant  du  col- 
lège :  François-Christophe  Mallevai.  Il  y  avait  été  élève,  maître 
d'études,  secrétaire  du  proviseur,  sous-directeur  et  professeur 
de  quatrième.  Mais  il  eut  plus  d'influence  sur  les  élèves  que 
sur  quelques-uns  de  ses  collègues  et  surtout  sur  ses  chefs  hié- 
rarchiques :  l'administration  supérieure  ne  put  s'accoutumer  à 
sa  franchise  un  peu  brusque.  Elle  disait  de  lui  :  «  Il  a  eu  le 
double  malheur  d'être  élevé  pendant  la  Révolution,  (il  était  né 
en  1785),  et  parmi  les  hommes  de  la  Révolution.  » 

A  la  veille  de  la  rentrée  de  1823,  il  fut  brusquement  mis  à 
la  retraite  :  familles  et  élèves  furent  consternés.  Vainement 
Berthot,  qui  lui  succéda,  arrivait-il  paré  de  tous  les  titres  uni- 
versitaires :  doyen  de  la  Faculté  des  Sciences  à  Dijon,  recteur, 
inspecteur  général.  A  Louis-le-Grand,  il  échoua,  et  il  ne  fit  qu'y 
passer,  survivant  fort  peu  à  la  révolte  de  1824. 

Laborie  qui  avait  presque  les  mêmes  titres  ou  qui  les  acquit, 
une  fois  proviseur,  eut  le  talent  de  réussir.  Il  avait  été  soldat  de 
1793  à  181 1  et  les  écoliers  d'alors  aimaient  cette  recommanda- 
tion-là. Il  avait  du  reste  enseigné  la  théologie  à  l'Université  de 
Perpignan,    avant    d'endosser  l'uniforme,  et  il   y  avait   là  de 


LE   LYCÉE   LOUIS-LE-GRAND  95 

quoi  rassurer  les  ultras.  Et  puis,  il  avait  formé  son  expérience 
d'administrateur  dans  cinq  collèges  ou  académies,  avant  d'ar- 
river rue  Saint-Jacques.  Quand  il  mourut,  en  1847,  il  était  che- 
valier de  Saint-Louis  et  il  avait  dû,  depuis  le  lendemain  des 
journées  de  Juillet,  céder  la  place  à  un  homme  qui,  parmi  les 
proviseurs  de  son  temps,  fut  véritablement  hors  pair,  M.  Pier- 
rot-Desseilligny. 

La  mesure  de  l'esprit,  l'indépendance  courtoise  et  la  fermeté 
du  caractère,  le  tact,  le  don  de  l'autorité  et  l'art  de  la  faire 
aimer,  il  harmonisait,  en  lui,  toutes  ces  qualités  rares.  Le 
11  mai  1837,  les  Inspecteurs  généraux  pouvaient  dire  de  lui  au 
Ministre  :  «  M.  Pierrot  était  un  des  professeurs  les  plus  dis- 
tingués de  l'Université  :  il  a  gardé  une  supériorité  pareille,  dans 
les  fonctions  du  provisorat.  » 

Quand  il  mourut  à  la  tâche,  le  5  février  184D,  il  fallut  faire 
appel,  pour  le  remplacer,  à  M.  Jacques  Rinn  qui  enseignait, 
depuis  huit  ans,  la  Rhétorique  à  Louis-le-Grand  et,  depuis  douze 
ans,  à  l'École  Normale.  La  distinction  de  son  enseignement  était 
encore  présente  à  l'esprit  des  élèves,  en  février  1 85 1 .  Il  avait  une 
très  haute  idée  du  devoir  et  savait  inspirer  le  respect. 

Avant  de  devenir  proviseur  de  Louis-le-Grand,  M.  For- 
neron  avait  été  recteur  de  Rouen  et  M.  Jullien,  recteur  à  Lyon, 
puis  proviseur  à  Marseille  et  à  Napoléon  (Henri  IV).  Peu  de 
proviseurs  ont  laissé,  sur  les  hommes  de  notre  génération,  une 
empreinte  plus  profonde  que  M.  Jullien  :  à  Louis-le-Grand  et 
au  lycée  du  prince  Impérial  (aujourd'hui  Michelet),  il  semblait 
être  le  proviseur-né.  Napoléon  III  le  fit  commandeur  de  la 
Légion  d'honneur  et  nous  ne  croyons  pas  qu'aucun  proviseur, 
sinon  M.  Nouzeilles  ait  jamais  été,  avant  ou  depuis  M.  Jullien, 
promu  si  brillamment. 

C'est  à  Louis-le-Grand  que  son  successeur,  M.  Didier,  vint 


q6  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC  A   PARIS 

achever  sa  carrière  d'administrateur  ;  mais,  après  Louis-le- 
Grand,  c'est  à  Gondorcet  que  MM.  Girard.  Gidel,  Blanchet  et 
Gazeau  voulurent  achever  la  leur.  Tous  les  quatre,  ainsi  que 
le  proviseur  actuel,  M.  Ferté,  avaient  été  choisis  dans  l'élite  du 
corps  professoral  parisien.  Cependant  quelle  variété  dans  leur 
talent,  leur  caractère  et  leur  action  !  En  face  de  M.  Gazeau,  on 
pensait  à  un  beau  Jordaens  ;  en  face  de  M.  Ferté,  on  pense 
plutôt  à  ces  œuvres  nuancées  et  fines  que  savait  peindre  Van 
Dyck.  Et  Ton  sait  du  reste  à  quel  point  le  prestige  personnel  de 
l'homme  soutient  et  élève  le  prestige  de  la  fonction.  De  plus  en 
plus,  le  personnel  de  Louis-le-Grand,  sans  même  parler  des 
élèves  ni  de  leurs  familles,  se  laisse  gagner  à  cette  tradition  : 
adoucir,  à  force  de  confiance  et  d'affectueuse  gratitude,  la 
tâche,  toujours  délicate  et  rude,  imposée  au  chef  de  l'illustre 
maison. 

Les  censeurs1  de  Louis-le-Grand  eurent  généralement  à  hon- 
neur de  collaborer  efficacement  avec  les  proviseurs.  Plusieurs 
d'entre  eux,  pour  ne  parler  que  des  anciens,  connurent  la  noto- 
riété :  ainsi,  de  Wailly  qui  releva  si  remarquablement  Sainte- 
Barbe  ;  le  Prévost  d'Iray  qui  devint  Inspecteur  général  et  entra 
à  l'Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres  ;  de  Guérie  qui, 
nommé  professeur  titulaire  à  la  Faculté  des  Lettres,  le 
6  mai  1809,  préféra  vivre  et  mourir  censeur  à  Louis-le-Grand, 
où  il  n'ambitionna  pas  le  poste  de  proviseur;  M.  Didier  fut  au 
contraire,  à  douze  ans  d'intervalle,  censeur  puis  proviseur  au 

1.  MM.  De  "Wailly  aîné,  21  décembre  1801-19  août  1804;  Le  Prévost  d'Iray, 
19  août  1804-10  octobre  1809;  De  Guérie,  10  octobre  1809-11  novembre  1824; 
Emond,  12  novembre  1824-21  octobre  1834  ;  Roger,  suppléant,  21  octobre  1834 
2  mai  1838;  Aubert  Hix,  d'abord  suppléant,  2  mai  1838-18  août  1849;  Didier, 
18  août  1849-13  septembre  1852  ;  Delorme,  22  septembre  1852-4  septembre  1855 
Talbert,  4  septembre  1855-11  août  1864;  Maréchal,  10  août  1864-29  mars  1871 
Roguet,  29  mars  1871-21  septembre  1878;  Joubin,  26  septembre  1878-26 octobre  1883 
Laigle,  26  octobre  1883-1"'  septembre  1897;  Cuvillier,  Ier  septembre  1897-12  fé- 
vrier 1902  ;  Maldidier,  12  février  igo2-ier  septembre  1902  ;  Roy,  ier  septembre  1902. 


LE   LYCÉE   LOUIS-LE-GRAXD  97 

lycée;  M.  Joubin  quitta  le  censorat  pour  le  provisorat  de  Saint- 
Louis.  Quant  à  AI.  Emond,  c'est  à  lui  que  nous  devons  la  pre- 
mière monographie  de  Louis-le-Grand  ;  sans  lui,  beaucoup  de 
souvenirs  de  la  vieille  maison  se  seraient  perdus. 

La  liste  complète  des  professeurs  qui  contribuèrent  au  grand 
renom  du  lycée,  nous  ne  pouvons  songer  à  la  donner  ici  :  les 
lettres,  les  humanités,  la  grammaire,  durent  beaucoup  à  l'en- 
seignement des  Luce  de  Lancival,  Castel,  Dubos,  Pourmarin, 
Alexandre,  Daveluy,  Jean-Louis  Burnouf,  Rigault,  Marc- 
Girardin,  Pierrot,  Rinn,  Despois,  Deltour,  Lemaire,  Dupré, 
Chardin,  Destainville,  Filon,  Feugère,  Aubert-Hix,  Cartault, 
Chambon,  Lehugeur,  Fallex,  Boudhors,  Merlet,  Marcou,  Hatz- 
feld,  Combarieu  et  Morand;  l'histoire  aux  Trognon,  Wallon, 
Gaillardin,  Pigeonneau,  Gallouédec,  Dunan  et  Darsy;  la  phi- 
losophie aux  Maugras,  Ozaneaux,  Jules  Simon,  Waddington, 
Charles,  Charpentier,  Burdeau  et  Belot  ;  les  mathématiques  aux 
Laran.  Vieille,  Bernés  et  Darboux;  les  sciences  physiques  et 
naturelles  aux  Thillaye,  Arvers  et  Privat-Deschanel  ;  les  langues 
vivantes  aux  Alexandre,  Sevrette,  Beljame  et  Lange. 

Le  nombre  moyen  des  élèves,  dont  nous  préciserons  ail- 
leurs la  courbe  annuelle,  a  généralement  été  voisin  d'un  mil- 
lier; mais  quelles  variations  dans  le  détail  !  Le  lycée  ne  s'ouvrit 
qu'avec  600  élèves,  en  juin  i8o3  ;  il  en  avait  571,  en  180D  :  le 
maximum,  sous  l'Empire,  1.161,  fut  atteint  en  181 3.  Les 
années  critiques  se  traduisirent  par  des  chutes  numériques 
sensibles  :  687  élèves,  en  i8i5-i8i6  ;  829,  en  i83o;  1.000,  en 
1848-49  et,  36 1,  en  1870-71.  Les  maxima,  sous  la  Restaura- 
tion, furent  i.o53  en  1818  et  1828;  sous  Louis-Philippe,  1.257 
en  1846;  sous  Napoléon  III,  1 .456  en  1862  (et  même  1.829,  en 
1866,  pour  peu   que  l'on    ajoute   les  élèves   de   Vanves,  où  un 


98  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC   A  PARIS 

lycée  nouveau  venait  de  s'ouvrir  en  1 86 1 ,  clans  la  maison  des 
champs  du  vieux  Louis-le-Grand  parisien) .  Sous  la  troisième 
République,  le  maximum  fut  atteint  en  1888,  avec  1 .537  élèves. 
Si  Ton  voulait  à  la  population  scolaire  de  la  maison  mère 
ajouter  la  population  de  ses  deux  filiales,  Vanves-Michelet  et 
Montaigne  (ouvert  en  octobre  i885),  on  atteindrait  des  chiffres 
beaucoup  plus  élevés  encore  :  le  maximum  serait,  en  1887, 
3.097  écoliers;  dont  1 . 5 1 9,  pour  Louis-le-Grand  proprement  dit, 
601  pour  Montaigne  et  977  pour  Vanves. 

Au  début,  les  trois  quarts  des  élèves  étaient  internes  ;  dès 
181 7,  les  internes  n'étaient  plus  que  1  élève  sur  3  ;  sous  le 
Gouvernement  de  Juillet,  leur  nombre  s'accrut  et  atteignit  pres- 
que, en  1839,  par  exemple,  5o  p.  100  :  soit  5 1 3  internes  contre 
5 1 8  externes.  Le  second  Empire  fut,  pour  Louis-le-Grand,  l'âge 
d'or  de  l'internat  :  dès  1854,  il  y  avait  421  internes  contre 
385  externes;  en  1 861,  il  y  eut  960  internes  et  seulement 
446  externes  ;  en  1866,  il  y  eut  1.346  internes  et  483  externes. 

Autre  fait  nouveau  :  dès  les  dernières  années  de  l'Empire, 
la  mode  du  demi-pensionnat  commença.  Timidement  d'abord  : 
5  demi-pensionnaires  (sur  1.0 17  élèves),  en  i85o;  23,  en  1 858  ; 
87,  en  1866.  L'apogée,  ce  furent  35 1  demi-pensionnaires, 
en  1887,  en  face  de  395  internes  et  de  773  externes.  Depuis 
quelques  années,  il  y  a  généralement  7  externes  sur  10  élèves. 

On  peut  dire,  que,  depuis  i8o5,  le  pourcentage  de  l'externat 
s'est  accru  jusqu'en  i83o  ;  il  s'est  maintenu  sous  Louis-Philippe, 
a  diminué  sous  Napoléon  III  et,  après  un  léger  fléchissement 
vers  1890,  il  n'a  cessé  d'augmenter  ensuite.  Mais  encore  faut-il 
observer  que  cet  externat  a  changé  de  nature.  Aujourd'hui, 
c'est  l'externat  libre  qui  domine;  autrefois  c'était  l'externat 
dans  les  pensions  ou  les  institutions  secondaires.  Aujourd'hui 
Bossuet   est   la  dernière  institution    conduisant   ses    élèves   à 


LE   LYCÉE   LOUIS-LE-GRAND  99 

Louis-le-Grand,  Sainte-Barbe  fut  l'avant-dernière.  Bossuet  est 
devenue  la  cliente  du  lycée  depuis  1870  ;  Sainte-Barbe  qui 
Tétait  depuis  Tan  VII  a  cessé  de  l'être  en  1894. 

Il  y  eut,  en  181 3,  jusqu'à  21  pensions  libres  attachées  à  Louis- 
le-Grand  ;  ce  fut  le  record.  De  1827  à  1 853,  le  nombre  de  ces 
pensions  oscilla  de  18  à  16;  depuis  1854,  elles  commencèrent  à 
péricliter  et  nous  avons  eu  l'occasion  de  dire  la  cause  de  leur 
décadence.  Sans  doute,  leur  nombre  ne  doit  pas  nous  faire 
illusion  :  il  y  eut  des  pensions  très  modestes  et  très  éphémères  ; 
il  y  en  eut  qui  conduisaient  au  lycée  une  très  mince  troupe 
d'élèves.  Les  plus  célèbres  de  ces  pensions  s'appelaient  Aubert- 
Audet,  Aubusson,  Brion,  Cotte,  Coullon,  Hallays-Dabot,  Decaut, 
Delavigne,  Démare,  Guyet  de  Fernex,  Gandon,  Liautard, 
Loriol-Gérono,  Huré,  Le  Masson,  Massin,  Mayer,  Morisson, 
Savouré  et  surtout  de  Lanneau  ou  Sainte-Barbe.  En  1866,  sur 
294  élèves,  conduits  par  les  pensions,  240  étaient  barbistes. 

Les  élèves  se  chargèrent,  pour  un  grand  nombre,  de  sou- 
tenir, à  travers  la  vie,  la  vieille  réputation  de  leur  collège  ou  de 
leur  lycée.  Parmi  leurs  devanciers,  ils  comptaient  Molière  et 
Crébillon,  Chapelle  et  Voltaire,  Gresset,  de  Malesherbes, 
Robespierre  et  Camille  Desmoulins.  Le  xixe  siècle  allongea 
cette  magnifique  pléiade  :  il  ajouta  Barthélémy  Saint-Hilaire, 
Baudelaire,  Elie  de  Beaumont,  Gaston  Boissier,  Eugène  Bur- 
nouf;  Francis  Chevassu,  Crémieux,  Alfred  et  Maurice  Bouillet, 
Croiset,  Cuviîlier-Fleury  ;  Danilo  Ier,  prince  régnant  puis  roi 
de  Monténégro,  Eugène  Delacroix,  Gaston  Deschamps,  Drouyn 
de  Lhuys,  Dupetit-Thouars,  le  baron  Dupuytren,  les  frères 
Du  Sommerard,  Faidherbe,  Octave  Feuillet,  Frayssinous; 
Géricault,  L.  Hachette,  Homolle,  Victor  Hugo,  Paul  Janet, 
Jules  Janin,  Laboulaye,  Lachelier,  Littré,  Louis,  prince  héri- 
tier de  Monaco,   Lechat,  Victor  et   Charles  Legrand,  Albert 


ioo  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC   A   PARIS 

Petit,  Quicherat,  Rabier,  Sylvestre  de  Sacy,  Villemain  et  Weiss. 
Au  moment  où  nous  écrivons,  plus  du  quart  de  l'Académie 
française  est  composé  d'anciens  élèves  de  Louis-le-Grand  :  Paul 
Bourget,  Denys  Cochin,  Maurice  Donnay,  le  comte  d'Haus- 
sonville,  Frédéric  Masson,  Paul  Deschanel,  Alfred  Mézières, 
Emile  Ollivier,  Raymond  Poincaré,  Thureau-Dangin  et  le 
marquis  de  Vogué.  Une  telle  couronne  vaut  tous  les  lauriers. 
Et  faut-il  rappeler  que  M.  Raymond  Poincaré  vient  d'être  promu 
à  la  première  magistrature  de  notre  pays  ? 

Aussi  bien,  les  études  à  Louis-le-Grand  faisaient-elles  pré- 
sager une  pareille  gloire.  Les  Inspecteurs  généraux  procla- 
maient que,  dans  aucune  ruche  universitaire,  il  n'y  avait  plus  de 
labeur.  Ils  estimaient,  en  1837,  qu'on  savait  y  donner  la  supé- 
riorité à  l'intelligence  sur  la  mémoire  et  dresser  les  enfants  à 
l'art  de  raisonner.  En  1840,  ils  applaudissaient  aux  progrès 
que  les  méthodes  d'enseignement  y  avaient  faits  depuis  dix  ans. 
Et  ils  pouvaient  écrire,  en  1860  :  «  Charlemagne  seul  est  en 
mesure  de  lutter,  dans  l'ensemble,  avec  Louis-le-Grand.  Dans 
les  autres  lycées,  la  comparaison  n'est  possible  que  pour  un 
petit  nombre  de  classes.  Cela  tient  surtout  au  personnel  des 
professeurs  :  il  est  remarquable.  » 

Sans  doute,  tout  n'y  était  point  parfait,  certaines  classes 
dépassaient  100  ou  120  élèves  et  5o,  60  ou  80,  chez  les  petits; 
les  examens,  institués  le  9  septembre  1800,  pour  le  Prytanée  et 
qui  auraient  dû  arrêter  au  passage,  d'une  classe  clans  l'autre, 
les  élèves  trop  faibles,  manquaient  trop  de  sérieux  et  l'on  consi- 
déra, en  i883,  comme  un  acte  d'énergie  rare  le  fait  d'avoir  con- 
traint 83  élèves  à  redoubler  leur  classe.  Les  traînards  formaient 
une  queue  interminable  et  le  professeur  était  tenté  de  s'adresser 
aux  i5  premiers  seulement.  Sans  doute  aussi,  on  déplorait  que 


LE   LYCEE   LOUIS-LE-GRAND  101 

les  heures  d'études  fussent  trop  mesurées  et  le  travail  person- 
nel trop  étouffé,  les  classes  trop  longues  et  trop  fréquentes. 

Mais  ces  erreurs  ou  ces  abus,  Louis-le-Grand  n'en  avait 
pas,  hélas  le  monopole;  et,  à  Louis-le-Grand  plus  qu'ailleurs 
peut-être,  on  savait  les  dénoncer,  sinon  y  renoncer.  Un  bon  juge 
pouvait  dire  en  1849  :  «l'enseignement  de  Louis-le-Grand  est 
peut-être  le  plus  sérieux,  c'est  celui  qui  concourt  le  plus  adonner 
une  bonne  direction  aux  élèves.  »  Tout  au  plus,  pouvait-on  se 
plaindre  qu'il  fût  parfois  un  peu  trop  élevé. 

On  assurait  que  les  murs  du  vieux  collège  eux-mêmes  par- 
laient le  latin.  Du  moins,  y  déclarait-on  très  nettement  ce  qui 
est  la  vérité  même  :  on  n'enseigne  pas  le  latin  pour  le  latin, 
mais  pour  le  français.  Le  3i  juillet  1840,  c'est  le  Proviseur  de 
Louis-le-Grand  qui  réclamait,  l'un  des  premiers,  une  de  nos 
plus  modernes  réformes  :  «  ajourner  dans  les  classes  élémen- 
taires le  latin  jusqu'à  la  6e  et  l'y  remplacer  par  les  langues 
modernes.  » 

Les  classes  de  grammaire  en  i835,  1840,  1860  paraissaient 
aussi  solides  que  vivantes  et  distinguées.  Il  n'était  pas  jusqu'aux 
leçons  qui  n'y  fussent  récitées  «  avec  un  aplomb,  une  netteté  une 
intelligence,  qui  contrastait  avec  les  autres  lycées  de  France  ». 

Aux  classes  proprement  littéraires  on  savait  donc  préparer 
de  bonnes  assises.  Peut-être  cependant  le  grec  était-il  sacrifié 
au  latin  et,  jusque  vers  1880,  le  français  lui-même  devait-il  trop 
céder  la  place  à  la  langue  deCicéron.  Mais  ces  tendances,  on  ne 
l'ignore  pas,  étaient  celles  de  l'Université  plus  encore  que  celles 
de  Louis-le-Grand.  A  Louis-le-Grand,  on  savait,  du  moins, 
acquérir  cette  «  manière  d'écrire  saine,  simple,  exempte  de  faux 
brillant  et  de  recherche  »  que  M.  Rinn  s'entendait  merveilleu- 
sement à  enseigner.  La  Rhétorique  était  la  classe  qui  attirait  tous 
les  regards  :  Malleval  le  constatait  officiellement,  dès  1820  ;  ses 


102  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC   A   PARIS 

successeurs  le  constatèrent,  jusqu'à  la  fin  du  dernier  siècle.  Beau- 
coup d'élèves,  avides  de  passer  leur  baccalauréat  ou  de  se  pré- 
senter aux  grandes  écoles,  sautaient  volontiers  la  seconde;  mais 
beaucoup  aussi,  avides  d'une  culture  générale  profonde  et  de 
succès  au  grand  Concours,  redoublaient  la  Rhétorique.  La  Rhé- 
torique de  Louis  le-Grand  avait  une  réputation  européenne. 

La  Philosophie  présenta  des  oscillations  beaucoup  plus 
variables  :  peu  de  classes  dépendirent  davantage  du  professeur 
qui  en  assumait  la  charge.  Parmi  les  maîtres  éminents  qui  la 
dirigèrent,  Jules  Simon,  Janet,  par  exemple,  il  en  est  un  sur- 
tout qui  sut  mettre  ses  élèves  hors  de  pair  :  c'était,  en  1872, 
M.  Charles,  le  futur  recteur  de  Lyon. 

C'est  à  Louis-le-Grand  que  furent  préconisées  dès  le  Gou- 
vernement de  Juillet,  la  plupart  des  réformes  dans  l'enseigne- 
ment des  langues  vivantes.  On  réclama  l'étude  de  leur  vocabu- 
laire, dès  Vàge  de  huit  à  dix  ans  ;  l'usage  des  règles,  après 
l'usage  des  mots,  et  la  classe  d'anglais  ou  d'allemand,  faite  en 
anglais  ou  en  allemand. 

Si  la  géographie  ne  fut  pas  en  honneur  au  lycée,  avant  les 
vingt-cinq  dernières  années,  ce  ne  fut  pas,  semble-t-il,  par  la 
faute  du  premier  proviseur,  Champagne  :  il  réclamait,  le  4  dé- 
cembre 1802,  des  globes,  des  sphères  et  des  cartes,  qu'un  de 
ses  lointains  successeurs,  M.  Girard,  réclamait  encore,  en  1872  : 
à  ce  moment-là,  les  élèves  n'avaient  pas  encore  d'atlas.  Mais 
dans  quel  lycée  en  avait-on  alors  ? 

La  géographie  n'était  guère  considérée  à  cette  date,  que 
comme  de  l'histoire  en  surface .  Et  les  professeurs  d'histoire  regar- 
daient la  géographie  un  peu  trop  en  hilote.  Au  reste,  tous  les 
proviseurs, et  M.  Pierrot-Desseilligny  tout  le  premier,  n'avaient 
pas  alors  pour  l'histoire  elle-même  une  excessive  tendresse.  Ils 
voyaient  tout  au  plus,  en  elle,  une  gymnastique  de  la  mémoire. 


LE   LYCÉE   LOUIS-LE-GRAND  103 

De  tous  les  enseignements  du  collège,  en  1 841 ,  elle  leur  paraissait 
le  plus  défectueux,  et  ils  proposaient  de  l'ôter  aux  spécialistes. 
Ce  qui  ne  les  empêchait  pas  de  regretter  que  l'enchaînement 
des  faits  et  des  idées  générales  ne  fussent  pas  suffisamment 
marqué.  Dix  ou  douzes  élèves  seulement,  par  classe,  donnaient 
quelque  travail.  Et  c'était  surtout  un  travail  de  sténographe  ou 
de  copiste.  «  Point  de  lecture,  disait  l'Inspection  en  i838,  point 
de  réflexion.  Tout  est  reçu  de  la  bouche  du  professeur,  presque 
sous  sa  dictée.  »  Les  élèves  continuèrent,  jusqu'en  1880,  à  écrire 
d'interminables  rédactions,  très  impersonnelles.  La  moitié  de 
chaque  classe  était  employée  à  lire  les  plus  soignées,  au  milieu 
d'une  inattention  et  d'une  indifférence  presque  générales.  Et 
cependant,  dès  1840  sinon  plutôt,  on  rendait  hommage  au  talent 
de  M.  Gaillardin,  à  son  éloquence  et  à  son  art  d'évoquer,  par 
mille  piquants  détails,  toute  la  vie  d'une  époque. 

Louis-le-Grand  avait  beau  être  surtout  un  lycée  littéraire, 
les  sciences  étaient  bien  loin  d'y  être  négligées  et  le  fait  y  fut 
constaté,  à  maintes  reprises,  en  1837  et  en  i863.  Au  reste,  des 
hommes  comme  M.  Vieille  et  M.  Darboux  assurèrent,  pendant 
plusieurs  années,  la  fortune  du  lycée,  en  mathématiques  spé- 
ciales. Le  cabinet  de  physique  fut  un  des  premiers  installés 
dans  les  collèges  de  la  capitale  ;  et  pareillement,  le  cabinet 
d'histoire  naturelle.  M.  Arvers  fit  plus  que  personne  pour  créer 
l'enseignement  zoologique  et  botanique.  Louis-le  Grand  lui  dut 
des  succès  notables. 

Cette  grande  maison  fut  toujours  très  loin  de  tomber  dans 
les  abus  que  le  concours  général  traînait  ailleurs  à  sa  suite.  Le 
7  avril  1843,  l'Inspection  générale  constatait  tout  ce  qu'avait 
de  factice  le  succès  des  institutions  donnant  à  Charlemagne  le 
premier  rang  au  grand  Concours  et  laissant  à  Louis-le-Grand  le 
second.   A  Louis-le-Grand,  chaque  élève  gardait  «  sa  mesure 


io4  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC  A   PARIS 

légitime  de  récréation  et  de  promenade,  à  l'air  extérieur  ». 
«  Nulle  surexcitation  artificielle,  pas  de  répétitions  continuelles, 
pas  de  veillées  extraordinaires  et  pas  de  concurrences  d'indus- 
tries rivales.  »  A  Gharlemagne,  concluait  l'Inspection,  on  trou- 
vait plutôt  «  un  gymnase  d'entraîneurs  pour  quelques  athlètes  »  ; 
à  Louis-le-Grand  c'était  la  véritable  «  éducation  publique  ». 

Au  total  et  jusqu'à  la  suppression  du  Concours  général,  en 
1903,  Louis-le-Grand,  parmi  les  lycées  de  Paris,  sut  se  placer  au 
premier  rang1;  depuis  l'abolition  du  concours  jusqu'en  1912, 
c'est  dans  ses  succès  à  l'École  normale  supérieure  qu'il  a  eu 
le  souci  d'affirmer  sa  vieille  suprématie  littéraire.  Dans  ces 
deux  dernières  années,  il  a  fait  entrer,  rue  d'Ulm,  presque 
la  moitié  de  la  promotion  des  Lettres. 

La  rigueur  de  sa  discipline  passait  pour  assurer  à  Louis-le- 
Grand  la  garantie  de  ses  triomphes  ;  alors  qu'elle  avait,  à 
Henri  IV,  des  allures  presque  paternelles,  cette  discipline  con- 
servait, rue  Saint-Jacques,  des  allures  militaires.  Tous  les  mou- 
vements s'y  exécutaient,  jusqu'à  la  fin  du  second  Empire  ou 
presque,  avec  une  régularité  automatique  rappelant  celle  de  la 
caserne.  Au  reste,  les  élèves  y  étaient  groupés  en  compagnies, 
commandées  par  des  sergents  et  des  sergents-majors. 

En  1811,  1848,  en  i865,la  sévérité  en  des  circonstances  heu- 
reusement très  exceptionnelles,  alla  jusqu'à  la  brutalité  et  le 
proviseur  eut  à  défendre  aux  maîtres  de  frapper  les  élèves. 

Depuis  l'origine  du  lycée,  les  élèves  punis  pouvaient  être 
privés  de  récréation  et  assujettis  à  un  «  travail  utile  »  ;  placés  au 
réfectoire  devant  une  petite  table,  où  ils  étaient  nourris  au  pain 
sec;  privés  de  promenades,  privés  desorties,  enfin  emprisonnés 

1.  59  prix  d'honneur,  entre  1805  et  1900,  dont  deux  à  la  fois,  en  1866,  1870,  1874, 
1880,  1883.  1885;  et  trois  à  la  fois,  en  1850  et  1878. 


LE   LYCÉE   LOUIS-LE-GRAND  105 

aux  arrêts.  Le  premier  proviseur,  Champagne,  réclamait,  au 
moins,  une  geôle,  par  groupe  de  cent  élèves.  Jusqu'en  1837,  on 
abusa  un  peu  des  punitions  et  notamment  des  arrêts  ;  séparé  de 
ses  camarades  et  exilé  de  sa  classe,  le  prisonnier  copiait  dans 
son  cachot  800,  1.000,  1.200  vers. 

Depuis  1837,  on  parla  d'adoucir  ces  rigueurs,  on  eut  honte 
d'avoir  transformé  «  Virgile  ou  Racine  en  knout  littéraire  ».  En 
i838,  la  retenue  forcée  parut  diminuer  :  un  cinquième  seulement 
des  élèves  y  fut  condamné  chaque  jour;  en  1847,  un  sixième 
des  élèves.  On  recourut  à  la  statistique  :  en  octobre  i852,  il 
fut  constaté  que  345  p.  100  des  élèves  avaient  été  punis;  et 
335  p.  100,  en  octobre  i853.  Parmi  les  lycées  parisiens,  Louis- 
le-Grand  arrivait  en  tête  pour  le  nombre  des  punitions  infligées. 

La  discipline  ne  cessa  désormais  de  s'adoucir.  En  juin  1870, 
le  Proviseur  observa  tristement  :  «  la  discipline  n'est  pas  dans 
un  tel  état  qu'il  faille  encore  l'affaiblir  par  des  concessions 
inutiles.  » 

On  trouva  cependant,  depuis  cette  date,  de  nouvelles  con- 
cessions à  faire,  qu'on  n'a  pas  jugées  inutiles.  L'autorité  morale 
des  maîtres  a  dû  s'attacher  désormais  à  prévenir  les  fautes  plu- 
tôt qu'à  les  punir.  Avec  le  minimum  de  punitions,  il  leur  a  fallu 
obtenir  le  maximum  d'ordre. 

Il  est  très  sûr,  en  tout  cas,  que  l'intransigeance  disciplinaire 
n'avait  pas  évité  à  Louis-le-Grand  les  révoltes  de  18 19,  de  1824, 
de  1848  et  184g,  de  1868  et  1869,  ou  de  i883.  L'affection  pour 
un  chef  est  la  meilleure  sauvegarde  de  l'autorité  ;  il  faut,  pour 
l'acquérir,  non  pas  de  la  faiblesse,  mais  de  la  fermeté,  doublée  de 
tact  et  de  mesure.  Depuis  tantôt  vingt-cinq  ans,  ces  qualités 
ont  assuré,  sans  rigueurs  stériles,  la  discipline  à  Louis-le-Grand. 
Et  c'est  un  succès  auquel  les  proviseurs  d'autrefois  auraient 
sans  doute  refusé  de  croire. 


io6  L'ENSEIGNEMENT  PUBLIC  A   PARIS 

L'esprit  des  élèves,  chaque  fois  que  n'agissait  pas  sur  lui 
l'excitation  violente  des  choses  du  dehors,  fut  toujours  excellent. 
Il  est  resté  tel  ;  dans  peu  de  lycées,  l'influence  du  talent  et 
celle  du  caractère  ont  une  action  plus  forte.  Nulle  part  peut- 
être  plus  qu'à  Louis-le-Grand,  l'élève  n'est  sensible  au  dévoue- 
ment éclairé  de  ses  professeurs  et  à  leur  apostolat.  Nulle  part, 
non  plus,  il  n'a  davantage  le  sens  du  respect. 

Au  reste,  il  devine  que  le  lycée  ne  tend  pas  seulement  à  la 
vie  intellectuelle  mais  à  la  vie  morale,  à  l'éducation  des 
manières  et  à  celle  du  cœur.  En  dehors  des  œuvres  de  bienfai- 
sance, auxquelles  sa  générositél'associe,  comme  les  autres  lycées 
parisiens,  Louis-le-Grand  a,  depuis  bientôt  un  demi-siècle,  une 
œuvre  bien  à  lui,  l'œuvre  du  Petit  Sou.  Un  jour  de  i856,  au 
cours  d'une  promenade  aux  Champs-Elysées,  les  internes  se 
sentirent  émus  par  la  détresse  d'un  pauvre  gavroche  :  il  avait, 
en  leur  demandant  l'aumône,  un  visage  et  des  gestes  qui  tou- 
chèrent leurs  âmes.  Un  élan  généreux  les  poussa  :  ils  adoptèrent 
l'enfant.  Ils  ramenèrent  au  lycée  leur  petit  protégé.  Et,  depuis 
lors,  la  plupart  des  élèves  de  Louis-le-Grand  donnent  un  sou  par 
semaine,  qui  sert  à  élever  un,  deux  ou  trois  écoliers  pauvres. 
On  devine  bien  que  nul  ne  connaît  ces  écoliers-là.  Eux-mêmes 
ignorent  qu'ils  doivent  à  cette  solidarité  fraternelle  la  fortune 
d'avoir  le  pain  quotidien  de  l'esprit  et  du  corps. 

Autre  originalité  de  Louis-le-Grand  :  ses  concerts  trimes- 
triels. Leur  fondateur?  Cet  admirable  Pierrot-Desseilligny, 
grand  artiste  autant  que  parfait  administrateur  et  professeur 
incomparable.  Leur  succès  fut,  dès  l'origine,  «  très  parisien  »  ; 
et  il  s'est  continué  si  bien  que  la  salle  des  fêtes  du  lycée  est, 
depuis  longtemps,  trop  étroite.  Il  a  fallu  lui  substituer  le 
grand  amphithéâtre  de  la  Sorbonne.  Depuis  trois  ans,  un  bal 
s'ajoute  périodiquement  aux  deux  concerts  annuels  et  à  ce  bal 


LE   LYCÉE   HENRI  IV  107 

le  Grand  maître  de  l'Université  ne  dédaigne  point  de  paraître. 
Est-il  bien  nécessaire  d'ajouter  que,  dans  une  maison  où, 
comme  à  Louis-le-Grand,  les  traditions  se  conservent  ainsi  qu'un 
patrimoine  de  gloire,  une  Association  des  anciens  élèves  ne  pou- 
vait manquer  de  se  fonder.  S'étant  fondée,  elle  ne  pouvait 
manquer  d'être  prospère.  Le  bien  qu'elle  a  su  faire  depuis  cin- 
quante ans,  les  prix  et  les  bourses  qu'elle  a  créés,  bourses  au 
lycée  même  et  bourses  de  séjour  à  l'étranger,  tout  cela  c'est  à 
l'éloge  des  générations  d'autrefois  et  des  générations  d'aujour- 
d'hui. Parmi  les  enfants  de  la  chère  et  grande  maison,  les  nou- 
veaux savent  que  leurs  devoirs  se  ramènent  à  un  seul,  qui  les 
résume  tous  :  être  dignes  de  leurs  anciens. 


II 
LE   LYCÉE   HENRI   IV1 

Le  Consulat,  l'Empire,  la  Monarchie,  la  République  furent  les 
parrains  successifs  et  toujours  infatigables  du  Lycée  :  il  devait 
s'appeler,  dans  le  principe,  Lycée  du  Panthéon  ;  il  s'appela  en 
réalité,  de  1804  à  181  5,  lycée  Napoléon  ;  de  181  5  à  1848,  collège 
Henri  IV;  en  1848,  il  devenait  le  lycée  Corneille,  et,  de  1849  à 
1870,  pour  la  seconde  fois,  lycée  Napoléon  ;  puis  jusqu'en  1872, 
et  de  nouveau,  lycée  Corneille;  enfin,  depuis  1873,  il  semble  en 
possession  d'un  état  civil  consacré,  et  c'est  le  lycée  Henri  IV. 

En  aucun  lycée  de  Paris,  les  vieilles  pierres  n'ont  plus  res- 
pectueusement gardé  l'authentique  parure  de  leur  passé.  Nul 
lycée  ne  ressemble  davantage  à  un  coin  tranquille  de  province 
oublié  dans  la  capitale  (PI.  21  à  24). 

1.  23,  Rue  Clovis  (PI.  21  à  24). 


108  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC  A   PARIS 

Ses  murs  rappellent  presque  toutes  les  périodes  de  l'his- 
toire de  Paris  :  ils  occupent  à  son  extrémité  le  plateau  du 
mont  Locoticius  ;  un  autel  de  Diane  y  fut  découvert,  et  aussi 
les  vestiges  d'une  fabrique  de  poteries  gauloises  et  gallo- 
romaines.  Clovis  et  Clotilde  ont  donné  leur  nom  à  deux  des 
rues  qui  bornent  le  lycée,  et  les  souvenirs  mérovingiens  flottent 
encore  autour  du  vieux  clocher  que  la  tradition  a  longtemps 
appelé  la  tour  de  Clotilde  ou  de  Clovis.  La  muraille  de  Phi- 
lippe-Auguste touche  à  la  partie  orientale  du  lycée. 

L'abbaye  de  Sainte-Geneviève  se  rattache  aux  premiers 
temps  de  la  monarchie  franque,  et  ce  sont  les  bâtiments  de 
cette  abbaye,  remaniés  depuis  la  fin  du  xne  siècle,  qui  servirent 
au  lycée  de  berceau.  La  terrasse  où  est  construit  le  petit  lycée 
forme  aujourd'hui,  avec  le  parc  du  proviseur,  les  dernières 
épaves  des  jardins  de  la  vieille  abbaye  ;  c'étaient  les  plus 
magnifiques  de  Paris,  tant  que  les  Tuileries  et  le  Luxembourg 
furent  en  dehors  de  l'enceinte.  Jusqu'au  milieu  du  xviii6  siècle,  ils 
couvraient  presque  toute  la  place  actuelle  du  Panthéon  et, 
au  début  du  xixe  siècle,  ils  allaient  encore  jusqu'à  la  rue  d'Ulm 

(PI.   21). 

La  chapelle  du  lycée  a  été  installée  dans  l'ancien  réfectoire 
des  Génovéfains,  construit  au  xme  siècle  sur  la  face  occidentale 
de  l'abbaye.  Elle  a  3ora,Ô2  de  long  et  8m,6o  de  large  ;  elle 
a  six  travées,  voûtées  sur  croisées  d'ogives.  La  tourelle,  qui 
la  flanquait  à  l'angle  Nord-Ouest,  a  été  démolie.  C'est  un  beau 
spécimen  de  l'art  gothique  et  il  a  été  classé  parmi  les  monu- 
ments historiques.  Au-dessous  de  cette  chapelle,  sont  des  caves 
monumentales,  qui  reposent  elles-mêmes  sur  les  voûtes  des 
catacombes  (PI.  22-23). 

En  1806,  la  rue  Clovis  a  été  ouverte,  à  la  place  de  l'église 
de  l'abbaye  dont  le  clocher  seul  subsista  désormais,  découronné 


auw^yvt1 


l'abbaye  de  sainte-geneviève  (aujourd  hui  lycee  henri  iv) 
d'après  le  plan  de  turgot,  1739 


Phot:  Vallois 
LYCÉE   HENRI    IV.    —    VUE    GÉNÉRALE    SUR    LA    PLACE    DU    PANTHÉON    (CÔTÉ    OUEST;. 

(Page  107O 


PI.  22. 


LYCEE   HENRI   IV. 


Phot.  Bulloz. 

CHAPELLE    (ANCIEN   REFECTOIRE   SAINTE-GENEVIEVE,    XIIIe   SIECLE) 


LYCEE    HENRI   IV. 


l'hui.  Builoz. 
DORTOIR    [ANCIENNE    BIBLIOTHÈQUE    DE    SAINTE-GENEVIEVE, 
Win      SIÈCL1     . 
Page   107. i 


LE   LYCEE   HENRI    IV  109 

de  sa  flèche  pointue  et  de  ses  clochetons  d'angle.  Sous  le  pavé 
de  cette  rue,  le  vandalisme  des  démolisseurs  entassa  pêle-mêle 
de  précieux  débris  :  c'est  là  que  Ton  a  retrouvé  en  1844  une 
statue  de  pierre  de  sainte  Geneviève,  qui  décorait  jadis  le 
trumeau  de  la  porte  médiane  de  l'abbaye. 

L'original  de  cette  statue  a  été  placé  au  Louvre  ;  deux  mou- 
lages en  ont  été  déposés,  l'un  à  Saint-Denis,  l'autre  dans  la  cha- 
pelle du  Lycée. 

La  patronne  de  Paris  y  est  représentée,  comme  l'exigeait 
l'iconographie  médiévale  :  elle  a  un  cierge  à  la  main  ;  sur  une 
des  épaules  est  un  diablotin,  placé  là  pour  éteindre  ce  cierge  ; 
sur  l'autre  épaule,  est  un  petit  ange,  placé  là  pour  le  rallumer. 
Angelot  et  diablotin  jouaient  ainsi  à  cache-cache,  autour  de  la 
tête  de  la  sainte,  et  se  divertissaient  mutuellement  à  se  duper. 
Nos  bons  aïeux  trouvaient  plaisante  cette  scène  et  ils  en  avaient 
pris  l'idée  dans  un  chapitre  de  la  vie  de  Geneviève.  Car,  un 
matin,  Geneviève,  en  s'éclairant  d'un  cierge,  allait  à  la  messe  ; 
ce  cierge  s'éteignit  puis  se  ralluma.  Ils  pensèrent  aussitôt  qu'un 
démon  était  auteur  du  méfait  et  qu'un  angelot  avait  réparé  cette 
méchanceté  du  Malin  (PL  23). 

C'est  seulement  depuis  le  début  du  xvie  siècle  que  Gene- 
viève, par  suite  d'une  erreur  historique,  commence  à  être  figu- 
rée en  bergère.  La  statue  du  lycée  Henri  IV  a  été  précieuse 
aux  archéologues,  qui  ont  fait  la  démonstration  de  cette  erreur. 

Le  xvme  siècle  est,  malgré  tout,  plus  brillamment  encore  que 
le  xme,  représenté  à  Henri  IV.  Le  grand  escalier,  les  dortoirs, 
et,  en  particulier,  la  salle  des  fêtes  n'ont  peut-être  pas  d'ana- 
logues en  France. 

Qu'on  se  figure  une  coupole  lumineuse  où  Jean  Restout  avait 
peint,  en  1730,  Y  Apothéose  de  saint  Augustin,  patron  des  reli- 
gieux.  Sous  cette  coupole,  dominant  le  grand  escalier,  deux 


no  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC   A   PARIS 

immenses  galeries  se  coupaient  en  croix  et  formaient  quatre 
bras.  Trois  de  ces  bras  avaient  ioo  mètres  de  long.  A  leur 
point  de  rencontre,  l'escalier  était  couvert  et  le  bibliothécaire 
avait  installé  son  bureau.  De  ce  centre  géométrique,  son  regard 
pouvait  atteindre  jusqu'aux  extrémités  des  galeries  et  les  sur- 
veiller. 

Cette  bibliothèque  était  jugée,  sous  l'ancien  régime,  la  plus 
belle  de  l'Europe.  Elle  était  garnie  d'armoires  dont  quelques- 
unes,  conservées  jusqu'à  nous,  attestent  encore  la  splendeur  de 
cet  asile  des  lettres.  Les  frises  et  les  moulures  du  plafond,  aux 
angles  arrondis,  n'ont  pas  complètement  disparu.  Nous  dirons, 
dans  nos  derniers  chapitres,  l'exode  des  livres  en  i85o,  dans  le 
bâtiment  nouveau,  construit  par  Labrouste,  sur  le  côté  septen- 
trional de  la  place  du  Panthéon.  Les  locaux  de  l'ancienne 
bibliothèque,  laissés  au  lycée,  furent  convertis  en  dortoirs.  Et 
ces  dortoirs  sont  une  des  curiosités  les  moins  connues  du  Paris 
contemporain.  A  cette  place  même,  où  les  in-folios  firent  som- 
noler peut-être,  à  l'heure  de  la  sieste,  quelque  Génovéfain,  plus 
ami  du  rêve  que  de  l'étude,  nos  modernes  lycéens  ont  le  droit, 
sans  scandaliser  personne,  de  ronfler  à  l'aise,  bouche  ouverte  et 
poings  fermés  (PI.  22). 

Du  moins,  l'ancien  cabinet  des  médailles  subsiste-t-il 
encore.  Nulle  part  peut-être,  même  au  palais  Soubise, 
boiseries  plus  délicates,  n'ont  été  conservées.  C'est  un  pur 
chef-d'œuvre  d'appartement  Louis  XV.  Il  a  été  ouvert  en  1753. 
Napoléon  III  estimait  que  les  armoires  de  cette  salle  ne  dépa- 
reraient point  le  palais  des  Tuileries.  La  Ville,  fort  heureuse- 
ment, revendiqua  ses  droits  de  propriété  ;  ce  fut  le  salut.  Car 
on  sait  ce  que  la  Commune  aurait  fait  de  ce  trésor  d'art,  s'il 
avait  été  transporté  chez  l'Empereur  (PI.  23). 

Cette  salle,  qui  fut,  pendant  une  quarantaine  d'années,  le 


LE   LYCÉE   HENRI  IV  m 

cercle  du  lycée,  est  devenue  depuis  peu  la  salle  des  fêtes.  L'es- 
calier qui  y  mène  dessert  aussi  les  appartements  du  proviseur 
et  du  censeur.  Les  balustres  sont  de  chêne  massif  et  ils  valent 
encore  une  visite  attentive. 

On  jugera  maintenant  de  la  place  éminente  dévolue  au 
lycée  parmi  les  richesses  d'art  de  Paris  :  la  chapelle  et  la  salle 
des  fêtes  nous  conservent  deux  chefs-d'œuvre,  qui  permettent,  à 
quelques  pas  d'intervalle,  de  comparer  ce  qu'on  savait  cons- 
truire de  plus  robuste,  au  siècle  de  saint  Louis,  et  ce  qu'on 
savait  décorer  de  plus  exquis  au  siècle  de  Louis  XV.  Ici, 
quelque  chose  de  l'âme  héroïque  des  Croisades;  là  quelque 
chose  de  l'âme  légère  de  la  Pompadour  (PI.  21  à  24). 

Les  proviseurs,  qui  ont  dirigé  le  lycée,  depuis  sa  fondation, 
n'ont  pas  été  très  nombreux  :  14  en  cent  neuf  ans.  Ce  qui  fait, 
pour  le  consulat  de  chacun,  une  moyenne  légèrement  inférieure 
à  huit  ans.  Et  cette  moyenne  serait  élevée  encore  si  M.  Gidel 
n'avait  pas  été,  après  six  mois  à  peine,  appelé  d'Henri  IV  à 
Louis-le-Grand.  Quelques-uns  de  ses  devanciers  ou  de  ses  suc- 
cesseurs sont  restés  en  fonctions  dix  années;  ainsi,  Auvray 
sous  la  Restauration,  et  Baric,  sous  le  second  Empire.  Un  autre, 
tout  près  de  nous,  M.  Bertagne  est  resté  douze  ans,  et  son  pré- 
décesseur, M.  Grenier,  presque  quinze  ans.  Les  deux  de  Wailly 
détiennent  toujours  le  record  de  la  durée,  le  second,  Alfred, 
avec  seize  ans,  et  le  premier,  Etienne-Augustin,  avec  dix-sept 
ans  d'administration1. 

Autre  remarque  à  l'éloge  de  l'esprit  modéré  de  ces  chefs  : 

1.  MM.  De  Wailly  (Etienne-Augustin),  19  août  1804-15  mai  1821  ;  Auvray, 
28  mai  1821-11  février  1831  ;  Guillard,  19  février  1831-30  décembre  1833;  Liez, 
31  décembre  1833-10  mai  1838;  De  Wailly  (Alfred),  12  mai  1838-24  août  1854; 
Jullien,  24  août  1854-21  août  1856;  Sauveroche,  21  août  1856-11  avril  1858; 
Caresme,   14   avril  1858-février  1862  ;  Baric,    12  février  1862-mars    1871  ;    Denis, 


ii2  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC  A   PARIS 

les  Révolutions  passaient  et  les  proviseurs  demeuraient.  Ni  la 
première  abdication,  ni  les  Cent-Jours,  ni  les  deux  retours  de 
Louis  XVIII  n'ébranlèrent  la  position  d'Augustin  de  Wailly; 
les  journées  de  Juillet  se  passèrent  et  Auvray  resta  fidèle  à  son 
poste.  Et,  de  même,  les  journées  de  février  et  de  juin  1848,  et  le 
Principat,  et  le  rétablissement  de  l'Empire  :  Alfred  de  Wailly 
semblait  se  tenir  en  dehors  des  agitations  contemporaines,  tout 
à  ses  élèves  et  non  à  la  politique.  Et  si  M.  Baric  résigna,  en 
mars  1 871 ,  des  fonctions  si  redoutables  à  cette  heure  doulou- 
reuse c'est  qu'il  y  fut  contraint  par  son  âge  et  sa  santé. 

Le  nom  des  Wailly  est  aujourd'hui  très  justement  vénéré  à 
Henri  IV  :  nul  peut-être  plus  qu'Alfred  de  Wailly,  le  fils  du 
premier  proviseur,  ne  sut  contribuer  à  donner  au  lycée  la  phy- 
sionomie familiale  que  cette  maison  a  su  garder  depuis  et  qui 
inquiétait  un  peu  les  inspecteurs  généraux  avant  et  après  la 
révolution  de  Février.  Elle  n'inquiète  plus  personne  :  nous 
croyons  savoir  que  le  proviseur  actuel,  M.  Suérus,  un  sage,  a 
le  souci  de  la  conserver  comme  un  trésor  rare,  dont  il  estime, 
en  connaisseur,  tout  le  prix. 

Le  choix  des  censeurs1  fut  presque  toujours  remarquable- 
ment heureux:  le  premier,  Dumas,  que  la  Restauration  devait 
appeler  comme  proviseur  à  Charlemagne,  fit,  pour  ses  débuts, 
preuves  d'administrateur  à  Henri  IV,  où  il  profita  largement  de 
la  confiance  amicale  d'Augustin  de  Wailly.  Drevet  fut  ensuite 

29  mars  1871-25  avril  1878  ;  Gidel,  25  avril  1878-21  septembre  1878  ;  Grenier, 
21  septembre  1878-17  mars  1893;  Bertagne,  17  mars  1893-1905;  Suérus,  ier  mars  1905. 

1.  MM.  Dumas,  13  août  1804-24  août  1815  ;  Drevet  (censeur  adjoint,  30  sep- 
tembre 1810),  24  août  1815-10  mars  1838;  Maignien,  20  mars  1838-15-mai  1838; 
Jumel,  15  mai  1838-26  mars  1841  ;  Clachet,  26  mars  1841-31  août  1853  ;  Haussard, 
31  août  1853-11  août  1866;  Denis,  11  août  1866-21  septembre  1868;  Lomon, 
21  septembre  1868-16  mars  1871  ;  Lenglier,  29  mars  1871-14  août  1872  ;  Robert, 
14  août  1872-26  septembre  1878;  Toussaint,  26  septembre  1878-6  décembre  1882; 
Deprez,  6  décembre  1882-17  mars  1893  ;  Bralley.  17  mars  1893-1896  ;  François, 
1896-1905  (31  décembre):  Ogereau,  1905-1907  ;  Barbier,  ior  octobre  1907. 


PI.  23. 


LYCKE    HENRI    IV.    LES    CUISINES    (XIIIe  SIECLE 


Phot.  Buii.i 
LYCÉE    HENRI    IV.   —  LE    CERCLE 

(XVIIIe  siècle). 


(Page  107. 


STATUE  DE  SAINTE   GENEVIEVE 

JADIS  AU  LYCÉE  HENRI  IV 
(xiii0  siècle)  (Musée  du  Louvre). 


LYCEE    HENRI    IV.    —    LE    GRAND   ESCALIER. 


Phot.  Vallois 


LYCEE    HENRI    IV.   —    JARDIN    DU    PROVISEUR. 
(Page  107.) 


LE   LYCÉE   HENRI    tV  113 

vingt-trois  ans  censeur.  Maignien  ne  fit  que  passer  ;  mais  beau- 
coup d'autres,  Clachet,  Haussard,  pour  ne  parler  que  des 
anciens,  ne  voulurent  pas  considérer  leurs  fonctions  comme  un 
simple  stage,  et  le  lycée  n'y  perdit  rien. 

Les  professeurs  furent,  dès  l'origine,  des  hommes  distingués  ; 
quelques-uns  furent  même  des  hommes  éminents.  L'illustre 
Guvier  avait  enseigné  l'histoire  naturelle  dans  l'École  centrale 
du  Panthéon  avant  que,  dans  le  lycée,  de  Quatrefages  ne  l'en- 
seignât à  son  tour,  comme  Despretz  et  Bertrand,  qui,  tous  deux, 
entrèrent  à  l'Institut,  y  professèrent  la  physique  et  les  mathé- 
matiques. Avant  de  s'asseoir  sous  la  coupole,  c'est  dans  une 
chaire  du  lycée  que  montèrent  Nourrisson  et  M.  Bergson,  pour 
expliquer,  les  mystères  de  la  philosophie  ;  Victor  Duruy, 
MM.  Lavisse  et  Levasseur,  pour  résoudre  les  problèmes  de 
l'histoire  ;  Henri  Patin,  Victor  Leclerc,  Emile  Egger,  Gréard 
et  Monceaux,  pour  initier  les  jeunes  esprits  au  charme  des  huma- 
nités. De  Victor  Duruy,  l'Inspection  générale  disait  en  1841  : 
«  Les  collèges  royaux  qui  ont  de  tels  professeurs,  doivent  s'es- 
timer très  heureux.  »  Mais  elle  observait  en  1845  :  «  M.  Duruy 
ambitionne  un  poste  plus  avantageux.  » 

Quelles  obligations  le  lycée  n'a-t-il  pas  à  l'enseignement 
des  Caboche  et  des  Daveluy,  des  Guéroult,  des  Letendart  et 
des  Naudet,  des  Poirson  et  des  Dutrey,  des  Léon  Feugère, 
des  Desmichels,  des  Viîlemeureux  et  des  Poyard,  pour  ne  point 
parler  d'Henri  Ghantavoine  ni  d'aucun  de  ceux  à  qui  tous  les 
amis  de  l'Université  souhaitent  encore  de  très  nombreuses 
années.  —  Quant  aux  aumôniers  de  la  glorieuse  maison,  ils 
comptent,  dans  leurs  rangs,  Mgr  Darboy  et  le  Père  Lacordaire. 

Le  nombre  des  élèves  du  lycée,  dès  le  premier  Empire, 
dépassa  plus  de  trois  fois  le  nombre  des  élèves  à  l'Ecole  cen- 


ii4  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC   A   PARIS 

traie  du  Panthéon.  Le  maximum  à  l'Ecole  centrale  avait  été  de 
304  élèves,  en  1800.  Or,  la  moyenne  du  lycée,  de  1808  à  i8i3, 
fut  de  972,  avec  un  minimum  de  744,  en  1809,  et  un  maximum 
de  1 .149,  en  i8i3.Dès  1 810,  le  proviseur  de  Wailly,  très  fier  de 
voir  ses  classes  regorger  d'écoliers,  écrivait  au  Grand  Maître  de 
TUniversité  :  «  Le  Lycée  Napoléon  est,  en  ce  moment,  la  maison 
la  plus  nombreuse  de  l'Empire,  soit  en  pensionnaires,  soit  en 
externes.  »  En  1816,  le  collège  tombait  à  687  ;  mais  il  eut 
966  unités  en  i83o,  presque  900  en  1839,  et  aujourd'hui  il  en 
a  près  de  1  .ooo1. 

L'internat,  longtemps  florissant  à  Napoléon-Henri  IV,  ne 
promettait  pas  aux  pensions  ou  aux  institutions  particulières 
une  clientèle  aussi  fidèle  qu'aux  lycées  d'externes,  Bonaparte- 
Condorcet  et  Charlemagne.  Au  commencement  et  à  la  fin  du 
xix6  siècle,  au  début  du  xx°,  Sainte-Barbe  conduisait  à 
Henri  IV  une  partie  de  ses  élèves.  Depuis  l'Empire  jusqu'à 
Louis-Philippe,  l'institution  Hallays-Dabot  contribua  noblement 
pour  sa  part  au  bon  renom  du  lycée:  elle  s'enorgueillissait 
d'avoir  eu  comme  élèves  Victor  Leclerc  et  de  Jussieu.  Sous  le 
Gouvernement  de  Juillet  et  sous  l'Empire,  l'institution  Jubé, 
fondée  place  de  l'Estrapade,  obtint  deux  fois,  en  1846  et  1 856, 
pour  la  réthorique  et  la  philosophie,  le  prix  d'honneur.  Nous  le 
verrons  plus  loin2,  quand  elle  alla  se  fixer  près  du  lycée  Napo- 
léon, l'institution  de  Reusse  abandonna  le  lycée  Saint-Louis 
pour  son  rival. 

A  ce  moment  déjà,  le  nombre  des  internes  avait  commencé 


1.  Voici  quelques  chiffres  empruntés  à  Ch.  Fierville,  Archives  des  Lycées,  Paris 
1893  ;  in-40,  p.  78-79. 

De  1814  a  1830,  moyenne  809  (maximum  966  en  1830  ;  minimum  687  en  1816). 
De  1831  à  1842-3,  moyenne  771  (maximum  895  en  1839;  minimum  687  en  1837). 
Statistiques  de  1865,  681  —  de  1876,  776;  —  de  1887,  747. 

2.  Voir  ci-dessous,  p.  156. 


LE    LYCÉE    HENRI   IV  115 

la  longue  décroissance  qui  s'est  à  peine  arrêtée  depuis  :  la  demi- 
pension  et  surtout  l'externat  recueillaient  ce  que  perdait  l'in- 
ternat1. Sur  9  élèves,  en  1908,  il  y  avait  un  interne;  en  1846,  il 
y  en  avait  5.  On  constate  donc  à  Henri  IV  ce  que  depuis  un 
demi-siècle  nous  observons  ailleurs  :  c'est  la  crise  de  l'internat 
dont  nous  avons  vu  déjà  les  causes  générales". 

Et  cependant  l'internat  d'aujourd'hui  ressemble  bien  peu  à 
celui  d'autrefois.  Les  vieilles  grilles  sont  tombées.  L'air  circule 
partout;  un  service  ingénieux  de  bains  et  de  douches  a  été  orga- 
nisé. Dans  la  cour  des  jeux,  le  tir,  le  tennis  ont  fait  leur  entrée. 

Internes,  externes,  demi-pensionnaires,  tous  rivalisaient 
pour  donner  au  lycée  les  couronnes  du  Concours  général.  Sous 
le  provisorat  d'Augustin  de  Wailly,  en  seize  ans,  le  lycée  obtint 
sept  prix  d'honneur  ;  Charlemagne  en  gagnait  sept  ;  Louis-le- 
Grand  (ou  Lycée  impérial)  trois  ;  Condorcet  (Bonaparte  ou 
Bourbon)  un  seul.  Pendant  le  provisorat  d'Auvray,  en  dix  ans, 
Henri  IV  eut  encore  trois  fois  le  prix  d'honneur  de  Rhétorique 
et  une  fois  le  prix  d'honneur  de  Philosophie;  mais  Bonaparte 
avait  quatre  prix  d'honneur  ;  Louis-le-Grand,  trois  ;  Charle- 
magne, deux  ;  les  victoires  d'Henri  IV  étaient  désormais  mena- 
cées. En  1870,  il  était  pour  les  prix  d'honneur  le  quatrième 
des  lycées    de    Paris.    Depuis  lors,   les   lauriers  ont   été   sur- 


1.  Nous  devons  les  précisions  ci-dessous,  aux  Archives  du  Lycée  Henri  IV  et  à 
l'obligeance  de  son  aimable  proviseur,  M.  Suérus  : 


PENSIO> 

-  1/2 

PENSION- 

PENSION- 

l/2 PENSION 

ANNÉES 

NAIREÎ 

NAIRES 

EXTERNES 

TOTAL 

ANNÉES 

NAIRES 

NAIRES 

EXTERNES 

TOTAL 

1846. 

469 

388 

857 

1898. 

117 

117 

502 

736 

1858. 

422 

166 

588 

1899. 

IOO 

104 

498 

702 

1866. 

494 

46 

144 

684 

1900. 

.90 

IO3 

475 

668 

1876. 

445 

83 

238 

766 

1905. 

Il8 

127 

605 

850 

1884. 

380 

93 

286 

759 

1910. 

Il8 

M3 

685 

946 

1891. 

189 

155 

395 

739 

1911. 

x3r 

M3 

672 

946 

1896. 

140 

106 

445 

691 

1912. 

141 

153 

694 

988 

2. 

Voir  ci- 

dessus,  p. 

57- 

n6  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC  A  PARIS 

tout  partagés  entre  Louis-le-Grand,   Condorcet  et  Henri  IV. 

Ces  années  dernières,  depuis  la  suppression  du  Concours 
général  en  1904,  c'est  la  préparation  à  l'Ecole  normale  supé- 
rieure qui,  à  défaut  de  mieux,  permit  de  comparer  renseigne- 
ment littéraire  des  lycées  :  Henri  IV  s'est  placé  immédiate- 
ment après  Louis-le-Grand  et  lui  a  plus  d'une  fois  disputé  le 
premier  rang.  En  1848,  l'Inspection  générale  constatait  que  le 
lycée  se  résignait  au  second  rang.  Il  avait  une  clientèle  de 
créoles  qui  évitaient  le  surmenage.  Et  il  était  alors  le  lycée  le 
plus  mondain  de  Paris  ;  chaque  matin,  son  proviseur  faisait,  à 
cheval,  sa  promenade  au  Bois. 

La  distinction  de  ses  humanités  n'a  pas  empêché  le  lycée 
Henri  IV  de  faire  accueil  à  l'enseignement  scientifique.  Les 
sections  modernes  B  et  D  y  ont  été  organisées,  et  aucun  lycée  ne 
rivalise  avec  lui  pour  la  préparation  à  l'Institut  agronomique. 
Mais  Henri  IV  reste  avant  tout  la  maison  des  bonnes  lettres 
où  les  traditions  classiques  sont  en  honneur.  Et  beaucoup  d'an- 
ciennes dynasties  universitaires  n'ont  pas  voulu  que  leurs 
enfants  désapprissent  le  chemin  coutumier  de  la  vieille  maison. 

Quand  le  duc  d'Orléans  entra  en  coquetterie  avec  la  bour- 
geoisie française,  il  voulut  que  ses  fils,  à  lui,  fussent  élevés  côte  à 
côte  avec  ses  fils,  à  elle  :  il  fit  choix  du  collège  Henri  IV, 
Devenu  roi,  il  lui  conserva  la  même  confiance. 

