THE LIBRARY
The Ontario Institute
for Studies in Education
Toronto, Canada
Il I - -- '--
LIBRARY
ÎHl ONTARIO INSTITUTE
fOk SÎUDIES IN EDUCATION
MW)»i ,wmh^UtmAtni I I HT iftfl 'I ' min
LES ECOLES
LYCÉES, COLLÈGES
BIBLIOTHÈQUES
LES RICHESSES D'ART DE LA VILLE DE PARIS
COLLECTION DE VOLUMES IN-8° ILLUSTRÉS
DEJA PARUS :
L'HOTEL DE VILLE DE PARIS, par Lucien Lambeau.
LA VOIE PUBLIQUE ET SON DÉCOR {Statues, fontaines, colonnes, arcs
de triomphe, barrières), par Fernand Bournon.
LES JARDINS ET LES SQUARES, par Robert Hénard.
LES ÉDIFICES RELIGIEUX [Moyen Age, Renaissance), par Amédée Boinet.
LES ÉDIFICES RELIGIEUX [XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles), par Jean Bayet.
LES MUSÉES MUNICIPAUX, par Maurice Quentin-Bauchart.
EN PRÉPARATION :
L Assistance publique, par André Mesureur.
Les Mairies, par Lucien Lambeau.
LES RICHESSES D'ART DE LA VILLE DE PARIS
LES ÉCOLES
LYCÉES, COLLÈGES
BIBLIOTHÈQUES
L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
G. DUPONT-FERRIER
Docteur es Lettres.
Professeur au Lycée Louis-le-Grand et à l'École Normale Supéri
d'Institutrices.
LIBRAR
MAR 4196Ï
THE ONTARIO INST
FOR STUDIES IN EDU<
Ouvrage illustré de 64 Planches hors texte
PARIS
LIBRAIRIE RENOUARD, H. LAURENS, ÉDITEUR
6, RUE DE TOURNON, 6
I913
Tous droits de traduction et de reproduction réservés pour tous pays.
AVANT-PROPOS
Nous poudrions étudier, dans ce livre, ce qu'est Paris à
V École.
Notre dessein sera de chercher à quelles idées ce Paris là fait
accueil, à quelles habitudes il se plie, par quelles gymnastiques
il s'entraîne et quelles ressources sont mises pour lui en
réserve, au cas où les besoins et les loisirs de la vie lui permet-
traient de fouiller plus tard un canton de la science et de Part.
L'enseignement primaire à la base, l'enseignement supé-
rieur au sommet, l'enseignement secondaire entre la base et le
sommet, voilà donc les trois grandes divisions de ce volume.
Elles seront nécessairement très inégales. C'est surtout sur ren-
seignement secondaire que nous avons voulu insister.
Ce livre étant un simple tome dune collection générale, il
n'est qu'une partie d'un ensemble. C'est d'abord à ses aînés, puis
à ses cadets qu'il conviendra de lui demander ce qui lui manque.
Autre remarque : il est toujours vain de chercher à tout
dire. L'essentiel est d'expliquer et de démontrer quelques idées
suggérées par des faits. Un livre est un choix. Nous avons
donc, de parti pris, élagué et beaucoup.
■ i° Pour l'enseignement primaire parisien, nous cherchons,
avant tout, à montrer quels exemples Paris a constamment
donnés à l'État et aux communes et comment la grande Ville a
il AVANT-PROPOS
su, là encore, justifier magnifiquement son rang de capitale. Sa
bonne foi, ses initiatives, son esprit de suite, son désintéressement
sont, pour nous, une belle leçon de vertu civique.
2° Pour renseignement secondaire, comme pour renseigne-
ment primaire, nous avons dû nous borner à renseignement
donné par la Ville ou par F Etat. Nous n'avons parlé de ren-
seignement libre que pour donner une intelligence plus précise
de Vautre. Tel établissement privé, le collège Sainte-Barbe,
ou VÉcole alsacienne, par exemple, ont offert, dans bien des
cas, à F Université des exemples qu'elle a suivis; une des raisons
d'être de cet enseignement latéral à F Enseignement d'État, c'est
de lui tenir lieu, à l'occasion, de laboratoire et de champ d'ex-
périence. L'Etat lui prête, l'État lui prend. Et ces emprunts
mutuels profitent à tous.
3° C'est surtout pour renseignement supérieur que ce livre
devait être très incomplet. Des monographies isolées ajouteront,
et fort copieusement, à ce que nous n'avions pas à dire ici.
L'Université de Paris et son histoire, grâce à la plume autorisée
d'un homme tel que M. Louis Liard, n'est plus une inconnue
pour personne i .
Mais les maîtres ne parlent point seulement dans leurs
chaires, ils parlent aussi dans leurs livres. Et, si les cours en
Sorbonne ou les leçons au Collège de France sont une des formes
de l'enseignement, les volumes de nos grandes bibliothèques ou
les manuscrits de nos archives en sont une autre. Lci, par
Foreille, et là, par les yeux, la science et l'idée s' acheminent
jusqu'à nos esprits. Nos bibliothèques rendent encore tout son
éclat et toute sa jeunesse à F éloquence d' un Gui{ot, d'un Michelet,
d'un Villemain et d'un Cousin. Elles sont, pour l'enseignement
supérieur, une garantie d'immortalité.
Un chapitre sur les grandes bibliothèques avait donc droit
i. L'Université de Paris, par Louis Liard. Deux volumes avec 65 et 63 gravures
(Laurens, éditeur).
AVANT-PROPOS m
à sa place dans ce volume. Cette place cependant lui a été
mesurée. La Bibliothèque nationale avait déjà obtenu les hon-
neurs de deux livres particuliers1. Nous n avions plus qu'à la
saluer. Il nous restait encore à parler au lecteur non pas des seules
bibliothèques municipales, mais de toutes les autres et notamment
des bibliothèques Maçarine, Sainte-Geneviève et de l Arsenal.
Ce sont aussi de très grandes dames, nobles et riches, dans le
commerce desquelles il y a beaucoup à prendre et à apprendre.
Est-il bien nécessaire d'ajouter que nous chercherons partout
à éclairer le présent aux lumières du passé. Par mille liens
secrets, nous nous rattachons à nos devanciers. Nous ne leur
devons pas seulement notre vie physique et notre race ; nous
leur devons, pour une bonne part, nos pensées et toute notre âme.
La langue que nous parlons, ce sont eux qui Vont faite. Et dans
Vinstant où notre orgueil se persuade que nous sommes nous-
mêmes, ce sont encore bien souvent leurs idées qui nous hantent,
leurs mots que nous prononçons et leurs gestes que nous faisons .
Et voilà pourquoi ce livre, — qui na songé à être ni un livre
de politique ni même un livre de doctrine, sera nécessairement,
et au premier chef, un simple livre d histoire*- .
Paris, juillet 1913.
1. La Bibliothèque Nationale, par Henry Marcel, Ernest Babelon, Camille
Couderc, etc. Deux volumes avec 59 et 79 gravures. (Laurens, éditeur).
2 . Les sources où nous avons puisé ne sont pas seulement les livres imprimés
dont nous citerons à l'occasion les principaux : ce sont aussi les dossiers conservés
aux Archives nationales. Ce sont enfin les Archives particulières des collèges ou
des lycées. Nous nous sommes rendus dans la plupart d'entre eux, pour les visites
sur place ; l'accueil que nous avons reçu des Proviseurs et des Directrices, du
Directeur de l'Enseignement primaire de la Seine et des conservateurs ou admi-
nistrateurs de nos grandes Bibliothèques nous ont été un encouragement précieux
et notre livre en a largement profité. C'est pour nous un agréable devoir de leur
adresser ici notre remercîment.
L'ENSEIGNEMENT PUBLIC
A PARIS
LIVRE PREMIER
L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE A PARIS
La Constituante, en proclamant les droits de l'homme,
avait implicitement reconnu les droits de l'enfant : droit à la
nourriture du corps et à la nourriture de l'esprit. A quoi sert
de déclarer un peuple libre, si le défaut d'instruction le laisse
dans le servage ?
Mais cette dette nationale du pays vis-à-vis de l'enfant,
la Révolution ne fit guère autre chose que l'avouer; il fallut
attendre la troisième République pour la payer. Et, sur ce
point comme sur quelques autres, Paris a donné, une fois de
plus, l'exemple au reste de la France. De 1806 à 181 3, l'ensei-
gnement primaire figurait au budget de la capitale pour
3o.8oo francs ; de nos jours, il y figure pour plus de 35 millions.
Napoléon n'avait plus eu, en 181 5, que le temps d'émettre ce
vœu : par l'instruction, « élever à la dignité d'hommes tous
les individus de l'espèce humaine ». Guizot, en 1 833, Victor
Duruy en i863, essayèrent, vers ce but entrevu, les premiers
a L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
pas. Nos désastres de 1870 firent tomber de nos yeux les der-
nières écailles et nous vîmes enfin très clairement que dévelop-
per l'instruction primaire était parmi les plus impérieux de nos
devoirs.
Puisqu'une société démocratique relève d'elle-même et que
tous ceux qui la composent ont une part de la souveraineté
nationale, il importe qu'ils aient chacun l'intelligence de leur
rôle, qu'ils puissent lire un bulletin de vote et l'écrire. Il leur
faut donc un minimum d'instruction primaire et c'est là une
nécessité politique.
Puisque cette société démocratique a besoin de vivre, puisque
son agriculture, son industrie, son commerce doivent la nourrir
et lui permettre de soutenir la lutte des concurrences rivales,
il importe de lui enseigner le maniement des armes pacifiques
qui l'aideront à vaincre ; il importe de donner à des ouvriers
Y apprentissage de leur métier ; et c'est là une nécessité écono-
mique.
De cette société démocratique qu'un labeur quotidien doit
enrichir, il faut que Vélite se dégage : à l'atelier, à l'usine, à la
mine, aux maisons d'achat et de vente, il faut des chefs qui dis-
ciplinent, enchaînent et dirigent les efforts isolés pour le bien
général ; et c'est là une nécessité sociale.
La ville de Paris a su comprendre tout cela et c'est son hon-
neur. Aux problèmes politique, économique, social qu'elle avait
à résoudre, elle s'est efforcée de donner une solution triple.
i° avant treize ans, que fait-elle de l'enfant, à Y Ecole mater-
nelle puis à YÉcole primaire élémentaire. — 20 Après treize
ans, comment dirige-t-elle l'enfantvers Y apprentissage ouvrier :
comment lui donne-t-elle cet apprentissage soit dans les cours
complémentaires annexés à l'École primaire, soit dans les cours
municipaux du soir, soit dans des écoles professionnelles, soit
L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE A PARIS 3
au moyen du système que l'on nomme le pré-apprentissage et
le demi-temps. — 3° Après treize ans, que fait elle de l'élite de
ses écoliers et de tous ceux que les nécessités de la vie ne for-
cent pas à déserter de suite les bancs de l'école ? Gomment les
groupe-t-elle dans les Ecoles primaires supérieures ou à Chap-
tal? Comment les conduit-elle au seuil de l'enseignement secon-
daire ? Et à quelle profession les destine-t-elle ?
Nous allons tenter de le dire dans les trois chapitres qui
suivent.
CHAPITRE PREMIER
L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE AVANT TREIZE ANS
L'École maternelle, puis l'École primaire élémentaire.
C'est par 176.000 petits parisiens ou parisiennes que sont
fréquentées les écoles maternelles et les écoles primaires élé-
mentaires delà capitale1. Les premières reçoivent un peuple de
bambins, dont les doyens ont six ans ; les secondes, un peuple
de gavroches, dont les plus vieux ont la gravité du treizième
printemps.
De deux à six ans, l'école est facultative ; de six à treize ans,
elle est obligatoire (loi du 28 mars 1882). Mais, de deux à treize
ans, l'école est gratuite (loi du 16 juin 1881).
A Paris2, comme partout en France, l'instruction primaire
est bien, sans doute, une institution d'Etat ; et l'Etat y garde,
en effet, le droit de contrôle, il approuve les programmes, il
nomme les principaux fonctionnaires. Mais l'Etat a fait con-
fiance à la Ville : Paris a la charge d'assurer, à tous les degrés,
1. 1880 1900 1912
Inscrits, Présents. Inscrits. Présents. Inscrits. Présents.
Écoles maternelles . . . 19.209 12 266 40.317 29.420 43 314 29.664
p, .m .,. (Garçons. 48.127 43525 76359 71.276 80.187 73.344
LCl Pnm-elem- (Filles. . 33.625 30370 66.758 60094 81.463 73.181
Totaux 100 961 8b. 161 183.434 100.790 204.964 176.189
2. Les Écoles et les Œuvres municipales d'enseignement à Paris, 1871-1900, par
L. Lavergne, Préface de F. Bedorez, Paris, 1900-^-4°.
PI. 1.
L ECOLE MATERNELLE. — LE LAVABO.
(Page S.)
L ECOLE MATERNELLE. — LE JEU DANS LA COUR.
(Page S.)
PI. 2.
l'hut. NeuiJein.
L ECOLE PRIMAIRE. — LA LEÇON DE DESSIN.
(Tableau de Jean Geoffroy.)
(Page S.,
L ECOLE PRIMAIRE. — ENSEIGNEMENT MENAGER : LE REPASSAGE.
(Pag" S.)
L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE AVANT ;TREIZE ANS 5
tous les services de renseignement primaire ; Paris doit pour-
voir, de ses deniers propres, à toutes les dépenses ordinaires1.
La Ville y trouve son compte et l'État le sien : elle a les mains
libres, elle étudie ses propres besoins, elle tâche d'y répondre.
L'État, lui, regarde, compare, juge et profite. La Ville a sou-
vent ouvert les voies où l'État s'est engagé à sa suite.
Cette obligation de l'instruction élémentaire que l'État a
inscrite dans la loi, la Ville a compris qu'aucune tracasserie
administrative n'en pourrait assurer efficacement le respect.
La stricte observation de cette loi, dictée par un devoir d'hu-
manité, serait, en bien des cas, inhumaine : quand le père tra-
vaille hors du logis où la mère est malade, si la plus âgée des
fillettes fait le ménage et soigne les tout petits, qui aurait le
cœur d'arracher cette fillette à sa tâche et de la mener de force
à Fécote ? Quand la mère est veuve et va prendre ou rapporter,
dans Paris, l'ouvrage dont le paiement permettra d'acheter le
pain de la maisonnée, si la grande sœur remplace la maman
absente, est-elle donc coupable de négliger la lecture et l'ari-
thmétique ? Et va-t-on la traduire devant le juge de paix parce
qu'elle n'a pas treize ans ? Elle oublie ce qu'une loi écrite lui
impose mais elle observe ce qu'une autre loi dicte à sa cons-
cience : à elle-même, elle préfère ses frères, ses sœurs et sa
mère. Proclamer l'instruction obligatoire, c'est bien, mais Paris
a compris que cette obligation pour garder sa vertu éducative,
ne devait pas être tyrannique. Sans les mœurs, les lois ne sont
rien : c'est du progrès des mœurs, que la Ville attend surtout —
elle en convient — l'observation parfaite de la loi. Elle n'a pas
tort : si dès le premier jour, tous les enfants tenus d'être à
l'école y étaient accourus, l'école n'aurait pu les accueillir tous.
1. Lois des 19 juillet 1889 et 25 juillet 1893.
6 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
Paris compte plus de 56o écoles maternelles ou primaires ; il
en avait moins de 400 en 1877.
La gratuité de ces écoles est, pour la Ville, une charge très
lourde et tous les jours croissante. Ce n'est point seulement
parce que les terrains où ces écoles sont construites sont fort
chers ; parce que les maisons d'écoles ont besoin d'être grandes,
aérées, saines et gaies1 ; parce qu'on y évite l'entassement des
élèves et que les instituteurs y ont, comme il est juste, un traite-
ment supérieur à celui de la province. C'est encore parce que
la Ville ne veut pas user des latitudes que lui laisse la loi, de
donner gratis renseignement mais de faire payer aux familles
livres cahiers et fournitures scolaires. La Ville distribue libérale-
ment tout ce qui est nécessaire à l'écolier pour profiter de l'ensei-
gnement de l'école. Elle fait mieux : elle habille beaucoup d'en-
fants ; à beaucoup, elle donne gratis le repas de midi, que des
cantines scolaires préparent ; elle soigne, par le moyen des
dispensaires, les petits écoliers malades ; elle les garde, gra-
tuitement, après la classe, ou le jeudi ou pendant les vacances ;
l'étude surveillée et la classe des vacances empêchent l'enfant
de polissonner dans la rue, jusqu'à ce que les parents soient
revenus de l'atelier. Elle a, pour les enfants que leur famille
est incapable de loger elle-même, fondé un internat primaire
dont elle assume elle-même les frais pour la meilleure part.
Enfin, pendant les vacances, des colonies scolaires conduisent
à la mer ou à la montagne des caravanes d'écoliers dans les
Vosges, le Jura, le Massif Central, la Normandie, la Bretagne ;
la santé des enfants se fortifie : en vingt jours seulement, leur
poids augmente d'un à deux kilos, leur taille pousse d'un centi-
mètre et leur circonférence thoracique s'élargit. La dépense
t. Voir Planches 3, 4, 5.
PL 3.
L ECOLE PRIMAIRE. L ENSEIGNEMENT MENAGER : LA CUISINE.
(Page 14.)
man
LE CLOITRE DES BILLETTES
(Ecole primaire.)
(Page 6.)
m — -
L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE AVANT TREIZE ANS 7
est de 3 francs environ par tète et par jour. Et les familles n'ont
rien à débourser.
Ainsi, à Paris, l'école publique est bien devenue la maison
commune des enfants, comme l'Hôtel de Ville est la maison
commune des citoyens. Ils y sont placés côte à côte, pour le
plus grand bien de l'égalité. Ni rétributions pour les uns, ni
aumônes pour les autres. Tous sont instruits parce que la
France a besoin que tous le soient \ Et l'Etat n'a pas à
regretter que la ville fasse, et au delà, tout son devoir.
L'École Maternelle est l'ancienne salle d'asile, qu'avait adop-
tée les pouvoirs publics, par l'ordonnance royale du 22 décem-
bre 1837. Mais elle a changé de nom (décret du 2 août 1881),
parce qu'elle a changé de caractère : elle n'est plus « un éta-
blissement charitable », elle est devenue un « établissement
d'éducation, où les enfants des deux sexes reçoivent les soins
qu'exige leur développement physique, intellectuel et moral ».
Elle reçoit les enfants sitôt qu'ils commencent à parler ou à peu
près, à deux ans ; elle les garde jusqu'au moment où ils vont
avoir, ce qu'on appelle par habitude, l'âge de raison, sept ans.
Il s'agit d'instruire le bambin sans qu'il s'en doute ; de faire
l'éducation de ses yeux, de son imagination, de sa conscience,
en l'amusant ; les classes sont très courtes, vivantes, enjouées.
Elles enseignent les objets usuels, les premiers éléments du
dessin de l'écriture et de la lecture ; les notions sur les plantes,
les animaux, et la géographie ; elles racontent, en faisant voir
des images, de belles histoires. Des boules, des cubes initient
peu à peu l'enfant à l'art de composer ; des papiers qu'il
découpe, plie et tresse, des laines de couleurs qu'il tisse et com-
1. La lutte scolaire en France, au XIXe siècle. Paris, Alcan, 1912; v. chap. x :
les lois de 1881-86 par F. Buisson.
8 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
bine, l'initient aux exercices manuels ; des chansons et des
chœurs l'initient à la musique ; une gymnastique graduée rend
ses membres plus souples (PI. i).
L'École Prlmaire Élémentaire reçoit donc des vétérans, qui
peuvent être chevronnés après quatre ans d'études, quand elle
les prend, à six ou sept ans, tout frais émoulus de l'école
maternelle. Beaucoup cependant ont négligé de faire plus tôt
leurs premières armes : ils ont sauté par-dessus l'école mater-
nelle et l'école primaire connaît les premières émotions de leurs
débuts. Il y a quatre fois plus d'élèves dans les écoles primaires
que dans les écoles maternelles. Et puis les garçons, pour la
première fois, sont séparés des fillettes et ils sont plus nom-
breux qu'elles. Les programmes prescrivent « l'instruction
morale et civique, la lecture et l'écriture, la langue et les élé-
ments de la littérature française ; la géographie et l'histoire,
particulièrement celles de notre pays » ; enfin les éléments des
mathématiques. A cela s'ajoutent quelques notions de droit
usuel, les éléments des sciences physiques et naturelles et leur
application à l'agriculture, aux arts industriels, à l'hygiène ;
des travaux manuels et le maniement des principaux outils ; les
éléments du dessin, du modelage, de la musique; la gymnas-
tique : pour les fillettes, les travaux à l'aiguille (PI. 2).
Avec grande raison, on a élargi la place faite à la morale :
il ne s'agit pas d'en faire un enseignement autonome et isolé,
mais d'en pénétrer tous les enseignements, comme d'en pénétrer
toute la vie, et d'y ramener, par toutes les avenues de l'esprit et
du cœur, la pensée de l'enfant. On a voulu aussi, dès l'école,
combattre l'alcoolisme, dénoncer à l'avance ses conséquences
fatales : il y va de l'avenir de notre race et l'on tremble en pen-
sant que le fléau, chaque année, augmente : si l'on prend le
PI. 5.
t. Commission 'lu Vieux Paris.
HOTEL SENECTERRE, RUE DE L UNIVERSITE, N° 2\
(Ecole primaire.)
(Page 6.
K ■-
—
ai o
L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE AVANT TREIZE ANS 9
chiffre global de la consommation taxée et si on divise ce chiffre
par le nombre des Français, on arrive à une consommation,
par tête d'habitants : de 4 litres 06 en 191 1, contre 3 litres 5g,
en 1 910 et 3 litres 3i en 1907. Là encore, il faudrait que Paris
et ses écoles donnassent l'exemple : la Seine-Inférieure, le
Calvados et l'Eure auraient, plus que tous les autres départe-
ments, besoin de le suivre : chez eux, la consommation moyenne
de l'alcool est trois fois plus grande que dans la moyenne du
pays : 1 2 litres 85 par tête d'habitants, dans la Seine-Inférieure.
Le certificat d'études primaires est proposé à chaque
enfant comme le couronnement de ses années d'école. Il com-
porte, outre le dessin, trois épreuves écrites : une dictée, des
problèmes, une rédaction. Puis des épreuves orales portant sur
la lecture expliquée, la géographie, l'histoire. On a souvent, à
Paris, reproché à ce certificat de ressembler beaucoup trop
à une formalité administrative. Autre abus : directeurs et direc-
trices d'écoles comptent trop uniquement sur lui pour se
distinguer; les classes, aux mois de mai et de juin, font un peu
trop songer à des écoles d'entraînement. Enfin beaucoup
d'enfants se présentent trop jeunes.
C'est que le certificat d'études primaires confère à l'enfant
le droit légal de ne plus fréquenter l'école, dès douze ans. Et
même, si l'examen a été passé avec distinction, le droit d'avoir
un livret municipal de caisse d'épargne. D'autres livrets pro-
viennent de legs et de dons particuliers : dans le seizième
arrondissement (Passy), plus que dans les dix-neuf autres, la
générosité des fondateurs a été libérale.
Or, leur période de scolarité finie, que deviennent, certifiés
ou non, les élèves des écoles primaires parisiennes dont les
plus âgés ont treize ans ? Nous allons le voir.
CHAPITRE II
L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE APRÈS TREIZE ANS
1° La préparation des apprentis et l'enseignement professionnel.
Jusqu'à présent, les écoles primaires élémentaires grou-
paient l'ensemble des écoliers. Tous s'y acheminaient donc
quotidiennement, comme sur une route unique. Désormais,
cette route forme une fourche et se continue en deux artères
principales : celle qui conduit à l'apprentissage et celle qui
conduit plus loin et plus haut. Ce chapitre va nous dire ce qu'est
exactement cette voie de l'apprentissage et en combien de che-
mins elle se ramifie à son tour.
C'est à l'apprentissage ouvrier que se destinent la plupart
des élèves de l'Ecole primaire. Paris compte un peu plus de
ioo.ooo industriels et à peu près 400.000 artisans, 14.000 appren-
tis garçons et 6.000 apprenties filles. Quels moyens ont ces
apprentis de parvenir à leur but final : s'assimiler les secrets de
leur métier? Et comment la Ville s'ingénie-t-elle à leur venir
en aide ?
Après le problème de l'instruction primaire, le problème
de l'apprentissage est un des plus graves de la capitale1. Le
1. Conseil municipal de Paris, 1904. Rapport au nom de la 40 commission, sur
les règlements des Ecoles professionnelles présenté par M. Louis Dausset ; in-/]0,
733 pages ; — id, 1906. Rapport au nom de la 4e commission, sur l'enseignement
L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE APRES TREIZE ANS n
résoudre, ce serait faire cesser la crise de l'apprentissage. Il y
a encore des apprentis, mais il n'y a plus guère d'apprentis-
sage. L'ouvrier français, l'ouvrier parisien, risque de perdre
les qualités d'élégance, de goût et de distinction, qui donnent
à son travail une place éminente dans le monde. On voit la
conséquence: la suprématie industrielle de Paris est menacée.
— Mais où sont les causes et où sont les remèdes ?
Les causes sont claires, trop claires : les conditions du tra-
vail ont changé; elles permettaient, jadis, au temps des corpo-
rations et des maîtrises, la formation de l'apprenti. Alors, pas
de concurrence : le travail pouvait être lent et cher, l'essentiel
était qu'il fût sans défaut et la vente était assurée. L'apprenti
faisait partie de la famille du patron, qui l'initiait patiemment
à tous les artifices du métier. Aujourd'hui, la liberté a déchaîné
la concurrence et le machinisme a envahi l'usine : l'essentiel est
de faire vite et bon marché ; le produit peut être inférieur par
sa qualité, l'importance est qu'il séduise par son apparence et
son bas prix : billig and schlecht, comme disent les Allemands.
La division du travail est chaque jour poussée plus loin et l'ou-
vrier devient le simple auxiliaire de la machine; la machine
ordonne et il obéit ; il risque de n'être plus qu'un engrenage
ajouté à tant d'autres. Il lui faut donc se spécialiser à l'infini ;
dans l'objet qu'il contribue à fabriquer, il est condamné au
détail et trop souvent le détail lui fait perdre de vue l'ensemble.
Les arbres lui masquent la forêt. Autrefois, pour faire une
montre, il suffisait d'un seul ouvrier; il en faut maintenant 120,
sinon davantage : les uns font les ressorts, les autres le pivot,
technique et professionnel par M. Pierre Morel, 264 pages in-40, 8 cartes ; — id.
1909. Rapport sur la situation des Écoles municipales professionnelles, par
MM. Henri Galli et Pierre Morel, in-40, 8 pages ; — Conseil municipal de Paris,
1912, communication sur les institutions d'apprentissage et d'enseignement profes-
sionnel, présenté par M. Joseph Denais, in-40, l%5 pages.
12 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
les aiguilles, le cadran, le boîtier, les charnières. Que la montre
s'arrête ; ne demandez pas de la remettre en mouvement à
l'ouvrier qui a, pendant vingt ans, confectionné les aiguilles ou
à celui qui, depuis vingt ans, dispose les charnières. Il vous
répondra: ce n'est pas mon métier. Son métier, c'est de faire un
cent vingtième de montre. Et, à l'atelier, l'apprenti risque de
faire un cent vingtième d'apprentissage. Cet apprentissage, il
se l'assimile souvent en huit jours ; ses prédécesseurs s'assimi-
laient le leur en huit ans. Mais alors ils maniaient tous les
outils au lieu d'être eux-mêmes un outil.
On dira : le patron n'intervient-il pas ? n'impose-t-il pas à ses
ouvriers de former des apprentis et de leur enseigner le métier,
tout le métier ? — Hélas, le patron avoue que ses ouvriers n'ont
plus le temps de former des apprentis. Le patron voit surtout
ceci : réduire ses frais et gagner du temps pour gagner de
l'argent ; utiliser sans retard toute sa main-d'œuvre. Il fait
afficher : « On gagne de suite ». Et des enfants accourent,
que leurs parents envoient : ces enfants rapportent au logis
10, i5, 20 sous par jour. Le père s'en applaudit. Le patron
et lui, en sacrifiant l'apprentissage, ont, au présent, sacrifié
l'avenir.
Ce mal est ancien ; il est déjà séculaire. Dès 1840, en voyant
son progrès, M. Vilîermé avait poussé le cri d'alarme ; et, après
lui, M. Corbon en 1848, M. Léon Say et M. Gréard, en 1872.
La Ville de Paris s'en émut. La loi de i85i prescrivit bien
l'obligation, pour le maître, « d'enseigner à l'apprenti progressi-
vement et complètement l'art, le métier ou la profession, qui
fait l'objet du contrat », passé verbalement ou par écrit, entre
lui et le père ou le tuteur de l'apprenti, mais cette loi était élu-
dée. L'enfant devenait le domestique de l'atelier et n'y appre-
nait son métier que par bribes, entre deux courses. Dire qu'il
PI 7.
ECOLE DIDEROT. — ATELIER DE CHAUDRONNERIE.
(Page 17.)
ECOLE GERMAIN PILON. — ATELIER DE MODELAGE.
(Page [Q.
PI. 8.
ECOLE BERNARD PALISSY.
COURS DE COMPOSITION DECORATIVE.
Page I7.)
ECOLE BOULLE.
ATELIER DE SCULPTURE SUR BOIS.
Page [9.)
L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE APRÈS TREIZE ANS 13
n'apprenait rien à l'atelier, c'était exagérer : son esprit et son
cœur s'y ouvraient trop souvent à une dépravation précoce.
Ce mal, qu'une première loi n'avait pu conjurer, une seconde
loi, celle du 3o mars 1900, vient de l'accroître.
La loi de 1900 partait cependant d'un bon sentiment : proté-
ger, à l'atelier, les enfants, les filles mineures et les femmes: elle
décida donc que, à l'atelier, le travail quotidien ne pourrait
excéder une durée de dix heures. Résultat : ou bien les patrons
emploient encore les enfants parce qu'ils coûtent moins cher ;
ou bien les patrons se refusent à les employer, pour travailler,
au besoin et dans les moments de presse, onze et douze heures.
Car, à Paris surtout, les métiers « saisonniers » ne manquent
pas. Dans les deux cas, c'est le coup de grâce donné à l'ap-
prentissage. Jusqu'ici, les industries françaises n'ont pu con-
server des auxiliaires mal préparés qu'en les encadrant au
milieu d'anciens ouvriers habiles. Quand les ouvriers, âgés
aujourd'hui de trente à quarante-cinq ans, auront disparu,
c'est-à-dire dans une vingtaine d'années, qu'arrivera-t-il ? Et
comment ne point prévoir l'immigration toujours plus grande
des ouvriers étrangers ? les chaudronniers et les monteurs ne
s'en aperçoivent que trop. La métallurgie est, de toutes les
industries françaises, la plus menacée.
Le remède ? — De tous les côtés on le proclame et d'une
voix unanime: rétablir l'apprentissage. Donner à l'apprenti la
connaissance intégrale de tout son métier ; le mettre en état,
non pas seulement de le posséder, mais de le perfectionner.
Reste à savoir comment et c'est là que les initiatives de la Ville
sont précieuses.
La Ville place le candidat-apprenti en un point, d'où partent
les quatre chemins qui mènent à un apprentissage sincèrement
pratiqué : celui des cours complémentaires à l'école ; — celui
i4 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
des cours municipaux du soir; — celui des Ecoles profession-
nelles ; — celui du demi-temps.
i° Les Cours Complémentaires du jour, reçoivent les enfants
certifiés d'études qui, jusqu'à quatorze ou quinze ans, veulent
ajouter au bagage de leurs connaissances scolaires, avant d'en-
trer dans l'industrie ou le commerce. La Ville a pensé (arrêtés
préfectoraux des 25 octobre 1884 et 28 août i885) qu'il était bon
d'encourager ce louable désir d'apprendre. Et la Ville a, sur ce
point, devancé l'État. Un examen sélectionne les candidats :
il porte sur l'orthographe, l'arithmétique, un devoir français,
l'histoire et la géographie de la France, sur les éléments des
sciences physiques et naturelles, sur le dessin et, pour les fil-
lettes, sur la couture. Les cours complémentaires durent deux
ans au plus : depuis 1898 ils donnent, dans la matinée, un ensei-
gnement général (langue française, calcul, physique, chimie,
éléments d'économie politique), et, dans l'après-midi, un ensei-
gnement professionnel (travail manuel, dessin, technologie),
mais leur programme est très souple et varie selon les besoins de
chaque quartier; les filles suivent des cours dont le nom dit le
caractère : cours complémentaires manuels et ménagers. Celles
qui se destinent au commerce apprennent les langues vivantes,
la sténographie, la comptabilité. Dès 1898-99, près de 5o écoles
donnaient ces cours complémentaires généraux et 1 2 écoles, ces
cours complémentaires professionnels; en 1912, 37 écoles de
garçons et 32 écoles de filles donnent les cours généraux ; dans
12 écoles, les garçons trouvent des cours techniques et, dans
18 écoles, les filles trouvent les cours ménagers1 (PI. 6).
1. Voici quelques autres chiffres documentaires : Cours complémentaires géné-
raux : 1888-89 : garçons, 16 cours et 706 élèves ; 1888-89 : filles, 32 cours et
1.144 élèves; total 48 cours et 1.850 élèves. ier juillet 191 1 : garçons, 25 cours et
1.219 élèves; filles 31 cours, et 2.154 élèves; total 56 cours et 3373 élèves.
Cours complémentaires professionnels, au Ier juillet 191 1 : 12 cours de garçons
L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE APRÈS TREIZE ANS 15
2° Les Cours municipaux du soir (8 h. 3o à 10 h.), sont, par leur
ébauche première, esquissée dès avant 1867, antérieurs aux
cours complémentaires du jour; mais, en ce qui touche à l'ap-
prentissage industriel, ils leur sont postérieurs, puisqu'ils n'ont
pas reçu avant 1894-95, l'annexe technique qui nous intéresse ici.
Ces cours du soir diffèrent encore des précédents par l'heure à
laquelle ils se font : on les suit une fois la journée finie, et après
le labeur quotidien de la maison de commerce ou l'atelier '.Troi-
sième différence : leur clientèle n'est pas faite seulement d'ado-
lescents, mais d'adultes. Là, les apprentis sont, pendant deux
ans, exercés par des maîtres-ouvriers, sur des travaux d'atelier2,
tandis que des instituteurs, certifiés pour l'enseignement du
travail manuel, expliquent la géométrie plane, la géométrie
dans l'espace, la géométrie descriptive, la technologie, la phy-
sique et les exécutions graphiques. En outre, ils présentent les
matières d'oeuvre usuelles, et ils exposent leur composition,
leurs propriétés, leur emploi. L'enseignement commercial du
soir, essayé dès 1881, n'avait vraiment réussi que depuis 1890 et
1895-. on lui avait alors fort sagement donné une orientation
plus nettement professionnelle tout en allégeant les programmes.
La circulaire rectorale du 1 1 novembre 1896 disait excellem-
ment: « On ne saurait exiger des adultes-ouvriers ou apprentis
l'effort continu, personnel, qu'on demande aux élèves des classes
du jour, ni leur imposer une fatigue, venant s'ajouter au labeur
et 501 élèves ; 16 cours de filles et 788 élèves. En outre 4 cours complémentaires
d'enseignement commercial pour les filles (création du ier octobre 1903),
439 élèves.
1. V. p- 17 de la brochure de MM. A. Jully et E. Rocheron : Enseignement ma-
nuel, les cours d'apprentis et les cours techniques municipaux de Paris. Paris
1912. Extrait du Bulletin de la Société de protection des apprentis.
2. Électricité industrielle; filetage; serrurerie; tôlerie ; chaudronnerie ; mode-
lage ; menuiserie en voiture ; fonderie ; machine à vapeur. — Ces cours ont lieu
dans 13 écoles.
10 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
de toute une journée passée soit au magasin, soit à l'atelier1 ».
— En 1909-1910, plus de 1.600 apprentis ont suivi ces cours,
et, depuis lors, i.3oo environ seulement; les deux tiers avaient
de quinze à dix-huit ans ; un tiers, dix-huit à vingt ans.
3° Les Écoles professionnelles semblent, de prime abord, bien
autrement armées, pour donner la solution attendue au problème
de l'apprentissage.
Dès 1872, M. Gréard avait, dans un rapport devenu clas-
sique, indiqué ce que devait être une école d'apprentissage. Il
conseillait de la consacrer surtout aux industries du bois et du
fer. Et il ajoutait : « Point d'admission prématurée, les forces
physiques, non moins que l'intelligence de l'enfant se refusant,
avant un certain âge, à l'éducation sérieuse de l'apprentissage.
Point d'agglomération trop considérable d'adolescents, rien
n'étant plus contraire à l'essai de moralisation que nous vou-
lons tenter. Point de spécialisation hâtive, la main, comme
l'esprit, ne pouvant que gagner à la généralité des exercices.
Point de rétribution scolaire, l'institution étant destinée aux
classes les plus pauvres ; mais point d'internat, la famille
devant conserver la charge et l'honneur de suivre l'éducation
de l'enfant. Point d'exercices prolongés jusqu'à la fatigue du
corps ou de l'intelligence, la variété des exercices étant une
des conditions indispensables au développement bien équilibré
des forces physiques, intellectuelles et morales de l'apprenti.
Point d'enseignement scientifique proprement dit, l'enseigne-
ment d'une école d'apprentis devant, pour porter ses fruits,
1. Les cours d'enseignement populaire supérieur de l'Hôtel de Ville, créés en
vertu d'une délibération du conseil municipal (31 décembre 1888) sont aujourd'hui
supprimés. Ils comprenaient un cours d'histoire universelle; un cours d'histoire
nationale: un cours d'histoire de Paris; un cours d'anthropologie; d'histoire des
sciences ; de biologie. Le conseil a jugé que le crédit de 42.600 francs affecté à
ces cours n'était pas justifié par leurs résultats.
PI. 9.
ECOLE ESTIENNE. VUE GENERALE.
ECOLE ESTIENNE. — ATELIER DE LITHOGRAPHIE.
(Page 19.)
ri. îo.
ECOLE DORIAN. — UN ATELIER DU FER.
Page in.
L^v>^Ç5
^.V
i ' OLE D \.:is il \iii [ERS DE PARIS
Pa re 24.)
L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE APRÈS TREIZE ANS 17
prendre son point de départ non dans les théories mais dans
les faits et ne s'appuyer que sur des théories dont on peut
montrer les applications matérialisées ».
Cette même année, 1872, la première école professionnelle,
Diderot, était créée, 60, boulevard de la Villette ' : elle y est
toujours. Pendant une dizaine d'années, elle fut la seule : puis,
de 1881 à 1890, ce fut une éclosion d'écoles nouvelles : Ger-
main-Pilon'2 en 1882; Bernard-Palissy3, la même année, et aussi
l'Ecole de Physique et Chimie1 ; l'École Boulle 5 en 1886;
TEcole Dorian6en 1887; l'Ecole Estienne7 en 1889; en atten-
dant deux ans plus tard, en 1 891, la naissance ou l'adoption de
l'Ecole d'Horticulture et d'Arboriculture 8 et enfin, en 1909, de
l'Ecole d'Horlogerie9.
Outre les écoles de garçons, les écoles professionnelles de
jeunes filles avaient jailli du sol parisien, entre 1881 et 1890 :
celle de la rue Fondary10, fut la première; l'École Jacquard,
2, rue Bouret11 parut l'année d'après; puis, en 1884, les trois
écoles de la rue de Poitou12, de la rue d'Abbeville13, de la rue
Ganneron1' et, en 1890, celle de la Tombe-Issoirelb. Et n'oublions
1. Entre le Xe et le XIXe arrondissement.
2. Rue Sainte-Elisabeth, 12, IIIe.
3. Rue des Petits-Hôtels, 19, X°.
4. Rue Lhomond, 42, Ve.
5. Rue de Reuilly, 57, XIIe.
6. Avenue Philippe-Auguste, 74, XI0.
7. Boulevard Auguste-Blanqui, 18, XIIIe.
8. Avenue Daumesnil, 1, à Saint-Mandé (à proximité du XIIe arrondissement),
g. Rue Manin, 30, XIXe.
10. XVe arrondissement.
11. XIXe arrondissement.
12. IIIe arrondissement.
13. Xe arrondissement.
14. XVIII0 arrondissement.
15. XIVe arrondissement.
2
i8 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
pas les Écoles Elisa Lemonnier, 41, rue des Boulets1 et 24, rue
Duperré2. Au lieu d'une école d'apprentissage, c'étaient donc
17 écoles. Et ces écoles destinées aux apprentis, étaient surtout
dans les quartiers ouvriers de l'Est, du Nord et du Sud. Rien
au centre, rien à l'Ouest. Rien à Vaugirard et rien à Grenelle.
Là, les écoles dues aux initiatives privées, florissaient seules.
Ces quartiers périphériques sont surtout ceux où s'est déve-
loppée l'industrie du bois et du fer et ceux où la femme a le
plus besoin, pour vivre, du travail de l'aiguille. Mais que de
variété cependant et combien le plan de M. Gréard a pu
s'agrandir! Diderot, Dorian, Boulle qui enseignent le travail
du bois et du fer ne l'enseignent pas de même manière. Diderot
est divisé en deux groupes ; le premier comprend les profes-
sions rattachées à la mécanique : forge, tours sur métaux, ajus-
tage, instruments de précision, électricité, modèles, chau-
dronnerie ; le second comprend certaines professions relatives
au bâtiment : serrurerie, menuiserie, plomberie. Plusieurs
classes d'apprentis également, à l'école Dorian : par exemple,
ceux qui se destinent à la menuiserie courante et ceux qui se
destinent à la menuiserie d'art ; ceux qui s'initient à la petite
mécanique, ceux qui s'initient à la serrurerie d'art, etc. L'Ecole
Boulle a une physionomie plus originale encore : son but est de
former des artisans capables de maintenir, dans le mobilier
d'art, les traditions de goût qui sont une des parures de l'indus-
trie parisienne. Dans la section du meuble, Boulle enseigne
donc l'ébénisterie, la tapisserie, la menuiserie en siège, la sculp-
ture sur bois et sur pierre; dans la section du métal, la cise-
lure, la monture, la gravure sur acier, la gravure en vaisselle,
en bijoux, le tournage. (PI. 8 et 10.)
1 . XIe arrondissement.
2. IXe, près du XVIIIe.
L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE APRES TREIZE ANS 19
Boulle, par une partie de son enseignement, mais par une
partie seulement, se rapproche des deux écoles de dessin, Ger-
main-Pilon et Bernard-Palissy, destinées, Tune et l'autre, à pré-
parer des ouvriers aux industries d'art. A Germain-Pilon, les
jeunes gens étudient le dessin et le modelage, d'après les plâtres
et le modèle vivant; l'aquarelle, d'après les plantes, le modèle
vivant et les diverses matières employées en architecture ; la
géométrie pratique, les notions élémentaires d'architecture ; le
lavis, la théorie des ombres, la perspective ; l'ameublement, la
composition décorative, l'analyse des styles et leur application,
le dessin des étoffes, la broderie et la passementerie. A Ber-
nard-Palissy, l'enseignement artistique est appliqué pratique-
ment à l'industrie, dans les quatre ateliers suivants : céramique,
fabrication, décoration ; — sculpture sur bois, marbre, pierre
et ivoire; — peinture décorative en tous genres; — dessins
pour étoffes, tissus et papiers peints. On voit donc que ces
écoles sont apparentées mais qu'elles se complètent plutôt
qu'elles ne se doublent. (PI. 7 et 8.)
L'enseignement de l'École Estienne, (PI. g), est destiné à
former des artisans instruits pour les arts et les industries du
livre. L'école a quinze ateliers préparant à quinze professions
rattachées à la typographie, à la lithographie, à la gravure et à
la reliure : i° fonderie en caractères ; 20 composition typogra-
phique ; 3° stéréotypie et galvanoplastie (confections des
empreintes et des clichés, composition des bains, métallisa-
tion) ; 40 impression typographique (tirage en noir et en cou-
leur) ; 5° dessin lithographique ; 6° écriture lithographique ;
70 gravure sur pierre ; 8° impression lithographique ; 90 gra-
vure sur bois ; io° gravure typographique et de fers à dorer ;
ii° gravure sur cuivre, en creux (au burin, à l'eau-forte, à
Taquateinte, à la pointe sèche) ; 120 impression en taille douce ;
20 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
i3° photographie, photogravure, héliogravure; 140 reliure;
1 5° dorure sur cuir, au fer et au balancier. Mosaïque, reliure
sur toile, sur basane, sur soie, sur velours. Pendant les quatre
premiers mois, les élèves passent par tous les ateliers; après
quoi seulement, on les spécialise dans celui que désignent leurs
goûts ou leurs aptitudes.
L'Ecole d'Horticulture et d'Arboriculture se propose une fin
que son nom indique ; de même l'Ecole d'Horlogerie et l'Ecole
de Physique et Chimie. C'est seulement au milieu de la
seconde année que les physiciens et les chimistes sont spécia-
lisés. Après trois ans de travail, on leur ouvre le laboratoire
d'études et de recherches. Par le caractère et la valeur de son
enseignement, cette école, on le devine bien, est au tout pre-
mier rang de nos écoles professionnelles parisiennes.
Quant aux écoles professionnelles féminines, leur objet et leur
programme se ressemblent beaucoup : des ateliers de couture, de
lingerie, de broderie, de fleurs, se retrouvent chez toutes. Tout au
plus,enseigne-t-on plus spécialement la peinture rue de Poitou,
rue d'Abbeville et rue Ganneron ; la confection des chapeaux
de paille, rue Bouret; la comptabilité, rue d'Abbeville. (PI, 1 1.)
A dessein on a voulu éviter de sacrifier, à côté de l'enseigne-
ment technique, l'enseignement général : il est bon de former
l'œil, la main de l'apprenti, mais il est excellent de former
son esprit : les sciences physiques et naturelles, la mécanique,
l'histoire élémentaire de l'art, la géographie économique, etc.,
donnent au futur artisan les idées indispensables à l'intelligence
complète et ouverte de son métier.
A dessein aussi et suivant le conseil de M. Gréard, l'âge
d'entrée de ces écoles n'a pas été trop abaissé : treize ans au
minimum, presque partout; seize ans, à l'École de Physique et
Chimie. L'âge maximum est de quinze à dix-sept ans ; sauf à
L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE APRÈS TREIZE ANS 21
TÉcole de Physique et de Chimie, où il est fixé à dix-neuf ans.
L'âge de sortie est généralement dix-huit ans. On est admis à
la suite d'un concours à Germain-Pilon, et à Bernard-Palissy, à
la suite d'un examen ; à l'Ecole d'Horlogerie il suffit de s'ins-
crire et de prouver qu'on possède l'instruction complète des
écoles primaires. La durée du séjour à l'école est de trois ans
pour les jeunes filles ; pour les jeunes gens, trois ans à Diderot,
Dorian et Germain-Pilon; quatre ans à Bernard-Palissy, Boulle,
Estienne et jusqu'à cinq ans, à l'Ecole de Physique et Chimie.
L'externat a prévalu presque partout; tout au plus, comme
à Boulle et à l'École d'Horlogerie, le demi-pensionnat; cepen-
dant l'internat, adopté dès le principe à Dorian, n'en a pas dis-
paru, mais l'externat lui a été juxtaposé. Partout, cet externat
est gratuit, sauf à l'Ecole d'Horlogerie où il est fixé à 400 francs.
La gratuité va plus loin : les fournitures scolaires sont données
par la Ville. Les élèves apportent leur repas de midi ou bien
le prennent à la cantine scolaire, moyennant 5o centimes.
Quelques-uns sont, comme boursiers, dispensés de ces frais.
Le nombre des élèves admis est variable, sauf à l'Ecole de
Physique et Chimie et à Boulle, où il est de 3o et de 102.
Ainsi, à Bernard-Palissy, en 1 907 il a été de 73, de 1 1 o en 1 909,
de 100 et de 1 1 5 en 191 1 et 1912 ; à Dorian, il était de 276
en 1907 et de 1 65 en 1909, de 320 en 191 1 et 1912, dont 120
internes. Presque partout, ce nombre est faible, trop faible
même :117a Germain-Pilon en 1909, 100 en 191 1 et 191 2, et,
en moyenne, de 60 à 80 à Estienne. Les élèves qui vont jus-
qu'au bout de leurs études sont bien moins nombreux encore :
80 à Boulle, à Diderot, à Dorian et 37 à Estienne. Le déchet
a pu être ainsi évalué, le 6 juin 1905 : 20 p. 100 à Diderot;
5op. 100 à Bernard-Palissy et à Estienne ; 55 p. 100 à Germain
Pilon; 57 p. 100 à Boulle.
22 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
Nous touchons au point délicat : quel est, pour la Ville, le prix
de revient annuel de chaque élève ? Ce prix est parfois terrible-
ment haut : 452 francs à Germain-Pilon, à Bernard-Palissy, ne
sont rien à côté de 952 francs à Estienne ; de 1.074 francs,
à Boulle ; de 1.240 francs à Dorian ; de 1.758 francs à l'Ecole
d'Horticulture; de 2.1 10 francs à Diderot; de 2.272 francs à
l'école de Physiqueet Chimie. Pour les jeunes filles, le prix oscille
entre 1.000 et 1.100 francs et il a parfois atteint 1.200 francs.
Multiplions ces prix par le nombre des années de scolarité,
trois, quatre, cinq, et nous verrons ce que coûte à la Ville cha-
que élève sortant de ces écoles professionnelles. L'apprenti
de Germain-Pilon revient à 1.356 francs ; celui de Bernard-Pa-
lissy revient à 1.808 francs ; celui de Dorian, à 3.720 francs;
d'Estienne, à 3. 808 francs ; de Boulle, à4.2o,6 francs ; de Diderot,
à 6.33o francs ; de l'école de Physique et Chimie à 9.088 francs
pour quatre ans et à ii.36o francs pour cinq ans. Soit une
moyenne de 4.3 1 5 francs par élève, qui monte à 4.639 francs si
Ton compte cinq années, et non quatre, à l'Ecole de Physique et
Chimie.
On ne manquera pas de dire : c'est de l'or en barre ou
presque. Souvenons-nous qu'à Paris il y a 14.000 apprentis gar-
çons, et songeons que moins de 5oo d'entre eux, soit, un apprenti
sur 28, passent par les écoles professionnelles. Ce sera la preuve
que ces écoles, si intéressantes cependant, ne résolvent point éco-
nomiquement le problème de l'apprentissage. Il a donc fallu cher-
cher ailleurs. Ces écoles forment une élite ouvrière, et c'est
beaucoup, mais il s'agissait d'atteindre la masse.
4° Le Préapprentissage et les Cours de demi-temps sont la tenta-
tive municipale la plus récente imaginée pour atteindre, en
effet, la grande foule des apprentis. Pendant la première et au
L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE APRÈS TREIZE ANS 23
besoin la deuxième année qui suit la sortie de l'école primaire,
les futurs artisans, généralement âgés de treize à quinze ans,
reçoivent dans des ateliers spéciaux, et aux heures scolaires de
la journée, un enseignement technique que leur donnent les
maîtres ouvriers des écoles municipales primaires ; cet ensei-
gnement pratique est complété par un enseignement général,
de huit heures par semaine (morale et français), donné par des
instituteurs. Voilà le premier degré du préapprentissage. Voici
le second : au lieu de laisser désormais l'apprenti, de quinze à
dix-huit ans, livré à lui-même, dans la maison industrielle ou
commerciale où il est placé, on l'en tire chaque jour de 5 à
7 heures. Sans doute, il faut l'autorisation patronale mais on a
su la lui gagner i : les chambres syndicales patronales et les
sociétés de secours ou de protection aux apprentis s'y sont
employées. Avant la fin de la journée, et sans trop de fatigue,
cet apprenti a le loisir de compléter méthodiquement son ins-
truction professionnelle. Suivant son âge, son métier, ses
aptitudes, il est placé dans le groupe qui lui convient. L'audi-
toire, clans lequel on l'encadre, a cette homogénéité indispen-
sable à tout enseignement qui doit porter de bons fruits. La
majeure partie de sa journée appartient à la maison qui le
paye ; mais une partie lui est réservée à lui-même, — c'est le
demi-temps — et consacrée à l'achèvement de son éducation
technique -.
Ce système, dont la Ville avait eu l'idée il y a quelques
années et dont le fonctionnement est expérimenté avec succès
en Angleterre, vient d'être essayé à Paris, depuis la fin de 191 1 :
1. Les patrons y consentent sans diminution de salaire, à condition de justifier
de la présence des apprentis aux cours.
2. En 1911-1912 le Préapprentissage a été organisé pour les mécaniciens dans
3 écoles de garçons (rue -du Pré-Saint-Gervais, rue des Panoyaux, rue Lacordaire) ;
pour les menuisiers, rue Charles-Baudelaire. — Le Demi-temps fonctionne par
24 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
il a réussi, au delà de toute espérance, dans les ateliers d'ajus-
tage surtout et dans les industries électriques. Ces cours vont
être, avant peu, complètement municipalisés. Et ce système
permet d'augurer favorablement de l'avenir. Il est moins coû-
teux que les Ecoles professionnelles, il est plus démocratique, il
forme des praticiens plutôt encore que des techniciens et des tech-
niciens que des théoriciens de demi-science; il est plus sérieux,
plus méthodique que les cours du soir et plus professionnel que
les cours complémentaires à l'école. Si cet enseignement con-
jurait vraiment la crise de l'apprentissage, Paris aurait une
fois de plus bien mérité de la France.
Et cependant « le tourment du mieux » a poussé la Ville et
TEtat à poursuivre un dernier rêve : construire, pour l'ensei-
gnement professionnel et technique du département de la
Seine, un couronnement digne de Paris; avoir, dans un monu-
ment unique, la synthèse de toutes les écoles dispersées de
l'apprentissage parisien. Et, le 14 octobre 191 2, Y Ecole d'arts
et métiers de Paris vient de s'ouvrir (PI. 10).
Elle est située boulevard de l'Hôpital ; M. Roussi, archi-
tecte du département, en a fait le modèle le plus séduisant des
ruches laborieuses : partout de l'air et partout de la lumière ;
vastes cours et vastes préaux ; belles salles d'étude et de dessin.
La clarté pénètre de tous côtés, à travers des baies largement
ouvertes, et ni les peintures ni le mobilier n'ont consenti à se
parer de ces teintes sombres, si en faveur jadis.
L'outillage des ateliers est celui d'une usine modèle et, ce
qui est mieux, d'une usine presque uniquement française : toute
exemple aux écoles de la rue Eugène- Varlin et rue des Boulets. Une centaine
d'enfants ont suivi ces cours nouveaux en 191 2. C'est bien peu encore. Mais cette
organisation s'essaye encore.
L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE APRÈS TREIZE ANS 25
l'expérience des écoles d'arts et métiers de Lille, de Cluny, de
Châlons, d'Angers, d'Aix, a merveilleusement servi à former
Técole de Paris.
En province, l'internat est la loi de toutes les écoles ; à
Paris, on lui a préféré l'externat; tous les élèves de la nou-
velle école, anciens externes des écoles primaires, sont domici-
liés dans la grande Ville ou dans sa banlieue. Seulement, le
repas de midi est pris à l'école; c'est donc le régime de la demi-
pension. Trois années d'études normales où le programme sera
celui des autres écoles d'arts et métiers; après quoi, une qua-
trième année ; elle sera facultative et consacrée aux spécialisa-
tions. L'enseignement général s'y harmonisera avec l'enseigne-
ment professionnel. Lescours généraux porterontsur lachimie in-
dustrielle et la métallurgie, sur la technologie de la construction
mécanique, sur l'outillage et l'organisation des ateliers, sur
l'économie industrielle et l'organisation commerciale. Les tra-
vaux manuels enseigneront la construction automobile, la char-
pente métallique, la construction électrique.
Par suite, aucun double emploi avec les écoles d'arts et
métiers provinciales. Paris les complète et les achève. Ainsi, la
quatrième année d'études y sera ouverte à l'élite des élèves de
nos six écoles françaises.
Puisse l'école nouvelle justifier, par ses œuvres, les magni-
fiques espoirs qu'on fonde sur elle. Elle réalise, en 1912, un
vœu formulé avec tant d'autres, hélas, dès 1871. Les difficultés
de l'industrie parisienne n'ont fait que s'accroître, depuis près
d'un demi-siècle : elle aidera peut-être à les résoudre. Elle est
déjà, pour tout l'enseignement technique parisien, une façade
très décorative : souhaitons qu'elle soit bien mieux encore, un
organe vivant, et qu'elle justifie les sacrifices financiers de la
Ville, du Département et de l'Etat.
CHAPITRE III
L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE APRÈS TREIZE ANS
2° L'enseignement pratique non professionnel :
Écoles primaires supérieures, Collège Chaptal.
Les enfants qui sortent, vers treize ans, de l'école primaire
ne songent pas tous à entrer en apprentissage. Quelques-uns,
les mieux dotés pour l'intelligence ou pour la fortune, sentent
que le certificat d'étude est un début plutôt qu'une fin et
qu'après treize ans il est encore permis d'apprendre, sans le
souci pressant d'une profession déjà choisie. De nouveau, ils
veulent s'asseoir sur les bancs de l'école ; mais de quelle école ?
Les lycées leur paraissent encore trop haut. Fils d'ouvriers
aisés, de petits employés ou de boutiquiers, ces enfants for-
ment une catégorie sociale aussi nombreuse qu'intéressante et
utile : elle est « placée entre la classe ouvrière dont elle forme
l'élite et la classe bourgeoise où elle aspire à prendre rang; de
Tune, elle tient ses qualités d'activité, d'initiative, et son
ardeur au travail ; à l'autre, elle emprunte ses habitudes de
prévoyance et d'économie, son goût pour la vie paisible et
ordonnée1 ». C'est pour elle que l'enseignement primaire supé-
rieur a été organisé; la loi organique du 3o octobre 1886 et
les décrets qui suivirent ont pratiquement réalisé le vœu for-
1. M. Duplan, cité par M. F. Lavergue, p. 294 : Ville de Paris, les Ecoles et les
œuvres municipales d enseignement , 1900, in-40.
PI. 11.
ECOLE PROFESSIONNELLE DE FILLES : LES FLEURISTES
(Page 20.;
ECOLE PRIMAIRE SUPERIEURE TURGOT
(Page 27.)
PI. 12
I'Ik.L Pierre Petit
ECOLE PRIMAIRE SUPERIEURE COLBERT
Pliot. Pierre Petit.
ECOLE COLBERT. — UNE CLASSE DE PHYSIQUE.
(Page 28.)
L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE APRÈS TREIZE ANS 27
muîé par Guizot, en i833, et par Victor Duruy, en 1867. Entre
l'école primaire élémentaire et renseignement secondaire,
moderne ou même classique, renseignement primaire supérieur
peut servir d'échelon : il aide à s'élever de l'un à l'autre.
Les Écoles primaires supérieures. — La création des écoles pri-
maires supérieures s'imposait si bien qu'elle fut, à Paris, anté-
rieure à la loi de 1886 : une seule école lui est postérieure. Là
encore Paris avait donc devancé l'État. En effet, les cinq écoles
de garçons datent : YÉcole Turgot1, de 1839; YÉcole Colbert2,
de 1869; YÉcole Lavoisier*, de 1872; YÉcole J.-B.-Say\
de 1875 ; YÉcole Arago% de 1880. Des deux écoles de jeunes
filles, YÉcole Sophie- Germain6, date de 1882 ; YÉcole Edgar-
Quinel , ne remonte qu'à 1892.
On ne peut pas dire, pour ces écoles, ce qu'on a si longtemps
répété pour les collèges parisiens : si la rive gauche accapara
les collèges jusqu'en 1802, la rive droite semble avoir accaparé
les écoles primaires supérieures. Une seule, Lavoisier, est sur
la rive gauche.
Toutes sont devenues gratuites depuis 1882. La Ville a
même, pour les enfants des familles peu aisées ou pauvres, établi
des bourses d'entretien.
Le recrutement est assuré par un concours qui, pour tous
les arrondissements, s'ouvre en juillet, aux mêmes jours et aux
mêmes heures. Les épreuves portent sur l'orthographe et
1. Rue Turbigo, 69.
2. Rue du Château-Landon, 27.
3. Rue Denfert-Rochereau, 19.
4. Rue d'Auteuil, 11 bis.
5. Place de la Nation, 4.
6. Rue de Jouy, 9.
7. Rue des Martyrs, 63.
28 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
l'analyse grammaticale, sur l'écriture, sur la composition fran-
çaise, sur l'arithmétique et les applications de géométrie, sur
le dessin d'après le plâtre. Pas d'épreuves orales.
La scolarité est, en principe, de trois ans ; en réalité, on y
joint une quatrième année qui prépare ou à l'Ecole normale,
ou à l'Ecole de Physique et Chimie, etc. ; il faut avoir de treize
à quinze ans, pour être admis en troisième.
L'externat est le régime de toutes les écoles primaires supé-
rieures ; mais un internat est organisé à J.-B.-Say : là, tout
élève interne non boursier paye, quel que soit son âge,
1.000 francs par an, tout demi-pensionnaire paye 5oo francs,
tout externe surveillé, 200 francs.
Partout, quatre années d'études et, partout, tendance àuniiier
les programmes. Les deux premières années sont réservées à
renseignement général ; à Colbert, en troisième année, on a
créé une section d'enseignement général, pour les élèves qui
veulent continuer à s'instruire, sans se spécialiser encore. Dans
les deux dernières années, et, à Colbert, dans la dernière seule-
ment, la spécialisation se fait, sans que l'enseignement com-
mercial disparaisse cependant : l'enseignement spécial a, non
pas un caractère professionnel, mais un caractère pratique. Il
y a, côte à côte, une section industrielle et une section com-
merciale ; il y a même une section agricole. (PI. n à i5.)
Outre ces sections, l'école J.-B. Say en a une autre pour la
dernière année : c'est la section préparatoire à l'École Centrale.
L'enseignement à J.-B. Say est plus nourri et plus poussé que
dans les autres écoles primaires supérieures. Et tels de ses
élèves ont réussi parfois à entrer aux écoles Saint-Cyr, Poly-
technique et Normale supérieure. Aussi le renom de cette
école est-il grand et les places dont elle dispose sont-elles fort
convoitées. (PI. 14.)
L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE APRÈS TREIZE ANS 29
La sanction normale de renseignement donné dans toutes
les écoles, est le certificat d'études primaires supérieures. Il est
accordé après examen au mois de juillet; ne peuvent se pré-
senter que les élèves âgés de quinze ans, révolus au Ier octobre
précédent. Les épreuves générales comprennent une compo-
sition sur un sujet de morale, une composition française et une
composition scientifique (arithmétique ou géométrie, physique
ou chimie, histoire naturelle ou hygiène), de plus une composi-
tion de dessin. — Les épreuves spéciales varient suivant les
sections : pour la section d'enseignement général et la section
commerciale, c'est une version sur une langue vivante, au choix
du candidat ; pour la section industrielle, les garçons doivent
mettre au net, à une échelle donnée, un croquis coté ; les filles
composent un sujet décoratif, appliqué à une industrie féminine;
pour la section agricole, c'est une composition sur un sujet
agricole, théorique et pratique.
Les candidats déclarés admissibles sont interrogés orale-
ment : les questions varient naturellement suivant les sections;
leur durée ne dépasse pas une heure. Les épreuves pratiques
viennent à la fin : travail manuel, calligraphie, comptabilité,
croquis approprié à chaque section. Le chant et la gymnas-
tique achèvent l'examen.
Onze cents élèves sortent en moyenne des 5 écoles mascu-
lines, soit 220 par école. Plus de la moitié d'entre eux entrent
dans le commerce ou l'industrie. L'architecture, la banque,
l'administration financière, les beaux-arts en attirent à peu près
10 p. 100. — 25 p. 100 rentrent dans leur famille, sans destina-
tion connue. Les autres se dirigent vers l'enseignement pri-
maire ', quelques-uns vers l'enseignement secondaire ou les
1. Il y a dans Paris deux écoles normales d'instituteurs et d'institutrices: la
première, 10, rue Molitor ; la seconde (pour Paris et le département de la Seine),
3o L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
grandes écoles. Mais une voie plus directe s'ouvre devant eux,
pour y parvenir : c'est le Collège Chaptal.
Le Collège Chaptal est, en effet, par définition, le trait d'union
entre les écoles primaires supérieures et les lycées. Le décret
organique du 26 juillet 1895 le dit en termes très nets dès son
article premier: « le Collège Chaptal est un établissement spé-
cial d'enseignement primaire supérieur, auquel est annexée une
section d'enseignement secondaire moderne ». J
Il remonte à 1844: il fut d'abord, jusqu'en 1848, « l'École
François Ier ». Depuis lors, il s'est appelé du nom qu'il garde
encore. Son fondateur, Prosper Goubaux, était un professeur
de l'Université ; dix-neuf années avant Victor Duruy, il tenta de
réaliser ce qu'on essayait alors, mais plus timidement, à Louis-
le-Grand et à Charlemagne : un enseignement véritablement
moderne. Il rêvait de faire des élèves qui connussent leur temps
et comprissent les magnifiques conquêtes dues à la civilisation
contemporaine, mais qui cependant eussent l'habitude des
bonnes méthodes intellectuelles et un fonds d'idées générales :
ces idées n'ont-elles pas aidé surtout à la culture de l'esprit
humain et ne lui gardent-elles pas sa rectitude et sa discipline ?
C'était élever d'un degré l'enseignement primaire supérieur,
qui groupe déjà l'élite primaire: Chaptal s'adresse, quant à lui,
à l'élite de cette élite. (PI. 16.)
Mais, en 1844, quand Goubaux parlait de faire, « en France,
un collège véritablement français », le ministre refusa de l'en-
tendre. La Ville le comprit, parce qu'elle l'écouta et l'Ecole
56, boulevard des Batignolles. — Il y a aux environs de Paris deux écoles normales
supérieures, Tune d'instituteurs (à Saint-Cloud); l'autre d'institutrices [à Fontenay-
aux-Roses).
1. Lavergne, op. laud.; M. Greard et M. Duplan cit., pp. 296-297. 342.
PI. 13,
M-iair riiiitj
ECOLE PRIMAIRE SUPERIEURE LAVOISIER. — COUR DE RECREATION.
(Page 27.)
ECOLE PRIMAIRE SUPÉRIEURE ARAGO. — COUR ET PROMENOIRS.
ivPage 27,)
PI. 14
Phot. Pierre Petit.
ECOLE PRIMAIRE SUPERIEURE JEAN-BAPTISTE SAY
DORTOIR DES PETITS AU RÉVEIL
Phot. Pierre Petit.
ÉCOLE JEAN-BAPTISTE SAY. — MANIPULATIONS EN PLEIN AIR.
Page 28).
L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE APRÈS TREIZE ANS 31
François Ier devint école municipale. De la rue Saint-Lazare,
près de la rue La Rochefoucauld, elle émigra d'abord rue
Blanche, puis, de 1 863 à 1875, elle fit bâtir les locaux qui font
l'angle de la rue de Rome et du boulevard des Batignolles ; c'est
là qu'elle s'installa dans son logis définitif : d'un bon tiers plus
grand que l'ancien, avec i3.5oo mètres de superficie, la lumière
et le gai soleil de Paris l'enveloppent et le pénètrent. L'aména-
gement matériel donna aux lycées de Paris, qu'on parlait alors
de construire ou de reconstruire, un des premiers exemples
d'une installation modèle.
Des internes, des demi-pensionnaires, des externes: au total,
une moyenne de i.5oo à 1.600 élèves, sur lesquels l'externat
absorbe plus d'un millier1. A Chaptal, comme nous le verrons
pour les lycées, l'internat ne cesse guère de diminuer : un
discrédit opiniâtre, sinon toujours très justifié, le poursuit.
De 1875 à 1900, c'a été pour lui un effondrement: un sur deux des
« chaptaliens » étaient internes en 1875 ; il n'y en a pas aujour-
d'hui 1 sur i5 qui le soit encore2.
Si la pensée du fondateur de Chaptal n'a pas péri, ce n'est pas
seulement parce que la Ville puis l'Etat l'ont recueillie, c'est aussi
parce que M. Goubaux, mort à la tête du collège, en 1 858, a
eu des continuateurs très dignes de sa mémoire : MM. Mon-
jean jusqu'en 1 887, M. Coûtant jusqu'en 1898, M. Boucher,
puis M. Weill, depuis le mois d'octobre de cette même année.
I. ANNEES INTERNES 1/2 PENSIONAIRES EXTERNES TOTAUX
1875 580 297 326 1.205
1900 130 370 1.000 1.500
1904 120 400 1.050 I-57°
1905 110 375 1174 ï-^59
1910 83 378 i.iio 1.571
1911 89 328 1.120 1.537
1912 91 327 1.067 1-485
2. Chaptala 102.000 francs de bourses d'internat. Si l'on défalquait les boursiers,
les internes seraient beaucoup moins nombreux.
32 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
Le Directeur est assisté d'un préfet des Études et de deux
surveillants généraux, nommés, comme lui, par le ministre de
l'Instruction publique. Le personnel enseignant est divisé en
deux sections : celle de l'enseignement primaire supérieur, celle
de l'enseignement secondaire moderne. Les professeurs de la
première section doivent avoir la licence ou le certificat d'apti-
tude ; leur traitement varie de i .800 francs à 3. 000. Il est aug-
menté de 1 .000 francs quand le professeur est aussi directeur
d'études. Ceux de la seconde section doivent être agrégés et
sont assimilés à leurs collègues des lycées de la Seine : leur
traitement varie donc de 6.000 francs à 9.500. Un professeur
classé dans la première section peut être également chargé de
cours dans la seconde et inversement. Chaque professeur doit,
chaque semaine, 14 heures d'enseignement et un maximum
de 16. Chaque heure supplémentaire est payée 3oo francs par
an.
L'expérience a démontré l'inconvénient de professeurs spé-
cialistes trop multipliés ; les élèves sont déroutés par ce défile
ininterrompu de maîtres. Ils gagnent à rester, le plus longtemps
possible, placés sous une discipline unique. Et voilà pourquoi
on a imaginé à Chaptal des professeurs directeurs d'études.
Il y a. au Collège Chaptal, trois collèges : le petit, le moyen,
le grand. — Le petit collège se fractionne en classes élémen-
taires et en division de grammaire. Trois classes élémentaires :
neuvième, huitième, septième. La neuvième, c'est le cours élé-
mentaire de l'enseignement primaire; la huitième en est le
cours moyen ; la septième, en est le cours supérieur. Trois
classes de grammaire : sixième, cinquième, quatrième. La
sixième, c'est la première année de l'enseignement secondaire
moderne; la cinquième en est la seconde année; la quatrième
en est la troisième année.
PI. 15.
ECOLE PRIMAIRE SUPERIEURE SOPHIE GERMAIN. — COURS DE COMPOSITION DÉCORATIVE.
(Page 27.
ECOLE PRIMAIRE SUPERIEURE EDGAR-QLTXET
LEÇON DE MORALE DANS LE GRAND AMPHITHÉÂTRE
(Page 27.)
PI. 16.
COLLEGE CHAPTAL. — ENTREE.
i* >» .*' i* i» t» *» * * J I t
I I I
COLLEGE CHAPTAL. — VUE GÉNÉRALE.
Pagi
l'ii..i. \,,ii,,i~
L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE APRÈS TREIZE ANS 33
« Jusqu'en troisième année, les études sont communes aux
élèves qui doivent faire de renseignement classique moderne
ou de renseignement commercial et industriel ; à partir de ce
moment, les enfants ayant montré leurs goûts et leurs apti-
tudes, on les dirige dans lune ou l'autre voie. »
Après la troisième année, l'élève passe du petit collège dans
le moyen collège et de la division de grammaire dans la divi-
sion supérieure. L'élève qui aspire au baccalauréat moderne,
passe, en cinquième année, les examens de la première partie
et, en sixième année, les examens de la seconde. L'élève qui ne
songe pas au baccalauréat entre, dès la quatrième année, dans
la division commerciale et y complète en trois ans son instruc-
tion : là, outre la langue et la littérature française, les langues
vivantes, les mathématiques, la topographie, la mécanique
appliquée aux machines, les sciences physiques, chimiques et
naturelles, la géographie, l'histoire — il apprend la compta-
bilité, le change, les opérations de bourse, la législation
commerciale et industrielle, l'économie politique, le dessin
d'art d'après le relief; il s'initie aux matières premières
employées dans l'industrie, aux procédés de production et de
fabrication, aux grandes usines.
Quant au grand collège, il prépare (septième année) aux
Ecoles Saint-Cyr, Centrale, Ponts et Chaussées, Mines; et
même (huitième année) à l'École Polytechnique et à l'Ecole
Normale supérieure.
Au concours général des lycées et aux grandes écoles,
Chaptal a fait ses preuvee; il y a conquis, de haute lutte, ses
lettres de noblesse. Et les mânes de Goubaux ont tout lieu de
se réjouir. Le « Collège français » qu'il rêvait de donner à la
France n'a pas seulement rempli ses destinées, il les dépasse.