Aujourd'hui  encore  le  lycée  Henri  IV  est  un  de  ceux  où 
l'intimité  familiale,  si  chère  jadis  au  roi-citoyen,  se  conserve  le 
mieux.  La  célébration  du  centenaire  en  1904,  a  su  en  dépit  de 
son  éclat,  conserver  ce  caractère  d'intimité  charmante.  Les 
dimensions  de  la  salle  des  fêtes  sont  loin  d'être  grandioses  et 
c'est  tant  mieux  ;  elles  contribuent  à  garder  ainsi  aux  représen- 
tations et  aux  concerts,  cette  impression  de  home  qu'on  ne 
saurait  aisément  atteindre  ailleurs.  Les  élèves  et  leurs  invités 


LE    LYCÉE   HENRI   IV  117 

y  sont  chez  eux  et  entre  eux.  Tout  y  est  laissé  à  leur  initiative 
propre.  Le  programme  n'est  pas  toujours  imprimé  ou  litho- 
graphie. Il  suffit  que  ces  séances  apprennent  aux  auteurs  et  aux 
acteurs  la  tenue,  Tart  de  parler  en  public  et  de  se  présenter. 
C'est  là  une  œuvre  éducative  excellente  que  complètent  les 
sociétés  chorales  du  lycée.  Ajoutons-y  le  culte  des  souvenirs  et 
îa  fierté  des  camarades  consacrés  par  la  renommée l. 


1.  Dans  le  parloir  récemment  réorganisé  du  lycée,  un  tableau  de  55  noms 
rappelle  ceux  des  anciens  élèves  entrés  à  l'Institut.  Voici  cette  glorieuse  liste  (voir 
p.  118)  : 

ENTRÉE    A    L'INSTITUT  ACADEMIE 

1816 Augustin  Cauchy.  Des  Sciences. 

1817 Joseph  Naudet.  Des  Inscriptions. 

1821  et  1841.    .    .  François  Villemain.  Française  et  des  Inscriptions. 

1823 Am.  de  Pastôret.  Des  Beaux-Arts. 

1825 Casimir  Delavigne.  Française. 

1831 Adr.  de  Jussieu.  Des  Sciences. 

1833 H.  Geoffroy  Saint-Hilaire.         Des  Sciences. 

1834 Victor  Leclerc.  Des  Inscriptions. 

1834 Eugène  Scribe.  Française. 

1835 Elie  de  Beaumont.  Des  Sciences. 

1835 Ach.  de  Salvandy.  Française. 

1839 Ch.  Lenormant.  Des  Inscriptions. 

1840 Cam.  de  Montalivet.  Des  Beaux-Arts. 

1842 Henri  Patin.  Française. 

1842  et  1847.    .    .  Charles  de  Rémusat.  Des  Sciences  Morales  et   Française. 

1843  et  1841.    .    .  Prosper  Mérimée.  Des  Inscriptions  et  Française. 
1844 Saint-Marc  Girardin.  Française. 

1847 J.-J.  Ampère.  Française. 

1848 Jean  Vatout.  Française. 

1852 Alfred  de  Musset.  Française. 

1856 Charles  Hermite.  Des  Sciences. 

1857 Emile  Augier.  Française. 

1859 Emile  Egger.  Des  Inscriptions. 

1860 Napoléon  Daru.  Des  Sciences  Morales. 

1861 Charles  Renouard.  Des  Sciences  Morales. 

1863 Victor  Baltard.  Des  Beaux-Arts. 

1864 Paul  Thénard.  Des  Sciences. 

1867 Abbé  Gratry.  Française. 

1867 Baron  Haussmann.  Des  Beaux-Arts. 

1868 Stanislas  Laugier.  Des  Sciences. 

1868  et  1901.   .    .  Melchior  de  Vogué.  Des  Inscriptions  et  Française. 

1869 Auguste  Barbier.  Française. 

1870 Odilon  Barot.  Des  Sciences  Morales. 

1871 Victor  Puiseux.  Des  Sciences. 

1872  et  1880.    .    .  Duc  d'Aumale.  Française  et  Beaux-Arts. 
1873 Constant  Martha.  Des  Sciences  Morales. 

1873  et  1900.    .    .  Marcelin  Berthelot.  Des  Sciences  et  Française. 
1873  et  1884.   .    .  Ferdinand  de  Lesseps.  Des  Sciences  et  Française. 


u8  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC   A   PARIS 

L'Association  amicale  des  anciens  élèves,  fondée  en  1 833 ,  a  le 
souci  de  développer,  dans  la  vie,  la  camaraderie  née  au  collège. 
Une  cotisation  annuelle  de  2  fr.  2  5  est  payée  par  chaque  élève 
et  versée  dans  la  caisse  de  l'Association.  Cette  obole  permet 
d'entretenir  des  bourses  et  d'accorder  des  dégrèvements. 

Il  y  a  huit  ans,  le  Président  de  cette  Association,  M.  Lafaye, 
a  rappelé  avec  éloquence  quelle  variété  de  talents  renseigne- 
ment et  Téducation  du  lycée  avaient  fait  éclore.  Nous  avons 
plaisir  à  citer  ses  paroles,  en  y  ajoutant  à  peine  quelques  noms  : 
«  Voici,  disait-il,  des  poètes  et  des  auteurs  dramatiques  :  Casi- 
mir Delavigne,  Musset,  Scribe,  Emile  Augier,  Victorien  Sar- 
dou,  Jules  Barbier.  Voici  des  historiens  et  des  critiques  : 
J.-J.  Ampère,  le  ducd'Aumale,  Saint-Marc-Girardin,  et  un  con- 
teur exquis,  Mérimée,  et  l'inimitable  Pierre  Loti.  Ici,  ont  reçu 
leurs  premières  leçons  des  savants,  tels  qu'Adrien  de  Jussieu, 
Paul  Thénard,  Elie  de  Beaumont,  Marcellin  Berthelot,  et  des 
politiques  tels  qu'Odilon  Barrot,  de  Montalivet,  de  Salvandy,  de 
Rémusat,  Ernest  Constans.  Il  y  a,  parmi  les  anciens  élèves  de 
cette  maison,  des  hommes  d'étude  dont  plusieurs  sont  devenus, 
à  leur  tour,  des  professeurs  éminents,  Naudet,  Victor  Leclerc, 


ENTREE    A    I.  INSTITUT  ACADÉMIE 

1877 Henri  Debray.  Des  Sciences. 

1877 Victorien  Sardou.  Française. 

1878 Rodolphe  Dareste.  Des  Sciences  Morales. 

1879 Alph.  Milne-Edwards.  Des  Sciences. 

1882 Cardinal  Perraud.  Française. 

1886 Edouard  Hervé.  Française. 

1886 Gabriel  Lippmann.  Des  Sciences. 

1888 Colmet  de  Santerre.  Des  Sciences  Morales. 

1888 Ch.  de  Franqueville.  Des  Sciences  Morales. 

1889 Emile  Picard.  Des  Sciences. 

1890 Henri  Léauté.  Des  Sciences. 

1891 Pierre  Loti.  Française. 

1895 René  Cagnat.  Des  Inscriptions. 

1895 Achille  Luchaire.  Des  Sciences  Morales. 

1898  et  1912   .    .  Emile  Boutroux.  Des  Sciences   Morales  et  Française. 

1908 Jean  Richepin.  Française. 

1911 Edouard  Bianly.  Des  Sciences. 


LE   LYCÉE   CHARLEMAGNE  ng 

Patin,  Charles  Lenormant,  Achille  Luchaire.  Mais  il  y  a  aussi 
des  hommes  d'action  dont  le  lycée,  que  je  sache,  n'a  point  refroidi 
le  sang  généreux  ni  les  belles  hardiesses  :  rappelez-vous  Ferdi- 
nand de  Lesseps  et  l'explorateur  Crampel,  mort  glorieusement, 
en  pleine  barbarie.  Chacun  de  ceux-là  a  conservé,  pour  la  plus 
grande  joie  de  ses  maîtres,  son  individualité  propre.  Ceux  mêmes 
qui  ont  été  confrères  ne  se  ressemblent  pas  entre  eux  :  le  pin- 
ceau d'Henri  Regnault  n'est  pas  celui  de  Puvis  de  Chavannes.  » 
Et  comment  ne  pas  emprunter  au  moins  quelques  strophes 
à  M.  Henri  Chantavoine  qui  a  su  chanter  ce  lycée,  deux  fois 
cher  à  son  cœur  d'élève  et  de  maître. 

Regardez:  ce  collège  est-il  une  prison, 
Une  geôle,  une  cage  obscure  et  retirée? 
Non,  dès  le  seuil  joyeux  de  la  porte  d'entrée, 
Un  jardinet  fleuri  parfume  la  maison. 

La  maison  elle-même  est  une  pépinière. 

Ton  feuillage,  ô  jeunesse,  y  frissonne  en  plein  vent  ; 

Tes  rameaux  sont  tournés  vers  le  soleil  levant 

Et  ta  racine  boit  la  vie,  en  bonne  terre, 

C'est  le  sol  généreux  des  terrains  de  montagne  ; 
Notre  chère  maison  est  comme  un  beau  verger, 
Qui  reçoit  tour  à  tour  et  mêle  sans  danger, 
L'effluve  de  Paris  et  l'air  de  la  campagne. 


III 
LE   LYCÉE   CHARLEMAGNE1 

Le  10  septembre   i8o3,  un  décret  consulaire  transforma  en 
lycée  l'Ecole  centrale  de  la  rue  Saint-Antoine2.  Par  une  fortune 

i .  Grand  Lycée.  101 ,  rue  Saint- Antoine.  Petit  Lycée,  13,  rue  Charlemagne  (PI.  25- 
26). 

2.  Sur  le  Lycée  de  1804  à  1814,  voir  l'intéressant  Discours  de  M.  Prieur,  à  la 
distribution  des  prix  de  Charlemagne  le  29  juillet  1905  (Voir  nos  planches  25  et  26} . 


120  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC  A   PARIS 

rare,  ce  lycée  reçut  un  nom  si  bien  consacré  par  l'histoire 
ou  la  légende  que  ce  nom,  en  dépit  des  révolutions,  n'a  pas 
changé  :  le  lycée  s'appela  et  s'appelle  encore  Charlemagne. 
A  Chaptal  revient  l'honneur  d'avoir  désigné  l'illustre  par- 
rain. Et  nous  n'assurerions  pas  que  le  souvenir  de  la  barbe 
fleurie  du  grand  empereur  (qui  ne  porta  jamais  que  la  mous- 
tache), n'ait  pas  contribué  à  le  populariser  à  travers  les  âges; 
tout  autant  que  le  souvenir  de  sa  prédilection  pour  les  éco- 
liers parisiens,  quoique  Charlemagne  ne  soit  jamais  venu  à 
Paris  et  n'ait  donné  ses  encouragements  qu'aux  écoliers  d'Aix- 
la-Chapelle. 

Le  lycée  fut  momentanément  installé  dans  les  locaux  qu'il 
n'a  point  quittés.  C'est  un  de  ces  nombreux  exemples  du  provi- 
soire qui  devient  séculaire.  La  maison  professe  «  des  ci-devant 
Jésuites  de  la  rue  Saint-Antoine  »  n'était  pas  un  palais  :  le  nou- 
veau lycée  dut  cependant  s'en  contenter  \.  Il  n'alla  point,  derrière 
la  place  des  Vosges,  dans  les  bâtiments  des  anciens  Minimes, 
où  l'on  avait  décidé  de  le  loger.  Des  projets  d'agrandissement, 
en  1 8 1 2,  devaient  acquérir  au  lycée,  entre  les  rues  des  Prêtres 
Saint-Paul  et  Percée,  trois  immeubles  :  un  seul,  l'hôtel  Jassaux, 
fut  acheté,  le  29  mars  181 3,  à  Mm0  Leclerc. 

Trois  proviseurs,  Guéroult  l'aîné,  Crouzet  et  Daireaux 
administrèrent  le  lycée,  du  19  août  1804,  au  24  août  181 5; 
ils  furent  aidés  par  trois  censeurs,  Valmont  de  Bomare,  Targe 
et  Pierrot-Desseilligny2. 

Guéroult   était   un  vénérable   vieillard,    dont   les   cheveux 

1.  Voir  planche  26, la  porte  de  la  Bibliothèque  et  le  plafond,  épaves  actuelles  de 
l'ancienne  demeure  des  Jésuites. 

2.  Proviseurs:  MM.  Guéroult  (1744-1821),  19  août  1804-septembre  1809;  Crouzet, 
né  1753,  septembre  18091er  janvier  1811  ;  Daireaux,  4  janvier  1811-24  août  1815. 
Censeurs:  MM.  Valmont  de  Bomare,  19  août  1804-25  août  1807;  Targe,  25  août 
1807-26  septembre  1 8 1 5 ;  Pierrot-Desseilligny,  censeur  adjoint,  1814-26  sep- 
tembre 18 15. 


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LE   LYCEE   CHARLEMAGNE  121 

blancs  et  l'aspect  austère  rappelaient  à  ses  contemporains, 
tout  férus  d'antiquité,  «  un  vieux  citoyen  de  Rome  aux  bons 
temps  de  la  République  ».  Chaptal  disait  de  lui  :  «  c'est  un 
grand  esprit  d'ordre,  un  homme  d'un  vrai  mérite.  »  Il  avait 
professé  au  collège  d'Harcourt,  c'était  un  grammairien  et 
un  humaniste  ;  trois  fois  lauréat  de  la  vieille  Université,  il 
avait  traduit  Pline  et  son  histoire  naturelle  des  animaux.  Sa 
meilleure  œuvre  fut  cependant  un  de  ses  élèves,  Burnouf. 
Quand  Guéroult,  en  1809,  quitta  Charlemagne,  ce  fut  pour 
diriger  l'Ecole  normale,  et  Pierre  Crouzet  lui  succéda,  rue 
Saint-Antoine.  Il  avait  été  principal  de  Montaigne  et  avait  su 
relever  le  Prytanée  de  Saint-Cyr.  Chez  lui,  les  qualités  du 
cœur  valaient  celles  de  l'esprit.  Il  mourut  à  son  poste.  Dai- 
reaux,  qui  le  remplaça,  parut  aux  Bourbons,  après  les  Cent- 
Jours,  être  demeuré  trop  fidèle  au  culte  de  l'Empereur.  Ils  le 
destituèrent  «  sans  l'entendre  et  en  lui  laissant  le  soin  de 
deviner  les  motifs  d'une  telle  rigueur  ».  Il  survécut  vingt  et  un 
ans  à  sa  disgrâce. 

Les  deux  premiers  censeurs  avaient  fait  valoir  leur  grand 
âge  pour  obtenir  leur  charge.  Ils  y  voyaient  une  place  de  tout 
repos.  Quand  l'un  deux,  Targe,  prit  sa  retraite  en  181 5,  on 
compta  ses  années  de  service  :  leur  nombre  atteignait  55.  On 
lui  avait,  dès  i8i'4>  adjoint  M.  Pierrot-Desseilligny,que  le  chan- 
celier de  l'Université,  le  baron  de  Villaret,  jugeait  un  jeune 
homme  plein  de  talents  mais  d'un  royalisme  vraiment  trop  tiède. 
Il  fallait  «  l'avertir,  disait  Villaret,  et  le  surveiller  pour  le  rame- 
ner à  des  sentiments  plus  clignes  de  son  mérite  ».  Et,  par  solli- 
citude, on  le  déplaça1. 

Les  élèves,  en  1806,  n'étaient  encore  que  342,  et  344,  en 

1.  V.  ci-dessus,  lycée  Louis-le-Grand,  p.  95. 


122  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC  A   PARIS 

1810  ;  433,  en  juillet  181  5  ;  494,  en  avril  18 14  ;  ils  avaient  atteint 
704  et  même  83o,  en  181 3. 

Pas  d'internat  à  Charlemagne  ;  neuf  sur  dix  des  élèves,  ou 
à  peu  près,  étaient  recueillis  par  les  pensions  voisines  du 
lycée  et  destinées  à  travailler  plus  tard  si  magnifiquement  à 
sa  gloire.  On  pourrait  en  signaler  une  dizaine  jusqu'en  1 81 5. 
L'institution  Lepitre  était  alors  la  plus  fameuse  ;  mais  déjà 
les  institutions  Favard  et  Massin  préludaient  à  leur  future  for- 
tune; les  autres,  moins  fameuses,  s'appelaient  :  Le  Chevalier,  à 
l'hôtel  Saint-Fargeau,  Barbette,  Fleurizelle,  Lefèvre  et  Cousin, 
Le  Fortieret  Leroux. 

L'âge  des  censeurs  et  l'absence  totale  de  maîtres  d'étude 
permettent  de  penser  que  la  discipline  était  alors  toute  pater- 
nelle. C'étaient  les  garçons  du  lycée  qui  étaient  chargés  d'accom- 
pagner les  élèves  jusqu'à  l'entrée  de  chaque  classe. 

Les  victoires  de  l'Empire  exaltaient  les  cœurs  ;  ses  défaites 
ne  les  abattaient  pas.  Beaucoup  d'élèves,  à  Charlemagne,  comme 
dans  les  trois  autres  lycées  de  Paris,  étaient  fils  d'officiers  ou 
de  fonctionnaires  napoléoniens. 

En  octobre  181 2,  la  conspiration  de  Malet  avait  tendu  les 
nerfs  des  élèves  qui,  aux  abords  de  la  prison  de  la  Force,  avaient 
pu  en  surprendre  quelques  épisodes.  En  181 3,  les  hautes  classes 
avaient  contribué  à  peupler  le  Prytanée,  Saint-Cyr  et  Fontai- 
nebleau :  les  archives  du  lycée  ont  conservé  leurs  noms.  Ceux 
qui  restèrent  furent,  pendant  les  Cent-Jours  répartis,  quand  ils 
avaient  plus  de  dix-sept  ans,  en  escouades  de  canonniers.  Au 
lendemain  de  Waterloo,  les  élèves  de  l'Institution  Lepitre  cou- 
rurent à  Vincennes  travailler  aux  retranchements  :  la  béquille 
de  leur  directeur,  très  fervent  royaliste,  ne  réussit  pas  à  leur 
faire  peur.  Enfin  à  la  distribution  des  prix  du  3  août  181 5,  les 
cris  de  Vive  Napoléon  !  consternèrent  les  amis  de  Louis  XVIII. 


LE    LYCÉE   CHARLEMAGNE  123 

Ils  se  consolèrent  à  la  pensée  qu'au  mois  de  janvier  précédent 
le  jeune  Boyard  avait  sollicité  de  Fontanes  la  décoration  du  lys 
et  que  plusieurs  de  ses  camarades  avaient  subi  la  contagion  de 
son  exemple. 

De  telles  agitations  n'étaient  pas  toujours  favorables  au  pai- 
sible développement  des  études.  Quelques  professeurs  sont 
devenus  célèbres,  Laya  et  l'Etendart  et  surtout  Villemain,  Bur- 
nouf  et  Cousin.  Le  lycée  a  conservé,  dans  ses  Archives,  le  cours 
de  Belles-Lettres  qu'y  enseignèrent,  en  1808-09,  Laya  et  Bur- 
nouf.  On  ne  se  contentait  pas  seulement  de  haranguer  les  sol- 
dats de  Pompée  et  ceux  de  César  ni  de  donner,  par  la  bouche 
de  David,  de  sages  conseils  à  Salomon.  On  chantait  encore,  en 
vers  latins,  les  exploits  de  Napoléon.  Mais  nul  n'avait  le  cou- 
rage de  goûter  l'audace  du  professeur  Lassus  qui  proposait, 
dès  1809,  d'enseigner  la  grammaire  comme  les  novateurs  de 
notre  temps  ont  réussi  à  le  faire.  Lassus  venait  trop  tôt  en  un 
siècle  trop  jeune. 

Fontanes  refusa  d'accorder  à  l'enseignement  de  l'histoire  à 
Charlemagne  deux  conférences  par  semaine.  Et  si  Michelet, 
entré  en  troisième  à  Charlemagne ,  ne  sachant  encore  ni 
vers  ni  grec,  sentit  sa  vocation  et  son  génie,  les  Rudiments 
de  Domairon,  qu'on  lui  donnait  en  pâture,  n'y  furent  pour  rien. 

Il  y  souffrit,  dans  sa  sauvagerie  et  dans  sa  pauvreté,  au 
contact  de  ses  jeunes  camarades  :  mais  il  y  fut  deviné  par  ses 
maîtres,  Andrieu  d'Albas,  Leclerc,  surtout  Villemain.  «  Je  me 
rappellerai  toujours,  nous  a-t-il  conté  dans  son  Livre  du  Peu- 
ple, que  M.  Villemain,  après  la  lecture  d'un  devoir  qui  lui  avait 
plu,  descendit  de  sa  chaire  et  vint,  avec  un  mouvement  de  sensi- 
bilité charmante,  s'asseoir  sur  mon  banc  d'élève,  à  côté  de  moi.  » 

Quatre  fois,  de  1808  à  181 3,  les  camarades  de  Michelet  rem- 
portèrent le  prix  d'honneur  et  notamment  Victor  Cousin   en 


i24  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC  A   PARIS 

1810  ;  Paul  Barbet  commençait  à  être  le  lauréat  par  excellence 
et,  à  ses  côtés,  Patin,  Lafond-Ladebat  et  Brongniart. 

De  181 5  à  1848,  les  locaux  du  collège  Gharlemagne  restè- 
rent ce  qu'ils  étaient  jusque-là.  Napoléon  lui  avait  promis  tout 
l'espace  occupé  jadis  par  l'hôtel  d'Hugues  Aubriot  et  ses  dépen- 
dances, dont  l'hôtel  Jassaud  n'était  qu'une  partie.  Ces  pro- 
messes, ni  Louis  XVIII,  ni  ses  successeurs  ne  songèrent  à  les 
tenir.  Mais,  sous  Louis  XVIII,  vers  1820,  on  arracha,  dans  la 
grande  cour  des  classes,  les  vignes  que  les  Jésuites  avaient  plan- 
tées là.  Les  raisins,  chaque  année,  rappelaient  ceux  de  la  terre 
promise  et  cependant  à  ces  grappes  savoureuses  les  collégiens 
ne  devaient  point  toucher  ni  les  professeurs  non  plus1.  Quelques 
grands  arbres,  un  magnifique  vernis  du  Japon,  un  beau  noyer, 
une  rangée  de  sycomores,  conservés  au  fond  de  la  cour,  furent 
les  dernières  épaves  de  ce  verger  et  de  ce  coin  de  verdure.  Et  ces 
épaves  disparurent  à  leur  tour,  quelques  années  plus  tard  (PI .  25) . 

Deux  proviseurs  seulement 2,  sous  la  Restauration  et  la 
Monarchie  de  Juillet;  mais  ce  fut  assez  pour  orienter  décidé- 
ment le  collège  vers  son  apogée  :  Dumas  prépara,  pendant 
vingt-deux  ans,  ce  que  commença  à  réaliser  Poirson,  en  seize 
années.  Leur  successeur  n'eut  presque  plus  qu'à  moissonner 
ensuite  les  derniers  lauriers  dont  ils  avaient  surveillé  réclu- 
sion. 

Dumas  avait  été  le  premier  censeur  du  lycée  Napoléon,  après 
avoir  été  avocat  à  Lyon,  son  pays  natal,  et  journaliste  ;  son  éloge 
de  d'Alembert  avait  attiré  sur  lui  les  regards  deBailîy,  de  Mmo  de 
Staël  et  de  M.  de  Barentin,  garde  des  sceaux,  qui  le  prit  pour 

1.  Voir  Mmo  Charles  Garnier,  Une  famille  universitaire  au  XIXe  siècle,  Paris 
Hachette  1911,  8°,  p.  144,  n.  2. 

2.  MM.  Dumas,  24  août  i8i5-ier  mars  1837  ;  Poirson,  iermars  1837-19  avril  1853. 


LE    LYCEE   CHARLEMAGNE  125 

secrétaire  particulier.  Il  avait,  après  le  18  fructidor,  remplacé 
Fontanes  dans  renseignement  des  Belles-Lettres  à  l'Ecole  cen- 
trale des  Quatre  Nations.  Il  resta  toute  sa  vie  un  classique 
convaincu.  Mais  c'est  surtout  au  lycée  Napoléon  que  la  colla- 
boration et  l'amitié  d'Et.-Aug.  de  Vailly  avaient  achevé  de  ie 
mûrir.  Une  admirable  santé  morale  et  physique,  de  la  verve 
et  de  la  mesure,  du  bon  sens  et  de  l'esprit,  de  la  finesse  et  du 
courage  lui  conquirent  le  respect  affectueux  de  tous. 

Son  successeur,  Poirson,  était  de  quarante  ans  plus  jeune. 
Il  fut  le  premier  des  proviseurs  de  Gharlemagne  à  n'avoir  pas 
connu  la  vieille  Université.  Mais  il  avait  su  dans  la  nouvelle, 
comme  professeur  d'histoire,  comme  écrivain  et  comme  admi- 
nistrateur du  collège  Saint- Louis,  s'acquérir  un  très  juste 
renom.  Son  caractère  et  son  mérite  sont  appréciés  depuis  long- 
temps, disaient  en  1844,  les  Inspecteurs  généraux1.  Son  talent 
était  servi  par  son  ardeur  et  par  son  zèle.  Il  avait  la  qualité 
maîtresse,  l'autorité  et  l'action.  Et  si,  durant  son  Consulat, 
Charlemagne  escalada,  de  haute  lutte,  le  premier  rang,  c'est 
en  grande  partie  à  ce  chef  éminent  que  ce  collège  en  fut  rede- 
vable. 

Quatre  censeurs  secondèrent  ces  deux  admirables  provi- 
seurs, Basset,  Gros,  Belin  et  Maugeret 2.  Parmi  eux,  Basset 
ancien  bénédictin  et  ancien  émigré,  promena ,  huit  années, 
sans  lassitude,  dans  la  cour  d'entrée  et  les  corridors  du  collège, 
sa  longue  houppelande  qui  symbolisait,  pour  les  maîtres  et  les 
élèves,  la  statue  vivante  de  l'exactitude  et  du  devoir. 

Le  nombre  des  élèves,  de  1 8 1 5  à  i83o,  atteignit  son   maxi- 


i.  Arch.  Nat.,F"  78465. 

2.  MM.  Basset,  26  septembre  1815-3  octobre  1823  ;  (né  1760,  mort  1828)  ;  Gros, 
censeur  adjoint,  5  novembre  1820-10  octobre  1822;  Belin,  3  octobre  1823-16  octo- 
bre 1841  ;  Maugeret,  16  octobre  i84i-ifr  avril  1852. 


126  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC   A  PARIS 

muni,  8G8,  en  1 829  ;  la  moyenne  ne  s'éleva  pas  tout  à  fait  à  700. 
De  1 83 1  à  1843,  cette  moyenne  se  haussa  jusqu'à  767,  avec  un 
minimum  de  608,  en  i832,  et  un  maximum  de  83o,  Tannée 
précédente.  Le  choléra,  qui  éprouva  très  rudement  le  collège, 
explique  la  chute  de  i832.  En  1827,  certains  élèves  venaient  au 
lycée,  du  quartier  de  la  Madeleine1. 

Les  Institutions  vécurent  alors  leur  âge  d'or;  elles  attiraient 
à  elles  presque  tous  les  élèves.  L'hôtel  Saint-Fargeau  abritait 
l'Institution  Jauffret,  et,  depuis  1829,  l'hôtel  Carnavalet  abrita 
l'Institution  Verdot  ;  l'hôtel  d'Ormesson,  rue  Saint-Antoine, 
donnait  asile  à  l'Institution  Favard;  l'hôtel  Lesdiguières,  rue 
la  Cerisaie,  à  l'Institution  Landry  ;  dans  l'ancien  couvent  des 
Minimes,  s'était  logée  l'Institution  Massin.  Et  nous  ne  pouvons 
que  nommer  les  Institutions  Leroux,  Fleurizelle,  Briand, 
Bourdon,  Scribe,  Cellier,  Normand,  Andrieu,  Maugé,  Petit  et 
Thomas,  Coûtant,  Fontaine  et  Savouré  —  «  La  rivalité  de  ces 
grandes  Institutions  a  quelquefois  dégénéré  en  querelles  per- 
sonnelles, observait-on,  au  ministère,  en  1846,  et  l'administra- 
tion supérieure  a  été  obligée  d'intervenir,  pour  rétablir  la 
bonne  harmonie.  » 

Ces  Institutions  avaient  l'ambition  de  compléter  l'éducation 
que  le  collège  ne  pouvait  donner  à  loisir.  La  camaraderie  et  la 
charité  n'ont  pas  moins  laissé  à  Charlemagne  de  touchants 
témoignages.  En  1829,  les  élèves,  douloureusement  émus  par 
la  mort  de  leur  camarade  Paul-Emile-Frédéric  Née,  fauché 
dans  sa  seizième  année,  lui  élevèrent,  comme  à  «  leur  modèle  et 
leur  ami,  »  un  monument,  au  cimetière  du  Père-Lachaise.  En 
i83o,  la  générosité  des  élèves  s'appliquait  à  conjurer  les  désastres 
d'un  hiver  terrible.  Une  quête  annuelle,  faite  parmi  les  élèves, 

1.  Arc  h.  Nrtt.,  F17H  78463. 


LE    LYCÉE   CHARLEMAGNE  127 

pour  les  pauvres,  rapportait  environ  5. 000  francs.  Cette  somme 
servit  à  placer  en  apprentissage  des  enfants  d'ouvriers,  et  les 
meilleurs  d'entre  eux  reçurent  un  livret  à  la  Caisse  d'épargne. 

Les  luttes  politiques  sanglantes  n'épargnèrent  ni  les  murs 
du  lycée,  ni  ses  cours  intérieures.  Les  28  et  29  juillet  i83o  et  à 
la  fin  de  juin  1848,  le  quartier  Saint-Antoine  était  devenu  un 
champ  de  bataille1  :  le  lycée  fut  assiégé,  pris  par  les  insurgés, 
repris  par  les  soldats  et  la  garde  nationale.  Les  administra- 
teurs, les  professeurs,  quelques  élèves  firent  le  coup  de  feu,  et 
un  ancien  élève  de  Charlemagne,  le  lieutenant  Mahler,  tomba 
en  héros  pour  la  défense  de  l'ordre. 

Dans  l'intervalle  des  révolutions,  la  distinction  de  son  ensei- 
gnement et  de  ses  élèves  valait  à  Charlemagne  des  moissons 
de  couronnes.  Les  maîtres  s'y  appelaient  alors,  en  Rhétorique, 
Ad.  Régnier,  Berger,  Egger,  Deschanel  et  Lemaire  ;  en  philo- 
sophie, Gibon,  Franck  et  Lorquet;  en  histoire,  après  Cayx  et 
Boismilon,  les  deux  précurseurs,  ce  furent  Toussenel  et  Filon. 

Charlemagne  fut  alors,  au  Concours  général,  le  grand  favori. 
Six  prix  d'honneur  en  Rhétorique,  deux  seulement  avant  i83o; 
puis,  après  un  long  intervalle,  quatre  à  la  suite,  de  1842  a  1845; 
quatre  prix  d'honneur  en  Philosophie  (1 83 1,  i836,  1844,  1846); 
deux  en  mathématiques  (1839,  1844).  En  1844,  le  collège  eut 
les  trois  prix  d'honneur.  Et,  parmi  les  lauréats  de  tous  ces  prix, 
Arvers,  plus  célèbre  encore  par  son  sonnet  que  par  ses  succès 
d  écolier,  Glachant,  Chassang,  Grenier,  devenus  plus  tard  de 
grands  noms  universitaires,  Saint-René-Taillandier  et  About, 
dont  la  célébrité  se  passe  de  commentaire. 

La  politique  a  recueilli  non  sans  éclat,  beaucoup  d'élèves  de 
cette  période, et,  par  exemple,  Buffet,  Ledru-Rollin  et  Blanqui. 

1.  Voir  ci-dessus  p.  81. 


i28  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC   A  PARIS 

L'armée  et  la  marine  ont  fait  la  gloire  de  Cavaignac  et  de 
Jurien  de  la  Gravière  ;  le  théâtre  s'est  chargé  de  Got  et 
d'Edmond  Thierry  ;  la  presse,  de  Vacquerie,  P.  Meurice, 
Louis  Ulbach;  la  poésie  de  Th.  Gautier. 

Depuis  1848,  Gharlemagne,  qui  connut  encore  de  grandes 
victoires,  ne  put  se  soutenir  très  longtemps  sur  les  sommets  où 
l'avait  porté  la  précédente  période  :  le  lycée,  pour  des  raisons 
souvent  étrangères  à  lui-même,  ne  fut  pas  toujours  digne  du 
collège.  Tant  il  est  vrai  que  les  succès  trop  éclatants  ont  leurs 
dangers. 

Les  bâtiments  se  sont  agrandis  vers  le  sud.  La  caserne 
d'infanterie  de  Y  Ave  Maria  a  été  détruite  et  le  petit  lycée 
installé  à  la  place.  Les  enfants  jusqu'à  la  cinquième  inclusive- 
ment y  sont  logés  aujourd'hui.  Une  rue  le  sépare  du  grand 
lycée,  heureusement  nommée,  convenons-en,  rue  Gharlemagne. 

Mais,  vers  le  nord,  le  lycée  n'a  pas  encore  de  façade,  rue  de 
Rivoli.  Il  y  perd  en  magnificence,  il  y  gagne  en  tranquillité. 
Dans  les  projets  qu'a  fait  éclore  le  récent  emprunt  municipal 
de  900  millions,  treize  millions  seraient  la  part  du  lycée  Ghar- 
lemagne, qu'on  reconstruirait  en  entier.  Mais  le  lycée  croit 
avoir  ses  raisons  de  rester  sceptique.  Vers  1870,  on  a  tant  parlé 
de  lui  donner  de  l'air,  du  côté  de  l'ouest,  à  défaut  de  la  face 
opposée  où  l'église  Saint-Louis-Saint-Paul  arrêtera  son  essor 
à  tout  jamais!  Il  s'agissait  d'exproprier  les  masures  séparant 
Gharlemagne  de  la  rue  du  Prévôt;  on  aurait  alors  réalisé  les 
plans  de  18 12.  On  aurait  acquis  le  terrain,  pour  le  prix  d'un 
million,  et  flanqué  le  lycée  de  deux  larges  rues:  l'une,  à  l'est, 
le  long  de  l'église  ;  l'autre,  sur  la  façade  occidentale.  Par  suite 
de  scrupules  archéologiques,  assurément  louables,  on  a  trop 
attendu;   et  des   immeubles  modernes,    moins    tourmentés  de 


LE    LYCÉE   CHARLEMAGNE  12g 

remords,    ont,    sans  retard,    superposé    là   leurs  sept  étages. 

Après  M.  Poirson,  qui,  disgracié  par  l'Empire1,  se  retira 
le  19  avril  1 853,  huit  proviseurs  se  sont  succédé  à  Charle- 
magne2.  Et,  après  M.  Maugeret  quatorze  censeurs3,  dont  trois, 
MM.  Broca,  Ohmer  et  Fallex  occupèrent  ensuite  le  provisorat 
dans  la  même  maison.  Beaucoup  de  conscience,  de  pondération 
et  de  prudence,  voilà  peut-être,  avec  le  respect  scrupuleux  des 
traditions,  ce  qui  caractérise  le  proviseur  actuel,  M.  Bernard. 

Parmi  les  professeurs  qui  collaborèrent  avec  eux,  beaucoup 
n'ont  pas  besoin  qu'on  ajoute  rien  à  leur  nom  :  Gaston  Boissier 
et  Paul  Albert,  Thiénot,  H.  Rigault,  Chevreul,  Louis  Qui- 
cherat,  Lebaigue  et  Talbot. 

Les  élèves  ne  furent  jamais  plus  nombreux  :  le  nombre  de 
1.000  fut  atteint  pour  la  première  fois  en  1866;  celui  de  1. 100  fut 
légèrement  dépassé,  en  1887.  Dans  les  dix  dernières  années,  les 
chiffres  ont  oscillé  entre  95o  et  1.100. 

Ces  élèves  cependant  ne  connaissent  plus  guère  le  régime 
d'autrefois.  Il  y  a  un  demi-siècle  environ,  une  soixantaine 
d'élèves,  tout  au  plus,  sur  plus  de  900,  étaient  externes  libres. 
Les  autres  étaient  tous  pensionnaires  des  Institutions.  Aujour- 
d'hui, une  seule  institution  subsiste  encore  :  le  collège  Massillon. 
Et  c'est  une  institution  religieuse. 

1.  Quoique  l'Inspection  générale  eût  encore  en  1851  rendu  hommage  à  son 
«  dévouement  infatigable  ». 

2.  MM.  Nouzeilles,  19  avril  1853-14  août  1872  ;  Broca,  14  août  1872-21  sep- 
tembre 1878  ;  Ohmer,  21  septembre  1878-4  août  1881  ;  Lenglier,  4  août  1881-2  août 
1888  ;  Fallex,  2  août  1888-17  mars  1893  ;  Grenier,  17  mars  1893  ;  Dhombres,  25  juil- 
let 1898;  Bernard,  29  avril  1909. 

3.  MM.  Cappelle,  icr  avril  1852-10  septembre  1852  ;  Broca,  10  septem- 
bre 1852-14  août  1872;  Ohmer,  14  août  1872-25  août  1875;  Maréchal,  25  août 
1875-30  avril  1877  :  Ohmer,  2e  fois,  30  avril  1877-26  septembre  1878  ;  Fallex, 
26  septembre  1878-2  août  1882;  Lecœur,  2  août  1882-3  août  1886  ;  Benoist,  3  août 
1886-4  octobre  1887  ;  Fierville,  14  octobre  1887  ;  Chappuis,  13  août  1894;  Gohierre 
de  Longchamp,  31  juillet  1897;  Combe,  Ier  août  1898;  Legé,  23  juillet  1904; 
Ogereau,  6  août  1907. 

9 


130  L'ENSEIGNEMENT  PUBLIC  A   PARIS 

Dès  i856-58,  la  décadence  des  Institutions  avait  commencé. 
En  1870,  neuf  seulement  subsistaient  encore  :  Massin,  Jauffret, 
Verdot,  Fontaine,  Savouré  et  accessoirement  les  Institutions 
Marchand,  Ancelin,  Harant  et  de  Ménorval.  La  plus  vivace  de 
ces  épaves  fut  l'Institution  Massin,  dirigée  par  M,  Lesage,  et 
qui  acheva  de  mourir,  il  y  a  quelque  vingt-cinq  ans. 

On  devine  les  causes  de  cette  ruine,  consommée  en  trente 
ans  à  peine  :  i°  le  fonctionnement  de  la  loi  Falloux  assurant, 
aux  dépens  de  renseignement  universitaire,  le  succès  de  ren- 
seignement libre  ;  20  l'installation  à  Charlemagne  de  l'ensei- 
gnement moderne,  que  les  Institutions  boudèrent  toujours  ; 
3°  le  déplacement  des  industriels  du  Marais.  Même  quand  ils 
gardèrent,  au  Marais,  leurs  ateliers  ou  leurs  entrepôts,  ils  pré- 
férèrent se  loger  dans  les  quartiers  à  la  mode.  Les  grands 
hôtels  du  xvne  siècle,  après  avoir  abrité  l'aristocratie  contempo- 
raine de  Louis  XIII,  Louis  XIV,  Louis  XV  et  Louis  XVI,  et  hos- 
pitalisé, sous  la  Restauration,  Louis-Philippe  et  Napoléon  III, 
l'élite  de  la  population  écolière  française,  finirent  peu  à  peu 
par  être  des  magasins  de  bronze,  de  chapeaux  et  de  produits 
chimiques. 

Les  conséquences  de  cette  évolution  ne  sont  pas  moins 
claires  :  jadis  Charlemagne  avait,  grâce  aux  Institutions  qui 
savaient  les  drainer  dans  toutes  les  provinces  du  pays,  des 
élèves  empruntés  à  la  France  entière.  Sa  clientèle  payante  était 
empruntée  à  la  Provence  comme  à  la  Gascogne,  à  la  Touraine 
comme  au  Dauphiné,  à  la  Bretagne  comme  au  Languedoc. 
C'était  un  collège  ou  un  lycée  national.  Désormais  Charle- 
magne est  devenu  un  lycée  de  quartier.  C'est  peu  avant  le 
départ  de  M.  Grenier  que  les  derniers  élèves  de  Rhétorique 
supérieure  ont  quitté  le  lycée.  Et  avec  eux  ont  achevé  de  s'abo- 
lir les  derniers  traits  de  l'originale  physionomie  du  vieux  lycée. 


LE    LYCÉE   CHARLEMAGNE  131 

Sans  doute  les  voies  nouvelles  de  communication  rapide 
empêchent  que  la  population  scolaire  de  Charlemagne  ne  soit 
tout  entière  empruntée  au  quartier  Saint-Antoine;  certains 
élèves,  grâce  au  chemin  de  fer  métropolitain,  affluent  de  Saint- 
Mandé  ou  de  Vincennes  ;  certains  affluent  d'autres  points  de  la 
périphérie.  Mais,  dans  l'ensemble,  le  lycée  semble  attaché  au 
sort  du  quartier  et  il  se  démocratise  avec  lui. 

Un  demi-pensionnat  a  été  fondé  à  Charlemagne  et  des 
réfectoires  y  ont  été  installés  comme  à  Condorcet.  Enfin,  au 
moment  où  disparaissaient  les  Institutions  d'autrefois,  l'exemple 
qu'elles  avaient  donné,  sur  ce  point,  était  suivi  par  le  lycée  : 
elles  avaient  fondé  des  associations  d'anciens  élèves,  et  le 
lycée  en  1878,  fonda  la  sienne,  aujourd'hui  très  prospère.  Elle 
a  créé  des  bourses  et  des  prix  et  organisé  des  prêts  d'hon- 
neur. 

L'enseignement  de  Charlemagne  n'a  pas  cessé,  mais  en 
partie  seulement,  de  rester  classique.  Sous  le  second  Empire, 
les  succès  au  concours  général  n'eurent  rien  à  envier  à  ceux  de 
l'époque  précédente.  Aujourd'hui  encore,  une  véritable  renais- 
sance classique  commence  à  s'y  dessiner. 

Il  n'en  est  pas  moins  vrai  que,  dès  avant  1848  et  surtout 
depuis  1866,  l'enseignement  spécial  y  fut  installé.  Charlemagne 
fut  choisi  pour  champ  d'expérience  par  Victor  Duruy.  Le 
ministre  envoya  au  lycée,  comme  professeurs,  les  plus  remar- 
quables sujets  donnés  par  les  promotions  de  Cluny.  Il  semblait 
que  la  qualité  du  quartier  s'adaptât  très  exactement  à  la  qualité 
de  cet  enseignement  dont  les  promesses  répondaient  aux 
besoins  des  gens  de  négoce.  Nulle  part  peut-être,  dans  les  lycées 
parisiens,  cet  enseignement  nouveau  ne  reçut  plus  d'attentions 
et  de  soins  intelligents,  qu'à  Charlemagne  ;  nulle  part  on 
ne  lui  consacra  plus  de  talent.  Et  l'on  célébra,  dans  les  discours 


i32  L'ENSEIGNEMENT  PUBLIC  A  PARIS 

prononcés  aux  distributions  de  prix,  ce  que  Ton  nommait  la 
«  familiarité  charmante  de  Cérès,  de  Mercure,  des  Cyclopes, 
avec  Apollon  et  les  Muses  ».  L'un  des  orateurs,  M.  Dumas,  ajou- 
tait dès  i863  :  «  Quel  lycée,  quel  collège  fermerait  ses  portes  à 
un  enseignement  que  le  lycée  Charlemagne  a  jugé  digne  de  lui  ?  » 
Les  élèves  qu'a  donnés  Charlemagne  dans  les  soixante  der- 
nières années  ont  contribué,  pour  leur  part,  à  étendre  la  renom- 
mée de  l'illustre  maison  ;  ainsi  Gustave  Doré,  Sarcey,  Fustel  de 
Coulanges,  MM.  Georges  Perrot,  Emile  Bourgeois,  Dorison, 
Ch.  Bémont,  Ernest  Lavisse,  Emile  Faguet,  Louis  Liard,  Vidal 
de  La  Blache,  Alfred  Coville,  Camille  Guy,  Sylvain  Lévy,  Gustave 
Lanson,  Lévy-Bruhl,  Emile  Janet,  Etienne  Dejean,  Uri,  Del- 
peuch,  Thamin,  les  Dautremer,  Le  Goupils,  Toutain,  Marion. 

IV 
LE    LYCÉE   CONDORCET1 

Quand,  le  10  septembre  i8o3  (23  fructidor  an  XI),  Bonaparte 
signait  l'arrêté  servant  d'acte  de  naissance  à  ce  lycée,  le  berceau 
du  nouveau-né  était  pittoresque  :  un  quartier  un  peu  perdu, 
excentrique,  àdemi-construit,  plus  riche  en  jardinsqu'en  maisons. 

C'était  au  delà  du  rempart  de  la  Chaussée-d'Antin.  Les 
locaux  avaient  été  donnés  par  Louis  XVI  aux  Capucins  de  la 
rue  Saint-Jacques,  en  1783,  puis,  en  1790,  leur  avaient  été 
repris  par  la  Constituante.  Brongniart,  architecte  du  roi,  les 
avait  construits  en  s'inspirant  des  ruines  de  Pestum  ;  il  avait 
édifié  un  fronton,  un  cloître  à  quatre  faces,  avec  des  colonnes 
toscanes  sans  bases,  une  terrasse,  une  église.  Clodion  y  avait 

1.    Grand  lycée,  65,   rue    Caumartin  et  8,  rue   du  Havre.    Petit  lycée,   61,  rue 
d'Amsterdam  (PI.  27,  28). 


LE   LYCÉE   CONDORCET  133 

modelé  deux  bas-reliefs.  Les  religieux  avaient  cédé  la  place  à 
des  malades  qui,  en  1793,  la  cédèrent  à  de  pauvres  diables. 
Monastère,  hôpital,  taudis  monumental,  telles  furent,  en 
quatre  ans,  les  destinées  de  l'œuvre  de  Brongniart  (PI.  27). 

L'antiquité  et  le  peuple  y  voisinaient  ;  le  second  traitait  la 
première  avec  familiarité.  Les  colonnes  avaient  été  couvertes 
de  graffiti  sans  noblesse  et  toutes  les  salles  souillées  d'ordures, 
comme  les  escaliers  royaux  sous  Louis  XIII.  Jamais  les  murs  ne 
s'étaient  plus  mal  portés  qu'au  moment  où  ils  servaient  de 
cadre  à  l'hôpital.  Jamais  locataires  ne  leur  avaient  marqué 
plus  d'attachement  qu'au  moment  où  on  leur  signifia  de  déguer- 
pir. Car  ayant  négligé,  pour  la  plupart,  le  paiement  de  leur 
loyer,  ils  s'étaient  crus  promus  tout  doucement  à  la  dignité 
de  propriétaires. 

Les  jardins  valaient  beaucoup  mieux  que  les  murs.  Ils  s'éten- 
daient depuis  le  cloître  jusqu'à  la  rue  [de  la  Ferme-des-Mathu- 
rins.  Ils  étaient  vastes,  ils  étaient  beaux,  ils  étaient  tranquilles. 
Le  verger  avait  des  fruits  incomparables,  que  le  soleil  traitait 
avec  une  amoureuse  tendresse.  Et  leur  saveur  répondait  à  leur 
bonne  mine.  Maîtres  et  élèves  avaient,  pour  cette  partie  de  l'im- 
meuble, une  dilection  spéciale. 

Ces  fruits  durent  jouer  un  rôle  dans  le  recrutement  et  la 
fidélité  du  personnel. 

Les  deux  premiers  proviseurs,  René  Binet  et  l'abbé  Chambry, 
avaient  l'âme  bocagère1.  Binet  traduisait  Virgile,  et  le  soir,  con- 
sultait sur  sa  tâche  quotidienne  sa  femme  et  sa  servante.  Etes- 
vous  satisfaites?  interrogeait-il.  —  Oui,  affirmaient  les  deux 
juges.  —  Eh  bien,  moi  aussi,  nous  pouvons  aller  nous  coucher. 

Binet  enseigna  cinquante  ans;  il  avait,  dès  1770,  occupé  au 

1.  MM.  Binet,  1732-1812,  proviseur  de  1804  à  octobre  1812;   Chambry  (abbé), 
1756-1832,  proviseur  de  1812  à  1823. 


I34  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC   A  PARIS 

Plessis  la  chaire  de  Rhétorique.  Il  avait  été  le  dernier  recteur 
de  l'ancienne  Université  comme  il  fut  un  des  premiers  provi- 
seurs de  la  nouvelle.  Le  contact  de  la  jeunesse  l'avait  gardé  de 
vieillir. 

Chambry,  son  successeur,  avait  l'humeur  moins  douce.  La 
bile  pâlissait  parfois  les  joues  roses  et  pleines  de  ce  petit 
homme  courtaud,  dévot  à  Horace  et  aux  Muses;  il  devait  à 
leur  commerce  ses  poèmes,  les  Fgléides,  dont  il  lui  arriva  de 
lire  quelques  pages  aux  rhétoriciens. 

Les  censeurs  de  cette  période  primitive  furent  Targe, 
Deguerle  et  Legrand1.  Targe  avait  enseigné  quinze  ans  les 
mathématiques  à  l'École  royale  militaire  de  Paris.  Quant  à 
Legrand,  nous  le  retrouvons  proviseur  sous  la  Restauration 
dont  les  idées  politiques  lui  étaient  chères. 

Lakanal,  qui  fut  au  lycée  le  premier  économe2,  n'ambition- 
nait pas  d'être  le  premier  des  économes.  L'assiduité  à  son  poste 
et  le  bon  ordre  dans  ses  comptes  lui  semblaient  des  vertus 
négligeables.  Et  voici,  relative  à  Lakanal,  une  lettre  du  proviseur 
que  l'on  conserve  aux  archives  du  lycée;  elle  est  du  18  octobre 
1807  :  «  Se  prétendant  dispensé  de  résidence,  non  seulement 
il  n'habite  point  le  lycée,  mais  il  n'y  paraît  que  fort  rarement. 
A-t-on  besoin  de  tenir  conseil  ?  il  faut  l'y  appeler  par  lettre. 
Encore  ne  veut-il  point  que  l'on  connaisse  sa  demeure,  et  ce 
n'est  que  depuis  quelques  jours  qu'il  a  indiqué  son  adresse,  à 
l'Institut.  » 

Binet  se  louait  fort,  dans  une  autre  lettre  inédite  du  21  ger- 
minal an  XIII,  du  mérite  et  de  la  réputation  des  professeurs, 

1.  MM.  Targe,  1740-1817,  censeur  d'août  1804  à  août  1807;  Deguerle,  1766- 
1824,  censeur  d'août  1807  à  octobre  1809;  Legrand,  1775-1847,  censeur  d'octobre 
1809  à  octobre  1823. 

2.    MM.  Lakanal,   procureur-gérant    et    économe,  de    1804  à    1809;    Rendu 
(Armand),  gérant  et  économe,  de  1809-1825. 


LE   LYCÉE   CONDORCET  135 

de  leur  zèle  et  de  leur  exactitude.  Mais  il  laissait  voir  que  ces 
hommes  distingués  se  jugeaient,  dans  un  quartier  aussi  lointain, 
quelque  peu  dépaysés  :  «  Au  premier  trimestre,  disait  Binet, 
Téloignement  où  se  trouvaient  les  professeurs  (habitant,  pour 
la  plupart,  dans  le  quartier  de  la  Sorbonne),  la  difficulté  de  se 
procurer  des  logements  plus  voisins,  tout  cela  joint  aux  rigueurs 
de  la  saison,  ne  leur  a  point  permis  de  satisfaire  à  l'obliga- 
tion de  deux  leçons  par  jour;  mais,  à  partir  du  1e1'  nivôse,  ceux 
des  langues  anciennes  s'y  sont  conformés.  » 

Toutes  les  classes  étaient  gênées  par  «  le  fracas  et  le 
tumulte  »  des  ouvriers;  M.  Izarn,  professeur  de  physique, 
attendait  d'avoir  un  local  ;  les  professeurs  de  mathématiques 
n'avaient  de  classes  libres  qu'à  la  condition  d'enseigner  à 
dix  heures  et  demie. 

Les  registres  conservés  dans  les  archives  du  lycée,  nous 
livrent  le  nombre  des  élèves  :  il  est  passé  de  179  en  1804- 180 5, 
à  4 10  en  1813-1814  ;  le  chiffre  de  3oo  fut  atteint  et  quelque  peu 
dépassé  en  avril  1808;  mais  le  Proviseur  ne  comptait  encore 
que  i65  élèves  le  18  octobre  1807. 

Point  d'internat  au  lycée  ;  les  élèves  qui  ne  logeaient  point 
chez  leurs  parents  travaillaient,  mangeaient  et  couchaient  chez 
des  maîtres  de  pension  ;  c'étaient  les  trois  quarts  et  parfois  les 
quatre  cinquièmes  du  total. 

Ces  maîtres  de  pensions  faisaient  une  guerre  sourde  au 
lycée  ;  l'un  d'eux,  en  1 807,  annonçait  la  suppression  prochaine  de 
l'établissement.  En  messidor  an  XIII,  trois  maîtres  de  pension 
seulement,  Bintot,  Pinel  et  Charles  Guillaume  envoyaient 
encore  leurs  élèves  au  lycée.  En  octobre  1806,  M.  Goebell  n'y 
envoyait  que  le  rebut  de  sa  clientèle.  D'autres  les  retiraient, 
faute  d'y  pouvoir  payer  les  frais  d'étude. 

Cependant,  dès  1806,  «  un  maître  de  pension,  M.  Moreau, 


i36  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC  A  PARIS 

n'en  mettait  pas  moins  sur  sa  porte,  rue  du  faubourg  Saint- 
Honoré  d'abord,  puis  rue  de  Clichy  :  Répétiteur  du  lycée  Bona- 
parte ;  et  cela,  pour  achalander  sa  maison  ». 

M.  Boutot  avait  plus  d'ingéniosité  encore  :  «  Il  faisait  la 
5e  au  lycée  et  il  était,  en  même  temps,  maître  de  pension. 
Chaque  jour,  il  amenait  au  lycée  une  théorie  d'élèves.  Il  avait 
même  obtenu  cette  autre  faveur  que  la  6e  fût  faite  par  un  de  ses 
maîtres  d'études  ». 

On  ne  sait  au  juste  ce  qu'il  faut  retenir  des  accusations  por- 
tées alors  contre  la  discipline  et  l'enseignement  du  lycée  par 
les  maîtres  de  pension  :  ce  sont  des  accusations  intéressées. 
Est-il  vrai  que  les  devoirs  ne  fussent  pas  «  dictés  avec  soin  »  et 
que  les  enfants  ce  ne  rapportassent  chez  eux  que  du  barbouil- 
lage »  ?  Et  si  même  les  griefs  formulés  en  i8o5  étaient  exacts, 
s'ensuit-il  qu'ils  l'aient  été  plus  tard  ? 

En  tout  cas,  il  est  très  sûr  que  le  grand  nombre  des  élèves 
dans  chaque  classe  n'a  pu  que  rarement  faire  obstacle  au  bien- 
fait de  l'enseignement.  En  1807,  la  classe  la  plus  nombreuse 
avait  32  élèves  ;  en  18 10,  38  élèves  ;  en  181 1,  il  y  avait  3  élèves 
en  philosophie,  et,  14,  en  18 12.  En  1807,  il  fallait  réunir  six 
classes  en  trois  ;  mais,  en  18 12,  deux  classes  étaient  scindées  en 
sections.  Il  n'y  avait  pas  moins  de  68  élèves  dans  une  seule 
classe,  les  humanités,  ire  année,  de  181 1. 

On  juge  l'arbre  par  ses  fruits  : 

Parmi  les  lycéens  de  ce  temps,  les  noms  glorieux  ne  man- 
quent pas  :  ainsi  le  marquis  Charles  d'Audiffret,  l'avocat  Ber- 
ryer,  le  maréchal  Magnan  et  l'académicien  Henri  Patin. 

Le  contre-coup  des  événements  politiques  fut  ressenti  au 
lycée  comme  ailleurs  :  ce  lycée  avait  déjà  trois  fois  changé  de 


PI.  27. 


FAÇADE    DE    L  ANCIEN    COUVENT   DES    CAPUCINS 

(aujourd'hui  LYCÉE  condorcet) 


LYCÉE    CONDORCET.    —   COUR    ACTUELLE 


Phot.  N.  II. 
VUE    INTERIEURE    DE    l'aNXIEN    COUVENT   DES   CAPUCINS 
(aujourd'hui  LYCÉE  CONDORCET) 
Page  i32). 


l'I.  28. 


Phot.  Vallois. 
PETIT    LYCÉE    CONDORCET.   —    FAÇADE    SUR    LA    RUE   D'AMSTERDAM. 


PETIT    LYCÉE    CONDORCET.    —    UNE    COUJR    INTERIEURE 
Pa  re   i32.) 


LE   LYCÉE   CONDORCET  137 

nom,  il  continua  ses  traditions  anabaptistes.  Créé,  en  1804, 
lycée  de  la  Chaussée-d'Antin,  devenu,  la  même  année,  lycée 
Bonaparte,  il  avait  été,  de  i8o5  à  1814,  déclaré  lycée  impérial 
Bonaparte  ;  il  reprit  ce  nom  pendant  les  Cent-Jours.  Il  perdit 
naturellement,  pendant  la  Restauration  et  le  Gouvernement  de 
Juillet,  jusqu'à  sa  qualité  de  lycée,  et  il  devint,  de  juillet  181  5  à 
février  1848,  le  Collège  royal  de  Bourbon. 

Pendant  cette  période  bourbonienne,  la  façade  du  collège 
Bourbon  fut  popularisée  :  on  la  lithographia  au  fond  d'un  grand 
nombre  d'assiettes,  et  l'on  eut  la  délicatesse  de  choisir,  pour 
publier  sa  gloire,  des  assiettes  à  dessert. 

Le  jardin  ne  connut  pas  les  mêmes  attentions  que  la  façade. 
Sans  doute,  en  1820,  on  lui  fît  l'honneur  de  le  protéger,  au 
moyen  d'une  grille,  contre  la  convoitise  gourmande  des  élèves  ; 
mais  il  fallut  bientôt  se  résigner  à  une  amputation.  C'est  à  ses 
dépens  que  la  rue  du  Havre  fut  ouverte.  Le  lycée  avait,  dans  le 
principe,  souffert  de  la  solitude  du  quartier,  et  voilà  que  la 
prospérité  de  ce  même  quartier  était  préjudiciable  au  jardin 
du  collège.  Pendant  les  dernières  années  de  la  Monarchie  de 
Juillet,  nouvelle  tristesse  :  il  fallut,  aux  dépens  du  jardin,  cons- 
truire un  bâtiment  nouveau,  qui  doubla  les  locaux  du  collège. 
C'est  celui  où  se  trouvent  aujourd'hui  les  classes  de  seconde 
classique,  Saint-Cyr,  mathématiques  spéciales,  etc. 

Quatre  proviseurs,  Chambry,  Legrand,  Alexandre  et  Bouil- 
let1  dirigèrent  alors  le  collège. 

Nous  connaissons  déjà  l'abbé  Chambry,  puisqu'il  était  pro- 
viseur dès  l'époque  impériale.  Il  refusa  courageusement,  pen- 
dant   les   Cent-Jours,    le  serment   de    fidélité  politique  qu'on 


1.  Chambry.  voir  plus  haut  p.  133  ;  Legrand,  1775-1847,  proviseur  d'octobre  1823 
à  septembre  1830  ;  Alexandre,  1797-1870,  proviseur  de  septembre  1830  à  mars  1840  ; 
Bouillet,  1799-1864,  de  mars  1840  à  septembre  1848. 


i3>  L'ENSEIGNEMENT  PUBLIC   A  PARIS 

demandait  à  tous  les  fonctionnaires  de  renseignement.  Cham- 
bry  se  résignait  à  vivre  avec  les  4.000  livres  de  rente  de  sa 
fortune  personnelle.  Mais  Lebrun,  président  du  Conseil  de 
l'instruction  publique,  eut  soin  de  ne  pas  ébruiter  ce  refus  et 
Chambry  garda  sa  place.  Sous  la  Restauration,  l'Inspection 
louait  son  zèle  et  ses  succès  de  proviseur,  mais  elle  lui  repro- 
chait de  manquer  d'autorité  en  prenant  habituellement  le  cos- 
tume laïque1. 

Legrand  que  nous  avons  vu  censeur,  était  un  ardent  légiti- 
miste :  ii  partageait  sa  ferveur  entre  le  trône,  l'autel  et  la  tra- 
gédie. Sous  ses  cheveux  gris,  frisés  par  le  fer  à  papillottes,  son 
cerveau  n'était  point  toujours  calme.  On  vit  un  jour  ses  mains 
grasses  et  potelées  de  fossettes  aux  prises  avec  le  collet  d'un 
maître  répétiteur,  ancien  soldat  bonapartiste,  qui  s'était  risqué 
à  l'appeler  Tartufe.  Pendant  la  classe  du  matin,  lorsqu'on 
entendait  craquer  les  souliers  à  boucle  de  M.  Legrand  et  qu'on 
apercevait  la  silhouette  sautillante  de  sa  longue  redingote 
blanche,  il  n'y  avait  de  doute  pour  personne  :  M.  Legrand 
allait  à  la  messe.  On  savait  encore  au  lycée  que  M.  Legrand 
était  l'auteur  d'une  pièce,  intitulée  :  Cassandre.  Et  l'on  se  per- 
mettait de  donner  à  M.  Legrand  le  nom  de  son  héroïne. 
Enfin,  on  répétait  qu'il  avait  fait  jouer  un  Romulus.  Le 
premier  hémistiche  du  premier  vers  avait  fait  la  joie  des  spec- 
tateurs lesquels  n'avaient  pas  aperçu  d'abord  si  l'auteur  ne 
voulait  point  leur  parler  latin  : 

O  Rémus!  dominez  sur  les  remparts  de  Rome. 

Les  barricades  de  juillet  ne  portèrent  pas  bonheur,  elles 
non  plus,  à  l'honorable  M.  Legrand,  et  il  fut  remplacé  par  un 

1.  Arch.Nat.,F"  78447. 


LE   LYCÉE   CONDORCET  139 

jeune  athlète  de  trente-trois  ans,  M.  Alexandre,  auquel  son 
talent  d'helléniste  avait  déjà  fait  un  juste  renom.  La  haute 
taille  de  M.  Alexandre  acheva  de  consolider  le  prestige  que  son 
érudition  avait  fondé. 

M.  Bouilletlui  succéda.  Il  avait  l'estime  générale1  et  tous 
les  détails  de  l'administration  le  retenaient.  Il  employa  ses  loi- 
sirs à  composer  le  célèbre  dictionnaire  d'histoire  et  de  géogra- 
phie dont  la  vogue  fut  si  durable.  C'est  sous  son  consulat  que 
le  collège  Bourbon  sembla  bien   près  d'atteindre   son  apogée. 

Il  n'y  eut  après  M.  Legrand  que  deux  censeurs  jusqu'en 
1848  :  M.  Clerc  et  M.  Legay.  A  M.  Clerc,  l'Inspection  recon- 
naissait en  1839  du  zèle  et  de  l'exactitude,  peut-être  pas  assez 
d'énergie  cependant,  ce  que  son  âge  expliquait  de  reste.  En 
184D,  elle  s'applaudissait  fort  de  M.  Legay  :  le  proviseur,  ses 
anciens  collègues  lui  donnaient  la  juste  considération  qu'il 
s'était  acquise.  On  pouvait  prévoir  qu'il  saurait  acquérir  sur 
les  familles  et  les  chefs  d'institutions  tout  l'ascendant  néces- 
saire ". 

Quelques  professeurs  conservaient  encore  un  logement  au 
collège.  Le  corps  professoral  tout  entier  considérait  un  peu 
trop,  au  dire  des  inspecteurs,  ce  collège  comme  une  maison  de 
demi-repos.  Plus  d'un  aspirait  à  vieillir  dans  sa  chaire,  sinon  à 
y  somnoler  doucement.  Les  autres  collèges  auraient  eu,  paraît- 
il,  une  élite  plus  brillante3. 

Quant  aux  élèves,  leur  nombre  passait,  de  403  en  1814-1815, 
à  5 16,  en  1816-1817,-  à  721,  en  1 823-1824;  875  en  1824-1825  et 
927,  en  1 827-1 828.  Il  retomba  au-dessous  de  ce  chiffre,  de  i83o 
à  1840,  et  ne  dépassa  pas  58o,  en  i832.  Mais,  de  1 841  à  1848, 

1.  Arch.  Nat.,  F17  78449;  mars  1845. 

2.  Arch.  Nat.,  F"fl  78448  et  78449. 

3.  Ibid. 


i4o  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC   A   PARIS 

il  dépassa  constamment  1.000  unités;  le  maximum,  1.220,  fut 
atteint  en  1845. 