LIVRE II
L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE
CHAPITRE PREMIER
HISTOIRE GÉNÉRALE
DES LYCÉES PARISIENS DE GARÇONS
Les lycées de Paris ont une histoire commune et une his-
toire particulière. Ils sont les fils d'une même mère ; et, si les
circonstances se sont chargées de leur donner une allure, une
fortune et une personnalité diverses, ils doivent à leur origine
un air de ressemblance très fraternelle. C'est ce que nous allons
étudier d'abord, avant de passer à la monographie de chacun
d'eux.
Leur nom, leur cadre, leur personnel, leur vie matérielle,
intellectuelle et morale les rapprochent sans les confondre : ce
qui est vrai pour les uns reste aussi, avec les nuances appro-
priées, également vrai pour les autres. Notons ces faits géné-
raux et ces nuances.
Quand, parla loi du Ier mai 1802, (on disait alors 1 1 floréal
an X), Bonaparte créa les premiers lycées, il emprunta, en
parfait courtisan de la mode, leur nom, comme le sien, à l'an-
tiquité. Il s'appelait Consul, comme au temps de la Repu-
HISTOIRE DES LYCÉES PARISIENS DE GARÇONS 35
blique romaine ; il les appela lycées, comme au temps de la
république Athénienne. Sur les bords de rillissos, près du
temple dédié, sur le dernier contrefort de THymette, à Apollon
Lycoctone, un gymnase avait été construit pour l'éducation de
la jeunesse, le Lycée ; et Ton se souvenait qu'Aristote y avait
enseigné sa doctrine. Impossible de mettre sous un patronage
plus illustre les établissements nouveaux destinés à remplacer
les écoles centrales.
Ce nom de Lycée, ce n'était pas Bonaparte qui le ressusci-
tait puisqu'il y avait, depuis 1782, un Lycée de Paris situé, rue
de Valois, et, depuis 1792, un Lycée des Arts, installé jadis
dans le cirque du Palais royal1. Fourcroy, qui rédigea, pour
Bonaparte, la charte constitutive des lycées, avait enseigné au
Lycée de Paris et c'est lui peut-être qui lui emprunta son nom.
N'objectons pas que les lycées de Paris et des Arts étaient sur-
tout consacrés à l'enseignement supérieur et les lycées de 1802
consacrés à l'enseignement secondaire ; car, nous le verrons, les
Lycées en 1802 et encore longtemps après, furent, à Paris sur-
tout, de véritables Lycées-Facultés. Et, quand fut rétabli le
baccalauréat, certains lycées furent chargés de le donner.
Sous la Pvestauration et jusqu'en 1848, il n'y eut plus, à
Paris et en province, que des collèges : le nom de lycée fut
proscrit. Il a reparu depuis les journées de février et s'est main-
tenu désormais.
Les Révolutions firent aux noms de nos premiers lycées
parisiens l'honneur de s'acharner sur eux; Louis-le-Grand,
Henri IV, Condorcet n'ont pas gardé sans luttes leur état civil.
De 1804 à 18 14, Thomme de Brumaire ne consentit à traiter
1. Sur eux, v. Ch. Dejob, De l'établissement connu sous le nom de Lycée et
d'Athénée et de quelques établissements analogues. Paris, Colin, 188g in-8°. B. nat.
8 R 13.574; — Y Instruction publique en France et en Italie, Paris 1894, in-8°,
B. nat. 8 R 12.021.
36 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
en confrère que le fils de Pépin le Bref; Charlemagne eut un
lycée, mais son ce successeur » en eut trois : lycée Impérial
(Louis-le-Grand), lycée Napoléon (Henri IV), lycée Bonaparte
(Condorcet). De i8i5 à 1848, Louis-le-Grand et Henri IV con-
quirent leur collège; Saint-Louis acquit le sien; mais le lycée
qui n'était plus Bonaparte et pas encore Condorcet fut le lycée
Bourbon. En 1848 et en 1870, Louis-le-Grand devint Descartes
et Henri IV devint Corneille. Saint-Louis même, un moment, se
laissa déposséder par Monge. Bourbon redevenait Bonaparte
en 1848, Condorcet en 1870, Fontanes en 1874, Condorcet en
i883. Quant au lycée du Prince impérial, baptisé en 1864, il fut
appelé lycée de Vanves, en 1870, avant de devenir, depuis 1888,
lycée Michelet. Lakanal et Montaigne, Janson de Sailly, Buffon,
Voltaire et Carnot, sont trop jeunes pour avoir connu les rudes
épreuves de leurs anciens. Et de même, les lycées féminins :
Fénelon, Molière, Lamartine, Racine, Victor Hugo, Victor
Duruy.
La place et le cadre, donnés à ces lycées, nous aident déjà
quelque peu à lire dans leur âme. Louis-le-Grand, Henri IV,
Saint-Louis sont encore aujourd'hui à quelques pas les uns des
autres et Sainte-Barbe est toujours au milieu d'eux; sans
même parler de « Sainte-Barbe-Rollin » qui fut, jusqu'en 1876,
dans leur voisinage, rue des Postes. Que l'on regarde une
carte des collèges parisiens à la fin de l'ancien régime, on les
verra tous ou presque tous entassés sur les flancs et sur le
sommet de la vieille colline de Sainte-Geneviève : tous, sauf le
collège des Bons-Enfants1, étaient sur la rive gauche de la
Seine et, sur cette rive, un seul, le collège des Quatre-Nations
1. Voir, sur ce collège, aux Archives nation. M. 105-106 et S 6373.
HISTOIRE DES LYCÉES PARISIENS DE GARÇONS 37
(à Tlnstitut) était autorisé à faire bande à part. Hors du pays
latin, un collège parisien se serait cru chez les barbares.
En vain Paris avait fait éclater ses enceintes primitives ; il
s'étendait, sans que les collèges comprimés à l'extrême s'éten-
dissent avec lui. Ces collèges étaient à l'étroit et se gênaient
mutuellement, qu'importe ! il s'agissait de rester fidèles au sol
ancestral où les pierres elles-mêmes passaient jadis pour parler
latin. Quand les Jésuites furent chassés, on s'aperçut bien que
la plupart des collèges universitaires agonisaient, et qu'il
fallait, pour sauver ce qui leur restait de vie, les distribuer autre-
ment dans la capitale. On parla d'en loger au moins un, le col-
lège de Lisieux, sur la rive droite, près de l'église Saint-Louis-
Saint-Paul, rue Saint-Antoine, dans l'ancienne maison professe
des Pères. Les familles de ce quartier réclamaient depuis
longtemps un collège.
Or, on démontra que ces familles avaient tort et que leurs
intérêts étaient méprisables : l'enceinte de l'Université, lepomœ-
rium Universitatis i s'opposait, paraît-il, à ce qu'on laissât les
collèges essaimer à travers la capitale. Aucun d'entre eux ne
fut donc autorisé à franchir les ponts. Et Ton se contenta
d'amonceler vingt-sept collèges dans les murailles croulantes de
Louis-le-Grand. Pour briser enfin le sacro-saint pomœrium, il
fallut, ni plus ni moins, que la Révolution française s'en mêlât.
Après cette formalité indispensable, il fut permis aux lycées de
se disperser là où les quartiers nouveaux se dispersaient. Leur
essor fut enfin mesuré sur celui de la capitale : à l'Ouest, à l'Est,
au Nord : Janson, Buffon, Rollin, Voltaire, Garnot sortirent
de terre. L'esprit était autorisé à souffler où il voulait.
Mais l'empreinte du passé n'est pas de celles que l'on efface
1. H.-L. Bouquet, L'ancien collège cTHarcourt et le Lycée Saint-Louis, Paris,
Delalain, in-8°, 1891, p. 412.
38 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
vite ! Le Paris Gallo-romain se retrouve encore sous les murs
de Saint-Louis et de Louis-le-Grand : les cuisines du lycée
Saint-Louis sont en partie logées dans un amphithéâtre, dont
les toges ont jadis balayé les gradins. Boulevard Saint-Michel,
rue Racine, rue Saint-Jacques, devant la façade de Saint-
Louis, dans les cours intérieures et dans le vestibule vitré de
Louis-le-Grand, ont passé des voies romaines et, sur leurs
dalles de pierre oblongues, a retenti ce qu'entendait encore
de Hérédia,
Le lourd piétinement des légions en marche.
Une partie de Louis-le-Grand est suspendue au-dessus des
catacombes et Ton s'en aperçut à plus d'une reprise, avant la
fin du xvme siècle.
Quant au Paris de Philippe-Auguste, les lycées Saint-Louis,
Henri IV, Charlemagne nous aideraient au besoin à le faire
revivre : tous trois sont adossés à ce qui fut, flanquée de
tours demi-rondes, la muraille d'enceinte de la capitale, au
début du xme siècle. Songeons que cette muraille ne cessa pas
jusqu'à Louis XIV de marquer, pour la rive gauche, les limites
de Paris et nous comprendrons qu'Henri IV, logé dans l'abbaye
de Sainte-Geneviève, et Saint-Louis, logé au collège d'Har-
court, étaient à l'extrême périphérie parisienne, tandis que
Louis-le-Grand lui-même n'en était séparé que par quelques
toises. Ils eussent été alors sur la frontière de Paris, face à la
banlieue.
Les quatre plus vieux lycées de Paris portent encore cette
autre marque du passé : ils eurent pour premier logis d'anciens
couvents1. Louis-le-Grand et Charlemagne, chez les Jésuites;
i. De même en province. Voici quelques lycées ayant succédé à d'anciens col-
HISTOIRE DES LYCÉES PARISIENS DE GARÇONS 39
Henri IV, chez les Genovéfains; Condorcet chez les Capucins.
Quand Saint-Louis fut ressuscité ( 1 8 1 2- 1 820) , ce fut chez les Cor-
deliers qu'on eut d'abord le dessein de le mettre à Taise.
Une des conséquences de ce fait, on la devine : ces lycées,
pendant leurs premières années tout au moins, eurent la bonne
fortune de n"ètre pas faits seulement de moellons et de ciments
mais de prairies, de vergers, de beaux arbres et de jardins.
Pourtant ces lycées prospérèrent, et leur succès sonna le glas
des pauvres jardins. A Louis-le-Grand, l'Infirmerie mit en
vain les derniers arbres sous la protection des malades. Con-
dorcet, Charlemagne, Henri IV en firent le domaine réservé du
proviseur : peu avant 1848, la rue du Havre puis, en 1864, les
nouveaux bâtiments du collège achevèrent de dévorer à Con-
dorcet-Bourbon les derniers restes du verger des Capucins ; à
Charlemagne, le proviseur Poirson, qui se retira, en 1 853, était
si jaloux de son enclos réservé qu'il en refusait l'entrée aux
professeurs et au censeur1. Son successeur, Nouzeilles (1 853-
1872) dut sacrifier, sinon les dernières vignes, les dernières
fleurs de ce petit domaine. Plus heureux, le proviseur d'Henri IV
a conservé, jusqu'à nous et pour son usage, un charmant coin
de verdure2, épave suprême des magnifiques jardins de l'abbaye
de Sainte-Geneviève, qui couvraient encore, au xvme siècle, la
lèges de Jésuites : Agen. Albi. Alençon, Amiens, Angoulême, Auch, Aurillac,
Avignon, Bar-le-Duc, Rastia, Besançon, Bourg, Bourges, Cahors, Carcassonne,
Charleville, Chaumont, Clermont, Dijon, Douai, Grenoble, Lyon, Màcon, Marseille,
Montauban, Montpellier, Moulins, Nancy, Nevers, Nice, Nîmes, Orléans, Pau,
Périgueux, Poitiers, le Puy, Quimper, Reims, Rennes, Roanne, la Rochelle, Rodez,
Rouen, Saint-Omer, Sens, Toulouse, Tournon, Tours, Tulle, Valenciennes. — En
voici d'autres, logés dans des couvents n'ayant pas appartenu à des Jésuites : Aix,
Bordeaux, (jusqu'en 1877-80), Caen, Chambéry, Carcassonne (petit lycée), Chartres,
Guéret, Mont-de-Marsan, Saint-Étienne, Versailles.
1. Voir p. 144. Une famille parisienne universitaire, par Mme Charles Garnier,
Paris, Hachette, in-8°, 191 1.
2. Voir nos planches 21 et 24.
40 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
place du Panthéon et la débordaient. Mais en 191 2, le prolon-
gement de la rue de Vaugirard a été fatal aux quelques arbres
qui s'obstinaient à rappeler les jardins d'Harcourt. Les jardins
des Cordeliers avaient depuis longtemps achevé de mourir
(PI. 19, 21, 24, 25).
Dès sa naissance, et même avant, le lycée Montaigne était
appelé à grandir sur une place nette, obtenue aux dépens de
la Pépinière du Luxembourg, exécutée en 1867. Les mauvaises
langues tentèrent de se venger en raillant je ne sais quel minis-
tère delà Destruction publique et des Beaux-Arbres.
Déjà cependant les jardins avaient leur revanche: à Vanves,
c'est l'ancien jardin des princes de Condé qui fit le succès du
lycée, fondé en 1864. Plus tard, en i885, à Sceaux, ce fut l'an-
cien parc de la duchesse du Maine qui milita en faveur du lycée
Lakanal. Et le voisinage du Bois de Boulogne n'a pas été,
depuis 1 885, étranger au prestige du lycée Janson.
On voit le revirement : les arbres semblaient désormais plus
précieux que les pierres. On comptait sur eux pour réhabiliter
l'internat. L'opinion réclamait, pour les pensionnaires, des
lycées, à la campagne. Le grand air, le soleil, la lumière, l'es-
pace ont, depuis lors, les honneurs de la pédagogie.
Ce progrès est surtout à la louange de notre époque. Je sais
bien qu'il faut aux Français beaucoup de courage pour ne pas
se calomnier. Comment, néanmoins, ne pas reconnaître l'admi-
rable effort qui a suscité si généreusement depuis un demi-
siècle, depuis une trentaine d'années, surtout, des lycées comme
Michelet, Montaigne et Lakanal, comme Janson, BufFon, Car-
not et Voltaire ? Qu'on les compare pour le cadre et pour le
décor avec les lycées d'autrefois et l'on renoncera peut-être, si
possible, à dire trop de mal de notre temps.
HISTOIRE DES LYCÉES PARISIENS DE GARÇONS 41
Dans ce cadre et dans ce décor si heureusement renouvelés,
qu'a été le personnel ? — Ce personnel était groupé en trois
grandes catégories : les administrateurs, les professeurs et les
maîtres. Ces catégories ne naissaient pas les unes des autres :
les administrateurs ne choisissaient ni les professeurs ni les
maîtres ; ils ne les nommaient pas. Administrateurs, professeurs
et maîtres avaient une origine commune : ils dépendaient du
pouvoir central, c'est le chef de l'Université qui les nommait,
c'est lui qui les révoquait. Ce chef ce fut d'abord, en principe,
sous le bon plaisir de Bonaparte ou de Napoléon, le Ministre de
l'Intérieur ; c'était en réalité le Directeur général de l'Instruc-
tion publique, Fourcroy1. Fourcroy fut le vrai créateur des
lycées. Cependant, lorsque l'Université impériale fut organisée,
par décret du 17 mars 1808, et qu'elle eut à sa tête un grand
maître, entouré d'un conseil, Fourcroy fut écarté et Fontanes fut
choisi. Son traitement fut fixé à 100.000 francs. Fontanes, qui
semble avoir à demi trahi Napoléon, fut d'abord conservé par la
Restauration, mais bientôt Louis XVIII supprima Fontanes, en
supprimant le grand maître, et le grand maître en essayant de
supprimer l'Université (17 février 181 5). Après les Cent-Jours,
le grand maître ne fut pas rétabli et un Directoire de cinq per-
sonnes, la Commission de l'Instruction publique, le remplaça.
Toutes les nominations des lycées émanaient d'elle ; son prési-
dent qui, jusqu'en 1820, fut Royer-Collard, était le vrai succes-
seur du grand maître.
Quand ce président fut l'abbé Frayssinous, bientôt évêque
d'Hermopolis, la dignité de grand maître fut ressuscitée
et l'Université reprit son nom (1822) ; six ans plus tard, le
grand maître, affranchi jusque-là de toutes les responsabilités
1. Voir A. Aulard, Napoléon Ier et le monopole universitaire, Paris, A. Colin,
1911, in-8°, p. 141, 170, 203 etc.
42 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
gouvernementales, reçut un titre nouveau qu'il a depuis gardé :
le ministère de l'Instruction publique étant créé, il en fut le
ministre.
Déjà l'ancienne Commission de l'Instruction publique s'appe-
lait le Conseil royal de l'Instruction publique. Ce Conseil, plu-
tôt encore que le ministre, fit jusqu'en 1845 les nominations
de tout le personnel des lycées. Cousin, Villemain, Thénard,
Poinsot, Jouffroy, Saint-Marc Girardin, Dubois en firent partie
et c'est entre leurs mains que l'Université remit ses destinées.
Le ministre Salvandy, de 1845 jusqu'en 1848, s'efforça de rendre
au ministre l'autorité que le Conseil lui paraissait avoir usurpée :
mais cette usurpation avait été bienfaisante et le personnel des
collèges avait à s'en applaudir bien plutôt qu'à s'en plaindre.
La Révolution de 1848 fut aussi une révolution universi-
taire : la liberté de l'enseignement fit place au monopole d'Etat
créé par Napoléon Ier. La loi Falloux, en i85o, aida, pour sa part,
à la transformation de l'ancien Conseil, qui cessa d'être perma-
nent et dut se réunir seulement quatre fois l'an. Il prit le nom,
qu'il garde encore, de Conseil supérieur de l'Instruction publi-
que. Son autorité passée ne lui fut plus rendue, les bureaux en
héritèrent. Sous l'Empire, le personnel des lycées fut à leur
discrétion et à celle du ministre. En i85'2, (décret du 9 mars),
sous prétexte de « relever la hiérarchie », l'autorité centrale, sans
plus s'embarrasser dans les lenteurs de l'ancienne procédure,
ressaisit le droit de nommer et de révoquer directement tous
les professeurs. Ce fut le régime dictatorial jusqu'au jour où,
grâce à M. Duruy, quelques garanties furent rendues à ce-
personnel : un comité de cinq membres, choisi dans le sein du
Conseil, fut appelé à donner son avis et à le motiver, avant
qu'un professeur menacé de révocation pût être frappé. On
accordait désormais à l'inculpé le droit de se défendre : il avait
HISTOIRE DES LYCÉES PARISIENS DE GARÇONS 43
fallu un ministre libéral pour accorder ce droit, par grande
grâce. Méditons cette générosité : elle en dit long.
De 1871 à 1873,1e ministre fut sans Conseil et sans contrôle.
Depuis 1873, le Conseil fut reconstitué; lès inspecteurs géné-
raux, que Napoléon Ior avait créés, étaient, depuis 1808, presque
toujours pressentis pour les nominations du personnel ; ce qui
était jusque-là un fait eut tout l'air de se transformer à l'avenir
en droit : le Comité consultatif fut créé. Mais auprès du minis-
tre, qui passait, les bureaux, qui demeuraient, parurent bien
des fois investis de la toute-puissance. C'est à leur expérience
que le ministre se confiait. Aussi, comme ses collègues de l'en-
seignement supérieur et de l'enseignement primaire, le chef
de division de l'enseignement secondaire fut élevé au rang de
Directeur.
Veut-on comprendre quelle indépendance laissèrent au per-
sonnel des lycées les régimes passés ? Un petit nombre de faits
nous édifieront peut-être. Sous le premier Empire, les deux
principaux administrateurs d'un lycée n'avaient pas le droit de
déserter les bannières du célibat et leur face devait être exac-
tement rasée. Les fonctionnaires étaient passibles des arrêts.
Sous la Restauration, les professeurs demandaient à leurs supé-
rieurs l'autorisation de se marier. Dans les premières années
du second Empire, ce fut d'abord à l'obligation du serment
(28 avril 1 852) que tout le personnel fut soumis : dans les lycées
de Paris et à Louis-le-Grand par exemple, des démissions
retentissantes furent données : Emile Deschanel et E. Despois
préférèrent leur conscience à leur fortune et à leur carrière. Ce
fut ensuite la défense de voyager sans autorisation spéciale. Ce
fut aussi l'ukase interdisant le port de la barbe « attendu qu'il
importe, disait la circulaire du 20 mars 18 52, que les dernières
traces de l'anarchie disparaissent ». Tels proviseurs, à Charle-
44 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
magne, par exemple, M. Nouzeilles, signalaient leur zèle en se
faisant auxiliaires des meilleurs rasoirs. Ailleurs, on hésitait,
ici, les favoris étaient sauvés, là c'était le collier, ou la mouche,
ou Timpériale. Mais Sarcey se perdit, ayant osé demander à
son recteur de garder la barbe espérant qu'on verrait « mous-
taches au delà de la Loire, barbiche en deçà ».
Outre les règlements généraux, relatifs à tout le personnel
des lycées, il y avait, on le devine bien, des règlements parti-
culiers aux administrateurs, ou aux professeurs ou aux maîtres.
A Paris, les lycées, puis les collèges de l'État, furent dirigés
par un Proviseur, assisté d'un Censeur et d'un Procureur-gérant
ou Econome. Ce nom de Proviseur fut emprunté par Fourcroy
ou Napoléon à quelques collèges de la vieille Université : ainsi
la Sorbonne et d'Harcourt. Et on l'appelait de la sorte parce
qu'il devait être la providence du collège et pourvoir à toutes les
nécessités temporelles ou spirituelles de la maison. La centra-
lisation que Napoléon réorganisa en France avec la force que
l'on sait ne laissa pas au proviseur le choix de ses subordonnés :
censeur, économe, aumônier, professeurs et maîtres. Elle lui
ôta pareillement le droit de les révoquer. Elle ne lui laissa que
le choix des maîtres d'agrément, des maîtres d'escrime et des
médecins. Le proviseur n'eut même pas le droit de correspondre
directement avec le grand maître, la Commission d'Instruction
publique, le Conseil royal ou le ministre. Il lui fallut passer
par l'intermédiaire du recteur ou vice-recteur, et, à l'occasion,
de l'Inspection académique de Paris. Chaque année, il lui fallut
dresser, quelques semaines avant les vacances, un rapport géné-
ral sur son établissement, sa situation matérielle, intellectuelle
et morale et apprécier chaque fonctionnaire. Nous avons con-
sulté aux Archives nationales un grand nombre de ces rapports,
dont l'intérêt nous a paru très vif. C'est que l'autorité du proviseur
HISTOIRE DES LYCÉES PARISIENS DE GARÇONS 45
s'étend au lycée tout entier, à l'infirmerie, aux cuisines, aux réfec-
toires, comme aux études. Il est l'âme du Lycée.
Le choix des proviseurs de Paris a trahi, depuis un siècle
et plus, les préoccupations successives du pouvoir. Napoléon Ier
emprunta, pour diriger ses lycées, les universitaires d'ancien
régime, Champagne, Wailly, Guéroult, Binet, etc., mais il
laissa presque toujours les ecclésiastiques à la province J ; à
Paris, il se contenta presque de ci-devant abbés. La plupart des
professeurs avant 1789 étaient engagés dans les ordres ; chercher
d'anciens professeurs, c'était donc chercher d'anciens prêtres.
Laïciser complètement l'Université et les lycées était alors, en
pratique, presque irréalisable et Napoléon le savait bien. Il ne
négligeait pas du reste, et avec grande raison, ce qui pouvait
rehausser le prestige d'un proviseur de Paris : la Légion d'hon-
neur, par exemple, et l'Institut".
La Restauration, qui avait fait cependant de l'abbé Nicolle
le recteur de l'Académie de Paris et de Mgr Frayssinous le
premier ministre de l'Instruction publique, n'osa pas, à Paris,
sauf pour Saint-Louis, choisir des proviseurs franchement
ecclésiastiques. C'est peut-être à Bourbon surtout qu'elle eut,
puisqu'elle se résignait à ne pas mettre partout des prêtres, le
proviseur qu'elle rêvait, Legrand. Elle laissa Auguste de Wailly
à Henri IV, mais à Louis-le-Grand elle ne considéra jamais
1. Ainsi, à Amiens, 1810-4; Bordeaux, de 1803 à 1814, trois proviseurs, tous trois
abbés. Bourges, 1812-5 ; Caen, 1812-19; à Cahors, comme à Bordeaux ; à Grenoble
depuis 181 1 ; à Limoges, 1809-1813; à Marseille, 22 décembre 1802-19 septembre
1804 ; à Montpellier, depuis 181 1 ; à Moulins de 1810 à 1813 ; à Nancy, depuis 1813;
à Nantes, 1807-12; 1814-6; à Nîmes, 1806-9; à Orléans, 1803-15; à Pau, depuis
1809 ; à Poitiers, depuis 181 1 ; à Pontivy, depuis 1808 ; à Reims, 1808-11 ; à Rennes,
1813-5; à Rodez, depuis 1812 ; à Rouen, depuis 1810, — à Paris, de Sermand et
Taillefer (lycée impérial) étaientabbés ou l'avaient été.
2. Étaient chevaliers de la Légion d'honneur, Champagne, proviseur du lycée
Impérial; de Wailly, proviseur du lycée Napoléon.
Crouzet, proviseur de Charlemagne, était correspondant de l'Institut; Champagne
était membre de l'Institut.
46 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
comme vraiment définitive l'installation de Mallevai : elle lui
reprochait d'avoir grandi sous la Révolution ! Du moins, pour
choisir ses proviseurs, aucune fonction universitaire antérieure
ne lui paraissait trop haute : ni celle de doyen de Faculté, ni
celle d'Inspecteur général, ni celle de Recteur1.
Si les collèges parisiens, sous le Gouvernement de juillet, ont
eu un personnel d'élite, les proviseurs de ce temps semblent
pour la plupart avoir été l'élite de l'élite : Pierrot-Desseilligny,
puis Rinn, à Louis-le-Grand ; Poirson, à Saint-Louis puis à
Charlemagne ; Alfred de Wailly, à Henri IV ; Alexandre et
Bouillet, à Bourbon, sans même parler de l'admirable Defau-
conpret, directeur de Rollin. Et comment ne pas remarquer que
les plus notables, parmi ces hommes choisis, étaient recrutés
dans les chaires de nos lycées et spécialement dans les chaires
de Rhétorique : c'était le professeur qui avait commencé le
renom de l'administrateur.
L'Empire trouva la méthode excellente et la continua : il
eut, au début surtout, la main lourde et à Charlemagne il dis-
gracia Poirson. Un des proviseurs les plus notables, ce fut incon-
testablement, à Louis-le-Grand puis au Prince-Impérial, M. Jul-
lien. Et la politique ne contribua pas seulement à nouer à son
cou la cravate de commandeur ; ce beau geste n'a guère été
renouvelé depuis, sinon en faveur de M. Nouzeilles, proviseur
à Charlemagne.
La troisième République a persisté à demander ses provi-
seurs aux chaires principales des lycés parisiens : MM. Girard,
Gidel, Fallex, Grenier, Blanchet, Dhombres, Suérus, Gazeau et
Ferté ont pu, grâce à cette sélection, passer aux premières
places. La vieille tradition s'est cependant précisée sur un
i. Voir plus bas, Coll. Louis-le-Grand, p. 93 et suiv.
HISTOIRE DES LYCÉES PARISIENS DE GARÇONS 47
point ; il n'est plus d'usage de prendre un professeur à sa
chaire pour le nommer directement à Paris proviseur, ce qu'on
avait fait jadis avec Malleval, Pierrot, Rinn, Girard, etc. ; on lui
impose un stage dans le censorat parisien ou le provisorat pro-
vincial. Enfin si tous les lycées parisiens sont égaux, il semble
d'abord que ceux de la banlieue rurale soient considérés comme
l'avant-dernière étape pour atteindre les grands lycées urbains.
Et puis certains lycées d'externes, Montaigne et Condorcet
sont particulièrement recherchés : depuis un demi-siècle, tous
les proviseurs de Condorcet sont, sauf une seule exception,
venus de Louis-le-Grand.
Les censeurs1 de Paris ont toujours été grands favoris
parmi les candidats aux provisorats de la capitale. Et l'on con-
viendra que c'est justice : peu de fonctions sont plus ingrates,
plus utiles et plus dignes de récompenses.
Ce ne sont pas seulement les proviseurs de province mais
les professeurs de Paris, beaucoup plus que les surveillants
généraux, qui assurent le recrutement du censorat. Ces pro-
fesseurs eurent longtemps une hiérarchie très distincte des
« classes » actuelles ; l'agrégé, le professeur-adjoint, le titulaire.
Les grades ou les titres, l'ancienneté ou le traitement étaient
la cause ou l'effet de cette hiérarchie-là. Rien de nouveau, ni
dans les grades, puisque c'étaient le baccalauréat, la licence,
le doctorat, ni dans le titre puisque c'était surtout l'agréga-
tion ; l'ancien régime les avait créés et nous les avons encore.
La nouveauté résidait ailleurs, dans la façon dont grades et
titres furent quelque temps conférés. Aujourd'hui on ne les
obtient qu'à la suite d'examens et de concours. Dans les pre-
mières années de l'Université, le stage professionnel dispen-
i. Napoléon Ier exigea d'eux la licence et des Proviseurs le Doctorat, mais il le
donna au besoin à ceux qui ne l'avaient pas. Voir p. 48.
48 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
sait de l'examen et du concours. Et ce stage était mieux qu'une
équivalence : il conférait le diplôme de bachelier ou de doc-
teur ou d'agrégé. Sous Louis XVIII encore et point seulement
sous Napoléon Ier, nous en avons trouvé maint exemple1.
En principe, l'Empereur avait édicté que le baccalauréat
serait nécessaire pour les professeurs de sixième, de cinquième,
de quatrième et de troisième ; la licence, pour les professeurs de
seconde et de première ; le doctorat es lettres ou es sciences,
pour les professeurs de belles-lettres ou de mathématiques
transcendantes. En pratique, il fut convenu qu'on n'exigerait
ces grades qu'à partir de i8i5 et la faveur, en certains cas,
a pu prolonger ce délai plus tard.
C'est surtout l'ancienneté des services et le talent qui sem-
blaient respectables : grades et titres ne venaient qu'ensuite.
Aux environs de i83o, les examens et les concours provoquaient
moins d'enthousiasme que depuis. Dans les lycées de Paris, le
nombre des professeurs titulaires était donc beaucoup moindre
qu'aujourd'hui. Napoléon aurait même voulu en arrêter le
chiffre maximum. Il y a 40 immortels à l'Académie ; il y aurait
eu tant de professeurs par lycée. Nous verrons qu"à Rollin le
chiffre de 10 ne pouvait être dépassé.
Cette limitation nous semble chimérique puisqu'elle semble
condamner d'avance l'essor d'un lycée : si le nombre des élèves
double, nous jugeons que le nombre des professeurs doit
augmenter en proportion. Sans doute. Mais notre raisonnement
oublie que pour Napoléon, comme pour l'abbé Nicolle, la popu-
lation scolaire d'un lycée ou d'un collège devait être arrêtée
d'avance à un chiffre invariable. Passé ce chiffre, l'éducation
en commun devient trop difficile; cette idée n'a rien d'absurde,
I. Voir notre Histoire du lycée Louis-le-Grand, en préparation.
HISTOIRE DES LYCÉES PARISIENS DE GARÇONS 49
en elle-même, il s'en faut. On crut bon cependant d'y renon-
cer : une classe fut divisée en plusieurs sections. Mais la classe
ne perdit pas, pour si peu, son unité. Il y eut un seul profes-
seur titulaire, aidé d'un ou plusieurs professeurs adjoints. Et,
parmi les professeurs adjoints, il y avait le premier, le second,
le troisième adjoint. Victor Duruy, en 1848, était premier pro-
fesseur adjoint à Saint-Louis. Nos lycées parisiens avaient leurs
professeurs adjoints, comme notre enseignement supérieur a les
siens. On devine bien que les professeurs adjoints jalousaient
fort souvent le professeur titulaire. M. de Salvandy, dans les
dernières années de Louis-Philippe, commença le relèvement du
professorat adjoint. Mais la subordination de l'adjoint au titu-
laire ne cessa vraiment qu'en 1873, quand les professeurs
adjoints disparurent, sous cette première forme1. Et il put y
avoir, pour une seule classe, plusieurs titulaires. La consé-
quence, ce fut l'augmentation du nombre des professeurs dans
les lycées parisiens.
Au-dessous des professeurs adjoints, eux-mêmes subor-
donnés aux professeurs titulaires, étaient les simples agrégés.
C'étaient des suppléants. Si aucun titulaire ni aucun adjoint ne
s'absentait durant Tannée entière, les agrégés restaient, cette
année-là, sans emploi. Suppléants, ils n'avaient eu personne à
suppléer. Napoléon Ier avait décidé que les agrégés, de la sixième
à la troisième, devraient avoir le baccalauréat ; que les agrégés
de seconde auraient la licence et que les agrégés de belles-
lettres ou de mathématiques transcendantes auraient le doc-
torat. Arriver à l'agrégation c'est aujourd'hui pour un candidat
au professorat, franchir l'étape décisive ; s'évader de l'agréga-
tion ce fut jadis pour lui l'ambition suprême.
1. lis ont reparu récemment sous une seconde forme, dont nous parlerons plus
loin, p. 55-6.
5o L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
Les agrégés se recrutaient presque uniquement parmi les
élèves de l'École normale supérieure, et les agrégés depuis 1822
ne furent plus choisis qu'au concours. En i852, on annonça que
ce concours serait supprimé pendant deux ans ; que nul ne
pourrait s'y présenter avant l'âge de vingt-cinq ans ni avant
d'avoir enseigné trois ans ; enfin que les agrégations spéciales
de philosophie ou d'histoire, n'existeraient plus ; on les con-
damnait, sous le prétexte qu'elles relèvent seulement de la
dispute, de la curiosité et de l'érudition. Elles avaient conduit
trop vite, disait-on, au dédain de la haute culture littéraire1. Il
fallut attendre le ministère Duruy pour ressusciter les agréga-
tions sacrifiées.
On sait ce que sont de nos jours devenus les agrégés ; nul à
Paris et même en province n'est professeur de lycée s'il n'est
agrégé. Mais depuis le relèvement de la Sorbonne et des Uni-
versités, l'Ecole normale supérieure doit affronter des concur-
rences de plus en plus rudes. Aujourd'hui, dans les lycées de Paris,
il n'y a plus que des professeurs et des chargés de cours. Toutes
les chaires de professeurs sont égales et ce sont de beaucoup
les plus nombreuses. Au-dessous d'elles sont les chaires réservées
aux chargés de cours, licenciés et non agrégés, que leur
mérite et leurs services ont eu grand'peine à sauvegarder jus-
qu'à nous. Leur nombre va diminuant.
Les doctorats dans les lycées de Paris, ne cessent pas d'aug-
menter : mais jusqu'ici, le doctorat ne recommande un profes-
seur que s'il a été conquis à la suite d'une thèse vraiment
remarquée.
Depuis la Restauration, l'ancienneté des services avait
1. Voir. Bibliothèque générale des sciences sociales, tome XLII (Librairie Félix
Alcan) La lutte scolaire en France au XIX0 siècle. Le ministère Fortoul, par
Ch. Seignobos, p. 183 (iqi2, in-8°).
HISTOIRE DES LYCÉES PARISIENS DE GARÇONS 51
besoin, pour être comptée, d'un stage dans les lycées de Pro-
vince. La longueur de ce stage n'a cessé de varier suivant les
époques, les personnes et les besoins de l'enseignement.
Aujourd'hui, une dizaine d'années sont requises pour les mathé-
matiques, les sciences physiques, la philosophie, l'histoire, les
lettres et la grammaire. Dans les langues vivantes, de 1902 à
19 10, l'avancement a été beaucoup plus rapide. De i885 à
1895, la création de nombreux lycées parisiens avait considé-
rablement abrégé la durée du stage provincial : mais les
années grasses sont passées et l'avancement est aujourd'hui
retardé. D'autant plus que les retraites demandées à soixante
ans se font rares : et plus rares encore, les retraites accordées
à cet âge. Certains professeurs de lycée ont plus de soixante-
cinq ans et, comme leurs élèves ne s'en doutent guère, l'admi-
nistration supérieure a le tact de paraître l'ignorer, elle aussi.
Les suppléances ont bien pu parfois mettre en relief de
jeunes talents ; mais peut-être ont-elles valu aux lycées pari-
siens de 181 5 à 1870, plus de dommages que d'avantages.
C'est du moins ce que l'étude très attentive du lycée Louis-le-
Grand nous a révélé : souhaitons qu'il en ait été autrement
ailleurs. En tout cas, il semble bien que, depuis quarante ans,
les suppléances semestrielles ou annuelles et dues à d'autres
causes qu'à des raisons de santé soient, pour peu qu'on les
compare à celles de i83o à 1848, en voie de décroissance.
Le traitement des professeurs des lycées de Paris était
de 3.000 francs en 1802! il sera en 1914, pour la ire classe, de
8.000 francs et de 5.5oo pour la dernière. N'en concluons pas
trop vite que ce traitement a augmenté : d'abord parce que
3.ooo francs en 1802 valaient probablement — la précision est
imposssible en ces matières — près de 9.000 francs en 191 3
(ne venons -nous pas depuis moins de dix ans d'assister à un
52 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
renchérissement de la vie que les économistes estiment à plus de
33 p. ioo?). D'autre part, outre leur traitement fixe1, les profes-
seurs titulaires, puis les professeurs adjoints recevaient un traite-
ment à chiffre variable et assez justement nommé V éventuel. Cet
éventuel qu'ils avaient déjà en 1802, ils l'eurent jusqu'au décret
du 25 septembre 1872. Pour le former, on ajoutait, au dixième de
la pension de chaque élève payant, les deux tiers de la rétribu-
tion fournie par les externes \ En i83i, on estimait au collège
Rollin que l'éventuel des collèges royaux de Paris était de
90 francs par élève, sans compter le dividende des bénéfices
annuels3. Pour Louis-le-Grand, nous avons constaté, aux Ar-
chives nationales, le chiffre de l'éventuel : il atteignait
3.ooo francs et pouvait ainsi doubler et au delà le traitement
des professeurs. L'éventuel était calculé non pas classe par
classe, mais pour l'ensemble du lycée. On divisait le total par
le nombre des ayants droit : la part de chacun était égale. Les
professeurs de chaque lycée attendaient, chaque année, l'éven-
tuel avec émotion ; ils comptaient sur lui pour exécuter leurs
projets de vacance et de famille. Au lycée Charlemagne,
Mme Bary, femme du professeur de physique, écrivait4, le 12 no-
vembre 1 853, à son fils, professeur débutant au lycée de Saint-
Omer : « quant aux finances, ton père dit que notre éventuel
étant meilleur, cette année, nous pourrons un peu réparer les
malheurs du tien. Nous paierons ton voyage de janvier, mon
bon chéri, et nous nous donnerons ainsi nos meilleures
étrennes. »
1. Ajoutons-y encore le logement accordé à plusieurs professeurs, voir ci-des-
sous, p. 58-5g.
2. Aulard, Napoléon Ior et le monopole universitaire, p. 87, Fierville, archives
des Lycées.
3. Voir plus bas, p. 164.
a. Mmo Ch. Garnier, Une famille parisienne universitaire, cité, p. 158.
HISTOIRE DES LYCÉES PARISIENS DE GARÇONS 53
L'éventuel intéressait chaque professeur à l'accroissement
de son lycée ; et puis il avait l'air de récompenser l'effort plus
grand que donnent les classes plus nombreuses. Cette récom-
pense n'était pas toujours très équitable : chaque professeur
ayant une part égale à celle de ses collègues, le professeur dont
la classe avait 20 élèves avait un éventuel égal à celui de son
collègue dont la classe avait 100, 110, 120 élèves. Les hono-
raires n'étaient pas proportionnels au labeur. Et puis les lycées
les plus peuplés ayant un éventuel supérieur, les professeurs,
une fois nommés dans ces lycées, n'avaient d'autre ambition
que d'y gagner tout doucement leurs invalides. Enfin les spé-
cialisations de renseignement faisant croître les professeurs
spécialistes, l'éventuel devait fatalement décroître : le gâteau
restait le même, mais les copartageants augmentaient. Il y
avait là de quoi décourager les professeurs, de quoi leur faire
bouder les chaires nouvelles et leurs nouveaux titulaires; ces
misérables questions pécuniaires les rattachaient au passé
plutôt qu'au progrès et aux idées modernes.
Depuis le décret du 16 juillet 1887, le traitement des pro-
fesseurs à Paris fut uniforme, dans tous les lycées, pour chaque
classe. On passa d'une classe à l'autre au moyen de promotions
et les promotions étaient surtout accordées au choix. Depuis
1 903-1907 (décret du 28 décembre 1903, et loi du 7 avril 1907)
les promotions sont surtout accordées à l'ancienneté ; 1 5 p. 100
seulement sont laissées au choix. Beaucoup de bons esprits
estiment que, dans cette réaction, en partie légitime, on est
allé trop loin : la juste influence des proviseurs, des inspecteurs
et du recteur est aujourd'hui trop limitée. L'Université, à Paris
du moins, regrette les concessions que la politique a su lui
arracher. L'avancement automatique ne sera jamais l'avance-
ment idéal. La meilleure égalité n'est pas là.
54 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
Certains ont pareillement beaucoup de peine à admettre un
tarif uniforme pour les heures supplémentaires ; ils souhaitent
que ce tarif soit variable suivant la classe à laquelle chaque
professeur appartient. Puisque la valeur intellectuelle de son
enseignement est la même dans les heures supplémentaires et
dans les autres, pourquoi leur valeur pécuniaire serait-elle dif-
férente ?
Il y a un autre problème qui n'est pas seulement d'ordre
budgétaire : c'est celui des maîtres répétiteurs. Il est si com-
plexe et si délicat que nous pouvons à peine l'indiquer ici.
Napoléon Ier, pour qui le lycée tenait de la caserne, croyait
l'avoir résolu : il recrutait les maîtres parmi les sous-officiers
de ses régiments. La Restauration garda quelques-uns de ces
anciens guerriers, au collège Bourbon, par exemple1, sinon à
Charlemagne qui avait pu se passer de maîtres au moins jus-
qu'en 1814.
Dès Louis XVIII cependant, les bonapartistes paraissant
odieux presque à l'égal des prêtres mariés, on eut pour premier
souci ce qu'on appela « l'épuration » des maîtres. A ceux qui
résistèrent à cette mesure, on montra comme avenir le profes-
sorat des classes élémentaires, ou la licence ou l'agrégation :
beaucoup réussirent, ainsi à Louis-le-Grand, Malleval, futur
proviseur, Emond futur censeur, Marcou, Didier (Jules-Fré-
déric-Edmond) futurs professeurs de ce collège.
De i83o à 1848, depuis 1845 surtout, les maîtres répétiteurs
furent le désespoir de plus d'un proviseur : presque tous avaient
l'esprit frondeur, beaucoup l'esprit républicain, quelques-uns
l'esprit révolutionnaire : Armand Marrast, avant de faire les
journées de 1848, les avait préparées à Louis-le-Grand. Plus
1. Voir ci-dessous, p. [41.
HISTOIRE DES LYCÉES PARISIENS DE GARÇONS 55
d'un étaient licenciés et avaient conscience de leur valeur.
En 1848-49, ils eurent un club et un journal, qui donna au pro-
viseur Rinn bien des nuits d'insomnie. Le répétitorat risquait
de devenir une pépinière de déclassés ou d'émeutiers. Mais
était-ce toujours la faute des seuls répétiteurs ?
Sous l'empire, l'évêque de Montauban proposa, le 23 mars
1 858, au ministre Rouland la solution suivante, dont nous nous
reprocherions de souligner la candeur : « On devrait s'adresser
à quelques congrégations religieuses, pour en obtenir des sur-
veillants et en faire l'essai, d'abord dans un lycée ou deux.
Après expérience, on verrait s'il y a lieu de l'étendre à d'autres.
Je ne doute pas qu'avec de bons proviseurs et de bons censeurs,
ce moyen ne produisît d'excellents effets. » — Aucun prélat ne
songea sans doute à proposer rien d'analogue à Victor Duruy.
A la fin de l'Empire, on revenait à ce plan : faciliter, par tous
les moyens, aux surveillants, les occasions de s'instruire ; insti-
tuer, pour eux, des conférences de licence et d'agrégation, bien
moins encore à la Sorbonne (où il n'y avait guère alors que
des cours oratoires) que dans les lycées : les conférences de
Louis-le-Grand étaient particulièrement goûtées.
Il appartenait à la troisième République d'aborder, bien en
face et sous toutes ses faces, la difficulté : elle releva la situa-
tion matérielle, intellectuelle et sociale des maîtres répétiteurs.
Leur traitement à Paris passa, en 1892, de 2.000 à 2. 3oo francs
pour la dernière classe ; il augmenta progressivement depuis
lors, passant de 2.800 francs à 4.900 pour la première classe.
Ce chiffre sera pour les licenciés, atteint le icr janvier 191 5. Le
nombre des licenciés s'accrut chez eux ; quelques-uns conqui-
rent même une double licence et un doctorat. Tout récem-
ment, dans chaque lycée, plusieurs d'entre eux furent officielle-
ment chargés d'une classe et reçurent le titre de professeurs
56 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
adjoints. Il en résulta que la considération dont ils jouissaient
fut accrue. Le nombre de ceux qui logeaient toute l'année au
lycée diminua et même le nombre de ceux qui mangeaient au
réfectoire : dans la mesure du possible, leur externat fut réa-
lisé. Rollin avait donné l'exemple, les autres lycées de Paris le
suivirent. Presque partout (et notre expérience personnelle l'a
constaté à Buffon et à Louis-le-Grand) , les relations entre pro-
fesseurs et maîtres sont non seulement courtoises mais con-
fiantes et cordiales. Elles sont faites d'estime réciproque et de
services mutuels.
Faut-il ajouter que les institutions sont un peu ou beaucoup
ce que les hommes les font? C'est au tact, à la tenue morale, à
l'éducation de chacun d'achever ce que les décrets et les règle-
ments ont commencé. L'harmonie qui règne, dans un lycée
parisien, entre tous les groupes de son personnel, donne à la
maison comme un air de bonne grâce souriante et distinguée
et c'est la plus séduisante de ses parures.
Les progrès réalisés dans l'histoire du personnel ont-ils pu
se faire sans l'amélioration de la vie matérielle intellectuelle et
morale des lycées parisiens ? Nous ne le croyons pas et il nous
reste à montrer pourquoi.
Et, tout d'abord, nos lycées sont plus aérés que jamais :
moins d'internes et mieux soignés que jadis, beaucoup plus
d'externes, le goût croissant de l'hygiène, des sports, des sorties
et des vacances, aussi généreuses que possible.
Ne disons pas que nous venons, dans le dernier siècle, de
découvrir l'externat et que les vieux collèges l'ignoraient : ce
serait oublier qu'au moment où le collège de Clermont s'ap-
pela Louis-le-Grand, en 1682, il avait plus de 2.000 externes
sur 3.ooo élèves. Ne disons pas davantage que les écoles cen-
HISTOIRE DES LYCÉES PARISIENS DE GARÇONS 57
traies de la Révolution n'admettaient pas l'internat : il y en
avait dans les écoles centrales de Fontainebleau, d'Evreux, de
Châteauroux, de Périgueux, de Bordeaux ou auprès d'elles. La
vérité est que ces internats furent alors l'exception et qu'aux
trois écoles centrales de Paris il n'y eut pas d'internes. Le seul
internat d'État fut d'abord celui de l'ancien collège Louis-le-
Grand appelé Prytanée français sous le Directoire1.
Ce Prytanée et son internat servirent de modèle aux lycées.
L'opinion réclamait alors l'internat, que tant de parents
jugeaient commode, et l'internat fut établi. Deux lycées sur
quatre : Charlemagne et Condorcet n'eurent que des externes,
mais l'arrêté consulaire du 23 fructidor an XI stipulait que
l'exclusion des internes était provisoire. Ce provisoire est
aujourd'hui séculaire. C'est par économie qu'on l'avait adopté,
non par principe. A Saint-Louis, inauguré en 1820, l'internat
fut installé dès 1823. Quand on créa Buffon, en 1889, et Vol-
taire, en 1890, on en fit, de parti pris, deux lycées d'externes.
L'internat fut prospère, une soixantaine d'années. Les
i3 lycées de Paris ont depuis quelques années, sur plus de
1 3.ooo élèves, 4.000 pensionnaires environ. L'illusion qu'on
pourrait relever l'internat en lui construisant, soit à Paris, soit
à la campagne des lycées de grand air, lumineux, ensoleillés et
gais, subsistait encore en i885 : l'année précédente, on avait
inauguré Janson et, cette année-là, on achevait Lakanal, on
reconstruisait Louis-le-Grand et on bâtissait Montaigne, sur-
tout en vue de l'internat. On faisait trop de dortoirs, trop d'études
et pas assez de classes.
Un autre fait avait encouragé l'erreur ; les anciennes pen-
sions qui, depuis Napoléon I81', avaient conduit leurs élèves aux
1. Aulard, Napoléon Ier et le monopole universitaire, cité, p. 33.
58 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
lycées Charlemagne, Louis-le-Grand, Condorcet, Saint-Louis,
continuaient presque toutes leur décadence et achevaient de
mourir1. Leur apogée avait à peine survécu à la monarchie de
juillet et la loi Falloux (i85o) leur avait été fatale. Depuis lors,
les écoles ecclésiastiques se multiplièrent. Aujourd'hui, quelques
institutions mènent bien encore leurs élèves aux lycées ; mais ce
sontpresque toutes des institutions religieuses : Bossuet à Louis-
le-Grand ; Gerson et Lacordaire à Janson; Massillon à Char-
lemagne, Saint-Louis et Henri IV ; Fénelon, R. Saint-Léon,
Lhomond, S. Joseph des Tuileries, à Condorcet.
Au reste, on verrait mal les choses en ne considérant que
Tinternat des élèves. Pendant qu'il diminuait, l'internat des
maîtres répétiteurs disparaissait presque et celui des profes-
seurs disparaissait totalement. Nous venons de voir 2 que les
maîtres répétiteurs avaient su conquérir leur « externement »
et que l'Université avait peu à peu imité ce que le collège Rollin
avait essayé. Aujourd'hui ne logent plus dans les lycées pari-
siens que les surveillants généraux, les commis d'économat et
les maîtres d'internat.
Quant aux professeurs, leur exode hors de leur domicile au
lycée est resté plus inaperçu. Loger les professeurs au collège était
tout naturel avant la Révolution, c'est-à-dire à une époque où
ils n'étaient pas seulement, presque toujours célibataires, mais
ecclésiastiques. Ils y trouvaient le gîte et le couvert. Quand les
lycées furent fondés, les appartements qui suffisaient jadis à
un professeur étaient trop étroits pour son ménage. Il en
résulta pour Louis-le-Grand une série de difficultés et de con-
flits, dont nous parlerons ailleurs plus en détail. Dès la Restau-
i. Voir ci-dessous, ce que nous en disons, notamment p. 126 et 130, au sujet de
Charlemagne.
2. Voir plus haut, p. 56.
HISTOIRE DES LYCÉES PARISIENS DE GARÇONS 59
ration, les professeurs logés au collège étaient devenus l'excep-
tion. Il y en avait encore cependant à Louis-le-Grand, sous Louis-
Philippe et il y en eut à Charlemagne jusqu'à la fin du second
Empire. C'est M. Nouzeilles, qui, proviseur jusqu'en 1872,
acheva d'externer le corps professoral. Il le fit peu à peu, pro-
cédant par extinction : c'est-à-dire qu'il attendit la mort d'un
professeur, pour reprendre l'appartement qu'il occupait1. Avant
lui, le logement occupé par un professeur avait pu être à son
décès laissé à sa famille : ainsi, les «vieilles demoiselles Targe,
filles d'un professeur que personne n'avait connu, habitaient
par tolérance en 1 853 a un petit logement à Charlemagne, sur
la cour des classes... »
Quand le dernier professeur logé dans les lycées parisiens
quitta son domicile universaire, quelque chose fut changé dans
la vieille Université. L'individualisme remportait une dernière
victoire sur l'esprit cénobitique des collèges d'antan.
Il fallait donc placer ce fait isolé dans son ensemble : l'ex-
ternement des professeurs devait être rapproché de l'externe-
ment des surveillants et de l'externement des élèves. Le lycée
était décidément, de moins en moins, la maison claustrale de
jadis, où tous mangeaient à la même table, dormaient sous
le même toit comme ils travaillaient ensemble, aux mêmes
études. La vie commune d'autrefois avait fait place à la vie
moderne.
Gardons-nous de croire à la stérilité de tous les efforts tentés
pour le salut de l'internat. Jusqu'ici, sans doute, le but n'a pas
été atteint ; mais les moyens mis en oeuvre ont conduit à ce
résultat considérable : les lycées parisiens ne ressemblent plus
1. Sur ce point, voir Mme Garnier, Une famille universitaire parisienne, p. 144,
note 2, et p. 365.
2. Ibid., p. 144, note 1.
6o L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
à des geôles; les écoliers n'y ressemblent plus à des forçats.
M. Lanson1 disait en 1902 la différence de nos lycées mo-
dernes à ceux d'autrefois. Dès l'entrée « du vestibule, des pal-
miers et les plantes d'un jardin d'hiver... Ce jardin, il y a
quarante ans, eût paru un scandale et la largeur du vestibule,
un danger pour le bon ordre ». Alors on leur préférait « une
entrée étroite, une loge de concierge barrant les issues, avec
un guichet, d'où se braquait une surveillance farouche... On
avait bâti les vieux lycées, comme si Tunique souci des enfants
appelés à y vivre devait être de s'enfuir ». Et M. Lanson expri-
mait un regret : on aurait dû conserver, dans un coin du lycée,
« un vieux bâtiment où l'on aurait scrupuleusement rétabli les
installations d'il y a cinquante et quatre-vingts ans : dortoirs,
réfectoires, cuisines, classes et matériels scolaires. Ce serait
un monument du passé qui nous dirait comment nos pères et
nos grands-pères étaient élevés. »
On aurait pu, dans ce Musée scolaire, placer et les assiettes
d'étain que, vers 1802, les écoliers perçaient pour en répandre
les sauces, et les classes sans table, et les quinquets servant à
Féclairage, et les lits de bois, infectés de parasites, et les poêles
de fonte, destinés au chauffage, et les blocs de glace servant
l'hiver à la toilette du matin, et les uniformes interchangeables,
qui apprenaient à chaque petit citoyen la fraternité : bicorne,
gros souliers, bas bleus, habit vert et culotte bleue, collet et
parements bleu céleste sous Napoléon ; chapeau monté à la
française et habit à queue de morue, sous la Restauration ; képi
et tunique militaire depuis 1848, et depuis 1890, casquette et
tunique rappelant vaguement l'uniforme de nos officiers de
marine (PI. 17). Et nous ne parlons pas des fusils à pierre et des
1. Distribution des Prix du lycée Montaigne.
HISTOIRE DES LYCÉES PARISIENS DE GARÇONS 61
canons, confiés aux écoliers en 1814 et 181 5, ni des armes de
i83o, de 1848 et de 1875, dont le maniement les enchantait
encore il y a moins de trente ans.
Quand fut posée le 16 octobre 1881, la première pierre du
lycée Janson, le ministre de l'Instruction publique, qui était
alors Jules Ferry, expliqua ce qu'il entendait par « le lycée des
temps nouveaux ». Il déclara que l'Université voulait, pour les
lycéens, des maisons d'études où ils ne seraient plus comme des
prisonniers, mais qu'ils pourraient aimer comme le prolonge-
ment de la maison paternelle.
Nul doute : si les générations antérieures avaient connu
l'internat dans des lycées semblables aux lycées parisiens de
nos jours, nous n'assisterions pas, depuis quarante ans et plus,
à la campagne dirigée contre lui, par tous ceux qui en ont souf-
fert et qui, dans leurs souvenirs d'enfants, en gardent encore
la blessure.
Une autre transformation a rendu, depuis tantôt un quart de
siècle, nos lycées parisiens méconnaissables : les sports s'y sont
acclimatés. Il n'y a pas encore cent ans, Louis-le-Grand avait le
premier de nos collèges, donné dans ses vieux murs, son premier
asile universitaire à la gymnastique. La gymnastique, depuis
une trentaine d'années, est devenue obligatoire dans les lycées :
mais une demi-heure chaque semaine, c'est toute la part qui lui
est faite et cette part est insuffisante. Et encore, sous prétexte
de surmenage, les parents font-ils trop volontiers dispenser leurs
enfants de cette séance hebdomadaire qui est leur meilleure
assurance contre le surmenage lui-même. Ils oublient que
la culture physique est aussi indispensable à un enfant que
la culture intellectuelle. Il s'agit de lui donner « sa place dans
la vie du lycée, comme à la version latine ou aux mathéma-
tiques ».
62 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
On trouvera plus bas ce que chacun des lycées parisiens a
fait pour développer la vie sportive ; chez tous, le tennis est à
la mode, et le football ou le yachting ont leurs champions. Laka-
nal, Michelet, Louis-le-Grand, Saint-Louis, Janson, d'autres
encore se distinguent : pendant que le concours général était
supprimé, les luttes sportives interscolaires faisaient mine de
le remplacer ' . A Janson, les athlètes vainqueurs ont leurs portraits
placés dans le parloir, à côté des prix d'honneur de mathéma-
tiques spéciales ou de philosophie et des « majors » des grandes
Ecoles.
Il reste encore quelques préjugés à combattre, mais les lycées
parisiens sont en bonne voie. Ils auront bien mérité du pays
quand ils auront achevé cette démonstration : un sportif peut
avoir autant d'intelligence que de muscle; la renaissance du
muscle conduit à la renaissance des sports. Et ces deux renais-
sances feront mieux que nous préparer des athlètes : elles con-
tribueront puissamment, chez nous, à l'amélioration de la race
tout entière.
Le développement du muscle ne va pas sans quelques loi-
sirs : et ces loisirs, les sorties, les congés et les vacances les
donnent. On se demande souvent si leur somme ne l'emporte
pas sur celle de la vieille Université . La question valait d'être
examinée avec quelque détail et nous l'avons récemment
traitée dans la Revue hebdomadaire2. Avant 1789, les écoliers
qui chômaient un très grand nombre de fêtes semblent avoir
eu, au total, autant de loisirs que leurs successeurs d'aujour-
d'hui. Mais, de 1802 à la fin du second Empire, ces loisirs ont
été beaucoup plus mesurés : ce fut une période héroïque.
1. M. Guist'hau, ministre de l'Instruction publique a. le 20 juillet 191 2, très
joliment développé cette idée à la distribution des prix de Louis-le-Grand.
2. Du 6 juillet 1912.
HISTOIRE DES LYCÉES PARISIENS DE GARÇONS 63
Depuis une quarantaine d'années, la mode des vacances s'est
généralisée; les hygiénistes, le touring-club, les compagnies
de transport, la mode et peut-être aussi le relâchement des
caractères y ont contribué, pour leur part. Les écoliers en ont
profité. Et comme, depuis sept ans, les lycées parisiens étaient
vides depuis le 14 juillet, le ministre s'est décidé à consacrer
ce que l'opinion publique réclamait. Les grandes vacances,
depuis 19 13, s'étendent sur deux mois et demi, depuis la fête
nationale jusqu'au Ier octobre.
Jusqu'à la fin du xvme siècle, les vacances commençaient à
la fin d'août ou au début de septembre, pour s'achever dans la
seconde moitié d'octobre ou même en novembre. On préférait
les vacances d'automne aux vacances d'été. De nos jours, nous
préférons les vacances d'été aux vacances d'automne. La sortie,
depuis 1802, a eu lieu après le i5 août jusqu'en 1843. Après
quoi, elles ont, (de 1844 à 1875), entamé la première quinzaine
d'août puis, (de 1876 à 1894), la première semaine. Depuis 1888,
elles avaient attaqué la dernière quinzaine de juillet. Elles vien-
nent d'en avoir raison. Mais leurs appétits sont satisfaits et la
sagesse leur conseille de s'en tenir là. Il y va de l'intérêt des
études.
Dans la vie intellectuelle de l'Université, les lycées parisiens
ont toujours été placés, depuis l'origine, à un poste d'avant-
garde.
C'est le principal de l'ancien collège Louis-le-Grand, alors
appelé Prytanée, que Bonaparte consulta pour l'élaboration du
plan des lycées et de leur premier règlement. Il fut décidé que
les élèves ne seraient plus autorisés à choisir, comme dans une
Faculté, les cours à leur convenance : ils avaient cette liberté
dans les Ecoles centrales, ils ne l'eurent plus dans les lycées.
64 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
L'enseignement y fut progressif; les classes y furent gra-
duées.
Aucune condition d'âge minimum ne fut imposée pour l'ad-
mission dans chaque classe : au début du xixc siècle, alors que
les élèves étaient, dans leur ensemble, beaucoup moins jeunes
qu'aujourd'hui, le dommage était mince et les mœurs corri-
gèrent ce que les règlements ne disaient point. Depuis une qua-
rantaine d'années, il n'en est plus de même. L'orgueilleuse
ambition des mères, leur rêve de préparer leur progéniture
aux grandes écoles, l'ambiance parisienne et ses excitations
cérébrales, voilà autant de causes déplorables qui poussent à
demander au cerveau de l'enfant plus qu'il ne peut donner. Les
classes de sixième sont peuplées d'élèves de neuf à dix ans qui
arrivent en philosophie à quinze ou seize ans ; cela nous donne
des bacheliers de dix-sept ans à peine. Les professeurs de phi-
losophie, à Paris, sont unanimes à constater la médiocrité de
leurs élèves. Est-ce incapacité intellectuelle ? Nous ne le croyons
pas. Est-ce défaut de maturité ? oui. Les mêmes élèves étaient
brillants jusqu'en troisième ; ils ont commencé à décliner en
seconde, ils arrivent fourbus en philosophie. Tant que la
mémoire avait, dans leurs études, le rôle éminent, c'était par-
fait; sitôt que la réflexion, la raison et le goût revendiquent ce
rôle, rien ne va plus. Il y a là un péril national, que notre devoir
est de signaler.
Les remèdes ? — Relever d'un an, au moins, la limite d'âge
à l'entrée des grandes écoles. N'accorder de dispenses au bac-
calauréat qu'avec une parcimonie sévère et un judicieux discer-
nement: les dispenses devraient être de trois mois, au plus, et
réservées à ceux qui, en dépit de leur âge, sont vraiment dis-
tingués, c'est-à-dire aux seules natures exceptionnelles. Enfin
et surtout, instituer, à l'entrée de chaque classe, des examens de
HISTOIRE DES LYCÉES PARISIENS DE GARÇONS 65
passage vraiment sérieux. Tous les professeurs s'accordent à
les demander et les proviseurs ne demandent qu'à soutenir le
vœu du corps enseignant. Le jour où l'administration des lycées
sera, sur ce point essentiel, défendue efficacement contre les
intrigues extérieures, les études auront parcouru l'étape déci-
sive.
Sans loi nouvelle et sans dépense budgétaire, un immense
progrès sera réalisé, précurseur d'une renaissance générale pro-
chaine.
Les lycées seront ainsi rendus à leur véritable tâche qui est
d'éveiller peu à peu l'esprit et de l'ouvrir aux idées générales
par une culture appropriée, entre sept et vingt ans, aux besoins
et aux ressources de chaque âge. Le professeur se doit à tous.
Il faut que son enseignement ne soit pas réservé à une élite ni
à une petite classe dans la classe ; qu'il y ait une tête de classe,
rien de mieux, à condition que cette tête commande à tout le
reste et l'entraîne. Il ne s'agit pas de supprimer les derniers;
plusieurs d'entre eux protesteraient... Il s'agit que les derniers
soient autre chose que des cancres et que leurs notes vaillent
mieux que leurs places. Voilà une vingtaine d'années que les
circulaires ministérielles insistent sur cette nécessité; elles ont
raison, mille fois raison. Mais, pour supprimer ce poids mort,
qui alourdit une classe et la suit physiquement, tout au plus,
surveiller l'âge des écoliers et leurs examens de passage ne
suffit pas. Il faut autre chose.
Il faut des classes où le nombre des écoliers soit raisonnable.
Sous la Restauration, sous Louis-Philippe, sous Napoléon III,
plus tard encore, les lycées de Paris avaient, notamment en rhé-
torique et en mathématiques spéciales, des classes de 80, 100,
120 élèves. Il était nécessaire que le professeur eût beaucoup
d'autorité, de talent et de zèle. Et toutes ces qualités se rencon-
5
66 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
traient parfois, en effet, chez le même homme. Mais leur réunion
était, malgré tout, assez rare. Et nous pourrions citer tel profes-
seur dont le renom fut très grand, en 1845, et qui ne pouvait
s'accorder moins de trois mois pour corriger les compositions de
ses élèves. Nousavons trouvé aux Archives, la preuve que, sur des
classes de 120 élèves, moins de 10 écoliers remettaient leurs com-
positions. Les inspecteurs généraux de i83oà 1870 ne cessaient
guère de déplorer, dans les classes trop nombreuses, les queues
de classes interminables. Autre inconvénient majeur des classes
trop nombreuses : impossibilité pour le professeur de connaître
tous ses élèves.
Il a donc été très sage de décider qu'en théorie une classe ne
devrait pas désormais dépasser 35 élèves : nous voudrions pou-
voir dire que les nécessités pécuniaires ont toujours permis à la
pratique d'être respectueuse du principe.
Pour ces classes, nombreuses ou non, l'Université avait son
idéal que formulait une circulaire, dès le 5 novembre 1810 : « Le
but de l'Université est l'uniformité de l'enseignement ». Et cer-
tains, poussant plus tard cette uniformité à ses limites extrêmes,
applaudissaient au geste légendaire prêté au ministre de l'Ins-
truction publique ; M. Fortoul tirant sa montre, se serait cru,
certain jour, fondé à dire : « En ce moment, dans tous les
lycées, on corrige un thème latin ». Mais, au-dessous de cette
uniformité extérieure et toute puérile, il y en a une autre que
les programmes ont consacrée. Ces programmes, Napoléon les
a fait élaborer dans leur ensemble, la Restauration les a retou-
chés dès 181 5 et, depuis lors, chaque gouvernement leur a donné
la marque de son esprit. Nous avons retrouvé la première
ébauche de quelques-uns : c'est aux professeurs de Paris qu'elle
fut demandée. Les gouvernements absolus eux-mêmes, en 1820,
par exemple, et dans les années suivantes, ont toujours estimé
HISTOIRE DES LYCÉES PARISIENS DE GARÇONS 67
de leur intérêt de faire appel à la compétence des professeurs
titulaires ou des agrégés.
Il est trop clair que, dans les lycées de Paris surtout, plus
riches d'expérience, les programmes sont moins nécessaires
que dans certains lycées ou collèges de province. La lettre de
ces programmes importe beaucoup moins que leur esprit. Ils
peuvent être des auxiliaires utiles et des conseillers; ils n'ont
jamais gêné les initiatives ni les personnalités. Déclamer contre
le détail des programmes nous a donc toujours paru chose
assez vaine. L'instrument est peu de chose, la manière de s'en
servir est beaucoup.
Bien loin de voir la condamnation des programmes dans
leur perpétuelle transformation, nous y voyons la meilleure
preuve que renseignement secondaire est poussé par le tourment
du mieux. Peu d'époques ont vu plus de changements et de plus
grands que nous en avons vu depuis 1789 et même depuis 1802 ;
il en est résulté des façons nouvelles de regarder la vie et de la
comprendre. Et Ton voudrait que le lycée, qui doit dresser
l'enfanta cette vie, lui en donner l'apprentissage et l'armer pour
elle, s'obstinât à lui tourner le dos ! Puisque la vie évolue, il faut
donc qu'évoluent aussi les lycées et leur enseignement. Le tout
est de calquer l'évolution de cet enseignement sur l'évolution
de notre temps, de distinguer ce qui est caduc et ce qui est
durable, d'harmoniser l'esprit de tradition avec l'esprit de pro-
grès.
La grande nouveauté de l'enseignement, depuis 1802, c'est la
part très large faite aux sciences d'abord, aux diverses spécia-
lités ensuite.
Par réaction contre l'Ancien Régime, les écoles centrales de
la Révolution avaient donné la préférence aux mathématiques
sur les humanités. Quand furent organisés les lycées parisiens,
68 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
l'ooinion réclamait déjà en faveur des études classiques d'autre-
fois et Bonaparte tint compte de ce retour de l'esprit public.
La Restauration laissa naturellement le pas aux lettres sur les
sciences, et, avant d'obtenir au concours général un prix d'hon-
neur, les sciences durent attendre jusqu'au 5 juin 1 835, pendant
le ministère Guizot. C'est seulement en 1 866 qu'une autre déci-
sion ministérielle a fait du lycée Saint-Louis ce qu'il est resté
depuis : une maison plus spécialement consacrée aux sciences.
Jusque-là, Louis-le-Grand lui avait disputé victorieusement la
prééminence par 12 prix d'honneur, contre 8 à Saint-Louis.
Leur concurrent le plus favorisé, Charlemagne, n'avait rem-
porté que quatre fois la palme. Depuis soixante ans. c'est la
vieille rivalité des sciences et des lettres qui a suscité les princi-
pales réformes de l'enseignement : c'est elle qui a suggéré à
M. Fortoul, en i852, l'idée de sa bifurcation et cette idée, dit
M. Ch. Seignobos1, ressemble à celle qui a inspiré le système
des cycles, en 1902. Le décret du 10 avril i852 se réclamait de
Napoléon Ie'. Après les études primaires, il ouvrait aux jeunes
gens « deux voies distinctes, l'une dirigée vers les lettres, l'autre
vers les sciences... Les enfants... entre quatorze et quinze ans,
aidés des lumières de leurs parents et de leurs maîtres, devront,
disait le décret, faire leur choix ». Mais, la dernière année, les
élèves des deux sections seront réunis dans une même classe
appelée Logique « pour vérifier ensemble les procédés qu'ils
ont suivis séparément ».
Quand M. Victor Duruy devint ministre, en 1 863, la bifur-
cation était déjà condamnée dans l'opinion ; il la supprima. îl
lui reprochait d'arrêter, pour beaucoup, les études classiques à
la quatrième, et de couper en deux l'esprit des élèves par la
1. La latte scolaire en France, cit., 1912, p. 184.
HISTOIRE DES LYCÉES PARISIENS DE GARÇONS 69
séparation complète de la littérature et des sciences. Il avait pu
voir essayer au lycée Charlemagne un enseignement nouveau,
dont on lui attribue à tort l'idée première. On a trop oublié qu'en
août i863, à la distribution des prix de Charlemagne, M.Dumas
avait pu dire * : « C'est ici même... que la pensée d'un ensei-
gnement secondaire spécial à l'agriculture, au commerce, à
rindustrie et aux arts, prit un corps durable... Il a prospéré
parmi vous et s'est propagé dans presque tous nos lycées. Au
moment où la sanction légale lui est enfin promise, j'aime à le
proclamer ».
M. Duruy n'a donc imaginé ni le mot ni la chose. Un lycée
parisien avait, depuis vingt ans, ouvert la voie où s'engagea le
ministre. M. Duruy ne fut même pas le premier à généraliser
ce qu'on avait fondé à Charlemagne. Il reste qu'il le systéma-
tisa, le défendit avec éclat, et l'étendit à toute la France ; enfin,
en dépit du Parlement qui refusa les crédits, en dépit des
ministres du Commerce, des Travaux Publics, qui accusaient ce
projet d'empiéter sur leur propre département, il sut lui donner
la victoire.
M. Duruy sut, mieux que personne, adapter l'enseignement
aux besoins de notre époque, ce Entre l'enseignement primaire,
disait-il, — qui donne à cinq millions d'enfants les premiers
éléments de l'écriture, de la lecture et du calcul — et l'ensei-
gnement classique, — qui, ne s'adressant qu'à un petit nombre
est nécessairement aristocratique, — il se trouvait un abîme.
Sur ce fossé infranchissable, l'enseignement secondaire spécial
jetait un pont. »
« Je ne prétends pas, continuait-il, mettre l'atelier dans
l'école, ni supprimer l'apprentissage » ; je veux seulement
1. Les Jésuites de la rue Saint-Antoine et le lycée Charlemagne, parE.deMe-
norval, 1872, p. 226.
7o L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
« aux futurs officiers de l'industrie et du commerce faire
apprendre les principales applications de la science, en même
temps que l'histoire de leur pays et les langues étrangères ».
« L'ignorance de ces idiomes oblige nos industriels et nos négo-
ciants à prendre pour commis des Suisses et des Allemands ».
N'était-ce pas mettre en des mains étrangères les secrets de notre
richesse nationale ?
Et M. Duruy concluait1 : Il faut « deux ordres d'études dif-
férents, pour deux catégories distinctes d'élèves : aux uns, les
humanités et un commerce prolongé, durant sept ou huit ans,
avec les plus belles intelligences de la Grèce, de Rome et de
la France, aux autres, pressés d'entrer dans la vie active », une
scolarité plus courte et un enseignement dont leur profession
profitera. Car M. Duruy s'expliquait : à Chartres, centre agri-
cole, on enseignerait plus spécialement aux élèves les applica-
tions de la chimie et de la physique ; à Saint-Etienne, la métal-
lurgie et l'exploitation des mines ; à Lyon, les soieries. Il
s'appelait donc spécial parce qu'il devait varier suivant le
caractère de la région où chaque lycée était situé.