Les  externes  libres  étaient  d'abord  dans  une  proportion  qui 
variait  entre  les  trois  quarts  et  les  quatre  cinquièmes,  par  rap- 
port aux  élèves  des  pensions.  Depuis  1827,  le  nombre  des 
externes  libres  augmenta  et  celui  des  élèves  de  pensions  dimi- 
nua. Mais,  ce  mouvement  ne  se  maintint  pas.  Les  pensions  se 
multiplièrent  :  entre  1887  et  1848,  il  y  en  eut  40  et  jusqu'à  5o. 
Sans  doute,  elles  se  nuisaient  mutuellement  et  aucune  ne  fut 
florissante.  Elles  ne  drainaient  pas  moins  les  3/4  des  élèves  : 
8o3,  sur  1.096,  en  1842-1844;  836,  sur  i.i85,  Tannée  suivante, 
et  encore  693,  sur  1.070,  en  18481. 

Les  archives  du  lycée  nous  ont  révélé  un  autre  indice  du 
malaise  croissant  des  pensions  :  elles  ne  payaient  pas  réguliè- 
rement les  frais  d'étude.  Pour  les  contraindre  efficacement  à 
s'acquitter,  on  leur  rappela,  depuis  1842,  que  les  censeurs  et  les 
économes  étaient,  sur  leurs  propres  traitements,  responsables 
de  ces  retards.  —  Dans  ces  pensions,  la  discipline  était  indul- 
gente, et  un  laisser-aller  général  que  constatent  les  Inspecteurs 
en  résultait  pour  le  collège  :  il  fallait  en  prendre  son  parti. 

Dans  un  collège  d'externes,  l'épaisseur  des  murs  eût  été 
vaine  pour  arrêter  les  bruits  de  la  rue.  L'externat  cependant 
ne  suffisait  pas  à  expliquer  l'esprit  du  collège  :  car  à  Charle- 
magne,  autre  lycée  d'externes,  le  travail  était  beaucoup  plus 
sérieux.  Le  quartier,  sa  richesse  et  la  clientèle  qui  la  reflé- 
tait expliquaient  beaucoup  mieux  ces  différences. 

Quoi  qu'il  en  fût,  à  l'intérieur  du  collège,  bonapartistes  et 
monarchistes  en  vinrent  parfois  aux  mains.  En  février  1820, 
au  lendemain  du  jour  où  les  classes  avaient  vaqué  à  l'occasion 

I.  Arch.  Nat.,  F17  78447;  78448  et  78449. 


LE   LYCÉE   CONDORCET  141 

des  funérailles  du  duc  de  Berry,  il  y  eut  un  pugilat  général. 
Un  chevalier  de  Saint-Louis,  attaché  à  la  pension  de  M.  delà 
Ghauvinière,  se  prit  de  querelle  avec  Lefébure  de  Saint-Maur, 
élève  de  la  pension  Boismont.  Au  nom  de  la  camaraderie,  le 
maître  fut  roué  de  coups  par  les  élèves.  Au  mois  de  septembre 
suivant,  les  monarchistes  purent  prendre  leur  revanche  dans 
le  langage  des  dieux  :  trente  odes  fêtèrent  la  naissance  du  duc 
de  Bordeaux. 

On  ne  reconnut  pas  moins  quelques-uns  de  ces  poètes  au 
sommet  des  barricades  de  i83o.  Ils  y  commandaient  avec  une 
bravoure  de  jeunes  chefs.  Et  nous  nous  souvenons  qu'un  de 
leurs  maîtres,  l'helléniste  Planche  avait,  en  face  du  lycée, 
dirigé,  en  personne,  le  27  juillet,  la  construction  d'une  barri- 
cade :  ce  fut  Polybe  qui  le  conseilla.  A  la  voix  de  l'historien 
grec,  les  pavés,  les  fiacres  et  les  omnibus  parisiens  s'étaient 
entassés  avec  méthode. 

L'effervescence  qui,  sous  la  Restauration,  agitait  tous  les 
collèges  parisiens,  s'était  donné  libre  cours  à  Bourbon  comme 
ailleurs,  et  telle  distribution  des  prix  y  avait  été  tumultueuse. 
En  1 834,  de  soudaines  vocations  de  journalistes  se  révélèrent.  Le 
rédacteur  en  chef,  Ferdinand  Dugué,  futur  auteur  dramatique,  y 
prenait  avec  le  public  son  premier  contact.  Charles  Lefeuve, 
secrétaire  de  la  rédaction,  jetait,  du  haut  de  ses  seize  ans,  un 
regard  de  pitié  sur  le  régime  des  pensions  et  les  abus  universi- 
taires. De  deux  ans  plus  âgés,  Louis  Judicis  et  Etienne  Esnault 
s'y  entraînaient,  dans  de  virulents  articles,  à  la  composition 
future  de  leurs  pièces  et  de  leurs  romans. 

Cette  gazette  vécut  six  mois  :  elle  était,  suivant  les  conve- 
nances de  la  jeunesse  d'alors,  d'un  romantisme  ardent  :  pour 
Hugo,  Lamartine,  Alfred  de  Musset,  cette  jeunesse  réclamait 
les  autels  élevés  à  Homère,  à  Virgile  et  à  Racine.  L'enseigne- 


i42  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC   A   PARIS 

ment,  sous  peine  des  difficultés  les  plus  graves,  devait  offrir  en 
classe  quelques  grains  d'encens  aux  dieux  du  jour. 

Mais  il  faut  bien  croire  que  la  parole  des  maîtres,  parlât- 
elle  des  classiques,  fut  avidement  écoutée  :  trois  ans  de  suite, 
de  1828  à  i83o,  Bourbon  emporta,  au  concours  général,  le  prix 
d'honneur  de  Rhétorique  ;  il  l'obtint  de  nouveau  en  1840  et 
1842;  et  il  avait  eu,  en  1841,  le  prix  d'honneur  de  mathéma- 
tiques. De  i83o  à  1848,  cent  soixante-dix-sept  prix  et  huit  cent 
quarante-six  accessits  composèrent  la  gerbe  de  lauriers  que 
moissonna  le  collège. 

Parmi  ceux  de  ses  élèves  d'alors  qui  se  firent  plus  tard  un 
grand  nom,  citons  à  l'Académie  française,  Ampère,  le  duc  de 
Broglie,  Dumas  fils,  Labiche,  Legouvé,  Prévost-Paradol,  Léon 
Say,  Sainte-Beuve,  Taine  et  Alfred  de  Vigny  ;  dans  les  autres 
classes  de  l'Institut,  Henri  Baudrillart,  Boutmy,  Adolphe  Gar- 
nier,  Lefèvre-Pontalis,  Levasseur,  des  Sciences  morales  ;  Bouta- 
ric,  Hauréau,  Jourdain,  de  Mas-Latrie,  des  Inscriptions  ;  Bec- 
querel et  Charcot,  de  l'Académie  des  sciences;  Alfred  Normand, 
deTAcadémie  des  Beaux-Arts.  Etaussi  Alphonse  Karr,  le  poète 
Théodore  de  Banville,  l'ambassadeur  François  de  Bourquenet, 
le  général  comte  Roguet,  le  romancier  Eugène  Sue,  le  ministre 
Auguste  Casimir  Périer. 

Depuis  1848  jusqu'à  nos  jours,  le  collège  fut  promu  lycée  et 
il  ne  changea  plus  que  six  fois  de  nom  :  en  1848,  il  s'appela, 
quelques  instants,  Chaptal,  puis,  quelques  heures,  Fourcroy, 
avant  de  s'appeler,  vingt-deux  ans,  Bonaparte.  Le  22  octo- 
bre 1870,  il  devint  Condorcet,  puis,  après  avoir  été  Fontanes, 
du  Ier  mai  1874  au  27  janvier  i883,  il  redevint,  de  guerre  lasse, 
Condorcet. 

Les  locaux  en  i85o-5i   paraissaient  lamentables  :  dans  les 


LE   LYCÉE   CONDORCET  143 

classes  trop  petites,  les  élèves  étaient  trop  nombreux  :  c'était  un 
entassement  chaotique.  Impossible  de  loger  des  tables  partout. 
Superposésen  gradins,  les  écoliersgriffonnaient  sur  leurs  genoux1. 

L'histoire  de  ses  locaux,  durant  cette  période,  se  ramène  à 
ces  faits  décisifs  :  les  derniers  restes  du  jardin  du  proviseur  dis- 
parurent en  1864,  quand  s'éleva  en  façade,  sur  la  rue  du  Havre, 
un  bâtiment  nouveau.  On  plaça,  au  rez-de-chaussée,  un  vaste 
réfectoire  et,  au-dessus,  les  appartements  du  proviseur  et  de 
l'économe.  On  prévoyait,  sous  Napoléon  III,  que  l'église  Saint- 
Louis-d'Antin,  qui  sert  de  chapelle  au  lycée,  serait  prochaine- 
ment supprimée.  Quand  elle  avait  été  élevée  à  la  dignité  de 
paroisse,  les  habitants  du  quartier  ressortissaient  à  l'ancienne 
Madeleine,  sinon  à  Saint-Eustache.  Depuis  lors,  la  nouvelle 
Madeleine  avait  été  achevée  et  l'on  construisait  les  paroisses 
de  Saint-Augustin  et  de  la  Trinité.  En  dépit  de  ces  concur- 
rences nouvelles,  Saint-Louis-d'Antin  subsista. 

Les  classes,  dont  l'emplacement  n'avait  pu  être  trouvé  de 
ce  côté,  furent  logées  ailleurs  :  en  1880,  le  petit  lycée  fut  créé, 
d'abord  au  coin  de  la  rue  de  Rome  et  de  la  rue  de  Vienne,  dans 
des  boutiques  vides,  puis,  en  i883,  rue  d'Amsterdam,  à  la  place 
d'un  immense  chantier  de  bois  (PI.  28). 

Huit  proviseurs  ont  présidé,  depuis  septembre  1848,  aux 
magnifiques  destinées  du  lycée  '.  Legay  était  adoré  des  élèves, 
au  milieu  desquels  il  avait  vécu  quatorze  ans,  comme  profes- 
seur, et  quatre  ans,  comme  censeur  ;  Gros  était  un  helléniste  de 


1.  Arch.  Nat.,  F;7h  78448  et  7844g. 

2.  MM.  Legay,  1 791-1852,  proviseur  de  septembre  1848  à  octobre  1851  ;  Gros, 
1797-1856.  proviseur  d'octobre  1851  à  août  1856;  Forneron,  1797-1886,  proviseur 
d'août  1856  à  août  1865;  Legrand  (Charles),  1809-1882,  proviseur  d'août  1865  à 
septembre  1878;  Girard  (Julien),  1820-1898,  proviseur  de  septembre  1878  à  juil- 
let 1892;  Gidel  (Charles),  1827-1900,  proviseur  de  1892  à  1895;  Blanchet  (Désiré), 
né  1844,  proviseur  de  1895-1909;  Gazeau,  septembre  1909. 


I44  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC  A  PARIS 

talent  et  un  administrateur  de  mérite.  Depuis  Forneron,tous  les 
proviseurs  de  Condorcet,  sauf  Legrand  qui  venait  de  Saint-Louis, 
ont  été  empruntés  à  Louis-le-Grand  :  ils  quittent  la  rue  Saint- 
Jacques,  où  l'internat  est  un  surcroît  de  besogne,  avec  l'espoir, 
très  légitime  mais  déçu  parfois,  de  trouver,  rue  Caumartin,  le 
repos  d'une  carrière  qui  s'approche  du  terme.  C'est  dire  que 
Condorcet  a  l'assurance  de  n'avoir  que  des  proviseurs  d'élite. 
Et  le  dernier  d'entre  eux  —  le  dernier  par  ordre  de  dates  — 
n'est  pas  assurément  de  ceux  qui  seraient  fondés  à  nous 
démentir.  Son  talent  est  égal  à  sa  bonté,  et  c'est  faire  un  grand 
éloge  de  ce  talent-là. 

Depuis  1848,  douze  censeurs 1  ont  fait  à  Condorcet  la  preuve 
de  leur  valeur;  si  bien  que,  pour  beaucoup,  le  censorat  fut  un 
stage  à  des  fonctions  plus  hautes. 

C'est  que  l'importance  de  la  maison  ne  cessait  de  grandir. 
De  1848  à  1870,  le  nombre  des  élèves,  sauf  en  1834  et  en  1 855, 
se  tint  constamment  au-dessus  de  1.000;  1.200  fut  atteint  en 
1862,  i.5oo  en  1870,  1.600  en  1880,  1.900  en  1892;  presque 
2.000  en  1893.  En  191 2,  5  novembre,  il  y  avait  1.011  élèves  au 
grand  lycée  et  866,  au  petit. 

L'externat  domina  toujours,  mais  le  demi-pensionnat  pros- 
péra cependant.  Depuis  dix  ans,  il  y  a  deux  demi-pension- 
naires, tout  au  plus,  sur  dix  élèves. 

Les  pensions  de  moins  en  moins  florissantes  disparurent  de 


1  MM.  Courtaut-Diverneresse,  1 794-1879, censeur  de  septembre  1848  à  août  1849; 
Aubert  Hix,  1791-1855,  censeur  d'août  1849  à  septembre  1854;  Feugère,  1810-1858, 
censeur  de  septembre  1854  à  janvier  1858;  Toussenel,  1805-1885,  censeur  de  jan- 
vier 1858  à  janvier  1865;  Chevriaux,  1816-1883,  censeur  de  janvier  1865  à  décem- 
bre 1871  ;  Guiselin,  1816-1880,  censeur  de  décembre  1871  à  septembre  1878  ;  Pichot, 
né  ]8io,  censeur  de  septembre  1878  à  août  1886;  Rousselot,  né  1837,  censeur 
d'août  1886  à  août  1889  ;  Blanchet.  né  1844,  censeur  d'août  18X9  à  août  1892  ;  Ber- 
tagne.  né  1844,  censeur  d'août  1892  à  mars  1893;  Deprez.  né  1841,  censeur  de 
mars  1893  à  janvier  1895;  Claveiïe,  né  1848,  censeur  de  janvier  1895  à  sept.  1913. 


LE   LYCÉE  CONDORCET  145 

plus  en  plus1.  En  191 3,  elles  amènent  encore  au  lycée  le 
cinquième  de  l'effectif  total.  Les  principales  sont  ecclésias- 
tiques :  écoles  Fénelon,  Roiray,  Saint-Léon,  Lhomond,  Saint- 
Joseph  des  Tuileries.  Les  cours  Saint-Louis  et  Chéret  sont 
laïques. 

Assez  longtemps  la  réputation  des  élèves  de  Bourbon,  voire 
de  Bonaparte,  faisait  d'eux  des  jeunes  gens  d'éducation  distin- 
guée —  dont  les  Inspecteurs  en  1849  louaient  la  «  politesse  » — , 
mais  d'esprit  un  peu  superficiel2.  Leurs  camarades  parisiens 
parlaient  volontiers  du  dilettantisme  de  la  Chaussée-d'Antin. 
Aujourd'hui  la  clientèle  de  Gondorcet  se  recrute,  pour  une  bonne 
part,  dans  la  riche  bourgeoisie  et  dans  la  haute  finance.  Mais 
le  lycée,  grâce  aux  chemins  de  fer  des  Compagnies,  du  Métro- 
politain et  de  FOuest-Etat,  n'est  plus  un  lycée  de  quartier  :  il 
est.  pour  une  part,  un  lycée  de  banlieue. 

En  tout  cas,  dès  18D4  environ,  le  lycée  ne  justifiait  plus  sa 
vieille  réputation  de  lycée  d'amateurs  :  de  1 85 5  à  1903,  il 
obtenait  vingt-cinq  prix  d'honneur  et  deux  prix  d'honneur  à 
la  fois,  en  1866  et  en  1890.  Il  remporta  trente  prix  en  1872 
et  1875  ;  trente-trois  prix  en  1877,  avec  1.600  élèves.  Avec  le 
même  nombre  d'élèves,  il  n'eut  que  huit  prix,  en  1903  comme 
en  1 853 . 

Il  est  peu  de  lycées  aujourd'hui  où  l'esprit  soit  plus  ouvert, 
plus  souple  et  les  aptitudes  naturelles  plus  heureuses. 

Ajoutons  qu'il  en  est  peu  qui  honorent  plus  magnifiquement 
son  passé.  C'est  le  seul  qui  ait  pris  un  archiviste  parmi  les  pro- 
fesseurs retraités  et  qui  ait  à  cœur  de  lui  allouer  un  traitement 
spécial.  Les  services  de  M.  Humbert  ont  justifié  cette  faveur  : 

1.  Cette  décadence  est  nettement  signalée  le  ior  avril  1852.  Arch.  Nat.,  F17h 
78449. 

2.  Arch.  Nat.,  F17H  78449. 

10 


i46  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC  A   PARIS 

par  ses  soins,  dans  le  parloir  que  M.  Blanchet  a  créé  à  droite  de 
l'entrée  principale,  des  centaines  d'estampes,  de  photographies, 
mettent  en  quelques  minutes  sous  les  yeux  du  visiteur  les  phy- 
sionomies des  maîtres  et  des  élèves  qui  ont  travaillé  à  la  gloire 
de  la  maison. 

Les  réunions  annuelles  de  la  Saint-Charlemagne  sont  une 
autre  occasion  de  célébrer  cette  gloire.  Jusqu'à  la  fin  de  l'Em- 
pire, et  même  un  peu  plus  tard,  on  osait  encore  la  chanter  en  vers 
latins.  On  n'a  pas  perdu  le  souvenir  de  la  Saint-Charlemagne 
du  rr  février  1868  où  le  Prince  impérial,  qui  avait  fait  les  com- 
positions de  la  classe  de  7e,  fut  admis  à  s'asseoir  au  milieu  de  ses 
petits  camarades.  L'Empereur  avait  envoyé  une  provision  de 
Champagne  si  copieuse  qu'elle  suffit  à  remplir  les  verres,  aux 
banquets  des  deux  années  suivantes. 

V Association  amicale  des  Anciens  élèves,  fondée  en  i85g, 
est  le  lien  naturel  entre  Bourbon,  Bonaparte,  Fontanes  et  Con- 
dorcet.  Elle  entretient  le  culte  de  leur  camaraderie  et  de  leurs 
traditions  ;  elle  a  la  garde  de  leur  patrimoine  moral.  Elle  a 
chaque  année  ses  lauréats  et  couronne  leurs  fronts. 

Parmi  ces  élèves,  quelques  noms  se  passent  d'épithètes  : 
Leroy-Beaulieu,  Lebon,  Darmesteter,  Salomon  puis  Théodore 
Reinach,  Bergson,  René  Doumic,  Waddington. 

Et  songeons  que  ces  hommes  eurent  pour  camarades, 
MM.  Sadi  Carnot  et  Jean  Casimir  Périer;  Jules  Claretie, 
Paul  Deschanel,  Paul  Hervieu,  Henri  Lavedan,  Alexandre 
Ribot,  Albert  Vandal,  Jules  et  Edmond  de  Goncourt  ! 


LE   LYCÉE   SAINT-LOUIS  147 

V 
LE  LYCÉE  SAINT-LOUIS1 

Ce  n'est  pas  le  doyen  des  lycées  mais  le  doyen  des  collèges 
parisiens.  Et  c'est  un  doyen  qui  a  rajeuni.  Il  a  retrempé  ses  cinq 
siècles  d'expérience  dans  une  fontaine  de  Jouvence  nouvelle  :  et 
ce  vétéran,  né  en  1280  et  qui  avait  pris  sa  retraite  en  1793,  a 
fait  derechef,  tout  comme  un  jeune  premier,  ses  débuts  en  1820. 
On  dirait  ces  héros  de  légende  qui  ont  su  vivre  deux  existences, 
grâce  à  la  baguette  magique  des  bonnes  fées. 

Les  premières  fées  qui  se  penchèrent  sur  son  berceau  étaient 
un  chanoine  et  un  évêque,  tous  deux  frères,  tous  deux  normands, 
Robert  et  Raoul  d'Harcourt.  Ils  furent  les  parrains  d'un  col- 
lège qui  porta  longtemps  leur  nom.  Une  troisième  fée  voulut 
ressusciter  le  collège.  Ce  fut  Sa  Majesté  Impériale  et  Royale, 
le  21  mars  181 2. 

Mais,  à  lui  seul,  Napoléon  ne  put  réussir,  ayant  eu,  vers  ce 
moment,  maille  à  partir  avec  la  Russie  et  l'Europe.  Le 
10  août  1820,  en  cette  année  qu'il  appelait  le  plus  sérieusement 
du  monde,  la  vingt-sixième  de  son  règne,  Louis  XVIII  acheva 
l'œuvre  commencée. 

Pour  prix  de  sa  peine,  le  roi  jugea  bon  de  débaptiser  le  collège  ; 
Napoléon  l'appelait  encore  d'Harcourt,  Louis  XVIII  l'appela 
Saint-Louis;  Louis  était  le  nom  du  roi  régnant;  c'était  le  nom 
du  père  des  Bourbons,  canonisé  par  l'Église  et  qui  avait  charge 
de  veiller  sur  la  dynastie.  Lors  de  l'inauguration  du  collège,  le 
23  octobre  1820,  l'abbé  Nicole,  vice-recteur  de  Paris,  s'expliqua 

1  40  à  44,  boulevard  Saint-Michel  (PI.  29  et  30). 


148  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC  A   PARIS 

clairement  :  «  le  collège  royal  de  Saint-Louis,  s'élevant  à  côté  de 
ceux  de  Henri  IV  et  de  Louis-le-Grand,  va  offrir  à  la  jeunesse, 
presque  dans  le  même  lieu,  les  trois  noms  qu'elle  doit  le  plus  vé- 
nérer, chérir  et  admirer.  Cette  maison  ne  pouvait  pas  s'ouvrir  sous 
des  auspices  plus  heureuses  :  elle  naît  en  même  temps  que  l'en- 
fant auguste  destiné  à  perpétuer  la  postérité  de  saint  Louis1.  » 

Le  nom  de  François  Ier  avait  été  mis  en  avant,  mais  sans  succès. 
La  comtesse  d'Harcourt,  à  force  d'adroite  obstination,  de  1824 
à  1 83 1 ,  finit  par  obtenir,  sous  Louis-Philippe,  ce  qui  était  jus- 
tice :  les  mots  ancien  collège  cïHarconrt,  furent  inscrits  sur  la 
façade  et  sur  tous  les  actes  officiels  du  nouveau  collège,  devenu 
le  lycée  Saint-Louis,  en  1848  (PI.  29  et  3o). 

A  cette  dernière  date,  les  ci-devant  monarques  paraissant 
suspects,  le  lycée  fut  un  moment  dénommé  lycée  Monge.  Mais 
ce  moment  —  quelques  mois  —  fut  court.  Et  désormais  son  état 
civil  n"a  plus  été  menacé.  En  1870,  à  l'heure  où  Louis-le- 
Grand  s'effaçait  devant  Descartes,  Henri  IV  devant  Corneille,  et 
Bonaparte  devant  Condorcet,  Monge  n'était  plus  disponible, 
M.  Godart  l'avait  accaparé2,  et  Saint-Louis  finalement  fut  sauvé. 

L'ancien  collège  d'Harcourt  n'avait  encore,  en  1790,  qu'une 
façade  extérieure,  et  cette  façade  prenait  jour  sur  la  rue  de  la 
Harpe.  Elle  était  donc  tournée  au  levant.  Sur  les  trois  autres 
côtés,  le  collège  était  enseveli,  sans  vue  aucune  sur  le  dehors, 
au  milieu  de  maisons,  d'hôtels,  de  jardins,  et  il  voisinait  avec 
le  collège  de  Justice.  La  muraille  de  Philippe- Auguste  avait  tra- 

t.  H.-L.  Bouquet,  V Ancien  Collège  d'Harcourt  et  le  Lycée  Saint-Louis. 
Paris,  Delalain,  i8c;T,p.  472.  Ce  volume  est  un  très  précieux  recueil  de  documents, 
surtout  pour  la  période  antérieure  à  1793.  Beaucoup  de  pièces  relatives  au  Collège 
ou  Lycée  Saint-Louis  sont  conservées  aux  Archives  nationales  ;  M.  Bouquet  les 
a  négligées  pour  le  présent  volume.  Nous  en  avons  consulté  quelques-unes  avec 
profit. 

2.  Voir  ci-dessous,  Lycée  Camot,  ancienne  école  Monge,  p.  216. 


LE   LYCÉE   SAINT-LOUIS  149 

versé  en  diagonale  le  sol  où  les  bâtiments  avaient  leur  angle 
sud-ouest.  Une  tour  ronde  avait  été  logée  là  où  la  chapelle  a 
dessiné  depuis  la  partie  occidentale  de  son  chevet. 

Le  lycée  Saint-Louis,  aujourd'hui,  a  trois  façades  exté- 
rieures, sur  le  boulevard  Saint-Michel,  sur  la  rue  Racine,  et, 
depuis  quelques  mois,  sur  la  rue  de  Vaugirard  prolongée. 

Le  boulevard  Saint-Michel,  percé  en  1 860-1 861,  a  triplé,  en 
face  du  lycée,  la  largeur  de  la  rue  de  la  Harpe  ;  la  vieille  façade 
branlante  et  qu'on  avait  dû  étayer,  fut  démolie.  Elle  fit  place 
à  une  façade  neuve  construite,  en  style  classique,  par  l'archi- 
tecte du  Tribunal  de  commerce,  M.  Bailly.  Cette  façade  s'éten- 
dit, au  centre,  sur  l'ancien  emplacement  du  collège  d'Harcourt  ; 
à  gauche,  en  allant  vers  le  sud,  sur  une  partie  de  l'hôtel  des 
évêques  d'Auxerre  ;  à  droite,  en  allant  vers  le  nord,  sur  la  mai- 
son Leprètre,  portant  jadis  pour  enseigne,  une  corne  de  cerf; 
sur  la  maison  des  Marmousets  et  sur  la  maison  des  Trois  Rois, 
en  avant  de  l'ancien  collège  de  Justice  et  de  la  maison  dite  de 
l'abbé  de  Molesmes.  Ces  immeubles  avaient  été  acquis  en  1819- 
1820  et  en  1860-61.  Les  cuisines  furent  disposées  sur  l'emplace- 
ment d'un  ancien  amphithéâtre  romain. 

La  rue  Racine  fut  percée  dès  i832;  mais  le  lycée  ne  Fa  atteinte 
qu'en  1910-1912.  Dans  l'espoir  de  la  rejoindre  plus  tôt,  il  avait, 
quand  on  ouvrit  la  rue,  acquis  les  terrains  qui  l'en  rapprochaient 
et  où  la  troisième  cour  fut  placée.  L'ancien  jardin  des  Cordeliers 
mettait  là  ses  verdures,  et  Napoléon,  par  le  décret  de  181 2,  avait 
fait  don  de  ce  jardin  au  collège  d'Harcourt.  Mais  la  Faculté  de 
Médecine  protesta  :  la  loi  du  14  frimaire  an  III  avait  attribué 
déjà  à  l'Ecole  de  Santé  la  totalité  des  dépendances  des  anciens 
Cordeliers.  La  Faculté  eut  gain  de  cause.  Non  seulement  le 
collège  n'obtint  pas,  entre  la  rue  Racine  et  la  rue  de  l'Ecole  de 
Médecine,  le  terrain  que  voulait  lui  donner  l'Empereur,  mais, 


150  L'ENSEIGNEMENT  PUBLIC  A  PARIS 

entre  la  rue  Racine  et  le  collège,  la  Faculté  s'installa  et  les 
pavillons  de  dissection  menacèrent  la  santé  des  écoliers.  Le 
préfet  delà  Seine  et  la  Ville  s'émurent  enfin,  et  la  Faculté  ne  fut 
plus  autorisée  à  dépasser,  au  sud,  la  rue  Racine.  Des  réservoirs 
d'eau  furent  établis  au  nord,  entre  cette  rue  et  le  collège.  C'est 
leur  démolition  qu'on  vient  d'achever.  Et  voilà  comment  il  fut 
donné  au  lycée  de  191 2,  d'avoir  la  façade  réclamée  par  le  col- 
lège de  i832. 

La  conquête  de  cette  seconde  façade  ne  serait  pas  encore 
achevée,  cependant,  si,  du  côté  opposé,  construire  une  troisième 
façade  n'avait  pas  été  jugé  nécessaire.  Et,  nécessaire,  pour  les 
besoins  de  la  Ville,  plus  encore  que  pour  les  besoins  du  Lycée. 
Il  s'agissait  de  prolonger  la  rue  de  Vaugirard  jusqu'à  la  place  de 
la  Sorbonne.  Il  fallait,  par  suite,  écorner  le  lycée.  Ce  que  la 
Ville  lui  prenait,  rue  de  Vaugirard,  elle  le  lui  rendit,  rue  Racine. 

Cette  percée  nouvelle  s'achève  en  ce  moment;  elle  entaille  à 
vif  une  des  parties  les  plus  anciennement  attachées  au  lycée.  Car 
elle  appartenait  au  vieux  d'Harcourt.  Le  jardin  qu'on  y  voyait 
encore,  derrière  l'escalier  du  proviseur,  le  vestibule  d'entrée, 
ci-devant  hôtel  des  évoques  d'Auxerre,  et  derrière  les  classes  de 
Physique,  recouvrait,  de  ses  pelouses  et  de  ses  derniers  arbres, 
une  rue  parallèle  à  la  muraille  de  Philippe-Auguste  :  c'était  la 
rue  des  Murs.  Une  des  tours  de  ce  vénérable  rempart  se  dressait 
là.  De  toute  nécessité,  il  va  falloir,  sur  la  rue  de  Vaugirard  pro- 
longée, donner  au  lycée  une  façade  nouvelle.  Et  ainsi  le  doyen 
des  collèges  de  Paris  est  en  passe  de  devenir  le  plus  neuf  de  ses 
lycées  et  le  plus  moderne. 

Dans  le  vieux  décor  harcurien  aux  couleurs  fraîches,  admi- 
nistrateurs, professeurs  et  élèves  avaient  jugé  bien  souvent  qu'ils 
étaient  à  l'étroit. 

En  province,  la  Restauration  avait  presque  partout  maintenu 


LE    LYCÉE   SAINT-LOUIS  151 

ou  donné  le  provisorat  de  ses  lycées  à  des  prêtres  :  nous  y  avons 
compté,  pour  29  lycées,  81  proviseurs  ecclésiastiques  ;  à  Ver- 
sailles, 2  prêtres  également  furent  proviseurs.  Mais  la  Restau- 
ration s'aventura  fort  rarement  dans  cette  voie  pour  les  lycées 
de  Paris.  Avec  l'abbé  Chambry  à  Bourbon  —  un  abbé  qui  se 
laïcisait  souvent  —  il  n'y  eut  que  deux  exceptions  :  le  lycée 
Saint-Louis  où,  du  20  octobre  1820  au  24  septembre  i83o,  on 
vit  deux  proviseurs-prêtres,  l'abbé  Thibault,  jusqu'en  1824  et 
l'abbé  Ganser,  depuis1.  Le  Gouvernement  de  Juillet  ne  renou- 
vela l'expérience  ni  à  Paris  ni  à  Versailles.  L'abbé  Thibault, 
ancien  proviseur  de  Nancy,  était  grand  et  avait  l'allure  d'un 
soldat  retraité.  Son  successeur,  l'abbé  Ganser,  était  un  saint,  mais 
qui  savait  tempérer  par  une  bonté  toute  paternelle  l'austérité 
de  ses  vertus.  Avec  Liez,  le  collège  se  sécularisa;  Liez  était  un 
homme  jeune,  sinon  un  jeune  homme,  et  qu'avait  mis  en  vue 
son  enseignement  à  Reims,  à  Orléans,  àCharlemagne,  Bourbon, 
Louis-le-Grand.  Il  quitta  le  provisorat  de  Saint-Louis  pour  celui 
d"Henri  IV,  où  nous  l'avons  trouvé  déjà.  Nous  connaissons,  de 
même,  son  successeur  M.  Poirson,  puisque  nous  l'avons  ren- 
contré à  Charlemagne,  où  se  termina  sa  carrière  d'administra- 
teur :  c'est  sur  la  rive  droite  qu'il  acheva  de  mettre  en  relief 
les  belles  qualités  d'esprit  et  de  cœur  qu'il  avait  mûries,  sur  la 
rive  gauche.  Le  chiffre  des  élèves,  les  locaux,  l'éducation,  l'en- 
seignement, il  améliora  tout  cela  pendant  son  administration  \ 

1.  Voici  la  liste  des  proviseurs  de  Saint-Louis  : 

Abbé  Thibault,  20  octobre  1820-1824  (né  vers  1769,  mort  28  mars  1830);  abbé 
Ganser,  1824-24  septembre  1830  (né  vers  1775  et  mort,  1842)  :  Liez,  24  septembre 
1830-31  décembre  1833;  Poirson,  31  décembre  i833-iGr  mars  1837  ;  Pollux  dit  Paul 
Lorain,  Ier  mars  1837-14  février  1845  ;  Poulain  de  Bossay,  14  février  1845-27  avril 
1852;  Legrand,  27  avril  1852-16  août  1865;  Boutan,  16  août  1865-10  septembre 
1868;  Joguet,  10  septembre  [868-novembre  1874;  Gautier,  3  décembre  1874-26  oc- 
tobre 1883  ;  Joubin,  26  octobre  1883-1894;  Pierot,  1894-1896  ;  Breitling,  1896-1907  ; 
Guigon,  1907-1910  ;  Bailly,  1910. 

2.  Arch.  Nat.,  F17,  78.556  (8  mai  1837). 


152  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC   A  PARIS 

C'est  encore  parmi  les  professeurs  de  Louis-le-Grand  que  Paul 
Lorain  fut  choisi.  Ses  idées  libérales  l'avaient  compromis  au- 
près de  Mgr  de  Frayssinous,  et  ce  fut  l'honneur  de  M.  de  Vati- 
mesnil  de  lui  rendre  une  chaire,  dont  son  esprit  et  son  talent 
étaient  si  dignes.  Il  devait  être  plus  tard  un  des  collaborateurs  de 
Guizot,  avant  de  devenir  recteur  de  l'Académie  de  Lyon. 

Gomme  Poirson,  quoiqu'avec  moins  d'originalité,  Poulain 
de  Bossay  avait  été  un  professeur  d'histoire  accompli.  C'était  un 
classique  convaincu  et  que  passionnait  sa  tâche  d'administra- 
teur. L'Inspection  louait  en  lui,  le  16  février  1845,  «  la  gravité 
de  ses  mœurs  et  une  renommée  qui  n'a  jamais  reçu  aucune 
atteinte1  ».  L'année  précédente,  elle  avait  souligné  son  zèle,  sa 
droiture  et  l'élévation  de  son  esprit1.  Il  avait  eu  assez  de  sou- 
plesse pour  traverser,  sans  dommage,  les  événements  critiques 
dont  les  journées  de  février  furent  le  signal. 

Legrand  était  un  scientifique  que  nous  avons  salué  à  Bona- 
parte, où  il  émigra,  après  treize  années  de  provisorat  à  Saint- 
Louis;  mais  il  a  laissé  des  traces  durables  de  son  adminis- 
tration, boulevard  Saint-Michel.  L'agrandissement  du  lycée, 
l'organisation  de  son  école  préparatoire,  la  création  de  l'As- 
sociation de  ses  anciens  élèves  doivent  beaucoup  à  l'autorité  de 
ce  proviseur. 

Son  successeur,  M.  Boutan,  fit  beaucoup,  en  peu  d'années.  Il 
avait  enseigné  la  physique  au  lycée  Saint-Louis  et  il  sut  donner 
à  cette  maison  l'orientation  scientifique  qui  est  aujourd'hui 
encore  son  originalité  propre.  La  tâche  que  M.  Boutan  laissa 
à  M.  Vincent  Joguet  fut,  malgré  tout,  délicate  et,  à  de  certaines 
heures,  terrible,  puisqu'elle  fut  poursuivie  en  face  de  l'envahis- 
seur et  en  face  de  la  Commune.  Il  dut  terrer  ses  élèves  dans 

1.  Arch.  Nat.,  F",  78.559;  78.558. 


PI.  29. 


LE    COLLEGE   D  HARCOURT 
D'après  la  gravure  de  Martinet.) 


*■***  M  tîè  è-I  #4  *  *•«  tté  É  é*  Éfi  I 


3t.  Pierre  Petit. 


LE    LYCEE    SAINT-LOUIS    VERS    IOÇO 
(Page  i+7  . 


PI.  30 


LYCÉE    SAINT-LOUIS.    —    COUR    DE    LA    CHAPELLE. 


Phot.  Vallois 


Phot.  Vallois 
LYCÉE    SAINT-LOUIS.    —   ANCIENNE    PORTE    d"iIA  RCOURT. 
Page    i  i: 


LE   LYCÉE   SAINT-LOUIS  153 

les  caves,  pendant  le  bombardement,  et  résister  aux  sommations 
des  fédérés  qui  réclamaient  les  plus  grands  de  ces  jeunes  gens, 
pour  construire  et  défendre  les  barricades.  M.  Joguet,  et  c'est 
la  plus  belle  louange  qu'on  en  puisse  faire,  sut  toujours  tenir  son 
àme  à  la  hauteur  des  difficultés. 

Ceux  qui  viennent  après  lui  sont  trop  près  de  nous  pour  qu  il 
nous  soit  loisible  d'en  parler  librement  en  détail  :  il  suffira  de 
dire  que  MM.  Gautier,  Joubin  et  Breitling  sont  très  dignes  de 
leurs  aînés.  Faut-il  ajouter  que,  par  son  activité,  sa  vigueur, 
l'attachement  à  ses  fonctions,  l'autorité  de  son  geste  et  de  sa 
parole,  le  proviseur  actuel,  M.  Edouard  Bailly,  sait  rappeler  les 
meilleures  qualités  de  ses  prédécesseurs. 

N'oublions  pas  que,  si  l'œuvre  provisorale  de  Saint-Louis  a 
été  belle,  c'est  que  censeurs  et  professeurs  ont  été  les  auxiliaires 
très  précieux  de  leurs  chefs.  Parmi  les  censeurs1,  deux,  MM.  Di- 
dier et  Genouille,  comme  M.  Joubin  lui-même  et  M.  Bailly, 
avaient  remporté  à  Louis-le- Grand  leurs  premiers  succès  ou  y 
avaient  fait  leurs  premières  armes.  D'autres,  comme  M.  Ohmer 
et  M.  Lenglier,  quittèrent  Saint-Louis  pour  s'élever,  en  une  ou 
plusieurs  étapes,  au  provisorat  de  Charlemagne,  ou  bien, 
comme  M.  Deprez,  au  provisorat  de  Voltaire,  sans  parler  de 
M.  Emery  à  qui  l'Inspection  avait  fini  par  être  très  dure2.  Beau- 
coup eurent  plus  de  modestie  que  d'ambition  et  voulurent  jus- 

1.  Censeurs  de  Saint-Louis  : 

MM.  Clerc,  14  octobre  1820-3  octobre  1823  ;  Emery,  3  octobre  i823-ier  octobre 
1838;  Jumel,  censeur-adjoint,  4  janvier  1838-15  mai  1838;  Roger,  21  septembre 
1839-10  octobre  1845  ;  Didier,  8  octobre  1845-18  août  1849  ;  Raynaud,  18  août 
1849-6  octobre  1849;  Genouille,  6  octobre  1849-19  août  1853;  Materne,  septembre 
1853-16  août  1865  ;  Ohmer,  16  août  1865-14  août  1872  ;  Lenglier,  14  août  1872- 
4  août  1881  ;  Deprez,  12  août  1881-6  décembre  1882;  Chappuis.  6  décembre  1882- 
1894;  Laviéville  (sciences),  1894-1897  et  Dhombres  (lettres),  1894-95,  deux  censeurs; 
Suérus  (lettres),  1895-1902,  avec  M.  Laviéville,  puis  seul;  Viguier,  1902-1907; 
Windenberger,  1907-1908;  Fitremann,  1908. 

2.  Arch.  Nat.,  F17,  78.554. 


154  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC   A   PARIS 

qu'à  la  fin  de  leur  carrière  rester  fidèles  à  leur  lycée  ou  à  leurs 
fonctions. 

L'Inspection,  en  mars  1843,  était  sévère  aux  professeurs  de 
Saint-Louis1.  Beaucoup  cependant,  parmi  eux  ou  leurs  succes- 
seurs, ont  fait  partie  de  l'Institut  :  ce  qui  prouve  au  moins  la 
distinction  de  leur  savoir  :  ainsi  2  Alexandre  (1820),  Babinet 
(1820),  Bertrand  (1844),  Briot  (i853),  Chuquet  (1877),  Darboux 
(i865),  Debray  (1854),  V.  Duruy  (1846),  Egger  (1867),  Fustel 
de  Coulanges  (1859),  Gréard  (1860),  Hébert  (1871),  Lacour- 
Gayet  (1884),  Lecoq  de  Bois-Baudran  (1 855),  Lefébure  de 
Fourcy  (1820),  Levasseur  (i856),  Régnier  (i832),  Roussel 
(1886),  Sédillot  (1834),  Waddington  (i865).  Trois  de  ces  maî- 
tres éminents  entraient  à  la  fois  en  1820  à  Saint-Louis  (et  deux 
d'entre  eux,  Alexandre  et  Lefébure  de  Fourcy  venaient  de 
Louis-le-Grand) .  Deux  autres  entraient  à  Saint-Louis,  de  i832 
à  1834  ;  un,  en  1841  ;  un,  en  1846  ;  quatre,  de  1 853  à  1 856  ;  deux 
en  1 85g  et  en  1860;  deux  en  1 865  ;  un  en  1884;  un  en  1 885. 
MM.  Levasseur  et  Lacour-Gayet  étaient  encore  à  Saint-Louis 
quand  ils  ont  été  élus  à  l'Institut.  M.  Lacour-Gayet  n'a  pas 
renoncé,  tout  académicien  qu'il  soit,  à  continuer  à  ses  élèves,  le 
brillant  enseignement  auquel  il  a,  depuis  vingt-huit  ans,  habitué 
leurs  aînés  3. 


1.  Arch.  Nat.,  F17,  78.558. 

2.  Nous  mettons  entre  parenthèses  les  dates  d'entrée  à  Saint-Louis  des  profes- 
seurs; nous  avons  eu  très  peu  à  ajouter  aux  listes  de  l'abbé  Bouquet,  p.  523,  718 
et  471. 

3.  Parmi  les  anciens  professeurs  les  plus  connus,  citons,  en  outre  : 
Mathématiques  :  MM.   Lucas,  Courcelles,   Crétin,  Vintéjoux,   Javary,  Caron. 

Rebière.  Launay,  Carvallo,  Carlo-Bourlet,  Grévy  ; 

Physique  :  Bout}',  Dufet,  tous  deux  professeurs  à  la  Sorbonne,  Fernet.  Maurat, 
Rivière  ; 

Lettres:  Feugère,  Lintilhac,  professeur  à  la  Sorbonne,  puis  vice-président  du 
Sénat  ; 

Histoire  ;  Périgot. 


LE   LYCÉE   SAINT-LOUIS  155 

D'autres  professeurs  de  Saint-Louis  sont  devenus  inspec- 
teurs généraux  de  l'Université  :  Anquez  (1 858) ,  Boutan  (i855), 
Blutel  (1891),  Caboche  (i835),  Combette,  Deltour  (186 5), 
Faivre-Dupaigne,  Fernet  (1 855),  Faurie  (i853),  Gautier  Alex., 
Manuel  (i85o),  Piéron,  Quet  (i85o),  Vacquant  (1864),  Vieille 
(i85^)  ;  six  sur  quatorze  étaient  entrés  au  lycée  de  i85o  à  i855. 

D'autres  sont  devenus  recteurs  :  sans  même  rappeler 
M.  Gréard,  vice-recteur  de  l'Académie  de  Paris,  il  suffit  de 
citer  à  Besançon,  Carême  (1870),  Etienne  (i858),  Lissajous 
(i85o),  et,  à  Toulouse,  Guiraudet  (i853). 

L'inspection  académique  a  demandé  à  Saint-Louis,  Aubert 
(1845),  Beaujan  (i85i),  Bos  (i865),  Charpentier  (i832),  Com- 
bette (1874),  Cougny  (1874),  Courgeon  (1841),  Evellin  (1881), 
Prieur  (1824),  Roger  (1840).  Enfin  renseignement  supérieur  a 
pris  au  lycée  non  seulement  M.  Darboux,  mais  MM.  Bouty 
(1881),  Dufet  (1878),  Demogeot  (1845)  Gazier  (1875),  et  plus 
récemment  M.  Lamiraud. 

Le  nombre  des  élèves  a  fait  honneur  à  de  tels  maîtres  :  pen- 
dant les  quatre  premières  années,  il  s'éleva  vite  de  440  à  485, 
et  de  537  à  653;  depuis,  ce  nombre  s'est  maintenu  générale- 
ment entre  800  et  1.000.  Les  mininia  furent  634,  en  !^^2  (et 
l'épidémie  cholérique  explique  à  Saint-Louis,  comme  à  Char- 
lemagne1  et  partout  la  faiblesse  de  ce  chiffre)  ;  716,  en  1 865. 
Les  maxima  ont  été  i.oi5  en  1876  et  1 .01 7  en  1842. 

En  1910-191 1,  avec  95o  élèves,  en  1911-1912,  avec  956,  le 
lycée  était  si  bien  rempli  qu'il  fallait,  faute  déplaces,  refuser  les 
nouveaux  pensionnaires,  sous  peine  de  nuire  au  bien-être  maté- 
riel, intellectuel  et  moral  qu'on  a  le  très  juste  souci  de  leur 
réserver. 

1.  Voir  p.  126. 


156  L'ENSEIGNEMENT  PUBLIC  A   PARIS 

En  s'ouvrant,  en  1820,  le  lycée  fut  provisoirement  un 
externat  ;  mais,  à  la  différence  des  lycées  Bonaparte  et  Charle- 
magne,  le  provisoire  eut  chez  lui  un  terme,  et,  dès  i823,  l'in- 
ternat fut  organisé.  La  rivalité  de  Louis-le-Grand  et  d'Henri  IV, 
qui  affectaient  de  trouver  dans  cet  internat  un  contre-sens,  ne 
nuisit  pas  sensiblement  à  son  succès.  Le  24  mars  1824,  Saint- 
Louis  obtenait,  comme  les  deux  autres  collèges  d'internes, 
5o  bourses  nouvelles,  entières  ou  partielles  ;  et  ce  fut  aux  dépens 
des  collèges  royaux  de  Reims,  d'Amiens,  d'Orléans  et  de  Rouen 
que  la  somme  disponible,  3i.5oo  francs,  fut  trouvée. 

Au  secours  de  l'Internat,  les  institutions  et  pensions  privées 
accouraient,  du  reste,  à  Saint-Louis  comme  ailleurs.  Ainsi,  les 
institutions  Michelot,  Vény,  Pellassy  de  l'Ousle,  Chastagner, 
Reffay,  Vincent,  Rivail,  de  Moyencourt,  Peuchot,  Bugnon, 
Hallays-Dabot;  mais  trois  surtout,  sans  parler  de  Sainte-Barbe, 
furent  connues  :  l'institution  Barbet  qui  finit,  sous  Louis-Phi- 
lippe, par  se  spécialiser  pour  les  mathématiques;  l'ouverture 
de  la  rue  des  Ecoles  a  détruit  ses  bâtiments.  L'institution 
Hortus,  fondée  le  i5  mars  1828,  rue  du  Bac  94,  était  plus  litté- 
raire. Elle  prospérait  encore  sous  Napoléon  III.  L'institution 
de  Reusse  datait  de  la  fin  du  xviii6  siècle;  elle  fut,  sous  le  Gou- 
vernement de  Juillet,  la  concurrente  souvent  heureuse  des  insti- 
tutions Barbet  et  Hortus.  Mais,  quand  elle  abandonna  l'angle 
des  rues  Férou  et  Vaugirard,  pour  se  transporter  au  pied  de  la 
rue  des  Fossés-Saint-Victor,  elle  en  vint  peu  à  peu  à  préférer 
Henri  IV  à  Saint-Louis. 

11  arrivait  à  Louis-le-Grand  et  à  Henri  IV  de  disputer  aux 
institutions  leur  droit  de  conduire  à  Saint-Louis  leurs  élèves. 
Les  archives  nationales  nous  ont  révélé  qu'en  1820  un  conflit 
universitaire  mit  aux  prises,  sur  ce  point,  les  trois  collèges  ; 
l'intervention  de  l'autorité  supérieure  fut  sollicitée. 


LE   LYCÉE   SAINT-LOUIS 


157 


Les  documents  conservés  à  Saint-Louis  et  au  Palais  Soubise 
nous  permettent  de  voir  que  la  décadence  de  l'internat  a,  depuis 
plus  d'un  demi-siècle,  été  moins  rapide  à  Saint-Louis  que  dans 
les  autres  lycées  parisiens1. 

Nous  avons  voulu  tout  récemment  visiter  le  lycée,  où  les 
internes  ont  encore,  en  dépit  de  toutes  les  campagnes  contre 
l'internat,  le  grand  courage  de  s'enfermer.  Et  nous  avons  trouvé 
un  lycée  tout  différent  de  l'antique  geôle  à  laquelle  tant  de  gens 
croient  encore.  Les  parties  anciennes  du  lycée  ont  elles-mêmes, 
grâce  à  l'artifice  de  peintures  claires,  un  air  pimpant  et  gai  ; 
quant  aux  parties  neuves,  la  pierre  blanche,  la  brique  rouge  ou 
jaune  pâle  se  chargent  de  leur  donner  une  physionomie  avenante, 
qui  charme  l'œil  autant  qu'elle  satisfait  les  exigences  de  la 
raison.  Du  jour,  de  la  lumière,  de  la  propreté  partout,  et  une 
intelligence  très  avisée  de  tous  les  détails  pratiques.  Le  chauf- 
fage central  et,  depuis  191 1,  l'électricité  sont  aménagés  avec  les 
derniers  perfectionnements  modernes.  Dans  une  immense  salle 
à  briques  vernissées,  20  douches  ont  été  installées  ;  et,  si  les 
méchantes  railleries  contre  le  dédain  des  lycées  pour  l'eau  et  la 
toilette  ne  sont  plus  guère  soutenables  aujourd'hui  nulle  part, 


I.                                 INTERNES 

INTERNES 

ET 

DEMI-PEN- 

ET  DEMI-PEN- 

SIONNAIRES 

EXTERNES 

TOTAL 

SIONNAIRES 

EXTERNES 

TOTAL 

1831-1832.   .   . 

2IQ 

33<> 

575 

1883 

— 

.       588 

432 

I  .020 

1832-1833.  .   . 

223 

4i7 

640 

1893 

— 

.       484 

275 

759 

1843  5  novembre 

28l 

645 

926 

1903 

— 

•     54} 

310 

853 

1853         — 

234 

53° 

764 

1912 

— 

•     527 

492 

1 .019 

1863         — 

380 

550 

730 

1913 

janvier. 

•   •     529 

5°3 

1 .032 

1873         — 

430 

380 

810 

La  diminution  des  externes,  entre  1853  et  1863,  tient  surtout  à  la  décadence  des 
pensions  et  institutions  conduisant  les  élèves  à  Saint-Louis.  La  spécialisation  de 
Saint-Louis,  qui  renonça  aux  petites  classes,  explique  la  diminution  des  élèves  après 
1883.  Il  comptait  seulement  613  élèves  en  1899.  Depuis  191 1,  le  défaut  de  place 
dans  les  réfectoires  et  les  études  force  le  Proviseur  à  refuser  des  demi-pension- 
naires, dont  le  nombre  a  diminué  depuis  dix  ans;  en  1912,  50  pensionnaires  n'ont 
pu,  vu  l'exiguïté  des  locaux,  agrandis  cependant,  être  accueillis. 


I58  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC  A  PARIS 

à  Saint-Louis  elles  seraient  moins  à  leur  place  que  partout  ail- 
leurs. 

Le  lycée  Saint-Louis  a  eu  cette  bonne  fortune  :  attendre 
jusqu'à  ces  derniers  mois  pour  élever  les  bâtiments  nouveaux 
dont  il  avait  besoin.  Déjà  ces  locaux  s'étendent,  aujourd'hui,  sur 
1 5o  mètres  de  long.  Leur  installation  a  profité  des  expériences 
faites  à  Louis-le-Grand,  à  Janson,  à  Lakanal,  à  Carnot,  à  Vol- 
taire et  ailleurs.  Les  salles  de  physique  et  de  chimie  sont  donc 
à  Saint-Louis  plus  belles  que  dans  aucun  lycée  de  Paris. 

Ce  progrès  n'est  pas  un  luxe  vain  :  depuis  plus  de  soixante 
ans,  Saint-Louis  s'est  spécialisé  dans  les  études  scientifiques,  et 
il  méritait  que  Ton  fît  pour  elles  les  sacrifices  pécuniaires  qui 
viennent  de  leur  être  consentis.  Dès  1843  au  moins,  les  mathé- 
matiques prenaient  à  Saint-Louis,  sur  les  lettres,  une  avance 
décisive  :  de  1843  à  i863  le  lycée  eut  huit  prix  d'honneur,  et 
sept  furent  remportés  en  mathématiques  spéciales.  En  1 865- 
1866,  une  décision  ministérielle  consacra  une  prédilection, 
ancienne  déjà  dans  le  cœur  des  élèves.  En  1 885,  la  création  du 
lvcée  Lakanal  fut  l'occasion  d'achever  l'évolution  commencée. 
L'internat  littéraire  fut  transporté  à  Bourg-la-Reine;  l'internat 
scientifique  fut  seul  gardé  à  Saint-Louis,  et  une  division  spé- 
ciale y  fut  ouverte  pour  l'Ecole  navale,  à  côté  des  divisions 
consacrées  aux  écoles  Normale,  Polytechnique,  Centrale, 
Forestière  et  Saint-Cyr.  Les  études  littéraires  ne  trouvèrent 
plus  à  Saint-Louis  qu'un  externat. 

Les  élèves  de  Saint-Louis,  aujourd'hui  encore,  sont  donc  sur- 
tout des  candidats  aux  Écoles  du  gouvernement  :  c'est  un  lycée 
de  scientifiques,  qui  sont  presque  de  jeunes  hommes.  C'est  une 
école  préparatoire.  Et  les  lauriers  qu'il  moissonne  tous  les  ans 
continuent  à  être  la  récompense  très  légitime  de  ses  efforts. 
En  1 910- 191 1,  il  comptait  le  n°  1  à  Centrale,  le  n'J  1  aux  Mines, 


LE   LYCÉE   SAINT-LOUIS  159 

le  n°  2  à  Saint-Cyr,  les  nos  2,  3,  4,  6,  9  et  10  à  Navale,  où  il 
fournissait,  à  lui  seul,  plus  de  la  moitié  de  la  promotion  totale  '. 

La  discipline  doit  être  appropriée  à  une  clientèle  scolaire 
de  cet  ordre  :  ces  grands  jeunes  gens,  venus  à  Saint-Louis  pour 
préparer  des  concours,  sentent  que  l'ordre  est  nécessaire  à  leur 
travail.  Pourvu  qu'on  leur  épargne  les  tracasseries  inutiles,  ils 
n'acceptent  pas  seulement  la  fermeté  chez  leurs  supérieurs,  ils 
la  souhaitent  et  ils  l'aiment.  Ils  se  savent  tenus  constamment 
sous  l'œil  du  maître  :  le  proviseur  descend  quotidiennement 
dans  les  cours  et  reçoit  les  élèves  deux  fois  par  jour. 

Les  jeux  sont  en  honneur  dans  les  trois  cours  ;  quatre  tennis 
y  sont  presque  en  permanence.  Le  tir  réduit  est  très  suivi,  de 
midi  et  demi  à  deux  heures.  Le  lycée  a  un  stand.  Un  sergent, 
trois  caporaux  très  dévoués  et  un  capitaine  inspecteur  dirigent 
les  exercices  militaires.  Le  jeudi,  à  Montrouge,  sous  la  direc- 
tion d'un  capitaine  de  réserve,  des  tirs  ont  lieu  avec  la  vraie 
balle  Lebel. 

L'escrime  est,  comme  il  est  tout  naturel,  très  cultivée.  L'équi- 
tation  est  en  progrès.  Mais  la  gymnastique  est  momenta- 
nément gênée  par  la  reconstruction  du  lycée. 

Les  adhérents  au  Club  alpin  ne  sont  pas  encore  assez  nom- 
breux, en  dépit  des  avantages  qui  leur  sont  faits.  Les  caravanes 
et  les  grandes  excursions  aux  environs  de  Paris  ont  démontré 

1 .  Voici  les  résultats  des  trois  dernières  années  : 

19091910     1910-1911     1911-1912 

Ecole  normale  supérieure   et  Bourses  de 

licence n  9  4 

Ecole  Polytechnique 33  Si  28 

—  Saint-Cyr 22  39  54 

—  Navale 17  31  32 

—  Centrale 88  79  77 

—  des  Mines 15  17  16 

—  des  Ponts  et  Chaussées 4  5 

En  1911,  le  Ier  reçu  à  Centrale  et  le  1"  reçu  aux  Mines  ;  en  1912,  le  1"  reçu  à  Centrale  et 
le  ior  reçu  à  Saint-Cyr  étaient  élèves  de  Saint-Louis. 


i6o  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC  A   PARIS 

quels  bienfaits  pouvait  apporter  le  footing-  à  une  jeunesse  con- 
damnée à  un  entraînement  intellectuel  presque  sans  trêve. 

Le  football  association  a  toujours  ses  fidèles  adeptes  :  Saint- 
Louis,  déjà  lauréat,  en  1 910,  de  l'Union  des  Sociétés  françaises 
de  sports  athlétiques,  a  su  garder,  en  191 1,  la  coupe  du  cham- 
pionnat interscolaire.  En  191 2,  il  a  été  champion  de  Paris  et 
grand  champion  de  France.  Il  a  été  classé  deuxième,  pour  le 
championnat  interscolaire.  Pour  le  championnat  d'athlétisme 
(course  de  1.600  mètres  à  plat),  l'élève  Deville  a  conquis  au 
lycée  Saint-Louis  le  premier  rang. 

Voilà  bien  des  traits  qui  achèvent  de  moderniser  le  lycée 
Saint-Louis.  Le  développement  du  corps  s'y  ajoute,  comme  il 
convient,  au  développement  de  l'esprit.  Et  il  y  aurait  eu  là  plus 
d'une  surprise,  pour  les  élèves  du  Saint-Louis  de  1840. 

Mais  ces  anciens  eussent  reconnu  leurs  cadets  aux  œuvres 
de  charité  et  de  patriotisme  qui  les  passionnent.  Le  lycée  Saint- 
Louis  s'est  vaillamment  enrôlé  dans  la  Ligue  antituberculeuse 
et  il  a  trois  pupilles,  qui  lui  tiennent  fort  au  cœur.  Il  se  donne 
aussi,  de  toute  son  âme,  à  cette  admirable  Ligue  maritime  qui, 
depuis  mars  1910,  a  recueilli,  en  un  an,  200  adhésions  nou- 
velles et  jusqu'à  35o  membres  actifs.  Enfin  des  concerts  très 
goûtés,  à  Saint-Louis  ou  à  la  Sorbonne,  contribuent,  pour  leur 
part,  à  cette  éducation  au  lycée  que  les  ennemis  de  l'Université 
s'obstinent  calomnieusement  à  nier. 

L'Association  des  Anciens  élèves,  fondée  dès  1860,  a  déjà  fait 
beaucoup  pour  la  vie  morale  du  lycée  :  sans  le  culte  du  passé, 
l'âme  d'un  peuple,  comme  l'âme  d'un  lycée,  reste  inachevée. 
Comme  ses  maîtres,  les  élèves  de  Saint-Louis  ont  peuplé  l'Ins- 
titut. Dès  1886,  M.  Lacour-Gayet  disait  avec  fierté  à  son  audi- 
toire :  «  Comptez,  à  l'Académie  des  Sciences,  les  Faye  et  les 
Pasteur;  à  T  Académie  des  Inscriptions,  les  Desjardins  et  les  Wad- 


LE    COLLÈGE   ROLLIN  161 

dington  ;  à  l'Académie  des  Sciences  morales,  les  Havet  et  les 
Janet  ;  à  l'Académie  des  Beaux-Arts,  les  Gouno-d  ;  à  l'Académie 
Française,  les  de  Broglie,  les  Doucet,  les  Du  Camp,  les  Per- 
raudj  les  Coppée,  et,  une  fois  encore,  les  Pasteur.  » 

Enfin  que  dire  des  élèves  du  vieux  d'Harcourt?  Saint-Evre- 
mond,  Nicole,  Boileau,  Racine,  l'abbé  Prévost,  Diderot,  Tal- 
leyrand...  Mais  j'en  passe. 


VI 
LE   COLLÈGE  ROLLIN1 

Ce  collège  justifie  de  bien  des  façons  l'affection  de  l'Univer- 
sité :  par  ses  origines,  par  ses  initiatives,  par  ses  services. 

Il  plonge,  par  ses  racines,  dans  l'ancienne  Université  de  Paris, 
puisqu'il  a  pris  naissance  dans  cet  illustre  collège  Sainte-Barbe, 
fondé  au  milieu  du  xve  siècle,  et  dont  il  est  superflu,  après  Qui- 
cherat,  de  retracer  la  longue  histoire.  En  1791,  ce  collège  fut 
pillé,  et  la  cage  ouverte,  tous  les  oiseaux  s'envolèrent.  Ils  furent 
recueillis  en  deux  groupes  appelés,  avec  les  ruines  de  l'héri- 
tage commun,  à  former  désormais  deux  collèges  qui  tous  deux 
ont  survécu  :  l'un,  installé  2,  rue  Cujas,  a  fini  par  garder,  avec 
les  locaux  et  le  sol,  le  nom  glorieux  de  Sainte-Barbe,  que  Victor 
de  Lanneau  lui  a  reconquis  ;  l'autre,  installé  d'abord,  avec  les 
deux  Nicolle  notamment,  rue  des  Postes  (rue  Lhomond),  puis 
12,  avenue  Trudaine,  s'appelle  depuis  i83ole  collège  Rollin2. 
Mais,  de  181 5  à  i83o,  Sainte-Barbe-Lanneau  et  Sainte-Barbe- 

1.  12,  Avenue  Trudaine  (PI.  31). 

2.  Voir  A.   Rousselot,  V Ancienne  Communauté  de  Sainte-Barbe  et  le  Collège 
municipal  Rollin,  Paris,  1900  (PI.  31). 

1 1 


i62  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC  A   PARIS 

Nicolle  avaient  vécu  en  sœurs  ennemies.  Un  moment,  quand 
l'un  des  deux  frères  Nicolle,  l'abbé  Charles,  fut  devenu  vice- 
recteur  de  l'Académie  de  Paris,  l'autre  Nicolle,  Henri,  sem- 
bla triompher  :  le  2  juillet  1822,  le  Conseil  royal  de  l'Instruction 
publique  l'autorisait  à  donner  au  collège  de  la  rue  des  Postes 
le  nom  de  Sainte-Barbe.  Il  avait  fallu  les  journées  de  juillet  et 
l'avènement  au  pouvoir  des  amis  de  Victor  de  Lanneau  pour  que, 
le  6  octobre  i83o,  le  Conseil  royal  de  l'Instruction  publique  arrê- 
tât ces  deux  articles  :  Art.  Ier.  —  La  maison  d'Education  diri- 
gée par  M.  de  Lanneau  prendra  la  dénomination  de  Y  Institution 
Sainte-Barbe  :  Art.  2.  —  Le  collège  de  plein  exercice,  établi 
rue  des  Postes,  portera  le  nom  de  Collège  Rollin.  —  La  politique 
avait  tranché  le  débat.  Et  ce  fut  sans  appel. 

Quatre  ans  plus  tôt,  un  événement  décisif,  lui  aussi,  pour  le 
collège  de  la  rue  des  Postes,  était  survenu  :  la  ville  de  Paris 
l'avait  acheté  et  transformé  en  collège  municipal.  L'ordonnance 
royale  du  19  juillet  1826  homologuait  la  délibération  du  Conseil 
municipal  de  Paris,  intervenue  le  3o  mars  précédent.  Depuis 
lors,  le  collège,  qui  garda  son  autonomie,  fut  placé  sous  la  sur- 
veillance d'un  Conseil  d'administration,  composé  du  directeur  et 
de  six  conseillers  municipaux.  Ce  fut  ce  Conseil  qui  nomma  tous 
les  fonctionnaires  du  collège,  sauf  approbation  du  ministre  de 
l'Instruction  publique  ;  à  ce  Conseil  il  fut  réservé  de  connaître  de 
tout  ce  qui  concernait  la  direction  des  études,  le  personnel,  la 
tenue  de  la  maison  et  la  comptabilité.  Le  budget,  réglé  par  ce 
Conseil,  fut  soumis  à  l'examen  de  l'Assemblée  municipale  et  à 
l'approbation  du  préfet. 