Si le lycée Charlemagne n'avait pas été placé dans un quartier
d'industrie et de commerce, l'enseignement spécial n'y aurait
pas pris naissance. Pour un quartier dans Paris, on avait com-
mencé à faire ce que le ministre voulait achever pour toutes les
régions françaises.
L'idée de cet enseignement spécial correspondait si bien aux
exigences de la vie actuelle qu'il s'est précisément appelé, en
1895, enseignement moderne. On le retrouve depuis 1902 dans
nos sections B du premier cycle, qui n'apprennent aucune
langue morte, et dans nos sections D ou Sciences-langues du
1. Voir La lutte scolaire., citée, p. 210-212, le ministère Victor Duruy, par
A. Lebey.
HISTOIRE DES LYCÉES PARISIENS DE GARÇONS 71
second cycle. Sous différents vêtements, c'est toujours lui qu'on
découvre; on a beau changer son état civil, sa personnalité
demeure.
Tous nos lycées parisiens, sauf Louis-le-Grand, ont dû faire
accueil à l'enseignement préconisé par M. Duruy : mais Char-
lemagne, Saint-Louis, Voltaire et Rollin plus que les autres.
Henri IV lui-même s'est laissé partiellement gagner.
Louis-le-Grand, lui, est resté la métropole des études litté-
raires : dans le premier cycle, il n'a pas de section B ; dans le
second cycle, pas de section D. Le latin est toujours là, dans
son domicile d'élection, dans son home.
Mais le grec n'y est pas sacrifié : et, sur ce point encore,
les traditions de la maison se rencontrent avec les idées chères
à M. Duruy : encourager les humanités. Sous le Directoire, en
l'an VII, le grec eut au Prytanée (le ci-devant Louis-le-Grand)
les honneurs de l'enseignement. Il les partageait dès lors avec
l'École centrale du Panthéon, berceau de notre lycée Henri IV.
Et, de nos jours, Henri IV et Louis-le-Grand sont les deux
principales pépinières de notre Ecole normale supérieure. C'est
en 1894 que Louis-le-Grand inaugurait à Paris les Rhétoriques
supérieures. Henri IV suivit bientôt cet exemple, puis Michelet
et depuis octobre 1903, Lakanal1, Condorcet et Janson eurent
leur tour.
M. Duruy avait-il prévu ce danger de pousser trop loin les
études « modernes » : décapiter les études classiques ? Il se
peut, car il a écrit : « A tout prix, il faut sauver renseignement
classique qui, entre les divers moyens d'étude, est celui qui peut
le mieux préparer cette aristocratie de l'intelligence, dont nos
démocraties modernes ont plus besoin que toute autre société ».
1. Rhétoriques supérieures et vêtêrance, par Henri Bernés, p. 9-13 des Actaet
Gesta du lycée Lakanal, 1902-1903.
72 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
Tout récemment, un ancien président du conseil, M. Ribot,
et, avec lui, les grands maîtres de l'Université, M. Steeg et
M. Guist'hau, n'ont pas dit autre chose. Le jour où la culture
latine se perdrait chez nous, la première de toutes les nations
latines serait menacée dans son prestige, et son rôle dans le
monde cesserait d'être digne de son histoire.
Rassurons-nous : depuis 1802, nos grands lycées parisiens
qui ont été plus que tous les autres, les meilleurs ouvriers de
cette culture, sentent tout le prix de notre patrimoine natio-
nal. Mais, ils le savent aussi, ce patrimoine a été magnifique,
surtout aux époques où notre génie propre a su exprimer avec
une éloquente clarté ce que le reste de l'humanité n'éprouvait
que confusément. Chaque jour étend davantage le champ de la
connaissance, parce que, chaque jour, les spécialistes préparent
les découvertes ou les accomplissent. Les lycées parisiens pou-
vaient-ils longtemps laisser à un même professeur le soin d'en-
seigner tout ce que les élèves de sa classe ont le droit d'apprendre ?
L'histoire, la géographie, les sciences physiques et naturelles,
les langues vivantes.
L'histoire, avant 1818, était considérée comme un hors-
d'œuvre. Chaque professeur était invité à lui accorder, l'été,
une demi-heure après la classe du soir. Depuis 181 8, elle obtint
un professeur particulier, qui eut deux heures par semaine, de la
quatrième à la Rhétorique, pour enseigner les annales du monde,
en quatre ans. Chaque fois que le libéralisme recula, la part
faite à l'histoire dans l'éducation de l'esprit fut diminuée :
ainsi, en 1821, l'histoire de France disparut de la Rhétorique ;
jusqu'en 1848, l'histoire s'arrêtait au seuil de la Révolution; en
i853, nous avons vu que l'agrégation d'histoire avait disparu.
Le professeur parlait, les élèves prenaient des notes et en
composaient une rédaction. On finit, vers 1880, par s'apercevoir
HISTOIRE DES LYCÉES PARISIENS DE GARÇONS 73
que ces rédactions ne valaient pas le temps excessif qu'elles
dévoraient et Ton eut la sagesse de les abolir. A cette même
époque, on s'accorda pour flétrir « l'histoire-bataille » et les sté-
riles accumulations de faits. Sous l'influence de Fustel de Cou-
langes, la mode passa à l'histoire des institutions.
Depuis vingt ans, c'est l'histoire des mœurs et de la civili-
sation qui l'emporte, et l'histoire de l'art commence enfin à con-
quérir, dans le dernier cycle, la place qu'on avait oublié jadis
de lui garder. Les professeurs d'histoire les plus fameux des
lycées de Paris furent, pour ne parler que des anciens : Gaillar-
din à Louis-le-Grand, Toussenel et Brissaud à Charlemagne,
Anquez, Fustel de Goulanges et Victor Duruy à Saint-Louis,
MM. Gazeau, Vast et Jalliffier à Condorcet, M. Lavisse à
Henri IV.
La géographie ne fut longtemps considérée que comme une
servante très humble de l'histoire, on ne voulait voir en elle
que la géographie historique; elle était de l'histoire en sur-
face. « Je n'ai fait de la géographie à Charlemagne, nous disait
M. Lavisse, qu'une seule fois ; le jour où, derrière M. Boissier,
une carte se détachant, je fus chargé de la raccrocher ». La
nomenclature prenait la place des idées ; on ne disait pas un
mot de la nature des terrains, de la direction des vents, de la
quantité des pluies ni de leur saison. Tout ce qui explique les
faits et enchaîne les phénomènes était lettre close. Ce fut,
entre 1870 et 1 885, une grande surprise : on découvrit peu à
peu que le relief n'est pas nécessairement une série de chaînes
montagneuses, que tous les fleuves ne coulent pas nécessaire-
ment au fond de bassins, comme l'avait imaginé Buache au
xvme siècle et comme on n'avait pas manqué de l'enseigner
depuis. Et on finit par se douter que la géographie avait pour
tâche d'expliquer l'action du sol sur l'homme et la réaction de
74 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
l'homme sur le sol. Les élèves et les publications de M. Vidal
de La Blache ont réussi à donner à la géographie dans rensei-
gnement supérieur d'abord, dans l'enseignement secondaire
ensuite, une méthode et une allure qui finiront par la faire res-
sortir à l'enseignement des sciences naturelles bien plus encore
qu'à l'enseignement de l'histoire.
C'est à Louis-le-Grand que le premier professeur de sciences
naturelles, M. Arvers,aété installé, dès 1827, et c'est à ce maître
que le lycée fut longtemps redevable des beaux succès que lui
valut, au concours général, cette spécialité nouvelle. On ne tarda
pas à comprendre qu'un maître de l'enseignement secondaire
était, pour initier les élèves à l'anatomie et à tels de ses mys-
tères d'explication délicate, préférable à un médecin si distingué
fût-il. Un auditoire de collégiens ne peut être confondu, sans
inconvénients graves, avec un auditoire d'étudiants.
Peu à peu, l'enseignement des sciences physiques et chi-
miques conquit, lui aussi, son autonomie; auprès du cabinet
d'histoire naturelle, se créa et s'enrichit, à Louis-le-Grand et
dans tous les lycées, un cabinet où les machines électriques, les
instruments d'acoustique et d'optique voisinèrent avec le peuple,
auxflacons multicolores, de la plupart des corps connus. C'était,
presque chaque année, des dépenses supplémentaires au budget
des lycées : et si, de nos jours, Janson de Sailly, Michelet,
Lakanal, Carnot et surtout Saint-Louis ont, à cet égard, des
installations modèles, c'est que les efforts de leurs devanciers
Louis-le-Grand, Henri IV, Condorcet et Charlemagne n'ont
pas été perdus.
Les langues vivantes ont eu beaucoup plus de difficultés à
conquérir leurs lettres de bourgeoisie et il a fallu nos désastres
de 1870 pour les leur donner. C'est seulement depuis lors que
leur enseignement est devenu obligatoire et universel. Ces
HISTOIRE DES LYCÉES PARISIENS DE GARÇONS 75
langues n'étaient encore que l'allemand et l'anglais ; ce n'étaient
ni l'italien, qu'on enseigne aujourd'hui à Louis-le Grand, Carnot,
Michelet, Henri IV, ni l'espagnol qu'on enseigne à Rollin depuis
la troisième, à Louis-le-Grand, à Condorcet, Michelet, à Janson,
Henri IV, Charlemagne, Carnot, ni le russe qu'on a tenté un
moment d'enseigner à Louis-le-Grand et à Rollin1. On admet-
tait bien, depuis i863 surtout, l'utilité des langues modernes
pour l'enseignement spécial, mais des universitaires très haut
placés2 estimaient que les langues anciennes forment l'esprit, le
jugement, le goût, alors que les langues vivantes forment sur-
tout la mémoire ; qu'elles apprennent à parler ou à lire et fort
peu à penser. Ils les avouaient bonnes pour des savants, des
professeurs, des officiers, certains ingénieurs, certains indus-
triels, certains commerçants mais non pour le commun des
mortels. Et les lycéens de Paris flétrissaient, en le nommant le
prix des bonnes, un prix de langues vivantes au Concours général.
Aujourd'hui, le procès des langues vivantes est gagné chez
nous. Ce que demandaient depuis la Restauration les proviseurs
de Louis-le-Grand, faire apprendre aux enfants, dès la huitième
et la septième, le vocabulaire de ces langues, est une chose que les
programmes de 1880 ont décidée; on est parvenu, depuis plus
de dix ans, à faire, en allemand, la classe d'allemand, et, en
anglais, la classe d'anglais. Les bons élèves sortent du lycée
sachant au moins une langue étrangère. Nous ne déciderons
pas si l'étude pratique des mots et l'ambition de former les
élèves à la conversation courante n'a pas conduit certains
1. A. Rousselot, Vav.cienne communauté de Sainte-Barbe et le collège munici-
pal Rollin, Paris, 1900, p. 164.
2. Francisque Bouillier, membre de l'Institut, ancien inspecteur général, ancien
directeur de l'École normale supérieure, l'Université sous M. Ferry, Paris in-8°
1880 ; p. 317 et ss. Deuxième appendice : Contre l'enseignement universel et obli-
gatoire des langues vivantes.
;6 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
maîtres à négliger un peu trop la grammaire et la littérature :
ce sont là des questions qui divisent encore, à l'heure présente,
les spécialistes. La « méthode directe » a ses adversaires, elle
a ses partisans. Mais on peut bien dire que, depuis trente ans,
les langues vivantes on fait, chez nous, plus de progrès qu'en
trois cents ans. Et Ton vient de juger sans danger, maintenant
qu'elles sont à la mode, de diminuer un peu, à partir de 191 2-
191 3, le nombre d'heures qu'on leur réservait. Nos lycéens n'ont-
ils pas appris que le chemin de l'étranger pouvait être, pendant
les vacances, le chemin de l'étude ; l'Allemagne et l'Angleterre
ne se chargent-elles pas, chacune, de leur enseigner leur langue
propre. Et l'on a constaté, non sans fierté, que l'étude des langues
étrangères en France n'avait pas fatalement diminué les sym-
pathies séculaires de la langue française dans le monde.
Les expériences pédagogiques, poursuivies depuis 1802, fini-
ront bien, sans dommage pour les humanités, par faire, tout
auprès d'elles, leur place exacte aux sciences, à l'enseignement
moderne, aux langues vivantes et aux autres spécialités. L'Uni-
versité a eu l'intelligence de démêler certaines vérités, le cou-
rage de les proclamer, la volonté de les soutenir : elle saura
trouver, à force de tact et de mesure, l'harmonie nécessaire
entre l'enseignement d'autrefois et l'enseignement d'aujour-
d'hui, entre l'esprit de tradition et l'esprit de progrès.
L'œuvre éducative des lycées parisiens est très digne de leur
transformation matérielle et de leur évolution intellectuelle.
Ils n'ont cessé de s'éloigner de leur idéal primitif: ressembler
à un couvent et à une caserne, pour s'approcher de leur idéal
nouveau : ressembler à la famille et la prolonger en dehors
d'elle-même.
Associer une caserne et un couvent était d'une audace assez
HISTOIRE DES LYCEES PARISIENS DE GARÇONS 77
plaisante et un mariage politique de cet ordre, fût-il béni par
Napoléon, ne pouvait rassurer très longtemps la vie conjugale
commune. La caserne sous l'Empire, se reconnaissait à l'uni-
forme imposé aux administrateurs, aux professeurs, aux
maîtres, aux élèves, elle se reconnaissait aux sous-officiers frot-
tés de latin qui composaient, pour une bonne part, l'armée des
maîtres d'études, et au groupement des élèves par compagnies
de vingt-cinq. Dans chaque compagnie, il y avait un sergent et
quatre caporaux, choisis dans l'élite des élèves. Parmi les élèves
les plus âgés, les mieux bâtis et les mieux notés, le sergent-
major était nommé et il commandait à toutes les compagnies.
On mangeait par compagnies, on s'amusait par compagnies,
on dormait par compagnies. Tous les jours, de onze heures à
midi et demi, c'étaient des exercices militaires. Le signal de
tous les exercices était donné par le tambour et non par la
cloche. Enfin les élèves punis étaient condamnés à la prison, à
la salle de police, aux arrêts, et, depuis 1809, à la privation de
l'uniforme1.
Le couvent se laissait voir à l'obligation du célibat imposée
au proviseur et au censeur; à la prière faite publiquement
matin et soir ; aux offices obligatoires, chaque dimanche ; aux
aumôniers attachés à chaque lycée et chargés, sous la sur-
veillance des proviseurs, de tout ce qui avait rapport à la reli-
gion ; depuis septembre 181 1, à la récitation quotidienne, dans
toute les classes, de deux ou trois versets du Nouveau Testa-
ment.
Napoléon aurait voulu mettre l'Église, en partie au moins,
dans l'Université. La Restauration, faute de pouvoir supprimer
l'Université, tenta de la mettre dans l'Église. Quand Louis XVIÏI
1. Aulard, Napoléon Ier et le monopole universitaire, p. 93-94, 269-270. 282-3.
78 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
créa le collège Saint-Louis à Paris, il lui donna, nous le savons,
un abbé comme proviseur, puis un autre abbé succéda au pre-
mier1. Les proviseurs taxés de libéralisme furent inquiétés et
même, comme Daireaux à Charlemagne, ou, comme Malleval à
Louis-le-Grand, destitués. Les professeurs et les maîtres sus-
pects d'irréligion furent écartés; les anciens prêtres mariés,
flétris par les deux lettres P. M., furent évincés. Des abbés
furent placés dans des chaires importantes. L'abbé Nicolle
était nommé recteur de Paris, et Mgr de Frayssinous, appelé
aux fonctions de Grand maître, écrivit : « Celui qui aurait le mal-
heur de vivre sans religion ou de ne pas être dévoué à la famille
régnante devrait bien sentir qu'il lui manque quelque chose
pour être un digne instituteur de la jeunesse. Il est à plaindre;
même, il est coupable. Je n'ai pas le droit d'interroger les
consciences ; mais certes j'ai bien celui de surveiller rensei-
gnement2. » L'uniforme militaire avait fait place, pour les
élèves, à un uniforme civil ; la cloche avait fait taire le tam-
bour (PI. 17).
Mais les convictions ne se décrètent pas et la jeunesse des
collèges parisiens résista : elle se jeta dans l'opposition. Elle
croyait voir partout l'œil de la Congrégation et la main des
Pères de la Foi. Les derniers frissons de la fièvre qui l'avaient
agitée pendant les Cent-Jours la secouaient encore par accès
périodiques. Elle rêvait de batailles ; elle regrettait que les col-
lèges eussent remplacé les lycées ; elle ne voulait plus obéir à
la cloche, mais au tambour ; elle trouvait ridicule, pour elle,
tout uniforme non militaire. Des désordres graves, en août 181 5,
avaient troublé Charlemagne. Deux révoltes éclatèrent à Louis-
le-Grand, en 18 19 et en 1824 ; une autre à Henri IV.
1. Voir plus haut, p. 45 et plus bas, p. 151.
2. La lutte scolaire, citée, p. 67.
HISTOIRE DES LYCÉES PARISIENS DE GARÇONS 79
Lacordaire, nommé second aumônier du lycée Henri IV,
rédigea, en i83o, un mémoire secret, signé par les huit aumô-
niers des collèges de Paris, pour dénoncer l'incrédulité qui
s'emparait de presque tous les élèves, vers la quinzième année :
« quand le cours de leurs études est achevé, parmi ceux qui
sortent de Rhétorique ou de Philosophie, faut-il dire combien il
en est dont la foi se soit conservée et qui la mettent en pra-
tique ? Il en est environ, chaque année, un par collège1. »
Mais il semble bien, d'après les rapports encore inédits de
l'Inspection générale et d'après les appréciations annuelles des
proviseurs, que ce pessimisme soit exagéré. Il était de mode,
depuis 181 5, de représenter a priori les collèges royaux de
Paris, comme autant de foyers d'athéisme2. Cependant Mon-
talembert, entré à seize ans, en 1826, à Sainte-Barbe-Rollin
où il fit sa Rhétorique et sa Philosophie, rendait plus tard
très loyalement cet hommage à son ancien professeur de Rhé-
torique : « Je vous dois la justice de déclarer que jamais je ne
vous ai entendu dire un seul mot, dans le cours de vos leçons,
qui pût encourager l'incrédulité3. » Il serait intéressant de
savoir combien, dans les rangs du parti catholique et parmi
les soutiens de Y Avenir, se trouvaient d'anciens élèves des col-
lèges royaux de Paris : mais n'oublions pas que si Montalem-
bert fut élève de l'Université, Lacordaire ancien boursier du
lycée de Dijon, ne l'était pas moins lui-même.
Les journées de juillet i83o apparurent à la bourgeoisie
libérale des lycées parisiens comme la revanche nécessaire.
Dans tel collège, à Bourbon, par exemple, on vit tel professeur
1. La lutte scolaire, citée, p. 110.
2. Voir Gilb. Stenger. La Société française pendant le Consulat, 6° série,
p. 407, Paris, Perrin 1908.
3. Voir ci-dessous, p. 161-172.
8o L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
aider à la construction des barricades *. Les collégiens de Louis-
le-Grand tout au moins adressèrent aux ministres des pétitions
qui sont conservées au Palais Soubise, pour recouvrer leur uni-
forme militaire et leurs armes de la période impériale. Au bout
de peu de temps, le gouvernement sembla rétrograde et, dans la
jeunesse des collèges, l'opposition fit des recrues nouvelles. En
mars 1834, des élèves de Bonaparte, de Louis-le-Grand et de
Charlemagne résolurent d'avoir un journal pour y défendre, en
bons hugolâtres, le romantisme contre l'éducation trop sévère-
ment classique et pour y flétrir, d'une plume indignée, les abus
des collèges et le régime des pensions. La Presse des Ecoles
vécut jusqu'aux vacances.
La politique, aux derniers mois du Gouvernement de Juillet,
agitait, à Louis-le-Grand, toutes les cervelles. En juillet 1847,
les scandales Teste, Cubières et Praslin y étaient vivementcom-
mentés : « on en parle beaucoup au collège, écrivait un élève
de rhétorique2; on attaque le roi. Des amis m'ont dit qu'il
n'y était pour rien ; qu'il avait bon dos. » Le 8 février 1848,
nouvelle lettre du même, passé en philosophie : « Chers Parents,
Tout est en émoi dans le quartier Latin; quoiqu'en cage, nous
savons tout; nous sommes tenus au courant par les externes...
Des hommes en blouse ont passé sous nos fenêtres, en criant : A
basGuizot... Si on fait tous les banquets dont on parle, les
Français seront capables de mourir d'indigestion... Au collège,
nous ne sommes point menacés de mourir de cette façon. »
La religion se pratiquait librement dans les collèges3, mais
la tolérance y avait pris la place de l'ancienne bigoterie. Les
1. Voir ci-dessous, p. 141.
2. Henri Dabot, Lettres d'un lycéen et d'un étudiant de 1847 à 1854, Péronne,
Paris, pet. in-120 (1891). p. 2-5.
3 lbid., p. 2-4, et cf. notre Histoire de Louis-le-Grand (en préparation).
HISTOIRE DES LYCÉES PARISIENS DE GARÇONS 81
internes protestants d'Henri IV, de Saint-Louis et de Louis-le-
Grand avaient obtenu, à Louis-le-Grand, une chapelle et un
pasteur. Les élèves Israélites, un rabbin. La neutralité reli-
gieuse pénétrait dans les collèges où les divergences confes-
sionnelles reflétaient les divergences confessionnelles du pays.
Un protestant, Guizot, avait été ministre de l'Instruction
publique, avant d'être président du Conseil. On était donc bien
loin de Mgr Frayssinous et, le 22 mai 1841, Le Temps propo-
sait de déclarer incompatibles les fonctions de prêtre avec celles
de professeur.
Les journées de février et surtout les journées de juin 1848
vidèrent les lycées de Paris : les élèves d'Henri IV et de Saint-
Louis se sauvèrent et roulèrent dans la rue avec des fusils ;
Charlemagne et Louis-le-Grand furent mitraillés. Administra-
teurs, professeurs et maîtres furent embrigadés clans la garde
nationale où les élèves les plus âgés les suivirent. Ils furent
dans l'insurrection de juin du côté des barricades où l'on défen-
dait Tordre et les lois.
L'échauffourée calmée, l'Empire se chargea de rétablir dans
les lycées la discipline militaire, inaugurée, jadis, par le vain-
queur de Marengo; les exercices du fusil, les compagnies, les
sergents et le tambour reparurent! Un moment, l'Université
sembla livrée à l'Eglise ; des ecclésiastiques furent nommés
inspecteurs généraux et les voltairiens furent suspects. Mais,
malgré tout, la discipline claustrale de jadis ne fut pas reprise.
Si le lycée rappela encore la caserne, il ne rappela plus le cou-
vent. La demi-rupture de Napoléon avec le clergé, à propos
de la guerre d'Italie, et la nomination en i863 de M. Duruy
à l'Instruction publique montra que, dans la réaction, il y
avait des degrés et que l'on avait la sagesse de s'arrêter en
deçà des derniers.
6
82 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
Depuis la chute de l'Empire, ce fut justement la protestation
contre la discipline trop régimentaire de jadis qui accéléra la
décadence de l'internat. Mais cette protestation datait de loin :
nous montrerons dans notre histoire de Louis-le-Grand, qu'elle
prit forme et vigueur dès la seconde moitié du Gouvernement
de Juillet. Les progrès de l'externat amenèrent un double résul-
tat : i° Les parents se dérobèrent de moins en moins à leurs
devoirs d'éducateurs; ils s'occupèrent davantage de leurs enfants
à mesure qu'ils demandèrent au lycée de s'en occuper moins long-
temps; 2° le lycée se considéra de plus en plus comme le repré-
sentant de la famille. Dans les lycées de jadis, les droits de
l'Etat s'étendaient parfois aux dépens des droits des parents ;
dans les lycées d'aujourd'hui, c'est le contraire. Et l'on a vu
à Paris, dans ces dernières années, une association des pères
de famille se fonder auprès de certains lycées, pour y collabo-
rer efficacement à toutes les améliorations désirables. Par
voie de conséquence, le lycée, qui se substitue un moment aux
parents, a de plus en plus le souci de développer le sens de l'ini-
tiative et de la responsabilité chez les enfants ; de les dresser
aux bonnes manières, à la politesse, et de leur donner ces habi-
tudes d'esprit et de caractère qui feront d'eux des gens de
bonne compagnie. Le professeur qui, presque seul au lycée,
prend contact avec les externes, se doit donc, et de plus en plus,
d'être mieux qu'un littérateur, un grammairien, un mathémati-
cien, un historien, ou un linguiste ; il doit être un père de
famille, un éducateur. Et comme, pour enseigner la bonne édu-
cation, il est indispensable de la connaître, il doit, ce me semble,
donner l'impression qu'il serait à sa place dans un salon comme
dans une chaire. Jadis la robe professorale pouvait masquer
certaines tenues fantaisistes, dont les sexagénaires aujourd'hui
se souviennent ; la robe désormais a cessé d'être secourable.
HISTOIRE DES LYCÉES PARISIENS DE GARÇONS 83
Les lycées parisiens en sont donc venus à rapprocher le plus
possible la vie d'internat de la vie de famille. Les conversations
sont autorisées au réfectoire et dans les corridors : c'est Janson
qui a donné l'exemple. Les sorties sont multipliées et, pour peu
qu'ils y soient autorisés par leurs familles, les élèves des classes
supérieures sortent seuls. Ce que le lycée Henri IV avait, le pre-
mier, osé sous Louis-Philippe est devenu désormais, après un
mouvement de surprise, la règle générale. Les sanctions disci-
plinaires sont si réduites qu'il serait imprudent de les diminuer
encore. La discipline est préventive plutôt que répressive.
Si le lycée emprunte beaucoup d'elle-même à la vie familiale,
il lui donne beaucoup de lui-même : le frottement des carac-
tères y émousse les angles; les faiblesses, dont abusent les
enfants gâtés, n'y ont point cours ; le sentiment de l'égalité
s'y développe et aussi le respect du travail et du talent, le goût
de l'amitié et de la bonne camaraderie. C'est depuis cinquante
ans que les associations d'anciens élèves se sont fondées dans
les lycées ; elles renouent les liens formés sur les bancs, elles pro-
longent la vie d'autrefois, elles rajeunissent les vieux souvenirs,
elles enseignent le bienfait de la solidarité humaine. Elles sont
une preuve, entre beaucoup d'autres, que l'œuvre éducative des
lycées parisiens est de moins en moins stérile ; que chacun de
ces lycées est une personne morale, dont le cœur vibre et dont
l'âme survit aux années mortes.
CHAPITRE II
HISTOIRE MONOGRAPHIQUE
DES LYCÉES PARISIENS
Les lycées parisiens ont beau se ressembler comme des
frères, ils n'en gardent pas moins leur physionomie propre et
ils ont une âme distincte. Nous venons de dire ce qu'était leur
histoire commune, il convient maintenant de rechercher leur vie
particulière et de souligner leurs tendances diverses.
La date de leur naissance est d'abord la marque première
de leur originalité et de leur caractère. L'Université, leur mère
à tous, semble avoir le secret d'une éternelle jeunesse : son glo-
rieux renom à' Aima parens reçoit des années une justification
toujours plus profonde. Vénérable par son âge, et toujours prin-
tanière par ses œuvres : elle ne se lasse jamais de donner au
monde des rejetons nouveaux. Ses fils s'échelonnent, tout le
long du précédent siècle, et, en ce moment même, son dernier
mot n'est pas dit encore.
Le premier de ses fils est le Lycée Louis-le-Grand : c'est en
le formant qu'elle s'est entraînée à modeler les autres. Après
lui, trois magnifiques jumeaux, annoncés à l'Europe le 10 sep-
tembre i8o3 (23 fructidor an XI). Nous les appelons aujour-
d'hui les Lycées Henri LV, Charlemagne, Condorcet.
Pendant les années qui suivirent, la province accapara les
soins de l'Université: Paris ne pouvait être jaloux. La France
PI. 17.
OcdcCLU ' ■' '"' '">
1 V i 'CtCUTclt {.'HiivtrMtc'têe fb>
UNIFORMES DE LYCÉENS AUX XIXe ET XXe SIECLES
(Page 60.)
PI. 18
JmSm
V-
L ANCIEN LYCEE LOUIS-LE-GRAXD, D APRES LE PLAN DE TURGÛT. 1739.
LYCEE 1.1 tUIS-LE-GRAND
L'ANCIENNE FAÇADE SUR LA RUE SAINT-JACQUES, EN 1884
Page 87.)
HISTOIRE MONOGRAPHIQUE DES LYCÉES PARISIENS 85
valait que Ton songeât à elle. Promise dès le 14 mai 181 3, la
résurrection du vieux Collège d'Harcourt ne fut réalisée que le
23 octobre 1820 : ce fut le collège puis Lycée Saint-Louis.
Une autre promesse, faite le 21 mars 1812, fut suivie d'une
autre résurrection, le 6 octobre i83o: le collège municipal Rollin
renaquit, rue des Postes, des cendres de l'antique Sainte-Barbe,
sans obtenir le privilège envié par un rival heureux, M. de Lan-
neau, de garder le nom de la « Minerve chrétienne; » ce nom
resta désormais la propriété des murs et du sol où Sainte-Barbe
avait habité jadis.
Avec les Lycées Charlemagne et Condorcet, l'Université
avait, deux fois déjà essaimé, hors du pays latin. Elle sentait le
besoin, de se donner de l'air, sous peine de perdre le contact avec
les réalités du siècle : il lui fallait à Paris ne point fermer les
yeux à la vie de la capitale. Paris vantait le bienfait de l'espace,
des grands parcs, des ombrages. Et Ton eut, aux portes de Paris,
deux lycées à la campagne : de 1 853 à 1864 et à 1886 ce fut, à
Vanves, une filiale du vieux Louis-le-Grand, la maison que nous
appelons aujourd'hui le Lycée Michelet. On le construisit
dans une partie des domaines des princes de Condé. A Sceaux,
où d'autres Condé vécurent autour de la duchesse du Maine,
petite-fille du vainqueur de Rocroy, le Lycée Lakanal fut bâti
de 1882 à 188 5. Ces deux lycées ruraux répondaient à l'idéal que
la pédagogie célébrait alors: créer des jardins d'enfants.
Puis ce fut, pour les « minimes » de Louis-le-Grand, le Lycée
Montaigne (i885). On voulut concilier, en mettant en face de
leurs fenêtres les arbres du Luxembourg, les exigences du grand
air et la tentation de rester fidèle aux séductions de la grande ville .
Mais Paris s'étendait de plus en plus et l'Université fit
comme Paris : dans les quartiers nouveaux, de nouveaux lycées
poussèrent et grandirent. Vers l'ouest, où une loi mystérieuse
86 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
pousse le développement des grandes villes, on vit dès 1884 le
Lycée Janson de Sailly ouvrir ses portes et, dès 1889,1e Lycée
Buffon ; à Test, ce fut, dès 1890, le Lycée Voltaire; au nord, le
Lycée Carnot fut donné en étrennes au quartier Monceaux, le
Ier janvier 1895.
Et Ton parle en ce moment même d'élever bientôt, à Torée
du bois de Boulogne, le Lycée de Neuilly.
Ainsi, le tronc vénérable de l'Université parisienne avait,
un moment, sous la Terreur, perdu presque toutes ses bran-
ches; une seule avait résisté : celle du vieux Louis-le-Grand.
Elle fut la preuve que la sève sommeillait mais vivait toujours.
Et en effet, le printemps revenu, on vit, sous la rude écorce,
pointer et jaillir les rameaux verdoyants : Henri IV, Char-
lemagne et Condorcet, d'abord, puis Saint-Louis, puis Rollin,
en attendant Michelet et Lakanal ; enfin Janson de Sailly et
Buffon, Voltaire et Carnot. Paris pouvait doubler son étendue
et quadrupler sa population ; les derniers rejetons universitaires
rejoignaient la grande ville dans ses conquêtes nouvelles.
En étudiant, par rang d'âge, les lycées de Paris, nous sui-
vrons donc un ordre chronologique qui est aussi un ordre
logique. Leur date et leur place nous aideront à préciser leur
caractère et leurs tendances. Et nous verrons que les lycées de
Paris, en dépit de leur ressemblance très germaine, sont autre
chose qu'un lycée type, tiré à douze ou treize exemplaires.
Puisque les lycées doivent être une préparation à la vie, ils
eussent manqué à leur mission en ne s'adressant qu'à des
enfants ou à des éphèbes masculins : notre temps a donc vu éclore
les lycées de jeunes filles : lycées Fénelon, Lamartine, Molière
et Victor Hugo. Mais ces lycées sont encore parés de toute la
grâce de la jeunesse. Leurs doyens dépassent à peine un quart
LE LYCÉE LOUIS-LE-GRAND 87
de siècle. Le charme et le prestige du passé ne nous attarde-
ront donc pas dans les murs de ces maisons un peu neuves. Nous
nous bornerons à dire, en quelques pages, comment ces derniers
venus se sont montrés dignes de la place d'honneur que l'Uni-
versité leur réservait. Cette jeune garde de la Grande Armée a
déjà mérité mainte couronne de lauriers.
PREMIÈRE SECTION
LES LYCÉES DE GARÇONS
I
LE LYCÉE LOUIS-LE-GRAND1
Il a un peu, au regard des autres lycées de Paris ou de pro-
vince, des airs d'ancêtre. Il lui reste quelque chose de ce pres-
tige qui, pour n'être pas inscrit dans le texte de nos lois égali-
taires, a cependant pour lui la consécration du passé et de
l'histoire. C'est qu'il a eu la gloire, à maintes reprises, d'être
ce le chef-lieu de l'Université ». Aujourd'hui encore, il est le siège
social de presque toutes les associations universitaires; c'est
dans ses salles que les congrès de professeurs tiennent leurs
assises. Il est, comme M. Ferté l'a très heureusement rappelé,
« le berceau et le foyer des Associations mutuelles d'Enseigne-
ment secondaire. » (PI. 18, 19, 20).
Au temps des Pères Jésuites2, il était déjà le plus célèbre col-
lège du monde. Après 1762, son illustre renom lui resta; c'est
1. 123, rue Saint-Jacques (pi. 18, 19, 20).
2. Nous nous permettons de renvoyer ici à notre volume, qui paraîtra prochaine-
ment, sur la monographie détaillée, de Louis-le-Grand (1563-1913) ; tout ce qui suit est
emprunté aux documents d'archives et nous en donnerons les cotes dans notre livre.
88 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
chez lui que furent alors transférés et les archives de tous les
collèges, et la bibliothèque universitaire, et la halle au parche-
min et le tribunal académique. C'est en lui que furent absorbés
29 collèges parisiens. Le 9 fructidor an V, Quatremère de
Quincy disait de lui : « Il est le collège de toute la France ».
Tant que dura le concours général, le premier des élèves appe-
lés à prendre place fut toujours un élève de Louis-le-Grand ;
tant que le personnel des lycées de Paris fut admis, lors du
Ier janvier, à présenter ses vœux au Ministre, ce fut le provi-
seur de Louis-le-Grand qui eut la charge de prendre la parole,
et, dans l'annuaire de l'instruction publique, le premier ins-
crit de tous les lycées de Paris et de France, c'est toujours
Louis-le-Grand. Après lui, viennent Henri IV puis Charle-
magne, Condorcet et Saint-Louis. Il y a, tout de même, autre
chose que l'ordre alphabétique : Tordre des préséances est celui
de l'histoire et il est séculaire.
A travers les siècles, Louis-le-Grand usa, plus largement
sans doute qu'il n'eût voulu, de l'autorisation de changer son
nom. Il commença ce jeu dès l'ancien régime; connu d'abord,
et depuis 1 563, sous la qualité de Collège de Clermont. il fut
baptisé Louis-le-Grand en 1682. Puis il s'affubla, en janvier 1793,
d'un masque révolutionnaire : au moment où tous ses toits
arboraient, en manière de girouettes, le bonnet phrygien, il
s'appela V Institut des Boursiers Egalité. François de Neufcha-
teau jugea, en pleine réaction thermidorienne, plus décent de le
nommer Pry tance français (1798) : le ci-devant Louis-le-Grand
fut ensuite, jusqu'au 10 juin i8o3, le Collège de Paris puis, un
an durant, le Lycée de Paris : il précédait ainsi, de trois mois,
la création des trois autres lycées parisiens et qui sont aujour-
d'hui Henri IV, Condorcet, Charlemagne.
Napoléon le promut Lycée impérial; l'empire à peine tombé,
PI. 19.
L'ANCIEN LYCÉE LOUIS-LE-GRAND. — VUE PANORAMIQUE.
LYCÉE LOUIS-LE-GRAXD
COUR D'ENTRÉE (XVIIe SIÈCLE;
(Page >;
P. 20.
Phot. Valloii
LYCÉE LOUIS-LE-GRAND. — FAÇADE ACTUELLE, SUR LA RUE SAINT-JACQUES.
m .. ,
Il u :: H I 18 ■ ■ ■ ! I
Phot. Vallois.
LYCEE LOUIS-LE-GRAND. — VUE D'UNE COUR INTÉRIEURE.
(AU FOND, I.A TOUR DE I.A SORBONNE)
(Page 87).
LE LYCÉE LOUIS-LE-GRAND 89
Fontanes, qui, lui, ne tombait point encore, arrêtait, dès le
8 avril 18 14, en qualité de grand maître : « Le lycée Impérial
à Paris prendra désormais le nom de Lycée Louis-le-Grand ».
Après les Cent-J ours, Louis-Le-Gr and fat maintenu, mais, comme
il n'y eut plus de lycée, il redevint collège et collège royal. Au
début de mars 1848, il reconquit son titre de lycée et il ne Ta
plus perdu depuis. Mais il dut s'appeler Descartes pour une
quinzaine de mois. Dès avant la rentrée scolaire de 1849, il
était de nouveau Louis-le-Grand, et il l'est demeuré jusqu'à
nos jours, sauf un intervalle de deux ans et demi (6 sept. 1870,
mars 1873) pendant lequel le nom de Descartes lui était de
nouveau imposé. Au total, douze changements de noms en trois
cent cinquante ans. C'est le plus anabaptiste des lycées.
Les locaux auraient sans doute gagné à se modifier à l'ave-
nant. Mais on hésita, pendant plus de quatre-vingts ans, avant
de trouver le courage de guérir enfin le mal séculaire dont ils
souffraient. C'était là, pour le lycée, le revers de sa gloire. Le
temps qui s'était chargé de grandir au loin son renom n'avait
rien fait pour consolider ses vieux murs et pour les parer.
Le lycée d'aujourd'hui reconstruit depuis 1 885, n'a pu con-
quérir qu'à force d'opiniâtre énergie son emplacement, ses
locaux, sa part de lumière et de soleil. Il occupe, à peu près, la
superficie de cinq collèges contigus : au centre, Clermont et
Marmoutiers, sur la rue Saint-Jacques ; le Mans vis-à-vis de
Sainte-Barbe. Sur les deux ailes : les Cholets, au sud, vers la
rue Cujas ; le Plessis au Nord, sur la rue du cimetière Saint-
Benoît. Mais, d'une part, la rue Saint-Jacques a rogné
147 mètres carrés sur l'ancien lycée; d'autre part, le collège de
France et la rue du cimetière Saint-Benoît élargie ont mangé
la moitié de ses bâtiments ou de ses cours à l'ancien Plessis.
Sous le Consulat, la ruine menaçait le collège ou le lycée, de
9o L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
tous les côtés : le sol se dérobait et les catacombes faisaient
mine d'engloutir vers l'angle Nord-Ouest tout le logis des pro-
fesseurs : dans la nuit du 23 au 24 floréal an IX, il avait
fallu, à onze heures du soir, en étayer les murs. Vers l'angle
Nord-Est opposé, c'était, en pluviôse an X, un mur entier qui
s'écroulait. En i8o3, c'était le logis de l'économe qui se lézar-
dait et il fallait abattre un pignon de huit mètres. A l'est, sur
la rue Chartière, dans la partie la plus saine et la mieux cons-
truite du collège, une prison révolutionnaire avait été installée ;
quand elle avait émigré ailleurs, elle avait laissé les locaux dans
un tel état qu'ils furent inhabitables pendant plus de six ans.
Ajoutons à cela des lits dévorés de punaises ; une seule table
de nuit par dortoirs ; l'absence ou l'insuffisance de ce qu'on
nommait pudiquement « les commodités » ; l'inexistence d'un
parloir ; des trous béants et marécageux dans les cours ; la
pluie et la neige envahissant la bibliothèque, moisissant les
livres et pourrissant les planchers ; enfin les fosses d'aisance
débordant périodiquement.
Napoléon avait, à la fin de 181 3, résolu les améliorations
indispensables, quand vint la campagne de France qui donna
un autre cours à ses pensées. L'empereur avait cependant eu
le temps de loger, dans les bâtiments du Plessis, l'École Nor-
male : elle ne les abandonna enfin à Louis-le-Grand qu'en
1847. Elle avait bien été supprimée pour quelque temps, en
1823, mais le collège n'y avait rien gagné : la Faculté des lettres
s'était emparée de la place vacante.
Le collège n'était pas exactement clos ; il n'était pas chez
lui. Une vingtaine de boutiques l'envahissaient et multipliaient,
pour lui, les chances d'incendies. En 1840, l'Inspection géné-
rale était presque optimiste. Elle écrivait : « lia été fait beaucoup
d'améliorations matérielles au collège Louis-le-Grand, depuis
LE LYCÉE LOUIS-LE-GRAND gi
quelques années » ; après quoi elle constatait : « les bâtiments
du moyen collège sont partout crevassés : les poutres et les
solives ont fléchi de toutes parts, d'une manière effrayante et
qui pourrait inspirer de fortes craintes aux parents si l'on
n'évitait pas soigneusement (précaution charmante, en effet)
de les introduire dans cette partie de rétablissement. »
Et ne croyons pas que l'Inspection exagérât. Deux ans plus
tard une lettre du Proviseur donne la preuve contraire : « Les
bandeaux du bâtiment situé entre la première et la seconde cour
sont tellement dégradés qu'il s'en détache assez souvent des
fragments de pierre et de plâtre; j'ai eu à craindre, plus d'une
fois, les accidents qui pouvaient résulter de cet état de choses
et il a fallu la surveillance la plus active pour les prévenir ».
On fit donc des plans pour la reconstruction du collège ; le
ministère, en 1846, les approuva; on les déposa dans le bureau
du Proviseur ; et on attendit. L'École Normale allait être enfin
transférée rue d'Ulm : serait-ce donc le salut?
Ce fut la Révolution de 1848. Et l'on vit d'abord l'École
d'Administration logée, au Plessis, à la place de l'École Nor-
male ; on vit ensuite, après que les journées de Juin eurent pris
pour cible la façade de la rue Saint-Jacques, on vit des réunions
électorales se tenir, par autorisation ministérielle, dans les
salles du lycée ; mais ce qu'on ne vit pas, ce fut la démolition
des murailles lépreuses et branlantes. On se contenta d'élever
quelques portiques, pour protéger les récréations écolières
contre la pluie. Et les périls d'autrefois reparurent. « Der-
nièrement, écrivait, en mars 1861, l'Inspection générale,
un couronnement s'est détaché de la partie supérieure d'une
longue façade : 1 5 mètres de murs sont tombés. Si l'événe-
ment fût arrivé quelques instants auparavant, il eût produit
d'affreux malheurs ». Puis, cette petite ligne, en conclusion :
92 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
« Le même danger est en permanence, sur d'autres points ».
Dans les dernières années de l'Empire on crut, à ce grand
mal dont souffrait le lycée, avoir découvert un grand remède :
transporter Louis-le-Grand à deux kilomètres plus loin, en
pleine rue de Sèvres, sur remplacement actuel de l'hôpital
Laënnec. Ce fut, dans le lycée et hors du lycée, une grosse émo-
tion : l'impiété d'un pareil projet parut un scandale. Car l'his-
toire est autre chose qu'un mot. Le 19 avril 1866, l'inquiétude
des élèves empruntait, pour protester contre ce vandalisme, le
langage des dieux :
Est-il vrai que, bientôt, d'ici l'on nous exile,
Qu'il nous faudra, proscrits, chercher un autre asile,
Dans des murs inconnus?
L'opinion, sur laquelle tentait de s'appuyer l'Empire trébu-
chant, gagna le procès du vieux lycée. Au lendemain de la
guerre franco-allemande, l'Inspection générale constatait tris-
tement qu'à Louis-le-Grand «l'espace, l'air, la lumière, l'ombre,
tout manquait » ; mais elle tentait en vain d'insinuer que le
lycée dût être transporté ailleurs : ce qu'elle appelait dédai-
gneusement « des raisons d'archéologie universitaire » ou « je ne
sais quel attachement superstitieux à des lieux et à des pierres »,
tout cela finit par assurer le triomphe de la seule idée accep-
table : la reconstruction de Louis-le-Grand à Louis-le-Grand
(PI. 18 et 19).
M. Lecceur a été, de 1 885 à 1892, l'architecte de cette
grande œuvre. La servitude séculaire des boutiques foraines a
été secouée. La magnifique salle des pas perdus et le coquet
jardin, que laissent voir les cinq baies vitrées de la façade,
occupent aujourd'hui presque tout l'emplacement de l'Hôtel de
Langres, où s'abrita, pour ses débuts, le collège de Clermont.
LE LYCÉE LOUIS-LE-GRAND 93
La salle des professeurs, le cabinet du proviseur et le couloir qui
conduit à l'économat sont situés sur les anciens murs du collège
de Marmoutiers. Les classes et les études du grand lycée se
dressent sur les locaux ou les cours du collège du Plessis ; les
classes et les études de quatrième, troisième et seconde sont
logées sur l'ancien domaine des Chollets ; quant aux bâtiments
en façade sur la rue Chartière et sur Sainte-Barbe, ils couvrent
l'ancien territoire du collège du Mans1 (PI. 18 et 19).
Seize proviseurs ont eu, depuis l'origine du lycée, la
charge, glorieuse et lourde, de diriger la destinée de Louis-le-
Grand, dans le cadre, aux séductions inégales, que nous venons
d'apercevoir.
Le premier d'entre eux, Jean-François Champagne avait été
à Louis-le-Grand boursier et maître, avant d'y devenir profes-
seur, en 1778, et directeur en 1790". Il fut chargé, avant la
création des lycées, d'y organiser les programmes de langue
latine; sa spécialité, c'était cependant la langue grecque. Il fut
membre de l'Institut et, en 1809, un an avant sa retraite il pou-
vait rappeler que cinq mille jeunes gens lui devaient leur édu-
cation. Pendant un demi-siècle, sa vie fut celle du collège ou
du lycée ; mais, quand il le quitta, on faisait l'éloge de son
esprit et de son cœur, plus encore que de sa fermeté. Il n'eut
1. Voirplusbas, p. 173-175, comment le lycée Michelet, construit d'abord dans
l'ancienne maison de campagne de Louis-le-Grand finit, par devenir un lycée indé-
pendant ; cf. aussi plus haut, p. 40.
2. Proviseurs de Louis-le-Grand :
MM. Champagne, 21 décembre 1801-29-juin 1810, mort en 1813 ; De Sermand,
25 juin 1810-2 septembre 1815; Taillefer, Ier juin 1815-29 janvier 1819; Malleval,
ior février 1819-30 septembre 1823; Berthot, 30 septembre i823-ior avril 1824 ; Labo-
rie, ier avril 1824-9 août 1830; Pierrot-Desseilligny. 10 août 1830-5 février 1845 ;
Rinn, 7 février 1845-11 janvier 1853; Forneron, 12 janvier 1853-21 août 1856;
Jullien, 21 août 1856-6 août 1864; Didier, 6 août 1864-août 1868; J. Girard,
6 août 1868-21 septembre 1878; Gidel, 21 septembre i378-ier août 1892; Blan-
chet, 3 août 1892-juillet 1895 ; Gazeau, juillet 1895-septembre 1909; Ferté, sep-
tembre 1909.
Q4 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
pas le courage de survivre trois ans à ses anciennes fonctions.
Napoléon ne crut pas inutile de nommer successivement
deux ecclésiastiques à la tête du lycée : l'ancien professeur de
théologie et ancien émigré, de Sermand, qui rétablit la disci-
pline, puis l'abbé Taillefer, qui avait été censeur à Charle-
magne et que l'Empereur, pendant lesCent-Jours, prit au provi-
sorat de Versailles, comme il avait pris de Sermand au provi-
sorat de Rodez.
Taillefer fut nommé inspecteur de l'Académie de Paris, après
la révolte de 1819. La Restauration avait été bien inspirée en
choisissant, pour le remplacer, un libéral qui, comme Cham-
pagne, son premier protecteur, semblait presque l'enfant du col-
lège : François-Christophe Mallevai. Il y avait été élève, maître
d'études, secrétaire du proviseur, sous-directeur et professeur
de quatrième. Mais il eut plus d'influence sur les élèves que
sur quelques-uns de ses collègues et surtout sur ses chefs hié-
rarchiques : l'administration supérieure ne put s'accoutumer à
sa franchise un peu brusque. Elle disait de lui : « Il a eu le
double malheur d'être élevé pendant la Révolution, (il était né
en 1785), et parmi les hommes de la Révolution. »
A la veille de la rentrée de 1823, il fut brusquement mis à
la retraite : familles et élèves furent consternés. Vainement
Berthot, qui lui succéda, arrivait-il paré de tous les titres uni-
versitaires : doyen de la Faculté des Sciences à Dijon, recteur,
inspecteur général. A Louis-le-Grand, il échoua, et il ne fit qu'y
passer, survivant fort peu à la révolte de 1824.
Laborie qui avait presque les mêmes titres ou qui les acquit,
une fois proviseur, eut le talent de réussir. Il avait été soldat de
1793 à 181 1 et les écoliers d'alors aimaient cette recommanda-
tion-là. Il avait du reste enseigné la théologie à l'Université de
Perpignan, avant d'endosser l'uniforme, et il y avait là de
LE LYCÉE LOUIS-LE-GRAND 95
quoi rassurer les ultras. Et puis, il avait formé son expérience
d'administrateur dans cinq collèges ou académies, avant d'ar-
river rue Saint-Jacques. Quand il mourut, en 1847, il était che-
valier de Saint-Louis et il avait dû, depuis le lendemain des
journées de Juillet, céder la place à un homme qui, parmi les
proviseurs de son temps, fut véritablement hors pair, M. Pier-
rot-Desseilligny.
La mesure de l'esprit, l'indépendance courtoise et la fermeté
du caractère, le tact, le don de l'autorité et l'art de la faire
aimer, il harmonisait, en lui, toutes ces qualités rares. Le
11 mai 1837, les Inspecteurs généraux pouvaient dire de lui au
Ministre : « M. Pierrot était un des professeurs les plus dis-
tingués de l'Université : il a gardé une supériorité pareille, dans
les fonctions du provisorat. »
Quand il mourut à la tâche, le 5 février 184D, il fallut faire
appel, pour le remplacer, à M. Jacques Rinn qui enseignait,
depuis huit ans, la Rhétorique à Louis-le-Grand et, depuis douze
ans, à l'École Normale. La distinction de son enseignement était
encore présente à l'esprit des élèves, en février 1 85 1 . Il avait une
très haute idée du devoir et savait inspirer le respect.
Avant de devenir proviseur de Louis-le-Grand, M. For-
neron avait été recteur de Rouen et M. Jullien, recteur à Lyon,
puis proviseur à Marseille et à Napoléon (Henri IV). Peu de
proviseurs ont laissé, sur les hommes de notre génération, une
empreinte plus profonde que M. Jullien : à Louis-le-Grand et
au lycée du prince Impérial (aujourd'hui Michelet), il semblait
être le proviseur-né. Napoléon III le fit commandeur de la
Légion d'honneur et nous ne croyons pas qu'aucun proviseur,
sinon M. Nouzeilles ait jamais été, avant ou depuis M. Jullien,
promu si brillamment.
C'est à Louis-le-Grand que son successeur, M. Didier, vint
q6 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
achever sa carrière d'administrateur ; mais, après Louis-le-
Grand, c'est à Gondorcet que MM. Girard. Gidel, Blanchet et
Gazeau voulurent achever la leur. Tous les quatre, ainsi que
le proviseur actuel, M. Ferté, avaient été choisis dans l'élite du
corps professoral parisien. Cependant quelle variété dans leur
talent, leur caractère et leur action ! En face de M. Gazeau, on
pensait à un beau Jordaens ; en face de M. Ferté, on pense
plutôt à ces œuvres nuancées et fines que savait peindre Van
Dyck. Et Ton sait du reste à quel point le prestige personnel de
l'homme soutient et élève le prestige de la fonction. De plus en
plus, le personnel de Louis-le-Grand, sans même parler des
élèves ni de leurs familles, se laisse gagner à cette tradition :
adoucir, à force de confiance et d'affectueuse gratitude, la
tâche, toujours délicate et rude, imposée au chef de l'illustre
maison.
Les censeurs1 de Louis-le-Grand eurent généralement à hon-
neur de collaborer efficacement avec les proviseurs. Plusieurs
d'entre eux, pour ne parler que des anciens, connurent la noto-
riété : ainsi, de Wailly qui releva si remarquablement Sainte-
Barbe ; le Prévost d'Iray qui devint Inspecteur général et entra
à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres ; de Guérie qui,
nommé professeur titulaire à la Faculté des Lettres, le
6 mai 1809, préféra vivre et mourir censeur à Louis-le-Grand,
où il n'ambitionna pas le poste de proviseur; M. Didier fut au
contraire, à douze ans d'intervalle, censeur puis proviseur au
1. MM. De "Wailly aîné, 21 décembre 1801-19 août 1804; Le Prévost d'Iray,
19 août 1804-10 octobre 1809; De Guérie, 10 octobre 1809-11 novembre 1824;
Emond, 12 novembre 1824-21 octobre 1834 ; Roger, suppléant, 21 octobre 1834
2 mai 1838; Aubert Hix, d'abord suppléant, 2 mai 1838-18 août 1849; Didier,
18 août 1849-13 septembre 1852 ; Delorme, 22 septembre 1852-4 septembre 1855
Talbert, 4 septembre 1855-11 août 1864; Maréchal, 10 août 1864-29 mars 1871
Roguet, 29 mars 1871-21 septembre 1878; Joubin, 26 septembre 1878-26 octobre 1883
Laigle, 26 octobre 1883-1"' septembre 1897; Cuvillier, Ier septembre 1897-12 fé-
vrier 1902 ; Maldidier, 12 février igo2-ier septembre 1902 ; Roy, ier septembre 1902.
LE LYCÉE LOUIS-LE-GRAXD 97
lycée; M. Joubin quitta le censorat pour le provisorat de Saint-
Louis. Quant à AI. Emond, c'est à lui que nous devons la pre-
mière monographie de Louis-le-Grand ; sans lui, beaucoup de
souvenirs de la vieille maison se seraient perdus.
La liste complète des professeurs qui contribuèrent au grand
renom du lycée, nous ne pouvons songer à la donner ici : les
lettres, les humanités, la grammaire, durent beaucoup à l'en-
seignement des Luce de Lancival, Castel, Dubos, Pourmarin,
Alexandre, Daveluy, Jean-Louis Burnouf, Rigault, Marc-
Girardin, Pierrot, Rinn, Despois, Deltour, Lemaire, Dupré,
Chardin, Destainville, Filon, Feugère, Aubert-Hix, Cartault,
Chambon, Lehugeur, Fallex, Boudhors, Merlet, Marcou, Hatz-
feld, Combarieu et Morand; l'histoire aux Trognon, Wallon,
Gaillardin, Pigeonneau, Gallouédec, Dunan et Darsy; la phi-
losophie aux Maugras, Ozaneaux, Jules Simon, Waddington,
Charles, Charpentier, Burdeau et Belot ; les mathématiques aux
Laran. Vieille, Bernés et Darboux; les sciences physiques et
naturelles aux Thillaye, Arvers et Privat-Deschanel ; les langues
vivantes aux Alexandre, Sevrette, Beljame et Lange.
Le nombre moyen des élèves, dont nous préciserons ail-
leurs la courbe annuelle, a généralement été voisin d'un mil-
lier; mais quelles variations dans le détail ! Le lycée ne s'ouvrit
qu'avec 600 élèves, en juin i8o3 ; il en avait 571, en 180D : le
maximum, sous l'Empire, 1.161, fut atteint en 181 3. Les
années critiques se traduisirent par des chutes numériques
sensibles : 687 élèves, en i8i5-i8i6 ; 829, en i83o; 1.000, en
1848-49 et, 36 1, en 1870-71. Les maxima, sous la Restaura-
tion, furent i.o53 en 1818 et 1828; sous Louis-Philippe, 1.257
en 1846; sous Napoléon III, 1 .456 en 1862 (et même 1.829, en
1866, pour peu que l'on ajoute les élèves de Vanves, où un
98 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
lycée nouveau venait de s'ouvrir en 1 86 1 , clans la maison des
champs du vieux Louis-le-Grand parisien) . Sous la troisième
République, le maximum fut atteint en 1888, avec 1 .537 élèves.
Si Ton voulait à la population scolaire de la maison mère
ajouter la population de ses deux filiales, Vanves-Michelet et
Montaigne (ouvert en octobre i885), on atteindrait des chiffres
beaucoup plus élevés encore : le maximum serait, en 1887,
3.097 écoliers; dont 1 . 5 1 9, pour Louis-le-Grand proprement dit,
601 pour Montaigne et 977 pour Vanves.
Au début, les trois quarts des élèves étaient internes ; dès
181 7, les internes n'étaient plus que 1 élève sur 3 ; sous le
Gouvernement de Juillet, leur nombre s'accrut et atteignit pres-
que, en 1839, par exemple, 5o p. 100 : soit 5 1 3 internes contre
5 1 8 externes. Le second Empire fut, pour Louis-le-Grand, l'âge
d'or de l'internat : dès 1854, il y avait 421 internes contre
385 externes; en 1 861, il y eut 960 internes et seulement
446 externes ; en 1866, il y eut 1.346 internes et 483 externes.
Autre fait nouveau : dès les dernières années de l'Empire,
la mode du demi-pensionnat commença. Timidement d'abord :
5 demi-pensionnaires (sur 1.0 17 élèves), en i85o; 23, en 1 858 ;
87, en 1866. L'apogée, ce furent 35 1 demi-pensionnaires,
en 1887, en face de 395 internes et de 773 externes. Depuis
quelques années, il y a généralement 7 externes sur 10 élèves.
On peut dire, que, depuis i8o5, le pourcentage de l'externat
s'est accru jusqu'en i83o ; il s'est maintenu sous Louis-Philippe,
a diminué sous Napoléon III et, après un léger fléchissement
vers 1890, il n'a cessé d'augmenter ensuite. Mais encore faut-il
observer que cet externat a changé de nature. Aujourd'hui,
c'est l'externat libre qui domine; autrefois c'était l'externat
dans les pensions ou les institutions secondaires. Aujourd'hui
Bossuet est la dernière institution conduisant ses élèves à
LE LYCÉE LOUIS-LE-GRAND 99
Louis-le-Grand, Sainte-Barbe fut l'avant-dernière. Bossuet est
devenue la cliente du lycée depuis 1870 ; Sainte-Barbe qui
Tétait depuis Tan VII a cessé de l'être en 1894.
Il y eut, en 181 3, jusqu'à 21 pensions libres attachées à Louis-
le-Grand ; ce fut le record. De 1827 à 1 853, le nombre de ces
pensions oscilla de 18 à 16; depuis 1854, elles commencèrent à
péricliter et nous avons eu l'occasion de dire la cause de leur
décadence. Sans doute, leur nombre ne doit pas nous faire
illusion : il y eut des pensions très modestes et très éphémères ;
il y en eut qui conduisaient au lycée une très mince troupe
d'élèves. Les plus célèbres de ces pensions s'appelaient Aubert-
Audet, Aubusson, Brion, Cotte, Coullon, Hallays-Dabot, Decaut,
Delavigne, Démare, Guyet de Fernex, Gandon, Liautard,
Loriol-Gérono, Huré, Le Masson, Massin, Mayer, Morisson,
Savouré et surtout de Lanneau ou Sainte-Barbe. En 1866, sur
294 élèves, conduits par les pensions, 240 étaient barbistes.
Les élèves se chargèrent, pour un grand nombre, de sou-
tenir, à travers la vie, la vieille réputation de leur collège ou de
leur lycée. Parmi leurs devanciers, ils comptaient Molière et
Crébillon, Chapelle et Voltaire, Gresset, de Malesherbes,
Robespierre et Camille Desmoulins. Le xixe siècle allongea
cette magnifique pléiade : il ajouta Barthélémy Saint-Hilaire,
Baudelaire, Elie de Beaumont, Gaston Boissier, Eugène Bur-
nouf; Francis Chevassu, Crémieux, Alfred et Maurice Bouillet,
Croiset, Cuviîlier-Fleury ; Danilo Ier, prince régnant puis roi
de Monténégro, Eugène Delacroix, Gaston Deschamps, Drouyn
de Lhuys, Dupetit-Thouars, le baron Dupuytren, les frères
Du Sommerard, Faidherbe, Octave Feuillet, Frayssinous;
Géricault, L. Hachette, Homolle, Victor Hugo, Paul Janet,
Jules Janin, Laboulaye, Lachelier, Littré, Louis, prince héri-
tier de Monaco, Lechat, Victor et Charles Legrand, Albert
ioo L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
Petit, Quicherat, Rabier, Sylvestre de Sacy, Villemain et Weiss.
Au moment où nous écrivons, plus du quart de l'Académie
française est composé d'anciens élèves de Louis-le-Grand : Paul
Bourget, Denys Cochin, Maurice Donnay, le comte d'Haus-
sonville, Frédéric Masson, Paul Deschanel, Alfred Mézières,
Emile Ollivier, Raymond Poincaré, Thureau-Dangin et le
marquis de Vogué. Une telle couronne vaut tous les lauriers.
Et faut-il rappeler que M. Raymond Poincaré vient d'être promu
à la première magistrature de notre pays ?
Aussi bien, les études à Louis-le-Grand faisaient-elles pré-
sager une pareille gloire. Les Inspecteurs généraux procla-
maient que, dans aucune ruche universitaire, il n'y avait plus de
labeur. Ils estimaient, en 1837, qu'on savait y donner la supé-
riorité à l'intelligence sur la mémoire et dresser les enfants à
l'art de raisonner. En 1840, ils applaudissaient aux progrès
que les méthodes d'enseignement y avaient faits depuis dix ans.
Et ils pouvaient écrire, en 1860 : « Charlemagne seul est en
mesure de lutter, dans l'ensemble, avec Louis-le-Grand. Dans
les autres lycées, la comparaison n'est possible que pour un
petit nombre de classes. Cela tient surtout au personnel des
professeurs : il est remarquable. »
Sans doute, tout n'y était point parfait, certaines classes
dépassaient 100 ou 120 élèves et 5o, 60 ou 80, chez les petits;
les examens, institués le 9 septembre 1800, pour le Prytanée et
qui auraient dû arrêter au passage, d'une classe clans l'autre,
les élèves trop faibles, manquaient trop de sérieux et l'on consi-
déra, en i883, comme un acte d'énergie rare le fait d'avoir con-
traint 83 élèves à redoubler leur classe. Les traînards formaient
une queue interminable et le professeur était tenté de s'adresser
aux i5 premiers seulement. Sans doute aussi, on déplorait que
LE LYCEE LOUIS-LE-GRAND 101
les heures d'études fussent trop mesurées et le travail person-
nel trop étouffé, les classes trop longues et trop fréquentes.
Mais ces erreurs ou ces abus, Louis-le-Grand n'en avait
pas, hélas le monopole; et, à Louis-le-Grand plus qu'ailleurs
peut-être, on savait les dénoncer, sinon y renoncer. Un bon juge
pouvait dire en 1849 : «l'enseignement de Louis-le-Grand est
peut-être le plus sérieux, c'est celui qui concourt le plus adonner
une bonne direction aux élèves. » Tout au plus, pouvait-on se
plaindre qu'il fût parfois un peu trop élevé.
On assurait que les murs du vieux collège eux-mêmes par-
laient le latin. Du moins, y déclarait-on très nettement ce qui
est la vérité même : on n'enseigne pas le latin pour le latin,
mais pour le français. Le 3i juillet 1840, c'est le Proviseur de
Louis-le-Grand qui réclamait, l'un des premiers, une de nos
plus modernes réformes : « ajourner dans les classes élémen-
taires le latin jusqu'à la 6e et l'y remplacer par les langues
modernes. »
Les classes de grammaire en i835, 1840, 1860 paraissaient
aussi solides que vivantes et distinguées. Il n'était pas jusqu'aux
leçons qui n'y fussent récitées « avec un aplomb, une netteté une
intelligence, qui contrastait avec les autres lycées de France ».
Aux classes proprement littéraires on savait donc préparer
de bonnes assises. Peut-être cependant le grec était-il sacrifié
au latin et, jusque vers 1880, le français lui-même devait-il trop
céder la place à la langue deCicéron. Mais ces tendances, on ne
l'ignore pas, étaient celles de l'Université plus encore que celles
de Louis-le-Grand. A Louis-le-Grand, on savait, du moins,
acquérir cette « manière d'écrire saine, simple, exempte de faux
brillant et de recherche » que M. Rinn s'entendait merveilleu-
sement à enseigner. La Rhétorique était la classe qui attirait tous
les regards : Malleval le constatait officiellement, dès 1820 ; ses
102 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
successeurs le constatèrent, jusqu'à la fin du dernier siècle. Beau-
coup d'élèves, avides de passer leur baccalauréat ou de se pré-
senter aux grandes écoles, sautaient volontiers la seconde; mais
beaucoup aussi, avides d'une culture générale profonde et de
succès au grand Concours, redoublaient la Rhétorique. La Rhé-
torique de Louis le-Grand avait une réputation européenne.
La Philosophie présenta des oscillations beaucoup plus
variables : peu de classes dépendirent davantage du professeur
qui en assumait la charge. Parmi les maîtres éminents qui la
dirigèrent, Jules Simon, Janet, par exemple, il en est un sur-
tout qui sut mettre ses élèves hors de pair : c'était, en 1872,
M. Charles, le futur recteur de Lyon.
C'est à Louis-le-Grand que furent préconisées dès le Gou-
vernement de Juillet, la plupart des réformes dans l'enseigne-
ment des langues vivantes. On réclama l'étude de leur vocabu-
laire, dès Vàge de huit à dix ans ; l'usage des règles, après
l'usage des mots, et la classe d'anglais ou d'allemand, faite en
anglais ou en allemand.
Si la géographie ne fut pas en honneur au lycée, avant les
vingt-cinq dernières années, ce ne fut pas, semble-t-il, par la
faute du premier proviseur, Champagne : il réclamait, le 4 dé-
cembre 1802, des globes, des sphères et des cartes, qu'un de
ses lointains successeurs, M. Girard, réclamait encore, en 1872 :
à ce moment-là, les élèves n'avaient pas encore d'atlas. Mais
dans quel lycée en avait-on alors ?
La géographie n'était guère considérée à cette date, que
comme de l'histoire en surface . Et les professeurs d'histoire regar-
daient la géographie un peu trop en hilote. Au reste, tous les
proviseurs, et M. Pierrot-Desseilligny tout le premier, n'avaient
pas alors pour l'histoire elle-même une excessive tendresse. Ils
voyaient tout au plus, en elle, une gymnastique de la mémoire.
LE LYCÉE LOUIS-LE-GRAND 103
De tous les enseignements du collège, en 1 841 , elle leur paraissait
le plus défectueux, et ils proposaient de l'ôter aux spécialistes.
Ce qui ne les empêchait pas de regretter que l'enchaînement
des faits et des idées générales ne fussent pas suffisamment
marqué. Dix ou douzes élèves seulement, par classe, donnaient
quelque travail. Et c'était surtout un travail de sténographe ou
de copiste. « Point de lecture, disait l'Inspection en i838, point
de réflexion. Tout est reçu de la bouche du professeur, presque
sous sa dictée. » Les élèves continuèrent, jusqu'en 1880, à écrire
d'interminables rédactions, très impersonnelles. La moitié de
chaque classe était employée à lire les plus soignées, au milieu
d'une inattention et d'une indifférence presque générales. Et
cependant, dès 1840 sinon plutôt, on rendait hommage au talent
de M. Gaillardin, à son éloquence et à son art d'évoquer, par
mille piquants détails, toute la vie d'une époque.
Louis-le-Grand avait beau être surtout un lycée littéraire,
les sciences étaient bien loin d'y être négligées et le fait y fut
constaté, à maintes reprises, en 1837 et en i863. Au reste, des
hommes comme M. Vieille et M. Darboux assurèrent, pendant
plusieurs années, la fortune du lycée, en mathématiques spé-
ciales. Le cabinet de physique fut un des premiers installés
dans les collèges de la capitale ; et pareillement, le cabinet
d'histoire naturelle. M. Arvers fit plus que personne pour créer
l'enseignement zoologique et botanique. Louis-le Grand lui dut
des succès notables.
Cette grande maison fut toujours très loin de tomber dans
les abus que le concours général traînait ailleurs à sa suite. Le
7 avril 1843, l'Inspection générale constatait tout ce qu'avait
de factice le succès des institutions donnant à Charlemagne le
premier rang au grand Concours et laissant à Louis-le-Grand le
second. A Louis-le-Grand, chaque élève gardait « sa mesure
io4 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
légitime de récréation et de promenade, à l'air extérieur ».
« Nulle surexcitation artificielle, pas de répétitions continuelles,
pas de veillées extraordinaires et pas de concurrences d'indus-
tries rivales. » A Gharlemagne, concluait l'Inspection, on trou-
vait plutôt « un gymnase d'entraîneurs pour quelques athlètes » ;
à Louis-le-Grand c'était la véritable « éducation publique ».
Au total et jusqu'à la suppression du Concours général, en
1903, Louis-le-Grand, parmi les lycées de Paris, sut se placer au
premier rang1; depuis l'abolition du concours jusqu'en 1912,
c'est dans ses succès à l'École normale supérieure qu'il a eu
le souci d'affirmer sa vieille suprématie littéraire. Dans ces
deux dernières années, il a fait entrer, rue d'Ulm, presque
la moitié de la promotion des Lettres.
La rigueur de sa discipline passait pour assurer à Louis-le-
Grand la garantie de ses triomphes ; alors qu'elle avait, à
Henri IV, des allures presque paternelles, cette discipline con-
servait, rue Saint-Jacques, des allures militaires. Tous les mou-
vements s'y exécutaient, jusqu'à la fin du second Empire ou
presque, avec une régularité automatique rappelant celle de la
caserne. Au reste, les élèves y étaient groupés en compagnies,
commandées par des sergents et des sergents-majors.
En 1811, 1848, en i865,la sévérité en des circonstances heu-
reusement très exceptionnelles, alla jusqu'à la brutalité et le
proviseur eut à défendre aux maîtres de frapper les élèves.
Depuis l'origine du lycée, les élèves punis pouvaient être
privés de récréation et assujettis à un « travail utile » ; placés au
réfectoire devant une petite table, où ils étaient nourris au pain
sec; privés de promenades, privés desorties, enfin emprisonnés
1. 59 prix d'honneur, entre 1805 et 1900, dont deux à la fois, en 1866, 1870, 1874,
1880, 1883. 1885; et trois à la fois, en 1850 et 1878.
LE LYCÉE LOUIS-LE-GRAND 105
aux arrêts. Le premier proviseur, Champagne, réclamait, au
moins, une geôle, par groupe de cent élèves. Jusqu'en 1837, on
abusa un peu des punitions et notamment des arrêts ; séparé de
ses camarades et exilé de sa classe, le prisonnier copiait dans
son cachot 800, 1.000, 1.200 vers.
Depuis 1837, on parla d'adoucir ces rigueurs, on eut honte
d'avoir transformé « Virgile ou Racine en knout littéraire ». En
i838, la retenue forcée parut diminuer : un cinquième seulement
des élèves y fut condamné chaque jour; en 1847, un sixième
des élèves. On recourut à la statistique : en octobre i852, il
fut constaté que 345 p. 100 des élèves avaient été punis; et
335 p. 100, en octobre i853. Parmi les lycées parisiens, Louis-
le-Grand arrivait en tête pour le nombre des punitions infligées.
La discipline ne cessa désormais de s'adoucir. En juin 1870,
le Proviseur observa tristement : « la discipline n'est pas dans
un tel état qu'il faille encore l'affaiblir par des concessions
inutiles. »
On trouva cependant, depuis cette date, de nouvelles con-
cessions à faire, qu'on n'a pas jugées inutiles. L'autorité morale
des maîtres a dû s'attacher désormais à prévenir les fautes plu-
tôt qu'à les punir. Avec le minimum de punitions, il leur a fallu
obtenir le maximum d'ordre.
Il est très sûr, en tout cas, que l'intransigeance disciplinaire
n'avait pas évité à Louis-le-Grand les révoltes de 18 19, de 1824,
de 1848 et 184g, de 1868 et 1869, ou de i883. L'affection pour
un chef est la meilleure sauvegarde de l'autorité ; il faut, pour
l'acquérir, non pas de la faiblesse, mais de la fermeté, doublée de
tact et de mesure. Depuis tantôt vingt-cinq ans, ces qualités
ont assuré, sans rigueurs stériles, la discipline à Louis-le-Grand.
Et c'est un succès auquel les proviseurs d'autrefois auraient
sans doute refusé de croire.
io6 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
L'esprit des élèves, chaque fois que n'agissait pas sur lui
l'excitation violente des choses du dehors, fut toujours excellent.
Il est resté tel ; dans peu de lycées, l'influence du talent et
celle du caractère ont une action plus forte. Nulle part peut-
être plus qu'à Louis-le-Grand, l'élève n'est sensible au dévoue-
ment éclairé de ses professeurs et à leur apostolat. Nulle part,
non plus, il n'a davantage le sens du respect.
Au reste, il devine que le lycée ne tend pas seulement à la
vie intellectuelle mais à la vie morale, à l'éducation des
manières et à celle du cœur. En dehors des œuvres de bienfai-
sance, auxquelles sa générositél'associe, comme les autres lycées
parisiens, Louis-le-Grand a, depuis bientôt un demi-siècle, une
œuvre bien à lui, l'œuvre du Petit Sou. Un jour de i856, au
cours d'une promenade aux Champs-Elysées, les internes se
sentirent émus par la détresse d'un pauvre gavroche : il avait,
en leur demandant l'aumône, un visage et des gestes qui tou-
chèrent leurs âmes. Un élan généreux les poussa : ils adoptèrent
l'enfant. Ils ramenèrent au lycée leur petit protégé. Et, depuis
lors, la plupart des élèves de Louis-le-Grand donnent un sou par
semaine, qui sert à élever un, deux ou trois écoliers pauvres.
On devine bien que nul ne connaît ces écoliers-là. Eux-mêmes
ignorent qu'ils doivent à cette solidarité fraternelle la fortune
d'avoir le pain quotidien de l'esprit et du corps.
Autre originalité de Louis-le-Grand : ses concerts trimes-
triels. Leur fondateur? Cet admirable Pierrot-Desseilligny,
grand artiste autant que parfait administrateur et professeur
incomparable. Leur succès fut, dès l'origine, « très parisien » ;
et il s'est continué si bien que la salle des fêtes du lycée est,
depuis longtemps, trop étroite. Il a fallu lui substituer le
grand amphithéâtre de la Sorbonne. Depuis trois ans, un bal
s'ajoute périodiquement aux deux concerts annuels et à ce bal
LE LYCÉE HENRI IV 107
le Grand maître de l'Université ne dédaigne point de paraître.
Est-il bien nécessaire d'ajouter que, dans une maison où,
comme à Louis-le-Grand, les traditions se conservent ainsi qu'un
patrimoine de gloire, une Association des anciens élèves ne pou-
vait manquer de se fonder. S'étant fondée, elle ne pouvait
manquer d'être prospère. Le bien qu'elle a su faire depuis cin-
quante ans, les prix et les bourses qu'elle a créés, bourses au
lycée même et bourses de séjour à l'étranger, tout cela c'est à
l'éloge des générations d'autrefois et des générations d'aujour-
d'hui. Parmi les enfants de la chère et grande maison, les nou-
veaux savent que leurs devoirs se ramènent à un seul, qui les
résume tous : être dignes de leurs anciens.
II
LE LYCÉE HENRI IV1
Le Consulat, l'Empire, la Monarchie, la République furent les
parrains successifs et toujours infatigables du Lycée : il devait
s'appeler, dans le principe, Lycée du Panthéon ; il s'appela en
réalité, de 1804 à 181 5, lycée Napoléon ; de 181 5 à 1848, collège
Henri IV; en 1848, il devenait le lycée Corneille, et, de 1849 à
1870, pour la seconde fois, lycée Napoléon ; puis jusqu'en 1872,
et de nouveau, lycée Corneille; enfin, depuis 1873, il semble en
possession d'un état civil consacré, et c'est le lycée Henri IV.
En aucun lycée de Paris, les vieilles pierres n'ont plus res-
pectueusement gardé l'authentique parure de leur passé. Nul
lycée ne ressemble davantage à un coin tranquille de province
oublié dans la capitale (PI. 21 à 24).
1. 23, Rue Clovis (PI. 21 à 24).
108 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
Ses murs rappellent presque toutes les périodes de l'his-
toire de Paris : ils occupent à son extrémité le plateau du
mont Locoticius ; un autel de Diane y fut découvert, et aussi
les vestiges d'une fabrique de poteries gauloises et gallo-
romaines. Clovis et Clotilde ont donné leur nom à deux des
rues qui bornent le lycée, et les souvenirs mérovingiens flottent
encore autour du vieux clocher que la tradition a longtemps
appelé la tour de Clotilde ou de Clovis. La muraille de Phi-
lippe-Auguste touche à la partie orientale du lycée.
L'abbaye de Sainte-Geneviève se rattache aux premiers
temps de la monarchie franque, et ce sont les bâtiments de
cette abbaye, remaniés depuis la fin du xne siècle, qui servirent
au lycée de berceau. La terrasse où est construit le petit lycée
forme aujourd'hui, avec le parc du proviseur, les dernières
épaves des jardins de la vieille abbaye ; c'étaient les plus
magnifiques de Paris, tant que les Tuileries et le Luxembourg
furent en dehors de l'enceinte. Jusqu'au milieu du xviii6 siècle, ils
couvraient presque toute la place actuelle du Panthéon et,
au début du xixe siècle, ils allaient encore jusqu'à la rue d'Ulm
(PI. 21).
La chapelle du lycée a été installée dans l'ancien réfectoire
des Génovéfains, construit au xme siècle sur la face occidentale
de l'abbaye. Elle a 3ora,Ô2 de long et 8m,6o de large ; elle
a six travées, voûtées sur croisées d'ogives. La tourelle, qui
la flanquait à l'angle Nord-Ouest, a été démolie. C'est un beau
spécimen de l'art gothique et il a été classé parmi les monu-
ments historiques. Au-dessous de cette chapelle, sont des caves
monumentales, qui reposent elles-mêmes sur les voûtes des
catacombes (PI. 22-23).
En 1806, la rue Clovis a été ouverte, à la place de l'église
de l'abbaye dont le clocher seul subsista désormais, découronné
auw^yvt1
l'abbaye de sainte-geneviève (aujourd hui lycee henri iv)
d'après le plan de turgot, 1739
Phot: Vallois
LYCÉE HENRI IV. — VUE GÉNÉRALE SUR LA PLACE DU PANTHÉON (CÔTÉ OUEST;.
(Page 107O
PI. 22.
LYCEE HENRI IV.
Phot. Bulloz.
CHAPELLE (ANCIEN REFECTOIRE SAINTE-GENEVIEVE, XIIIe SIECLE)
LYCEE HENRI IV.
l'hui. Builoz.
DORTOIR [ANCIENNE BIBLIOTHÈQUE DE SAINTE-GENEVIEVE,
Win SIÈCL1 .
Page 107. i
LE LYCEE HENRI IV 109
de sa flèche pointue et de ses clochetons d'angle. Sous le pavé
de cette rue, le vandalisme des démolisseurs entassa pêle-mêle
de précieux débris : c'est là que Ton a retrouvé en 1844 une
statue de pierre de sainte Geneviève, qui décorait jadis le
trumeau de la porte médiane de l'abbaye.
L'original de cette statue a été placé au Louvre ; deux mou-
lages en ont été déposés, l'un à Saint-Denis, l'autre dans la cha-
pelle du Lycée.
La patronne de Paris y est représentée, comme l'exigeait
l'iconographie médiévale : elle a un cierge à la main ; sur une
des épaules est un diablotin, placé là pour éteindre ce cierge ;
sur l'autre épaule, est un petit ange, placé là pour le rallumer.
Angelot et diablotin jouaient ainsi à cache-cache, autour de la
tête de la sainte, et se divertissaient mutuellement à se duper.
Nos bons aïeux trouvaient plaisante cette scène et ils en avaient
pris l'idée dans un chapitre de la vie de Geneviève. Car, un
matin, Geneviève, en s'éclairant d'un cierge, allait à la messe ;
ce cierge s'éteignit puis se ralluma. Ils pensèrent aussitôt qu'un
démon était auteur du méfait et qu'un angelot avait réparé cette
méchanceté du Malin (PL 23).
C'est seulement depuis le début du xvie siècle que Gene-
viève, par suite d'une erreur historique, commence à être figu-
rée en bergère. La statue du lycée Henri IV a été précieuse
aux archéologues, qui ont fait la démonstration de cette erreur.
Le xvme siècle est, malgré tout, plus brillamment encore que
le xme, représenté à Henri IV. Le grand escalier, les dortoirs,
et, en particulier, la salle des fêtes n'ont peut-être pas d'ana-
logues en France.
Qu'on se figure une coupole lumineuse où Jean Restout avait
peint, en 1730, Y Apothéose de saint Augustin, patron des reli-
gieux. Sous cette coupole, dominant le grand escalier, deux
no L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
immenses galeries se coupaient en croix et formaient quatre
bras. Trois de ces bras avaient ioo mètres de long. A leur
point de rencontre, l'escalier était couvert et le bibliothécaire
avait installé son bureau. De ce centre géométrique, son regard
pouvait atteindre jusqu'aux extrémités des galeries et les sur-
veiller.
Cette bibliothèque était jugée, sous l'ancien régime, la plus
belle de l'Europe. Elle était garnie d'armoires dont quelques-
unes, conservées jusqu'à nous, attestent encore la splendeur de
cet asile des lettres. Les frises et les moulures du plafond, aux
angles arrondis, n'ont pas complètement disparu. Nous dirons,
dans nos derniers chapitres, l'exode des livres en i85o, dans le
bâtiment nouveau, construit par Labrouste, sur le côté septen-
trional de la place du Panthéon. Les locaux de l'ancienne
bibliothèque, laissés au lycée, furent convertis en dortoirs. Et
ces dortoirs sont une des curiosités les moins connues du Paris
contemporain. A cette place même, où les in-folios firent som-
noler peut-être, à l'heure de la sieste, quelque Génovéfain, plus
ami du rêve que de l'étude, nos modernes lycéens ont le droit,
sans scandaliser personne, de ronfler à l'aise, bouche ouverte et
poings fermés (PI. 22).
Du moins, l'ancien cabinet des médailles subsiste-t-il
encore. Nulle part peut-être, même au palais Soubise,
boiseries plus délicates, n'ont été conservées. C'est un pur
chef-d'œuvre d'appartement Louis XV. Il a été ouvert en 1753.
Napoléon III estimait que les armoires de cette salle ne dépa-
reraient point le palais des Tuileries. La Ville, fort heureuse-
ment, revendiqua ses droits de propriété ; ce fut le salut. Car
on sait ce que la Commune aurait fait de ce trésor d'art, s'il
avait été transporté chez l'Empereur (PI. 23).
Cette salle, qui fut, pendant une quarantaine d'années, le
LE LYCÉE HENRI IV m
cercle du lycée, est devenue depuis peu la salle des fêtes. L'es-
calier qui y mène dessert aussi les appartements du proviseur
et du censeur. Les balustres sont de chêne massif et ils valent
encore une visite attentive.
On jugera maintenant de la place éminente dévolue au
lycée parmi les richesses d'art de Paris : la chapelle et la salle
des fêtes nous conservent deux chefs-d'œuvre, qui permettent, à
quelques pas d'intervalle, de comparer ce qu'on savait cons-
truire de plus robuste, au siècle de saint Louis, et ce qu'on
savait décorer de plus exquis au siècle de Louis XV. Ici,
quelque chose de l'âme héroïque des Croisades; là quelque
chose de l'âme légère de la Pompadour (PI. 21 à 24).
Les proviseurs, qui ont dirigé le lycée, depuis sa fondation,
n'ont pas été très nombreux : 14 en cent neuf ans. Ce qui fait,
pour le consulat de chacun, une moyenne légèrement inférieure
à huit ans. Et cette moyenne serait élevée encore si M. Gidel
n'avait pas été, après six mois à peine, appelé d'Henri IV à
Louis-le-Grand. Quelques-uns de ses devanciers ou de ses suc-
cesseurs sont restés en fonctions dix années; ainsi, Auvray
sous la Restauration, et Baric, sous le second Empire. Un autre,
tout près de nous, M. Bertagne est resté douze ans, et son pré-
décesseur, M. Grenier, presque quinze ans. Les deux de Wailly
détiennent toujours le record de la durée, le second, Alfred,
avec seize ans, et le premier, Etienne-Augustin, avec dix-sept
ans d'administration1.
Autre remarque à l'éloge de l'esprit modéré de ces chefs :
1. MM. De Wailly (Etienne-Augustin), 19 août 1804-15 mai 1821 ; Auvray,
28 mai 1821-11 février 1831 ; Guillard, 19 février 1831-30 décembre 1833; Liez,
31 décembre 1833-10 mai 1838; De Wailly (Alfred), 12 mai 1838-24 août 1854;
Jullien, 24 août 1854-21 août 1856; Sauveroche, 21 août 1856-11 avril 1858;
Caresme, 14 avril 1858-février 1862 ; Baric, 12 février 1862-mars 1871 ; Denis,
ii2 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
les Révolutions passaient et les proviseurs demeuraient. Ni la
première abdication, ni les Cent-Jours, ni les deux retours de
Louis XVIII n'ébranlèrent la position d'Augustin de Wailly;
les journées de Juillet se passèrent et Auvray resta fidèle à son
poste. Et, de même, les journées de février et de juin 1848, et le
Principat, et le rétablissement de l'Empire : Alfred de Wailly
semblait se tenir en dehors des agitations contemporaines, tout
à ses élèves et non à la politique. Et si M. Baric résigna, en
mars 1 871 , des fonctions si redoutables à cette heure doulou-
reuse c'est qu'il y fut contraint par son âge et sa santé.
Le nom des Wailly est aujourd'hui très justement vénéré à
Henri IV : nul peut-être plus qu'Alfred de Wailly, le fils du
premier proviseur, ne sut contribuer à donner au lycée la phy-
sionomie familiale que cette maison a su garder depuis et qui
inquiétait un peu les inspecteurs généraux avant et après la
révolution de Février. Elle n'inquiète plus personne : nous
croyons savoir que le proviseur actuel, M. Suérus, un sage, a
le souci de la conserver comme un trésor rare, dont il estime,
en connaisseur, tout le prix.
Le choix des censeurs1 fut presque toujours remarquable-
ment heureux: le premier, Dumas, que la Restauration devait
appeler comme proviseur à Charlemagne, fit, pour ses débuts,
preuves d'administrateur à Henri IV, où il profita largement de
la confiance amicale d'Augustin de Wailly. Drevet fut ensuite
29 mars 1871-25 avril 1878 ; Gidel, 25 avril 1878-21 septembre 1878 ; Grenier,
21 septembre 1878-17 mars 1893; Bertagne, 17 mars 1893-1905; Suérus, ier mars 1905.
1. MM. Dumas, 13 août 1804-24 août 1815 ; Drevet (censeur adjoint, 30 sep-
tembre 1810), 24 août 1815-10 mars 1838; Maignien, 20 mars 1838-15-mai 1838;
Jumel, 15 mai 1838-26 mars 1841 ; Clachet, 26 mars 1841-31 août 1853 ; Haussard,
31 août 1853-11 août 1866; Denis, 11 août 1866-21 septembre 1868; Lomon,
21 septembre 1868-16 mars 1871 ; Lenglier, 29 mars 1871-14 août 1872 ; Robert,
14 août 1872-26 septembre 1878; Toussaint, 26 septembre 1878-6 décembre 1882;
Deprez, 6 décembre 1882-17 mars 1893 ; Bralley. 17 mars 1893-1896 ; François,
1896-1905 (31 décembre): Ogereau, 1905-1907 ; Barbier, ior octobre 1907.
PI. 23.
LYCKE HENRI IV. LES CUISINES (XIIIe SIECLE
Phot. Buii.i
LYCÉE HENRI IV. — LE CERCLE
(XVIIIe siècle).
(Page 107.
STATUE DE SAINTE GENEVIEVE
JADIS AU LYCÉE HENRI IV
(xiii0 siècle) (Musée du Louvre).
LYCEE HENRI IV. — LE GRAND ESCALIER.
Phot. Vallois
LYCEE HENRI IV. — JARDIN DU PROVISEUR.
(Page 107.)
LE LYCÉE HENRI tV 113
vingt-trois ans censeur. Maignien ne fit que passer ; mais beau-
coup d'autres, Clachet, Haussard, pour ne parler que des
anciens, ne voulurent pas considérer leurs fonctions comme un
simple stage, et le lycée n'y perdit rien.
Les professeurs furent, dès l'origine, des hommes distingués ;
quelques-uns furent même des hommes éminents. L'illustre
Guvier avait enseigné l'histoire naturelle dans l'École centrale
du Panthéon avant que, dans le lycée, de Quatrefages ne l'en-
seignât à son tour, comme Despretz et Bertrand, qui, tous deux,
entrèrent à l'Institut, y professèrent la physique et les mathé-
matiques. Avant de s'asseoir sous la coupole, c'est dans une
chaire du lycée que montèrent Nourrisson et M. Bergson, pour
expliquer, les mystères de la philosophie ; Victor Duruy,
MM. Lavisse et Levasseur, pour résoudre les problèmes de
l'histoire ; Henri Patin, Victor Leclerc, Emile Egger, Gréard
et Monceaux, pour initier les jeunes esprits au charme des huma-
nités. De Victor Duruy, l'Inspection générale disait en 1841 :
« Les collèges royaux qui ont de tels professeurs, doivent s'es-
timer très heureux. » Mais elle observait en 1845 : « M. Duruy
ambitionne un poste plus avantageux. »
Quelles obligations le lycée n'a-t-il pas à l'enseignement
des Caboche et des Daveluy, des Guéroult, des Letendart et
des Naudet, des Poirson et des Dutrey, des Léon Feugère,
des Desmichels, des Viîlemeureux et des Poyard, pour ne point
parler d'Henri Ghantavoine ni d'aucun de ceux à qui tous les
amis de l'Université souhaitent encore de très nombreuses
années. — Quant aux aumôniers de la glorieuse maison, ils
comptent, dans leurs rangs, Mgr Darboy et le Père Lacordaire.
Le nombre des élèves du lycée, dès le premier Empire,
dépassa plus de trois fois le nombre des élèves à l'Ecole cen-
ii4 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
traie du Panthéon. Le maximum à l'Ecole centrale avait été de
304 élèves, en 1800. Or, la moyenne du lycée, de 1808 à i8i3,
fut de 972, avec un minimum de 744, en 1809, et un maximum
de 1 .149, en i8i3.Dès 1 810, le proviseur de Wailly, très fier de
voir ses classes regorger d'écoliers, écrivait au Grand Maître de
TUniversité : « Le Lycée Napoléon est, en ce moment, la maison
la plus nombreuse de l'Empire, soit en pensionnaires, soit en
externes. » En 1816, le collège tombait à 687 ; mais il eut
966 unités en i83o, presque 900 en 1839, et aujourd'hui il en
a près de 1 .ooo1.
L'internat, longtemps florissant à Napoléon-Henri IV, ne
promettait pas aux pensions ou aux institutions particulières
une clientèle aussi fidèle qu'aux lycées d'externes, Bonaparte-
Condorcet et Charlemagne. Au commencement et à la fin du
xix6 siècle, au début du xx°, Sainte-Barbe conduisait à
Henri IV une partie de ses élèves. Depuis l'Empire jusqu'à
Louis-Philippe, l'institution Hallays-Dabot contribua noblement
pour sa part au bon renom du lycée: elle s'enorgueillissait
d'avoir eu comme élèves Victor Leclerc et de Jussieu. Sous le
Gouvernement de Juillet et sous l'Empire, l'institution Jubé,
fondée place de l'Estrapade, obtint deux fois, en 1846 et 1 856,
pour la réthorique et la philosophie, le prix d'honneur. Nous le
verrons plus loin2, quand elle alla se fixer près du lycée Napo-
léon, l'institution de Reusse abandonna le lycée Saint-Louis
pour son rival.
A ce moment déjà, le nombre des internes avait commencé
1. Voici quelques chiffres empruntés à Ch. Fierville, Archives des Lycées, Paris
1893 ; in-40, p. 78-79.
De 1814 a 1830, moyenne 809 (maximum 966 en 1830 ; minimum 687 en 1816).
De 1831 à 1842-3, moyenne 771 (maximum 895 en 1839; minimum 687 en 1837).
Statistiques de 1865, 681 — de 1876, 776; — de 1887, 747.
2. Voir ci-dessous, p. 156.
LE LYCÉE HENRI IV 115
la longue décroissance qui s'est à peine arrêtée depuis : la demi-
pension et surtout l'externat recueillaient ce que perdait l'in-
ternat1. Sur 9 élèves, en 1908, il y avait un interne; en 1846, il
y en avait 5. On constate donc à Henri IV ce que depuis un
demi-siècle nous observons ailleurs : c'est la crise de l'internat
dont nous avons vu déjà les causes générales".
Et cependant l'internat d'aujourd'hui ressemble bien peu à
celui d'autrefois. Les vieilles grilles sont tombées. L'air circule
partout; un service ingénieux de bains et de douches a été orga-
nisé. Dans la cour des jeux, le tir, le tennis ont fait leur entrée.
Internes, externes, demi-pensionnaires, tous rivalisaient
pour donner au lycée les couronnes du Concours général. Sous
le provisorat d'Augustin de Wailly, en seize ans, le lycée obtint
sept prix d'honneur ; Charlemagne en gagnait sept ; Louis-le-
Grand (ou Lycée impérial) trois ; Condorcet (Bonaparte ou
Bourbon) un seul. Pendant le provisorat d'Auvray, en dix ans,
Henri IV eut encore trois fois le prix d'honneur de Rhétorique
et une fois le prix d'honneur de Philosophie; mais Bonaparte
avait quatre prix d'honneur ; Louis-le-Grand, trois ; Charle-
magne, deux ; les victoires d'Henri IV étaient désormais mena-
cées. En 1870, il était pour les prix d'honneur le quatrième
des lycées de Paris. Depuis lors, les lauriers ont été sur-
1. Nous devons les précisions ci-dessous, aux Archives du Lycée Henri IV et à
l'obligeance de son aimable proviseur, M. Suérus :
PENSIO>
- 1/2
PENSION-
PENSION-
l/2 PENSION
ANNÉES
NAIREÎ
NAIRES
EXTERNES
TOTAL
ANNÉES
NAIRES
NAIRES
EXTERNES
TOTAL
1846.
469
388
857
1898.
117
117
502
736
1858.
422
166
588
1899.
IOO
104
498
702
1866.
494
46
144
684
1900.
.90
IO3
475
668
1876.
445
83
238
766
1905.
Il8
127
605
850
1884.
380
93
286
759
1910.
Il8
M3
685
946
1891.
189
155
395
739
1911.
x3r
M3
672
946
1896.
140
106
445
691
1912.
141
153
694
988
2.
Voir ci-
dessus, p.
57-
n6 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
tout partagés entre Louis-le-Grand, Condorcet et Henri IV.
Ces années dernières, depuis la suppression du Concours
général en 1904, c'est la préparation à l'Ecole normale supé-
rieure qui, à défaut de mieux, permit de comparer renseigne-
ment littéraire des lycées : Henri IV s'est placé immédiate-
ment après Louis-le-Grand et lui a plus d'une fois disputé le
premier rang. En 1848, l'Inspection générale constatait que le
lycée se résignait au second rang. Il avait une clientèle de
créoles qui évitaient le surmenage. Et il était alors le lycée le
plus mondain de Paris ; chaque matin, son proviseur faisait, à
cheval, sa promenade au Bois.
La distinction de ses humanités n'a pas empêché le lycée
Henri IV de faire accueil à l'enseignement scientifique. Les
sections modernes B et D y ont été organisées, et aucun lycée ne
rivalise avec lui pour la préparation à l'Institut agronomique.
Mais Henri IV reste avant tout la maison des bonnes lettres
où les traditions classiques sont en honneur. Et beaucoup d'an-
ciennes dynasties universitaires n'ont pas voulu que leurs
enfants désapprissent le chemin coutumier de la vieille maison.
Quand le duc d'Orléans entra en coquetterie avec la bour-
geoisie française, il voulut que ses fils, à lui, fussent élevés côte à
côte avec ses fils, à elle : il fit choix du collège Henri IV,
Devenu roi, il lui conserva la même confiance.
Aujourd'hui encore le lycée Henri IV est un de ceux où
l'intimité familiale, si chère jadis au roi-citoyen, se conserve le
mieux. La célébration du centenaire en 1904, a su en dépit de
son éclat, conserver ce caractère d'intimité charmante. Les
dimensions de la salle des fêtes sont loin d'être grandioses et
c'est tant mieux ; elles contribuent à garder ainsi aux représen-
tations et aux concerts, cette impression de home qu'on ne
saurait aisément atteindre ailleurs. Les élèves et leurs invités
LE LYCÉE HENRI IV 117
y sont chez eux et entre eux. Tout y est laissé à leur initiative
propre. Le programme n'est pas toujours imprimé ou litho-
graphie. Il suffit que ces séances apprennent aux auteurs et aux
acteurs la tenue, Tart de parler en public et de se présenter.
C'est là une œuvre éducative excellente que complètent les
sociétés chorales du lycée. Ajoutons-y le culte des souvenirs et
îa fierté des camarades consacrés par la renommée l.
1. Dans le parloir récemment réorganisé du lycée, un tableau de 55 noms
rappelle ceux des anciens élèves entrés à l'Institut. Voici cette glorieuse liste (voir
p. 118) :
ENTRÉE A L'INSTITUT ACADEMIE
1816 Augustin Cauchy. Des Sciences.
1817 Joseph Naudet. Des Inscriptions.
1821 et 1841. . . François Villemain. Française et des Inscriptions.
1823 Am. de Pastôret. Des Beaux-Arts.
1825 Casimir Delavigne. Française.
1831 Adr. de Jussieu. Des Sciences.
1833 H. Geoffroy Saint-Hilaire. Des Sciences.
1834 Victor Leclerc. Des Inscriptions.
1834 Eugène Scribe. Française.
1835 Elie de Beaumont. Des Sciences.
1835 Ach. de Salvandy. Française.
1839 Ch. Lenormant. Des Inscriptions.
1840 Cam. de Montalivet. Des Beaux-Arts.
1842 Henri Patin. Française.
1842 et 1847. . . Charles de Rémusat. Des Sciences Morales et Française.
1843 et 1841. . . Prosper Mérimée. Des Inscriptions et Française.
1844 Saint-Marc Girardin. Française.
1847 J.-J. Ampère. Française.
1848 Jean Vatout. Française.
1852 Alfred de Musset. Française.
1856 Charles Hermite. Des Sciences.
1857 Emile Augier. Française.
1859 Emile Egger. Des Inscriptions.
1860 Napoléon Daru. Des Sciences Morales.
1861 Charles Renouard. Des Sciences Morales.
1863 Victor Baltard. Des Beaux-Arts.
1864 Paul Thénard. Des Sciences.
1867 Abbé Gratry. Française.
1867 Baron Haussmann. Des Beaux-Arts.
1868 Stanislas Laugier. Des Sciences.
1868 et 1901. . . Melchior de Vogué. Des Inscriptions et Française.
1869 Auguste Barbier. Française.
1870 Odilon Barot. Des Sciences Morales.
1871 Victor Puiseux. Des Sciences.
1872 et 1880. . . Duc d'Aumale. Française et Beaux-Arts.
1873 Constant Martha. Des Sciences Morales.
1873 et 1900. . . Marcelin Berthelot. Des Sciences et Française.
1873 et 1884. . . Ferdinand de Lesseps. Des Sciences et Française.
u8 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
L'Association amicale des anciens élèves, fondée en 1 833 , a le
souci de développer, dans la vie, la camaraderie née au collège.
Une cotisation annuelle de 2 fr. 2 5 est payée par chaque élève
et versée dans la caisse de l'Association. Cette obole permet
d'entretenir des bourses et d'accorder des dégrèvements.
Il y a huit ans, le Président de cette Association, M. Lafaye,
a rappelé avec éloquence quelle variété de talents renseigne-
ment et Téducation du lycée avaient fait éclore. Nous avons
plaisir à citer ses paroles, en y ajoutant à peine quelques noms :
« Voici, disait-il, des poètes et des auteurs dramatiques : Casi-
mir Delavigne, Musset, Scribe, Emile Augier, Victorien Sar-
dou, Jules Barbier. Voici des historiens et des critiques :
J.-J. Ampère, le ducd'Aumale, Saint-Marc-Girardin, et un con-
teur exquis, Mérimée, et l'inimitable Pierre Loti. Ici, ont reçu
leurs premières leçons des savants, tels qu'Adrien de Jussieu,
Paul Thénard, Elie de Beaumont, Marcellin Berthelot, et des
politiques tels qu'Odilon Barrot, de Montalivet, de Salvandy, de
Rémusat, Ernest Constans. Il y a, parmi les anciens élèves de
cette maison, des hommes d'étude dont plusieurs sont devenus,
à leur tour, des professeurs éminents, Naudet, Victor Leclerc,
ENTREE A I. INSTITUT ACADÉMIE
1877 Henri Debray. Des Sciences.
1877 Victorien Sardou. Française.
1878 Rodolphe Dareste. Des Sciences Morales.
1879 Alph. Milne-Edwards. Des Sciences.
1882 Cardinal Perraud. Française.
1886 Edouard Hervé. Française.
1886 Gabriel Lippmann. Des Sciences.
1888 Colmet de Santerre. Des Sciences Morales.
1888 Ch. de Franqueville. Des Sciences Morales.
1889 Emile Picard. Des Sciences.
1890 Henri Léauté. Des Sciences.
1891 Pierre Loti. Française.
1895 René Cagnat. Des Inscriptions.
1895 Achille Luchaire. Des Sciences Morales.
1898 et 1912 . . Emile Boutroux. Des Sciences Morales et Française.
1908 Jean Richepin. Française.
1911 Edouard Bianly. Des Sciences.
LE LYCÉE CHARLEMAGNE ng
Patin, Charles Lenormant, Achille Luchaire. Mais il y a aussi
des hommes d'action dont le lycée, que je sache, n'a point refroidi
le sang généreux ni les belles hardiesses : rappelez-vous Ferdi-
nand de Lesseps et l'explorateur Crampel, mort glorieusement,
en pleine barbarie. Chacun de ceux-là a conservé, pour la plus
grande joie de ses maîtres, son individualité propre. Ceux mêmes
qui ont été confrères ne se ressemblent pas entre eux : le pin-
ceau d'Henri Regnault n'est pas celui de Puvis de Chavannes. »
Et comment ne pas emprunter au moins quelques strophes
à M. Henri Chantavoine qui a su chanter ce lycée, deux fois
cher à son cœur d'élève et de maître.
Regardez: ce collège est-il une prison,
Une geôle, une cage obscure et retirée?
Non, dès le seuil joyeux de la porte d'entrée,
Un jardinet fleuri parfume la maison.
La maison elle-même est une pépinière.
Ton feuillage, ô jeunesse, y frissonne en plein vent ;
Tes rameaux sont tournés vers le soleil levant
Et ta racine boit la vie, en bonne terre,
C'est le sol généreux des terrains de montagne ;
Notre chère maison est comme un beau verger,
Qui reçoit tour à tour et mêle sans danger,
L'effluve de Paris et l'air de la campagne.
III
LE LYCÉE CHARLEMAGNE1
Le 10 septembre i8o3, un décret consulaire transforma en
lycée l'Ecole centrale de la rue Saint-Antoine2. Par une fortune
i . Grand Lycée. 101 , rue Saint- Antoine. Petit Lycée, 13, rue Charlemagne (PI. 25-
26).
2. Sur le Lycée de 1804 à 1814, voir l'intéressant Discours de M. Prieur, à la
distribution des prix de Charlemagne le 29 juillet 1905 (Voir nos planches 25 et 26} .
120 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
rare, ce lycée reçut un nom si bien consacré par l'histoire
ou la légende que ce nom, en dépit des révolutions, n'a pas
changé : le lycée s'appela et s'appelle encore Charlemagne.
A Chaptal revient l'honneur d'avoir désigné l'illustre par-
rain. Et nous n'assurerions pas que le souvenir de la barbe
fleurie du grand empereur (qui ne porta jamais que la mous-
tache), n'ait pas contribué à le populariser à travers les âges;
tout autant que le souvenir de sa prédilection pour les éco-
liers parisiens, quoique Charlemagne ne soit jamais venu à
Paris et n'ait donné ses encouragements qu'aux écoliers d'Aix-
la-Chapelle.
Le lycée fut momentanément installé dans les locaux qu'il
n'a point quittés. C'est un de ces nombreux exemples du provi-
soire qui devient séculaire. La maison professe « des ci-devant
Jésuites de la rue Saint-Antoine » n'était pas un palais : le nou-
veau lycée dut cependant s'en contenter \. Il n'alla point, derrière
la place des Vosges, dans les bâtiments des anciens Minimes,
où l'on avait décidé de le loger. Des projets d'agrandissement,
en 1 8 1 2, devaient acquérir au lycée, entre les rues des Prêtres
Saint-Paul et Percée, trois immeubles : un seul, l'hôtel Jassaux,
fut acheté, le 29 mars 181 3, à Mm0 Leclerc.
Trois proviseurs, Guéroult l'aîné, Crouzet et Daireaux
administrèrent le lycée, du 19 août 1804, au 24 août 181 5;
ils furent aidés par trois censeurs, Valmont de Bomare, Targe
et Pierrot-Desseilligny2.
Guéroult était un vénérable vieillard, dont les cheveux
1. Voir planche 26, la porte de la Bibliothèque et le plafond, épaves actuelles de
l'ancienne demeure des Jésuites.
2. Proviseurs: MM. Guéroult (1744-1821), 19 août 1804-septembre 1809; Crouzet,
né 1753, septembre 18091er janvier 1811 ; Daireaux, 4 janvier 1811-24 août 1815.
Censeurs: MM. Valmont de Bomare, 19 août 1804-25 août 1807; Targe, 25 août
1807-26 septembre 1 8 1 5 ; Pierrot-Desseilligny, censeur adjoint, 1814-26 sep-
tembre 18 15.
E
OT
o
M
c_,
>
o
<fl
</!
X
►J
n
Kl
Ù
■H
z
O
o
ri
< s
LE LYCEE CHARLEMAGNE 121
blancs et l'aspect austère rappelaient à ses contemporains,
tout férus d'antiquité, « un vieux citoyen de Rome aux bons
temps de la République ». Chaptal disait de lui : « c'est un
grand esprit d'ordre, un homme d'un vrai mérite. » Il avait
professé au collège d'Harcourt, c'était un grammairien et
un humaniste ; trois fois lauréat de la vieille Université, il
avait traduit Pline et son histoire naturelle des animaux. Sa
meilleure œuvre fut cependant un de ses élèves, Burnouf.
Quand Guéroult, en 1809, quitta Charlemagne, ce fut pour
diriger l'Ecole normale, et Pierre Crouzet lui succéda, rue
Saint-Antoine. Il avait été principal de Montaigne et avait su
relever le Prytanée de Saint-Cyr. Chez lui, les qualités du
cœur valaient celles de l'esprit. Il mourut à son poste. Dai-
reaux, qui le remplaça, parut aux Bourbons, après les Cent-
Jours, être demeuré trop fidèle au culte de l'Empereur. Ils le
destituèrent « sans l'entendre et en lui laissant le soin de
deviner les motifs d'une telle rigueur ». Il survécut vingt et un
ans à sa disgrâce.
Les deux premiers censeurs avaient fait valoir leur grand
âge pour obtenir leur charge. Ils y voyaient une place de tout
repos. Quand l'un deux, Targe, prit sa retraite en 181 5, on
compta ses années de service : leur nombre atteignait 55. On
lui avait, dès i8i'4> adjoint M. Pierrot-Desseilligny,que le chan-
celier de l'Université, le baron de Villaret, jugeait un jeune
homme plein de talents mais d'un royalisme vraiment trop tiède.
Il fallait « l'avertir, disait Villaret, et le surveiller pour le rame-
ner à des sentiments plus clignes de son mérite ». Et, par solli-
citude, on le déplaça1.
Les élèves, en 1806, n'étaient encore que 342, et 344, en
1. V. ci-dessus, lycée Louis-le-Grand, p. 95.
122 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
1810 ; 433, en juillet 181 5 ; 494, en avril 18 14 ; ils avaient atteint
704 et même 83o, en 181 3.
Pas d'internat à Charlemagne ; neuf sur dix des élèves, ou
à peu près, étaient recueillis par les pensions voisines du
lycée et destinées à travailler plus tard si magnifiquement à
sa gloire. On pourrait en signaler une dizaine jusqu'en 1 81 5.
L'institution Lepitre était alors la plus fameuse ; mais déjà
les institutions Favard et Massin préludaient à leur future for-
tune; les autres, moins fameuses, s'appelaient : Le Chevalier, à
l'hôtel Saint-Fargeau, Barbette, Fleurizelle, Lefèvre et Cousin,
Le Fortieret Leroux.
L'âge des censeurs et l'absence totale de maîtres d'étude
permettent de penser que la discipline était alors toute pater-
nelle. C'étaient les garçons du lycée qui étaient chargés d'accom-
pagner les élèves jusqu'à l'entrée de chaque classe.
Les victoires de l'Empire exaltaient les cœurs ; ses défaites
ne les abattaient pas. Beaucoup d'élèves, à Charlemagne, comme
dans les trois autres lycées de Paris, étaient fils d'officiers ou
de fonctionnaires napoléoniens.
En octobre 181 2, la conspiration de Malet avait tendu les
nerfs des élèves qui, aux abords de la prison de la Force, avaient
pu en surprendre quelques épisodes. En 181 3, les hautes classes
avaient contribué à peupler le Prytanée, Saint-Cyr et Fontai-
nebleau : les archives du lycée ont conservé leurs noms. Ceux
qui restèrent furent, pendant les Cent-Jours répartis, quand ils
avaient plus de dix-sept ans, en escouades de canonniers. Au
lendemain de Waterloo, les élèves de l'Institution Lepitre cou-
rurent à Vincennes travailler aux retranchements : la béquille
de leur directeur, très fervent royaliste, ne réussit pas à leur
faire peur. Enfin à la distribution des prix du 3 août 181 5, les
cris de Vive Napoléon ! consternèrent les amis de Louis XVIII.
LE LYCÉE CHARLEMAGNE 123
Ils se consolèrent à la pensée qu'au mois de janvier précédent
le jeune Boyard avait sollicité de Fontanes la décoration du lys
et que plusieurs de ses camarades avaient subi la contagion de
son exemple.
De telles agitations n'étaient pas toujours favorables au pai-
sible développement des études. Quelques professeurs sont
devenus célèbres, Laya et l'Etendart et surtout Villemain, Bur-
nouf et Cousin. Le lycée a conservé, dans ses Archives, le cours
de Belles-Lettres qu'y enseignèrent, en 1808-09, Laya et Bur-
nouf. On ne se contentait pas seulement de haranguer les sol-
dats de Pompée et ceux de César ni de donner, par la bouche
de David, de sages conseils à Salomon. On chantait encore, en
vers latins, les exploits de Napoléon. Mais nul n'avait le cou-
rage de goûter l'audace du professeur Lassus qui proposait,
dès 1809, d'enseigner la grammaire comme les novateurs de
notre temps ont réussi à le faire. Lassus venait trop tôt en un
siècle trop jeune.
Fontanes refusa d'accorder à l'enseignement de l'histoire à
Charlemagne deux conférences par semaine. Et si Michelet,
entré en troisième à Charlemagne , ne sachant encore ni
vers ni grec, sentit sa vocation et son génie, les Rudiments
de Domairon, qu'on lui donnait en pâture, n'y furent pour rien.
Il y souffrit, dans sa sauvagerie et dans sa pauvreté, au
contact de ses jeunes camarades : mais il y fut deviné par ses
maîtres, Andrieu d'Albas, Leclerc, surtout Villemain. « Je me
rappellerai toujours, nous a-t-il conté dans son Livre du Peu-
ple, que M. Villemain, après la lecture d'un devoir qui lui avait
plu, descendit de sa chaire et vint, avec un mouvement de sensi-
bilité charmante, s'asseoir sur mon banc d'élève, à côté de moi. »
Quatre fois, de 1808 à 181 3, les camarades de Michelet rem-
portèrent le prix d'honneur et notamment Victor Cousin en
i24 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
1810 ; Paul Barbet commençait à être le lauréat par excellence
et, à ses côtés, Patin, Lafond-Ladebat et Brongniart.
De 181 5 à 1848, les locaux du collège Gharlemagne restè-
rent ce qu'ils étaient jusque-là. Napoléon lui avait promis tout
l'espace occupé jadis par l'hôtel d'Hugues Aubriot et ses dépen-
dances, dont l'hôtel Jassaud n'était qu'une partie. Ces pro-
messes, ni Louis XVIII, ni ses successeurs ne songèrent à les
tenir. Mais, sous Louis XVIII, vers 1820, on arracha, dans la
grande cour des classes, les vignes que les Jésuites avaient plan-
tées là. Les raisins, chaque année, rappelaient ceux de la terre
promise et cependant à ces grappes savoureuses les collégiens
ne devaient point toucher ni les professeurs non plus1. Quelques
grands arbres, un magnifique vernis du Japon, un beau noyer,
une rangée de sycomores, conservés au fond de la cour, furent
les dernières épaves de ce verger et de ce coin de verdure. Et ces
épaves disparurent à leur tour, quelques années plus tard (PI . 25) .
Deux proviseurs seulement 2, sous la Restauration et la
Monarchie de Juillet; mais ce fut assez pour orienter décidé-
ment le collège vers son apogée : Dumas prépara, pendant
vingt-deux ans, ce que commença à réaliser Poirson, en seize
années. Leur successeur n'eut presque plus qu'à moissonner
ensuite les derniers lauriers dont ils avaient surveillé réclu-
sion.
Dumas avait été le premier censeur du lycée Napoléon, après
avoir été avocat à Lyon, son pays natal, et journaliste ; son éloge
de d'Alembert avait attiré sur lui les regards deBailîy, de Mmo de
Staël et de M. de Barentin, garde des sceaux, qui le prit pour
1. Voir Mmo Charles Garnier, Une famille universitaire au XIXe siècle, Paris
Hachette 1911, 8°, p. 144, n. 2.
2. MM. Dumas, 24 août i8i5-ier mars 1837 ; Poirson, iermars 1837-19 avril 1853.
LE LYCEE CHARLEMAGNE 125
secrétaire particulier. Il avait, après le 18 fructidor, remplacé
Fontanes dans renseignement des Belles-Lettres à l'Ecole cen-
trale des Quatre Nations. Il resta toute sa vie un classique
convaincu. Mais c'est surtout au lycée Napoléon que la colla-
boration et l'amitié d'Et.-Aug. de Vailly avaient achevé de ie
mûrir. Une admirable santé morale et physique, de la verve
et de la mesure, du bon sens et de l'esprit, de la finesse et du
courage lui conquirent le respect affectueux de tous.
Son successeur, Poirson, était de quarante ans plus jeune.
Il fut le premier des proviseurs de Gharlemagne à n'avoir pas
connu la vieille Université. Mais il avait su dans la nouvelle,
comme professeur d'histoire, comme écrivain et comme admi-
nistrateur du collège Saint- Louis, s'acquérir un très juste
renom. Son caractère et son mérite sont appréciés depuis long-
temps, disaient en 1844, les Inspecteurs généraux1. Son talent
était servi par son ardeur et par son zèle. Il avait la qualité
maîtresse, l'autorité et l'action. Et si, durant son Consulat,
Charlemagne escalada, de haute lutte, le premier rang, c'est
en grande partie à ce chef éminent que ce collège en fut rede-
vable.
Quatre censeurs secondèrent ces deux admirables provi-
seurs, Basset, Gros, Belin et Maugeret 2. Parmi eux, Basset
ancien bénédictin et ancien émigré, promena , huit années,
sans lassitude, dans la cour d'entrée et les corridors du collège,
sa longue houppelande qui symbolisait, pour les maîtres et les
élèves, la statue vivante de l'exactitude et du devoir.
Le nombre des élèves, de 1 8 1 5 à i83o, atteignit son maxi-
i. Arch. Nat.,F" 78465.
2. MM. Basset, 26 septembre 1815-3 octobre 1823 ; (né 1760, mort 1828) ; Gros,
censeur adjoint, 5 novembre 1820-10 octobre 1822; Belin, 3 octobre 1823-16 octo-
bre 1841 ; Maugeret, 16 octobre i84i-ifr avril 1852.
126 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
muni, 8G8, en 1 829 ; la moyenne ne s'éleva pas tout à fait à 700.
De 1 83 1 à 1843, cette moyenne se haussa jusqu'à 767, avec un
minimum de 608, en i832, et un maximum de 83o, Tannée
précédente. Le choléra, qui éprouva très rudement le collège,
explique la chute de i832. En 1827, certains élèves venaient au
lycée, du quartier de la Madeleine1.
Les Institutions vécurent alors leur âge d'or; elles attiraient
à elles presque tous les élèves. L'hôtel Saint-Fargeau abritait
l'Institution Jauffret, et, depuis 1829, l'hôtel Carnavalet abrita
l'Institution Verdot ; l'hôtel d'Ormesson, rue Saint-Antoine,
donnait asile à l'Institution Favard; l'hôtel Lesdiguières, rue
la Cerisaie, à l'Institution Landry ; dans l'ancien couvent des
Minimes, s'était logée l'Institution Massin. Et nous ne pouvons
que nommer les Institutions Leroux, Fleurizelle, Briand,
Bourdon, Scribe, Cellier, Normand, Andrieu, Maugé, Petit et
Thomas, Coûtant, Fontaine et Savouré — « La rivalité de ces
grandes Institutions a quelquefois dégénéré en querelles per-
sonnelles, observait-on, au ministère, en 1846, et l'administra-
tion supérieure a été obligée d'intervenir, pour rétablir la
bonne harmonie. »
Ces Institutions avaient l'ambition de compléter l'éducation
que le collège ne pouvait donner à loisir. La camaraderie et la
charité n'ont pas moins laissé à Charlemagne de touchants
témoignages. En 1829, les élèves, douloureusement émus par
la mort de leur camarade Paul-Emile-Frédéric Née, fauché
dans sa seizième année, lui élevèrent, comme à « leur modèle et
leur ami, » un monument, au cimetière du Père-Lachaise. En
i83o, la générosité des élèves s'appliquait à conjurer les désastres
d'un hiver terrible. Une quête annuelle, faite parmi les élèves,
1. Arc h. Nrtt., F17H 78463.
LE LYCÉE CHARLEMAGNE 127
pour les pauvres, rapportait environ 5. 000 francs. Cette somme
servit à placer en apprentissage des enfants d'ouvriers, et les
meilleurs d'entre eux reçurent un livret à la Caisse d'épargne.
Les luttes politiques sanglantes n'épargnèrent ni les murs
du lycée, ni ses cours intérieures. Les 28 et 29 juillet i83o et à
la fin de juin 1848, le quartier Saint-Antoine était devenu un
champ de bataille1 : le lycée fut assiégé, pris par les insurgés,
repris par les soldats et la garde nationale. Les administra-
teurs, les professeurs, quelques élèves firent le coup de feu, et
un ancien élève de Charlemagne, le lieutenant Mahler, tomba
en héros pour la défense de l'ordre.
Dans l'intervalle des révolutions, la distinction de son ensei-
gnement et de ses élèves valait à Charlemagne des moissons
de couronnes. Les maîtres s'y appelaient alors, en Rhétorique,
Ad. Régnier, Berger, Egger, Deschanel et Lemaire ; en philo-
sophie, Gibon, Franck et Lorquet; en histoire, après Cayx et
Boismilon, les deux précurseurs, ce furent Toussenel et Filon.
Charlemagne fut alors, au Concours général, le grand favori.
Six prix d'honneur en Rhétorique, deux seulement avant i83o;
puis, après un long intervalle, quatre à la suite, de 1842 a 1845;
quatre prix d'honneur en Philosophie (1 83 1, i836, 1844, 1846);
deux en mathématiques (1839, 1844). En 1844, le collège eut
les trois prix d'honneur. Et, parmi les lauréats de tous ces prix,
Arvers, plus célèbre encore par son sonnet que par ses succès
d écolier, Glachant, Chassang, Grenier, devenus plus tard de
grands noms universitaires, Saint-René-Taillandier et About,
dont la célébrité se passe de commentaire.
La politique a recueilli non sans éclat, beaucoup d'élèves de
cette période, et, par exemple, Buffet, Ledru-Rollin et Blanqui.
1. Voir ci-dessus p. 81.
i28 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
L'armée et la marine ont fait la gloire de Cavaignac et de
Jurien de la Gravière ; le théâtre s'est chargé de Got et
d'Edmond Thierry ; la presse, de Vacquerie, P. Meurice,
Louis Ulbach; la poésie de Th. Gautier.
Depuis 1848, Gharlemagne, qui connut encore de grandes
victoires, ne put se soutenir très longtemps sur les sommets où
l'avait porté la précédente période : le lycée, pour des raisons
souvent étrangères à lui-même, ne fut pas toujours digne du
collège. Tant il est vrai que les succès trop éclatants ont leurs
dangers.
Les bâtiments se sont agrandis vers le sud. La caserne
d'infanterie de Y Ave Maria a été détruite et le petit lycée
installé à la place. Les enfants jusqu'à la cinquième inclusive-
ment y sont logés aujourd'hui. Une rue le sépare du grand
lycée, heureusement nommée, convenons-en, rue Gharlemagne.
Mais, vers le nord, le lycée n'a pas encore de façade, rue de
Rivoli. Il y perd en magnificence, il y gagne en tranquillité.
Dans les projets qu'a fait éclore le récent emprunt municipal
de 900 millions, treize millions seraient la part du lycée Ghar-
lemagne, qu'on reconstruirait en entier. Mais le lycée croit
avoir ses raisons de rester sceptique. Vers 1870, on a tant parlé
de lui donner de l'air, du côté de l'ouest, à défaut de la face
opposée où l'église Saint-Louis-Saint-Paul arrêtera son essor
à tout jamais! Il s'agissait d'exproprier les masures séparant
Gharlemagne de la rue du Prévôt; on aurait alors réalisé les
plans de 18 12. On aurait acquis le terrain, pour le prix d'un
million, et flanqué le lycée de deux larges rues: l'une, à l'est,
le long de l'église ; l'autre, sur la façade occidentale. Par suite
de scrupules archéologiques, assurément louables, on a trop
attendu; et des immeubles modernes, moins tourmentés de
LE LYCÉE CHARLEMAGNE 12g
remords, ont, sans retard, superposé là leurs sept étages.
Après M. Poirson, qui, disgracié par l'Empire1, se retira
le 19 avril 1 853, huit proviseurs se sont succédé à Charle-
magne2. Et, après M. Maugeret quatorze censeurs3, dont trois,
MM. Broca, Ohmer et Fallex occupèrent ensuite le provisorat
dans la même maison. Beaucoup de conscience, de pondération
et de prudence, voilà peut-être, avec le respect scrupuleux des
traditions, ce qui caractérise le proviseur actuel, M. Bernard.
Parmi les professeurs qui collaborèrent avec eux, beaucoup
n'ont pas besoin qu'on ajoute rien à leur nom : Gaston Boissier
et Paul Albert, Thiénot, H. Rigault, Chevreul, Louis Qui-
cherat, Lebaigue et Talbot.
Les élèves ne furent jamais plus nombreux : le nombre de
1.000 fut atteint pour la première fois en 1866; celui de 1. 100 fut
légèrement dépassé, en 1887. Dans les dix dernières années, les
chiffres ont oscillé entre 95o et 1.100.
Ces élèves cependant ne connaissent plus guère le régime
d'autrefois. Il y a un demi-siècle environ, une soixantaine
d'élèves, tout au plus, sur plus de 900, étaient externes libres.
Les autres étaient tous pensionnaires des Institutions. Aujour-
d'hui, une seule institution subsiste encore : le collège Massillon.
Et c'est une institution religieuse.
1. Quoique l'Inspection générale eût encore en 1851 rendu hommage à son
« dévouement infatigable ».
2. MM. Nouzeilles, 19 avril 1853-14 août 1872 ; Broca, 14 août 1872-21 sep-
tembre 1878 ; Ohmer, 21 septembre 1878-4 août 1881 ; Lenglier, 4 août 1881-2 août
1888 ; Fallex, 2 août 1888-17 mars 1893 ; Grenier, 17 mars 1893 ; Dhombres, 25 juil-
let 1898; Bernard, 29 avril 1909.
3. MM. Cappelle, icr avril 1852-10 septembre 1852 ; Broca, 10 septem-
bre 1852-14 août 1872; Ohmer, 14 août 1872-25 août 1875; Maréchal, 25 août
1875-30 avril 1877 : Ohmer, 2e fois, 30 avril 1877-26 septembre 1878 ; Fallex,
26 septembre 1878-2 août 1882; Lecœur, 2 août 1882-3 août 1886 ; Benoist, 3 août
1886-4 octobre 1887 ; Fierville, 14 octobre 1887 ; Chappuis, 13 août 1894; Gohierre
de Longchamp, 31 juillet 1897; Combe, Ier août 1898; Legé, 23 juillet 1904;
Ogereau, 6 août 1907.
9
130 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
Dès i856-58, la décadence des Institutions avait commencé.
En 1870, neuf seulement subsistaient encore : Massin, Jauffret,
Verdot, Fontaine, Savouré et accessoirement les Institutions
Marchand, Ancelin, Harant et de Ménorval. La plus vivace de
ces épaves fut l'Institution Massin, dirigée par M, Lesage, et
qui acheva de mourir, il y a quelque vingt-cinq ans.
On devine les causes de cette ruine, consommée en trente
ans à peine : i° le fonctionnement de la loi Falloux assurant,
aux dépens de renseignement universitaire, le succès de ren-
seignement libre ; 20 l'installation à Charlemagne de l'ensei-
gnement moderne, que les Institutions boudèrent toujours ;
3° le déplacement des industriels du Marais. Même quand ils
gardèrent, au Marais, leurs ateliers ou leurs entrepôts, ils pré-
férèrent se loger dans les quartiers à la mode. Les grands
hôtels du xvne siècle, après avoir abrité l'aristocratie contempo-
raine de Louis XIII, Louis XIV, Louis XV et Louis XVI, et hos-
pitalisé, sous la Restauration, Louis-Philippe et Napoléon III,
l'élite de la population écolière française, finirent peu à peu
par être des magasins de bronze, de chapeaux et de produits
chimiques.
Les conséquences de cette évolution ne sont pas moins
claires : jadis Charlemagne avait, grâce aux Institutions qui
savaient les drainer dans toutes les provinces du pays, des
élèves empruntés à la France entière. Sa clientèle payante était
empruntée à la Provence comme à la Gascogne, à la Touraine
comme au Dauphiné, à la Bretagne comme au Languedoc.
C'était un collège ou un lycée national. Désormais Charle-
magne est devenu un lycée de quartier. C'est peu avant le
départ de M. Grenier que les derniers élèves de Rhétorique
supérieure ont quitté le lycée. Et avec eux ont achevé de s'abo-
lir les derniers traits de l'originale physionomie du vieux lycée.
LE LYCÉE CHARLEMAGNE 131
Sans doute les voies nouvelles de communication rapide
empêchent que la population scolaire de Charlemagne ne soit
tout entière empruntée au quartier Saint-Antoine; certains
élèves, grâce au chemin de fer métropolitain, affluent de Saint-
Mandé ou de Vincennes ; certains affluent d'autres points de la
périphérie. Mais, dans l'ensemble, le lycée semble attaché au
sort du quartier et il se démocratise avec lui.
Un demi-pensionnat a été fondé à Charlemagne et des
réfectoires y ont été installés comme à Condorcet. Enfin, au
moment où disparaissaient les Institutions d'autrefois, l'exemple
qu'elles avaient donné, sur ce point, était suivi par le lycée :
elles avaient fondé des associations d'anciens élèves, et le
lycée en 1878, fonda la sienne, aujourd'hui très prospère. Elle
a créé des bourses et des prix et organisé des prêts d'hon-
neur.
L'enseignement de Charlemagne n'a pas cessé, mais en
partie seulement, de rester classique. Sous le second Empire,
les succès au concours général n'eurent rien à envier à ceux de
l'époque précédente. Aujourd'hui encore, une véritable renais-
sance classique commence à s'y dessiner.
Il n'en est pas moins vrai que, dès avant 1848 et surtout
depuis 1866, l'enseignement spécial y fut installé. Charlemagne
fut choisi pour champ d'expérience par Victor Duruy. Le
ministre envoya au lycée, comme professeurs, les plus remar-
quables sujets donnés par les promotions de Cluny. Il semblait
que la qualité du quartier s'adaptât très exactement à la qualité
de cet enseignement dont les promesses répondaient aux
besoins des gens de négoce. Nulle part peut-être, dans les lycées
parisiens, cet enseignement nouveau ne reçut plus d'attentions
et de soins intelligents, qu'à Charlemagne ; nulle part on
ne lui consacra plus de talent. Et l'on célébra, dans les discours
i32 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
prononcés aux distributions de prix, ce que Ton nommait la
« familiarité charmante de Cérès, de Mercure, des Cyclopes,
avec Apollon et les Muses ». L'un des orateurs, M. Dumas, ajou-
tait dès i863 : « Quel lycée, quel collège fermerait ses portes à
un enseignement que le lycée Charlemagne a jugé digne de lui ? »
Les élèves qu'a donnés Charlemagne dans les soixante der-
nières années ont contribué, pour leur part, à étendre la renom-
mée de l'illustre maison ; ainsi Gustave Doré, Sarcey, Fustel de
Coulanges, MM. Georges Perrot, Emile Bourgeois, Dorison,
Ch. Bémont, Ernest Lavisse, Emile Faguet, Louis Liard, Vidal
de La Blache, Alfred Coville, Camille Guy, Sylvain Lévy, Gustave
Lanson, Lévy-Bruhl, Emile Janet, Etienne Dejean, Uri, Del-
peuch, Thamin, les Dautremer, Le Goupils, Toutain, Marion.
IV
LE LYCÉE CONDORCET1
Quand, le 10 septembre i8o3 (23 fructidor an XI), Bonaparte
signait l'arrêté servant d'acte de naissance à ce lycée, le berceau
du nouveau-né était pittoresque : un quartier un peu perdu,
excentrique, àdemi-construit, plus riche en jardinsqu'en maisons.
C'était au delà du rempart de la Chaussée-d'Antin. Les
locaux avaient été donnés par Louis XVI aux Capucins de la
rue Saint-Jacques, en 1783, puis, en 1790, leur avaient été
repris par la Constituante. Brongniart, architecte du roi, les
avait construits en s'inspirant des ruines de Pestum ; il avait
édifié un fronton, un cloître à quatre faces, avec des colonnes
toscanes sans bases, une terrasse, une église. Clodion y avait
1. Grand lycée, 65, rue Caumartin et 8, rue du Havre. Petit lycée, 61, rue
d'Amsterdam (PI. 27, 28).
LE LYCÉE CONDORCET 133
modelé deux bas-reliefs. Les religieux avaient cédé la place à
des malades qui, en 1793, la cédèrent à de pauvres diables.
Monastère, hôpital, taudis monumental, telles furent, en
quatre ans, les destinées de l'œuvre de Brongniart (PI. 27).
L'antiquité et le peuple y voisinaient ; le second traitait la
première avec familiarité. Les colonnes avaient été couvertes
de graffiti sans noblesse et toutes les salles souillées d'ordures,
comme les escaliers royaux sous Louis XIII. Jamais les murs ne
s'étaient plus mal portés qu'au moment où ils servaient de
cadre à l'hôpital. Jamais locataires ne leur avaient marqué
plus d'attachement qu'au moment où on leur signifia de déguer-
pir. Car ayant négligé, pour la plupart, le paiement de leur
loyer, ils s'étaient crus promus tout doucement à la dignité
de propriétaires.
Les jardins valaient beaucoup mieux que les murs. Ils s'éten-
daient depuis le cloître jusqu'à la rue [de la Ferme-des-Mathu-
rins. Ils étaient vastes, ils étaient beaux, ils étaient tranquilles.
Le verger avait des fruits incomparables, que le soleil traitait
avec une amoureuse tendresse. Et leur saveur répondait à leur
bonne mine. Maîtres et élèves avaient, pour cette partie de l'im-
meuble, une dilection spéciale.
Ces fruits durent jouer un rôle dans le recrutement et la
fidélité du personnel.
Les deux premiers proviseurs, René Binet et l'abbé Chambry,
avaient l'âme bocagère1. Binet traduisait Virgile, et le soir, con-
sultait sur sa tâche quotidienne sa femme et sa servante. Etes-
vous satisfaites? interrogeait-il. — Oui, affirmaient les deux
juges. — Eh bien, moi aussi, nous pouvons aller nous coucher.
Binet enseigna cinquante ans; il avait, dès 1770, occupé au
1. MM. Binet, 1732-1812, proviseur de 1804 à octobre 1812; Chambry (abbé),
1756-1832, proviseur de 1812 à 1823.
I34 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
Plessis la chaire de Rhétorique. Il avait été le dernier recteur
de l'ancienne Université comme il fut un des premiers provi-
seurs de la nouvelle. Le contact de la jeunesse l'avait gardé de
vieillir.
Chambry, son successeur, avait l'humeur moins douce. La
bile pâlissait parfois les joues roses et pleines de ce petit
homme courtaud, dévot à Horace et aux Muses; il devait à
leur commerce ses poèmes, les Fgléides, dont il lui arriva de
lire quelques pages aux rhétoriciens.
Les censeurs de cette période primitive furent Targe,
Deguerle et Legrand1. Targe avait enseigné quinze ans les
mathématiques à l'École royale militaire de Paris. Quant à
Legrand, nous le retrouvons proviseur sous la Restauration
dont les idées politiques lui étaient chères.
Lakanal, qui fut au lycée le premier économe2, n'ambition-
nait pas d'être le premier des économes. L'assiduité à son poste
et le bon ordre dans ses comptes lui semblaient des vertus
négligeables. Et voici, relative à Lakanal, une lettre du proviseur
que l'on conserve aux archives du lycée; elle est du 18 octobre
1807 : « Se prétendant dispensé de résidence, non seulement
il n'habite point le lycée, mais il n'y paraît que fort rarement.
A-t-on besoin de tenir conseil ? il faut l'y appeler par lettre.
Encore ne veut-il point que l'on connaisse sa demeure, et ce
n'est que depuis quelques jours qu'il a indiqué son adresse, à
l'Institut. »
Binet se louait fort, dans une autre lettre inédite du 21 ger-
minal an XIII, du mérite et de la réputation des professeurs,
1. MM. Targe, 1740-1817, censeur d'août 1804 à août 1807; Deguerle, 1766-
1824, censeur d'août 1807 à octobre 1809; Legrand, 1775-1847, censeur d'octobre
1809 à octobre 1823.
2. MM. Lakanal, procureur-gérant et économe, de 1804 à 1809; Rendu
(Armand), gérant et économe, de 1809-1825.
LE LYCÉE CONDORCET 135
de leur zèle et de leur exactitude. Mais il laissait voir que ces
hommes distingués se jugeaient, dans un quartier aussi lointain,
quelque peu dépaysés : « Au premier trimestre, disait Binet,
Téloignement où se trouvaient les professeurs (habitant, pour
la plupart, dans le quartier de la Sorbonne), la difficulté de se
procurer des logements plus voisins, tout cela joint aux rigueurs
de la saison, ne leur a point permis de satisfaire à l'obliga-
tion de deux leçons par jour; mais, à partir du 1e1' nivôse, ceux
des langues anciennes s'y sont conformés. »
Toutes les classes étaient gênées par « le fracas et le
tumulte » des ouvriers; M. Izarn, professeur de physique,
attendait d'avoir un local ; les professeurs de mathématiques
n'avaient de classes libres qu'à la condition d'enseigner à
dix heures et demie.
Les registres conservés dans les archives du lycée, nous
livrent le nombre des élèves : il est passé de 179 en 1804- 180 5,
à 4 10 en 1813-1814 ; le chiffre de 3oo fut atteint et quelque peu
dépassé en avril 1808; mais le Proviseur ne comptait encore
que i65 élèves le 18 octobre 1807.
Point d'internat au lycée ; les élèves qui ne logeaient point
chez leurs parents travaillaient, mangeaient et couchaient chez
des maîtres de pension ; c'étaient les trois quarts et parfois les
quatre cinquièmes du total.
Ces maîtres de pensions faisaient une guerre sourde au
lycée ; l'un d'eux, en 1 807, annonçait la suppression prochaine de
l'établissement. En messidor an XIII, trois maîtres de pension
seulement, Bintot, Pinel et Charles Guillaume envoyaient
encore leurs élèves au lycée. En octobre 1806, M. Goebell n'y
envoyait que le rebut de sa clientèle. D'autres les retiraient,
faute d'y pouvoir payer les frais d'étude.
Cependant, dès 1806, « un maître de pension, M. Moreau,
i36 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
n'en mettait pas moins sur sa porte, rue du faubourg Saint-
Honoré d'abord, puis rue de Clichy : Répétiteur du lycée Bona-
parte ; et cela, pour achalander sa maison ».
M. Boutot avait plus d'ingéniosité encore : « Il faisait la
5e au lycée et il était, en même temps, maître de pension.
Chaque jour, il amenait au lycée une théorie d'élèves. Il avait
même obtenu cette autre faveur que la 6e fût faite par un de ses
maîtres d'études ».
On ne sait au juste ce qu'il faut retenir des accusations por-
tées alors contre la discipline et l'enseignement du lycée par
les maîtres de pension : ce sont des accusations intéressées.
Est-il vrai que les devoirs ne fussent pas « dictés avec soin » et
que les enfants ce ne rapportassent chez eux que du barbouil-
lage » ? Et si même les griefs formulés en i8o5 étaient exacts,
s'ensuit-il qu'ils l'aient été plus tard ?
En tout cas, il est très sûr que le grand nombre des élèves
dans chaque classe n'a pu que rarement faire obstacle au bien-
fait de l'enseignement. En 1807, la classe la plus nombreuse
avait 32 élèves ; en 18 10, 38 élèves ; en 181 1, il y avait 3 élèves
en philosophie, et, 14, en 18 12. En 1807, il fallait réunir six
classes en trois ; mais, en 18 12, deux classes étaient scindées en
sections. Il n'y avait pas moins de 68 élèves dans une seule
classe, les humanités, ire année, de 181 1.
On juge l'arbre par ses fruits :
Parmi les lycéens de ce temps, les noms glorieux ne man-
quent pas : ainsi le marquis Charles d'Audiffret, l'avocat Ber-
ryer, le maréchal Magnan et l'académicien Henri Patin.
Le contre-coup des événements politiques fut ressenti au
lycée comme ailleurs : ce lycée avait déjà trois fois changé de
PI. 27.
FAÇADE DE L ANCIEN COUVENT DES CAPUCINS
(aujourd'hui LYCÉE condorcet)
LYCÉE CONDORCET. — COUR ACTUELLE
Phot. N. II.
VUE INTERIEURE DE l'aNXIEN COUVENT DES CAPUCINS
(aujourd'hui LYCÉE CONDORCET)
Page i32).
l'I. 28.
Phot. Vallois.
PETIT LYCÉE CONDORCET. — FAÇADE SUR LA RUE D'AMSTERDAM.
PETIT LYCÉE CONDORCET. — UNE COUJR INTERIEURE
Pa re i32.)
LE LYCÉE CONDORCET 137
nom, il continua ses traditions anabaptistes. Créé, en 1804,
lycée de la Chaussée-d'Antin, devenu, la même année, lycée
Bonaparte, il avait été, de i8o5 à 1814, déclaré lycée impérial
Bonaparte ; il reprit ce nom pendant les Cent-Jours. Il perdit
naturellement, pendant la Restauration et le Gouvernement de
Juillet, jusqu'à sa qualité de lycée, et il devint, de juillet 181 5 à
février 1848, le Collège royal de Bourbon.
Pendant cette période bourbonienne, la façade du collège
Bourbon fut popularisée : on la lithographia au fond d'un grand
nombre d'assiettes, et l'on eut la délicatesse de choisir, pour
publier sa gloire, des assiettes à dessert.
Le jardin ne connut pas les mêmes attentions que la façade.
Sans doute, en 1820, on lui fît l'honneur de le protéger, au
moyen d'une grille, contre la convoitise gourmande des élèves ;
mais il fallut bientôt se résigner à une amputation. C'est à ses
dépens que la rue du Havre fut ouverte. Le lycée avait, dans le
principe, souffert de la solitude du quartier, et voilà que la
prospérité de ce même quartier était préjudiciable au jardin
du collège. Pendant les dernières années de la Monarchie de
Juillet, nouvelle tristesse : il fallut, aux dépens du jardin, cons-
truire un bâtiment nouveau, qui doubla les locaux du collège.
C'est celui où se trouvent aujourd'hui les classes de seconde
classique, Saint-Cyr, mathématiques spéciales, etc.
Quatre proviseurs, Chambry, Legrand, Alexandre et Bouil-
let1 dirigèrent alors le collège.
Nous connaissons déjà l'abbé Chambry, puisqu'il était pro-
viseur dès l'époque impériale. Il refusa courageusement, pen-
dant les Cent-Jours, le serment de fidélité politique qu'on
1. Chambry. voir plus haut p. 133 ; Legrand, 1775-1847, proviseur d'octobre 1823
à septembre 1830 ; Alexandre, 1797-1870, proviseur de septembre 1830 à mars 1840 ;
Bouillet, 1799-1864, de mars 1840 à septembre 1848.
i3> L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
demandait à tous les fonctionnaires de renseignement. Cham-
bry se résignait à vivre avec les 4.000 livres de rente de sa
fortune personnelle. Mais Lebrun, président du Conseil de
l'instruction publique, eut soin de ne pas ébruiter ce refus et
Chambry garda sa place. Sous la Restauration, l'Inspection
louait son zèle et ses succès de proviseur, mais elle lui repro-
chait de manquer d'autorité en prenant habituellement le cos-
tume laïque1.
Legrand que nous avons vu censeur, était un ardent légiti-
miste : ii partageait sa ferveur entre le trône, l'autel et la tra-
gédie. Sous ses cheveux gris, frisés par le fer à papillottes, son
cerveau n'était point toujours calme. On vit un jour ses mains
grasses et potelées de fossettes aux prises avec le collet d'un
maître répétiteur, ancien soldat bonapartiste, qui s'était risqué
à l'appeler Tartufe. Pendant la classe du matin, lorsqu'on
entendait craquer les souliers à boucle de M. Legrand et qu'on
apercevait la silhouette sautillante de sa longue redingote
blanche, il n'y avait de doute pour personne : M. Legrand
allait à la messe. On savait encore au lycée que M. Legrand
était l'auteur d'une pièce, intitulée : Cassandre. Et l'on se per-
mettait de donner à M. Legrand le nom de son héroïne.
Enfin, on répétait qu'il avait fait jouer un Romulus. Le
premier hémistiche du premier vers avait fait la joie des spec-
tateurs lesquels n'avaient pas aperçu d'abord si l'auteur ne
voulait point leur parler latin :
O Rémus! dominez sur les remparts de Rome.
Les barricades de juillet ne portèrent pas bonheur, elles
non plus, à l'honorable M. Legrand, et il fut remplacé par un
1. Arch.Nat.,F" 78447.
LE LYCÉE CONDORCET 139
jeune athlète de trente-trois ans, M. Alexandre, auquel son
talent d'helléniste avait déjà fait un juste renom. La haute
taille de M. Alexandre acheva de consolider le prestige que son
érudition avait fondé.
M. Bouilletlui succéda. Il avait l'estime générale1 et tous
les détails de l'administration le retenaient. Il employa ses loi-
sirs à composer le célèbre dictionnaire d'histoire et de géogra-
phie dont la vogue fut si durable. C'est sous son consulat que
le collège Bourbon sembla bien près d'atteindre son apogée.
Il n'y eut après M. Legrand que deux censeurs jusqu'en
1848 : M. Clerc et M. Legay. A M. Clerc, l'Inspection recon-
naissait en 1839 du zèle et de l'exactitude, peut-être pas assez
d'énergie cependant, ce que son âge expliquait de reste. En
184D, elle s'applaudissait fort de M. Legay : le proviseur, ses
anciens collègues lui donnaient la juste considération qu'il
s'était acquise. On pouvait prévoir qu'il saurait acquérir sur
les familles et les chefs d'institutions tout l'ascendant néces-
saire ".
Quelques professeurs conservaient encore un logement au
collège. Le corps professoral tout entier considérait un peu
trop, au dire des inspecteurs, ce collège comme une maison de
demi-repos. Plus d'un aspirait à vieillir dans sa chaire, sinon à
y somnoler doucement. Les autres collèges auraient eu, paraît-
il, une élite plus brillante3.