La  Ville,  déjà  propriétaire  des  bâtiments  et  du  terrain  collé- 
gial, versa  5 10.000  francs,  dont  23o.ooo  francs  pour  le  paiement 
des  dettes  anciennes.  Ce  fut,  pour  elle,  une  opération  beaucoup 
moins  coûteuse  que  la  création  du  lycée  Saint-Louis.  Elle  s'ap- 


LE   COLLÈGE    ROLLIN  163 

plaudit  d'avoir  à  bon  compte  un  collège  à  elle,  peuplé  disait  le 
Conseil  général  «  de  pensionnaires  appartenant  presque  tous  à 
des  familles  riches  ou  élevées  »  ;  pratiquant  «  un  système  d'en- 
seignement tout  à  la  fois  religieux  et  sage,  éclairé  et  solide  » 
et  justement  connu  par  «  des  succès  déjà  nombreux,  obtenus 
dans  les  concours  généraux.  » 

Le  collège  municipal  Rollin  vécut  rue  des  Postes  jusqu'à  la 
rentrée  d'octobre  1876,  et  cette  période  de  son  histoire  est  celle 
qui  peut-être  lui  fit  le  plus  d'honneur.  Il  occupait  là,  dans  un  des 
quartiers  les  plus  sains  de  Paris  et  les  plus  tranquilles,  l'ancien 
couvent  de  la  Présentation.  La  façade  n'avait  qu'une  centaine 
de  mètres  sur  la  rue  ;  le  collège  était  tout  en  profondeur.  Sur  la 
rue,  l'administration  et  la  maison  des  professeurs;  les  classes 
étaient  très  sagement  à  l'intérieur  du  collège,  divisé  en  trois 
parties  :  l'une  pour  les  grands  élèves,  l'autre  pour  les  moyens,  la 
troisième  pour  les  petits.  Les  bains  n'avaient  pas  été  oubliés. 

L'emplacement  du  collège  avait  un  autre  avantage  que  ses 
directeurs  appréciaient  justement  :  il  était  éloigné  des  quartiers 
où  demeuraient  le  plus  grand  nombre  des  parents  et  c'était  à 
merveille  ;  «  la  trop  grande  proximité  des  familles  étant,  tout  au 
moins,  une  cause  de  fréquentes  distractions  pour  les  élèves.  »  Et 
puis,  observait-on  encore,  les  professeurs  et  les  maîtres  trou- 
vaient dans  le  quartier  latin,  pour  leurs  travaux  et  leur  enseigne- 
ment, plus  de  ressources  qu'ailleurs  ;  sans  compter  que,  sur  la 
rive  droite,  la  vie  leur  serait  plus  chère  *. 

Le  nombre  des  élèves  ne  s'élevait  pas,  rue  des  Postes,  à  400. 
Habituellement  3oo  jusqu'en  i83i,  3g2  en  1842,  372  en  1 865. 
Et  c'était  un  gros  maximum.  Impossible  d'en  loger  davantage. 

1.  Délibération  du  Conseil  municipal,  août  1858. 


164  L'ENSEIGNEMENT  PUBLIC  A   PARIS 

Au-dessus  de  340,  on  était  à  l'étroit.  Un  des  fondateurs,  l'abbé 
Nicoîle,  avait,  sur  ce  point,  des  idées  suggestives  :  il  cherchait 
la  qualité,  non  la  quantité.  Il  ne  voulait  admettre  aucun  élève 
âgé  de  plus  de  huit  ans.  Il  ne  voulait  même  pas  dépasser  3oo  uni- 
tés. Et  surtout,  disait-il  «  point  d'externes,  sous  aucun  prétexte; 
ainsi,  les  parents  n'auront  point  à  craindre  un  mélange  qui  a 
toujours  ses  dangers  ». 

Le  personnel  au  collège  Rollin  n'était,  ni  pour  l'administra- 
tion, ni  pour  l'enseignement  et  l'éducation,  semblable  à  celui  des 
lycées  de  Paris.  Le  collège  Rollin  se  considérait  comme  le  véri- 
table héritier  de  «  l'ancienne  communauté  de  Sainte-Barbe  »,  et 
il  avait  voulu  créer,  entre  tous  les  fonctionnaires  du  collège,  une 
sorte  d'association  et  de  communauté.  A  Rollin,  ni  proviseur, 
ni  censeur,  ni  surveillants  généraux;  mais  un  supérieur,  qui  était 
ecclésiastique,  un  directeur,  un  préfet  des  classes  supérieures, 
des  préfets  particuliers  pour  le  moyen  et  le  petit  collège.  Le 
supérieur  était  élu  par  le  Conseil  d'administration  sous  cette 
triple  réserve  :  être  approuvé  par  l'Assemblée  municipale,  le 
préfet  de  la  Seine,  le  ministre  de  l'Instruction  publique.  Le  supé- 
rieur nommait  le  directeur,  l'aumônier,  les  professeurs  et  les 
préfets,  sauf  approbation  du  Conseil  des  administrateurs.  Le 
Procureur-gérant  était  nommé  par  le  Conseil,  approuvé  par 
le  Conseil  général  et  confirmé  par  le  préfet  de  la  Seine.  A 
Rollin,  les  professeurs  étaient  fixés  à  dix.  Tous,  sauf  s'ils  étaient 
mariés,  étaient  logés  et  nourris  au  collège,  tandis  qu'ils  étaient 
presque  tous  externes,  depuis  181 5,  dans  les  collèges  royaux 
de  Paris. 

Même  traitement  fixe  à  Rollin  et  dans  les  collèges  royaux  ; 
mais  à  Rollin  point  de  droit  éventuel,  de  90  francs  par  élève,  ni 
de  quote-part,  prélevée  annuellement  sur  les  bénéfices  de  la 
maison.  A  Rollin,  les  quotes-parts  étaient  capitalisées  et  ne  pou- 


LE   COLLÈGE   ROLLIN  165 

vaient  être  distribuées  qu'après  vingt-cinq  ans  de  services,  réduits 
à  dix  en  cas  d'infirmités  graves. 

A  Rollin,  les  professeurs  de  Philosophie  et  de  Rhétorique 
collaboraient  à  l'élection  du  supérieur  ;  dans  les  collèges  royaux, 
les  professeurs  n'avaient  pas  à  intervenir  dans  l'administra- 
tion. 

En  1 83 1 ,  sur  le  vœu  des  professeurs  de  Rollin,  l'avis  du  Con- 
seil d'administration  du  collège  et  du  Conseil  général  de  la 
Seine,  Louis-Philippe,  par  l'ordonnance  du  28  novembre,  modi- 
fia cette  organisation  de  Rollin. 

Le  supérieur  fut  supprimé.  Le  directeur  fut  déclaré  chef  du 
collège  et  chargé  de  l'administration  générale  :  ses  fonctions 
furent  déclarées  analogues  à  celles  des  proviseurs,  dans  les  col- 
lèges royaux.  Avec  le  directeur,  les  principaux  fonctionnaires 
furent  :  i°  l'ancien  préfet  des  classes  supérieures,  qui  devint  le 
préfet  général  des  études.  Il  fut  chargé,  sous  l'autorité  du  direc- 
teur, de  surveiller  la  conduite,  les  mœurs,  le  travail  et  les  pro- 
grès des  élèves.  En  cela,  il  rappelait  les  censeurs  des  collèges 
royaux,  mais,  en  plus  de  leurs  fonctions  générales,  il  avait  les 
fonctions  spéciales  de  préfet  particulier  du  grand  collège;  — 
20  le  procureur-gérant,  chargé  de  la  gestion  économique,  sous 
l'autorité  du  directeur  ;  —  3°  l'aumônier  ;  — 40  les  professeurs  : 
leurs  chaires  étaient,  en  principe,  portées  de  10  à  11  :  Phi- 
losophie, Rhétorique,  Seconde,  Troisième,  Quatrième,  Cin- 
quième, Sixième,  Histoire,  Physique,  Mathématiques  élémen- 
taires. Donc,  ni  7%  ni  8°,  ni  mathématiques  spéciales,  histoire 
naturelle,  langues  vivantes.  Cependant  on  laissait  la  porte 
ouverte  aux  augmentations  que  pourraient  exiger  les  besoins  de 
l'enseignement,  tel  qu'il  existe  dans  les  collèges  royaux. 

C'était  un  pas  en  avant  vers  cette  assimilation  avec  les  col- 
lèges royaux,  qu'avaient  sollicitée  les  professeurs. 


i66  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC  A   PARIS 

La  différence  subsistait  surtout  en  ce  qui  touche  aux  nomi- 
nations. Dans  les  collèges  royaux,  le  Ministre  était  tout-puis- 
sant :  le  proviseur,  le  vice-recteur,  les  inspecteurs  généraux,  les 
Bureaux  n'émettaient  que  des  avis.  A  Rollin,  le  directeur  et  le 
procureur-gérant  étaient  choisis  par  le  Conseil   d'administra- 
tion, sous  réserve  de  confirmation  demandée  au  Conseil  muni- 
cipal.  Et,  tandis  que  les  proviseurs  ne  pouvaient  même  pas 
nommer  un  maître,  à  Rollin,  le  choix  de  l'aumônier,  des  pro- 
fesseurs et  des   trois  préfets  serait  fait   par  le  directeur,  sauf 
approbation  du  Conseil  d'administration,  du  préfet  de  la  Seine, 
du  Ministre.  En  fait,  le  directeur  était  maître  de  refuser  son 
censeur,  ses  surveillants  généraux,  ses  professeurs.  Il  y  avait  de 
quoi  rendre  jaloux  tous  les  proviseurs.  On  ajoutait  cette  clause 
très  sage  :  Pendant  les  cinq  premières  années  d'exercice,  pour 
chacun  des  fonctionnaires,  la  nomination  ne  sera  que  provisoire. 
Il  y  a  plus.  Pour  les  suspensions  et  les  révocations,  on  arri- 
vait à  Rollin  à  se  passer  du  ministre.  Le  Conseil  d'administra- 
tion était  tout-puissant.  Et,  dans  ce  Conseil,  l'Assemblée  munici- 
pale parisienne,  représentée  par  six  membres,  avait  la  majorité, 
avec  six  voix  ;  le  directeur  avait  une  voix  et  les  fonctionnaires 
du  collège  avaient  trois  voix,  accordées,  pour  l'occasion,  à  trois 
représentants  élus  par  eux.  C'est  un  jugement  de  ce  Conseil  qui 
révoquait  ou  l'un  des  préfets,  ou  le  procureur-gérant,  ou  l'au- 
mônier ou  l'un  des  professeurs.  Et  en  attendant  ce  jugement,  le 
directeur  avait,  en   cas  d'urgence,    qualité   pour  suspendre  le 
fonctionnaire.   La   suspension,  du   reste,   n'entraînait   aucune 
diminution  dans  le  traitement. 

Enfin  les  professeurs,  les  préfets,  le  procureur-gérant,  l'au- 
mônier obtenaient  un  éventuel  de  80  francs  pour  chaque  élève 
payant  pension  entière,  quand  le  total  de  la  population  scolaire 
ne  dépassait  pas  3oo  élèves  ;  et  100  francs  pour  chaque  élève  à 


LE   COLLÈGE    ROLLIN  167 

partir  du  3oie.  Le  i/5e  des  bénéfices  acquis  au  collège  était  par- 
tagé désormais,  comme  jadis,  par  portions  égales  ;  les  quotes- 
parts  étaient  réservées  pendant  les  cinq  premières  années 
d'exercice,  puis  distribuées  annuellement  à  chacun.  Ces  quotes- 
parts  n'étaient  pas  sujettes  aux  retenues  pour  la  pension  de 
retraite. 

En  1844,  le  mode  de  nomination  des  fonctionnaires  de  Rollin 
fut  attaqué.  Le  ministre  revendiquait  ses  droits  pour  le  collège 
municipal  parisien,  comme  pour  tous  les  collèges  communaux  de 
France.  Le  ministre  recula,  le  collège  Rollin  ayant  fait  valoir 
que  son  libre  recrutement  assurait  seul  sa  fortune.  Sans  quoi, 
observa  le  directeur,  qu'arriverait-il  ?  «  Insensiblement  et  sans 
mauvais  vouloir,  le  collège  municipal,  moins  nombreux  que  les 
collèges  royaux,  moins  important  aux  yeux  de  l'Université, 
deviendrait  une  sorte  de  noviciat  pour  les  jeunes  professeurs, 
encore  sans  expérience,  ou  de  retraite,  pour  les  professeurs 
fatigués.  Forcément  et  en  peu  de  temps,  les  collèges  royaux 
placés,  dans  la  hiérarchie  universitaire,  sur  un  échelon  supé- 
rieur, absorberaient  tout  ce  qui  serait  distingué  dans  le  collège 
municipal.  » 

C'était  dire  que  son  mode  de  nomination  était,  pour  Rollin, 
une  assurance  de  vivre,  plutôt  qu'un  privilège. 

Il  y  a  une  chose  que  ne  pouvait  dire  son  directeur  d'alors, 
M.  Defauconpret;  c'était  qu'après  Henri  Nicolle  dont  il  avait 
été,  comme  préfet,  le  collaborateur,  M.  Defauconpret  trouvait 
en  sa  propre  valeur,  le  meilleur  gage  de  succès  pour  Rollin.  Il 
fut  un  de  ces  hommes  d'élite  pour  lesquels  la  jeunesse  n'exagère 
jamais  son  immense  gratitude  :  c'est  l'honorer  que  de  le  mettre 
en  parallèle  avec  un  Victor  de  Lanneau,  à  Sainte-Barbe  ;  avec 
un  de  Wailly,  à  Henri  IV  ;  avec  un  Pierrot-Desseilligny,  à  Louis- 
le-Grand.  Le  vieux  Rollin  eût  avoué  en  lui  un  de  ses  plus  émi- 


i68  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC   A   PARIS 

nents  successeurs  *.  Il  a  écrit  pour  son  collège  un  Règlement 
qui  lui  a  survécu  ;  c'est  donc,  pour  une  bonne  part,  sa  pensée 
qui  anime  encore  la  glorieuse  maison  où  il  vécut  quarante-trois 
ans,  de  1821  à  1864. 

C'était  un  croyant.  Il  déclarait  :  la  religion  est  la  base  de 
toute  bonne  éducation.  Les  classes,  les  études,  les  repas  com- 
mençaient et  finissaient  par  une  courte  prière.  Le  directeur 
devait,  disait-il,  «ne  jamais  perdre  de  vue  qu'il  est  responsable, 
devant  Dieu  et  devant  les  hommes,  de  la  bonne  administration 
du  collège.  A  force  d'attention,  connaître  chacun  ;  à  force  de 
bienveillance,  gagner  son  affection  ;  à  force  de  fermeté  avisée, 
conquérir  son  respect,  contenir  ses  mauvais  instincts,  discipliner 
sa  volonté  et  faire  éclore  ses  qualités  propres.  » 

Voici  ce  qu'il  demandait  au  préfet  général  :  «  Faire  venir, 
le  plus  souvent  possible,  les  élèves  qui  ont  besoin  d'encourage- 
ments ou  de  conseils  ;  quand  un  élève  entre,  pour  la  première 
fois,  au  collège,  le  voir  tous  les  jours  jusqu'à  ce  que  cet  élève 
paraisse  complètement  habitué...  Mettre,  dans  un  dossier  parti- 
culier, tout  ce  qui  intéresse  chaque  élève.  » 

La  propreté  extérieure,  dans  le  visage,  les  mains,  le  vêtement, 
était  surveillée  de  très  près.  La  politesse  aussi,  sans  laquelle  il 
n'y  a  pas  de  bonne  éducation  :  ne  jamais  contre-passer  une  per- 
sonne, dans  les  galeries,  les  escaliers,  dans  les  cours  désertes, 


1.  Directeurs  : 

MM.  Nicolle  (abbé  Henri),  août  1821-8  avril  1829;  Defauconpret,  16  avril 
1829-26  mars  1864  ;  Paret,  26  mars  1864-3  août  1864  ;  Talbert,  5  août  1864-21  sep- 
tembre 1876  ;  Grenier,  21  septembre  1876-21  septembre  1878  ;  Roguet,  21  septembre 
1878-14  août  1889;  Rousselot,  14  août  1889;  Cuvillier,  19  juillet  1904. 

Préfets  Généraux,  puis  Censeurs  des  Etudes  : 

MM.  Defauconpret,  9  octobre  1821-16  avril  1829;  Ballard,  16  avril  1829- 
31  août  1853  ;  Paret,  31  août  1853-26  mars  1864  ;Lemaignan,  mars  i864-24aoûti866; 
Sornin,  24  août  1866-31  août  1886;  Fierville,  31  août  1886-14  octobre  1887  ;  Som- 
mier, 14  octobre  i887-i7mars  1893  ;Perdoux,  17  mars  1893  ;  Cuvillier,  23  avril  1896  ; 
Morlet,  31  juillet  1897;  Robineau,  19  juillet  1904,  et  Mounier  (depuis5  juillet  1912). 


LE   COLLÈGE   ROLLIN  169 

sans  la  saluer.  Se  découvrir  toujours,  en  parlant  à  un  maître.  A 
un  ordre  donné,  semblât-il  hors  de  propos,  commencer  toujours 
par  obéir;  les  réclamations,  s'il  y  a  lieu,  ne  doivent  venir  qu'en- 
suite. 

Parmi  les  sanctions  disciplinaires,  il  en  est  une  que  les  lycées 
ne  connaissaient  pas  ;  entre  l'exclusion  et  les  arrêts,  c'est-à-dire, 
la  prison  chargée  de  pensum,  il  n'y  avait  rien,  pour  eux;  à 
Rollin,  il  y  avait  ce  qu'on  appelait  assez  joliment  la  «  salle  de 
réflexion  »  ;  elle  entraînait  trois  heures  de  privation  de  sortie. 
Quant  aux  arrêts,  un  ingénieux  moyen,  fort  simple,  prévenait 
leurs  plus  graves  abus  :  le  pensum  était,  toutes  les  heures,  exa- 
miné par  le  surveillant  et  recommencé,  s'il  y  avait  lieu. 

Malgré  le  petit  nombre  de  ses  élèves,  Rollin,  grâce  sans  doute 
à  sa  parfaite  discipline,  fit  bonne  figure  au  concours  général.  Il 
n'y  avait  été  admis  qu'en  1822.  Il  remporta,  de  1827  à  1 865, 
huit  prix  d'honneur,  deux  en  rhétorique,  trois  en  philosophie, 
trois  en  mathématiques  spéciales.  En  philosophie,  le  lauréat  de 
i83.2,  s'appelait  Ravaisson.  Rollin  venait  bien  avant  Stanislas 
et  le  lycée  de  Versailles. 

M.  Defauconpret  avait  retardé  le  plus  possible  l'exode  de 
Rollin  sur  la  rive  droite.  Douze  ans  après  sa  retraite,  l'inévi- 
table se  produisit  ;  et  l'avenue  Trudaine  reçut  le  magnifique 
héritage,  que  perdit  la  vieille  rue  des  Postes.  Cet  héritage,  elle 
le  transforma,  en  étendant  ses  bâtiments  et  sa  clientèle.  Le 
nouveau  Rollin  est,  pour  le  moins,  triple  de  l'ancien. 

Dès  1876,  année  où  il  fut  inauguré,  il  comptait  56o  élèves; 
en  1 887,  il  en  avait  1 280.  Depuis,  il  en  a  toujours  plus  de  1 .200  ; 
depuis  1900,  il  en  a  plus  de  i.3oo.  Nous  sommes  loin  de  ces 
3oo  élèves  dont  l'abbé  Nicolle  ne  voulait  pas  dépasser  le  chiffre. 
Ce  nombre  a,  du  moins,  dispensé  l'État  de  créer,  dans  le  quar- 


170  L'ENSEIGNEMENT  PUBLIC   A  PARIS 

tier  nord-ouest  de  la  capitale,  le  lycée  que  la  densité  de  la  popu- 
lation eût  bientôt  rendu  indispensable.  C'est  là  un  magnifique 
service  rendu  à  l'Université. 

En  voici  un  autre  :  entre  Rollin  et  les  lycées  parisiens,  c'est 
un  échange  permanent  d'administrateurs  et  de  professeurs. 
M.  Talbert,  qui  avait  été  le  principal  artisan  du  transfert  avenue 
Trudaine,  fut  pris  au  censorat  de  Louis-le-Grand,  pour  devenir 
directeur  de  Rollin.  M.  Grenier,  avant  de  devenir  proviseur 
d'Henri  IV,  puis  de  Charlemagne,  avait  été  deux  ans  directeur 
de  Rollin.  M.  Fierville  fut  préfet  général  à  Rollin  avant  de 
devenir  censeur  de  Charlemagne,  et  M.  Robineau,  nommé  pro- 
viseur de  Montaigne  en  octobre  1912,  était  à  Rollin,  un  des  suc- 
cesseurs de  M.  Fierville.  Il  en  est  de  même  des  professeurs  qui 
passent  des  lycées  parisiens  à  Rollin  ou  inversement.  L'expé- 
rience qu'on  acquiert  à  Rollin,  l'État  en  profite  donc  autant  que 
la  ville  de  Paris. 

Rollin  a  tenté,  chez  lui,  plusieurs  expériences,  dont  l'Uni- 
versité a  pu  recueillir  quelques  fruits.  Il  a  imaginé,  sous  cer- 
taines conditions,  des  promotions  à  l'ancienneté  qu'il  a  dési- 
gnées d'un  de  ces  vocables  charmants,  dont  il  eut  plus  d'une  fois 
le  secret  :  promotions  d'attente.  En  1903  et  1907,  l'Université 
s'est  inspirée  de  cette  idée  pour  augmenter  la  part  de  l'ancien- 
neté dans  l'avancement  de  ses  fonctionnaires. 

Pour  l'externement  des  répétiteurs,  Rollin  a  devancé  les 
lycées,  que  retardait  l'insuffisance  des  crédits  votés  par  le  Parle- 
ment. Enfin  Rollin  a  tenté  de  donner  une  solution  au  problème 
de  l'internat  :  chaque  élève  y  a  sa  chambre  séparée.  Rollin  juge 
cette  organisation  préférable  au  dortoir  proprement  dit,  ou 
même  au  dortoir  divisé  en  cellules. 

L'éducation  physique,  à  Rollin,  rivalise  avec  les  progrès 
qu'elle  a  réalisés  depuis  plus  de  vingt  ans,  dans  les  lycées  de 


LE    COLLÈGE  ROLLIN  171 

l'Etat  :  dans  les  sports  et  les  championnats  interscolaires  et  les 
épreuves  du  Lendit,  Rollin  s'est  distingué.  La  coupe  du  Prési- 
dent de  la  République,  la  médaille  d'honneur  collective,  le  dra- 
peau de  la  Ligue  nationale  de  l'Education  physique  ont,  dès 
avant  1900,  consacré  ses  victoires;  depuis,  en  1901  et  en  1902, 
Rollin  a  été  deux  fois  classé  en  tête  de  ses  rivaux  parisiens. 

Comme  Michelet,  comme  Lakanal,  Rollin  a  eu  aussi  ses 
cours  de  travaux  manuels  où  ses  élèves  ont  appris,  jusqu'en  1902, 
le  maniement  des  principaux  outils  de  menuiserie. 

L'éducation  morale  y  a  subi  les  retouches  que  l'esprit  public 
jugeait  indispensables.  «  La  liberté  de  conscience  et  la  tolé- 
rance la  plus  libérale  n'ont  cessé  d'y  régner.  »  Les  différents 
cultes,  qui  partagent  la  nation,  partagent  nécessairement  le  col- 
lège ;  tous  sont  respectés  et  soutenus,  aucun  n'est  privilégié.  La 
discipline  est  toujours  aussi  éloignée  de  l'esprit  de  faiblesse  que 
de  l'esprit  de  tracasserie.  Une  mutuelle  confiance  rapproche  les 
maîtres  et  les  élèves.  Chacun  a  le  sentiment  de  sa  responsa- 
bilité, et  toutes  les  punitions  évitables  sont  évitées. 

Quant  à  l'éducation  intellectuelle l,  elle  s'est  elle  aussi  trans- 
formée. Les  humanités  ont  dû  faire  la  part  de  leurs  rivales,  les 
mathématiques,  les  langues  vivantes,  les  études  dites  «  mo- 
dernes ».  Il  a  fallu  renoncer  à  l'enseignement  du  russe,  mais 
on  a  créédescours  d'espagnol.  En  outre,  dès  i865,  Rollin  avait  eu 
une  idée  voisine  des  bourses  de  voyage  accordées  par  certains 
lycées,  Louis-le-Grand  par  exemple,  aux  élèves  désireux  de  se 
perfectionner  dans  l'étude  de  l'anglais,  de  l'allemand,  etc.  Mais, 

1.  De  1865  à  1902,  156  prix,  au  concours  général.  Les  professeurs  les  plus 
connus,  depuis  1865,  ont  été:  Mathématiques  spéciales  :  Suchet,  Guillot.Cahen. — 
Mathématiques  :  Mourgue,  Niewenglouski,  de  Carapon,  Fontené.  —  Physique  : 
Joubert,  Colardeau.  —  Philosophie  :  Brisbarre,  Lenne,  Bergson,  Ganet,  Dunan.  — 
Historique  :  Pages,  Monin,  Bougier,  Cardon.  —  Rhétorique  :  Talbot,  Goumy, 
Bertin,  A.  Cahen.  —  Seconde  :  Bary,  Boistel.  —  Langues  vivantes  :  Witcomb, 
Mallarmé,  Hovelacque. 


i72  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC   A  PARIS 

au  lieu  de  séjours  à  l'étranger,  on  s'était  contenté  d'excursions 
rapides.  En  1866,  M.  Talbert  et  le  professeur  d'anglais  condui- 
sirent 9  élèves  à  Londres  et  à  Oxford.  Ce  n'étaient  pas  encore 
de  vrais  voyages  d'études. 

Rollin  enfin  a  organisé  des  cours  de  Langues  anciennes 
pour  permettre,  en  trois  ou  quatre  ans,  aux  meilleurs  élèves  des 
Ecoles  primaires  supérieures  d'acquérir  une  culture  générale 
classique  et  d'arriver  au  baccalauréat. 

Depuis  sa  fondation,  on  voit  que  Sainte-Barbe-Nicolle  ou  le 
collège  municipal  Rollin  a  témoigné  d'une  heureuse  souplesse 
et  a  bien  mérité  de  la  capitale  et  du  pays.  Ses  anciens  élèves 
ont  répondu  aux  efforts  de  M.  Defauconpret  et  de  ses  succes- 
seurs. Et,  dès  1867,  ils  fondaient  une  Association  tout  particuliè- 
rement brillante  ;  sur  son  livre  d'or,  elle  a  inscrit,  parmi  les  élus 
de  l'Académie  française,  Abel  Villemain,  Désiré  Nisard,  Charles 
de  Montalembert,  Victor  Duruy,  Albert  Sorel,  Gaston  Paris; 
parmi  les  élus  de  l'Académie  des  Inscriptions,  Ravaisson-Mol- 
lien,  Caussin  de  Perceval,  Natalis  de  Wailly,  Ch.  Alexandre, 
Ern.  Beulé,  Robert  de  Lasteyrie,  sans  reparler  de  V.  Duruy 
et  de  Gaston  Paris.  Et  ce  sont  encore  :  à  l'Académie  des  sciences, 
M.  de  Sénarmont,  les  deux  Sainte-Claire  Deville,  M.  Bouley, 
M.  Puiseux;  à  l'Académie  des  Beaux-Arts,  de  Nieuwerkerque, 
Ernest  Beulé  déjà  nommé,  Anatole  Gruyer,  Gustave  Moreau; 
à  l'Académie  des  sciences  morales,  Auguste  Vivien,  Augustin 
Cochin  et  trois  immortels  qu'une  ou  deux  autres  classes  de 
l'Institut  réclament  pour  elles  :  Félix  Ravaisson,  Albert  Sorel, 
Victor  Duruy.  Qui  pourrait  dire  si  de  tels  hommes,  élevés  dans 
le  lycée  municipal  de  Paris,  ont  plus  fait  pour  la  gloire  de  notre 
capitale  ou  pour  la  gloire  de  la  France  ? 


;'; .:;  :- 


S    °* 


PI.  32. 


LYCEE    MICHELET.    A    VAXVES.    —    FAÇADE    SUR   LE    PARC. 


LYCEE    MICHELET.  UN    ATELIER. 


LE   LYCÉE   MICHELET    .  173 

VII 
LE   LYCÉE   MICHELET1 

Le  lycée  Michelet  est  à  l'honneur  de  notre  temps,  et  les 
mânes  du  vieux  Montaigne  ont  dû  lui  donner  leur  applaudisse- 
ment. Le  parc  de  Vanves  a  démontré  comment  un  lycée  ne  doit 
plus  être  une  caserne  ou  une  prison,  mais  un  jardin  ;  il  a  fait 
une  admirable  réalité  de  ce  lycée  de  l'Enfance,  que  réclamaient 
le  cœur  et  la  raison  de  tous  les  Français,  —  sans  même  parler 
des  Françaises  (PI.  32  et  33). 

Le  domaine  de  Vanves  provient  des  princes  de  Gondé  qui 
Lavaient  acquis  le  i5  mai  1 717.  Le  château  avait  été  construit 
en  1698  par  Mansart,  et  le  parc  fut  dessiné  par  ses  soins.  Le 

27  juillet   1792,  un  décret  en   fit   un  domaine   national,   et   le 

28  fructidor  an  VI  il  fut  acquis  par  l'ancien  collège  de  Louis-le- 
Grand,  alors  appelé  Prytanée  français.  Pendant  plus  d'un  demi- 
siècle,  les  élèves  internes  de  la  vieille  maison  de  la  rue  Saint- 
Jacques  y  allèrent  en  promenade,  chaque  jeudi,  pendant  la  belle 
saison.  Ils  prenaient,  le  cœur  joyeux,  leurs  ébats  sur  les  pelouses 
et  sous  les  ombrages  où,  en  1721,  le  duc  de  Bourbon  avait  donné 
une  fête  superbe  au  jeune  Louis  XV,  alors  âgé  de  onze  ans.  Et 
quand  Bonaparte  admirait  les  joues  roses  des  élèves  de  l'ancien 
Prytanée,  devenu  Lycée  de  Paris  avant  de  devenir  Lycée  impé- 
rial, le  proviseur  Champagne  observait  :  —  C'est  à  notre  maison 
des  champs,  située  à  Vanves,  que  nous  sommes  redevables  de 
cette  belle  santé. 

Peu  à  peu  l'usage  s'établit  d'envoyer  à  Vanves  les  élèves 

1.  Rue  Jullien  à  Vanves  (PI.  32,  33). 


174  L'ENSEIGNEMENT  PUBLIC  A  PARIS 

malades  ou  convalescents.  Aussi,  un  beau  jour,  le  proviseur  de 
Louis-le-Grand,  M.  Forneron1  pensa  que  guérir  le  mal  est  bien, 
mais  que  le  prévenir  est  mieux.  Il  fît  le  projet  de  transformer 
Vanves  en  une  habitation  permanente,  où  les  plus  jeunes  élèves 
du  vieux  lycée  parisien,  tout  en  commençant  leurs  premières 
études,  fortifieraient  leurs  poumons  et  leurs  muscles.  Ils  pous- 
seraient au  grand  air,  comme  déjeunes  arbres,  ils  y  puiseraient 
les  réserves  de  santé,  dont  leur  adolescence  et  toute  leur  vie  sau- 
raient profiter. 

Le  ministre  d'alors,  M.  Fortoul,  approuva  fort  et  seconda  le 
projet  de  M.  Forneron.  Mais  ce  fut  aux  deux  successeurs  du 
ministre  et  du  proviseur  qu'il  fut  donné  de  le  développer  et  de 
le  faire  aboutir  :  tous  deux  avaient  un  cœur  très  paternel, 
c'était  M.  Rouland  et  c'était  M.  Jullien. 

L'idée  avait  souri  à  Napoléon  III;  le  6  août  1864,  il  signait 
à  Vichy  un  décret,  qui  transforma  la  succursale  de  Louis-le- 
Grand  en  un  lycée  impérial  autonome  ;  ce  lycée  devenait  le 
lycée  de  l'enfance  où  serait  recueillie,  jusqu'à  la  4e,  ce  qu'on 
appela  joliment  «  la  jeune  garde  de  l'armée  universitaire  ».  Et, 
pour  que  la  transformation  eût  toutes  chances  de  succès, 
le  Proviseur  de  Louis-le-Grand,  M.  Jullien  en  personne,  deve- 
nait le  proviseur  de  la  colonie  issue  de  la  vieille  métropole. 

Le  Prince  Impérial,  âgé  de  huit  ans,  était  venu  visiter 
à  Vanves  ses  jeunes  contemporains  qui  l'acclamèrent.  Si  bien 
que,  le  17  septembre  1864,  le  lycée,  par  un  nouveau  décret,  fut 
appelé  «  Lycée  du  Prince  Impérial  ».  En  1 865,  l'Impératrice 
fonda  un  prix  annuel,  décerné,  au  nom  du  jeune  prince,  à  l'élève 
le  plus  distingué  par  sa  conduite,   son  travail  et  ses  progrès. 

La  jeune  maison  grandit  :  sa  population  s'accrut  de  moitié 

1.  M.  Forneron  fut  proviseur  du  12  janvier  1853  au  21  août  1856,  et  M.  Jullien 
du  21  août  1856  au  6  août  1864.  Voir  ci-dessus,  p.  93,  n.  2. 


LE  LYCÉE   MICHELE!  175 

et  davantage  '.  Les  hauts  fonctionnaires  de  l'Empire  y  placèrent, 
d'enthousiasme,  leurs  enfants.  Chaque  semaine  une  longue  file 
d'équipages  s'attardait  dans  les  allées  du  parc.  Le  vieux  château 
de  Mansart  ne  suffisait  plus.  Des  bâtiments  nouveaux  furent 
élevés  :  sur  767  élèves  en  1869,  il  n'y  avait  que  17  externes;  il 
n'y  en  avait  eu  que  i5,  en  1868  ;  8,  en  1867  ;  5,  en  1866 et  aucun, 
auparavant.  C'était  un  beau  succès  pour  l'internat.  Le  lycée  du 
Prince  Impérial  était  à  la  mode.  M.  Jullien  avait  été  fait  com- 
mandeur de  la  Légion  d'honneur.  Le  buste  en  bronze  de  l'enfant 
princier,  parrain  du  lycée,  avait  été  envoyé  à  ses  filleuls  :  il  était 
signé  «  J.-Bte  Carpeaux  »  et  daté  «  Tuileries,  Pâques  186 5  ». 

Survint  l'année  terrible  :  l'invasion  étrangère  et  la  guerre 
civile,  la  chute  de  l'empire  et  les  héroïques  sursauts  d'un  pays 
qui  ne  voulut  pas  mourir. 

La  distribution  des  prix  avait  eu  lieu  le  4  août  1870,  mais  la 
rentrée  ne  se  fit  pas,  au  mois  d'octobre  qui  suivit.  On  tenta, 
après  l'armistice  du  29  janvier  1871,  d'ouvrir  aux  élèves  les 
portes  du  lycée.  Ils  venaient  à  peine  de  les  franchir,  quand  les 
obus  de  la  Commune  s'abattirent  sur  le  parc  et  la  maison  et 
mirent  en  ruines  les  bâtiments.  En  dépit  de  toutes  les  menaces, 
le  proviseur,  M.  Chevriaux,  resta  courageusement  à  son  poste. 
Un  jour,  ses  élèves  furent  témoins  de  son  arrestation  :  il  fut 
conduit  dans  la  prison  des  otages,  où  il  n'échappa  au  massacre 
qu'à  la  dernière  heure.  Il  avait  été  —  et  c'est  l'honneur  de 
l'Université  —  jugé  digne  du  martyre. 

Le  lycée  eut,  malgré  tout,  sa  victime.  A  grands  coups  de 
baïonnettes,  les  communards  frappèrent  la  tête  souriante  du 
Prince  Impérial  et  leur  fureur  détacha  presque  du  cou  cette  tête 
d'enfant.  Le   distingué  proviseur  actuel  du  lycée,  M.  Calvet, 

1.  Voir  ci-dessous,  p.  176. 


i;6  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC   A  PARIS 

nous  a  découvert  cette  tête  meurtrie,  que  nous  avons  pu  étudier 
à  loisir.  Toute  la  partie  gauche  du  visage  est  méconnaissable  : 
douze  blessures,  nous  les  avons  comptées,  ont  criblé  la  tête  ou 
la  poitrine.  Au  front,  au-dessus  de  l'arcade  sourcilière,  sur  la 
joue,  au  milieu  du  cou,  à  la  place  du  cœur,  s'ouvrent  des  trous, 
restés  béants.  Sur  le  nez,  une  large  éraflure  a  entamé  le  métal. 

A  Vanves  comme  sur  tant  de  points  du  territoire  national, 
il  fallut  panser  des  plaies.  Mais  les  ruines  se  relevèrent,  grâce  au 
vice-recteur,  M.  Mourier,  et  grâce  au  ministre,  M.  Jules 
Simon.  L'Assemblée  nationale  accorda  les  crédits  nécessaires, 
et  le  lycée  entendit,  derechef,  des  chants  d'oiseau  et  des  rires 
d'enfants.  En  1 883,  aux  anciennes  constructions,  devenues  trop 
étroites,  il  fallut  ajouter  des  bâtiments  nouveaux,  et,  en  1887,  une 
infirmerie  supplémentaire  ;  M.  Normand  en  fut  l'architecte. 
Depuis  1864,  4  millions  et  demi  furent  dépensés  pour  le  lycée. 

Le  lycée  s'appela,  un  moment,  après  l'effondrement  de 
l'Empire,  lycée  Buffon,  puis  lycée  de  Vanves.  Il  porte,  depuis 
le  décret  du  3o  mai  1888,  le  nom  de  lycée  Michelet. 

Peu  à  peu,  de  1881-82  à  1886-87,  les  classes  qui  lui  man- 
quaient, de  la  3e  aux  mathématiques  spéciales,  lui  ont  été 
adjointes;  désormais  il  est  un  lycée  de  plein  exercice.  Et,  entre 
le  vieux  Louis-le-Grandetsa  jeune  filiale,  il  ne  subsiste  plus  que 
les  liens  du  souvenir. 

La  population  scolaire  en  1871  et  1872  se  retrouva  au  chiffre 
de    18641    :   410   élèves.    Elle    remonta    peu    à   peu,    gagnant 

1.  Voici,  d'après  les  Archives  du  Lycée,  que  l'obligeance  de  M.  Calvet  a  fait 
relever,  à  notre  intention,  les  chiffres  de  cette  population  : 


ANNEES 

TOTAL 

EXTERNES 

ANNÉES 

TOTAL 

EXTERNES 

ANNEES 

TOTAL 

EXTERNES 

1861.    . 

306 

0 

1885.    . 

I.009 

69 

1910.    . 

•       543 

2l8 

1885.    . 

.       06) 

O 

1890.    . 

807 

59 

1911.    . 

•        569 

227 

1871.    . 

.       410 

10 

1895.    . 

72Q 

145 

1912.    . 

•      544 

295 

1875.    . 

•      537 

25 

1900.    . 

476 

M3 

1880.    . 

.     610 

?8 

1905.    . 

502 

167 

LE   LYCÉE   MICHELE!  177 

200  unités,  de  1871  à  1880.  A  ce  moment,  l'augmentation  alla 
jusqu'à  1.009,  en  ï885,  et  à  1.001  en  1886.  Puis  un  arrêt,  voire, 
un  recul  ;  et  ce  recul  fut  assez  prononcé  pour  qu'on  enregistrât 
en  cinq  ans  la  perte  de  200  unités  (804  élèves  en  1891).  Conjurée 
pendant  deux  ans,  la  diminution  reprit  :  de  1894  (749  élèves), 
elle  s'accéléra  jusqu'à  1902  (436  élèves).  Depuis  lors,  le  mouve- 
ment de  hausse  a  repris  et  plus  de  100  unités  ont  été  rega- 
gnées. 

Certaines  causes,  tout  au  moins,  peuvent  être  soulignées 
parmi  celles  qui  expliquent  l'allure  ascendante  ou  descendante 
de  cette  courbe.  Les  élèves  affluèrent  plus  nombreux,  par  suite 
de  ce  mouvement  de  renaissance  dans  les  études  et  dans  la 
population  parisienne  qui  suivit  la  guerre;  et  surtout  par  suite 
du  discrédit  dans  lequel  tombait  le  vieil  internat.  Avant  le 
triomphe,  presque  insolent,  de  l'externat  contemporain,  il  y  eut, 
dans  les  mœurs  de  la  bourgeoisie  française,  quelques  années 
d'hésitation.  Entre  les  deux  radicalismes,  opposés  —  tout  à  l'in- 
ternat —  tout  à  l'externat,  on  pensa  pouvoir  se  contenter  d'un 
système  moyen  :  l'internat  rural,  à  proximité  de  la  grande  ville. 
A  côté  de  ces  causes  générales  de  prospérité,  pour  le  lycée  de 
Vanves,  il  y  eut  des  causes  particulières  :  c'est  à  partir  de  1881 
que  le  nombre  des  élèves  progressa  chaque  année  par  bonds 
brusques  ;  or,  chaque  année,  des  classes  nouvelles  s'ajoutaient 
aux  classes  anciennes  :  la  3°,  la  2e,  la  rhétorique,  etc.  Cela  fit, 
en  six  ans,  six  classes  nouvelles,  classes  littéraires  puis  classes 
scientifiques.  A  partir  de  1887,  aucune  addition  de  classes  et  le 
nombre  des  élèves  commença  à  diminuer.  Dès  ce  moment,  une 
autre  raison  de  déficit  entra  en  jeu  :  des  lycées  nouveaux  s'ou- 
vrirent, dans  la  périphérie  :  cinq  lycées  en  dix  ans,  Janson  en 
octobre  1884,  Lakanal  en  octobre  1 885,  Buffon  en  octobre  1889, 
Voltaire  en  octobre  1889,  Carnot  le  Ier  janvier  1895.  Vanves 


i;8  L'ENSEIGNEMENT  PUBLIC  A   PARIS 

perdit,  au  profit  de  Janson,  une  partie  de  sa  clientèle  d'Auteuil, 
de  la  Muette,  de  la  Porte  Dauphine;  au  profit  de  Buffon,  une 
partie  de  sa  clientèle  du  Gros  Caillou,  des  Invalides,  de  l'École 
militaire,  de  Vaugirard  ;  au  profit  de  Voltaire,  une  partie  de  sa 
clientèle  du  nord-est  parisien,  des  Arts  et  Métiers  au  pont  de 
Flandre  ;  au  profit  de  Carnot,  sa  clientèle  des  Ternes,  de  la 
Plaine-Monceaux,  des  Batignolles  ;  au  profit  de  Lakanal,  une 
partie  de  sa  clientèle  rurale.  Et  de  plus  en  plus  l'externat  rem- 
porta sur  l'internat  à  la  campagne  :  on  commençait  à  prôner 
par-dessus  tout  l'éducation  de  la  famille  par  la  famille.  Le  bel 
enthousiasme  pour  les  lycées  en  plein  air  se  refroidissait.  On 
comptait  de  plus  en  plus  sur  les  sports  pour  regagner  ce  que 
l'abandon  des  champs  ferait  perdre. 

A  côté  de  ces  causes  certaines,  il  y  en  a  d'autres,  difficile- 
ment pondérables  et  que  le  tact  nous  empêche  d'examiner  de 
trop  près.  Il  est  clair  que  les  9  proviseurs,  que  les  12  censeurs, 
que  les  12  économes  qui  ont  jusqu'ici  présidé  aux  destinées  de 
Vanves  ont  été  de  valeur  différente1.  Mais  il  serait  sûrement 

1 .  Proviseurs  : 

MM.  Jullien,  6  août  1864-30  octobre  1870;  Chevriaux,  4  novembre  1870-8  jan- 
vier 1872;  Privat-Deschanel,  8  janvier  1872-16  octobre  1883;  Gautier,  26  octobre 
i883-iei'  septembre  1889;  Dalimier,  7  septembre  1889-10  janvier  T893;  Plançon, 
10  janvier  1893-31  août  1901;  Favre,  ior  septembre  1901-31  août  1904;  Morlet, 
Ier  septembre  1904-15  septembre  1909  ;  Calvet,  16  septembre  1909. 

Censeurs  : 

MM.  Hervau,  5  avril  1855-21  septembre  1865;  Materne,  18  octobre  1865-7  seP" 
tembre  1868;  Foulon,  10  septembre  1868-31  janvier  1870;  Robert.  31  janvier  1870- 
14  août  1872;  Chevillard,  14  août  1872-4  août  1874;  Postelle,  4  août  i874-ier  août 
1892;  François,  ier  août  1892-22  octobre  1896;  Palette,  23  octobre  1896-30  mai 
1902;  Roy,  jusqu'au  30  août  1902;  Calvet,  ier  septembre  1902-15  septembre  1909  ; 
Rob.  Leroi,  16  septembre  1909-30  mars  1912,  décédé  le  14  juin  1912  ;  Jules  Leroy, 
censeur  adjoint,  Ier  avril  1912,  censeur,  5  juillet  1912. 

Economes  : 

MM.  Bois,  jusqu'au  31  août  1864;  Le  Forestier,  jusqu'au  8  avril  1874;  Biget, 
jusqu'au  31  mars  1882;  Sache,  jusqu'au  30  avril  1883;  Bley,  jusqu'au  31  décembre 
1890  ;  Dufaure,  jusqu'au  30  septembre  1894;  Jean,  jusqu'au  31  août  1897  ;  Dubois, 
jusqu'au  30  avril  1899;  Bidault,  jusqu'au  30  septembre  1902;  Grandsard,  jusqu'au 
30  septembre  1910  ;  Dop,  depuis  le  Ier  octobre  1910. 


LE   LYCÉE   MICHELET  179 

indélicat  et  probablement  injuste  de  les  classer  par  ordre  de 
mérite,  comme  des  concurrents  dans  un  concours.  D'autant 
mieux  que  c'est  sous  le  provisorat  de  M.  Gautier,  sous  le  cen- 
sorat  de  M.  Postelle,  sous  l'économat  de  M.  Bley  que  le  nombre 
des  élèves  atteignit  son  maximum  et  commença  sa  décroissance. 
Disons  seulement  que  la  mémoire  de  MM.  Jullien  et  Privat- 
Deschanel  est  gardée  à  Vanves  avec  une  sorte  de  piété  :  on  les 
considère  comme  les  grands  bienfaiteurs  de  la  maison.  Avec 
beaucoup  de  modestie,  de  simplicité  et  de  dévouement  éclairé, 
le  proviseur  actuel,  M.  Calvet  continue  noblement  leur  tâche. 
Les  collaborateurs  de  ces  administrateurs  d'élite  étaient,  eux 
aussi,  des  hommes  de  valeur.  C'est  à  Vanves  que  les  professeurs 
les  plus  distingués  ou  les  plus  connus,  de  nos  lycées  parisiens 
ont  eu  plus  d'une  fois  l'occasion  de  se  révéler.  Pour  ne  parler 
que  des  plus  notables,  citons  MM.  Lintilhac,  Larroumet, 
Lalande,  Lanson,  Lagneau,  Paul  Desjardins,  Ernest  Dupuy, 
Delbos,  Jules  Gautier,  Zévort. 

L'hygiène  physique  et  l'hygiène  morale  sont  peut-être  ce 
qui  donne  au  lycée  Michelet  sa  meilleure  originalité.  Dès  l'ori- 
gine, on  afficha  l'idée  de  faire  à  Vanves  «  le  modèle  des  lycées 
de  l'enfance  ».  Il  devait  être  le  lycée  où  les  petits  Français 
seraient  le  plus  heureux.  Ce  serait  leur  Eden.  On  eut  le  souci 
d'y  réaliser  cette  eurythmie  qui  doit  naître  du  développement 
harmonieux  du  corps,  du  caractère  et  de  l'esprit1. 

On  y  a  réussi.  On  a  tiré  parti,  avec  une  intelligence  très 
avisée,  de  l'exceptionnelle  situation  du  lycée.  Le  parc  est,  le  plus 
possible,  ouvert  aux  élèves;  les  plus  petits,  dans  la  belle  saison, 

1.  Voir  dans  les  Palmarès,  que  nous  avons  tous  feuilletés,  les  discours  des 
distributions  de  prix  ;  par  exemple  discours  de  M.  Cuvillier,  le  2  août  1866,  de 
M.  Charles  Robert,  6  août  1867,  de  M.  Roudil,  4  août  1870,  de  M.  Jullien,  2  août 
1877,  de  M.  Lintilhac,  1890,  p.  11-29. 


180  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC  A  PARIS 

y  ont  leurs  classes  ;  c'est  sur  le  gazon  et  à  l'ombre  des  arbres 
qu'ils  apprennent  l'alphabet,  qu'ils  lisent  ou  écoutent  les  belles 
histoires  qu'on  leur  conte.  A  leurs  aînés,  dès  qu'il  fait  beau,  on 
livre  le  parc,  pour  les  récréations,  les  jeux,  les  visites  de  leur 
famille.  Ils  ont  là  jusqu'à  1 7  tennis  ;  ils  y  organisent  leurs  courses 
plates  ou  leurs  courses  d'obstacles  ;  ils  lancent  le  disque,  entraî- 
nent leur  quatre  équipes  de  foot-ball  —  que  les  Anglais  n'ont 
pas  pu  battre  —  montent  à  cheval,  s'exercent  dans  un  stand,  à 
tir  réduit,  et  goûtent,  dans  une  piscine  chauffée  à  20  degrés  et 
très  exactement  surveillée,  les  douceurs  de  la  natation  (PI.  33). 

Quand  le  temps  ou  la  saison  forcent  à  quitter  le  plein  air, 
un  manège  couvert,  des  salles  d'escrime  et  de  gymnastique,  six 
cours  à  galeries  vitrées,  exposées  au  midi  et  que  Ton  peut 
fermer,  permettent  de  continuer  la  culture  physique  et  les 
récréations.  Une  vaste  salle  est  aménagée  pour  les  bains  de 
pied,  les  bains  chauds  et  les  bains-douches.  Chaque  élève  doit 
prendre,  chaque  semaine,  au  moins  un  bain  chaud  et  un  bain 
douche.  Après  le  repas  et  après  la  récréation,  tous  les  élèves  se 
lavent  les  mains  au  savon. 

Un  petit  catéchisme  d'hygiène  scolaire  rédigé  par  le  docteur 
Pénasse,  médecin  résident  du  lycée,  a  été  recommandé  aux 
élèves  par  leur  ancien  camarade  le  Dr  F.  Bezançon,  professeur 
agrégé  à  la  Faculté  de  médecine.  On  y  enseigne  aux  enfants 
«  la  propreté,  qui  est  la  moitié  de  la  santé  ». 

On  leur  apprend  à  respirer  par  le  nez  et  non  par  la  bouche 
et  on  leur  révèle  cette  vérité  que  la  bouche  ne  doit  servir  qu'à 
manger  et  à  parler.  On  les  initie  aux  petits  détails  de  la  toi- 
lette et  de  la  toilette  des  dents,  par  exemple  :  on  leur  conseille 
une  brosse  à  dents,  un  peu  dure,  qui  passera  sur  toutes  les 
dents,  en  tous  sens,  mais  de  préférence  dans  le  sens  vertical, 
pour  ne  pas  les  ébranler,  ni  les  déchausser.  Au  dortoir,  à  l'étude, 


LE   LYCÉE    MICHELET  181 

au  réfectoire,  à  la  récréation,  pendant  les  sorties,  le  catéchisme 
d'hygiène,  qui  n'a  que  douze  petites  pages,  suit  les  écoliers  par- 
tout. Chaque  chapitre  se  termine  par  des  maximes  lapidaires, 
comme  celle-ci,  renouvelée  de  Pline  :  «  Tous  les  animaux  con- 
naissent ce  qui  leur  est  salutaire,  excepté  l'homme  ». 

Le  parc,  la  propreté,  l'hygiène  collaborent  donc  aune  même 
fin  et  l'alimentation  les  seconde,  de  son  mieux.  La  stérilisation 
de  l'eau  est  très  surveillée  :  tous  les  dix  jours,  une  grande  maison 
de  Paris  renouvelle  les  75  bougies  stérilisatrices.  L'eau  est,  au 
reste,  périodiquement  analysée  au  laboratoire  de  Montsouris. 

Il  y  a,  pour  les  élèves  astreints  au  régime,  des  tables  spé- 
ciales :  ils  ne  mangent  pas  de  viande,  le  soir,  et  jamais  de  fri- 
tures ou  de  mets  trop  lourds.  On  les  remplace,  pour  eux,  par 
des  pâtes,  des  purées  et  des  œufs. 

Les  dortoirs  sont  grands  et  bien  aérés.  Les  tables  de  nuit 
sont  désinfectées.  Depuis  1905,  les  grands  élèves  ou  les  élèves 
étrangers  peuvent  obtenir  des  chambres  spéciales.  Il  y  a  vingt- 
huit  de  ces  chambres,  qu'une  sonnette  électrique  relie  avec  la 
chambre  d'un  maître  surveillant  et  qu'une  vitre  à  hauteur  d'ap- 
pui permet  de  surveiller  discrètement. 

Il  va  de  soi  que  l'infirmerie  comporte  des  pavillons  d'isole- 
ment, un  service  de  bains  chauds  et  un  jardin  destiné  aux  con- 
valescents. Mais  il  est  bon  de  noter  que  chaque  élève  a  sa  fiche 
sanitaire  :  tous  les  trois  mois,  on  constate  son  poids,  sa  taille  et 
son  périmètre  thoracique.  L'examen  va  plus  loin  et  de  minu- 
tieuses analyses  sont  faites  qui  ont  souvent  révélé,  pour  la  plus 
grande  surprise  des  familles,  des  traces  d'albumine  ou  d'un  com- 
mencement de  tuberculose  ;  prises  à  ses  premiers  débuts,  la 
maladie,  qui  était  dépistée,  a  pu  être  conjurée. 

Les  soins  donnés  à  la  vie  matérielle  vont  de  pair  avec  les 
soins  donnés  à  la  vie  morale.  La  discipline  tend  à  prévenir  les 


i82  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC  A  PARIS 

fautes  plus  encore  qu'à  les  punir.  L'éducation  doit  donner  à 
chaque  élève  «  le  sentiment  de  la  responsabilité  et  l'habitude 
de  se  conduire  ».  Il  s'agit  aussi  d'accoutumer  les  enfants  à  la  vie 
de  famille.  On  les  affranchit  de  la  discipline  des  casernes  pour 
les  amener  le  plus  possible  à  se  surveiller  eux-mêmes,  comme 
s'ils  étaient  chez  leurs  parents.  Et  voilà  pourquoi  on  essaie  par- 
fois de  les  laisser  seuls  ou  presque,  dans  les  salles  de  jeux  :  le 
bilboquet,  le  billard,  les  dominos,  le  jacquet,  les  dames,  les 
échecs,  occupent  leurs  loisirs  ;  ils  ont  une  cabine  photographique, 
ils  ont  des  pianos.  Dans  les  réunions  du  jeudi,  ils  montent  sur 
leur  théâtre  et,  devant  un  public  de  400  a  5oo  personnes,  ils  peu- 
vent exhiber  leur  talent.  Ils  prennent  ainsi  des  manières  dis- 
tinguées et  ne  sentent  aucun  embarras  à  faire  figure  dans  la 
bonne  compagnie.  Des  sorties  hebdomadaires  et  qui  peuvent 
s'étendre,  au  besoin,  du  samedi  soir,  après  la  classe,  au  lundi 
matin,  achèvent  de  donner  aux  internes,  même  en  dehors  des 
vacances,  le  contact  salutaire  de  la  famille. 

Les  travaux  manuels,  qui  étaient  si  justement  en  honneur  à 
la  fin  de  l'ancien  régime,  dans  la  société  la  plus  cultivée,  ne  sont 
pas  délaissés  à  Michelet  :  un  atelier  de  reliure,  de  menuiserie, 
de  découpage  et  de  travail  du  fer  à  froid  est  mis  à  la  disposition 
des  élèves,  sous  la  direction  d'hommes  expérimentés.  Cet  atelier 
est  d'abord  une  assurance  contre  la  monotonie  possible  de  la 
vie  écolière  ;  c'est  en  outre  un  moyen  de  faire  chez  l'enfant  l'édu- 
cation de  l'œil,  de  la  main  et  du  goût.  L'homme  fait  manque 
rarement  d'en  tirer  avantage  (PI.  32). 

La  culture  de  l'esprit  ne  doit  pas  avoir  à  souffrir,  bien  au 
contraire,  de  ces  délassements.  Mais  l'essentiel  et  on  l'a  remar- 
qué depuis  longtemps  à  Michelet,  ce  n'est  pas  tant  de  travailler 
beaucoup,  c'est  de  travailler  bien.  Nonmulta,  sedmultum.  Beau- 
coup d'écoliers  travaillent  mal.  Beaucoup  d'externes  manquent, 


LE    LYCÉE    MICHELE!  183 

chez  eux,  de  secours  et  sont  désemparés.  Un  des  proviseurs  de 
Michelet,  M.  A.  Morlet,  s'en  est  ému.  Et  comme  l'externat  se 
développe  beaucoup  à  Vanves,  comme  le  lycée,  fidèle  à  ses  ori- 
gines, y  a  conservé,  nombreuse,  sa  clientèle  de  «  minimes  », 
M.  Morlet,  aidé  de  ses  collaborateurs,  a  écrit,  quelques  pages, 
une  douzaine,  pour  ces  minimes  et  pour  les  enfants  du  premier 
cycle.  Il  s'agit  d'éclairer  la  coopération  des  familles  et  du  lycée, 
et  de  permettre  le  progrès  du  travail  personnel  des  élèves.  Savoir 
travailler,  c'est  la  première  forme  du  vrai  savoir. 

Il  y  a  là  des  conseils  judicieux  où  la  meilleure  des  pédagogies 
peut  trouver  à  glaner.  On  y  trouve  le  souci  permanent  de  déve- 
lopper l'esprit,  tout  l'esprit,  et  point  seulement  la  mémoire;  de 
faire  éclore,  à  propos  de  tous  les  exercices  d'une  classe,  les  idées 
qui  doivent  fleurir  si  joliment  un  cerveau  d'enfant.  Point  de 
surmenage,  mais  des  jugements  qui  se  motivent,  des  réflexions 
qui  s'appellent,  des  conséquences  qui  s'enchaînent  méthodique- 
ment à  leurs  causes.  Des  réponses  à  ces  éternels  pourquoi  dont 
ne  se  lassent  jamais  les  lèvres  enfantines. 

Avant  que  le  lycée  fût  de  plein  exercice,  les  élèves  étaient  «  dis- 
tribués dans  les  différentes  divisions  par  ordre  de  mérite  et  de 
classe1  ».  Les  plus  faibles  ne  rougissaient  pas  d'être  dans  la  sec- 
tion des  anémiques  puisqu'ils  pouvaient,  par  un  régime  appro- 
prié, s'y  fortifier  peu  à  peu,  y  connaître  les  bienfaits  de  l'ému- 
lation et  la  joie  du  succès. 

Les  langues  vivantes  sont  en  honneur  à  Michelet.  On  y  a 
fondé  un  Club  anglo-allemand  :  en  font  partie  les  élèves  qui, 
avancés  déjà  dans  la  connaissance  des  langues  étrangères,  veulent 
s'exercer  à  la  conversation.  Deux  professeurs  assistants  les  diri- 
gent, l'un  pour  l'anglais,  l'autre  pour  l'allemand.  Ces  conver- 

1.  Voir  dans  le  Palmarès,  le  Discours  du  4  août  1870. 


184  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC   A  PARIS 

sations  ont  lieu  soit  dans  la  salle  du  Club  où  se  trouvent  une 
bibliothèque  et  des  jeux  divers,  soit  dans  le  parc,  quand  le 
temps  le  permet. 

En  janvier  1 9 1 2,  quelques  écoliers  anglais  sont  venus  au  lycée 
Michelet,  désireux  de  causer  avec  leurs  camarades  français  et  de 
visiter  notre  capitale.  Or,  c'est  en  anglais  que  nos  jeunes  Français 
ont  eu  la  coquetterie  d'expliquer  à  leurs  hôtes  les  beautés  de  Paris. 

Faut-il  rappeler  enfin  les  succès  du  lycée  Michelet  au  con- 
cours général?  De  1884a  1902,  55  prix,  1 65  accessits,  34  men- 
tions. —  Quant  à  la  Rhétorique  supérieure,  elle  a  été  organisée 
à  Michelet  dès  1886. 

Dès  1877,  ce  lycée  déclaré  autonome  en  1864,  avait  réussi  à 
fonder  une  Association  amicale  d'anciens  élèves.  Elle  est  aujour- 
d'hui florissante.  Elle  prolonge,  au  delà  de  la  vie  écolière,  ces 
bienfaits  de  la  camaraderie,  qui  rajeunissent  toujours  ceux  qu'elle 
rapproche. 


VIII 
LE   LYCÉE   LAKANAL1 

Renouveler  méthodiquement,  à  un  quart  de  siècle  d'inter- 
valle, la  tentative  du  lycée  de  Vanves,  voilà  quelle  fut,  dès  1882,  la 
pensée  de  Jules  Ferry.  Et  le  lycée  Lakanal  fut  décidé.  Il  s'agis- 
sait de  créer,  de  toutes  pièces,  aux  portes  de  Paris,  un  vrai  lycée 
d'expériences  et  dont  les  grandes  villes  de  province  pourraient 
faire  leur  profit,  de  transporter  le  lycée  aux  champs,  et,  dans  ce 
lycée,  ce  qui  peut,  loin  de  la  famille,  ressembler  le  plus  à  la 
famille.  Compléter  la  famille  par  le  lycée,  compléter  le  lycée  par 

1.  3,  Rue  Houdan  à  Sceaux  (PI.  34,  35). 


PI.  33. 


LYCEE    MICHELET.    —    LE    TENNIS. 


Phot.   Vallois. 


Phot.    Vallois. 


LYCEE    MICHELET.  —   LE    PARC. 
(Page   17J.) 


PI.  34 


Phot.  Pierre  Petit. 


LYCÉE    LAKANAL,    A    BOURG-LA-REINE.  —   L"ENTREE. 


Phot.  Pierre  Petit. 


LYCEE   LAKAXAL.    —    LE    PARLOIR. 

I  Peintures  de  Guillonnet.) 
(Page   ix,. 


LE   LYCÉE   LAKANAL  185 

la  famille,  cela  conduisait  à  élever  l'enfant  et  à  l'élever  dans  le 
sens  le  plus  large  et  le  plus  beau  de  ce  mot  :  élever  sa  santé, 
élever  sa  volonté,  élever  son  esprit,  allier  la  vigueur  de  son 
corps  à  l'énergie  de  son  caractère  et  à  la  culture  de  son  cerveau. 

L'emplacement  fut  judicieusement  choisi,  un  homme  de  sens, 
Colbert,  et  une  femme  intelligente,  la  duchesse  du  Maine,  petite 
fille  du  grand  Condé,  l'avaient  approuvé  déjà  et  s'y  étaient  plu. 
C'étaient  des  connaisseurs  et  des  gens  de  goût  ;  Jules  Ferry  les 
crut  sur  parole. 

De  1882  à  i885,  M.  de  Baudot  construisit  les  bâtiments.  Ni 
palais,  ni  château;  point  de  façade  grandiose.  Une  architecture 
rationnelle,  ne  demandant  pas  ses  effets  aux  formes  convention- 
nelles mais  à  la  logique.  Des  briques  et  des  pierres  blanches 
pour  donner  au  logis  un  air  de  gaîté,  que  les  verdures  de  grands 
arbres  et  des  taillis  mettent  en  pleine  valeur.  Une  orientation 
telle  que  l'air  et  la  lumière  entrent  partout  et  circulent.  Etudes, 
classes,  dortoirs,  galeries  —  l'une  d'elles  a  33o  mètres  —  se 
ressentent  tous  du  voisinage  du  parc,  les  baies  sont  largement 
ouvertes.  Pas  de  cours  de  récréation  fermées.  Nul  coin  de  la  mai- 
son où  l'on  n'ait  l'impression  d'être  à  la  campagne  (PI.  34  et  3 5). 