Quant aux élèves, leur nombre passait, de 403 en 1814-1815,
à 5 16, en 1816-1817,- à 721, en 1 823-1824; 875 en 1824-1825 et
927, en 1 827-1 828. Il retomba au-dessous de ce chiffre, de i83o
à 1840, et ne dépassa pas 58o, en i832. Mais, de 1 841 à 1848,
1. Arch. Nat., F17 78449; mars 1845.
2. Arch. Nat., F"fl 78448 et 78449.
3. Ibid.
i4o L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
il dépassa constamment 1.000 unités; le maximum, 1.220, fut
atteint en 1845.
Les externes libres étaient d'abord dans une proportion qui
variait entre les trois quarts et les quatre cinquièmes, par rap-
port aux élèves des pensions. Depuis 1827, le nombre des
externes libres augmenta et celui des élèves de pensions dimi-
nua. Mais, ce mouvement ne se maintint pas. Les pensions se
multiplièrent : entre 1887 et 1848, il y en eut 40 et jusqu'à 5o.
Sans doute, elles se nuisaient mutuellement et aucune ne fut
florissante. Elles ne drainaient pas moins les 3/4 des élèves :
8o3, sur 1.096, en 1842-1844; 836, sur i.i85, Tannée suivante,
et encore 693, sur 1.070, en 18481.
Les archives du lycée nous ont révélé un autre indice du
malaise croissant des pensions : elles ne payaient pas réguliè-
rement les frais d'étude. Pour les contraindre efficacement à
s'acquitter, on leur rappela, depuis 1842, que les censeurs et les
économes étaient, sur leurs propres traitements, responsables
de ces retards. — Dans ces pensions, la discipline était indul-
gente, et un laisser-aller général que constatent les Inspecteurs
en résultait pour le collège : il fallait en prendre son parti.
Dans un collège d'externes, l'épaisseur des murs eût été
vaine pour arrêter les bruits de la rue. L'externat cependant
ne suffisait pas à expliquer l'esprit du collège : car à Charle-
magne, autre lycée d'externes, le travail était beaucoup plus
sérieux. Le quartier, sa richesse et la clientèle qui la reflé-
tait expliquaient beaucoup mieux ces différences.
Quoi qu'il en fût, à l'intérieur du collège, bonapartistes et
monarchistes en vinrent parfois aux mains. En février 1820,
au lendemain du jour où les classes avaient vaqué à l'occasion
I. Arch. Nat., F17 78447; 78448 et 78449.
LE LYCÉE CONDORCET 141
des funérailles du duc de Berry, il y eut un pugilat général.
Un chevalier de Saint-Louis, attaché à la pension de M. delà
Ghauvinière, se prit de querelle avec Lefébure de Saint-Maur,
élève de la pension Boismont. Au nom de la camaraderie, le
maître fut roué de coups par les élèves. Au mois de septembre
suivant, les monarchistes purent prendre leur revanche dans
le langage des dieux : trente odes fêtèrent la naissance du duc
de Bordeaux.
On ne reconnut pas moins quelques-uns de ces poètes au
sommet des barricades de i83o. Ils y commandaient avec une
bravoure de jeunes chefs. Et nous nous souvenons qu'un de
leurs maîtres, l'helléniste Planche avait, en face du lycée,
dirigé, en personne, le 27 juillet, la construction d'une barri-
cade : ce fut Polybe qui le conseilla. A la voix de l'historien
grec, les pavés, les fiacres et les omnibus parisiens s'étaient
entassés avec méthode.
L'effervescence qui, sous la Restauration, agitait tous les
collèges parisiens, s'était donné libre cours à Bourbon comme
ailleurs, et telle distribution des prix y avait été tumultueuse.
En 1 834, de soudaines vocations de journalistes se révélèrent. Le
rédacteur en chef, Ferdinand Dugué, futur auteur dramatique, y
prenait avec le public son premier contact. Charles Lefeuve,
secrétaire de la rédaction, jetait, du haut de ses seize ans, un
regard de pitié sur le régime des pensions et les abus universi-
taires. De deux ans plus âgés, Louis Judicis et Etienne Esnault
s'y entraînaient, dans de virulents articles, à la composition
future de leurs pièces et de leurs romans.
Cette gazette vécut six mois : elle était, suivant les conve-
nances de la jeunesse d'alors, d'un romantisme ardent : pour
Hugo, Lamartine, Alfred de Musset, cette jeunesse réclamait
les autels élevés à Homère, à Virgile et à Racine. L'enseigne-
i42 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
ment, sous peine des difficultés les plus graves, devait offrir en
classe quelques grains d'encens aux dieux du jour.
Mais il faut bien croire que la parole des maîtres, parlât-
elle des classiques, fut avidement écoutée : trois ans de suite,
de 1828 à i83o, Bourbon emporta, au concours général, le prix
d'honneur de Rhétorique ; il l'obtint de nouveau en 1840 et
1842; et il avait eu, en 1841, le prix d'honneur de mathéma-
tiques. De i83o à 1848, cent soixante-dix-sept prix et huit cent
quarante-six accessits composèrent la gerbe de lauriers que
moissonna le collège.
Parmi ceux de ses élèves d'alors qui se firent plus tard un
grand nom, citons à l'Académie française, Ampère, le duc de
Broglie, Dumas fils, Labiche, Legouvé, Prévost-Paradol, Léon
Say, Sainte-Beuve, Taine et Alfred de Vigny ; dans les autres
classes de l'Institut, Henri Baudrillart, Boutmy, Adolphe Gar-
nier, Lefèvre-Pontalis, Levasseur, des Sciences morales ; Bouta-
ric, Hauréau, Jourdain, de Mas-Latrie, des Inscriptions ; Bec-
querel et Charcot, de l'Académie des sciences; Alfred Normand,
deTAcadémie des Beaux-Arts. Etaussi Alphonse Karr, le poète
Théodore de Banville, l'ambassadeur François de Bourquenet,
le général comte Roguet, le romancier Eugène Sue, le ministre
Auguste Casimir Périer.
Depuis 1848 jusqu'à nos jours, le collège fut promu lycée et
il ne changea plus que six fois de nom : en 1848, il s'appela,
quelques instants, Chaptal, puis, quelques heures, Fourcroy,
avant de s'appeler, vingt-deux ans, Bonaparte. Le 22 octo-
bre 1870, il devint Condorcet, puis, après avoir été Fontanes,
du Ier mai 1874 au 27 janvier i883, il redevint, de guerre lasse,
Condorcet.
Les locaux en i85o-5i paraissaient lamentables : dans les
LE LYCÉE CONDORCET 143
classes trop petites, les élèves étaient trop nombreux : c'était un
entassement chaotique. Impossible de loger des tables partout.
Superposésen gradins, les écoliersgriffonnaient sur leurs genoux1.
L'histoire de ses locaux, durant cette période, se ramène à
ces faits décisifs : les derniers restes du jardin du proviseur dis-
parurent en 1864, quand s'éleva en façade, sur la rue du Havre,
un bâtiment nouveau. On plaça, au rez-de-chaussée, un vaste
réfectoire et, au-dessus, les appartements du proviseur et de
l'économe. On prévoyait, sous Napoléon III, que l'église Saint-
Louis-d'Antin, qui sert de chapelle au lycée, serait prochaine-
ment supprimée. Quand elle avait été élevée à la dignité de
paroisse, les habitants du quartier ressortissaient à l'ancienne
Madeleine, sinon à Saint-Eustache. Depuis lors, la nouvelle
Madeleine avait été achevée et l'on construisait les paroisses
de Saint-Augustin et de la Trinité. En dépit de ces concur-
rences nouvelles, Saint-Louis-d'Antin subsista.
Les classes, dont l'emplacement n'avait pu être trouvé de
ce côté, furent logées ailleurs : en 1880, le petit lycée fut créé,
d'abord au coin de la rue de Rome et de la rue de Vienne, dans
des boutiques vides, puis, en i883, rue d'Amsterdam, à la place
d'un immense chantier de bois (PI. 28).
Huit proviseurs ont présidé, depuis septembre 1848, aux
magnifiques destinées du lycée '. Legay était adoré des élèves,
au milieu desquels il avait vécu quatorze ans, comme profes-
seur, et quatre ans, comme censeur ; Gros était un helléniste de
1. Arch. Nat., F;7h 78448 et 7844g.
2. MM. Legay, 1 791-1852, proviseur de septembre 1848 à octobre 1851 ; Gros,
1797-1856. proviseur d'octobre 1851 à août 1856; Forneron, 1797-1886, proviseur
d'août 1856 à août 1865; Legrand (Charles), 1809-1882, proviseur d'août 1865 à
septembre 1878; Girard (Julien), 1820-1898, proviseur de septembre 1878 à juil-
let 1892; Gidel (Charles), 1827-1900, proviseur de 1892 à 1895; Blanchet (Désiré),
né 1844, proviseur de 1895-1909; Gazeau, septembre 1909.
I44 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
talent et un administrateur de mérite. Depuis Forneron,tous les
proviseurs de Condorcet, sauf Legrand qui venait de Saint-Louis,
ont été empruntés à Louis-le-Grand : ils quittent la rue Saint-
Jacques, où l'internat est un surcroît de besogne, avec l'espoir,
très légitime mais déçu parfois, de trouver, rue Caumartin, le
repos d'une carrière qui s'approche du terme. C'est dire que
Condorcet a l'assurance de n'avoir que des proviseurs d'élite.
Et le dernier d'entre eux — le dernier par ordre de dates —
n'est pas assurément de ceux qui seraient fondés à nous
démentir. Son talent est égal à sa bonté, et c'est faire un grand
éloge de ce talent-là.
Depuis 1848, douze censeurs 1 ont fait à Condorcet la preuve
de leur valeur; si bien que, pour beaucoup, le censorat fut un
stage à des fonctions plus hautes.
C'est que l'importance de la maison ne cessait de grandir.
De 1848 à 1870, le nombre des élèves, sauf en 1834 et en 1 855,
se tint constamment au-dessus de 1.000; 1.200 fut atteint en
1862, i.5oo en 1870, 1.600 en 1880, 1.900 en 1892; presque
2.000 en 1893. En 191 2, 5 novembre, il y avait 1.011 élèves au
grand lycée et 866, au petit.
L'externat domina toujours, mais le demi-pensionnat pros-
péra cependant. Depuis dix ans, il y a deux demi-pension-
naires, tout au plus, sur dix élèves.
Les pensions de moins en moins florissantes disparurent de
1 MM. Courtaut-Diverneresse, 1 794-1879, censeur de septembre 1848 à août 1849;
Aubert Hix, 1791-1855, censeur d'août 1849 à septembre 1854; Feugère, 1810-1858,
censeur de septembre 1854 à janvier 1858; Toussenel, 1805-1885, censeur de jan-
vier 1858 à janvier 1865; Chevriaux, 1816-1883, censeur de janvier 1865 à décem-
bre 1871 ; Guiselin, 1816-1880, censeur de décembre 1871 à septembre 1878 ; Pichot,
né ]8io, censeur de septembre 1878 à août 1886; Rousselot, né 1837, censeur
d'août 1886 à août 1889 ; Blanchet. né 1844, censeur d'août 18X9 à août 1892 ; Ber-
tagne. né 1844, censeur d'août 1892 à mars 1893; Deprez. né 1841, censeur de
mars 1893 à janvier 1895; Claveiïe, né 1848, censeur de janvier 1895 à sept. 1913.
LE LYCÉE CONDORCET 145
plus en plus1. En 191 3, elles amènent encore au lycée le
cinquième de l'effectif total. Les principales sont ecclésias-
tiques : écoles Fénelon, Roiray, Saint-Léon, Lhomond, Saint-
Joseph des Tuileries. Les cours Saint-Louis et Chéret sont
laïques.
Assez longtemps la réputation des élèves de Bourbon, voire
de Bonaparte, faisait d'eux des jeunes gens d'éducation distin-
guée — dont les Inspecteurs en 1849 louaient la « politesse » — ,
mais d'esprit un peu superficiel2. Leurs camarades parisiens
parlaient volontiers du dilettantisme de la Chaussée-d'Antin.
Aujourd'hui la clientèle de Gondorcet se recrute, pour une bonne
part, dans la riche bourgeoisie et dans la haute finance. Mais
le lycée, grâce aux chemins de fer des Compagnies, du Métro-
politain et de FOuest-Etat, n'est plus un lycée de quartier : il
est. pour une part, un lycée de banlieue.
En tout cas, dès 18D4 environ, le lycée ne justifiait plus sa
vieille réputation de lycée d'amateurs : de 1 85 5 à 1903, il
obtenait vingt-cinq prix d'honneur et deux prix d'honneur à
la fois, en 1866 et en 1890. Il remporta trente prix en 1872
et 1875 ; trente-trois prix en 1877, avec 1.600 élèves. Avec le
même nombre d'élèves, il n'eut que huit prix, en 1903 comme
en 1 853 .
Il est peu de lycées aujourd'hui où l'esprit soit plus ouvert,
plus souple et les aptitudes naturelles plus heureuses.
Ajoutons qu'il en est peu qui honorent plus magnifiquement
son passé. C'est le seul qui ait pris un archiviste parmi les pro-
fesseurs retraités et qui ait à cœur de lui allouer un traitement
spécial. Les services de M. Humbert ont justifié cette faveur :
1. Cette décadence est nettement signalée le ior avril 1852. Arch. Nat., F17h
78449.
2. Arch. Nat., F17H 78449.
10
i46 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
par ses soins, dans le parloir que M. Blanchet a créé à droite de
l'entrée principale, des centaines d'estampes, de photographies,
mettent en quelques minutes sous les yeux du visiteur les phy-
sionomies des maîtres et des élèves qui ont travaillé à la gloire
de la maison.
Les réunions annuelles de la Saint-Charlemagne sont une
autre occasion de célébrer cette gloire. Jusqu'à la fin de l'Em-
pire, et même un peu plus tard, on osait encore la chanter en vers
latins. On n'a pas perdu le souvenir de la Saint-Charlemagne
du rr février 1868 où le Prince impérial, qui avait fait les com-
positions de la classe de 7e, fut admis à s'asseoir au milieu de ses
petits camarades. L'Empereur avait envoyé une provision de
Champagne si copieuse qu'elle suffit à remplir les verres, aux
banquets des deux années suivantes.
V Association amicale des Anciens élèves, fondée en i85g,
est le lien naturel entre Bourbon, Bonaparte, Fontanes et Con-
dorcet. Elle entretient le culte de leur camaraderie et de leurs
traditions ; elle a la garde de leur patrimoine moral. Elle a
chaque année ses lauréats et couronne leurs fronts.
Parmi ces élèves, quelques noms se passent d'épithètes :
Leroy-Beaulieu, Lebon, Darmesteter, Salomon puis Théodore
Reinach, Bergson, René Doumic, Waddington.
Et songeons que ces hommes eurent pour camarades,
MM. Sadi Carnot et Jean Casimir Périer; Jules Claretie,
Paul Deschanel, Paul Hervieu, Henri Lavedan, Alexandre
Ribot, Albert Vandal, Jules et Edmond de Goncourt !
LE LYCÉE SAINT-LOUIS 147
V
LE LYCÉE SAINT-LOUIS1
Ce n'est pas le doyen des lycées mais le doyen des collèges
parisiens. Et c'est un doyen qui a rajeuni. Il a retrempé ses cinq
siècles d'expérience dans une fontaine de Jouvence nouvelle : et
ce vétéran, né en 1280 et qui avait pris sa retraite en 1793, a
fait derechef, tout comme un jeune premier, ses débuts en 1820.
On dirait ces héros de légende qui ont su vivre deux existences,
grâce à la baguette magique des bonnes fées.
Les premières fées qui se penchèrent sur son berceau étaient
un chanoine et un évêque, tous deux frères, tous deux normands,
Robert et Raoul d'Harcourt. Ils furent les parrains d'un col-
lège qui porta longtemps leur nom. Une troisième fée voulut
ressusciter le collège. Ce fut Sa Majesté Impériale et Royale,
le 21 mars 181 2.
Mais, à lui seul, Napoléon ne put réussir, ayant eu, vers ce
moment, maille à partir avec la Russie et l'Europe. Le
10 août 1820, en cette année qu'il appelait le plus sérieusement
du monde, la vingt-sixième de son règne, Louis XVIII acheva
l'œuvre commencée.
Pour prix de sa peine, le roi jugea bon de débaptiser le collège ;
Napoléon l'appelait encore d'Harcourt, Louis XVIII l'appela
Saint-Louis; Louis était le nom du roi régnant; c'était le nom
du père des Bourbons, canonisé par l'Église et qui avait charge
de veiller sur la dynastie. Lors de l'inauguration du collège, le
23 octobre 1820, l'abbé Nicole, vice-recteur de Paris, s'expliqua
1 40 à 44, boulevard Saint-Michel (PI. 29 et 30).
148 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
clairement : « le collège royal de Saint-Louis, s'élevant à côté de
ceux de Henri IV et de Louis-le-Grand, va offrir à la jeunesse,
presque dans le même lieu, les trois noms qu'elle doit le plus vé-
nérer, chérir et admirer. Cette maison ne pouvait pas s'ouvrir sous
des auspices plus heureuses : elle naît en même temps que l'en-
fant auguste destiné à perpétuer la postérité de saint Louis1. »
Le nom de François Ier avait été mis en avant, mais sans succès.
La comtesse d'Harcourt, à force d'adroite obstination, de 1824
à 1 83 1 , finit par obtenir, sous Louis-Philippe, ce qui était jus-
tice : les mots ancien collège cïHarconrt, furent inscrits sur la
façade et sur tous les actes officiels du nouveau collège, devenu
le lycée Saint-Louis, en 1848 (PI. 29 et 3o).
A cette dernière date, les ci-devant monarques paraissant
suspects, le lycée fut un moment dénommé lycée Monge. Mais
ce moment — quelques mois — fut court. Et désormais son état
civil n"a plus été menacé. En 1870, à l'heure où Louis-le-
Grand s'effaçait devant Descartes, Henri IV devant Corneille, et
Bonaparte devant Condorcet, Monge n'était plus disponible,
M. Godart l'avait accaparé2, et Saint-Louis finalement fut sauvé.
L'ancien collège d'Harcourt n'avait encore, en 1790, qu'une
façade extérieure, et cette façade prenait jour sur la rue de la
Harpe. Elle était donc tournée au levant. Sur les trois autres
côtés, le collège était enseveli, sans vue aucune sur le dehors,
au milieu de maisons, d'hôtels, de jardins, et il voisinait avec
le collège de Justice. La muraille de Philippe- Auguste avait tra-
t. H.-L. Bouquet, V Ancien Collège d'Harcourt et le Lycée Saint-Louis.
Paris, Delalain, i8c;T,p. 472. Ce volume est un très précieux recueil de documents,
surtout pour la période antérieure à 1793. Beaucoup de pièces relatives au Collège
ou Lycée Saint-Louis sont conservées aux Archives nationales ; M. Bouquet les
a négligées pour le présent volume. Nous en avons consulté quelques-unes avec
profit.
2. Voir ci-dessous, Lycée Camot, ancienne école Monge, p. 216.
LE LYCÉE SAINT-LOUIS 149
versé en diagonale le sol où les bâtiments avaient leur angle
sud-ouest. Une tour ronde avait été logée là où la chapelle a
dessiné depuis la partie occidentale de son chevet.
Le lycée Saint-Louis, aujourd'hui, a trois façades exté-
rieures, sur le boulevard Saint-Michel, sur la rue Racine, et,
depuis quelques mois, sur la rue de Vaugirard prolongée.
Le boulevard Saint-Michel, percé en 1 860-1 861, a triplé, en
face du lycée, la largeur de la rue de la Harpe ; la vieille façade
branlante et qu'on avait dû étayer, fut démolie. Elle fit place
à une façade neuve construite, en style classique, par l'archi-
tecte du Tribunal de commerce, M. Bailly. Cette façade s'éten-
dit, au centre, sur l'ancien emplacement du collège d'Harcourt ;
à gauche, en allant vers le sud, sur une partie de l'hôtel des
évêques d'Auxerre ; à droite, en allant vers le nord, sur la mai-
son Leprètre, portant jadis pour enseigne, une corne de cerf;
sur la maison des Marmousets et sur la maison des Trois Rois,
en avant de l'ancien collège de Justice et de la maison dite de
l'abbé de Molesmes. Ces immeubles avaient été acquis en 1819-
1820 et en 1860-61. Les cuisines furent disposées sur l'emplace-
ment d'un ancien amphithéâtre romain.
La rue Racine fut percée dès i832; mais le lycée ne Fa atteinte
qu'en 1910-1912. Dans l'espoir de la rejoindre plus tôt, il avait,
quand on ouvrit la rue, acquis les terrains qui l'en rapprochaient
et où la troisième cour fut placée. L'ancien jardin des Cordeliers
mettait là ses verdures, et Napoléon, par le décret de 181 2, avait
fait don de ce jardin au collège d'Harcourt. Mais la Faculté de
Médecine protesta : la loi du 14 frimaire an III avait attribué
déjà à l'Ecole de Santé la totalité des dépendances des anciens
Cordeliers. La Faculté eut gain de cause. Non seulement le
collège n'obtint pas, entre la rue Racine et la rue de l'Ecole de
Médecine, le terrain que voulait lui donner l'Empereur, mais,
150 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
entre la rue Racine et le collège, la Faculté s'installa et les
pavillons de dissection menacèrent la santé des écoliers. Le
préfet delà Seine et la Ville s'émurent enfin, et la Faculté ne fut
plus autorisée à dépasser, au sud, la rue Racine. Des réservoirs
d'eau furent établis au nord, entre cette rue et le collège. C'est
leur démolition qu'on vient d'achever. Et voilà comment il fut
donné au lycée de 191 2, d'avoir la façade réclamée par le col-
lège de i832.
La conquête de cette seconde façade ne serait pas encore
achevée, cependant, si, du côté opposé, construire une troisième
façade n'avait pas été jugé nécessaire. Et, nécessaire, pour les
besoins de la Ville, plus encore que pour les besoins du Lycée.
Il s'agissait de prolonger la rue de Vaugirard jusqu'à la place de
la Sorbonne. Il fallait, par suite, écorner le lycée. Ce que la
Ville lui prenait, rue de Vaugirard, elle le lui rendit, rue Racine.
Cette percée nouvelle s'achève en ce moment; elle entaille à
vif une des parties les plus anciennement attachées au lycée. Car
elle appartenait au vieux d'Harcourt. Le jardin qu'on y voyait
encore, derrière l'escalier du proviseur, le vestibule d'entrée,
ci-devant hôtel des évoques d'Auxerre, et derrière les classes de
Physique, recouvrait, de ses pelouses et de ses derniers arbres,
une rue parallèle à la muraille de Philippe-Auguste : c'était la
rue des Murs. Une des tours de ce vénérable rempart se dressait
là. De toute nécessité, il va falloir, sur la rue de Vaugirard pro-
longée, donner au lycée une façade nouvelle. Et ainsi le doyen
des collèges de Paris est en passe de devenir le plus neuf de ses
lycées et le plus moderne.
Dans le vieux décor harcurien aux couleurs fraîches, admi-
nistrateurs, professeurs et élèves avaient jugé bien souvent qu'ils
étaient à l'étroit.
En province, la Restauration avait presque partout maintenu
LE LYCÉE SAINT-LOUIS 151
ou donné le provisorat de ses lycées à des prêtres : nous y avons
compté, pour 29 lycées, 81 proviseurs ecclésiastiques ; à Ver-
sailles, 2 prêtres également furent proviseurs. Mais la Restau-
ration s'aventura fort rarement dans cette voie pour les lycées
de Paris. Avec l'abbé Chambry à Bourbon — un abbé qui se
laïcisait souvent — il n'y eut que deux exceptions : le lycée
Saint-Louis où, du 20 octobre 1820 au 24 septembre i83o, on
vit deux proviseurs-prêtres, l'abbé Thibault, jusqu'en 1824 et
l'abbé Ganser, depuis1. Le Gouvernement de Juillet ne renou-
vela l'expérience ni à Paris ni à Versailles. L'abbé Thibault,
ancien proviseur de Nancy, était grand et avait l'allure d'un
soldat retraité. Son successeur, l'abbé Ganser, était un saint, mais
qui savait tempérer par une bonté toute paternelle l'austérité
de ses vertus. Avec Liez, le collège se sécularisa; Liez était un
homme jeune, sinon un jeune homme, et qu'avait mis en vue
son enseignement à Reims, à Orléans, àCharlemagne, Bourbon,
Louis-le-Grand. Il quitta le provisorat de Saint-Louis pour celui
d"Henri IV, où nous l'avons trouvé déjà. Nous connaissons, de
même, son successeur M. Poirson, puisque nous l'avons ren-
contré à Charlemagne, où se termina sa carrière d'administra-
teur : c'est sur la rive droite qu'il acheva de mettre en relief
les belles qualités d'esprit et de cœur qu'il avait mûries, sur la
rive gauche. Le chiffre des élèves, les locaux, l'éducation, l'en-
seignement, il améliora tout cela pendant son administration \
1. Voici la liste des proviseurs de Saint-Louis :
Abbé Thibault, 20 octobre 1820-1824 (né vers 1769, mort 28 mars 1830); abbé
Ganser, 1824-24 septembre 1830 (né vers 1775 et mort, 1842) : Liez, 24 septembre
1830-31 décembre 1833; Poirson, 31 décembre i833-iGr mars 1837 ; Pollux dit Paul
Lorain, Ier mars 1837-14 février 1845 ; Poulain de Bossay, 14 février 1845-27 avril
1852; Legrand, 27 avril 1852-16 août 1865; Boutan, 16 août 1865-10 septembre
1868; Joguet, 10 septembre [868-novembre 1874; Gautier, 3 décembre 1874-26 oc-
tobre 1883 ; Joubin, 26 octobre 1883-1894; Pierot, 1894-1896 ; Breitling, 1896-1907 ;
Guigon, 1907-1910 ; Bailly, 1910.
2. Arch. Nat., F17, 78.556 (8 mai 1837).
152 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
C'est encore parmi les professeurs de Louis-le-Grand que Paul
Lorain fut choisi. Ses idées libérales l'avaient compromis au-
près de Mgr de Frayssinous, et ce fut l'honneur de M. de Vati-
mesnil de lui rendre une chaire, dont son esprit et son talent
étaient si dignes. Il devait être plus tard un des collaborateurs de
Guizot, avant de devenir recteur de l'Académie de Lyon.
Gomme Poirson, quoiqu'avec moins d'originalité, Poulain
de Bossay avait été un professeur d'histoire accompli. C'était un
classique convaincu et que passionnait sa tâche d'administra-
teur. L'Inspection louait en lui, le 16 février 1845, « la gravité
de ses mœurs et une renommée qui n'a jamais reçu aucune
atteinte1 ». L'année précédente, elle avait souligné son zèle, sa
droiture et l'élévation de son esprit1. Il avait eu assez de sou-
plesse pour traverser, sans dommage, les événements critiques
dont les journées de février furent le signal.
Legrand était un scientifique que nous avons salué à Bona-
parte, où il émigra, après treize années de provisorat à Saint-
Louis; mais il a laissé des traces durables de son adminis-
tration, boulevard Saint-Michel. L'agrandissement du lycée,
l'organisation de son école préparatoire, la création de l'As-
sociation de ses anciens élèves doivent beaucoup à l'autorité de
ce proviseur.
Son successeur, M. Boutan, fit beaucoup, en peu d'années. Il
avait enseigné la physique au lycée Saint-Louis et il sut donner
à cette maison l'orientation scientifique qui est aujourd'hui
encore son originalité propre. La tâche que M. Boutan laissa
à M. Vincent Joguet fut, malgré tout, délicate et, à de certaines
heures, terrible, puisqu'elle fut poursuivie en face de l'envahis-
seur et en face de la Commune. Il dut terrer ses élèves dans
1. Arch. Nat., F", 78.559; 78.558.
PI. 29.
LE COLLEGE D HARCOURT
D'après la gravure de Martinet.)
*■*** M tîè è-I #4 * *•« tté É é* Éfi I
3t. Pierre Petit.
LE LYCEE SAINT-LOUIS VERS IOÇO
(Page i+7 .
PI. 30
LYCÉE SAINT-LOUIS. — COUR DE LA CHAPELLE.
Phot. Vallois
Phot. Vallois
LYCÉE SAINT-LOUIS. — ANCIENNE PORTE d"iIA RCOURT.
Page i i:
LE LYCÉE SAINT-LOUIS 153
les caves, pendant le bombardement, et résister aux sommations
des fédérés qui réclamaient les plus grands de ces jeunes gens,
pour construire et défendre les barricades. M. Joguet, et c'est
la plus belle louange qu'on en puisse faire, sut toujours tenir son
àme à la hauteur des difficultés.
Ceux qui viennent après lui sont trop près de nous pour qu il
nous soit loisible d'en parler librement en détail : il suffira de
dire que MM. Gautier, Joubin et Breitling sont très dignes de
leurs aînés. Faut-il ajouter que, par son activité, sa vigueur,
l'attachement à ses fonctions, l'autorité de son geste et de sa
parole, le proviseur actuel, M. Edouard Bailly, sait rappeler les
meilleures qualités de ses prédécesseurs.
N'oublions pas que, si l'œuvre provisorale de Saint-Louis a
été belle, c'est que censeurs et professeurs ont été les auxiliaires
très précieux de leurs chefs. Parmi les censeurs1, deux, MM. Di-
dier et Genouille, comme M. Joubin lui-même et M. Bailly,
avaient remporté à Louis-le- Grand leurs premiers succès ou y
avaient fait leurs premières armes. D'autres, comme M. Ohmer
et M. Lenglier, quittèrent Saint-Louis pour s'élever, en une ou
plusieurs étapes, au provisorat de Charlemagne, ou bien,
comme M. Deprez, au provisorat de Voltaire, sans parler de
M. Emery à qui l'Inspection avait fini par être très dure2. Beau-
coup eurent plus de modestie que d'ambition et voulurent jus-
1. Censeurs de Saint-Louis :
MM. Clerc, 14 octobre 1820-3 octobre 1823 ; Emery, 3 octobre i823-ier octobre
1838; Jumel, censeur-adjoint, 4 janvier 1838-15 mai 1838; Roger, 21 septembre
1839-10 octobre 1845 ; Didier, 8 octobre 1845-18 août 1849 ; Raynaud, 18 août
1849-6 octobre 1849; Genouille, 6 octobre 1849-19 août 1853; Materne, septembre
1853-16 août 1865 ; Ohmer, 16 août 1865-14 août 1872 ; Lenglier, 14 août 1872-
4 août 1881 ; Deprez, 12 août 1881-6 décembre 1882; Chappuis. 6 décembre 1882-
1894; Laviéville (sciences), 1894-1897 et Dhombres (lettres), 1894-95, deux censeurs;
Suérus (lettres), 1895-1902, avec M. Laviéville, puis seul; Viguier, 1902-1907;
Windenberger, 1907-1908; Fitremann, 1908.
2. Arch. Nat., F17, 78.554.
154 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
qu'à la fin de leur carrière rester fidèles à leur lycée ou à leurs
fonctions.
L'Inspection, en mars 1843, était sévère aux professeurs de
Saint-Louis1. Beaucoup cependant, parmi eux ou leurs succes-
seurs, ont fait partie de l'Institut : ce qui prouve au moins la
distinction de leur savoir : ainsi 2 Alexandre (1820), Babinet
(1820), Bertrand (1844), Briot (i853), Chuquet (1877), Darboux
(i865), Debray (1854), V. Duruy (1846), Egger (1867), Fustel
de Coulanges (1859), Gréard (1860), Hébert (1871), Lacour-
Gayet (1884), Lecoq de Bois-Baudran (1 855), Lefébure de
Fourcy (1820), Levasseur (i856), Régnier (i832), Roussel
(1886), Sédillot (1834), Waddington (i865). Trois de ces maî-
tres éminents entraient à la fois en 1820 à Saint-Louis (et deux
d'entre eux, Alexandre et Lefébure de Fourcy venaient de
Louis-le-Grand) . Deux autres entraient à Saint-Louis, de i832
à 1834 ; un, en 1841 ; un, en 1846 ; quatre, de 1 853 à 1 856 ; deux
en 1 85g et en 1860; deux en 1 865 ; un en 1884; un en 1 885.
MM. Levasseur et Lacour-Gayet étaient encore à Saint-Louis
quand ils ont été élus à l'Institut. M. Lacour-Gayet n'a pas
renoncé, tout académicien qu'il soit, à continuer à ses élèves, le
brillant enseignement auquel il a, depuis vingt-huit ans, habitué
leurs aînés 3.
1. Arch. Nat., F17, 78.558.
2. Nous mettons entre parenthèses les dates d'entrée à Saint-Louis des profes-
seurs; nous avons eu très peu à ajouter aux listes de l'abbé Bouquet, p. 523, 718
et 471.
3. Parmi les anciens professeurs les plus connus, citons, en outre :
Mathématiques : MM. Lucas, Courcelles, Crétin, Vintéjoux, Javary, Caron.
Rebière. Launay, Carvallo, Carlo-Bourlet, Grévy ;
Physique : Bout}', Dufet, tous deux professeurs à la Sorbonne, Fernet. Maurat,
Rivière ;
Lettres: Feugère, Lintilhac, professeur à la Sorbonne, puis vice-président du
Sénat ;
Histoire ; Périgot.
LE LYCÉE SAINT-LOUIS 155
D'autres professeurs de Saint-Louis sont devenus inspec-
teurs généraux de l'Université : Anquez (1 858) , Boutan (i855),
Blutel (1891), Caboche (i835), Combette, Deltour (186 5),
Faivre-Dupaigne, Fernet (1 855), Faurie (i853), Gautier Alex.,
Manuel (i85o), Piéron, Quet (i85o), Vacquant (1864), Vieille
(i85^) ; six sur quatorze étaient entrés au lycée de i85o à i855.
D'autres sont devenus recteurs : sans même rappeler
M. Gréard, vice-recteur de l'Académie de Paris, il suffit de
citer à Besançon, Carême (1870), Etienne (i858), Lissajous
(i85o), et, à Toulouse, Guiraudet (i853).
L'inspection académique a demandé à Saint-Louis, Aubert
(1845), Beaujan (i85i), Bos (i865), Charpentier (i832), Com-
bette (1874), Cougny (1874), Courgeon (1841), Evellin (1881),
Prieur (1824), Roger (1840). Enfin renseignement supérieur a
pris au lycée non seulement M. Darboux, mais MM. Bouty
(1881), Dufet (1878), Demogeot (1845) Gazier (1875), et plus
récemment M. Lamiraud.
Le nombre des élèves a fait honneur à de tels maîtres : pen-
dant les quatre premières années, il s'éleva vite de 440 à 485,
et de 537 à 653; depuis, ce nombre s'est maintenu générale-
ment entre 800 et 1.000. Les mininia furent 634, en !^^2 (et
l'épidémie cholérique explique à Saint-Louis, comme à Char-
lemagne1 et partout la faiblesse de ce chiffre) ; 716, en 1 865.
Les maxima ont été i.oi5 en 1876 et 1 .01 7 en 1842.
En 1910-191 1, avec 95o élèves, en 1911-1912, avec 956, le
lycée était si bien rempli qu'il fallait, faute déplaces, refuser les
nouveaux pensionnaires, sous peine de nuire au bien-être maté-
riel, intellectuel et moral qu'on a le très juste souci de leur
réserver.
1. Voir p. 126.
156 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
En s'ouvrant, en 1820, le lycée fut provisoirement un
externat ; mais, à la différence des lycées Bonaparte et Charle-
magne, le provisoire eut chez lui un terme, et, dès i823, l'in-
ternat fut organisé. La rivalité de Louis-le-Grand et d'Henri IV,
qui affectaient de trouver dans cet internat un contre-sens, ne
nuisit pas sensiblement à son succès. Le 24 mars 1824, Saint-
Louis obtenait, comme les deux autres collèges d'internes,
5o bourses nouvelles, entières ou partielles ; et ce fut aux dépens
des collèges royaux de Reims, d'Amiens, d'Orléans et de Rouen
que la somme disponible, 3i.5oo francs, fut trouvée.
Au secours de l'Internat, les institutions et pensions privées
accouraient, du reste, à Saint-Louis comme ailleurs. Ainsi, les
institutions Michelot, Vény, Pellassy de l'Ousle, Chastagner,
Reffay, Vincent, Rivail, de Moyencourt, Peuchot, Bugnon,
Hallays-Dabot; mais trois surtout, sans parler de Sainte-Barbe,
furent connues : l'institution Barbet qui finit, sous Louis-Phi-
lippe, par se spécialiser pour les mathématiques; l'ouverture
de la rue des Ecoles a détruit ses bâtiments. L'institution
Hortus, fondée le i5 mars 1828, rue du Bac 94, était plus litté-
raire. Elle prospérait encore sous Napoléon III. L'institution
de Reusse datait de la fin du xviii6 siècle; elle fut, sous le Gou-
vernement de Juillet, la concurrente souvent heureuse des insti-
tutions Barbet et Hortus. Mais, quand elle abandonna l'angle
des rues Férou et Vaugirard, pour se transporter au pied de la
rue des Fossés-Saint-Victor, elle en vint peu à peu à préférer
Henri IV à Saint-Louis.
11 arrivait à Louis-le-Grand et à Henri IV de disputer aux
institutions leur droit de conduire à Saint-Louis leurs élèves.
Les archives nationales nous ont révélé qu'en 1820 un conflit
universitaire mit aux prises, sur ce point, les trois collèges ;
l'intervention de l'autorité supérieure fut sollicitée.
LE LYCÉE SAINT-LOUIS
157
Les documents conservés à Saint-Louis et au Palais Soubise
nous permettent de voir que la décadence de l'internat a, depuis
plus d'un demi-siècle, été moins rapide à Saint-Louis que dans
les autres lycées parisiens1.
Nous avons voulu tout récemment visiter le lycée, où les
internes ont encore, en dépit de toutes les campagnes contre
l'internat, le grand courage de s'enfermer. Et nous avons trouvé
un lycée tout différent de l'antique geôle à laquelle tant de gens
croient encore. Les parties anciennes du lycée ont elles-mêmes,
grâce à l'artifice de peintures claires, un air pimpant et gai ;
quant aux parties neuves, la pierre blanche, la brique rouge ou
jaune pâle se chargent de leur donner une physionomie avenante,
qui charme l'œil autant qu'elle satisfait les exigences de la
raison. Du jour, de la lumière, de la propreté partout, et une
intelligence très avisée de tous les détails pratiques. Le chauf-
fage central et, depuis 191 1, l'électricité sont aménagés avec les
derniers perfectionnements modernes. Dans une immense salle
à briques vernissées, 20 douches ont été installées ; et, si les
méchantes railleries contre le dédain des lycées pour l'eau et la
toilette ne sont plus guère soutenables aujourd'hui nulle part,
I. INTERNES
INTERNES
ET
DEMI-PEN-
ET DEMI-PEN-
SIONNAIRES
EXTERNES
TOTAL
SIONNAIRES
EXTERNES
TOTAL
1831-1832. . .
2IQ
33<>
575
1883
—
. 588
432
I .020
1832-1833. . .
223
4i7
640
1893
—
. 484
275
759
1843 5 novembre
28l
645
926
1903
—
• 54}
310
853
1853 —
234
53°
764
1912
—
• 527
492
1 .019
1863 —
380
550
730
1913
janvier.
• • 529
5°3
1 .032
1873 —
430
380
810
La diminution des externes, entre 1853 et 1863, tient surtout à la décadence des
pensions et institutions conduisant les élèves à Saint-Louis. La spécialisation de
Saint-Louis, qui renonça aux petites classes, explique la diminution des élèves après
1883. Il comptait seulement 613 élèves en 1899. Depuis 191 1, le défaut de place
dans les réfectoires et les études force le Proviseur à refuser des demi-pension-
naires, dont le nombre a diminué depuis dix ans; en 1912, 50 pensionnaires n'ont
pu, vu l'exiguïté des locaux, agrandis cependant, être accueillis.
I58 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
à Saint-Louis elles seraient moins à leur place que partout ail-
leurs.
Le lycée Saint-Louis a eu cette bonne fortune : attendre
jusqu'à ces derniers mois pour élever les bâtiments nouveaux
dont il avait besoin. Déjà ces locaux s'étendent, aujourd'hui, sur
1 5o mètres de long. Leur installation a profité des expériences
faites à Louis-le-Grand, à Janson, à Lakanal, à Carnot, à Vol-
taire et ailleurs. Les salles de physique et de chimie sont donc
à Saint-Louis plus belles que dans aucun lycée de Paris.
Ce progrès n'est pas un luxe vain : depuis plus de soixante
ans, Saint-Louis s'est spécialisé dans les études scientifiques, et
il méritait que Ton fît pour elles les sacrifices pécuniaires qui
viennent de leur être consentis. Dès 1843 au moins, les mathé-
matiques prenaient à Saint-Louis, sur les lettres, une avance
décisive : de 1843 à i863 le lycée eut huit prix d'honneur, et
sept furent remportés en mathématiques spéciales. En 1 865-
1866, une décision ministérielle consacra une prédilection,
ancienne déjà dans le cœur des élèves. En 1 885, la création du
lvcée Lakanal fut l'occasion d'achever l'évolution commencée.
L'internat littéraire fut transporté à Bourg-la-Reine; l'internat
scientifique fut seul gardé à Saint-Louis, et une division spé-
ciale y fut ouverte pour l'Ecole navale, à côté des divisions
consacrées aux écoles Normale, Polytechnique, Centrale,
Forestière et Saint-Cyr. Les études littéraires ne trouvèrent
plus à Saint-Louis qu'un externat.
Les élèves de Saint-Louis, aujourd'hui encore, sont donc sur-
tout des candidats aux Écoles du gouvernement : c'est un lycée
de scientifiques, qui sont presque de jeunes hommes. C'est une
école préparatoire. Et les lauriers qu'il moissonne tous les ans
continuent à être la récompense très légitime de ses efforts.
En 1 910- 191 1, il comptait le n° 1 à Centrale, le n'J 1 aux Mines,
LE LYCÉE SAINT-LOUIS 159
le n° 2 à Saint-Cyr, les nos 2, 3, 4, 6, 9 et 10 à Navale, où il
fournissait, à lui seul, plus de la moitié de la promotion totale '.
La discipline doit être appropriée à une clientèle scolaire
de cet ordre : ces grands jeunes gens, venus à Saint-Louis pour
préparer des concours, sentent que l'ordre est nécessaire à leur
travail. Pourvu qu'on leur épargne les tracasseries inutiles, ils
n'acceptent pas seulement la fermeté chez leurs supérieurs, ils
la souhaitent et ils l'aiment. Ils se savent tenus constamment
sous l'œil du maître : le proviseur descend quotidiennement
dans les cours et reçoit les élèves deux fois par jour.
Les jeux sont en honneur dans les trois cours ; quatre tennis
y sont presque en permanence. Le tir réduit est très suivi, de
midi et demi à deux heures. Le lycée a un stand. Un sergent,
trois caporaux très dévoués et un capitaine inspecteur dirigent
les exercices militaires. Le jeudi, à Montrouge, sous la direc-
tion d'un capitaine de réserve, des tirs ont lieu avec la vraie
balle Lebel.
L'escrime est, comme il est tout naturel, très cultivée. L'équi-
tation est en progrès. Mais la gymnastique est momenta-
nément gênée par la reconstruction du lycée.
Les adhérents au Club alpin ne sont pas encore assez nom-
breux, en dépit des avantages qui leur sont faits. Les caravanes
et les grandes excursions aux environs de Paris ont démontré
1 . Voici les résultats des trois dernières années :
19091910 1910-1911 1911-1912
Ecole normale supérieure et Bourses de
licence n 9 4
Ecole Polytechnique 33 Si 28
— Saint-Cyr 22 39 54
— Navale 17 31 32
— Centrale 88 79 77
— des Mines 15 17 16
— des Ponts et Chaussées 4 5
En 1911, le Ier reçu à Centrale et le 1" reçu aux Mines ; en 1912, le 1" reçu à Centrale et
le ior reçu à Saint-Cyr étaient élèves de Saint-Louis.
i6o L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
quels bienfaits pouvait apporter le footing- à une jeunesse con-
damnée à un entraînement intellectuel presque sans trêve.
Le football association a toujours ses fidèles adeptes : Saint-
Louis, déjà lauréat, en 1 910, de l'Union des Sociétés françaises
de sports athlétiques, a su garder, en 191 1, la coupe du cham-
pionnat interscolaire. En 191 2, il a été champion de Paris et
grand champion de France. Il a été classé deuxième, pour le
championnat interscolaire. Pour le championnat d'athlétisme
(course de 1.600 mètres à plat), l'élève Deville a conquis au
lycée Saint-Louis le premier rang.
Voilà bien des traits qui achèvent de moderniser le lycée
Saint-Louis. Le développement du corps s'y ajoute, comme il
convient, au développement de l'esprit. Et il y aurait eu là plus
d'une surprise, pour les élèves du Saint-Louis de 1840.
Mais ces anciens eussent reconnu leurs cadets aux œuvres
de charité et de patriotisme qui les passionnent. Le lycée Saint-
Louis s'est vaillamment enrôlé dans la Ligue antituberculeuse
et il a trois pupilles, qui lui tiennent fort au cœur. Il se donne
aussi, de toute son âme, à cette admirable Ligue maritime qui,
depuis mars 1910, a recueilli, en un an, 200 adhésions nou-
velles et jusqu'à 35o membres actifs. Enfin des concerts très
goûtés, à Saint-Louis ou à la Sorbonne, contribuent, pour leur
part, à cette éducation au lycée que les ennemis de l'Université
s'obstinent calomnieusement à nier.
L'Association des Anciens élèves, fondée dès 1860, a déjà fait
beaucoup pour la vie morale du lycée : sans le culte du passé,
l'âme d'un peuple, comme l'âme d'un lycée, reste inachevée.
Comme ses maîtres, les élèves de Saint-Louis ont peuplé l'Ins-
titut. Dès 1886, M. Lacour-Gayet disait avec fierté à son audi-
toire : « Comptez, à l'Académie des Sciences, les Faye et les
Pasteur; à T Académie des Inscriptions, les Desjardins et les Wad-
LE COLLÈGE ROLLIN 161
dington ; à l'Académie des Sciences morales, les Havet et les
Janet ; à l'Académie des Beaux-Arts, les Gouno-d ; à l'Académie
Française, les de Broglie, les Doucet, les Du Camp, les Per-
raudj les Coppée, et, une fois encore, les Pasteur. »
Enfin que dire des élèves du vieux d'Harcourt? Saint-Evre-
mond, Nicole, Boileau, Racine, l'abbé Prévost, Diderot, Tal-
leyrand... Mais j'en passe.
VI
LE COLLÈGE ROLLIN1
Ce collège justifie de bien des façons l'affection de l'Univer-
sité : par ses origines, par ses initiatives, par ses services.
Il plonge, par ses racines, dans l'ancienne Université de Paris,
puisqu'il a pris naissance dans cet illustre collège Sainte-Barbe,
fondé au milieu du xve siècle, et dont il est superflu, après Qui-
cherat, de retracer la longue histoire. En 1791, ce collège fut
pillé, et la cage ouverte, tous les oiseaux s'envolèrent. Ils furent
recueillis en deux groupes appelés, avec les ruines de l'héri-
tage commun, à former désormais deux collèges qui tous deux
ont survécu : l'un, installé 2, rue Cujas, a fini par garder, avec
les locaux et le sol, le nom glorieux de Sainte-Barbe, que Victor
de Lanneau lui a reconquis ; l'autre, installé d'abord, avec les
deux Nicolle notamment, rue des Postes (rue Lhomond), puis
12, avenue Trudaine, s'appelle depuis i83ole collège Rollin2.
Mais, de 181 5 à i83o, Sainte-Barbe-Lanneau et Sainte-Barbe-
1. 12, Avenue Trudaine (PI. 31).
2. Voir A. Rousselot, V Ancienne Communauté de Sainte-Barbe et le Collège
municipal Rollin, Paris, 1900 (PI. 31).
1 1
i62 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
Nicolle avaient vécu en sœurs ennemies. Un moment, quand
l'un des deux frères Nicolle, l'abbé Charles, fut devenu vice-
recteur de l'Académie de Paris, l'autre Nicolle, Henri, sem-
bla triompher : le 2 juillet 1822, le Conseil royal de l'Instruction
publique l'autorisait à donner au collège de la rue des Postes
le nom de Sainte-Barbe. Il avait fallu les journées de juillet et
l'avènement au pouvoir des amis de Victor de Lanneau pour que,
le 6 octobre i83o, le Conseil royal de l'Instruction publique arrê-
tât ces deux articles : Art. Ier. — La maison d'Education diri-
gée par M. de Lanneau prendra la dénomination de Y Institution
Sainte-Barbe : Art. 2. — Le collège de plein exercice, établi
rue des Postes, portera le nom de Collège Rollin. — La politique
avait tranché le débat. Et ce fut sans appel.
Quatre ans plus tôt, un événement décisif, lui aussi, pour le
collège de la rue des Postes, était survenu : la ville de Paris
l'avait acheté et transformé en collège municipal. L'ordonnance
royale du 19 juillet 1826 homologuait la délibération du Conseil
municipal de Paris, intervenue le 3o mars précédent. Depuis
lors, le collège, qui garda son autonomie, fut placé sous la sur-
veillance d'un Conseil d'administration, composé du directeur et
de six conseillers municipaux. Ce fut ce Conseil qui nomma tous
les fonctionnaires du collège, sauf approbation du ministre de
l'Instruction publique ; à ce Conseil il fut réservé de connaître de
tout ce qui concernait la direction des études, le personnel, la
tenue de la maison et la comptabilité. Le budget, réglé par ce
Conseil, fut soumis à l'examen de l'Assemblée municipale et à
l'approbation du préfet.
La Ville, déjà propriétaire des bâtiments et du terrain collé-
gial, versa 5 10.000 francs, dont 23o.ooo francs pour le paiement
des dettes anciennes. Ce fut, pour elle, une opération beaucoup
moins coûteuse que la création du lycée Saint-Louis. Elle s'ap-
LE COLLÈGE ROLLIN 163
plaudit d'avoir à bon compte un collège à elle, peuplé disait le
Conseil général « de pensionnaires appartenant presque tous à
des familles riches ou élevées » ; pratiquant « un système d'en-
seignement tout à la fois religieux et sage, éclairé et solide »
et justement connu par « des succès déjà nombreux, obtenus
dans les concours généraux. »
Le collège municipal Rollin vécut rue des Postes jusqu'à la
rentrée d'octobre 1876, et cette période de son histoire est celle
qui peut-être lui fit le plus d'honneur. Il occupait là, dans un des
quartiers les plus sains de Paris et les plus tranquilles, l'ancien
couvent de la Présentation. La façade n'avait qu'une centaine
de mètres sur la rue ; le collège était tout en profondeur. Sur la
rue, l'administration et la maison des professeurs; les classes
étaient très sagement à l'intérieur du collège, divisé en trois
parties : l'une pour les grands élèves, l'autre pour les moyens, la
troisième pour les petits. Les bains n'avaient pas été oubliés.
L'emplacement du collège avait un autre avantage que ses
directeurs appréciaient justement : il était éloigné des quartiers
où demeuraient le plus grand nombre des parents et c'était à
merveille ; « la trop grande proximité des familles étant, tout au
moins, une cause de fréquentes distractions pour les élèves. » Et
puis, observait-on encore, les professeurs et les maîtres trou-
vaient dans le quartier latin, pour leurs travaux et leur enseigne-
ment, plus de ressources qu'ailleurs ; sans compter que, sur la
rive droite, la vie leur serait plus chère *.
Le nombre des élèves ne s'élevait pas, rue des Postes, à 400.
Habituellement 3oo jusqu'en i83i, 3g2 en 1842, 372 en 1 865.
Et c'était un gros maximum. Impossible d'en loger davantage.
1. Délibération du Conseil municipal, août 1858.
164 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
Au-dessus de 340, on était à l'étroit. Un des fondateurs, l'abbé
Nicoîle, avait, sur ce point, des idées suggestives : il cherchait
la qualité, non la quantité. Il ne voulait admettre aucun élève
âgé de plus de huit ans. Il ne voulait même pas dépasser 3oo uni-
tés. Et surtout, disait-il « point d'externes, sous aucun prétexte;
ainsi, les parents n'auront point à craindre un mélange qui a
toujours ses dangers ».
Le personnel au collège Rollin n'était, ni pour l'administra-
tion, ni pour l'enseignement et l'éducation, semblable à celui des
lycées de Paris. Le collège Rollin se considérait comme le véri-
table héritier de « l'ancienne communauté de Sainte-Barbe », et
il avait voulu créer, entre tous les fonctionnaires du collège, une
sorte d'association et de communauté. A Rollin, ni proviseur,
ni censeur, ni surveillants généraux; mais un supérieur, qui était
ecclésiastique, un directeur, un préfet des classes supérieures,
des préfets particuliers pour le moyen et le petit collège. Le
supérieur était élu par le Conseil d'administration sous cette
triple réserve : être approuvé par l'Assemblée municipale, le
préfet de la Seine, le ministre de l'Instruction publique. Le supé-
rieur nommait le directeur, l'aumônier, les professeurs et les
préfets, sauf approbation du Conseil des administrateurs. Le
Procureur-gérant était nommé par le Conseil, approuvé par
le Conseil général et confirmé par le préfet de la Seine. A
Rollin, les professeurs étaient fixés à dix. Tous, sauf s'ils étaient
mariés, étaient logés et nourris au collège, tandis qu'ils étaient
presque tous externes, depuis 181 5, dans les collèges royaux
de Paris.
Même traitement fixe à Rollin et dans les collèges royaux ;
mais à Rollin point de droit éventuel, de 90 francs par élève, ni
de quote-part, prélevée annuellement sur les bénéfices de la
maison. A Rollin, les quotes-parts étaient capitalisées et ne pou-
LE COLLÈGE ROLLIN 165
vaient être distribuées qu'après vingt-cinq ans de services, réduits
à dix en cas d'infirmités graves.
A Rollin, les professeurs de Philosophie et de Rhétorique
collaboraient à l'élection du supérieur ; dans les collèges royaux,
les professeurs n'avaient pas à intervenir dans l'administra-
tion.
En 1 83 1 , sur le vœu des professeurs de Rollin, l'avis du Con-
seil d'administration du collège et du Conseil général de la
Seine, Louis-Philippe, par l'ordonnance du 28 novembre, modi-
fia cette organisation de Rollin.
Le supérieur fut supprimé. Le directeur fut déclaré chef du
collège et chargé de l'administration générale : ses fonctions
furent déclarées analogues à celles des proviseurs, dans les col-
lèges royaux. Avec le directeur, les principaux fonctionnaires
furent : i° l'ancien préfet des classes supérieures, qui devint le
préfet général des études. Il fut chargé, sous l'autorité du direc-
teur, de surveiller la conduite, les mœurs, le travail et les pro-
grès des élèves. En cela, il rappelait les censeurs des collèges
royaux, mais, en plus de leurs fonctions générales, il avait les
fonctions spéciales de préfet particulier du grand collège; —
20 le procureur-gérant, chargé de la gestion économique, sous
l'autorité du directeur ; — 3° l'aumônier ; — 40 les professeurs :
leurs chaires étaient, en principe, portées de 10 à 11 : Phi-
losophie, Rhétorique, Seconde, Troisième, Quatrième, Cin-
quième, Sixième, Histoire, Physique, Mathématiques élémen-
taires. Donc, ni 7% ni 8°, ni mathématiques spéciales, histoire
naturelle, langues vivantes. Cependant on laissait la porte
ouverte aux augmentations que pourraient exiger les besoins de
l'enseignement, tel qu'il existe dans les collèges royaux.
C'était un pas en avant vers cette assimilation avec les col-
lèges royaux, qu'avaient sollicitée les professeurs.
i66 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
La différence subsistait surtout en ce qui touche aux nomi-
nations. Dans les collèges royaux, le Ministre était tout-puis-
sant : le proviseur, le vice-recteur, les inspecteurs généraux, les
Bureaux n'émettaient que des avis. A Rollin, le directeur et le
procureur-gérant étaient choisis par le Conseil d'administra-
tion, sous réserve de confirmation demandée au Conseil muni-
cipal. Et, tandis que les proviseurs ne pouvaient même pas
nommer un maître, à Rollin, le choix de l'aumônier, des pro-
fesseurs et des trois préfets serait fait par le directeur, sauf
approbation du Conseil d'administration, du préfet de la Seine,
du Ministre. En fait, le directeur était maître de refuser son
censeur, ses surveillants généraux, ses professeurs. Il y avait de
quoi rendre jaloux tous les proviseurs. On ajoutait cette clause
très sage : Pendant les cinq premières années d'exercice, pour
chacun des fonctionnaires, la nomination ne sera que provisoire.
Il y a plus. Pour les suspensions et les révocations, on arri-
vait à Rollin à se passer du ministre. Le Conseil d'administra-
tion était tout-puissant. Et, dans ce Conseil, l'Assemblée munici-
pale parisienne, représentée par six membres, avait la majorité,
avec six voix ; le directeur avait une voix et les fonctionnaires
du collège avaient trois voix, accordées, pour l'occasion, à trois
représentants élus par eux. C'est un jugement de ce Conseil qui
révoquait ou l'un des préfets, ou le procureur-gérant, ou l'au-
mônier ou l'un des professeurs. Et en attendant ce jugement, le
directeur avait, en cas d'urgence, qualité pour suspendre le
fonctionnaire. La suspension, du reste, n'entraînait aucune
diminution dans le traitement.
Enfin les professeurs, les préfets, le procureur-gérant, l'au-
mônier obtenaient un éventuel de 80 francs pour chaque élève
payant pension entière, quand le total de la population scolaire
ne dépassait pas 3oo élèves ; et 100 francs pour chaque élève à
LE COLLÈGE ROLLIN 167
partir du 3oie. Le i/5e des bénéfices acquis au collège était par-
tagé désormais, comme jadis, par portions égales ; les quotes-
parts étaient réservées pendant les cinq premières années
d'exercice, puis distribuées annuellement à chacun. Ces quotes-
parts n'étaient pas sujettes aux retenues pour la pension de
retraite.
En 1844, le mode de nomination des fonctionnaires de Rollin
fut attaqué. Le ministre revendiquait ses droits pour le collège
municipal parisien, comme pour tous les collèges communaux de
France. Le ministre recula, le collège Rollin ayant fait valoir
que son libre recrutement assurait seul sa fortune. Sans quoi,
observa le directeur, qu'arriverait-il ? « Insensiblement et sans
mauvais vouloir, le collège municipal, moins nombreux que les
collèges royaux, moins important aux yeux de l'Université,
deviendrait une sorte de noviciat pour les jeunes professeurs,
encore sans expérience, ou de retraite, pour les professeurs
fatigués. Forcément et en peu de temps, les collèges royaux
placés, dans la hiérarchie universitaire, sur un échelon supé-
rieur, absorberaient tout ce qui serait distingué dans le collège
municipal. »
C'était dire que son mode de nomination était, pour Rollin,
une assurance de vivre, plutôt qu'un privilège.
Il y a une chose que ne pouvait dire son directeur d'alors,
M. Defauconpret; c'était qu'après Henri Nicolle dont il avait
été, comme préfet, le collaborateur, M. Defauconpret trouvait
en sa propre valeur, le meilleur gage de succès pour Rollin. Il
fut un de ces hommes d'élite pour lesquels la jeunesse n'exagère
jamais son immense gratitude : c'est l'honorer que de le mettre
en parallèle avec un Victor de Lanneau, à Sainte-Barbe ; avec
un de Wailly, à Henri IV ; avec un Pierrot-Desseilligny, à Louis-
le-Grand. Le vieux Rollin eût avoué en lui un de ses plus émi-
i68 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
nents successeurs *. Il a écrit pour son collège un Règlement
qui lui a survécu ; c'est donc, pour une bonne part, sa pensée
qui anime encore la glorieuse maison où il vécut quarante-trois
ans, de 1821 à 1864.
C'était un croyant. Il déclarait : la religion est la base de
toute bonne éducation. Les classes, les études, les repas com-
mençaient et finissaient par une courte prière. Le directeur
devait, disait-il, «ne jamais perdre de vue qu'il est responsable,
devant Dieu et devant les hommes, de la bonne administration
du collège. A force d'attention, connaître chacun ; à force de
bienveillance, gagner son affection ; à force de fermeté avisée,
conquérir son respect, contenir ses mauvais instincts, discipliner
sa volonté et faire éclore ses qualités propres. »
Voici ce qu'il demandait au préfet général : « Faire venir,
le plus souvent possible, les élèves qui ont besoin d'encourage-
ments ou de conseils ; quand un élève entre, pour la première
fois, au collège, le voir tous les jours jusqu'à ce que cet élève
paraisse complètement habitué... Mettre, dans un dossier parti-
culier, tout ce qui intéresse chaque élève. »
La propreté extérieure, dans le visage, les mains, le vêtement,
était surveillée de très près. La politesse aussi, sans laquelle il
n'y a pas de bonne éducation : ne jamais contre-passer une per-
sonne, dans les galeries, les escaliers, dans les cours désertes,
1. Directeurs :
MM. Nicolle (abbé Henri), août 1821-8 avril 1829; Defauconpret, 16 avril
1829-26 mars 1864 ; Paret, 26 mars 1864-3 août 1864 ; Talbert, 5 août 1864-21 sep-
tembre 1876 ; Grenier, 21 septembre 1876-21 septembre 1878 ; Roguet, 21 septembre
1878-14 août 1889; Rousselot, 14 août 1889; Cuvillier, 19 juillet 1904.
Préfets Généraux, puis Censeurs des Etudes :
MM. Defauconpret, 9 octobre 1821-16 avril 1829; Ballard, 16 avril 1829-
31 août 1853 ; Paret, 31 août 1853-26 mars 1864 ;Lemaignan, mars i864-24aoûti866;
Sornin, 24 août 1866-31 août 1886; Fierville, 31 août 1886-14 octobre 1887 ; Som-
mier, 14 octobre i887-i7mars 1893 ;Perdoux, 17 mars 1893 ; Cuvillier, 23 avril 1896 ;
Morlet, 31 juillet 1897; Robineau, 19 juillet 1904, et Mounier (depuis5 juillet 1912).
LE COLLÈGE ROLLIN 169
sans la saluer. Se découvrir toujours, en parlant à un maître. A
un ordre donné, semblât-il hors de propos, commencer toujours
par obéir; les réclamations, s'il y a lieu, ne doivent venir qu'en-
suite.
Parmi les sanctions disciplinaires, il en est une que les lycées
ne connaissaient pas ; entre l'exclusion et les arrêts, c'est-à-dire,
la prison chargée de pensum, il n'y avait rien, pour eux; à
Rollin, il y avait ce qu'on appelait assez joliment la « salle de
réflexion » ; elle entraînait trois heures de privation de sortie.
Quant aux arrêts, un ingénieux moyen, fort simple, prévenait
leurs plus graves abus : le pensum était, toutes les heures, exa-
miné par le surveillant et recommencé, s'il y avait lieu.
Malgré le petit nombre de ses élèves, Rollin, grâce sans doute
à sa parfaite discipline, fit bonne figure au concours général. Il
n'y avait été admis qu'en 1822. Il remporta, de 1827 à 1 865,
huit prix d'honneur, deux en rhétorique, trois en philosophie,
trois en mathématiques spéciales. En philosophie, le lauréat de
i83.2, s'appelait Ravaisson. Rollin venait bien avant Stanislas
et le lycée de Versailles.
M. Defauconpret avait retardé le plus possible l'exode de
Rollin sur la rive droite. Douze ans après sa retraite, l'inévi-
table se produisit ; et l'avenue Trudaine reçut le magnifique
héritage, que perdit la vieille rue des Postes. Cet héritage, elle
le transforma, en étendant ses bâtiments et sa clientèle. Le
nouveau Rollin est, pour le moins, triple de l'ancien.
Dès 1876, année où il fut inauguré, il comptait 56o élèves;
en 1 887, il en avait 1 280. Depuis, il en a toujours plus de 1 .200 ;
depuis 1900, il en a plus de i.3oo. Nous sommes loin de ces
3oo élèves dont l'abbé Nicolle ne voulait pas dépasser le chiffre.
Ce nombre a, du moins, dispensé l'État de créer, dans le quar-
170 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
tier nord-ouest de la capitale, le lycée que la densité de la popu-
lation eût bientôt rendu indispensable. C'est là un magnifique
service rendu à l'Université.
En voici un autre : entre Rollin et les lycées parisiens, c'est
un échange permanent d'administrateurs et de professeurs.
M. Talbert, qui avait été le principal artisan du transfert avenue
Trudaine, fut pris au censorat de Louis-le-Grand, pour devenir
directeur de Rollin. M. Grenier, avant de devenir proviseur
d'Henri IV, puis de Charlemagne, avait été deux ans directeur
de Rollin. M. Fierville fut préfet général à Rollin avant de
devenir censeur de Charlemagne, et M. Robineau, nommé pro-
viseur de Montaigne en octobre 1912, était à Rollin, un des suc-
cesseurs de M. Fierville. Il en est de même des professeurs qui
passent des lycées parisiens à Rollin ou inversement. L'expé-
rience qu'on acquiert à Rollin, l'État en profite donc autant que
la ville de Paris.
Rollin a tenté, chez lui, plusieurs expériences, dont l'Uni-
versité a pu recueillir quelques fruits. Il a imaginé, sous cer-
taines conditions, des promotions à l'ancienneté qu'il a dési-
gnées d'un de ces vocables charmants, dont il eut plus d'une fois
le secret : promotions d'attente. En 1903 et 1907, l'Université
s'est inspirée de cette idée pour augmenter la part de l'ancien-
neté dans l'avancement de ses fonctionnaires.
Pour l'externement des répétiteurs, Rollin a devancé les
lycées, que retardait l'insuffisance des crédits votés par le Parle-
ment. Enfin Rollin a tenté de donner une solution au problème
de l'internat : chaque élève y a sa chambre séparée. Rollin juge
cette organisation préférable au dortoir proprement dit, ou
même au dortoir divisé en cellules.
L'éducation physique, à Rollin, rivalise avec les progrès
qu'elle a réalisés depuis plus de vingt ans, dans les lycées de
LE COLLÈGE ROLLIN 171
l'Etat : dans les sports et les championnats interscolaires et les
épreuves du Lendit, Rollin s'est distingué. La coupe du Prési-
dent de la République, la médaille d'honneur collective, le dra-
peau de la Ligue nationale de l'Education physique ont, dès
avant 1900, consacré ses victoires; depuis, en 1901 et en 1902,
Rollin a été deux fois classé en tête de ses rivaux parisiens.
Comme Michelet, comme Lakanal, Rollin a eu aussi ses
cours de travaux manuels où ses élèves ont appris, jusqu'en 1902,
le maniement des principaux outils de menuiserie.
L'éducation morale y a subi les retouches que l'esprit public
jugeait indispensables. « La liberté de conscience et la tolé-
rance la plus libérale n'ont cessé d'y régner. » Les différents
cultes, qui partagent la nation, partagent nécessairement le col-
lège ; tous sont respectés et soutenus, aucun n'est privilégié. La
discipline est toujours aussi éloignée de l'esprit de faiblesse que
de l'esprit de tracasserie. Une mutuelle confiance rapproche les
maîtres et les élèves. Chacun a le sentiment de sa responsa-
bilité, et toutes les punitions évitables sont évitées.
Quant à l'éducation intellectuelle l, elle s'est elle aussi trans-
formée. Les humanités ont dû faire la part de leurs rivales, les
mathématiques, les langues vivantes, les études dites « mo-
dernes ». Il a fallu renoncer à l'enseignement du russe, mais
on a créédescours d'espagnol. En outre, dès i865, Rollin avait eu
une idée voisine des bourses de voyage accordées par certains
lycées, Louis-le-Grand par exemple, aux élèves désireux de se
perfectionner dans l'étude de l'anglais, de l'allemand, etc. Mais,
1. De 1865 à 1902, 156 prix, au concours général. Les professeurs les plus
connus, depuis 1865, ont été: Mathématiques spéciales : Suchet, Guillot.Cahen. —
Mathématiques : Mourgue, Niewenglouski, de Carapon, Fontené. — Physique :
Joubert, Colardeau. — Philosophie : Brisbarre, Lenne, Bergson, Ganet, Dunan. —
Historique : Pages, Monin, Bougier, Cardon. — Rhétorique : Talbot, Goumy,
Bertin, A. Cahen. — Seconde : Bary, Boistel. — Langues vivantes : Witcomb,
Mallarmé, Hovelacque.
i72 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
au lieu de séjours à l'étranger, on s'était contenté d'excursions
rapides. En 1866, M. Talbert et le professeur d'anglais condui-
sirent 9 élèves à Londres et à Oxford. Ce n'étaient pas encore
de vrais voyages d'études.
Rollin enfin a organisé des cours de Langues anciennes
pour permettre, en trois ou quatre ans, aux meilleurs élèves des
Ecoles primaires supérieures d'acquérir une culture générale
classique et d'arriver au baccalauréat.
Depuis sa fondation, on voit que Sainte-Barbe-Nicolle ou le
collège municipal Rollin a témoigné d'une heureuse souplesse
et a bien mérité de la capitale et du pays. Ses anciens élèves
ont répondu aux efforts de M. Defauconpret et de ses succes-
seurs. Et, dès 1867, ils fondaient une Association tout particuliè-
rement brillante ; sur son livre d'or, elle a inscrit, parmi les élus
de l'Académie française, Abel Villemain, Désiré Nisard, Charles
de Montalembert, Victor Duruy, Albert Sorel, Gaston Paris;
parmi les élus de l'Académie des Inscriptions, Ravaisson-Mol-
lien, Caussin de Perceval, Natalis de Wailly, Ch. Alexandre,
Ern. Beulé, Robert de Lasteyrie, sans reparler de V. Duruy
et de Gaston Paris. Et ce sont encore : à l'Académie des sciences,
M. de Sénarmont, les deux Sainte-Claire Deville, M. Bouley,
M. Puiseux; à l'Académie des Beaux-Arts, de Nieuwerkerque,
Ernest Beulé déjà nommé, Anatole Gruyer, Gustave Moreau;
à l'Académie des sciences morales, Auguste Vivien, Augustin
Cochin et trois immortels qu'une ou deux autres classes de
l'Institut réclament pour elles : Félix Ravaisson, Albert Sorel,
Victor Duruy. Qui pourrait dire si de tels hommes, élevés dans
le lycée municipal de Paris, ont plus fait pour la gloire de notre
capitale ou pour la gloire de la France ?
;'; .:; :-
S °*
PI. 32.
LYCEE MICHELET. A VAXVES. — FAÇADE SUR LE PARC.
LYCEE MICHELET. UN ATELIER.
LE LYCÉE MICHELET . 173
VII
LE LYCÉE MICHELET1
Le lycée Michelet est à l'honneur de notre temps, et les
mânes du vieux Montaigne ont dû lui donner leur applaudisse-
ment. Le parc de Vanves a démontré comment un lycée ne doit
plus être une caserne ou une prison, mais un jardin ; il a fait
une admirable réalité de ce lycée de l'Enfance, que réclamaient
le cœur et la raison de tous les Français, — sans même parler
des Françaises (PI. 32 et 33).
Le domaine de Vanves provient des princes de Gondé qui
Lavaient acquis le i5 mai 1 717. Le château avait été construit
en 1698 par Mansart, et le parc fut dessiné par ses soins. Le
27 juillet 1792, un décret en fit un domaine national, et le
28 fructidor an VI il fut acquis par l'ancien collège de Louis-le-
Grand, alors appelé Prytanée français. Pendant plus d'un demi-
siècle, les élèves internes de la vieille maison de la rue Saint-
Jacques y allèrent en promenade, chaque jeudi, pendant la belle
saison. Ils prenaient, le cœur joyeux, leurs ébats sur les pelouses
et sous les ombrages où, en 1721, le duc de Bourbon avait donné
une fête superbe au jeune Louis XV, alors âgé de onze ans. Et
quand Bonaparte admirait les joues roses des élèves de l'ancien
Prytanée, devenu Lycée de Paris avant de devenir Lycée impé-
rial, le proviseur Champagne observait : — C'est à notre maison
des champs, située à Vanves, que nous sommes redevables de
cette belle santé.
Peu à peu l'usage s'établit d'envoyer à Vanves les élèves
1. Rue Jullien à Vanves (PI. 32, 33).
174 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
malades ou convalescents. Aussi, un beau jour, le proviseur de
Louis-le-Grand, M. Forneron1 pensa que guérir le mal est bien,
mais que le prévenir est mieux. Il fît le projet de transformer
Vanves en une habitation permanente, où les plus jeunes élèves
du vieux lycée parisien, tout en commençant leurs premières
études, fortifieraient leurs poumons et leurs muscles. Ils pous-
seraient au grand air, comme déjeunes arbres, ils y puiseraient
les réserves de santé, dont leur adolescence et toute leur vie sau-
raient profiter.
Le ministre d'alors, M. Fortoul, approuva fort et seconda le
projet de M. Forneron. Mais ce fut aux deux successeurs du
ministre et du proviseur qu'il fut donné de le développer et de
le faire aboutir : tous deux avaient un cœur très paternel,
c'était M. Rouland et c'était M. Jullien.
L'idée avait souri à Napoléon III; le 6 août 1864, il signait
à Vichy un décret, qui transforma la succursale de Louis-le-
Grand en un lycée impérial autonome ; ce lycée devenait le
lycée de l'enfance où serait recueillie, jusqu'à la 4e, ce qu'on
appela joliment « la jeune garde de l'armée universitaire ». Et,
pour que la transformation eût toutes chances de succès,
le Proviseur de Louis-le-Grand, M. Jullien en personne, deve-
nait le proviseur de la colonie issue de la vieille métropole.
Le Prince Impérial, âgé de huit ans, était venu visiter
à Vanves ses jeunes contemporains qui l'acclamèrent. Si bien
que, le 17 septembre 1864, le lycée, par un nouveau décret, fut
appelé « Lycée du Prince Impérial ». En 1 865, l'Impératrice
fonda un prix annuel, décerné, au nom du jeune prince, à l'élève
le plus distingué par sa conduite, son travail et ses progrès.
La jeune maison grandit : sa population s'accrut de moitié
1. M. Forneron fut proviseur du 12 janvier 1853 au 21 août 1856, et M. Jullien
du 21 août 1856 au 6 août 1864. Voir ci-dessus, p. 93, n. 2.
LE LYCÉE MICHELE! 175
et davantage '. Les hauts fonctionnaires de l'Empire y placèrent,
d'enthousiasme, leurs enfants. Chaque semaine une longue file
d'équipages s'attardait dans les allées du parc. Le vieux château
de Mansart ne suffisait plus. Des bâtiments nouveaux furent
élevés : sur 767 élèves en 1869, il n'y avait que 17 externes; il
n'y en avait eu que i5, en 1868 ; 8, en 1867 ; 5, en 1866 et aucun,
auparavant. C'était un beau succès pour l'internat. Le lycée du
Prince Impérial était à la mode. M. Jullien avait été fait com-
mandeur de la Légion d'honneur. Le buste en bronze de l'enfant
princier, parrain du lycée, avait été envoyé à ses filleuls : il était
signé « J.-Bte Carpeaux » et daté « Tuileries, Pâques 186 5 ».
Survint l'année terrible : l'invasion étrangère et la guerre
civile, la chute de l'empire et les héroïques sursauts d'un pays
qui ne voulut pas mourir.
La distribution des prix avait eu lieu le 4 août 1870, mais la
rentrée ne se fit pas, au mois d'octobre qui suivit. On tenta,
après l'armistice du 29 janvier 1871, d'ouvrir aux élèves les
portes du lycée. Ils venaient à peine de les franchir, quand les
obus de la Commune s'abattirent sur le parc et la maison et
mirent en ruines les bâtiments. En dépit de toutes les menaces,
le proviseur, M. Chevriaux, resta courageusement à son poste.
Un jour, ses élèves furent témoins de son arrestation : il fut
conduit dans la prison des otages, où il n'échappa au massacre
qu'à la dernière heure. Il avait été — et c'est l'honneur de
l'Université — jugé digne du martyre.
Le lycée eut, malgré tout, sa victime. A grands coups de
baïonnettes, les communards frappèrent la tête souriante du
Prince Impérial et leur fureur détacha presque du cou cette tête
d'enfant. Le distingué proviseur actuel du lycée, M. Calvet,
1. Voir ci-dessous, p. 176.
i;6 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
nous a découvert cette tête meurtrie, que nous avons pu étudier
à loisir. Toute la partie gauche du visage est méconnaissable :
douze blessures, nous les avons comptées, ont criblé la tête ou
la poitrine. Au front, au-dessus de l'arcade sourcilière, sur la
joue, au milieu du cou, à la place du cœur, s'ouvrent des trous,
restés béants. Sur le nez, une large éraflure a entamé le métal.
A Vanves comme sur tant de points du territoire national,
il fallut panser des plaies. Mais les ruines se relevèrent, grâce au
vice-recteur, M. Mourier, et grâce au ministre, M. Jules
Simon. L'Assemblée nationale accorda les crédits nécessaires,
et le lycée entendit, derechef, des chants d'oiseau et des rires
d'enfants. En 1 883, aux anciennes constructions, devenues trop
étroites, il fallut ajouter des bâtiments nouveaux, et, en 1887, une
infirmerie supplémentaire ; M. Normand en fut l'architecte.
Depuis 1864, 4 millions et demi furent dépensés pour le lycée.
Le lycée s'appela, un moment, après l'effondrement de
l'Empire, lycée Buffon, puis lycée de Vanves. Il porte, depuis
le décret du 3o mai 1888, le nom de lycée Michelet.
Peu à peu, de 1881-82 à 1886-87, les classes qui lui man-
quaient, de la 3e aux mathématiques spéciales, lui ont été
adjointes; désormais il est un lycée de plein exercice. Et, entre
le vieux Louis-le-Grandetsa jeune filiale, il ne subsiste plus que
les liens du souvenir.
La population scolaire en 1871 et 1872 se retrouva au chiffre
de 18641 : 410 élèves. Elle remonta peu à peu, gagnant
1. Voici, d'après les Archives du Lycée, que l'obligeance de M. Calvet a fait
relever, à notre intention, les chiffres de cette population :
ANNEES
TOTAL
EXTERNES
ANNÉES
TOTAL
EXTERNES
ANNEES
TOTAL
EXTERNES
1861. .
306
0
1885. .
I.009
69
1910. .
• 543
2l8
1885. .
. 06)
O
1890. .
807
59
1911. .
• 569
227
1871. .
. 410
10
1895. .
72Q
145
1912. .
• 544
295
1875. .
• 537
25
1900. .
476
M3
1880. .
. 610
?8
1905. .
502
167
LE LYCÉE MICHELE! 177
200 unités, de 1871 à 1880. A ce moment, l'augmentation alla
jusqu'à 1.009, en ï885, et à 1.001 en 1886. Puis un arrêt, voire,
un recul ; et ce recul fut assez prononcé pour qu'on enregistrât
en cinq ans la perte de 200 unités (804 élèves en 1891). Conjurée
pendant deux ans, la diminution reprit : de 1894 (749 élèves),
elle s'accéléra jusqu'à 1902 (436 élèves). Depuis lors, le mouve-
ment de hausse a repris et plus de 100 unités ont été rega-
gnées.
Certaines causes, tout au moins, peuvent être soulignées
parmi celles qui expliquent l'allure ascendante ou descendante
de cette courbe. Les élèves affluèrent plus nombreux, par suite
de ce mouvement de renaissance dans les études et dans la
population parisienne qui suivit la guerre; et surtout par suite
du discrédit dans lequel tombait le vieil internat. Avant le
triomphe, presque insolent, de l'externat contemporain, il y eut,
dans les mœurs de la bourgeoisie française, quelques années
d'hésitation. Entre les deux radicalismes, opposés — tout à l'in-
ternat — tout à l'externat, on pensa pouvoir se contenter d'un
système moyen : l'internat rural, à proximité de la grande ville.
A côté de ces causes générales de prospérité, pour le lycée de
Vanves, il y eut des causes particulières : c'est à partir de 1881
que le nombre des élèves progressa chaque année par bonds
brusques ; or, chaque année, des classes nouvelles s'ajoutaient
aux classes anciennes : la 3°, la 2e, la rhétorique, etc. Cela fit,
en six ans, six classes nouvelles, classes littéraires puis classes
scientifiques. A partir de 1887, aucune addition de classes et le
nombre des élèves commença à diminuer. Dès ce moment, une
autre raison de déficit entra en jeu : des lycées nouveaux s'ou-
vrirent, dans la périphérie : cinq lycées en dix ans, Janson en
octobre 1884, Lakanal en octobre 1 885, Buffon en octobre 1889,
Voltaire en octobre 1889, Carnot le Ier janvier 1895. Vanves
i;8 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
perdit, au profit de Janson, une partie de sa clientèle d'Auteuil,
de la Muette, de la Porte Dauphine; au profit de Buffon, une
partie de sa clientèle du Gros Caillou, des Invalides, de l'École
militaire, de Vaugirard ; au profit de Voltaire, une partie de sa
clientèle du nord-est parisien, des Arts et Métiers au pont de
Flandre ; au profit de Carnot, sa clientèle des Ternes, de la
Plaine-Monceaux, des Batignolles ; au profit de Lakanal, une
partie de sa clientèle rurale. Et de plus en plus l'externat rem-
porta sur l'internat à la campagne : on commençait à prôner
par-dessus tout l'éducation de la famille par la famille. Le bel
enthousiasme pour les lycées en plein air se refroidissait. On
comptait de plus en plus sur les sports pour regagner ce que
l'abandon des champs ferait perdre.
A côté de ces causes certaines, il y en a d'autres, difficile-
ment pondérables et que le tact nous empêche d'examiner de
trop près. Il est clair que les 9 proviseurs, que les 12 censeurs,
que les 12 économes qui ont jusqu'ici présidé aux destinées de
Vanves ont été de valeur différente1. Mais il serait sûrement
1 . Proviseurs :
MM. Jullien, 6 août 1864-30 octobre 1870; Chevriaux, 4 novembre 1870-8 jan-
vier 1872; Privat-Deschanel, 8 janvier 1872-16 octobre 1883; Gautier, 26 octobre
i883-iei' septembre 1889; Dalimier, 7 septembre 1889-10 janvier T893; Plançon,
10 janvier 1893-31 août 1901; Favre, ior septembre 1901-31 août 1904; Morlet,
Ier septembre 1904-15 septembre 1909 ; Calvet, 16 septembre 1909.
Censeurs :
MM. Hervau, 5 avril 1855-21 septembre 1865; Materne, 18 octobre 1865-7 seP"
tembre 1868; Foulon, 10 septembre 1868-31 janvier 1870; Robert. 31 janvier 1870-
14 août 1872; Chevillard, 14 août 1872-4 août 1874; Postelle, 4 août i874-ier août
1892; François, ier août 1892-22 octobre 1896; Palette, 23 octobre 1896-30 mai
1902; Roy, jusqu'au 30 août 1902; Calvet, ier septembre 1902-15 septembre 1909 ;
Rob. Leroi, 16 septembre 1909-30 mars 1912, décédé le 14 juin 1912 ; Jules Leroy,
censeur adjoint, Ier avril 1912, censeur, 5 juillet 1912.
Economes :
MM. Bois, jusqu'au 31 août 1864; Le Forestier, jusqu'au 8 avril 1874; Biget,
jusqu'au 31 mars 1882; Sache, jusqu'au 30 avril 1883; Bley, jusqu'au 31 décembre
1890 ; Dufaure, jusqu'au 30 septembre 1894; Jean, jusqu'au 31 août 1897 ; Dubois,
jusqu'au 30 avril 1899; Bidault, jusqu'au 30 septembre 1902; Grandsard, jusqu'au
30 septembre 1910 ; Dop, depuis le Ier octobre 1910.
LE LYCÉE MICHELET 179
indélicat et probablement injuste de les classer par ordre de
mérite, comme des concurrents dans un concours. D'autant
mieux que c'est sous le provisorat de M. Gautier, sous le cen-
sorat de M. Postelle, sous l'économat de M. Bley que le nombre
des élèves atteignit son maximum et commença sa décroissance.
Disons seulement que la mémoire de MM. Jullien et Privat-
Deschanel est gardée à Vanves avec une sorte de piété : on les
considère comme les grands bienfaiteurs de la maison. Avec
beaucoup de modestie, de simplicité et de dévouement éclairé,
le proviseur actuel, M. Calvet continue noblement leur tâche.
Les collaborateurs de ces administrateurs d'élite étaient, eux
aussi, des hommes de valeur. C'est à Vanves que les professeurs
les plus distingués ou les plus connus, de nos lycées parisiens
ont eu plus d'une fois l'occasion de se révéler. Pour ne parler
que des plus notables, citons MM. Lintilhac, Larroumet,
Lalande, Lanson, Lagneau, Paul Desjardins, Ernest Dupuy,
Delbos, Jules Gautier, Zévort.
L'hygiène physique et l'hygiène morale sont peut-être ce
qui donne au lycée Michelet sa meilleure originalité. Dès l'ori-
gine, on afficha l'idée de faire à Vanves « le modèle des lycées
de l'enfance ». Il devait être le lycée où les petits Français
seraient le plus heureux. Ce serait leur Eden. On eut le souci
d'y réaliser cette eurythmie qui doit naître du développement
harmonieux du corps, du caractère et de l'esprit1.
On y a réussi. On a tiré parti, avec une intelligence très
avisée, de l'exceptionnelle situation du lycée. Le parc est, le plus
possible, ouvert aux élèves; les plus petits, dans la belle saison,
1. Voir dans les Palmarès, que nous avons tous feuilletés, les discours des
distributions de prix ; par exemple discours de M. Cuvillier, le 2 août 1866, de
M. Charles Robert, 6 août 1867, de M. Roudil, 4 août 1870, de M. Jullien, 2 août
1877, de M. Lintilhac, 1890, p. 11-29.
180 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
y ont leurs classes ; c'est sur le gazon et à l'ombre des arbres
qu'ils apprennent l'alphabet, qu'ils lisent ou écoutent les belles
histoires qu'on leur conte. A leurs aînés, dès qu'il fait beau, on
livre le parc, pour les récréations, les jeux, les visites de leur
famille. Ils ont là jusqu'à 1 7 tennis ; ils y organisent leurs courses
plates ou leurs courses d'obstacles ; ils lancent le disque, entraî-
nent leur quatre équipes de foot-ball — que les Anglais n'ont
pas pu battre — montent à cheval, s'exercent dans un stand, à
tir réduit, et goûtent, dans une piscine chauffée à 20 degrés et
très exactement surveillée, les douceurs de la natation (PI. 33).
Quand le temps ou la saison forcent à quitter le plein air,
un manège couvert, des salles d'escrime et de gymnastique, six
cours à galeries vitrées, exposées au midi et que Ton peut
fermer, permettent de continuer la culture physique et les
récréations. Une vaste salle est aménagée pour les bains de
pied, les bains chauds et les bains-douches. Chaque élève doit
prendre, chaque semaine, au moins un bain chaud et un bain
douche. Après le repas et après la récréation, tous les élèves se
lavent les mains au savon.
Un petit catéchisme d'hygiène scolaire rédigé par le docteur
Pénasse, médecin résident du lycée, a été recommandé aux
élèves par leur ancien camarade le Dr F. Bezançon, professeur
agrégé à la Faculté de médecine. On y enseigne aux enfants
« la propreté, qui est la moitié de la santé ».
On leur apprend à respirer par le nez et non par la bouche
et on leur révèle cette vérité que la bouche ne doit servir qu'à
manger et à parler. On les initie aux petits détails de la toi-
lette et de la toilette des dents, par exemple : on leur conseille
une brosse à dents, un peu dure, qui passera sur toutes les
dents, en tous sens, mais de préférence dans le sens vertical,
pour ne pas les ébranler, ni les déchausser. Au dortoir, à l'étude,
LE LYCÉE MICHELET 181
au réfectoire, à la récréation, pendant les sorties, le catéchisme
d'hygiène, qui n'a que douze petites pages, suit les écoliers par-
tout. Chaque chapitre se termine par des maximes lapidaires,
comme celle-ci, renouvelée de Pline : « Tous les animaux con-
naissent ce qui leur est salutaire, excepté l'homme ».
Le parc, la propreté, l'hygiène collaborent donc aune même
fin et l'alimentation les seconde, de son mieux. La stérilisation
de l'eau est très surveillée : tous les dix jours, une grande maison
de Paris renouvelle les 75 bougies stérilisatrices. L'eau est, au
reste, périodiquement analysée au laboratoire de Montsouris.
Il y a, pour les élèves astreints au régime, des tables spé-
ciales : ils ne mangent pas de viande, le soir, et jamais de fri-
tures ou de mets trop lourds. On les remplace, pour eux, par
des pâtes, des purées et des œufs.
Les dortoirs sont grands et bien aérés. Les tables de nuit
sont désinfectées. Depuis 1905, les grands élèves ou les élèves
étrangers peuvent obtenir des chambres spéciales. Il y a vingt-
huit de ces chambres, qu'une sonnette électrique relie avec la
chambre d'un maître surveillant et qu'une vitre à hauteur d'ap-
pui permet de surveiller discrètement.
Il va de soi que l'infirmerie comporte des pavillons d'isole-
ment, un service de bains chauds et un jardin destiné aux con-
valescents. Mais il est bon de noter que chaque élève a sa fiche
sanitaire : tous les trois mois, on constate son poids, sa taille et
son périmètre thoracique. L'examen va plus loin et de minu-
tieuses analyses sont faites qui ont souvent révélé, pour la plus
grande surprise des familles, des traces d'albumine ou d'un com-
mencement de tuberculose ; prises à ses premiers débuts, la
maladie, qui était dépistée, a pu être conjurée.
Les soins donnés à la vie matérielle vont de pair avec les
soins donnés à la vie morale. La discipline tend à prévenir les
i82 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
fautes plus encore qu'à les punir. L'éducation doit donner à
chaque élève « le sentiment de la responsabilité et l'habitude
de se conduire ». Il s'agit aussi d'accoutumer les enfants à la vie
de famille. On les affranchit de la discipline des casernes pour
les amener le plus possible à se surveiller eux-mêmes, comme
s'ils étaient chez leurs parents. Et voilà pourquoi on essaie par-
fois de les laisser seuls ou presque, dans les salles de jeux : le
bilboquet, le billard, les dominos, le jacquet, les dames, les
échecs, occupent leurs loisirs ; ils ont une cabine photographique,
ils ont des pianos. Dans les réunions du jeudi, ils montent sur
leur théâtre et, devant un public de 400 a 5oo personnes, ils peu-
vent exhiber leur talent. Ils prennent ainsi des manières dis-
tinguées et ne sentent aucun embarras à faire figure dans la
bonne compagnie. Des sorties hebdomadaires et qui peuvent
s'étendre, au besoin, du samedi soir, après la classe, au lundi
matin, achèvent de donner aux internes, même en dehors des
vacances, le contact salutaire de la famille.
Les travaux manuels, qui étaient si justement en honneur à
la fin de l'ancien régime, dans la société la plus cultivée, ne sont
pas délaissés à Michelet : un atelier de reliure, de menuiserie,
de découpage et de travail du fer à froid est mis à la disposition
des élèves, sous la direction d'hommes expérimentés. Cet atelier
est d'abord une assurance contre la monotonie possible de la
vie écolière ; c'est en outre un moyen de faire chez l'enfant l'édu-
cation de l'œil, de la main et du goût. L'homme fait manque
rarement d'en tirer avantage (PI. 32).
La culture de l'esprit ne doit pas avoir à souffrir, bien au
contraire, de ces délassements. Mais l'essentiel et on l'a remar-
qué depuis longtemps à Michelet, ce n'est pas tant de travailler
beaucoup, c'est de travailler bien. Nonmulta, sedmultum. Beau-
coup d'écoliers travaillent mal. Beaucoup d'externes manquent,
LE LYCÉE MICHELE! 183
chez eux, de secours et sont désemparés. Un des proviseurs de
Michelet, M. A. Morlet, s'en est ému. Et comme l'externat se
développe beaucoup à Vanves, comme le lycée, fidèle à ses ori-
gines, y a conservé, nombreuse, sa clientèle de « minimes »,
M. Morlet, aidé de ses collaborateurs, a écrit, quelques pages,
une douzaine, pour ces minimes et pour les enfants du premier
cycle. Il s'agit d'éclairer la coopération des familles et du lycée,
et de permettre le progrès du travail personnel des élèves. Savoir
travailler, c'est la première forme du vrai savoir.
Il y a là des conseils judicieux où la meilleure des pédagogies
peut trouver à glaner. On y trouve le souci permanent de déve-
lopper l'esprit, tout l'esprit, et point seulement la mémoire; de
faire éclore, à propos de tous les exercices d'une classe, les idées
qui doivent fleurir si joliment un cerveau d'enfant. Point de
surmenage, mais des jugements qui se motivent, des réflexions
qui s'appellent, des conséquences qui s'enchaînent méthodique-
ment à leurs causes. Des réponses à ces éternels pourquoi dont
ne se lassent jamais les lèvres enfantines.
Avant que le lycée fût de plein exercice, les élèves étaient « dis-
tribués dans les différentes divisions par ordre de mérite et de
classe1 ». Les plus faibles ne rougissaient pas d'être dans la sec-
tion des anémiques puisqu'ils pouvaient, par un régime appro-
prié, s'y fortifier peu à peu, y connaître les bienfaits de l'ému-
lation et la joie du succès.
Les langues vivantes sont en honneur à Michelet. On y a
fondé un Club anglo-allemand : en font partie les élèves qui,
avancés déjà dans la connaissance des langues étrangères, veulent
s'exercer à la conversation. Deux professeurs assistants les diri-
gent, l'un pour l'anglais, l'autre pour l'allemand. Ces conver-
1. Voir dans le Palmarès, le Discours du 4 août 1870.
184 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
sations ont lieu soit dans la salle du Club où se trouvent une
bibliothèque et des jeux divers, soit dans le parc, quand le
temps le permet.
En janvier 1 9 1 2, quelques écoliers anglais sont venus au lycée
Michelet, désireux de causer avec leurs camarades français et de
visiter notre capitale. Or, c'est en anglais que nos jeunes Français
ont eu la coquetterie d'expliquer à leurs hôtes les beautés de Paris.
Faut-il rappeler enfin les succès du lycée Michelet au con-
cours général? De 1884a 1902, 55 prix, 1 65 accessits, 34 men-
tions. — Quant à la Rhétorique supérieure, elle a été organisée
à Michelet dès 1886.
Dès 1877, ce lycée déclaré autonome en 1864, avait réussi à
fonder une Association amicale d'anciens élèves. Elle est aujour-
d'hui florissante. Elle prolonge, au delà de la vie écolière, ces
bienfaits de la camaraderie, qui rajeunissent toujours ceux qu'elle
rapproche.
VIII
LE LYCÉE LAKANAL1
Renouveler méthodiquement, à un quart de siècle d'inter-
valle, la tentative du lycée de Vanves, voilà quelle fut, dès 1882, la
pensée de Jules Ferry. Et le lycée Lakanal fut décidé. Il s'agis-
sait de créer, de toutes pièces, aux portes de Paris, un vrai lycée
d'expériences et dont les grandes villes de province pourraient
faire leur profit, de transporter le lycée aux champs, et, dans ce
lycée, ce qui peut, loin de la famille, ressembler le plus à la
famille. Compléter la famille par le lycée, compléter le lycée par
1. 3, Rue Houdan à Sceaux (PI. 34, 35).
PI. 33.
LYCEE MICHELET. — LE TENNIS.
Phot. Vallois.
Phot. Vallois.
LYCEE MICHELET. — LE PARC.
(Page 17J.)
PI. 34
Phot. Pierre Petit.
LYCÉE LAKANAL, A BOURG-LA-REINE. — L"ENTREE.
Phot. Pierre Petit.
LYCEE LAKAXAL. — LE PARLOIR.
I Peintures de Guillonnet.)
(Page ix,.
LE LYCÉE LAKANAL 185
la famille, cela conduisait à élever l'enfant et à l'élever dans le
sens le plus large et le plus beau de ce mot : élever sa santé,
élever sa volonté, élever son esprit, allier la vigueur de son
corps à l'énergie de son caractère et à la culture de son cerveau.
L'emplacement fut judicieusement choisi, un homme de sens,
Colbert, et une femme intelligente, la duchesse du Maine, petite
fille du grand Condé, l'avaient approuvé déjà et s'y étaient plu.
C'étaient des connaisseurs et des gens de goût ; Jules Ferry les
crut sur parole.
De 1882 à i885, M. de Baudot construisit les bâtiments. Ni
palais, ni château; point de façade grandiose. Une architecture
rationnelle, ne demandant pas ses effets aux formes convention-
nelles mais à la logique. Des briques et des pierres blanches
pour donner au logis un air de gaîté, que les verdures de grands
arbres et des taillis mettent en pleine valeur. Une orientation
telle que l'air et la lumière entrent partout et circulent. Etudes,
classes, dortoirs, galeries — l'une d'elles a 33o mètres — se
ressentent tous du voisinage du parc, les baies sont largement
ouvertes. Pas de cours de récréation fermées. Nul coin de la mai-
son où l'on n'ait l'impression d'être à la campagne (PI. 34 et 3 5).
L'hiver ou le mauvais temps ne prennent personne au dé-
pourvu. Les classes sont reliées par des galeries couvertes ; on
peut circuler partout à pied sec ; chaque collège possède un préau
d'où l'on brave la pluie ; car on a beau se trouver chez le petit-
fils de Louis XIV, on ne saurait, sous la troisième République,
répéter ce que ses courtisans disaient au Grand Roi : « Sire,
autour de Votre Majesté et chez Elle, la pluie ne mouille pas. »
A Versailles et dans tous les palais royaux, on gelait l'hiver
ou l'on grillait; à moins, comme il arrivait à Mme de Maintenon
ou à la Palatine, que l'on eût, à la fois la moitié du corps grillée
et l'autre moitié gelée. Et nous ne disons rien de la fumée
i86 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
rebelle qui chassait le roi de chez lui. Que penseraient aujour-
d'hui les grandes dames à paniers si, revenant, d'aventure, se
promener à Sceaux, un jour où les arbres sont poudrés à frimas,
elles se sentaient enveloppées, dans toutes les salles du grand
logis, par la chaleur uniforme et tempérée d\in calorifère. Elles
donneraient leur applaudissement aux quatre puissantes ma-
chines, génératrices de la vapeur.
Elles, dont les charmantes aïeules ne se lavaient que le bout
du nez et préféraient « la toilette sèche à la toilette humide », ne
verraient pas, sans pousser quelques cris de terreur, les salles
de douche où les élèves prennent chaque semaine des bains
tièdes par aspersion.
Aménager la maison c'était bien et l'on fit généreusement les
choses; on dépensa près de cinq millions. Mais on avait touché
le fond des coffres et il restait, plus de quinze ans après la créa-
tion du lycée, à ouvrir le parc aux élèves. L'autonomie allait le
permettre et la décision du 29 septembre 1902, qui désignait
Lakanal comme un laboratoire d'essais pédagogiques.
Des coupes périodiques avaient jusqu'alors permis aux bois
taillis de pousser sous les grands arbres avec beaucoup d'entrain
et de pittoresque. Les sentiers étaient moussus ; l'humidité fil-
trait partout. Lâcher les écoliers à travers les fourrés chevelus
semblait dangereux à bien des égards.
« Les arbres séculaires furent conservés mais ils furent déga-
gés des taillis qui les enserraient. » Des travaux de drainage
furent poursuivis ; les eaux captées jaillirent au milieu des
rochers ingénieusement disposés et retombèrent en jolies casca-
telles. Elles formèrent un bassin dont on eût dit, au xvnf siècle,
qu'il ressemblait à un lac comme deux gouttes d'eau. Sur ce
bassin, six canards apparurent et des daims authentiques vin-
rent s'y abreuver. Le parc cessa d'être pour les enfants une
LE LYCÉE LAKANAL 187
promesse d'héritage. On leur en donna la propriété. Et, depuis
lors, ils y peuvent jouer avec la liberté décente qu'ils trouve-
raient dans leur famille. Comme à Michelet, mais sans imita-
tion servile, parfois même avec des initiatives hardies, le parc,
à Lakanal, allait servir d'aliment aux nouveautés pédagogiques.
Dans ce joli cadre, qui semblait un décor perpétuellement
renouvelé par la nature complice, qu'a été depuis i885 le per-
sonnel du lycée, maîtres et élèves ?
Six proviseurs en vingt-trois ans 1 et presque autant de cen-
seurs. Pour la plupart de ces administrateurs qui avaient, on le
devine bien, en province ou à Paris, donné déjà leur mesure,
Lakanal nJa pas été une fin de carrière mais un stage vers des
fonctions plus hautes et des lycées plus populeux. Le lycée
Buffon, a réclamé M. Staub ; les lycées Hoche et Henri IV,
M. Suérus; le lycée Louis-le-Grand, M. Ferté. Un seul, parmi
les proviseurs de Lakanal, y est mort à la tâche, M. Bazins de
Bezons. Rien, en lui, de médiocre, et surtout pas les qualités.
Une de ses préoccupations était de rapprocher le plus possible
Lakanal des collèges anglais ; de lui faire profiter de son auto-
nomie financière pour lui conquérir un maximum de liberté ;
enfin de s'y évader résolument hors des vieilles routines. Son
œuvre a bien pu être attaquée ; il nous semble que, pour les
exercices physiques et pour l'éducation, elle dure encore. Il est de
1 . Proviseurs :
MM. Fringnet, du ier octobre 1885 au ier octobre 1892 ; Breitling, du Ier oc-
tobre 1892 au 15 septembre 1896; Staub, du 15 septembre 1896 au icr septembre
1902; Bazin de Bezons, du ier septembre 1902 au 31 mars 1907 ; Ferté, du 24 avril
1907 au 15 septembre 1909 ; Daux, depuis le 15 septembre 1909.
Censeurs :
MM. Sommier, du ier octobre 1885 au 26 octobre 1887 ; Claverie, du 27 octobre
1887 au ifcr octobre 1892 ; Suérus du Ier octobre 1892 au 28 septembre 1895; Bébin,
du 29 septembre 1895 au Ier septembre 1906; Janelle depuis le Ier septembre 1906.
188 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
ceux qui ont le plus travaillé à donner à Lakanal sa physionomie
propre. Au reste, il serait difficile d'avoir l'esprit plus ouvert
que le proviseur actuel, M. Baux, qui sait se mouvoir avec une
aisance souveraine dans les moindres détours de ses budgets.
La population scolaire1 n'a pas, dans le principe surtout,
afflué à Lakanal, comme on se croyait fondé à l'espérer. Et
cependant, nous l'avons vu2, l'internat littéraire du Lycée Saint-
Louis avait été transporté à Bourg-la-Reine. De 1 55 unités, la
première année, le nombre des élèves vient, en 191 1 et 1912,
d'atteindre 675; mais la courbe ascendante n'a pas été, il s'en faut,
continue : elle a subi un fléchissement sensible, de 189 1 à 1894.
C'est depuis lors que le mouvement progressif ne s'est plus, dans
son ensemble, ralenti.
Nous nous sommes expliqués déjà sur les motifs apparents
de ces fluctuations et nous nous garderons d'y revenir3. Il ne
faut pas moins que des causes très générales, très puissantes et
très profondes, pour nous permettre de constater sans stupéfac-
tion cet autre fait : la diminution relative de l'internat et la
croissance infatigable de l'externat ou du demi-pensionnat dans
un lycée de plein air. Sur 675 élèves de Lakanal en 191 2-191 3,
292 seulement sont pensionnaires (parmi ces 292 pensionnaires
27 sont boursiers) ; et 383 sont externes ou demi-pension-
naires. On voit si la campagne à outrance contre l'internat a
porté ses fruits !
1. Nous devons les chiffres qui suivent à l'extrême amabilité de M. Daux et
de M. Tan elle :
PENSION- DEMI-PEN-
ANNEES NAIRES SIONNAIRES EXTERNES TOTAL
1885 . . 113 16 26 155
1890 . . 318 20 79 417
1895 . . 186 40 89 315
1900 . . 194 35 138 367
2. Voir ci-dessus, p. 158.
3. Voir ci-dessus, p. 57-59.
PENSION- DEMJ-PEN-
ANNÉES NAIRES SIONNAIRES EXTERNES TOTAL
1905 . . 285 69 249 603
1910 . . 250 80 291 621
1911 . . 290 85 300 675
1912 . . 292 81 302 673
LE LYCÉE LAKANAL 189
Et cependant le développement physique de l'enfant, les
jeux, les sports trouvent à Lakanal autant d'intelligente solli-
citude qif à Michelet : ce qui est beaucoup dire. Les pesées tri-
mestrielles, et, quand il le faut, bimensuelles, donnent, sur les
santés délicates, des indications précises, qui dépistent souvent
les affections graves. Dans nul autre lycée, les déviations de la
taille ne sont surveillées avec un zèle plus constant. L'infir-
merie, installée dans un bâtiment isolé, est conçue de façon à
décourager les maladies les plus sournoises et les plus tenaces1.
La classe en plein air, pratiquée jadis à Port-Royal-des-
Champs, est en honneur, non seulement pour les minimes, dans
la belle saison « à l'ombre des grands arbres et sur la fraîcheur
des pelouses ». Théocrite et Virgile sont expliqués avec les
commentaires qui leur conviennent : « le parfum voisin du
cytise en fleur, florentem cytisum, et le murmure léger, levi
susurro de l'abeille qui passe ! ».
Mais le parc est, avant tout, le royaume des jeux. La che-
vauchée des cerceaux, l'équipée des chariots aux roues basses,
traînés à six, les joies du « pas de géant » ou de la bascule, la
grâce ailée du tennis, les athlétiques mêlées du foot-ball, le jeu
subtil et les surprises du fleuret 2, voilà les spectacles donnés
aux frondaisons séculaires, aux lieux mêmes où la duchesse-ber-
gère tenait jadis ses cours d'amour et badinait agréablement,
entourée des chevaliers de « la Mouche à miel ! » (PI. 35).
Les jeux rendent d'autres services : ils contribuent, pour leur
part, à l'éducation des élèves. Au salon des jeux, dans la salle
coquette où les échecs, les dames, les dominos ont leur domicile,
les élèves sont surveillés par le président qu'élisent leurs suf-
frages. Ce président suffit à empêcher les abus. Chacun prend
1. Le Lycée Lakanal, Acta et Gesta, 1903-04. p. 9, M. Lénéa.
2. Ibid. et p. 5, Dr Alb. Mathieu.
190 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
l'habitude de se discipliner soi-même et de se surveiller. Gomme
dans les collèges anglais, on projeta même à Lakanal de rem-
placer à l'occasion, les maîtres répétiteurs par les plus âgés et
les meilleurs parmi les élèves, auxquels on a donné sous leur
responsabilité, juridiction sur leurs camarades. C'est le système
du capitauat. Aurait-il été possible, chez nous, d'en user tout
à fait comme chez nos voisins d'Outre-Manche, où les Collèges
ne connaissent pas les maîtres répétiteurs ?
Autre moyen d'éducation, en honneur à Lakanal. Les cham-
bres particulières. En 1902-03, 80 chambres nouvelles ont été
inaugurées. Par groupe homogène de 20, elles sont, comme il y
a dix ans, confiées à la vigilance d'un directeur. Ce directeur,
comme les professeurs anglais qui se partagent les élèves d'un
collège, a pu, jadis gouverner son groupe « d'une façon plus per-
sonnelle et plus familiale que ne le comporterait une agglomé-
ration plus importante. « Suivant les circonstances (et nous em-
pruntons ces lignes au proviseur M. Bazins l) il permettait à ses
élèves de se coucher ou de se lever plus tard, les conduisait, le
soir, après dîner, à la promenade ou au spectacle. »
Ce n'est pas tout ; au lieu de passer clans la même journée
aux mains de plusieurs surveillants différents de mentalité et
de méthode, les enfants étaient, après la classe, confiés à un
répétiteur unique ; ce répétiteur se mettait d'accord avec le
professeur et le surveillant d'internat pour diriger le travail de
son équipe.
Autour des élèves, il s'agit de mettre une atmosphère d'affec-
tion. Chacun doit se sentir personnellement connu et soutenu.
Il faut concilier en lui le sentiment du respect et de l'indépen-
dance, tremper son caractère, susciter ses énergies. L'habituer
1. Acta et Gesta, 1902-03, p. 2.
LE LYCÉE LAKANAL 191
à se juger comme un être responsable de ses actes. L'amener
à vivre, sous le seul regard de sa conscience, comme à la face
d'un millier de témoins.
On a imaginé, à Lakanal comme à Michelet, ou à Michelet
comme à Lakanal, l'éducation des facultés d'observation ' : des
établis de menuisier et de serrurier, des tours à bois, des
machines à percer ont été installés. Sous la direction d'un pro-
fesseur ou d'un chef d'atelier, les élèves y apprennent avec
entrain, deux heures par semaine, à travailler le bois et le fer.
On ne songe pas sans doute à faire d'eux des ouvriers accomplis,
mais simplement à dresser leurs yeux et leurs mains et à les
initier à la pratique des outils usuels. Mais voici qui est parti-
culier à Lakanal : des jardins d'enfants de quelques mètres de
long, sur 1 mètre de large, ont été accordés aux élèves de 6e et
de 7e. C'est là qu'avec les conseils du jardinier chef et de ses
aides, ils bêchent, ils sèment, ils sarclent, ils arrosent.
De tels travaux associent fort heureusement l'éducation phy-
sique, morale, intellectuelle. Quant aux études proprement dites,
elles ressemblent à Lakanal à ce qu'elles sont ailleurs. Les pro-
grammes sont les mêmes, le théâtre où on les explique diffère
seul. Lakanal a eu ses succès au concours ; il a ses succès au
baccalauréat, et aux grandes Ecoles. Depuis octobre 1903, une
classe de rhétorique supérieure a été inaugurée et cette classe,
sous la direction de M. Henri Bernés, notamment, et de M. Meu-
riot, a fait ses preuves. Pour la philosophie, M. C. Mélinand2 a
brillamment exposé comment le lycée Lakanal la concevait : le
souci du maître, c'est de dégager la personnalité de chacun et
l'autonomie de sa pensée ; c'est ensuite de former des esprits
clairs, d'écarter résolument les faux problèmes philosophiques,
1. Acta et Gesta, 1904-5, art. de M. Joxe, p. 7-10 ; ibid., 1903-4, p. 6.
2. Acta et Gesta, 1905-1906, p. 3-6.
i92 L'ENSEIGNEMENT- PUBLIC A PARIS
les formules creuses et les grands mots : c'est enfin de donner
à chacun l'impression qu'il n'est qu'un anneau d'une chaîne1,
qu'il doit beaucoup à ceux qui l'ont précédé, beaucoup à ceux
qui le suivront, beaucoup à ceux qui vivent autour de lui. L'aide
mutuelle, l'esprit d'association, le dévouement, la solidarité, la
justice dérivent de là. L'élève à Lakanal, « doit quitter le lycée,
écrit très justement M. Mélinand, en sachant bien tout ce qu'il
y a de pensée confuse et mensongère dans le prétendu conflit
qu'il entendra si souvent proclamer entre patrie et humanité...
Celui qui aime véritablement les hommes en général n'a rien
de mieux à faire que de le prouver d'abord à la fraction d'huma-
nité dont il fait partie, dont il dépend à tout moment, à laquelle
il doit à peu près tout. »
IX
LE LYCÉE MONTAIGNE2
De très jeunes écoliers, les frondaisons du Luxembourg tout
proche, et l'ombre maternelle du vieux Louis-le-Grand, voilà,
en trois lignes, le lycée Montaigne. C'est un lycée d'enfants de
cinq à treize ans. Il a tenu la gageure de créer, en plein Paris,
une maison d'éducation qui sut réunir aux avantages de la
grande ville les sourires de la campagne. Et, dans ce décor de
printemps très joliment approprié à leur âge printanier, si des
écoliers ont été placés sous le patronage de Montaigne, c'est
i. Voir le Discours du professeur A. Pinard à Lakanal, le 31 juillet 1903,
Acta et Gcsta, 1902-3. p. 8-9. L'association des anciens élèves de Lakanal date
de 1902.
2. 17, Rue Auguste Comte (PI. 36).
PL 35.
IMiot. Pierre Petit.
LYCEE LAKANAL. — LA GALERIE DE 330 METRES.
Phot. Vallois.
LYCEE LAKANAL. — LE PARC.
(Page 184.)
PI. 36.
Phot. Vallois
LYCÉE MONTAIGNE. — FAÇADE PRINCIPALE (a DROITE, LE LUXEMBOURG).
i ';< Il MONTAIGNE. — LE PALMARIUM.
Page 192.)
LE LYCEE MONTAIGNE i93
que, depuis trois cents ans, l'aimable moraliste réclamait, poul-
ies écoliers, un jardin au lieu d'une geôle.
Le lycée Louis-le-Grand, fidèle à son rôle historique, conti-
nuait donc à essaimer, pour le plus grand bien de l'Université de
France : au Prytanée de Paris les grands lycées de province
avaient jadis, sous le Consulat et l'Empire, emprunté leurs pre-
miers élèves. Plus tard, de 1 853 à 1864, le lycée de Vanves
s'était détaché de l'illustre maison de la rue Saint-Jacques. Et
voici que, de 1881 à i885, une nouvelle filiale naissait, une filiale
parisienne : pour la seconde fois, les plus jeunes de ses élèves
étaient dérobés à Louis-le-Grand ; pour la seconde fois, on créait,
pour eux, une succursale fleurie. Et cela, au moment même où
les murs du vieux lycée allaient faire place à des murs tout neufs.
Le petit lycée Louis-le-Grand s'ouvrit en octobre 188 5, et, pen-
dant les six premières années de son existence, il ne porta que
son nom de famille. Le décret du 2 août 1891 le mit hors de
page et lui donna son nom actuel. Mais on négligea d'effacer,
sur le bois de la porte d'entrée et sur l'argenterie, les initiales
L. L. G. qui figurent toujours son premier blason1.
Le sol, sur lequel se dressa le lycée Montaigne, était lourd
d'histoire. Sans doute, il ne fut pas compris dans l'enceinte de
Paris avant lexvin6 siècle. Il n'avait pas moins, dès l'aube de la
monarchie capétienne, attiré le regard de nos anciens rois.
Robert le Pieux y construisit sa maison des champs de Vauvert.
Mais, sous ses successeurs, d'impudents apaches s'y établirent.
Pour y être plus à l'aise, ils répandirent le bruit qu'elle était
hantée et que Satan y tenait ses assises. Et les bonnes gens se
signaient en parlant de s'aventurer jusqu'au Diable Vauvert.
Nous disons encore, mais plus brièvement, aller au Diable Vert.
1. Nous avons tiré grand profit de la monographie de M. Ozenfant : le Lycée
Montaigne, Paris, gr. in-8u, 191 1.
13
i94 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
Le méchant renom du lieu fut effacé dès le xme siècle et nos
modernes lycéens n'ont plus à s'alarmer. Saint Louis, dès 1257,
donna Vauvert à quelques Chartreux mandés de Grenoble.
L'emplacement actuel du lion de Cain marque le centre du
préau, qui précédait leur petit cloître ; une partie de l'avenue de
l'Observatoire était occupée par leur église. C'est pour les Char-
treux qu'Eustache le Sueur, en 1648, peignit la vie de saint
Bruno, aujourd'hui au Louvre. La rue des Chartreux rappelle
encore le séjour de ces anciens moines ; mais leurs édifices n'exis-
tent plus et leurs archives ont été dispersées.
Le lycée occupe cette partie du Luxembourg qu'on appelait
« la pépinière » : là poussaient, des cerisiers, des pommiers et des
vignes et surtout ce magnifique rosier du Bengale, plus grand
qu'une fillette de douze ans, plus riche en roses que le ciel en
étoiles. Banville rendait à ce rosier des visites assidues ; Michelet
promenait aux alentours ses méditations, et Victor Hugo pour-
suivait, aux bosquets voisins, quelques-unes de ses rimes, tout
en gourmandant leurs fugues, à voix basse. La pépinière fut
condamnée à mort en 1867. Là où elle fleurissait jadis, en
mai 1871, s'éleva soudain un dais de vapeurs noires, accom-
pagné d'un bruit de tonnerre puis d'un ruissellement de vitres
brisées : c'était la poudrière placée là, pendant le siège de
Paris, et qu'en se repliant les Communards avaient fait exploser.
Dans le hall précédant le lycée, de belles plantes vertes font
accueil aux écoliers : c'est le palmarium (PI. 36). Classes et
salles d'études s'ouvent directement sur les vastes cours de
récréations plantées de beaux platanes. Partout, la lumière et la
gaîté : les bâtiments sont en harmonie avec la jeunesse de leurs
hôtes. Le chauffage se fait à la vapeur d'eau. Quant à l'éclai-
rage électrique, il est obtenu au moyen de lampes closes par-
LE LYCEE MONTAIGNE 195
dessous et qui réfléchissent sur les plafonds vernis au ripolin
une lumière diffuse. Rien de plus doux pour la vue.
La date où le lycée fut construit explique l'illusion de l'ar-
chitecte. Tout fut prévu pour une magnifique population d'in-
ternes : huit dortoirs, douches perfectionnées, infirmerie
modèle, etc. Pourquoi faut-il que les internes ne soient pas
venus dans l'internat ? Les pensionnaires, sauf deux années,
(1891 et 1892), n'ont cessé de diminuer depuis 1 885 jusqu'à
maintenant ' ni les externes d'augmenter : il y avait, dès l'ori-
gine, 3 externes sur 4 élèves; en 1891, il y en avait 5 sur
8 élèves; en 1900, 4 ou 5 sur 6. Depuis 1907, pour une popula-
tion scolaire de 800 à 900 élèves, il n'y a plus qu'une cinquan-
taine d'internes; il y en avait eu, la première année, 112, sur
41 3 élèves. Pendant que doublait le chiffre total des élèves, le
chiffre des internes diminuait de moitié.
Pour ces élèves, on estima, jusqu'au 2 août 1891, pouvoir
faire l'économie d'un proviseur particulier : M. Gidel 2 gou-
verna les deux lycées Louis-le-Grand. Sous son autorité, un
censeur suffisait à administrer le petit lycée : M. Adam d'abord
(1885-89), M. Bréhier ensuite (1889-91) exercèrent le censorat
avec beaucoup de bienveillance courtoise, de conscience et de
succès. Depuis le 2 août 1891, Montaigne, ayant son indépen-
dance, eut aussi son proviseur. MM. Kortz (1 891 -octobre 1901),
Plançon (1 901 -12 mai 1907), Favre (1907-octobre 191 2) créèrent
cette tradition : le lycée, à sa tête, a des hommes au cœur
paternel, aux manières affables et à l'esprit distingué. Il entre,
dans leur autorité, une grande part de séduction. M. Favre,
plus que tout autre, a su en donner la preuve. Et au provi-
seur actuel, M. Robineau, il suffit d'être lui-même pour conti-
1. Voiries chiffres précis, Ozenfant, op. laad., p. 15g.
2. Voir plus haut, p. 93.
i96 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
nuer ce que ses prédécesseurs avaient commencé avec tant de
bonne grâce. Longtemps, un surveillant général suffit au lycée
Montaigne : un censeur lui a été donné en octobre 191 1.
M. Hainsselin a su tempérer par la plus intelligente bonté
les rigueurs de la discipline et dans la mesure qui convient à
des enfants, dont les doyens ont jusqu'à treize ans.
Montaigne disait : « J'ayme encore mieux forger mon âme
que la meubler. » Le lycée Montaigne se souvient de ce mot
et l'éducation morale des élèves demeure un de ses constants
soucis. Un de ses premiers maîtres et des plus éminents,
M. Clairin, affirmait avec raison : « le manque de discipline est
un mal pire que le manque de culture. » Discipline de la con-
science, discipline de la volonté, discipline du caractère. Nulle
occasion n'est omise d'apprendre à l'élève à se vaincre, dans les
mille petits combats qu'il livre chaque semaine à ses caprices
et à ses fantaisies. Tout élève est plus ou moins un sentimental :
à l'âge où il s'assied sur les bancs, à Montaigne, l'écolier est
surtout gagné par l'affection. Il la cherche pour s'y blottir.
C'est donc par le cœur qu'on s'efforce de le gouverner. Il aime
la règle, quand il aime le maître qui la lui enseigne.
S'il est un lycée où l'on cherche à prévenir les fautes plutôt
qu'à les punir, c'est bien celui-là. L'enfant a besoin de respecter
ceux qu'il aime, pour les aimer mieux ; la bonté, à ses yeux,
se diminue, quand elle est doublée de faiblesse. Mais l'autorité
qui va jusqu'au bout du droit exaspère l'enfant, l'aigrit, trouble
ses idées de justice et il arrive à croire qu'on le punit par
plaisir. Il y a un art supérieur de faire accepter les punitions
imposées et, cet art, on le pratique à Montaigne. On n'y oublie
point que l'essentiel est de convaincre l'enfant de cette vérité :
il est plus pénible de punir que d'être puni. Il s'agit d'obtenir
LE LYCÉE MONTAIGNE 197
que l'enfant aime encore la main qui ordonne et qui corrige.
Au reste quand cette main-là s'ouvre pour les récompenses,
signe les bonnes notes quotidiennes, les bonnes notes de quin-
zaine, les bulletins mensuels ou trimestriels et quand elle écrit
les noms au tableau d'honneur, l'enfant doit comprendre que
sa joie est aussi celle de tous ses maîtres. Son cœur a constam-
ment l'impression de n'être pas isolé, ni perdu : et ses forces,
pour faire le bien, sont décuplées.
Le lycée Montaigne se préoccupe très justement d'une des
premières nécessités de renseignement : apprendre aux jeunes
enfants, bien moins encore la science que la science du travail.
La mémoire est un moyen non une fin. On dit parfois que c'est
la première faculté développée chez l'enfant : la curiosité, l'ima-
gination, le besoin de connaître le pourquoi des choses tiennent
dans son cerveau autant de place peut-être que sa mémoire.
L'enfant a sa logique et il aime à raisonner. Le lycée lui rend
un service incomparable en l'aidant à s'expliquer toutes cho-
ses, à classer ce qu'il apprend, à l'ordonner, à le clarifier.
Dans la grammaire, dans les petites compositions de style,
dans les études latines, commencées en dixième, dans les mathé-
matiques, l'histoire, la géographie et les langues vivantes, les
professeurs de Montaigne ont le très juste souci de dégager
les faits et les idées, de les rapprocher, de les enchaîner. Les
facultés d'observation, de comparaison et de généralisation sont
ainsi, chaque jour et à chaque heure, exercées et cultivées. Et
toutes les études ultérieures en ressentiront les heureux effets.
Depuis le 2 août 1891, Montaigne ne prépare pas seulement
ses élèves à Louis-le-Grand ; ne vont à Louis-le-Grand que les
élèves de l'enseignement classique, les autres, ceux de l'ensei-
gnement secondaire moderne, c'est-à-dire sans latin, vont à
Saint-Louis. A partir de quelle classe cet exode a-t-il lieu ?
ig8 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
De 189 1 à 1893 ce fut, pour les sections latines ou non, c'est-à-
dire A ou B, à l'issue de la 4e ; depuis lors, c'est à l'issue de la 5e
pour les sections latines. La 4e B se fait encore au lycée Mon-
taigne. De 1 89 1 à 1 9 1 o, les sections B n'ont cessé de s'augmenter :
elles ont triplé, passant d'une vingtaine d'élèves à une soixan-
taine ; depuis 191 1, elles diminuent. Les sections A, après un
fléchissement de 1897 à 1905, ont gardé, jusqu'en 1910, un con-
tingent sensiblement pareil : 253 unités en i885et2Ô4en 1910;
depuis lors, elles progressent : 270, en 191 1-2, et 3o5 en 191 2-3.
Sur 3 élèves de Montaigne, en 5e ou en 6e, 2 sont dans les sec-
tions classiques, ou A, et l'autre dans les sections modernes ou
B. Le lycée Montaigne reste donc fidèle à ses origines : chez
lui, comme à Louis-le-Grand, c'est avant tout l'enseignement
classique et les humanités qui sont en honneur.
X
LE LYCÉE JANSON DE SAILLY1
Chacun sait que Janson de Sailly est un très grand lycée ;
quelques érudits savent aussi que Janson de Sailly fut, tout
d'abord, un homme, que cet homme avait été magistrat ; qu'il
épousa la sœur du grand Berryer ; qu'il légua, le 14 août 1828,
la nue propriété de sa fortune à l'Université; pour créer, « à
Paris, un collège royal portant son nom et dans lequel l'ensei-
gnement des humanités serait donné à des enfants particulière-
ment distingués par leur piété filiale ». L'usufruitière mourut.
Le testament avait été vainement attaqué par les parents du
testateur. La succession, consistant en immeubles situés rue
1. Grand Lycée, rue de la Pompe, 106; Petit Lycée, avenue Henri-Martin, 46,
(PI. 37 et 38).
LE LYCÉE JANSON DE SAILLY 199
Royale, produisit 2.690.000 francs. Le lycée a coûté plus de
10 millions et demi. Si M. Janson avait fait beaucoup pour
TUniversité, l'Université a fait plus encore pour M. Janson.
Elle a triplé le magnifique legs de 1828 et lui a, gratis, ajouté
une auréole de gloire. Les mânes de l'honorable M. Janson ont
tout lieu de se réjouir.
Ce n'est pas tout encore : le lycée doit infiniment au quartier
dePassyet Passydoit infiniment au lycée. Peu avant la création
du lycée, le seizième arrondissement avait environ 5o.ooo habi-
tants. Ce chiffre est aujourd'hui triplé, lui aussi. Vers 1875, les
pères de famille hésitaient encore à se fixer dans les quartiers
d'où leurs enfants devaient s'éloigner pour trouver à s'instruire
dans un établissement de l'Etat. Et le quartier risquait de deve-
nir un nid confortable à l'usage de vieux oiseaux : retraités, bour-
geois paisibles et retirés des affaires. Il avait une physionomie
froide et un peu triste. Aujourd'hui, et le maire du XVIe arron-
dissement, M. Marmottan, l'a constaté dès 1894, « sous l'in-
fluence des jeunes générations, qui apportent avec elles leur
bonne humeur et leur gaîté, nous voyons se produire un épanouis-
sement nouveau, une éclaircie vers l'avenir, une poussée vers
la vie ». Transformation matérielle et transformation morale1.
11 y a, dans Paris, quelques capitales privilégiées : Passy est
l'une de ces capitales. Et c'est le lycée qui a aidé à la faire.
Le décret du 3o décembre 1 876 fut donc heureusement inspiré
quand il distingua, pour y créer le lycée, l'ancien « petit village
de maraîchers, qu'avait été Passy, naguère encore faubourg loin-
tain, aux buttes de gazon rabougri, aux routes bordées de mai-
sonnettes, à la façon de Romainville ». La première pierre du
1. Nous devons beaucoup aux notes que M. Chacornac nous a si obligeamment
communiquées, à l'Annuaire de 1910 de l'association amicale des anciens élèves de
Janson et au charmant discours de M. Moog (31 juillet 1906).
200 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
lycée fut posée le 16 octobre 1881, en présence de Victor Hugo,
de Fustel de Coulanges et d'Henri Martin. Le ministre, — c'était
M. Jules Ferry, — opposa au lycée d'autrefois le lycée des temps
nouveaux. Il proclama son idéal : faire, de Janson, le lycée
modèle, avec dévastes préaux, de beaux ombrages, delalumière,
« tout ce qu'il faut aux enfants comme aux plantes, car ils vivent
avanttout, comme elles, de soleil et de grand air ». Et M. Gréard
avait dit déjà que Janson saurait demeurer fidèle à l'esprit de
progrès comme à l'esprit de tradition.
Aux promesses que faisaient, en son nom, de tels parrains, Jan-
son a su rester fidèle. L'architecte, M. Laine, de 1881 à 1884,
a su donner une forme heureuse au rêve entrevu : sur près de
33.ooo mètres carrés, le tiers seulement est réservé aux cons-
tructions, que des jardins ceinturent presque partout. La lumière
du ciel, la vraie, celle qui esta sœur de la joie », pénètre le lycée;
elle contribue, avec ses murailles, toutes roses et blanches,
à lui donner un air d'élégance aimable et de santé (PI. 3y et 38) .
Son immensité n'est pas celle d'un monstre, il s'en faut : elle dis-
simule ses amphithéâtres, ses 61 salles de classes (dont 3i ajou-
tées depuis 1894), ses 24 études, toutes plus grandes que ses
classes, ses deux réfectoires longs de 3y m. 5o, et ses 1 1 dortoirs,
longs de 34 mètres, larges de 7ra,5o, hauts de 4 mètres. Aux
7 millions de francs dépensés quand s'ouvrit le lycée, le 10 octo-
bre 1 884, il fallut ajouter plus de 3 millions et demi : car le lycée,
comme tout organisme vivant, n'a cessé de grandir et, dès 1 89 1 ,
il a fallu à Janson deux lycées : le grand lycée et le petit. Le petit
lycée garde les élèves, de la classe enfantine à la classe de 4e A
incluse; le grand lycée a toutes les autres classes, y compris les
deux divisions de 4e B. C'est l'Etat qui a généreusement payé
tous ces frais : Janson, à la différence de la plupart des lycées
parisiens, ne doit rien aux deniers de la municipalité parisienne.
PI. 37.
LYCEE JANSON DE SAILLY. — LA COUR D HONNEUR.
Phot. Yallois.
LYCEE JANSON DE SAILLY. — ■ ENTREE DU PETIT LYCEE SUR l' AVENUE HENRI-MARTIN.
(Page 19S.)
PI. 38
Phot. Vallois
LYCÉE JANSON DE SAILLY. — L'ENTREE SUR LA RUE DE LA POMPE.
LYCEE JANSON DE SAILLY. —
Phot. Valloi
COULOIR DU PETIT LYCÉE (PREMIER ÉTAGE)
(Page [98.
LE LYCÉE JANSON DE SAILLY 201
Le proviseur de Janson étend son autorité sur les deux lycées.
« Il est averti de tout ce qui se passe au petit lycée ; il reste le
seul administrateur pour toute la maison, sous le rapport des
intérêts matériels et de la gestion financière. » Au directeur du
petit lycée, qui reste classé parmi les censeurs des lycées de
Paris, sont laissées l'initiative et la responsabilité de ce qui
regarde les intérêts moraux et intellectuels de son département.
Les quatre proviseurs de Janson, MM. Kortz, Fourteau,
Poirier, Chacornac1, les directeurs2, les censeurs3 et le corps
enseignant tout entier ont tous donné, sans compter, leur talent
et leur travail, leur science et leur conscience, pour assurer la
fortune de l'œuvre entreprise. S'ils étaient moins près de nous,
nous serions plus à l'aise pour nuancer l'éloge, et notamment
vis-à-vis du proviseur actuel, M. Chacornac, qui sait allier l'ex-
périence à l'optimisme, et l'onction diplomatique à la fermeté.
L'enseignement supérieur, à maintes reprises, a emprunté ses
professeurs au lycée Janson : la Faculté de Rennes a pris
M. Lacour* à sa classe de mathématiques spéciales (1 884-1 891) ;
l'École des Beaux-Arts dispute M. Rocheblave (1895) à ses élèves
de première; la Sorbonne a pris M. Séailles à sa classe de phi-
losophie (i885-86) ; MM. Aulard (1884-86), Emile Faguet (1887-
1893), Lintilhac (1896-98), à leurs classes de Rhétorique. Et
faut-il ajouter que le Sénat a revendiqué M. Lintilhac et l'Aca-
démie française, M. Faguet? L'Inspection académique de Paris
1. MM. Kortz, octobre 1884 à octobre 1891; Fourteau, octobre 1891 à février
1902 ; Poirier, février 1902 à octobre 1909 ; Chacornac, depuis octobre 1909.
2. MM. Breitling, octobre 1891-octobre 1892 ; Bréhier, octobre 1892-octobre
1906 ; G. Port, depuis octobre 1906.
3. MM. Breitling, octobre 1884 à octobre 1891 ; Favre, octobre 1891 à octobre
1892 ; Laféteur, octobre 1892 à février 1902 ; Cuvillier, février 1902 à octobre 1904;
Payrard, octobre 1904 à octobre 1908; Windenberger, depuis octobre 1908.
4. Nous mettons entre parenthèses les années pendant lesquelles les profes-
seurs ont enseigné à Janson.
202 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
a récemment appelé à elle M. Belot (1893-98) ; l'Inspection
générale de l'Enseignement primaire M. Edouard Petit (1886-
1897) et M. Pécaut (1901-2). Enfin l'Inspection générale de
l'Enseignement secondaire s'honore d'avoir compté dans ses
rangs M. Lanier (1884- 1902), pour l'histoire, et de compter
encore M. Chassagny (1884-1908), pour la physique, M. Belot
pour la philosophie.
Entre tous leurs camarades parisiens, les élèves de Janson
se caractérisent d'abord par leur nombre1. Le lycée ouvert « on
attendit mille élèves, avec l'espoir qu'il en viendrait bien cinq
cents. Il y en eut bientôt douze cents, quinze cents, plus de deux
mille... Il en vint de Passy, d'Auteuil et de Neuilly ; il en vint
de l'Europe entière ; il en vint d'Afrique et d'Asie, d'Australie
et des Trois Amériques ; il en vint du Japon ; il en vint même
de la Plaine Monceau, qui est incomparablement plus loin : car,
entre le Japon et Janson, il n'y a guère que toute l'Asie et toute
l'Europe, tandis qu'entre la plaine Monceau et la rue de la
Pompe, il y a le lycée Garnot et le lycée Condorcet 2 ».
Aucun lycée de France n'a une population scolaire plus floris-
sante. Mais, tout comme ailleurs, les internes, en dépit du
chiffre total, qui monte, ne cessent guère de décroître. Les
demi-pensionnaires eux-mêmes diminuent. Sur plus de deux
1 • GRAND PETIT DEMI-PENSION-
15 NOVEMBRE LYCEE LYCEE TOTAL N AIRES EXTERNES
1884 ,)
1885 »
1886 »
1890 »
1895 999 -f- 950
1900 1.041 -f 744
1905 1.156 4- 963
1909 i.ifaô -f 913
1911 1.087 + 925
1912 » »
458 154 233
940 245 432
245 305 552
842 297 754
949 317 1.202
785 239 1.277
119 198 1-693
079 ibi 1.735
064 170 1.710
092 ib) 1.665
2. Discours de M. Moog, professeur de troisième, le 31 juillet 1909, à la dis-
tribution des Prix du Grand Lycée.
LE LYCÉE JANSON DE SAILLY 203
mille élèves, il n'y a pas toujours 170 pensionnaires. On disait,
à l'origine : faisons un lycée d'internes ; Janson sera assez loin
pour qu'on y couche. On se trompait, on n'y couche guère. Et il
a fallu, de 1902 à 1904, désaffecter trois dortoirs pour les con-
vertir en classes1. Le lycée qui aurait pu être un lycée national
est un lycée de quartier.
Deux pensions principales gravitent autour de Janson :
Gerson et Lacordaire, dont la prospérité suit celle du lycée.
L'élève de Janson de Sailly n'est pas un éphèbe courbé sur
sa table à écrire. Son ambition ne va pas à être « un porte-
plume ». Il ne s'attarde pas trop longtemps sur le passé mort;
il aime les nouveautés, il est essentiellement moderne. Pour un
peu, il serait futuriste. La mode d'hier lui semble désuète; la
mode d'aujourd'hui lui semble déjà fanée ; il lui faut la mode de
demain, et il est de ceux qui la créent avec une audace tran-
quille de précurseur, sûr de son fait.
Il est le familier du bois de Boulogne, son proche voisin, et
il y trouve un terrain d'entraînement admirable. Dans les con-
cours interscolaires de 1889, Janson, âgé de cinq ans, conquit la
première place. Dans les lendits, de 1889 à 1900, Janson fut
vainqueur sept fois sur onze. Il est le champion favori, dans tous
les tournois d'équitation, de natation, de paume, de disque, de
marche, de courses de vitesse ou de fond, d'aviron, de tir, de
boxe française ou anglaise, de sauts en longueur et en hauteur,
de bicyclettes, de cross-country, lawn-tennis, foot-ball rugby,
foot-ball association, pelote basque, croquet et... gymnastique.
« Sportsmen de la première heure et de premier ordre », les
Janson de Sailly « montent à cheval comme des jockeys et
nagent comme des torpilleurs ».
1. Depuis 1911-2, i8chambres particulières ont été réservées aux pensionnaires
des classes supérieures.
204 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
Ils ont à tâche de contribuer au progrès de l'automobilisme
en France. L'entrée du lycée, à de certains moments, ressemble
à une succursale de l'Automobile-Club. « Cylindres, volants, car-
burateur, jantes amovibles, différentiel, pneus qui boivent l'obs-
tacle ou qui en crèvent » n'ont guère de secret pour un parfait
élève de Janson. Et ils humilieraient, si la distinction de leurs
manières ne les en gardaient, l'ignorance de leurs professeurs
d'humanités, sur le chapitre des dirigeables et aéroplanes,
rigides et semi-rigides, avions, monoplans et biplans, sur les
vols verticaux ou les vols horizontaux et sur l'intéressante famille
des hydroaéroplanes.
A Janson, comme jadis à Athènes, la culture de l'homme sait
être complète : l'élégance des muscles ne fait pas tort à l'élé-
gance de l'esprit. On travaille sans surmenage, mais avec intel-
ligence, avec goût, avec profit. Au concours général, de 1 885 à
1902, Janson moissonna une belle gerbe de lauriers : 126 prix
dont 62 premiers, 446 accessits et 26 mentions. De 1 885 à 19 12,
Janson fit entrer 320 élèves à l'Ecole polytechnique, 414 a l'Ecole
Centrale des Arts et Manufactures, 181 à l'école Saint-Cyr. Dès
l'ouverture du lycée, en 1 885, M. Le Dantec était son porte-
drapeau et entrait premier à l'Ecole normale supérieure
(sciences) ; on sait qu'il a depuis mérité d'autres couronnes.
Dans l'atrium de Janson, c'est-à-dire dans son parloir, les
« images » de ses preux sont exposées, en exemple aux généra-
tions nouvelles : les prix d'honneur, Cartan, Drouin, Bourgin,
Gibert ; les « caciques » ou les « majors » des Ecoles Normale,
Polytechnique, Saint-Cyr, et de l'Institut agronomique. Le Dan-
tec, Cotton, Glasser, Jeanne, Lalande, Rolland, Alcan, Julia;
enfin les champions du Lendit, Dolbeau et Cauchy. Les élèves
de Janson n'avaient pas encore d'aïeux ; ils ont su travailler, « de
façon à devenir eux-mêmes des ancêtres. Du haut de ses vingt-
LE LYCÉE JANSON DE SAILLY 205
huit ans « il a déjà cet air vénérable auquel se reconnaissent
les choses séculaires ».
Un dernier trait : Janson a été, pour l'évolution de la disci-
pline, parmi les lycées d'avant-garde. C'est lui qui, le premier, au
réfectoire et dans les mouvements, émancipa les langues. C'est
chez lui d'abord que l'austère discipline d'antan tenta cette har-
monie délicate de la fermeté et de la liberté, qui devait la con-
duire, suivant le mot de Maurice Donnay, à devenir « la sœur de
l'abondance » : elle mit de l'eau dans son vin.
Les consignes de jadis empoisonnaient un peu l'air de cer-
tains lycées : la consigne du dimanche confisquait à l'élève sa
liberté pour la journée entière. M. Kortz et M. Breitling renon-
cèrent à faire payer à tous les délinquants le plein tarif. La
peine fut proportionnée au délit ; on la divisa en tranches, et le
terme extrême en fut fixé à quatre heures de l'après-midi.
« L'élève avait ainsi le reste de la journée sauf. Il pouvait mettre
un intervalle de liberté et de vie de famille entre la semaine
close et celle qui allait s'ouvrir; la punition ne risquait pas de
le laisser aigri ni découragé. »
Ces traditions généreuses se sont maintenues. Sans le goût de
l'effort et sans le tourment du mieux, toute œuvre éducative est
vaine : Janson s'applique à éveiller ce goût et ce noble souci. Le
proviseur actuel cherche surtout à donner à l'enfant des habi-
tudes de droiture et de sincérité. La punition matérielle est une
extrémité à laquelle il invite ses collaborateurs à se résigner
quand les avis fermes et bienveillants ont échoué.
Dans un lycée si peuplé, il importait de s'ingénier pour
suivre chaque élève, pas à pas. On y est arrivé : chacun a son
compte ouvert. Mauvaises notes de quinzaine, travaux supplé-
1. L'Association amicale des anciens élèves du Lycée Janson, fondée en 1891,
est en pleine prospérité.
2o6 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
mentaires, retenues sont portés sur ce compte. Chaque tri-
mestre, tout externe qui a mérité 24 devoirs supplémentaires
ou vingt-quatre heures de retenue, tout demi-pensionnaire ou
interne qui en a mérité 3oest appelé devant le Conseil de disci-
pline. Ils y explique. Le Conseil apprécie s'il y a lieu de lui per-
mettre un nouvel essai ou de le rendre de suite à sa famille. Une
seconde comparution devant le Conseil équivaut à un arrêt d'ex-
clusion. Ce système fonctionne avec une précision automatique
et permet la connaissance de chacun et le salut de tous ceux qui
le méritent. Presque toujours les élèves qui en connaissent le
mérite et le bien fondé, s'amendent eux-mêmes. Le sentiment
de leur responsabilité et la culture de leur volonté sortent forti-
fiés de cette épreuve.
Et à ces jeunes gens, que le bien-être et le luxe environnent,
le lycée n'a pas seulement appris à travailler et à réussir ; il a
finalement réussi à leur apprendre cette vertu plus rare, obéir.
XI
LE LYCÉE BUFFON '
Le lycée qu'on avait eu, en i865, l'idée de fonder sur la rive
gauche, pour les quartiers sud-ouest de Paris, ne fut pas élevé;
on lui destinait, dans la rue de Sèvres, l'emplacement de l'hos-
pice des Incurables. Il s'agissait d'y transporter Louis-le-Grand,
en personne : aussi tout le passé du vieux collège protesta, et
les profanateurs reculèrent; ils n'eurent plus le courage d'ac-
complir leur forfait. On logea l'hôpital Laënnec aux Incurables
1. 16, Boulevard Pasteur (PI. 39).
LE LYCEE BUEEON
207
(1869- 1878), et tout ce coin de la capitale dut se contenter, vingt-
cinq ans encore, du collège Stanislas.
Enfin le Ier octobre 1889 le lycée Buffon ouvrit ses portes.
C'est à peine si on l'avait placé un kilomètre plus loin sur
l'avenue qu'on appelait alors boulevard de Vaugirard et qui est
devenue le boulevard Pasteur (PI. 39) . Car, en un quart de siècle,
des maisons nouvelles avaient surgi là; et l'on vit pour Buffon
ce qu'on avait vu pour Janson : le quartier fit autant pour la
fortune du lycée, que le lycée pour la fortune du quartier. Si
Buffon n'a pas encore la population scolaire de Janson, c'est que,
malgré tout, le XVe arrondissement n'a pas la vogue du XVIe, et
que les Invalides, Montparnasse et Vaugirard n'ont pas, fus-
sent-ils coalisés, l'attrait prestigieux de Passy à l'orée du Bois.
La morale exige que la modestie soit récompensée de temps
en temps. On créa Buffon pour 800 élèves et l'on se dit : il en
viendra jusqu'à 200. Il y en a aujourd'hui 1.100. Dès sa majo-
rité, Buffon avait pu fêter son millième enfant. Le vieux Priam
et ses cinquante fils étaient battus de vingt longueurs1.
Depuis la fondation du lycée, les lignes métropolitaines ont eu
beau éventrer le sous-sol; le « Nord-Sud » et la ligne « n° 5 » ont
eu beau se superposer en croix, presque devant la porte du lycée ;
un tramway électrique et un autobus ont eu beau faire, du boule-
vard Pasteur, un des centres nouveaux de Paris, le lycée a gardé
à ses origines une fidélité touchante : d'autres peuvent être des
lycées nationaux, Buffon demeure un lycée de quartier. Et comme
ANNEES ELEVES
1889 178
1890 360
1891 461
1892 465
1893 543
1894 589
1895 568
1896 553
ANNEES ELEVES ANNEES
1897 566 1905.
1898 574 1906.
1899 601 1907.
1900 670 1908.
1901 715 1909.
1902 722 1910.
1903 780 1911.
1904 792 1912.
ELEVES
839
870
019
980
I .OOp
I.050
I.O97
I . Ob9
2o8 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
l'École militaire n'est pas loin, les fils d'officiers y dominent.
Buffon ignore encore la crise de l'internat, mais n'en tire pas
vanité : il n'a été construit que pour des externes. Avec eux,
moins de ioo demi-pensionnaires, et un peu plus de ioo externes
surveillés, c'est tout; les premiers prenant, au lycée, le repas de
midi, les autres allant le prendre en famille.
Sur le nombre de ces écoliers, l'action personnelle des pro-
viseurs et des censeurs1 n'a cessé d'être efficace : si, de 1895 à
1898, ce nombre avait baissé de plusieurs unités, la cause en
est à la maladie de l'un d'eux, M. Dalimier. Le fléchissement
n'a pas duré : M. Staub et M. Breitling étaient des adminis-
trateurs trop distingués et, à l'occasion, trop énergiques, pour
ne pas valoir au lycée une renaissance nouvelle. Et, parmi les
censeurs, deux des plus récents, MM . Oudinot et Peytraud, ont eu
le grand honneur de mourir à leur poste : ils sont de ceux dont
le lycée garde pieusement la mémoire.