L'hiver  ou  le  mauvais  temps  ne  prennent  personne  au  dé- 
pourvu. Les  classes  sont  reliées  par  des  galeries  couvertes  ;  on 
peut  circuler  partout  à  pied  sec  ;  chaque  collège  possède  un  préau 
d'où  l'on  brave  la  pluie  ;  car  on  a  beau  se  trouver  chez  le  petit- 
fils  de  Louis  XIV,  on  ne  saurait,  sous  la  troisième  République, 
répéter  ce  que  ses  courtisans  disaient  au  Grand  Roi  :  «  Sire, 
autour  de  Votre  Majesté  et  chez  Elle,  la  pluie  ne  mouille  pas.  » 

A  Versailles  et  dans  tous  les  palais  royaux,  on  gelait  l'hiver 
ou  l'on  grillait;  à  moins,  comme  il  arrivait  à  Mme  de  Maintenon 
ou  à  la  Palatine,  que  l'on  eût,  à  la  fois  la  moitié  du  corps  grillée 
et   l'autre  moitié  gelée.  Et  nous  ne  disons  rien   de  la  fumée 


i86  L'ENSEIGNEMENT  PUBLIC  A  PARIS 

rebelle  qui  chassait  le  roi  de  chez  lui.  Que  penseraient  aujour- 
d'hui les  grandes  dames  à  paniers  si,  revenant,  d'aventure,  se 
promener  à  Sceaux,  un  jour  où  les  arbres  sont  poudrés  à  frimas, 
elles  se  sentaient  enveloppées,  dans  toutes  les  salles  du  grand 
logis,  par  la  chaleur  uniforme  et  tempérée  d\in  calorifère.  Elles 
donneraient  leur  applaudissement  aux  quatre  puissantes  ma- 
chines, génératrices  de  la  vapeur. 

Elles,  dont  les  charmantes  aïeules  ne  se  lavaient  que  le  bout 
du  nez  et  préféraient  «  la  toilette  sèche  à  la  toilette  humide  »,  ne 
verraient  pas,  sans  pousser  quelques  cris  de  terreur,  les  salles 
de  douche  où  les  élèves  prennent  chaque  semaine  des  bains 
tièdes  par  aspersion. 

Aménager  la  maison  c'était  bien  et  l'on  fit  généreusement  les 
choses;  on  dépensa  près  de  cinq  millions.  Mais  on  avait  touché 
le  fond  des  coffres  et  il  restait,  plus  de  quinze  ans  après  la  créa- 
tion du  lycée,  à  ouvrir  le  parc  aux  élèves.  L'autonomie  allait  le 
permettre  et  la  décision  du  29  septembre  1902,  qui  désignait 
Lakanal  comme  un  laboratoire  d'essais  pédagogiques. 

Des  coupes  périodiques  avaient  jusqu'alors  permis  aux  bois 
taillis  de  pousser  sous  les  grands  arbres  avec  beaucoup  d'entrain 
et  de  pittoresque.  Les  sentiers  étaient  moussus  ;  l'humidité  fil- 
trait partout.  Lâcher  les  écoliers  à  travers  les  fourrés  chevelus 
semblait  dangereux  à  bien  des  égards. 

«  Les  arbres  séculaires  furent  conservés  mais  ils  furent  déga- 
gés des  taillis  qui  les  enserraient.  »  Des  travaux  de  drainage 
furent  poursuivis  ;  les  eaux  captées  jaillirent  au  milieu  des 
rochers  ingénieusement  disposés  et  retombèrent  en  jolies  casca- 
telles.  Elles  formèrent  un  bassin  dont  on  eût  dit,  au  xvnf  siècle, 
qu'il  ressemblait  à  un  lac  comme  deux  gouttes  d'eau.  Sur  ce 
bassin,  six  canards  apparurent  et  des  daims  authentiques  vin- 
rent s'y  abreuver.   Le  parc  cessa  d'être  pour  les  enfants  une 


LE   LYCÉE   LAKANAL  187 

promesse  d'héritage.  On  leur  en  donna  la  propriété.  Et,  depuis 
lors,  ils  y  peuvent  jouer  avec  la  liberté  décente  qu'ils  trouve- 
raient dans  leur  famille.  Comme  à  Michelet,  mais  sans  imita- 
tion servile,  parfois  même  avec  des  initiatives  hardies,  le  parc, 
à  Lakanal,  allait  servir  d'aliment  aux  nouveautés  pédagogiques. 

Dans  ce  joli  cadre,  qui  semblait  un  décor  perpétuellement 
renouvelé  par  la  nature  complice,  qu'a  été  depuis  i885  le  per- 
sonnel du  lycée,  maîtres  et  élèves  ? 

Six  proviseurs  en  vingt-trois  ans  1  et  presque  autant  de  cen- 
seurs. Pour  la  plupart  de  ces  administrateurs  qui  avaient,  on  le 
devine  bien,  en  province  ou  à  Paris,  donné  déjà  leur  mesure, 
Lakanal  nJa  pas  été  une  fin  de  carrière  mais  un  stage  vers  des 
fonctions  plus  hautes  et  des  lycées  plus  populeux.  Le  lycée 
Buffon,  a  réclamé  M.  Staub  ;  les  lycées  Hoche  et  Henri  IV, 
M.  Suérus;  le  lycée  Louis-le-Grand,  M.  Ferté.  Un  seul,  parmi 
les  proviseurs  de  Lakanal,  y  est  mort  à  la  tâche,  M.  Bazins  de 
Bezons.  Rien,  en  lui,  de  médiocre,  et  surtout  pas  les  qualités. 
Une  de  ses  préoccupations  était  de  rapprocher  le  plus  possible 
Lakanal  des  collèges  anglais  ;  de  lui  faire  profiter  de  son  auto- 
nomie financière  pour  lui  conquérir  un  maximum  de  liberté  ; 
enfin  de  s'y  évader  résolument  hors  des  vieilles  routines.  Son 
œuvre  a  bien  pu  être  attaquée  ;  il  nous  semble  que,  pour  les 
exercices  physiques  et  pour  l'éducation,  elle  dure  encore.  Il  est  de 


1 .  Proviseurs  : 

MM.  Fringnet,  du  ier  octobre  1885  au  ier  octobre  1892  ;  Breitling,  du  Ier  oc- 
tobre 1892  au  15  septembre  1896;  Staub,  du  15  septembre  1896  au  icr  septembre 
1902;  Bazin  de  Bezons,  du  ier  septembre  1902  au  31  mars  1907  ;  Ferté,  du  24  avril 
1907  au  15  septembre  1909  ;  Daux,  depuis  le  15  septembre  1909. 

Censeurs  : 

MM.  Sommier,  du  ier  octobre  1885  au  26  octobre  1887  ;  Claverie,  du  27  octobre 
1887  au  ifcr  octobre  1892  ;  Suérus  du  Ier  octobre  1892  au  28  septembre  1895;  Bébin, 
du  29  septembre  1895  au  Ier  septembre  1906;  Janelle  depuis  le  Ier  septembre  1906. 


188  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC  A   PARIS 

ceux  qui  ont  le  plus  travaillé  à  donner  à  Lakanal  sa  physionomie 
propre.  Au  reste,  il  serait  difficile  d'avoir  l'esprit  plus  ouvert 
que  le  proviseur  actuel,  M.  Baux,  qui  sait  se  mouvoir  avec  une 
aisance  souveraine  dans  les  moindres  détours  de  ses  budgets. 

La  population  scolaire1  n'a  pas,  dans  le  principe  surtout, 
afflué  à  Lakanal,  comme  on  se  croyait  fondé  à  l'espérer.  Et 
cependant,  nous  l'avons  vu2,  l'internat  littéraire  du  Lycée  Saint- 
Louis  avait  été  transporté  à  Bourg-la-Reine.  De  1 55  unités,  la 
première  année,  le  nombre  des  élèves  vient,  en  191 1  et  1912, 
d'atteindre  675;  mais  la  courbe  ascendante  n'a  pas  été,  il  s'en  faut, 
continue  :  elle  a  subi  un  fléchissement  sensible,  de  189 1  à  1894. 
C'est  depuis  lors  que  le  mouvement  progressif  ne  s'est  plus,  dans 
son  ensemble,  ralenti. 

Nous  nous  sommes  expliqués  déjà  sur  les  motifs  apparents 
de  ces  fluctuations  et  nous  nous  garderons  d'y  revenir3.  Il  ne 
faut  pas  moins  que  des  causes  très  générales,  très  puissantes  et 
très  profondes,  pour  nous  permettre  de  constater  sans  stupéfac- 
tion cet  autre  fait  :  la  diminution  relative  de  l'internat  et  la 
croissance  infatigable  de  l'externat  ou  du  demi-pensionnat  dans 
un  lycée  de  plein  air.  Sur  675  élèves  de  Lakanal  en  191 2-191 3, 
292  seulement  sont  pensionnaires  (parmi  ces  292  pensionnaires 
27  sont  boursiers)  ;  et  383  sont  externes  ou  demi-pension- 
naires. On  voit  si  la  campagne  à  outrance  contre  l'internat  a 
porté  ses  fruits  ! 

1.  Nous  devons  les  chiffres  qui  suivent  à  l'extrême  amabilité  de  M.  Daux  et 
de  M.  Tan  elle  : 

PENSION-   DEMI-PEN- 

ANNEES        NAIRES   SIONNAIRES   EXTERNES   TOTAL 

1885  .  .  113  16  26  155 

1890  .  .  318  20  79  417 

1895  .  .  186  40  89  315 

1900  .  .  194  35  138  367 

2.  Voir  ci-dessus,  p.  158. 

3.  Voir  ci-dessus,  p.  57-59. 


PENSION-    DEMJ-PEN- 

ANNÉES        NAIRES    SIONNAIRES  EXTERNES  TOTAL 

1905  .    .     285          69  249           603 

1910  .    .     250          80  291           621 

1911  .    .     290          85  300           675 

1912  .    .     292          81  302           673 


LE   LYCÉE   LAKANAL  189 

Et  cependant  le  développement  physique  de  l'enfant,  les 
jeux,  les  sports  trouvent  à  Lakanal  autant  d'intelligente  solli- 
citude qif  à  Michelet  :  ce  qui  est  beaucoup  dire.  Les  pesées  tri- 
mestrielles, et,  quand  il  le  faut,  bimensuelles,  donnent,  sur  les 
santés  délicates,  des  indications  précises,  qui  dépistent  souvent 
les  affections  graves.  Dans  nul  autre  lycée,  les  déviations  de  la 
taille  ne  sont  surveillées  avec  un  zèle  plus  constant.  L'infir- 
merie, installée  dans  un  bâtiment  isolé,  est  conçue  de  façon  à 
décourager  les  maladies  les  plus  sournoises  et  les  plus  tenaces1. 

La  classe  en  plein  air,  pratiquée  jadis  à  Port-Royal-des- 
Champs,  est  en  honneur,  non  seulement  pour  les  minimes,  dans 
la  belle  saison  «  à  l'ombre  des  grands  arbres  et  sur  la  fraîcheur 
des  pelouses  ».  Théocrite  et  Virgile  sont  expliqués  avec  les 
commentaires  qui  leur  conviennent  :  «  le  parfum  voisin  du 
cytise  en  fleur,  florentem  cytisum,  et  le  murmure  léger,  levi 
susurro  de  l'abeille  qui  passe  !  ». 

Mais  le  parc  est,  avant  tout,  le  royaume  des  jeux.  La  che- 
vauchée des  cerceaux,  l'équipée  des  chariots  aux  roues  basses, 
traînés  à  six,  les  joies  du  «  pas  de  géant  »  ou  de  la  bascule,  la 
grâce  ailée  du  tennis,  les  athlétiques  mêlées  du  foot-ball,  le  jeu 
subtil  et  les  surprises  du  fleuret 2,  voilà  les  spectacles  donnés 
aux  frondaisons  séculaires,  aux  lieux  mêmes  où  la  duchesse-ber- 
gère tenait  jadis  ses  cours  d'amour  et  badinait  agréablement, 
entourée  des  chevaliers  de  «  la  Mouche  à  miel  !  »  (PI.  35). 

Les  jeux  rendent  d'autres  services  :  ils  contribuent,  pour  leur 
part,  à  l'éducation  des  élèves.  Au  salon  des  jeux,  dans  la  salle 
coquette  où  les  échecs,  les  dames,  les  dominos  ont  leur  domicile, 
les  élèves  sont  surveillés  par  le  président  qu'élisent  leurs  suf- 
frages. Ce  président  suffit  à  empêcher  les  abus.  Chacun  prend 

1.  Le  Lycée  Lakanal,  Acta  et  Gesta,  1903-04.  p.  9,  M.  Lénéa. 

2.  Ibid.  et  p.  5,  Dr  Alb.  Mathieu. 


190  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC   A   PARIS 

l'habitude  de  se  discipliner  soi-même  et  de  se  surveiller.  Gomme 
dans  les  collèges  anglais,  on  projeta  même  à  Lakanal  de  rem- 
placer à  l'occasion,  les  maîtres  répétiteurs  par  les  plus  âgés  et 
les  meilleurs  parmi  les  élèves,  auxquels  on  a  donné  sous  leur 
responsabilité,  juridiction  sur  leurs  camarades.  C'est  le  système 
du  capitauat.  Aurait-il  été  possible,  chez  nous,  d'en  user  tout 
à  fait  comme  chez  nos  voisins  d'Outre-Manche,  où  les  Collèges 
ne  connaissent  pas  les  maîtres  répétiteurs  ? 

Autre  moyen  d'éducation,  en  honneur  à  Lakanal.  Les  cham- 
bres particulières.  En  1902-03,  80  chambres  nouvelles  ont  été 
inaugurées.  Par  groupe  homogène  de  20,  elles  sont,  comme  il  y 
a  dix  ans,  confiées  à  la  vigilance  d'un  directeur.  Ce  directeur, 
comme  les  professeurs  anglais  qui  se  partagent  les  élèves  d'un 
collège,  a  pu,  jadis  gouverner  son  groupe  «  d'une  façon  plus  per- 
sonnelle et  plus  familiale  que  ne  le  comporterait  une  agglomé- 
ration plus  importante.  «  Suivant  les  circonstances  (et  nous  em- 
pruntons ces  lignes  au  proviseur  M.  Bazins  l)  il  permettait  à  ses 
élèves  de  se  coucher  ou  de  se  lever  plus  tard,  les  conduisait,  le 
soir,  après  dîner,  à  la  promenade  ou  au  spectacle.  » 

Ce  n'est  pas  tout  ;  au  lieu  de  passer  clans  la  même  journée 
aux  mains  de  plusieurs  surveillants  différents  de  mentalité  et 
de  méthode,  les  enfants  étaient,  après  la  classe,  confiés  à  un 
répétiteur  unique  ;  ce  répétiteur  se  mettait  d'accord  avec  le 
professeur  et  le  surveillant  d'internat  pour  diriger  le  travail  de 
son  équipe. 

Autour  des  élèves,  il  s'agit  de  mettre  une  atmosphère  d'affec- 
tion. Chacun  doit  se  sentir  personnellement  connu  et  soutenu. 
Il  faut  concilier  en  lui  le  sentiment  du  respect  et  de  l'indépen- 
dance, tremper  son  caractère,  susciter  ses  énergies.  L'habituer 

1.  Acta  et  Gesta,  1902-03,  p.  2. 


LE   LYCÉE   LAKANAL  191 

à  se  juger  comme  un  être  responsable  de  ses  actes.  L'amener 
à  vivre,  sous  le  seul  regard  de  sa  conscience,  comme  à  la  face 
d'un  millier  de  témoins. 

On  a  imaginé,  à  Lakanal  comme  à  Michelet,  ou  à  Michelet 
comme  à  Lakanal,  l'éducation  des  facultés  d'observation  '  :  des 
établis  de  menuisier  et  de  serrurier,  des  tours  à  bois,  des 
machines  à  percer  ont  été  installés.  Sous  la  direction  d'un  pro- 
fesseur ou  d'un  chef  d'atelier,  les  élèves  y  apprennent  avec 
entrain,  deux  heures  par  semaine,  à  travailler  le  bois  et  le  fer. 
On  ne  songe  pas  sans  doute  à  faire  d'eux  des  ouvriers  accomplis, 
mais  simplement  à  dresser  leurs  yeux  et  leurs  mains  et  à  les 
initier  à  la  pratique  des  outils  usuels.  Mais  voici  qui  est  parti- 
culier à  Lakanal  :  des  jardins  d'enfants  de  quelques  mètres  de 
long,  sur  1  mètre  de  large,  ont  été  accordés  aux  élèves  de  6e  et 
de  7e.  C'est  là  qu'avec  les  conseils  du  jardinier  chef  et  de  ses 
aides,  ils  bêchent,  ils  sèment,  ils  sarclent,  ils  arrosent. 

De  tels  travaux  associent  fort  heureusement  l'éducation  phy- 
sique, morale,  intellectuelle.  Quant  aux  études  proprement  dites, 
elles  ressemblent  à  Lakanal  à  ce  qu'elles  sont  ailleurs.  Les  pro- 
grammes sont  les  mêmes,  le  théâtre  où  on  les  explique  diffère 
seul.  Lakanal  a  eu  ses  succès  au  concours  ;  il  a  ses  succès  au 
baccalauréat,  et  aux  grandes  Ecoles.  Depuis  octobre  1903,  une 
classe  de  rhétorique  supérieure  a  été  inaugurée  et  cette  classe, 
sous  la  direction  de  M.  Henri  Bernés,  notamment,  et  de  M.  Meu- 
riot,  a  fait  ses  preuves.  Pour  la  philosophie,  M.  C.  Mélinand2  a 
brillamment  exposé  comment  le  lycée  Lakanal  la  concevait  :  le 
souci  du  maître,  c'est  de  dégager  la  personnalité  de  chacun  et 
l'autonomie  de  sa  pensée  ;  c'est  ensuite  de  former  des  esprits 
clairs,  d'écarter  résolument  les  faux  problèmes  philosophiques, 

1.  Acta  et  Gesta,  1904-5,  art.  de  M.  Joxe,  p.  7-10  ;  ibid.,  1903-4,  p.  6. 

2.  Acta  et  Gesta,  1905-1906,  p.  3-6. 


i92  L'ENSEIGNEMENT-  PUBLIC   A  PARIS 

les  formules  creuses  et  les  grands  mots  :  c'est  enfin  de  donner 
à  chacun  l'impression  qu'il  n'est  qu'un  anneau  d'une  chaîne1, 
qu'il  doit  beaucoup  à  ceux  qui  l'ont  précédé,  beaucoup  à  ceux 
qui  le  suivront,  beaucoup  à  ceux  qui  vivent  autour  de  lui.  L'aide 
mutuelle,  l'esprit  d'association,  le  dévouement,  la  solidarité,  la 
justice  dérivent  de  là.  L'élève  à  Lakanal,  «  doit  quitter  le  lycée, 
écrit  très  justement  M.  Mélinand,  en  sachant  bien  tout  ce  qu'il 
y  a  de  pensée  confuse  et  mensongère  dans  le  prétendu  conflit 
qu'il  entendra  si  souvent  proclamer  entre  patrie  et  humanité... 
Celui  qui  aime  véritablement  les  hommes  en  général  n'a  rien 
de  mieux  à  faire  que  de  le  prouver  d'abord  à  la  fraction  d'huma- 
nité dont  il  fait  partie,  dont  il  dépend  à  tout  moment,  à  laquelle 
il  doit  à  peu  près  tout.  » 


IX 
LE  LYCÉE  MONTAIGNE2 

De  très  jeunes  écoliers,  les  frondaisons  du  Luxembourg  tout 
proche,  et  l'ombre  maternelle  du  vieux  Louis-le-Grand,  voilà, 
en  trois  lignes,  le  lycée  Montaigne.  C'est  un  lycée  d'enfants  de 
cinq  à  treize  ans.  Il  a  tenu  la  gageure  de  créer,  en  plein  Paris, 
une  maison  d'éducation  qui  sut  réunir  aux  avantages  de  la 
grande  ville  les  sourires  de  la  campagne.  Et,  dans  ce  décor  de 
printemps  très  joliment  approprié  à  leur  âge  printanier,  si  des 
écoliers  ont  été  placés  sous  le  patronage  de  Montaigne,  c'est 


i.  Voir  le  Discours  du  professeur  A.  Pinard  à  Lakanal,  le  31  juillet  1903, 
Acta  et  Gcsta,  1902-3.  p.  8-9.  L'association  des  anciens  élèves  de  Lakanal  date 
de  1902. 

2.  17,  Rue  Auguste  Comte  (PI.  36). 


PL  35. 


IMiot.  Pierre  Petit. 


LYCEE   LAKANAL.  —   LA    GALERIE    DE    330    METRES. 


Phot.  Vallois. 


LYCEE   LAKANAL.    —   LE    PARC. 
(Page  184.) 


PI.  36. 


Phot.   Vallois 
LYCÉE    MONTAIGNE.   —    FAÇADE   PRINCIPALE    (a    DROITE,    LE    LUXEMBOURG). 


i  ';<  Il     MONTAIGNE.  —   LE   PALMARIUM. 
Page   192.) 


LE   LYCEE   MONTAIGNE  i93 

que,  depuis  trois  cents  ans,  l'aimable  moraliste  réclamait,  poul- 
ies écoliers,  un  jardin  au  lieu  d'une  geôle. 

Le  lycée  Louis-le-Grand,  fidèle  à  son  rôle  historique,  conti- 
nuait donc  à  essaimer,  pour  le  plus  grand  bien  de  l'Université  de 
France  :  au  Prytanée  de  Paris  les  grands  lycées  de  province 
avaient  jadis,  sous  le  Consulat  et  l'Empire,  emprunté  leurs  pre- 
miers élèves.  Plus  tard,  de  1 853  à  1864,  le  lycée  de  Vanves 
s'était  détaché  de  l'illustre  maison  de  la  rue  Saint-Jacques.  Et 
voici  que,  de  1881  à  i885,  une  nouvelle  filiale  naissait,  une  filiale 
parisienne  :  pour  la  seconde  fois,  les  plus  jeunes  de  ses  élèves 
étaient  dérobés  à  Louis-le-Grand  ;  pour  la  seconde  fois,  on  créait, 
pour  eux,  une  succursale  fleurie.  Et  cela,  au  moment  même  où 
les  murs  du  vieux  lycée  allaient  faire  place  à  des  murs  tout  neufs. 
Le  petit  lycée  Louis-le-Grand  s'ouvrit  en  octobre  188 5,  et,  pen- 
dant les  six  premières  années  de  son  existence,  il  ne  porta  que 
son  nom  de  famille.  Le  décret  du  2  août  1891  le  mit  hors  de 
page  et  lui  donna  son  nom  actuel.  Mais  on  négligea  d'effacer, 
sur  le  bois  de  la  porte  d'entrée  et  sur  l'argenterie,  les  initiales 
L.  L.  G.  qui  figurent  toujours  son  premier  blason1. 

Le  sol,  sur  lequel  se  dressa  le  lycée  Montaigne,  était  lourd 
d'histoire.  Sans  doute,  il  ne  fut  pas  compris  dans  l'enceinte  de 
Paris  avant  lexvin6  siècle.  Il  n'avait  pas  moins,  dès  l'aube  de  la 
monarchie  capétienne,  attiré  le  regard  de  nos  anciens  rois. 
Robert  le  Pieux  y  construisit  sa  maison  des  champs  de  Vauvert. 
Mais,  sous  ses  successeurs,  d'impudents  apaches  s'y  établirent. 
Pour  y  être  plus  à  l'aise,  ils  répandirent  le  bruit  qu'elle  était 
hantée  et  que  Satan  y  tenait  ses  assises.  Et  les  bonnes  gens  se 
signaient  en  parlant  de  s'aventurer  jusqu'au  Diable  Vauvert. 
Nous  disons  encore,  mais  plus  brièvement,  aller  au  Diable  Vert. 

1.  Nous  avons  tiré  grand  profit  de  la  monographie  de  M.  Ozenfant  :  le  Lycée 
Montaigne,  Paris,  gr.  in-8u,  191 1. 

13 


i94  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC   A   PARIS 

Le  méchant  renom  du  lieu  fut  effacé  dès  le  xme  siècle  et  nos 
modernes  lycéens  n'ont  plus  à  s'alarmer.  Saint  Louis,  dès  1257, 
donna  Vauvert  à  quelques  Chartreux  mandés  de  Grenoble. 
L'emplacement  actuel  du  lion  de  Cain  marque  le  centre  du 
préau,  qui  précédait  leur  petit  cloître  ;  une  partie  de  l'avenue  de 
l'Observatoire  était  occupée  par  leur  église.  C'est  pour  les  Char- 
treux qu'Eustache  le  Sueur,  en  1648,  peignit  la  vie  de  saint 
Bruno,  aujourd'hui  au  Louvre.  La  rue  des  Chartreux  rappelle 
encore  le  séjour  de  ces  anciens  moines  ;  mais  leurs  édifices  n'exis- 
tent plus  et  leurs  archives  ont  été  dispersées. 

Le  lycée  occupe  cette  partie  du  Luxembourg  qu'on  appelait 
«  la  pépinière  »  :  là  poussaient,  des  cerisiers,  des  pommiers  et  des 
vignes  et  surtout  ce  magnifique  rosier  du  Bengale,  plus  grand 
qu'une  fillette  de  douze  ans,  plus  riche  en  roses  que  le  ciel  en 
étoiles.  Banville  rendait  à  ce  rosier  des  visites  assidues  ;  Michelet 
promenait  aux  alentours  ses  méditations,  et  Victor  Hugo  pour- 
suivait, aux  bosquets  voisins,  quelques-unes  de  ses  rimes,  tout 
en  gourmandant  leurs  fugues,  à  voix  basse.  La  pépinière  fut 
condamnée  à  mort  en  1867.  Là  où  elle  fleurissait  jadis,  en 
mai  1871,  s'éleva  soudain  un  dais  de  vapeurs  noires,  accom- 
pagné d'un  bruit  de  tonnerre  puis  d'un  ruissellement  de  vitres 
brisées  :  c'était  la  poudrière  placée  là,  pendant  le  siège  de 
Paris,  et  qu'en  se  repliant  les  Communards  avaient  fait  exploser. 

Dans  le  hall  précédant  le  lycée,  de  belles  plantes  vertes  font 
accueil  aux  écoliers  :  c'est  le  palmarium  (PI.  36).  Classes  et 
salles  d'études  s'ouvent  directement  sur  les  vastes  cours  de 
récréations  plantées  de  beaux  platanes.  Partout,  la  lumière  et  la 
gaîté  :  les  bâtiments  sont  en  harmonie  avec  la  jeunesse  de  leurs 
hôtes.  Le  chauffage  se  fait  à  la  vapeur  d'eau.  Quant  à  l'éclai- 
rage électrique,  il  est  obtenu  au  moyen  de  lampes  closes  par- 


LE   LYCEE  MONTAIGNE  195 

dessous  et  qui  réfléchissent  sur  les  plafonds  vernis  au  ripolin 
une  lumière  diffuse.  Rien  de  plus  doux  pour  la  vue. 

La  date  où  le  lycée  fut  construit  explique  l'illusion  de  l'ar- 
chitecte. Tout  fut  prévu  pour  une  magnifique  population  d'in- 
ternes :  huit  dortoirs,  douches  perfectionnées,  infirmerie 
modèle,  etc.  Pourquoi  faut-il  que  les  internes  ne  soient  pas 
venus  dans  l'internat  ?  Les  pensionnaires,  sauf  deux  années, 
(1891  et  1892),  n'ont  cessé  de  diminuer  depuis  1 885  jusqu'à 
maintenant  '  ni  les  externes  d'augmenter  :  il  y  avait,  dès  l'ori- 
gine, 3  externes  sur  4  élèves;  en  1891,  il  y  en  avait  5  sur 
8  élèves;  en  1900,  4  ou  5  sur  6.  Depuis  1907,  pour  une  popula- 
tion scolaire  de  800  à  900  élèves,  il  n'y  a  plus  qu'une  cinquan- 
taine d'internes;  il  y  en  avait  eu,  la  première  année,  112,  sur 
41 3  élèves.  Pendant  que  doublait  le  chiffre  total  des  élèves,  le 
chiffre  des  internes  diminuait  de  moitié. 

Pour  ces  élèves,  on  estima,  jusqu'au  2  août  1891,  pouvoir 
faire  l'économie  d'un  proviseur  particulier  :  M.  Gidel 2  gou- 
verna les  deux  lycées  Louis-le-Grand.  Sous  son  autorité,  un 
censeur  suffisait  à  administrer  le  petit  lycée  :  M.  Adam  d'abord 
(1885-89),  M.  Bréhier  ensuite  (1889-91)  exercèrent  le  censorat 
avec  beaucoup  de  bienveillance  courtoise,  de  conscience  et  de 
succès.  Depuis  le  2  août  1891,  Montaigne,  ayant  son  indépen- 
dance, eut  aussi  son  proviseur.  MM.  Kortz  (1 891 -octobre  1901), 
Plançon  (1 901 -12  mai  1907),  Favre  (1907-octobre  191 2)  créèrent 
cette  tradition  :  le  lycée,  à  sa  tête,  a  des  hommes  au  cœur 
paternel,  aux  manières  affables  et  à  l'esprit  distingué.  Il  entre, 
dans  leur  autorité,  une  grande  part  de  séduction.  M.  Favre, 
plus  que  tout  autre,  a  su  en  donner  la  preuve.  Et  au  provi- 
seur actuel,  M.  Robineau,  il  suffit  d'être  lui-même  pour  conti- 

1.  Voiries  chiffres  précis,  Ozenfant,  op.  laad.,  p.  15g. 

2.  Voir  plus  haut,  p.  93. 


i96  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC  A  PARIS 

nuer  ce  que  ses  prédécesseurs  avaient  commencé  avec  tant  de 
bonne  grâce.  Longtemps,  un  surveillant  général  suffit  au  lycée 
Montaigne  :  un  censeur  lui  a  été  donné  en  octobre  191 1. 
M.  Hainsselin  a  su  tempérer  par  la  plus  intelligente  bonté 
les  rigueurs  de  la  discipline  et  dans  la  mesure  qui  convient  à 
des  enfants,  dont  les  doyens  ont  jusqu'à  treize  ans. 

Montaigne  disait  :  «  J'ayme  encore  mieux  forger  mon  âme 
que  la  meubler.  »  Le  lycée  Montaigne  se  souvient  de  ce  mot 
et  l'éducation  morale  des  élèves  demeure  un  de  ses  constants 
soucis.  Un  de  ses  premiers  maîtres  et  des  plus  éminents, 
M.  Clairin,  affirmait  avec  raison  :  «  le  manque  de  discipline  est 
un  mal  pire  que  le  manque  de  culture.  »  Discipline  de  la  con- 
science, discipline  de  la  volonté,  discipline  du  caractère.  Nulle 
occasion  n'est  omise  d'apprendre  à  l'élève  à  se  vaincre,  dans  les 
mille  petits  combats  qu'il  livre  chaque  semaine  à  ses  caprices 
et  à  ses  fantaisies.  Tout  élève  est  plus  ou  moins  un  sentimental  : 
à  l'âge  où  il  s'assied  sur  les  bancs,  à  Montaigne,  l'écolier  est 
surtout  gagné  par  l'affection.  Il  la  cherche  pour  s'y  blottir. 
C'est  donc  par  le  cœur  qu'on  s'efforce  de  le  gouverner.  Il  aime 
la  règle,  quand  il  aime  le  maître  qui  la  lui  enseigne. 

S'il  est  un  lycée  où  l'on  cherche  à  prévenir  les  fautes  plutôt 
qu'à  les  punir,  c'est  bien  celui-là.  L'enfant  a  besoin  de  respecter 
ceux  qu'il  aime,  pour  les  aimer  mieux  ;  la  bonté,  à  ses  yeux, 
se  diminue,  quand  elle  est  doublée  de  faiblesse.  Mais  l'autorité 
qui  va  jusqu'au  bout  du  droit  exaspère  l'enfant,  l'aigrit,  trouble 
ses  idées  de  justice  et  il  arrive  à  croire  qu'on  le  punit  par 
plaisir.  Il  y  a  un  art  supérieur  de  faire  accepter  les  punitions 
imposées  et,  cet  art,  on  le  pratique  à  Montaigne.  On  n'y  oublie 
point  que  l'essentiel  est  de  convaincre  l'enfant  de  cette  vérité  : 
il  est  plus  pénible  de  punir  que  d'être  puni.  Il  s'agit  d'obtenir 


LE   LYCÉE   MONTAIGNE  197 

que  l'enfant  aime  encore  la  main  qui  ordonne  et  qui  corrige. 
Au  reste  quand  cette  main-là  s'ouvre  pour  les  récompenses, 
signe  les  bonnes  notes  quotidiennes,  les  bonnes  notes  de  quin- 
zaine, les  bulletins  mensuels  ou  trimestriels  et  quand  elle  écrit 
les  noms  au  tableau  d'honneur,  l'enfant  doit  comprendre  que 
sa  joie  est  aussi  celle  de  tous  ses  maîtres.  Son  cœur  a  constam- 
ment l'impression  de  n'être  pas  isolé,  ni  perdu  :  et  ses  forces, 
pour  faire  le  bien,  sont  décuplées. 

Le  lycée  Montaigne  se  préoccupe  très  justement  d'une  des 
premières  nécessités  de  renseignement  :  apprendre  aux  jeunes 
enfants,  bien  moins  encore  la  science  que  la  science  du  travail. 
La  mémoire  est  un  moyen  non  une  fin.  On  dit  parfois  que  c'est 
la  première  faculté  développée  chez  l'enfant  :  la  curiosité,  l'ima- 
gination, le  besoin  de  connaître  le  pourquoi  des  choses  tiennent 
dans  son  cerveau  autant  de  place  peut-être  que  sa  mémoire. 
L'enfant  a  sa  logique  et  il  aime  à  raisonner.  Le  lycée  lui  rend 
un  service  incomparable  en  l'aidant  à  s'expliquer  toutes  cho- 
ses, à  classer  ce  qu'il  apprend,  à  l'ordonner,  à  le  clarifier. 
Dans  la  grammaire,  dans  les  petites  compositions  de  style, 
dans  les  études  latines,  commencées  en  dixième,  dans  les  mathé- 
matiques, l'histoire,  la  géographie  et  les  langues  vivantes,  les 
professeurs  de  Montaigne  ont  le  très  juste  souci  de  dégager 
les  faits  et  les  idées,  de  les  rapprocher,  de  les  enchaîner.  Les 
facultés  d'observation,  de  comparaison  et  de  généralisation  sont 
ainsi,  chaque  jour  et  à  chaque  heure,  exercées  et  cultivées.  Et 
toutes  les  études  ultérieures  en  ressentiront  les  heureux  effets. 

Depuis  le  2  août  1891,  Montaigne  ne  prépare  pas  seulement 
ses  élèves  à  Louis-le-Grand  ;  ne  vont  à  Louis-le-Grand  que  les 
élèves  de  l'enseignement  classique,  les  autres,  ceux  de  l'ensei- 
gnement secondaire  moderne,  c'est-à-dire  sans  latin,  vont  à 
Saint-Louis.   A  partir   de  quelle  classe  cet  exode   a-t-il  lieu  ? 


ig8  L'ENSEIGNEMENT  PUBLIC  A  PARIS 

De  189 1  à  1893  ce  fut,  pour  les  sections  latines  ou  non,  c'est-à- 
dire  A  ou  B,  à  l'issue  de  la  4e  ;  depuis  lors,  c'est  à  l'issue  de  la  5e 
pour  les  sections  latines.  La  4e  B  se  fait  encore  au  lycée  Mon- 
taigne. De  1 89 1  à  1 9 1  o,  les  sections  B  n'ont  cessé  de  s'augmenter  : 
elles  ont  triplé,  passant  d'une  vingtaine  d'élèves  à  une  soixan- 
taine ;  depuis  191 1,  elles  diminuent.  Les  sections  A,  après  un 
fléchissement  de  1897  à  1905,  ont  gardé,  jusqu'en  1910,  un  con- 
tingent sensiblement  pareil  :  253  unités  en  i885et2Ô4en  1910; 
depuis  lors,  elles  progressent  :  270,  en  191 1-2,  et  3o5  en  191 2-3. 
Sur  3  élèves  de  Montaigne,  en  5e  ou  en  6e,  2  sont  dans  les  sec- 
tions classiques,  ou  A,  et  l'autre  dans  les  sections  modernes  ou 
B.  Le  lycée  Montaigne  reste  donc  fidèle  à  ses  origines  :  chez 
lui,  comme  à  Louis-le-Grand,  c'est  avant  tout  l'enseignement 
classique  et  les  humanités  qui  sont  en  honneur. 


X 
LE  LYCÉE  JANSON  DE  SAILLY1 

Chacun  sait  que  Janson  de  Sailly  est  un  très  grand  lycée  ; 
quelques  érudits  savent  aussi  que  Janson  de  Sailly  fut,  tout 
d'abord,  un  homme,  que  cet  homme  avait  été  magistrat  ;  qu'il 
épousa  la  sœur  du  grand  Berryer  ;  qu'il  légua,  le  14  août  1828, 
la  nue  propriété  de  sa  fortune  à  l'Université;  pour  créer,  «  à 
Paris,  un  collège  royal  portant  son  nom  et  dans  lequel  l'ensei- 
gnement des  humanités  serait  donné  à  des  enfants  particulière- 
ment distingués  par  leur  piété  filiale  ».  L'usufruitière  mourut. 
Le  testament  avait  été  vainement  attaqué  par  les  parents  du 
testateur.  La  succession,   consistant  en  immeubles  situés  rue 

1.  Grand  Lycée,  rue  de  la  Pompe,  106;  Petit  Lycée,  avenue  Henri-Martin,  46, 
(PI.  37  et  38). 


LE   LYCÉE  JANSON   DE   SAILLY  199 

Royale,  produisit  2.690.000  francs.  Le  lycée  a  coûté  plus  de 

10  millions  et  demi.  Si  M.  Janson  avait  fait  beaucoup  pour 
TUniversité,  l'Université  a  fait  plus  encore  pour  M.  Janson. 
Elle  a  triplé  le  magnifique  legs  de  1828  et  lui  a,  gratis,  ajouté 
une  auréole  de  gloire.  Les  mânes  de  l'honorable  M.  Janson  ont 
tout  lieu  de  se  réjouir. 

Ce  n'est  pas  tout  encore  :  le  lycée  doit  infiniment  au  quartier 
dePassyet  Passydoit  infiniment  au  lycée.  Peu  avant  la  création 
du  lycée,  le  seizième  arrondissement  avait  environ  5o.ooo  habi- 
tants. Ce  chiffre  est  aujourd'hui  triplé,  lui  aussi.  Vers  1875,  les 
pères  de  famille  hésitaient  encore  à  se  fixer  dans  les  quartiers 
d'où  leurs  enfants  devaient  s'éloigner  pour  trouver  à  s'instruire 
dans  un  établissement  de  l'Etat.  Et  le  quartier  risquait  de  deve- 
nir un  nid  confortable  à  l'usage  de  vieux  oiseaux  :  retraités,  bour- 
geois paisibles  et  retirés  des  affaires.  Il  avait  une  physionomie 
froide  et  un  peu  triste.  Aujourd'hui,  et  le  maire  du  XVIe  arron- 
dissement, M.  Marmottan,  l'a  constaté  dès  1894,  «  sous  l'in- 
fluence des  jeunes  générations,  qui  apportent  avec  elles  leur 
bonne  humeur  et  leur  gaîté,  nous  voyons  se  produire  un  épanouis- 
sement nouveau,  une  éclaircie  vers  l'avenir,  une  poussée  vers 
la  vie  ».  Transformation  matérielle  et  transformation  morale1. 

11  y  a,  dans  Paris,  quelques  capitales  privilégiées  :  Passy  est 
l'une  de  ces  capitales.  Et  c'est  le  lycée  qui  a  aidé  à  la  faire. 

Le  décret  du  3o  décembre  1 876  fut  donc  heureusement  inspiré 
quand  il  distingua,  pour  y  créer  le  lycée,  l'ancien  «  petit  village 
de  maraîchers,  qu'avait  été  Passy,  naguère  encore  faubourg  loin- 
tain, aux  buttes  de  gazon  rabougri,  aux  routes  bordées  de  mai- 
sonnettes, à  la  façon  de  Romainville  ».  La  première  pierre  du 

1.  Nous  devons  beaucoup  aux  notes  que  M.  Chacornac  nous  a  si  obligeamment 
communiquées,  à  l'Annuaire  de  1910  de  l'association  amicale  des  anciens  élèves  de 
Janson  et  au  charmant  discours  de  M.  Moog  (31  juillet  1906). 


200  L'ENSEIGNEMENT  PUBLIC  A  PARIS 

lycée  fut  posée  le  16  octobre  1881,  en  présence  de  Victor  Hugo, 
de  Fustel  de  Coulanges  et  d'Henri  Martin.  Le  ministre,  —  c'était 
M.  Jules  Ferry,  —  opposa  au  lycée  d'autrefois  le  lycée  des  temps 
nouveaux.  Il  proclama  son  idéal  :  faire,  de  Janson,  le  lycée 
modèle,  avec  dévastes  préaux,  de  beaux  ombrages,  delalumière, 
«  tout  ce  qu'il  faut  aux  enfants  comme  aux  plantes,  car  ils  vivent 
avanttout,  comme  elles,  de  soleil  et  de  grand  air  ».  Et  M.  Gréard 
avait  dit  déjà  que  Janson  saurait  demeurer  fidèle  à  l'esprit  de 
progrès  comme  à  l'esprit  de  tradition. 

Aux  promesses  que  faisaient,  en  son  nom,  de  tels  parrains,  Jan- 
son a  su  rester  fidèle.  L'architecte,  M.  Laine,  de  1881  à  1884, 
a  su  donner  une  forme  heureuse  au  rêve  entrevu  :  sur  près  de 
33.ooo  mètres  carrés,  le  tiers  seulement  est  réservé  aux  cons- 
tructions, que  des  jardins  ceinturent  presque  partout.  La  lumière 
du  ciel,  la  vraie,  celle  qui  esta  sœur  de  la  joie  »,  pénètre  le  lycée; 
elle  contribue,  avec  ses  murailles,  toutes  roses  et  blanches, 
à  lui  donner  un  air  d'élégance  aimable  et  de  santé  (PI.  3y  et  38) . 
Son  immensité  n'est  pas  celle  d'un  monstre,  il  s'en  faut  :  elle  dis- 
simule ses  amphithéâtres,  ses  61  salles  de  classes  (dont  3i  ajou- 
tées depuis  1894),  ses  24  études,  toutes  plus  grandes  que  ses 
classes,  ses  deux  réfectoires  longs  de  3y  m.  5o,  et  ses  1 1  dortoirs, 
longs  de  34  mètres,  larges  de  7ra,5o,  hauts  de  4  mètres.  Aux 
7  millions  de  francs  dépensés  quand  s'ouvrit  le  lycée,  le  10  octo- 
bre 1 884,  il  fallut  ajouter  plus  de  3  millions  et  demi  :  car  le  lycée, 
comme  tout  organisme  vivant,  n'a  cessé  de  grandir  et,  dès  1 89 1 , 
il  a  fallu  à  Janson  deux  lycées  :  le  grand  lycée  et  le  petit.  Le  petit 
lycée  garde  les  élèves,  de  la  classe  enfantine  à  la  classe  de  4e  A 
incluse;  le  grand  lycée  a  toutes  les  autres  classes,  y  compris  les 
deux  divisions  de  4e  B.  C'est  l'Etat  qui  a  généreusement  payé 
tous  ces  frais  :  Janson,  à  la  différence  de  la  plupart  des  lycées 
parisiens,  ne  doit  rien  aux  deniers  de  la  municipalité  parisienne. 


PI.  37. 


LYCEE   JANSON   DE    SAILLY.   —    LA    COUR   D  HONNEUR. 


Phot.  Yallois. 


LYCEE  JANSON  DE  SAILLY.   — ■  ENTREE  DU  PETIT  LYCEE  SUR  l' AVENUE  HENRI-MARTIN. 

(Page  19S.) 


PI.  38 


Phot.  Vallois 
LYCÉE   JANSON   DE   SAILLY.  —   L'ENTREE   SUR   LA   RUE  DE  LA   POMPE. 


LYCEE   JANSON    DE    SAILLY.   — 


Phot.  Valloi 

COULOIR   DU   PETIT   LYCÉE    (PREMIER  ÉTAGE) 
(Page   [98. 


LE    LYCÉE  JANSON  DE  SAILLY  201 

Le  proviseur  de  Janson  étend  son  autorité  sur  les  deux  lycées. 
«  Il  est  averti  de  tout  ce  qui  se  passe  au  petit  lycée  ;  il  reste  le 
seul  administrateur  pour  toute  la  maison,  sous  le  rapport  des 
intérêts  matériels  et  de  la  gestion  financière.  »  Au  directeur  du 
petit  lycée,  qui  reste  classé  parmi  les  censeurs  des  lycées  de 
Paris,  sont  laissées  l'initiative  et  la  responsabilité  de  ce  qui 
regarde  les  intérêts  moraux  et  intellectuels  de  son  département. 

Les  quatre  proviseurs  de  Janson,  MM.  Kortz,  Fourteau, 
Poirier,  Chacornac1,  les  directeurs2,  les  censeurs3  et  le  corps 
enseignant  tout  entier  ont  tous  donné,  sans  compter,  leur  talent 
et  leur  travail,  leur  science  et  leur  conscience,  pour  assurer  la 
fortune  de  l'œuvre  entreprise.  S'ils  étaient  moins  près  de  nous, 
nous  serions  plus  à  l'aise  pour  nuancer  l'éloge,  et  notamment 
vis-à-vis  du  proviseur  actuel,  M.  Chacornac,  qui  sait  allier  l'ex- 
périence à  l'optimisme,  et  l'onction  diplomatique  à  la  fermeté. 
L'enseignement  supérieur,  à  maintes  reprises,  a  emprunté  ses 
professeurs  au  lycée  Janson  :  la  Faculté  de  Rennes  a  pris 
M.  Lacour*  à  sa  classe  de  mathématiques  spéciales  (1 884-1 891)  ; 
l'École  des  Beaux-Arts  dispute  M.  Rocheblave  (1895)  à  ses  élèves 
de  première;  la  Sorbonne  a  pris  M.  Séailles  à  sa  classe  de  phi- 
losophie (i885-86)  ;  MM.  Aulard  (1884-86),  Emile  Faguet  (1887- 
1893),  Lintilhac  (1896-98),  à  leurs  classes  de  Rhétorique.  Et 
faut-il  ajouter  que  le  Sénat  a  revendiqué  M.  Lintilhac  et  l'Aca- 
démie française,  M.  Faguet?  L'Inspection  académique  de  Paris 

1.  MM.  Kortz,  octobre  1884  à  octobre  1891;  Fourteau,  octobre  1891  à  février 
1902  ;  Poirier,  février  1902  à  octobre  1909  ;  Chacornac,  depuis  octobre  1909. 

2.  MM.  Breitling,  octobre  1891-octobre  1892  ;  Bréhier,  octobre  1892-octobre 
1906  ;  G.  Port,  depuis  octobre  1906. 

3.  MM.  Breitling,  octobre  1884  à  octobre  1891  ;  Favre,  octobre  1891  à  octobre 
1892  ;  Laféteur,  octobre  1892  à  février  1902  ;  Cuvillier,  février  1902  à  octobre  1904; 
Payrard,  octobre  1904  à  octobre  1908;  Windenberger,  depuis  octobre  1908. 

4.  Nous  mettons  entre  parenthèses  les  années  pendant  lesquelles  les  profes- 
seurs ont  enseigné  à  Janson. 


202  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC   A   PARIS 

a  récemment  appelé  à  elle  M.  Belot  (1893-98)  ;  l'Inspection 
générale  de  l'Enseignement  primaire  M.  Edouard  Petit  (1886- 
1897)  et  M.  Pécaut  (1901-2).  Enfin  l'Inspection  générale  de 
l'Enseignement  secondaire  s'honore  d'avoir  compté  dans  ses 
rangs  M.  Lanier  (1884- 1902),  pour  l'histoire,  et  de  compter 
encore  M.  Chassagny  (1884-1908),  pour  la  physique,  M.  Belot 
pour  la  philosophie. 

Entre  tous  leurs  camarades  parisiens,  les  élèves  de  Janson 
se  caractérisent  d'abord  par  leur  nombre1.  Le  lycée  ouvert  «  on 
attendit  mille  élèves,  avec  l'espoir  qu'il  en  viendrait  bien  cinq 
cents.  Il  y  en  eut  bientôt  douze  cents,  quinze  cents,  plus  de  deux 
mille...  Il  en  vint  de  Passy,  d'Auteuil  et  de  Neuilly  ;  il  en  vint 
de  l'Europe  entière  ;  il  en  vint  d'Afrique  et  d'Asie,  d'Australie 
et  des  Trois  Amériques  ;  il  en  vint  du  Japon  ;  il  en  vint  même 
de  la  Plaine  Monceau,  qui  est  incomparablement  plus  loin  :  car, 
entre  le  Japon  et  Janson,  il  n'y  a  guère  que  toute  l'Asie  et  toute 
l'Europe,  tandis  qu'entre  la  plaine  Monceau  et  la  rue  de  la 
Pompe,  il  y  a  le  lycée  Garnot  et  le  lycée  Condorcet 2  ». 

Aucun  lycée  de  France  n'a  une  population  scolaire  plus  floris- 
sante. Mais,  tout  comme  ailleurs,  les  internes,  en  dépit  du 
chiffre  total,  qui  monte,  ne  cessent  guère  de  décroître.  Les 
demi-pensionnaires  eux-mêmes  diminuent.   Sur  plus  de   deux 

1  •  GRAND  PETIT  DEMI-PENSION- 

15    NOVEMBRE  LYCEE  LYCEE  TOTAL  N AIRES  EXTERNES 


1884 ,) 

1885 » 

1886 » 

1890 » 

1895 999               -f-  950 

1900 1.041               -f  744 

1905 1.156               4-  963 

1909 i.ifaô               -f  913 

1911 1.087               +  925 

1912 »                       » 


458  154  233 

940  245  432 

245  305  552 

842  297  754 

949  317  1.202 

785  239  1.277 

119  198  1-693 

079  ibi  1.735 

064  170  1.710 

092  ib)  1.665 


2.  Discours  de  M.  Moog,  professeur  de  troisième,   le  31  juillet  1909,  à  la  dis- 
tribution des  Prix  du  Grand  Lycée. 


LE   LYCÉE   JANSON   DE   SAILLY  203 

mille  élèves,  il  n'y  a  pas  toujours  170  pensionnaires.  On  disait, 
à  l'origine  :  faisons  un  lycée  d'internes  ;  Janson  sera  assez  loin 
pour  qu'on  y  couche.  On  se  trompait,  on  n'y  couche  guère.  Et  il 
a  fallu,  de  1902  à  1904,  désaffecter  trois  dortoirs  pour  les  con- 
vertir en  classes1.  Le  lycée  qui  aurait  pu  être  un  lycée  national 
est  un  lycée  de  quartier. 

Deux  pensions  principales  gravitent  autour  de  Janson  : 
Gerson  et  Lacordaire,  dont  la  prospérité  suit  celle  du  lycée. 

L'élève  de  Janson  de  Sailly  n'est  pas  un  éphèbe  courbé  sur 
sa  table  à  écrire.  Son  ambition  ne  va  pas  à  être  «  un  porte- 
plume  ».  Il  ne  s'attarde  pas  trop  longtemps  sur  le  passé  mort; 
il  aime  les  nouveautés,  il  est  essentiellement  moderne.  Pour  un 
peu,  il  serait  futuriste.  La  mode  d'hier  lui  semble  désuète;  la 
mode  d'aujourd'hui  lui  semble  déjà  fanée  ;  il  lui  faut  la  mode  de 
demain,  et  il  est  de  ceux  qui  la  créent  avec  une  audace  tran- 
quille de  précurseur,  sûr  de  son  fait. 

Il  est  le  familier  du  bois  de  Boulogne,  son  proche  voisin,  et 
il  y  trouve  un  terrain  d'entraînement  admirable.  Dans  les  con- 
cours interscolaires  de  1889,  Janson,  âgé  de  cinq  ans,  conquit  la 
première  place.  Dans  les  lendits,  de  1889  à  1900,  Janson  fut 
vainqueur  sept  fois  sur  onze.  Il  est  le  champion  favori,  dans  tous 
les  tournois  d'équitation,  de  natation,  de  paume,  de  disque,  de 
marche,  de  courses  de  vitesse  ou  de  fond,  d'aviron,  de  tir,  de 
boxe  française  ou  anglaise,  de  sauts  en  longueur  et  en  hauteur, 
de  bicyclettes,  de  cross-country,  lawn-tennis,  foot-ball  rugby, 
foot-ball  association,  pelote  basque,  croquet  et...  gymnastique. 
«  Sportsmen  de  la  première  heure  et  de  premier  ordre  »,  les 
Janson  de  Sailly  «  montent  à  cheval  comme  des  jockeys  et 
nagent  comme  des  torpilleurs  ». 

1.  Depuis  1911-2,  i8chambres  particulières  ont  été  réservées  aux  pensionnaires 
des  classes  supérieures. 


204  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC  A   PARIS 

Ils  ont  à  tâche  de  contribuer  au  progrès  de  l'automobilisme 
en  France.  L'entrée  du  lycée,  à  de  certains  moments,  ressemble 
à  une  succursale  de  l'Automobile-Club.  «  Cylindres,  volants,  car- 
burateur, jantes  amovibles,  différentiel,  pneus  qui  boivent  l'obs- 
tacle ou  qui  en  crèvent  »  n'ont  guère  de  secret  pour  un  parfait 
élève  de  Janson.  Et  ils  humilieraient,  si  la  distinction  de  leurs 
manières  ne  les  en  gardaient,  l'ignorance  de  leurs  professeurs 
d'humanités,  sur  le  chapitre  des  dirigeables  et  aéroplanes, 
rigides  et  semi-rigides,  avions,  monoplans  et  biplans,  sur  les 
vols  verticaux  ou  les  vols  horizontaux  et  sur  l'intéressante  famille 
des  hydroaéroplanes. 

A  Janson,  comme  jadis  à  Athènes,  la  culture  de  l'homme  sait 
être  complète  :  l'élégance  des  muscles  ne  fait  pas  tort  à  l'élé- 
gance de  l'esprit.  On  travaille  sans  surmenage,  mais  avec  intel- 
ligence, avec  goût,  avec  profit.  Au  concours  général,  de  1 885  à 
1902,  Janson  moissonna  une  belle  gerbe  de  lauriers  :  126  prix 
dont  62  premiers,  446  accessits  et  26  mentions.  De  1 885  à  19 12, 
Janson  fit  entrer  320  élèves  à  l'Ecole  polytechnique,  414  a  l'Ecole 
Centrale  des  Arts  et  Manufactures,  181  à  l'école  Saint-Cyr.  Dès 
l'ouverture  du  lycée,  en  1 885,  M.  Le  Dantec  était  son  porte- 
drapeau  et  entrait  premier  à  l'Ecole  normale  supérieure 
(sciences)  ;  on  sait  qu'il  a  depuis  mérité  d'autres  couronnes. 
Dans  l'atrium  de  Janson,  c'est-à-dire  dans  son  parloir,  les 
«  images  »  de  ses  preux  sont  exposées,  en  exemple  aux  généra- 
tions nouvelles  :  les  prix  d'honneur,  Cartan,  Drouin,  Bourgin, 
Gibert  ;  les  «  caciques  »  ou  les  «  majors  »  des  Ecoles  Normale, 
Polytechnique,  Saint-Cyr,  et  de  l'Institut  agronomique.  Le  Dan- 
tec, Cotton,  Glasser,  Jeanne,  Lalande,  Rolland,  Alcan,  Julia; 
enfin  les  champions  du  Lendit,  Dolbeau  et  Cauchy.  Les  élèves 
de  Janson  n'avaient  pas  encore  d'aïeux  ;  ils  ont  su  travailler,  «  de 
façon  à  devenir  eux-mêmes  des  ancêtres.  Du  haut  de  ses  vingt- 


LE   LYCÉE   JANSON    DE   SAILLY  205 

huit  ans  «  il  a  déjà  cet  air  vénérable  auquel  se  reconnaissent 
les  choses  séculaires  ». 

Un  dernier  trait  :  Janson  a  été,  pour  l'évolution  de  la  disci- 
pline, parmi  les  lycées  d'avant-garde.  C'est  lui  qui,  le  premier,  au 
réfectoire  et  dans  les  mouvements,  émancipa  les  langues.  C'est 
chez  lui  d'abord  que  l'austère  discipline  d'antan  tenta  cette  har- 
monie délicate  de  la  fermeté  et  de  la  liberté,  qui  devait  la  con- 
duire, suivant  le  mot  de  Maurice  Donnay,  à  devenir  «  la  sœur  de 
l'abondance  »  :  elle  mit  de  l'eau  dans  son  vin. 

Les  consignes  de  jadis  empoisonnaient  un  peu  l'air  de  cer- 
tains lycées  :  la  consigne  du  dimanche  confisquait  à  l'élève  sa 
liberté  pour  la  journée  entière.  M.  Kortz  et  M.  Breitling  renon- 
cèrent à  faire  payer  à  tous  les  délinquants  le  plein  tarif.  La 
peine  fut  proportionnée  au  délit  ;  on  la  divisa  en  tranches,  et  le 
terme  extrême  en  fut  fixé  à  quatre  heures  de  l'après-midi. 
«  L'élève  avait  ainsi  le  reste  de  la  journée  sauf.  Il  pouvait  mettre 
un  intervalle  de  liberté  et  de  vie  de  famille  entre  la  semaine 
close  et  celle  qui  allait  s'ouvrir;  la  punition  ne  risquait  pas  de 
le  laisser  aigri  ni  découragé.  » 

Ces  traditions  généreuses  se  sont  maintenues.  Sans  le  goût  de 
l'effort  et  sans  le  tourment  du  mieux,  toute  œuvre  éducative  est 
vaine  :  Janson  s'applique  à  éveiller  ce  goût  et  ce  noble  souci.  Le 
proviseur  actuel  cherche  surtout  à  donner  à  l'enfant  des  habi- 
tudes de  droiture  et  de  sincérité.  La  punition  matérielle  est  une 
extrémité  à  laquelle  il  invite  ses  collaborateurs  à  se  résigner 
quand  les  avis  fermes  et  bienveillants  ont  échoué. 

Dans  un  lycée  si  peuplé,  il  importait  de  s'ingénier  pour 
suivre  chaque  élève,  pas  à  pas.  On  y  est  arrivé  :  chacun  a  son 
compte  ouvert.  Mauvaises  notes  de  quinzaine,  travaux  supplé- 

1.  L'Association  amicale  des  anciens  élèves  du  Lycée  Janson,  fondée  en  1891, 
est  en  pleine  prospérité. 


2o6  L'ENSEIGNEMENT  PUBLIC   A   PARIS 

mentaires,  retenues  sont  portés  sur  ce  compte.  Chaque  tri- 
mestre, tout  externe  qui  a  mérité  24  devoirs  supplémentaires 
ou  vingt-quatre  heures  de  retenue,  tout  demi-pensionnaire  ou 
interne  qui  en  a  mérité  3oest  appelé  devant  le  Conseil  de  disci- 
pline. Ils  y  explique.  Le  Conseil  apprécie  s'il  y  a  lieu  de  lui  per- 
mettre un  nouvel  essai  ou  de  le  rendre  de  suite  à  sa  famille.  Une 
seconde  comparution  devant  le  Conseil  équivaut  à  un  arrêt  d'ex- 
clusion. Ce  système  fonctionne  avec  une  précision  automatique 
et  permet  la  connaissance  de  chacun  et  le  salut  de  tous  ceux  qui 
le  méritent.  Presque  toujours  les  élèves  qui  en  connaissent  le 
mérite  et  le  bien  fondé,  s'amendent  eux-mêmes.  Le  sentiment 
de  leur  responsabilité  et  la  culture  de  leur  volonté  sortent  forti- 
fiés de  cette  épreuve. 

Et  à  ces  jeunes  gens,  que  le  bien-être  et  le  luxe  environnent, 
le  lycée  n'a  pas  seulement  appris  à  travailler  et  à  réussir  ;  il  a 
finalement  réussi  à  leur  apprendre  cette  vertu  plus  rare,  obéir. 


XI 
LE   LYCÉE  BUFFON  ' 

Le  lycée  qu'on  avait  eu,  en  i865,  l'idée  de  fonder  sur  la  rive 
gauche,  pour  les  quartiers  sud-ouest  de  Paris,  ne  fut  pas  élevé; 
on  lui  destinait,  dans  la  rue  de  Sèvres,  l'emplacement  de  l'hos- 
pice des  Incurables.  Il  s'agissait  d'y  transporter  Louis-le-Grand, 
en  personne  :  aussi  tout  le  passé  du  vieux  collège  protesta,  et 
les  profanateurs  reculèrent;  ils  n'eurent  plus  le  courage  d'ac- 
complir leur  forfait.  On  logea  l'hôpital  Laënnec  aux  Incurables 

1.  16,  Boulevard  Pasteur  (PI.  39). 


LE   LYCEE   BUEEON 


207 


(1869- 1878),  et  tout  ce  coin  de  la  capitale  dut  se  contenter,  vingt- 
cinq  ans  encore,  du  collège  Stanislas. 

Enfin  le  Ier  octobre  1889  le  lycée  Buffon  ouvrit  ses  portes. 
C'est  à  peine  si  on  l'avait  placé  un  kilomètre  plus  loin  sur 
l'avenue  qu'on  appelait  alors  boulevard  de  Vaugirard  et  qui  est 
devenue  le  boulevard  Pasteur  (PI.  39) .  Car,  en  un  quart  de  siècle, 
des  maisons  nouvelles  avaient  surgi  là;  et  l'on  vit  pour  Buffon 
ce  qu'on  avait  vu  pour  Janson  :  le  quartier  fit  autant  pour  la 
fortune  du  lycée,  que  le  lycée  pour  la  fortune  du  quartier.  Si 
Buffon  n'a  pas  encore  la  population  scolaire  de  Janson,  c'est  que, 
malgré  tout,  le  XVe  arrondissement  n'a  pas  la  vogue  du  XVIe,  et 
que  les  Invalides,  Montparnasse  et  Vaugirard  n'ont  pas,  fus- 
sent-ils coalisés,  l'attrait  prestigieux  de  Passy  à  l'orée  du  Bois. 

La  morale  exige  que  la  modestie  soit  récompensée  de  temps 
en  temps.  On  créa  Buffon  pour  800  élèves  et  l'on  se  dit  :  il  en 
viendra  jusqu'à  200.  Il  y  en  a  aujourd'hui  1.100.  Dès  sa  majo- 
rité, Buffon  avait  pu  fêter  son  millième  enfant.  Le  vieux  Priam 
et  ses  cinquante  fils  étaient  battus  de  vingt  longueurs1. 

Depuis  la  fondation  du  lycée,  les  lignes  métropolitaines  ont  eu 
beau  éventrer  le  sous-sol;  le  «  Nord-Sud  »  et  la  ligne  «  n°  5  »  ont 
eu  beau  se  superposer  en  croix,  presque  devant  la  porte  du  lycée  ; 
un  tramway  électrique  et  un  autobus  ont  eu  beau  faire,  du  boule- 
vard Pasteur,  un  des  centres  nouveaux  de  Paris,  le  lycée  a  gardé 
à  ses  origines  une  fidélité  touchante  :  d'autres  peuvent  être  des 
lycées  nationaux,  Buffon  demeure  un  lycée  de  quartier.  Et  comme 


ANNEES  ELEVES 

1889 178 

1890 360 

1891 461 

1892 465 

1893 543 

1894 589 

1895 568 

1896 553 


ANNEES  ELEVES  ANNEES 

1897 566  1905. 

1898 574  1906. 

1899 601  1907. 

1900 670  1908. 

1901 715  1909. 

1902 722  1910. 

1903 780  1911. 

1904 792  1912. 


ELEVES 
839 
870 

019 
980 
I  .OOp 
I.050 
I.O97 
I  .  Ob9 


2o8  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC   A  PARIS 

l'École  militaire  n'est  pas  loin,   les  fils  d'officiers  y  dominent. 

Buffon  ignore  encore  la  crise  de  l'internat,  mais  n'en  tire  pas 
vanité  :  il  n'a  été  construit  que  pour  des  externes.  Avec  eux, 
moins  de  ioo  demi-pensionnaires,  et  un  peu  plus  de  ioo  externes 
surveillés,  c'est  tout;  les  premiers  prenant,  au  lycée,  le  repas  de 
midi,  les  autres  allant  le  prendre  en  famille. 