Les locaux où se rencontrent élèves et administrateurs, pro-
fesseurs et maîtres, sont déjà trop étroits ; le hall d'entrée a pris,
aux heures d'affluence, des airs de miniature. Autre inconvé-
nient : les classes placées sur les deux grandes cours sont l'ex-
ception. Le lycée doit être, sans doute, l'apprentissage delà vie :
dans ce cas, les bruits de la rue Vaugirard et du boulevard
Pasteur se chargent d'ajouter généreusement à son éducation. La
fureur de vivre y bat son plein, sans ménagement et sans relâche.
Et il nous souvient du supplice des professeurs obligés de lutter
de la voix avec le tonnerre du métropolitain qui bondit hors de
terre, juste en face du lycée, pour jeter aux quatre vents du ciel
1. Proviseurs :
MM. Adam, 1889-93: Dalimier, 1893-1902; Staub, 1902-1907; Breitling, 1907.
Censeurs :
MM. Fourteau, 1889-92; Bréhier, 1892-93 ; Claverie, 1893-1894; Voisin, décembre
1894-1905; Oudinot, 1905-1908; Peytraud, 1908-1912; Bardot, 1912.
PI. 39.
va;
LYCEE BUFFON. — FAÇADE SUR LE BOULEVARD PASTEUR.
LYCEE BUFFON. — UNE COUR INTERIEURE.
(Page 206.)
ri. 40.
LYCÉE VOLTAIRE
LENTRÉE SUR l' AVENUE DE LA REPUBLIQUE
nn nn nn ■• u u u i
,'ffliit.â ] i
U! i
LYCEE VOLTAIRE. — COUR INTÉRIEURE.
(Page 211.)
LE LYCÉE BUFFON 209
son bruit insolent de ferrailles. Il est très vrai qu'il se repose :
il ne passe que toutes les trois minutes, mais comme les trains
se croisent, on a parfois une minute et demie de tranquillité.
Le lycée n'en a pas moins un air de jeunesse, de bonne grâce
et de gaieté, qui séduit et qui retient. La distribution des cou-
loirs y est assez heureuse pour que la surveillance en soit facile,
discrète et totale.
Les sports y sont en honneur, comme clans tout lycée « bien
parisien ». Une cour spéciale est affectée à certains jeux
d'adresse : plus de dix équipes de tennis s'y succèdent.
Les études n'ont rien à y perdre, bien au contraire. Buffon
est un des lycées où les examens de passage, d'une classe à
l'autre, sont le plus loyalement pratiqués. En octobre 191 2,
23 élèves n'ont pu réussir à forcer la porte de la classe supé-
rieure à celle où ils venaient de végéter, tant bien que mal,
toute Tannée précédente. Buffon, comme tant de lycées dont le
recrutement est assuré, peut choisir ses élèves : il a la quantité,
il dépend de lui d'avoir aussi la qualité.
Au reste, ainsi que dans tous les autres lycées parisiens,
même dans les plus démocratiques, les élèves qui ont achevé
le premier cycle ne songent qu'à parcourir le second et non à
quitter le lycée.
Les études latines y éprouvent aussi, comme partout dans
la capitale, un regain de faveur ; ce qui se traduit ainsi en lan-
gage technique : les classes B du premier cycle se vident1 au
1. Voici des chiffres édifiants pour les six dernières années :
6» A 6» B
OCTOBRE (AVEC LATIN) (SANS LATIN)
1907 78 50
1908 80 49
1909 84 38
1910 82 63
1911 82 39
1912 112 23
14
210 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
profit des classes A. Sur 1 3 5 élèves de 6e, 23 élèves seulement
se passent de latin et 1 12 en demandent.
Et le fait est d'autant plus significatif à Buffon, que ce lycée
est en passe de devenir scientifique. C'est le provisorat de
M. Breitling qui oriente Buffon dans cette voie. M. Breitling
avait quitté à Saint-Louis, un lycée scientifique : il a le souci
d'en créer un autre à Buffon. La classe de mathématiques spé-
ciales y est florissante, et de plus en plus. Elle a sa pépinière
dans les classes inférieures du lycée et non pas dans les autres
lycées de Paris ou de province.
En première et en seconde, les classes littéraires sont faible-
ment peuplées, au regard des classes scientifiques : en octo-
bre 191 2, 65 élèves, en première C et D, et 20 élèves, en pre-
mière A et B (dont 7 en première A) ; 6g élèves en seconde
G et D et 21 en seconde A et B. La hantise des écoles Poly-
technique et Saint-Cyr poursuit, à Buffon, les fils d'officiers et
de fonctionnaires, qui forment, pour une si grande part, la
clientèle du lycée.
La sélection que permet le nombre croissant des élèves ne
profite pas seulement à la vie intellectuelle de la maison, mais à
sa vie morale. Chaque élève a son dossier très exactement tenu :
chaque punition y est portée. Un enfant signalé pour sa mau-
vaise conduite est mandé chez le censeur, ou même, quand il
y a lieu, chez le proviseur; trois exclusions de classe entraînent
une comparution devant le Conseil de discipline, où un avertis-
sement est donné; après trois de ces avertissements, l'élève est
rendu à sa famille. On arrive ainsi à un minimum de consi-
gnes et à un maximum d'ordre. L'enfant se sent surveillé, sans
tracasserie, et bien souvent il s'amende de lui-même. L'œuvre
éducative porte ses fruits.
La bonne tenue morale va rarement sans la bonne tenue
LE LYCÉE VOLTAIRE 211
matérielle : aussi exige-t-on la seconde, comme la première.
Les petits élèves sortent en rang. Le censeur surveille toujours
et le proviseur quelquefois l'entrée et la sortie des élèves.
La très grande majorité des enfants est catholique : deux
vicaires de Saint-Jean-Baptiste viennent au lycée donner
l'instruction religieuse à ceux des élèves dont la famille en a
marqué le désir.
Enfin si jeune que soit le lycée, le culte du souvenir y est en
honneur : le portrait de tous les anciens proviseurs orne les
murs du parloir, et dès le 14 janvier 1894, V Association des
anciens élèves de Buffon a été fondée. Chaque année, elle
donne un prix à l'élève le plus méritant des classes supérieures.
En janvier 191 1, elle a fait graver sur une plaque de marbre
noir, fixée aux murs du hall d'entrée, les noms de trois jeunes
officiers et d'un sous-officier, tués à l'ennemi, sur la terre
d'Afrique. Et ce marbre est bien à sa place, dans une maison
qui ne doit pas seulement initier les jeunes gens à la joie de
l'étude et du savoir, mais dresser leurs énergies à toutes les
difficultés, voire aux héroïsmes du devoir.
XII
LE LYCÉE VOLTAIRE1
On n'accusera pas l'administration universitaire d'avoir
encombré de lycées les quartiers orientaux de la capitale : les
écoles professionnelles y abondent, mais, avant 1890, aucun
lycée n'y avait été construit. Voltaire aujourd'hui ne risque
1. ioi, Avenue delà République (PI. 40).
212 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
donc pas d'être gêné par des concurrents trop voisins. Il est à
presque 2 kilomètres de Charlemagne et à plus de 3 kilomètres
de Rollin.
Voltaire a été élevé au pied de Ménilmontant et sur la péri-
phérie du quartier Popincourt. On eût tenu jadis son emplace-
ment pour un coin de la banlieue, quoiqu'il ne soit pas plus
éloigné des fortifications que de la Porte Saint-Martin. Son der-
nier proviseur a parfaitement compris cette vérité : le métro-
politain ayant mis le lycée à dix minutes des gares de l'Est et du
Nord, le chemin de fer nogentais l'ayant mis à quinze minutes
de la barrière de Saint-Mandé et de Vincennes et le tramway
de l'Est Parisien l'ayant mis à dix-huit minutes de l'Opéra, le
lycée Voltaire, qui eût peut-être végété comme lycée de quar-
tier, est devenu prospère comme lycée parisien. Il a débuté
avec i5o élèves; il en a aujourd'hui, près de 800 \ Il ne pouvait
pas espérer devenir un lycée national, n'ayant que des externes
et des demi-pensionnaires : il a du moins la plus forte demi-
pension de la capitale. Les élèves ne sont pas seulement allés se
multipliant; leur recrutement s'est étendu jusqu'aux classes
sociales qui composent la clientèle de Gondorcet ou de Janson.
Voltaire a donc éprouvé, pour sa part, ce que Buffon a res-
senti.
On devine ce qu'il a fallu d'énergie, d'adresse, de tact et de
foi à ses divers administrateurs pour conquérir ces résultats.
DEMI-PENSION-
ANNEES NAIRES
1890 38
1894 97
1899 110
1904 94
1909 133
1910 164
1911 i97
1912 223
EXTERNES
EXTERNES
SURVEILLES
LIBRES
tota:
52
41
151
97
159
353
c;9
271
4*0
114
336
514
M7
357
637
138
370
672
J37
437
771
M7
422
7.) 2
LE LYCÉE VOLTAIRE 213
Deux de ses proviseurs ' : MM. Taboureux et Déprez ont doublé
le nombre de leurs élèves ; l'initiative et l'opiniâtre activité de
M. Viguier ont augmenté ce nombre d'un tiers. Et si Carnot
ne l'avait appelé, M. Frétillier, sans nul doute, aurait connu,
avenue delà République, une fortune pareille.
Les bâtiments sont vastes : 18.000 mètres carrés. Cinq rues
les isolent comme un îlot de pierre où les arbres de quatre
grandes cours prodiguent leur ombrage et où le soleil parisien
met tout ce qu'il a de lumière. L'architecte a eu la délicatesse
de disposer les classes loin de la rue : les professeurs lui rendent
grâces. Mais les censeurs eussent préféré des couloirs moins
extérieurs aux quatre cours : il faut autant de surveillants que
de couloirs. Il est vrai que ces couloirs sont magnifiques. Le
couloir des petits et le couloir du Nord ont des perspectives
presque ausssi imposantes que celles des corridors à la Grande
Chartreuse. Autre luxe : partout des contreforts, c'est-à-dire
d'admirables cachettes pour les enfants. Par contre, si les con-
treforts abondent, les caniveaux creusés dans le mur, pour l'écou-
lement des eaux sales, ont été oubliés. Une autre distraction a
logé la chaufferie aux extrémités du lycée : on peut griller ici
et geler là (PI. 40).
Classes et études ont connu, d'emblée, « tout le confort
moderne » : l'éclairage seul retardait encore. Grâce surtout à
M. Lamirand, inspecteur de l'Académie de Paris et président
1. Proviseurs :
MM. Taboureux, 30 juillet 1890, mort au Lycée. 28 décembre 1892 : Frétillier,
30 décembre 1892-28 décembre 1894 ; Déprez, 28 décembre 1894-juillet 1904 ; Favre,
août 1904 au 26 mai 1907; J. Viguier, 27 mai 1907.
Censeurs :
MM. Viguier, 6 janvier 1900-12 février 1902 ; Laféteur, 13 février 1902-fin juillet
1906 ; Bebin, août 1906-juillet 1909; De Caumont, août 1909, mort au Lycée 9 oc-
tobre 1911; Bardot, 10 octobre 1912-15 septembre 1912; Vergeot, 16 septembre
1912.
2i4 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
du Conseil d'administration du lycée, ce retard n'existe plus;
l'électricité et l'éclairage intensif à becs renversés ont été ins-
tallés depuis quelque temps : les séances de projection sont deve-
nues possibles.
Voltaire a beau avoir une équipe sérieuse, il n'est pas un
lycée de sports ; il ne songe à rivaliser, sur ce point, ni avec
Janson ou Rollin, ni avec Lakanal, Michelet ou Saint-Louis.
L'esprit général des élèves est, au reste, excellent : chacun
d'eux se sent suivi de près et même en dehors du lycée ; par
exemple, dans les tramways qui leur sont exclusivement réservés,
ou encore dans le voisinage de Voltaire. Cette irréprochable
tenue, à l'extérieur, est la première condition requise pour être
admis comme élève.
L'émulation est stimulée. Chacun des élèves, admis à la
Saint-Charlemagne, a sa photographie individuelle, affichée sur
les murs du lycée. Bien faire est un devoir envers nous-mêmes,
faire du bien est un devoir social. Tout récemment, on rappe-
lait aux élèves de Voltaire la pensée de Marmontel : la bonté
est le secret du bonheur. Et le maire du XIe arrondissement les
remerciait publiquement de faire, dès le lycée, et en faveur
des pauvres du quartier, l'apprentissage de la bonté.
Par delà les murs et le temps passé à Voltaire, l'Association
des anciens élèves a le souci de prolonger la vie morale qu'on
y trouve. Des prix aux élevés actuels, des bourses de vacances
pour des séjours à l'étranger, des bourses de scolarité pour une
année entière ou plusieurs, voilà bien des manières que les aînés
ont de dire aux générations nouvelles : le lycée nous a fait un
peu ce que nous sommes ; nous lui devons beaucoup. En pensant
à vous, notre gratitude pense à lui.
Et pourtant, depuis 1890, combien Voltaire a changé : tout
ce qui vit se transforme et il a évolué comme un être très vivant.
LE LYCÉE VOLTAIRE 215
11 ne s'était ouvert, en principe, que pour des cours d'enseigne-
ment moderne, et il se trouve aujourd'hui que l'enseignement
classique a fait mieux que de s'y installer. Il y triomphe. A la ren-
trée de 191 2, le latin a pris sa revanche à Voltaire, tout comme
à Henri IV ou à Montaigne, à Lakanalouà Michelet, à Condor-
cet ou à Janson1.
De la 1 Ie à la 7e, les classes enfantines très peuplées prépa-
rent les enfants de 5 à 1 1 ans à l'enseignement secondaire. Vient
ensuite le premier cycle : il est beaucoup plus achalandé à Vol-
taire que le second. C'est peut-être le seul lycée parisien où les
élèves terminent avec la 3e leurs études. Un bon nombre de
ceux qui les poursuivent émigrent dans les grands lycées où
est traditionnellement assurée la préparation aux Ecoles de
l'Etat. Du moins, depuis 191 1, Voltaire s'est-il créé une spé-
cialité : il prépare aux Ecoles nationales d'Arts et Métiers. Le
succès, au concours de 191 2, a été tel (7 élèves reçus sur 8) qu'à
la rentrée une quarantaine de candidats sont accourus se faire
inscrire au lycée2.
Les examens du baccalauréat donnent au lycée d'autres
victoires, qu'il doit peut-être à ce fait que les classes les plus
surchargées ne dépassent jamais, ou presque jamais, 36 unités :
en 191 1, 44 élèves ont été admis sur 52 présentés, et 53, en 1912,
sur 67.
Ces chiffres ont leur éloquence. Il y a, bien évidemment, des
lauriers d'essence plus rare. Mais l'ambition de maintes et
maintes familles, même loin de Ménilmontant, n'éprouve aucune
honte à ne couper que ces lauriers-là.
1. En 1912, 3 classes de sixième A et 2 seulement de sixième B ; 2 de cin-
quième A; 2 de quatrième A ; en 1913, il y aura 2 troisièmes A.
2. Voir plus haut, p. 24, sur l'ouverture de l'École des Arts et Métiers de
Paris.
2i6 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
XIII
LE LYCÉE CARNOT1
Il est le dernier né de nos lycées parisiens, puisqu'il a été créé
par décret présidentiel du 22 décembre 1894. Et, s'il a pu s'ou-
vrir dès le ier janvier 1895, ce n'est point qu'une baguette de fée
Tait fait tout à coup sortir de terre ; c'est, tout simplement, qu'il
a succédé à une école dont l'Université demeure aujourd'hui
encore l'obligée, l'Ecole Monge.
Le fondateur et l'unique directeur de l'Ecole Monge fut
M. Godart. C'était un ancien préfet de Sainte-Barbe; il avait
été initié aux expériences pédagogiques de M. de Lanneau.
Lui-même était un homme d'initiative. Ancien élève de l'Ecole
polytechnique, où il était entré en 1857, il sut gagner à ses
idées plusieurs de ses camarades, et s'établit, grâce à leurs
capitaux et aux siens, rue Chaptal 32, dans le local de l'an-
cienne institution Landry; puis, en octobre 1876, 145 boule-
vard Malesherbes. La Société de l'École Monge fut constituée,
le Ier janvier 1869.
En 1869, Monge n'était qu'une école préparatoire : dès 1871,
une classe enfantine lui fut annexée et peu à peu elle devint un
collège de plein exercice.
M. Godart attachait tant d'importance aux petites classes,
qu'il ne dédaignait pas de s'en occuper lui-même. 11 réclamait
des soins attentifs et primordiaux pour les leçons de choses,
I. Boulevard Malesherbes, 145 (PI. 41). — Nous avons largement puisé dans
les notes que M. Cavininq, proviseur de Carnot, nous a si obligeamment confiées.
LE LYCÉE CARNOT 217
Tétude du français et des langues vivantes, l'allemand surtout,
l'arithmétique, la géographie, l'histoire naturelle. Il n'abordait
qu'ensuite le latin et le grec. En 1882-83, l'Ecole Monge avait
822 élèves.
Peu à peu, vint, pour elle, la décadence. Elle avait eu l'hon-
neur de frayer quelques-unes des voies nouvelles où l'Université
s'engagea, d'un pas plus assuré. M. Godart n'hésitait pas à
continuer le rôle périlleux de novateur : il abandonnait plusieurs
de ses méthodes, ambitieux d'en trouver de meilleures. Au
cours de ces tâtonnements, le lycée Janson de Sailly s'ouvrit en
octobre 18841. Condorcet s'étendait et son petit lycée s'installait
rue d'Amsterdam en i8832. La concurrence des lycées et des
écoles congréganistes menaçait, à ce moment même, très grave-
ment Sainte-Barbe et l'École Alsacienne. Moins heureuse que
ces deux établissements privés, l'École Monge ne put conjurer
le péril; Janson plus encore que Condorcet drainait la clientèle
scolaire de tout l'ouest de Paris. Les Mongiens diminuaient
chaque année, et les dépenses ne cessaient de l'emporter sur les
recettes. Il fallut se résoudre à l'inévitable. L'école fut transfor-
mée en lycée.
Les terrains valaient au moins 4 millions et demi. En ache-
tant 6 millions et demi l'école toute construite avec son maté-
riel, l'État ne fit pas un marché de dupe.
On était en 1894; M. Sadi Carnot venait de succomber, à
Lyon, sous le couteau de l'anarchie, et la gloire lui avait ouvert,
toutes grandes, les portes du Panthéon. On se souvint que son
grand ancêtre avait eu Monge pour collaborateur. Le nouveau
lycée, qui devait tant à l'École Monge, reçut donc le nom de
Lycée Carnot. Il était dans la destinée de Monge, à la fin du
1. Voir ci-dessus, p. 200.
2. Idem., p. 143.
2.8 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
xixe siècle comme à l'issue du xvme, d'avoir travaillé pour Gar-
not; mais, de nos jours, c'était pour élever une œuvre de paix,
d'éducation et de progrès, et non pour forger des engins de
guerre.
Autour d'un vaste hall central et vitré, courent des « galeries
aériennes où classes et études semblent suspendues, comme une
guirlande de nids à balcon1 » (PL 41). Tous ces nids s'accrochent
joliment aux briques rouges qui alternent avec des cordons
de pierres blanches, et forment, en deux étages et sur 20 mètres
de haut, une cité lumineuse de 3. 000 mètres de surface.
Les vides l'emportent partout sur les pleins : tout est ver-
rière ou fenêtre géante. La surveillance n"a pas à s'en plaindre
ni l'hygiène de la vue : c'est l'idéal de l'éclairage scientifique.
Une lumière franche vient de la gauche, au-dessus de la tête de
l'élève, par les fenêtres qui donnent sur des cours extérieures ;
une autre lumière, plus tamisée, vient de droite, pénétrant par
les baies ouvertes sur la cour vitrée. La logique de cette savante
ordonnance a « toutes les délicatesses et les prévoyances d'une
bonne mère 2 ». L'architecte a mis sa Moire à se faire le servi-
teur des écoliers, grands ou petits.
Le premier proviseur a été M. Frétillier, qui a su mettre au
service du nouveau lycée sa double expérience de professeur et
d'administrateur, acquise au cours de vingt-cinq années, à
Pontivy et à Périgueux, au Mans et à Grenoble, à Aix, Toulon,
Brest, Alger, Marseille et Voltaire3. Son successeur, M. Achille
1. Discours de M. Adrien Dupuy, alors inspecteur dAcadémie, à la première
distribution des Prix du Lycée Carnot.
2. Idem.
3. Proviseurs: MM. Frétillier, 28 décembre 1894-15 septembre 1909; Cani-
vinq. depuis le 15 septembre 1909.
Censeurs: MM. Agabriel, 2 août 1895 ; Chicoulan, 4 août 1902, encore en fonc-
tions.
LE LYCÉE CARNOT 219
Canivinq, précédemment proviseur du lycée de Bordeaux, n'est
pas de ceux qui laisseront déchoir le lycée Garnot du rang dis-
tingué où M. Frétillier a su si vite le hausser. Peu de proviseurs
connaissent mieux leur métier que M. Canivinq, dont la franchise
un peu brusque et saine reflète beaucoup de loyauté foncière.
Dans cette renaissance, on devine bien que les censeurs ont
eu leur grande part, et le corps enseignant tout entier, la sienne.
Tous ont assumé très noblement les devoirs de leur tâche. En
quatre ans, le chiffre des élèves ' passait de 261 à plus de 900 ;
puis, dès 1902, le chiffre de 1.000, dont on se rapprochait beau-
coup depuis 1899, a été dépassé. On a même atteint 1.097 en
1912-1913.
Carnot, on le devine ne pouvait, à lui seul, réhabiliter le
demi-pensionnat : là où Michelet et Lakanal, Montaigne et
Janson avaient échoué, Carnot ne se flattait pas de réussir. Les
externes n'ont cessé, là encore, tout comme ailleurs, d'augmenter
en face des demi-pensionnaires qui diminuaient. Aujourd'hui
pour treize élèves, il y a douze externes, et un demi-pension-
naire . C'est dire que le lycée est devenu, lui aussi et comme
tant d'autres, à défaut d'un lycée national, un lycée de quartier.
Les études n'en sont pas moins fort distinguées. L'élève de
Carnot, même quand il est un enfant gâté de la fortune, se
donne au travail autant par plaisir que par devoir : les joies de
l'esprit lui semblent parmi les meilleures.
Pendant les neuf dernières années du concours général, il a
obtenu 16 prix, 85 accessits et 5 mentions.
I.
1/2
PENSION-
1/2
PENSION-
NAIRES
EXTERNES
TOTAL
NAIRES
EXTERNES TOTAL
1895 5 janvier .
45
2l6
26l
1910
—
76
i.oii 1.087
1896 —
I36
687
823
1911
—
64
986 I.050
1900 —
I50
847
997
1912
—
78
I.OIQ I.067
1905 —
93
933
1.02b
220 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
Depuis lors son labeur a, chaque année, reçu sa récompense
à l'Ecole centrale, à l'Ecole polytechnique, au baccalauréat. Le
tiers de ses candidats est entré à Polytechnique en 1909, 1910
et 191 1 *. Aux baccalauréats, où pour les candidats admis, la
moyenne générale, en France, est, depuis bien des années, de
40 p. 100 environ, elle a été à Carnotde65 p. 100 en 1910-191 1 et
de 78 p. 100 en 191 1- 191 2 2. Et nous ne parlons pas de 46 men-
tions en 1910-191 1, dont 6 mentions bien et 3 mentions très bien.
Les fruits de l'éducation morale échappent davantage aux
statistiques : ils n'en sont pas moins certains et tangibles. Le
premier devoir de l'éducateur c'est de faire sentir à l'enfant ce
qu'il doit à tous ceux qui l'ont précédé dans la vie et à ceux qui
l'entourent3 : à Carnot, on ne peut oublier qu'on reste l'obligé de
Monge. La grande pensée directrice de l'Ecole Monge, c'était
« le respect pour l'enfant ; dans sa personnalité physique, par
l'hygiène et l'exercice; dans sa personnalité morale, par la
liberté et la responsabilité individuelles ». A l'occasion de la pre-
mière distribution de prix au lycée, M. André Lalande rappelait
avec éloquence ce noble programme. Il ajoutait: « La transforma-
tion de cette école n'est pas la défaite d'une idée, mais la recon-
naissance, la consécration, de ce qu'elle contenait de vérité. »
1. 1909 : 38.5 p. 100; 1910 : 30,8 p. 100 ; 1911 : 25 p. 100; 1912, 21 p. 100. A
l'école Centrale, en 1911 : 7 élèves reçus sur 14 présentés ; et, en 1912, 4 sur 11. Le
lycée Carnot ne prépare qu"à ces deux grandes écoles, Polytechnique et Centrale.
2. Baccalauréat, 1910-1911 :
En 1910-1912, les deux sessions réunies :
ÉLÈVES REÇUS 1910-1911 ELEVES REÇUS 1911-1912
Mathématiques 73 P- 100 » 95 p. 100
Philosophie 71 — » 79 —
Latin-grec 65 — » 99 —
Latin-langues 99 — » 5-7 —
Latin-sciences 86 — » 86 —
Sciences-langues. ... 5b — » 6a —
3. Voir plus haut, Lycée Lakanal, p. 192.
PI. 41.
LYCEE CARNOT. — COUR INTERIEURE.
Pliot. Vallois.
LYCEE CARXOT. CABINET DE PIIYSIOUE.
Page 216.)
ri 42
LYCEE FENELON. — COUR INTERIEURE.
Pliot. VaUc
LYCÉE FENELON. — ESCALIER DE L'ANCIEN HOTEL, DIT DE ROUAN.
Page -,:
LE LYCÉE CARNOT 22I
Rien de plus touchant que les liens noués entre les anciens
Mongiens et l'Association amicale des anciens élèves de Carnot.
Tout récemment, le 7 mai 191 1, Monge et Carnot fraternisaient
pour célébrer ensemble leurs anciens élèves tombés en héros :
Sainte-Glaire Deville, dans la campagne de Madagascar ; Paul
Blanchet, à la tète d'une mission, dans l'Afrique occidentale ;
Lucien Schneider, administrateur des colonies, mort dans le
Haut Oubanghi ; le lieutenant de vaisseau Maurice Callot, mort
à son bord, dans le tombeau sous-marin du Pluviôse, enfin Geo
Chavez, victime de sa traversée des Alpes en aéroplane. « Toutes
ces vies, disait M. Liard, et toutes ces morts seront, pour les
élèves de ce Lycée dans la suite des générations, un exemple et
une leçon. Aussi je prie MM. les Professeurs, une fois chaque
année, d'exposer et de donner en exemple à leurs élèves la vie
et la mort de ces bons Français, de ces héros. »
M. A. Canivinq venait de dire avec autant de raison : « Ceux
qui crient journellement contre la décadence de la race, l'ab-
sence d'énergie, la défaillance des caractères, ne vivent pas
avec la jeunesse ; ils ignorent les réserves d'énergie, de volonté,
les légitimes ambitions qu'il y a sur les bancs de nos lycées. »
Rapprocher les anciens des nouveaux, enseigner aux élèves
de Carnot les grands faits de leurs aînés et empêcher à ceux
qui ont quitté le lycée d'en désapprendre le chemin est partout
une pensée éducatrice excellente : aussi Carnot, qui n'a pas
encore vingt ans d'existence, n'a-t-il pas voulu remettre à plus
tard le devoir de créer l'Association amicale de ses anciens
élèves. Les doyens, parmi ces anciens-là, sont encore de jeunes
hommes. De leur jeunesse ils n'ont voulu voir que les avantages :
ils se sentent si proches de leurs cadets encore au lycée qu'ils se
mêlent parfois à leurs jeux. Le proviseur a autorisé l'Association
à installer deux tennis dans le grand hall. Ces deux tennis sont,
222 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
moyennant une rétribution modique, à la disposition des élèves
et anciens élèves, le jeudi et le dimanche.
Cette Association a les initiatives les plus louables. Elle
donne des prix, des subventions et des bourses de voyages à
l'étranger ; elle organise annuellement trois matinées (boston,
bridge), où les anciens et leurs familles se retrouvent joyeuse-
ment, dans le parloir du lycée.
Enfin, le 24 mars 191 2, elle a imaginé, dans le grand hall,
une kermesse au profit de l'aviation militaire. Le succès de
cette fête fut complet ; la recette jointe à la souscription des
élèves dépassait la somme de 12.000 francs.
Carnotest donc un des lycées où le devoir de solidarité, dont
la vertu éducative est si haute, se pratique le mieux.
DEUXIÈME SECTION
LES LYCÉES DE JEUNES FILLES
Il leur a fallu trente années de luttes pour achever de con-
quérir l'opinion et pour passer, des railleries du théâtre, dans
la gravité sérieuse de la vie. Les lycéennes aujourd'hui ne font
plus guère sourire personne : une jeune fille, tout comme un
jeune homme, n'avoue pas seulement son lycée, elle en est hère.
Et cette révolution dans les mœurs aura, dans notre histoire
contemporaine, une très grande place. Ce que Napoléon Ier
avait fait pour l'éducation des hommes, la troisième République
vient de le faire pour l'éducation des femmes. « Le temps est
PI 43
Plioi. Valloi
LYCÉE FÉNELON. — CABINET DE LA DIRECTRICE (PIECE XVIIIe SIÈCLE).
FUot. \
LYCEE FENELON. -
SALLE DE CLASSE (xVIIIn SIECLE]
Page 22 |.
PI. 44.
LYCEE RACINE. — LE PARLOIR.
LYCEE RACINE. — COUR INTERIEURE.
(Page 2 2).)
LES LYCÉES DE JEUNES FILLES 223
passé, disait en 1907, M. Ernest Lavisse, où nous pouvions nous
donner le luxe de dédaigner l'aide d'une moitié de la France. »
Entre i883 et 191 2, on a créé, dans Paris, six lycées de
jeunes filles et on en annonce un pour 191 3. Cinq ont surgi, de
1 883 à 1890 : le doyen d'abord, Fénelon en i883, puis à la dis-
tance convenable derrière le doux prélat, dont l'onction se char-
geait de rassurer les foules, Racine en 1887, Molière en 1888;
le romantisme eut son tour après les bons classiques, Lamar-
tine en 1891 et Victor Hugo en 1895. Un intervalle de dix-sept
ans suivit l'effort de ces créations : le dernier né, Victor Duruy,
est venu au monde en octobre 19 12. Quant à Jules Ferry, il n'a
plus que quelques mois à attendre son tour : il doit ouvrir ses
portes, rue de Douai, en octobre 191 3.
La topographie parisienne trahit un autre souci des fonda-
teurs : le pays latin a eu, comme il convenait, les honneurs du
premier lycée féminin de la capitale : et Fénelon a été logé
2, rue de l'Eperon. Au reste, la modestie et l'effacement de cette
rue disaient assez qu'on voulait fuir le tapage et le bruit. Puis
Racine fut placé derrière Condorcet, 20, rue du Rocher, et
Molière, 71, rue du Ranelagh, entre Janson et Jean-Baptiste
Say. Lamartine fut situé dans la région de Rollin, 121, fau-
bourg-Poissonnière, et Victor Hugo, 27, rue Sévigné, dans le
cœur du Marais, près de l'ancienne institution Verdot, à peu
de distance de Charlemagne. Quant à Victor Duruy, on vient
de l'installer près de Buffon, boulevard des Invalides.
Le choix de ces quartiers était judicieux et l'expérience des
lycées masculins l'avait éclairé. A la différence des écoles pro-
fessionnelles municipales, dont la clientèle est tout autre, nul ne
fut égaré dans la périphérie des quartiers ouvriers de l'est, du
nord et du sud. Si la périphérie fixa cependant deux de ces
224 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
lycées, ce fut dans les deux points de Paris où se porte volon-
tiers la bourgeoisie aisée de la capitale et dans les deux points
qu elle achève de coloniser : à Passy d'abord, à deux pas de la
Muette et du Bois de Boulogne, dans le quartier des Invalides
ensuite qui, depuis un demi-siècle, est devenu méconnaissable.
Ces lycées, qui n'avaient pas d'attaches avec le passé, ont donc
suivi tout naturellement, l'évolution contemporaine de la capitale.
Leurs bâtiments sont généralement neufs, tout neufs (PI. 44,
45 et 48), sauf trois exceptions d'ailleurs inégalement remarqua-
bles, Fénelon, Lamartine et Victor Duruy. C'est l'ancien hôtel
de Rohan qui, s'il faut en croire la tradition locale, abrite une
partie des locaux de Fénelon : le cabinet de la directrice, l'esca-
lier et quelques salles du haut. En face de ce cabinet, les vieilles
charmilles du jardin ont été fauchées , on les a remplacées par
quelques platanes (PI. 42), à l'ombre desquels les écolières pren-
nent leurs ébats. Au premier étage, des boiseries ont été conser-
vées, mais on les a plusieurs fois lessivées (PI. 43) : elles sont
aujourd'hui toutes blanches à filets d'or et président au labeur
pacifique des classes peuplées de tables noires. Un escalier
(PI. 42), à simple rampe de fer forgé, conduit de cet étage au
rez-de-chaussée, où se trouve le cabinet de la directrice. Ce
cabinet est un bijou dont tous les amoureux du vieux Paris ne
soupçonnent pas assez la délicatesse. Là était, dit-on, l'ancienne
chambre et l'alcôve de la duchesse. C'est sur ces boiseries
Louis XV que se posaient ses yeux à peine éveillés. Ils refai-
saient, en sautillant sur les quatre trumeaux de la chambre,
le voyage familier à quatre résidences rurales, propriétés des
ducs, à leurs jardins et à leurs châteaux. Et ils souriaient aux
fantaisies peintes du bon fabuliste : au corbeau et au renard,
aux deux canards et à la tortue (PI. 43).
A Lamartine, le cabinet de la Directrice, la bibliothèque,
LES LYCÉES DE JEUNES FILLES 225
la salle des Professeurs et l'amphithéâtre de Physique évoquent
fort joliment le xviir9 siècle. Le lycée a été, en partie, logé
dans un hôtel achevé déjà en 1698 et qui passe pour avoir été
bâti par Jules Hardouin Mansart, en personne. La marquise de
l'Espinasse de Prat l'acquit en 1709; et, en 1734, Louis Phé-
lippeaux, comte de Saint-Florentin, marquis puis duc de la
Vrillière; en 1749, il fut acheté par Titon de Villautran, sei-
gneur de Neuville et, en 1770, par Jeanne de Pontcarré, mar-
quise d'Urfé. C'est peut-être Duclos-Dufresnoy, notaire au
Chàtelet et propriétaire de l'hôtel depuis 178 5, qui a fait exé-
cuter, suivant le goût à la mode sous Louis XVI, les charmantes
arabesques conservées dans l'ancien salon. Une terrasse, à
laquelle on accède par une vieille grille en fer forgé, un berceau,
une charmille, voilà les derniers vestiges d'un charmant jardin
anglais, construit là sous Louis XV. Mais il n'a été possible de
garder ni les arbres vénérables, ni les pelouses, ni les par-
terres, ni le jet d'eau, ni le vieux puits1 (PI. 46 et 47).
Au boulevard des Invalides, le salon, le cabinet de la Direc-
trice, les couloirs ont, eux aussi, fort grand air : il semble
qu'un passé d'aristocratie pèse sur eux. Et les arbres du parc,
entrevus par les baies immenses, ajoutent encore à cette impres-
sion de noblesse et de haute mine (PI. 49 et 5o).
Les architectes modernes ont eu, malgré tout, à intervenir,
beaucoup plus que leurs confrères d'autrefois, dans ces lycées
tout jeunes et dont le plus vénérable vient d'avoir trente ans.
Les autorités universitaires ont dépensé des peines infinies à
convaincre les constructeurs de la nécessité de loger les classes,
loin de la rue, sur des cours et sous la caresse du soleil. La
disposition des locaux ne s'est pas toujours prêtée à ce plan. A
1. Cf. A. Fiérard, Monographie inédite du lycée Lamartine. Nous la devons à
la grande obligeance de Mme Roubinovitch.
15
226 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
Lamartine, les rues ont tout l'air de dépasser quelque peu leurs
droits au tumulte ; elles en usent à peine plus discrètement à
Fénelon, à Victor Hugo, à Racine et à Molière.
Les classes, généralement moins vastes que dans les lycées
masculins, sont garnies de pupitres ou de simples planchettes,
servant de tables. Les bancs y sont devenus une rareté, les
chaises les ont évincés, moins massives que dans les lycées de
garçons où la renaissance du muscle les soumet à des épreuves
assez rudes. Partout, classes et corridors, décorés avec goût,
ont une physionomie avenante.
Dans les locaux les plus récents, le chauffage central et l'élec-
tricité ont pénétré avec « tout le confort moderne » : ainsi à
Duruy et dans l'annexe de Fénelon inaugurée rue Suger, en
octobre 191 2.
Une pièce dont les lycées de garçons ne se préoccupent pas,
c'est le vestiaire aux tabliers noirs : chaque tablier attend sage-
ment, sous son numéro en émail, l'heure de la classe ou de
l'étude.
Les cours de récréation, garnies de préaux, sont claires et
gaies. A Victor Duruy, les tentations que faisait naître le voisi-
nage du parc ont paru irrésistibles; l'exemple de Lakanal ou de
Michelet a été suivi. Là aussi les grands arbres séculaires sont
devenus les témoins amusés de rires frais et de joyeuses
gambades (PI. 5o).
Dans le cadre que nous venons de dire, le personnel n'est pas
encore entièrement féminisé. Sans doute, et dès le début, la
direction a été confiée à des femmes et, presque partout,
la première directrice est encore la directrice actuelle :
Mlle Provost préside depuis i883 aux destinées de Fénelon,
Mlle Lacroix-Dubut a gouverné celles de Racine depuis 1887
PI. 45.
Phot: Vallois.
LYCEE MOLIERE. — COUR D HONNEUR.
aIS^*I 'tâMUikl%MÉà!± .
I
Pliol. Vallois.
LYCEE MOLIERE. — ■ COUR DE RECREATION.
Page 224.)
PI. 46.
Phot. Valloi!
LYCEE LAMARTINE. — LE JARDIN (XVIIIe SIECLE]
Phot. Valloh.
LYCEE LAMARTINE. CHARMILLE LOUIS \ V .
Page 225.)
LES LYCÉES DE JEUNES FILLES 227
jusqu'à la fin de 191 1 et M"0 Prouhet lui a succédé, M"e Stoude
est chargée de diriger Molière, depuis sa fondation , et pareil-
lement Mme Roubinovitch pour Lamartine, ainsi que M"e Kuss
pour Victor Hugo. Quant à MIIe Allégret, elle vient, en
octobre 191 2, d'être appelée du lycée de Versailles, pour ouvrir
Victor Duruy. Les directrices sont assistées de surveillantes
générales, d'économes et de sous-économes.
Il en alla tout autrement du personnel enseignant. Lorsque
la loi du 21 décembre 1880 créa les lycées de jeunes filles, elle
exigea que les professeurs fussent munis de diplômes réguliers.
Force fut donc, dans les premières années surtout, de recourir
au personnel des lycées masculins , mais la commission de la
Chambre des Députés avait fait cette réserve que la préférence
irait au personnel féminin, quand il serait capable de donner
l'enseignement. L'école de Sèvres devint (29 juillet 1 88 1 ) , l'Ecole
normale supérieure des professeurs femmes, le certificat d'apti-
tude secondaire à l'enseignement fut créé, équivalant à la licence
des jeunes gens, et l'agrégation des jeunes filles fut instituée.
Aujourd'hui tous les lycées féminins de Paris ont encore
quelques professeurs masculins, choisis parmi l'élite des lycées
de garçons ou des Facultés ; mais le nombre de ces profes-
seurs a diminué et il finira, sans doute, par disparaître. La
philosophie, le latin, la littérature, la grammaire historique,
l'histoire, l'histoire de l'art sont les dernières chaires mascu-
linisées.
La population scolaire, confiée à l'administration et aux pro-
fesseurs des lycées parisiens, n'a cessé de s'accroître. Elle a
dépassé les espérances des plus optimistes : Fénelon qui avait
débuté avec 126 élèves en i883, en a 800 et, sauf Victor Hugo
qui, construit pour 200 écolières en compte 36o, les autres
lycées en ont de 5oo à 600.
228 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
On n'a pas osé, dans le principe, adopter l'internat pour les
lycées de jeunes filles ; et peut-être, en effet, le besoin d'inter-
nats était-il moins évident pour Paris que pour la province.
Aujourd'hui, où la crise de l'internat semble près de finir, on
regrette l'omission ou la faute de 1881. L'internat de Fénelon a
été placé à Saint-Mandé et des omnibus transportent les élèves
rue de l'Éperon ; mais les places, dans cet internat, sont trop
mesurées : 40, au maximum, chiffre qu'à dessein on a voulu très
limité ; à Molière, un petit internat libre a été installé en dehors
du lycée ; une société par actions en fait les frais. Un internat
vient d'être ouvert à Victor Duruy et deux autres sont réclamés
dans Paris. Pas de dortoirs à Victor Duruy; des chambres, d'un,
deux, trois ou quatre lits, surveillées par groupes de vingt; ces
chambres ont toutes leur cabinet de toilette, l'eau froide, l'eau
chaude ; les appareils à douche et les salles de bain le complè-
tent. Et rien de plus coquet que ces murs aux couleurs tendres,
roses ou bleues, et que leurs cheminées ou leurs étagères
encombrent déjà de menus bibelots, de photographies et de gra-
vures (PI. 5o). A chaque étage, un salon commun est réservé
aux pensionnaires où elles viennent jouer, danser et s'exercer
à cet art de la conversation, dont la fortune à venir est, pour
une large part, confiée à leurs soins.
Le demi -pensionnat (qui garde les élèves au déjeuner
et au goûter) , et l'externat surveillé (qui ne les garde pas
au déjeuner) sont moins en faveur que l'externat simple : il
forme en moyenne les deux tiers de la population scolaire
totale.
La vie intellectuelle, dans les lycées de jeunes filles, ne peut
être pareille à celle des lycées masculins. « Ce serait une offense
à la Nature, qui se vengerait. Nous verrions, et tout de suite,
LES LYCÉES DE JEUNES FILLES 229
s'enlaidir la France1. » Il s'agit de songer au rôle futur des
lycéennes, appelées à être des mères de famille; il faut leur
donner une culture générale, en harmonie avec les devoirs que
leur imposera l'avenir. Le péril a su être évité « de gâter l'es-
prit féminin par le pédantisme et l'orgueil du savoir ». Si le nom
de Molière a été donné à l'un de ces lycées parisiens, n'était-ce
pas dire clairement aux jeunes filles : nous ne voulons pas faire
de vous des « femmes savantes ». La femme est autre chose et
mieux qu'un cerveau. Accordons-lui, dans le domaine des études,
tout ce que réclame son avidité de savoir, tout, hormis cepen-
dant, comme disait, je crois, Jules Simon, de devenir un homme.
L'enseignement, dans les lycées de jeunes filles, n'a donc pas
été masculinisé. Il ne devait pas ressembler trop à ce qu'il est
dans les lycées de jeunes gens. Cet enseignement est avant tout
secondaire : entre cinq et douze ou treize ans, on y achemine les
fillettes qui ont, en huit années, à franchir cinq échelons super-
posés : la classe enfantine de cinq à huit ans ou environ, la
classe élémentaire jusqu'à neuf ans, ou à peu près, puis trois
années appelées fort à propos préparatoires, où sont enseignés
les éléments de la langue française, les langues vivantes, l'his-
toire et la géographie, le calcul et les leçons de choses, les tra-
vaux à l'aiguille, le dessin, la musique vocale. Ces classes sont
confiées soit à des dames pourvues du certificat d'aptitude au
professorat dans les lycées déjeunes filles, soit à des institutrices
munies du brevet supérieur ou du diplôme de fin d'études
secondaires. Sauf des exceptions très rares, ces professeurs ne
sortent pas de l'enseignement primaire. Leur nombre est de 6
à Victor Hugo, de 10 à Racine, à xMolière, à Fénelon et de 1 1 à
Lamartine.
1. Ern. Lavisse, p. 65. Le Jubilé des Lycées et Collèges de Jeunes filles, Paris,
Alcan, in-4°, 191 1 .
230 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
Aux classes préparatoires succèdent les classes dites secon-
daires \ Elles s'adressent, pendant cinq années consécutives, aux
jeunes filles de douze à dix-sept ans environ. Ces classes sont
groupées en deux périodes, dont la première dure trois années
et l'autre deux. Les jeunes gens désignent leur classe tout à
l'opposé des jeunes filles : la progression est descendante pour
eux, elle est ascendante pour elles. Un élève de 5e, chez les jeunes
gens, a douze ans ou environ ; une élève de 5e, chez les jeunes
filles, en a seize. Un lycéen de i'e, a seize ans ; une lycéenne de
ire en a douze. Aussi les garçons disent-ils classe de 5e, de 4e,..
de irc; les jeunes filles disent ire année, 2e année, 5e année et
ces messieurs ont l'air de soustraire et ces demoiselles d'addi-
tionner.
Les classes secondaires, confiées à des dames agrégées, ensei-
gnent la morale, les éléments de psychologie appliquée à l'édu-
cation ; la langue et la littérature françaises, la diction ; les litté-
ratures anciennes et étrangères ; l'histoire de France, l'histoire
générale, l'histoire de l'art, la géographie ; les langues vivantes,
anglais ou allemand et même, à Racine, l'italien. Ce n'est pas
tout : le droit usuel, l'hygiène ; l'économie domestique et ren-
seignement ménager (12 conférences d'une heure en 3° année);
les mathématiques, la physique et la chimie, l'histoire naturelle;
le dessin, la musique vocale, la gymnastique; enfin, comme il est
naturel, la coupe et l'assemblage, les travaux à l'aiguille. La
couture, de la i'e année à la 5e, est enseignée, au moins, deux
heures par semaine.
A partir de la 4e année, quelques cours sont facultatifs : his-
toire de l'art, mathématiques, une seconde langue vivante, le
dessin, le solfège, la couture, la gymnastique et la danse. Mais
I. Conformément à la loi du 21 décembre 1880, au décret et à l'arrêté du
14 janvier 1882, aux programmes du 28 juillet 1882 et du 27 juillet 1897.
PI. 47.
Pliot. Vallois
LYCÉE LAMARTINE. — CABINET DE LA DIRECTRICE (PIECE XVIII0 SIÈCLE.)
LYCEE LAMARTINE. — CLASSE DE COUTURE.
Page 225.)
PI. 48.
Pjiot. Vallois.
LYCÉE VICTOR-HUGO. — FAÇADE SUR LA RUE DE SÉVIGNÉ.
l'hot. Vallois.
LYCEE VICTOR-HUGO, — COUR DE RECREATION,
224.
LES LYCÉES DE JEUNES FILLES 231
ces cours, une fois choisis, deviennent obligatoires pour le tri-
mestre commencé.
Les après-midi sont toujours moins chargées que les mati-
nées ; on réserve le plus possible les cours essentiels ou obliga-
toires le matin ; l'après-midi est de préférence consacrée aux
cours facultatifs. Toutes les classes sont d'une heure.
Chaque élève n'est admise à monter dans une classe supé-
rieure qu'après avoir subi avec succès un examen de passage ; si
elle ne répond pas suffisamment bien sur les matières ensei-
gnées durant l'année, elle a la ressource de se présenter au
même examen, lors de la rentrée d'octobre.
L'examen de passage de la première période à la seconde,
c'est-à-dire de la troisième année à la quatrième, vaut aux can-
didates reçues le certificat d'études secondaires.
A la fin de la cinquième année, les élèves sont en état d'affron-
ter les épreuves, pour le diplôme de fin d'études secondaires. Ce
diplôme vaut aux lauréates le droit de se présenter aux écoles
normales de Fontenay-aux-Roses ou de Sèvres, de briguer un
poste d'institutrice primaire ou bien de maîtresse répétitrice
dans les collèges ou lycées de jeunes filles.
Outre ces diplômes secondaires, les lycéennes, à l'issue de la
deuxième ou de la troisième années, sont en mesure de conquérir
le brevet simple de l'enseignement primaire; et, le brevet supé-
rieur, à l'issue de la quatrième et de la cinquième années. Il leur
suffit de s'astreindre à une revision imposée par la différence des
programmes de l'enseignement secondaire et de l'enseignement
primaire.
Quant au baccalauréat, les lycées de jeunes filles s'abstien-
nent encore officiellement d'y préparer ; mais il est question
de les y autoriser bientôt. Parmi leurs meilleures élèves de qua-
trième année, quelques-unes, à Fénelon par exemple et à
232 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
Lamartine n'affrontent pas moins, et souvent non sans succès,
le baccalauréat latin-langues. Deux années de latin leur suffi-
sent.
Dans quelques lycées, comme à Racine, à Molière, il a pu
sembler, tout le long de ces derniers mois, insuffisant d'arrêter les
études avec la cinquième année. Des cours complémentaires y
ont été installés, pour le plus grand profit de la culture générale
des lycéennes. C'étaient là des cours de sixième année. Ils
étaient désintéressés. A Fénelon seulement et à Victor Duruy
désormais, ces cours préparent directement à l'école de profes-
seurs femmes, de Sèvres. En ce sens on pourrait dire que cer-
tains lycées de jeunes filles ont, comme les premières supérieures
de Louis-le-Grand, d'Henri IV, de Condorcet, de Lakanal et de
Michelet, de véritables cours d'enseignement supérieur.
Brevets primaires, diplômes de fin d'études secondaires,
certificats (nouveau régime) pour l'entrée à l'école des profes-
seurs femmes, voilà donc que les lycées de jeunes filles sont
devenus des ateliers préparatoires à la triple série d'examens
placés aux trois étages de notre enseignement national.
Faire l'instruction de nos lycéennes, c'est bien ; faire leur
éducation, c'est mieux. Et, pour cette œuvre, la collaboration
féminine suffit : il y a, dans toute femme, des instincts mater-
nels et une aptitude spéciale à modeler les caractères et les
âmes. Elle sait trouver dans son cœur ce qui va au cœur. La
jeune fille a besoin de sentir autour d'elle une tendresse où s'ap-
puyer. L'éveil de sa sensibilité précède l'éveil de son esprit ;
elle aime d'abord, quitte à comprendre ensuite. Sur la route où
sa raison chemine, elle a besoin d'avoir une escorte de senti-
ments ou d'émotions. Tant qu'elle n'a pas l'intimité qu'elle sou-
haite entre sa maîtresse ou sa directrice et elle-même, elle se
LES LYCÉES DE JEUNES FILLES 233
trouve désemparée et mal à Taise. Le lycéen et son professeur
restent souvent distants, trop distants l'un de l'autre, et leurs
sensibilités demeurent étrangères : le contact de leurs cerveaux
suffit d'ordinaire. Il ne suffit pas à la lycéenne et à celles qui
ont charge d'elle : il lui faut surtout le contact des âmes. A
notre avis, l'œuvre éducative de nos lycéennes risque d'être
moins superficielle que l'œuvre éducative de nos lycéens.
Ajoutons qu'en dépit de l'instabilité inévitable de la pensée
et de quelques sautes d'humeur, la jeune fille a plus de docilité
que le jeune homme : plus que lui, elle a besoin d'un point
d'appui, etconsciemmentou non, elle le recherche. L'impression
de l'isolement lui est insupportable ; elle a horreur du vide.
Elle ne demande qu'à écouter et à suivre la voix autorisée qui
commande. Elle a souvent besoin des yeux d'autrui pour mieux
voir. Son caractère est préparé à recevoir l'empreinte que l'édu-
catrice saura lui donner. Elle s'en remettra volontiers à son
jugement. Elle souhaite qu'on trace devant elle la route où elle
doit s'engager. La destinée de cette adolescente, c'est d'être
surtout un reflet. C'est seulement plus tard que sa personnalité
s'affirmera et que la maturité de sa volonté la mettra, s'il est
besoin, hors de page.
Telles directrices de nos lycées parisiens nous semblent, en
tout cela, avoir eu merveilleusement l'intelligence de leur rôle.
Quel que soit le nombre de leurs élèves, elles arrivent, par un
don de nature, à les connaître individuellement; et constam-
ment elles s'appliquent à lire au fond de toutes ces âmes. Elles
se mêlent aux classes, aux récréations, aux études; elles assis-
tent aux leçons, aux interrogations ; elles examinent les devoirs ;
d'un mot, elles rappellent, à l'une, sa dernière défaillance ; à
l'autre, son laisser-aller de la précédente semaine; à une autre
encore, le progrès de son travail ou de son effort ; elles font en
234 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
classe le compte rendu et le commentaire des notes obtenues
pendant la quinzaine et des places. Elles attirent très justement
l'attention sur la note, non sur la place. Ce sont des déchiffreuses
de conscience et dont la divination tient parfois du prodige.
Ces directrices savent, le plus possible, s'aider du concours
de la famille. Mais ce concours a trop souvent besoin d'être sol-
licité ou éclairé. Les carnets de correspondance et de fréquents
entretiens ne suffisent pas toujours. Tant de parents s'illusion-
nent et c'est devant les yeux paternels ou maternels que les
écailles s'incrustent le mieux. Quand la collaboration de la
famille est loyalement assurée à la directrice, la vie morale de
l'enfant est presque toujours sauvée. Car tout est prétexte pour
former une volonté et un caractère : la tenue extérieure, la façon
de se présenter, de se lever, de répondre, l'attitude générale,
dans le lycée ou hors du lycée. Il faut d'abord inculquer à l'éco-
lière le sens du respect ; le reste vient ensuite. Elle comprendra
très vite le prix et l'utilité des petites victoires remportées sur
ses caprices et la nécessité d'une discipline intérieure.
Dans les lycées parisiens de jeunes filles, la persuasion peut
beaucoup. Les sanctions officielles sont réduites au minimum,
la privation des récompenses et les mauvaises notes suffisent :
les avertissements, les blâmes, les réprimandes devant le con-
seil, sont rares ; les exclusions, beaucoup plus rares encore. La
direction d'un de ces lycées semble une tâche aisée : et cette
facilité est sans doute à l'éloge de chacun.
Les lycéennes sentent en elles la faculté de compatir. « J'ai
entendu, nous dit encore M. Lavisse, j'ai entendu parler d'une
idée charmante. Des lycées de jeunes filles ont adopté des
écoles maternelles. L'école maternelle, c'est une belle leçon de
choses pour une lycéenne. Elle enseigne qu'il y a des mères qui
ne peuvent s'occuper de leurs enfants, ceux-ci sont venus tout
PI. 49.
LYCEE VICTOR DURUY. — FAÇADE SUR LE PARC
LYCEE VICTOR DURUY. — LE REFECTOIRE
(Page 225.)
PI. 50.
LYCEE VICTOR DURUY. — ' UNE CHAMIÎRE.
Phot. Vallois.
LYCÉE VICTOR DURUY. — UNE ALLEE DU PARC.
(Page 225.)
LES LYCÉES DE JEUNES FILLES 235
seuls à Técole : les enfants de cinq ans, de quatre ans même,
menant les plus petits par la main. Il en est dont la nourriture
est douteuse. Les pieds ne sont pas tous sûrs d'être chaussés, ni
les épaules d'être couvertes. Plusieurs de ces petits êtres n'ont
pas bien belle mine. La jeune lycéenne saura, par la maîtresse
de Técole, des histoires lamentables. Elle compatira. Elle tra-
vaille à coudre des vêtements pour les petits. Elle leur donne
des jouets aux jours de fêtes. Elle incarne, pour eux, le bon-
homme Noël, sinon le bon saint Nicolas. »
Tous les lycées parisiens de jeunes filles ont leurs pupilles :
dans l'œuvre de préservation contre la tuberculose, ces lycées
occupent une très noble place. Les plus riches, surtout, comme
Molière, Lamartine et Racine. Certains lycées envoient des
enfants aux colonies de vacances. Ou bien, ils organisent des
ventes et des fêtes de charité. L'apprentissage de la bienfai-
sance n'est pas seulement profitable aux déshérités et à la main
qui reçoit ; il est salutaire à la main qui donne.
Une autre œuvre concourt encore à l'éducation lycéenne :
c'est la chorale de leurs lycées. Elle a autant de sections qu'il y
a de lycées de jeunes filles, à Paris. Chaque section est formée
par la chorale particulière de son lycée. Elle comprend les
élèves et les anciennes élèves du lycée admises par la direc-
trice, sur la proposition du professeur de chant.
Toute l'année, on étudie dans les lycées les mêmes chœurs :
une fois par an, le directeur des ensembles musicaux de la cho-
rale, M. G. Pierné, assiste, dans chaque lycée à la répétition
des chœurs de l'année et la dirige. Un concert annuel, précédé
de deux répétitions d'ensemble, est donné sous la direction du
même artiste. Ce concert est offert à leurs parents par les
membres de la chorale : 660 jeunes filles en 19 12. Les parents
sont charmés de cette fête dont le caractère est tout familial.
236 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
D'autres fêtes, des réunions mondaines où les jeunes filles
dansent entre elles et, à l'occasion, dansent avec leurs frères,
contribuent encore à cultiver dans leurs âmes l'attachement à
leurs lycées. Et puis elles sentent que, la cinquième ou même la
sixième année finie, tous les liens ne sont pas rompus entre
leurs lycées et elles : partout, des associations d'anciennes
élèves ont été fondées où l'avenir et le passé fraternisent et où
les amitiés anciennes se rajeunissent. Plus d'une de ces associa-
tions, au lycée Molière par exemple, sont remarquablement
florissantes. L'association a ses fêtes, ses conférences, ses con-
cours littéraires et artistiques. Elle donne des prix annuels,
alloue, au besoin, des secours, procure des situations, fonde des
bourses, envoie des écolières à l'étranger ou dans les villégia-
tures de vacances.
Dans ce lycée où s'est épanouie la vie de son intelligence et
de sa volonté, et où elle a goûté les premières joies du savoir et
du sacrifice, la jeune fille sent que son adolescence a pu grandir
comme dans une terre d'élection. Elle y a laissé un peu de son
âme ; elle y retrouve le charme du souvenir qui est une des
parures de nos existences et la parfume d'un brin de poésie.
LIVRE III
LES BIBLIOTHÈQUES
Aux xvif et xvme siècles, les étrangers admiraient fort nos
bibliothèques parisiennes; en 1643, par exemple, et en 1718,
ils les proclamaient incomparables. Qu'auraient-ils dit, de nos
jours, en constatant, depuis cinquante ans surtout, l'accroisse-
ment de leur nombre et de leurs richesses.
Une seule bibliothèque (qui a eu, dans une collection voi-
sine de la nôtre, les honneurs d'une monographie en deux
volumes1) porte le nom de Bibliothèque nationale. Et cepen-
dant, trois autres bibliothèques parisiennes le mériteraient, avec
elle, par le caractère général de leurs collections : ce sont les
Bibliothèques de f Arsenal, Ma\arine et Sainte -Geneviève,
situées rue de Sully 1, quai Gonti 23 et 8 place du Panthéon.
Ce qui n'empêche pas chacune d'elles d'avoir sa physionomie
personnelle : l'Arsenal n'a pas seulement une collection presque
complète de pièces de théâtre, dont le catalogue dépasse
35.ooo numéros; mais aussi une collection de journaux que la
Bibliothèque nationale n'égale pas. A Sainte-Geneviève, les
ouvrages, sortis à Venise, aux xve et xvie siècles, des presses
1. Les Grandes Institutions de France, La Bibliothèque Nationale par Henry
Marcel, Henri Bouchot, Ernest Babelon, Paul Marchai, Camille Couderc. H. Lau-
rens, édit., 1907.
238 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
d'Aide et Paul Manuce forment un ensemble très remarquable,
sans parler des beaux elzévirs des xvie et xvii° siècles et de la
plupart des publications périodiques des xvn° et xvin0 siècles. A
la Mazarine, les ouvrages de médecine des xvie et xvne siècles,
(car Naudé, bibliothécaire du fondateur, Mazarin, était méde-
cin), la théologie et le jansénisme et surtout 6.5oo mazarinades
occupent une grande place. Et nous ne disons rien des estampes
et des manuscrits qui ajoutent à l'originalité de chaque dépôt :
les archives de la Bastille sont conservées à l'Arsenal. Au
total, 620.000 imprimés, 7-994 manuscrits et 120.000 es-
tampes dans le dépôt de la rue de Sully; 2 5o.ooo imprimés,
1.900 incunables et 4.600 manuscrits, dans le dépôt du quai
Conti;et, dans celui du Panthéon, 3 5o. 000 imprimés. 1.225 in-
cunables, 3. 5 10 manuscrits, 20.000 estampes, 3. 000 cartes ou
plans1.
Les autres bibliothèques parisiennes se tiennent assez loin
de cet état-major. Elles se distinguent de lui, de deux autres
manières encore : elles sont moins générales et plus spéciales
soit par leur composition, soit par leur clientèle. Elles forment
ainsi plusieurs groupes, que nous avons classés par familles :
i° Les membres de l'Institut ont, à l'ombre de la Coupole,
leurs livres à eux (55o.ooo imprimés, 543 manuscrits et les
papiers de Godefroy) ; les professeurs du Collège de France
ont, aussi, place Marcellin-Berthelot, 20.000 volumes bien à
eux. A la Sorbonne, ce n'est pas une bibliothèque que l'on
trouve, mais quatre : l'une d'elles est ignorée du public et des
étudiants, c'est la bibliothèque Victor Cousin qu'alimente les
arrérages légués par le célèbre philosophe (27.000 imprimés,
187 incunables et 200 manuscrits) ; la seconde, placée aux
1. Nous avons consulté avec beaucoup de profit l'annuaire des Bibliothèques...
19 12 par A. Vidier.
LES BIBLIOTHÈQUES 239
Hautes Etudes, contient notamment les livres où se nourrit la
science d'un Gaston Paris et une précieuse collection chrétienne
et byzantine ; la troisième, que nous allons retrouver dans un
moment, est celle de l'école des Chartes. Quant à la quatrième
bibliothèque, c'est celle de l'Université de Paris, sciences et
lettres, celle où professeurs et étudiants se rencontrent. Ses
3g5 incunables et ses i.56o manuscrits sont de tout repos; mais
l'armée de ses 65o.ooo imprimés grandit tous les jours et se
trouve déjà bien à l'étroit entre les murailles, rajeunies pour-
tant, où Ton a tenté, il y a un quart de siècle, à peine, de lui
fixer sa demeure.
A dix minutes de la Sorbonne, au n° 45 de la rue d'Ulm,
Y Ecole Normale supérieure réussit à garder l'autonomie de ses
200.000 imprimés.
20 Les bibliothèques du second groupe sont celles qui se
consacrent plus spécialement à l'étude de l'histoire, de l'archéo-
logie et de l'art. Ainsi, la Bibliothèque de la Société d'histoire
de France (rue des Francs-Bourgeois, 60, aux Archives natio-
nales). La Bibliothèque historique de la Ville de Paris, centra-
lise ce qui touche à la capitale et à la Révolution ; placée dans
l'Hôtel Lepelletier de Saint-Fargeau, 20, rue de Sévigné, elle
a 200.000 volumes et brochures, 610 collections de journaux et
revues, 20.000 manuscrits, 10.000 plans et cartes, 22.000 pho-
tographies documentaires, 3 5. 000 cartes postales illustrées,
6.000 affiches et 800.000 prospectus, canards et catalogues de
marchands. La Bibliothèque Thiers, qui s'organise, se spéciali-
sera dans l'histoire moderne. La Société de l'Histoire du Pro-
testantisme a su accumuler, 54, rue des Saints-Pères, 60.000 vo-
lumes. La Bibliothèque de l'Ecole des Chartes (47.000 imprimés
et 1.223 fac-similé de manuscrits) s'intéresse surtout au moyen
âge français. La Société des Antiquaires possède 3o.ooo vo-
24o L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
lûmes au Musée du Louvre, où elle tient séance ; c'est dans ce
même palais qu'est installée avec ses 7.200 imprimés, ses
38 manuscrits et ses papyrus grecs, égyptiens et coptes, la
Bibliothèque du Musée du Louvre.
Les arts proprement dits n'ont pas été oubliés, il s'en faut :
la Bibliothèque de l'Ecole nationale des Beaux-Arts (rue Bona-
parte 14), est riche de 40.000 imprimés, 100 incunables,
638 manuscrits ; et, comme de juste, les estampes dominent :
elles dépassent 100.000. La Bibliothèque de l'Ecole spéciale
d'architecture (boulevard Raspail, 254) a 4.000 imprimés. Le
Musée des Beaux-Arts ou Collection Dutuit, au Petit Palais,
avenue Alexandre III, a 777 imprimés et 12 manuscrits. La
Bibliothèque de la Monnaie, 11, quai Conti, a 4.000 imprimés
et 43o manuscrits. La Bibliothèque du Musée Guimet, 7, place
d'Iéna, contient 3o.ooo imprimés. Enfin M. Jacques Doucet
a fondé, rue Spontini 19, une bibliothèque où, sur demande
écrite on peut consulter les livres imprimés (80.000) ; les
manuscrits et les dossiers (3. 000); et 5. 000 estampes ou
3o.ooo photographies. D'autres initiatives privées ont fondé,
au pavillon de Marsan, 107, rue de Rivoli, la Bibliothèque de
l'Union centrale des arts décoratifs : i5.ooo imprimés et
1.204.000 estampes, plans, photographies et échantillons y sont
réunis. Enfin, l'Imprimerie nationale a sa bibliothèque, rue
Vieille-du-Temple, 87, et boulevard Saint-Germain, 117, le
Cercle de la librairie a la sienne avec 3.400 imprimés.
Dans six arrondissements sur vingt, la Ville de Paris a
réusi à annexer à ses bibliothèques des sections d'art industriel :
à la mairie du IIIe arrondissement, square du Temple,
1 3.8oo gravures; dans le VIIIe arrondissement, 10, rue Paul-
Baudry, 1.969 documents; 5i, rue de Charenton, 11.000 vo-
lumes et estampes ; boulevard du Montparnasse, dans le
S
Q 3
O Q
X pd ~S-
s j «
5 -2 o
- S w
O co
LES BIBLIOTHÈQUES 241
XIVe arrondissement, 9.000 planches; et 1.825 volumes avec
18.000 planches dans le XVIII0 arrondissement, rue Erckmann-
Chatrian, i3. Mais, de tous les arrondissements populaires, le
mieux pourvu à cet égard est le XIe, grâce à la bibliothèque
Forney, placée du reste à proximité des IIP et IVe arrondisse-
ments. Elle est là au centre des industries d'art; 87.943 volumes
ou estampes relatifs aux industries décoratives de la pierre, du
bois, des métaux, de la céramique et du tissu, tendent à complé-
ter l'instruction technique des artisans et à épurer le goût des
artistes industriels parisiens (pi. 64).
A côté des arts plastiques, voici les autres et leurs biblio-
thèques : celle du Conservatoire national de musique et de
déclamation, i5, rue du Faubourg-Poissonnière; celle de l'Opéra,
(place Charles-Garnier 1, pavillon ouest) avec 16.000 imprimés,
3.ooo partitions, 60.000 estampes, i.5oo registres d'archives
et des affiches; celle de la Comédie française, au Palais Royal
a 3o.oco imprimés, 1.700 manuscrits et plus de 75o registres.
3° Le groupe des sciences sociales, politiques, philosophiques
et religieuses a une prolificité moindre que le précédent ; sa
lignée cependant ne laisse pas d'être assez belle. La Biblio-
thèque du Musée social, 5, rue Las Cases, a 3o.ooo imprimés
et 400 périodiques. La Société d'économie sociale, 54, rue de
Seine, a i5.ooo volumes et reçoit 200 périodiques. La Biblio-
thèque de l'Ecole libre des sciences politiques, possède, 27, rue
Saint-Guillaume, 3o.ooo imprimés et 5oo cartes. La Société de
statistique, rue Serpente, 29, a 60.000 volumes. Le Musée
pédagogique a 80.000 imprimés.
La Société de législation comparée, 16, rue du Pré-aux-
Clercs, a 20.000 volumes. La Bibliothèque de l'office de légis-
lation étrangère et de droit international a 60.000 volumes. La
Faculté de Droit a 100.000 imprimés, 1 incunable et 239 ma-
it>
242 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
nuscrits. La Bibliothèque des avocats, au Palais de justice, a
65.ooo imprimés et 33g manuscrits ou autographes. La Cour de
Cassation, au Palais de Justice, dispose de 40.000 imprimés et
de 344 manuscrits. La Cour des Comptes, au Palais Royal,
péristyle de Chartres, a 2 5. 000 imprimés et 5o manuscrits. La
Bibliothèque administrative de la Préfecture de la Seine, à
THôtel-de-Ville, a 6 i.5oo volumes.
La Bibliothèque du Conseil d'Etat, place du Palais-Royal,
a 36.ooo imprimés; celle de la Chambre des Députés, au Palais
Bourbon, a 25o.ooo imprimés et 1.546 manuscrits; celle du
Sénat, au Palais du Luxembourg, a i5o.ooo imprimés et
1.345 manuscrits, sans parler des cartes, estampes et médailles.
Les Ministères, eux aussi, ont leurs bibliothèques : aux
Affaires étrangères, i3o, rue de l'Université, 90.000 volumes,
3oo.ooo brochures et 5oo.ooo documents administratifs, fran-
çais et étrangers ; aux Colonies, 27, rue Oudinot, 10.000 impri-
més ; au Commerce, 80, rue de Varenne ; aux Finances, rue de
Rivoli, au Ministère, porte D, 38. 000 imprimés; à la Guerre,
23 1, boulevard Saint-Germain, i3o.ooo imprimés et 861 ma-
nuscrits; à l'Intérieur, 11, rue des Saussaies, 80.000 imprimés
et 100 manuscrits; à la Justice, place Vendôme, 12.000 impri-
més; à la Marine, 100.000 imprimés, 356 manuscrits et
5.000 cartes. Ajoutons la Bibliothèque du Dépôt des cartes et
plans de la Marine, i3, rue de l'Université, 70.000 imprimés,
2 56 manuscrits, sans parler des atlas anciens ; la Bibliothèque
de l'Office colonial, au Palais-Royal, galerie d'Orléans, a
20.000 imprimés, 1 .5oo cartes et 12.000 photographies. L'Ecole
supérieure de guerre a 70.000 imprimés et 148 manuscrits.
Enfin la Bibliothèque du Conseil municipal a 22.000 volumes.
La Société positiviste, rue Monsieur-le-Prince, 10, a
6.000 volumes. Nous avons déjà parlé de la Bibliothèque des
LES BIBLIOTHÈQUES 243
Hautes études et de sa section religieuse et de la Société de
l'histoire du Protestantisme français. L'Institut catholique,
74, rue de Vaugirard, a 160.000 imprimés, 28 incunables et
180 manuscrits ; la Faculté de théologie protestante, 83 boule-
vard Arago a 36. 000 imprimés; la bibliothèque de l'Alliance
Israélite, à l'Ecole orientale, 5g, rue d'Auteuil (annexe 45, rue
Labruyère), a 20.000 imprimés, i3 incunables et 23o manus-
crits.
La Bibliothèque polonaise, 6, quai d'Orléans, a 80.000 impri-
més, 10.000 manuscrits et autographes, et 3o 000 estampes;
quant à la Bibliothèque Scandinave, 6, place du Panthéon, elle
est rattachée à la bibliothèque Sainte-Geneviève. La Société
asiatique, 1, rue de Seine, a 12.000 imprimés et 200 manuscrits.
La bibliothèque de l'Ecole spéciale des langues orientales
vivantes, rue de Lille, 2, est riche de 80.000 imprimés, d'un mil-
lier de manuscrits et d'un millier de cartes.
40 Les sciences mathématiques et naturelles ne sont guère
dotées de bibliothèques nombreuses ou riches que pour l'étude
de la médecine. L'Ecole Polytechnique, 21, rue Descartes, a
5o.ooo imprimés, 10 manuscrits, 1.100 médailles, 208 estampes,
1.200 cartes et plans; l'Ecole des Ponts et chaussées, 28, rue de
Saint-Pères, a 100.000 imprimés, 3.2i2]manuscritset3.ooocartes
ou photographies d'ouvrages d'art ; la bibliothèque de l'Ecole
supérieure des mines, 60-62, boulevard Saint-Michel, a
45.000 imprimés et i5.ooo brochures ou cartes. Celle du
Bureau des Longitudes, au Palais de l'Institut, rue Mazarine,3,
a 4.000 imprimés ; celle de l'Observatoire, avenue de l'Obser-
vatoire, a 18.178 imprimés et des manuscrits. Celle de la Société
chimique de France, 41, rue de Rennes, a 10.000 volumes; la
Société de physique, à la même adresse, en a 12.000; la Société
internationale des Electriciens, rue de Staël, 1 1 et 14, en pos-
244 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
sède 4.000. La Société géologique de France, rue Serpente, 28,
en compte 20.000 ; la Société de géographie, boulevard Saint-
Germain, 184, a 60.000 imprimés, 5o manuscrits, 600 atlas,
6.000 cartes et, en outre, des photographies, des clichés à pro-
jections et des portraits. La Société d'anthropologie, i5, rue de
l'Ecole-de-Médecine a, pour cataloguer ses trésors, employé
deux volumes. Le Muséum d'Histoire naturelle, 8, rue Buffon,
possède 220.000 imprimés, 3o incunables, 2.280 manuscrits et
8.600 dessins (collection des vélins). La Société entomologique,
rue Serpente, 28, a 3o.ooo volumes.
L'Académie de médecine a, dans sa bibliothèque, 16, rue
Bonaparte, 3o.ooo imprimés, 428 manuscrits, des médailles,
des estampes, des portraits. Dans la sienne, rue de l'Ecole-de-
Médecine, 12, la Faculté de Médecine a 220.000 imprimés,
82 incunables, 767 manuscrits, et des jetons. La Société de
l'histoire de la médecine, installée rue de l'Ecole de Médecine,
au laboratoire de Parasitologie, a publié le catalogue de ses
livres. La Société de chirurgie, 12, rue de Seine a 20.000 volumes.
La bibliothèque de l'Ecole de pharmacie, 4, avenue de l'Obser-
vatoire, a 43.000 imprimés, 27 incunables, 86 manuscrits, sans
parler des archives de l'ancienne corporation des apothicaires
et du collège de Pharmacie de Paris.
L'Assistance publique, avenue Victoria, 3, a 6.373 imprimés
et 69 manuscrits ; le Conseil supérieur de l'Assistance publique
au ministère de l'Intérieur a, dans sa bibliothèque, 5o.ooo impri-
més. L'Hospice des Quinze-Vingts, rue de Charenton 28, a, dans
la sienne, 25 manuscrits; le Val-de-Grâce, 277 bis, rue Saint-
Jacques, a 34.000 imprimés et 4 manuscrits. L'Institut Pasteur,
25, rue Dutot, a 3o.ooo imprimés, dans la section médicale et
bactériologique; i5.ooo, dans la section de chimie biologique.
L'Institution nationale des jeunes aveugles, 56, boulevard des
PL 53.
BIBLIOTHEQUE DE L ARSENAL
L'ORATOIRE DE MADAME DE LA MEILLERAYE (XVII° SIÈCLE)
BIBLIOTHEQUE DE L ARSENAL. — UNE CONSOLE DANS LE SALON LOUIS XV
(Page 258.)
PI. 54.
L'ILE LOUVIERS, PROCHE L'ARSENAL, AU XVIIIe SIÈCLE.
(D'après la gravure de Pérelle.)
UN DINER D APPARAT VERS I460. — ROMAN DE BERNARD DE MONTAUBAN.
(Bibliothèque Je l'Arsenal, Ms. 5073 fol. 148.
Page 237.;
LES BIBLIOTHÈQUES 245
Invalides, a sa bibliothèque appropriée, et l'Institution nationale
des sourds-muets, rue Saint-Jacques, 254, a la sienne, qui
compte 3.ooo imprimés et 5 manuscrits.
5° Un avant- dernier groupe rassemble les bibliothèques
relatives à l'agriculture, à l'industrie et au commerce. L'Institut
national agronomique, rue Claude Bernard, 16, a 25. 000 impri-
més ; la Société nationale d'Agriculture, 18, rue de Belle-
chasse, a 22.000 volumes; la Société des Agriculteurs, 8, rue
d'Athènes en a 12.000; la Société nationale d'Horticulture,
rue de Grenelle 84, a i5.ooo imprimés et 400 manuscrits; la
Société d'Apiculture, de Sériciculture et de Zoologie agri-
cole, rue Serpente, 28, en a 4.000.
L'Ecole centrale des Arts et Manufactures, 1, rue Mont-
golfier, a 16.000 imprimés. La Société d'encouragement pour
l'Industrie nationale, 44, rue de Rennes, a 5o.ooo volumes. La
Société des Ingénieurs civils, rue Blanche, 19, en a 47.000. La
Bibliothèque du Conservatoire national des arts et métiers,
rue Saint-Martin, 292, a 48.611 imprimés, 6 manuscrits,
2.323 cartes.
La Bibliothèque de la Chambre de Commerce, rue Fey-
deau, 3, a 40.000 imprimés ; et, boulevard du Palais, celle du
Tribunal de Commerce a 291 manuscrits qui ont été inven-
toriés; celle de l'Ecole d'application du Génie maritime,
140, boulevard de Montparnasse, s'accroît chaque année, lente-
ment. Celle de l'Ecole coloniale, avenue de l'Observatoire, 2,
a 1 5.000 imprimés, 100 manuscrits, 5oo cartes et, en outre, des
estampes et des médailles.
6° Enfin il nous semble qu'il faut ranger ensemble les
bibliothèques populaires municipales. C'est l'honneur de la
Ville de Paris de les avoir généreusement multipliées, non pas
seulement dans chaque arrondissement, mais aussi dans chaque
246 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
quartier. Celles rattachées aux mairies sont plus importantes que
les autres, annexées aux Ecoles, et il faut faire une place à part
à celle de la mairie du XVIe arrondissement. Dans le P arron-
dissement,h la marie de la place du Louvre, il y a 7.900 volumes
et, n, rue d'Argenteuil, 4.238. Dans le IIe arrondissement,
cinq bibliothèques : à la mairie, rue de la Banque, 8 :
14.917 volumes; rue Saint-Denis, 221 14.955 volumes; rue
Etienne-Marcel, 20 : 5.494 volumes; rue de la Jussienne, 3 :
4.547 volumes ; rue de Louvois, 6 : 2.954 volumes. Le IIIe arron-
dissement a 4 bibliothèques : à la mairie, square du Temple :
11.088 volumes; rue Montgolfier, 3 : 5.985 volumes; passage
de l'Ancre : 4.620 volumes; rue Béranger, 3 : 2.612 volumes.
Trois bibliothèques dans le IVe arrondissement : à la mairie,
place Baudoyer : 12.259 volumes; place des Vosges, 6 :
7.382 volumes ; rue du Renard, 21 : 4.35o volumes. Le Ve arron-
dissement a trois bibliothèques : à la mairie, place du Pan-
théon, 7.389 volumes; rue de l'Arbalète, 39 bis : 7.450 volumes
et rue de Poissy, 27 : 4.364 volumes. Le VP arrondisse-
ment a quatre bibliothèques : à la mairie, place Saint-Sul-
pice : 1 3. i5o volumes; rue de Vaugirard, 85 : 5.488 volumes;
rue du Pont de Lodi, 2 :5.oi8 volumes; rue Saint-Benoit, 12 :
4.625 volumes. Le VIP arrondissement a trois bibliothèques,
à la mairie, rue de Grenelle, 116, 9.491 volumes; avenue
Duquesne, 42 : 5.320 volumes; rue Camou 1 : 5.264 volumes.
Le VIIIe arrondissement en a trois aussi : à la mairie,
rue d'Anjou, 11; i5.5oo volumes; rue du Général-Foy, 24 :
4.547 volumes; rue Paul-Baudry, 10 : 4.196 volumes. Le
IX' arrondissement en a trois encore : à la mairie, rue Drouot,
6 : 7J94 volumes; rue de Bruxelles, 32 : 6.276 volumes; rue
Milton, 35 : 3.704 volumes. Le Xe arrondissement, 2 seulement : à
la mairie, rue du faubourg Saint-Martin, 72 : 12.812 volumes;
LES BIBLIOTHÈQUES 247
rue de Sambre-et-Meuse, 19 : 4.872 volumes. Le XIe arrondis-
sement en a 5, et sans même compter la bibliothèque Forney :
à la mairie, place Voltaire : 14.431 volumes; avenue Parmen-
tier, 100 : 6.640 volumes; rue Titon, 12 : 6. 58o volumes ; ave-
nue de la République, 98 : 4.673 volumes ; rue Trousseau, 38 :
3.387 volumes. Le XIIe arrondissement en a quatre : à la
mairie, avenue Daumesnil : 8.5oo volumes; rue du Rendez-
vous, 63 : 5.8 19 volumes ; boulevard Diderot, 40 14. 039 volumes;
rue de Charenton, 5i : 3.668 volumes. Le XIIIe arrondisse-
ment, quatre aussi : à la mairie, place d'Italie : 9.100 volumes ;
rue Baudricourt, 52 : 5. 600 volumes; rue Damesme, 5 :
3.807 volumes; boulevard Arago, 3o : 3.i52 volumes. Le
XIV" arrondissement, en a cinq : à la mairie rue Mouton-Du-
Vernet : 8.000 volumes; boulevard du Montparnasse, 80 :
4.000 volumes; rue Du Cange, 1 : 4-865 volumes; rue de la
Tombe-Issoire, 77 : 4.258 volumes; rue d'Alésia, i32 :
4.872 volumes. Le XVe arrondissement, 5 bibliothèques aussi :
à la mairie, rue Péclet : 8.3oo volumes ; place du Commerce,
4 : 5.175 volumes; rue Lacordaire, 11 : 5.45 1 volumes; rue Fal-
guière, 20 : 4.81 3 volumes; rue Dupleix, 21 (PI. 64) : 2.400 vo-
lumes. Le XVIe arrondissement, 4 bibliothèques : à la mairie,
avenue Henri-Martin : 19.347 volumes ; rue Hamelin, 17 : 5. 178
volumes; rue du Ranelagh, 70 : 3.614 volumes; rue de Mus-
set, 20 : 2.844 volumes. Le XVIIe arrondissement, 4 aussi : à la
mairie, ruedesBatignolles, 18: io.3oo volumes; rue Saint-Ferdi-
nand^ : 5.633 volumes; rue Balagny,40 : 3-985 volumes; rue
Ampère, 18 : i3.o55 volumes ou estampes. Le XVIIIe arron-
dissement, 4 bibliothèques, sans parler de la bibliothèque d'art
et industrie, rue Erckmann-Chatrian, i3 : ce sont, à la mairie,
place Jules -Joffrin, 8.956 volumes; rue du Poteau, 71 :
6.i3o volumes; rue de Torcy, 5 : 4.869 volumes; impasse
248 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
d'Oran, bibliothèque Gustave Tridon : 8.000 volumes. Le
XIXe arrondissement a 5 bibliothèques : à la mairie, place
Armand-Carrel, 8.827 volumes; rue Fessart, 4 : 7. o58 volumes;
rue de Tanger, 41 : 4.640 volumes; rue Barbanègre, 7 :
3.856 volumes; rue Bolivar, 119 : 3.488 volumes. Enfin le
XXe arrondissement en a jusqu'à 8 : à la mairie, place Gam-
betta : 13.684 volumes; rue Vitruve, 3 : 6.627 volumes; rue
Henri Chevreau, 26 : 5. 118 volumes; rue Pelleport, 166 :
5. 141 volumes; rue Ramponeau, 5i : 3.879 volumes; rue de la
Plaine, 11 : 3.440 volumes; rue des Panoyaux, 9 : 5.o55 vo-
lumes ou estampes; rue de Tlemcen, 9 : 3.857 volumes.
En somme et sans parler des bibliothèques de nos lycées et
de nos écoles, ni de nos hôpitaux, ni de nos laboratoires, ni de
nos prisons, pas plus que de la Bibliothèque nationale, c'est un
total de 196 bibliothèques. Sur ces 196 bibliothèques, 87 sont
générales et 109 sont spéciales. Elles contiennent au moins,
6.908.992 volumes imprimés, 3.988 incunables, 68.o5o manus-
crits, 1.680.000 estampes ou photographies documentaires,
3 1.023 cartes et plans. Voilà une assez jolie pâture, même pour
une ville de 2.888.1 10 habitants, qui peut déjà nourrir le cer-
veau de son élite avec la « substantifique moelle » de la grande
bibliothèque de la rue de Richelieu, où plus de 3 millions et demi
de volumes imprimés et 121.000 manuscrits sont hospitalisés. Si
l'on compte, en moyenne, deux centimètres par volume imprimé
ou manuscrit, tous ces livres dressés à côté les uns des autres
occuperaient un rayon de bibliothèque long de 211 kilomètres :
c'est un peu plus que la distance de Paris au Havre. Ce rayon
s'allongerait bien au delà, si on y ajoutait les 34.000 volumes
imprimés qui entrent annuellement à la Bibliothèque nationale :
car ces volumes seuls exigent, tous les dix ans, un rayon nouveau
de près de 7 kilomètres.
PL 56.
BIBLIOTHÈQUE MAZARINE
PEIRESC. PAR CAFFIERI.
FRANK!. IX. PAR CAFFIERI.
FAL1SS0T, PAR HOUDON. BUSTE ANONYME, PAR DE FERNEX.
Page 255.
LES BIBLIOTHÈQUES 249
Sans doute, les sceptiques pourront railler, avec Voltaire,
L'amas curieux et bizarre
Des vieux manuscrits vermoulus
Et la suite inutile et rare
D'écrivains, qu'on n'a jamais lus.
Mais ceux qui ont foi dans l'enseignement pour élever le
cœur et l'esprit d'un grand pays et d'une grande cité, préfére-
ront peut-être se souvenir des vers qu'un inspecteur des Biblio-
thèques de la Seine, Alexandre Parodi, adressait, en 1886, « aux
ouvriers parisiens », lors de l'inauguration de la bibliothèque
Forney :
Peuple épris de lumière,
Viens rajeunir ta sève aux sources du savoir :
Où le talent combat, ta place est la première,
Il la faut conserver, Paris, c'est ton devoir.
Il nous reste à dire ce que l'on a su faire d'un outillage intel-
lectuel aussi énorme ; comment la masse des faits et des idées,
accumulés dans plus de huit millions de livres, d'estampes ou
de documents, réussit-elle à se rendre assimilable aux lecteurs ?
C'est du personnel et de l'installation que dépendront le
classement des livres et leur catalogue d'abord, leur communi-
cation et leur prêt au public, ensuite1.
Pendant longtemps, l'idée prévalut qu'un poste de bibliothé-
caire et surtout de conservateur en chef devait se donner comme
une prébende d'ancien régime. L'État avait des devoirs de
Mécène et les bibliothèques avaient charge d'en assurer les frais ;
un poète, un littérateur, un artiste, un savant, placé à la tête de
1. Grande Encyclopédie, t. VL p. 647-662, excellent article d'Aug. Molinier.
250 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
l'Arsenal ou de la Mazarine, s'y installait, en pleine activité
d'esprit, comme dans une retraite. La cité des livres lui était un
salon ; il souffrait qu'on y parlât de tout, même de sa sinécure.
Il en faisait le dernier asile de la causerie.
En 1837, des protestations commencèrent; qu'on eût des
égards aux bonnes lettres rien de mieux ; mais il convenait d'en
avoir aussi pour les livres. En avril 1887, un décret, modifié en
septembre 1905, finit par régler, pour les trois bibliothèques
Mazarine, Arsenal et Sainte-Geneviève, la situation du per-
sonnel ; le diplôme d'une des écoles supérieures de l'Etat (Ecole
des Chartes, Langues orientales) était nécessaire et, à son défaut,
un certificat d'aptitude. La compétence remplaçait la faveur ;
point partout cependant. Tous les subordonnés durent se sou-
mettre à un examen ; leur chef seul en fut dispensé.
Sur 196 bibliothèques parisiennes, les trois plus notables —
après la Bibliothèque nationale — étaient désormais presque
assurées d'avoir un personnel compétent. Des 193 autres, trois
le sont aujourd'hui : à la bibliothèque de l'Université (décret
du 23 août 1879 et du 28 juin 1910J on n'entre qu'après un
examen professionnel ; à celle de l'Ecole des Chartes, avec le
diplôme d'archiviste paléographe, que possède nécessairement
le secrétaire de l'Ecole; depuis peu de mois, la bibliothèque
historique de la ville de Paris se recrute au concours.
Restent 190 bibliothèques pour lesquelles la compétence est
prouvée autrement que par des épreuves strictement profes-
sionnelles : les choix sont du reste très généralement heureux
et il est de plus en plus rare que les livres aient à s'en plaindre.
Leur familiarité finit par apprendre au plus rebelle les élé-
ments du métier de bibliothécaire : c'est tout au plus si cette
éducation est un peu tardive et si elle sert à couronner une car-
rière au lieu de la commencer et de l'ouvrir. Il y a encore quel-
LES BIBLIOTHÈQUES 251
ques bibliothécaires qui justifieraient surtout le titre de déta-
chés des bibliothèques.
Les traitements en doivent, pour une large part, porter la
responsabilité. Ce sont des traitements de. famine. Après vingt-
cinq ans de services, tel bibliothécaire fort distingué de l'Ar-
senal n'avait pas encore, en dépit des réclamations de son chef,
3.ooo francs par an. A la bibliothèque de l'Université, il a fallu
attendre 1910 pour que les traitements fussent relevés : et
cependant chacun des bibliothécaires fournissait trente-six
heures de service par semaine. Croirait-on qu'il fut un temps
— c'était au début de 1875 — où un ministre parut tyrannique
parce qu'il prétendait asservir chaque fonctionnaire de laMaza-
rine à deux heures de service par semaine ?
Le passé, n'est pas seulement nécessaire pour expliquer
l'état du personnel ; il l'est surtout pour expliquer l'état des
locaux. L'installation d'une bibliothèque est aujourd'hui sou-
mise à des règles sévères : il s'agit moins de loger les livres
derrière des façades somptueuses que d'assurer leur longue vie
par une hygiène réfléchie. Les dispositions intérieures sont
désormais le grand souci des architectes et ces dispositions sont
défensives : elles doivent armer les livres contre ces quatre
ennemis : l'humidité, la poussière, les vers, le feu.
L'humidité est surtout combattue par l'air libre : on a
renoncé aux armoires fermées et on leur préfère des grillages ;
on éloigne un peu les livres du mur ; on les adosse à des plan-
ches de fond ; on évite de les mettre au rez-de-chaussée, ce rez-
de-chaussée fut-il supporté par des caves ; enfin on préfère à
toutes les expositions celles du midi ou de l'est. Il a fallu cepen-
dant les inondations parisiennes de janvier 19 10 pour démon-
trer, à l'Arsenal, qu'il y avait des exceptions heureuses. Le
quartier environnant était submergé mais tous les livres resté-
252 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
rent intacts : les substructions de la vieille demeure, la muraille
de Charles V, les fondations disposées par ordre de Sully ou de
ses successeurs et par les soins de Germain Boffrand formaient
une digue si solide que l'eau dut se borner à en faire le tour.
Les poussières parisiennes se glissent partout : on les évite
quelque peu en éloignant les dépôts de la salle de lecture, en
disposant, sur le sol, des tapis de cuir ou de linoléum, et en net-
toyant ces tapis sans balais mais avec des linges appropriés;
enfin en procédant périodiquement à un battage des livres, à
l'air libre.
Les vers rongent de préférence les anciens livres en papier
de fil et les reliures à ais de bois. On combat ces parasites par le
battage, par des substances chimiques et des plantes à odeurs
fortes, par l'isolement des reliures infectées, si elles ont une
valeur artistique, et par la substitution de reliures modernes plus
saines.
L'incendie est le plus grand fléau des bibliothèques et la
triste fortune de la bibliothèque de Turin est encore présente à
notre souvenir. Une bibliothèque doit donc être isolée de tout
voisinage suspect; on tremble d'autant plus en voyant, boule-
vard Morland, à quelques pas d'une des parties les plus pré-
cieuses de l'Arsenal la forge d'un maréchal ferrant. Au gaz, il
faut préférer l'électricité, placer à quelque distance les machines
génératrices de lumière, supprimer, le plus possible, les chemi-
nées et les remplacer par des bouches de calorifère. Les gre-
nades destinées à éteindre les commencements d'incendie sont
disposées à l'avance dans chaque pièce. Les gardiens font, tous
les mois des manœuvres d'incendie et les pompiers font leur
inspection, deux fois par an. Les prises d'eau et les lances ne
manquent point : mais il ne faut pas oublier que l'eau risque de
devenir un remède aussi dangereux que le mal. Le mieux est
3C^ >
* - *
W
a
H
O
m. 58.
BIBLIOTHÈQUE MAZARINE
9
I
RELIURE AUX ARMES DE MAZARIN.
LUSTRE LOUIS XV.
( OMMODE BOULLE.
Page 2:r.'
LES BIBLIOTHÈQUES 253
de prévenir le feu, au moyen de montants en fer garnis seule-
ment de rayons de bois : le fer s'opposera à la propagation de
la flamme. Réduire au minimum les matériaux combustibles est
une précaution d'élémentaire sagesse.
Les dernières bibliothèques construites à Paris se sont ins-
pirées, le plus possible, de ces principes : la bibliothèque de
l'Université, celles de la Faculté de droit, de médecine et de
l'Ecole des Chartes, par exemple. Quand Labrouste a recons-
truit, de 1843 à i85o, la Bibliothèque Sainte-Geneviève, il a
voulu réaliser l'idéal nouveau : préférer à la décoration exté-
rieure l'aménagement intérieur ; supprimer en partie les baies
latérales et faire venir la lumière du voisinage de la toiture;
remplacer l'architecture de bois par l'architecture de fer. Il a
réussi (PI. 59).
Et cependant le mérite de son œuvre ne réussit pas à masquer
quelques erreurs : les terrains nécessaires aux agrandissements
futurs n'ont pas été prévus et nul doute que Labrouste eût été
charmé de les recevoir de l'Administration ; s'il est en faute, il ne
Test pas seul. Ils manquent comme à l'Arsenal et comme à la
Mazarine (dont les locaux ont, tout au moins, l'excuse de leur
grand âge) et comme à la Bibliothèque de l'Université où
M. Nénot ni personne, en 188 5, ne pouvait prévoir que le
nombre des étudiants décuplerait en vingt-cinq ans et, en 191 2,
dépasserait 12.000. La Bibliothèque historique de la ville, tout au
moins, ne risque pas, avant longtemps, d'être prise au dépourvu :
elle pourra s'étendre jusqu'à la rue Payenne et un projet récent
parle même de confisquer à son profit le lycée Victor Hugo,
auquel on donnerait asile dans une partie de l'ancienne impri-
merie nationale.
A Sainte-Geneviève (PI. 60), la ventilation est insuffisante ;
de plus, la nécessité imposée à Labrouste de faire une salle de
254 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
lecture spacieuse contraignit malheureusement l'architecte à
entourer de livres cette salle et à faire d'elle leur principal dépôt.
L'effet architectural en est admirable et c'est beaucoup, mais
pratiquement qu'arrive-t-il ? Le va-et-vient des lecteurs soulève
une poussière, qui ronge les livres ; la lumière du gaz décolore
leur reliure ; la chaleur finit par détacher, au dos des volumes,
les titres et les étiquettes. Cette expérience n'a pas été perdue et
Labrouste en a fait profiter, dès 1854 à 1868, la salle de lecture
de la Bibliothèque nationale.
Chose paradoxale : l'ancienne bibliothèque des Génovéfains
avait, dès 1720, résolu le problème plus heureusement que la nou-
velle et le Bristish Muséum n'a pas manqué d'en faire son profit
beaucoup mieux que nous. Elle avait imaginé une salle de lec-
ture centrale, placée au point où par les quatre bras d'une croix
grecque venaient aboutir les galeries 1. Au lieu d'une croix, qu'on
imagine les rayons d'une étoile et on multipliera les galeries,
on évitera la poussière, on accélérera le service des livres, on
simplifiera la surveillance.
Les bibliothèques d'autrefois avaient donc leurs qualités. Elles
avaient aussi leur idéal décoratif : il revit, en partie encore et
pour le plaisir de nos yeux, non pas seulement au cabinet des
Estampes et à la galerie Mazarine delà Bibliothèque nationale,
mais dans les magnifiques salles de la bibliothèque Mazarine
(PI. 55) ; là sur l'emplacement même de l'ancienne Tour de
Nesles, fut construite, à la mesure de la galerie Mazarine, une
salle destinée à recevoir tous les livres que Naudé et Mazarin
avaient su acquérir. De la galerie Mazarine, on ne se contenta
pas de les transporter là ; on y transporta aussi les gracieuses
colonnes et l'attique qui, au fond de l'hôtel Tubeuf, leur servait
1. Voir plus haut, p. no, le Lycée Henri IV où ce qui subsiste de ces anciennes
galeries a été converti en dortoirs.
LES BIBLIOTHÈQUES 255
de décor. Ces colonnes n'ont pas changé, non plus que le parquet
qui les supporte, ni les chaises de style LouisXIII, qui entourent
la table de la salle Naudé. Mais un plafond plat a remplacé, au
xvme siècle, la voûte du xvn° : il s'agissait de gagner de la
place pour les livres. La salle a 8m,5o de haut. On a pu en loger
ainsi 40.000 volumes de plus. Et le balcon, qui ceinture aujour-
d'hui encore la grande salle (PI. 55), au point où portait la
retombée des voûtes, est demeuré tel qu'il fut construit sous
Louis XV.
Les deux lustres de style Louis XV et les cinq lustres de
style Louis XIV, qui sont suspendus au plafond, sont d'une
valeur inestimable (PI. 55 et 58) : les deux premiers surtout,
taillés par Jean-Jacques Caffieri en plein bronze. Mais ils
n'étaient pas à la bibliothèque avant la Révolution ; pas plus
que les délicieuses commodes d'André-Charles Boulle (PI. 58),
qui sont tout près de l'entrée de la salle Naudé, les deux bahuts
Louis XVI, placés à l'extrémité opposée de la salle pelasgienne et
les deux pendules, placées derrière le bureau du Conservateur.
Commodes Boulle et pendules viennent de Versailles (PI. 57
et 58) : les commodes y ornaient la chambre de Louis XIV et
l'une des pendules, dont le mouvement est impeccable, a sonné
l'heure dans le cabinet de travail de Louis XVI. Les bustes de
marbre, de bronze, ou de terre cuite qui, tout le long des deux
grandes salles, veillent discrètement, du haut de leurs socles de
marbre blanc, sur le travail des lecteurs, sont de rareté très iné-
gale : la plupart des antiques semblent de simples copies. Quel-
ques pièces, du moins, sont d'espèce unique : le buste en bronze
de Richelieu dû au ciseau du médailliste Warin (PI. 5j), l'abbé
Palissot dû à Houdon, Peiresc et Franklin, dus à Caffieri, sont
étonnants de vérité et de vie (PI. 56). Et, dans un cadre
Louis XVI, un singulier médaillon de bronze très peu connu,
256 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
évoque à merveille le profil osseux et grave du vainqueur de Ri-
voli (pi. 57) . Toutes ces richesses d'art, exception faite de la der-
nière, proviennent de biens confisqués aux émigrés ; la Révolu-
tion les avait enfermées au dépôt des Augustins, d où l'abbé Le-
blond sut les tirer pour le plus bel ornement de la Bibliothèque.
Si, dès le xvif siècle, plusieurs salles du palais Mazarin
furent converties en Bibliothèque, il fallut attendre la seconde
moitié du xvme, à 1' Arsenal, et l'extrême fin du xixc, àSaint-Far-
geau, pour transformer d'anciens appartements privés en cités de
livres. Il en résulte qu'en entrant aujourd'hui dans ces biblio-
thèques nous pouvons avoir l'illusion de pénétrer dans des logis
où la pensée de nos pères n'habite pas seulement dans leurs
livres ; leur ombre y flotte encore un peu partout, aux boiseries
des murailles, aux peintures des panneaux, aux lustres du pla-
fond. Devant les vastes paniers des contemporaines de Louis XV,
on tremblait que ces portes ne fussent assez larges, et, devant
leurs coiffures, qu'elles ne fussent assez hautes ; c'est à ces glaces
qu'elles ont souri et vérifié l'éclat de leur fard ou la place de
leurs mouches ; c'est sur les bras de ces fauteuils qu'elles ont
joué de l'éventail.
Nos impressions peuvent se préciser. Voulons-nous demander
aux murs de nos bibliothèques l'évocation des hôtels de pierre
blanche et de brique, qu'on aimait tant sous Louis XIII ? La
Bibliothèque nationale nous la donnera, rue des Petits-Champs
et rue Vivienne, devant l'hôtel bâti par Pierre Lemuet, en 1 633,
pour M. Tubeuf, surintendant des finances ; et encore devant la
grande travée, qui forme le fond du jardin bordant la rue
Vivienne : Mazarin, avant 1641, chargea François Mansart de
la construire1. Voulons-nous voir comment on remplaça la
1. Voir la Bibliothèque nationale, cit. (édit. H. Laurens), p. 2 et 3.
PI. 59.
Sfcvnv- ■ — " " ;::,.: :
BIBLIOTHEQUE SAINTE-GENEVIEVE. — FAÇADE SUR LA PLACE DU PANTHEON.
BIBLIOTHEQUE SAINTE-GENEVIEVE. — VESTIBULE D'ENTREE AU REZ-DE-CHAUSSEE.
(Page 253.)
PI. 60.
BIBLIOTHÈQUE SAINTE-GENEVIEVE. — CABINET DE l' ADMINISTRATEUR.
DERRIÈRE LA TABLE (xVIII0 SIECLE) EST l'hORLOGE d'û. FINNÉ (1553)
Page 261.)
BIBLIOTHEQUE SAINTE-GENEVIEVE.
Page 2b3.
s U.I.K DE LECTURE.
LES BIBLIOTHÈQUES 257
brique rouge, si pimpante et si gaie qu'elle charma pendant
près de cent-cinquante ans les yeux de nos pères ? Et nous
plaît-il de savoir comment, de 1 663 à 1672, les architectes Le
Vau, Lambert et d'Orbay lui préférèrent des lignes plus nobles
et plus graves (avant que le jeune roi en réclamât de plus solen-
nelles encore), arrêtons-nous devant le Palais de l'Institut, dont
l'aile orientale abrite les livres cleMazarin ' (PI. 55). La mélan-
colie du grand siècle finissant nous tente-t-elle ? Allons rue de
Sévigné, 29, et contemplons l'hôtel que Michel le Pelletier de
Souzy, intendant des finances, se fit reconstruire en 1687, par
Pierre Bullet : sur le fronton postérieur, qui regarde la rue
Payenne, l'image du Temps, sculptée en haut-relief, a des airs
funèbres ; mais déjà l'on devine, sur le fronton triangulaire de
Y Orangerie, la délicatesse du temps de Watteau, dans la gra-
cieuse figure couchée d'une Vérité sans voiles et qui se fie à la
discrétion de son miroir (PI. 62). Enfin avons-nous la fantaisie
de savoir comment un architecte du genre aimable, Germain Bof-
frand, savait, au début de Louis XV, s'essayer dans le genre
sérieux, allons voir la façade sud de l'Arsenal, avec les mortiers
et les canons de pierre chargés de rappeler que là était bien la
demeure du grand maître de l'artillerie.
Les spécialistes ont, sans aucun cloute, raison de se plaindre
que les livres soient rarement placés dans des logis construits
spécialement pour eux ; nous n'avons pas, quant à nous, le cou-
rage de récriminer trop, pour peu que nous pénétrions dans ces
logis-là auxquels l'art garde encore sa parure. Leur façade a sa
beauté, mais leur intimité a son charme. Nous connaîtrions
moins bien le milieu du xvne siècle et tout le xvni", si nous
n'avions les appartements conservés à l'Arsenal et à Saint-Far-
i
1. L'Institut de France, même édition, p. 12 et 22.
17
258 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
geau1. Certes, la légende se trompe quand elle parle du Cabinet
de Sully et de la chambre d'Henri IV. C'est tout simplement la
chambre et l'oratoire de la duchesse et maréchale de la Meilleraye
qu'il faut dire. Ces deux pièces datent de 1637 à 1664 et le pin-
ceau de Simon Vouet s'ingénia d'abord à les orner; Vouet
mourut en 1649. Son disciple, Pierre Mignard, semble bien s'être
employé à les finir. Impossible jusqu'ici de préciser où com-
mence et où s'arrête sa collaboration et il faut souhaiter, pour
le savoir, la découverte d'une pièce d'archives plus explicite que
celles où le nom de ce peintre s'est mêlé. Il y a là, pour les his-
toriens de l'art, un problème à résoudre (PI. 52 et 53).
Ces deux pièces ne sont plus, depuis 1 863, dans la partie du
bâtiment qu'elles occupaient jadis et il est regrettable sans doute
que Labrouste ait cru devoir les déplacer ; plus regrettable encore
qu'il les ait logées dans le pavillon où elles sont encore : le
cadre s'est trouvé plus grand que le décor et il a fallu beaucoup
d'habileté pour les ajuster l'un à l'autre. Ajoutons que, depuis un
demi-siècle, ces deux pièces sont presque sans lumière : un des
joyaux d'art de Paris est à peine visible, grâce aux affreuses
bâtisses qui déshonorent toujours la principale entrée de la
Bibliothèque. Et, dans l'une d'elles, jaillissent constamment, sous
le marteau d'un maréchal ferrant, des étincelles qui risquent,
cent fois par jour, de provoquer un malheur irréparable. Telles
qu'elles sont, ces pièces, n'en sont pas moins uniques en leur
genre. Des dorures, des tons bleutés et verts, des arabesques,
des chimères, des génies enfants entrelacés de guirlandes de
fleurs et de feuillage ; partout le chiffre et le blason de M. de la
Meilleraye, le croissant de ses armes et les attributs de sa charge;
car le duc était grand maître de l'artillerie. C'était un preneur
1. Pour la Ma\arine, voir plus haut, p. 238 et pour la Bibliotlièque nationale,
voir le volume cité p. 2 à 5.
LES BIBLIOTHÈQUES 259
de villes. De son lit, en s 'éveillant, la duchesse pouvait lire un
peu partout les exploits de son époux : Gravelines, Aire,
Bapaume, Arras, Perpignan, la Bassée, Hesdin. Au-dessous
de sa glace, elle souriait à Vénus, qui, dans un cadre surmonté
de roses, apportait à Enée les armes divines forgées par Vulcain.
Dans son oratoire, la duchesse priait, en compagnie des femmes
fortes, aux figures accueillantes : Judith, Lucrèce, Bérénice,
Esther, Jeanne d'Arc et, sous le costume et le nom de Marie
Stuart, le portrait de la Maréchale, en personne.
Ces appartements peuvent servir à démontrer la fausseté de
certaines idées courantes : on s'imagine immenses les logis du
grand siècle et on répète que Trianon a révélé au monde la gen-
tillesse des petites pièces. L'oratoire et même la chambre à
coucher de la Maréchale ont de quoi tromper nos préjugés. Dès
avant Louis XVI, nos aïeux et nos aïeules étaient sensibles, tout
comme nous, à l'intimité du home.
L'Arsenal, pour peu qu'on y parcoure les petits salons en
bordure le long du boulevard Morland, nous découvre les évolu-
tions du goût, au temps de Louis XV et de Louis XVI. En par-
tant de la salle des manuscrits, on se retrouve d'abord chez le
duc et la duchesse du Maine, pour qui, de 1725 à 1728 (et non en
171 8 comme on le répète toujours), ces pièces furent décorées de
délicates boiseries et égayées de glaces (PI. 5i). Au-dessus de
l'une d'elles, qui tourne le dos au bureau de l'administrateur,
deux colombes se becquètent avec une ardeur que deux siècles
n'ont pu lasser. Antoine René d'Argenson marquis de Paulmy et
fondateur de la Bibliothèque vint, en 1757, s'installer à l'Arse-
nal. Il y vécut trente ans. La plupart des fauteuils qu'on y voit
encore et dont quelques-uns conservent, usée jusqu'au fil du
canevas, leur tapisserie d'antan, sont ceux où s'assirent le mar-
quis et ses invités. Ces fauteuils sont signés. Dans le grand salon
26o L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
Louis XV, il y en a quelques-uns dont les courbes sont exquises;
au-dessus d'eux, pend toujours au plafond le lustre de cristal où
les chandelles de cire jaune reflétaient leurs feux ; au bas d'une
console, une colombe et un méchant petit monstre menacent
toujours, avec des mines effarouchées, de se combattre ; au fond
d'un cadre en bois très fouillé, Louis XV vieilli, son cordon bleu
sur l'épaule et la toison d'or au cou, regarde, d'un œil las, les
gens qui passent et les choses qui demeurent. En face de lui, la
pendule de Saint-Victor, une des merveilles de Paris, et qui sonna
les heures de la royauté agonisante. Enfin des glaces qui ont
reflété déjà près de deux siècles. Adossé au mur de l'est, un de
ces meubles en bois de rose, gracile et charmant, sur lequel nos
grand'mères, le corps incliné et la tête poudrée, écrivaient leurs
billets.
Une seule pièce, à Saint- Fargeau, a gardé son décor
Louis XVI. C'est là que travaille le Conservateur, entre deux
glaces fragmentées en douze morceaux chacune. Aux murs, des
dorures, qui se détachent sur un fond blanc, et des attributs, des
carquois, des couronnes dessinés avec plus de raideur que de
grâce (PI. 63).
C'est à Henri IV ' qu'il faut aller pour revoir les salles où
les Génovéfains logèrent leurs livres et leurs médailles antiques;
mais à la bibliothèque Sainte-Geneviève on retrouvera tous les
trésors d'art, qui ont pu, sans péril grave, traverser, il y a soixante
ans, toute la place du Panthéon. Le cabinet de l'administrateur
éclairé par deux très hautes fenêtres en plein cintre, prend jour
sur les arbres du collège Sainte-Barbe, où les moineaux piail-
lent et disent à plein gosier leur petite chanson, sitôt que les
écoliers se taisent (PI. 60). N'était l'appareil du chauffage
1. Voir supra, p. uo.
PI. 61.
B 1 15 L I O T H E O U E S A I N T E - G E N E V I È V E
RAMEAU. PAR J.-J. CAFFIERI (l/6o).
ROTROU, PAR J.-J. CAFFIERI (1782)
LE P. PINGRE, GÉNOVEFAIN, PAR J.-J. CAFFIERI
(i;88.)
(Page 261.)
ANTOINE ARNAULD, PAR GIRARDON.
1M. 62.
BIBLIOTHEQUE SAIXT-FARGEAU
L'ENTRÉE DE LA BIBLIOTHEQUE, RUE DE SEVIGNE.
FRONTON DE L ORANGERIE.
Photos Conte
L'ORANGERIE. — LA PORTE D'ENTREE (CÔTÉ DE LA RUE PAYENNE)
Page -5;.)
LES BIBLIOTHÈQUES 261
central, qui vient mettre là sa note moderne, on se croirait au
fond de cet asile de paix ménagé par Labrouste, en un coin
charmant et solitaire du passé. Un beau fauteuil régence canné
est devant la table de travail de l'administrateur : et cette table,
délicieuse en son style Louis XV, se charge pour sa part, de
réfuter l'axiome suivant lequel nos pères ignoraient les préve-
nances et les délicatesses du vrai confort. Juchée sur ses huit
pieds bien cambrés, elle se creuse en demi-lune : et l'on ressus-
cite aussitôt, fort irrévérencieusement, la plaisante rotondité du
moine, qui pouvait s'incruster là, sans plus de dommage pour
son ventre que pour son travail. Derrière le fauteuil, est un
monument d'art unique en France : l'horloge planétaire
dOronce Finné (1 553) , décrite récemment par M. Fadegon,
dans le Journal de V horlogerie. Et surtout, silencieuse et vivante
le long des murailles, la compagnie de seize personnages illustres,
auxquels le ciseau de Coysevox, de Jean-Jacques Caffieri, de
Houdon et d'autres maîtres moins connus garantit un supplé-
ment d'immortalité (PI. 61). Là se trouve, entre Corneille et Boi-
leau, le plâtre original du fameux buste de Rotrou, que modela
Caffieri, pour le Théâtre-Français ; là aussi, le buste unique de
Rameau, dû au même artiste et placé près de Piron. Là encore,
le Charles Le Brun de Coysevox et le Buffon attribué à Houdon.
Il va de soi que le P. Pingre, génovéfain de distinction, y a sa
place ; de droit, est là aussi un des bienfaiteurs de l'abbaye et
de sa bibliothèque, le cardinal de La Rochefoucault, qui retient
dans sa barbe un demi sourire.
Ajoutons qu'en ce lieu pacifique on garde sans frayeur un
monument guerrier : le siège de la Rochelle de Callot, collé sur
toile. Sa rareté est extrême. Un autre exemplaire a, dans une
vente récente, atteint sans peine 25. 000 francs.
Le curieux c'est qu'avec ces richesses d'art les livres font
262 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
très bon ménage. A l'Arsenal, ils ne se plaignent pas d'être un
peu éloignés du public et des employés. Ils se sont faits aux
habitudes de la maison ; qu'on les loge dans des salles
luxueuses, des rez-de-chaussée ou des entresols, où un homme
de im,8o ne pourrait redresser la tête, ils conservent cet air de
propreté et de santé que connaissent les gens heureux. Et ceux
qui logent à l'Arsenal ont encore l'air d'être les pensionnaires
de Sa Majesté ou de Msr le Cardinal.
Qu'ils ne l'oublient point cependant. Les livres ne sont point
faits pour eux-mêmes ; le temps est passé, aussi, où la biblio-
thèque existait surtout pour les bibliothécaires. On a fini par
découvrir que les livres avaient des devoirs envers le public.
Ces huit millions de volumes et de documents parisiens que
nous avons comptés d'abord, localisés ensuite, le personnel
chargé de leur hygiène n'a pas seulement à les installer ; il lui
faut les disposer suivant un ordre si rigoureux qu'il permette,
en quelques minutes, de mettre la main sur chacun d'eux et de
le communiquer aussitôt. Le chef d'une grande bibliothèque ne
mériterait point sans cela le titre de conservateur ou d'adminis-
trateur. Et, comme il faut conserver avant de pouvoir adminis-
trer, dans les Bibliothèques où il y a des conservateurs et des
administrateurs, comme à la Bibliothèque nationale, à l'Arsenal,
à Sainte-Geneviève et à la Mazarine, les conservateurs sont subor-
donnés à l'administrateur; à la Bibliothèque de l'Université et
à Saint-Fargeau, il y a seulement un conservateur et des biblio-
thécaires; ailleurs, il n'y a que des bibliothécaires, dont l'un,
comme à la Faculté de droit, est bibliothécaire en chef.
Les deux principaux obstacles au classement des livres, ce
sont les inégalités de leurs formats et le progrès presque indé-
fini de leur nombre. La première idée qui vienne à un cerveau
LES BIBLIOTHÈQUES 263
français, épris de clarté et de logique, c'est de grouper ensemble
les livres qui traitent d'une même matière et d'assembler ce
qui se ressemble. Conséquences : il faudra mettre sur la même
planchette les in-folio et les in- 18, les formats gigantesques et
les formats minuscules, égarer les pygmées dans l'ombre des
colosses, laisser sur la tête des nains des trous béants et vides;
partant, perdre une place précieuse dans une bibliothèque
exposée à manquer de place. Ce n'est pas tout. La division
méthodique adoptée vivra sous de perpétuelles menaces : dans
un rayon, garni aux deux tiers ou aux trois quarts, situé entre
deux autres rayons chargés de livres, qu'un nouveau venu, de
format géant, se présente : c'est toute une travée qu'il faut bou-
leverser; ce sont des arrêtés d'expulsion qu'il faut prendre ;
c'est la révolution en permanence dans le temple de la paix ;
c'est l'anarchie, dans l'asile de l'ordre. Pour qu'un classement
méthodique fût acceptable, il faudrait condamner une biblio-
thèque à ne plus s'accroître, c'est-à-dire lui défendre d'être un
être vivant. Or si 34.000 volumes imprimés entrent chaque
année à la Bibliothèque nationale, 3 à 4.000 entrent à l'Arsenal
et presque le double à Sainte-Geneviève; i.5oo seulement à la
Mazarine. Et puis tels ouvrages traitent à la fois d'histoire et
de droit, ou d'archéologie : faudra-t-il, vraiment, les couper en
trois ? D'ailleurs comment adopter à l'avance des divisions fixes
pour des sciences indéterminées : nos pères réservaient à la
théologie une place immense et n'en réservaient aucune à l'auto-
mobilisme ou à l'aéronautique. Enfin la distribution des connais-
sances humaines par groupe est conventionnelle et subjective :
elle dépend de la culture ou des goûts de chaque bibliothécaire.
C'est cependant ce classement méthodique qu'on a jadis adopté
à la Bibliothèque nationale, à Sainte-Geneviève, à la Biblio-
thèque de l'Université.
264 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
Un autre classement, qui n'a pas de prétentions scientifiques
mais ne vise qu'à être commode, est celui qui aligne simple-
ment les volumes par ordre d'entrée et par format. Les Provin-
ciales peuvent voisiner avec le Père Joupancy, et Bossuet avec
Bayle, peu importe. Les livres ne se plaignent jamais de ces
impertinences : et c'est un abbé, Desmarais, qui, au xvme siècle,
eut le premier l'idée de les accommoder de la sorte. Son idée a
fait fortune. La plupart des bibliothèques sont aujourd'hui
classées de la sorte.
D'autant mieux que si les livres, sur les rayons, sont dis-
posés sans souci de leur contenu, rien n'est plus simple de
réunir, dans les catalogues, ce qu'on a séparé ailleurs. Une fois le
livre reçu dans la bibliothèque, inscrit sur le registre d'entrée,
soigneusement timbré, puis revêtu de son numéro matricule, on
lui consacre deux fiches dans l'inventaire : l'une où il figure au
nom de son auteur, l'autre où il figure au nom du sujet dont il
traite. Ces deux fiches sont classées alphabétiquement et à part,
la première dans le catalogue des auteurs, la seconde dans le
catalogue des matières. A la Mazarine on a ingénieusement
imaginé de les mêler sans les confondre : le premier est fait sur
fiches blanches, le second sur fiches couleur chamois. Au reste,
les catalogues par noms d'auteurs sont plus aisés à faire que
les autres et c'est par eux que presque toutes les bibliothèques
parisiennes commencent. Dans les vingt dernières années, l'im-
pression de ces catalogues a été très activement poussée. Avec
le timbrage, ces catalogues sont la meilleure garantie contre le
vol des livres : c'est une assurance pour leur conservation ; c'est
aussi une assurance pour leur bonne administration, puis-
qu'un catalogue établit le contact entre le bibliothécaire et le
public ; il révèle de suite aux travailleurs quelles ressources
une bibliothèque offre à leurs recherches. Il permet la com-
PI. 63.
Photo Contet.
BIBLIOTHÈQUE SAINT-FARGEAU. — CABINET DE L'ADMINISTRATEUR.
(XVIIIe SIÈCLE)
(Page 260.)
PI. 64.
BIBLIOTHEQUE FORNEY. — SALLE DE LECTURE.
(Page 241.}
BIBLIOTHEQUE MUNICIPALE, RUE DUPLEIX, 21.
Page 247.)
LES BIBLIOTHÈQUES 265
munication plus libérale des volumes et il en autorise le prêt.
La première bibliothèque ouverte au public fut celle de
Mazarin et cela dès 1644, chaque jeudi. La Bibliothèque du roi
(qui devint plus tard notre Bibliothèque nationale) n'imita ce
bel exemple que beaucoup plus tard. Elle ne fut pas vraiment
publique avant 1737.
Le nombre des lecteurs varie beaucoup, suivant les biblio-
thèques parisiennes : les deux salles des Imprimés, à la Biblio-
thèque nationale, ont, chaque année, en s'ajoutant l'une à l'autre,
près de 25o.ooo lecteurs; 220.000 à Sainte-Geneviève ; 23 à
25.000 à l'Arsenal, 1 1 .5oo à la Mazarine, plus de 5.5oo à Saint-
Fargeau. AForney, en 19 10, plus de 19.000 volumes ont été com-
muniqués au public, dont 9.000 sur place et io.i38 à domicile.
Le prêt fonctionne dans toutes les bibliothèques munici-
pales de Paris; seule, Saint-Fargeau ne l'admet pas; l'Arsenal,
la Mazarine l'accordent, mais plus parcimonieusement que
Sainte-Geneviève; la Bibliothèque de l'Université prête annuel-
lement plus de 20.000 volumes. Il y a mieux : parmi les biblio-
thèques de mairie ou de quartier, beaucoup se bornent même à
prêter leurs 61 5.000 volumes; 36 d'entre elles seulement, sur 82,
permettent de les consulter sur place. C'est depuis 1878 que ce
prêt fonctionne : 29.000 volumes en usèrent la première année
et, dès 1882, 36o.ooo; un million, en i885; plus de deux mil-
lions dès 1901. Car on devine bien que le même livre peut être
prêté plusieurs fois et visiter, en quelques mois, bon nombre de
logis divers.
Et il faut croire que le public a des égards touchants pour
les livres qu'il emporte à son foyer : pour 100.000 livres prêtés,
34 sont perdus.
Sans doute, il faut généralement renoncer, pour le prêt, à
proclamer dans la cité des livres, les droits de l'égalité : les col-
266 L'ENSEIGNEMENT PUBLIC A PARIS
lections, les dictionnaires, les livres rares, les incunables, les
livres à gravure, sont des aristocrates. Ils consentent à recevoir
des visites ; ils ne daignent pas en faire. Ils ne sortent jamais
de la bibliothèque. Une initiative audacieuse et d'une audace
presque révolutionnaire n'en a pas moins été prise à Forney
(PI. 64). Elle est peut-être la seule bibliothèque de Paris et de
France qui se risque à prêter le Dictionnaire raisonné du mobi-
lier français de Viollet-le-Duc, ou Y Histoire des peintres de
Charles Blanc, le Costume historique de Racinet ou le Diction-
naire de f Ameublement de Henry Havard. Enfin les Biblio-
thèques municipales d'art et d'industrie prêtent jusqu'aux gra-
vures, dans les quartiers particulièrement adonnés aux métiers
d'art.
On devine la portée éducative de ces prêts : l'étude, au soir
des journées de labeur, a plus de charme intime, quand on la
goûte à l'aise chez soi et dans le recueillement de la maison
silencieuse.
Les 109 bibliothèques spéciales de Paris disent, par leur spé-
cialité même, la qualité de leurs lecteurs. Il serait plus intéres-
sant de savoir cette qualité dans les 87 bibliothèques générales.
Toutes leurs statistiques cependant ne le disent pas. Dans le
XIVe arrondissement (la bibliothèque de mairie est rue Mouton-
Duvernet) , voici du moins ce que nous enseignent les chiffres :
sur 950 lecteurs, 45o sont adonnés aux professions manuelles ;
36o sont des employés d'administration ou de commerce; 240
de petits rentiers, des retraités, des ménagères ; 200 des artistes
et des étudiants.
Le IIe arrondissement (la bibliothèque de mairie est rue
de la Banque, 8), est un des arrondissements qui lit le plus.
Reste à savoir, dans les divers quartiers, où vont les préférences
des lecteurs. Dans le XIIIe arrondissement (dont la biblio-
LES BIBLIOTHÈQUES 267
thèque de mairie est place d'Italie), sur 8.5oo livres demandés,
les romans français et étrangers arrivent en tête avec
1 .206 volumes ; puis l'histoire, avec 1 . 1 33 unités ; la littérature,
avec 916; la géographie et les voyages tombent à 586, et la
morale ou la philosophie à 5o6. Les livres les plus délaissés sont
ceux qui traitent des sciences mathématiques et militaires,
74 volumes; des sciences médicales, 70; des Beaux-arts, 62:
quant aux langues vivantes, 27, on les laisse vilainement dans
le marasme. Dans le XIVe arrondissement, les proportions sont
à peu près pareilles : sur 5. 000 volumes, les romans font prime,
avec 1.114 livres; les autres œuvres littéraires suivent d'assez
loin, avec 564unités; l'histoire n'a plus que 382 recrues et l'éco-
nomie politique, 208. Quant à l'arrière-garde, elle est formée
par 37 volumes de mathématiques, 35 d'art militaire et 3i de
langues étrangères.
Les esprits chagrins ne manquent pas de s'alarmer envoyant
que la faveur populaire va aux œuvres d'imagination, trop sou-
vent frivoles, beaucoup plus qu'aux œuvres sérieuses. Sans
doute. Mais ces esprits-là oublient un peu vite que beaucoup
d'artisans et de petites gens demandent surtout un délassement
à la lecture et non une fatigue supplémentaire, ajoutée à la
fatigue du jour. Et puis l'essentiel n'est-il point de cultiver,
jusque dans les classes populaires, ce goût de la lecture qui retient
mieux que tous les autres l'ouvrier au foyer, loin des tentations
du vagabondage et de l'alcool.
Est-il bien nécessaire d'ajouter que la gratuité est la règle,
pour la communication des volumes, dans ce pays qui a voulu
mettre son point d'honneur à rendre gratuite l'instruction élé-
mentaire. Sans quoi, notre libéralisme aurait jugé que la biblio-
thèque n'est point le digne complément de l'école.
CONCLUSION
Nous venons de voir comment, depuis un siècle et plus, l'en-
seignement public à Paris avait été possédé par le « tourment
du mieux ».
Et maintenant que conclure ? Et quelle impression se dégage
pour nous de cette étude ?
Une impression optimiste, ayons le grand courage de le dire.
Ne sait-on pas qu'en France la mode est de médire de soi. —
quitte à juger tristement dépourvus de l'esprit de finesse les
étrangers naïfs, qui nous croient sur parole, et qui pensent nous
avoir lus, sans avoir su nous lire entre les lignes. Si la mode
c'est cela, tant pis pour la mode.
Vingt années d'enseignement et trente années d'assiduité
dans nos bibliothèques ou nos archives parisiennes nous ont
laissé cette conviction, sans doute très ingénue, que, si Paris
est la grande capitale intellectuelle du monde c'est peut-être,
après tout, parce qu'elle est le grand chef-lreu du labeur
mondial. Il est fort possible qu'on s'y amuse moins sottement
qu'ailleurs. Il est très sûr aussi qu'on y travaille autant et
mieux.
Il est entendu que tout n'est point parfait dans nos écoles,
dans nos lycées, dans nos programmes et dans nos bibliothèques.
CONCLUSION 269
Mais il nous semble utile, tout de même, de temps en temps, de
signaler leurs mérites autant que leurs défauts. Si nous pas-
sions notre vie à dénombrer tous les germes de mort qui sont
en nous, nous ne vivrions pas trois jours. Et que dirait-on d'un
médecin dont le principal souci serait d'avertir ses malades de
toutes les chances qu'ils ont de périr ?
L'optimisme, qui a ses périls, a du moins cet avantage : il
permet d'agir.
TABLE DES GRAVURES
i. — L'Ecole maternelle. Le lavabo. — Le jeu dans la cour \
2. — L'Ecole primaire. La leçon de dessin. — L'enseignement ménager :
le repassage 5
3. — L'Ecole primaire. L'enseignement ménager: la cuisine. — Le cloître des
Billettes 6
4. — L'Ecole primaire. Hôtel dit de Gourgues, rue de Turenne, 54 ... . 7
5. — L'Ecole primaire. Hôtel Sénecterre, 24, rue de l'Université 8
6. — L'Ecole primaire. Tour Jean-Sans-Peur. — Hôtel Bergeret, rue
Béranger 9
y_ — Ecole Diderot. Atelier de chaudronnerie. — Ecole Germain Pilon.
A-telier de modelage 12
g_ _ Ecole Bernard Palissy. Cours de composition décorative. — Ecole
Boulle. Atelier de sculpture sur bois 13
9. - Ecole Estienne. Vue générale. — Atelier de Lithographie 16
10. Ecole Dorian. Un atelier du fer. — Ecole d'arts et métiers de Paris,
Boulevard Saint-Marcel 17
11. — Ecole professionnelle de filles. Les fleuristes. — Ecole primaire supé-
rieure Turgot. 26
12. Ecole primaire supérieure Colbert. — Classe de Physique à Colbert. . 27
n, Ecole primaire supérieure Lavoisier. Une cour. — Ecole primaire su-
périeure Arago. Cour et promenoirs 3°
Ta_ Ecole primaire supérieure Jean-Baptiste Say. Dortoir des petits au
réveil. — Manipulations en plein air 31
!t. Ecole primaire supérieure Sophie Germain. Cours de composition
décorative. — Ecole primaire supérieure Edgar Quinet. Leçon de
morale, dans le grand amphithéâtre 32
!6. — Collège Chaptal, entrée. — Vue générale 33
272 TABLE DES GRAVURES
17. — Bedeaux et recteurs de l'Université de Paris. — Les uniformes,
depuis cent ans 84
18. — L'ancien Louis-le-Grand, d'après le plan de Turgot, 1739. — L'an-
cienne façade de Louis-le-Grand, rue Saint-Jacques, en 1884. ... 85
19. — L'ancien Louis-le-Grand, vue panoramique. — Le Louis-le-Grand
d'aujourd'hui. Cour d'entrée (partie du xvii0 siècle) 88
20. — Le Louis-le-Grand actuel. Façade sur la rue Saint-Jacques. — Le
Louis-le-Grand actuel. Vue d'une cour intérieure 89
21. — Emplacement du Lycée Henri IV, d'après le plan de Turgot. — Vue
générale sur la place du Panthéon, côté ouest 108
22. — Lycée Henri IV. Chapelle (xine siècle). — Dortoir (xvnr3 siècle). . 109
23. — Lycée Henri IV. Les cuisines (xinc siècle). — Lycée Henri IV. La
salle des fêtes (ancien cercle), xvnie siècle. — Statue de sainte
Geneviève, xin° siècle, jadis au lycée Henri IV. Musée du Louvre. 112
24. — Lycée Henri IV. Le Grand escalier. — Le jardin du Proviseur. . . . 113
25. — Lycée Charlemagne. Une cour intérieure 120
26. — Lycée Charlemagne. Porte de la Bibliothèque. — Plafond 121
27 . — Façade de l'ancien lycée Condorcet. — Ancienne cour d'entrée, vue
intérieure 136
28. — Petit lycée Condorcet. Façade actuelle. — Une cour intérieure. . . . 137
29. — Le collège d'Harcourt, d'après la gravure de Martinet. — Lycée Saint-
Louis, vers 1890 152
30. — Lycée Saint-Louis. Cour actuelle de la chapelle. — Ancienne porte
d'Harcourt 153
31. — Collège Rollin. Vue générale 172
32. — Lycée Michelet, à Vanves. La façade sur le parc. — Un atelier . . . 173
33. — ■ Lycée Michelet. Le tennis. — Sous-bois 184
34. — Lycée Lakanal. L'entrée. — Le parloir. Peintures de Guillonnet ... 185
35. — Lycée Lakanal. La galerie de 330 mètres. — Le parc 192
36. — Lycée Montaigne. Façade principale. — Le Palmarium 193
37- — ■ L3rcée Janson-de-Sailly. La cour d'honneur. — Le petit lycée sur l'ave-
nue Henri Martin 200
38. — Lycée Janson-de-Sailly. L'entrée sur la rue de la Pompe. — Couloir du
petit lycée (premier étage) 201
39- — Lycée Buffon. Façade sur le boulevard Pasteur. — Une cour intérieure. 208
4°- — Lycée Voltaire. L'entrée sur l'avenue de la République. — Cour inté-
rieure 209
TABLE DES GRAVURES 2;3
41. — Lycée Carnot. Cour intérieure. — Cabinet de physique 220
42. — Lycée Fénelon. Cour intérieure. — Escalier de l'ancien hôtel, dit de
Rohan 221
43. — Lycée Fénelon. Cabinet de la directrice (pièce du xviii0 siècle). — Une
classe (pièce du xvme siècle) 222
44. — Lycée Racine. Le Parloir. — Cour intérieure 223
45. — Lycée Molière. Cour d'honneur. — Cour de récréation 226
46. — Lycée Lamartine. Jardin xvme siècle. — Charmille Louis XV .... 227
47. — Lycée Lamartine. Cabinet de la directrice. Pièce du xvnie siècle. —
Classe de couture 230
48. — Lycée Victor Hugo. Façade sur la rue de Sévigné. — Cour de récréa-
tion 231
49. — Lycée Victor Duruy. Façade sur le parc. — Le réfectoire 234
50. — Lycée Victor Duruy. Une chambre. — Une allée du parc 235
51. — Bibliothèque de l'Arsenal. Une pièce du xviii0 siècle (appartements du
duc et de la duchesse du Maine) 240
52. — Bibliothèque de l'Arsenal. La chambre de la duchesse et maréchale de
la Meilleraye (xvir3 siècle), dit cabinet de Sully 241
53. — Bibliothèque de l'Arsenal. L'oratoire de Mme de la Meilleraye
(xvnc siècle). — Une console Louis XV 244
54. — L'Ile Louviers, proche l'Arsenal, au xviii0 siècle. — Un dîner d'appa-
rat vers 1460. (Manuscrit de la Bibliothèque de l'arsenal.) 245
55. — Bibliothèque Mazarine. Façade. — Vue intérieure 248
56. — Quatre bustes de la bibliothèque Mazarine. Peiresc, par Caffieri. —
Franklin, par Caffieri. — Palissot, par Houdon. — Buste anonyme,
par de Fernex 249
57. — Bibliothèque Mazarine. — Bonaparte (Médaillon de bronze). — Pendule
Louis XV. — Richelieu, par Warin 252
58. — Bibliothèque Mazarine. Reliure aux armes de Mazarin. — Lustre
Louis XV. — Commode Boulle 253
59. — ■ Bibliothèque Sainte-Geneviève. Façade sur la place du Panthéon. —
Vestibule d'entrée au rez-de-chaussée 256
60. — Bibliothèque Sainte-Geneviève. Cabinet de l'administrateur. — Salle
de lecture 257
61. — Bustes de la Bibliothèque Sainte-Geneviève : Rotrou, par Caffieri. — ■
Rameau, par Caffieri. — Le P. Pingre, génovéfain, par Caffieri. —
Antoine Arnauld, par Girardon 260
274 TABLE DES GRAVURES
62. - Bibliothèque Saint-Fargeau. L'entrée de la Bibliothèque, rue de Sévi-
gne. - Fronton de l'Orangerie. - L'Orangerie (La porte d'entrée
cote de la rue Payenne) .
J ' 261
63. - Bibliothèque Saint-Fargeau. Cabinet de l'administrateur, xvin* siècle. 264
64. - Bibliothèque Forney. Salle de lecture. - Bibliothèque municipale, rue
Dupleix, 21 . .
265
TABLE DES MATIERES
Avant-propos i-ni
LIVRE PREMIER
L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE A PARIS i"33
CHAPITRE PREMIER
l'enseignement primaire avant treize ans 4-9
L'École maternelle, p. 7; puis l'École primaire élémentaire, p. 8 . . . . 7-8
CHAPITRE II
l'enseignement primaire après treize ans 10-25
I. — La préparation des apprentis et l'Enseignement professionnel . . . 10-22
i° Les cours complémentaires du jour, p. 14 ; 20 les cours municipaux
du soir, p. 15; 30 les Écoles professionnelles, p. 16; 40 le préap-
prentissage et les cours de demi-temps, p. 22.
CHAPITRE III
l'enseignement primaire après treize ans 26-33
II. — L'Enseignement pratique non professionnel, Écoles primaires supé-
rieures, Collège Chaptal 20~33
Les Écoles primaires supérieures, p. 27-30 ; Le Collège Chaptal.
P- 3°-33-
2/6
TABLE DES MATIERES
LIVRE II
L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 34-236
CHAPITRE PREMIER
HISTOIRE GÉNÉRALE DES LYCEES PARISIENS DE GARÇONS 35"83
Leurs noms, p. 35 ; leur localisation, p. 36 ; leurs jardins p. 39.
Leur personnel et sa hiérarchie, p. 41; le Directeur général de l'Ins-
truction publique, puis le Grand Maître de l'Université, p. 41 ; la
Commission de l'Instruction publique, p. 41 ; le Ministre de l'Instruc-
tion publique, p. 42 ; le Conseil supérieur de l'Instruction publique,
p. 42; les proviseurs, leur recrutement et leur autorité, p. 44; les
censeurs, p. 47 ; les professeurs et leurs titres, p. 47 ; les professeurs-
adjoints^. 49; les simples agrégés, p. 49; les traitements, p. 51 ; l'é-
ventuel, p. 52 ; les maîtres répétiteurs, p. 54.
Les élèves, p. 56; l'internat des élèves, des professeurs, des maîtres,
p. 57; les progrès de l'externat, p. 58; les pensions et institutions,
P- 57-
La vie matérielle et ses progrès, p. 59 ; la gymnastique, p. 61 ; et les
sports, p. 62.
La vie intellectuelle, p. 63 ; l'âge des différentes classes, p. 64; le nombre
des élèves dans les classes, p. 65; les programmes, p. 66; la part
faite aux sciences, p. 67 ; la spécialisation de certains lycées, p. 68-71 ;
la bifurcation et le système des cycles, p. 68 ; l'enseignement spécial
et ses origines, p. 69; l'enseignement moderne, p. 70 ; le grec, p. 71 ;
l'enseignement classique, p. 71 ; l'histoire, p. 72 ; la géographie, p. 73 ;
les sciences naturelles, p. 74; les langues vivantes, p. 74.
La vie morale et éducative, p. 76; l'idéal napoléonien, p. 76; le libé-
ralisme au lycée, p. 77; la religion, p. '79; la politique, p. 80; le
second Empire, p. 81 ; la discipline préventive, p. 82; les parents et
le lycée, p. 82.
CHAPITRE II
HISTOIRE MONOGRAPHIQUE DES LYCÉES PARISIENS 84-222
Leur classement logique, d'après leur histoire, p. 84.
Première Section. — Les Lycées de garçons. 87
I. — Le Lycée Louis-le-Grand 87-107
Ses noms successifs, p. 87; ses locaux, p. 89; ses proviseurs, p. 93;
TABLE DES MATIÈRES 277
ses censeurs, p. 96 ; ses professeurs, p. 97 ; sa population scolaire,
p. 97 ; ses pensions, p. 99 ; ses élèves les plus notables, p. 99 ;
ses classes, p. 101; son caractère littéraire, p. 102; le concours
général, p. 103; la rigueur de la discipline, p. 104; les révoltes,
p. 105; l'œuvre du Petit sou, p. 106; l'Association des anciens
élèves, p. 107.
II. — Le Lycée Henri IV 107-119
Ses noms successifs, p. 107; ses richesses d'art, p. 108; ses anciens
jardins, p. 108; le xme siècle : la chapelle, p. 108; sa statue de
sainte Geneviève, p. 109; le xvnr3 siècle : le grand escalier, l'an-
cienne bibliothèque et l'ancien médailler des génovéfains, p. 110.
Les proviseurs, p. ni ; les censeurs, p. 112; les professeurs,
p. 113 ; les élèves, p. 113; leur statistique, p. 115; les pensions,
p. 114; les élèves académiciens, etc. p. 117 ; le caractère familial
de la maison, p. 116-119.
III. — Le Lycée Charlemagne 1 19-132
i° De 1803 à 1815, p. 119-124 ; les anciens Jésuites, p. 120 ; les provi-
seurs et censeurs, p. 120; un lycée d'externes, p. 122 ; le bonapar-
tisme, p. 122; Michelet au lycée, p. 123. — 20 De 1815 à 1848,
p. 124. Les dernières vignes, p. 124; proviseurs et censeurs,
p. 125; statistique scolaire, p. 125; les Institutions, p. 126; l'a-
pogée, p. 127. — 30 Depuis 1848, p. 128; les locaux nouveaux,
p. 128; la décadence des pensions, p. 129; au collège national
succède le lycée de quartier, 'p. 130 ; l'enseignemnt spécial, p. 132.
IV. — Le Lycée Condorcet i32_I4^
i° De 1803 à 1815, p. 132-136; l'ancien couvent des Capucins, p. 132 :
l'ancien verger, p. 133 ; l'humilité des premiers débuts, p. 135 ;
Lakanal économe, p. 134. — 2° De 1815 à 1848, p. 136-142, relè-
vement du collège; les barricades de 1830, p. 138 et les agitations
d'un collège d'externes, p. 140. — 30 Depuis 1848, p. 142-146; le
demi-pensionnat, p. 144; caractéristique des élèves, p. 146.
V. — Le Lycée Saint-Louis 147-161
Deux actes de naissance, 1280 et 1820, p. 147; ses noms, p. 147-8;
ses bâtiments, p. 148; ses proviseurs, dont les premiers furent
ecclésiastiques, p. 151; ses censeurs, p. 153; ses professeurs les
plus notables, p. 154; sa population scolaire, p. 155 ; ses anciennes
pensions, p. 156 ; la nouvelle physionomie du lycée, p. 157 ; sa
spécialisation scientifique traditionnelle, p. 158; ses élèves les plus
célèbres, p. 161.
VI. — Le Collège municipal Rollin 161-172
L'ancienne Sainte-Barbe-Nicolle p. 161-162; la vieille rue des Postes,
278 TABLE DES MATIERES
p. 163: chiffre autrefois limité des élèves, p. 163; particularités
anciennes du personnel, p. 164-165; M. Defauconpret, p. 167;
le Rollin de l'avenue Trudaine, p. 169; services qu'il a rendus à
l'Université, p. 170 ; ses élèves illustres, p. 172.
VII. — Le Lycée Michelet a Vanves 173-184
Chez les Princes de Condé, p. 173; une Première filiale de Louis-
le-Grand, p. 173; « le lycée du Prince Impérial», p. 173; comment
il conquiert peu à peu son autonomie, p. 177: un lycée rural,
p. 179; le parc et l'hygiène, p. 180; les travaux manuels, p. 182 et
les autres, p. 184.
VIII. — Le Lycée Lakanal 184-192
Chez la duchesse du Maine, p. 185; les transformations de l'ancien
parc, p. 186 ; les proviseurs et M. Bazins de Bezons, p. 187 ; rappro-
cher Lakanal des collèges anglais, p. 187 ; la population scolaire,
p. 188; la classe en plein air et les jeux, p. 189; les chambres
particulières, p. 190; les jardins d'enfants, p. 191; les études,
p. 192.
IX. — Le Lycée Montaigne 192-198
La seconde filiale de Louis-le-Grand, à l'usage des petits élèves,
p. 192-3; l'historique des locaux, p. 193; externes et internes,
p. 195; les méthodes de Montaigne, p. 196; progrès de l'enseigne-
ment classique, p. 198.
X. — Le Lycée Janson de Sailly 198206
M. Janson de Sailly, p. 198; les idées modernes au lycée, p. 199;
le personnel, p. 201; l'élève de Janson, p. 202-205; la discipline
paternelle et ses origines, p. 205; ses limites, p. 206.
XI. — Le Lycée Buffon 206-211
Un quartier que les lycées n'encombrent pas, p. 206; accroissement
rapide de sa population scolaire, p. 207; le personnel, p. 208;
quelques inconvénients du métropolitain, p. 208; Buffon devient
scientifique, p. 211.
XII. — Le Lycée Voltaire 211-2:5
Son éloignement des autres lycées, p. 211; ses locaux, p. 213; son
personnel et ses élèves, p. 212-213; l'esprit général du lycée, p. 214;
sa nouvelle spécialité, p. 215.
XIII. — Le Lycée Carnot 216-222
L'ancien Monge, p. 216; la disposition matérielle des classes et des
études, p. 218; le personnel, p. 218; la population scolaire révèle
un lycée de quartier, p. 219; l'éducation intellectuelle et morale,
p. 219-222.
TABLE DES MATIÈRES 279
Deuxième Section. — Les Lycées de jeunes filles. 222-236
Leurs actes de naissance, p. 223; le choix de leurs quartiers, p. 223:
les richesses d'art de leurs locaux, à Fénelon, à Lamartine, à Victor
Duruy, etc., p. 224-226 : le personnel féminin ou masculin, p. 22;; le
chiffre des élèves, p. 228; l'internat est exceptionnel, p. 228 ; la vie
intellectuelle, p. 228-232; l'éducation morale, p. 232-236.
LIVRE III
LES BIBLIOTHÈQUES 237-267
Les trois Bibliothèques « nationales » : Arsenal, Mazarine, Sainte-Gene-
viève, p. 2jj. Les différents groupes de bibliothèques : i° Institut,
Collège de France. Université de Paris, École normale supérieure,
p. 238-239; 2° les Bibliothèques d'Histoire, d'Archéologie et d'Art,
p. 239; 30 les Bibliothèques des Sciences sociales, politiques, philoso-
phiques et religieuses, p. 241 ; 40 les Bibliothèques des Sciences
mathématiques et naturelles, p. 243 ; 50 les Bibliothèques d'Agricul-
ture. Industrie et Commerce, p. 245; les Bibliothèques populaires
municipales, p. 245-248. Un rayon de livres long de 218 kilomètres,
p. 248.
Les Bibliothécaires, Conservateurs et Administrateurs, p. 249-251 : les
locaux et la santé des livres, p. 251-254.
Les richesses d'art des bibliothèques : à la Bibliothèque Mazarine,
p. 254-256 ; à l'Arsenal, p. 256-260: à Sainte-Geneviève, p. 260-262;
à Saint-Fargeau, p. 267 et 260.
Le classement des livres et ses difficultés, p. 262-264; le public et les
bibliothèques, p. 264-267; le prêt à domicile et son fonctionnement,
p. 265-207.
Conclusion : l'optimisme serait-il un paradoxe ? 268-269
Table des gravures 271
EYRECX, IMPRIMERIE CHARLES 3ERISSEY, PAUL HERISSEY Sl'CC1.
370.94436 D938E c 1
Dupont-Ferrier # Les
3 0005 02070306
370.94436
D938E
Dupont-Ferrier
Les écoles, lycées, collèges,
bibliothèques: l'enseignement
public a Paris.
370.94436
D938E
Dupont-Ferrier
Les écoles, lycées, collèges,
bibliothèques: l'enseignement public
a Paris.