Sur  le  nombre  de  ces  écoliers,  l'action  personnelle  des  pro- 
viseurs et  des  censeurs1  n'a  cessé  d'être  efficace  :  si,  de  1895  à 
1898,  ce  nombre  avait  baissé  de  plusieurs  unités,  la  cause  en 
est  à  la  maladie  de  l'un  d'eux,  M.  Dalimier.  Le  fléchissement 
n'a  pas  duré  :  M.  Staub  et  M.  Breitling  étaient  des  adminis- 
trateurs trop  distingués  et,  à  l'occasion,  trop  énergiques,  pour 
ne  pas  valoir  au  lycée  une  renaissance  nouvelle.  Et,  parmi  les 
censeurs,  deux  des  plus  récents,  MM .  Oudinot  et  Peytraud,  ont  eu 
le  grand  honneur  de  mourir  à  leur  poste  :  ils  sont  de  ceux  dont 
le  lycée  garde  pieusement  la  mémoire. 

Les  locaux  où  se  rencontrent  élèves  et  administrateurs,  pro- 
fesseurs et  maîtres,  sont  déjà  trop  étroits  ;  le  hall  d'entrée  a  pris, 
aux  heures  d'affluence,  des  airs  de  miniature.  Autre  inconvé- 
nient :  les  classes  placées  sur  les  deux  grandes  cours  sont  l'ex- 
ception. Le  lycée  doit  être,  sans  doute,  l'apprentissage  delà  vie  : 
dans  ce  cas,  les  bruits  de  la  rue  Vaugirard  et  du  boulevard 
Pasteur  se  chargent  d'ajouter  généreusement  à  son  éducation.  La 
fureur  de  vivre  y  bat  son  plein,  sans  ménagement  et  sans  relâche. 
Et  il  nous  souvient  du  supplice  des  professeurs  obligés  de  lutter 
de  la  voix  avec  le  tonnerre  du  métropolitain  qui  bondit  hors  de 
terre,  juste  en  face  du  lycée,  pour  jeter  aux  quatre  vents  du  ciel 

1.  Proviseurs  : 

MM.  Adam,  1889-93:  Dalimier,  1893-1902;  Staub,  1902-1907;  Breitling,  1907. 

Censeurs  : 

MM.  Fourteau,  1889-92;  Bréhier,  1892-93  ;  Claverie,  1893-1894;  Voisin,  décembre 
1894-1905;  Oudinot,  1905-1908;  Peytraud,  1908-1912;  Bardot,  1912. 


PI.  39. 


va; 


LYCEE   BUFFON.  —   FAÇADE    SUR   LE   BOULEVARD    PASTEUR. 


LYCEE   BUFFON.   —   UNE   COUR   INTERIEURE. 
(Page  206.) 


ri.  40. 


LYCÉE    VOLTAIRE 
LENTRÉE    SUR    l' AVENUE    DE    LA    REPUBLIQUE 


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LYCEE    VOLTAIRE.   —    COUR    INTÉRIEURE. 
(Page  211.) 


LE   LYCÉE   BUFFON  209 

son  bruit  insolent  de  ferrailles.  Il  est  très  vrai  qu'il  se  repose  : 
il  ne  passe  que  toutes  les  trois  minutes,  mais  comme  les  trains 
se  croisent,  on  a  parfois  une  minute  et  demie  de  tranquillité. 

Le  lycée  n'en  a  pas  moins  un  air  de  jeunesse,  de  bonne  grâce 
et  de  gaieté,  qui  séduit  et  qui  retient.  La  distribution  des  cou- 
loirs y  est  assez  heureuse  pour  que  la  surveillance  en  soit  facile, 
discrète  et  totale. 

Les  sports  y  sont  en  honneur,  comme  clans  tout  lycée  «  bien 
parisien  ».  Une  cour  spéciale  est  affectée  à  certains  jeux 
d'adresse  :  plus  de  dix  équipes  de  tennis  s'y  succèdent. 

Les  études  n'ont  rien  à  y  perdre,  bien  au  contraire.  Buffon 
est  un  des  lycées  où  les  examens  de  passage,  d'une  classe  à 
l'autre,  sont  le  plus  loyalement  pratiqués.  En  octobre  191 2, 
23  élèves  n'ont  pu  réussir  à  forcer  la  porte  de  la  classe  supé- 
rieure à  celle  où  ils  venaient  de  végéter,  tant  bien  que  mal, 
toute  Tannée  précédente.  Buffon,  comme  tant  de  lycées  dont  le 
recrutement  est  assuré,  peut  choisir  ses  élèves  :  il  a  la  quantité, 
il  dépend  de  lui  d'avoir  aussi  la  qualité. 

Au  reste,  ainsi  que  dans  tous  les  autres  lycées  parisiens, 
même  dans  les  plus  démocratiques,  les  élèves  qui  ont  achevé 
le  premier  cycle  ne  songent  qu'à  parcourir  le  second  et  non  à 
quitter  le  lycée. 

Les  études  latines  y  éprouvent  aussi,  comme  partout  dans 
la  capitale,  un  regain  de  faveur  ;  ce  qui  se  traduit  ainsi  en  lan- 
gage technique  :  les  classes  B  du  premier  cycle  se  vident1  au 

1.  Voici  des  chiffres  édifiants  pour  les  six  dernières  années  : 

6»  A  6»  B 

OCTOBRE  (AVEC    LATIN)  (SANS    LATIN) 

1907 78  50 

1908 80  49 

1909 84  38 

1910 82  63 

1911 82  39 

1912 112  23 

14 


210  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC   A  PARIS 

profit  des  classes  A.  Sur  1 3  5  élèves  de  6e,  23  élèves  seulement 
se  passent  de  latin  et  1 12  en  demandent. 

Et  le  fait  est  d'autant  plus  significatif  à  Buffon,  que  ce  lycée 
est  en  passe  de  devenir  scientifique.  C'est  le  provisorat  de 
M.  Breitling  qui  oriente  Buffon  dans  cette  voie.  M.  Breitling 
avait  quitté  à  Saint-Louis,  un  lycée  scientifique  :  il  a  le  souci 
d'en  créer  un  autre  à  Buffon.  La  classe  de  mathématiques  spé- 
ciales y  est  florissante,  et  de  plus  en  plus.  Elle  a  sa  pépinière 
dans  les  classes  inférieures  du  lycée  et  non  pas  dans  les  autres 
lycées  de  Paris  ou  de  province. 

En  première  et  en  seconde,  les  classes  littéraires  sont  faible- 
ment peuplées,  au  regard  des  classes  scientifiques  :  en  octo- 
bre 191 2,  65  élèves,  en  première  C  et  D,  et  20  élèves,  en  pre- 
mière A  et  B  (dont  7  en  première  A)  ;  6g  élèves  en  seconde 
G  et  D  et  21  en  seconde  A  et  B.  La  hantise  des  écoles  Poly- 
technique et  Saint-Cyr  poursuit,  à  Buffon,  les  fils  d'officiers  et 
de  fonctionnaires,  qui  forment,  pour  une  si  grande  part,  la 
clientèle  du  lycée. 

La  sélection  que  permet  le  nombre  croissant  des  élèves  ne 
profite  pas  seulement  à  la  vie  intellectuelle  de  la  maison,  mais  à 
sa  vie  morale.  Chaque  élève  a  son  dossier  très  exactement  tenu  : 
chaque  punition  y  est  portée.  Un  enfant  signalé  pour  sa  mau- 
vaise conduite  est  mandé  chez  le  censeur,  ou  même,  quand  il 
y  a  lieu,  chez  le  proviseur;  trois  exclusions  de  classe  entraînent 
une  comparution  devant  le  Conseil  de  discipline,  où  un  avertis- 
sement est  donné;  après  trois  de  ces  avertissements,  l'élève  est 
rendu  à  sa  famille.  On  arrive  ainsi  à  un  minimum  de  consi- 
gnes et  à  un  maximum  d'ordre.  L'enfant  se  sent  surveillé,  sans 
tracasserie,  et  bien  souvent  il  s'amende  de  lui-même.  L'œuvre 
éducative  porte  ses  fruits. 

La  bonne  tenue  morale  va  rarement  sans  la  bonne  tenue 


LE   LYCÉE   VOLTAIRE  211 

matérielle  :  aussi  exige-t-on  la  seconde,  comme  la  première. 
Les  petits  élèves  sortent  en  rang.  Le  censeur  surveille  toujours 
et  le  proviseur  quelquefois  l'entrée  et  la  sortie  des  élèves. 

La  très  grande  majorité  des  enfants  est  catholique  :  deux 
vicaires  de  Saint-Jean-Baptiste  viennent  au  lycée  donner 
l'instruction  religieuse  à  ceux  des  élèves  dont  la  famille  en  a 
marqué  le  désir. 

Enfin  si  jeune  que  soit  le  lycée,  le  culte  du  souvenir  y  est  en 
honneur  :  le  portrait  de  tous  les  anciens  proviseurs  orne  les 
murs  du  parloir,  et  dès  le  14  janvier  1894,  V Association  des 
anciens  élèves  de  Buffon  a  été  fondée.  Chaque  année,  elle 
donne  un  prix  à  l'élève  le  plus  méritant  des  classes  supérieures. 
En  janvier  191 1,  elle  a  fait  graver  sur  une  plaque  de  marbre 
noir,  fixée  aux  murs  du  hall  d'entrée,  les  noms  de  trois  jeunes 
officiers  et  d'un  sous-officier,  tués  à  l'ennemi,  sur  la  terre 
d'Afrique.  Et  ce  marbre  est  bien  à  sa  place,  dans  une  maison 
qui  ne  doit  pas  seulement  initier  les  jeunes  gens  à  la  joie  de 
l'étude  et  du  savoir,  mais  dresser  leurs  énergies  à  toutes  les 
difficultés,  voire  aux  héroïsmes  du  devoir. 


XII 
LE  LYCÉE  VOLTAIRE1 

On  n'accusera  pas  l'administration  universitaire  d'avoir 
encombré  de  lycées  les  quartiers  orientaux  de  la  capitale  :  les 
écoles  professionnelles  y  abondent,  mais,  avant  1890,  aucun 
lycée  n'y    avait  été  construit.   Voltaire  aujourd'hui   ne  risque 

1.  ioi,  Avenue  delà  République  (PI.  40). 


212  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC   A   PARIS 

donc  pas  d'être  gêné  par  des  concurrents  trop  voisins.  Il  est  à 
presque  2  kilomètres  de  Charlemagne  et  à  plus  de  3  kilomètres 
de  Rollin. 

Voltaire  a  été  élevé  au  pied  de  Ménilmontant  et  sur  la  péri- 
phérie du  quartier  Popincourt.  On  eût  tenu  jadis  son  emplace- 
ment pour  un  coin  de  la  banlieue,  quoiqu'il  ne  soit  pas  plus 
éloigné  des  fortifications  que  de  la  Porte  Saint-Martin.  Son  der- 
nier proviseur  a  parfaitement  compris  cette  vérité  :  le  métro- 
politain ayant  mis  le  lycée  à  dix  minutes  des  gares  de  l'Est  et  du 
Nord,  le  chemin  de  fer  nogentais  l'ayant  mis  à  quinze  minutes 
de  la  barrière  de  Saint-Mandé  et  de  Vincennes  et  le  tramway 
de  l'Est  Parisien  l'ayant  mis  à  dix-huit  minutes  de  l'Opéra,  le 
lycée  Voltaire,  qui  eût  peut-être  végété  comme  lycée  de  quar- 
tier, est  devenu  prospère  comme  lycée  parisien.  Il  a  débuté 
avec  i5o  élèves;  il  en  a  aujourd'hui,  près  de  800 \  Il  ne  pouvait 
pas  espérer  devenir  un  lycée  national,  n'ayant  que  des  externes 
et  des  demi-pensionnaires  :  il  a  du  moins  la  plus  forte  demi- 
pension  de  la  capitale.  Les  élèves  ne  sont  pas  seulement  allés  se 
multipliant;  leur  recrutement  s'est  étendu  jusqu'aux  classes 
sociales  qui  composent  la  clientèle  de  Gondorcet  ou  de  Janson. 
Voltaire  a  donc  éprouvé,  pour  sa  part,  ce  que  Buffon  a  res- 
senti. 

On  devine  ce  qu'il  a  fallu  d'énergie,  d'adresse,  de  tact  et  de 
foi  à  ses  divers  administrateurs  pour  conquérir  ces  résultats. 


DEMI-PENSION- 

ANNEES  NAIRES 

1890 38 

1894 97 

1899 110 

1904 94 

1909 133 

1910 164 

1911 i97 

1912 223 


EXTERNES 

EXTERNES 

SURVEILLES 

LIBRES 

tota: 

52 

41 

151 

97 

159 

353 

c;9 

271 

4*0 

114 

336 

514 

M7 

357 

637 

138 

370 

672 

J37 

437 

771 

M7 

422 

7.)  2 

LE   LYCÉE  VOLTAIRE  213 

Deux  de  ses  proviseurs  '  :  MM.  Taboureux  et  Déprez  ont  doublé 
le  nombre  de  leurs  élèves  ;  l'initiative  et  l'opiniâtre  activité  de 
M.  Viguier  ont  augmenté  ce  nombre  d'un  tiers.  Et  si  Carnot 
ne  l'avait  appelé,  M.  Frétillier,  sans  nul  doute,  aurait  connu, 
avenue  delà  République,  une  fortune  pareille. 

Les  bâtiments  sont  vastes  :  18.000  mètres  carrés.  Cinq  rues 
les  isolent  comme  un  îlot  de  pierre  où  les  arbres  de  quatre 
grandes  cours  prodiguent  leur  ombrage  et  où  le  soleil  parisien 
met  tout  ce  qu'il  a  de  lumière.  L'architecte  a  eu  la  délicatesse 
de  disposer  les  classes  loin  de  la  rue  :  les  professeurs  lui  rendent 
grâces.  Mais  les  censeurs  eussent  préféré  des  couloirs  moins 
extérieurs  aux  quatre  cours  :  il  faut  autant  de  surveillants  que 
de  couloirs.  Il  est  vrai  que  ces  couloirs  sont  magnifiques.  Le 
couloir  des  petits  et  le  couloir  du  Nord  ont  des  perspectives 
presque  ausssi  imposantes  que  celles  des  corridors  à  la  Grande 
Chartreuse.  Autre  luxe  :  partout  des  contreforts,  c'est-à-dire 
d'admirables  cachettes  pour  les  enfants.  Par  contre,  si  les  con- 
treforts abondent,  les  caniveaux  creusés  dans  le  mur,  pour  l'écou- 
lement des  eaux  sales,  ont  été  oubliés.  Une  autre  distraction  a 
logé  la  chaufferie  aux  extrémités  du  lycée  :  on  peut  griller  ici 
et  geler  là  (PI.  40). 

Classes  et  études  ont  connu,  d'emblée,  «  tout  le  confort 
moderne  »  :  l'éclairage  seul  retardait  encore.  Grâce  surtout  à 
M.  Lamirand,  inspecteur  de  l'Académie  de  Paris  et  président 


1.  Proviseurs  : 

MM.  Taboureux,  30  juillet  1890,  mort  au  Lycée.  28  décembre  1892  :  Frétillier, 
30  décembre  1892-28  décembre  1894  ;  Déprez,  28  décembre  1894-juillet  1904  ;  Favre, 
août  1904  au  26  mai  1907;  J.  Viguier,  27  mai  1907. 

Censeurs  : 

MM.  Viguier,  6  janvier  1900-12  février  1902  ;  Laféteur,  13  février  1902-fin  juillet 
1906  ;  Bebin,  août  1906-juillet  1909;  De  Caumont,  août  1909,  mort  au  Lycée  9  oc- 
tobre 1911;  Bardot,  10  octobre  1912-15  septembre  1912;  Vergeot,  16  septembre 
1912. 


2i4  L'ENSEIGNEMENT  PUBLIC  A  PARIS 

du  Conseil  d'administration  du  lycée,  ce  retard  n'existe  plus; 
l'électricité  et  l'éclairage  intensif  à  becs  renversés  ont  été  ins- 
tallés depuis  quelque  temps  :  les  séances  de  projection  sont  deve- 
nues possibles. 

Voltaire  a  beau  avoir  une  équipe  sérieuse,  il  n'est  pas  un 
lycée  de  sports  ;  il  ne  songe  à  rivaliser,  sur  ce  point,  ni  avec 
Janson  ou  Rollin,  ni  avec  Lakanal,  Michelet  ou  Saint-Louis. 

L'esprit  général  des  élèves  est,  au  reste,  excellent  :  chacun 
d'eux  se  sent  suivi  de  près  et  même  en  dehors  du  lycée  ;  par 
exemple,  dans  les  tramways  qui  leur  sont  exclusivement  réservés, 
ou  encore  dans  le  voisinage  de  Voltaire.  Cette  irréprochable 
tenue,  à  l'extérieur,  est  la  première  condition  requise  pour  être 
admis  comme  élève. 

L'émulation  est  stimulée.  Chacun  des  élèves,  admis  à  la 
Saint-Charlemagne,  a  sa  photographie  individuelle,  affichée  sur 
les  murs  du  lycée.  Bien  faire  est  un  devoir  envers  nous-mêmes, 
faire  du  bien  est  un  devoir  social.  Tout  récemment,  on  rappe- 
lait aux  élèves  de  Voltaire  la  pensée  de  Marmontel  :  la  bonté 
est  le  secret  du  bonheur.  Et  le  maire  du  XIe  arrondissement  les 
remerciait  publiquement  de  faire,  dès  le  lycée,  et  en  faveur 
des  pauvres  du  quartier,  l'apprentissage  de  la  bonté. 

Par  delà  les  murs  et  le  temps  passé  à  Voltaire,  l'Association 
des  anciens  élèves  a  le  souci  de  prolonger  la  vie  morale  qu'on 
y  trouve.  Des  prix  aux  élevés  actuels,  des  bourses  de  vacances 
pour  des  séjours  à  l'étranger,  des  bourses  de  scolarité  pour  une 
année  entière  ou  plusieurs,  voilà  bien  des  manières  que  les  aînés 
ont  de  dire  aux  générations  nouvelles  :  le  lycée  nous  a  fait  un 
peu  ce  que  nous  sommes  ;  nous  lui  devons  beaucoup.  En  pensant 
à  vous,  notre  gratitude  pense  à  lui. 

Et  pourtant,  depuis  1890,  combien  Voltaire  a  changé  :  tout 
ce  qui  vit  se  transforme  et  il  a  évolué  comme  un  être  très  vivant. 


LE   LYCÉE  VOLTAIRE  215 

11  ne  s'était  ouvert,  en  principe,  que  pour  des  cours  d'enseigne- 
ment moderne,  et  il  se  trouve  aujourd'hui  que  l'enseignement 
classique  a  fait  mieux  que  de  s'y  installer.  Il  y  triomphe.  A  la  ren- 
trée de  191 2,  le  latin  a  pris  sa  revanche  à  Voltaire,  tout  comme 
à  Henri  IV  ou  à  Montaigne,  à  Lakanalouà  Michelet,  à  Condor- 
cet  ou  à  Janson1. 

De  la  1  Ie  à  la  7e,  les  classes  enfantines  très  peuplées  prépa- 
rent les  enfants  de  5  à  1 1  ans  à  l'enseignement  secondaire.  Vient 
ensuite  le  premier  cycle  :  il  est  beaucoup  plus  achalandé  à  Vol- 
taire que  le  second.  C'est  peut-être  le  seul  lycée  parisien  où  les 
élèves  terminent  avec  la  3e  leurs  études.  Un  bon  nombre  de 
ceux  qui  les  poursuivent  émigrent  dans  les  grands  lycées  où 
est  traditionnellement  assurée  la  préparation  aux  Ecoles  de 
l'Etat.  Du  moins,  depuis  191 1,  Voltaire  s'est-il  créé  une  spé- 
cialité :  il  prépare  aux  Ecoles  nationales  d'Arts  et  Métiers.  Le 
succès,  au  concours  de  191 2,  a  été  tel  (7  élèves  reçus  sur  8)  qu'à 
la  rentrée  une  quarantaine  de  candidats  sont  accourus  se  faire 
inscrire  au  lycée2. 

Les  examens  du  baccalauréat  donnent  au  lycée  d'autres 
victoires,  qu'il  doit  peut-être  à  ce  fait  que  les  classes  les  plus 
surchargées  ne  dépassent  jamais,  ou  presque  jamais,  36  unités  : 
en  191 1,  44  élèves  ont  été  admis  sur  52  présentés,  et  53,  en  1912, 
sur  67. 

Ces  chiffres  ont  leur  éloquence.  Il  y  a,  bien  évidemment,  des 
lauriers  d'essence  plus  rare.  Mais  l'ambition  de  maintes  et 
maintes  familles,  même  loin  de  Ménilmontant,  n'éprouve  aucune 
honte  à  ne  couper  que  ces  lauriers-là. 


1.  En  1912,  3  classes  de  sixième   A  et  2   seulement  de  sixième  B  ;    2  de   cin- 
quième A;  2  de  quatrième  A  ;  en  1913,  il  y  aura  2  troisièmes  A. 

2.  Voir  plus  haut,  p.  24,  sur  l'ouverture  de  l'École  des  Arts  et  Métiers  de 
Paris. 


2i6  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC   A   PARIS 


XIII 
LE   LYCÉE  CARNOT1 

Il  est  le  dernier  né  de  nos  lycées  parisiens,  puisqu'il  a  été  créé 
par  décret  présidentiel  du  22  décembre  1894.  Et,  s'il  a  pu  s'ou- 
vrir dès  le  ier  janvier  1895,  ce  n'est  point  qu'une  baguette  de  fée 
Tait  fait  tout  à  coup  sortir  de  terre  ;  c'est,  tout  simplement,  qu'il 
a  succédé  à  une  école  dont  l'Université  demeure  aujourd'hui 
encore  l'obligée,  l'Ecole  Monge. 

Le  fondateur  et  l'unique  directeur  de  l'Ecole  Monge  fut 
M.  Godart.  C'était  un  ancien  préfet  de  Sainte-Barbe;  il  avait 
été  initié  aux  expériences  pédagogiques  de  M.  de  Lanneau. 
Lui-même  était  un  homme  d'initiative.  Ancien  élève  de  l'Ecole 
polytechnique,  où  il  était  entré  en  1857,  il  sut  gagner  à  ses 
idées  plusieurs  de  ses  camarades,  et  s'établit,  grâce  à  leurs 
capitaux  et  aux  siens,  rue  Chaptal  32,  dans  le  local  de  l'an- 
cienne institution  Landry;  puis,  en  octobre  1876,  145  boule- 
vard Malesherbes.  La  Société  de  l'École  Monge  fut  constituée, 
le  Ier  janvier  1869. 

En  1869,  Monge  n'était  qu'une  école  préparatoire  :  dès  1871, 
une  classe  enfantine  lui  fut  annexée  et  peu  à  peu  elle  devint  un 
collège  de  plein  exercice. 

M.  Godart  attachait  tant  d'importance  aux  petites  classes, 
qu'il  ne  dédaignait  pas  de  s'en  occuper  lui-même.  11  réclamait 
des  soins  attentifs  et  primordiaux  pour  les  leçons  de  choses, 


I.  Boulevard  Malesherbes,  145  (PI.  41).  —    Nous  avons  largement  puisé  dans 
les  notes  que  M.  Cavininq,  proviseur  de  Carnot,  nous  a  si  obligeamment  confiées. 


LE   LYCÉE   CARNOT  217 

Tétude  du  français  et  des  langues  vivantes,  l'allemand  surtout, 
l'arithmétique,  la  géographie,  l'histoire  naturelle.  Il  n'abordait 
qu'ensuite  le  latin  et  le  grec.  En  1882-83,  l'Ecole  Monge  avait 
822  élèves. 

Peu  à  peu,  vint,  pour  elle,  la  décadence.  Elle  avait  eu  l'hon- 
neur de  frayer  quelques-unes  des  voies  nouvelles  où  l'Université 
s'engagea,  d'un  pas  plus  assuré.  M.  Godart  n'hésitait  pas  à 
continuer  le  rôle  périlleux  de  novateur  :  il  abandonnait  plusieurs 
de  ses  méthodes,  ambitieux  d'en  trouver  de  meilleures.  Au 
cours  de  ces  tâtonnements,  le  lycée  Janson  de  Sailly  s'ouvrit  en 
octobre  18841.  Condorcet  s'étendait  et  son  petit  lycée  s'installait 
rue  d'Amsterdam  en  i8832.  La  concurrence  des  lycées  et  des 
écoles  congréganistes  menaçait,  à  ce  moment  même,  très  grave- 
ment Sainte-Barbe  et  l'École  Alsacienne.  Moins  heureuse  que 
ces  deux  établissements  privés,  l'École  Monge  ne  put  conjurer 
le  péril;  Janson  plus  encore  que  Condorcet  drainait  la  clientèle 
scolaire  de  tout  l'ouest  de  Paris.  Les  Mongiens  diminuaient 
chaque  année,  et  les  dépenses  ne  cessaient  de  l'emporter  sur  les 
recettes.  Il  fallut  se  résoudre  à  l'inévitable.  L'école  fut  transfor- 
mée en  lycée. 

Les  terrains  valaient  au  moins  4  millions  et  demi.  En  ache- 
tant 6  millions  et  demi  l'école  toute  construite  avec  son  maté- 
riel, l'État  ne  fit  pas  un  marché  de  dupe. 

On  était  en  1894;  M.  Sadi  Carnot  venait  de  succomber,  à 
Lyon,  sous  le  couteau  de  l'anarchie,  et  la  gloire  lui  avait  ouvert, 
toutes  grandes,  les  portes  du  Panthéon.  On  se  souvint  que  son 
grand  ancêtre  avait  eu  Monge  pour  collaborateur.  Le  nouveau 
lycée,  qui  devait  tant  à  l'École  Monge,  reçut  donc  le  nom  de 
Lycée  Carnot.   Il  était  dans  la  destinée  de  Monge,  à  la  fin  du 

1.  Voir  ci-dessus,  p.  200. 

2.  Idem.,  p.  143. 


2.8  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC  A  PARIS 

xixe  siècle  comme  à  l'issue  du  xvme,  d'avoir  travaillé  pour  Gar- 
not;  mais,  de  nos  jours,  c'était  pour  élever  une  œuvre  de  paix, 
d'éducation  et  de  progrès,  et  non  pour  forger  des  engins  de 
guerre. 

Autour  d'un  vaste  hall  central  et  vitré,  courent  des  «  galeries 
aériennes  où  classes  et  études  semblent  suspendues,  comme  une 
guirlande  de  nids  à  balcon1  »  (PL  41).  Tous  ces  nids  s'accrochent 
joliment  aux  briques  rouges  qui  alternent  avec  des  cordons 
de  pierres  blanches,  et  forment,  en  deux  étages  et  sur  20  mètres 
de  haut,  une  cité  lumineuse  de  3. 000  mètres  de  surface. 

Les  vides  l'emportent  partout  sur  les  pleins  :  tout  est  ver- 
rière ou  fenêtre  géante.  La  surveillance  n"a  pas  à  s'en  plaindre 
ni  l'hygiène  de  la  vue  :  c'est  l'idéal  de  l'éclairage  scientifique. 
Une  lumière  franche  vient  de  la  gauche,  au-dessus  de  la  tête  de 
l'élève,  par  les  fenêtres  qui  donnent  sur  des  cours  extérieures  ; 
une  autre  lumière,  plus  tamisée,  vient  de  droite,  pénétrant  par 
les  baies  ouvertes  sur  la  cour  vitrée.  La  logique  de  cette  savante 
ordonnance  a  «  toutes  les  délicatesses  et  les  prévoyances  d'une 
bonne  mère  2  ».  L'architecte  a  mis  sa  Moire  à  se  faire  le  servi- 
teur  des  écoliers,  grands  ou  petits. 

Le  premier  proviseur  a  été  M.  Frétillier,  qui  a  su  mettre  au 
service  du  nouveau  lycée  sa  double  expérience  de  professeur  et 
d'administrateur,  acquise  au  cours  de  vingt-cinq  années,  à 
Pontivy  et  à  Périgueux,  au  Mans  et  à  Grenoble,  à  Aix,  Toulon, 
Brest,  Alger,  Marseille  et  Voltaire3.  Son  successeur,  M.  Achille 

1.  Discours  de  M.  Adrien  Dupuy,  alors  inspecteur  dAcadémie,  à  la  première 
distribution  des  Prix  du  Lycée  Carnot. 

2.  Idem. 

3.  Proviseurs:  MM.    Frétillier,  28   décembre  1894-15   septembre  1909;  Cani- 
vinq.  depuis  le  15  septembre  1909. 

Censeurs:  MM.  Agabriel,  2  août  1895  ;  Chicoulan,  4  août  1902,  encore  en  fonc- 
tions. 


LE   LYCÉE   CARNOT  219 

Canivinq,  précédemment  proviseur  du  lycée  de  Bordeaux,  n'est 
pas  de  ceux  qui  laisseront  déchoir  le  lycée  Garnot  du  rang  dis- 
tingué où  M.  Frétillier  a  su  si  vite  le  hausser.  Peu  de  proviseurs 
connaissent  mieux  leur  métier  que  M.  Canivinq,  dont  la  franchise 
un  peu  brusque  et  saine  reflète  beaucoup  de  loyauté  foncière. 

Dans  cette  renaissance,  on  devine  bien  que  les  censeurs  ont 
eu  leur  grande  part,  et  le  corps  enseignant  tout  entier,  la  sienne. 
Tous  ont  assumé  très  noblement  les  devoirs  de  leur  tâche.  En 
quatre  ans,  le  chiffre  des  élèves  '  passait  de  261  à  plus  de  900  ; 
puis,  dès  1902,  le  chiffre  de  1.000,  dont  on  se  rapprochait  beau- 
coup depuis  1899,  a  été  dépassé.  On  a  même  atteint  1.097  en 
1912-1913. 

Carnot,  on  le  devine  ne  pouvait,  à  lui  seul,  réhabiliter  le 
demi-pensionnat  :  là  où  Michelet  et  Lakanal,  Montaigne  et 
Janson  avaient  échoué,  Carnot  ne  se  flattait  pas  de  réussir.  Les 
externes  n'ont  cessé,  là  encore,  tout  comme  ailleurs,  d'augmenter 
en  face  des  demi-pensionnaires  qui  diminuaient.  Aujourd'hui 
pour  treize  élèves,  il  y  a  douze  externes,  et  un  demi-pension- 
naire .  C'est  dire  que  le  lycée  est  devenu,  lui  aussi  et  comme 
tant  d'autres,  à  défaut  d'un  lycée  national,  un  lycée  de  quartier. 

Les  études  n'en  sont  pas  moins  fort  distinguées.  L'élève  de 
Carnot,  même  quand  il  est  un  enfant  gâté  de  la  fortune,  se 
donne  au  travail  autant  par  plaisir  que  par  devoir  :  les  joies  de 
l'esprit  lui  semblent  parmi  les  meilleures. 

Pendant  les  neuf  dernières  années  du  concours  général,  il  a 
obtenu  16  prix,  85  accessits  et  5  mentions. 


I. 

1/2 
PENSION- 

1/2 

PENSION- 

NAIRES 

EXTERNES 

TOTAL 

NAIRES 

EXTERNES   TOTAL 

1895  5  janvier  . 

45 

2l6 

26l 

1910 

— 

76 

i.oii        1.087 

1896          — 

I36 

687 

823 

1911 

— 

64 

986         I.050 

1900          — 

I50 

847 

997 

1912 

— 

78 

I.OIQ         I.067 

1905          — 

93 

933 

1.02b 

220  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC  A  PARIS 

Depuis  lors  son  labeur  a,  chaque  année,  reçu  sa  récompense 
à  l'Ecole  centrale,  à  l'Ecole  polytechnique,  au  baccalauréat.  Le 
tiers  de  ses  candidats  est  entré  à  Polytechnique  en  1909,  1910 
et  191 1  *.  Aux  baccalauréats,  où  pour  les  candidats  admis,  la 
moyenne  générale,  en  France,  est,  depuis  bien  des  années,  de 
40  p.  100  environ,  elle  a  été  à  Carnotde65  p.  100  en  1910-191 1  et 
de  78  p.  100  en  191 1- 191 2 2.  Et  nous  ne  parlons  pas  de  46  men- 
tions en  1910-191 1,  dont  6  mentions  bien  et  3  mentions  très  bien. 

Les  fruits  de  l'éducation  morale  échappent  davantage  aux 
statistiques  :  ils  n'en  sont  pas  moins  certains  et  tangibles.  Le 
premier  devoir  de  l'éducateur  c'est  de  faire  sentir  à  l'enfant  ce 
qu'il  doit  à  tous  ceux  qui  l'ont  précédé  dans  la  vie  et  à  ceux  qui 
l'entourent3  :  à  Carnot,  on  ne  peut  oublier  qu'on  reste  l'obligé  de 
Monge.  La  grande  pensée  directrice  de  l'Ecole  Monge,  c'était 
«  le  respect  pour  l'enfant  ;  dans  sa  personnalité  physique,  par 
l'hygiène  et  l'exercice;  dans  sa  personnalité  morale,  par  la 
liberté  et  la  responsabilité  individuelles  ».  A  l'occasion  de  la  pre- 
mière distribution  de  prix  au  lycée,  M.  André  Lalande  rappelait 
avec  éloquence  ce  noble  programme.  Il  ajoutait:  «  La  transforma- 
tion de  cette  école  n'est  pas  la  défaite  d'une  idée,  mais  la  recon- 
naissance, la  consécration,  de  ce  qu'elle  contenait  de  vérité.  » 

1.  1909  :  38.5  p.  100;  1910  :  30,8  p.  100  ;  1911  :  25  p.  100;  1912,  21  p.  100.  A 
l'école  Centrale,  en  1911  :  7  élèves  reçus  sur  14  présentés  ;  et,  en  1912,  4  sur  11.  Le 
lycée  Carnot  ne  prépare  qu"à  ces  deux  grandes  écoles,  Polytechnique  et  Centrale. 

2.  Baccalauréat,  1910-1911  : 

En  1910-1912,  les  deux  sessions  réunies  : 

ÉLÈVES   REÇUS  1910-1911  ELEVES    REÇUS  1911-1912 

Mathématiques 73  P-  100  »  95  p.  100 

Philosophie 71     —  »  79    — 

Latin-grec 65     —  »  99     — 

Latin-langues 99     —  »  5-7     — 

Latin-sciences 86    —  »  86     — 

Sciences-langues.    ...  5b     —  »  6a     — 

3.  Voir  plus  haut,  Lycée  Lakanal,  p.  192. 


PI.  41. 


LYCEE    CARNOT.   —    COUR    INTERIEURE. 


Pliot.   Vallois. 


LYCEE    CARXOT.   CABINET    DE    PIIYSIOUE. 

Page  216.) 


ri  42 


LYCEE    FENELON.   —    COUR    INTERIEURE. 


Pliot.  VaUc 
LYCÉE    FENELON.   —    ESCALIER    DE    L'ANCIEN    HOTEL,    DIT    DE    ROUAN. 

Page  -,: 


LE   LYCÉE   CARNOT  22I 

Rien  de  plus  touchant  que  les  liens  noués  entre  les  anciens 
Mongiens  et  l'Association  amicale  des  anciens  élèves  de  Carnot. 
Tout  récemment,  le  7  mai  191 1,  Monge  et  Carnot  fraternisaient 
pour  célébrer  ensemble  leurs  anciens  élèves  tombés  en  héros  : 
Sainte-Glaire  Deville,  dans  la  campagne  de  Madagascar  ;  Paul 
Blanchet,  à  la  tète  d'une  mission,  dans  l'Afrique  occidentale  ; 
Lucien  Schneider,  administrateur  des  colonies,  mort  dans  le 
Haut  Oubanghi  ;  le  lieutenant  de  vaisseau  Maurice  Callot,  mort 
à  son  bord,  dans  le  tombeau  sous-marin  du  Pluviôse,  enfin  Geo 
Chavez,  victime  de  sa  traversée  des  Alpes  en  aéroplane.  «  Toutes 
ces  vies,  disait  M.  Liard,  et  toutes  ces  morts  seront,  pour  les 
élèves  de  ce  Lycée  dans  la  suite  des  générations,  un  exemple  et 
une  leçon.  Aussi  je  prie  MM.  les  Professeurs,  une  fois  chaque 
année,  d'exposer  et  de  donner  en  exemple  à  leurs  élèves  la  vie 
et  la  mort  de  ces  bons  Français,  de  ces  héros.  » 

M.  A.  Canivinq  venait  de  dire  avec  autant  de  raison  :  «  Ceux 
qui  crient  journellement  contre  la  décadence  de  la  race,  l'ab- 
sence d'énergie,  la  défaillance  des  caractères,  ne  vivent  pas 
avec  la  jeunesse  ;  ils  ignorent  les  réserves  d'énergie,  de  volonté, 
les  légitimes  ambitions  qu'il  y  a  sur  les  bancs  de  nos  lycées.  » 

Rapprocher  les  anciens  des  nouveaux,  enseigner  aux  élèves 
de  Carnot  les  grands  faits  de  leurs  aînés  et  empêcher  à  ceux 
qui  ont  quitté  le  lycée  d'en  désapprendre  le  chemin  est  partout 
une  pensée  éducatrice  excellente  :  aussi  Carnot,  qui  n'a  pas 
encore  vingt  ans  d'existence,  n'a-t-il  pas  voulu  remettre  à  plus 
tard  le  devoir  de  créer  l'Association  amicale  de  ses  anciens 
élèves.  Les  doyens,  parmi  ces  anciens-là,  sont  encore  de  jeunes 
hommes.  De  leur  jeunesse  ils  n'ont  voulu  voir  que  les  avantages  : 
ils  se  sentent  si  proches  de  leurs  cadets  encore  au  lycée  qu'ils  se 
mêlent  parfois  à  leurs  jeux.  Le  proviseur  a  autorisé  l'Association 
à  installer  deux  tennis  dans  le  grand  hall.  Ces  deux  tennis  sont, 


222  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC  A   PARIS 

moyennant  une  rétribution  modique,  à  la  disposition  des  élèves 
et  anciens  élèves,  le  jeudi  et  le  dimanche. 

Cette  Association  a  les  initiatives  les  plus  louables.  Elle 
donne  des  prix,  des  subventions  et  des  bourses  de  voyages  à 
l'étranger  ;  elle  organise  annuellement  trois  matinées  (boston, 
bridge),  où  les  anciens  et  leurs  familles  se  retrouvent  joyeuse- 
ment, dans  le  parloir  du  lycée. 

Enfin,  le  24  mars  191 2,  elle  a  imaginé,  dans  le  grand  hall, 
une  kermesse  au  profit  de  l'aviation  militaire.  Le  succès  de 
cette  fête  fut  complet  ;  la  recette  jointe  à  la  souscription  des 
élèves  dépassait  la  somme  de  12.000  francs. 

Carnotest  donc  un  des  lycées  où  le  devoir  de  solidarité,  dont 
la  vertu  éducative  est  si  haute,  se  pratique  le  mieux. 


DEUXIÈME   SECTION 
LES  LYCÉES  DE  JEUNES  FILLES 

Il  leur  a  fallu  trente  années  de  luttes  pour  achever  de  con- 
quérir l'opinion  et  pour  passer,  des  railleries  du  théâtre,  dans 
la  gravité  sérieuse  de  la  vie.  Les  lycéennes  aujourd'hui  ne  font 
plus  guère  sourire  personne  :  une  jeune  fille,  tout  comme  un 
jeune  homme,  n'avoue  pas  seulement  son  lycée,  elle  en  est  hère. 
Et  cette  révolution  dans  les  mœurs  aura,  dans  notre  histoire 
contemporaine,  une  très  grande  place.  Ce  que  Napoléon  Ier 
avait  fait  pour  l'éducation  des  hommes,  la  troisième  République 
vient  de  le  faire  pour  l'éducation  des  femmes.  «  Le  temps  est 


PI    43 


Plioi.  Valloi 
LYCÉE   FÉNELON.   —    CABINET   DE   LA    DIRECTRICE   (PIECE   XVIIIe    SIÈCLE). 


FUot.   \ 


LYCEE   FENELON.    - 


SALLE    DE    CLASSE    (xVIIIn    SIECLE] 
Page  22  |. 


PI.  44. 


LYCEE    RACINE.   —    LE    PARLOIR. 


LYCEE    RACINE.   —   COUR   INTERIEURE. 
(Page  2  2).) 


LES  LYCÉES   DE   JEUNES   FILLES  223 

passé,  disait  en  1907,  M.  Ernest  Lavisse,  où  nous  pouvions  nous 
donner  le  luxe  de  dédaigner  l'aide  d'une  moitié  de  la  France.  » 

Entre  i883  et  191 2,  on  a  créé,  dans  Paris,  six  lycées  de 
jeunes  filles  et  on  en  annonce  un  pour  191 3.  Cinq  ont  surgi,  de 
1 883  à  1890  :  le  doyen  d'abord,  Fénelon  en  i883,  puis  à  la  dis- 
tance convenable  derrière  le  doux  prélat,  dont  l'onction  se  char- 
geait de  rassurer  les  foules,  Racine  en  1887,  Molière  en  1888; 
le  romantisme  eut  son  tour  après  les  bons  classiques,  Lamar- 
tine en  1891  et  Victor  Hugo  en  1895.  Un  intervalle  de  dix-sept 
ans  suivit  l'effort  de  ces  créations  :  le  dernier  né,  Victor  Duruy, 
est  venu  au  monde  en  octobre  19 12.  Quant  à  Jules  Ferry,  il  n'a 
plus  que  quelques  mois  à  attendre  son  tour  :  il  doit  ouvrir  ses 
portes,  rue  de  Douai,  en  octobre  191 3. 

La  topographie  parisienne  trahit  un  autre  souci  des  fonda- 
teurs :  le  pays  latin  a  eu,  comme  il  convenait,  les  honneurs  du 
premier  lycée  féminin  de  la  capitale  :  et  Fénelon  a  été  logé 
2,  rue  de  l'Eperon.  Au  reste,  la  modestie  et  l'effacement  de  cette 
rue  disaient  assez  qu'on  voulait  fuir  le  tapage  et  le  bruit.  Puis 
Racine  fut  placé  derrière  Condorcet,  20,  rue  du  Rocher,  et 
Molière,  71,  rue  du  Ranelagh,  entre  Janson  et  Jean-Baptiste 
Say.  Lamartine  fut  situé  dans  la  région  de  Rollin,  121,  fau- 
bourg-Poissonnière, et  Victor  Hugo,  27,  rue  Sévigné,  dans  le 
cœur  du  Marais,  près  de  l'ancienne  institution  Verdot,  à  peu 
de  distance  de  Charlemagne.  Quant  à  Victor  Duruy,  on  vient 
de  l'installer  près  de  Buffon,  boulevard  des  Invalides. 

Le  choix  de  ces  quartiers  était  judicieux  et  l'expérience  des 
lycées  masculins  l'avait  éclairé.  A  la  différence  des  écoles  pro- 
fessionnelles municipales,  dont  la  clientèle  est  tout  autre,  nul  ne 
fut  égaré  dans  la  périphérie  des  quartiers  ouvriers  de  l'est,  du 
nord  et  du  sud.  Si  la  périphérie  fixa  cependant  deux  de  ces 


224  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC   A   PARIS 

lycées,  ce  fut  dans  les  deux  points  de  Paris  où  se  porte  volon- 
tiers la  bourgeoisie  aisée  de  la  capitale  et  dans  les  deux  points 
qu  elle  achève  de  coloniser  :  à  Passy  d'abord,  à  deux  pas  de  la 
Muette  et  du  Bois  de  Boulogne,  dans  le  quartier  des  Invalides 
ensuite  qui,  depuis  un  demi-siècle,  est  devenu  méconnaissable. 
Ces  lycées,  qui  n'avaient  pas  d'attaches  avec  le  passé,  ont  donc 
suivi  tout  naturellement, l'évolution  contemporaine  de  la  capitale. 

Leurs  bâtiments  sont  généralement  neufs,  tout  neufs  (PI.  44, 
45  et  48),  sauf  trois  exceptions  d'ailleurs  inégalement  remarqua- 
bles, Fénelon,  Lamartine  et  Victor  Duruy.  C'est  l'ancien  hôtel 
de  Rohan  qui,  s'il  faut  en  croire  la  tradition  locale,  abrite  une 
partie  des  locaux  de  Fénelon  :  le  cabinet  de  la  directrice,  l'esca- 
lier et  quelques  salles  du  haut.  En  face  de  ce  cabinet,  les  vieilles 
charmilles  du  jardin  ont  été  fauchées  ,  on  les  a  remplacées  par 
quelques  platanes  (PI.  42),  à  l'ombre  desquels  les  écolières  pren- 
nent leurs  ébats.  Au  premier  étage,  des  boiseries  ont  été  conser- 
vées, mais  on  les  a  plusieurs  fois  lessivées  (PI.  43)  :  elles  sont 
aujourd'hui  toutes  blanches  à  filets  d'or  et  président  au  labeur 
pacifique  des  classes  peuplées  de  tables  noires.  Un  escalier 
(PI.  42),  à  simple  rampe  de  fer  forgé,  conduit  de  cet  étage  au 
rez-de-chaussée,  où  se  trouve  le  cabinet  de  la  directrice.  Ce 
cabinet  est  un  bijou  dont  tous  les  amoureux  du  vieux  Paris  ne 
soupçonnent  pas  assez  la  délicatesse.  Là  était,  dit-on,  l'ancienne 
chambre  et  l'alcôve  de  la  duchesse.  C'est  sur  ces  boiseries 
Louis  XV  que  se  posaient  ses  yeux  à  peine  éveillés.  Ils  refai- 
saient, en  sautillant  sur  les  quatre  trumeaux  de  la  chambre, 
le  voyage  familier  à  quatre  résidences  rurales,  propriétés  des 
ducs,  à  leurs  jardins  et  à  leurs  châteaux.  Et  ils  souriaient  aux 
fantaisies  peintes  du  bon  fabuliste  :  au  corbeau  et  au  renard, 
aux  deux  canards  et  à  la  tortue  (PI.  43). 

A  Lamartine,  le  cabinet  de  la  Directrice,  la  bibliothèque, 


LES   LYCÉES   DE   JEUNES   FILLES  225 

la  salle  des  Professeurs  et  l'amphithéâtre  de  Physique  évoquent 
fort  joliment  le  xviir9  siècle.  Le  lycée  a  été,  en  partie,  logé 
dans  un  hôtel  achevé  déjà  en  1698  et  qui  passe  pour  avoir  été 
bâti  par  Jules  Hardouin  Mansart,  en  personne.  La  marquise  de 
l'Espinasse  de  Prat  l'acquit  en  1709;  et,  en  1734,  Louis  Phé- 
lippeaux,  comte  de  Saint-Florentin,  marquis  puis  duc  de  la 
Vrillière;  en  1749,  il  fut  acheté  par  Titon  de  Villautran,  sei- 
gneur de  Neuville  et,  en  1770,  par  Jeanne  de  Pontcarré,  mar- 
quise d'Urfé.  C'est  peut-être  Duclos-Dufresnoy,  notaire  au 
Chàtelet  et  propriétaire  de  l'hôtel  depuis  178 5,  qui  a  fait  exé- 
cuter, suivant  le  goût  à  la  mode  sous  Louis  XVI,  les  charmantes 
arabesques  conservées  dans  l'ancien  salon.  Une  terrasse,  à 
laquelle  on  accède  par  une  vieille  grille  en  fer  forgé,  un  berceau, 
une  charmille,  voilà  les  derniers  vestiges  d'un  charmant  jardin 
anglais,  construit  là  sous  Louis  XV.  Mais  il  n'a  été  possible  de 
garder  ni  les  arbres  vénérables,  ni  les  pelouses,  ni  les  par- 
terres, ni  le  jet  d'eau,  ni  le  vieux  puits1  (PI.  46  et  47). 

Au  boulevard  des  Invalides,  le  salon,  le  cabinet  de  la  Direc- 
trice, les  couloirs  ont,  eux  aussi,  fort  grand  air  :  il  semble 
qu'un  passé  d'aristocratie  pèse  sur  eux.  Et  les  arbres  du  parc, 
entrevus  par  les  baies  immenses,  ajoutent  encore  à  cette  impres- 
sion de  noblesse  et  de  haute  mine  (PI.  49  et  5o). 

Les  architectes  modernes  ont  eu,  malgré  tout,  à  intervenir, 
beaucoup  plus  que  leurs  confrères  d'autrefois,  dans  ces  lycées 
tout  jeunes  et  dont  le  plus  vénérable  vient  d'avoir  trente  ans. 
Les  autorités  universitaires  ont  dépensé  des  peines  infinies  à 
convaincre  les  constructeurs  de  la  nécessité  de  loger  les  classes, 
loin  de  la  rue,  sur  des  cours  et  sous  la  caresse  du  soleil.  La 
disposition  des  locaux  ne  s'est  pas  toujours  prêtée  à  ce  plan.  A 

1.  Cf.  A.  Fiérard,  Monographie  inédite  du  lycée  Lamartine.  Nous  la  devons   à 
la  grande  obligeance  de  Mme  Roubinovitch. 

15 


226  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC  A   PARIS 

Lamartine,  les  rues  ont  tout  l'air  de  dépasser  quelque  peu  leurs 
droits  au  tumulte  ;  elles  en  usent  à  peine  plus  discrètement  à 
Fénelon,  à  Victor  Hugo,  à  Racine  et  à  Molière. 

Les  classes,  généralement  moins  vastes  que  dans  les  lycées 
masculins,  sont  garnies  de  pupitres  ou  de  simples  planchettes, 
servant  de  tables.  Les  bancs  y  sont  devenus  une  rareté,  les 
chaises  les  ont  évincés,  moins  massives  que  dans  les  lycées  de 
garçons  où  la  renaissance  du  muscle  les  soumet  à  des  épreuves 
assez  rudes.  Partout,  classes  et  corridors,  décorés  avec  goût, 
ont  une  physionomie  avenante. 

Dans  les  locaux  les  plus  récents,  le  chauffage  central  et  l'élec- 
tricité ont  pénétré  avec  «  tout  le  confort  moderne  »  :  ainsi  à 
Duruy  et  dans  l'annexe  de  Fénelon  inaugurée  rue  Suger,  en 
octobre  191 2. 

Une  pièce  dont  les  lycées  de  garçons  ne  se  préoccupent  pas, 
c'est  le  vestiaire  aux  tabliers  noirs  :  chaque  tablier  attend  sage- 
ment, sous  son  numéro  en  émail,  l'heure  de  la  classe  ou  de 
l'étude. 

Les  cours  de  récréation,  garnies  de  préaux,  sont  claires  et 
gaies.  A  Victor  Duruy,  les  tentations  que  faisait  naître  le  voisi- 
nage du  parc  ont  paru  irrésistibles;  l'exemple  de  Lakanal  ou  de 
Michelet  a  été  suivi.  Là  aussi  les  grands  arbres  séculaires  sont 
devenus  les  témoins  amusés  de  rires  frais  et  de  joyeuses 
gambades  (PI.  5o). 

Dans  le  cadre  que  nous  venons  de  dire,  le  personnel  n'est  pas 
encore  entièrement  féminisé.  Sans  doute,  et  dès  le  début,  la 
direction  a  été  confiée  à  des  femmes  et,  presque  partout, 
la  première  directrice  est  encore  la  directrice  actuelle  : 
Mlle  Provost  préside  depuis  i883  aux  destinées  de  Fénelon, 
Mlle  Lacroix-Dubut  a  gouverné  celles  de  Racine  depuis  1887 


PI.  45. 


Phot:  Vallois. 


LYCEE    MOLIERE.   —    COUR    D  HONNEUR. 


aIS^*I  'tâMUikl%MÉà!± . 


I 


Pliol.  Vallois. 


LYCEE    MOLIERE.    — ■    COUR    DE    RECREATION. 
Page  224.) 


PI.  46. 


Phot.  Valloi! 


LYCEE    LAMARTINE.   —   LE   JARDIN    (XVIIIe    SIECLE] 


Phot.  Valloh. 


LYCEE    LAMARTINE.   CHARMILLE    LOUIS     \  V . 

Page  225.) 


LES   LYCÉES   DE  JEUNES   FILLES  227 

jusqu'à  la  fin  de  191 1  et  M"0  Prouhet  lui  a  succédé,  M"e  Stoude 
est  chargée  de  diriger  Molière,  depuis  sa  fondation  ,  et  pareil- 
lement Mme  Roubinovitch  pour  Lamartine,  ainsi  que  M"e  Kuss 
pour  Victor  Hugo.  Quant  à  MIIe  Allégret,  elle  vient,  en 
octobre  191 2,  d'être  appelée  du  lycée  de  Versailles,  pour  ouvrir 
Victor  Duruy.  Les  directrices  sont  assistées  de  surveillantes 
générales,  d'économes  et  de  sous-économes. 

Il  en  alla  tout  autrement  du  personnel  enseignant.  Lorsque 
la  loi  du  21  décembre  1880  créa  les  lycées  de  jeunes  filles,  elle 
exigea  que  les  professeurs  fussent  munis  de  diplômes  réguliers. 
Force  fut  donc,  dans  les  premières  années  surtout,  de  recourir 
au  personnel  des  lycées  masculins  ,  mais  la  commission  de  la 
Chambre  des  Députés  avait  fait  cette  réserve  que  la  préférence 
irait  au  personnel  féminin,  quand  il  serait  capable  de  donner 
l'enseignement.  L'école  de  Sèvres  devint  (29  juillet  1 88 1  ) ,  l'Ecole 
normale  supérieure  des  professeurs  femmes,  le  certificat  d'apti- 
tude secondaire  à  l'enseignement  fut  créé,  équivalant  à  la  licence 
des  jeunes  gens,  et  l'agrégation  des  jeunes  filles  fut  instituée. 

Aujourd'hui  tous  les  lycées  féminins  de  Paris  ont  encore 
quelques  professeurs  masculins,  choisis  parmi  l'élite  des  lycées 
de  garçons  ou  des  Facultés  ;  mais  le  nombre  de  ces  profes- 
seurs a  diminué  et  il  finira,  sans  doute,  par  disparaître.  La 
philosophie,  le  latin,  la  littérature,  la  grammaire  historique, 
l'histoire,  l'histoire  de  l'art  sont  les  dernières  chaires  mascu- 
linisées. 

La  population  scolaire,  confiée  à  l'administration  et  aux  pro- 
fesseurs des  lycées  parisiens,  n'a  cessé  de  s'accroître.  Elle  a 
dépassé  les  espérances  des  plus  optimistes  :  Fénelon  qui  avait 
débuté  avec  126  élèves  en  i883,  en  a  800  et,  sauf  Victor  Hugo 
qui,  construit  pour  200  écolières  en  compte  36o,  les  autres 
lycées  en  ont  de  5oo  à  600. 


228  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC   A  PARIS 

On  n'a  pas  osé,  dans  le  principe,  adopter  l'internat  pour  les 
lycées  de  jeunes  filles  ;  et  peut-être,  en  effet,  le  besoin  d'inter- 
nats était-il  moins  évident  pour  Paris  que  pour  la  province. 
Aujourd'hui,  où  la  crise  de  l'internat  semble  près  de  finir,  on 
regrette  l'omission  ou  la  faute  de  1881.  L'internat  de  Fénelon  a 
été  placé  à  Saint-Mandé  et  des  omnibus  transportent  les  élèves 
rue  de  l'Éperon  ;  mais  les  places,  dans  cet  internat,  sont  trop 
mesurées  :  40,  au  maximum,  chiffre  qu'à  dessein  on  a  voulu  très 
limité  ;  à  Molière,  un  petit  internat  libre  a  été  installé  en  dehors 
du  lycée  ;  une  société  par  actions  en  fait  les  frais.  Un  internat 
vient  d'être  ouvert  à  Victor  Duruy  et  deux  autres  sont  réclamés 
dans  Paris.  Pas  de  dortoirs  à  Victor  Duruy;  des  chambres,  d'un, 
deux,  trois  ou  quatre  lits,  surveillées  par  groupes  de  vingt;  ces 
chambres  ont  toutes  leur  cabinet  de  toilette,  l'eau  froide,  l'eau 
chaude  ;  les  appareils  à  douche  et  les  salles  de  bain  le  complè- 
tent. Et  rien  de  plus  coquet  que  ces  murs  aux  couleurs  tendres, 
roses  ou  bleues,  et  que  leurs  cheminées  ou  leurs  étagères 
encombrent  déjà  de  menus  bibelots,  de  photographies  et  de  gra- 
vures (PI.  5o).  A  chaque  étage,  un  salon  commun  est  réservé 
aux  pensionnaires  où  elles  viennent  jouer,  danser  et  s'exercer 
à  cet  art  de  la  conversation,  dont  la  fortune  à  venir  est,  pour 
une  large  part,  confiée  à  leurs  soins. 

Le  demi -pensionnat  (qui  garde  les  élèves  au  déjeuner 
et  au  goûter)  ,  et  l'externat  surveillé  (qui  ne  les  garde  pas 
au  déjeuner)  sont  moins  en  faveur  que  l'externat  simple  :  il 
forme  en  moyenne  les  deux  tiers  de  la  population  scolaire 
totale. 

La  vie  intellectuelle,  dans  les  lycées  de  jeunes  filles,  ne  peut 
être  pareille  à  celle  des  lycées  masculins.  «  Ce  serait  une  offense 
à  la  Nature,  qui  se  vengerait.  Nous  verrions,  et  tout  de  suite, 


LES  LYCÉES   DE   JEUNES   FILLES  229 

s'enlaidir  la  France1.  »  Il  s'agit  de  songer  au  rôle  futur  des 
lycéennes,  appelées  à  être  des  mères  de  famille;  il  faut  leur 
donner  une  culture  générale,  en  harmonie  avec  les  devoirs  que 
leur  imposera  l'avenir.  Le  péril  a  su  être  évité  «  de  gâter  l'es- 
prit féminin  par  le  pédantisme  et  l'orgueil  du  savoir  ».  Si  le  nom 
de  Molière  a  été  donné  à  l'un  de  ces  lycées  parisiens,  n'était-ce 
pas  dire  clairement  aux  jeunes  filles  :  nous  ne  voulons  pas  faire 
de  vous  des  «  femmes  savantes  ».  La  femme  est  autre  chose  et 
mieux  qu'un  cerveau.  Accordons-lui,  dans  le  domaine  des  études, 
tout  ce  que  réclame  son  avidité  de  savoir,  tout,  hormis  cepen- 
dant, comme  disait,  je  crois,  Jules  Simon,  de  devenir  un  homme. 
L'enseignement,  dans  les  lycées  de  jeunes  filles,  n'a  donc  pas 
été  masculinisé.  Il  ne  devait  pas  ressembler  trop  à  ce  qu'il  est 
dans  les  lycées  de  jeunes  gens.  Cet  enseignement  est  avant  tout 
secondaire  :  entre  cinq  et  douze  ou  treize  ans,  on  y  achemine  les 
fillettes  qui  ont,  en  huit  années,  à  franchir  cinq  échelons  super- 
posés :  la  classe  enfantine  de  cinq  à  huit  ans  ou  environ,  la 
classe  élémentaire  jusqu'à  neuf  ans,  ou  à  peu  près,  puis  trois 
années  appelées  fort  à  propos  préparatoires,  où  sont  enseignés 
les  éléments  de  la  langue  française,  les  langues  vivantes,  l'his- 
toire et  la  géographie,  le  calcul  et  les  leçons  de  choses,  les  tra- 
vaux à  l'aiguille,  le  dessin,  la  musique  vocale.  Ces  classes  sont 
confiées  soit  à  des  dames  pourvues  du  certificat  d'aptitude  au 
professorat  dans  les  lycées  déjeunes  filles,  soit  à  des  institutrices 
munies  du  brevet  supérieur  ou  du  diplôme  de  fin  d'études 
secondaires.  Sauf  des  exceptions  très  rares,  ces  professeurs  ne 
sortent  pas  de  l'enseignement  primaire.  Leur  nombre  est  de  6 
à  Victor  Hugo,  de  10  à  Racine,  à  xMolière,  à  Fénelon  et  de  1 1  à 
Lamartine. 

1.  Ern.  Lavisse,  p.  65.  Le  Jubilé  des  Lycées  et  Collèges  de  Jeunes  filles,   Paris, 
Alcan,  in-4°,  191 1 . 


230  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC   A  PARIS 

Aux  classes  préparatoires  succèdent  les  classes  dites  secon- 
daires \  Elles  s'adressent,  pendant  cinq  années  consécutives,  aux 
jeunes  filles  de  douze  à  dix-sept  ans  environ.  Ces  classes  sont 
groupées  en  deux  périodes,  dont  la  première  dure  trois  années 
et  l'autre  deux.  Les  jeunes  gens  désignent  leur  classe  tout  à 
l'opposé  des  jeunes  filles  :  la  progression  est  descendante  pour 
eux,  elle  est  ascendante  pour  elles.  Un  élève  de  5e,  chez  les  jeunes 
gens,  a  douze  ans  ou  environ  ;  une  élève  de  5e,  chez  les  jeunes 
filles,  en  a  seize.  Un  lycéen  de  i'e,  a  seize  ans  ;  une  lycéenne  de 
ire  en  a  douze.  Aussi  les  garçons  disent-ils  classe  de  5e,  de  4e,.. 
de  irc;  les  jeunes  filles  disent  ire  année,  2e  année,  5e  année  et 
ces  messieurs  ont  l'air  de  soustraire  et  ces  demoiselles  d'addi- 
tionner. 

Les  classes  secondaires,  confiées  à  des  dames  agrégées,  ensei- 
gnent la  morale,  les  éléments  de  psychologie  appliquée  à  l'édu- 
cation ;  la  langue  et  la  littérature  françaises,  la  diction  ;  les  litté- 
ratures anciennes  et  étrangères  ;  l'histoire  de  France,  l'histoire 
générale,  l'histoire  de  l'art,  la  géographie  ;  les  langues  vivantes, 
anglais  ou  allemand  et  même,  à  Racine,  l'italien.  Ce  n'est  pas 
tout  :  le  droit  usuel,  l'hygiène  ;  l'économie  domestique  et  ren- 
seignement ménager  (12  conférences  d'une  heure  en  3°  année); 
les  mathématiques,  la  physique  et  la  chimie,  l'histoire  naturelle; 
le  dessin,  la  musique  vocale,  la  gymnastique;  enfin,  comme  il  est 
naturel,  la  coupe  et  l'assemblage,  les  travaux  à  l'aiguille.  La 
couture,  de  la  i'e  année  à  la  5e,  est  enseignée,  au  moins,  deux 
heures  par  semaine. 

A  partir  de  la  4e  année,  quelques  cours  sont  facultatifs  :  his- 
toire de  l'art,  mathématiques,  une  seconde  langue  vivante,  le 
dessin,  le  solfège,  la  couture,  la  gymnastique  et  la  danse.  Mais 

I.  Conformément  à  la  loi  du   21   décembre   1880,  au  décret  et  à  l'arrêté   du 
14  janvier  1882,  aux  programmes  du  28  juillet  1882  et  du  27  juillet  1897. 


PI.  47. 


Pliot.  Vallois 
LYCÉE    LAMARTINE.  —    CABINET    DE    LA    DIRECTRICE    (PIECE   XVIII0  SIÈCLE.) 


LYCEE    LAMARTINE.    —    CLASSE   DE    COUTURE. 
Page  225.) 


PI.  48. 


Pjiot.  Vallois. 
LYCÉE   VICTOR-HUGO.   —   FAÇADE    SUR   LA   RUE    DE    SÉVIGNÉ. 


l'hot.  Vallois. 


LYCEE    VICTOR-HUGO,   —   COUR    DE    RECREATION, 
224. 


LES   LYCÉES   DE   JEUNES   FILLES  231 

ces  cours,  une  fois  choisis,  deviennent  obligatoires  pour  le  tri- 
mestre commencé. 

Les  après-midi  sont  toujours  moins  chargées  que  les  mati- 
nées ;  on  réserve  le  plus  possible  les  cours  essentiels  ou  obliga- 
toires le  matin  ;  l'après-midi  est  de  préférence  consacrée  aux 
cours  facultatifs.  Toutes  les  classes  sont  d'une  heure. 

Chaque  élève  n'est  admise  à  monter  dans  une  classe  supé- 
rieure qu'après  avoir  subi  avec  succès  un  examen  de  passage  ;  si 
elle  ne  répond  pas  suffisamment  bien  sur  les  matières  ensei- 
gnées durant  l'année,  elle  a  la  ressource  de  se  présenter  au 
même  examen,  lors  de  la  rentrée  d'octobre. 

L'examen  de  passage  de  la  première  période  à  la  seconde, 
c'est-à-dire  de  la  troisième  année  à  la  quatrième,  vaut  aux  can- 
didates reçues  le  certificat  d'études  secondaires. 

A  la  fin  de  la  cinquième  année,  les  élèves  sont  en  état  d'affron- 
ter les  épreuves,  pour  le  diplôme  de  fin  d'études  secondaires.  Ce 
diplôme  vaut  aux  lauréates  le  droit  de  se  présenter  aux  écoles 
normales  de  Fontenay-aux-Roses  ou  de  Sèvres,  de  briguer  un 
poste  d'institutrice  primaire  ou  bien  de  maîtresse  répétitrice 
dans  les  collèges  ou  lycées  de  jeunes  filles. 

Outre  ces  diplômes  secondaires,  les  lycéennes,  à  l'issue  de  la 
deuxième  ou  de  la  troisième  années,  sont  en  mesure  de  conquérir 
le  brevet  simple  de  l'enseignement  primaire;  et,  le  brevet  supé- 
rieur, à  l'issue  de  la  quatrième  et  de  la  cinquième  années.  Il  leur 
suffit  de  s'astreindre  à  une  revision  imposée  par  la  différence  des 
programmes  de  l'enseignement  secondaire  et  de  l'enseignement 
primaire. 

Quant  au  baccalauréat,  les  lycées  de  jeunes  filles  s'abstien- 
nent encore  officiellement  d'y  préparer  ;  mais  il  est  question 
de  les  y  autoriser  bientôt.  Parmi  leurs  meilleures  élèves  de  qua- 
trième année,  quelques-unes,    à    Fénelon    par    exemple    et  à 


232  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC   A  PARIS 

Lamartine  n'affrontent  pas  moins,  et  souvent  non  sans  succès, 
le  baccalauréat  latin-langues.  Deux  années  de  latin  leur  suffi- 
sent. 

Dans  quelques  lycées,  comme  à  Racine,  à  Molière,  il  a  pu 
sembler,  tout  le  long  de  ces  derniers  mois,  insuffisant  d'arrêter  les 
études  avec  la  cinquième  année.  Des  cours  complémentaires  y 
ont  été  installés,  pour  le  plus  grand  profit  de  la  culture  générale 
des  lycéennes.  C'étaient  là  des  cours  de  sixième  année.  Ils 
étaient  désintéressés.  A  Fénelon  seulement  et  à  Victor  Duruy 
désormais,  ces  cours  préparent  directement  à  l'école  de  profes- 
seurs femmes,  de  Sèvres.  En  ce  sens  on  pourrait  dire  que  cer- 
tains lycées  de  jeunes  filles  ont,  comme  les  premières  supérieures 
de  Louis-le-Grand,  d'Henri  IV,  de  Condorcet,  de  Lakanal  et  de 
Michelet,  de  véritables  cours  d'enseignement  supérieur. 

Brevets  primaires,  diplômes  de  fin  d'études  secondaires, 
certificats  (nouveau  régime)  pour  l'entrée  à  l'école  des  profes- 
seurs femmes,  voilà  donc  que  les  lycées  de  jeunes  filles  sont 
devenus  des  ateliers  préparatoires  à  la  triple  série  d'examens 
placés  aux  trois  étages  de  notre  enseignement  national. 

Faire  l'instruction  de  nos  lycéennes,  c'est  bien  ;  faire  leur 
éducation,  c'est  mieux.  Et,  pour  cette  œuvre,  la  collaboration 
féminine  suffit  :  il  y  a,  dans  toute  femme,  des  instincts  mater- 
nels et  une  aptitude  spéciale  à  modeler  les  caractères  et  les 
âmes.  Elle  sait  trouver  dans  son  cœur  ce  qui  va  au  cœur.  La 
jeune  fille  a  besoin  de  sentir  autour  d'elle  une  tendresse  où  s'ap- 
puyer. L'éveil  de  sa  sensibilité  précède  l'éveil  de  son  esprit  ; 
elle  aime  d'abord,  quitte  à  comprendre  ensuite.  Sur  la  route  où 
sa  raison  chemine,  elle  a  besoin  d'avoir  une  escorte  de  senti- 
ments ou  d'émotions.  Tant  qu'elle  n'a  pas  l'intimité  qu'elle  sou- 
haite entre  sa  maîtresse  ou  sa  directrice  et  elle-même,  elle  se 


LES   LYCÉES   DE   JEUNES   FILLES  233 

trouve  désemparée  et  mal  à  Taise.  Le  lycéen  et  son  professeur 
restent  souvent  distants,  trop  distants  l'un  de  l'autre,  et  leurs 
sensibilités  demeurent  étrangères  :  le  contact  de  leurs  cerveaux 
suffit  d'ordinaire.  Il  ne  suffit  pas  à  la  lycéenne  et  à  celles  qui 
ont  charge  d'elle  :  il  lui  faut  surtout  le  contact  des  âmes.  A 
notre  avis,  l'œuvre  éducative  de  nos  lycéennes  risque  d'être 
moins  superficielle  que  l'œuvre  éducative  de  nos  lycéens. 

Ajoutons  qu'en  dépit  de  l'instabilité  inévitable  de  la  pensée 
et  de  quelques  sautes  d'humeur,  la  jeune  fille  a  plus  de  docilité 
que  le  jeune  homme  :  plus  que  lui,  elle  a  besoin  d'un  point 
d'appui,  etconsciemmentou  non,  elle  le  recherche.  L'impression 
de  l'isolement  lui  est  insupportable  ;  elle  a  horreur  du  vide. 
Elle  ne  demande  qu'à  écouter  et  à  suivre  la  voix  autorisée  qui 
commande.  Elle  a  souvent  besoin  des  yeux  d'autrui  pour  mieux 
voir.  Son  caractère  est  préparé  à  recevoir  l'empreinte  que  l'édu- 
catrice  saura  lui  donner.  Elle  s'en  remettra  volontiers  à  son 
jugement.  Elle  souhaite  qu'on  trace  devant  elle  la  route  où  elle 
doit  s'engager.  La  destinée  de  cette  adolescente,  c'est  d'être 
surtout  un  reflet.  C'est  seulement  plus  tard  que  sa  personnalité 
s'affirmera  et  que  la  maturité  de  sa  volonté  la  mettra,  s'il  est 
besoin,  hors  de  page. 

Telles  directrices  de  nos  lycées  parisiens  nous  semblent,  en 
tout  cela,  avoir  eu  merveilleusement  l'intelligence  de  leur  rôle. 
Quel  que  soit  le  nombre  de  leurs  élèves,  elles  arrivent,  par  un 
don  de  nature,  à  les  connaître  individuellement;  et  constam- 
ment elles  s'appliquent  à  lire  au  fond  de  toutes  ces  âmes.  Elles 
se  mêlent  aux  classes,  aux  récréations,  aux  études;  elles  assis- 
tent aux  leçons,  aux  interrogations  ;  elles  examinent  les  devoirs  ; 
d'un  mot,  elles  rappellent,  à  l'une,  sa  dernière  défaillance  ;  à 
l'autre,  son  laisser-aller  de  la  précédente  semaine;  à  une  autre 
encore,  le  progrès  de  son  travail  ou  de  son  effort  ;  elles  font  en 


234  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC   A   PARIS 

classe  le  compte  rendu  et  le  commentaire  des  notes  obtenues 
pendant  la  quinzaine  et  des  places.  Elles  attirent  très  justement 
l'attention  sur  la  note,  non  sur  la  place.  Ce  sont  des  déchiffreuses 
de  conscience  et  dont  la  divination  tient  parfois  du  prodige. 

Ces  directrices  savent,  le  plus  possible,  s'aider  du  concours 
de  la  famille.  Mais  ce  concours  a  trop  souvent  besoin  d'être  sol- 
licité ou  éclairé.  Les  carnets  de  correspondance  et  de  fréquents 
entretiens  ne  suffisent  pas  toujours.  Tant  de  parents  s'illusion- 
nent et  c'est  devant  les  yeux  paternels  ou  maternels  que  les 
écailles  s'incrustent  le  mieux.  Quand  la  collaboration  de  la 
famille  est  loyalement  assurée  à  la  directrice,  la  vie  morale  de 
l'enfant  est  presque  toujours  sauvée.  Car  tout  est  prétexte  pour 
former  une  volonté  et  un  caractère  :  la  tenue  extérieure,  la  façon 
de  se  présenter,  de  se  lever,  de  répondre,  l'attitude  générale, 
dans  le  lycée  ou  hors  du  lycée.  Il  faut  d'abord  inculquer  à  l'éco- 
lière  le  sens  du  respect  ;  le  reste  vient  ensuite.  Elle  comprendra 
très  vite  le  prix  et  l'utilité  des  petites  victoires  remportées  sur 
ses  caprices  et  la  nécessité  d'une  discipline  intérieure. 

Dans  les  lycées  parisiens  de  jeunes  filles,  la  persuasion  peut 
beaucoup.  Les  sanctions  officielles  sont  réduites  au  minimum, 
la  privation  des  récompenses  et  les  mauvaises  notes  suffisent  : 
les  avertissements,  les  blâmes,  les  réprimandes  devant  le  con- 
seil, sont  rares  ;  les  exclusions,  beaucoup  plus  rares  encore.  La 
direction  d'un  de  ces  lycées  semble  une  tâche  aisée  :  et  cette 
facilité  est  sans  doute  à  l'éloge  de  chacun. 

Les  lycéennes  sentent  en  elles  la  faculté  de  compatir.  «  J'ai 
entendu,  nous  dit  encore  M.  Lavisse,  j'ai  entendu  parler  d'une 
idée  charmante.  Des  lycées  de  jeunes  filles  ont  adopté  des 
écoles  maternelles.  L'école  maternelle,  c'est  une  belle  leçon  de 
choses  pour  une  lycéenne.  Elle  enseigne  qu'il  y  a  des  mères  qui 
ne  peuvent  s'occuper  de  leurs  enfants,  ceux-ci  sont  venus  tout 


PI.  49. 


LYCEE    VICTOR   DURUY.    —    FAÇADE    SUR   LE   PARC 


LYCEE   VICTOR   DURUY.    —   LE    REFECTOIRE 

(Page  225.) 


PI.  50. 


LYCEE    VICTOR    DURUY.    — '    UNE    CHAMIÎRE. 


Phot.  Vallois. 

LYCÉE   VICTOR    DURUY.    —    UNE    ALLEE    DU    PARC. 
(Page  225.) 


LES   LYCÉES   DE   JEUNES   FILLES  235 

seuls  à  Técole  :  les  enfants  de  cinq  ans,  de  quatre  ans  même, 
menant  les  plus  petits  par  la  main.  Il  en  est  dont  la  nourriture 
est  douteuse.  Les  pieds  ne  sont  pas  tous  sûrs  d'être  chaussés,  ni 
les  épaules  d'être  couvertes.  Plusieurs  de  ces  petits  êtres  n'ont 
pas  bien  belle  mine.  La  jeune  lycéenne  saura,  par  la  maîtresse 
de  Técole,  des  histoires  lamentables.  Elle  compatira.  Elle  tra- 
vaille à  coudre  des  vêtements  pour  les  petits.  Elle  leur  donne 
des  jouets  aux  jours  de  fêtes.  Elle  incarne,  pour  eux,  le  bon- 
homme Noël,  sinon  le  bon  saint  Nicolas.  » 

Tous  les  lycées  parisiens  de  jeunes  filles  ont  leurs  pupilles  : 
dans  l'œuvre  de  préservation  contre  la  tuberculose,  ces  lycées 
occupent  une  très  noble  place.  Les  plus  riches,  surtout,  comme 
Molière,  Lamartine  et  Racine.  Certains  lycées  envoient  des 
enfants  aux  colonies  de  vacances.  Ou  bien,  ils  organisent  des 
ventes  et  des  fêtes  de  charité.  L'apprentissage  de  la  bienfai- 
sance n'est  pas  seulement  profitable  aux  déshérités  et  à  la  main 
qui  reçoit  ;  il  est  salutaire  à  la  main  qui  donne. 

Une  autre  œuvre  concourt  encore  à  l'éducation  lycéenne  : 
c'est  la  chorale  de  leurs  lycées.  Elle  a  autant  de  sections  qu'il  y 
a  de  lycées  de  jeunes  filles,  à  Paris.  Chaque  section  est  formée 
par  la  chorale  particulière  de  son  lycée.  Elle  comprend  les 
élèves  et  les  anciennes  élèves  du  lycée  admises  par  la  direc- 
trice, sur  la  proposition  du  professeur  de  chant. 

Toute  l'année,  on  étudie  dans  les  lycées  les  mêmes  chœurs  : 
une  fois  par  an,  le  directeur  des  ensembles  musicaux  de  la  cho- 
rale, M.  G.  Pierné,  assiste,  dans  chaque  lycée  à  la  répétition 
des  chœurs  de  l'année  et  la  dirige.  Un  concert  annuel,  précédé 
de  deux  répétitions  d'ensemble,  est  donné  sous  la  direction  du 
même  artiste.  Ce  concert  est  offert  à  leurs  parents  par  les 
membres  de  la  chorale  :  660  jeunes  filles  en  19 12.  Les  parents 
sont  charmés  de  cette  fête  dont  le  caractère  est  tout  familial. 


236  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC   A  PARIS 

D'autres  fêtes,  des  réunions  mondaines  où  les  jeunes  filles 
dansent  entre  elles  et,  à  l'occasion,  dansent  avec  leurs  frères, 
contribuent  encore  à  cultiver  dans  leurs  âmes  l'attachement  à 
leurs  lycées.  Et  puis  elles  sentent  que,  la  cinquième  ou  même  la 
sixième  année  finie,  tous  les  liens  ne  sont  pas  rompus  entre 
leurs  lycées  et  elles  :  partout,  des  associations  d'anciennes 
élèves  ont  été  fondées  où  l'avenir  et  le  passé  fraternisent  et  où 
les  amitiés  anciennes  se  rajeunissent.  Plus  d'une  de  ces  associa- 
tions, au  lycée  Molière  par  exemple,  sont  remarquablement 
florissantes.  L'association  a  ses  fêtes,  ses  conférences,  ses  con- 
cours littéraires  et  artistiques.  Elle  donne  des  prix  annuels, 
alloue,  au  besoin,  des  secours,  procure  des  situations,  fonde  des 
bourses,  envoie  des  écolières  à  l'étranger  ou  dans  les  villégia- 
tures de  vacances. 

Dans  ce  lycée  où  s'est  épanouie  la  vie  de  son  intelligence  et 
de  sa  volonté,  et  où  elle  a  goûté  les  premières  joies  du  savoir  et 
du  sacrifice,  la  jeune  fille  sent  que  son  adolescence  a  pu  grandir 
comme  dans  une  terre  d'élection.  Elle  y  a  laissé  un  peu  de  son 
âme  ;  elle  y  retrouve  le  charme  du  souvenir  qui  est  une  des 
parures  de  nos  existences  et  la  parfume  d'un  brin  de  poésie. 


LIVRE  III 

LES    BIBLIOTHÈQUES 


Aux  xvif  et  xvme  siècles,  les  étrangers  admiraient  fort  nos 
bibliothèques  parisiennes;  en  1643,  par  exemple,  et  en  1718, 
ils  les  proclamaient  incomparables.  Qu'auraient-ils  dit,  de  nos 
jours,  en  constatant,  depuis  cinquante  ans  surtout,  l'accroisse- 
ment de  leur  nombre  et  de  leurs  richesses. 

Une  seule  bibliothèque  (qui  a  eu,  dans  une  collection  voi- 
sine de  la  nôtre,  les  honneurs  d'une  monographie  en  deux 
volumes1)  porte  le  nom  de  Bibliothèque  nationale.  Et  cepen- 
dant, trois  autres  bibliothèques  parisiennes  le  mériteraient,  avec 
elle,  par  le  caractère  général  de  leurs  collections  :  ce  sont  les 
Bibliothèques  de  f  Arsenal,  Ma\arine  et  Sainte -Geneviève, 
situées  rue  de  Sully  1,  quai  Gonti  23  et  8  place  du  Panthéon. 
Ce  qui  n'empêche  pas  chacune  d'elles  d'avoir  sa  physionomie 
personnelle  :  l'Arsenal  n'a  pas  seulement  une  collection  presque 
complète  de  pièces  de  théâtre,  dont  le  catalogue  dépasse 
35.ooo  numéros;  mais  aussi  une  collection  de  journaux  que  la 
Bibliothèque  nationale  n'égale  pas.  A  Sainte-Geneviève,  les 
ouvrages,  sortis  à  Venise,  aux  xve  et  xvie  siècles,  des  presses 

1.  Les  Grandes  Institutions  de  France,  La  Bibliothèque  Nationale  par  Henry 
Marcel,  Henri  Bouchot,  Ernest  Babelon,  Paul  Marchai,  Camille  Couderc.  H.  Lau- 
rens,  édit.,  1907. 


238  L'ENSEIGNEMENT  PUBLIC  A   PARIS 

d'Aide  et  Paul  Manuce  forment  un  ensemble  très  remarquable, 
sans  parler  des  beaux  elzévirs  des  xvie  et  xvii°  siècles  et  de  la 
plupart  des  publications  périodiques  des  xvn°  et  xvin0  siècles.  A 
la  Mazarine,  les  ouvrages  de  médecine  des  xvie  et  xvne  siècles, 
(car  Naudé,  bibliothécaire  du  fondateur,  Mazarin,  était  méde- 
cin), la  théologie  et  le  jansénisme  et  surtout  6.5oo  mazarinades 
occupent  une  grande  place.  Et  nous  ne  disons  rien  des  estampes 
et  des  manuscrits  qui  ajoutent  à  l'originalité  de  chaque  dépôt  : 
les  archives  de  la  Bastille  sont  conservées  à  l'Arsenal.  Au 
total,  620.000  imprimés,  7-994  manuscrits  et  120.000  es- 
tampes dans  le  dépôt  de  la  rue  de  Sully;  2  5o.ooo  imprimés, 
1.900  incunables  et  4.600  manuscrits,  dans  le  dépôt  du  quai 
Conti;et,  dans  celui  du  Panthéon,  3 5o. 000  imprimés.  1.225  in- 
cunables, 3. 5 10  manuscrits,  20.000  estampes,  3. 000  cartes  ou 
plans1. 

Les  autres  bibliothèques  parisiennes  se  tiennent  assez  loin 
de  cet  état-major.  Elles  se  distinguent  de  lui,  de  deux  autres 
manières  encore  :  elles  sont  moins  générales  et  plus  spéciales 
soit  par  leur  composition,  soit  par  leur  clientèle.  Elles  forment 
ainsi  plusieurs  groupes,  que  nous  avons  classés  par  familles  : 

i°  Les  membres  de  l'Institut  ont,  à  l'ombre  de  la  Coupole, 
leurs  livres  à  eux  (55o.ooo  imprimés,  543  manuscrits  et  les 
papiers  de  Godefroy)  ;  les  professeurs  du  Collège  de  France 
ont,  aussi,  place  Marcellin-Berthelot,  20.000  volumes  bien  à 
eux.  A  la  Sorbonne,  ce  n'est  pas  une  bibliothèque  que  l'on 
trouve,  mais  quatre  :  l'une  d'elles  est  ignorée  du  public  et  des 
étudiants,  c'est  la  bibliothèque  Victor  Cousin  qu'alimente  les 
arrérages  légués  par  le  célèbre  philosophe  (27.000  imprimés, 
187  incunables  et   200  manuscrits)  ;   la   seconde,    placée    aux 

1.  Nous  avons  consulté  avec  beaucoup  de  profit  l'annuaire  des  Bibliothèques... 
19 12  par  A.  Vidier. 


LES   BIBLIOTHÈQUES  239 

Hautes  Etudes,  contient  notamment  les  livres  où  se  nourrit  la 
science  d'un  Gaston  Paris  et  une  précieuse  collection  chrétienne 
et  byzantine  ;  la  troisième,  que  nous  allons  retrouver  dans  un 
moment,  est  celle  de  l'école  des  Chartes.  Quant  à  la  quatrième 
bibliothèque,  c'est  celle  de  l'Université  de  Paris,  sciences  et 
lettres,  celle  où  professeurs  et  étudiants  se  rencontrent.  Ses 
3g5  incunables  et  ses  i.56o  manuscrits  sont  de  tout  repos;  mais 
l'armée  de  ses  65o.ooo  imprimés  grandit  tous  les  jours  et  se 
trouve  déjà  bien  à  l'étroit  entre  les  murailles,  rajeunies  pour- 
tant, où  Ton  a  tenté,  il  y  a  un  quart  de  siècle,  à  peine,  de  lui 
fixer  sa  demeure. 

A  dix  minutes  de  la  Sorbonne,  au  n°  45  de  la  rue  d'Ulm, 
Y  Ecole  Normale  supérieure  réussit  à  garder  l'autonomie  de  ses 
200.000  imprimés. 

20  Les  bibliothèques  du  second  groupe  sont  celles  qui  se 
consacrent  plus  spécialement  à  l'étude  de  l'histoire,  de  l'archéo- 
logie et  de  l'art.  Ainsi,  la  Bibliothèque  de  la  Société  d'histoire 
de  France  (rue  des  Francs-Bourgeois,  60,  aux  Archives  natio- 
nales). La  Bibliothèque  historique  de  la  Ville  de  Paris,  centra- 
lise ce  qui  touche  à  la  capitale  et  à  la  Révolution  ;  placée  dans 
l'Hôtel  Lepelletier  de  Saint-Fargeau,  20,  rue  de  Sévigné,  elle 
a  200.000  volumes  et  brochures,  610  collections  de  journaux  et 
revues,  20.000  manuscrits,  10.000  plans  et  cartes,  22.000  pho- 
tographies documentaires,  3 5. 000  cartes  postales  illustrées, 
6.000  affiches  et  800.000  prospectus,  canards  et  catalogues  de 
marchands.  La  Bibliothèque  Thiers,  qui  s'organise,  se  spéciali- 
sera dans  l'histoire  moderne.  La  Société  de  l'Histoire  du  Pro- 
testantisme a  su  accumuler,  54,  rue  des  Saints-Pères,  60.000  vo- 
lumes. La  Bibliothèque  de  l'Ecole  des  Chartes  (47.000  imprimés 
et  1.223  fac-similé  de  manuscrits)  s'intéresse  surtout  au  moyen 
âge  français.  La  Société  des  Antiquaires  possède  3o.ooo  vo- 


24o  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC   A  PARIS 

lûmes  au  Musée  du  Louvre,  où  elle  tient  séance  ;  c'est  dans  ce 
même  palais  qu'est  installée  avec  ses  7.200  imprimés,  ses 
38  manuscrits  et  ses  papyrus  grecs,  égyptiens  et  coptes,  la 
Bibliothèque  du  Musée  du  Louvre. 

Les  arts  proprement  dits  n'ont  pas  été  oubliés,  il  s'en  faut  : 
la  Bibliothèque  de  l'Ecole  nationale  des  Beaux-Arts  (rue  Bona- 
parte 14),  est  riche  de  40.000  imprimés,  100  incunables, 
638  manuscrits  ;  et,  comme  de  juste,  les  estampes  dominent  : 
elles  dépassent  100.000.  La  Bibliothèque  de  l'Ecole  spéciale 
d'architecture  (boulevard  Raspail,  254)  a  4.000  imprimés.  Le 
Musée  des  Beaux-Arts  ou  Collection  Dutuit,  au  Petit  Palais, 
avenue  Alexandre  III,  a  777  imprimés  et  12  manuscrits.  La 
Bibliothèque  de  la  Monnaie,  11,  quai  Conti,  a  4.000  imprimés 
et  43o  manuscrits.  La  Bibliothèque  du  Musée  Guimet,  7,  place 
d'Iéna,  contient  3o.ooo  imprimés.  Enfin  M.  Jacques  Doucet 
a  fondé,  rue  Spontini  19,  une  bibliothèque  où,  sur  demande 
écrite  on  peut  consulter  les  livres  imprimés  (80.000)  ;  les 
manuscrits  et  les  dossiers  (3. 000);  et  5. 000  estampes  ou 
3o.ooo  photographies.  D'autres  initiatives  privées  ont  fondé, 
au  pavillon  de  Marsan,  107,  rue  de  Rivoli,  la  Bibliothèque  de 
l'Union  centrale  des  arts  décoratifs  :  i5.ooo  imprimés  et 
1.204.000  estampes,  plans,  photographies  et  échantillons  y  sont 
réunis.  Enfin,  l'Imprimerie  nationale  a  sa  bibliothèque,  rue 
Vieille-du-Temple,  87,  et  boulevard  Saint-Germain,  117,  le 
Cercle  de  la  librairie  a  la  sienne  avec  3.400  imprimés. 

Dans  six  arrondissements  sur  vingt,  la  Ville  de  Paris  a 
réusi  à  annexer  à  ses  bibliothèques  des  sections  d'art  industriel  : 
à  la  mairie  du  IIIe  arrondissement,  square  du  Temple, 
1 3.8oo  gravures;  dans  le  VIIIe  arrondissement,  10,  rue  Paul- 
Baudry,  1.969  documents;  5i,  rue  de  Charenton,  11.000  vo- 
lumes  et    estampes  ;    boulevard    du    Montparnasse,    dans    le 


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LES   BIBLIOTHÈQUES  241 

XIVe  arrondissement,  9.000  planches;  et  1.825  volumes  avec 
18.000  planches  dans  le  XVIII0  arrondissement,  rue  Erckmann- 
Chatrian,  i3.  Mais,  de  tous  les  arrondissements  populaires,  le 
mieux  pourvu  à  cet  égard  est  le  XIe,  grâce  à  la  bibliothèque 
Forney,  placée  du  reste  à  proximité  des  IIP  et  IVe  arrondisse- 
ments. Elle  est  là  au  centre  des  industries  d'art;  87.943  volumes 
ou  estampes  relatifs  aux  industries  décoratives  de  la  pierre,  du 
bois,  des  métaux,  de  la  céramique  et  du  tissu,  tendent  à  complé- 
ter l'instruction  technique  des  artisans  et  à  épurer  le  goût  des 
artistes  industriels  parisiens  (pi.  64). 

A  côté  des  arts  plastiques,  voici  les  autres  et  leurs  biblio- 
thèques :  celle  du  Conservatoire  national  de  musique  et  de 
déclamation,  i5,  rue  du  Faubourg-Poissonnière;  celle  de  l'Opéra, 
(place  Charles-Garnier  1,  pavillon  ouest)  avec  16.000  imprimés, 
3.ooo  partitions,  60.000  estampes,  i.5oo  registres  d'archives 
et  des  affiches;  celle  de  la  Comédie  française,  au  Palais  Royal 
a  3o.oco  imprimés,  1.700  manuscrits  et  plus  de  75o  registres. 

3°  Le  groupe  des  sciences  sociales,  politiques,  philosophiques 
et  religieuses  a  une  prolificité  moindre  que  le  précédent  ;  sa 
lignée  cependant  ne  laisse  pas  d'être  assez  belle.  La  Biblio- 
thèque du  Musée  social,  5,  rue  Las  Cases,  a  3o.ooo  imprimés 
et  400  périodiques.  La  Société  d'économie  sociale,  54,  rue  de 
Seine,  a  i5.ooo  volumes  et  reçoit  200  périodiques.  La  Biblio- 
thèque de  l'Ecole  libre  des  sciences  politiques,  possède,  27,  rue 
Saint-Guillaume,  3o.ooo  imprimés  et  5oo  cartes.  La  Société  de 
statistique,  rue  Serpente,  29,  a  60.000  volumes.  Le  Musée 
pédagogique  a  80.000  imprimés. 

La  Société  de  législation  comparée,  16,  rue  du  Pré-aux- 
Clercs,  a  20.000  volumes.  La  Bibliothèque  de  l'office  de  légis- 
lation étrangère  et  de  droit  international  a  60.000  volumes.  La 
Faculté  de  Droit  a  100.000  imprimés,   1   incunable  et  239  ma- 


it> 


242  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC  A   PARIS 

nuscrits.  La  Bibliothèque  des  avocats,  au  Palais  de  justice,  a 
65.ooo  imprimés  et  33g  manuscrits  ou  autographes.  La  Cour  de 
Cassation,  au  Palais  de  Justice,  dispose  de  40.000  imprimés  et 
de  344  manuscrits.  La  Cour  des  Comptes,  au  Palais  Royal, 
péristyle  de  Chartres,  a  2 5. 000  imprimés  et  5o  manuscrits.  La 
Bibliothèque  administrative  de  la  Préfecture  de  la  Seine,  à 
THôtel-de-Ville,  a  6 i.5oo  volumes. 

La  Bibliothèque  du  Conseil  d'Etat,  place  du  Palais-Royal, 
a  36.ooo  imprimés;  celle  de  la  Chambre  des  Députés,  au  Palais 
Bourbon,  a  25o.ooo  imprimés  et  1.546  manuscrits;  celle  du 
Sénat,  au  Palais  du  Luxembourg,  a  i5o.ooo  imprimés  et 
1.345  manuscrits,  sans  parler  des  cartes,  estampes  et  médailles. 

Les  Ministères,  eux  aussi,  ont  leurs  bibliothèques  :  aux 
Affaires  étrangères,  i3o,  rue  de  l'Université,  90.000  volumes, 
3oo.ooo  brochures  et  5oo.ooo  documents  administratifs,  fran- 
çais et  étrangers  ;  aux  Colonies,  27,  rue  Oudinot,  10.000  impri- 
més ;  au  Commerce,  80,  rue  de  Varenne  ;  aux  Finances,  rue  de 
Rivoli,  au  Ministère,  porte  D,  38. 000  imprimés;  à  la  Guerre, 
23 1,  boulevard  Saint-Germain,  i3o.ooo  imprimés  et  861  ma- 
nuscrits; à  l'Intérieur,  11,  rue  des  Saussaies,  80.000  imprimés 
et  100  manuscrits;  à  la  Justice,  place  Vendôme,  12.000  impri- 
més; à  la  Marine,  100.000  imprimés,  356  manuscrits  et 
5.000  cartes.  Ajoutons  la  Bibliothèque  du  Dépôt  des  cartes  et 
plans  de  la  Marine,  i3,  rue  de  l'Université,  70.000  imprimés, 
2  56  manuscrits,  sans  parler  des  atlas  anciens  ;  la  Bibliothèque 
de  l'Office  colonial,  au  Palais-Royal,  galerie  d'Orléans,  a 
20.000  imprimés,  1 .5oo  cartes  et  12.000  photographies.  L'Ecole 
supérieure  de  guerre  a  70.000  imprimés  et  148  manuscrits. 
Enfin  la  Bibliothèque  du  Conseil  municipal  a  22.000  volumes. 

La  Société  positiviste,  rue  Monsieur-le-Prince,  10,  a 
6.000  volumes.  Nous  avons  déjà  parlé  de  la  Bibliothèque  des 


LES   BIBLIOTHÈQUES  243 

Hautes  études  et  de  sa  section  religieuse  et  de  la  Société  de 
l'histoire  du  Protestantisme  français.  L'Institut  catholique, 
74,  rue  de  Vaugirard,  a  160.000  imprimés,  28  incunables  et 
180  manuscrits  ;  la  Faculté  de  théologie  protestante,  83  boule- 
vard Arago  a  36. 000  imprimés;  la  bibliothèque  de  l'Alliance 
Israélite,  à  l'Ecole  orientale,  5g,  rue  d'Auteuil  (annexe  45,  rue 
Labruyère),  a  20.000  imprimés,  i3  incunables  et  23o  manus- 
crits. 

La  Bibliothèque  polonaise,  6,  quai  d'Orléans,  a  80.000  impri- 
més, 10.000  manuscrits  et  autographes,  et  3o  000  estampes; 
quant  à  la  Bibliothèque  Scandinave,  6,  place  du  Panthéon,  elle 
est  rattachée  à  la  bibliothèque  Sainte-Geneviève.  La  Société 
asiatique,  1,  rue  de  Seine,  a  12.000  imprimés  et  200  manuscrits. 
La  bibliothèque  de  l'Ecole  spéciale  des  langues  orientales 
vivantes,  rue  de  Lille,  2,  est  riche  de  80.000  imprimés,  d'un  mil- 
lier de  manuscrits  et  d'un  millier  de  cartes. 

40  Les  sciences  mathématiques  et  naturelles  ne  sont  guère 
dotées  de  bibliothèques  nombreuses  ou  riches  que  pour  l'étude 
de   la  médecine.  L'Ecole  Polytechnique,  21,  rue  Descartes,   a 
5o.ooo  imprimés,  10  manuscrits,  1.100  médailles,  208  estampes, 
1.200  cartes  et  plans;  l'Ecole  des  Ponts  et  chaussées,  28,  rue  de 
Saint-Pères, a  100.000 imprimés,  3.2i2]manuscritset3.ooocartes 
ou  photographies  d'ouvrages  d'art  ;  la  bibliothèque  de  l'Ecole 
supérieure    des    mines,    60-62,    boulevard    Saint-Michel,    a 
45.000   imprimés    et    i5.ooo    brochures  ou    cartes.    Celle   du 
Bureau  des  Longitudes,  au  Palais  de  l'Institut,  rue  Mazarine,3, 
a  4.000  imprimés  ;  celle  de  l'Observatoire,  avenue  de  l'Obser- 
vatoire, a  18.178  imprimés  et  des  manuscrits.  Celle  de  la  Société 
chimique  de  France,  41,  rue  de  Rennes,  a  10.000  volumes;  la 
Société  de  physique,  à  la  même  adresse,  en  a  12.000;  la  Société 
internationale  des  Electriciens,  rue  de  Staël,  1 1  et  14,  en  pos- 


244  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC  A   PARIS 

sède  4.000.  La  Société  géologique  de  France,  rue  Serpente,  28, 
en  compte  20.000  ;  la  Société  de  géographie,  boulevard  Saint- 
Germain,  184,  a  60.000  imprimés,  5o  manuscrits,  600  atlas, 
6.000  cartes  et,  en  outre,  des  photographies,  des  clichés  à  pro- 
jections et  des  portraits.  La  Société  d'anthropologie,  i5,  rue  de 
l'Ecole-de-Médecine  a,  pour  cataloguer  ses  trésors,  employé 
deux  volumes.  Le  Muséum  d'Histoire  naturelle,  8,  rue  Buffon, 
possède  220.000  imprimés,  3o  incunables,  2.280  manuscrits  et 
8.600  dessins  (collection  des  vélins).  La  Société  entomologique, 
rue  Serpente,  28,  a  3o.ooo  volumes. 

L'Académie  de  médecine  a,  dans  sa  bibliothèque,  16,  rue 
Bonaparte,  3o.ooo  imprimés,  428  manuscrits,  des  médailles, 
des  estampes,  des  portraits.  Dans  la  sienne,  rue  de  l'Ecole-de- 
Médecine,  12,  la  Faculté  de  Médecine  a  220.000  imprimés, 
82  incunables,  767  manuscrits,  et  des  jetons.  La  Société  de 
l'histoire  de  la  médecine,  installée  rue  de  l'Ecole  de  Médecine, 
au  laboratoire  de  Parasitologie,  a  publié  le  catalogue  de  ses 
livres.  La  Société  de  chirurgie,  12,  rue  de  Seine  a  20.000  volumes. 
La  bibliothèque  de  l'Ecole  de  pharmacie,  4,  avenue  de  l'Obser- 
vatoire, a  43.000  imprimés,  27  incunables,  86  manuscrits,  sans 
parler  des  archives  de  l'ancienne  corporation  des  apothicaires 
et  du  collège  de  Pharmacie  de  Paris. 

L'Assistance  publique,  avenue  Victoria,  3,  a  6.373  imprimés 
et  69  manuscrits  ;  le  Conseil  supérieur  de  l'Assistance  publique 
au  ministère  de  l'Intérieur  a,  dans  sa  bibliothèque,  5o.ooo  impri- 
més. L'Hospice  des  Quinze-Vingts,  rue  de  Charenton  28,  a,  dans 
la  sienne,  25  manuscrits;  le  Val-de-Grâce,  277  bis,  rue  Saint- 
Jacques,  a  34.000  imprimés  et  4  manuscrits.  L'Institut  Pasteur, 
25,  rue  Dutot,  a  3o.ooo  imprimés,  dans  la  section  médicale  et 
bactériologique;  i5.ooo,  dans  la  section  de  chimie  biologique. 
L'Institution  nationale  des  jeunes  aveugles,  56,  boulevard  des 


PL  53. 


BIBLIOTHEQUE  DE   L  ARSENAL 
L'ORATOIRE  DE  MADAME  DE   LA  MEILLERAYE   (XVII°  SIÈCLE) 


BIBLIOTHEQUE  DE  L  ARSENAL.   —  UNE  CONSOLE  DANS  LE  SALON  LOUIS  XV 

(Page  258.) 


PI.  54. 


L'ILE    LOUVIERS,    PROCHE    L'ARSENAL,    AU    XVIIIe    SIÈCLE. 
(D'après  la  gravure  de  Pérelle.) 


UN  DINER    D  APPARAT  VERS   I460.  —  ROMAN  DE  BERNARD  DE  MONTAUBAN. 

(Bibliothèque  Je  l'Arsenal,  Ms.  5073  fol.  148. 

Page  237.; 


LES   BIBLIOTHÈQUES  245 

Invalides,  a  sa  bibliothèque  appropriée,  et  l'Institution  nationale 
des  sourds-muets,  rue  Saint-Jacques,  254,  a  la  sienne,  qui 
compte  3.ooo  imprimés  et  5  manuscrits. 

5°  Un  avant-  dernier  groupe  rassemble  les  bibliothèques 
relatives  à  l'agriculture,  à  l'industrie  et  au  commerce.  L'Institut 
national  agronomique,  rue  Claude  Bernard,  16,  a  25. 000  impri- 
més ;  la  Société  nationale  d'Agriculture,  18,  rue  de  Belle- 
chasse,  a  22.000  volumes;  la  Société  des  Agriculteurs,  8,  rue 
d'Athènes  en  a  12.000;  la  Société  nationale  d'Horticulture, 
rue  de  Grenelle  84,  a  i5.ooo  imprimés  et  400  manuscrits;  la 
Société  d'Apiculture,  de  Sériciculture  et  de  Zoologie  agri- 
cole, rue  Serpente,  28,  en  a  4.000. 

L'Ecole  centrale  des  Arts  et  Manufactures,  1,  rue  Mont- 
golfier,  a  16.000  imprimés.  La  Société  d'encouragement  pour 
l'Industrie  nationale,  44,  rue  de  Rennes,  a  5o.ooo  volumes.  La 
Société  des  Ingénieurs  civils,  rue  Blanche,  19,  en  a  47.000.  La 
Bibliothèque  du  Conservatoire  national  des  arts  et  métiers, 
rue  Saint-Martin,  292,  a  48.611  imprimés,  6  manuscrits, 
2.323  cartes. 

La  Bibliothèque  de  la  Chambre  de  Commerce,  rue  Fey- 
deau,  3,  a  40.000  imprimés  ;  et,  boulevard  du  Palais,  celle  du 
Tribunal  de  Commerce  a  291  manuscrits  qui  ont  été  inven- 
toriés; celle  de  l'Ecole  d'application  du  Génie  maritime, 
140,  boulevard  de  Montparnasse,  s'accroît  chaque  année,  lente- 
ment. Celle  de  l'Ecole  coloniale,  avenue  de  l'Observatoire,  2, 
a  1  5.000  imprimés,  100  manuscrits,  5oo  cartes  et,  en  outre,  des 
estampes  et  des  médailles. 

6°  Enfin  il  nous  semble  qu'il  faut  ranger  ensemble  les 
bibliothèques  populaires  municipales.  C'est  l'honneur  de  la 
Ville  de  Paris  de  les  avoir  généreusement  multipliées,  non  pas 
seulement  dans  chaque  arrondissement,  mais  aussi  dans  chaque 


246  L'ENSEIGNEMENT  PUBLIC  A  PARIS 

quartier.  Celles  rattachées  aux  mairies  sont  plus  importantes  que 
les  autres,  annexées  aux  Ecoles,  et  il  faut  faire  une  place  à  part 
à  celle  de  la  mairie  du  XVIe  arrondissement.  Dans  le  P  arron- 
dissement,h  la  marie  de  la  place  du  Louvre,  il  y  a  7.900  volumes 
et,  n,  rue  d'Argenteuil,  4.238.  Dans  le  IIe  arrondissement, 
cinq   bibliothèques    :    à    la  mairie,    rue  de  la    Banque,    8    : 
14.917  volumes;  rue  Saint-Denis,   221   14.955   volumes;   rue 
Etienne-Marcel,  20  :  5.494  volumes;  rue  de  la  Jussienne,  3  : 
4.547  volumes  ;  rue  de Louvois,  6  :  2.954  volumes.  Le IIIe  arron- 
dissement a  4  bibliothèques  :  à  la  mairie,  square  du  Temple  : 
11.088  volumes;  rue  Montgolfier,  3  :  5.985  volumes;  passage 
de  l'Ancre  :  4.620  volumes;  rue  Béranger,  3  :  2.612  volumes. 
Trois  bibliothèques  dans  le  IVe  arrondissement  :  à  la  mairie, 
place    Baudoyer  :    12.259   volumes;    place    des    Vosges,    6    : 
7.382  volumes  ;  rue  du  Renard,  21  :  4.35o  volumes.  Le  Ve arron- 
dissement a  trois  bibliothèques  :  à  la  mairie,  place  du  Pan- 
théon, 7.389  volumes;  rue  de  l'Arbalète,  39  bis  :  7.450  volumes 
et   rue   de  Poissy,  27  :    4.364  volumes.   Le    VP   arrondisse- 
ment a  quatre  bibliothèques  :   à  la  mairie,   place    Saint-Sul- 
pice  :  1 3. i5o  volumes;  rue  de  Vaugirard,  85  :  5.488  volumes; 
rue  du  Pont  de  Lodi,  2  :5.oi8  volumes;  rue  Saint-Benoit,  12  : 
4.625  volumes.  Le  VIP  arrondissement  a  trois  bibliothèques, 
à  la  mairie,  rue  de  Grenelle,    116,    9.491    volumes;   avenue 
Duquesne,  42  :    5.320  volumes;  rue  Camou  1  :   5.264  volumes. 
Le    VIIIe   arrondissement  en    a   trois    aussi    :   à  la   mairie, 
rue  d'Anjou,    11;    i5.5oo  volumes;   rue  du  Général-Foy,   24  : 
4.547  volumes;   rue    Paul-Baudry,    10    :  4.196   volumes.    Le 
IX'  arrondissement  en  a  trois  encore  :  à  la  mairie,  rue  Drouot, 
6  :  7J94  volumes;  rue  de  Bruxelles,  32  :  6.276  volumes;  rue 
Milton,  35  :  3.704  volumes.  Le Xe arrondissement,  2  seulement  :  à 
la  mairie,  rue  du  faubourg  Saint-Martin,  72  :  12.812  volumes; 


LES   BIBLIOTHÈQUES  247 

rue  de  Sambre-et-Meuse,  19  :  4.872  volumes.  Le  XIe  arrondis- 
sement en  a  5,  et  sans  même  compter  la  bibliothèque  Forney  : 
à  la  mairie,  place  Voltaire  :  14.431  volumes;  avenue  Parmen- 
tier,  100  :  6.640  volumes;  rue  Titon,  12  :  6. 58o  volumes  ;  ave- 
nue de  la  République,  98  :  4.673  volumes  ;  rue  Trousseau,  38  : 
3.387  volumes.  Le  XIIe  arrondissement  en  a  quatre  :  à  la 
mairie,  avenue  Daumesnil  :  8.5oo  volumes;  rue  du  Rendez- 
vous,  63  :  5.8 19  volumes  ;  boulevard  Diderot,  40  14. 039  volumes; 
rue  de  Charenton,  5i  :  3.668  volumes.  Le  XIIIe  arrondisse- 
ment, quatre  aussi  :  à  la  mairie,  place  d'Italie  :  9.100  volumes  ; 
rue  Baudricourt,  52  :  5. 600  volumes;  rue  Damesme,  5  : 
3.807  volumes;  boulevard  Arago,  3o  :  3.i52  volumes.  Le 
XIV"  arrondissement,  en  a  cinq  :  à  la  mairie  rue  Mouton-Du- 
Vernet  :  8.000  volumes;  boulevard  du  Montparnasse,  80  : 
4.000  volumes;  rue  Du  Cange,  1  :  4-865  volumes;  rue  de  la 
Tombe-Issoire,  77  :  4.258  volumes;  rue  d'Alésia,  i32  : 
4.872  volumes.  Le  XVe  arrondissement,  5  bibliothèques  aussi  : 
à  la  mairie,  rue  Péclet  :  8.3oo  volumes  ;  place  du  Commerce, 
4  :  5.175  volumes;  rue  Lacordaire,  11  :  5.45 1  volumes;  rue  Fal- 
guière,  20  :  4.81 3  volumes;  rue  Dupleix,  21  (PI.  64)  :  2.400  vo- 
lumes. Le  XVIe  arrondissement,  4  bibliothèques  :  à  la  mairie, 
avenue  Henri-Martin  :  19.347  volumes  ;  rue  Hamelin,  17  :  5. 178 
volumes;  rue  du  Ranelagh,  70  :  3.614  volumes;  rue  de  Mus- 
set, 20  :  2.844  volumes.  Le  XVIIe  arrondissement,  4  aussi  :  à  la 
mairie,  ruedesBatignolles,  18:  io.3oo  volumes;  rue  Saint-Ferdi- 
nand^ :  5.633  volumes;  rue  Balagny,40  :  3-985  volumes;  rue 
Ampère,  18  :  i3.o55  volumes  ou  estampes.  Le  XVIIIe  arron- 
dissement, 4  bibliothèques,  sans  parler  de  la  bibliothèque  d'art 
et  industrie,  rue  Erckmann-Chatrian,  i3  :  ce  sont,  à  la  mairie, 
place  Jules -Joffrin,  8.956  volumes;  rue  du  Poteau,  71  : 
6.i3o  volumes;    rue    de  Torcy,   5   :  4.869   volumes;   impasse 


248  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC  A   PARIS 

d'Oran,  bibliothèque  Gustave  Tridon  :  8.000  volumes.  Le 
XIXe  arrondissement  a  5  bibliothèques  :  à  la  mairie,  place 
Armand-Carrel,  8.827  volumes;  rue  Fessart,  4  :  7. o58  volumes; 
rue  de  Tanger,  41  :  4.640  volumes;  rue  Barbanègre,  7  : 
3.856  volumes;  rue  Bolivar,  119  :  3.488  volumes.  Enfin  le 
XXe  arrondissement  en  a  jusqu'à  8  :  à  la  mairie,  place  Gam- 
betta  :  13.684  volumes;  rue  Vitruve,  3  :  6.627  volumes;  rue 
Henri  Chevreau,  26  :  5. 118  volumes;  rue  Pelleport,  166  : 
5. 141  volumes;  rue  Ramponeau,  5i  :  3.879  volumes;  rue  de  la 
Plaine,  11  :  3.440  volumes;  rue  des  Panoyaux,  9  :  5.o55  vo- 
lumes ou  estampes;  rue  de  Tlemcen,  9  :  3.857  volumes. 

En  somme  et  sans  parler  des  bibliothèques  de  nos  lycées  et 
de  nos  écoles,  ni  de  nos  hôpitaux,  ni  de  nos  laboratoires,  ni  de 
nos  prisons,  pas  plus  que  de  la  Bibliothèque  nationale,  c'est  un 
total  de  196  bibliothèques.  Sur  ces  196  bibliothèques,  87  sont 
générales  et  109  sont  spéciales.  Elles  contiennent  au  moins, 
6.908.992  volumes  imprimés,  3.988  incunables,  68.o5o  manus- 
crits, 1.680.000  estampes  ou  photographies  documentaires, 
3 1.023  cartes  et  plans.  Voilà  une  assez  jolie  pâture,  même  pour 
une  ville  de  2.888.1 10  habitants,  qui  peut  déjà  nourrir  le  cer- 
veau de  son  élite  avec  la  «  substantifique  moelle  »  de  la  grande 
bibliothèque  de  la  rue  de  Richelieu,  où  plus  de  3  millions  et  demi 
de  volumes  imprimés  et  121.000  manuscrits  sont  hospitalisés.  Si 
l'on  compte,  en  moyenne,  deux  centimètres  par  volume  imprimé 
ou  manuscrit,  tous  ces  livres  dressés  à  côté  les  uns  des  autres 
occuperaient  un  rayon  de  bibliothèque  long  de  211  kilomètres  : 
c'est  un  peu  plus  que  la  distance  de  Paris  au  Havre.  Ce  rayon 
s'allongerait  bien  au  delà,  si  on  y  ajoutait  les  34.000  volumes 
imprimés  qui  entrent  annuellement  à  la  Bibliothèque  nationale  : 
car  ces  volumes  seuls  exigent,  tous  les  dix  ans,  un  rayon  nouveau 
de  près  de  7  kilomètres. 


PL  56. 


BIBLIOTHÈQUE   MAZARINE 


PEIRESC.    PAR    CAFFIERI. 


FRANK!. IX.   PAR    CAFFIERI. 


FAL1SS0T,    PAR   HOUDON.  BUSTE  ANONYME,   PAR  DE  FERNEX. 

Page  255. 


LES   BIBLIOTHÈQUES  249 

Sans  doute,  les  sceptiques  pourront  railler,  avec  Voltaire, 

L'amas  curieux  et  bizarre 
Des  vieux  manuscrits  vermoulus 
Et  la  suite  inutile  et  rare 
D'écrivains,  qu'on  n'a  jamais  lus. 

Mais  ceux  qui  ont  foi  dans  l'enseignement  pour  élever  le 
cœur  et  l'esprit  d'un  grand  pays  et  d'une  grande  cité,  préfére- 
ront peut-être  se  souvenir  des  vers  qu'un  inspecteur  des  Biblio- 
thèques de  la  Seine,  Alexandre  Parodi,  adressait,  en  1886,  «  aux 
ouvriers  parisiens  »,  lors  de  l'inauguration  de  la  bibliothèque 
Forney  : 

Peuple  épris  de  lumière, 
Viens  rajeunir  ta  sève  aux  sources  du  savoir  : 
Où  le  talent  combat,  ta  place  est  la  première, 
Il  la  faut  conserver,  Paris,  c'est  ton  devoir. 


Il  nous  reste  à  dire  ce  que  l'on  a  su  faire  d'un  outillage  intel- 
lectuel aussi  énorme  ;  comment  la  masse  des  faits  et  des  idées, 
accumulés  dans  plus  de  huit  millions  de  livres,  d'estampes  ou 
de  documents,  réussit-elle  à  se  rendre  assimilable  aux  lecteurs  ? 

C'est  du  personnel  et  de  l'installation  que  dépendront  le 
classement  des  livres  et  leur  catalogue  d'abord,  leur  communi- 
cation et  leur  prêt  au  public,  ensuite1. 

Pendant  longtemps,  l'idée  prévalut  qu'un  poste  de  bibliothé- 
caire et  surtout  de  conservateur  en  chef  devait  se  donner  comme 
une  prébende  d'ancien  régime.  L'État  avait  des  devoirs  de 
Mécène  et  les  bibliothèques  avaient  charge  d'en  assurer  les  frais  ; 
un  poète,  un  littérateur,  un  artiste,  un  savant,  placé  à  la  tête  de 

1.  Grande  Encyclopédie,  t.  VL  p.  647-662,  excellent  article  d'Aug.  Molinier. 


250  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC   A  PARIS 

l'Arsenal  ou  de  la  Mazarine,  s'y  installait,  en  pleine  activité 
d'esprit,  comme  dans  une  retraite.  La  cité  des  livres  lui  était  un 
salon  ;  il  souffrait  qu'on  y  parlât  de  tout,  même  de  sa  sinécure. 
Il  en  faisait  le  dernier  asile  de  la  causerie. 

En  1837,  des  protestations  commencèrent;  qu'on  eût  des 
égards  aux  bonnes  lettres  rien  de  mieux  ;  mais  il  convenait  d'en 
avoir  aussi  pour  les  livres.  En  avril  1887,  un  décret,  modifié  en 
septembre  1905,  finit  par  régler,  pour  les  trois  bibliothèques 
Mazarine,  Arsenal  et  Sainte-Geneviève,  la  situation  du  per- 
sonnel ;  le  diplôme  d'une  des  écoles  supérieures  de  l'Etat  (Ecole 
des  Chartes,  Langues  orientales)  était  nécessaire  et,  à  son  défaut, 
un  certificat  d'aptitude.  La  compétence  remplaçait  la  faveur  ; 
point  partout  cependant.  Tous  les  subordonnés  durent  se  sou- 
mettre à  un  examen  ;  leur  chef  seul  en  fut  dispensé. 

Sur  196  bibliothèques  parisiennes,  les  trois  plus  notables  — 
après  la  Bibliothèque  nationale  —  étaient  désormais  presque 
assurées  d'avoir  un  personnel  compétent.  Des  193  autres,  trois 
le  sont  aujourd'hui  :  à  la  bibliothèque  de  l'Université  (décret 
du  23  août  1879  et  du  28  juin  1910J  on  n'entre  qu'après  un 
examen  professionnel  ;  à  celle  de  l'Ecole  des  Chartes,  avec  le 
diplôme  d'archiviste  paléographe,  que  possède  nécessairement 
le  secrétaire  de  l'Ecole;  depuis  peu  de  mois,  la  bibliothèque 
historique  de  la  ville  de  Paris  se  recrute  au  concours. 

Restent  190  bibliothèques  pour  lesquelles  la  compétence  est 
prouvée  autrement  que  par  des  épreuves  strictement  profes- 
sionnelles :  les  choix  sont  du  reste  très  généralement  heureux 
et  il  est  de  plus  en  plus  rare  que  les  livres  aient  à  s'en  plaindre. 
Leur  familiarité  finit  par  apprendre  au  plus  rebelle  les  élé- 
ments du  métier  de  bibliothécaire  :  c'est  tout  au  plus  si  cette 
éducation  est  un  peu  tardive  et  si  elle  sert  à  couronner  une  car- 
rière au  lieu  de  la  commencer  et  de  l'ouvrir.  Il  y  a  encore  quel- 


LES   BIBLIOTHÈQUES  251 

ques  bibliothécaires  qui  justifieraient  surtout  le  titre  de  déta- 
chés des  bibliothèques. 

Les  traitements  en  doivent,  pour  une  large  part,  porter  la 
responsabilité.  Ce  sont  des  traitements  de.  famine.  Après  vingt- 
cinq  ans  de  services,  tel  bibliothécaire  fort  distingué  de  l'Ar- 
senal n'avait  pas  encore,  en  dépit  des  réclamations  de  son  chef, 
3.ooo  francs  par  an.  A  la  bibliothèque  de  l'Université,  il  a  fallu 
attendre  1910  pour  que  les  traitements  fussent  relevés  :  et 
cependant  chacun  des  bibliothécaires  fournissait  trente-six 
heures  de  service  par  semaine.  Croirait-on  qu'il  fut  un  temps 
—  c'était  au  début  de  1875  —  où  un  ministre  parut  tyrannique 
parce  qu'il  prétendait  asservir  chaque  fonctionnaire  de  laMaza- 
rine  à  deux  heures  de  service  par  semaine  ? 

Le  passé,  n'est  pas  seulement  nécessaire  pour  expliquer 
l'état  du  personnel  ;  il  l'est  surtout  pour  expliquer  l'état  des 
locaux.  L'installation  d'une  bibliothèque  est  aujourd'hui  sou- 
mise à  des  règles  sévères  :  il  s'agit  moins  de  loger  les  livres 
derrière  des  façades  somptueuses  que  d'assurer  leur  longue  vie 
par  une  hygiène  réfléchie.  Les  dispositions  intérieures  sont 
désormais  le  grand  souci  des  architectes  et  ces  dispositions  sont 
défensives  :  elles  doivent  armer  les  livres  contre  ces  quatre 
ennemis  :  l'humidité,  la  poussière,  les  vers,  le  feu. 

L'humidité  est  surtout  combattue  par  l'air  libre  :  on  a 
renoncé  aux  armoires  fermées  et  on  leur  préfère  des  grillages  ; 
on  éloigne  un  peu  les  livres  du  mur  ;  on  les  adosse  à  des  plan- 
ches de  fond  ;  on  évite  de  les  mettre  au  rez-de-chaussée,  ce  rez- 
de-chaussée  fut-il  supporté  par  des  caves  ;  enfin  on  préfère  à 
toutes  les  expositions  celles  du  midi  ou  de  l'est.  Il  a  fallu  cepen- 
dant les  inondations  parisiennes  de  janvier  19 10  pour  démon- 
trer, à  l'Arsenal,  qu'il  y  avait  des  exceptions  heureuses.  Le 
quartier  environnant  était  submergé  mais  tous  les  livres  resté- 


252  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC  A   PARIS 

rent  intacts  :  les  substructions  de  la  vieille  demeure,  la  muraille 
de  Charles  V,  les  fondations  disposées  par  ordre  de  Sully  ou  de 
ses  successeurs  et  par  les  soins  de  Germain  Boffrand  formaient 
une  digue  si  solide  que  l'eau  dut  se  borner  à  en  faire  le  tour. 

Les  poussières  parisiennes  se  glissent  partout  :  on  les  évite 
quelque  peu  en  éloignant  les  dépôts  de  la  salle  de  lecture,  en 
disposant,  sur  le  sol,  des  tapis  de  cuir  ou  de  linoléum,  et  en  net- 
toyant ces  tapis  sans  balais  mais  avec  des  linges  appropriés; 
enfin  en  procédant  périodiquement  à  un  battage  des  livres,  à 
l'air  libre. 

Les  vers  rongent  de  préférence  les  anciens  livres  en  papier 
de  fil  et  les  reliures  à  ais  de  bois.  On  combat  ces  parasites  par  le 
battage,  par  des  substances  chimiques  et  des  plantes  à  odeurs 
fortes,  par  l'isolement  des  reliures  infectées,  si  elles  ont  une 
valeur  artistique,  et  par  la  substitution  de  reliures  modernes  plus 
saines. 

L'incendie  est  le  plus  grand  fléau  des  bibliothèques  et  la 
triste  fortune  de  la  bibliothèque  de  Turin  est  encore  présente  à 
notre  souvenir.  Une  bibliothèque  doit  donc  être  isolée  de  tout 
voisinage  suspect;  on  tremble  d'autant  plus  en  voyant,  boule- 
vard Morland,  à  quelques  pas  d'une  des  parties  les  plus  pré- 
cieuses de  l'Arsenal  la  forge  d'un  maréchal  ferrant.  Au  gaz,  il 
faut  préférer  l'électricité,  placer  à  quelque  distance  les  machines 
génératrices  de  lumière,  supprimer,  le  plus  possible,  les  chemi- 
nées et  les  remplacer  par  des  bouches  de  calorifère.  Les  gre- 
nades destinées  à  éteindre  les  commencements  d'incendie  sont 
disposées  à  l'avance  dans  chaque  pièce.  Les  gardiens  font,  tous 
les  mois  des  manœuvres  d'incendie  et  les  pompiers  font  leur 
inspection,  deux  fois  par  an.  Les  prises  d'eau  et  les  lances  ne 
manquent  point  :  mais  il  ne  faut  pas  oublier  que  l'eau  risque  de 
devenir  un  remède  aussi  dangereux  que  le  mal.  Le  mieux  est 


3C^    > 

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m.  58. 


BIBLIOTHÈQUE    MAZARINE 


9 

I 


RELIURE    AUX    ARMES    DE    MAZARIN. 


LUSTRE    LOUIS    XV. 


(  OMMODE    BOULLE. 
Page  2:r.' 


LES    BIBLIOTHÈQUES  253 

de  prévenir  le  feu,  au  moyen  de  montants  en  fer  garnis  seule- 
ment de  rayons  de  bois  :  le  fer  s'opposera  à  la  propagation  de 
la  flamme.  Réduire  au  minimum  les  matériaux  combustibles  est 
une  précaution  d'élémentaire  sagesse. 

Les  dernières  bibliothèques  construites  à  Paris  se  sont  ins- 
pirées, le  plus  possible,  de  ces  principes  :  la  bibliothèque  de 
l'Université,  celles  de  la  Faculté  de  droit,  de  médecine  et  de 
l'Ecole  des  Chartes,  par  exemple.  Quand  Labrouste  a  recons- 
truit, de  1843  à  i85o,  la  Bibliothèque  Sainte-Geneviève,  il  a 
voulu  réaliser  l'idéal  nouveau  :  préférer  à  la  décoration  exté- 
rieure l'aménagement  intérieur  ;  supprimer  en  partie  les  baies 
latérales  et  faire  venir  la  lumière  du  voisinage  de  la  toiture; 
remplacer  l'architecture  de  bois  par  l'architecture  de  fer.  Il  a 
réussi  (PI.  59). 

Et  cependant  le  mérite  de  son  œuvre  ne  réussit  pas  à  masquer 
quelques  erreurs  :  les  terrains  nécessaires  aux  agrandissements 
futurs  n'ont  pas  été  prévus  et  nul  doute  que  Labrouste  eût  été 
charmé  de  les  recevoir  de  l'Administration  ;  s'il  est  en  faute,  il  ne 
Test  pas  seul.  Ils  manquent  comme  à  l'Arsenal  et  comme  à  la 
Mazarine  (dont  les  locaux  ont,  tout  au  moins,  l'excuse  de  leur 
grand  âge)  et  comme  à  la  Bibliothèque  de  l'Université  où 
M.  Nénot  ni  personne,  en  188 5,  ne  pouvait  prévoir  que  le 
nombre  des  étudiants  décuplerait  en  vingt-cinq  ans  et,  en  191 2, 
dépasserait  12.000.  La  Bibliothèque  historique  de  la  ville,  tout  au 
moins,  ne  risque  pas,  avant  longtemps,  d'être  prise  au  dépourvu  : 
elle  pourra  s'étendre  jusqu'à  la  rue  Payenne  et  un  projet  récent 
parle  même  de  confisquer  à  son  profit  le  lycée  Victor  Hugo, 
auquel  on  donnerait  asile  dans  une  partie  de  l'ancienne  impri- 
merie nationale. 

A  Sainte-Geneviève  (PI.  60),  la  ventilation  est  insuffisante  ; 
de  plus,  la  nécessité  imposée  à  Labrouste  de  faire  une  salle  de 


254  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC   A  PARIS 

lecture  spacieuse  contraignit  malheureusement  l'architecte  à 
entourer  de  livres  cette  salle  et  à  faire  d'elle  leur  principal  dépôt. 
L'effet  architectural  en  est  admirable  et  c'est  beaucoup,  mais 
pratiquement  qu'arrive-t-il  ?  Le  va-et-vient  des  lecteurs  soulève 
une  poussière,  qui  ronge  les  livres  ;  la  lumière  du  gaz  décolore 
leur  reliure  ;  la  chaleur  finit  par  détacher,  au  dos  des  volumes, 
les  titres  et  les  étiquettes.  Cette  expérience  n'a  pas  été  perdue  et 
Labrouste  en  a  fait  profiter,  dès  1854  à  1868,  la  salle  de  lecture 
de  la  Bibliothèque  nationale. 

Chose  paradoxale  :  l'ancienne  bibliothèque  des  Génovéfains 
avait,  dès  1720,  résolu  le  problème  plus  heureusement  que  la  nou- 
velle et  le  Bristish  Muséum  n'a  pas  manqué  d'en  faire  son  profit 
beaucoup  mieux  que  nous.  Elle  avait  imaginé  une  salle  de  lec- 
ture centrale,  placée  au  point  où  par  les  quatre  bras  d'une  croix 
grecque  venaient  aboutir  les  galeries  1.  Au  lieu  d'une  croix,  qu'on 
imagine  les  rayons  d'une  étoile  et  on  multipliera  les  galeries, 
on  évitera  la  poussière,  on  accélérera  le  service  des  livres,  on 
simplifiera  la  surveillance. 

Les  bibliothèques  d'autrefois  avaient  donc  leurs  qualités.  Elles 
avaient  aussi  leur  idéal  décoratif  :  il  revit,  en  partie  encore  et 
pour  le  plaisir  de  nos  yeux,  non  pas  seulement  au  cabinet  des 
Estampes  et  à  la  galerie  Mazarine  delà  Bibliothèque  nationale, 
mais  dans  les  magnifiques  salles  de  la  bibliothèque  Mazarine 
(PI.  55)  ;  là  sur  l'emplacement  même  de  l'ancienne  Tour  de 
Nesles,  fut  construite,  à  la  mesure  de  la  galerie  Mazarine,  une 
salle  destinée  à  recevoir  tous  les  livres  que  Naudé  et  Mazarin 
avaient  su  acquérir.  De  la  galerie  Mazarine,  on  ne  se  contenta 
pas  de  les  transporter  là  ;  on  y  transporta  aussi  les  gracieuses 
colonnes  et  l'attique  qui,  au  fond  de  l'hôtel  Tubeuf,  leur  servait 

1.  Voir  plus  haut,  p.  no,  le  Lycée  Henri  IV  où  ce  qui  subsiste  de  ces  anciennes 
galeries  a  été  converti  en  dortoirs. 


LES   BIBLIOTHÈQUES  255 

de  décor.  Ces  colonnes  n'ont  pas  changé,  non  plus  que  le  parquet 
qui  les  supporte,  ni  les  chaises  de  style  LouisXIII,  qui  entourent 
la  table  de  la  salle  Naudé.  Mais  un  plafond  plat  a  remplacé,  au 
xvme  siècle,  la  voûte  du  xvn°  :  il  s'agissait  de  gagner  de  la 
place  pour  les  livres.  La  salle  a  8m,5o  de  haut.  On  a  pu  en  loger 
ainsi  40.000  volumes  de  plus.  Et  le  balcon,  qui  ceinture  aujour- 
d'hui encore  la  grande  salle  (PI.  55),  au  point  où  portait  la 
retombée  des  voûtes,  est  demeuré  tel  qu'il  fut  construit  sous 
Louis  XV. 

Les  deux  lustres  de  style  Louis  XV  et  les  cinq  lustres  de 
style  Louis  XIV,  qui  sont  suspendus  au  plafond,  sont  d'une 
valeur  inestimable  (PI.  55  et  58)  :  les  deux  premiers  surtout, 
taillés  par  Jean-Jacques  Caffieri  en  plein  bronze.  Mais  ils 
n'étaient  pas  à  la  bibliothèque  avant  la  Révolution  ;  pas  plus 
que  les  délicieuses  commodes  d'André-Charles  Boulle  (PI.  58), 
qui  sont  tout  près  de  l'entrée  de  la  salle  Naudé,  les  deux  bahuts 
Louis  XVI,  placés  à  l'extrémité  opposée  de  la  salle  pelasgienne  et 
les  deux  pendules,  placées  derrière  le  bureau  du  Conservateur. 
Commodes  Boulle  et  pendules  viennent  de  Versailles  (PI.  57 
et  58)  :  les  commodes  y  ornaient  la  chambre  de  Louis  XIV  et 
l'une  des  pendules,  dont  le  mouvement  est  impeccable,  a  sonné 
l'heure  dans  le  cabinet  de  travail  de  Louis  XVI.  Les  bustes  de 
marbre,  de  bronze,  ou  de  terre  cuite  qui,  tout  le  long  des  deux 
grandes  salles,  veillent  discrètement,  du  haut  de  leurs  socles  de 
marbre  blanc,  sur  le  travail  des  lecteurs,  sont  de  rareté  très  iné- 
gale :  la  plupart  des  antiques  semblent  de  simples  copies.  Quel- 
ques pièces,  du  moins,  sont  d'espèce  unique  :  le  buste  en  bronze 
de  Richelieu  dû  au  ciseau  du  médailliste  Warin  (PI.  5j),  l'abbé 
Palissot  dû  à  Houdon,  Peiresc  et  Franklin,  dus  à  Caffieri,  sont 
étonnants  de  vérité  et  de  vie  (PI.  56).  Et,  dans  un  cadre 
Louis  XVI,  un  singulier  médaillon  de  bronze  très  peu  connu, 


256  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC   A  PARIS 

évoque  à  merveille  le  profil  osseux  et  grave  du  vainqueur  de  Ri- 
voli (pi.  57) .  Toutes  ces  richesses  d'art,  exception  faite  de  la  der- 
nière, proviennent  de  biens  confisqués  aux  émigrés  ;  la  Révolu- 
tion les  avait  enfermées  au  dépôt  des  Augustins,  d  où  l'abbé  Le- 
blond  sut  les  tirer  pour  le  plus  bel  ornement  de  la  Bibliothèque. 

Si,  dès  le  xvif  siècle,  plusieurs  salles  du  palais  Mazarin 
furent  converties  en  Bibliothèque,  il  fallut  attendre  la  seconde 
moitié  du  xvme,  à  1' Arsenal,  et  l'extrême  fin  du  xixc,  àSaint-Far- 
geau,  pour  transformer  d'anciens  appartements  privés  en  cités  de 
livres.  Il  en  résulte  qu'en  entrant  aujourd'hui  dans  ces  biblio- 
thèques nous  pouvons  avoir  l'illusion  de  pénétrer  dans  des  logis 
où  la  pensée  de  nos  pères  n'habite  pas  seulement  dans  leurs 
livres  ;  leur  ombre  y  flotte  encore  un  peu  partout,  aux  boiseries 
des  murailles,  aux  peintures  des  panneaux,  aux  lustres  du  pla- 
fond. Devant  les  vastes  paniers  des  contemporaines  de  Louis  XV, 
on  tremblait  que  ces  portes  ne  fussent  assez  larges,  et,  devant 
leurs  coiffures,  qu'elles  ne  fussent  assez  hautes  ;  c'est  à  ces  glaces 
qu'elles  ont  souri  et  vérifié  l'éclat  de  leur  fard  ou  la  place  de 
leurs  mouches  ;  c'est  sur  les  bras  de  ces  fauteuils  qu'elles  ont 
joué  de  l'éventail. 

Nos  impressions  peuvent  se  préciser.  Voulons-nous  demander 
aux  murs  de  nos  bibliothèques  l'évocation  des  hôtels  de  pierre 
blanche  et  de  brique,  qu'on  aimait  tant  sous  Louis  XIII  ?  La 
Bibliothèque  nationale  nous  la  donnera,  rue  des  Petits-Champs 
et  rue  Vivienne,  devant  l'hôtel  bâti  par  Pierre  Lemuet,  en  1 633, 
pour  M.  Tubeuf,  surintendant  des  finances  ;  et  encore  devant  la 
grande  travée,  qui  forme  le  fond  du  jardin  bordant  la  rue 
Vivienne  :  Mazarin,  avant  1641,  chargea  François  Mansart  de 
la  construire1.   Voulons-nous  voir   comment    on   remplaça    la 

1.  Voir  la  Bibliothèque  nationale,  cit.  (édit.  H.  Laurens),  p.  2  et  3. 


PI.  59. 


Sfcvnv- ■ — "         "    ;::,.:  : 


BIBLIOTHEQUE    SAINTE-GENEVIEVE.    —    FAÇADE    SUR    LA    PLACE    DU    PANTHEON. 


BIBLIOTHEQUE  SAINTE-GENEVIEVE.  —  VESTIBULE  D'ENTREE  AU   REZ-DE-CHAUSSEE. 

(Page  253.) 


PI.  60. 


BIBLIOTHÈQUE  SAINTE-GENEVIEVE.   —  CABINET  DE  l' ADMINISTRATEUR. 
DERRIÈRE    LA     TABLE     (xVIII0    SIECLE)     EST    l'hORLOGE    d'û.     FINNÉ     (1553) 

Page  261.) 


BIBLIOTHEQUE    SAINTE-GENEVIEVE. 
Page  2b3. 


s  U.I.K    DE    LECTURE. 


LES   BIBLIOTHÈQUES  257 

brique  rouge,  si  pimpante  et  si  gaie  qu'elle  charma  pendant 
près  de  cent-cinquante    ans   les  yeux  de  nos  pères  ?   Et  nous 
plaît-il  de  savoir  comment,  de  1 663  à  1672,  les  architectes  Le 
Vau,  Lambert  et  d'Orbay  lui  préférèrent  des  lignes  plus  nobles 
et  plus  graves  (avant  que  le  jeune  roi  en  réclamât  de  plus  solen- 
nelles encore),  arrêtons-nous  devant  le  Palais  de  l'Institut,  dont 
l'aile  orientale  abrite  les  livres  cleMazarin  '  (PI.  55).  La  mélan- 
colie du  grand  siècle  finissant  nous  tente-t-elle  ?  Allons  rue  de 
Sévigné,  29,  et  contemplons  l'hôtel  que  Michel  le  Pelletier  de 
Souzy,  intendant  des  finances,  se  fit  reconstruire  en   1687,  par 
Pierre  Bullet  :   sur  le   fronton  postérieur,    qui  regarde  la  rue 
Payenne,  l'image  du  Temps,  sculptée  en  haut-relief,  a  des  airs 
funèbres  ;  mais  déjà  l'on  devine,  sur  le  fronton  triangulaire  de 
Y  Orangerie,  la  délicatesse  du  temps  de  Watteau,  dans  la  gra- 
cieuse figure  couchée  d'une  Vérité  sans  voiles  et  qui  se  fie  à  la 
discrétion  de  son  miroir  (PI.  62).  Enfin  avons-nous  la  fantaisie 
de  savoir  comment  un  architecte  du  genre  aimable,  Germain  Bof- 
frand,  savait,  au  début  de  Louis  XV,  s'essayer  dans   le  genre 
sérieux,  allons  voir  la  façade  sud  de  l'Arsenal,  avec  les  mortiers 
et  les  canons  de  pierre  chargés  de  rappeler  que  là  était  bien  la 
demeure  du  grand  maître  de  l'artillerie. 

Les  spécialistes  ont,  sans  aucun  cloute,  raison  de  se  plaindre 
que  les  livres  soient  rarement  placés  dans  des  logis  construits 
spécialement  pour  eux  ;  nous  n'avons  pas,  quant  à  nous,  le  cou- 
rage de  récriminer  trop,  pour  peu  que  nous  pénétrions  dans  ces 
logis-là  auxquels  l'art  garde  encore  sa  parure.  Leur  façade  a  sa 
beauté,  mais  leur  intimité  a  son  charme.  Nous  connaîtrions 
moins  bien  le  milieu  du  xvne  siècle  et  tout  le  xvni",  si  nous 
n'avions  les  appartements  conservés  à  l'Arsenal  et  à  Saint-Far- 

i 

1.  L'Institut  de  France,  même  édition,  p.  12  et  22. 

17 


258  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC  A   PARIS 

geau1.  Certes,  la  légende  se  trompe  quand  elle  parle  du  Cabinet 
de  Sully  et  de  la  chambre  d'Henri  IV.  C'est  tout  simplement  la 
chambre  et  l'oratoire  de  la  duchesse  et  maréchale  de  la  Meilleraye 
qu'il  faut  dire.  Ces  deux  pièces  datent  de  1637  à  1664  et  le  pin- 
ceau de  Simon  Vouet  s'ingénia  d'abord  à  les  orner;  Vouet 
mourut  en  1649.  Son  disciple,  Pierre  Mignard,  semble  bien  s'être 
employé  à  les  finir.  Impossible  jusqu'ici  de  préciser  où  com- 
mence et  où  s'arrête  sa  collaboration  et  il  faut  souhaiter,  pour 
le  savoir,  la  découverte  d'une  pièce  d'archives  plus  explicite  que 
celles  où  le  nom  de  ce  peintre  s'est  mêlé.  Il  y  a  là,  pour  les  his- 
toriens de  l'art,  un  problème  à  résoudre  (PI.  52  et  53). 

Ces  deux  pièces  ne  sont  plus,  depuis  1 863,  dans  la  partie  du 
bâtiment  qu'elles  occupaient  jadis  et  il  est  regrettable  sans  doute 
que  Labrouste  ait  cru  devoir  les  déplacer  ;  plus  regrettable  encore 
qu'il  les  ait  logées  dans  le  pavillon  où  elles  sont  encore  :  le 
cadre  s'est  trouvé  plus  grand  que  le  décor  et  il  a  fallu  beaucoup 
d'habileté  pour  les  ajuster  l'un  à  l'autre.  Ajoutons  que,  depuis  un 
demi-siècle,  ces  deux  pièces  sont  presque  sans  lumière  :  un  des 
joyaux  d'art  de  Paris  est  à  peine  visible,  grâce  aux  affreuses 
bâtisses  qui  déshonorent  toujours  la  principale  entrée  de  la 
Bibliothèque.  Et,  dans  l'une  d'elles,  jaillissent  constamment,  sous 
le  marteau  d'un  maréchal  ferrant,  des  étincelles  qui  risquent, 
cent  fois  par  jour,  de  provoquer  un  malheur  irréparable.  Telles 
qu'elles  sont,  ces  pièces,  n'en  sont  pas  moins  uniques  en  leur 
genre.  Des  dorures,  des  tons  bleutés  et  verts,  des  arabesques, 
des  chimères,  des  génies  enfants  entrelacés  de  guirlandes  de 
fleurs  et  de  feuillage  ;  partout  le  chiffre  et  le  blason  de  M.  de  la 
Meilleraye,  le  croissant  de  ses  armes  et  les  attributs  de  sa  charge; 
car  le  duc  était  grand  maître  de  l'artillerie.  C'était  un  preneur 

1.  Pour  la  Ma\arine,  voir  plus  haut,  p.  238  et  pour  la  Bibliotlièque  nationale, 
voir  le  volume  cité  p.  2  à  5. 


LES   BIBLIOTHÈQUES  259 

de  villes.  De  son  lit,  en  s 'éveillant,  la  duchesse  pouvait  lire  un 
peu  partout  les  exploits  de  son  époux  :  Gravelines,  Aire, 
Bapaume,  Arras,  Perpignan,  la  Bassée,  Hesdin.  Au-dessous 
de  sa  glace,  elle  souriait  à  Vénus,  qui,  dans  un  cadre  surmonté 
de  roses,  apportait  à  Enée  les  armes  divines  forgées  par  Vulcain. 
Dans  son  oratoire,  la  duchesse  priait,  en  compagnie  des  femmes 
fortes,  aux  figures  accueillantes  :  Judith,  Lucrèce,  Bérénice, 
Esther,  Jeanne  d'Arc  et,  sous  le  costume  et  le  nom  de  Marie 
Stuart,  le  portrait  de  la  Maréchale,  en  personne. 

Ces  appartements  peuvent  servir  à  démontrer  la  fausseté  de 
certaines  idées  courantes  :  on  s'imagine  immenses  les  logis  du 
grand  siècle  et  on  répète  que  Trianon  a  révélé  au  monde  la  gen- 
tillesse des  petites  pièces.  L'oratoire  et  même  la  chambre  à 
coucher  de  la  Maréchale  ont  de  quoi  tromper  nos  préjugés.  Dès 
avant  Louis  XVI,  nos  aïeux  et  nos  aïeules  étaient  sensibles,  tout 
comme  nous,  à  l'intimité  du  home. 

L'Arsenal,  pour  peu  qu'on  y  parcoure  les  petits  salons  en 
bordure  le  long  du  boulevard  Morland,  nous  découvre  les  évolu- 
tions du  goût,  au  temps  de  Louis  XV  et  de  Louis  XVI.  En  par- 
tant de  la  salle  des  manuscrits,  on  se  retrouve  d'abord  chez  le 
duc  et  la  duchesse  du  Maine,  pour  qui,  de  1725  à  1728  (et  non  en 
171 8  comme  on  le  répète  toujours),  ces  pièces  furent  décorées  de 
délicates  boiseries  et  égayées  de  glaces  (PI.  5i).  Au-dessus  de 
l'une  d'elles,  qui  tourne  le  dos  au  bureau  de  l'administrateur, 
deux  colombes  se  becquètent  avec  une  ardeur  que  deux  siècles 
n'ont  pu  lasser.  Antoine  René  d'Argenson  marquis  de  Paulmy  et 
fondateur  de  la  Bibliothèque  vint,  en  1757,  s'installer  à  l'Arse- 
nal. Il  y  vécut  trente  ans.  La  plupart  des  fauteuils  qu'on  y  voit 
encore  et  dont  quelques-uns  conservent,  usée  jusqu'au  fil  du 
canevas,  leur  tapisserie  d'antan,  sont  ceux  où  s'assirent  le  mar- 
quis et  ses  invités.  Ces  fauteuils  sont  signés.  Dans  le  grand  salon 


26o  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC   A  PARIS 

Louis  XV,  il  y  en  a  quelques-uns  dont  les  courbes  sont  exquises; 
au-dessus  d'eux,  pend  toujours  au  plafond  le  lustre  de  cristal  où 
les  chandelles  de  cire  jaune  reflétaient  leurs  feux  ;  au  bas  d'une 
console,  une  colombe  et  un  méchant  petit  monstre  menacent 
toujours,  avec  des  mines  effarouchées,  de  se  combattre  ;  au  fond 
d'un  cadre  en  bois  très  fouillé,  Louis  XV  vieilli,  son  cordon  bleu 
sur  l'épaule  et  la  toison  d'or  au  cou,  regarde,  d'un  œil  las,  les 
gens  qui  passent  et  les  choses  qui  demeurent.  En  face  de  lui,  la 
pendule  de  Saint-Victor,  une  des  merveilles  de  Paris,  et  qui  sonna 
les  heures  de  la  royauté  agonisante.  Enfin  des  glaces  qui  ont 
reflété  déjà  près  de  deux  siècles.  Adossé  au  mur  de  l'est,  un  de 
ces  meubles  en  bois  de  rose,  gracile  et  charmant,  sur  lequel  nos 
grand'mères,  le  corps  incliné  et  la  tête  poudrée,  écrivaient  leurs 
billets. 

Une  seule  pièce,  à  Saint- Fargeau,  a  gardé  son  décor 
Louis  XVI.  C'est  là  que  travaille  le  Conservateur,  entre  deux 
glaces  fragmentées  en  douze  morceaux  chacune.  Aux  murs,  des 
dorures,  qui  se  détachent  sur  un  fond  blanc,  et  des  attributs,  des 
carquois,  des  couronnes  dessinés  avec  plus  de  raideur  que  de 
grâce  (PI.  63). 

C'est  à  Henri  IV  '  qu'il  faut  aller  pour  revoir  les  salles  où 
les  Génovéfains  logèrent  leurs  livres  et  leurs  médailles  antiques; 
mais  à  la  bibliothèque  Sainte-Geneviève  on  retrouvera  tous  les 
trésors  d'art,  qui  ont  pu,  sans  péril  grave,  traverser,  il  y  a  soixante 
ans,  toute  la  place  du  Panthéon.  Le  cabinet  de  l'administrateur 
éclairé  par  deux  très  hautes  fenêtres  en  plein  cintre,  prend  jour 
sur  les  arbres  du  collège  Sainte-Barbe,  où  les  moineaux  piail- 
lent et  disent  à  plein  gosier  leur  petite  chanson,  sitôt  que  les 
écoliers    se    taisent   (PI.  60).  N'était  l'appareil   du  chauffage 

1.  Voir  supra,  p.  uo. 


PI.  61. 


B  1 15  L  I  O  T  H  E  O  U  E  S  A  I N  T  E  -  G  E  N  E  V I È  V  E 


RAMEAU.   PAR    J.-J.    CAFFIERI   (l/6o). 


ROTROU,   PAR  J.-J.    CAFFIERI  (1782) 


LE  P.  PINGRE,   GÉNOVEFAIN,  PAR  J.-J.   CAFFIERI 

(i;88.) 

(Page  261.) 


ANTOINE  ARNAULD,  PAR  GIRARDON. 


1M.  62. 


BIBLIOTHEQUE   SAIXT-FARGEAU 


L'ENTRÉE    DE   LA    BIBLIOTHEQUE,    RUE    DE    SEVIGNE. 


FRONTON    DE   L  ORANGERIE. 


Photos  Conte 
L'ORANGERIE.   —    LA    PORTE    D'ENTREE    (CÔTÉ    DE    LA    RUE    PAYENNE) 

Page  -5;.) 


LES   BIBLIOTHÈQUES  261 

central,  qui  vient  mettre  là  sa  note  moderne,  on  se  croirait  au 
fond  de  cet  asile  de  paix  ménagé  par  Labrouste,  en  un  coin 
charmant  et  solitaire  du  passé.  Un  beau  fauteuil  régence  canné 
est  devant  la  table  de  travail  de  l'administrateur  :  et  cette  table, 
délicieuse  en  son  style  Louis  XV,  se  charge  pour  sa  part,  de 
réfuter  l'axiome  suivant  lequel  nos  pères  ignoraient  les  préve- 
nances et  les  délicatesses  du  vrai  confort.  Juchée  sur  ses  huit 
pieds  bien  cambrés,  elle  se  creuse  en  demi-lune  :  et  l'on  ressus- 
cite aussitôt,  fort  irrévérencieusement,  la  plaisante  rotondité  du 
moine,  qui  pouvait  s'incruster  là,  sans  plus  de  dommage  pour 
son  ventre  que  pour  son  travail.  Derrière  le  fauteuil,  est  un 
monument  d'art  unique  en  France  :  l'horloge  planétaire 
dOronce  Finné  (1  553) ,  décrite  récemment  par  M.  Fadegon, 
dans  le  Journal  de  V horlogerie.  Et  surtout,  silencieuse  et  vivante 
le  long  des  murailles,  la  compagnie  de  seize  personnages  illustres, 
auxquels  le  ciseau  de  Coysevox,  de  Jean-Jacques  Caffieri,  de 
Houdon  et  d'autres  maîtres  moins  connus  garantit  un  supplé- 
ment d'immortalité  (PI.  61).  Là  se  trouve,  entre  Corneille  et  Boi- 
leau,  le  plâtre  original  du  fameux  buste  de  Rotrou,  que  modela 
Caffieri,  pour  le  Théâtre-Français  ;  là  aussi,  le  buste  unique  de 
Rameau,  dû  au  même  artiste  et  placé  près  de  Piron.  Là  encore, 
le  Charles  Le  Brun  de  Coysevox  et  le  Buffon  attribué  à  Houdon. 
Il  va  de  soi  que  le  P.  Pingre,  génovéfain  de  distinction,  y  a  sa 
place  ;  de  droit,  est  là  aussi  un  des  bienfaiteurs  de  l'abbaye  et 
de  sa  bibliothèque,  le  cardinal  de  La  Rochefoucault,  qui  retient 
dans  sa  barbe  un  demi  sourire. 

Ajoutons  qu'en  ce  lieu  pacifique  on  garde  sans  frayeur  un 
monument  guerrier  :  le  siège  de  la  Rochelle  de  Callot,  collé  sur 
toile.  Sa  rareté  est  extrême.  Un  autre  exemplaire  a,  dans  une 
vente  récente,  atteint  sans  peine  25. 000  francs. 

Le  curieux  c'est  qu'avec  ces  richesses  d'art  les  livres  font 


262  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC   A   PARIS 

très  bon  ménage.  A  l'Arsenal,  ils  ne  se  plaignent  pas  d'être  un 
peu  éloignés  du  public  et  des  employés.  Ils  se  sont  faits  aux 
habitudes  de  la  maison  ;  qu'on  les  loge  dans  des  salles 
luxueuses,  des  rez-de-chaussée  ou  des  entresols,  où  un  homme 
de  im,8o  ne  pourrait  redresser  la  tête,  ils  conservent  cet  air  de 
propreté  et  de  santé  que  connaissent  les  gens  heureux.  Et  ceux 
qui  logent  à  l'Arsenal  ont  encore  l'air  d'être  les  pensionnaires 
de  Sa  Majesté  ou  de  Msr  le  Cardinal. 

Qu'ils  ne  l'oublient  point  cependant.  Les  livres  ne  sont  point 
faits  pour  eux-mêmes  ;  le  temps  est  passé,  aussi,  où  la  biblio- 
thèque existait  surtout  pour  les  bibliothécaires.  On  a  fini  par 
découvrir  que  les  livres  avaient  des  devoirs  envers  le  public. 

Ces  huit  millions  de  volumes  et  de  documents  parisiens  que 
nous  avons  comptés  d'abord,  localisés  ensuite,  le  personnel 
chargé  de  leur  hygiène  n'a  pas  seulement  à  les  installer  ;  il  lui 
faut  les  disposer  suivant  un  ordre  si  rigoureux  qu'il  permette, 
en  quelques  minutes,  de  mettre  la  main  sur  chacun  d'eux  et  de 
le  communiquer  aussitôt.  Le  chef  d'une  grande  bibliothèque  ne 
mériterait  point  sans  cela  le  titre  de  conservateur  ou  d'adminis- 
trateur. Et,  comme  il  faut  conserver  avant  de  pouvoir  adminis- 
trer, dans  les  Bibliothèques  où  il  y  a  des  conservateurs  et  des 
administrateurs,  comme  à  la  Bibliothèque  nationale,  à  l'Arsenal, 
à  Sainte-Geneviève  et  à  la  Mazarine,  les  conservateurs  sont  subor- 
donnés à  l'administrateur;  à  la  Bibliothèque  de  l'Université  et 
à  Saint-Fargeau,  il  y  a  seulement  un  conservateur  et  des  biblio- 
thécaires; ailleurs,  il  n'y  a  que  des  bibliothécaires,  dont  l'un, 
comme  à  la  Faculté  de  droit,  est  bibliothécaire  en  chef. 

Les  deux  principaux  obstacles  au  classement  des  livres,  ce 
sont  les  inégalités  de  leurs  formats  et  le  progrès  presque  indé- 
fini de  leur  nombre.  La  première  idée  qui  vienne  à  un  cerveau 


LES   BIBLIOTHÈQUES  263 

français,  épris  de  clarté  et  de  logique,  c'est  de  grouper  ensemble 
les  livres  qui  traitent  d'une  même  matière  et  d'assembler  ce 
qui  se  ressemble.  Conséquences  :  il  faudra  mettre  sur  la  même 
planchette  les  in-folio  et  les  in- 18,  les  formats  gigantesques  et 
les  formats  minuscules,  égarer  les  pygmées  dans  l'ombre  des 
colosses,  laisser  sur  la  tête  des  nains  des  trous  béants  et  vides; 
partant,  perdre  une  place  précieuse  dans  une  bibliothèque 
exposée  à  manquer  de  place.  Ce  n'est  pas  tout.  La  division 
méthodique  adoptée  vivra  sous  de  perpétuelles  menaces  :  dans 
un  rayon,  garni  aux  deux  tiers  ou  aux  trois  quarts,  situé  entre 
deux  autres  rayons  chargés  de  livres,  qu'un  nouveau  venu,  de 
format  géant,  se  présente  :  c'est  toute  une  travée  qu'il  faut  bou- 
leverser; ce  sont  des  arrêtés  d'expulsion  qu'il  faut  prendre  ; 
c'est  la  révolution  en  permanence  dans  le  temple  de  la  paix  ; 
c'est  l'anarchie,  dans  l'asile  de  l'ordre.  Pour  qu'un  classement 
méthodique  fût  acceptable,  il  faudrait  condamner  une  biblio- 
thèque à  ne  plus  s'accroître,  c'est-à-dire  lui  défendre  d'être  un 
être  vivant.  Or  si  34.000  volumes  imprimés  entrent  chaque 
année  à  la  Bibliothèque  nationale,  3  à  4.000  entrent  à  l'Arsenal 
et  presque  le  double  à  Sainte-Geneviève;  i.5oo  seulement  à  la 
Mazarine.  Et  puis  tels  ouvrages  traitent  à  la  fois  d'histoire  et 
de  droit,  ou  d'archéologie  :  faudra-t-il,  vraiment,  les  couper  en 
trois  ?  D'ailleurs  comment  adopter  à  l'avance  des  divisions  fixes 
pour  des  sciences  indéterminées  :  nos  pères  réservaient  à  la 
théologie  une  place  immense  et  n'en  réservaient  aucune  à  l'auto- 
mobilisme  ou  à  l'aéronautique.  Enfin  la  distribution  des  connais- 
sances humaines  par  groupe  est  conventionnelle  et  subjective  : 
elle  dépend  de  la  culture  ou  des  goûts  de  chaque  bibliothécaire. 
C'est  cependant  ce  classement  méthodique  qu'on  a  jadis  adopté 
à  la  Bibliothèque  nationale,  à  Sainte-Geneviève,  à  la  Biblio- 
thèque de  l'Université. 


264  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC  A   PARIS 

Un  autre  classement,  qui  n'a  pas  de  prétentions  scientifiques 
mais  ne  vise  qu'à  être  commode,  est  celui  qui  aligne  simple- 
ment les  volumes  par  ordre  d'entrée  et  par  format.  Les  Provin- 
ciales peuvent  voisiner  avec  le  Père  Joupancy,  et  Bossuet  avec 
Bayle,  peu  importe.  Les  livres  ne  se  plaignent  jamais  de  ces 
impertinences  :  et  c'est  un  abbé,  Desmarais,  qui,  au  xvme  siècle, 
eut  le  premier  l'idée  de  les  accommoder  de  la  sorte.  Son  idée  a 
fait  fortune.  La  plupart  des  bibliothèques  sont  aujourd'hui 
classées  de  la  sorte. 

D'autant  mieux  que  si  les  livres,  sur  les  rayons,  sont  dis- 
posés sans  souci  de  leur  contenu,  rien  n'est  plus  simple  de 
réunir,  dans  les  catalogues,  ce  qu'on  a  séparé  ailleurs.  Une  fois  le 
livre  reçu  dans  la  bibliothèque,  inscrit  sur  le  registre  d'entrée, 
soigneusement  timbré,  puis  revêtu  de  son  numéro  matricule, on 
lui  consacre  deux  fiches  dans  l'inventaire  :  l'une  où  il  figure  au 
nom  de  son  auteur,  l'autre  où  il  figure  au  nom  du  sujet  dont  il 
traite.  Ces  deux  fiches  sont  classées  alphabétiquement  et  à  part, 
la  première  dans  le  catalogue  des  auteurs,  la  seconde  dans  le 
catalogue  des  matières.  A  la  Mazarine  on  a  ingénieusement 
imaginé  de  les  mêler  sans  les  confondre  :  le  premier  est  fait  sur 
fiches  blanches,  le  second  sur  fiches  couleur  chamois.  Au  reste, 
les  catalogues  par  noms  d'auteurs  sont  plus  aisés  à  faire  que 
les  autres  et  c'est  par  eux  que  presque  toutes  les  bibliothèques 
parisiennes  commencent.  Dans  les  vingt  dernières  années,  l'im- 
pression de  ces  catalogues  a  été  très  activement  poussée.  Avec 
le  timbrage,  ces  catalogues  sont  la  meilleure  garantie  contre  le 
vol  des  livres  :  c'est  une  assurance  pour  leur  conservation  ;  c'est 
aussi  une  assurance  pour  leur  bonne  administration,  puis- 
qu'un catalogue  établit  le  contact  entre  le  bibliothécaire  et  le 
public  ;  il  révèle  de  suite  aux  travailleurs  quelles  ressources 
une  bibliothèque  offre  à  leurs  recherches.  Il  permet  la  com- 


PI.   63. 


Photo  Contet. 
BIBLIOTHÈQUE    SAINT-FARGEAU.  —    CABINET    DE    L'ADMINISTRATEUR. 
(XVIIIe    SIÈCLE) 
(Page  260.) 


PI.  64. 


BIBLIOTHEQUE    FORNEY.    —    SALLE    DE    LECTURE. 
(Page  241.} 


BIBLIOTHEQUE    MUNICIPALE,    RUE    DUPLEIX,    21. 
Page  247.) 


LES  BIBLIOTHÈQUES  265 

munication  plus  libérale  des  volumes  et  il  en  autorise  le  prêt. 

La  première  bibliothèque  ouverte  au  public  fut  celle  de 
Mazarin  et  cela  dès  1644,  chaque  jeudi.  La  Bibliothèque  du  roi 
(qui  devint  plus  tard  notre  Bibliothèque  nationale)  n'imita  ce 
bel  exemple  que  beaucoup  plus  tard.  Elle  ne  fut  pas  vraiment 
publique  avant  1737. 

Le  nombre  des  lecteurs  varie  beaucoup,  suivant  les  biblio- 
thèques parisiennes  :  les  deux  salles  des  Imprimés,  à  la  Biblio- 
thèque nationale,  ont,  chaque  année,  en  s'ajoutant  l'une  à  l'autre, 
près  de  25o.ooo  lecteurs;  220.000  à  Sainte-Geneviève  ;  23  à 
25.000  à  l'Arsenal,  1 1 .5oo  à  la  Mazarine,  plus  de  5.5oo  à  Saint- 
Fargeau.  AForney,  en  19 10,  plus  de  19.000  volumes  ont  été  com- 
muniqués au  public,  dont  9.000  sur  place  et  io.i38  à  domicile. 

Le  prêt  fonctionne  dans  toutes  les  bibliothèques  munici- 
pales de  Paris;  seule,  Saint-Fargeau  ne  l'admet  pas;  l'Arsenal, 
la  Mazarine  l'accordent,  mais  plus  parcimonieusement  que 
Sainte-Geneviève;  la  Bibliothèque  de  l'Université  prête  annuel- 
lement plus  de  20.000  volumes.  Il  y  a  mieux  :  parmi  les  biblio- 
thèques de  mairie  ou  de  quartier,  beaucoup  se  bornent  même  à 
prêter  leurs  61  5.000  volumes;  36  d'entre  elles  seulement,  sur  82, 
permettent  de  les  consulter  sur  place.  C'est  depuis  1878  que  ce 
prêt  fonctionne  :  29.000  volumes  en  usèrent  la  première  année 
et,  dès  1882,  36o.ooo;  un  million,  en  i885;  plus  de  deux  mil- 
lions dès  1901.  Car  on  devine  bien  que  le  même  livre  peut  être 
prêté  plusieurs  fois  et  visiter,  en  quelques  mois,  bon  nombre  de 
logis  divers. 

Et  il  faut  croire  que  le  public  a  des  égards  touchants  pour 
les  livres  qu'il  emporte  à  son  foyer  :  pour  100.000  livres  prêtés, 
34  sont  perdus. 

Sans  doute,  il  faut  généralement  renoncer,  pour  le  prêt,  à 
proclamer  dans  la  cité  des  livres,  les  droits  de  l'égalité  :  les  col- 


266  L'ENSEIGNEMENT   PUBLIC   A   PARIS 

lections,  les  dictionnaires,  les  livres  rares,  les  incunables,  les 
livres  à  gravure,  sont  des  aristocrates.  Ils  consentent  à  recevoir 
des  visites  ;  ils  ne  daignent  pas  en  faire.  Ils  ne  sortent  jamais 
de  la  bibliothèque.  Une  initiative  audacieuse  et  d'une  audace 
presque  révolutionnaire  n'en  a  pas  moins  été  prise  à  Forney 
(PI.  64).  Elle  est  peut-être  la  seule  bibliothèque  de  Paris  et  de 
France  qui  se  risque  à  prêter  le  Dictionnaire  raisonné  du  mobi- 
lier français  de  Viollet-le-Duc,  ou  Y  Histoire  des  peintres  de 
Charles  Blanc,  le  Costume  historique  de  Racinet  ou  le  Diction- 
naire de  f  Ameublement  de  Henry  Havard.  Enfin  les  Biblio- 
thèques municipales  d'art  et  d'industrie  prêtent  jusqu'aux  gra- 
vures, dans  les  quartiers  particulièrement  adonnés  aux  métiers 
d'art. 

On  devine  la  portée  éducative  de  ces  prêts  :  l'étude,  au  soir 
des  journées  de  labeur,  a  plus  de  charme  intime,  quand  on  la 
goûte  à  l'aise  chez  soi  et  dans  le  recueillement  de  la  maison 
silencieuse. 

Les  109  bibliothèques  spéciales  de  Paris  disent,  par  leur  spé- 
cialité même,  la  qualité  de  leurs  lecteurs.  Il  serait  plus  intéres- 
sant de  savoir  cette  qualité  dans  les  87  bibliothèques  générales. 
Toutes  leurs  statistiques  cependant  ne  le  disent  pas.  Dans  le 
XIVe  arrondissement  (la  bibliothèque  de  mairie  est  rue  Mouton- 
Duvernet) ,  voici  du  moins  ce  que  nous  enseignent  les  chiffres  : 
sur  950  lecteurs,  45o  sont  adonnés  aux  professions  manuelles  ; 
36o  sont  des  employés  d'administration  ou  de  commerce;  240 
de  petits  rentiers,  des  retraités,  des  ménagères  ;  200  des  artistes 
et  des  étudiants. 

Le  IIe  arrondissement  (la  bibliothèque  de  mairie  est  rue 
de  la  Banque,  8),  est  un  des  arrondissements  qui  lit  le  plus. 
Reste  à  savoir,  dans  les  divers  quartiers,  où  vont  les  préférences 
des  lecteurs.   Dans   le   XIIIe   arrondissement    (dont   la  biblio- 


LES    BIBLIOTHÈQUES  267 

thèque  de  mairie  est  place  d'Italie),  sur  8.5oo  livres  demandés, 
les  romans  français  et  étrangers  arrivent  en  tête  avec 
1 .206  volumes  ;  puis  l'histoire,  avec  1 . 1 33  unités  ;  la  littérature, 
avec  916;  la  géographie  et  les  voyages  tombent  à  586,  et  la 
morale  ou  la  philosophie  à  5o6.  Les  livres  les  plus  délaissés  sont 
ceux  qui  traitent  des  sciences  mathématiques  et  militaires, 
74  volumes;  des  sciences  médicales,  70;  des  Beaux-arts,  62: 
quant  aux  langues  vivantes,  27,  on  les  laisse  vilainement  dans 
le  marasme.  Dans  le  XIVe  arrondissement,  les  proportions  sont 
à  peu  près  pareilles  :  sur  5. 000  volumes,  les  romans  font  prime, 
avec  1.114  livres;  les  autres  œuvres  littéraires  suivent  d'assez 
loin,  avec  564unités;  l'histoire  n'a  plus  que  382  recrues  et  l'éco- 
nomie politique,  208.  Quant  à  l'arrière-garde,  elle  est  formée 
par  37  volumes  de  mathématiques,  35  d'art  militaire  et  3i  de 
langues  étrangères. 

Les  esprits  chagrins  ne  manquent  pas  de  s'alarmer  envoyant 
que  la  faveur  populaire  va  aux  œuvres  d'imagination,  trop  sou- 
vent frivoles,  beaucoup  plus  qu'aux  œuvres  sérieuses.  Sans 
doute.  Mais  ces  esprits-là  oublient  un  peu  vite  que  beaucoup 
d'artisans  et  de  petites  gens  demandent  surtout  un  délassement 
à  la  lecture  et  non  une  fatigue  supplémentaire,  ajoutée  à  la 
fatigue  du  jour.  Et  puis  l'essentiel  n'est-il  point  de  cultiver, 
jusque  dans  les  classes  populaires,  ce  goût  de  la  lecture  qui  retient 
mieux  que  tous  les  autres  l'ouvrier  au  foyer,  loin  des  tentations 
du  vagabondage  et  de  l'alcool. 

Est-il  bien  nécessaire  d'ajouter  que  la  gratuité  est  la  règle, 
pour  la  communication  des  volumes,  dans  ce  pays  qui  a  voulu 
mettre  son  point  d'honneur  à  rendre  gratuite  l'instruction  élé- 
mentaire. Sans  quoi,  notre  libéralisme  aurait  jugé  que  la  biblio- 
thèque n'est  point  le  digne  complément  de  l'école. 


CONCLUSION 


Nous  venons  de  voir  comment,  depuis  un  siècle  et  plus,  l'en- 
seignement public  à  Paris  avait  été  possédé  par  le  «  tourment 
du  mieux  ». 

Et  maintenant  que  conclure  ?  Et  quelle  impression  se  dégage 
pour  nous  de  cette  étude  ? 

Une  impression  optimiste,  ayons  le  grand  courage  de  le  dire. 
Ne  sait-on  pas  qu'en  France  la  mode  est  de  médire  de  soi.  — 
quitte  à  juger  tristement  dépourvus  de  l'esprit  de  finesse  les 
étrangers  naïfs,  qui  nous  croient  sur  parole,  et  qui  pensent  nous 
avoir  lus,  sans  avoir  su  nous  lire  entre  les  lignes.  Si  la  mode 
c'est  cela,  tant  pis  pour  la  mode. 

Vingt  années  d'enseignement  et  trente  années  d'assiduité 
dans  nos  bibliothèques  ou  nos  archives  parisiennes  nous  ont 
laissé  cette  conviction,  sans  doute  très  ingénue,  que,  si  Paris 
est  la  grande  capitale  intellectuelle  du  monde  c'est  peut-être, 
après  tout,  parce  qu'elle  est  le  grand  chef-lreu  du  labeur 
mondial.  Il  est  fort  possible  qu'on  s'y  amuse  moins  sottement 
qu'ailleurs.  Il  est  très  sûr  aussi  qu'on  y  travaille  autant  et 
mieux. 

Il  est  entendu  que  tout  n'est  point  parfait  dans  nos  écoles, 
dans  nos  lycées,  dans  nos  programmes  et  dans  nos  bibliothèques. 


CONCLUSION  269 

Mais  il  nous  semble  utile,  tout  de  même,  de  temps  en  temps,  de 
signaler  leurs  mérites  autant  que  leurs  défauts.  Si  nous  pas- 
sions notre  vie  à  dénombrer  tous  les  germes  de  mort  qui  sont 
en  nous,  nous  ne  vivrions  pas  trois  jours.  Et  que  dirait-on  d'un 
médecin  dont  le  principal  souci  serait  d'avertir  ses  malades  de 
toutes  les  chances  qu'ils  ont  de  périr  ? 

L'optimisme,  qui  a  ses  périls,  a  du  moins  cet  avantage  :  il 
permet  d'agir. 


TABLE  DES  GRAVURES 


i.  —  L'Ecole  maternelle.  Le  lavabo.  —  Le  jeu  dans  la  cour \ 

2.  —  L'Ecole  primaire.  La  leçon  de  dessin.  —  L'enseignement  ménager  : 

le  repassage 5 

3.  —  L'Ecole  primaire.  L'enseignement  ménager:  la  cuisine.  — Le  cloître  des 

Billettes 6 

4.  —  L'Ecole  primaire.  Hôtel  dit  de  Gourgues,  rue  de  Turenne,  54  ...    .         7 

5.  —  L'Ecole  primaire.  Hôtel  Sénecterre,  24,  rue  de  l'Université 8 

6.  —  L'Ecole    primaire.    Tour    Jean-Sans-Peur.   —    Hôtel    Bergeret,    rue 

Béranger 9 

y_  —  Ecole  Diderot.  Atelier   de    chaudronnerie.  —  Ecole  Germain  Pilon. 

A-telier  de  modelage 12 

g_  _  Ecole  Bernard  Palissy.  Cours  de  composition   décorative.   —   Ecole 

Boulle.  Atelier  de  sculpture  sur  bois 13 

9.   -  Ecole  Estienne.  Vue  générale.  —  Atelier  de  Lithographie 16 

10.  Ecole  Dorian.  Un  atelier  du  fer.  —  Ecole  d'arts  et  métiers  de  Paris, 

Boulevard  Saint-Marcel 17 

11.  —  Ecole  professionnelle  de  filles.  Les  fleuristes.  —  Ecole  primaire  supé- 

rieure Turgot. 26 

12.  Ecole  primaire  supérieure  Colbert.  —  Classe  de  Physique  à  Colbert.    .       27 

n,  Ecole  primaire  supérieure  Lavoisier.  Une  cour.  —  Ecole  primaire  su- 
périeure Arago.  Cour  et  promenoirs 3° 

Ta_  Ecole  primaire   supérieure  Jean-Baptiste  Say.  Dortoir  des  petits  au 

réveil.  —  Manipulations  en  plein  air 31 

!t.  Ecole    primaire    supérieure  Sophie   Germain.    Cours    de   composition 

décorative.  —  Ecole  primaire  supérieure   Edgar   Quinet.    Leçon   de 
morale,  dans  le  grand  amphithéâtre 32 

!6.  —  Collège  Chaptal,  entrée. — Vue  générale 33 


272  TABLE   DES   GRAVURES 

17.  —  Bedeaux  et  recteurs   de   l'Université   de    Paris.    —   Les   uniformes, 

depuis  cent  ans 84 

18.  —  L'ancien  Louis-le-Grand,   d'après   le  plan  de    Turgot,  1739.  —  L'an- 

cienne façade  de  Louis-le-Grand,  rue  Saint-Jacques,  en  1884. ...       85 

19.  —  L'ancien    Louis-le-Grand,    vue    panoramique.    —    Le    Louis-le-Grand 

d'aujourd'hui.  Cour  d'entrée  (partie  du  xvii0  siècle) 88 

20.  —  Le  Louis-le-Grand   actuel.    Façade    sur   la  rue   Saint-Jacques.  —   Le 

Louis-le-Grand  actuel.  Vue  d'une  cour  intérieure 89 

21.  —  Emplacement  du  Lycée  Henri  IV,  d'après  le  plan  de  Turgot.  —  Vue 

générale  sur  la  place  du  Panthéon,  côté  ouest 108 

22.  —  Lycée  Henri  IV.  Chapelle   (xine  siècle).  —  Dortoir  (xvnr3  siècle).    .     109 

23.  —  Lycée  Henri  IV.  Les  cuisines  (xinc  siècle).  —  Lycée  Henri  IV.  La 

salle  des   fêtes  (ancien  cercle),  xvnie  siècle.  —  Statue    de    sainte 
Geneviève,  xin°  siècle,  jadis  au  lycée  Henri  IV.  Musée  du  Louvre.     112 

24.  —  Lycée  Henri  IV.  Le  Grand  escalier.  —  Le  jardin  du  Proviseur.    .    .    .     113 

25.  —  Lycée  Charlemagne.  Une  cour  intérieure 120 

26.  —  Lycée  Charlemagne.  Porte  de  la  Bibliothèque.  —  Plafond 121 

27 .  —  Façade  de  l'ancien  lycée  Condorcet.  —  Ancienne    cour  d'entrée,  vue 

intérieure 136 

28.  —  Petit  lycée  Condorcet.  Façade  actuelle.  —  Une  cour  intérieure.   .    .    .     137 

29.  —  Le  collège  d'Harcourt,  d'après  la  gravure  de  Martinet.  —  Lycée  Saint- 

Louis,  vers  1890 152 

30.  —  Lycée  Saint-Louis.  Cour  actuelle  de  la  chapelle.  —  Ancienne  porte 

d'Harcourt 153 

31.  —  Collège  Rollin.    Vue  générale 172 

32.  —  Lycée  Michelet,  à  Vanves.  La  façade  sur  le  parc.  —  Un  atelier  .    .    .  173 

33.  — ■  Lycée  Michelet.  Le  tennis.  —  Sous-bois 184 

34.  —  Lycée  Lakanal.  L'entrée.  —  Le  parloir.  Peintures  de  Guillonnet   ...  185 

35.  —  Lycée  Lakanal.  La  galerie  de  330  mètres.  —  Le  parc 192 

36. — Lycée  Montaigne.  Façade  principale.  — Le  Palmarium 193 

37-  — ■  L3rcée  Janson-de-Sailly.  La  cour  d'honneur.  —  Le  petit  lycée  sur  l'ave- 
nue Henri  Martin 200 

38.  —  Lycée  Janson-de-Sailly.  L'entrée  sur  la  rue  de  la  Pompe.  —  Couloir  du 

petit  lycée  (premier  étage) 201 

39-  —  Lycée  Buffon.  Façade  sur  le  boulevard  Pasteur.  —  Une  cour  intérieure.     208 

4°-  —  Lycée  Voltaire.  L'entrée  sur  l'avenue  de  la  République.  —  Cour  inté- 
rieure  209 


TABLE   DES   GRAVURES  2;3 

41.  —  Lycée  Carnot.  Cour  intérieure.  —  Cabinet  de  physique 220 

42.  —  Lycée  Fénelon.  Cour  intérieure.  —  Escalier  de  l'ancien  hôtel,  dit  de 

Rohan 221 

43.  —  Lycée  Fénelon.  Cabinet  de  la  directrice  (pièce  du  xviii0  siècle). —  Une 

classe  (pièce  du  xvme  siècle) 222 

44.  —  Lycée  Racine.  Le  Parloir.  —  Cour  intérieure 223 

45.  —  Lycée  Molière.  Cour  d'honneur.  —  Cour  de  récréation 226 

46.  —  Lycée  Lamartine.  Jardin  xvme  siècle.  —  Charmille  Louis  XV   ....     227 

47.  —  Lycée  Lamartine.  Cabinet  de  la  directrice.  Pièce  du  xvnie  siècle.  — 

Classe  de  couture 230 

48.  —  Lycée  Victor  Hugo.  Façade  sur  la  rue  de  Sévigné.  —  Cour  de  récréa- 

tion  231 

49.  —  Lycée  Victor  Duruy.  Façade  sur  le  parc.  —  Le  réfectoire 234 

50.  —  Lycée  Victor  Duruy.  Une  chambre.  —  Une  allée  du  parc 235 

51.  —  Bibliothèque  de  l'Arsenal.  Une  pièce  du  xviii0  siècle  (appartements  du 

duc  et  de  la  duchesse  du  Maine) 240 

52.  —  Bibliothèque  de  l'Arsenal.  La  chambre  de  la  duchesse  et  maréchale  de 

la  Meilleraye  (xvir3  siècle),  dit  cabinet  de  Sully 241 

53.  —  Bibliothèque    de    l'Arsenal.    L'oratoire    de    Mme    de   la    Meilleraye 

(xvnc  siècle).  —  Une  console  Louis  XV 244 

54.  —  L'Ile  Louviers,  proche  l'Arsenal,  au  xviii0  siècle.  —  Un  dîner  d'appa- 

rat vers  1460.  (Manuscrit  de  la  Bibliothèque  de  l'arsenal.) 245 

55.  —  Bibliothèque  Mazarine.  Façade.  —  Vue  intérieure 248 

56.  —  Quatre  bustes  de  la  bibliothèque   Mazarine.  Peiresc,  par  Caffieri.  — 

Franklin,  par  Caffieri.  —  Palissot,  par  Houdon.  —  Buste  anonyme, 
par  de  Fernex 249 

57.  —  Bibliothèque  Mazarine.  —  Bonaparte  (Médaillon  de  bronze).  —  Pendule 

Louis  XV.  —  Richelieu,  par  Warin 252 

58.  —  Bibliothèque   Mazarine.   Reliure   aux   armes  de  Mazarin.    —    Lustre 

Louis  XV.  —  Commode  Boulle 253 

59.  — ■  Bibliothèque  Sainte-Geneviève.  Façade  sur  la  place  du  Panthéon.  — 

Vestibule  d'entrée  au  rez-de-chaussée 256 

60.  —  Bibliothèque  Sainte-Geneviève.    Cabinet  de  l'administrateur.  —  Salle 

de  lecture 257 

61.  —  Bustes  de  la  Bibliothèque  Sainte-Geneviève  :  Rotrou,  par  Caffieri.  — ■ 

Rameau,  par  Caffieri.  —  Le  P.  Pingre,  génovéfain,  par  Caffieri.  — 
Antoine  Arnauld,  par  Girardon 260 


274  TABLE   DES   GRAVURES 

62.  -  Bibliothèque  Saint-Fargeau.  L'entrée  de  la  Bibliothèque,  rue  de  Sévi- 

gne.  -  Fronton  de  l'Orangerie.  -  L'Orangerie  (La  porte  d'entrée 
cote  de  la  rue  Payenne)  . 

J  '       261 

63.  -  Bibliothèque  Saint-Fargeau.  Cabinet  de  l'administrateur,  xvin*  siècle.     264 

64.  -  Bibliothèque  Forney.  Salle  de  lecture.  -  Bibliothèque  municipale,  rue 

Dupleix,  21  .    . 

265 


TABLE    DES   MATIERES 


Avant-propos i-ni 

LIVRE  PREMIER 

L'ENSEIGNEMENT  PRIMAIRE  A  PARIS  i"33 

CHAPITRE   PREMIER 
l'enseignement  primaire  avant  treize  ans  4-9 

L'École  maternelle,  p.  7;  puis  l'École  primaire  élémentaire,  p.  8  .    .    .    .  7-8 

CHAPITRE   II 

l'enseignement  primaire  après  treize  ans  10-25 

I.  —  La  préparation  des  apprentis  et  l'Enseignement  professionnel .    .    .  10-22 

i°  Les  cours  complémentaires  du  jour,  p.  14  ;  20  les  cours  municipaux 
du  soir,  p.  15;  30  les  Écoles  professionnelles,  p.  16;  40  le  préap- 
prentissage et  les  cours  de  demi-temps,  p.  22. 

CHAPITRE   III 
l'enseignement  primaire  après  treize  ans  26-33 

II.  —  L'Enseignement  pratique  non  professionnel,  Écoles  primaires  supé- 
rieures, Collège  Chaptal 20~33 

Les    Écoles   primaires    supérieures,   p.  27-30  ;    Le    Collège   Chaptal. 

P-  3°-33- 


2/6 


TABLE  DES  MATIERES 


LIVRE  II 
L'ENSEIGNEMENT   SECONDAIRE  34-236 


CHAPITRE   PREMIER 

HISTOIRE    GÉNÉRALE    DES    LYCEES    PARISIENS    DE    GARÇONS  35"83 

Leurs  noms,  p.  35  ;  leur  localisation,  p.  36  ;  leurs  jardins  p.  39. 

Leur  personnel  et  sa  hiérarchie,  p.  41;  le  Directeur  général  de  l'Ins- 
truction publique,  puis  le  Grand  Maître  de  l'Université,  p.  41  ;  la 
Commission  de  l'Instruction  publique,  p.  41  ;  le  Ministre  de  l'Instruc- 
tion publique,  p.  42  ;  le  Conseil  supérieur  de  l'Instruction  publique, 
p.  42;  les  proviseurs,  leur  recrutement  et  leur  autorité,  p.  44;  les 
censeurs,  p.  47  ;  les  professeurs  et  leurs  titres,  p.  47  ;  les  professeurs- 
adjoints^.  49;  les  simples  agrégés,  p.  49;  les  traitements,  p.  51  ;  l'é- 
ventuel, p.  52  ;  les  maîtres  répétiteurs,  p.  54. 

Les  élèves,  p.  56;  l'internat  des  élèves,  des  professeurs,  des  maîtres, 
p.  57;  les  progrès  de  l'externat,  p.  58;  les  pensions  et  institutions, 
P-  57- 

La  vie  matérielle  et  ses  progrès,  p.  59  ;  la  gymnastique,  p.  61  ;  et  les 
sports,  p.  62. 

La  vie  intellectuelle,  p.  63  ;  l'âge  des  différentes  classes,  p.  64;  le  nombre 
des  élèves  dans  les  classes,  p.  65;  les  programmes,  p.  66;  la  part 
faite  aux  sciences,  p.  67  ;  la  spécialisation  de  certains  lycées,  p.  68-71  ; 
la  bifurcation  et  le  système  des  cycles,  p.  68  ;  l'enseignement  spécial 
et  ses  origines,  p.  69;  l'enseignement  moderne,  p.  70  ;  le  grec,  p.  71  ; 
l'enseignement  classique,  p.  71  ;  l'histoire,  p.  72  ;  la  géographie,  p.  73  ; 
les  sciences  naturelles,  p.  74;  les  langues  vivantes,  p.  74. 

La  vie  morale  et  éducative,  p.  76;  l'idéal  napoléonien,  p.  76;  le  libé- 
ralisme au  lycée,  p.  77;  la  religion,  p.  '79;  la  politique,  p.  80;  le 
second  Empire,  p.  81  ;  la  discipline  préventive,  p.  82;  les  parents  et 
le  lycée,  p.  82. 

CHAPITRE   II 

HISTOIRE    MONOGRAPHIQUE    DES    LYCÉES    PARISIENS  84-222 

Leur  classement  logique,  d'après  leur  histoire,  p.  84. 

Première  Section.  —  Les  Lycées  de  garçons.  87 

I.  —  Le  Lycée  Louis-le-Grand 87-107 

Ses  noms  successifs,  p.  87;  ses  locaux,  p.   89;  ses  proviseurs,  p.  93; 


TABLE   DES   MATIÈRES  277 

ses  censeurs,  p.  96  ;  ses  professeurs,  p.  97  ;  sa  population  scolaire, 
p.  97  ;  ses  pensions,  p.  99  ;  ses  élèves  les  plus  notables,  p.  99  ; 
ses  classes,  p.  101;  son  caractère  littéraire,  p.  102;  le  concours 
général,  p.  103;  la  rigueur  de  la  discipline,  p.  104;  les  révoltes, 
p.  105;  l'œuvre  du  Petit  sou,  p.  106;  l'Association  des  anciens 
élèves,  p.  107. 

II.  —  Le  Lycée  Henri  IV 107-119 

Ses  noms  successifs,  p.  107;  ses  richesses  d'art,  p.  108;  ses  anciens 
jardins,  p.  108;  le  xme  siècle  :  la  chapelle,  p.  108;  sa  statue  de 
sainte  Geneviève,  p.  109;  le  xvnr3  siècle  :  le  grand  escalier,  l'an- 
cienne bibliothèque  et  l'ancien  médailler  des  génovéfains,  p.  110. 
Les  proviseurs,  p.  ni  ;  les  censeurs,  p.  112;  les  professeurs, 
p.  113  ;  les  élèves,  p.  113;  leur  statistique,  p.  115;  les  pensions, 
p.  114;  les  élèves  académiciens,  etc.  p.  117  ;  le  caractère  familial 
de  la  maison,  p.  116-119. 

III.  —  Le  Lycée  Charlemagne 1 19-132 

i°  De  1803  à  1815,  p.  119-124  ;  les  anciens  Jésuites,  p.  120  ;  les  provi- 
seurs et  censeurs,  p.  120;  un  lycée  d'externes,  p.  122  ;  le  bonapar- 
tisme, p.  122;  Michelet  au  lycée,  p.  123.  —  20  De  1815  à  1848, 
p.  124.  Les  dernières  vignes,  p.  124;  proviseurs  et  censeurs, 
p.  125;  statistique  scolaire,  p.  125;  les  Institutions,  p.  126;  l'a- 
pogée, p.  127.  —  30  Depuis  1848,  p.  128;  les  locaux  nouveaux, 
p.  128;  la  décadence  des  pensions,  p.  129;  au  collège  national 
succède  le  lycée  de  quartier, 'p.  130  ;  l'enseignemnt  spécial,  p.  132. 

IV.  —  Le  Lycée  Condorcet i32_I4^ 

i°  De  1803  à  1815,  p.  132-136;  l'ancien  couvent  des  Capucins,  p.  132  : 
l'ancien  verger,  p.  133  ;  l'humilité  des  premiers  débuts,  p.  135  ; 
Lakanal  économe,  p.  134.  —  2°  De  1815  à  1848,  p.  136-142,  relè- 
vement du  collège;  les  barricades  de  1830,  p.  138  et  les  agitations 
d'un  collège  d'externes,  p.  140.  —  30  Depuis  1848,  p.  142-146;  le 
demi-pensionnat,  p.   144;  caractéristique  des  élèves,  p.  146. 

V.  —  Le  Lycée  Saint-Louis 147-161 

Deux  actes  de  naissance,  1280  et  1820,  p.  147;  ses  noms,  p.  147-8; 
ses  bâtiments,  p.  148;  ses  proviseurs,  dont  les  premiers  furent 
ecclésiastiques,  p.  151;  ses  censeurs,  p.  153;  ses  professeurs  les 
plus  notables,  p.  154;  sa  population  scolaire,  p.  155  ;  ses  anciennes 
pensions,  p.  156  ;  la  nouvelle  physionomie  du  lycée,  p.  157  ;  sa 
spécialisation  scientifique  traditionnelle,  p.  158;  ses  élèves  les  plus 
célèbres,  p.  161. 

VI.  — Le  Collège  municipal  Rollin 161-172 

L'ancienne  Sainte-Barbe-Nicolle  p.  161-162;  la  vieille  rue  des  Postes, 


278  TABLE    DES    MATIERES 

p.  163:  chiffre  autrefois  limité  des  élèves,  p.  163;  particularités 
anciennes  du  personnel,  p.  164-165;  M.  Defauconpret,  p.  167; 
le  Rollin  de  l'avenue  Trudaine,  p.  169;  services  qu'il  a  rendus  à 
l'Université,  p.  170  ;  ses  élèves  illustres,  p.  172. 

VII.  —  Le  Lycée   Michelet  a  Vanves 173-184 

Chez  les  Princes  de  Condé,  p.  173;  une  Première  filiale  de  Louis- 
le-Grand,  p.  173;  «  le  lycée  du  Prince  Impérial»,  p.  173;  comment 
il  conquiert  peu  à  peu  son  autonomie,  p.  177:  un  lycée  rural, 
p.  179;  le  parc  et  l'hygiène,  p.  180;  les  travaux  manuels,  p.  182  et 
les  autres,  p.  184. 

VIII.  —  Le  Lycée  Lakanal 184-192 

Chez  la  duchesse  du  Maine,  p.  185;  les  transformations  de  l'ancien 

parc,  p.  186  ;  les  proviseurs  et  M.  Bazins  de  Bezons,  p.  187  ;  rappro- 
cher Lakanal  des  collèges  anglais,  p.  187  ;  la  population  scolaire, 
p.  188;  la  classe  en  plein  air  et  les  jeux,  p.  189;  les  chambres 
particulières,  p.  190;  les  jardins  d'enfants,  p.  191;  les  études, 
p.  192. 

IX.  —  Le  Lycée  Montaigne 192-198 

La  seconde  filiale  de  Louis-le-Grand,  à  l'usage  des  petits  élèves, 
p.  192-3;  l'historique  des  locaux,  p.  193;  externes  et  internes, 
p.  195;  les  méthodes  de  Montaigne,  p.  196;  progrès  de  l'enseigne- 
ment classique,  p.  198. 

X.  —  Le  Lycée  Janson  de  Sailly 198206 

M.  Janson  de  Sailly,  p.  198;  les  idées  modernes  au  lycée,  p.  199; 
le  personnel,  p.  201;  l'élève  de  Janson,  p.  202-205;  la  discipline 
paternelle  et  ses  origines,  p.  205;  ses  limites,  p.  206. 

XI.  —  Le  Lycée  Buffon 206-211 

Un  quartier  que  les  lycées  n'encombrent  pas,  p.  206;  accroissement 
rapide  de  sa  population  scolaire,  p.  207;  le  personnel,  p.  208; 
quelques  inconvénients  du  métropolitain,  p.  208;  Buffon  devient 
scientifique,  p.  211. 

XII.  —  Le  Lycée  Voltaire 211-2:5 

Son  éloignement  des  autres  lycées,  p.  211;  ses  locaux,  p.  213;  son 
personnel  et  ses  élèves,  p.  212-213;  l'esprit  général  du  lycée,  p.  214; 
sa  nouvelle  spécialité,  p.  215. 

XIII.  — Le  Lycée  Carnot 216-222 

L'ancien  Monge,  p.  216;  la  disposition  matérielle  des  classes  et  des 
études,  p.  218;  le  personnel,  p.  218;  la  population  scolaire  révèle 
un  lycée  de  quartier,  p.  219;  l'éducation  intellectuelle  et  morale, 
p.  219-222. 


TABLE   DES   MATIÈRES  279 

Deuxième  Section.  —  Les  Lycées  de  jeunes  filles.  222-236 

Leurs  actes  de  naissance,  p.  223;  le  choix  de  leurs  quartiers,  p.  223: 
les  richesses  d'art  de  leurs  locaux,  à  Fénelon,  à  Lamartine,  à  Victor 
Duruy,  etc.,  p.  224-226  :  le  personnel  féminin  ou  masculin,  p.  22;;  le 
chiffre  des  élèves,  p.  228;  l'internat  est  exceptionnel,  p.  228  ;  la  vie 
intellectuelle,  p.  228-232;  l'éducation  morale,  p.  232-236. 


LIVRE    III 
LES   BIBLIOTHÈQUES  237-267 

Les  trois  Bibliothèques  «  nationales  »  :  Arsenal,  Mazarine,  Sainte-Gene- 
viève, p.  2jj.  Les  différents  groupes  de  bibliothèques  :  i°  Institut, 
Collège  de  France.  Université  de  Paris,  École  normale  supérieure, 
p.  238-239;  2°  les  Bibliothèques  d'Histoire,  d'Archéologie  et  d'Art, 
p.  239;  30  les  Bibliothèques  des  Sciences  sociales,  politiques,  philoso- 
phiques et  religieuses,  p.  241  ;  40  les  Bibliothèques  des  Sciences 
mathématiques  et  naturelles,  p.  243  ;  50  les  Bibliothèques  d'Agricul- 
ture. Industrie  et  Commerce,  p.  245;  les  Bibliothèques  populaires 
municipales,  p.  245-248.  Un  rayon  de  livres  long  de  218  kilomètres, 
p.  248. 

Les  Bibliothécaires,  Conservateurs  et  Administrateurs,  p.  249-251  :  les 
locaux  et  la  santé  des  livres,  p.  251-254. 

Les  richesses  d'art  des  bibliothèques  :  à  la  Bibliothèque  Mazarine, 
p.  254-256  ;  à  l'Arsenal,  p.  256-260:  à  Sainte-Geneviève,  p.  260-262; 
à  Saint-Fargeau,  p.  267  et  260. 

Le  classement  des  livres  et  ses  difficultés,  p.  262-264;  le  public  et  les 
bibliothèques,  p.  264-267;  le  prêt  à  domicile  et  son  fonctionnement, 
p.  265-207. 

Conclusion  :  l'optimisme  serait-il  un  paradoxe  ? 268-269 

Table  des  gravures 271 


EYRECX,     IMPRIMERIE    CHARLES    3ERISSEY,    PAUL    HERISSEY    Sl'CC1. 


370.94436  D938E  c  1 

Dupont-Ferrier  #  Les 


3  0005  02070306 


370.94436 

D938E 

Dupont-Ferrier 

Les  écoles,  lycées,  collèges, 
bibliothèques:  l'enseignement 
public   a   Paris. 


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bibliothèques:    l'enseignement    public 
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